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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÉME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 29 mars 2023.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE SUR LA PROPOSITION DE LOI visant à interdire les vols en jets privés (n° 885).
PAR M. Julien Bayou
Député
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Voir le numéro : 885
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SOMMAIRE
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Pages
I. Le rÉgime juriDIque encadrant le recours aux jets privÉs
II. L’impact environnemental des jets privÉs
1. L’empreinte carbone des jets privés, majorée en France, augmente
III. Associer les plus riches à la transition écologique
IV. Des mesures insuffisantes, la nécessité d’un principe d’interdiction
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
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Alors que la lutte contre le changement climatique et ses effets néfastes est incontestablement le plus grand défi auquel nous sommes confronté-es, les dérives de quelques ultra-riches ruinent nos chances de gagner la bataille climatique et condamnent les efforts et l’avenir des Français-es. Se déplacer avec un avion personnel est l’un des symboles de ces dérives.
La proposition de loi, examinée dans le cadre de la niche parlementaire du groupe des Écologistes, vise à interdire les vols en jets privés.
Mettre un terme à cette pratique revêt un double intérêt. C’est une mesure efficace pour réduire l’impact environnemental de l’aviation par la réduction du trafic aérien, dans la mesure où un vol effectué en jet privé serait en moyenne cinq à quatorze fois plus émetteur de gaz à effet de serre par voyageur qu’un vol commercial classique ([1]). C’est également une mesure de justice pour consolider l’acceptabilité sociale de la transition écologique. La majorité de la population ne pourra pas consentir aux efforts demandés si une minorité de privilégié-e-s continue ses dérives climaticides : 1 % de la population mondiale est ainsi responsable de 50 % des émissions de l’aviation. De manière générale, lorsqu’un-e Français-e émet en moyenne environ 10 tonnes de CO2 par an, cette moyenne cache d'énormes disparités : de moins de 5 tonnes de CO2 par an pour les classes populaires et moyennes à plus de 8 000 tonnes de CO2 pour quelques milliardaires ([2]). D’après un rapport de l’Oxfam, sur les vingt-cinq dernières années, les 1 % les plus riches de la population mondiale ont été responsables de deux fois plus d’émissions de CO2 que la moitié la plus pauvre de l’humanité ([3]). Les émissions de CO2 liées au transport aérien représentent 41 % de l’empreinte carbone des 1 % les plus riches de la population européenne ([4]).
Cette proposition de loi est une mesure simple, concrète et aisée à mettre en œuvre. Nul doute qu’elle sera commentée et accusée de contrevenir à quelques principes juridiques dans une mise en balance de droits et libertés fondamentaux qui est assumée et même revendiquée par le rapporteur.
Des exigences constitutionnelles peuvent justifier de prendre des mesures restrictives de droits et libertés garantis par la Constitution, et en particulier le préambule de la Charte de l’environnement. Le Conseil constitutionnel a consacré en 2020 la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains, en « objectif à valeur constitutionnelle » ([5]). En août 2020, ce même Conseil a considéré que cette protection de l’environnement relevait des « intérêts fondamentaux du pays ». La protection de l’environnement est également protégée par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et est un objectif essentiel de l’Union ainsi qu’une exigence impérative selon la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Cette analyse s’inscrit dans la droite ligne de la justice climatique, en plein essor dans les juridictions européenne et interne.
La mobilité des ultra-riches ne doit pas être supérieure à la protection de l’environnement ou au droit à vivre dans un environnement sain (article 1er de la Charte de l’environnement) qui bénéficie à toutes et tous. La balance doit pencher du côté de l'intérêt général et non du côté des intérêts d’une minorité de privilégié‑e-s.
De la même manière, la mobilité des ultra-riches ne doit pas être davantage sacralisée par rapport à la mobilité de la population qui fera face à des restrictions importantes de circulation au sein des zones à faibles émissions mobilité. Le législateur ne peut pas, dans le même temps, laisser circuler le vol en jet privé tout en empêchant à la voiture trop polluante de circuler dans les centres villes. À d’autant plus forte raison que, lorsque l’accompagnement est insuffisant (manque de transports publics ou d’aides pour remplacer son véhicule), l’interdiction de mobilité est totale pour l’un, quand les voyageurs en jets peuvent se rabattre facilement sur le train ou les lignes commerciales de l’aviation.
Cette proposition de loi est l’une des premières tentatives juridiques en la matière au sein de l’Union européenne. Elle doit être vue comme un exemple à suivre, au lieu d’être critiquée pour sa singularité au sein du ciel européen. Au cours des semaines d’élaboration et d’écriture de ses articles de loi, le rapporteur a engagé de nombreuses discussions avec des professeurs de droit spécialisés en transports, des associations environnementales, un syndicat de l’aviation civile ainsi qu’un pilote de jets privés « repenti » ayant pris conscience de l’impact délétère de son activité. Toutes ces consultations ont montré que l’ensemble des personnes interrogées prennent éminemment au sérieux la nécessaire régulation de l’aérien, à commencer par la régulation de l’utilisation insoutenable de l’avion faite par les plus riches. Ce travail approfondi et sérieux est bien loin de la réaction du ministre de la transition écologique, M. Christophe Béchu, qui a balayé d’un revers de la main cette proposition en la qualifiant de « buzz » inutile.
La proposition de loi visant à interdire les vols en jets privés constitue un petit effort demandé à celles et ceux qui multiplient les vols « caprice » tout en ayant un impact considérable sur l’environnement et sur l’acceptabilité sociale de la transition climatique. Au-delà du climat, il est aussi question de justice.
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I. Le rÉgime juriDIque encadrant le recours aux jets privÉs
La notion de « jet privé » n’existe pas en droit. Un « jet privé » désigne avant tout un type d’avion à réaction de plus petite taille que les avions de ligne. La notion peut être également communément utilisée pour des avions de plus grande taille qui disposeraient de turboréacteurs et seraient mobilisés à titre individuel. Les jets privés se caractérisent par le fait qu’ils sont mobilisés à la demande par des particuliers ou des entreprises pour réaliser des déplacements non réguliers de passagers.
Le cadre dans lequel une personne peut recourir aux services d’un jet privé relève de deux situations distinctes en droit :
– L’usager peut être le propriétaire du jet et organiser son transport pour son compte propre, sans percevoir de rémunération, auquel cas la situation relève juridiquement du transport dit non commercial ou privé de passagers ;
– Le jet peut également être affrété à la demande d’un particulier ou d’une entreprise contre une rémunération. Le vol en jet privé est alors organisé à titre onéreux, par un courtier aérien ou une compagnie aérienne. Dans cette situation, les règles du transport aérien dit commercial ou public s’appliquent.
La distinction opérée entre ces deux situations repose sur le caractère commercial ou non de l’exploitation, élément essentiel du droit européen. En effet, les règles applicables à l’aviation sont essentiellement régies par le droit de l’Union européenne (UE) : le secteur des transports relève des compétences partagées entre l’UE et ses États membres et fait l’objet d’une forte appropriation par le législateur communautaire.
L’article 3 du règlement (CE) n° 1008/2008 du Parlement européen et du Conseil définit ainsi les services de transport aérien commercial comme des vols ou séries de vol « transportant, à titre onéreux et/ou en vertu d’une location, des passagers, du fret et/ou du courrier » ; ce qui couvre le cas des avions affrétés à la demande d’un particulier ou d’une entreprise qui versent une rémunération à un prestataire de services.
Par opposition, lorsque le déplacement en jet est organisé pour son compte propre par une personne publique ou privée et que le vol en transport « privé » n’est pas proposé à la vente, la situation relève du transport aérien non commercial dont le régime est moins défini et régulé en droit.
L’activité de transport aérien commercial est en effet encadrée par des règles juridiques strictes de façon à en garantir la sécurité. En particulier, sauf rares exceptions ([6]), seules les entreprises disposant d’une licence d’exploitation et d’un certificat de transporteur aérien (CTA) délivrés par les autorités d’un État membre de l’Union européenne sont autorisées à opérer des services de transport aérien public, conformément à l’article L. 6412-2 du code des transports et aux dispositions du règlement (CE) n° 1008/2008 du 24 septembre 2008 établissant des règles communes pour l’exploitation de services aériens dans la Communauté.
A contrario, le transport « privé » ne nécessite la délivrance d’aucune autorisation préalable de type licence d’exploitation ou CTA. Les exigences en matière de sécurité sont allégées et font l’objet d’une surveillance moins étroite ([7]).
En se basant essentiellement sur le caractère commercial ou non, le régime juridique en vigueur ne permet pas de faire de distinction sur l’objet ou le motif du vol. Les jets privés recoupent plusieurs réalités qui ne sont pas dissociables les unes des autres en termes juridiques : le vol « caprice » est soumis au même régime qu’un transport sanitaire.
Un des enjeux du rapporteur a ainsi été de surmonter cette difficulté juridique. La proposition de loi n’interdit pas le trajet sanitaire, médical ou tout vol d’intérêt public ; elle a pour objet et visée d’interdire les vols qui ne sont plus socialement acceptables puisque, non seulement, ils ne sont d’aucune utilité pour la société mais, de plus, ils entravent notre capacité à préserver le bien commun de l’environnement.
II. L’impact environnemental des jets privÉs
Le secteur aérien est aujourd’hui responsable de 2 à 3 % des émissions mondiales de CO2 ([8]). En France, cette part est plus importante, et estimée à 5,3 % des émissions en 2019, soit 24,2 millions de tonnes de CO2 en incluant les vols intérieurs et les vols internationaux au départ de la France. Ces émissions globales sont dynamiques : elles ont augmenté de 85 % entre 1990 et 2019 et pourraient encore croître de 50 % d’ici 2050 si des mesures de décarbonation ne sont pas mises en place ([9]).
La part d’émissions de CO2 imputable aux vols réalisés en jets privés, qui représenteraient environ 10 % des vols au départ de la France, est l'objet de nombreuses estimations. Les données disponibles sur l’aviation non commerciale ou privée n’incluent notamment pas l’aviation d’affaires commerciale, qui représente dans les faits une part largement majoritaire du recours aux jets privés. Le rapporteur rappelle néanmoins le consensus sur le fait que ces vols sont considérablement plus émetteurs de gaz à effet de serre que des vols commerciaux classiques, et que, en dépit de son caractère climaticide, la demande de transport en jets privés est particulièrement dynamique ces dernières années. En particulier depuis la crise sanitaire, le trafic a dépassé les niveaux atteints avant la pandémie et est continuellement en hausse. Les vols en jets privés au départ, à destination et à l’intérieur du territoire français contribuent de plus, dans des proportions significatives, à l’empreinte carbone du secteur du fait du positionnement dominant de la France sur ce marché.
1. L’empreinte carbone des jets privés, majorée en France, augmente
D’après un rapport de l’organisation non gouvernementale (ONG) Transport et Environnement ([10]), les émissions de CO2 des jets privés européens ont très fortement augmenté ces dernières années, avec une hausse de 31 % pour l’aviation privée entre 2005 et 2019, contre 25 % pour l’aviation commerciale européenne.
Évolution des Émissions de CO2 liÉes À l’aviation privÉe
et l’aviation commerciale entre 2005 et 2019
Source : ONG « Transport et environnement », mai 2021.
Les statistiques mensuelles publiées par l’Association européenne de l’aviation d’affaires (Ebaa) à partir de données d’Eurocontrol confirment le dynamisme du marché de l’aviation d’affaires, notamment suite à la crise sanitaire et au ralentissement du trafic aérien régulier. En 2022, le trafic a ainsi augmenté en Europe de 11,8 % par rapport en 2021 ([11]), et de 36,4 % par rapport à 2020 ([12]).
La France contribue dans des proportions importantes à l’empreinte carbone du secteur du fait de son positionnement dominant en Europe. D’après le rapport précité de l’ONG Transport et environnement, la France se classe au deuxième rang des pays européens les plus émetteurs pour les vols privés au départ de son territoire, après le Royaume-Uni et devant l’Italie, l’Allemagne et l’Espagne. Les vols en jets privés au départ de la France seraient ainsi responsables de 16,5 % des émissions liées au secteur en Europe, derrière le Royaume-Uni (19,2 %) et devant l’Italie (10,2 %). C’est davantage que les émissions des vingt pays européens les moins émetteurs réunis.
Contributions comparÉes de pays europÉens aux Émissions
de CO2 de l’aviation privÉe en 2019
Source : ONG « Transport et environnement », mai 2021.
D’après le dernier baromètre publié par l’Ebaa pour l’année 2022, les aéroports de Paris Le Bourget et Nice sont les deux premiers aéroports européens en termes de volume de vols d’affaires au départ d’un aéroport, devant les aéroports de Genève en Suisse et Farnborough au Royaume-Uni.
principaux aÉroports europÉens en 2022 pour l’aviation d’affaires
(nombre de vols ; croissance annuelle en %)
Aéroports |
Pays |
Vols en 2022 |
Croissance annuelle |
Paris Le Bourget |
France |
60 634 |
+ 25 % |
Nice Côte d’Azur |
France |
39 648 |
+ 9 % |
Genève |
Suisse |
36 484 |
+ 14 % |
Farnborough |
Royaume-Uni |
31 301 |
+ 27 % |
Londres-Luton |
Royaume-Uni |
28 909 |
+ 56 % |
Zurich |
Suisse |
28 303 |
+ 8 % |
Londres Biggin Hill |
Royaume-Uni |
24 843 |
+ 41 % |
Milan |
Italie |
24 795 |
+ 21 % |
Source : Baromètre Ebaa, décembre 2022.
2. Les vols en jets privés sont beaucoup plus émetteurs de gaz à effet de serre que tout autre mode de déplacement
Le rapport précité de l’ONG Transport et environnement estime qu’un vol effectué en jet privé serait en moyenne cinq à quatorze fois plus émetteur de gaz à effet de serre par voyageur qu’un vol commercial classique, et cinquante fois plus émetteur qu’un trajet en train.
Plusieurs facteurs tendent à majorer l’empreinte carbone des déplacements réalisés en jets privés :
– Le faible nombre de passagers transportés : d’après des données de l’Ebaa, le nombre moyen de passagers de l’aviation d’affaires serait de 4,7 par avion ([13]) alors que les avions de ligne sont conçus pour transporter entre plusieurs dizaines de passagers et 400 voyageurs selon la distance parcourue ;
– La fréquence des vols à vide ([14]) : environ 40 % des jets privés en circulation ne transportent aucun passager ;
– Les vols de courte distance : les jets privés sont plus souvent utilisés pour des trajets très courts de moins de 500 kilomètres. En 2019, plus de la moitié des vols effectués en jets privés au départ de la France, principalement des aéroports de Paris Le Bourget et Nice-Côte d’Azur, concernait des distances courtes de moins de 500 kilomètres.
