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N° 615

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME  LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 décembre 2022.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
 

visant à revivifier la représentation politique

 

PAR M. Bruno BILDE

Député

——

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voir le numéro : 555 rect.


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SOMMAIRE

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Pages

Introduction................................................. 5

Présentation de la proposition de loi

I. Une exception française qui nuit au bon fonctionnement de la démocratie représentative

A. Le scrutin majoritaire : un mode de scrutin, parmi d’autres, peu soucieux de la représentativité et du pluralisme politique

1. Le scrutin majoritaire est un mode de scrutin parmi d’autres

2. Le scrutin majoritaire uninominal porte atteinte à la confiance des citoyens dans les institutions politiques

B. Une exception au sein de l’Union européenne

1. Les États membres de l’Union européenne privilégient les scrutins mixtes ou proportionnels

2. De nombreux outils existent pour garantir l’équilibre entre gouvernabilité et représentativité

C. L’urgence de mettre fin à la manipulation politique du mode de scrutin

1. Malgré son importance, le choix du mode de scrutin relève de la loi ordinaire

2. Une tradition de manipulation politique du mode de scrutin

II. Des constats partagés pour une réforme attendue

A. De nombreuses propositions de loi en ce sens, émanant de divers groupes parlementaires

B. Un engagement du président de la République

C. Un soutien de l’opinion publique

III. Le choix de retenir une proportionnelle au niveau départemental préserve l’équilibre entre représentativité et gouvernabilité

A. Un choix parmi différentes options

B. Des conséquences positives pour la vie politique française

Commentaire des articles de la proposition de loi

Article 1er (art. L. 123 du code électoral) Élection des députés au scrutin proportionnel au niveau départemental

Article 2 (art. L. 124 du code électoral) Attribution des sièges aux listes de candidats aux élections législatives

Article 3 (art. L. 125 du code électoral) Répartition des sièges de députés par département, en outre-mer et pour les Français établis hors de France

Article 4 (art. L. 126 du code électoral [suppression]) Suppression des conditions d’élection au premier tour des élections législatives

compte rendu des débats

Personnes entendues

 


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Mesdames, Messieurs,

 « Le mode de scrutin fait le pouvoir, c’est-à-dire qu’il fait la démocratie ou la tue » (Michel Debré, La mort de l’État républicain, 1947).

En 2017, alors que Marine Le Pen atteignait le second tour de l’élection présidentielle avec 21,3 % des suffrages et que Jean-Luc Mélenchon recueillait 19,6 % des voix, leurs partis n’obtenaient respectivement que huit et dix-sept députés, soit 4,3 % des sièges. Cette élection a marqué un tournant, aggravant profondément le sentiment des Français de ne pas être représentés et nourrissant par la suite des mouvements citoyens comme celui des Gilets jaunes.

Pensé pour favoriser l’émergence d’une majorité parlementaire solide, capable de soutenir le Gouvernement dans son exercice du pouvoir, le scrutin uninominal majoritaire, sur le modèle britannique, ne répond plus aujourd’hui aux critères définissant une démocratie représentative en bonne santé. Elle aboutit, selon l’expression de Pierre Rosanvallon, à une « mal-représentation » ([1]), qui rend « invisible » une partie des préoccupations de nos concitoyens.

Les élections de 2022 ont marqué une nouvelle rupture en montrant l’incapacité de ce mode de scrutin tant à représenter fidèlement l’électorat français qu’à dégager une majorité claire, obligeant le Gouvernement à recourir à la procédure prévue à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution pour forcer le Parlement à adopter des textes auxquels il est majoritairement défavorable.

Il est donc urgent, comme plusieurs parlementaires de groupes différents l’ont déjà proposé, de changer les règles applicables aux élections législatives en France, qui font figure d’exception en Europe. La présente proposition de loi propose donc la mise en place d’un scrutin proportionnel de liste au niveau départemental.

 

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   Présentation de la proposition de loi

I.   Une exception française qui nuit au bon fonctionnement de la démocratie représentative

A.   Le scrutin majoritaire : un mode de scrutin, parmi d’autres, peu soucieux de la représentativité et du pluralisme politique

Alors que la IVe République avait mis en place un scrutin proportionnel de liste jusqu’en 1951 ([2]), les penseurs de la Ve République ont retenu un mode de scrutin législatif majoritaire uninominal à deux tours, guidé par la volonté de garantir des majorités de Gouvernement stables après les difficultés rencontrées par la IIIe République.

1.   Le scrutin majoritaire est un mode de scrutin parmi d’autres

Il existe trois types de scrutin :

– les scrutins majoritaires permettent l’élection du candidat ayant obtenu le plus de voix. Il peut s’agir d’une élection à un tour, comme au Royaume-Uni (« first past the post »), ou à deux tours, comme en France ;

– les scrutins proportionnels permettent une répartition des sièges se rapprochant le plus possible des résultats électoraux. Dans son application la plus pure, le pourcentage en voix correspond au pourcentage en siège. Ce scrutin peut être organisé à différentes échelles (nationale, régionale, départementale). Pour éviter une trop grande dispersion de la représentation, il est souvent prévu un seuil à partir duquel les listes sont prises en compte dans la répartition des sièges. Ce mode de scrutin n’a été mis en place sous la Ve République qu’à une seule reprise, pour les élections législatives de 1986 ;

– Les scrutins mixtes associent à la logique majoritaire des éléments du scrutin proportionnel. Leur objectif est de corriger la surreprésentation des listes victorieuses qu’entraîne le scrutin majoritaire et de garantir la représentation des partis minoritaires et d’opposition. Ce type de scrutin est utilisé en France dans le cadre des élections municipales et régionales : la liste arrivée en tête obtient la moitié des sièges à pourvoir tandis que l’autre moitié est répartie proportionnellement aux résultats électoraux ([3]).

Les scrutins proportionnels et mixtes peuvent obéir à de nombreuses règles spécifiques afin de permettre aux électeurs d’affiner leur choix (vote préférentiel, panachage) et de corriger différents biais (prise en compte de la démographie, représentation des différents territoires ou de certaines minorités) tout en veillant à assurer la stabilité du Gouvernement (seuil, prime majoritaire).

2.   Le scrutin majoritaire uninominal porte atteinte à la confiance des citoyens dans les institutions politiques

Le scrutin majoritaire à deux tours favorise la surreprésentation dans l’hémicycle du parti qui arrive en tête aux élections. Ainsi, en 1981, en réunissant 37,4 % des suffrages exprimés au premier tour des élections législatives de 1981, le Parti socialiste a obtenu 58 % des sièges. En 1993, la coalition UDF-RPR ([4]), qui avait recueilli 40 % des voix au premier tour des élections législatives de 1993, occupait 82 % des sièges.

Ce mode de scrutin permet habituellement de dégager une majorité parlementaire solide, au détriment du pluralisme politique. Il exclut de la représentation nationale les partis recueillant le moins de voix – à quelques circonscriptions près – même si ceux-ci représentent, pris dans leur ensemble, une part importante de l’électorat. Il sanctionne les courants politiques qui se présentent de manière dispersée et incite donc à l’effacement des nuances politiques. Enfin, il pénalise les partis portant les positions les plus radicales au profit des partis de Gouvernement qui se protègent en se soutenant mutuellement au second tour. Pour toutes ces raisons, la composition de l’Assemblée ne reflète pas fidèlement l’électorat de notre pays, ce qui aggrave la distance entre les élus et les citoyens et la défiance de ces derniers à l’encontre des institutions.

Cette situation affaiblit le Parlement en aggravant un fait majoritaire, déjà exacerbé par la synchronisation des élections présidentielles et législatives depuis la révision constitutionnelle de 2000. Il en résulte un rapport de force déséquilibré entre le Gouvernement et le Parlement au profit du premier. Cela alimente le cercle vicieux de l’abstention : les électeurs se démobilisent en pensant que leur vote n’aura pas d’effet sur la représentation nationale ([5]) ; puis se désintéressent du travail des élus qui perdent en légitimité du fait de leur élection par une fraction toujours plus réduite du corps électoral.

Enfin, la sous-représentation de certains partis au sein du Parlement a de lourdes conséquences financières dès lors que la seconde fraction des aides attribuées aux partis et groupements politiques (à hauteur de 34 millions d’euros en 2022) dépend de leur présence à l’Assemblée nationale et au Sénat. Ainsi, en 2022, le Rassemblement national ne percevait, au total, que 5,1 millions d’euros d’aide dont 300 000 euros seulement au titre de la seconde fraction. C’est quatre fois moins que la République en marche alors qu’il n’y avait que 4,7 points d’écart entre les candidats de ces deux partis au premier tour de l’élection présidentielle. Compte tenu de l’importance, dans la politique contemporaine, des moyens financiers dont disposent les partis politiques pour promouvoir leurs idées et faire campagne, cette situation est une source d’aggravation de l’iniquité électorale du système politique français.

répartition de la seconde fraction d’aide publique entre les principaux partis politiques pour 2022

 

Nombre de parlementaires

Montant
(en euros)

Résultats au premier tour des élections législatives (2017)

La République En Marche

291

10 884 077,10

28,2 %

Les Républicains

244

9 126 167,74

15,77 %

Parti Socialiste

89

3 328 807,08

7,44 %

Mouvement Démocrate

86

3 216 600,10

4,12 %

Union des Démocrates, Radicaux et Libéraux

78

2 917 381,49

3,03 %

Parti Communiste Français

30

1 122 069,80

2,72 %

Europe Écologie les Verts

24

897 655,84

4,3 %

La France Insoumise

17

635 839,56

11,03 %

Parti Radical de Gauche

10

374 023,27

0,47 %

Régions et Peuples Solidaires

14

523 632,58

0,9 %

Rassemblement National

8

299 218,61

13,2 %

Source : annexe au décret du 31 janvier 2022 et ministère de l’intérieur.

B.   Une exception au sein de l’Union européenne

1.   Les États membres de l’Union européenne privilégient les scrutins mixtes ou proportionnels

Depuis la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, la France est le seul État membre à élire ses députés au scrutin majoritaire uninominal. Les autres pays utilisent des scrutins proportionnels ou des scrutins mixtes avec différentes clauses.

Comme l’écrit Jean-Claude Colliard, ancien membre du Conseil constitutionnel : « Il y a presque autant de proportionnelles différentes que de pays concernés » ([6]). Quelques exemples parmi nos voisins :

 En Allemagne, les 598 membres du Bundestag sont élus selon un scrutin mixte, proportionnel avec un correctif majoritaire. Dans chacune des 299 circonscriptions, l’électeur à deux voix : l’une pour soutenir une liste au niveau du Land, l’autre pour désigner un candidat dans sa circonscription au scrutin uninominal majoritaire à un seul tour. Les partis dont les listes ont recueilli au moins 5 % des voix se répartissent les 598 sièges ([7]). Ceux-ci sont attribués en priorité aux 299 députés élus au scrutin majoritaire dans leur circonscription. Les sièges restants sont attribués aux membres des listes.

 En Espagne, le Congrès des députés est composé de 350 sièges pourvus au scrutin proportionnel de liste dans 52 circonscriptions. La répartition s’effectue parmi les listes ayant franchi 3 % bien qu’en pratique ce seuil soit plus élevé lorsque le nombre de sièges à attribuer est faible.

Carte des modes de scrutin en europe

 En Italie, les deux chambres (Chambre des députés et Sénat de la République) disposent des mêmes prérogatives et sont élues selon le même mode de scrutin mixte : trois huitièmes des sièges sont pourvus au scrutin uninominal majoritaire à un tour (147 circonscriptions pour les députés et 74 pour les sénateurs) tandis que cinq huitièmes le sont au scrutin proportionnel de liste au niveau national. Pour les sièges attribués à la proportionnelle, le seuil est de 3 % pour les partis et de 10 % pour les coalitions. En dessous de 1 %, les voix obtenues par les partis en coalition ne comptent pas.

 Aux Pays-Bas, la Seconde chambre est composée de 150 sièges pourvus au scrutin proportionnel de liste dans une unique circonscription nationale. Il s’agit de listes permettant aux électeurs d’exprimer un vote préférentiel, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas tenus par l’ordre des candidats. Les sièges obtenus par chaque liste sont ensuite attribués en priorité aux candidats ayant recueilli sur leur nom au moins 25 % des votes en faveur de leur liste. En revanche, il n’y a pas de seuil pour participer à la répartition des sièges.

