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N° 616

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME  LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 décembre 2022.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
 

visant à instituer
une présomption de légitime défense
pour les membres des forces de l’ordre

 

PAR M. Michaël TAVERNE

Député

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Voir le numéro : 557


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SOMMAIRE

 

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Pages

INTRODUCTION............................................ 5

I. Face aux nombreuses agressions dont ils sont victimes, les policiers et les gendarmes disposent de moyens de défense contraints

A. les membres des forces de l’ordre sont la cible d’atteintes récurrentes de plus en plus violentes

B. L’unification des règles applicables à l’usage des armes en 2017 ne s’est pas traduite par une hausse notable des tirs réalisés par les membres des forces de l’ordre

II. la création d’une présomption de légitime défense : un moyen utile de renforcer la protection des policiers et des gendarmes dans l’exercice de leurs missions

A. Une évolution procédurale pleinement justifiée

B. un objecTIf enfin concrétisé par la présente proposition de loi

Commentaire des articles de la proposition de loi

Article 1er (art. 122-6 du code pénal) Création d’une présomption de légitime défense applicable aux membres des forces de l’ordre

a. La légitime défense

b. Les présomptions de légitime défense

Article 2 (art. 122-4-1 du code pénal) Irresponsabilité pénale des membres forces de l’ordre agissant dans les conditions prévues par l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure

Examen en commission

Personnes entendues


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Mesdames, Messieurs,

Les forces de l’ordre sont en première ligne face aux délinquants et aux criminels. Loin de se résumer à un sentiment, l’insécurité à laquelle les policiers et les gendarmes sont régulièrement confrontés est une réalité implacable : ils sont ainsi devenus la cible d’agressions verbales et surtout physiques de plus en plus violentes, au risque d’y perdre la vie. En dépit de l’évolution du cadre légal relatif à l’usage de leurs armes, celles et ceux qui nous protègent hésitent encore à se protéger eux-mêmes, au regard des conséquences judiciaires qui entourent à ce jour la mise en œuvre de leurs moyens de défense.

Face à cette situation préoccupante, force est de constater que les membres des forces de l’ordre, dans l’exercice de leurs fonctions, ne bénéficient d’aucune protection procédurale particulière. Compte tenu de la sensibilité et du danger qui caractérisent leurs missions, il convient pourtant de les doter des outils juridiques propres à préserver leur sécurité et celle d’autrui, dans un contexte marqué par une violence endémique.

Dans cette perspective, la présente proposition de loi vise à instituer une présomption de légitime défense en faveur des policiers et des gendarmes, la légitime défense constituant une cause d’irresponsabilité pénale. L’objectif que poursuit ce texte consiste à inverser la charge probatoire dans le cadre de la procédure judiciaire, les membres des forces de l’ordre étant ainsi présumés avoir agi en état de légitime défense tant que la partie adverse n’a pas démontré le contraire. Cette présomption simple de légitime défense, qui peut donc être renversée, existe déjà dans le code pénal. L’article 122-6 du code pénal prévoit en effet l’existence d’une double présomption pour repousser, de nuit, l’entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité et pour se défendre contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence.

Les exigences de nécessité, de proportionnalité et de simultanéité attachées à la légitime défense restent bien entendu requises afin de caractériser celle-ci. Cependant, il apparaît désormais indispensable de prendre en compte les spécificités des missions accomplies par les forces de l’ordre, en étendant en conséquence le champ des présomptions de légitime défense déjà existantes. Cette avancée, qui transcende les clivages et réflexes partisans, permettra enfin de les réarmer juridiquement et moralement à l’épreuve des périls auxquels leurs fonctions les exposent.


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I.   Face aux nombreuses agressions dont ils sont victimes, les policiers et les gendarmes disposent de moyens de défense contraints

A.   les membres des forces de l’ordre sont la cible d’atteintes récurrentes de plus en plus violentes

Selon le service statistique ministériel de la sécurité intérieure « Interstats », les policiers nationaux, les policiers municipaux et les gendarmes sont exposés de façon croissante à des violences physiques et verbales de nature délictuelle et criminelle, enregistrées en commissariat ou en gendarmerie.

 

 

2016

2017

2018

2019

2020

2021

Nombre de policiers nationaux victimes d’agressions

45 705

 

48 196

 

55 055

 

54 556

 

51 475

 

50 525

Nombre de policiers municipaux victimes d’agressions

8 412

 

8 947

 

9 753

 

10 069

 

11 369

 

10 969

Nombre de gendarmes victimes d’agressions

14 451

15 873

18 247

20 138

24 001

21 938

TOTAL

68 568

73 016

83 055

84 763

86 845

83 432

En % du nombre total de victimes d’agressions

24,5 %

 

25,3 %

 

 

26,4 %

 

26,1 %

 

27,5 %

 

25,1 %

Source : données publiées par Interstats, juillet 2022, n° 21, p.2.

Ces éléments témoignent de la surreprésentation des membres des forces de l’ordre parmi les victimes d’agressions physiques et verbales, dont l’augmentation constante depuis 2016 objective statistiquement la dégradation du contexte sécuritaire sur l’ensemble du territoire. Interstats précise ainsi que les atteintes à l’encontre des policiers et des gendarmes sont « entre 50 et 60 fois plus fréquentes que pour l’ensemble de la population ». Représentant moins de 1 % de la population âgée de 18 ans et plus, les membres des forces de l’ordre constituent près de 25 % des victimes d’agressions recensées annuellement. Près d’un policier et gendarme sur dix est victime de violences physiques chaque année ([1]).

Les statistiques judiciaires font également état de plus de 91 000 individus impliqués dans des infractions commises sur des personnes dépositaires de l’autorité publique à la fin de l’année 2019, ce contentieux présentant une augmentation supérieure à 20 % sur la période 2014-2018 ([2]).

En outre, les atteintes dont sont victimes les policiers se révèlent de plus en plus violentes, eu égard à l’augmentation du nombre d’agents ([3]) blessés dans l’exercice de leurs fonctions, comme le rappelle une réponse ministérielle publiée le 3 août 2021.

Police blessésSource : réponse du ministère de l’Intérieur publiée au Journal officiel le 3 août 2021.

Si les confinements mis en place durant la crise sanitaire en 2020 relativisent la pertinence des chiffres obtenus cette année-là, un constat pluriannuel analogue peut également être établi s’agissant des gendarmes.

Gendarmes blessés Source : réponse du ministère de l’Intérieur publiée au Journal officiel le 3 août 2021.

À l’épreuve de cette violence endémique et désinhibée, les moyens de défense que peuvent mettre en œuvre les policiers et les gendarmes obéissent à un cadre juridique particulièrement strict, alors même que les périls auxquels ils sont quotidiennement confrontés ne cessent de croître.

B.   L’unification des règles applicables à l’usage des armes en 2017 ne s’est pas traduite par une hausse notable des tirs réalisés par les membres des forces de l’ordre

À la suite des attentats meurtriers ayant frappé le pays en 2015 et 2016, le cadre légal applicable à l’usage des armes par les membres de forces de l’ordre a été progressivement unifié, mettant fin à une dichotomie inopportune entre gendarmes et policiers. Depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2017-258 relative à la sécurité publique du 28 février 2017, il repose sur les dispositions prévues par l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure ([4]), qui précise les conditions et les situations dans lesquelles les membres des forces de l’ordre peuvent faire usage de leur arme.

Répondant à deux conditions cumulatives de stricte proportionnalité et d’absolue nécessité, l’usage des armes est autorisé dans cinq hypothèses :

— lorsque des atteintes à la vie ou à l’intégrité physique sont portées contre eux ou contre autrui ou lorsque des personnes armées menacent leur vie ou leur intégrité physique ou celles d’autrui ;

— lorsque, après deux sommations faites à haute voix, ils ne peuvent défendre autrement les lieux qu’ils occupent ou les personnes qui leur sont confiées ;

— lorsque, immédiatement après deux sommations adressées à haute voix, ils ne peuvent contraindre à s’arrêter, autrement que par l’usage des armes, des personnes qui cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et qui sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ;

— lorsqu’ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l’usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ;

— dans le but exclusif d’empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d’un ou de plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d’être commis, lorsqu’ils ont des raisons réelles et objectives d’estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont ils disposent au moment où ils font usage de leurs armes.

Dans un contexte sécuritaire marqué par les assassinats et tentatives de meurtres de policiers au cours des années 2016 ([5]) et 2017 ([6]), l’évolution du cadre légal applicable à l’usage des armes ne s’est pas traduite par une quelconque « libération » de l’ouverture du feu par les membres des forces de l’ordre.

En effet, selon les chiffres communiqués par l’inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) à votre rapporteur, l’usage des armes (UDA) par les forces de gendarmerie observe une relative stabilité au cours de la dernière décennie :

IGGN
Source : Inspection générale de la gendarmerie nationale, décembre 2022.

En ce qui concerne la police, à l’exception de l’année 2017, l’usage des armes individuelles présente également une relative stabilité depuis 2012 :

IGPNSource : rapport annuel de l’inspection générale de la police nationale, juillet 2022

Si ces statistiques démontrent la maîtrise qui caractérise l’action des forces de l’ordre lorsqu’elles doivent faire usage de leur arme, elles soulignent aussi, en creux, l’inhibition, voire les craintes, dont sont saisis les policiers et les gendarmes au moment d’ouvrir le feu, alors même qu’ils sont très fréquemment confrontés à des situations de danger extrême pour eux-mêmes et pour autrui.

Appréhendant de façon excessive les conséquences judiciaires de leurs interventions en l’absence de toute protection procédurale que justifieraient pourtant la spécificité et la sensibilité de leurs missions, ils peuvent ainsi être dissuadés d’utiliser leur arme, au risque de s’exposer à des agressions mettant en péril leur intégrité physique, comme l’illustre la hausse continue du nombre de blessés précédemment mentionnée.

Dans cette perspective, et dans le seul but de « réarmer » juridiquement les forces de l’ordre, l’instauration d’une présomption de légitime défense en faveur des policiers nationaux, des policiers municipaux et des gendarmes ayant dû se défendre ou défendre autrui contre une atteinte injustifiée constitue une solution indispensable à la protection accrue dont ils doivent faire l’objet, au regard des conditions particulièrement difficiles dans lesquelles ils accomplissent leurs missions.

II.   la création d’une présomption de légitime défense : un moyen utile de renforcer la protection des policiers et des gendarmes dans l’exercice de leurs missions

A.   Une évolution procédurale pleinement justifiée

Cause objective d’irresponsabilité pénale sur le fondement des articles 122-4 et 122-5 du code pénal, la légitime défense est établie dès lors que l’acte de défense accompli par un individu satisfait une double condition de simultanéité entre sa réalisation et l’atteinte envers lui-même ou autrui, et de proportionnalité entre les moyens employés et la gravité de l’atteinte précitée.

S’agissant des forces de l’ordre, ces conditions sont, en l’état de la jurisprudence, vérifiées de façon particulièrement stricte par les magistrats judiciaires ([7]).

Pour autant, l’article 122-6 du code pénal prévoit deux cas distincts de présomption de légitime de défense :

— pour repousser, de nuit, l’entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité ;

— pour se défendre contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence.

Ces deux cas de présomption simple ont pour effet d’inverser la charge probatoire : la légitime défense de ceux qui s’en prévalent est ainsi établie sans que ces derniers ne soient tenus d’en apporter la preuve. Il appartient alors à l’accusation de démontrer que les conditions de la légitime défense prévues par l’article 122-5 du code pénal n’ont pas été satisfaites.

Cette inversion s’avère naturellement justifiée dans les deux cas mentionnés par l’article 122-6. Votre rapporteur considère qu’elle le serait aussi s’agissant des policiers et des gendarmes, détenteurs du monopole de la violence légitime, et contraints de faire usage de leur arme afin de se défendre ou de défendre autrui contre une agression.

