N° 802

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME  LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 1er février 2023.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
 

visant à créer un Défenseur de l’environnement

 

PAR M. Gérard LESEUL

Député

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Voir le numéro : 608.

 


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SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION....................................................... 5

PrÉsentation de la proposition de loi

I. malgré le développement du droit de l’environnement, son application reste encore trop peu effective ET L’ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE DES POLITIQUES PUBLIQUES TROP PARCELLAIRE

A. le développement du droit de l’environnement

1. Un fort développement du droit international et européen

2. Une meilleure protection de l’environnement en droit interne

B. une mise en œuvre encore trop peu effective du droit de l’environnement, rÉguliÈrement dÉnoncÉe

1. Un manque de cohérence de l’action publique

2. Un droit et des procédures complexes, parfois difficiles d’accès pour les citoyens

C. UNE ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE DES POLITIQUES PUBLIQUES TROP PARCELLAIRE

II. la crÉation d’un dÉfenseur de l’environnement permettrait   de renforcer l’effectivitÉ du droit de l’environnement ET L'ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE DE NOS POLITIQUES PUBLIQUES

A. la crÉation d’une autoritÉ administrative indÉpendante a été soulevÉe dans de nombreux travaux, et est déjà une réalitÉ dans plusieurs pays

1. La création d’une autorité indépendante et impartiale est régulièrement demandée par les experts, et a fait l’objet de l’une des propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat

2. Une voie déjà empruntée par plusieurs pays

B. la crÉation d’une nouvelle autoritÉ indÉpendante compÉtente en matiÈre d’environnement devrait prendre pour modèle le dÉfenseur des droits

1. Le Défenseur des droits, un modèle éprouvé

2. La nécessaire création d’une nouvelle autorité compétente en matière d’environnement, le Défenseur de l’environnement

3. La création d’un Défenseur de l’environnement est préférable à l’extension des compétences du Défenseur des droits

COMMENTAIRE DE l’article unique

Article unique (article 71-2 [nouveau] de la Constitution) Création d’un Défenseur de l’environnement

travaux de la commission

Personnes entendues

 

 


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Mesdames, Messieurs,

De nouveaux travaux des scientifiques l’illustrent sans cesse : notre planète est confrontée à une urgence écologique qui se fait toujours plus pressante. Selon le Programme des Nations Unies pour l’Environnement, près du tiers de la population mondiale est exposée à des vagues de chaleur mortelles pendant plus de 20 jours par an. Le Fonds mondial pour la nature a montré que la Terre a vu disparaître près de 68 % de ses populations de vertébrés entre 1970 et 2016, ce qui représente un rythme 100 à 1 000 fois supérieur au taux naturel d'extinction. Six des neuf limites planétaires, mises en évidence par l’équipe de scientifiques conduite par le professeur Johan Rockström, ont d’ores et déjà été franchies, rapprochant l’humanité d’un changement d’état irréversible de l’écosystème.

L’environnement fait pourtant, en droit, l’objet d’une protection importante, qui a été approfondie depuis un demi-siècle. Le développement du droit international et du droit communautaire, la consécration de l’environnement dans le bloc de constitutionnalité par l’adoption de la Charte de l’environnement de 2004, le renforcement continu des dispositions du code de l’environnement, et l’appropriation de ces normes par les juges ont progressivement dessiné les contours d’un édifice juridique toujours plus protecteur.

Cette construction n’est, bien évidemment, pas achevée, et les dispositions qui composent le droit de l’environnement peuvent toujours être approfondies. L’échec de la révision constitutionnelle tentée en 2021, ou le manque d’ambition de la loi « climat et résilience », sont là pour nous le rappeler.

Malgré sa densité, le droit de l’environnement reste plus que jamais « confronté à la question de son effectivité » selon les mots de M. Julien Bétaille, maître de conférences, auditionné par votre Rapporteur.

Les difficultés sont bien connues. Les enjeux environnementaux sont trop peu intégrés dans la prise de décision au niveau local par l’autorité de police administrative compétente, c’est-à-dire par les préfets. Les acteurs économiques dont l’activité est nuisible pour l’environnement sont rarement, et inégalement sanctionnés. Le droit de l’environnement est complexe et technique, ce qui ne facilite pas son appropriation par le citoyen. L’évaluation environnementale des politiques publiques, qui se développe, reste néanmoins trop parcellaire.

Depuis plus d’une décennie, de nombreux experts, juridiques comme scientifiques, ont proposé en France la création d’une nouvelle autorité indépendante chargée de défendre l’environnement. La Convention Citoyenne pour le Climat a notamment fait figurer, parmi ses 149 propositions, celle tendant à la création d’une telle autorité.

Au-delà de nos frontières, de nombreux pays ont d’ores et déjà fait le choix ambitieux de confier à une autorité indépendante des compétences en matière de médiation environnementale.

La présente proposition de loi constitutionnelle tend à créer une nouvelle grande autorité indépendante compétente en matière d’environnement : le Défenseur de l’environnement.

Sur le modèle du Défenseur des droits, qui est désormais profondément ancré dans notre paysage institutionnel et constitue une réussite à bien des égards, cette nouvelle autorité aura vocation à rassembler l’ensemble des autorités et services qui sont actuellement compétents en matière d’environnement.

Le Défenseur de l’environnement permettra, d’abord, une meilleure prise en compte de l’intérêt général environnemental dans la mise en œuvre des politiques publiques, en particulier au niveau local. Doté d’un pouvoir de sanction administrative, il contribuera à une mise en œuvre effective du droit de l’environnement. Il assurera, ensuite, une plus grande accessibilité du droit de l’environnement et des procédures associées : il pourra être saisi par toute personne, et l’accompagnera dans ses démarches, amiables comme juridictionnelles. Il contribuera, enfin, à une meilleure évaluation environnementale des politiques publiques, et pourra, à ce titre, rendre des avis sur les projets de textes législatifs.

Sa constitutionnalisation lui donnera un poids institutionnel plus important, garantira son indépendance et renforcera sa visibilité.

La création d’une telle autorité répond donc à une nécessité, celle d’assurer une meilleure mise en œuvre du droit de l’environnement, ainsi qu’à une demande sociale. Si nous voulons permettre à nos concitoyens de défendre leurs droits collectifs à un environnement sain, si nous voulons que les pollutions soient effectivement sanctionnées, si nous voulons que nos lois soient systématiquement des avancées dans la préservation de l’environnement, alors il faut une institution experte, identifiable, indépendante, et inscrite dans la Constitution : il nous faut un Défenseur de l’environnement.

 

 


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PrÉsentation de la proposition de loi

I.   malgré le développement du droit de l’environnement, son application reste encore trop peu effective ET L’ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE DES POLITIQUES PUBLIQUES TROP PARCELLAIRE

A.   le développement du droit de l’environnement

Si la préservation de l’environnement fait l’objet d’une préoccupation ancienne en droit français ([1]), l’urgence écologique a conduit au renforcement progressif des dispositions assurant sa protection, ainsi qu’à leur intégration au sommet de la hiérarchie des normes.

Le droit de l’environnement fait aujourd’hui l’objet d’un encadrement renforcé, en droit international comme en droit interne.

1.   Un fort développement du droit international et européen

Depuis le début des années 1970, de nombreuses initiatives en faveur de l’environnement ont été prises au niveau international.

Ces traités sont ainsi, souvent, le fruit de l’initiative d’organisations internationales, telles que l’Organisation des Nations unies (ONU). Dès 1972, la déclaration de Stockholm sur l’environnement, adoptée sous l’égide de l’ONU, affirmait que « l’homme a un droit fondamental à la liberté, à l’égalité et à des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité lui permettra de vivre dans la dignité et le bien-être. Il a le devoir solennel de protéger et d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et futures » ([2]).

Ces engagements peuvent également découler d’initiatives locales, et rassembler des pays appartenant à la même région ou à la même zone géographique ([3]).

Selon le professeur Michel Prieur, le nombre de traités multilatéraux concernant l’environnement, soit entièrement, soit par l’une ou plusieurs de leurs dispositions, dépasserait ainsi les 500, auxquels s’ajoutent environ 900 traités bilatéraux ([4]).

La France a signé nombre de ces traités et conventions. Certes, ces engagements ne sont pas tous juridiquement contraignants, ou du moins, pas dans leur intégralité, et ne sont pas systématiquement pourvu d’effet direct.

Toutefois, la portée de certains engagements internationaux de la France a été récemment précisée par le juge administratif. Dans une décision Grande Synthe  de 2020, le Conseil d’État a jugé que, si les stipulations de la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CNUCC) de 1992 ([5]) et de l’Accord de Paris de 2016 ([6]) étaient dépourvues d’effet direct, celles-ci devaient néanmoins être prises en considération dans l’interprétation des dispositions de droit national qui ont pour objet de les mettre en œuvre ([7]).

Le droit de l’Union européenne est également une source importante du droit de l’environnement, qui est une compétence partagée entre les États membres et l’Union européenne ([8]). L’article 11 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoit que « les exigences de la protection de l’environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de l’Union, en particulier afin de promouvoir le développement durable ». De son côté, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne proclame, en son article 37, qu’ « un niveau élevé de protection de l’environnement et l’amélioration de sa qualité doivent être intégrés dans les politiques de l’Union et assurés conformément au principe du développement durable ».

L’Union européenne a elle-même adhéré à certaines conventions internationales, intégrant de ce fait ces engagements dans des instruments de droit de l’UE. Il en est ainsi de la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, signée le 25 juin 1998, qui a notamment été traduite en droit dérivé par la directive du 28 janvier 2003 concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement.

L’environnement fait ainsi l’objet de multiples textes de droit dérivé : il existerait plus de 250 directives ou règlements portant sur l’eau, la nature, le bruit, les déchets, les substances dangereuses ou l’air ([9]).

2.   Une meilleure protection de l’environnement en droit interne

En droit interne également, le droit de l’environnement a été inscrit au sommet de la hiérarchie des normes.

La loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement a complété le Préambule de la Constitution, qui dispose désormais que « le peuple français proclame solennellement son attachement […] aux droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004 », et a fait figurer la préservation de l’environnement dans le domaine de la loi défini à son article 34.

Précédée de sept considérants et composée de dix articles, la Charte reconnaît notamment le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé (article 1er) et celui d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement (article 7). Elle proclame par ailleurs des devoirs, au nombre desquels figure le principe de précaution ([10]), ainsi que des objectifs plus généraux, tels que la promotion du développement durable par les politiques publiques ([11]).

Le Conseil constitutionnel a rapidement confirmé la pleine valeur constitutionnelle des dispositions de la Charte ([12]), tout en précisant par la suite que seules certaines d’entre elles instituent un droit ou une liberté que la Constitution garantit, permettant leur invocation à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité ([13]).

Se fondant sur le préambule de la Charte, le juge constitutionnel a récemment consacré la « protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains » en tant qu’objectif à valeur constitutionnelle ([14]). La reconnaissance d’un tel objectif à valeur constitutionnelle permet d’admettre certaines atteintes apportées par la loi à d’autres principes constitutionnels, tels que la liberté d’entreprendre, comme cela était le cas en l’espèce ([15]).

Plus récemment encore, le Conseil d’État a reconnu que le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, tel que proclamé par l’article premier de la Charte de l'environnement, constituait une liberté fondamentale pour la saisine en référé-liberté ([16]).

Enfin, et conformément à ces normes et principes supérieurs, le code de l’environnement rassemble, aux niveaux législatif et réglementaire, l’essentiel de la réglementation applicable à l’usage des ressources naturelles, ainsi qu’à la protection des espèces et des espaces. La mise en œuvre du droit de l’environnement repose ainsi sur deux grands ensembles de dispositions :

– les règles de police administrative, qui est placée entre les mains des préfets (et parfois, des maires). Ceux-ci disposent ainsi de larges prérogatives (leur permettant notamment d’imposer des mesures nécessaires à la protection de l’environnement, d’accorder ou de retirer certaines autorisations, ou d’infliger des sanctions), sous le contrôle du juge ;

– les dispositifs de démocratie environnementale, qui permettent au citoyen d’accéder aux informations et de participer aux décisions en matière environnementale.

Le législateur, de son côté, est régulièrement amené à voter des dispositions qui renforcent la protection de l’environnement. Ainsi, la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a instauré un régime légal de réparation du préjudice écologique, dont elle a précisé les conditions d’exercice ([17]).

Cet imposant édifice juridique n’est, bien évidemment, pas achevé, et les dispositions qui composent le droit de l’environnement peuvent toujours être approfondies.

Malgré les avancées permises par l’intégration de la Charte de l’environnement de 2004 au bloc de constitutionnalité, on peut ainsi regretter que l’environnement ne bénéficie pas d’une protection constitutionnelle encore plus effective. L’échec de la révision constitutionnelle tentée en 2021, si elle était trop peu ambitieuse du fait des termes choisis, ne doit pas nous faire renoncer à un tel objectif ([18]).

De même, la loi « climat et résilience » ([19]), texte de compromis, a clairement manqué d’ambition. Le Conseil national de la transition écologique tout comme le Conseil d’État ont critiqué une évaluation insuffisante du projet de loi. La Convention Citoyenne pour le Climat expliquait que cette loi était « insuffisante et ne [donnait] pas un cap net » ([20]). Le Haut Conseil pour le climat critiquait quant à lui son manque d’ambition en matière de réduction d’émissions des gaz à effets de serre. Enfin, selon le CESE, « les nombreuses mesures du projet de loi sont en général pertinentes mais restent […] souvent limitées, différées ou soumises à des conditions telles que leur mise en œuvre à terme rapproché est incertaine » ([21]). Qu’il s’agisse de la faiblesse des aides au transport fluvial, à la rénovation thermique, ou encore de la définition du délit d’écocide, le législateur aurait pu aller plus loin.

Il n’en demeure pas moins que, malgré ces insuffisances, la protection de l’environnement a été progressivement renforcée dans toutes les branches de notre droit.

B.   une mise en œuvre encore trop peu effective du droit de l’environnement, rÉguliÈrement dÉnoncÉe

Malgré le renforcement continu du droit de l’environnement, les personnes auditionnées par votre Rapporteur ont fait état d’une mise en œuvre insuffisante du droit de l’environnement par les pouvoirs publics.

Le droit de l’environnement est ainsi, et plus que jamais du fait de l’urgence environnementale, « confronté à la question de son effectivité », selon les mots de M. Julien Bétaille, maître de conférences à l’université Toulouse 1 Capitole : il ne s’agirait dès lors « pas tellement de renforcer les normes primaires du droit de l’environnement – on sait l’importance de ses sources, à tous les étages de la hiérarchie des normes – mais plutôt d’envisager ses normes secondaires, c’est-à-dire celles qui concourent à son application » ([22]) .