 En Suède, sur les 349 sièges que compte le Riksdag, 310 sièges sont répartis à la proportionnelle dans 29 circonscriptions. Un parti doit recevoir au moins 12 % des suffrages dans une circonscription pour être représenté, ou bien avoir obtenu au moins 4 % des suffrages au niveau national. Les 39 sièges restant sont répartis au niveau national de manière à coller au plus près aux résultats du scrutin.

2.   De nombreux outils existent pour garantir l’équilibre entre gouvernabilité et représentativité

Différents outils sont donc utilisés pour rendre les résultats des élections les plus représentatifs possibles :

– le maintien plus ou moins important d’une circonscription nationale pouvant servir de variable d’ajustement ;

– la variation du nombre de sièges par circonscription qui permet un accès plus ou moins facile à la représentation pour les formations ayant recueilli le moins de votes et qui dépend également de l’importance donnée au poids démographique de chacune des circonscriptions ;

– l’utilisation de méthodes de calcul et de seuils – parfois différents pour les partis et les coalitions – afin de limiter l’éclatement du paysage politique ou, au contraire, sa concentration.

Ces différents modes de scrutins mixtes et proportionnels ont pour objectif prioritaire de réduire l’écart entre la répartition des sièges au Parlement et celle des suffrages exprimés. Bien que la mise en œuvre de tels modes de scrutin soit considérée par la plupart des pays européens comme un critère essentiel au bon fonctionnement d’une démocratie représentative, la France continue de maintenir un système électoral inégalitaire dans lequel le parti arrivé en tête bénéficie d’une importante prime majoritaire (voir tableau ci-dessous).

Surreprésentation en sièges du parti arrivé en tête des élections
(période 1999-2002)

Pays

Surreprésentation du parti arrivé en tête

France

+ 31,9

Royaume-Uni

+ 19,5

Italie

+ 8,9

Grèce

+ 8,9

Espagne

+ 7,7

Irlande

+ 7,6

Portugal

+ 5,6

Allemagne

+ 3,1

Belgique

+ 3,0

Luxembourg

+ 2,7

Finlande

+ 2,6

Autriche

+ 2,3

Suède

+ 1,4

Danemark

+ 0,7

Pays-Bas

+ 0,7

Moyenne

+ 7,1

Source : Les systèmes électoraux dans les Constitutions des pays de l’Union européenne, Jean-Claude Colliard, Cahiers du Conseil constitutionnel, janvier 2003, n° 13.

Calcul : Différence en points de pourcentage entre la proportion de voix et la proportion de sièges obtenus par le premier parti.

C.   L’urgence de mettre fin à la manipulation politique du mode de scrutin

1.   Malgré son importance, le choix du mode de scrutin relève de la loi ordinaire

Le choix du mode de scrutin présente un enjeu démocratique majeur, bien qu’il ne relève que d’une simple loi ordinaire. La Constitution fixe un cadre large :

– son article 3 prévoit que « le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret ». Ce même article précise que « sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques » ;

– son article 24 précise que « les députés à l’Assemblée nationale, dont le nombre ne peut excéder cinq cent soixante-dix-sept, sont élus au suffrage direct » – en opposition avec le Sénat qui est élu au suffrage indirect ;

– pour le reste, son article 34 confie à la loi le soin de fixer « les règles concernant [..] le régime électoral des assemblées parlementaires, des assemblées locales et des instances représentatives des Français établis hors de France ainsi que les conditions d’exercice des mandats électoraux et des fonctions électives des membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales ».

Qu’une réforme d’une telle importance se fasse par une loi ordinaire peut surprendre. Comme l’écrit Laurent Seurot, il s’agit d’« un paradoxe : alors que la règle prévoyant l’élection des députés au scrutin majoritaire uninominal à deux tours constitue, selon l’expression de Maurice Duverger, le “ second pilier ” du régime de la Ve République, elle ne figure pas dans le texte de la Constitution » ([8]).

Le doyen Georges Vedel, ancien membre du Conseil constitutionnel, soulignait ainsi : « En elle-même, la réforme du système électoral peut se faire par la loi ordinaire. Mais cette réforme aurait plus de conséquences politiques et une signification plus étendue que la révision de bien des articles de la Constitution » ([9]). Il est donc essentiel d’en mesurer précisément la portée.

2.   Une tradition de manipulation politique du mode de scrutin

En réalité, le choix, malgré les promesses électorales répétées, de conserver un scrutin majoritaire à deux tours obéit à une stratégie politique. Loin de vouloir renforcer la représentativité de l’Assemblée nationale, les partis au pouvoir se soucient avant tout de préserver du mieux possible leurs acquis. Le système majoritaire offre en effet une prime aux sortants et aux partis du centre qui s’allient pour faire obstruction à ceux qui menacent leur position prédominante.

Cette pratique n’est pas nouvelle et dès la Restauration (1814-1830), la modification du mode de scrutin a été utilisée, via le redécoupage régulier des circonscriptions, pour favoriser la majorité en place à l’approche de nouvelles élections ([10]). Sous la Ve République, la parenthèse proportionnelle de 1986 n’échappe pas à la règle : à l’époque, la gauche avait mis fin au scrutin majoritaire afin d’amortir une victoire annoncée de la droite.

Cette expérience, qui a permis au Front national d’obtenir 35 sièges, a cependant démontré que la proportionnelle, comme la cohabitation, n’était absolument pas incompatible avec le bon fonctionnement de la Ve République.

II.   Des constats partagés pour une réforme attendue

A.   De nombreuses propositions de loi en ce sens, émanant de divers groupes parlementaires

Depuis le rétablissement du scrutin majoritaire à deux tours, la mise en place d’un scrutin mixte ou de la proportionnelle intégrale continue de faire débat. Elle emporte un soutien de plus en plus large en raison de la faible représentativité de la composition de l’Assemblée nationale et du renforcement du fait majoritaire sous l’effet de la synchronisation des élections présidentielles et législatives.

Cette critique est partagée par des groupes politiques d’horizons différents :

 Sous la XVe législature (2017-2022), plusieurs propositions de loi en ce sens ont été déposées. En avril 2021, la commission des Lois a examiné une proposition de loi de M. Jean-Luc Mélenchon visant à instaurer la proportionnelle intégrale au scrutin législatif (n° 4013). En février 2021, M. Patrick Mignola et le groupe Mouvement démocrate en déposaient également deux : l’une pour instaurer une dose de proportionnelle (n° 3865), l’autre pour une proportionnelle intégrale au niveau départemental (n° 3927 rect.).

 Sous la XIVe législature (2012-2017), une proposition de loi tendant à introduire une dose de représentation proportionnelle lors des élections législatives (n° 163) avait été déposée par Mme Marie-Jo Zimmermann, députée du groupe Rassemblement-Union pour un mouvement populaire (RUMP). Les écologistes avaient également déposé une proposition de loi visant à améliorer la représentation des Français en instaurant l’élection des députés au scrutin de liste à la représentation proportionnelle (n° 2959).

À ce jour, le scrutin majoritaire n’est plus défendu que par les partis en recul, qui souhaitent freiner leur déclin en s’appuyant sur un mode de scrutin qui favorise les sortants et limitent la concurrence des partis émergents.

B.   Un engagement du président de la République

La réforme portée par la présente proposition de loi aurait pu avoir lieu à l’occasion de la révision constitutionnelle engagée en 2018. Lors de son discours devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles le 3 juillet 2017, le Président de la République indiquait : « La représentativité reste toutefois un combat inachevé dans notre pays. Je souhaite le mener avec vous résolument. Je proposerai ainsi que le Parlement soit élu avec une dose de proportionnelle pour que toutes les sensibilités y soient justement représentées ».

Bien qu’une loi ordinaire suffise pour réaliser cette modification du mode de scrutin, son sort a été lié à celui de la révision constitutionnelle, abandonnée en juillet 2018 après les révélations de l’affaire dite « Benalla ». L’article 1er du projet de loi pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace (n° 976) prévoyait « d’une part, l’élection des députés représentant les Français établis hors de France au scrutin de liste à la représentation proportionnelle sans panachage ni vote préférentiel dans une circonscription dédiée ; d’autre part, une “ dose ” de proportionnelle de 15 % des effectifs de l’Assemblée nationale en prévoyant, le jour du premier tour de l’élection au scrutin uninominal majoritaire, l’élection de soixante et un députés au scrutin de liste national à la représentation proportionnelle sans panachage ni vote préférentiel » ([11]).

Au cours de la campagne pour les élections présidentielles de 2022, le 13 avril, le Président de la République en campagne s’est même dit favorable « à plus de proportionnelle pour mieux représenter les forces politiques à l’Assemblée ». Interrogé sur la question d’une proportionnelle intégrale, il a indiqué : « Je pense qu’on peut aller jusque-là. Je n’y suis pas opposé en ce qui me concerne » ([12]). Preuve du consensus croissant sur cette question, les programmes des deux candidats qualifiés pour le second tour se rejoignaient sur ce point.

C.   Un soutien de l’opinion publique

L’opinion publique soutient également une telle réforme. Selon un sondage réalisé en juin 2021 ([13]), 69 % des Français étaient favorables à la mise en place d’un scrutin proportionnel au niveau départemental ou régional. Selon cette même enquête, 53 % des Français estimaient que le mode de scrutin doit avoir pour finalité de « permettre à chaque parti ou mouvement politique d’obtenir un nombre de députés qui soit le plus proche de son poids électoral dans le pays » tandis que seulement 19 % se montraient attachés à « permettre de dégager une majorité de gouvernement même si elle ne correspond pas à une majorité électorale ».

Après les élections législatives de 2022, 60 % des Français trouvaient d’ailleurs que le fait que le Président de la République ne dispose que d’une majorité relative était une bonne chose ([14]).

Selon un autre sondage, en 2018, 60 % des personnes interrogées craignaient que l’introduction d’une simple dose de proportionnelle ne changerait pas grand-chose ([15]), plaidant en faveur d’une proportionnelle intégrale.

Comme le souligne M. Denis Baranger, auditionné par votre Rapporteur, si la modification du mode de scrutin ne peut, à elle seule, résoudre l’ensemble des difficultés que connaît le système représentatif français, elle serait en mesure de mieux faire correspondre le mode d’élection des députés avec les attentes des citoyens exprimées depuis 2017, notamment le rejet du schéma bipolaire droite/gauche.

III.   Le choix de retenir une proportionnelle au niveau départemental préserve l’équilibre entre représentativité et gouvernabilité

Comme l’écrit Jean-Claude Colliard : « Toute représentation, parce qu’elle consiste par essence à réduire la diversité qui caractérise plusieurs millions d’électeurs à celle, forcément moins élevée, qui sera incarnée par quelques centaines de représentants, emporte une déformation de l’opinion. L’éternelle question, qui ne sera sans doute jamais résolue, est de savoir s’il faut tendre à respecter au mieux cette diversité, quitte à avoir un Parlement très fractionné et des difficultés pour y faire apparaître clairement une majorité, ou s’il faut accepter, voire renforcer la déformation, pour créer une majorité et favoriser ainsi la gouvernabilité » ([16]). Tel est l’équilibre recherché par cette proposition de loi.

A.   Un choix parmi différentes options

Comme le démontre la présentation des modes de scrutin existant en Europe, un scrutin proportionnel peut prendre différente forme.

– majoritaire avec une dose de proportionnelle : en 2018 et en 2019, il avait ainsi été envisagé que 15 % des sièges soient répartis à la proportionnelle au niveau national et que la taille des circonscriptions soit agrandie dans le même temps ([17]). Un tel mode de scrutin a nourri plusieurs inquiétudes, notamment la différence de situation entre les députés élus sur un territoire et ceux élus sans circonscription. Ces derniers n’auraient pas le même lien avec le terrain et ne seraient pas soumis aux mêmes contraintes – en particulier pour les têtes de liste.

 intégralement proportionnel au niveau national, avec ou sans prime majoritaire : ce mode de scrutin, qui existe aux Pays-Bas ([18]), est le plus représentatif car parfaitement fidèle à la répartition des voix entre les différents partis. Cependant, en ne donnant aucune surreprésentation au parti arrivé en tête, il peut aboutir à des écarts en sièges très serrés et donc des difficultés à mettre en place un Gouvernement. Par ailleurs, la circonscription nationale conduit à donner un poids plus élevé qu’actuellement aux départements les plus peuplés et donc les plus urbains. L’instauration d’une prime majoritaire, sur le modèle des élections municipales, conduirait à l’inverse à aggraver la situation actuelle en donnant au premier parti un nombre de sièges bien supérieur en proportion au nombre de voix qu’il recueille.

– intégralement proportionnel par département : cela permet de lier l’avantage du scrutin actuel, qui assure la proximité des citoyens avec leurs élus, avec une meilleure représentativité grâce à l’existence de listes départementales offrant un même nombre de sièges aux femmes et aux hommes.