Cette évolution vise à entériner à l’échelle procédurale un constat évident : l’action défensive des membres des forces de l’ordre ne doit pas être mise sur le même plan que les actes commis par leurs agresseurs.

La création d’une nouvelle présomption simple de légitime défense, qui demeure bien entendu susceptible d’être renversée par la preuve contraire, n’a pas pour objet de supprimer les règles de proportionnalité, de simultanéité et de nécessité de la riposte prévues par le droit commun. Elle vise en revanche à renforcer les outils procéduraux propres à garantir l’effectivité des moyens de défense auxquels peuvent avoir recours les policiers et les gendarmes, dans le but de protéger plus efficacement leur intégrité et celle d’autrui.

B.   un objecTIf enfin concrétisé par la présente proposition de loi

L’instauration d’une présomption de légitime défense applicable aux policiers et aux gendarmes a été proposée à plusieurs reprises ces dernières années, transcendant par ailleurs les clivages politiques et réflexes partisans.

Ainsi, lors de la séance de questions au Gouvernement du 24 janvier 2018, notre collègue Maud Petit du Mouvement Démocrate et apparentés avait suggéré au ministre de l’Intérieur d’étendre la présomption de légitime défense à l’ensemble des forces de l’ordre ([8]). Madame Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre de l’Intérieur, s’était montrée ouverte à la réflexion, en considérant que « la légitime défense devant être établie par tous les moyens, le Gouvernement accélère… ».

En outre, une proposition de loi en ce sens a été déposée le 20 octobre 2020 par notre collègue Les Républicains Éric Ciotti et plusieurs membres de son groupe politique. Selon son exposé des motifs, son article unique visait « à créer une présomption de légitime défense en cas d’usage d’une arme par un membre des forces de l’ordre. Il s’agit d’appliquer aux forces de l’ordre le régime applicable aux citoyens qui repousseraient, dans la nuit, un cambrioleur. Ainsi, sera présumé avoir agi en état de légitime défense un fonctionnaire de la police nationale ou un militaire de la gendarmerie nationale, qui aura agi de manière
proportionnée face à une atteinte envers lui-même ou autrui, ou pour
défendre les lieux qu’il occupe (en particulier les commissariats) ».

La présente proposition de loi vise précisément à concrétiser ces prises de position, afin de donner à l’ensemble de nos forces de l’ordre les moyens de se défendre lorsqu’elles sont prises pour cible.

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   Commentaire des articles de la proposition de loi

Article 1er
(art. 122-6 du code pénal)
Création d’une présomption de légitime défense applicable aux membres des forces de l’ordre

Supprimé par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article complète l’article 122-6 du code pénal afin d’étendre le champ de la présomption de légitime défense aux membres des forces de l’ordre ayant dû se défendre ou défendre autrui contre une atteinte injustifiée.

       Dernières modifications législatives intervenues

Aucune.

       Position de la Commission

La Commission a supprimé le présent article.

1.   L’état du droit

Le chapitre II du titre II du livre premier du code pénal ([9]) énumère les causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité pénale. Celle-ci peut se définir comme l’obligation faite à tout individu de répondre des infractions qu’il a commises, l’exposant en conséquence aux sanctions prescrites par la loi. Les causes d’irresponsabilité pénale, limitativement prévues par le code pénal, font obstacle à l’accomplissement des poursuites judiciaires. Elles se distinguent en deux catégories, selon qu’elles présentent un caractère subjectif ou objectif.

D’une part, les causes subjectives se fondent sur les caractéristiques propres à la personne mise en cause. Elles correspondent principalement au trouble mental ([10]) et à la contrainte ([11]) sous l’empire desquels se trouvait l’auteur des faits lors de leur commission.

D’autre part, les causes objectives, assimilées à des faits justificatifs, se fondent sur des circonstances particulières qui entourent la commission de l’infraction. Extérieures à l’auteur des faits, elles relèvent de l’application de la loi ([12]), du commandement de l’autorité légitime ([13]), de l’état de nécessité ([14]) et de la légitime défense ([15]).

a.   La légitime défense

Cause objective d’irresponsabilité pénale, la légitime défense est régie par l’article 122-5 du code pénal.

Article 122-5 du code pénal

N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte.

N’est pas pénalement responsable la personne qui, pour interrompre l’exécution d’un crime ou d’un délit contre un bien, accomplit un acte de défense, autre qu’un homicide volontaire, lorsque cet acte est strictement nécessaire au but poursuivi dès lors que les moyens employés sont proportionnés à la gravité de l’infraction.

Afin de se protéger ou de protéger autrui, la légitime défense est établie dès lors que l’acte satisfait une double condition de simultanéité entre sa réalisation et l’atteinte envers soi-même ou autrui, et de proportionnalité entre les moyens employés et la gravité de l’atteinte précitée.

La condition de proportionnalité est appréhendée de façon stricte par la jurisprudence : l’atteinte doit être avérée ([16]) et mettre en danger la vie de la personne qui en est victime ou celle d’autrui ([17]). Ainsi, la légitime défense n’a pas été reconnue au bénéfice d’un individu ayant riposté par des coups de bâton à une agression au gaz lacrymogène en raison de la gravité des blessures qu’il a infligées à ses agresseurs ([18]). De même, le fait pour un militaire de carrière de tirer deux balles dans la cuisse de son agresseur lui ayant asséné des coups de poing, sans que celui-ci ne soit armé, ne constitue pas une riposte proportionnée ([19]).

 L’invocation de la légitime défense par les forces de police et de gendarmerie fait également l’objet d’un contrôle jurisprudentiel reposant notamment sur l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, qui garantit le droit à la vie. La stricte proportionnalité et l’absolue nécessité des actes de défense accomplis par les policiers et les gendarmes sont requises afin de justifier le recours à la force susceptible de blesser ou d’entraîner la mort d’un individu ([20]).

En pratique, les faits d’espèce font l’objet d’un examen minutieux quant au caractère certain et immédiat des risques physiques auxquels les policiers et les gendarmes sont confrontés. Par exemple, la chambre criminelle de la Cour de cassation a pu considérer qu’un gardien de la paix ayant fait usage de son arme en vue d’arrêter la progression de véhicules suspects, qui tentaient de s’enfuir sans entrer en contact avec les forces de police, n’était pas en état de légitime défense ([21]).

Sur le fondement de l’article 122-5, la démonstration de l’état de légitime défense incombe à la personne mise en cause. Cependant, compte tenu de la spécificité de certaines situations, l’article 122-6 du code pénal admet l’existence de deux présomptions de légitime défense.

b.   Les présomptions de légitime défense

L’article 122-6 du code pénal prévoit deux finalités pour lesquelles l’état de légitime défense est présumé.

Article 122-6 du code pénal

Est présumé avoir agi en état de légitime défense celui qui accomplit l’acte :

1° Pour repousser, de nuit, l’entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité ;

2° Pour se défendre contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence.

Par nature, ces présomptions simples de légitime défense ne présentent pas de caractère absolu et irréfragable : elles sont donc susceptibles de céder devant la preuve contraire. Ainsi, les critères de nécessité et de proportionnalité prévus par l’article 122-5 font l’objet d’une évaluation circonstanciée par la jurisprudence. En dépit de la présomption mentionnée au 1° de l’article 122-6, la chambre criminelle de la Cour de cassation a ainsi jugé qu’un bijoutier ne pouvait se prévaloir de la légitime défense à l’occasion d’une tentative de vol par effraction commise la nuit contre son magasin par des agresseurs non-armés qui tentaient de s’enfuir sur la voie publique ([22]).

Néanmoins, ces deux présomptions simples de légitime défense, dont les fondements historiques sont très anciens ([23]), ont pour effet d’inverser la charge de preuve, ce qui contraint l’accusation à prouver le caractère disproportionné ou non-nécessaire des moyens de défense mis en œuvre.

En l’état actuel du droit, les membres des forces de l’ordre ne bénéficient d’aucune présomption de légitime défense dans l’exercice de leurs fonctions. Lorsqu’ils sont mis en cause devant la justice pour avoir fait usage de leurs armes, ils doivent donc établir le caractère proportionné et nécessaire des moyens qu’ils ont déployés, afin de prouver que leur action relève de la légitime défense, de l’accomplissement d’un acte autorisé par des dispositions législatives ou règlementaires, ou commandé par l’autorité légitime, et ce dans le but de voir reconnue leur irresponsabilité pénale.

2.   Le dispositif proposé

Le présent article vise à ajouter un troisième cas de présomption de légitime défense applicable aux policiers nationaux et municipaux, aux gendarmes et aux militaires agissant dans le cadre de l’article L. 1321-1 du code de la défense, contraints de se défendre ou de défendre autrui contre une atteinte injustifiée. À l’instar des deux présomptions régies par l’article 122-6 du code pénal, cette nouvelle présomption présente un caractère simple et peut donc être renversée par l’accusation, dès lors que celle-ci apporte la preuve que l’action des forces de l’ordre n’a pas respecté le cadre légal. En effet, les exigences de proportionnalité et de nécessité requises par l’article 122-5 encadrant la légitime défense demeurent applicables : leur méconnaissance éventuelle empêcherait donc de caractériser l’état de légitime de défense, ce qui entraînerait le cas échéant l’engagement de la responsabilité pénale des policiers, gendarmes ou militaires mis en cause.

La création de cette nouvelle présomption de légitime défense répond à la nécessité de prendre en compte les difficultés et spécificités inhérentes aux missions qu’exercent au quotidien les policiers et les gendarmes. S’il est judicieux de prévoir une présomption de légitime défense au bénéfice des citoyens confrontés à une intrusion nocturne dans un domicile habité ou à un vol avec violence, il est tout aussi opportun de consacrer une présomption identique au profit des forces de l’ordre qui ont fait usage de leurs armes afin de neutraliser des individus ayant mis en péril leur vie ou celle d’autrui. Bien que la présomption de légitime défense ne constitue en aucune façon une quelconque « immunité pénale », l’extension du champ de cette présomption à l’ensemble des membres des forces de l’ordre garantit aux agents ayant vocation à en bénéficier une protection procédurale accrue, qui est pleinement justifiée par leur qualité et par les risques de leur activité.

3.   La position de la Commission

La Commission a adopté les amendements CL2 de Madame Sandra Regol (Ecologistes), CL6 de Monsieur Antoine Léaument (La France Insoumise), CL14 de Monsieur Didier Paris (Renaissance) et CL16 de Madame Elsa Faucillon (Gauche Démocrate et Républicaine) ayant recueilli un avis défavorable du rapporteur, tendant à supprimer le présent article.

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Article 2
(art. 122-4-1 du code pénal)
Irresponsabilité pénale des membres forces de l’ordre agissant dans les conditions prévues par l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure

Supprimé par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Cet article précise que les policiers et les gendarmes sont pénalement irresponsables dès lors qu’ils font usage de leur arme afin de se défendre ou de défendre autrui dans les conditions prévues par l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure.

       Dernières modifications législatives intervenues

Créé par la loi n° 2017-258 relative à la sécurité publique du 28 février 2017, l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure prévoit les situations et conditions dans lesquelles les policiers et les gendarmes sont autorisés à faire usage de leurs armes.

       Position de la Commission

La Commission a supprimé le présent article.

