N° 808

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er février 2023

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LA PROPOSITION DE LOI

visant à la nationalisation du groupe Électricité de France (n° 671),

 

par M. Philippe BRUN

Député

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 Voir le numéro : 671

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

Avant-propos

I. La proposition de nationalisation d’EDF s’inscrit dans l’histoire particulière des entreprises publiques

A. la nationalisation, outil de souveraineté Économique

1. L’émergence d’un droit à nationaliser

2. Le rapport complexe aux nationalisations

B. La reprise en main d’un fleuron : le cas d’EDF

1. Une entreprise publique cotée en bourse

a. L’effet du droit européen

b. Le choix de la privatisation

2. La justification de la nationalisation

II. Le dispositif proposé rend au Parlement sa juste place dans l’acquisition d’EDF par l’État

A. La méthode du Gouvernement est une anomalie démocratique

1. La place insuffisante du débat parlementaire

2. La procédure de retrait obligatoire

3. Une indemnisation insuffisante des actionnaires minoritaires

B. La proposition de loi garantit les intérêts des CITOYENS, des CONTRIBUABLES et des consommateurs

Travaux de la commission

Discussion générale

Examen des articles

Article 1er  Nationalisation d’EDF

Article 2 (art. L. 111-67 du code de l’énergie) Organisation du groupe et incessibilité du capital d’EDF

Après l’article 2

Article 3 Fixation du prix de l’action

Après l’article 3

Article 3 bis (nouveau) (art. L. 337-8 du code de l’énergie) Extension des tarifs réglementés de vente de l’électricité

Après l’article 3

Article 4 Gage de recevabilité financière

Titre

 


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   Avant-propos

L’énergie est un bien commun. Lorsque l’accès à l’électricité est compromis par son coût prohibitif ou par l’instabilité des sources d’approvisionnement, les conséquences sont immédiates et peuvent être dramatiques. L’hypothèse des coupures de courant durant l’hiver fait planer une menace sérieuse sur des activités essentielles, avec un coût potentiel en vies humaines et un impact certain sur l’économie.

Pourtant, la France dispose d’un puissant outil de production électrique, héritage de son histoire industrielle et du choix assumé du nucléaire civil. L’opérateur historique Électricité de France (EDF), bien qu’affaibli par une mauvaise gestion et une situation financière insatisfaisante, demeure le bras armé de la politique énergétique.

Cette proposition de loi vise à affirmer le caractère stratégique d’EDF, entreprise de service public essentielle à la souveraineté énergétique de la France, en procédant à sa nationalisation.

I.   La proposition de nationalisation d’EDF s’inscrit dans l’histoire particulière des entreprises publiques

A.   la nationalisation, outil de souveraineté Économique

1.   L’émergence d’un droit à nationaliser

L’acquisition, par la puissance publique, de grandes entreprises produisant des biens et services considérés comme essentiels à la vie économique et sociale du pays prospère en France à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Le programme du Conseil national de la Résistance (CNR), élaboré en mars 1944 sous la forte influence des socialistes et des communistes, affirme l’objectif du « retour à la nation des grands moyens de production monopolisée, fruits du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurances et des grandes banques » ([1]). C’est grâce à l’État que l’intérêt général doit triompher des intérêts privés, afin que la démocratie politique aille de pair avec une démocratie économique, garante des droits économiques et sociaux des individus ([2]).

Cette conception triomphe au neuvième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui affirme que « Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. » Cette disposition a toujours valeur constitutionnelle, par le renvoi qui est opéré au préambule de 1946 dans celui de la Constitution du 4 octobre 1958.

La nationalisation implique deux dimensions : le transfert à la collectivité des moyens de production et leur utilisation dans l’intérêt de cette dernière. Elle justifie le caractère exceptionnel de l’acte de nationalisation, qui constitue, à l’instar des expropriations pour cause d’utilité publique, une dérogation au droit de propriété privée, ainsi que son caractère contraignant.

2.   Le rapport complexe aux nationalisations

À la Libération, une importante vague de nationalisations, mettant en œuvre une partie du programme du CNR, a lieu de 1944 à 1946 dans un contexte de soutien unanime à ces mesures. Leur remise en question apparaît ultérieurement et accompagne la progression de l’idéologie libérale dans les politiques économiques.

À partir de 1973, les neuf compagnies d’assurances et les quatre grandes banques de dépôts concernées font l’objet d’une loi ouvrant leur capital à leurs salariés ([3]) . Le 11 février 1982, sous la présidence de François Mitterrand, la loi transfère la propriété de grands groupes industriels et de trente-neuf banques à l’État ([4]). Cependant, le gouvernement d’alternance revient sur ces nationalisations dès la loi du 2 juillet 1986 ([5]), poursuivant le vaste mouvement de « dénationalisation » des années 1980 parti du Royaume-Uni et des États-Unis ([6]). Enfin, la loi du 19 juillet 1993 prévoit la privatisation de vingt-et-une entreprises publiques.

L’implication de l’État dans l’économie productive prend désormais, prioritairement, la forme d’une politique actionnariale, mise en œuvre par l’Agence des participations de l’État (APE) et la Banque publique d’investissement (Bpifrance).

B.   La reprise en main d’un fleuron : le cas d’EDF 

1.   Une entreprise publique cotée en bourse

a.   L’effet du droit européen

Avec la réalisation du marché unique dans le cadre de l’Acte unique européen, entré en vigueur le 1er janvier 1978, la construction européenne a entraîné d’importantes évolutions dans le droit applicable au secteur de l’électricité.

L’ouverture à la concurrence s’est faite de manière progressive à partir de la directive du 19 décembre 1996 ([7]), qui a accordé, par étapes, à certains clients la possibilité de choisir leur fournisseur d’électricité. Cette faculté a été élargie, dans le cadre du deuxième paquet énergie, par la directive du 26 juin 2003, d’abord aux professionnels, puis à tous les clients.

Dans la lignée de la « stratégie de Lisbonne », le Conseil européen qui s’est tenu à Barcelone du 14 au 16 mars 2002 a été consacré à la libéralisation du marché de l’énergie. Aux termes de ses conclusions, « des progrès sensibles ont été accomplis vers la libéralisation des entreprises de réseaux, mais il reste encore beaucoup à faire. […] Les secteurs dans lesquels les besoins de nouvelles réformes sont les plus urgents sont ceux de l’énergie et des transports ». L’accord politique issu de ce sommet prévoyait l’ouverture à la concurrence d’environ 70 % du marché.

Le troisième paquet énergie, mis en œuvre depuis le 3 mars 2011, visait à renforcer l’intégration des marchés intérieurs de l’électricité et du gaz et à stimuler la concurrence, vue comme bénéfique pour les consommateurs. Il comprend notamment la directive 2009/72/CE ([8]), qui a abrogé la directive de 2003 et a été modifiée en 2019 ([9]).

Le marché intérieur de l’énergie repose désormais sur le principe de la rencontre entre l’offre et la demande pour la fixation des prix de l’électricité. Le réseau de transport d’électricité européen interconnecté constitue le support physique de ce marché, puisqu’il permet à un fournisseur de vendre son énergie à un client situé dans un autre pays de l’Union.

Le prix de gros est déterminé par le coût marginal de la source de production la plus chère mobilisée : la hausse du coût de fonctionnement des centrales à gaz a un impact direct sur ceux de l’électricité. Les pays produisant de l’électricité moins chère, notamment ceux dont le mix énergétique repose sur le nucléaire, contestent désormais ce principe. L’engagement de la France dans la réforme européenne du marché de l’électricité, qui fera l’objet de négociations au cours de l’année 2023, est indispensable.

L’accès régulé à l’énergie nucléaire historique (ARENH)

Le mécanisme de l’ARENH est issu de la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (dite NOME), qui devait permettre l’ouverture effective à la concurrence du marché de la production d’électricité, en application de la directive du 13 juillet 2009 ([10])  sur le marché intérieur de l’électricité.

Le mécanisme, entré en vigueur le 1er juillet 2011 et qui doit s’éteindre le 31 décembre 2025, est codifié aux articles L. 336-1 et suivants du code de l’énergie.

L’ARENH consiste en une obligation pour l’opérateur historique de vendre l’électricité nucléaire qu’il produit à ses concurrents à un tarif déterminé, afin qu’EDF ne dispose pas d’une rente trop importante issue du nucléaire. Le dispositif doit également permettre d’offrir durablement aux consommateurs des prix stables reflétant les coûts du parc nucléaire historique, quel que soit le fournisseur qu’ils ont choisi.

Le volume d’ARENH mis à disposition des fournisseurs d’électricité est passé de 100 à 120 térawattheures (TWh) pour l’année 2022, à compter du 1er avril. Le Gouvernement a estimé que cette mesure ne devait pas faire l’objet d’une notification à la Commission européenne. Parallèlement, le prix plancher du mégawattheure (MWh) a été porté de 42 à 49,50 euros. La mise en œuvre de cette disposition législative est, quant à elle, subordonnée à une obligation de notification et demeure ainsi en suspens.

b.   Le choix de la privatisation

L’établissement public industriel et commercial (EPIC) Électricité de France (EDF) a été créé par la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz aux termes de laquelle les activités de production, transport, distribution, importation et exportation de l’électricité devaient être exercées exclusivement par EDF.

Dans le contexte de la libéralisation du marché de l’électricité, au début des années 2000, le Gouvernement est allé au-delà de ce qu’imposait le droit européen, puisqu’il a fait le choix politique d’ouvrir le capital d’EDF à des investisseurs privés, sans que cela procède jamais d’une demande de la Commission européenne.

EDF a d’abord changé de forme juridique, tout comme Gaz de France (GDF) dont la mutation a été opérée parallèlement. Les deux entreprises sont devenues des sociétés anonymes (SA) par la loi du 9 août 2004 relative au service public de l’électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a ultérieurement confirmé que le statut d’EPIC emporte une présomption – certes réfragable – que la garantie implicite et illimitée qui est conférée aux EPIC constitue une aide d’État ([11]). De plus, le changement de statut permettait de se départir du principe de spécialité, propre aux établissements publics, qui contraignait l’offre commerciale d’EDF.

Lors de son audition à l’Assemblée nationale le 2 juin 2004, M. Nicolas Sarkozy, alors ministre chargé de l’économie, a « rappelé que l’intention du Gouvernement n’était pas l’ouverture de capital mais le changement de forme juridique de l’entreprise, laissant la possibilité, pour l’avenir, d’une ouverture du capital » ([12]). La « sociétisation » s’accompagne d’une possibilité de privatisation partielle : le capital d’EDF doit, aux termes de l’article 24 de la loi du 9 août 2004, être détenu par l’État au moins à 70 % ([13]). Cette privatisation a eu lieu en octobre 2005 avec l’introduction en Bourse de 15 % du capital : l’entrée au capital de l’entreprise était alors réservée à hauteur de 15 % aux agents d’EDF, de 35 % aux particuliers et de 50 % aux investisseurs institutionnels.

Cependant, la transposition du droit européen n’imposait aucunement l’intervention d’investisseurs privés. En effet, le droit européen est neutre à l’égard du régime de propriété dans les États membres. L’article 345 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) énonce clairement que « Les traités ne préjugent en rien le régime de la propriété dans les États membres ».

La jurisprudence de la Cour de justice a confirmé, de longue date, que les traités ne s’opposent, en principe, ni à la nationalisation d’entreprise (cf. arrêt du 15 juillet 1964, Costa contre E.N.E.L., 6/64) ni, au demeurant, à leur privatisation (cf. arrêt du 8 novembre 2012, Commission contre République hellénique, C- 244/11). Elle a également précisé que l’intérêt qui sous-tend le choix du législateur par rapport au régime de propriété d’un réseau de distribution peut être pris en considération, en tant que raison impérieuse d’intérêt général, pour justifier l’entrave à la libre circulation des capitaux qu’impliquerait une interdiction de privatisation (cf. arrêt de grande chambre du 22 octobre 2013, Essent, C-105/12 à C-107/12).

2.   La justification de la nationalisation

Lors de sa déclaration de politique générale, prononcée le 6 juillet 2022 devant l’Assemblée nationale, la Première ministre Élisabeth Borne a annoncé l’intention du Gouvernement de voir l’État détenir à nouveau 100 % du capital d’EDF.

Le rapporteur souhaite souligner avec force que, s’il déplore la méthode retenue par l’exécutif, il partage entièrement l’objectif de voir l’opérateur historique revenir intégralement entre les mains de la puissance publique. L’enjeu du siècle que représente l’adaptation de la société et de l’économie aux défis posés par le dérèglement climatique passe nécessairement par la maîtrise de la production et de la distribution d’énergie.

La présence d’actionnaires minoritaires au capital d’EDF contraint actuellement les décisions du groupe par le respect de procédures qui limitent sa réactivité. De plus, au vu des importants investissements concédés par la puissance publique dans l’entreprise, il est cohérent que l’ensemble des dividendes versés aux actionnaires bénéficient à l’État et, ainsi, aux Françaises et aux Français qui financent le développement de la production électrique nationale.

II.   Le dispositif proposé rend au Parlement sa juste place dans l’acquisition d’EDF par l’État

A.   La méthode du Gouvernement est une anomalie démocratique

Le Gouvernement a fait le choix de recourir à une offre publique d’achat (OPA) simplifiée pour acquérir en numéraire la totalité du capital d’EDF, divisé en 3,9 milliards d’actions, que l’État détenait à 83,7 % à la date du 31 octobre 2022 (dont 8,8 % via l’EPIC Bpifrance).

Les prix de l’OPA déposée le 4 octobre 2022 auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF) s’établissent à :

– 12 euros par action ;

– 15,52 euros par obligation à option de conversion et/ou échange en actions nouvelles et/ou existantes (OCEANE).

L’OPA ne vise pas les actions auto-détenues par EDF, soit 0,02 % du capital, car elles sont assimilées à une détention publique. Elle concerne 802 millions d’actions et 132 millions d’OCEANEs.

1.   La place insuffisante du débat parlementaire

Une fois annoncée la volonté de l’État de monter au capital d’EDF, l’objectif de rapidité et d’efficacité, qui figure parmi les raisons alléguées par le Gouvernement pour s’affranchir du passage par une loi de nationalisation, a conduit à s’emparer du premier véhicule législatif pour ouvrir les crédits nécessaires.

La loi du 16 août 2022 de finances rectificative (LFR) pour 2022 a ainsi prévu les crédits pour ce que le ministre chargé de l’économie a présenté à la commission des finances de l’Assemblée nationale comme la « nationalisation d’EDF » ([14]). L’enveloppe initiale votée par le Parlement s’établissait à 12,7 milliards d’euros ([15]).

Le prix de l’action retenu ayant été indiqué dans l’OPA déposée auprès de l’AMF, le coût global de l’opération a pu être établi à 9,7 milliards d’euros, soit un montant significativement en-deçà des crédits ouverts.

Lors de l’examen du second projet de loi de finances rectificative pour 2022, la commission des finances du Sénat a adopté un amendement visant à minorer de 4 milliards d’euros les crédits du compte d’affectation spéciale (CAS) Participations financières de l’État, afin de rétablir l’adéquation entre les autorisations budgétaires et l’emploi effectif des crédits du CAS. Ce compte spécial, dont le solde est reporté d’un exercice à l’autre, permet en effet de contourner le principe d’annualité budgétaire. L’article 9 de la seconde loi de finances rectificative pour 2022 a finalement annulé 2 milliards d’euros d’autorisations d’engagement et de crédits de paiement sur le CAS.

Ainsi, malgré les montants concernés qui représentent, y compris à l’échelle du budget de l’État, des sommes considérables, l’autorisation parlementaire est très imprécise et l’utilisation des crédits particulièrement complexe à retracer. De plus, le débat engagé lors de l’examen des textes budgétaires n’a pas pu porter sur la pertinence de l’OPA, à la différence de celui que ne manquera pas de susciter la présente proposition de loi.

