N° 869

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 février 2023

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI,
autorisant l’approbation du premier amendement à la convention adoptée à Espoo le 25 février 1991 sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontière et du protocole à la convention adoptée à Espoo le 25 février 1991 sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontière relatif à l’évaluation stratégique environnementale

PAR M. Aurélien TACHÉ,

Député

——

AVEC

 

EN ANNEXE

LE TEXTE DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

 

Voir le numéro :

 Assemblée nationale : 602


 


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SOMMAIRE

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 Pages

introduction

I. une approbation vingt ans après la signature des textes qui rappelle la nécessité de consolider nos engagements internationaux en matière environnementale

A. un retard d’examen du texte au parlement non justifié et qui marginalise la France

B. trois autres accords environnementaux signés mais non ratifiés par notre pays

II. des textes déjà en grande partie transposés dans le droit interne

A. les dispositions des deux textes

1. Le premier amendement

2. Le protocole de Kiev

B. Des textes importants pour la protection de l’environnement mais déjà transposés dans le droit français

C. une question soulevée par le rapporteur : le maintien de la réserve appliquée à la polynésie française

EXAMEN EN COMMISSIOn

annexe I :  TEXTE DE LA COMMISSION des affaires ÉtrangÈres

ANNEXE 2 : LISTE DES PERSONNES auditionnÉes PAR Le RAPPORTEUR

 

 


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   introduction

La commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale est saisie du projet de loi n° 602 autorisant l’approbation de deux textes : le premier amendement à la convention sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontière adoptée à Espoo le 25 février 1991 (dite « convention d’Espoo »), adopté le 27 février 2001 à Sofia, en Bulgarie ; le protocole à cette convention, relatif à l’évaluation stratégique environnementale, conclu dans la capitale ukrainienne, le 21 mai 2003 (dit « protocole de Kiev »).

Ces textes ont été adoptés par la Commission économique pour l’Europe des Nations Unies (CEE-ONU), qui rassemble cinquante-six pays. Ils ont été signés par la France, respectivement, les 15 juin 2001 et 21 mai 2003.

Leurs dispositions, qui renforcent l’évaluation environnementale, ont depuis été largement intégrées en droit interne, grâce à la transposition de directives européennes. L’enjeu est donc aujourd’hui limité.

Le rapporteur regrette l’examen extrêmement tardif de ces textes par le Parlement. Il souhaite insister sur la nécessité de consolider nos engagements internationaux en matière environnementale en les approuvant ou en les ratifiant rapidement.

Il tient également à soulever la question du maintien de la réserve appliquée à la Polynésie française. Ce territoire ultra-marin avait souhaité, en 1998, que la convention d’Espoo ne soit pas appliquée sur son territoire. Le rapporteur a demandé qu’il soit à nouveau sollicité.

 

 

 

 

 


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I.   une approbation vingt ans après la signature des textes qui rappelle la nécessité de consolider nos engagements internationaux en matière environnementale

A.   un retard d’examen du texte au parlement non justifié et qui marginalise la France

Le premier amendement à la convention adoptée à Espoo et le protocole à cette convention (dit « protocole de Kiev ») sont présentés au Parlement respectivement vingt-deux et vingt ans après leur signature par la France.

Selon les ministères concernés, la principale raison est que ces deux textes n’étaient pas considérés comme prioritaires, puisqu’en grande partie couverts par des directives européennes. En outre, pour le premier amendement à la convention, l’approbation de la France ne rentrait pas en compte dans le calcul des approbations nécessaires pour que l’amendement produise ses effets.

Cette justification n’apparaît néanmoins pas satisfaisante : tout accord ou traité relatif à l’environnement devrait être rapidement approuvé ou ratifié par la France, compte tenu de l’urgence environnementale. La France doit se montrer exemplaire sur cette thématique.

L’autre motif avancé était d’ordre budgétaire. En 2014, la procédure avait été suspendue car le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie (MEDDE) craignait, pour le premier amendement, que l’adhésion de pays en développement hors CEE-ONU augmente les coûts de mise en œuvre de la convention et mette en difficulté son fonctionnement ([1]). Dans les éléments écrits transmis au rapporteur, le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires (MTECT) considère aujourd’hui « cette crainte comme étant largement exagérée ». En effet, le ministère a comparé le texte avec la convention d’Aarhus ([2]) adoptée en 1998, une convention proche de la convention d’Espoo mais dont la notoriété est plus importante et qui a été ouverte à la participation d’autres États non-membres de la CEE-ONU dès sa conception. Seul un État non-membre a signé la convention d’Aarhus : la Guinée Bissau, et celle-ci n’a pas, ensuite, ratifié le texte. Ainsi, selon le MTECT, « il n'existe pas de raison de penser que la convention d'Espoo connaîtrait une plus forte demande d'adhésion que la convention d'Aarhus à un rythme plus rapide. » Aucun État non-membre de la CEE-ONU n’a d’ailleurs manifesté sa volonté de rejoindre la convention d’Espoo et ses textes dérivés.

Quelle que soit la raison invoquée, la France est aujourd’hui un des seuls États à ne pas avoir ratifié ces deux textes et elle se trouve régulièrement interpelée sur le sujet lors de la préparation des positions européennes, en amont des conférences des parties. Le premier amendement à la convention d’Espoo et le protocole de Kiev ont été ratifiés respectivement par trente-quatre et trente-deux États, ainsi que par l’Union européenne. Seuls cinq pays ont signé le premier amendement mais ne l’ont pas ratifié : l’Arménie, la Belgique, la France, la Macédoine du Nord et le Royaume-Uni ([3]). De même, pour le protocole de Kiev, six États signataires n’ont pas ratifié le texte : la Belgique, la France, la Géorgie, la Grèce, l’Irlande et le Royaume-Uni. La position française tranche donc avec la très grande majorité de celle des autres membres de la CEE-ONU.

La convention d’Espoo elle-même avait été approuvée tardivement par la France, le 15 juin 2001, alors que le texte datait de 1991. Dans son rapport publié en mars 2000 au nom de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale sur le projet de loi autorisant l’approbation de cette convention, la rapporteure Marie-Hélène Aubert regrettait déjà ce retard.

Il est intéressant de noter que la France a en revanche déjà approuvé le second amendement à la convention d’Espoo, bien que très tardivement. Ce dernier, adopté en 2004 à Cavtat en Croatie et entré en vigueur en 2017, modifie la liste des activités concernées par la convention et renforce les pouvoirs du comité d’application. Il a été approuvé par la France et publié par le décret n° 2019-1111 du 30 octobre 2019.

B.   trois autres accords environnementaux signés mais non ratifiés par notre pays

Le premier amendement à la convention d’Espoo et le protocole de Kiev ne sont pas les seuls textes internationaux environnementaux qui ont été signés par la France sans pour autant avoir été approuvés ou ratifiés.

