N° 1028
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 mars 2023.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France,
Président
M. Raphaël SCHELLENBERGER
Rapporteur
M. Antoine ARMAND
Députés
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TOME I
RAPPORT
Voir les numéros : 218 et 287.
La commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France, est composée de : M. Raphaël Schellenberger, président ; M. Antoine Armand, rapporteur ; M. Henri Alfandari ; Mme Anne-Laure Babault ; Mme Marie-Noëlle Battistel ; Mme Véronique Besse ; M. Christophe Bex ; M. Philippe Bolo ; Mme Maud Bregeon ; Mme Danielle Brulebois ; Mme Sophia Chikirou ; Mme Annick Cousin ; M. Vincent Descoeur ; M. Francis Dubois ; Mme Alma Dufour ; M. Frédéric Falcon ; Mme Olga Givernet ; M. Sébastien Jumel ; Mme Julie Laernoes ; M. Maxime Laisney ; M. Alexandre Loubet ; M. Stéphane Mazars ; M. Nicolas Meizonnet ; Mme Marjolaine Meynier-Millefert ; M. Bruno Millienne ; M. Paul Molac ; Mme Natalia Pouzyreff ; Mme Valérie Rabault ; M. Charles Rodwell ; M. Jean-Philippe Tanguy ; M. Lionel Vuibert.
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SOMMAIRE
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Pages
Propositions : 30 PROPOSITIONS POUR LES 30 PROCHAINES ANNÉES
A. UN ENJEU CENTRAL : DISPOSER DE L’ÉNERGIE DONT NOUS AVONS BESOIN TOUT EN DÉCARBONANT SA PRODUCTION
1. La réponse aux besoins énergétiques repose sur des sources et des formes variées d’énergie
a. L’énergie prend différentes formes en fonction de son utilisation
2. Des besoins assurés par l’ajustement de l’offre et de la demande
a. Le développement de l’offre par le déploiement de capacités de production et par les importations
b. La possibilité de réduire la demande énergétique par l’incitation
a. Les mécanismes de marché pour équilibrer le réseau
b. Les différents contrats d’achat d’électricité (CAE)
c. Les mécanismes d’équilibrage du réseau
B. Un MIRAGE : l’indépendance énergétique, au sens de L’autonomie de production
a. Le système norvégien : une production d’énergies fossiles très largement excédentaire
b. Le système estonien : une indépendance au détriment de l’environnement
c. Le système états-unien : la production énergétique à tout prix
1. La souveraineté énergétique, une liberté de choix face à différentes options énergétiques
b. La souveraineté énergétique comme recherche de la liberté de choix
2. La souveraineté en temps de crise : réduire les vulnérabilités par une stratégie de résilience
a. Les interconnexions européennes et le marché européen
b. L’approvisionnement en métaux rares
A. LE MIX ÉNERGÉTIQUE FRANÇAIS GLOBAL A PEU ÉVOLUÉ ET DEMEURE LARGEMENT DÉPENDANT DES IMPORTATIONS
a. Des importations plutôt stables en volume dans nos consommations d’énergie depuis 40 ans
b. Mais un coût très sensible à la volatilité des prix des hydrocarbures
c. La crise de la production électrique française a massivement accentué ce déficit commercial
1. Une dépendance quasi-totale aux importations d’hydrocarbures
a. Une diversification historiquement poussée des sources d’approvisionnement
b. La consommation française en énergie fossile
a. Une consommation en hausse, dont l’approvisionnement s’est diversifié
b. Des contraintes d’approvisionnement notamment logistiques
c. La lente progression du biogaz
a. L’utilisation grandissante des ressources en bois, convoitées par de nombreux secteurs
b. Une exploitation croissante du potentiel géothermique
c. Les autres modes de production de chaleur
a. Une électrification de la consommation finale d’énergie
b. Cette consommation devrait croître massivement dans les prochaines années
c. Une production domestique et décarbonée, qui couvrait jusqu’ici la consommation
2. Le nucléaire, pilier de notre production et de notre souveraineté électrique
b. Une situation conjoncturelle qui a conduit à un productible nucléaire historiquement bas
c. Le défi de la gestion de l’eau anticipé par la filière
d. Le cycle du combustible dans la filière nucléaire
e. L’enjeu de la gestion des déchets
f. Une sécurité et une sûreté unanimement reconnues
g. L’anticipation de l’effet falaise
3. La production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables
a. Les capacités de production et la production effective des ENR électriques
i. La participation majeure de l’hydroélectricité au mix électrique français
ii. Le développement progressif de l’éolien terrestre et maritime
iii. Le déploiement très progressif du solaire photovoltaïque
iv. Autres sources résiduelles de production d’électricité renouvelable
i. L’impact du dérèglement climatique
ii. L’enjeu juridique du statut des concessions hydroélectriques
iii. Le potentiel de développement hydroélectrique
i. Des besoins croissants en minerais et métaux stratégiques, que la France doit importer
ii. Des chaînes de valeur dominées par la Chine
iii. Le potentiel minier sur le territoire français et l’échelle européenne
A. Anesthésiés par l’ILLUSION SURCAPACITAIRE, les DÉCIDEURS négligent la stratégie ÉNERGÉtique
1. À la fin des années 1990, l’illusion d’un modèle énergétique surcapacitaire et indépendant
a. L’ouverture du capital d’EDF et GDF
b. L’émergence du dossier des concessions hydroélectriques
d. Un « market design » inadapté au nucléaire
B. De nouveaux objectifs émergent, sans leviers industriels
1. Les premiers objectifs d’efficacité énergétique et d’énergies renouvelables apparaissent
a. L’adoption du Paquet Énergie-climat européen
a. Les progrès inégaux en sobriété et efficacité énergétiques
b. Un développement des ENR qui a manqué de bases industrielles
ii. La filière s’est fragilisée et fractionnée au détriment de l’« Équipe France »
A. la mise en place paradoxale d’outils stratÉgiques SANS vision industrielle de long terme
2. Des prévisions de consommation insuffisamment précises faute de commande par le pouvoir politique
3. Mais une approche fruste de la sécurité d’approvisionnement
B. La LOI DE 2015, ou le contre-exemple d’une stratÉgie ÉNERGÉtique
1. La multiplicité d’objectifs non priorisés fragilise le modèle énergétique français
c. La justification peu convaincante fondée sur le caractère faiblement normatif du dispositif
C. La fragilisation de notre industrie ÉNERGÉtique
1. Un affaiblissement à bas bruit de la filière nucléaire
iii. La périodicité déclinante des réunions du comité de l’énergie atomique
b. Un déclin problématique des compétences
ii. Les conséquences des signaux négatifs sur l’attractivité de la filière
2. Un déploiement progressif mais très insuffisant de la filière des énergies renouvelables
1. Une prise de conscience progressive des défis à relever pour la filière nucléaire
a. Dès 2017, l’horizon de fermeture des réacteurs est décalé à 2035
b. La commande par le Gouvernement de rapports d’analyse et de prospective sur la filière nucléaire
a. L’aggravation des conséquences négatives de l’ARENH
b. L’exécution de la fermeture de Fessenheim
1. Futurs Énergétiques 2050, un exercice nouveau et indispensable à toute programmation énergétique
b. La prise de conscience de la vulnérabilité énergétique française
c. Une annonce inédite de relance du nucléaire
d. La volonté d’accélérer à nouveau le développement des énergies renouvelables
e. À la lumière de la crise, une préparation d’une réforme du marché européen
chapitre iii : FACE À L’URGENCE, DÉPLOYER UNE AMBITION INDUSTRIELLE, ÉCOLOGIQUE, SOUVERAINE
I. ancrer notre ambition ÉNERGÉtique pour les prochaines dÉcennies
A. PORTER Une Ambition sur 30 ans, inscrite dans une loi et ÉTAYÉe par la science et l’industrie
B. DONNER AUX ADMINISTRATIONS LA CONSIGNE ET LES MOYENS D’ASSURER LE SUIVI DE NOS VULNÉRABILITÉS
C. CONSTRUIRE UN CADRE EUROPÉEN QUI CESSE DE DÉSAVANTAGER LA France
II. RÉDUIRE RAPIDEMENT NOTRE DÉPENDANCE AUX ÉNERGIES FOSSILES
A. ACCÉLÉRER VERS LA SOBRIÉTÉ ET L’efficacitÉ ÉNERGÉtique
B. DÉVELOPPEr DAVANTAGE LES ENR THERMIQUES
III. Bâtir notre souveraineté Électrique
A. RELEVER LE DÉFI DE L’ÉLECTRIFICATION, POUR l’INDUSTRIE ET POUR LE RÉSEAU
B. refaire de la filiÈre nuclÉaire LA GRANDE FORCE FRANÇAISE
2. La construction de nouveaux réacteurs à eau pressurisée (EPR2)
4. La sûreté, la clef de voûte de la filière électronucléaire française
C. DÉVELOPPER LES ENR SOUS L’ANGLE DE LA RENTABILITÉ ÉNERGÉTIQUE
D. REMETTRE LES Compétences au cœur DE LA STRATéGIE
Contributions des groupes politiques et des députés
Contribution de Mme Olga Givernet, vice-présidente députée du groupe Renaissance
Contribution de Mme Marjolaine Meynier-Millefert, députée du groupe Renaissance
Contribution du groupe Rassemblement national
Contribution du groupe La France insoumise – Nouvelle Union Populaire écologique et sociale
Contribution du groupe les Républicains
Contribution du groupe Socialistes et apparentés
Contribution du groupe écologistes – NUPES
Contribution de M. Sébastien JUMEL, député du groupe Gauche démocrate et républicaine – NUPES
liste des personnes auditionnées
ANNEXE 1 : BILAN ÉNERGÉTIQUE PHYSIQUE DE LA FRANCE EN 2021 (DONNÉES RÉELLES, EN TWh)
ANNEXE 2 : DIAGRAMME DE SANKEY
Annexe 3 : calendrier des centrales Électronucléaires
Annexe 4 : Évolution des résultats financiers annuels d’EDF de 1997 à 2022
Annexe 5 : liste des 30 matières critiques de l’UE
Annexe 6 : Bilan des stocks de matières radioactives à fin 2020
ANNEXE 7 : DÉFINITIONS ET CONCEPTS
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INTRODUCTION
Cet hiver 2022/2023, c’est grâce à un effort de réduction de la production industrielle, à une baisse du niveau de production des entreprises et à un important renoncement au confort des citoyens, que la France ne s’est pas retrouvée plongée dans le noir. Jamais depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, un tel retour en arrière n’avait été demandé aux Français.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Quels sont les choix successifs qui ont conduit à cette perte de souveraineté énergétique ?
Ces questions, tous les Français se les sont posées. La création de notre commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de la souveraineté et de l’indépendance énergétique de la France a tenté d’apporter des réponses. Son audience dans la population, les médias et sur les réseaux sociaux, plutôt rare pour une commission d’enquête parlementaire, démontre à quel point les interrogations que nous avons soulevées étaient partagées. Même le secteur de l’industrie énergétique en vient à se poser ces questions. Comment en sommes-nous arrivés à transformer ce qui était un succès français, avec un niveau d’export d’électricité inégalé en Europe et des entreprises de rang mondial dans le pétrole et le gaz, en un « Canard sans tête » tel que décrit par Yves Brechet, Haut-commissaire à l’énergie atomique de 2012 à 2018 ?
D’octobre 2022 à mars 2023, alors que chaque foyer français était invité à baisser la température de son chauffage ;
alors que l’économie française avait considérablement réduit sa production ;
alors que les marchés européens de l’électricité avaient perdu la raison et rendu les prix des échanges tout simplement irrationnels ;
alors qu’un quart de notre parc électronucléaire était à l’arrêt pour cause de détection d’un défaut générique ;
alors que la guerre en Ukraine avait durablement coupé l’Europe de ce qui était devenu sa première source d’approvisionnement ;
alors que le GIEC produisait son rapport annuel alertant encore une fois sur la nécessité d’accélérer notre combat pour la décarbonation ;
alors que de nombreux artisans se trouvaient face à un mur avec l’explosion de leurs charges énergétiques ;
alors que notre parc hydroélectrique et le niveau du « lac France » étaient scrutés en permanence pour passer l’éventuelle pointe de consommation électrique ;
alors qu’une « météo électrique » était mise en place par RTE ;
nous avons auditionné, devant notre commission d’enquête, pendant 150 heures, 88 personnalités qui ont contribué à définir et mettre en œuvre la politique énergétique française durant ces trente dernières années.
Ce rapport décrit comment la stratégie de souveraineté énergétique, pensée après la Seconde Guerre mondiale et dont la mise en œuvre a été accélérée après le premier choc pétrolier, a été un succès. Ce rapport relate surtout comment ce succès a conduit progressivement à ce que le confort de l’abondance fasse oublier le caractère stratégique de la mère des industries : l’énergie. Ce rapport raconte comment le dogme antinucléaire de l’écologie politique s’est peu à peu imposé comme la clef de lecture des choix énergétiques plutôt que la souveraineté et l’urgence de la décarbonation.
Cette histoire est celle de choix politiques et de débats de société tronqués. C’est la volonté d’imposer une opinion, sans en partager ou même en mesurer les conséquences. Cette histoire est celle de l’endormissement d’une nation qui a oublié de penser sa puissance et son rôle mondial, se recroquevillant sur son marché intérieur et des stratégies électorales, oubliant l’intérêt et l’ambition nationaux.
Y a-t-il un ou des coupables ? Ou sommes-nous collectivement responsables de nous être assoupis dans l’opulence ?
Dans ce récit, précis, étayé et grave, je souhaite néanmoins laisser entrevoir une note d’espoir. Les conséquences sur notre système énergétique ne sont pas toutes le fruit de décisions. Les plus graves viennent simplement d’un discours, d’un cap qui, partagé par toute la société, conduit des choix induits. Cela signifie également que notre nation peut s’en relever grâce à une prise de conscience collective et au réengagement dans la reconstruction d’une filière industrielle de l’énergie.
Ce récit est donc également celui d’une forme de responsabilité générationnelle. Redonner confiance à la France, en son génie et en ses capacités à faire !
Notre modèle énergétique devra profondément changer dans la décennie qui vient pour faire face aux défis du changement climatique. Avec une note d’optimisme, espérons que ce rapport contribuera au tournant des prises de conscience et à la naissance d’un renouveau énergétique français.
I. SOUVERAINETÉ OU INDÉPENDANCE : MAÎTRISE OU AUTARCIE ?
À l’occasion de nos travaux, nous nous sommes longuement interrogés sur les notions croisées d’indépendance et de souveraineté. Ces deux notions, bien que proches, sont néanmoins très différentes. Dans un monde où la création de valeur est une fonction de la consommation d’énergie, il nous revient d’être précis dans leur définition et surtout dans le choix du but poursuivi.
À l’issue de nos travaux, l’indépendance énergétique semble être un mirage. La lutte contre le changement climatique devrait nous conduire à diminuer rapidement notre consommation d’énergie fossile. Néanmoins, celle-ci reste majoritaire dans notre mix énergétique et la France ne dispose quasiment pas de source d’énergie fossile sur son territoire. Nous ne disposons pas non plus de ressource en minerai d’uranium. Quant aux énergies dites renouvelables, celles-ci sont excessivement consommatrices de minerai précieux, qui ne sont pas non plus présents dans le sous-sol français.
Alors que les stratégies politiques ont été guidées par le choix de pacifier les relations entre les nations grâce au commerce, il me semble donc discutable de chercher à poursuivre ce but de l’indépendance. Nous ne vivons pas sur une île mais bien au carrefour d’une Europe qui est devenue pour nombre de nos concitoyens un espace de vie quotidien.
La notion essentielle est donc celle de souveraineté. Cette capacité, déterminante pour une démocratie, à faire des choix, à les maîtriser de bout en bout et à en sécuriser les vulnérabilités. De ce point de vue, la stratégie électrique française a été remarquable. Ce n’est pas seulement le choix de la production électronucléaire que la France a fait avec le « plan Messmer », mais bien celui de construire une filière industrielle complète. De l’extraction du minerai d’uranium jusqu’à l’exploitation des centrales nucléaires en passant par leur conception, la maîtrise des différentes phases de production du combustible et de son retraitement. C’est bien la maîtrise de toute cette chaîne industrielle qui fait du nucléaire un élément de souveraineté nationale.
Regrettons ici que, pour la première fois depuis quarante-trois ans, la France ait été, cet hiver, importatrice nette d’électricité. C’est bien ce constat qui conduit, au-delà de la perte d’indépendance, à observer une perte évidente de souveraineté énergétique.
Par la succession de choix destructifs de nos filières électriques, tant nucléaire qu’hydroélectrique, nous avons progressivement mis nos intérêts stratégiques dans les mains d’autres puissances politiques.
Si l’indépendance énergétique ne nous semble pas accessible, il reste donc à choisir, souverainement, avec qui nous souhaitons nous lier.
C’était donc un choix stratégique majeur que d’avoir positionné, dès le début de la construction européenne, la question énergétique comme intérêt commun. Les fondateurs de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) avaient ainsi immédiatement saisi l’intérêt stratégique de l’énergie pour la paix sur notre continent.
Cette stratégie n’a pas pris une ride. Même si des intérêts nationaux peuvent diverger - nous y reviendrons - nous sommes liés par le continent européen. Cet hiver, bien que nous regrettons d’avoir dû importer une large part de notre électricité, c’est la coopération européenne qui nous a permis de disposer de l’énergie électrique dont nous avions besoin. C’est ce même réseau européen qui nous permet d’exporter en temps normal et de stabiliser le réseau à une échelle pertinente. Comme toute coopération, elle nécessite un travail et un engagement permanents. C’est certainement à ce niveau-là que nous avons bien trop baissé les bras ces dernières années.
Cet abandon du terrain européen conduit aujourd’hui à un rattrapage difficile : taxonomie, règles applicables au régime atypique des concessions hydroélectriques, périmètre des technologies soutenues pour la production d’hydrogène : voilà autant d’arbitrages européens mal engagés pour les intérêts économiques et industriels français. Voilà autant de sujets sur lesquels nous devons nous remobiliser. Ce qui peut apparaître de loin comme de l’idéologie anti-nucléaire au niveau européen ressemble davantage, à y regarder de près, à des intérêts nationaux d’États qui ne disposent pas de l’excellence de la filière nucléaire française et qui ont mieux défendu leurs intérêts.
Le caractère stratégique de l’énergie et le rôle historique et incontournable de l’Union Européenne font de l’énergie un sujet régalien. C’est d’ailleurs ce que le déroulé de nos auditions a démontré. C’est au plus haut niveau de l’État, c'est-à-dire au niveau du Président de la République Française, que doit être traité ce sujet.
Proposition A : Évaluer les propositions stratégiques de la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie au regard de la capacité à constituer des filières industrielles complètes à l’échelle française ou européenne.
II. Le nucléaire, clef de voûte de la souveraineté, gâché par l’idéologie
Sans être réduits à la seule question nucléaire, celle-ci a largement occupé les travaux de notre commission d’enquête. Eu égard à l’enjeu de souveraineté, cela est parfaitement logique. En effet, comme évoqué plus haut, le nucléaire est LA réussite française s’agissant de la maîtrise d’une filière complète : en recherche, en développement, en compétences, en mise en œuvre et en implantation des unités industrielles sur le territoire national.
Si le nucléaire est le fleuron de la filière industrielle souveraine, il est également la preuve de la substitution de la notion de souveraineté par l’idéologie et le dogme anti-nucléaire dans la mise en œuvre de stratégies électorales. Le rapport revient longuement sur ce récit, je me permets de relever quelques éléments saillants.
A. Superphénix : derrière le symbole, une stratégie d’affaiblissement de la filière
La première victoire de l’idéologie anti-nucléaire sur « la cohérence scientifique » remonte au 31 décembre 1998, date à laquelle M. Lionel Jospin, alors Premier Ministre, décide de mettre un terme au réacteur Superphénix. C’est le péché originel, celui qui a cristallisé l’action des opposants aux nucléaires, leur première grande victoire. C’était la première fois que le pouvoir politique cédait à une minorité idéologique. Malheureusement une fois la raison cédée à l’idéologie on crée un Totem, un précédent.
Depuis lors, l’action anti-nucléaire n’a eu de cesse de se mobiliser sur différents sites érigés en symboles qui ont pourtant chacun pour objet d’être des maillons essentiels à une industrie conçue comme un tout :
En concentrant l’action sur quelques sites plutôt que sur le système dans son ensemble, tout l’édifice est fragilisé.
La décision politique d’abandonner Superphénix est le fruit d’un accord électoral conclu entre le Parti Socialiste et les Verts en 1997 mais ne résultait d’aucune préconisation de l’Autorité de sûreté de l’époque.
La Direction de la Sûreté des Installations Nucléaires (DSIN), avait toujours autorisé le redémarrage du réacteur et avait même déclaré qu’il présentait un degré de sûreté équivalent à celui des réacteurs de série similaires du parc nucléaire français.
Il n’était pas étonnant qu’un prototype comme Superphénix connaisse des problèmes techniques lors des premières années de mise en service, n’étant pas encore totalement achevé. Ce n’était néanmoins pas une raison suffisante pour saborder une filière d’avant-garde.
L’arrêt du surgénérateur a profondément impacté la recherche sur les réacteurs à neutrons rapides (RNR), domaine dans lequel la France bénéficiait d’une avance et d’une maîtrise considérable sur ses partenaires étrangers.
Il faudra attendre 2006, sous la présidence de Jacques Chirac, pour que le CEA (Commissariat à l’Énergie Atomique) relance la conception d’un prototype (Astrid) avec une mise en service alors prévue pour 2020.
Nous pouvons déplorer qu’à l’heure actuelle la France ne se soit toujours pas dotée d’un nouveau démonstrateur, lui permettant de récupérer son retard dans le domaine des RNR (Réacteurs à Neutrons Rapides). Cette filière est d’une importance capitale pour la notion d’indépendance et de souveraineté française. À terme, elle pourrait permettre à la filière industrielle d’aborder durablement le retraitement des matières sortant aujourd’hui du cycle du combustible et réduirait drastiquement notre dépendance à l’uranium naturel.
B. L’influence allemande sur la politique énergétique française :
Au début des années 2000, l’Allemagne conduite par Gérard Schröder, décide d'abandonner le nucléaire et fait le choix d’une sortie ordonnée en accord avec les 4 grands énergéticiens du pays.
Par cette décision, l’Allemagne cède en partie sa politique énergétique aux idéologues anti-nucléaires. En choisissant de remplacer le nucléaire dans son mix énergétique par du gaz et du charbon – les ENR étant par essence intermittentes – elle décrédibilise la parole scientifique et crée un précédent qui aura des répercussions sur notre politique énergétique.
La génération d’EPR aura en partie fait les frais du retrait de notre partenaire allemand. Fruit d’une coopération accrue entre la France et l’Allemagne, le projet de réacteurs à eau pressurisée a vu le jour à la fin des années 1980 par le concours initial d’AREVA NP et SIEMENS, rejoints ensuite par les électriciens allemands. Une partie du design du réacteur de l’EPR reposait sur les plans du réacteur Konvoi allemand.
Les Allemands s’étant brusquement retirés du nucléaire et des projets en cours, les ingénieurs Français ont dû faire face à un problème de taille, retardant largement le projet EPR déjà pris dans les complexités de l’accumulation de normes de deux États, parfois contradictoires.
À ce stade, il est bon de rappeler qu’il appartient à chaque État membre de l'Union européenne de déterminer souverainement son mix énergétique. (Article 194, paragraphe 2 du Traité sur le fonctionnement de l’UE).
Il est ainsi regrettable de constater qu’un partenaire européen ayant fait des choix différents en matière de politique énergétique se soit permis d’interférer dans notre politique énergétique par l’intermédiaire de ses représentants. Car, en emmenant son pays sur la voie de la sortie du nucléaire, l’Allemagne a aussi demandé à de nombreuses reprises l’arrêt des réacteurs français de Fessenheim et de Cattenom, ainsi que l’exclusion ferme du nucléaire du Plan européen « Net zero industry act », empêchant ainsi toute une filière industrielle de pouvoir bénéficier des dispositifs coordonnés de financement européen.
Néanmoins, il faut souligner que la tendance s’inverse timidement en Allemagne depuis peu. Le nucléaire perd son caractère tabou et revient sur le devant de la scène, remettant même en question la sortie du nucléaire prônée au lendemain de Fukushima.
En effet, la crise en Ukraine a montré les limites d’un système ayant largement développé les ENR, tout en étant resté dépendant du gaz russe pour pallier le pic de consommation. Quand l’apport en gaz se raréfie, que les ENR ne produisent pas suffisamment d’électricité et que la France se trouve empêchée d’exporter de l’électricité décarbonée, on atteint les limites des vertus du modèle électrique allemand.
Le Gouvernement a été obligé de revenir en arrière en se tournant vers les centrales à charbon.
C. 2012-2022 : une décennie de décisions et d’événements fragilisant durablement la filière nucléaire et retardant le développement des énergies renouvelables
1. 2012-2017 : les années d’insouciance énergétique
Sur le plan énergétique, la France a très longtemps vécu sur ses acquis puisque nous disposions d’électricité en abondance. En effet, la France était en excédent de capacité de production à partir de la fin des années 1990 (les prévisions de consommation établies dans les années 1980 ayant été plus élevées que la croissance réelle de la consommation). Au début des années 2010, la France était encore largement surcapacitaire et exportait donc une grande partie de sa production.
C’est durant la décennie 2010-2020 que notre pays fermera près de 10 gigawatts de moyens de production thermique (charbon et fuel). Si nous ne pouvons qu’encourager vivement la sortie des énergies fossiles, il est impératif de réfléchir à des moyens de substitution. Le Président François Hollande souhaitait aller encore plus loin dans la poursuite de ces objectifs de baisse de production puisque dans ses “60 engagements pour la France”, il visait une baisse considérable de la production d’électricité issue de la filière nucléaire.
Cet objectif était et demeure aberrant sur au moins deux points :
Ce choix conduit notamment au lancement du processus de fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim, bien que cette fermeture ait été rendue impossible – durant le quinquennat 2012-2017 – notamment du fait du statut d’entreprise privée d’EDF. Cela contraignait en effet l’État – dans les grandes lignes – à respecter le droit de propriété.
Cette position lance durablement un signal négatif à destination de la filière qui a des difficultés à envisager l’avenir et à se rendre attractive. À l’occasion de son audition, nous avons bien entendu les explications de l’ancien Président de la République François Hollande. Les positions reprises dans son programme présidentiel sont moins excessives à l’endroit de la filière nucléaire que celles présentes dans l’accord conclu par Mme Martine Aubry pour le compte du Parti Socialiste et Mme Cécile Duflot pour Europe Écologie les Verts. Elles n’en constituent pas moins un signal très négatif pour la filière qui entre en berne.
Expliquer a posteriori que ce choix (de ne pas reprendre l’intégralité de l’accord PS-Verts) a permis de sauver la filière nucléaire française ressemble davantage à des préoccupations internes au Parti Socialiste qu’à une conscience aigüe du signal envoyé à la filière.
À ce stade, il me revient de préciser que le cadre institutionnel dans lequel se déroule une commission d’enquête parlementaire a pu influencer la complétude de certaines auditions. En effet, la séparation des pouvoirs - consubstantiel à l’État de droit - éloigne le Président de la République en exercice du Parlement.
Or, Monsieur Emmanuel Macron a été successivement conseiller économique du Président de la République et Ministre de l’Économie entre 2012 et 2016. Plusieurs réunions qui se sont tenues dans cette période et qui se sont avérées essentielles pour la filière nucléaire française nous ont été décrites sans que son rôle ne soit réellement précisé. Il en va du bon fonctionnement de nos institutions de n’avoir pas cherché à en savoir davantage. Cela reste néanmoins une part moins éclairée du récit précis qui figure dans le rapport.
2. Depuis 2017 : en fonction des circonstances
Dans la filiation de son prédécesseur, le candidat Emmanuel Macron inscrivait dans son programme en 2017 le maintien de l’objectif de réduction à 50 % d’électricité issue de la filière nucléaire avant 2025. Cet objectif, qu’on savait déjà intenable à l’époque et qui n’était issu d’aucune étude d’impact, était en réalité un signal envoyé à l’électorat écologiste et socialiste. Peu de temps après l’élection de M. Emmanuel Macron, son Premier Ministre, M. Edouard Philippe décide de décaler l’objectif des 50 % de part de nucléaire dans le mix électrique à horizon 2035.
Offenseur du nucléaire, M. Emmanuel Macron ne nommera au Ministère de la Transition écologique – chargé de l’énergie – tout au long de son premier quinquennat que des personnalités pour le moins hostiles à l’atome : M. Nicolas Hulot, M. François de Rugy, Mme Élisabeth Borne, Mme Barbara Pompili.
C’est par ailleurs dans sa Programmation Pluriannuelle de l’énergie, adoptée en 2019, que seront inscrits des objectifs contraignants tels que la baisse de la part du nucléaire dans le mix énergétique, la fermeture de 14 réacteurs nucléaires, la baisse de la consommation finale d’énergie de 7,6 % en 2023 et de 16,5 % en 2028 par rapport à 2012.
Toutes ces mesures sont dans les faits très contraignantes puisqu’elles obligent de facto à baisser drastiquement nos consommations énergétiques (industrielles et quotidiennes) en peu de temps. Durant le premier quinquennat de M. Emmanuel Macron, les ministres de l’environnement ont parié sur une baisse de la consommation en énergie, ce qui justifiait selon eux la fermeture de capacités de production et le projet de fermeture de 14 réacteurs nucléaires supplémentaires. C’est une vision décliniste de notre économie aujourd’hui difficilement compatible avec un plan de réindustrialisation - fût-il vert.
C’est pourquoi le Premier Ministre M. Édouard Philippe et la Ministre de la Transition écologique, Mme Élisabeth Borne, ont signé en 2019 le décret de fermeture de la centrale de Fessenheim. Or, toutes les prévisions énergétiques montrent, déjà, une augmentation de nos besoins en électricité.
Je tiens à souligner ici les précisions apportées dans le rapport sur la possibilité de faire un autre choix en 2017 pour Fessenheim et renvoie volontiers le lecteur au rapport n° 4515 de l’Assemblée Nationale déposé le 6 octobre 2021 par la mission d’information et de suivi de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim.
Autre erreur majeure caractérisant l’inconséquence des premières années du quinquennat de M. Emmanuel Macron : l’abandon d’ASTRID pour des raisons que je ne parviens toujours pas à expliquer, même après 150 heures d’auditions, si ce n’est une vision décliniste de la France, vue comme une puissance moyenne qui ne dispose plus des moyens d’innover à échelle industrielle.
Le début du premier quinquennat de M. Emmanuel Macron est rythmé par une succession de décisions lourdes de conséquences sur lesquelles le Président de la République se reniera.
3. La duplicité du gouvernement actuel
Le 10 février 2022, le Président de la République Emmanuel Macron, futur candidat à sa réélection, prononce un discours à Belfort dans lequel il développe un plan de relance du nucléaire français. Ce plan reprend l’intégralité des propositions du « rapport D’Escatha-Billon » qui avait été remis à M. Nicolas Hulot en juillet 2018 et immédiatement classé secret défense. Ce rapport préconisait que ces décisions soient prises dès 2019, soit trois ans avant la date effective de leur annonce.
Un tournant sur la stratégie énergétique semble alors se dessiner.
Pourtant, à l’occasion de l’audition de Mme Élisabeth Borne, Première Ministre, par notre commission d’enquête parlementaire, une forme de duplicité nous est apparue et de nombreuses contradictions apparentes restent en suspens, laissant penser que la formidable stabilité des conseillers ministériels en charge de l’énergie ces dix dernières années continue à produire des effets ralentissant la mise en œuvre de véritables filières industrielles énergétiques nationales :
III. Retrouver la perspective du temps long
Sont-ce les candidats aux élections qui ont perdu le sens du temps long et des intérêts stratégiques ? Ou est-ce le choix des électeurs qui a confirmé le changement de priorités ? Ce n’est pas à ce rapport de trancher cette question. La conviction, forte, issue de ces six mois de travaux, réside néanmoins dans la nécessité de ramener la perspective du temps long dans le débat public. Toutes les décisions ne produisent pas d’effet immédiat. Les plus grandes décisions se révèlent bien après leurs investigateurs.
Notre commission d’enquête a ainsi largement questionné le rapport entre la science, l’industrie et la décision politique.
Le rapport revient en détail sur des propositions concrètes. Il me semble néanmoins important de souligner que l’enjeu du rapport à la science ne traverse pas la seule classe politique mais bien l’ensemble de la société. La rapidité à laquelle l’information circule est sans aucun doute la plus grande opportunité de notre siècle. Elle en est également son plus grand défi car les informations approximatives, incomplètes, voire fausses circulent à la même vitesse.
L’accroissement de la connaissance scientifique crée également un enjeu fort de politique publique. Les connaissances s’approfondissent et se précisent très vite. À quoi le citoyen peut-il se raccrocher pour construire sa pensée, son raisonnement et sa décision quand l’état des connaissances avance plus vite que ce que chacun peut appréhender ?
La société de communication dans laquelle nous sommes, conduit à certaines dérives dans l’interprétation de la parole des scientifiques. C’est ainsi que notre commission d’enquête a eu directement à y faire face et ce dès sa première audition. Ainsi, afin de dresser un tour d’horizon du rapport de la société à l’énergie, nous avions invité une anthropologue de l’énergie, fonctionnaire du ministère de la transition écologique.
Bien loin de partager avec nous ses analyses sur sa matière d’expertise et de recherche, elle a préféré profiter du temps d’exposition médiatique permis par son audition pour faire valoir une opinion, appelant des études supposées au service de son raisonnement et jouant de son autorité de scientifique. À l’issue de l’audition et après un échange de courriers rappelant le cadre très formel d’une commission d’enquête, l’anthropologue nous a indiqué retirer ses propos, ceux-ci relevant de son opinion et de sa conviction et n’étant effectivement pas étayés scientifiquement. Elle s’était pourtant aidée de son statut de scientifique pour donner de l’autorité à son propos.
Cela démontre une mécanique devenue courante dans le débat public où le scientifique se trouve parfois instrumentalisé et où son propos devient en réalité une opinion lorsqu’il s’éloigne de sa discipline. Admettons également que la communication et la participation au débat médiatique ne sont pas les compétences pour lesquelles on souhaite entendre un scientifique. Cela interroge donc bien la contextualisation des propos par les intermédiaires de médiation… qui sont de plus en plus absents notamment sur les réseaux sociaux.
Dans ce contexte, c’est le rapport à la science qui en devient plus facilement instrumentalisé. Car plus que la connaissance scientifique en elle-même, c’est la démarche scientifique qui doit être partagée. Une meilleure connaissance de tous de l’histoire des sciences est un préalable absolument nécessaire pour un débat public dans une société totalement emprise par la technique et la technologie.
De ce point de vue, l'irruption dans le débat public des Organisations Non Gouvernementales (ONG) peut, par moments, contribuer à l’incompréhension apparente de certaines contradictions techniques. Si la présence dans le débat public d’expertise issue de la société civile est nécessaire, elle doit aussi s’inscrire dans le cadre de transparence qui est celle du champ politique.
Ainsi, en 2007, le lancement du Grenelle de l’environnement est l’occasion, pour la première fois, d’installer au tour de table un certain nombre d’ONG. L’audition de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, alors secrétaire d’État, nous a permis de revenir sur la nécessité de cette évolution. Depuis, leur participation aux décisions publiques s’est largement institutionnalisée, bien que le choix du tour de table reste composé sans réelle transparence. Cette contradiction a été largement pointée à l’occasion de l’échange entre la commission d’enquête et les branches énergies des organisations syndicales représentatives. Celles-ci ont pointé, légitimement, le décalage entre la démonstration de la représentativité pour les organisations syndicales et la discrimination qui conduit au choix des ONG. Il me semble important de corriger ce déséquilibre.
PROPOSITION B : Imaginer un système garantissant la représentativité des Organisations Non Gouvernementales appelées à participer à l’élaboration des politiques publiques sur le modèle des règles de représentativité mises en place pour les syndicats à partir de 2010 et mettre en œuvre la transparence de leurs financements sur le modèle du financement des partis politiques.
Ce phénomène d’instrumentalisation de la science n’a pas épargné le monde politique. La politique énergétique de ces dernières années est, comme toute autre politique, profondément ancrée dans son époque. La présentation de faits partiels pour justifier la prise de décision trouve de nombreux exemples. Il en est ainsi de Mme Dominique Voynet qui au cours de son audition a eu une explication partielle et erronée pour justifier le fonctionnement et la fermeture de Superphénix.
Dans le rapport à la science et à la technique, nous avons également pu constater une attitude qui me semble bien plus grave encore, lorsqu’on tâche d’élaborer des politiques de temps long : la désinvolture et le mépris des faits et des contraintes physiques et techniques. Pour Mme Ségolène Royal, le sujet énergétique lors de la campagne de 2007 n’était à l’époque « pas un sujet archi prioritaire » alors qu’elle portera pourtant des objectifs lourds de conséquences pour la filière nucléaire et nos besoins énergétiques.
Mme Élisabeth Borne a eu, quant à elle, bien du mal à justifier sur un plan technique et scientifique la fermeture des deux réacteurs de la centrale de Fessenheim en 2020 (Décret de fermeture signé en 2019 par le Premier Ministre de l’époque, M. Édouard Philippe, et Mme Élisabeth Borne, alors Ministre de la Transition écologique et solidaire). Elle justifiera devant les membres de la commission cette décision selon un critère d’ancienneté quelque peu arbitraire ; du moins sans fondement technique et rationnel.
Le problème réside, dans ce cas, dans la mobilisation d’arguments scientifiques pour justifier ce qui n’est qu’un choix politique. Ce serait redonner de la noblesse à la politique que d’éviter de se cacher derrière des arguments techniques lorsque cela ne relève que d’un choix politique.
Enfin, cette commission d’enquête nous a largement conduits à nous interroger sur le rapport entre les conseillers des ministres et la prise de décision. Ainsi, M. Nicolas Hulot ne se souvenait pas avoir eu en sa possession le rapport de MM Laurent Collet-Billon et Yannick D’Escatha classé « secret défense », et qui préconisait notamment :
Lorsque je l’ai interrogé à ce sujet, M. Nicolas Hulot a eu la franchise d’admettre qu’il était peu probable qu’il ait lu ce rapport et qu’il n’en avait aucun souvenir… rapport qui avait pourtant été commandé sous sa responsabilité.
