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Mesdames, Messieurs,

Conformément au deuxième alinéa de l’article 45 de la Constitution et à la demande de la Première ministre, la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 se réunit au Sénat le jeudi 15 décembre 2022.

Elle procède tout d’abord à la désignation de son Bureau, constitué de M. Claude Raynal, sénateur, président, de M. Éric Coquerel, député, vice-président, de M. Jean-René Cazeneuve, député, rapporteur pour l’Assemblée nationale, et de M. JeanFrançois Husson, sénateur, rapporteur pour le Sénat.

Étaient également présents MM. Stéphane Sautarel, Dominique de Legge, Michel Canévet, Mme Isabelle Briquet et M. Didier Rambaud, sénateurs titulaires, ainsi que Mme Nadia Hai, MM. Mathieu Lefèvre et Kévin Mauvieux, Mmes Véronique Louwagie et Marina Ferrari, députés titulaires, et M. Philippe Lottiaux et Mme Christine Arrighi, députés suppléants.

 

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La commission mixte paritaire procède ensuite à l’examen des dispositions restant en discussion.

M. Claude Raynal, sénateur, président. – En application de l’article 45 de la Constitution, nous sommes réunis en commission mixte paritaire (CMP) afin de tenter de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de programmation des finances publiques (LPFP) pour les années 2023 à 2027.

Le projet de loi initial comportait vingt-six articles. L’Assemblée nationale a rejeté le texte en première lecture le 25 octobre dernier. Le Sénat a donc été saisi du projet de loi initialement présenté par le Gouvernement, qu’il a adopté le 2 novembre dernier après avoir adopté six articles sans modification, modifié dix-neuf articles, supprimé un article et ajouté un article additionnel.

Compte tenu du rejet du texte en première lecture par l’Assemblée nationale, vingt-sept articles du projet de loi sont donc en discussion.

M. Éric Coquerel, député, vice-président. – L’originalité de cette CMP est que nous devons examiner un texte que l’Assemblée nationale a rejeté, et que le Sénat, tout en le modifiant, a adopté. Cette situation est beaucoup plus rare que la situation inverse, par exemple, lors de 1’examen du projet de loi de finances pour 2022.

Cette CMP présente une seconde originalité : nous devions nous réunir le jeudi 8 décembre, mais la réunion a été repoussée au dernier moment à la demande des deux rapporteurs, pour leur permettre de discuter plus longuement et de chercher à trouver une rédaction de compromis.

M. Jean-François Husson, rapporteur pour le Sénat. – Nous nous réunissons une troisième fois sous le format d’une commission mixte paritaire en quelques semaines. Il s’agit aujourd’hui d’examiner le premier texte financier que nos assemblées ont examiné cet automne, à savoir le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027. L’exercice est important, car il doit permettre de définir la trajectoire des finances publiques qui guidera ensuite les lois de finances des prochaines années. Par ailleurs, ce texte comporte, en principe, la traduction de nos engagements européens au niveau national.

Toutefois, son examen au Sénat est intervenu dans un contexte un peu différent cette année.

D’une part, les gouvernements du précédent quinquennat n’ont pas jugé utile de modifier la loi de programmation 2018-2022, laissant ainsi en place une trajectoire totalement décorrélée des événements subis par notre pays, aux répercussions pourtant majeures sur nos finances publiques. Cela a, à mon sens, quelque peu écorné la portée de ce texte depuis 2018.

D’autre part et surtout, le Sénat était appelé à se prononcer sur le texte déposé par le Gouvernement, dans la mesure où le projet de loi a été rejeté en première lecture par l’Assemblée nationale.

Nous avons estimé que les hypothèses du scénario macroéconomique étaient trop favorables. Les prévisions de croissance effective et potentielle sont notamment très éloignées du consensus des économistes. Le Gouvernement surestime les effets à court terme des quelques réformes structurelles qu’il souhaite engager.

La trajectoire des finances publiques qui nous était proposée par le Gouvernement ne nous a pas paru suffisamment ambitieuse, en prévoyant une réduction du déficit à 3 % du PIB seulement à partir de 2027. En effet, nos partenaires européens devraient retrouver ce niveau dès 2025. L’endettement public ne refluerait, quant à lui, pas avant 2026 et resterait à des niveaux encore très importants. Le rythme de redressement de nos comptes publics est insuffisant.

Cette trajectoire est aussi en trompe-l’œil puisque le Gouvernement ne retraite ni les mesures liées aux crises sanitaire, économique et énergétique, ni la charge de la dette.