Le 25 octobre 2011, la France a signé à Londres le protocole du 30 avril 2010 à la convention internationale de 1996 sur la responsabilité et l’indemnisation pour les dommages liés au transport par mer de substances nocives et potentiellement dangereuses (dite « SNPD »). Le projet de loi relatif à l’approbation de cet accord pourrait être présenté au mois de mai 2023 au Sénat en première lecture, soit presque douze ans après sa signature.

De plus, deux autres accords signés par la France et qui seraient regroupés dans un projet de loi unique, n’ont pas encore fait l’objet d’une procédure d’approbation, treize ans après leur signature :

-         la convention du 21 juin 1985 pour la protection, la gestion et la mise en valeur du milieu marin et côtier de la région de l’océan indien occidental (ensemble une annexe), telle qu’elle résulte des amendements adoptés à Nairobi le 31 mars 2010 ;

-         le protocole du 21 juin 1985 relatif à la protection du milieu marin et côtier de la région de l’océan indien occidental contre la pollution due aux sources et activités terrestres (ensemble quatre annexes), tel qu’il résulte des amendements adoptés à Nairobi le 31 mars 2010.

Compte tenu de l’urgence environnementale, la France devrait se montrer exemplaire en approuvant ou en ratifiant très rapidement les accords et traités internationaux qu’elle a signé sur cette thématique.


II.   des textes déjà en grande partie transposés dans le droit interne

La convention d’Espoo, signée par la France le 25 février 1991 et approuvée le 15 juin 2001, prévoit, dans les États parties, la conduite d’une évaluation d’impact sur l’environnement pour certaines activités à risque identifiées par domaine et notifiées aux autres parties pouvant être concernées. Ces activités sont listées dans l’appendice I à la convention : raffineries de pétrole de grande taille, installations nucléaires, oléoducs et gazoducs de grande taille, grands barrages et réservoirs, production d’hydrocarbures en mer, déboisement de superficie importante, etc.

Un État frontalier (dit « partie d’origine ») doit notifier à son (ses) voisin(s) concerné(s) (dit(s) « partie(s) touchée(s) ») tout projet majeur à l’étude s’il est susceptible d’avoir « un impact transfrontière préjudiciable important ». Les « parties concernées » doivent ensuite se consulter pour réduire ou éliminer ces impacts.

Le premier amendement à cette convention a été adopté le 27 février 2001 à Sofia, en Bulgarie, mais signé par la France le 15 juin 2001. Entré en vigueur le 26 août 2014, cet amendement précise la notion de « public » qui doit être informé et peut formuler des observations ou des objections sur les projets concernés par la convention. En outre, il ouvre cette dernière à l’adhésion de pays ne relevant pas de la CEE-ONU.

Le protocole de Kiev relatif à l’évaluation stratégique environnementale a quant à lui été signé par la France le 21 mai 2003. Entré en vigueur le 11 juillet 2010, il complète la convention d’Espoo en prévoyant un dispositif d’évaluation des effets sur l’environnement et sur la santé de certains plans et programmes. Contrairement à la convention d’Espoo, il ne se situe pas dans le seul cadre transfrontalier.

A.   les dispositions des deux textes

1.   Le premier amendement

Le premier amendement comporte un préambule et un article unique, lui-même subdivisé en trois paragraphes qui modifient le texte de la convention d’Espoo.

Le a) modifie l’alinéa 10 de l’article 1er de la convention d’Espoo. La définition du « public » devant être consulté en application de la convention intègre désormais : « conformément à la législation ou pratique nationale, les associations, organisations ou groupes constitués par celles-ci ».

Le b) insère, à l’article 17, après le paragraphe 2, un paragraphe 3 ouvrant l’adhésion à la convention à des États tiers à la CEE-ONU, avec l’accord de la réunion des parties. Il ajoute une précision importante : « La réunion des parties ne peut examiner ni approuver une demande d’adhésion d’un tel État avant que les dispositions du présent paragraphe aient pris effet pour tous les États et organisations qui étaient parties à la convention le 27 février 2001 » ([4]). Or, quatre États qui avaient signé la convention d’Espoo le 27 février 2001, doivent encore ratifier le premier amendement pour le rendre opérationnel : l’Arménie, la Belgique, la Macédoine du Nord et le Royaume-Uni.

Cette extension de l’adhésion, lorsqu’elle entrera en vigueur, pourrait notamment bénéficier à des territoires français ultra-marins, en cas d’activité potentiellement polluante dans un État frontalier ou proche. Néanmoins, comme cela a été indiqué précédemment, aucun État non-membre de la CEE-ONU n’a pour l’instant manifesté sa volonté de rejoindre la convention d’Espoo et ses textes dérivés.

Le c) complète l’article 17 de la convention d’Espoo par un paragraphe 7 stipulant que toute nouvelle adhésion à cette convention implique l’adhésion simultanée au premier amendement.

2.   Le protocole de Kiev

Le protocole de Kiev contient un préambule, vingt-six articles et cinq annexes.

L’article 1er précise l’objet du protocole : « assurer un degré élevé de protection de l’environnement, y compris de la santé ». Pour y parvenir, il doit notamment « [veiller] à ce que les considérations d’environnement, y compris de santé, soient entièrement prises en compte dans l’élaboration des plans et des programmes ».

L’article 2 définit les principaux termes et expressions utilisés dans le protocole. Deux définitions sont particulièrement importantes :

-         « l’expression « plans et programmes » désigne les plans et programmes ainsi que les modifications relatives, qui a) sont prescrits par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives ; et b) font l'objet d'un processus d'élaboration et/ou d'adoption par une autorité ou sont élaborés par une autorité aux fins d'adoption, suivant une procédure formelle, par le parlement ou le pouvoir exécutif » ;

-         « l'expression « évaluation stratégique environnementale » désigne l'évaluation des effets probables sur l'environnement, y compris sur la santé, qui comprend la délimitation du champ d'un rapport environnemental et son élaboration, la mise en œuvre d'un processus de participation et de consultation du public et la prise en compte du rapport environnemental et des résultats du processus de participation et de consultation du public dans un plan ou programme ».

L’article 3 prévoit des dispositions générales applicables aux parties et aux tiers et l’article 4 détermine le champ d’application de l’accord. L’alinéa 2 prévoit une évaluation stratégique et environnementale pour les plans et programmes élaborés dans les secteurs suivants : « l'agriculture, la sylviculture, la pêche, l'énergie, l'industrie, y compris l'extraction minière, les transports, le développement régional, la gestion des déchets, la gestion de l'eau, les télécommunications, le tourisme, l'urbanisme et l'aménagement du territoire ou l'affectation des sols ». L’alinéa 5 exclut en revanche « les plans et programmes destinés uniquement à des fins de défense nationale ou de protection civile » et « les plans et programmes financiers et budgétaires » du champ d’application du protocole.

