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N° 906

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME  LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 28 février 2023.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI
 

visant à étendre le champ d’application de la peine complémentaire

obligatoire d’inéligibilité aux cas de condamnation pour des violences

aggravées ayant entraîné une incapacité temporaire

 

PAR Mme Aurore BERGÉ

Députée

——

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Voir le numéro : 759.


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SOMMAIRE

 

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Pages

INTRODUCTION............................................ 3

examen de l’article unique

Article unique (art. 131-26-2 du code pénal) Peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité pour les condamnations en raison de violences aggravées ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ayant entraîné aucune incapacité

compte rendu des débats

Personnes entendues

 


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Mesdames, Messieurs,

Cette proposition de loi s’inscrit dans la droite ligne des dispositifs d’affermissement de l’exemplarité et de la dignité de la vie publique votés au début de la législature précédente à l’occasion de la loi pour la confiance dans la vie politique ([1]) dont l’article premier visait à renforcer l’exigence de probité des élus du point de vue des condamnations pénales.

Après avoir écarté, en raison d’un risque d’inconstitutionnalité, l’exigence, pour tout candidat à une élection, d’un casier judiciaire ne présentant pas de mention pour certaines condamnations, le débat parlementaire a conduit à créer une peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité pour certaines infractions ([2]). En plus de l’ensemble des crimes, cette peine complémentaire obligatoire concerne de nombreux délits, notamment les agressions sexuelles, le harcèlement moral ou sexuel, les manquements à la probité ou encore les atteintes à la confiance publique ou au bon fonctionnement du système électoral.

Sont également concernées par cette peine complémentaire obligatoire la majeure partie des infractions prévues au paragraphe du code pénal traitant des violences ([3]). Ne sont toutefois pas concernées les violences aggravées ayant entraîné peu ou pas d’incapacité temporaire de travail. Or, cette dernière infraction ([4]), dont les auteurs encourent jusqu’à trois ans d’emprisonnement, recouvre 23 circonstances dans lesquelles les violences portent clairement atteinte aux valeurs républicaines que tout élu doit partager : violences à caractère raciste ; violences sur un enfant, sur un conjoint ou sur un parent ; violences commises à raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre ; violences à l’encontre d’une personne vulnérable ou en situation de handicap…

Ces actes, contraires aux exigences républicaines dont les élus ne peuvent se détourner, ne manquent pas de heurter nos concitoyens qui ne peuvent légitimement tolérer que leurs auteurs puissent exercer ou briguer un mandat électif public. Pour répondre à cette préoccupation légitime, qui oblige la représentation nationale, et mieux garantir l’exemplarité des élus, cette proposition de loi propose donc d’intégrer les violences aggravées visées à l’article 222-13 du code pénal dans le champ de la peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité qui a fait l’objet en 2017 d’une approbation claire du Parlement. Cette unanimité sur l’importance d’une telle exemplarité s’est d’ailleurs retrouvée dans les votes exprimés lors de la commission.

 


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   examen de l’article unique

Article unique
(art. 131-26-2 du code pénal)
Peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité
pour les condamnations en raison de violences aggravées ayant entraîné
une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours
ou n’ayant entraîné aucune incapacité

Adopté par la Commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article prévoit de rendre obligatoire la peine complémentaire d’inéligibilité en cas de condamnation pour des violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours, ou n’ayant entraîné aucune incapacité, lorsqu’elles sont commises dans certaines circonstances aggravantes prévues à l’article 222-13 du code pénal.

       Dernières modifications législatives intervenues

Créé en 2017 par la loi pour la confiance dans la vie politique ([5]), l’article 131‑26‑2 du code pénal a été complété en 2022 par la loi relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure ([6]), afin d’inclure dans la liste des infractions visées par la peine complémentaire d’inéligibilité obligatoire le délit relatif aux violences commises à l’encontre des forces de sécurité intérieure, qu’elles aient entrainé ou non une incapacité totale de travail ([7]).

       Principaux apports de la commission des Lois

La commission a adopté deux amendements rédactionnels de votre rapporteure.

 

1.   L’état du droit

a.   Le développement de peines complémentaires obligatoires d’inéligibilité

● En matière pénale, l’inéligibilité peut être prononcée en tant que peine complémentaire d’interdiction des droits civiques, civils et de famille prévue à l’article 131-26 du code pénal. À ce titre, elle emporte avec elle l’interdiction d’exercer une fonction publique ([8]).

L’inéligibilité ne peut excéder une durée de dix ans en cas de condamnation pour un crime et de cinq ans pour un délit ([9]). Depuis 2013 ([10]), lorsque la personne condamnée exerce, au moment des faits,  une fonction de membre du Gouvernement ou un mandat électif public, cette peine peut être prononcée pour un maximum de dix ans, dans les cas prévus par la loi, y compris en cas de condamnation pour un délit ([11]).

● En 2016, la loi « Sapin II » ([12]) , en modifiant les articles 43217 et 43322 du code pénal, a transformé la peine complémentaire d’inéligibilité, jusqu’alors facultative, en peine obligatoire en cas de condamnation pour manquement au devoir de probité ou pour corruption active et trafic d’influence commis par des particuliers.

Jusqu’alors facultatif, laissé à l’appréciation de la juridiction, le prononcé de la peine complémentaire d’inéligibilité est ainsi devenu obligatoire pour ces infractions. Ce caractère obligatoire n’en faisait toutefois pas une peine automatique, dans la mesure où la juridiction conservait la possibilité, par une décision spécialement motivée, de ne pas prononcer cette peine, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur.

Infractions concernées par la peine complémentaire obligatoire d’inÉLIGIBILITÉ selon le dispositif issu de la loi « sapin II »

Place du dispositif

Infraction

Article de l’infraction

432-17 du code pénal

concussion

article 432-10 du code pénal

432-17

corruption passive et trafic d’influence commis par des personnes exerçant une fonction publique

articles 432-11 à 432-11-1 du code pénal

432-17

prise illégale d’intérêt

articles 432-12 à 432-13 du code pénal

432-17

atteintes à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics et les contrats de concession

article 432-14 du code pénal

432-17

soustraction et détournement de biens

articles 432-15 et 432-16 du code pénal

433-22 du code pénal

corruption active et trafic d’influence commis par les particuliers

articles 433-1 et 433-2 du code pénal

● En 2017, la loi pour la confiance dans la vie politique ([13]) a procédé à une importante extension du périmètre des infractions concernées par la peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité, dorénavant rassemblées au sein d’un nouvel article 131‑26‑2.

En sus des délits visés par la loi « Sapin II », sont désormais inclus l’intégralité des crimes, ainsi que certains délits d’une particulière gravité et ceux qui relèvent d’une atteinte à la confiance publique ou au bon fonctionnement du système électoral.

Par cet élargissement, le législateur visait à sanctionner d’une inéligibilité les auteurs de certaines infractions pénales mettant en doute leur aptitude à investir un mandat électif avec honnêteté et dignité.

Nouveaux Délits concernÉs par la peine complémentaire obligatoire d’inÉLIGIBILITÉ selon le dispositif de
la loi pour la confiance dans la vie politique

Alinéa de l’article 131-26-2

Infraction

Article de l’infraction

certains actes de violences

articles 222-9, 222-11, 222-12, 222-14, 222‑14‑1, 222-14‑4, 222-14-5 ([14]), 222-15, 222-15-1 du code pénal

agressions sexuelles

articles 222-27 à 222-31-2 du code pénal

exhibition sexuelle

article 222-32 du code pénal

harcèlement sexuel

article 222-33 du code pénal

harcèlement moral

article 222-33-2 à 222-33-2-2 du code pénal

discriminations

articles 225-1 à 225-2 du code pénal

escroquerie (et son recel ou son blanchiment)

articles 313-1 et 313-2 du code pénal

abus de confiance (et son recel ou son blanchiment)

articles 314-1 à 314-3 du code pénal

actes de terrorisme

articles 421-1 à 421-8 du code pénal

certaines entraves à l’exercice de la justice ou atteintes à l’autorité de la justice pénale

articles 434-9, 434-9-1 et 434-43-1 du code pénal

corruption et trafic d’influence passifs et actifs (et son recel ou son blanchiment)

articles 435-1 à 435-10 du code pénal

corruption passive et active des personnes n’exerçant pas une fonction publique (et son recel ou son blanchiment)

articles 445-1 à 445-2-1 du code pénal

certains faux

articles 441-2 à 441-6

certains actes de fraude électorale

articles L. 86 à L. 88-1, L. 91 à L. 104, L. 106 à L. 109, L. 111, L. 113 et L. 116 du code électoral

certains actes de fraude fiscale

articles 1741 et 1743 du code général des impôts

atteintes à la transparence des marchés (et leur recel ou leur blanchiment)

articles L. 465-1 à L. 465-3-3 du code monétaire et financier

10°

abus de biens sociaux (et leur recel ou leur blanchiment)

articles L. 241-3 et L. 242-6 du code de commerce

11° et 12°

manquements aux obligations en matière de financement politique

articles L. 113-1 et LO 135-1 du code électoral et articles 11-5 et 26 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique

14°

association de malfaiteurs en lien avec les infractions concernées par cet article

article 450-1 du code pénal

b.   La position du Conseil constitutionnel sur les peines complémentaires obligatoires

● Le Conseil constitutionnel exclut les peines accessoires obligatoires en s’appuyant sur deux principes constitutionnels découlant de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : le principe de nécessité des peines et celui d’individualisation des peines.

