N° 1079

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÉME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 avril 2023.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE SUR LA PROPOSITION DE LOI visant à surseoir à l’ouverture à la concurrence du réseau de bus de la Régie autonome des transports parisiens (n° 995).

 

 

PAR M. Stéphane PEU

Député

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Voir le numéro : 995.


SOMMAIRE

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Pages

Introduction

COMMENTAIRE d’article

Article unique (article L. 12416 du code des transports et article 1er de l’ordonnance n° 59151 du 7 janvier 1959 relative à l’organisation des transports de voyageurs en Île-de-France) Report de l’ouverture à la concurrence du réseau de bus parisien

EXAMEN EN COMMISSION

Liste des personnes auditionnÉes

 


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   Introduction

Dans une tribune publiée le 5 mars 2023 ([1]), plusieurs parlementaires, syndicalistes et élus de diverses sensibilités politiques ont alerté sur le danger que représente l’ouverture à la concurrence du réseau de bus parisien et de la petite couronne le 31 décembre 2024. Cette ouverture, prévue par la loi relative à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports, prévoit la fin du monopole de la Régie autonome des transports parisiens (RATP) sur le réseau de bus parisien et de la petite couronne.

À moins d’un an de cette échéance, force est de constater que les conditions matérielles, économiques et sociales ne sont pas réunies pour assurer une ouverture à la concurrence réussie. À ce jour, aucun des douze lots définis par Île-de-France Mobilités (IdFM) n’a été attribué. Plusieurs grands enjeux tels que la coordination de l’offre, la gestion des incidents, l’information des voyageurs ou encore la billettique restent en suspens. Par ailleurs, les modalités de transfert du personnel de la RATP vers les opérateurs lauréats des appels d’offres sont toujours incertaines, présageant la dégradation de leurs conditions de travail.

Le calendrier actuel de l’ouverture à la concurrence apparaît d’autant plus précipité qu’il coïncide avec la tenue des Jeux olympiques et paralympiques de Paris, qui susciteront une pression inédite sur le fonctionnement quotidien de l’ensemble du réseau de transport francilien, comme le révèle entre autres le rapport d’étape rendu par les corapporteurs M. Stéphane Mazars (Renaissance) et M. Stéphane Peu (GDR- Nupes) de la mission d’information sur les retombées des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 sur le tissu économique et associatif local.

Quelles que soient les positions qu’il peut y avoir sur le principe même de l’ouverture à la concurrence, un large consensus se dessine sur la nécessité d’y surseoir.

Aussi, afin de répondre aux nombreuses inquiétudes et difficultés identifiées, cette proposition de loi prévoit le report de l’ouverture à la concurrence du réseau de bus au 31 décembre 2028. Elle intervient après que des amendements déposés en ce sens dans le cadre de l’examen en commission du projet de loi relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 à l’Assemblée nationale aient été déclarés irrecevables au regard de la Constitution.

Le délai supplémentaire donnera le temps à l’ensemble des parties prenantes d’élaborer les conditions d’une ouverture à la concurrence la moins préjudiciable possible aux usagers et aux personnels de la RATP.

Repousser l’ouverture au 31 décembre 2028 permettra également de faire coïncider le calendrier avec le scrutin des élections régionales de mars 2028 et ainsi d’impliquer démocratiquement nos concitoyens sur le sujet.

 

 


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   COMMENTAIRE d’article

Article unique
(article L. 12416 du code des transports et article 1er de l’ordonnance n° 59151 du 7 janvier 1959 relative à l’organisation des transports de voyageurs en Île-de-France)
Report de l’ouverture à la concurrence du réseau de bus parisien

Cet article visait, dans sa rédaction initiale, à reporter de quatre années l’ouverture à la concurrence du réseau de bus parisien et de petite couronne. Il a été modifié par la commission pour donner la possibilité à Île-de-France Mobilités d’aménager le calendrier d’ouverture à la concurrence sur une durée maximale de deux ans à partir de la date initialement prévue le 1er janvier 2025.

I.   le droit en vigueur : Le choix de l’ouverture À la concurrence du rÉseau de bus francilien

A.   le droit europÉen permet l’ouverture À la concurrence des rÉseaux de bus

Le règlement européen n° 1370/2007 relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route ([2]) définit les conditions d’organisation de l’ouverture à la concurrence des transports publics de voyageurs par les autorités compétentes. En application de l’article 5 de ce règlement, toute autorité locale compétente peut décider de fournir elle‑même des services publics de transport de voyageurs ou d’attribuer directement des contrats de service public à une entité juridiquement distincte.

L’article 5 de la loi n° 2009‑1503 du 8 décembre 2009 relative à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports (dite « ORTF ») inscrit en droit français le principe de l’ouverture à la concurrence de l’exploitation des lignes de bus.

L’article L. 1221‑3 du code des transports dispose que, conformément aux durées prévues par le règlement européen cité supra, l’exécution des services publics de transport de personnes réguliers et à la demande peut être assurée :

– Soit en régie par une personne publique sous forme d’un service public industriel et commercial ;

– Soit par une entreprise ayant conclu à cet effet une convention avec l’autorité organisatrice, précisant les conditions de fonctionnement et de financement du service.

L’article L. 1241‑6 du code des transports précise que les conventions conclues avant le 3 décembre 2009 se terminent, pour les services réguliers de transport routier, au 31 décembre 2024, sauf stipulation conventionnelle antérieure au 9 décembre 2009, manifestant l’accord entre l’autorité organisatrice et l’opérateur.

B.   L’ouverture À la concurrence des rÉseaux de bus franciliens

En Île-de-France, l’organisation des services de transport est assurée par l’établissement public IdFM, désigné comme autorité organisatrice pour le compte de la région, de la ville de Paris et des sept autres départements constituant la région ([3]). En application de l’article L. 1241‑2 du code des transports, IdFM assure le pilotage de l’ouverture à la concurrence des lignes de bus de l’ensemble du réseau francilien en fixant les relations à desservir, en désignant les exploitants du réseau et en définissant les modalités techniques d’exécution ainsi que les conditions générales d’exploitation et de financement des services.

L’ouverture à la concurrence concerne à la fois le réseau de moyenne et grande couronne, exploité par l’Organisation professionnelle des transports d’Île‑de-France (Optile), dont les opérateurs sont majoritairement Keolis et Transdev, ainsi que le réseau parisien et de la petite couronne, exploité jusqu’alors par la Régie autonome des transports parisiens (RATP).

1.   L’ouverture à la concurrence du réseau de moyenne et de grande couronne est en cours

Dans un premier temps, IdFM a ouvert à la concurrence les réseaux de bus circulant en grande couronne, soit environ 170 millions de kilomètres par an répartis entre 1 100 lignes.

La mise en concurrence du réseau Optile a été précédée d’une phase de contractualisation entre IdFM et les opérateurs membres d’Optile, destinée à préparer la mise en concurrence des services réguliers de transport de voyageurs. Alors que la mise en concurrence devait intervenir avant le 31 décembre 2016, celle-ci a été décalée au 1er janvier 2021.

Afin d’assurer une mise en concurrence équitable de l’ensemble des exploitants, IdFM a acquis plusieurs dépôts stratégiques afin de les mettre à disposition de nouveaux délégataires. IdFM a également garanti la mise à disposition des véhicules nécessaires à l’exécution des services via le rachat des bus aux entreprises exploitant actuellement les lignes.

2.   La décision d’ouvrir à la concurrence le réseau parisien et de petite couronne

La mise en concurrence du réseau de bus de Paris et de sa petite couronne est prévue à compter du 1er janvier 2025. En février 2022, IdFM a établi les modalités de la mise en concurrence des bus RATP en petite couronne et à Paris : douze lots vont être mis sur le marché, soit 315 lignes, 200 millions de kilomètres commerciaux et 4 800 véhicules, pour un chiffre d’affaires total de 1 300 millions d’euros.

Le réseau de bus RATP

(source IdFM)

 

Les quatre premiers contrats de concession porteront sur l’exploitation des lignes de bus des lots :

– 39 – secteur Pays de France ;

– 42 – secteur Boucles Nord de Seine ;

– 43 – secteur Plaine Commune ;

– 45 – secteur Bords de Marne.

La remise des candidatures était attendue avant le lundi 11 avril 2022.

