N° 1091

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 12 avril 2023.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE ( 381)
DE M. RICHARD RAMOS,

 

relative à l’interdiction des additifs nitrés
dans les produits de charcuterie,

PAR M. Richard RAMOS

Député

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(1)               La composition de la commission figure au verso de la présente page.


 

La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pieyre-Alexandre ANGLADE, président ; M. Pierre-Henri DUMONT, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Frédéric PETIT, Charles SITZENSTUHL, vice‑présidents ; M. Henri ALFANDARI, Mmes Louise MOREL, Nathalie OZIOL, Sandra REGOL secrétaires ; MM. Gabriel AMARD, Rodrigo ARENAS, Pierrick BERTELOOT, M. Manuel BOMPARD, Mme Pascale BOYER, MM. Stéphane BUCHOU, André CHASSAIGNE, Mmes Sophia CHIKIROU, Annick COUSIN, Laurence CRISTOL, MM. Thibaut FRANÇOIS, Guillaume GAROT, Mme Félicie GÉRARD, MM. Benjamin HADDAD, Michel HERBILLON, Alexandre HOLROYD, Philippe JUVIN, Mmes Brigitte KLINKERT, Julie LAERNOES, Constance LE GRIP, Nicole LE PEIH, M. Denis MASSÉGLIA, Mmes Joëlle MÉLIN, Yaël MENACHE, M. Thomas MÉNAGÉ, Mmes Lysiane MÉTAYER, Danièle OBONO, Anna PIC, M. Christophe PLASSARD, Mme Barbara POMPILI, MM. Jean-Pierre PONT, Richard RAMOS, Alexandre SABATOU, Nicolas SANSU, Vincent SEITLINGER, Mmes Michèle TABAROT, Liliana TANGUY, Sabine THILLAYE, Estelle YOUSSOUFFA.

 


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 SOMMAIRE 

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 Pages

Introduction

PREMIÈRE PARTIE : les additifs nitrÉs, dont l’emploi dans la charcuterie est massif, REPRÉSENTENT UNE GRAVE MENACE SANITAIRE EN EUROPE

I. L’UTILISATION DES ADDITIFS NITRÉS DANS LA CHARCUTERIE EST MASSIVE, EN DÉPIT D’ARGUMENTS SANITAIRES, INDUSTRIELS ET COMMERCIAUX contestables

A. LE SECTEUR DE LA CHARCUTERIE-SALAISON RECOURT MASSIVEMENT AUX ADDITIFS NITRÉS EN EUROPE

1. La présence de composés nitrosés dans l’alimentation résulte surtout de l’usage de nitrites et de nitrates en tant qu’additifs alimentaires dans la charcuterie

2. Le recours aux additifs nitrés dans la charcuterie est répandu en Europe, alors qu’il est à la fois souhaitable et possible de s’en affranchir

B. Le spectre du botulisme, un motif dÉmenti par l’anses et par l’expÉrience EuropÉenne

1. L’avis révisé de l’ANSES de 2022 démontre, pour l’ensemble des produits de charcuterie, que le risque de botulisme est maîtrisable par les opérateurs français en appliquant des règles simples

2. La commercialisation de quantités exponentielles de produits sans nitrites ajoutés n’a conduit à aucune augmentation des cas de botulisme en Europe

C. En RÉALITÉ, LES MOTIFS LIÉS À LA FABRICATION, À LA COULEUR ET À LA CONSERVATION DES PRODUITS PRÉDOMINENT

1. La volonté de simplifier les procédés de fabrication de la charcuterie en évitant d’avoir à appliquer des règles d’hygiène rigoureuses et en raccourcissant artificiellement les durées de maturation

2. L’objectif de développer une couleur rose appétissante mais artificielle, qu’il est pourtant aisé d’obtenir par des techniques alternatives non cancérogènes

3. Le prétexte de l’allongement de la durée de conservation des produits, alors que d’autres conservateurs non toxiques peuvent permettre le même résultat

II. la DANGEROSITÉ DES ADDITIFS NITRÉS DANS LA CHARCUTERIE EST DOCUMENTÉE

A. l’exposition aux additifs NITRÉS AUGMENTE LES RISQUES DE CANCER

1. Grâce aux rapports successifs du CIRC, la cancérogénicité des additifs nitrés est identifiée par les cancérologues depuis plus de quinze ans

2. Les derniers travaux de l’ANSES confirment que l’emploi d’additifs nitrés dans la charcuterie entraîne un risque de cancer pour les populations et représente un grave problème de santé publique

B. La transformation des nitrites et des nitrates EN COMPOSÉS NITROSÉS EST PORTEUSE DE RISQUES PARFAITEMENT IDENTIFIÉS

1. La formation de nitrosylhème lors de la fabrication de charcuterie traitée aux additifs nitrés et de leur digestion via la M-nitrosation

2. La formation de nitrosothiols lors de la fabrication de charcuterie traitée aux additifs nitrés et de leur digestion via la S-nitrosation

3. La formation de composés N-nitrosés lors de la cuisson et de la digestion de charcuterie traitée aux additifs nitrés via la N-nitrosation

a. Les mécanismes de la N-nitrosation

b. Les effets génotoxiques et cancérigènes des nitrosamines

DEuxiÈMe partie : L’UTILISATION DES ADDITIFS NITRÉS DANS LA CHARCUTERIE DOIT ÊTRE INTERDITE PAR L’UNION EUROPÉENNE, EN S’APPUYANT le cas ÉchÉANT SUR UNE INITIATIVE PRÉCURSEUR de la france

I. LA LÉGISLATION EUROPÉENNE, AUJOURD’HUI INSUFFISANTE, CONFÈRE UN RÔLE DÉTERMINANT À LA COMMISSION EUROPÉENNE ET À L’EFSA