2.   La procédure de retrait obligatoire

Lors du dépôt de l’OPA, l’État a annoncé son intention de mettre en œuvre, au plus tard dans un délai de trois mois à l’issue de la clôture de l’offre, une procédure de retrait obligatoire, pour les actions comme pour les OCEANEs.

En application de l’article L. 433-4 du code monétaire et financier, l’article 237-1 du Règlement général de l’AMF prévoit qu’« à l’issue de toute offre publique et dans un délai de trois mois à l’issue de la clôture de l’offre, l’initiateur de cette offre publique peut se voir transférer les titres non présentés par les actionnaires minoritaires dès lors qu’ils ne représentent pas plus de 10 % ([16]) du capital et des droits de vote moyennant indemnisation de ces derniers ». La faculté de recourir au retrait obligatoire n’est pas propre à une opération conduite par l’État. La méthode est, en cela, résolument distincte de l’acte de souveraineté que constitue une loi de nationalisation.

Ce seuil de détention de 90 % a été atteint par l’État le 19 janvier 2023. Cependant, la finalisation de l’OPA est actuellement ralentie par des recours introduits par une association d’actionnaires minoritaires, Énergie en actions, devant les juridictions judiciaires. En effet, la cour d’appel de Paris a été saisie du jugement du 16 décembre 2022 du tribunal de commerce de Paris, lequel avait validé la conformité de la délibération du conseil d’administration d’EDF émettant un avis favorable à l’OPA initiée par l’État. L’association requérante a accepté de se désister d’une demande de sursis à exécution de l’OPA à la suite de l’engagement pris par l’État de ne pas mettre en œuvre de retrait obligatoire avant le prononcé de la décision au fond, attendu avant le 2 mai 2023.

3.   Une indemnisation insuffisante des actionnaires minoritaires

En 2005, l’introduction en bourse d’EDF s’est faite au cours de 32 euros. En juillet 2022, à la veille de l’annonce de la nationalisation, le cours s’établissait autour de 8,50 euros. L’État ayant rendu public le prix auquel il entendait conduire le rachat des actions, le cours s’est élevé puis stabilisé à 12 euros. 

Bien que le prix de l’OPA constitue une prime par rapport à la valorisation du marché à court-terme, elle constitue une perte nette en capital pour les salariés de l’entreprise, qui étaient surreprésentés parmi les acquéreurs lors de l’ouverture du capital en 2005, puis lors de la cession d’une partie du capital de l’État au sein d’EDF en 2008.

Cours de l’action d’EDF depuis son introduction en Bourse (2005-2023)

Source : Euronext Paris, Google finance.

La présente proposition de loi revient sur la fixation de ce prix, qui ne reflète pas la valeur réelle de l’entreprise, son savoir-faire, sa marque ni le caractère stratégique de ses actifs. De plus, entre l’annonce de la Première ministre et le dépôt de l’OPA auprès de l’AMF, deux événements qui auraient été susceptibles de faire augmenter le prix retenu sont intervenus :

– l’annonce, par EDF, de la transmission d’une demande indemnitaire auprès de l’État à hauteur de 8,4 milliards d’euros, en raison du préjudice subi du fait de l’augmentation de 20 TWh de l’ARENH ([17]) : l’annonce de cette évolution réglementaire, en janvier 2022, a entraîné une chute de la valeur de l’action de 25 % ;

– la hausse du prix de l’ARENH, dont la loi du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat prévoit le relèvement de 42 à 49,50 euros par MWh ([18]) afin de faire face à l’augmentation des coûts de production de l’énergie nucléaire. La valorisation de l’action ne tient donc pas compte de cette mesure, qui devrait rapporter 3 milliards d’euros par an supplémentaires à EDF.

Pourtant, le prix de 12 euros par action a été conservé dans l’offre publique d’achat, ce qui demeure insatisfaisant.

B.   La proposition de loi garantit les intérêts des CITOYENS, des CONTRIBUABLES et des consommateurs

L’équilibre général de la proposition résulte de plusieurs préoccupations, parmi lesquelles la protection d’EDF face à l’hypothèse d’une réorganisation interne, à l’image du projet Hercule, ultérieurement rebaptisé « Grand EDF ». Il impliquait la filialisation d’EDF en trois identités : EDF Bleu pour le nucléaire, EDF Azur pour les activités hydroélectriques et EDF Vert pour les énergies renouvelables.

Formellement et après la forte mobilisation syndicale qu’il a occasionnée, ce projet a été abandonné à la fin de l’année 2022. Dans sa lettre de mission adressée au nouveau PDG d’EDF, M. Luc Rémont, la Première ministre confirme cet abandon mais l’invite à formuler, au premier semestre 2023, une nouvelle proposition stratégique, opérationnelle et financière pour le groupe.

De plus, les travaux conduits dans le cadre de l’examen des crédits du CAS Participations financières de l’État ont mis à jour la persistance d’une volonté de réorganisation interne du groupe ultérieure à la montée au capital de l’État. En particulier, cette filialisation serait suivie d’une ouverture aux capitaux privés des activités les plus rentables d’EDF, à savoir les énergies renouvelables. La production d’électricité nucléaire resterait, quant à elle, intégralement dans le domaine public, revenant à socialiser les coûts et les investissements massifs qu’elle nécessite, tout en privatisant les profits liés aux activités les plus innovantes.

Enfin, l’équilibre financier de l’opération de montée en capital semble conditionné par cette monétisation ultérieure d’EDF Vert ou de l’entité qui succèdera à ce projet. Si l’on a pu, légitimement, se demander pourquoi l’État dépenserait près de 10 milliards d’euros pour une entreprise qu’il contrôle déjà, une partie de la réponse réside dans le fait qu’une opération de revente ultérieure doit couvrir une partie de ce coût. En l’état du droit, elle pourrait intervenir sans information ni consultation du Parlement. La présente proposition de loi vise à écarter ce risque, comme le reflète son titre tel que modifié au cours de son examen en commission des finances.


   Travaux de la commission

   Discussion générale

Lors de sa réunion du mercredi 1er février 2023, la commission examine la proposition de loi visant à la nationalisation du groupe Électricité de France (n° 671) (M. Philippe Brun, rapporteur).

M. le président Éric Coquerel. J’ai été conduit à déclarer deux amendements irrecevables au titre de l’article 45 de la Constitution, car ils proposaient d’introduire dans le texte des dispositions relatives à l’ARENH (accès régulé à l’électricité nucléaire historique), trop éloignées de celles de la proposition de loi. Nous allons écouter le rapporteur.

M. Philippe Brun, rapporteur. Aujourd’hui est annoncée l’augmentation de 15 % des tarifs réglementés de l’électricité. Nous sommes en 2023, la dérégulation du marché de l’énergie a plus de vingt ans. Il est temps de dresser un bilan de cette œuvre qui a conduit les prix de l’énergie à exploser au détriment de notre compétitivité, de celle de nos industries et de nos entreprises – j’ai une pensée pour nos commerçants et nos artisans. Cette dérégulation a conduit à la destruction d’un outil industriel, de notre grande entreprise nationale, Électricité de France, et de notre parc nucléaire qui, en raison de cette logique financière et cour-termiste, n’a pas été suffisamment entretenu, ce qui a conduit aux graves difficultés que nous avons connues cet hiver et que nous connaîtrons peut-être encore. Elle a conduit également à la destruction d’un service public qui garantissait aux Français l’électricité la moins chère d’Europe et à notre industrie une électricité moins chère de 40 % par rapport à l’Allemagne – son prix est aujourd’hui 5 % supérieur.

Face à ce long délitement, à cette lente destruction de notre service public de l’énergie, il faut réagir. C’est l’objet de cette proposition de loi.

Pourquoi nationaliser EDF ?

La nationalisation n’est pas ringarde. Il ne s’agit pas de revenir à l’ancienne EDF que nous avons connue, mais de faire d’EDF le grand outil public de planification écologique et de transition énergétique. Seule la puissance publique peut assumer les investissements et les arbitrages relatifs à notre mix énergétique dans l’intérêt général, dans le souci du service public et non dans une logique marchande.

Vous me répondrez que le Gouvernement a annoncé une offre publique d’achat (OPA) sur le groupe EDF et que cette nationalisation est déjà permise. En tant que rapporteur spécial de la commission des finances, je me suis rendu au ministère de l’économie et des finances et j’ai pu constater une tout autre réalité. Le Gouvernement entretient la confusion sur cette OPA. L’objectif n’est pas de conserver le groupe EDF dans son intégralité, mais bien de procéder à la cession, à moyen ou court terme, de la branche services d’EDF, d’une partie des réseaux, notamment des actifs dans la transition énergétique.

De plus, l’OPA en cours est particulièrement fragilisée par le vote du conseil d’administration d’EDF, au cours duquel six administrateurs se sont montré favorables et six défavorables. M. Jean‑Bernard Lévy, à l’époque président d’EDF, a participé à la décision alors qu’il était censeur du conseil d’administration de la Société générale, dont je suis bien placé pour vous assurer qu’elle est la banque conseil de l’État dans l’OPA. Lors de mon contrôle sur pièces et sur place, j’ai d’ailleurs pu consulter des notes produites par cette banque. Plusieurs recours sont en cours et, bien que l’État ait dépassé le seuil de détention de 90 % des actions, l’OPA est toujours suspendue, en attente d’une décision de la cour d’appel.

Cette proposition de loi vous invite à procéder à cette nationalisation.

L’article 1er dispose que la société Électricité de France est nationalisée : cela va sans dire, mais cela va mieux en le disant.

L’article 2 est central : il donne au Parlement le moyen de bloquer ce qui serait un projet Hercule 2 ou, en tout cas, les intentions de démantèlement et de privatisation d’une partie des activités d’EDF. Il définit ces dernières, rendant obligatoire, pour un gouvernement qui souhaiterait en privatiser une partie, de venir devant le Parlement pour procéder à cette privatisation. Par cet article, nous nous dotons d’un outil de contrôle parlementaire sur le service public de l’énergie et, plus généralement, sur l’avenir énergétique de notre pays.

L’article 3 prévoit un mécanisme de nationalisation – que je vous proposerai d’ailleurs de modifier au sens de l’article 34 de la Constitution si, et seulement si, l’OPA est annulée par la justice ou n’est pas menée à son terme d’ici à quelques mois. Cela permet à la fois de respecter le calendrier de l’OPA proposée par le Gouvernement et de doter la France d’un mécanisme de nationalisation si l’OPA n’arrive pas à son terme en raison des décisions de justice.

Vous le savez pour avoir été interpellés dans vos circonscriptions, nous vivons un moment extrêmement difficile pour nos artisans et nos commerçants. Je vous propose donc d’ajouter un article additionnel permettant d’étendre le bénéfice du bouclier tarifaire, donc du tarif réglementé de vente d’électricité, aux entreprises de moins de dix salariés réalisant moins de 2 millions d’euros de chiffre d’affaires.

Nous devons être au rendez-vous de l’histoire, au rendez‑vous de l’avenir énergétique de la France. Je souhaite que par-delà nos appartenances partisanes, nous trouvions ici motif à nous rassembler, dans l’intérêt du pays et dans l’intérêt des Français.

M. le président Éric Coquerel. J’estime cette proposition de loi particulièrement importante pour deux raisons : d’une part, parce que tout ce qui se passe dans le monde, y compris l’origine de plusieurs conflits en cours, et l’inflation des prix de l’énergie montrent que la question de la souveraineté est absolument essentielle ; d’autre part, parce que, dès lors que l’on parle de planification écologique, d’une véritable bifurcation de nos modes de production et de notre économie, deux outils sont absolument indispensables : le transport et l’énergie. Dans les deux cas, ce ne peut pas être le marché qui mène la danse et définisse la politique énergétique à conduire, car l’énergie est un bien public, mais également un droit fondamental pour nos concitoyens.

Il est temps de faire le bilan de l’ouverture à la concurrence, mais également de la privatisation de tel ou tel service. Non seulement les prix ont explosé, mais par bien des aspects, nous sommes confrontés à des problématiques tenant à l’approvisionnement et à l’égalité d’accès de tous nos citoyens à cette énergie.

Dès lors, avec ceux qui partagent mes idées, nous sommes favorables à un pôle public de l’énergie, qui ne peut reposer que sur des entreprises réellement nationalisées. Cette question sera au cœur de nos débats : les 100 % d’actions rachetées par le Gouvernement français correspondent-elles à une nationalisation ? Notre réponse est non. L’histoire nous l’a appris : l’État peut détenir 100 % des actions sans pour autant que l’entreprise échappe au secteur marchand et soit dirigée avant tout pour le bien public et l’intérêt général.

Cette proposition de loi pose le problème de fond de ce qu’il faudrait prévoir à l’avenir pour EDF, à savoir une nationalisation pure et simple de cette entreprise. C’est ce que je crois.

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général. Monsieur le rapporteur, nous partageons absolument votre objectif. Faire en sorte que l’État contrôle 100 % du capital d’EDF est d’autant plus important qu’EDF est un fleuron de notre industrie et qu’elle est au cœur de la transformation énergétique qui s’impose à notre pays et de la transition écologique.

Je suis toutefois surpris, car la nationalisation que vous évoquez est un autre nom de ce à quoi le Gouvernement s’emploie. Avec l’annonce de la Première ministre en juillet dernier, l’État a lancé une offre publique d’achat simplifiée des actions qu’il ne détenait pas à l’époque, que ce soit en propre ou via BPIFrance. On peut discuter des mérites des deux procédures, mais je voudrais m’assurer que tout le monde comprend qu’elles aboutissent exactement au même résultat. La méthode de l’OPA est probablement plus respectueuse des acteurs économiques puisqu’elle organise une concertation, leur donne la possibilité d’engager un recours et ne constitue pas, à proprement parler, une expropriation.

De nombreux actionnaires minoritaires ont d’ailleurs déjà choisi d’apporter leurs actions au prix de 12 euros, ce qui représente pour eux une prime de 50 %. Cette prime avait été considérée par certains députés comme bien trop élevée ; vous souhaitez désormais l’augmenter.

Depuis le 26 janvier, l’État détient plus de 90 % du capital d’EDF, ce qui était la condition pour engager la procédure du retrait obligatoire des actions minoritaires. Le Gouvernement s’y est engagé devant le Parlement, mais également devant l’Autorité des marchés financiers (AMF). Cette procédure est donc maintenant inéluctable et sera menée à son terme. L’objectif est bien de détenir 100 % du capital d’EDF, comme cela a été débattu et confirmé par les crédits inscrits l’été dernier en loi de finances rectificative ; donc, de manière certaine, l’État deviendra actionnaire à 100 %.

C’est la raison pour laquelle l’incompréhension domine à la lecture de la proposition de loi : pourquoi nationaliser une entreprise sur le point d’être détenue à 100 % par la puissance publique ? De mon point de vue, l’article 1er est inutile, sauf à rappeler qu’à la date de son entrée en vigueur, cette loi serait une incontestable réalité. Or, le législateur ne doit pas être descriptif mais prescriptif.

Cette proposition de loi n’est pas seulement vidée de son sens par l’OPA en cours, elle est aussi dommageable pour le groupe EDF et pour le contribuable, pour deux raisons que vous avez évoquées.

Tout d’abord, l’article 2 introduit une notion qui me paraît prêter à confusion. Vous parlez de groupe public unifié, qui n’est une notion ni juridique, ni entrepreneuriale, ni économique, mais qui sous-entendrait que l’État ne pourrait pas vendre une partie des actions du groupe. C’est, en tout cas, ce que je comprends. Il y aurait tout de même un paradoxe à ce que l’État dépense autant d’argent pour prendre le contrôle à 100 % pour, finalement, diminuer sa participation, d’autant qu’il s’est engagé publiquement, devant le Parlement. Il n’y a donc pas d’ambiguïté à ce sujet.