En outre, les efforts imposés aux administrations locales et sociales semblent considérables alors que les administrations centrales ne doivent en réaliser que très peu, si l’on retraite notamment des dépenses liées à la crise sanitaire et à la crise de l’énergie.

D’ailleurs, la trajectoire de hausse des crédits des missions budgétaires de l’État inscrite dans le projet de loi montre que le Gouvernement a renoncé à identifier les missions sur lesquelles des économies pourraient être réalisées.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, le Sénat a proposé une trajectoire bien plus ambitieuse et sérieuse. D’une part, elle permettait de redresser plus rapidement les comptes publics en passant notamment le déficit sous les 3 % du PIB dès 2025, et de baisser la dépense. D’autre part, elle exigeait de l’État de faire des efforts au même titre que les autres administrations publiques. Ainsi, le texte issu de nos travaux prévoit que les dépenses hors mesures de crise et hors charge de la dette des administrations centrales doivent ainsi diminuer de 0,5 % en volume chaque année dès 2023, comme cela est demandé aux collectivités territoriales.

Cette nouvelle trajectoire permettait ainsi de ramener le déficit public en dessous de 3 % du PIB dès 2025, ce qui nous paraît être un objectif certes ambitieux, mais aussi réaliste.

Cette proposition répond à quatre objectifs : faire refluer le déficit et l’endettement public plus rapidement que ne le prévoit le Gouvernement ; assurer la pleine contribution des administrations centrales ; préserver les dépenses sociales et régaliennes ; enfin, conserver des marges d’intervention face à la crise.

Autre sujet d’importance, le traitement des collectivités territoriales. Les efforts qui leur sont demandés sont importants, puisqu’est prévue une trajectoire des concours financiers de l’État dont la croissance en valeur masque en réalité une contraction de 4 milliards d’euros en volume. Parallèlement, est également fixé un objectif d’évolution de la dépense locale (Odedel), correspondant à une diminution des dépenses de fonctionnement, de 0,5 % par an en volume, soit un effort plus rigoureux encore que sous les précédentes lois de programmation. N’oublions pas que, déjà par le passé, leur contribution au redressement des finances publiques a été déterminante. Les collectivités territoriales ont démontré la rigueur de leur gestion et leur esprit de responsabilité face à l’urgence de rétablir nos comptes publics. C’est la raison pour laquelle nous avons supprimé le système de surveillance et de sanction des collectivités proposé par l’article 23, à rebours des engagements du Gouvernement à mettre en place une nouvelle méthode fondée sur la confiance dans le respect du principe de libre administration des collectivités territoriales.

Nous avons en revanche maintenu l’effort demandé aux collectivités territoriales pour le redressement de nos comptes publics, en prévoyant toutefois d’exclure de l’Odedel les dépenses sociales – revenu de solidarité active (RSA), allocation aux adultes handicapés (AAH) – des départements.

Enfin, le Sénat a enrichi le texte en adoptant plusieurs amendements qui s’inscrivent principalement dans un objectif de maîtrise plus rigoureuse de la dépense ou sont guidés par un souci de vigilance quant à la mise en œuvre effective des mesures figurant dans ce texte.

Notre assemblée a notamment limité à trois ans la durée des dépenses fiscales, en prévoyant une évaluation avant leur éventuelle prolongation. Elle a également souhaité réduire le nombre d’emplois publics, en prévoyant une baisse de 5 % d’ici à 2027.

Il lui a paru aussi important que soit exclue de l’enveloppe « normée » la TVA affectée aux régions, comme dans la précédente loi de programmation, afin de maintenir une présentation distincte, qui permettra de mieux suivre son évolution et de s’assurer que le dynamisme de cette ressource ne pèse, effectivement, pas sur les autres concours. Cela allait aussi dans le sens des recommandations formulées par la Cour des comptes, qui jugeait artificielle la distinction entre « fiscalité substituée » et « fiscalité transférée».

Concernant les régimes sociaux, le Sénat a notamment prévu que la mise en réserve de 3 % de l’objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) constituerait un plafond et que l’effort pèserait uniformément sur chacun des sous-objectifs.

Enfin, le Sénat a amélioré un certain nombre de dispositions : avec des précisions notamment apportées quant aux évaluations devant être rendues chaque année sur la qualité de la dépense publique (article 21), mais aussi s’agissant du bilan annuel de la mise en œuvre de la présente loi et des articles en vigueur des précédentes lois de programmation des finances publiques (article 25).