1.   L’état du droit

Dans le but d’unifier les règles applicables à l’usage des armes par les membres des forces de l’ordre, la loi n° 2017-258 relative à la sécurité publique du 28 février 2017 a créé l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure, qui fixe un cadre commun régissant le recours à la force par les policiers et les gendarmes. La mise en œuvre de ces dispositions, sous réserve du respect des exigences d’absolue nécessité et de stricte proportionnalité qui les entourent, constitue une cause objective d’irresponsabilité pénale sur le fondement de l’article 122-4 du code pénal.

a.   L’unification des règles applicables à l’usage des armes par les policiers et les gendarmes

Jusqu’à la loi du 28 février 2017, le régime encadrant l’usage des armes par les gendarmes et les policiers s’est caractérisé par une certaine hétérogénéité. Si les policiers étaient essentiellement assujettis aux règles de droit commun relevant des cas de légitime défense prévus par l’article 122-5 du code pénal, les gendarmes bénéficiaient d’un cadre légal ad hoc fixé par l’article L. 2338-3 du code de la défense ([24]). Seule la répression des délits d’attroupement prévue par les articles L. 211-9 du code de la sécurité intérieure et 431-3 du code pénal impliquait l’existence de règles communes et spécifiques à la police et à la gendarmerie en matière d’usage des armes ([25]). Dans une volonté encore timide d’unification, la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 a introduit dans le code pénal un nouvel article 122-4-1 relatif à l’usage des armes aux fins d’interruption d’un périple meurtrier.

Ce nouveau régime d’irresponsabilité pénale bénéficiait aux policiers, aux gendarmes, aux agents des douanes et aux militaires déployés sur le territoire dans le cadre de réquisitions, lorsqu’ils étaient contraints, de manière absolument nécessaire, d’utiliser leurs armes pour neutraliser l’auteur d’un ou plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre, et qu’il existait des raisons réelles et objectives de penser que cet auteur était susceptible de réitérer d’autres crimes dans un temps rapproché.

Bien que rédigée de façon relativement complexe et particulièrement circonscrite, cette évolution établissait un cadre général d’usage des armes pour l’ensemble des forces de l’ordre, entérinant ainsi la spécificité de leur mission pour autoriser l’ouverture du feu, indépendamment de l’exception de légitime défense prévue par le droit commun. La nécessité de sécuriser, de clarifier et de mettre en cohérence les règles applicables à l’usage des armes par les policiers et les gendarmes s’est finalement concrétisée par la création de l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure. Ses dispositions s’inspirent de celles prévues par l’article L. 2338-3 du code de la défense, jusqu’alors applicables aux seuls gendarmes.

Article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure

Dans l’exercice de leurs fonctions et revêtus de leur uniforme ou des insignes extérieurs et apparents de leur qualité, les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale peuvent, outre les cas mentionnés à l’article L. 211-9, faire usage de leurs armes en cas d’absolue nécessité et de manière strictement   proportionnée :

1° Lorsque des atteintes à la vie ou à l’intégrité physique sont portées contre eux ou contre autrui ou lorsque des personnes armées menacent leur vie ou leur intégrité physique ou celles d’autrui ;

2° Lorsque, après deux sommations faites à haute voix, ils ne peuvent défendre autrement les lieux qu’ils occupent ou les personnes qui leur sont confiées ;

3° Lorsque, immédiatement après deux sommations adressées à haute voix, ils ne peuvent contraindre à s’arrêter, autrement que par l’usage des armes, des personnes qui cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et qui sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ;

4° Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l’usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ;

5° Dans le but exclusif d’empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d’un ou de plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d’être commis, lorsqu’ils ont des raisons réelles et objectives d’estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont ils disposent au moment où ils font usage de leurs armes.

La jurisprudence de la Cour de cassation ([26]) et de la Cour européenne des droits de l’homme ([27]) a considéré que ces règles respectent les exigences constitutionnelles et conventionnelles qui découlent respectivement de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 et de l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950.

La délimitation précise des cas d’usage, la condition cumulative d’une absolue nécessité et d’une stricte proportionnalité, ainsi que l’exigence pour les membres des forces de l’ordre d’agir dans l’exercice de leurs fonctions et revêtus de leur uniforme ou de leurs insignes distinctifs, garantissent l’équilibre et la pertinence de ce régime légal.

b.   L’irresponsabilité pénale des policiers et des gendarmes au titre de l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure

Le premier alinéa de l’article 122-4 du code pénal précise que la responsabilité pénale d’une personne n’est pas engagée dès lors que celle-ci accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou règlementaires.

Le cadre régissant l’usage des armes par les policiers et les gendarmes constitue donc le fondement légal de l’irresponsabilité pénale des membres des forces de l’ordre, dès lors que leur action respecte l’ensemble des exigences déterminées par l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure.

À titre d’exemple, l’irresponsabilité pénale de gendarmes mis en cause pour avoir ouvert le feu à la suite de refus d’obtempérer, sur le fondement des dispositions du 4° de l’article L. 435-1, a été constatée à plusieurs reprises par la chambre criminelle de la Cour de cassation ([28]).

2.   Le dispositif proposé

Le présent article consacre l’irresponsabilité pénale des membres des forces de l’ordre faisant usage de leur arme dans les conditions prévues par l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure. S’il explicite la combinaison des articles 122-4 du code pénal et L. 435-1 du code de la sécurité intérieure, cet ajout poursuit un objectif déjà satisfait par la rédaction actuelle de l’article 122-4.

3.   La position de la Commission

La Commission a adopté les amendements CL18 du rapporteur, CL1 de Madame Sandra Regol (Ecologistes), CL7 de Madame Elisa Martin (La France Insoumise), CL15 de Monsieur Didier Paris (Renaissance) et CL17 de Madame Elsa Faucillon (Gauche Démocrate et Républicaine) tendant à supprimer le présent article.


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   Examen en commission

Lors de sa réunion du mercredi 14 décembre 2022, la Commission examine la proposition de loi visant à instituer une présomption de légitime défense pour les membres des forces de l’ordre (n°557) (M. Michaël Taverne, rapporteur).

Lien vidéo : https://assnat.fr/NFkKqK

M. Michaël Taverne, rapporteur. Cette proposition de loi vise à instituer une présomption de légitime défense pour les forces de l’ordre. Vous n’êtes pas sans savoir, en effet, que les policiers et les gendarmes sont la cible d’atteintes récurrentes et de plus en plus violentes. En 2021, 83 432 policiers nationaux ou municipaux et gendarmes ont ainsi été victimes d’agressions, soit 228 par jour, et chaque année près d’un policier ou gendarme sur dix est victime de violences physiques. La violence est présente partout sur le territoire et elle vise particulièrement les femmes et les hommes qui assurent la sécurité des Français. Les sapeurs-pompiers n’échappent pas à ce fléau, puisqu’ils ont connu, en dix ans, une augmentation de 223 % des agressions à leur encontre, et il en est de même pour les médecins et les postiers, qui n’osent plus aller dans certaines banlieues de peur d’être agressés.

La légitime défense est une notion ancienne, puisque Cicéron y faisait déjà référence dans son Discours pour Milon. Il en est aussi question en droit international, dans la Charte des Nations unies et la Convention européenne des droits de l’homme. Néanmoins, le cadre juridique, notamment celui posé par l’article 122-5 du code pénal, est particulièrement strict pour les forces de l’ordre. Face à une agression injustifiée, actuelle et réelle, les forces de l’ordre sont autorisées à riposter de façon nécessaire, simultanée et proportionnée.

Il a fallu attendre les attentats de 2015 et 2016 pour faire évoluer la réglementation de l’usage des armes, alors que le problème était déjà connu, notamment le phénomène qu’on appelle amok – les tueries de masse commises par un individu, comme celle du conseil municipal de Nanterre en mars 2002, qui a fait huit morts, ou celle de Tours, en 2001, marquée par quatre morts. Une nouvelle réglementation de l’usage des armes a vu le jour en 2017, avec l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure. Cet article, après avoir posé deux conditions cumulatives, de stricte proportionnalité et d’absolue nécessité, autorise l’usage des armes par les policiers ou les gendarmes dans cinq cas : lorsque des atteintes à la vie sont portées contre eux ou une autre personne ; pour défendre des lieux qu’ils occupent ou les personnes qui leur sont confiées, après deux sommations ; pour contraindre à s’arrêter, là aussi après deux sommations, des personnes qui échappent à leur garde et qui, dans leur fuite, peuvent perpétrer des atteintes à leur vie ou à celle d’autrui ; pour immobiliser un véhicule dont le conducteur n’obtempère pas à un ordre d’arrêt et qui, dans sa fuite, peut perpétrer des atteintes à leur vie ou à celle d’autrui ; dans le cas des « périples meurtriers » que nous connaissons bien en France.

À l’époque, de nombreuses voix disaient que les policiers et les gendarmes utiliseraient plus fréquemment leurs armes. Les chiffres communiqués par l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) et l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) font pourtant état d’une relative stabilité de leur usage. Les policiers et les gendarmes sont des professionnels. Ils ne se lèvent pas le matin en se demandant quelle arme ils vont pouvoir utiliser dans la journée ; leur priorité est, au contraire, de pouvoir rentrer chez eux, auprès de leur famille.

Il est totalement absurde de penser que cette proposition de loi donnerait aux forces de l’ordre un permis de tuer. Ce serait faire preuve d’idéologie, mais aussi de mépris et de méconnaissance totale de cette profession, qui recueille plus de 95 % d’opinions favorables chez les Français. Les policiers et les gendarmes sont, dans leur grande majorité, des mères et des pères de famille responsables. À partir du moment où une arme est utilisée, ils sont conscients de la responsabilité qui devient la leur, souvent en l’espace de quelques secondes. Ils savent qu’une épée de Damoclès restera au-dessus de leur tête pendant des mois, voire des années, alors qu’ils n’ont fait que se défendre ou défendre autrui. Ils appréhendent les conséquences judiciaires, car la seule présomption qu’ils connaissent est celle de culpabilité : c’est à eux de s’expliquer face à des agresseurs qui ne prennent jamais leurs responsabilités. Je me souviens de ces deux femmes gendarmes qui étaient intervenues lors d’un cambriolage à Collobrières, dans le Var, en 2012, et qui n’avaient pas osé tirer : le résultat est qu’elles ont toutes les deux perdu la vie. En 2011, à la préfecture de Bourges, une policière qui n’avait pas osé tirer est morte d’un coup de sabre.

Une présomption de légitime défense applicable aux policiers et gendarmes a été proposée à plusieurs reprises au cours des dernières années, en transcendant les clivages politiques et les réflexes partisans, notamment par la députée du Modem Maud Petit. Jacqueline Gourault, alors ministre auprès du ministre de l’intérieur, s’était alors dite ouverte à la réflexion. Éric Ciotti a également proposé la création d’une présomption de légitime défense.

Celle-ci existe déjà dans le code pénal, en son article 122-6, dans deux cas distincts : le fait de « repousser, de nuit, l’entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habitué » ; le fait de « se défendre contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence ». Le but est d’inverser la charge de la preuve : c’est aux agresseurs d’apporter des éléments prouvant que l’acte de défense ne respectait pas les fondamentaux de la légitime défense, c’est-à-dire une absolue nécessité et une stricte proportionnalité.

L’action défensive des membres des forces de l’ordre ne doit pas être mise sur le même plan que les actes commis par les agresseurs. La création d’une présomption simple de légitime défense n’a pas pour but de supprimer les règles de proportionnalité, de simultanéité et de nécessité. Elle vise à renforcer les outils procéduraux propres à garantir l’effectivité des moyens de défense auxquels peuvent avoir recours les policiers et les gendarmes dans le but de protéger plus efficacement leur intégrité et celle d’autrui.

Pour connaître parfaitement les forces de l’ordre, je peux vous dire que cette présomption est plébiscitée par de nombreux policiers et gendarmes. Ils ne la considèrent pas comme un permis de tirer, mais comme une reconnaissance de leurs difficultés, car ils sont tout le temps condamnés avant l’heure.