Outre son impact carbone largement majoré par rapport à tout autre mode de déplacement, le recours aux jets privés n’est pas justifié au regard de l’existence de nombreuses alternatives satisfaisantes. Une grande majorité de vols opère sur des lignes domestiques et intra-européennes classiques entre Paris, Genève, Nice, Londres, Rome, Milan et Zurich, pouvant être desservies par des services de transport aérien commerciaux réguliers ou ferroviaires.
principales liaisons d’aviation d’affaires touchant la france
(nombre de vols)
Aéroport de départ |
Aéroport de destination |
Total de vols 2018-2021 |
Paris-Le Bourget |
Genève |
9 969 |
Nice-Côte d’Azur |
Paris-Le Bourget |
7 564 |
Nice-Côte d’Azur |
Genève |
5 418 |
Nice-Côte d’Azur |
Moscou |
5 070 |
Nice-Côte d’Azur |
Farnborough |
4 760 |
Paris-Le Bourget |
Farnborough |
4 598 |
Nice-Côte d’Azur |
Londres |
4 017 |
Paris-Le Bourget |
Londres |
3 669 |
Paris-Le Bourget |
Toulon-Hyères |
3 660 |
Lyon-Bron |
Paris-Le Bourget |
3 023 |
Cannes-Mandelieu |
Paris-Le Bourget |
2 825 |
Source : Direction générale de l’aviation civile (DGAC).
Note méthodologique : Les données administratives transmises par la DGAC incluent uniquement les jets de petite taille (moins de 19 sièges) et excluent les vols réalisés à bord de jets de plus grande taille, les vols en avions à hélice ou turbopropulseurs et les vols en hélicoptères.
Le trafic aérien des jets privés est également une source de nuisances sonores, olfactives et visuelles insupportables pour les riverain-es. Des centaines de collectifs de résident-es réclament des mesures ambitieuses contre les pollutions aux alentours des aéroports. Les aéroports du Bourget, de Nice ou de Cannes-Mandelieu sont particulièrement touchés par la pollution et le bruit engendrés par un fort trafic de l’aviation privée, sans qu’il n’y ait d’encadrement du législateur ou du régulateur en période de pic de pollution par exemple.
III. Associer les plus riches à la transition écologique
Une frange extrêmement minoritaire de la population en termes de ressources économiques recourt ainsi à un mode de transport significativement plus émetteur de gaz à effet de serre que d’autres modes de déplacement (avions de ligne, train, automobile, etc.).
La fortune moyenne d’un propriétaire de jets est estimée en effet à 1,3 milliard d’euros. Les coûts d'acquisition et d’entretien d’un jet privé représentent plusieurs dizaines de millions d’euros selon les modèles d’avion. Les prix facturés pour la location d’un jet privé sont estimés à plus de 5 000 euros pour une seule heure de trajet en moyenne ([15]).
De plus, et contrairement à l’argument avancé par des défenseur-e-s des jets privés, le rapporteur souhaite rappeler que ces vols ne sont pas majoritairement justifiés par des besoins économiques impérieux de décideurs dont le temps serait plus précieux, du fait de leur position dans la société ([16]). Certaines destinations fréquentes relèvent plus particulièrement d’un tourisme estival de luxe (Cannes, Nice, Ibiza, Olbia en Sardaigne, Majorque). De fait, un pic de trafic est observé pour les mois d’été entre mai et septembre.
Nombre de vols d’aviation d’affaires en circulation
selon la pÉriode de l’annÉe pour les annÉes 2020, 2021 et 2022
Source : Baromètre Ebaa, décembre 2022.
Ainsi, le recours exclusif à ce mode de déplacement particulièrement émetteur, par une minorité, soulève indéniablement des enjeux en termes de justice sociale et d’acceptabilité sociale. Alors que les efforts doivent être en premier lieu consentis par celles et ceux responsables de la majorité des émissions de gaz à effet de serre, la minorité qui vole en jet privé est exonérée de toute participation à la lutte contre le changement climatique :
– ils et elles ont une empreinte carbone démesurée pour des vols « caprices » et aggravent le réchauffement climatique ;
– les pouvoirs publics ne leur demandent aucun effort et préfèrent se tourner vers l’ensemble de la population avec des mesures autrement plus contraignantes qui impactent les mobilités du quotidien, à l’instar de l’instauration des zones à faibles émissions (ZFE) ;
– ils et elles pourront davantage échapper aux conséquences du changement climatique et ses effets dévastateurs (incendies, crues incontrôlables, tempêtes) grâce à leurs moyens financiers.
C’est ce phénomène particulièrement choquant et dangereux pour la cohésion sociale que le rapporteur souhaite corriger par cette proposition de loi. Il est clair que la majorité de la population ne peut consentir aux efforts demandés si une minorité de privilégié-es continue ses dérives climaticides.
Une tribune publiée dans « Le Monde » le 9 septembre 2022 par M. Nicolas Baumard et Mme Coralie Chevallier, chercheurs en sciences cognitives, démontre que l’absence de régulation forte de l’aviation privée rend inaudibles les politiques de mobilité dans la mesure où la coopération des hommes et des femmes repose sur le fait que les autres coopèrent : « Pour être acceptées, les politiques publiques et les normes sociales doivent donc intégrer cette logique coopérative. » ([17])
D’après l’experte du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat des Nations Unies (Giec) Mme Yamina Saheb, la littérature scientifique souligne de plus en plus la nécessaire contribution des plus riches à la transition écologique. La synthèse du sixième rapport d’évaluation du GIEC publiée jeudi 23 mars 2023 le souligne : « les mesures d’adaptation et d'atténuation qui priorisent l’équité, la justice sociale, une approche fondée sur les droits, et l’inclusion sociale permettent d’aboutir à des résultats plus durables. » ([18])
IV. Des mesures insuffisantes, la nécessité d’un principe d’interdiction
L’aviation d’affaires et les jets privés, en général, n’ont pas ou peu été concernés par des mesures visant à réguler leur utilisation et diminuer leur impact environnemental, malgré le travail de sensibilisation et de plaidoirie des associations, des écologistes et de la Convention citoyenne pour le climat.
De manière incompréhensible, les vols réalisés en jets privés ne sont pas inclus dans le périmètre de l’article 145 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, dite loi « climat et résilience », codifié au II de l’article L. 6412-3 du code des transports qui interdit les vols réguliers de passagers à l’intérieur du territoire français lorsqu’une alternative en train d’une durée inférieure à deux heures trente existe ([19]). La loi interdit ainsi à l’ensemble de la population de réserver un trajet commercial classique en avion entre Paris et Lyon tout en laissant les plus aisés opérer exactement le même trajet en jet privé.
L’aviation d’affaires bénéficie en outre d’un régime fiscal avantageux, notamment issu de la Convention de Chicago relative à l’aviation civile internationale signée en 1944 qui prévoit une exonération de la taxe sur le kérosène pour les vols commerciaux internationaux ([20]). Dans le respect de cet accord international, il demeure toutefois possible d’introduire une taxe pour les vols commerciaux domestiques et intra-européens. La directive 2003/96/CE du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité prévoit notamment que les États membres puissent instaurer des taxes sur les vols intérieurs et, sous réserve d’un accord bilatéral, sur les vols entre deux États membres.
L’article 70 de la loi de finances pour 2023 a ainsi relevé le niveau des taxes applicables à l’essence d’aviation et aux carburéacteurs pour les vols intérieurs privés de l’aviation générale (c’est-à-dire non commerciaux) au niveau de taxation des essences routières. Outre le fait que cet effort fiscal est insuffisant et totalement indolore pour la population concernée puisque la fortune moyenne d’un propriétaire de jet privé est estimée à 1,3 milliard d’euros, la mesure n’a pas concerné les vols intérieurs de l’aviation d’affaires à vocation commerciale qui demeurent exonérés du paiement de cette taxe. L’utilisation des jets privés relève pourtant majoritairement de locations à caractère commercial.
La loi de finances pour 2023 n’a par ailleurs pas interdit l’optimisation fiscale. Ainsi, les dépenses afférentes à la location ou à l’achat direct ou via une filiale d’un jet restent udéductibles du résultat fiscal. De fait, la société ne paie pas le coût réel du trajet en jet.
Des évolutions sont actuellement envisagées au niveau européen dans le cadre du paquet réglementaire « Fit for 55 » mais pourraient ne pas concerner l’aviation d’affaires. D’après les propositions de la Commission européenne, une révision de la directive sur la taxation de l’énergie pourrait aboutir à la création d’une taxation du kérosène pour les vols intra-communautaires à compter de 2023. Cette taxe serait amenée à évoluer sur une période transitoire de dix ans jusqu’à atteindre les niveaux minimaux de taxation pour l’utilisation de carburants comme l’essence ou le gazole. Toutefois, aucun texte n’a été adopté à ce jour et l’aviation d’affaires commerciale pourrait être exclue du périmètre de la mesure ([21]).
Enfin, le rapporteur rappelle que les évolutions technologiques, telles que le rêve de la mise en œuvre des avions « zéro émission » ou d’un carburant « vert », ne constituent pas une véritable politique environnementale et socialement acceptable. En tout état de cause, leur mise en œuvre n’est pas compatible avec l’accélération des mesures concrètes réclamées par le Giec dans son sixième et dernier rapport appelant à un pic de réduction des émissions d’ici 2025 pour garantir la possibilité d’un scénario de réchauffement à 1,5 ou même 2 degrés.
Dans ce contexte, l’interdiction prônée est la seule solution juridique et politique acceptable puisqu’il s’agit de la seule mesure proportionnée à même de produire des effets concrets et immédiats. Elle correspond pleinement aux recommandations du Giec qui prône d’abord de réduire nos émissions avant de décarboner ce qui ne peut être réduit. La compensation n’est, en aucun cas, une solution viable avec un budget carbone aussi limité que celui dont dispose désormais l’humanité.
La présente proposition de loi vise à interdire le recours aux jets privés, entendus comme des avions mobilisés à la demande par des particuliers ou des entreprises, que ce soit dans un cadre strictement privé (article 1er) ou commercial (article 2).
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Article 1er
(article L. 6400-4 [nouveau] du code des transports)
Interdiction des vols non réguliers et non commerciaux de passagers
Supprimé par la commission
Cet article vise à interdire la circulation des vols non réguliers et non commerciaux de passagers sur le territoire métropolitain français à compter du 1er janvier suivant la promulgation de la loi. Cette interdiction ne s’applique pas à certains vols, notamment les vols exécutés par des aéronefs d’État ou militaires, les vols sanitaires, médicaux ou de sécurité civile ainsi que les vols réalisés dans le cadre d’un aéroclub.
I. le DROIT EN VIGUEUR
Un jet privé peut être utilisé par son propriétaire pour son usage personnel. La situation relève alors juridiquement du régime du transport aérien privé. Ce régime est moins bien défini en droit que celui du transport aérien public tant en droit européen qu’en droit interne. Il s’apprécie surtout par opposition au transport aérien public caractérisé en droit par son caractère commercial. L’article 2 du règlement (UE) n° 965/2012 de la Commission européenne du 5 octobre 2012 définit « l’exploitation à des fins de transport aérien commercial (CAT) » comme « l’exploitation d’un aéronef en vue de transporter des passagers, du fret ou du courrier contre rémunération ou à tout autre titre onéreux. »
Par opposition, le transport privé peut être défini par le fait qu’il est organisé pour son compte propre, par une personne, publique ou privée, sans gains d’exploitation ou rémunération ([22]). Le vol en transport privé ne peut être proposé à la vente. Dans le cas où un transport aérien est réalisé, contre rémunération, sans détenir les autorisations exigées, il constitue un transport public illicite.
II. LeS DISPOSITIons de la proposition de Loi
A. Interdiction des services non commerciaux de transport aérien non réguliers de passagers
L’article 1er de la proposition de la loi insère un nouvel article L. 6400-4 au livre IV de la sixième partie du code des transports consacrés respectivement au transport aérien et à l’aviation civile.
Cet article vise à interdire les vols réalisés en jets privés lorsque l’avion est la propriété d’une personne ou d’une entreprise qui organise le déplacement pour son compte propre, sans caractère commercial, autrement dit sous le régime juridique du transport aérien privé.
L’article interdit précisément, à compter du 1er janvier suivant la promulgation de la proposition de loi, « au départ, à destination ou à l’intérieur du territoire métropolitain français, les services de transport aérien non réguliers de passagers ne faisant pas l’objet d’une exploitation commerciale ». L’interdiction porte ainsi sur les vols à la fois non commerciaux et non réguliers :
– « ne faisant pas l’objet » permet de renvoyer au régime juridique du transport aérien « privé » qui se définit par opposition aux règles commerciales ;
– l’« exploitation commerciale » est définie par référence à l’article 3 du règlement (CE) n° 216/2008 du Parlement européen et du Conseil du 20 février 2008 concernant des règles communes dans le domaine de l’aviation civile. Il s’agit de « toute exploitation d’un aéronef, contre rémunération ou à tout autre titre onéreux, qui est à la disposition du public ou, lorsqu’elle n’est pas mise à la disposition du public, qui est exercée en vertu d’un contrat conclu entre un exploitant et un client, et dans le cadre duquel ce dernier n’exerce aucun contrôle sur l’exploitant. » Par conséquent, l’article 1er de la proposition de loi vise les services de transport aérien qui ne sont pas proposés à la vente et pour lesquels il n’y a pas de rémunération ;
– les services dits « non réguliers de passagers » sont caractérisés en droit par opposition aux services dits « réguliers ». Le règlement (CE) n° 1358/2003 de la Commission du 31 juillet 2003 ([23]) définit un service aérien régulier comme un service « assuré selon un horaire publié ou dont la régularité et la fréquence est telle qu’il constitue une série de vols systématique aisément reconnaissable ». Il comprend les « vols supplémentaires occasionnés par un excédent de trafic des vols réguliers ». Un service de transport aérien non régulier est, de ce point de vue, un service aérien « commercial autre qu’un service aérien régulier ». L’article 1er vise ainsi l’interdiction des vols ponctuels, caractérisés par une certaine flexibilité au niveau de la date et de l’horaire, dont la fréquence n’est pas fixée à l’avance, comme le sont les vols à la demande d’un particulier ou d’une entreprise.
B. exceptions et rapport d’Évaluation À trois ans
Le champ de l’interdiction est limité au territoire métropolitain français et exclut donc les outre-mer en raison de leurs spécificités géographiques et topographiques.
Afin de laisser opérer les vols d’intérêt public qui ne sont pas aisément identifiables dans le cadre du droit qui régit le transport aérien privé, l’auteur de la proposition de la loi a fait le choix d’énumérer une série d’exceptions au dispositif. Ainsi, l’alinéa 3 de l’article 1er de la proposition de loi prévoit que l’interdiction ne s’applique pas aux « vols exécutés par des aéronefs d’État et militaires », aux vols « affectés à un service public », ainsi qu’aux vols « de recherche, de sauvetage, de sécurité civile, de lutte contre les incendies, sanitaires, médicaux, de travail aérien, d’instruction, d’essai ou réalisés dans le cadre des activités d’un aéroclub. »
Le travail aérien désigne en particulier « toute opération aérienne rémunérée qui utilise un aéronef à d’autres fins que le transport ou les essais et réceptions ». Il comprend notamment « l’instruction aérienne, les vols de démonstration ou de propagande, la photographie, le parachutage, la publicité et les opérations agricoles aériennes » (article R. 421-1 du code de l’aviation civile). Les essais, définis au même article du code, se définissent comme « toutes épreuves, exécutées en vol, à terre ou à l’eau, sous la direction ou le contrôle des industriels ou des représentants de l’État, qui ont pour objet la recherche des caractéristiques et la mise au point des aéronefs. »
Enfin, l’article prévoit la remise par le Gouvernement d’un rapport d’évaluation de la mesure dans un délai de trois ans à compter de son entrée en vigueur.