L’article 5 prévoit des vérifications préliminaires des plans et programmes et l’article 6 délimite le champ de l’évaluation.

L’article 7 impose l’élaboration d’un rapport environnemental pour les plans et programmes qui doivent faire l’objet d’une évaluation stratégique environnementale. Ce rapport « détermine, décrit et évalue (…) les effets notables
probables sur l'environnement, y compris sur la santé, de la mise en
œuvre du plan ou du programme et des solutions de remplacement
raisonnables ». Son contenu est précisé à l’annexe IV.

L’article 8 porte sur la participation du public à l’évaluation stratégique environnementale des plans et programmes. Le public doit notamment « [pouvoir] donner son avis sur le projet de plan ou de programme et le rapport environnemental dans des délais raisonnables » (alinéa 4).

L’article 9 prévoit la consultation des autorités responsables de l’environnement et de la santé désignées par les parties.

L’article 10 prévoit des consultations transfrontières. Selon l’alinéa 1, « lorsqu'une partie d'origine considère que la mise en œuvre d'un plan ou d'un programme est susceptible d'avoir des effets transfrontières notables sur l'environnement, y compris sur la santé, ou lorsqu'une partie susceptible d'être touchée de manière notable en fait la demande, la partie d'origine adresse, dès que possible avant l'adoption du plan ou du programme, une notification à la partie touchée ». Des consultations peuvent ensuite être engagées entre les parties, tout en informant le public.

L’article 11 stipule que « chaque partie veille à ce que les plans ou programmes adoptés tiennent dûment compte a) des conclusions du rapport environnemental, b) des mesures envisagées pour prévenir, réduire ou atténuer les effets négatifs déterminés dans le rapport environnemental ; et c) des observations reçues conformément aux articles 8 à 10 ». Il prévoit également que le public, les autorités mentionnées à l’article 9 et les parties consultées au titre de l’article 10, soient informés lorsqu’un plan ou un programme est adopté, et que cette adoption soit justifiée dans une déclaration. 

L’article 12 prévoit un suivi environnemental des plans et programmes adoptés « afin, notamment, d’en déterminer à un stade précoce les effets négatifs imprévus et de pouvoir engager les actions palliatives appropriées ».

L’article 13 présente des objectifs ambitieux pour les politiques publiques. En effet, selon son alinéa 1 : « chaque partie s'efforce de veiller à ce que les préoccupations d'environnement, y compris de santé, soient prises en considération et intégrées, selon qu'il convient, dans le processus d'élaboration de ses projets de textes politiques ou législatifs qui sont susceptibles d'avoir des effets notables sur l'environnement, y compris sur la santé ». Le rapporteur ne peut que souscrire à cet objectif mais regrette le caractère peu contraignant de la formulation employée.

L’article 14 prévoit que la réunion des parties à la convention d’Espoo agit comme la réunion des parties au protocole de Kiev. Elle suit la mise en œuvre du protocole.

L’article 15 précise que le protocole s’applique sans préjudice de la convention d’Espoo ou de la convention d’Aarhus.

Les articles 16, 17 et 18 portent respectivement sur le droit de vote des parties au protocole, son secrétariat et ses annexes, qui en font partie intégrante.

Conformément aux articles 19 et 20, les amendements au protocole et le règlement des différends sont régis par les mêmes règles que la convention.

L’article 21 prévoit que le protocole de Kiev est ouvert à la signature des États membres de la CEE-ONU, ainsi qu’à celle des États dotés du statut consultatif auprès de cette commission. L’adhésion est donc plus restreinte que pour le premier amendement à la convention d’Espoo, même si l’article 23 prévoit son extension.

L’article 22 désigne le secrétaire général de l’ONU comme dépositaire du protocole.

L’article 23 mentionne que le protocole est soumis à la ratification, l’acceptation ou l’approbation des États et des organisations d’intégration économique régionale signataires visés à l’article 21. Il mentionne, en outre, que tout État, autre que ceux visés à l’article 21, qui est membre l’ONU, peut adhérer au protocole avec l’accord de la réunion des parties.

L’article 24 prévoit que le protocole entre en vigueur le quatre-vingt-dixième jour qui suit la date du dépôt du seizième instrument de ratification, d’acceptation, d’approbation ou d’adhésion. Ce seizième instrument a été celui de l’Estonie, déposé le 12 avril 2010. Le protocole est donc entré en vigueur le 11 juillet 2010.

L’article 25 définit les règles de dénonciation du protocole. Enfin, l’article 26 présente les textes authentiques.

B.   Des textes importants pour la protection de l’environnement mais déjà transposés dans le droit français

 

La convention d’Espoo permet des consultations transfrontières indispensables pour éviter que certaines activités à risque entraînent des conséquences sur le territoire d’autres pays.  À titre d’exemple, le 28 avril 2022, la France a été consultée par la Belgique dans le cadre d’une demande de permis unique pour le projet d’extension des entreprises Gramybel, Mydibel Fresh et Mypower situées à Mouscron, une ville belge mitoyenne de Tourcoing. Le préfet du Nord a émis, le 1er juillet 2022, un avis défavorable sur ce projet ([5]) car celui-ci serait susceptible de provoquer des émissions de poussières et de polluants dans l’air, d’augmenter la consommation et les rejets d’eau et de provoquer des odeurs.

Bien que cette convention ne garantisse pas l’arrêt des projets, elle impose néanmoins la notification des pays touchés ou indirectement concernés par un projet et leur consultation dans le processus de décision.

Le premier amendement adopté à Sofia le 27 février 2001 permet plus spécifiquement de sensibiliser le public aux enjeux environnementaux et de promouvoir une mise en œuvre plus large de la convention d’Espoo. 

Le protocole de Kiev, quant à lui, contribue activement à développer l’évaluation stratégique environnementale, aux niveaux national et transfrontalier.

Si ces textes sont assurément importants, l’approbation du premier amendement et du protocole de Kiev aura un impact très limité en France, puisque les deux textes ont déjà été en très grande partie transposés en droit interne.

En effet, la convention d’Espoo et ses deux amendements ont été intégrés au droit de l’Union européenne par la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement. Celle-ci a ensuite été transposée dans le droit français aux articles L. 122-1 à L. 122-15 et R. 122-10 (évaluation environnementale des projets) et L. 123-7, L. 123-8 et R. 123-27-1 à R. 123-33 (enquêtes publiques) du code de l’environnement.

L’approbation du premier amendement par la France ne nécessiter donc pas de modification du droit interne. Il prévoit déjà la consultation des États de l’Union européenne et des parties de la convention d’Espoo (R.122-10 du code de l’environnement). Les associations et organisations sont également déjà consultées dans les procédures d’évaluation environnementale.