Chacun doit prendre ses responsabilités : puisque la quasi-totalité des parlementaires soutiennent les forces de l’ordre, les réarmer moralement serait une première victoire pour elles, dans une société qui bascule petit à petit dans l’hyperviolence.

M. Didier Paris (RE). Nous n’avons pas attendu cette proposition de loi pour exprimer notre soutien plein et entier aux forces de sécurité du pays – c’est absolument fondamental, mais je ne suis pas sûr qu’on puisse en dire autant de tous les mouvements politiques ici présents. Nous l’avons fait dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) s’agissant du refus d’obtempérer, et dans d’autres textes en ce qui concerne la limitation des réductions des peines ou les exclusions de l’application de plein droit de la libération sous contrainte – et on pourrait continuer la liste.

S’il s’agit d’armer les policiers, comme vous le dites, nous leur donnons physiquement des armes – des efforts extrêmement conséquents sont réalisés en ce sens –, et nous leur avons aussi donné les armes juridiques pour pouvoir les utiliser. Je respecte pleinement notre collègue Taverne, ancien fonctionnaire de police – il bénéficie donc d’un crédit de bonne foi –, mais cette proposition de loi n’est en réalité qu’un affichage politique, classique pour le Rassemblement national. Cette idée avait également été soutenue à un moment par Éric Zemmour, et on voit très bien d’où elle vient.

Le présent texte irait directement à l’encontre des efforts que nous avons toujours consentis. C’est une proposition de faux amis et de faux-semblants, tout à fait trompeuse parce qu’elle conduirait, contrairement à ce qu’on peut penser, à une régression pour les policiers par rapport à la situation qu’ils ont connue. J’ajoute que c’est un fatras législatif assez incroyable : le rapporteur a déposé un amendement pour supprimer l’article 2 de son propre texte. Ce n’est en réalité qu’un début de retour au bon sens : l’article 1er existe déjà et l’article 2 n’était qu’un simple plagiat – comme Gilles Le Gendre l’a dit, la notion de plagiat est consubstantielle au Rassemblement national.

Il existe déjà un cadre juridique intelligent et structuré dans lequel les services de police et de gendarmerie se reconnaissent sans difficulté, et ce n’est pas le moment de le changer, avec ou sans sommation. Cette proposition de loi est inutile, mais aussi inefficace, au sens où on peut prévoir toutes les présomptions de légitime défense qu’on veut, il y aura à chaque fois une procédure judiciaire et une vérification des conditions dans lesquelles les choses se sont passées. Même présumée, la légitime défense devra être établie pour exonérer de sa responsabilité l’auteur des faits. Réintroduire un texte générique et général en faveur des fonctionnaires de police ne changera strictement rien à la réalité. Les magistrats s’attachent à vérifier dans quelles conditions réelles et subjectives se trouvait le fonctionnaire de police qui a malheureusement été obligé de sortir son arme.

Enfin, c’est une proposition de loi dangereuse, parce qu’elle visait à l’origine à s’exonérer un peu trop rapidement de la proportionnalité entre la défense et la gravité de l’atteinte – il est évident qu’un fonctionnaire de police ou de gendarmerie ne peut pas sortir son arme dans n’importe quelles conditions et pour n’importe quels faits –, parce qu’elle procurerait à certains une impression illusoire de liberté sans sécurité juridique, c’est-à-dire une sorte de désinhibition qu’aucun d’entre nous ne souhaite, et enfin parce qu’on peut difficilement penser qu’une partie de la population ne considérerait pas qu’il s’agit d’une forme de permis de tuer.

Pour toutes ces raisons, le groupe Renaissance est parfaitement opposé à cette proposition de loi. Nous avons donc déposé deux amendements de suppression – en réalité, un seul puisque le rapporteur ne souhaite lui-même conserver qu’un seul pseudo-article.

M. Stéphane Rambaud (RN). La légitime défense permet de se défendre, de protéger quelqu’un ou un bien lors d’une attaque immédiate par une autre personne. Les moyens utilisés lors de cette défense sont interdits dans toute autre situation, et c’est la justice qui vérifie si la riposte correspond véritablement à un cas de légitime défense. Pour que celle-ci soit reconnue, les cinq conditions suivantes doivent être réunies : l’attaque doit être injustifiée, c’est-à-dire sans motif valable ; il doit s’agir d’une défense pour soi ou pour une autre personne ; la défense doit être immédiate ; elle doit être nécessaire à la protection, c’est-à-dire que la situation est telle que la seule solution est la riposte ; enfin, la défense doit être proportionnée, c’est-à-dire égale à la gravité de l’attaque.

La légitime défense se présente comme une cause d’irresponsabilité pénale. Elle permet, en effet, à l’auteur d’une infraction de se libérer de sa responsabilité, dès lors qu’il a commis l’infraction pour repousser une agression actuelle et injuste le menaçant ou menaçant autrui.

Que les forces de l’ordre soient confrontées à un problème est une évidence. Le constat à l’origine de la proposition de loi de nos collègues Taverne et Villedieu est sans appel : plus de 85 faits de violence envers les fonctionnaires de la police nationale sont enregistrés quotidiennement dans le pays. S’agissant de la gendarmerie, le nombre d’agressions physiques a augmenté de 76 % depuis 2010. Au mois de janvier 2021, sur la base d’une remontée d’informations provenant de procès-verbaux, les services statistiques du ministère de l’intérieur ont recensé 2 288 faits de violence envers les forces de l’ordre. En vingt ans, ces faits ont été multipliés par 2,3. En 2019, un bilan de la direction générale de la police nationale (DGPN) faisait état de 7 400 agents blessés dans l’exercice de leurs fonctions, du gardien à l’officier, contre 3 842 en 2004.

Un phénomène traduit particulièrement la violence grandissante à l’égard des forces de l’ordre : l’explosion des refus d’obtempérer. Ce délit a été constaté à près de 24 000 reprises en un an. Par ailleurs, les outrages aux personnes dépositaires de l’autorité publique (PDAP) ont augmenté de 5,3 % depuis 2019.

L’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure, créé en 2017 par la loi relative à la sécurité publique, reconnaît déjà aux agents de la police nationale et aux militaires de la gendarmerie le droit de faire usage de leurs armes en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée, et précise les conditions les autorisant à faire feu. Cependant, ce droit à faire usage de leurs armes ne crée pas, stricto sensu, de cause d’irresponsabilité pénale pour les policiers et les gendarmes. C’est pourquoi cette proposition de loi est fondée à introduire dans le code pénal des dispositions spécifiques de présomption de légitime défense en faveur des forces de l’ordre. Il s’agit de prévoir qu’en cas d’atteinte injustifiée, le policier ou le gendarme qui se défend ou défend autrui échappe à la mise en cause de sa responsabilité pénale.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Cette proposition de loi du Rassemblement national vise officiellement à instituer une présomption de légitime défense pour les forces de sécurité publique. Or, l’article 1er élargirait tellement les conditions de la légitime défense que celle-ci pourrait s’appliquer à presque tous les cas – je pense notamment à l’affaire Michel Zecler, lequel avait subi des violences policières, et aux gilets jaunes qui ont été éborgnés et mutilés : dans ces cas, on aurait potentiellement pu dire qu’il s’agissait de légitime défense. L’article 2, par ailleurs, supprime les restrictions à l’usage des armes de service des policiers et gendarmes. Comme l’a dit notre collègue de la majorité, cela s’apparente clairement à un permis de tuer donné aux forces de l’ordre.

Je tiens à rappeler certains grands principes consacrés dans notre pays, en m’appuyant sur un ouvrage de policiers, Police, la loi de l’omerta, qui cite dans sa conclusion l’article 12 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « La garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ». Selon l’article 9 du même texte, « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. »

La question qui se pose actuellement est celle des refus d’obtempérer. Cette année, douze personnes sont décédées dans ce contexte. L’article 7 de la Déclaration des droits de l’homme prévoit que « tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l’instant : il se rend coupable par la résistance ». Je répète néanmoins ce qui figure à l’article 9 : « toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi », et je rappelle que la peine de mort n’existe pas dans notre pays. Elle a été abolie grâce à l’action de François Mitterrand et de Robert Badinter en 1981. Cela veut dire qu’aucun délit, quel qu’il soit, ne doit normalement se conclure par le décès de celui qui le commet. Dire cela ne consiste pas à avoir la culture du laxisme, de l’excuse ou de l’impunité, comme on l’entend parfois dire. C’est avoir la culture de l’État de droit et du respect de la loi.

Cette proposition de loi est dangereuse et inutile pour les policiers. Je le dis à nos collègues du Rassemblement national : vous n’aimez pas la police, sinon vous chercheriez, comme nous, à ne pas placer les policiers dans des situations où ils se mettent en danger. Il faut, à l’inverse de ce que vous proposez, une stratégie de désescalade, notamment pour la gestion des manifestations. Il faut aussi améliorer l’équipement des policiers et se poser la question de ce qui est fait dans d’autres pays face aux refus d’obtempérer, notamment au Japon, où on utilise des techniques de marquage des véhicules. Ce serait plus utile que de mettre les policiers dans des situations où ils sont parfois en danger. On doit également améliorer la formation à la déontologie et à l’usage des armes, au tir notamment. Il faut, par ailleurs, améliorer la prise en charge post-traumatique. Aucun policier ou gendarme ne tue quelqu’un sans qu’il en résulte pour lui des effets psychologiques. J’invite vraiment à réfléchir sur ce point, au lieu d’explorer d’autres sujets comme vous le faites.

Nous voterons contre cette mauvaise proposition de loi, inutile et dangereuse, et nous avons déposé des amendements de suppression de ses deux articles.

M. Xavier Breton (LR). La question du maintien de l’ordre est, bien sûr, sensible et délicate, à la fois dans la société et au sein de la législation. Nous sommes en effet à la recherche d’un équilibre entre les libertés, d’expression, de circulation ou de manifestation, reconnues par notre Constitution et nos lois, et la sécurité de nos concitoyens et de l’ensemble de la société. L’équilibre n’est pas figé dans le temps : nous devons faire bouger le curseur en fonction des évolutions sociales et des faits constatés. Nous avons ainsi fait des propositions au cours des dernières années et des derniers mois pour renforcer le soutien apporté à nos forces de l’ordre.

Cette proposition de loi s’inscrit dans un contexte : les forces de l’ordre sont de plus en plus souvent prises à partie, de manière de plus en plus violente, et nous ne pouvons pas rester insensibles à cette réalité. Il est important d’exprimer collectivement notre soutien aux forces de l’ordre, qui doivent avoir notre confiance. La proposition de loi souffre d’imperfections – je pense notamment qu’il faudrait préciser à l’article 1er qu’il faut être dans l’exercice de ses fonctions et revêtu de son uniforme ou de ses insignes extérieurs, comme le demande un amendement, et je suis également d’avis que l’article 2 n’est pas utile – mais ce texte bénéficie d’une présomption favorable de notre part, si vous me permettez cette expression.

Il est vrai que nous devons rester vigilants, en ayant toujours dans notre droit les moyens d’enquêter sur des actes qui seraient complètement injustifiables et de les sanctionner, mais le signal que nous devons donner aujourd’hui est celui du soutien à nos forces de l’ordre.

Mme Laurence Vichnievsky (Dem). Il n’est pas question de soutenir ou non les forces de police : nous les soutenons tous ici, et c’est bien normal.

Les observations que je ferai, de nature essentiellement juridique, seront en quelque sorte raccourcies, puisque le rapporteur a lui-même compris que l’article 2 était aussi inutile que dangereux – il a ainsi déposé un amendement de suppression.

