N° 686

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 janvier 2023

 

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord portant révision de l’accord général de coopération entre les États membres de la Commission de l’océan Indien,

 

PAR Mme Estelle Youssouffa

Députée

——

 

 

 

 

AVEC

 

EN ANNEXE

LE TEXTE DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

 

 

Voir les numéros :

Assemblée nationale : 150

Sénat : 408, 758 et 759 (2021-2022).


 


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SOMMAIRE

Pages

introduction

I. la commission de l’ocÉan indien

A. une construction progressive sur quatre dÉcennies

1. L’accord de Victoria de 1984

2. Les protocoles d’adhésion de 1986

3. Le protocole additionnel de 1989

4. La création du statut d’observateur

B. une architecture institutionnelle à trois Étages

1. Le sommet des chefs d’État et de gouvernement

2. Le conseil des ministres

3. Les officiers permanents de liaison

4. Un secrétariat général au service des trois instances

II. la rÉvision de l’accord de victoria

A. Les travaux prÉparatoires

1. Une réflexion en amont

2. L’accord du 6 mars 2020

B. Les changements proposÉs par le nouvel accord

1. Un champ d’action élargi

2. Une identité précisée et des règles de fonctionnement redéfinies

III. Un accord inopportun

A. Un bilan dÉcevant

B. Une sAnté financiÈre prÉoccupante

1. Un budget de la COI abondé essentiellement par la France

2. Des programmes financés surtout par la France et l’Union européenne

C. Une prise en compte de Mayotte jamais concrÉTISÉe

1. La mise à l’écart de Mayotte depuis plus de trois décennies

2. Les fortes réserves du Sénat

3. Un contexte géopolitique marqué par des rapports de force et des stratégies d’influence

CONCLUSION

Examen en commission

annexe 1 :  TEXTE DE LA COMMISSION des affaires ÉtrangÈres

ANNEXE 2 : LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LA RAPPORTEURe

 


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   introduction

 

La Commission de l’océan indien (COI) est une organisation intergouvernementale régionale regroupant les Comores, la France, Madagascar, Maurice et les Seychelles. Elle est composée exclusivement d’États insulaires, africains et francophones situés dans le Sud-Ouest de l’océan indien.

Créée par trois États, elle s’est ensuite élargie à deux autres pays, dont la France, ainsi qu’à un certain nombre de membres observateurs. Son fonctionnement repose sur la superposition d’un niveau technique, d’un échelon ministériel et d’un sommet des chefs d’État. Un secrétariat général assure la gestion quotidienne de l’organisation.

L’accord initial, signé à Victoria en 1984, est relativement sommaire. Un certain nombre de règles et d’usages nés de la pratique s’y sont ajoutés. Les parties à cet accord ont estimé, à partir des années 2018‑2019, qu’il serait utile de le réviser afin de le rendre plus précis et plus fonctionnel. Les négociations à cette fin ont abouti à la signature d’un nouvel accord en mars 2020. C’est cet accord « révisé » dont il est demandé à l’Assemblée nationale d’autoriser, comme le Sénat l’a déjà fait – malgré les réserves exprimées par ses membres –, l’approbation.

Il convient, pour pouvoir se prononcer en connaissance de cause sur cette approbation, de dresser un bilan de l’action et du fonctionnement de la COI, de s’interroger sur son périmètre et d’examiner les changements proposés par le nouvel accord. La rapporteure montrera que le manque de résultats concrets de la commission et les inquiétudes suscitées par sa situation financière, auxquels s’ajoute l’absence de tout progrès concernant l’inclusion de Mayotte dans son champ de coopération, doivent conduire au refus d’approuver cet accord.

Tel est le seul moyen de voir la COI repartir sur des bases saines, et avant tout sur des principes de cohérence, d’efficacité, de transparence financière et de respect de la souveraineté française.

 


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I.   la commission de l’ocÉan indien

Créée par l’accord de Victoria du 10 janvier 1984, la Commission de l’océan indien (COI) se compose aujourd’hui de cinq États membres, dont la France, et de sept observateurs. Son fonctionnement institutionnel repose sur la superposition de trois instances : le sommet des chefs d’État et de gouvernement, le conseil des ministres et le comité des officiers permanents de liaison.

A.   une construction progressive sur quatre dÉcennies

1.   L’accord de Victoria de 1984

Dans le prolongement de la déclaration ministérielle de Port-Louis du 20 décembre 1982, Madagascar, Maurice et les Seychelles ont créé, par un accord conclu le 10 janvier 1984, une organisation intergouvernementale régionale dénommée « Commission de l’océan indien ». Son objet, tel qu’il était défini à l’époque, consistait à promouvoir la coopération entre ses membres dans quatre domaines : la diplomatie ; l’économie et le commerce ; l’agriculture ; l’éducation.

2.   Les protocoles d’adhésion de 1986

La France a rejoint la COI, en même temps que l’Union des Comores, en 1986. Notre pays n’y a adhéré qu’au titre de La Réunion, comme le précise expressément l’article 1er du protocole d’adhésion signé à Port-Louis le 10 janvier 1986 : « La République française devient membre de la Commission de l’Océan Indien et Partie à l’Accord instituant cette Commission pour permettre à son département et sa région de La Réunion de participer à la coopération régionale réalisée au sein de la Commission de l’Océan Indien » ([1]). L’inclusion de Mayotte dans le champ de la coopération a été écartée en raison de la contestation, nourrie par les Comores, de la souveraineté française sur l’île.

Les demandes d’adhésion présentées par le Sri Lanka et le Kenya ont été rejetées par le conseil des ministres de la COI du 6 mars 2020, le premier n’étant pas situé dans l’espace africain et le second ne répondant pas à l’exigence d’insularité. La Tanzanie, au titre de Zanzibar, est le seul pays qui pourrait encore prétendre au statut de membre de plein droit.

3.   Le protocole additionnel de 1989

Un protocole additionnel à l’accord général a été signé à Victoria le 14 avril 1989. Il a conféré à la COI la personnalité juridique, lui a reconnu les immunités et exonérations propres à ce type d’organisation internationale et l’a dotée d’organes de décision et d’un budget.

4.   La création du statut d’observateur

Un statut d’observateur auprès de la COI a été créé par une décision du conseil extraordinaire de la COI qui s’est tenu le 22 août 2014 à Moroni. Peuvent y prétendre les États tiers, les organisations intergouvernementales et les organisations internationales « directement intéressés par les questions traitées par la COI, et ayant un intérêt, la volonté et la capacité de s’engager résolument aux côtés de la COI ». Les candidats à ce statut doivent présenter les motifs de leur demande, ainsi que leurs capacités contributives. La COI a défini une liste de critères permettant de statuer sur les demandes. Le conseil des ministres peut décider de retirer le statut d’observateur à toute entité ou État.

Sept observateurs ont ainsi rejoint la COI : la République populaire de Chine, en 2016, l’Union Européenne, l’Ordre souverain de Malte et l’Organisation internationale de la Francophonie, en 2017, ainsi que l’Organisation des Nations Unies, l’Inde et le Japon, en 2020.

De son côté, la COI a engagé des démarches en vue d’être accréditée auprès de l’Union africaine en tant qu’observatrice, ne pouvant y adhérer comme membre à part entière. La demande officielle d’accréditation a été déposée par la présidence malgache le 24 octobre 2022.

B.   une architecture institutionnelle à trois Étages

1.   Le sommet des chefs d’État et de gouvernement

Le sommet des chefs d’État et de gouvernement détermine les grandes orientations politiques de l’organisation. Il s’est réuni jusqu’à présent de manière informelle et selon une périodicité aléatoire. Les derniers sommets se sont déroulés en juillet 2005 et août 2014. La date du prochain n’est pas encore fixée bien que Madagascar, qui assure actuellement la présidence du conseil des ministres, et Maurice, qui lui succédera, aient manifesté le souhait de l’accueillir.

2.   Le conseil des ministres

Le conseil des ministres est l’organe décisionnel de la COI. Il se réunit actuellement une fois par an. Il est composé des ministres des affaires étrangères des États membres. La présidence est assurée par l’un des États membres selon un rythme annuel, en appliquant un principe de rotation par ordre alphabétique. Madagascar, qui a succédé à la France, exerce cette présidence depuis le 23 février 2022. Le conseil des ministres a adopté, en 2013, un premier « plan de développement stratégique » qui se veut un cadre de référence pour l’action de la COI.

3.   Les officiers permanents de liaison

Chaque officier permanent de liaison assure l’interface entre l’État membre qui l’a nommé et le secrétariat général de la COI. L’officier permanent de liaison de la France est un diplomate du ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

Le comité des officiers permanents de liaison (COPL) constitue l’instance de premier niveau chargée de suivre l’exécution des décisions du conseil des ministres, en étroite collaboration avec le secrétariat général. Il se réunit au moins deux fois par an : une fois avant chaque conseil des ministres pour préparer l’ordre du jour et un premier projet de conclusions, et une autre fois pour dresser un état de la coopération dans les différents secteurs concernés.

4.   Un secrétariat général au service des trois instances

Le secrétariat général a son siège à Maurice. Composé de 80 agents (comité de direction, chargés de mission, responsables de départements, unités techniques), il prépare les programmes et les projets des instances de la COI (conseil des ministres, comité des officiers permanents de liaison, sommet des chefs d’État et de gouvernement), suit leur avancement, propose de nouvelles orientations aux États membres et assure la liaison avec les bailleurs de fonds. Il est dirigé par un secrétaire général, issu par rotation de chacun des États membres. Le 16 juillet 2020, le Français Vêlayoudom Marimoutou a succédé à ce poste au Comorien Hamada Madi.


II.   la rÉvision de l’accord de victoria

Des travaux engagés à compter de 2018 ont préparé la conclusion en mars 2020 d’un accord révisé entre les cinq États membres de la COI. Ce nouvel accord, qui acte l’élargissement du champ de coopération de cette organisation, vise en outre à renforcer son identité et à moderniser son fonctionnement. Il a déjà été ratifié par l’Union des Comores ainsi que par la République des Seychelles.

A.   Les travaux prÉparatoires

1.   Une réflexion en amont

À partir de 2018, les États membres ont jugé nécessaire d’inscrire dans les textes des usages qui s’étaient développés dans la pratique. Un certain nombre d’orientations politiques et stratégiques ont par ailleurs été définies dans la déclaration de Moroni, signée à l’issue de la réunion ministérielle sur l’avenir de la COI qui avait été organisée du 1er au 3 août 2019 aux Comores. Ces orientations portaient sur l’extension des domaines de coopération, l’intégration régionale de la COI et le renforcement du secrétariat général.

C’est cette déclaration de Moroni qui a constitué le point de départ du processus d’évolution des textes fondateurs de la COI. La présidence seychelloise (2019-2020) a ensuite fait de la réforme institutionnelle de l’organisation l’une de ses priorités.

Il avait été envisagé, dans un premier temps – notamment lors du conseil des ministres de décembre 2019 à Mahé – de négocier un nouveau protocole additionnel à l’accord de Victoria. À mesure que les négociations progressaient, l’idée d’un protocole additionnel a été écartée au profit d’une révision et d’une consolidation des textes existants.

2.   L’accord du 6 mars 2020

Au terme de deux années de négociations, l’accord portant révision de l’accord général de coopération entre les États membres de la Commission de l’océan Indien a été signé à Victoria, le 6 mars 2020. Il se substitue entièrement à celui de 1984.