En revanche, si cela sous-entend que l’entreprise ne pourrait pas, sur tel ou tel projet, acheter des filiales dans des pays ou, au contraire, vendre une filiale de distribution dans un autre, ce serait, je pense, entraver la capacité de ce groupe à se développer.

Le plus étonnant est l’article 3, dans lequel vous proposez un prix de 14 euros par action alors qu’à 12 euros, l’État prendra le contrôle complet d’EDF pour un coût de près de 10 milliards d’euros déjà non négligeable pour les finances publiques – vous proposez un surcoût de 1,5 milliard d’euros ! J’ai bien compris que vous avez déposé récemment un amendement pour revenir sur ce sujet, mais vous ajoutez un risque supplémentaire parce que, si, depuis le mois de juillet, EDF avait pris les bonnes décisions et que la valeur de l’entreprise avait augmenté, cela coûterait encore plus cher.

Nous partageons votre objectif. L’OPA engagée nous permettra de l’atteindre. Votre proposition de loi est à la fois inutile, dommageable pour les fonds publics, et elle crée, au gré de la navette, une incertitude là où il n’y en a pas. En outre, son article 2 est potentiellement un carcan à un moment où le groupe a besoin d’investir et d’innover.

M. Emmanuel Lacresse (RE). Cette proposition de loi pose problème sur les plans politiques, juridique, pratique et surtout au regard de la volonté de rendre notre système énergétique résilient.

Le problème politique est le 100 %. Au congrès de Metz, en 1971, sous le regard gourmand de François Mitterrand, les chevènementistes et les rocardiens avaient discuté de ce sujet. Détenir 100 % aujourd’hui permet d’isoler définitivement le groupe d’influence qui serait néfaste à l’intention d’investir dans le nucléaire. En l’occurrence, il s’agit de faire de la sémantique sur le mot « nationalisation ». Vous revenez d’ailleurs sur cela avec un amendement déposé hier qui nuit à la lisibilité du texte. Ce qui est sûr, c’est que le programme de l’alliance qui défend cette proposition est de sortir du nucléaire, alors que l’intention du Gouvernement est, au contraire, d’investir et de s’en donner les moyens en détenant 100 % du capital.

Le problème pratique et juridique tient à la procédure en cours et à l’amendement déposé hier, auquel le rapporteur général vient de faire allusion. Proposer qu’une commission détermine le juste prix reviendrait à réécrire le droit des OPA, transposé de la directive européenne entre 2011 et 2016, et à interférer dans une procédure de droit civil entamée depuis plusieurs mois, ce qui serait sans équivalent dans l’histoire de notre droit financier, mais aussi dans les autres pays développés.

La procédure en cours est près de s’achever, en mars ou, plus probablement en mai compte tenu des recours, qui permettent aux salariés de défendre leur point de vue et de disposer d’une évaluation soumise à la cour d’appel de Paris.

Évidemment, le principal sujet est le devenir de l’entreprise. L’empêcher de procéder à des cessions est contraire au droit des sociétés, voire à la Constitution. Le président de la commission vient d’y faire allusion, cette société doit investir massivement dans les énergies renouvelables et dans la distribution. Cela suppose des ressources considérables. Le groupe doit être agile et son rôle international est majeur.

Pour toutes ces raisons, cette proposition de loi est inopportune.

M. Alexandre Sabatou (RN). Alors que le parti socialiste a participé ces dernières décennies au démembrement d’EDF et du nucléaire, il propose aujourd’hui de renationaliser EDF. M. Brun n’est évidemment pas responsable : il est né trop tard, mais je me félicite qu’il répare les erreurs historiques de son parti.

L’Allemagne et l’Union européenne nous avaient invités, dès 1996, à libéraliser le marché, nous promettant une baisse des prix pour les consommateurs. C’est pourtant l’inverse qui s’est produit, et ce pour une raison simple : la logique du marché n’est pas pertinente pour l’électricité, car elle n’est pas une marchandise comme une autre, mais un flux. Contrairement au gaz, au charbon et à l’eau, elle ne se stocke pas, ou alors très mal.

La réalité est que le modèle électrique français, par sa grande qualité, donnait un avantage compétitif à nos entreprises, ce que l’Allemagne, qui ne vit que pour son industrie, ne pouvait supporter. Toutefois, renationaliser EDF dans le seul but de nationaliser cette entreprise ne présente que peu d’intérêt. La nationalisation est un moyen et non une fin en soi.

C’est la raison pour laquelle le groupe Rassemblement national souhaite rendre cette proposition de loi plus ambitieuse qu’elle ne l’est, en proposant des amendements visant à rétablir sans ambiguïté le monopole d’EDF sur l’électricité française. Cela passe notamment par la réunion des activités de production, de transport, de distribution et de fourniture d’énergie au sein d’EDF, donc par la suppression des entités RTE (Réseaux de transport d’électricité) et Enedis. Le rétablissement de ce monopole permettra, entre autres, le retour des tarifs réglementés et d’une énergie bon marché, assurant à la France un avantage compétitif sur ses concurrents à l’international, mais surtout rendant aux Français du pouvoir d’achat mis à mal par l’inflation et la crise énergétique.

Ce sera également le coup de grâce, tant attendu sur nos bancs, au dispositif de l’ARENH qui a déréglé le marché de l’électricité, miné les comptes d’EDF et saigné le nucléaire français.

Vous le verrez, nos amendements sont tous constructifs et visent à améliorer les dispositifs. Nous espérons que, pour le bien commun, ils seront votés par les défenseurs de cette proposition de loi.

M. Sébastien Rome (LFI-NUPES). Le Gouvernement a souhaité une nationalisation à 100 % d’EDF, c’est très bien, mais un spectre hante cette nationalisation, suivi du démantèlement de l’entreprise publique selon le principe trop bien connu de la privatisation des profits et de la nationalisation des pertes. Ce spectre, c’est l’esprit du projet Hercule dont l’objectif est la privatisation des activités les plus rentables d’EDF – comme la production d’énergies renouvelables – et la conservation dans le giron de l’État des activités les plus coûteuses – comme la relance du nucléaire.

À la nationalisation de façade que vous proposez, notre collègue Philippe Brun oppose une nationalisation réelle qui permet de donner un peu de cohérence aux propos du ministre de l’économie qui affirmait que le projet Hercule était abandonné. Cette proposition de loi lève les masques : quand vous refusez l’article 2 qui permettra de faire d’EDF un groupe public unifié avec un capital détenu intégralement par l’État et incessible, vous argumentez que l’incessibilité totale du capital d’EDF créerait une inutile contrainte de gestion, alors que les cessions représentent des outils de développement et de rentabilité pour certaines activités du groupe. Avec votre amendement, monsieur le rapporteur général, vous annoncez d’ores et déjà le projet de démantèlement d’EDF. Vous n’avez donc pas renoncé à casser EDF. Revenez à la raison !

Revenez à la raison également s’agissant des tarifs. Vingt-sept ans après l’ouverture du marché concurrentiel de l’électricité, les artisans, les commerçants, les ETI, les PME, les TPE, les collectivités, les Français de manière générale, voient comment la spéculation leur fait les poches et comment nous avons perdu notre souveraineté. Le bouclier tarifaire contre la concurrence artificielle du marché de l’électricité nous coûtera près de 100 milliards en deux ans. Une folie ! Le retour à un tarif réglementé élargi de vente d’électricité est la seule voie raisonnable.

Nous ne pouvons pas accepter 15 % d’augmentation au 1er février pour les familles. C’est absolument insupportable pour elles. Nous devons les protéger avec une grande entreprise unifiée.

Mme Véronique Louwagie (LR). Merci, monsieur le rapporteur, d’avoir abordé cet important sujet. Il nous faut effectivement préserver le groupe EDF de toute possibilité de démembrement. Pour revenir sur ce qui s’est passé cette dernière décennie et sur les décisions hasardeuses du Président de la République, je citerai l’abandon du projet Astrid, réacteur de quatrième génération bien moins gourmand en uranium, la fermeture de la centrale de Fessenheim, décidée sous François Hollande et confirmée par Emmanuel Macron en 2017, les investissements hasardeux, comme la décision de construire la centrale Hinkley Point C, la fixation d’un prix de rachat aberrant qui affaiblit EDF en l’obligeant à racheter l’électricité produite à un prix anormalement élevé tandis qu’elle doit vendre son électricité à un prix très bas.

Nous payons de lourdes erreurs stratégiques et des décisions prises en dépit du bon sens. Pour autant, perdure le risque de démantèlement et de privatisation des activités les plus rentables d’EDF, à savoir le secteur des énergies renouvelables, tandis que les investissements dans le nucléaire continueraient d’être financés par l’argent public. Malgré l’abandon du funeste projet Hercule, nous avons encore tout à craindre : que le Gouvernement fasse de l’État l’actionnaire unique d’EDF afin d’avoir les mains libres pour procéder à son démantèlement.

Néanmoins, cette proposition de loi n’est pas sans soulever quelques interrogations. On peut se demander tout d’abord quelle en est l’utilité, alors que le principe de la montée au capital d’EDF de la part de l’État a déjà été validé par le Gouvernement. Quel est, ensuite, l’intérêt de fixer un prix de 14 euros par action au lieu des 12 euros retenus initialement ? J’ai toutefois compris que vous reviendriez sur ce dispositif. Enfin, du fait de la navette parlementaire, l’adoption de cette PPL prendra vraisemblablement plus de temps que l’OPA lancée par l’État. Néanmoins, elle présente l’intérêt, par rapport à l’OPA, de nationaliser par la loi, sans esquiver les parlementaires.

M. Pascal Lecamp (Dem). Le groupe Démocrate est très sensible à vos préoccupations, monsieur le rapporteur. La France doit assurer sa souveraineté énergétique et une production énergétique décarbonée. L’histoire se bouscule pour souligner ce double impératif : le Président de la République annonçait, le 10 février, la construction de six réacteurs ; à peine quelques jours plus tard, la Russie commençait sa guerre en Ukraine et, ce faisant, bouleversait le marché énergétique européen.

Nous partageons donc le constat que l’État a besoin d’avoir les coudées franches pour poursuivre ce double objectif, mais cela est déjà en cours puisque l’État a amorcé, avec l’aval de l’Autorité des marchés financiers, le rachat de 100 % des parts d’EDF, grâce à un investissement de 9,7 milliards d’euros qui a été budgété en loi de finances. L’OPA devrait aboutir d’ici à la fin mai : 6 % des 16 % d’actions à racheter au départ de la procédure le sont déjà ; le seuil de 90 % est donc atteint. Sous réserve de validation par la cour d’appel de Paris, l’État pourra demander à l’AMF la clôture de la procédure.

La nationalisation que vous proposez n’est ni nécessaire ni souhaitable. Elle n’est pas souhaitable parce que l’interdiction de cession d’actions restreindrait fortement le fonctionnement d’EDF, notamment pour sa partie énergies renouvelables qui cède des participations dans les sociétés filiales de projet permettant d’investir dans le développement des énergies renouvelables. Elle n’est pas non plus nécessaire pour protéger EDF du démantèlement. Le ministre l’a réaffirmé, le projet Hercule n’est pas en préparation et ne se cache pas derrière la montée au capital de l’État.

Nous nous opposons également au discours selon lequel l’Europe – toujours l’Europe ! – demanderait à la France de privatiser ses activités hydrauliques. Ce n’est pas le cas. La demande de mise en conformité implique seulement que l’État ouvre à la concurrence la concession des barrages, et non leur propriété, et ce depuis la directive de 2014 transposée en droit français par décret en 2016.

S’agissant enfin de l’article 3, qui propose d’augmenter l’indemnisation des détenteurs d’actions de 12 à 14 euros, pour un coût de 1,5 milliard d’euros, nous rappelons que le cours de la bourse à la clôture du 5 juillet, soit à la veille de l’annonce du rachat des actions, était de 7,84 euros. Le prix de 12 euros, jugé équitable par l’expert indépendant, représente donc une prime de 53 %.

Le groupe Démocrate votera contre cette proposition de loi.

M. Mickaël Bouloux (SOC). Se chauffer, s’éclairer : l’État doit être le garant de notre indépendance énergétique pour assurer à tous la faculté de vivre une vie digne. Or notre pays est à un moment charnière. Crise sanitaire, crise sociale, guerre aux portes de l’Europe, face à ces épreuves, nos concitoyens ne se sentent plus protégés et subissent la politique brutale du Gouvernement, d’abord avec la réforme du chômage, maintenant avec celle des retraites.

Comme ce fut le cas en 1946 au sortir de la seconde guerre mondiale et sous l’impulsion du Conseil national de la résistance, le vrai CNR, dirigé par le général de Gaulle, il importe que l’État assure aux Français de disposer de ce bien élémentaire qu’est l’électricité au travers d’une nouvelle loi de nationalisation d’EDF qui sanctuarise son caractère unifié et la protège de toute velléité de démantèlement, car de tels projets ne sont pas chimériques, une variante du projet Hercule restant dans les intentions du Gouvernement.

Ancrée dans le réel, la proposition de loi de notre collègue Philippe Brun est à la hauteur des enjeux actuels.

Ainsi, le rapporteur nous propose un amendement pour assurer un bouclier tarifaire aux TPE et aux artisans en obligeant les fournisseurs d’électricité, qu’il s’agisse d’EDF, des fournisseurs alternatifs ou des entreprises locales de distribution, à proposer le tarif réglementé à leurs clients. Cette mesure est essentielle alors que 80 % des boulangers, par exemple, ne bénéficient pas du tout, en raison de leur trop grande puissance de raccordement, du bouclier tarifaire décidé le 6 décembre dernier par le Gouvernement.

Comme en 1946, il serait digne que la classe politique soit réunie par-delà les clivages pour que l’État récupère le plein contrôle d’EDF et assure ainsi l’indépendance énergétique de notre pays. L’enjeu est double, d’une part, avec le changement climatique et l’impérieuse transition énergétique que nous devons opérer, d’autre part, avec l’instabilité des coûts de l’énergie. Protéger EDF et notre souveraineté énergétique, c’est protéger les Français et répondre à l’urgence de la situation.

Votez cette PPL !

M. Christophe Plassard (HOR). Monsieur le rapporteur, merci de nous présenter cette proposition de loi. Elle nous permet de revenir sur un sujet important qui, je le sais, fait presque consensus dans son principe. En effet, la maîtrise du capital d’EDF par l’État permettrait de mieux piloter le groupe, qui était autrefois un fleuron français, et de le sortir des visions court-termistes du marché, conduisant aux erreurs stratégiques du passé.

C’est la raison pour laquelle, comme mes collègues du groupe Horizons et apparentés et comme une large majorité d’entre nous, je suis favorable à la nationalisation d’EDF. Nous avons d’ailleurs voté dans le projet de loi de finances rectificative pour 2022 les crédits nécessaires à cette opération, qui se traduit concrètement dans les faits puisqu’une offre publique d’achat a été lancée, permettant à l’État en seulement deux mois de passer de 84 % à 90 % de détention du capital.

Normalement, cette OPA aboutira au mois de mai. Or, si nous adoptions votre proposition de loi, les délais de la navette parlementaire seraient tels que cela reviendrait à repousser l’acquisition d’EDF par l’État, ce qui serait contre-productif par rapport à la démarche de l’OPA. En outre, dans l’offre publique, le prix de rachat estimé équitable par un expert indépendant est de 12 euros par action, soit bien plus que le dernier cours de l’action, qui s’établissait autour de 10 euros. Fixer le prix de l’action à 14 euros, comme vous le proposez, représenterait pour l’État un surcoût de 1,5 milliard d’euros. Je suis surpris que la NUPES se montre plus généreuse encore que le Gouvernement envers les actionnaires, y compris envers les fonds de pension…

L’OPA en cours se poursuivra, de manière juste et efficace. C’est la raison pour laquelle les députés du groupe Horizons et apparentés voteront contre votre proposition de loi.