Les conditions dans lesquelles les policiers et les gendarmes peuvent être amenés, dans l’exercice de leurs fonctions, à faire usage de leur arme sont fondées sur deux catégories juridiques qui constituent des cas d’irresponsabilité pénale. La première est l’ordre ou la permission de la loi. La seconde est la légitime défense. Il n’y a pas, dans le droit en vigueur, de présomption légale de légitime défense propre aux policiers. En revanche, plusieurs dispositions de l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure prévoient les cas dans lesquels un policier ou un gendarme peut faire usage de son arme.

L’article 1er de la proposition de loi tend à créer un cas de présomption légale de légitime défense propre aux policiers en cas de défense de soi-même ou d’autrui contre une atteinte injustifiée. Cette circonstance résulte de la définition générique de la légitime défense, énoncée à l’article 122-5 du code pénal en des termes identiques, mais – et c’est cela qui doit nous alerter – ne figure plus dans la proposition de loi la précision qu’il n’y a pas de légitime défense en cas de disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte. Or, la règle selon laquelle les lois spéciales dérogent aux lois générales aurait à s’appliquer. Cette proposition de loi destinée aux seuls policiers et gendarmes dérogerait donc à l’article 122-5 du code pénal, et les forces de l’ordre échapperaient à l’obligation commune de proportionnalité, ce qui serait évidemment très dangereux, comme Didier Paris et d’autres avant moi l’ont dit. C’est un cas théorique, bien sûr, mais un policier pourrait, à la limite, utiliser son arme à feu pour se défendre d’un coup de poing.

L’article 1er est, dans le meilleur des cas, inutile et redondant ; dans le pire des cas, il est dangereux. Je ne reviens pas sur l’article 2, puisque je rappelle que le rapporteur lui-même veut le supprimer.

Cette proposition de loi part sans doute de l’intention de mieux protéger les policiers et les gendarmes, qui sont en butte à des attaques de plus en plus nombreuses et souvent de plus en plus organisées. Une telle préoccupation est légitime, et nous la partageons, mais le texte n’apporte pas les réponses qui conviennent. C’est la raison pour laquelle le Modem ne votera pas cette proposition de loi.

M. Roger Vicot (SOC). Je le dis en préambule, nous voterons contre cette proposition de loi, même s’il n’est pas question de nier les difficultés professionnelles auxquelles les policiers font face, notamment les refus d’obtempérer, qui sont en augmentation.

En l’état actuel de la législation, deux conditions sont requises pour la légitime défense : l’arme doit avoir été utilisée en cas d’absolue nécessité et de manière proportionnée. Une présomption de légitime défense signifierait que quelle que soit l’évaluation des circonstances, quelle que soit la manière dont les faits se sont déroulés, le policier serait réputé avoir utilisé son arme en réponse à une nécessité absolue et de manière proportionnée. Vous avez utilisé un fait divers, monsieur le rapporteur, pour expliquer la manière dont vous voyez les choses. J’en évoquerai un autre, parti d’un refus d’obtempérer, qui s’est produit il y a quelques mois à Paris : le véhicule est parti devant le policier, sans que le conducteur cherche à aller vers lui ; le policier a tiré derrière le véhicule et a tué une jeune passagère qui se trouvait à l’intérieur de celui-ci parce qu’elle voulait se rendre en discothèque. Avec cette proposition de loi, le policier serait réputé avoir agi face à une nécessité absolue, ce qui était faux, et de manière proportionnée, ce qui était également faux.

Cette proposition de loi nous apparaît comme la pire manière de réparer les relations entre la police et la population. Les débats sur la Lopmi ont montré la nécessité de renforcer la formation des policiers et la dégradation des relations entre la police et la population. Or, ce texte n’est pas de nature à améliorer la confiance dans les policiers – sans aller jusqu’à reprendre l’expression « droit de tuer », il aurait plutôt pour effet de l’amoindrir.

Le nombre de tirs effectués par la police serait relativement stable, dites-vous. Or, les chiffres de l’IGPN montrent le contraire : entre 2016 et 2017, le nombre de tirs a augmenté de 39 %, et ceux effectués en direction de véhicules en mouvement, de 47 %. Le texte ne ferait que renforcer cette tendance, en dehors de toute nécessité absolue et sans que la proportionnalité soit respectée.

Enfin, la proposition de loi vise à étendre la présomption de légitime défense à la police municipale. Or 40 % des polices municipales ne sont pas dotées d’armes létales. Par ailleurs, elles ne fonctionnent pas toutes sur le mode « Béziers ».

Pour l’ensemble de ces raisons, nous sommes totalement en désaccord avec cette proposition de loi.

Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback (HOR). Les députés du groupe Horizons sont profondément attachés à la protection de ceux qui protègent. Il n’est pas concevable que le travail et le statut des forces de l’ordre soient dépréciés par des propos choquants tels que « la police tue ». Le travail de ces professionnels est souvent délicat, et les conditions de leurs interventions, complexes.

S’agissant du texte qui nous est soumis, c’est sans surprise que l’on retrouve, dans l’exposé des motifs, le champ lexical du Rassemblement national, des mots destinés à nous faire peur, à nous dresser les uns contre les autres – « l’ensauvagement » de la société, le « réarmement moral ». Je ne crois pas utile d’employer cette terminologie dans une période où l’on devrait plutôt rechercher l’apaisement.

L’instauration d’une présomption de légitime défense au bénéfice de toutes les forces de l’ordre ne semble pas pertinente à plusieurs titres. D’abord, elle n’empêche pas cette présomption d’être renversée si les conditions légales de la légitime défense ne sont pas remplies. Seule la charge de la preuve est inversée : ce serait au défendeur de prouver que l’agent n’était pas en situation de légitime défense. Ensuite, le cadre juridique existant est sécurisant pour les forces de l’ordre et respectueux des principes qui fondent notre État de droit, même dans les cas précis où policiers et gendarmes sont autorisés à faire usage de leur arme. Leur réaction doit toujours être nécessaire et proportionnée. Enfin, cette disposition serait en contradiction totale avec nos engagements européens. La Cour européenne des droits de l’homme impose un encadrement juridique des conditions dans lesquelles les responsables de l’application de la loi peuvent recourir à la force et faire usage d’armes à feu.

La proposition de loi vise également à réintroduire dans le code pénal l’irresponsabilité pénale prévue par le code de la sécurité intérieure pour les policiers et les gendarmes. Ce serait redondant avec le droit actuel, puisque le texte conditionne l’exonération de responsabilité à la satisfaction des conditions posées par le code. Nous ne sommes pas dupes : avec cette proposition, vous entendez envoyer un message politique à certains de vos électeurs. Si le faire savoir est important, il est aussi primordial, à nos yeux, de garder en ligne de mire l’efficacité et la prévisibilité de nos règles juridiques, afin, avant tout, de sécuriser les forces de l’ordre.

Nous resterons toujours attentifs lorsqu’il sera nécessaire d’adapter et de renforcer la loi pour soutenir et protéger les forces de l’ordre. Le Parlement a récemment voté de nouvelles dispositions à cette fin. La loi du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés a, en effet, introduit dans notre droit des mesures d’une grande fermeté à l’égard des personnes ayant commis des infractions graves à l’encontre d’un élu, d’un policier, d’un magistrat ou de tout autre dépositaire de l’autorité publique. En particulier, les intéressés ne peuvent plus bénéficier de crédits de réduction de peine.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Horizons votera contre cette proposition de loi.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Ce texte d’affichage et non d’action, de communication plutôt que de réflexion ne recueille pas l’accord de tous les syndicats policiers. Parmi les principaux, l’Union nationale des syndicats autonomes (Unsa) et le Syndicat général de la police-Force ouvrière (Unité SGP-FO) se sont même prononcés contre. En revanche, il est raccord avec plusieurs prises de position du ministre de l’intérieur. Même si celui-ci vous trouve trop mous, votre effort pour essayer de lui plaire est remarquable – dommage que vous tombiez tellement à côté.

Plutôt que d’en rajouter dans la communication, il faudrait s’attacher à répondre mieux au problème. Le nombre de morts augmente, et qu’on les compte dans la police, la gendarmerie ou la population, les familles sont en deuil. L’urgence n’est pas à renforcer ce qui, depuis 2002, détruit la fonction du maintien de l’ordre et des gardiens de la paix, non plus qu’à accentuer les écueils, les détournements, les ratés de 2017. Elle est plutôt à comprendre comment on en est arrivé là, pour apporter une réponse adaptée. Il s’agit de travailler sur des bases scientifiques, solides, et non de faire semblant pour aller chercher deux ou trois points d’électorat.

Au cours de la discussion de la Lopmi, nous avions proposé plusieurs éléments salvateurs, comme l’amélioration de la formation au tir, en particulier des policiers. La formation actuelle est ridiculement insuffisante : ce n’est pas avec trois séries de trente douilles par an sur des cibles proches et fixes que l’on apprend à réagir lorsqu’on se sent en danger face à une personne qui peut être armée. Nous avions aussi proposé des dispositions pour améliorer le quotidien des forces de l’ordre, notamment pour leur offrir le soutien psychologique qui est demandé par la totalité des agents et des syndicats.

Mais non, vous préférez proposer une énième loi de communication et d’autopromotion, qui ne sert à rien d’autre qu’à faire toujours plus semblant. Au lieu d’y perdre notre matinée, nous devrions plutôt chercher à améliorer encore les missions de service au public afin de remettre les choses dans l’ordre, et non d’ajouter un peu plus de désordre.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). À la lecture de cette proposition de loi, j’ai été immédiatement saisie d’effroi : ce que l’on nous propose ne s’appelle plus la République, c’est un régime dans lequel les policiers pourraient blesser ou tuer sous couvert d’une présomption qui les dispenserait de s’en expliquer. Dans le droit actuel, quiconque blesse ou tue un policier est lourdement sanctionné, et c’est bien normal. Par votre texte, vous signifiez aux familles meurtries, dont un proche a été blessé ou tué par un policier, qu’il n’y aura pas d’enquête et que l’intéressé ne sera pas jugé. C’est d’ailleurs malheureusement trop souvent le cas pour ces familles endeuillées, qui doivent se battre pour obtenir vérité et justice.

La loi du 28 février 2017 a déjà modifié le code de la sécurité intérieure et fragilisé les deux conditions légales d’ouverture du feu : l’absolue nécessité et la stricte proportionnalité. Elle a élargi les conditions d’usage des armes à feu par les policiers, ce qui a conduit à une multiplication des tirs mortels à la suite de refus d’obtempérer. Les tirs sur les véhicules en mouvement, qui représentent près de 60 % du total des tirs effectués par la police française, ont crû de 47 % entre 2016 et 2017. Les chiffres doivent être examinés, à la fois pour évaluer les méthodes employées par les policiers et pour rendre compte aux citoyens et aux familles endeuillées.

Votre proposition de loi s’appuie sur des slogans tels que « le problème de la police, c’est la justice », que l’on a entendus il y a quelque temps, devant l’Assemblée nationale, dans la bouche des représentants de certains syndicats policiers. Heureusement, il y a aussi, dans la police, des personnes qui pensent autrement. David Le Bars, secrétaire général du Syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN-Unsa), estime que la présomption de légitime défense des forces de l’ordre pourrait instiller dans l’esprit de la population l’idée que la police détient un permis de tuer. Selon lui, la loi est bien faite : elle donne aux policiers les moyens, non de tirer, mais de protéger, donc de faire usage de leur arme dans des conditions très encadrées réunissant urgence et proportionnalité.

L’avocat Laurent-Franck Liénard, spécialiste de la défense des forces de l’ordre, voit aussi dans la présomption de légitime défense une mesure dangereuse pour les agents eux-mêmes. Il considère que les policiers n’ont pas besoin qu’on leur remonte le moral en disant qu’ils peuvent tirer sur les gens. Ils pourraient se sentir libérés d’une certaine inhibition et avoir davantage recours à la force, mais ils seraient poursuivis par des magistrats qui, eux, auront toujours une approche restrictive de l’usage de l’arme à feu.