En complément de l’accord, un nouveau règlement intérieur du sommet des chefs d’État et de gouvernement, du conseil des ministres et du comité des officiers permanents de liaison (COPL) de la Commission de l’océan indien a été adopté à Paris le 23 février 2022. Ce règlement intérieur révisé est destiné à entrer en vigueur à la même date que l’accord de Victoria révisé.

B.   Les changements proposÉs par le nouvel accord

1.   Un champ d’action élargi

À l’origine, la coopération de la COI était circonscrite à quatre domaines : la diplomatie, l’économie et le commerce, l’agriculture ainsi que les sciences et l’éducation. Ces domaines ont été progressivement étendus en pratique. La COI s’est aussi efforcée de prendre en compte les objectifs de développement durable (ODD) fixés par les Nations Unies dans le cadre de l’Agenda 2030.

L’article 2 de l’accord révisé de 2020 définit désormais quatorze champs d’action : la diplomatie ; la paix, la stabilité, la gouvernance et l’État de droit ; la défense des intérêts insulaires ; la coopération économique et commerciale ; la coopération dans le domaine de l’agriculture, de la conservation des ressources et des écosystèmes ; l’économie bleue ; la coopération dans le domaine culturel, scientifique, universitaire et éducatif ; la coopération juridique et en matière de justice ; la sécurité alimentaire et sanitaire ; la sécurité maritime et la lutte contre la criminalité transnationale organisée ; la connectivité aérienne, maritime et numérique pour le rapprochement des peuples ; le changement climatique ; la protection civile ; la circulation des personnes et des biens dans l’espace de la COI.

2.   Une identité précisée et des règles de fonctionnement redéfinies

Des critères d’adhésion à la COI sont inscrits expressément dans l’accord révisé de 2020. Son article 3 prévoit deux critères : celui de l’insularité et celui de l’appartenance à la région des États du Sud-Ouest de l’océan indien. Le texte de 1984 ne faisait pas explicitement mention de ces critères même si ces derniers pouvaient être inférés de certaines de ses dispositions (et notamment du préambule). Le français est par ailleurs défini comme la langue de travail, l’usage de la langue anglaise étant limité au dialogue avec les États et les interlocuteurs non francophones (article 14).

Le statut d’observateur, qui n’apparaissait jusqu’alors que dans le règlement intérieur, est expressément prévu dans l’accord révisé, avec des critères précis (article 11). La création d’un statut officiel de « partenaire » de la COI n’a en revanche pas été retenue, alors que la possibilité en avait été évoquée par la déclaration de Moroni.

Plusieurs articles visent à moderniser le fonctionnement institutionnel. La règle de l’unanimité comme mode de prise de décision est réaffirmée (article 5). L’article 6 prévoit une périodicité de cinq ans pour la réunion du sommet des chefs d’État et de gouvernement afin d’en institutionnaliser la pratique. Le nombre de réunions annuelles du conseil des ministres est doublé (article 7). Le mandat du secrétaire général est porté de quatre à cinq ans et son caractère non renouvelable est confirmé (article 9). Des conférences ministérielles sectorielles ou thématiques peuvent être organisées à l’initiative des États membres (article 12).

L’accord prévoit enfin un régime particulier pour les biens et les revenus de la COI qui se voient protégés par un certain nombre de privilèges et immunités (article 13).


III.   Un accord inopportun

La Commission de l’océan indien (COI) présente un bilan décevant, les résultats concrets de ses initiatives se faisant attendre. La pérennité du financement de ses actions suscite en outre des inquiétudes, l’Union européenne ayant refusé d’assumer le financement de certaines dépenses en raison de fraudes et d’irrégularités. Si l’on ajoute à cela l’impossibilité persistante, près de quarante ans après la naissance de cette organisation, de poser clairement sur la table le sujet de l’inclusion de Mayotte dans ce qui se veut pourtant le lieu de coopération par excellence des îles francophones du Sud-Ouest de l’océan indien, il apparaît, selon la rapporteure, que l’approbation de l’accord de Victoria révisé n’est pas opportune.

A.   Un bilan dÉcevant

La COI met en avant le lancement, la réalisation ou la participation à un certain nombre de projets dans différents domaines tels que la sécurité maritime, la lutte contre la criminalité transnationale organisée, la sécurité sanitaire et alimentaire, l’environnement et le climat ou encore la coopération culturelle, scientifique, universitaire et numérique. Plusieurs projets sont souvent cités : le futur projet « Hydromet » de soutien aux services météorologiques, hydrologiques, et climatiques nationaux, le plan d’action régional sur l’économie bleue, le programme de réhabilitation des littoraux les plus exposés aux effets du changement climatique, etc. Le montant total du portefeuille de projets et de programmes géré actuellement par la COI s’élève à 210 millions d’euros.

Si l’on ne saurait dénier toute utilité à l’ensemble de ces projets, il n’en reste pas moins que la valeur ajoutée réelle de beaucoup d’entre eux, au regard des investissements consentis, pose question. Ainsi, l’étude d’impact associée à l’autorisation d’approbation de l’accord révisé, à propos du « programme régional de surveillance des pêches, entre 2007 et 2014 », reconnaît qu’il s’est fait « essentiellement sous la forme d’un partage d’informations » ([2]). Pour prendre d’autres exemples, le projet « Expédition plastique océan Indien » (Exploi), d’un montant de 6,7 millions d’euros, a simplement pour objectif « d’améliorer la connaissance de la pollution engendrée par les déchets plastiques » ([3]) et de « promouvoir » l’économie circulaire. Le projet BRIO (0,5 million d’euros) vise uniquement à « développer des projections climatiques nationales » ([4]). Un autre programme, doté de 5 millions d’euros, veut de manière vague « contribuer au développement des industries culturelles et créatives des pays de la COI » ([5]). Un dernier, doté de 8 millions d’euros, a pour ambition très générale le « renforcement des mécanismes de prévention et résolution des crises » ([6]).

Lors des débats à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, la rapporteure Vivette Lopez a reconnu que la coopération ainsi menée « suscite des questions, voire des réserves, sur l’efficience des actions conduites par la COI jusqu’à présent ». Elle ajoutait : « on peut légitimement s’interroger sur la capacité de l’organisation à se doter des moyens suffisants pour atteindre les objectifs qui lui sont assignés et à mobiliser les chefs d’État et de gouvernement pour que les décisions politiques trouvent une traduction concrète, au bénéfice des îles de la région et de ses habitants » ([7]). Telle est aussi l’analyse de la rapporteure de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale.

Pour d’autres projets, la question se pose de savoir si c’est vraiment à la COI, ou bien à d’autres acteurs, que le mérite de leur réalisation en revient. Il en est ainsi du programme de sécurité maritime « MASE ([8]) ». Celui‑ci est financé par l’Union européenne ; la COI n’en est qu’un des acteurs parmi d’autres, avec l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC), le Marché commun d’Afrique orientale et australe (COMESA), ainsi qu’Interpol. Pour donner une autre illustration, la COI participe à une plateforme régionale de recherche agronomique pour le développement de l’océan indien (PRéRAD-OI), mais celle‑ci est coordonnée et animée par l’IRD (Institut de recherche pour le développement) et le CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement). S’agissant du plan de lutte contre la Covid‑19 qui a facilité l’acheminement d’équipements médicaux à Maurice, aux Seychelles, aux Comores et à Madagascar, il a été mis en œuvre par l’Agence française de développement (AFD). Rappelons que, entre 2018 et 2022, l’AFD a financé à hauteur de 41,3 millions d’euros les projets de la COI. En outre, c’est par l’intermédiaire de subventions déléguées à l’AFD que le Fonds vert pour le climat contribue à la COI. De même, l’Union européenne intervient en partie via des subventions déléguées à l’AFD. C’est dire si la COI est redevable à l’AFD, et donc à la France.

En résumé, si l’on excepte quelques résultats qui doivent beaucoup à d’autres acteurs à l’expertise reconnue, la Commission de l’océan indien, comme l’a analysé le professeur de droit public André Oraison dans une étude très détaillée, « engendre l’indifférence, quand ce n’est pas le scepticisme. Cette institution du bassin sud-ouest de l’océan Indien – l’Indianocéanie – est loin d’avoir comblé tous les espoirs que ses créateurs avaient placés en elle en signant à Victoria, le 10 janvier 1984, l’Accord général de coopération. Créée pour contribuer à la prospérité des États membres, la COI reste empêtrée dans des difficultés qui sont davantage d’ordre politique, diplomatique et juridique (…). Elle manque souvent de visibilité au niveau de ses programmes qui sont trop dispersés et, pour la plupart, éphémères. Ses résultats sont encore rares et modestes » ([9]).

B.   Une sAnté financiÈre prÉoccupante

1.   Un budget de la COI abondé essentiellement par la France

Le budget de la COI pour 2022 s’élève à 1,43 million d’euros (en augmentation de 12,37 % par rapport à 2021), dont 1,35 million d’euros de contributions statutaires.

Ce budget est composé principalement des contributions statutaires des États membres, dont le montant est réparti entre eux selon une clé de répartition. La France est la principale pourvoyeuse de fonds, avec une contribution, demeurée inchangée, représentant 40 % du budget. Madagascar occupe la deuxième place avec 29 %. La contribution malgache a été revue à la baisse en 2020 par rapport à celle fixée en 1989, qui était alors de 40 %. L’île Maurice a vu sa contribution passer de 12 %, en 1989, à 20 %, en 2020. Les Comores apportent une contribution minime de 6 % (contre 5 % en 1989). Quant à la contribution des Seychelles, elle est passée de 3 %, en 1989, à 5 %, aujourd’hui.

Outre sa participation financière, la France met à la disposition de la COI des ressources humaines significatives (deux experts d’Expertise France, quatre volontaires de solidarité internationale, etc.).

2.   Des programmes financés surtout par la France et l’Union européenne

Les programmes portés par la COI sont financés par des bailleurs, au premier rang desquels figurent la France et l’Union européenne. Pour la période 2018-2022, l’Union européenne a été le premier partenaire de la COI sur le plan financier, avec une enveloppe de 87,1 millions d’euros. Sur la même période, le Fonds vert pour le climat a injecté 53,3 millions d’euros, l’Agence française de développement (AFD), 41,3 millions d’euros, la Banque mondiale, 11 millions d’euros, le Fonds français pour l’environnement mondial (FFEM), 3,2 millions d’euros, et la Banque africaine de développement (BAD), 1,7 million d’euros. S’agissant des projets en cours au mois d’octobre 2022, sur un montant global de financements de 202,2 millions euros, 107 millions proviennent de la France à travers l’AFD, 84,5 millions de l’Union européenne, et 8,9 millions de la Banque mondiale.

Des bailleurs de la COI ont déploré son manque de transparence dans l’utilisation des fonds mis à sa disposition. L’Union européenne, en particulier, a déclaré « inéligibles » (c’est‑à‑dire exécutés en violation des règles de financement européennes) des montants importants de dépenses effectuées sur fonds européens. D’après les chiffres communiqués par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, ce montant s’élevait en 2021 à 577 521 euros, dont 118 588,60 euros de fraude financière sur le projet ISLANDS et 458 932,40 euros de dépenses inéligibles sur les projets du fonds européen de développement (FED) ([10]). Le montant de ces dépenses inéligibles était initialement supérieur mais l’Union européenne a accepté de le diminuer, après négociations avec le secrétariat général de la COI.

