—  1  —

N° 803

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er février 2023.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION
visant à créer une commission d’enquête sur le coût de la vie dans les départements
et régions d’Outre-mer (n° 664)

PAR M. Johnny HAJJAR

Député

——

 

 

 

 

 Voir le numéro : 664.


—  1  —

SOMMAIRE

___

Pages

Avant-Propos

I. Une proposition de résolution recevable

A. Les critÈres de recevabilitÉ fixÉs par le rÈglement de l’AssemblÉe nationale

1. La conformité avec l’article 137 du Règlement de l’Assemblée nationale

2. La conformité avec l’article 138 du Règlement de l’Assemblée nationale

3. La conformité avec l’article 139 du Règlement de l’Assemblée nationale

II. UNE COMMISSION D’ENQUÊTE À METTRE EN PLACE DE TOUTE URGENCE

A. La nécessité impérieuse de déterminer les mécanismes concourant au coût de la vie dans les DROM

1. Le coût de la vie dans les DROM est considérablement supérieur au coût de la vie dans l’hexagone en raison de déterminants historiques et structurels

2. Un niveau de vie des populations locales inférieur à celui constaté dans l’hexagone

3. Un sous-financement des collectivités territoriales des DROM

4. Un traitement de l’État vis-à-vis des territoires ultramarins inéquitable et injuste

5. Les instruments et institutions existants pour lutter contre la vie chère produisent des effets qui demeurent très largement insuffisants pour réduire le coût de la vie

B. LA SPIRALE INFLATIONNISTE ACTUELLE AGGRAVE LA PROBLÉMATIQUE STRUCTURELLE DE LA CHERTÉ DE LA VIE dans les DROM : des enjeux toujours plus actuels

1. L’inflation actuelle vient frapper des DROM déjà largement affectés par la vie chère

2. La commission d’enquête sur le coût de la vie dans les DROM devrait consolider les revendications portées par les signataires de l’appel de Fort-de-France ainsi que les initiatives en faveur d’une adaptation des politiques publiques futures.

EXAMEN EN commission

 


—  1  —

 

   Avant-Propos

La problématique de la vie chère dans les Outre-mer est ancienne. Ses déterminants sont structurels.

Aujourd’hui, l’inflation qui frappe la France hexagonale n’épargne pas les départements et régions d’Outre-mer (DROM). Alimentée en particulier par le contexte de reprise économique post-covid, les répercussions de la guerre en Ukraine ainsi que par des phénomènes de spéculation, l’inflation dans les Outre‑mer exacerbe un quotidien déjà difficile faisant de ces territoires de véritables poudrières sociales. Plus que jamais, il est nécessaire que la représentation nationale établisse toute la lumière sur les mécanismes économiques, politiques et sociaux concourant au renchérissement du coût de la vie dans les DROM, tout en faisant des préconisations et des solutions.

Dans ce contexte, les membres du groupe « Socialistes et apparentés » ont déposé le 16 décembre 2022 une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur le coût de la vie dans les départements et régions d’Outre-mer (n° 664). Cette proposition de résolution est inscrite à l’ordre du jour des séances du 9 février 2023 attribuées à ce groupe.

Le 17 janvier dernier, M. Johnny HAJJAR a été nommé rapporteur de la commission des affaires économiques sur cette proposition de résolution.

En application de l’article 140 du Règlement de l’Assemblée nationale, la commission saisie au fond doit vérifier que les conditions requises pour la création d’une commission d’enquête sont réunies et se prononcer sur son opportunité. Seront dès lors successivement abordées les questions de la recevabilité et de l’opportunité de cette proposition de résolution.

I.   Une proposition de résolution recevable

A.   Les critÈres de recevabilitÉ fixÉs par le rÈglement de l’AssemblÉe nationale

La recevabilité juridique d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête s’évalue à l’aune de plusieurs critères définis par les articles 137 à 139 du Règlement de l’Assemblée nationale.

Article 137

Les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont déposées sur le bureau de l’Assemblée. Elles doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion. Elles sont examinées et discutées dans les conditions fixées par le présent Règlement.

Article 138

Est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145‑1 ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre.

L’irrecevabilité est déclarée par le Président de l’Assemblée. En cas de doute, le Président statue après avis du Bureau de l’Assemblée.

Article 139

Le dépôt d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête est notifié par le Président de l’Assemblée au garde des Sceaux, ministre de la Justice.

Si le garde des Sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, celle‑ci ne peut être mise en discussion. Si la discussion est déjà commencée, elle est immédiatement interrompue.

Lorsqu’une information judiciaire est ouverte après la création de la commission, le Président de l’Assemblée, saisi par le garde des Sceaux, en informe le président de la commission. Celle‑ci met immédiatement fin à ses travaux.

1.   La conformité avec l’article 137 du Règlement de l’Assemblée nationale

En premier lieu, l’article 137 du Règlement de l’Assemblée nationale prévoit que les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête « doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ».

En l’occurrence, les faits sur lesquels la commission d’enquête devra enquêter semblent définis avec une précision très largement suffisante puisque, selon l’article unique de la proposition de résolution, la commission serait chargée notamment « d’étudier et d’évaluer l’ensemble des mécanismes qui concourent au coût de la vie dans les départements et régions d’Outre-mer régis par l’article 73 de la Constitution. »

L’exposé des motifs de la proposition de résolution précise les faits justifiant la demande de cette commission d’enquête. Il fait notamment état de la conjonction de facteurs structurels et conjoncturels concourant à la problématique de la vie chère ; un niveau de vie et des revenus « largement inférieurs » dans les DROM par rapport au niveau de vie hexagonal, un niveau général des prix dans les DROM largement supérieur au niveau hexagonal, un sous- financement des collectivités territoriales ultramarines, et enfin une rupture d’égalité et d’équité entre les DROM et l’hexagone, notamment à travers un désengagement financier de l’État ciblé ( suppression de dépenses fiscales et sociales, augmentation des impôts, baisse des dotations moins compensée.).

L’exposé des motifs fait notamment référence au sous-financement structurel des collectivités locales ultramarines, un constat déjà mis en lumière dans le rapport remis au Premier Ministre par George Patient et Jean-René Cazeneuve en décembre 2019. Ce sous-financement a été renforcé par la contribution des collectivités ultramarines au redressement des finances publiques à partir de 2014. L’exposé des motifs cite à cet égard le « traitement inéquitable des DOM sur le plan de la péréquation nationale » relevé en 2017 dans un rapport de la Cour des comptes. Votre rapporteur déplore que « la réforme de la péréquation nationale qui s’en est suivie, avec un rattrapage a minima de la dotation d’aménagement des communes d’Outre-mer ciblé sur les DOM les plus pauvres, n’ait fait que plonger les Antilles dans une impasse budgétaire totale ». À cela s’ajoute la réduction du plafond de l’abattement « DOM » de l’impôt sur le revenu applicable depuis 2017.

L’exposé des motifs pointe différents facteurs sous-jacents de cherté de la vie dans les DROM dont il reviendra aux travaux de la commission d’enquête d’établir précisément le rôle, le poids et la responsabilité. Concernant la formation des prix, sont notamment mentionnés « le nombre important d’intermédiaires dans la chaîne de production et de distribution », « l’accumulation des marges des acteurs tout au long de la chaîne », ainsi que « des éléments de fiscalité ». Ce modèle économique favorise les concentrations oligopolistiques, au détriment du libre-jeu concurrentiel.

La proposition de résolution expose donc des faits précis, nombreux et variés de nature à fonder la constitution d’une commission d’enquête. En outre, le périmètre géographique des travaux de la commission d’enquête est clair, puisque ce périmètre se limite aux « départements et régions d’Outre-mer régis par l’article 73 de la Constitution ».

2.   La conformité avec l’article 138 du Règlement de l’Assemblée nationale

En second lieu, l’article 138 du Règlement de l’Assemblée nationale prévoit que les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont recevables sauf si, dans l’année qui précède leur discussion, a eu lieu une demande d’une commission de faire usage des pouvoirs dévolus aux commissions d’enquête dans le cadre de l’article 145-1 du Règlement ou une commission d’enquête ayant le même objet. Tel n’est pas le cas en l’espèce. La proposition de résolution remplit donc également le deuxième critère de recevabilité.

3.   La conformité avec l’article 139 du Règlement de l’Assemblée nationale

Enfin, le I de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 précitée dispose qu’« il ne peut être créé de commission d’enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours ».

L’application de cette disposition est précisée de la manière suivante par l’article 139 du Règlement :

« Le dépôt d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête est notifié par le Président de l’Assemblée au garde des Sceaux, ministre de la justice.

« Si le garde des Sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, celle-ci ne peut être mise en discussion. »

Interrogé par le Président de l’Assemblée nationale, M. Éric Dupond‑Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice, lui a fait savoir par un courrier en date du 31 janvier 2023 qu’à sa connaissance, aucune poursuite judiciaire n’était actuellement en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de cette proposition de résolution.

La proposition de résolution satisfait donc au troisième critère de recevabilité juridique prévu par le Règlement de l’Assemblée nationale.

En conclusion, selon votre rapporteur, la création d’une commission d’enquête chargée « d’étudier et d’évaluer l’ensemble des mécanismes qui concourent au coût de la vie dans les départements et régions d’Outre-mer régis par l’article 73 de la Constitution » est, d’un point de vue juridique, recevable.

II.   UNE COMMISSION D’ENQUÊTE À METTRE EN PLACE DE TOUTE URGENCE

L’opportunité de créer cette commission d’enquête semble peu contestable.

A.   La nécessité impérieuse de déterminer les mécanismes concourant au coût de la vie dans les DROM

1.   Le coût de la vie dans les DROM est considérablement supérieur au coût de la vie dans l’hexagone en raison de déterminants historiques et structurels

Dans la partie thématique de son avis publié au nom de la commission des affaires économiques sur le projet de loi de finances pour 2023, votre rapporteur notait que selon la dernière enquête exhaustive de l’Insee en 2015 sur les prix dans les Outre-mer, le niveau général des prix y était de 7 à 12,5 % plus élevé qu’en France hexagonale (+ 12,5 % en Guadeloupe, + 12,3 % en Martinique, + 11,6 % en Guyane, + 7,1 % à La Réunion et + 6,9 % pour Mayotte, hors loyers).

Ces écarts de prix étaient particulièrement criants pour les produits alimentaires : de 28 % à La Réunion, 38 % à la Martinique, 34 % pour la Guyane et 33 % pour la Guadeloupe. Dans le secteur des NTIC, le prix de l’abonnement Internet était de 35% plus élevé dans les DROM par rapport à l’hexagone en 2019 ([1]).

Dans son avis budgétaire mentionné supra, votre rapporteur relevait plusieurs déterminants structurels historiques expliquant le niveau supérieur des prix dans les DROM :

– un modèle de développement centre/périphérie hérité de l’empire colonial français expliquant l’absence de diversification de la production locale et la très forte dépendance aux importations des DROM ;

– l’éloignement géographique et l’insularité qui induisent des coûts d’approche et de stockage des marchandises ainsi que des coûts d’infrastructure ;

– un renchérissement des coûts exacerbé par la présence de nombreux intermédiaires le long de la chaîne d’approvisionnement ;

– des marchés insuffisamment concurrentiels en raison de l’étroitesse des débouchés.

