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N° 494

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 novembre 2022.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi visant à instaurer une allocation pour les jeunes en formation,

 

 

Par M. Louis BOYARD,

 

 

Député.

 

——

 

 

 

 

 

Voir le numéro : 323 rect.

 

 

 

 

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

Introduction

I. LES JEUNES FACE À LA « MARÉE MONTANTE DE LA PRÉCARITÉ »

A. La situation économique et sociale des jeunes est alarmante...

1. Parfois difficile à mesurer, la précarité des jeunes est pourtant bien réelle

2. Les jeunes, des pauvres qui s’ignorent

3. Des jeunes toujours sous perfusion de leurs parents

B. ... ET S’AGGRAVE DANGEREUSEMENT DEPUIS LA CRISE SANITAIRE ET ÉCONOMIQUE

1. Un basculement dans la précarité révélé par le recours à l’aide alimentaire

2. Les effets de la crise économique et inflationniste sont catastrophiques sur le quotidien des étudiants

II. UN SYSTÈME D’AIDES SOCIALES À BOUT DE SOUFFLE

A. UN « MILLEFEUILLE DE DISPOSITIFS » ILLISIBLE ET INACCESSIBLE

1. Un panorama des diverses aides existantes

2. Déployées tardivement, les aides d’urgence n’ont pas permis d’endiguer la précarisation des étudiants

B. Un système de bourses injuste

1. Des critères d’attribution inadaptés

2. Des effets de seuil qui écartent un nombre trop élevé d’étudiants

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 1er Mettre en œuvre une garantie d’autonomie jeunes

Article 2 Gage sur les superprofits

TRAVAUX DE LA COMMISSION

ANNEXE : Liste des personnes auditionnÉes par lE rapporteur


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   Introduction

« Il convient de révolutionner notre façon de considérer la jeunesse. Je défends l’idée selon laquelle cet âge de la vie constitue une période de fragilité qui, à l’instar du grand âge, nécessite une intervention forte de l’État. » Le rapporteur fait pleinement sienne cette ambition du récent plaidoyer « Pour une politique de la jeunesse » du sociologue Camille Peugny ([1]).

La jeunesse doit être vue comme une période d’expérimentation. Or aujourd’hui, être jeune, c’est surtout faire l’expérience précoce de la précarité. Plus vraiment des enfants, pas encore tout à fait des adultes, les jeunes sont dans l’angle mort des politiques publiques. Le système d’aides sociales censé les accompagner face aux difficultés économiques et sociales qu’ils rencontrent est loin d’être à la hauteur.

Ce constat est largement documenté et partagé. Un récent rapport sénatorial pointe trois écueils majeurs du système actuel que le rapporteur reprend à son compte ([2]) :

– le système d’aides publiques souffre d’une grande complexité et d’un manque de lisibilité ;

– une segmentation et une insuffisante accessibilité de l’information aggravent le non-recours à certaines aides ;

– des lacunes en termes de prise en charge : malgré la diversité des aides, certains profils d’étudiants échappent à leur bénéfice.

Découle presque naturellement de ce désengagement de la puissance publique une solidarité qui repose aujourd’hui beaucoup trop sur les familles. Alors que, d’après le dernier baromètre du Secours populaire ([3]), près d’un Européen sur deux déclare avoir peur de ne pas pouvoir subvenir aux besoins de ses enfants, nous ne pouvons qu’être alarmés de la défaillance de notre solidarité nationale ([4]).

Le rapporteur tient à saluer les initiatives en faveur des jeunes qui ont déjà été portées dans cette Assemblée, notamment par M. François Ruffin, qui avait brillamment plaidé pour l’extension du revenu de solidarité active pour les jeunes de 18 à 25 ans lors d’une précédente journée réservée du groupe La France insoumise en avril 2021 ([5]). Aujourd’hui, nous pensons qu’il faut aller bien plus loin en garantissant à chaque jeune en formation les moyens de son autonomie.

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—  1  —

I.   LES JEUNES FACE À LA « MARÉE MONTANTE DE LA PRÉCARITÉ »

Cette expression empruntée au sociologue Camille Peugny ([6]) nous semble parfaitement décrire la situation de submersion que vivent les jeunes en formation et qu’ils ont largement relayée lors des auditions. Déjà aggravée avec la pandémie, la précarisation des jeunes ne va aller qu’en s’empirant au vu des tensions inflationnistes que nous connaissons.

A.   La situation économique et sociale des jeunes est alarmante...

1.   Parfois difficile à mesurer, la précarité des jeunes est pourtant bien réelle

● Le constat est bien connu mais il mérite d’être martelé : les jeunes subissent la pauvreté de plein fouet. Selon l’Observatoire de la vie étudiante, en 2020 avant la crise sanitaire, un quart des étudiants déclaraient connaître des difficultés financières ([7]). Cette tendance à la dégradation des conditions de vie des étudiants s’inscrit malheureusement dans la durée. Déjà en 2018, les jeunes âgés de 18 à 29 ans présentaient un taux de pauvreté monétaire quatre fois supérieur à celui des personnes âgées de plus 65 ans : 12,5 % pour les jeunes contre 3 % pour les plus âgés et 8,3 % pour l’ensemble de la population ([8]). Or, cet écart est quasiment stable depuis 1998, témoignant d’une tendance profonde à la paupérisation des jeunes.

L’Observatoire des inégalités rappelle que c’est chez les jeunes adultes âgés de 18 à 29 ans que la progression de la pauvreté a été la plus forte ces quinze dernières années puisque leur taux de pauvreté a augmenté de 50 % entre 2002 et 2017 ([9]).

● Les ressources réelles des jeunes restent difficiles à identifier statistiquement, surtout lorsqu’ils dépendent encore du foyer de leurs parents. Mais de l’avis unanime des chercheurs auditionnés, un fait est largement établi : les jeunes qui ne vivent plus sous le toit de leurs parents sont dans une situation plus précaire que les autres.

Il faut se prémunir toutefois « d’effets d’optique » statistiques qui peinent à traduire la situation réellement vécue par les étudiants. Lors de son audition, l’Observatoire de la vie étudiante a, par exemple, montré qu’une analyse purement monétaire des revenus accumulés faisait des étudiants en classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) le segment le plus défavorisé parmi les jeunes en formation. D’un point de vue purement statistique, les raisons sont aisément identifiables : d’une part, ces étudiants sont plus souvent en situation de décohabitation car les formations sélectives qu’ils suivent les obligent plus fréquemment à vivre dans une autre ville que leurs parents ; d’autre part, la « vie ascétique » de ces étudiants pleinement consacrés à leurs études ne leur permet pas d’occuper un « job étudiant » en parallèle. Pour autant, ces étudiants majoritairement issus de classes aisées ([10]) reçoivent une importante aide familiale de leurs parents, bien souvent en nature, comme la mise à disposition d’un logement familial.

Ainsi, si visuellement ces étudiants semblent plus pauvres, dans les faits, leur situation est très largement privilégiée par rapport à celle d’un étudiant boursier qui, certes perçoit des ressources monétaires supérieures, mais doit payer son propre logement.

● Pour rendre compte de la pauvreté des jeunes, la seule prise en compte des revenus n’est pas suffisante : il faut aussi mobiliser ce que le chercheur spécialiste des politiques de jeunesse, Tom Chevalier, a qualifié lors de son audition « d’indicateurs subjectifs ». Au-delà des chiffres, il faut tenir compte de la manière dont les jeunes se projettent dans le cycle de vie. Il est évident qu’un jeune en difficultés financières sur le point de valider son master aura plus tendance à vivre cette situation de précarité comme passagère qu’un jeune titulaire du seul baccalauréat.

2.   Les jeunes, des pauvres qui s’ignorent

De l’avis des universitaires et organisations de solidarité auditionnés par le rapporteur, l’appréciation de la situation économique et sociale des jeunes est d’autant plus difficile à cerner que les jeunes eux-mêmes peinent à se percevoir comme pauvres.

D’une part et comme nous l’avons dit plus haut, la projection dans le cycle de vie est déterminante. Parce qu’ils estiment que leur situation est temporaire, beaucoup de jeunes ne se considèrent pas comme pauvres. Pourtant, comme l’a, par exemple, souligné la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) lors de son audition, une très grande partie des étudiants bénéficient des aides au logement alors que cette aide est réservée dans le reste de la population aux personnes les plus précaires ([11]). Le simple fait de percevoir cette aide devrait interroger les étudiants sur leur propre situation.

D’autre part, comme l’a très justement souligné la sociologue Nadia Veyrié lors de son audition, les jeunes ressentent une honte sociale à se reconnaître comme pauvres. Cette honte n’est évidemment pas réservée aux jeunes mais comme l’a indiqué le démographe Philippe Cordazzo lors de cette même table ronde, les jeunes ont davantage tendance à mettre eux-mêmes en place des stratégies pour contrer la précarité ressentie : sauter un repas, rentrer moins fréquemment chez leurs parents, cumuler les heures de travail pendant leurs congés, sous-louer temporairement les logements de leurs amis, etc.

Mettre en place de telles stratégies représente une charge mentale phénoménale et inacceptable pour les jeunes.

Rendre visibles les invisibles : la situation des lycéens professionnels

La présente proposition de loi vise à ouvrir le bénéfice de la garantie d’autonomie jeunes aux élèves inscrits dans une formation professionnelle du second degré parce que ces lycéens vivent une situation extrêmement dégradée.

Selon les chiffres rappelés par l’organisation La Voix lycéenne, un lycéen sur trois travaille en dehors des cours et 10 % des lycéens déclarent avoir besoin de travailler pour vivre. Ce phénomène est d’autant plus massif pour les lycéens professionnels, dont 72 % des élèves sont issus de milieux très modestes d’après les données rappelées par l’organisation Une voie pour tous.

Déjà défavorisés, ces lycéens doivent de surcroît affronter des coûts supplémentaires pour financer leur scolarité : coût de l’internat, coût des transports entre le lycée professionnel et le domicile familial, coût des fournitures parfois très élevé dans certaines filières. Malgré les aides des régions et les revenus de l’alternance qu’ils perçoivent, ces lycéens sont en grande précarité.

Face au désengagement de l’État, ces lycéens sont victimes d’un phénomène de prédation de la part des entreprises – phénomène qui s’est accentué avec les tensions de recrutement dans des secteurs comme l’hôtellerie-restauration. Les syndicats professionnels de l’éducation ont tous fait part de leur crainte de voir de nombreux jeunes interrompre leur cursus, faute de moyens, pour privilégier l’embauche en CDD voire en CDI qui leur est proposée par les employeurs à l’issue de leur alternance.

3.   Des jeunes toujours sous perfusion de leurs parents

● Pour couvrir les dépenses de la vie quotidienne, les étudiants bénéficient en premier lieu d’aides familiales à hauteur de 41,9 % de leur budget puis de revenus d’activité (25,3 %), d’aides publiques (23 %) et d’autres ressources (9,8 %) comme l’emprunt bancaire.

Dans le détail : les plus jeunes bénéficient plus largement des aides familiales puisque 74,1 % du budget des moins de 18 ans provient d’aides familiales tandis que cette part s’élève à 30,3 % pour les 24‑26 ans.

Parallèlement et de manière logique, les revenus d’activité occupent une part de plus en plus importante du budget des jeunes à mesure qu’ils vieillissent. En effet, si les revenus d’activité occupent 9,1 % du budget mensuel des 18‑20 ans, ils contribuent à hauteur de 37,6 % du budget mensuel des 24‑26 ans.

STRUCTURE DU BUDGET MENSUEL D’un Étudiant

fv

Source : Enquête Conditions de vie des étudiants 2020 – Observatoire de la vie étudiante.

Champ : Ensemble des 60 014 répondants à l’enquête.

● L’enquête très fouillée de la Drees de 2014 sur les ressources des jeunes ([12]) rappelle le rôle essentiel de l’aide financière parentale puisque 90 % des jeunes reçoivent une aide financière régulière de leurs parents.

effort global des parents et aide moyenne selon le niveau de vie des parents

Source : Drees-Insee, Enquête nationale sur les ressources des jeunes, 2014.

Champ : Ménage d’un ou deux parents de jeunes adultes âgés de 18 à 24 ans aidant leur jeune adulte pour au moins un des postes.

● Deux observations principales découlent de ce graphique :

– les jeunes adultes dont les parents appartiennent aux catégories les plus aisées (à partir du septième décile) sont environ deux fois plus aidés que ceux venant des catégories plus modestes (entre les deuxième et cinquième déciles). L’écart se creuse nettement entre les jeunes du premier décile et ceux du dernier décile avec un rapport de 1 à 7 entre les ressources qu’ils perçoivent ;

– les classes les plus modestes consentent à un effort deux fois plus élevé pour subvenir aux besoins des jeunes que les autres classes. Dès le quatrième décile, cet effort est à peu près constant autour de 8 %. Il est primordial de souligner que les ménages les plus modestes investissent tout ce qu’ils peuvent dans la réussite de leurs enfants mais qu’évidemment leur effort ne peut être à la hauteur des besoins financiers d’un jeune en formation.

Se faisant la porte-parole des nombreux témoignages qu’elle a reçus après la diffusion virale de la vidéo qu’elle a publiée sur les réseaux sociaux pour raconter son quotidien, l’étudiante Maëlle a fait part, lors de son audition, de la détresse psychologique ressentie par de nombreux parents qui ne parviennent pas à aider leurs enfants autant qu’ils le voudraient. Une situation dramatique qui ne fait que s’accentuer depuis la crise de 2020.

B.   ... ET S’AGGRAVE DANGEREUSEMENT DEPUIS LA CRISE SANITAIRE ET ÉCONOMIQUE

1.   Un basculement dans la précarité révélé par le recours à l’aide alimentaire

● Les images des files d’attente interminables d’étudiants dans les distributions alimentaires en 2020 ont connu – à juste titre – un vrai retentissement dans la population. Le rapporteur a tenu à entendre les organisations de solidarité qui se sont créées pour aider les étudiants, à l’image de Cop1 – Solidarités Étudiantes. Le constat fait par cette organisation est clair : depuis sa création il y a deux ans, tous les créneaux de distribution alimentaire sont complets.

Cette remontée de terrain est corroborée par les chiffres de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), pour le moins édifiants : 83 % des étudiants recourant à l’aide alimentaire fin 2021 déclarent ne s’être tournés vers l’aide alimentaire qu’après mars 2020. Un cinquième des étudiants recourants ont basculé dans l’aide du fait de la crise sanitaire, soit deux fois plus que dans l’ensemble de la population bénéficiaire de l’aide alimentaire. Parmi les étudiants bénéficiant de l’aide alimentaire déclarant une baisse de revenus depuis mars 2020, plus de 85 % l’imputent à la crise sanitaire, contre la moitié sur l’ensemble de la population recourante ([13]).

Il faut insister sur la dimension protéiforme de cette précarité qui ne se cantonne pas à la seule précarité alimentaire. Face aux besoins vitaux exprimés par les étudiants lors des enquêtes qu’elle a menées, l’association Cop1 – Solidarités Étudiantes a, par exemple, élargi ces distributions aux produits de première nécessité (vêtements, fournitures scolaires, protections périodiques).

BESOINS EXPRIMÉS PAR LES ÉTUDIANTS RECOURANT À l’AIDE ALIMENTAIRE

 

Source : Enquête annuelle de Cop1 – Solidarités étudiantes sur les étudiantes et étudiants en situation de précarité, 2022.

● À rebours du constat précédemment établi d’une perception biaisée de leur situation par les étudiants, la crise sanitaire a agi comme un détonateur. D’après les données de la Drees, dans le contexte de la crise sanitaire, la part des personnes qui jugent leur situation globalement mauvaise s’accroît nettement chez les jeunes ([14]). Le sentiment de pauvreté est désormais plus répandu chez les jeunes que dans le reste de la population. Cette dégradation s’accompagne de surcroît, d’un sentiment de déclassement en forte augmentation, passant de 22 % en 2019 à 36 % en 2020. Les jeunes qui pensent que leur situation est pire que celle de leurs parents au même âge deviennent plus nombreux que ceux qui jugent que leur situation est meilleure que celle de la génération précédente.