Ces dépenses inéligibles, qui ont acquis aujourd’hui la nature de « dettes », correspondent à des dépenses considérées par l’Union européenne comme sans lien suffisant avec la thématique d’un projet, à des frais logistiques considérés comme injustifiés, etc. Elles traduisent une carence alarmante dans l’attribution, la gestion et le contrôle des fonds confiés.

L’Union européenne a émis des ordres de recouvrement auprès de la COI pour récupérer les montants inéligibles. Les montants dus au titre de la fraude financière sont les seuls à faire l’objet d’un remboursement direct. Le reste des recouvrements doit être opéré par ponction sur trois autres programmes en cours d’exécution sur fonds européens.

Les remboursements directs liés à la fraude financière, effectués en plusieurs tranches, tout comme la restitution par ponctions sur les montants alloués à d’autres projets, nuisent à la situation financière de la COI. Celle‑ci est également compromise en raison de l’atteinte portée à la crédibilité et à la fiabilité de l’organisation. Des incertitudes pèsent ainsi sur sa capacité à mettre en œuvre, au cours des années à venir, des projets financés tant sur des fonds de l’Union européenne que sur des fonds provenant d’autres bailleurs (Fonds vert pour le climat, etc.).

C.   Une prise en compte de Mayotte jamais concrÉTISÉe

1.   La mise à l’écart de Mayotte depuis plus de trois décennies

La France n’a adhéré à la COI qu’au titre de l’île de La Réunion. L’article 1er du protocole d’adhésion du 10 janvier 1986 stipule en effet que la France n’en devient membre que « pour permettre à son département et sa région de La Réunion de participer à la coopération régionale réalisée au sein de la Commission de l’océan indien ». Le département et la région de Mayotte sont ainsi expressément écartés de ce cadre de coopération.

Le Gouvernement français indique avoir pour objectif l’association ponctuelle de l’île de Mayotte à certains projets de la COI. Il fait grand cas d’un accord « de principe » trouvé sur ce point lors d’une réunion ministérielle sur l’avenir de la COI organisée en août 2019 aux Comores, confirmé par note verbale des autorités comoriennes en décembre 2019, concernant deux projets portants, l’un, sur la coopération sanitaire (projet SEGA One Health) et, l’autre, sur la sécurité alimentaire et animale (projet PRESAN ([11])).

Pourtant cet accord « de principe », bien modeste puisque restreint à deux simples projets, est resté quasiment lettre morte. Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères le reconnaît dans ses réponses écrites adressées au Sénat : « Malgré cet accord, l’association de Mayotte peine à se concrétiser » ([12]). Cette association a certes été débattue lors d’un comité de pilotage du projet de santé humaine et animale organisé le 23 mars 2021. Cela n’a toutefois abouti à rien, le représentant comorien ayant déclaré devoir recueillir au préalable l’approbation de ses autorités. Au final, la seule implication constatée de Mayotte a été la présence d’experts de son Agence régionale de santé (ARS), aux côtés de la délégation réunionnaise, à une réunion organisée le 21 juin 2022 dans le cadre de la COI concernant la surveillance épidémiologique et le risque vectoriel. Cette présence mahoraise s’est faite, selon l’expression du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, « à bas bruit » et en prenant soin d’éviter toute publicité afin de ne pas froisser les autorités comoriennes. Ajoutons que la note verbale précitée des autorités comoriennes n’a pas été communiquée par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères à la rapporteure, malgré sa demande réitérée.

En dépit de l’absence de tout résultat concret sur les deux projets précités, le Gouvernement affirme vouloir ouvrir un nouveau dossier, relatif cette fois‑ci à la poussée d’un volcan sous‑marin à l’Est de Mayotte. Il s’agirait d’en anticiper l’impact sur les pays riverains (Comores, Madagascar et, dans une moindre mesure, Seychelles) en cas de tsunami consécutif à une éruption. La question a été évoquée par M. Jean‑Baptiste Lemoyne, alors secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie, lors de la réunion ministérielle de La Réunion en novembre 2021. Elle a aussi été abordée lors du premier comité de pilotage du projet « Renforcement de la résilience et gestion de la réponse aux catastrophes dans l’océan Indien », les 16 et 17 mai 2022, à Maurice. La France est représentée à ce comité de pilotage par l’état-major de zone et de protection civile océan indien (EMZPCOI), service interministériel à compétence régionale (La Réunion, Mayotte, Terres australes et antarctiques françaises, Îles Éparses). On ne voit pas pourquoi ce troisième domaine – espéré – de coopération rencontrerait plus de succès que les deux premiers…

Mayotte n’a donc jamais été véritablement associée, de manière concrète, à la coopération mise en œuvre dans le cadre de la COI. Comment concilier cette mise à l’écart avec les objectifs affichés par le président de la République dans son discours de La Réunion du 23 octobre 2019 ? Emmanuel Macron y insistait sur la nécessité, pour les territoires français de la zone – La Réunion et Mayotte – de tirer parti des potentiels importants de la région, en renforçant l’intégration et la coopération régionales. Comme le disait le chef de l’État, « la France est un pays Indopacifique maritime et insulaire. Elle est ici par ses territoires de l’Océan Indien où nous sommes frontaliers de cinq États souverains. Plus d’un million et demi de nos concitoyens vivent dans l’espace Indopacifique (…). Nous avons un dialogue stratégique à jouer. Nous avons des partenaires avec lesquels nous voulons travailler encore davantage. La France doit prendre conscience évidemment ici à la Réunion, mais dans tous nos territoires, (…) de cette réalité, de cette chance que nous avons ainsi en main. » Il est temps aujourd’hui de faire preuve de cohérence et de joindre les actes aux paroles. Ceci est d’autant plus urgent que le précédent de la COI a conduit la France à n’adhérer en décembre 2020 à l’Association des États riverains de l’océan indien (IORA) qu’au titre, là encore, de La Réunion, et donc à l’exclusion de Mayotte. L’IORA compte pourtant beaucoup plus d’États membres que la COI, États avec lesquels la France n’entretient nul contentieux territorial, tels que l’Iran, Singapour, la Thaïlande, les Émirats arabes unis, l’Afrique du Sud, etc. Verra-t-on un jour la France être membre de l’ONU, sauf au titre de Mayotte ?

La mise à l’écart de Mayotte, au demeurant, n’avait pas été présentée comme définitive aux parlementaires français au moment de l’adhésion de la France à la COI. Interrogé en 1985, préalablement à la signature du protocole d’adhésion de la France à la COI, par un sénateur qui lui demandait « si notre diplomatie estime que, comme il est normal dans l’ensemble du territoire national, c’est-à-dire la métropole et les départements d’outre-mer, Mayotte et les îles éparses sont membres à part entière de la commission de l’océan Indien », le ministre des relations extérieures avait répondu que « c’est donc l’ensemble du territoire de la République, qui est, sans aucune ambiguïté possible, concerné » ([13]).

Le fait, près de quarante ans après la naissance de la COI, de négocier un nouvel accord de coopération entre îles de l’océan indien, en continuant de faire comme si Mayotte n’existait pas, confine à l’absurde. Les autorités françaises prennent manifestement leur parti de la situation et ont d’ailleurs donné leur accord pour un renforcement significatif du montant total du portefeuille de projets appelé à être géré par la COI durant les prochaines années, avec une augmentation de 300 millions d’euros environ à l’horizon 2022-2023, puis de 500 millions d’euros pour 2024‑2025 ([14]). Comme le relève l’universitaire Thomas M’Saïdié, maître de conférences en droit public, « le projet d’accord passe sous silence la question de l’intégration de Mayotte dans la COI, alors même que l’accord de Victoria confie à la COI la principale mission de promouvoir la coopération régionale entre les États insulaires du Sud-Ouest de l’océan Indien. Cette exclusion, dont les arguments sont peu convaincants, fait perdre de leur portée toutes les actions françaises et européennes tendant à encourager l’insertion de Mayotte dans sa zone géographique. Elle est d’autant plus incompréhensible qu’avec une enveloppe conséquente de 87,1 millions d’euros, l’Union européenne demeure le premier partenaire de la COI sur le plan financier. Il en va de même de la France qui demeure quant à elle le principal contributaire statutaire de la COI, avec ses 40 % sur un budget total estimé à 1,44 million, soit 540 000 euros » ([15]).

2.   Les fortes réserves du Sénat

Les sénateurs membres de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, lorsqu’ils ont procédé à l’examen du projet de loi d’approbation de l’accord de mars 2020, ont déploré avec véhémence la tenue à l’écart de Mayotte même s’ils ne sont pas allés jusqu’à rejeter le projet de loi autorisant son approbation.

Ainsi, la sénatrice Gisèle Jourda a affirmé : « Mayotte ne comprend plus pourquoi elle n’est pas associée aux travaux de cette commission. Nous assistons à une stagnation, voire à une régression sur le sujet ([16]). » De son côté, André Vallini confiait : « je me souviens de ma participation, il y a huit ans, à une réunion de la COI qui se tenait à La Réunion. Les problèmes, les difficultés financières et les questions existentielles autour de la COI étaient alors identiques (…) huit ans plus tard, les choses n’ont pas évolué et c’est assez désespérant ([17]) ». Pour le sénateur Philippe Folliot, « il est anormal que la France ne soit reconnue dans cette organisation régionale de proximité qu’au titre de La Réunion ([18]) ».

Quant à la rapporteure du projet de loi au Sénat, Vivette Lopez, elle a déclaré : « Nous pouvons regretter la position de la diplomatie française, qui consiste à ne pas entreprendre les démarches officielles pour la pleine adhésion de Mayotte à la COI. L’association des Mahorais au cas par cas n’est pas suffisante, car elle ne permet pas au territoire de tirer profit de la coopération régionale, dont il aurait pourtant bien besoin » ([19]).

3.   Un contexte géopolitique marqué par des rapports de force et des stratégies d’influence

Il est vain de vouloir analyser la question de l’inclusion de Mayotte dans le champ de coopération de la COI en dehors de son contexte géopolitique. Or celui‑ci est surtout marqué, au-delà des efforts de coopération, par des rapports de force qu’il serait naïf d’ignorer. L’Union des Comores revendique plus que jamais la souveraineté sur Mayotte. Elle a publié en 2010 des coordonnées de ses espaces maritimes en y incluant Mayotte. Dans un décret présidentiel du 10 janvier 2014, elle a publié une division de ses zones maritimes en bloc pétroliers, en y faisant figurer ceux sous juridiction française. La découverte de la présence d’hydrocarbures dans la région (par exemple de gaz dans le canal du Mozambique) n’a fait qu’aiguiser l’appétit de l’Union des Comores. Les flux migratoires massifs de celle-ci vers Mayotte ne sont évidemment pas étrangers à cette revendication. De son côté, Madagascar conteste depuis 1974 la souveraineté française sur les Îles Éparses du Canal du Mozambique (Glorieuses, Juan de Nova, Bassas da India et Europa) ; une commission mixte franco-malgache sur cette question a été discrètement mise en place en 2019. Enfin, Maurice n’a nullement renoncé à sa revendication sur l’île de Tromelin.

Il serait tout aussi naïf de croire que les grandes puissances sont absentes du jeu régional. Comme le souligne Thomas M’Saïdié, « il est désormais admis que le fond du canal de Mozambique renferme beaucoup de ressources telles que le gaz et le pétrole. Cette circonstance incite les États tels que la Chine, les États-Unis ou l’Inde à étendre leur influence dans la zone de l’océan Indien, à l’heure où la question énergétique revêt une importance toute particulière. La Chine investit massivement dans cette zone, notamment dans le développement de plusieurs ports » ([20]).