S’agissant plus spécifiquement de la peine complémentaire d’inéligibilité, le Conseil constitutionnel a jugé que :

– « le principe de nécessité des peines implique que l’incapacité d’exercer une fonction publique élective ne peut être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à l’espèce » ([15]) ;

– « le principe d’individualisation des peines (…) implique que la peine emportant l’interdiction d’être inscrit sur une liste électorale et l’incapacité d’exercer une fonction publique élective qui en résulte ne puisse être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce » ([16]).

Se fondant sur ces deux principes, le Conseil a donc jugé inconstitutionnel l’article L. 7 du code électoral qui impliquait l’inéligibilité automatique et non modulable dans le cas de certaines condamnations ([17]). Le commentaire de cette décision précise que « le Conseil constitutionnel juge qu’une peine est prononcée par une juridiction de jugement et suppose une appréciation de la culpabilité. Le critère de la peine est donc sa finalité répressive. Ainsi, les incapacités constituent des peines si elles sont l’accessoire de cette peine, mais elles n’en sont pas si elles sont édictées seulement pour garantir la moralité d’une profession ».

Or, la radiation prévue par l’article L. 7 n’était pas une simple mesure de sûreté destinée à "moraliser" le monde politique. Elle avait été conçue comme une punition et son but était répressif. Elle était liée au jugement d’une juridiction de jugement et à l’appréciation de la culpabilité de l’intéressé. Par ailleurs, elle ne pouvait être assimilée à une interdiction professionnelle, l’exercice d’un mandat électif n’étant pas assimilable à l’exercice d’une profession » ([18]).

● Le commentaire d’une décision QPC de 2015 portant sur les débits de boissons ne respectant pas les conditions légales d’ouverture a apporté plusieurs précisions sur l’appréciation des peines complémentaires obligatoires par le Conseil constitutionnel :

« Il n’y a pas d’interdiction de principe des peines obligatoires. Le Conseil subordonne leur conformité au principe d’individualisation des peines en se fondant sur un faisceau d’indices :

 la possibilité de modulation des peines en fonction de la gravité des comportements reprochés au justiciable (le juge a-t-il la faculté de faire varier la peine ou la loi instaure-t-elle elle-même une modulation ?) ;

 l’existence d’un lien entre la peine obligatoire en cause et le comportement réprimé (l’absence de lien rend plus nécessaire le pouvoir d’individualisation du juge) ;

 la possibilité – consécutive – pour le juge d’exercer son plein contrôle quant aux faits et à leur qualification et ainsi, de proportionner la peine à la gravité des comportements reprochés au justiciable ;

 la sévérité de la peine (plus la peine est sévère, plus l’exigence d’individualisation est forte) ;

 la gravité des faits ou les antécédents de leur auteur, qui peuvent atténuer le contrôle de l’exigence d’individualisation. » ([19]).

● S’il n’a pas été amené à se prononcer sur l’article 19 de la loi « Sapin II », le Conseil constitutionnel a, par la suite, validé la conformité à la Constitution de l’article 131262 créé par la loi de 2017 ([20]). Il a ainsi écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d’individualisation des peines, se fondant sur deux éléments :

– en vue de renforcer « l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants », le législateur a retenu dans ce dispositif « l’ensemble des crimes et certains délits d’une particulière gravité » et « des délits révélant des manquements à l’exigence de probité ou portant atteinte à la confiance publique ou au bon fonctionnement du système électoral » ;

– en outre, « la peine d’inéligibilité doit être prononcée expressément par le juge, à qui il revient d’en moduler la durée » et celui-ci conserve la possibilité de ne pas prononcer cette peine complémentaire « en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ».

Il a toutefois émis une réserve et précisé que la peine complémentaire obligatoire prévue à l’article 131-26-2 ne pouvait entraîner de plein droit l’interdiction ou l’incapacité d’exercer une fonction publique prévues au dernier alinéa de l’article 131-26, car il en résulterait « une méconnaissance du principe de proportionnalité des peines » ([21]).

Les inéligibilités prononcées en application de l’article 131‑26‑2 n’emportent donc pas avec elles d’interdiction d’exercer une fonction publique. Selon Pauline Bonnecarrère, vice-présidente du tribunal judiciaire de Paris, cette interdiction ne pourra alors être prononcée par le juge que si le code pénal prévoit que l’auteur de l’infraction encoure la peine complémentaire d’interdiction d’exercer une fonction publique ([22]).

2.   Le dispositif proposé

Le présent article complète l’article 131-26-2 du code pénal afin d’intégrer les violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours, ou n’ayant entraîné aucune incapacité de travail, lorsqu’elles sont commises dans certaines circonstances aggravantes prévues à l’article 222-13 du même code.

a.   Les infractions visées : les violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ayant entraîné aucune incapacité de travail

En l’état du droit, toutes les infractions prévues au paragraphe du code pénal traitant des violences ([23]) sont comprises dans le dispositif de l’article 131-26-2, à l’exception de trois d’entre elles :

– les violences aggravées ayant entraîné peu ou pas d’ITT, qui sont punies de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ([24]) ;

– les appels malveillants, qui sont punis d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ([25]) ;

– la participation à un groupement en vue de la préparation de violences volontaires, qui est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ([26]).

Délits de violenceS actuellement concernÉs par la peine complémentaire
obligatoire d’inÉLIGIBILITÉ

Infraction

Article code pénal

Peines encourues

violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente

222-9

dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende.

violences ayant entraîné une ITT pendant plus de huit jours

222-11

trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende

violences aggravées ayant entraîné une ITT pendant plus de huit jours

222-12

cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende

violences habituelles sur un mineur de quinze ans ou sur une personne vulnérable

222-14

de cinq ans d’emprisonnement à trente ans de réclusion et de 75 000 à 150 000 euros d’amende selon les conséquences des violences

violences en bande organisée ou avec guet-apens sur un dépositaire de l’autorité publique, un sapeur-pompier ou un agent des transports

222-14-1

de dix ans d’emprisonnement à trente ans de réclusion et 150 000 euros d’amende selon les conséquences des violences

manœuvres dolosives en vue de conduire une personne à l’étranger dans le but de la contraindre à contracter un mariage ou à conclure une union

222-14-4

trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende

violences avec ou sans ITT sur un membre des forces de l’ordre, un garde champêtre, un agent des douanes, un sapeur-pompier, un agent de l’administration pénitentiaire (ou un de leur proche) dans l’exercice ou du fait de ses fonctions et lorsque la qualité de la victime est apparente ou connue de l’auteur

222-14-5

de cinq à dix ans d’emprisonnement et de 75 000 à 150 000 euros d’amende selon les circonstances et les conséquences des violences

administration de substances nuisibles ayant porté atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’autrui

222-15

de trois ans d’emprisonnement à vingt ans de réclusion criminelle selon les circonstances et les conséquences de l’infraction

embuscade

222-15-1

cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende ; sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende si commise en réunion

La présente proposition de loi entend donc inclure dans cette liste des infractions de violences sanctionnées par une peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité les violences aggravées prévues à l’article 222-13. Celui-ci vise 23 circonstances dépendant de la qualité de la victime, de celle de l’auteur ou de son intention, des lieux ou des modalités de commission des violences.

circonstances aggravantes prÉvues à l’article 222-13 du code pÉnal

Position à l’article 222-13

Circonstances aggravantes

Sur un mineur de quinze ans

Sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur

Sur un ascendant légitime ou naturel ou sur les pères ou mère adoptifs

Sur un magistrat, un juré, un avocat, un officier public ou ministériel, un membre ou un agent de la Cour pénale internationale, une personne dépositaire de l’autorité publique autre que celles mentionnées à l’article 222-14-5, un gardien d’immeuble, dans l’exercice ou du fait de ses fonctions, lorsque la qualité de la victime est apparente ou connue de l’auteur

bis A

Sur une personne exerçant une activité privée de sécurité mentionnée aux articles L. 611‑1 ou L. 621-1 du code de la sécurité intérieure dans l’exercice ou du fait de ses fonctions, lorsque la qualité de la victime est apparente ou connue de l’auteur

bis

Sur un enseignant ou tout membre du personnel scolaire, sur un agent d’un exploitant de réseau de transport public de voyageurs ou toute personne chargée d’une mission de service public, ainsi que sur un professionnel de santé, dans l’exercice ou du fait de ses fonctions, lorsque la qualité de la victime est apparente ou connue de l’auteur

ter

Sur le conjoint, les ascendants ou les descendants en ligne directe ou sur toute autre personne vivant habituellement au domicile des personnes mentionnées aux 4°, 4° bis A et 4° bis, en raison des fonctions exercées par ces dernières

Sur un témoin, une victime ou une partie civile, soit pour l’empêcher de dénoncer les faits, de porter plainte ou de déposer en justice, soit en raison de sa dénonciation ou de sa plainte, soit à cause de sa déposition devant une juridiction nationale ou devant la Cour pénale internationale

bis

A raison de l’appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée

ter

A raison du sexe, de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre vraie ou supposée de la victime

quater

Sur une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, si les faits sont commis dans l’exercice de cette activité

Par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité

bis

Contre une personne, en raison de son refus de contracter un mariage ou de conclure une union ou afin de la contraindre à contracter un mariage ou à conclure une union

Par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission

bis

Par une personne exerçant une activité privée de sécurité dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission

Par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice

Avec préméditation ou avec guet-apens

10°

Avec usage ou menace d’une arme

11°

Dans les établissements d’enseignement ou d’éducation ou à leurs abords lors des entrées ou sorties des élèves ou du public

12°

Par un majeur agissant avec l’aide ou l’assistance d’un mineur

13°

Dans un moyen de transport collectif de voyageurs ou dans un lieu destiné à l’accès à un moyen de transport collectif de voyageurs

14°

Par une personne agissant en état d’ivresse manifeste ou sous l’emprise manifeste de produits stupéfiants

15°

Par une personne dissimulant volontairement en tout ou partie son visage afin de ne pas être identifiée.

b.   Une exigence accrue de probité

Intégrant à l’article 131-26-2 du code pénal toutes les infractions du paragraphe relatif aux violences qui sont punies de trois ans d’emprisonnement ou plus, la réforme de 2017 a laissé de côté les violences aggravées ayant entraîné peu ou pas d’incapacité temporaire qui sont pourtant elles aussi sanctionnées de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Cette exception semble d’autant moins justifiée que ces violences commises dans les circonstances aggravantes visées à l’article 222-13 traduisent des comportements délictuels manifestement incompatibles avec les valeurs de la République et donc avec l’exercice d’un mandat électif. Par exemple, les violences envers les enfants, les conjoints, les personnes vulnérables, les personnes en situation de handicap ou encore les violences à caractère raciste ou commises à raison de l’orientation sexuelle entrent directement en contradiction avec le devoir d’exemplarité et de dignité des élus.