● Les raisons de cette précarisation sont bien identifiées : la crise sanitaire a eu un fort impact sur les revenus du travail des étudiants avec la perte de « jobs étudiants », notamment dans l’hôtellerie-restauration, ou l’impossibilité de donner des cours à domicile du fait des restrictions sanitaires. De la même manière, l’impossibilité de rentrer chez ses parents a considérablement fait baisser les aides informelles perçues par les étudiants.

Au total, le rapporteur souscrit aux propos de la sociologue Christine Musselin lors de son audition : il n’y a peut-être pas tant une accentuation de la précarité des étudiants qu’une prise de conscience violente de leur situation économique et sociale particulièrement dégradée.

2.   Les effets de la crise économique et inflationniste sont catastrophiques sur le quotidien des étudiants

● De l’avis unanime des organisations de solidarité auditionnées, les jeunes ne se sont toujours pas relevés de la crise sanitaire – loin de là – puisqu’ils peinent non seulement à retrouver des « jobs étudiants » mais doivent en plus faire face à l’inflation qui grève le budget qu’ils consacrent à l’alimentation et au logement.

En effet, en sus de la précarité alimentaire, les étudiants connaissent de grandes difficultés pour se loger. Des témoignages extrêmement alarmants ont été relayés par les élus étudiants aux Crous ainsi que par Mme Christine Rivalan Guégo, présidente de l’Université Rennes 2, entendus lors des travaux préparatoires :

– à Grenoble, certains personnels du Crous hébergent chez eux des étudiants sans solution de logement ;

– à la rentrée 2022, l’université d’Évry a mis à disposition des logements de fonction inutilisés pour loger des étudiants en colocation ;

– l’Université Rennes 2 accompagne, depuis la rentrée, des étudiants dans leurs recherches de chambres d’hôtel pour éviter qu’ils ne se trouvent à la rue.

Nul doute que nous pourrions, hélas, multiplier les témoignages de ce genre.

● Au-delà de la survie même au quotidien, la crise a contraint les étudiants à renoncer à des projets de long terme. Comme l’a pointé le démographe Philippe Cordazzo, beaucoup d’étudiants ont renoncé à la mobilité internationale, d’autres ont fait le choix de se réorienter vers des formations plus courtes et plus professionnalisantes dans l’espoir de percevoir un revenu plus rapidement, au détriment de la poursuite d’études, pourtant plus protectrice à long terme contre le chômage.

● Enfin, le rapporteur tient à insister sur la situation particulièrement dramatique des étudiants étrangers, surreprésentés parmi les bénéficiaires des aides alimentaires. Moins bénéficiaires des aides sociales en raison des restrictions d’accès, ces étudiants cumulent les difficultés puisqu’ils bénéficient aussi, beaucoup moins – du fait de l’éloignement géographique – des solidarités intrafamiliales. La barrière de la langue peut compliquer l’accès à un « job étudiant », d’autant plus dans un contexte de fortes tensions sur le marché du travail.

La situation critique des Crous

La mission « flash » sur le financement des Crous dans le contexte de la crise sanitaire conduite par les députées Fabienne Colboc et Muriel Ressiguier en juillet 2020 a mis en évidence la diminution chronique des moyens humains mis au service des étudiants (1).

Pour rappel, les centres régionaux des œuvres scolaires et universitaires (Crous) ont un fonctionnement assez singulier parmi les établissements publics puisqu’ils s’autofinancent pour la plus grande partie de leur budget : selon les établissements, les recettes des Crous couvrent de 70 à 75 % de leurs dépenses.

La mission de restauration est structurellement déficitaire en raison du tarif social qui permet de facturer un repas en restaurant universitaire à 3,30 euros à l’étudiant quelle que soit sa situation financière, alors qu’il coûte environ le double à produire.

Ce déficit est compensé par l’activité de logement étudiant qui, elle, est bénéficiaire.

Or, de l’avis des représentants d’universités auditionnés, faute d’investissement et face aux tensions inflationnistes, les Crous ne parviennent plus à remplir ces missions de restauration et d’hébergement.

Les mesures nécessaires déployées pour faire face à la crise comme le gel des loyers dans les résidences gérées par les Crous, la stabilité des tarifs dans les restaurants universitaires et la mise en place du repas à 1 euro pour les étudiants boursiers ont engendré des coûts supplémentaires qui n’ont pas été entièrement compensés. De la même manière, l’augmentation du coût des denréees alimentaires et de l’énergie affecte considérablement les restaurants et les résidences universitaires depuis le début de l’année 2022, ce qui a pour effet de baisser la qualité des repas servis. Or, aucune compensation intégrale de ces dépenses supplémentaires n’a été annoncée à ce stade par le Gouvernement dans le projet de loi de finances pour 2023 (2).

La crise a aussi révélé le manque d’assistantes sociales dans les Crous. Comme le rappelle la mission « flash », à titre de comparaison, on compte un accompagnant pour 12 000 étudiants en France, contre un pour 5 000 en Allemagne. Cette absence de moyens a des effets très concrets sur le quotidien des étudiants, ainsi qu’en a témoigné Maëlle, confrontée à des dizaines de reprises au standard téléphonique robotisé du Crous.

Ce manque de moyens humains a aussi de lourdes conséquences sur les personnels des Crous, qui ne parviennent plus à assurer leur mission et se trouvent plongés dans une certaine détresse professionnelle. Conséquence en cascade, la présidente de l’Université Rennes 2 a souligné combien la mission sociale de l’université devenait très sollicitée, pour compenser les défaillances des Crous, alors que les missions principales des universités restent et doivent rester la formation et la recherche.

(1) Mission « flash » sur le financement des Crous dans le contexte de la crise sanitaire, communication de Mme Fabienne Colboc et Mme Muriel Ressiguier, mercredi 22 juillet 2020.

(2) Voir l’avis présenté par M. Hendrik Davi, député, au nom de la commission des affaires culturelles et de l’éducation sur le projet de loi de finances pour 2023 (tome VI, Recherche et enseignement supérieur).

II.   UN SYSTÈME D’AIDES SOCIALES À BOUT DE SOUFFLE

A.   UN « MILLEFEUILLE DE DISPOSITIFS » ILLISIBLE ET INACCESSIBLE

Reprenant lui-même ce terme ([15]), le sociologue Camille Peugny résume assez bien la situation : « l’accumulation de dispositifs successifs, dans différents domaines, s’adressant à des catégories particulières de jeunes, effaçant ou complétant les précédents, voire entrant en contradiction [crée] un "millefeuille de dispositifs" [qui] devient progressivement illisible, pour les jeunes comme pour les professionnels du secteur. La crise sanitaire que nous traversons en a donné une illustration saisissante : à chaque annonce d’urgence du Gouvernement, il fallait plusieurs jours aux différents observateurs pour comprendre comment ces nouvelles dispositions s’articulaient aux dispositifs existants et quelles souscatégories de jeunes pouvaient y prétendre([16]) »

1.   Un panorama des diverses aides existantes

● L’empilement d’aides publiques à destination des jeunes est tel que le ministère de l’enseignement supérieur lui-même a dû mandater l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) en octobre 2019 pour élaborer une cartographie des dispositifs de bourses publiques à l’attention des étudiants ([17]).

Ressortent de ce recensement plusieurs conclusions :

– certaines aides sont spécifiquement destinées aux étudiants (bourses sur critères sociaux) et cumulables avec d’autres aides comme les aides au logement assez largement ouvertes aux jeunes ;

– certains dispositifs sont liés à des cursus particuliers (Grande école du numérique, allocation pour la diversité dans la fonction publique, mobilités internationales) ;

– certaines aides ont une durée relativement courte (aide spécifique ponctuelle pour étudiant en difficultés) ;

– d’autres ont vocation à s’adresser à des publics spécifiques comme les alternants.

RECENSEMENT DES BOURSES PUBLIQUES POUR ÉTUDES SUPÉRIEURES
ALLOUÉES PAR L’ÉTAT EN 2019

Source : Mission cartographie de l’IGESR.

● Il ne s’agit pas ici de brosser un panorama exhaustif de ces aides et de leur bien-fondé mais bien de remarquer que ce système est complexe et manque de cohérence. De l’avis des organisations auditionnées, confirmé par une étude récente ([18]), cet enchevêtrement entraîne un taux de non-recours aux aides étudiantes de l’ordre de 20 à 30 % – un taux similaire à celui constaté pour d’autres prestations sociales comme le revenu de solidarité active (RSA).

● Face à un système national défaillant, le rôle des collectivités territoriales est déterminant pour soutenir les jeunes en difficultés. D’après l’enquête de l’UNEF sur le coût de la vie étudiante ([19]), le seul poste de dépenses en baisse est celui des transports car les collectivités territoriales qui ont la compétence en la matière se sont mobilisées pour proposer des tarifs différenciés aux jeunes. De la même manière, bien que le logement représente plus de la moitié du budget d’un étudiant, ce poste augmente peu dans les villes qui ont mis en place un système d’encadrement des loyers. Lors des auditions, des initiatives locales ont été saluées, par exemple en Seine-Saint-Denis par le réseau RED-jeunes ou encore le complément de revenu versé aux étudiants boursiers par la mairie du Pont-de-Claix dans l’agglomération grenobloise.

Hélas, le revers de ces initiatives est le creusement des inégalités entre territoires et donc entre jeunes.

2.   Déployées tardivement, les aides d’urgence n’ont pas permis d’endiguer la précarisation des étudiants

● Suffisamment rare pour être relevé, le rapporteur souscrit pleinement au constat dressé par la Cour des comptes quant aux dispositifs de soutien d’urgence à destination des étudiants qui « ont été nombreux mais dont la montée en puissance a été tardive et ont atteint les étudiants de manière inégale ([20]) ».

Si les aides d’urgence sont évidemment bienvenues, de l’avis de la Cour des comptes comme des personnes auditionnées sur ce sujet, elles sont restées trop longtemps circonscrites, « tant en ce qui concerne le public ciblé que la nature des vulnérabilités considérées et les montants financiers mobilisés ([21]) ».

● Le cas du repas à 1 euro est emblématique. D’abord réservé aux seuls étudiants boursiers à partir du 31 août 2020, le dispositif a été élargi à l’ensemble des étudiants entre fin janvier et juin 2021 puis a été de nouveau restreint aux seuls boursiers et étudiants en situation de précarité depuis septembre 2021. Ce sont au total 14,4 millions de repas à 1 euro qui ont été servis en 2020 et 2021 dans les restaurants directement gérés par les Crous ([22]). Cette mesure – prolongée jusqu’à Noël 2022 d’après les dernières annonces du Gouvernement – est évidemment bienvenue mais elle laisse sur le bord de la route un nombre considérable d’étudiants qui en auraient besoin. Comme l’ont rappelé nombre d’organisations étudiantes, la reconnaissance de la « situation de précarité » doit être établie par une assistante sociale. Or, au vu de l’engorgement des services sociaux du Crous, nombre d’étudiants ont préféré faire le choix du renoncement.

PRINCIPALES MESURES DE SOUTIEN À LA VIE ÉTUDIANTE
DÉPLOYÉES PENDANT LA CRISE

 Source : Cour des comptes.

Le déploiement des aides d’urgence a mis en évidence les failles structurelles du système de soutien aux étudiants, dues à la méconnaissance des situations parfois dramatiques qu’ils vivent.

B.   Un système de bourses injuste

1.   Des critères d’attribution inadaptés

● Les bourses sur critères sociaux allouées par le ministère de l’enseignement supérieur et gérées par le réseau national des œuvres universitaires concernent environ 734 000 étudiants, soit près de 38 % de la population étudiante inscrite dans une formation ouvrant droit à une bourse ([23]). Elles constituent de loin la plus importante des aides versées aux étudiants pour un montant de 2,4 milliards d’euros.

Pour autant, pour les étudiants les plus modestes qui appartiennent au septième échelon, le montant mensuel s’élève à 596 euros – montant quasiment deux fois inférieur au seuil de pauvreté, établi à 1 102 euros par mois.

La revalorisation de 4 % des bourses sur critères sociaux à la rentrée 2022 – ce qui correspond à une hausse de 42 euros pour l’échelon 0 bis et 229 euros pour l’échelon 7 – est de surcroît bien trop faible pour faire face à l’inflation, estimée à 6,2 % en octobre 2022.

Évolution du montant annuel des bourses sur critÈres sociaux depuis 2012

Source : Jaune budgétaire, PLF 2023.

● Les critères d’attribution du système de bourses actuel reposent sur une évaluation temporelle des revenus inadéquate. En effet, les revenus considérés pour leur attribution sont ceux de l’année N-2, ce qui n’est pas sans poser problème en période de crise. Ainsi, les situations de chômage des parents qui pourraient ouvrir droit à une bourse sur critères sociaux sont prises en compte bien trop tard. A contrario, dans le cas spécifique de la crise du covid, parce que leurs parents ont, par exemple, reçu une prime exceptionnelle liée à leur activité en 2020, beaucoup d’étudiants se trouvent privés de bourses à la rentrée 2022 alors que la situation économique et sociale de leurs familles est loin de s’être substantiellement améliorée.

● Le cas des étudiants ultramarins est particulièrement sensible puisqu’il n’est pas rare que les parents perçoivent des primes spécifiques d’installation dans certains départements et collectivités d’outre-mer qui ont pour conséquence de priver leurs enfants des bourses auxquelles ils avaient le droit jusqu’à maintenant.

De manière générale, les effets de seuil du système de bourses ont pour effet d’exclure de trop nombreux étudiants précaires.

2.   Des effets de seuil qui écartent un nombre trop élevé d’étudiants

● L’association Cop1 – Solidarités étudiantes a indiqué, lors de son audition, que 73 % des bénéficiaires des distributions alimentaires qu’elle propose ne perçoivent pas de bourse. Ce chiffre est extrêmement révélateur des failles du système actuel. Comment des étudiants obligés d’avoir recours à l’aide alimentaire pour se nourrir peuvent-ils ne pas être considérés comme suffisamment pauvres pour toucher une bourse ?

● S’il est difficile de devenir boursier, il est encore plus difficile de dépasser les premiers échelons, qui n’accordent qu’une centaine d’euros par mois aux étudiants. En effet, près de la moitié des étudiants boursiers relèvent des échelons 0 et 1 tandis que seuls 7,5 % des boursiers appartiennent à l’échelon 7. Ces effets de seuil pénalisent fortement la prise en compte fine et détaillée de la situation économique et sociale des étudiants.

pourcentage de boursiers PAR Échelon

 

Effectifs en pourcentage (%)

Echelon 0

31,8

Echelon 1

14,0

Echelon 2

7,3

Echelon 3

7,4

Echelon 4

7,1

Echelon 5

13,1

Echelon 6

11,8

Echelon 7

7,5

Source : Ministère de l’enseignement supérieur/Système d’information AGLAE, mars 2021.

● Finalement, la principale critique que le rapporteur adresse au système de bourses actuel est qu’il maintient les jeunes dans une dépendance économique à l’égard de leurs parents dont il est impératif de sortir pour garantir une autonomie réelle aux étudiants.


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   COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 1er
Mettre en œuvre une garantie d’autonomie jeunes

Supprimé par la commission

L’article 1er crée une garantie d’autonomie d’une part, pour les jeunes entre 18 et 25 ans, détachés du foyer fiscal, inscrits dans une formation et dont les revenus sont inférieurs au seuil de pauvreté et d’autre part, pour les lycéens professionnels à partir de 16 ans.

I.   UN IMPÉRATIF : SORTIR DE LA LOGIQUE FAMILIALISTE

A.   la dÉpendance familiale est un frein À l’AUTONOMIE DES JEUNES

1.   Une dépendance protéiforme

● Nous sommes largement revenus sur la dépendance économique des jeunes adultes à leurs parents qui se traduit à la fois par des transferts intrafamiliaux financiers ou en nature mais aussi par les modalités d’attribution des bourses, versées selon les revenus des parents.