A. LA RÉGLEMENTATION EUROPÉENNE, FONDÉE SUR L’EXPERTISE DE L’EFSA, NE PROTÈGE PAS SUFFISAMMENT LA SANTÉ DES CONSOMMATEURS

1. Les doses maximales d’additifs nitrés sont fixées par le règlement européen (CE) n° 1333/2008, qui s’appuie sur les avis scientifiques de l’EFSA

a. Les additifs nitrés dans la charcuterie sont aujourd’hui autorisés par l’Union européenne

b. Les valeurs de référence établies par l’EFSA sont prises en compte dans la fixation des doses maximales d’additifs nitrés

2. L’interdiction des additifs nitrés dans la charcuterie garantirait le respect des valeurs de référence établies par l’EFSA, aujourd’hui dépassées pour de nombreux consommateurs

3. L’évaluation des risques associés à l’exposition aux additifs nitrés tient imparfaitement compte des composés nitrosés

B. LA RÉGLEMENTATION EUROPÉENNE PEUT AUJOuRd’hui FAIRE L’OBJET DE MESURES PLUS RESTRICTIVES

1. La réalité de l’exception danoise : une réglementation restrictive comme modèle d’inspiration

a. Une réglementation particulièrement restrictive, unique en Europe

b. Une capacité reconnue à encadrer plus strictement les additifs nitrés dans la charcuterie

2. Le fantasme de l’exception française : un Code des usages qui repose sur la bonne volonté des producteurs de charcuterie

II. LA RÉDUCTION ENVISAGÉE DES DOSES MAXIMALES D’ADDITIFS NITRÉS EST UNE IMPASSE, QUI NE SAURAIT SE SUBSTITUER À LEUR INTERDICTION DANS la charcuterie

A. Les propositions de la commission EUROPÉENNE pour RÉDUIRE L’UTILISATION DES ADDITIFS NITRÉS devraient aboutir prochainement

1. La Commission européenne a présenté une mise à jour des conditions d’utilisation des additifs nitrés dans le cadre de la procédure de comitologie applicable

a. Le nécessaire avis favorable d’un comité de régulation

b. Un droit de regard effectif du Parlement et du Conseil

2. Les propositions de la Commission européenne, si elles sont bienvenues, ne protègent pas suffisamment la santé des consommateurs

B. L’INTERDICTION EUROPÉENNE DE L’UTILISATION DES ADDITIFS NITRÉS, UN HORIZON ATTEIGNABLE À MOYEN-TERME

1. L’Union européenne est tenue de garantir la protection de la santé des consommateurs

a. La protection de la santé des consommateurs est consacrée par le droit primaire de l’Union européenne

b. Le principe de précaution, uniquement pertinent dans un contexte d’incertitude scientifique, semble inopérant

2. L’interdiction des additifs nitrés serait l’aboutissement d’une procédure complexe

a. Déclenchement de la procédure

b. Saisine et avis de l’EFSA

c. Mise à jour de la liste communautaire

3. L’interdiction européenne de l’utilisation du dioxyde de titane, initiée par la France, est un exemple à suivre

a. L’Union européenne a interdit le dioxyde de titane dans les denrées alimentaires après une action précurseur de la France

b. La France refuse à ce jour de recourir à des mesures conservatoires s’agissant des additifs nitrés, en dépit de leur bien-fondé

4. Les autorités européennes et françaises doivent assumer la responsabilité politique de la protection de la santé publique, et ne pas s’en décharger sur une hypothétique initiative citoyenne européenne

a. L’ICE est une option envisageable, aussi bien juridiquement que matériellement

b. L’ICE, dont l’aboutissement est difficile, ne ferait que prolonger l’inaction des pouvoirs publics

C. la France GAGNERA À ÊTRE PRÉCURSEUR DANS L’INTERDICTION DES ADDITIFS NITRÉS, avec l’appui de l’union europÉenne

1. La charcuterie française, pionnière de la suppression des additifs nitrés, bénéficierait de leur interdiction à l’échelon européen

2. La sortie du « tout nitrite » dans la charcuterie doit être accompagnée de mesures de soutien de l’offre et de la demande

a. Un accompagnement technique et financier de l’offre de produits de charcuterie sans nitrate ni nitrite ajoutés

b. La promotion d’une alimentation saine et l’éducation au goût

CONCLUSION

EXAMEN EN COMMISSION

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE INITIALE

AMENDEMENT EXAMINÉ PAR LA COMMISSION

ANNEXE 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR

 


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   Introduction

 

Mesdames, Messieurs,

Les additifs nitrés sont massivement employés dans les produits de charcuterie en Europe. Les données de fréquence de l’Observatoire de l’alimentation (Oqali) révèlent que 71 % des produits de charcuterie mis sur le marché en France contiennent des nitrites, alors même que les professionnels du secteur rappellent à l’envi que la France serait un modèle européen en la matière.

Les nitrites de potassium (E249) et de sodium (E250) ainsi que les nitrates de sodium (E251) et de potassium (E252) sont aujourd’hui autorisés par la législation européenne pour leurs propriétés antimicrobiennes, en tant que conservateurs. En pratique, les additifs nitrés sont également utilisés dans les produits de charcuterie et de salaisons parce qu’ils simplifient les procédés de fabrication, confèrent une appétissante – et artificielle – couleur rouge ou rose aux produits et allongent la durée de commercialisation des denrées.

L’heure est à l’interdiction par l’Union européenne des additifs nitrés dans la charcuterie. Il s’agit d’un objectif de politique de santé à la fois souhaitable et réalisable à court terme, qui repose sur deux certitudes.