II.   les dispositions de la proposition de loi : Repousser l’ouverture À la concurrence prématurÉe du rÉseau de bus parisien et de petite couronne

A.   Un calendrier inadaptÉ et marquÉ par l’imprÉparation

Au regard de la situation en Île-de-France, la date actuelle de l’ouverture à la concurrence du réseau de bus est prématurée.

1.   La crainte du personnel de la RATP, faute de préparation suffisante

L’ouverture à la concurrence devant être effective le 1ᵉʳ janvier 2025, les mois précédents devraient être caractérisés par le transfert des personnels vers les opérateurs lauréats des appels d’offres. Les modalités de transfert de ces personnels suscitent l’inquiétude légitime des syndicats, du fait de l’impréparation totale des conditions applicables aux agents de la RATP et des dégradations attendues de leurs conditions de travail. C’est ce dont témoigne le nombre croissant de démissions observées chez le personnel de la RATP : 644 en 2021 et 1040 en 2022, dont 610 machinistes receveurs ([4]). Ces vagues de démissions entrainent une déstabilisation globale du service, qui n’a fonctionné qu’à 75 % de ses capacités en septembre 2022. Les usagers en sont les premières victimes.

Aujourd’hui, le personnel de la RATP relève d’un régime distinct, en matière de temps de travail, du droit commun applicable aux salariés du transport public urbain, régi par le décret du 14 février 2000. Le statut de ces personnels est déterminé dans le cadre d’un décret du 7 janvier 1959 relatif à l’organisation des transports de voyageurs en Île-de-France. Les agents des réseaux de transport public urbain par autobus exploités par la RATP disposent par ailleurs de certaines flexibilités et garanties, en particulier pour les 15 000 machinistes-receveurs, du fait des contraintes opérationnelles liées à la densité des zones urbaines concernées et aux impératifs de continuité du service public.

L’article 158 de la loi la loi n° 2019‑1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM) a introduit la possibilité pour le ministre des transports d’établir un « cadre social territorialisé » permettant aux salariés transférés à un nouvel opérateur dans le cadre d’un appel d’offres de bénéficier de garanties sociales liées à l’emploi, au régime de retraite et à la rémunération.

Sur ce fondement, le décret n° 2021‑465 du 16 avril 2021 précise les règles de temps de travail et de repos applicables aux salariés affectés aux services de bus. Plusieurs textes règlementaires manquent toutefois encore, notamment celui sur la portabilité du régime spécial de vieillesse en cas de transfert et celui sur la garantie d’emploi pour les salariés de la RATP en cas de changement d’employeur.

La grève des agents de la RATP en mai 2022 témoigne de la crainte suscitée par l’ouverture précipitée de la concurrence du réseau qui, faute de garanties suffisantes, favorisera la dégradation des conditions de travail, inévitable pour permettre aux opérateurs de remporter les appels d’offre. Cela, d’autant plus qu’aucune information relative à la répartition de la masse salariale entre les douze lots prédéfinis n’a été transmise. Votre rapporteur s’interroge ainsi sur la capacité des entreprises à répondre de façon sincère à ces appels d’offre.

2.   Un risque de désorganisation massive du réseau, préjudiciable aux usagers

Les enjeux de la coordination de l’offre, de la gestion des incidents, de l’information des voyageurs ou encore de la billettique ne sont toujours pas traités, préfigurant une désorganisation durable du réseau et sa paralysie probable.

IdFM doit par ailleurs acquérir plusieurs dépôts stratégiques ainsi que l’ensemble du parc des véhicules nécessaires à l’exploitation des lignes de bus d’ici la mise en œuvre de la mise en concurrence. Le rachat de ces seuls biens est estimé à 4,9 milliards d’euros. Votre rapporteur s’interroge donc sur la capacité de financement de la région Île-de-France, alors que sa présidente, Mme Valérie Pécresse, a déjà fortement augmenté le prix des transports franciliens pour les usagers.

Le calendrier de l’ouverture à la concurrence du réseau parisien et de la petite couronne apparaît d’autant plus précipité qu’il coïncide avec la tenue des Jeux olympiques et paralympiques de Paris qui auront lieu respectivement du 26 juillet au 11 août 2024 et du 28 août au 8 septembre 2024. La pression inédite que fait peser la tenue des Jeux olympiques et paralympiques sur le réseau fait craindre sa forte désorganisation, dans un contexte d’exploitation déjà dégradé. En effet, IdFM entend demander aux opérateurs d’accroître de 15 % la fréquence des bus desservant les sites olympiques pour répondre au besoin de déplacement des 500 000 spectateurs et participants quotidiens pendant les Jeux olympiques.

Pour faire face à cette pression inédite, la RATP devra embaucher de nouveaux agents dans les prochains mois. Leur formation à la conduite sera entièrement prise en charge par l’établissement public, alors que ceux-ci seront amenés à travailler pour un autre exploitant dans les prochains mois ou prochaines années.

B.   l’article unique de la proposition de loi prÉvoit de reporter de quatre ans l’ouverture à la concurrence du réseau de bus

Le dispositif proposé pour l’article unique de la proposition de loi vise à modifier l’article L. 1241-6 du code des transports, en reportant l’ouverture à la concurrence du réseau de bus de quatre ans. La date du 31 décembre 2024 serait remplacée par la date du 31 décembre 2028, permettant ainsi aux acteurs concernés de s’organiser.

Une solution analogue avait été proposée par des députés des groupes GDR-Nupes par voie d’amendements lors de l’examen du projet de loi relatif aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024 en commission à l’Assemblée nationale. Ils avaient été déclarés irrecevables sur le fondement de l’article 45 de la Constitution, faute de lien, même indirect, avec le texte en discussion.

 

III.   les travaux en commission

La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a adopté les amendements de réécriture globale CD11 de M. Henri Alfandari (Horizons), CD12 de Mme Aude Luquet (Démocrate) et CD13 de M. Pierre Cazeneuve (Renaissance). Ces amendements ramènent de quatre ans à deux ans le report de la date limite d’ouverture à la concurrence et donnent la possibilité à Île-de-France Mobilités d’aménager le calendrier d’ouverture à la concurrence sur une durée maximale de deux ans à partir de la date initialement prévue le 1er janvier 2025. Ces amendements ont reçu un avis favorable du ministre délégué chargé des transports M. Clément Beaune et un avis défavorable du rapporteur M. Stéphane Peu.

 

 

 


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   EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du mardi 11 avril 2023, la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a examiné la proposition de loi visant à surseoir à l’ouverture à la concurrence du réseau de bus de la Régie autonome des transports parisiens (n° 995) (M. Stéphane Peu, rapporteur).

La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a examiné la proposition de loi visant à surseoir à l’ouverture à la concurrence du réseau de bus de la Régie autonome des transports parisiens (n° 995) (M. Stéphane Peu, rapporteur).

M. le président Jean-Marc Zulesi. Mes chers collègues, nous examinons la proposition de loi visant à surseoir à l’ouverture à la concurrence du réseau de bus de la Régie autonome des transports parisiens, qui sera discutée en séance publique jeudi 4 mai dans le cadre de la niche du groupe GDR. Ce texte fait l’objet d’une procédure de législation en commission.

M. Stéphane Peu, rapporteur. Notre collègue Stéphane Mazars et moi-même conduisons depuis quelques mois une mission d’information sur les retombées des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 sur le tissu économique et associatif local. Le rapport définitif doit être remis au mois de juin, mais la teneur des premières auditions nous a incités à élaborer un pré-rapport, que nous avons présenté devant la commission des affaires culturelle, compétente pour les questions sportives. Il nous semblait bon en effet de donner l’alerte assez rapidement sur deux points, la sécurité d’une part, et l’organisation des transports de l’autre. Sur ce dernier point, nous avions auditionné M. le ministre délégué chargé des transports et de nombreux acteurs.

Depuis, des choses ont été faites. Le ministre a notamment nommé un coordinateur interministériel pour les transports, ce qui était nécessaire au vu des travaux de notre mission, les différents acteurs ayant tendance à agir chacun dans son couloir respectif.

L’une des propositions que Stéphane Mazars et moi-même avons formulées conjointement dans ce pré-rapport consistait à décaler la date de mise en concurrence des bus parisiens, afin d’éviter une source possible de désorganisation et de conflits au sein de la RATP l’année même de l’organisation des jeux, puisque tout cela devrait avoir lieu dans le courant de l’année 2024.