III. Les travaux de la commission
La commission a supprimé l’article 1er par l’adoption des amendements CD12 de Mme Alexandra Masson (Rassemblement National), CD22 de M. Antoine Vermorel-Marques (Les Républicains) et CD24 de M. Damien Adam (Renaissance).
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Article 2
(article L. 6412-3 du code des transports)
Interdiction des vols commerciaux non réguliers
de moins de soixante passagers
Supprimé par la commission
Cet article vise à interdire les services non réguliers de transport aérien public de moins de soixante passagers, à l’exception des vols réalisés dans un but sanitaire ou médical. Il prévoit également la remise d’un rapport d’évaluation après trois ans.
I. le DROIT EN VIGUEUR
A. Le recours À un jet privÉ dans un cadre commercial relève du rÉgime juridique du transport aÉrien public non régulier
Le recours à un jet privé à la demande, dans le cadre d’une location rémunérée auprès d’un courtier aérien ou d’une compagnie aérienne, relève, en droit, des dispositions applicables au transport aérien public ou commercial non régulier.
Les services de transport aérien public désignent en effet des vols ou séries de vol « transportant, à titre onéreux et/ou en vertu d’une location, des passagers, du fret et/ou du courrier » (article 3 du règlement (CE) n° 1008/2008 du Parlement européen et du Conseil). Ils sont dits « non réguliers » lorsqu’ils ne sont pas effectués selon un horaire régulier ou en raison de l’augmentation du trafic dans le cadre de services réguliers (article 3 du règlement précité). Il s’agit alors de vols commerciaux ponctuels ou saisonniers, caractérisés par une certaine flexibilité au niveau de la date et de l’horaire, et dont la fréquence n’est pas fixée à l’avance.
Ces vols commerciaux non réguliers sont encadrés au même titre que les vols commerciaux opérant sur les lignes régulières. Les compagnies aériennes ont notamment l’obligation de disposer d’une licence d'exploitation et d’un certificat de transporteur aérien (article L. 6412-2 du code des transports) délivrés par les autorités administratives à condition de présenter des garanties techniques, morales et financières suffisantes.
B. Le droit européen et la constitution n’empêchent pas l’interdiction de services de transport aÉrien public pour des motifs environnementaux
L’interdiction d’exploitation de services aériens à des transporteurs aériens, qui ont par ailleurs obtenu en amont toutes les autorisations et garanties nécessaires à l’exercice de leur activité, est limitée en droit. Le principe de liberté d’exploitation des liaisons aériennes pour les transporteurs aériens communautaires et services aériens intracommunautaires est énoncé à l’article 15 du règlement (CE) n° 1008/2008 du Parlement européen et du Conseil du 24 septembre 2008 établissant des règles communes pour l’exploitation de services aériens dans la Communauté : « les États membres ne soumettent l’exploitation de services aériens intracommunautaires par un transporteur aérien communautaire à aucun permis ou autorisation ».
Toutefois, l’article 20 de ce même règlement permet également aux États membres de limiter ou refuser l’exercice de droits de trafic aérien « lorsqu’il existe des problèmes graves en matière d’environnement » et « notamment lorsque d’autres modes de transport fournissent un service satisfaisant ».
C’est sur le fondement de cet article qu’a été adoptée la disposition issue de l’article 145 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, dite loi « climat et résilience », et codifiée au II de l’article L. 6412-3 du code des transports qui interdit les vols réguliers de passagers à l’intérieur du territoire français lorsque « le trajet est également assuré sur le réseau ferré national sans correspondance et par plusieurs liaisons quotidiennes d’une durée inférieure à deux heures trente. »
Dans son avis sur le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et ses effets en date du 4 février 2021, le Conseil d’État avait estimé, au sujet de la mesure d’interdiction concernant certains vols intérieurs, qu’elle ne semblait « pas disproportionnée au regard de l’objectif à valeur constitutionnelle de protection de l’environnement », que le Conseil Constitutionnel a consacré comme tel dans sa décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020, aux termes du préambule de la Charte de l’environnement.
Il est à noter que la France a été le premier pays européen à se prévaloir d’une telle dérogation pour des lignes aériennes commerciales. Malheureusement, comme le rapporteur l’a déjà souligné, les vols en jets privés (non réguliers) ne sont pas concernés par cette interdiction.
Selon le règlement européen précité, ces mesures restrictives doivent être proportionnées à la résolution des problèmes identifiés et avoir une durée de validité limitée ne dépassant pas trois ans, à l’issue de laquelle elles sont réexaminées. Elles ne doivent pas provoquer de distorsion de la concurrence entre les transporteurs aériens. Les autres États membres et la Commission européenne doivent être informés des mesures prises au moins trois mois avant leur entrée en vigueur.
La Commission européenne a reçu deux plaintes, l’une émanant d’aéroports et l’autre de compagnies aériennes, concernant la conformité de l’article 145 à l’article 20 du règlement (CE) n° 1008/2008 précité. Dans une première décision en date du 15 décembre 2021, la Commission a alerté les autorités françaises sur un risque de discrimination et de distorsion de la concurrence entre les transporteurs aériens du fait des dérogations prévues en faveur des services aériens transportant une majorité de passagers en correspondance, et des services aériens qui atteindraient un seuil maximal d’émissions. Ces dérogations ont été supprimées du projet de décret final.
Aux termes d’un examen approfondi et après notification et discussion avec le gouvernement français, la Commission européenne a rendu une décision d’exécution (UE) 2022/2358 du 1er décembre 2022 qui valide le projet final de décret prévu par l’article 145 de la loi climat et résilience au regard des conditions énoncées à l’article 20 du règlement européen. Elle y estime que « la France est en droit de considérer qu’il existe un problème grave en matière d’environnement dans la situation en cause, qui inclue la nécessité urgente de réduire les émissions de GES. » Dans la mesure notamment où des modes de transport alternatifs plus durables fournissent un service satisfaisant et que la mesure pourrait entraîner des réductions d’émissions à hauteur de 54 900 tonnes de CO2, la Commission estime que la mesure dont la durée de validité doit être limitée à trois ans « n’est pas plus restrictive que nécessaire ». Enfin, elle n’a pas jugé l’interdiction, discriminatoire ou de nature à créer une distorsion de la concurrence entre transporteurs aériens dans la mesure où les critères utilisés « sont fondés sur la durée et la fréquence des liaisons ferroviaires et sur le caractère satisfaisant des horaires, et sont donc de nature objective. »
Il ressort de ce précédent que l’article 20 du règlement européen peut légalement fonder une mesure d’interdiction de services aériens pour des motifs environnementaux. Le caractère proportionnel de la mesure est justifiable tant en considération du public visé qu’en considération des alternatives existantes avec d’autres modes de déplacement. Les autres mesures visant à contraindre à un comportement plus vertueux les plus riches sont dénuées d’effets, en particulier les mesures fiscales qui ne sont en rien incitatives au regard des patrimoines financiers de cette population. De plus, la proposition de loi ne leur interdit en rien d’utiliser des lignes d’aviation commerciale régulières ou des lignes ferroviaires dont les catégories de prix peuvent leur permettre de voyager dans des classes supérieures et avec le confort adéquat.
II. LeS DISPOSITIons de la proposition de Loi
A. interdiction des services non rÉguliers de transport aÉrien public de moins de soixante passagers
L’article 2 de la proposition de loi introduit une nouvelle disposition à l’article L. 6412-3 du code des transports dont le I soumet à autorisation préalable l’exploitation de services réguliers ou non réguliers de transport aérien public en France, et dont le II interdit les services réguliers de transport aérien public de passagers à l’intérieur du territoire lorsqu’une alternative en train d’une durée inférieure à deux heures trente existe. Cette mesure, issue de la loi « climat et résilience », s’appuie sur l’article 20 du règlement (CE) n° 1008/2008 du Parlement européen et du Conseil du 24 septembre 2008 qui autorise les États membres à limiter ou refuser l’exercice de droits de trafic aérien « lorsqu’il existe des problèmes graves en matière d’environnement ».
Sur ce même fondement, l’article 2 de la proposition de loi complète l’article L. 6412-3 du code des transports par une disposition qui interdit « les services non réguliers de transport aérien public de moins de soixante passagers concernant les liaisons aériennes au départ, à destination ou à l’intérieur du territoire métropolitain français. »
L’article interdit ainsi les vols non réguliers de passagers en-deçà d’un seuil de soixante passagers et réalisés dans le cadre d’un transport public, c’est-à-dire commercial. Il vise ainsi l’interdiction des vols réalisés à la demande et pour lesquels des personnes ou des entreprises ont payé une prestation.
Le seuil de soixante passagers a été déterminé de façon à répondre à un double objectif :
– il vise à être suffisamment élevé pour impacter l’ensemble des vols en jets privés qui ne sont plus tolérables. Les « jets privés » disponibles sur le marché de la location peuvent en effet transporter un nombre variable de passagers, en particulier les avions de ligne reconvertis pour un usage privé (par exemple, le Boeing Business Jet). À titre d’illustration, en application de l’article 2 de la proposition de la loi, une équipe de football ne pourrait utiliser un avion individuel à la demande que dans la mesure où son nombre de passagers dépasse le seuil de soixante. Utilisé au-delà d’une visée purement individuelle (au sens d’une seule personne), il n’est pas tolérable qu’un tel collectif s’exonère de toutes considérations environnementales et sociales ;
– il vise à être suffisamment bas pour laisser voler les « charters » utilisés par de nombreux Français-e-s dans le cadre de voyages dégriffés, en particulier dans le bassin Méditerranéen (et qui opèrent selon le même régime juridique puisque ce sont juridiquement des vols non réguliers à la demande).
B. exceptions et rapport d’Évaluation À trois ans
L’article pose une exception pour les services non réguliers de transport aérien public de moins de soixante passagers assurés pour des raisons sanitaires ou médicales.
Le champ de l’interdiction est limité aux liaisons aériennes au départ, à destination ou l’intérieur du territoire métropolitain français et exclut donc les outre-mer en raison de leurs spécificités géographiques et topographiques.
Enfin, l’article prévoit la remise par le Gouvernement d’un rapport d’évaluation de la mesure dans un délai de trois ans à compter de son entrée en vigueur.
Ce délai correspond au cadre prévu par l’article 20 du règlement (CE) n° 1008/2008 qui prévoit que les mesures limitatives des droits de trafic aérien prises pour des motifs environnementaux n’excèdent pas une durée de trois ans, à l’issue de laquelle ces mesures sont réévaluées.
III. Les travaux de la commission
La commission a supprimé l’article 2 par l’adoption des amendements CD14 de Mme Alexandra Masson (Rassemblement National), CD21 de M. Laurent Esquenet-Goxes (Démocrate – MoDem et Indépendants), CD23 de M. Antoine Vermorel-Marques (Les Républicains) et CD25 de M. Damien Adam (Renaissance).
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Lors de sa réunion du mardi 28 mars 2023, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a procédé à l’examen, sur le rapport de M. Julien Bayou, de la proposition de loi visant à interdire les vols en jets privés (n° 885).
M. Bruno Millienne, président. Mes chers collègues, nous examinons la proposition de loi visant à interdire les vols en jets privés, qui sera débattue en séance publique le 6 avril prochain, dans le cadre de la niche parlementaire du groupe Écologiste-NUPES.
M. Julien Bayou, rapporteur. Le sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), récemment publié, décrit des changements d’une ampleur inédite, aux effets néfastes dans le monde entier. L’enjeu est d’éviter chaque fraction de degré en plus, car les risques s’intensifient, avec des vagues de chaleur, des inondations, des sécheresses dont chacun, malheureusement, est parfaitement au courant.
Le rapport insiste sur le temps de l’action : si nous ratons la décennie à venir, nous ne pourrons plus décarboner notre économie. Les tendances actuelles ne sont pas du tout compatibles avec la limitation de la hausse des températures à 1,5 degré ni même 2 degrés, qui permettrait d’assurer un monde vivable et équitable. Il faut donc mener des politiques ambitieuses.
Le Giec emploie pour la première fois le mot « sobriété ». Il insiste sur la réduction de la consommation, de la demande et des émissions de gaz à effet de serre (GES) : c’est seulement dans un second temps que vient la décarbonation de ce qui ne peut être réduit. Cette formule, d’abord réduire le superflu, ensuite décarboner ce qu’on ne peut réduire, je l’applique ce soir au transport aérien. Elle signifie que nous ne pouvons pas faire l’économie de la réduction du trafic, s’agissant notamment de tout ce qui relève du superflu et du caprice, et que nous devons travailler à la décarbonation de ce qu’on ne peut réduire.
Qu’on ne m’accuse pas d’être anti-avions ! Certains vols sont précieux et utiles – des chercheurs traversant l’Atlantique pour partager leurs recherches, des familles qui se retrouvent par-delà la Méditerranée, des gens partant à la découverte d’autres cultures. Les vols que je vise sont des vols caprices.
Par ailleurs, le Giec insiste sur les inégalités dans la transition écologique. Les moins responsables – les plus pauvres, les plus vulnérables – sont les plus fragilisés. Ceux qui contribuent le moins au changement climatique en subissent le plus les effets.
Cet aspect fondamental du sujet qu’est l’acceptabilité sociale de la transition écologique est peu pris en compte. Chacun doit faire sa juste part. C’est comme pour l’impôt : le contribuable consent à l’impôt parce qu’il a la conscience diffuse que chacun paie sa part ; si M. Millienne, qui est assis à côté de moi, est bien plus fortuné que moi, il paiera plus d’impôts que moi. Il en va de même pour la transition écologique. Yamina Saheb, qui a contribué au rapport du Giec et que nous avons auditionnée, le dit plus directement : « La transition doit être juste ou on aura la guerre ».
L’effort de la transition doit donc être partagé par tous. Or les plus riches ne participent pas à cet effort collectif. L’interdiction des vols en jets privés répond en tout point à la recommandation du Giec et des scientifiques de réduire la consommation, en adressant aux plus riches la demande inédite de se priver de leurs jets privés, et fait porter un petit effort sur ceux qui contribuent énormément à la pollution.
La part des riches dans les émissions de gaz à effet de serre n’est ni marginale ni anecdotique ; elle est parfaitement mesurable. L’organisation non gouvernementale (ONG) Transports et environnement estime qu’un vol effectué en jet privé émet dix fois plus de GES par voyageur qu’un vol commercial classique, et cinquante fois plus que le train. Pire : non seulement la moyenne est de quatre ou cinq passagers par vol en jet privé, mais de nombreux vols sont effectués à vide. Leur part atteint 40 % sur des trajets tels que Saint-Tropez-Cannes ou Lyon-Chambéry.
