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N° 492 rect.

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME  LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 16 novembre 2022.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI
 

visant à abolir la corrida : un petit pas pour l’animal,
un grand pas pour l’humanité

 

PAR M. Aymeric CARON

Député

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Voir le numéro : 329.


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SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION............................................ 5

article unique de la proposition de loi

Article unique (art. 521-1 et 522-1 du code pénal) Abolition de la corrida

I. La corrida est déjà interdite en France

A. L’état du droit est celui d’une anomalie juridique

1. L’introduction contra-legem de la corrida en France relève d’un transplant forcé, factice et à rebours du sens de l’histoire

2. La légalisation de 1951 repose sur une construction juridique artificielle et une exception injustifiable

3. Contre l’esprit de la loi, une jurisprudence laxiste n’a pas permis l’extinction de la corrida

B. Car de quoi parle-t-on, concrètement ?

II. Les arguments qui justifient cette pratique doivent être méthodiquement réfutés

A. Le cadre galvaudé du débat

1. La corrida serait une pratique traditionnelle

2. La corrida serait un art

3. La corrida entraînerait des retombées économiques indispensables

4. La corrida n’infligerait pas de souffrance au taureau

B. Les ressorts des mécanismes de justification des aficionados

III. L’abolition de la corrida et de toutes les formes de sévices graves et d’actes de cruauté envers les animaux

1. Le dispositif proposé

2. La position de la commission

Examen En commission

Personnes entendues


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Mesdames, Messieurs,

« La France est une République indivisible » dispose l’article 1er de notre Constitution qui proclame un principe fondamental qui figurait déjà, en 1791, à l’article 1er de la première Constitution.

 La corrida est interdite en France en application de l’article 521-1 du code pénal qui punit le fait d’exercer des sévices graves ou de commettre un acte de cruauté envers un animal. Pourtant, cette pratique bénéficie d’une dérogation là où une prétendue tradition peut être invoquée, c’est-à-dire dans seulement dix pour cent des départements français.

La soumission exceptionnelle, exorbitante et injustifiable de notre droit à la tradition résulte d’une vision moyenâgeuse de cette dernière, d’une argumentation qui ne sait se remettre en question, quand bien même la nature cruelle de la corrida est inscrite dans le code pénal et son interdiction prévue dans l’immense majorité du pays pour des raisons évidentes qui ne relèvent ni de l’idéologie, ni de la lubie. 

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*     *

Chaque année, en France, des taureaux sont impitoyablement torturés puis mis à mort publiquement, dans des cérémonies où le rituel tente de justifier l’injustifiable. Ce rituel a même atteint un degré de cynisme absolu en prétendant glorifier la bravoure, la noblesse et la puissance du taureau de combat.

En Terre d’Argence, berceau de la course camarguaise, la ville de Beaucaire offre à ses deux principales entrées, lorsque l’on y accède par les routes de Tarascon et de Nîmes, les fières statues de deux cocardiers mythiques : Le Clairon et Goya. Grâce à leurs qualités exceptionnelles, ces taureaux camarguais ont acquis au cours de leur vie, dans les années 1920 et 1970, une popularité immense et sont à jamais entrés dans la légende.

Mais que dire de la corrida ? A-t-on jamais vu un taureau de corrida entrer dans quelconque légende ? Non. Car aucune légende ne s’écrit en vingt minutes d’un combat truqué et sans issue. En 2018, devant le toril des arènes municipales de cette même ville de Beaucaire, un taureau de combat mort était abjectement émasculé, égorgé et vidé de son sang, en pleine rue et à la vue de tous. Victime de la corrida, ce taureau n’aura jamais le droit à une statue. Il est tombé dans l’oubli, comme ses mille congénères sacrifiés chaque année dans notre pays au nom d’une tradition locale factice. L’heure de son abolition, qui n’a que trop tardé, est heureusement enfin venue.

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*     *

Cette proposition de loi est historique. C’est en effet la première fois que le sujet de l’abolition de la corrida est inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Elle constitue l’aboutissement d’un long combat citoyen, militant et politique : votre rapporteur tient à rendre hommage à l’engagement de toutes celles et de tous ceux qui portent et qui ont porté, dans des conditions difficiles, cette lutte de longue haleine. Il remercie également son groupe parlementaire, La France insoumise – Nouvelle union populaire, écologique et sociale (LFI-NUPES), qui a inscrit ce texte à l’ordre du jour de sa journée réservée. Il salue enfin les rares défenseurs de la corrida, MM. Denis Podalydès et Francis Marmande, qui ont accepté de confronter leur position dans le cadre des onze auditions qu’il a conduites.

Le chemin vers l’abolition inéluctable de la corrida est désormais tracé et ce texte propose d’en être le vecteur. Il est certain que la pratique de la corrida finira par disparaître : les arènes se vident ferias après ferias, seulement huit États dans le monde la pratiquent encore et les Français la rejettent massivement et soutiennent sans réserve son abolition – avec des taux d’approbation compris entre 75 % et 87 % selon les quatre derniers sondages de l’Institut français d’opinion publique (Ifop) réalisés en 2021 et 2022.

Il n’en demeure pas moins nécessaire de précipiter son crépuscule, pour sauver les taureaux qui peuvent désormais l’être et pour relever haut la tête : il en va en effet, dans l’abolition de la corrida, de la dignité de l’animal et de l’homme. Ce combat, qui fait l’objet d’un dénigrement constant et de caricatures grossières est loin d’être futile : il triomphera parce qu’il est juste et parce qu’il s’inscrit dans un mouvement historique, intellectuel et éminemment politique.

Votre rapporteur fait sien les mots de la philosophe Élisabeth de Fontenay qui explique le sens et la portée de ce mouvement : « Si Hugo, Lamartine, Michelet, Larousse et Schœlcher ont jugé capital de porter l’opposition à la corrida au nombre de leurs combats, si les ennemis du conservatisme votèrent la première loi française, humaniste et républicaine, de défense des animaux contre la cruauté publique, la loi Grammont, c’est bien qu’il y avait et qu’il y a encore quelque chose de sourdement politique au cœur de cet engagement contre la magie du sang, de la volupté et de la mort. » ([1])

Il appartient désormais à l’Assemblée nationale, fidèle à sa tradition humaniste, d’abolir la corrida, indigne « spectacle » de sang, de volupté et de mort.


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   article unique de la proposition de loi

Article unique
(art. 521-1 et 522-1 du code pénal)
Abolition de la corrida

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article unique de la proposition de loi abolit la corrida en supprimant l’exception, prévue par le onzième alinéa de l’article 521-1 du code pénal, dont bénéficient les courses de taureaux qui ne sont pas passibles, lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée, de la peine prévue au même article pour les sévices graves ou les actes de cruauté commis envers les animaux.

I.   La corrida est déjà interdite en France

A.   L’état du droit est celui d’une anomalie juridique

La pratique de la corrida est assise sur un cadre juridique insolite et bancal qui s’est construit en trois temps qui ne sont pas sans rappeler les trois tercios implacables d’une corrida. 

1.   L’introduction contra-legem de la corrida en France relève d’un transplant forcé, factice et à rebours du sens de l’histoire

La première corrida en France, qui s’est tenue à Saint-Esprit Bayonne en 1853 pour les beaux yeux de María Eugenia Ignacia Agustina de Palafox-Portocarrero de Guzmán y Kirkpatrick, dite Eugénie de Montjijo, épouse de Napoléon III, a constitué le premier anachronisme juridique, historique et géographique de l’introduction à marche forcée de la corrida en France. En effet, trois ans auparavant, la loi du 2 juillet 1850 sur les mauvais traitements envers les animaux domestiques, dite loi Grammont, pionnière en matière de protection animale, disposait pour la première fois que « seront punis d’une amende de cinq à quinze francs, et pourront l’être d’un à cinq jours de prison, ceux qui auront exercé publiquement et abusivement des mauvais traitements envers les animaux domestiques ». La loi Grammont avait fixé deux critères à la répression des mauvais traitements infligés aux animaux : leur caractère public et la nature domestique de ces derniers.

Jusqu’à la fin du XIXème siècle, la loi Grammont a fait l’objet d’interprétations diverses quant à son application aux courses de taureaux. Son application par les préfets et les tribunaux fut donc fluctuante. En 1895, la Cour de cassation jugea néanmoins le taureau de combat comme animal domestique, et ce faisant, le fit entrer dans le champ d’application de la loi. En effet, malgré les allégations selon lesquelles le taureau de combat – toro bravo – serait un animal sauvage, il s’agit bien d’un animal domestiqué par l’homme et sélectionné artificiellement par lui. Cette jurisprudence fut cependant appliquée de façon hétérogène, conduisant à ce que la pratique de la corrida se renforce dans certaines régions françaises, de manière contra-legem, et disparaisse dans d’autres.

Cette première séquence appelle deux remarques liminaires de la part de votre rapporteur.

Premièrement, l’apparition de la corrida au XIXème siècle peut être qualifiée d’anomalie. Elle est déjà, pour l’époque, difficilement explicable. L’historien de la corrida Éric Baratay ([2]) a démontré que son introduction « intervient à contretemps d’une évolution profonde des mentalités », cette évolution étant symbolisée par l’adoption, sous la Deuxième République, de la loi Grammont. De manière plus générale, « la corrida sembla contredire tout le travail d’autocontrainte, d’intériorisation des normes décrit par Norbert Elias à propos du processus de civilisation, toute la vision contemporaine du progrès des nations civilisées, de l’adoucissement des mœurs et de la reconnaissance des autres (appelé mouvement des Lumières par les républicains) ». Dès lors, lorsque l’Union des villes taurines de France (UTVF) appelle les députés à faire un choix entre humanisme républicain ou antispécisme anti humaniste, ils font preuve de leur entière méconnaissance de ce qu’est la vraie nature de l’humanisme. Leur Lumière n’est que celle, factice, qui jaillit du costume du toréro ou celle, aveuglante, qui désoriente le taureau à la sortie du toril. Mais personne n’est dupe sur la nature de leur idéologie conservatrice, contraire à l’esprit universaliste et humaniste républicain : c’est celle qui qui est à l’œuvre depuis l’adoption de la loi Grammont par nos prédécesseurs élus en 1848.

Deuxièmement, l’introduction de la corrida en France a été conduite de manière vindicative et illégale par des groupes de pression organisés. En effet, M. Éric Baratay montre encore que « les aficionados furent très minoritaires, mais qu’ils surent faire pression sur le monde politique local, des maires aux députés, pour obtenir un appui efficace ». Ce sont exactement les mêmes forces qui s’activent aujourd’hui pour s’opposer à l’abolition de la corrida.

2.    La légalisation de 1951 repose sur une construction juridique artificielle et une exception injustifiable

La loi n° 51-461 du 24 avril 1951 vint réviser la loi Grammont en précisant que cette loi n’était « pas applicable aux courses de taureaux lorsqu’une tradition ininterrompue peut être évoquée ». Le décret n° 59-1351 du 7 septembre 1959 réprimant les mauvais traitements exercés envers les animaux, dit décret Michelet, vint compléter cette disposition en exigeant que la tradition ininterrompue en question ait un caractère local. Cette exception fut ensuite reprise par les différents textes incriminant les sévices graves et les actes de cruauté, les mauvais traitements envers les animaux et leur mise à mort sans nécessité.

Les dispositions légales et réglementaires qui ne s’appliquent pas à la corrida

L’article 521-1 du code pénal qualifie de délit le fait d’exercer des sévices graves ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité.

L’article 522-1 du même code réprime le fait de donner, sans nécessité, publiquement ou non, volontairement la mort à un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité, hors du cadre d'activités légales.

L’article R. 654-1 du même code punit le fait d’exercer, sans nécessité, publiquement ou non, des mauvais traitements envers un animal domestique ou apprivoisé ou tenu en captivité de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe.

L’article R. 655-1 du même code punit le fait de donner volontairement la mort à un animal domestique ou apprivoisé ou tenu en captivité, sans nécessité, publiquement ou non, de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe.

L’article R. 214-85 du code rural et de la pêche maritime interdit la participation d’animaux à des jeux et attractions pouvant donner lieu à mauvais traitements, dans les foires, fêtes foraines et autres lieux ouverts au public.

Cette disposition prévue par le code pénal est en plusieurs points déconcertante. Le principe de l’interdiction, et de la condamnation, des sévices graves et des actes de cruauté envers les animaux domestiques est posé dès le premier alinéa de l’article 521-1. Pourtant, son onzième alinéa exclut son application aux courses de taureaux lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. La nature des sévices et des actes infligés au taureau n’est donc pas contestée.

Quelle est la peine prévue pour l’organisation d’une corrida
dans 90 % du territoire national ?

Le premier alinéa de l’article 521-1 du code pénal punit de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité.

Le cinquème alinéa du même article dispose que, lorsque les faits ont entraîné la mort de l’animal, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende.

Cependant, l’existence d’une tradition locale ininterrompue permet de justifier la commission de ce délit et emporte donc une conséquence néfaste dans la mesure où elle confère à une tradition une valeur supérieure à la loi : la corrida est interdite en France, sauf dans les endroits où cette tradition peut être invoquée. La juriste Caroline Leclerc évoque ainsi « une résistance manifeste au droit » qui permet à « une simple tradition [d’] accéder au rang de notion juridique à part entière et [de] se voir dans certains cas doter d’un effet exonératoire de responsabilité pénale » ([3]).

Ajoutons que le code pénal ne propose aucune définition de la tradition et que celle-ci n’a jamais été, et ne saurait jamais être, une justification en soi. Défendre la légalité de la corrida parce qu’il s’agit d’une tradition est un argument qui n’a aucun fondement juridique. Une tradition, du simple fait de son existence, ne saurait écarter l’application de la règle de droit. On observera, au demeurant, qu’une telle argumentation n’existe que dans le cas de la corrida et que, fort heureusement, elle a clairement été écartée dans l’histoire de la construction de notre État de droit. Ici, la clairvoyance de Jean-Étienne-Marie Portalis mérite d’être soulignée. Dès 1801, dans son Discours préliminaire du premier projet de Code civil, il déclarait que « dans le nombre de nos coutumes, il en est, sans doute, qui portent l’empreinte de notre première barbarie (…) et qui répugnent autant à la raison qu’à nos mœurs ».