Cette trajectoire repose également sur un « parallélisme des exigences » pesant sur l’État et les collectivités territoriales, offrant ainsi un juste équilibre dans la répartition de l’effort réalisé pour maîtriser la dépense publique entre administrations. Cela nous paraît de bon sens. Je rappelle ainsi qu’entre 2013 et 2016 les collectivités ont porté les deux tiers de la réduction du déficit public, alors même qu’elles représentaient moins de 20 % de la dépense publique. De même, elles ont su réaliser 11 milliards d’euros d’économies sur leurs dépenses de fonctionnement entre 2019 et 2021, alors même que les contrats de Cahors n’ont pas été appliqués en 2020 et 2021.

Je crois pouvoir dire que, après de nombreux échanges avec le rapporteur général Jean-René Cazeneuve, nous étions parvenus à de nombreux points d’accord. Toutefois, c’est sur l’essentiel que nous n’avons pas réussi à nous entendre : la trajectoire de retour à l’équilibre, ou du moins à un niveau soutenable pour l’avenir, de nos dépenses publiques.

Nous ne pouvons pas nous satisfaire des ambitions de la majorité présidentielle, qui demande aux autres administrations, et principalement aux collectivités territoriales, les efforts qu’elle ne sait pas faire avec ses administrations centrales !

Par ailleurs, on l’a vu avec le projet de loi de finances pour 2023, le Gouvernement continue de dépenser, sans rechercher d’économies par ailleurs et sans compter. En tout cas, le Gouvernement n’est plus « à l’euro près », selon la formule fameuse du ministre de l’économie. Si la crise de l’énergie mérite que l’on déploie les moyens nécessaires pour protéger nos compatriotes et notre tissu économique, si la situation de l’hôpital et la situation internationale justifient des efforts particuliers, les priorités devraient être redéfinies pour d’autres politiques publiques. L’exceptionnel de la crise sanitaire a duré, il faut savoir en sortir. Nous ne pouvons avoir la même exception pour tout.

Quoiqu’il en soit, nous avons pu constater que le Gouvernement avait respecté l’engagement pris par Mme la Première ministre, devant le Congrès des maires, de ne pas rétablir un dispositif de sanction vis-à-vis des collectivités territoriales, et que l’article 40 quater du projet de loi de finances pour 2023 a bien été supprimé en nouvelle lecture.

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur pour l'Assemblée nationale. – Nous sommes réunis aujourd’hui sans que Jean-François Husson et moi‑même soyons en mesure de vous présenter une proposition de compromis.

Je le regrette pour notre pays et pour sa crédibilité internationale. Je crains que nous ne percevions pas certains fonds européens. C’est dommage aussi pour le Parlement, car ce texte comportait des avancées en matière de suivi et de contrôle des dépenses, qui étaient le fruit des travaux réalisés sous le quinquennat précédent. Adopter une trajectoire des finances publiques permet de donner de la visibilité à nos politiques publiques et d’envoyer un signal à nos partenaires et aux collectivités territoriales.

Nous avons passé du temps à tenter de rapprocher nos points de vue, comme vous le savez, puisque nous devions à l’origine tenir cette CMP la semaine dernière et que nous sommes convenus de nous retrouver ce jour. Mais il faut savoir acter un désaccord.

Nos positions respectives étaient trop éloignées. Le Gouvernement proposait une trajectoire d’économies s’élevant à 30 ou 40 milliards d’euros pour l’État et les administrations centrales d’ici à 2027. Le Sénat a voté un doublement du montant des économies supplémentaires pour ce sous‑secteur des administrations centrales, soit un montant d’économies supplémentaires de 35 milliards d’euros. Le Sénat proposait ainsi de parvenir, en 2027, à un montant de 638 milliards d’euros de dépenses pour l’État et les organismes d’administration centrale, soit une baisse en valeur d’environ 10 milliards d’euros par rapport au montant rebasé de 2023 ! Il semble que les enseignements de la sortie un peu précipitée de la crise de 2008 n’aient pas été retenus.

Par conséquent, alors que le texte du Gouvernement prévoyait un déficit de 2,9 % du PIB en 2027, le Sénat souhaitait le réduire à 1,7 % à cette échéance.