Cette proposition liberticide et inquiétante pour l’État de droit ne nous étonne pas. Elle figurait dans les programmes du Front national depuis les années 1970 et se trouve encore dans ceux de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour. Elle s’appuie sur les idées d’« ensauvagement » de la société ou de « grand remplacement », dangereuses pour la société. Voilà pourquoi nous nous y opposerons.

M. Jean-Louis Bricout (LIOT). Introduire une présomption générale de légitime défense pour les forces de l’ordre ne serait pas seulement contreproductif, cela porterait aussi atteinte aux fondements de notre justice pénale. Au sein du groupe LIOT, nous ne voyons dans cette proposition de loi ni une avancée pour les policiers et les gendarmes, ni une amélioration de notre procédure pénale. Nous discernons, au contraire, toutes les failles d’un texte écrit sous le coup de l’émotion, en réaction à l’actualité. Ce n’est pas ainsi que l’on modifie la loi, en particulier le code de procédure pénale. Le législateur doit toujours faire preuve de réserve, de recul et de précaution en la matière.

L’exposé des motifs s’appuie sur la recrudescence des violences subies par nos forces de sécurité intérieure. Au groupe LIOT, nous ne sommes pas dans l’angélisme : il est indéniable que policiers et gendarmes sont exposés au quotidien à des violences physiques et verbales. Nous savons à quel prix ils accomplissent souvent leur mission. Cependant, en quoi ce texte les aiderait-il ? En quoi leur apporterait-il appui et protection ? En quoi améliorerait-il leur quotidien ?

Contrairement à ce que vous laissez entendre dans votre exposé des motifs, afin de vérifier la mise en œuvre du principe de légitime défense, les juges prennent en compte la qualité de policier ou de gendarme. Il est donc faux de laisser penser que le droit actuel les met sur le même plan que les délinquants. En répandant cette idée, vous contribuez à alimenter la méfiance envers les juges.

Notre cadre juridique repose sur un équilibre strict. Les conditions actuelles de la légitime défense ne sont pas restrictives et permettent déjà de répondre aux atteintes portées à nos forces de sécurité. Outre le principe de légitime défense, policiers et gendarmes bénéficient, depuis 2017, de règles unifiées leur permettant d’utiliser leur arme dans des cas d’absolue nécessité, strictement encadrés. L’équilibre et la proportionnalité assurent un fonctionnement correct de notre justice pénale. Avec votre présomption générale et très vague, vous proposez tout l’inverse – un très mauvais signal à envoyer, selon notre groupe.

En réalité, votre proposition ne fait qu’inverser la charge de la preuve, et le parquet pourrait toujours prouver que les conditions de la légitime défense n’étaient pas réunies. Le texte fait simplement miroiter aux policiers et aux gendarmes une illusion de protection ; elle n’est qu’un écran de fumée.

Les membres de notre groupe ne seront pas les dupes d’une proposition de loi qui n’a que peu d’intérêt – plutôt qu’un marqueur politique, c’est un coup qui fait pschitt. Elle ne permettrait en rien de calmer les inquiétudes légitimes des policiers et des gendarmes, ni de répondre aux agressions qui mettent en péril leur vie ou celle d’autrui. Notre groupe votera donc contre ce texte.

M. Michaël Taverne, rapporteur. À ceux qui voient dans notre proposition un droit de tuer, je rappelle que la peine de mort existe pour les victimes. Vous êtes totalement déconnectés des réalités et n’avez pas conscience du professionnalisme des policiers. Pensez-vous qu’ils se lèvent le matin en se disant qu’ils vont tirer parce qu’ils en ont le droit ? Ils respecteront toujours la notion de légitime défense et les conditions de proportionnalité et d’absolue nécessité qui l’encadrent. J’ai été instructeur pendant quatorze ans ; j’ai fait tirer plus de 6 000 policiers. Aujourd’hui, ils ont peur de tirer, au point de mettre leur vie en péril. Il s’agit non pas de leur délivrer un permis de tuer, mais bien de les réarmer moralement et, surtout, de renvoyer les agresseurs à leurs responsabilités.

L’article 122-5 du code pénal pose la condition de la proportionnalité par rapport à la gravité de l’atteinte. Puisque l’article 122-6 en découle, la notion de proportionnalité est évidemment présente dans l’article 1er de la proposition de loi. Les policiers demeureront responsables devant la justice : un juge sera toujours saisi ; il y aura systématiquement une information judiciaire. La seule différence sera l’inversion de la charge de la preuve, mais la légitime défense, qui fait partie de nos principes républicains, devra toujours être respectée. Les forces de l’ordre ne seront pas au-dessus des lois. Cette polémique n’a donc pas lieu d’être.

L’ensauvagement ne fait pas partie du seul vocabulaire du Rassemblement national. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur, parle d’ensauvagement de la société en toute responsabilité.

La police municipale peut bénéficier de la présomption de légitime défense même sans disposer d’armes létales. Les armes dites intermédiaires – pistolets à impulsion électrique et autres moyens lacrymogènes sont aussi concernés.

Pour finir, je m’étonne de l’argumentation de nos collègues de la majorité : ils avaient pourtant bien acclamé, lors d’une séance de questions au Gouvernement, en janvier 2018, la proposition de Maud Petit d’étendre la présomption de légitime défense, et Mme Gourault, ministre auprès du ministre de l’intérieur, lui avait manifesté une certaine bienveillance. Soyez cohérents ! L’explosion des violences envers les forces de sécurité intérieure est indiscutable.

M. le président Sacha Houlié. Gérald Darmanin avait évoqué l’ensauvagement du pays dans une interview au Figaro, alors qu’il venait d’être nommé ministre de l’intérieur. Lors de sa première audition par la commission, en juillet 2020, j’ai sévèrement dénoncé ces propos inqualifiables. Dans notre pays, il n’y a que des citoyens, qui sont parfois des prévenus, et qui, s’ils sont condamnés, deviennent des coupables. Je réfute fermement le terme d’« ensauvagement », et je n’ai aucun mot à retirer à ce que j’avais affirmé, en tant que commissaire aux lois, il y a deux ans.

Article 1er : (art. 122-6 du code pénal) Création d’une présomption de légitime défense applicable aux membres des forces de l’ordre

Amendements de suppression CL2 de Mme Sandra Regol, CL6 de M. Antoine Léaument, CL14 de M. Didier Paris et CL16 de Mme Elsa Faucillon.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). L’article 1er tend à confondre la police municipale avec la police et la gendarmerie nationales, alors que ces institutions n’ont ni le même cadre d’emploi, ni les mêmes missions – même si, depuis la loi dite de sécurité globale, il y a une tentative d’assimiler la police municipale à la police nationale, là où l’État n’assume pas sa mission de garantie du droit pour tous en y consacrant les forces suffisantes.

L’insistance avec laquelle vous avez parlé de l’inversion de la charge de la preuve rend d’autant plus nécessaire la suppression de l’article. Les citoyens et citoyennes délèguent aux forces de l’ordre le droit d’user de la force pour une finalité précise, qui est de les protéger. Inverser la charge de la preuve revient à considérer que ces forces ont tous les droits. Il est clair que l’objectif réel de votre texte n’est absolument pas d’améliorer les choses, mais de donner, bien que vous le contestiez, un permis de tuer.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). L’article 1er nous paraît particulièrement dangereux puisque, en accordant le bénéfice de la présomption de légitime défense de manière assez systématique, il remettrait en cause l’égalité de tous devant la loi et la justice, qui est l’un des principes fondateurs de la République. Les changements législatifs intervenus en 2017 concernant le refus d’obtempérer ont produit des résultats condamnables : nos gardiens de la paix sont à l’origine d’un mort par mois, en totale contradiction avec leur mission d’apaisement. Ce serait folie que d’accepter cette proposition, particulièrement dangereuse à l’heure où se fait sentir la nécessité de travailler à l’apaisement entre police et population. Au reste, elle est rendue inutile par l’intervention préalable de l’IGPN. Au fond, si l’on veut avancer sur ce sujet, mieux vaudrait se pencher sur l’indépendance de ce corps d’inspection, dont nous doutons.

M. Didier Paris (RE). La loi du 28 février 2017, qui a recodifié l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure, a fait l’objet d’un consensus politique. Elle a fixé un cadre juridique stable pour les services de police et de gendarmerie, à partir, notamment, de la réflexion engagée auparavant par la gendarmerie. Elle place nos forces de sécurité intérieure sous un régime d’irresponsabilité pénale pleinement satisfaisant.

Nous jugeons cette proposition de loi inutile, inefficace et clairement dangereuse, tant en ce qui concerne son article 1er que son article 2. Les policiers et les gendarmes ne sont pas du tout favorables à cette approche, contrairement à ce qu’on pourrait penser. Pour preuve, le secrétaire général du SCPN-Unsa a affirmé : « la loi est très bien faite : elle donne des moyens aux policiers non pas de tuer, mais de protéger en faisant usage des armes ».

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Je réaffirme notre opposition à l’article 1er, qui revient à délivrer un permis de tuer qui ne dit pas son nom. Cette disposition participerait, selon nous, d’une forme de brutalisation de l’action policière, à l’instar de la politique menée par les derniers ministres de l’intérieur. Il faut repenser les missions, pour se rapprocher du modèle du gardien de la paix et s’éloigner de celui des forces de l’ordre. Ce texte serait la concrétisation d’une forme de jusqu’au-boutisme. Je veux alerter nos collègues du groupe Renaissance sur la continuité que l’on peut discerner entre cette proposition et la réceptivité du ministère de l’intérieur aux discours et exigences des syndicats policiers d’un moindre contrôle judiciaire – c’est bien ici la vision du Rassemblement national. L’institution de ce permis de tuer risquerait d’affaiblir encore davantage les liens entre la population et la police, alors qu’il nous faut tendre vers des relations plus apaisées.

M. Michaël Taverne, rapporteur. De « tout va très bien, madame la marquise » à « permis de tuer », tous les arguments sont bons en faveur de la suppression !

La justice requalifie souvent les refus d’obtempérer – il en survient un toutes les dix-neuf minutes en France – en tentatives d’homicide, ce qui, au regard de la loi, autorise les policiers à utiliser leur arme.

Je réaffirme mon étonnement devant la réaction des députés de la majorité, compte tenu de l’accueil qu’ils avaient réservé à la proposition de Maud Petit et de la réponse plutôt bienveillante que lui avait faite Jacqueline Gourault.

La loi du 28 février 2017, qui a unifié les règles d’usage des armes entre la police et la gendarmerie, ne s’est pas traduite par une quelconque libération de l’ouverture du feu par les forces de l’ordre. En revanche, on note une augmentation de la violence à l’encontre des policiers et des gendarmes. À l’exception de 2017, et dans un contexte terroriste marqué par les assassinats de plusieurs policiers – je pense notamment à l’attentat de Magnanville et au meurtre de Xavier Jugelé –, les statistiques de l’IGPN et de l’IGGN (Inspection générale de la gendarmerie nationale) font état d’une certaine stabilité du nombre de tirs, alors même que le nombre de policiers et de gendarmes blessés en mission a fortement augmenté au cours de la dernière décennie. On peut considérer que cela témoigne de la maîtrise et du sang-froid des forces de l’ordre face à des situations très dangereuses pour leur vie ou pour celle d’autrui, ou bien que ces chiffres révèlent les craintes et l’inhibition qui les saisissent lorsqu’ils doivent se défendre.