En premier lieu, l’exposition aux nitrites et aux nitrates contenus dans la charcuterie augmente les risques de cancer. Cette association positive fait l’objet d’un consensus scientifique établi. Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a classé la viande transformée, incluant la charcuterie, comme cancérogène pour l’homme (groupe 1) en 2015. Cinq ans auparavant, le CIRC avait classé les nitrates et nitrites comme probablement cancérogènes pour l’homme (groupe 2A). La cancérogénicité des produits de charcuterie est due à la formation de composés de nitrosés (fer nitrosylé, nitrosothiols, N-nitroso-composés ou nitrosamines). Ces derniers sont issus des réactions biochimiques provoquées par les nitrites et les nitrates au contact des protéines de la viande lors de la fabrication des produits de charcuterie, puis au cours de leur digestion.

En second lieu, les professionnels parviennent d’ores et déjà à se passer des additifs nitrés dans la fabrication de nombreux produits de charcuterie. L’offre de denrées « sans nitrite, ni nitrate ajoutés », implantée de longue date au Danemark et aux Pays-Bas, croît fortement en France et représente désormais près de 15 % du marché. Les risques microbiologiques liés à la suppression des additifs sont parfaitement maîtrisables, sous réserve de contrôler les différentes étapes des procédés de fabrication et d’assurer des conditions d’hygiène rigoureuses. Votre rapporteur relève que la commercialisation d’importants volumes de charcuterie sans additifs nitrés n’a provoqué aucun cas de botulisme en France, pourtant régulièrement agité comme un « chiffon rouge ». L’expérience danoise, dont la réglementation restrictive a été validée à plusieurs reprises par la Commission européenne, est également une réussite en matière de protection des consommateurs et de sécurité des aliments.

Le rapport sur la proposition de résolution européenne relative à l’interdiction des additifs nitrés dans les produits de charcuterie, dont votre rapporteur est l’auteur, intervient dans un contexte favorable.

D’abord, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) a publié en juillet 2022 un avis révisé et un rapport d’expertise collective particulièrement attendus. Ces derniers démontrent – une nouvelle fois – la dangerosité des additifs nitrés et examinent différents leviers afin de les supprimer dans les produits de charcuterie. Comme il s’y était engagé, le Gouvernement a présenté le 27 mars 2023 un plan d’action visant à réduire l’utilisation des nitrites comme additifs alimentaires, dont le calendrier prévoit trois phases de baisse des teneurs maximales. Il s’agit d’une première étape bienvenue mais insuffisante. Les objectifs sont malheureusement vagues et peu ambitieux : à moyen et long termes, le plan d’action se contente d’indiquer que des travaux de recherche et développement seront menés pour « aboutir à la suppression de l’utilisation des additifs nitrés dans tous les produits alimentaires où cela est possible » ([1]). Le cap fixé par le Gouvernement démontre toutefois que l’interdiction des additifs nitrés dans les produits de charcuterie est inéluctable, c’est bien le sens de l’histoire.

Ensuite, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a publié le 28 mars 2023 un avis scientifique sur les nitrosamines dans les aliments. Les résultats définitifs de cette expertise sont particulièrement alarmants : l'exposition alimentaire aux nitrosamines, quel que soit le groupe d’âge considéré, constitue un grave problème sanitaire dans l’Union européenne. Votre rapporteur déplore toutefois que le périmètre de l’évaluation ait été restreint aux nitrosamines, excluant d’autres composés nitrosés (fer nitrosylé, nitrosothiols) dont l’effet promoteur du cancer est démontré.

Enfin, la Commission européenne a présenté au début de l’année 2023 un projet de règlement d’exécution visant notamment à réduire les doses maximales autorisées d’incorporation des nitrites et des nitrates. Ce travail de révision, s’il est bienvenu, s’avère toutefois tardif et insuffisant pour protéger efficacement les consommateurs. En application des traités, l’Union européenne doit garantir un niveau élevé de protection des consommateurs et de la santé humaine. Ces objectifs ne peuvent être atteints que par l’interdiction des additifs nitrés dans la charcuterie. Par ailleurs, la réduction des teneurs maximales envisagée par la Commission n’assure pas l’harmonisation des réglementations nationales et ne préserve pas l’intégrité du marché intérieur. L’interdiction des additifs nitrés représente la seule mesure raisonnable et efficace face à la tentation salutaire, pour les États membres, de mieux encadrer l’utilisation des additifs nitrés.

Au regard de ces éléments, et à l’issue d’une dizaine d’auditions, votre rapporteur suggère de compléter la proposition de résolution européenne sur trois axes de propositions.

L’évaluation des risques liés à l’exposition des consommateurs aux nitrites et aux nitrates doit être complétée. Il ne s’agit aucunement de repousser la décision politique d’interdiction des additifs nitrés, mais de confirmer l’extrême dangerosité de l’ensemble des composés nitrosés. Les doses journalières admissibles, aujourd’hui recommandées par l’EFSA, gagneraient à être remplacées par des valeurs de référence intégrant les mécanismes biochimiques complexes liés à la formation de composés nitrosés.

L’interdiction des additifs nitrés dans les produits de charcuterie doit être la priorité de la Commission européenne, des États membres et du Parlement dans la suppression des substances dangereuses pour la santé des consommateurs. Le projet présenté par la Commission européenne est clairement insuffisamment et devrait être remplacé ou prolongé par des mesures d’interdiction. Une mise en application différée permettrait aux professionnels d’adapter leurs procédés de fabrication si nécessaire.

L’accompagnement du secteur de la charcuterie-salaison garantira la réussite de la transition vers une charcuterie sans nitrite, ni nitrate ajoutés. Le soutien doit être à la fois technique, financier et réglementaire, en exploitant l’ensemble des leviers pertinents du côté de l’offre et du côté de la demande.

Les travaux de votre rapporteur complètent les conclusions de la mission d’information sur les sels nitrités dans l’industrie agroalimentaire, rendues le 13 janvier 2021, et la proposition de loi relative à l’interdiction progressive des additifs nitrés dans les produits de charcuterie. Ce texte, dont votre rapporteur est l’auteur, a été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale le 3 février 2022. Il s’agit désormais de porter le combat pour une alimentation saine, sûre et durable pour tous au niveau européen, sans compromettre la viabilité et la compétitivité du secteur de la charcuterie-salaison.