À quoi bon commander des rapports dans ce cas ?
Hélas, les dizaines d’heures d’auditions ont démontré de manière assez implacable la déconsidération pour la science. En effet, les anciens hauts‑commissaires à l’énergie atomique nous ont confirmé leur mise à l’écart. Les personnes ayant suivi les auditions ont d’ailleurs pu constater que cette commission d’enquête avait aussi été l’occasion pour les experts et professionnels issus de la filière nucléaire de redorer leur image, bien écornée après plus de quinze ans de discours anti-nucléaire. Car c’est bien toute la filière qui a souffert de ce qu’on a appelé « le nucléaire honteux », alors même qu’ils assurent consciencieusement nos besoins en électricité quotidiens sans lesquels notre vie serait bien différente. La commission d’enquête a donc, à cet égard, permis à certains experts, syndicats et autres professionnels d’être enfin entendus et écoutés.
La problématique s’accentue davantage à la couche des conseillers ministériels. Nous avons reçu plusieurs anciens membres de cabinets ministériels depuis octobre 2022. C’est ainsi qu’en matière énergétique, nous avons pu observer deux phénomènes :
J’observe d’une manière générale à quel point la majorité des personnalités politiques que nous avons reçues (ministres et membres des cabinets) ont fait preuve devant notre commission d’enquête d’une certaine retenue quant aux conséquences des décisions prises sous leur responsabilité. Je note enfin qu’avec du recul, nombre d’anciens responsables politiques assument aujourd’hui timidement les grands principes qu’ils revendiquaient.
La limite des symboles en politique
Pourquoi donc une telle décorrélation entre le politique et le scientifique ?
Parce qu’on a souhaité composer les Gouvernements de « symboles » politiques. D’une manière générale, plus les dirigeants renoncent à faire de la politique au sens prospectif du terme, plus ils étalent des postures idéologiques qu’ils illustrent par des symboles. La politique énergétique en est sûrement l’exemple le plus tangible et révélateur.
Dans une époque où tout s’accélère, où la seule constance est le changement, où la technologie fait évoluer sans cesse nos modes de vie, notre rapport au temps évolue en conséquence. Les citoyens nous demandent de leur apporter des réponses politiques rapides, quasi instantanées, aux enjeux actuels. Mais le temps de la mise en œuvre technique et industrielle n’est pas le temps médiatique qui tourne en continu. La rigueur à laquelle nous devons nous soumettre pour mener à bien nos décisions, exige du temps, de la discussion et de la réflexion.
La politique énergétique ne peut se construire que dans le temps industriel, c’est-à-dire le temps long. Et c’est bien de cette dichotomie dont il est ici question. Non, on ne peut pas mettre en œuvre des promesses aussi radicales que celles portées par MM. François Hollande ou Emmanuel Macron en matière énergétique à moins d’en payer le coût social, sociétal et économique.
Les « mesures phares » et autres « propositions chocs» présentées dans les programmes - comme la baisse à 50 % de part de nucléaire dans le mix électrique avant 2025 - sont certes attractives pour capter une partie de l’électorat, car elles sont symboliques et, ajoutons-le, simplistes, mais elles n’en demeurent pas moins irréalistes.
Le programme énergétique du candidat Emmanuel Macron de 2022 est un reniement du programme énergétique du candidat Emmanuel Macron de 2017 ; le principe de réalité est passé par là. D’ailleurs, les mesures contraignantes présentes dans la PPE de 2019 et inscrites dans la loi sont désormais caduques. L’une des grandes perdantes de ces revirements est bien la parole publique qui en sort largement affaiblie. Être élu sur des promesses et ne pas les appliquer alimente la méfiance envers le politique, la politique et la démocratie. À l’heure où les taux d’abstention battent des records, il est temps de remettre du sérieux et du pragmatisme dans les mesures portées par les candidats.
Nous formulons dans le rapport des propositions pour mieux prendre en compte le conseil scientifique - et donc le temps long - dans les décisions publiques. Malheureusement des organes de ce type existent déjà et ont parfois volontairement été oubliés durant des périodes où les choix politiques ont été contraires aux précisions des spécialistes quant à leur capacité de mise en œuvre. Il en est ainsi du comité de l’énergie atomique, qui doit être réuni au moins une fois par an et qui pourtant, entre 2012 et 2018, n’a été réuni que deux fois. Il faut donc mettre en place une responsabilité ministérielle personnelle pour ceux qui ne réunissent pas les organes collégiaux de conseil légaux.
PROPOSITION C : Créer une responsabilité personnelle pour les ministres qui ne réunissent pas les organes de conseil scientifique collégiaux créés par la loi.
Si nous insistons tant sur la question du rapport à la science, c’est qu’elle est la seule à être en mesure d’évaluer l’impact des décisions politiques sur le temps long et la justesse des choix techniques quant aux objectifs poursuivis.
Il ne s’agit pas de considérer que les choix de société que nous avons à faire doivent être dictés par la science, bien au contraire, mais que ceux-ci doivent être éclairés au regard de leur impact dans le temps. Ce qui a donc manqué dans les choix et revirements conduits ces dix dernières années, c’est bien l’évaluation de l’impact sur le temps long au profit d’une visibilité symbolique à court terme.
Malheureusement, la réalité nous rattrape toujours ! Et les circonstances de cet hiver 2022/2023 ont cruellement rappelé que la politique ne vit pas à côté des règles physiques.
Sur l’ARENH
Comme une majeure partie de nos travaux s’est concentrée sur la question électrique - et pour cause - et donc sur la situation d’EDF, la question de l’ARENH s’est largement retrouvée au cœur de nos débats. Je souscris sans réserve à la proposition formulée par le rapporteur d’abandonner très vite ce dispositif qui est devenu toxique.
Il reste que les transactions d’électricité continueront à exister. Il me semble donc important de tracer quelques conditions pour ces nouvelles règles de vente d’électricité d’EDF à des tiers distributeurs :
– Obligation pour le tiers distributeur de disposer de moyens de production propre
– Fixation d’un prix de la transaction au coût réel de production de l’énergie nucléaire historique prenant en compte la production effective
– Limitation du volume vendu à ce prix à une part de la production en fonction de la prévision de production à N+1 plutôt qu’en volume
IV. De l’incertitude du temps long et de la neutralité technique des objectifs politiques
Une stratégie énergétique de long terme - que nous appelons de nos vœux dans ce rapport - comporte nécessairement une part d’incertitude. Cette part d’incertitude, aujourd’hui, réside soit dans un pari technologique soit dans un pari comportemental.
À l’occasion de notre commission d’enquête, nous avons pu entendre des points de vue divergents sur la crédibilité de cette confiance dans des ruptures. Mais dans tous les scenarii de long terme, il y a une constante dans l‘hypothèse d’un changement majeur :
La confiance dans le progrès technique ne me semble pas être en soi un problème dans l’élaboration d’un scénario à long terme. Il faut néanmoins être transparent sur la nécessité de ce progrès pour la réalisation du scénario.
Au-delà des paris classiques de disponibilité d’une technologie de production (par exemple les RNR) et de la capacité industrielle à la mettre en oeuvre (exemple : construction des centrales nucléaires) et de son acceptabilité sociale (exemple : champs d'éoliennes), j’ai souhaité mettre en évidence quelques défis supplémentaires qu’il faudra traiter.
Le premier, pour l’électricité, est celui des réseaux. La multiplication des points de production et d’injection nécessite que le réseau soit toujours plus complexe. Bien que cela semble relever de technologies connues, l’ampleur du défi reste importante et peut se heurter à de nombreuses difficultés.
Intuitivement, les promoteurs d’un système de production diffus considèrent que la multiplication des points de production contribue à la résilience du réseau. Cela me semble parfois devoir être nuancé compte tenu de la complexité du réseau à mettre en œuvre. La résilience vient également de la simplicité.
Au-delà du défi de la décarbonation par l’électrification, subsiste toujours le défi de décarbonation des énergies liquides et gazeuses. Ce format, dont l’avantage est la simplicité du stockage et la concentration importante dans de petits volumes, survivra dans de nombreux usages. Une part importante de leur décarbonation repose sur la mobilisation de la biomasse. Or, dans ce cas, on se retrouve rapidement dans une situation de conflit d’usage entre mobilisation de la biomasse à des fins alimentaires, énergétique ou de production de matière.
À l’occasion de nos auditions, cette question a plusieurs fois été soulevée mais il nous est apparu qu’il n’existe pas encore de vision globale de la répartition des usages de la biomasse. Cette réflexion devra être rapidement mise en place.
PROPOSITION D : Mener une étude sur la disponibilité de la biomasse et la répartition possible de ses usages supplémentaires entre production à destination alimentaire, énergétique et de fabrication de matériaux.
À cet endroit, il me semble important d’émettre une alerte. La mobilisation de la biomasse au service de la décarbonation de l’énergie ou des matériaux, repose d’abord sur une augmentation de sa production. Si on formule cela en des termes compréhensibles pour tous, cela signifie une intensification agricole : par une mobilisation de co-produits qui jusque-là retournaient au sol, par l’ajout d’une culture intermédiaire récoltée, ou par l’optimisation du choix de la culture selon son rendement. Cette contrainte semble néanmoins contraire à certains choix de société qui sont en train de se construire et qui poussent par exemple à favoriser une agriculture extensive à moindre rendement, plutôt qu’une agriculture intensive telle que décrite.
Quelle attitude la décision politique doit-elle alors adopter face à ces incertitudes ?
D’abord la transparence. S’il y a des conditions de rupture dans les scenarii, celles-ci doivent être explicitées de façon claire. Que ces conditions résident dans des ruptures techniques et technologiques ou dans des changements de société majeurs.
Il faut ensuite placer la bonne contrainte au bon endroit. La loi n’a jamais démontré quel était le meilleur moyen d’innover. En matière de production d’énergie décarbonée, le défi pour les décennies à venir est tel qu’il est nécessaire de positionner la contrainte juridique au bon endroit, afin de permettre l’innovation, y compris celle à laquelle on ne pense pas.
Cela signifie qu’autant que possible, le positionnement du discours politique et de sa retranscription dans la loi ou la norme doit se formaliser de façon neutre sur le plan technique.
Il faut fixer des objectifs à poursuivre sur le plan environnemental, social et économique … :
… et poser des contraintes, forcément nombreuses :
Charge ensuite aux chercheurs, industriels et ingénieurs de mettre ces objectifs en œuvre. Le défi est tel et le besoin de ruptures si colossal que la solution ne peut résider que dans l’innovation et le bouillonnement intellectuel permis par la liberté. L’histoire nous a appris que l’administration de l’économie n’a jamais été le meilleur moyen pour innover.
V. Derrière la question de l’énergie : un choix de société
Une des difficultés fondamentales dans le débat énergétique de la dernière décennie réside dans le non-dit de ses conséquences sociales. Non pas qu’elles n’aient pas été pensées, mais essentiellement parce que ces conséquences individuelles et collectives ne sont pas acceptables pour le plus grand nombre.
Car l’énergie est au cœur de tout modèle de société. Notre société occidentale s’est construite sur une logique de croissance : son confort, ses biens, ses services que certains n’hésitent pas à remettre en cause. Mais son modèle social et sa solidarité reposent également sur notre modèle énergétique et notre capacité à créer de la valeur ajoutée. Sans énergie, il n’y a pas de création de valeur qui permet le financement de nos formidables outils de solidarité tel que la sécurité sociale.
La difficulté de la production de scenarii techniques réside donc dans l’impensé sociétal. La société que nous partageons doit-elle être la conséquence des moyens de production d’énergie disponibles ? ou bien devons-nous penser d’abord notre société, nos solidarités et notre niveau d'exigence et ensuite mettre en œuvre la stratégie énergétique pour y répondre ?
Ainsi, en fonction de l’approche, tous les scenarii sont réalisables. La démonstration de Mme Barbara Pompili, Ministre de la transition écologique de 2020 à 2022 en est ainsi surprenante : “Nous avons commandé un scénario 100 % renouvelable pour enfin faire taire ceux qui disaient que ce n’était pas possible”. A priori tous les scenarii sont toujours possibles, la question politique est celle de leur acceptabilité environnementale, sociale et économique.
Le problème demeure alors dans les non-dits de certains scénarios. Le débat politique s’étant focalisé sur la technique (le choix du mode de production) et parfois le seul prisme environnemental.
Cela pose encore une fois la question de la place du discours politique. Plutôt que de défendre une technologie, son rôle ne serait-il pas de porter le projet de société ? L’éclairage sur les conséquences techniques serait bien différent et peut être plus acceptable qu’en prenant le problème dans le sens actuel où la proposition technique est vue comme un moyen de contraindre le choix de société.
Pour éclairer le débat public, il faut donc produire des scenarii prospectifs. Aujourd’hui ceux-ci sont principalement établis par des organismes sectoriels. Ainsi les scenarii énergétiques de référence dans le débat public sont actuellement tirés du rapport RTE « Futurs énergétiques 2050 ». Nous relèverons ici le caractère étonnant tendant à se baser, pour la stratégie énergétique, sur une étude établie par le gestionnaire du seul réseau électrique. Ce choix démontre encore une fois le poids du prisme technologique dans le débat politique énergétique en France.
PROPOSITION E : Formuler des scenarii énergétiques au sein du ministère en charge de l’énergie qui considèrent les conditions environnementales, économiques et sociales comme point de départ et déclinent les hypothèses techniques en fonction de cela.
CONCLUSION – UNE COMMISSION UTILE ET UN TRAVAIL À POURSUIVRE
À l’issue des six mois de travaux de la commission d’enquête chargée d’établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France, je souhaite d’abord me réjouir de l’audience et de l’attention qu’elle a suscitée. Partout en France, les auditions ont été suivies, preuve s’il en était nécessaire que les Français sont particulièrement attentifs à la préservation des intérêts stratégiques de notre nation.
Cette attention populaire a permis aux travaux de notre commission d’enquête d’être utiles et de faire bouger des lignes avant même la remise du rapport. Je tiens à relever plusieurs coïncidences heureuses :
Cette liste n’est pas exhaustive. Son établissement ne relève d’aucune enquête ou démarche scientifique. Il s’agit simplement de coïncidences heureuses qui me permettent de penser que le travail de contrôle et d’évaluation conduit sérieusement par la représentation nationale peut concrètement faire bouger les lignes.
À l’issue de nos travaux, je me réjouis que nous soyons parvenus, avec le rapporteur, à des conclusions qui font consensus. Mis à part les réserves exprimées sur la proposition relative aux changements sociétaux (proposition 10) je partage l’ensemble des recommandations formulées dans le rapport. Je me réjouis également que chacun ait fait l’effort d’essayer d’objectiver les décisions prises, quelles que soient les majorités politiques aux responsabilités.
Nos travaux devront surtout nous conduire à réfléchir à la bonne position de la décision politique et de sa transcription législative pour sa mise en œuvre. Il revient aux élus de délibérer sur les grands enjeux de société et de fixer les contraintes que les chercheurs, ingénieurs et techniciens devront prendre en compte. Il me semble que la loi doit se réserver une forme de neutralité technique et technologique. Le cap politique et son ambition seront d’autant plus clairs, compréhensibles et mobilisateurs.
Enfin et en guise de conclusion, j’ai pris beaucoup de temps à exprimer la nécessité de penser nos décisions collectives dans une perspective de temps long et donc de consensus large. Pour autant, en matière énergétique, nous devons également faire face à l’urgence de décider. Trop de temps a été perdu et nous éloigne des objectifs de décarbonation et de la temporalité de la mise en œuvre technique qui permettra son acceptation sociétale. Une décarbonation réussie ne peut pas passer par la décroissance. Elle doit passer par le progrès. Celui-ci n’est possible que grâce à la mobilisation des filières industrielles qui ont besoin de temps pour se structurer. Il est donc devenu urgent d’agir. Décider - ce qui se dessine - mais également mettre en œuvre, ce qui est toujours plus compliqué !
L’alerte que ce rapport lance doit être prise au sérieux dans tous les domaines stratégiques pour la souveraineté de l’État. Nous pourrions en changer les mots pour parler de la filière pharmaceutique, il n’y aurait certainement pas beaucoup de détails à corriger. Nous devons également prendre le plus grand soin d’éviter, dans les filières qu’il nous reste, de nous retrouver dans la même situation dans quelques années. Il en est ainsi de l’agriculture. Oui, dans toutes ces filières nous avons besoin d’un soutien stratégique de l’État, d’investissements dans les infrastructures et de confiance en l’Homme et son intelligence, bref, de progrès !
Après la reconstruction de la France qui a suivi la Seconde Guerre mondiale et qui a posé les fondements de la puissance de notre nation, il revient à notre génération, née dans le confort et l’abondance des biens et des services, de relever ce défi dans le respect des ressources de notre planète et de notre environnement. Nous le devons, à ceux qui nous suivront !
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SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS COMPLÉMENTAIRES :
En complément des propositions formulées par le rapporteur auxquelles le président souscrit (à l’exception de la proposition 10), le président a souhaité formuler plusieurs propositions complémentaires :
PROPOSITION A : Évaluer les propositions stratégiques de la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie au regard de la capacité à constituer des filières industrielles complètes à l’échelle française ou européenne.
PROPOSITION B : Imaginer un système garantissant la représentativité des Organisations Non Gouvernementales appelées à participer à l’élaboration des politiques publiques sur le modèle des règles de représentativité mises en place pour les syndicats à partir de 2010 et mettre en œuvre la transparence de leurs financements sur le modèle du financement des partis politiques.
PROPOSITION C : Créer une responsabilité personnelle pour les ministres qui ne réunissent pas les organes de conseil scientifique collégiaux créés par la loi.
PROPOSITION D : Mener une étude sur la disponibilité de la biomasse et la répartition possible de ses usages supplémentaires entre production à destination alimentaire, énergétique et de fabrication de matériaux.
PROPOSITION E : Formuler des scenarii énergétiques au sein du ministère en charge de l’énergie qui considèrent les conditions environnementales, économiques et sociales comme point de départ et déclinent les hypothèses techniques en fonction de cela.
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La commission d’enquête sur la souveraineté et l’indépendance énergétique
Quelques semaines avant un hiver sur lequel planaient des menaces de coupures d’électricité, faute de disponibilité du parc nucléaire notamment, la commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France a été créée par la Conférence des présidents du 11 octobre 2022 en application de l’article 141 du Règlement de l’Assemblée nationale et au titre du droit de tirage attribué au groupe Les Républicains.
Certes, l’intitulé initial apparaissait discutable tant l’indépendance énergétique constitue un leurre et la souveraineté seulement un objectif ; certes, l’intention première pouvait donner l’impression que cette commission aurait une visée essentiellement polémique.
Pourtant, au terme de près de 150 heures d’auditions et de 5 000 pages de contributions écrites recueillies, après une dizaine de déplacements du rapporteur sur des sites énergétiques et une cinquantaine d’auditions techniques complémentaires, à la lumière des déclarations faites et des éléments établis, l’initiative de cette commission d’enquête ne peut qu’être unanimement saluée – tout autant que doivent l’être la rigueur, l’honnêteté intellectuelle et la variété des questions et des débats animés par le Président de la commission et rendus possibles par la présence assidue de nombreux députés membres.
Pour traiter la question dans le temps long qui s’impose aux politiques énergétiques, le rapporteur a souhaité que les travaux de la commission d’enquête couvrent le spectre le plus large possible et que les auditions puissent remonter au milieu des années 1990 : experts et scientifiques, dirigeants du secteur énergétique et des organismes de régulation, hauts fonctionnaires en charge des dossiers énergétiques, anciens ministres, anciens premiers ministres et même – fait inédit dans l’histoire des commissions d’enquête parlementaires – anciens présidents de la République.
Assumons-le : souvent, nous sommes passés de l’incompréhension à la surprise, jusqu’à la consternation.
Nous avons bien sûr entendu de nombreux responsables et scientifiques de très haut niveau, qui ont affirmé avec courage et sans tergiverser les causes pour lesquelles ils et elles ont plaidé avec constance, et qui d’ailleurs ont précisé avec honnêteté les limites de leur connaissance, de leur action et du succès de celles-ci.
Nous avons entendu des dirigeants qui ont assumé leur responsabilité, reconnu des erreurs d’analyse, de jugement et de décision, tout en replaçant leur action dans le contexte de son époque – ce qui s’avère nécessaire.
Nous avons aussi entendu des responsables publics qui semblaient, parfois au moment même de leur audition, réaliser l’ampleur des conséquences de ce qui ne leur apparaissait alors qu’un « signal », un « message », du « volontarisme » politique – attestant ainsi une forme d’inconscience des réalités physiques, techniques et industrielles.
Mais nous avons entendu d’autres responsables publics, qui semblaient avoir toujours eu conscience de l’impact de leurs décisions, qui les ont parfois assumées par des propos vagues et détachés ; des responsables publics qui ont mené un combat politique avant tout contre l’énergie nucléaire plutôt que pour la décarbonation, un combat d’une remarquable hypocrisie, qui allait et qui va encore clairement contre les intérêts vitaux du pays.
Le récit qui s’est reconstitué devant nous, c’est bien le récit d’une lente dérive, d’une divagation politique, souvent inconsciente et inconséquente, qui nous a éloignés et de la transition écologique et de notre souveraineté énergétique.
C’est l’histoire du lien souvent défaillant, parfois même inexistant, entre expertise scientifique et technique, instruction des dossiers et décision politique ; l’histoire de rapports qu’il aurait fallu lire, relire ou parfois simplement penser à commander. Ils ont été élaborés par des experts scientifiques, par des commissions d’experts nommés ad hoc, par les administrations des ministères et les institutions associées ou par le Parlement lui-même : haut-commissariat à l’énergie atomique, académies des sciences et des technologies, OPECST, RTE, ASN…
À tous les moments clefs de notre histoire énergétique ces trente dernières années, de très nombreuses contributions montraient le Nord. Qu’il s’agisse de l’impact de nos choix sur le réseau électrique, sur notre incapacité à sortir vite des énergies fossiles, sur la faible efficacité de nos politiques d’économies d’énergie, sur l’importance de mener une recherche de pointe en matière d’énergie nucléaire, sur le besoin en compétences dans notre industrie énergétique…elles ciblaient justement, lucidement, cruellement, le retard que nous prenions.
En conséquence, c’est aussi l’histoire de décisions souvent partielles ou différées, voire contradictoires, pour des raisons parfois compréhensibles quand on se replace dans le climat de l’époque, mais qui ont conduit à des retards coûteux.
C’est enfin malheureusement l’histoire de décisions prises à l’envers, sans méthode, sans prospective, aux conséquences lourdes, et qui ne semblaient trouver leur source que dans des maux profonds : l’inconscience et l’électoralisme.
Après trois décennies de divagation énergétique et alors que la sobriété, la relance de l’énergie nucléaire et l’accélération des énergies renouvelables sont toutes les trois enfin sur la table de nos politiques, ce rapport appelle donc à tourner la page de nos errements et à en tirer toutes les leçons pour affronter les yeux grands ouverts l’urgence énergétique.
* * *
Trois décennies de divagation énergétique
Dans les centaines de pages qui suivent, le rapporteur présente notre état de santé énergétique tel qu’il ressort des auditions et des documents consultés ; il tente de retracer le récit de 30 ans de politiques énergétiques.
En trois décennies, force est de constater que la France a accumulé un retard considérable en termes de souveraineté énergétique (chapitre 1).
Les auditions menées ont permis d’écarter la notion utopique d’indépendance énergétique au sens d’une autonomie et d’une complète maîtrise de sa production d’énergie. Au contraire, la notion de souveraineté énergétique a montré tout son sens et tout son intérêt, entendue comme la liberté de définir sa politique et de choisir ses options énergétiques, la réduction de nos dépendances, la résilience de notre système énergétique face aux crises.
Au fil des trente dernières années, notre mix énergétique a finalement peu évolué et ses fragilités se sont accrues : dépendances multiples aux énergies fossiles importées qui se raréfient et s’épuiseront à l’horizon de quelques décennies ; très faible développement des moyens de maîtrise de la demande ainsi que des énergies renouvelables thermiques pourtant plus à même de remplacer certaines énergies fossiles.
En particulier, notre mix électrique, qui est quasi-intégralement domestique, pilotable et est déjà décarboné, s’est comme affaibli de l’intérieur. Le besoin de maintenance a été mal anticipé et du retard a été pris sur le renouvellement de notre parc nucléaire ; l’installation de capacités de production d’énergies renouvelables électriques, intermittentes et aux dépendances industrielles majeures, reste limitée.
Ce retard trouve ses racines dans une dérive progressive de trente ans, dans laquelle chacun porte une part de responsabilité (chapitre 2).
La période de la fin des années 1990 au début des années 2010 constitue comme une décennie perdue.
L’achèvement du plan Messmer et l’excédent de production électrique, via l’énergie nucléaire, par rapport à la consommation de l’époque (qui s’est traduit pendant des années par une exportation d’électricité décarbonée et constituait une marge face aux aléas de production) a donné aux dirigeants une forme d’illusion surcapacitaire – illusion au regard du besoin anticipable mais non anticipé, pour réussir la transition écologique, de disposer de davantage d’électricité ; illusion au regard du défi que constituerait le renouvellement du parc nucléaire.
Malgré des annonces favorables à l’énergie nucléaire dans les années 2000, l’intendance ne suit pas : la guérilla fratricide entre EDF et AREVA au sein de la filière n’est pas arrêtée par les pouvoirs publics, dans un contexte d’explosion de la dette d’EDF, à qui pourtant l’État a demandé que lui soient servis d’importants dividendes ; la décision de construire un EPR actée en 2005 apparaît à la fois précipitée et non inscrite dans un plan industriel global ; l’anticipation de la maintenance et du renouvellement du parc est peu présente.
Par ailleurs, l’émergence de nouveaux objectifs énergétiques – efficacité énergétique, sortie des énergies fossiles, développement des énergies renouvelables – n’a été que très partiellement accompagnée d’une ambition industrielle, qui implique en permanence de la recherche, du soutien de filière et de l’investissement dans les compétences.
Enfin, la fin des années 2000 et le début des années 2010 resteront irrémédiablement les années de la conception d’un cadre européen néfaste pour le modèle français. L’idée de consolider les débouchés à l’export de notre électricité a conduit à fragiliser EDF en France et en Europe, à installer une épée de Damoclès sur nos concessions hydroélectriques, et à créer un marché de l’électricité répondant à des préoccupations d’allocation des marges plutôt que de réussite industrielle et de sécurité d’approvisionnement à coût raisonnable.
Après ces années de latence, les années 2012-2017 sont venues aggraver lourdement la situation.
Paradoxalement, alors même que des outils de planification sont mis en place à l’instar de la programmation pluriannuelle de l’énergie, ces outils sont peu ou mal utilisés.
Ainsi les prévisions de consommation électrique demandées à RTE ne couvrent-elles que le court ou moyen terme, sans lien avec les objectifs climatiques pourtant bien connus, ni avec le temps long que requiert l’industrie du secteur énergétique. En 2015 par exemple, trois trajectoires sur cinq prévoient une baisse ou une quasi-stagnation de la consommation électrique dans les années suivantes. Dans le même temps, l’intégration des échanges européens conduit à penser la sécurité d’approvisionnement du pays à la maille continentale, et non plus seulement française : on compte sur les importations en cas de crise.
En ce sens, la loi de 2015, ses objectifs chiffrés dont les « 50 % » et le plafonnement de la capacité de production nucléaire, suite logique de l’engagement politique pris en 2012, constituent un contre-exemple de politique énergétique. L’absence assumée d’étude d’impact et de réflexion approfondie préalable, pour une loi aussi structurante sur notre modèle énergétique et sur notre réseau électrique au regard de l’intermittence de certaines énergies, aura marqué la commission d’enquête. Le choix de développer les énergies renouvelables électriques sans y adjoindre les moyens industriels nécessaires, et forcément en concurrence du parc nucléaire, s’est visiblement fait avant tout au détriment de la sortie des énergies fossiles.
Si cette loi ne peut porter seule la responsabilité de la fragilisation de la filière nucléaire, elle a sans conteste adressé un signal destructeur à un moment crucial…sans pour autant déclencher d’accélération suffisante des énergies renouvelables – accroissant encore davantage le mur énergétique. En miroir, le retard pris et non suivi sur le chantier de l’EPR rendait d’autant plus difficile la capacité à envisager le renouvellement d’un parc dont la maintenance post-40 ans commençait à peine.
Après ces années d’inconsistance énergétique, depuis 2017, le cours de la politique énergétique s’est avéré contrasté : après la poursuite de décisions dommageables, largement issues du passé récent, le pays a disposé pour la première fois d’outils de prévisions énergétiques globaux et des décisions structurantes ont été annoncées.
L’arrêt de la centrale de Fessenheim – qui n’était pas une fatalité même en 2017 –, la suspension du projet de 4ème génération nucléaire ASTRID sans alternative industrielle ou expérimentale à la hauteur, la révision seulement partielle de la PPE ont de facto continué à affaiblir la filière nucléaire.
Pourtant, dans le même moment, la rationalité industrielle et électrique faisait œuvre avec le retour d’expérience du chantier de l’EPR, la commande d’une prévision énergétique qui parte des objectifs climatiques et industriels et l’instruction de la décision de lancer de nouveaux réacteurs au design simplifié.
Ce sont ces éléments, objectifs et circonstanciés, qui ont conduit, quoique tardivement, à une relance sans précédent du projet nucléaire enfin concomitant, et non rival, de l’accélération des énergies renouvelables. La création d’une loi de programmation, le choix de se projeter dans un monde où l’électricité est davantage demandée, l’annonce de la volonté de construire 6 EPR et de réfléchir à la construction de 8 autres, les projections de parcs éoliens offshore constituent autant de marqueurs forts qui viennent inverser une tendance lourde de la politique énergétique française depuis 30 ans – tous ces marqueurs demeurent à concrétiser dans les prochains mois et années.
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Six erreurs, six leçons, six chantiers pour les trente prochaines années
De ces trois décennies, le rapporteur en déduit six grandes erreurs énergétiques, six leçons générales à en tirer et six chantiers opérationnels à mettre en œuvre dès demain pour les décennies à venir (Chapitre 3).
Les six erreurs de notre politique énergétique
1. Prévisions énergétiques : avoir sous-estimé nos besoins d’électricité au regard de nos objectifs écologiques et de la sortie nécessaire des énergies fossiles, sans réflexion de long terme sur nos ambitions industrielles et climatiques.
2. Opposition des énergies renouvelables électriques et du nucléaire : s’être focalisé sur le mix électrique, alors qu’il est déjà pilotable et décarboné, et l’avoir fait forcément au détriment de la sortie des énergies fossiles qui entraîne des défis immenses comme l’électrification des usages et l’impact sur le réseau, la capacité à assumer une part de sobriété énergétique, etc.
3. Parc nucléaire : ne pas avoir anticipé la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires ainsi que leur renouvellement en série industrielle et non en un chantier isolé, ce qui a fragilisé à la fois la filière nucléaire, ses compétences et la capacité du pays à se relancer dans un chantier d’envergure.
4. Énergies renouvelables : ne pas avoir construit plus vite de filières industrielles d’énergies renouvelables pour remplacer les énergies fossiles, à mesure que des objectifs étaient fixés.
5. Marché européen : avoir laissé se construire depuis 20 ans un cadre qui a fragilisé le modèle énergétique français et EDF, au travers de la loi NOME, du dispositif de l’ARENH, du statut des concessions hydroélectriques et des règles d’échanges de l’électricité.
6. Recherche : avoir arrêté le réacteur Superphénix en 1997 et ne pas avoir préservé notre avance dans la recherche et le développement de la 4ème génération post‑2019.
De ces décennies, le rapporteur tente également de tirer six leçons générales qui méritent d’être soulignées et qui, si elles apparaissent plus évidentes en 2023 que par le passé, pourraient à nouveau être négligées ou mises de côté, contre les lois élémentaires de la physique et de l’industrie, dans un futur plus ou moins proche.
Six leçons énergétiques pour les 30 prochaines années
1. Le temps long compte : il nous faut mettre en cohérence (via RTE et d’autres organismes publics) nos ambitions climatiques (baisse des émissions), industrielles (réindustrialisation) et énergétiques (capacité à produire telle ou telle énergie en France) sur une échelle de temps compatible, soit plusieurs décennies.
2. L’énergie, via l’électricité, n’est pas un bien comme un autre : au sein de l’Union européenne, chaque pays défend d’abord son mix énergétique, la France doit également défendre son mix électrique pilotable et décarboné.
3. L’énergie est une industrie, la 3ème industrie française : nous avons besoin de continuer à maîtriser toute la chaîne de valeur d’un secteur énergétique et de disposer des compétences, mais aussi de choisir les technologies et les sources d’énergie renouvelables, dont l’hydraulique est la plus importante et la seule pilotable, les plus rentables et les plus à même d’assurer notre sécurité d’approvisionnement.
4. L’électricité ne fait pas tout : il ne faut pas se focaliser uniquement sur l’électricité alors que sa production est déjà quasi-intégralement décarbonée en France, mais aussi, par exemple, accélérer le développement des réseaux de chaleurs, des ENR thermiques pour remplacer les énergies fossiles.
5. La maîtrise de la demande se prépare : l’efficacité énergétique atteignable dans le parc résidentiel doit être mieux évaluée et dotée des compétences nécessaires ; la sobriété se prépare en amont, dans les mentalités.
6. Sans recherche, nous sommes condamnés à avoir du retard : la Recherche a besoin de visibilité et de moyens pour anticiper les 5 prochaines décennies : fermeture du cycle dans l’industrie nucléaire ; stockage massif de l’électricité pour le réseau ; recyclage des matériaux critiques, etc.
Nous nous trouvons donc aujourd’hui face à un mur énergétique inédit qui ne se résoudra que par la sobriété et l’efficacité énergétique et par l’augmentation de notre production d’énergie décarbonée, au premier rang notre production d’électricité. Alors que notre mix électrique est fragile, notre énergie devra provenir de sources pilotables, décarbonées, et moins vulnérables.
Le rapporteur en déduit six chantiers opérationnels, déclinés en 30 propositions, pour redonner à la France un destin énergétique.
1. Se doter d’une ambition énergétique pour les 30 prochaines années au moins, qui se traduise dans une loi de programmation étayée scientifiquement et industriellement à cet horizon et qui intègre pleinement l’augmentation considérable de la consommation d’électricité compatible avec nos ambitions climatiques et industrielles.
La France a besoin de se doter d’une loi de programmation compatible avec les exigences de l’industrie et du climat ; une loi aux objectifs étayés par les enseignements des institutions scientifiques et techniques, qui couvre plusieurs décennies et qui fait l’objet d’une préparation et d’un suivi par le Parlement (propositions 1, 2 et 3). Cet horizon devra assumer que nos objectifs industriels et climatiques imposent une augmentation considérable de la production d’électricité, et que ce fossé électrique (entre nos capacités actuelles et nos besoins dès la prochaine décennie) ne pourra être comblé que par le recours simultané à la sobriété, au développement d’énergies renouvelables et à une relance massive de l’industrie nucléaire.
Ce nouveau cap doit s’accompagner d’un pilotage adéquat reposant sur la réintégration de la direction générale de l’énergie au sein du ministère en charge de l’industrie, le suivi par les administrations de nos vulnérabilités et la révision de notre doctrine de sécurité d’approvisionnement électrique (propositions 4 et 5).
2. Cadre européen : réformer, dans l’année et en profondeur, le marché européen, en lien avec nos choix industriels nationaux, et suspendre ou revoir les règles qui en l’état menacent notre industrie : l’ARENH, le statut des concessions hydroélectriques ; exiger le respect du traité de Lisbonne et donner un nouvel élan au traité Euratom.
Le rapporteur, profondément pro-européen, insiste sur l’impérieuse et urgente nécessité de réformer l’ensemble du cadre européen en matière de politiques énergétiques : la France doit cesser de subir des règles économiques qui fragilisent son industrie au mépris du principe de subsidiarité et sortir, le temps de négocier la réforme, du mécanisme de l’ARENH ; notre pays doit en tout cas défendre son patrimoine hydroélectrique et électronucléaire et redonner un élan au traité Euratom de 1957, fondateur, qui prévoit déjà la coopération scientifique et technique des États en matière nucléaire (propositions 6 à 9).
3. Décarboner notre mix énergétique en accélérant les efforts de sobriété et d’efficacité et en s’appuyant sur les énergies renouvelables thermiques
Dans les trente dernières années, les débats ont eu tendance à se focaliser sur le mix électrique français, pourtant décarboné quasi-entièrement, au détriment de notre dépendance beaucoup plus forte et problématique aux énergies fossiles importées.
La réduction de cette dépendance passe par la poursuite de la réduction de notre consommation d’énergie et la pérennisation du plan de sobriété, par la décarbonation de tous nos secteurs dont les transports, par la rénovation énergétique dont les dispositifs doivent être rendus plus efficaces – ainsi que par le développement des énergies renouvelables thermiques, largement sous-exploitées dans leur potentiel ces dernières décennies, alors qu’elles peuvent constituer un substitut direct aux énergies fossiles (propositions 10 à 13).
4. Renforcer notre souveraineté sur toute la chaîne de valeur et être à la hauteur des besoins en compétences du secteur énergétique et en particulier d’électricité
Parce que c’est une industrie, la production énergétique requiert une vision de long terme et un soutien sur l’ensemble de sa chaîne de valeur, de l’approvisionnement en ressources (et en particulier en matériaux critiques indispensables à l’électrification des usages) aux débouchés industriels, avec un enjeu central : la capacité à faire émerger les compétences nécessaires, en quantité et en qualité, dans les prochaines années, autant en matière de rénovation énergétique que d’industrie nucléaire (propositions 14, 15 et 30).
5. Parc nucléaire : Refaire de la filière nucléaire la grande force française, et en particulier établir un plan évolutif de fermeture de nos centrales au fur et à mesure que l’ASN en décidera et préparer en conséquence le renouvellement complet du parc, ainsi que le renforcement du cycle du combustible ; après évaluation scientifique, arbitrer entre l’accélération de la recherche sur le multirecyclage en REP et changer d’échelle sur la recherche 4ème génération (sans pré-choix technologique)
Les défis auxquels est confronté notre parc nucléaire sont immenses : ils doivent être pleinement identifiés, mesurés, rendus transparents et traités un par un, qu’il s’agisse de l’approvisionnement en uranium et de nos capacités de (ré)enrichissement, des besoins d’adaptation au dérèglement climatique, de l’impact du vieillissement sur le fonctionnement des réacteurs, et bien entendu du rythme et de l’ampleur du renouvellement du parc (propositions 16 à 23 et 27).