Ces émissions de gaz à effet de serre sont donc parfaitement superflues et pourraient être évitées. Ces trajets en avion ne sont pas nécessaires : la plupart du temps, il existe des solutions alternatives en train, notamment pour Paris-Bruxelles, Paris-Genève et Paris-Londres. Pour Paris-Nice, il existe les lignes aériennes commerciales.
Qu’on ne nous dise pas qu’il s’agit de déplacements professionnels ! Un récent documentaire de l’émission « Complément d’enquête », ainsi que les comptes Twitter et autres qui traquent les jets privés, tels que laviondebernard et Iflybernard, dont je salue le travail et la pédagogie, ont évoqué des vols Nice-Cannes, Bordeaux-Arcachon, Rennes-Saint-Malo, Saint-Tropez-Cannes, Chambéry-Courchevel et même Lille-Le Touquet. On ne peut pas dire de bonne foi qu’il s’agit de destinations parfaitement professionnelles !
Nous parlons ici des ultrariches : le patrimoine des propriétaires de jets privés est supérieur à 1 milliard d’euros. Si un Français ou une Française lambda émet en moyenne 10 tonnes de CO2 par an, cette moyenne recouvre de fortes disparités : elle est de 5 tonnes pour les classes populaires et de 8 000 tonnes pour les ultrariches. Et 41 % de l’empreinte carbone des 1 % les plus riches de la population européenne provient du transport aérien.
Bref, il s’agit d’activités polluantes dont l’interdiction s’impose. Elle est efficace en matière de réduction des émissions de CO2 et socialement juste. Elle envoie le signal que les efforts sont partagés. Elle « affecte » une infime poignée de personnes – et c’est un bien grand mot : il ne s’agit que de les contraindre à prendre l’avion classique ou le TGV, pas du tout d’empêcher leurs déplacements. En revanche, c’est la première fois qu’on demande aux ultrariches une vraie contribution.
Si les médias et le débat public emploient l’expression « jets privés », cette notion n’existe pas en droit. Il s’agit de trajets mobilisés à la demande par des particuliers ou des entreprises, pour des déplacements non réguliers. Dans certains cas, il s’agit d’une personne physique ou morale, propriétaire de l’avion, qui organise le trajet pour son compte, sans rémunération. Cela entre dans le cadre du transport non commercial de passagers, visé par l’article 1er de la proposition de loi. Dans les autres cas, le jet est affrété contre rémunération. Ces trajets s’inscrivent dans le cadre des vols commerciaux non réguliers, visés par l’article 2.
Bien entendu, le texte prévoit des dérogations pour couvrir les vols d’intérêt public, au sens très large, tels que les vols humanitaires, de santé, militaires, gouvernementaux ou de transport de greffons, ainsi que ceux effectués dans les aéroclubs, car nous aurons besoin de pilotes dans les prochaines années. Pour les vols commerciaux non réguliers, l’article 2 ajoute une dérogation pour les vols de plus de soixante passagers, pour ne pas pénaliser les compagnies de charters traversant la Méditerranée ou reliant les Antilles.
La proposition de loi est parfaitement conforme à l’article 20 du règlement européen du 24 septembre 2008, comme l’est la disposition de la loi « climat et résilience » du 22 août 2021 interdisant les lignes commerciales de transport aérien en cas d’alternative en train d’une durée inférieure à deux heures trente. Par ailleurs, elle s’inscrit dans la droite ligne des récentes décisions du Conseil constitutionnel inscrivant la protection de l’environnement parmi les intérêts fondamentaux du pays.
L’interdiction proposée est la seule solution proportionnée. S’agissant de milliardaires, il ne servirait à rien d’augmenter les prix. Quant aux mirages de la décarbonation, ils ont été battus en brèche par les représentants de la direction générale de l’aviation civile (DGAC) lors de leur audition, même si c‘est de façon polie, diplomatique et réservée. Yamina Saheb est un peu plus directe : pour elle, la rupture technologique espérée n’aura pas lieu dans les quinze prochaines années.
Il faut donc, conformément au rapport du Giec, réduire ce qui peut l’être, et ensuite soutenir la recherche et développement (R&D). Vous nous trouverez à vos côtés pour décarboner ce qui ne peut être réduit, mais il faut d’abord réduire. La mesure que je vous propose est celle qui pénalise le moins de monde pour l’impact le plus concret et le plus immédiat pour le climat, et c’est une mesure de justice.
M. Bruno Millienne, président. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Damien Adam (RE). Monsieur Bayou, votre proposition de loi vise à interdire les vols privés et les vols non réguliers dont le nombre de passagers est inférieur à soixante. Ces vols participent à l’aménagement de notre territoire et permettent à de nombreuses entreprises d’avoir des sièges sociaux, des usines ou des activités dans des endroits auxquels il est difficile d’accéder en train.
Le sujet que nous évoquons couvre 0,09 % des émissions de gaz à effet de serre de notre pays. Il faut conserver à l’esprit que l’aviation représente de 5 % à 6 % de nos émissions de GES, dont 1,7 % à 3 % pour l’aviation d’affaires. Vous souhaitez supprimer les jets privés ; nous souhaitons les décarboner et les réguler.
Votre proposition de loi n’aborde pas les priorités qui doivent être les nôtres, notamment les carburants durables d’aviation (SAF, Sustainable Aviation Fuels), que nous devons avoir l’ambition d’utiliser bien davantage, pour décarboner dès aujourd’hui ce qui peut l’être. Les avions peuvent voler dès à présent avec 50 % de SAF. Les avions de la prochaine génération, par exemple les jets de la compagnie Dassault, voleront avec 100 % de SAF dans les prochaines années. L’avion à hydrogène et l’avion électrique font aussi partie de nos priorités.
Notre devoir d’élus est de faire en sorte que les utilisateurs de jets privés soient exemplaires, car ils peuvent faire des efforts plus vite et certainement absorber plus facilement un surcoût. Par ailleurs, le secteur des jets privés représente 100 000 emplois en France et 32 milliards d’euros de contribution économique. Compte tenu de notre taux de prélèvements obligatoires, qui est de 47 %, votre proposition de loi aurait pour effet de priver le budget de l’État de 15 milliards. Il serait intéressant de vous entendre détailler les dépenses que vous comptez supprimer en conséquence.
Vous parlez des ultrariches, mais les jets privés sont très utilisés par les entreprises. Elles affrètent des avions pour se rendre dans des endroits très spécifiques, pour régler des problèmes par exemple. Lorsque nous avons détecté des problèmes de soudure dans certaines centrales nucléaires, nous avons fait appel à des gens qui sont venus en avion. Vous avez une vision très parisienne du sujet, alors même qu’il faut proposer des solutions très concrètes.
Le groupe Renaissance s’opposera à la proposition de loi.
Mme Alexandra Masson (RN). Monsieur Bayou, je suis contente de vous retrouver après avoir participé aux auditions que vous avez menées.
D’après l’exposé des motifs de votre proposition de loi, la notion de vols en jets privés ne correspond à aucune définition juridique au sens strict. Vous n’en proposez d’ailleurs aucune. Le groupe Écologiste-NUPES assume donc une posture visant à toujours interdire plutôt qu’à chercher des solutions alternatives, alors même qu’elles existent.
Nous avons auditionné l’ONG écologiste Transports et environnement, basée à Bruxelles. Elle propose elle-même de légiférer pour renforcer la décarbonation, en utilisant des biocarburants tels que les SAF, l’hydrogène et d’autres qui restent sans doute à découvrir. Malheureusement, la proposition de loi est exclusivement basée sur un raccourci idéologique, énoncé dans l’exposé des motifs, selon lequel « 1 % de la population mondiale est ainsi responsable de 50 % de ces émissions de l’aviation », ce qui en soi ne veut rien dire.
D’après la DGAC, l’aviation privée représente 17 % des mouvements de l’aviation civile en France, la part de l’aviation d’affaires ne pouvant être quantifiée au sein de ces 17 %. En revanche, il est certain que l’interdiction de l’aviation privée en France aurait des conséquences dramatiques pour les entreprises françaises telles que Daher, Dassault Aviation et Airbus. Ces fleurons de notre industrie aéronautique emploient de nombreux salariés en France et font travailler de nombreuses petites et moyennes entreprises (PME) en tant que fournisseurs.
Le seul secteur civil de Dassault Aviation représente 2 740 salariés, dont la plupart travaillent en France, pour un chiffre d’affaires de 2,1 milliards d’euros. Au total, le secteur aérien privé représente 117 850 emplois directs et indirects en France, dont 23 000 dans mon département des Alpes-Maritimes : personnel au sol, agents chargés de la fabrication, de la maintenance, de la restauration, du pilotage, de l’entretien…
La présente proposition de loi a volontairement raté sa cible écologique, pour des raisons purement idéologiques. Elle met en danger une filière économique fragilisée par la suspension du trafic aérien pendant la crise du covid et qui emploie plusieurs dizaines de milliers de personnes en France. Nous voterons contre.
M. Rodrigo Arenas (LFI-NUPES). Merci, monsieur le rapporteur, d’avoir déposé une proposition de loi visant à enfin mettre un terme aux pratiques abusives d’une toute petite catégorie de nos concitoyens. En matière de pollution, nous sommes tous libres, mais pas tous égaux. C’est un fait calculé, avéré, confirmé par les chiffres : les pratiques des plus riches sont plus polluantes que celles des autres.
Paris, Genève, Nice, Londres, Rome, Milan, Zürich : rien de très exotique, mais des destinations relativement proches, pour lesquelles il existe des alternatives par le rail ou les airs. Ces sept villes, qui concentrent la majeure partie des déplacements, dessinent la carte très familière du terrain de jeu de nos chers milliardaires. Ils diront qu’on les brime, qu’on leur coupe les ailes ; ils se poseront en victimes, se plaindront comme des aristocrates d’Ancien Régime. Tel est toujours le cas lorsqu’on vous rappelle que vous ne pouvez pas tout vous permettre et qu’il y a des limites à vos désirs et à vos lubies.
Ce soir, au nom de l’intérêt général, nous nous penchons sur des cas particuliers. Nous évaluons les conséquences des comportements de quelques privilégiés sur la collectivité. Nous voulons qu’ils comprennent qu’ils ne sont pas seuls dans ce monde. Ce soir, nous leur disons simplement que puisqu’ils ne veulent pas prendre leurs responsabilités, nous les prendrons par la loi pour eux.
C’est une mesure de justice. La liberté de quelques-uns ne peut pas être payée au prix de notre environnement à toutes et à tous, ni en France ni ailleurs sur la planète. La richesse ne dispense pas de la responsabilité envers la planète et les générations futures.
C’est aussi une mesure pédagogique qui rappelle que les limites planétaires et sociales s’imposent à tous, même et surtout aux puissants.
Nous soutenons sans réserve ni amendement la proposition de loi de Julien Bayou. Quant à Bernard Vincent, Patrick et les autres, nous leur souhaitons la bienvenue dans les transports en commun.
M. Antoine Vermorel-Marques (LR). Monsieur le rapporteur, j’ai failli être séduit par votre idée, avant de regarder votre proposition de loi de plus près.
De nombreux constructeurs ont annoncé la création d’avions zéro émission. Cela passait pour un mirage, mais ce sont des avions de petite capacité conçus pour de courtes distances, particulièrement bien adaptés pour le marché des jets privés. Les premiers seront commercialisés dès janvier prochain, par exemple par l’entreprise ZeroAvia. L’aviation pollue ; la décarbonation du secteur commencera par les petits avions, donc par les jets.
S’il est des facilités en matière d’écologie, l’interdiction est assurément la première d’entre elles. Nous parlons ce soir d’interdire le secteur où commence directement la décarbonation de l’aviation et de notre économie. Nous parlons d’interdire d’un geste l’un des derniers secteurs industriels où la France est leader, avec quelque 32 milliards d’euros de contribution économique, et dont elle accueille 23 % des emplois européens.
Interdire encore, interdire toujours ! Et cela au lieu d’accompagner une industrie en pleine mutation : biocarburants, appareils à très basse consommation, moteur électrique, recherche… Vous voulez interdire un secteur qui, dès l’année prochaine, commercialisera des avions à basse consommation. Vous avez près de vingt ans de retard ! Au fond, cette proposition ne vise qu’un seul objectif, la punition des riches. Vous avez le droit de mener un combat social, mais ne vous réfugiez pas derrière l’écologie pour ce faire.
De notre côté, nous sommes favorables à l’innovation plutôt qu’à l’interdiction. Nous souhaitons favoriser l’usage des biocarburants, instaurer un système de bonus-malus, encourager les vols à très basse consommation, alléger la fiscalité sur les biocarburants. Il existe bel et bien un chemin entre votre généralisation des interdits et le laisser faire : la décarbonation à venir de notre économie.
Nous nous opposerons donc à cette fausse bonne idée qu’est votre texte.
M. Laurent Esquenet-Goxes (Dem). Cette proposition de loi ne nous semble pas à la hauteur de l’enjeu environnemental, pour trois raisons : elle est en décalage fondamental avec les attentes des Français ; elle apporte une réponse solitaire à des enjeux globaux ; elle méconnaît les capacités du secteur.
Le texte est loin de permettre la diminution des émissions de carbone, dues pour 0,07 % à l’aviation d’affaires – puisque c’est d’elle, et non de vols en jets privés, qu’il s’agit. Ainsi, 0,07 % de nos émissions seront déplacées vers nos plus proches voisins, soit autant d’avions qui survoleront la France depuis l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne et le Luxembourg. Vous répétez sans cesse que les émissions de carbone n’ont pas de frontières : c’est le moment d’y penser. Et pensons aussi que le carbone ne se délocalisera pas seul : il emportera dans son sillage les 117 000 emplois qualifiés durablement installés sur le territoire national que représente l’aviation d’affaires, comme ceux que l’on trouve chez moi, en Haute-Garonne.
Le secteur a pris la mesure de l’enjeu écologique et tente chaque jour un peu plus d’y répondre. Airbus a annoncé un avion 30 % plus propre dès l’an prochain. ATR a réalisé en juin 2022 un vol avec 100 % de SAF. De nombreuses start-up aéronautiques sont également engagées, telles Aura Aero en Haute-Garonne.
Tout cela serait détruit si nous adoptions la proposition de loi, qui priverait le secteur de son outil d’innovation le plus précieux : les petits modèles, qui permettent les expérimentations. La solution n’est donc pas d’interdire des vols, mais d’accélérer la transformation de ce secteur de pointe de l’industrie française pour décarboner le transport grâce aux nouvelles technologies et à l’utilisation croissante des carburants durables.
Monsieur le rapporteur, j’aimerais vous emmener à Labège, dans ma circonscription, à la découverte de l’association les Mirauds Volants, qui fait voler des personnes aveugles. Je sais que vous ne croyez pas à l’amour des Français pour ce désir profond de liberté par les airs, mais il est bien réel et fort.
Le groupe Démocrate votera contre la proposition de loi.