Si la création de la commission d’enquête était autorisée, votre rapporteur estimerait particulièrement nécessaire de faire porter ses travaux sur le faible niveau de concurrence des économies des DROM, en mettant en lumière la consolidation des phénomènes oligopolistiques.

La concentration semble particulièrement forte dans le secteur du commerce en détail et particulièrement de la vente alimentaire. L’Autorité de la concurrence a relevé, en effet, qu’une part non négligeable des groupes de distribution dans les Outre-mer est également présente en tant que grossistes-importateurs sur le marché de la vente en gros. Cette intégration verticale (présence d’un acteur aux différents niveaux de la chaîne) est susceptible de soulever des risques de concurrence, en particulier en matière d’allocation des budgets de coopération commerciale (avantages tarifaires accordés par le fournisseur au distributeur pour la mise en avant de ses produits dans les rayons ou catalogues).

Lors de son avis budgétaire, votre rapporteur a également été alerté sur la position dominante de l’armateur CMA-CGM dans la desserte des Outre- mer via le fret maritime. Votre rapporteur estime nécessaire d’auditionner entre autres la direction de la compagnie lors des futurs travaux de la commission d’enquête, ainsi que de mobiliser l’étendue des moyens offerts à un tel organe afin de faire toute la lumière sur la manière dont l’armateur décompose précisément le calcul de ses tarifs de fret maritime à destination des DROM, information que votre rapporteur n’a pu parfaitement obtenir dans le cadre de son avis budgétaire.

En outre, votre rapporteur s’inquiète de l’annonce du retrait de l’armateur concurrent Maersk de la ligne Europe-Antilles, à partir du 31 décembre 2022. Ce retrait laisse présager un renforcement de la position dominante de la CMA-CGM, et donc un risque accru d’abus de position dominante de sa part. Il reviendra également aux travaux de la commission d’enquête de mettre en lumière les circonstances et les raisons de ce retrait mais aussi les moyens d’éviter à l’avenir cette hyper-concentration de l’activité.

Ces concentrations qui se consolident ne favorisent aucunement la démocratie économique en rendant nos populations d’autant plus captives.

2.   Un niveau de vie des populations locales inférieur à celui constaté dans l’hexagone

En 2018, le niveau de vie médian dans les Antilles et la Réunion atteignait 17 000 euros alors qu’il atteignait 24 000 euros en Île-de-France.

D’après une étude du conseil économique social et environnemental régional (CESER) de La Réunion, citée dans l’exposé des motifs de la proposition de résolution, la vie chère s’expliquerait à 80 % par un problème de revenus et à 20 % par un problème de prix.

Les revenus sont structurellement inférieurs dans les Outre-Mer en raison notamment de taux de pauvreté plus élevés, de l’augmentation importante de la précarité, de taux de chômage supérieurs, d’une démographie en forte baisse pour la Martinique et la Guadeloupe et d’un accroissement général des inégalités.

L’exposé des motifs de la proposition de résolution pointe également la responsabilité de la politique fiscale de l’État dans l’appauvrissement des ménages et entreprises des DROM. En effet, la commission d’enquête devra également mettre au jour les raisons et l’impact sur les revenus des populations des DROM de la baisse du plafond de l’abattement DOM de 30 % de l’impôt sur le revenu pour La Réunion, la Guadeloupe et la Martinique et de 40 % pour Mayotte et la Guyane, prévue par l’article 4 du projet de loi de finances pour 2019. Cette réduction du plafond de l’abattement « a provoqué une diminution conséquente, directe, immédiate et continue du pouvoir d’achat des ménages imposables ».

Les travaux de la commission d’enquête devront étudier et évaluer l’impact de ces réformes fiscales sur les ménages et aussi les entreprises ultramarines.

3.   Un sous-financement des collectivités territoriales des DROM

En outre, l’exposé des motifs de la proposition de résolution pointe également le « sous-financement » structurel et conjoncturel des collectivités territoriales des DROM par rapport aux collectivités territoriales hexagonales, la pression fiscale locale pour compenser une moindre intervention de l’État pouvant expliquer en bout de chaîne le coût de la vie. Or, le phénomène de sous-financement des collectivités territoriales des DROM s’est accentué durablement depuis 2014 dans le cadre de la contribution au redressement des finances publiques (CRFP), malgré les fragilités financières avérées des collectivités territoriales ultramarines.

La baisse continue et régulière des dotations de l’État aux collectivités territoriales dégrade considérablement les finances communales et génère des délais de paiement devenus insoutenables ainsi que des services publics réduits et paradoxalement plus chers. Enfin, cette baisse des dotations entraîne une augmentation de la fiscalité locale ainsi que des ventes contraintes de patrimoine immobilier pour les collectivités territoriales forcées de dégager des recettes complémentaires. Les collectivités se trouvent ainsi condamnées à survivre au détriment de l’intérêt général.

La commission d’enquête devra analyser ce cercle vicieux qui dégrade les conditions de vie, accroit la pauvreté et le chômage, incitant in fine les jeunes à l’exil ou les reléguant vers des trafics en pleine expansion. Cet engrenage ne peut conduire qu’au chaos social.

Dans son avis budgétaire précité, votre rapporteur précisait qu’« après un échelonnement pendant 3 ans, entre 2014 et 2017, la dotation globale de fonctionnement des collectivités territoriales ultramarines a été amputée de 11 milliards d’euros à partir de 2017, soit 169 millions d’euros perdus par les 4 DOM historiques chaque année. Pour les communes, la baisse s’est chiffrée à 115 millions d’euros par an. »

Votre rapporteur déplore que l’État n’ait pas fait le choix de compenser intégralement pour les DOM la perte de ressources au titre de la CRFP comme il l’a fait pour 10 280 communes de l’Hexagone.

Par ailleurs, en 2019, le Président de la République a reconnu que la péréquation destinée aux DROM était insuffisante et s’est engagé à un rattrapage de 85 millions d’euros, sur un écart global de 200 millions d’euros constaté par le rapport précité de Georges Patient et Jean-René Cazeneuve. Ce rattrapage devait consister en une répartition de 55 millions via la dotation d’aménagement des communes d’Outre-mer (DACOM) en intégrant l’octroi de mer dans le potentiel financier des DOM et de 30 millions via le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC).

Dans son avis budgétaire précité, votre rapporteur constatait que « seul le rattrapage de la DACOM a été réalisé, de manière échelonnée entre 2020 et 2023. »

En cumulé depuis 2014, l’État a ainsi réduit de 869 millions d’euros le budget des communes de ces DOM, ce qui après la hausse de la péréquation génère un déficit net de près de 400 millions d’euros en 2022.

L’État pour les soutenir ne leur reverse que 30 millions d’euros, échelonnés sur 3 ans à travers les contrats de redressement Outre-mer (COROM).

Votre rapporteur souhaite que les travaux de la commission d’enquête mettent en particulier au jour les raisons ayant motivé ces choix de politique publique, leur responsabilité dans le coût de la vie et la perte d’attractivité des DROM, particulièrement manifeste aux Antilles. Ces travaux devront également proposer des pistes d’actions afin d’y remédier.

4.   Un traitement de l’État vis-à-vis des territoires ultramarins inéquitable et injuste

En effet, tout un ensemble de dispositifs ci-après listés qui soutiennent l’économie et le pouvoir d’achat des ménages et des entreprises ultramarines ont déjà été restreints et pourraient disparaître afin de réduire le déficit de l’État. Leur disparition dégraderait la situation des ménages et celle des entreprises au détriment de la production, de l’investissement et in fine de la création d’emplois ;

– la TVA non-perçue récupérable des entreprises, supprimée pour 100 millions d’euros en 2018 ;

– l’allègement des cotisations sociales des travailleurs indépendants, diminué de 40 millions d’euros à partir de 2018 ;

– la réduction du plafond de l’abattement de l’impôt sur le revenu mentionnée supra, pour 70 millions d’euros ;

– la défiscalisation, passée de 1 milliard en 2012 à 500 millions d’euros en 2022 ;

– la menace de suppression de l’octroi de mer (1 milliard d’euros) et son remplacement par une TVA à 20%.

L’iniquité de traitement se traduit particulièrement sur le montant de la dotation de continuité territoriale dont l’enveloppe est de 45 millions d’euros pour près de 2,7 millions d’habitants résidant en moyenne à près de 8000 Km de la France hexagonale. La Corse par comparaison bénéficie d’une dotation de continuité territoriale de 190 millions d’euros pour un territoire d’environ 330 000 habitants situé à moins de 600 Km des côtes françaises.

La commission d’enquête devra faire la lumière sur l’ensemble de ces iniquités, mesurer leur impact et proposer les mesures de sauvegarde et les solutions qui s’imposent.

5.   Les instruments et institutions existants pour lutter contre la vie chère produisent des effets qui demeurent très largement insuffisants pour réduire le coût de la vie

Il existe deux institutions principales pour lutter contre la vie chère dans les DROM dont les effets ne sont pas pleinement satisfaisants :

– premièrement, le bouclier qualité-prix (BQP). Institué par la loi n° 2012‑1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, le BQP est un dispositif de régulation négociée des prix. Il est en vigueur dans les DROM, à Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna. Il consiste en une liste de produits de première nécessité dont le prix total est plafonné par arrêté préfectoral après consultation des observatoires des prix, des marges et des revenus et une négociation conduite par le représentant de l’État avec les organisations professionnelles du secteur du commerce de détail et leurs fournisseurs, qu’ils soient producteurs, grossistes ou importateurs, ainsi qu’avec les entreprises de fret maritime et les transitaires. Force est de constater que malgré l’augmentation du nombre de produits négociés, son impact sur la vie chère et le quotidien des populations représente une goutte d’eau dans un océan de souffrance.

Votre rapporteur propose de faire porter une part des travaux de la commission d’enquête sur le fonctionnement du BQP et son rôle dans la régulation des prix Outre-mer.

 Les observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR).

Dans les départements d’Outre-mer, dans les collectivités de Saint‑Barthélemy, Saint- Martin, Saint‑Pierre‑et‑Miquelon et dans les îles de Wallis et Futuna, les OPMR analysent le niveau et la structure des prix, des marges et des revenus et informent les pouvoirs publics de leurs évolutions respectives. Ils enquêtent sur la fixation de ces prix et peuvent mener des études rendues publiques susceptibles d’être transmises à l’Autorité de la concurrence.

Toutefois, les moyens des OPMR pour mener à bien leurs missions semblent clairement insuffisants notamment concernant l’analyse sur l’évolution des marges et des revenus. En raison de l’absence de pouvoir d’enquête, le rôle de l’OPMR est en réalité fort limité.

