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N° 801

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME  LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 1er février 2023.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI
 

visant à renforcer l’ordonnance de protection

 

PAR Mme Cécile UNTERMAIER

Députée

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Voir le numéro : 661.

 


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SOMMAIRE

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Pages

introduction................................................ 5

I. La crÉation de l’ordonnance de protection par la voie d’une initiative parlementaire

II. Un dispositif qui a évoluÉ mais qui doit être amélioré

Examen de la proposition de loi

Article 1er  (art. 515-11 du code civil) Modification des critères de délivrance de l’ordonnance de protection

1. L’état du droit

a. Les critères définis par la loi

b. L’appropriation des critères par les magistrats

c. « Toutes les violences participent à mettre en danger celles qui les subissent » : le critère des violences vraisemblables doit seul emporter la conviction des magistrats, car il comprend déjà la notion de danger

2. Le dispositif proposé

3. La position de la commission

Article 2 (art. 515-12 du code civil) Extension du délai maximal de délivrance de l’ordonnance de protection

1. L’état du droit

2. Le dispositif proposé

3. La position de la commission

examen en commission

PERSONNES ENTENDUES

 


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Mesdames, Messieurs,

L’année 2021 a été une année meurtrière pour les femmes. 122 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint ; 684 ont tenté de se suicider ou se sont suicidées suite au harcèlement de leur partenaire ou ancien partenaire ; 190 femmes ont échappé de peu à un féminicide. Ce constat nous oblige.

De grandes avancées ont été possibles ces dernières années pour renforcer la protection des victimes de violences conjugales, notamment grâce au travail parlementaire. Néanmoins, le nombre de personnes se déclarant victimes de violences par un partenaire ou ex-partenaire, 208 000 personnes en 2021, illustre le chemin qui reste à parcourir.

L’ordonnance de protection, qui est la première étape pour protéger une victime de violences conjugales et ses enfants, est encore trop peu délivrée. En 2021, 3 852 demandes d’ordonnances ont été partiellement ou totalement acceptées. Cet outil indispensable n’est pas assez utilisé. L’une des difficultés identifiées réside dans la définition des critères de délivrance.  

Ce texte vise donc à renforcer le mécanisme de l’ordonnance de protection, en simplifiant sa délivrance et en allongeant les délais des mesures prises par le juge aux affaires familiales.

I.   La crÉation de l’ordonnance de protection par la voie d’une initiative parlementaire

L’ordonnance de protection est une procédure d’urgence créée par la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, qui vise à organiser la protection d’une personne victime de violences conjugales. Il existait auparavant un « référé violence » à l’article 220-1 du code civil, qui permettait au juge aux affaires familiales de statuer rapidement sur la résidence séparée des époux « lorsque les violences exercées par l'un des époux mettent en danger son conjoint, un ou plusieurs enfants ». Créé par la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce, il ne concernait que les couples mariés.

La loi du 9 juillet 2010 qui crée le mécanisme de l’ordonnance de protection reprend les préconisations formulées dans le rapport de la mission d’évaluation de la politique de prévention et lutte contre les violences faites aux femmes  publié en juillet 2009([1]).

Le dispositif a fait l’objet de plusieurs modifications au cours de l’examen parlementaire du texte. La proposition de loi initiale prévoyait ainsi que l’ordonnance puisse être délivrée par le juge délégué aux victimes et insérait donc logiquement les dispositions qui en relevaient au sein du code de procédure pénale. Dès la première lecture à l’Assemblée, le choix a été fait de privilégier plutôt le juge aux affaires familiales, pour éviter notamment le chevauchement des compétences. Des désaccords ont persisté tout au long de la navette sur le périmètre couvert par l’ordonnance de protection et sur la pertinence ou non d’en faire un outil contre toutes les violences commises à l’égard des femmes ou toutes les violences commises au sein du cercle familial.

Au vu de la nature des mesures pouvant être prises par le juge dans le cadre d’une ordonnance de protection, qui relèvent du domaine civil (modalités d’exercice de l’autorité parentale) mais qui peuvent avoir une connotation pénale (interdiction de contact), les parlementaires ont été attentifs à ce que les droits de la défense de la partie défenderesse soient respectés

Cette préoccupation se retrouve dès le rapport d’information de la mission d’information, qui affiche son ambition de « mieux protéger les victimes tout en respectant les droits de la défense ». Les garanties procédurales, déjà présentes dans la proposition de loi initiale, ont été renforcées au cours du débat parlementaire.

La procédure prévue est bien à la main d’un juge, qui prend une décision après un débat contradictoire. À ces garanties procédurales s’ajoute le fait que les mesures prises par le juge ne sont que provisoires : l’article 515-12 issu de la loi de 2010 prévoit une durée maximale de quatre mois. 

Les mesures qui peuvent être prises sont à la fois des obligations qui pèsent sur la partie défenderesse (interdiction de contact, interdiction de port d’arme) et l’ouverture de droits pour la personne demanderesse (éviction du conjoint violent, dissimulation du domicile, admission provisoire à l’aide juridictionnelle).

Le texte prévoyait initialement que « l’ordonnance de protection atteste des violences subies par la partie demanderesse ». Cette formulation étant vue comme trop définitive, le dispositif a été modifié lors de l’examen en première lecture au Sénat. Deux critères ont été introduits : le juge aux affaires familiales pouvait délivrer une ordonnance lorsqu’ « il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime est exposée ». Pour les sénateurs, cette rédaction impliquait bien que la décision du juge civil ne liait en rien la décision du juge pénal et ne constituait pas une reconnaissance de culpabilité. 

L’objectif du dispositif est d’offrir une protection à une personne victime de violences conjugales le temps qu’elle organise les modalités de la séparation.

II.   Un dispositif qui a évoluÉ mais qui doit être amélioré

Le mécanisme de l’ordonnance de protection est issu d’un texte d’origine parlementaire, qui fait lui-même suite à des travaux parlementaires. Il a été modifié à plusieurs reprises, par des textes d’origine parlementaire, pour améliorer son efficacité.

La loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille a procédé à plusieurs évolutions. Elle a notamment modifié l’article 515-11 du code civil pour encadrer les délais de délivrance de l’ordonnance. Dans son rapport, notre collègue Aurélien Pradié, auteur de la proposition de loi ([2]) constatait que le délai moyen entre la saisine et l’édiction de l’ordonnance s’établissait à 42 jours, une durée de nature à remettre en cause l’intérêt même de l’ordonnance de protection. L’article 4 de la loi prévoit donc que l’ordonnance de protection est délivrée « dans un délai maximal de six jours à compter de la fixation de la date de l’audience ».

L’article 515-10 du code civil a également été complété pour prévoir explicitement que l’existence d’une plainte pénale préalable n’est pas un préalable nécessaire à la délivrance de l’ordonnance de protection. Cet ajout fait suite au constat par le rapporteur que, dans certaines juridictions, le dépôt d’une plainte était vu comme un préalable nécessaire à la délivrance de l’ordonnance de protection.

Les députés ayant étudié la mise en application de la loi du 28 décembre 2019 ([3]), ont constaté que l’adoption de la loi avait « drastiquement accéléré la procédure », avec, un an après sa promulgation, des audiencements qui avaient majoritairement lieu dans un délai de six jours. 

La loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales a, quant à elle, réaffirmé le principe de l’éviction du conjoint violent, le juge devant motiver toute décision contraire. 

Le dispositif issu de ces évolutions est le suivant.

Le juge doit donc se prononcer dans un délai maximal de six jours à compter de la fixation de la date de l’audience, saisi soit par la personne qui allègue des faits de violence, soit par le ministère public (article 515-11 du code civil).

Le juge aux affaires familiales convoque une audience pour entendre les deux parties. La partie défenderesse et la partie demanderesse peuvent être entendues séparément (deuxième alinéa de l’article 515-10). Les éléments produits devant lui doivent être « contradictoirement débattus » (article 515-11).

Le dépôt d’une plainte pénale préalable n’est pas un pré requis pour la délivrance de l’ordonnance (premier alinéa de l’article 515-10). Le juge peut délivrer une ordonnance lorsqu’ « il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violences allégués et le danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés » (article 515-11). 

Le juge aux affaires familiales peut prendre les mesures suivantes lorsqu’il délivre l’ordonnance de protection, dont la liste est dressée à l’article 515-11 :

– interdiction de contact (1°) ;

– interdiction de paraître (1° bis) ;

– interdiction de détention ou de port d’arme (2°) ;

– remise des armes dont la partie défenderesse est détentrice (2° bis) ;

– prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique proposée à la partie défenderesse (2° ter) ;

– éviction du domicile du conjoint violent (3° et 4°) ;

– décision sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale (5°) ;

– dissimulation de la domiciliation de la partie demanderesse (6° et 6° bis) ;

– admission provisoire à l’aide juridictionnelle (7°).

Les mesures sont prises pour une durée maximale de six mois mais peuvent être prolongées dans certains cas (article 515-12).

Lorsqu’il prononce une interdiction de contact, le juge aux affaires familiales peut imposer à la partie défenderesse le port d’un bracelet anti-rapprochement (article 515-11-1).

Le juge aux affaires familiales qui délivre une ordonnance de protection en informe immédiatement le procureur (article 515-11).

Les statistiques montrent une progression du nombre d’ordonnances de protection demandées et des demandes acceptées, qui reste insuffisante.

Ainsi, si le nombre de décisions statuant sur une demande d’ordonnance de protection a progressé de 129 % depuis 2015, le nombre total d’ordonnances délivrées – 3 532 acceptées en 2021 - reste dérisoire au regard du nombre de victimes avérées chaque année.

Les demandes d’ordonnance de protection demeurent ainsi bien inférieures au nombre de victimes de violences commises par un partenaire ou ex-partenaire. Les services de sécurité ont ainsi enregistré en 2021 208 000 victimes de violences commises par leur partenaire ou ex-partenaires en 2021, soit une hausse de 21 % par rapport à 2020 ([4]).