Nous avons tenté de nous saisir du projet de loi relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, adopté tout à l’heure dans l’hémicycle, pour trouver une solution. Nos amendements ont malheureusement été déclarés irrecevables au titre de l’article 45 de la Constitution, alors que l’adoption de cette loi est nécessaire et urgente pour l’organisation des jeux.

C’est ainsi que nous avons déposé cette proposition de loi, composée d’un article unique. Nous l’avons conçue comme un texte de compromis, au même titre que la préconisation d’un report de la mise en concurrence était un compromis entre deux rapporteurs, l’un de l’opposition, l’autre de la majorité. Mon groupe et moi-même sommes résolument opposés à la mise en concurrence des réseaux de bus, par principe – c’est une position que nous défendons aussi pour d’autres dossiers concernant les transports. Il n’en va pas de même pour Stéphane Mazars. Mais, en responsabilité, nous devions faire abstraction de nos positions respectives pour réussir à décaler la date prévue, qui non seulement rend difficile de réaliser convenablement l’ouverture à la concurrence, mais fait peser un risque sur l’organisation des jeux.

L’article unique de la proposition de loi reprend la suggestion émise dans une première tribune qui avait réussi à réunir la maire de Paris, les syndicats de la RATP et des députés de la majorité qui, malgré leurs divergences de vues sur la mise en concurrence, recommandaient tous d’en décaler la date.

Je tiens par ailleurs à appeler votre attention sur plusieurs points.

Tout d’abord, l’un des atouts de la candidature de Paris à l’organisation des jeux de 2024 était d’être respectueuse des enjeux du développement durable, notamment parce que tous les spectateurs pourraient se rendre aux manifestations en transports collectifs. Une autre particularité de la candidature de Paris 2024 est d’avoir élaboré, pour la première fois dans l’organisation des jeux, une charte sociale associant au comité d’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques (Cojop) les partenaires sociaux, représentés par Geoffroy Roux de Bézieux pour le Medef et Bernard Thibault pour le Bureau international du travail, qui rassemble l’ensemble des organisations de salariés.

Lors du dernier conseil d’administration du Cojop, Bernard Thibault a lancé une mise en garde, insistant pour qu’elle figure au procès-verbal de la séance : compte tenu de l’état d’impréparation de la mise en concurrence et de l’incertitude pesant à la fois sur la direction de la RATP et sur les organisations représentatives des salariés, le fait de ne pas décaler la date de cette mise en concurrence risquait de provoquer de sérieuses difficultés.

Par ailleurs, l’organisation des transports parisiens, qu’il s’agisse des bus, du métro, du RER ou du tramway, est dégradée depuis plusieurs mois, notamment depuis la crise du covid-19. Le nouveau président de la RATP, Jean Castex, s’efforce de rattraper ce retard. Il faut embaucher et former 6 000 agents pour rétablir ce que devrait être le trafic normal de la RATP en Île-de-France. Or, durant les jeux Olympiques et Paralympiques, le défi ne consistera pas à assurer un trafic normal mais à faire face à une fréquentation supérieure de 15 % à la normale, et cela en plein mois d’août, mois généralement allégé. C’est là un immense défi pour les transporteurs : 500 000 spectateurs emprunteront chaque jour les transports en commun durant cette période, soit 13 à 15 millions de personnes supplémentaires en plein mois d’août, ce qui nécessite un immense effort d’organisation et de mobilisation volontaire pour que les salariés soient massivement présents.

Quel est l’état du droit ? Une directive européenne de 2007 a été transposée dans la loi française en 2009, et même sur-transposée – une erreur que nous commettons souvent : nous fixons des délais trop courts ou des mesures excédant celles que nous imposent les directives ; c’est l’occasion d’y réfléchir. Cette directive nous laissait trente ans pour ouvrir à la concurrence les réseaux des bus, soit jusqu’en 2039. La date d’ouverture à la concurrence a été fixée au 31 décembre 2024 et nous proposons de surseoir à cette mesure jusqu’à 2028. Ce délai de quatre ans assurerait une meilleure visibilité pour recruter, former et négocier. En effet, certaines données nous manquent encore, car les décrets précisant les conditions d’ouverture à la concurrence ne sont toujours pas pris, notamment pour ce qui concerne ces points essentiels que sont la gestion des personnels et les conditions de leur éventuel transfert.

Ultime argument, cette date raisonnable de 2028 présente en outre l’avantage d’être postérieure aux élections régionales. En effet, la région est l’autorité organisatrice en matière de transports. La mise en concurrence des lignes de bus dans le cœur de l’agglomération parisienne n’ayant jamais fait l’objet d’un débat public, il n’est pas anormal, en particulier dans un contexte de crise politique, sinon démocratique, de pouvoir débattre de ces enjeux à l’occasion desdites élections.

Nous vous présentons donc une proposition de loi de compromis et de responsabilité, car nous devons tous conjuguer nos efforts pour organiser au mieux les jeux Olympiques et Paralympiques. Il s’agit aussi d’une loi d’anticipation.

Je rappellerai enfin, pour répondre aux dernières interrogations, que le report de 2016 à fin 2020 de l’ouverture à la concurrence du réseau Optile, qui opère dans la grande couronne parisienne, n’a pas porté préjudice à cette opération.

M. Clément Beaune, ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports. Je souhaiterais partager avec vous quelques convictions simples sur ce sujet essentiel non seulement à cause des jeux Olympiques et Paralympiques, mais parce qu’il touche à l’organisation d’un grand service public que nous voulons tous faire fonctionner au mieux pour ses usagers et pour ses agents. Je me réjouis donc, monsieur le rapporteur, que vous ayez ouvert le débat et vous remercie, malgré les quelques divergences que nous aurons vraisemblablement sur l’interprétation ou sur les modalités de cette mesure, de votre volonté de compromis et de responsabilité.

Il importe tout d’abord de clarifier quelques points, car ce débat a été marqué, délibérément ou non, par une certaine confusion. L’ouverture à la concurrence des lignes de bus n’est pas une petite question, puisqu’elle concerne 19 000 conducteurs et le plus important réseau de France. Ce dernier sera évidemment sollicité à l’occasion des jeux Olympiques et Paralympiques, mais son importance dépasse de loin ce moment particulier.

La loi actuelle prévoit bien une ouverture progressive à la concurrence : après les bus, dont il est question aujourd’hui, des dates beaucoup plus lointaines ont été fixées pour les services de tramway et de métro. Nous ne parlons toutefois pas ici de privatisation et, quelles que soient la date et les modalités, il n’est pas question que le service public ne soit plus entre les mains d’une autorité organisatrice – en l’espèce, Île-de-France Mobilités (IdFM), c’est-à-dire la région Île-de-France. C’est bien cela que la France a négocié voilà maintenant plus de quinze ans au niveau européen et que toutes les majorités et tous les gouvernements successifs ont organisé, en plusieurs étapes – après la transposition de 2009, le dispositif a notamment été confirmé et ses modalités précisées en 2013.

Il est important, comme cela se fait pour l’ouverture à la concurrence de certains trains express régionaux ou de certaines grandes lignes, comme la ligne à grande vitesse entre Paris et Lyon, de remettre en jeu à une fréquence relativement régulière l’organisation d’un service public de transport, afin que les modalités, les idées et les pratiques soient aussi ouvertes que possibles et que différents opérateurs puissent y avoir accès. En France, du reste, les opérateurs de ces services sont, dans l’immense majorité des cas, sinon dans la totalité, des acteurs publics ou parapublics. Les candidats des ouvertures à la concurrence s’appellent Transdev ou Keolis et sont rattachés, comme c’est du reste aussi le cas en grande couronne francilienne, à des organismes publics.

Vous posez, monsieur le rapporteur, la question très importante de savoir comment faire fonctionner au mieux le service public après une période qui, pour les Franciliens, les Parisiens et tous ceux qui sont de passage plus ou moins fréquemment à Paris, a été difficile ces derniers mois et le restera sans doute un peu encore.

Nous devons garder à l’esprit trois principes très nets : l’intérêt des usagers, l’intérêt des agents et la clarté des responsabilités. Nous ne parlons pas ici de réorganiser la compétence des transports en Île-de-France. Elle est entre les mains d’une autorité organisatrice, la région Île-de-France, l’État et le législateur étant là pour encadrer l’ouverture à la concurrence.