Cette dépendance peut faire peser une contrainte très forte sur l’orientation des jeunes. Bien qu’ils soient majeurs juridiquement, de nombreux jeunes ne sont pas maîtres de leur avenir parce que la poursuite de leurs études est conditionnée à la prise en charge financière de leurs parents. Tous les jeunes, quel que soit leur milieu d’origine, peuvent se trouver en grande souffrance face à une telle situation, qu’il s’agisse du jeune défavorisé contraint de suivre une formation plus courte pour accéder rapidement à l’emploi ou du jeune issu d’un milieu aisé forcé de suivre la filière que ses parents ont choisie pour lui, sous peine de n’être pas aidé.

Même s’ils sont difficiles à quantifier, nous ne pouvons passer sous silence les cas extrêmes de jeunes rejetés par leurs parents, notamment en raison de leur orientation sexuelle, qui se trouvent du jour au lendemain sans ressources pour financer leurs études.

● Le lien de dépendance entre parents et enfants est également caractérisé juridiquement. En effet, aux termes de l’article 371‑2 du code civil, « chacun des parents contribue à l’entretien et à l’éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l’autre parent, ainsi que des besoins de l’enfant. Cette obligation ne cesse de plein droit ni lorsque l’autorité ou son exercice est retiré, ni lorsque l’enfant est majeur. » C’est ce fondement juridique qui permet aux Crous de conseiller, par exemple, à des étudiants précaires de saisir le juge aux affaires familiales s’ils ne sont pas suffisamment aidés. Au-delà de l’anecdote, cette obligation liée à l’autorité parentale est d’abord une protection pour les jeunes adultes mais elle témoigne aussi du désengagement de l’État dans l’accompagnement matériel des jeunes.

● In fine, ce qui se joue aussi avec la logique familialiste, c’est l’absence de relation directe à l’État et à la solidarité nationale. Tant que les parents seront responsables de leurs jeunes adultes, ces derniers ne seront pas directement confrontés à l’État et à ce qu’il peut faire pour eux. C’est finalement toute la relation de confiance envers le système qui est retardée. C’est un point loin d’être superflu qui a été soulevé par l’universitaire Corine Eyraud lors de son audition.

2.   Garantir l’autonomie des jeunes, un projet politique global

● L’aide de l’État est aujourd’hui perçue comme un supplétif au soutien familial. Le système de bourses n’a pas vocation à permettre l’émancipation et l’indépendance des jeunes en remplaçant l’aide parentale mais simplement à la compléter lorsque les ressources familiales ne permettent pas aux jeunes de poursuivre des études.

Or, comme l’affirme justement Camille Peugny : « entre 18 et 25 ans, un jeune n’est pas condamné à n’être que l’enfant de ses parents » ([24]). C’est l’objet même de cette proposition de loi : faire en sorte que la jeunesse soit réellement un temps d’expérimentation. Pour ce faire, c’est tout une « politique du cours de la vie », pour reprendre les mots de Tom Chevalier, qui doit être définie.

Peu nombreux seraient aujourd’hui ceux qui trouveraient normal de confier la prise en charge du grand âge et de la perte d’autonomie aux seules familles. Il devrait en être de même pour les jeunes. La jeunesse est une autre période de vulnérabilité de la vie qui appelle une réponse forte et ambitieuse de l’État.

● Parce qu’il rompt avec la logique de dépendance familiale, le dispositif proposé n’exclut aucun jeune en raison de la situation, aussi confortable soit-elle, de ses parents. Nous estimons que même les jeunes les plus aisés ont le droit d’être autonomes de leur famille. Le rapporteur a bien conscience des critiques qui pourraient s’élever face au caractère « antiredistributif » de ce système mais ce n’est tout simplement pas son objet. Il existe d’autres leviers pour faire en sorte que le système soit plus juste et plus redistributif, notamment en augmentant substantiellement le nombre de tranches d’imposition de l’impôt sur le revenu.

B.   les modÈles nordiques restent une source d’INSPIRATION

S’il ne serait évidemment pas pertinent de vouloir calquer en France un modèle social étranger, il n’en demeure pas moins que les logiques à l’œuvre dans l’élaboration des politiques publiques chez nos voisins nordiques restent assez exemplaires en matière d’autonomie des jeunes.

Les travaux de Tom Chevalier établissent une « ligne de démarcation entre les pays nordiques et les autres, spécialement les pays latins qui privilégient avant tout la solidarité familiale sur la solidarité nationale. Dans les premiers, les obligations alimentaires des parents envers leurs enfants majeurs s’achèvement relativement tôt tandis que dans les seconds, elles s’étendent souvent longtemps, tant que l’enfant poursuit ses études, ou est plus généralement toujours dépendant économiquement. » ([25])

Dit autrement, les pays nordiques seraient plus prompts à déployer des politiques publiques ambitieuses de soutien aux études et à la formation, destinées directement aux jeunes sans considération des ressources de leurs parents.

Souvent présenté comme l’archétype du modèle de générosité, le Danemark a mis en place un système universel et individuel qui apporte à toute personne âgée de plus de 18 ans un revenu minimum et à tout étudiant un revenu spécifique et supérieur. Le montant de l’allocation versée dépend des conditions de vie de l’étudiant et se combine avec des prêts subventionnés par l’État. Comme l’a précisé Tom Chevalier lors de son audition, le prêt à rembourser n’est pas un prêt bancaire mais bien un système géré par l’État. Ce prêt est contingenté au revenu futur de l’étudiant. En clair, l’étudiant ne rembourse que lorsque son salaire dépasse un certain niveau défini dans la convention de prêt.

Si ce système répond à la philosophie d’une autonomie garantie des jeunes, il ne faut pour autant pas occulter qu’il est assorti d’une plus grande sélection des étudiants à l’entrée de l’université et que le mode de financement est fondé sur l’obtention du diplôme ainsi qu’a tenu à le rappeler Mme Christine Musselin.

En tout état de cause, il n’existe pas de modèle parfait. Ce qui ne justifie en rien de ne pas s’atteler à proposer une refondation totale du système d’accompagnement des jeunes en formation.

II.   LE DISPOSITIF PROPOSÉ : Garantir UNE AUTONOMIE RÉELLE AUX JEUNES EN FORMATION

Aux termes de l’article L. 821-1 du code de l’éducation, la collectivité nationale « privilégie l’aide servie à l’étudiant sous condition de ressources afin de réduire les inégalités sociales ». Aussi louable soit ce principe, la présente proposition de loi propose d’aller beaucoup plus loin en garantissant à chaque jeune en formation les moyens de son autonomie.

A.   UN DROIT OUVERT AUX JEUNES EN FORMATION de 18 À 25 ans

L’article 1er de la proposition de loi introduit un nouvel article L. 821-1-1 au sein du code l’éducation afin d’ouvrir le droit à une « garantie d’autonomie jeunes » aux personnes âgées de 18 à 25 ans révolus, détachées du foyer fiscal du ou des parents, inscrites dans une formation en vue de la préparation d’un diplôme ou d’un concours et dont les revenus sont inférieurs au seuil de pauvreté ().

En rupture avec la logique actuelle, ce ne sont plus les ressources des parents qui détermineront l’attribution des aides sociales mais bien les ressources propres du jeune adulte. Les modalités de calcul du montant de la garantie d’autonomie seront fixées par décret en Conseil d’État. Ce décret devra également préciser les conditions dans lesquelles un jeune âgé de 18 ans mais encore scolarisé dans un lycée technologique ou général pourra percevoir cette aide en cas de grande précarité.

Un principe est toutefois inscrit dans la loi : la garantie d’autonomie doit permettre à chaque jeune répondant aux critères précédemment énumérés de vivre au-dessus du seuil de pauvreté, aujourd’hui fixé à 1 102 euros par mois. Dans les cas où le jeune adulte percevrait des revenus propres, par exemple dans le cadre d’une formation en alternance, la garantie d’autonomie serait un complément de revenus permettant d’atteindre le seuil de 1 102 euros mensuels.

L’ambition de la garantie d’autonomie est de permettre aux étudiants de ne plus avoir à travailler pour financer leurs études. De l’avis unanime des personnes auditionnées, le travail salarié est la première cause d’échec scolaire. Avec la garantie d’autonomie, les jeunes en formation n’auront plus à arbitrer entre le suivi de leurs études et l’occupation d’un emploi à temps partiel.

Le dispositif précise que l’accès à la garantie d’autonomie est conditionné au détachement du foyer fiscal du ou des parents. Cette mesure permettra un droit d’option pour les jeunes dont la situation économique est particulièrement favorable.

S’agissant de la limite d’âge des 25 ans, le rapporteur tient à faire savoir qu’il n’est pas insensible à la situation relayée à plusieurs reprises lors des travaux préparatoires des cas d’étudiants en reprises d’études qui seraient plus âgés. Toutefois, cette proposition de loi représentant un premier jalon vers un système d’aides plus largement refondu, il ne semble pas judicieux de déplafonner l’accès à la garantie d’autonomie pour les jeunes âgés de plus de 25 ans.

B.   un droit qui doit Également bÉnÉficier aux lycÉens professionnels

Introduisant un nouvel article L. 531-4-1 dans le code de l’éducation, l’article 1er étend le bénéfice de la garantie d’autonomie jeunes aux élèves inscrits dans une formation professionnelle du second degré mentionnée à l’article L. 337‑1, dispensée dans un lycée professionnel ou un lycée professionnel agricole, à partir de 16 ans ().

Chaque élève répondant à ces critères d’attribution percevra un revenu mensuel équivalant au seuil de pauvreté.

L’extension de la garantie d’autonomie aux jeunes en formations professionnelles du second degré ne va pas de soi puisque ce nouveau droit se trouve, de facto, décorrélé de l’accès à la majorité civile. La logique qui sous-tend l’ouverture de ce droit est, en effet, un peu différente de celle prévalant pour la garantie d’autonomie des jeunes âgés de 18 à 25 ans. Il s’agit moins de garantir à ces jeunes une émancipation dans toutes ses dimensions sociales que de mettre un terme au phénomène de prédation des entreprises qui conduit à une fuite vers des emplois peu qualifiés avant même l’obtention du bac.

Grâce à la garantie d’autonomie jeunes pour les élèves des lycées professionnels, les revenus dont ils ont tant besoin pour survivre ne proviendront plus des entreprises qui profitent de leurs stages obligatoires pour les débaucher mais de l’État. Cette philosophie va à rebours de la future réforme des lycées professionnels annoncée par le Gouvernement qui vise elle, bien au contraire, à renforcer les liens entre l’éducation nationale et l’entreprise.

De la même manière que le plafond des 25 ans pour les étudiants en formation a pu être interrogé lors des auditions, le rapporteur a bien entendu les remarques qui ont pu être soulevées quant au plancher des 16 ans. D’un côté, certains ont estimé que ce plancher était trop bas car jusqu’à 18 ans, les jeunes vivent encore majoritairement chez leurs parents et la société est, en tout cas, en droit d’attendre que les parents subviennent aux besoins de jeunes encore mineurs. De l’autre, certains syndicats professionnels de l’éducation ont fait remarquer que de plus en plus de jeunes entraient en seconde professionnelle à l’âge de 15 ans. Le plancher des 16 ans aurait, dès lors, pour effet de créer un système à deux vitesses au sein d’une même classe.

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Article 2
Gage sur les superprofits

Rejeté par la commission

L’article 2 prévoit, pour le financement du dispositif de garantie d’autonomie jeunes, l’instauration d’une contribution exceptionnelle sur les bénéfices des sociétés réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 1 milliard d’euros.

L’article 2 de la proposition de loi propose de financer le dispositif de garantie d’autonomie par la création d’une contribution exceptionnelle sur les « superprofits ».

Concrètement, seraient redevables de cette contribution exceptionnelle, dont le taux est fixé à 25 % du résultat imposable, les sociétés suivantes dès lors qu’elles réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 1 milliard d’euros :

– les sociétés pétrolières et gazières ;

– les sociétés de transport maritime de marchandises ;

– les sociétés concessionnaires des missions du service public autoroutier redevables de l’impôt sur les sociétés, prévu à l’article 205 du code général des impôts.

Sans entrer dans le détail de la mise en œuvre de cette contribution, qui n’est pas directement l’objet de la proposition de loi, le rapporteur tient à préciser qu’il assume pleinement la dimension politique de cet article de gage, qui a surtout vocation à relancer le débat sur la taxation des superprofits lors de l’examen de la proposition de loi.

Une contribution exceptionnelle sur les superprofits ne serait, de surcroît, pas forcément de nature à garantir un financement pérenne de la mesure de garantie d’autonomie jeunes. Les auditions menées dans le cadre des travaux préparatoires ont permis de présenter différentes options de financement. Ainsi, la garantie d’autonomie pourrait être financée par la création d’une nouvelle branche de la sécurité sociale, le redéploiement de différentes exonérations d’impôts dont la demi‑part fiscale ou encore une taxation plus ambitieuse des successions.

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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Au cours de sa seconde réunion du mercredi 16 novembre 2022, la commission examine la proposition de loi visant à instaurer une allocation pour les jeunes en formation (n° 323 rect.) ([26]).

M. Louis Boyard, rapporteur. « Vivre avec 500 euros par mois, ce n’est pas une vie : c’est de la survie. On est obligé de faire attention à tout ce qu’on fait, tout ce qu’on achète ; on se restreint encore et encore ; ça ronge littéralement le quotidien ; on fait des crises d’angoisse parce qu’on a peur de ne pas réussir ou de ne pas bien gérer, avec le peu que nous avons. » Voilà le témoignage d’Eliot, étudiant en sociologie à l’université de Toulouse. « Passer ses partiels le ventre à moitié vide alors qu’on a travaillé en parallèle de ses études toute l’année, c’est rageant », confie Inès, étudiante en droit à l’université de Nanterre. Des appels de secours de ce genre, j’en reçois des dizaines tous les jours.

Lors des auditions que j’ai menées, j’ai voulu entendre les témoignages d’étudiants, d’associations de solidarité, de syndicats, mais aussi de vice-présidents de centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous), de chercheurs, ainsi que de la présidente de l’université de Rennes. Tous constatent la situation alarmante dans laquelle se trouvent les étudiants, encore aggravée par la crise du covid‑19. Les dispositifs de soutien pendant la crise ont produit, dans l’ensemble, des résultats décevants et ne sont pas à la mesure des enjeux. « La crise invite pour l’avenir à mieux cerner et quantifier les besoins de la vie étudiante » : ce n’est pas moi qui le dis, mais la Cour des comptes.

L’État n’est pas à la hauteur de la détresse des jeunes. Au-delà de l’insuffisance des aides d’urgence, c’est tout le système d’accompagnement qui est structurellement défaillant. Seuls 38 % des étudiants bénéficient de bourses sur critères sociaux. La Suède accorde des bourses à 88 % des étudiants, et le Danemark à 92 % d’entre eux. Ces bourses ne sont pas corrélées aux revenus des parents, contrairement au système français.

Dans notre pays, trois quarts des étudiants qui ont recours à la distribution alimentaire ne sont pas boursiers. Comment en sommes-nous arrivés à tolérer des étudiants obligés de recourir à l’aide alimentaire ? Comment est-il possible qu’ils ne soient pas jugés suffisamment pauvres pour percevoir une bourse ? Seulement 2 % d’étudiants bénéficient d’une bourse à l’échelon maximal : ils perçoivent 596 euros par mois, deux fois moins que le seuil de pauvreté. Notre système de bourses ne permet pas aux jeunes en formation de vivre dignement et de s’émanciper. Les travaux de Philippe Cordazzo permettent d’en mesurer les conséquences : de nombreux étudiants se réorientent vers des filières professionnalisantes courtes ; ils cherchent à percevoir un salaire au plus vite au détriment de la poursuite d’études censées garantir des contrats moins précaires. Voilà une belle photographie de la prétendue égalité des chances à la française !