L’exception accordée à la corrida résulte donc d’une soumission ([4]) injustifiable du droit à la tradition dont il sera démontré, par ailleurs, qu’elle n’en est pas une.

3.   Contre l’esprit de la loi, une jurisprudence laxiste n’a pas permis l’extinction de la corrida  

En l’absence de définition, par le législateur, de cette notion de tradition locale ininterrompue, c’est le juge qui a dû en préciser les contours. Pour comprendre pourquoi cette jurisprudence s’inscrit à rebours de l’esprit de la loi, il convient de souligner que le critère de tradition ininterrompue a été ajouté, en 1951, par le législateur pour conditionner la légalisation partielle de la corrida et que l’ajout du critère local dans le décret Michelet de 1959 s’inscrit dans un cadre plus large, porté par le texte du garde des sceaux de l’époque, de renforcer la répression des mauvais traitements exercés envers les animaux. Pour la juriste Caroline Leclerc, ces critères « étaient censés jouer le rôle d’un “ cliquet “ anti-retour » ([5]).

Pourtant, la doctrine s’accord de manière unanime pour qualifier la jurisprudence, qu’elle soit qualifiée d’assez largement interprétée ([6]), de bienveillante ([7]), de laxiste ([8]) ou de libérale et favorable à une extension maximale de la corrida ([9]). Ainsi, pour la Cour d’appel de Toulouse ([10]), la notion locale de la tradition peut s’apprécier de manière indistincte dans l’ensemble du midi de la France, « entre le pays d’Arles et le pays basque, entre garrigue et Méditerranée, entre Pyrénées et Garonne, en Provence, Languedoc, Catalogne, Gascogne, Landes et Pays Basque ». Pour la Cour de Cassation ([11]), l’opposition majoritaire des populations locales à la corrida, étayée par des enquêtes d’opinion réalisées pour soutenir la requête, ne saurait remettre en cause le caractère ininterrompu de cette tradition du fait de la persistance d’une tradition locale en raison de « l’intérêt que lui [porte] un nombre suffisant de personnes ».

La juriste Caroline Leclerc observe ainsi que la jurisprudence actuelle « ruine le mécanisme de “ cliquet “ anti-retour aménagé par la loi, destiné à accompagner l’extinction des pratiques tauromachiques vers l’application du statut pénal commun. Peu importe désormais que les corridas ne soient plus organisées et que la population locale ait majoritairement délaissé la tauromachie : il suffit que persiste un “ intérêt “ chez une minorité d’amateurs pour que la pratique soit de nouveau admise. Le législateur avait souhaité autoriser le maintien de la tradition où elle existait, les juges ont permis sa résurrection là où elle est espérée. » ([12])

Le cas de la ville de Rieumes, en Haute-Garonne, illustre le non-sens de cette dérive jurisprudentielle. La pratique effective de la corrida n’étant plus nécessaire à l’existence d’une tradition ininterrompue, la cour d’appel de Toulouse ([13]) avait pu retenir, en 2000, l’existence d’une telle tradition dans cette ville, où aucune corrida ne s’était jamais tenue, en raison des manifestations artistique ou culturelle autour de la tauromachie qui s’y déroulaient et de déplacements des aficionados locaux vers des places actives de corridas. En 2016 pourtant, la corrida disparaissait de la ville de Rieumes, preuve du caractère infondé et entièrement factice de cette prétendue tradition.

B.   Car de quoi parle-t-on, concrètement ?

La nature des sévices graves et des actes de cruauté envers le taureau, commis dans la cadre d’une corrida, est incontestable. Ni le code pénal, ni la jurisprudence ne le nient, et c’est bien pour cela que la corrida est, par principe, interdite en France. Dès 1965, la cour d’appel de Nîmes ([14]) reconnaissait que le taureau subit, pendant une corrida, « sans véritable nécessité, une torture et une mort qui lui sont infligées pour les besoins d’un spectacle et la conquête d’une gloire agrémentée de substantiels avantages ».

Quelle est donc la nature de ces actes de torture, et de ses instruments, qui sont infligés aux six taureaux mis à mort lors d’une corrida ? ([15])

● Pour gagner l’arène, le taureau est séparé de son troupeau, transporté dans des conditions éprouvantes et stressantes qui peuvent lui faire perdre jusqu’à 30 kilogrammes. Avant la corrida, il est enfermé dans le toril de l’arène, dans une solitude et une obscurité complètes. Avant d’entrer dans l’arène, une cocarde colorée est clouée à son cou au moyen d’un harpon double de 8 centimètres de long et qui pénètre ses muscles à une profondeur de 12 centimètres.

● La corrida commence par le premier tercio qui met en scène l’affrontement du taureau avec le picador monté sur un cheval caparaçonné qui subit un stress intense. Le picador est armé d’une pique qui mesure de 2,55 à 2,70 mètres. À son extrémité est fixée une pointe triangulaire en acier de 2,9 centimètres de long et de 1,9 centimètres de large. La pointe est prolongée d’une butée de 6 centimètres de long qui est séparée du reste de la pique par une traverse fixe en acier de 5 centimètres de chaque côté.

À deux reprises le picador pique le taureau dans une charge qui met en opposition la force du taureau contre le cheval. Son arme pénètre, en moyenne, à 17 centimètres de profondeur dans le cou du taureau, elle peut même aller jusqu’à 30 centimètres. Les picadors sont capables d’insérer la traverse dans les muscles élastiques de l’animal, de tourner la pique et de l’insérer et de la retirer plusieurs fois dans la même séquence.

En termes de blessures, la pique coupe, blesse et traumatise les muscles, les tendons, les ligaments, les nerfs et les structures osseuses des vertèbres cervicales et principalement thoraciques. Elle peut blesser les côtes, les omoplates et leurs cartilages d’extension, et, lorsqu’elle est mal plantée, elle peut provoquer un pneumothorax qui va aggraver l’insuffisance respiratoire intense que subit le taureau tout au long de la corrida. La pique sectionne également de nombreux vaisseaux sanguins, ce qui provoque une hémorragie abondante avec une perte de sang estimée entre 8 et 15 % du volume sanguin, soit environ 3 à 6 litres. Les charges du taureau contre le cheval et le picador produisent également une usure physique importante.

● Le deuxième tercio est celui des banderilles. Il s’agit de six bâtons agrémentés de froufrous colorés. Ils mesurent 70 centimètres et sont terminés en leur pointe par un harpon en acier de 6 cm. Les banderilles sont plantées par paire, en trois fois donc, dans l’objectif d’obtenir un effet revitalisant sur le taureau éprouvé par la séquence des piques. Il s’agit notamment de l’exciter afin de le réveiller de sa léthargie en plantant les banderilles dans les zones précédemment blessées par les coups de piques. Les harpons ont également pour effet d’augmenter la perte de sang. Mal placées elles peuvent, elles aussi, provoquer un pneumothorax.

● Au troisième tercio entre en scène le torero et sa muleta rouge sang. Les passes finales finiront d’épuiser physiquement et émotionnellement le taureau, le trompant encore et encore tant que l’animal sera capable de développer sa charge. Pour la mise à mort, le torero utilise l’estoque, une épée d’une longueur de 88 centimètres, qui s’introduit, lorsque le coup réussit, dans la cavité thoracique et sectionne toutes les structures anatomiques sur son passage : lobes pulmonaires, bronches, vaisseaux sanguins de plus ou moins gros calibre et parfois, trachée et œsophage. Dans environ 10 % des cas, c’est-à-dire les coups les plus profonds, ceux-ci transpercent le diaphragme et clouent le foie et le ventre. Si l’épée a sectionné la veine cave caudale et l’artère aortique postérieure, le thorax se remplit de sang rapidement. Si l’épée n’a sectionné que des veines et artères plus petites, cela se fait plus lentement. Le taureau suffoque en subissant un choc hypovolémique. Dans le processus agonique, le taureau crache du sang par la bouche et par le nez, vomit parfois du sang ou l’avale.

Si le taureau met trop de temps à tomber, il est achevé à l’aide du descabello. Il s’agit d’une épée similaire à la précédente qui comprend en plus un arrêt à 10 centimètres de sa pointe. Elle est introduite entre la première et la deuxième vertèbre cervicale, sectionnant la moelle épinière, laissant l’animal tétraplégique mais conscient, c’est-à-dire qu’il est incapable de se lever, mais qu’il entend, voit et sent, notamment le goût de son sang dans sa bouche, et qu’il panique intérieurement. Le torero frappe le taureau à coups de descabello, et ce jusqu’à ce que le taureau finisse par tomber.

La fin du combat est produite par le coup de puntilla. Il s’agit d’un couteau avec une lame de 10 centimètres qui est planté entre l’os occipital et la première vertèbre cervicale et qui va blesser un centre nerveux important, le bulbe rachidien ou tronc cérébral, qui relie la moelle épinière au cerveau et qui, entre autres fonctions, permet au cœur de battre et aux poumons d’inspirer et d’expirer de manière autonome. La puntilla ne cause pas la mort instantanée du taureau :  celle-ci peut n’intervenir qu’après une à trois minutes. Les taureaux sont parfois traînés encore vivants hors de l’arène.

 C’est donc cela que les aficionados veulent continuer en toute quiétude ?

II.   Les arguments qui justifient cette pratique doivent être méthodiquement réfutés

A.   Le cadre galvaudé du débat

Malgré l’horreur de la réalité de la corrida qui vient d’être décrite, ses défenseurs mettent en avant quatre arguments principaux pour défendre son maintien.

1.   La corrida serait une pratique traditionnelle

Certains défenseurs de la corrida font remonter ses origines à l’antiquité. Il n’en est rien. Ils seraient mieux inspirés de s’intéresser à l’idée de l’existence de devoirs moraux des êtres humains envers les animaux qui était largement présente dans les pensées antiques grecque, égyptienne et romaine. La distinction entre les êtres vivants n’était alors pas conçue de façon absolument radicale, les animaux pouvant être envisagés comme des êtres animés dotés d’une âme immortelle susceptibles de transmettre leurs caractères aux hommes et aux dieux. Pythagore (580-500 avant J.-C.), Plutarque (45-120 après J.-C.) et Porphyre (vers 234-304) soutenaient l’interdiction de tuer des animaux sur le fondement de ce type de conceptions.

Plus fréquemment, les aficionados entretiennent volontairement une confusion avec la tradition taurine landaise et provençale, à l’origine des courses landaises et camarguaises, dont le caractère local et traditionnel est avéré et ne souffre d’aucune contestation. La corrida espagnole est venue se greffer artificiellement sur un terreau naturel préexistant, mais étanche à cette pratique cruelle avec mise à mort, à partir de la fin du XIXème siècle. Par la suite, s’est développé ce que M. Éric Baratay qualifie de mythe de la corrida ([16]) qui, en dépit qu’il soit faux, a fonctionné dans sa visée stratégique, en permettant d’imposer et de justifier la corrida. L’historien souligne la fonction de ce mythe qui a d’abord permis « d’imposer la corrida dans un pays majoritairement hostile [ …], supportant de moins en moins la violence publique envers l’animal » et qui « conforte maintenant une sociabilité méridionale qu’il a lui-même contribué à construire ».

On constate aujourd’hui l’émergence d’un discours tautologique de justification de la tradition par la tradition, de justification intrinsèque de la tradition qui serait légitimée par le simple fait de son existence. D’une part, quand bien même la corrida serait traditionnelle en France – ce qu’elle n’est pas, elle est espagnole : ni française, ni même basque ou catalane – le fait pour une activité d’être traditionnelle n’a jamais entraîné de présomption d’acceptabilité, surtout lorsqu’elle est cruelle. D’autre part, une tradition ne se décrète pas. La tentative ratée d’introduction de la corrida à Rieumes illustre bien la fuite en avant désespérée dans laquelle sont engagés les promoteurs de la corrida. On observe, sur ce point, une argumentation opportuniste qui tend à faire de la corrida un élément constitutif de l’identité méridionale et de son abolition une atteinte insupportable à cette dernière. Il s’agit là d’une posture voire d’une manipulation qui ont pour objet d’ôter tout caractère rationnel au débat sur l’abolition. Elles visent également à faire oublier que les méridionaux rejettent eux-mêmes cette identité malheureuse et clivante qui suscite la honte et le rejet d’une large majorité : en 2017, un sondage Ifop a mis en évidence que 75 % des habitants des départements où se pratique la corrida y sont opposés. En 2022, un nouveau sondage du même institut a montré que 61 % des habitants des villes taurines s’opposent à la mise à mort du taureau.

2.   La corrida serait un art

La corrida occulte sa cruauté derrière un voile d’esthétisme. Il s’est en effet agit, tout au long du XXème siècle, de cacher la violence de cette pratique derrière un artifice culturel afin de mettre en avant un rituel et une scénographie complets. Il s’agit là d’une stratégie délibérée qui vise à travestir la violence pour la rendre « de plus en plus maquillée, noyée, occultée » ([17]). L’introduction du caparaçon protégeant le cheval – qui, auparavant finissait le plus souvent étripé en pleine corrida – dans les années 1920 en est une manifestation. Les costumes, les couleurs, les paillettes et les codes de la corrida en sont une autre. Ces derniers éléments seraient constitutifs d’une forme d’art avalisé par des artistes de premier ordre : Ernest Hemingway, Pablo Picasso etc.

Pour le psychiatre Jean-Paul Richier, entendu par votre rapporteur en audition, les aficionados qui mettent en avant cet argument « sont aussi crédibles que des gars qui clameraient aller au Crazy Horse pour la chorégraphie, les décors, la mise en scène, les jeux de lumières, la musique, mais surtout pas pour les fesses, les cuisses ou les seins des filles ».