Elles sont également très insuffisantes au regard des chiffres de l’année 2021 :

 122 femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint ;

 684 victimes ayant tenté de se suicider ou s’étant suicidé suite au harcèlement de leur (ex-)partenaire ;

 190 tentatives de féminicides.

La nécessité de favoriser encore la délivrance de l’ordonnance de protection est identifiée par le Gouvernement, qui a créé en 2020 le comité national de pilotage de l’ordonnance de protection (CNOP), présidé par Ernestine Ronai, présidente de l’observatoire des violences envers les femmes en Seine-Saint-Denis. L’objectif est de travailler à diffuser plus largement l’ordonnance de protection.  

Si l’outil est le bon pour assurer une première protection à la victime de violences conjugales, les critères qui encadrent sa délivrance pourraient être revus pour encore faciliter la protection des victimes. C’est l’objet des deux articles de la présente proposition de loi. 

 

 


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Examen de la proposition de loi

Article 1er
(art. 515-11 du code civil)
Modification des critères de délivrance de l’ordonnance de protection

Adopté par la commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 1er a pour objet de faciliter le travail du juge en considérant que lorsque la violence est appréciée comme vraisemblable par le juge, elle est constitutive d’un danger certes incertain mais dont la victime doit être protégée.  Le principe de précaution nécessite qu’une protection soit mise en œuvre dès lors que les violences se sont manifestées. Dès lors, l’article 1er retire la notion de danger car celle-ci est en réalité consubstantielle à la violence conjugale. Le juge aux affaires familiales pourra donc délivrer une ordonnance de protection dès lors qu’il estime que les faits de violence allégués sont vraisemblables et constitutifs d’un danger imprévisible dont la partie demanderesse doit être protégée. Par son caractère incertain, le danger ne peut pas être apprécié juridiquement.

       Dernières modifications intervenues

La loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille a fixé à six jours le délai maximal de délivrance de l’ordonnance de protection par le juge aux affaires familiales. Elle a modifié l’article 515-11 du code civil pour prévoir explicitement que la délivrance d’une ordonnance de protection n’est pas conditionnée au dépôt d’une plainte.

La loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales a réaffirmé le principe de l’éviction du conjoint violent. 

La loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure a modifié les modalités d’interdiction de détention et de port d’armes par le juge aux affaires familiales lorsqu’il délivre une ordonnance de protection.

1. L’état du droit

L’article 515-11 du code civil établit les critères pour que le juge aux affaires familiales puisse délivrer une ordonnance de protection et précise les mesures que celui-ci peut prendre lorsqu’il délivre l’ordonnance.

a.   Les critères définis par la loi

Cet article a été introduit par la loi du 9 juillet 2010. La rédaction proposée initialement par la proposition de loi ne comprenait pas de critères : ils ont été introduits lors de l’examen du texte au Sénat.

Son premier alinéa prévoit que le juge aux affaires familiales délivre une ordonnance de protection « s’il estime […] qu’il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés. ». Il s’articule avec l’article 515-9 du code civil, qui prévoit à la fois l’existence de violences et la mise en danger de la personne pour que le juge puisse délivrer une ordonnance de protection.

Deux critères sont donc identifiés par le législateur : la commission des faits de violence et l’existence d’un danger. La délivrance de l’ordonnance de protection étant un mécanisme civil, ces deux critères ne doivent pas être caractérisés pénalement mais être vraisemblables : le choix du terme « vraisemblables » témoigne de la volonté du législateur d’assouplir l’exigence probatoire pour délivrer une ordonnance qui vise non pas à sanctionner un auteur mais à protéger une victime. L’objectif affiché par le législateur était de ne pas lier l’éventuelle décision du juge pénal.

Cet assouplissement est contrebalancé par l’existence de deux critères distincts nécessaires pour que le juge fasse droit à la requête. 

Aucun des deux critères ne fait l’objet d’une définition juridique dans le titre concerné ([5]) : l’appréciation des critères relève donc de l’exercice du pouvoir souverain du juge, comme l’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 5 octobre 2016 ([6]). Les deux conditions doivent être remplies : la Cour de cassation a ainsi rappelé dans un arrêt du 13 février 2020 ([7]) que les deux conditions étaient cumulatives.

Pour accompagner les professionnels dans le développement de l’ordonnance de protection, la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) a mis en ligne un guide pratique de l’ordonnance de protection, régulièrement mis à jour. La version en ligne à la date d’écriture du présent rapport est à jour de novembre 2021. 

La fiche pratique sur l’évaluation par le magistrat de la notion de danger rappelle que « la violence “ vraisemblable ” constitue un danger en tant que tel » et souligne que « le danger s’apprécie au sens large et ne doit pas se limiter à la notion de “ danger actuel  ».

Celle à destination des juges aux affaires familiales précise également : « le danger peut être caractérisé malgré l’ancienneté des faits invoqués ou des éléments de preuve versés ».

La nécessité d’apporter ces précisions illustre la complexité générée par l’ajout de cette notion de danger, sans définition juridique précise

b.   L’appropriation des critères par les magistrats

L’appropriation par les magistrats des critères fixés par le législateur a donné lieu à plusieurs analyses, qui illustrent les difficultés que suscite l’interprétation de la notion de danger. 

L’existence de deux critères cumulatifs peut être un facteur de déconnexion entre la notion de violences et celle de danger. Cela conduit les magistrats à opérer une distinction entre les violences vraisemblables qui seraient sources de danger, et donneraient ainsi droit à une ordonnance de protection, et celles qui ne le seraient pas.

Les différentes études menées sur le sujet confirment cette déconnexion.

Un rapport de recherche portant sur l’usage et les conditions d’application dans les tribunaux français des mesures de protection des victimes de violences au sein du couple a ainsi été établi par la mission de recherche « Droit et Justice » de l’université de Strasbourg sous la direction de Solène Jouanneau, maîtresse de conférences en sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Strasbourg ([8]). La première partie du rapport porte sur l’ordonnance de protection avec trois volets : une analyse statistique des jugements rendus au fond en première instance en 2016, une enquête ethnographique dans trois tribunaux français et une analyse juridique des décisions des juges aux affaires familiales.

L’analyse statistique des décisions montre que les pièces judiciaires les plus fréquemment soumises par la partie demanderesse sont les plaintes, les mains courantes et les certificats médicaux rédigés par les médecins des unités médico-judiciaires. Ces pièces peuvent être accompagnées d’éléments non-judiciaires : attestations de témoins, certificats de médecins généralistes, documents pour prouver la réalité des insultes, des menaces ou du harcèlement.

Le rapport souligne l’absence de schéma probatoire unique : les combinaisons de preuve aboutissant à la délivrance de l’ordonnance sont très différentes d’une décision à une autre, tout comme la valeur probatoire d’une pièce. Dans leurs décisions comme dans leurs entretiens, selon les chercheurs, la vraisemblance se traduit pour les magistrats par la recherche d’un faisceau d’indices et un régime de la preuve moins contraignant qu’en matière pénale.

Le rapport analyse par ailleurs les liens entre configuration des violences alléguées – c’est-à-dire la dénonciation de plusieurs formes de violences ou non –, nombre d’éléments de preuve apportés et décision du juge. Il en tire trois constats ([9]) :

– plus les parties demanderesses fournissent d’éléments de preuve, plus le taux de reconnaissance des faits augmente ;

– le rendement des preuves varie en fonction de leur nature, mais aussi de la configuration des violences alléguées ;

– quelles que soient les violences dénoncées, la combinaison de preuves la plus efficace est celle d’une plainte et d’un certificat délivré par un médecin d’une unité médico-judiciaire (UMJ).

Parmi les éléments retenus par le juge pour caractériser le danger se trouvent le risque de réitération des violences, le caractère habituel des violences mais aussi l’existence d’une relation d’emprise entre la partie demanderesse et la partie défenderesse.

Les décisions analysées dans le cadre du rapport montrent que le critère du danger est interprété comme étant relativement autonome de celui des violences : le fait que le juge ait constaté la vraisemblance des violences n’entraîne en rien une reconnaissance automatique de danger. Il y a bien une appréhension autonome de la notion de danger. À ceci s’ajoute le risque d’une appréciation différente d’une situation similaire selon les juridictions, en l’absence de définition juridique précise du principe de danger.  

Si l’étude date de 2016, ses principales conclusions sont confirmées par une étude plus récente, réalisée dans le cadre du comité national de l’ordonnance de protection et portant sur des décisions de l’ordonnance de protection rendues en 2019 et 2020 ([10]).

c.   « Toutes les violences participent à mettre en danger celles qui les subissent » : le critère des violences vraisemblables doit seul emporter la conviction des magistrats, car il comprend déjà la notion de danger

Cette étude a été réalisée en 2021 par Christine Rostand, magistrate honoraire membre du comité national de l’ordonnance de protection, à partir des ordonnances de protection délivrées par les juges aux affaires familiales de cinq tribunaux judiciaires et une cour d’appel. L’analyse a porté plus précisément sur les éléments de preuve apportés au dossier et les motivations de rejet ou d’acceptation de la requête. Ses conclusions confirment celles du rapport de 2019.

Les critères prépondérants retenus par le juge pour attester de la vraisemblance des violences sont une plainte récente et un certificat médical concomitant, qui précède ou confirme les déclarations faites aux forces de l’ordre. Pour caractériser le danger, c’est le risque de réitération des violences qui est très souvent retenu par le juge, constat qui rejoint celui posé par le rapport de 2019. 

Les dossiers dans lesquels la vraisemblance des violences est admise mais où l’existence d’un danger n’est pas établie font l’objet d’un rejet. Parmi les motifs invoqués pour rejeter la requête se trouvent :

– l’ancienneté des faits de violence ;

– le placement du défendeur sous contrôle judiciaire ;

– l’absence d’incident depuis la séparation ou le dépôt de plainte.