Mme Christine Arrighi (Écolo-NUPES). Le préambule de la Constitution de 1946, partie intégrante de notre bloc de constitutionnalité, dispose, comme l’a si bien rappelé notre collègue Philippe Brun dans son rapport, que « Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ». En ce sens, cette proposition de loi présente l’intérêt majeur du retour acté, clair et précis, d’EDF sous le contrôle de l’État.

Nous sentons bien, notamment au travers des amendements de la majorité, une opposition à cette proposition de nationalisation. Pourtant, les travaux du rapporteur sur les participations de l’État montrent bien le risque d’une privatisation future des activités liées aux énergies renouvelables au vu de leur forte rentabilité. En tirant les enseignements de l’impact négatif sur notre souveraineté industrielle des privatisations successives de nos fleurons nationaux – Alstom, Naval Group, Technip –, nous nous opposons fermement à cette orientation, tout particulièrement s’agissant du secteur de l’énergie. Elle nous ferait en effet courir le risque d’une inversion de paradigme : privatiser le développement des énergies renouvelables pour, ainsi, favoriser davantage encore l’idée que le développement du nucléaire est inéluctable.

Le projet du Gouvernement, à travers son OPA, va dans ce sens puisqu’il prévoit la construction de six réacteurs nucléaires de nouvelles générations, avec une option pour huit autres malgré les risques hautement élevés liés à l’activité nucléaire. Pour rappel, la production d’électricité d’origine nucléaire génère chaque année environ 23 000 mètres cubes de déchets nucléaires dont une partie hautement radioactive est rejetée dans la mer, les fleuves et les rivières. Ceux qui s’offusquent de mes propos aiment-ils boire de l’eau radioactive ? Ce rejet d’éléments radioactifs provoque une contamination de l’environnement : air, sol et végétaux. « Aucune autre activité ne génère un risque d’une telle ampleur », peut-on lire dans le rapport de la commission d’enquête pour la sûreté et la sécurité des installations nucléaires de juin 2018.

Pour toutes ces raisons, nous voterons en faveur de ce texte et proposerons à nouveau de faire évoluer le modèle d’EDF vers une plus grande production d’énergies renouvelables.

M. Sébastien Jumel (GDR-NUPES). Le rapport de notre collègue Brun sur cette proposition de loi est un bel acte de contrition, donc le début d’une rédemption, que nous voulons accompagner, tant les vingt ans de libéralisation ont fait mal à la politique énergétique et tant la période que nous traversons démontre à quel point la logique de marché, la logique actionnariale qui s’est emparée de la politique énergétique, est incapable de prendre soin des gens, de prendre soin de l’économie réelle, de prendre soin de nos entreprises et de nos artisans, et fragilise le service public de nos collectivités.

Cet acte de rédemption est aussi utile, car il permet d’enfoncer un clou dans les velléités toujours vives de la majorité de revenir, avec un Hercule 2.0, à son projet de vente à la découpe de notre fleuron industriel. Le fait de rendre incessibles, sauf débat et vote au Parlement, les actions ainsi recouvrées me semble de nature à renforcer la lutte légitime que nous avons menée contre le projet Hercule.

Mais, Philippe Brun le sait bien, cette PPL est pour nous une première étape. La malformation congénitale d’EDF est sa transformation en société anonyme car, même lorsque l’État détient 100 % des actions, il peut se comporter en mauvais actionnaire, l’exemple de la SNCF le montre. Il faudra une vraie loi-cadre pour retransformer EDF en établissement public industriel et commercial (Epic) et se réapproprier l’ensemble des outils publics nécessaires à une planification, une bifurcation, une maîtrise des énergies décarbonées dans laquelle y compris le nucléaire devra prendre sa place. C’est dans cet état d’esprit que le groupe communiste accompagnera cette PPL utile, nécessaire, mais insuffisante.

M. Christophe Naegelen (LIOT). Je rappellerai tout d’abord que le marché de l’énergie est particulièrement inopérant pour remplir les objectifs qui lui ont été assignés, à savoir l’autonomie énergétique, la diversification de l’approvisionnement, l’approvisionnement des ménages ou des entreprises face à la hausse des prix, ou encore la qualité des investissements.

Le vieillissement du parc et les retards pris dans la maintenance des infrastructures nucléaires ont conduit à l’indisponibilité de près de la moitié de nos réacteurs. EDF détient de nombreuses innovations brevetées, elle a lancé la construction de six EPR, dont deux dont la livraison est attendue pour 2050, et porte le projet Cigéo (centre industriel de stockage géologique) d’enfouissement de déchets. Une nationalisation doit aller de pair avec le renforcement de la recherche et de l’investissement dans ces grands projets.

Je m’interroge sur deux points de cette proposition de loi. Le premier concerne le coût de l’indemnisation : vous proposez un prix d’achat de 14 euros alors que le cours de l’action est ce matin à 12,05 euros. Pour rappel, lors des nationalisations de 1982, le coût de la compensation était calculé d’après une moyenne de la valeur de l’action sur les six derniers mois. Entendant régulièrement les socialistes se plaindre de la rémunération des actionnaires, je m’étonne qu’ils proposent de leur accorder une telle plus-value.

Second point, l’AMF a annoncé que l’OPA de l’État sera clôturée mardi prochain, soit avant l’examen de cette proposition de loi en séance publique. Quel serait dès lors le sens de notre vote ?

Cela étant, nous sommes favorables à la nationalisation d’EDF et nous serons donc attentifs à la concomitance entre cette proposition de loi et l’OPA lancée par l’État.

M. Philippe Brun, rapporteur. Je me réjouis que chacun partage l’idée d’un retour en arrière, ou tout au moins d’une modification de la mauvaise trajectoire prise il y a désormais vingt ans, qui a mené la France dans cette ornière. Je fais mienne l’expression de « 1940 de l’énergie » du président Marleix car nous sommes parvenus à un point de non-retour et il faut désormais inventer d’autres modèles.

Tous les groupes ont posé la même question : pourquoi cette proposition alors que l’OPA est en cours ? La différence est que l’OPA fait entrer EDF dans le domaine privé de l’État alors qu’une loi de nationalisation la fait entrer dans le domaine public. De plus, l’OPA prive le législateur de tout pouvoir. Si, demain, le conseil d’administration d’EDF, qui sera à 100 % dominé par l’État – donc par le ministre – décide de vendre Enedis, cela ne donnera lieu à aucun débat parlementaire.

C’est la raison pour laquelle je vous proposerai d’intituler ce texte non plus loi de nationalisation, mais loi de protection d’EDF car elle conférera bien aux parlementaires un nouveau droit dans le contrôle politique et public de la politique énergétique du pays. Voilà ce que nous visons.

M. Lecamp nous a dit que le projet Hercule était abandonné, mais alors, pourquoi ne pas voter cette proposition de loi ? J’ai pour ma part constaté que le Gouvernement envisageait de céder une partie des activités d’EDF. En mars 2022, pendant la campagne présidentielle, le Président de la République n’avait-il pas d’ailleurs affirmé, parmi d’autres promesses, vouloir réorganiser EDF ? Eh bien, cette proposition de loi vise à mettre fin à l’ambiguïté.

M. le rapporteur général considère que l’expression « groupe juridique unifié » n’a pas de valeur juridique. Or je me suis contenté de recopier ce qui figure dans la loi sur la SNCF. Certains d’entre vous s’en souviennent et connaissent très bien cette appellation. Nous appliquons à EDF ce qui s’est appliqué à la SNCF, lors de réforme ferroviaire conduite par Mme Élisabeth Borne… Qui plus est, devenir un groupe public unifié n’empêche pas EDF de procéder à des rotations d’actifs. On ne gèle ni sa situation d’EDF ni celle de ses filiales. Si, demain, EDF souhaite vendre EDF Maroc, elle peut tout à fait le faire. Simplement, l’énumération des activités d’EDF dans l’article 2 de la proposition de loi l’empêche de cesser une activité, par exemple dans les énergies renouvelables, dans les services énergétiques ou dans les réseaux – car c’est bien ce qui se prépare dans les ministères.

Cette loi n’empêche pas l’entreprise de vivre : il faut, bien évidemment, des rotations d’actifs dans la vie d’une entreprise. Un collègue a parlé des sociétés de projets dans lesquelles EDF investit en matière d’énergies renouvelables et dont elle peut ressortir. Nous ne disons pas qu’elle ne pourra jamais en ressortir, mais qu’elle ne pourra cesser son activité dans les énergies renouvelables. En vérité, il s’agit bien plus d’une loi anti-démantèlement d’EDF que d’une loi de nationalisation.

L’article 3 dans la rédaction que je vous soumets permet de coordonner le calendrier de l’OPA, réglementé, et le calendrier parlementaire. Au moment où la proposition de loi a été rédigée, nous avions des doutes sur le prix qui avait été proposé. Nous avons, dans un premier temps, choisi de vous proposer un prix de 14 euros ; ce n’est désormais plus notre position.

Entre le 19 juillet, date de dépôt de l’offre de l’État devant l’AMF, et le 4 octobre, de nombreux événements sont intervenus et ont eu un impact sur la valeur de l’action. D’abord, une demande indemnitaire préalable a été adressée à l’État par EDF sur la question de l’ARENH, qui se monte à 8,34 milliards d’euros et élève la valeur de l’action. Ensuite, à l’initiative de nos collègues du groupe Les Républicains, nous avons porté cet été le prix de l’ARENH de 42 à 49,50 euros, ce qui apporte, chaque année jusqu’en 2025, quelque 2,8 milliards de plus à EDF.

Or lorsque l’on nationalise on doit, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, une juste et préalable indemnité, fondée sur la valeur intrinsèque de l’entreprise. L’évaluation du prix n’est alors pas la même que dans une OPA où il est fixé en fonction de la valeur de marché.

Je nourris quelques doutes quant à la réalisation de cette OPA car nombreux sont les recours, dont l’épuisement n’est pas certain. Je vous rappelle les arguments de ceux qui ont déposé des recours, parmi lesquels il y a certes des fonds spéculatifs – Black Rock est au capital d’EDF, c’est une réalité –, mais aussi de très nombreux salariés de l’entreprise, qui ont payé l’action 35 euros dans l’espoir de faire des économies pour payer les études de leurs enfants et préparer leur retraite, et qui se sentent spoliés par cette opération.

Non-prise en compte de la demande indemnitaire de 8,34 milliards d’euros ; non-prise en compte du prix de l’ARENH ; conflit d’intérêts de M. Jean-Bernard Lévy, que nous ne sommes pas aptes à juger, mais qui est aujourd’hui devant la justice ; constitutionnalité de l’OPA, qui fait l’objet d’un recours devant le Conseil d’État : tous ces éléments fragilisent l’opération.

L’article 3 de notre PPL permet de concilier OPA et procédure parlementaire. L’OPA, si elle se déroule bien, permettra que l’État possède EDF à 100 %, tandis que l’article 2 empêchera son démantèlement. Et, si l’OPA n’arrive pas à son terme en raison des recours juridiques, nous disposerons de l’arme de la loi de nationalisation pour laquelle, comme lors des précédentes nationalisations, une commission indépendante fixera le prix d’achat.

Telles sont mes chers collègues, les réponses que je souhaitais vous apporter, mon ambition étant de vous rassembler le plus largement possible autour de cette proposition de loi, qui est défensive et nullement offensive. Sébastien Jumel l’a rappelé, elle ne règle pas tous les problèmes d’EDF, mais elle permet d’éviter que le projet Hercule 2.0, s’il advient, soit le dernier clou planté sur le cercueil de notre énergéticien national.


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   Examen des articles

Article 1er
Nationalisation d’EDF

Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 1er prévoit la nationalisation de la société anonyme Électricité de France (EDF).

Position de la commission des finances

La commission a adopté cet article sans modification.

I.   L’état du droit

Le cadre juridique des nationalisations est mentionné à l’article 34 de la Constitution, qui prévoit que relèvent du domaine de la loi « les règles concernant les nationalisations d’entreprises et les transferts de propriété d’entreprises du secteur public au secteur privé ».

Comme l’a confirmé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 81‑132 DC du 16 janvier 1982, Loi de nationalisation, il est loisible au législateur, sous réserve de ne méconnaître par ailleurs aucune exigence constitutionnelle, de procéder à la nationalisation d’entreprises qu’il désigne.

Au demeurant, EDF ayant déjà fait l’objet d’une nationalisation par le passé, il apparaît que son caractère de service public national peut être établi par le législateur, conformément à la latitude qui lui est conférée. En effet, le Conseil constitutionnel a rappelé que « si la nécessité de certains services publics nationaux découle de principes ou de règles de valeur constitutionnelle », notamment le neuvième alinéa du Préambule de 1946, « la détermination des autres activités qui doivent être érigées en service public national est laissée à l’appréciation du législateur ou de l’autorité réglementaire selon les cas » ([19]).

II.   Le dispositif proposé

Le présent article formalise l’acte de nationalisation, qui consiste en un transfert de la propriété privée à la propriété publique. En l’espèce, il vise les parts du capital de l’entreprise EDF qui ne sont pas détenues par la puissance publique. 

À la date de l’annonce de la Première ministre de la montée de l’État au capital de l’entreprise, le 6 juillet 2022, et jusqu’au début de l’acquisition des titres sur le marché au lendemain de la publication de l’OPA, le 24 novembre 2022, l’État détenait 83,69 % du capital ([20]). Au 26 janvier 2023, cette part était de 90,43 %.

L’adoption de cet article, qui épuiserait ses effets à la promulgation de la loi, entraînerait la nationalisation de la part du capital d’EDF qui, à cette date, ne sera pas encore détenue par l’État.

III.   La Position de la commission

La commission a adopté cet article sans modification.

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Amendements de suppression CF1 de M. Jean-René Cazeneuve et CF20 de M. Emmanuel Lacresse.

M. Jean-René Cazeneuve (RE). Il ne faut pas prêter à cette loi des effets qu’elle n’aura pas : malgré ce que j’ai entendu dire, elle ne permettra pas de sortir du marché européen ou de l’ARENH, non plus que de rendre incessibles les actions, d’assurer le contrôle du Parlement, de lutter contre le coût de l’énergie ni d’instaurer un bouclier supplémentaire. Elle ne permet pas même de définir une stratégie, car La France insoumise vote cette loi pour sortir du nucléaire tandis que d’autres groupes la votent pour le renforcer.

L’OPA proposée par le Gouvernement vise à donner à EDF les moyens d’aller beaucoup plus vite dans sa transformation et dans le développement du nucléaire. Nous avons le choix entre le chemin de la nationalisation que vous proposez – plus long, plus coûteux, plus incertain et redondant –, et celui de l’OPA, qui est le nôtre, pour un résultat identique. Une fois opérée la nationalisation, il n’y aura pas de domaine privé de l’État : EDF relèvera du domaine public de l’État, qui est celui de tous les Français.

Il convient donc, monsieur le rapporteur, de retirer cette proposition de loi et d’accepter l’idée que l’OPA va aboutir.

M. Mathieu Lefèvre (RE). Cette proposition de loi jette le doute sur le rôle du Parlement, qui a voté les crédits destinés à la renationalisation d’EDF. Vous-même, monsieur Brun, vous vous êtes abstenu sur cet article du premier projet de loi de finances rectificative pour 2022, tandis que le groupe La France insoumise a voté contre. Désormais, vous ne pourrez plus nous taxer de néolibéralisme : on n’est pas néolibéral quand on nationalise un grand groupe !