M. Gérard Leseul (SOC). Dans de nombreuses métropoles sont en train de se déployer des zones à faibles émissions (ZFE). Faute d’aides suffisantes et d’infrastructures opérationnelles, de nombreux périurbains ne pourront bientôt plus y accéder. Comment vais‑je expliquer à un habitant de Croix-Mare, qui roule avec une vieille Clio consommant cinq ou six litres aux cent kilomètres, qu’il ne peut plus aller à Rouen, alors que les milliardaires et les patrons des grandes entreprises peuvent, eux, émettre en moyenne 3 500 tonnes de CO2 par an avec leurs jets ?
Que l’on se rassure, je ne m’apprête pas à proposer l’instauration de ZFE aériennes. Relisons plutôt la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Chacun selon ses moyens !
Elle dispose aussi : « Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». Le jet est certes un objet de distinction sociale pratique, mais quelle est son utilité commune ?
Est aussi inscrit : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Au lendemain de la parution du dernier rapport du Giec, comment croire que la pollution des jets ne nuit pas aux Français – à nos aînés qui pâtissent des canicules, à nos agriculteurs qui n’ont plus d’eau pour irriguer, aux riverains qui ne supportent plus leur pollution sonore et visuelle, à tous ceux qui seront embêtés par les ZFE ?
Je remercie nos collègues écologistes d’avoir déposé la présente proposition de loi qui a le mérite de soulever la question de l’égalité sociale et écologique. Se réfugier derrière le mirage des carburants alternatifs ou des avions zéro émission commercialisés peut-être dès l’année prochaine ne suffit pas. Nous examinerons avec bienveillance la proposition de loi et les amendements constructifs dont nous ne doutons pas que vous les soutiendrez, monsieur le rapporteur, pour améliorer encore le texte.
M. Vincent Thiébaut (HOR). Les activités humaines, principalement par le biais des émissions de gaz à effet de serre, ont sans équivoque provoqué le réchauffement de la planète. Voilà ce qu’indique le sixième rapport du Giec publié il y a quelques jours. Le constat est sans appel. Nous devons d’urgence apporter une réponse au réchauffement climatique, en réduisant nos émissions et en développant la décarbonation de l’ensemble des secteurs. La proposition de loi s’inscrit directement dans cette ligne. Toutefois, le sens du pragmatisme et de la réalité exige d’y regarder d’un peu plus près.
Les chiffres déjà évoqués montrent que l’impact de l’interdiction proposée sur les émissions de gaz à effet de serre sera assez minime. En revanche, il ne le sera pas pour un certain nombre de secteurs économiques. En effet, 80 % des vols en jet privé ont des motifs professionnels, ce qui permet de se rendre dans des territoires que ne dessert aucune ligne à grande vitesse (LGV). Ces vols permettent de maintenir des activités industrielles et des entreprises dans les territoires ruraux. Sans rejeter l’argument fondé sur les ultrariches, je doute que ceux-ci se baladent souvent du côté de Vesoul. Je doute aussi que couvrir la France de LGV soit judicieux du point de vue environnemental et climatique.
Ce qui est sûr, c’est que cette filière d’excellence française doit être accompagnée dans la décarbonation. Les entreprises investissent énormément. Airbus et Aura Aero se sont lancées dans la fabrication de jets électriques ou à hydrogène. Il faut soutenir ces innovations, afin que le secteur devienne plus écologique. Je suis persuadé qu’un secteur aérien interne à la France sera demain la solution, permettant des déplacements décarbonés et le développement des territoires. Or adopter la proposition de loi, c’est tuer le secteur.
Le groupe Horizons et apparentés est favorable au débat et à la pédagogie, et votera contre la proposition de loi telle qu’elle est présentée.
Mme Christine Arrighi (Écolo-NUPES). Les vols en jets privés sont emblématiques de l’injustice sociale, environnementale et fiscale. Cela n’est plus à démontrer. Pourtant, la présente proposition de loi suscite une hostilité particulière : sur les vingt amendements à discuter, sept, issus du Rassemblement national, des Républicains, de Renaissance et du groupe Démocrate, visent à supprimer ses articles. Il s’agit pourtant de la mesure qui pénalise le moins de monde, pour l’impact le plus fort et le plus immédiat en faveur du climat.
Ce texte n’est pas radical. Il prévoit des exceptions permettant le maintien des trajets en aéronef. Il ne s’agit pas d’une opposition simpliste à l’aviation, comme on a pu l’entendre.
La justice sociale et environnementale nous impose de tenir compte des réalités. En voici une : chaque année, 1 000 vols sont effectués en jet privé entre Paris et Nice – pour le travail, vraiment ? – qui polluent autant que 40 000 familles effectuant ce même trajet avec une voiture thermique. D’après Santé publique France, la pollution de l’air entraîne de 48 000 à 80 000 décès prématurés par an, soit au moins 10 % de la mortalité en France. Sachant qu’un jet émet à peu près 2 tonnes de CO2 en seulement une heure, pour un taux d’occupation moyen de 4,7 passagers, alors qu’une personne émet 8 tonnes de CO2 pendant une année entière, il est évident qu’il faut agir pour plus de justice environnementale et sociale.
Selon les exposés sommaires de certains amendements, cette proposition de loi serait contraire à la Constitution au motif qu’elle contrevient aux libertés d’aller et venir et d’entreprendre. Celles et ceux qui mettent en avant ces arguments ignorent que la liberté d’entreprendre peut parfaitement être encadrée sur le fondement de la Charte de l’environnement, qui fait partie du bloc de constitutionnalité. Celle-ci consacre en effet le principe de précaution, en son article 5 ; et son article 1er dispose que « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé », sans même parler des équilibres naturels.
La proposition de loi va donc dans le sens d’un juste effort des plus riches. Elle est juste socialement car elle demande aux ultrariches un effort de solidarité avec les autres Françaises et Français. Elle est juste d’un point de vue environnemental car elle permet de réduire la pollution qui pèse sur l’ensemble de la population. Évidemment, cette mesure ne suffira pas à sauver le climat, mais elle s’inscrit résolument dans une exigence d’exemplarité alors que nous demandons au plus grand nombre d’adapter ses habitudes en matière de mobilité, notamment avec les ZFE.
Pour toutes ces raisons, nous voterons en faveur de cette proposition de loi.
M. Hubert Wulfranc (GDR-NUPES). Dans « jet-set », il y a « jet ». Cette grande bourgeoisie mondialisée, sautant d’un rendez-vous d’affaires à l’autre, de city centers en soirées mondaines – il y a de bonnes émissions à ce propos sur TF1 et M6 – doit être remise, de manière autoritaire, sur les vols réguliers d’Air France ou de toute autre compagnie aérienne nationale. Ils arriveront à l’heure pour conclure leurs contrats et pourront continuer à manger dans les restos cinq étoiles, tout en faisant un geste pour la planète. C’est bien peu leur demander. Je trouve donc la proposition de loi tout à fait minimaliste, étant entendu que les vols d’intérêt général sont bien naturellement préservés par le texte.
Cette interdiction abrupte et frontale est une bonne chose. C’est une esquisse d’abolition des privilèges, du type nuit du 4 août ou empêchement de Charles III. Bref, nous soutiendrons sans hésiter cette excellente proposition de loi de nos collègues écologistes.
M. David Taupiac (LIOT). Voilà plusieurs mois que les jets privés sont au cœur des polémiques, les déplacements des hommes d’affaires scrutés et les célébrités épinglées pour la récurrence de leurs vols. À l’heure du dérèglement climatique, il est tout à fait légitime de remettre en question les pratiques, notamment lorsqu’elles sont émettrices de gaz à effet de serre. Mais faire de l’interdiction des jets privés un sujet phare de la lutte contre le réchauffement climatique, c’est leur donner une importance qu’ils n’ont pas : à l’échelle mondiale, les avions privés représentent 2 % des 2 % d’émissions imputables à l’aviation, et en France ils ne cumulent pas plus de 0,1 % des émissions totales. Leur impact est donc minime.
Ce qui n’est pas négligeable, en revanche, c’est le poids économique du secteur, avec 100 000 emplois directs ou indirects. Étant moi-même élu d’un territoire où l’aéronautique est fortement implantée, je sais combien l’avion a d’importance pour la vitalité du tissu économique local.
Je connais aussi les efforts accomplis par la filière pour effectuer la transition vers la fabrication d’avions peu polluants, ainsi que les progrès déjà réalisés : la consommation par passager et par kilomètre a été divisée par plus de deux entre 1990 et 2018, et nous ne sommes qu’au commencement du verdissement de cette industrie.
Je suis persuadé qu’une interdiction pure et simple des jets privés conduirait non pas à une disparition totale de ces vols, mais plutôt à leur délocalisation vers d’autres aéroports de partance et d’arrivée.
Là où nous pouvons trouver un terrain d’entente, en revanche, c’est sur le fait qu’il est grand temps d’avancer sur la fiscalisation du kérosène à l’échelle européenne, qui est la plus pertinente pour traiter des enjeux relatifs à l’aéronautique.
M. Julien Bayou, rapporteur. Je m’attendais à quelques turbulences, forcément, mais je me réjouis du niveau du débat.
Je n’oppose pas réduction et décarbonation : il faut d’abord réduire les émissions, puis décarboner les activités qui ne peuvent pas être supprimées. Mais, et encore récemment, certains brandissent la décarbonation comme un alibi pour ne rien faire.
Monsieur Adam, les vols en jet ne représentent qu’une petite part des émissions, en effet. J’aimerais faire plus, mais ce n’est pas possible dans le cadre de cette niche ! Il y avait d’ailleurs un très beau projet, beaucoup plus global, qui s’appelait la Convention citoyenne pour le climat : il y aurait sans doute de nombreux éléments à récupérer de ce côté-là.
Il n’y a pas de petites économies : chaque fraction de degré compte quand il s’agit de lutter contre le dérèglement climatique. Il faut préparer dès maintenant l’adaptation, car nous avons pris un retard phénoménal, coupable, peut-être même criminel. Supprimons donc ce qu’il est facile de supprimer. Dire que les jets privés ne représentent qu’une faible part des émissions n’est pas un argument. Du reste, un rapport encore sous embargo montre que les chiffres sont en forte croissance.
Peut-être avez-vous reçu des argumentaires vous faisant miroiter la perspective d’atteindre 100 % de SAF, mais c’est un mirage : on aimerait y croire, mais ce n’est pas envisageable. La direction générale de l’aviation elle-même le dit : l’offre de SAF n’existe que dans trois ou quatre aéroports et, s’il est possible de la développer un peu, de nombreux problèmes se posent : le SAF coûte quatre à cinq fois plus cher que le kérosène et sa production est en concurrence avec d’autres usages des espaces agricoles. Du reste, le SAF est un mélange contenant 30 % de biomasse. Dès lors, 100 % de SAF, ce serait 100 % d’un mélange à 30 %, autrement dit contenant 70 % de kérosène. Bref, le 100 % de SAF n’est ni pour aujourd’hui, ni pour demain, et pas même pour dans dix ans – et je ne parle même pas du 100 % de SAF à 100 % : c’est possible pour l’huile de friture, mais ce n’est pas avec cela que l’on fera voler des avions…
Le montant de 32 milliards d’euros de contribution économique, régulièrement mis en avant, émane des représentants de l’aviation d’affaires. Là encore, la direction générale de l’aviation civile considère qu’il est pour le moins ambitieux. Vous évoquiez les impôts : parlons-en ! On ne le dit pas assez, mais la location de jets entrant dans les frais professionnels est un facteur d’optimisation fiscale, voire d’évasion fiscale. On voyait dans « Complément d’enquête » qu’immatriculer un jet à Malte permet de faire tomber le taux d’imposition à 5 % tout au plus. Invoquer une possible perte de recettes fiscales me paraît donc hasardeux. Du reste, nos propositions visant à intégrer les jets dans le calcul de l’impôt sur la fortune immobilière ou à les exclure des frais professionnels déductibles ont été rejetées.
Quant au fait qu’il s’agisse d’une proposition parisienne, ce n’est pas l’avis des riverains de l’aéroport de Nice, où les vols en jet représentent 41 % du trafic, et encore moins de Cannes et de Saint-Tropez, où c’est 100 % : ils vous diront que pour eux, c’est surtout une question de nuisances sonores. J’y étais il y a dix jours.
Madame Masson, je reconnais dans vos propos les arguments des acteurs de l’aviation d’affaires, dont vous vous faites la courroie de transmission, mais moins ceux des ONG et des riverains qui se plaignent des nuisances sonores. Vous allez même plus loin en ajoutant 16 000 emplois au nombre qu’ils avancent eux-mêmes pour le secteur, et qui est déjà phénoménal – ils ont d’ailleurs du mal à le justifier.
Monsieur Arenas, il y va de la justice, en effet. C’est une question de partage des efforts. Je n’avais pas pensé à l’aspect pédagogique de la mesure, mais vous avez raison : il faut rappeler à tout le monde les limites de la belle planète que nous avons en commun et, d’une certaine façon, ramener sur terre ces élites qui font sécession.
Monsieur Vermorel-Marques, nous serons à vos côtés quand il s’agira de soutenir les vols régionaux zéro émission ; Mme Arrighi, qui travaille sur la question, vous le confirmera sans doute. Je vous mets même au défi de compléter l’interdiction que nous proposons par une exemption pour les avions zéro carbone. Mais nous avons auditionné Aura Aero et nous savons malheureusement que cela ne permettra pas d’en faire voler beaucoup, car pour l’instant cela n’existe pas, ce n’est pas concret. Toutefois, cette disposition aurait un vrai effet d’entraînement pour la recherche et développement. Il y a là une filière d’excellence à développer en France. Il faut agir en faveur de ce type de transport de point à point.
Monsieur Esquenet-Goxes, je vous remercie pour le regard expert avec lequel vous avez abordé cette proposition de loi. Ce serait un plaisir de rendre visite à l’association que vous avez évoquée, à l’occasion. Je ne suis pas contre l’avion quand il n’y a pas d’autre solution. Comme le dit souvent Mme Arrighi, on ne va pas à Tokyo en pédalo.
Vous dites que la consommation de carbone sera nécessairement délocalisée. Mais si certaines personnes installées à Paris ont vraiment besoin de prendre l’avion, elles ne se délocaliseront pas à Bruxelles pour prendre un jet…
Pour vous rassurer, la France peut montrer le chemin, reprendre le flambeau de l’exemplarité européenne, comme avec l’interdiction des vols lorsqu’il existe une alternative par le train. On parle de l’« accord de Paris », après tout : faisons le nécessaire pour le respecter ! La présidente de la commission des transports et du tourisme, Mme Karima Delli, est partante pour que le Parlement européen se saisisse de la question. M. Zakia Khattabi, ministre du climat de Belgique, l’est également, ainsi que le ministre des transports wallon. Le débat est intense aux Pays-Bas et en Autriche.
Monsieur Leseul, vous avez parfaitement raison : l’exemple de la ZFE est le plus critique. La personne qui n’a pas pu remplacer son véhicule diesel par un moins polluant parce qu’elle n’a pas été accompagnée se retrouve complètement privée de mobilité – il ne s’agit pas, dans ce cas, de devoir prendre un train ou un avion de ligne en première classe au lieu d’un jet ! Elle ne pourra pas adhérer à la transition. Cela fait longtemps que nous n’avons pas investi dans les transports du quotidien. Si la population de Lyon ou de Paris voit décoller des jets de Saint-Exupéry ou du Bourget, on ne pourra pas la convaincre, même en cas de pic de pollution. Il y a là un vrai enjeu de justice.