La majorité présidentielle était prête à trouver un compromis, au prix d’un effort supplémentaire en dépenses pour nos administrations et nos services publics, pourvu que l’effort soit équitablement partagé entre l’État et les collectivités territoriales. Encore faut-il aussi comparer des choses comparables. J’ai ainsi proposé d’exclure du calcul, pour l’État comme pour les collectivités territoriales, les dépenses exceptionnelles liées à la crise, les dépenses liées à la charge de la dette, ainsi que les dépenses de transfert. En retenant ce calcul, ma proposition aboutissait à demander à l’État un effort supplémentaire de moins de 10 milliards d’euros, et non de 35 milliards d’euros.

Il nous importe d’être raisonnables et crédibles ; or nous ne sommes pas parvenus à nous mettre d’accord sur ces critères. Chacun devrait être en mesure de documenter un tant soit peu l’ambition de réduction des dépenses qu’il porte. Je le dis sans acrimonie ni agressivité, la majorité sénatoriale ne nous a pas convaincus sur ces points : les quelques économies proposées par le Sénat dans le projet de loi de finances pour 2023 nous ont paru, pour le moins, éloignées des objectifs quantitatifs sénatoriaux affichés lors de l’examen du projet de loi de programmation des finances publiques. Je ne reviens pas sur les nombreuses dépenses fiscales supplémentaires adoptées par le Sénat, ni sur les mesures de compensation en tout genre adoptées en faveur des collectivités territoriales. Si chaque mesure peut être légitimement débattue et défendue, nous n’avons pas trouvé la cohérence d’ensemble susceptible de justifier la mise en œuvre d’une LPFP aussi ambitieuse, sinon agressive, que celle qui a été adoptée par le Sénat.

J’ajoute que la baisse de 5 % sur cinq ans du nombre des emplois publics de l’État adoptée par le Sénat constituait un autre motif substantiel de désaccord entre les deux majorités parlementaires. Maintenir la stabilité représente déjà un effort important vu les besoins, dans le contexte actuel, de nos services publics, de nos hôpitaux, de nos services de sécurité, etc.

Je regrette que nous ne soyons pas en mesure de donner aujourd’hui à notre pays une loi de programmation des finances publiques. Il est plus sain d’en prendre acte que de présenter une programmation que personne ne serait en mesure de réellement mettre en œuvre – et surtout pas les oppositions à la majorité présidentielle dans chacune des deux chambres. Le texte fera donc l’objet d’une nouvelle lecture.

Je reste, pour ma part, toujours aussi disponible pour tenter d’avancer. Nous avons peut-être manqué d’un peu de temps, et il eût été sans doute plus facile d’aboutir dans une période où les finances publiques ne sont pas bouleversées chaque année, voire plus d’une fois par an ou plus d’une fois au cours même d’un automne budgétaire… Il faut reconnaître que l’environnement économique instable que nous traversons ne nous permet pas de faire des projections sûres.

Peut-être avons-nous également besoin de travaux pratiques : je forme le vœu que les futures réformes que nous présenterons aux Français soient l’occasion de mieux partager et définir ce qu’il est possible d’envisager pour nos finances publiques. Quand les sous‑jacents sont plus clairs, la détermination d’une trajectoire est plus simple.

L’échec de notre CMP aujourd’hui est, je l’ai dit, regrettable du point de vue de l’intérêt général. Il nous reviendra de remettre, d’une façon ou d’une autre, l’ouvrage sur le métier ; je sais que la volonté de redresser nos finances publiques est partagée largement dans nos deux assemblées.

M. Claude Raynal, sénateur, président. – Quand je vous écoute, je regrette qu’Éric Coquerel et moi-même vous ayons accordé une semaine supplémentaire ! Très sincèrement, je pensais, il y a une semaine, que l’on en était au stade de la négociation, voire de l’écriture. Autant vous dire que je suis un peu étonné du point d’arrivée, alors que les choses semblaient bien parties.

Pour ma part, j’étais opposé aux deux trajectoires proposées. Celle de la majorité de l’Assemblée nationale ne comportait aucun travail sur les recettes. Les dépenses exceptionnelles doivent pourtant être assorties de recettes exceptionnelles ! Au reste, les baisses d’impôt ne semblent guère opportunes en cette période très contrainte, caractérisée par une crise marquée. Je pense à la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) ou encore à la poursuite de la suppression de la taxe d’habitation. Il me semble que l’on pouvait garder 10 à 11 milliards d’euros pour des choses plus utiles, comme le soutien de notre industrie face au coût de l’énergie. Je pense que les priorités n’ont pas été définies.

La discussion était différente avec la majorité du Sénat, mais le durcissement sur les dépenses ne recevait évidemment pas mon agrément, d’autant que le débat sur le PLF n’a pas montré que des sommes considérables pouvaient être économisées.