À l’heure actuelle, en cas de traitement judiciaire, les policiers et les gendarmes qui font usage de leur arme sont soumis aux mêmes règles procédurales que ceux qui les ont agressés ou qui ont tenté de le faire. Cela n’est pas acceptable : il convient d’instituer une présomption de légitime défense au bénéfice des forces de l’ordre. Il ne s’agit pas de leur appliquer une quelconque immunité pénale, mais de prendre en compte, sur un plan purement procédural, les spécificités et la sensibilité de leur mission, alors qu’elles sont de plus en plus prises pour cible, au risque d’y laisser leur vie. Cette présomption existe déjà ; elle figure à l’article 122-6 du code pénal, en vertu duquel sont présumés avoir agi en état de légitime défense ceux qui ont été confrontés à des intrusions nocturnes à leur domicile ou à des vols avec violence. Pourquoi refuser une telle présomption à nos policiers et à nos gendarmes, alors qu’ils disposent du monopole de la violence légitime ? Cette présomption n’est, bien sûr, pas absolue et peut être renversée par la preuve contraire, dès lors que les conditions de proportionnalité et de nécessité ne sont pas satisfaites. J’ai déposé un amendement à l’article 1er, afin de circonscrire le champ de la présomption aux policiers et aux gendarmes qui agissent dans l’exercice de leurs fonctions conformément à la règle, posée par l’article L. 435-1 du code de sécurité intérieure, encadrant l’usage de leur arme.

Avis défavorable.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Puisque l’article auquel renvoie votre article 1er décrit toutes les situations dans lesquelles la police ou la gendarmerie intervient et que votre article 2 permet au policier ou au gendarme d’utiliser son arme dans à peu près toutes les situations, votre proposition revient à leur accorder un permis de tuer. Ce n’est pas une petite chose au regard de nos principes républicains, et en particulier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

En réalité, votre texte a été mal préparé, ce qui explique que seule une minorité de votre groupe en soit signataire. Mme Le Pen elle-même ne l’a pas cosigné, ce qui révèle peut-être un désaccord en votre sein.

En outre, votre proposition de loi est dangereuse pour nos forces de l’ordre. Par ce texte, vous ne leur rendez pas service et ne leur permettez pas de faire face aux situations auxquelles elles sont confrontées.

M. Thomas Ménagé (RN). Je n’en suis pas cosignataire, mais je soutiens totalement la proposition de loi. Les propos de la gauche, qui répète depuis tout à l’heure que le texte accorde un permis de tuer, sont parfaitement infondés : bien évidemment, un procès serait instruit, au cours duquel on examinerait si les conditions de la légitime défense sont réunies.

Vous ne comprenez pas que les policiers ont peur d’utiliser leur arme ; ils attendent le dernier moment pour le faire, sachant pertinemment qu’ils vont être traînés dans la boue et placés en garde à vue, comme les délinquants, alors même qu’ils ne font que leur métier. Nous proposons une présomption simple et non irréfragable. Nous souhaitons non pas conférer une immunité à nos forces de l’ordre, mais leur apporter un soutien moral en leur permettant de faire usage de leur arme lorsqu’ils en éprouvent la nécessité pour se protéger. Quand la police tue, elle ne le fait pas par plaisir mais pour se défendre, car elle y est contrainte. Ce qui nous différencie, sur le plan des valeurs, c’est que nous sommes du côté de nos forces de l’ordre et non des délinquants.

Enfin, si vous souhaitez que la police municipale ne bénéficie pas de la présomption de légitime défense, amendez le texte au lieu de le rejeter en bloc. Comme cela a été rappelé, une partie de la majorité, dont Mme Petit, soutenait cette proposition en 2018. Vous adoptez des postures sectaires et, pour la gauche, idéologiques. C’est bien regrettable pour nos forces de l’ordre qui attendent un soutien.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article 1er est supprimé et les amendements CL3 de Mme Emmanuelle Ménard, CL19 de M. Michaël Taverne et CL4 de Mme Emmanuelle Ménard tombent.

Article 2 : (art. 122-4-1 du code pénal) Irresponsabilité pénale des membres des forces de l’ordre agissant dans les conditions prévues par l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure

Amendements de suppression CL18 de M. Michaël Taverne, CL1 de Mme Sandra Regol, CL7 de Mme Élisa Martin, CL15 de M. Didier Paris et CL17 de Mme Elsa Faucillon.

M. Michaël Taverne, rapporteur. Pour éviter toute redondance légistique, je propose de supprimer cet article. Si elle explicite la combinaison des articles 122-4 du code pénal et L. 435-1 du code de la sécurité intérieure, cette disposition poursuit un objectif en réalité déjà satisfait par la rédaction actuelle de l’article 122-4 : « n’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires ».

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Certes, une procédure judiciaire sera engagée, mais si l’on considère que, par principe, le policier n’est pas pénalement responsable, une ordonnance de non-lieu sera rendue et on n’en parlera plus ! Cela me fait penser à ces enquêtes au cours desquelles on s’aperçoit que le coupable avait perdu son discernement au moment de commettre l’acte fatal. La première qualité d’un policier doit être, précisément, de savoir faire preuve de discernement. D’une certaine manière, en proposant ce texte, vous voulez abolir le discernement des policiers.

De surcroît, cette disposition trahit la vision martiale que vous avez du rôle de nos agents de la paix : le voyou qui se rendrait coupable d’actes répréhensibles serait l’ennemi, que le policier serait chargé de combattre comme s’il était un militaire dans un pays en guerre.

Enfin, je ne crois pas qu’il soit bon que les politiques s’acoquinent avec le syndicat Alliance, car il pose des problèmes démocratiques à la République et fait écran à la manifestation des justes revendications des policiers. Je ne suis pas certaine que les policiers attendent d’être reconnus pénalement non responsables de l’usage de leur arme.

M. Didier Paris (RE). J’avoue avoir rarement vu un rapporteur déposer un amendement tendant à supprimer partiellement son propre texte. C’est une initiative originale, mais frappée au coin du bon sens, puisque cet article n’est qu’un fatras de dispositions régressives pour les forces de l’ordre ou de bidouillages politiques. Je suis donc d’accord avec le rapporteur.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Nous voterons l’amendement de suppression tout en regrettant que le rapporteur n’en ait pas déposé un à l’article 1er.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Tout un champ lexical militaire irrigue les questions de sécurité : on fait la guerre en permanence, à la drogue, au rodéo urbain, etc. Cette conception particulière du maintien de l’ordre pose la question de l’usage des armes. Un militaire fait face à un ennemi ; un policier affronte un citoyen, même s’il est un délinquant. En aucun cas, il ne saurait s’agir d’un ennemi ; sinon, cela signifierait que la police prend son autonomie par rapport au peuple dont il ferait un potentiel ennemi. Ce même champ lexical a d’ailleurs justifié que l’on en vienne à surveiller tout le monde car, sait-on jamais, tout le monde est suspect de quelque infraction ! Nous ne partageons pas votre vision de la société. Nous ne voulons ni accorder un permis de tuer aux policiers, ni les inciter à croire qu’ils ont en face d’eux des ennemis plutôt que des concitoyens qui ont commis des infractions et doivent être déférés à la justice. Nous devons, dans un État de droit, nous en tenir à cette conception démocratique pour ne pas dériver vers le fascisme.

Mme Laurence Vichnievsky (Dem). Le rapporteur a judicieusement pris l’initiative de déposer un amendement tendant à supprimer l’article et mon groupe le soutiendra, tout en regrettant qu’il n’ait pas voulu supprimer également l’article 1er, tout aussi dangereux et inutile.

M. le président Sacha Houlié. L’article 1er a été supprimé puisque la commission a adopté les amendements de suppression.

Mme Béatrice Roullaud (RN). Cette mesure tend simplement à soutenir les policiers qui sont automatiquement placés en garde à vue lorsqu’ils ont tiré en direction d’une voiture fonçant sur eux ou sur la population. Vous ne pourrez pas restaurer l’État de droit si vous ne protégez pas nos concitoyens contre ces gens qui, de plus en plus, refusent d’obtempérer car ces délinquants savent très bien qu’ils ne risquent pas grand-chose. La preuve en est qu’ils cumulent les mentions à leur casier judiciaire.

Comment voulez-vous que les policiers arrêtent ces personnes – des trafiquants – s’ils ne sont pas armés ? Nos concitoyens réclament d’être protégés. Les policiers, c’est vrai, ne sont pas formés pour tuer, mais quand un chauffeur de voiture devient dangereux pour la population, ils doivent pouvoir prendre les mesures qui s’imposent pour l’arrêter, sans risquer, parce qu’ils auraient été contraints de tirer, d’être placés en garde à vue. La présomption de légitime défense n’empêchera pas un juge de condamner un policier qui aurait usé de son arme de manière disproportionnée. C’est une simple mesure de bon sens.

Les amendements sont adoptés.

En conséquence, l’article 2 est supprimé et l’amendement CL 5 de Mme Emmanuelle Ménard tombe.

Après l’article 2

Amendement CL10 de M. Antoine Léaument.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). L’amendement, qui a perdu de son intérêt puisque les deux articles ont été supprimés, vise à ce que soit remis un rapport vérifiant la conformité de la loi aux exigences inscrites aux articles 9 et 12 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

L’article 9 dispose que tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. Quant à l’article 12, il prévoit que la garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique, laquelle est instituée pour l’avantage de tous et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée.

Ces principes, que ce texte bafoue, datent de 1789, au moment où notre drapeau tricolore voit le jour et où Louis XVI reçoit la cocarde, lorsqu’il reconnaît, le 17 juillet 1789, le pouvoir municipal. C’est aussi à cette époque que naissent La Marseillaise et notre devise Liberté, Égalité, Fraternité.

Les symboles nationaux que vous utilisez parfois, mais sans en connaître l’origine ni la signification, sont rattachés à cette période glorieuse, durant laquelle est écrite la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et émergent les grands principes qui vaudront pour l’humanité tout entière et non, comme l’a dit l’un d’entre vous, pour quelques-uns des êtres humains qui auraient la nationalité française.

Je n’ai pas résisté au plaisir de vous donner une petite leçon sur le sens de notre drapeau.

M. Michaël Taverne, rapporteur. Je ne comprends pas le sens de votre amendement. Soit vous souhaitez exercer les fonctions du Conseil constitutionnel afin de vérifier la conformité des dispositions de cette proposition de loi à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, mais je crains que votre mandat de député ne vous permette pas de satisfaire vos ambitions. Soit vous souhaitez demander la remise d’un rapport d’évaluation de la loi dans un souci d’objectivité, mais il faudrait, dès lors, modifier la rédaction de votre amendement.

Avis défavorable.

M. le président Sacha Houlié. Cet amendement n’a pas été déclaré irrecevable, mais je l’ai examiné avec attention, car il tend à demander un rapport relatif à la conformité d’une loi au bloc de constitutionnalité. Il est satisfait par les dispositions qui permettent de saisir le Conseil constitutionnel.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). L’amendement n’avait d’autre objectif que d’appeler votre attention sur le risque de porter atteinte aux principes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le législateur doit conserver à l’esprit le respect qu’il doit aux principes fondamentaux. Heureusement, ce texte ne sera pas adopté, mais s’il l’avait été, nous aurions saisi le Conseil constitutionnel.

Cela étant, un rapport a vocation à éclairer la représentation nationale. Celui-ci aurait permis de faire prendre conscience aux députés RN de l’incohérence de leur proposition au regard des principes fondamentaux.

M. Didier Paris (RE). Cet amendement est, comme le texte lui-même, un fatras de propositions sans intérêt en ce qu’il vise à substituer le député au juge constitutionnel pour, de surcroît, contrôler, un texte dont aucun des deux articles n’a été retenu !

La commission rejette l’amendement.

Amendements CL11 de Mme Élisa Martin et CL12 de M. Antoine Léaument (discussion commune)

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Le premier amendement tend à ce que, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi, le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur l’évolution de la doctrine d’emploi des forces de sécurité intérieure en matière de refus d’obtempérer et ses conséquences.