La Chine, simple observatrice à la COI, verse chaque année au budget de celle‑ci une contribution de 90 000 dollars. Rappelons que la diaspora chinoise à Madagascar s’élève à 100 000 personnes, que 80 % des importations énergétiques de la République populaire de Chine transitent par l’océan indien, où elle dispose d’une importante flotte de pêche et enfin que la Chine est devenue l’un des premiers fournisseurs et le premier client de nombreux pays de la région (Mozambique, Zimbabwe, Zambie, Angola, République démocratique du Congo). Ajoutons, toujours à propos de l’influence chinoise dans la région, qu’il existe aussi une importante communauté sino-réunionnaise, apte à se mobiliser en coopération avec les autorités chinoises, comme l’a montré par exemple l’envoi de masques sur l’île pendant la crise de la Covid-19 ([21]).

De son côté, la Russie, après avoir tenté en vain d’adhérer à la COI en 2020, a apporté son soutien à Madagascar dans sa revendication sur les Îles Éparses ([22]). En décembre 2022, l’ambassadeur de la Fédération de Russie à Moroni déclarait à la presse : « La Russie a toujours soutenu l’Union des Comores dans sa volonté légitime de restituer l’île de Mayotte sous sa souveraineté. (…) Nous considérons cela comme la condition la plus importante pour l’achèvement du processus de décolonisation globale. Nous sommes prêts à l’interaction la plus étroite avec Moroni pour un règlement politique rapide de la situation » ([23]). Et il précisait : « nous voyons un réel potentiel pour notre coopération dans les domaines de l’exploration et de l’exploitation minière, de l’énergie, de l’agriculture et de la pêche. Toutes ces questions sont maintenant à l’ordre du jour dans les contacts entre la Russie et les Comores ». La France doit‑elle, dans ce contexte, continuer à faire comme si son département de Mayotte n’existait pas et poursuivre, sans la moindre réaction ni observation, dans la voie de l’augmentation du budget de la COI et de ses missions ?

En abdiquant toute demande sérieuse d’inclure Mayotte dans le champ de coopération de la COI, le Gouvernement français, par une faiblesse insigne, s’accommode d’une situation extrêmement malsaine. Est-ce à la France, sixième puissance économique mondiale, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et finançant près de la moitié du budget de la COI, de se laisser dicter quelles portions de son territoire peuvent bénéficier de tel ou tel type de coopération ?

De même, comment accepter que l’Union européenne finance une coopération qui exclut délibérément l’un de ses territoires (puisque Mayotte constitue depuis 2014 l’une des neuf régions ultrapériphériques de l’Union européenne) ? Comme le souligne Thomas M’Saïdié : « Faut-il rappeler que Mayotte constitue un territoire de l’Union européenne depuis le 1er janvier 2014 ? Se pose avec une obsédante évidence la question de savoir comment l’on peut envisager qu’un territoire désormais européen ne puisse pas bénéficier des actions en matière de coopération que l’Union finance majoritairement » ([24]).

Il rejoint ainsi l’analyse d’Alexandre Hory, membre du conseil exécutif de l’Académie de l’arbitrage et secrétaire général du comité français de l’arbitrage (CFA), selon qui « cette exclusion de Mayotte, département français et région européenne, est d’autant moins acceptable que la Commission de l’océan Indien est financée presque exclusivement par la France et l’Europe. (…) Il ne s’agit que d’un multilatéralisme de façade par lequel on permet à des gouvernements étrangers, parfois hostiles, de disposer librement de fonds français et européens » ([25]). Et Alexandre Hory d’ajouter : « les Comores ne paient jamais, comme à l’ONU d’ailleurs ou au sein d’autres organisations internationales, le montant de leur contribution statutaire à la Commission de l’océan Indien » ([26]).

Les chiffres communiqués par la COI concernant les retombées financières globales de ses projets tendent à corroborer ces propos. En 2019, ces retombées se sont élevées à 2 millions d’euros pour les Comores, 4 millions d’euros pour Madagascar, 3 millions d’euros pour Maurice, 1,3 million d’euros pour les Seychelles et seulement 164 000 euros pour la France.

L’exclusion de Mayotte est d’autant plus regrettable que, si l’on excepte l’Union des Comores, les autres États membres ne paraissent pas avoir d’obstacle majeur à l’intégration de Mayotte dans le champ de coopération de la COI. Dans ses réponses écrites adressées à la rapporteure, la République des Seychelles indique ainsi : « nous sommes d’avis que l’Union fait la Force et donc aucune objection à ce que Mayotte s’associe ou adhère à la COI mais à condition que toutes démarches effectuées fassent l’objet d’un consensus ». Quant à Madagascar, par la voix de son vice‑Premier ministre Hajo Andrianainarivelo, lors de son passage à Mayotte à l’occasion du Carrefour des entrepreneurs de l’océan indien en 2013, le pays est allé plus loin en reconnaissant de manière officielle « l’identité de Mayotte en France » ([27]).

Rappelons que c’est à la vigilance et à la fermeté de l’Assemblée nationale que l’on doit d’avoir empêché, déjà à deux reprises, l’approbation d’un accord de cogestion de Tromelin et de ses espaces maritimes avec la République de Maurice. De même, il appartient aujourd’hui aux députés de prendre leurs responsabilités et de ne pas laisser s’installer définitivement une situation où des dizaines de milliers de leurs compatriotes mahorais sont placés dans une forme de souveraineté amoindrie. Autoriser l’approbation de l’accord portant révision de l’accord général de coopération entre les États membres de la COI reviendrait à avaliser et à pérenniser une situation extrêmement équivoque. Au contraire, refuser son approbation enverrait un signal fort que la France entend donner toute sa place à sa collectivité de Mayotte dans sa politique de coopération régionale.

 


   CONCLUSION

Pour la rapporteure, le principe même d’une adhésion tronquée de la France à la COI est choquant. Quel est le sens d’une coopération régionale hémiplégique qui, des deux grandes îles françaises de l’océan indien, en retient une et écarte l’autre ? Quelle peut être la clarté de la stratégie en Indopacifique d’un pays qui n’ose pas assumer sa propre souveraineté sur l’un de ses territoires ?

Comme l’écrit Thomas M’Saïdié, « l’exclusion de Mayotte est d’une part, en contradiction avec l’identité insulaire de la COI désormais inscrite dans l’accord [à l’article 3], et d’autre part, compromet toute idée d’extension du périmètre du marché de la COI à l’effet de favoriser l’essor commercial, industriel et social assigné à la coopération. Elle viole l’esprit même de l’accord de Victoria » ([28]).

La constitutionnalité même de l’accord de mars 2020, et par voie de conséquence celle du projet de loi soumis à l’Assemblée nationale, sont fortement sujettes à caution. En effet, les citoyens français de La Réunion bénéficient de possibilités de coopération dont sont privés les citoyens français de Mayotte alors même que les uns et les autres sont placés dans une situation identique à un triple point de vue : le même cadre géographique insulaire dans le Sud‑Ouest de l’océan indien, le même régime juridique prévu à l’article 73 de la Constitution ([29]) et le même statut au regard du droit européen. La différence de traitement entre Mayotte et La Réunion, mais aussi entre les citoyens français de l’une et de l’autre, s’analyse en une rupture du principe constitutionnel d’égalité.

Adopter, dans l’indifférence, le nouvel accord révisé sur la COI reviendrait non seulement à donner un satisfecit au bilan très discutable de cette organisation, du point de vue des résultats comme de la transparence financière, mais aussi à avaliser la mise à l’écart de Mayotte et de ses habitants, délibérément exclus du champ de la coopération dans le Sud-ouest de l’océan Indien. Faute de toute initiative de la part du Gouvernement comme du Parlement, cette mise à l’écart n’a aucune raison de ne pas se poursuivre indéfiniment.

Il convient de souligner que l’accord comporte un double verrou destiné à faire obstacle à l’intégration de Mayotte dans le champ de la coopération puisqu’il maintient en vigueur le protocole de 1986 par lequel la France n’adhérait à la COI qu’au titre de La Réunion (article 17 de l’accord) et qu’il réaffirme expressément, pour tout changement, le mode de prise de décision à l’unanimité des États membres (article 5). Plus grave encore, la possibilité d’adhésion à la COI de « tout État ou entité de la région », prévue dans l’accord de 1984, qui par une interprétation extensive aurait pu s’appliquer à Mayotte (constituant une entité), a disparu du nouvel accord qui ne parle plus que de l’adhésion d’un État !

Au vu de ces éléments, l’approbation de l’accord soumis à l’appréciation de l’Assemblée nationale n’apparaît pas opportune à la rapporteure, qui préconise en conséquence le rejet du projet de loi n° 150. Ce rejet permettra de placer chacun devant ses responsabilités, d’inciter l’Exécutif à poser réellement la question d’une véritable intégration de Mayotte dans le champ de coopération de la COI et, si ces conditions sont réunies, de donner un nouveau départ à une organisation régionale assainie et rénovée.

 


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   Examen en commission

 

Le mercredi 11 janvier 2023, la commission examine le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord portant révision de l’accord général de coopération entre les États membres de la Commission de l’océan Indien.

 

M. le président Jean-Louis Bourlanges. En préambule, je rappellerai que la Commission de l’océan indien (COI) est une organisation intergouvernementale régionale instituée en 1984 par l’accord de Victoria et dotée d’un secrétariat général dont le siège est implanté à Maurice. Elle dispose d’un budget – modeste – de 1,44 million d’euros, dont 40 % des contributions statutaires sont assurées par la France. La composition de cette organisation est originale, puisqu’elle est uniquement constituée d’États insulaires et francophones du Sud‑Ouest de l’océan indien, à savoir les Comores, la France, Madagascar, Maurice et les Seychelles.

Notre pays n’en est membre qu’au titre de La Réunion, ce qui soulève un problème grave : celui de la contestation, au sein de l’organisation, de l’inclusion de Mayotte dans ce dispositif régional. À défaut de consensus sur une intégration de plein droit, l’objectif défendu par les autorités françaises est une association du département de Mayotte, au cas par cas, à des projets de la COI. C’est sans doute ce statut intermédiaire assez ambigu qui suscite réflexion et parfois contestation. Nous entendrons sur ce point les observations de notre rapporteure.

Sur la base de la déclaration de Moroni signée par les États membres en août 2019, qui définit les orientations politiques et stratégiques de la COI, l’accord de Victoria de 1984 a fait l’objet d’une révision le 6 mars 2020.

Considérant la Commission de l’océan indien comme l’un des cadres dans lesquels s’inscrit la stratégie de notre pays pour la zone Indopacifique, le Sénat – qui a débattu du texte avant nous – s’est montré sensible à l’enjeu d’un renforcement institutionnel de l’organisation régionale. Il a donc adopté le 19 juillet dernier le projet de loi dont nous sommes saisis.

Madame la rapporteure, vous êtes, en tant que députée de Mayotte, directement confrontée aux graves difficultés, tensions, affrontements qui caractérisent cette île. Nous vous avons entendue à plusieurs reprises ces dernières semaines exposer une situation de détresse à laquelle tous les membres de cette commission sont particulièrement sensibles, quelles que soient leurs opinions politiques. Nous apprécions le courage et l’esprit de responsabilité qui vous animent dans l’exercice de votre mandat parlementaire. Que la députée de Mayotte rapporte sur ce sujet pourrait interpeler, mais cela constitue aussi un atout, parce que vous connaissez particulièrement bien la situation dans cette région névralgique et que vous êtes la porte-parole d’une sensibilité que notre commission ne peut ignorer.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Monsieur le président, merci infiniment pour ces mots qui me touchent personnellement et qui vont droit au cœur des Mahoraises et des Mahorais qui suivent attentivement les travaux de cette commission, en particulier sur la question de la COI, qui les concerne directement.

