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N° 589

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 30 novembre 2022.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION


tendant à la création d’une commission d’enquête parlementaire
relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères, - États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées - visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français

PAR M. Pieyre-Alexandre ANGLADE

Député

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 Voir le numéro : 275


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SOMMAIRE

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Pages

EXAMEN DE LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION.....5

Compte rendu des débats

Lettre DU GARDE DES SCEAUX

 

 


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MESDAMES, MESSIEURS,

Le 28 septembre 2022, M. Jean-Philippe Tanguy a déposé une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête « relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères – États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées – visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français ».

Lors de la Conférence des Présidents du 8 novembre 2022 ([1]), Mme Marine Le Pen, présidente du groupe Rassemblement national, a indiqué faire usage, pour cette proposition de résolution, du droit de tirage que le deuxième alinéa de l’article 141 du Règlement de l’Assemblée nationale reconnaît, une fois par session ordinaire, à chaque président de groupe d’opposition ou minoritaire ([2]).

Conformément au second alinéa de l’article 140 du Règlement et comme l’a indiqué la Conférence des Présidents, il revient à la commission des Lois, à laquelle a été renvoyée la proposition de résolution, de vérifier si les conditions requises pour la création d’une commission d’enquête sont réunies. Il ne lui appartient pas de se prononcer sur l’opportunité d’une telle initiative.

De même, il n’y aura pas lieu de soumettre au vote de l’Assemblée nationale la proposition de résolution. En effet, en application du deuxième alinéa de l’article 141 précité, la Conférence des Présidents « prend acte de la création de la commission d’enquête » dès lors que celle-ci répond aux exigences de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et au chapitre IV de la première partie du titre III du Règlement.

Extraits du Règlement de l’Assemblée nationale

Article 137

Les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont déposées sur le bureau de l’Assemblée. Elles doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion. Elles sont examinées et discutées dans les conditions fixées par le présent Règlement.

Article 138

1. Est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre.

2. L’irrecevabilité est déclarée par le Président de l’Assemblée. En cas de doute, le Président statue après avis du Bureau de l’Assemblée.

Article 139

1. Le dépôt d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête est notifié par le Président de l’Assemblée au garde des Sceaux, ministre de la Justice.

2. Si le garde des Sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, celle-ci ne peut être mise en discussion. Si la discussion est déjà commencée, elle est immédiatement interrompue.

3. Lorsqu’une information judiciaire est ouverte après la création de la commission, le Président de l’Assemblée, saisi par le garde des Sceaux, en informe le président de la commission. Celle-ci met immédiatement fin à ses travaux.

 En premier lieu, les propositions de résolution tendant à la création de commissions d’enquête « doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion », en application de l’article 137 du Règlement de l’Assemblée nationale.

Le deuxième alinéa de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires prévoit également que les faits ayant motivé la création d’une commission d’enquête doivent être « déterminés ».

À cet égard, la rédaction du premier alinéa de l’article unique de la proposition de résolution appelle deux remarques.

D’une part, les faits d’ingérences étrangères auxquels il est fait référence ne semblent pas explicitement avérés. Ainsi, la seconde phrase du premier alinéa indique que la « commission sera chargée d’établir s’il existe des réseaux d’influence étrangers […] ». L’incertitude entourant la véracité des faits sur lesquels la commission d’enquête devra conduire ses travaux, bien qu’elle puisse s’expliquer compte tenu de leur nature, implique d’autant plus de garantir la rigueur méthodologique des investigations susceptibles d’être menées dans ce cadre.

D’autre part, le périmètre des travaux de la commission d’enquête dont il est proposé la création revêt une dimension particulièrement large. En plus des interrogations éventuelles quant à leur réalité, les faits mentionnés dans le dispositif de la proposition de résolution renvoient en effet à des « réseaux d’influence étrangers qui corrompent des élus, responsables publics, dirigeants d’entreprises stratégiques ou relais médiatiques dans le but de diffuser de la propagande ou d’obtenir des décisions contraires à l’intérêt national. »

Par ailleurs, l’intitulé et l’exposé des motifs de la proposition de résolution ne facilitent pas la délimitation du périmètre de la commission d’enquête, qu’il s’agisse de la multiplicité des personnes physiques ou morales ciblées (États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées, relais d’opinion, dirigeants, partis politiques), de l’hétérogénéité des actes et comportements devant être étudiés (stratégie d’influence, corruption, diffusion d’une propagande, obtention de décisions contraires à l’intérêt national) et de la diversité des matières concernées (diplomatie, politique économique et fiscale, traités commerciaux).