D’autre part, votre rapporteur, dans le cadre de son avis budgétaire précité, s’est heurté au manque de données et statistiques actualisées sur l’évolution des prix, des marges et des revenus dans les DROM. Cette insuffisance de données empêche en l’état de conduire toute enquête approfondie sur les mécanismes concourant au coût de la vie dans les DROM. L’exposé des motifs de la proposition de résolution souligne la nécessité d’actualiser les « données et connaissances » sur le coût de la vie dans les Outre-mer, la majorité des données datant au mieux de 2019, soit « avant la crise sanitaire liée au Covid-19 » qui aurait « aggravé la situation des populations et des territoires dans l’ensemble des DROM. »

La création d’une commission d’enquête visant à étudier et évaluer l’ensemble des mécanismes qui concourent au coût de la vie dans les DROM permettra aussi de pallier le nombre limité d’enquêtes et d’analyses existant sur le sujet, en déterminant précisément le rôle et la responsabilité de chaque facteur dans la chaîne des marges, des prix et des revenus dans les DROM. Votre rapporteur estime nécessaire de porter une attention toute particulière à l’évolution des marges des grands acteurs de la distribution en position dominante dans les DROM, ainsi qu’aux principaux armateurs opérant la desserte hexagone-DROM.

B.   LA SPIRALE INFLATIONNISTE ACTUELLE AGGRAVE LA PROBLÉMATIQUE STRUCTURELLE DE LA CHERTÉ DE LA VIE dans les DROM : des enjeux toujours plus actuels

1.   L’inflation actuelle vient frapper des DROM déjà largement affectés par la vie chère

Nourrie par la reprise de l’économie mondiale post-covid, la désorganisation des chaînes de valeur mondiale et l’éclatement du conflit ukrainien, l’inflation est forte dans l’hexagone comme dans les DROM. Cette inflation est notamment tirée par la hausse des prix de l’alimentation et de l’énergie.

Ainsi, d’après les données communiquées par le ministère des Outre-mer en juillet 2022, l’inflation des prix de l’alimentaire oscillait autour des 3 % dans les Antilles sur un an. Elle était légèrement plus marquée en Guyane (+ 4,2 %), et sensiblement plus forte à La Réunion (+ 5,4 %) et à Mayotte (+ 7,8 %).

Les prix de l’énergie ont également fortement progressé sur un an, autour de 19 % dans les Antilles- Guyane, de 23,3 % à La Réunion et de 26,6 % à Mayotte.

 Un renchérissement majeur du coût du fret maritime

La pandémie de covid-19, les confinements subséquents, puis la soudaine reprise mondiale ont allongé les délais et réduit la fréquence des dessertes maritimes ultramarines.

La reprise rapide de l’économie mondiale en 2021 a entraîné mécaniquement une hausse du coût du fret maritime, dans un contexte où la hausse du coût de l’énergie a renchéri les coûts d’exploitation, d’affrètement et d’équipement des navires pour les armateurs.

Ce renchérissement apparaît insoutenable pour les populations locales.

 Un transport aérien transatlantique et interrégional fragilisé, en particulier celui des passagers

Les territoires enclavés et éloignés de l’hexagones pâtissent d’une moindre concurrence après la disparition des deux compagnies aériennes XL AIRWAYS et LEVEL, tandis que les compagnies AIR CARAIBES et CORSAIR connaissent des difficultés substantielles. Il pèse sur le transport aérien vers les Outre-mer un risque d’entente avec pour conséquence des prix de billets d’avions exorbitants et insoutenables. Les populations en ressortent davantage captives.

2.   La commission d’enquête sur le coût de la vie dans les DROM devrait consolider les revendications portées par les signataires de l’appel de Fort-de-France ainsi que les initiatives en faveur d’une adaptation des politiques publiques futures.

Le 17 mai 2022, l’appel de Fort-de-France a été signé par les présidents des régions de Guadeloupe, La Réunion, Mayotte, Martinique, Saint-Martin et Guyane. L’appel de Fort-de-France insistait notamment sur la refondation de la relation entre les territoires ultramarins et la République, pour résoudre concrètement les problèmes structurels de ces territoires, par la construction et la prise en main de manière endogène d’outils, de moyens, de compétences et de pouvoirs locaux réels.

Le 7 septembre 2022, les signataires de « L’appel de Fort-de-France » et les parlementaires des DROM ont été reçus à l’Élysée dans le cadre d’une séance de travail ayant pour objectif de résoudre les problèmes structurels et conjoncturels ayant abouti au mal-développement des territoires ultramarins.

Au cœur de ces préoccupations quotidiennes se trouve la question du coût de la vie dans les DROM. La création de la commission d’enquête chargée d’évaluer l’ensemble des mécanismes concourant au coût de la vie dans les DROM et de proposer des solutions s’inscrira dans la convergence de « L’appel de Fort-de-France ».

Votre rapporteur est convaincu de la nécessité pour la représentation nationale de mieux comprendre les mécanismes complexes concourant au coût de la vie dans les DROM, mais aussi de proposer des pistes de solutions réalistes qui découleront de ce diagnostic et viendront en cohérence, en convergence et en consolidation avec les résolutions inscrites dans les projets de territoire. À cette fin, il est nécessaire qu’une commission d’enquête parlementaire puisse consacrer à ce sujet brûlant six mois de travaux effectifs, en donnant à ses rapporteurs des pouvoirs d’investigation exorbitants du droit commun des missions d’information.

 

 

 

 

   EXAMEN EN commission

La commission des affaires économiques a examiné la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur le coût de la vie dans les départements et régions d’Outre-mer (n° 664) (M. Johnny Hajjar, rapporteur).

M. le président Guillaume Kasbarian. Avant de donner la parole au rapporteur, je souhaite apporter quelques précisions concernant la procédure d’examen de cette proposition de résolution.

Il existe deux procédures en matière de demande de création de commission d’enquête. La procédure classique consiste dans l’exercice d’un « droit de tirage » par le groupe politique qui dépose la demande. C’est dans ce cadre que notre commission a généralement été saisie ces dernières années, et notre compétence se limite alors à vérifier que les conditions juridiques requises pour la création de cette commission d’enquête sont réunies, sans examen de son opportunité. Ensuite, la conférence des présidents prend acte de la création de la commission d’enquête.

La seconde procédure présente deux différences majeures avec la précédente. Premièrement, en plus de vérifier si les conditions juridiques sont remplies, on peut aussi se prononcer sur l’opportunité de la création de la commission d’enquête. Deuxièmement, la proposition de résolution est soumise au vote en séance publique. C’est cette seconde procédure que nous allons suivre aujourd’hui.

M. Johnny Hajjar, rapporteur. J’ai l’honneur de vous présenter une proposition de résolution tendant à créer une commission d’enquête sur le coût de la vie dans les départements et régions d’outre-mer, les Drom. Ce texte est inscrit en deuxième position à l’ordre du jour de la « niche » parlementaire du groupe Socialistes et apparentés, le 9 février.

Je ne m’attarderai pas sur le volet juridique et réglementaire, la recevabilité de ce texte, qui répond aux trois critères détaillés dans le projet de rapport qui vous a été remis, étant acquise. Plus encore qu’opportune, la création de cette commission d’enquête est impérieuse et urgente. La lutte contre la vie chère constitue un enjeu et un défi majeurs pour les territoires ultramarins. C’est l’une des missions politiques essentielles que mes collègues et moi assumons pour et au nom de nos peuples respectifs, dans le respect de la République.

La population hexagonale souffre depuis de longs mois d’une inflation élevée, qui avoisine les 6 %. Dans les outre-mer, l’inflation lui est supérieure de 40 %, de manière historique et structurelle. Lorsqu’on y ajoute l’inflation conjoncturelle, nos territoires font face aujourd’hui à une inflation comprise entre 43 et 47 %. Imaginez le niveau de difficultés et de souffrances dans lesquelles se trouvent nos peuples, captifs et légitimement exaspérés. Pire, cette situation menace de donner le coup de grâce aux plus fragiles, aux plus vulnérables et aux plus démunis, qui font face aux épreuves quotidiennes de la vie, et depuis de trop longues décennies à un mal ancien et bien connu : la vie chère.

La vie chère est un phénomène ancien, aux racines historiques et structurelles. Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023 devant notre commission, en octobre dernier, j’avais déjà choisi de consacrer la partie thématique de mon avis budgétaire sur la mission Outre-mer à cette question brûlante. Chers collègues, vous ne pouvez pas avoir oublié les émeutes contre la vie chère qui ont secoué nos territoires de manière récurrente entre 2009 et 2020. Face à la spirale inflationniste qui frappe encore des territoires déjà structurellement appauvris par la vie chère et le mal-développement, les outre-mer pourraient de nouveau se transformer en poudrière sociale.

La vie chère dans les outre-mer résulte de la conjonction de quatre phénomènes. C’est d’abord une question de revenus et de niveau de vie. D’après une étude du conseil économique, social et environnemental régional (Ceser) de La Réunion, la vie chère s’expliquerait à 80 % par un problème de revenus et à 20 % par un problème de prix. Les revenus et les niveaux de vie dans les outre-mer sont structurellement inférieurs à ceux de l’Hexagone, en raison notamment d’un taux de pauvreté, de précarité et de chômage beaucoup plus élevé et d’un accroissement des inégalités. En 2018, le niveau de vie annuel médian s’établissait entre 3 000 et 17 000 euros dans les Drom, alors qu’il s’élevait à près de 24 000 euros en Île‑de‑France.

Il reviendra à la commission d’enquête d’établir un diagnostic actualisé du niveau de vie et de revenus en identifiant les causes de cette situation dans les territoires ultramarins, et de proposer des préconisations pour y remédier. Plusieurs réformes fiscales récentes ayant directement réduit le pouvoir d’achat des ultramarins, la commission d’enquête devra également, à travers une analyse fine, éclairer les raisons et l’impact sur les revenus des populations des Drom de la baisse du plafond de l’abattement fiscal de l’impôt sur le revenu des ménages, laquelle a provoqué une diminution importante, directe, immédiate et continue du pouvoir d’achat des ménages imposables. La commission d’enquête devra proposer des solutions concrètes pour améliorer le pouvoir d’achat des ménages concernés par cette hausse des impôts.

La vie chère est en second lieu liée au niveau des prix. La dernière enquête exhaustive de l’Insee sur les prix dans les outre-mer constatait en 2015 des écarts criants, de 28 % à 38 %, sur les produits alimentaires. Dans le secteur des nouvelles technologies, le prix de l’abonnement internet était en 2019 de 35 % plus élevé dans les Drom que dans l’Hexagone. Les prix sont largement supérieurs dans tous nos territoires et dans tous les domaines, en particulier pour les dépenses contraintes et obligatoires des ménages.

Plusieurs facteurs expliquent ces écarts de prix, dont l’insularité et l’éloignement géographique avec l’Hexagone, qui entraînent des coûts d’approche importants des biens importés, mais aussi l’exiguïté des territoires. La commission d’enquête devra porter son attention sur les processus de formation des prix, d’accumulation des marges, de concentration verticale, en mettant en lumière plus particulièrement la consolidation des phénomènes oligopolistiques et monopolistiques, et par conséquent le faible niveau de concurrence des économies des Drom. Dans le cadre de mon avis budgétaire, je vous avais également alertés sur la position dominante, dans la desserte des outre-mer par le fret maritime, de l’armateur CMA CGM (Compagnie maritime d’affrètement - Compagnie générale maritime), qui va se renforcer avec la disparition de son concurrent, Maersk. J’estime nécessaire d’auditionner la direction de la compagnie lors des futurs travaux de la commission d’enquête, et de mobiliser l’étendue des moyens offerts à un tel organe afin de faire toute la lumière sur la manière dont cette société décompose précisément le calcul de ses tarifs de fret maritime à destination des Drom.