L’appréciation par les juges reste cependant très liée au contexte : ainsi, la séparation ou le placement sous contrôle judiciaire peuvent être considérés comme insuffisants au regard de la situation particulière de la partie demanderesse pour exclure toute notion de danger.

L’étude conclut ainsi que « l’appréciation des violences vraisemblables ne pose pas de difficulté alors que l’appréciation du danger auquel est exposée la victime du fait de ces violences est moins compréhensible » ([11]).

Ces études montrent une appropriation hétérogène du critère de danger établi par le législateur, qui entraîne une hiérarchisation des violences par les juges et une déconnexion entre « violences » et « danger ».

Pour Solène Jouanneau, le fait de considérer le danger comme un critère complètement distinct va à l’encontre du constat fait par les associations selon lequel « toutes les violences participent à mettre en danger celles qui les subissent ». Il n’existe pas de violences isolées mais bien un continuum de violences.

Selon elle, « l’appropriation de ce critère [celui de danger] par les magistrats repose à l’inverse sur des opérations de catégorisations des violences qui, bien souvent, s’apparentent à des opérations de hiérarchisation de leur gravité supposée. […] Cette position conduit les magistrats de la famille, dossier après dossier, à déterminer la frontière entre, d’une part, des formes de violences entre conjoints qui, sans être moralement acceptables, seraient néanmoins socialement inévitables et juridiquement tolérables et, d’autre part, des violences qui, elles, seraient suffisamment “ graves ” et “ dangereuses ” pour mériter l’attention et l’intervention de la justice familiale ». ([12])  

La volonté d’éviter cette hiérarchisation justifie la modification proposée par l’article 1er de la présente proposition de loi.

2.   Le dispositif proposé

Le présent article confirme la prééminence qui doit être donnée à la commission de faits de violences pour délivrer une ordonnance de protection. 

Cette suppression de la notion de danger est une préconisation issue du rapport d’activité du comité national de l’ordonnance de protection 2020-2021, remis en juin 2021 à la directrice de cabinet du garde des Sceaux. Le comité déduit de l’étude réalisée par Christine Rostand et évoquée supra que la notion de danger « complexifie la décision à rendre par le juge » et considère donc qu’elle doit être retirée pour ne conserver que le critère des violences vraisemblables.

Le danger doit être présumé dès lors que la vraisemblance des violences a été établie. Il faut faire de l’ordonnance de protection un principe de précaution : protéger, c’est anticiper le risque. L’existence même d’une violence justifie la protection. 

La délivrance de l’ordonnance de protection deviendrait ainsi conditionnée à la reconnaissance par le juge aux affaires familiales de la vraisemblance des faits de violence allégués par la partie demanderesse. 

3.   La position de la commission

La commission a adopté un amendement proposé par M. Mendes (Renaissance) après un avis de sagesse de la rapporteure. Il précise le critère des violences vraisemblables en ajoutant que celles-ci doivent exposer la victime ou les enfants à un potentiel danger. La commission a adopté l’article 1er ainsi modifié.

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Article 2
(art. 515-12 du code civil)
Extension du délai maximal de délivrance de l’ordonnance de protection

Adopté par la commission avec modifications

1. L’état du droit

L’article 515-12 du code civil instaure un délai maximal pour les mesures prononcées par le juge aux affaires familiales lorsqu’il délivre une ordonnance de protection.

Ce délai est fixé à six mois à compter de la notification de l’ordonnance. Les mesures prises par le juge peuvent faire l’objet d’une prolongation par le juge si, pendant ce délai de six mois, une demande en divorce ou en séparation de corps a été déposée, ou si le juge a été saisi d’une demande relative à l’exercice de l’autorité parentale.

2. Le dispositif proposé

L’article 2 prévoit d’étendre le délai maximal en le portant à douze mois. L’objectif est que le juge puisse, lorsqu’il estime que c’est nécessaire, prendre des mesures de protection de la victime pendant une durée qui pourra aller jusqu’à un an. Cela évite de devoir revenir devant le juge. Cet allongement des délais, demandé par les magistrats, est de nature à améliorer la protection des victimes en leur laissant plus de temps pour organiser la séparation avec un conjoint violent, et à simplifier le travail des magistrats. 

3.   La position de la commission

La commission a adopté un amendement rédactionnel de la rapporteure qui supprimait l’alinéa 2 du présent article : cet alinéa modifiait le code de procédure civile, qui est entièrement du niveau réglementaire et dont la modification ne relève donc pas de la loi. La commission a ensuite adopté l’article 2 ainsi modifié. Le délai pour les mesures prises par le juge aux affaires familiales lorsqu’il délivre une ordonnance de protection est ainsi porté à douze mois.

 

 

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   examen en commission

 

Lors de sa réunion du mercredi 1er février 2023, la Commission examine, selon la procédure de législation en commission, la proposition de loi visant à renforcer l’ordonnance de protection (n° 661) (Mme Cécile Untermaier, rapporteure).

Lien vidéo : https://assnat.fr/lkng0v

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. L’examen de cette proposition de loi selon la procédure de législation en commission (Plec) contraignant un peu l’exercice, nous avons souhaité nous limiter aux deux articles dont nous avons proposé la modification.

Pour mémoire, l’ordonnance de protection est une procédure d’urgence pour les situations de violences conjugales, par laquelle le juge aux affaires familiales (JAF) prend toute une série de mesures dans un délai très court – interdiction de contact, de paraître, de porter ou de détenir une arme, mais aussi possibilité, pour la partie demanderesse, de dissimuler sa domiciliation. Le juge peut également statuer sur les modalités de l’exercice de l’autorité parentale et prononcer l’éviction forcée du conjoint violent.

Dans la panoplie judiciaire, c’est la première étape à franchir pour une victime qui souhaite se séparer d’un partenaire violent ou se protéger d’un ancien partenaire violent. Ces mesures doivent lui permettre d’organiser au mieux cette séparation tout en étant protégée.

Cette ordonnance est un bel outil, qui est cependant loin de donner entière satisfaction. Le nombre de demandes accordées a certes augmenté de 129 % entre 2015 et 2021, mais il partait de si bas que cela reste insuffisant. En valeur absolue, il est dérisoire : en 2021, 3 852 demandes d’ordonnances de protection ont été acceptées quand 208 000 personnes se sont déclarées victimes de violences de la part d’un partenaire ou d’un ex-partenaire. En comparaison avec la situation en Espagne, il l’est tout autant : 25 289 ordonnances de protection y ont été délivrées en 2020. Mais il l’est encore plus au regard des autres chiffres de l’année 2021 : 122 femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint ; 684 suicides ou tentatives de suicides de femmes à la suite du harcèlement de leur partenaire ou ex-partenaire ; 190 tentatives de féminicides.

Pour reprendre les mots d’Ernestine Ronai, présidente de l’observatoire des violences faites aux femmes en Seine-Saint-Denis, ce n’est pas une femme qui meurt sous les coups tous les trois jours, mais trois victimes qui, tous les jours, sont aux portes de la mort ou la franchissent. C’est ce constat qui m’a conduite à déposer cette proposition de loi qui modifie, un peu, les conditions de délivrance de l’ordonnance de protection ou plutôt qui facilite le travail du juge et l’éclaire sur l’appréciation qu’il doit porter sur ces violences.

L’article 1er reprend une préconisation du Comité national de l’ordonnance de protection (Cnop).

Ce comité a été instauré en 2020 par la ministre de la justice Nicole Belloubet, pour augmenter le nombre d’ordonnances de protection demandées et celui des ordonnances délivrées, et pour identifier les difficultés et les obstacles expliquant la faiblesse du nombre d’ordonnances de protection. Ernestine Ronai, très engagée sur ces sujets, en est également la présidente. En particulier, le comité a fait le suivi de la disposition prévoyant le raccourcissement de quarante-deux jours à six du délai de délivrance introduit en 2019 par la loi Pradié.

Dans son premier rapport d’activité publié en juin 2021, le Cnop a fait parmi d’autres recommandations celle de retirer de la loi la notion de danger. L’article 515-11 du code civil prévoit en effet que le juge aux affaires familiales délivre une ordonnance de protection « s’il estime […] qu’il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés ». Or, une étude menée par une magistrate honoraire membre du Cnop montre que la notion de danger complexifie la décision à rendre par les juges. Elle les conduit à hiérarchiser les violences, en distinguant celles qui sont sources de danger de celles qui ne le sont pas, notamment en s’appuyant sur la fréquence et l’ancienneté des violences. Mais c’est là une mission impossible, puisque le danger est par définition imprévisible et que l’objet de l’ordonnance de protection est la prévention d’un risque.

Peut-on envisager des violences, portées devant le juge en débat contradictoire, qui puissent ne pas laisser penser qu’il existe un danger imprévisible pour la victime ? Toutes les violences mettent en danger les personnes qui les subissent ; toutes les victimes de violences méritent d’être protégées, dès lors qu’elles en font la demande au juge et que ces violences sont vraisemblables.

Aucune violence n’est anodine ; toute violence subie mérite une protection. Ce message doit être martelé par le législateur, pour donner confiance aux victimes, pour les inciter à saisir le juge. C’est ce que disent le Cnop et sa présidente, c’est ce que dit M. Édouard Durand, magistrat qui a notamment travaillé dans le cadre de la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise). Cette conviction est étayée par le guide pratique de l’ordonnance de protection, publié par la direction des affaires civiles et du sceau (Dacs) à destination des magistrats, qui précise bien : « la violence “vraisemblable” constitue un danger en tant que tel ». Ce n’est pas le danger, mais la violence qui doit être vraisemblable ; le danger est constitutif de cette violence.