Comme le relèvent également Mmes Marie-Anne Cohendet et Marine Fleury : « de nouvelles règles ont été adoptées, souvent d’abord dans des règlements, puis dans des lois, puis en droit international et constitutionnel. Les juristes, mais aussi tous les acteurs du droit, et notamment les gouvernants, les juges, les associations (les ONG), les citoyens, doivent aussi veiller à ce que ces règles ne restent pas lettre morte » ([23]).

Deux arguments principaux expliquent ce manque d’effectivité : un manque de cohérence de l’action publique, à l’échelle territoriale notamment, d’une part ; la complexité du droit et des procédures applicables, d’autre part.

1.   Un manque de cohérence de l’action publique

La première explication au manque d’effectivité du droit de l’environnement est que les enjeux environnementaux sont trop peu intégrés dans la prise de décision au niveau local par l’autorité de police administrative compétente en matière d’environnement, c’est-à-dire par les préfets.

L’intérêt général environnemental est insuffisamment pris en compte, parfois même écarté au regard d’autres enjeux, notamment économiques.

Dans un récent rapport, le groupe de travail relatif au droit pénal de l’environnement, présidé par M. François Molins, relevait ainsi que : « Les agents du ministère en charge de l’environnement agissent, au niveau local, sous l’autorité du préfet. Or, il est souvent reproché aux préfets d’effectuer leurs arbitrages entre les intérêts économiques et les intérêts écologiques généralement en défaveur de l’environnement » ([24]).

Le sociologue Pierre Lascoumes résumait ainsi cette situation : « les politiques de l’environnement […] recherchent toujours à concilier des intérêts divergents : protection des éléments naturels, activités d’aménagement et développement économique et social. Le poids à accorder à chacune de ces dimensions n’étant pas fixé, c’est au cours de la mise en œuvre, et au cas par cas, qu’est effectuée la pesée de chacun de ces intérêts et que les rapports de force s’ajustent » ([25]) .

Cette situation conduit à ce que les acteurs économiques dont l’activité est nuisible pour l’environnement sont trop peu, et inégalement sanctionnés. Comme le relève M. Julien Bétaille : « au-delà de la faible culture répressive des services déconcentrés et du “ chantage à l’emploi ” pratiqué par les industriels, l’autorité administrative titulaire du pouvoir de sanction n’a pas assez de distance vis-à-vis des entités régulées, en témoigne le faible nombre de sanctions prononcées. Le préfet est ainsi victime du phénomène de “ capture ” du régulateur. Il est sensible aux intérêts économiques locaux, et, de ce fait, est réticent lorsqu’il s’agit de sanctionner ».

Cette position est partagée par M. Hubert Delzangles, professeur agrégé de droit public à l’Institut d’études politiques de Bordeaux, mais aussi par les différentes ONG environnementales auditionnées ([26]). Mme Clara Gonzales, juriste à Greenpeace France, expliquait ainsi que les services préfectoraux étaient placés dans une situation de conflit d’intérêts entre activités économiques et sanction environnementale. Cette tension a pu aboutir, récemment, au limogeage d’un préfet, au sujet de projets d’aménagement du territoire discutables dans une zone naturelle protégée.

Toujours selon M. Julien Bétaille, il existerait un risque de « variation du niveau de sanction selon les régions où sont implantées des entreprises, lesquelles sont pourtant en concurrence », le pouvoir de sanction étant déconcentré, et potentiellement sensible au poids économique des acteurs économiques ([27]).

2.   Un droit et des procédures complexes, parfois difficiles d’accès pour les citoyens

Le droit de l’environnement se caractérise par ailleurs par une importante technicité et une certaine complexité, ce qui ne facilite pas son appropriation par le citoyen.

D’une part, cette situation peut désavantager le citoyen par rapport aux acteurs économiques, qui sont plus à même de faire primer leurs intérêts. Comme le rappelait Mme Cécile Muschotti, missionnée par le précédent Gouvernement afin de juger en opportunité la création d’un Défenseur de l’environnement, dans son récent rapport sur le sujet, il existe une « asymétrie entre les victimes de dommages environnementaux et les acteurs dont les activités peuvent porter atteinte à l’environnement. Les deux parties du litige n’ont pas le même niveau d’information, d’accès à la compréhension de la réglementation et à l’expertise, ni les mêmes ressources pour dialoguer » ([28]).

D’autre part, la complexité des procédures judiciaires en matière d’environnement éloigne non seulement le citoyen de la justice environnementale, mais ne facilite pas non plus le dialogue entre justice et services administratifs et d’enquête.

Le groupe de travail relatif au droit pénal de l’environnement précité relevait ainsi que « par sa technicité et la complexité de la réglementation qui lui est applicable, le traitement du contentieux environnemental impose la spécialisation des magistrats et le concours de conseillers spécialisés ».

Toutefois, et malgré la création des pôles régionaux de l’environnement (PRE) par la loi du 24 décembre 2020 relative à la justice environnementale ([29]), le groupe de travail déplorait « le manque de lisibilité de cette organisation judiciaire, dans laquelle le contentieux de l’environnement est fragmenté entre plusieurs juridictions, spécialisées et de droit commun », et dont la complexité « entrave tant le bon accès du citoyen au juge que l’identification par les administrations et les services d’enquête de leurs interlocuteurs dans les juridictions » ([30]).

C.   UNE ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE DES POLITIQUES PUBLIQUES TROP PARCELLAIRE

L’évaluation environnementale vise à mieux observer, comprendre et ainsi appréhender les effets attendus d’une action sur l’environnement.

Elle peut porter, non seulement sur les projets, plans et programmes ayant une incidence sur l’environnement, mais également sur les projets de textes législatifs ou réglementaires, ainsi que sur les politiques publiques dans leur ensemble.

S’agissant des projets ayant une incidence sur l’environnement, l’évaluation environnementale est essentielle pour la bonne information de tous. En effet, les procédures de participation du public constituent le cœur du processus de démocratie environnementale. La participation du public est protégée en droit international et européen, comme en droit interne : elle est ainsi consacrée par l’article 7 de la Charte de l’environnement, et son organisation est précisée par le code de l’environnement.

Le public est notamment susceptible de participer à deux moments de la vie du projet : en amont, lors de l’élaboration du projet, via les procédures de débat public ou de concertation préalable ; en aval, au stade de son autorisation, via les procédures d’enquête publique ou de participation par voie électronique. Dans ces dernières situations, le rapport environnemental ou l’étude d’impact, ainsi que l’avis rendu par l’autorité environnementale sur ces évaluations, sont mis à la disposition du public.

En France, l’autorité environnementale (Ae), intégrée à l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD), et les missions régionales de l’autorité environnementale (MRAe) sont en charge de remettre ces avis.

Les compétences de l’Ae et des MRAe

Prévues à l’article R. 122-6 du code de l’environnement, introduit suite à la décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 20 octobre 2011, Seaport (n°C-474/10) insistant sur la nécessité d’une « séparation fonctionnelle » entre « l’autorité qui autorise le projet [environnemental et] l’autorité qui en fait l’évaluation », l’Ae et les MRAe sont chargées de rendre les avis relatifs à l’évaluation environnementale des projets (l’Ae pour les projets sous maı̂trise d’ouvrage du ministre chargé de l’environnement, ou d’un établissement public sous sa tutelle, ou donnant lieu à une décision du ministre chargé de l’environnement ; les MRAe pour les autres projets).

Malgré la création de l’Ae et des MRAe, la Commission européenne a récemment relevé dans un avis motivé que le droit français ne « prévoyait pas de garanties suffisantes pour faire en sorte que les autorités accomplissent leurs missions de manière objective ».

Extrait des principales décisions en matière de procédures d’infractions ouvertes par la Commission européenne – juillet 2022

La directive relative à l’évaluation des incidences sur l’environnement (2011/92/UE) a été modifiée en avril 2014 (par la directive 2014/52/UE).

Selon la Commission européenne, la France n’a pas correctement transposé en droit national certaines dispositions de la directive modifiée.

Par exemple, elle a fixé des seuils spécifiques pour certains projets en Guyane susceptibles de les exclure de la procédure d’évaluation des incidences sur l’environnement. De même, le droit français ne prévoit pas de garanties suffisantes pour faire en sorte que les autorités accomplissent leurs missions de manière objective. Un autre manquement concerne la transposition incorrecte de l’obligation imposée par la directive de mettre à jour la conclusion motivée sur les incidences environnementales du projet avant l’octroi d’une autorisation. Enfin, la législation française n’impose pas au maître d’ouvrage l’obligation d’informer l’autorité des résultats d’autres évaluations pertinentes des incidences sur l’environnement.

La Commission a déjà envoyé une lettre de mise en demeure à la France, suivie d’une lettre complémentaire. Étant donné que la gouvernance environnementale joue un rôle essentiel pour permettre le bon fonctionnement des différentes réglementations sectorielles, la Commission a donc décidé d’adresser un avis motivé à la France, qui disposait d’un délai de deux mois pour y répondre et prendre les mesures nécessaires. À défaut, la Commission pourrait décider de saisir la Cour de justice de l’Union européenne.

Source : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/INF_22_3768.

Par ailleurs, l’évaluation préalable des projets et propositions de textes législatifs reste insuffisante. Les projets de loi doivent être accompagnés, au moment de leur dépôt sur le Bureau de l’une des deux assemblées, d’une étude d’impact, qui doit présenter, outre le droit existant et l’articulation du projet de loi avec l’ordre juridique interne, « l’évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées [pour les personnes intéressées] » ([31]). Force est de constater que ces évaluations sont souvent trop succinctes, en particulier les développements consacrés aux conséquences environnementales des projets de loi.

Quant aux propositions de loi, elles ne font pas l’objet de telles études d’impact, et les parlementaires disposent de trop peu de moyens pour pouvoir évaluer eux-mêmes et systématiquement les incidences environnementales de leurs propositions.

Enfin, de manière générale, si les pouvoirs publics réalisent peu à peu la nécessité impérieuse d’évaluer les politiques publiques environnementales, l’évaluation environnementale des politiques publiques, dans leur ensemble, reste encore trop peu développée.

II.   la crÉation d’un dÉfenseur de l’environnement permettrait   de renforcer l’effectivitÉ du droit de l’environnement ET L'ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE DE NOS POLITIQUES PUBLIQUES

A.   la crÉation d’une autoritÉ administrative indÉpendante a été soulevÉe dans de nombreux travaux, et est déjà une réalitÉ dans plusieurs pays

1.   La création d’une autorité indépendante et impartiale est régulièrement demandée par les experts, et a fait l’objet de l’une des propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat

L’idée de créer une autorité administrative indépendante compétente en matière d’environnement n’est pas nouvelle. Elle a été soulevée dans de nombreux travaux, juridiques comme scientifiques, ainsi que par la Convention Citoyenne pour le Climat, selon des modalités différentes, mais poursuivant un objectif commun, celui de permettre le contrôle de la mise en œuvre du droit de l’environnement par une autorité impartiale, afin d’en assurer une meilleure protection.

Dès 2013, le groupe de travail constitué autour du Professeur Yves Jégouzo sur la question de la réparation du préjudice écologique avait proposé la création d’une Haute autorité environnementale, ayant une mission générale de « gardienne de l’environnement » ([32]). Relevant que « prévention et réparation reposent sur une démarche globale » et que « l’évaluation scientifique en aval et en amont ainsi que l’information et la participation du public constituent un tout » le groupe de travail proposait de regrouper les autorités existantes compétentes en matière d’environnement en une seule instance, dont l’indépendance, les moyens et la visibilité seraient renforcés. Était également avancée l’idée selon laquelle la création d’une autorité unique permettrait de rendre plus effective la mise en œuvre du principe de réparation du préjudice écologique que le groupe de travail proposait de consacrer ([33]).

En 2019, la mission d’évaluation des relations entre justice et environnement proposait de créer une autorité indépendante garante de la défense des biens communs dans l’intérêt des générations futures. Cette autorité pourrait agir sur saisine citoyenne, disposerait d’un pouvoir d’avis, de recommandation et d’injonction, y compris en urgence, et serait chargée de garantir la qualité, la transparence et l’impartialité de l’expertise environnementale ainsi que de l’information délivrée au citoyen ([34]).

L’idée d’une nouvelle autorité compétente en matière de contrôle environnemental figurait également parmi les propositions formulées par la Convention Citoyenne pour le Climat et transmises au Président de la République en juin 2020. Deux propositions y concourraient.

La Convention proposait ainsi d’envisager la création d’un Défenseur de l’environnement, sur le modèle du Défenseur des droits. Cette nouvelle autorité constitutionnelle, dont l’indépendance serait de ce fait assurée, pourrait être saisie par les citoyens, et les intégrerait dans ses instances. Ses rapports seraient publics.

Extrait du rapport de la Convention Citoyenne pour le Climat

L’objectif des membres de la Convention est d’accorder une place plus importante aux citoyens dans les mécanismes de contrôle, de renforcer l’efficacité des instances existantes et d’envisager la création d’un « défenseur de l’environnement ». Pour cela, les membres de la Convention font plusieurs propositions : […]

4. Envisager la constitutionnalisation du contrôle environnemental afin d’en garantir l’indépendance et l’inamovibilité. Les membres de la Convention recommandent la réalisation d’une analyse approfondie afin d’envisager la création d’une nouvelle instance de contrôle qui pourrait être un « Défenseur de l’environnement », sur le modèle du Défenseur des droits, avec :

– Son intégration à la Constitution garantissant son indépendance, sa force d’action et lui conférant une autorité symbolique importante ;

– La facilité de recours de la part des citoyens (le Défenseur des droits peut être saisi), la publicité de ses rapports et son autonomie par rapport au Gouvernement ;

– Une intégration des citoyens à ces instances de contrôle. Les membres de la Convention recommandent de s’inspirer de cette institution si un nouvel organe de contrôle des politiques environnementales devait être mis en place.

Source : Les propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat, version corrigée 29 janvier 2021.

La Convention recommandait par ailleurs d’instituer une Haute Autorité chargée de veiller au respect des limites planétaires, qui serait consultée par le Gouvernement sur l’ensemble des projets de textes législatifs ou réglementaires, sur les programmes et plan nationaux, ainsi que sur les projets susceptibles d’avoir une incidence sur l’environnement. Cette nouvelle autorité administrative indépendante pourrait également s’auto-saisir.