Je vous présente ce matin l’accord du 6 mars 2020 portant révision de l’accord général de coopération entre les États membres de la Commission de l’océan indien, dont le projet de loi dont nous sommes saisis vise à autoriser l’approbation. Le Sénat l’a adopté, tout en émettant de fortes réserves.

La Commission de l’océan indien est née de l’accord initial de Victoria, conclu en 1984 par Madagascar, Maurice et les Seychelles. Il s’agissait de promouvoir la coopération dans les domaines de la diplomatie, de l’économie, du commerce, de l’agriculture et de l’éducation.

La France et les Comores ont rejoint la COI en 1986. Grâce au statut d’observateur, la Chine, l’Union européenne, l’Ordre de Malte, l’Organisation internationale de la francophonie, l’Organisation des Nations Unies (ONU), l’Inde et le Japon ont rejoint les rangs de la Commission.

La COI compte trois instances superposées, selon un mode de fonctionnement que l’on compare avantageusement à celui de l’Union européenne. Le sommet des chefs d’État et de gouvernement détermine les grandes orientations politiques, en dépit d’un rythme de réunion irrégulier. Se réunissant une fois par an, le conseil des ministres des affaires étrangères est l’organe décisionnel de la COI. Sa présidence tournante est actuellement assurée par Madagascar. Chaque État désigne un officier permanent de liaison, membre du comité chargé de suivre les travaux sur le plan technique. Enfin, un secrétariat général, installé à Maurice et composé de 80 personnes, a pour fonction de faire avancer les travaux, de proposer de nouvelles orientations et d’assurer la liaison avec les bailleurs de fonds.

La COI développe des projets dans différents domaines, tels que l’environnement, la pêche ou la culture, et sollicite des fonds de l’Union européenne, de l’Agence française de développement (AFD), du Fonds vert pour le climat ou encore de la Banque mondiale.

Le 6 mars 2020, un accord portant révision de l’accord initial d’adhésion à la COI a été signé : le champ de coopération est désormais élargi à quatorze domaines, dont le changement climatique, l’économie bleue, la coopération judiciaire, la circulation des biens et des personnes. Le statut d’observateur est expressément prévu et deux critères d’adhésion à la COI sont désormais inscrits : celui de l’insularité et celui de l’appartenance à la région des États du Sud-Ouest de l’océan indien. La règle de l’unanimité comme mode de prise de décision est réaffirmée. Une périodicité de cinq ans est fixée pour le sommet des chefs d’État et de gouvernement et il est prévu que le conseil des ministres des affaires étrangères se réunisse deux fois par an. Enfin, le mandat du secrétaire général est porté de quatre à cinq ans et n’est pas renouvelable.

Quarante ans après sa création, le bilan de la COI apparaît pour le moins décevant. L’organisation met en avant une variété de projets dont la valeur ajoutée réelle suscite des interrogations, eu égard aux lourds investissements consentis. Il est souvent question de « partage d’informations », d’« amélioration de la connaissance » ou encore de « renforcement des mécanismes de prévention de crises » : ces expressions sont vagues.

Dans certains programmes comme celui pour la promotion de la sécurité maritime (MASE), qui dispose d’un budget de 42 millions d’euros, la COI n’est en réalité qu’un acteur parmi d’autres. Ce sont souvent l’Agence française pour le développement (AFD), le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) ou l’Institut de recherche pour le développement (IRD), qui pilotent et mettent en œuvre. L’exemple du programme MASE illustre ce qui semble être la règle pour les projets étiquetés « COI » mais exécutés par d’autres organismes : ils sont à la fois flous et chers.

Le manque de résultats concrets pousse à s’interroger sur l’investissement consenti par les contribuables français, puisque la France assume à elle seule 40 % du budget de la COI et finance aussi une bonne partie des projets de la COI par l’intermédiaire de l’Agence française de développement. Ainsi, entre 2018 et 2022, l’AFD a contribué à hauteur de 41,3 millions d’euros à la COI.

On peut aussi déplorer les pratiques comptables et budgétaires douteuses de la COI, qui a été mise en cause pour des faits de fraude et pour un manque de transparence financière. L’Union européenne a en effet déclaré inéligibles certaines dépenses effectuées par la COI en 2021. Il s’agit de 577 000 euros de dépenses exécutées en violation des règles européennes de financement. L’Union européenne – qui est allée en justice à ce sujet – dénonce 118 000 euros de fraude financière et près de 460 000 euros de dépenses injustifiées, donc inéligibles au remboursement. Initialement plus élevé, le montant total des dépenses irrégulières a été revu à la baisse après négociation entre l’Union européenne et la COI, laquelle doit rembourser les sommes en jeu, directement ou par ponction du budget des projets en cours.

En tant que députée de Mayotte, je considère que la COI pose un grave problème touchant au respect de la souveraineté française dans l’océan indien. N’ayant rejoint l’organisation en 1986 qu’au titre de l’île de La Réunion, la France s’est diplomatiquement amputée de Mayotte pour y adhérer, de sorte que mon territoire, français depuis 1841, n’est pas mentionné dans l’accord initial. Il est étonnant de vouloir encourager la coopération entre les îles francophones de l’océan indien tout en excluant par principe l’île de Mayotte de cet accord. C’est pourtant le choix opéré par Paris, vraisemblablement pour ne pas froisser les Comores, qui revendiquent Mayotte.

Dans le point 10 de l’accord sur l’avenir de Mayotte, publié au Journal officiel du 8 février 2000, le Gouvernement avait pris l’engagement suivant : « Mayotte sera associée aux projets d’accords concernant la coopération régionale ou affectant son développement. La France proposera l’adhésion de Mayotte à la Charte des jeux de l’océan Indien et à la Commission de l’océan Indien ainsi qu’aux autres organisations de coopération régionale ». Pour l’heure, rien de tel. Vingt-deux ans après cet engagement officiel, le Gouvernement français a affirmé, au cours de l’audition que j’ai menée, que sa volonté demeurait d’associer Mayotte, au cas par cas, à certains projets de la COI, mais de manière officieuse, sinon clandestine. Un accord de principe aurait été trouvé concernant deux projets, finalement bloqués par le représentant des Comores. Le seul cas cité d’une participation de Mayotte aux activités de la COI consiste dans la venue, en catimini, d’experts de l’agence régionale de santé (ARS) de Mayotte, inclus discrètement dans la délégation réunionnaise, à une réunion organisée à la mi-2022 et consacrée à la surveillance épidémiologique.

La France peut-elle continuer à financer une organisation censée faciliter le développement de la région tout en excluant l’un de ses territoires ? Sommes-nous donc incapables d’imposer comme condition préalable à la signature d’un nouvel accord une réévaluation de la participation de Mayotte ? L’intégration de Mayotte dans la COI devient encore plus difficile dans le nouvel accord soumis à notre approbation, puisque l’unanimité y est désormais officiellement la règle. Vu la position comorienne historique sur le sujet, il est peu probable que Moroni n’exerce pas son veto.

Pourquoi les autorités françaises ont-elles validé une hausse du portefeuille de projets géré par la COI, à hauteur de 300 millions d’euros pour 2022-2023, puis de 500 millions d’euros pour 2024-2025 – ce qui représente une forte montée en puissance –, en passant complètement sous silence la question de Mayotte ?

Ce silence assourdissant de Paris est d’autant plus incompréhensible qu’en dehors de l’Union des Comores, les autres États membres de la COI ne paraissent pas voir d’obstacle majeur à l’intégration de Mayotte. Lors des auditions que j’ai menées, les Seychelles ont indiqué n’avoir aucune objection à ce que Mayotte s’associe ou adhère à la COI, moyennant un consensus sur le sujet. Par la voix de son vice-Premier ministre, Madagascar est allée plus loin, reconnaissant de manière officielle « l’identité de Mayotte en France ».

Enfin, la constitutionnalité même de l’accord paraît discutable. En effet, grâce à la COI, les citoyens français de La Réunion bénéficient de possibilités de coopération dont sont privés les citoyens français de Mayotte, alors que les uns et les autres se trouvent dans une situation identique : même cadre géographique insulaire dans le Sud-Ouest de l’océan indien, même régime juridique prévu à l’article 73 de la Constitution, même statut au regard du droit européen. La différence de traitement entre Mayotte et La Réunion, mais aussi entre les citoyens français de deux territoires, semble donc constituer une rupture du principe constitutionnel d’égalité.

Comme tous nos compatriotes, les contribuables mahorais paient indirectement pour des projets de coopération dont ils se trouvent cependant exclus. Je pense notamment à l’observatoire des agricultures de l’océan indien et aux projets « Résilience des écosystèmes côtiers du Sud-Ouest de l’océan indien » (Recos) et « Expédition Plastique océan indien » (Exploi), trois programmes financés par la France et dont Mayotte est effectivement exclue.

Soyons lucides sur la compétition stratégique à l’œuvre dans l’ouest de l’océan indien, où la France possède une forte empreinte territoriale mais fait face à de nombreuses contestations de ses frontières. La Chine, l’Inde, la Russie, les États-Unis et d’autres jouent leur carte en appuyant les revendications territoriales de Madagascar sur les îles Éparses, de Maurice sur l’île Tromelin et des Comores sur Mayotte. Les ressources de la région – ressources halieutiques, hydrocarbures, nodules marins riches en terres rares – sont évidemment dans tous les esprits. Dans ce contexte de forte rivalité, quel message envoie Paris ? Comment défendons-nous notre souveraineté ?

Chers collègues, vous l’aurez compris, je vous invite à ne pas autoriser l’approbation de l’accord du 6 mars 2020, donc à voter contre le projet de loi. Ce geste fort permettrait de placer chacun devant ses responsabilités. Il inciterait le Gouvernement à tenir ses engagements et à poser la question d’une intégration de Mayotte dans le champ de coopération de la COI. Si ces conditions sont réunies, cela permettrait de donner un nouveau départ à une organisation régionale assainie, élargie et rénovée.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Cet exposé très intéressant prouve que les débats de ratification peuvent porter sur des questions importantes, nous laissant des décisions essentielles à prendre. Vous avez parfaitement campé le problème, même si je devine que les groupes parlementaires adopteront des attitudes très différentes : certains vous suivront, d’autres non.

M. Tematai Le Gayic (GDR-NUPES). En effet, la présentation de la rapporteure permet une meilleure compréhension de la situation.

Comme cela a été souligné précédemment, la coopération régionale est très importante pour les départements d’outre-mer. Toutefois, il est vrai que la COI n’atteint pas ses objectifs en matière financière et institutionnelle, notamment pour ce qui est de la prise en considération des intérêts de La Réunion et, plus encore, de ceux de Mayotte ; cela m’a été confirmé par mes collègues réunionnais.

La question de la place de Mayotte dans la coopération régionale est finalement assez représentative de la situation de tous les outre-mer, que ce soit La Guyane en Amérique latine ou la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie dans le Pacifique, la difficulté étant que notre différence de statut ne nous permet pas de bénéficier de la compétence nécessaire pour établir des discussions directes avec les autres pays. C’est plus encore le cas lorsqu’il existe des revendications contradictoires entre deux États, comme entre la France et les Comores.