 

 

 


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   PREMIÈRE PARTIE : les additifs nitrÉs, dont l’emploi dans la charcuterie est massif, REPRÉSENTENT UNE GRAVE MENACE SANITAIRE EN EUROPE

I.   L’UTILISATION DES ADDITIFS NITRÉS DANS LA CHARCUTERIE EST MASSIVE, EN DÉPIT D’ARGUMENTS SANITAIRES, INDUSTRIELS ET COMMERCIAUX contestables

A.   LE SECTEUR DE LA CHARCUTERIE-SALAISON RECOURT MASSIVEMENT AUX ADDITIFS NITRÉS EN EUROPE

1.   La présence de composés nitrosés dans l’alimentation résulte surtout de l’usage de nitrites et de nitrates en tant qu’additifs alimentaires dans la charcuterie

Les additifs nitrés sont des sels minéraux utilisés comme additifs dans les denrées alimentaires, en particulier dans la fabrication de charcuteries et de salaisons. Quatre substances sont aujourd’hui autorisées par l’Union européenne et relèvent, parmi les 27 catégories fonctionnelles d’additifs alimentaires prévues par le droit européen, de la catégorie « conservateurs » : les nitrites de potassium (E249) et de sodium (E250), ainsi que les nitrates de sodium (E251) et de potassium (E252). Les conservateurs sont définis comme des substances « qui prolongent la durée de conservation des denrées alimentaires en les protégeant des altérations dues aux micro-organismes et/ou qui les protègent contre la croissance de micro-organismes pathogènes » ([2]).

Les nitrites et les nitrates ingérés par l’intermédiaire des aliments sont absorbés par le corps. Les nitrates qui ne sont pas excrétés dans les urines demeurent dans l’organisme. Ils sont alors secrétés dans la salive et sont en partie réduits en nitrites par les bactéries de la bouche. Les nitrites sont instables et génèrent la formation de composés nitrosés lors de fabrication de la charcuterie, lors de la cuisson de certains produits par le consommateur (pizzas, lardons, bacon, etc.) et dans le système digestif.

Les réactions organiques à l’origine de la formation de composés nitrosés, également appelés NOCs, sont au cœur des risques de cancer associés à la consommation de charcuterie. Les principaux composés nitrosés sont les suivants :

-         les S-nitrosothiols (RSNO) ;

-         les composés N-nitrosés, notamment les nitrosamines ;

-         le fer nitrosylé (FeNO) ou nitrosylhème.

L’utilisation des nitrates et des nitrites comme additifs alimentaires contribue largement à l’exposition totale des consommateurs français selon l’avis révisé de l’ANSES de juillet 2022 ([3]).

Les conclusions suivantes sont calculées à partir (i) des données sur les concentrations en nitrates et en nitrites dans l’eau et les aliments, (ii) des données de consommation alimentaire et (iii) des données relatives à la présence des additifs nitrés dans les produits alimentaires vendus sur le marché français.

-         Si l'on excepte l'exposition aux composés nitrosés, l’utilisation des nitrates comme additifs représente moins de 4 % de l’exposition totale, toutes sources confondues – qui intègrent également la présence de nitrates dans les ressources en eau et les sols (processus naturels associés au cycle de l’azote, activités agricoles et industrielles).

-         Si l'on excepte l'exposition aux composés nitrosés, l’utilisation des nitrites comme additifs représente entre 45 et 65 % de l’exposition totale, toutes sources confondues. Ils sont massivement apportés par les produits de charcuterie tels que le jambon cuit, les saucisses et les saucissons cuits, qui contribuent entre 42 % et 63 % à l’exposition totale.

2.   Le recours aux additifs nitrés dans la charcuterie est répandu en Europe, alors qu’il est à la fois souhaitable et possible de s’en affranchir

Votre rapporteur déplore l’absence de ressources statistiques officielles permettant, au niveau européen, d’appréhender avec précision l’utilisation des additifs nitrés dans les produits de charcuterie mis sur le marché. En effet, il n’existe pas de données consolidées établies par les producteurs de charcuteries ou par les gestionnaires de risques, qu’il s’agisse des autorités nationales ou de la Commission européenne.

Le projet collaboratif et non lucratif Open Food Facts (OFF), qui répertorie les produits alimentaires du monde entier, donne toutefois un ordre d’idée particulièrement saisissant. Par exemple, sur les 7 677 produits de charcuteries répertoriés en France, 5 248 produits (68 %) contiennent du nitrite de sodium (E250), 1 822 produits (24 %) contiennent du nitrate de potassium (E252) et 976 produits (13 %) contiennent les deux substances.

Ces résultats sont largement conformes aux études menées en France par l’Observatoire de l’alimentation (Oqali), déployé depuis 2008 par l’ANSES et l’Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE). Une étude de l’Oqali de 2019 établit un bilan des fréquences de présence des additifs alimentaires, à partir de données récoltées entre 2008 et 2016 ([4]). Le secteur de la charcuterie connaît le taux de présence d’additifs nitrés le plus élevé : 71 % des produits de charcuterie contiennent ainsi des nitrites (données pour l’année 2013) en raison de l’emploi d’additifs nitrés, loin devant le second secteur le plus fréquemment exposé, celui du snacking surgelé (40 %).

Certains produits sont particulièrement soumis à l’ajout de nitrites et de nitrates. Le nitrite de sodium (E250) est principalement utilisé dans les produits cuits ou étuvés (jambon cuit, saucisses, lardons, etc.), tandis que le nitrate de potassium (E252) est principalement intégré dans les procédés de fabrication de produits crus (jambon sec et cru, saucisson sec, etc.).