Finalement, je constate que, plus il y a de proximité politique entre les majorités de l’Assemblée nationale et du Sénat, plus il est compliqué de trouver un accord. Sur le fond, il n’y a pas de désaccords majeurs sur les grands sujets. Par exemple, la majorité sénatoriale avait initialement marqué son accord sur le fond avec la suppression de la CVAE, en dépit du report proposé. Globalement, il n’y a pas non plus de désaccord majeur sur les politiques menées par le Gouvernement.

En outre, je rappelle qu’il ne s’agit que d’une loi de programmation ! Je n’ose rappeler la façon dont les dernières lois de programmation se sont traduites dans la réalité de nos PLF et de nos finances publiques… Je pensais qu’il était à la portée de nos deux assemblées de trouver un accord sur une loi de programmation dont l’expérience montre qu’elle n’engage que ceux qui y croient.

M. Éric Coquerel, député, vice-président. – Dans le prolongement de l’intervention du président Raynal, je dirai que ce que je reproche, finalement, aux deux versions du texte, c’est que leurs prévisions n’intègrent pas les questions essentielles pour les années à venir – le climat, la biodiversité, les inégalités, le pouvoir d’achat ‑ de la grande majorité de nos concitoyens… Comment allons-nous essayer de faire en sorte que la température n’augmente pas de plus de deux degrés pour éviter le chaos ? Cela devrait être notre principale préoccupation et le principal objectif de nos investissements ! Or les prévisions ne s’attaquent pas du tout à ces questions.

Je suis d’accord avec Claude Raynal : les deux philosophies – augmentation des dépenses fiscales, avec baisse des impôts sans contreparties pour les entreprises, et baisse des dépenses publiques – sont assez proches. Les uns peuvent paraître plus modérés que les autres dans la rigueur, mais la démarche est la même.

Je crois surtout que l’absence d’accord montre que la loi de programmation est un exercice vain : on sait que pas une seule des lois de programmation n’a été suivie dans les faits, la dernière en raison du « quoi qu’il en coûte ». Or plus on prend de retard, par exemple sur la question climatique, plus il faut investir d’argent pour régler les problèmes. Sur la question sanitaire, il y avait eu des alertes sur de nouveaux virus susceptibles d’apparaître.

Jean-René Cazeneuve parle de projection difficile au-delà de la crise. C’est la réalité. Par exemple, l’année 2023 sera très compliquée. Le moins que l’on puisse dire est que ce n’était vraiment pas le moment de supprimer la CVAE parce que l’on va avoir besoin de recettes. Mais nul ne peut savoir aujourd’hui si l’on ne sera pas confronté aux mêmes difficultés à la fin de l’année prochaine et s’il ne faudra pas encore éteindre des feux – nous savons tous ce qu’ont produit les sorties trop rapides de crise.

En réalité, les lois de programmation ne servent qu’à une chose : c’est un exercice convenu à l’égard de Bruxelles. Monsieur le rapporteur pour l’Assemblée nationale, il est faux de dire que cela conditionne le versement des fonds européens ! Il n’y a pas de lien réglementaire entre ce dernier et l’existence d’une loi de programmation.

Ce que nous faisons est purement symbolique. C’est un couteau sans lame, un exercice sans conséquence. Il ne fait qu’éclairer les positions de chacun.

Je pense que l’échec de la CMP est un échec politique pour la majorité : il montre qu’elle n’a une fois de plus pas de majorité au Sénat ou à l’Assemblée nationale. Au reste, cela n’est pas si grave…

M. Matthieu Lefèvre, député. – Monsieur le président, vous affirmez qu’il y aurait de moins en moins de divergences idéologiques entre la majorité sénatoriale et celle de l’Assemblée nationale. Je crois que nous sommes là en face de choix politiques assez divergents !

Le Sénat propose une baisse de 10 milliards d’euros, en valeur, de la dépense publique. Le vice-président Éric Coquerel propose un « quoi qu’il en coûte » permanent, refuse les suppressions d’impôt et, au fond, les outils permettant de maîtriser nos comptes publics.

Je crois que l’échec de la CMP est un échec collectif. C’est d’abord un échec pour le Parlement : on refuse de se doter d’outils absolument utiles dans la gouvernance de nos finances publiques, à commencer pour les oppositions, qui pourraient ainsi mieux contrôler l’action du Gouvernement.