Monsieur Thiébaut, le chiffre de 80 % de vols en jet qui auraient un caractère professionnel m’avait beaucoup étonné. Quand nous avons auditionné les représentants de l’aviation d’affaires, nous les avons interrogés sur ce point, car force est de constater qu’il y a beaucoup plus de liaisons Paris-Nice en été, et qu’en hiver, c’est plutôt Paris-Chambéry… Quant à l’aéroport d’Ibiza, il n’apparaît dans les classements qu’au mois d’août – même si nous avons appris l’an dernier que certains vont y travailler en hiver. L’explication est simple : sont des vols professionnels ceux qui sont « payés par la boîte » – ce qui nous ramène à la question des frais professionnels. Mais pour un Cannes-Saint-Tropez, c’est difficile à défendre… Voilà le genre de choses qu’essaient de nous faire croire les représentants du secteur, qui défendent leur business. La vérité, en se fondant sur les lignes les plus empruntées, est qu’une grande part des vols est de l’ordre de l’agrément. Dès lors, la question est de savoir si on tolère cette pratique ou si on veut l’encadrer.
Vesoul devrait être beaucoup mieux desservi par le train, je suis entièrement d’accord avec vous : la priorité doit aller à l’investissement dans les transports du quotidien.
En ce qui concerne la décarbonation, je suis tout à fait prêt à creuser la question. Hélas, certains amendements ont été déclarés irrecevables. Étant un fervent défenseur du droit d’amender, je regrette que les propositions n’ayant qu’un lien indirect – voire très indirect – avec le texte ne bénéficient pas d’une tolérance plus grande, même si, en l’occurrence, cela m’arrange un peu. Cela permettrait au moins de débattre de certaines questions. D’ailleurs, nous avions déposé des amendements semblables dans le cadre du projet de loi de finances, et, rassurez-vous, ils avaient été eux aussi rejetés.
Madame Arrighi, le chiffre que vous avez donné est effectivement le plus parlant : l’aller-retour Paris-Nice équivaut à la consommation d’une voiture pendant un an. Cela résume parfaitement l’injustice qu’il y a entre ceux qui font des efforts, qui sont contraints de prendre leur voiture et de polluer car il n’y a pas de transports publics suffisants, ponctuels, fiables et sécurisés – ceux-là, on les culpabilise – et ceux qui se permettent de faire des trajets complètement superflus alors qu’ils pourraient emprunter des avions de ligne – je ne parle même pas de prendre le train. C’est une question de réduction des émissions de CO2, mais c’est aussi et d’abord une question de justice.
Monsieur Wulfranc, toutes mes excuses : c’est vrai, cette proposition de loi n’est pas assez radicale, et même carrément minimaliste ! Disons que c’est l’écologie des petits gestes : on fait ce qu’on peut…
Les membres du Gouvernement ont exprimé des positions très diverses sur la question. M. Véran a reconnu qu’il y avait deux poids, deux mesures entre les Français qui font des efforts et les ultrariches qui en sont complètement exemptés. M. Beaune, ministre délégué chargé des transports, en a tiré la conclusion qu’il fallait réguler. La Première ministre a déclaré qu’elle comptait sur l’exemplarité des propriétaires de jets, ce qui n’a pas marché. Compte tenu de cette diversité de positions, j’enjoins mes collègues de la majorité à retrouver leur autonomie de vote.
Amendements de suppression CD12 de Mme Alexandra Masson, CD22 de M. Antoine Vermorel-Marques et CD24 de M. Damien Adam.
Mme Alexandra Masson (RN). Prétendre répondre au défi climatique en supprimant les jets privés relève de l’utopie. Vous avez passé un week-end à Nice ; c’est bien. Moi, j’y vis depuis quarante ans, et j’y prends l’avion chaque semaine.
Le point de vue des associations que vous avez rencontrées est certainement intéressant et ces gens subissent sans doute quelques nuisances, mais, dans le seul département des Alpes-Maritimes, les 58 000 passagers d’aviation privée comptés chaque année rapportent 80,6 millions d’euros et sont à l’origine de 23 000 emplois directs et indirects – les chiffres sont faciles à vérifier.
Je suis favorable à la décarbonation, évidemment. Qui ne l’est pas ? Qui ne souhaite pas que l’on invente de nouveaux carburants non polluants ? Pour autant, vous ne pouvez pas faire complètement abstraction des entreprises de l’industrie aéronautique et des nombreux emplois qu’elles procurent. La filière du vélo, quant à elle, ne représente que 13 000 emplois dans toute la France. Il y a vraiment deux poids, deux mesures.
De surcroît, le fait de ne pas définir la notion de jet privé à l’article 1er reste un grave problème juridique. Le texte n’est pas suffisamment abouti.
Pour ces raisons, nous demandons la suppression de l’article.
M. Pierre Vatin (LR). Votre proposition me met un peu mal à l’aise, monsieur le rapporteur. Je comprends bien votre argument de l’écologie des petits pas, mais lorsque vous expliquez que les SAF ne sont pas suffisants, c’est que vous estimez qu’il n’y aura jamais d’amélioration. L’industrie du secteur aérien, qui a pourtant déjà entamé des efforts, va se voir contrainte de faire d’un seul coup le saut d’une aviation classique à une aviation décarbonée, sans avoir les jets privés pour tester les évolutions. Et elle devra se passer des 30 milliards d’euros de revenus annuels des entreprises françaises du domaine pour réussir la transition écologique.
M. Damien Adam (RE). Vous ne m’avez pas répondu, monsieur le rapporteur, en ce qui concerne l’aménagement du territoire. M. Thiébaut l’a rappelé : 80 % des vols en jet privé ont un caractère professionnel. Effectivement, on a l’image de l’ultrariche sautant dans son jet pour aller dans une soirée mondaine, mais la réalité est légèrement différente. C’est un sujet important, et c’est pour cela que je parlais de parisianisme – vous répondrez avec des Niçois, mais je ne suis pas sûr qu’ils soient très différents des Parisiens de ce point de vue. En effet, certains territoires sont très mal desservis par les transports en commun, notamment le train. S’ils n’ont pas des lignes d’avion régulières et des jets pour certains usages professionnels, des usines et des sièges sociaux vont disparaître des espaces périurbains. On ne peut pas balayer la question d’un revers de main et se contenter de dire qu’ils n’ont qu’à s’adapter, comme les ultrariches.
Et qu’adviendra-t-il des 100 000 emplois du secteur si vous supprimez l’activité ? Vous n’en parlez pas non plus.
Voilà pourquoi l’article ne saurait être conservé en l’état.
Vous n’avez pas dit que les SAF permettent d’obtenir jusqu’à 80 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre. En outre, il s’agit d’une technologie de transition : c’est tout de suite que nous devons les utiliser, pas en 2050, pour décarboner le plus rapidement possible le secteur des transports aériens. Ensuite, nous aurons des technologies plus durables qui mettront fin à la stigmatisation systématique de ce secteur – bien injustifiée au regard des innovations qu’il ne cesse de mettre en œuvre pour faire en sorte d’être le plus respectueux possible de la planète.
M. Julien Bayou, rapporteur. L’article 1er traite des personnes voyageant avec leur propre jet. Cela n’a rien à voir avec les territoires qui ne sont pas desservis par les transports. À moins que vous n’envisagiez un crédit d’impôt pour que tous leurs habitants se dotent de jets privés… Nous pourrons débattre de l’aménagement du territoire à l’article 2 si vous le souhaitez, mais pas ici.
Par ailleurs, vous ne trouverez jamais les écologistes en défaut lorsqu’il s’agit de soutenir l’aménagement du territoire, d’encourager la démétropolisation, de faire en sorte que tout ne passe pas par Paris et, bien sûr, de se battre en faveur de ce que l’on appelle les « petites lignes » qui transportent en réalité des millions de passagers tous les jours et sont malheureusement moins bien soutenues qu’il ne le faudrait, et ce depuis longtemps. À votre place, je n’utiliserais donc pas cet argument non plus.
S’agissant des SAF, ne me faites pas de faux procès : j’y suis favorable, mais je dis la vérité, à savoir qu’il n’est pas possible d’avoir 100 % de SAF à 30 % dans les deux ou trois prochaines années, et encore moins 100 % de SAF à 100 %. Je n’ai rien contre la R&D ; la France aurait dû accélérer en la matière depuis quelque temps déjà. Mais il est faux de dire que l’on va décarboner le secteur aérien et respecter l’accord de Paris avec du SAF à 30 %, qu’on n’est du reste pas en mesure de produire. Je comprends que l’aviation d’affaires vous fasse miroiter monts et merveilles. C’est un lobby. L’idée est plaisante, mais elle ne correspond tout simplement pas à l’état de la science. Si nous ne nous berçons pas d’illusions, si nous sommes des décideurs responsables, alertés par le Giec et chahutés par notre jeunesse – qui a bien raison de le faire – nous devons nous dire la vérité, à savoir qu’il n’est pas possible que tous les jets volent au SAF.
Madame Masson, je ne comprends vraiment pas pourquoi vous revenez sur la définition des jets privés. Vous essayez peut-être de nous faire passer pour des amateurs, alors que c’est vous qui ne comprenez pas de quoi il s’agit. Si c’est le seul argument qui vous reste, c’est vraiment dommage.
Savez-vous ce qu’est un aéronef ? Le terme a un sens juridique très large : il désigne aussi bien une montgolfière qu’un avion d’Air France. Vous avez soumis une autre proposition à la direction générale de l’aviation civile, laquelle vous a répondu qu’elle n’était pas opérante. C’est pourquoi nous avons distingué entre les vols non réguliers opérés pour soi-même, de manière non onéreuse et non commerciale, et les vols commerciaux non réguliers opérés pour le compte d’autrui, c’est-à-dire le transport à la demande.
Pour finir, je trouve brutal de proposer la suppression d’un article au seul motif qu’il consiste à demander un tout petit effort aux plus riches, alors même que la majorité a été énormément critiquée, à tort ou à raison, pour se montrer dure avec les faibles et conciliante, à tout le moins, avec les riches. Ainsi, le ministre de l’économie n’impose jamais : il demande – par exemple aux banques de faire des efforts sur les agios… Nous vous proposons une toute petite chose : que les ultrariches prennent les avions de ligne. Les emplois se reporteront vers l’aviation classique. Il existe, par ailleurs, une filière d’excellence dans le domaine de l’avion électrique et la R&D pourrait soutenir cette transition, mais je ne vois pas le début d’une ambition en la matière. Vous opposez décarbonation et réduction, alors que l’on devrait commencer par réduire, puis décarboner les activités qui ne peuvent pas être réduites.
Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Sans surprise, je suis entièrement opposée à ces amendements de suppression.
On nous dit de ne pas faire abstraction de l’industrie, mais une industrie, cela se construit, cela s’adapte, cela se développe – le vélo a été cité, mais on pourrait évoquer aussi les panneaux photovoltaïques. Je vous demanderai pour ma part, étant donné que nous sommes à la commission du développement durable, de ne pas faire abstraction du dernier rapport du Giec, dont la synthèse est parue il y a quelques jours. Ses conclusions sont extrêmement claires : il est écrit que les actions d’adaptation et d’atténuation du réchauffement climatique accordant la priorité à l’équité et à la justice sociale conduisent à des résultats plus soutenables ; les experts appellent à partager équitablement les bénéfices et les fardeaux de l’atténuation du réchauffement climatique.
Tel est précisément le cœur de cette proposition de loi : il s’agit de déterminer qui doit supporter l’adaptation au réchauffement climatique. Nous assumons de dire que les ultrariches, ceux qui ont les moyens de prendre un avion privé pour se déplacer, doivent prendre une part plus importante de ce fardeau, pour la bonne raison qu’ils sont les principaux émetteurs – ils émettent huit fois plus de CO2 que les 50 % de Français les plus pauvres.
Vous nous accusez de parisianisme. Pour ma part, je suis élue dans l’Isère et j’ai grandi à Vesoul : des jets privés, nous n’en voyons pas beaucoup. Quand des avions passent, ils viennent en général de la base aérienne de Luxeuil-Saint-Sauveur… Alors, oui, parlons des territoires ruraux, et posons la question que posaient déjà les gilets jaunes : qui doit payer ? Ce qu’ils ne supportaient pas, c’était le fait de devoir payer alors que d’autres en étaient dispensés. En adoptant ce texte, vous pouvez dire très clairement que tout le monde devra s’adapter au réchauffement climatique, et que certaines pratiques ne sont plus permises. C’est pour cela que je vous appelle à repousser ces amendements de suppression.
M. Pierre Meurin (RN). Vous ne vous attaquez pas au réchauffement climatique, mais aux riches, uniquement. C’est la constante de votre idéologie d’extrême gauche. L’expression « jets privés » n’ayant aucune qualification juridique, votre proposition mal ficelée est bancale ; ce n’est qu’un affichage politique, de la communication auprès de vos électeurs.
En fait, les écologistes veulent tout interdire – les panneaux lumineux tout à l’heure, les jets privés maintenant. Notre pays est fier de son industrie aéronautique mondialement reconnue, mais l’idéologie écologiste entend détruire notre souveraineté et nos fleurons. Vous auriez pu vous attaquer aux supertankers, dont un seul pollue autant que la totalité du parc automobile français. Vous préférez nous faire perdre du temps sur vos textes d’affichage politique.
Tout ceci n’a aucun sens, en tout cas du point de vue du réchauffement climatique. Vous avez défendu la fermeture de Fessenheim, à cause de laquelle nous importons de l’électricité carbonée produite par des centrales à charbon allemandes. En la matière, vous n’avez aucune leçon à nous donner. Votre écologie est une écologie de tartuffe et vous n’êtes pas crédibles.
M. Bruno Millienne, président. Monsieur le député, pas de vocabulaire de ce type je vous prie. Je ne tolérerai pas d’agression à l’égard du rapporteur. Pour la sérénité des débats, respectez-vous les uns les autres, comme les membres de la commission l’ont toujours fait.
M. Gérard Leseul (SOC). Sans vouloir agresser personne, je regrette vivement l’amendement bazooka de nos collègues de la majorité, qui souhaitent clore la discussion en supprimant l’article 1er.
La proposition de loi peut être améliorée. Chers collègues de la majorité, vous avez accès à l’ensemble des moyens de compréhension et d’action, faites des propositions constructives ! Une vraie discussion est nécessaire, et c’est pourquoi j’ai salué et remercié nos amis écologistes d’avoir mis ce sujet à l’ordre du jour. Nous avons besoin de justice et d’équité, pour continuer à faire société et éviter les affrontements, ici ou dans la rue.
L’argument des sièges sociaux ne tient pas la route. Mais, c’est vrai, nous avons un problème d’organisation des mobilités régionales et intrarégionales, tout en devant garantir l’accès au tissu parisien, qui rassemble entreprises et administrations, avec des besoins de communication permanents. Essayons de construire intelligemment ce désenclavement. Les jets privés ne règlent pas le problème ; il faut trouver d’autres solutions.