Depuis le début de l’année, douze personnes sont mortes à la suite de refus d’obtempérer, soit une augmentation de 300 % par rapport à 2021. La loi de 2017 a assoupli les conditions d’ouverture du feu par les policiers, ce qui a eu pour conséquence d’augmenter de plus de 40 % le nombre de tirs vers des véhicules en mouvement. Plus personne ne doit décéder dans ces conditions, qu’il s’agisse de policiers, de chauffeurs ou de passagers qui n’y étaient pour rien.

Le second amendement tend à ce que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur les techniques alternatives d’intervention en matière de refus d’obtempérer et les pratiques exemplaires en vigueur dans d’autres pays, par exemple au Japon. La peine de mort a été abolie, n’acceptons pas qu’elle soit restaurée de la sorte.

M. Michaël Taverne, rapporteur. L’an dernier, ont été recensés environ 26 000 refus d’obtempérer, = au cours desquels les policiers ont fait usage de leur arme 157 fois et les gendarmes 44 fois, soit dans moins de 0,8 % des cas. Selon un rapport du Sénat, les 20 000 refus d’obtempérer dénombrés en 2015 auraient suscité environ 170 tirs de la police et de la gendarmerie, soit dans 0,8 % des cas, là encore. Les forces de l’ordre n’ont pas donc pas changé de doctrine, alors même que les délits ont fortement augmenté durant la dernière décennie.

Lorsque les conducteurs de véhicule refusent de s’arrêter alors que la police ou la gendarmerie leur en donne l’ordre, et que certains n’hésitent pas à foncer sur des policiers et des gendarmes, comme ce fut le cas en Gironde en octobre dernier, il est normal que les forces de l’ordre fassent usage de leur arme afin de se défendre ou de défendre autrui.

Enfin, du fait de mon expérience personnelle, je peux vous assurer que la délinquance au Japon n’a rien à voir avec celle que nous subissons en France. Avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL8 de M. Antoine Léaument

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). L’amendement tend à ce que le Gouvernement remette au Parlement un rapport dressant un état des lieux et des pistes d’amélioration sur la formation à la déontologie et au tir des policiers et des gendarmes.

Le port d’arme n’est autorisé qu’aux personnes y ayant été habilitées, cette habilitation devant être renouvelée régulièrement dans le cadre de la formation continue. L’habilitation atteste que le policier ou le gendarme est responsable et en mesure d’user de son arme en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée à la menace.

Or, même les trois séances de tir par an ne sont pas suivies par l’intégralité des policiers. Pourtant, cela devrait être un minimum ! Il ne s’agit même pas de réfléchir aux conséquences de l’usage de son arme ! Je me souviens qu’à un salon de l’armement, la préfecture de police avait installé un dispositif novateur pour s’exercer au tir : une vidéo était diffusée, mettant en scène une personne en fuite ou un cas de légitime défense, et il fallait s’entraîner à tirer au bon moment, avec des armes factices. Ne faudrait-il pas développer ce type d’installation, dont l’intérêt semble bien supérieur à la simple cible en carton ?

M. Michaël Taverne, rapporteur. Pendant plusieurs années, j’ai été instructeur au sein de la police nationale. Vous citez l’exemple de l’entraînement au tir vidéo assisté. La Cour des comptes a remis à la commission des finances, en février 2022, un rapport relatif à la formation des policiers qui aborde les questions déontologiques que vous vous posez. J’avais moi-même déposé un amendement à la Lopmi pour augmenter le nombre d’heures de formation, mais vous n’avez pas voté pour.

Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Nos amendements étaient plus précis, c’est pourquoi nous n’avons pas voté les vôtres.

Votre proposition de loi est dangereuse. Vous commencez par soutenir des manifestants qui réclament, devant l’Assemblée nationale, que soit revu l’usage des armes de service, et vous finissez par vouloir modifier la Constitution. Les gens pensent à la Constitution de 1958, mais en réalité c’est la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ou du moins une partie de ses articles, que vous voulez supprimer. Si nous ne faisons pas l’effort de former les agents pour qu’ils respectent les droits fondamentaux, nous basculerons dans un autre système politique, celui que vous soutenez mais avec lequel nous sommes en profond désaccord. Nous ne défendons pas le fascisme ; nous défendons la République et l’État de droit.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL9 de Mme Élisa Martin

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). L’amendement tend à ce que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur l’accompagnement psychologique des agents qui ont été contraints d’utiliser leur arme. Porter atteinte à la vie d’autrui, même en cas de légitime défense, est toujours une expérience traumatisante qui nécessite un suivi post-traumatique – nous l’avons constaté pour les militaires. Le geste n’est pas anodin, mais la prise en charge de ces agents est défaillante. Lors de l’examen de la Lopmi, le ministre de l’intérieur n’était même pas capable de nous citer le même chiffre du nombre de psychologues à recruter, selon qu’on lui posait la question le matin, l’après-midi ou le soir ! Il manque de psychologues au sein de la police nationale, mais ce sont surtout les mentalités qu’il faut faire évoluer pour que la consultation d’un psychologue ne soit plus un sujet de honte, mais une routine.

D’ailleurs, un rendez-vous avec un psychologue devrait être imposé à chaque agent qui a usé de son arme. L’association Police entraide prévention suicide (Pep’s) a permis, par exemple, que des psychologues accompagnent les policiers au stand de tir pour pouvoir les suivre dans leur environnement plutôt qu’au sein d’un bureau désincarné. Ce type de mesure a donné de bons résultats et nous devrions nous en inspirer.

M. Michaël Taverne, rapporteur. Les risques psychosociaux sont particulièrement élevés parmi les policiers et les gendarmes, en raison de la particularité de leurs fonctions, du stress et des dangers auxquels ils sont chaque jour confrontés.

C’est vrai, l’accompagnement psychologique est important, mais pourquoi en restreindre le champ aux seuls agents qui ont été contraints d’user de leur arme ? L’enjeu est tel que nous devrons traiter le problème dans sa globalité, notamment parce que le nombre de suicides est, hélas, très élevé, au sein de la police et de la gendarmerie. C’est pourquoi notre groupe a réitéré auprès du président de la commission des lois sa demande de créer une mission d’information sur ce sujet, afin de donner les moyens à la représentation nationale de dresser un état des lieux complet.

C’est pourquoi je formule une demande de retrait ; sinon, avis défavorable.

M. le président Sacha Houlié. La Lopmi prévoit déjà qu’un rapport soit remis concernant le nombre de suicides dans la police.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). L’enjeu est crucial. Si nous avions demandé un rapport relatif à l’accompagnement psychologique des agents, en général, le président de la commission des lois aurait pu le déclarer irrecevable au titre de l’article 45 de la Constitution.

N’allez pas croire que ceux qui ont voté la Lopmi donneraient quitus au Gouvernement. Le fossé à franchir est si profond qu’un simple rapport ne suffira pas à le combler, non plus que quelques mesures d’accompagnement. Il faut changer de paradigme et revoir la formation initiale, mais aussi la formation continue. Bref, il faut faire tout le contraire de ce que propose cette organisation policière, parfois factieuse, qu’est Alliance Police nationale.

La commission rejette l’amendement.

M. le président Sacha Houlié. Aucun article n’ayant été adopté, il n’y a pas lieu de mettre cette proposition de loi aux voix.

La commission ayant supprimé tous les articles de la proposition de loi, l’ensemble de celle-ci est rejeté.

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi visant à instituer une présomption de légitime défense pour les membres des forces de l’ordre (n° 557).


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   Personnes entendues

MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR

   Général de corps d’armée Alain Pidoux, chef de l’IGGN

   M. Jean-Michel Gentil, magistrat, adjoint au chef de l’IGGN

   Mme Agnès Thibault-Lecuivre, cheffe de l’IGPN

   Général Éric Lamiral, chef de la sous-direction de l’emploi des forces à la direction des opérations et de l’emploi

   Chef d’escadron Christophe Meneau, chef du pôle juridique et judiciaire au cabinet du directeur général

   M. Alex Gadré, conseiller juridique

   Mme Estelle Davet, conseillère judiciaire 

   Lieutenant-colonel Emmanuel Wéber

   Adjudant-chef Élodie Lherminier

   Major Érick Verfaillie

   Maréchal des logis-chef Christophe Duprat

   Gendarme Justin Lanzeray

   Major Laurent Cappelaere

   Adjudant-chef Aline Rouy

   Adjudant-chef Vincent Delaval

   Major Frédéric Delcourt

   Major Christophe Le Jeune

   Adjudant-chef Samia Bakli

 

PERSONNALITÉS

 

La direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice, la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’Intérieur et le syndicat Alliance Police nationale ont également remis une contribution écrite à votre rapporteur.

 


([1]) https://www.interieur.gouv.fr/content/download/130882/1041040/file/IA42.pdf

([2]) Communiqué de presse du Premier ministre à la suite des travaux conjoints des ministères de la Justice et de l’Intérieur, 2 février 2022 : https://www.interieur.gouv.fr/sites/minint/files/medias/documents/2022-02/02-02-2022-observatoire-de-la-reponse-penale.pdf  

([3]) Policiers actifs, adjoints de sécurité (ADS) et personnels administratifs, techniques et spécialisés (PATS).

([4]) Ainsi que dans le cadre des dispositions prévues par les articles L. 211-9 du code de la sécurité intérieure et 431-3 du code pénal réprimant le délit d’attroupement.

([5]) Assassinat du couple de policiers Jean-Baptiste Salvaing et Jessica Schneider à Magnanville le 13 juin 2016, policiers brûlés à Viry-Châtillon le 8 octobre 2016.

([6]) Assassinat du policier Xavier Jugelé à Paris le 20 avril 2017.

([7]) Voir par exemple l’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 6 octobre 2021.

([8]) https://questions.assemblee-nationale.fr/q15/15-494QG.htm

([9]) Articles 122-1 à 122-9.

([10]) Article 122-1.

([11]) Article 122-2.

([12]) Article 122-4.

([13]) Sauf si l’acte ordonné est manifestement illégal.

([14]) Article 122-7.

([15]) Articles 122-5 et 122-6.

([16]) Cour de cassation, chambre criminelle, 27 juin 1927.

([17]) Cour de cassation, chambre criminelle, 11 octobre 1956.

([18]) Tribunal judiciaire de Paris, 12 octobre 1999.

([19]) Cour de cassation, chambre criminelle, 26 juin 2012.

([20]) Cour européenne des droits de l’homme, Mc Cann et al. c/ Royaume-Uni, 27 septembre 1995.

([21]) Cour de cassation, chambre criminelle, 26 juillet 2000.

([22]) Cour de cassation, chambre criminelle, 11 mai 1995.

([23]) Platon, au livre IX de son traité des lois, affirmait ainsi que : « si quelqu’un surprend la nuit un voleur qui pénètre dans sa maison pour lui voler son argent et s’il le tue, il sera tenu pour justifié. Il le sera aussi si, pour se défendre contre un détrousseur, il le tue ».

([24]) Ses dispositions étant initialement tirées du décret du 20 mai 1903.

([25]) Ce délit d’attroupement crée un fait justificatif légal spécifique pour l’emploi de la force, qui peut inclure l’usage des armes, sous réserve de l’existence et de la persistance d’un attroupement, de la décision d’une autorité habilitée de dissipation et de sommations réitérées. Par exception, la force peut être mise en œuvre sans sommation à l’encontre de manifestants troublant gravement l’ordre public lorsque des violences ou voies de fait sont exercées contre les représentants de la force publique et qu’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent.

([26]) Cour de cassation, chambre criminelle, 1er avril 2014.

([27]) Cour européenne des droits de l’homme, Guerdner c/ France, 17 avril 2014.

([28]) Cour de cassation, chambre criminelle, 21 octobre 2014 et 12 mars 2013.