La proposition de loi aboutirait au même résultat, mais plus tard et avec un coût supérieur pour les finances publiques. Il vaut mieux utiliser le temps pour remettre en route notre parc nucléaire, mener à bien les chantiers d’EPR et redonner à EDF sa pleine capacité financière, en augmentant sa capacité de développement.

Enfin, vous jetez la suspicion sur un supposé nouveau projet Hercule. Or, comme les ministres ne cessent de le répéter, il n’y a pas de projet Hercule caché. Pour l’ensemble de ces raisons, nous voterons ces amendements de suppression.

M. Philippe Brun, rapporteur. Vous nous dites qu’il n’y a pas de projet Hercule caché, mais nous avons l’habitude d’entendre le Gouvernement affirmer qu’un projet est abandonné, avant de le présenter à nouveau sous un autre nom. C’est ainsi que nous avons supprimé l’École nationale d’administration, mais elle existe toujours, sous le nom d’Institut national du service public. Comme le montre mon rapport, ce Gouvernement est inventif en la matière.

Il y a une erreur de communication : le Gouvernement annonce la nationalisation d’EDF, et le grand public le croit, mais les éléments que j’ai pu consulter vont plutôt dans le sens d’une opération de sortie de cote. Il est beaucoup plus facile de démanteler EDF quand on possède 100 % du capital que quand on n’en possède que 80 %. L’opération Hercule a été abandonnée parce qu’elle nécessite une simultanéité des opérations. Dans le cas d’une entreprise cotée, quand on veut placer dans le public le nucléaire et l’hydroélectrique, et privatiser le reste, il faut mener l’opération en un seul coup, avec un devoir de transparence qui n’a rien à voir avec celui qui s’impose vis-à-vis des parlementaires dans le cas d’une entreprise totalement publique.

L’opposition très forte des syndicats et des élus locaux, qui gèrent les syndicats intercommunaux de l’électricité et du gaz, a empêché que le projet Hercule voie le jour. Toutes les notes que j’ai pu consulter vont dans le sens d’un projet Hercule par petites touches : il s’agit de procéder à des ventes de filiales sans qu’on ait accès au tableau d’ensemble. Il s’agira donc demain de la vente de Dalkia – une banque d’affaires a été missionnée pour chercher un repreneur –, et après-demain, peut-être, de la vente d’Enedis ou du retrait d’EDF du capital de RTE : dans deux ans, nous nous réveillerons pour découvrir l’image globale d’Hercule, qui n’aura pas été constituée en une fois, mais dans le dos du contrôle politique et citoyen.

Cette proposition de loi me semble donc absolument indispensable pour que les grands travaux de réorganisation d’EDF soient portés devant le Parlement. C’est une loi de démocratie et de contrôle citoyen du service public de l’énergie. Avis défavorable, donc, à ces amendements de suppression.

M. Patrick Hetzel (LR). Le groupe Les Républicains souhaite que des questions aussi stratégiques puissent être débattues au Parlement. Il serait choquant de contourner celui-ci et il est hallucinant que des députés défendent une telle stratégie.

Sur le fond, Monsieur le rapporteur général, le vote que vous évoquez portait sur des crédits destinés à la capitalisation et non pas la nationalisation. On voit bien que le statut juridique de l’entreprise EDF mérite un débat au Parlement. Nous sommes donc hostiles à ces amendements de suppression.

M. Emmanuel Lacresse (RE). La proposition ne défend ni EDF ni les droits du Parlement. De toute façon, ce dernier règle l’intégralité du statut de l’entreprise, depuis le vote de l’article L. 111-67 du code de l’énergie, qui interdit que la part de l’État soit inférieure à 70 % – comme, du reste, l’article 6 des statuts d’EDF.

Il est clair, en revanche, que le projet affaiblit EDF en imposant une dépense inutile de 1,5 milliard d’euros. Qui plus est, le concept proposé ne serait pas opératoire. Le projet de loi de finances rectificative pour 2022 a donné à l’État la possibilité de consacrer les ressources nécessaires à l’acquisition d’EDF par offre publique de retrait, comme il se doit en pareil cas. Cette mesure a été votée par ceux qui souhaitaient que la nation puisse gouverner correctement EDF et lui assurer à l’avenir tous les investissements dont l’entreprise aura besoin, à la suite du discours de Belfort et des engagements pris par l’État, notamment en matière de développement des énergies renouvelables – étant toutefois entendu que certains de nos collègues qui voteront pour cette proposition de loi sont opposés à ce développement.

M. Sébastien Jumel (GDR-NUPES). Les besoins de financement de la politique énergétique sont colossaux. Pour le seul nucléaire, les grands carénages et le renouvellement du parc supposent des investissements de l’ordre de 100 milliards d’euros, et il en irait de même pour les énergies renouvelables. L’OPA, qui est une recapitalisation par l’État sans capitaux supplémentaires, ne répond aucunement à ce besoin de financement. Étant donné, de surcroît, que vous ne remettez pas en cause le mécanisme de l’ARENH, qui siphonne financièrement EDF, nous sommes inquiets à l’idée qu’EDF pourrait, pour équilibrer ses comptes et recouvrer des capacités d’investissement, vendre à l’encan des parties rentables de son activité. Faute donc de plan de financement public auquel seraient adossées les ambitions que vous affichez, Hercule reste présent dans vos esprits et dans les faits. D’où la nécessité de vous contraindre, comme le propose le rapporteur, à revenir vers le Parlement au cas où cette idée vous traverserait l’esprit.

M. Mathieu Lefèvre (RE). Monsieur le rapporteur, le domaine privé de l’État, c’est le domaine public des Français. À cet égard, votre proposition de loi n’apporte rien : elle aboutit au même résultat, mais plus tard, à un coût plus élevé pour les finances publiques et sans se focaliser sur les priorités que doit se fixer EDF : les énergies renouvelables et la production d’électricité, ainsi qu’une meilleure santé financière. Nous nous opposerons donc à une proposition de loi qui fait plus tard, plus cher et moins bien.

Monsieur le président Éric Coquerel. J’avais cru comprendre que ce qui était en question était le contrôle parlementaire…

La commission rejette les amendements identiques CF1 et CF20.

Elle adopte l’article 1er non modifié.

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Article 2
(art. L. 111-67 du code de l’énergie)
Organisation du groupe et incessibilité du capital d’EDF

Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article inscrit dans le code de l’énergie la liste des activités assurées par le groupe EDF.

Il prévoit la détention publique de l’intégralité du capital d’EDF ainsi que son incessibilité.

Position de la commission des finances

La commission a adopté un amendement du rapporteur pour préciser l’énumération des activités du groupe.

I.   La création d’un groupe public unifié

A.   Le droit existant

Aux termes de l’article L. 111-67 du code de l’énergie, l’entreprise EDF est une société anonyme, EDF SA. Cette société mère détient des parts variables (allant jusqu’à 100 % dans plusieurs cas ([21])) dans le capital d’une cinquantaine de filiales présentes à travers le monde.

B.   Le dispositif proposé

Le présent article inscrit dans la loi l’existence du groupe EDF, composé de la société-mère EDF et de ses filiales, en tant que groupe public unifié.

La notion de groupe public unifié renvoie à une unique occurrence dans le droit positif. Cette expression a été inscrite, par la loi n° 2018-515 du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire, dans le code des transports, au sujet de la SNCF, qui comprend la société de tête et ses filiales, dont certaines font l’objet d’une obligation de détention à 100 %.

Le présent article prévoit que le groupe EDF exerce l’ensemble des activités de la chaîne de l’électricité :

– la production, le transport, la distribution, la commercialisation, l’importation et l’exportation d’électricité ;

– le développement, la construction, l’exploitation et la maintenance des sources d’énergie hydraulique, nucléaire, renouvelable et thermique ;

–  la prestation de services énergétiques.

La liste des activités proposées n’est pas limitative : les filiales d’EDF peuvent en exercer d’autres sans qu’il soit nécessaire de faire évoluer le droit. Elle vise cependant à empêcher le groupe EDF de cesser d’exercer l’une de ces activités.

II.   La détention publique de l’intégralité du capital

A.   Le droit existant

L’article L. 111-67 du code de l’énergie prévoit que l’entreprise Électricité de France fait l’objet d’un seuil de détention publique minimale de 70 % de son capital.

B.   Le dispositif proposé

Le présent article prévoit que le capital de l’entreprise EDF est détenu intégralement par l’État. Il inscrit dans la loi la détention publique de l’entreprise, qu’il porte à 100 %. Au surplus, ce capital est incessible ([22]). Une privatisation, même partielle, nécessitera une nouvelle intervention du législateur.

En raison de l’envergure mondiale du groupe, l’incessibilité du capital n’a pas vocation à s’appliquer à l’ensemble des filiales actuelles d’EDF. Elle constitue une garantie qui, combinée à l’énumération des activités du groupe, le prémunit contre un démantèlement.

III.   La Position de la commission

La commission a adopté un amendement du rapporteur complétant l’énumération des activités du groupe par la mention de la commercialisation de l’électricité.

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Amendements de suppression CF2 de M. Jean-René Cazeneuve et CF21 de M. Emmanuel Lacresse.

M. Jean-René Cazeneuve (RE). Je regrette vraiment que le vote de cette proposition de loi enlève des moyens à EDF pour agir plus vite et plus fort. Contrairement à ce que certains ont pu dire, l’article 2 n’interdit pas toute cession. L’État s’est engagé très fermement, par la voix du Gouvernement, à racheter dès le mois de juillet 100 % d’EDF pour se donner les moyens de le développer, et donc pas avec l’idée saugrenue de le racheter pour en céder des parties.

La rédaction est ambiguë, car elle est employée aussi pour la SNCF, qui a des filiales dans d’autres pays. Cette ambiguïté freinera EDF dans ses capacités de développement, en particulier de son parc nucléaire.

M. Emmanuel Lacresse (RE). L’analogie avec la SNCF est étonnante, car cette entreprise présente le découplage le plus accompli entre l’exploitation et l’infrastructure, alors qu’EDF, historiquement, lie ces deux composantes. Or l’investissement dans le réseau devra demain être massif. La production n’était pas mentionnée dans le texte de l’article 2 et, après en avoir pris conscience, vous proposez de l’intégrer au moyen d’un amendement.

Vous évoquez par ailleurs l’activité d’importation et d’exportation de courant, mais on finit par comprendre que la vraie question, qui n’est pas traitée dans la proposition de loi, est celle de la régulation de l’électricité, qui fait l’objet de débats au Parlement européen et parmi les gouvernements au sein du Conseil européen.

Pour la France, il importe de disposer d’un groupe puissant, entièrement à la main de l’État et dont le conseil d’administration ne connaisse pas d’opposition au développement du nucléaire. Il faut donc supprimer cet article.

M. Philippe Brun, rapporteur. Avis défavorable à ces amendements de suppression. L’incessibilité du capital d’EDF est en effet indispensable pour prévenir d’éventuels projets de restructuration du groupe à moyen et long terme. Votre argument, développé notamment par M. Gabriel Attal dans une réponse qu’il m’a faite lors d’une séance de questions au Gouvernement, est qu’il n’y aurait pas de sens à monter à 100 % du capital si c’était pour privatiser ensuite. Cependant, une note de l’APE – Agence des participations de l’État – préparatoire à cette OPA, citée à la page 16 de mon rapport, explique qu’une sortie de cote d’EDF par le rachat des minoritaires sera suivie d’une filialisation de tout ou partie des activités du groupe liées à la transition énergétique puis, le cas échéant, de leur introduction en Bourse. La note précise que « débuter par une réorganisation du groupe enverrait un signal négatif aux organisations syndicales, qui ne manqueraient pas de se mobiliser fortement, comme elles l’avaient fait lors des projets Hercule-Grand EDF. » Les perspectives de réorganisation du groupe évoquées mentionnent la cession d’environ 30 % des activités liées à la transition énergétique.

Cela rend d’autant plus important de nous doter, avec cet article 2, qui est l’article central de cette proposition de loi, d’un outil permettant aux parlementaires de donner ou non leur accord à une réorganisation totale ou partielle d’EDF.

M. Fabien Di Filippo (LR). Alors que le rachat du capital d’EDF était censé, lors de notre dernier débat, régler tous les problèmes et donner à nouveau à EDF les moyens de se développer, la majorité prend aujourd’hui position contre des mesures allant dans ce sens et à l’encontre d’un droit de regard des parlementaires sur ces opérations.

De même que le rachat du capital d’EDF pour plus de 12 milliards d’euros ne résolvait rien et a même aggravé les difficultés financières de l’État dans des proportions encore sous-estimées, mais qui se révéleront dramatique en un moment où, comme vous l’avez dit, chaque euro compte, cette mesure n’est pas la panacée. La question est de savoir si nous sommes capables de donner à EDF une vision et une stratégie à long terme pour disposer d’une production d’électricité souveraine. Les décisions prises par votre majorité et par vos prédécesseurs, notamment par Nicolas Hulot en 2018, créent les conditions des graves difficultés que nous connaissons aujourd’hui.

Il ne me semble donc pas bienvenu de vous opposer à cet article qui donne aux parlementaires un droit de regard accru sur ces questions.

M. Mathieu Lefèvre (RE). Monsieur Di Filippo, je ne vois pas quelle garantie supplémentaire d’examen parlementaire apporte cette proposition de loi. Nous avons, du reste, déjà eu ce débat lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2022. M. Brun, en sa qualité de rapporteur spécial pour les crédits et participations de l’État, dispose d’un droit de contrôle in situ dans ce domaine, et il cite même une note de l’APE qui, conformément à son rôle de conseil de l’État, alerte ce dernier. Tout est donc absolument transparent.

Je comprendrais une telle opposition de la part du groupe La France insoumise, qui avait voté contre ces crédits, mais votre groupe avait voté en faveur de l’article 8 du PLFR. L’examen et le suivi des crédits seront réalisés, comme il se doit, par l’entremise du rapporteur spécial. Rien dans cette loi ne doit donc jeter l’opprobre sur le contrôle parlementaire.

Mme Clémence Guetté (LFI-NUPES). Le groupe LFI-NUPES votera contre ces amendements de suppression, car nous voulons étudier la proposition de loi. Vous avez, d’ailleurs, toujours la même attitude lors des journées de séance dont disposent les groupes d’opposition – au point que vous devriez peut-être, si ces niches vous embarrassent tant, faire modifier le règlement de notre assemblée pour les supprimer.

Le point fondamental soulevé par M. le rapporteur est que le Parlement doit avoir le contrôle de cette opération et que nous ne sommes pas convaincus du bien-fondé de cette OPA. Nous assumons notre vote précédent et nous voulons débattre.

En deuxième lieu, cet article 2, qui est l’article central de la proposition de loi, fait l’objet de nombreux amendements fondamentaux, par exemple pour le retour au tarif réglementé pour nos artisans et nos commerçants, ainsi que pour toutes celles et tous ceux qui sont aujourd’hui étouffés par l’augmentation des prix. Voter une telle mesure peut intéresser tout le monde.

Se pose aussi la question du timing : alors que le tarif de l’électricité augmente de 15 % pour de nombreux particuliers, vous refusez de parler énergie au sein de cette commission des finances. C’est assez maladroit.

Sur le fond, enfin, nous ne sommes pas rassurés par cette OPA et par la sortie de cote évoquée par M. Brun. La proposition de loi a donc pour objet de sécuriser cette opération. Votre amendement, monsieur Cazeneuve, montre – et c’est là que se cache le loup – que vous ne voulez pas vous interposer face au marché dans le domaine énergétique. C’est là tout le débat que nous avons eu à propos du projet de loi relatif aux énergies renouvelables : vous ne voulez pas que la France ait la maîtrise du prix de l’énergie, notamment pour les énergies vertes, ni que nous reprenions la main sur nos industries, alors que la production d’énergie verte pourrait être le défi du XXIe siècle.