Selon les options choisies les résultats varient fortement, le tableau ci-dessous présente une estimation de la répartition des sièges selon les différents modes de scrutin précités. Ainsi, bien que le scrutin proportionnel au niveau national bénéficierait davantage au Rassemblement national, votre Rapporteur, pour les raisons précitées, a retenu dans sa proposition de loi, le choix d’une proportionnelle intégrale au niveau départemental.

répartitionS estiméeS des sièges en fonction du mode de scrutin
aux élections législatives de juin 2022

 

Majoritaire uninominal à deux tours

Dose de proportionnelle

Proportionnelle intégrale au niveau national

Proportionnelle intégrale par département

Ensemble

245

230

183 (313*)

183

NUPES

133

132

182 (122*)

176

Rassemblement national

89

92

132 (89*)

119

Les Républicains -UDI

64

72

80 (53*)

58

Autres et divers

46

51

0

41

Source : Ministère de l’intérieur

* Entre parenthèses les résultats estimés avec une prime majoritaire

B.   Des conséquences positives pour la vie politique française

Si la mise en place d’un scrutin proportionnel pouvait laisser penser à un bouleversement excessif des équilibres parlementaires jusqu’en 2022, les récentes élections sont la preuve de la possibilité de faire vivre une Assemblée plus représentative mais aussi de la nécessité de remettre en question un fait majoritaire à bout de souffle.

Le scrutin majoritaire n’apparaît plus comme une garantie de stabilité politique puisqu’il ne permet pas, compte tenu de l’éclatement des forces politiques, aux groupes disposant de la majorité relative de décider seuls. Le Gouvernement se voit donc dans l’obligation de recourir massivement à la procédure prévue à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution. Dans un contexte où seules les alliances peuvent permettre de gouverner, la représentativité gagnerait à être renforcée afin que ces accords de Gouvernement reflètent la réalité du pays. Actuellement, un parti ayant réalisé moins de 5 % aux élections présidentielles dispose d’un pouvoir disproportionné sous prétexte que ses voix servent d’appoint à la majorité.

Ceux qui craignent que le scrutin proportionnel instaure de l’instabilité doivent être rassurés. Avec un seuil de 5 % pour prétendre obtenir un siège, seuls des partis suffisamment représentatifs pourront entrer à l’Assemblée nationale. Les plus petits partis devront s’inscrire dans des coalitions qui limiteront l’éclatement politique de la représentation nationale. Comme l’a rappelé M. Jérôme Sainte-Marie lors de son audition, il ne faut pas oublier que la Ve République a été conçue pour permettre au Gouvernement d’agir même en présence d’une majorité relative, grâce aux instruments du parlementarisme rationalisé.

Le scrutin proportionnel est également compatible avec la proximité. Il est parfois reproché au scrutin proportionnel d’éloigner les citoyens de leurs élus. Contrairement à l’instauration d’une dose de proportionnelle au niveau national, l’existence de circonscriptions départementales limite ce risque.

Pour mémoire, les sénateurs sont élus sur des circonscriptions départementales – dont 73 % au scrutin de liste ([19]) – sans que personne ne leur reproche d’être déconnectés de leur territoire. Au contraire, les élus en auront une vision plus diversifiée et cela créera moins de confusion avec les missions des élus locaux. En outre, la départementalisation des circonscriptions évacue la question de leur découpage qui fait régulièrement l’objet, comme cela a été expliqué précédemment, de débats et de tentatives de manipulation.

D’autre part, le scrutin proportionnel est en mesure de réduire l’abstention et d’accélérer le renouvellement de la représentation. Selon M. Benjamin Morel, auditionné par votre Rapporteur : « l’abstention est ainsi en moyenne inférieure de 7,5 points une fois les autres facteurs isolés ([20]). La participation est même relevée de 12 points chez les jeunes ([21]). Le scrutin majoritaire pour sa part tend à accroître l’abstention et rend difficile l’application de la parité. » ([22]).

Le scrutin proportionnel peut motiver les électeurs car il augmente presque mécaniquement le pluralisme au sein du Parlement. Auditionné par votre Rapporteur, M. Pascal Perrineau souligne que, même si les récentes élections ont été marquées par une « proportionnalisation du scrutin majoritaire », la proportionnelle reste le meilleur moyen de « rouvrir l’accordéon électoral » et de permettre ainsi l’expression d’un plus grand nombre de nuances politiques.

Le scrutin de liste permet en particulier une meilleure représentation des femmes puisque les listes seraient constituées alternativement de femmes et d’hommes. Cela favoriserait le renouvellement des élus et serait plus contraignant pour les partis réticents à désigner des candidates (voir encadré ci-dessous).

Modulation de l’aide publique aux partis en fonction de la proportion respective de femmes et d’hommes présentés

L’article 15 de la loi n° 2000-493 du 6 juin 2000 tendant à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives a instauré le principe d’un malus applicable à la première fraction d’aide publique en cas de non‑respect de la parité dans la présentation de candidats aux élections législatives.

Dans sa rédaction actuelle, l’article 9‑1 de la loi du 11 mars 1988 prévoit donc que, lorsque l’écart entre le nombre de candidats de chaque sexe dépasse 2 % du nombre total de ces candidats, le malus est égal à 150 % de cet écart.

En la matière, le Rassemblement national fait figure de bon élève puisqu’il n’a pas fait l’objet de sanction (voir tableau ci-après).

Modulation de l’aide publique aux partis liée à la parité (2018)

Source : Rapport pour avis sur la mission « Administration générale et territoriale de l’État », projet de loi de finances pour 2019, M. Olivier Marleix, n° 1307, 12 octobre 2018, XVe législature, p. 12.

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*     *

 


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   Commentaire des articles de la proposition de loi

Article 1er
(art. L. 123 du code électoral)
Élection des députés au scrutin proportionnel au niveau départemental

Rejeté par la Commission

        Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article, qui réécrit l’article L. 123 du code électoral, instaure l’élection des députés au scrutin de liste à un tour à la représentation proportionnelle au niveau départemental. Ces listes doivent être paritaires. S’agissant des députés des Français établis hors de France, ils sont élus dans une circonscription unique.

        Dernières modifications législatives intervenues

L’article L. 123 du code électoral avait été modifié par l’article 1er de la loi n° 85‑690 du 10 juillet 1985 lors de la mise en place d’un scrutin proportionnel pour les élections législatives de 1986. Il a été rétabli dans sa version initiale par l’article 1er de la loi n° 86-825 du 11 juillet 1986.

        Position de la Commission

La Commission n’a pas adopté le présent article.

1.   L’état du droit

Les articles L. 123 et L. 124 du code électoral prévoient respectivement que « les députés sont élus au scrutin uninominal majoritaire à deux tours » et que « le vote a lieu par circonscription ». Cette définition du mode de scrutin actuel doit se lire au regard des règles prévues par l’article L. 126 du code électoral ([23]) qui précise les conditions dans lesquelles un député peut être élu au premier tour et par l’article L. 162 du même code qui encadre l’accès au second tour.

En effet, si un candidat recueille au premier tour plus de la moitié des suffrages exprimés, représentant au moins un quart des électeurs inscrits, il est élu directement. Sinon, l’ensemble des candidats ayant recueilli « un nombre de suffrages au moins égal à 12,5 % du nombre des électeurs inscrits » ([24]) peuvent se maintenir au second tour. La majorité relative suffit alors pour l’emporter. L’article L. 126 du code électoral précise qu’ « en cas d’égalité de suffrages, le plus âgé des candidats est élu ».

2.   Le dispositif proposé

Les articles L. 123 et L. 124 du code électoral sont réécrits par deux articles de la proposition de loi : l’article 1er, prévoit le nouveau mode de scrutin des élections législatives tandis que l’article 2 ([25]) fixe les conditions d’attribution des sièges aux différentes listes.

L’article L. 123 du code électoral, dans la rédaction proposée par le présent article, met en place un scrutin intégralement proportionnel au niveau départemental. Les délimitations des départements et des nouvelles circonscriptions sont ainsi confondues.

Le vote s’exerce selon les modalités suivantes :

– sur des listes « composée[s] alternativement d’un candidat de chaque sexe », ce qui conduira à renforcer la parité au sein l’Assemblée nationale ;

– « sans panachage », c’est-à-dire qu’il n’est pas possible de répartir son vote entre plusieurs listes, même si plusieurs sièges sont à pourvoir ;

– « sans vote préférentiel », c’est-à-dire que l’électeur est tenu par l’ordre de la liste et ne peut pas indiquer lequel des candidats présents sur la liste il souhaite élire.

Enfin, le dernier alinéa de l’article L. 123 régit l’élection des députés des Français établis hors de France qui voteront désormais dans une circonscription unique, au lieu de onze précédemment.

3.   La position de la Commission

La Commission n’a pas adopté le présent article.

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Article 2
(art. L. 124 du code électoral)
Attribution des sièges aux listes de candidats aux élections législatives

Rejeté par la Commission

        Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article, qui réécrit l’article L. 124 du code électoral, précise que seules les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés peuvent prétendre à la répartition des sièges. Il rappelle que les sièges sont attribués à la plus forte moyenne, par ordre de présentation sur la liste.

        Dernières modifications législatives intervenues

L’article L. 124 du code électoral avait été modifié par l’article 1er de la loi  85-690 du 10 juillet 1985 lors de la mise en place d’un scrutin proportionnel pour les élections législatives de 1986. Il a été rétabli dans sa version initiale par l’article 1er de la loi n° 86-825 du 11 juillet 1986.

        Position de la Commission

La Commission n’a pas adopté le présent article.

1.   L’état du droit

Dans sa rédaction actuelle, l’article L. 124 du code électoral prévoit que « le vote a lieu par circonscription », c’est-à-dire que chaque circonscription procède à l’élection de son député de manière autonome. Le décompte des voix au niveau national ou au niveau du département n’a aucun effet sur le résultat des élections.

La rédaction de cet article n’a évolué qu’à une seule reprise, lors de l’instauration d’un scrutin proportionnel pour les élections législatives de 1986, avant d’être rétablie un an plus tard.

2.   Le dispositif proposé

Le présent article reprend la rédaction de l’article L. 124 issue de l’article 1er de la loi n° 85-690 du 10 juillet 1985 modifiant le code électoral et relatif à l’élection des députés.

Le vote par circonscription est maintenu par l’article 1er de la proposition de loi qui inscrit à l’article L. 123 que « les députés sont élus dans les départements » et que « le département forme une circonscription » ([26]).

L’article 2 de la présente proposition de loi précise la répartition des sièges au niveau département selon deux règles :

– les listes doivent avoir obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés pour être admises à la répartition des sièges ;

– les sièges sont attribués dans l’ordre de la liste, compte tenu de l’absence de panachage et de vote préférentiel prévu à l’article L. 123 du code électoral dans sa rédaction issue de l’article 1er ;

– les sièges sont répartis à la plus forte moyenne.

La méthode de la plus forte moyenne permet une attribution des sièges la plus fidèle au poids de chacune des listes éligibles (voir exemple ci-après).

On calcule d’abord un quotient électoral (le nombre de voix divisé par le nombre de siège). Les listes qui atteignent ce quotient obtiennent autant de sièges que de multiples de ce quotient en voix.

Les sièges restants sont partagés à la plus forte moyenne. On ajoute fictivement à chaque liste un siège à ceux dont elle bénéficie en vertu du quotient puis on divise le nombre de suffrages de la liste par le nombre ainsi obtenu (si une liste n’avait pas obtenu de siège au quotient, on divise donc par 1). La liste qui a la plus forte moyenne obtient le siège restant. S’il y a plusieurs sièges à répartir, on recommence l’opération jusqu’à distribution de tous les sièges, après avoir ajouté à chaque liste le nombre de sièges obtenus selon la règle de la plus forte moyenne.

3.   La position de la Commission

La Commission n’a pas adopté le présent article.

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Application du mode de scrutin au Pas-de-Calais en 2022

Le Pas-de-Calais compte douze circonscriptions. Il y avait 508 258 votants au premier tour des élections législatives en 2022, soit un siège pour 42 355 voix. Les listes ayant recueilli plus de 5 % des suffrages, soit 25 413 voix, seraient admises à la répartition.

1ère étape : Attribution au quotient

– RN: 167 840 voix / 42 355 = 3,9 soit 3 sièges

– Ensemble : 108 614 voix / 42 355 = 2,6 soit 2 sièges

– Nupes ([27]) : 99 458 voix / 42 355 = 2,3 soit 2 sièges

– Union de la droite et du centre : 45 239 voix / 42 355 = 1,1 soit 1 siège

Huit sièges sont attribués au quotient électoral. Les quatre sièges restants doivent être répartis à la plus forte moyenne.