On peut également citer parmi les facteurs responsables indirects de la vie chère le sous-financement structurel des collectivités territoriales ultramarines, un problème souligné dans le rapport Patient-Cazeneuve de 2019. À ce
sous-financement structurel s’ajoute un sous-financement conjoncturel : l’obligation pour les collectivités locales des quatre DOM historiques, déjà exsangues, de contribuer au redressement de la dette publique. La chute de leurs recettes, à la suite de la diminution des dotations de l’État, a encore accru leurs difficultés à faire face à l’augmentation des dépenses.

Malgré la reconnaissance de ces inégalités et de ces iniquités par le Président de la République et la Cour des comptes, la péréquation mise en place par l’État n’a que très partiellement et insuffisamment réduit ce manque important de moyens financiers. En effet, alors que l’État a compensé intégralement la perte des ressources au titre de la contribution au redressement des finances publiques de plus de 10 000 communes de l’Hexagone, il n’a pas opéré le même choix pour les Drom. De manière cumulée, l’État a ainsi réduit de 869 millions d’euros le budget des communes de ces DOM, ce qui engendre un déficit net de près de 400 millions d’euros en 2022, après la hausse de la péréquation.

La dégradation des comptes de la grande majorité des collectivités territoriales ultramarines handicape d’autant plus ces territoires qu’ils ne bénéficient pas du niveau d’investissement public nécessaire pour rattraper les retards accumulés et pour répondre au mal-développement chronique dont ils souffrent. La commission d’enquête devra analyser le cercle vicieux qui affaiblit considérablement l’institution publique de proximité, incapable de jouer son rôle de régulateur, de soupape et d’initiative, ce qui provoque la dégradation des conditions de vie, accroît la pauvreté et le chômage, incitant in fine les jeunes à l’exil ou les reléguant vers des trafics en pleine expansion. La commission d’enquête devra également proposer des solutions adaptées pour mettre fin à cet engrenage, qui ne peut conduire qu’au chaos social.

Enfin, la fiscalité locale dans son ensemble – TVA, octroi de mer –, qui contribue au renchérissement du coût de la vie, est à prendre en considération dans le processus de formation des prix. Dans ce cadre, la commission d’enquête devra évaluer le rôle exact de chaque élément de la fiscalité ainsi que son poids global dans l’augmentation des prix en outre-mer, du fait notamment de l’addition de l’octroi de mer et de la TVA, dont il faudra déterminer si elle est légale, justifiée et raisonnable. La commission étudiera également les solutions qui permettraient de résoudre l’équation associant baisse du coût de la vie et préservation des moyens d’action des collectivités.

Le quatrième phénomène agissant indirectement sur la vie chère est le traitement inéquitable et injuste de l’État à l’égard des territoires ultramarins. En effet, un ensemble de dispositifs qui soutiennent l’économie et le pouvoir d’achat des ménages et des entreprises ultramarins a déjà été restreint, et pourrait disparaître afin de réduire le déficit de l’État. Leur disparition dégraderait la situation des ménages et des entreprises au détriment de la production, de l’investissement, et in fine de la création d’emploi. Je prendrai deux exemples : la suppression en 2018 de la TVA non perçue récupérable des entreprises, qui représentait 100 millions d’euros ; et la diminution de 40 millions de l’allègement des cotisations sociales des travailleurs indépendants à partir de 2018.

L’iniquité de traitement se traduit particulièrement à travers le montant de la dotation de continuité territoriale affectée aux territoires d’outre-mer. La commission d’enquête devra faire la lumière sur l’ensemble de ces inégalités, évaluer leur impact et proposer des mesures de sauvegarde, de rétablissement de l’équité, ainsi que les solutions globales qui s’imposent. Dans mon avis budgétaire, je faisais le constat que les instruments prévus pour lutter contre la vie chère – qui ont le mérite d’exister – produisent des effets insuffisants : le bouclier qualité prix mérite d’être amélioré ; les observatoires des prix, des marges et des revenus manquent cruellement de moyens pour fonctionner.

De plus, lors des auditions budgétaires, je m’étais heurté au manque de données et de statistiques actualisées sur l’évolution des prix, des marges et des revenus dans les Drom. En l’état, cette insuffisance d’éléments empêche de conduire toute étude ou enquête approfondie sur les mécanismes concourant au coût de la vie dans les outre-mer. Il est donc nécessaire d’actualiser les données et connaissances relatives à cette question, dont la majorité date au mieux de 2019, soit avant la crise sanitaire liée au covid, qui a, de fait, aggravé la situation des populations et des territoires dans l’ensemble des Drom. La création de cette commission d’enquête permettrait de pallier le nombre limité d’enquêtes et d’analyses existant sur le sujet, et de déterminer précisément le rôle et la responsabilité de chaque acteur dans la chaîne des prix, des marges et des revenus dans les Drom.

Le 17 mai 2022, les présidents des régions des Drom et de Saint-Martin signaient l’appel de Fort-de-France. Ils insistaient à cette occasion sur la nécessité de refonder la relation entre les territoires ultramarins et la République, afin de résoudre concrètement les problèmes structurels de ces territoires, par la construction et la prise en main de manière endogène d’outils, de moyens, de compétences et de pouvoirs locaux réels. La question du coût de la vie dans les Drom se situe au cœur de ces préoccupations quotidiennes. La création de la commission d’enquête chargée d’évaluer cette question et de proposer des solutions s’inscrirait ainsi dans la lignée de l’appel de Fort-de-France ainsi que des initiatives en faveur d’une adaptation de la construction des politiques publiques à venir.

Je suis convaincu de la nécessité pour la représentation nationale de mieux comprendre les mécanismes complexes concourant au coût de la vie dans les Drom et de proposer des solutions réalistes découlant de ce diagnostic et s’inscrivant en cohérence, en convergence et en consolidation avec les résolutions inscrites dans les projets de territoire. À cette fin, il est nécessaire qu’une commission d’enquête parlementaire puisse consacrer à ce sujet brûlant six mois de travaux effectifs, en donnant à ses rapporteurs des pouvoirs d’investigation exorbitants du droit commun des missions d’information.

J’espère vous avoir convaincus, au nom des populations ultramarines, de l’opportunité de créer une commission d’enquête parlementaire sur le coût de la vie dans les Drom. J’ajoute qu’après avoir échangé avec leurs représentants, j’envisage d’étendre le périmètre de cette commission d’enquête aux collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution.

M. le président Guillaume Kasbarian. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Guillaume Vuilletet (RE). Monsieur le rapporteur, vous avez souhaité, avec le groupe Socialistes et apparentés, donner une dimension toute particulière à ce travail sur le niveau des prix et la vie chère en outre-mer. Il fait suite à une réflexion ancienne, puisque vous avez consacré une grande partie de votre avis budgétaire à cette question. Sans doute la dimension symbolique d’une commission d’enquête constitue-t-elle une force utile dans ce moment précis, en ce qu’elle manifeste l’acuité d’un problème, confère à ses membres des prérogatives importantes, permet une sensibilisation et assure une médiatisation plus importante à nos travaux. Je pense que le président de la commission reviendra sur le choix qui a été fait concernant la procédure ; mon propos ne portera donc pas sur ce point.

On utilise parfois la formule « oui, mais non ». En l’espèce, je dirai « oui, mais non, mais oui quand même », en expliquant les trois étapes de ce raisonnement.

Le premier « oui » est celui du constat : oui, il y a un problème de vie chère dans les outre-mer, qui subissent un effet de ciseau, avec des revenus plus bas et des prix plus élevés qu’ailleurs. On parle beaucoup des retraites en ce moment. Elles sont dans les outre-mer à des niveaux extrêmement faibles, avec une moyenne de l’ordre de 700 euros par mois dans les Drom, et de 300 euros par mois à Mayotte. Les loyers pratiqués dans les villes d’outre-mer sont comparables à ceux des plus grandes métropoles de l’Hexagone, avec des revenus inférieurs et des développements souvent très différents. Tout cela est bien réel et, à cet égard, nous souscrivons à votre volonté de dire la vérité des prix – sans mauvais jeu de mots.

J’en arrive à mon « non ». Votre présentation est tout de même très orientée. Il serait bon de ne pas tirer des conclusions avant même que la commission d’enquête n’ait commencé ses travaux. Le Gouvernement a pris différentes mesures, en matière de fiscalité bien sûr, mais aussi avec le fonds d’intervention exceptionnelle et les contrats de redressement en outre-mer (Corom). Le travail que nous avons accompli sur le budget ne me paraît pas médiocre, le texte adopté par recours à l’article 49.3 incluant un apport de 53 millions d’euros en faveur des outre-mer. L’Oudinot du pouvoir d’achat est en cours. Tout n’est donc pas forcément à jeter dans l’action du Gouvernement.

Je conclurai cependant par un « oui ». Il est en effet important de comprendre comment se constituent les prix, quels sont les processus de production qui empêchent de produire localement, ainsi que le rôle de la fiscalité et de la concurrence. Le groupe Renaissance votera donc en faveur de cette proposition de résolution.

M. Johnny Hajjar, rapporteur. Je ne m’inscris pas dans une logique purement critique ; je m’appuie sur des constats. Quand je mets l’accent sur le sous-financement à la fois structurel et conjoncturel des outre-mer, je me réfère non seulement à la gouvernance actuelle, mais à l’action de l’État durant les vingt dernières années. L’existence d’un sous-financement historique – auquel s’ajoute un sous-financement conjoncturel – a été démontrée.

Au-delà du constat, il est nécessaire d’aller au fond des choses. La péréquation, par exemple, est un sujet à traiter. Certes, elle existe, mais elle est insuffisante eu égard au différentiel important qui existait.

Mme Hélène Laporte (RN). L’outre-mer, nouveau territoire perdu de la République : c’est en ces termes que Marine Le Pen résumait dans son projet présidentiel les conséquences pour nos départements et collectivités ultramarins de près de quinze ans d’abandon par les gouvernements successifs.

L’insuffisance du pouvoir d’achat dans ces territoires apparaît comme un problème brûlant auquel il est urgent de répondre. Comme le rappelle l’exposé des motifs de la présente proposition de résolution, l’écart de niveau de vie entre les départements et régions d’outre-mer et la métropole est considérable, avec un revenu médian à 17 000 euros dans les territoires ultramarins contre 22 000 euros en France métropolitaine. Il apparaît ainsi plus qu’opportun qu’une commission d’enquête consacrée à ce problème en auditionne les protagonistes, afin que soit apportée une réponse précise sur la question, ses causes et les solutions envisageables.

Nous souscrivons pleinement au diagnostic de sous-investissement et de moindre qualité des services publics établi dans ce texte. C’est une véritable politique d’abandon qui doit être dénoncée et renversée. Les Drom font pleinement partie de la France et méritent d’être traités par l’État central à égalité avec les autres territoires, toutes les fois que leurs particularités géographiques n’imposent pas d’en faire autrement. Nous appelons ainsi une réforme de la péréquation nationale pour rétablir cette égalité sciemment rompue.