C’est aussi un échec pour la France sur le plan européen. Je ne sais pas vous dire si le versement des fonds européens en dépend in fine. Quoi qu’il en soit, notre pays sera le seul à ne pas disposer de trajectoire de finances publiques, ce qui va évidemment le pénaliser.

Je regrette d’autant plus cet échec que, si nous ne sommes pas d’accord avec la majorité sénatoriale sur les instruments, nous le sommes sur le cap. Contrairement à vous, monsieur le vice-président, nous pensons que moins de dépenses, c’est, in fine, moins d’impôt et moins de dette.

Cependant, nous ne sommes pas d’accord sur le niveau : une baisse de 10 milliards d’euros en valeur nous paraît insoutenable. Elle est d’autant plus insoutenable qu’elle n’est pas documentée… tout simplement parce qu’elle est « indocumentable » ! Je regrette cette posture qui consiste à afficher une trajectoire de réduction du déficit public sans jamais la documenter.

Lors de l’examen du projet de budget pour 2023, le Sénat a baissé les recettes, augmenté les dépenses – à l’exception de la CVAE, que vous n’avez pas supprimée –, et choisi de rejeter certaines missions du budget général. Vous n’avez par ailleurs refusé aucune des propositions du Gouvernement pour protéger les Français l’an prochain. Cet exercice consistant à afficher une trajectoire extrêmement ambitieuse et à laisser le soin au Gouvernement, voire à la majorité parlementaire de l’Assemblée nationale, d’en donner les sous-jacents me paraît assez délicat pour le débat public.

En revanche, cela signifie que nous pouvons continuer à travailler ensemble. Si vous voulez travailler à la baisse de nos dépenses publiques, chiche ! Allons-y ! Documentons une trajectoire, en commençant par l’ambitieuse réforme des retraites, qui est la mère des réformes en matière de finances publiques et que nous examinerons en début d’année prochaine.

Mme Isabelle Briquet, sénatrice. – Qu’il s’agisse de la version du Gouvernement ou de celle que propose la majorité sénatoriale, qui l’a durcie, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain n’a aucune raison de soutenir les dispositions de ce texte, qui traduit la poursuite et l’accroissement d’une démarche de désarmement fiscal et d’une contraction de la dépense publique.

Puisqu’il y aura une nouvelle lecture, nous aurons l’occasion de répéter nos positions, que nous pensons plus justes socialement et plus opportunes fiscalement, étant donné la situation de notre pays.

Mme Nadia Hai, députée. – Je regrette moi aussi que cette CMP n’ait pu aboutir à un accord.

Certains ont dit que l’échec de cette CMP était un échec pour la majorité gouvernementale. Je pense, tout comme mon collègue Matthieu Lefèvre, que c’est d’abord un échec pour le Parlement ! C’est aussi un échec pour notre pays face à nos voisins européens. Se priver de mesures programmatiques et d’objectifs de baisse de nos dépenses publiques est de nature à ne satisfaire aucun groupe politique au sein de cette assemblée.

Contrairement à vous, monsieur le vice-président, je ne pense pas qu’une loi de programmation des finances publiques soit inutile. J’estime très sincèrement que c’est l’occasion de réfléchir, ensemble, sur la baisse des trajectoires, sur les finances locales, sur celles de nos administrations et de l’État, sur les priorités que nous devons nous fixer et sur la manière dont nous allons les financer sur un temps un peu plus long que celui qui est fixé par le PLF. C’est un bel outil, qui a été imaginé par les membres du Parlement sous la législature précédente. On se prive d’un instrument qui permet également d’évaluer la trajectoire des finances publiques, qui offre l’occasion d’essayer d’avancer ensemble et de trouver des accords à la fois sur les mesures programmatiques et sur la trajectoire de baisse de nos dépenses publiques.

Je ne désespère pas que nos deux assemblées puissent finalement adopter ce texte. Il continuera à cheminer. Charge à nous de le faire aboutir !

Il y va du fonctionnement de notre Parlement, de la rigueur et du sérieux budgétaire que doit avoir la France à l’égard de ses partenaires européens.

M. Claude Raynal, sénateur, président. – Je m’interroge sur la portée d’un projet de loi de programmation qui ne serait pas voté. Même en l’absence de vote du Parlement, on considérera toujours que la trajectoire telle qu’elle a été présentée engage le Gouvernement ! Par la suite, on s’y référera forcément – c’est du moins ce que feront probablement les oppositions. Que ce texte soit voté ou non, je considérerai, dans mon travail d’analyse de sénateur d’opposition, que c’est la base de vie du Gouvernement.