2ème étape : Attribution à la plus forte moyenne

Attribution du 9ème siège : RN

 RN : 167 840 voix / (3+1) = 41 960

– Ensemble : 108 614 voix / (2+1) = 36 204

– Nupes : 99 458 voix / (2+1) = 33 152

– Union de la droite et du centre : 45 239 voix / (1+1) = 22619

Attribution du 10ème siège : Ensemble

– RN : 167 840 voix / (4+1) = 33 568

 Ensemble : 108 614 voix / (2+1) = 36 204

– Nupes : 99 458 voix / (2+1) = 33 152

– Union de la droite et du centre : 45 239 voix / (1+1) = 22619

Attribution du 11ème siège : RN

 RN : 167 840 voix / (4+1) = 33 568

– Ensemble : 108 614 voix / (3+1) = 27 153

– Nupes : 99 458 voix / (2+1) = 33 152

– Union de la droite et du centre : 45 239 voix / (1+1) = 22619

Attribution du 12ème siège : Nupes

– RN : 167 840 voix / (5+1) = 27 973

– Ensemble : 108 614 voix / (3+1) = 27 153

 Nupes : 99 458 voix / (2+1) = 33 152

– Union de la droite et du centre : 45 239 voix / (1+1) = 22619

Au total, les sièges sont répartis de la manière suivante :

– RN : 5 sièges

– Ensemble : 3 sièges

– Nupes : 3 sièges

– Union de la droite et du centre : 1 siège


Article 3
(art. L. 125 du code électoral)
Répartition des sièges de députés par département, en outre-mer et pour les Français établis hors de France

Rejeté par la Commission

        Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article, qui réécrit l’article L. 125 du code électoral, prévoit le maintien du nombre de sièges de député attribués au sein de chaque département, conformément au nombre de circonscriptions existant actuellement dans chacun d’entre eux. Le nombre de sièges attribués à chacune des collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 et à la Nouvelle-Calédonie reste également identique, tout comme le nombre de députés représentant les Français établis hors de France.

        Dernières modifications législatives intervenues

L’ordonnance n° 2009-935 du 29 juillet 2009 portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions pour l’élection des députés a procédé au redécoupage des circonscriptions et à la création des circonscriptions des Français établis hors de France.

        Position de la Commission

La Commission n’a pas adopté le présent article.

1.   L’état du droit

L’histoire du découpage électoral est indissociable de celle de la démocratie française. En 1789, le premier découpage reprend les circonscriptions (400 « bailliages électoraux ») qui avaient servi à désigner les participants aux États généraux. Après la réorganisation administrative de la France, l’arrondissement devient l’échelon privilégié de désignation des députés. C’est au moment de la Restauration (1814-1830) que le découpage de circonscriptions électorales ad hoc est utilisé pour la première fois. Jusqu’en 1848, chaque élection a préalablement donné lieu à un redécoupage, souvent dans le but d’obtenir les résultats les plus favorables au régime ou de favoriser l’élection de certains candidats. Cette pratique est abandonnée en 1848 pour revenir à un scrutin plurinominal au niveau départemental.

Sous la IIIe République, deux stratégies de découpage se sont succédées : l’une en faveur d’une élection des députés au niveau de l’arrondissement (soutenu par les « arrondissementiers »), l’autre en faveur d’une élection des députés au niveau départemental, sans qu’aucune des deux solutions ne permettent de stabiliser le Gouvernement.

Sous la IVe République, le scrutin de liste au niveau départemental est privilégié même si, dans le but de contrer la montée du Parti communiste et des gaullistes, la loi dite « des apparentements » de 1951 a prévu que les regroupements de listes recueillant la majorité absolue des suffrages dans un département obtiennent la totalité des sièges de ce département.

Sous la Ve République, la mise en place d’un scrutin majoritaire uninominal à deux tours a conduit à un nouveau redécoupage des circonscriptions électorales, dont le nombre a varié – la Constitution ne fixant, depuis 2008, qu’un plafond en nombre de députés. Pour éviter la contestation du redécoupage électoral, sur lequel le Conseil constitutionnel n’exerce qu’un contrôle restreint ([28]), et son instrumentalisation politique, l’article 25 de la Constitution a été complété en 2008 pour prévoir, à son dernier alinéa, qu’« une commission indépendante, dont la loi fixe la composition et les règles d’organisation et de fonctionnement, se prononce par un avis public sur les projets de texte et propositions de loi délimitant les circonscriptions pour l’élection des députés ou modifiant la répartition des sièges de députés ou de sénateurs ».

En 2008, le Président de la République, Nicolas Sarkozy, a confié à Alain Marleix, secrétaire d’État à l’Intérieur et aux collectivités territoriales, le soin de procéder à une adaptation des circonscriptions aux évolutions démographiques. Il était par ailleurs nécessaire, tout en conservant 577 sièges, de créer onze circonscriptions des Français établis hors de France, dont l’existence avait été consacrée dans la Constitution à l’occasion de la révision de 2008. Ce redécoupage est applicable depuis les élections législatives de 2012.

2.   Le dispositif proposé

Le présent article prévoit une conservation du nombre de circonscriptions par département tel qu’il existe actuellement, en application du dernier découpage électoral. Il renvoie donc au tableau n° 1 annexé au code électoral qui délimite les différentes circonscriptions composant chaque département.

Pour les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 et pour la Nouvelle-Calédonie, le nombre de siège est également conservé selon la répartition prévue au tableau n° 1 bis en annexe du code électoral.

Le nombre de sièges attribués, au sein d’une circonscription unique, aux députés élus par les Français établis hors de France reste également stable (onze), conformément au tableau n° 1 ter en annexe du code électoral.

3.   La position de la Commission

La Commission n’a pas adopté le présent article.

Nombre de circonscriptions par département

Département

Nombre de sièges

Département

Nombre de sièges

Ain

5

Marne

5

Aisne

5

Haute-Marne

2

Allier

3

Mayenne

3

Alpes de Haute-Provence

2

Meurthe-et-Moselle

6

Hautes-Alpes

2

Meuse

2

Alpes-Maritimes

9

Morbihan

6

Ardèche

3

Moselle

9

Ardennes

3

Nièvre

2

Ariège

2

Nord

21

Aube

3

Oise

7

Aude

3

Orne

3

Aveyron

3

Pas-de-Calais

12

Bouches-du-Rhône

16

Puy-de-Dôme

5

Calvados

6

Pyrénées-Atlantiques

6

Cantal

2

Hautes-Pyrénées

2

Charente

3

Pyrénées-Orientales

4

Charente-Maritime

5

Bas-Rhin

9

Cher

3

Haut-Rhin

6

Corrèze

2

Rhône

14

Corse-du-Sud

2

Haute-Saône

2

Haute-Corse

2

Saône-et-Loire

5

Côte-d’Or

5

Sarthe

5

Côtes d’Armor

5

Savoie

4

Creuse

1

Haute-Savoie

6

Dordogne

4

Paris

18

Doubs

5

Seine-Maritime

10

Drôme

4

Seine-et-Marne

11

Eure

5

Yvelines

12

Eure-et-Loir

4

Deux-Sèvres

3

Finistère

8

Somme

5

Gard

6

Tarn

3

Haute-Garonne

10

Tarn-et-Garonne

2

Gers

2

Var

8

Gironde

12

Vaucluse

5

Hérault

9

Vendée

5

Ille-et-Vilaine

8

Vienne

4

Indre

2

Haute-Vienne

3

Indre-et-Loire

5

Vosges

4

Isère

10

Yonne

3

Jura

3

Territoire-de-Belfort

2

Landes

3

Essonne

10

Loir-et-Cher

3

Hauts-de-Seine

13

Loire

6

Seine-Saint-Denis

12

Haute-Loire

2

Val-de-Marne

11

Loire-Atlantique

10

Val-d’Oise

10

Loiret

6

Guadeloupe

4

Lot

2

Guyane

2

Lot-et-Garonne

3

Martinique

4

Lozère

1

Mayotte

2

Maine-et-Loire

7

La Réunion

7

Manche

4

Français hors de France

11

Nombre de circonscriptionS par collectivité d’outre-mer régie par l’article 74 de la constitution et en nouvelle-calédonie

Département

Nombre de sièges

Nouvelle-Calédonie

2

Polynésie française

3

Saint-Barthélemy et Saint-Martin

1

Saint-Pierre-et-Miquelon

1

Wallis-et-Futuna

1

*

*     *

Article 4
(art. L. 126 du code électoral [suppression])
Suppression des conditions d’élection au premier tour des élections législatives

Rejeté par la Commission

        Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article procède, par cohérence, à la suppression de l’article L. 126 du code électoral qui prévoyait les modalités d’élection des députés dès le premier tour.

        Dernières modifications législatives intervenues

La rédaction actuelle de l’article L. 126 du code électoral résulte du rétablissement du scrutin majoritaire uninominal à deux tours à l’occasion de la loi n° 86-825 du 11 juillet 1986.

        Position de la Commission

La Commission n’a pas adopté le présent article.

1.   L’état du droit

L’article L. 126 du code électoral avait été abrogé en 1985 lors de la mise en place d’un scrutin proportionnel pour les élections de 1986 ([29]). Il a été rétabli dès le mois de juillet 1986 ([30]).

Il précise les deux conditions devant être réunies pour être élu au premier tour : obtenir la majorité absolue des suffrages exprimés et que le nombre de voix corresponde à au moins un quart des inscrits (par exemple, si la participation est de 50 %, la majorité absolue en suffrages exprimés suffit mais si elle n’est que de 40 %, il faut obtenir 62,5 % des suffrages exprimés).

2.   Le dispositif proposé

L’article L. 126 du code électoral prévoit des règles ne pouvant s’appliquer qu’à un scrutin majoritaire à deux tours. Il est donc prévu, par cohérence, de supprimer cet article devenu sans objet dans le cadre d’un scrutin proportionnel.

3.   La position de la Commission

La Commission n’a pas adopté le présent article.


—  1  —

   compte rendu des débats

Lors de sa réunion du mercredi 14 décembre 2022, la Commission examine la proposition de loi visant à revivifier la représentation politique (n° 555 rect.) (M. Bruno Bilde, rapporteur).

Lien vidéo : https://assnat.fr/NFkKqK

M. le président Sacha Houlié. Nous examinons ce matin les propositions de loi inscrites à l’ordre du jour de la journée réservée au groupe Rassemblement national, le 12 janvier prochain.

M. Bruno Bilde, rapporteur. « La réforme du système électoral peut se faire par la loi ordinaire, mais cette réforme aurait plus de conséquences politiques et une signification plus étendue que la révision de bien des articles de la Constitution ». Ces mots du doyen Georges Vedel doivent nous inviter à une discussion sérieuse, en laissant nos clivages de côté ; je sais que nous en sommes capables.

Notre proposition de loi (PPL), qui vise à mettre en place un scrutin proportionnel de liste au niveau départemental pour les élections législatives, relève bien de la loi ordinaire puisque l’article 34 de la Constitution dispose que « la loi fixe également les règles concernant le régime électoral des assemblées parlementaires ». Quant à l’article 24 de la Constitution, il n’impose au législateur qu’une seule contrainte : maintenir un suffrage direct, en opposition au mode d’élection des sénateurs.

Cette idée, le Rassemblement national la défend depuis longtemps, comme d’autres formations politiques. Sous la précédente législature, le Modem et la France insoumise ont déposé des propositions de loi en ce sens. Un peu plus loin dans le temps, cette proposition était la quarante-septième des 101 propositions du candidat François Mitterrand. Plus récemment, le Président de la République, après avoir soutenu l’intégration d’une dose de proportionnelle, s’est dit favorable à un système de proportionnelle intégrale. Il s’agissait d’ailleurs de l’un des rares points d’accord entre les deux candidats présents au second tour de l’élection présidentielle.

À l’exception des élections législatives de 1986 – dont le mode de scrutin inspire la présente proposition de loi –, la Ve République a toujours privilégié le scrutin majoritaire à deux tours. Ce n’est pourtant une évidence au regard ni de notre histoire, ni des pratiques de nos voisins.

Au cours de notre histoire, la IIIe République a connu une alternance entre scrutin majoritaire de liste et scrutin majoritaire uninominal. Sous la IVe République, le choix a été fait d’un scrutin proportionnel au niveau départemental, assorti d’une prime majoritaire à partir de 1951. Sous ces deux Républiques, les arrondissements ou les départements constituaient les circonscriptions, afin d’éviter les manipulations de découpage – de charcutage, pour certains – électoral, fréquemment pratiquées sous l’Empire et la Restauration.