M. Emmanuel Lacresse (RE). Nous ne sommes pas du tout hostiles à un débat sur l’énergie, qui permettrait notamment d’actualiser la position de La France insoumise quant à la sortie du nucléaire…

M. Philippe Brun, rapporteur. L’article 2 oblige à passer par la loi si EDF vient à cesser une activité, par exemple dans le domaine des réseaux ou des énergies renouvelables. Il s’agit donc d’imposer un contrôle parlementaire là où, monsieur Lefèvre, il n’y en a aucun. De fait, le vote intervenu cet été pour autoriser l’État à monter au capital d’EDF à hauteur de 12 milliards d’euros n’est pas un réel contrôle parlementaire. En effet, le compte d’affectation spéciale Participations financières de l’État est abondé de 12,7 milliards d’euros, pour une OPA d’un montant de 9,7 milliards d’euros : avec une différence de 3 milliards, le chiffre n’est pas d’une grande précision et se situe au niveau minimal de l’autorisation parlementaire. Quant à l’opération de contrôle sur pièces et sur place que j’ai menée, elle me donne un simple pouvoir d’information, et non pas de décision.

L’article 2 donne aux parlementaires le moyen de s’opposer au projet Hercule et, s’il advient, de modifier la loi. Aujourd’hui, en effet, la vente d’Enedis, de Dalkia ou d’EDF Énergies Nouvelles ne nécessiterait pas le recours à la loi et pourrait se faire dans le dos de nos concitoyens, même pour une entreprise à 100 % publique. Nous devons donc adopter cet article pour sauver l’unité du groupe EDF.

La commission rejette les amendements identiques CF 2 et CF21.

Amendement CF3 du rapporteur.

M. Philippe Brun, rapporteur. Il tend à compléter un oubli en réintégrant la commercialisation dans l’énumération des activités du groupe EDF.

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général. Si la chose n’était pas aussi tragique pour l’indépendance de notre fleuron et pour les moyens que nous souhaitons lui donner, cet amendement me ferait sourire : on dépose un amendement parce qu’on a oublié un mot, et désormais, chaque fois que nous voudrons modifier quoi que ce soit, il faudra passer par le Parlement. Ce n’est pas le meilleur moyen pour EDF de relever les défis d’aujourd’hui.

Par ailleurs, je suis surpris qu’une loi votée par certains parce qu’ils sont pour le nucléaire et par d’autres parce qu’ils sont contre puisse accroître le contrôle du Parlement – ils n’ont sans doute pas compris la même chose...

Enfin, Monsieur le rapporteur, vous nous avez dit voilà quelques minutes que ces dispositions n’empêcheraient pas EDF, si elle le souhaitait, de sortir de la distribution au Maroc. Soyez clair, s’il vous plaît : les mesures que vous proposez permettent-elles, ou non, de sortir de certaines activités ?

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Nous voterons cet article, qui complète les missions d’EDF pour en faire un véritable monopole de service public de production de l’électricité.

Il n’y a aucune raison de faire confiance à la majorité pour protéger EDF, qu’elle a considérablement affaiblie. Comme l’a dit M. Brun, vous avez sans doute des plans cachés pour son démantèlement et vous avez fait nommer à sa tête M. Rémont, qui a participé au démantèlement d’Alstom et qui n’est un ami ni des Françaises et des Français, ni des intérêts de la France. Récemment encore, vous avez choisi, pour réaliser l’opération de rachat sur titres, la banque Goldman Sachs, comme s’il n’y avait pas assez de banques en France pour ne pas choisir une banque américaine, qui défend des intérêts américains et qui, du fait de l’opération que vous lui avez confiée, aura accès à des informations financières très importantes. Lorsqu’il y va de la défense des intérêts français, vous choisissez systématiquement des intérêts qui ne sont pas ceux de la France.

M. Emmanuel Lacresse (RE). L’objet de cet article n’est nullement d’établir un monopole. Le code de l’énergie prévoit du reste, à l’article suivant, que l’État dispose d’une golden share dans Engie, acteur dont les auditions auxquelles nous avons récemment procédé à propos de la production de gaz et de l’électricité au bénéfice du logement social ont montré le caractère essentiel et qui a joué tout son rôle dans la crise énergétique, notamment gazière, que nous venons de connaître.

Comme le rapporteur général l’a montré, non seulement les intérêts sont opposés dans le vote de cette loi, mais ceux qui vont la voter n’en ont pas une pleine compréhension.

M. François Ruffin (LFI-NUPES). Nous discutons d’EDF et de l’énergie au moment même où les factures des Français vont grimper de 15 % ; où des manifestations de bouchers et de boulangers qui ont vu le montant de leurs factures d’énergie multiplié par quatre, six ou dix viennent d’avoir lieu aux portes de l’Assemblée nationale ; où des maires, durant leur congrès, nous ont interpellé en se plaignant qu’ils ne pourront pas chauffer la piscine de leur commune ou qu’ils devront renoncer à certains travaux parce que leurs factures explosent. Un industriel sous-traitant de l’automobile nous apprend que sa facture passera de 70 000 à 700 000 euros par mois et le Medef lui-même qualifie de folie la situation actuelle de l’énergie. Folie, en effet, lorsque le mégawattheure, dont le prix de production pour EDF s’élève à 42 euros, se retrouve sur le marché à 200, 250 ou 300 euros. Il y a là une économie de casino, où les prix font du yo-yo, bondissant dans un sens ou dans un autre.

La nationalisation d’EDF ne résoudra pas ce problème car, si EDF demeure sur le même marché, la situation sera toujours la même. Un bouclier tarifaire est possible, mais il est payé par les impôts des Français. Il est donc nécessaire de sortir du marché européen de l’énergie et de sortir l’énergie du marché.

M. Philippe Brun, rapporteur. Certaines réflexions s’éloignent quelque peu du sujet de l’amendement.

Monsieur le rapporteur général, il s’agit de définir les activités d’EDF dans la loi. Si EDF n’exerce plus aucune activité dans un domaine, ce sera illégal. Cela n’interdit pas pour autant la rotation d’actifs – une entreprise peut, heureusement, en racheter une autre et développer ou céder ses activités internationales. L’article empêche toutefois un grand démantèlement d’EDF.

La commission adopte l’amendement CF3.

Amendement CF13 de M. Sébastien Rome.

M. Sébastien Rome. Nous souhaitons que l’avenir énergétique et la forme qu’il doit prendre fassent l’objet de discussions au sein de l’Assemblée nationale. Il ne me semble pas que le débat sur le nucléaire soit clos, à en juger par les difficultés que rencontrent les centrales nucléaires et alors que se pose la question de savoir s’il faut prolonger leur vie jusqu’à quatre-vingts ans ou si nous sommes en mesure d’en créer de nouvelles sans connaître les mêmes retards qu’à Flamanville.

L’avenir énergétique de la France, sa souveraineté et la bifurcation écologique peuvent passer par d’autres moyens que le nucléaire – avec par exemple un véritable investissement qui créerait de nombreux emplois dans la rénovation énergétique des bâtiments. Ne fermons donc pas ce débat, et inscrivons-le parmi les objectifs d’EDF.

M. Philippe Brun, rapporteur. La proposition de loi n’a pas pour objet d’entrer dans le détail de notre politique énergétique. Elle a une finalité défensive, afin d’éviter le démantèlement de ce grand groupe de service public qu’est EDF.

Il nous faut assumer le fait que nous ne sommes, y compris au sein de la grande union de la gauche à laquelle nous appartenons, pas tout à fait d’accord à propos du nucléaire. Pour ma part, j’estime que l’énergie nucléaire est indispensable pour assurer la transition vers une économie bas carbone tout en restant socialement et démocratiquement soutenable. Il faut certes réduire la part du nucléaire, mais investir dans cette énergie est, selon moi, une priorité. Avis défavorable, donc, à l’amendement.

M. Sébastien Jumel (GDR-NUPES). La richesse et la force de notre rassemblement, c’est l’addition de ses différences. Nous avons pris acte de nos différences d’appréciation quant à la composition du mix énergétique, mais ce qui nous rassemble, c’est la maîtrise publique, la reprise en main par la puissance publique des enjeux de politique énergétique, la nécessité de sortir de vingt ans de libéralisation consentie à l’échelle européenne et qui font mal aux vies, à la souveraineté et à l’économie réelle.

Il n’y a pas de solution de souveraineté ni de politique énergétique décarbonée sans le nucléaire. Je propose donc de voter contre cet amendement.

La commission rejette l’amendement CF13.

Amendement CF8 de Mme Clémence Guetté.

Mme Clémence Guetté (LFI-NUPES). J’observe que des doutes viennent de s’exprimer dans la majorité même pour savoir s’il fallait ou non sortir du nucléaire.

Je présenterai, en même temps que mon amendement CF8, l’amendement CF7 de M. Sébastien Rome, qui est assez proche.

L’amendement CF8 a pour objet d’interdire les coupures de courant en cas de défaut de paiement. Le droit à l’énergie est en effet indispensable pour mener une vie digne. Alors que 12 millions de Français sont aujourd’hui en situation de précarité énergétique, la majorité n’a rien fait pour rénover les passoires thermiques. On ne peut pas laisser les gens dans le froid.

L’amendement CF7, quant à lui, vise à garantir à tous, à l’instar de l’eau, la gratuité des premières quantités d’énergie indispensables à la vie quotidienne.

M. Philippe Brun, rapporteur. La précarité énergétique est une question très importante. Les interventions d’un fournisseur d’énergie en raison d’impayés ont concerné 780 000 ménages en 2021 et 20 % des ménages ont ressenti le froid dans leur logement durant plus de vingt-quatre heures. La trêve hivernale en matière de fourniture de gaz et d’électricité a été étendue jusqu’au 31 mai en raison de la crise sanitaire. L’interdiction des coupures est, selon nous, le seul dispositif réellement protecteur des ménages. Avis favorable.

M. François Ruffin (LFI-NUPES). Durant la crise de la covid-19, on a renoncé temporairement à couper l’électricité aux gens qui avaient du mal à payer leurs factures. À cette occasion, EDF a découvert qu’il n’y avait pas plus d’impayés et, tout en délivrant une moindre puissance, a renoncé à couper l’électricité à la suite d’impayés. Cette mesure pourrait être ancrée dans la loi pour ne pas relever que de la bonne volonté d’un fournisseur, et devrait être étendue à tous les fournisseurs. EDF montre que, sur le plan économique, cela ne lui coûte pas davantage de préserver le droit à l’énergie pour tous les Français qui rencontrent des difficultés temporaires malgré leur bonne volonté pour régler leurs factures lorsqu’ils auront retrouvé des ressources financières.

Mme Émilie Bonnivard (LR). Le groupe Les Républicains votera contre cet amendement. On ne peut pas vouloir protéger EDF, renforcer ses moyens et définir une stratégie énergétique tout en donnant d’emblée un coup de canif dans le contrat en faisant savoir qu’il est possible de ne pas payer ses factures d’électricité. Des accompagnements doivent être prévus pour permettre aux plus modestes de payer leurs factures, mais on ne peut fragiliser EDF avec un tel amendement. Ce n’est politiquement pas sérieux.

La commission rejette l’amendement CF8.

Amendement CF7 de M. Sébastien Rome

M. Philippe Brun, rapporteur. La mesure proposée par l’amendement me semble mal calibrée. Malgré le renvoi au décret, elle concerne tous les consommateurs finaux et ne comporte pas de critères sociaux. J’en demande donc le retrait. À défaut, sagesse.

Mme Clémence Guetté (LFI-NUPES). L’amendement n’est pas mal calibré et son dispositif est intentionnel : le principe en est l’universalité de la gratuité des premières quantités délivrées. La mesure n’est pas conditionnée à des revenus. Comme l’eau, l’électricité est indispensable à la vie et un minimum doit donc être assuré par l’État pour que tout le monde soit à égalité en la matière. Il ne s’agit pas d’un dispositif d’accompagnement social. Nous ne sommes, philosophiquement, pas d’accord, mais il ne s’agit pas d’un mauvais calibrage.

Mme Véronique Louwagie (LR). Le groupe Les Républicains votera contre cet amendement. Nous ne pouvons pas soutenir cette proposition de loi qui vise à donner à EDF tous les moyens financiers nécessaires afin de disposer d’un véritable fleuron, d’un groupe énergétique fort qui exprime notre volonté de souveraineté énergétique, si c’est pour le désarmer avec un tel dispositif.

La commission rejette l’amendement CF7.

Amendements CF16 de M. Alexandre Sabatou, CF11 et CF12 de M. Maxime Laisney (discussion commune).

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). L’amendement CF16 apporte une nuance au projet de M. Brun. Que ce soit, en effet, au sein de notre commission ou de la commission mixte paritaire qui a malheureusement attribué les crédits destinés à racheter les parts d’EDF, ces crédits sont de l’argent mal investi, car EDF est déjà contrôlé à 80 % par l’État. Dans l’esprit du gaullisme et du capitalisme populaire, le fait que des actions EDF soient possédées par des salariés et par des Français vaut autant que si elles appartenaient à l’État – et c’est peut-être même encore plus protecteur, car la présence d’Emmanuel Macron à la tête de l’État est plus un gage de démantèlement de l’industrie française que de protection.

L’amendement CF16 tend donc à faire en sorte que ce ne soit pas l’État en tant que tel qui possède toutes les actions, mais qu’elles puissent être détenues aussi par des salariés ou par des Français.

M. François Ruffin (LFI-NUPES). L’amendement CF12 tend à ce que les statuts de la société mère et des filiales prévoient, par une clause spécifique, l’inaliénabilité des actions détenues par l’État.

Je tiens à revenir, à cette occasion, sur l’échange qui vient d’avoir lieu à propos des premiers kilowattheures gratuits proposés Mme Guetté, mesure qui figure dans le programme de la NUPES. Le tarif de l’électricité n’est pas progressif, mais dégressif en fonction des revenus : à l’instar des tarifs du gaz et de l’eau, les premiers kilowattheures coûtent plus cher parce qu’on paye un abonnement. Or c’est injuste et le tarif devrait évoluer en fonction du volume de la consommation, selon qu’on est ou non un gros consommateur. La mesure de gratuité pour les premiers kilowattheures me paraît donc positive et nous devrions aller vers une suppression des abonnements pour les besoins vitaux.

M. Sébastien Rome (LFI-NUPES). L’amendement CF11 vise à compléter l’alinéa 6 par la phrase : « La part publique du capital des filiales de la société Électricité de France est également incessible. » La majorité qui soutient le Président de la République fait preuve de beaucoup d’inventivité pour transformer un projet et le ressortir sous une autre forme. Il s’agit d’éviter que le projet Hercule ne soit recyclé. La confiance n’exclut pas le contrôle.

M. Philippe Brun, rapporteur. L’amendement CF16 ne vise pas à instaurer le dispositif qu’a évoqué M. Tanguy : il est moins-disant que la proposition de loi. Je vous suggère de le retirer.

L’amendement CF12 a pour objet d’introduire une clause d’inaliénabilité pour toutes les filiales. EDF, grand groupe mondialisé, compte plus de quarante filiales, dont certaines sont très confidentielles : EDF Gas Deutschland ou Dalkia Biogaz ne relèvent pas de notre souveraineté. Il y a du ménage à faire parmi les activités internationales d’EDF – la CGT ou les salariés d’EDF en sont d’accord. C’est pourquoi je donne un avis défavorable à l’amendement CF12, bien que l’article 2 en partage la philosophie.