Un point suscite cependant mon étonnement. La réduction de l’abattement sur l’impôt sur le revenu dans les Drom est mentionnée comme une cause de la perte de pouvoir d’achat pour leurs habitants. Il y avait pourtant pour l’exercice 2020, 31 % de foyers assujettis à l’impôt sur le revenu en Martinique, 28 % en Guadeloupe, 27 % à La Réunion, 15 % à Mayotte. Ce sont de loin les cinq départements français qui comptent le plus faible pourcentage de foyers redevables de cet impôt. Ainsi, la fin de cet abattement n’a pu être un facteur de perte de pouvoir d’achat que pour le quart le plus aisé de la population de ces départements. Il est en un certain sens étonnant que ce texte du groupe Socialistes et apparentés encourage un tel cadeau fiscal, selon une terminologie prisée à gauche. Ce n’est vraisemblablement pas l’axe à exploiter prioritairement si notre objectif est d’agir en faveur des conditions de vie des plus modestes.

S’agissant de l’octroi de mer, dont la vocation est de protéger la production agricole, artisanale et industrielle des départements d’outre-mer, il constitue également une source majeure de recettes pour ces collectivités territoriales. Sa suppression au profit d’une TVA à 20 % serait une décision catastrophique. Pour notre part, nous soutenons une réforme de l’octroi, afin d’en exclure les biens produits en France ou en Union européenne qui n’entreraient en concurrence avec aucun bien produit dans les cinq départements d’outre-mer. Il remplirait ainsi sa fonction de protection de la production ultramarine, sans entraîner de dégradation excessive du pouvoir d’achat des habitants.

Ce texte soulève une autre question : pourquoi réserver la compétence de la commission d’enquête aux seuls départements et régions d’outre-mer, alors que beaucoup des problèmes abordés peuvent se poser en des termes similaires dans les collectivités d’outre-mer et en Nouvelle Calédonie ?

En dépit de ces quelques remarques, nous soutiendrons cette proposition de résolution. Nous souhaitons ardemment que la future commission d’enquête traite la question de manière complète, claire et franche, et qu’une réponse soit apportée à toutes les questions que nous poserons. La dignité de nos concitoyens d’outre-mer le mérite.

M. Johnny Hajjar, rapporteur. Contrairement à ce que vous dites, l’abattement fiscal sur l’impôt sur le revenu des ménages concerne la classe moyenne, qui s’est considérablement appauvrie. Il s’agit pour elle d’une perte de pouvoir d’achat par augmentation des impôts. Évitons les amalgames ou les mauvaises interprétations.

Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). La question de la cherté de la vie dans les territoires d’outre-mer est récurrente. C’est une question plus structurelle que conjoncturelle. Les crises qui se succèdent n’arrangent rien, mais la politique de réponses « à la petite semaine » qui leur est apportée ne permet pas d’endiguer le phénomène. Dans les outre-mer, le taux de pauvreté s’échelonne de 33 % à 77 % et le taux de chômage de 11 % et 30 %, contre respectivement 14 % et 8,4 % dans l’Hexagone, et le coût de la vie est supérieur de 28 % à 38 %.

Le Gouvernement apporte des réponses un peu forcées – comme le bouclier qualité prix – qui ne correspondent pas à l’ampleur du problème. Les raisons de la vie chère dans les outre-mer sont à peu près connues, mais cette commission d’enquête permettra de déterminer précisément les mécanismes à l’œuvre, tels que le rôle des monopoles et des oligopoles dans la formation des prix, la responsabilité du transport maritime ou les phénomènes de concentration verticale. Ces territoires sont en outre très exposés aux chocs exogènes, ceux-ci étant amplifiés par des handicaps structurels lourds : l’insularité, l’étroitesse des marchés intérieurs, des schémas d’approvisionnement presque uniquement fondés sur des importations en provenance de l’Hexagone ou de l’Europe.

On connaît aussi le nombre de dispositifs spécifiques qui ont été mis en place – dont certains sont parfois supprimés sans que l’on sache pourquoi, aucune évaluation précise de leur impact n’ayant été conduite.

Cette commission d’enquête permettra d’identifier et, surtout, de quantifier, de mesurer et de comprendre les facteurs qui expliquent la grande vulnérabilité économique des outre-mer. Nous en attendons beaucoup. Nous devons identifier les leviers qui permettront de combattre les facteurs de vulnérabilité.

Nous proposerons un amendement pour aller encore plus loin. En effet, s’il importe de comprendre les causes et les mécanismes, il est également nécessaire de savoir pourquoi les mesures prises n’ont pas bien fonctionné et quelles autres solutions pourraient être apportées. Nous voulons aussi que la commission d’enquête détermine qui sont les profiteurs de la situation ; cela permettra de mieux comprendre les conséquences négatives pour les populations.

C’est un signe extrêmement positif que notre assemblée envoie en direction des populations des outre-mer : nous ne les ignorons pas, nous n’ignorons pas ce qu’elles vivent, et nous allons tenter d’y répondre.

M. Johnny Hajjar, rapporteur. Je suis totalement d’accord avec votre analyse. Il s’agit non seulement d’établir un diagnostic, mais aussi de proposer des solutions. Toutes les commissions d’enquête parlementaire émettent des préconisations ; ce fut notamment le cas de celle sur l’utilisation du chlordécone. Il faut pour cela adopter une vision beaucoup plus large, objectiver la situation, identifier le poids et les responsabilités des uns et des autres, puis proposer des réparations et des solutions.

M. Mansour Kamardine (LR). Monsieur le rapporteur, j’ai écouté votre exposé avec beaucoup d’intérêt, et je vous remercie de nous associer à la cosignature de votre proposition de résolution, ce que nous faisons avec beaucoup d’allant.

Les députés ultramarins du groupe Socialistes et apparentés ont pris l’initiative avec l’ensemble des députés de leur groupe d’inscrire à l’ordre du jour une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur le coût de la vie dans les départements d’outre-mer. Le coût de la vie – y compris celui du panier de la ménagère – est supérieur en outre-mer à celui de la métropole. En outre, les départements ultramarins sont parmi les plus pauvres de France, tant en termes de production par habitant qu’en termes de salaire moyen. Enfin, pour ce qui concerne les dotations aux collectivités, la péréquation nationale est défavorablement calibrée pour les territoires d’outre-mer – lisez le rapport de 2017 de la Cour des comptes.

Près de quatre-vingts ans après la départementalisation des « quatre vieilles », les plus anciennes des colonies, l’actuelle période inflationniste affecte fortement le niveau de vie de nos compatriotes ultramarins, alors que l’on peine à distinguer une trajectoire claire des politiques publiques vers l’égalité réelle et le rattrapage économique des départements d’outre-mer. Le Président de la République, en déplacement en Guyane en 2019, avait déjà dénoncé la situation de la formation des prix outre-mer. Malheureusement, quatre ans plus tard, le constat est le même, car les actes n’ont pas suivi.

C’est la raison pour laquelle mes collègues LR de la délégation aux outre-mer – Marc Le Fur, Philippe Gosselin, Aurélien Pradié – et moi-même, nous associons, avec l’accord de l’ensemble du groupe, à la présente proposition de résolution, rédigée en des termes permettant de rassembler les députés ultramarins au-delà du groupe Socialistes et apparentés. Il est des sujets où la représentation nationale doit se transcender, au-delà des divergences politiques.

M. Johnny Hajjar, rapporteur. Je vous remercie pour cela. Je privilégie toujours le plus large contre le plus étroit.

Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Au nom du groupe Socialistes et apparentés, je remercie M. Hajjar pour son initiative et pour le travail effectué en amont de l’examen de ce texte.

Le coût de la vie dans les départements et régions d’outre-mer est considérablement supérieur à celui dans l’Hexagone en raison de plusieurs facteurs historiques et structurels, que vous nous avez présentés : l’insularité, les particularités géographiques, l’insuffisance de la concurrence liée à l’étroitesse des débouchés, la multiplication des intermédiaires dans les chaînes de production et d’approvisionnement, un modèle trop prégnant de dépendance économique envers la métropole. D’après la dernière enquête exhaustive de l’Insee en 2015, le niveau général des prix y était en moyenne de 7 % à 12,5 % plus élevé qu’en France hexagonale, avec des différences suivant les territoires. Les écarts de prix étaient particulièrement criants pour les produits alimentaires : ils étaient de 28 % à La Réunion, de 38 % en Martinique, de 34 % en Guyane et de 33 % en Guadeloupe.

Pour 1 kilogramme de riz coûtant 1,71 euro dans l’Hexagone, il faut ainsi compter plus de 3 euros à La Réunion, plus de 4 euros en Guadeloupe et environ 4,80 euros en Martinique ; 4 litres d’huile de tournesol coûtent 3,63 euros dans l’Hexagone, 5 euros à La Réunion, 4,60 euros en Guadeloupe et 4,73 euros en Martinique. De tels exemples, que l’on pourrait multiplier, sont révélateurs. Depuis octobre 2021, le prix des billets d’avion a en outre littéralement explosé, le coût des liaisons avec l’Hexagone augmentant de 31,5 % dans tous les territoires ultramarins. Selon la dernière étude du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, un aller-retour avec la Guadeloupe, qui coûtait 1 200 euros, avoisine aujourd’hui 2 000 euros. C’est un problème majeur notamment pour les nombreux étudiants ultramarins en France métropolitaine.

Il est des records qu’il n’est pas agréable de détenir. Force est de constater que les outre-mer sont parmi les territoires de notre pays où le coût de la vie est le plus élevé, alors même que le revenu médian par habitant y est de 17 000 euros contre 24 000 euros dans l’Hexagone. Le coût de la vie dans ces territoires n’est plus tenable, et risque, si rien n’est fait dans les prochains mois, de fragiliser et de remettre en cause le pacte social. Notre groupe soutiendra de manière très volontariste cette proposition de résolution, afin d’apporter des solutions immédiates et durables à cette situation.

M. Johnny Hajjar, rapporteur. Concernant le riz, l’augmentation se situe entre 100 % et 184 %. On pourrait multiplier ce type d’exemples.

M. Xavier Albertini (HOR). Allons droit au but : le groupe Horizons et apparentés votera en faveur de la proposition de résolution. Nous ne souscrivons pas pleinement à l’intégralité des propos énoncés – en particulier sur la portée des quatre déterminants de la vie chère dans les outre-mer – que je nuancerais, mais nous jugeons très opportune la démarche de créer une commission d’enquête parlementaire transpartisane.

Je l’affirme avec d’autant plus de force que ma collègue Aurélie Trouvé et moi-même avons animé le groupe de travail de suivi de l’inflation entre juillet et décembre 2022, et que son deuxième volet tenait compte de la spécificité des outre-mer. Nous y avons constaté la difficulté de travailler sur ce sujet vaste et complexe, qui mérite une mission à part entière.