Dans la continuité des travaux de la Convention Citoyenne pour le Climat, au cours du premier semestre 2021, le précédent Gouvernement avait confié à Mme Cécile Muschotti, alors députée, la rédaction d’un rapport sur les conditions de création d’un Défenseur de l’environnement et des générations futures ([35]).

Mme Muschotti avait pu auditionner l’ensemble des acteurs politiques, associatifs, administratifs, juridiques et scientifiques concernés par la création d’une telle institution, qui répondrait au triple besoin d’ « incarnation », de « légitimité » et de « visibilité » qui font actuellement défaut aux institutions en charge de la défense de l’environnement.

Elle formulait dix-sept recommandations opérationnelles afin de définir les missions et les compétences de cette nouvelle autorité, de préciser ses pouvoirs, et d’identifier les autorités et services que le nouveau Défenseur aurait vocation à intégrer.

Elle concluait ainsi son rapport : « Notre dispositif de protection de l’environnement et de prise en compte des attentes citoyennes n’est aujourd’hui pas assez lisible et manque d’efficacité́. Il implique trop d’acteurs qui sont cloisonnés au sein d’un système complexe et instable qui en définitive ne limite pas les conflits et contentieux. La mise en place d’un Défenseur des droits et des générations futures apparait donc comme un moyen de répondre aux préoccupations citoyennes d’un affaiblissement de la défense de l’environnement et d’un enlisement des projets. »

Enfin, très récemment, le groupe de travail relatif au droit pénal de l’environnement, présidé par M. François Molins a proposé la création d’une autorité administrative indépendante en charge du suivi et de la sanction des conventions judiciaires d’intérêt public (CJIP) en matière environnementale ([36]).

Relevant des dysfonctionnements dans le contrôle des mesures mises en œuvre par les personnes morales concernées, c’est-à-dire de la mise en conformité et de la réparation du préjudice écologique, qui est actuellement confié aux services compétents du ministère chargé de l’environnement et de l’Office français de la biodiversité, le groupe de travail proposait ainsi la création d’une autorité administrative indépendante chargée d’en assurer le suivi ([37]).

2.   Une voie déjà empruntée par plusieurs pays

Certains États ont d’ores et déjà fait le choix de confier à une autorité indépendante des compétences en matière de médiation environnementale.

Parfois, un médiateur, ou « ombudsman », existait déjà, et ses prérogatives ont alors été étendues au domaine environnemental.

Ainsi, en Argentine, le Défenseur du Peuple de la Nation (« Defensor del Pueblo de la Nación »), créé par la révision constitutionnelle de 1994, est assisté depuis 2017 par un adjoint chargé de l’environnement et du développement durable, chargé de défendre le droit à un environnement sain. Il publie des recommandations (« exhortación »), à l’égard de l’État comme des provinces.

Autre exemple, la Suède, qui comporte trois ombudsmans spécialisés sous la tutelle d’un ombudsman en chef, l’un de ces ombudsmans spécialisés étant chargé de la protection de l’environnement et du contrôle des agences du ministère de l’environnement suédois.

Cette organisation se retrouve également en Espagne, en Ontario (Canada), en Grèce, en Belgique ou en Autriche, et constitue le modèle dominant ([38]).

Dans d’autres pays, une autorité spécialement compétente en matière d’environnement a été créée. C’est le cas en Nouvelle-Zélande, où le Commissaire Parlementaire de l’Environnement (« Parliamentary Commissioner for the Environment »), créé en 1986, a pour rôle d’enquêter sur les pratiques environnementales de l’administration. Indépendant du Gouvernement, il dispose d’un droit d’information, et présente ses recommandations au Parlement dans des rapports.

Au Québec (Canada), le Bureau d’audiences publiques a pour mission d’informer et de consulter les citoyens, d’enquêter, et de conseiller le Gouvernement, et remplit également une fonction de médiation.

Encore très récemment, et comme le relevait le M. Hubert Delzangles dans une contribution complémentaire envoyée à votre Rapporteur à la suite de son audition, le législateur espagnol a, le 30 septembre 2022, créé une personne juridique nouvelle, la lagune du Mar Menor, lui a donné des droits, et a créé des instances gardiennes de cette lagune. Il convient de retenir de l’initiative espagnole concernant les droits de la nature la création de garants de l’environnement, instances dotées d’une forme d’autonomie, chargées de protéger cette lagune.

En ce sens, la création d’un Défenseur de l’environnement s’inscrit dans la continuité d’une dynamique institutionnelle internationale.

B.   la crÉation d’une nouvelle autoritÉ indÉpendante compÉtente en matiÈre d’environnement devrait prendre pour modèle le dÉfenseur des droits

La création d’une autorité administrative indépendante en matière d’environnement permettrait de rendre plus effective la mise en œuvre du droit de l’environnement, et devrait prendre pour modèle le Défenseur des droits, qui constitue une réussite à bien des égards.

1.   Le Défenseur des droits, un modèle éprouvé

Le Défenseur des droits a été créé par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, à l’article 71-1 de la Constitution. Son statut, ses missions, ses compétences et ses pouvoirs ont été précisés dans deux lois, organique et ordinaire, du 29 mars 2011 ([39]). Il remplace, depuis le 1er mai 2011, le Médiateur de la République, le Défenseur des enfants, la Commission nationale de déontologie de la sécurité, et la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité ([40]).

Le Défenseur des droits est ainsi une autorité administrative indépendante. Si la Constitution n’a pas fait du Défenseur des droits une autorité collégiale, elle a prévu qu’il pourrait être assisté d’un collège pour l’exercice de certaines de ses attributions.

L’indépendance du Défenseur des droits est garantie par la durée et le caractère non renouvelable de son mandat, auquel il ne peut être mis fin que sur sa demande ou en cas d’empêchement, ainsi que par l’existence d’incompatibilités. Par ailleurs, il ne peut recevoir ou solliciter, dans l’exercice de ses attributions, aucune instruction, et bénéficie d’une immunité concernant les actes et opinions accomplis dans l’exercice de ses fonctions.

Il est nommé par le Président de la République, après avis des commissions parlementaires concernées, en application de la procédure prévue au dernier alinéa de l’article 13 de la Constitution ([41]).

L’article 71-1 de la Constitution lui confie une mission particulièrement large, celle de « [veiller] au respect des droits et libertés par les administrations de l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que par tout organisme investi d’une mission de service public, ou à l’égard duquel la loi organique lui attribue des compétences ».

Il est ainsi chargé de défendre les droits des personnes – citoyens français comme personnes étrangères, personnes physiques comme morales – dans leurs relations avec les services publics.

Les missions du Défenseur des droits

Aux termes de l’article 4 de la loi organique du 29 mars 2011, le Défenseur des droits est chargé :

1° de défendre les droits et libertés dans le cadre des relations avec les administrations de l’Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics et les organismes investis d’une mission de service public ;

2° de défendre et de promouvoir l’intérêt supérieur et les droits de l’enfant consacrés par la loi ou par un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France ;

3° de lutter contre les discriminations, directes ou indirectes, prohibées par la loi ou par un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France ainsi que de promouvoir l’égalité ;

4° de veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité sur le territoire de la République ;

5° d’informer, de conseiller et d’orienter vers les autorités compétentes toute personne signalant une alerte dans les conditions fixées par la loi et de défendre les droits et libertés des lanceurs d’alerte ainsi que des personnes protégées dans le cadre d’une procédure d’alerte.

La saisine du Défenseur des droits est très large, puisque celui-ci peut être saisi « par toute personne s’estimant lésée par le fonctionnement d’un service public » ou de l’un des organismes précités. Cette saisine est gratuite, et n’est soumise à la réalisation de démarches préalables auprès des personnes en cause que lorsque la demande a trait à la défense des droits et libertés dans le cadre des relations avec les administrations publiques. Le Défenseur peut par ailleurs se saisir d’office.

Le Défenseur des droits dispose par ailleurs de larges pouvoirs dans l’accomplissement de ses missions :

– il dispose d’un droit d’information, qui lui permet de demander des explications à toute personne, d’obtenir communication des informations et des pièces utiles à l’exercice de sa mission ([42]), de mettre en demeure ces personnes et de saisir le juge des référés si ses demandes ne sont pas suivies d’effet, et de procéder à des contrôles sur place ;

– il peut procéder à la résolution amiable des différends portés à sa connaissance, par voie règlement informel ou de médiation, et peut proposer également à l’auteur de la réclamation et à la personne mise en cause de conclure une transaction dont il peut recommander les termes ;

– il dispose d’un pouvoir de recommandation et, si sa recommandation n’a pas été suivie d’effets, d’un pouvoir d’injonction ; si aucune suite n’est donnée à l’injonction, il peut décider de rendre public un rapport spécial. Il peut également saisir un employeur de faits susceptibles de justifier une sanction disciplinaire ;

– il peut enfin présenter de observations écrites ou orales devant les juridictions.

Le Défenseur des droits ne dispose pas, en revanche, de la capacité d’ester en justice. Cependant, en matière de discrimination, et lorsque l’auteur des faits refuse la transaction proposée par le Défenseur des droits, ou qu’il n’exécute pas les obligations issues de la transaction qu’il a conclue, le Défenseur des droits peut mettre en mouvement l’action publique par voie de citation directe ([43]).

Il n’a pas non plus le pouvoir d’infliger des sanctions administratives.

S’agissant enfin des moyens, le Défenseur des droits comprenait, en 2021, 231 agents et 550 délégués, présents dans plus de 870 points d’accueil répartis sur l’ensemble du territoire ([44]).

Le Défenseur des droits est désormais bien ancré dans le paysage institutionnel français. Son autorité et son utilité sont reconnues.

En 2021, il a ainsi reçu près de 200 000 demandes d’interventions ou de conseils, dont près de 115 000 dossiers de réclamation (en hausse de 18,6 % par rapport à l’année précédente), et 85 000 appels (en hausse de 21 %).

Au cours de cette même année, plus de 80 % des règlements amiables ont abouti favorablement. Le Défenseur des droits a rendu 175 décisions portant observations devant les juridictions et, dans 82 % des cas, les décisions des juridictions ont confirmé ses observations.

La création d’une telle entité, inscrite dans la Constitution, et compétente s’agissant de nombreux droits humains fondamentaux, n’a pas affaibli l’action du milieu associatif. Au contraire, elle a permis par un travail conjoint l’amélioration de la protection des droits des citoyens.

Tous ces éléments plaident en faveur de la création d’une nouvelle autorité administrative indépendante, sur le modèle du Défenseur des droits.

2.   La nécessaire création d’une nouvelle autorité compétente en matière d’environnement, le Défenseur de l’environnement

En confiant à une autorité indépendante le soin d’assurer la défense des intérêts environnementaux et du droit à un environnement sain, la création d’un Défenseur de l’environnement doit ainsi permettre une meilleure effectivité du droit de l’environnement.

Son inscription dans la Constitution garantirait sa pérennité.

a.   Des missions étendues

La création d’un Défenseur de l’environnement permettra, d’abord, une meilleure prise en compte de l’intérêt général environnemental dans la mise en œuvre des politiques publiques, en particulier au niveau local. Il veillera ainsi à la préservation de l’environnement par les politiques publiques, au moment de leur élaboration, dans les textes législatifs et réglementaires ou les plans nationaux. Il jouera également un rôle de « vigie » au niveau local, en surveillant la mise en œuvre du droit de l’environnement par les autorités déconcentrées, et en agissant lorsque certaines activités ou certains projets pourraient menacer sa préservation.

Le Défenseur assurera, ensuite, une plus grande accessibilité du droit de l’environnement et des procédures associées, et remplira une fonction de « guichet unique environnemental ». Il pourra être saisi par toute personne estimant que l’environnement est menacé, l’orientera vers les institutions compétentes, et accompagnera le requérant, voire se substituera à lui, devant les tribunaux. Il contribuera également à la lisibilité du paysage institutionnel français, en rassemblant en une autorité unique de nombreux services compétents en matière d’environnement, qui sont autant d’interlocuteurs pour le citoyen.

Le Défenseur contribuera, enfin, à une meilleure évaluation environnementale des politiques publiques, en rassemblant les moyens des services compétents. Il permettra que chaque proposition et projet de loi puisse être, avant son débat et son vote à l’Assemblée, évalué scientifiquement et indépendamment du point de vue de ses conséquences sur notre environnement. Par le biais de ces avis systématiques, le Défenseur de l’environnement participera à l’amélioration constante des débats, et par voie de conséquence, au respect de notre droit de l’environnement.

Les autorités et services qui pourraient être fusionnés, totalement ou partiellement, au sein du Défenseur de l’environnement

Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement (CnDAspe) : Créée par la loi n° 2013-316 du 16 avril 2013 relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé-environnement et sur la protection des lanceurs d’alerte, la CnDAspe est chargée de veiller aux règles déontologiques s’appliquant à l’expertise scientifique et technique et aux procédures d’enregistrement des alertes en matière de santé publique et d’environnement.

Commission nationale du débat public (CNDP) : Créée par la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement, la CNDP est une autorité administrative indépendante qui veille au respect du droit à l’information et à la participation du public dans l’élaboration des projets et des politiques publiques ayant un impact sur l’environnement.

Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) : Créée par la loi nᵒ 78‑753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal, la CADA est une autorité administrative indépendante qui est chargée de veiller au respect de la liberté d’accès aux documents administratifs et aux archives publiques.

Médiateur de l’énergie : Créé par la loi n° 2006-1537 du 7 décembre 2006 relative au secteur de l’énergie, le Médiateur de l’énergie est une autorité publique indépendante qui est chargée de recommander des solutions aux litiges entre les personnes physiques ou morales et les entreprises du secteur de l’énergie et de participer à l’information des consommateurs d’énergie sur leurs droits.

Médiateur de l’eau : Encadré par les articles L. 612-1 à L. 612-5 du code de la consommation, le Médiateur de l’eau est une association qui a pour mission de proposer une solution à un litige opposant un usager abonné du service public de l’eau ou de l’assainissement au professionnel opérateur de ce service.

Haut Conseil pour le climat (HCC) : Créé par le décret n° 2019-439 du 14 mai 2019 relatif au Haut Conseil pour le climat, le HCC est un organisme indépendant placé auprès du Premier ministre qui a pour mission d’apporter un éclairage indépendant et neutre sur la politique du Gouvernement et ses impacts socio-économiques et environnementaux.

Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires (ACNUSA) : Créée par la loi n° 99-588 du 12 juillet 1999 portant création de l’Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires, l’ACNUSA est une autorité administrative indépendante chargée d’émettre des recommandations sur les questions relatives aux nuisances environnementales générées par le transport aérien et les installations aéroportuaires.