Dans ce cadre, j’ai déjà dit publiquement que la date du 31 décembre 2024 soulève plusieurs difficultés. La première tient aux jeux Olympiques et Paralympiques : c’est pendant cette période très chargée que vous avez décrite, monsieur le rapporteur, en plein été 2024, qu’il faudrait indiquer aux 19 000 conducteurs de bus parisiens quels seraient au 1er janvier 2025 leur nouvelle affectation et leur nouvel employeur – lequel pourrait en outre être un nouvel opérateur. Tous les entretiens que j’ai eus, notamment avec les agents de la RATP, m’ont convaincu que cela susciterait de l’angoisse, du stress et, potentiellement, de la désorganisation.

Par ailleurs, est-il bon que la bascule vers l’ouverture à la concurrence, quelle qu’en soit la date, se fasse d’un seul coup ? Nous donner un peu plus de temps permettrait de procéder à une ouverture progressive et organisée, aussi apaisée que possible pour les agents et aussi efficace que possible pour les usagers du service public. C’est, me semble-t-il, ce que nous recherchons tous, car l’ouverture à la concurrence n’est pas une finalité, mais une modalité.

Dans cette perspective, une date trop lointaine, comme l’est celle qui figure dans la proposition de loi, risquerait de créer de l’incertitude tant sur le principe même que pour les agents concernés, car on ne saurait plus bien, pendant une longue période de suspension, comment serait organisé le service public du transport à Paris et en petite couronne.

Un délai supplémentaire de deux années me semble être un compromis raisonnable, conservant l’organisation actuelle des responsabilités, l’État et le législateur fixant un cadre et définissant les principes que l’autorité organisatrice serait chargée de mettre en œuvre.

Si donc nous avons à cœur que notre service public en général, et en particulier celui des bus parisiens, fonctionne le mieux possible, soyons pragmatiques et responsables. Essayons de concilier ce principe d’ouverture progressive à la concurrence avec un calendrier raisonnable et une clarification des responsabilités de l’État et des autorités organisatrices. Nous pourrons alors trouver une solution de compromis protectrice et efficace, garante d’un service public qui s’organise au mieux pour ses agents et, surtout, pour ses usagers.

M. le président Jean-Marc Zulesi. Nous allons maintenant entendre les orateurs des groupes.

M. Pierre Cazeneuve (RE). Les Franciliens passent beaucoup de temps dans les bus. Pour moi, c’était le 467 qui m’emmenait au collège, le 460 au rugby, puis les premières émotions des virées à Paris, dans cette capitale qui paraissait si grande, grâce au « ticket jeunes » qui nous offrait la liberté d’un jour. Nous sommes fatalement et indéfectiblement attachés à ce système de transport qui fait partie de notre quotidien, et nous avons à cœur de le préserver.

Malgré des délais très courts, nous avons pu échanger, monsieur le rapporteur, et il me semble que nous pouvons converger autour de cette idée très forte du sens de la responsabilité. À un peu moins de deux ans des jeux Olympiques et Paralympiques, c’est l’honneur de notre nation que toutes les forces vives de notre pays soient concentrées et s’alignent autour de la réussite de cet événement. Avec cette proposition de loi et dans la continuité du pré-rapport que vous avez rédigé avec Stéphane Mazars, vous expliquez parfaitement la nécessité de décaler la mise en concurrence des bus de la RATP, qui, selon ce qui est actuellement prévu, interviendrait quelques jours seulement avant le début des jeux.

Comme l’a très bien dit M. le ministre, nous n’avons pas l’intention de remettre en cause une mise en concurrence qui a été décidée depuis longtemps et votée pour la première fois en 2009, puis confirmée à nouveau par les différents gouvernements : il s’agit maintenant de trouver le compromis le plus juste et, tout en préservant le service fourni aux usagers, de nous accorder sur une date qui pourra convenir à chacun, et à tous les groupes politiques de cette commission.

M. Daniel Grenon (RN). La fin du monopole de la RATP au 31 décembre 2024 est actée de longue date, pour des raisons juridiques négociées avec la Commission européenne. Malheureusement, malgré près de quinze ans pour s’y préparer, force est de constater que les conditions ne sont pas réunies. En effet, bien que toutes les autres lignes de bus en Île-de-France aient été soumises à appel d’offres depuis 2020, le processus d’ouverture du marché des lignes de la RATP pose des problèmes de nature opérationnelle, technique, réglementaire et sociale. Une possible désorganisation du service des transports franciliens est même envisagée, en raison de risques de grève durant les jeux Olympiques et d’enjeux mal maîtrisés : coordination de l’offre, gestion des incidents, information des voyageurs, billetterie, décrets non publiés, incertitude qui demeure quant à la reprise de l’intégralité des agents par les opérateurs privés et au maintien de leur salaire…

Enfin, non seulement Île-de-France Mobilités ne semble pas disposer des moyens humains et financiers nécessaires pour ce chantier inédit, estimé à 4,9 milliards d’euros, mais cette ouverture à la concurrence s’effectue dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, de difficultés de fidélisation du personnel et de dégradation des conditions de travail.

Cependant, si certains demandent un décalage de 2024 à 2028 de l’ouverture à la concurrence des lignes RATP, d’autres dénoncent une forme de chantage des syndicats, car un report n’évitera pas un potentiel conflit social ultérieur, qui sera au détriment des voyageurs, alors qu’ils auraient pu bénéficier de tarifs en baisse et de nouvelles prestations de qualité.

Si donc, a priori, le bon sens tend à soutenir le décalage proposé, l’organisation d’une mission d’information et d’évaluation du report de l’ouverture à la concurrence et de ses conséquences présenterait un grand intérêt pour éclairer au mieux le législateur.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Les difficultés que rencontrent les usagers des transports publics franciliens depuis au moins la première épidémie de covid-19 sont considérables. Celles et ceux d’entre nous qui habitent en Île-de-France le vivent tous les jours : les trains sont bondés et les retards et incidents quotidiens. Trois ans après la première vague de l’épidémie, la présidente de région, Valérie Pécresse, annonce enfin le retour à 100 % de l’offre de transport public pour ce mois-ci… mais pas partout : le RER B, bien sûr, mais aussi les lignes de bus de grande couronne et même quelques lignes de métro intra-muros, qui affichaient moins de 70 % de ponctualité en début d’année, restent affectés.

Ce sont, comme d’habitude, les plus précaires qui souffrent le plus de cette situation – ceux qui se lèvent tôt, ceux qui habitent loin de leur travail, ceux que le prix du logement repousse le plus loin, ceux qu’on a laissé chasser de Paris, ces travailleurs de la première et de la seconde ligne que vous avez applaudis mais pour qui, en réalité, vous ne faites rien. En trois ans, les vagues de démission des personnels de la RATP atteignent un niveau sans précédent, qui pousse à s’interroger sur la capacité réelle de l’entreprise à tenir la promesse du retour à la normale.

Vient désormais s’ajouter à ces difficultés quotidiennes la perspective des JOP 2024. Île-de-France Mobilités anticipe ainsi 9 millions de voyageurs par jour, soit 33 % de plus que la moyenne en été. Les solutions qu’elle propose ne sont pas à la hauteur : à ce jour, aucune rallonge budgétaire n’a été débloquée pour assurer la maintenance du réseau et rien n’est prévu pour anticiper une probable canicule et ses effets, ni pour assurer des compensations salariales au personnel mobilisé.

Mme Pécresse, avec la complicité du Gouvernement, voudrait ajouter à tout cela l’ouverture à la concurrence des services d’Île-de-France. Ce n’est évidemment pas sérieux. Pourquoi s’entêter sur un calendrier que tout le monde manifestement juge intenable, de l’aveu même de Jean Castex, placé à la RATP pour sa docilité ? Le groupe parlementaire LFI-NUPES s’oppose fermement à cette ouverture à la concurrence. Toutefois, en attendant que la majorité ouvre enfin les yeux sur l’inutilité d’un tel projet global, nous soutiendrons la proposition de nos collègues du groupe GDR pour, au moins, y surseoir pendant quatre ans.