J’ai longuement échangé avec Ernestine Ronai et je suis convaincue du bien-fondé de cette préconisation. C’est pourquoi, considérant que la notion de danger est inhérente à la reconnaissance de violences vraisemblables portées devant le juge, je prévois, à l’article 1er, de la retirer de l’article 515-11 du code civil.

Par une décision du 16 septembre 2021, la Cour de cassation n’a pas procédé au renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité, qui invoquait l’atteinte au principe de la présomption d’innocence faite par l’ordonnance de protection. Elle a considéré que la question ne présentait pas de caractère sérieux, car les mesures prises par le juge reposaient, non sur la culpabilité, mais sur la potentielle dangerosité de la partie défenderesse. Je considère que la procédure apporte des garanties suffisantes à la partie défenderesse – décision d’un juge après un débat contradictoire, mesures provisoires – et que, même en l’absence de la mention explicite de danger, le juge ne se prononce pas sur une culpabilité, mais sur un risque potentiel. C’est une ordonnance de protection, donc de prévention, et non pas une sanction.

L’objectif de l’article 1er est donc de lever un obstacle à la délivrance de l’ordonnance de protection, identifié comme tel par le Cnop et les associations, et qui complique le travail des magistrats.

Cet article 1er est complété par l’article 2, qui modifie la durée maximale, de six mois, des mesures prises dans le cadre d’une ordonnance. Or six mois, c’est très court pour organiser une séparation et repartir sur de nouvelles bases. L’article 2, qui reprend une proposition faite au Sénat par la ministre Laurence Rossignol, allonge ce délai à un an. Ainsi, le juge disposera d’une plus grande marge de manœuvre et pourra, s’il l’estime nécessaire, prendre des mesures pour une année entière. Mon propos est de faciliter l’office du juge.

Ce texte s’inscrit dans la lignée des propositions de loi précédentes. Je veux notamment saluer le travail d’Aurélien Pradié, à l’origine, en 2019, d’une loi accomplissant de grandes avancées en matière d’ordonnance de protection : réduction du délai de délivrance à six jours ; suppression explicite du prérequis de dépôt d’une plainte préalable pour obtenir la délivrance. La loi du 20 juillet 2020, défendue par Guillaume Gouffier-Valente, a également permis des avancées, notamment en matière de levée du secret médical pour les victimes de violences conjugales et de reconnaissance du suicide forcé comme une circonstance aggravante.

En aucun cas je ne souhaite que le législateur force la main du juge ; il doit le guider. À travers ce débat, nous devons convaincre les magistrats de la nécessité de délivrer les ordonnances de protection, très souvent demandées par des femmes victimes de violence, tout en les assurant de notre confiance pour apprécier la situation et prendre les mesures adaptées.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Ludovic Mendes (RE). Notre assemblée, et singulièrement la commission des lois, a déjà contribué aux avancées en matière de protection des victimes de violences conjugales et intrafamiliales. Je pense notamment aux textes adoptés dans le contexte du Grenelle des violences conjugales, en 2019 et en 2020, à l’initiative de notre collègue Aurélien Pradié et de notre groupe. Ou encore, plus récemment, à la proposition de loi créant une aide universelle d’urgence, adoptée à l’occasion du nouveau temps transpartisan. Je remercie Cécile Untermaier de présenter, en cohérence avec ces travaux, cette proposition de loi visant à renforcer l’ordonnance de protection.

Depuis son introduction dans notre arsenal juridique, en 2010, l’ordonnance de protection a connu une nette montée en puissance à partir de 2017, sous l’impulsion du législateur et du Gouvernement. Nous avons décorrélé explicitement la délivrance de l’ordonnance de protection et le dépôt de plainte ; fixé un délai de délivrance de six jours au lieu des quarante-deux habituellement constatés ; complété et renforcé les mesures que le JAF peut prononcer dans le cadre de l’ordonnance de protection ; introduit une obligation pour le juge de recueillir les observations des parties sur chacune des mesures disponibles, afin que de nouvelles demandes puissent émerger.

En somme, nous avons substantiellement renforcé cet outil, indispensable pour répondre à l’urgence de la situation. Le rapport d’évaluation de nos collègues Guillaume Vuilletet et Aurélien Pradié est, à cet égard, éclairant, comme le sont les chiffres. Alors que les analyses de 2019 mettaient en lumière un recours insuffisant à l’ordonnance de protection, le nombre de demandes a augmenté de 73,4 % entre 2018 et 2021. Le taux d’acceptation est passé de 61,8 à 66,7 %, indiquant une hausse importante du nombre d’ordonnances de protection délivrées. Cette dynamique doit être encore renforcée, comme le recommande le Cnop.

La proposition de loi que nous examinons comporte deux articles, dont nous partageons les motivations. S’agissant du second, nous souscrivons au doublement de la durée maximale de protection ; il est de nature à assouplir le dispositif et à alléger la charge de travail des JAF.

Pour ce qui est du premier, nous comprenons la démarche motivant la suppression de la notion de « danger » des conditions de délivrance des ordonnances de protection, et en partageons l’objectif. Les moyens d’y parvenir soulèvent néanmoins, selon nous, un point de vigilance important.

D’abord, nous craignons que le maintien de la seule condition des « violences vraisemblables » ne favorise des effets de bord préjudiciables aux victimes, voire à leurs enfants, par une instrumentalisation de la procédure par le conjoint habituellement violent. Nous ne pouvons prendre ce risque au regard des mesures susceptibles d’être prises dans le cadre de l’ordonnance de protection, en matière d’interdiction de paraître ou d’exercice de l’autorité parentale, par exemple.

Ensuite, nous redoutons une fragilisation juridique, très préjudiciable, du dispositif. En matière civile, tout l’enjeu est de préserver l’équilibre entre la protection des victimes et l’atteinte portée aux libertés individuelles par les mesures prises par le juge civil – des mesures qui reposent sur des faits vraisemblables et non sur une condamnation pénale.

À cet égard, depuis la préconisation formulée par le Cnop, la Cour de cassation a rendu un arrêt reconnaissant la conformité de l’ordonnance de protection au principe de présomption d’innocence par le fait que les mesures prises par le JAF se fondent sur la potentielle dangerosité appréciée à la date de la décision. Le danger constitue donc un élément fort de la constitutionnalité de l’ordonnance de protection.

C’est pourquoi nous proposerons une modification de l’article 1er, qui apportera une nette amélioration par rapport au sens littéral du droit en vigueur, selon lequel le danger et la violence constituent aujourd’hui deux critères séparés. Nous constatons que notre préoccupation est partagée par certains de nos collègues, des groupes Horizons et GDR notamment.

Espérant que cette réserve sera levée, le groupe Renaissance soutiendra avec conviction la proposition de loi.

M. Emmanuel Taché de la Pagerie (RN). Face à la subsistance et à la recrudescence des violences conjugales et intrafamiliales, de nombreux dispositifs légaux ont été développés ces dernières années pour protéger les victimes. L’ordonnance de protection, introduite par la loi du 9 juillet 2010, relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, en fait partie.

Délivrée par le juge aux affaires familiales, l’ordonnance de protection permet de prendre, dans des délais très brefs, des mesures de nature à éviter le renouvellement ou la commission de violences dans le cadre familial – l’interdiction d’entrer en relation avec la victime, de se rendre dans certains lieux, de porter une arme, entre autres.

Cette ordonnance de protection est sous-utilisée, comme le remarque le Comité national de l’ordonnance de protection, créé en juin 2020, ce qui rend l’objectif de ce texte parfaitement opportun.

L’article 1er supprime comme condition de délivrance d’une ordonnance de protection le critère de vraisemblance du danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés, pour ne conserver que celui de la vraisemblance de la commission de faits de violences allégués. Si nous partageons l’esprit de cet article, nous pensons que rédigé ainsi, il crée une insécurité juridique. Dans la mesure où la condition de vraisemblance de la commission des faits de violence allégués n’est pas assortie d’indications relatives à la temporalité de ces faits, il serait possible qu’une ordonnance de protection soit sollicitée au titre de faits de violence anciens, non réitérés et ne présentant plus de danger pour le conjoint ou l’enfant. Il serait probablement nécessaire de se référer à la jurisprudence pour combler ce vide juridique. Nous défendrons un amendement qui permettrait d’améliorer le dispositif sans altérer l’esprit de l’article.

L’article 2 allonge la durée maximale de l’ordonnance de protection de six à douze mois. La durée de six mois est en effet jugée insuffisante au regard de celle des procédures au fond devant le juge des affaires familiales. Les demandes de renouvellement de l’ordonnance de protection impliquent des démarches lourdes pour la victime et le système judiciaire. Nous sommes donc parfaitement disposés à voter cet article en l’état.

Sans conditionner notre vote à l’adoption de notre amendement – même si nous l’espérons –, le groupe Rassemblement national se prononcera favorablement sur cette proposition de loi, qui apporte une solution opérationnelle supplémentaire.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). L’ordonnance de protection, consacrée à l’article 515-11 du code civil et dont ce texte propose de revoir le régime, avait déjà été renforcée par une loi de 2019 supprimant le dépôt de plainte préalable et instaurant un délai maximal de six jours, à compter de la date d’audience, pour statuer sur sa délivrance. C’est en continuité de ce renforcement que vous proposez d’en alléger les conditions de délivrance, en supprimant de l’article 515-11 la notion de danger, qui serait intrinsèque aux violences vraisemblablement commises.

Vous proposez également d’allonger la durée maximale de l’ordonnance de protection de six à douze mois. À ce jour, deux situations seulement permettent un allongement : le divorce ou la séparation de corps intervenus pendant le délai de l’ordonnance de protection ; la saisine du juge aux affaires familiales d’une demande relative à l’exercice de l’autorité parentale. Il s’agirait donc d’apporter de la souplesse, étant entendu que le juge garderait la possibilité de fixer une durée inférieure s’il le jugeait utile. La durée de six mois s’avère trop courte ; il en résulte de nombreuses demandes de renouvellement, qui engendrent de nouvelles démarches et contribuent à l’engorgement du système judiciaire.