Autorité de sûreté nucléaire (ASN) : Créé par la loi n° 2006-686 du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, l’ASN est une autorité administrative indépendante chargée de contrôler les activités nucléaires civiles. Les auditions ont néanmoins fait apparaître qu’étant donné la particularité de l’ASN, il serait préférable de ne pas l’inclure au sein du Défenseur de l’environnement.

Autorité environnementale (Ae) et missions régionales d’autorité environnementale (MRAe) de l’IGEDD : Les compétences de ces autorités ont été rappelées dans la présentation générale de la proposition de loi.

Il reviendra à la loi organique et à la loi ordinaire de prévoir ces transferts de compétences.

b.   Des compétences importantes pour s’assurer de l’efficacité du Défenseur de l’environnement

Afin de mener à bien sa mission, le Défenseur de l’environnement sera doté de pouvoirs importants.

À l’image du Défenseur des droits, il disposera d’un large droit d’information, qui lui permettra d’évaluer les effets sur l’environnement des projets soumis à son examen.

Il pourra également rechercher la résolution amiable des différents portés devant lui, et disposera de pouvoirs de recommandation et d’injonction.

Pour assurer la meilleure défense de l’intérêt général environnemental devant les juridictions, le Défenseur de l’environnement devra avoir la capacité d’ester en justice, dès lors que la préservation de l’environnement est menacée. Il disposera de la possibilité de présenter des observations écrites ou orales devant les juridictions.

Le Défenseur de l’environnement pourra infliger des sanctions administratives en cas de non-respect du droit de l’environnement. Outre des amendes, il pourra imposer des astreintes, afin de prévenir des dommages irréversibles à l’environnement par exemple, ou ordonner la réparation des préjudices.

Enfin, en matière d’évaluation environnementale, le Défenseur de l’environnement pourra rendre des avis sur les projets de textes législatifs – projets comme propositions de loi – ainsi que sur les évaluations qui les accompagnent.

c.   Une saisine large

Comme pour le Défenseur des droits, la saisine du Défenseur de l’environnement devra être la plus ouverte possible.

Il pourra ainsi être saisi par toute personne qui estime que l’environnement est menacé, gratuitement, et sans démarche préalable. Il pourra s’autosaisir.

Il sera également chargé du suivi des lanceurs d’alerte en matière d’environnement, et pourra jouer le rôle d’autorité externe en charge du traitement des signalements effectués ([45]).

Le Défenseur de l’environnement ne constituera pas un concurrent pour les associations de défense de l’environnement. Au contraire, comme le rappelait Mme Cécile Muschotti lors de son audition, les associations pourront saisir le Défenseur de l’environnement, ce qui assurerait à leurs remontées de terrain un traitement plus rapide, leur offrirait une meilleure visibilité, et améliorerait la réponse qui leur est donnée.

d.   Des garanties d’indépendance et d’impartialité

L’indépendance du Défenseur de l’environnement à l’égard de l’exécutif et son impartialité dans la conduite de ses missions seront assurées par ses conditions de nomination, ainsi que par l’existence de garanties statutaires, inspirées de celles applicables au Défenseur des droits.

Il pourra également être assisté d’un collège, qui comprendra plusieurs adjoints, et assurera également la représentation des citoyens.

Chaque adjoint aura pour fonction spécifique d’assurer le suivi d’une ou de plusieurs limites planétaires, qui conditionnent l’habitabilité de la Terre ([46]). À cet égard, ces adjoints seront dotés eux-mêmes ainsi que leurs équipes d’une expertise scientifique, indispensable pour formuler des avis en opportunité pertinents, et pour pouvoir évaluer les politiques publiques.

Enfin, pour assurer la collégialité dans la prise de décision lors de l’énoncé de sanctions administratives, un organe spécifique sera créé.

3.   La création d’un Défenseur de l’environnement est préférable à l’extension des compétences du Défenseur des droits

Si l’extension des compétences du Défenseur des droits à la préservation de l’environnement a pu être évoquée au cours des travaux préparatoires de votre Rapporteur, celle-ci ne semble pas pertinente.

Cette solution ne répondrait pas à la volonté d’améliorer la lisibilité du paysage institutionnel en matière d’environnement, et de meilleure visibilité de l’institution chargée de le préserver.

De plus, le Défenseur des droits ne dispose actuellement pas des compétences techniques et scientifiques nécessaires à la bonne réalisation d’une telle mission, ce qui nécessiterait, quoiqu’il en soit, de renforcer ses moyens ou de lui transférer les services et autorités précédemment mentionnés.

Enfin, le Défenseur des droits n’a actuellement pas pour mission de défendre les droits collectifs et, hormis les cas de discrimination, n’est pas compétent pour résoudre les litiges entre personne privées.

De fait, le Défenseur des droits rend actuellement très peu de décisions portant sur l’environnement.

Comme le relevait lors de son audition M. Daniel Agacinski, délégué général en charge de la médiation, moins de 3 % des réclamations traitées par le Défenseur des droits avaient porté sur l’environnement et l’urbanisme en 2020, soit une trentaine de dossiers. Ces réclamations, rattachées à la gestion des services publics, renvoyaient toutes à des situations locales et individuelles : certaines avaient trait à l’habitat et au mode de vie (expositions aux ondes, nuisances olfactives ou ordures ménagères), d’autres, aux conséquences des catastrophes naturelles et à la pollution, et d’autres enfin, aux aides publiques à l’énergie et à la transition énergétique.

Le risque de concurrence entre l’actuel Défenseur des droits et le futur Défenseur de l’environnement ne paraît donc pas susceptible de donner lieu à des conflits de compétences significatifs.

Il n’en demeure pas moins que des tensions pourraient apparaître, du fait du regard divergent que pourraient porter ces deux institutions sur la manière de concilier certains droits et libertés, tels que le droit de propriété, la liberté d’entreprendre, ou les droits sociaux comme le droit au logement, avec l’impératif de préservation de l’environnement. Ces tensions ne sont pas insurmontables, et existent d’ores et déjà entre certains droits fondamentaux : la liberté d’aller et venir s’est ainsi heurtée au droit à la santé et à la sécurité au début de l’épidémie de Covid-19. Des mécanismes sont mis en œuvre pour articuler ces différents droits et les protéger au mieux ; un mécanisme de saisine conjointe du Défenseur des droits et du Défenseur de l’environnement, ou de dialogue institutionnalisé, pourrait être envisagé dans de tels cas de figure.

 

 


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COMMENTAIRE DE l’article unique

Article unique
(article 71-2 [nouveau] de la Constitution)
Création d’un Défenseur de l’environnement

Rejeté par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article prévoit la création d’un Défenseur de l’environnement, chargé de veiller à la préservation de l’environnement et des biens communs planétaires par les acteurs publics comme privés, à leur amélioration constante, ainsi qu’au respect des limites planétaires par les politiques publiques.

       Dernières modifications constitutionnelles intervenues

La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a introduit un nouvel article 71-1 dans la Constitution qui crée un Défenseur des droits, dont la mission est de veiller au respect des droits et libertés par les personnes publiques. La loi organique n° 2011-333 et la loi n° 2011-334 du 29 mars 2011 relatives au Défenseur des droits ont précisé son organisation, ses attributions et ses modalités d’intervention.

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La question de la création d’une autorité administrative indépendante compétente en matière d’environnement a été posée à plusieurs reprises au cours de la dernière décennie.

Très récemment, en 2021, la Convention Citoyenne pour le Climat a suggéré d’envisager la « constitutionnalisation du contrôle environnemental, afin d’en garantir l’indépendance et l’inamovibilité », par la création d’un Défenseur de l’environnement, sur le modèle du Défenseur des droits.

La création d’une grande autorité indépendante compétente en matière de droit de l’environnement permettrait d’assurer une meilleure effectivité du droit de l’environnement, de faciliter son appropriation par les citoyens, et de renforcer l’évaluation environnementale.

Sa constitutionnalisation lui donnerait un poids institutionnel plus important, assurerait sa pérennité, garantirait son indépendance et renforcerait sa visibilité.

La proposition de loi introduit ainsi dans la Constitution un nouveau titre XI ter, constitué d’un unique article 71-2 (alinéas 1 à 3).

Cet article crée un Défenseur de l’environnement, sur le modèle du Défenseur des droits.

Il lui confère un champ de compétences étendu (alinéas 4 à 6), lui donne d’importants moyens et attributions (alinéas 7 à 10), précise ses conditions de nomination (alinéa 11), et prévoit la manière dont il rend compte de son activité (alinéa 12).

1.   Un champ de compétence étendu

Aux termes de la rédaction proposée, le Défenseur de l’environnement veille :

– à la préservation de l’environnement et des biens communs planétaires par les administrations de l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics, les organismes investis d’une mission de service publique, ainsi que par toute autre personne (alinéa 4) ;

– à ce que l’environnement et les biens communs planétaires fassent l’objet d’une amélioration constante (alinéa 5) ;

– et, enfin, à ce que les politiques publiques respectent les limites qui conditionnent l’habitabilité de la Terre (alinéa 6).

La mention de ces différentes notions n’est pas de nature à les consacrer en tant que principes constitutionnels : elle ne conduit pas à les ajouter à la liste des normes et principes au regard desquels le Conseil constitutionnel exerce son contrôle, lorsqu’il est saisi d’un contrôle de constitutionnalité a priori ou d’une question prioritaire de constitutionnalité.

Ce choix de termes ambitieux permet, en revanche, de préciser le champ d’intervention du Défenseur de l’environnement.

Premièrement, le Défenseur de l’environnement sera chargé de veiller à la préservation de l’environnement et des biens communs planétaires.

Si la notion d’environnement ne fait pas l’objet d’une définition stricte en droit français, elle renvoie à « l’ensemble des facteurs naturels ou artificiels qui conditionnent la vie de l’homme » ([47]), ce qui recouvre notamment la population et la santé humaine, la biodiversité, les terres, le sol, l’eau, l’air et le climat, les biens matériels, le patrimoine culturel et le paysage, ainsi que l’interaction entre ces différents facteurs ([48]).

La notion de biens communs planétaires renvoie quant à elle à l’idée selon laquelle les activités exercées en France peuvent avoir des effets sur l’environnement à l’étranger, et qu’il est dès lors nécessaire de prévenir les éventuelles atteintes que ces activités pourraient occasionner. Elle désigne ainsi l’ensemble des « zones ou des ressources qui se situent au-delà des juridictions souveraines » ([49]).

Deuxièmement, le Défenseur de l’environnement sera chargé de veiller à ce que l’environnement et les biens communs planétaires fassent l’objet d’une amélioration constante. Cette formulation fait écho à l’article 2 de la Charte de l’environnement de 2004, qui dispose que « toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement ».

Elle renvoie au principe de non-régression, qui est d’ores et déjà reconnu dans notre droit. Le 9° de l’article L. 110-1 du code de l’environnement prévoit en effet un tel « principe de non-régression, selon lequel la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ». Ce principe de non-régression ne constitue toutefois pas un principe constitutionnel, le Conseil constitutionnel ayant jugé que ce principe n’avait que valeur législative ([50]).

Enfin, le Défenseur de l’environnement sera chargé de veiller à ce que les politiques publiques respectent les limites qui conditionnent l’habitabilité de la Terre. La notion de limites planétaires a été proposée à la fin des années 2000 par un ensemble de chercheurs menés par Johan Rockström, de l’université de Stockholm ([51]). Il existe ainsi neuf limites planétaires, qui correspondent chacune à un seuil que l’humanité ne devrait pas dépasser, au risque de menacer la stabilité des conditions de la vie, notamment humaine, sur Terre.

Les limites planétaires

Le concept des limites planétaires permet de définir une limite de développement qui soit juste et sûre pour l’humanité.

Ces limites permettent d’encadrer les neufs processus qui portent atteinte à la stabilité de la planète et de ses écosystèmes, à savoir :

– le changement climatique ;

– l’érosion de la biodiversité ;

– la perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore ;

– les changements d’utilisation des sols ;

– l’acidification des océans ;

– l’utilisation mondiale de l’eau ;

– l’appauvrissement de l’ozone stratosphérique ;

– l’augmentation des aérosols dans l’atmosphère ;

– l’introduction d’entités nouvelles dans la biosphère.

Source : Aurélien Boutaud et Natacha Gondran, Les limites planétaires, La Découverte, 2020, et rapport de la Convention Citoyenne pour le Climat.

2.   Des moyens et des pouvoirs importants, qui devront être précisées par une loi organique

La création d’un Défenseur de l’environnement permettra :

– une plus grande prise en compte de l’intérêt général environnemental dans la mise en œuvre des politiques publiques ;

– une meilleure application de la sanction en matière environnementale ;

– une plus grande accessibilité du droit de l’environnement et des procédures associées ;

– une évaluation environnementale des politiques publiques plus approfondie.

Afin de lui permettre de mener à bien ses missions, le nouvel article 712 confie au Défenseur de l’environnement d’importants pouvoirs, inspirés de ceux dont dispose le Défenseur des droits :

– l’alinéa 7 prévoit que le Défenseur de l’environnement rendra publics des avis sur les projets et les propositions de loi ainsi que sur les évaluations qui les accompagnent avant leur discussion au Parlement ;

– la première phrase de l’alinéa 9 renvoie à la loi organique le soin de définir les attributions et les modalités d’intervention du Défenseur de l’environnement. Cela renvoie notamment au statut juridique de l’entité créée, ainsi qu’à ses pouvoirs, qui pourront par exemple comprendre un droit d’information, de recommandation, d’injonction, ainsi que la possibilité de faire des observations au cours d’une procédure juridictionnelle, ou encore la capacité d’ester en justice ;

– l’alinéa 10 prévoit que la loi organique définit les conditions dans lesquelles le Défenseur de l’environnement dispose d’un pouvoir de sanction.

L’alinéa 8 prévoit que le Défenseur de l’environnement pourra être saisi par toute personne estimant que la préservation de l’environnement est menacée, et renvoie à la loi organique le soin d’en préciser les conditions. Il prévoit également que le Défenseur pourra se saisir d’office.

La seconde phrase de l’alinéa 9, enfin, prévoit que le Défenseur de l’environnement pourra être assisté d’un collège pour l’exercice de certaines de ses attributions, dans les conditions prévues par la loi organique.

3.   Des garanties d’indépendance

Afin d’assurer l’indépendance du Défenseur de l’environnement et de lui permettre d’agir en toute impartialité, l’alinéa 11 apporte plusieurs garanties.