Lors de son audition, M. Denis Podalydès a soutenu le caractère artistique de la corrida, tout en reconnaissant que celui-ci pouvait être raté, notamment lors des trop nombreuses fois où la mise à mort du taureau vire à l’interminable supplice. Selon l’acteur, l’art se produit dans seulement un cas sur dix : l’agonie insoutenable du taureau empêchant son expression. Or, comme il a été démontré auparavant, la souffrance, la douleur et l’agonie du taureau ne se limitent pas à la seule séquence de la mise à mort.

Par ailleurs, avaliser cet argument, même dans 10 % des cas, cela serait néanmoins oublier l’engagement des autres artistes, bien plus nombreux, qui se sont élevés contre la corrida depuis le XIXème siècle – Victor Hugo, Alphonse de Lamartine, Émile Zola, etc. – et qui continuent de le faire aujourd’hui ([18]).

3.   La corrida entraînerait des retombées économiques indispensables

La filière de la corrida vit sous perfusion d’argent public : cela commence par les élevages de taureaux de combat qui bénéficient des aides de la Politique agricole commune consacrées à l’élevage. Dans les villes taurines, ce ne sont pas les corridas qui font vivre les férias mais les férias qui permettent aux corridas de survivre. En effet, face à la désaffection croissante du public des arènes, les municipalités portent à bout de bras cette pratique dont la rentabilité économique est de plus en incertaine, et ce malgré l’opacité financière entretenue par le secteur.

En ce qui concerne la chute de la fréquentation des corridas, les chiffres semblent éloquents et la tendance générale :

– à Nîmes, la fréquentation des corridas de la féria de Pentecôte, la principale, serait passée de près de 130 000 spectateurs en 2010 à un peu plus de 42 000 en 2019 ([19]), avant même l’épidémie de Covid donc, sachant que cette féria attire plus d’un million de visiteurs ;

 à Béziers, si l’on compare les chiffres de 2018 et 2022, la fréquentation de la féria est en hausse (de 730 000 à 830 000 visiteurs), mais elle ne bénéficie pas à celle des corridas qui est quant à elle en baisse de 30 000 à 24 000 entrées ([20]).

Cette situation, aggravée par la crise du Covid-19, a conduit ces deux municipalités, qui gèrent leurs arènes selon deux modèles économiques différents – en délégation de service public pour la ville de Nîmes via le prestataire de service Simon Casas Production ou en sous-location pour la ville de Béziers qui loue les arènes à une personne privée puis les sous-loue à la SAS BETARRA qui associe Simon Casas, producteur de corridas, Olivier Margé, éleveur de taureaux de corrida dans l’Hérault et Sébastien Castella, matador biterrois – à accroître leur soutien financier au secteur. En décembre 2020, le conseil municipal de Nîmes a ainsi voté une subvention exceptionnelle de 201 587 euros en faveur de la société Simon Casas Production. À Béziers, en 2021, la municipalité a accordé à la SAS BERRATA une exonération de la part variable du loyer 2021, que le maire Robert Ménard a estimé à 20 000 euros, et une réduction de sa part fixe de 30 000 euros.

Dans ces deux villes, les arènes ont par ailleurs commencé à se diversifier et proposent d’ores-et-déjà des spectacles tauromachiques autres que les corridas et des évènements culturels non tauromachiques, notamment des concerts.

La ville de Bayonne gère quant à elle ses arènes directement en régie et organise donc entièrement sa temporada. Le conseil municipal du 2 juin 2022 a ainsi autorisé son maire à effectuer toutes les démarches liées à l’engagement des toreros et novilleros et de leurs cuadrillas ([21]) et à la fourniture des taureaux pour un montant pouvant aller jusqu’à 927 000 euros pour les sept évènements organisés dans les arènes ([22]).

L’audition de la maire de Barcelone, Mme Ada Colau, a permis de démontrer qu’il existe une perspective éthique, économique et sociale pour les villes taurines qui s’affranchiraient de la corrida. La ville de Barcelone s’est déclarée ville anticorrida en 2004 avant que le Parlement de Catalogne ne l’abolisse en 2010. La question y fait l’objet d’un consensus intégral aujourd’hui.

4.   La corrida n’infligerait pas de souffrance au taureau

De graves arguments sont développés tentant de minimiser, voire de remettre en cause, la souffrance ressentie par le taureau lors d’une corrida. Sur Europe 1, le 1er octobre 2018, M. André Viard mettait en avant de prétendues études « qui montrent que la souffrance n’est pas appropriée pour parler des taureaux » ([23]). L’argumentaire de l’UVTF fait état d’études qui auraient démontré qu’en situation de combat, l’organisme du taureau libère une quantité importante de bêta-endorphine, molécule qui aurait pour effet de bloquer la sensation de douleur ; en son absence, le taureau fuirait le combat au lieu de le rechercher.

Les auditions conduites par votre rapporteur, notamment de vétérinaires, ont permis d’étayer, sans qu’aucun doute ne soit permis, la violence de la corrida et les souffrances qu’elle inflige aux taureaux. La conscientisation scientifique de la souffrance du taureau de combat est aujourd’hui incontestable. En 2016, le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires de France a confirmé sans réserve que le taureau souffre lors d’une corrida ([24]).

La race du toro bravo, paisible herbivore domestique, résulte d’une sélection artificielle dont le but a été de créer un animal non pas agressif mais seulement réactif à la douleur et à la peur ([25]). En somme, la corrida, pour qu’elle puisse se dérouler, suppose d’infliger de la douleur à l’animal pour qu’il réagisse et combatte, dans un réflexe défensif, le taureau identifiant, à raison, le torero et ses subalternes comme des prédateurs qui menacent sa vie. Les vétérinaires s’accordent pour dire que, sans douleur, le taureau ne réagirait pas. On notera enfin que le premier réflexe du taureau lorsqu’il entre dans l’arène, c’est bien de tenter de fuir, en vain, par exemple en essayant de sauter au-dessus des barrières qui entourent l’arène.

Concernant la question spécifique de la souffrance, l’AVATMA a identifié seize marqueurs qui génèrent un tel état, qu’il soit physique ou psychologique, chez le taureau qui meure dans une arène : la douleur, l’angoisse, la peur, l’hyperglycémie, la faim, la soif, la déshydratation, les lésions musculaires, les hémorragies, l’acidose métabolique, l’hypoxie, les traumatismes, les plaies, l’immunosuppression, l’hypovolémie et l’exercice physique intense. Au cours de la corrida, le taureau sécrète effectivement des bêta-endorphines qui sont des marqueurs de la douleur et modulent la réponse douloureuse mais ne l’annulent en rien. Ces molécules sont la preuve que le taureau ressent la douleur, et rien de plus. In fine, le drame du taureau, à la différence des autres animaux domestiques, comme le chien ([26]), c’est qu’il est relativement inexpressif à la douleur – ce qui ne veut pas dire qu’il ne la ressent pas – en raison de la sélection artificielle dont a fait l’objet sa lignée.

Enfin, les défenseurs de la corrida mettent en avant que cette pratique valorise la bravoure, la noblesse et la puissance du taureau de combat. La corrida n’a aucun respect pour la noblesse et la bravoure de l’animal puisque les trois tercios mettent en œuvre une technique méthodique et quasi chirurgicale, basée sur des armes de précision, visant à lui faire baisser immédiatement la tête – c’est l’objet principal et ô combien lâche des piques –, à le blesser et l’affaiblir. Le combat du torero face à lui serait impossible s’il était effectué à « armes égales ». Enfin, que dire de la manière dont se termine la corrida, dans une mise à mort hésitante, souvent bâclée, interminable et insoutenable ? Où est la considération pour l’animal dans une telle situation ? Lors de son audition, le docteur Thierry Bedossa estimait à juste titre que les principes d’humanité voudraient que de telles cruautés, réfléchies et calculées, ne puissent être acceptées. Pour le vétérinaire, la corrida, loin d’être un combat viril, constitue l’expression la plus haute de la lâcheté.

B.   Les ressorts des mécanismes de justification des aficionados

L’audition du psychiatre Jean-Paul Richier a permis de mettre en évidence les raisons qui poussent les aficionados à développer, souvent avec véhémence, les arguments précédemment décrits ([27]). Dans le contexte que nous connaissons, qui met légitimement à mal les valeurs de domination – y compris de l’homme sur l’animal – et de violence, il n’est plus possible pour les amateurs de corrida d’assumer une forme de fascination pour la cruauté et pour la violence ([28]) :  « Aucun aficionado ne va admettre que ce qui le fait jouir, c’est ce jeu de blessures, de chair entaillée, de sang, de douleur, d’agonie et de mort. Aucun ne va endosser cette évidence, qui saute aux yeux de tout observateur extérieur, que le plaisir se trouve dans le supplice infligé à l’animal (…) Et l’aficionado est le plus souvent lui-même convaincu que son plaisir n’est pas là. Parce que c’est avant tout lui-même que l’aficionado cherche à tromper. »

Pour surmonter cette situation, l’aficionado utilise deux mécanismes, l’un interne et l’autre externe.

● Le mécanisme interne, que le Dr. Richier qualifie de mécanisme de défense intra-psychique en mobilisant le modèle psychanalytique et le modèle dit de la dissonance cognitive de Festinger, va permettre aux aficionados de « nier le plaisir qu’ils éprouvent au spectacle de la souffrance, voire nier cette souffrance elle-même [et d’] affirmer avec force et conviction, car ils s’en sont eux-mêmes convaincus, que cette passion a à voir avec l’esthétique, la technique, la culture, voire le spirituel ».

Ce mécanisme permet d’expliquer le fondement des arguments, décrits précédemment, relatifs à la dimension artistique de la corrida et à la minimisation de la souffrance du taureau.

● Le mécanisme externe, que le Dr. Richier qualifie de mécanisme de défense collective, s’appuie sur la codification du rituel de la corrida, sa dimension esthétique, l’effet de groupe qu’elle produit, son organisation dans le cadre d’évènements festifs plus larges et la définition d’une culture taurine intégrée, et par cela légitimée, à une tradition territoriale un patrimoine culturel : « ainsi se constitue une identité collective (…) [qui] se manifeste particulièrement dès lors que le monde de la tauromachie se sent en danger ».

Ce mécanisme permet d’expliquer le fondement des arguments, décrits précédemment, relatifs à la dimension traditionnelle de la corrida et à son impact économique.

*

*     *

En conclusion de cette argumentation, votre rapporteur souhaite rappeler que les aficionados ne sont pas toujours les personnes calmes, mesurées et bien intentionnées que souhaitent mettre en avant les défenseurs de la corrida.

Votre rapporteur se souvient qu’à Rodilhan, dans le Gard, en 2011, une courageuse action pacifiste d’une centaine de militants anticorrida, menée par la Fondation Brigitte Bardot, a eu pour objet d’empêcher, malheureusement en vain, la tenue de la finale du concours annuel « Graines de toréros » mettant en scène de jeunes toréros amateurs et à peine formés mettant à mort des veaux. Ces militants ont formé une chaîne humaine dans l’arène, à l’aide notamment de câbles de motos. Pendant plus de vingt minutes, ils ont subi, sans répliquer, un déchaînement de violence et de coups de la part de certains aficionados soutenus, comme aux jeux du cirque, par le public en tribune. Les images de cette agression restent, encore aujourd’hui, difficilement soutenables ([29]).

M. Christophe Marie, directeur adjoint et porte-parole de la Fondation Brigitte Bardot, a pris part à cette action où il été, lui aussi tabassé et brutalisé. Lors de son audition, dix ans après les faits, il est resté extrêmement choqué par cet épisode de fureur inouïe, inconcevable mais pourtant bien réel.

En 2016, dix-huit aficionados ont été condamnés par le tribunal correctionnel de Nîmes à des peines allant jusqu’à six mois de prison ferme. Comment ne pas faire ici le lien entre l’attitude de ces personnes vis-à-vis des êtres humains et vis-à-vis des animaux ?

III.   L’abolition de la corrida et de toutes les formes de sévices graves et d’actes de cruauté envers les animaux

1.   Le dispositif proposé

L’article unique de la proposition de la loi supprime les deux exceptions légales prévues par le code pénal dispensant la corrida :

– à l’article 521‑1, de la peine sanctionnant le fait d’exercer des sévices graves ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité () ;

– à l’article 522-1, de la peine sanctionnant le fait, sans nécessité, publiquement ou non, de donner volontairement la mort à un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité, hors du cadre d’activités légales ().

 

Contrairement à ce qu’affirme l’argumentaire de l’UVTF, aucun élément ne permet d’étayer une éventuelle inconstitutionnalité du dispositif proposé. Si le Conseil constitutionnel, saisi par une question prioritaire de constitutionnalité ([30]), a validé la constitutionnalité du mécanisme d’exonération de responsabilité pénale prévu par le code pénal, il n’a en rien intégré la corrida au bloc de constitutionnalité : affirmer le contraire relève d’un mensonge pur et simple. Rappelons, si besoin est, que la corrida ne figure même pas à l’inventaire du patrimoine culturel immatériel national ([31]).

À ce stade, la proposition de loi maintien l’exception, analogue à celle prévue pour la corrida, qui bénéficie aux combats de coqs dans les localités où une tradition ininterrompue peut être établie. Votre rapporteur proposera un amendement, en séance publique, afin de supprimer également cette exception et d’interdire, par ce moyen, toutes les formes de sévices graves et d’actes de cruauté envers les animaux.

La présente proposition de loi abolit une pratique qui, pour reprendre les mots du Dr Jean-Paul Richier, constituée en spectacle, n’a pas d’utilité concrète, si ce n’est pour unique raison d’être le plaisir de l’homme. Elle abroge également une exception qui « porte incontestablement atteinte à l’universalisme juridique » ([32]). Elle supprime enfin une exception qui, en 2022, après 150 ans d’évolution des critères moraux et de la législation sur le bien-être animal, est devenue injustifiable. Il n’est plus possible d’ignorer le mouvement de prise de conscience de la responsabilité de l’homme envers les animaux, notre humanisme commandant une meilleure prise en compte de leur vulnérabilité et de leur sensibilité et la fin de toute forme de violence envers eux.