Je vous suggère aussi de retirer l’amendement CF11. La proposition de loi vise à éviter non la cession de toutes les filiales mais le démantèlement du groupe. Il est important et utile que des rotations d’actifs, notamment étrangers, puissent être réalisées. On ne doit pas empêcher l’entreprise d’être gouvernée correctement.

M. Alexandre Sabatou (RN). Si demain une autre majorité, toujours libérale, gouverne, nous serons confrontés au même risque de démantèlement. Nous retirons l’amendement CF16 si vous acceptez que nous le retravaillions ensemble, afin de permettre que le capital soit détenu par l’État ou des individus, comme placement à long terme.

M. Emmanuel Lacresse (RE). Dans un sens comme dans l’autre, le Parlement a toujours le dernier mot en matière de cession, en particulier depuis que l’article L. 111-67 du code de l’énergie prévoit le niveau auquel l’État détient EDF – quel qu’il soit, il faut un niveau.

S’agissant des filiales, EDF est un groupe international, qui procède régulièrement à des cessions. Une partie du parc de production d’énergie des Pays-Bas, qui était détenu par EDF, a été cédée pour permettre à EDF d’investir davantage au Brésil. Le dispositif de la proposition de loi est loin de la manière dont on peut gouverner un groupe si nécessaire à la production d’énergie française.

M. François Ruffin (LFI-NUPES). La proposition de loi pose la question du rôle de l’État et de sa stratégie comme actionnaire, en particulier dans une société anonyme. On a déjà vu l’État monter au capital, et que cela représente peu d’intérêt pour les salariés et les usagers. Avoir des filiales partout dans le monde n’était pas la vocation d’EDF et on peut se demander si cela a une utilité pour les usagers français. Comme actionnaire d’Engie, l’État ne pèse pas sur la stratégie de l’énergéticien : il ne fait qu’encaisser les dividendes.

Par le biais de la Caisse des dépôts et consignations, l’État entre chez Orpea, mais pour quoi faire ? Remettre à flot le groupe ou faire que ses usagers soient mieux traités et que l’on ait une vision moins tournée vers les profits et plus vers le bien-être des personnes âgées ? On doit se demander – à gauche en particulier – ce que l’on attend quand on fait monter l’État au capital d’une société.

M. Philippe Brun, rapporteur. Monsieur Sabatou, je suis d’accord pour que l’amendement CF16 soit retravaillé. Si vous souhaitez défendre une proposition sur un actionnariat qui fasse la part belle aux salariés, les services de la commission, qui travaillent pour l’ensemble des députés, pourront vous aider à la rédiger.

L’amendement CF16 est retiré.

La commission rejette successivement les amendements CF12 et CF11.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CF14 de Mme Clémence Guetté.

Elle adopte l’article 2 modifié.

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Après l’article 2

Amendement CF17 de M. Alexandre Sabatou.

M. Alexandre Sabatou (RN). L’amendement vise à abroger les articles du code de l’énergie organisant la séparation d’activité entre la production et le transport d’énergie, donc à prendre acte de la disparition de RTE au profit d’EDF. Le Rassemblement national veut inscrire dans la proposition de loi la reconstruction d’un monopole pour EDF.

M. Philippe Brun, rapporteur. Cet amendement est symbolique. Malheureusement – ou heureusement –, on ne s’affranchit pas du droit européen en supprimant des articles de code. Avis défavorable, quoi que l’on pense d’une nécessaire réforme du marché européen de l’électricité.

M. Emmanuel Lacresse (RE). L’amendement est profondément antieuropéen, tant dans le non-respect de la norme et de l’équilibre qui ont été trouvés dans les directives relatives à la séparation des deux activités que dans son refus de continuer à discuter avec l’Union européenne, pour renforcer le groupe. Adopter une telle disposition ne facilite pas la négociation, par ailleurs très fructueuse.

M. Alexandre Sabatou (RN). À chaque fois, vous nous dites qu’il faut discuter avec l’Union européenne. Pour répondre à ma première question dans l’hémicycle portant sur l’ARENH, Bruno Le Maire avait déjà expliqué qu’une discussion était en cours. Nous attendons toujours, alors que les Français traversent une crise énergétique très importante.

La commission rejette l’amendement CF17.

Amendement CF19 de M. Alexandre Sabatou.

M. Alexandre Sabatou (RN). Dans la même optique, l’amendement vise à supprimer les articles du code de l’énergie organisant la séparation obligatoire d’activité. Enedis est en situation de quasi-monopole, exerçant plus de 95 % de son activité en France. Réintégrer l’entreprise au sein d’EDF ne changera pas grand-chose.

M. Philippe Brun, rapporteur. Avis défavorable, pour les mêmes raisons.

La commission rejette l’amendement CF19.

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Article 3
Fixation du prix de l’action

Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article fixe un nouveau prix pour les actions d’EDF à 14 euros.

Position de la commission des finances

La commission a adopté un amendement réécrivant intégralement cet article pour créer une commission ad hoc chargée de définir le prix des actions non détenues par l’État.

I.   L’état du droit

La nationalisation est une affirmation de la propriété publique au détriment de la propriété privée. Elle est envisagée dans l’intérêt général, à la condition d’une réparation du préjudice qu’elle occasionne. L’article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (DDHC) de 1789 énonce ainsi que « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ».

Dans le cadre de l’offre publique d’achat (OPA) simplifiée conduite par l’État, le prix de l’action d’EDF a été établi à 12 euros. Il résulte de la recommandation du comité ad hoc constitué par le conseil d’administration d’EDF le 19 juillet 2022, ainsi que des conclusions du cabinet Finexsi, désigné en qualité d’expert indépendant le 27 juillet 2022, dont le rapport conclut que les termes de l’Offre sont équitables pour les actionnaires et les porteurs d’OCEANEs EDF.

II.   Le dispositif proposé

Le présent article établit que, dans le cadre de la nationalisation, l’indemnité versée aux détenteurs des actions EDF correspond au prix unitaire de 14 euros.

La fixation de ce prix à un niveau supérieur à celui de l’OPA entend refléter :

– la sous-valorisation de l’entreprise, qui ne tient notamment pas compte du contentieux indemnitaire en cours initié par EDF contre l’État et de l’évolution des règles de l’ARENH (cf. supra) ;

– la nécessaire indemnisation des actionnaires salariés d’EDF, qui sont, pour la plupart, entrés au capital de leur entreprise lorsque les prix de marché s’établissaient à des niveaux supérieurs à 30 euros par action.

III.   La Position de la commission

La commission des finances a adopté un amendement du rapporteur, qui entraîne une réécriture globale de l’article 3.

La nouvelle rédaction supprime la référence au prix de 14 euros et met en place un dispositif qui sécurise la nationalisation d’EDF. Il s’appliquera uniquement dans le cas où l’OPA n’aurait pas été menée à son terme à la date du 1er juillet 2023. Le choix de cette date reflète le délai nécessaire à la finalisation de l’opération après le rendu de la décision de la cour d’appel de Paris, qui doit intervenir avant le 2 mai 2023.

Sur le modèle de la loi du 11 février 1982 de nationalisation, elle met en place une commission chargée de définir la valeur d’échange des actions. Elle est composée d’experts issus des hautes institutions administratives et financières (Conseil d’État, Conseil économique, social et environnemental, Banque de France) et présidée par le Premier président de la Cour des comptes.

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Amendement de suppression CF22 de M. Emmanuel Lacresse.

M. Emmanuel Lacresse (RE). L’amendement vise à supprimer l’article 3 relatif à l’indemnisation des détenteurs d’actions transférées à l’État, qui revient à réécrire le droit des offres publiques – en l’espèce, de retrait. Il importe que l’action, déjà entamée, se poursuive dans les règles qu’a établies le code monétaire et financier, et aboutisse rapidement, sous le contrôle de la justice, conformément à la Constitution en matière de cession forcée d’actions par leur propriétaire.

M. Philippe Brun, rapporteur. L’amendement se fonde sur l’ancienne rédaction de l’article 3. Avis défavorable.

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général. Il n’est pas souhaitable de faire prendre un risque à l’État sur le coût de cette opération. Le texte indique un prix de 14 euros par action. Vous dites à présent que des personnes extérieures le détermineront, et qu’il pourrait monter à 16 ou 17 euros car EDF a pris de la valeur. Tout cela est de l’argent public. L’OPA permet un rachat effectif – les actionnaires ont accepté de vendre –, contraignant pour les moins de 10 % restant du capital, à 12 euros. Je vous demande de ne pas voter cet article, qui entraîne une très forte dépense publique.

La commission rejette l’amendement CF22.

Amendement CF26 de M. Philippe Brun.

M. Philippe Brun, rapporteur. Cet amendement de sécurité fixe la nouvelle rédaction de l’article 3 : une commission administrative nationale d’évaluation est constituée pour procéder à la nationalisation si, au 1er juillet 2023, l’offre publique d’achat, dont l’État a pris l’initiative, n’est pas menée à son terme, par exemple en raison des recours juridiques. Cette disposition n’entre donc en vigueur que si l’OPA est un échec. Dans le cas contraire, l’article 2 fixe l’organisation d’EDF et l’article 3 tombe.

M. Emmanuel Lacresse (RE). Il n’y a aucune raison que notre justice, en particulier notre cour d’appel, n’exécute pas les obligations qui sont les siennes, notamment celle de juger. Il n’est pas inhabituel qu’une offre publique de retrait soit longue. Dans le cas d’une entreprise cotée, avec un cours connu, l’opération a de grandes chances d’aller à son terme. Il y a une jurisprudence constante, notamment sur les modalités de rachat par l’État. Nous n’allons pas inventer ex nihilo un dispositif qui remplacerait la cour d’appel.

M. Philippe Brun, rapporteur. Si la décision de la cour d’appel est favorable, elle sera connue bien avant le 1er juillet et l’article tombera. Si l’OPA est annulée, nous voulons tout de même qu’EDF soit nationalisée. En vertu de de l’article 34 de la Constitution, le second moyen de monter au capital d’une entreprise lorsque l’OPA ne fonctionne pas est la nationalisation. L’amendement ne représente aucun coût pour les finances publiques : il institue, sur le modèle des autres lois de nationalisation, une commission indépendante qui fixe le prix avec le Premier président de la Cour des comptes.

La commission adopte l’amendement et l’article 3 est ainsi rédigé.

En conséquence, l’amendement CF15 de M. Alexandre Sabatou tombe.

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Après l’article 3

Amendements CF5 de M. Sébastien Rome et CF6 de Mme Clémence Guetté (discussion commune).

M. Sébastien Rome (LFI-NUPES). Les collectivités et les entreprises connaissent une explosion délirante des coûts de l’électricité car les prix sont soumis à la spéculation, non aux réalités de la production, des transports et de la commercialisation. Il faut revenir au tarif réglementé de vente de l’électricité (TRVE) pour tout le monde. Ne pas le faire, par idéologie, c’est s’exposer à ce que les secteurs demandent les uns après les autres leur bouclier énergétique.

M. Philippe Brun, rapporteur. L’idée est bien d’élargir le TRVE aux collectivités territoriales et à tous les consommateurs non domestiques. Je vous suggère de retirer les amendements au profit de l’amendement CF28, que vous avez sous-amendé.

Les amendements sont retirés.

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Article 3 bis (nouveau)
(art. L. 337-8 du code de l’énergie)
Extension des tarifs réglementés de vente de l’électricité

Issu d’un amendement du rapporteur, sous-amendé par M. Sébastien Rome puis par Mme Alma Dufour, le présent article étend le bénéfice des tarifs réglementés de vente de l’électricité (TRVE) à deux nouvelles catégories de bénéficiaires parmi les consommateurs finals non-domestiques : les très petites entreprises (TPE), quelle que soit leur puissance électrique, et les petites et moyennes entreprises (PME) et entreprises de taille intermédiaire (ETI) pour l’année 2023.

I.   L’état du droit

A.   Les tarifs réglementés

Les tarifs réglementés de vente d’électricité (TRVE) sont régis par les articles L. 337-1 et suivants du code de l’énergie.

Par dérogation au principe de libre fixation des prix par le jeu de la concurrence, ils sont proposés par une autorité administrative indépendante, la Commission de régulation de l’énergie (CRE), aux ministres chargés de l’économie et de l’énergie.

Conformément à l’article L. 337-6 du code de l’énergie, ces tarifs sont établis par une méthode de calcul par empilement. Il s’agit d’une addition du prix de l’ARENH, du coût du complément d’approvisionnement au prix de marché, de la garantie de capacité, des coûts d’acheminement et des coûts de commercialisation, ainsi que d’une rémunération normale de l’activité de fourniture.

Aux termes de l’article L. 337-7 du même code, les tarifs réglementés bénéficient, pour leurs sites souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères (kVA) :

– aux consommateurs finals domestiques (clients résidentiels, propriétaires uniques et syndicats de copropriétaires des immeubles à usage d’habitation) ;

– aux consommateurs finals non domestiques de petite taille, c’est-à-dire les clients non résidentiels qui emploient moins de 10 personnes, et dont le chiffre d’affaires, les recettes ou le total de bilan annuels n’excèdent pas 2 millions d’euros.

B.   Le bouclier tarifaire

L’article 181 de la loi du 30 décembre 2021 de finances pour 2022 prévoit la possibilité, pour les ministres chargés de l’économie et de l’énergie, de s’opposer aux propositions tarifaires motivées de la CRE, prises en application de l’article L. 337-4 du code de l’énergie, dans le cas où celles-ci conduiraient à une hausse de plus de 4 % TTC des tarifs TRVE pour les clients résidentiels et de fixer, par arrêté conjoint, un niveau de tarifs inférieur afin de répondre à l’objectif de stabilité des prix.

L’article 181 de la loi du 30 décembre 2022 de finances pour 2023 a reconduit un dispositif analogue en plafonnant la hausse des prix à 15 % des tarifs applicables au 31 décembre 2022. Les pertes de recettes supportées par les fournisseurs d’électricité sont des charges imputables aux obligations de service public et font l’objet d’une compensation par l’État.

S’agissant du mouvement tarifaire intervenu le 1er février 2023, l’application des barèmes aurait amené à une évolution moyenne de 98 % pour les consommateurs professionnels éligibles et de 99 % pour les consommateurs résidentiels par rapport aux barèmes d’août 2022. Le Gouvernement n’a pas retenu l’ensemble des grilles proposées par la CRE et a décidé de plafonner la hausse à 15 % ([23]).

II.   Le dispositif adopté par la commission

Issu d’un amendement du rapporteur le présent article réécrit l’article L. 337-8 du code de l’énergie.

A.   Les TPE

Le présent article réitère, à son alinéa 3, la mention déjà présente dans l’article L. 337-8 du code de l’énergie s’agissant des consommateurs non interconnectés au réseau métropolitain continental.

Il étend le champ des bénéficiaires des TRVE aux consommateurs finals non domestiques de petite taille, selon les mêmes critères de taille que ceux de l’article L. 337-7 du code de l’énergie, qui sont ceux des très petites entreprises (TPE). L’apport de la disposition tient à la suppression du critère de puissance souscrite inférieure à 36 kVA. En pratique, ce plafond exclut actuellement 80 % des boulangeries de l’accès aux TRVE, ce qui leur occasionne d’importantes difficultés à honorer leurs factures d’électricité.

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la commission a adopté un sous-amendement de M. Sébastien Rome qui supprime le bornage temporel de cette mesure (du 1er janvier 2023 au 31 décembre 2023) et le plafond de 250 kVA.

L’alinéa 6 du présent article prévoit que, pour l’application de la disposition relative aux TPE, les TRVE sont proposés par tous les fournisseurs d’électricité et peuvent, pour l’année 2023, se substituer aux contrats en cours.