Dans le cas du Pacifique, la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie sont membres à part entière du Forum des îles du Pacifique, ce qui nous permet de prendre des décisions en notre nom propre. C’est peut-être notre statut d’autonomie qui nous y autorise. Peut-être serait-il bon pour Mayotte d’être partie prenante, en tant que pays, de la coopération régionale ? Il conviendrait de vérifier si le droit interne l’autorise, afin que Mayotte dispose de ces compétences régionales. Si tout part de Paris, les réponses obtenues ne seront pas les mêmes. Mayotte devrait avoir sa propre pensée, sa propre vision de la façon de s’inscrire dans la région.

Pour toutes ces raisons, le groupe GDR ne sait pas encore quelle décision prendre. La coopération régionale doit être pensée en faveur des Réunionnais et des Mahorais. Si le projet de loi va dans le sens de leurs intérêts, le groupe GDR le soutiendra ; dans le cas contraire, nous voterons contre.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Je partage avec vous la préoccupation de savoir si cette coopération régionale profite aux populations locales. En l’occurrence, je pense avoir démontré qu’elle ne profitait pas aux Mahorais puisque nous en sommes exclus alors que nous y contribuons. Pourtant, nous avons à cœur de collaborer avec nos voisins, dans le respect de la volonté exprimée à de nombreuses reprises par Mayotte de rester française. J’espère donc que votre groupe prendra en considération la volonté de notre population : la coopération, oui, mais si elle ne nous profite pas, non merci.

M. Bertrand Pancher (LIOT). La rapporteure a mené un travail de fond remarquable, qui nous donne une vue générale de la Commission de l’océan indien et de ses activités.

L’île de Mayotte est un département français. En février 1976, 99 % des Mahorais et des Mahoraises ont exprimé dans les urnes le souhait que Mayotte demeure au sein de la République française. Remettre en cause cette souveraineté revient à faire le jeu des pays qui veulent déstabiliser Mayotte, donc la France ; c’est aussi mettre en doute la légitimité de nos élus. Notre diplomatie ne réagit pas lorsque le président des Comores affirme publiquement à la tribune des Nations Unies que Mayotte n’est pas un territoire français. Elle ne réagit pas lorsque les Comores demandent que Mayotte ne participe qu’« à bas bruit » aux réunions techniques de la COI. Le département français de Mayotte doit pouvoir coopérer publiquement et sur l’ensemble des sujets avec les États membres de la COI, au même titre que La Réunion. En l’état, autoriser la ratification de l’accord portant révision de l’accord de Victoria reviendrait à accepter les prétentions illégitimes du gouvernement de Moroni sur Mayotte.

Cette révision n’est qu’un trompe-l’œil. Si elle institutionnalise des mécanismes qui n’étaient pas prévus dans l’accord originel, comme le statut d’observateur, la définition de l’identité insulaire ou le caractère francophone de l’organisation, ces mesures sont insuffisantes pour moderniser la COI, faute d’une volonté politique forte. Tout prouve que le statu quo est de mise : la règle de l’unanimité est maintenue, les contributions nationales sont inchangées, les protocoles d’adhésion prévoyant l’exclusion de Mayotte demeurent en vigueur. Il est temps que l’État réagisse. C’est pourquoi notre groupe soutiendra la position de la rapporteure et appelle tous les députés ici présents à voter contre ce texte.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Merci pour votre soutien et pour le message clair que vous envoyez ainsi à Mayotte. J’espère que votre appel sera entendu.

M. Nicolas Metzdorf (RE). Nous sommes réunis ce matin pour examiner le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord portant révision de l’accord général de coopération entre les États membres de la Commission de l’océan indien. Comme le souligne la rapporteure dans son rapport, dans la région, le contexte géopolitique est marqué par des rapports de force et des stratégies d’influence, qui se traduisent par la présence active de grandes puissances telles que la Chine, la Russie ou les États-Unis.

De plus, la souveraineté de la France sur Mayotte fait l’objet de contestations, voire de provocations, comme l’illustre la position comorienne. Le constat dressé par la rapporteure est sans équivoque. Nous regrettons le statut actuel de Mayotte relativement à la COI. Il est clair que Mayotte répond aux critères d’adhésion, à savoir l’insularité et l’appartenance à la région des États du Sud-Ouest de l’océan indien. Il s’agit en outre d’une question d’égalité entre les deux départements français de la région. Dès lors, l’intégration de Mayotte dans son environnement régional doit être la priorité de la France. Sur ce point, la position de notre groupe est très claire.

Néanmoins, rejeter l’accord de Victoria révisé aurait des conséquences négatives sur les intérêts de la France dans la zone. La COI constitue un levier politique important dans la coopération bilatérale, qui permet de resserrer les liens avec les États membres. De plus, sa participation financière majoritaire au financement de la COI permet à la France de défendre ses intérêts au sein de cette organisation importante et, ce faisant, son influence dans une région stratégique. Le refus de la ratification de l’accord ne porterait pas seulement un coup à une réforme profonde et salutaire de la COI, elle risquerait aussi de marginaliser la France dans la région. Il est de notre intérêt de nous saisir du cadre de dialogue multilatéral, auquel nous croyons fermement, afin de rendre la coopération des États insulaires de l’axe Indopacifique pleinement effective. C’est pourquoi nous voterons en faveur du projet de loi.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Je regrette la position de la majorité, ainsi que les mots que vous avez employés. Je rappelle que Mayotte, c’est la France ; donc ne pas défendre les intérêts de Mayotte revient à ne pas défendre les intérêts de la France. Vous dites qu’en refusant de ratifier l’accord, la France agirait contre ses propres intérêts. Or, aux termes de celui-ci, Mayotte est exclue de la COI. Ne capitulons pas sur ce point. Il convient de défendre les intérêts de toute la France, et non seulement d’une partie.

M. Alexis Jolly (RN). La France étant le premier contributeur au budget de la COI, nous avons notre mot à dire sur le fonctionnement et les perspectives d’évolution de cette organisation régionale. La pauvreté de ses résultats, les lacunes de son organisation et l’indigence des projets mis en œuvre sont la marque d’ambitions insuffisantes au regard des enjeux géopolitiques de l’océan indien. Mais la principale difficulté réside, selon nous, dans le fait que l’organisation refuse d’intégrer le département français de Mayotte. La France finance donc une organisation qui conteste, par l’intermédiaire des Comores, la souveraineté française sur une partie de son territoire. Les Comores organisent d’ailleurs une immigration de peuplement massive pour appuyer leurs prétentions. La France est ainsi la principale nation contributrice d’une organisation dont des membres défendent une position ouvertement antifrançaise et fomentent des troubles sur le territoire national. Dans ces conditions, vu l’absence de résultats, l’immobilisme de l’institution et sa ligne politique contraire à nos intérêts, pourquoi continuons-nous à la financer ?

Si nous sommes favorables, sur le principe, à une union des pays francophones de l’océan indien, celle-ci doit avoir pour vocation de défendre les intérêts français, non d’aller à leur encontre. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de cet état de fait : il y va de l’influence de la France dans cette région du monde, d’autant que celle-ci se heurte aux volontés expansionnistes de la Chine, dont une grande partie des exportations passe par l’océan indien. Nous voterons donc contre le projet de loi et demandons des évolutions afin qu’émerge un véritable pôle d’influence française dans la région.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Je vous remercie pour ce soutien. Il importe en effet de souligner l’existence de rivalités dans la région. Alors que le président de la République doit recevoir aujourd’hui le président comorien à l’Élysée à déjeuner, il serait opportun que notre commission envoie simultanément un message clair, ce qui permettra à Mayotte de bénéficier d’un bel alignement de planètes.

Mme Ersilia Soudais (LFI-NUPES). La France dispose de la deuxième zone économique exclusive (ZEE) après les États-Unis ; 93 % de cette ZEE est liée, directement ou indirectement, à notre présence dans l’océan indien. Levons d’emblée toute hypocrisie : comme l’indique un article de la revue Conflits, nos intérêts ou, pour être exact, les intérêts des actionnaires des entreprises françaises, y sont d’abord économiques. En effet, l’océan indien contient l’un des sous-sols les plus riches de la planète. Il renferme près de 55 % des réserves mondiales de pétrole, 60 % de celles d’uranium, 80 % de celles de diamants, 40 % de celles de gaz et 40 % de celles d’or, sans compter les réserves halieutiques. On comprend aisément que la région attire les convoitises – évidemment sous le couvert d’intentions vertueuses. Certes, vertu et intérêts ne sont pas toujours incompatibles et nous pouvons admettre que l’accord de Victoria, en visant à apporter plus de stabilité, de coopération et de développement à la région, cherchait à concilier ces deux objectifs. Toutefois, les peuples de la région sont loin d’y avoir trouvé leur compte. Et si la diversité des situations des États membres de la COI ne facilite pas l’émergence d’une ambition commune, il n’est pas certain qu’une telle intention politique ait jamais existé. D’ailleurs, l’adhésion de Mayotte n’a pas été concrétisée.

S’agit-il d’agir avec et dans l’intérêt des populations locales ou de se partager les ressources de la région ? Soyons sérieux ! La Chine, le Japon, l’Union européenne et même l’Ordre souverain militaire et hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem, de Rhodes et de Malte sont membres observateurs de la COI, mais pas l’Afrique du Sud, la Tanzanie ou le Mozambique. Malgré l’immense richesse halieutique de la zone, 97 % des captures sont le fait de pays non-riverains. Pendant ce temps, la faim et la misère poussent des milliers de Comoriens à fuir leur pays au péril de leur vie, notamment vers Mayotte. On se souvient d’ailleurs que le président Macron avait cru bon de plaisanter sur ces morts, qui devraient pourtant faire honte à tous les décideurs politiques de la région, à commencer par ceux de notre pays.

En 2006, l’ancien secrétaire général de la COI, Wilfrid Bertile, regrettait que celle-ci ne soit pas devenue une véritable organisation d’intégration régionale en s’appuyant sur des problématiques communes, par exemple celles de petits États insulaires en développement, et qu’elle n’ait pas contribué à densifier la coopération au sein de l’espace swahili. La révision proposée va-t-elle dans ce sens ? Nous ne le pensons pas.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. En définitive, quelle sera la position du groupe sur le projet de loi ?

Mme Ersilia Soudais (LFI-NUPES). Nous nous abstiendrons.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Je trouve que votre analyse de la situation est juste. En revanche, je suis un peu froissée par les propos que vous avez tenus sur les Comores. Je pense que les premiers responsables des risques que prennent les ressortissants comoriens en traversant le bras de mer, ce sont les autorités comoriennes, et non la France. Les Comores sont un État souverain. Le délabrement de cet État, la corruption qui y règne, l’effondrement économique qu’il subit sont d’abord le fait des autorités comoriennes et des responsables politiques comoriens. Même si l’on peut s’interroger sur le soutien que Paris apporte à un régime qui œuvre contre sa propre population, la responsabilité première de la situation revient au gouvernement comorien et je ne pense pas qu’il soit de notre rôle de nous ingérer ainsi dans les affaires comoriennes.