En Europe, le mode de scrutin français constitue une exception. Hormis le Royaume-Uni, qui a adopté le scrutin uninominal à un tour – moins inégalitaire que le nôtre – tous les pays européens appliquent un mode de scrutin proportionnel ou mixte. Dans les scrutins mixtes, une dose de scrutin majoritaire vient corriger les imperfections de la proportionnelle, en améliorant la représentativité ou la stabilité du système électoral.

Ce caractère d’exception doit nous interpeller en ces temps où notre démocratie s’essouffle. Pour reprendre l’expression de Pierre Rosanvallon, nos compatriotes souffrent de « mal-représentation » ; ils ont le sentiment que leurs revendications sont invisibles. En 2017, alors que Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon avaient recueilli à eux deux 41 % des suffrages au premier tour de l’élection présidentielle, ils n’avaient obtenu que 4,3 % des sièges à l’Assemblée nationale. En 1993, le RPR avait obtenu 82 % des sièges en ayant recueilli seulement 40 % des voix. La surreprésentation du parti arrivé en tête est une constante sous la Ve République, et elle nourrit l’abstention. Tous les chercheurs que nous avons auditionnés s’accordent sur le fait que l’abstention trouve sa principale source dans la conviction des électeurs que leur vote ne sera pas pris en compte. Les études montrent ainsi que les électeurs de gauche se démobilisent dans les circonscriptions de droite et inversement.

Certes, cette conception utilitariste tranche avec celle de nos parents et grands-parents, qui considéraient le vote comme un devoir républicain et moral. Cependant, il nous faut prendre en compte cette évolution et entendre la volonté des Français d’avoir un parlement pluraliste avec une majorité relative.

Le scrutin majoritaire porte atteinte au pluralisme et à notre démocratie représentative. Il renforce le fait majoritaire alors même que la Constitution donne au Gouvernement les moyens de contraindre le Parlement, même en l’absence d’une majorité absolue. Cette inégalité électorale se double de lourdes conséquences financières, compte tenu de l’effet des élections législatives sur le financement des partis.

La proportionnelle peut réduire l’abstention et contribuer à rapprocher nos concitoyens de la vie démocratique. Elle redonnerait une chance à chaque parti d’obtenir un siège dans chaque département et les électeurs verraient davantage un intérêt à se déplacer. Selon une étude, le mode de scrutin proportionnel augmenterait la participation de 7,5 %, toutes choses restant égales par ailleurs. Nous y voyons l’opportunité d’engager un processus vertueux, qui donnerait au Parlement plus de légitimité et de force face au Gouvernement.

Il est urgent de prendre en considération le message que les Français nous envoient, élection après élection, en se déplaçant moins et en accordant leur vote à de nouveaux partis. Ils ont souhaité dépasser le clivage droite-gauche et les enquêtes d’opinion montrent qu’ils sont satisfaits de ce que le Président de la République ne dispose que d’une majorité relative. Nous devons nous adapter à cette nouvelle donne.

« Le mode de scrutin fait le pouvoir, c’est-à-dire qu’il fait la démocratie ou la tue », écrivait en 1947 Michel Debré, le père de la Ve République. Avec ce texte, nous pouvons donner un nouveau souffle à notre démocratie représentative.

M. Gilles Le Gendre (RE). Cette proposition de loi nous rappelle quelque chose… Et pour cause ! Elle reprend mot pour mot celle que le groupe Modem avait déposée le 23 février 2021, elle-même réplique de la loi de 1985, qui instaurait pour la première et dernière fois de la Ve République la proportionnelle intégrale. Dans une première version du texte, vite abandonnée, vous aviez même plagié une proposition de loi déposée par La France insoumise en mars dernier. Au Rassemblement national, la photocopieuse fonctionne à plein régime !

Nous ne sommes pas dupes de cette stratégie du coucou législatif, manœuvre à laquelle vous aviez déjà eu recours pour la réintégration des personnels soignants non vaccinés. Pas plus qu’elle n’avait alors fonctionné, le groupe Renaissance ne souhaite qu’elle réussisse s’agissant de la modification du mode de scrutin.

Notre majorité n’est cependant pas hostile à une évolution du mode d’élection des députés. Au cours du premier mandat, en 2018 puis en 2019, nous avons même soutenu l’intégration d’une dose de proportionnelle pour les élections législatives. Ce projet n’a pas abouti, mais nous n’y avons pas renoncé, les propos tenus par le Président de la République lors de la campagne présidentielle en témoignent.

Je vous entends déjà nous inviter à amender votre texte. Eh bien, non ! Nous ne jouerons pas avec vous cette scène bien connue de la personne à laquelle, lors d’une soirée, on s’est contenté de répondre par un sourire poli pour l’éconduire mais qui rappelle le lendemain pour nous inviter à dîner. Si nous appelons également de nos vœux une revitalisation démocratique de notre pays, si l’évolution de la loi électorale nous semble pouvoir y contribuer, nous sommes convaincus qu’elle ne permettrait pas à elle seule d’atteindre l’objectif visé. La proportionnelle, à petite ou grande dose, est une brique sans doute essentielle de la reconstruction démocratique que les Français attendent, mais bien d’autres briques seront nécessaires pour mener à bien ce chantier : la rénovation du travail parlementaire, le développement d’outils de démocratie directe et délibérative, ou encore la transformation en profondeur de l’action publique. Le défi consistera à ajuster ces briques entre elles pour nous assurer que l’édifice tienne debout.

C’est avec cette ambition de cohérence que le Président de la République installera prochainement la commission transpartisane sur les institutions – dès lors qu’il s’agit de réécrire la règle du jeu démocratique, tous les joueurs doivent s’engager.

De même qu’il y a quelques semaines le groupe Renaissance a voté contre la proposition de La France insoumise sur le référendum d’initiative partagée, il ne votera pas en faveur de ce texte. Mais il ne votera pas non plus pour les amendements de suppression et s’opposera à toutes les propositions visant à lancer un débat que nous jugeons prématuré.

Mme Béatrice Roullaud (RN). Selon un sondage Ipsos de septembre 2022, 70 % des Français considèrent que la démocratie fonctionne mal. Ce sentiment se vérifie dans les urnes, puisque les Français votent de moins en moins. L’abstention progresse de façon constante à l’échelon local, atteignant, en 2021, 55,4 % aux élections municipales et 66 % aux élections départementales et régionales. Peut-on continuer à se satisfaire d’une telle situation ? Comment expliquer cette désaffection ?

Pour Jérôme Sainte-Marie, auditionné lundi dernier, les Français sont prêts à voter lorsqu’ils ont l’impression que leur vote servira à quelque chose. À la question de savoir si la personne qui sera élue pourra agir sur leur quotidien, si la réponse est négative, ils n’auront pas envie de se déplacer. Le scrutin proportionnel à un tour permettrait-il à tous les Français de se sentir représentés et concernés ? Nous le pensons.

Certains partis politiques sont sous-représentés – c’était le cas du Rassemblement national il y a peu de temps encore. En 2017, alors que notre parti avait recueilli 10,6 millions de voix, il n’envoyait que 8 députés à l’Assemblée nationale. En revanche, La France insoumise et Les Républicains, qui n’avaient pas accédé au second tour, obtenaient respectivement 30 et 112 députés. Une telle disproportion, pour ne pas dire une telle injustice, entraîne, sinon un rejet du système électoral, au moins un sentiment de frustration qu’il nous faut proscrire.

L’adoption du système proportionnel, garant d’une représentativité plus juste et démocratique, et incontestablement plus respectueux des courants politiques, permettrait-elle de réduire l’abstention ? Nombre de spécialistes, parmi lesquels Jérôme Sainte-Marie et Benjamin Morel, constitutionnaliste de renom, le pensent. C’est également ce que nous ressentons en allant sur les marchés : si les Français pensaient que leur candidat et leurs idées pouvaient être représentés, ils se sentiraient concernés par l’élection.

Quant à l’argument du risque d’instabilité, il ne résiste pas longtemps à l’analyse : les études montrent que les alliances imposées par la proportionnelle sont généralement stables. Comme l’a fait remarquer Benjamin Morel, depuis 2000, la France a vu se succéder seize gouvernements quand l’Allemagne en a connu sept, l’Espagne neuf et l’Italie douze. Angela Merkel a donné la réplique à quatre Présidents de la République française. La France reste, avec la Grande Bretagne, le seul pays européen à ne pas avoir recours à la proportionnelle.

Le Rassemblement national considère depuis longtemps que l’instauration d’un scrutin proportionnel au niveau départemental permettrait une juste représentation des Français et renforcerait le pouvoir du Parlement. Notre groupe votera donc en faveur de cette proposition de loi.

Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). La France insoumise votera contre cette proposition de loi. À elle seule, l’élection des députés à la proportionnelle n’est pas susceptible de donner plus de pouvoir aux citoyens ; elle ne ferait que modifier la configuration de la représentation des partis politiques au Parlement.

Au reste, cette seule mesure occulte le problème fondamental de notre régime qu’est l’hyperpouvoir, la toute-puissance de l’exécutif, en particulier du Président de la République. La législature en cours le montre bien : jamais, dans la période récente, l’Assemblée nationale n’a été aussi représentative et pourtant, lorsque nous mettons en minorité les amis du Président, ils dégainent le 49.3. C’est donc là qu’il faut agir, avec une série de mesures qui mettront fin à la monarchie présidentielle. Car c’est bien la monarchie présidentielle qui expulse les citoyens de la démocratie.

L’irresponsabilité politique du Président de la République engendre des comportements sous couvert d’impunité. On le voit avec la question de la retraite. Les Français sont contre l’allongement de la durée des cotisations. En 2007, Nicolas Sarkozy, en campagne présidentielle, avait fait la promesse de ne pas toucher à la retraite à 60 ans : il l’a trahie. En 2012, François Hollande a fait de même. En 2022, Emmanuel Macron a certes évoqué l’augmentation de l’âge de départ à la retraite, mais il a été élu grâce aux voix de personnes qui y sont opposées et il le sait. Pourtant, cet homme seul compte imposer cette réforme injuste grâce à son pouvoir présidentiel. Voilà ce qui génère dégoût et abstention, ce qui rend malade notre démocratie ! Car le « corps » électoral, lorsqu’il s’avance vers les urnes, n’est pas entier ; il est amputé d’électeurs qui ne s’inscrivent pas, qui ne votent pas, qui votent blanc ou nul. Ceux-là, ce sont les électeurs des classes populaires, qui éprouvent le plus de dégoût face aux trahisons successives de l’Élysée, et des hommes et femmes politiques.

J’avais déposé un amendement afin que les votes blancs et nuls soient considérés comme des votes exprimés et que, lorsqu’ils représentent plus de 50 % des suffrages, l’élection soit invalidée. Je l’avais assorti d’un autre amendement visant à rendre le vote obligatoire, ce qui semble nécessaire pour que le corps électoral reste entier. Ces amendements ont été considérés comme irrecevables – dommage !

Un des moyens de lutter contre le dégoût nous semble être l’instauration du contrôle citoyen. C’est pourquoi La France insoumise propose une mesure historique : le droit de révoquer les élus en cours de mandat.

Le Rassemblement national, qui est d’essence bonapartiste, ne conçoit la politique que comme un moyen de donner plus de pouvoir au Président, jamais au peuple. Cette vision nous différenciera toujours, puisque nous croyons en la souveraineté populaire.

M. le président Sacha Houlié. J’ai déclaré vos amendements irrecevables car le vote blanc et le vote obligatoire n’ont pas de rapport direct ou indirect avec la nature uninominale ou proportionnelle du scrutin.

M. Xavier Breton (LR). En ces temps où le fossé se creuse entre nos concitoyens et les élus, toute réflexion sur la démocratie est la bienvenue. Cependant, notre groupe s’opposera à cette proposition de loi.

Le choix d’un mode scrutin dépend de la finalité qu’on en attend : soit une représentation la plus fine possible de la population dans sa diversité, soit l’obtention d’une majorité permettant de gouverner. Sachant que l’on tente souvent d’atteindre les deux, si l’on souhaite privilégier la première, le scrutin proportionnel doit l’emporter, mais si l’on cherche avant tout la stabilité, le scrutin majoritaire s’impose – c’est ce que défend la Constitution de la Ve République. D’ailleurs, les tenants de la proportionnelle sont ceux qui se sont toujours opposés à cette dernière : de François Mitterrand, qui avait voté contre son institution lors du référendum de 1958, à nos collègues de La France insoumise qui la contestent ouvertement.