L’article 137 du Règlement de l’Assemblée nationale impose que les faits donnant lieu à l’enquête, ou les services ou entreprises dont est examinée la gestion, doivent être « déterminés avec précision ». Il appartiendra donc à la commission d’enquête de circonscrire ses travaux à un cadre suffisamment délimité, conformément à l’exigence de précision précitée.

 En second lieu, les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont recevables sauf si, dans l’année qui précède leur discussion, a eu lieu une mission d’information ayant fait usage des pouvoirs dévolus aux rapporteurs des commissions d’enquête demandés dans le cadre de l’article 145-1 du Règlement ou une commission d’enquête ayant le même objet ([3]).

La proposition de résolution respecte donc le deuxième critère de recevabilité.

 Enfin, en application de l’article 139 du Règlement de l’Assemblée nationale, la proposition de résolution ne peut être mise en discussion si le garde des Sceaux « fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ». Le troisième alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 prévoit, quant à lui, que la mission d’une commission d’enquête déjà créée « prend fin dès l’ouverture d’une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d’enquêter ».

Interrogé par la Présidente de l’Assemblée nationale conformément au premier alinéa de l’article 139 précité, le garde des Sceaux lui a fait savoir, dans un courrier en date du 19 octobre 2022, que le périmètre de la commission d’enquête envisagée « est susceptible de recouvrir pour partie plusieurs procédures judiciaires en cours ».

La commission devra donc veiller, tout au long de ses travaux, à ne pas faire porter ses investigations sur des questions relevant de la compétence exclusive de l’autorité judiciaire.

Sous ces réserves, il résulte de l’analyse qui précède le caractère juridiquement recevable de la proposition de résolution « relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères – États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées – visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français ».

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   Compte rendu des débats

Lors de sa réunion du mercredi 30 novembre 2022, la Commission examine la recevabilité de la proposition de résolution de M. Jean-Philippe Tanguy et plusieurs de ses collègues tendant à créer une commission d’enquête sur les ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français (n° 275) (M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur).

Lien vidéo : https://assnat.fr/BdTchH

 

M. le président Sacha Houlié. Nous examinons la recevabilité de la proposition de résolution présentée par M. Jean-Philippe Tanguy, Mme Marine Le Pen et les membres du groupe Rassemblement national, tendant à la création d’une commission d’enquête sur les ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères – États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées – visant à influencer ou à corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français.

La présidente du groupe Rassemblement national ayant annoncé son intention de faire usage de son droit de tirage lors de la conférence des présidents du 8 novembre, notre commission, en application de l’article 140, alinéa 2, du règlement de l’Assemblée nationale, ne se prononcera pas sur l’opportunité mais uniquement sur la recevabilité de la proposition de résolution. Puisqu’il n’est pas prévu d’examen en séance, notre décision s’imposera.

Je donne la parole à M. Pieyre-Alexandre Anglade, que nous avons désigné comme rapporteur.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. Il ne nous appartient pas, en effet, de nous prononcer sur l’opportunité de cette proposition de résolution. Nous devons uniquement évaluer sa recevabilité au regard des trois conditions cumulatives prévues par les articles 137, 138 et 139 du règlement de notre assemblée et par l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

La proposition de résolution remplit la condition de recevabilité prévue à l’article 138, alinéa 1, puisqu’elle ne porte pas sur des faits sur lesquels une autre commission d’enquête aurait conclu ses travaux depuis moins d’un an.

Aux termes de l’article 139, une commission d’enquête ne saurait porter sur des faits qui font l’objet d’une procédure judiciaire. Le garde des Sceaux, en réponse à un courrier de la présidente de l’Assemblée nationale, ayant indiqué que le périmètre de la commission d’enquête envisagée était susceptible de recouvrir pour partie plusieurs procédures judiciaires en cours, il conviendra de ne pas faire porter les investigations sur des questions relevant de la compétence exclusive de l’autorité judiciaire. Je souligne ce point, car la rédaction quelque peu approximative de cette résolution ne doit pas mener au grand n’importe quoi.

L’article 137 du règlement, quant à lui, prévoit que les propositions de résolution « doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion. » Par ailleurs, l’alinéa 2 de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 prévoit que les commissions d’enquête sont formées pour recueillir « des éléments d’information […] sur des faits déterminés ». À cet égard, la rédaction du premier alinéa de l’article unique de la proposition de résolution appelle plusieurs remarques.