M. Bruno Fuchs (DEM). Merci, Madame la rapporteure, pour l’excellence de votre présentation et pour votre clairvoyance.

Vous l’avez dit, l’accord révisé du 6 mars 2020 définit quatorze champs d’action. Les enjeux relatifs à la protection de la biodiversité et des ressources et à la régulation maritime et côtière sont immenses dans cette zone particulièrement vulnérable de ce point de vue. Les enjeux sont également importants en matière de sécurité, du fait notamment des menaces que fait peser la piraterie ; nous ne pouvons que nous féliciter que la COI comprenne une unité antipiraterie. La zone de l’océan indien est aussi liée à la francophonie et je voudrais saluer à ce titre les accords conclus par la COI avec l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et avec l’Agence universitaire de la francophonie. Bref, le président de la République l’a souligné, la zone Indopacifique est une priorité pour l’action extérieure de la France et pour celle de l’Union européenne.

La révision de l’accord général de coopération entre les États membres de la COI participe du renforcement nécessaire du multilatéralisme et de la coopération et s’inscrit dans l’ambitieuse stratégie d’influence de la France dans la zone Indopacifique. L’évolution proposée est donc, selon nous, positive.

Cet accord révisé comporte toutefois un point faible, et même inadmissible : il s’agit de la non-intégration de Mayotte dans l’organisation. Ce qui pouvait être imaginable, voire acceptable à l’origine de la COI – à l’époque, Mayotte n’était pas un département français – ne l’est plus. Comment la France peut-elle accepter la mise à l’écart de l’un de ses départements ? Le droit à la différenciation n’est pas le droit à l’exclusion.

Toutefois, contrairement à la rapporteure, nous considérons que le meilleur moyen d’obtenir l’intégration de Mayotte n’est pas de provoquer une crise risquant d’aboutir au blocage d’un dispositif qui profite – même si ce n’est que faiblement – à tous les pays de la zone, Mayotte incluse. Notre groupe propose donc de voter pour un accord étendu à quatorze champs d’action, à condition, Monsieur le président, que notre commission adresse au Gouvernement, sous la forme qu’il vous siéra, une injonction à utiliser les voies et moyens nécessaires pour que Mayotte soit intégrée dans les plus brefs délais à la COI.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Je déplore cette prise de position et me dois de corriger votre propos. Dans son rapport d’activité, la COI indique les retombées pays par pays. Mayotte n’en bénéficie d’aucune – c’est écrit noir sur blanc. De fait, nous sommes officiellement exclus de tous les programmes de la COI. La France, qui verse 40 % des contributions, perçoit un peu plus de 833 000 euros, tandis que les Comores, qui contribuent à la COI à hauteur de 6 %, reçoivent plus de 1 471 000 euros. Il serait bon de faire preuve d’un peu de cohérence…

En outre, l’approbation de cet accord entérinerait le veto comorien concernant Mayotte, puisque la règle de l’unanimité pour toute nouvelle adhésion y est inscrite noir sur blanc, alors qu’il ne s’agissait auparavant que d’un usage. Si l’accord est ratifié en l’état, jamais Mayotte ne fera partie de la COI, alors que, comme vous venez de l’expliquer, le canal du Mozambique recèle des terres rares, des ressources halieutiques, du pétrole et du gaz. La COI existe depuis 1986 ; nous sommes en 2022 : il ne me semble pas absurde de penser que le temps des pourparlers est révolu. Nous avons suffisamment fait preuve de patience.

M. Guillaume Garot (SOC). Je crois que tout le monde convient ici qu’il était plus que temps de réviser l’accord général de coopération entre les États membres de la Commission de l’océan indien, organisation dans laquelle la France occupe une place importante de par son poids géographique et de par son engagement diplomatique.

L’accord prévoit un élargissement du champ d’action de la COI, ce qui ouvre de nouvelles perspectives de coopération dans le Sud-Ouest de l’océan indien. Néanmoins, comme l’a souligné Madame la rapporteure, le sort réservé à Mayotte soulève des questions qui ne peuvent laisser personne indifférent. Le Sénat, aussi, l’a noté : tout cela laisse un sentiment d’inachevé. C’est pourquoi, en l’état, le groupe Socialistes et apparentés s’abstiendra.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Cet accord laisse en effet un sentiment d’inachevé. Je veux réaffirmer ici que nous ne souhaitons pas la fin de la COI. Mayotte estime que la coopération régionale est extrêmement importante et nous ne voyons pas de perspectives de développement sans nos voisins. Cependant, nous souhaitons qu’ils respectent notre volonté de rester Français. Il n’est pas possible de coopérer sans une reconnaissance pleine et entière de Mayotte. Je vous remercie pour l’abstention de votre groupe, que j’interprète comme un soutien.

M. Jean-François Portarrieu (HOR). L’intégration des territoires d’outre-mer dans leurs environnements régionaux est pour eux un levier majeur de développement et d’accès à une égalité réelle avec la métropole. C’est pourquoi il est nécessaire de valoriser la coopération dans l’océan indien pour La Réunion et pour Mayotte.

Mayotte reste en marge de l’accord du fait de conflits de souveraineté avec les Comores. Néanmoins, les autorités mahoraises peuvent être – quoique cette possibilité reste à concrétiser – associées au cas par cas à des coopérations en matière de santé, d’économie et de tourisme.

Plus largement, la participation de la France à la COI se justifie par sa stratégie pour l’Indopacifique, telle qu’elle a été confirmée dans la revue nationale stratégique publiée en novembre 2022. Elle est un exemple de coopération multilatérale sur des sujets majeurs comme le changement climatique, l’économie bleue ou la sécurité alimentaire et maritime. Son bilan doit être salué. De nombreux projets de coopération ont été financés grâce à l’apport de l’Agence française de développement et de partenaires institutionnels comme l’Union européenne : citons Écofish, pour la promotion de la pêche durable, les initiatives visant à favoriser l’entrepreneuriat des femmes, les projets Hydromet et Exploi pour l’environnement et le climat, ou encore le projet de câble numérique régional entre Maurice, La Réunion, Madagascar et l’Afrique du Sud. Autant de raisons pour lesquelles le groupe Horizons et apparentés votera en faveur de l’approbation de cet accord, en espérant toutefois une issue favorable à la demande d’intégration de Mayotte.

Madame la rapporteure, vous critiquez les réalisations de la COI, en attribuant les succès des initiatives auxquelles elle contribue à d’autres acteurs, notamment à l’Union européenne, mais ne pensez-vous pas qu’elle sert de plateforme et d’intermédiaire bénéfique pour les différents États de la région ?

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Non, je ne pense pas que la COI facilite quoi que ce soit. Dans l’océan indien, que les projets soient mis en œuvre par l’Agence française de développement, par l’Union européenne ou par la Banque mondiale, c’est toujours la France qui pilote. Ce sont simplement les étiquettes qui changent.

C’est d’ailleurs ce qui soulève des interrogations concernant le fonctionnement de la COI. À quoi sert l’argent dépensé ? Pourquoi a-t-on besoin de 80 personnes à Maurice pour travailler sur des projets qui sont en réalité lancés et pilotés par d’autres ?

Le projet d’accord n’aborde pas ces questions et, lors des auditions, la COI n’avait aucune réponse à y apporter. Ce qui se passe au sein de l’organisation soulève dans la région des interrogations à mon avis légitimes. Les problèmes liés à la gestion financière et aux acrobaties comptables sont tout de même graves : ce sont des centaines de milliers d’euros qui se sont évaporés. L’Union européenne a d’ailleurs engagé des poursuites judiciaires. Les explications qui m’ont été fournies lors des auditions sont assez farfelues : on m’a dit que des tickets de taxi, pour une valeur de 577 000 euros, n’avaient pas été retrouvés ! Or il s’agit, je le rappelle, de l’argent du contribuable.

Mme Sabrina Sebaihi (ÉCOLO-NUPES). Je tiens à remercier Estelle Youssouffa pour son travail. Je la sais passionnément attachée à son territoire, l’archipel de Mayotte, dont les habitants sont abandonnés par la République depuis bien trop longtemps. Manque d’infrastructures, insalubrité, problèmes de sécurité : il est temps que les pouvoirs publics se réveillent et ouvrent les yeux sur la situation dans laquelle ce département français se trouve. Imagine-t-on un seul instant les Yvelines, par exemple, être le théâtre d’affrontements quotidiens dans un contexte où près de 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, avec un seul centre de santé en activité, faisant de ce territoire le plus grand désert médical de France ? Il est impensable que la France soit capable de renier à ce point une partie de sa population, laissant ce territoire mourir dans l’indifférence générale. C’est une honte.

L’examen de ses résultats concrets montre que, malgré quelques actions, la COI est une coquille vide, qui emploie pourtant 80 personnes. Avec une contribution représentant 40 % du budget, la France est sa principale pourvoyeuse de fonds. Certes, on me répondra qu’on propose de redonner à cette structure des moyens d’action et d’étendre son champ de compétence, notamment en intégrant un domaine essentiel, celui de la lutte contre le changement climatique. Hausse des températures, événements météorologiques extrêmes, montée des eaux : en la matière, les outre-mer sont en première ligne. Les conséquences du changement climatique pour les populations et les écosystèmes locaux y sont d’ores et déjà observables et risquent de s’aggraver encore. Investir pour organiser la résilience de ces territoires est de ce fait une urgence absolue. Pourtant, malgré les scandales liés aux détournements de fonds publics qui ont marqué l’histoire récente de la COI et le bilan des dernières années, personne n’a jugé opportun de s’interroger sur l’efficacité réelle de cet organisme censé devenir un bras armé de la lutte climatique.

Mais le plus grave n’est pas là. La France n’a adhéré à la COI qu’au titre de l’île de La Réunion, excluant donc Mayotte, sur laquelle la souveraineté française est contestée. Le portefeuille de projets appelés à être gérés par la COI durant les prochaines années atteint un montant de 500 millions d’euros. Ce territoire, qui se trouve pourtant au cœur de la zone concernée, est totalement délaissé. Faut-il comprendre qu’en dépit des discours du président de la République, Mayotte n’a aucune importance à ses yeux et qu’à l’abandon s’ajoute le rejet ?

Nous sommes extrêmement réservés sur ce texte. Si le statu quo est à éviter, le territoire de Mayotte doit impérativement être intégré à la COI. Le groupe Écologiste s’abstiendra donc lors du vote.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Il est vrai qu’à Mayotte, le dérèglement climatique est déjà une réalité. Mayotte apparaît d’ailleurs dans le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) comme l’un des points chauds de la biodiversité. À celles et ceux qui n’ont pas la chance de connaître ce qui est objectivement le plus beau département de France, j’indique que Mayotte et son lagon regorgent d’espèces endémiques, qu’elle possède une forêt primaire et que son écosystème est extrêmement riche mais vulnérable. Nous observons d’ores et déjà un dérèglement des saisons et du climat. Mayotte est menacée par la montée des eaux. Sachant que 90 % de la population vit sur le littoral, la question climatique est pour nous littéralement vitale. En moins d’une décennie, nous avons perdu plusieurs centimètres face à la mer et un volcan est en train d’apparaître dans notre lagon. Les travaux de la COI et de toute autre organisation régionale qui se pencherait sur la question climatique bénéficieraient donc grandement à mon département.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Je tiens à remercier Madame la rapporteure pour son exposé extrêmement clair et pour les explications détaillées qui l’ont suivi. Elle m’a convaincue et je suivrai sa recommandation. La non-intégration de Mayotte dans la COI me paraît inadmissible. Je ne comprends pas que la France continue de faire droit aux exigences et au veto comorien sur le sujet. Un rejet par notre commission de ce projet de loi serait un signal fort adressé au Gouvernement et au chef de l’État en ce jour de visite officielle du chef de l’État comorien à l’Élysée.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Merci infiniment pour ce soutien. J’espère moi aussi que la commission enverra un message clair au président Azali Assoumani, actuellement en visite en France.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Au terme de ce débat très intéressant et important, je ferai quelques observations.