L’exigence d’éthique que les Français expriment envers leurs élus et ceux qui aspirent à le devenir n’a cessé de se renforcer. Elle est légitime et le législateur se doit d’y répondre en posant des règles claires qui en fixent le cadre. Dans la continuité des évolutions votées dès 2017 par le législateur et dans une démarche générale de dignité et de responsabilité de la vie publique, la présente proposition de loi vise ainsi à compléter les exigences en matière de probité et d’exemplarité des élus et futurs élus de la République.

3.   Les modifications apportées par la commission des Lois

La Commission a adopté deux amendements rédactionnels de votre rapporteure.

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   compte rendu des débats

Lors de sa réunion du mardi 28 février 2023, la Commission examine la proposition de loi visant à étendre le champ d’application de la peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité aux cas de condamnation pour des violences aggravées ayant entraîné une incapacité temporaire (n° 759) (Mme Aurore Bergé, rapporteure).

Lien vidéo : https://assnat.fr/oWrSjX

Mme Aurore Bergé, rapporteure. La proposition de loi que j’ai conçue avec le président de la commission des lois, Sacha Houlié, et que je présente devant vous aujourd’hui s’inscrit dans la droite ligne des dispositifs de probité que nous avons votés au début de la précédente législature.

Revenons rapidement sur son cheminement législatif.

En 2017, en cohérence avec le programme du Président de la République, nous avons adopté la loi pour la confiance dans la vie politique, qui visait à renforcer la dignité de la vie publique. Accroître la transparence à l’égard de nos concitoyens, garantir l’exemplarité des élus, renforcer le contrôle du financement de la vie politique : ce sont ces grands objectifs qui ont alors motivé notre action.

L’article premier de cette loi visait ainsi à renforcer l’exigence de probité des élus du point de vue des condamnations pénales. Nous avions alors évoqué plusieurs solutions juridiques.

Notre commission s’était tout d’abord prononcée en faveur d’un dispositif qui exigeait de tous les candidats aux élections un casier judiciaire ne présentant pas de mention de condamnation pour certaines infractions. On parlait improprement de « casier judiciaire vierge », mais en réalité cela ne concernait que certaines infractions qui étaient énumérées dans le texte de loi.

Il existait un réel consensus entre les différents groupes politiques sur ce dispositif du « casier judiciaire », mais des doutes importants sur sa conformité à la Constitution s’étaient fait jour. Ce sont ces risques d’inconstitutionnalité, partagés par la présidente de la commission des lois d’alors, Yaël Braun-Pivet, et par la garde des sceaux de l’époque, Nicole Belloubet, qui ont finalement conduit notre Assemblée à modifier l’article premier en séance publique pour voter, à la place, une peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité prononcée par un juge – juge qui conserve cependant la liberté d’y déroger, à la condition de motiver sa décision.

Il y avait donc un débat sur la forme juridique, mais, dans les deux cas, ces dispositifs poursuivaient le même objectif politique : garantir la probité des élus et des personnes candidates à une élection. D’ailleurs, la façon de procéder était finalement assez proche puisque, pour chacun des deux dispositifs, les infractions entraînant l’inéligibilité étaient énumérées.

Or, comme pour toute liste, la question se pose de savoir quelles infractions y faire figurer. C’est sur ce point qu’intervient la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui et qui vise à compléter, et non à modifier, l’article que nous avons rédigé en 2017.

En plus des crimes, nous avions alors choisi d’intégrer à cette liste plusieurs délits considérés comme incompatibles avec l’exercice d’un mandat électif, notamment les faux, la fraude électorale, la fraude fiscale aggravée et les manquements aux obligations en matière de financement politique. Nous y avions également ajouté les délits de discrimination, certains actes de violence, les agressions sexuelles et le harcèlement moral ou sexuel.

Au groupe Renaissance, nous estimons que nous avons oublié de prendre en compte des actes qui sont pourtant contraires à l’idéal républicain et qui ne manquent pas de heurter, légitimement, nos concitoyens. Je vous propose donc d’élargir la liste des infractions pour lesquelles la peine complémentaire d’inéligibilité est obligatoire, en y incluant les violences aggravées ayant entraîné peu ou pas d’incapacité temporaire de travail (ITT), telles que sanctionnées à l’article 222-13 du code pénal.

Cet article prévoit vingt-trois circonstances aggravantes, qui portent manifestement atteinte aux valeurs républicaines que tout élu devrait partager : violences à caractère raciste ou antisémite, violences intrafamiliales, violences conjugales, violences commises contre des personnes vulnérables ou en situation de handicap, violences perpétrées à raison de l’orientation sexuelle…

Ces exemples sont suffisamment parlants pour illustrer la démarche qui nous anime. Notre objectif est de garantir l’exemplarité des élus de la République car la confiance des citoyens dans leurs élus constitue le socle de la démocratie représentative.

Qui peut comprendre qu’une personne condamnée pour des violences racistes, antisémites, homophobes, conjugales ou intrafamiliales puisse briguer ou exercer un mandat électif public ? Qui peut raisonnablement s’opposer ou ne pas prendre position en s’abstenant, alors que les Français attendent fortement cette mesure ?

J’espère qu’en examinant ce texte, nous aurons cet objectif commun à l’esprit. J’espère que nous retrouverons le consensus qui existait en 2017 et que nous adopterons à l’unanimité cette proposition de loi.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Sabrina Agresti-Roubache (RE). La vie politique est de façon récurrente secouée par l’apparition d’affaires, qui, fondées ou non, suscitent des réactions dans la société. Celles-ci manifestent l’attachement à des valeurs qu’il convient d’entendre ; ces dernières années, les citoyens ont adressé une profonde demande de transparence et de moralisation de la vie politique.

Cette exigence nous oblige car le mandat public électif confère responsabilité et devoirs pour porter la voix des citoyens ; il nous oblige car, au-delà de la légitimité des suffrages, seule l’exigence d’intégrité politique permettra de renouer avec l’indispensable confiance des citoyens envers leurs représentants.

Sur le plan juridique, le droit positif a bénéficié des avancées introduites par les lois organique et ordinaire du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique, la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite Sapin 2, et les lois organique et ordinaire de 2017, soutenues et portées par notre majorité, pour la confiance dans la vie politique.

Cette dernière loi ordinaire a substantiellement étendu le champ d’application de la peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité, introduite par la loi Sapin 2. Aux termes de la loi du 15 septembre 2017, cette peine est obligatoire pour les condamnations criminelles et pour certaines condamnations délictuelles, limitativement énumérées par la loi, telles que les manquements à la probité, dont la fraude électorale ou la fraude fiscale aggravée, les agressions sexuelles ou encore les discriminations et les violences graves.

Plus récemment, la loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure a complété cette liste en y intégrant le délit relatif aux violences commises à l’encontre des forces de sécurité intérieure, qu’elles aient entraîné ou non une incapacité temporaire de travail.

Ces lois ont raffermi les fondements de notre contrat social, à savoir le lien de confiance entre les concitoyens et les représentants politiques. Ces textes, dont celui de 2017 qui a été adopté dès le début de la précédente législature, déploient des mesures concrètes pour apporter plus de transparence au monde politique et pour renforcer les exigences en matière de probité et d’exemplarité des élus. Ils proscrivent définitivement certaines pratiques et organisent les conditions de possibilité d’un vrai choc de confiance entre les citoyens et leurs représentants.

En cohérence avec ces différentes avancées législatives pour la confiance et la transparence du monde public et politique, il nous faut aller plus loin car le mandat électif public doit répondre aux plus hautes exigences de probité. Tel est exactement l’objet de la proposition de loi, qui vise à étendre la peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité aux violences aggravées visées par l’article 222-13 du code pénal – violences commises sur un mineur de 15 ans, sur une personne vulnérable, sur le conjoint, avec une arme, et sur les personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public ayant entraîné une ITT inférieure ou égale à huit jours ou n’ayant pas entraîné d’ITT.

L’exigence d’exemplarité que porte ce texte est partagée par bon nombre d’entre vous, au-delà de la majorité présidentielle et sur tous les bancs de l’Assemblée ; en témoignent l’adoption à une très large majorité au Sénat et à l’Assemblée nationale de la loi de 2017 ainsi que les ajouts, défendus par différents groupes au cours de la navette parlementaire, visant à étendre la peine complémentaire obligatoire aux violences contre les personnes.

Parce qu’elle guide le sens de l’action publique et qu’elle retisse cette confiance indispensable avec les citoyens, le groupe Renaissance votera en faveur de la proposition de loi.