Tout n’est pas tout noir ou tout blanc : la proportionnelle peut permettre de gouverner et le scrutin majoritaire offre parfois une représentation plus fine – c’est le cas en ce moment. Les institutions jouent alors leur rôle et différents articles de la Constitution donnent à la majorité relative la possibilité de gouverner. C’est l’un des points forts de nos institutions que d’assurer, en dépit des alternances politiques, des cohabitations et des scrutins, une certaine stabilité.

Le passage de la circonscription au département nous semble présenter un risque d’éloignement puisque, pour les élections à la proportionnelle, ce sont les partis politiques qui établissent les listes électorales ; ils choisissent leurs candidats pas forcément parmi ceux qui s’engagent directement auprès des citoyens. On voit bien aussi que les scrutins de liste, comme ceux des élections régionales, sont, pour les partis, la tentation d’envoyer des têtes de listes issues des secteurs les plus peuplés, écrasant ainsi la représentation des territoires ruraux.

Enfin, le cadre étant plus large, les résultats seront lissés, et les petits bastions politiques se retrouveront noyés dans un résultat départemental qui verra les grandes formations l’emporter.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Nous n’avons pas attendu le Rassemblement national pour évoquer la question de la proportionnelle et en débattre au sein de la commission des lois. D’ailleurs ce texte est un « copié-collé » des propositions de lois que le Modem et La France insoumise avaient déposées. Je suis surprise de la facilité avec laquelle on peut piquer les textes des autres. Si le texte est bon, pourquoi pas, mais il faudrait au moins citer ses sources – quand on est universitaire, on ne se permet pas le plagiat ! C’est une question de transparence et de déontologie, et de ne pas vous avoir entendu vous expliquer sur ce sujet nous met mal à l’aise.

Notre groupe est favorable à une dose de proportionnelle, mais défavorable à une proportionnelle intégrale.

Vous avez raison, il faut refaire du collectif. Les réformes constitutionnelles, comme celle que vous présentez, peuvent y contribuer, mais elles ne sont pas essentielles. Surtout, elles ne suffiraient pas à répondre à la crise démocratique que nous connaissons. Il serait même surprenant que le scrutin à la proportionnelle intégrale y parvienne, alors que les partis sont dégradés et remis en question. Comment des listes établies par des partis n’ayant pas la confiance du peuple pourraient-elles offrir un remède à une désaffection dont les causes sont multiples ?

Je ne crois pas que les listes en cours de constitution en vue des élections régionales par des accords entre les formations politiques soient le reflet d’une écoute citoyenne et d’une bonne représentativité. Les conseillers régionaux ont d’ailleurs bien des difficultés à se faire connaître sur les territoires.

Ce texte se fonde sur l’idée selon laquelle le mode de scrutin proportionnel serait par essence plus démocratique que le scrutin majoritaire. Or, le fonctionnement par listes privilégie les cadres des partis au détriment des élus de terrain, qui disposent pourtant d’une légitimité dans leur circonscription. En outre, l’éclatement de la représentation est loin de faire le jeu des citoyens, qui n’ont aucun mot à dire sur les coalitions formées après les élections.

Je ne partage pas l’analyse selon laquelle le mode de scrutin majoritaire serait brutal et moins juste. À l’inverse du mode de scrutin proportionnel à un tour, le mode de scrutin majoritaire à deux tours permet au citoyen d’arbitrer entre les alliances proposées.

Il n’est pas exact non plus que le scrutin proportionnel est la seule alternative au scrutin majoritaire. Il existe une infinité de modes de scrutin, les uns pouvant être combinés avec les autres, comme c’est le cas en Allemagne.

Le groupe Socialistes et apparentés votera donc contre cette PPL, comme il l’a fait pour toutes les propositions tendant à mettre en place un dispositif de proportionnelle intégrale.

M. Didier Lemaire (HOR). Le groupe Horizons partage profondément l’objectif louable de revivifier notre démocratie. Un bon mode de scrutin permet, en effet, la juste représentation des territoires et des idées.

Cependant le changement ne saurait se faire au prix d’un bouleversement de notre équilibre institutionnel et de la stabilité précieuse que Michel Debré et le général de Gaulle ont souhaité offrir à la France en 1958 et qui avait tant manqué sous la IVe République. Le scrutin majoritaire uninominal à deux tours était apparu comme la solution la plus pertinente, en permettant de faire émerger une majorité claire et une opposition cohérente. En outre, il offre aux électeurs la possibilité de choisir des gens plutôt que des partis et une lisibilité démocratique que certains pays nous envient.

Le mode de scrutin actuel n’empêche en rien certains groupes politiques d’êtres justement représentés au sein de l’Assemblée nationale. La composition inédite de notre assemblée le prouve.

Le groupe Horizons partage l’idée qu’il est nécessaire d’ouvrir une réflexion globale sur le fonctionnement de nos institutions. Nous sommes conscients que notre démocratie représentative s’essouffle et que de moins en moins d’électeurs se rendent aux urnes. Favoriser la représentation de partis ou groupements politiques qui réalisent des scores significatifs à chaque scrutin et reflètent la diversité des opinions du corps électoral devient crucial pour l’exercice démocratique. Un groupe de travail transpartisan se penchera prochainement sur la refondation de nos institutions – rejoignez-le ! L’instauration d’une dose de proportionnelle sera nécessairement abordée dans ce cadre, par exemple pour 15 % ou 20 % des sièges au niveau national, comme cela avait été proposé par le Gouvernement lors du précédent quinquennat.

L’équilibre constitutionnel nécessite que des majorités stables puissent émerger afin d’éviter tout blocage de l’action publique. Notre groupe votera contre cette proposition de loi.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Les écologistes sont, depuis longtemps, favorables à la proportionnelle. Nous la pratiquons d’ailleurs dans nos instances internes avec le succès que chacun sait….

Nous nous inscrivons dans une tradition parlementariste et, à ce titre, nous critiquons ouvertement la Ve République. Celle-ci a établi une base verticale en 1958 et, avec le référendum de 1962 instaurant l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, un lent glissement a commencé vers une concentration de l’ensemble de la décision politique à l’Élysée. Désormais, le chef de l’État ne donne plus les grandes lignes, il s’occupe du détail et gouverne en lieu et place du Gouvernement – on est bien éloigné de l’esprit de la Constitution de 1958.

Cette concentration est inefficiente, peu rassurante quant à la continuité démocratique et elle fragilise le régime lui-même. Il y aurait donc urgence à tout réécrire mais, en France, on attend les crises pour changer de constitution. Alors, en attendant la crise de régime, examinons la possibilité de la proportionnelle.

Cette seizième législature montre que sortir du fait majoritaire entraîne un léger rééquilibrage. La proportionnelle permettrait de stabiliser une situation aujourd’hui accidentelle. Encore faut-il donner un sens à ce mode de scrutin. Pour nous, il s’agit d’aller vers plus de démocratie, ce qui implique de rééquilibrer les pouvoirs en reconnaissant le pouvoir législatif comme un contrepoids nécessaire au pouvoir exécutif, d’affirmer l’indépendance du pouvoir judiciaire et de reconnaître comme supérieurs l’État de droit et la garantie des libertés publiques. Dès lors, au regard du soutien affiché par le Rassemblement national aux régimes illibéraux d’un Trump, d’un Bolsonaro, d’un Orban ou d’un Poutine, de ses attaques contre l’État de droit, de sa défiance à l’égard des libertés publiques et de son mépris de l’indépendance de la presse, on s’interroge sur sa cohérence et sa sincérité.

Pendant la campagne présidentielle, Marine Le Pen avait d’ailleurs défendu le principe d’une proportionnelle assortie d’une forte prime majoritaire, jusqu’à un tiers, rendant ainsi caducs tous les bénéfices de ce mode de scrutin. Pourtant, vous reprenez à l’identique les modalités de vote envisagées dans les propositions de loi déjà citées de La France insoumise et du Modem, vous livrant à une forme de parasitisme, de manœuvre. Le groupe écologiste refuse d’être l’instrument de votre petit jeu, qui consiste à vous donner une apparence de respectabilité et de défenseurs de la démocratie, quand votre projet est fondamentalement antiparlementariste, autoritaire et illibéral. En conséquence, nous ne voterons pas en faveur de ce texte.

Pour autant, la proportionnelle reste un sujet sérieux et un véritable enjeu démocratique. Comme je l’ai annoncé, je déposerai avant la fin de l’année un texte présentant un dispositif qui garantisse la parité ainsi qu’une représentation fidèle à la volonté générale, qui ne serait pas amoindrie par une prime majoritaire ni par une multitude de circonscriptions.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Voilà un texte au titre ambitieux mais au contenu décevant. Modifier le mode de scrutin des élections législatives ne peut suffire à ramener les Français vers les urnes. Leur désamour pour les élections et la question politique en général s’explique davantage par une perte de confiance, le sentiment de ne pas être entendus et d’être représentés par une caste politique éloignée de leurs préoccupations. La proportionnelle seule ne changera rien à cette réalité, bien au contraire.

Il ne sortirait du scrutin à la proportionnelle intégrale organisé à l’échelle du département que des élus attachés à un parti et désignés sur une base géographique trop large. Ces élus hors-sol, les Français n’en veulent pas. La taille variable des départements, tant géographique que démographique, poserait des problèmes de représentativité. Sans compter que l’échelle départementale, plus vaste que celle de la circonscription, aurait pour effet d’éloigner les électeurs de leur député – tout l’inverse de ce qu’il faudrait pour rétablir la confiance du peuple dans le politique.

Le scrutin de liste à un tour favoriserait les partis politiques les plus importants, au détriment des petites formations et des mouvements citoyens, de plus en plus nombreux, alors que les Français se détournent de plus en plus des partis politiques traditionnels et boudent les étiquettes. Il pourrait obliger les petits candidats à des alliances parfois contre-nature ou purement électoralistes, pour ne pas disparaître. Loin de favoriser la représentation politique, ce mode de scrutin restreindrait sa diversité et sa sincérité.

En faisant le jeu des grands partis, la proportionnelle ne permet pas de lutter contre l’hyperprésidentialisme actuel. Mieux vaudrait commencer par décorréler les élections législatives et présidentielle. Votre texte ne dit rien à ce sujet.

Le groupe Gauche démocrate et républicaine ne rejette pas en bloc le scrutin proportionnel. Simplement, tel que vous le proposez, il n’est pas adapté et ne répond pas au problème que vous posez dans l’exposé des motifs de votre proposition de loi. Sur le fond, celle-ci n’emporte donc pas notre adhésion.

Surtout, nous ne sommes pas dupes de votre façon d’opérer. En reprenant quasiment à l’identique un texte présenté lors de la dernière législature par La France insoumise, votre groupe fait quelque chose d’encore moins beau que de copier ; de façon plus perverse, il tente de mettre LFI en difficulté tout en s’attirant les voix du Modem et de Renaissance qui s’étaient prononcés en faveur du scrutin proportionnel sous la précédente législature. Ainsi drapé dans des intentions de façade, le Rassemblement national cherche à déstabiliser les autres partis politiques et, sous couvert de revivifier la représentation politique, il aspire en réalité à l’anéantir. La manœuvre est grossière. Le groupe GDR restera fidèle à ses valeurs et votera contre cette proposition de loi.

M. Jean-Louis Bricout (LIOT). Il n’est plus possible d’ignorer les demandes exprimées par les citoyens d’un renouveau démocratique. Pour autant, faut-il faire table rase de soixante-quatre ans de scrutins en une journée ? Soyons réalistes, bouleverser notre régime électoral à l’occasion d’une niche de groupe n’est ni souhaitable, ni raisonnable.

Certes, les failles du scrutin uninominal majoritaire sont réelles et celui-ci conduit à une surreprésentation de certains partis politiques. Cependant, croire qu’un passage brutal à une logique de proportionnelle réglerait la question de l’abstention ne me semble pas sérieux.

La proportionnelle intégrale ne sera pas le remède miracle à tous les maux de notre démocratie. D’abord, le scrutin proportionnel est porteur d’un risque substantiel d’éloignement du député et du citoyen. Certes, nous sommes tous des élus de la nation, mais nous sommes aussi issus de bassins électoraux bien déterminés. Ce qui fait la richesse de notre chambre, c’est sa diversité politique, mais aussi la diversité des territoires qui y sont représentés – un député égale une circonscription bien identifiée. Entretenir le lien privilégié, parfois intime et toujours précieux que nous avons avec elle est notre devoir. Le travail du parlementaire c’est aussi d’être en prise directe avec son territoire, de prendre son pouls, d’accueillir et relayer les demandes et les interrogations des citoyens, des acteurs économiques et des élus locaux. Je suis convaincu que nos concitoyens sont très attachés à ce lien.