Il y a bien de la pertinence à renforcer l’ordonnance de protection et à en étendre la durée, puisque c’est un outil que nous souhaitons développer pour lutter contre les violences conjugales et intrafamiliales. Nous souhaitons ainsi faciliter son accès et en améliorer l’information auprès des victimes. Cette information n’a rien d’un détail et l’enjeu en est réel au regard des 147 femmes tuées en 2022, dont 2 seulement bénéficiaient d’une ordonnance de protection.

Parallèlement à la mise en place d’un tel type d’outil juridique, un grand plan de lutte contre ces violences doit être déployé, en matière d’accompagnement des victimes mais aussi et surtout de prévention. Il s’agit d’enrayer le système à l’origine de ces comportements déviants, purs produits du patriarcat historique et de la domination masculine qui en découle. Le groupe LFI déposera deux amendements en ce sens. L’un tendra à raccourcir le délai de délivrance des ordonnances de six jours à deux, ce qui suppose davantage de moyens matériels et financiers. L’autre, consistera à s’assurer que les auteurs de violences ne sont pas en possession d’une arme à feu pendant le délai de protection.

Notre groupe soutiendra le texte et l’accompagnera de ces deux amendements, qui ont vocation à renforcer encore la protection des victimes de violences intrafamiliales.

M. Aurélien Pradié (LR). Merci, madame la rapporteure, pour votre travail constant sur ces sujets. Il est assez facile de s’entendre sur des outils destinés à lever l’exercice de l’autorité parentale et à condamner les auteurs de violence dès lors que les faits sont avérés. Mais le fond du problème est de prévenir ces faits, et là, l’affaire devient plus difficile.

Dans notre pays, le dispositif le plus stratégique dont nous disposons pour protéger les victimes avant que la décision de justice soit rendue, c’est l’ordonnance de protection. Nous le renforçons de manière continue depuis plusieurs années. Nous l’avons fait en facilitant les conditions d’accès, notamment en rappelant dans la loi de décembre 2019 qu’il n’était pas nécessaire de déposer une plainte pour accéder à l’ordonnance de protection, et en diffusant auprès du grand public l’information que l’ordonnance de protection était ce qu’il y avait de plus facile à obtenir pour toutes les femmes en danger.

Avant cette loi de 2019, il fallait en moyenne quarante-deux jours pour délivrer une ordonnance de protection. Les avocats eux-mêmes n’en sollicitaient pas, car ce délai ne répondait pas à une situation d’urgence. La loi l’a réduit à six jours et on sait qu’il est respecté désormais. Cela explique que de plus en plus d’ordonnances de protection sont demandées et délivrées.

L’ordonnance de protection se décline en plusieurs niveaux. Elle peut aller de l’interdiction faite aux auteurs de violences d’approcher de leurs victimes présumées à la suspension de l’exercice de l’autorité parentale, en passant par la privation du port d’arme ou l’extraction de l’auteur présumé du logement. Il faut s’assurer que toute la palette des outils est utilisée.

En supprimant le verrou que constitue la notion de danger et en allongeant la période de protection, la PPL va dans le bon sens et c’est la raison pour laquelle notre groupe la soutiendra sans réserve.

J’appelle cependant votre attention sur un problème toujours pendant, lié au fait que la délivrance de l’ordonnance de protection est confiée à un juge civil. Ainsi, la pose d’un bracelet antirapprochement, essentielle pour que l’auteur de violences ne passe pas à l’acte, ne peut être décidée qu’avec l’accord de cette personne. Nous avons travaillé sur la création de juridictions spécialisées dans le but que le magistrat puisse disposer à la fois de la matière civile et de la matière pénale. Cette question n’est toujours pas tranchée et, quels que soient nos efforts pour renforcer l’ordonnance de protection, il faudra bien, un jour, renforcer également les pouvoirs du magistrat qui la délivre.

Mme Mathilde Desjonquères (Dem). La question des violences intrafamiliales nous préoccupe tous, sans distinction, au sein de notre commission. En tant que législateurs, il est impératif que nous puissions garantir aux victimes qu’elles seront entendues, mais aussi protégées contre toute atteinte à leur intégrité physique ou psychique.

En 2022, 124 femmes ont été tuées, contre 122 en 2021 et 102 en 2020. Le confinement a agi comme un révélateur des violences conjugales, en les aggravant parfois. Cet accroissement alarmant doit nous interroger quant à notre capacité à donner les moyens, humains et juridiques, pour assurer la préservation des intérêts des victimes.

Quel est l’état de l’arsenal juridique en France ? Notre législation ne cesse d’évoluer, pour améliorer la prévention et la répression, en s’appuyant sur des études et sur le travail des associations, qui sont en prise directe avec la réalité. Ainsi, après le cinquième plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes, à l’automne 2019, le Gouvernement a organisé le premier Grenelle contre les violences conjugales sur la base d’un constat : en France, une femme meurt tous les deux jours sous les coups de son conjoint ou de son ex-conjoint. La majorité a déployé une stratégie de lutte contre les violences conjugales, afin de prévenir les violences, de protéger les victimes et leurs enfants et de mettre en place un suivi et une prise en charge des auteurs de violence, pour éviter la récidive.

Selon les mots d’Ernestine Ronai, « l’ordonnance de protection est la première marche de protection pour les femmes victimes, car elle peut être déposée sans plainte. Il est important de préciser qu’elle n’a pas pour objet la condamnation de l’auteur, mais la protection de la victime. Il s’agit d’appliquer le principe de précaution. » Je crois comprendre, madame la rapporteure, que vous souhaitez faire primer ce principe, et lui seul. Notre groupe partage ce dessein.

Renforcée en 2020, cette mesure d’urgence qu’est l’ordonnance de protection peut être délivrée par le juge aux affaires familiales à une double condition : qu’il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblable la commission de faits de violence allégués ; qu’il existe un danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés. Or de nombreux sachants, en particulier au sein du Cnop, dénoncent cette formulation qui complexifierait le travail du juge et limiterait la délivrance d’ordonnances de protection. Depuis bientôt deux ans, la suppression de la référence au danger est ainsi préconisée.

En effet, l’appréciation du danger séparément des faits de violence allégués donne lieu à de nombreuses décisions de rejet. Cette séparation et l’absence de réitération de faits de violence sont considérées comme caractérisant l’absence de danger. Les violences physiques, la plainte récente et le certificat médical concomitant, qui confirme ou précède les déclarations faites au commissariat, sont les critères prépondérants retenus par le juge.

Dans ces conditions et au regard de l’urgence, donnons au juge les moyens juridiques de délivrer cette mesure, en restant vigilants aux éventuels effets de bord qu’une suppression sèche pourrait induire, qu’ils soient liés à des questions de constitutionnalité ou de praticité, voire de dévoiement des procédures ou de la mesure.

Notre groupe accompagnera toute démarche tendant à la préservation des intérêts des victimes et covictimes de violence conjugales.

M. Hervé Saulignac (SOC). Chers collègues, vous connaissez la position du Groupe socialistes et apparentés sur la proposition de loi de notre collègue Cécile Untermaier.

Un jour sur deux ou presque, la presse fait état d’un nouveau féminicide. Ce décompte macabre et insupportable ne doit pas être une fatalité. Pourtant, parmi les 146 femmes tuées en 2019, seules 2 bénéficiaient d’une ordonnance de protection. Dans la majorité des cas ou presque, la victime avait déjà subi des violences et 63 % d’entre elles les avaient signalées aux forces de l’ordre.

Malgré les lois qui se succèdent, les résultats sont mauvais. La comparaison avec nos voisins fait mal : l’Espagne délivre ainsi dix-sept fois plus d’ordonnances de protection que la France, soit plus de 28 000 contre 1 600 environ, en 2018. Force est de constater que ce choix a porté ses fruits : en Espagne, la proportion des victimes tuées par leur conjoint, qui avaient précédemment porté plainte contre leur agresseur, est passée de 75 % en 2009 à 20 % en 2019.

Le risque de violence après la séparation augmente : dès 2003, il a été démontré que c’est à ce moment-là que les violences commençaient pour 17 % des femmes Et pour celles qui ont eu des enfants avec l’ex-conjoint violent, neuf sur dix subissent des agressions verbales ou physiques.

Comme le rappelle le juge Édouard Durand, de la Ciivise, protéger, c’est anticiper le risque. C’est l’objet de l’ordonnance de protection. Cette proposition de loi vise donc à mieux protéger les victimes de violences conjugales, en favorisant la délivrance de ces ordonnances, pour une durée plus longue.

Le critère de double conditionnalité est souvent dénoncé comme trop contraignant et, surtout, de nature à nourrir l’idée qu’il existe une violence sans danger. Cette appréciation du danger consécutif à des violences alléguées entraîne souvent des rejets de demandes et des interprétations complexes pour le juge, qui finissent par limiter l’octroi d’ordonnances de protection. Nous estimons que le danger est, en quelque sorte, consubstantiel aux violences. Dès que des actes de violence sont allégués, le danger est probable, sans qu’il soit nécessaire de le démontrer. Distinguer violence avec danger et violence sans danger revient à les hiérarchiser et à minimiser le risque.

J’entends celles et ceux qui craignent une instrumentalisation de l’ordonnance de protection. Gageons qu’il vaut mieux un peu trop protéger que de ne pas protéger du tout. Nous sommes loin, très loin, de courir le risque de délivrance d’ordonnances à la chaîne. Du reste, comme le dispose l’article 515-11 du code civil, l’ordonnance de protection est délivrée à l’issue d’un débat contradictoire.

Nous souhaitons donc revenir sur cette double conditionnalité en supprimant la notion de danger, pour que l’ordonnance de protection soit délivrée dès lors qu’il y a des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblable la commission de faits de violence allégués.