Pour ce qui concerne l’alimentation et les produits de grande consommation, étudiés par notre groupe de travail, la progression de l’inflation n’est pas plus importante qu’en métropole, mais elle est plus difficilement amortissable par nos compatriotes ultramarins ; dont le niveau de vie moyen est inférieur à celui dans l’Hexagone. Outre de revenus inférieurs, ils pâtissent de prix supérieurs à ceux de la métropole, du fait de l’exiguïté du marché, du coût de l’importation des produits depuis la France ou l’Europe et d’un phénomène très pénalisant de multiplicité des intermédiaires. Pour remédier à ce dernier point, de nombreuses pistes existent : mettons-les en œuvre.

Conscient de ces obstacles, le Gouvernement a lancé en décembre un Oudinot du pouvoir d’achat. L’objectif est de redonner du pouvoir d’achat en étendant le bouclier qualité prix, dispositif qui fixe un prix maximum pour un certain nombre de produits de grande consommation : s’il ne peut être baissé dans le contexte actuel, le prix de ces produits est ainsi bloqué.

Nous sommes particulièrement intéressés, dans le cadre de la future commission d’enquête parlementaire, par l’action qui pourrait être menée sur le terrain du logement, des services publics, de la sécurité et de l’éducation. C’est en effet l’éducation, vecteur de liberté et d’émancipation, qui représente à nos yeux la priorité dans les outre-mer.

M. Johnny Hajjar, rapporteur. Pour comparer l’inflation entre nos territoires et l’Hexagone, il ne faut pas se situer uniquement sur le plan conjoncturel. Imaginez cinq personnes de tailles différentes debout derrière un mur pour regarder un match de football : celles qui sont plus petites que le mur ne verront rien, contrairement aux autres. L’exemple est un peu caricatural mais il permet de comprendre l’iniquité. Quand on veut comparer l’inflation dans les territoires d’outre-mer et dans l’Hexagone, il faut y ajouter les surcoûts structurels, que nous évaluons à 40 %. Ainsi, si l’on parle de 3 % d’augmentation en outre-mer et de 6 % en France hexagonale, dans certains territoires d’outre-mer cela représente en réalité 40 % plus 3 %, soit 43 % d’inflation. La comparaison doit être faite à niveau constant, en tenant compte du volet structurel.

Mme Sabrina Sebaihi (Écolo-NUPES). Depuis plusieurs mois, la principale préoccupation des Français est celle de leur pouvoir d’achat et de la vie chère, avec un taux d’inflation qui ne cesse d’augmenter sans que les salaires ne suivent pour autant. Nos concitoyens ultramarins sont encore plus durement touchés par cette augmentation du coût de la vie au quotidien. Ce n’est toutefois pas un phénomène nouveau. Avant même le covid et la guerre en Ukraine, les écarts de prix avec les territoires ultramarins étaient perceptibles. En 2019, on estimait entre 20 % et 40 % le surcoût affectant les produits alimentaires, en fonction du territoire.

Les crises actuelles exacerbent cette situation. C’est une double peine pour les ultramarins, qui, en plus de subir une situation injuste dans l’indifférence totale, doivent faire face depuis de nombreuses années au mépris de la République et à sa gestion coloniale de ses territoires d’outre-mer. Ce mépris apparaît intenable vu l’ampleur des investissements dont ces territoires ont besoin de la part de l’État pour faire face au changement climatique et aux événements météorologiques extrêmes auxquels ils sont exposés. Il devient flagrant lorsque la justice française prononce un non-lieu sur l’affaire du chlordécone, alors que, d’après l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), près de 90 % des populations guadeloupéenne et martiniquaise ont été contaminées par ce pesticide. Ce mépris devient palpable quand les habitants des outre-mer doivent faire des kilomètres pour se soigner et que leurs soignants eux-mêmes décident de partir, pris à la gorge par un coût de la vie exorbitant.

Pourrait-on un seul instant imaginer les Yvelines être le théâtre d’affrontements quotidiens, avec 80 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté, et un unique centre de santé en activité, en faisant ainsi le plus grand désert médical de France ? La réponse est bien évidemment non. C’est pourtant le cas à Mayotte, par exemple.

Alors que la République est censée être une et indivisible, force est de constater que cela ne s’applique pas aux territoires d’outre-mer, tant la République ferme les yeux sur leurs difficultés. Au nom du groupe Écologiste, je tiens à saluer ce texte qui reconnaît formellement l’existence d’un problème concernant le coût de la vie dans les outre-mer. Il est vital d’analyser les mécanismes concourant à cette situation intenable pour nos concitoyens. Il est temps d’investir dans les
outre-mer et de faire cesser la gestion coloniale de territoires entiers, qui sont pourtant censés faire partie intégrante de notre nation.

M. Johnny Hajjar, rapporteur. Il s’agit en effet d’aller vers de vraies solutions et des réponses concrètes, de façon que nous ne soyons pas des Français à part.

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). Je me fais ici le porte-voix des dix députés d’outre-mer du groupe de la Gauche démocrate et républicaine pour affirmer notre soutien à la création de cette commission d’enquête. Et si certains ont dit « oui, non, oui », nous opterons quant à nous, tout en conservant le même rythme ternaire, pour « oui, oui, oui ».

Il faut dire que l’état des lieux est préoccupant. À La Réunion, par exemple, le secteur de la distribution généraliste est en proie à une très forte concentration, avec la formation d’un duopole Carrefour-Leclerc dominé par le Groupe Bernard Hayot (GBH) exploitant l’enseigne Carrefour dans l’océan Indien, qui détient les deux tiers des parts du marché, ce qui provoque des conséquences en cascade. J’en citerai deux : la fragilisation de tout l’écosystème des fournisseurs locaux –  producteurs, importateurs, prestataires locaux –, entraînant des situations de dépendance économique pouvant atteindre de 60 % à 80 % du chiffre d’affaires, et la réduction de la diversité de l’offre, avec des effets très préjudiciables pour les consommateurs, de nature à aggraver la crise de la vie chère.

Il faut donc d’urgence agir pour enrayer la mécanique en cours. La commission d’enquête permettra d’examiner le phénomène de concentration dans la grande distribution à dominante alimentaire, qui est spécifique aux territoires d’outre-mer, de se saisir de l’évolution en cours par exemple à La Réunion et d’agir pour plus de transparence en matière de formation des prix, de manière à protéger nos concitoyens des abus de position dominante et prendre des mesures de lutte contre la vie chère.

Nous préconisons plus particulièrement trois mesures précises. La première est de saisir l’Autorité de la concurrence, en application des articles L. 462-1 et L. 462-5 du code de commerce, des effets réels de l’opération de concentration qu’elle a elle-même autorisée, en vue de prendre des mesures de répression pour en neutraliser les effets néfastes dans le secteur de la grande distribution et dans l’ensemble du tissu économique local.

Nous souhaitons en outre travailler à une réforme du code de commerce, afin d’y insérer un dispositif spécifique aux départements ultramarins, de nature à créer le cadre légal de prévention des phénomènes de concentration adapté au contexte insulaire.

Notre troisième préconisation sera de renforcer les agences d’État qui contrôlent et sanctionnent, pour éviter les prix et marges exorbitants. Nous serons donc porteurs de propositions précises.

M. Johnny Hajjar, rapporteur. Le problème des concentrations, des oligopoles et des monopoles se trouve au cœur des sujets à traiter au sein de la commission d’enquête. Ces phénomènes, qui ont des racines anciennes, se sont récemment renforcés de manière inacceptable, notamment par des concentrations verticales – c’est-à-dire par la présence des mêmes entités à tous les niveaux de la chaîne. Si la formation des prix est une question essentielle pour le quotidien des ultramarins, l’enjeu est aussi celui de la démocratie économique et de la capacité à libérer l’initiative locale.

M. Max Mathiasin (LIOT). Monsieur le rapporteur, je vous remercie pour cette initiative. J’aborde ma sixième année en tant que député, et tout comme mes collègues du groupe Renaissance, j’ai eu le sentiment pendant près de cinq ans que lorsque nous intervenions en tant qu’ultramarins, nous étions incompris par beaucoup de nos collègues de l’Hexagone, qui ne connaissaient pas la réalité des outre-mer, donc celle de la France.

La France ne se résume pas à l’Hexagone. Elle est aussi composée de nombreux territoires ultramarins, et tous ces territoires ont connu, à un moment de leur histoire, un régime politique et économique dit d’économie de comptoir, qui était extrêmement difficile et fondé sur l’inégalité entre les êtres humains. Au nom de cette inégalité, on pouvait extraire, spolier et transporter toutes les richesses possibles ; et cette inégalité, fondée sur des préjugés, a perduré après la départementalisation, en 1946. Le Smic, par exemple, n’a été appliqué que très tardivement chez nous de la même manière que dans l’Hexagone. Si nous reconnaissons les efforts qui sont réalisés aujourd’hui, on part de très loin.

Le groupe LIOT est favorable à la création d’une commission d’enquête sur le coût de la vie dans les Drom, parce que c’est la commission d’enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences qui a permis de faire émerger des vérités et de progresser ; c’est la commission d’enquête sur l’utilisation du chlordécone, dont l’actuel président du conseil exécutif de Martinique, M. Serge Letchimy, fut le président et Mme Justine Benin la rapporteure, qui a permis bien des avancées dans la lutte contre ce poison. Nous allons faire la lumière sur cette économie de rente, qui a pérennisé des inégalités – liées par exemple aux frais d’approche –, et démontrer qu’il s’agit d’un problème structurel extrêmement profond.

M. Johnny Hajjar, rapporteur. La conjoncture en matière de santé, notamment environnementale – nous avons évoqué le chlordécone, mais il y a aussi les sargasses –, ainsi qu’en matière de continuité territoriale et de démocratie économique, fait que nous sommes condamnés à objectiver pour que chacun ait le même niveau de conscience de la situation dans laquelle nos peuples et nos territoires se trouvent, et pour que nous puissions nous projeter dans des perspectives susceptibles d’améliorer nos conditions de vie.

Aimé Césaire disait : « C’est quoi une vie d’homme ? C’est le combat de l’ombre et de la lumière… C’est une lutte entre l’espoir et le désespoir, entre la lucidité et la ferveur… ». Et il concluait : « Je suis du côté de l’espérance, mais d’une espérance conquise, lucide, hors de toute naïveté. ».

Mme Maud Petit (Dem). C’est avec un grand plaisir que je me joins à vous pour débattre d’une question majeure pour notre pays, mais qui passe trop souvent sous le radar des médias et des politiques hexagonales.

La vie chère dans les territoires d’outre-mer est une dure réalité. En 2018, le niveau de vie médian annuel le plus haut, dans les Antilles et à La Réunion, atteignait 17 000 euros, contre 24 000 en Île-de-France. La dernière enquête économique de l’Institut de la statistique de la Polynésie française révélait que les prix dans les territoires ultramarins étaient supérieurs de 39 % à ceux dans l’Hexagone. La Cour des comptes a dénoncé en 2017 un traitement inéquitable des DOM sur le plan de la péréquation nationale. Ce traitement défavorable a aussi été reconnu par le Président de la République en 2019. L’inflation que nous subissons actuellement aggrave une situation déjà difficilement supportable pour nos concitoyens ultramarins.