Avec cette PPL, vous entendez corriger ce qui vous semble être un manque de représentativité. Pour le groupe LIOT, il s’agit d’un discours dangereux – mais vous nous y avez habitués –, qui tend à remettre en cause la légitimité des députés. Et que proposez-vous ? Un système porteur d’autres faiblesses. Censé ouvrir à plus de représentativité, il remettra en cause la proximité : le scrutin de liste n’est ni plus ni moins qu’une réduction de l’offre politique pour nos citoyens ; il produit un conglomérat de candidats plus subordonnés aux appareils politiques, réduisant la possibilité de candidatures libres et indépendantes – telles que la mienne –, qui incarnent la particularité et l’authenticité des territoires.

Si plusieurs groupes se montrent favorables à faire évoluer les institutions pour rénover notre démocratie, entre proportionnelle intégrale, par département ou par région, dose de proportionnelle ou démocratie participative, aucun consensus n’existe sur la voie à suivre. La question mérite mieux qu’un échange à l’emporte-pièce. Elle réclame un véritable débat et des discussions approfondies. Nous préférons soutenir l’idée d’un chantier de refonte globale de nos institutions et plaider pour un choc de décentralisation. Une niche parlementaire n’offre pas le temps nécessaire pour ouvrir un tel chantier. Notre groupe votera contre cette proposition.

M. Erwan Balanant (Dem). Il est délicat pour nous d’aborder ce texte, qui est presque identique à celui que nous avions déposé, puis retiré sous la législature précédente, et que nous avons un temps songé à représenter, dans le cadre de notre première niche de l’actuelle législature.

Nous l’avions présenté afin d’ouvrir le débat et d’affirmer la nécessité de conduire une réflexion sur le mode scrutin pour désigner les parlementaires. En effet, par leur abstention massive lors des élections législatives, les Français nous disent leur désintérêt, qui pourrait tenir à leur incompréhension du rôle de député – nous devons encore y travailler.

Lorsqu’on aborde le sujet de la proportionnelle avec des experts, très rapidement, la discussion s’oriente sur le type de proportionnelle, mais surtout sur les institutions. Que ce soit les constitutionnalistes, les sociologues ou les politistes, tous nous ont dit que la proportionnelle est une pièce de l’édifice, mais pas la solution qui réglera tout.

C’est pourquoi le groupe Modem avait souhaité retirer son texte, pour pouvoir discuter avec les acteurs de la vie politique du pays de la question de nos institutions, de son articulation avec celles de la décentralisation, de la démocratie participative ou de l’engagement citoyen. Tous ces sujets doivent être appréhendés au sein d’une même réflexion, qui doit être transpartisane. À cet égard, le groupe Modem attend avec impatience l’installation par le Président de la République du groupe transpartisan.

Votre texte, bien qu’il répare de façon bienvenue un oubli de notre part quant à la parité, reste, comme le nôtre, incomplet. Il ignore le mode de financement de notre vie politique, qui repose sur le scrutin uninominal à deux tours et sur la répartition qui s’opère en fonction des résultats de ce scrutin. Si ce texte était adopté sans qu’ait été ajustée la question du financement des partis, nous aurions un vrai problème.

Bien évidemment, notre groupe ne votera pas ce texte, puisque nous l’avions retiré pour la bonne raison que l’approche doit être plus globale.

M. Bruno Bilde, rapporteur. Nous proposons un scrutin proportionnel de liste au niveau départemental, car il s’agit d’un mode de scrutin lisible et équilibré, qui répond aux critiques du manque de proximité au profit des « apparatchiks » et du risque d’instabilité politique.

Le choix des départements comme circonscriptions répond à l’objection du manque de proximité. Nos collègues Les Républicains, notamment, oublient que 73 % des sénateurs sont élus au scrutin proportionnel de liste au niveau départemental. Personne ici n’oserait remettre en cause leur attachement à leur territoire et la connaissance qu’ils en ont. Cela devrait inciter les députés à prendre un peu de hauteur pour considérer les problématiques à l’échelle du département et pas seulement au niveau de leur circonscription. De plus, la possibilité pour chaque parti d’obtenir un siège dans davantage de départements les incitera à s’investir partout sur le territoire, alors qu’ils leur arrivaient, jusqu’à présent, de délaisser les circonscriptions dans lesquelles ils n’avaient aucune chance.

Certains s’inquiètent d’un potentiel désintérêt de la part des têtes de liste, qui seraient des « apparatchiks ». D’abord, il ne me semble pas que le scrutin majoritaire ait empêché un certain nombre de parachutages dans des circonscriptions facilement gagnables. Chez Les Républicains, M. Stefanini est la figure emblématique de cette pratique, puisqu’il a essayé de se faire élire dans pratiquement toutes les régions de France, sans succès. Ensuite, cette critique pourrait s’entendre si nous proposions une dose de proportionnelle avec une circonscription unique ou une proportionnelle intégrale au niveau national, qui créeraient en effet deux catégories de députés : ceux du terrain et ceux de Paris. En l’occurrence, il y aura bien souvent moins de cinq sièges à pourvoir, puisque 70 des 107 départements comptent moins de cinq députés, soit 75 %. Les listes seront donc courtes et tous les candidats devront être pleinement engagés.

Nous pensons que le scrutin de liste est susceptible de provoquer un renouvellement des élus, notamment grâce à la parité hommes-femmes. Là encore, je comprends l’inquiétude de nos collègues Les Républicains, qui sont régulièrement sanctionnés pour leur incapacité à investir des femmes candidates.

Concernant la stabilité politique, les institutions de la Ve République ont été conçues pour permettre au Gouvernement d’agir même en l’absence de majorité absolue, et la situation actuelle le montre. Il n’y a donc pas d’incompatibilité de principe entre la Ve République et la proportionnelle. À l’inverse, sous la IIIe République, le scrutin majoritaire n’avait pas empêché l’instabilité gouvernementale. Quant à nos nombreux voisins qui utilisent des modes de scrutin proportionnels, ils sont très bien gouvernés, souvent dans le calme et le consensus.

Pour répondre aux orateurs, madame Garrido, vous allez voter contre la proposition de loi identique à celle de M. Mélenchon, que M. Corbière a présentée dans cette même salle en avril 2021. Où voulez-vous en venir ?

M. Legendre me reproche d’appliquer notre programme en présentant cette proposition de loi. Je rappelle qu’il s’agit aussi d’un engagement de campagne du Président de la République.

Enfin, madame Untermaier, je ne pique le texte de personne. J’ai bien précisé au début de mon intervention que cette proposition de loi est un copier-coller de la loi qui a régi les élections législatives de 1986.

Article 1er (article L 123 du code électoral) : Élection des députés au scrutin proportionnel au niveau départemental

Amendements de suppression CL1 de M. Xavier Breton et CL9 de M. Fabien Di Filippo (discussion commune).

M. Xavier Breton (LR). Nos différents amendements de suppression ont également pour but de poursuivre nos échanges sur les institutions. Même si nos propositions divergent, c’est ensemble qu’il nous faut réfléchir pour revivifier notre démocratie.

Je comprends qu’avec ce texte, le candidat plusieurs fois malheureux dans différentes circonscriptions dont vous parliez, monsieur le rapporteur, réussirait à se faire élire, grâce au scrutin de liste. Nous pensons, nous, que chaque candidat doit se faire élire dans sa circonscription et que les apparatchiks ne doivent pas devenir têtes de listes aux élections à la proportionnelle.

Vous n’avez pas répondu sur le risque d’écrasement des territoires ruraux dans la représentation. Forcément, ce sont les candidats issus des secteurs les plus denses démographiquement qui seront choisis comme têtes de listes départementales. Cette recherche de « rentabilité » en termes de voix est déjà courante lors des élections régionales. À cet égard, les territoires ruraux sont moins intéressants, donc moins représentés. C’est aussi pour défendre ces territoires que nous proposons cet amendement de suppression.

M. Fabien Di Filippo (LR). Nos concitoyens souhaitent l’inverse de ce que produirait cette PPL : de la proximité, de la considération et la possibilité de s’identifier à leurs représentants. Tout ce qui a concouru à éloigner le citoyen de ses élus – la loi NOTRE et ses intercommunalités toujours plus grandes, les grandes régions, les binômes dans des cantons aujourd’hui deux fois plus grands qu’avant – a alimenté ce sentiment de défiance à l’égard d’élus, qui paraissent lointains et déconnectés de la réalité.

Je souscris à l’argument de Xavier Breton : plus on agrandit les échelles, plus les territoires ruraux sont laissés pour compte parce qu’ils pèsent moins. Une vraie réforme du scrutin législatif consisterait à prendre davantage en compte ces territoires, qui représentent une richesse pour la France mais qui, pour des raisons démographiques, sont parfois laissés de côté et soumis à la bonne volonté d’administrations bureaucratiques très urbaines, voire métropolitaines.

M. Bruno Bilde, rapporteur. Je m’étonne que vous soyez aussi défiants à l’égard du département qui est probablement, avec la commune, la structure la plus aimée des Français.

Quant à la représentation des territoires, la proposition de loi ne change rien au nombre de députés des départements ruraux.

Avis défavorable.

M. Gilles Le Gendre (RE). Nous n’avons aucune raison de voter ces amendements de suppression. Nous ne voudrions pas donner l’impression que nous considérons ce débat comme non légitime. Il est tout aussi légitime qu’intéressant. Nous voterons donc contre la totalité des amendements de suppression.

Je veux pour preuve que le débat n’est pas tout à fait mûr, y compris au sein du Rassemblement national, le fait que Mme Le Pen n’a pas signé la proposition de loi et s’est toujours prononcée en faveur d’un système mixte. Il gagnera donc à se poursuivre.

M. Fabien Di Filippo (LR). Le département fait encore partie des échelons les plus populaires parce que, dans les cantons, les Français s’identifient à un élu proche d’eux au quotidien, avec lequel ils peuvent entrer facilement en contact. Avec le mode de scrutin que vous proposez, les permanences dans tous les territoires disparaîtront.

Les territoires ruraux ne le sont pas forcément intégralement. Le département de la Moselle se caractérise par une concentration urbaine très forte entre Metz et le Luxembourg, le long de la frontière, et par un Sud rural. Ma circonscription, qui compte parmi les plus grandes de France avec 261 communes, est rurale. Je suis donc le représentant d’un territoire rural au sein d’un département qui ne l’est pas. Or, pour préparer une liste en vue des élections, on ira chercher des élus à Metz, dans le sillon mosellan qui concentre 600 000 habitants sur le million que compte le département. Le type de proportionnelle proposée accroîtrait les déséquilibres en termes de représentation démographique, toujours au bénéfice des espaces métropolitains.

M. Xavier Breton (LR). Certes, votre système garantira aux départements ruraux d’être aussi bien représentés qu’aujourd’hui. Le problème concerne les départements composés à la fois de concentrations urbaines et de territoires ruraux : les formations politiques auront intérêt à placer des candidats issus des secteurs urbains en haut de leur liste. La proportionnelle ayant pour effet de faire élire les têtes de liste, les candidats des territoires ruraux, qui formeront plutôt le bas de la liste, ne seront pas représentés. L’urbain prendra toujours le dessus, raison pour laquelle nous sommes opposés à ce système.

La commission rejette les amendements.

Amendement CL22 de M. Yannick Favennec-Bécot.

M. Yannick Favennec-Bécot (HOR). Cet amendement tend à maintenir le système uninominal à deux tours actuel dans les départements comptant onze députés ou moins – donc plutôt ruraux –, et à instaurer la proportionnelle sans seuil dans les départements comportant plus de onze circonscriptions. Ainsi, 22,5 % des députés, soit 118 d’entre eux, seraient élus à la proportionnelle.

Puisque de moins en moins d’électeurs vont voter, il me paraît primordial d’ouvrir une réflexion globale sur notre démocratie représentative. L’introduction d’une dose de proportionnelle pourrait contribuer à lutter contre l’abstention. Un mode de scrutin mixte ne bouleverserait pas notre équilibre institutionnel. L’introduction d’une dose de proportionnelle aux élections législatives recueille d’ailleurs un large assentiment chez nos concitoyens. Selon un sondage de l’Ifop, réalisé en novembre 2020, 73 % des Français y étaient favorables. Au sein de l’Union européenne, vingt et un pays ont des systèmes proportionnels, et cinq des systèmes mixtes.