Mme Véronique Louwagie, députée. – Les lois de programmation des finances publiques résultent, par définition, de projections compliquées, devant tenir compte d’incertitudes et d’inconnues.

Cependant, elles établissent un cadre budgétaire, une référence. En cela, je rejoins les propos du président Claude Raynal : elles constituent une base, qui permet, ensuite, de mesurer l’impact de dépenses nouvelles, de charges exceptionnelles résultant de crises ou d’éléments qui n’ont pas été pris en compte. C’est peut-être pour cela qu’elles sont un peu décorrélées de la réalité.

Je regrette l’absence d’accord, d’autant que les montants évoqués ne justifient pas un écart important, sur une base de cinq ans, au regard de l’enjeu.

Je remercie les deux rapporteurs pour le temps et l’énergie qu’ils ont consacrés à ce texte.

Plus qu’une déception, ne pas avoir réussi à rassembler sur une trajectoire qui aurait pu être une base est un échec pour la majorité. Un accord aurait été de bon augure.

La maîtrise des dépenses est un enjeu crucial. Je ne partage pas l’avis des présidents : je crois qu’une maîtrise des dépenses nous permettra de mieux investir sur un certain nombre d’enjeux en matière de transition énergétique, d’adaptation au changement climatique et numérique, de redistribuer différemment et d’assurer un ruissellement pour diminuer les inégalités – c’est important.

Je veux répondre à mes collègues qui ont affirmé que nos propositions n’étaient pas documentées : nous savons très bien que c’est l’exécutif qui est à la manœuvre pour les documenter une fois que les enjeux et les caps ont été fixés ! Vous ne pouvez donc pas nous reprocher de ne pas documenter nos propositions. Il faut, à un moment, se mettre ensemble autour de la table. Or, chaque fois que nous avons tendu la main, elle n’a pas été saisie.

M. Michel Canévet, sénateur. – Le groupe Union Centriste regrette le sort réservé à ce projet de loi de programmation des finances publiques.

Il nous semble que, pour la France, la meilleure chose à faire est de veiller à une baisse des prélèvements obligatoires, mais de façon mesurée. Nous avons regretté l’excès de rapidité sur la suppression de la contribution à l’audiovisuel public et de la CVAE. Cela aurait pu être fait à un autre moment du quinquennat.

Nous regrettons également l’absence de certaines dispositions, telles que la taxe sur les superprofits. Il aurait fallu supprimer des niches fiscales et s’engager dans une maîtrise plus affirmée des dépenses publiques, parce que nous allons être rattrapés par la dette. Celle‑ci fera sans doute très rapidement la une de l’actualité : quand ils sauront à combien s’élèvent les intérêts de la dette, les Français prendront la mesure du problème…

M. Stéphane Sautarel, sénateur. – L’ambition portée par la majorité sénatoriale dans la révision de la trajectoire n’était pas démesurée : il ne paraissait pas impossible d’accélérer la trajectoire proposée, visant à faire revenir le déficit sous la barre des 3 %, sur environ 2 % du périmètre des dépenses.

La non-adoption du projet de loi n’aura probablement pas d’impact sur l’octroi des fonds européens, mais elle va affaiblir la voix de la France à l’échelle européenne, à l’heure où nous avons besoin d’avancer, en particulier sur les questions énergétiques. C’est une difficulté. À cet égard, je regrette que la majorité gouvernementale n’ait pas su faire les efforts nécessaires pour trouver un point d’accord.

Enfin, je rejoins Véronique Louwagie sur la question de la documentation : on ne saurait renvoyer cette responsabilité au Parlement, alors même que, sur certains volets, nous avons tenté de le faire avec les moyens dont nous disposons. Je pense en particulier à la prime sur les véhicules électriques : je regrette que les propositions que nous avons faites n’aient pas été retenues.

Mme Christine Arrighi, députée. – Permettez-moi, en cette période de championnat du monde, que je boycotte, de tirer le fil du ballon sur le match auquel nous avons assisté la semaine dernière.

Nous pensions qu’il allait se jouer sur une seule partie du terrain, avec un résultat à peu près assuré. Comme il s’agit, en réalité, d’un match susceptible de ne pas avoir d’enjeu, il se termine par une CMP non conclusive. Ce n’est pas, à nos yeux, un échec de l’équipe de France : c’est véritablement un échec pour la majorité gouvernementale, qui est à la manœuvre et qui pouvait conclure sur ce match.