M. Antoine Vermorel-Marques (LR). Le risque d’une grève en pleins JOP de Paris 2024 nous inquiète évidemment tous, mais un report aussi radical du calendrier est-il pour autant la solution ? Ce serait céder à la grève avant même d’en avoir reçu le préavis. Le PDG de la RATP, Jean Castex, a dit lui-même que le vrai sujet n’était pas tant la date d’ouverture à la concurrence que la publication rapide des derniers textes réglementaires concernant les conditions de transfert des personnels. Ce n’est donc pas, en principe, au Parlement de chambouler un calendrier connu et accepté depuis 2009, mais à chacun de prendre ses responsabilités. Par ailleurs, un sac à dos social très protecteur est déjà prévu dans les textes et la concurrence, qui agit déjà en moyenne et grande couronne comme partout en France, donne de bons résultats en termes de service à l’usager.

C’est, enfin, une question de justice : si l’on veut maintenir le monopole de la RATP à Paris, soyons cohérents et suspendons son droit de défier ses concurrents ailleurs – ce que ne fait pas cette proposition de loi !

Le groupe Les Républicains proposera donc un amendement de suppression de l’article unique de cette proposition de loi, car l’adoption d’un report de quatre ans reviendrait à céder au chantage et à sacrifier les usagers. Si besoin, le groupe présentera aussi un amendement de repli raisonnable et réaliste. En effet, Île-de-France Mobilités a lancé les premiers appels d’offres pour la réattribution des lignes de bus de la RATP en mars 2022, et ce processus suit son cours.

Notre proposition, à l’esprit duquel adhèrent plusieurs amendements de la majorité, consistera à maintenir la date d’ouverture à la concurrence au 31 décembre 2024 tout en autorisant l’autorité organisatrice à étaler l’attribution des lots après cette date. Aucune mise en concurrence brutale n’est, du reste, envisagée par Île-de-France Mobilités. Cette mesure permettra à la fois à IdFM de demander au Gouvernement de se ressaisir et de publier enfin et rapidement les derniers textes en attente, et à la mission de conciliation voulue par la présidente Valérie Pécresse et menée par Jean-Paul Bailly et Jean Grosset de rendre ses conclusions dans la sérénité, sans être sous la pression d’une proposition de loi.

Mme Aude Luquet (Dem). La RATP est confrontée à de grandes difficultés pour assurer son offre de bus. La crise a connu son apogée il y a quelques semaines, avec la désorganisation totale du trafic, des temps d’attente records et des véhicules bondés – la situation ne devrait revenir à la normale qu’en juin prochain. Les 15 millions de touristes attendus pour les jeux Olympiques et Paralympiques exerceront une pression supplémentaire sur l’offre de mobilité francilienne. Nous partageons les inquiétudes du rapporteur quant au recrutement d’agents, à la billettique ou à l’information des voyageurs.

Le groupe Démocrate estime que l’ouverture à la concurrence est nécessaire et qu’elle apportera une meilleure qualité de service aux usagers, mais il apparaît raisonnable de revoir le calendrier pour donner plus de souplesse à cette transition.

C’est pourquoi, avec nos collègues de la majorité, nous défendrons un amendement visant à donner la flexibilité nécessaire à Île-de-France Mobilités en étalant l’ouverture à la concurrence sur deux ans, avec une date limite fixée au 31 décembre 2026. Cette proposition pragmatique et raisonnable apporte les garanties nécessaires aux salariés de la RATP ainsi qu’aux usagers, pour mener sereinement la transition.

Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). Les députés d’Île-de-France reçoivent quasi quotidiennement des alertes de leurs administrés concernant les transports et le réseau de transports en commun régional. La privatisation de l’ensemble des transports d’Île-de-France n’arrangera pas les difficultés actuelles puisqu’elle disloquera le réseau francilien historique, divisant le territoire en douze lots. Au 1er janvier 2025 donc, douze entreprises privées différentes pourraient exploiter les lignes gérées aujourd’hui par la seule RATP.

La privatisation risque de dégrader les conditions de travail des agents. Selon la CGT, 19 000 agents du réseau de bus de la RATP passeront d’un statut d’agent public à celui de salarié, dans une entreprise dont ils ignorent encore le nom. En cas de refus, ils seront licenciés pour motif économique, sans indemnités.

Le groupe Socialistes et apparentés est fermement opposé à la privatisation de la RATP. Même son ancienne présidente, Mme Guillouard, que l’on ne peut pas considérer comme une fervente opposante à l’ouverture à la concurrence, s’inquiète du calendrier prévu. Le télescopage avec les jeux Olympiques pourrait entraîner de multiples grèves individuelles, des difficultés de recrutement et une montée de l’absentéisme, au moment où les transports en commun seraient les plus sollicités.

Surseoir à l’ouverture à la concurrence du réseau de bus de la RATP est une bonne chose, et nous voterons la proposition de loi de Stéphane Peu. Reporter la fin du monopole de 2024 à 2028 ne suffit pourtant pas. Nous proposerons que l’ouverture à la concurrence soit subordonnée à un avis conforme des collectivités membres d’Île-de-France Mobilités.

M. Henri Alfandari (HOR). Nous sommes conscients des défis techniques, organisationnels et sociaux que l’ouverture à la concurrence représente, notamment dans un contexte de tensions sur la main-d’œuvre et de préparation des jeux Olympiques. Le groupe Horizons partage les préoccupations des cosignataires de la proposition et propose de reporter l’ouverture à la concurrence de deux ans plutôt que quatre, à partir du 1er janvier 2025. Sous cette réserve, nous voterons le texte.

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Le groupe Écologiste-NUPES se prononcera pour la proposition. Nous sommes contre l’ouverture à la concurrence du réseau de bus de la RATP, promesse de nouvelles galères alors que l’on n’en compte déjà que trop. La carte des lots mis en concurrence suffit à montrer que l’on va droit au fiasco. Tout délai est donc bon à prendre, même s’il s’agit d’une proposition de repli. En effet, on aurait pu imposer à la RATP de vendre ses filiales pour n’être pas obligé de mettre fin au monopole public : c’est dans l’intérêt des voyageurs, classes moyennes et populaires, qui gagneront en qualité de transport et en coût, dans l’intérêt des agents et aussi dans l’intérêt du climat, car une transition réussie nécessite des transports publics de qualité.

Ajouter la mise en concurrence à la gestion calamiteuse de la présidente de région, qui a réussi à faire plus cher pour moins d’offre, c’est menacer les transports du quotidien. Tout cela pour que des entreprises publiques se fassent concurrence : cela n’a aucun sens !

Il est beaucoup question des jeux Olympiques. J’y vois une hypocrisie : si la mise en concurrence n’est pas bonne pour les jeux, alors elle n’est pas bonne tout court ! Ou alors, pour paraphraser l’ancien ministre des transports, le temps des visiteurs, la qualité, le confort seraient « précieux » pendant les jeux Olympiques, mais pas le reste du temps ? Faisons simple : reportons la privatisation, si possible aux calendes grecques !

M. Hubert Wulfranc (GDR-NUPES). Le lanceur d’alerte Stéphane Peu a posé les données du problème. Il l’a fait dans un souci de responsabilité, mais sa proposition est en même temps très politique s’agissant d’un événement majeur, qui fera vivre la France et en donnera une image pendant une séquence déterminante. C’est un texte de compromis responsable – presque social-démocrate ! – qui dépasse notre opposition fondamentale à l’ouverture à la concurrence.

Nous tablons sur des engagements majeurs en matière de développement durable pour la politique des transports, sur le fondement d’une charte sociale qui engage les partenaires. Tout accroc à cette charte risque de donner lieu à une crise sociale majeure et à des tensions dont il faut mesurer les incidences sur cette séquence des jeux Olympiques. L’enjeu d’un trafic augmenté de 15 % par rapport à la normale impose de suivre les conclusions du rapporteur et de reporter l’ouverture à la concurrence de quatre ans.

M. Benjamin Saint-Huile (LIOT). Cette proposition met en lumière une problématique que chacun perçoit en Île-de-France. Sans revenir sur les arguments qui s’échangent pour démontrer que l’ouverture à la concurrence est soit la cause, soit la solution des difficultés que connaît la RATP, le groupe LIOT considère simplement que le temps n’en est pas venu. Le calendrier prévu ne permettra pas une ouverture à la concurrence sereine, et les jeux Olympiques font planer l’ombre de difficultés supplémentaires pour les transports. Aucun parlementaire ne peut envisager que la France présente un tel visage.