Face à cela, nous proposons de redéfinir totalement notre vision de la jeunesse. Il est urgent de reconnaître la jeunesse comme un âge de la vie particulièrement vulnérable. Personne n’envisagerait plus de confier la prise en charge du grand âge et de la perte d’autonomie aux seules familles : la société a pris conscience, en la matière, du rôle fondamental de l’État. Pourquoi ne pas porter le même regard sur la jeunesse ? Elle doit être un temps d’expérimentation de la vie et non de la pauvreté.

Notre proposition de loi repose sur le principe de l’autonomie. Elle comporte deux dispositions. La première introduit un nouvel article dans le code de l’éducation, qui ouvre le droit à une garantie d’autonomie jeunes, autrement dit à une allocation pour les jeunes gens âgés de 18 à 25 ans détachés du foyer fiscal de leurs parents et inscrits dans une formation, dont les revenus sont inférieurs au seuil de pauvreté. Grâce à cette mesure, plus aucun étudiant ne vivra avec moins de 1 102 euros par mois. Dans le cas où il percevrait des revenus propres, par exemple dans le cadre d’une formation en alternance, la garantie d’autonomie serait réduite d’autant.

En rupture avec la logique actuelle, ce ne sont plus les ressources des parents qui détermineront l’attribution des aides sociales mais les ressources propres du jeune adulte. Et, oui, cette aide sera également versée aux jeunes issus de familles aisées, parce que chacun doit pouvoir s’émanciper de sa famille. Des jeunes appartenant à des familles aisées peuvent être des étudiants pauvres, du fait de pressions ou d’une exclusion liées à l’orientation sexuelle ou au choix de formation.

La garantie d’autonomie jeunes sera également ouverte aux lycéens professionnels dès 16 ans. Le Gouvernement, à travers la réforme à venir des lycées professionnels, ne veut plus des lycéens, mais des travailleurs avant l’heure. Nous voulons, à l’inverse, qu’ils puissent rester en formation aussi longtemps que nécessaire. Trois quarts des lycéens de la voie professionnelle sont issus de milieux modestes. Trop souvent, ils choisissent l’apprentissage plutôt que la voie professionnelle pour gagner au plus vite un peu d’argent. Étendre le bénéfice de cette allocation aux lycéens des filières professionnelles, c’est favoriser l’enseignement professionnel, faire le choix d’une filière qui facilite l’insertion professionnelle et la poursuite d’études.

L’article 2 prévoit de financer ce dispositif par la création d’une contribution exceptionnelle sur les superprofits. Pour nous, ce débat sur leur taxation n’est pas clos. Il faudra aussi imaginer une contribution financière pour les entreprises qui s’installent en France pour engager des jeunes très qualifiés, grâce à la formation dispensée par l’université publique. La discussion à ce sujet doit être ouverte.

Cette proposition recueille le soutien de 76 % des Français. Le système des bourses est à bout de souffle. Vous avez le pouvoir de changer les choses. Faites le choix de l’émancipation des jeunes !

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous allons entendre les orateurs des groupes.

Mme Christine Le Nabour (RE). L’article 1er crée une garantie d’autonomie à destination des jeunes de 18 à 25 ans en formation, à condition qu’ils soient détachés du foyer fiscal des parents et que leurs revenus soient inférieurs au seuil de pauvreté, soit 1 102 euros, ainsi que des lycéens à partir de 16 ans, inscrits en formation dans un lycée professionnel.

Nous manquons de données actualisées, mais nous avons pleinement conscience de la précarité des jeunes en formation, qui s’est accrue pendant la crise sanitaire. Le Gouvernement n’a pas attendu pour la combattre. Dès juillet dernier, 300 millions d’euros ont été mobilisés à la rentrée pour des mesures d’urgence contre la précarité étudiante. Les bourses ont augmenté de 4 % et les aides personnelles au logement (APL) de 3,5 % pour faire face à l’inflation. Les étudiants précaires, même non boursiers, bénéficient de repas à 1 euro au Crous. Une aide exceptionnelle de 100 euros a été accordée à plus de la moitié des étudiants.

Selon l’Observatoire national de la vie étudiante (OVE), 51,2 % des 40 % d’étudiants qui déclarent travailler pendant leurs études disent le faire pour vivre ou survivre. Vous ne distinguez pas ceux qui travaillent seulement l’été pour améliorer leur niveau de vie et ceux qui travaillent toute l’année pour leur subsistance. Vous ne prenez pas en compte ceux qui travaillent en lien avec leurs études. Travailler pendant les études n’est pas forcément négatif : pour 73,3 % des étudiants dans ce cas, cela constitue une expérience professionnelle à valoriser. L’OVE relève toutefois que 8,2 % des étudiants qui exercent une activité rémunérée considèrent que celle-ci a des effets négatifs sur la réussite de leurs études. C’est surtout à ces étudiants qu’il faut apporter des réponses.

La ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche a lancé, le 7 octobre, une concertation nationale sur la vie étudiante qui doit se pencher sur le système de bourses sur critères sociaux. La lutte contre la précarité étudiante ne se résume toutefois pas à l’attribution d’une aide financière. Nous devons aider les jeunes gens en formation à trouver un logement, rester en bonne santé, s’alimenter correctement, réussir leurs études ; nous devons les informer sur leurs droits et accompagner ceux qui en ont besoin. Faire plus pour ceux qui ont moins, c’est notre philosophie depuis 2017.

Nous ne sommes pas favorables à la contribution exceptionnelle sur les profits des entreprises de certains secteurs pour financer cette garantie d’autonomie.

Pour toutes ces raisons, le groupe Renaissance ne votera pas en faveur de ce texte.

M. Serge Muller (RN). Cette proposition de loi ne fera que du mal à la France. Elle est mauvaise sur le fond comme dans ses modalités d’application.

Sur le fond, elle constitue un véritable revenu de solidarité active (RSA) – lequel, on le sait, est le summum de l’assistanat ; peu nombreux sont ceux dont la vie professionnelle rebondit après sa perception. Aujourd’hui, 40 % de nos 2,6 millions d’étudiants occupent un emploi parallèlement à leurs études. C’est courageux de leur part, mais surtout bénéfique : cela leur apprend la valeur du travail et leur permettra de montrer à leurs futurs employeurs qu’ils sont déterminés à réussir et entreprenants. Mais vous préférez leur faire perdre la notion du travail !

L’État fait déjà beaucoup. Les étudiants sont logés dans les résidences du Crous et bénéficient, lorsqu’ils sont boursiers, de repas à 1 euro. Les droits d’inscription à l’université ont été gelés alors qu’ils sont déjà plus faibles que ceux de nos voisins européens. Les bourses et les APL ont été revalorisées et une aide exceptionnelle de 100 euros a été versée aux étudiants boursiers en fonction de critères sociaux. Évidemment, il reste beaucoup à faire, à commencer par construire 250 000 logements qui manquent, et le Gouvernement n’agit pas. Votre exposé des motifs n’en est pas moins bien ingrat.

Quant à ses modalités d’application, votre proposition ne contient aucun garde-fou, aucune condition de nationalité, de lieu de résidence ou de formation. Ainsi un étudiant étranger n’ayant jamais mis un pied en France pourrait-il suivre une formation à distance et améliorer son niveau de vie sans que cela ne pose le moindre problème. C’est scandaleux et accablant, mais cela ne nous étonne plus.

Oui, la misère étudiante existe. Pour y répondre, il faut des mesures concrètes et saines : par exemple réserver les logements du Crous en priorité aux Français, faire bénéficier les 18-25 ans de la gratuité des transports ferroviaires ou encore verser un complément de revenu aux étudiants français qui travaillent.

Mme Caroline Fiat (LFI - NUPES). Aujourd’hui nous est donnée l’occasion historique d’envisager la fin de l’appauvrissement de millions de jeunes gens en décidant un progrès social considérable pour notre État-providence. La précarisation croissante de la jeunesse n’est plus à démontrer : petits boulots, prêts bancaires, mauvais régime alimentaire, renoncement aux soins médicaux et isolement social constituent le quotidien de beaucoup. Dans des cas extrêmes, la précarité peut conduire à la délinquance, à la prostitution, voire au suicide. Lorsqu’un étudiant fait la queue pour manger, nous ne pouvons qu’avoir honte. Notre pays a besoin d’une jeunesse instruite, émancipée et heureuse, pas affamée.

Grâce à cette proposition de loi, La France insoumise et l’ensemble de la Nouvelle union populaire, écologique et sociale (NUPES), cette honte pourrait disparaître pour laisser place à un sentiment de fierté. En offrant à chaque jeune de 18 à 25 ans, et dès 16 ans pour ceux scolarisés en lycée professionnel, une allocation leur permettant de vivre décemment et au-dessus du seuil de pauvreté, nous pouvons mettre fin à la saga des générations sacrifiées. Quand ceux qui n’ont pas confiance en la jeunesse voient ce progrès social comme une mesure d’assistanat, nous le considérons un outil au service de l’autonomie. L’indépendance financière des jeunes bénéficiera aussi aux familles, qui n’auront plus à dépenser des sommes parfois excessives au regard de leurs moyens.

C’est en donnant à nos jeunes la possibilité de demeurer le plus longtemps possible dans un système éducatif formateur et qualifiant que nous leur procurerons, ainsi qu’au pays tout entier, le meilleur avenir qui soit. Il y va également de notre indépendance et de la souveraineté de notre pays. Aujourd’hui, chers collègues, donnons à notre jeunesse les moyens de forger son avenir pour construire notre avenir commun.

Mme Josiane Corneloup (LR). Nous réfléchissons aujourd’hui aux perspectives qui s’offrent aux jeunes gens de notre pays. Plutôt que d’instituer de nouveaux droits, nous devons créer de nouvelles chances. Il faut réunir les conditions d’une meilleure insertion sociale et professionnelle des étudiants en leur portant une plus grande considération et en les accompagnant au long des études, dans leur formation et vers l’emploi.

Vous proposez de verser aux jeunes de 18 à 25 ans inscrits dans une formation une allocation d’autonomie complétant leurs revenus mensuels pour atteindre le seuil de pauvreté – soit environ 1 100 euros – et ajustée en fonction de la situation familiale. Cette allocation serait ouverte aux lycéens inscrits dans l’enseignement professionnel à partir de 16 ans. Nous n’y sommes pas favorables sans condition stricte et sans véritable encadrement. La jeunesse ne doit pas commencer sa vie dans une forme d’assistanat.

D’autres dispositifs existent pour aider les jeunes en situation de précarité, comme les bourses et les APL, et les frais de scolarité sont particulièrement faibles au regard de nos voisins européens. Nous sommes conscients que ces mécanismes ne sont pas suffisants et qu’ils doivent être améliorés, notamment pour éviter les effets de seuil. Nous ne nions pas l’existence de la précarité étudiante, mais nous divergeons quant aux moyens de la résorber. Votre proposition de loi est inapplicable. Vous proposez de verser une allocation à tout étudiant en formation sans aucune obligation de présence, contrairement à ce qui est exigé des étudiants boursiers : ce qui s’imposerait aux uns ne serait pas demandé aux autres. De plus, vous prévoyez que l’allocation atteigne le seuil de pauvreté, soit 1 102 euros. Or, un étudiant au RSA jeune actif, qui aura travaillé deux ans à temps plein au cours des trois années précédentes, percevra un peu plus de 500 euros. Comment expliquer cette inégalité ? Pour ces raisons, nous voterons contre la proposition de loi.

M. Olivier Falorni (Dem). Cette proposition de loi part d’un constat que nul ne peut nier : la précarité des jeunes, notamment des étudiants, est une réalité qui s’accroît depuis la crise sanitaire. Nombre d’entre eux sont dépendants de l’aide de leur famille pour mener leurs études, mais toutes les familles ne disposent pas des ressources suffisantes pour financer le logement ou l’alimentation dans les agglomérations, où le coût de la vie est élevé. Dès lors, beaucoup exercent une activité parallèlement à leurs cours. Cela a toujours existé mais la conjoncture actuelle, marquée par une inflation élevée, complique sérieusement la donne.

Il serait malhonnête de dire que des dispositions n’ont pas été prises face à la crise. J’en rappelle quelques-unes : la loi sur le pouvoir d’achat a revalorisé les bourses sur critères sociaux et les aides au logement ; une aide exceptionnelle de 100 euros est versée depuis la rentrée à tous les bénéficiaires de la prime d’activité et des minima sociaux, ce qui inclut les étudiants boursiers et les allocataires des APL ; les loyers des logements universitaires gérés par le Crous ont été gelés ; le repas à 1 euro a été maintenu pour tous les étudiants boursiers et élargi aux étudiants en difficulté qui en font la demande ; enfin, le plan « 1 jeune, 1 solution », qui a mobilisé plus de 9 milliards d’euros, montre déjà des effets positifs.

Nous ne croyons pas qu’offrir une allocation à chaque jeune en formation, sans aucune contrepartie, soit une solution aux difficultés évoquées. Il n’y a pas d’argent magique. Le laisser croire ne serait pas rendre service. En conséquence, les membres du groupe Démocrate ne soutiendront pas cette proposition de loi, préférant renforcer et prolonger les dispositifs d’aide en vigueur, qui doivent trouver un deuxième souffle.

Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). Plus que jamais, la condition étudiante est mauvaise. Un trop grand nombre de nos jeunes se trouvent dans des situations d’extrême précarité alimentaire, psychologique ou menstruelle, qui témoignent d’une faille considérable dans notre système éducatif et dans nos politiques de jeunesse. Pour le groupe Socialistes et apparentés, il faut trouver des pistes durables contre la précarité, avec des propositions structurelles. Si une allocation d’autonomie est une piste, elle ne doit laisser personne sur le côté – ni les étudiants internationaux, ni les jeunes en reprise d’études, ni ceux qui ne sont pas inscrits dans une formation.

Pour les socialistes, cette situation n’a que trop duré. L’année dernière, Boris Vallaud et Hervé Saulignac soumettaient à l’Assemblée nationale une proposition de loi avec des leviers d’action pour y mettre fin. Pour améliorer la condition de nos jeunes, il faut un texte large et inclusif. Notre groupe travaille activement en ce sens. Les nombreuses auditions de la communauté universitaire et de la jeunesse démontrent qu’il faut agir sur les politiques publiques qui affectent quotidiennement nos jeunes : une allocation ne suffira pas. Il est temps d’investir massivement pour la santé mentale, l’accompagnement des jeunes en décrochage, leur insertion et la rénovation des infrastructures universitaires.

Malgré ces réserves, le groupe Socialistes et apparentés, fidèle soutien des plus précaires, votera en faveur de cette proposition de loi.

M. François Gernigon (HOR). La précarité étudiante est une question fondamentale face à laquelle la majorité présidentielle agit concrètement : outre le système boursier, qui consacrera 2,3 milliards d’euros en 2023 à près de 750 000 bénéficiaires, les étudiants peuvent également percevoir, sous conditions, d’autres aides : l’aide au logement, les prêts étudiants garantis par l’État et les allocations proposées par les collectivités locales. On peut également citer les dispositifs transitoires tels que les repas à 1 euro pour les boursiers et l’aide exceptionnelle de 100 euros versée depuis le 15 septembre dernier.

La proposition de loi soulève un problème de forme et un problème de fond. Sur la forme, la mesure proposée n’est évaluée ni quant au nombre d’étudiants concernés, ni quant à son impact financier. On ne sait pas si elle est soutenable. Sur le fond, la Cour des comptes précise, dans son rapport de l’année 2022, que les systèmes les plus efficaces sont ceux qui existent et que l’on peut améliorer. La proposition semble ainsi redondante avec les aides en vigueur. Enfin, l’automatisation de cette allocation pose la question de son efficacité. Il n’est pas tenu compte du revenu des parents alors que certains d’entre eux peuvent, dans une certaine limite, contribuer aux besoins de leurs enfants.