Enfin, nous proposons de faire passer la durée de protection de six à douze mois, pour mieux protéger dans le temps.

M. Philippe Pradal (HOR). La proposition de loi assouplit le régime de délivrance de l’ordonnance de protection. Elle supprime la condition de danger. S’il existe des raisons de considérer comme vraisemblable la commission de faits de violence allégués à l’encontre de la victime ou un ou plusieurs enfants, cela pourrait suffire au juge pour délivrer une ordonnance de protection. Elle propose également d’allonger la durée maximale de délivrance de six mois à douze, sans remettre en cause la possibilité pour le juge de fixer une durée inférieure.

L’objectif du texte est louable et nous le partageons : renforcer les outils judiciaires en faveur de la protection des victimes, des femmes en particulier. Il ne faut jamais oublier que 147 femmes ont été tuées par leur partenaire ou ex-partenaire en 2022.

La lutte contre les violences faites aux femmes est la grande cause de l’actuel quinquennat et du précédent, et de nombreuses mesures ont permis des avancées majeures en matière de protection des femmes, dans le cadre familial notamment. Parmi celles-ci figurent la suppression du dépôt de plainte comme préalable à la délivrance d’une ordonnance de protection ; le délai maximal de six jours à compter de la date d’audience pour statuer sur sa délivrance ; le déploiement du bracelet antirapprochement ; l’attribution d’un téléphone grave danger (TGD) à la victime ; l’accompagnement à l’accès au logement ou, encore, la suspension du droit de visite et d’hébergement des enfants mineurs pour le parent violent.

L’ordonnance de protection est un outil judiciaire central dans la politique de protection des victimes. La dernière étude statistique relative à l’ordonnance de protection réalisée par le ministère de la justice permet ainsi d’établir que les demandes d’exercice exclusif de l’autorité parentale sont acceptées huit fois sur dix. De même, les demandes de fixation de la résidence des enfants chez la partie protégée sont acceptées dans près de 90 % des cas. Ces chiffres démontrent une efficacité incontestable.

Il faut que le plus grand nombre de victimes puissent bénéficier de cet outil. C’est la raison pour laquelle nous sommes favorables à un assouplissement des conditions de délivrance de l’ordonnance de protection.

Cependant, la pure et simple suppression de la condition de danger nous préoccupe, car elle est de nature à créer un risque quant à la constitutionnalité du dispositif. L’équilibre entre le principe de précaution nécessaire pour protéger les victimes et l’atteinte portée aux principes fondamentaux, tels que la présomption d’innocence ou la liberté d’aller et venir, repose bien sur cette condition de dangerosité et de limitation dans le temps et l’espace.

Néanmoins, nous sommes conscients que cette condition de danger, telle qu’elle est rédigée actuellement, peut être insatisfaisante dans sa mise en œuvre. Nous appelons donc de nos vœux une discussion entre Mme la rapporteure et les autres groupes parlementaires. C’est le sens de l’amendement d’appel que nous avons déposé.

Convaincu de la nécessité de protéger au mieux les victimes, le groupe Horizons et apparentés votera en faveur de cette proposition de loi.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Je rejoins mes collègues sur le constat et sur la nécessité d’agir vite. Beaucoup de chiffres ont été cités, qui sont autant de vies brisées. Ce sont ces chiffres que nous avons le devoir, en tant que législateurs, de réduire jusqu’à leur disparition.

Les violences intrafamiliales, sexuelles et sexistes sont des sujets majeurs. Ils nécessitent des politiques publiques d’ampleur, ambitieuses. Certes, il y a eu des avancées, mais pour ce qui est de l’ambition, nous en sommes encore loin. Je parle d’ambition sur le fond, mais aussi sur les fonds. Il faudrait au minimum consacrer 1 % du PIB à cette question pour ne pas avoir à agir après coup, à travers la justice. Il faut se doter de la capacité d’anticiper pour faire en sorte que, dans cette société, les femmes ne soient pas en danger dès lors que certains hommes sont à proximité.

La justice est le parent pauvre et c’est la raison pour laquelle elle peine face à la recrudescence des cas, des plaintes et de la violence. Ailleurs, en Belgique ou en Espagne, les moyens et l’ambition existent. C’est assez simple : quand on donne des moyens, les résultats suivent et la société peut avancer.

Cette proposition de loi est juste un outil supplémentaire au service de la justice, mais elle permettrait de sauver des vies. C’est pour cela qu’elle est importante. Chaque année, trop de femmes meurent, alors qu’elles ont entamé des démarches, qu’elles ont porté plainte. La société ne parvient pas à les protéger parce qu’elle laisse des hommes dangereux dehors, parce qu’elle les laisse approcher des femmes. Elle met en danger ces femmes, mais aussi toute la société. C’est pour cela qu’il est important d’agir. Il s’agit de savoir quelle démocratie nous voulons.

Outiller la justice comme le propose ce texte est urgent et utile. Nous proposerons de le compléter et de le muscler un peu, avec deux petits amendements.

En tout cas, le groupe Écologiste votera pour ce texte.

Mme Béatrice Descamps (LIOT). Les attentes des victimes sont nombreuses et il n’est pas simple de réviser un des principaux dispositifs de protection judiciaire des femmes victimes de violences conjugales. Notre groupe soutient la démarche dans laquelle s’inscrit cette proposition, alors que les violences intrafamiliales ne cessent de progresser. La honte doit changer de camp. Notre système judiciaire se doit d’être réactif et d’accompagner au mieux ces femmes victimes de violences, commises par le mari, le concubin ou l’ex-partenaire.

L’ordonnance de protection, calibrée spécifiquement pour les femmes victimes de violences, a démontré toute son utilité. Elle permet d’intervenir avant toute condamnation, pour assurer la protection de la victime. Le dispositif reste cependant sous-utilisé, puisque seulement 3 300 ordonnances ont été délivrées en 2020. J’espère que la proposition de loi relative à l’aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales, que notre assemblée a adoptée en première lecture, va changer la donne.

Sur le fond, le dispositif doit encore être perfectionné, notamment pour atténuer les disparités territoriales.

Le présent texte a le mérite d’apporter des modifications qui vont indéniablement dans le bon sens. Notre groupe souhaite, lui aussi, que le droit en vigueur soit clarifié. Il paraît ainsi surprenant de demander au JAF d’apprécier, outre les violences, l’existence d’un danger. Cela sous-entend qu’il existe des violences non dangereuses pour les femmes et les enfants.

Votre proposition de loi propose de supprimer purement et simplement le critère de danger. Certains juristes ont une position plus mesurée et suggèrent simplement d’assouplir ce critère. Quelle rédaction doit être privilégiée ? S’il s’agit de la version initiale, est-elle suffisamment solide sur le plan juridique ?

Au-delà de ce débat légistique, notre groupe rappelle que l’ordonnance de protection est avant tout un dispositif d’urgence. Si nous voulons qu’il puisse déployer toute son utilité, il faut s’assurer que les victimes ne se heurtent pas à des lourdeurs juridiques ou procédurales.

S’agissant de la durée maximale de l’ordonnance de protection, le Parlement avait déjà fait le choix de la prolonger de quatre à six mois. Ce texte entend aller jusqu’à douze mois, car il est vrai que le droit en vigueur ne permet pas une protection à long terme. Beaucoup de victimes se demandent, à raison, ce qui se passera après ce délai de six mois.

Ce délai maximal peut être prolongé par le juge, mais uniquement lorsqu’une demande de divorce ou une demande relative à l’exercice de l’autorité parentale a été déposée. Si l’ordonnance de protection ne constitue qu’une mesure temporaire, notre groupe soutient la volonté d’allonger cette protection, dans la mesure où elle permettra de soulager les victimes, de les accompagner pendant un an au minimum, jusqu’à une condamnation pénale pour les violences commises.

Sous réserve des clarifications que vous nous apporterez, notre groupe soutiendra ce texte.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Cette proposition de loi vise à renforcer l’ordonnance de protection et préconise des avancées, que nous approuvons.

L’ordonnance de protection est une procédure rapide, pour laquelle le juge dispose de pouvoirs importants. Ce qui, en théorie, la rend très efficace. En théorie seulement, car dans les faits, elle est peu utilisée et lorsqu’elle l’est, elle aboutit rarement à une ordonnance de protection.

Si la vraisemblance des faits de violence ne pose pas vraiment de difficulté, il en va autrement de la preuve d’un danger. Cela exclut quasi systématiquement les victimes qui ont pu se mettre à l’abri en quittant le domicile familial. Chaque fois que la victime est partie, et si elle n’est pas poursuivie par les assauts de son conjoint violent ou par ses menaces, le juge considère qu’elle n’est plus en danger. Et comme elle n’est plus en danger, elle n’est pas protégée. C’est donc la double peine : la victime de violences qui est partie ne retrouve pas le domicile conjugal et n’est pas protégée dans des délais brefs.

La proposition de loi présente des avancées indispensables pour protéger efficacement les victimes, femmes, enfants ou conjoints violentés en général. Pour la rendre encore plus efficace et accessible, nous nous sommes permis de présenter quelques amendements. Les évolutions que nous proposons ont été réfléchies, travaillées en collaboration étroite avec les associations d’aide aux victimes de violences intrafamiliales, avec le parquet et avec les deux barreaux de La Réunion, dont je salue le travail acharné pour lutter contre les violences faites aux femmes et aux enfants, un véritable fléau sur l’île. Nous avons tissé un réseau important, auquel prennent part tous les élus, de tous bords.

À La Réunion, où je suis élue, 2 050 femmes ont été suivies par les associations en 2022, pour des problématiques de violences intrafamiliales. Chaque jour, sept Réunionnaises en moyenne ont déposé plainte pour ce type de fait, tandis que quarante et un TGD ont été attribués. Pourtant, vingt-quatre ordonnances de protection seulement ont été délivrées. Au total, seulement 3,5 % des femmes portent plainte, 1 % font appel aux associations.