Mme Pascale Bordes (RN). Nous sommes une majorité à comprendre l’esprit de cette proposition de loi, mais nous sommes aussi nombreux à nous interroger sur la méthode choisie. Plus largement, je m’inquiète d’un dévoiement de la production législative au service de l’instantané et de l’émotion, si juste et légitime soit-elle. En effet, c’est bien la présence dans l’hémicycle d’un député de l’une des oppositions, condamné pour violences conjugales, qui a motivé cette proposition de loi. Nous ne devons jamais céder à la dictature de l’émotion !

À l’instar d’une majorité de nos concitoyens, je condamne avec les plus grandes fermeté et énergie ces actes, d’autant qu’ils sont relativisés et minimisés par une partie d’une formation politique qui stigmatise à tout-va et qui pratique la cancel culture comme une arme de terrorisme intellectuel. Au-delà de ce constat, j’éprouve le très désagréable sentiment que nous débattons d’une loi de nature principalement politique, légèrement mâtinée d’opportunisme, dans une acception peu noble du terme. Cet opportunisme que d’aucuns se font une spécialité de reprocher en permanence à d’autres formations politiques que la leur.

Il y a déjà eu des parlementaires condamnés pour avoir violenté d’autres parlementaires, et cela n’a jamais donné lieu à une réaction législative. Il nous faut aller de l’avant et combattre haut et fort les violences conjugales et celles faites aux personnes en état de vulnérabilité, véritable cancer de notre société. Il faut dissuader les conjoints violents par des peines d’emprisonnement lourdes et fermes, mais la question de l’inéligibilité doit rester une sanction complémentaire à la peine principale, à la seule discrétion du juge et sans que le pouvoir législatif ne l’y contraigne. Il n’est par ailleurs pas déraisonnable de penser que c’est aux électeurs de se prononcer sur ce qu’ils attendent humainement et moralement de la représentation nationale. C’est aussi cela la démocratie représentative.

Les violences faites aux femmes sont un sujet trop grave pour que l’on en fasse un objet bassement politicien et à géométrie variable. Les intégrismes religieux, au premier rang desquels figurent l’islamisme et ses atteintes massives et répétées à la liberté et à l’intégrité des femmes, ne déchaînent pas la même passion ni la même inflation législative. Pourtant, près de 125 000 femmes ont été victimes de mutilations génitales et près de 8 % des femmes de Seine‑Saint‑Denis auraient subi une excision : là encore, force est de constater que la réponse législative est muette. Il ne peut pas y avoir deux poids et deux mesures.

C’est la raison pour laquelle, le groupe Rassemblement national n’est convaincu, à ce moment de la discussion, ni de la pertinence de la proposition de loi, ni des motivations de la majorité présidentielle. L’enjeu me paraît trop vaste et important pour donner dans l’effet de manche avec une proposition opportuniste et cosmétique. Les femmes et les personnes vulnérables méritent mieux que cela. Voilà pourquoi, en l’état actuel du texte, notre groupe s’abstiendra.

M. le président Sacha Houlié. Le juge sera libre de prononcer ou d’écarter la peine complémentaire d’inéligibilité, même s’il devra motiver son refus de l’appliquer.

Il s’agit d’une évaluation de la loi : j’avais formulé une remarque sur l’application du dispositif de la loi de 2017 après la condamnation judiciaire de l’un de nos collègues. Le travail d’évaluation législative donne lieu, ou non, à des propositions de loi visant à compléter le droit existant.

La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, dite loi séparatisme, comprend des dispositifs importants sur le traitement réservé aux femmes par les intégristes, notamment islamistes, qui ont déjà connu de nombreuses applications. De même, la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie comporte des mesures de lutte contre les excisions ainsi que des dispositions visant à faciliter le regroupement familial ou la protection des victimes d’excision.

Mme Danièle Obono (LFI-NUPES). La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à étendre la peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité aux violences ayant entraîné une ITT inférieure ou égale à huit jours ou n’ayant entraîné aucune ITT. Parmi la longue liste des violences concernées figurent celles commises sur le conjoint. Ses auteurs prétendent vouloir renforcer les exigences de probité inhérentes aux fonctions d’élus et auxquelles ils restent pleinement attachés. De manière plus explicite, le président de notre commission, deuxième signataire du texte, avait, lors de l’annonce de son dépôt en janvier dernier, expliqué ceci : « On a tiré les conséquences d’un vide juridique qu’on avait constaté lors de la condamnation d’Adrien Quatennens par la justice. »

Cette proposition de loi s’inscrit donc dans la dynamique « un fait d’actualité, une loi », mais pas n’importe quel fait d’actualité puisqu’il s’agit d’une affaire judiciaire concernant un opposant politique appartenant à la principale force d’opposition et d’alternative à la macronie. Nous avons affaire à une grossière et dangereuse instrumentalisation de la justice et des violences faites aux femmes à des fins bassement politiciennes. Peut-on prétendre de manière crédible être attaché aux exigences de probité, d’exemplarité et de dignité des élus quand on fait partie d’un groupe politique et qu’on soutient un exécutif, qui ont à leur actif, en cinq ans, onze condamnations, dont deux pour violences conjugales avec refus de lever l’immunité parlementaire pour l’un et de retirer l’investiture aux élections législatives pour l’autre, huit mises en examen, dont le secrétaire général de l’Élysée et l’actuel garde des sceaux accusés de prise illégale d’intérêts, et douze enquêtes en cours, dont celle qui vise l’actuel ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion, soupçonné de corruption et de prise illégale d’intérêts, le tout sans oublier que l’un des signataires de ce texte est accusé de viol et de tentative de viol ?

Vous ne pouvez arguer d’aucun magistère moral et vos justifications sont hypocrites. Vous ne faites surtout pas grand cas de la justice car on ne renforce aucune exigence quand on restreint les marges d’appréciation de l’autorité judiciaire. Votre proposition d’étendre la peine d’inéligibilité imposera une nouvelle obligation aux juges, qui devront prononcer une peine ou se justifier de ne pas le faire. L’obligation de motivation alourdira leur charge de travail et le temps consacré à l’explication de la décision. Les compositions de jugement, déjà complètement surchargées, devront rédiger des motivations spéciales dans la quasi-totalité des cas, où la peine d’inéligibilité n’a aucun sens. Votre mesure vise en réalité un nombre d’affaires très minoritaire dans la masse des violences que les tribunaux ont à traiter. Dans la majorité des cas, la peine sera écartée pour les auteurs qui ne sont pas des élus ni des militants politiques, associatifs ou syndicaux car elle ne présentera aucune utilité compte tenu de leur profil. La proposition revient à créer une loi pour une minorité des cas d’espèce et elle porte une atteinte disproportionnée à un droit civique fondamental.

L’inflation pénale, notamment l’aggravation des peines, pèse sur le fonctionnement de la justice, sans qu’elle n’ait le moindre effet en matière de dissuasion ou de prévention de la récidive. Si un changement de culture est effectivement nécessaire dans la société et dans l’institution judiciaire pour mieux appréhender les violences faites aux femmes, il doit passer en priorité par un ralentissement de la cadence pénale pour mieux enquêter et analyser les situations particulières des personnes en cause ; il faut également permettre aux victimes de faire valoir leurs droits dans les meilleures conditions. L’urgence est à la mise en place d’un plan clair de prévention, de formation, d’aide aux associations et d’investissements financiers massifs dans les services publics comme celui de la justice. Ainsi, tous les professionnels concernés devraient recevoir une formation spécifique et obligatoire en matière de violences sexistes et sexuelles. Il y a également lieu de créer un pôle judiciaire spécialisé dans les violences intrafamiliales dans chaque cour d’appel, de favoriser la désistance des hommes violents qui devraient suivre des stages de responsabilisation, et de renforcer les effectifs du service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip). De tout cela, il n’est nulle part question dans votre texte.

Vous avez par ailleurs écarté tous les amendements que nous avons déposés, alors qu’ils ne portaient que sur des demandes de rapport.

Nous refusons l’escalade répressive qui constitue la seule réponse que vous apportez à tout propos, sans jamais vous attaquer aux causes structurelles des problèmes ni mettre les moyens financiers pour y remédier.

M. le président Sacha Houlié. J’ai en effet pratiqué, comme pour chaque proposition de loi, un examen de recevabilité des amendements.

M. Ian Boucard (LR). Nous pouvons toutes et tous reconnaître qu’il n’est pas souhaitable que quelqu’un soit élu lorsqu’il a été condamné pour des violences commises sur un mineur de 15 ans, sur une personne vulnérable, sur son conjoint, avec une arme et pour toutes les violences aggravées ayant entraîné une ITT inférieure ou égale à huit jours ou n’ayant pas entraîné d’ITT.

Il convient néanmoins de revenir sur la forme : ce texte est un coup de communication de la majorité consécutif à la condamnation de l’un de nos collègues, Adrien Quatennens – son nom a déjà été cité, je me permets donc de le faire à mon tour. Est-ce souhaitable de légiférer après un fait ayant déclenché une polémique il y a quelques semaines ? Je suis d’accord avec les propos tenus tout à l’heure : notre collègue doit être battu dans les urnes et c’est aux citoyens d’en juger. La majorité parlementaire n’a pas à élaborer un texte de loi opportuniste, d’autant qu’elle a compté dans ses rangs, lors de la législature précédente, un député accusé de faits extrêmement graves ; or, à cette époque, aucun texte de loi n’avait été déposé.

Dans le cas qui vous a poussé à rédiger cette proposition de loi, le juge aurait déjà pu prononcer l’inéligibilité de notre collègue s’il l’avait souhaité. Est-il nécessaire de voter une loi rappelant au juge ce qu’il peut faire ? Cela participerait de l’inflation législative, qui n’est pas positive pour notre démocratie. Il serait sans doute plus populaire et mieux vu médiatiquement de dire qu’il est essentiel d’empêcher ce collègue de revenir à l’Assemblée et de se représenter à une élection, mais le juge aurait déjà pu le déclarer inéligible : il faut expliquer cela aux Français car tout ne peut pas être de la communication. Si les citoyens de sa circonscription ne veulent plus de lui comme député, ils n’ont qu’à le faire battre à la prochaine élection.