Convaincu, avec la majorité présidentielle, qu’il faut maintenir l’effort entamé en faveur des jeunes depuis 2017, avec des mesures efficaces et non démagogiques, pour qu’ils puissent étudier dans de bonnes conditions et accéder aux mêmes formations quels que soient leurs moyens, le groupe Horizons et apparentés ne soutiendra pas cette proposition de loi.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). En France, un étudiant sur cinq vit en dessous du seuil de la pauvreté et un sur deux affirme qu’il ne mange pas à sa faim. Près de la moitié des jeunes doivent désormais, quand c’est possible, trouver un travail parallèlement à leurs études face à l’augmentation du coût du logement et de la vie. Il n’est pas normal que les étudiants aient du mal à se loger et se nourrir, et que certains d’entre eux doivent cumuler les emplois pour réussir à survivre, parfois au détriment de leurs études. On perpétue ainsi les inégalités : les chances de réussite ne sont évidemment pas les mêmes pour l’un qui occupe deux emplois pour payer son loyer et l’autre qui se consacre pleinement à ses études sans s’inquiéter du menu du lendemain. Nous avons tous en mémoire les images des files d’attente devant les distributions alimentaires durant la crise du covid. Ce sont les collectivités, les associations, les citoyens qui ont fait preuve d’une solidarité incroyable face à cette précarité exacerbée.

Mais la précarité étudiante ne s’est pas arrêtée avec le confinement. Cet épisode est un appel à un sursaut de responsabilité de la part de l’État pour protéger notre jeunesse. La France reste l’un des seuls pays européens à ne pas avoir instauré de revenu de solidarité pour les jeunes. Je m’interroge sur ce que cela exprime de notre vision de la jeunesse et de la place que nous voulons lui accorder dans notre société.

Pour ces jeunes qui conjuguent études, formation et précarité, la santé mentale aussi est en danger. Depuis la crise du covid‑19, un tiers des étudiants présentent des symptômes anxieux et dépressifs. Le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les 15-24 ans, ce que je trouve particulièrement choquant.

Cette proposition de loi parle de perspectives d’avenir et de dignité dans un monde où la précarité écologique, contre laquelle vous ne faites que trop peu, s’ajoute à la précarité économique. Le groupe Écologiste - NUPES salue donc la proposition de loi de La France insoumise, qu’elle votera.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Cette proposition de loi répond à une urgence sociale et à une urgence pour l’avenir de notre pays.

Urgence sociale, car la précarité étudiante touche de plus en plus de jeunes gens. La crise du covid‑19 a été le révélateur d’une situation qui dure depuis des années. Les chiffres sont éloquents : 20 % des étudiants vivent sous le seuil de pauvreté, avec un revenu moyen de 837 euros – 737 euros pour les jeunes issus d’un milieu ouvrier – et 30 % d’entre eux renoncent à des soins et à des examens médicaux. Pour subvenir à leurs besoins, 46 % d’entre eux travaillent à côté de leurs études. La proportion d’étudiants qui travaillent par contrainte est inquiétante. Selon l’Insee, 19 % occupent plus d’un mi-temps ; s’ils ne travaillaient pas, ils auraient une probabilité plus élevée de 43 points de réussir leur année.

Non seulement le fait de ne pas assurer l’autonomie financière des étudiants est, d’un point de vue social, un désastre, mais nous hypothéquons ainsi leurs chances de réussir et nous nous privons chaque année de femmes et d’hommes formés. C’est un immense gâchis. Nous dénonçons d’une même voix l’incurie des années précédentes et les lacunes graves d’un système de bourses incapable d’assurer l’autonomie des jeunes gens en formation.

Le dispositif proposé n’oublie pas les inscrits en lycée professionnel, trop souvent laissés de côté – à ce propos la réforme qui se trame nous inquiète. Le texte n’élude pas non plus la question de la demi-part fiscale pour un enfant, qui doit être supprimée dès lors que l’État prend en charge le jeune en formation.

Le débat doit donc s’ouvrir sur un revenu étudiant sans condition d’âge et indépendant de la situation familiale, car les étudiants sont des travailleurs en devenir. Il faut prendre soin de nos jeunesses. Le groupe GDR - NUPES soutiendra cette proposition de loi.

M. Olivier Serva (LIOT). La crise sanitaire a été un triste révélateur et un catalyseur des difficultés financières que connaissent les jeunes. Les images des files d’attente de l’aide alimentaire ont hanté nos confinements. Si nous en parlons peu aujourd’hui, les difficultés sont toujours là, face à une inflation record. Or, la précarité est une double peine pour les étudiants : non seulement elle les empêche d’accéder aux biens et services les plus élémentaires, mais elle les conduit à exercer une activité rémunérée au détriment de leur réussite académique.

Les mesures prises par le Gouvernement au plus fort de la crise ont été bienvenues, mais ne répondent pas à l’ampleur du phénomène, qui est loin d’être conjoncturel. Le groupe LIOT appelle ainsi à maintenir le ticket de restaurant universitaire à 1 euro pour tous les étudiants, et surtout à parachever enfin la réforme des bourses, abandonnée durant le précédent quinquennat. Pour l’heure, 74 % des étudiants n’y ont pas accès. Les étudiants ultramarins notamment en sont parfois injustement privés. Le cas de Maëlle, qui a créé un immense émoi sur les réseaux sociaux, n’est pas isolé, mais ce n’est que cet émoi qui a conduit les pouvoirs publics à prêter l’oreille. La cherté de la vie outre-mer, le prix exorbitant des billets et l’isolement sont le lot quotidien des étudiants ultramarins.

Cela dit, nous prenons acte de la concertation qui vient de s’ouvrir. Il s’agit d’aller vite. Notre groupe partage évidemment l’objectif de cette proposition de loi, malgré quelques interrogations. Par exemple, pourquoi ne pas lier la réflexion sur la réforme des bourses à des solutions de logement ? Nous souscrivons toutefois à la nécessité de remettre à plat le système d’aides, illisible et insuffisamment accessible. Surtout, le soutien financier apporté aux jeunes, à un moment déterminant pour la construction de leur avenir, a une dimension émancipatrice. Leur garantir des conditions de vie dignes au moment de leur formation, c’est leur donner toutes les chances de s’insérer, de s’épanouir et de casser les cycles de reproduction sociale des inégalités.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous en venons aux questions des députés.

M. Didier Le Gac (RE). Plus qu’une question, ce sera un commentaire. Au vu des chiffres publiés ce matin, nous pouvons nous féliciter qu’une nouvelle fois le taux de chômage diminue, même si c’est légèrement, au troisième trimestre. Compte tenu de la conjoncture difficile, cela signifie que les mesures prises par le Gouvernement permettent d’amortir la crise.

Deux chiffres, en particulier, ont retenu mon attention. Tout d’abord, le taux d’emploi des jeunes de 15 à 24 ans augmente encore pour atteindre 34,9 %, son plus haut niveau depuis 1990. C’est une bonne nouvelle pour les jeunes gens, dont on décrie tellement la situation. Ensuite, la part des jeunes de 15 à 29 ans qui ne sont ni en emploi ni en formation continue poursuit sa diminution pour atteindre 11,6 %. Ce sont là deux bons résultats.

M. Sébastien Delogu (LFI - NUPES). Nos collègues du Rassemblement National minimisent les faits mais quand des jeunes peuvent faire la queue pendant des heures pour se nourrir et qu’on qualifie cette proposition de loi de mauvaise, c’est qu’on est hostile à cette jeunesse qui est notre avenir. C’est désolant. Quoi que vous en pensiez, nous portons le drapeau de ces gens qui souffrent. Quant à vous, on voit votre hypocrisie envers la jeunesse.

M. le rapporteur. Je tiens d’abord à vous féliciter tous pour ce grand moment d’autosatisfaction. Le groupe Renaissance s’est vanté de son bilan d’une augmentation de 4 % du montant des bourses – quand 38 % seulement des étudiants touchent une bourse et que l’inflation atteint presque 6 % ! Drôle de satisfecit ! En spécialistes de l’arnaque, vous citez aussi l’augmentation de 3,5 % des aides au logement. Très bien, mais c’est inférieur à la progression des loyers ! Vous n’avez rien revalorisé du tout puisque les étudiants ont perdu de l’argent.

Alors qu’une partie de la population, qui vivait déjà dans une grave situation de pauvreté, a été touchée par deux crises sanitaire puis inflationniste, vous vous félicitez d’une revalorisation qui lui fait perdre de l’argent. Elle était déjà en souffrance ; sa situation était déjà invivable. Comment pouvez-vous vous congratuler ?

Autre arnaque : l’argument sur l’aide d’urgence. D’abord, elle est en grande partie financée par la contribution de vie étudiante et de campus, un nouveau truc que vous avez inventé pour augmenter les frais d’inscription. Surtout, pour obtenir cette aide d’urgence, il faut rencontrer une assistante sociale. Or, on en compte une pour 12 000 étudiants ! Neuf pour toute l’académie de Paris !

Si votre aide d’urgence et vos revalorisations sont si efficaces, pourquoi voit-on encore des étudiants aux distributions alimentaires ? Vous êtes fiers de votre bilan mais vous trouvez que les queues pour l’aide alimentaire sont une mauvaise chose. Comment cette incohérence ne vous saute-t-elle pas aux yeux ?

Vous dites que la précarité étudiante est une réalité et que vous avez lancé une réforme des bourses. Mais cette réalité, c’est une urgence. J’ai l’impression que vous ne le comprenez pas ! (Exclamations.) Durant la préparation de mon rapport, je les ai vues, ces centaines d’étudiants qui crèvent la dalle (Mouvements divers) et vous les renvoyez à une réforme des bourses qui viendra dans un an et demi ou deux ans, avec en attendant des revalorisations qui ne revalorisent absolument rien ! Vous prenez des grands airs en disant que ma proposition de loi ne répond à aucun problème de fond...  Qui est-ce qui prend des grands airs ? » chez les membres du groupe RE ; mouvements vifs et prolongés.)

Mme la présidente Fadila Khattabi. Chers collègues, un peu de calme je vous prie. On ne s’entend plus. Monsieur le rapporteur, veuillez répondre calmement et sans provocation aux remarques et aux questions des députés, qui ont aussi le droit de les exprimer et de ne pas être d’accord avec vous. C’est ce qu’on appelle la démocratie. (Exclamations.) Ne répondez pas avec provocation ou condescendance, et tout le monde sera calme.

M. le rapporteur. Je réponds avec calme même si ce sujet attise nécessairement la passion. À quand remonte le dernier débat sur la précarité étudiante ? S’il s’en tenait tant que ça, nous aurions déjà trouvé des solutions. On nous oppose depuis des mois l’argument des revalorisations, sans jamais répondre à nos questions. On trouve tous les défauts à ma proposition de loi, sans jamais aborder la question de fond : la nécessité de sortir de la logique familialiste. Comment peut-on dire, dès lors qu’un étudiant a 18 ans... (Exclamations.) Collègues, vous ne pouvez pas à la fois me reprocher de prendre des grands airs et ne pas m’écouter quand j’expose vos contradictions !

Traiter le fond, c’est donc sortir de la logique familialiste, ce qui n’apparaît dans aucune de vos interventions. Peut-on accepter un système qui demande aux étudiants de dépendre de leurs parents alors que certaines familles peuvent aider leurs enfants tandis que d’autres ne le peuvent pas ? C’est une injustice totale, qui crée deux catégories d’étudiants, ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas. Le jour du partiel, les premiers se rendent compte qu’ils ont eu moitié moins de temps pour travailler que les autres, et pourquoi ? Parce que leurs parents sont moins riches ! C’est un débat de fond que personne ne veut aborder.

Quand on nous dit que travailler n’est pas négatif, je rappelle que c’est pourtant la première cause d’échec en licence. N’essayez pas de présenter une inégalité comme quelque chose de positif. Quand on fait ses études, on ne travaille pas pour le plaisir. On a envie d’étudier. C’est presque un travail à plein temps ! Alors quand il faut en plus aller travailler, sans parler de gérer la vie courante, c’est une situation de stress et d’angoisse qui crée l’échec.

Vous êtes nombreux à dire que vous l’avez vécu. Bravo, sincèrement ! Vous qui êtes ici êtes parvenus à aller jusqu’au bout. Mais quand entend-on la parole de ceux qui n’ont pas réussi à tenir ? C’est la voix de ceux qui ont échoué que j’essaie de porter.

La position du Rassemblement National est aussi incroyable que ses amendements. Vous décrivez l’allocation proposée comme un RSA pour les jeunes. Mais ce n’est pas du tout le cas. Quand on est étudiant, on fait ses études et cela occupe bien assez les journées. Vous dites aussi que l’État fait déjà beaucoup : je suis heureux de voir qu’une fois de plus, le Rassemblement National appuie la politique sociale du Président de la République. Il y a eu 4 % d’augmentation des bourses, 3,5 % des APL. C’est l’arnaque à tous les niveaux et cela vous convient très bien ! Ne nous faites pas le coup des étrangers qui vont se déclarer étudiants à distance : vous savez bien qu’il faut assister aux travaux dirigés. Les étrangers ne peuvent pas profiter d’une bourse à distance, cela n’existe pas.

Quant au complément de revenus pour les étudiants qui travaillent, c’est une réponse complètement à côté de la question de la précarité étudiante. Cela ne répond pas au problème de fond, l’existence de deux catégories d’étudiants, ceux qui doivent travailler et ceux qui ne travaillent pas. Par ailleurs, cette solution ne permet même pas à un étudiant qui travaille de vivre au-dessus du seuil de pauvreté.

Le groupe Les Républicains parle d’assistanat. Mais ceux qui toucheraient ce revenu ne sont pas sans rien faire : ils font des études. Du reste, si l’on demande à des gens de faire cinq ans d’études, heureusement que l’État y contribue ! Celui-ci considère d’ailleurs qu’il le doit puisqu’il a instauré un système de bourses. Sauf que ce système est défaillant parce qu’une majorité des étudiants ne touche pas de bourse et que les autres ne parviennent pas à en vivre.

Une allocation d’autonomie est la seule solution. Dès qu’on entre dans la logique familialiste, on doit faire des catégories : les étudiants qui vivent loin de chez leurs parents, ceux qui vivent chez leurs parents... Une statistique de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) montre que, sous l’angle monétaire, les étudiants les plus pauvres se trouvent en classe préparatoire aux grandes écoles ; pourtant, ce sont les plus aidés ! Les critères à prendre en compte dans la logique familialiste sont si nombreux que le système ne peut pas fonctionner. En voulant s’adapter aux réalités, on organise un chaos généralisé. Le groupe Les Républicains veut peut-être la réussite des étudiants, mais je n’ai pas entendu de propositions.

Le groupe Démocrate se félicite des repas à 1 euro mais 75 % des étudiants qui fréquentent l’aide alimentaire ne sont pas boursiers. Si le repas à 1 euro était aussi efficace, ils ne seraient pas si nombreux à s’y rendre ! Encore faudrait-il, du reste, qu’il y ait des restaurants universitaires le soir. Dans l’académie de Paris, il n’y en a que deux, sachant que de nombreux étudiants vivent en banlieue. Ne me dites pas qu’on peut nourrir tous les étudiants de l’académie de Paris dans les deux restaurants du Crous ouverts la nuit ! Vous vous étonnez de propositions qui fonctionneraient parfaitement alors que, factuellement, le dispositif actuel est grippé. Ne vous vantez pas d’un bilan contredit par la réalité !

Le groupe Horizons et apparentés cite le chiffre de 2,3 milliards d’euros, mais la question est surtout de savoir combien d’étudiants vivent sous le seuil de pauvreté, soit 1 102 euros. En vérité, il n’y en a quasiment pas qui vivent au-dessus ! Même les étudiants issus de familles aisées vivent avec moins de cette somme !  Heureusement ! » et exclamations diverses.) Heureusement ? Vous savez ce que c’est que de vivre avec 800 euros ? Vous comparez l’allocation proposée avec le RSA alors que cela n’a rien à voir. Surtout, si vous vous indignez que le montant du RSA soit de 600 euros, augmentez-le ! En tout cas, ce n’est pas à moi qu’il faut demander des comptes.