Le maintien de la corrida serait fortement préjudiciable dans la mesure où elle permettrait de légitimer la poursuite de certaines formes de violences envers les animaux dont le décalage et la contradiction apparaissent de manière encore plus flagrantes avec l’entrée en vigueur de la loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes ([33]).

Les avancées permises par la loi du 30 novembre 2021

La loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes intensifie la lutte contre la maltraitance des animaux et améliore leurs conditions de détention.

Cette loi prévoit des  mesures permettant :

– de sanctionner plus lourdement la maltraitance d’animaux domestiques, en particulier si les faits sont commis en présence d’un enfant et de qualifier de délit le fait de donner volontairement la mort à un animal domestique ou apprivoisé ;

– de réprimer davantage de la zoophilie ;

– de combattre les abandons d’animaux domestiques ;

– d’interdire, dès 2024, la vente de chiens et chats en animalerie ;

– de mettre fin aux spectacles de dauphins ou d’orques à partir de 2026 ainsi qu’à leurs détention et reproduction en captivité, sauf dans le cadre de programmes de recherches scientifiques ou dans des refuges ou sanctuaires pour animaux sauvages captifs ;

– d’interdire, d’ici 2028, la détention et le spectacle d’animaux sauvages dans les cirques itinérants mais aussi, dès 2023, l’acquisition et la reproduction de ces animaux ;

– d’arrêter les élevages de visons et d’autres espèces sauvages pour leur fourrure.

2.   La position de la commission

La commission des Lois a adopté les amendements de suppression présentés par Mme Emmanuelle Ménard (non-inscrite), M. Yoann Gillet (Rassemblement national), Mme Marie-France Lohro (Rassemblement national) et Mme Anne-Laure Blin (Les Républicains).

Votre rapporteur regrette que le vote d’une majorité de députés en commission des Lois contrevienne à une volonté exprimée par près de neuf Français sur dix. Il forme le vœu qu’en séance publique, l’Assemblée nationale, saisie de l’article unique dans sa version initiale, exprime une position, à la fois courageuse et ambitieuse, qui lui soit conforme. 

*

*     *

« Le jour arrivera peut-être où le reste de la création animale acquerra les droits que seule une main tyrannique a pu leur retirer. Les Français ont déjà découvert que la noirceur de la peau n’était pas une raison pour abandonner un homme au caprice de ses persécuteurs sans lui laisser aucun recours. Peut-être admettra-t-on un jour que le nombre de pattes, la pilosité ou la terminaison de l’os sacrum sont des raisons tout aussi insuffisantes d’abandonner un être sentant à ce même sort. Quel autre critère doit permettre d’établir une distinction tranchée ? Est-ce la faculté de raisonner, ou peut-être la faculté de parler ? Mais un cheval ou un chien adulte est un être incomparablement plus rationnel qu’un nourrisson âgé d’un jour, d’une semaine ou même d’un mois – il a aussi plus de conversation. Mais à supposer qu’il n’en soit pas ainsi, qu’en résulterait-il ? La question n’est pas : “ peuvent-ils raisonner ? “, ni “ peuvent-ils parler ? “, mais “ peuvent-ils souffrir ? “. » ([34])


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   Examen En commission

Lors de sa première réunion du mercredi 16 novembre 2022, la Commission examine la proposition de loi visant à abolir la corrida : un petit pas pour l’animal, un grand pas pour l’humanité (n° 329) (M. Aymeric Caron, rapporteur).

Lien vidéo : https://assnat.fr/6CyRZV

M. Aymeric Caron, rapporteur. La proposition de loi dont j’ai l’honneur d’être le rapporteur semble parler des taureaux, mais c’est une illusion. En réalité, elle parle de nous, les humains. Elle parle de chacune et chacun d’entre vous, et elle interroge votre conscience. Elle vous demande : qui êtes-vous réellement ? Êtes-vous de ceux qui cautionnent la torture et l’exécution publique d’un animal ? Ou de ceux qui s’élèvent contre ce qu’il faut bien appeler une barbarie ?

Car, oui, la corrida est une barbarie. Non pas un spectacle où le courage, la bravoure, le respect et les autres valeurs mises en avant par les aficionados s’exprimeraient réellement, mais un acte cruel, indigne de notre époque, une cérémonie hypocrite où l’animal prétendument honoré est massacré avec une précision et un raffinement qui confinent au sadisme, comme le soutiennent les vétérinaires et les psychiatres que nous avons auditionnés dans le cadre de cette proposition de loi.

Si vous en doutez, il est important de prendre quelques minutes pour vous expliquer ce dont nous parlons. Une corrida se déroule en plusieurs temps, appelés « tercios ». Lors du premier tercio intervient un picador monté sur un cheval, armé d’une pique qui mesure 2,60 mètres, au bout de laquelle est fixée une pointe en acier. Le picador fait pénétrer sa pique, à plusieurs reprises, dans le cou du taureau, où elle peut s’enfoncer jusqu’à 30 centimètres.

La pique coupe, blesse et traumatise les muscles, les tendons, les ligaments, les nerfs et les structures osseuses des vertèbres cervicales et principalement thoraciques. Elle peut blesser les côtes, les omoplates et leurs cartilages d’extension. La pique sectionne également de nombreux vaisseaux sanguins, ce qui provoque une hémorragie abondante avec une perte de sang estimée entre 8 et 15 % du volume sanguin. La pique a pour objet, paraît-il, de montrer la bravoure du taureau.

Le deuxième tercio est celui des banderilles – six bâtons agrémentés de froufrous colorés qui mesurent 70 centimètres et qui se terminent en leur pointe par un harpon d’acier de 6 centimètres. Le harpon va s’insérer dans les chairs et les travailler, à chaque mouvement de l’animal, afin de le faire souffrir et de l’affaiblir davantage. Les banderilles sont plantées par paire, en trois fois, dans les zones précédemment blessées par les coups de piques. Les harpons ont également pour effet d’augmenter la perte de sang.

Au troisième tercio entre en scène le torero et sa muleta. Les passes finales finissent d’épuiser le taureau afin de faciliter sa mise à mort, pour laquelle le torero utilise l’estoque, une épée d’une longueur de 88 centimètres, qui est censée s’introduire dans la cavité́ thoracique de l’animal et sectionner toutes les structures anatomiques sur son passage : lobes pulmonaires, bronches, vaisseaux sanguins de plus ou moins gros calibre et parfois, trachée et œsophage. Dans environ 10 % des cas, les coups transpercent le diaphragme et touchent le foie et le ventre. Si l’épée a sectionné la veine cave caudale et l’artère aortique postérieure, le thorax se remplit de sang immédiatement.

Le taureau suffoque en crachant ou en vomissant du sang. Dans les faits, l’estocade est souvent ratée ; l’épée n’a pas suivi le bon chemin dans le corps de l’animal ; elle a du mal à s’enfoncer là où il faudrait ; le matador s’y reprend à plusieurs fois.

Si le taureau met trop de temps à tomber, on utilise une autre épée, un descabello.

À ce moment-là, le taureau n’est pas encore mort : vous verrez donc des toreros frapper la tête du taureau à quatre, cinq ou six reprises, s’acharner presque désespérément parce que l’animal n’arrive pas à mourir. Alors on l’achève avec un petit poignard, appelé puntilla. Cette lame de 10 centimètres est plantée entre l’os occipital et la première vertèbre cervicale, ce qui blesse un centre nerveux important, le bulbe rachidien. Souvent, vous vous en doutez, un seul coup de puntilla ne suffit pas. Ensuite, les taureaux sont parfois traînés encore vivants hors de l’arène.

Voilà le résumé de ce que certains appellent un art et qu’il faudrait, paraît-il, conserver. Pourtant, tout esprit logique comprend aisément que la succession des actions que je viens de vous décrire n’est rien d’autre qu’une séance de torture. Les tribunaux le reconnaissent depuis très longtemps, pointant sans la moindre ambiguïté les souffrances endurées par l’animal.

D’ailleurs, la loi française est extrêmement claire sur le sujet : elle interdit les corridas en France par l’article 521-1 du code pénal, qui punit les sévices graves et les actes de cruauté envers les animaux. C’est en vertu de cet article qu’il est impossible d’organiser une corrida à Paris, à Lille ou à Nantes.

Toutefois, en 1951, un amendement a été introduit dans la loi pour permettre à certaines villes d’organiser malgré tout des corridas, en s’appuyant sur le prétexte d’une « tradition locale ininterrompue ». C’est cette exception absolument inégalitaire, ce passe-droit injuste qu’il faut supprimer.

Les défenseurs de la corrida invoquent l’excuse de la tradition. Or la corrida est une tradition non pas française, mais espagnole. Elle n’a été introduite en France qu’en 1853, pour faire plaisir à l’épouse de Napoléon III, qui était andalouse. De toute façon, la tradition n’a jamais établi la validité morale d’une pratique. L’excision aussi est une tradition ; pourtant, il ne viendrait à l’idée de personne dans cette salle de la défendre.

Il y a quelques jours, un jeune homme a été condamné par la justice française à quatre mois de prison parce qu’il torturait et dépeçait des chats, et qu’il se filmait lors de ce qu’il considérait peut-être comme des performances, voire des performances artistiques, qui sait ? Si cet homme avait organisé tout un décorum autour de ces actes de torture, s’il avait mis un joli costume avec des couleurs bigarrées, s’il avait accompli ses gestes de dissection avec une chorégraphie particulière, s’il avait expliqué que la torture des chats est une vieille tradition familiale ou une tradition de son village, cela aurait-il rendu son geste acceptable ? Je connais votre réponse.

Par ailleurs, si cette tradition s’appuie sur une idéologie et une mythologie propres, sur des croyances singulières, si singulières qu’elles s’affranchissent du droit commun et de la loi républicaine, alors cette tradition devient un séparatisme. Or vous êtes ici nombreux à dénoncer toutes les formes de séparatisme. Pourquoi la torture d’un animal serait-elle le fondement d’un séparatisme acceptable ?

Pour se dédouaner de toute responsabilité, certains prétendent qu’il est inutile de légiférer pour interdire la corrida, car elle est en perte de vitesse et finira par mourir d’elle-même. Outre qu’il est hypocrite, ce raisonnement ne tient pas debout : soit on juge que la corrida est une tradition barbare, cruelle et dépassée, et alors il faut l’abolir ; soit on juge que la corrida est une tradition respectable, auquel cas il faut la défendre, non la regarder mourir sans agir.

Interdire la corrida serait une catastrophe économique. Faux ! Lorsqu’une feria est organisée dans une ville, à Nîmes par exemple, seulement 2 à 4 % des visiteurs de la feria se rendent à une corrida. On peut même considérer qu’interdire les corridas attirerait dans les ferias des gens qui refusent d’y mettre les pieds parce qu’ils savent qu’on y organise des événements dans lesquels on tue des taureaux.

La fin de la corrida entraînerait celle de la culture taurine, en particulier des courses landaises et camarguaises. Faux ! Les courses sans torture ni mise à mort ne sont absolument pas concernées par la proposition de loi.

Interdire la corrida consisterait à mettre le doigt dans l’engrenage insupportable de l’antispécisme. D’une part, beaucoup de ceux qui emploient cet argument ignorent ce qu’est l’antispécisme. D’autre part, interdire la corrida serait en réalité la suite logique de toutes les avancées obtenues pour les animaux depuis la première loi de protection animale, la loi Grammont de 1850. Ce serait une nouvelle étape après la loi du 30 novembre 2021 visant à « lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes », texte voté par les députés En marche, lesquels ne sont pas, à ma connaissance, de dangereux antispécistes. Le ministre de l’intérieur, M. Gérald Darmanin, ne l’est pas davantage, lui qui vient d’annoncer la création d’une division d’enquêteurs chargée de la maltraitance animale. C’est tout simplement la preuve que ces sujets progressent dans la société, car nous en savons plus aujourd’hui sur la sensibilité et l’intelligence des animaux, et nous avons compris que certaines maltraitances sont intolérables.

En réalité, aucune excuse n’est acceptable pour refuser d’abolir la corrida, pas même celle de la manœuvre électoraliste visant à ne pas froisser certains électeurs de régions dites taurines. Près de neuf Français sur dix réclament désormais la fin de ce pseudo-spectacle. En notre qualité de députés, il nous revient de les écouter et de les représenter. C’est même notre devoir.

Mme Marie Lebec (RE). Notre commission examine la proposition de loi intitulée « abolir la corrida : un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’humanité », défendue par notre collègue de La France insoumise Aymeric Caron. Ce texte vise à modifier le titre II du livre V du code pénal afin de supprimer la dérogation, introduite en 1951 et validée par le Conseil constitutionnel en 2012, reconnaissant et consacrant juridiquement une tradition ininterrompue dans certains territoires. À cet égard, monsieur le rapporteur, vous mentionnez dans votre rapport « une tradition locale factice » et « une dérive identitaire qui ne sait se remettre en question ». Vous avez donc fait le choix de la radicalité et de la caricature.

Je n’entends pas participer au débat récurrent sur les différentes pratiques tauromachiques, ni sur l’éternelle opposition entre ce qui relèverait de l’art et ce qui relèverait de la cruauté, d’une tradition désuète et condamnable moralement. Je n’entends pas davantage tirer de manière anticipée, voire hâtive, les conséquences de la diminution progressive de la fréquentation des arènes, laquelle pourrait fonder, voire justifier que nous décidions d’interdire désormais cette pratique.