M. le président Sacha Houlié. La loi pénale n’étant pas rétroactive, cette proposition de loi ne s’appliquera pas au collègue dont vous parlez. Il s’agit bien d’une mesure pour l’avenir, élaborée dans le cadre de l’évaluation de la loi, comme je l’ai précisé précédemment.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Le dispositif suggéré vise à compléter la loi de 2017, qui traduisait le vaste débat de l’époque sur la probité et l’exemplarité des élus et qui avait fait l’objet d’un très large consensus politique. La moralisation de la vie publique était un thème important des campagnes électorales de cette année-là. L’opinion publique attendait du Parlement nouvellement élu qu’il prenne des initiatives pour assurer cette moralisation.

Les exigences de l’opinion visaient non seulement l’exercice honnête par les élus du mandat confié par le peuple, mais également l’exemplarité de comportement dans certaines situations particulièrement sensibles, comme les violences au sein du couple et de la famille. C’est ainsi que la peine d’inéligibilité obligatoire en est venue à s’appliquer à des comportements relevant de la conduite personnelle de l’élu. À cet égard, la proposition de loi se situe bien dans la continuité du texte voté en 2017, même si elle n’apporte pas de changement important au droit positif – les variations sur son titre ne peuvent d’ailleurs que renforcer cette impression. Elle complète une liste de délits, déjà très longue, et elle se borne à rendre obligatoire ce qui était facultatif pour les infractions prévues à l’article 222-13 du code pénal. On pourrait s’interroger sur la logique poursuivie, alors que d’autres infractions, dont l’actualité nous fournit hélas de nombreux exemples, auraient pu être retenues.

Nous devons nous interroger collectivement sur les prolongements possibles de la sanction d’inéligibilité, au-delà des domaines auxquels elle s’applique maintenant. Il ne faudrait pas que, sous prétexte d’adapter le champ d’application de l’inéligibilité aux attentes de l’opinion publique, nous nous rapprochions du mandat révocatoire, soutenu par certains partis politiques ; j’y suis personnellement opposé au nom du respect de la démocratie représentative. Je me reconnais dans la prudence affichée par ma collègue du groupe Démocrate, Laurence Vichnievsky, lorsqu’elle évoquait la difficulté de choisir entre telle ou telle infraction devant donner lieu à une peine d’inéligibilité.

Il n’y a évidemment pas de débat sur la condamnation des violences intrafamiliales. On comprend le sentiment de révolte et d’impuissance éprouvé par les victimes, qui méritent mieux qu’une législation au coup par coup. Le caractère obligatoire de la peine d’inéligibilité n’aura pas une influence déterminante sur la réponse pénale car le juge se prononcera toujours en fonction des circonstances de l’espèce.

Dans ces conditions, je ne peux qu’émettre, au nom de mon groupe, les plus grandes réserves sur le texte tel qu’il a été déposé. Comme en 2017, il appelle à un plus vaste débat, en vue de dégager une réponse utile au grave problème posé.

M. Hervé Saulignac (SOC). Je veux d’abord redire notre détermination à lutter contre toutes les formes de violence et à renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus. Le chemin à parcourir est encore long, et nous apporterons avec responsabilité notre pierre à l’édifice. Le combat contre les violences sexuelles et sexistes figure pour nous au rang de priorité ; ces violences ne sauraient souffrir de la moindre forme de tolérance, quel que soit le statut de celui ou de celle qui en est l’auteur. Le groupe Socialistes et apparentés estime que des mesures nouvelles doivent être prises pour prévenir ces violences, mieux accompagner les victimes et sanctionner plus efficacement les coupables. Quelles que soient les critiques que nous pourrons formuler sur cette proposition de loi, aucune d’entre elles ne doit servir de prétexte à remettre en cause cette détermination sincère et solide.

Pour la clarté de nos convictions, je tiens à préciser que le statut d’élu n’emporte aucun privilège, aucun passe-droit, aucune mansuétude. Les violences de toutes natures sont à combattre, à proscrire et à sanctionner, quel que soit le statut de leurs auteurs ; s’il s’agit d’un élu, sa légitimité à exercer ses fonctions peut être remise en cause.

Sur ce sujet, vous aviez, madame la rapporteure, une belle occasion de rassembler la représentation nationale autour d’un combat fédérateur ; votre proposition de loi aurait pu recueillir un large assentiment, mais vous avez choisi de faire un coup politique, dans une forme de précipitation qui vous conduit à étendre la peine d’inéligibilité à une liste impressionnante de délits, qui figure à l’article 222-13 du code pénal. Il ne fait aucun doute que si vous aviez ciblé les violences conjugales et intrafamiliales, vous auriez reçu un très large soutien, mais je veux croire que les débats en séance publique parviendront à resserrer le cadre du dispositif à ces seules violences. C’est à l’aune de ces débats en séance que nous arrêterons une position définitive.

Nous ne sommes pas dupes de la manœuvre et le fait qu’elle fleure bon le populisme ne semble pas vous embarrasser. Quelle audace quand on sait qu’il y a quelques jours encore, votre formation politique hésitait à investir dans une élection législative partielle, dans la neuvième circonscription des Français de l’étranger, l’un des vôtres, ancien collègue ayant été condamné en première instance à trois ans de prison, dont un an ferme, et deux ans d’inéligibilité pour violences volontaires sur un responsable du parti socialiste. Nous regrettons par ailleurs de ne pas vous avoir beaucoup entendus lorsqu’un ancien collègue député de l’Ain a été jugé coupable de harcèlement sexuel sur sa collaboratrice parlementaire ou lorsqu’un ancien collègue député de Gironde a fait l’objet de nombreuses interrogations sur la nécessité ou non de lever son immunité parlementaire que le parquet de Bordeaux réclamait car il souhaitait son placement en garde à vue. Je pourrais aussi revenir sur le cas d’élus locaux qui appartiennent à votre famille politique et qui continuent d’exercer des mandats de maire ou de conseiller régional malgré des condamnations judiciaires pour des faits de violences conjugales – ces exemples posant la question de la poursuite de l’exercice d’un mandat électif par des personnes condamnées pour des violences sexistes ou sexuelles. On peut légitimement regretter que le Gouvernement n’utilise pratiquement pas son droit de révoquer des élus coupables de crimes ou de délits.

Si je dresse cette liste, ni agréable ni exhaustive, c’est pour rappeler que l’on ne peut faire illusion sur un sujet aussi grave et sérieux ; il est impossible de se parer de toutes les vertus et de s’acheter une bonne conscience à moindres frais. Vous auriez pu lancer une initiative pluraliste pour rassembler un large panel de députés dans une réflexion collective et vous auriez pu chercher à réduire la durée des procédures contre ceux qui ne plaident pas coupables et qui utilisent toutes les voies de recours au détriment des victimes ; au lieu de cela, vous étendez presque aveuglément la peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité, dans une précipitation qui démontre que la communication politique prime à vos yeux sur le résultat réel que votre proposition de loi ne parviendra malheureusement pas à atteindre.

Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback (HOR). La proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui vise à rendre obligatoire le prononcé d’une peine complémentaire d’inéligibilité pouvant aller jusqu’à dix ans pour celui ou celle qui se rendrait coupable de violences dites aggravées ayant entraîné une ITT ne dépassant pas huit jours ou aucune ITT.

En l’état du droit, une personne qui se rendrait coupable de telles violences sur son conjoint, sur son enfant, sur une personne exerçant une mission de service public ou sur une personne faible, peut déjà être condamnée à une telle peine complémentaire. Il s’agit d’une faculté donnée au juge, dans le cadre de son appréciation des circonstances de l’infraction et de la personnalité de l’auteur, et ce conformément au principe d’individualisation des peines.

À côté de cette faculté, le code pénal prévoit que, pour les délits et les crimes les plus graves, ou ceux qui traduiraient un manquement à la probité élémentaire, comme le favoritisme, cette peine complémentaire soit obligatoire. Ces dispositions essentielles tendent à encadrer les comportements des élus de la République. C’est un sujet majeur pour notre démocratie et pour la confiance des électeurs dans leurs représentants et leurs institutions. Cette confiance est indispensable au bon fonctionnement du système électoral, qui repose sur la probité, l’impartialité et la déontologie que chaque élu doit respecter. Lorsqu’un élu manque à son devoir, c’est toute la démocratie qui en est fragilisée.

C’est la raison pour laquelle les gouvernements et majorités successifs se sont appliqués à poser des règles en matière de transparence des financements, de prévention et de cessation des conflits d’intérêts, de conditions d’embauche, de nomination des collaborateurs ou d’inéligibilité.

La justice serait donc laxiste et prononcerait si peu cette peine d’inéligibilité que nous devions examiner cette proposition de loi ? De fait, dans les cas visés de violences aggravées, cette nouvelle disposition a pour objectif d’obliger le juge à prononcer cette peine complémentaire, et non plus seulement de lui en offrir la possibilité, comme c’est le cas aujourd’hui.

Si nous souscrivons pleinement à la nécessité de sanctionner plus fermement les personnes qui se rendent coupables de délits portant atteinte aux fondements mêmes de notre démocratie, cette proposition de loi nous interroge toutefois sur plusieurs points.

D’abord, sur sa temporalité : notre groupe estime que notre rôle de députés est de légiférer pour l’avenir et de penser le temps long, sans nous laisser embarquer dans une forme de sur-réactivité de l’instant – un fait divers, une loi !