Des rapports ont été rédigés. Des parlementaires ont lancé l’alerte. J’ai moi-même, dans un rapport d’information rédigé en 2019 avec mes collègues Josette Manin et Cécile Rilhac, déploré le coût de la vie dans les outre-mer, source de discrimination. Ces appels ont parfois été entendus, des mesures ont parfois été prises, mais trop souvent, la question a été mise de côté et, à ce jour, elle n’est pas réglée. C’est pourquoi le groupe Démocrate prend ses responsabilités et soutient totalement la création de la commission d’enquête sur la vie chère en outre-mer, qui analysera les raisons des prix si élevés dans les territoires ultramarins et devra impérativement proposer des solutions pérennes pour enrayer cette situation.

Fortement attaché aux territoires, le groupe Démocrate souhaite cependant que les collectivités d’outre-mer fassent partie intégrante du dispositif, et c’est pourquoi je suis heureuse qu’après plusieurs échanges, monsieur le rapporteur, nous ayons pu vous convaincre du bien-fondé de notre demande. Nous déposerons donc en séance un amendement commun en ce sens. Chaque territoire d’outre-mer possède son caractère et ses spécificités. Nous serons à vos côtés pour qu’une fois les causes établies, les solutions apportées soient adaptées à chacun.

Chers collègues, sur ce sujet récurrent et discriminant, notre union est nécessaire et indispensable. Nous devons mettre un terme à la situation actuelle, dans l’intérêt de nos concitoyens français de l’outre-mer.

M. Johnny Hajjar, rapporteur. Merci au groupe Démocrate. Il est très important, notamment pour le message adressé à nos peuples et à nos territoires – que s’expriment une unité et une solidarité face à des réalités difficiles mais extrêmement différentes. Leur prise en compte permettra de réduire les inégalités et les iniquités et d’améliorer le quotidien de chacun.

M. le président Guillaume Kasbarian. Je sens une belle unanimité dans la salle, et je suis désolé d’intervenir à la fin pour exprimer un avis légèrement divergeant.

Je veux tout d’abord vous remercier, monsieur le rapporteur, pour le travail accompli, pour votre engagement sur la question de la vie chère dans les outre-mer et pour la courtoisie et l’élégance avec lesquelles vous m’avez appelé pour échanger sur le sujet.

Cette question extrêmement importante a donné lieu à une abondante production au sein du Parlement et en dehors, dont un avis de l’Autorité de la concurrence, en juillet 2019, une étude du Conseil économique, social et environnemental (Cese), en octobre 2020, une enquête de l’Insee, engagée en 2022 et encore en cours, le rapport de Mmes Petit, Manin et Rilhac, en 2019, et un rapport de la délégation aux outre-mer, rédigé par Lénaïck Adam et Claire Guion-Firmin, en décembre 2020. Le dernier rapport sur la question date donc de deux ans.

On pourrait en venir à se demander à quoi sert la délégation aux outre-mer, qui a précisément pour mission de travailler sur ce type de questions. Lors de son dernier bureau, elle a examiné la demande de création d’une mission sur le thème de la vie chère, mais a décidé de la reporter– probablement faute de moyens. Si cette commission d’enquête était créée, elle se trouverait dépouillée de ce sujet.

Je trouve cela surprenant. Soit l’on renvoie les sujets qui relèvent de nos commissions ou délégations à des commissions d’enquête ad hoc, ce qui est un choix politique, soit l’on donne à ces commissions ou délégations les moyens de traiter des sujets qui les intéressent. En outre, chaque commission d’enquête nécessite de la logistique et des ressources humaines. Il me semblerait donc cohérent que le secrétariat de la commission d’enquête que nous allons probablement créer – puisqu’il me semble qu’il y a unanimité – soit constitué à partir des services de la délégation aux outre-mer.

D’autre part, le groupe Socialistes et apparentés a fait le choix de ne pas utiliser son droit de tirage, ce qui est son droit le plus absolu. Cela lui permet de ne pas brûler sa « dernière cartouche ». Toutefois, il existe dix groupes parlementaires au sein de cette assemblée, donc dix commissions d’enquête susceptibles d’être créées chaque année. Si le recours à la procédure suivie aujourd’hui se banalise – car je ne doute pas que vous aurez d’autres idées de thèmes pouvant être soumis à enquête en dehors de vos droits de tirage –, les commissions d’enquête vont se multiplier.

Je ne suis pas opposé, par principe, aux commissions d’enquête. J’en ai
moi-même présidé, et j’ai été le rapporteur de l’une d’entre elles. Cependant, il se pose un problème de ressources humaines. La commission des affaires économiques dispose de sept administrateurs et d’un conseiller. J’ai été saisi de six demandes de création de missions d’information, sur lesquelles le bureau devra bientôt statuer, et six missions d’évaluation des lois sont susceptibles d’être réalisées. Sans vouloir ternir l’unanimité, il est de mon devoir de président de vous informer que les ressources de notre commission sont contraintes. Je ne pourrai pas accepter la totalité des demandes de missions d’information si l’on me retire des ressources en personnel pour les affecter à des commissions d’enquête créées en dehors des droits de tirage.

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). Monsieur le président, vous avez détricoté le fonctionnement de notre assemblée, mettant en évidence les finesses que chacun peut utiliser pour accroître ses possibilités d’expression. Je voudrais cependant appeler votre attention sur le fait qu’une commission d’enquête n’est pas une mission d’information. Penser qu’une simple mission d’information conduite par la délégation des outre-mer pourrait tirer les vers du nez d’un groupe comme Leclerc serait faire preuve d’une grande naïveté.

Les personnes convoquées dans le cadre d’une commission d’enquête doivent prêter serment et sont obligées de répondre aux questions qui leur sont posées, sous peine d’être poursuivies en justice. Pour un tel sujet, seule une commission d’enquête sera susceptible de dresser en toute transparence un état des lieux et d’obtenir des informations de la part de groupes industriels ou de distribution dont on connaît la puissance, mais aussi la capacité d’occulter certaines choses. Elle aura en outre la faculté d’émettre des préconisations.

Quant à la délégation aux outre-mer, il revient bien évidemment à son président et à son bureau de déterminer comment ils peuvent, s’ils le souhaitent, apporter leur aide.

M. Max Mathiasin (LIOT). Monsieur le président, alors qu’une unanimité se dégage sur un thème important pour les territoires d’outre-mer, vous soulignez le manque de moyens de la commission aux affaires économiques, en oubliant que la délégation aux outre-mer n’est pas une commission permanente – même si elle prend de l’ampleur grâce au sérieux de nos collègues. Ne soyez pas rabat-joie ; souriez avec nous ! N’intervenez pas pour rappeler que l’on manque de moyens dès qu’il s’agit des outre-mer ! Ces territoires apportent à la France le deuxième domaine maritime au monde. Ce sont des ressources précieuses en ces temps difficiles.

M. le président Guillaume Kasbarian. Je ne suis pas rabat-joie ; je joue mon rôle et vous rappelle les données du problème. La délégation aux outre-mer est une structure permanente, mais vous avez raison de dire qu’elle manque de moyens. Je vous alerte quant aux difficultés auxquelles les délégations et les commissions sont confrontées. À l’Assemblée, un seul administrateur est attaché à la délégation aux outre-mer – un deuxième doit arriver ce mois-ci –, quand il y en a trois au Sénat. Je ne fais que défendre les moyens des commissions et des structures permanentes de l’Assemblée nationale.

M. Mansour Kamardine (LR). Dès qu’il s’agit de l’outre-mer, on invoque les problèmes budgétaires !

Combien de rapports sont-ils restés sans suite ? Il y en a eu beaucoup, avec notre complicité à tous. Dès qu’une mesure est proposée, elle recueille un avis défavorable. Nous participons nous-mêmes à la relégation de l’outre-mer. Pour une fois que l’unanimité se fait autour de propositions concrètes, profitons-en. Sans trahir les gouvernements que les uns et les autres soutiennent, admettons que ce sont les élus sur le terrain qui ont raison et envoyons un signal fort à l’outre-mer.

Pourquoi transmettre ce sujet à la délégation aux outre-mer alors qu’on peut le soumettre à l’Assemblée tout entière ? Je ne partage pas votre analyse, monsieur le président. La petite chanson « L’outre-mer coûte cher » nous a conduits là où nous sommes. Bien que je n’en sois pas membre, je considère que le groupe Socialistes et apparentés a eu raison de ne pas utiliser son droit de tirage et de demander à l’Assemblée de se saisir de la question transpartisane de la vie chère dans les outre-mer.

M. le président Guillaume Kasbarian. Ma position n’est pas liée au fait que la commission d’enquête porte sur les outre-mer ; elle serait la même pour toute demande de création de commission d’enquête hors droit de tirage. Si un sujet vous apparaît important, je vous invite à utiliser votre droit de tirage. Chaque groupe peut le faire une fois par an et il recevra toujours mon soutien dans ce cadre-là.

Mme Maud Petit (Dem). Vos propos m’ont quelque peu chagrinée, monsieur le président. Il ne faudrait pas faire croire que la délégation aux outre-mer ne sert pas à grand-chose, à part produire des rapports auxquels aucune suite n’est jamais donnée. Elle est un lieu magnifique dans lequel peut s’exprimer la Représentation nationale ultramarine. Sans cette délégation, il serait beaucoup plus compliqué d’entendre la parole de ces territoires éloignés de Paris : elle est donc indispensable.

J’ai le souvenir d’un déplacement de la délégation en Polynésie, il y a un ou deux ans, au moment où je préparais mon rapport sur le sport et la santé dans les outre-mer : les collègues et les institutions locales nous ont reçus avec beaucoup de bonheur parce que la délégation, représentant l’ensemble de la France, se rendait enfin sur le sol polynésien. Les élus locaux ont insisté sur l’importance de cette visite – le Président de la Polynésie française en personne me l’a dit. La délégation accomplit un travail considérable avec le peu de moyens dont elle dispose.

Il est certes de notre responsabilité de piocher dans les différents rapports afin de mettre en œuvre certaines de leurs préconisations, mais comment faire sans niche parlementaire pour déposer des propositions de loi et sans projets de loi portant spécifiquement sur les outre-mer ?

Je soutiens pleinement la création de cette commission d’enquête, qui nous donnera des moyens supplémentaires : allons-y tous gaiement !

Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Vous avez réussi à vous mettre tout le monde à dos, monsieur le président ! (Sourires.) Je vais moi aussi plaider pour que la commission des affaires économiques ait la main sur cette commission d’enquête.

Chaque fois que nous, commissaires aux affaires économiques, rédigeons un rapport, nous ne traitons pas des outre-mer. Je viens d’en achever un avec M. Charles Rodwell sur le commerce extérieur et l’attractivité, dans lequel nous n’avons pas évoqué les spécificités des outre-mer ; ce n’est pas bien, mais il en est toujours ainsi. J’ai le mérite de le reconnaître, mais je ne suis pas la seule à tomber dans ce travers. Nous mettons de côté ces territoires en nous disant qu’ils relèvent de la délégation aux outre-mer.

Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023, nos collègues ultramarins ont lancé un appel au secours. Nous y répondons ce matin de manière unanime. Certes, cela mobilisera des moyens, mais la commission des affaires économiques pourrait demander plus de ressources à la Présidente de l’Assemblée nationale, car nos administrateurs sont surchargés de travail. N’utilisez pas l’excuse de l’austérité budgétaire, que vous soutenez partout ailleurs et dont les conséquences dans les hôpitaux et les écoles sont celles que l’on connaît. Il faut que la commission des affaires économiques prenne en charge cette commission d’enquête.