Au-delà de ce renouvellement, devenu urgent parce qu’il a été insuffisamment anticipé, la France doit rattraper le retard pris en matière de recherche et relancer activement des programmes d’ampleur sur la 4ème génération, seule en mesure de changer d’échelle nos besoins en uranium importé et de réduire nettement, sans la résoudre à ce stade, la question des déchets (propositions 24 à 26).
6. Énergies renouvelables : sur le fondement d’études de rentabilité énergétique et de coût complet, lancer un plan d’installation contraignant de certaines sources ENR sur le territoire
Face au mur énergétique qui se présente à courte échéance, avant même que de nouveaux réacteurs nucléaires puissent être construits, même intermittentes, les énergies renouvelables électriques seront indispensables et complémentaires d’une production électrique pilotable.
Le rapporteur propose donc, outre le réinvestissement dans les centrales hydroélectriques, de continuer à accélérer le déploiement des sources renouvelables électriques jugées les plus rentables d’un point de vue énergétique, après une étude approfondie de RTE, prenant notamment en compte le facteur de charge, la minimisation de l’intermittence, l’acceptabilité sociale, la consommation de foncier, etc. Il souligne enfin, en particulier, que la volonté de construire 50 parcs éoliens offshore doit être concrétisée par le lancement d’appels d’offre prenant en compte la dimension industrielle européenne et française, et par la poursuite de la simplification des procédures et délibérations qui ne permettront pas de répondre à l’urgence énergétique (propositions 28 et 29).
Ces 30 recommandations n’ont une chance d’être développées, adoptées, mises en œuvre sérieusement et de manière pérenne qu’à deux conditions qui ont pu manquer par le passé :
Instruire scientifiquement, technologiquement et industriellement les options qui sont proposées ;
Faire émerger un consensus national, républicain, autour de l’urgence énergétique et de la nécessité pour y parvenir de combiner des lignes souvent opposées à tort : sobriété et production, développement de l’énergie nucléaire comme des énergies renouvelables efficaces.
Ce rapport constitue donc avant tout une interpellation aux gouvernements et parlements d’aujourd’hui et de demain, qui partagent la responsabilité de donner un destin énergétique, c’est-à-dire une ambition à la fois écologique et souveraine, à la France.
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Propositions : 30 PROPOSITIONS POUR LES 30 PROCHAINES ANNÉES
Proposition 1 : en cohérence avec nos objectifs climatiques et industriels, assumer un besoin croissant d’électricité pour la fin de la décennie, à l’horizon 2050 et au-delà, et constater le fossé de production qui nous sépare de la souveraineté énergétique
Proposition 2 : se donner une loi de programmation énergie climat sur 30 ans avec des objectifs climatiques, énergétiques et industriels ainsi que les moyens afférents, qui fera l’objet d’un suivi étroit et régulier par le Parlement et les institutions expertes
Proposition 3 : renforcer la consultation du Parlement, et notamment de l’OPECST, sur les politiques énergétiques et le contrôle qu’ils exercent sur la mise en œuvre de celles-ci
Proposition 4 : remettre la direction générale de l’énergie au sein du Ministère en charge de l’Industrie et la doter des moyens permettant d’identifier, de suivre et de réduire nos vulnérabilités industrielles
Proposition 5 : demander à RTE de faire évoluer à court terme son critère de sécurité d’approvisionnement, et lancer une refonte de notre doctrine de sécurité d’approvisionnement globale sous sa responsabilité
Proposition 6 : arrêter une position européenne commune et durable, pour définir l’énergie nucléaire comme une énergie décarbonée et stratégique, qu’il convient de soutenir au même titre que les énergies renouvelables
Proposition 7 : lier la réforme du marché de l’électricité aux négociations sur la politique énergétique globale de l’UE en portant une réforme profonde du marché de l’électricité européen pour protéger la spécificité française, décorréler le prix du gaz de celui de l’électricité décarbonée ; dans l’attente, suspendre sans délai et compenser l’ARENH
Proposition 8 : dans le prolongement de la récente annonce de la ministre de la Transition énergétique, exiger le respect du traité de Lisbonne et donner un nouvel élan au traité Euratom
Proposition 9 : maintenir les concessions hydroélectriques dans le domaine public, par exemple en leur appliquant un dispositif de quasi-régie pour éviter toute mise en concurrence et relancer les investissements nécessaires
Proposition 10 : pérenniser et accroître l’ambition du plan de sobriété de l’hiver 2022-2023, et l’étendre à l’ensemble des particuliers, des services publics, et des entreprises sans méconnaître le coût financier et industriel des effacements
Proposition 11 : renforcer les efforts de décarbonation de tous les secteurs émetteurs, en particulier dans le transport avec l’accélération des projets de transports en commun et de fret ferroviaire et avec la réduction du poids des véhicules par des dispositifs incitatifs
Proposition 12 : évaluer les dispositifs de rénovation énergétique pour prioriser les plus efficaces, se donner des objectifs de baisse de consommation mesurables et les décliner par département ; lancer un plan de filière pour développer les formations
Proposition 13 : réviser nos objectifs de chaleur renouvelable, qui selon plusieurs instituts pourraient être au moins doublés à horizon 2030, et renforcer le Fonds Chaleur associé
Proposition 14 : lancer un nouvel inventaire minier sur le sol français, accélérer l’identification des importations critiques et la création de filières de transformation et de recyclage des terres rares
Proposition 15 : approfondir la prévision des besoins d’investissements sur le réseau, en particulier dans le cas de la trajectoire réindustrialisation forte
Proposition 16 : sur tous les grands défis de court terme (corrosion sous contrainte, fatigue thermique) comme de moyen terme (impact du dérèglement climatique), demander à EDF de produire et de présenter au Gouvernement, à l’OPECST et au grand public, un état des lieux précis et prospectif des mesures prises pour assurer le fonctionnement du parc nucléaire, des barrages et de toutes les installations énergétiques
Proposition 17 : mener les études préliminaires nécessaire à la prolongation de tous les réacteurs qui peuvent l’être selon différents scénarios, et anticiper dès aujourd’hui et dans le cadre de la LPEC les besoins, impacts et conséquences de la fermeture et du démantèlement du parc existant, quelle que soit la date d’arrêt effective des réacteurs
Proposition 18 : augmenter autant que nécessaire les moyens dévolus à la délégation au nouveau nucléaire dans le suivi du projet de construction de nouveaux EPR et obtenir des rapports de suivi réguliers et publics sur l’avancement du projet ; conforter EDF comme opérateur unique et nationalisé
Proposition 19 : anticiper le besoin de renouvellement et de développement de l’ensemble du parc existant, en nombre de réacteurs (y compris SMR) ou en puissance installée, dans les prochaines décennies et sur des sites existants ou nouveaux
Proposition 20 : demander à EDF une plus grande transparence sur ses approvisionnements en uranium naturel et enrichi, au moins à une maille géographique par pays
Proposition 21 : soutenir le renforcement des capacités d’enrichissement sur le territoire français
Proposition 22 : étudier la faisabilité industrielle et les options économiques pour installer à court terme une nouvelle usine de réenrichissement sur le sol français
Proposition 23 : apporter tout le soutien financier et administratif nécessaire à l’extension des capacités d’entreposage du combustible usé à La Hague
Proposition 24 : valider les dernières étapes et assurer le soutien de l’État au financement du réacteur Jules Horowitz tout en maîtrisant les délais et les coûts
Proposition 25 : relancer la construction d’un démonstrateur de type ASTRID, d’une puissance potentiellement plus modeste, pour rattraper le retard accumulé pendant 30 ans, et continuer à développer la recherche associée sur le cycle du combustible
Proposition 26 : accentuer le soutien aux technologies liées à la 4ème génération nucléaire, en privilégiant les entreprises qui sont en mesure de présenter des résultats expérimentaux et/ou industriels, et non seulement des simulations numériques
Proposition 27 : assurer une montée en puissance des effectifs salariés de la sûreté nucléaire, en optimisant l’organisation administrative et en interrogeant les rapports existants à ce jour entre les différents organismes de sûreté nucléaire, afin d’assumer la charge nouvelle liée à la relance du nucléaire
Proposition 28 : demander à RTE une analyse approfondie, déclinée par énergie renouvelable, intégrant leur potentiel, leurs rentabilités énergétique et économique (calculs de moyenne, d’intermittence minimisée, d’acceptabilité, de consommation du foncier, de longévité)
Proposition 29 : lancer dès que possible les appels d’offre pour les 50 parcs éoliens offshore, rendre contraignante leur installation et sécuriser le financement et l’engagement du porteur de projet
Proposition 30 : créer un label « apprentis de l’énergie » pour permettre aux jeunes d’identifier les formations d’avenir, associées à des aides financières, des facilités de mobilité et de logement
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chapitre ier :
En TROIS dÉcennies, la France a accumulÉ un retard considÉrable en termes de souverainetÉ ÉnergÉtique
Invitée à s’interroger sur la « perte d’indépendance et de souveraineté énergétique de la France », la commission d’enquête a débuté ses travaux par un état des lieux des concepts dont il était question afin de déconstruire certains mythes (I). La commission d’enquête a ensuite effectué un bilan précis de la situation actuelle du mix énergétique français. Le rapporteur en tire un constat très préoccupant : le mix énergétique du pays est actuellement soumis à des dépendances fortes et nombreuses, qui vont s’aggraver (II).
I. Si l’indÉpendance ÉnergÉtique est un leurre, la souverainetÉ Énergétique doit être un objectif majeur de notre politique
Au terme du travail mené sur les concepts de souveraineté et d’indépendance énergétique, le rapporteur souligne que si l’enjeu de la politique énergétique est d’assurer les besoins en énergie tout en décarbonant sa production (A), l’indépendance énergétique, au sens de l’autonomie de production, est quant à elle un mirage (B). En revanche, la souveraineté énergétique, au sens de liberté du choix fondant le système énergétique français constitue une aspiration légitime et nécessaire (C).
A. UN ENJEU CENTRAL : DISPOSER DE L’ÉNERGIE DONT NOUS AVONS BESOIN TOUT EN DÉCARBONANT SA PRODUCTION
Présente partout autour de nous, l’énergie – la force en action ([1]) – constitue l’élément essentiel à l’existence de notre environnement, de notre système et de notre société. Elle est le « déterminant de ce qui fait notre monde » ([2]). Ce bien singulier, « indispensable à toute activité humaine » ([3]) pour reprendre les termes de M. Jacques Percebois, professeur et directeur du Centre de recherche en économie et droit de l’énergie, permet de se déplacer, de se chauffer, de produire, d’éclairer, de réfrigérer ou encore d’alimenter les équipements électriques qui font le confort de la vie moderne, et plus simplement, elle nous permet de vivre.
Pourtant, les principales sources d’énergie que nous utilisons sont limitées. La crise énergétique actuelle et les alertes émises par le gestionnaire français Réseau de transport d’électricité (RTE) avant l’hiver quant à un risque élevé de tensions sur le réseau électrique français en janvier 2023 ont replacé l’énergie au cœur des préoccupations et rappelé, s’il en était besoin, combien l’énergie est une ressource indispensable au bon fonctionnement de la société.
Parce que l’énergie est vitale et que celle que nous utilisons est limitée, il est nécessaire d’organiser et de planifier sa gestion – c’est l’objectif des politiques énergétiques.
Répondre à ces besoins peut passer par le recours à l’énergie sous des formes et en provenance de sources diverses (1), l’objectif étant d’équilibrer l’offre et la demande en énergie (2) ce qui, s’agissant de l’électricité, impose de tenir compte de contraintes spécifiques (3).
1. La réponse aux besoins énergétiques repose sur des sources et des formes variées d’énergie
L’énergie désigne une capacité à agir, à fournir du travail, quels qu’en soient les modes : mettre une masse en mouvement, engendrer un changement de température, un changement d’état de la matière, transmettre une information, etc. Elle est qualifiée d’énergie primaire lorsqu’elle est considérée brute, telle que tirée ou extraite de l’environnement, et d’énergie secondaire voire finale lorsqu’elle est considérée telle que transformée et utilisée par son consommateur, après d’éventuelles déperditions.
a. L’énergie prend différentes formes en fonction de son utilisation
L’énergie prend différentes formes : elle peut être mécanique, thermique, chimique, lumineuse ou nucléaire.
L’énergie mécanique est définie comme la somme de l’énergie cinétique (celle du mouvement) et de l’énergie potentielle de pesanteur. L’énergie mécanique est une forme d’énergie qui peut être utilisée pour effectuer du travail en utilisant des objets en mouvement ou en modifiant leur position. Les applications de l’énergie mécanique sont vastes et variées : le transport (véhicules motorisés : la combustion interne convertit l’énergie chimique du carburant en énergie mécanique qui fait avancer le véhicule ; avions et trains qui utilisent des turbines pour convertir l’énergie mécanique en énergie cinétique) ; machines-outils ; bâtiments et infrastructures (chauffage et climatisation, éclairage, ventilation, ascenseurs, etc.) ; appareils électroménagers (pales, roues, autres pièces) ; activités de tous types (loisirs et sports, parcs d’attractions, remontées mécaniques, etc.).
L’énergie mécanique est donc omniprésente. Elle peut être stockée par voie hydraulique, par la compression ou par des volants d’inertie et peut être convertie en énergie électrique.
L’énergie thermique est l’expression de l’énergie sous forme de chaleur. Elle est provoquée par l’énergie cinétique issue de l’agitation d’atomes et de molécules dans un corps solide, liquide ou gazeux. L’énergie thermique est utilisée dans de nombreux domaines, tels que la production d’électricité : les centrales électriques à combustion brûlent du combustible (charbon, gaz naturel, pétrole) pour chauffer de l’eau et produire de la vapeur. Cette vapeur est ensuite utilisée pour faire tourner une turbine qui génère de l’électricité, la cuisson, le chauffage et la climatisation des bâtiments, la fabrication de produits industriels (de nombreux produits industriels nécessitent de la chaleur pour leur fabrication : par exemple, les usines de production de verre, de métal et de céramique utilisent toutes l’énergie thermique pour fondre et façonner les matériaux).
Elle peut aussi être utilisée pour produire de la force mécanique et de l’énergie mécanique (exemple du moteur à combustion). Elle peut également être stockée dans des matériaux isolants tels que la laine de verre, la mousse polyuréthane ou le polystyrène expansé.
L’énergie chimique est stockée dans les molécules jusqu’à sa libération au cours d’une réaction chimique. Les atomes des molécules sont maintenus ensemble par des liaisons chimiques qui contiennent de l’énergie potentielle. Lorsqu’une réaction chimique se produit, ces liaisons peuvent être rompues et l’énergie stockée dans les liaisons peut être libérée sous forme d’énergie cinétique, thermique ou électrique.
L’énergie lumineuse est l’énergie créée et transportée par les ondes lumineuses. Elle est utilisée à la fois pour produire de l’électricité, de la chaleur, pour permettre la croissance d’organismes vivants, pour éclairer, pour transmettre de l’information (fibre optique), pour soigner (traitement de maladies de peau, médecine laser…).
L’énergie nucléaire est une forme d’énergie libérée par un noyau atomique. L’énergie nucléaire n’est pas une forme d’énergie chimique : contrairement aux réactions chimiques, qui ne modifient que les électrons autour du noyau, les réactions nucléaires modifient directement le noyau atomique. L’énergie nucléaire peut être provoquée de deux façons :
– par la fission nucléaire : l’énergie est libérée lorsqu’un noyau atomique se divise en deux (parfois trois) noyaux plus petits. Cela n’est possible que si le noyau est dit “fissile”, c’est-à-dire susceptible de subir une fission, quelle que soit l’énergie des neutrons qui les percutent. Ce phénomène est provoqué lorsqu’un neutron collisionne un noyau fissile (le cas pour les isotopes 233 et 235, voire 238 d’uranium et des isotopes 239 et 241 du plutonium), ce qui dégage une grande quantité d’énergie. L’essentiel de l’énergie est emporté sous forme d’énergie cinétique par les produits de fission, qui bousculent les autres atomes. Les produits de fission perdent alors de la vitesse et génèrent de la chaleur. L’énergie cinétique est transformée en énergie thermique. Chaque fission produit entre deux et trois neutrons d’énergie cinétique élevée. Ces derniers interagissent alors avec un autre noyau fissile, qui provoquent de nouvelles fissions : c’est la réaction en chaîne.
– par la fusion nucléaire : deux noyaux légers, chargés positivement fusionnent pour créer un atome lourd. Cela libère une quantité d’énergie très importante. La réaction la plus accessible par l’Homme est la fusion d’un atome de deutérium et d’un atome de tritium, qui donne naissance à un atome d’hélium. La fusion est provoquée lorsque deux noyaux chargés positivement se rapprochent, phénomène possible seulement sous très haute température (100 millions de °C).
L’énergie nucléaire est principalement utilisée à des fins de production d’électricité, via l’exploitation de la chaleur produite lors d’une réaction dans une centrale nucléaire. Les réactions de fission produisent de la chaleur, transformée en vapeur qui alimente une turbine raccordée à un alternateur. La puissance mécanique de la vapeur en mouvement est ainsi transformée en électricité. La réaction nucléaire est aussi utilisée pour la fabrication d’armes atomiques, pour la propulsion navale ou encore pour la médecine, pour la radiothérapie et le traitement du cancer.
b. La production d’énergie dépend des sources d’énergie présentes sur notre territoire ou disponibles à l’importation
Ces différentes formes d’énergie proviennent de sources variées, des sources non renouvelables, présentes en quantité limitée sur Terre, ou des sources renouvelables, considérées comme inépuisables à l’échelle du temps humain.
Le sous-sol de la Terre est composé d’éléments exploitables par l’Homme pour produire de l’énergie. Les sources d’énergies dites fossiles sont des matières premières disponibles sous la surface de la Terre et issues de la décomposition de matières végétales et organiques. On appelle ces résidus des hydrocarbures, en raison de leur composition uniquement constituée de carbone et d’hydrogène.
Les sources fossiles proviennent des dépôts de matières appelés sédiments, riches en matière organique, qui s’enfoncent et se solidifient dans la croûte terrestre au cours des millions d’années : c’est la roche mère. À partir d’une certaine pression et profondeur, la roche mère se transforme en kérogène (état intermédiaire entre la matière organique et les hydrocarbures). Celle-ci commence à générer des hydrocarbures (pétrole, gaz naturel et de schiste, charbon…) à partir de 2 000 mètres de profondeur, distance d’enfouissement où la température du sous-sol atteint 100 °C. Si les énergies fossiles constituent une énergie accessible puisque l’Homme maîtrise son extraction et son exploitation, son acheminement et son stockage, ces énergies ont deux inconvénients majeurs : elles participent, lors de leur combustion, à l’émission de gaz à effet de serre (GES) et elles sont dites limitées puisque non renouvelables à l’échelle de temps humain.
– Le pétrole : le kérogène transformé entre 2 000 et 3 800 mètres. Cet intervalle se nomme la « fenêtre à huile ». Le pétrole est utilisé comme source d’énergie pour la production de chaleur, d’électricité, pour alimenter les véhicules à essence, pour la production de produits chimiques, comme matière première pour la fabrication de plastiques, de caoutchouc synthétique, de médicaments, de cosmétiques, de peintures, de vernis.
Selon l’IFP Énergies nouvelles (IFPEN) ([4]), les réserves prouvées de pétrole sont estimées à 1732 Gb au niveau mondial à fin 2020, soit 53 ans de production au rythme de 2021. En intégrant l’ensemble des ressources pétrolières hors huiles extra lourdes et schistes bitumineux ce ratio atteint environ 189 ans. Malgré l’épuisement des réserves, le pétrole constituait toujours l’énergie la plus consommée en 2019 pour 31 % de la consommation mondiale d’énergie primaire ([5]).
– Un mélange gazeux d’hydrocarbures : le gaz (naturel et de schiste). Quand l’enfouissement de la roche mère se poursuit entre 3 800 et 5 000 mètres, la production d’hydrocarbures liquides atteint un pic. Les liquides produits deviennent de plus en plus légers et passent à l’état gazeux. Cet intervalle de profondeur se nomme « fenêtre à gaz ». Le gaz est composé principalement de méthane, mais peut aussi contenir des quantités variables d’éthane, de propane, de butane ainsi que d’autres composés organiques. Il est produit à partir de la décomposition de matière organique sous des conditions de température et de pression élevées. Le gaz est utilisé comme source d’énergie pour la production de chaleur, d’électricité et pour alimenter les véhicules à gaz.
Selon l’IFPEN ([6]), les réserves prouvées de gaz naturel sont estimées à 4 036 Gm3 au niveau mondial à fin 2020, soit 47 ans de production au rythme de 2021. Ce ratio calculé en intégrant l’ensemble des ressources gazières atteint environ 200 ans. Or, en 2019, le gaz naturel constituait la troisième énergie la plus consommée – 23 % de la consommation mondiale d’énergie primaire ([7]).
Le gaz de schiste est un type particulier de gaz naturel qui se trouve dans les formations rocheuses dites de schiste. Il est produit à partir de formations de roche mère ou de roche-mère non conventionnelle, qui contiennent des quantités importantes de gaz piégées dans leurs pores. En 2016, les réserves mondiales de gaz de schiste techniquement récupérables atteignaient 214,5 milliers de milliards de mètres cubes soit 61 années de production au rythme de 2016 ([8]) – les conséquences environnementales du processus d’extraction conduisent toutefois certains pays, notamment la France ([9]), à stopper l’exploitation de ses ressources.
– Le charbon : roche sédimentaire combustible. Le charbon est une roche solide formée à partir de matière organique, d’animaux morts et de végétation, qui a été comprimée et recristallisée au fil des millions d’années. Le charbon est principalement composé de carbone, mais contient également des quantités variables d’hydrogène, d’azote, de soufre, et d’oxygène. Il est généralement classé en trois types : le charbon anthracite, le charbon bitumineux et le charbon lignite, selon son degré de maturation et sa qualité énergétique. Il est une source fossile utilisée comme source d’énergie depuis des millénaires, principalement pour la production de chaleur et d’électricité. Il est également utilisé dans la production d’acier et dans certaines industries chimiques.
Selon l’IFPEN ([10]), les réserves prouvées de charbon sont estimées à 1 074 Gt au niveau mondial à fin 2020, soit 131 ans de production au rythme de 2021. En 2019, le charbon restait la deuxième énergie la plus consommée – 27 % ([11]).
Le rapporteur ne peut donc que rappeler ce constat alarmant : à ce rythme de production et au degré actuel de connaissance des réserves, les sources d’énergie qui représentent près de 80 % de la consommation énergétique mondiale seront épuisées dans une cinquantaine d’années.
Les sources nucléaires sont des éléments utilisables comme combustibles. Seuls les isotopes atomiques sont mobilisables pour libérer de l’énergie. Un isotope est un atome qui possède, dans sa structure atomique, le même nombre d’électrons que de protons pour rester neutre, mais qui, en son noyau, a un nombre de neutrons différent. Les propriétés chimiques sont inchangées alors que les propriétés physiques sont différentes (l’atome est stable ou radioactif).
Selon l’Agence internationale de l’énergie atomique, on trouverait environ 8,1 millions de tonnes d’uranium naturel sur la planète, soit environ 130 ans de réserve grâce aux mines actuelles au rythme de production actuel et le double de temps en y intégrant les réserves estimées ([12]). L’énergie nucléaire représentait en 2021 environ 5 % de la consommation d’énergie primaire mondiale.
|
Type |
Caractéristique |
Présence dans l’uranium naturel |
Utilisation |
Uranium 235 |
Isotope naturel de l’uranium |
Fissile |
0,7 % |
Réacteurs à eau légère Réacteurs à sels fondus Réacteurs à neutrons rapides (RNR) Réacteurs uranium naturel graphite gaz (UNGG) |
Uranium 238 |
Isotope naturel de l’uranium |
Fertile |
99,3 % |
Réacteurs RNR Réacteurs UNGG |
Uranium 233 |
Produit à partir de thorium 232 |
Fissile |
- |
Réacteurs à eau légère Réacteurs à sels fondus Réacteurs RNR |
Plutonium 239 |
Produit à partir d’uranium 238 |
Fissile |
- |
Réacteurs RNR |
Plutonium 241 |
Produit à partir de plutonium 240 |
Fissile |
- |
Réacteurs RNR |
Source : rapporteur.
En complément des sources géologiques, d’autres sources d’énergies naturelles sont mobilisables et considérées comme inépuisables à l’échelle du temps humain : les sources d’énergies renouvelables comme le soleil, les masses d’air, l’eau, la biomasse et la chaleur du sous-sol terrestre.
La Terre tire toute son énergie d’une seule source : le soleil. Il émet des photons, particules élémentaires qui transportent de l’énergie dans un champ électromagnétique, qui n’ont ni charge ni masse et qui interagissent avec la matière en créant des électrons libres ou en excitant des atomes et des molécules. Par exemple, cela se produit lorsque la lumière frappe une cellule photoélectrique. Le rayonnement solaire, à travers les photons qu’il émet, permet de produire de l’énergie selon trois technologies différentes :
– la technologie solaire photovoltaïque est la seule permettant de produire directement de l’électricité. C’est au sein des cellules photovoltaïques, qui composent les panneaux, que les particules de lumière du soleil transfèrent leur énergie aux électrons d’un matériau semi-conducteur. Ces électrons se mettent alors en mouvement et créent un courant électrique collecté par une grille métallique très fine. Assemblées en série et en parallèle, puis protégées par différentes couches de matériaux afin de former un module photovoltaïque, ces cellules fournissent une tension et un courant électrique.
– l’énergie sous forme thermique peut être extraite du soleil, par des capteurs solaires thermiques, là aussi sous forme de panneaux. À la différence de la technologie photovoltaïque, aucune électricité n’est produite. La chaleur captée est transmise dans des absorbeurs métalliques et réchauffe ensuite un fluide caloporteur qui circule dans un réseau de tuyau, pour alimenter un chauffage central ou produire de l’eau chaude sanitaire.
– la technologie thermodynamique permet de produire de l’électricité indirectement : le rayonnement solaire est transformé en chaleur, puis cette chaleur permet de produire de l’électricité. Le principe du solaire thermodynamique est de concentrer les flux de photons du rayonnement solaire à l’aide d’un dispositif optique (composé de miroirs) afin que l’énergie qu’ils comportent puisse chauffer un fluide caloporteur à une température élevée de 400 °C à 1,000 °C, permettant par la suite de produire de l’électricité par le biais de turbines à vapeur ou à gaz. Les principaux avantages de cette technologie sont le stockage partiel de l’énergie sous forme thermique et la production d’électricité à plus grande échelle ([13]).
Le vent est issu de l’énergie primaire du soleil. Le soleil chauffe la Terre de manière inégale et les continents chauffent ainsi l’air. L’air chaud augmente en volume, est plus léger et rencontre un air froid en altitude. C’est à partir de la différence de pression entre des masses d’air chaud et d’air froid que naît le vent. Le mouvement des masses d’air peut être exploité : l’énergie cinétique du vent est convertie par un système en énergie mécanique qui actionne un générateur d’électricité.
Le mouvement de l’eau est historiquement utilisé par l’Homme à des fins énergétiques. Les premiers moulins à eau remontent en effet à l’Antiquité. L’énergie hydraulique est produite par l’utilisation de la force de l’eau pour générer de l’électricité. Cela peut se faire par plusieurs moyens.
Le barrage hydraulique est la méthode la plus répandue pour transformer l’énergie de l’eau en électricité. Dans la partie supérieure, l’eau et par extension son énergie potentielle est stockée. À sa chute, son énergie potentielle de pesanteur est convertie en énergie cinétique (en mouvement de l’eau, avec une vitesse et une accélération) qui actionne des turbines raccordées à un alternateur générateur d’électricité.
Dans le cas des marées, le flux et le reflux de l’eau permet de produire de l’électricité. À la marée montante, l’eau est stockée dans un réservoir puis libérée quand la différence de hauteur entre le niveau de la mer et le niveau du bassin est suffisamment importante. L’énergie marémotrice est alors captée et convertie soit en énergie mécanique (moulin à eau) soit en électricité à l’aide de turbines et d’alternateurs.
Dans le cas des courants marins, l’énergie cinétique des flux d’eau peut être captée pour créer de l’énergie mécanique puis transformée en électricité : c’est l’hydrolienne.
Enfin, les mouvements de la houle, c’est-à-dire des ondes qui se propagent dans l’eau au contact du vent, forment de l’énergie houlomotrice. Plusieurs technologies sont à l’étude afin de récupérer l’énergie houlomotrice et de la transformer en électricité comme les colonnes d’eau oscillantes (l’oscillation de l’eau agit comme un piston qui comprime de l’air afin d’actionner une turbine productrice d’électricité), ou encore les systèmes à déferlement (l’eau remplit un bassin surélevé puis l’eau est libérée en passant par une turbine productrice d’électricité).
L’énergie de rayonnement du soleil agit directement sur les matières organiques d’origine végétale, animale, bactérienne ou fongique. La biomasse désigne l’ensemble de ces matières qui peuvent se transformer en énergie potentielle chimique. Les matières permettent de produire l’électricité et/ou de la chaleur par trois grandes méthodes :
– par la combustion : le bois, les déchets, les végétaux, etc. sont directement brûlés et produisent de la chaleur, qui peut être transformée en électricité ;
– par la gazéification : il s’agit d’une transformation thermochimique dans le but d’obtenir un mélange gazeux combustible. La gazéification est utilisée comme source de production de chaleur, d’électricité (gaz sur turbines) ou d’hydrogène ;
– par la méthanisation : les matières sont transformées en biogaz par l’action de micro-organismes. Cette méthode crée deux produits. Le premier est le biogaz avec comme composant principal le méthane. Il est une source d’énergie qui peut être injectée directement dans le réseau de gaz naturel et utilisé pour produire de l’électricité (cogénération). Le second est un résidu, le « digestat », utilisé comme fertilisant.
L’énergie terrestre est l’énergie générée en continu par la chaleur des profondeurs de la Terre. La géothermie consiste à exploiter la chaleur naturelle stockée dans le sous-sol pour produire de l’énergie. L’eau chaude ou la vapeur stockées dans un réservoir souterrain sont utilisées telles quelles ou converties en électricité. La géothermie peut être utilisée pour produire de la chaleur :
– la géothermie pour les bâtiments, piscines, serres, piscicultures… Les réservoirs sont situés en couche peu profonde (quelques dizaines de mètres de profondeur). L’énergie thermique est utilisée pour chauffer des petites installations à l’aide de pompes à chaleur ou pour produire de l’eau chaude sanitaire ;
– les réseaux de chaleur : les réservoirs sont situés en couche moyennement profonde (quelques centaines de mètres). L’énergie captée peut produire du chaud et du froid.
La géothermie peut également être utilisée pour produire du froid, avec ou sans l’utilisation de pompes à chaleur. Le sous-sol devient alors source de froid quand sa température est suffisamment basse pour rafraîchir un bâtiment ; c’est le cas l’été. La chaleur du sous-sol peut aussi être refroidie à l’aide de pompes à chaleur réversibles puis injectée dans un bâtiment.
Enfin, la géothermie profonde, entre 2 000 et 3 000 mètres, peut être utilisée pour produire de l’électricité, à travers deux méthodes :
– en turbinant de la vapeur : l’eau chaude sous pression remontée d’un puits de production perd progressivement de sa chaleur et arrive sous forme d’eau et de vapeur en raison de la perte de pression. La vapeur est utilisée pour actionner une turbine productrice d’électricité ;
– par transfert d’énergie thermique à un fluide : quand l’eau est moins chaude, elle est maintenue sous pression pour dissiper sa chaleur à un second fluide qui se vaporise à basse pression et basse température. La vapeur produite actionne une turbine productrice d’électricité.
Les sources d’énergie sont donc variées et permettent, après récupération et transformation, d’obtenir une énergie qui peut prendre différentes formes.
2. Des besoins assurés par l’ajustement de l’offre et de la demande
La politique énergétique française recherche notamment à établir l’équilibre entre l’offre et la demande. Elle doit permettre de prévoir en continu les formes d’énergie dont les consommateurs ont besoin afin d’adapter l’offre en fonction des sources d’énergie accessibles – celles disponibles sur le territoire (soleil, vent, eau, chaleur) et celles qu’il faut importer (gaz, pétrole, uranium) – et en fonction non seulement de la possibilité et des capacités à transformer ces sources d’énergies en énergie (électricité, chaleur, hydrocarbure), mais aussi de la capacité à stocker et à transporter l’énergie.
Pour que la France dispose de l’énergie dont elle a besoin, à chaque instant, et en dépit de la variabilité de l’offre et de la demande nationale, elle peut agir à la fois sur la production d’énergie et sur la consommation.
a. Le développement de l’offre par le déploiement de capacités de production et par les importations
Du côté de l’offre, il s’agit d’abord de disposer de capacités de production suffisantes et d’anticiper un éventuel volume d’importations complémentaires. Les moyens de production d’un pays varient en fonction des ressources dont il dispose et des technologies qu’il développe selon le mix énergétique qu’il choisit. Disposer de capacités de production nationales suppose :
– d’avoir déployé des installations de production d’énergie – ce qui nécessite d’avoir une maîtrise suffisante des technologies sous-tendant ces installations de production, en disposant des brevets, des savoir-faire et des compétences nécessaires à leur exploitation et à leur maintenance – et d’avoir organisé la bonne disponibilité des matières premières et des matériaux indispensables à la construction et au fonctionnement des moyens de production (par exemple les matériaux critiques pour certaines énergies renouvelables ou l’approvisionnement en uranium pour le cas du nucléaire) ;
– de maintenir ces installations de production en état fonctionnel : parc de production nucléaire, installations de production d’électricité à partir d’énergie renouvelable (hydraulique, éolien, solaire, bioénergie), d’installations thermiques à combustible fossile (centrales à cycle combinée gaz, centrales à charbon, centrales au fioul, turbines à combustion alimentées au fioul ou au gaz, moyens de production thermique décentralisée) ;
– d’organiser l’acheminement de l’énergie du producteur au consommateur, qu’il soit résidentiel ou professionnel, via un réseau de transport et de distribution de l’énergie qui peut prendre différentes formes (par exemple lignes électriques et postes de transformation pour l’électricité, canalisations pour le gaz, raffinage, stockage puis acheminement pour le pétrole). Lorsque, comme c’est généralement le cas, les capacités de production nationales ne suffisent pas pour répondre à la demande, l’offre énergétique d’un pays peut encore s’appuyer sur les importations d’énergie.
Les importations permettent ainsi à un État de bénéficier de formes d’énergie dont il ne dispose pas sur son territoire, de compléter la production nationale, ou de suppléer l’indisponibilité ponctuelle des capacités de production. Cela impose toutefois de disposer des infrastructures nécessaires à l’acheminement de l’énergie : comme dans le cadre de l’acheminement de la production nationale du producteur au consommateur, il s’agit d’organiser les interconnexions au moyen d’un réseau de transport et de distribution bien dimensionné.
Encadré 1 : les réseaux de transport et de distribution des énergies La distribution des différentes énergies de leurs lieux de production, d’extraction ou de stockage vers leur lieu de consommation est réalisée par des réseaux de transport et de distribution. Les hydrocarbures, tels que le pétrole et le gaz naturel, sont transportés par pipeline, navires-citernes et camions-citernes pour approvisionner les raffineries et les centrales thermiques. Les produits pétroliers, tels que l’essence et le diesel, sont ensuite distribués par des stations-service et utilisés pour les transports routiers, maritimes et aériens. La chaleur s’appuie sur un système de distribution de chaleur qui comprend une ou plusieurs unités de production de chaleur, un réseau de distribution dans lequel un fluide caloporteur transporte la chaleur vers des sous-stations d’échange alimentant un réseau de distribution secondaire qui dessert les bâtiments. Les réseaux de distribution de chaleur sont peu étendus puisque la chaleur ne peut être transportée sur de longues distances. L’électricité et le gaz bénéficient de réseaux de transport et de distribution développés à grande échelle (internationale). Le gaz est acheminé du lieu d’extraction au lieu de consommation par les gazoducs terrestres ou sous-marins - canalisations permettant le transport du gaz sous pression sur de longues distances -, ou par sa transformation en gaz naturel liquéfié (GNL) – notamment pour le transport en navire méthanier jusqu’au terminal méthanier. Le réseau de transport du gaz permettant d’acheminer le gaz jusqu’aux consommateurs finaux se compose d’un réseau principal le reliant aux réseaux voisins, aux lieux de stockage et aux terminaux méthaniers et d’un réseau régional permettant d’alimenter les réseaux de distribution et les consommateurs raccordés au réseau. Le réseau d’électricité permet d’acheminer l’électricité depuis les lieux de production – centrales électriques, énergies renouvelables électriques – jusqu’au lieu de consommation. |
b. La possibilité de réduire la demande énergétique par l’incitation
Du côté de la demande, il est également possible d’agir pour réduire la consommation d’énergie et maîtriser la consommation énergétique.
Il peut s’agir d’actions aux effets à la fois immédiats et durables, s’inscrivant dans une démarche de sobriété énergétique, concept qui renvoie à l’ensemble des actions et des changements de comportements et de modes de vie permettant de réduire la consommation énergétique.
À plus long terme et au-delà de la sobriété qui renvoie à une baisse de la consommation énergétique, qui se traduit par une réduction ou une évolution des usages, l’efficacité énergétique permet de consommer moins en améliorant les performances des appareils et des installations.
Outre ces différents leviers d’action permettant d’équilibrer l’offre et la demande, il s’avère aussi nécessaire de tenir compte des contraintes physiques pesant sur la gestion de l’électricité.
3. Les spécificités de l’électricité : le besoin d’un réseau adapté et de l’intervention permanente du gestionnaire
Notions fondamentales sur l’électricité
Courant électrique : il correspond au mouvement de porteurs de charge électrique (électrons) dans un matériau conducteur.
Tension électrique : elle correspond à la force du courant électrique qui circule dans un circuit. Elle est exprimée en volt (V).
Intensité électrique : elle correspond à la vitesse et à la quantité du courant électrique, c’est-à-dire du flux d’électrons dans un conducteur. Elle s’exprime en ampère (A).
Puissance électrique : elle correspond à la vitesse à laquelle l’énergie est délivrée. Elle est le résultat de la tension multipliée par l’intensité et se mesure en watt (W ou joule – J – par seconde).
Production ou consommation d’énergie : elle se définit par la puissance électrique sur un temps donné (watt-heure – Wh – ; kilowatt-heure – kWh – ; etc.).