Par ailleurs, ayant lu avec attention les dispositions des articles 521-1 et 522-1 du code pénal, je m’étonne que vous ayez fait le choix de mentionner uniquement les courses de taureaux, alors même que les combats de coqs bénéficient des mêmes dérogations. Dois-je en déduire qu’à vos yeux, la vie d’un coq vaut moins que celle d’un taureau ? Devons-nous comprendre que le combat à mort entre deux animaux dotés d’ergots métalliques est plus acceptable qu’un affrontement entre un homme et un animal ? Vous sachant si engagé sur le sujet, je n’ose croire que vous ayez pu méconnaître cette réalité, tout comme je n’ose croire que la présence de nombreux élus de La France insoumise dans les territoires ultramarins et dans le nord de la France, où s’applique cette exception, ait pu vous dissuader de retenir l’interdiction de ces combats. J’ai cependant la faiblesse de penser qu’il n’y a nulle innocence dans cet oubli, qui tend à préserver de fragiles équilibres internes.

Au travers de ce débat, nous nous interrogeons sur la France, celle que nous connaissons, celle que nous souhaitons et celle que nous entendons laisser en héritage. Voulons-nous d’une France monochrome, uniforme et incolore, où tous les territoires répondraient à des injonctions morales et réputées universelles ? Ou bien voulons-nous d’une France plurielle, respectueuse de son histoire et de ses traditions, aussi contestées puissent être certaines pratiques ? Pour notre part, nous ne voulons pas interdire, normer et réguler. Nous sommes fiers de cette France qui vit dans chacun de ces territoires. Nous soutenons celles et ceux qui font la France et qui sont la France. Si nous adoptons ce texte, quelle sera la prochaine tradition régionale que nous interdirons ? Les courses camarguaises ? Les courses landaises ? L’élevage des oies et des canards ?

La vraie question qui se pose à nous porte sur l’idéologie qui sous-tend cette proposition de loi. Elle n’a échappé à personne, pas même à ceux qui pourraient encore s’interroger : c’est celle d’un prétendu universalisme, où toutes les valeurs se confondent, sans autre hiérarchie ; c’est une idéologie de la contestation des traditions multiséculaires, qui font parfois le sel de la vie.

Nos concitoyens nous savent gré de nous soucier, depuis quelques années, de la condition animale, laquelle mérite mieux qu’un débat à la volée sur les courses de taureaux. Nous pouvons être fiers que majorité et opposition se soient pleinement saisies du sujet au cours du mandat précédent : nous avons interdit les delphinariums et l’exploitation des animaux dans les cirques ; nous avons renforcé les règles relatives à l’adoption des animaux domestiques et les sanctions contre la maltraitance qui leur est infligée. Contrairement à ce que vous prétendez, monsieur le rapporteur, personne ici ne pourra nous accuser de ne pas vouloir faire bouger les lignes sur le sujet. C’est donc à un débat plus large que je nous invite : loin des seules et récurrentes discussions sur les pratiques tauromachiques, évoquons tous les enjeux touchant à la condition animale.

Alors qu’en 1968, l’extrême gauche se battait pour le slogan « il est interdit d’interdire », en 2022, il ne se passe pas une semaine sans que la NUPES propose une nouvelle interdiction. L’Assemblée nationale est saisie une nouvelle fois du débat sur l’interdiction de la corrida. Même si la majorité est traversée des mêmes interrogations que notre société, nous nous poserons en défenseurs résolus de la liberté, dans le respect du droit de nos concitoyens à leur culture.

M. Timothée Houssin (RN). Les députés du Rassemblement national sont attachés au bien-être animal, mais sont aussi les premiers défenseurs de nos traditions et cultures locales. Les articles 521-1 et 522-1 du code pénal, tels qu’ils sont rédigés actuellement, tentent d’assurer un équilibre entre ces deux impératifs : ils condamnent la maltraitance et la souffrance animale, tout en permettant le maintien, dans des conditions strictes et sans possibilité d’extension, de traditions faisant partie de notre culture et de notre patrimoine immatériel qui entraînent la souffrance et la mort violente d’animaux. La corrida est l’une de ces traditions. Il n’y a pas de doute, elle provoque de la souffrance animale, et nous n’y sommes pas insensibles. C’est un fait objectif, et une partie des élus RN préférerait qu’elle soit interdite.

La corrida est cependant plutôt en recul qu’en expansion. On peut donc s’interroger sur la nécessité, à un moment où notre pays et nos compatriotes font face à des crises graves, d’interdire purement et simplement cette pratique qui, d’après l’association Pour une éthique dans le traitement des animaux (Peta), entraîne la mort de 700 taureaux par an. Une question se pose : voulez-vous vous attaquer à la souffrance animale ou bien à des traditions et à des identités territoriales que l’extrême gauche exècre ?

Si l’opportunité d’interdire ou non la corrida est subjective, si le sujet divise de nombreux groupes, y compris le nôtre, il est objectif que, contrairement à ce que vous affirmez, la tauromachie est une tradition ancestrale, enracinée dans les régions du sud de la France et documentée depuis 1289. Il est objectif que c’est un patrimoine unique au monde, l’animal dédié à la tauromachie étant le dernier taureau à caractère sauvage. La fin de la tauromachie, ce serait la fin de son élevage et sa disparition, ainsi que celle de tout un écosystème et de sa biodiversité. En outre, il est objectif que la tauromachie contribue grandement à l’activité économique et à l’emploi dans une cinquantaine de villes taurines : pas de corrida, pas de feria ; pas de feria, pas de tourisme. C’est une partie importante de l’activité économique de ces villes qui pourrait être mise à mort.

Par ailleurs, si votre priorité est le bien-être animal, pourquoi votre texte initial maintient-il l’exception des combats de coqs, qui figure aux mêmes alinéas que celle de la corrida ? Probablement parce que c’est une tradition moins ancrée et moins symbolique ; c’est donc le symbole que vous attaquez. Ou peut-être parce que les spectateurs de corrida et de combat de coqs ne font pas partie du même électorat. Si votre priorité immédiate est le bien-être animal, il est surprenant que vous ne fassiez rien pour les 500 000 bovins qui sont abattus sans étourdissement chaque année en France. Les services vétérinaires ont pourtant établi que la perte de conscience était précédée par un quart d’heure de souffrance.

De surcroît, nous ne sommes pas dupes : ce que vous revendiquez comme un petit pas pour l’animal est le premier pas d’un agenda antispéciste extrémiste, avant tout ennemi de nos traditions, qui visera demain à interdire la chasse à courre, puis la chasse le dimanche ou le mercredi, puis le foie gras, puis la pêche au vif, puis les balades à poney, puis la chasse tout court, puis la pêche tout court. D’ailleurs, en dehors de son titre, votre proposition de loi évoque non pas la corrida mais les « courses de taureaux ». Ce sont les prémices d’une attaque en règle contre les courses camarguaises et les courses landaises, toujours ces traditions que vous exécrez.

La question de la constitutionnalité viendra en son temps. La première phrase de l’alinéa 13 du préambule de la Constitution de 1946 reconnaît un droit à la culture. Cette commission et cette assemblée ont-elles le droit de supprimer une culture reconnue par l’Unesco, qui s’étend sur plusieurs siècles et à laquelle sont attachées des millions de personnes ? Plus simplement, et c’est peut-être la question à laquelle nous devons répondre, une majorité a-t-elle le droit de faire disparaître une culture autochtone parce qu’elle est minoritaire ?

Enfin, s’agissant du bien-être animal, on peut se poser une question quasi philosophique : qui souffre le plus ? Le taureau qui vit libre durant quatre ans dans son pâturage de Camargue et meurt violemment en une vingtaine de minutes ? Ou bien les nombreux animaux élevés dans de mauvaises conditions jusqu’à leur abattage ?

Si nous sommes encore une fois objectifs, il est avéré que la vie du taureau de corrida finit dans la violence et la douleur. Il est également avéré que cette violence et cette douleur sont érigées en spectacle. Parce que les élus du Rassemblement national sont représentatifs de régions, d’âges et de catégories sociales très diverses, certains d’entre eux estiment que l’exception faite à la corrida doit être maintenue, mais d’autres estiment qu’il serait préférable d’y mettre fin. L’un de mes collègues proposera tout à l’heure, en tant que porte-parole d’une partie des élus RN, un amendement de rejet de cette proposition de loi ; d’autres collègues soutiendront l’interdiction de cette pratique.

Mme Anne Stambach-Terrenoir (LFI-NUPES). « Pourquoi la corrida ? J’ai à faire avec la vie, l’amour, la mort », écrivait le professeur Francis Marmande, dans un article du Monde. Pourtant, l’amour n’a jamais habité l’arène, la vie la quitte au cours du spectacle et la mort y règne. Non, nous ne pouvons pas rallumer la vie dans les yeux du taureau qui les a fermés pour la dernière fois sur une foule en liesse devant son agonie. Non, nous ne pouvons pas panser les plaies du taureau, transpercé par une pique, puis par des banderilles et des épées, enfin par le couteau. Mais, ensemble, nous pouvons faire en sorte que ces taureaux soient les derniers, que le sang sèche une fois pour toutes sur le sable des arènes et que plus une seule goutte n’y soit versée. Nous pouvons épargner un millier de taureaux qui subissent, chaque année en France, la peur et la douleur.

On entend parfois que le taureau ne souffre pas, ou pas tant que ça, parce qu’il a été élevé en étant préparé au traitement qui lui sera infligé dans l’arène, à l’image d’un boxeur endurci qui aurait appris à encaisser les coups. Mais non, la question de la souffrance des taureaux ne fait plus débat : en 2016, l’Ordre national des vétérinaires a pris position en reconnaissant ces souffrances et en les jugeant incompatibles avec le respect du bien-être animal.

On entend aussi que 1 000 taureaux, ce ne serait pas important, rapporté à l’ampleur de l’exploitation animale. Or je pense que le naturaliste et explorateur Théodore Monod a tout à fait raison : « La corrida est le symbole cruel de l’asservissement de la nature par l’homme. » La corrida est au fond l’expression la plus aboutie de notre propension à considérer les animaux comme des objets dont on pourrait disposer. Dans la corrida, il n’est question ni de subsistance ni d’une nécessité, quelle qu’elle soit. On fait souffrir un animal pour notre divertissement, pour la beauté du geste.

C’est en réalité une exception aberrante dans le droit français : les actes de cruauté envers les animaux sont interdits et punis par la loi, sauf s’il s’agit d’un taureau dans une arène dans certaines villes du sud de la France. Or nous sommes arrivés à un moment de notre histoire collective où nous prenons enfin conscience du fait que notre destin est intimement lié à celui de tout le reste du vivant, notamment des animaux. Abolir la corrida, c’est ainsi réparer une erreur qui a trop duré et faire un pas résolu vers l’harmonie entre l’être humain et la nature ; c’est affirmer ensemble que tous les animaux sont sensibles et que, de ce fait, ils doivent être respectés.

Cessons de nous draper dans la tradition pour justifier l’injustifiable. Au nom de traditions ancestrales et de coutumes, combien de pratiques abjectes a-t-on pu légitimer à travers l’histoire ? C’est la négation de l’idée de progrès humain, à laquelle nous sommes si attachés. C’est renoncer à la réflexion et au doute sur nos propres agissements en tant que société, qui sont pourtant le moteur de notre histoire, précisément grâce à cette capacité à nous détacher du poids de certaines traditions qui, au fond, nous avilissent.

Bien sûr que non, l’abolition de la corrida ne signifie pas la mort inexorable des ferias et des festivités populaires. Serions-nous donc incapables d’imaginer la fête et le spectacle sans un animal que l’on condamne à mort ? Je ne le crois pas. Les bandas et fanfares continueront à jouer, les gens à danser, la sangria à couler, la convivialité à régner. Nos artistes imagineront de nouveaux spectacles somptueux, je n’en doute pas. L’esprit de nos grandes fêtes populaires perdurera ; on cessera simplement de « s’amuser autour d’une tombe ».

Si le sujet vous est indifférent, mes chers collègues, votez cette proposition de loi non pas pour vous-mêmes, mais pour vos concitoyennes et concitoyens. Selon le dernier sondage de l’Ifop, publié en février 2022, ils sont 87 % à souhaiter la fin de cette exception à la loi ; c’est donc une exigence démocratique. Notre société est prête à tourner la page et n’attend plus que l’action du législateur. C’est avec fierté que les députés insoumis voteront l’abolition de la corrida. Notre fierté serait décuplée si, en dépit de nos désaccords politiques sur d’autres sujets, vos voix se joignaient aux nôtres, de sorte que nous franchissions ensemble ce pas important pour notre rapport au vivant et, en définitive, pour notre humanité la plus profonde.

Mme Anne-Laure Blin (LR). En réalité, monsieur le rapporteur, vous êtes à vous seul un stéréotype, un digne représentant de ce que veulent les animalistes. À cet égard, la proposition de loi que vous nous présentez est une première pierre à l’édifice, même si vous en avez déjà accumulé un certain nombre. Vous êtes à la recherche du sensationnel et ne manifestez aucune volonté de prendre du recul. Là est précisément le problème, car vous omettez de rappeler que la corrida est une des cultures populaires reconnues par l’Unesco, par la Convention de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, que la France a ratifiée. Depuis 2011, elle fait partie intégrante de notre patrimoine immatériel, que la République et nous tous ici présents devons défendre et promouvoir.

Effectivement, la tauromachie est spécifique aux régions du sud de la France, parce qu’elles sont les seules à pratiquer cette tradition locale ininterrompue. La corrida n’est pas seulement un combat ; c’est aussi une culture, un art, une identité régionale. Bien que vous affirmiez le contraire, elle participe activement à la préservation de la biodiversité. En effet, l’élevage extensif de taureaux sauvages a largement contribué à construire l’identité du delta du Rhône. Plusieurs dizaines de milliers d’hectares de terres y sont sanctuarisés, puisqu’il faut entre 1,5 et 2 hectares par taureau pour permettre à l’animal de vivre en toute liberté et à l’état sauvage. De plus, ces taureaux sauvages sont un outil de gestion écologique : par leur piétinement et le pâturage, ils contribuent activement au maintien de la diversité de la faune et de la flore dans des milieux tels que les pelouses, les prairies, les friches et les marais, qui seraient voués sinon aux fourrés et aux bois. L’interdiction de la corrida et, à terme, de la tauromachie induira de facto la disparition de cette race bovine particulière, le taureau brave, entraînant immanquablement la fin d’un écosystème original. Ce serait un véritable non-sens pour qui se veut défenseur de la biodiversité.