Tableau 1 – Fréquences de présence d’additifs E250 et 252
par produit de charcuterie en France

Type de charcuterie

Nombre de produits

Contient E250

Contient E252

Contient les deux

Jambons cuits

1 677

1 499 (89 %)

10 (0,6 %)

9 (0,5 %)

Jambons crus

611

310 (51 %)

498 (81 %)

227 (37 %)

Lardons

759

644 (85 %)

70 (9 %)

70 (9 %)

Saucisses

2 186

1 214 (55 %)

390 (18 %)

194 (9 %)

Rillettes

482

66 (14 %)

6 (1 %)

2 (0,4 %)

Foie gras

1 125

990 (88 %)

6 (0,5 %)

5 (0,4 %)

Saucissons

1 627

977 (60 %)

1 108 (68 %)

552 (34 %)

Bacon

509

329 (65 %)

108 (21 %)

102 (20 %)

Source : données du projet Open Food Facts, traitées par l’Équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (EREN) et transmises par les Dr Mathilde Touvier et Bernard Srour.

Ces données démontrent que l’utilisation des additifs nitrés dans la charcuterie est massive en France. Votre rapporteur dresse malheureusement un constat similaire dans l’Union européenne, qui justifie une action à l’échelon européen – et non dans les seuls États membres disposés à prendre des mesures volontaristes pour protéger la santé des consommateurs.

Le secteur de la charcuterie-salaison représente en Europe près de 13 000 entreprises produisant plus de 13 millions de tonnes de charcuterie ([5]), l’Allemagne étant le premier producteur et exportateur européen. Près de 1 000 produits de charcuterie différents sont recensés en Europe. Cette diversité résulte de traditions régionales et de contraintes à la fois géographiques et climatiques : les pays du Sud sont par exemple spécialisés dans les produits secs, tandis que les pays d’Europe centrale sont réputés pour leurs produits fumés.

Les fédérations représentant les fabricants français, industriels et artisans, ont confirmé à votre rapporteur que l’utilisation des nitrites et des nitrates dans la charcuterie était « largement » répandue ou « généralisée ». Un rapport commandé par la direction générale de la santé et de la sécurité alimentaire (DG SANTE) de la Commission européenne, rendu en janvier 2016 ([6]), permet d’objectiver les pratiques des fabricants de charcuterie. Près de 65 % des entreprises interrogées déclarent ainsi avoir maintenu le niveau de nitrites utilisé dans la fabrication de produits de charcuterie par rapport aux années précédentes. La teneur d’incorporation en nitrites des produits étudiés varie de 80 à 150 mg/kg selon les catégories de denrées ([7]), soit des valeurs médianes conformes à la législation européenne. Certains fabricants admettent même utiliser des doses maximales d’incorporation de nitrites supérieures aux niveaux autorisés par la législation européenne, du fait d’une méconnaissance des règles en vigueur ou pour se protéger à l’excès face aux risques sanitaires (« being on the safe side »).

Les conclusions du rapport commandé par la DG SANTE, qui s’appuient également sur une revue de littérature extrêmement documentée, confortent les analysées réalisées en France. Par conséquent, votre rapporteur ne peut que tirer la sonnette d’alarme face à l’utilisation des additifs nitrés dans la charcuterie en Europe.

B.   Le spectre du botulisme, un motif dÉmenti par l’anses et par l’expÉrience EuropÉenne

1.   L’avis révisé de l’ANSES de 2022 démontre, pour l’ensemble des produits de charcuterie, que le risque de botulisme est maîtrisable par les opérateurs français en appliquant des règles simples

La sécurité sanitaire est aujourd’hui l’argument prétendument imparable qu’invoquent les fabricants de charcuterie du fait des propriétés antimicrobiennes des additifs nitrés. Plusieurs risques microbiologiques liés à la réduction ou à la suppression des additifs nitrés sont mis en avant, en particulier le botulisme. En effet, les sels de nitrites et de nitrates limitent la prolifération d’agents pathogènes qui peuvent se révéler mortels, tels que le Clostridium botulinum responsable du botulisme.


Le botulisme, une affection neurologique rare mais grave

Selon l’Institut Pasteur, le botulisme est une affection neurologique provoquée par une toxine produite par la bactérie Clostridium botulinum. La bactérie ne se développe qu’en l’absence d’oxygène, en particulier dans des aliments mal conservés, et peut provoquer des paralysies dues à l’action de neurotoxines. Les cas de botulisme sont extrêmement rares, mais leur taux de mortalité est élevé lorsqu’ils surviennent et ne sont pas traités rapidement.

En France, le botulisme fait l’objet d’une surveillance attentive des autorités de santé. Un Centre national de référence (CNR) du botulisme, piloté par l’Institut Pasteur, est créé en 1978, tandis que la maladie est soumise au dispositif de déclaration obligatoire à Santé publique France depuis 1986.

Or l’avis révisé de l’ANSES, publié en juillet 2022, précise que le risque de botulisme est maîtrisable pour l’ensemble des produits de charcuterie. Cette expertise se concentre sur des couples « danger/aliment » considérés comme pertinents pour estimer le risque microbiologique auquel est exposé le consommateur en cas de suppression des nitrites ([8]). Pour les jambons secs, l’ANSES insiste par exemple sur la maîtrise du taux de sel et de la température lors des étapes de salage et de repos lors de la fabrication de la charcuterie. De manière générale, le respect strict de la chaîne du froid du fabricant jusqu’au consommateur est une mesure préventive importante. L’EFSA explique, dans ses réponses écrites, que le niveau de protection des aliments est dû « à une combinaison de plusieurs facteurs plutôt qu’à un facteur unique ». Par conséquent, l’argument consistant à présenter les nitrites comme une solution miracle pour prévenir les risques microbiologiques liés à la fabrication de charcuterie est intenable.