Facteur de charge : il est le rapport entre le nombre d’heures de fonctionnement réel à pleine puissance et le nombre d’heures de fonctionnement théorique dans l’année. Pour les énergies renouvelables, ce facteur de charge évolue constamment en fonction de la force des vents, de la chaleur, des rayonnements, etc.
Les technologies actuelles ne permettent en effet pas de stocker massivement l’électricité en tant que telle. Le stockage d’électricité est toutefois effectué en convertissant le courant électrique en une énergie stockable ce qui permet de la stocker de quelques minutes à un temps long. Pour cela, le stockage peut être mécanique grâce à des stations de pompage (stations de transfert d’énergie par pompage – STEP –, représentant 99 % des capacités de stockage d’électricité dans le monde), par air comprimé ou par inertie (volant d’inertie). Le stockage peut également être chimique (hydrogène, cf. Encadré 10 : hydrogène actuel et perspectives d’avenir) ou électrochimique (batterie, le plus souvent à lithium-ion ou stockage stationnaire) ([14]).
Le stockage de l’électricité devient stratégique à grande échelle dès lors que l’on développe des énergies intermittentes comme les énergies renouvelables, qui ne produisent pas ou très peu d’électricité pendant certaines périodes. En l’absence de capacités de stockage suffisantes pour répondre en continu à la demande d’électricité, il résulte l’obligation :
– de disposer d’un réseau de transport et de distribution à l’échelle nationale capable de supporter des contraintes fortes liées à la variation de la demande d’électricité – et donc de l’offre. Il doit être en mesure d’assurer un approvisionnement électrique suffisant et continu ;
– de maintenir à tout instant l’équilibre du réseau : la quantité d’électricité produite et injectée dans le réseau doit être égale, à tout moment, à la quantité d’électricité consommée.
Les réseaux de transport et de distribution d’électricité sont des ensembles d’infrastructures physiques constitués de lignes aériennes, de câbles souterrains et de transformateurs. Ils se déclinent sur trois niveaux ([15]) :
– le réseau de grand transport et d’interconnexion (« autoroutes de l’énergie ») supporte une tension électrique importante (225 ou 400 kV) sur de longues distances. En France, il est géré par RTE (réseau de transport d’électricité) et au niveau européen par l’Organisation des gestionnaires de réseaux de transport d’électricité (ENTSO-E) (cf. Encadré 2 : la gestion du réseau européen).
– les réseaux régionaux supportent une tension moyenne (63, 90, 225 kV) à l’échelle régionale. Ils sont gérés par les communes qui ont la possibilité de déléguer la gestion de leurs réseaux à un gestionnaire de réseau de distribution (GRD) (ENEDIS ou des régies ou entreprises locales de distribution (ELD)) ;
– les réseaux de moyenne et basse tensions (400V ou 20kV) desservent les consommateurs finaux.
Tout changement au sein de ce réseau – ajout ou retrait d’une installation de production, de stockage, de consommation – affecte son équilibre et peut nécessiter un raccordement ou une adaptation de celui-ci. Un déséquilibre du réseau peut affecter les équipements raccordés ou entraîner des coupures d’électricité. L’absence d’adaptation des infrastructures du réseau entraîne un dépassement, sur certains axes et à certaines heures de la capacité maximale de transit des lignes concernées (dite congestion du réseau), dont l’occurrence pourrait se multiplier à mesure que la production électrique s’intensifiera ([16]).
Pour répondre à la hausse de la production d’électricité (développement du parc nucléaire, déploiement des énergies renouvelables) le réseau doit être étendu en fonction de la localisation des futures installations de production.
Encadré 2 : la gestion du réseau européen Au niveau européen, la gestion du réseau d’électricité est assurée et coordonnée par l’Organisation des gestionnaires de réseaux de transport d’électricité (ENTSO-E) qui regroupe 39 gestionnaires de réseau de transport (GRT) de 35 pays. Pour accentuer la coordination des réseaux, le troisième paquet-énergie de 2009 ([17]) crée le Réseau européen des gestionnaires de réseau, l’un pour le gaz et l’autre pour l’électricité (REGRT, European association for the cooperation of transmission system operators – ENTSO-E). Le REGRT a pour objectif d’assurer l’approvisionnement électrique permanent, la sécurité et la fiabilité du réseau européen. Pour cela, l’association travaille avec les autorités nationales de régulation d’énergie et la Commission européenne ([18]). En collaboration avec l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie (ACER), le REGRT définit des règles et des codes techniques d’accès au réseau ; il coordonne son exploitation par l’échange d’informations et la mise en place de normes et de procédures de sécurité et d’urgence partagées. Il publie, tous les deux ans, un plan décennal d’investissement dans le réseau, révisé par l’ACER. |
a. Les mécanismes de marché pour équilibrer le réseau
En France, RTE (Réseau de transport d’électricité), propriétaire et gestionnaire du réseau d’électricité, a la charge d’assurer un équilibre entre l’offre et la demande en temps réel en surveillant le réseau, en maîtrisant les flux entre régions et entre pays et en anticipant les variations de consommation électrique à différents pas de temps.
Encadré 3 : RTE (Réseau de transport d’électricité) Créé en 2000 dans le but de préparer l’ouverture du marché de l’électricité, RTE est chargé de gérer le réseau de transport d’électricité. RTE a réalisé un chiffre d’affaires de 4,7 milliards d’euros en 2020, et compte 9 438 collaborateurs. Les activités de RTE consistent à gérer, exploiter et développer le réseau de transport d’électricité en France, en assurant la continuité et la sécurité de la fourniture d’électricité. Cela comprend la planification et la construction de nouvelles infrastructures, la maintenance des équipements existants, la gestion des flux d’électricité et l’intégration des énergies renouvelables. |
La démarche de surveillance et de prévision assurée par RTE s’étalonne du très court terme (temps réel), au long terme (3 ans) voire au très long terme s’agissant des rapports de prospective sur plusieurs décennies (ex : futurs énergétiques 2050) et nécessite :
– de prévoir des trajectoires de consommation – présentées dans ses bilans prévisionnels annuels ;
– de prendre en compte les aléas météorologiques et la disponibilité du parc de production, notamment affectés par les opérations de maintenance s’agissant du parc nucléaire ou par l’intermittence des énergies pour les installations renouvelables.
Les énergies renouvelables sont dites intermittentes, c’est-à-dire que leur disponibilité varie. L’inconstance des éléments naturels (vent, soleil) entraîne des variations de production d’énergie. Cette variabilité de la production, ou intermittence, crée un défi pour l’équilibre des réseaux qui doivent absorber des pics de production dont l’importance croît à mesure que les énergies renouvelables, dont certaines comme l’éolien ne produisent pas d’électricité pendant une longue période dans la journée, sont déployées.
Figure 1 : évolution moyenne de la production d’électricité en France par filière et par heure entre 2017 et 2022 (hors énergie nucléaire)
Source : rapporteur, d’après les données transmises par RTE.
Lecture : moyenne de la production d’électricité en France, par filière et par heure, entre 2017 et 2022 - la contribution des différentes filières à la production électrique quotidienne varie au cours d’une journée.
Figure 2 : évolution de la production mensuelle d’énergie par énergie depuis 2017 (en GWh)
Source : rapporteur, d’après les données transmises par RTE
Lecture : évolution de la production mensuelle d’énergie par filière depuis 2017 - la contribution des différentes filières à la production électrique annuelle varie au cours de l’année (saisonnalité).
RTE prévoit l’offre et la demande d’électricité afin de coordonner la stratégie des différents acteurs – producteurs d’électricité ; distributeurs ; consommateurs – et anticipe le surplus ou le déficit de production qu’il équilibre au moyen de mécanismes de marché ([19]) :
• les marchés de gros permettent d’échanger de grandes quantités d’électricité pour un approvisionnement à grande échelle et au niveau européen à un prix fixé en fonction du coût marginal de production du dernier MWh produit. Or, lorsque la demande est forte, les centrales thermiques à énergie fossile sont sollicitées et ce dernier MWh est produit quasi-systématiquement à partir du gaz ou du charbon dont les coûts marginaux sont bien supérieurs ([20]). Ils se déclinent en fonction des produits échangés et des horizons considérés :
– le marché « spot » (bourses EPEX Spot et Nord Pool Spot) sur lequel des volumes d’électricité sont échangés à très court terme (jour-même ou lendemain) à un pas horaire ou demi-horaire avec des échéances allant jusqu’à H-1 ;
– les marchés à terme (bourse EEX) sur lesquels des volumes sont échangés à court et moyen terme (au-delà du lendemain et jusqu’à trois ans à l’avance) et sur une période de temps donnée (un an, un semestre, un mois, un week‑end, un jour) ;
Figure 3 : formation des prix spot de l’électricité
Source : Toute l’Europe
• le marché de détail de l’électricité ([21]) sur lequel les fournisseurs d’électricité vendent des quantités d’électricité aux consommateurs finaux (ménages, entreprises, etc.). En France, deux offres sont proposées aux consommateurs : les offres de marché (à prix fixe ou à prix indexé) et les tarifs réglementés de vente (TRV) déterminés par les pouvoirs publics.
b. Les différents contrats d’achat d’électricité (CAE)
L’électricité achetée par les fournisseurs sur ces différents marchés est ensuite revendue aux consommateurs à différents prix selon le contrat concerné.
Depuis le 1er juillet 2009, les marchés français de l’électricité et du gaz naturel sont ouverts à la concurrence. Chaque consommateur est donc libre de choisir son fournisseur pour conclure le contrat qu’il souhaite.
La vente et l’achat d’électricité sont encadrés par des contrats d’achat d’électricité (CAE ou power purchase agreement - PPA). Sur le marché de détail de l’électricité, les clients peuvent souscrire à deux types de contrats distincts.
En France, les contrats aux tarifs réglementés de vente (TRV) ne sont ainsi proposés que par les fournisseurs historiques (EDF et environ 100 entreprises locales de distribution (ELD)). Couvrant 98 % de la consommation nationale d’électricité ([22]), ils permettent aux consommateurs détenteurs d’un contrat d’une puissance inférieure ou égale à 36kVA d’acheter leur énergie à un prix fixé par les pouvoirs publics.
Les CAE ont été marqués par la création de l’Accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) par la loi NOME ([23]) du 7 décembre 2010 instaurant un droit pour les fournisseurs d’acheter de l’électricité nucléaire à prix régulé à EDF pour alimenter des clients finaux situés en France métropolitaine.
Les contrats d’offre de marché sont, quant à eux, proposés par les fournisseurs historiques et par les fournisseurs alternatifs, ces contrats varient selon les fournisseurs. Les offres peuvent être à prix variable indexé sur les TRV ou sur d’autres produits (prix spot, ARENH, etc.) ou à prix fixe selon les modalités contractuelles retenues (prix de l’énergie constant mais abonnement évolutif ; prix de l’énergie et abonnement constant ; etc.). Elles peuvent également se distinguer par leurs produits, sur le modèle des offres vertes qui proposent uniquement de l’électricité renouvelable.
Les prix de vente de l’énergie proposés par les fournisseurs intègrent des coûts identiques à tous les fournisseurs (accès aux réseaux dont les tarifs sont fixés par la Commission de régulation de l’énergie (CRE)) et des coûts variables (coût de production et commerciaux, marge, etc.). À ces coûts, s’ajoutent également des contributions et taxes assumées par le client :
– la contribution tarifaire d’acheminement (CTA) permettant de financer les droits d’assurance vieillesse des personnes du régime des industries électriques et gazières ;
– la contribution au service public de l’électricité (CSPE), également nommée taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) ;
– les taxes sur la consommation finale d’électricité (TCFE) définies par chaque commune et appliquées aux contrats inférieurs ou égaux à une puissance de 250kVa. Depuis le 1er janvier 2021, ces taxes se restreignent à la taxe communale sur la consommation finale d’électricité (TCCGE) ;
– la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) s’élevant à 5,5 % ou 20 % selon la puissance souscrite.
c. Les mécanismes d’équilibrage du réseau
Le travail précis de prévision de l’offre et de la demande d’électricité effectué par RTE n’efface pas une partie résiduelle d’incertitude induite par :
– la variabilité de l’offre, c’est-à-dire de la production d’électricité (intermittence) ;
– la variabilité de la demande, fonction de nombreux facteurs : l’activité des consommateurs ; les changements de saisons et les variations des conditions météorologiques qui en résultent, qui ont un impact qui se vérifie à l’aune de la thermo-sensibilité française ([24]) ; le calendrier (week-end, vacances, jours fériés) qui a également un impact sur la consommation électrique, de même que l’heure de la journée (des pics de consommation journaliers sont observés le soir et le matin).
S’il constate un écart entre production et consommation, RTE peut agir sur la production d’électricité, en demandant la hausse ou la baisse d’une unité de production. Cela pose la question du dimensionnement du parc de production national, qui, si on fait abstraction des interconnexions, doit permettre de couvrir tant la base que la pointe de consommation. Il est ainsi utile de disposer de capacités de production pilotables, mobilisées pour faire face à la pointe.
Depuis 2017, le mécanisme de capacité ([25]) oblige les fournisseurs à prouver qu’ils ont la disponibilité suffisante pour faire face aux pointes, grâce à des contrats avec des opérateurs.
Les acteurs échangent les garanties de capacité ([26]) via des sessions de marché organisées ou de gré à gré. Le détail des transactions est publié dans le registre des garanties de capacité. Pour les enchères, les volumes échangés et les prix (€/garantie) sont publiés, en toute transparence, sur le site d’EPEX Spot.
L’année de livraison, RTE signale les jours de pointe durant lesquels les acteurs doivent remplir leurs engagements respectifs (jours PP1 pour les fournisseurs, jours PP2 pour les producteurs et autres exploitants de capacité).
Après l’année de livraison, RTE notifie aux fournisseurs leur niveau d’obligation final et calcule la disponibilité réelle des capacités. Les écarts donnent lieu à des règlements financiers.
Du côté de la demande, des mécanismes d’équilibrage du réseau ont également été mis en place par RTE telles que des mesures fondées sur le marché. Dans les zones non interconnectées, il s’agit des mesures d’exploitation normale du réseau. En France continentale, il s’agit essentiellement du « redispatching ([27]) » ou de contreparties ([28]). D’après le plan de préparation aux risques, les réserves primaires et secondaires sont activées automatiquement pour contenir la déviation de fréquence, rétablir la fréquence à 50 Hz et ramener à leur valeur prévue les échanges d’énergie aux frontières.
Le mécanisme d’ajustement, ou « réserve tertiaire », mis en place en 2003, permet d’équilibrer le réseau par l’activation d’une capacité de production ou d’effacement. La réserve tertiaire est activée manuellement par un dispatcher de RTE pour compléter la réserve secondaire, s’y substituer, ou pour résoudre des contraintes sur le réseau de transport résultant d’un excès ou d’un manque local de production.
L’effacement consiste en une baisse totale ou partielle ponctuelle, sur sollicitation, et contre rémunération, de la consommation de sites de soutirage d’électricité. En raison du bénéfice qu’il apporte au système électrique (il réduit la tension sur l’équilibre offre-demande) l’effacement est valorisé sur le marché : une rémunération compense l’inconfort occasionné pour le consommateur l’acceptant. Le volume d’offre d’effacement retenu pour l’année 2023 est de 2 702 MW, soit en hausse pour la troisième année consécutive (+ 36 % par rapport à 2022).
Lorsque le fonctionnement normal du réseau est menacé de manière grave et immédiate, le gestionnaire du réseau électrique, RTE, peut en effet déclencher en quelques secondes le mécanisme d’interruptibilité, qui lui permet d’interrompre instantanément l’approvisionnement d’un consommateur à profil de consommation interruptible, tel qu’un industriel, contre dédommagement financier. L’interruption est réalisée sur un délai très court : RTE peut interrompre un ou plusieurs consommateurs industriels en moins de 5 secondes. Cinq sites ont été retenus pour 531 MW contractualisés via un appel d’offres pour l’année 2023.
L’organisation d’un délestage, qui consiste à effectuer des coupures d’électricité temporaires de courte durée (2 heures maximum consécutives), peut aussi être envisagée, même si ce type de mesure se raréfie grâce à l’utilisation accrue des interconnexions avec les réseaux des pays limitrophes. Le délestage est activé en dernier ressort par le gestionnaire de réseau en cas de procédure de sauvegarde du réseau, et n’ouvre pas droit à rémunération.
Les moyens de production électrique se mettent généralement à produire suivant leur ordre de préséance économique, par coût marginal croissant des installations jusqu’à satisfaire la demande. Le caractère plus ou moins polluant des différents systèmes de production électrique est un autre critère pouvant conduire à n’activer certaines capacités de production qu’en dernier ressort.
Assurer l’approvisionnement énergétique du pays tout en poursuivant l’objectif de décarbonation passe donc à la fois par la maîtrise de la demande d’énergie, par la production nationale d’énergie décarbonée dont relèvent les énergies renouvelables et le nucléaire, et par la diversification des approvisionnements pour les importations qui s’imposent.
Pour autant, la sécurité d’approvisionnement énergétique ne saurait être confondue avec l’indépendance énergétique, qui relève du mirage.
B. Un MIRAGE : l’indépendance énergétique, au sens de L’autonomie de production
L’ensemble des personnalités auditionnées par la commission, qu’il s’agisse des experts indépendants, des responsables des instituts de recherche ou des administrations en charge des questions énergétiques, ont partagé un constat clair : l’indépendance énergétique, au sens d’une autonomie complète de production, n’existe pas (1).
Certes, la mesure du « taux d’indépendance énergétique », qui constitue un outil statistique imparfait peut donner une idée de la dépendance énergétique des États ; de ce point de vue, la France apparaît dans une position au-dessus de la moyenne européenne (2).
Mais l’analyse du modèle énergétique des pays présentant les plus faibles taux de dépendance confirme le fait que la poursuite de l’indépendance énergétique en France est illusoire : les pays réputés les moins dépendants énergétiquement présentent des caractéristiques géographiques spécifiques ou fondent leur approvisionnement énergétique sur un mix ne répondant pas à l’objectif de décarbonation de l’énergie que poursuit la France (3).
1. Le concept d’indépendance énergétique fondé sur la notion d’autonomie est en pratique inatteignable
L’indépendance énergétique a été définie comme « la capacité d’assurer de manière autonome l’approvisionnement et la production d’énergie dont les citoyens ont besoin » ([29]) par M. Daniel Verwaerde, administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) de 2015 à 2018, ou encore comme la « capacité d’un pays à satisfaire de manière autonome des besoins énergétiques, donc à maximiser la production locale d’énergie nécessaire à la population et aux activités industrielles » ([30]), par M. Pascal Colombani qui occupait la même fonction quinze ans auparavant (1999-2002).
En dépit de ces nuances, un consensus a rapidement émergé parmi les différents acteurs et analystes de la politique énergétique française sur le fait qu’historiquement, la France n’a jamais été totalement indépendante sur le plan énergétique. C’est une idée que M. Jean-Marc Jancovici, professeur à Mines Paris, a avancée en préambule de son audition : schématiquement, « la France n’a jamais été indépendante énergétiquement depuis qu’elle a quitté l’ère des énergies renouvelables. Nous étions indépendants énergétiquement à l’époque où nous utilisions exclusivement les pierres et le bois du sol français pour construire des moulins à vent et à eau ainsi que le bois et l’herbe française pour faire avancer des animaux de trait » ([31]).
Le professeur M. Yves Bouvier a confirmé que « la France n’a jamais réellement connu d’indépendance énergétique », mais que « la quête d’indépendance énergétique représente un horizon politique » ([32]), dont on peut trouver l’origine à l’issue de la Première Guerre mondiale, lorsqu’ « émerge l’idée d’une coordination des politiques énergétiques par secteur, portée notamment par Henry Bérenger ([33])».
Au-delà de l’analyse historique, le consensus a également émergé quant au mirage que constitue l’indépendance énergétique totale. Pour M. Jean‑Marc Jancovici déclare ainsi que « l’indépendance n’existe pas stricto sensu » ([34]). Pour M. Cédric Lewandovski, directeur exécutif du Groupe EDF en charge de la direction du Parc nucléaire et thermique, « l’indépendance énergétique absolue est impossible à atteindre » ([35]). Pour M. JeanBernard Lévy, ancien président-directeur général (PDG) d’EDF, « l’indépendance totale n’est pas réaliste, même dans le cadre communautaire » ([36]).
Cet objectif apparaît d’autant plus illusoire au regard de la situation française actuelle. Une telle indépendance impliquerait de disposer de toutes les matières premières et composants indispensables à la construction des installations de production, d’en maîtriser complètement la technologie et la chaîne industrielle, ainsi bien sûr que de disposer de l’éventuel carburant nécessaire.
Sans même entrer dans le débat de savoir si l’indépendance énergétique totale est souhaitable ([37]), elle est donc, du point de vue des experts auditionnés, inatteignable.
2. La mesure statistique imparfaite de l’indépendance énergétique place la France à un niveau relativement élevé et en augmentation
Des outils statistiques proposent de mesurer le taux d’indépendance ou de dépendance énergétique des États. En dépit des réserves méthodologiques qu’il est possible de leur opposer, l’observation des résultats auxquels ils aboutissent montrent que la France se situe parmi les pays européens les plus indépendants énergétiquement.
En France, l’indépendance énergétique est appréhendée au moyen de l’indicateur statistique défini par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) du taux d’indépendance énergétique. Il mesure, pour une année donnée, le rapport entre la production nationale d’énergie primaire (charbon, pétrole, gaz naturel, nucléaire, hydraulique, énergies renouvelables) et la consommation en énergie primaire ([38]). Ce taux s’élève, pour la France, à 55 % en 2021, contre 25 % au milieu des années 1970, avant la mise en œuvre du plan Messmer de construction du parc nucléaire. Sur la période 2005‑2021, le taux d’indépendance énergétique de la France enregistre une progression constante.
Figure 4 : évolution du taux d’indépendance énergétique de la France
Source : SDES, bilan énergétique provisoire 2021 transmis par le SDES à la commission d’enquête.
Lecture : le taux d’indépendance énergétique mesure le rapport entre la production primaire et la consommation primaire.
Ce premier indicateur fait l’objet de critiques ([39]) au motif qu’il intègre, dans la production primaire, la vapeur primaire issue des combustibles nucléaires. Cette vapeur primaire, trois fois plus importante que la quantité d’électricité produite, est donc considérée comme française alors qu’elle provient de la combustion de combustibles importés.
Cette méthode de calcul de l’indépendance, intégrant les importations, entre en contradiction avec « les conventions internationales sur les statistiques de l’énergie (qui) considèrent comme énergie primaire la chaleur issue de la réaction et non le combustible nucléaire lui-même », précise le ministère de la Transition écologique ([40]).
Pour autant, cette méthode de calcul revêt une certaine cohérence au regard de la composition du mix énergétique français. M. Pascal Colombani, ancien administrateur général du CEA, souligne que l’intégration de l’uranium plutôt que la chaleur issue de la réaction nucléaire dans le calcul de l’énergie primaire ferait chuter ce taux à 12 % ([41]). Certes, l’accès au combustible nucléaire est « sans commune mesure avec notre dépendance au pétrole et au gaz » (voir II, D, 2, d), ce qui peut justifier de retenir l’énergie nucléaire et non l’uranium importé pour appréhender l’indépendance énergétique française, mais l’objection demeure importante.
Pour M. David Marchal ([42]), la consommation d’énergie finale – c’est-à-dire la consommation primaire moins les volumes liés aux pertes intervenues dans les transports, l’utilisation d’une certaine quantité dans la transformation de ces énergies ou dans des usages non-énergétiques, mais aussi la partie d’énergie non utilisée - « montre bien à quel point la France dépend de ces importations, à la fois d’énergies fossiles mais aussi de combustibles pour nos centrales nucléaire ».
Pour dépasser ces limites, M. David Marchal propose un calcul alternatif : élaborer un indicateur de mesure incluant la question des matériaux et des ressources nécessaires au fonctionnement des différentes sources d’énergie, qui présentent certaines vulnérabilités en matière d’énergies renouvelables (voir I, D, 3, d, i). Selon lui, il conviendrait en fait de concevoir la notion de souveraineté énergétique en incluant l’intégralité des combustibles importés, y compris les combustibles nucléaires – contrairement à la nomenclature internationale qui les considère comme du minerai.
Ainsi, sur la consommation d’énergie finale française, d’environ 1 600 TWh en 2020 ([43]), les énergies entièrement produites en France – principalement composées d’énergies renouvelables – représentent à peu près 19 % : la consommation d’énergie finale française dépendrait alors à 81 % de combustibles importés ([44]).
À cette analyse on peut répondre que la part de valeur ajoutée liée à l’importation de l’uranium est faible – elle ne représentait en effet qu’entre 5 et 7 % du coût de production ([45]) –, ce qui permet de considérer l’essentiel de la production électronucléaire comme française.
Selon M. David Marchal, il serait également nécessaire d’intégrer à ce nouvel indicateur la dépendance aux matériaux stratégiques des filières industrielles qui composent notre mix énergétique même si « cette dépendance sur les matériaux est stratégique à moyen terme mais ne revêt quand même pas le même caractère d’urgence que la dépendance sur les combustibles ». « Si nous voulions faire un véritable calcul, il conviendrait sans doute d’y inclure les consommations intermédiaires et les matériaux utilisés dans les différentes filières de production d’énergie ainsi que leur provenance » ([46]).
En tout état de cause, la très faible variation du taux d’indépendance énergétique de la France sur les trente dernières années (le taux était de 55 % en 1995, est descendu à 50 % sur la décennie 2000-2010, avant de remonter à 55 % en 2015) ne permet pas de mesurer pleinement l’évolution du mix énergétique depuis 30 ans, et l’évolution des vulnérabilités qu’il présente.
Ces réserves étant faites, la comparaison internationale des taux de dépendance des différents États peut permettre de mieux apprécier la situation de la France, notamment grâce au taux de « dépendance aux importations énergétiques » ([47]) produit par Eurostat et qui mesure le rapport entre les importations nettes (importations déduction faite des exportations) et l’énergie brute disponible ([48]).
Ce taux indique que la dépendance de l’Union européenne (UE-27) aux importations d’énergie oscille, depuis les années 1990, entre 40 et 60 % - partant d’un taux de 50 % en 1990 pour atteindre 55,5 % en 2021 ([49]) . La comparaison des taux européens permet de constater que, depuis 2013, tous les États membres sont importateurs nets d’énergie ([50]) mais le sont très inégalement ([51]). En effet, en 2021, les États de l’UE présenteraient une très grande variété de situations, d’un taux de dépendance de près de 100 % pour certains (97 % pour Malte, 89,5 % pour Chypre, et 92,5 % pour le Luxembourg) à 1 % pour d’autres (Estonie). ([52])
Les données retenues pour 2021 permettent de constater que la France se situe parmi les États européens les moins dépendants énergétiquement avec un taux s’élevant à 44,2 %. Elle serait le 9ème pays le plus indépendant énergétiquement de l’Union européenne, avec un écart de plus de 13 points par rapport à la moyenne européenne (cf. figure 5 : taux de dépendance énergétique des États membres de l’Union européenne en 2021)
Sept pays présentent des taux inférieurs à celui de la France, étant souligné que la Pologne, la Finlande, la République Tchèque et la Bulgarie qui précèdent la France au classement présentent un taux proche du taux français, autour de 40 % de dépendance.
Figure 5 : taux de dépendance énergétique par États membres de l’Union européenne en 2021
Source : rapporteur, d’après les données Eurostat.
Lecture : le taux de dépendance aux importations mesure le rapport entre les importations nettes (importations déduction faite des exportations) et l’énergie brute disponible.
Cette position relativement meilleure de la France s’avère d’autant plus nette lorsqu’on la compare à des pays aux caractéristiques démographiques et économiques proches. Le graphique ci-dessous permet d’observer plus finement la comparaison de pays européens sélectionnés.
Figure 6 : taux de dépendance aux importations énergétiques en Europe en 2021
Source : rapporteur, d’après les données Eurostat.
Lecture : le taux de dépendance aux importations mesure le rapport entre les importations nettes (importations déduction faite des exportations) et l’énergie brute disponible. La Norvège exportant plus d’énergie qu’elle n’en consomme, son taux de dépendance énergétique est négatif.
L’Allemagne, l’Espagne et l’Italie ont ainsi des taux de dépendance supérieurs au taux de la France d’au moins une vingtaine points. Si l’on fait abstraction des pays ayant une population modérée et dotés de fortes concentrations de ressources énergétiques, y compris fossiles, comme c’est le cas de l’Estonie, de la Roumanie ou de la Suède, la France connaît bien un taux de dépendance inférieur à celui de ses voisins de taille comparable ([53]).
3. Les pays détenant le plus haut niveau d’indépendance énergétique présentent des singularités géographiques ou ont un mix très carboné
L’examen des pays avec le plus haut niveau d’indépendance révèle que la France ne saurait se hisser à leur niveau, parce qu’ils présentent des singularités (géographiques ou géologiques notamment) non reproductibles et des mix énergétiques très carbonés.
Ces singularités permettent à certains pays tels que les États-Unis, la Russie et la Norvège de s’approcher grandement de l’indépendance énergétique. Or l’observation tant des choix de production énergétique de ces pays que des ressources dont ils disposent montre que la France est dans une situation très différente et qu’elle ne pourrait pas, en tout état de cause et considérant sa géographie, sa géologie et les normes environnementales et climatiques ambitieuses qu’elle a souhaité se fixer, poursuivre le même modèle en vue d’approcher leurs taux d’indépendance énergétique.
Dans les faits, le degré d’indépendance possible pour un pays est conditionné, en premier lieu, par « la dotation initiale de facteurs » ([54]) pour citer M. Jacques Percebois, c’est-à-dire qu’il est conditionné à l’importance des ressources énergétiques présentes sur son territoire.
Suivant ce constat, ce sont logiquement les pays qui présentent les plus importantes ressources en gaz et en pétrole qui figurent parmi les champions de l’indépendance énergétique. D’après les statistiques de l’Agence d’information sur l’énergie américaine (EIA), les cinq plus grands producteurs de pétrole au monde étaient, en 2021 et dans l’ordre de priorité, les États-Unis, l’Arabie Saoudite, la Russie, le Canada, la Chine ([55]). Or ces cinq pays se situent également dans les neuf plus gros producteurs de gaz naturel ([56]). Cette richesse des ressources facilite l’accession à une plus grande indépendance énergétique.
Sur le continent européen, deux pays se distinguent plus particulièrement : la Norvège et l’Estonie.
a. Le système norvégien : une production d’énergies fossiles très largement excédentaire
La Norvège s’avère tout à fait singulière du fait de la quantité des ressources disponibles sur son territoire. D’après le rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) paru en 2022 consacré à la politique énergétique de la Norvège ([57]), le pays a exporté, en 2020, 87 % de sa production énergétique.
En étant un gros producteur de gaz pour une consommation domestique de cette énergie quasi inexistante, ce pays a exporté, en 2020, 98 % de sa production de gaz, le plaçant à la troisième place mondiale des exportateurs de cette énergie. La Norvège est également dotée d’importantes ressources hydrauliques. 92 % du mix électrique de la Norvège repose sur l’hydroélectricité, alors même que l’électrification du mix énergétique norvégien est très avancée ([58]). La Norvège a également produit 2,3 % du pétrole mondial en 2020.
Son excédent énergétique est donc important : en 2020, la Norvège a produit 10 fois plus de pétrole et 21 fois plus de gaz que ce que sa consommation domestique nécessite. Ce pays dispose donc de certains avantages pour assurer son indépendance énergétique tout en poursuivant les objectifs de réduction des émissions polluantes.
b. Le système estonien : une indépendance au détriment de l’environnement
L’Estonie présente quant à elle le taux de dépendance énergétique le plus bas des États membres de l’Union européenne, mais son modèle énergétique repose sur une forte dépendance aux schistes bitumineux à partir desquels elle peut produire de la chaleur, de l’électricité et des hydrocarbures.
D’après le dernier rapport d’analyse du mix énergétique estonien produit par l’AIE ([59]), en 2018, le schiste bitumineux représentait 72 % de la production énergétique intérieure totale de l’Estonie, et 73 % de l’approvisionnement en énergie primaire. Si l’exploitation de cette source d’énergie apporte à l’Estonie un haut degré d’autosuffisance énergétique, elle constitue un obstacle majeur à la réalisation des engagements climatiques de baisse des émissions de gaz à effet de serre.
c. Le système états-unien : la production énergétique à tout prix
D’autres pays ont la particularité de combiner la présence sur leur territoire des ressources naturelles variées et en quantité importante, mais aussi la volonté d’exploiter certaines sources énergétiques indépendamment des questions environnementales qu’elles posent.
C’est notamment le cas des États-Unis, qui sont devenus en 2020 et pour la première fois depuis 1953, exportateur net d’énergie. Cette évolution résulte d’une forte progression de sa production énergétique qui s’appuie sur des innovations techniques de la fracturation hydraulique et des forages horizontaux.
Le choix fait par les États-Unis de mettre en œuvre ces procédés a conduit, en 20 ans, à une augmentation conséquente de la production énergétique du pays, devenu le premier producteur mondial de pétrole et de gaz. Au premier semestre 2022, le pays devenait le premier exportateur mondial de gaz naturel liquéfié ([60]) et opérait, sur ce même semestre, des exportations de produits pétroliers records ([61]). En 2020, 34% de la production d’énergie des États-Unis provenait du gaz naturel ([62]) – dont 88 % reposait sur l’exploitation de gaz de schiste ([63]).
Si le secteur énergétique des États-Unis demeure largement dominé par les énergies fossiles et devrait le rester ([64]), la production et la consommation de charbon reculent ([65]). Cette diminution a été rendue possible par la hausse du gaz naturel, mais aussi par le développement des énergies renouvelables.
Ainsi, le très haut niveau d’indépendance énergétique des États-Unis repose sur de nombreux atouts, qui ne se limitent d’ailleurs pas à la seule présence de sources d’énergie sur le territoire. Sur le plan géographique, d’abord, comme l’a souligné M. Philippe Sauquet ([66]), ancien directeur général Gas Renewables & Power chez TotalEnergies, l’organisation de l’espace, en raison de sa densité, est bien plus propice à l’installation des infrastructures d’énergie renouvelable que le territoire français. Sur le plan économique ensuite, la situation des États-Unis est aussi, comme l’a rappelé M. Bruno Bensasson ([67]), PDG d’EDF Renouvelables, totalement différente de la nôtre car ce pays bénéficie de la hausse du prix du pétrole et du gaz lorsque la France en souffre et subventionne des boucliers tarifaires.
Le développement d’un tel modèle en France n’est donc ni possible – en raison de la situation géologique et géographique de la France -, ni souhaité – la France a interdit le recours à la fracturation hydraulique en 2011 ([68]).
La référence à ces quelques exemples étrangers confirme l’importance de la dotation initiale de ressources pour atteindre l’indépendance énergétique, qui ne peut être approchée que par de très rares pays. En ce sens, l’indépendance énergétique de la France apparaît bien comme un mythe duquel il faut se détacher, à l’inverse de la quête de souveraineté énergétique qui, d’après M. Daniel Verwaerde, « peut intégrer une part de dépendance si celle-ci est choisie ».
C. UN OBJEctif qui doit guider l’action publique : la souveraineté énergétique, au sens de liberté de choix
Autant les auditions de la commission d’enquête comme les données étudiées conduisent à rejeter l’idée de l’indépendance énergétique, autant elles montrent le sens et l’importance de viser la souveraineté énergétique, au sens d’une liberté de disposer d’options énergétiques qui réduisent la dépendance du pays. Cette quête de souveraineté, et donc de liberté, au niveau énergétique doit être poursuivie au moyen de différents leviers (1). Elle doit l’être en temps « normal », mais aussi en temps de crise : le concept de souveraineté se décline alors en concept de résilience (2). Dans les deux cas, dans un monde énergétique fait d’interdépendances, l’échelle européenne apparaît être, pour la France, un élément stratégique majeur (3).
1. La souveraineté énergétique, une liberté de choix face à différentes options énergétiques
a. La souveraineté énergétique suppose de disposer de capacités de production et d’adaptation sous une double contrainte économique et environnementale
La concrétisation de la souveraineté énergétique suppose pour un État de disposer de différentes options pour assurer sa sécurité d’approvisionnement.
Il s’agit tant d’être en mesure de garantir une production domestique maximale, que de disposer d’une capacité d’adaptation aux éventuelles lacunes de cette production. Cela suppose autant de bien penser la stratégie d’importation, que d’optimiser sa production domestique en lui donnant le calibrage suffisant pour répondre aux besoins tant en base qu’en pointe.
Pour M. Yves Bréchet ([69]), ancien Haut-commissaire à l’énergie atomique, la souveraineté énergétique correspond à la « capacité à fournir au pays, tant à ses citoyens qu’à ses industriels, les quantités et les puissances nécessaires, en maîtrisant les technologies permettant de le faire et en dépendant uniquement, s’agissant des ressources, de pays alliés et diversifiés ».
M. Pierre-Marie Abadie ([70]), directeur général de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) partage cette lecture de la souveraineté énergétique qui passe, d’après lui, par « la maîtrise technologique, économique ou la diversification des sources d’approvisionnements ainsi que la maîtrise de stocks stratégiques ».
La place centrale des technologies fait dire à M. Jean‑Bernard Lévy ([71]) qu’en maîtrisant la plupart des technologies nucléaires, EDF contribue à la souveraineté énergétique française. Cette souveraineté énergétique qui doit être, selon M. Alexandre Grillat, secrétaire national Affaires publiques et européennes à la Fédération CFE-CGC Énergies, tout autant « industrielle, technologique, scientifique, économique que numérique ».
Selon M. Pierre‑Marie Abadie, « le fait pour la France de maîtriser l’ensemble de la chaine de l’amont à l’aval, y compris la prise en charge des déchets radioactifs de la filière » contribue également à cette souveraineté et à la maîtrise de l’ensemble du cycle.
L’organisation de la meilleure production énergétique nationale possible ne saurait toutefois suffire, car, comme le souligne M. Jean-Baptiste Fressoz ([72]), « les systèmes énergétiques reposent sur une telle diversité de matières et de technologies que garantir une forme de souveraineté implique beaucoup de dépendances et une présence industrielle dispersée dans d’immenses chaînes de valeur ».
C’est pourquoi M. Patrick Landais ([73]), Haut-commissaire à l’énergie atomique, souligne que, outre la localisation en France des secteurs industriels clefs, il importe, pour soutenir cette souveraineté, de veiller à « l’absence de dépendance critique » comme à la « capacité de contrôler les approvisionnements essentiels ».