Enfin vous déplorez que l’allocation ne prenne pas en compte le revenu des parents. C’est précisément ce que nous souhaitons. On dit que se lancer dans des études, à 18 ans, marque le début de l’autonomie. En fait, c’est précisément le moment où l’on commence à dépendre des parents. D’où l’inégalité entre l’étudiant qui a une famille aisée et celui dont la famille est pauvre. Il faut mettre fin à ce différentiel et c’est l’objet de notre allocation. Lorsqu’il faut prendre en compte le revenu des parents, les critères à intégrer sont si nombreux, comme le montre le rapport, qu’on ne trouve jamais une solution satisfaisante. Si nous avions d’autres options que l’allocation d’autonomie, croyez bien que nous vous les formulerions. Mais il n’est pas possible de mettre fin à la précarité étudiante dans une logique familialiste.

Article 1er : Mettre en œuvre une garantie d’autonomie jeunes

Amendements de suppression AS1 de M. Fabien Di Filippo et AS29 de M. Serge Muller.

M. Fabien Di Filippo (LR). Avec cette proposition de loi, nous sommes au cœur de la philosophie de l’extrême gauche : toujours plus d’aide sociale, si possible à crédit, pour maintenir les bénéficiaires captifs d’un système. C’est l’exact contraire de l’émancipation de l’individu. Nous parlons ici d’allouer 1 100 euros par mois dès 16 ans dans la filière professionnelle et dès 18 ans dans la filière générale. C’est le double du RSA, sans contrepartie en faveur de la collectivité ni contrainte d’assiduité.

Cette mesure est, d’abord, insoutenable financièrement : elle représenterait environ 7 milliards d’euros par an en rythme de croisière. Il s’agit exactement, il faut le dire, d’un RSA jeunes.

Vous avez tenu des propos inexacts. Il y a statistiquement, dans une classe d’âge, de plus en plus de bacheliers, de cursus longs, d’études longues. Vous souhaitez que les jeunes gens puissent rester en formation aussi longtemps que nécessaire, fidèle en cela aux principes du droit à la paresse conceptualisé et exalté par vos collègues de la NUPES. Surtout, j’ai entendu dans les prises de parole de votre groupe beaucoup d’instrumentalisation de la souffrance ainsi qu’une volonté de sacrifier les générations futures en leur faisant payer le coût de votre générosité.

Ce que je vois dans ce texte, c’est la destruction du sens de la famille, de l’idée de travail, de la valeur des diplômes et de la réussite scolaire. Il y a beaucoup d’échec dans le supérieur : on ferait mieux de réorienter les dispositifs de bourses selon des critères liés au mérite pour les concentrer sur les étudiants qui peuvent réussir, de revaloriser les filières professionnelles de proximité dans nos territoires pour en faire des voies d’excellence, et de se demander pourquoi concentrer toujours les facultés du supérieur dans les métropoles où la vie est la plus chère. Voilà de vrais débats qui méritent d’être ouverts !

M. Serge Muller (RN). Cette proposition de loi ne fera que détruire la valeur travail. Véritable RSA jeunes, l’allocation proposée, avoisinant le niveau du salaire minimum, encouragerait les étudiants à ne plus travailler. Il s’agit d’un très mauvais signal qui risque de favoriser l’assistanat alors que 40 % des étudiants exercent une activité rémunérée en parallèle de leurs études. La jeunesse doit être une période pendant laquelle on apprend à être récompensé de son labeur et à se projeter dans la vie active, pas à être assisté.

Il faut favoriser les étudiants qui travaillent en leur versant un complément de revenus. Vous pensez qu’il faut favoriser l’inaction. Il n’est pas pensable de plonger les Français dans ce cercle vicieux dès le plus jeune âge.

M. le rapporteur. Quand on fait des études, on fait des études : quel rapport avec le RSA ? Quant à l’augmentation du nombre d’études longues, elle est normale puisque de plus en plus de jeunes entrent dans l’enseignement supérieur – ils sont près de 3 millions aujourd’hui contre à peine 200 000 dans les années 1950. En effet, on promet aux élèves que s’ils travaillent dur et font des études supérieures, ils pourront prendre l’ascenseur social. Sans diplôme, d’ailleurs, il est très difficile de trouver un travail. C’est ainsi que s’organise la société : on demande à un nombre croissant d’élèves d’entrer dans l’enseignement supérieur sans augmenter le nombre de places ; on demande à des familles qui n’en ont pas les moyens d’assumer les études supérieures de leurs enfants – se nourrir, s’habiller, vivre dans une ville lointaine... – mais sans les leur donner.

Monsieur Di Filippo, je ne vous permets pas de parler d’instrumentalisation de la souffrance quand vous parlez des études comme d’un droit à la paresse. Je vous entends beaucoup parler d’assistanat mais il y a des millions d’étudiants dans une situation de pauvreté...  On a des enfants ! » parmi les députés du groupe RE.) Vos enfants sont des enfants de députés ! Je vous parle des enfants des Français qui sont pauvres ! (Protestations.) Il y a des milliers d’étudiants qui font la queue pour l’aide alimentaire et tout ce que vous trouvez à leur répondre, c’est que vous avez voté la loi pouvoir d’achat !

Le Rassemblement National nous reproche d’encourager les gens à ne pas travailler, parce qu’il ne faut pas apprendre aux enfants à être assistés. Très bien. Que faites-vous pour les enfants de riches ? Les enfants de familles aisées, qui n’ont pas à travailler, sont-ils des assistés ? Pourquoi ne les montrez-vous jamais du doigt ? Vous dites qu’il faut favoriser les étudiants qui travaillent. Mais ce sont les enfants des classes populaires ! Pourquoi voulez‑vous faire peser une charge sur eux, et non sur les enfants de familles aisées ? Il y a là un problème d’égalité que vous ne parvenez pas à résoudre ; la proposition de loi, si.

M. François Piquemal (LFI - NUPES). Monsieur Muller, l’exposé sommaire de votre amendement semble rédigé par le Medef. Il faut travailler, travailler, travailler, y compris quand on est jeune et qu’on doit se qualifier. Mais il faut obtenir des qualifications pour être performant dans son travail. Dans ma circonscription de Toulouse, les ouvriers qualifiés de l’aéronautique doivent étudier pour être bien formés.

Dans les lycées professionnels, où j’ai enseigné pendant douze ans, chacun regrette que l’on soit passé du bac pro en quatre ans à un examen en trois ans. Pour avoir une jeunesse qualifiée, qui fera la force de notre pays, il faut lui donner les moyens d’étudier correctement. Quant aux discours sur l’importance de la valeur travail... Les enfants des classes populaires n’ont pas besoin de leçons pour connaître la valeur du travail, à force de voir leurs parents se lever tôt le matin et charbonner pour leur salaire. En revanche, ils ont besoin de conditions décentes pour étudier et devenir des travailleurs qualifiés, notamment pour entrer dans l’horizon de la planification écologique.

M. François Gernigon (HOR). Ce n’est pas parce que les parents ont des moyens financiers que leurs enfants ne travaillent pas. La notion de travail et le goût de l’effort sont des questions d’éducation et de culture, non de moyens financiers. Cela a aussi pour vertu de rapprocher le monde étudiant de celui du travail.

Mme Christine Le Nabour (RE). Nous sommes tous des députés responsables : nous allons sur le terrain, nous avons fait de nombreuses visioconférences avec de jeunes gens durant la crise sanitaire. Mais nous ne pouvons pas conserver ce seul prisme car ce ne serait pas scientifique. Monsieur Boyard, toutes les enquêtes que vous citez le montrent : nous n’avons pas de chiffres récents sur la pauvreté et la précarité étudiantes. Les derniers datent de l’année 2018. L’enquête de l’OVE a été réalisée durant la crise sanitaire, sur une saison incomplète. Il faut remettre la science au cœur de nos réflexions : nous en avons besoin pour prendre des décisions. Les chercheurs auditionnés, notamment M. Lenglart, le directeur de la Drees, ont dit qu’une garantie d’autonomie pour tout le monde ne servait à rien. On dirait que cela ne compte pas pour vous.

C’est parfaitement vrai : certains étudiants sont dans la précarité et il faut les aider. C’est pour cela que la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Sylvie Retailleau, a engagé une concertation. Laissons-la se dérouler, y compris sur le système des bourses. Mais rappelons que celui-ci est familialisé : la bourse est un complément donné aux familles, pas une allocation pour que l’étudiant puisse vivre.

M. Thibault Bazin (LR). Monsieur le rapporteur, vous vous scandalisez d’une réponse qui elle-même se scandalisait de vos propos initiaux. On peut s’auto-insurger longtemps mais ce qui compte, c’est l’avenir de notre jeunesse. Or, celle-ci est pour partie éloignée des études, pour partie éloignée du travail, et la question de son insertion professionnelle est un véritable enjeu.

Vous voulez créer un droit à une allocation d’autonomie pour les jeunes en formation. Incitera-t-il les jeunes à s’insérer dans le travail ? Ont-ils besoin de s’émanciper en recevant une allocation ou en s’insérant professionnellement ? Être jeune est un état passager que l’on ne vit généralement pas seul. Ce n’est pas un accident de la vie qui justifierait une allocation. Les jeunes ont des besoins spécifiques et des dispositifs existent pour y répondre comme les bourses, les aides au logement, à la restauration, à la mobilité, etc. Il faut sans doute les améliorer, en lien avec les territoires. En créant une telle allocation, sur une période aussi longue, on envoie un message peu valorisant à notre jeunesse : vous la percevrez de toute façon, pas la peine de vous insérer professionnellement.

Quant aux questions de classe, populaire ou non, elles ne jouent pas. L’ascenseur social fonctionne par le travail, non par les allocations. Nous croyons au premier ; vous, aux secondes. C’est une différence fondamentale entre nous.

M. Jean-Philippe Nilor (LFI - NUPES). Je tiens à apporter un total soutien à Louis Boyard. Peut-être en raison de sa jeunesse, certains se permettent de n’être pas toujours corrects avec lui. Par certains moments, l’ambiance dans cette enceinte ressemble à celle de l’émission Touche pas à mon poste. (Les députés du groupe Renaissance protestent vivement). Un problème de fond est posé et il ne faut pas donner de réponses de façade. Oui, il y a une inégalité de condition entre deux jeunes étudiants dont l’un vient d’une famille aisée et l’autre d’une famille défavorisée.

Vous dites que certains jeunes de familles aisées travaillent. Certes, mais il faut distinguer le travail choisi et subi. Pour ceux qui n’ont pas le choix, travailler compromet les chances de réussite. Parmi ceux-là, il y a tous ceux qui viennent des territoires d’outre-mer et dont les parents ne peuvent pas suivre.

Et d’où sortez-vous que celui qui fait des études longues bénéficie d’un droit à la paresse ? Depuis ce matin, vous n’arrêtez pas de vous référer à des scientifiques, des spécialistes, des experts : vous donnez autorité à des personnes qui ont fait des études longues, mais en sélectionnant le profil de ceux qui peuvent y accéder. Vous reproduisez les inégalités sociales en permanence. Avec vous, on n’est pas sorti de l’auberge !

Mme Monique Iborra (RE). Tous vos propos ne sont qu’un retour sans fin à la lutte des classes. Vous n’en sortez jamais. Dans votre prisme, il n’y a rien d’autre que les pauvres et les riches, les jeunes qui triment et les enfants de familles riches qui ne fichent rien. Mais c’est un prisme, ce n’est pas la réalité de la société. Bien sûr, il y a des gens, pas seulement des jeunes, dans la précarité, qui ont besoin d’aide. Il y en a aussi qui ont connu la précarité et s’en sont sortis. Mais vous ne parlez que de ceux qui subissent – pour vous, il faut juste leur donner, parce qu’ils sont pauvres. Vous ne voulez pas voir ceux qui pourraient ne rien faire et qui travaillent pour gagner l’autonomie. Pourtant, ils existent. Je comprends que cela puisse fonctionner chez Cyril Hanouna. Mais ici, vraiment, c’est fatigant. (Vives exclamations et mouvements divers.)

Mme la présidente Fadila Khattabi. Mes chers collègues, les Français nous regardent. Nous sommes à l’Assemblée nationale, pas au théâtre. Je vous prie d’être corrects, y compris à l’égard de vos collègues.

Mme Laure Lavalette (RN). Le débat est intéressant et il est bon de l’avoir. Nous avons tous conscience de la précarité estudiantine, tous vu ces images d’étudiants faisant la queue devant les banques alimentaires. Il faut aussi évoquer la prostitution étudiante qui concerne près de 50 000 jeunes – certains en parlent comme d’une bouée de sauvetage vitale, c’est effrayant. D’autres confessent avoir dû vendre de la drogue lorsqu’ils étaient étudiants.

Dans ce contexte tendu, le groupe Rassemblement National estime qu’il serait bon de réserver cette allocation aux jeunes de nationalité française, pour éviter d’encourager une filière d’immigration supplémentaire et pouvoir s’occuper de ses propres étudiants.

Mme Fanta Berete (RE). Nous avons vu les images que vous avez rappelées, monsieur le rapporteur. Dans nos circonscriptions, nous rencontrons ces jeunes et nous visitons les épiceries solidaires. Aussi, j’aimerais vous entendre mais je n’y parviens pas. Nous serions les riches, les autres des pauvres, et vous dans une autre catégorie que j’ai du mal à identifier. Certains des éléments que vous avancez sont positifs mais ne répondent pas à l’objectif, surtout compte tenu des travaux qui ont été annoncés et auxquels nous tenons.

Nous ne sommes pas tous députés depuis trois générations. Beaucoup d’entre nous ont des enfants à élever, et trouvent peut-être leurs études coûteuses. Vous vous souciez des enfants qui refusent le lien avec leurs parents aisés et vous voudriez qu’ils touchent votre allocation ? Franchement, cela me pose un problème.

Par ailleurs, je dirai au Rassemblement National que si quelqu’un a présenté tous les documents qu’il faut pour être admis dans nos écoles professionnelles et nos universités, on n’a plus à se soucier de son origine.

Il faut penser à cette génération, proposer une véritable solution et attendre le résultat des travaux engagés pour voir comment avancer ensemble, en sortant des postures.

M. Thomas Mesnier (HOR). Monsieur le rapporteur, vous semblez être contre la solidarité familiale. Cela me surprend peu puisque, depuis plusieurs mois, le groupe La France insoumise se prononce contre la solidarité conjugale. Après avoir soutenu la déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés, peut-être défendra-t-il celle du RSA et du minimum vieillesse. Ce serait cohérent. Mais le modèle français, c’est la solidarité nationale, familiale, conjugale. C’est pourquoi je suis fondamentalement opposé à votre allocation profondément injuste, car elle bénéficiera aux enfants des familles les plus aisées. Le système de bourses sert précisément à corriger les inégalités sociales. Il ne fonctionne pas bien, certes, et nous ne vous avons pas attendu pour avoir ce débat. Malheureusement, comme pour la santé, le problème n’est pas simple.

Par ailleurs, vous avez évoqué l’idée que les enfants de députés seraient différents des autres. (Exclamations.) Ce n’est sans doute pas ce que vous avez voulu dire. Les enfants de députés sont comme tous les autres et les députés comme tous les citoyens. Vous avez devant vous leur représentation dans toute sa diversité, d’idées, de territoires ou de parcours. Je sais ce que c’est que d’être un étudiant boursier et de compter ses revenus. Vous n’avez pas ce monopole. Ne versez pas vous-même dans l’antiparlementarisme que vous combattez !