Ensuite, sur l’échelle des peines : sont aujourd’hui visés par le prononcé d’une peine d’inéligibilité obligatoire les délits les plus graves, comme ceux ayant entraîné une infirmité permanente, ou directement liés à l’exercice d’un mandat, comme le favoritisme, mais n’est-il pas opportun de distinguer le caractère obligatoire du prononcé de cette peine pour les délits les plus graves et de le laisser à l’appréciation du juge pour les autres délits ? Rappelons à cet égard que l’impunité n’est jamais de mise car, dans ce dernier cas, le juge a la faculté d’apprécier l’opportunité de cette peine complémentaire.

Enfin, cette proposition de loi nous interroge sur notre vision de la politique pénale de réinsertion en cas de primo-délinquance. Doit-on vraiment traiter de manière équivalente un primo-délinquant et un récidiviste ? La première condamnation doit se donner comme objectif principal, non seulement de punir, mais de prononcer la peine la plus efficace pour dissuader son auteur de passer à nouveau à l’acte. Lorsque cette peine n’a pas empêché la récidive, l’auteur, pleinement conscient des risques, doit être sanctionné avec la plus grande fermeté. Ne serait-il pas pertinent de prévoir cette forme de peine minimale pour les auteurs de violences aggravées commises en état de récidive légale ?

Comme vous l’avez compris, de nombreuses questions nous rendent, selon la jolie formule de notre collègue, très réservés sur ce texte.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Avec cette proposition de loi, vous ajoutez les violences aggravées à la liste des délits pour lesquels la peine complémentaire d’inéligibilité est obligatoirement, mais pas automatiquement, prononcée à l’encontre d’un élu lorsqu’il en est l’auteur. Ces violences sont notamment celles exercées sur mineur, sur personne vulnérable ou sur conjoint.

Cette proposition de loi ne vient pas lutter contre le fléau des violences intrafamiliales, n’apportant ni moyens supplémentaires ni actions concrètes en la matière. Elle est le symbole d’une tentative de renouer la confiance des électeurs envers les élus, en affirmant le devoir d’exemplarité de ces derniers. C’est du moins le cas dans l’affichage que vous en faites, car vous n’appliquez ce devoir qu’à la frange de la classe politique que vous appelez « opposition ». Il est, à dire vrai, un peu cocasse que cette proposition émane de vos rangs, mes chers collègues de La République en marche, tant on compte parmi les vôtres d’affaires et de mises en examen : François de Rugy, Richard Ferrand, Muriel Pénicaud, Nicolas Hulot, Éric Dupond-Moretti, Gérald Darmanin, Sébastien Lecornu, Agnès Buzyn, Damien Abad, Olivier Dussopt… j’en omets, car notre temps de parole est limité. Vous protesterez en invoquant la présomption d’innocence ou le fait que les affaires soient classées ou jugées sans suite, mais le président Macron avait placé le début de son mandat sous le signe de la moralisation de la vie publique et, durant sa campagne de 2017, affirmé qu’un ministre mis en examen ne pouvait rester en poste.

Rétablir la confiance dans la vie politique, c’est d’abord tenir ses promesses – et je ne parle pas là des retraites. C’est aussi agir de façon objective et transparente, et non à des fins politiciennes. Si vous aviez vraiment voulu renforcer l’exemplarité des élus, vous auriez certainement agi différemment envers votre ancien collègue Benoît Simian. En effet, il ne s’agit pas ici d’une affaire ou de plaintes classées sans suite, mais de quelqu’un qui a été condamné par la justice pour avoir harcelé sa femme. Or, à l’époque, voilà sept mois seulement, l’idée d’une telle proposition de loi ne vous a pas effleurés.

Je rappelle que M. Simian a été condamné à huit mois de prison avec sursis, assortis d’une interdiction de s’approcher de son épouse ou de son domicile pendant un an, pour avoir harcelé celle-ci. À cette époque, le bureau de l’Assemblée nationale, majoritairement composé de députés du groupe La République en marche, avait refusé la levée de son immunité parlementaire. Pourquoi ce revirement soudain ? Le timing politique est opportun, et nous l’avons bien saisi.

Cette proposition de loi peut être analysée comme un message positif pour les victimes, mais nous ne sommes pas dupes de vos intentions. La question est trop grave pour être instrumentalisée – mais vous l’avez pourtant fait. Le groupe GDR sera donc attentif aux travaux de notre commission et se déterminera à leur issue.

À titre personnel, je précise que je me suis attachée au fond, et uniquement au fond, m’efforçant de faire abstraction tant du timing que de vos intentions. Je voterai donc cette proposition – mais si vous déposez demain une proposition de loi sur la fin de l’opportunisme politique, je la voterai également.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Nous sommes, à l’Assemblée nationale, 37 % à connaître le cas particulier des femmes en politique et vous êtes vous-même, madame la rapporteure, bien placée pour le savoir – vous étiez de fait l’une des rares femmes de droite à avoir témoigné au titre de Me Too, témoignage qui vous a valu d’abord quelques difficultés avant de produire ses effets. Durant la précédente mandature, nous sommes nombreuses à avoir subi, impuissantes, la révélation des cas que vous avec cités : M. Benoît Simian, condamné à huit mois de prison avec sursis pour quarante chefs d’accusation, après avoir harcelé deux femmes, ou M. Trompille, évoqué tout à l’heure sans être nommé, condamné pour harcèlement sexuel envers une collaboratrice – des hommes auxquels leur position a donné du pouvoir sur des personnes qui travaillent pour nous et avec nous au service de la nation. Tous ont échappé tant à l’inéligibilité qu’à des sanctions de la part de l’Assemblée nationale, qui est fort dépourvue en la matière.

La justice, elle aussi, peine à apporter des réponses aux victimes : en 2020, 0,6 % des viols déclarés ont été jugés. Environ 100 000 femmes avaient été violées cette même année : je vous laisse calculer le nombre de celles qui se taisent, qui souffrent et qui ne reçoivent aucune réponse, dans nos murs et au-dehors.

Il est donc temps de réagir. L’exemplarité et la probité sont au cœur de ce que vous nous avez expliqué et du contrat de confiance que nous passons avec la nation. Au fil des affaires, des mises en examen, des non-lieu pour prescription et des condamnations, ce contrat est mis à mal et impose un devoir accru d’exemplarité collective.

Pour agir, nous avons heureusement des exemples de dispositifs efficaces. Ainsi, le Parlement européen a pris depuis 2014 des mesures en faveur de l’exemplarité de l’élu, érigée en valeur centrale, et peut agir à ce titre en ses murs et au-dehors : en 2014, c’était la création du comité consultatif sur le harcèlement moral et sexuel et sur sa prévention ; en 2017, une résolution par laquelle le Parlement assumait sa responsabilité et prévoyait de débattre en séance sur des outils lui permettant de progresser et d’être exemplaire pour toute la société ; rebelote en 2018, puis en 2019. L’Assemblée nationale, en revanche, est, selon la Fondation Jean Jaurès, la seule qui refuse d’avancer, et se distingue par la lenteur de la mise en place d’un dispositif et, à rebours de toutes les autres institutions, par le refus de vouloir assumer une responsabilité propre en matière de sanctions des élus mises en cause. Vous renvoyez une nouvelle charge vers la justice, qui n’a pas les moyens de traiter tous ces cas, et nous refusons d’agir, alors que nous en avons le devoir et que nous devrions assumer nous-mêmes ces obligations.

Votre proposition de loi, c’est l’Observatoire des violences sexuelles et sexistes en politique qui en parle le mieux, en en tirant un bilan acide : le groupe Renaissance a choisi, avec une loi ad hominem, d’intervenir sur un champ très étroit en matière de violences sexistes et sexuelles commises par des hommes politiques, excluant les 99 % de femmes dont les plaintes n’obtiennent jamais de réponse.

Je suis plutôt optimiste et je crois que nous avons le pouvoir de changer les choses. Je viens d’un parti qui ne s’est jamais caché, qui n’a jamais eu de pudeur et qui a pris des décisions difficiles dans une société qui les refuse et dans un champ politique qui les condamne. Vous avez encore le choix : coconstruire avec nous, selon les mots de votre Première ministre, une véritable loi pour agir, ou continuer dans la voie qui a été dénoncée par toutes les oppositions, en vous en tenant à de la pure communication. Choisissez votre camp, madame Bergé !

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux interventions des autres députés.

M. Xavier Breton (LR). J’ai noté les réserves que plusieurs orateurs ont eu le courage d’exprimer. Il ne faut pas trop jouer avec l’actualité, madame la rapporteure, sous peine de discréditer à la fois votre démarche politique et le travail législatif. Nous ne devons pas réagir à des cas particuliers, mais traiter des faits de société pour améliorer la situation.

Votre proposition de loi soulève de nombreuses objections et la prudence s’impose. À cet égard, nous ne mettons pas en cause la justice, dont nous respectons pleinement le travail, mais il ne faut pas ajouter de nouvelles mesures en fonction de l’actualité, au risque d’ajouter aussi des crispations. Votre responsabilité en la matière est d’autant plus grande que vous présidez un groupe parlementaire, majoritaire de surcroît – même si cette majorité est relative. Vous devriez prendre en compte les signaux qui vous ont été envoyés, notamment par votre majorité. De fait, nombre de nos concitoyens s’inquiètent de voir les libertés mises en cause et d’imaginer un pays dans lequel un groupe majoritaire ferait une loi en réponse au comportement d’un député de l’opposition, même si ce comportement est inacceptable et a été jugé. Ce pays, c’est le nôtre. Il faut être très prudents dans la manière dont nous usons de notre démocratie.