B.   Les PME et ETI

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la commission a adopté un sous-amendement de Mme Alma Dufour qui étend le bénéfice des TRVE aux consommateurs finals non domestiques qui emploient moins de 4 999 salariés, dont le chiffre d’affaires n’excède pas 1,5 milliard d’euros ou dont le total de bilan n’excède pas 2 milliards d’euros. En pratique, ces critères recouvrent la définition des entreprises de taille intermédiaire (ETI). La mesure a donc vocation à s’appliquer aux TPE, aux petites et moyennes entreprises (PME) et aux ETI sans critère de puissance des sites concernés.

Cette extension exceptionnelle du périmètre des bénéficiaires des TRVE concerne la période du 1er janvier 2023 au 31 décembre 2023.

C.   La notification

Le dernier alinéa du présent article prévoit la notification du dispositif à la Commission européenne. Conformément à la directive du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité, la mise en œuvre du dispositif n’est pas subordonnée à la réponse de la Commission.

 

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Amendements CF4 de Mme Clémence Guetté et CF28 de M. Philippe Brun et sous-amendements CF41 de Mme Clémence Guetté, CF42 et CF38 de M. Sébastien Rome, CF45, CF46, CF43 et CF44 de Mme Alma Dufour, CF39 de Mme Clémence Guetté et CF40 de M. Sébastien Rome (discussion commune).

M. Philippe Brun, rapporteur. La proposition de loi tend à répondre à la crise catastrophique à laquelle nos commerçants de proximité et nos artisans doivent faire face du fait de l’augmentation endémique des prix de l’électricité. Les boulangeries artisanales s’exposent à un surcoût de 1,6 milliard d’euros, qui consommera l’intégralité de leur marge brute annuelle consolidée, soit 1,5 milliard. L’amendement CF28 vise à étendre les bénéfices du tarif réglementé de vente de l’électricité pour une période exceptionnelle allant du 1er janvier 2023 au 31 décembre 2023 aux consommateurs souscrivant une puissance inférieure à 250 kilovoltampères, qui emploient moins de dix personnes et dont le chiffre d’affaires, les recettes ou le total du bilan annuel n’excède pas 2 millions d’euros.

Nous sommes très attendus dans nos territoires pour apporter une solution pérenne. Les discussions volontaristes avec les fournisseurs ne suffisent pas à endiguer l’augmentation des prix. Ce dispositif viendra compléter la nécessaire réponse publique à une crise inacceptable pour nos concitoyens.

Mme Alma Dufour (LFI-NUPES). Les sous-amendements visent à préciser le retour au tarif réglementé pour les consommateurs non domestiques. Outre les boulangers et les autres artisans, les PME subissent la crise : l’amortisseur électricité ne couvre que 10 à 20 % des factures d’énergie, qui ont pu être multipliées par dix. Le coût du mégawattheure peut atteindre 1 000 euros, quand son coût réel de production est de 98 euros en 2022 et de 70 euros en moyenne sur trois ans.

Vous défendiez les entreprises de taille intermédiaire (ETI) contre la taxe sur les superprofits, mais vous ne les aidez pas : le guichet d’aide au paiement des factures d’électricité et de gaz est tellement alambiqué que personne ne peut obtenir les aides. Velcorex, rare entreprise à produire encore du textile en France, qui devait payer 5 millions d’euros pour le gaz en 2022, sur 22 millions d’euros de chiffre d’affaires, n’a touché que 75 000 euros d’aide de l’État. Pour 2023, on lui propose un contrat d’électricité à 1 200 euros le mégawattheure ; l’État ne prendra en charge que 12 % de sa facture. Velcorex n’a plus que quelques mois à vivre, et elle n’est pas un cas isolé. Si vous voulez relocaliser l’industrie en France, il va falloir agir.

M. Philippe Brun, rapporteur. Je vous propose de retirer vos sous-amendements au profit des sous-amendements CF38 et CF46.

M. Mathieu Lefèvre (RE). Mme Dufour fait preuve de la démagogie la plus absurde. Dans le projet de loi de finances, l’amortisseur électricité a justement été financé par la contribution sur la rente inframarginale – vous vous y êtes opposée. Aujourd’hui vous vous faites la défenseure des TPE, des PME et des ETI. Que n’avez-vous voté l’amortisseur électricité ou soutenu l’ensemble des mesures que nous avons prises, ainsi que les reports d’imposition fiscale et sociale ? Vous tenez un double discours. Il est facile de vous faire la défenseure des petites entreprises dans le confort de votre opposition. Nous préférons financer des mesures qui sont utiles aux entrepreneurs et aux artisans. Ils savent que le Gouvernement est à leurs côtés quand il plafonne le coût de l’électricité à 280 euros par mégawattheure pour les nouveaux contrats.

On peut certes avoir un débat sur les mesures complémentaires que vous prendrez, mais il faut expliquer pourquoi en Allemagne, le soutien public est d’environ un tiers pour couvrir les prix de l’électricité. En France, il est de plus de la moitié – ce sont les chiffres de la Commission européenne, vous pouvez les contester, comme vous contestez en permanence la vérité. En revanche, le confort de l’opposition ne peut pas vous permettre de dire tout et n’importe quoi.

M. Marc Le Fur (LR). Certains députés, y compris de la majorité, ne semblent pas conscients de ce qui se passe dans notre territoire, du fait des prix faramineux de l’énergie, en particulier de l’électricité, dus à la fermeture de Fessenheim. Les entreprises n’ont qu’une idée : acheter des groupes électrogènes, malgré les délais d’attente, c’est-à-dire transformer du pétrole en électricité – bravo pour le CO2 !

Autre dérive : pour obtenir un meilleur tarif d’électricité, certaines entreprises arrêtent le travail de jour et font travailler leurs salariés la nuit. Voilà la réalité de l’augmentation du prix de l’électricité.

Arrêtez de nous faire la leçon, chers collègues de la majorité. Si nous sommes ici, c’est parce qu’il y a eu un plantage, qui a concerné plusieurs majorités, dont la vôtre, depuis 2017.

M. Stéphane Delautrette (SOC). Il n’y a pas eu une séance de questions au Gouvernement où ce sujet n’ait été soulevé par les députés, qu’ils soient de droite, du centre, de la gauche, voire de la majorité présidentielle. Tous mesurent les effets dévastateurs du coût de l’énergie sur nos petites entreprises locales, sur nos commerces : tous les services de proximité essentiels à la population fichent le camp à cause de la hausse de l’énergie. Je ne comprendrai pas que cet amendement ne soit pas adopté à une grande majorité.

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général. Combien coûte votre amendement ? Est-il compatible avec ce qui se passe en Europe et le soutien que nous apportons aux entreprises ? Ces amendements peuvent s’entendre dans une discussion sur le pouvoir d’achat mais n’ont rien à faire dans une proposition de loi qui a pour objet de permettre à EDF de développer son activité nucléaire.

M. Philippe Brun, rapporteur. L’article 5.6, de la directive 2019/944 du 5 juin 2019 prévoit la possibilité de recourir de manière temporaire au tarif réglementé. Le dispositif de l’amendement, sous-amendé par mes collègues de La France insoumise, est compatible avec le droit européen.

Il y a en effet un coût important pour les finances publiques, mais c’est aussi le cas de votre bouclier tarifaire pour les particuliers – 100 milliards depuis deux ans.

L’amendement doit être adopté en urgence, pour sauver nos artisans, nos commerçants, notre industrie.

L’amendement CF4 est retiré.

La commission adopte les sous-amendements CF38 et CF46, les autres sous-amendements CF41, CF42, CF45, CF43, CF44, CF39 et CF40 ayant été retirés.

Elle adopte l’amendement CF28 sous-amendé et l’article additionnel 3 bis ainsi rédigé.

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Après l’article 3

Amendement CF18 de M. Frédéric Cabrolier.

M. Frédéric Cabrolier (RN). Il vise à réaffirmer le caractère de service public et la situation de monopole d’EDF, jusqu’à la distribution de l’électricité.

L’ouverture à la concurrence des activités de production et de commercialisation, voulue par Bruxelles, était censée faire baisser les tarifs. On en voit le résultat : la hausse du prix de l’électricité est en grande partie la conséquence de la politique de privatisation et de mise en concurrence dans le secteur de la distribution de l’électricité. Les entreprises électro-intensives n’ont pas bénéficié des aides, qui imposent notamment de consacrer plus de 3 % du chiffre d’affaires à leur facture d’énergie. Quant aux commerçants, notamment les boulangers, ils disposent souvent d’un compteur d’une puissance supérieure à 36 kilovoltampères.

M. Philippe Brun, rapporteur. Le dispositif est redondant car la gestion du réseau est assurée par Enedis, filiale à 100 % d’EDF, qui fera partie du groupe public unifié, en application de l’article 2 que nous avons adopté. Demande de retrait. À défaut, avis défavorable.

M. Emmanuel Lacresse (RE). La distribution d’électricité est de la compétence des collectivités territoriales, même si, après 1946, EDF a repris l’intégralité des exploitations. Depuis, c’est l’histoire des boucles locales, de la diffusion de pratiques permettant notamment de relier tous les producteurs d’énergies renouvelables à l’économie locale. Il est logique que l’amendement vise à un monopole qui mette fin à ces expériences puisque ses auteurs sont opposés aux énergies renouvelables.

La commission rejette l’amendement CF18.

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Article 4
Gage de recevabilité financière

Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article prévoit que la perte de recettes et la charge occassionnées, pour l’État, par la proposition de loi, sont compensées par l’augmentation de l’imposition du tabac.

Position de la commission des finances

La commission a adopté cet article sans modification.

L’article 89 du Règlement de l’Assemblée nationale précise au sujet des propositions de loi : « lorsqu’il apparaît que leur adoption aurait les conséquences prévues par l’article 40 de la Constitution, le dépôt en est refusé. » Ces conséquences sont « soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ».

Le présent article assortit la présente proposition d’un gage de compensation, en recettes comme en dépenses, reposant sur la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

La commission a adopté cet article sans modification.

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L’amendement de suppression CF23 de M. Emmanuel Lacresse est retiré.

La commission adopte l’article 4 non modifié.

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Titre

La commission a adopté, à l’initiative du rapporteur, qui souhaitait préciser quel est l’apport supplémentaire d’une loi de nationalisation par rapport à l’offre publique d’achat en cours, un amendement qui, sous-amendé par M. Raphaël Schellenberger, modifie le titre de la proposition de loi, dont l’objet est, désormais, de protéger le groupe Électricité de France d’un démantèlement.

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Amendement CF25 de M. Philippe Brun et sous-amendement CF47 de M. Raphaël Schellenberger.

M. Philippe Brun, rapporteur. Il s’agit de substituer aux mots « la nationalisation du groupe Électricité de France » les mots « protéger le groupe Électricité de France et la souveraineté énergétique française ».

Mme Véronique Louwagie (LR). Par son sous-amendement, le groupe Les Républicains propose d’inclure dans le texte le souci d’éviter un démembrement. Nous soutenons la proposition de loi parce que nous voulons éviter le démantèlement d’EDF et conserver un secteur énergétique fort. Il s’agit aussi d’éviter la privatisation de certaines activités, face aux réflexions actuelles de l’État et à sa volonté d’avoir les mains libres pour procéder à un démantèlement.

M. Philippe Brun, rapporteur. Avis favorable.

M. Emmanuel Lacresse (RE). Le débat a montré que la seule protection offerte à EDF était la stratégie du Gouvernement en faveur de l’investissement dans les énergies renouvelables, dans le nucléaire et dans un système de distribution innovant pour les énergies renouvelables, contrairement à tous ceux qui ont proposé des amendements pour le démantèlement soit de l’un soit de l’autre. Ce titre est très éloigné de la réalité du texte de la proposition de loi.

M. Patrick Hetzel (LR). On a vu où cela a mené : l’échec gouvernemental est patent sur la question énergétique, qui est devenue stratégique. La manière dont le Président de la République s’est comporté sur ce sujet montre qu’il est urgent d’agir. C’est pourquoi nous souhaitons un vrai débat parlementaire. Nous ne pouvons pas nous dessaisir de la question, précisément parce que le Gouvernement a failli.

La commission adopte successivement le sous-amendement CF47 et l’amendement CF25 sous-amendé et le titre de la proposition de loi ainsi modifié.

Elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

 


([1]) Programme du Conseil national de la Résistance, 15 mars 1944.

([2]) Olivier Béaud, « Nationalisations et souveraineté de l’État », Histoire@Politique, 2014/3 (n° 24), p. 72-87.

([3]) Loi n° 73-8 du 4 janvier 1973 relative à la mise en œuvre de l’actionnariat du personnel dans les banques nationales et les entreprises nationales d’assurances.

([4]) Loi n° 82-155 du 11 février 1982 de nationalisation.

([5]) Loi n° 86-912 du 6 août 1986 relative aux modalités des privatisations.

([6]) Dominique Barjot, « Nationalisations et dénationalisations : une mise en perspectives historiques », Entreprises et histoire, 2004/3 (n° 37), p. 9-23.

([7]) Directive 1996/92 du 19 décembre 1996 du Parlement européen et du Conseil concernant les règles communes pour le marché intérieur de l’électricité.

([8]) Directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE.

([9]) Le quatrième paquet énergie comprend la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et modifiant la directive 2012/27/UE (refonte).

([10]) Directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE.

([11]) Au sens de l’article 107 du TFUE. CJUE, 3 avril 2014, France c/ Commission (La Poste), C-559/12.

([12]) Rapport fait au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire sur le projet de loi (n° 1613) relatif au service public de l’électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières par M. Jean-Claude Lenoir, 8 juin 2004.

([13]) Cette disposition relative au seuil de détention minimale d’EDF a été codifiée à l’article L. 111-67 du code de l’énergie par l’ordonnance n° 2011-504 du 9 mai 2011.

([14]) Audition de M. Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et de M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics, par la commission des finances de l’Assemblée nationale sur le projet de loi de finances rectificative pour 2022, 7 juillet 2022.

([15]) Ce montant a été ouvert pour des « opérations en capital intéressant les participations financières de l’État », lesquelles dépassent le champ de la seule opération relative à EDF. Cependant, aucune autre acquisition d’ampleur significative n’a été annoncée pour l’emploi de ces crédits.

([16]) Le seuil de détention à partir duquel peut être déclenchée une procédure de retrait obligatoire a été abaissé de 95 à 90 % par la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (« PACTE »).

([17]) Décret n° 2022-342 du 11 mars 2022 définissant les modalités spécifiques d’attribution d’un volume additionnel d’électricité pouvant être alloué en 2022, à titre exceptionnel, dans le cadre de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH).

([18]) La loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat a inscrit ce nouveau prix plancher à l’article L. 337-16 du code de l’énergie. Il s’appliquera une fois que la Commission européenne aura répondu à la notification, par le Gouvernement, de la mesure. La question du besoin de notification de cette mesure a fait l’objet d’un contentieux devant le Conseil d’État, qui a jugé que le relèvement exceptionnel de l’ARENH ne constitue pas une aide d’État qui aurait dû être notifiée à la Commission européenne (CE, 3 février 2023, Fédération Chimie Energie FCE-CFDT).

([19]) Décision n° 2019-1 RIP du 9 mai 2019, Proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris.

([20]) Détention en propre ou via l’EPIC Bpifrance.

([21]) Citons notamment Enedis, EDF ENR, EDEV ou encore les filiales d’EDF International : EDF Belgium, EDF Gas Deutschland, EDF Norte Fluminense au Brésil.

([22]) Une telle mention a également été inscrite dans la loi à propos du capital de la SNCF.

([23]) Cette décision fait l’objet de cinq arrêtés du 30 janvier 2023 relatifs aux tarifs réglementés de l’électricité.