Cela renvoie aux propos de M. Jean-Marc Jancovici qui estimait devant la commission d’enquête que « les bonnes questions semblent être de savoir de qui nous dépendons, dans quelles proportions et avec quelles aptitudes à nous retourner en cas de problème ».
La souveraineté énergétique repose ainsi sur une multitude de leviers qu’un État doit être capable de mobiliser, tout en répondant de manière optimale non seulement à l’objectif de décarbonation du système énergétique, mais aussi aux contraintes économiques, notamment de performance industrielle. Veiller à une production nationale optimale ne peut ainsi passer par un investissement fondé sur un endettement illimité visant à disposer de capacités de productions nationales, s’il apparaît possible et plus cohérent économiquement de préférer à la production nationale l’importation de l’énergie.
b. La souveraineté énergétique comme recherche de la liberté de choix
En dépit du faible recours à ce concept par la littérature comme en droit positif, les nombreuses auditions menées ont permis de souligner le sens que prend le concept de souveraineté énergétique à travers la question de la liberté de choix, pour l’État, de prendre ses décisions en matière énergétique.
Bien entendu, la souveraineté énergétique est d’abord et avant tout un objectif politique, c’est pourquoi elle est envisagée par M. Yves Bouvier comme « la capacité de faire des arbitrages dans le domaine énergétique » ou par M. Laurent Michel ([74]) comme la « capacité à définir et conduire sa politique ». En cela, cet objectif peut être atteint en actionnant concomitamment de nombreux leviers, eux-mêmes plus ou moins quantifiables :
– la capacité à sécuriser l’approvisionnement en dépit des dépendances aux matériaux critiques ; M. Bernard Fontana ([75]), Président de Framatome entendait d’ailleurs la souveraineté comme « la capacité de la France à répondre à ses besoins énergétiques, par des solutions nationales ou des coopérations choisies et maitrisées, et une liberté d’action à l’international sur ces sujets » ;
– la maîtrise des technologies et savoir-faire associés, par la détention de brevet ou de capacité concrète à exploiter ou maintenir efficacement et rapidement tel ou tel équipement qui reposerait sur cette technologie ;
– la capacité à construire des installations de production pour atteindre la puissance nécessaire à la satisfaction des besoins nationaux ;
– la résilience de l’ensemble du modèle énergétique, c’est-à-dire son adaptabilité en cas de crise et sa capacité à évoluer en fonction de divers chocs externes, géopolitiques ou climatiques, qui pourraient notamment avoir des conséquences sur la sécurité d’approvisionnement ([76]).
En somme, une « France souveraine en matière de politique énergétique doit être en mesure de définir et de décider seule, pour ses propres intérêts, de sa politique énergétique et de disposer des moyens d’atteindre les objectifs définis par cette politique » (M. Daniel Verwaerde).
Sous cette acception, la souveraineté énergétique réside tant dans une capacité de faire, d’agir dans un sens souhaité, que dans une capacité de résister ou de s’adapter aux décisions qui pourraient être imposées par d’autres. Une perte de souveraineté se manifesterait alors par une limitation volontaire ou involontaire, interne ou externe, de ces possibilités d’action.
2. La souveraineté en temps de crise : réduire les vulnérabilités par une stratégie de résilience
L’une des dimensions de la souveraineté énergétique repose sur la capacité à répondre aux besoins du pays même en temps de crise.
Cette capacité se mesure à travers le concept de résilience, qui, d’après M. Daniel Verwaerde, « suppose qu’un incident est venu remettre en cause le processus d’approvisionnement normal » et correspond à « la capacité de continuer la mission de fournir aux Français l’énergie dont ils ont besoin alors que le processus nominal en place s’est révélé défaillant ».
Comme l’a précisé le professeur M. Xavier Jaravel ([77]) , « dans un monde globalisé, où chacun dépend de plusieurs chaînes de valeur, la souveraineté tient moins à l’autonomie pure qu’à la résilience, définie comme la capacité à résister aux chocs d’ordre interne, tels qu’une indisponibilité du parc nucléaire, et aux chocs d’ordre externe, tels qu’une guerre rendant difficile l’approvisionnement en énergie ». La question centrale est celle de la mesure des vulnérabilités puisque, pour reprendre les mots de M. Jacques Percebois, « on peut être dépendant sans être vulnérable, et indépendant tout en l’étant ».
Pour maîtriser les dépendances, il s’agit d’anticiper les vulnérabilités, d’essayer de les réduire, et de disposer, en cas de survenue d’un choc, de solutions permettant la continuité de la sécurité énergétique. Avoir une stratégie de résilience implique dès lors d’intervenir en deux temps : d’abord, identifier les vulnérabilités ; ensuite, définir les réponses susceptibles de réduire ces vulnérabilités.
M. Xavier Jaravel, auteur avec Mme Isabelle Mejean d’une étude consacrée à la stratégie de résilience ([78]), a explicité cette démarche :
« Il importe de dresser un diagnostic très fin des chaînes de valeur. Nous sommes parvenus à la conclusion que 4 % de l’ensemble des importations françaises constituent des vulnérabilités, c’est-à-dire traduisent une dépendance à un petit nombre de pays extra-européens. Il faut donc analyser plus précisément les chaînes de valeur nécessaires à la production de l’énergie, en menant un travail de cartographie qui permette de repérer les vulnérabilités dans les chaînes de valeur et de les anticiper. Ce travail de diagnostic est forcément au long cours, s’agissant notamment des métaux et des minerais stratégiques extraits des terres rares. Un tel ciblage permet de réduire les coûts de la résilience, à condition de forger une palette d’outils, tels que la relocalisation des productions et, si possible, la diversification des sources d’approvisionnement ou le recours au stockage. Il faut aussi vérifier si nos partenaires européens partagent nos vulnérabilités ou non, et enfin identifier les dépendances réciproques, une faiblesse sur une partie de la chaîne de valeur pouvant être compensée par une force sur une autre, de sorte que la situation n’est pas asymétrique et peut être tolérable du point de vue géopolitique ».
Or, ce travail de cartographie s’avère difficile à mettre en place.
La France ne dispose pas encore d’un suivi statistique de ce sujet. De l’aveu même de M. Jean-Luc Tavernier, directeur général de l’INSEE, l’évaluation de la dépendance des chaînes de valeur et de la résilience est un nouveau sujet pour l’appareil statistique, et il ne lui apparaît pas évident de savoir comment ni avec quel types d’instruments éclairer statistiquement les choses, d’autant qu’il s’agit d’un travail qualitatif qui suppose, pour identifier une dépendance, de connaître l’éventail des fournisseurs des entreprises, et la fragilité de leurs sous-traitants de différents rangs.
Mme Ketty Attal-Toubert ([79]) , Cheffe du Département des statistiques et des études du commerce extérieur (DSECE), a également précisé que la DSECE n’avait pas encore réalisé d’étude sur le sujet dans le secteur de l’énergie. En revanche, elle a mené une première étude s’appuyant sur la notion de vulnérabilité suivant une méthodologie définie par le Fonds monétaire international (FMI) afin d’analyser les vulnérabilités des approvisionnements originaires de Chine ([80]). Dans le cadre de ce travail, la vulnérabilité a été définie suivant deux critères. Le premier est le degré de concentration des pays fournisseurs des importations du produit, puisque l’importation d’un produit par un nombre réduit de pays fournisseurs peut représenter un risque, à moins qu’un report sur d’autres fournisseurs soit possible. Le second critère est celui du potentiel de diversification à court terme du produit : le nombre d’exportateurs mondiaux pour un produit est analysé.
En outre, d’après M. Sylvain Moreau ([81]), directeur des statistiques d’entreprises à l’INSEE, une enquête européenne expérimentale en cours de réalisation par Eurostat sur la chaîne de valeur, portant sur la période 2018-2020, devrait prochainement permettre d’analyser l’évolution de l’organisation des entreprises européennes avant la crise de la covid-19 et comment elles envisageaient de délocaliser une partie de leur appareil productif. Il serait souhaitable que les services statistiques français tirent des enseignements de cette étude pour l’appliquer ensuite au secteur énergétique français.
En tout état de cause, M. Jaravel a formulé la proposition, que rejoint votre rapporteur, de charger une instance de réfléchir au long cours à cette question et d’établir cette cartographie. Elle pourrait travailler dans un cadre transdisciplinaire réunissant le Centre d’analyse, de prévision et de stratégie du Quai d’Orsay, des économistes de l’énergie, des économistes des chaînes de valeur et des spécialistes de la géopolitique.
Dans l’immédiat, en dépit de l’absence de cartographie fine et exhaustive, un certain nombre de vulnérabilités sont néanmoins déjà repérées et traitées, notamment par le ministère de l’Économie et des finances. La direction générale des entreprises (DGE) œuvre ainsi déjà à la mise en œuvre du deuxième volet de la stratégie de résilience qui consiste, une fois les vulnérabilités identifiées, à les gérer en leur apportant une réponse.
Le directeur général des entreprises, M. Thomas Courbe ([82]), a fait état de travaux de structuration de la politique de réponse aux vulnérabilités engagés depuis 2019, et qui connaissent une accélération depuis la crise de la covid-19. Il a affirmé que les secteurs stratégiques et les chaînes de valeur qui y sont associées sont désormais mieux identifiés, notamment dans les six secteurs stratégiques définis lors du sommet de Versailles de mars 2022 ([83]) pour lesquels l’Union européenne a souhaité se doter de moyens de production en Europe. Parmi ces six secteurs figurent les moyens de production énergétique ([84]).
M. Thomas Courbe a indiqué que « dans ces secteurs, où des produits critiques sont clairement identifiés, nous déployons des actions pour agir sur la réduction des vulnérabilités sur l’ensemble de la chaîne de valeur, à la fois pour produire en Europe et en France une partie de ces produits et pour maîtriser l’ensemble de la chaîne de valeur, jusqu’aux intrants, qui sont soit énergétiques soit d’une autre nature. Ces intrants critiques sont à présent mieux identifiés, à la fois au niveau européen et français ». Il a notamment indiqué que, s’agissant des métaux stratégiques, la France et l’Union européenne déploient des actions de réduction des vulnérabilités sur une liste de 30 métaux particulièrement critiques ([85]).
Dans leur étude précitée consacrée à la stratégie de résilience dans la mondialisation ([86]), M. Xavier Jaravel et Mme Isabelle Méjean recensent les trois axes sous-tendant toute stratégie de résilience. Ils indiquent que selon le niveau technologique des intrants vulnérables, il et nécessaire d’agir dans trois directions : « encourager la diversification des approvisionnements et les alliances stratégiques lorsque d’autres partenaires commerciaux peuvent être mobilisés, notamment au niveau européen ; si la diversification des sources n’est pas possible, faciliter ou subventionner le stockage, notamment sur les produits à faible valeur ajoutée ; pour les intrants vulnérables à la frontière technologique, favoriser l’innovation pour produire sur le territoire national de manière compétitive ».
La sécurisation des approvisionnements en uranium, en énergies thermiques mais également en métaux nécessaires à la transition énergétique a effectivement été présentée comme essentielle au cours de nombreuses auditions, tout comme la question du stockage. L’innovation technologique a également été abordée, par exemple par M. Piechaczyk ([87]) qui a insisté sur le caractère fondamental de la « notion de diversification technologique, au sein de la famille nucléaire, mais aussi entre le nucléaire et d’autres sources de production d’énergie ».
À l’inverse, une caractéristique récente du système énergétique français a été présentée comme un point faible dans le cadre de la stratégie de résilience : il s’agit de l’absence de capacité de production excédentaire, qui faciliterait pourtant la remédiation à des chocs systémiques sur le système énergétique.
Concrètement, plusieurs dispositifs préventifs ou à activer en cas de crise existent en France, pour le pétrole, pour le gaz, et pour l’électricité.
Pour le pétrole, on retrouve :
– une obligation de stockage ([88]) : visant à constituer et à conserver pendant douze mois des quantités de produit pétrolier correspondant à un volume de stock stratégique, fixé par voie règlementaire, de façon à ce que la France dispose en permanence de stocks stratégiques équivalents à 90 jours d’importations nettes ;
– un plan d’urgence hydrocarbures : il permet aux autorités publiques d’édicter des mesures de crise (augmentation de la disponibilité de produits, limitations d’usage, restrictions d’accès – par exemple lorsqu’un Préfet réquisitionne une station-service au profit des activités essentielles au fonctionnement de l’État) et à la direction générale de l’énergie et du climat d’actionner divers moyens en fonction de l’ampleur de la crise (libération des stocks stratégiques à la demande des opérateurs, dérogations et exonérations de certaines obligations portant sur la composition et le transport des carburants, demande aux opérateurs d’activer et d’accélérer la mise en place d’approvisionnement alternatifs.
Pour le gaz, les dispositifs suivants ont été mis en place :
– la stratégie de dimensionnement du système gazier, des sites de stockages et des interconnexions, permet de faire face à une pointe de froid pendant trois jours successifs telle qu’il s’en produit statistiquement une tous les cinquante ans, soit une demande de 4 100 GWh/j ;
– une obligation de stockage ([89]) : selon le code de l’énergie, le ministre chargé de l’énergie fixe chaque année, au printemps, les stocks minimaux de gaz naturel nécessaires au 1er novembre pour garantir la sécurité d’approvisionnement en gaz naturel pour l’hiver à venir. Les fournisseurs doivent par la suite remplir leurs capacités de stockage au minimum à 85 % ([90]) ;
– le plan urgence gaz : en cas de crise gazière, ce plan permet la mise en place de mesures préventives (fourniture de dernier recours, fourniture de secours, obligation de mise sur le marché des stocks de gaz naturel, interruptibilité de la consommation de gaz naturel ([91])), de mesures portant sur la consommation (recommandations de modérer la consommation d’énergie, application stricte de la limitation de température dans les locaux de certains établissements recevant du public et de la température de chauffage en cas d’inoccupation (code de la construction et de l’habitation), de mesures d’assouplissement des obligations de service public (assouplissement de l’obligation de continuité de fourniture, assouplissement de l’obligation de remplissage des capacités de stockage souscrites dans les infrastructures essentielles), et de mesures de dernier recours (délestage de certains gros consommateurs industriels afin d’éviter l’effondrement du réseau de gaz naturel ([92])).
Pour l’électricité, peuvent être mentionnés :
– une stratégie de stockage et de diversification de l’approvisionnement en uranium : historiquement menée par EDF, cette stratégie de diversification concerne tant les fournisseurs que les pays d’approvisionnement. La stratégie de stockage est menée par le Gouvernement et classifiée, elle est mise en œuvre par EDF pour permettre le stockage de l’équivalent de plusieurs années de combustible ([93]) ;
– le plan de préparation aux risques dans le secteur de l’électricité ([94]) : il identifie les différents scénarios de crise électrique possibles, les autorités compétentes et les procédures à suivre en cas de crise électrique. Outre le travail de veille et de planification opérationnelle de la gestion de crise, y sont identifiées des mesures visant à atténuer ou à résorber les crises électriques lorsqu’elles surviennent (activation d’une capacité de production ou d’effacement, réduction du niveau de tension sur le réseau de distribution, interruptibilité, délestage, appel à la réduction de consommation, activation des offres d’assistance mutuelle entre gestionnaires de réseau de transport, réquisition et déploiement de groupes électrogènes).
Encadré 4 : les dispositifs de crise actionnés en 2022
Parmi les dispositifs évoqués ci-dessus, plusieurs ont été actionnés au cours de l’année 2022 :
– Lors de la « crise des carburants » en octobre 2022, la DGEC communiquait quotidiennement aux autorités publiques l’information sur l’état des stations-service et la disponibilité en carburant avec des focus régionaux et départementaux et sur la disponibilité des stocks chez les opérateurs afin d’orienter les gros consommateurs, et était en mesure de diffuser les listes de contacts actualisées des opérateurs pétroliers, afin de faciliter la mise en contact locale avec les principaux consommateurs en difficulté.
– une gestion de crise exceptionnelle au niveau européen : si les crises liées aux hydrocarbures sont généralement essentiellement locales, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a conduit à une plus forte coordination européenne pour assurer la sécurité énergétique. Ainsi, l’Union européenne a décidé d’un embargo sur les produits venant de Russie ([95]) et a mis en place une task force chargée de coordonner et de faciliter les appels d’offres conjoints, d’optimiser l’utilisation des infrastructures et de collaborer avec les États membres pour remédier aux éventuels goulets d’étranglement dans les groupes régionaux.
– en France, la gestion de cette crise a conduit à la création d’une task force au sein de la DGEC. Outre la parution du décret n° 2022-495 du 7 avril 2022 relatif au délestage de la consommation de gaz naturel et modifiant le code de l’énergie, précisant les conditions de mise en œuvre de la procédure de délestage, le dispositif de stockage a été renforcé par la consécration légale de la trajectoire de remplissage pour chaque opérateur. L’objectif de remplissage fixé a été atteint à la mi-novembre 2022. Sur la question du dimensionnement des infrastructures, les démarches ont été entreprises pour augmenter les capacités d’importation de GNL avec l’optimisation et l’augmentation dès 2022 des capacités de déchargement des terminaux méthaniers de Fos Cavaou et de Dunkerque, et le Gouvernement a pris la décision d’implanter un nouveau terminal flottant au Havre.
– des mesures complémentaires de sauvegarde électrique ont été prises pour l’hiver 2022/2023 : obligation d’extinction des publicités lumineuses en cas de signal Ecowatt, obligation de mise à disposition de RTE, en cas de signal Ecowatt rouge, des moyens de secours d’une puissance supérieure à 1 MW, de la totalité des capacités d’effacement de consommation, de production et de stockage valorisées par des opérateurs d’ajustement sur le mécanisme d’ajustement, réquisition possible des centrales à gaz lorsqu’il y a une menace grave et concomitante sur la sécurité d’approvisionnement en gaz et en électricité.
L’exécution de l’ensemble des mesures prises a effectivement permis à la France de faire face à la crise, et de passer l’hiver 2022. Dans le bilan électrique 2022, RTE a d’ailleurs jugé le « système électrique résilient face à une crise énergétique inédite depuis les années 1970 ». Il souligne qu’en dépit de l’addition de trois crises indépendantes mais simultanées (l’envolée des prix du gaz résultant de la guerre menée par la Russie à l’Ukraine, la crise française de production nucléaire, et la sécheresse longue qui a réduit la production hydraulique en France à son plus bas niveau depuis 1976), il n’y a pas eu de rupture d’approvisionnement, grâce « à la diminution structurelle de la demande en électricité et dans les pays voisins ainsi qu’à un fonctionnement des échanges de gaz et d’électricité conforme aux règles européennes ».
Reste que, au-delà des dispositifs de crise déjà en place et de la stratégie française qu’il convient de mettre en œuvre pour accroître la résilience de notre système énergétique, il est indispensable de tenir compte du cadre européen dans lequel notre système énergétique s’inscrit, et qui revêt un caractère stratégique.
3. Le caractère stratégique de l’échelle européenne pour mener une politique de souveraineté et de résilience énergétique
Les critiques émises à l’encontre du marché européen de l’énergie, qui pourront nourrir les réflexions sur les évolutions qu’il conviendrait d’y apporter, ne doivent pas occulter le caractère stratégique de l’échelle européenne dans la quête de souveraineté énergétique.
Puisque la France ne peut être indépendante énergétiquement, sa souveraineté énergétique ne peut se penser dans un cadre strictement national. M. Jean-Luc Tavernier ([96]) a ainsi observé que « puisque nous vivons dans un espace européen assez solidaire et géopolitiquement assez stable, c’est à ce niveau que l’on doit appréhender les questions liées à notre indépendance énergétique », tandis que M. Philippe de Ladoucette ([97]), ancien Président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) a considéré que « la souveraineté, si elle peut exister, ne peut être qu’européenne ».
Il apparaît en effet utile de souligner le caractère stratégique de l’échelon européen pour au moins deux aspects fondamentaux de la souveraineté énergétique : la contribution des interconnexions à la sécurité d’approvisionnement, et la pertinence de cette échelle de réflexion pour mener une véritable politique industrielle.
a. Les interconnexions européennes et le marché européen
D’abord, les interconnexions énergétiques européennes, qui permettent d’activer la solidarité européenne, constituent une véritable force dont il faut mesurer la valeur.
Comme l’a rappelé M. André Merlin ([98]) , Président d’honneur de RTE, le réseau européen d’interconnexions électriques est l’un des plus importants au monde, auquel seul le réseau chinois peut être comparé. M. François Brottes ([99]) , conseiller-maître à la Cour des comptes, ancien président du directoire de RTE, a confirmé qu’en Europe, « les électrons ne connaissent pas de frontières », mais transitent en permanence à travers un réseau de transport d’électricité qui maille l’ensemble de l’Europe continentale, couvre trente-sept pays récemment rejoints par l’Ukraine et la Moldavie et s’appuie sur près de 430 interconnexions dont 50 se situent en France. Il s’agit, d’après lui, d’une « réussite européenne et d’un bel exemple de solidarité » qui encourage à la résilience collective.
Encadré 5 : les interconnexions européennes Une interconnexion est une « ligne de transport qui traverse ou enjambe une frontière entre des États membres et qui relie les réseaux de transport nationaux des États membres de l’Union européenne » ([100]). RTE recense 305 000 kilomètres de lignes pour plus de 400 interconnexions sur l’ensemble de l’Europe ([101]). Développées avec l’ouverture du marché européen du gaz et de l’électricité, ces interconnexions permettent de soutenir la concurrence sur les marchés nationaux, de sécuriser l’approvisionnement des États membres, de contenir et d’harmoniser le prix de l’électricité et d’encourager le déploiement des énergies décarbonées – le réseau permet d’acheminer l’électricité par nature intermittente et non stockable produite par des sources renouvelables. La position géographique de la France favorise le développement d’interconnexions : elle en possède aujourd’hui 50. RTE construit actuellement de nouvelles interconnexions et a pour objectif, d’ici 2035, de doubler ses capacités ([102]). Le réseau français est relié à six pays voisins – l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, l’Italie, le Royaume-Uni et la Suisse. La France est le principal exportateur d’électricité en Europe.
Les interconnexions que la France développera sont inscrites dans le plan de développement à dix ans établi par RTE. En 2015, l’ouverture de l’interconnexion France‑Espagne à l’est du massif Pyrénéen a pratiquement doublé la capacité d’interconnexion avec le pays. En octobre 2022, une nouvelle interconnexion avec l’Italie a été mise en place. En développement avancé ou en construction figurent également le projet Golfe de Gascogne, interconnexion sous-marine entre la France et l’Espagne (mise en service visée en 2027) et le projet Celtic liant la France et l’Irlande (mise en service en 2026) ([103]). |
Or, ces interconnexions, qui permettent d’exporter l’énergie quand la production est plus importante que la consommation, et d’en importer lorsqu’elle est insuffisante, constituent un élément majeur de la sécurité d’approvisionnement français. D’après M. Pierre-Marie Abadie, « les interconnexions électriques restent la contribution la plus efficiente à la sécurité d’approvisionnement et à l’intégration de l’intermittence des renouvelables ».
Elles ont ainsi permis d’éviter le black-out en Europe, lorsque, en 2006, des délestages effectués sur le réseau de plusieurs pays européens dont la France ont permis d’éviter la propagation à tout le réseau d’un incident survenu en Allemagne.
Beaucoup plus récemment, ces interconnexions ont permis à la France d’atténuer les conséquences de l’indisponibilité du parc nucléaire français due notamment à la découverte du phénomène de corrosion sous contrainte. Le fait que la France, exportatrice nette d’environ 20 TWh au troisième trimestre 2021 soit devenue importatrice nette à hauteur de 10 TWh au troisième trimestre 2022 illustre l’importance de ces transferts d’énergie.
Figure 9 : solde des échanges commerciaux d’électricité entre la France et ses voisins
Source : RTE, Bilan électrique 2022
Lecture : la France a importé de l’énergie sur l’ensemble de la période étudiée. En 2022, ses importations ont surpassé ses exportations rendant son solde négatif.
En l’absence de telles interconnexions, le risque de black-out augmente, ou s’impose la nécessité de conserver davantage de centrales thermiques nécessaires pour passer la pointe de consommation.
La législation européenne incite actuellement au développement de ces interconnexions électriques et gazières ([104]). Pour faciliter l’atteinte des objectifs contenus dans des plans de développement de ces interconnexions, la Commission européenne finance des interconnexions reconnues d’intérêt européen commun.
Selon RTE, en 2050, la sécurité d’alimentation électrique de la France dépendrait de ses voisins 5 % du temps, contre environ 1 % ces dernières années. Dans le même temps, le scénario prévoit une disparition de la dépendance de la France envers les pays producteurs de pétrole et de gaz fossile : les scénarios de neutralité carbone sont bien des scénarios de très fort renforcement de la souveraineté énergétique, prise dans son ensemble ([105]).
Ensuite, l’échelon européen présente également un caractère stratégique s’agissant de l’élaboration d’une véritable politique industrielle énergétique.
Le déploiement des énergies renouvelables devrait ainsi s’appuyer sur un tissu industriel européen, là où les initiatives nationales peinent à rivaliser avec la concurrence extérieure, en particulier chinoise.
La France a plaidé, au niveau européen, en faveur d’une véritable politique industrielle européenne, notamment en publiant avec l’Allemagne, en 2019, un manifeste sur ce thème ([106]). Le directeur général des entreprises M. Thomas Courbe estime que les efforts produits en ce sens commencent à porter leurs fruits. D’après lui, le contexte européen favorable de ces dernières années a permis l’évolution du cadre juridique et la transformation de la politique industrielle européenne à travers les programmes importants d’intérêt commun européen (IPCEI), qui autorisent les États membres à financer des capacités de production en Europe. Une véritable stratégie industrielle européenne relative aux batteries des véhicules électriques a par exemple été initiée en 2019.
b. L’approvisionnement en métaux rares
Question sous-jacente de souveraineté industrielle, le sujet de l’extraction minière en vue d’assurer l’approvisionnement en terres et métaux nécessaires à la transition énergétique a également été présenté par les administrations en charge du sujet, mais aussi par l’Académie des technologies ([107]), comme un élément devant aussi être traité à l’échelon européen.
Le directeur général des entreprises, M. Thomas Courbe, a indiqué que l’enjeu de sécurisation pour l’Europe des ressources minières était un sujet de préoccupation européen, et que, durant la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE), un conseil de compétitivité informel y avait été consacré. La directrice générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN), Mme Stéphanie Dupuy-Lyon ([108]), a confirmé que la diplomatie des ressources était conduite avec l’appui du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères afin de mener la stratégie française en cohérence avec celle de l’UE, notamment en vue de l’élaboration de l’Alliance européenne des matières premières ([109]). Le directeur général délégué et directeur scientifique du Bureau de recherche géologique et minières (BRGM), M. Christophe Poinssot ([110]), a quant à lui souligné que de nombreux pays européens avaient poursuivi une activité minière et que la France avait tout intérêt à bénéficier de sa proximité avec les pays de l’Union européenne pour développer cette activité.
En dehors de la définition d’une stratégie industrielle commune, M. Xavier Jaravel et Mme Isabelle Mejean ([111]) ont également établi, dans le cadre de leur étude consacrée à la stratégie de résilience, que la définition d’une telle politique devait être portée à l’échelle européenne, car « le marché unique est l’échelle pertinente pour l’analyse de l’organisation des chaînes de production dans lesquelles s’insèrent les entreprises françaises ».
Le retard accumulé en termes de souveraineté énergétique par la France devrait se renforcer à mesure que nos besoins électriques augmentent et que les dépendances nouvelles croissent. Le mix électrique français est d’ores et déjà fragilisé et, alors que le développement des capacités de production devrait être une priorité, celui-ci progresse à vitesse trop réduite.
II. LE MIX ÉNERGÉTIQUE FRANÇAIS EST SOUMIS AUJOURD’HUI À DES DÉPENDANCES FORTES ET NOMBREUSES QUI vont S’AGGRAVER
A. LE MIX ÉNERGÉTIQUE FRANÇAIS GLOBAL A PEU ÉVOLUÉ ET DEMEURE LARGEMENT DÉPENDANT DES IMPORTATIONS
1. La consommation d’énergie a légèrement décru depuis les années 2000, du fait de gains énergétiques mais aussi vraisemblablement de l’affaiblissement du secteur industriel
Les séries suivies par le service statistique du ministère en charge de la Transition écologique montrent une nette inflexion des consommations d’énergie au milieu des années 2000 (Figure 10).
La consommation primaire française, c’est-à-dire l’ensemble des consommations d’énergie sous forme primaire (non transformée après extraction), croît jusqu’en 2005 ([112]), pour atteindre un pic à 3 155 térawattheures (TWh – ou 271 mégatonnes équivalent pétrole ou Mtep), suivant le déploiement de l’énergie nucléaire et, dans une moindre mesure, celui du gaz naturel ([113]). La consommation primaire diminue ensuite à 245 Mtep en 2019 (hors rebond post crise Covid).
La courbe est moins nette s’agissant de la consommation finale – celle consommée par l’utilisateur final, une fois décomptées les déperditions au cours de la transformation et du transport –, mais la tendance est semblable. La consommation finale atteint ainsi son plus haut niveau en 2001, à 150 Mtep, pour diminuer jusqu’à 142 Mtep en 2019.
Figure 10 : consommation primaire en France (en TWh)
Source : SDES, bilan énergétique provisoire 2021 transmis par le SDES.
Cette légère baisse de la consommation dès le début du 21ème siècle se retrouve essentiellement dans la baisse de la consommation du secteur industriel. En effet, alors que la consommation globale de l’ensemble des autres secteurs est stable – de même que le mix qui la compose –, le secteur industriel connaît une baisse marquée de sa consommation depuis le début des années 2000, sans pour autant que la composition de son mix évolue.
Figure 11 : consommation finale en France (en TWh)
Source : SDES, bilan énergétique provisoire 2021 transmis par le SDES.
Figure 12 : consommation finale d’énergie par secteur en France (en TWh)
Source : SDES, bilan énergétique provisoire 2021 transmis par le SDES.
M. Jean-Luc Tavernier, directeur général de l’INSEE, souligne la baisse régulière et graduelle de la consommation globale par rapport à la croissance du PIB, qu’il s’agisse d’énergie primaire ou d’énergie finale, « de sorte que nous sommes de 30 % plus économes que nous ne l’étions dans les années 1990 ». Cela se traduit par une amélioration de l’indice d’intensité énergétique, soit la consommation d’énergie par unité de PIB.
Figure 13 : Intensité énergétique par rapport au PIB de la France de 1990 à 2020
– en indice base 100 en 1990 (données corrigées des variations climatiques)
Champ : jusqu’à l’année 2010 incluse, le périmètre géographique est la France métropolitaine. À partir de 2011, il inclut en outre les cinq DROM.
Sources : SDES, bilan énergétique de la France ; Insee.
Lecture : l’intensité énergétique mesure la consommation d’énergie par unité de PIB. Sur la période, l’intensité énergétique de la France s’améliore.
Cependant, les auditions menées au sein de cette commission ont permis de nuancer la corrélation entre baisse de consommation et amélioration de l’indice d’intensité énergétique.
En effet, si une même activité, produisant la même richesse, est réalisée grâce à un volume d’énergie réduit, l’indice d’intensité énergétique s’améliore : c’est ce que rappelle M. Tavernier cité ci-dessus.
Mais si le secteur industriel a indéniablement gagné en efficacité énergétique ces trente dernières années, cette baisse de consommation semble aussi liée à la désindustrialisation de notre pays. M. Tavernier évoque ainsi la désindutrialisation française comme l’une de causes de la baisse de la consommation d’énergie. Par ailleurs, comme le soulignent entre autres les travaux du Shift Project ([114]), certaines activités industrielles fortement consommatrices d’énergie ont été abandonnées sur le territoire français, au profit du développement d’autres filières plus économes en énergie, qui contribuent autant, parfois plus, au PIB.
2. Mais la production domestique d’énergie, très inférieure à notre consommation, a stagné puis décru sur la même période du fait d’une baisse tendancielle du productible nucléaire
Avec le développement du parc nucléaire français, puis des énergies renouvelables, la production primaire d’énergie a fortement crû depuis les années 1970 (passant de 44 Mtep en 1973 à 134 Mtep en 2019, dont 77 % de nucléaire), spécialement dans l’électricité.
Pour autant, la production d’énergie primaire nationale (1 522 TWh en 2021) n’a jamais suffi à couvrir les besoins du pays. La France est depuis toujours importatrice nette d’énergie, à hauteur de 1 247 TWh en 2021, soit l’équivalent de 45 % de sa consommation primaire et de 71 % de sa consommation finale d’énergie (Cf. Figure 15 : volumes des importations d’énergie rapportés à l’énergie primaire consommée (en France métropolitaine)).
Or, on constate qu’après un maximum en 2005, correspondant à la mise en exploitation de la dernière centrale nucléaire, la production électrique nationale a plutôt stagné les années suivantes, en dépit de l’arrivée sur le marché de nouvelles capacités de production renouvelables, et a même commencé à nettement décliner à partir de 2015, avec la baisse progressive de la production nucléaire.
Figure 14 : production d’énergie primaire par énergie
Source : SDES, bilan énergétique de la France en 2020. Production primaire d’énergie de 1 423 TWh en 2020.
* Y compris énergies marines.
Champ : jusqu’à l’année 2010 incluse, le périmètre géographique est la France métropolitaine. À partir de 2011, il inclut en outre les 5 DRAOM.
3. L’écart entre consommation et production se traduit par des importations et surtout par un déficit commercial considérable, devenu exceptionnel dans la situation de crise
a. Des importations plutôt stables en volume dans nos consommations d’énergie depuis 40 ans
Les données publiées par le SDES montrent qu’après avoir baissé avec le développement de la production d’électricité nucléaire dans les années 1970 et 1980, la part de l’énergie importée est restée stable par rapport à l’énergie consommée en France, à environ 60 %, depuis l’arrivée à maturité du parc nucléaire, et avait même un peu diminué en 2021, dernière année considérée.
Figure 15 : volumes des importations d’énergie rapportés à l’énergie primaire consommée (en France métropolitaine)
Source : SDES, bilan énergétique provisoire 2021 transmis par le SDES.
Lecture : depuis le développement du parc nucléaire français, la France importe environ les deux tiers de l’énergie primaire qu’elle consomme.
En quantités brutes, les volumes d’importations en énergie ont même connu une tendance à la baisse, suivant en cela la décrue de la consommation d’énergie que l’on constate depuis une petite vingtaine d’années, dans un contexte de relative stabilité de la production primaire d’énergie.
Figure 16 : importations nettes d’énergie de la France (en TWh)
Source : SDES, bilan énergétique provisoire 2021 transmis par le SDES.
Lecture : le graphique évalue le solde des importations moins les exportations. Sur la période, la France est donc importatrice d’énergies fossiles mais exportatrice d’électricité.
b. Mais un coût très sensible à la volatilité des prix des hydrocarbures
La révolution industrielle et la transformation technologique de nos quotidiens se sont essentiellement fondées sur les énergies fossiles, dont notre pays était peu doté. Depuis leur déploiement, la France supporte donc un solde du commerce extérieur des produits énergétiques négatif, dit facture énergétique, qui pèse lourdement sur ses marges économiques et financières.
Ce montant est, par construction, dépendant des prix volatiles des hydrocarbures, qui pèsent massivement dans les importations françaises ces dernières années, entre le point le plus haut en 2012, avec une facture de 94 Md€, et le point le plus bas en 2016, à 46 Md€.
Figure 17 : importations d’énergie en France par grandes composantes (en Md€)
Source : DSECE, document transmis au rapporteur par la DSECE.
Lecture : le suivi des importations d’énergie de la France par composante permet de constater le poids économique de ses dépendances énergétiques. Les hydrocarbures constituent un poste de dépendance important, réduit en 2020 en raison des mesures prises dans le cadre de la gestion de la pandémie de la covid-19.
Le département des statistiques et des études du commerce extérieur (DSECE) de la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) souligne toutefois que le montant d’importations énergétiques de la France se situe dans la moyenne de ses principaux voisins européens.
Figure 18 : comparaison des montants des importations énergétiques de la France
avec ses principaux voisins
(en milliards d’euros)
En tout état de cause, si l’impact économique de notre facture énergétique est indéniable ([115]), cette donnée doit être lue avec prudence car elle est particulièrement sensible à la fluctuation des cours de l’énergie.
Sur ce point, l’INSEE souligne que la variation de la part des importations dans la dépense intérieure en énergie dépend surtout des prix. Cette part augmente quand les prix des hydrocarbures (pétrole, produits raffinés et aujourd’hui gaz) sur les marchés internationaux augmentent plus vite que les prix de production de l’électricité sur le territoire – comme cela s’est produit notamment entre les chocs pétroliers –, et baisse dans la situation contraire – comme lors du contre-choc de 1986.
Figure 19 : part des importations dans la dépense intérieure en énergie
Source : Insee, comptabilité nationale, document transmis au rapporteur par l’Insee.
Ces fluctuations n’enlèvent rien au constat d’un déficit commercial chronique, qui se traduit par un solde négatif compris entre 10 et 20 Md€ pour la France (hors crise 2022).
Figure 20 : solde commercial, dont énergie, de la France en valeur (Md€)
(en milliards d’euros)
Source : Insee, comptabilité nationale, document transmis au rapporteur par l’Insee.
Lecture : le solde commercial de la France se dégrade depuis 2020, principalement en raison de la hausse du poids de l’énergie dans celui-ci.
c. La crise de la production électrique française a massivement accentué ce déficit commercial
Les crises récentes ont engendré une crise de la production électrique, qui a eu pour conséquence d’augmenter nos importations en volume et d’alourdir la facture énergétique, tout en soulignant les nouvelles fragilités du parc nucléaire français.
Alors que la France était exportatrice nette d’électricité depuis 1980 ([116]), elle a été importatrice nette d’électricité en 2022, avec un solde de 16,5 TWh –ce qui représente un peu moins de 4 % de la consommation nationale d’électricité ([117]) (Cf. Figure 9 : solde des échanges commerciaux d’électricité entre la France et ses voisins). La France a non seulement importé plus d’électricité en volumes en 2022, mais a aussi dû l’acquérir à un prix extrêmement haut.