Il faut donc trouver des solutions de compromis. Bien que favorable au renvoi de l’ouverture à la concurrence à plus tard, j’ai considéré que le compromis issu des amendements offrait une position de sagesse qui, sans être unanime, permettra à notre pays d’assumer ses responsabilités, aux usagers de disposer du service de qualité auquel ils ont droit et aux travailleurs d’être respectés. En effet, l’ouverture est source d’anxiété : il faut donc participer à la réassurance. C’est pourquoi le groupe LIOT est favorable à un report de deux ans et votera les amendements en ce sens.

M. Stéphane Peu, rapporteur. Il n’y a dans la proposition de loi aucun esprit de polémique ou de chantage syndical. Tous souhaitent gérer cette période exceptionnelle pour notre pays de façon responsable, des plus hauts responsables de l’État à n’importe quel Francilien ou conducteur de bus. Nous avons cependant entendu les inquiétudes, tant celles des salariés que celles qui ont trait à l’organisation et à la logistique.

Dans Paris intra-muros et la petite couronne, le réseau de la RATP est un système multimodal, où tout est interconnecté – on prend le bus, puis le métro, le tramway et éventuellement le RER, avec un même opérateur. Si certains éléments seulement de ce système complexe sont mis en concurrence, de nombreuses difficultés surgissent, qu’il convient d’anticiper au mieux.

Pour le réseau Optile en moyenne et grande couronne, l’intermodalité existait mais était moins prégnante. On a tout de même su reporter son ouverture à la concurrence de quatre ans, afin de s’assurer que les conditions soient réunies pour la réussir. Il serait d’ailleurs utile d’évaluer cette première mise en concurrence avant d’ouvrir le réseau de Paris et de la petite couronne, pour ne pas reproduire certaines difficultés. Le retour du réseau de bus du plateau de Saclay, géré par Transdev, dans le giron de la RATP, notamment, a été difficile.

Cette proposition de loi constitue un compromis, loin de ma position sur le sujet. Elle est issue d’une réflexion conjointe, après avoir entendu aussi bien les responsables d’IdFM ou de la RATP que les syndicats et les collectivités. Nous convergeons vers l’idée qu’il est raisonnable et responsable de se donner un délai supplémentaire.

M. le président Jean-Marc Zulesi. Monsieur le ministre délégué, après votre réponse, nous suspendrons la réunion afin que nos collègues puissent participer à un vote dans l’hémicycle.

M. Clément Beaune, ministre délégué. La question des jeux Olympiques et Paralympiques est centrale : chacun veut les réussir, ce qui représente un défi supplémentaire pour l’ouverture à la concurrence. Mais plus largement, c’est pour le service public et ses agents qu’il faut réussir cette transformation. C’est un grand défi opérationnel pour un réseau de transport très intégré, différent de celui de la grande couronne.

Une ouverture à la concurrence bien organisée, faite par étapes dans un cadre qui donne plus de souplesse, peut être une chance pour le service public. Mais elle ne peut être réalisée de manière précipitée, ou du moins conjointement à un événement aussi important que les jeux Olympiques et Paralympiques, sachant que toutes les questions pour réussir cette étape n’ont peut-être pas été résolues.

Reporter l’ouverture de deux ans est un compromis intéressant. Il s’agit de combiner les exigences d’un service public qui fonctionne et d’une mise en concurrence encadrée, qui apporte des pratiques complémentaires utiles, tout en relevant par une organisation souple les défis relatifs à la sécurité, à l’information des voyageurs et à la coïncidence avec les jeux Olympiques.

Le règlement européen prévoit un délai ; chaque pays a négocié avec la Commission européenne une date d’ouverture à la concurrence de ses différents services et lignes. La France a fait le choix de plusieurs dates. Cet équilibre, issu d’un texte de 2009, a été agréé lors d’une longue négociation en 2013, sous une autre majorité. Ouvrir une nouvelle négociation pour décaler le délai de trois, quatre ou cinq ans serait très lourd alors qu’un report de deux ans permettrait de conserver le cadre actuel.

Article unique (article L. 1241‑6 du code des transports et article 1er de l’ordonnance n° 59‑151 du 7 janvier 1959 relative à l’organisation des transports de voyageurs en Île-de-France) : Report de l’ouverture à la concurrence du réseau de bus parisien

 

Amendements de suppression CD4 de M. Robin Reda et CD15 de M. Antoine Vermorel-Marques.

M. Robin Reda (RE). Je défends cet amendement de suppression dans un réflexe quasi pavlovien, en tant qu’élu francilien et usager des transports en commun, frappé par l’idée que la mise en concurrence des réseaux de transport puisse être reportée. Je mesure le travail transpartisan qu’a mené le rapporteur mais sa proposition procède d’un prisme idéologique qui n’est pas celui de la majorité.

Partout en France, le principe de la délégation de service public, catalyseur de la qualité de service, fonctionne pour les transports en commun. On voit mal pourquoi l’Île-de-France y échapperait par nature.

Par ailleurs, considérer que l’attribution des lots entraînerait automatiquement une réaction sociale relève du pessimisme. On peut faire confiance aux agents de la RATP, et aux éventuelles conventions de transfert pour respecter le personnel. On peut aussi imaginer que la RATP succède à la RATP, comme c’est le cas pour plusieurs lignes de la SNCF.

Les usagers des transports franciliens ont droit à de meilleurs transports et à un dialogue compétitif plus équilibré entre l’autorité organisatrice de la mobilité et les opérateurs. C’est pourquoi je propose de rester fidèle à notre ambition réformatrice et aux attentes des usagers, en maintenant le calendrier initial.

M. Antoine Vermorel-Marques (LR). Que des députés de la majorité se rappellent les fondements du parti présidentiel, cela change des cosignataires de cette proposition de loi communiste !

Au-delà de la question des jeux Olympiques, un des arguments invoqués en faveur du texte touche aux élections municipales et présidentielles. Mais alors, sachant que depuis 1958 nous avons connu cinquante-huit années de scrutin, nous aurions dû n’avoir que sept années utiles pour réformer le système des transports en France ? Cela nous surprend, et c’est pourquoi, en lien avec notre collègue de la majorité, nous avons déposé cet amendement de suppression.

M. Stéphane Peu, rapporteur. Si j’avais rédigé cette proposition de loi avec un prisme idéologique, elle aurait clairement visé à empêcher la mise en concurrence et à conserver le monopole d’une entreprise publique sur les transports franciliens. Elle est au contraire un texte de réalité, corroboré par tous les acteurs de la politique du transport en Île-de-France, des salariés aux responsables d’entreprises, soucieux que les choses se passent au mieux.

L’Île-de-France n’est pas la seule région qui échappe à la mise en concurrence. Comme le règlement européen le permet, plusieurs régions ont fait le choix d’une régie publique non concurrentielle, à laquelle les autorités organisatrices de la mobilité confient, par délégation, les transports de leur métropole ou région. On pourrait d’ailleurs reprocher à IdFM de n’avoir pas étudié la possibilité de faire évoluer la RATP vers une régie publique régionale qui aurait conservé la gestion des transports, avec un statut différent. Une comparaison aurait été intéressante, mais cette absence de réflexion montre justement qu’un autre prisme idéologique l’a emporté.

Avis défavorable.

M. Clément Beaune, ministre délégué. Je défends une position d’équilibre, avec un report de deux ans et une progressivité, dans le cadre de la responsabilité de la région et d’Île-de-France Mobilités. Les enjeux méritent que l’on se pose la question du calendrier, même s’ils ne sont pas uniquement liés aux jeux Olympiques et Paralympiques.

Il ne faut pas confondre la délégation de service public qu’a évoquée M. Reda et la possibilité de régies uniques mentionnées par M. le rapporteur.

La délégation de service public signifie que l’on remet régulièrement en jeu les contrats signés pour une durée limitée entre autorités organisatrices et opérateurs de transport. C’est une des réformes bénéfiques que propose le cadre européen. Elle vaut, dans un cadre public, pour l’immense majorité des métropoles et de plus en plus de régions de France. Pour des raisons historiques bien connues, en Île‑de‑France, la RATP n’a pas mis régulièrement en jeu les contrats.

Puis se pose la question d’avoir un ou plusieurs opérateurs dans un périmètre donné. Chaque autorité organisatrice y répond, en fonction de la taille de sa métropole – le vaste territoire de l’Île-de-France justifie le choix d’IdFM de l’avoir découpé en lots. En pratique, quand bien même vous voudriez ouvrir le marché à plusieurs opérateurs, il n’y en a que trois en France, tous rattachés de près ou de loin à la sphère publique. Peut-être seront-ils plus nombreux demain.