Votre rapporteur est conscient des investissements et du temps d’adaptation nécessaires à la transition vers une charcuterie sans additifs nitrés. Celle-ci est toutefois indispensable et peut être menée à bien sous certaines conditions, aisées à réunir.

2.   La commercialisation de quantités exponentielles de produits sans nitrites ajoutés n’a conduit à aucune augmentation des cas de botulisme en Europe

Votre rapporteur constate avec satisfaction que l’offre de produits de charcuterie de qualité sans nitrate ni nitrite s’est fortement développée ces dernières années. Les consommateurs ont désormais accès à des produits à la fois plus sains et conformes aux règles de sécurité sanitaire applicables. Les produits de charcuterie sans nitrate ni nitrite, légèrement plus onéreux que le conventionnel, représentent désormais 15 % du marché français ([9]). Parmi les fabricants industriels, les marques Herta (à partir de février 2017), Monique Ranou, distribuée dans les enseignes Intermarché (à partir de mai 2018), et Fleury Michon (à partir de mars 2019) ont ainsi commercialisé des gammes de charcuteries sans nitrate ni nitrite. C’est également le cas des groupes Cooperl (marques Brocéliande, Madrange, etc.) et Aoste (marques Aoste, Cochonou, etc.). La mission d’information sur les sels nitrités dans l’industrie agroalimentaire ([10]), à laquelle votre rapporteur a participé, a également identifié de nombreuses entreprises artisanales, y compris des petites et moyennes entreprises (PME), proposant des produits sans nitrites à leurs clients.

Les dynamiques du marché des produits de charcuterie démontrent que de nombreux fabricants sont d’ores et déjà en mesure de produire des denrées sans nitrate ni nitrite et sûres pour la santé des consommateurs. Ces fabricants continuent néanmoins, dans un même rayon, de proposer de la « malbouffe » nitritée et néfaste pour la santé et des produits sans nitrites. Dès lors, la suppression des additifs nitrés annihilerait utilement les stratégies de segmentation développées par les fabricants. Ces derniers font du « sans nitrites » un argument marketing pour bénéficier de confortables marges commerciales, fondées sur des consommateurs sensibles à la qualité de l’alimentation et dont l’élasticité-prix est inférieure ([11]).

Le développement d’une offre sans nitrites n’a pas entraîné une recrudescence des cas de botulisme en Europe. Les consommateurs de plusieurs pays ont une expérience heureuse et sûre de la charcuterie sans nitrites.

-         En France. Les données épidémiologiques de Santé publique France et les investigations du CNR du botulisme révèlent une forte diminution des cas de botulisme d’origine alimentaire sur la période 1987-2018 ([12]). Sur 100 foyers de botulisme recensés en France entre 2008 et 2018, 41 foyers ont une origine alimentaire identifiée. Le jambon cru/sec est seulement à la source de 17 foyers d’entre eux, dont 15 ayant une origine artisanale ou familiale. Par conséquent, les cas de botulisme impliquent essentiellement des charcuteries produites dans des conditions de fabrication et d’hygiène insuffisantes, qui ne correspondent aucunement aux standards mis en œuvre par les professionnels. L’année 2020 est la période la plus récente pour laquelle les données complètes ont été publiées : seulement 11 cas de botulisme ont été observés en France, sans qu’aucun ne soit lié aux charcuteries industrielles fabriquées sans nitrate ni nitrite ([13]).

-         Aux Pays-Bas. Le rapport du Food Chain Evaluation Consortium (FCEC), commandé par la Commission européenne, indique en 2016 que des produits sans nitrites sont commercialisés « depuis dix ans » sur le marché néerlandais sans aucunes difficultés en matière de sécurité microbiologique ([14]).

-         Au Danemark. Les autorités danoises mettent en œuvre une réglementation restrictive depuis 1995, en prévoyant des doses maximales d’incorporation de nitrites inférieures aux normes européennes voire en interdisant leur utilisation dans certains produits traditionnels (boulettes de viande, pâté de foie). Aucun cas de botulisme lié à la consommation de charcuterie n’a été signalé au Danemark depuis de nombreuses années ([15]).

C.   En RÉALITÉ, LES MOTIFS LIÉS À LA FABRICATION, À LA COULEUR ET À LA CONSERVATION DES PRODUITS PRÉDOMINENT

1.   La volonté de simplifier les procédés de fabrication de la charcuterie en évitant d’avoir à appliquer des règles d’hygiène rigoureuses et en raccourcissant artificiellement les durées de maturation

L’ajout de sels nitrités facilite considérablement la fabrication des produits de charcuterie. Ainsi, les jambons dits « secs » et « crus » sont soumis à une longue phase de séchage-maturation en fin de procédé de fabrication. Les jambons continuent de se déshydrater au cours de cette étape, en perdant de l’eau. Cette phase donne précisément lieu à des réactions biochimiques qui sont, selon les termes de l’ANSES ([16]), responsables « des caractéristiques sensorielles et de la production de composés aromatiques » au cœur des attentes des consommateurs.

La durée de maturation de la viande est particulièrement contraignante. En France, le Code des usages de la charcuterie, élaboré par les professionnels et validé par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), fixe respectivement à 130 jours et à 210 jours la durée minimum de maturation du jambon sec et du jambon sec supérieur. À l’étranger, la fabrication du jambon de Parme (prosciutto di Parma) est soumise au cahier des charges du Consortium du jambon de Parme, fondé en 1963 et désigné par les autorités italiennes pour protéger et promouvoir ladite appellation d’origine protégée (AOP) ([17]). Le Consortium du jambon de Parme, qui exige une durée de maturation s’étendant de 12 à 36 mois, est d’ailleurs précurseur : il interdit l’utilisation de nitrites et de nitrates dès 1993, privilégiant des mesures d’hygiène strictes applicables dès l’abattoir.