D’une part, les faits d’ingérence auxquels il est fait référence ne sont pas explicitement avérés. Leur existence suscite des doutes, puisqu’il est indiqué que la commission « sera chargée d’établir s’il existe des réseaux d’influence étrangers (…) ». L’incertitude qui entoure la réalité des faits sur lesquels la commission d’enquête devra conduire ces travaux, si elle peut en partie s’expliquer par la nature de l’objet, impliquera cependant de définir avec une grande rigueur le champ et la méthode des investigations.

D’autre part, le périmètre des travaux est particulièrement étendu. Dans l’article unique, les faits mentionnés renvoient à « des réseaux d’influence étrangers qui corrompent des élus, responsables publiques, dirigeants d’entreprises stratégiques ou relais médiatiques dans le but de diffuser de la propagande ou d’obtenir des décisions contraires à l’intérêt national. » L’intitulé de la proposition de résolution et l’exposé des motifs ne facilitent pas non plus la délimitation du périmètre, puisque les personnes physiques ou morales ciblées sont multiples – « États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées », mais encore « relais d’opinion, […] dirigeants, […] partis politiques » –, les actes et les comportements mentionnés nombreux et les matières diverses – diplomatie, politique économique et fiscale ou encore traités commerciaux.

La commission d’enquête devra donc circonscrire ses travaux à un cadre suffisamment délimité pour se conformer pleinement au règlement. J’ose la métaphore marine pour rappeler que les commissions d’enquête ne doivent pas être considérées comme des filets dérivants, jetés au hasard, au gré des vents et du courant, et dont on ignore à l’avance ce qu’ils pourront bien attraper. Si l’on devait procéder ainsi, cela ressemblerait à l’Inquisition, ce serait le règne du soupçon, et nous serions bien loin de l’esprit du règlement.

Sous ces réserves, de taille, je considère la proposition de résolution comme juridiquement recevable.

M. le président Sacha Houlié. Ce qui vaut pour les uns vaut pour les autres. Le 16 novembre, nous avons examiné la proposition de résolution du groupe La France insoumise, dont la recevabilité posait problème. Les difficultés présentées par cette proposition de résolution sont surmontables, mais elles doivent être clairement exposées.

Une proposition de résolution tendant à créer une commission d’enquête n’est recevable que si les faits qui donnent lieu à enquête sont déterminés avec précision. Cette condition, prévue par le règlement et l’ordonnance de 1958, empêche que le Parlement ne s’improvise procureur ou juge d’instruction. Dans le cas de cette proposition de résolution, le fait que le champ soit mal délimité pose quelques difficultés. Le garde des Sceaux a indiqué que le périmètre était susceptible de recouvrir des enquêtes en cours ; si cela devait être le cas, ce serait autant de limites au travail de la commission d’enquête. Le risque est donc à la fois de chercher des choses qui n’existent pas et de dénaturer le rôle de contrôle du Parlement, qui se trouvera empêché par la mise à jour de nouveaux faits.

J’appelle les auteurs des propositions de résolution, qu’elles soient proposées par la voie classique, comme celle du groupe La France insoumise, ou dans le cadre de l’exercice du droit de tirage, à déterminer précisément les faits qui donnent lieu à enquête. À défaut, les commissions d’enquête pourraient ne déboucher sur rien ou se heurter, au fur et à mesure de l’avancée de leurs travaux, à l’existence de faits judiciaires non identifiés lors de la recevabilité.

Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Guillaume Gouffier Valente (RE). Ce rappel est particulièrement important en début de législature. Nous entendons les réserves du rapporteur, dues à une rédaction approximative, et son invitation à définir précisément l’objet, le périmètre et la méthode de la commission d’enquête. En effet, les commissions d’enquête ne doivent lancer au hasard leurs filets ; une telle méthode ne servirait qu’à alimenter les complotismes.

Le groupe Renaissance s’abstiendra.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Natif de Boulogne-sur-Mer et descendant d’une grande lignée de pêcheurs et de marins, je vous assure que c’est avec une grande précision que la commission lancera ses filets.

Les termes que nous avons choisis appartiennent à la langue française, tout le monde peut consulter leur définition ou comprendre les concepts auxquels ils renvoient. La largesse du périmètre n’implique pas son imprécision. Simplement, les sujets apparus dans le débat public recouvrent un tel espace que la commission d’enquête aura un travail très important à mener.