Votre position revient à autoriser les Porsche Cayenne et à interdire les Clio. Au niveau national comme intergouvernemental, il faut tenir un discours cohérent à l’endroit de l’ensemble de nos concitoyens.
M. Damien Adam (RE). J’espère que M. Leseul n’a jamais déposé d’amendement de suppression d’un article, sans quoi l’argument du bazooka pourrait faire boomerang. Par ailleurs, on ne peut guère déposer d’amendements pour modifier une interdiction : soit on est d’accord, soit on ne l’est pas. Nous proposons un autre chemin, celui d’une décarbonation puissante – car, c’est vrai, on doit être plus exemplaire et plus rapide pour ce qui est de l’aviation d’affaires que dans d’autres domaines.
Nous ne sommes pas là pour tuer le débat : nous débattons depuis plus d’une heure, et nous allons continuer en prenant notre temps. Simplement, nous avons une autre idéologie que la NUPES et la représentation nationale choisira entre l’une et l’autre.
Mme Lisa Belluco (Écolo-NUPES). Je vous invite à lire le rapport Pouvoir voler en 2050 : quelle aviation dans un monde contraint ? réalisé par le Shift Project en mars 2021 en partenariat avec le collectif Supaéro Décarbo – des gens qui souhaitent que les avions continuent de voler ! Selon ses estimations, si l’on veut rester dans l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 2 degrés, il faudra de toute façon réduire le nombre de vols, même dans le scénario le plus ambitieux en matière de progrès technologique – avec notamment un changement de l’ensemble de la flotte à quinze ans. Dès lors, peut-être pourrait-on commencer par réduire les trajets qui sont le moins indispensables, ceux en jets privés ?
M. Julien Bayou, rapporteur. Il est savoureux que le Rassemblement national défende les ultrariches alors qu’il se présente comme le parti des petits. Il est vrai qu’il a aussi voté contre l’augmentation du Smic et des salaires.
Contrairement à ce qu’a dit M. Adam, il est possible d’améliorer le texte. Je m’attendais par exemple à discuter d’amendements sur le sujet des trajets courts. Le commun des mortels se voit interdire les vols intérieurs lorsqu’un trajet de moins de deux heures trente est possible en train, mais cette interdiction ne vaut pas pour les jets privés ! C’est une injustice flagrante. Si vous avez les moyens – le patrimoine moyen des propriétaires de jets est de 1,3 milliard d’euros – vous n’êtes pas concerné par les lois de la République. Comment faire société, selon l’expression de M. Leseul, quand les élites font sécession ?
Quant aux amendements qui pourraient concerner les biocarburants, ils sont malheureusement irrecevables. Il ne s’agit pas d’idéologie mais de considérations pratiques, pour garantir la réduction des gaz à effet de serre.
La commission adopte les amendements.
En conséquence, l’article 1er est supprimé et les amendements CD32 du rapporteur, CD4 de M. Jorys Bovet, CD35 du rapporteur, CD13 de Mme Christelle D’Intorni et CD33 du rapporteur tombent.
Amendements de suppression CD14 de Mme Alexandra Masson, CD21 de M. Laurent Esquenet-Goxes, CD23 de M. Antoine Vermorel-Marques et CD25 de M. Damien Adam.
Mme Alexandra Masson (RN). Nous ne défendons pas les riches, mais l’emploi et l’industrie française. En l’occurrence, l’interdiction, à l’article 2, des « services non réguliers de transport aérien public de moins de soixante passagers concernant les liaisons aériennes au départ, à destination ou à l’intérieur du territoire métropolitain français, à l’exception des vols sanitaires et médicaux » ignore la réalité économique des clients de l’aviation privée d’affaires. Pour rejoindre une destination qui n’est pas desservie commercialement ou éviter d’emprunter plusieurs vols commerciaux et correspondances, ces derniers sont dans l’obligation de faire appel à une aviation sur mesure. Contrairement à l’esprit de la proposition de loi, il ne s’agit pas d’une alternative luxueuse pour des ultrariches. Certaines entreprises n’ont pas d’autre moyen que de faire déplacer leurs salariés pour répondre à une urgence, par exemple une panne sur la chaîne de production d’une usine. Flexibilité et disponibilité sont les atouts premiers de l’aviation privée.
Nous proposons donc de supprimer cet article qui, pour des raisons idéologiques, ignore la réalité du transport aérien, au risque de mettre des centaines de groupes industriels et de PME dans l’impossibilité de travailler.
M. Laurent Esquenet-Goxes (Dem). Depuis 2017, beaucoup a été fait pour décarboner le secteur aérien en révisant son système fiscal et en rehaussant les attentes écologiques, notamment en matière de biocarburants. La décarbonation est indispensable, mais elle doit passer par l’innovation, non par des interdictions, car l’aviation participe au désenclavement des territoires ruraux et contribue à la vitalité économique de la France et de l’Union européenne.
L’article 2 concerne les petits vols, essentiels pour les territoires ruraux peu reliés aux infrastructures ferroviaires consommatrices de foncier. Ils constituent l’un des seuls moyens pour relier nos régions entre elles, avec des temps de transport décents, sans tout centraliser à Paris. L’entreprise ATR, constructeur de l’ATR42, qui fait moins de soixante places, fait beaucoup d’efforts pour réduire l’impact environnemental de ses vols. En juin 2022, elle a réalisé un premier vol commercial avec un avion consommant 100 % de carburant d’aviation durable. Elle prévoit de mettre sur le marché un modèle révolutionnaire à propulsion hybride hydrogène, l’ATR EVO, à l’horizon de 2030. Des start-up sont également à la pointe du combat écologique – la région Occitanie et la société Aura Aero travaillent sur un projet d’avion hybride de dix-neuf places.
Supprimer ces vols revient à isoler nos entreprises, à les couper d’une source d’innovation bas-carbone qui pourrait bénéficier à l’aviation dans le monde entier et à délocaliser des emplois de qualité. C’est pourquoi nous proposons de supprimer l’article.
M. Pierre Vatin (LR). Vous n’avez pas répondu à ma question sur le saut technologique à effectuer, notamment pour les constructeurs, afin d’éviter de nuire à notre souveraineté. Si on interdit les jets privés en France, ils seront fabriqués ailleurs. Les vols qui disparaîtront seront largement compensés dans d’autres pays. Au lieu de renforcer la souveraineté nationale, on accroîtra la concurrence, ce qui accélérera la chute de l’économie.
M. Damien Adam (RE). Mes arguments concernant l’aménagement du territoire valaient en effet davantage pour l’article 2 que pour le premier, pardon de cette erreur.
Personne ne nie, madame Belluco, qu’il faille réduire le nombre de trajets réalisés en avion. Mais cela ne signifie pas d’interdire certains usages : il faut travailler sur des solutions de remplacement, pour permettre à davantage de personnes de choisir un autre mode de déplacement que l’avion. Or les écologistes, plus favorables à l’interdiction qu’à l’écologie, sont généralement contre la création de nouvelles lignes ferroviaires… Il faut être un peu cohérent.
Par ailleurs, les jets privés concernent surtout les entreprises ; leur utilisation par les ultrariches est minoritaire.
Enfin, ce n’est pas cet article qui nous permettra de faire avancer l’aménagement du territoire, qui est un sujet essentiel.
Il faut donc supprimer l’article 2, non parce que nous refusons le débat, mais parce qu’il n’est pas opérant.
M. Julien Bayou, rapporteur. Il faut voir la réalité en face : un saut technologique est certes souhaitable et envisageable, mais pas réalisable durant la prochaine décennie. D’après le directeur général de l’aviation civile, qui n’est certainement pas membre du groupe Écologiste, tabler sur un carburant contenant 50 % de SAF n’est pas raisonnable : outre la difficulté de fournir la demande, les assureurs ne donneront pas leur accord, on n’a pas assez de recul. Aujourd’hui, quatre aéroports disposent de bornes pour alimenter quelques avions avec un carburant comprenant 30 % de SAF. Quant aux avions volant avec 100 % de SAF, ils relèvent de la chimère.
Certes, il faut mener une planification écologique, soutenir la R&D et la transition de l’industrie ainsi que les start-up innovantes, comme ZeroAvia à Toulouse. Mais aujourd’hui, ce n’est pas concret – ni pour ce mandat, ni pour le suivant. Les SAF représentaient en 2019 moins de 0,1 % des 360 milliards de litres de carburant utilisés dans l’aviation. Les pays scandinaves visent une incorporation de 30 % d’ici à 2030 ; la France cible 5 % à cet horizon, et elle est loin du compte ; l’Allemagne 2 % et les Pays-Bas, 14 %. Une généralisation n’est pas du tout à l’ordre du jour : ceux qui vous le font croire vous mentent.
Les liaisons non régulières les plus pratiquées par les jets privés sont Paris-Bruxelles, Paris-Genève, Paris-Londres et Paris-Nice, pour lesquelles des TGV et des liaisons commerciales classiques existent. Il n’y a pas de véritable pénalité dans ma proposition. Contrairement à la ZFE, qui interdit complètement la mobilité, notre proposition vise juste à changer de mode de transport : au lieu de voyager en jet privé à la demande, on prendra un avion classique ou un TGV.
M. Pierre Meurin (RN). Vous avez pourtant soutenu les ZFE dans tous les exécutifs locaux auxquels vous participez.
Nous soutenons les amendements de suppression.
Monsieur le président, je tiens à souligner que tout à l’heure, je n’ai insulté ni manqué de respect à personne.
M. Bruno Millienne, président. Les mots « amateur » et « tartuffe » ne sont pas des marques de respect.
M. Pierre Meurin (RN). Ce sont des messages politiques que l’on peut adresser en commission, sans attaque personnelle à l’encontre du rapporteur. Nous avons le droit de dénier aux écologistes toute crédibilité pour lutter contre le réchauffement climatique compte tenu de leurs actions passées et de l’idéologie qu’ils infusent dans la société.
M. Gérard Leseul (SOC). Je regrette à nouveau que la majorité n’ait déposé que des amendements de suppression sur le texte. La construction de la discussion semble limitée.
M. le rapporteur a suggéré un parallèle avec une disposition de la loi « climat et résilience » qui prévoyait d’interdire les lignes commerciales lorsqu’il y a une alternative en moins de deux heures trente en train. On pourrait en effet imaginer une mesure analogue pour les jets privés. La loi a été adoptée en juillet 2021. Où en sont les décrets d’application ?
M. Damien Adam (RE). Le décret d’application de cette loi était à l’étude au niveau européen en novembre 2022, lorsque j’ai établi mon rapport pour avis sur la mission Transports aériens du projet de loi de finances pour 2023. Il est depuis validé, et appliqué : il n’y a plus aucune liaison aérienne commerciale, hors jonction entre un vol national et international, lorsqu’un trajet en train de moins de deux heures trente est possible. Les acteurs, comme Air France, avaient d’ailleurs anticipé la mesure.
Il me semble que ce qu’évoquait M. le rapporteur tout à l’heure est le fait que les aéroports du Bourget, de Clermont-Ferrand, de Bordeaux et de Nice proposent un kérosène comprenant 30 % de SAF. Il n’en demeure pas moins que les avions peuvent embarquer un carburant comprenant 50 % de SAF – les capacités de production et de transport de kérosène le permettent – et que la prochaine génération de moteurs, notamment pour les avions d’affaires, sera capable d’accepter 100 % de SAF dès l’année prochaine. Techniquement, rien n’empêche d’augmenter, dès demain, la proportion de SAF proposée dans les aéroports. Sur l’ensemble de son cycle de vie, un avion qui volerait uniquement avec du biocarburant aérien durable réduirait de 80 % ses émissions de gaz à effet de serre.
Mme Christine Arrighi (Écolo-NUPES). Les écologistes partagent ces ambitions concernant le secteur aérien. Je rappelle que la convention internationale de Chicago, signée en 1944, a interdit toute taxation du carburant des vols. Ainsi, le trafic aérien concurrence de façon significative le transport ferroviaire, qu’il faut soutenir.
La Convention citoyenne pour le climat avait proposé de supprimer les vols intérieurs s’il existait une alternative en train de moins de quatre heures. La disposition a été limitée aux trajets inférieurs à deux heures trente, ce qui revient à n’interdire que deux liaisons aériennes entre Paris et Bordeaux. En outre, les avions d’affaires ou les jets privés n’ont pas été inclus dans le dispositif.
Enfin, même si le ministre de la transition écologique, M. Christophe Béchu, invite à se préparer à un réchauffement qui puisse aller jusqu’à 4 degrés, selon le Giec, un tel scénario correspond à la disparition de la biodiversité et à des températures insupportables pour l’homme. On peut toujours envisager de réduire les émissions à l’horizon 2050. Nous aspirons pour notre part à une reconversion industrielle complète, avec des aides aux entreprises qui soient conditionnées à des critères sociaux et environnementaux. Le Gouvernement s’y refuse : nos amendements au projet de loi de finances ont été tous rejetés, avant que les 49.3 ne viennent tout balayer. Mais ce n’est pas en 2050 que le sujet doit être traité, c’est immédiatement. Il nous faut agir à l’échelle de notre mandat de cinq ans – il en reste quatre. La proposition de loi paraît satisfaire ce qui relève de notre responsabilité : trouver des solutions immédiates pour que d’autres n’aient pas à le faire, ou à regretter de ne plus pouvoir. En conséquence, nous soutenons ses articles.
M. David Taupiac (LIOT). Lorsque je travaillais comme ingénieur aéronautique pour l’A380, à la fin des années 1990, le modèle de développement du trafic aérien comportait de grands hubs pour un trafic de masse. Il a été entièrement revu au cours des vingt dernières années : l’A380 a disparu ; les infrastructures et les structures de pistes réalisées ne sont plus utilisées. La stratégie prévoit désormais des liaisons plus directes et des avions plus petits pour rejoindre des destinations qui ne seront plus régulières – l’A321XLR vole jusqu’aux États-Unis, avec un rayon d’action allongé.
Le changement de gros à petits porteurs a des effets bénéfiques sur les infrastructures, puisque de petits aéroports de province peuvent être utilisés. Aller directement de ville à ville sans transiter par de grands hubs permet aussi d’économiser du carbone, d’où mon étonnement face à l’interdiction des vols de moins de soixante passagers. J’en ai emprunté pour des trajets Auch-Bâle ; l’alternative était Auch-Paris et Paris-Bâle : lequel a votre préférence ?
Le conseil régional d’Occitanie, auquel j’appartiens, développe le transport à la demande de petits bus et crée des lignes sur mesure : pourquoi nous empêche-t-on de faire de même pour l’aéronautique ?
Mme Lisa Belluco (Écolo-NUPES). Il existe quatre types de SAF.
S’agissant de la filière oléochimique, tout d’abord, on sait qu’on ne produira pas des volumes suffisants à partir des huiles de friture usagées, surtout si on les utilise aussi pour les voitures.
La production de SAF par les voies biochimiques consiste à convertir de la biomasse par des processus biologiques. Or il n’est pas certain, dans la situation actuelle, que le meilleur usage de nos sols agricoles soit de faire pousser des plantes pour produire des carburants, d’autant qu’on utilise déjà une partie de cette biomasse dans des méthaniseurs ou dans des carburants destinés à des voitures. À un moment où l’on parle de souveraineté alimentaire, il faudrait peut-être établir des priorités pour l’usage des sols agricoles.