La maturation naturelle des produits secs et crus permet à la viande de développer une couleur rouge, au terme d’un processus chimique aboutissant à la formation du pigment zinc-protoporphyrine. Or l’ajout de sels nitrités conduit plus rapidement à l’apparition d’un autre pigment rouge et stable, le NO-myoglobine. Celui-ci confère une coloration uniforme au produit à l’issue d’une phase de maturation accélérée, et par conséquent moins coûteuse pour le fabricant.

2.   L’objectif de développer une couleur rose appétissante mais artificielle, qu’il est pourtant aisé d’obtenir par des techniques alternatives non cancérogènes

Les publicités des fabricants et des distributeurs de charcuterie regorgent de produits à la couleur rose, image d’Épinal rassurante qui serait gage de fraîcheur et de qualité pour les consommateurs. Or le jambon cuit ou étuvé aurait davantage une couleur brune, grise ou beige en l’absence de sels nitrités. Conformément au processus décrit précédemment, le nitrite forme le NO-myoglobine au contact de la myoglobine, une protéine présente dans la viande. La cuisson du jambon conduit, sous l’effet de la chaleur, à la transformation du NO-myoglobine (rouge) en nitroso‑hémochrome (rose clair).

Les fabricants de charcuterie et la Commission européenne n’ont pas minoré, auprès de votre rapporteur, l’importance de cet argument pour s’opposer à l’interdiction des sels nitrités dans la charcuterie. En effet, les caractéristiques dites « organoleptiques » des produits de charcuterie, dont la couleur, sont déterminantes dans les stratégies de vente et dans les choix de consommation. Or votre rapporteur constate que des produits de substitution permettent d’obtenir une coloration similaire, à la manière d’extraits végétaux contenant des composés antioxydants. Les producteurs commercialisent d’ores et déjà des denrées sans nitrites de couleur rose, qui intègrent par exemple des extraits végétaux riches en polyphénols. Les polyphénols présentent l’avantage considérable de ne pas provoquer l’apparition de fer nitrosylé (nitrosylhème) pendant la fabrication.

3.   Le prétexte de l’allongement de la durée de conservation des produits, alors que d’autres conservateurs non toxiques peuvent permettre le même résultat

Le rôle de conservateur (antibactérien, antioxydant) des nitrites ajoutés assure, enfin, une conservation longue des denrées. Les jambons cuits sans nitrite présentent ainsi une date limite de consommation (DLC) comprise entre 8 et 14 jours, contre plus d’une vingtaine de jours pour les produits nitrités. L’allongement présente un double intérêt : pour les consommateurs, celui de faciliter la gestion domestique des stocks alimentaires en s’appuyant sur des « fonds de frigo » disponibles à tout moment ; pour les distributeurs, celui de limiter le réassortiment des rayons en proposant plus longtemps les mêmes produits.

Le prétendu manque d’acceptabilité sociale de DLC plus courtes est un motif fréquemment utilisé par les fabricants à l’appui des additifs nitrés, auquel la Commission européenne et les pouvoirs publics nationaux sont sensibles.

Votre rapporteur récuse cet argument trompeur. D’une part, le renoncement aux additifs nitrés implique nécessairement une modification des habitudes des distributeurs et des consommateurs. Un effort de pédagogie vis-à-vis de ces derniers est souhaitable afin qu’ils adaptent leurs pratiques à des DLC plus courtes, mais qui demeurent largement comparables à d’autres produits de grande consommation. Prétendre défendre le pouvoir d’achat des ménages les plus modestes en proposant des produits de conservation longue dangereux pour la santé est tout simplement inacceptable. D’autre part, il existe de nombreuses alternatives aux nitrites pour la conservation des produits carnés, qui assurent la sécurité des aliments sans exiger de réduction des DLC. L’avis révisé de l’ANSES de juillet 2022 cite une abondante littérature scientifique en la matière. Plusieurs techniques sont envisageables sous réserve d’une évaluation « au cas par cas », dont les agents microbiens naturels, tels que des composés aromatiques, et les technologies innovantes, dont les hautes pressions hydrauliques (HPH). Votre rapporteur note que, dès 2005, l’Agence française de sécurité des aliments (AFSSA, ex-ANSES) indique que le sorbate de potassium (E202) « peut être utilisé à la place des nitrites dans les aliments » ([18]). Cet additif, dont les propriétés antimicrobiennes sont connues, est d’ores et déjà utilisé dans certains produits de charcuterie.

II.   la DANGEROSITÉ DES ADDITIFS NITRÉS DANS LA CHARCUTERIE EST DOCUMENTÉE

A.   l’exposition aux additifs NITRÉS AUGMENTE LES RISQUES DE CANCER

1.   Grâce aux rapports successifs du CIRC, la cancérogénicité des additifs nitrés est identifiée par les cancérologues depuis plus de quinze ans

L’existence d’une association positive entre l’exposition aux additifs nitrés présents dans la charcuterie et le risque de cancer fait l’objet d’un consensus scientifique. Les travaux du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), agence spécialisée de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) basée à Lyon, font autorité en la matière. Le CIRC examine le caractère cancérogène d’agents (produits chimiques, facteurs comportementaux, etc.) en définissant quatre catégories, des agents cancérogènes certains (groupe 1) aux agents inclassables (groupe 3).


Les preuves scientifiques de la cancérogénicité sont multiples. En 2010, le CIRC a classé les nitrates et nitrites comme « probablement cancérogènes pour l’homme » (groupe dit 2A) lorsqu’ils sont ingérés dans des conditions favorables à la formation endogène de composés nitrosés ([19]), ce qui est le cas en consommant de la charcuterie.

Les experts du CIRC indiquaient en 2010 que deux processus pouvaient potentiellement expliquer le lien entre la viande traitée au nitrite et le cancer du côlon. Premier scénario : lorsqu’on avale de la charcuterie nitrée, les composés nitrosés qu’elle contient parviennent au côlon et provoquent le cancer. Deuxième scénario : des composés précurseurs contenus dans la charcuterie parviennent dans l’estomac et l’intestin. Ils sont alors convertis en composés nitrosés, qui agissent comme agents cancérogènes sur le côlon ([20]).