Mme Caroline Fiat (LFI - NUPES). On a l’impression que le rapporteur a jeté une bombe au sein de la commission. Mais il n’a fait que constater des faits ! J’ai quatre enfants et je vous garantis que les deux aînés n’ont pas bénéficié de la même éducation que les deux derniers, parce que je n’avais pas les mêmes moyens financiers. C’est plus facile quand on a de l’argent. Ce n’est pas un gros mot !

Nous avons tous rencontré des étudiants dans des situations difficiles. Certains sont issus de familles très aisées, ils n’ont pas voulu suivre la voie qu’on leur avait tracée et on leur a coupé les vivres. Cela arrive ! L’autonomie, c’est avoir le choix, ne pas dépendre de ses parents pour choisir sa profession et son lieu d’études. Ce n’est pas aux parents de choisir où l’enfant ira sous prétexte qu’ils paient le loyer. C’est ce que Louis Boyard est en train d’expliquer. Mais vous hurlez tellement que vous n’entendez pas raison.

M. Fabien Di Filippo (LR). J’ai parlé d’instrumentalisation de la souffrance eu égard à la fibre émotionnelle sur laquelle vous essayez de jouer et à la déconnexion de votre proposition par rapport au réel. Mon amendement vise à supprimer une disposition irréaliste dont les conséquences en termes de dette et d’inflation créent un cycle sans fin qui affaiblit toujours les plus modestes.

Cette proposition n’est par ailleurs pas souhaitable. Nous devons travailler sur l’orientation, la carte des formations, la revalorisation du système professionnel. Il ne faut pas entrer dans un système où l’individu est roi et où l’État doit pourvoir à ses besoins, entièrement et quoi qu’il arrive. La question qui se pose est celle de l’avenir de la jeunesse. Mais il y a aussi l’avenir du pays et de la manière dont chacun doit y contribuer.

Enfin, gommez cette habitude d’émettre des jugements péremptoires sur des personnes que vous ne connaissez pas. Énormément de choses nous distinguent, à commencer par le fait que ceux qui ont été boursiers, avec des revenus modestes, et ils sont sans doute nombreux dans cette salle, n’ont pas forcément cédé à la facilité du trafic de drogue que vous revendiquez. (Vives exclamations).

M. le rapporteur. Je ne nie pas qu’il existe des étudiants qui travaillent par goût du travail et de l’effort, ou par éducation. Mais c’est une micro-catégorie par rapport à la masse des étudiants précaires qui travaillent parce que leurs familles n’ont pas la capacité de les aider. C’est un point intéressant, mais pas majeur.

Je vous laisse le droit de penser que vous êtes des députés responsables. Laissez-moi celui de dire le contraire ! Il n’est pas responsable de revendiquer un bon bilan en matière de précarité étudiante quand on a augmenté le montant des bourses de 4 % alors que l’inflation atteint près de 6 % et quand on a revalorisé de 3,5 % les APL alors que les loyers ont augmenté de bien plus, tout cela pour des personnes qui étaient déjà en grande souffrance. Et c’est précisément parce que nous n’avons pas de chiffres sur la précarité étudiante que je critique le système des bourses : on ne peut pas considérer toutes les situations particulières ; comme l’exige la logique familialiste, tout dépend de l’angle d’approche. Mais si nous manquons de chiffres, il faut tout de même demander combien d’étudiants vivent avec plus de 1 102 euros par mois en France – et, pour les autres, à quoi ressemble leur vie. C’est dur, vivre avec moins de 1 102 euros par mois. C’est même impossible.

En proposant un complément donné aux familles, vous ne vous intéressez qu’au montant, en restant dans la logique familialiste. Mais de nombreuses familles n’ont pas les moyens d’aider leurs enfants. Quand un étudiant touche une bourse de 596 euros, soit l’échelon maximal, il faut sortir 400 euros par mois pour qu’il atteigne le seuil de pauvreté – et ce pour chaque enfant. Ce n’est pas possible pour de nombreuses familles. (Exclamations.) Je me demande combien de temps vous tiendriez en dessous du seuil de pauvreté... Et puisque le complément est donné aux familles, que se passe-t-il lorsque le jeune ne reçoit rien ? Il appelle le Crous qui lui demande de saisir le juge aux affaires familiales : ils sont nombreux à ne pas vouloir engager cette procédure. Je travaille avec des étudiants tous les jours ; j’ai rencontré cette situation des dizaines de fois.

Le but de cette proposition de loi n’est pas de donner 1 102 euros à tout le monde. C’est de sortir de la logique familialiste : vous pourrez prendre les chiffres dans tous les sens, vous n’aurez jamais une solution personnalisée. D’ailleurs, j’attends toujours que quelqu’un en défende le principe : on entend que le montant des bourses n’est pas suffisant ou qu’il ne faut pas donner trop d’argent, ou qu’il ne faut pas d’assistanat, mais personne ne se demande s’il faut rester dans une logique familialiste.

La réforme des bourses que vous annoncez arrivera dans un an et demi. Croyez-vous que les étudiants qui font la queue pour l’aide alimentaire peuvent attendre un an et demi ?

S’agissant de l’ascenseur social, j’ai un désaccord de fond avec M. Bazin. Lorsqu’un étudiant de Vendée veut étudier à Lille, un ensemble de coûts – le logement, l’ordinateur – l’en empêchent. Considérer que l’ascenseur social fonctionne par le travail et non par les allocations est exactement dans la logique actuelle, où une bourse est un complément pour les familles et pour les étudiants qui travaillent. Or, j’acte le fait que ce système ne fonctionne pas. L’allocation que je propose permet au contraire à tous les étudiants, à égalité, d’accéder à l’enseignement supérieur pour ensuite s’élever socialement.

Pour ce qui concerne la lutte des classes dont a parlé Mme Iborra, mettez-vous à la place de cet étudiant qui, lors d’un partiel, se retrouve à côté d’un autre qui n’a pas eu à travailler la moitié de son temps, parce qu’il venait d’une famille aisée.  Vous l’avez déjà dit ! » chez les députés du groupe RE.) Oui, je vous l’ai déjà dit mais vous n’avez pas l’air d’avoir compris. Il en va d’ailleurs de même pour Parcoursup : il y a des étudiants qui peuvent accéder aux meilleures universités, souvent des étudiants de famille aisée. Là encore, il y a une question de lutte des classes.

Le Rassemblement National a évoqué la situation des étudiants qui tombent dans la prostitution ou dans la vente de drogues. L’allocation d’autonomie éviterait ces situations. Alors pourquoi la réserver aux Français ? Si vous voulez éviter ces situations pour les Français, pourquoi ne pas les empêcher pour les personnes de nationalité étrangère ? (Exclamations parmi les députés du groupe RN.)

Enfin, le vote de ces amendements de suppression fera tomber tous les suivants, en particulier ceux du Rassemblement National, ceux sur la précarité étudiante et ceux sur le bilan du Gouvernement en la matière. Or, il y a un débat à avoir. Les niches parlementaires permettent à des groupes d’opposition de mettre en avant des sujets dont ils pensent qu’ils n’ont pas été assez abordés. Même si vous êtes en désaccord avec le texte, entendez au moins qu’un débat de fond sur la logique familialiste est nécessaire, et que de nombreux étudiants l’attendent. Il ne tient qu’à vous : je vous laisse choisir.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Monsieur le rapporteur, je ne peux pas vous laisser dire qu’il n’y a pas de débat au sein de cette commission, ou d’ailleurs en séance publique.

M. le rapporteur. Ce n’est pas ce que j’ai dit, madame la présidente...

Mme la présidente Fadila Khattabi. Ne m’interrompez pas, je vous prie ! Il y a des débats, et des débats de fond. On peut ne pas être d’accord, c’est l’essence de toute démocratie. Mais je vous demande d’accepter la contradiction !

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article 1er est supprimé et amendements AS17 de M. Victor Catteau, AS25 et AS26 de M. Serge Muller, AS2, AS3, AS4, AS5, AS6, AS7 de Mme Laure Lavalette ainsi qu’AS27 et AS28 de M. Serge Muller tombent.

Article 2 : Gage sur les superprofits

Amendement AS9 de Mme Laure Lavalette.

M. le rapporteur. Tout à l’heure, j’ai appelé de mes vœux un débat sur la précarité étudiante pour révéler les contradictions du Gouvernement. Je n’ai jamais dit que la commission des affaires sociales ne débattait pas – aujourd’hui, outre cette proposition de loi, nous avons travaillé sur l’augmentation du Smic et sur la réintégration des personnels de santé non vaccinés.

Je regrette la suppression de l’article 1er. À titre personnel, dans d’autres niches parlementaires, je ne voterai pas d’amendement de suppression car c’est irrespectueux des groupes d’opposition.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Monsieur le rapporteur, votre groupe dépose systématiquement des motions de censure et nous ne disons pas que c’est irrespectueux. Ne parlez pas des amendements de suppression de la sorte s’il vous plaît !

M. Alexis Corbière (LFI - NUPES). La mesure que nous proposons n’est en rien individuelle, mais collective et profondément patriotique : c’est le pays, l’État, la puissance publique qui considèrent que la jeunesse doit pouvoir faire des études et que le salariat doit être éduqué. Ce qui est coûteux, c’est lorsqu’un tiers des jeunes, voire plus, quitte sa formation sans qualification. Que vous le vouliez ou non, l’échec – notamment pour la jeunesse qui suit un enseignement professionnel – s’explique d’évidence par des raisons sociales. Ceux qui défendent le patronat et le capitalisme devraient comprendre que ceux-ci ont besoin d’un salariat qualifié. Il n’est pas question d’un hédonisme individualiste.

Nous conditionnons l’aide à la possibilité de mener le plus loin possible des études. Un grand pays, un pays qui innove, c’est un pays dont la classe ouvrière est qualifiée et imaginative. Le diplôme, sauf à ne rien savoir de la sociologie, est corrélé aux conditions d’étude. Tout le démontre implacablement. Aujourd’hui, les gens issus des milieux populaires sont moins nombreux dans les grandes écoles qu’ils ne l’étaient dans les années soixante-dix ! Le discours de Bourdieu est encore plus vrai et l’ascenseur social n’a jamais aussi mal fonctionné. C’est terrible. Soit l’on considère que les gens issus de milieux aisés sont plus intelligents, soit l’on considère que les gens issus des milieux moins favorisés doivent être aidés.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Il n’est pas question de remettre en cause la réussite personnelle, ici ou ailleurs, de ceux qui ont eu la chance et les capacités d’accomplir le parcours qu’ils souhaitaient. Il ne s’agit pas de vous ni de nous, mais de poser objectivement la question des chances que l’on a d’accéder à tel ou tel niveau de formation. Une école de commerce compte onze fois plus d’enfants de cadres que d’ouvriers, une école d’ingénieurs dix fois plus, une classe préparatoire aux grandes écoles sept fois plus. Objectivement, il est faux de prétendre que les chances soient égales. Quelles conclusions tirer de ce diagnostic ? Que de telles inégalités s’expliquent en partie par la nécessité de trouver un emploi, y compris le soir ou la nuit, par l’impossibilité d’acheter des manuels et de se loger dans des logements silencieux où l’on peut dormir dans de bonnes conditions.

En outre, une allocation permettrait à l’État des économies. Les redoublements, cela coûte cher – les 73 % de jeunes qui ne réussissent pas leur licence en trois ans, ce ne sont pas 73 % de fainéants ! L’entassement des étudiants dans des amphithéâtres bondés où ils ne peuvent pas étudier dans de bonnes conditions, cela coûte cher.

M. Jean-Philippe Nilor (LFI - NUPES). Je n’ai jamais vu un rapporteur aussi malmené et maltraité. Pourquoi ? Il vous montre la lune et vous regardez son doigt. Il soulève un problème de fond, la reproduction des inégalités sociales, que le système des bourses ne permet pas d’enrayer. Vous parlez d’ascenseur social ? Même les escaliers sont inaccessibles !

Le Rassemblement National veut réserver les aides aux étudiants français. Mais s’il est impossible de faire des études longues, vous serez contraints de faire appel à l’immigration que certains diront « choisie » – et les têtes de file viendront de partout sauf de la France. Continuez comme cela et vous verrez !

M. Thibault Bazin (LR). L’amendement dont nous discutons vise à modifier le gage initial en taxant les superprofits. Ce n’est pas inintéressant. Mais peut-on garantir que les profits seront toujours suffisants pour financer cette allocation ? Pas forcément. Cela ne me semble pas un mode de financement pertinent.

La question de la précarité étudiante est bien réelle mais elle ne se limite pas au seul aspect financier. Le mal-être est palpable. Sans doute faut-il augmenter le nombre de bourses au mérite et celui des internats d’excellence, et mieux valoriser les filières professionnelles, mais il faut également s’attaquer aux causes de la précarité. Or, la réponse que vous apportez ne semble pas bonne : elle est universelle alors que tous les jeunes n’ont pas besoin d’une allocation. De plus, je crois beaucoup au mérite et au travail et je ne pense pas que l’allocation soit une garantie de réussite.

M. Emmanuel Fernandes (LFI - NUPES). Fils d’ouvrier et issu d’une famille nombreuse, j’ai bénéficié du montant maximal des bourses lors de mes études. J’ai même eu la chance de profiter d’un dispositif institué par le gouvernement Jospin qui en doublait le montant. Bon an mal an, je suis parvenu à atteindre le seuil de pauvreté, ce qui m’a permis de payer une chambre, de me nourrir, de me déplacer, d’étudier sans devoir travailler. Si tel n’avait pas été le cas, je n’aurais pas pu avoir le parcours qui me permet aujourd’hui l’honneur de siéger parmi vous. Étudier, c’est un travail à temps plein. Un revenu qui permette de répondre aux besoins fondamentaux est le minimum que l’on puisse attendre de la part de la sixième puissance mondiale.

M. Arthur Delaporte (SOC). Nous pouvons nous féliciter d’avoir ce débat que les députés socialistes avaient lancé l’année dernière à travers la proposition de loi relative à la création d’une aide individuelle à l’émancipation solidaire (« Ailes »).

Force est de constater que le bilan de la majorité n’est pas bon. Les files devant les banques alimentaires et les épiceries sociales s’allongent. Vous avez refusé de bloquer les loyers des étudiants. Le présent texte permettrait de répondre à de réels besoins.

L’an dernier, parmi mes étudiants, qui sont dans une filière très exigeante, tous ceux dont les parents ne pouvaient pas payer le loyer devaient travailler. À Paris, il est impossible de vivre avec les seules bourses. Et la Seine-Saint-Denis compte 5 600 logements du Crous pour plus de 120 000 étudiants ! Une allocation autonomie permettrait de pallier les défaillances de l’État et, à chacun, de choisir son avenir.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet (RE). Il ne faut pas confondre fracture éducative et déterminismes sociaux qui limitent l’accès à l’enseignement supérieur. Le programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa) montre que l’école française n’est pas très performante pour réduire les inégalités sociales. Pour ce qui est de la fracture éducative, nous avons travaillé à la réduire, par exemple à travers le dédoublement des classes en cours préparatoire. La question de la précarité étudiante est différente car arriver au bac et accéder à l’enseignement supérieur suppose déjà de s’être affranchi d’un certain nombre de déterminismes sociaux. Nous devons continuer à travailler dans ce domaine.

Je suis frustrée de cette discussion et je regrette le ton péremptoire et donneur de leçons du rapporteur, qui heurte et qui ne fait pas honneur au débat qu’il souhaite engager. Sur le fond, ce n’est pas par une allocation que nous parviendrons à régler ces problèmes, mais en améliorant la condition étudiante dans les domaines du logement ou de la santé. Néanmoins, il n’est pas possible d’attendre un an et demi avant d’avoir des explications, c’est vrai.

M. Elie Califer (SOC). Je pensais que la commission des affaires sociales travaillait à tout ce qui permet de valoriser l’un des triptyques de la République, l’égalité. Or, je suis choqué de la tension qui se fait jour et, parfois, de la haine dans les regards, chaque fois que nous parlons de problèmes humains. En évoquant les difficultés des étudiants, notre premier réflexe consiste à refuser le débat. Il n’est pas possible de se satisfaire que des étudiantes soient contraintes de se prostituer, encore moins d’ergoter sur leur nombre : n’y en aurait-il qu’une, ce serait trop. Le maire que je suis sait à quoi s’en tenir. Nous en oublions même de discuter des amendements au fond !