De même, pour le protocole de Kiev, la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement imposait déjà que certains plans et programmes susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement soient soumis à une évaluation environnementale. L’Union européenne a ensuite approuvé le protocole de Kiev par une décision du Conseil du 20 octobre 2008 (décision n° 2008/871/CE). Selon l’étude d’impact du projet de loi, la Commission européenne avait au préalable examiné la comptabilité du protocole avec la directive de 2001. Il apparaissait alors que le protocole « sur certains points, sans être en contradiction avec la directive, [était] davantage détaillé que celle-ci ». La participation du public y était par exemple renforcée.

En France, le texte transposant la directive 2001/42/CE (ordonnance n° 2004-489 du 3 juin 2004) a été complété à l’occasion de l’adoption de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, de la publication de l’ordonnance n° 2016-1058 du 3 août 2016, relative à la modification des règles applicables à l’évaluation environnementale des projets, plans et programmes, ainsi qu’à celle de la parution du décret n° 2016-1110 du 11 août 2016, relatif à la modification des règles applicables à l’évaluation environnementale des projets, plans et programmes. Ces textes sont codifiés aux articles L. 122-4 à L. 122-11 et aux articles R. 122-17 à R. 122-23 du code de l’environnement.

La seule adaptation en droit interne nécessaire concernera l’intégration de la consultation des parties au protocole de Kiev non membres de l’Union européenne (articles L. 122-8 et R. 122-22 du code de l’environnement), comme c’est déjà le cas pour les dispositions se rapportant à la convention d’Espoo (article R. 122-10 du même code).

En définitive, l’enjeu du projet de loi n° 602 soumis à l’examen du Parlement est surtout symbolique. Il s’agit de démontrer que la France ratifie ses engagements internationaux en matière environnementale.

C.   une question soulevée par le rapporteur : le maintien de la réserve appliquée à la polynésie française

Le Gouvernement a déclaré que ni le premier amendement, ni le protocole de Kiev ne s’appliqueront au territoire de la Polynésie française.

Selon les éléments écrits transmis au rapporteur par les ministères concernés, le Gouvernement suit ainsi l’avis défavorable émis par l’Assemblée de Polynésie française le 29 octobre 1998 au moment de la convention d’Espoo. Cette assemblée avait « [mis] en avant le manque de concertation en amont dans un domaine touchant à sa compétence, en l'espèce, l'environnement ». Suivant cet avis défavorable, « [le Gouvernement] avait déposé une déclaration au moment de la ratification, excluant la Polynésie française. [Puis], le premier amendement à la convention d'Espoo et le protocole de Kiev ayant le même champ d'application territorial que la convention d'Espoo, la même déclaration a donc été reprise par le gouvernement. »

Compte tenu du délai écoulé depuis la consultation de 1998, le rapporteur a demandé au ministère de l’Europe et des affaires étrangères et au ministère des outre-mer s’il était possible de consulter à nouveau la Polynésie française sur ce dossier. Le ministère des Outre-mer s’est engagé à mener une nouvelle consultation.

Il est important de noter que l’approbation du premier amendement à la convention d’Espoo et du protocole de Kiev n’entraînera pas de conséquence sur la possibilité pour le gouvernement de lever ensuite la réserve.


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   EXAMEN EN COMMISSIOn

Le mercredi 15 février 2023, à 11 heures, la commission examine le projet de loi autorisant l’approbation du premier amendement à la convention adoptée à Espoo le 25 février 1991 sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontière, adopté à Sofia le 27 février 2001 et du protocole à la convention adoptée à Espoo le 25 février 1991 sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontière relatif à l’évaluation stratégique environnementale, signée à Kiev le 21 mai 2003 (n° 602)

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Le second texte inscrit à l’ordre du jour est le projet de loi autorisant l’approbation du premier amendement et d’un protocole à la convention adoptée à Espoo le 25 février 1991 sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontière. Le rapporteur est notre collègue Aurélien Taché.

Cette convention, approuvée par la France le 15 juin 2001, impose à ses signataires de notifier à leurs voisins tout projet majeur susceptible d’avoir un impact transfrontalier significatif et préjudiciable à l’environnement. L’engagement est important car il limite la souveraineté nationale par des considérations multilatérales touchant à l’environnement. Les activités concernées portent, par exemple, sur le raffinage de pétrole, les centrales thermiques ou la construction d’autoroutes.

Le projet de loi qui nous est soumis concerne l’autorisation d’approbation de deux aménagements à cette convention. Le premier est un amendement, adopté à Sofia le 27 février 2001, qui vise notamment à ouvrir aux organisations et aux associations non gouvernementales la possibilité de participer aux procédures d’évaluation, et à permettre à de nouveaux États de s’inscrire dans ce régime international. Le second est un protocole, signé à Kiev le 21 mai 2003, qui intègre notamment la santé humaine aux mesures et instruments destinés à promouvoir le développement durable.

M. Aurélien Taché, rapporteur. Le projet de loi porte sur deux textes, déjà adoptés par la commission économique pour l’Europe des Nations Unies (CEE-ONU) : le premier amendement à la Convention sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontière, dite convention d’Espoo de février 1991 – la longueur du délai, que l’on retrouve pour d’autres textes de nature environnementale, pose évidemment question –, ainsi que le protocole à cette convention, relatif à l’évaluation stratégique environnementale, dit protocole de Kiev.

La France a signé ces deux textes le 25 juin 2001 et le 21 mai 2003 : ils sont présentés au Parlement respectivement vingt-deux et vingt ans après leur signature. Ce retard, aucunement justifié, marginalise la France : en effet, le premier amendement à la convention d’Espoo et le protocole de Kiev ont déjà été ratifiés respectivement par trente-quatre et trente-deux États, ainsi que par l’Union européenne. Si l’environnement est réellement une priorité pour notre pays, alors nous devons approuver ou ratifier beaucoup plus rapidement les accords et les traités qui portent sur cette matière : la France doit se montrer exemplaire dans ce domaine. Or trois autres conventions internationales sur l’environnement, deux signées en 1995 et une en 2011, n’ont toujours pas été approuvées par notre pays.

La convention d’Espoo prévoit la conduite d’une évaluation de l’impact sur l’environnement pour certaines activités à risque et la notification aux parties pouvant être concernées. Un État frontalier doit notifier à ses voisins tout projet majeur à l’étude si celui-ci est susceptible de causer des préjudices transfrontaliers importants ; les parties doivent ensuite se consulter pour réduire ou éliminer ces impacts.