En 2008, la filière taurine s’est elle-même dotée d’un guide éthique et de pratiques écoresponsables. Elle lutte activement contre les dérives et assure le respect de valeurs éthiques, écologiques, environnementales et économiques dans les élevages. Ne vous en déplaise, elle promeut des méthodes vertueuses et respectueuses de l’environnement et de l’animal. Vous vous gardez bien d’indiquer que la fin de la corrida serait aussi la condamnation de toute une économie locale. L’économie taurine produit aujourd’hui plus de 100 millions d’euros de retombées économiques et procure plusieurs milliers d’emplois dans ces territoires, où les éleveurs, les agriculteurs, les restaurateurs, les hôteliers et les commerçants sont essentiels.

Vous avez cité des chiffres. Or, d’après un sondage réalisé en juin 2022 par l’Ifop pour Sud radio, les habitants des villes taurines plébiscitent la corrida : 78 % d’entre eux considèrent que la corrida fait partie de leur patrimoine culturel ; 72 % estiment que les corridas ont toute leur place dans les fêtes ; 71 % sont opposés à toute mesure d’interdiction. En vérité, c’est vous qui faites des choix électoralistes : certains collègues l’ont relevé, vous proposez d’interdire la corrida, mais ne dites rien des combats de coqs qui restent autorisés dans le nord de la France, cher à La France insoumise.

Loin des caricatures faites par certains, qui ne connaissent pas grand-chose à ces traditions, les passionnés de corrida et ses défenseurs ne sont pas des sauvages arriérés, comme vous les décrivez ; ce sont des citoyens qui vivent pleinement dans leur temps, sont bien conscients des enjeux, notamment écologiques, et soucieux du bien-être des animaux. Dans une France qui perd ses repères et tend à sombrer dans un individualisme mortifère, c’est un non-sens de vouloir mettre fin à des traditions taurines fédératrices. C’est pourquoi le groupe Les Républicains votera contre la proposition de loi.

Mme Florence Lasserre (Dem). Je tiens tout d’abord à remercier mes collègues du groupe Démocrate (MODEM et indépendants) de m’avoir donné la possibilité de défendre devant vous la position du groupe sur ce texte de La France insoumise visant à faire disparaître la corrida de nos traditions locales. Notre conviction est qu’au-delà de l’interdiction des courses de taureaux sur la totalité du territoire français, ce texte s’attaque en vérité à notre patrimoine culturel, à notre identité. Le groupe Démocrate a dans son ADN la défense de nos territoires et de leurs traditions : elles font la France et nos territoires ; elles créent ce lien identitaire territorial si fort et si particulier entre les hommes et les femmes, entre les générations.

Interdire la corrida reviendrait à mettre à mal une tradition profondément enracinée dans la culture du sud de la France, qui a même été reconnue en 2012 comme une « tradition locale ininterrompue » par les sages de la rue Montpensier. Interdire la corrida serait une première étape dans la déconstruction de nos singularités locales, ce qui aurait pour conséquence immédiate de les menacer toutes. Or l’heure n’est pas à l’annihilation de ces singularités, qui sont la richesse de notre pays, mais aussi sa force, dont il a pleinement besoin face aux défis que nous devons relever, face aux nouvelles craintes nées de la pandémie et de la guerre aux portes de l’Europe.

La France a également besoin de liberté et de respect. Liberté pour permettre à chacun de vivre sa culture. Respect de ces différences sans lesquelles nous ne pourrions pas revendiquer vivre en démocratie et sans lesquelles nous irions inexorablement vers une société plus uniforme, qui gomme le passé et propose un avenir plus lissé.

Oui, cette proposition de loi dépasse totalement la question de sauver ou d’abolir les corridas en France. Défense de nos langues régionales, des chasses traditionnelles, de la pêche, du foie gras, des corridas, c’est le même combat, celui que nous menons depuis toujours dans ma famille politique, solidement enracinée dans les terres de France. Plus que jamais, nous nous attacherons à être les garants de la préservation de ces traditions et de ces diversités qui font la France, qui rythment nos saisons et autour desquelles nous avons construit ce que nous sommes. C’est en pensant à la défense de toutes ces valeurs que les députés du groupe Démocrate voteront très majoritairement contre la proposition de loi.

Mme Cécile Untermaier (SOC). En préambule, je tiens à préciser que je m’exprime à titre personnel, ma position étant partagée par plusieurs collègues de mon groupe, donc certains ont signé la proposition de loi. Le groupe Socialistes et apparentés est partagé ; aucune majorité ne s’est dégagée, si bien que nous avons décidé de laisser la liberté de vote sur ce texte.

Depuis plusieurs dizaines d’années, un vaste mouvement est engagé contre la maltraitance animale. C’est un mouvement irrépressible, qui nous incline à penser que la corrida est vouée à la disparition, raison d’ailleurs invoquée par les opposants à ce texte – je ne souscris pas nécessairement à ce motif.

Le soutien à ce texte ne préjuge pas de ce que nous pouvons penser de la chasse, qui est à mon sens, au contraire de la corrida, une vraie tradition française, pas plus qu’il ne préjuge de notre positionnement à l’égard du travail des éleveurs. Ceux-ci font des efforts considérables pour lutter contre la maltraitance animale. Gardons-nous d’attiser leurs inquiétudes, au cas où ils redouteraient que, par un tel texte, on en vienne à un renforcement des exigences qui mettrait à mal leur activité économique.

D’ailleurs, comment peut-on demander de lutter contre la souffrance animale dans les élevages et dans les abattoirs, à des acteurs économiques qui tirent leurs revenus de l’exploitation et du commerce des animaux, et admettre dans le même temps que la loi autorise la corrida à titre festif ? Selon moi, il y a là une contradiction majeure, qui doit nous faire réfléchir.

J’ai entendu à plusieurs reprises l’argument selon lequel il faut défendre les cultures locales. Il est vrai que la corrida est une tradition espagnole, néanmoins interdite en Catalogne. Toutefois, cette culture locale ne peut pas se prévaloir de faire partie du patrimoine culturel immatériel de la France. C’est d’ailleurs ce qu’a écrit le Conseil d’État en 2016. Ce patrimoine, local ou national, que nous chérissons tous doit rester fondé sur le concept de dignité, qui engage à la fois le spectateur et l’organisateur de manifestations culturelles. Le respect de la dignité est un principe général du droit qui fait obstacle à la reconnaissance du patrimoine local en question comme un patrimoine qui doit être défendu. Aucun patrimoine local ne mérite d’être âprement défendu dès lors que l’inhumanité est au cœur de la pratique en question.

En revanche, ce texte qui vise à interdire une telle pratique du jour au lendemain est peut-être trop radical, notamment en considération d’une histoire dont certaines personnes sont victimes. Il serait tout à fait nécessaire d’envisager des étapes et des accompagnements.

M. Philippe Pradal (HOR). Le présent texte nous renvoie à la vie et à la mort, publique ou cachée, et aux relations que l’humanité peut et doit entretenir avec les êtres vivants avec lesquels elle partage la planète.

Le rapporteur l’a rappelé, la corrida est interdite sur le territoire français. Il n’y a d’exception que dans les villes où il existe une « tradition locale ininterrompue ». L’ordre judiciaire est très vigilant sur ce point : la Cour de cassation interprète cette condition de manière très stricte, comme on peut le constater en se rapportant à sa décision du 10 juin 2004.

La corrida fait partie d’une identité régionale, d’une singularité territoriale. Elle revêt une dimension de passion, mais c’est aussi un lieu de sociabilité, de retrouvailles, et une activité qui contribue au développement économique. Elle est en tout cas créatrice de lien entre les gens ; elle rassemble dans des régions où il est important que de tels rassemblements existent.

Interdire la corrida dans ces territoires reviendrait à vouloir transformer l’unité de la République en uniformité, à considérer que toutes les lois doivent être appliquées strictement de la même façon partout, ce que ne fait pas le droit positif. Accepter les spécificités régionales comme la corrida, c’est reconnaître leur valeur et respecter des différences, ce que nous permet notre conception de la République. Le groupe Horizons et apparentés s’opposera donc, dans sa grande majorité, à l’adoption de ce texte.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Sans doute vous souvenez-vous du film Le Jour de la marmotte, avec Bill Murray ? C’est un peu l’histoire de la lutte des militants écologistes contre la corrida. La population française y est opposée, depuis longtemps. C’est d’ailleurs un des rares sujets sur lesquels on constate une telle stabilité. Plusieurs propositions de loi ont été déposées. Je pense notamment à celle de Laurence Abeille, qui avait étudié la question de manière approfondie dès 2012-2013, proposant d’interdire la corrida ou, à tout le moins, d’en interdire l’accès aux mineurs, afin de les protéger des images violentes. Tout un travail a été réalisé à l’époque, y compris dans d’autres cadres, notamment audiovisuel.

La loi admet parfois des exceptions. Or, en matière de maltraitance animale, il y a toujours de bonnes raisons de déclarer une exception : la loi sanctionne les actes de cruauté, sauf ceux-là ; la loi doit être observée, sauf dans ce cas-là. Pour justifier cette exception, on aime bien tirer prétexte de la tradition. Vous entendez dans ma manière de parler que j’ai un lien avec l’Occitanie. Je connais et chéris les traditions occitanes. Or, j’ai beau chercher, la corrida n’en fait vraiment pas partie.

D’ailleurs, la corrida n’est pas une vieille tradition. La première interdiction de la corrida est intervenue peu après son importation par la bourgeoisie française, qui raffolait de tout ce qui venait d’Espagne. Ainsi, la loi Grammont a été appliquée à la corrida dès la fin du XIXe siècle. Si la corrida est une tradition, on peut considérer que son interdiction en est une au même titre, puisqu’elle a la même ancienneté.

Par la suite, il y a eu beaucoup de remous. Pour leur avantage personnel, quelques personnes ont fomenté une insurrection qui a forcé l’État – peut-être le ministère de l’intérieur les qualifierait-il aujourd’hui d’« écoterroristes » ? – à adopter une loi acceptant la corrida. Autrement dit, quelques privilégiés ont agi contre le bien commun.

Il existe en France quelques traditions avec les taureaux, ou plutôt les vachettes. Quand j’étais gamine, j’aimais bien Intervilles, dont vous vous souvenez sans doute aussi. Dans ce cas, toutefois, on ne maltraitait pas les animaux, on ne faisait pas couler le sang, on ne les tuait pas à petit feu. Ces traditions locales ont effectivement des racines anciennes, ancestrales même. Elles parlent du passage à l’âge adulte, tout simplement, mais sans qu’il soit besoin de mettre à mort l’animal pour autant.

S’il existe une tradition occitane très forte, c’est celle de la fête. En général, quand on fait la fête, ce n’est pas pour tuer ; c’est plutôt pour célébrer quelque chose de beau et de l’ordre de la vie. D’ailleurs, les fêtes sont subventionnées, ce qui est une bonne chose, parce qu’elles font du bien à la population. Précisément, ce qui pose problème aux écologistes, c’est que la corrida est financée par des fonds publics : elle est subventionnée par des villes, par des régions et par des fonds européens. Les écoles taurines bénéficient de larges subventions, par exemple à Béziers.

Les aficionados se font rares. On finance des places gratuites pour essayer de remplir tant bien que mal des arènes qui sinon restent vides. Si la corrida continue à exister, c’est grâce à l’argent public. À supposer qu’elle soit une tradition, la corrida est une tradition qui ne rassemble plus, une fausse tradition qui ne se maintient que grâce à l’argent des Françaises et des Français. En cette période de crise, les écologistes pensent qu’il est temps d’arrêter de dilapider les deniers publics.

Nelson Mandela disait : « L’honneur appartient à ceux qui ne renoncent jamais à la vérité. » Nous ne renoncerons jamais à supprimer les tortures et les actions régressives encore autorisées par notre code pénal. Nous voterons donc cette proposition de loi.

M. Pierre Dharréville (GDR-NUPES). Ce n’est pas d’aujourd’hui que la corrida fascine et fait scandale ; ce n’est pas d’aujourd’hui qu’elle suscite des passions, de l’incompréhension, de la réprobation ; ce n’est pas d’aujourd’hui qu’elle provoque le débat. Que nous dit-elle, en effet, de notre humanité ? Au sein du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, nous ne portons pas toutes et tous le même regard ; toutes et tous ne se retrouveront donc pas dans mon propos.

Avec cette proposition de loi, il s’agit manifestement d’obtenir une première victoire, symbolique, dans la bataille antispéciste. C’est toute mort animale du fait d’Homo sapiens qu’il faudrait abolir. Nous sommes nombreuses et nombreux à ne pas partager l’horizon antispéciste, qui appelle à la construction d’une post-humanité, d’un genre humain réintégré au règne animal dont il s’est efforcé de s’extraire tant soit peu et paradoxalement arraché au cycle de la vie et de la chaîne alimentaire. Cette option philosophique trouve une application dans le véganisme. Pour respectable qu’il soit, ce choix individuel ne saurait être imposé comme un choix de société.

Nous pouvons nous entendre sur plusieurs points : sur l’urgence de revoir notre régime alimentaire et le rapport aux espèces animales qui nous nourrissent, en remettant en cause le modèle industriel d’élevage et d’abattage ; sur la nécessité de préserver la biodiversité du vivant ; plus largement, sur le caractère impératif du combat écologique. Or l’interdiction de la corrida ne fera pas avancer ces causes.

La question qui nous est posée ici n’est pas d’aimer ou non la corrida, mais de savoir si la République est fondée à interdire, par un acte autoritaire, cette pratique culturelle dans les territoires où elle existe ; si une vision du monde peut en interdire une autre ; si l’antispécisme peut interdire la culture taurine, une culture populaire, qui n’est pas immuable, aux accents du Midi, mais aussi de l’Andalousie et de l’Amérique latine.