Le Défenseur de l’environnement sera nommé par le Président de la République pour un mandat de six ans, non renouvelable, après consultation des commissions parlementaires compétentes, en application de la procédure prévue au dernier alinéa de l’article 13 de la Constitution ([52]).

Ses fonctions seront incompatibles avec celles de membre du Gouvernement et de membre du Parlement ; d’autres incompatibilités devront être déterminées par la loi organique.

À l’image du Défenseur des droits, la loi organique pourra par ailleurs prévoir d’autres garanties (inamovibilité, impossibilité de recevoir ou de solliciter des instructions, immunité pour les actes et opinions commis dans l’exercice du mandat, par exemple).

4.   La reddition de comptes

Enfin, l’alinéa 12 prévoit que le Défenseur de l’environnement rendra compte de son activité au Président de la République et au Parlement.


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travaux de la commission

Lors de sa réunion du mercredi 1er février 2023, la Commission examine la proposition de loi constitutionnelle visant à créer un Défenseur de l’environnement (n° 608) (M. Gérard Leseul, rapporteur).

Lien vidéo : https://assnat.fr/lkng0v

M. Gérard Leseul, rapporteur. De nouvelles données le montrent chaque jour, l’urgence climatique est de plus en plus pressante.

Selon le programme des Nations unies pour l’environnement, 30 % de la population mondiale est exposée à des vagues de chaleur mortelle plus de vingt jours par an. En France, l’année 2022 a été la plus chaude jamais enregistrée par Météo-France depuis le début des relevés en 1900, et la deuxième année la plus sèche depuis 1959.

Le Fonds mondial pour la nature a relevé que près de 68 % des populations de vertébrés auraient disparu entre 1970 et 2016, un rythme cent à mille fois supérieur au taux naturel d’extinction. Enfin, six des neuf limites planétaires identifiées par l’équipe de scientifiques conduite par le professeur Johan Rockström, auraient d’ores et déjà été franchies.

Nous sommes responsables d’un changement d’état irréversible des écosystèmes mondiaux, mais aussi de graves pollutions, en particulier locales. Les incendies du site Bolloré Logistics et celui de l’usine Lubrizol ont ainsi porté atteinte au droit de chacun de vivre dans un environnement sain.

Le droit de l’environnement fait pourtant l’objet d’une attention importante et approfondie depuis plus d’un demi-siècle. Le développement du droit international et du droit communautaire, la consécration de l’environnement dans le bloc de constitutionnalité par l’intégration de la Charte de l’environnement et le renforcement continu des dispositions du code de l’environnement ont progressivement dessiné les contours d’un édifice juridique toujours plus protecteur.

Cette construction n’est pas achevée et le droit de l’environnement peut toujours être enrichi. L’échec de la révision constitutionnelle tentée en 2021 ou le manque d’ambition de la loi « climat et résilience » nous le rappellent.

Surtout, les pouvoirs publics ne font pas encore suffisamment appliquer le droit de l’environnement. Plusieurs explications peuvent être avancées.

Tout d’abord, au niveau local, l’autorité de police administrative compétente en matière d’environnement, à savoir les préfets, n’intègre pas suffisamment les enjeux environnementaux dans ses décisions. Professeurs de droit et associations de défense de l’environnement s’accordent même à dire qu’ils sont parfois écartés au profit d’autres intérêts, notamment économiques. Sensible aux intérêts économiques locaux, le préfet est victime du phénomène de « capture du régulateur », et les acteurs économiques dont l’activité nuit à l’environnement sont trop peu ou inégalement sanctionnés. Parfois même, ce sont les préfets qui sont sanctionnés lorsqu’ils font respecter le droit de l’environnement – cela aurait valu son éviction à la préfète d’Indre-et-Loire.

La deuxième explication tient à la technicité et à la complexité du droit de l’environnement, qui ne facilitent pas son appropriation par le citoyen. Celui-ci est désavantagé par rapport aux acteurs économiques qui disposent d’un meilleur accès à l’information, comprennent mieux la réglementation et disposent d’une plus grande expertise, ce qui leur permet de faire primer leurs intérêts. La complexité et la lenteur des procédures judiciaires en matière d’environnement éloignent également le citoyen de la justice environnementale.

Enfin, on ne peut que déplorer le caractère encore trop parcellaire de l’évaluation environnementale des politiques publiques. À cet égard, la Commission européenne a récemment relevé que le droit français ne prévoyait pas de garanties suffisantes pour faire en sorte que les autorités accomplissent leurs missions de manière objective. De surcroît, l’évaluation préalable des projets et propositions de textes législatifs reste insuffisante : les développements consacrés aux conséquences environnementales des projets de loi sont trop succincts, tandis que nous ne disposons pas de moyens suffisants pour évaluer les conséquences environnementales de nos propositions de loi.

De cette situation, de nombreux travaux scientifiques et juridiques ont conclu la nécessité de créer une autorité administrative compétente en matière d’environnement.

Plusieurs pays ont d’ores et déjà choisi de confier à une autorité indépendante des compétences en matière de médiation environnementale. En Nouvelle-Zélande, un commissaire parlementaire de l’environnement a été créé en 1986. En Argentine, en Suède, en Espagne, en Ontario, en Belgique ou en Autriche, les compétences des médiateurs ont été étendues au domaine environnemental.

En France, la Convention citoyenne pour le climat avait recommandé de créer un Défenseur de l’environnement. Quelques mois plus tard, le précédent Gouvernement avait confié à Mme Cécile Muschotti, alors députée, le soin de conduire la mission pour préciser les contours de cette nouvelle autorité. J’avais, pour ma part, défendu cette proposition audacieuse dès 2021, lors de l’examen du projet de loi constitutionnelle relatif à la préservation de l’environnement, qui avait malheureusement échoué.

Je vous propose aujourd’hui de créer une nouvelle autorité indépendante en matière d’environnement, sur le modèle du Défenseur des droits, créé en 2008 et institué en 2011, qui est bien ancré dans le paysage institutionnel français et représente une réussite à bien des égards.

Le Défenseur de l’environnement poursuivrait trois objectifs principaux.

Premièrement, il permettrait de mieux prendre en compte l’intérêt général environnemental dans la conduite des politiques publiques, notamment au niveau local. Il jouerait également un rôle de vigie au niveau local, en surveillant l’application du droit de l’environnement par les autorités déconcentrées. À cette fin, il serait doté d’un pouvoir de sanction administrative dont il ferait usage en tant que de besoin pour assurer la protection de l’environnement.

Deuxièmement, il améliorerait la compréhension et l’accessibilité du droit de l’environnement et des procédures associées et remplirait une fonction de « guichet unique environnemental ». Il pourrait être saisi par toute personne estimant que l’environnement est menacé. Il l’orienterait vers les institutions compétentes et accompagnerait le requérant, voire se substituerait à lui, devant les tribunaux.

Il contribuerait aussi à une meilleure lisibilité du paysage institutionnel française en rassemblant en une autorité unique de nombreux services compétents en matière d’environnement, qui sont autant d’interlocuteurs pour le citoyen.

Troisièmement, il contribuerait à une meilleure évaluation environnementale des politiques publiques en rassemblant les moyens des services compétents. Il pourra ainsi rendre des avis sur les conséquences environnementales des textes législatifs.

Son champ de compétences serait large. Il veillerait à la préservation de l’environnement et des biens communs planétaires par les administrations de l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics, les organismes investis d’une mission de service public ainsi que par toute autre personne. Il contrôlerait le respect du principe d’amélioration constante, c’est-à-dire de non-régression, par les personnes publiques. Il s’assurerait que les politiques publiques respectent les limites qui conditionnent l’habitabilité de la terre.

S’agissant de son organisation, le Défenseur de l’environnement serait inscrit dans la Constitution, ce qui garantirait sa pérennité. Il serait nommé par le Président de la République, après application de la procédure prévue à l’article 13 de la Constitution – sa nomination devrait être approuvée par les commissions permanentes des deux assemblées.

Il serait créé par fusion de services et d’autorités administratives existantes, charge à la loi de préciser lesquelles.

Il disposerait de garanties d’indépendance. Son mandat serait de six ans, non renouvelable. Ses fonctions seraient incompatibles avec celles de membres du Gouvernement et de membre du Parlement. D’autres incompatibilités et garanties devront être déterminées par la loi organique, comme l’inamovibilité.

Il serait assisté d’un collège et de plusieurs adjoints. J’en profite pour indiquer que nos auditions ont mis en évidence l’importance de la collégialité, du fait de la complexité des questions environnementales. J’y suis sensible. Nous préciserons ce point lors de l’examen de la loi organique.

Quant à ses attributions, le texte prévoit de lui accorder le pouvoir de rendre des avis sur les projets et propositions de loi, de prendre des sanctions administratives et de se saisir d’office.

Le texte renvoie à la loi organique le soin de définir les attributions et les modalités d’intervention du Défenseur de l’environnement, c’est-à-dire son statut juridique et ses pouvoirs. Pourront être envisagés un droit d’information, de recommandation, un pouvoir d’injonction, la possibilité de formuler des observations au cours d’une procédure juridictionnelle, voire d’ester en justice.

La meilleure défense, c’est la défense. Si nous voulons que nos concitoyens puissent défendre leur droit de vivre dans un environnement sain, que les pollutions soient sanctionnées et que nos lois accomplissent systématiquement des avancées en matière de préservation de l’environnement, nous devons instaurer une institution experte, identifiable, protectrice, indépendante et inscrite dans la Constitution : un Défenseur de l’environnement.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Clara Chassaniol (RE). Au premier abord, cette proposition de loi m’a paru s’inscrire dans l’accélération de la transition écologique que nous avons impulsée pour ne pas figurer parmi les témoins attentistes des drames que provoque le changement climatique. J’y ai vu une idée politiquement attrayante permettant de donner leur effectivité aux principes de la Charte de l’environnement et donnant suite aux travaux de notre ancienne collègue Muschotti.

Toutefois, à y regarder de plus près, cette proposition se heurte à plusieurs limites, d’ailleurs mises en exergue lors des auditions que vous avez menées.

Se pose tout d’abord la question de l’articulation avec les prérogatives du Défenseur des droits, qui dispose déjà de moyens d’agir pour la défense des droits définis dans le code de l’environnement ou du droit à un environnement sain, reconnu en septembre dernier par le Conseil d’État comme une liberté fondamentale. Les contours d’une nouvelle autorité concurrente, qui défendrait, qui plus est, un droit dont la personnalité juridique n’est pas acquise, paraissent à ce stade assez imprécis.

Néanmoins, vous mettez en lumière une préoccupation que nous partageons concernant le manque de lisibilité des moyens d’interpeller les pouvoirs publics sur les enjeux environnementaux. Notre majorité défend la logique du guichet unique dès lors que des dispositifs rendent contraignant l’exercice de droits. C’est une question démocratique à laquelle il faut apporter des réponses, le cas échéant en fusionnant certaines instances, comme vous le suggérez. Leur fonctionnement et leurs compétences étant toutefois extrêmement variés, un simple rapprochement de lignes budgétaires ne serait pas suffisant. La sûreté nucléaire, l’accès à l’eau, les nuisances aéroportuaires ou les problèmes d’approvisionnement en énergie ne sont pas soumis aux mêmes risques et ne répondent pas aux mêmes logiques.

Concernant la capacité à évaluer les impacts de nos politiques sur l’environnement, la création du secrétariat général à la planification écologique, l’année dernière, a été une avancée importante mais il reste du chemin à parcourir. Nous devons repenser les moyens de l’évaluation et du contrôle parlementaires. Donner cette responsabilité à une autorité qui dessaisirait le Parlement de ses prérogatives doit être analysé au regard de nos missions et de la perception de nos concitoyens de la capacité réelle du politique à agir. C’est à nous, collectivement, d’incarner l’écologie. Notre majorité, qui mène ce combat, a engagé des transformations majeures dans la lutte contre le changement climatique afin d’atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050 – arrêt de grands projets d’artificialisation, interdiction de location de passoires thermiques, augmentation de la part du renouvelable dans notre mix énergétique pour être le premier pays à sortir du fossile.

Si les enjeux que vous soulevez sont cruciaux en matière écologique, un changement constitutionnel visant à créer une nouvelle institution ne peut sérieusement faire l’objet d’une proposition de loi qui comporte de tels biais. Le projet mériterait de s’inscrire dans une réflexion plus globale, plus aboutie quant aux missions, attributions et compétences d’une nouvelle autorité. Il serait intéressant d’aborder ce sujet au sein de la commission transpartisane qui aura pour ambition de repenser l’architecture de nos institutions et de redonner de la vitalité démocratique à notre pays.

Aussi, tout en reconnaissant la démarche positive ici engagée, il nous semble que la solution proposée ne répond pas au problème posé du renforcement de l’effectivité des normes environnementales et ne définit pas suffisamment les contours de cette entité. C’est pourquoi notre groupe votera contre ce texte.

M. Romain Baubry (RN). En 1978, la France assistait à l’avènement d’une première autorité administrative indépendante, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). Progressivement, la Ve République a vu un véritable État dans l’État se développer avec la démultiplication des autorités administratives, ces dernières s’éloignant bien souvent des préoccupations de nos compatriotes. En mars 2021, au sein de cet hémicycle, alors que nos prédécesseurs débattaient du projet du Gouvernement visant à inscrire le climat dans la Constitution, le garde des sceaux lui-même affirmait qu’il ne souhaitait pas multiplier ces autorités.

Ce texte, critiquable à de nombreux égards, vise à déléguer d’importantes prérogatives environnementales à l’un de ces « objets juridiques non identifiés », comme les nommait l’ancien sénateur Patrice Gérald dans un rapport parlementaire. Alors que nos compatriotes émettent la volonté que leurs élus se chargent de la mise en place d’une politique globale environnementale, seule la nécessité d’adopter des mesures concrètes fait consensus.

Aujourd’hui, le parti socialiste, en présentant ce texte, voudrait donner l’impression qu’il s’empare du sujet. Dès 2010, le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale dénonçait les mauvaises raisons de création d’autorités administratives en ces termes : affichage politique, défiance vis-à-vis de l’administration traditionnelle ou des juridictions ou encore manque de courage politique – caractéristiques qui vous vont plutôt bien.

Outre la forme d’entité juridique que ce texte créerait, les missions et pouvoirs conférés à cette nouvelle autorité sont préoccupants. En l’état, l’autorité se verrait confier une mission de préservation de l’environnement et des biens communs planétaires. Ces termes, bien trop vagues, laissent présager qu’elle s’arrogera progressivement un pouvoir de nuisance. Elle cumulera des prérogatives de contrôle des politiques publiques, de publication d’avis sur les projets et propositions de loi ainsi qu’un pouvoir de sanction sans avoir la légitimité du pouvoir législatif ni celle d’une juridiction.