Le premier amendement à la convention d’Espoo, adopté en 2001 et entré en vigueur en 2014, est composé d’un unique article qui modifie la convention en deux points. Il précise tout d’abord la notion de public qui doit être informé et qui peut formuler des observations ou des objections aux projets concernés pour y inclure les associations et les organisations non gouvernementales (ONG) : il s’agit d’une réelle avancée pour mieux intégrer la société civile. Il ouvre ensuite l’adhésion à la convention à des États tiers à la CEE-ONU : ce point est intéressant car, si le Brésil et le Suriname, deux pays frontaliers de la Guyane française, décidaient de rejoindre la convention, il serait possible de modifier des projets ayant de forts impacts sur l’environnement ; néanmoins, aucun État non membre de la CEE-ONU n’a encore manifesté sa volonté de rejoindre le cadre de la convention d’Espoo et ses textes dérivés.

Le protocole de Kiev relatif à l’évaluation stratégique environnementale, adopté en 2003 et entré en vigueur en 2010, est composé d’un préambule, de vingt-six articles et de cinq annexes. Il prévoit un dispositif d’évaluation des effets sur l’environnement et sur la santé de certains plans et programmes. Un rapport environnemental doit être élaboré et un processus de consultation et de participation du public doit être mis en œuvre : là encore, on améliore les procédures de démocratie environnementale. Contrairement à la convention d’Espoo, le protocole de Kiev ne s’inscrit pas uniquement dans un cadre transfrontalier même si son article 10 en prévoit la possibilité.

Ces deux textes représentent néanmoins un enjeu limité aujourd’hui puisque la transposition de directives les a presque complètement intégrés dans le code de l’environnement. Leur approbation est donc avant tout symbolique, même si elle peut inciter les autres États qui les ont signés sans les ratifier à engager à leur tour les procédures internes nécessaires : sont concernés, pour le premier amendement, l’Arménie, la Belgique, la Macédoine du Nord et le Royaume-Uni ; pour le protocole de Kiev, la Belgique, la Géorgie, la Grèce, l’Irlande et le Royaume-Uni.

Enfin, j’ai soulevé une question importante auprès du ministère de l’Europe et des affaires étrangères et du ministère délégué aux outre-mer, qui touche à la réserve de la Polynésie française. Le Gouvernement avait initialement déclaré que ni le premier amendement, ni le protocole de Kiev ne s’appliqueraient aux territoires de la Polynésie française. Il indiquait suivre l’avis défavorable émis par l’Assemblée de Polynésie française, le 29 octobre 1998, sur la convention d’Espoo. Compte tenu du délai écoulé depuis la consultation de 1998 et surtout depuis la ratification de la convention par la France en 2001, il apparaîtrait normal de consulter à nouveau la Polynésie française sur les textes dérivés de cette convention, présenté aujourd’hui au Parlement. À la suite de ma demande, le ministère délégué aux outre-mer s’est engagé à conduire une nouvelle consultation, ce dont je me réjouis. En fonction de la réponse qu’apportera la Polynésie, le Gouvernement pourra éventuellement décider de lever cette réserve.

En conclusion, si ce projet de loi présente peu d’enjeux sur le fond, il offre l’occasion de rappeler la nécessité d’accélérer les procédures de ratification des engagements internationaux de la France en matière environnementale et de consulter dès que possible les territoires ultramarins.

Mes chers collègues, je vous invite à voter en faveur de l’approbation du premier amendement à la convention d’Espoo et du protocole de Kiev.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Frédéric Petit (DEM). Un tiers de la population de l’Union européenne, soit 140 millions d’habitants, vit dans une région transfrontalière. Je connais de nombreux contentieux liés à des projets, par exemple dans ma circonscription en Albanie.

Vous l’avez rappelé, il ne s’agit pas d’une convention de l’Union européenne : cela explique le retard accumulé pour ce texte car le droit de l’Union a depuis longtemps rattrapé le cadre juridique des relations transfrontalières.

La notion de société civile, citée dans le premier amendement, est beaucoup moins consensuelle que ce l’on peut imaginer en France. Dans de nombreux pays, les associations peuvent être suspectes et perçues comme contrôlées par l’État car la société est marquée par le système centralisateur communiste. L’avancée du projet de loi est majeure mais il faut travailler sur la légitimité des représentants de la société civile dans des pays où celle-ci n’est pas évidente. Des conflits existent dans ce domaine, je pense évidemment à la mine de Turów située dans une région polonaise frontalière de la République tchèque et de l’Allemagne ; autre exemple, les plans nucléaires de la Pologne comportent des obligations envers les pays voisins. On trouve également des exemples d’excellente coopération, comme entre la commune polonaise de Słubice et la ville allemande de Francfort-sur-l’Oder.

Le groupe Démocrate votera en faveur du projet de loi.

M. Aurélien Taché, rapporteur. Je vous remercie d’avoir mis en lumière les enjeux attachés à la meilleure prise en compte de la société civile dans les pays où la démocratie est en phase de consolidation et où l’héritage des régimes politiques précédents n’a pas aidé à la reconnaissance des acteurs de la société civile. Comme vous l’avez dit, le premier amendement représente une avancée majeure, notamment dans la région où vous êtes élu.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. La société civile est une notion complexe : elle s’oppose à la société militaire dans certains cas ou à la société tout court, comme au XVIIIe siècle où elle faisait référence à la société politique. Actuellement, la société civile représente exactement l’inverse, à savoir le groupe qui n’appartient pas au monde politique.

M. Alain David (SOC). La convention d’Espoo, signée le 25 février 1991 et entrée en vigueur le 10 septembre 1997, a pour objet de demander aux parties d’entreprendre une étude d’impact environnementale avant tout lancement d’une activité pouvant avoir des conséquences transfrontalières sur la santé, la sécurité, la flore, la faune, le sol, l’air, l’eau, le climat, le paysage, les monuments historiques et bien d’autres constructions.

Au début de la planification, l’une des parties doit informer l’autre de son projet afin que toutes deux conviennent des moyens de réduire les impacts environnementaux. Au-delà des décisions, des plans et des programmes sont concernés. L’objet de la convention est donc la prévention : la partie d’origine doit offrir au public la possibilité de participer aux procédures d’évaluation des impacts environnementaux des projets.

Le projet de loi vise à autoriser l’approbation d’un amendement et d’un protocole à la convention d’Espoo qui précisent ses obligations. L’amendement dispose que le terme de public inclut la société civile, notamment les ONG. Le protocole, qui ne se réduit pas aux activités transfrontières, vise à assurer, tant à l’échelle nationale que transfrontalière, une meilleure prise en compte des facteurs environnementaux, y compris la santé, dans l’élaboration des plans et des programmes.

Pour toutes ces raisons, le groupe Socialistes et apparentés votera ce texte, qui constitue un indéniable progrès.

M. Aurélien Taché, rapporteur. Je vous remercie pour votre soutien. Vous l’avez dit, nous avons besoin d’améliorer les procédures de démocratie environnementale, y compris dans des contextes transnationaux. Je me réjouis que votre groupe salue cette avancée.