J’exerce la profession d’avocate à La Réunion. Nos amendements ont été nourris par notre pratique, concrète et malheureusement habituelle de l’ordonnance de protection. Nous déposons quasiment une demande par mois. Pour ces amendements, nous nous sommes placés au plus près du terrain, à la fois en demande et en défense. Nous nous sommes demandé quoi faire pour améliorer le texte, mais aussi pour qu’il n’engendre pas d’abus ou des détournements de procédure.

À l’évidence, il est nécessaire d’assouplir les conditions de délivrance de l’ordonnance de protection ; j’ai déposé un amendement en ce sens. Il nous paraît également indispensable de conserver le caractère d’urgence de cette procédure. L’ordonnance de protection relève de l’extrême urgence. Elle est plus rapide qu’une procédure classique, plus rapide qu’une procédure de référé. Au regard des pouvoirs exceptionnels du juge et de l’effort que cette procédure demande au personnel de justice, il nous faut veiller à ce qu’elle ne devienne pas la procédure de droit commun. Je tiens, à cet égard, à saluer le travail des magistrats et des greffiers, qui accomplissent un travail exceptionnel pour parvenir à délivrer une ordonnance de protection en six jours. On a l’habitude de se plaindre de la lenteur de notre justice ; il faut savoir également reconnaître quand elle fait vite et bien.

En supprimant purement et simplement la condition de danger dans le texte actuel, il ne reste plus de référence à la notion d’urgence. J’ai donc déposé un amendement, dont nous discuterons dans quelques instants.

Deuxième point d’importance : le champ d’application de cette ordonnance. Nous avons déposé un amendement pour l’étendre aux enfants victimes de violences en dehors du couple. La démarche est simple : il s’agit d’offrir une protection maximale aux enfants, qui sont les adultes de demain. C’est en les protégeant efficacement aujourd’hui que nous verrons le fléau des violences intrafamiliales diminuer dans les années à venir.

Merci donc pour cette proposition de loi. Nous avons hâte d’en débattre.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Merci à tous les intervenants. Je suis impressionnée par votre appropriation de l’ordonnance de protection, qui est un outil essentiel.

Je retiens un constat largement partagé : l’ordonnance de protection est un bon outil, insuffisamment utilisé et peut-être un peu trop compliqué à mettre en œuvre.

Une source de blocage est connue et identifiée, par le Cnop en particulier. La formulation pose problème au magistrat, qui est en difficulté pour apprécier un danger par définition imprévisible, mais consubstantiel à la violence conjugale. Nous considérons qu’il faut supprimer ce verrou.

J’ai entendu certaines craintes quant au risque d’instrumentalisation à ce sujet, mais le juge sait la contourner. Faisons-lui confiance pour éviter ce piège. Au reste, quand il y a débat contradictoire, les avocats sont généralement présents, en défense comme en demande, pour contrer ce risque de dérive.

Concernant l’inégalité territoriale, évoquée par Mme Descamps, on note des applications différentes de ce dispositif, selon les territoires et selon que le magistrat est plus ou moins sensible à la question de la violence conjugale ou intrafamiliale.

Quant au problème de la constitutionnalité, nous l’aborderons dans le cadre de l’amendement déposé par le groupe Renaissance. Je m’en préoccupe, car je sais qu’une question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel pourrait conduire à la censure de l’article. Faut-il sortir par la porte pour revenir par la fenêtre ou, au contraire, savoir être sage de temps en temps ? C’est toute la finesse du travail que nous devons accomplir maintenant.

Avant l’article 1er

Amendement CL4 de Mme Emeline K/Bidi

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). L’amendement tend à élargir le champ de l’ordonnance de protection aux violences exercées par un parent contre un ou plusieurs enfants dans le cadre de l’exercice d’un droit de visite et d’hébergement. Dans ces cas-là, en effet, il n’existe aucune voie de droit suffisamment rapide pour protéger l’enfant. L’ordonnance de protection ne peut être utilisée, car les violences ne se sont pas exercées au sein du couple. Une procédure en référé peut durer deux mois dans certains tribunaux et les mesures de contrôle judiciaire ne sont pas toujours accordées.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Le groupe socialiste partage votre préoccupation, en témoigne le dépôt par ma collègue Isabelle Santiago d’une proposition de loi pour renforcer la protection de l’enfant. Cependant, je ne pense pas que l’ordonnance de protection soit le bon outil, surtout si elle n’est pas complétée par des mesures ciblées pour les enfants.

La procédure en référé, qui est une procédure d’urgence, devrait permettre d’apporter une solution dans des délais plus courts. L’ordonnance de protection est pensée pour protéger une personne adulte, victime de violences conjugales, surtout lorsqu’elle se sépare. Les mesures sont adaptées à cette situation, même si le cas de l’enfant est pris en compte. Sans étude d’impact, il est difficile d’aller plus loin.

Pour toutes ces raisons, je vous invite à retirer l’amendement ; sinon, avis défavorable, ce qui m’ennuierait.

L’amendement est retiré.

Article 1er : (art. 515-11 du code civil) Modification des critères de délivrance de l’ordonnance de protection

Amendement CL5 de M. Jean-François Coulomme

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). L’amendement tend à réduire de six jours à deux jours le délai de délivrance de l’ordonnance de protection par le juge aux affaires familiales, à compter de la fixation de la date de l’audience. Nous sommes conscients du manque de moyens dédiés à la justice civile, mais cette mesure nous semble importante pour renforcer la protection des femmes victimes de violences.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Votre amendement est intéressant et témoigne de la volonté, que nous partageons tous, d’accélérer les procédures d’urgence. Cela étant, le délai de six jours est déjà un progrès significatif apporté par le législateur et il est tenu malgré la restriction des effectifs. Je ne voudrais pas mettre en difficulté les magistrats, qui accomplissent un travail extraordinaire aux côtés des avocats, en leur imposant unilatéralement un délai qu’ils ne pourraient que difficilement respecter.

Rappelons surtout que des mesures sont prises avant l’ordonnance de protection. On n’attend pas cette dernière pour mettre la victime à l’abri. Cela étant, le juge ne doit pas considérer que l’affaire est gagnée dès lors que la personne est protégée. Je voudrais, plus modestement, que ces six jours soient mis à profit pour prendre des mesures efficaces. Je vous invite donc à retirer votre amendement, sinon avis défavorable.

L’amendement est retiré.

Amendement CL2 de Mme Emeline K/Bidi

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). L’ordonnance de protection était soumise à deux conditions : apporter la preuve de la vraisemblance des faits et de l’existence d’un danger. Vous prévoyez de supprimer la condition du danger et nous partageons tous cette volonté. Cependant, l’ordonnance de protection doit demeurer une procédure d’urgence afin d’éviter un détournement de cette voie de droit et un engorgement de la juridiction. L’amendement tend, par conséquent, à conditionner l’ordonnance de protection à des violences vraisemblables et actuelles. Des députés ont déposé des amendements pour rétablir la condition du danger. Cela peut être une façon de rétablir l’urgence mais prenons garde à ce que cette condition n’empêche pas de protéger des femmes qui auraient réussi à quitter le domicile conjugal.

La notion de violences vraisemblables et actuelles aurait le mérite de rétablir le caractère urgent de la procédure et d’empêcher des personnes, qui auraient été victimes d’un seul acte de violence non répété plusieurs mois auparavant, de demander une ordonnance de protection. Je ne suis pas certaine, si l’on s’en tenait à la seule vraisemblance des faits, que tous les juges iraient au-delà du texte pour respecter l’esprit du législateur.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Les magistrats s’attachent d’abord au texte. Ce n’est que lorsqu’il est opaque qu’ils lisent les débats parlementaires pour comprendre l’intention du législateur.

La prévention d’un risque doit être la plus large possible. Mon collègue Hervé Saulignac l’a dit avec raison, il vaut mieux trop protéger que pas assez. Une ordonnance de protection n’impose pas au juge une obligation de résultat quant à la justesse du risque encouru. Elle sert à prévenir un risque en raison d’un comportement qui peut être actuel ou plus ancien. Je comprends votre intention mais le juge saura apprécier la nature des violences et ne délivrera sans doute pas d’ordonnance de protection si les faits datent de plusieurs années et que la personne ne semble plus en danger. En restreignant le champ de l’ordonnance, je crains d’apporter un verrou supplémentaire à la procédure. Bien sûr, il y a des bons et des mauvais juges, comme partout, mais en général, les juges sont soucieux de respecter le dispositif. Si les violences doivent être actuelles, il faudra définir cet adjectif. La notion pourrait être interprétée différemment d’un territoire à l’autre. Le lien entre le danger et l’actualité des violences ne me semble pas systématique.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). On peut aussi se poser la question de la définition de la vraisemblance. Le juge en décidera et pourrait, tout autant, déterminer l’actualité des violences. Notre rôle est d’encadrer la procédure et nous devons faire en sorte que l’ordonnance de protection ne soit pas utilisée lorsque les violences sont anciennes et que la victime n’est plus en danger.

Nous écrivons la loi pour protéger les victimes mais nous devons évacuer tout risque d’abus ou de détournement de procédure.

M. Erwan Balanant (Dem). Quelle serait une violence sans danger ? J’ai beau chercher, je ne trouve pas.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Le texte actuel masque une forme d’hypocrisie. Parce qu’on n’a pas osé, pu ou voulu écrire qu’il s’agissait de violences d’une certaine gravité, on a inscrit la notion de danger : une violence forte serait dangereuse, mais pas une violence moins forte. Je ne partage pas cette conviction. La comparaison entre les féminicides et les situations qui ont conduit à prendre des ordonnances de protection montre que nous nous trompons. L’origine du féminicide, c’est le premier coup, pour lequel on ne recourt pas à l’ordonnance de protection. En revanche, nous devons faire passer le message aux nouvelles générations que toute violence conjugale, aussi minime soit-elle, est dangereuse. L’ordonnance de protection sert à prévenir un risque qui ne se caractérise pas par la gravité de la violence mais par l’existence de la violence.