Mme Aurore Bergé, rapporteure. Après avoir répondu sur le plan des principes, j’ajouterai des éléments plus personnels en réponse aux interpellations des groupes GDR‑NUPES et Écologiste-NUPES, car je souscris à certaines de ces remarques.

Madame Bordes, vous pouvez trouver toutes les circonlocutions que vous voudrez pour dire que cette proposition de loi n’est pas bonne, mais il n’est pas très raisonnable de justifier votre abstention en invoquant la cancel culture et la lutte contre les mutilations imposées aux femmes. Heureusement, en effet, ces mutilations sexuelles – comme l’excision, que vous avez citée – sont clairement réprimées par notre code pénal et nous n’avons pas besoin de légiférer en la matière.

Je constate que vous avez retiré les amendements de suppression que vous aviez initialement déposés. Vos amendements restants sont assez caractéristiques, toutefois, de votre culture politique. Vous proposez ainsi de retirer la discrimination du champ de la loi. Je crois qu’un consensus se dégagera pour repousser ces amendements, car un élu condamné pour des faits de discrimination et qui s’est ainsi éloigné du champ républicain et des valeurs que, je l’espère, nous partageons ici doit faire l’objet d’une peine d’inéligibilité.

Monsieur Saulignac, on me reproche, d’un côté, d’avoir assigné à la loi un champ trop restreint et, d’un autre côté, on m’objecte que ce champ est trop large et qu’il aurait fallu restreindre ce champ aux violences conjugales. Or, si je l’avais ainsi restreint, on m’aurait évidemment reproché un opportunisme politique qui aurait été clairement établi – mais ce n’est pas le choix que j’ai fait. D’autre part, les violences conjugales répétées sont déjà couvertes par la loi actuelle.

La question était de savoir si nous considérons comme légitime d’élargir le champ actuel de la peine complémentaire d’inéligibilité, certes obligatoire, mais toujours laissée à l’appréciation du juge, à des violences aggravées n’ayant pas entraîné d’ITT de plus de huit jours. L’article auquel nous renvoyons est, de ce point de vue, assez exhaustif, mais il est très difficile d’établir une hiérarchie entre les différentes circonstances aggravantes qu’il prévoit. Pourquoi mon groupe aurait-il déposé une proposition de loi ne visant que les ITT de moins de huit jours, mais ne concernant que certaines formes de violence ? Je ne saurais établir de hiérarchie entre les violences conjugales, intrafamiliales, visant des personnes en situation de handicap ou vulnérables, à caractère homophobe, commises en raison de l’identité de genre, à caractère raciste ou antisémite, qui entrent dans le champ de la proposition de loi et sont assez graves pour être intégralement couvertes. Du reste, si le législateur a condensé l’ensemble de ces infractions à l’article 222–13 du code pénal, c’est précisément pour ne pas établir de hiérarchie entre elles. Le champ large de cette proposition de loi est ainsi une nécessité éthique.

J’entends les réserves qui s’expriment quant au moment choisi pour présenter une telle proposition de loi. C’est une vraie question, qui s’est posée à maintes reprises à l’ensemble des formations politiques. Nous nous sommes évidemment demandé s’il fallait succomber à un fait divers, mais nous ne pouvons pas non plus nous abstraire de la réalité. Nos propositions émanent aussi des retours de nos concitoyens, qui réagissent à nos prises de position publiques et aux actes que nous posons ou ne posons pas, et qui, alertés par des faits, nous demandent d’agir. Nous devons nous positionner, prendre nos responsabilités et nous demander si la singularité et l’importance de ces faits, ou leur écho auprès de nos concitoyens, justifient que nous agissions. La politique n’est pas hors-jeu, car nous sommes des élus politiques. J’assume le fait que nous n’avons pas à nous abstenir de faire de la politique lorsque nous portons des propositions de loi.

Madame Obono, je n’ai pas compris la position de votre groupe et je ne sais pas si vous voterez pour ou contre cette proposition de loi, ou si vous vous abstiendriez, car vous ne l’avez pas dit. Toujours est-il que vous recourez à toutes les circonvolutions possibles parce que le fait déclencheur de cette proposition concerne quelqu’un qui vous est proche. Soyons très clairs : nous devons tous balayer devant notre porte. Les faits que vous avez cités et qui ont eu lieu durant la précédente législature ont fait honte à notre assemblée. Sans nommer les collègues que vous avez cités, je reprends vos propos à mon compte. S’il faut, dans une logique transpartisane, aller plus loin, notamment pour ce qui concerne les règles relatives à l’immunité, ni mon groupe ni moi n’y verrons aucun problème.

Je suis prête à soutenir une proposition de loi émanant de vos rangs et inscrite dans le cadre d’une niche parlementaire écologiste ou communiste – ce que vous n’avez pas encore proposé. L’immunité doit protéger ce qui peut se dire dans l’hémicycle, mais en aucun cas des comportements déviants, qui donneraient l’impression que les élus sont à l’écart de la République et de la justice. Lorsque ces faits sont apparus, je ne siégeais pas au bureau de l’Assemblée nationale – où, du reste, les présidents de groupe n’ont pas le droit de vote. D’autres avaient, à l’époque, le pouvoir d’agir, mais tous les groupes politiques représentés autour de la table du bureau de l’Assemblée nationale, à l’unanimité, ont pas choisi de ne pas lever l’immunité. Clémentine Autain y siégeait pour La France insoumise ; les socialistes et les communistes étaient eux aussi représentés.

S’il faut balayer devant notre porte, nous devons tous le faire. Il s’est produit des faits qui n’ont pas fait honneur au groupe auquel j’ai appartenu ni à notre institution. Après les semaines que nous avons vécues, tout ce qui peut renforcer l’image de notre Assemblée auprès de nos concitoyens est vital pour notre démocratie, notamment sur les questions que nous abordons aujourd’hui.

Madame Regol, les sujets que vous évoquez ne relèvent pas du champ de loi. C’est moi qui ai proposé d’auditionner l’Observatoire des violences sexuelles et sexistes en politique, qui réalise un travail pertinent et utile. J’ai dit aux représentantes de cet organisme que certaines de leurs propositions, qui ne sont pas d’ordre législatif, méritaient d’être abordées dans le cadre du bureau de l’Assemblée nationale. Ces personnes m’ont dit, par exemple, que des femmes avaient essayé d’alerter la cellule anti-harcèlement sans trouver d’écoute ou de réponse. J’ai immédiatement prévenu la présidente de l’Assemblée nationale, qui a immédiatement saisi cette cellule pour vérifier les faits et s’assurer que chaque femme – ou chaque homme – qui pourrait la saisir reçoive une réponse appropriée. Là aussi, s’il faut, dans un cadre transpartisan, aller plus loin, mon groupe et moi-même y sommes prêts, afin de garantir que les hommes et les femmes travaillant au sein de l’Assemblée nationale qui pourraient demain être victimes de harcèlement se sentent protégés par l’institution.

Je comprends, je le répète, les réserves qui peuvent exister quant à l’opportunité politique qu’il peut y avoir à légiférer, mais vous ne pouvez pas ignorer que le fait qu’un député condamné pour violences conjugales revienne siéger sur nos bancs gêne un grand nombre de nos collègues, non seulement de la majorité, mais aussi de l’opposition et au sein de la NUPES – nous en avons d’ailleurs régulièrement parlé. Nous sommes plusieurs femmes à être sorties ce jour-là, dans un état qui nous a très sincèrement réunies. On ne peut pas ignorer l’existence de ce fait dans le débat public ni qu’il a choqué ou, à tout le moins, interrogé, l’opinion publique.

La loi n’est pas rétroactive en matière pénale et ne s’appliquera donc pas à ce député, qui se présentera ou non aux prochaines élections, et que son parti investira ou non. Pour ma part, comme je l’ai toujours dit, si j’étais présidente de son groupe, je l’aurais déjà exclu, et non pas seulement suspendu. J’ai toujours dit qu’un élu condamné serait, dans la seconde même, exclu de mon groupe. Il existe toutefois des principes dans un État de droit : si nous, parlementaires, commençons à juger avant les juges sur des affaires en cours, il n’y a plus de justice possible. Si nous ne tenons pas cette position au sein de la commission des lois et de l’Assemblée nationale, peu de gens la tiendront à l’extérieur. Ces questions nous placent évidemment – et moi-même en qualité de présidente de groupe – dans des situations délicates, mais je ne change pas d’avis en fonction des personnes ou des partis politiques concernés. Je tiens la même ligne : je ne juge pas avant les juges. Mais lorsque la chose a été jugée et qu’une personne fait l’objet d’une condamnation au titre de l’article 222-13 du code pénal, elle n’a plus sa place dans le groupe que je préside. Les juges doivent aller plus loin et dire que telle personne ne mérite pas de se présenter à nouveau aux suffrages des Français.

Nous avons assisté à un renouvellement de notre assemblée, et c’est tant mieux. Je rappelle toutefois que les élus ne sont pas seuls concernés par cette proposition de loi : elle s’applique à tous nos concitoyens, à qui il faut dire que celles et ceux qui, demain, souhaiteraient être élus doivent avoir un comportement en tout point exemplaire. C’est aussi un signal envoyé aux magistrats, qui nous ont indiqué, durant les auditions auxquelles nous avons procédé, qu’ils avaient déjà le réflexe de prononcer cette peine complémentaire lorsqu’ils ont affaire à des élus ou à des militants politiques. Nous leur suggérerions ainsi d’aller plus loin et de penser que tout citoyen qui se présente devant eux peut demain devenir un élu  : cela peut justifier le prononcé de cette peine.

J’entends donc les réserves qui s’expriment, mais nous ne sommes pas hors du monde politique ni de l’actualité de notre pays. Nous ne sommes pas éloignés des doutes, des inquiétudes et des attentes des Français. S’il ne faut pas faire une loi par fait divers, il n’en reste pas moins que certains faits ne sont pas vraiment « divers » et peuvent interpeller assez fort l’opinion publique pour nous dire d’agir.