Mme Stéphanie Kochert (HOR). Tout arrive à point à qui sait attendre et nous ne pouvons que saluer l’examen de ce projet de loi par notre commission. Si l’on peut s’interroger sur le temps écoulé depuis la signature de ces textes internationaux et le retard de leur examen par le Parlement en vue de leur ratification, il semble utile d’avoir à l’esprit que les objectifs de ces textes sont partagés par le droit de l’Union européenne, transposé dans notre droit interne.

Députée d’une région transfrontalière, je considère le dialogue entre les acteurs institutionnels et privés sur des projets d’envergure comme vertueux. Les effets produits sur l’environnement ne sont pas cloisonnés par les frontières, à l’instar du projet de loi précédemment débattu, relatif à la navigation sur le Rhin et aux conséquences éventuelles sur le fleuve, qui assure en lui-même la délimitation des frontières.

Ces concertations offrent l’occasion d’une prise de conscience collective sur le fait que la préservation de l’environnement ne peut être appréhendée à la seule aune de notre pays et que l’Europe incarne une meilleure échelle. C’est pourquoi le groupe Horizons et apparentés votera pour le projet de loi autorisant l’approbation du premier amendement et du protocole à la convention d’Espoo.

Ces textes organisent une réponse nécessaire au besoin de dialogue entre les acteurs mais ces échanges se déploieront selon des règles propres à chaque État, lesquelles peuvent se compléter mais également se concurrencer. Pourrions-nous engager un travail d’harmonisation des normes de protection de l’environnement et des règles d’urbanisme, notamment dans les zones frontalières ?

M. Aurélien Taché, rapporteur. Comme vous l’avez rappelé, plusieurs de ces procédures sont désormais régies par le droit européen, au-delà des conventions internationales que nous examinons. C’est donc dans le cadre de l’Union européenne que nous pourrons rapprocher les réglementations et les législations des différents pays.

Vous avez rappelé que la pollution ne s’arrêtait pas aux frontières : n’oublions pas que la convention d’Espoo a été signée en 1991, soit peu de temps après le terrible accident de Tchernobyl, qui a incité certains dirigeants à avancer dans l’élaboration de textes internationaux portant sur la protection de l’environnement. On peut toujours améliorer la convergence des réglementations dans ce domaine mais c’est grâce au cadre européen que nous y parviendrons.

M. Hubert Julien-Laferrière (ÉCOLO-NUPES). Voilà vingt ans que le Parlement aurait dû approuver ces aménagements à la convention d’Espoo. Grâce au droit européen, ils ont quand même été appliqués et c’est tant mieux : comme la pollution ne connaît pas les frontières, il est important d’organiser des coopérations transfrontalières.

Je sais, pour avoir travaillé longtemps dans le domaine de la coopération décentralisée, l’importance d’impliquer la société civile pour réussir à déployer concrètement des jumelages ou des conventions de coopération entre collectivités locales ; soit dit en passant, la coopération décentralisée est issue, d’une certaine manière, des jumelages européens qui visaient, après la chute du mur de Berlin, à surmonter la fracture entre l’Est et l’Ouest. Il est donc très important d’impliquer la société civile pour faire face aux défis environnementaux, mais Frédéric Petit a raison : le concept de société civile ne recouvre pas la même chose sur tous les continents, dans tous les pays, parfois même dans toutes les régions d’un même pays. Quoi qu’il en soit, il faut associer les populations aux politiques publiques, en particulier aux coopérations transfrontalières. Au-delà des textes soumis à approbation, c’est un enjeu auquel nous devons être attentifs.

Si je comprends bien, la Polynésie aurait été intégrée dans le champ de ces textes sans avoir été consultée. J’attends des précisions du rapporteur sur ce point. En tout cas, c’est une bonne chose que le ministère des outre-mer ait été interrogé.

M. Aurélien Taché, rapporteur. En réalité, les autorités polynésiennes avaient été interrogées au moment de la ratification de la convention d’Espoo par la France, il y a vingt-deux ans, et elles avaient refusé d’entrer dans le mécanisme. Depuis, plus rien ne s’est passé. Il me semble indispensable de les consulter de nouveau : en vingt ans, les choses ont pu bouger là-bas, dans le domaine politique comme sur le plan des mentalités. Peut-être la conscience des enjeux liés au réchauffement climatique est-elle plus développée, de même que le souhait d’avancer dans la direction de la démocratie environnementale ? Le ministère des outre-mer a reconnu que ce serait une bonne chose de consulter de nouveau la Polynésie à cet égard.

Néanmoins, le droit européen ne s’applique pas entièrement dans les territoires comme la Polynésie. Si celle-ci décidait de s’engager dans le processus, cela impliquerait pour elle des changements juridiques majeurs.

Je ne peux qu’être d’accord s’agissant de la nécessité d’impliquer la société civile. L’enjeu sera encore plus fort si d’autres États non membres de la CEE-ONU décident d’adhérer au mécanisme. Lors de la COP27, qui s’est tenue en Égypte, les ONG et la société civile n’ont pas vraiment pu participer aux discussions car le régime les tient en suspicion, pour employer un euphémisme.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Quand j’ai eu connaissance du délai qui s’est écoulé entre l’adoption de l’amendement et du protocole et leur approbation par notre pays, je n’ai pas été surpris : cela témoigne d’un certain état d’esprit, dont on trouve d’autres exemples.

Ainsi, cela fait des mois que nous attendons un dispositif d’information du public digne de ce nom concernant le projet de terminal méthanier dans le port du Havre. La réglementation est à l’étude depuis plus de deux ans. Ni la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), ni la préfecture ne sont en mesure de fournir des informations. Il faut pourtant savoir précisément quelles substances seront stockées et quel sera leur impact sur la population afin, par exemple, d’interdire l’agrandissement de certaines maisons dans les quartiers concernés.

C’est le reflet d’un certain état d’esprit : en France, on n’a pas envie de tout dire, y compris aux associations. Je ne suis donc pas surpris que nous en soyons arrivés là s’agissant des projets transfrontaliers : ceci explique peut-être cela. La question mériterait que l’on s’y intéresse.

Dans la mesure où je représente ici le groupe où siègent les trois députés de la Polynésie, j’ose espérer que ce territoire se prononcera sur les deux textes en question avant que nous ne les validions. Le refus de la Polynésie, il y a vingt ans, s’expliquait peut-être par le souvenir des essais nucléaires et par leur impact – qui perdure –, y compris sur les populations éloignées.

Le Parlement représente la France dans son entier, et la Polynésie en fait partie, jusqu’à preuve du contraire, même si elle bénéficie d’un statut spécial. En attendant que ce territoire se prononce, j’émets des réserves à l’égard de l’approbation de ces deux textes.