Nous n’avons pas encore trouvé les bonnes réponses et la France s’est éloignée de son propre modèle d’égalité et d’espérance républicaine. Les pauvres restent pauvres, ceux qui échouent continuent d’échouer. Nous devons pouvoir en débattre librement, avec la volonté d’agir pour tous ceux-là.

Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). Je déplore l’ambiance qui règne dans cette commission. Lorsque quelqu’un prend la parole, la moindre des choses est de l’écouter. La tonalité générale est prescriptive et agressive. Il faut que la pression redescende. Voyez, rien qu’en ce moment, on rit, on se moque pendant que je parle !

Je suis déçue que ce débat n’aboutisse à aucune solution pour nos étudiants. Hier, j’ai déjeuné au Crous avec des étudiants de l’université de Bobigny à qui j’ai demandé qui peut payer 1 euro pour le repas et qui ne le peut pas. On m’a signalé que nombre de jeunes non boursiers en grande précarité se présentent au Crous mais ne parviennent pas à faire les démarches nécessaires faute de personnel. À Bobigny, de nombreux jeunes ne déjeunent pas à midi et sautent un repas. Des étudiants en médecine m’ont confié être au bout du rouleau et qu’ils n’achèveraient peut-être pas leurs études.

Mme Fanta Berete (RE). Dans le XVe arrondissement de Paris, nous recevons un grand nombre d’étudiants de province. Je leur rappelle que le personnel du Crous peut être contacté par mail pour des problèmes urgents.

Pour ma part, je suis également déçue par nos échanges et je n’avais jamais été témoin d’une telle violence. Ma fille a 19 ans et elle me fait part des difficultés rencontrées par certains élèves : nous ne vivons pas dans des mondes étanches ! M. Boyard a peut-être un contact plus facile avec la jeunesse compte tenu de son âge. Mais je l’invite à réviser sa façon de faire, qui est tellement blessante qu’on n’a pas envie de poursuivre le débat. C’est vraiment dommage parce que nous sortirons de cette réunion sans solution. J’ai envie de croire que le travail engagé aboutira à quelque chose, mais surtout qu’il débouchera avant un an et demi.

M. le rapporteur. Je rappelle que 56 % des étudiants affirment ne pas manger à leur faim, et 40 % renoncer à des soins. J’entends vos propos sur mon ton péremptoire mais vous n’êtes pas exempts d’un tel reproche. J’ai entendu que cette proposition de loi favoriserait l’assistanat ! Que le Gouvernement prend à bras-le-corps le problème puisqu’il augmente de 4 % le montant des bourses et de 3,5 % celui de l’aide personnalisée au logement ! Vous êtes déçus par le ton que j’emploie ? Mais il est badin par rapport à celui dont useraient les 56 % et 40 % d’étudiants dont je parle s’ils vous entendaient vanter le bilan du Gouvernement et les renvoyer aux conclusions d’une concertation dans un an et demi !

De nombreux chercheurs l’ont démontré : la logique de solidarité familiale est impuissante car les paramètres sont tellement divers qu’on n’arrive jamais à une bonne solution – d’où la situation actuelle. J’ai entendu deux types de propositions : certains se félicitent du statu quo du Gouvernement avec des revalorisations qui n’en sont pas et des conclusions à venir ; d’autres estiment que les étudiants doivent trouver un emploi. Mais le chômage des jeunes est élevé : vous ne parviendrez pas à faire travailler 3 millions d’étudiants !

Enfin, il n’est pas question de promouvoir l’individu roi mais l’individu citoyen. La mesure que je propose n’est pas individuelle mais collective. Des jeunes ne parviennent pas à se loger, des personnels du Crous de Grenoble font dormir les étudiants sur leur canapé, j’en connais qui dorment dans leur voiture ! Moi-même, je me suis retrouvé sans abri ! S’ils arrivent à se loger, des centaines de milliers d’étudiants, peut-être des millions, se nourrissent de pâtes et travaillent sur des feuilles de papier faute de pouvoir payer un ordinateur ! Mais qu’on se le dise, les bourses augmentent de 4 % et les APL de 3,5 % ! Et d’abord ils n’ont qu’à travailler ! Non, ce ton ne sera décidément pas agréable à vos oreilles. Cela fait des années que j’essaie de faire entendre la détresse étudiante. À vouloir revaloriser les bourses sans changer le système, on ne changera rien. La solidarité familiale écrase les classes populaires ; il faut en venir à la solidarité nationale.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS18 de M. Victor Catteau.

M. Victor Catteau (RN). L’amendement étend la taxation proposée par l’article 2 à toutes les sociétés dont le chiffre d’affaires est supérieur à 1 milliard d’euros. Pourquoi se restreindre à un seul secteur d’activité alors que de nombreuses entreprises telles que BNP Paribas, LVMH ou Hermès réalisent d’immenses superprofits ? Il est contraire à toute logique de ne pas soumettre toutes les sociétés aux mêmes réglementations. L’intérêt financier, pour l’État, serait évident car il pourrait accompagner plus avantageusement les étudiants.

Le 17 octobre, François Ruffin a voté cette mesure en séance publique. Je vous invite à en faire de même en commission des affaires sociales.

M. le rapporteur. Le gage que nous proposons permet de financer la mesure. Je débattrai avec plaisir des autres sources de financement possible, en cohérence avec nos choix politiques. Mais avis défavorable à cet instant.

M. Thibault Bazin (LR). Le dispositif ayant été supprimé avec l’article 1er, il n’est peut-être pas indispensable de s’étendre sur son financement.

Monsieur le rapporteur, vous défendez une mesure collective. Je pense que lorsque des personnes sont dans le besoin, il faut les aider. Mais ce n’est pas le cas de tous les étudiants. Certains sont hébergés à titre gratuit et certains peuvent se nourrir chez leurs proches. Pourquoi leur verser une allocation ? Vous voulez créer un droit mais nous avons besoin d’un accompagnement au mérite, de manière à remettre l’ascenseur social en marche !

M. Thomas Mesnier (HOR). Vous avez dit, monsieur le rapporteur, qu’aucun député n’avait fait la promotion de la solidarité familiale. Mais je l’ai faite en rappelant que le modèle français repose sur la solidarité conjugale, familiale et nationale. Si le système des bourses a été créé, c’est précisément pour que la solidarité nationale, lorsque les inégalités à la racine sont trop fortes, supplée la solidarité familiale. On peut admettre que le système est défaillant mais il est faux de dire qu’il n’y a pas de solidarité nationale.

Enfin, vous expliquez qu’on ne peut pas attendre la réforme des bourses, qui n’interviendra pas avant l’été prochain, et qu’il faut agir maintenant. Je comprends votre sentiment d’urgence. Mais chacun sait aussi que si votre texte était voté aujourd’hui, la navette parlementaire nous emmènerait beaucoup plus loin que l’été prochain.

M. le rapporteur. Monsieur Bazin, je n’ai pas obtenu l’allocation d’autonomie mais j’obtiendrai la taxe sur les superprofits – au moins dans cette commission ! Vous dites qu’il faut prendre en compte le fait que certains étudiants bénéficient d’un logement gratuit ou d’autres formes d’aides. Certes mais il est extrêmement difficile d’une part d’obtenir ces informations, et d’autre part de prendre des décisions sur leur base : les cas sont trop divers, certaines personnes peuvent mentir, les situations peuvent changer très vite. Par ailleurs, le principe de l’allocation d’autonomie, c’est que les parents n’ont pas à aider l’étudiant. Elle s’inscrit dans le programme de notre groupe qui prévoit aussi une réforme fiscale, de sorte que l’impôt des ménages aisés financera cette mesure pour les classes populaires. C’est en cela que l’allocation doit être collective.

La solidarité nationale existe, c’est vrai, mais toujours en fonction du niveau de solidarité familiale. Un boursier à l’échelon 0 bis touchera un peu plus de 100 euros par mois. Pour qu’il atteigne le seuil de pauvreté, ce qu’on souhaite à tout le monde, on attend donc de ses parents qu’ils lui donnent 1 000 euros : ce n’est pas possible ! S’il faut payer un loyer, l’étudiant devra travailler. Or, il est quasi impossible de faire par exemple une classe préparatoire ou des études de droit en travaillant. Certains ont réussi, c’est vrai. Mais on n’entend jamais la voix de ceux qui ont échoué.

S’agissant du délai et de la navette parlementaire, j’ai dû vous induire en erreur : la réforme des bourses n’interviendra pas l’été prochain, mais dans un an et demi. C’est ce que m’ont dit les syndicats auditionnés.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle rejette l’article 2.

La commission ayant rejeté tous les articles de la proposition de loi, l’ensemble de celle-ci est rejeté et l’amendement AS24 de M. Serge Muller, portant sur le titre, tombe.

*

*     *

 

L’ensemble des articles de la proposition de loi ayant été rejetés, le texte est considéré comme rejeté par la commission.

En conséquence, aux termes de l’article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique aura lieu sur le texte initial de cette proposition de loi.


—  1  —

ANNEXE :
Liste des personnes auditionnÉes par lE rapporteur

(Par ordre chronologique)

         Table ronde réunissant les syndicats et organisations représentatives étudiantes :

– L’Alternative  M. Hugo Prevost, secrétaire national

– Union nationale des étudiants de France (UNEF) (*) – Mmes Imane Ouelhadj, présidente, et Samya Mokthar, vice-présidente

– La Voix lycéenne  M. Colin Champion, président

– Fédération des associations générales étudiantes (FAGE) (*) M. Félix Bodoulé Sosso, porte-parole

– Fédération Solidaires étudiant-e-s  Mme Paulina Hernandez-Rousset, secrétaire fédérale

– Une voie pour tous  MM. Dylan Ayissi, président, Julien Faucher, chargé de la communication, et Russel Mangbau, membre

         Table ronde réunissant les syndicats professionnels de l’enseignement :

– CGT Educ’Action  Mme Isabelle Vuillet, co-secrétaire générale

– Syndicat national unitaire de l’enseignement professionnel de la Fédération syndicale unitaire (SNUEP-FSU) – M. Axel Benoist, co-secrétaire général

– Syndicat national de l’enseignement supérieur (SnesupFSU) –M. Hervé Christofol, membre du bureau national

         Table ronde réunissant des organisations de solidarité :

– Union Pirate  M. Nathan Servignat, secrétaire

– COP1  M. Benjamin Flohic, président, et Mme Clara Limoge, vice‑présidente

– RED-jeunes  M. Mehmet Ozguner, coordinateur, et Mme Lola Sudreau, coordinatrice

– Mme Maëlle Bijoux, lanceuse d’alerte

         Table ronde réunissant des représentants d’universités :

– Mme Christine Rivalan Guégo, présidente de l’Université Rennes 2

– Vice-présidents étudiants de CROUS – MM. Steve Xhihani, vice‑président étudiant du CROUS de Rennes Bretagne, Anthony Youssef, vice-président étudiant du CROUS de Grenoble-Alpes, et Alexandre Delmaire-Sizes, vice-président étudiant du CROUS de Toulouse-Occitanie, élu au Conseil d’administration du CNOUS

         Table ronde réunissant des chercheurs et universitaires :

– M. Tom Chevalier, chargé de recherche CNRS au laboratoire Arènes, Sciences Po Rennes et chercheur associé au centre d’études européennes et de politique comparée

– M. Philippe Cordazzo, professeur de démographie

– Mme Anne-Françoise Dequiré, maître de conférences en sociologie à l’université catholique de Lille et à l’Institut social de Lille

– Mme Corine Eyraud, professeure des universités et chercheur au Laboratoire d’Économie et de Sociologie du Travail (LEST)

– Mme Christine Musselin, directrice de recherche CNRS au Centre de sociologie des organisations à Sciences Po

– Mme Nadia Veyrié, docteur en sociologie, chercheur associé au Centre de Recherche Risques et Vulnérabilités de l’Université Caen Normandie

         Audition commune :

– Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES)  M. Fabrice Lenglart, directeur, et Mme Emmanuelle Nauze-Fichet, cheffe de bureau de la jeunesse et de la famille

– Observatoire national de la vie étudiante – M. Feres Belghith, directeur

(*) Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.


([1]) Camille Peugny, Pour une politique de la jeunesse, janvier 2022, p. 12.

([2]) M. Laurent Lafon, rapporteur de la mission d’information « Conditions de la vie étudiante », « Accompagnement des étudiants : une priorité et un enjeu d’avenir pour l’État et les collectivités », juillet 2021, p. 143.

([3]) Baromètre du Secours populaire, enquête européenne menée dans six pays, 4 novembre 2022, p. 12.

([4]) Les chiffres pour la France sont conformes à la moyenne européenne puisque 49 % des participants français reconnaissent partager cette préoccupation.

([5]) Proposition de loi visant à étendre le revenu de solidarité active pour les jeunes de 18 à 25 ans, déposée par M. François Ruffin le 23 mars 2021 (n° 4014).

([6]) Camille Peugny, Pour une politique de la jeunesse, op. cit.

([7]) Observatoire national de la vie étudiante, Enquête 2020 sur les conditions de vie des étudiant-e-s.

([8]) INSEE Références, « Niveau de vie et pauvreté des adultes selon l’âge », 27 mai 2021.

([9]) Observatoire des inégalités, « Les très bas revenus des jeunes adultes », 4 décembre 2020.

([10]) Pour rappel, la moitié des étudiants en CPGE ont un père cadre (données de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, « Les étudiants en classes préparatoires aux grandes écoles en 2018-2019 »).

([11]) Ces éléments sont corroborés par l’étude de la Drees conduite par Jérôme Hananel et Lucile Richet-Mastain, « Les bénéficiaires d’aides au logement : profils et conditions de vie », octobre 2019.

([12]) Laura Castell, Mickaël Portela, Raphaëlle Rivalin, « Les principales ressources des 18-24 ans – Premiers résultats de l’Enquête nationale sur les ressources des jeunes », Études et Résultats, Drees, juin 2016.

([13]) Insee Première n° 1907, « La crise sanitaire a accentué la précarité des bénéficiaires de l’aide alimentaire », 28 juin 2022.

([14]) Raphaël Lardeux, Adrien Papuchon, Claudine Pirus, « Un sentiment de pauvreté en hausse chez les jeunes adultes fin 2020 », Drees, 1er juillet 2021.

([15]) Catherine Dumont, 25 ans de politiques d’insertion des jeunes : quel bilan ?, Avis et rapports du Conseil économique, social et environnemental, octobre 2008.

([16]) Camille Peugny, Pour une politique de la jeunesse, op.cit., p. 86.

([17]) Rapport de l’IGESR, Cartographie des bourses publiques de l’enseignement supérieur, février 2020.

([18]) D’après le baromètre DJPEVA sur la jeunesse 2021 de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire, ce taux de non-recours s’élève à 25 %.

([19]) UNEF, Enquête sur le coût de la vie étudiante n° 18, 2022.

([20]) Rapport public annuel 2022 de la Cour des comptes, « Le soutien de l’État à la vie étudiante », février 2022, p. 2.

([21]) Rapport public annuel 2022 de la Cour des comptes, op. cit., p. 5.

([22]) Données de la Cour des comptes en février 2022.

([23]) Jaune budgétaire Rapport sur les politiques nationales de recherche et de formations supérieures, projet de loi de finances pour 2023, p. 206.

([24]) Camille Peugny, Pour une politique de la jeunesse, op. cit., p. 101.

([25]) Tom Chevalier, La jeunesse dans sous ses États, septembre 2018, p. 70.

([26]) https://videos.assemblee-nationale.fr/video.12483189_6374eada41a8a.commission-des-affaires-sociales--reintegration-du-personnel-des-etablissements-de-sante-et-de-seco-16-novembre-2022