J’ai entendu les critiques et les réserves. Nous pourrons, de manière collégiale – puisque cette commission ne sera pas à la main d’un groupe politique –, préciser le champ de l’enquête. Au-delà de nos étiquettes politiques, il nous reviendra de protéger ce qui nous est le plus cher, la démocratie. Car si les faits graves rapportés par la presse, les lanceurs d’alerte ou les politiques sont avérés, s’il est vrai que des puissances étrangères corrompent des responsables politiques, des relais d’opinion ou des institutions, nous devrons défendre la France et les Français.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Certes, monsieur le rapporteur, il ne s’agit pas de reformer le tribunal de l’Inquisition, mais le nom de « commission d’enquête » indique tout de même que les parlementaires sont amenés à enquêter et, éventuellement, à découvrir des choses…

Monsieur le président, vous avez établi un parallèle avec notre proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative aux révélations des Uber Files et au rôle du Président de la République. Nous y tenons car nous avons des raisons de penser que quelque chose s’est produit, qui n’est pas normal. En revanche, nous estimons que la présente proposition de résolution n’a d’autre objet que de laver l’honneur du Rassemblement national, accusé de collusion avec les forces étrangères, notamment russes, après que des prêts ont été accordés pour les campagnes électorales de Mme Le Pen.

M. le président Sacha Houlié. Je note que vous avez retiré votre proposition de résolution de l’ordre du jour et que le groupe La France insoumise a donc décidé d’exercer son droit de tirage sur une nouvelle proposition de résolution. Sa recevabilité fera donc l’objet d’un examen, dans les mêmes formes, par notre commission.

M. Raphaël Schellenberger (LR). Personne n’est naïf et tout le monde sait qu’à l’Assemblée nationale, dans l’hémicycle ou en commission, nous faisons de la politique ; c’est notre rôle, comme porte-paroles, dans les couloirs, devant les caméras ou la presse écrite. Mais les outils de l’institution, eux, doivent respecter un certain nombre de règles.

Les auteurs de cette proposition de résolution ayant souhaité exercer leur droit de tirage, il n’y a pas de raison que nous nous y opposions. Il en est allé tout autrement il y a deux semaines, lorsque nous avons assisté à une tentative de contournement du règlement par le groupe La France insoumise.

Il n’en reste pas moins que l’objet de cette commission d’enquête est très vague, ce qui est difficilement conjugable avec les règles en vigueur. Je ne doute pas que ceux qui y siégeront seront vigilants et feront en sorte que les règles soient appliquées.

Quant au sujet, je le trouve intéressant. Je suis très curieux de savoir quels travaux la commission d’enquête conduira sur les financements russes du Front national ou sur les liens entre la chaîne RT France, dont la diffusion a été interdite, et des partis comme le Rassemblement national. Ceux-ci ont pu largement bénéficier des tentatives de l’État russe de pénétrer les débats publics et politiques occidentaux, notamment par le biais des droites extrêmes. J’attends donc avec grand intérêt les conclusions de cette commission d’enquête.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Je souhaite insister sur les deux points qui suscitent la vigilance du rapporteur. Les faits qui donnent lieu à enquête, les services ou entreprises dont la commission examine la gestion doivent être déterminés avec précision : cela n’est manifestement pas le cas, compte tenu du caractère multidimensionnel et protéiforme de l’ingérence étrangère. Le phénomène est méconnu ; il n’existe aucune définition de l’ingérence étrangère, ainsi que l’a souligné la Commission européenne dans un rapport récent, ni de méthode claire pour analyser les menaces qui y sont liées. Cela impose de bien circonscrire les travaux de la commission. D’autre part, ses investigations ne devront pas porter sur des faits donnant lieu à des procédures judiciaires.

Cela ne nous dispense pas de nous interroger sur la nécessité d’une prise de conscience générale des menaces que représente l’ingérence étrangère dans nos institutions et notre processus démocratique, de nous demander quelles sont nos politiques de résilience et nos outils de dissuasion.

Il serait opportun d’entendre, parmi les premières personnes auditionnées, le responsable de Viginum, le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères. Cette structure, créée en juillet 2021 et rattachée au secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, est chargée d’identifier les ingérences étrangères et de lutter contre la désinformation en ligne conduite depuis l’étranger.

Le groupe Démocrate (MODEM et indépendants) prend acte de cette recevabilité.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Le travail du rapporteur nous permet de mesurer à quel point les conditions de recevabilité ne sont pas au rendez-vous. Je le dis clairement, c’est la première fois que je vois une proposition de résolution dont le champ soit aussi large. Je plains le garde des Sceaux, qui a dû faire la liste des affaires judiciaires liées à des « ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères – États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées – visant à influencer ou à corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français ». Je ne vois pas comment il a pu répondre à cette question, sauf à embarquer tous les dossiers de la chancellerie…

Mes réserves, nombreuses, portent aussi sur le libellé de l’exposé des motifs, qui juge utile de préciser que « la commission pourra être amenée à connaître de graves manquements, de délits voire de crimes qui devront immédiatement être confiés à la Justice ».