L’exigence du caractère vraisemblable de la violence me semble donc nécessaire, car le juge ne doit pas être instrumentalisé.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CL7 de M. Emmanuel Taché de la Pagerie et amendements identiques CL11 de M. Ludovic Mendes et CL12 de M. Philippe Pradal (discussion commune)

M. Emmanuel Taché de la Pagerie (RN). L’avantage de cette rédaction est qu’elle ne réintroduit pas une double condition assez artificielle en distinguant entre les faits de violence et le danger mais qu’elle ancre les faits de violence et le danger en résultant dans un temps voisin de la sollicitation de l’ordonnance de protection. Nous vous proposons donc de substituer aux mots « à l’encontre de la victime ou un ou plusieurs enfants » les mots « exposant la victime ou un ou plusieurs de ses enfants à un danger actuel ou imminent ».

M. Ludovic Mendes (RE). Nous ne pouvons pas nous permettre d’engager la constitutionnalité d’un dispositif si important pour la protection des victimes. Nous ne pouvons prendre le risque de fragiliser et d’annuler le travail réalisé par les parlementaires en supprimant la condition tenant au danger.

Dans un récent arrêt, la Cour de cassation a refusé de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’ordonnance de protection, au motif que la question de l’atteinte à la présomption d’innocence ne présentait pas un caractère sérieux dès lors que « les mesures que le juge aux affaires familiales peut prononcer sur le fondement de l’article 515-11 du code civil, s’il estime qu’il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime et un ou plusieurs enfants sont exposés, reposent non sur la culpabilité de la partie défenderesse mais sur sa potentielle dangerosité appréciée par le juge à la date de sa décision ». Le critère de dangerosité semble ainsi constituer un élément important de la constitutionnalité du dispositif de l’ordonnance de protection.

Nous devons réintroduire le critère du danger pour tenir compte des préoccupations exprimées par les différents acteurs, dont le Cnop. Nous partageons également l’avis de la rapporteure de prendre en compte l’analyse du Cnop selon laquelle l’appréciation du danger séparément des violences alléguées donne lieu à de nombreuses décisions de rejet.

Par conséquent, l’amendement tend à assouplir la caractérisation du danger, qui devrait désormais être potentiel et non plus vraisemblable et de lier son appréciation à celle des violences vraisemblables en faisant référence aux violences « exposant la victime ou un ou plusieurs enfants à un danger potentiel ».

M. Philippe Pradal (HOR). La suppression pure et simple de la notion de danger fait peser un risque sur la constitutionnalité du dispositif. La proposition du Cnop est antérieure à l’arrêt de la Cour de cassation. Nous proposons d’assouplir la caractérisation du danger qui devrait désormais être potentiel, conformément à la jurisprudence. De surcroît, en faisant référence aux violences exposant la victime ou un ou plusieurs enfants à ce potentiel danger, le danger serait davantage apprécié au regard de l’existence de violences vraisemblables.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. L’adoption de l’amendement CL7 restreindrait le champ de l’ordonnance. Avis défavorable.

S’agissant des amendements identiques CL11 et CL12, je ne vous cacherai pas que M. Mendes et moi avons travaillé avec la Chancellerie. C’est vrai, le texte pourrait être entaché d’inconstitutionnalité. C’est un risque mais cela ne me dérangerait pas, en cas de question prioritaire de constitutionnalité, de présenter mes arguments au juge : le caractère vraisemblable des violences conjugales suffit à caractériser le danger.

Outre le Cnop, j’ai rencontré des présidents de tribunaux qui travaillent dans des pôles spécialisés composés d’un juge aux affaires familiales, un juge des enfants, un juge de tribunal correctionnel, et qui m’ont confirmé la difficulté qu’ils avaient à appréhender la notion de danger.

Le débat parlementaire éclairera le magistrat. Prenons acte de l’avancée de la majorité qui sépare les violences conjugales, seules vraisemblables, d’un danger qui, inhérent à ces violences conjugales, devient potentiel. Nous sommes sensibles à cette volonté de prévenir les risques. Je suppose qu’aucun magistrat ne pourrait motiver le rejet d’une ordonnance de protection en affirmant que, malgré l’existence de violences conjugale vraisemblables, le danger n’est pas caractérisé. Sagesse.

M. Ludovic Mendes (RE). Nous voulons répondre au Cnop et aux victimes. Les recours pour casser des ordonnances de protection sont nombreux et le risque d’inconstitutionnalité est réel. C’est pourquoi nous avons proposé cet amendement. De surcroît, les juges pourront motiver plus facilement leur décision de valider ou non l’ordonnance de protection. À titre personnel, il me semble qu’il faudrait revoir la rédaction de l’article 515-9 du code civil qui se réfère à la notion de danger. Peut-être pourrions-nous y travailler d’ici à l’examen en séance pour aboutir à un dispositif plus équitable, qui réponde aux revendications des magistrats et du Cnop.

Les violences conjugales sont un véritable danger, qu’elles soient actuelles, passées ou futures.

M. Erwan Balanant (Dem). La violence conjugale est en effet constitutive d’un danger : pourquoi, dès lors, considérer que le danger ne serait que potentiel ? Je préférais la rédaction initiale de la rapporteure mais, puisqu’il s’agit d’une avancée, notre groupe votera l’amendement.

Les associations de lutte contre les violences faites aux femmes considèrent que toute violence, qu’elle soit psychique ou physique, est un danger.

La commission rejette l’amendement CL7.

La commission adopte les amendements identiques.

Amendement CL10 de Mme Sandra Regol

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). L’amendement tend à ajouter une mesure de protection possible pour la victime en laissant au juge la possibilité d’interdire la consommation d’alcool ou de stupéfiants au domicile de la victime et d’interdire également à l’auteur des violences de se trouver en état d’ébriété dans ce domicile commun.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. C’est vrai, les violences conjugales sont souvent liées à des comportements addictifs. Cependant, le choix a été fait de favoriser une approche préventive plutôt que répressive en donnant la possibilité au juge de proposer à la partie défenderesse une prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique, ou encore un stage de responsabilisation. Malheureusement, nous manquons de statistiques de la part de la Chancellerie pour mesurer l’efficacité de ces mesures. Le Cnop devrait s’y atteler.

Prévoir une interdiction qui s’appliquerait au domicile même de la partie défenderesse serait une peine disproportionnée pour un mécanisme qui reste du domaine civil.

Je vous invite à retirer l’amendement, sinon j’y serai défavorable.

L’amendement est retiré.

Amendement CL6 de M. Jean-François Coulomme

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). L’amendement tend à ce que la détention ou le port d’arme soient interdits de plein droit dès lors qu’un juge aux affaires familiales délivre une ordonnance de protection.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Nous partageons tous votre préoccupation. Dès lors que le juge délivre une ordonnance de protection, il doit imposer au conjoint présumé violent de rendre son arme s’il en détient une. Nous avions l’intention de prévoir une telle mesure mais, au civil, une peine d’interdiction automatique risque d’être jugée inconstitutionnelle. Nous avons cependant essayé d’atteindre le même objectif puisque l’article prévoit déjà que, lorsqu’une interdiction de contact est prise, le juge doit spécialement motiver sa décision de ne pas prendre une interdiction de détention ou de port d’arme.

Nous avons réussi, me semble-t-il, à sensibiliser les magistrats à ce sujet.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’article 1er modifié.

Article 2 : (art. 515-12 du code civil) Extension du délai maximal de délivrance de l’ordonnance de protection

Amendement CL9 de Mme Sandra Regol

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). L’amendement tend à offrir au juge plus de souplesse quant à la durée de l’ordonnance de protection et, à la victime, la possibilité de demander la prolongation d’une ou plusieurs mesures de cette ordonnance.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Il est déjà possible de prolonger la durée de l’ordonnance de protection dans certains cas précis, par exemple lorsque le juge a été saisi d’une demande relative à l’exercice de l’autorité parentale. D’autre part, l’esprit de votre amendement est satisfait par l’article qui prévoit d’allonger à douze mois la durée pour laquelle le juge peut prononcer les mesures. Je vous invite à le retirer.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’amendement rédactionnel CL13 de Mme Cécile Untermaier.

Elle adopte l’article 2 modifié.

La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi visant à renforcer l’ordonnance de protection dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

 


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   PERSONNES ENTENDUES

   Mme Ernestine Ronai, présidente  

   Mme Floriane Volt, directrice des affaires publiques et juridiques

 

CONTRIBUTIONS ÉCRITES

 


([1])  Rapport d’information fait au nom de la mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes.

([2])  Rapport n° 2283 fait par M. Aurélien Pradié sur la proposition de loi visant à agir contre les violences faites aux femmes, publié le 2 octobre 2019

([3])  Rapport d’information n° 3431 sur la mise en application de la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille, 14 octobre 2020

([4])  « Les violences conjugales enregistrées par les services de sécurité en 2021 », Infostat n° 53, décembre 2022.

([5])  L’article 378-1 du code civil explicite les comportements des parents qui sont de nature à mettre l’enfant en danger et justifier ainsi le retrait de l’autorité parentale.

([6])  Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 5 octobre 2016, 15-24.180.

([7])  Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 13 février 2020, 19-22.192.

([8])  Violences conjugales - Protection des victimes : Usages et conditions d'application dans les tribunaux français des mesures de protection des victimes de violences au sein du couple, Rapport pour la Mission Droit et Justice, juillet 2019.

([9]) Rapport précité, p 205.  

([10])  Rapport d’activité du CNOP 2020-2021, annexe n° 6

([11]) Rapport d’activité du CNOP 2020-2021, p 35  

([12]) Rapport de recherche précité, p 240