La première porte sur le décalage entre la nature juridique et la nature politique du sujet qui nous est soumis. Quoi que l’on pense de la situation de Mayotte au sein de la République française, on ne nous demande pas de voter pour ou contre la Commission de l’océan indien. Cette organisation existe et son bilan – décevant – a été présenté, de manière d’ailleurs très argumentée, par madame la rapporteure. Ce qui nous est proposé, c’est une révision de l’accord de Victoria. Par conséquent, du point de vue juridique, nous sommes appelés à nous prononcer pour ou contre la réforme de la COI, et non pour ou contre son existence. Cela me fait penser à la célèbre réplique de Lord Salisbury, Premier ministre, à la reine Victoria, qui lui demandait des réformes : « Les choses vont déjà assez mal comme ça, vous ne voulez pas en plus les changer ! »

Cela n’empêche pour autant personne de donner une signification politique au scrutin, par exemple en votant contre par principe, pour dénoncer le fait que la COI n’intègre pas Mayotte en son sein. Je crois que, quelle que soit l’intention de vote qu’ils ont exprimée, tous les groupes ont estimé qu’il n’était pas admissible que Mayotte dispose d’un statut diminué, et même qu’elle ne soit pas pleinement reconnue comme un acteur à part entière de la COI. J’approuve la proposition de Monsieur Fuchs et, si vous en êtes d’accord, je suis prêt, dans le cas où vous décideriez d’adopter le projet de loi, à exprimer la profonde préoccupation, voire l’inquiétude de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale à l’idée que la COI continue d’être un organisme qui ne reconnaît pas pleinement les frontières de la République française, telles qu’elles sont établies. Dans ce cas, l’idée serait qu’il vaut mieux être dedans que dehors et que les absents ont toujours tort.

Quoi qu’il en soit, quelle que soit l’issue du vote, le texte sera examiné en séance publique. Je pense que la question mérite débat et qu’il appartient aux groupes d’en demander un.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure. Par souci de clarté, je voudrais rappeler que Mayotte ne dispose pas d’un statut diminué et n’est pas en partie reconnue par la COI : elle en est exclue.

Ensuite, la portée juridique de ce texte est importante, puisque l’accord qui est soumis à ratification comporte un double verrou destiné à faire obstacle à l’intégration de Mayotte dans la COI : l’article 17 maintient en vigueur les dispositions du protocole de 1986 aux termes duquel la France n’adhère à la COI qu’au titre de La Réunion ; l’article 5 affirme expressément que toute décision est prise à l’unanimité des États membres. Plus grave encore, la possibilité d’adhésion à la COI de toute « entité » de la région, qui aurait pu s’appliquer à Mayotte, a disparu du nouvel accord. En pratique, l’accord est donc rédigé pour faire obstacle à une éventuelle intégration de Mayotte.

Vu que la COI existe depuis 1984, nous avons largement dépassé le stade de l’inquiétude, Monsieur le président. Ce qu’attend Mayotte, ce n’est pas une manifestation d’inquiétude, c’est qu’on envoie un message clair au Gouvernement, car malgré l’engagement pris en février 2000, à aucun moment les diplomates du Quai d’Orsay n’ont soulevé le problème et demandé l’intégration de Mayotte.

La diplomatie n’est pas mon fort. Je suis comme Saint Thomas : je ne crois que ce que je vois. En l’espèce, je réitère la demande des Mahorais que l’Assemblée nationale prenne clairement position en faveur du respect des frontières de la France, qui compte Mayotte en son sein depuis 1841.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Le principal défaut de cet accord est en effet de pérenniser une situation dont vous avez raison de constater qu’elle existe depuis suffisamment de temps pour qu’il y ait lieu de considérer que nous sommes au-delà de l’inquiétude.

M. Bruno Fuchs. Je réitère mes félicitations à la rapporteure pour sa détermination et sa défense talentueuse de son territoire et de la France. Je dois dire qu’en tant qu’alsacien, je suis assez admiratif. Je pense que nous avons aujourd’hui assisté à la prise de conscience unanime que la COI ne pouvait continuer à fonctionner sans Mayotte.

La question est donc de savoir comment s’y prendre pour que Mayotte soit intégrée à l’organisation. Ma conviction est que si nous n’adoptons pas ce texte, nous allons bloquer toute possibilité d’accord et que ce sera la fin annoncée de la COI. D’où ma proposition de demander, par la voix du président de la commission, au Gouvernement ce qu’il compte faire. Nous sommes les premiers contributeurs : ne disposons-nous pas de quelques moyens pour appuyer notre demande ? Peut-être devrions-nous surseoir au vote dans l’attente de la réponse du Gouvernement.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. C’est malheureusement impossible car nous sommes tenus par les délais et l’inscription de ce projet de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale le 25 janvier prochain.

Nous allons donc passer au vote. Dans le cas où celui-ci serait favorable, je réitère ma proposition de préparer une lettre au Gouvernement, que je soumettrai au bureau de la commission – où l’ensemble des groupes sont représentés – avant le débat en séance publique.

Si vous vous exprimez contre le projet de loi, un vote aura quand même lieu dans l’hémicycle sur la base du texte qui a été déposé par le Gouvernement ; si l’Assemblée réunie en séance plénière le rejette à son tour, une commission mixte paritaire sera convoquée, le Sénat ayant pour sa part adopté le projet de loi. Personnellement, je ne prendrai pas part au vote en commission.

 

*

Article unique (approbation de l’accord portant révision de l’accord général de coopération entre les États membres de la Commission de l’océan Indien)

La commission adopte l’article unique non modifié.

L’ensemble du projet de loi est ainsi adopté.


—  1  —

 

   annexe 1 :
TEXTE DE LA COMMISSION des affaires ÉtrangÈres

 

Article unique

(Non modifié)

 

Est autorisée l’approbation de l’accord portant révision de l’accord général de coopération entre les États membres de la Commission de l’océan Indien (ensemble une annexe), signé à Victoria le 6 mars 2020, et dont le texte est annexé à la présente loi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                     

N.B. : Le texte de la convention figure en annexe au projet de loi (n° 150)


—  1  —

 

   ANNEXE 2 : LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR
LA RAPPORTEURe

 

   M. Vêlayoudom Marimoutou, secrétaire général de la Commission de l’océan indien ;

   M. Laurent Amar, conseiller diplomatique du préfet de La Réunion, officier permanent de liaison auprès de la Commission de l’océan indien ;

   M. Jacques Belle, chargé d’affaires par intérim, ministre-conseiller de l’ambassade de la République des Seychelles, ancien officier permanent de liaison auprès de la Commission de l’océan indien ;

   M. Thomas M’Saïdié, maître de conférences (habilité à diriger des recherches) en droit public au centre universitaire de formation et de recherche (CUFR) de Mayotte ;

   M. Olivier Brahic, directeur général de l’Agence régionale de santé (ARS) de Mayotte ;

   M. Clément Leclerc, directeur adjoint de l’Afrique et de l’océan indien du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, M. Maxime Roth, adjoint au sous-directeur d’Afrique australe et de l’océan indien, M. Romain Joly, rédacteur à la sous-direction de l’Afrique australe et de l’océan indien, M. Pierre Dousset, conseiller juridique à la mission des accords et traités de la direction des affaires juridiques.

 

 


([1]) Le préambule du Protocole d’adhésion de la France indique quant à lui : « considérant que la République française a demandé à adhérer à l’Accord en raison de sa volonté de voir son département et sa région de la Réunion participer pleinement à la coopération régionale au bénéfice de l’ensemble de la région ».

([2]) Étude d’impact du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord portant révision de l’accord général de coopération entre les États membres de la Commission de l’océan Indien, p. 1.

([3]) Rapport n° 758 (2021-2022) de Mme Vivette Lopez, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, déposé le 6 juillet 2022, p. 14.

([4]) Réponses écrites du ministère de l’Europe et des affaires étrangères à la rapporteure du Sénat, P. 10‑11.

([5]) Ibid.

([6]Ibid.

([7]) Rapport précité de Mme Vivette Lopez, p. 29.

([8]Maritime Security in Eastern and Southern Africa and Indian Ocean (ESA-IO).

([9]) André Oraison, professeur des universités, Revue Juridique de l’Océan Indien 2016, n° 22, Radioscopie critique de la Commission de l’océan Indien, p. 95.

([10]) Le secrétaire général de la COI fait état, quant à lui, d’un montant d’inéligibilités (hors fraude financière) de 463 140 euros au 26 octobre 2022.

([11]) Programme régional de sécurité alimentaire et de nutrition.

([12]Op. cit., p. 9.

([13]) Sénat, 31 janvier 1985, Question de M. Pierre Salvi (21650).

([14]) Cf. accord de méthode du nouveau Plan de développement stratégique de la COI (2023-2033).

([15]) Thomas M’Saïdié, maître de conférences (habilité à diriger des recherches) en droit public au centre universitaire de formation et de recherche (CUFR) de Mayotte, auteur d’une thèse sur la place des pays et territoires d’outre-mer dans la politique de l’Union européenne, Réponses écrites adressées à la rapporteure, p.12.

([16]) Rapport précité de Mme Vivette Lopez, p. 30-31.

([17]Ibid.

([18]Ibid.

([19]Ibid.

([20]) Thomas M’Saïdié, Réponses écrites adressées à la rapporteure, p.6.

([21]  Cf. site du consulat général de la République populaire de Chine à Saint-Denis : http://saintdenis.china-consulate.gov.cn/fra/zlgxw/202004/t20200409_4013465.htm

([22]) Cf. https://www.madagascar-tribune.com/Une-deuxieme-reunion-de-la-commission-mixte-en-septembre-en-France.html

([23]) Cf. https://alwatwan.net/societe/andrey-andreev,-ambassadeur-de-la-f%C3%A9d%C3%A9ration-de-russie-%C3%A0-moroni-%C2%ABl%E2%80%99avenir-des-relations-entre-la-f%C3%A9d%C3%A9ration-de-russie-et-l%E2%80%99union-des-comores-est-prometteur%C2%BB.html?fbclid=IwAR2xWkU6PUPW3-CJDiorGhggDuWs4nVlLFonBt4NrTnSDqlNc_S_r2wQtI0

([24]) Thomas M’Saïdié, Réponses écrites adressées à la rapporteure, p.12.

([25]https://twitter.com/alexandrehory/status/1549857616662331392

([26]Ibid.

([27])  Cf. Le journal des Archipels, 22 avril 2021. https://www.lejournaldesarchipels.com/2021/04/22/deuxieme-reconnaissance-de-mayotte-francaise-par-un-etat-africain/

([28]) Thomas M’Saïdié, Réponses écrites adressées à la rapporteure, p.12.

([29]) Ce régime est celui dit de « l’identité législative » qui « peut se définir comme le régime de l’applicabilité de plein droit du droit commun tel qu’issu des lois et règlements nationaux ; dans ce régime, le droit commun est donc le principe, et l’existence d’un droit spécifique ou dérogatoire constitue l’exception » (Stéphane Diémert, Pouvoirs 2005 (n° 113), Le droit de l’outre-mer.