Je vous propose donc de retirer ces deux amendements au profit des suivants, qui témoignent d’un esprit de compromis et de responsabilité.

M. Hubert Wulfranc (GDR-NUPES). Comme à chaque fois que l’opposition présente une proposition de loi, nous avons eu les arguments du « porte-flingue » de la majorité.

Quant au député du groupe Les Républicains, il a fait allusion à la dimension démocratique de la proposition de loi, c’est-à-dire à la possibilité que laisse le report à quatre ans d’entamer un débat à l’occasion d’échéances électorales. C’est un élément majeur, dans un contexte où le recours à la consultation des populations est d’actualité – au-delà d’un référendum sur la trottinette.

La problématique est sérieuse, le ministre délégué le reconnaît. Stéphane Peu y répond en invoquant un principe de réalité, qui guide la démarche de notre groupe, celle d’une gauche responsable, capable d’un dépassement idéologique. Ne pas ouvrir droit à cette discussion serait sous-estimer notre contribution et celle de Stéphane Peu pour résoudre un problème patent, qui engage jusqu’à la crédibilité du pays.

Nous voterons contre les amendements de suppression.

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Tout a été dit sur le fond, mais la question de la forme et du travail parlementaire se pose. Nous discutons à nouveau d’amendements déposés par Les Républicains et En marche pour supprimer l’article unique d’une proposition de loi de l’opposition. Nous avions subi le même traitement lors de la niche parlementaire écologiste. J’y vois une absence complète de volonté de coconstruction. Au-delà des slogans sur la nouvelle méthode, il n’y a que passage en force. Vous sabrez systématiquement et fermez tout débat, y compris, et c’est nouveau, lorsque le ministre vous appelle à des positions de compromis. Je suis curieux de la suite.

M. Robin Reda (RE). « Défourailler le premier. C’est un peu sommaire, mais ça peut être efficace. » La preuve, cela vous a fait réagir. Je range donc le flingue, pour dire trois choses.

D’abord, la concurrence est déjà une réalité en France, et elle fonctionne. S’agissant de l’enjeu du dialogue social ensuite, un temps est nécessaire pour rassurer et accompagner les personnels, la transition et les matériels. Enfin, il y a la question fondamentale de l’alignement avec les acteurs du terrain, qui sont in fine les responsables de ce qui fonctionne ou non.

Il faut trouver un compromis, un juste milieu entre un projet politique, un prisme idéologique et le pragmatisme de terrain dont nous sommes tous dépositaires, avec les élus locaux. Je retire donc mon amendement de suppression au profit des amendements de compromis qui suivront.

M. Bruno Millienne (Dem). Je félicite M. Reda d’avoir maîtrisé son réflexe pavlovien et retiré son amendement, qui n’était d’ailleurs pas un amendement du groupe Renaissance, monsieur Bayou.

Si M. Reda avait maintenu son amendement, j’aurais évoqué le fait que, outre l’attribution des douze lots, le sort du centre de régulation, qui fonctionne pour l’heure très bien, n’a pas encore été réglé. Je n’ose imaginer le bazar qui résulterait de la présence de douze opérateurs, un par lot !

M. Antoine Vermorel-Marques (LR). Nous avons entendu les propos du ministre délégué. C’est non par un réflexe pavlovien mais par conviction, et surtout par esprit de conciliation, que nous retirons notre amendement au profit de l’amendement CD16.

Les amendements sont retirés.

 

Amendements CD7, CD8, CD5, CD9, CD6 et CD10 de M. Jérôme Guedj, amendements identiques CD11 de M. Henri Alfandari, CD12 de Mme Aude Luquet et CD13 de M. Pierre Cazeneuve, et amendements CD16 de M. Antoine VermorelMarques et CD14 de Mme Fatiha Keloua Hachi (discussion commune).

Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). L’amendement CD7 vise à revoir le calendrier de mise en concurrence de l’exploitation des services réguliers de transport routier et par tramway, en reportant la fin du monopole « au plus tôt le 31 décembre 2035 ».

De la même façon, le CD8 reporte la fin du monopole « au plus tôt le 31 décembre 2030 » pour le service régulier des transports routiers et du tramway.

L’amendement CD5 fait de même pour les seuls transports routiers, et précise que la fin de monopole des services réguliers de transport par tramway et de transport guidé interviendra « au plus tôt » à la date initialement prévue.

Enfin, l’amendement CD9 reporte l’échéance de mise en concurrence de l’exploitation des seuls services réguliers de transport routier « au plus tôt le 31 décembre 2030 ». Le CD6 reporte cette échéance « au plus tôt le 31 décembre 2028 » et fait des dates prévues pour les autres modes de transport les échéances les plus proches, plutôt que les plus tardives, pour y mettre fin. L’amendement CD10 reporte seulement l’échéance de fin de monopole d’exploitation des bus « au plus tôt le 31 décembre 2028 ».

M. Henri Alfandari (HOR). L’amendement CD11 vise à reporter de deux ans à partir du 1er janvier 2025 la date limite d’ouverture à la concurrence.

Mme Aude Luquet (Dem). Nous voulons nous aussi donner à Île-de-France Mobilités la flexibilité nécessaire pour aménager le calendrier d’ouverture à la concurrence sur une durée maximale de deux ans à partir de la date initialement prévue.

M. Pierre Cazeneuve (RE). Il n’aura échappé à personne que nous cherchons un compromis, y compris au sein du groupe Renaissance. Avec le rapporteur, nous partageons l’essentiel, à savoir l’idée que la date d’ouverture à la concurrence initialement prévue n’est applicable par personne, ni IdFM, ni la RATP, ni les utilisateurs. S’y ajoute le fait que l’échéance serait concomitante avec l’organisation des jeux Olympiques, événement sur lequel la RATP devra focaliser toute son énergie le moment venu.

Les trois groupes de la majorité ont déposé des amendements identiques. Considérant qu’un report de quatre ans reviendrait à renvoyer l’ouverture à la concurrence aux calendes grecques, nous proposons de couper la poire en deux, en le réduisant à deux ans – avec, je l’espère, le soutien du Gouvernement. Nous voulons aussi redonner à chacun la responsabilité qui lui incombe, en précisant que c’est à la présidente de la région, qui préside aussi l’autorité organisatrice des transports, qu’il reviendra de piloter l’ouverture à la concurrence. J’espère que cette disposition sera de nature à satisfaire Antoine Vermorel-Marques.

M. Antoine Vermorel-Marques (LR). Non, car, contrairement à vous, je ne me retrouve pas dans cette proposition de loi qui, comme l’a indiqué M. le rapporteur, vise en réalité à empêcher à moyen et long terme l’ouverture à la concurrence des transports en Île-de-France. En revanche, nous sommes d’accord pour jouer sur certains paramètres, notamment en laissant à la région, dans un souci de décentralisation de la décision, la possibilité d’étager la mise en concurrence entre le 31 décembre 2024 et le 31 décembre 2026. Tel est le sens de l’amendement CD16.

Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). L’ouverture à la concurrence n’est nullement une obligation, les textes européens laissant le choix entre une gestion en régie directe et une délégation de service public impliquant de passer des appels d’offres. En conséquence, l’amendement CD14 vise à subordonner l’ouverture à la concurrence à un avis conforme des collectivités membres d’Île‑de-France Mobilités.

M. Stéphane Peu, rapporteur. Les amendements CD5 à CD10 ont été déposés par le groupe Socialistes à l’issue d’un travail commun avec le groupe communiste du conseil régional d’Île-de-France, ce dont je me félicite. J’en comprends la logique : dès lors qu’on est hostile, sur le principe, à l’ouverture à la concurrence, on souhaite reporter aussi tardivement que possible sa mise en œuvre, et cela non seulement pour les bus, mais aussi pour les autres modes de transport. Si je suis d’accord sur le fond, ce n’est cependant pas l’esprit de la proposition de loi qui, au-delà de la question des transports en Île-de-France, permet aussi de tester la volonté de compromis si souvent affichée par le Gouvernement et par la majorité mais rarement vérifiée. Je ne peux néanmoins pas me déclarer défavorable à ces amendements et m’en remettrai à la sagesse de la commission.