L’absence de prise en compte de l’intérêt de nos compatriotes dans les missions de cette nouvelle autorité est particulièrement alarmante. Protéger l’environnement fait consensus dans la population mais si vous souhaitez une pleine adhésion, elle ne devrait pas être une nouvelle fois la victime d’une écologie punitive. Les Français n’ont pas à porter la pleine responsabilité de mauvais choix politiques, qui n’appartient qu’à ceux qui ont gouverné.

Quant à la saisine de cette autorité, elle ne serait pas fondée sur la violation d’une disposition légale ou sur l’atteinte à un droit protégé ou à une liberté garantie, mais sur la vague interprétation d’une potentielle menace à la préservation de l’environnement. De ce fait, le groupe Rassemblement national s’oppose à ce que l’on donne à une autorité administrative le moyen d’exprimer, par le biais d’un pouvoir de sanction, la manière dont la Nation doit déterminer sa politique environnementale. C’est à nous, parlementaires, de définir cette politique.

Le Rassemblement national maintient qu’une transition écologique ne réussira que si elle est bénéfique à l’ensemble de nos compatriotes. Lorsque vous étiez au pouvoir, vous avez démontré être capables du contraire.

Nous nous opposerons donc au texte proposé.

Mme Danièle Obono (LFI-NUPES). Selon le tout récent rapport du programme européen d’observation de la Terre, Copernicus, les huit dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées dans le monde. L’année 2022 a été plus chaude d’environ 1,2 degré que pendant la période 1850-1900, avant que la révolution industrielle produise ses effets sur le climat. En Europe, elle a été la deuxième année la plus chaude. Les concentrations de dioxyde de carbone relevées dans l’atmosphère ont également atteint un niveau record.

« Qui aurait imaginé […] la crise climatique aux effets spectaculaires encore cet été dans notre pays ? » demandait benoîtement Emmanuel Macron lors de ses vœux le 31 décembre dernier. Qui ? Les compagnies pétrolières, depuis les années 1960, et à peu près tous les scientifiques qui travaillent sur le sujet depuis les années 1980-1990. Mais au vu du bilan de son précédent mandat, marqué par une flagrante et criminelle inaction climatique, de telles inanités ne sont guère surprenantes de la part du président des ultrariches et des ultrapollueurs. Rappelons qu’en novembre 2020 et octobre 2021, la justice a condamné l’État français pour manquement à ses engagements de lutte contre le dérèglement climatique. Rappelons également que seules 16 mesures très libéralement inspirées des 149 initialement proposées par la Convention citoyenne pour le climat ont été incluses dans la loi « climat et résilience » de 2021. Un an après son adoption, à peine 10 % des dispositifs législatifs ont été suivis par la publication des décrets d’application.

La présente proposition de loi constitutionnelle de nos collègues du groupe Socialistes et apparentés est donc éminemment opportune. Elle s’inspire d’une proposition de la fameuse Convention citoyenne qui défendait la création d’un Défenseur de l’environnement afin de renforcer l’efficacité des voies de recours des citoyens et des citoyennes pour agir contre des atteintes à l’environnement et pour améliorer la transparence et la précision des rapports d’évaluation a priori des lois dans le domaine environnemental. Le rapport Muschotti, commandé par le Premier ministre Castex, concluait également, en juillet 2021, à l’utilité d’une telle nouvelle instance.

Le Défenseur de l’environnement disposerait ainsi, sur le modèle de la Défenseure des droits, d’un statut d’autorité administrative indépendante (AAI) qui lui permettrait d’assurer l’effectivité de l’application des normes environnementales. Cette autorité pourrait à la fois s’autosaisir ou être saisie par n’importe quelle personne. Elle rendrait des avis publics sur les projets et propositions de loi et les évaluations qui les accompagnent avant examen du Parlement. Elle aurait la possibilité d’être assistée par un collège pour l’exercice de certaines de ses attributions afin de favoriser la participation citoyenne. Elle disposerait d’un pouvoir de sanction délimité par loi organique. Enfin, sa création devrait simplifier le paysage institutionnel en fusionnant des organismes existants.

Nous sommes favorables à cette proposition, que nous souhaitons par ailleurs inclure dans une stratégie plus globale. Notre défi en tant que société est d’inscrire l’activité humaine dans le cadre des limites planétaires. Pour y répondre avec responsabilité et détermination, nous devons procéder à une bifurcation écologique. Il s’agit de changer la façon dont nous produisons, consommons et échangeons pour nous mettre en harmonie avec la nature, tout en garantissant des conditions de vie dignes à chacun. Cela doit être planifié.

La planification est d’abord une méthode, la règle directrice et le principe qui en oriente le contenu. Nous l’appelons la « règle verte ». Concrètement, cela signifie l’obligation, à l’échelle de la France, de ne pas prélever sur la nature plus de ressources renouvelables que ce qu’elle peut reconstituer ni de produire plus de pollution et de déchets que ce qu’elle peut supporter. C’est le sens des amendements d’appel que nous avons déposés concernant la règle verte et le principe de non-régression, la planification, les biens communs et le référendum sur les accords de libre-échange.

Nous voterons avec enthousiasme pour ce texte.

M. Ian Boucard (LR). Cette proposition de loi constitutionnelle du groupe socialiste vise à créer un Défenseur de l’environnement sur le modèle du Défenseur des droits. Il serait chargé de s’assurer de l’effectivité du principe constitutionnel de préservation de l’environnement et disposerait pour ce faire du statut d’autorité administrative indépendante. Il veillerait en particulier à la préservation et à l’amélioration constante de notre environnement. Il pourrait s’autosaisir ou être saisi par toute personne estimant que la préservation de l’environnement est menacée.

Si personne ne peut nier la nécessité de lutter contre le changement climatique, il convient de se demander si cette proposition de loi améliorerait la situation actuelle. Or, selon nous, il n’est pas nécessaire de créer une énième entité consultative appelée à se prononcer sur les projets de loi relatifs à l’environnement. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE), dont l’efficience et le coût sont remis en cause, et dont nous venons d’étendre le champ de compétences, joue déjà ce rôle. De plus, la protection du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, droit consacré par notre Charte de l’environnement, entre pleinement dans les missions du Défenseur des droits : il appartiendra donc à celui-ci de s’investir dans ce domaine.

Enfin, rappelons l’existence du Haut Conseil pour le climat, organisme indépendant chargé de donner des avis et d’émettre des recommandations sur la mise en œuvre des politiques publiques visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre en France. Il a vocation à apporter un éclairage indépendant sur la politique du Gouvernement en matière de climat. Vous connaissez notre préoccupation constante de réduire le surcoût de la technostructure, que nous estimons à 25 milliards, et notre réticence à déléguer à une nouvelle autorité administrative indépendante des compétences importantes.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains votera contre cette proposition de loi constitutionnelle.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Nous comprenons les préoccupations des auteurs de la présente proposition de loi constitutionnelle. Je ne reviendrai pas sur les constats que le texte évoque s’agissant de la dégradation très préoccupante des indicateurs globaux de l’état de notre environnement, et ce, malgré l’évolution positive de notre droit, comme en témoigne la place fondamentale dans notre ordre juridique de la Charte de l’environnement, consacrée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 19 juin 2008.

Le premier argument avancé pour justifier la création d’un Défenseur de l’environnement est le retard pris dans la publication de décrets d’application d’une loi, c’est-à-dire une situation certes déplorable mais classique de mauvais fonctionnement administratif. Pour y remédier, il nous est proposé beaucoup plus qu’un simple décalque de l’institution du Défenseur des droits : il s’agit de concentrer entre les mains d’une nouvelle autorité administrative indépendante des compétences et des moyens obtenus par dépeçage d’autres instances, tout en affichant l’ambition de lutter contre la complexité du droit et de donner plus de visibilité symbolique, d’impact administratif et politique à la protection de l’environnement.

Une telle proposition n’apparaît pas totalement réaliste. La description des missions de ce nouveau défenseur, dans un périmètre qui nous semble insuffisamment circonscrit, semble hésiter constamment entre évaluation, gestion, dénonciation tribunitienne, précontentieux et pouvoir de sanction. Ce mélange des tâches ne peut pas rendre justice aux intentions des auteurs. Aussi, il conviendra d’éviter tout risque d’empiétement et de confusion.

L’importance du sujet et des transformations institutionnelles qu’il entraîne mériterait cependant une approche concertée et une vision d’ensemble. La création d’un Défenseur de l’environnement indépendant mérite que nous œuvrions ensemble, dans le cadre d’une démarche d’évaluation globale et de la réflexion transpartisane sur les institutions que nous appelons de nos vœux.

Pour toutes ces raisons, le groupe Démocrate votera contre cette proposition de loi constitutionnelle.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Je salue le rapporteur pour son travail, qui s’inscrit dans un contexte alarmant et répond à une demande des citoyens désemparés par l’ampleur du problème. La création d’un Défenseur de l’environnement s’inscrit également dans une histoire qui a vu naître et croître le droit de l’environnement, dont nous devons redouter le détricotage. Nous constatons en effet que les objectifs à court terme, chers à nos amis politiques, et l’argument de l’efficacité ont le beau rôle face aux protecteurs de l’intérêt général, qui ne sont pas toujours bien entendus.

Le Défenseur de l’environnement doit être vu comme un outil pour faire vivre la Charte de l’environnement et les droits qu’elle reconnaît aux citoyens : droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ; devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement ; droit d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques. Comment assurer aux citoyens que ces droits à valeur constitutionnelle sont protégés, si ce n’est avec un Défenseur de l’environnement ?

Ce projet a le mérite de se calquer sur le dispositif que nous connaissons du Défenseur des droits. Il doit être directement connecté à la Charte de l’environnement et son périmètre devra être défini – nous n’en sommes là qu’aux travaux préparatoires, et cette proposition de loi ne demande qu’à prospérer dans le cadre de la séance publique. Nous pourrions nous retrouver sur certaines des missions qui seraient confiées au Défenseur : avis obligatoire avant tout texte sur l’environnement ; réception des alertes et protection des lanceurs d’alerte ; pouvoir d’autosaisine ; pouvoir d’enquête et d’investigation.

Le rapporteur a choisi la constitutionnalisation de cette institution, sur le modèle du Défenseur des droits, qui a pourtant moins de pouvoirs que bien d’autres autorités administratives indépendantes créées seulement par la loi. Ce choix est cohérent avec la valeur constitutionnelle de la Charte de l’environnement. Au-delà des critiques, il faut s’attacher à l’objectif, qui est de garantir aux citoyens le droit de vivre dans un monde meilleur et mieux protégé des nuisances.

M. Didier Lemaire (HOR). Le droit de l’environnement s’est considérablement développé en France ces dernières années, avec l’intégration de la Charte de l’environnement dans le bloc de constitutionnalité, en 2005, l’adoption de la loi « climat et résilience » en 2021 et l’arrêt du Conseil d’État du 20 septembre 2022 jugeant que le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé constituait une liberté fondamentale.

Votre proposition de loi constitutionnelle vise à créer un Défenseur de l’environnement disposant du statut d’autorité administrative indépendante et ayant vocation à assurer l’effectivité de l’application des normes environnementales. Il serait doté d’un pouvoir de sanction s’agissant de la répression administrative et de déclenchement de la répression pénale. Il aurait pour mission de veiller à la préservation de l’environnement et des biens communs planétaires, à l’amélioration constante de cette préservation, à la reconnaissance par les politiques publiques des limites qui conditionnent l’habitabilité de la Terre et à rendre publics, lorsqu’il l’estime nécessaire, des avis sur les projets et propositions de loi.

Si je salue votre initiative, monsieur le rapporteur, je m’interroge toutefois sur sa réalisation d’un point de vue purement juridique. En effet, le champ d’intervention du Défenseur des droits est très insuffisamment circonscrit et la préservation des biens communs planétaires est une notion aux contours flous et potentiellement hors de notre sphère juridique. De plus, les compétences que vous souhaitez lui confier risquent d’entrer en collision avec celles d’autres institutions telles que le Conseil d’État ou le Conseil constitutionnel. Le Défenseur de l’environnement ne disposera pas de l’impartialité requise pour prononcer des sanctions, qu’elles soient dirigées contre l’État ou contre n’importe quelle personne publique ou privée. Cela engendrera un risque de conflit d’intérêts ou de confusion entre les différents pouvoirs.

Cette proposition de loi constitutionnelle mérite d’être travaillée plus en profondeur. Le groupe Horizons comprend l’intérêt symbolique à inscrire l’environnement au niveau constitutionnel. Toutefois, ce sujet est bien trop sérieux pour qu’on s’en saisisse par le biais d’un article unique d’une proposition de loi constitutionnelle déposée au détour d’une niche parlementaire, dont on connaît les limites procédurales.

Dès lors, le groupe Horizons et apparentés votera contre cette proposition de loi constitutionnelle.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Je veux dire ma surprise à l’écoute des interventions des groupes Renaissance, Démocrate et Horizons. Ils prétendent partager l’objectif mais trouvent des arguments spécieux pour justifier de ne rien faire. L’urgence environnementale est là mais il faudrait repousser à plus tard l’adoption de mécanismes permettant d’améliorer la situation. Ce n’est pas cohérent.

Pendant très longtemps, les questions environnementales et d’écologie n’étaient pas déterminantes dans l’élaboration du droit, en dépit du consensus scientifique en la matière. Le droit progresse, certes, mais il n’est pas encore suffisamment appliqué. Ainsi, les préfets et les maires, qui disposent d’un pouvoir de sanction, privilégient toujours le court terme dans leurs arbitrages entre l’intérêt économique, l’intérêt social et l’intérêt environnemental, ce dernier étant toujours laissé de côté. Or, si tout le monde procède de cette manière, rien n’avance et l’environnement se dégrade.

D’autres processus sont envisageables : chambre parlementaire du futur ; personnalité juridique accordée à des fleuves, à des mers ou à des forêts ; inscription dans la Constitution d’un principe de non-régression environnementale ; recevabilité des amendements en matière environnementale sur le modèle de l’article 40 de la Constitution. En l’occurrence, la création d’un Défenseur de l’environnement n’a rien d’innovant : il s’agit d’un mécanisme connu et maîtrisé. Je ne comprends donc absolument pas la frilosité sur ce sujet.