L’alourdissement des importations d’électricité est venu aggraver le poids de la « facture énergétique », s’ajoutant au choc des hausses des prix des énergies fossiles et électrique : alors qu’elle s’élevait à 19,1 Md€ en 2020, à 44,3 Md€ en 2021, elle a atteint 115 Md€ en 2022, soit une augmentation de 187 % en un an, selon les chiffres du SDES au Commissariat général au développement durable (CGDD). Selon l’INSEE, la facture énergétique, en points de PIB, au dernier trimestre 2022 n’était plus très éloignée de celle du début des années 1980, lorsqu’elle était à son maximum après le deuxième choc pétrolier.
La dégradation du solde des échanges en électricité résulte en particulier d’une chute de la production totale d’électricité, qui se situe à son plus bas niveau depuis 1992, en raison de la faible production nucléaire et hydraulique. De fait, notre production électrique a notablement reculé depuis 2020. Et même si elle rebondit en 2021, à la sortie de la crise sanitaire, elle reste inférieure à son niveau de 2019.
En s’établissant à 1 150 TWh, la production primaire nucléaire de 2021 se situe en effet à l’un de ses plus bas niveaux depuis la fin des années 1990. Elle est inférieure de 15 % à son niveau le plus élevé, observé en 2005. La crise de la covid-19 a en effet décalé les calendriers de maintenance des centrales nucléaires.
Avec les problèmes de corrosion sous contrainte ([118]) découverts dans plusieurs réacteurs à partir de la fin 2021, qui ont entraîné leur mise à l’arrêt, ces difficultés se sont poursuivies et même accentuées en 2022. Entre les exigences de la maintenance et ces problèmes structurels, jusqu’à 32 réacteurs se sont retrouvés à l’arrêt au mois d’août, sur les 56 en activité que compte le parc français. Ils étaient encore 15 fin décembre ([119]).
Alors qu’elle atteignait 452 TWh en 2005, qu’elle était encore à 335 TWh en 2020, en pleine crise de la covid-19, et à 361 TWh en 2021, la production électrique d’origine nucléaire est ainsi tombée à 279 TWh en 2022.
Parallèlement, la production hydraulique a également diminué en 2021 en raison de faibles précipitations et de stocks hydrauliques assez bas, n’atteignant pas le niveau de 2019. Or, cette problématique a perduré en 2022 – perdant jusqu’à 22 % de production pour atteindre seulement 32 TWh – et se prolonge encore en ce début d’année 2023.
Une partie de cette chute de la production apparaît heureusement conjoncturelle, au contraire des nouvelles fragilités des capacités de production électrique historiques, que la période a révélées (voir II. D. 2. b.).
B. La FRANCE EST D’ABORD ET SURTOUT DÉPENDANTE DES Énergies fossiles, dont la sortie sera difficile et coÛteuse
1. Une dépendance quasi-totale aux importations d’hydrocarbures
Le poids encore très important des énergies fossiles dans les consommations énergétiques de la France est aussi l’une de ses premières vulnérabilités en termes de souveraineté, puisqu’elle doit importer 99 % du pétrole et du gaz qu’elle consomme ([120]).
La France consomme en effet de l’ordre de 70 Mtep (hors 2020-2021) et en produit seulement 0,8 Mtep chaque année ([121]). Après avoir produit près de 100 millions de tonnes de pétrole et 300 milliards de mètres cubes de gaz en 60 ans, la France a réduit et quasiment arrêté sa production. En 2015, la France ne comptait plus que 64 gisements pétroliers et gaziers en exploitation (soit des réserves respectives de 7,7 et 0,12 Mtep en 2019), mis en production dans les années 1980 et principalement situés dans le bassin aquitain et le bassin parisien.
Encadré 6 : le renoncement français au gaz de schiste Contrairement à plusieurs pays dont les États-Unis, la France a renoncé à explorer ses potentiels gisements de pétrole ou de gaz de schiste depuis la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l’énergie et à l’environnement. Bien que depuis la guerre en Ukraine, notre pays importe du gaz non conventionnel américain, la France n’est pas revenue sur ce principe. En effet, une telle option irait à l’encontre de la nécessaire trajectoire de décarbonation de nos usages, sans parler des dégâts que ces exploitations peuvent causer à l’environnement et qu’il convient d’éviter autant que possible. Par ailleurs, les actuelles importations de gaz américains répondent à des besoins immédiats, sans solution alternative suffisante aujourd’hui ; mais les responsables européens et français misent sur une chute de la demande de gaz à l’horizon 20402050. Non seulement la France ne serait pas en capacité de se substituer à ces importations avant plusieurs années, mais la trajectoire visée est incompatible avec l’engagement de nouvelles explorations puis exploitations d’hydrocarbures qui demandent plusieurs décennies d’activité pour amortir leurs investissements. |
Même si la consommation de charbon n’est pas nulle, elle s’est très fortement repliée, à environ 7,3 Mtep en consommation primaire et 1,9 Mtep en consommation finale en 2019 ([122]), son plus faible niveau depuis des décennies. De fait, conformément aux exigences environnementales de la directive européenne en matière d’émissions de gaz à effet de serre des grandes installations de combustion, la quasi-totalité des unités thermiques au charbon ont été fermées et l’activité réduite au minimum. Certaines ont néanmoins été préservées en réserve en cas de menace sur l’approvisionnement électrique dans la crise actuelle ([123]). Au regard de la part, devenue très minoritaire, du charbon dans la consommation énergétique, la commission d’enquête a choisi de ne pas étudier cette source d’énergie plus en détail.
Cette part importante d’énergies fossiles importées dans notre consommation d’énergie constitue la toute première vulnérabilité énergétique de la France.
Le risque est bien entendu géopolitique : sur les approvisionnements, il n’est pas nouveau et on peut citer les sanctions contre l’Iran ou le Venezuela qui ont affecté l’offre de pétrole, ainsi que les risques de déstabilisation interne de certains pays producteurs, telle la Libye. Ces risques se sont récemment exacerbés avec la crise en Ukraine puisque la Russie était l’un des premiers fournisseurs de l’Europe en pétrole et en gaz. Les sanctions occidentales comme les mesures de rétorsion russes ([124]) ont pesé sur les prix et déstabilisé la sécurité d’approvisionnement de l’Union européenne. Cet épisode remet en cause la croyance qu’une dépendance commerciale mutuelle évite les ruptures d’approvisionnement.
Les énergies fossiles représentent donc des enjeux majeurs pour notre pays, en termes de décarbonation du mix énergétique, en termes économiques liés à la hausse des prix, en termes géopolitiques, dont l’importance a été rappelée par la crise en Ukraine, et même en termes de niveau d’approvisionnement.
Car l’épuisement des ressources est quant à lui moins un risque qu’une certitude. Si les débats sur la date du pic pétrolier persistent, et notamment si la production totale d’hydrocarbures (pétrole conventionnel et non conventionnel ([125])) n’a pas encore atteint son pic et fait l’objet d’estimations largement différentes, selon que sont pris en compte les gisements connus ou à découvrir, la production de pétrole conventionnel décline et ce phénomène, dont les raisons sont géologiques, va s’accélérer dans les décennies à venir. La production des seize premiers fournisseurs de l’Europe devrait être divisée par deux avant 2050, ce qui signifie que leurs exportations vers l’Europe pourraient être entre deux et vingt fois plus faibles.
Par ailleurs, le 6 décembre dernier, The Shift Project a publié une étude similaire concernant le gaz selon laquelle le pic mondial de production se situe en 2030, mais qu’il a eu lieu dès 2005 pour les gisements de la mer du Nord.
L’Europe, dont la France, se trouverait donc exposée à une baisse inéluctable de ses approvisionnements en hydrocarbures (et à leur renchérissement), que les concurrences internationales ne manqueront pas d’accentuer quand le rationnement se fera sentir. Cela constitue une menace sérieuse de perte de souveraineté, souligne M. Jancovici : « Sur les énergies fossiles, qui sont le premier moteur de la civilisation dans laquelle nous vivons, la question de la perte de souveraineté est déjà à l’œuvre depuis longtemps. Cette perte va s’accélérer et se traduire directement en contraction de flux de toute nature, que nous avons l’habitude de résumer classiquement sous l’angle du produit intérieur brut (PIB). »
La France a développé toute une stratégie pour couvrir sa consommation de pétrole et de gaz, selon trois axes principaux : maîtrise de la consommation, diversification des fournisseurs et mesures de crise. Mais au regard des défis à venir, ces mesures ne suffiront pas.
L’IFRI (Institut français des relations internationales) considère que « nous avons sous-investi le sujet de la sécurité des approvisionnements en hydrocarbures depuis quelques années et [que] nous ne sommes pas entrés suffisamment rapidement et fortement dans l’ère des technologies bas carbone », même si la France est moins en retard que ses voisins grâce au développement du nucléaire qui a permis d’électrifier divers usages.
2. Pour le pétrole, la diversification des sources d’approvisionnement n’empêche pas une dépendance forte et aux conséquences majeures
a. Une diversification historiquement poussée des sources d’approvisionnement
L’approvisionnement en brut des raffineries françaises a toujours été fortement diversifié. C’était déjà le cas avant la crise ukrainienne, comme le montrent les graphiques suivants, basés sur les données de 2021.
Figure 21 : approvisionnement français en pétrole
Source : SDES, transmis par le SDES.
Lecture : les produits raffinés sont des dérivés du pétrole brut, notamment les carburants.
Alors que les principaux fournisseurs de l’UE en produits pétroliers étaient la Russie, la Norvège, le Kazakhstan, les États-Unis et l’Arabie saoudite, la Russie ne représentait que 9 % des importations de pétrole brut de la France – mais 19 % de ses importations de produits raffinés. ([126])
L’Institut français du pétrole et des énergies nouvelles (IFP-EN) souligne la dépendance de la France au gazole russe. De fait, les raffineries européennes produisent essentiellement de l’essence, ce qui oblige l’Europe à importer majoritairement son diesel.
Or, après avoir stoppé l’importation de pétrole brut début décembre 2022, en représailles de la guerre en Ukraine, l’UE a interdit l’importation sur son territoire des produits pétroliers raffinés russes ([127])(diesel, kérosène, mazout et fioul). Importer ces produits sur une plus longue distance représente un coût plus élevé mais cela ne devrait pas avoir d’impact majeur sur l’approvisionnement européen, selon M. Olivier Appert, conseiller du centre d’énergie de l’IFRI et membre de l’Académie des technologies ([128]) : « Les opérateurs et les marchés ont anticipé la mise en œuvre de cette décision (…) la consommation de diesel est relativement stable au cours de l’année. Et (…) on dispose en France de 90 jours de stocks, qui peuvent être mobilisés le cas échéant. »
Comme le souligne l’IRIS (Institut des relations internationales et stratégiques), cette décision de l’UE lui impose de se tourner vers d’autres fournisseurs, et pousse la Russie à chercher d’autres marchés pour son brut. Une réorientation des flux pétroliers mondiaux est en cours avec plus d’exportations de pétrole russe vers l’Asie et plus d’importations pétrolières européennes venant des États-Unis, du Moyen-Orient ou de l’Afrique. Ainsi, cette diversification des approvisionnements n’emporte pas de risques accrus de pénurie de pétrole découlant de cet embargo européen. L’UE ne devrait donc pas manquer de pétrole brut dans les mois qui viennent.
En revanche, la stratégie commune de diversification des sources d’approvisionnement est encore balbutiante à l’échelle européenne, cette politique restant la prérogative des États, dont les intérêts et l’histoire énergétique ne sont pas nécessairement convergents. De premiers éléments ont été intégrés au paquet de la Commission européenne « REPowerEU » approuvé par le Conseil de l’Union européenne le 18 mai 2022. Dans le but d’organiser la sortie de la dépendance aux énergies fossiles russes à partir de 2027, celui-ci prévoit en particulier d’encourager des partenariats énergétiques stratégiques avec certains États fournisseurs. Cela s’est traduit, depuis début 2022, par des actions ou des prospections politiques et parfois des accords passés par l’UE, par exemple sur le gaz et l’hydrogène, avec la Norvège et les États-Unis, ainsi que l’Algérie, l’Égypte, ou l’Azerbaïdjan.
b. La consommation française en énergie fossile
La consommation primaire des produits pétroliers a nettement reculé en France : s’établissant à 87 Mtep en 1990, elle est d’environ 70 Mtep en 2019.
Mais les produits pétroliers restent essentiels à certains secteurs. Ils représentent ainsi la quasi‑totalité de la consommation d’énergie du secteur des transports (497 TWh en 2021, 38,6 Mtep en 2019), qui utilise à lui seul 58 % des produits raffinés.
Si la part du pétrole s’est fortement réduite dans l’industrie, elle demeure significative dans les dépenses énergétiques des secteurs tertiaires et résidentiels ([129]). Le chemin pour décarboner ces usages est donc encore long et incertain.
La mise au point de biocarburants est une des pistes travaillées pour améliorer le poids carbone des mobilités.
En France, les chercheurs de l’IFPEN travaillent aussi sur une réduction des besoins en pétrole comme composant dans la fabrication des plastiques – qui représente 4 % de la consommation du pétrole mondial. L’IFPEN étudie ainsi les bioplastiques – ce qu’a détaillé M. Pierre-Franck Chevet, président-directeur général de l’institut, lors de son audition : « Nous travaillons avec Michelin pour fabriquer des biopneumatiques sur le site de Bassens en Nouvelle-Aquitaine. » – et le recyclage chimique des plastiques. « Ces procédés sont matures et représentent un progrès par rapport au recyclage mécanique actuellement employé. (…) Les recyclages chimiques permettent quant à eux d’obtenir la même qualité que celle du produit d’origine. Des démonstrateurs industriels expérimentent d’ores et déjà ces technologies. Une entreprise procèdera prochainement à des essais de ce type au Japon, pour la fabrication de vêtements. »
c. Des solutions alternatives visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre des énergies fossiles, comme les biocarburants ou l’hydrogène
Les biocarburants et biocombustibles couvrent l’ensemble des carburants et combustibles liquides, solides ou gazeux produits à partir de la biomasse et destinés à une valorisation énergétique dans les transports et le chauffage. Les biocarburants sont majoritairement utilisés sous forme d’additifs ou de complément aux carburants fossiles. L’objectif des biocarburants est de réduire l’intensité carbone des énergies fournies ([130]).
Encadré 7 : les enjeux et limites de la biomasse
La biomasse a fait l’objet d’une étude approfondie de France Stratégie en 2021 ([131]) au regard de son potentiel, ses enjeux et ses limites. Alors que la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) prévoit un potentiel énergétique de production en ressources en biomasse atteignant 430 TWh en 2050, dont 250 TWh pour la biomasse agricole (contre actuellement environ 40 TWh), cette étude souligne les nombreuses conditions nécessaires à l’atteinte d’un tel objectif, notamment sur l’évolution de l’agriculture.
Certains experts auditionnés, comme M. Jean-Marc Jancovici, rappellent cependant que la biomasse n’est pas nécessairement neutre en carbone. « Pour que la biomasse soit considérée comme neutre en carbone, il faut prélever dans un stock qui, si nous ne l’utilisions pas, serait à l’équilibre, avec, chaque année, une partie des arbres qui meurent et de jeunes arbres qui repoussent. »
En tout état de cause, si la biomasse utilisée pour produire de l’énergie est associée à de la déforestation, son bilan est pire que celui des fossiles.
On distingue trois générations de biocarburants selon l’origine de la biomasse utilisée et les procédés de transformation associés ([132]). Aujourd’hui, la première génération a atteint le stade industriel et la seconde génération est en phase de développement.
La réglementation des biocarburants s’effectue également en fonction de la nature de la matière première utilisée : les biocarburants conventionnels, élaborés à partir d’une matière première produite en concurrence avec les cultures alimentaires, et les biocarburants avancés, élaborés à partir d’autres matières premières.
La première génération de biocarburants utilise généralement des ressources agricoles et alimentaires. Pour éviter une concurrence entre les usages de ces ressources et la mobilisation des terres nécessaires à leur production, l’UE plafonne le taux d’incorporation dans les carburants conventionnels. Le taux moyen sur les moteurs de tous types en France s’élève à 7 %.
La recherche de l’IFPEN s’intéresse aux biocarburants de deuxième génération, à base uniquement de déchets forestiers ou agricoles « qui n’ont pas d’autre utilité ».
Encadré 8 : état de la recherche française sur les biocarburants
Depuis plus de dix ans, l’IF-EN et ses partenaires tentent de démontrer l’intérêt des technologies de production de biodiesel et de biokérosène, en particulier pour la production de carburants aéronautiques durables, en réduisant les émissions de gaz à effet de serre (GES) de plus de 90 %. En 2022, cette technologie est entrée dans une phase industrielle : Elyse Energy a lancé le projet BioTjet, en partenariat avec l’IFPEN, Avril et BioNext, en se donnant pour objectif de construire et opérer la première unité industrielle française de production de biokérosène avancé à partir de biomasse durable. L’IFPEN a également développé avec dix partenaires français une technologie permettant la production d’éthanol à partir de résidus agricoles et forestiers. Pour la concrétiser sur le territoire français, l’IFPEN et Axens ont fédéré différents partenaires pour porter un projet d’implantation d’une première unité de production industrielle : le projet NACRE. Il vise à produire 30 000 t/an d’éthanol à partir de résidus de maïs et de résidus forestiers et sera implanté sur un site industriel à reconvertir. Un tel projet permettra également de produire du biométhane en grande quantité (4 000 t/an) comme co-produit. L’éthanol est une molécule plateforme qui peut être utilisée comme carburant routier mais peut également être transformée en biokérosène pour les aéronefs en utilisant des technologies industrielles développées par l’IFPEN. Il peut être également utilisé pour faire des molécules chimiques biosourcées telles que l’éthylène ou le butadiène. Les résidus de maïs ne sont pas à ce jour collectés et valorisés. L’IFPEN travaille enfin sur les technologies de production d’e-biofuels, carburants de synthèse fabriqués à partir d’électricité « verte » qui regroupent différents produits. L’institut travaille sur ce procédé et sur les catalyseurs associés, en particulier pour la production de e-biocarburants avancés. Le projet BioTjet cité ci-dessus prévoit des études de faisabilité et de design de base de la production d’e-biofuels. Par ailleurs, IFPEN développe une brique complémentaire permettant de convertir le dioxyde de carbone (CO2) en oxyde de carbone (CO) en présence d’dihydrogène (H2 – réaction du gaz à l’eau inverse), qui lui permettra de proposer une chaine complète de valorisation du CO2 en e-carburants ou e‑produits chimiques ; des échanges sont en cours avec des industriels européens pour un projet de démonstration. |
Les travaux de l’IFPEN soulignent les nombreux atouts de ces biocarburants : réduction de la dépendance des transports au pétrole, diminution des émissions de GES liées au transport, incitation à la création ou au maintien d’une activité agricole ou forestière, d’une activité industrielle et par là même d’emplois, et absence de nécessité d’adaptation du réseau de distribution d’électricité ou des véhicules, contrairement à l’électrification des transports.
Dans un premier temps, les biocarburants peuvent apparaître comme une solution intéressante pour la décarbonation de certains secteurs pour lesquels il est difficile d’envisager d’autres solutions à court terme, notamment dans l’aviation, même si leur contribution restera limitée : la France vise ainsi une part de 5 % pour l’aviation en 2030, et de 50 % au plus en 2050 ([133]).
La France est le quatrième pays producteur mondial de biocarburants (5 % de la production mondiale) après les États Unis, le Brésil et l’Allemagne, avec plus de deux millions de tonnes de biocarburants produits sur le territoire ([134]). Selon l’IFPEN, en 2022, la consommation mondiale d’énergie dans les transports routiers s’élevait à 2 093,9 Mtep dont 91 Mtep étaient couverts par les biocarburants, soit environ 4 % ([135]). L’année précédente, la France enregistrait une consommation d’énergie dans les transports de 501 TWh dont 7 % étaient assurés par les biocarburants ([136]).
Les auditions menées par la commission ont permis de mettre en lumière de nombreux projets de déploiement de la filière ([137]), en particulier en termes d’augmentation du pourcentage d’incorporation des biocarburants dans les carburants classiques.
En revanche, les technologies développées par la filière assurent des rendements inégaux. Par exemple, si les déchets municipaux présentent un avantage économique attractif pour les exploitants, allant jusqu’à inciter TotalÉnergies à convertir des raffineries en bioraffineries pour les transformer, la technologie permettant l’exploitation des déchets ligneux ([138]) est développée mais n’offrent pas un rendement suffisant pour les entreprises.
Encadré 9 : l’exploitation des déchets pour la production de biocarburants
Dans le cadre de l’exploitation des déchets municipaux pour la production de biocarburants, deux sites sont privilégiés en France par TotalÉnergies. Mise en service en juillet 2019, la bioraffinerie de La Mède dispose d’une technologie permettant d’utiliser tous les types d’huiles pour les transformer en biocarburants, principalement routiers. Sa capacité de production est de 500 000 tonnes par an. Le site de Grandpuits, dont le démarrage est prévu en 2025, est en train d’être transformé en une plateforme zéro pétrole comprenant notamment une bioraffinerie, une usine de bioplastiques et une usine de recyclage de plastiques. Il s’agira notamment de produire 210 000 tonnes par an de biocarburants aériens, 50 000 tonnes par an de diesel renouvelable et plus de 70 000 tonnes par an de bio naphta/LPG. Cette nouvelle unité doit ainsi contribuer à la feuille de route française pour le déploiement de biocarburants aériens durables qui comporte un objectif d’incorporation de 2 % en 2025 et 5 % en 2030. En outre, le développement du coprocessing, offre de nouvelles pistes. Il consiste à produire du diesel renouvelable ou du carburant aérien durable (SAF) dans les mêmes unités que celles qui produisent aujourd’hui des distillats en rajoutant des huiles issues de l’économie circulaire. L’unité de Normandie a démarré en 2022 la production de SAF par coprocessing pour répondre au mandat français de 1 % d’incorporation en 2022. |
Enfin, eu égard aux volumes de matière à mobiliser, le potentiel de développement de ces biocarburants ne saurait être au niveau des actuels besoins des transports. Aussi l’électrification apparaît‑elle encore comme une des solutions les plus adaptées et accessibles aux mobilités terrestres.
En tout état de cause, la décarbonation des transports et de l’industrie nécessite encore d’importants investissements, que ce soit pour la recherche, la création de filières industrielles nationales et l’adaptation ou le renouvellement des flottes aériennes, maritimes et terrestres.
Encadré 10 : hydrogène actuel et perspectives d’avenir
L’hydrogène (H), molécule très abondante dans l’environnement, est toujours lié à d’autres éléments chimiques. Vecteur énergétique dont la combustion libère quatre fois plus d’énergie que l’essence ([139]), l’hydrogène a l’avantage de pouvoir être stocké (gaz, liquide, stockage solide). Sur les 70 millions de tonnes d’hydrogène produit dans le monde, 48 % sont issues du gaz naturel, 28 % du pétrole, 23 % du charbon et 1 % de l’électrolyse de l’eau. En France, la production d’hydrogène est issue à 40 % du vaporéformage du méthane, 40 % de l’oxydation d’hydrocarbures, 15 % de la gazéification du charbon et 5 % de l’électrolyse. La production d’énergie à partir d’hydrogène pourrait donc être quasiment inépuisable s’il est produit en quantité suffisante et à coût compétitif. Cependant, l’extraction de l’hydrogène des ressources primaires dans lequel elle est présente nécessite un apport énergétique. La dépendance est très forte aux sources fossiles et à l’énergie thermique. Par conséquent sa production est fortement carbonée : moyenne mondiale de 15 kgCO2 / kg H2 (en comparaison, une même quantité d’énergie sous forme de charbon représente 13 kgCO2e, 11 kgCO2e pour le fioul et 8 kgCO2e pour le gaz naturel). En 2018, la production mondiale d’hydrogène émet 830 MT de CO2. Selon le CEA, 95 % de l’hydrogène est produit par des hydrocarbures. On parle d’hydrogène gris s’il est fabriqué par des procédés thermochimiques à partir de matières premières fossiles (charbon / gaz naturel). On parle d’hydrogène bleu s’il est fabriqué de la même manière que l’hydrogène gris à la différence que le CO2 émis est capté pour être utilisé ou stocké. Enfin, il peut être produit à partir d’eau (électrolyse) grâce à une électricité décarbonée renouvelable, on parle alors d’hydrogène vert ou - d’hydrogène jaune si l’hydrogène est produit à partir d’électricité issue de sources nucléaires. Des recherches sont en cours pour optimiser son coût et sa performance afin de rendre son rendement intéressant. La production d’hydrogène à partir de biomasse (bois, paille, etc.) constitue également une voie de recherche. Enfin, il serait possible d’extraire de l’hydrogène de gisements sous-marins existants mais, à ce jour, inatteignable – on l’appelle l’hydrogène blanc. L’hydrogène produit par électrolyse revient aux environs de 4 €/kg à 6 €/kg pour une durée d’utilisation de l’ordre de 4 000 à 5 000 h par an et un coût de l’électricité autour de 50 €/MWh. |
3. Pour le gaz, une diversification de l’approvisionnement limitée par des contraintes logistiques en Europe
a. Une consommation en hausse, dont l’approvisionnement s’est diversifié
L’historien des énergies, M. Yves Bouvier, expliquait en audition qu’en France, énergie nucléaire et gaz naturel se sont développés parallèlement, et non de manière concurrente comme dans d’autres pays. Les accords d’approvisionnement en gaz naturel avec l’Algérie en 1971 et avec l’Union soviétique en 1980 ont assuré une forme de réduction de la dépendance pétrolière.
Cette consommation a poursuivi sa progression. La consommation totale de gaz naturel s’élevait en 2020 à 494 TWh PCS ([140]), mais il s’agissait de la première année de la pandémie. La consommation atteignait 600 TWh PCS en 2019 alors qu’elle n’était que de 100 en 1979.
Le gaz constitue une part importante de la consommation d’énergie de l’industrie et du secteur résidentiel. Essentiellement utilisé pour son pouvoir calorifique, une partie (19 % en 2019) sert aussi à la production d’électricité (Figure 12 : consommation finale d’énergie par secteur en France (en TWh)).
Non seulement la part des achats sur le marché a augmenté ces dernières années, mais le SDES relève aussi que l’approvisionnement s’est diversifié avec l’augmentation des échanges de gaz naturel liquéfié (GNL). ([141])
Cette tendance s’est accélérée depuis la crise ukrainienne : au troisième trimestre 2022, les entrées de gaz naturel gazeux diminuent de près de 80 % sur un an alors que les entrées nettes de GNL augmentent de 170 %. Celui-ci provient des États-Unis et du Qatar, ce qui diversifie notre fourniture en gaz, même si 30 % de nos importations proviennent toujours de Norvège ; et dès le mois d’août il n’y a plus d’importation de gaz russe, alors qu’auparavant elles représentaient 17 % de la consommation française.
Figure 22 : échanges extérieurs de gaz en 2021 (en TWh)
Source : SDES, transmis par le SDES.
b. Des contraintes d’approvisionnement notamment logistiques
Le pic de production n’étant pas atteint, les ressources mondiales suffisent aujourd’hui à répondre à la demande. Pourtant, le principal obstacle au développement de la filière résulte dans les contraintes pesant sur la chaîne d’approvisionnement en gaz.
Les obstacles identifiés à l’acheminement du gaz naturel en France se situent au niveau de la chaîne logistique du GNL. La tension observée sur les prix du gaz s’explique ainsi en partie par :
– l’insuffisance de capacités de liquéfaction, liée à des investissements limités sur les années précédentes ;
– le choc de demande créée par le déficit de gaz russe en Europe ;
– la flotte de méthaniers limitée à 700 navires (GIIGNL) peut aussi constituer un goulot d’étranglement (par comparaison, on compte 8 000 pétroliers) ;
– enfin, on a vu émerger un nouveau besoin d’investir dans la regazéification en Europe, spécialement en Allemagne.
De plus, le stockage de gaz est un élément essentiel pour l’approvisionnement gazier d’un pays non-producteur comme la France. En injectant du gaz dans les stockages durant l’été et en le soutirant pendant l’hiver, les fournisseurs peuvent répondre à la consommation de leurs clients, fortement dépendante du climat pour la plupart d’entre eux. Les capacités de stockage permettent de couvrir près de 40 % des volumes de gaz consommés en France au cours de l’hiver et sont indispensables lors des pointes de froid.
Cependant, les terminaux méthaniers français n’apparaissent pas suffisamment dimensionnés pour importer tout le gaz nécessaire pour les pointes de froid, comme le démontre l’analyse du bilan physique – qui présente la couverture des besoins des consommateurs français lors d’une pointe de froid – réalisée par le ministère de la Transition énergétique.
Au-delà de la chaîne GNL et du dimensionnement des terminaux français, les insuffisances des interconnexions gazières entre pays européens constituent aussi un frein. De plus, le recul prévu de la consommation de gaz n’incite pas les États européens à investir davantage dans ces infrastructures.
c. La lente progression du biogaz
La transformation de la biomasse en énergie peut également constituer un mode de reconquête de la souveraineté. Actuellement, la filière biogaz peut être décomposée en trois sous-filières, segmentées selon l’origine et le traitement des déchets :
– la méthanisation de déchets non dangereux ou de matières végétales brutes ;
– la méthanisation de boues de stations d’épuration des eaux usées (STEP) ;
– le biogaz des installations de stockage de déchets non dangereux (ISDND).
Principalement produit en métropole, à hauteur de 9 TWh en 2020, le biogaz sert en majorité à produire de l’électricité (34 % de l’énergie produite à partir de biogaz) et de la chaleur (42 %), pour l’essentiel non commercialisée (donc consommée directement par les utilisateurs finaux de biogaz). L’épuration de biogaz en biométhane, afin d’être ensuite injecté dans les réseaux de gaz naturel, constitue en outre un nouveau débouché depuis quelques années (24 % en 2020). Entre 2019 et 2020, l’ensemble de la production d’énergie à partir de biogaz a augmenté de 18 %.
Figure 23 : évolution de la production d’énergie à partir de biogaz (en TWh)
Les gisements potentiels de substrats utilisables en méthanisation ont été estimés dans le cadre d’une étude réalisée par SOLAGRO et INDIGGO pour le compte de l’ADEME ([142]). Le gisement global mobilisable à 2030 pour la méthanisation a été évalué à 130 millions de tonnes de matière brute soit 56 TWh d’énergie primaire en production de biogaz. Il est composé à 90 % de matières agricoles.
Les auditions de la commission d’enquête ont mis en lumière des points de vue nuancés : pour TotalÉnergies, prête à investir massivement dans cette énergie, la France dispose du deuxième potentiel au niveau européen après l’Allemagne ; le biogaz représente une énergie totalement locale, dont la production coûte cher, mais est créatrice d’emplois non délocalisables et peut offrir des débouchés aux agriculteurs.
D’un autre côté, pour M. Jean-Marc Jancovici, il n’est pas approprié de suivre la stratégie allemande, qui consiste à installer des cultures dédiées pour produire du biogaz en grande quantité. L’expert croit plutôt à un usage de niches : « faire du biogaz avec des déchets agricoles ou des couvertures intermédiaires et s’en servir prioritairement pour remplacer les combustibles fossiles de la mécanisation agricole me paraît tout à fait approprié ».
En tout état de cause, à l’instar des biocarburants, il y a un équilibre à préserver entre productions énergétiques et productions alimentaires et la nécessité de rester vigilant au bilan carbone de ces biogaz. C’est une des raisons pour lesquelles la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) 2023‑2028 ne prévoit de soutenir, par des aides nationales, qu’un volume de 22 TWh supplémentaires.
En outre, pour un agriculteur, l’investissement de départ est conséquent et la conduite d’un méthaniseur requiert du personnel qualifié pour gérer la méthanisation. Une unité de méthanisation serait rentable pour une exploitation comptant un minimum de 100 vaches après une dizaine d’années. Ainsi, ce type de production s’adresse davantage aux élevages intensifs qu’aux exploitations de petite taille.
Les dépendances et les vulnérabilités de la part trop importante des énergies fossiles dans le mix énergétique français incitent à renforcer la production d’énergies décarbonées s’appuyant sur des sources d’énergie disponibles sur le territoire : c’est l’objectif de la production d’électricité assurée en majeure partie par le nucléaire et l’hydraulique.
C. La production d’énergie thermique à partir de sources renouvelables peut être UN SUBSTITUT AUX FOSSILES
La production d’énergie thermique renouvelable constitue un mode de substitution particulièrement pertinent aux énergies fossiles. En effet, la production de chaleur représente la moitié des consommations d’énergie en France et repose encore principalement sur les combustibles fossiles (et, désormais, sur le gaz pour une grande part).
Outre le biogaz et les biocarburants évoqués précédemment ([143]), les principaux modes de production de chaleur sont le bois, la géothermie, les chauffe-eaux solaires et les pompes à chaleur.
En pratique, la chaleur renouvelable s’est surtout développée dans les pays disposant d’un potentiel important, comme les pays nordiques dont les gisements forestiers sont très importants rapportés à la population. La France a tout de même mis en place un dispositif de soutien financier public au développement de la production renouvelable de chaleur (ou de froid), le Fonds chaleur, dans le cadre du Grenelle de l’environnement. En 2021, 212 TWh d’énergie thermique renouvelable ont été produits en France ([144]), et 180 TWh ont été consommés ([145]). Entre 2005 et 2021, la consommation finale brute d’énergies renouvelables s’est accrue de 160 TWh, principalement grâce au développement des biocarburants, des pompes à chaleur, et de la biomasse solide. Si les pompes à chaleur ont dépassé dès 2021 leur objectif de production prévu par la PPE ([146]), ce n’est pas le cas des autres modes de production d’énergie thermique renouvelables ([147]).
Géré par l’ADEME, il aide toutes les filières concernées (biomasse, géothermie, solaire thermique, etc.) mais est réservé à l’habitat collectif, aux collectivités et aux entreprises. Il appuie aussi la création de réseaux de chaleur.
Sur la période 2009-2021, il a été doté de 2,9 Md€ et a soutenu 6 600 réalisations représentant une production totale de chaleur renouvelable et de récupération de 39 TWh par an. La Cour des comptes a d’ailleurs souligné son efficacité. Son budget a régulièrement été augmenté depuis 2017 : de 200 M€ il est monté à 260 M€ en 2018, 300 M€ en 2019, 350 en 2020 et à nouveau en 2021, pour bondir à 520 M€ en 2022.
L’ADEME estime que ces productions renouvelables se substituent très majoritairement à du gaz. Elle a évalué les économies qu’elles représentent pour la balance commerciale française à 1,6 Md€ par an sur la base du prix moyen du gaz en 2021, et à environ 4 Md€ par an sur la base du prix moyen en 2022.
a. L’utilisation grandissante des ressources en bois, convoitées par de nombreux secteurs
Sur l’ensemble des sources renouvelables, la plus utilisée dans le monde et dans notre pays reste la biomasse produite avec du bois, qui est transformée en chaleur ou en biocarburant. La consommation de bois-énergie a ainsi atteint 132 TWh en 2021, dont 60 % pour le parc résidentiel, 22 % pour l’énergie et 13 % pour l’industrie ([148]).
Cette filière rencontre un franc succès, renforcé depuis le développement des poêles à pellets : environ 400 000 appareils de chauffage au bois sont vendus chaque année pour le parc résidentiel (essentiellement des poêles) ([149]).
Cette filière présente cependant des limites : non seulement le réchauffement climatique met la forêt à mal ([150]), mais il y a désormais un véritable risque de concurrence entre tous les usages énergétiques du bois envisagés, eu égard au développement des secteurs concernés (résidentiel et transports notamment) ([151]).
b. Une exploitation croissante du potentiel géothermique
L’énergie géothermique peut être tirée de petites ou de moyennes profondeurs. La géothermie de moyenne profondeur – ou de moyenne température –, qui pompe une eau moins chaude à environ un millier de mètres de profondeur pour alimenter des réseaux de chaleur. Ce procédé est développé dans le Bassin parisien, où 500 000 à 600 000 logements en bénéficient, et qui représente le plus grand pôle géothermique de chauffage urbain mondial.
Le potentiel se trouve sur les 800 à 900 réseaux de chaleur existant à l’échelle de quartiers, seule une petite partie fonctionnent grâce à de la géothermie ; les autres sont alimentés au gaz.
La géothermie de très proche surface s’appuie, quant à elle, sur un échangeur de chaleur. Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et l’IFP-EN ont indiqué lors de leurs auditions que le développement de cette technologie à plus grande échelle ne pourra se faire sans l’émergence d’une filière industrielle, mais des obstacles conséquents s’y opposent. Le métier de foreur, en particulier, connaît une tension importante et exige une expertise non garantie aujourd’hui.
Le BRGM souligne en outre, dans ses travaux et en audition, qu’une fois le forage exécuté, il est possible d’en tirer différents usages. L’eau pompée dans le sous‑sol peut par exemple contenir du lithium à récupérer.
c. Les autres modes de production de chaleur
Autre technique de chaleur renouvelable, les chauffe-eaux solaires qui ont été encouragés dans les territoires ultramarins où cette technologie a un sens. Selon le SDES, en 2021, la production primaire de solaire thermique représente 0,7 % de la production d’énergies renouvelables en France. Elle produit 2,4 TWh et est principalement développée dans les départements et régions d’outre-mer (notamment à La Réunion).
Citons enfin les pompes à chaleur, qui exploitent le transfert d’énergie entre l’environnement et l’intérieur d’un logement ou d’une usine, avec un rendement thermodynamique très avantageux puisque pour un kilowattheure d’électricité injecté dans la machine, plusieurs kilowattheures de chaleur sont transférés entre l’extérieur et l’intérieur d’un logement.
L’installation de pompes à chaleur bénéficiant d’un soutien financier significatif, leur contribution commence à devenir visible dans le secteur résidentiel. Mais leur production de chaleur a besoin d’électricité pour être mise en œuvre, ce qui minimise leur bilan.
La cogénération est également une technique de production de chaleur. Elle consiste à produire dans la même installation et à partir de la même énergie primaire (gaz, déchets, fioul, etc.) de l’énergie thermique et une énergie mécanique ; par extension elle désigne le fait de récupérer la chaleur fatale, généralement rejetée dans l’environnement, d’une production d’énergie mécanique – électrique le plus souvent – pour l’utiliser pour une demande thermique (chauffage, eau chaude sanitaire, processus sanitaire, etc.). Elle augmente ainsi le rendement de l’installation, mais la rentabilité de cette solution suppose, notamment, d’être au plus près des lieux de consommation en raison des pertes pendant le transport de chaleur. La France compterait 860 installations de cogénération.