M. Aurélien Taché, rapporteur. Peut-être ma réponse permettra-t-elle de lever ces réserves ? Je suis entièrement d’accord avec vous. Les ministères de l’Europe et des affaires étrangères et des outre-mer nous ont répondu qu’à l’époque, les autorités polynésiennes avaient considéré qu’elles n’avaient pas assez de temps pour se prononcer en connaissance de cause, mais peut-être les essais nucléaires avaient-ils joué également ? En ce qui concerne l’approbation qui nous est proposée, le président Bourlanges et moi-même, nous nous sommes demandés s’il fallait s’en tenir au calendrier prévu ou bien attendre la réponse de la Polynésie. Le Gouvernement nous a assurés que, même si le projet de loi était adopté avant, la réserve concernant la Polynésie pourrait être levée : le territoire pourra donc, s’il le souhaite, s’engager dans la convention ainsi aménagée.

J’en profite pour vous dire que j’ai alerté l’un de vos collègues polynésiens : je lui ai dit qu’il serait certainement utile qu’une discussion ait lieu en Polynésie, de manière à ce que nous recevions une réponse le plus rapidement possible.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Il est amusant que vous proposiez de retarder l’approbation de ces textes, monsieur Lecoq : plus de la moitié du débat a été consacrée à déplorer le temps qu’il avait fallu attendre pour qu’elle soit soumise au Parlement…

Approuver cet amendement et ce protocole à la convention d’Espoo ne limitera en rien le choix de nos amis polynésiens. Pour eux, c’est une sorte de contrat d’adhésion. Ils pourront rejoindre le mécanisme à leur rythme, quand ils le voudront.

M. Frédéric Petit. Non seulement la ratification ne retardera pas l’entrée de la Polynésie dans le mécanisme mais, comme l’archipel compte parmi les pays et territoires d’outre-mer (PTOM) ultrapériphériques, je suis persuadé qu’un travail est en cours au sein de l’Union européenne pour le prendre en compte, ne serait-ce que pour dire que les PTOM ne sont pas concernés mais que l’Union européenne y reviendra.

Les voisins des territoires d’outre-mer sont différents des nôtres : ils n’appartiennent pas à l’Union européenne. Les enjeux de la coopération avec ces pays dans le domaine de l’écologie sont différents de ceux qui existent entre la France et l’Allemagne, ou entre la Pologne et la République tchèque. Ce n’est pas un problème en soi. L’action en faveur du climat pourrait même s’en trouver dynamisée.

M. Aurélien Taché, rapporteur. Nous n’avons pas de garanties, hélas, quant au fait que les territoires comme la Polynésie soient vraiment pris en compte, notamment dans le cadre des directives adoptées. Il est donc important que le Gouvernement interroge la Polynésie. La consultation a été relancée. Comme l’indiquait le président Bourlanges, même si la réponse arrive après l’approbation du projet de loi, la Polynésie pourra entrer dans le mécanisme. Si ce n’avait pas été le cas, l’examen du texte aurait été reporté.

On peut effectivement se demander, monsieur Lecoq, si la tendance que vous dénoncez ne traduit pas un certain état d’esprit : si le droit européen ne pose pas des obligations en matière de démocratie environnementale, nous traînons. J’ai été confronté à un cas similaire dans le Val-d’Oise, s’agissant de la gestion partagée de l’eau : il est très difficile d’organiser des consultations démocratiques en liaison avec la préfecture et les autorités déconcentrées. Je partage donc votre point de vue et regrette cet état d’esprit. J’espère qu’il évoluera et que le fait que nous approuvions ces deux textes, ainsi que toutes les conventions futures en matière environnementale, démontrera que la France veut devenir une grande nation de la lutte contre le changement climatique.

Mme Olga Givernet (RE). La convention d’Espoo, signée en 1991, a pour objet l’évaluation de l’impact sur l’environnement de certaines activités dans un contexte transfrontière. La résolution pacifique des litiges transfrontaliers liés à des problèmes environnementaux est l’affaire de tous.

Les deux textes soumis à approbation renforcent le dispositif établi par la convention et précisent notamment les publics qui doivent être consultés. Il est important que la convention soit élargie à la société civile ainsi qu’à des États hors CEE-ONU. Le protocole de Kiev vise, quant à lui, à assurer un niveau élevé de protection environnementale et sanitaire en favorisant l’intégration de ces aspects aux instruments de promotion du développement durable.

Même s’il était possible d’appliquer les textes sans l’approbation, cette procédure nous offre l’occasion de débattre et de soulever certains problèmes n’ayant pas encore été résolus. J’espère que nous ne devrons pas attendre aussi longtemps, dans le cadre d’autres ratifications, pour remédier à ces difficultés ; je pense notamment à la participation de la Polynésie.

Dans mon territoire, frontalier de la Suisse, la convention d’Espoo a été invoquée à propos d’un projet de centre commercial mais il semble que ce moyen ait été écarté. Quoi qu’il en soit, la convention permet de créer un cadre de débat s’agissant de projets d’implantation susceptibles d’avoir un impact de part et d’autre d’une frontière.

Le groupe Renaissance soutient sans réserve le projet de loi, même si la question soulevée s’agissant de la Polynésie doit trouver une réponse immédiate.

M. Aurélien Taché, rapporteur. Il est étonnant que le projet que vous évoquiez n’entre pas dans le champ de la convention d’Espoo. Le président Bourlanges a cité plusieurs exemples d’infrastructures susceptibles d’être concernées : un centre commercial, s’il est de taille très importante et revêt des enjeux transfrontaliers, aurait pu en faire partie. Qui plus est, la Suisse a adhéré à la convention. Il est vrai qu’elle n’a pas adopté le protocole de Kiev et que c’est celui-ci qui aurait été le plus adapté. Si cela vous intéresse, nous creuserons le sujet.

Quoi qu’il en soit, je me réjouis que le groupe Renaissance apporte son soutien aux deux textes.

Mme Marine Hamelet (RN). La convention d’Espoo n’est pas, a priori, un texte politique. Sa ratification en 2001 a rendu obligatoire la réalisation d’une étude d’impact environnemental avant tout projet polluant qui pourrait avoir des conséquences pour les pays voisins. À ce titre, cette convention institue, au nom de la défense de l’environnement, une forme de coopération et de concertation que nous saluons car l’équilibre des écosystèmes ne s’arrête pas aux frontières tracées par l’homme.

Néanmoins, le Rassemblement national appelle l’attention de notre commission sur le coup politique que constituerait l’adoption du texte : il s’agit d’allumer un contre-feu, après l’adoption définitive par l’Assemblée nationale du projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (AER).