En revanche, on peut débattre du contenu de ses prérogatives. S’agissant, par exemple, du fusionnement de l’ensemble des organismes existants, je serais personnellement réticent à y intégrer l’Autorité de sûreté nucléaire, qui ne me paraît pas relever de ce périmètre. De même, j’aimerais donner plus de poids à cette autorité en lui donnant le statut de d’autorité publique indépendante. On pourrait aussi discuter de l’autorité compétente pour désigner le futur Défenseur. Tous ces débats sont annexes : si vous avez des divergences, déposez des amendements plutôt que de bloquer cette évolution.

M. Jean-Louis Bricout (LIOT). Face au défi climatique, il est plus que temps de donner un coup d’accélérateur à nos politiques publiques environnementales. La simple consécration de droits environnementaux, même constitutionnels, ne permet pas d’assurer une protection effective. Le groupe LIOT soutient avec force la volonté de la Convention citoyenne pour le climat de créer un Défenseur des droits spécialisé dans les questions environnementales. Comme de trop nombreuses autres propositions, celle-ci avait été ignorée par le Président de la République, alors que le renforcement de la protection de l’environnement nous concerne tous et que nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à le réclamer.

Le groupe LIOT accueille donc favorablement ce texte. La création d’un Défenseur des droits de l’environnement ne donne pas dans le symbole, au contraire. Il convient de lui donner une parfaite légitimité, comparable à celle du Défenseur des droits. De même, nous nous associons à la démarche visant à fusionner certaines institutions pour simplifier l’environnement administratif et institutionnel.

Nous souhaitons toutefois obtenir des précisions. Alors que le Défenseur des droits dispose d’un simple droit de suite, pourquoi privilégier un pouvoir de sanction pour celui de l’environnement ? Quelles seront ses compétences ? Interviendra-t-il uniquement pour la protection des droits collectifs ou pour toutes les requêtes ? Dans ce dernier cas, ne serait-il pas rapidement submergé par les demandes individuelles ?

Toutes ces interrogations ne nous empêcheront pas de voter en faveur de ce texte.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Qui aurait pu prédire la crise climatique ? La question n’est pas de moi mais du Président de la République. Cette phrase provocatrice balaie d’un trait de plume une dizaine de rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), vingt-sept conférences sur les changements climatiques (COP) et des décennies d’activisme écologique et de militantisme citoyen.

L’année 2022, la plus chaude jamais enregistrée en France, fut celle de l’urgence climatique. Cette époque est charnière. Elle nous invite à repenser non seulement nos pratiques mais également l’ensemble d’un système délétère à bien des égards. Notre arsenal juridique n’est pas étranger à ces problématiques : de l’intégration de la Charte de l’environnement au bloc de constitutionnalité en 2005 au vote de la loi « climat et résilience » en 2021, notre droit n’a cessé de s’étendre mais la question reste de son efficacité.

La présente proposition de loi pourrait rendre le droit de l’environnement plus contraignant. La constitutionnalisation du contrôle environnemental garantirait l’indépendance et l’inamovibilité du Défenseur des droits. En ce sens, le statut d’autorité administrative indépendante paraît le plus approprié. Il contrerait de manière indépendante les manquements constatés en matière de droit de l’environnement, assurant de fait l’effectivité de l’application des normes environnementales.

Je profite de cette intervention pour dire combien la lutte contre la crise climatique doit être au cœur de nos politiques publiques. Il est nécessaire d’engager une bifurcation écologique en proposant à la fois une planification écologique et une consolidation des droits sociaux, en réorientant les ressources de l’État. Nouveaux droits sociaux et révolution écologique, les deux vont évidemment de pair, car le président Macron et son monde néolibéral mènent une politique économique dévastatrice pour nos communs, pour les citoyens et citoyennes de l’Hexagone et des outre-mer.

Pour toutes ces raisons, le groupe GDR votera en faveur de cette proposition de loi constitutionnelle.

M. Gérard Leseul, rapporteur. Je remercie les groupes qui soutiennent ce texte : ils ont compris l’importance de faire vivre le droit et de le faire appliquer, condition sine qua non pour que nos concitoyens aient confiance dans les décisions des autorités administratives et juridictionnelles.

Pourquoi une niche parlementaire ? Pour une raison simple : vous n’avez pas repris les propositions du rapport qu’un Premier ministre avait commandé à Cécile Muschotti, députée de votre majorité qui se disait favorable à la création d’un Défenseur de l’environnement. J’y ai donc moi-même donné suite, en proposant de nous inspirer du Défenseur des droits, dont la création a été une réussite.

Le périmètre devra naturellement être précisé. J’entends bien la question sur le fusionnement des autorités, notamment de l’Autorité de sûreté nucléaire. Je pense que celle-ci n’a pas vocation à être intégrée dans le futur Défenseur de l’environnement. Nous renvoyons à une loi organique pour trancher ces points. Nous avons collectivement posé une première pierre en adoptant la Charte de l’environnement : nous devons aller plus loin en créant cette nouvelle autorité.

Je termine avec des propos que le garde des sceaux tenait devant le Sénat, en juillet 2021 : « La Constitution doit s’adapter aux enjeux de notre temps, et donc être à la hauteur du défi écologique. Voilà pourquoi le Gouvernement, l’Assemblée nationale et la Convention citoyenne pour le climat entendent garantir la protection de l’environnement. Ce combat est le nôtre ; il devrait être aussi le vôtre […] ». Je vous demande d’entendre ces propos.

Avant l’article unique

Amendement CL4 de M. Gabriel Amard.

M. Gabriel Amard (LFI-NUPES). Cet amendement vise à ajouter un alinéa à la Charte de l’environnement afin que les communs indispensables à la vie ne soient plus soumis à des conventions marchandes et soient gérés dans la transparence avec les citoyens. Douze ans après le vote de la France aux Nations unies pour que l’eau et l’accès à l’assainissement soient considérés comme un droit fondamental de l’humanité, ce dernier ne figure toujours pas dans notre bloc constitutionnel.

M. Gérard Leseul, rapporteur. Les biens communs présentent en effet une nature particulière et doivent bénéficier d’une protection spécifique. Toutefois, il ne me paraît pas opportun de modifier la Charte de l’environnement, qui constitue un ensemble cohérent et intégré au bloc de constitutionnalité depuis 2005. Je ne souhaite pas que nous revenions sur des textes essentiels et, pour ainsi dire, figés, qu’il s’agisse de la Charte de l’environnement, de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ou du préambule de la Constitution. Ma proposition de loi constitutionnelle a une ambition plus humble. À trop étendre son champ, nous risquerions de compromettre son adoption. C’est pourquoi je vous demande de retirer votre amendement.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL3 de Mme Danièle Obono.

M. Gabriel Amard (LFI-NUPES). Il s’agit, par cet amendement d’appel, d’inscrire dans la Charte de l’environnement le principe de non-régression et la règle verte, ce qui donnerait un cap aux pouvoirs publics, offrirait de la lisibilité à nos concitoyens et constituerait une feuille de route claire pour le Défenseur de l’environnement. On affirmerait ainsi, au sommet de la hiérarchie des normes, qu’on ne peut plus prélever sur la nature plus qu’elle ne peut reconstituer chaque année et qu’on ne peut plus produire ce qu’elle ne peut supporter.

M. Gérard Leseul, rapporteur. L’idée est très intéressante ; j’avais d’ailleurs déposé des amendements en ce sens. La Charte de l’environnement fait référence au devoir de toute personne de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement. Toutefois, le Conseil constitutionnel a toujours refusé de reconnaître l’existence d’un principe constitutionnel de non-régression. C’est regrettable, mais, pour l’heure, je me concentre sur la création du Défenseur de l’environnement, qui n’est pas le même débat.

Par ailleurs, la règle verte, dont j’approuve également le principe, est moins établie scientifiquement que les limites planétaires. Pour ces raisons, je vous demande de retirer votre amendement.

L’amendement est retiré.

Amendements CL5 et CL6 de Mme Danièle Obono.

M. Gabriel Amard (LFI-NUPES). L’amendement CL5 vise à assurer une réelle planification de la bifurcation écologique en conformité avec les droits humains fondamentaux. Il réaffirme la reconnaissance et la protection des biens communs gérés démocratiquement. Il vise à garantir la prééminence de l’intérêt général sur les intérêts particuliers dans la conduite des activités sociales, comme la recherche scientifique. Il promeut le développement des services publics et souligne que la propriété privée ne peut être l’alpha et l’oméga de notre société, sans pour autant chercher à l’abolir.

L’amendement CL6 vise à rendre obligatoire le recours au référendum pour ratifier les traités de commerce, notamment de libre-échange, tant ils sont dévastateurs pour les écosystèmes et la biosphère – le jardin planétaire, selon le paysagiste Gilles Clément.

M. Gérard Leseul, rapporteur. Les implications de votre amendement CL5 sont extrêmement étendues : gestion démocratique des biens communs, nationalisation de l’ensemble des activités de recherche scientifique, soumission du droit de propriété à l’intérêt général… Cela nécessiterait un long débat. Par ailleurs, certaines dispositions paraissent superfétatoires, en particulier les articles 4-1 et 4-5 que vous entendez insérer dans la Constitution et qui prévoient que cette dernière s’applique. L’objet de cet amendement excède celui de ma proposition. Je vous demande donc de le retirer.

Je vous en demande autant pour l’amendement CL6. D’abord, aux termes de l’article 53 de la Constitution que vous souhaitez compléter, les traités de commerce « ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi ». Ils font donc déjà l’objet d’un contrôle démocratique. Si nous devions organiser un référendum chaque fois que la France conclut un accord international, notre procédure de ratification s’en trouverait considérablement alourdie.

Ensuite, pourquoi se limiter aux traités de commerce ayant des incidences sociales ou environnementales, sans prendre en compte les autres traités mentionnés à l’article 53, en particulier les traités de paix, les traités ou accords relatifs à l’organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l’État ou ceux qui modifient des dispositions de nature législative ? Là encore, cela embrasse un vaste champ, qui excède celui de la proposition de loi et qui nécessiterait un large débat.

Mme Danièle Obono (LFI-NUPES). Ces amendements n’ont pas seulement valeur d’appel. À notre sens, une institution comme le Défenseur de l’environnement devrait s’inscrire dans le cadre d’une stratégie que se donne la Nation. Nous nous trouvons à un moment de l’histoire de l’humanité qui nécessite que l’on révise l’ordre de nos priorités et que l’on grave celles-ci dans le marbre de la Constitution. Le droit du commerce, par exemple, ne doit plus prévaloir sur la protection de l’environnement. Le libre-échange est l’un des facteurs qui empêche une véritable bifurcation.

C’est effectivement un débat plus global et nous continuerons à soulever ces enjeux. Pour l’heure, nous retirons les amendements.

Les amendements sont retirés.

Article unique : (article 71-2 [nouveau] de la Constitution) Création d’un Défenseur de l’environnement

Amendement de suppression CL11 de M. Romain Baubry.

M. Romain Baubry (RN). Il s’agit de supprimer l’article unique d’une proposition de loi constitutionnelle floue, qui ne recèle aucune utilité véritable pour nos compatriotes. Cette nouvelle autorité administrative chargée d’une mission lacunaire s’arrogera le droit de s’autosaisir pour surveiller et sanctionner le comportement de toute personne dès qu’elle estimera qu’une violation de l’environnement a été commise. Demain, ce seront nos agriculteurs, nos chasseurs, nos automobilistes, déjà grandement harcelés par certains lobbies ou groupuscules d’extrême gauche, qui seront pointés du doigt par ce futur porte-flingue de l’écologie punitive. Cette autorité administrative déconnectée ne saurait concilier l’intérêt des Français et la protection de l’environnement. Nos compatriotes seraient une nouvelle fois victimes d’une politique plus démagogique qu’utile. Nous nous opposerons donc à la création de cette instance.

M. Gérard Leseul, rapporteur. De notre point de vue, la création d’un Défenseur de l’environnement est une nécessité. Elle répond à un besoin, à une demande sociale. Ce n’est pas une idée nouvelle : elle a été formulée par de nombreux experts au cours des dix dernières années ; elle figure dans les propositions de la Convention citoyenne pour le climat. Nous avons consulté de nombreux constitutionnalistes, qui y voient un intérêt manifeste. Des citoyens réclament une autorité indépendante ; ils estiment que cela renforcerait la confiance dans les décisions publiques. Par ailleurs, la fusion d’autorités existantes permettrait de mutualiser des moyens et éviterait de créer une charge supplémentaire. Enfin, cela ne remettrait pas en cause la nécessité de conduire une politique ambitieuse en matière d’environnement.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL7 de M. Jérémie Iordanoff.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Cet amendement vise à faire du Défenseur de l’environnement une autorité publique indépendante (API). Il s’agit de lui conférer la personnalité juridique, de lui permettre d’ester en justice et de le doter d’une liberté budgétaire. Il doit avoir les moyens d’action les plus étendus possible.

M. Gérard Leseul, rapporteur. Il ne me semble pas utile d’inscrire dans la Constitution le statut juridique de cette entité. À titre d’exemple, c’est la loi organique qui confère au Défenseur des droits la qualité d’autorité administrative indépendante. Ni les AAI ni les API ne sont mentionnées dans la Constitution. Toutefois, sur le fond, il s’agit d’une question essentielle et complexe, que Mme Cécile Muschotti avait soulevée dans son rapport, sans véritablement la trancher. Il reviendra au législateur organique de se prononcer sur ce point. Je suis tout prêt à en discuter avant le passage en séance.

Demande de retrait.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’amendement rédactionnel CL13 de M. Gérard Leseul.

Amendement CL10 de M. Jérémie Iordanoff et sous-amendement CL14 de M. Gérard Leseul.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). L’amendement vise à inscrire dans la Constitution le principe de non-régression. J’ai déposé deux versions de cet amendement, qui répondent à deux logiques différentes : l’amendement CL10 définit le principe ; l’amendement CL8 renvoie sa définition à la Charte de l’environnement, dont le Conseil constitutionnel n’a pas reconnu la pleine portée juridique. On a besoin d’une disposition explicite dans la Constitution concernant ce principe.

M. Gérard Leseul, rapporteur. Je partage votre objectif et je vous invite à adopter l’amendement CL10 modifié par mon sous-amendement afin d’éviter la mention redondante de l’amélioration constante.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Le principe de non-régression est en effet suffisamment explicite par lui-même. Je suis favorable au sous-amendement et retire l’amendement CL8.

La commission rejette successivement le sous-amendement et l’amendement.

L’amendement CL8 de M. Jérémie Iordanoff est retiré.

Amendement CL2 de Mme Julie Lechanteux.