Vu la taille du parc nucléaire français, l’utilisation de l’importante chaleur fatale produite par la fission nucléaire est une piste qui mériterait d’être étudiée et le rapporteur regrette de n’avoir pas eu le temps matériel de l’examiner.
D. Une production d’électricité quasi intégralement décarbonée, QUI VA DEVOIR croître MASSIVEMENT, AUJOURD’HUI encore ESSENTIELLEMENT assurée par le nucléaire et l’hydraulique
1. La consommation d’électricité en France, qui concerne de nombreux usages et qui devrait croître, est à ce jour couverte par une production domestique et décarbonée
a. Une électrification de la consommation finale d’énergie
Selon le bilan énergétique établi par le SDES pour 2021, la consommation finale en électricité de la France s’est élevée à 434,3 TWh, soit 24,4 % de la consommation finale totale de la France ([152]) et la production nette est montée, quant à elle, à 532 TWh ([153]). Notre pays a pu ainsi exporter 42 TWh ([154]).
L’électricité constitue l’énergie utilisée par de nombreux secteurs en France pour des besoins domestiques, industriels ou de services publics (éclairage et chauffage, appareil électroménagers, industrie, transport).
Elle est consommée par le secteur résidentiel en premier lieu (39 % de la consommation finale d’électricité en 2021), le secteur tertiaire (31 %) et l’industrie (26 %) ([155]). Si l’électricité ne représente encore qu’un peu plus du quart de la consommation finale d’énergie française ([156]), elle est le premier poste énergétique des secteurs tertiaire (133,7 TWh ou 50,8 % de la consommation du secteur en 2021 ([157])), industriels (113 TWh ou 39 % en 2021) et résidentiel (170 TWh ou 34 % en 2021).
Avec 492 TWh d’électricité consommés en 2021, le secteur résidentiel se place au premier rang des secteurs les plus consommateurs d’électricité. Les postes les plus consommateurs d’électricité concernent le chauffage, l’eau chaude sanitaire et les besoins spécifiques (électroménagers, etc.).
L’électricité représente plus de la moitié de la consommation énergétique du secteur tertiaire restée relativement stable en valeur depuis la décennie 2010, alors que la consommation énergétique du secteur fléchit progressivement, les mesures de sobriété et d’efficacité énergétique aidant. La consommation d’électricité de la filière résulte principalement des besoins électriques du chauffage, et de la climatisation ([158]). Depuis 2017, la consommation électrique liée au chauffage est en diminution constante, tandis que celle dédiée à la climatisation est en forte hausse – Elle a été multipliée par deux sur l’ensemble du parc résidentiel entre 2016 et 2020 ([159]).
Par ailleurs, elle occupe une part notable des consommations intermédiaires – c’est-à-dire de l’électricité consommée au cours du processus de production – de certaines branches industrielles, notamment la métallurgie, l’industrie agroalimentaire et la chimie.
Particulièrement énergivore, la branche métallurgie et produits métalliques est à l’origine de 23,6 % de l’électricité consommée par le secteur industriel, soit 26,3 % de l’énergie totale consommée par la branche ([160]), dédiée à la première transformation, à la fonderie et aux constructions (mécanique, électrique, électronique, navale, aéronautique et d’armement). La branche industrie agroalimentaire se place, elle, au second rang des branches industrielles les plus consommatrices d’électricité (18,2 % de la consommation du secteur sur 2021, soit plus d’un tiers ([161]) de l’énergie consommée par la branche), notamment pour la transformation et le traitement des aliments, le stockage et la conservation mais également l’automatisation des processus. Enfin, la branche chimie vient en troisième position en représentant 20 % de la consommation totale d’électricité du secteur de l’industrie, une énergie qu’elle utilise pour le fonctionnement de ces outils (moteurs, pompes, compresseurs) et comme matière première nécessaire à la production de chlore ou à la réduction de certains métaux ([162]).
Le secteur industriel tend à réduire structurellement sa consommation d’énergie par l’amélioration des processus (efficacité énergétique), par la réduction de la consommation (sobriété) et par l’électrification des processus, tout en conservant une consommation d’électricité relativement stable ([163]). En d’autres termes, si la part de l’électricité dans la consommation énergétique de la filière augmente, il n’en demeure pas moins que celle-ci reste stable en valeur. La conjoncture récente, et notamment l’augmentation des prix de l’énergie et en particulier de l’électricité, est, certes, à l’origine d’une réduction de la consommation électrique de la filière, mais elle ne saurait, pour l’instant, refléter une dynamique de long terme.
b. Cette consommation devrait croître massivement dans les prochaines années
Le besoin de décarboner rapidement notre modèle énergétique, couplé à la volonté affichée par les gouvernements successifs de renforcer l’appareil industriel du pays, donc sa consommation énergétique, conduit à anticiper une augmentation importante de la demande d’électricité.
Face aux incertitudes sur l’ampleur de cette progression, et à la demande du Gouvernement, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité, RTE, a élaboré plusieurs trajectoires de consommation d’électricité, qui intègrent les différents scénarios d’efficacité énergétique, de réindustrialisation, d’électrification des usages.
Dans sa trajectoire dite de « référence » de son étude Futurs énergétiques 2050, RTE anticipe, à l’horizon 2050, une consommation de l’ordre de 645 TWh, soit une augmentation de près de 150 TWh par rapport à la consommation actuelle. Mais les scénarios, plausibles et souhaitables à l’échelle du pays – et d’ailleurs cohérents avec les premiers exercices prospectifs des années 2010 (cf. chapitre 2, II) – d’une réindustrialisation et/ou d’une électrification des usages conduisent à des anticipations bien supérieures, jusqu’à 750 TWh – dans la mesure où les objectifs d’efficacité énergétique ambitieux sont également tenus.
Figure 24 : scénarios étudiés par RTE dans le rapport Futurs énergétiques 2050
Source : RTE, Futurs énergétiques 2050.
c. Une production domestique et décarbonée, qui couvrait jusqu’ici la consommation
Au contraire du mix énergétique global français, depuis 2011, la production brute d’électricité en France – c’est-à-dire la production mesurée aux bornes des centrales, intégrant la consommation des services auxiliaires et les pertes dans les transformateurs ([164]) – a toujours couvert la consommation intérieure d’électricité.
Selon le SDES, en 2021, la production totale d’électricité s’élevait à 532 TWh pour une consommation finale de 422 TWh ([165]).
Figure 25 : production nette d’électricité par filière
Source : SDES, bilan énergétique provisoire 2021 transmis par le SDES.
Cette production d’électricité en France contribue fortement à notre souveraineté.
Fin 2022, les capacités installées représentaient 140,2 GW, composées de 61,4 GW d’installations nucléaires, 17,1 GW d’unités thermiques à combustible fossile (12,8 GW pour le gaz, 2,5 GW pour le fioul, 1,8 GW pour le charbon) et 61 GW de capacités de production électrique d’origine renouvelable (25,7 GW pour l’hydraulique, 19,8 pour l’éolien terrestre et maritime, 13,3 GW pour le solaire et 2,2 GW pour la production issue des centrales thermiques renouvelables et des déchets).
Précisons que la puissance installée désigne la puissance maximale que peut générer une filière si elle fonctionne à plein régime. Elle ne traduit pas la production effective, qui varie en fonction de différents paramètres comme le niveau des besoins, les opérations de maintenance, les précipitations pour l’hydroélectricité, l’intensité du vent pour l’éolien ou l’ensoleillement pour le photovoltaïque. Néanmoins, l’accroissement de cette puissance entraîne l’augmentation de la production.
Ainsi, en 2021, les 532 TWh produits étaient en effet composés de 361 TWh d’électricité nucléaire, de 56 TWh de productions thermiques classiques (gaz, charbon, produits pétroliers, etc.) et le reste d’électricité renouvelable ([166]). Si les secondes utilisent des combustibles étrangers, l’électricité « verte » est issue de sources locales ; enfin, la production nucléaire peut être considérée comme domestique dans la mesure où les importations d’uranium nécessaire à son processus sont négligeables dans ses coûts de production – selon M. Jean-Marc Jancovici, elle représente moins d’un euro par MWh électrique produit ([167]).
En revanche, même s’il y a une quasi‑équivalence entre la production d’origine fossile et le volume des exportations, cette part fossile n’aurait pu être plus facilement réduite car elle correspond à l’ajustement de l’offre nationale à la demande dans les périodes de tensions prévisibles – les interconnexions européennes assurant les ajustements de très court terme. En effet, ces moyens de production peuvent être démarrés ou stoppés très rapidement selon les besoins. Alors que les produits pétroliers et le charbon prédominaient dans les centrales thermiques classiques dans les années 1970, le gaz représente désormais le recours le plus fréquent (à hauteur de 61,5 % en 2019).
Plus généralement, cette quasi « autonomie » de la production électrique française résulte d’un rapide et fort développement des capacités de production nucléaire en réponse aux chocs pétroliers des années 1970, prolongé par une accélération du déploiement des énergies renouvelables à partir de 2005 (Figure 25 : production nette d’électricité par filière).
Le déploiement du parc nucléaire et des énergies renouvelables a non seulement permis à la France d’assurer l’ensemble de sa consommation d’électricité mais également d’assurer une partie de la consommation de ses voisins : la France était exportatrice nette de 1980 à 2021.
En 2022, RTE enregistre le premier solde français importateur net d’électricité. Il indique que le solde des échanges a été importateur 70 % du temps mais que la France n’a été dépendante de ces importations pour assurer sa sécurité d’approvisionnement « qu’une faible partie du temps » ([168]).
Si la forte capacité de production d’électricité française contribue à la souveraineté énergétique nationale, elle s’est affaiblie, en dépit des nouvelles capacités installées dans les filières renouvelables. Cela est dû au recul de la production nucléaire, que l’on peut constater depuis 2006 et que la progression des sources renouvelables n’a pas suffi à compenser.
En TWh (ou en Mtep) |
2005 |
2008 |
2010 |
2012 |
2014 |
2017 |
2019 |
2021 |
(a) Électricité nucléaire |
452 (117,7) |
439 (114,5) |
429 (111,7) |
nc (110,9) |
436 (113,7) |
379,1 (103,8) |
379,5 (103,85) |
361 nc |
(b) Électricité renouvelable |
58 (5) |
75 (6,4) |
78 (6,7) |
nc (7,1) |
nc (7,8) |
nc (7,1) |
nc (8,95) |
nc |
Différentiel (a+b) |
– |
+ 4 |
– 7 |
(– 0,4) |
(+3,5) |
(– 1,6) |
(+1,9) |
nc |
Production brute d’électricité (dont le thermique classique) |
576 (122,7) |
575 (120,9) |
569 (118,4) |
nc (117,9) |
nc (121,6) |
530,4 (132) |
547 nc |
532 nc |
Source : données issues des bilans énergétiques du SDES.
Notre mix électrique est, en tout état de cause, très largement décarboné. D’après les données publiées par RTE pour l’année 2021 ([169]), 91,4% de la production d’électricité est décarbonée ([170]) – c’est-à-dire issue de sources renouvelables ou de source nucléaire.
Cette décarbonation singularise la France en Europe : le pays émet ainsi près de 3 fois moins de CO2 pour produire 1 kWh qu’au Royaume-Uni, 4 fois moins qu’en Italie et 5 fois moins qu’en Allemagne, qui présente un des mix électriques les plus carbonés d’Europe.
Ce bilan vertueux est dû à la place prise par les filières nucléaire et renouvelables, compte tenu de l’impact carbone, à l’émission et en cycle de vie, des énergies fossiles – mais aussi, dans une moindre mesure, de certaines énergies renouvelables électriques.
Figure 26 : émissions des filières électriques
Source : RTE.
Si l’essentiel des progrès en termes d’émissions GES a été obtenu au fur et à mesure de la mise en service de nouvelles capacités nucléaires, les données du SDES confirment leur poursuite : ‑ 2,2 % par an entre 2006 et 2019.
2. Le nucléaire, pilier de notre production et de notre souveraineté électrique
Figure 27 : panorama de la filière nucléaire française
Tableau récapitulatif : parc nucléaire français |
|
Puissance installée |
61,4 GW |
Production moyenne sur la période 2006-2021 |
404 TWh / an |
Production 2022 |
360,7 TWh |
Parc |
56 réacteurs nucléaires pour une capacité moyenne disponible en 2022 de 34,8 GW ([171]) (54%) |
Coût |
Entre 42 et 62 €/MWh ([172]) |
Émissions de CO2 |
6gCO2e kWh ([173]) |
Nombre de salariés |
Plus de 220 000 emplois et 3 000 entreprises |
a. Les nombreux atouts de la filière nucléaire actuelle : densité énergétique, pilotabilité, économie en matériaux, coût complet maîtrisé
Le nucléaire civil français occupe une place particulière par son poids dans le monde et dans notre pays. La France est en effet le troisième producteur mondial d’énergie nucléaire et le premier producteur en Europe ([174]). Sur les 126 réacteurs que compte l’Union européenne, 56 sont français.
Depuis la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim en juin 2020, le parc nucléaire civil ne compte en effet plus que 56 réacteurs en exploitation, tous étant des réacteurs à eau pressurisée (cf. annexe), organisés en 18 centrales nationales de production d’électricité et représentant une capacité installée de 61,4 GW, répartie entre 32 réacteurs de 900 MW, 20 réacteurs de 1 300 MW et 4 réacteurs de 1 450 MW.
Si la production nationale a reculé depuis son pic en 2005 (cf. II‑A‑2), elle représente encore plus de 69 % de la production électrique française (exception faite de 2022), alors qu’en Europe, sa part s’établit autour de 25 % (en recul de plus de 25 % depuis 2006) et à 10 % dans le monde (contre 17 % en 1996).
Cette situation est le fruit d’une politique volontariste, d’abord de la part des gouvernements de l’après-guerre qui, outre des préoccupations militaires dans un contexte de guerre froide, ont fait le constat que la France n’avait pas beaucoup de matières premières – pratiquement pas de gaz et peu de charbon comparé à ses voisins – et qu’elle était, par conséquent, dépendante de ses importations d’énergie, ensuite en réaction aux chocs pétroliers des années 1970. Cette stratégie a contribué au développement de l’essentiel du parc nucléaire civil actuel mais également à la constitution d’une filière industrielle française complète – qui regroupe aujourd’hui 220 000 salariés en France, répartis dans environ 3 200 entreprises, dont 80 % de TPE-PME.
Encadré 12 : la constitution de la filière nucléaire
1945-1970 En 1945, Charles De Gaulle, convaincu de la nécessité de créer un organisme consacré à l’énergie nucléaire, signe l’ordonnance du 18 octobre 1945 et marque la création du CEA, pour approvisionner le futur programme nucléaire. Parallèlement la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz crée l’établissement public Électricité de France (EDF) actant, entre autres, un quasi-monopole sur la production électrique nationale. Le premier plan quinquennal de l’énergie atomique de juillet 1952 engage la France dans la voie des réalisations industrielles en matière de production d’électricité nucléaire. Alors que le pays ne dispose pas d’installations d’enrichissement d’uranium suffisantes, la filière Uranium naturel graphite gaz (UNGG ([175])) est privilégiée. L’accessibilité des matières premières, notamment le fait qu’elle ne nécessite pas de combustible enrichi en Uranium 235, assure l’indépendance énergétique de la technologie. Les premiers réacteurs de la première génération sont construits à Marcoule (30) en 1955‑1956. En parallèle, afin de maîtriser l’entièreté du cycle du nucléaire, une première usine de séparation isotopique pour obtenir de l’uranium enrichi, combustible crucial pour l’armement, l’industrie de la propulsion navale, est créée à Pierrelatte en 1958. Avant 1971, six réacteurs sous la technologie UNGG, exploités par l’entreprise publique EDF, sont mis en service à Chinon, Saint Laurent Les Eaux et Bugey. À l’initiative d’EDF, un premier réacteur à eau pressurisée (REP), une technologie d’origine américaine qui utilise l’uranium enrichi ([176]), fait son entrée à Chooz en 1967. Il s’agit du début de la seconde génération de réacteurs. De son côté, le CEA continue à développer d’autres technologies comme les réacteurs à « neutrons rapides », qui montrent l’avantage d’utiliser le plutonium des centrales UNGG et de produire plus de plutonium qu’il n’en consomme (surgénérateur). Le premier réacteur expérimental, RAPSODIE, est mis en service en 1967. Avant 1969, le véto présidentiel est catégorique : l’indépendance nationale prime sur la rentabilité économique. La filière UNGG est maintenue. Après l’élection du Président Georges Pompidou, le choix est tranché, la filière américaine l’emporte en raison de son moindre coût, sa facilité de construction, de chargement et déchargement. 1973-1982 Le premier choc pétrolier de 1973, provoqué par l’embargo de l’Organisation des pays arabes exportateurs de pétrole (OPAEP) à l’encontre de l’Europe occidentale marque un réel décollage de la technologie REP en France. Dans le secteur de l’électricité, la commission PEON (Programmation d’Électricité d’origine nucléaire) propose en avril 1973 un objectif nucléaire de 13 000 MW à mettre en service sur la période 1978-1982. Le plan Messmer en 1974 fait le choix du tout nucléaire pour limiter la dépendance au pétrole et assurer « l’indépendance énergétique du pays ». Les objectifs sont la standardisation de la technologie nucléaire sur le territoire français ainsi que la construction d’un parc nucléaire pour bénéficier de « l’effet de série » (mêmes référentiels techniques, codes et normes pour la conception) et ainsi optimiser les coûts. La technologie vient de l’entreprise américaine Westinghouse, mais Framatome sera le seul constructeur. Il restera le seul fournisseur des réacteurs REP en France. Framatome réalise la construction en série de deux types de réacteurs REP : 900 MW puis 1 300 MW dont EDF commande 5 réacteurs en moyenne par an. C’est la troisième génération de réacteurs. 1983-2002 Suit une période de ralentissement des commandes depuis 1983 (deux, puis un réacteur de 1 400 MW tous les trois ans entre 1984 et 1992). La nécessité de freiner le développement du parc de centrales tient compte du ralentissement prévu de la croissance des consommations, et du fait que le suréquipement en énergie nucléaire peut être source d’un gaspillage coûteux (cf. les travaux préparatoires du IXème Plan). Le ralentissement des commandes marque également le passage à une nouvelle génération de réacteurs (N4) de 1 450 MW. La dernière centrale nucléaire de type REP à avoir été mise en service est celle de Civaux, lancée en 1997 et 1999 et exploitée commercialement à partir de 2002. Le parc nucléaire français a ainsi réuni jusqu’à 60 réacteurs de production électrique en activité, avec une capacité totale dépassant 63 GW. En parallèle à ces réalisations, le constructeur français (CEA-EDF-Framatome) s’est affirmé comme un concurrent sérieux à l’exportation en obtenant entre 1975 et 1995 40 % des commandes sur le marché mondial. Par ailleurs, parce que l’enrichissement et le retraitement d’uranium sont des aspects importants du développement français, les grandes infrastructures du cycle du combustible sont installées par la Cogema, créée en 1976 – qui sera intégrée au sein de TOPCO, devenue Areva en 2006, en prenant le nom d’Areva NC. Le CEA, quant à lui, travaille notamment sur les solutions d’avenir pour la gestion des déchets et la fusion contrôlée. Dans le prolongement du projet Rapsodie, Superphénix est ainsi conçu et franchi l’étape industrielle en 1985 sous la technologie « Réacteur à Neutrons Rapides » (RNR) – l’évolution de cette piste sera étudiée plus précisément en deuxième partie du présent rapport. ([177]) |
La filière nucléaire présente d’importants atouts. Si l’on ne peut parler d’indépendance énergétique à proprement parler – en l’état actuel de la technologie – et, à l’inverse des énergies fossiles, la densité énergétique du combustible nucléaire permet de stocker « des années de fonctionnement » d’uranium selon M. Jean-Marc Jancovici ([178]). À titre comparatif, lorsque 1 kg d’uranium naturel fournit 100 000 kWh de chaleur, 1 kg de charbon fournit 8 kWh ([179]).
Par ailleurs, cette technologie produit une électricité non intermittente et pilotable, contrairement aux énergies produites à partir des flux naturels. Elle peut en effet fournir une électricité en continu toute l’année mais aussi adapter la production aux variations de la demande d’une saison à l’autre, ou dans la journée.
À la différence des réacteurs nucléaires d’autres pays, les centrales nucléaires françaises ont été conçues pour fonctionner en régime flexible, c’est‑à‑dire à un niveau de puissance qui n’est pas constant. Cette flexibilité permet d’équilibrer la fréquence du réseau, d’assurer l’équilibre entre offre et demande d’électricité (absorption de la hausse de production des énergies renouvelables par exemple) et d’optimiser la production sur l’année ([180]).
Encadré 13 : la pilotabilité des réacteurs nucléaires
La production est ajustée sur la consommation sur des temporalités différentes (consommation quotidienne et saisonnière) et une grande variabilité sur la demande d’électricité peut être observée entre le jour et la nuit, l’hiver et l’été ainsi que les jours-ouvrés et le week-end. Le parc nucléaire est flexible à son échelle. Les centrales nucléaires françaises ont été conçues pour fonctionner en régime flexible, c’est-à-dire à un niveau de puissance qui n’est pas constant. Pour répondre à la variation de la demande d’électricité, le parc nucléaire adapte son niveau de production à l’aide d’un suivi de charge.
La puissance d’un réacteur nucléaire est pilotée en ajustant la quantité de combustible nucléaire dans le cœur du réacteur et en modifiant la quantité/débit d’eau utilisé pour refroidir le cœur. Cela peut également être fait en utilisant des « barres de contrôle », des barres de bore qui régulent la population de neutrons en les absorbant pour maintenir la puissance du réacteur au niveau désiré. Ces barres sont mobiles dans le cœur du réacteur : elles peuvent être introduites ou extraites en fonction du nombre de neutrons à absorber. Elles permettent ainsi de piloter le réacteur ([181]).
Des programmes de charge variables sont prédéfinis et permettent de réduire ou augmenter la puissance délivrée. Ces programmes sont convenus à l’avance avec l’opérateur du réseau et permettent l’équilibrage initial. De grandes variations de la puissance nominale sont possibles ([182]). Par exemple, un réacteur de 1 300 MW peut augmenter ou diminuer sa production de 900 MW en 30 minutes.
La consommation d’électricité ne peut être déterminée à l’avance avec une précision exacte : les centrales nucléaires doivent adapter immédiatement leur production pour maintenir la stabilité de la fréquence du réseau (50 Hz). Deux mécanismes sont instaurés pour réajuster les fluctuations de fréquence, qui sont activés selon la demande du réseau ([183]) :
– le réglage de fréquence primaire, qui permet de moduler la puissance de l’ordre de ± 2 % de la puissance nominale avec un ajustement à la demande d’électricité toutes les 2 à 30 secondes ;
– le réglage de fréquence secondaire, qui permet de moduler la puissance de l’ordre de ± 5 % de la puissance nominale en plus du réglage de fréquence primaire. Cet ajustement prend entre quelques secondes à plusieurs minutes.
Cette pilotabilité a des limites : la capacité de variation de puissance en 30 secondes est plus faible pour le nucléaire (jusqu’à 5 %) que pour les centrales thermiques au gaz (5-10 %) et au charbon (20 à 30 %) ([184]). Et le temps de redémarrage est aussi plus long, entre deux heures et deux jours (contre 1-10h pour les centrales au charbon et 10-20 minutes pour les centrales à gaz sur le territoire français).
Cette flexibilité diminue toutefois la productivité des centrales par rapport à celles qui fonctionnent en base (c’est-à-dire en continu) et entraîne une usure prématurée des installations. EDF précise ainsi que les variations de la puissance délivrée se traduisent par des variations de la température de certaines parties du circuit primaire affectant notamment le circuit secondaire ([185]).
En 2018, l’Agence internationale de l’énergie atomique (IAEA) a publié une étude sur la flexibilité des centrales nucléaires ([186]) et précise ses conséquences potentielles sur les installations :
– les fortes variations de températures entraînent une fatigue des matériaux métalliques qui réduit les marges des charges cycliques prises lors de la conception des installations – en d’autres termes, chaque modification de l’activité d’une centrale ([187]) (arrêt, redémarrage, variations de puissances) entraîne des variations de températures subies par les matériaux métalliques ce qui réduit leur résistance mécanique et peut conduire, à terme, à l’apparition de défaillances. La récurrence de ces variations est anticipée lors de la conception d’une centrale mais, plus celles-ci sont nombreuses, plus l’usure des systèmes sera rapide ([188]) ;
– les variations de débits, notamment locales, augmentent le phénomène de corrosion et d’érosion – dans le système de fluides d’une centrale nucléaire, la réduction des débits peut être nécessaire à la flexibilité de la production entraînant une augmentation du phénomène érosion / corrosion (corrosion accélérée par l’écoulement – CAE) ([189]). Le phénomène concerne principalement les systèmes opérationnels (vannes du système principal d’eau d’alimentation, conduites de vapeur d’extraction, etc.) ;
– la variabilité de l’utilisation des composants actifs accroît leur usure – les mécanismes sollicités (vannes de contrôles, pompes) ([190]) – les conditions de refroidissement du réacteur peuvent affecter les limites de sûreté du combustible dans les REP – il s’agit des redistributions de densité de puissance dans le cœur du réacteur causées par le mouvement rapide des barres de commande nécessaires à la flexibilité de la production énergétique de la centrale ([191]) ;
– les fluctuations des paramètres physiques du système de refroidissement du réacteur affectent certains composants – les variations de pression, de température et de débit augment les impuretés chimiques (aluminium, calcium, magnésium, silice, etc.), ce qui a d’ores et déjà été observé dans des centrales nucléaires françaises ([192]) ;
– le fonctionnement continu à faible puissance affecte les performances du combustible ([193]) ;
– globalement, la modulation de la production nucléaire renforce les besoins en maintenance.
Les effets de la modularité du parc nucléaire connus et anticipés font l’objet de mesures et de contrôles de sûreté. M. Cédric Lewandowski, directeur exécutif du groupe EDF en charge de la direction du parc nucléaire et thermique souligne toutefois que les conséquences de la modularité du parc nucléaire « sont tout à fait mineures » ([194]) car elle est peu utilisée. Lors de son audition, M. Lewandowski précise que le débat technique sur les effets de la modularité sur l’accélération de vieillissement des installations concerne le circuit secondaire et qu’EDF a engagé des réflexions sur ce point.
En outre, la production d’électricité par le parc nucléaire a également l’avantage d’être intéressante économiquement. Le rapport sur les travaux relatifs au nouveau nucléaire (PPE 2019-2028), commandé par le Gouvernement et rendu en février 2022 projetant la production de trois paires d’EPR2 font apparaître des coûts complets compétitifs, particulièrement dans un scénario de faible coût du capital ([195])(Encadré 14 : l’analyse des coûts de production du système de production électrique français par la Cour des comptes), et ce, alors même que tous les coûts sont pris en compte (notamment l’impact sur le réseau public de transport).
Cette question des coûts est encore plus sensible pour le parc existant, dont l’amortissement a permis de modérer le coût d’approvisionnement et de pratiquer, sur l’essentiel de la consommation finale d’électricité en France, un prix intérieur non seulement stable et prévisible mais aussi moins élevé que dans les pays ouest‑européens, que ce soit dans les tarifs réglementés ou dans les offres sur le marché français, via le dispositif de l’Accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH).
Pour les ménages français, en dépit de taxes représentant un tiers de leur facture, le prix de l’électricité en France était inférieur de 38 % à la moyenne de l’Union européenne en 2008 ; l’écart était encore de 17 % en 2021 (dernières données consolidées du SDES) et davantage par rapport à ses voisins – avec un prix moyen TTC de 193 €/MWh contre 260 € pour l’Italie, 289 € pour l’Espagne, 327 € pour l’Allemagne – grâce aux mesures de sauvegarde prise par le Gouvernement.
Pour les entreprises françaises, le prix moyen ([196]) hors TVA a atteint 106 €/MWh en 2021. Il reste toutefois nettement inférieur aux prix constatés dans les autres États membres de l’Union européenne (hors quatre pays). Les entreprises françaises bénéficient de prix inférieurs de 21 % à ceux pratiqués, en moyenne, dans l’Union européenne. L’électricité consommée à des fins professionnelles est notamment moins chère en France (106 €/MWh) qu’en Espagne (127 €/MWh), en Allemagne (168 €/MWh) et en Italie (174 €/MWh). ([197])
Grâce au choix stratégique de développer l’énergie nucléaire, notre économie disposait jusqu’alors d’une électricité très compétitive – et déjà peu carbonée.
Encadré 14 : l’analyse des coûts de production du système de production électrique français par la Cour des comptes
Dans un rapport adopté le 15 septembre 2021, la Cour des comptes s’est attachée à actualiser les coûts moyens de production des principales filières d’énergie électriques. L’approche « comptable » tient compte, sur une année donnée, des dotations aux amortissements et d’une rémunération de la valeur nette comptable des immobilisations. L’approche économique, utilisée pour prendre des décisions d’investissement, calcule un coût annuel moyen des investissements sur la durée de vie de l’actif de production. Selon ces dernières, le coût complet moyen du parc nucléaire sur la période 2011‑2020 oscille autour de 42 €/MWh, mais sur la seule année 2019, il s’établit à 43,80 €/MWh. Suivant la méthode économique, les valeurs montent à 60 € sur 2011-2020 et 64,80 € pour 2019. Ces résultats ne concernent que le parc « historique ». Dans un autre rapport de 2020, la Cour des comptes avait estimé que le coût de production prévisionnel de l’électricité fournie par Flamanville pouvait se situer entre 110 et 120 €2015/MWh. À partir des données retenues par l’ADEME et la CRE et des résultats de leurs calculs, aux méthodes distinctes, ou de ses propres calculs, la Cour des comptes relève les chiffres suivants : – éolien terrestre : entre 50 et 70 €2020/MWh ; – éolien off shore : de 98 à 117 €2020/MWh ; – photovoltaïque : les coûts varient notamment selon la taille des installations, entre 61 et 104 € dans la catégorie Grandes toitures et ombrières et entre 88 et 223 € dans le résidentiel ; – de même dans l’hydroélectricité, les coûts oscillent entre 34 € et 150 € selon la taille et la possibilité ou non de prolonger le fonctionnement des installations. Enfin, la Cour des comptes observe qu’il ne suffit pas de comparer les coûts moyens de chaque filière mais qu’il faut regarder le coût du système électrique dans son ensemble, en prenant en compte aussi le coût des moyens de stockage, de flexibilité de la demande, ceux du réseau de transport et de distribution, des interconnexions, etc. |
Enfin, la consommation de combustible et matériaux rares par l’énergie nucléaire s’avère particulièrement réduite. Comme indiqué au d ci‑après, les réserves mondiales d’uranium utilisé pour le combustible des centrales nucléaires et accessibles assureraient 130 à 135 années de fonctionnement en l’état actuel des réacteurs.
Par ailleurs, l’Observatoire de la sécurité des flux et des matières énergétiques ([198]) estime que les trois minerais les plus consommés par la filière à horizon 2050 seront le zirconium (Zr), dont la criticité géologique est présentée comme faible – les réserves actuelles permettraient d’assurer 55 années de consommation au niveau de 2021 –, le bore – utilisé pour la production des barres de contrôle, abondant mais concentré spatialement ([199]), ses réserves assureraient plus de deux siècles de consommation au rythme actuel – , et le niobium (N) – notamment utilisé pour répondre à la détérioration des gaines de combustible des réacteurs à eau pressurisée (REP) ; relativement rare et dont l’approvisionnement est assuré par un seul acteur (CBMM) et quasiment exclusivement depuis le Brésil (plus de 91 % de la production mondiale en 2019), il présenterait des réserves permettant d’assurer un siècle de consommation actuelle ([200]).
Enfin, la filière nucléaire est peu consommatrice des métaux les plus menacés. C’est le cas du cuivre – dont près de 90 % des ressources connues seraient extraites d’ici 2050, dans un scénario à 2°C ([201]) et sera soumis à de très fortes tensions dès 2027 ([202]) – puisque sa consommation par les centrales thermiques (nucléaire ou fossile) est 5 à 10 fois inférieure que par les énergies renouvelables ([203]).
b. Une situation conjoncturelle qui a conduit à un productible nucléaire historiquement bas
La production électrique d’origine nucléaire a toutefois atteint un plafond historiquement bas en 2022, avec 279 TWh produits, résultant à la fois des réparations et des recherches préventives liées à la corrosion sous contrainte relevée dans plusieurs réacteurs à partir de la fin 2021, ainsi que des arrêts programmés et visites décennales ([204]).Cette baisse de productible a largement contribué au résultat net négatif de 17 Md€ en 2022 et à l’accroissement de l’endettement d’EDF de 43 à 64 Md€, devant l’ARENH (cf. partie 2).
À la suite de nouvelles détections de corrosion sous contrainte et de fatigue thermique, EDF a mis à jour son planning de maintenance et de surveillance. Bien que l’énergéticien vise encore une production comprise entre 300 TWh et 330 TWh en 2023, ce niveau resterait historiquement bas, également du fait de l’accumulation des visites décennales prévues et des arrêts programmés.
Les derniers mois ont généré une inquiétude légitime, puisque l’enchaînement des problèmes, des retards consécutifs aux confinements, aux mises à l’arrêt des réacteurs frappés par des phénomènes de corrosion sous contrainte, a montré l’étroitesse de la marge d’adaptation du parc dans son état actuel.
En particulier, les problèmes de corrosion sous contrainte, qui ont été jugés par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), en juin dernier, comme « un évènement sérieux et inédit dont le traitement complet nécessitera plusieurs années » et qui se sont d’abord révélés sur des modèles de réacteurs récents, de 1 500 ou 1 300 MW, suscitent des interrogations inédites sur la capacité de ces installations à bien fonctionner durablement et sur les coûts réels de leur remise à niveau. Ces interrogations s’attachent non seulement aux centrales en activité mais, s’ajoutant aux difficultés techniques rencontrées par la construction de l’EPR de Flamanville, viennent également nourrir les doutes sur la pertinence de cette technologie – à tout le moins sur la pertinence de miser sur une seule technologie dont les vulnérabilités, lorsqu’elles apparaissent, risquent de concerner l’ensemble de la série.
Enfin et surtout, la poursuite des arrêts programmés et des visites décennales prévues dans les prochains mois et années continueront d’exercer une pression sur la marge de manœuvre industrielle et la disponibilité du parc nucléaire.
Source : RTE, Futurs énergétiques 2050.
c. Le défi de la gestion de l’eau anticipé par la filière
Parmi les défis des prochaines années pour le parc existant, l’adaptation au dérèglement climatique constitue un point important. La disponibilité des ressources en eau peut en effet affecter le fonctionnement des réacteurs nucléaires. L’ensemble des systèmes de refroidissement des réacteurs du parc nucléaire français nécessite de prélever de l’eau à proximité, avant de la restituer partiellement ou intégralement.
Deux configurations de réacteurs sont présentes sur le parc français qui compte :
– 26 réacteurs en circuit ouvert (14 réacteurs en bord de mer et 12 en bord de fleuve) : l’eau froide est prélevée dans une réserve d’eau située à proximité (fleuve ou mer). Elle dessert le circuit secondaire (non radioactif) – c’est-à-dire le circuit qui permet de convertir l’énergie thermique en énergie électrique – à travers le condenseur, avant d’être rejetée intégralement dans la source d’eau à une température plus élevée ;
– 30 réacteurs en circuit fermé (en bord de fleuve) : sur le même système, l’eau froide, en quantité bien plus faible, est prélevée est injectée dans le circuit secondaire (non radioactif) à travers le condenseur mais rejoint, en fin de circuit, un aéroréfrigérant pour être refroidie – le refroidissement entraîne une évaporation de l’ordre de 40 % du prélèvement – avant d’être restituée au fleuve ([205]). Ce second système permet de limiter le prélèvement d’eau et d’abaisser la température de l’eau rejetée dans le fleuve.
Figure 28 : configuration des centrales nucléaires
Ce second système permet de limiter le prélèvement d’eau et d’abaisser la température de l’eau rejetée dans le fleuve.
EDF estime que ses 13 sites situés en bord de fleuve ont consommé 400 millions de mètres cubes d’eau en 2021 ([206]).
Les données publiées par le ministère de la Transition écologique, le 30 mars 2023, indiquent que les centrales électriques ont prélevé 15,3 milliards de m3 d’eau en 2019, mais n’en ont consommé qu’environ 490 millions de m3 en moyenne entre 2010 et 2019, soit 12 % de la consommation nationale. ([207])
Figure 29 : paliers techniques et source de refroidissement des centrales nucléaires
Source : RTE, Futurs énergétiques 2050.
Les paramètres de l’eau (température, quantité) restituée, après son utilisation pour le système de refroidissement des centrales, sont réglementés et régulièrement contrôlés. Lors de circonstances exceptionnelles (canicule ou sécheresse) affectant le cours d’eau (débit, température initiale de l’eau), la production des réacteurs est révisée à la baisse afin de respecter les contraintes réglementaires fixées dans un but de préservation de la faune et de la flore.
Le risque d’indisponibilité de production nucléaire résultant de cas de canicule ou de sécheresse pèse essentiellement sur 4 des 18 sites nucléaires français, qui ont représenté 90 % des pertes de production dues à ces indisponibilités sur la période 2007-2021 ([208]). Mais selon les prévisions de RTE pour 2050, le risque pourrait augmenter d’un facteur deux à trois ([209]).
Par conséquent, et malgré les améliorations apportées par EDF, à la suite de la canicule de 2003, à ces installations à l’occasion des réexamens périodiques de sûreté (nouveaux matériels adaptés à des températures plus élevées, augmentation de la performance des échangeurs thermiques, etc.) ([210]), RTE recommande de « trouver des leviers pour minimiser la sensibilité du parc de réacteurs nucléaires au changement climatique, notamment en étudiant le positionnement des futurs réacteurs sur les fleuves peu contraints en matière de débit » ([211]).
Au cours de l’été 2022 (entre le 15 juillet et le 5 août), plusieurs dérogations ([212]) temporaires aux paramètres en vigueur ont été accordées par arrêté, avec l’accord préalable de l’ASN, à certaines centrales afin de leur permettre de rejeter des eaux à des niveaux de températures supérieurs à ceux acceptés (+3°C à la valeur moyenne journalière).
Le 21 mars dernier, la Cour des comptes a également publié un rapport relatif à l’impact du changement climatique sur le parc nucléaire existant mais aussi sur les futurs EPR. L’évolution du climat peut affecter les installations et leur environnement extérieur proche. À cela s’ajoutent les phénomènes périphériques, comme les risques d’incendie proche, et la montée des conflits d’usage de l’eau. La Cour des comptes insiste donc sur la « nécessité d’une approche intégrée et territorialisée ».