Les filières thermochimiques, quant à elles, permettent de transformer du bois en paraffine synthétique par gazéification de la biomasse. Là encore se pose la question des usages multiples : si l’on doit aussi augmenter les quantités destinées au bois d’œuvre et au chauffage au bois, modulo les impacts sur la qualité de l’air, et étant entendu que les forêts poussent moins vite à cause du changement climatique – elles doivent s’adapter à l’augmentation des températures – je ne suis pas sûre, une fois de plus, que les ordres de grandeur conviennent, sachant qu’on ne produit déjà pas assez de bois en France pour les usages actuels.
Il y a enfin les e-carburants, qui sont produits synthétiquement. Leur fabrication comporte une phase de production d’hydrogène qui consomme beaucoup d’eau – il faut neuf litres d’eau pour produire un kilogramme d’hydrogène – et d’énergie. Il faut ensuite transformer l’hydrogène en e-carburant pour les avions, ce qui consomme également de l’énergie.
Bref, nous ne savons pas produire, actuellement, des volumes suffisants de SAF pour faire voler les avions : nous n’avons pas suffisamment de matières premières, lesquelles servent aussi à manger, à se chauffer et à construire des maisons. Par conséquent, la priorité n’est peut-être pas d’utiliser des SAF dans des avions.
Attention aux ordres de grandeur : les SAF, c’est bien, il faut sûrement les développer pour la part d’aviation qu’il faudra certainement conserver – il n’est pas question de tout supprimer – mais ce n’est pas une solution miracle. Pourquoi ne pas commencer par supprimer les vols les plus inutiles, qui transportent le moins de personnes et qui ont le plus fort impact carbone ?
Mme Danielle Brulebois (RE). Nous avons écouté des leçons de morale et de sobriété énergétique toute la soirée. Vous posez-vous de temps en temps la question de l’empreinte écologique de votre usage des réseaux sociaux, Twitter, YouTube et compagnie ? Vos formations politiques en font un usage important – les tweets et retweets, utiles ou futiles, qui servent parfois à relayer des fake news et à attiser la haine, se comptent par milliers. Votre appétit en la matière est pantagruélique. Je crois savoir que l’empreinte écologique de ces pratiques dépasse largement – mais je n’ai plus les chiffres en tête – celle des jets privés. Les leçons de morale, ça va bien : que chacun fasse son examen de conscience et balaie devant sa porte. (Quelques applaudissements.)
M. Julien Bayou, rapporteur. La culpabilisation des personnes qui n’ont pas le choix est vraiment la pire manière de s’y prendre : si on veut une adhésion à la transition écologique, c’est complètement contre-productif. Dites-moi comment on travaille, aujourd’hui, sans internet ? Vos propos, madame Brulebois, étaient hors sujet, et vous avez vous-même dit que vous n’aviez pas les chiffres. C’est tout le problème. Votre intervention, pardon, venait peut-être du cœur, mais pas de la tête ! (Exclamations.) Elle était parfaitement idéologique.
M. Damien Adam (RE). C’est du sexisme ordinaire ! Inadmissible !
M. Julien Bayou, rapporteur. Je vous prie de m’excuser si j’ai pu à ce point mal m’exprimer. Mais, pour ma part, j’ai les chiffres : chaque Français, chaque Française émet en moyenne 10 tonnes de CO2 par an, mais c’est 8 000 tonnes pour les ultrariches et 5 tonnes pour les classes populaires et les classes moyennes, dont la mobilité est entravée.
Le décret sur les vols interdits, monsieur Leseul, n’a pas encore été pris. Les consultations sont sur le point de se terminer, mais on craint déjà que l’aéroport Charles-de-Gaulle soit exclu. Comme l’a dit M. Adam, certaines lignes aériennes ont déjà été réduites, parce que des alternatives en train existaient. Néanmoins, la France paie des amendes en raison de la qualité de l’air au lieu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la santé publique, ce qui est un très mauvais usage de nos finances.
S’agissant du SAF 30, monsieur Adam, Mme Belluco a précisé les ordres de grandeur. La production est infime et elle coûte plus cher. Elle est soit à base de végétal, mais on entre alors en concurrence avec l’alimentation, soit à base de déchets, et alors on n’a vraiment pas de quoi produire, y compris pour la petite demande actuelle. Par ailleurs, la DGAC nous a dit qu’on ne dépassait pas le SAF 50 actuellement, mais des avions, vous avez raison, pourront un jour aller jusqu’à 100 %.
Monsieur Taupiac, vous avez parlé de l’A380, dont la construction était envisagée dès la fin des années 1980 et dont la production a eu lieu entre 2004 et 2021. La durée de vie de cet avion est de trente ans en moyenne, s’il est bien entretenu – je parle sous votre contrôle. D’où le problème : l’horizon de quarante ou cinquante ans que vous évoquez pour la décarbonation est beaucoup trop lointain. Il y aura peut-être des carburants de type SAF 100 demain ou après-demain, mais ils ne seront pas massivement utilisés. Des avions pourront s’en servir, mais pour que l’ensemble de la flotte soit remplacé, cela prendra nécessairement trente ans – à compter du moment où ce sera vraiment possible.
Voilà pourquoi, quand le Giec nous dit qu’il faut agir maintenant ou jamais, la réponse doit être de réduire d’abord le superflu. Ensuite, il faut mener la décarbonation, en soutenant bien sûr à fond les SAF, la recherche et développement, le point à point et les vols régionaux en avion électrique – mais ce n’est pas réaliste à l’heure actuelle.
M. Laurent Esquenet-Goxes (Dem). À l’échelle mondiale, les data centers sont à l’origine du même volume de CO2 que la totalité des vols aériens, soit 2 % de l’ensemble. Il faudrait donc supprimer les data centers…
M. Julien Bayou, rapporteur. Les data centers sont gérés par des multinationales, comme Facebook et Amazon, qui ont d’immenses moyens et qui, pour certaines d’entre elles, échappent à l’impôt. Faire reposer sur le « pékin moyen » la responsabilité du fait que ces entreprises sont énergivores me semble vraiment problématique. Il faut contraindre ces entreprises à la sobriété, bien sûr, et mieux organiser les choses. Il existe d’ailleurs une société, Qarnot Computing, qui récupère l’énergie nécessaire aux serveurs pour la transformer en chauffage. Parfait ! Mais faire reposer sur vous et moi le fait que Facebook et Amazon traitent en dilettantes la question de l’énergie gaspillée par leurs serveurs me pose un problème. On fait culpabiliser l’individu au lieu de fixer, au niveau des pouvoirs publics, des règles de sobriété.
La commission adopte les amendements.
En conséquence, l’article 2 est supprimé et les amendements CD36 du rapporteur, CD3 et CD11 de M. Gérard Leseul et CD34 du rapporteur tombent.
Après l’article 2
Amendement CD2 de M. Gérard Leseul.
M. Gérard Leseul (SOC). Mon amendement vise à simplifier et à rendre effective l’interdiction des vols commerciaux à l’intérieur du territoire lorsqu’il existe une alternative en train d’une durée inférieure à deux heures trente. Nous avons besoin, après la loi adoptée en juillet 2021, de mesures cohérentes.
M. Julien Bayou, rapporteur. Je comprends parfaitement cette demande qui est légitime et permettrait de se rapprocher de la proposition formulée par la Convention citoyenne pour le climat. Il y a matière à renforcer le futur décret, s’il voit le jour.
Je dis donc mille fois oui à l’interdiction des vols intérieurs lorsqu’il existe un trajet alternatif en train, mais cela s’éloigne beaucoup de l’objet de la proposition de loi sur les jets privés, qui veut justement faire en sorte que les plus riches soient également concernés par cette interdiction qui pèse sur l’ensemble de la population. Je vois un problème à adopter dans ce texte un amendement qui accroîtrait une interdiction pour les Françaises et les Français moyens sans imposer quoi que ce soit aux ultrariches. Une fois de plus, on prévoirait des règles pour faire société, mais il serait possible de s’en affranchir lorsqu’on a des moyens financiers.
Vous pourrez compter sur moi pour soutenir votre proposition dans le cadre d’autres véhicules législatifs, par exemple le projet de loi de finances, mais en l’espèce je vous demande plutôt de retirer cet amendement. Il faut débattre de cette question et avancer, mais on enverrait un signal contre-productif, ou en tout cas confus, en le faisant dans ce texte.
M. Gérard Leseul (SOC). Je veux bien retirer mon amendement, mais il ne restera plus rien de cette proposition de loi, dès lors que les articles 1er et 2 ont été supprimés…
M. Damien Adam (RE). Il ne faudrait pas que M. Leseul retire si prématurément son amendement, alors que nous étions nombreux à vouloir réagir !
J’en profite pour préciser que le décret dont nous parlons a fait l’objet de discussions au niveau européen, dont nous connaissons la conclusion depuis début décembre, et que des consultations publiques sont en cours. Par ailleurs, le texte a été soumis au Conseil d’État.
De toute façon, comme l’a relevé le rapporteur, il n’existe plus aucune ligne concernée, en dehors des correspondances. Si le Parlement, lorsqu’il a adopté la loi « climat et résilience », n’a pas souhaité intégrer dans l’interdiction les lignes comprenant des correspondances, notamment entre la province et Roissy, c’est tout simplement pour ne pas affecter une compagnie nationale qui s’appelle Air France. Il ne serait pas raisonnable de le faire aujourd’hui, car nous avons besoin de cette compagnie, qui a elle-même besoin d’alimenter ses lignes transatlantiques et transnationales avec des personnes qui viennent de province et qui n’ont parfois pas la possibilité de faire le trajet jusqu’à Paris par la voie ferroviaire. Nous devons néanmoins y travailler. J’ai ainsi proposé, dans mon rapport budgétaire, de porter à trois heures la durée du trajet alternatif en train et surtout de travailler sur la jonction entre le train et l’avion à Roissy.
Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Une simple remarque : quand on écoute la majorité, on comprend qu’il faut tout changer, mais surtout en ne changeant rien. En matière de climat, pourtant, nous n’aurons pas le choix.
L’amendement est retiré.
La commission ayant supprimé tous les articles de la proposition de loi, l’ensemble de celle-ci est rejeté.
— 1 —
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
(par ordre chronologique)
Direction générale de l’aviation civile (DGAC)
M. Damien Caze, directeur général de l’aviation civile
Mme Fabienne Herledan-Reumond, cheffe du bureau « Transporteurs et intervention publique » à la sous-direction des services aériens de la direction du transport aérien (DTA)
M. Philippe Lambert, chef du bureau « Études économiques » à la sous-direction des études, des statistiques et de la prospective de la direction du transport aérien (DTA)
Association « Transports et environnement »
Mme Jo Dardenne, directrice du programme aviation
M. Jérôme Du Boucher, responsable aviation France
ATTAC *
Mme Lou Chesné, porte-parole
Mme Yamina Saheb, docteure en ingénierie énergétique et économiste, experte pour le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)
Aura Aero
M. Jérémy Caussade, président
M. Jacques Rocca, conseiller en communication et relations publiques
Association européenne de l’aviation d’affaires (EBAA)
M. Bertrand Bouvier d'Yvoire, dirigeant responsable de la compagnie aérienne Dassault Falcon Service, président de l’EBAA France
M. Charles Aguettant, vice-président
M. Dannys Famin, vice-président
Aeoroaffaires
Mme Isabelle Clerc, CEO
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
([1]) Rapport de l’association Transport et Environnement, Private jets: can the super rich supercharge zero-emission aviation ?, mai 2021.
([2]) Selon un chiffrage réalisé pour les vingt personnes les plus riches du monde : Beatriz Barros et Richard Wilk, The outsized carbon footprints of the superrich, Substainability : Science, Practice and Policy, 2021.
([3]) Oxfam et Stockholm Environment Institute, The carbon inequality era, septembre 2020.
([4]) Statistique transmise par l’association Transport et environnement dans le cadre de leur audition le mercredi 22 mars 2023. Source : Ivanova, D., & Wood, R. The unequal distribution of household carbon footprints in Europe and its link to sustainability, Global Sustainability, 2020.
([5]) Décision QPC n° 2019-823 du 31 janvier 2020.
([6]) Vols locaux et aéronefs non entraînés par un organe moteur (article 3 du règlement (CE) n° 1008/2008 du Parlement européen et du Conseil du 24 septembre 2008).
([7]) Note pédagogique sur le site du ministère de la transition écologique, Transport public ou privé, en date du 7 février 2023.
([8]) L’impact sur le climat de l’aviation ne se limite pas uniquement aux émissions de gaz à effet de serre. Il comprend également et notamment les émissions d’oxydes d’azote et les traînées de condensation émises par les avions dans des proportions non négligeables mais plus difficiles à évaluer (effets dits « non-CO2 »).
([9]) Rapport de l’Ademe, I Care Environnement, Élaboration de scénarios de transition écologique du secteur aérien, septembre 2022.
([10]) ONG Transport et environnement, Private jets : can the super-rich supercharge zero-emission aviation ?, mai 2021.
([11]) European Business Aviation Association, Business aviation traffic tracker Europe, décembre 2022.
([12]) Ibidem, décembre 2021.
([13]) European Business Aviation, Economic value and business benefits, mars 2018.
([14]) Transferts à vide pour repositionner un jet à sa base ou récupérer de nouveaux passagers.
([15]) Tarifs en ligne sur le site d’Aéroaffaires, loueur de jets privés.
([16]) Propos tenus par l’ancien ministre des Transports, M. Jean-Baptiste Djebbari dans une émission « Compléments d’enquête » diffusée sur France 2 le jeudi 9 mars 2023.
([17]) https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/09/09/l-impact-environnemental-des-jets-prives-est-largement-sous-estime_6140838_3232.html
([18]) GIEC, Synthèse du sixième rapport pour les décideurs, C.5.2.
([19]) Rapport d’information sur la mise en application de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, présenté par M. Sylvain Carrière et Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, janvier 2023.
([20]) Article 24 de la Convention de Chicago : « Le carburant, les huiles lubrifiantes, les pièces de rechange, l’équipement habituel et les provisions de bord se trouvant dans un aéronef d’un État contractant à son arrivée sur le territoire d’un autre État contractant et s’y trouvant encore lors de son départ de ce territoire, sont exempts des droits de douane, frais de visite ou autres droits et redevances similaires imposés par l’État ou les autorités locales ».
([21]) Proposition de directive de la Commission européenne restructurant le cadre de l’Union de taxation des produits énergétiques et de l’électricité, publiée le 14 juillet 2021.
([22]) Note pédagogique sur le site du ministère de la transition écologique, Transport public ou privé, en date du 7 février 2023.
([23]) Règlement (CE) n° 1358/2003 de la Commission du 31 juillet 2003 concernant la mise en œuvre du règlement (CE) n° 437/2003 du Parlement européen et du Conseil sur les données statistiques relatives au transport de passagers, de fret et de courrier par voie aérienne.