Il me paraît néanmoins nécessaire de maintenir un scrutin uninominal à deux tours dans une grande majorité des départements, ne serait-ce que parce que ce système permet d’élire des personnes et non des partis politiques.

M. Bruno Bilde, rapporteur. Votre amendement vise à instaurer une dose de proportionnelle plutôt que la proportionnelle intégrale. J’y suis défavorable, car il créerait deux catégories de députés : ceux élus sur le terrain, qui devront passer du temps en circonscription, et ceux désignés par leur parti politique au sein d’une liste nationale. Il ne réglerait en aucun cas le problème de la représentativité avec ces quelques miettes de proportionnelle.

M. Gilles Le Gendre (RE). La proposition de notre collègue est intéressante. Il existe différentes options techniques et politiques entre lesquelles il faudra trancher le moment venu mais, au stade actuel, nous ne soutiendrons pas plus cet amendement que la proposition de loi.

Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). Nous ne discuterons pas et nous ne voterons pas les amendements qui visent à enrichir cette proposition de loi du RN. Nous l’avons dit, vouloir s’appuyer sur les batailles antérieurement menées par La France insoumise sur la question de la proportionnelle est une manœuvre grossière. Lorsque nous avons souhaité introduire la proportionnelle, nous avons demandé en même temps, dans une proposition de loi constitutionnelle, le droit de révoquer les élus, le développement du référendum d’initiative citoyenne et la prise en compte des votes blancs et nuls. C’est toute une panoplie qu’il faut déployer.

Le démocratie-washing du RN est inacceptable. Des ministres d’extrême droite empêchent en France les professeurs de faire des sorties scolaires, attaquent les meetings de La France insoumise ou de la gauche dans les universités, mais on n’entend jamais l’extrême droite s’exprimer à ce sujet, et pourtant le RN veut faire croire qu’il est l’ami de la démocratie.

Je vous alerte sur un dernier point : est-ce aux députés de déterminer comment ils sont eux-mêmes élus ? N’y a-t-il pas un conflit d’intérêts dans cette manière de faire, même quand on l’utilise en toute bonne foi pour essayer d’améliorer notre démocratie ? Nous pensons que c’est une assemblée constituante qui devra organiser le passage de la Ve République à la VIe. Nous l’avons toujours dit. Cela ne doit pas empêcher l’Assemblée nationale d’organiser la convocation d’une telle assemblée constituante, mais ce n’est quand même pas à nous de déterminer comment nous allons, nous-mêmes, être élus.

M. le président Sacha Houlié (RE). Je rappelle juste que le législateur, en tant que constituant, peut bien réviser la Constitution et qu’il peut ainsi prévoir les modalités d’organisation des institutions. Il peut aussi, par des lois organiques et ordinaires, fixer les modalités électorales.

M. Bruno Bilde, rapporteur. Il existe effectivement une autre possibilité, madame Garrido : le référendum, auquel nous sommes tout à fait favorables.

La commission rejette l’amendement.

Puis, elle rejette l’article 1er.

Article 2 (art. L. 124 du code électoral) : Attribution des sièges aux listes de candidats aux élections législatives

 

Amendements de suppression CL2 de M. Xavier Breton et CL10 de M. Fabien Di Filippo.

M. Xavier Breton (LR). Madame Garrido, si vous ne voulez pas vous exposer au risque de conflit d’intérêts, vous n’êtes pas obligée d’être candidate la prochaine fois.

Je regrette que le rapporteur nous propose une proportionnelle intégrale de manière sèche, c’est-à-dire sans autre mesure. J’ai travaillé avec Stéphane Travert dans le cadre d’une mission d’information, qui visait à identifier les ressorts de l’abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale : nous avions formulé, en décembre 2021, plusieurs propositions, qui concernaient notamment le vote blanc. J’ai d’ailleurs déposé, à titre personnel, des amendements à ce sujet qui ont été déclarés irrecevables. Nous avions également proposé de développer les référendums d’initiative locale et de réfléchir à un rapprochement des modes d’élection des conseils départementaux et régionaux, dans la perspective de créer des conseillers territoriaux. Vous auriez pu faire d’autres propositions, au lieu de résumer la question de la revivification de la démocratie à l’instauration de la proportionnelle intégrale.

M. Fabien Di Filippo (LR). Lorsque la droite a proposé la création du conseiller territorial, il y a un peu plus d’une dizaine d’années, la logique était de fusionner des échelons de manière verticale pour qu’un représentant unique d’un territoire siège à la fois dans le cadre du département et dans celui de la région – un interlocuteur bien identifié par les concitoyens, qui leur rende des comptes directement et qui soit présent dans les territoires. La tendance depuis 2012, consistant à prévoir des listes, de deux personnes pour les élections départementales et nationales pour les européennes, c’est-à-dire découplées des régions, ne fait au contraire qu’éloigner le citoyen de ses représentants. Veut-on pour les élections législatives la même chose que pour les élections européennes, c’est-à-dire voter non pas pour des députés mais pour des étiquettes politiques et voir ses représentants uniquement à la télé, et non dans les territoires, les permanences, les entreprises et les associations, où on pourrait leur faire part de ses préoccupations ? Je ne pense pas que ce soit démocratiquement une évolution souhaitable.

M. Bruno Bilde, rapporteur. Avis défavorable. Il ne s’agit pas d’instaurer une proportionnelle intégrale. Un certain nombre de départements n’ont que deux ou trois députés. Il en existe même qui n’en comptent qu’un. Cela devrait rassurer les tenants de la ruralité : il n’y aura dans ces cas absolument aucune différence avec le système actuel. C’est dans les départements démographiquement importants, ayant plus de cinq députés, que la proportionnelle jouera pleinement.

Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). Les constitutionnalistes font une différence entre le pouvoir constituant originaire et le pouvoir constituant dérivé. Le premier est celui dont est seul titulaire le peuple lui-même. La souveraineté étant la caractéristique de celui qui n’a pas de maître, c’est le peuple, et lui seul, qui a le droit de se doter de normes constitutionnelles. Cela n’empêche pas les parlementaires d’user d’un pouvoir constituant secondaire, qui consiste à réviser la Constitution dont s’est doté le peuple, mais ce n’est pas en droit la même chose.

Si je plaide pour que les députés fassent attention à l’usage de ce pouvoir constituant dérivé au moment de définir les modes de scrutin pour eux-mêmes, c’est qu’on voit bien sociologiquement l’impossibilité pour cette assemblée de sécréter des réformes fondamentales au sujet du mode d’élection des députés. Combien d’entre nous sont d’accord avec le droit de révoquer les élus en cours de mandat ? Très peu, car cela implique sociologiquement de penser contre soi-même. Quand vous me dites, monsieur Breton, que le plus simple serait que je ne me représente pas, pour avoir une opinion plus légitime en la matière, je vous demande de vous regarder vous-même : vous en êtes à votre quatrième mandat. N’avez-vous pas entendu au sein de la société les demandes de limitation du cumul des mandats dans le temps ? Quand l’Assemblée nationale est composée de députés qui en sont à leur quatrième mandat, cela ne va pas dans le sens de la prise en compte de certaines revendications, et c’est pourquoi c’est une assemblée constituante qui est le cadre idoine pour délibérer, en amont d’un référendum sur le fruit de son travail.

M. Jean-Louis Bricout (LIOT). Je suis plutôt pour la suppression de cet article. Avant de nous occuper de la façon dont nous sommes élus, il faut s’intéresser à la raison pour laquelle nous le sommes et à la question du respect des parlementaires et du Parlement d’une façon générale. Quand on voit le nombre de 49.3 qui nous tombent sur la figure, les gens se demandent à quoi servent les députés.

La commission rejette les amendements.

Elle rejette ensuite l’article 2.

Article 3 (art. L. 125 du code électoral) : Répartition des sièges de députés par département, en outre-mer et pour les Français établis hors de France

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette les amendements de suppression CL3 de M. Xavier Breton et CL11 de M. Fabien Di Filippo.

Puis, elle rejette l’article 3.

Article 4 (art. L. 126 du code électoral [suppression]) : Suppression des conditions d’élection au premier tour des élections législatives

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette les amendements de suppression CL4 de M. Xavier Breton et CL12 de M. Fabien Di Filippo.

Elle rejette ensuite l’article 4.

Titre

Les amendements CL6, CL7 et CL9 de M. Fabien Di Filippo et CL17 de Mme Valérie Bazin-Malgras tombent.

M. le président Sacha Houlié. L’ensemble des articles ayant été rejeté, il n’y a pas lieu d’examiner les amendements portant sur le titre, mais je vais quand même vous donner lecture, pour le folklore, de ceux de M. Di Filippo. Ils visaient à rédiger ainsi le titre du texte : proposition de loi visant « à couper les parlementaires de toute implication locale », à « éloigner la représentation nationale de nos concitoyens » ou bien, encore mieux, à « favoriser l’élection d’apparatchiks à des strapontins parlementaires ».

La commission ayant rejeté tous les articles de la proposition de loi, l’ensemble de celle-ci est rejeté.

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi visant à revivifier la représentation politique (n° 555 rect.).


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Personnes entendues


([1]) Pierre Rosanvallon, Le Parlement des invisibles, Seuil, 2014.

([2]) À partir de 1951, le scrutin devient mixte puisque tout regroupement de listes recueillant plus de 50 % dans un département remportait l’ensemble des sièges de ce département. Cette « loi des apparentements » visait à freiner l’essor des gaullistes et du Parti communiste.

([3]) Articles L. 260 à L. 262 du code électoral.

([4]) Union pour la démocratie française - Rassemblement pour la République.

([5]) Comme le souligne M. Didier Maus, auditionné par votre Rapporteur, on constate un écart de près de 26 points entre la participation aux élections présidentielles et législatives.

([6]) Les systèmes électoraux dans les Constitutions des pays de l’Union européenne, Jean-Claude Colliard, Cahiers du Conseil constitutionnel, janvier 2003, n° 13.

([7]) Les minorités officiellement reconnues par le Gouvernement allemand ne sont pas soumises au seuil de 5 %.

([8])  Seurot, Laurent. « Faut-il constitutionnaliser le mode de scrutin aux élections législatives ? », Revue française de droit constitutionnel, vol. 103, no. 3, 2015, pp. 657-678.

([9]) G. Vedel, Manuel élémentaire de droit constitutionnel, Paris.

([10]) Voir supra.

([11]) Extrait de l’exposé des motifs.

([12]) Ouest France, « Emmanuel Macron se dit prêt à aller jusqu’à une proportionnelle intégrale », 13 avril 2022.

([13]) Sondage Ifop, 1012 personnes interrogées, juin 2021.

([14]) Sondage Ipsos-Sopra Steria , 4 004 personnes interrogées, juin 2022.

([15]) Sondage Opinion Way, 1001 personnes interrogées, mai 2018.

([16]) Les systèmes électoraux dans les Constitutions des pays de l’Union européenne, Jean-Claude Colliard, Cahiers du Conseil constitutionnel.

([17]) Voir par exemple l’article 1er du projet de loi pour un renouveau démocratique, n° 2205, 29 août 2019.

([18]) Voir supra.

([19]) Audition de M. Denis Baranger.

([20])  Arend Lijphart, Patterns of democracy: government forms and performance in thirty-six countries, Yale University Press, 2012.

([21]) Youth participation in national parliaments, Rapport de l’Union interparlementaire, 2016 (http://archive.ipu.org/pdf/publications/youthrep-e.pdf).

([22])  Benjamin Morel, Une nouvelle République des citoyens, 50 propositions pour renouveler nos institutions, Institut Rousseau, novembre 2020.

([23]) Article supprimé par l’article 4 de la proposition de loi (voir infra).

([24]) Article L. 162 du code électoral.

([25]) Voir infra.

([26]) Voir supra.

([27]) Nouvelle union populaire, écologique et sociale.

([28])  Pour mémoire, le Conseil constitutionnel exerce un contrôle restreint sur le découpage des circonscriptions. Il a rappelé en 2010 que « la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement [et] qu’il ne lui appartient donc pas de rechercher si les circonscriptions ont fait l’objet de la délimitation la plus juste possible » (Décision n° 2010-602 DC du 18 février 2010, Loi ratifiant l’ordonnance n° 2009-935 du 29 juillet 2009 portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions pour l’élection des députés)

([29]) Article 1er de la loi n° 85-690 du 10 juillet 1985 modifiant le code électoral et relative à l’élection des députés.

([30]) Article 1er er de la loi n° 86-825 du 11 juillet 1986 relative à l’élection des députés et autorisant le gouvernement a délimiter par ordonnance les circonscriptions électorales.