Je vous rejoins totalement sur l’opportunité d’une telle commission, Monsieur Tanguy. Je serai toujours au côté des groupes qui veulent travailler sur l’éthique en politique, sur la déontologie et la transparence – travaux que je mène depuis plusieurs décennies.

Mais s’agissant de la recevabilité de la proposition, la condition de l’article 137 du règlement n’est pas remplie. Nous n’avons aucun contour qui nous permette de déterminer où la commission d’enquête ira chercher, quels sont les points qu’elle entendra soulever. Je le dis de manière constructive car je crains que le sérieux des travaux de l’Assemblée nationale ne soit entaché et que le futur président de la commission d’enquête ne soit confronté à des difficultés.

Le groupe Rassemblement National exerçant son droit de tirage, nous considérons que nous n’avons pas à nous opposer à la création de la commission d’enquête. Mais nous estimons que la commission des lois, tirant les conséquences de cet épisode, doit penser à faire évoluer le règlement. Une proposition de résolution qui pose des problèmes de recevabilité devrait faire l’objet d’un nouvel examen par la commission, pour vérifier que ses préconisations ont bien été prises en compte. Dans le cas d’espèce, un périmètre plus restreint nous permettrait de mieux comprendre l’objet de cette commission et d’y participer activement.

Le groupe Socialistes et apparentés s’abstiendra.

M. Philippe Pradal (HOR). Nous partageons l’analyse du rapporteur et les points de vigilance indiqués par le président. Le groupe Horizons et apparentés s’abstiendra.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Nous n’avons pas à nous prononcer sur l’opportunité de cette commission d’enquête, mais il est souhaitable que la lumière soit faite sur les ingérences étrangères. Bien sûr, on sent que l’entre-deux tours de la présidentielle se rejoue ici et on peut souhaiter, quelque part, que l’arroseur se retrouve arrosé.

Nous partageons les remarques que Mme Untermaier vient de faire sur la recevabilité de ce texte, mais nous estimons nécessaire que le droit de tirage puisse s’exercer.

Le groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES s’abstiendra.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux interventions des autres députés.

M. Erwan Balanant (Dem). On ne va pas se cacher : on sent bien, chez tous les groupes, une gêne. Nous considérons qu’il est important que le droit de tirage puisse s’exercer, car il participe du très bon fonctionnement de notre mission de contrôle, mais le libellé de la proposition de résolution nous pose problème. Je ne dirai pas que c’est du travail d’amateur – ce ne serait pas sympathique, d’autant que vous n’êtes pas un amateur, monsieur Tanguy – ; mais plutôt que certains critères juridiques ne sont pas tout à fait maîtrisés.

Il ne faudrait pas que cela fasse jurisprudence et que de tels textes deviennent la règle. Nous resterons donc vigilants. Je crois, monsieur le rapporteur, que le périmètre de la commission d’enquête devra effectivement être précisé. Autrement, elle n’ira nulle part, empêchée, comme l’a dit le président, par les règles de droit.

M. Hervé Saulignac (SOC). Pour tout dire, je m’interroge sur l’intérêt de ce débat, puisque nous faisons tous le même constat : on ne peut s’opposer à ce qu’un groupe exerce son droit de tirage, mais cette commission d’enquête au champ mal délimité risque de partir dans tous les sens et de donner lieu à des dérives.

Nous allons laisser créer une commission d’enquête dont nous pensons qu’elle n’est pas tout à fait recevable sur la forme. Je pense qu’il faut en tirer les conséquences et envisager une révision du règlement.

La Commission déclare recevable la proposition de résolution.


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   Lettre DU GARDE DES SCEAUX


([1]) Les conclusions de la Conférence des Présidents sont consultables sur cette page.

([2]) Aux termes du deuxième alinéa de l’article 141 du Règlement, « chaque président de groupe d’opposition ou de groupe minoritaire obtient, de droit, une fois par session ordinaire, à l’exception de celle précédant le renouvellement de l’Assemblée, la création d’une commission d’enquête satisfaisant aux conditions fixées aux articles 137 à 139 ».

([3])  Article 138 du Règlement de l’Assemblée nationale.