Il existe toutefois des alternatives pour installer des centrales nucléaires loin des étendues d’eau. La centrale de Palo Verde (États-Unis) fonctionne ainsi avec les eaux usées de la ville de Phoenix ([213]).
En tout état de cause, la sécheresse ne pose pas de problème de sûreté nucléaire. En cas de manque d’eau, le seul risque encouru est le défaut de production, un risque commun à tous les modes dépendant de l’eau, telles les centrales thermiques et l’hydroélectricité. Les sites en bord de mer n’ont, quant à eux, aucune difficulté d’approvisionnement.
* * *
Le parc de réacteurs nucléaires n’est qu’un maillon de la filière industrielle nucléaire ; il dépend en particulier d’un cycle complet du combustible nucléaire pour être approvisionné, fonctionner correctement et respecter les règles en matière de gestion des combustibles usés et des déchets ultimes.
d. Le cycle du combustible dans la filière nucléaire
Le combustible nucléaire – l’uranium – fournit de l’énergie par fission et non par combustion. Il a la particularité de pouvoir être retraité après son utilisation afin d’en retirer certaines matières recyclables : on utilise donc le terme de cycle du combustible.
Ce cycle regroupe cinq étapes successives : l’extraction de l’uranium dans les mines ; la fabrication du combustible ; l’utilisation du combustible dans le réacteur ; le retraitement du combustible déchargé du réacteur et le traitement et le stockage des déchets (c’est-à-dire la partie résiduelle du combustible usé qui n’est, pour le moment, pas réutilisable).
– Le cycle du combustible nucléaire débute avec l’extraction de l’uranium du minerai uranifère, dans des gisements souterrains ou à ciel ouvert.
Contenant de 1 à 200 kg d’uranium par tonne – un kilo d’uranium produit 10 000 fois plus d’énergie qu’un kilo de charbon ou de pétrole dans une centrale thermique –, le minerai est dissous puis traité pour obtenir une poudre jaune : le yellow cake (99,27 % d’Uranium 238 et 0,7 % d’Uranium 235). Après plusieurs étapes de raffinage et de conversion, celui-ci est finalement converti en tétrafluorure d’uranium (UF4). Ces opérations sont réalisées par Orano dans ses usines de Malvési et de Tricastin.
Seul l’isotope 235 de l’uranium est fissile par des neutrons lents (générant de l’énergie lorsque son noyau est cassé par un neutron) et est présent en très faible proportion dans l’uranium naturel (0,7 %). Pour que la réaction en chaîne se produise dans un réacteur à eau pressurisée (REP), il est nécessaire d’enrichir l’uranium naturel afin que la proportion d’uranium 235 atteigne 3 et 5 %.
L’uranium naturel est importé en totalité. Au niveau mondial, les principaux producteurs sont le Kazakhstan, à 45 %, la Namibie, pour 12 % et le Canada pour 10 %. Les travaux de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ([214]) et de l’AIE ([215]) indiquent une répartition relativement homogène des gisements d’uranium entre zones géographiques, avec en particulier un risque géopolitique faible pour deux des trois pays recelant les ressources les plus importantes (Australie et Canada). Jusqu’à récemment, leurs estimations des ressources s’élevaient à environ 8 Mt, pour une consommation annuelle mondiale d’environ 50 000 à 60 000 tonnes, soit une centaine d’années de fonctionnement. Il va sans dire que ces réserves seront plus rapidement exploitées avec le renouveau que le nucléaire connaît dans le monde.
De son côté, Orano détient des sociétés d’exploitation minière dans plusieurs pays (dont le Canada, le Kazakhstan et le Niger, avec des projets en développement dans plusieurs autres pays, dont la Mongolie par exemple), ce qui lui permet un accès diversifié et de long terme à des volumes prévisibles d’uranium naturel, tout en étant actif sur le marché de l’uranium.
L’enrichissement de l’uranium peut s’effectuer à travers deux procédés développés par l’industrie : la diffusion gazeuse ou l’ultracentrifugation. Le premier consiste à transformer le tétrafluorure d’uranium (UF4) en hexafluorure d’uranium (UF6). Le gaz obtenu est alors « filtré » pour ne garder que les molécules les plus légères, l’hexafluorure d’uranium 235. Le procédé est extrêmement progressif : utilisé par les usines d’Orano du Tricastin (Georges-Besse II), il nécessite 1 400 répétitions pour obtenir un uranium suffisamment enrichi en uranium 235 pour être utilisé dans les centrales nucléaires françaises. L’enrichissement peut également se faire, là aussi très progressivement, à travers une centrifugeuse. Ce procédé est utilisé par le groupe Urenco (Royaume-Uni, Pays‑Bas, Allemagne, États-Unis). La fabrication d’une tonne d’uranium enrichi génère de l’ordre de 8 tonnes d’uranium appauvri qui, jusqu’à ce jour, n’a pas d’usage (cf. stockage).
– La seconde étape du cycle est la fabrication du combustible : l’UF6 gazeux enrichi est converti en poudre d’oxyde d’uranium (UOX).
L’UOX est ensuite comprimée en pastilles de 7 g pouvant libérer une énergie équivalente à une tonne de charbon. Ces pastilles sont introduites dans des tubes métalliques de 4 mètres de long, constituant les « crayons » de combustibles qui composent un assemblage de combustible (264 crayons dans un assemblage). 157 assemblages, soit 11 millions de pastilles, sont nécessaires pour alimenter un réacteur de 900 MW.
– Troisièmement, le combustible nucléaire est introduit dans le réacteur et la réaction est enclenchée.
Environ 900 tonnes d’uranium enrichi à 4 % sont introduites chaque année dans le parc d’EDF et resteront trois ou quatre ans en réacteur. Cela implique de disposer d’environ 7 000 tonnes d’uranium chaque année. Lors de la réaction, certains noyaux U238 capturent un neutron et se transforment en plutonium 239. La réaction dégrade progressivement le combustible (consommation de l’U235 et apparition de produits de fission perturbant la réaction en chaîne). Le combustible usé et fortement radioactif est alors retiré du réacteur et entreposé dans une piscine de refroidissement situé à proximité du réacteur pendant trois années – temps nécessaire à la diminution de son activité avant d’être transportés à l’usine de retraitement d’Orano de La Hague.
– La quatrième étape du cycle est le retraitement du combustible usé qui consiste à récupérer la matière recyclable (plutonium et uranium) et à trier les déchets radioactifs non récupérables. Le combustible usé se compose en effet de 96 % de matières valorisantes hautement énergétiques (1 % de Plutonium et 95 % d’Uranium dont moins d’1 % d’235U) et de 5 % de déchets ultimes qui sont, depuis 1976, retraités par Orano. Pour cela, les éléments du combustible usé sont séparés afin de récupérer l’uranium et le plutonium.
Le combustible usé est d’abord entreposé dans les piscines de l’usine Orano de La Hague, avant d’être retraité pour une partie et transformé en déchet ultime pour une autre. Depuis la mise en service de cette usine, 38 000 tonnes de combustibles usés ont été traitées, dont 900 tonnes en 2022 ([216]).
Les matières valorisantes sont recyclées, respectivement en combustibles MOX (Oxyde mixte U et Pu) et en Uranium de Retraitement (URT).
Figure 30 : cycle du combustible nucléaire avec retraitement
Source : RTE, Futurs énergétiques 2050.
Les combustibles MOX sont utilisables par 24 des 56 réacteurs français actuels ([217]) et par 44 réacteurs dans le monde, soit 10 % du parc mondial ([218]). Fabriqués à Cadarache de 1989 à 1995, la production de MOX a ensuite été reprise par l’usine Orano Melox à Marcoule. Depuis le début de sa mise en exploitation en 1995, près de 3 000 tonnes de MOX ont été produites.
L’usine de Melox rencontre actuellement des difficultés industrielles majeures, atteignant un plus bas historique de production ([219]) mais s’est fixé pour objectif d’atteindre un niveau de production stable de 100 tonnes de MOX par an en 2025 (50 tonnes en 2021, 60 en 2022).
L’uranium issu du retraitement (URT) des combustibles usés peut, après avoir été enrichi (URE), être utilisé comme combustibles pour les centrales. Le combustible URE est utilisé par deux réacteurs français de la centrale de Cruas‑Meysse ([220]). À ce jour, la seule usine au monde de conversion de l’URT en URE se situe en Russie (Rosatom).
Encadré 15 : perspectives de l’enrichissement de l’URT en France
Notons qu’en ce qui concerne l’uranium enrichi, EDF recevait, jusqu’en décembre dernier, de Russie de l’uranium de retraitement (URT) enrichi – appelé URE –, plus précisément issu de l’uranium lui-même issu des combustibles usés de ses réacteurs après retraitement à la Hague. Encore valorisable (car contenant environ 0,9 % d’uranium 235), cette matière peut être convertie et à nouveau enrichie pour être recyclée dans nos réacteurs, ce qui permet d’économiser de la ressource minière, jusqu’à 15 % potentiellement. Disposant d’un stock d’environ 25 000 tonnes d’URT, qui s’accroît de 1 045 tonnes par an, EDF a décidé en 2018 de relancer leur exploitation et a passé un contrat, après appel d’offres, avec l’entreprise russe Rosatom pour convertir et enrichir son URT. Mais cet uranium est toujours la propriété d’EDF. L’enjeu n’était pas d’accéder à une technologie qu’Orano n’aurait pas, mais de renforcer l’économie circulaire du combustible nucléaire, en évitant de consacrer un atelier exclusivement à la conversion de l’URT, au détriment de l’enrichissement de l’uranium naturel. Contrairement à d’autres pays européens, il ne s’agissait pas d’importations d’uranium naturel depuis la Russie vers la France ; celles-ci se sont effondrées depuis 2016‑2017. Au demeurant, notre pays peut se passer de cette source. Parallèlement Orano a signalé son projet d’augmenter ses capacités d’enrichissement de l’uranium à Tricastin, d’ici 2028, pour se substituer à une partie des importations russes en Europe. Orano considère disposer également des capacités de ré-enrichir l’URT dans son usine Georges Besse II sous réserve de certains investissements ; il se dit également capable de construire un atelier de conversion pour la phase préliminaire. |
L’entreprise française Orano dispose des capacités technologiques et des compétences techniques pour « ré-enrichir » l’URT dans son usine Georges Besse II (GBII) située à Tricastin mais précise que le développement d’une telle activité nécessite de réaliser des investissements importants pour des adaptations complémentaires que l’entreprise conditionne à « des engagements commerciaux sur le long terme et de financements associés » ([221]).
Encadré 16 : sécurité d’approvisionnement en combustibles
L’alimentation du parc nucléaire français et des activités de recherche en combustibles peut s’effectuer grâce à différents types de combustibles : l’uranium enrichi utilisé par les centrales nucléaires dont la fabrication nécessite un approvisionnement en uranium naturel ou en uranium de retraitement ; l’uranium hautement ou moyenne enrichi utilisé dans les réacteurs de recherche, le combustible MOX et le combustible URT. Le parc nucléaire français consomme environ 8 000 tonnes d’uranium naturel par an soit 13 % de la consommation mondiale (62 000 tonnes) ([222]). Les ressources mondiales conventionnelles sont estimées à environ 8 millions de tonnes ([223]) – ce qui permettrait d’alimenter, aux conditions actuelles, le parc nucléaire mondial pendant une période de 120 à 135 ans ([224]). Pour renforcer la sécurité d’approvisionnement de son parc nucléaire, la France suit une politique de diversification de ses sources et soumet EDF à une obligation de détention de stocks de longue durée de matières nucléaires, sous le contrôle des autorités gouvernementales – EDF dispose de stocks intermédiaires de plusieurs années et a conclu des contrats permettant de couvrir environ 90 % de ses besoins de référence jusqu’en 2030 ([225]). Pour le seul uranium brut, notre pays dispose, en l’état actuel des besoins de son parc, de plusieurs années de réserves – « deux à trois ans de stocks sont généralement disponibles dans le monde, et en particulier en France, sous le contrôle d’EDF » selon Philippe Knoche ([226]) (données classifiées). À ce stock, s’ajoute les 25 000 t d’uranium de retraitement (URT) ([227]). Une production annuelle de 400 TWh correspond à un besoin de 7 000 t d’uranium avant de réaliser sa conversion puis son enrichissement. En plus des sources conventionnelles, l’utilisation de l’uranium hautement enrichi provenant du démantèlement d’armes nucléaires fournit 10 000 tonnes d’uranium naturel par an en France. La traitement-recyclage des combustibles usés permet en particulier de produire le combustible MOX, qui assure de l’ordre de 10 % de nos besoins permettant d’économiser 2 000 tonnes supplémentaires. Le suivi des stocks et des volumes de matières et déchets radioactifs présents sur le sol français est effectué par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) qui est chargée d’établir tous les cinq ans l’Inventaire national des matières et déchets radioactifs (voir en annexe). Quoi qu’il en soit, chaque filière ayant son combustible propre, on ne peut pas penser séparément une filière de réacteurs et une filière de fabrication des combustibles. Or, l’une des grandes forces de la France est qu’elle maîtrise toutes les activités du cycle du combustible nucléaire présentes sur le territoire national (conversion et enrichissement de l’uranium naturel, fabrication des assemblages de combustibles, retraitement des combustibles usés). |
Conformément au Contrat stratégique de la Filière nucléaire française 2019‑2022 et son avenant, les acteurs de la filière nucléaire – CEA, EDF, Framatome et Orano – se sont organisés pour établir un programme de recherche permettant d’étudier l’intérêt du multi-recyclage en REP (MRREP) des matières (Pu et U) en termes de compétitivité et de gestion des matières et déchets nucléaires ainsi que sa faisabilité et ses performances en réacteurs (sûreté et exploitation) et dans le cycle du combustible (traitement, fabrication, transport, entreposage) ([228]).
La solution de multi-recyclage du plutonium via l’utilisation de combustibles de type MOX2 permettant de valoriser le Pu issu du traitement d’assemblages MOX usés dans les REP pourrait permettre de stabiliser les stocks de plutonium ainsi que les stocks de combustibles usés.
Dans l’attente de l’aboutissement de ces recherches, les combustibles URE et MOX retraités une première fois sont entreposés en piscine, dans la perspective d’une éventuelle revalorisation (MRREP).
En tout état de cause, d’ici 2040, Orano ([229]) estime que les besoins en entreposage atteindront 10 500 à 12 000 tonnes de combustibles usés (hors volumes entreposés pendant trois ans dans les piscines d’EDF attenantes aux réacteurs) pour des besoins en traitement de combustibles usés compris entre 700 et 1 150 tonnes/an. Le volume entreposé pourrait être significativement réduit (- 1 000 tonnes) grâce à la non-fermeture anticipée des tranches moxées – c’est-à-dire de réacteurs utilisant le MOX – prévue dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) 2019-2023, permettrait de réduire de plus de 1 000 tonnes les inventaires de combustibles usés à entreposer d’ici 2040.
La première mise en service des nouveaux EPR étant projetée au plus tôt en 2035, elle aurait peu d’impact sur les projections à 2040. Les piscines de refroidissement suffiront aux premiers déchargements. La solution de référence pour sécuriser l’entreposage des combustibles usés sur le moyen et le long terme est la piscine centralisée d’entreposage EDF, dont la mise en service est ciblée à horizon 2034. Elle sera dédiée à l’entreposage de combustibles MOX et URE usés ([230]).
En effet, en complément, d’autres solutions sont proposées par Orano pour se prémunir du risque de saturation des capacités d’entreposage existantes jusqu’à la mise en œuvre de la piscine d’entreposage centralisée : en premier lieu, un projet de densification des piscines d’Orano à La Hague – dans le respect des limites définies par les décrets ministériels régissant les installations nucléaires de base 116 et 117, en réduisant l’encombrement des paniers actuels d’entreposage dans l’objectif de gagner jusqu’à 30 % de places supplémentaires ([231]). Enfin, la réalisation d’un entreposage temporaire à sec de combustibles usés suffisamment refroidis dans des emballages de nouvelle génération TN Eagle est à l’étude. Cette solution est réversible et temporaire ([232]).
Dans son rapport de 2021, l’ASN souligne cependant qu’une série d’événements fragilise actuellement la chaîne du combustible, mettant le système électrique sous tension et pointe tout particulièrement :
– le risque que l’accumulation de matières ou de déchets radioactifs non anticipée conduise à des conditions d’entreposage « non satisfaisantes du point de vue de la sûreté ». L’ASN revient sur les projets susmentionnés et précise que le besoin d’une piscine centralisée d’entreposage, dont le projet est porté par EDF, avait été identifié dès 2010 et que le démarrage tardif du projet « nécessite la mise en place de parades pour augmenter les capacités d’entreposage existantes » ([233]).
– le projet de densification des piscines de La Hague porté par Orano est « une parade » qui « ne peut constituer une solution pérenne compte tenu des durées d’entreposage nécessaires, de l’ordre d’une centaine d’années, et des standards de sûreté les plus récents » (3) ;
– les difficultés rencontrées par l’usine Mélox d’Orano « induisent une saturation, dès 2022, des capacités d’entreposage des matières plutonifères, du fait de la production d’une quantité importante de rebuts de fabrication » et « pourraient induire une saturation à une échéance plus proche que 2028-2029 des piscines d’entreposage des combustibles usés de l’usine de La Hague » (3) ;
– la découverte d’une corrosion plus rapide qu’anticipée sur les évaporateurs de l’usine d’Orano La Hague réduit les capacités de retraitement jusqu’à changement du matériel, ce qui pourrait dégrader la marge de saturation des piscines de La Hague (3).
Le rapporteur souhaite reprendre les conclusions de l’ASN sur le « manque d’anticipation et de précaution du fait de l’absence de marge » qui fragilise le cycle du combustible et par conséquent le fonctionnement du parc nucléaire (3).
Encadré 17 : une rupture technologique pour le cycle du combustible, les réacteurs à neutrons rapides (RNR)
Depuis les années 1960, la recherche nucléaire se porte sur les réacteurs à neutrons rapides (RNR). Dans un RNR, les neutrons ont la capacité de faire fissionner davantage d’isotopes car ils possèdent une plus grande énergie cinétique. Cette technologie ne nécessite donc pas de modérateur (eau) pour ne pas ralentir les neutrons afin de fissionner davantage de noyaux. Seul un caloporteur est nécessaire pour transporter la chaleur (sodium), transformée en vapeur qui alimente une turbine productrice d’électricité. L’intérêt des neutrons rapides est qu’ils sont les seuls capables d’extraire la totalité de l’énergie de fission contenue dans le combustible qu’ils consomment (U238 + Pu). L’intérêt principal est de pouvoir générer dans certaines conditions plus de matière fissile qu’il n’en en est consommé. Un tel réacteur est dit « surgénérateur ». Figure 31 : schéma de fonctionnement d’un réacteur RNR
Source : Connaissancedesenergies Le combustible des réacteurs rapides se compose de plutonium issu du retraitement et d’uranium appauvri ou d’uranium naturel. Les stocks d’uranium appauvri (qui contient encore moins de U235 et U234 que l’uranium naturel) conservés par la filière française lors des phases d’enrichissement menées en France, et le plutonium issu du combustible usé, permettraient à ces réacteurs de fonctionner pendant plusieurs milliers d’années en se passant totalement d’extraction d’uranium naturel ([234]). Différents types de refroidissement des RNR font l’objet de recherche : les RNR refroidis au sodium, au plomb, au plomb-bismuth et au gaz sont en cours d’élaboration dans plusieurs pays ([235]). Les recherches portent également sur un concept de réacteur rapide à sels fondus (RSF). Les recherches françaises se sont concentrées autour de réacteurs nucléaires à caloporteur sodium (RNR-Na), d’abord avec le réacteur Rapsodie (1967-1982), puis avec Phénix (1973-2009) et avec Superphénix (1986-1998) ([236]). En 2010, le projet ASTRID (Advanced sodium technological reactor for industrial demonstration) visait à reprendre ces recherches avec la conception d’un démonstrateur technologique d’un RNR-Na. Cette piste a toutefois été abandonnée en octobre 2019 (voir rapport, partie 2, III). La principale conséquence de la fermeture complète du cycle est la possibilité de produire de l’électricité au niveau actuel pendant des milliers d’années à partir des réserves existantes, en plus de réduire considérablement la durée de vie des déchets les plus radiotoxiques et supprimer des étapes du cycle actuel (l’extraction minière notamment). |
La dernière étape du cycle du combustible est le conditionnement des déchets ultimes. Les déchets ultimes sont piégés dans une matrice de verre : c’est le procédé de vitrification, qui est développé au CEA et mis en œuvre dans les usines de La Hague.
e. L’enjeu de la gestion des déchets
Sur les 900 tonnes de matière radioactive introduites chaque année dans les centrales électronucléaires françaises, 864 tonnes sont valorisées – car leur composition est de 1 % de plutonium et de 99 % d’uranium appauvri – et réutilisées pour fabriquer un nouveau combustible et 36 tonnes ne sont pas retraitables : ce sont des déchets ultimes.
Depuis 1976, l’usine de La Hague, appartenant à Orano, retraite les combustibles usés et conditionne les déchets ultimes en les piégeant dans une matrice de verre. Vitrifiés, ils sont ensuite coulés dans des conteneurs en inox et entreposés en puits en attendant d’être stockés en couche géologique profonde (projet Cigéo).
Sur les 36 tonnes annuelles de déchets, l’ANDRA distingue :
– les déchets de moyenne activité à vie longue (MA-VL) et de haute activité (HA), principalement issus du retraitement des combustibles usés, qui sont entreposés sur les sites des producteurs de déchets dans l’attente de la mise en service du projet Cigéo, un centre de stockage géologique réversible profond, mené par l’ANDRA à horizon 2027, pour une mise en service industrielle estimée à l’horizon 2040, avec une capacité d’accueil de 10 000 m3 pour les déchets HA et 73 000 m3 pour les MA-VL ;
– les déchets de faible activité à vie longue (FA-VL), qui comprennent en majorité des déchets anciens, provenant notamment des réacteurs UNGG ou d’assainissement de sites pollués au radium. Ces déchets sont entreposés sur les sites de leurs producteurs dans l’attente de solutions de stockage aujourd’hui à l’étude par l’ANDRA ;
– les déchets de faible et moyenne activité principalement à vie courte (FMA-VC), qui ont été pris en charge entre 1969 et 1994 sur le Centre de stockage de la Manche, aujourd’hui en phase de fermeture, et sont stockés depuis 1992 sur le Centre de stockage de l’Aube (CSA), lequel dispose d’une capacité maximale autorisée d’un million de m3. Grâce aux optimisations et réductions de volumes réalisées par les producteurs de déchets et à la création de la filière de gestion des déchets de très faible activité (TFA) en 2003, le taux de remplissage du CSA s’élevait à 36,3 % à fin 2021. L’atteinte de la capacité autorisée du CSA interviendrait aux alentours de 2060 ([237]) ;
– enfin, les déchets de très faible activité (TFA) sont stockés sur le Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage (Cires) depuis 2003. Le rapport sur les travaux relatifs au nouveau nucléaire précise qu’à fin 2021, le Centre avait atteint environ 66,1 % de sa capacité de stockage autorisée de 650 000 m3 ([238]).
Dans sa configuration actuelle, le Cires ne suffira pas pour stocker les volumes de déchets TFA issus des démantèlements à venir dans les prochaines années. Des solutions de gestion complémentaires sont donc actuellement à l’étude. La solution à moyen terme consiste à augmenter la capacité de stockage autorisée du Cires, sans faire évoluer l’emprise actuelle de la zone de stockage et tout en conservant son niveau de sûreté (projet Acaci – Augmentation de la capacité du Cires) pour la porter aux alentours de 900 000 à 950 000 m3. Le volume de déchets TFA issus du démantèlement des installations du parc nucléaire existant permet d’anticiper le besoin d’un nouveau stockage aux environs 2045. La création d’un nouveau site de stockage des déchets TFA doit donc être envisagée.
Ainsi, avant même l’annonce du projet de nouveau nucléaire, on anticipait les besoins à venir de nouvelles capacités de stockage. Toutefois, l’ANDRA souligne que les centres de stockage existants et les projets engagés font de la France l’un des pays les plus avancés en matière de gestion définitive des déchets radioactifs Elle signale que la politique française, notamment dans le cadre du plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR) créé en 2006, fait régulièrement l’objet de revues, notamment par l’AIEA (dont la dernière en juillet 2022), qui en soulignent les points forts et n’ont pas identifié de points sensibles ou de vigilance ([239]).
Fin 2020, la totalité des volumes de déchets stockés en France atteignait 1,7 million m3, répartis selon le tableau suivant :
Tableau 1 : bilan des volumes (en m3) de déchets radioactifs à fin 2020
Source : ANDRA.
En 2019, la Cour des comptes a publié un rapport public thématique sur « l’aval du cycle du combustible nucléaire. Les matières et les déchets radioactifs, de la sortie du réacteur au stockage ». Selon ce rapport, les coûts moyens d’exploitation des installations de stockage et d’entreposage sont de 137,7 M€ en moyenne par an. Les investissements cumulés sur ces installations entre 2014 et 2017 se sont élevés à 255 M€. Mais le coût du projet Cigéo a été fixé par décret à 25 Md€ (aux conditions économiques de décembre 2011).
Décider de la construction de nouveaux réacteurs engendrera, à terme, de nouveaux déchets dont la gestion pourra être financée par la vente d’électricité, au fur et à mesure de leur production. La Cour des comptes avait estimé que les coûts de gestion des déchets représentaient entre 1 et 2 % du coût de production du kWh.
À la demande du Gouvernement, l’ANDRA a réalisé une évaluation technique préliminaire de l’éventuel impact de six nouveaux réacteurs EPR sur les filières de stockage de déchets radioactifs en exploitation ou en projet. Les volumes varient en fonction de la stratégie de retraitement retenue (multi-recyclage, mono-recyclage ou pas de recyclage) entre 3 951 et 2 574 m3 pour les déchets MA-VL et entre 1 872 m3 et aucun pour les déchets HA.
Plusieurs méthodes sont mises en œuvre pour gérer les déchets de la filière. La plus fréquente est de les enfouir, définitivement ou de manière réversible en attendant un éventuel usage ultérieur. Il est également possible d’en retraiter une partie. Cela réduit à la fois les besoins de combustibles et les besoins de stockage à la fin du processus.
f. Une sécurité et une sûreté unanimement reconnues
Les spécificités de la filière nucléaire – le risque d’une contamination et d’irradiation externe ou interne - imposent des dispositifs de sécurité et de sûreté particuliers.
La sécurité des installations nucléaires contre les actes de malveillance est organisée à la fois par les exploitants eux-mêmes et au niveau gouvernemental. Cette mission relève de la direction de la protection et de la sécurité de l’État, au secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN) et s’inscrit dans le concept de la « sécurité des activités d’importance vitale » (SAIV) et dans la planification de la réponse gouvernementale à des crises majeures.
La sûreté nucléaire vise quant à elle à prévenir les accidents nucléaires, ou à en limiter les effets, par un ensemble de dispositions techniques ou de mesures d’organisation relatives à la conception, la construction, le fonctionnement, l’arrêt et le démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives ([240]).
La présence sur les centrales nucléaires et sur les installations de la filière de matière radioactive constitue un danger potentiel pour l’environnement immédiat du site, voire éloigné en cas de dispersion de substances radioactives dans l’atmosphère. Pour protéger l’environnement des risques nucléaires, la sûreté nucléaire s’est développée sur le concept de « défense en profondeur » organisé autour en cinq niveaux ([241]) de défense successifs et permettant de prévenir les incidents, de les détecter et de mettre en œuvre des actions pour qu’ils ne mènent pas à des accidents et gérer les situations d’accidents ([242]).
Un accident nucléaire est un événement pouvant conduire à un rejet d’éléments radioactifs anormal dans l’environnement, en d’autres termes il s’agit du rejet important d’éléments toxiques, notamment radioactifs, ou d’une forte irradiation. Un tel accident peut entraîner une contamination – dite externe lorsqu’il s’agit du dépôt d’une substance radioactive sur la peau, ou interne lorsqu’il s’agit de la pénétration d’une substance radioactive dans le corps (voies respiratoires, digestives, cutanées). Il peut également entraîner une irradiation c’est-à-dire l’exposition de l’organisme à des rayonnements issus d’une source radioactive, qui peut, là aussi, être externe ou interne.
Des accidents nucléaires se sont déjà produits et ont marqué les populations, leur environnement et les autorités de régulation. Three Mile Island en 1979, Tchernobyl en 1986 et Fukushima en 2011 ont ainsi ravivé pendant des années les peurs suscitées par l’énergie nucléaire. L’accident de Tchernobyl a enregistré un bilan certes très lourd mais souvent insidieusement amplifié – près de 200 personnes sont décédées d’un syndrome d’irradiation aigüe ou de ses séquelles entre l’accident et 2006 (et qui aurait peu évolué depuis), auxquels s’ajoutent des décès liés à l’augmentation de la fréquence de certains cancers (il n’est toutefois pas possible d’évaluer avec précision le nombre de cancers ([243]) liés à l’accident). Selon l’IRSN, « il est impossible de dresser un bilan sanitaire exhaustif ».
Ces accidents nucléaires relèvent heureusement de circonstances exceptionnelles liées à une succession d’erreurs humaines graves résultant d’une impréparation et d’un manque d’anticipation. Ayant appris de ces accidents, les autorités de régulation, notamment les autorités françaises, ont adapté leur approche de la sûreté nucléaire et pris des mesures en conséquence ([244]).
La méthode retenue par les autorités de sûreté française de « défense en profondeur » est une méthode déterministe qui permet, pour chaque événement, de prévoir des dispositions et des actions à mettre en œuvre. Elle est complétée par des études probabilistes de sûreté (EPS) permettant d’examiner les possibilités de cumuls et d’enchaînements d’événements. À la suite de l’accident de Fukushima, les installations nucléaires françaises ont fait l’objet d’évaluations complémentaires de sûreté (ECS), prolongées par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) qui élargit le champ d’application des EPS ([245]).
Figure 32 : le principe de sûreté nucléaire « la défense en profondeur »
Source : ASN
La majorité des acteurs de la chaîne de production de la filière nucléaire sont impliqués dans sa sûreté. Les premiers concernés étant les exploitants des installations, l’IRSN, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), les commissions locales d’information (CLI) et le Haut comité pour la transparence et l’information sur la sûreté nucléaire (HCTSIN).
En tant qu’organisme public en matière de recherche et d’expertise, l’IRSN évalue, recherche et anticipe les risques nucléaires et radiologiques. L’IRSN intervient notamment sur les domaines de la sûreté nucléaire, des transports de matières radioactives et fissiles, la protection de l’homme contre les rayonnements ionisants, la protection et le contrôle des matières nucléaires et la protection des installations nucléaires ([246]).
L’ASN assure les missions réglementaires de contrôle et d’information. Elle vérifie notamment le respect de la règlementation et des obligations en matière de radioprotection ou de sûreté et réalise environ 850 inspections chaque année dans les installations nucléaires et le transport des matières radioactives.
L’ASN et l’IRSN tirent des conséquences des incidents et des accidents nucléaires afin d’adopter les règles de sûreté du parc nucléaire français.
L’ASN a également la responsabilité de faire part de sa position sur l’aptitude d’un réacteur à poursuivre son exploitation lors de la visite décennale à laquelle la loi le soumet depuis 2006. Il s’agit d’un arrêt de tranche – c’est-à-dire un arrêt de la production pour changer une partie du combustible nucléaire, assurer la maintenance et les modifications de matériels – associé à des essais et des tests de plus grande ampleur. Il est également l’occasion de réaliser un réexamen de sûreté vérifiant le respect des nouvelles normes édictées depuis la dernière visite décennale. Selon EDF, les visites décennales durent une centaine de jours, soit environ deux fois plus longtemps qu’un arrêt pour simple rechargement du combustible.
g. L’anticipation de l’effet falaise
L’effet falaise désigne la très rapide diminution de nos capacités de production si nous décidions de les mettre hors service à un âge fixe et identique. En effet, l’essentiel du parc a été mis en service en assez peu de temps, entre la fin des années 1970 et le début des années 1990.
Figure 33 : évolution de la puissance nucléaire installée (évolution du parc nucléaire jusqu’à 2044, sans nouvelle construction et dans l’hypothèse d’une mise à l’arrêt des centrales après 40 ans d’exploitation) selon Jean-Marc Jancovici
Source : Blog Jean-Marc Jancovici, 2012 - puissance nucléaire installée en France sans construction supplémentaire et dans l’hypothèse d’une mise à l’arrêt à 40 ans des centrales existantes (en MW).
La puissance installée, qui était de 63 GW en 2012, aurait décliné rapidement à partir de 2018 pour s’établir à moins de 10 GW en 2032. En 2025, la puissance installée résiduelle aurait été inférieure de 40 % à celle de 2012.
Dans cette hypothèse de fermeture relativement simultanée, sans solution de substitution, la France se retrouverait en grandes difficultés. Même souhaitable, la maîtrise de notre consommation électrique ne saurait contrebalancer une telle chute. La France devrait donc augmenter substantiellement ses importations d’électricité et/ou de pétrole et de gaz, si tant est qu’elle en ait les moyens.
Ce défi pour l’approvisionnement électrique de notre pays n’est pas ignoré par les responsables politiques et industriels (cf. partie 2), et le vieillissement des réacteurs nucléaires américains, qui fonctionnent en étant nettement plus âgés et qui pourraient être prolongés au-delà de 80 ans, ouvre une perspective plus lointaine ; mais la découverte d’un défaut générique non réparable ou l’impact du vieillissement sur les centrales pourraient poser une difficulté majeure pour notre approvisionnement électrique.
Ce défi est d’autant plus important que le parc nucléaire actuel, comme l’éventuel nouveau nucléaire, est porté par EDF, qui se trouve face à un besoin d’investissement colossal au titre de la maintenance et du nouveau nucléaire alors qu’elle a atteint un niveau d’endettement de 64,5 Md € fin 2022 (cf. partie 2).
3. La production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables
a. Les capacités de production et la production effective des ENR électriques
Selon le SDES ([247]), en 2021, la production primaire des énergies renouvelables électriques (hydraulique, énergie marémotrice, éolien, photovoltaïque) s’élevait à 111,5TWh.
Longtemps, l’électricité renouvelable française s’est limitée à la filière hydraulique, développée en parallèle à la filière nucléaire. Toutefois, depuis 2005, les productions d’énergies renouvelables (EnR), en général, et électriques renouvelables, en particulier, sont en hausse, même si leur part dans la production totale reste modeste ([248]).
Les données de RTE sur la consommation brute intérieure (hors importations et exportations d’électricité) par filière depuis 2000 illustrent aussi ces progressions – tout en montrant une certaine variation de la production hydraulique, qui dépend des conditions hydrologiques.
Consommations brutes intérieures par filières
En TWh |
2000 |
2005 |
2006 |
2008 |
2010 |
2012 |
2014 |
2017 |
2019 |
2021 |
Hydraulique |
71,6 |
56,2 |
61 |
68 |
67,6 |
63,79 |
67,43 |
52,27 |
58,84 |
61,3 |
Éolien terrestre et maritime |
0 |
0,98 |
2,26 |
5,56 |
9,73 |
14,93 |
16,97 |
23.98 |
33,77 |
36,88 |
Solaire |
0 |
0 |
0,06 |
0,25 |
0,55 |
4,07 |
5,94 |
9,15 |
12 |
14,23 |
Marémotrice |
0 |
0,5 |
0,51 |
0,5 |
0,52 |
0,49 |
0,51 |
0,55 |
0,53 |
0,54 |
Thermique renouvelable et déchets |
0 |
3,3 |
3,34 |
4,12 |
4,85 |
5,77 |
7,1 |
9,32 |
9,48 |
10 |
Addition des filières |
71,6 |
61 |
67,09 |
78,2 |
83,24 |
89,05 |
97,96 |
95,28 |
114,64 |
122.94 |
Source : données de RTE. Notons qu’il y a un écart entre le total des ENR affiché par RTE (117,5 en 2021) et la somme des consommations par filière. Ces chiffres n’indiquent que les volumes d’électricité qui ont transité par le réseau public de transport. Ils ne tiennent donc pas compte des productions en autoconsommation qui ne sont pas injectées dans ce réseau.
Cette progression des énergies renouvelables a été permise par des incitations publiques. En effet, le développement des énergies renouvelables bénéficie d’un soutien de l’État soit en amont dans le domaine de la recherche et développement, soit en phase d’industrialisation en soutien à la demande et au déploiement commercial (par exemple par le biais de tarifs d’achat, d’appels d’offres ou de dispositifs fiscaux) ([249]). Initialement très subventionnées et accompagnées par les garanties de rachat, ces technologies ont vu leurs coûts baisser de façon spectaculaire ([250]).
Ces progrès sont notables, mais encore éloignés des objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). À titre illustratif, ceux pour 2023, de 24 GW d’éolien et de plus de 20 GW de photovoltaïque, ne seront vraisemblablement pas atteints.
Pour transformer les sources d’énergie renouvelables en électricité puis distribuer celle-ci aux consommateurs, les équipements renouvelables nécessitent de nombreux métaux critiques, dont la France ne dispose pas sur son territoire ([251]) et pour lesquels elle a lancé une stratégie spécifique (cf. infra).
La dépendance à ces métaux critiques n’est toutefois pas de même nature que la dépendance française à l’égard des énergies fossiles. Sans pétrole, la grande majorité de nos véhicules se retrouveraient immobilisés. Sans les ressources nécessaires au déploiement des énergies renouvelables, nous ne pourrions poursuivre la transition énergétique de notre pays ; mais les moyens de production existants continueraient à fonctionner.
Enfin, comme a pu l’établir la Cour des comptes, les coûts de production d’électricité à partir de ces sources d’énergie sont très divers et potentiellement très importants lorsqu’ils intègrent les coûts liés au réseau et à la gestion de l’intermittence des énergies telles que le solaire ou l’éolien qui requièrent des flexibilités et des capacités de stockage importantes (cf. Encadré 14 : l’analyse des coûts de production du système de production électrique français par la Cour des comptes).
Tableau 2 : coûts complets de production de l’électricité renouvelable en €/MWh
Équipement |
Coût complet de production en €/MWh Fourchette min-max |
Éolien |
68-108 |
Éolien en mer |
130-329 |
Photovoltaïque résidentiel |
223-407 |
Photovoltaïque commercial |