Que personne ne soit dupe : après avoir fait sauter les digues qui empêchaient l’installation d’éoliennes dans des espaces protégés, le Gouvernement cherche un moyen de faire passer la pilule. Il pense l’avoir trouvé en nous demandant d’approuver l’amendement et le protocole à la convention d’Espoo, qui renforcent l’influence des ONG dans les processus de décision. Nous dénonçons la politique du « en même temps » : non, le fait d’inclure les ONG écologistes dans la concertation ne remplacera pas les dispositions légales qui ont été supprimées par le projet de loi AER. Cela n’empêchera pas l’installation d’éoliennes dans des espaces protégés, qui aboutira à la destruction de nombreux écosystèmes, partout en France, ce qui constituera une catastrophe paysagère et un désastre écologique sans précédent.

Ce n’est pas tout : alors que l’examen par notre commission du projet de loi autorisant l’approbation de ces textes avait été reportée au début du mois de mars, nous avons appris lundi que l’ordre du jour avait été à nouveau modifié afin de nous faire voter plus rapidement. Que s’est-il donc passé entre-temps ? Comme par hasard, jeudi dernier, nous avons saisi le Conseil constitutionnel du projet de loi AER en invoquant une violation de la Charte de l’environnement. Ainsi, au moment où le destin du texte relatif aux énergies renouvelables est suspendu à la décision des sages du Conseil constitutionnel, qui doit être rendue dans un délai d’un mois, le Gouvernement tente de donner le change en instrumentalisant la convention d’Espoo.

Parce que nous n’avons pas eu le temps d’étudier ce texte en profondeur et que nous considérons qu’il n’y a pas suffisamment de garanties concernant la Polynésie, nous ne prendrons pas part au vote.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. C’est moi qui ai décidé de modifier l’ordre du jour, pour des raisons de commodité : le rapporteur, notamment, me l’avait demandé. Il n’y a aucune considération d’ordre politique derrière cette décision. Libre à vous de me croire ou pas, mais je me devais de vous livrer la vérité.

M. Aurélien Taché, rapporteur. L’examen du texte était initialement prévu aujourd’hui. Il avait ensuite été reporté. Quand nous avons eu l’assurance que la Polynésie pourrait entrer dans le processus, même si elle répondait après la ratification, nous nous sommes dit qu’il était inutile de retarder les travaux de la commission. Le président Bourlanges a bien voulu inscrire de nouveau le texte à l’ordre du jour de cette réunion, et je l’en remercie.

Mon groupe et le vôtre, madame, sont en désaccord sur de nombreux sujets mais les dispositions relatives aux espaces protégés que vous avez mentionnées ont alerté les députés écologistes. Nous avons d’ailleurs dit à plusieurs reprises, durant l’examen du texte, que même si nous étions très soucieux du développement des énergies renouvelables, les espaces protégés devaient être préservés compte tenu des enjeux en matière de biodiversité. Je me réjouis que nous ayons cette préoccupation commune.

En revanche, l’adoption de l’amendement à la convention d’Espoo et du protocole de Kiev ne modifiera pas fondamentalement les dispositions du code de l’environnement relatives aux ONG environnementales. L’objectif de ces textes est de les associer dans des contextes transfrontières, tandis que l’implantation d’éoliennes, par exemple, est une question exclusivement nationale, et les associations écologistes sont déjà intégrées au processus.

M. Jean-Paul Lecoq. À ce stade, mon groupe s’abstiendra. Nous verrons ce qu’il en sera au moment du vote dans l’hémicycle.

Une période électorale s’ouvre en Polynésie ; je présume donc que la question de la participation du territoire au mécanisme de la convention ne sera pas réglée tant que les institutions n’auront pas été renouvelées.

Nous approuvons les dispositions du texte mais la question de la Polynésie reste en suspens. Peut-être un échange avec les députés polynésiens de mon groupe suffira-t-il à me convaincre de m’associer entièrement au projet de loi ?

M. Aurélien Taché, rapporteur. Je comprends parfaitement votre position. Vous constaterez, en discutant avec vos collègues polynésiens, que je les ai alertés.

*

Article 1er (approbation du premier amendement à la convention adoptée à Espoo le 25 février 1991 sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontière, adopté à Sofia le 27 février 2001)

La commission adopte l’article 1er non modifié.

Article 2 (approbation du protocole à la convention adoptée à Espoo le 25 février 1991 sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontière relatif à l’évaluation stratégique environnementale, signé à Kiev le 21 mai 2003)

La commission adopte l’article 2 non modifié.

Elle adopte ensuite l’ensemble du projet de loi sans modification.

 

 

 


—  1  —

   annexe I :
TEXTE DE LA COMMISSION des affaires ÉtrangÈres

 

Article 1er

(Non modifié)

 

Est autorisée l’approbation du premier amendement à la convention adoptée à Espoo le 25 février 1991 sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontière, adopté à Sofia le 27 février 2001.

Article 2

(Non modifié)

 

Est autorisée l’approbation du protocole à la convention adoptée à Espoo le 25 février 1991 sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontière relatif à l’évaluation stratégique environnementale (ensemble cinq annexes), signé à Kiev le 21 mai 2003.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                     

N.B. : Le texte de la convention figure en annexe au projet de loi (n° 602)


—  1  —

   ANNEXE 2 : LISTE DES PERSONNES auditionnÉes PAR
Le RAPPORTEUR

 

 

-          M. Pierre Dousset, conseiller juridique, mission des accords et traités, direction des affaires juridiques ;

 

-          M. Hugo Lequertier, rédacteur, pôle eau, pollutions, affaires transversales, sous-direction de l’environnement et du climat, direction du développement durable.

 

 

 

-          M. David Catot, chef du bureau du droit de l’évaluation environnementale ;

 

-          Mme Audrey Agenjo, chargée de mission juridique.

 

 

 

-          Mme Myriam Aflalo, cheffe de la mission du droit européen et international, direction générale des Outre-mer.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


([1])  Selon les éléments transmis au rapporteur par écrit, le ministère craignait d’une part, que certains États en développement ne soient pas en capacité de contribuer au financement des activités tout en ayant besoin d’une assistance financière pour mettre en œuvre la convention et, d’autre part, un accroissement potentiel du travail du comité d’application chargé de contrôler la mise en œuvre de la convention, ces pays risquant de ne pas toujours la respecter.

([2]) Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, adoptée le 25 juin 1998 à Aarhus au Danemark et entrée en vigueur le 30 octobre 2001.

([3]) L’Ukraine a ratifié ce texte le 15 décembre 2022.  

([4])  L’approbation par la France n’emporte aucune conséquence quant à l’opérationnalité du premier amendement, puisqu’elle est devenue partie à la convention d’Espoo le 15 juin 2001.

 

([5]) Les consultations sont menées au niveau local par les autorités administratives compétentes pour l’autorisation et d‘ouverture de l’enquête publique, rôle qui revient le plus souvent aux préfets des départements.