En ce qui concerne les écologistes, comme nous avions décidé de ne pas jouer la partie, car rien n’allait ni dans la partie recettes – nous sommes privés des mesures qui auraient permis de répondre aux enjeux écologiques et sociaux – ni dans la partie dépenses ‑ par rapport aux collectivités locales ‑, nous avons choisi de voter contre ce projet de loi de programmation.

Lorsque le match reviendra à l’Assemblée nationale, nous aviserons, en fonction de ce que proposera le Gouvernement, si la partie dépenses prévoit suffisamment au profit de la lutte contre le dérèglement climatique et la précarité et pour les services publics, qui doivent être défendus.

M. Jean-François Husson, rapporteur pour le Sénat. – Je remercie les membres de la CMP qui sont intervenus.

Je veux exprimer à la fois la sérénité qui est la mienne et le regret que la CMP n’ait pas abouti.

Je suis serein, parce que nous sommes cohérents : nous avons tenu la ligne que nous nous étions fixée.

Je renvoie gentiment ceux qui nous reprochent une absence de documentation à leurs chères études : non seulement nos propositions sont documentées, mais nous avons proposé, dans le cadre du PLF, 4 milliards d’euros d’économies ! Ainsi, sur la mission « Écologie, développement et mobilité durables », nous avons considéré qu’il fallait mettre un terme à l’incohérence qui consistait à faire tourner l’industrie automobile chinoise en aidant la transition écologique automobile en France. Nous avons proposé d’autres économies, par exemple sur la mission « Travail et emploi ».

Que chacun assume sa part de responsabilité ! Je pense, pour ma part, que c’est d’abord un échec du Gouvernement et de sa majorité.

Par ailleurs, je pense qu’il faut travailler sur la réduction de la dépense publique : il faut dépenser moins, dépenser mieux, en étant plus efficace et en ciblant les dépenses. Les Français n’ont pas besoin d’un arrosage systématique ! Ce n’est pas cela qui est nécessaire pour le pays.

Enfin, il convient de prendre garde au discours sur la contrainte européenne. Je rappelle que l’histoire de l’Europe s’est construite sur les décombres de conflits particulièrement coûteux en vies humaines, et c’est la France et l’Allemagne qui en ont été les membres fondateurs. Je me battrai toujours pour que la France soit un pays contributeur de l’Europe. Or, quand on veut peser dans les débats, il vaut mieux faire partie des bons élèves et présenter des comptes bien tenus. Il faut une cohérence entre les paroles et les actes.

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur pour l’Assemblée nationale. – Il n’est pas sérieux de penser que l’on peut écrire n’importe quoi dans une loi de programmation des finances publiques dans la mesure où elle ne sera pas respectée.

La précédente loi de programmation a été respectée jusqu’à la crise du covid !

M. Jean-François Husson, rapporteur pour le Sénat. – Pendant un an !

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur pour l’Assemblée nationale. – Nous sommes alors repassés sous la barre des 3 % du PIB.

Contrairement à un certain nombre de pays, nous considérons que c’est un engagement important. Nous ne partons pas du principe que c’est un document qui n’a pas de valeur.

S’agissant du verdissement, je suis assez d’accord avec le vice‑président Éric Coquerel. Dans les contre-propositions qui ont été faites au Sénat, il y avait cette idée de fixer pour l’État et les collectivités territoriales une trajectoire ascendante analogue en termes de dépenses d’investissement.

J’ai entendu plusieurs députés évoquer un échec du Gouvernement. Je comprends mieux pourquoi nous ne sommes pas parvenus à un accord ! Je pense, quant à moi, que c’est un échec pour le Parlement et pour notre pays. Mais je comprends bien l’intérêt qu’ont certains d’en faire un échec du Gouvernement… Chacun assumera ses responsabilités.

Le Gouvernement s’engage sur une trajectoire à 675 milliards d’euros de dépenses pour 2027. Au vu des contre-propositions qui ont été faites par le Sénat, il a assumé de faire des efforts supplémentaires et a expliqué comment il les ferait. Ceux qui veulent aller plus loin devront lui expliquer la marche à suivre – pour le moment, il attend toujours…

J’espère que nous parviendrons à donner une trajectoire à notre pays.

M. Claude Raynal, sénateur, président. – Merci à tous.

La commission mixte paritaire constate qu’elle ne peut parvenir à l’adoption d’un texte commun sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.

 

 


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Tableau comparatif
 

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