Une culture, c’est aussi un écosystème, en l’occurrence celui des vastes espaces naturels où vivent les taureaux. Il faut le dire, il y a une deuxième façon de provoquer la mort du taureau, c’est de souhaiter que, tout simplement, il ne vive pas, puisqu’il n’y aura plus de raison de l’élever. C’est tout le problème de certaines théories animalistes, qui aboutiraient à annihiler toutes les relations entre les humains et les autres espèces, quelle que soit leur nature, y compris les relations de travail et de coopération.

Dans ma circonscription, il y a des manades, des élevages de taureaux, des arènes, des corridas et des jeux taurins. Mais il n’y a pas, je crois, de barbares, puisque le qualificatif a été employé. Veillons à ne pas ajouter aux fractures de notre société, à ce sentiment de mépris que ressentent beaucoup de femmes et d’hommes lorsqu’on leur fait la morale ou qu’on les culpabilise pour ce qu’ils sont. Le barbare, aux sources de l’étymologie, c’est l’étranger, celui qui n’est pas de notre civilisation, celui qu’on ne comprend pas. C’est d’ailleurs manifeste, puisque la lecture qui est faite de la corrida débouche bien souvent sur un contresens. Si l’on écoute les aficionados, la mort du taureau n’est pas rien pour eux : en le mettant en position de mourir au combat, la corrida montre avec gravité non seulement la bravoure, mais aussi le scandale de la mort, en l’occurrence celle de l’animal qui nous nourrit. Pour certains, en essayant de sublimer cela, la corrida nous amène à nous interroger sur ce que le monde moderne a camouflé.

Il y a effectivement, monsieur le rapporteur, matière à s’interroger : on a le droit de ne pas comprendre, de réprouver, de condamner. Mais la République, je crois, s’abîmerait à interdire soudain toute une culture en son sein, dans l’acte d’autorité d’une majorité contre une minorité ; elle porterait atteinte à une liberté et au principe de la diversité culturelle. L’anathème qui fait de chacun le monstre de l’autre empêche le débat, au lieu de l’ouvrir, sur les questions profondes que nous pouvons avoir en partage. Il vaudrait mieux prendre appui sur cette controverse pour chercher à nous comprendre et nourrir nos interrogations. Produisons plutôt cet effort.

M. Aymeric Caron, rapporteur. Tout d’abord, je tiens à vous rassurer : je déposerai naturellement un amendement en séance publique pour abolir les combats de coqs. J’espère que vous le voterez.

Madame Blin, je vais sans doute vous surprendre : il arrive, en politique, que l’on mène un combat pour une cause à laquelle on croit. Est-ce par goût du sensationnel que Victor Hugo, Émile Zola et Victor Schœlcher ont dénoncé la corrida ? Est-ce dans un but électoraliste que des députés de votre groupe, emmenés par Éric Pauget, Ian Boucard et Julien Dive, ont déposé exactement la même proposition de loi lors de la précédente législature, allant même jusqu’à demander d’« arrêter le bain de sang » ? Je pense pour ma part que leur démarche était sincère.

Selon vous, le taureau serait un animal sauvage : connaissez-vous réellement le sujet de la corrida, madame ? Cela fait deux siècles que la question a été tranchée : le taureau est un animal domestique et c’est précisément pour cela que les corridas sont interdites dans 95 % du territoire. Le taureau est d’ailleurs tellement peu féroce qu’il cherche très souvent à fuir, paniqué, lorsqu’il se trouve dans l’arène.

Autre argument surprenant : je porterais atteinte à la biodiversité, moi qui suis écologiste ! Le taureau de combat n’est pas une espèce : c’est une race artificielle, qui ne comporte que quelques centaines d’animaux. À qui voulez-vous faire croire que la biodiversité de certaines régions serait en danger si quelques centaines de taureaux ne naissaient plus chaque année ?

Enfin, en citant un sondage sur l’opinion des habitants des villes taurines, vous omettez un chiffre : 61 % de ces habitants, ceux-là mêmes qui veulent que les fêtes taurines se poursuivent – ce que n’empêche absolument pas ma proposition de loi – souhaitent qu’on en finisse avec la mise à mort des taureaux.

Madame Lebec, vous dites ne pas vouloir soutenir les interdits. Vous appartenez pourtant à une majorité qui les a multipliés ces dernières années, que ce soit pendant la pandémie de covid-19 ou lors des mouvements de protestation populaire. Dans certains cas, les libertés que garantit l’interdit dépassent de beaucoup ses inconvénients. Vous le savez pertinemment, vous qui êtes allés jusqu’à voter, dans une loi que je salue, l’interdiction des delphinariums et des animaux vivants dans les cirques, dans un but de protection du bien-être animal. Ce faisant, vous n’échappez pas à la contradiction car vous vous êtes ainsi attaqués à un art, le cirque, qui ne pratiquait pas la mise à mort des animaux. Et aujourd’hui, vous auriez une difficulté à voter un texte qui propose un interdit, par comparaison, bien mineur ? La présidente de votre groupe, Mme Aurore Bergé, aurait d’ailleurs pu signer mon texte puisqu’elle en a signé un quasiment identique dans une tribune publiée l’an dernier dans Le Journal du dimanche demandant l’abolition de la corrida. Quant à M. Sylvain Maillard, votre président par intérim, il partage exactement la même position.

Monsieur Houssin, vous déplorez que la proposition de loi évoque, dans son dispositif, les courses de taureaux et non la corrida. Ce n’est pas moi qui n’ose pas en parler, c’est le code pénal qui est ainsi formulé. Jamais la justice n’a établi que les courses landaises et camarguaises donnaient lieu à des actes de cruauté passibles de poursuites.

Enfin, certains d’entre vous tentent de faire diversion en orientant le débat sur l’antispécisme, qui vous effraie tant, voire le véganisme. Or, nous sommes déjà soumis à une loi antispéciste puisque la corrida est interdite. Nous ne cherchons qu’à éliminer une exception à la loi commune. Celle-ci, lorsqu’elle s’applique à Lille, à Paris ou à Strasbourg serait donc antispéciste ? En réalité, vous vous cachez derrière toutes les excuses imaginables – tradition, culture, économie, biodiversité – pour éviter de répondre à la seule question qui vous est posée : êtes-vous favorables à la torture animale ? Les Français ne sont pas dupes et se souviendront de votre vote.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Il n’est pas nécessaire d’aimer la corrida pour la défendre. Les arguments ne manquent pas pour la critiquer. Ce n’est pas une question de goût mais de culture, d’héritage, de transmission et de droit à la différence, ce droit que les mêmes qui veulent interdire la corrida brandissent, à juste raison, quand il s’agit des pratiques de tel ou tel peuple à l’autre bout du monde.

Oui, la corrida peut choquer car elle nous montre cette mort que nous cachons dans des abattoirs, loin de tout regard. Elle est un anachronisme, et tant mieux : nous en avons besoin, effrayés par l’idée d’un monde qui soit toujours le même. J’ai de la tendresse et même de l’admiration pour ce peuple du Sud soulevé par l’émotion, par la bravoure, par la mort qui rôde quand il se réunit dans nos arènes, à Béziers. Il ne ressemble à aucun autre, il ne vous demande rien, juste du respect. Ce peuple, qui aime ce que vous détestez, n’aurait pas le droit de vivre parce qu’il conteste le bréviaire animaliste ?

Vous l’aurez compris, je ne conteste rien de ce qui est dérangeant dans la corrida mais je connais des taureaux libres, des années durant, sur des terres à perte de vue et je les imagine fiers de cette mort au combat. Tout cela ne parle pas aux signataires de cette proposition de loi ; je ne m’en étonne pas. Le monde dont ils rêvent et qu’ils veulent nous imposer, un monde uniforme et aseptisé, est pour moi un cauchemar.

M. Michel Sala (LFI-NUPES). Étant élu du Gard, je ne pouvais que me faire le porte-parole de l’inquiétude des concitoyens de ma région. Certains souhaitent le maintien de la corrida, d’autres n’y sont pas favorables mais ne veulent pas voir s’éteindre la culture locale qui célèbre le taureau. Je leur ai indiqué que notre seul objectif, avec cette proposition de loi, était la fin de la mise à mort dégradante d’un animal.

Les traditions bouvines sont bien plus anciennes que l’importation de la corrida. Les courses camarguaises sont de grandes fêtes populaires remontant au Moyen Âge ; elles mettaient en valeur le travail des vachers et des garçons bouchers. Ces moments de festivités après des temps de labeur difficile et ingrat révélaient leur dignité et leur courage. Les fêtes se sont transformées et les raseteurs exercent désormais leur talent face à un animal consacré.

Il ne s’agit pas de mettre toute une culture en retraite forcée : si la torture et la mise à mort d’un animal ne doivent plus faire partie de nos valeurs, le respect des traditions de nos territoires est essentiel. Supprimer la corrida renforcera la célébration du taureau. Nos fêtes populaires doivent se perpétuer. Le rapporteur nous a rassurés, en répondant à nos interrogations.

M. Sébastien Rome (LFI-NUPES). Alors que les courses taurines touchent à l’identité, la corrida évoque surtout la maltraitance animale. J’ai la profonde conviction que les courses landaises et camarguaises et la bouvine concilient une identité forte et le respect de l’animal. Ce sont les seuls événements taurins qui mettent à l’affiche le nom des animaux et qui leur dressent des statues. Enfant, j’étais heureux d’avoir la photo de Goya, Biòu d’or 1976, dans ma chambre et fier de voir sa statue à Beaucaire. Les raseteurs étaient des stars locales mais bien moins que les bêtes noires.

Je n’ai que faire des polémiques : je suis pragmatique. La proposition de loi vise à supprimer toutes les exceptions à l’interdiction de la torture animale sur le territoire français. Bien que certains s’efforcent d’entretenir la confusion, elle ne cible donc pas les courses camarguaises car celles-ci n’impliquent aucune mise à mort ni torture. J’encourage le rapporteur à être clair sur ce point afin de garantir la continuité de la bouvine, sans quoi un amendement s’imposera. Cette fête populaire fait vivre nos villages, façonne les paysages camarguais, mobilise la jeunesse et fait le lien entre les générations. C’est une vraie tradition locale, plus ancienne que la corrida, et qui respecte l’animal.

Pour toutes ces raisons, nous devons affirmer avec force que les courses de taureaux qui n’entraînent ni mort ni torture pourront exister l’été prochain. L’enjeu est de préparer l’inscription de cette tradition au patrimoine mondial de l’Unesco.

M. Aymeric Caron, rapporteur. Je souhaite en effet clarifier ce point parce que j’ai lu dans la presse des déclarations qui pouvaient faire naître un doute sur la portée de la proposition de loi. Bien évidemment, les courses landaises et camarguaises ne seront pas affectées par cette proposition de loi contre la corrida puisqu’elles ne génèrent ni torture ni mise à mort de l’animal. Je vous confirme que ce texte ne portera absolument pas atteinte à la culture taurine, qui doit être préservée et entretenue.

 

Article unique (art. 521-1 et 522-1 du code pénal) : Abolition de la corrida

 

Amendements de suppression CL2 de Mme Emmanuelle Ménard, CL21 de M. Yoann Gillet, CL25 de Mme Marie-France Lorho et CL26 de Mme Anne-Laure Blin.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Je trouve assez surprenant de vouloir éradiquer une forme de culture quand on ne la partage pas. La corrida est reconnue comme une pratique culturelle qui contribue à l’identité de douze départements.

Je souhaite tout d’abord revenir sur ce qui semble être une hypocrisie. Vous parlez du bien-être animal mais vous confondez tout. L’abolition de la corrida conduira évidemment à la disparition de la race du taureau de combat. Sous prétexte de protéger les animaux et la biodiversité, vous allez entraîner la disparition du taureau, celui-là même que vous prétendez protéger. De plus, pourriez-vous nous expliquer vos revirements successifs au sujet des combats de coqs ? Vous n’avez cessé de supprimer et de rétablir votre amendement les concernant, ce qui donne à penser que, pour vous, un coq a le droit de souffrir mais pas un taureau.

Plus grave encore, vous expliquez qu’une tradition n’est pas forcément une bonne chose, citant l’exemple de l’excision. C’est une véritable différence philosophique qui nous oppose, monsieur le rapporteur, parce que je ne mets pas sur le même plan les hommes et les animaux. Vous considérez l’animal de manière totalement idyllique, à travers le prisme de l’animal de compagnie. Or le taureau n’est pas un animal de compagnie : c’est un animal sauvage, même si vous le contestez – je vous conseille d’aller en caresser un pour en avoir le cœur net ! Le taureau est d’ailleurs le seul animal sauvage capable de combattre jusqu’à la mort, non pas pour se nourrir mais pour affirmer sa suprématie.

Pour conclure, je voudrais réaffirmer ici notre liberté culturelle, notre identité, nos modes de vie que vous niez à travers cette proposition de loi. C’est pourquoi je demande la suppression de l’article.

M. Yoann Gillet (RN). La tauromachie est une tradition ancestrale enracinée dans les régions du Sud de la France. Monsieur le député de Paris, l’interdire reviendrait à abolir la liberté culturelle et à gommer l’identité des territoires où cette pratique existe. Cela entraînerait aussi la fin de l’activité des éleveurs de taureaux, dont le rôle est pourtant essentiel dans la conservation d’écosystèmes fragiles et dans la préservation d’une biodiversité très riche. Cette décision aurait également un impact économique négatif.

Par ailleurs, l’interdiction de la corrida n’est qu’une première étape pour le député Caron, même s’il le nie. Dans un entretien à La Gazette de Nîmes, en septembre, il répondait aux journalistes qui l’interrogeaient sur une possible interdiction des courses camarguaises qu’il était opposé à toute forme d’exploitation animale, sous-entendant que ces courses relevaient de l’exploitation animale. C’est un aveu clair sur ses intentions.