Mme Julie Lechanteux (RN). Il s’agit d’inclure la protection des conditions de vie des Français dans les missions de cette autorité administrative. Paradoxalement, les citoyens français sont les grands absents de ce texte alors qu’ils sont les premiers affectés par la question environnementale. Faire adhérer nos compatriotes à des politiques environnementales ambitieuses est nécessaire à la réussite de celles-ci. Leurs libertés ne doivent pas être sacrifiées sur l’autel d’une écologie déconnectée du réel.

Le Rassemblement national défend une écologie positive, enracinée dans la transmission de nos territoires, qui porte un espoir de vie meilleure pour l’ensemble de nos compatriotes. Les Français adaptent leur mode de vie et agissent chaque jour pour préserver l’environnement. Ils font preuve d’une bonne volonté remarquable tant dans la manière de consommer, de se déplacer que de se chauffer. Pourtant, les classes populaires sont régulièrement victimes de l’écologie punitive. La France populaire des gars « qui fument des clopes et roulent au diesel », méprisée par la macronie, ne doit pas être une nouvelle fois victime d’intrusions démagogiques et idéologiques dans son mode de vie.

M. Gérard Leseul, rapporteur. Ma proposition n’a pas pour objet d’appliquer une politique punitive, comme vous le dites, mais d’assurer la mise en œuvre effective du droit de l’environnement, au bénéfice des citoyens. C’est en respectant l’environnement et les limites planétaires, en préservant l’habitabilité de la Terre et, globalement, en appliquant les principes de la Charte de l’environnement que nous permettrons à tous les habitants de notre pays, qu’ils soient français ou non, de vivre dans des conditions dignes. Par ailleurs, le bloc de constitutionnalité – je pense par exemple à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ou au préambule de la Constitution de 1946 – énonce des droits économiques et sociaux bien plus concrets que la référence, vague, à des conditions de vie dignes.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL9 de M. Jérémie Iordanoff et sous-amendement CL16 de M. Gérard Leseul.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Cet amendement vise à étendre la liste des textes sur lesquels le Défenseur de l’environnement peut rendre un avis public, en y incluant les projets d’ordonnance relevant de l’article 38 de la Constitution et toute décision publique ayant une incidence sur l’environnement au sens de l’article 7 de la Charte de l’environnement, c’est-à-dire, essentiellement, des textes réglementaires et des projets d’aménagement.

M. Gérard Leseul, rapporteur. Cette extension me paraît tout à fait pertinente. Je propose d’ajouter à la liste, par voie de sous-amendement, les projets de texte réglementaire. Il s’agit de permettre au Défenseur de l’environnement d’examiner les décrets les plus importants du point de vue de la préservation de l’environnement.

Avis favorable à votre amendement sous-amendé.

La commission rejette successivement le sous-amendement et l’amendement.

Amendement CL18 de M. Gérard Leseul.

M. Gérard Leseul, rapporteur. Cet amendement de précision vise à ce que la loi organique définisse la bonne articulation entre les compétences du Défenseur de l’environnement et celles du Défenseur des droits.

La commission rejette l’amendement.

La commission rejette l’amendement de précision CL17 de M. Gérard Leseul.

 

Amendement CL12 de M. Romain Baubry.

M. Romain Baubry (RN). Il s’agit, par cet amendement, de supprimer le pouvoir de sanction du Défenseur de l’environnement. Le texte renvoie habilement à la loi organique la fixation des conditions d’octroi de ce pouvoir. La proposition de loi n’établit pas de distinction claire entre ces attributions et celles dont disposent les juridictions. On nous propose de confier un pouvoir de sanction à une autorité administrative sans nous indiquer ce qu’il apporterait de concret aux justiciables pour l’exercice de leurs droits. Nous n’accepterons pas que la Constitution confère un pouvoir de sanction à une autorité administrative sans qu’aucune limite lui soit clairement apportée. Ces attributions laissent transparaître le risque d’une intrusion intempestive dans le quotidien des Français.

M. Gérard Leseul, rapporteur. Je suis très défavorable à cet amendement, car il est important d’assurer le respect du droit de l’environnement en confiant au Défenseur de l’environnement un pouvoir de sanction administrative. Celui-ci sera précisé et encadré par la loi organique dans le respect de la jurisprudence constitutionnelle.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL19 de M. Gérard Leseul.

La commission rejette l’article unique.

L’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle est ainsi rejeté.

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi constitutionnelle visant à créer un Défenseur de l’environnement (n° 608).


— 1 —

 

Personnes entendues

     Mme Marion Vandevelde, cheffe du bureau du droit de l’immobilier et du droit de l’environnement

     M. Clément Henry, adjoint à la cheffe du bureau du droit constitutionnel et du droit public général

     M. Thomas Lesueur, Commissaire général au développement durable (CGDD)

     M. Loïc Agnès, sous-directeur des politiques publiques durables au sein du CGDD

     M. Olivier Fuchs, directeur des affaires juridiques

     Mme Sophie Malet, adjointe au sous-directeur des affaires juridiques de l’environnement, de l’urbanisme et de l’habitat

 M. Julien Bétaille, docteur en droit de l’environnement, maître de conférences à l’université Toulouse Capitole

     M. Hubert Delzangles, professeur de droit à l’Institut d’études politiques de Bordeaux

     Mme Delphine Hédary, conseillère d’État

     M. Thomas Uthayakumar, directeur plaidoyer de la Fondation pour la Nature et l’Homme

     M. Antoine Gatet, juriste et membre du bureau de France Nature Environnement

     Mme Clara Gonzales, juriste à Greenpeace France

     M. Joseph d’Halluin, membre du conseil fédéral aux Amis de la Terre

      Mme Mathilde Manteaux, juriste aux Amis de la Terre

     M. Bruno Cinotti, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts, inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD)

     M. Jean-François Landel, inspecteur général à l’IGEDD

     Mme Delphine Agoguet, magistrate, Inspection générale de la justice (IGJ)

     M. Daniel Agacinski, délégué général à la médiation

     Mme France de Saint-Martin, conseillère parlementaire

     Mme Cécile Muschotti, ancienne députée, auteure du rapport

     Mme Virginie Dumoulin, administratrice générale de l’administration du développement durable

 

 


([1])  Ancêtre de la réglementation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement, le décret impérial du 15 octobre 1810 relatif aux manufactures et ateliers qui répandent une odeur insalubre ou incommode disposait ainsi dans son article 1er que « les manufactures et ateliers qui répandent une odeur insalubre ou incommode, ne pourront être formés sans une permission de l’autorité administrative » et seront « divisés en trois classes ».

([2])  Déclaration de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement, réunie à Stockholm du 5 au 16 juin 1972.

([3])  On peut ainsi évoquer, en Europe, la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement de 1998.

([4])  Michel Prieur (dir.), Droit de l’environnement, Dalloz Précis, 8e édition.

([5])  La CNUCC a été signée le 9 mai 1992 lors du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro, et est entrée en vigueur le 21 mars 1994.

([6])  Accord de Paris adopté le 12 décembre 2015, signé par la France à New York le 22 avril 2016.

([7]) Conseil d’État, 19 novembre 2020, Commune de Grande Synthe et autre, n° 427301.

([8])  Le TFUE prévoit par ailleurs, en son article 4, que l’environnement est une compétence partagée, et y consacre un titre entier : le titre XX, aux articles 191 à 193.

([9])  Selon Michel Prieur, op. cit.

([10]) L’article 5 dispose ainsi que « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. »

([11]) L’article 6 dispose que « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social. »

([12])  Décision n° 2008-564 DC du 19 juin 2008, Loi relative aux organismes génétiquement modifiés, cons. 18 : les dispositions de l’article 5, « comme l’ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement, ont valeur constitutionnelle » et « s’imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leur domaine de compétence respectif ».

([13])  Les articles 1er à 4 (décision n° 2011-116 QPC du 8 avril 2011, M. Michel Z. et autre) et 7 (décision n° 2011-183/184 QPC du 14 octobre 2011, Association France Nature Environnement) de la Charte peuvent ainsi être invoqués à l’appui d’une QPC, mais pas ses considérants (décision n° 2014-394 QPC du 7 mai 2014, Société Casuca) ni son article 6 (décision n° 2012-283 QPC du 23 novembre 2012, M. Antoine de M.).

([14])  Décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020, Union des industries de la protection des plantes.

([15])  Les objectifs de protection de l’environnement et de la santé avaient ainsi conduit à admettre, en dépit de la liberté d’entreprendre, l’interdiction du recours à certains produits phytopharmaceutiques. Plus rarement, les objectifs de valeur constitutionnelle permettent de censurer des dispositions qui les méconnaîtraient. Voir l’article de M. Gérald Sutter, « Utilité et limites des objectifs de valeur constitutionnelle sur le plan contentieux », Titre VII  Revue du Conseil constitutionnel, n° 8, avril 2022.

([16])  Conseil d’État, 20 septembre 2022, M. et Mme C., n° 451129

([17])  Loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

([18])  Le projet  de  loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement, déposé à l’Assemblée nationale le 20 janvier 2021, affirmait que la France « garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ».

([19])  Loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

([20]) Avis de la Convention Citoyenne pour le Climat sur les réponses apportées par le Gouvernement à ses propositions, version corrigée le 2 mars 2021.

([21]) « Climat, neutralité carbone et justice sociale », avis du Conseil économique, social et environnemental sur le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, par M. Michel Badré et Mme Claire Bordenave.

([22])  Julien Bétaille, « Arguments en faveur d’une autorité publique indépendante environnementale », in Marcel Sousse. Droit économique et droit de l’environnement, Les conférences du CDED, Mare & Martin, pp.107-124, 2020.

([23])  Marie-Anne Cohendet, et Marine Fleury : « Droit constitutionnel et droit international de l’environnement », Revue française de droit constitutionnel, vol. 122, n° 2, 2020, pp. 271-297.

([24]) « Le traitement pénal du contentieux de l’environnement », rapport du groupe de travail relatif au droit pénal de l’environnement, présidé par M. François Molins, procureur général près la Cour de cassation (décembre 2022).

([25])  Pierre Lascoumes, Action publique et environnement, Presses universitaires de France, cité par M. Bétaille.

([26])  France Nature Environnement, Greenpeace, Les Amis de la Terre, ainsi que la Fondation pour la Nature et l’Homme.

([27])  Julien Bétaille. op. cit.

([28])  « Création d’un Défenseur de l’environnement et des générations futures », rapport de Mme Cécile Muschotti, députée de la 2e circonscription du Var, parlementaire en mission auprès de la ministre chargée de la Transition écologique (juillet 2021).

([29])  Loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée.

([30])  Rapport du groupe de travail relatif au droit pénal de l’environnement précité.

([31])  Article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

([32])  « Pour la réparation du préjudice écologique », rapport du groupe de travail installé par Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la Justice, le 17 septembre 2013.

([33])  La loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a ainsi créé les articles 1246 à 1252 du code civil, relatifs à la réparation du préjudice écologique.

([34])  Rapport de la mission d’évaluation conjointe du Conseil général de l’environnement et du développement durable (désormais Inspection générale de l’environnement et du développement durable) et de l’Inspection générale de la justice « Une justice pour l’environnement », recommandation n° 19 (octobre 2019).

([35])  « Création d’un Défenseur de l’environnement et des générations futures », rapport de Mme Cécile Muschotti, députée de la 2e circonscription du Var, parlementaire en mission auprès de la ministre chargée de la Transition écologique (juillet 2021).

([36])  op.cit.

([37])  La loi du 24 décembre 2020 relative au parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée a créé, à l’article 41-1-3 du code de procédure pénale, et pour les délits prévus par le code de l’environnement et infractions connexes, un mécanisme nouveau permettant d’imposer à une personne certaines obligations : le versement d’une amende d’intérêt public au Trésor public, la mise en œuvre d’un programme de mise en conformité d’une durée maximale de trois ans, et la réparation du préjudice causé à la victime ou du préjudice écologique.

([38])  Voir le rapport de Mme Muschotti précité.

([39])  Loi organique n° 2011-333 et loi n° 2011-334 du 29 mars 2011 relatives au Défenseur des droits.

([40]) Créés par la loi n° 73-6 du 3 janvier 1973 instituant un Médiateur de la République, la loi n° 2000-196 du 6 mars 2000 instituant un Défenseur des enfants, la loi n° 2000-494 du 6 juin 2000 portant création d’une Commission nationale de déontologie de la sécurité, et la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 portant création de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, abrogées par la loi ordinaire du 29 mars 2011.

([41])  Le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l’addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions.

([42])  Le caractère secret ou confidentiel de l’information ne peut lui être opposé, sauf en matière de secret concernant la défense nationale, la sûreté de l’État ou la politique extérieure.

([43])  Article D. 1-1 du code de procédure pénale.

([44])  Rapport d’activité 2021 du Défenseur des droits.

([45]) Aux termes du décret n° 2022-1284 du 3 octobre 2022 relatif aux procédures de recueil et de traitement des signalements émis par les lanceurs d’alerte et fixant la liste des autorités externes instituées par la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte, l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD) constitue l’autorité externe compétente en matière de protection de l’environnement.

([46]) Voir le commentaire de l’article unique.

([47]) Selon la définition du Grand Larousse de 1972, reprise par Michel Prieur (dir.), Droit de l’environnement, Dalloz Précis, 8e édition.

([48])  Par référence à l’évaluation environnementale prévu au III de l’article 122 du code de l’environnement.

([49])  J. Vogler, « Global commons revisited », Global Policy, vol. 3, n° 1, p. 61-71 (2012), repris par Géraldine PFLIEGER, "Délimiter les biens communs planétaires. Une analyse historique de la spatialité et de la territorialité des océans, des fonds marins et de l’Antarctique", CERISCOPE Environnement, 2014.

([50])  Décision n° 2016-737 DC du 4 août 2016, Loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, paragr. 7 à 16. Le juge constitutionnel a régulièrement écarté l’idée d’un effet-cliquet particulier en matière environnementale, jugeant ainsi que « s’il est loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions, il doit prendre en compte, notamment, le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement mentionné à l’article 2 de la Charte de l’environnement et ne saurait priver de garanties légales le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé consacré par l’article 1er de la Charte de l’environnement » : voir la décision n° 2020-809 DC du 10 décembre 2020, Loi relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières, paragr. 13.

([51])  Rockström et al., (2009). Planetary Boundaries: Exploring the Safe Operating Space for Humanity, Ecology and Society 14(2): 32.

([52]) Aux termes de l’article 13 de la Constitution, le pouvoir de nomination du Président de la République s’exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée. Le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l’addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions. La loi détermine les commissions permanentes compétentes selon les emplois ou fonctions concernés.