M. le président Guillaume Kasbarian (RE). Rien ne vous interdit de consacrer une partie du rapport que vous allez nous présenter tout à l’heure avec M. Rodwell aux territoires d’outre-mer. Les deux rapporteurs de la mission d’information sur les moyens de faire baisser les prix du logement en zones tendues souhaitent apporter un éclairage particulier sur la situation outre-mer, et ils se rendront sur place. Ne me faites donc pas le mauvais procès d’exclure l’outre-mer des travaux de la commission des affaires économiques.

Je vous rejoins sur le besoin de ressources supplémentaires. Même si mon alerte vous paraît fâcheuse, elle ne vise qu’à souligner l’importance de nos administrateurs, le fait qu’ils sont débordés et la nécessité de disposer de moyens supplémentaires. La création de commissions d’enquête affecte les autres demandes : c’est tout ce que je dis.

M. Hervé de Lépinau (RN). Je vais mettre votre pragmatisme à l’épreuve, monsieur le président.

Membre de la délégation aux outre-mer, je sais que celle-ci est un outil d’analyse destiné à déceler les dysfonctionnements à l’œuvre dans ces parties du territoire national, mais elle ne jouit pas des mêmes prérogatives qu’une commission.

Vous nous expliquez que les Socialistes ont contourné le droit de tirage : s’ils demandaient la création d’une commission d’enquête dans le cadre de celui-ci, les moyens alloués à la commission d’enquête seraient-ils plus importants ?

M. le président Guillaume Kasbarian. La délégation aux outre-mer étant, à ma connaissance, une structure permanente de l’Assemblée nationale, elle peut demander à se doter des pouvoirs d’une commission d’enquête et obtenir davantage de moyens.

M. Hervé de Lépinau (RN). Vous n’avez pas totalement répondu à ma question… Si le groupe Socialistes et apparentés décidait finalement d’utiliser son droit de tirage, les moyens dévolus à la commission d’enquête seraient-ils plus importants ?

M. le président Guillaume Kasbarian. Non : une commission d’enquête dispose de moyens structurels qui lui sont apportés quel que soit le vecteur utilisé pour sa création.

Vous avez tous le droit de déposer des propositions de résolution visant à créer des commissions d’enquête hors du droit de tirage, mais mon devoir de président de commission est de vous alerter sur les difficultés que leur prolifération ferait courir du fait de la limitation de nos ressources. Voilà pourquoi je vous invite à utiliser votre droit de tirage, qui est une attribution puissante de chaque groupe politique – dont le nombre est par ailleurs élevé.

M. Julien Dive (LR). J’ai trop de respect pour la fonction que vous occupez et suffisamment conscience des difficultés auxquelles vous êtes confronté, monsieur le président, pour vous attaquer sur les propos que vous avez tenus. Je rappelle néanmoins qu’en tant que commissaires aux affaires économiques, il nous incombe de nous prononcer sur le bien-fondé de la proposition de résolution. Le reste n’est que tuyauterie ; ce sera au bureau de la commission d’en discuter. Nous devons aujourd’hui nous décider sur le fond, et il me semble qu’un consensus se dégage en faveur de la création de cette commission d’enquête.

M. le président Guillaume Kasbarian. Je ne veux pas briser le consensus, je tenais simplement à vous exposer le problème de « tuyauterie », comme vous dites. On dit parfois que l’intendance suivra, mais les décisions que nous prenons ont un impact sur le travail des administrateurs.

M. Thierry Benoit (HOR). Vous êtes dans votre rôle en tenant ces propos, monsieur le président, mais, comme l’a souligné André Chassaigne, les commissions d’enquête permettent de mener un travail approfondi. J’ai eu la chance, lors de la précédente législature, d’en présider une, qui portait sur les négociations commerciales : des membres de cette commission d’enquête, élus dans les territoires d’outre-mer, nous interpellaient régulièrement sur l’absence de prise en compte des spécificités ultramarines. Ce reproche est commun à tous les sujets que nous traitons. Hier, des députés des outre-mer sont intervenus en séance publique pour souligner les particularités touchant aux pensions de retraite perçues dans ces territoires, éloignés géographiquement mais proches de nos cœurs. Leurs prises de parole ont une forte portée affective sur moi. La commission d’enquête sur le coût de la vie outre-mer va voir le jour, et je m’en réjouis.

Nous pourrions réexaminer les ressources allouées aux groupes d’amitié ou au bureau. Peut-être serait-il possible d’en redéployer certaines ? Nous n’avons pas besoin de davantage de moyens, nous devons simplement modifier l’affectation de ceux dont nous disposons. Il est primordial que les administrateurs de l’Assemblée, qui sont des hauts fonctionnaires brillants, travaillent aux côtés des députés pour accomplir des activités pertinentes, utiles et efficaces, plutôt que d’être affectés à des tâches quelque peu superflues.

Mme Sabrina Sebaihi (Écolo-NUPES). Je souhaite abonder dans le sens de mes collègues et souligner le manque de moyens dont nous disposons pour les commissions d’enquête. Nous devrions nous battre ensemble pour obtenir davantage de ressources, d’autant que nous parlons depuis tout à l’heure d’inégalités territoriales, dont les outre-mer pâtissent depuis bien longtemps. Il ne serait que justice d’allouer des moyens importants à une commission d’enquête chargée d’analyser le mal de la vie chère dans ces régions. Le redéploiement de fonctionnaires ne me semble pas la priorité.

Je suis d’accord avec M. Chassaigne : il importe de créer cette commission d’enquête, qui aura un rayonnement supérieur à celui d’une mission d’information. Nous avons besoin d’étudier la question en profondeur. Plutôt que de regretter le manque de moyens, efforçons-nous d’obtenir les ressources qui nous permettront de travailler dans de bonnes conditions.

M. Max Mathiasin (LIOT). Cela fait une demi-heure que nous pérorons sur le manque de moyens des commissions permanentes ou d’enquête. Savez-vous que l’on nous regarde en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à La Réunion, à Mayotte, à Saint-Pierre-et-Miquelon et dans les autres territoires d’outre-mer ? Ceux qui suivent notre débat auront le sentiment que l’on met en avant la question des moyens alors que, pour une fois, on s’acheminait vers une décision unanime. Je le regrette.

M. le président Guillaume Kasbarian. La décision sera prise, et sans doute de manière unanime. J’aurais soulevé la question des moyens pour n’importe quelle création de commission d’enquête hors droit de tirage, quel que soit le sujet de ses travaux. Il est de mon devoir de vous donner tous les éléments avant que vous ne vous prononciez. Tant pis si mes propos ne plaisent pas et sont mal interprétés.

M. Johnny Hajjar, rapporteur. Je comprends votre position même si je ne la partage pas : vous avez, en tant que président de commission, des problèmes importants et éminemment politiques à traiter. Or le sujet dont nous parlons est très politique. La question des moyens ne peut pas faire écran à la nécessité de nous pencher sur le problème de la vie chère outre-mer. D’ailleurs, nous nous retrouvons tous pour défendre la création de cette commission d’enquête.

Ne minimisons pas l’action de la délégation aux outre-mer, qui réalise un travail important. Toutefois, la vie chère outre-mer représente un enjeu très vaste, qui concerne la France tout entière.

Le groupe Socialistes et apparentés a choisi d’examiner cette proposition de résolution dans le cadre de sa niche parlementaire, alors que les propositions de loi et de résolution étaient nombreuses. Le groupe a écarté d’autres thèmes éminemment politiques et a placé l’examen de ce texte en deuxième position dans l’ordre du jour, preuve de sa volonté de le faire adopter. Sa discussion dans l’hémicycle lui donnera une force particulière et enverra un message important. Ne réduisez pas à une question de moyens internes un problème qui met en jeu des vies humaines et peut déboucher sur le chaos social ; c’est de solidarité, d’éthique et de valeur qu’il s’agit ici.

Les enquêtes statistiques que vous avez évoquées ne sont qu’une dimension du sujet. La commission d’enquête parlementaire est l’outil le plus puissant à notre disposition : elle ne se contentera pas de recueillir des données sur les prix, elle développera une analyse plus globale. J’ai évoqué les quatre aspects principaux du sujet : les inégalités de revenu et de niveau de vie ; l’inflation ; le sous-financement structurel et conjoncturel des collectivités territoriales ultramarines ; le désengagement financier historique de l’État, à cause duquel les collectivités sont contraintes d’augmenter les impôts, donc de diminuer le pouvoir d’achat des habitants. Les travaux conduits ces dernières années, pour importants qu’ils fussent, avaient un champ plus limité et ne portaient que sur une période donnée – la dernière étude, datant de 2020, est totalement dépassée. Nous avons besoin d’une analyse globale et approfondie offrant une synthèse du cocktail détonnant que représente la vie chère dans nos territoires.

L’objectif est que tous les groupes de l’Assemblée, de la majorité comme des oppositions, disposent d’outils d’aide à la décision adaptés et actualisés, afin d’améliorer les politiques publiques outre-mer.

Je regrette que sur un sujet éminemment politique, on parle de moyens. S’il est de votre liberté d’évoquer cette question, ce choix pourrait être mal perçu. Une telle posture n’est pas à la hauteur de l’enjeu auquel font face les territoires et les peuples que nous représentons.

M. le président Guillaume Kasbarian. Plus que ma liberté, c’est mon devoir d’évoquer ce problème – même si ce n’est pas populaire.

 

 

Article unique

 

 

Amendement CE1 de M. Jean-Hugues Ratenon

Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Cet amendement, dont mes collègues ultramarins Jean-Hugues Ratenon, Perceval Gaillard et Jean-Philippe Nilor sont les auteurs, tend à élargir le champ de la commission d’enquête. Nous souhaitons que le rapport de la commission ne s’en tienne pas à un constat mais qu’il formule des propositions pour en finir avec la vie chère.

Il s’agit de donner de la force et du poids aux préconisations de la commission d’enquête. Celle-ci ne doit pas donner lieu à une énième analyse agrémentée de suggestions non suivies d’effets, elle doit, en élaborant des solutions prêtes à être déployées, déboucher sur un véritable plan d’action pour les outre-mer.

M. Johnny Hajjar, rapporteur. L’amendement est satisfait. Comme je l’ai expliqué, se contenter d’établir un diagnostic n’aurait politiquement pas de sens. D’ailleurs, tous les rapports des commissions d’enquête comportent une partie finale destinée à ouvrir des pistes à même de remédier aux problèmes diagnostiqués dans la première partie. Il faudra avancer des solutions et émettre des préconisations de fond, assises sur une vision globale qui débouche, comme vous l’avez dit, sur un plan contenant des réponses de court, moyen et long termes.

Toutefois, comme je souhaite que le champ d’investigation soit large, j’émettrai un avis favorable sur l’amendement.

La commission adopte l’amendement.

 

Elle adopte l’article unique modifié.

L’ensemble de la proposition de résolution est ainsi adopté.

 

 


([1]) Données ARCEP