Il convient également de souligner que l’on combat moins de 1 000 taureaux chaque année dans les arènes françaises, nombre dérisoire au regard des 3 millions d’animaux destinés quotidiennement à l’abattoir.

Monsieur le député parisien, vos mensonges, vos caricatures, vos douteuses comparaisons, votre méconnaissance des traditions taurines, votre simple volonté de faire le buzz, vos insultes envers les aficionados ne vous grandissent pas.

Mme Marie-France Lorho (RN). La tauromachie est une tradition du Sud de la France depuis le XIXe siècle. À la corrida, les gens viennent voir une tragédie comme au temps d’Homère ou de Racine car l’humain est ainsi fait. Pour supporter le tragique de la vie, il a besoin du tragique du théâtre : soixante-dix kilos d’intelligence qui risquent leur vie contre une demi-tonne de force à l’état brut. La corrida est une catharsis. Cette tradition fait vivre douze départements et cinquante-six villes de France, génère tout un tissu d’activités économiques et touristiques et se transmet dans les familles de génération en génération. C’est un moment de rencontre, de convivialité, d’émotion partagée. La tauromachie, c’est également la préservation de la race du taureau brave élevé en liberté sur des milliers d’hectares. Que serait la Camargue sans ses taureaux ?

La richesse de la France, c’est la réunion harmonieuse d’identités multiples – occitane, méditerranéenne, du Nord, ultramarine, bretonne, etc. –, qui s’expriment à travers leurs traditions. Vouloir les supprimer, ce serait appauvrir notre pays. La corrida serait la première tradition française sacrifiée au nom d’une idéologie ; suivront la chasse, la pêche, le foie gras ou encore le ban des vendanges. Mon amendement entend protéger la diversité française dans ses traditions ainsi que le respect de la différence et de la voie minoritaire.

Mme Anne-Laure Blin (LR). Monsieur le rapporteur, vous vous souviendrez de notre vote : nous voterons, et nous en sommes fiers, contre votre proposition de loi. C’est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de votre dispositif. Du haut de votre arrondissement parisien, vous venez faire la morale à nos campagnes. Je voudrais que les Français sachent précisément ce que représente votre mouvement au sein de La France insoumise : la révolution écologique pour le vivant, dont la fin de la corrida n’est que la première étape. Les étapes suivantes sont sans ambiguïté : fermeture de l’ensemble des élevages pour arriver à un monde végan, interdiction totale de la chasse et de la pêche.

Alors que nos éleveurs connaissent de profondes difficultés, vous voulez mettre fin à l’ensemble de nos traditions, notamment celle du foie gras, mais vous n’évoquez jamais la mise à mort des animaux sans étourdissement. Celle-ci, hors caméra, ne vous pose aucun problème ! Nous nous opposons donc à la fin de la corrida parce que le monde animaliste, le monde antispéciste, le monde contre nos campagnes, le monde contre notre ruralité, nous n’en voulons pas.

M. Aymeric Caron, rapporteur. Madame Ménard, puisque la référence que j’ai faite à une tradition vous pose problème, je peux vous en citer une autre, qui reste strictement sur le plan de notre rapport à l’animal. Pendant longtemps, en France, la tradition était de brûler des chats pendant la nuit de la Saint-Jean ; puis elle a pris fin, parce que nous avons fini par comprendre que c’était une barbarie.

Vous dites également que le taureau est le seul animal capable de combattre jusqu’à la mort pour affirmer sa suprématie. Je ne savais pas vous étiez spécialiste en psychologie du taureau ! Un tel anthropomorphisme – les intentions que vous lui prêtez sont en effet purement humaines – est étonnant de votre part. Cela explique sans doute pourquoi vous soutenez sans raison cette pratique.

À ceux qui s’inquiètent pour l’économie, je rappelle que cela ne concerne que très peu de taureaux, lesquels en outre viennent pour la plupart d’Espagne. Par ailleurs, les villes taurines vivent non pas grâce aux corridas, qui sont bien souvent subventionnées, mais grâce aux ferias.

Enfin, puisque j’ai été attaqué sur ce sujet, je vous confirme que je suis antispéciste – c’est même le titre d’un de mes livres ! Je ne m’en cache absolument pas. Vous connaissez trop bien le fonctionnement de cette assemblée pour me prêter le pouvoir d’imposer à moi seul la fin de la viande aux Français – soyons sérieux ! Je défends ici le programme sur lequel j’ai été élu, celui de La France insoumise, qui mentionne noir sur blanc la fin de la corrida, comme le fait également le programme d’Europe Écologie-Les Verts, et comme certains de vos collègues ont souhaité le faire récemment. Il n’y a donc aucune ambiguïté. Quant à l’abattage rituel, vous êtes très mal renseignée car j’en parle aussi dans mes livres.

Mme Danielle Simonnet (LFI-NUPES). La corrida est d’abord et avant tout une torture animale. Je suis assez stupéfaite par certaines phrases que j’ai pu entendre. Personne ne peut démontrer que le taureau serait fier de souffrir et de mourir ! En revanche, tout le monde peut constater que l’on fait souffrir et que l’on met à mort le taureau. Du strict point de vue de la protection animale et de la lutte contre la souffrance animale, la loi qui interdit la corrida ne doit plus souffrir aucune exception.

Par ailleurs, je suis surprise par l’argument selon lequel il faudrait être d’une région où la corrida est encore pratiquée pour avoir le droit d’en parler. Quelle est votre conception de la République ? La communauté nationale est une et indivisible et n’importe quel citoyen, d’où qu’il soit, peut avoir un avis sur cette proposition de loi.

Enfin, ce serait une culture et une tradition à préserver. Mais de quoi parle-t-on ? D’un spectacle mettant en scène une violence gratuite, non justifiée par le fait de devoir se nourrir ou de répondre à un besoin essentiel à la vie. Devrait-on célébrer la domination de l’être humain sur un animal jusqu’à sa mise à mort ? Je conclurai en rappelant que la corrida a été interdite à Barcelone.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article unique est supprimé et les autres amendements tombent.

 

Après l’article unique

 

Amendement CL14 de M. Timothée Houssin.

M. Timothée Houssin (RN). Cet amendement ne porte pas sur la corrida mais vise à profiter de la révision éventuelle de l’article 521-1 du code pénal pour alourdir les peines encourues en cas de sévices graves ou d’actes de cruauté envers les animaux. Il est proposé de faire passer la peine d’emprisonnement de trois à cinq ans et l’amende de 45 000 à 75 000 euros, conformément à ce que proposait Marine Le Pen pendant la campagne de l’élection présidentielle.

M. Aymeric Caron, rapporteur. Avant toute chose, en supprimant l’article unique, vous envoyez un signal terrible aux Français en leur indiquant que vous vous moquez complètement de ce qu’ils souhaitent. Ce vote est malheureusement le résultat d’une forte pression des lobbies, d’une minorité bien organisée qui a fait le tour de tous les groupes ces dernières semaines. La démocratie est en jeu, quand huit à neuf Français sur dix réclament la fin de la corrida et que vous ne les entendez pas. Mais je ne doute pas que l’Assemblée nationale, en séance publique, saura exprimer une position courageuse et ambitieuse, en phase avec ce que veulent les Français.

Pour en venir à l’amendement de M. Houssin, je souhaite que l’on soit le plus sévère possible avec ceux qui commettent des actes de cruauté. Cependant, les peines actuelles, qui ont été aggravées par la loi du 30 novembre 2021, ne sont souvent pas appliquées. Je souhaite donc dans l’immédiat l’application des peines légales. Demande de retrait.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement CL18 de M. Timothée Houssin.

M. Timothée Houssin (RN). Cet amendement n’a pas non plus de lien direct avec la corrida : il vise à compléter l’article 521-1 du code pénal pour sanctionner la non-dénonciation de sévices graves ou d’actes de cruauté envers les animaux.

Je retire les amendements suivants qui, eux, portent sur la corrida et n’ont plus de sens dans la mesure où l’article unique a été supprimé.

 

M. Aymeric Caron, rapporteur. Même avis que précédemment. Demande de retrait.

La commission rejette l’amendement.

 

Les amendements CL20 de M. Timothée Houssin et CL10 de Mme Corinne Vignon sont retirés.

 

TITRE

 

L’amendement CL13 de M. Timothée Houssin est retiré.

 

La commission ayant supprimé l’article unique de la proposition de loi, celle-ci est rejetée.

*

*     *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi visant à abolir la corrida : un petit pas pour l’animal, un grand pas pour l’humanité (n° 329)

 

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—  1  —

Personnes entendues

 Mme Nikita Bachelard, chargée d’affaires et de relations publiques

 M. Didier Bonnet, président

 Mme Sophie Maffre-Baugé, présidente

 M. Denis Schmid

 Dr Thierry Bedossa, président

 Dr Dorothée Aillerie

 Dr José Enrique Zaldívar, président

 M. Jacques-Charles Fombonne, président

 Mme Tamara Guelton, responsable pôle juridique protection animale

— M. Christophe Marie, directeur adjoint, porte-parole


([1]) Revue semestrielle de droit animalier, 2/2009, « Sur le droit à martyriser et à mettre à mort publiquement un animal ».

([2]) Éric Baratay. « Représentations et métamorphoses de la violence. La corrida en France, 1853 à nos jours », Revue historique, Presses Universitaires de France, 1997.

([3]) « Le Code pénal, le juge et la corrida », Revue du droit public, n° 1.

([4]) Dimitri Mieussens, « Ce droit qui s’abîme dans les faits », Revue Semestrielle de Droit Animalier – RSDA 2/2009 : « D’aucuns disent que, les courses de taureaux à l'espagnole n'ayant pu être proscrites, le droit s'est adapté aux faits. À mes yeux, il s’agit davantage d'une soumission que d’une adaptation. »

([5]) Ibid.

([6]) Dalloz, Répertoire de droit pénal et de procédure pénale.

([7]) D. Mainguy, J.-B. Seube et F. Vialla, « Droit et tauromachie », Mélanges Cabrillac, 1999.

([8]) N. Molfessis, « La tradition locale et la force de la règle de droit », « Les “avancées” de la sécurité juridique », RTD civ. 2000.

([9]) Éric Baratay, Ibid.

([10]) Arrêt du 3 avril 2000, Assoc. Las ferias en saves c/Assoc. Soc. nat. pour la défense des animaux.

([11]) Cass. civ. 1re, 7 fév. 2006, Assoc. Alliance pour la suppression des corridas et a. c/ Assoc. Club taurin de Toulouse et a.

([12]) Ibid.

([13]) Ibid.

([14]) CA Nîmes, 2 déc. 1965, Maroto et Reynier.

([15]) La présente description reprend la contribution du Dr. José Enrique Zaldívar. président et fondateur de l’Asociación de Veterinarios Abolicionistas de la Tauromaquia y del Maltrato Animal (AVATMA). Votre rapporteur tient à l’en remercier.

([16]) Éric Baratay, « Comment se construit un mythe : la corrida en France au XXème siècle », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1997.

([17]) Éric Baratay, op. cité.

([18]) https://allianceanticorrida.fr/Docs_atelecharger/ils-n-aiment-pas-la-corrida.pdf

([19]) Sources : Objectif Gard et Alliance Anticorrida.

([20]) Source : Comité de Liaison Biterrois pour l'Abolition de la Corrida, à partir de France Bleu Hérault. 

([21]) https://www.bayonne.fr/fileadmin/medias/Publications/Deliberations/20220602/N__079_-_TEMPORADA_-_Contrats_d_engagement_des_professionnels_taurins.pdf

([22]) https://www.bayonne.fr/fileadmin/medias/Publications/Deliberations/20220602/N__079_-_TEMPORADA_-_Contrats_d_engagement_des_professionnels_taurins.pdf

([23]) https://www.europe1.fr/societe/debat-faut-il-interdire-la-corrida-en-france-3773789

([24]) https://www.veterinaire.fr/la-profession-veterinaire/nos-grands-dossiers/la-protection-animale/la-corrida

([25]) Dans un ouvrage publié en 2020 à compte d’auteur, et au titre explicite, Vétérinaire et aficionado, M. Hubert Compan écrit que la sélection des vaches vise à engendrer non pas des animaux insensibles à la douleur mais des animaux dont la sensibilité à la douleur augmentent l’agressivité. Il précise que les épisodes douloureux sont nécessaires pour entretenir cette agressivité.

([26]) Votre rapporteur salue la campagne de soutien à la présente proposition de loi menée par la Société protectrice des animaux (SPA) : « Et si c’était un chien, accepteriez-vous qu’il soit tué « au nom de la tradition » ? ».

([27]) La suite de l’analyse reprend la contribution transmise par le Dr. Jean-Paul Richier. Votre rapporteur tient à l’en remercier.

([28]) « À propos de taureaux, sachez que c’est le plus beau spectacle que l’on puisse voir. Il est certain qu'il n’y a rien de plus cruel, de plus féroce que les courses de taureaux ; […] Eh bien ! maintenant j'éprouve un indicible plaisir à voir piquer un taureau, éventrer un cheval, culbuter un homme. À une des dernières courses de Madrid, j'ai été scandaleux. On m’a dit, mais j’ai peine à le croire, que j’avais applaudi avec fureur, non le matador, mais le taureau au moment où il enlevait, sur ses cornes, cheval et homme. » Prosper Mérimée, extrait d’une lettre à Albert Stapfer, Séville, 4 septembre 1830.

([29]) https://www.youtube.com/watch?v=YAR0MdN9Nhk

([30]) Décision n° 2012-271 QPC du 21 septembre 2012.

([31]) CAA de Paris, 1er juin 2015.

([32]) Caroline Leclerc, op. cit.

([33]) Ces dispositions ont été prolongées par l’annonce, le 28 octobre 2022, de la création d’une division d’enquêteurs chargée spécifiquement de la maltraitance animale, composée de 15 policiers et gendarmes spécialisés, rattachée à l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique.

([34]) Jeremy Bentham, Introduction aux principes de la morale et de la législation, chap. XVII, 1789.