La seule question qui se pose pour décider si on vote pour ou contre cette proposition de loi, ou si on s’abstient, est de savoir si on a un avis : si on en a un, on vote, et on ne s’abstient pas ! Nous devons dire clairement si nous voulons que, demain, cette peine complémentaire doive être prononcée à l’encontre de personnes qui, je le répète, ont frappé leur conjoint ou leur enfant, ont frappé pour des raisons racistes ou antisémites, ont frappé des personnes en situation de handicap. Si on considère, au contraire, que cela va trop loin, cela signifie qu’on est contre. C’est la seule question qui nous est posée, et qui nous sera posée lorsque cette proposition de loi fera – peut-être – l’actualité. C’est bien au-delà du fait divers et de la personne qui a donné lieu à cette proposition.

Si nous pouvons tirer de cette affaire un consensus au sein de l’Assemblée nationale et démontrer son entière détermination à agir, peut-être alors cela aura-t-il été positif. Je me tiens à la disposition de tous les groupes qui veulent sincèrement avancer sur cette voie pour continuer à travailler sur cette proposition de loi et, surtout, sur le sujet majeur qu’est la lutte contre toutes les violences.

Avant l’article unique

Amendement CL12 de Mme Emeline K/Bidi.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). En m’extrayant du contexte et de la répulsion que suscite la manœuvre, je me suis seulement demandé si, dans un autre contexte et à un autre moment, j’aurais voté cette loi. Oui, je l’aurais fait et je reste fidèle à mes convictions. J’ai déposé cet amendement car je considère qu’on ne peut traiter de la même manière des personnes agissant pour la première fois ou en récidive : il faut être plus sévère envers les récidivistes – qui, je l’espère, représentent un phénomène très minoritaire.

Mme Aurore Bergé, rapporteure. Je comprends l’objet de cet amendement, dont la rédaction pose toutefois problème. Outre la question légistique que soulève la référence à la récidive, et qui est susceptible d’être corrigée, il pose en effet un problème constitutionnel, car il ne prévoit par pour le juge de possibilité de déroger au seuil que vous proposez pourcette peine complémentaire... Je demande donc le retrait de l’amendement. À défaut, avis défavorable.

L’amendement est retiré.

Article unique (art. 131-26-2 du code pénal) : Peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité pour les condamnations en raison de violences aggravées ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ayant entraîné aucune incapacité

L’amendement rédactionnel CL14 de la rapporteure est adopté.

L’article unique est adopté modifié.

Après l’article unique

L’amendement CL1 de M. Bruno Bilde est retiré.

Amendement CL3 de M. Bruno Bilde.

Mme Pascale Bordes (RN). La proposition de loi constitue, selon les propres mots de Mme la rapporteure, une réponse politique au retour à l’Assemblée nationale d’un député de l’opposition condamné pour violences conjugales. Cependant, le champ de cette proposition de loi ne se limite pas aux violences conjugales, puisqu’elle vise à sanctionner d’une peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité les violences aggravées visées par l’article 222-13 du code pénal, c’est-à-dire notamment les violences commises sur un mineur de 15 ans, sur une personne vulnérable, sur le conjoint ou avec arme, ayant entraîné une ITT inférieure ou égale à huit jours ou n’ayant pas entraîné d’ITT.

Cet amendement tend donc à demander au Gouvernement de remettre au Parlement, dans un délai de six mois après la promulgation de la présente loi, un rapport comptabilisant l’ensemble des violences physiques commises par des parlementaires au cours des dix années précédentes, ainsi que les suites judiciaires et politiques apportées.

Mme Aurore Bergé, rapporteure. Je demande le retrait de l’amendement. À défaut, avis défavorable. Il s’agit d’abord, en effet, quasiment d’un principe au sein de cette commission en cas de demande de rapport, mais c’est aussi – et c’est très important – parce que le champ de la proposition de loi ne se limite pas aux seuls parlementaires : elle vise tous les citoyens qui pourraient être, demain, concernés par la possibilité d’une peine complémentaire d’inéligibilité.

M. Erwan Balanant (Dem). Je note avec intérêt l’honnêteté intellectuelle de ma collègue du groupe GDR-NUPES, et je souscris à ses propos.

Par ailleurs, vos explications, madame la rapporteure, et les autres éléments que vous avez apportés, ont eu raison des réserves que j’avais initialement quant à ce texte qui pouvait sembler de circonstance. Comme vous l’avez bien dit, nous ne légiférons pas seulement pour l’actualité, mais aussi pour la vie – c’est un argument de poids.

De fait, l’inéligibilité concerne non seulement les élus, mais aussi les futurs élus. Il est bon que le juge doive l’appliquer, pour une durée qu’il déterminera, à des personnes qui ne pourront donc, durant cette période, se présenter aux suffrages des électeurs.

Mme Danièle Obono (LFI-NUPES). Monsieur le président, vous nous avez annoncé, sans vraiment la justifier, l’irrecevabilité de nos amendements, vous contentant de nous expliquer que vous en aviez le droit. C’est révélateur. Mme la rapporteure s’enflamme pour nous convaincre de votre volonté de lutter contre les violences et de montrer l’exemple mais vous repoussez la demande d’un simple rapport pour évaluer le nombre de fonctionnaires qui manquent à l’institution judiciaire alors que l’augmentation du nombre de personnels permettrait d’améliorer l’accueil des victimes et la reconnaissance de leur préjudice. Vous rejetez également la demande d’un rapport sur la création, au sein des juridictions, d’un pôle judiciaire de lutte contre les violences intrafamiliales, le doublement de l’aide juridictionnelle, les plans de formation, les mesures pour favoriser la non-récidive des violences, les moyens d’améliorer le dépôt de plainte, l’application des séances d’éducation et de formation. Ces sujets méritent un vrai débat. Or, depuis cinq ans, vous vous en êtes désintéressé. La majorité des organisations ne cesse de décrier votre bilan en ce domaine.

En l’espèce, vous avez fait un choix politique et politicien, que vous assumez très bien. Personne ne remet en cause votre engagement en la matière. C’est aussi le nôtre, en tant qu’élus ou militantes féministes. Nous refusons cependant que cette cause soit ainsi instrumentalisée. Vous avez vos raisons, nous avons les nôtres, tout aussi légitimes, y compris pour ce qui est de notre conception du mandat et de l’inéligibilité. C’est un vrai débat mais vous avez raté l’occasion de le tenir sérieusement, dans un esprit constructif.

M. le président Sacha Houlié. Les amendements que vous évoquez ont leur place au sein des projets de loi de finances ou dans des textes relatifs à la lutte contre les violences conjugales. Le Conseil constitutionnel n’a jamais remis en cause ma manière d’examiner la recevabilité des amendements, malgré les recours déposés par les députés de La France insoumise. J’espère que vous serez aussi intransigeante à l’égard de M. Coquerel que vous l’êtes envers moi car son interprétation de l’article 40 de la Constitution me laisse dubitatif, tout comme la présidente de l’Assemblée nationale.

La commission rejette l’amendement.

Titre

La commission adopte l’amendement rédactionnel CL13 de Mme Aurore Bergé.

Elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de d’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi visant à étendre le champ d’application de la peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité aux cas de condamnation pour des violences aggravées ayant entraîné une incapacité temporaire (n° 759) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.


—  1  —

   Personnes entendues

   Mme Pauline Bonnecarrere, vice-présidente du tribunal judiciaire de Paris, chargée de mission secteur pénal

   Mme Françoise Brié, directrice générale de la Fédération nationale Solidarité Femmes

   Mmes Mathilde Viot et Fiona Texeire, cofondatrices de l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politique

 


([1]) Loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique.

([2]) Nouvel article 131-26-2 du code pénal.

([3]) Paragraphe 2, de la section 1 du chapitre II du Titre II du Livre II du code pénal.

([4]) Article 222-13 du code pénal.

([5]) Article 1er de la loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique.

([6]) Article 10 de la loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure.

([7]) Délit prévu à l’article 222-14-5 du code pénal.

([8]) Dernier alinéa de l’article 131-26 du code pénal.

([9]) Alinéa 7 du même article.

([10]) Loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.

([11]) Article 131-26-1 du même code.

([12]) Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

([13]) Loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique.

([14]) L’article 222-14-5 a été intégré à l’article 131-26-2 lors de sa création en 2022 par la loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure.

([15]) Conseil constitutionnel, Décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999, Loi organique relative à la NouvelleCalédonie, cons. 41.

([16]) Conseil constitutionnel, Décision n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2010, M. Stéphane A et autres.

([17]) Idem.

([18]) Commentaire de la décision n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2010, M. Stéphane A. et autres, in Les Cahiers du conseil constitutionnel, Cahier n° 29.

([19]) Commentaire de la décision n° 2015-493 QPC du 16 octobre 2015, M. Abdullah N.

([20]) À l’exception du 13° du II de l’article 131-26-2, qui incluait dans la liste des infractions concernées par cette peine complémentaire obligatoire certains délits de presse. Le Conseil constitutionnel a considéré qu’il s’agissait là d’une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression. Le 13° a donc été censuré.

([21])  Conseil constitutionnel, Décision n° 2017-752 DC du 8 septembre 2017.

([22]) Peine complémentaire prévue à l’article 131-27 du code pénal.

([23]) Paragraphe 2, de la section 1 du chapitre II du Titre II du Livre II du code pénal.

([24]) Article 222-13 du code pénal.

([25]) Article 222-16 du même code.

([26]) Article 222-14-2 du même code.