Je reconnais que, par rapport aux amendements de suppression présentés précédemment, les amendements identiques ouvrent une voie de compromis. Néanmoins, j’ai le sentiment d’avoir parcouru déjà beaucoup, beaucoup de chemin dans cette voie en proposant quatre ans et je ne voudrais pas qu’au sortir de cette proposition de loi, il ne reste qu’une seule des trois syllabes du compromis, si vous me permettez de le dire avec humour.

Le vrai problème est que lors des auditions, tout le monde, de la direction de la RATP à la Mairie de Paris en passant par les salariés, a déclaré redouter le délai fixé ; seule IdFM veut le tenir, « quoi qu’il en coûte », nonobstant les conséquences, y compris sur les jeux Olympiques. Je crains que lui laisser les mains libres ne revienne à vider de sa substance la proposition de loi. C’est pourquoi je donne un avis défavorable aux amendements identiques, ainsi qu’aux amendements CD16 et CD14.

M. Clément Beaune, ministre délégué. Étant déjà réticent à un report de quatre ans, je ne puis qu’être défavorable aux amendements CD5 à CD10.

Je suis, dans un esprit de concorde, de compromis et de responsabilité, favorable à un report, mais d’une durée qui doit être encadrée – y compris pour des raisons sociales, car il n’est pas bon de vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Si cette durée est par nature discutable, le délai intermédiaire proposé par les auteurs des amendements identiques me semble opérant, tout en tenant compte des difficultés réelles liées à cette transformation – M. Millienne a évoqué le centre de contrôle, il y a aussi les questions de sécurité, la régulation du trafic, l’information des voyageurs – dans une période où l’ensemble du monde des transports sera accaparé par un événement international.

L’amendement CD16 est dans le même esprit mais se distingue en ce qu’il porte sur l’attribution des lots, et non sur la mise en service. Je suggère, monsieur Vermorel-Marques, que vous le retiriez au profit des amendements identiques.

L’amendement CD14 traite quant à lui de la question beaucoup plus large de la répartition des compétences en matière de transport en Île-de-France, puisqu’il instaurerait une sorte de droit de veto au sein d’IdFM. Le Gouvernement ne veut pas ouvrir ce débat ce soir. Avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements CD7, CD8, CD5, CD9, CD6 et CD10.

Elle adopte les amendements identiques CD11, CD12 et CD13, et l’article unique est ainsi rédigé.

En conséquence, les amendements CD16 et CD14 tombent, de même que l’amendement CD1 de M. Aurélien Saintoul.

 

 

Après l’article unique

 

Amendement CD2 de M. Bastien Lachaud.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). L’ouverture à la concurrence du réseau de transports géré par la RATP est prévue par les textes européens et inscrite dans le droit français : d’après le code des transports, elle doit avoir lieu en 2024 pour les bus, en 2029 pour les tramways et en 2039 pour les métros et RER. Nous souhaitons supprimer ces mentions.

L’ouverture à la concurrence et la privatisation ont été les priorités d’Emmanuel Macron dans le secteur des transports, conformément à la vision d’une Europe libérale qui brade notre patrimoine national et s’attaque aux emplois et aux conditions de travail des personnels tout en continuant à dégrader le niveau de service rendu aux usagers. Le transport est appréhendé sous l’angle de la rentabilité à court terme, au mépris du service public. La même erreur a déjà été commise à plusieurs reprises, avec la privatisation d’EDF, de la SNCF, de France Télécom, de La Poste. Vous proposez de tuer le dernier Epic (établissement public industriel et commercial) de France, alors même qu’on revient sur la privatisation d’EDF !

Savez-vous quel est le point commun entre Sidney, Florence, Alger, Hong Kong et Mumbai ? La RATP ! Elle est un fleuron français qui s’exporte, la cinquième plus grande entreprise de transports publics au monde. Vous faites semblant de ne pas reconnaître son savoir-faire.

Nous sommes contre l’ouverture du réseau de transports à la concurrence : n’importe qui sait que les transports publics sont un monopole naturel et que la concurrence ne peut fonctionner.

M. Stéphane Peu, rapporteur. On peut appeler cela un amendement d’appel, et je comprends fort bien que, dans le cadre d’un débat parlementaire, on dépose des amendements qui ne sont pas directement opérants mais permettent d’exposer un point de vue général.

Pour ma part, je ne suis pas certain que le fait que la RATP exporte ses savoir-faire partout soit une bonne chose. Si IdFM avait examiné la possibilité que la RATP devienne une régie publique régionale capable de répondre à une délégation de service public, peut-être aurions-nous pu conserver un monopole public, dans un cadre différent de l’actuel. De mon point de vue, il aurait été bien préférable que la RATP s’exporte moins mais conserve son monopole public en Île-de-France. Je regrette que ce ne se soit pas passé ainsi – mais peut-être n’est-il pas trop tard.

Je ne peux appeler à voter contre l’amendement, mais j’en demande le retrait. À défaut, je m’en remettrai à la sagesse de la commission.

M. Clément Beaune, ministre délégué. M. le rapporteur a parfaitement indiqué les tenants et les aboutissants du débat.

Je suis toutefois surpris par votre argument concernant la stratégie de la RATP à l’international, monsieur Saintoul. Quoi qu’on pense de celle-ci, ce qu’ont en commun Sydney, Mumbai, Londres et les autres, c’est précisément l’ouverture à la concurrence, et ceci dans un cadre de service public ! C’est cela qui a permis à la RATP d’exporter son savoir-faire.

Quant à savoir s’il s’agit de son cœur de métier, c’est une autre question – le président Jean Castex a d’ailleurs ouvert une discussion sur le sujet. Mais les exemples que vous avez cités devraient être de nature à vous rassurer concernant l’équilibre que nous avons trouvé.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Serais-je Florentin ou Indien que j’aurais le même avis sur l’ouverture à la concurrence ! Ce constat n’était pas un argument en sa faveur, mais pour la reconnaissance du savoir-faire de la RATP.

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). Je voterai pour l’amendement, mais je voudrais ajouter une remarque politique.

Nous avons intérêt à ne pas présenter le droit européen de la concurrence comme complètement fermé. Il ne doit pas nous empêcher d’engager des débats et de mener des combats pour faire reculer son application. À plusieurs reprises dans cette assemblée, alors qu’on nous l’opposait, nous avons réussi à faire bouger les lignes. Prenez l’étiquetage des denrées alimentaires : dans un premier temps, on nous a dit qu’il portait atteinte au droit européen de la concurrence, avant qu’il ne soit expérimenté, puis généralisé. Les Allemands ont pour leur part réussi à résister en partie à son application pour ce qui concerne le chemin de fer.

Je condamne l’ouverture des marchés à la concurrence au niveau européen, et je considère que nous devons nous efforcer de la freiner autant que nous le pouvons. Soyons plus ouverts que ceux qui la promeuvent sur un fondement purement idéologique.

Réjouissons-nous aussi que certains orateurs reconnaissent que les fondations de La République en marche sont l’ouverture des marchés et le libéralisme à tous crins : d’habitude, alors qu’ils ont la queue du renard qui sort de la gueule, ils nient l’avoir croqué !

La commission rejette l’amendement.

 

Elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

 


Liste des personnes auditionnÉes

(par ordre chronologique)

 

Mairie de Paris

M. David Belliard, adjoint à la maire de Paris en charge des transports

 

RATP*

M. Jean Castex, président-directeur général

 

Table ronde avec des organisations syndicales

UNSA-RATP

M. Arole Lamasse, secrétaire général

CFE CGC Groupe RATP

M. Fabien Renaud, président

M. Christophe Legendre, coordinateur réseau de surface RATP

CGT-RATP

M. Bertrand Hammache, secrétaire général de l’Union syndicale CGT de la RATP

M. Vincent Gautheron, secrétaire à la vie syndicale de l’Union syndicale CGT-RATP

FO Groupe RATP Bus

M. Tarik Gouijjane, trésorier du comité social et économique 2 du département réseau de surface de la RATP

M. Salman Najah, trésorier du syndicat FO

M. Achraf Abbouz, élu au comité social et économique 2 du département réseau de surface de la RATP

 

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.


([1]) RATP : il est nécessaire de surseoir à la mise en concurrence, La Tribune, 05 mars 2023.

([2]) Règlement n° 1370/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route et abrogeant les règlements (CEE) n° 1191/69 et (CEE) n° 1107/10 du Conseil.

([3]) Article L. 1241‑1 du code des transports.

([4]) Source : RATP.