En 2015, le CIRC a classé la viande transformée, incluant la charcuterie, comme cancérogène pour l’homme (groupe 1) au regard « d’indications suffisantes » démontrant que sa consommation est associée au cancer colorectal ([21]).

La monographie publiée par le CIRC en 2018 documente précisément l’ampleur du phénomène. En France, la viande transformée contribue à 4 380 cas de cancer (500 cancers de l’estomac et 3 880 cancers colorectaux) sur près de 18 800 nouveaux cas de cancer attribuables en 2015 à une « alimentation sousoptimale ».

 

 


Tableau 2 – Nombre estimé et fraction de nouveaux cas de cancer attribuables à l’alimentation en France en 2015

 

Source : CIRC, Les cancers attribuables au mode de vie et à l’environnement en France métropolitaine, 2018.

Ces conclusions sont concordantes avec les recherches antérieures, dont celles du World Cancer Research Fund (WCRF) et de l’American Institute for Cancer Research (AICR). Le dernier rapport d’expertise collective issu de cette collaboration, publié en 2018, actualise des travaux datés de 1997 et de 2007 : les preuves selon lesquelles la consommation de charcuterie augmente les risques de cancer sont qualifiées de « convaincantes » pour le cancer colorectal, soit la note la plus favorable ([22]).

2.   Les derniers travaux de l’ANSES confirment que l’emploi d’additifs nitrés dans la charcuterie entraîne un risque de cancer pour les populations et représente un grave problème de santé publique

L’avis révisé de l’ANSES sur les risques associés à la consommation de nitrites et de nitrates, publié en juillet 2022 et basé sur un rapport d’expertise extrêmement approfondi, clôt définitivement le débat : il existe bien une « association positive entre l’exposition aux nitrates et/ou aux nitrites via la viande transformée et le risque de cancer colorectal ». Ces travaux, très attendus en Europe, sont issus d’une saisine émanant en juin 2020 de trois directions d’administration centrales françaises ([23]). Plusieurs pays européens sont couverts par les données épidémiologiques appuyant l’expertise, dont la France, le Danemark, l’Espagne et l’Italie.

En France, une étude de cohorte récente a documenté d’autres risques de cancer à partir des données collectées auprès de plus de 100 000 participants suivis depuis 2009 (suivi médian de 6,7 ans) ([24]). Les résultats de la cohorte NutriNetSanté, sur laquelle travaille l’Équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (EREN), sont les suivants : l’exposition aux additifs nitrés est associée à un risque accru de cancer de la prostate, en particulier au titre des nitrites de sodium (E250), et de cancer du sein, en particulier au titre des nitrates de potassium (E252).

Votre rapporteur alerte contre l’instrumentalisation de la recherche scientifique par les représentants de l’industrie agroalimentaire, qui mobilisent partiellement et partialement certaines études pour défendre les intérêts des fabricants de charcuteries nitritées. Cette stratégie a été analysée plus amplement par la mission d’information sur les sels nitrités dans l’industrie agroalimentaire, à laquelle votre rapporteur a participé ([25]). Dans son rapport, la mission identifie notamment une stratégie d’ordre cognitif visant à « produire du doute » en soulignant les limites de l’état de la recherche : tous les moyens sont bons pour plonger les décideurs politiques et le grand public dans l’incertitude.

L’étude conduite auprès des participants de la cohorte française NutriNet-Santé conclut, par exemple, à une association non significative entre l’exposition aux additifs nitrés et le risque de cancer colorectal. Ces résultats interviennent alors même que l’avis révisé de l’ANSES de juillet 2022 confirme l’existence de ce lien positif et, surtout, que l’étude de cohorte aboutit à un risque relatif ou Hazard Ratio (HR) supérieur à 1 (1,22), qui suggère statistiquement une association délétère. Les chercheurs de l’EREN interrogés par votre rapporteur, les Drs. Mathilde Touvier et Bernard Srour, ont justifié cette analyse prudente par la « puissance statistique » inférieure du cancer colorectal en France. Ce dernier est moins représenté dans la cohorte NutriNet-Santé que d’autres localisations de cancer telles que le sein et la prostate, limitant le nombre de cas diagnostiqués au cours du suivi. En revanche, il ne s’agit aucunement de résultats de nature à jeter un doute sur les risques avérés de cancer de la prostate.

 


Au-delà du cancer, le risque d’autres pathologies chroniques

Le risque de maladie cardiovasculaire. Les données de cohorte NutriNet-Santé démontrent une association positive entre l’exposition aux additifs nitrés utilisés dans la charcuterie et le risque d’hypertension artérielle : le risque de développer de l’hypertension augmente de 16 % pour un consommateur moyen et de 19 % pour un grand consommateur, en particulier du fait du nitrite de sodium (E250) ([26]).

Le risque de diabète de type 2. La première étude de cohorte à grande échelle suggérant une association entre les additifs nitrés et le risque de diabète de type 2 a été publiée le 17 janvier 2023 dans la revue PLOS Medicine ([27]). Le risque de développer un diabète de type 2 augmente ainsi de 53 % pour les personnes consommant le plus de nitrites de sodium (E250) par rapport à celles en consommant peu. Le risque de diabète serait lié à l’induction d’une insulinorésistance causée par les nitrosamines, qui limite la capacité de l’insuline à réguler le taux de sucre dans le sang.

Ces études récentes démontrent que la consommation de produits traités aux additifs nitrés contribue fortement à la survenance de nombreuses maladies, justifiant d’autant plus une interdiction au niveau européen.

B.   La transformation des nitrites et des nitrates EN COMPOSÉS NITROSÉS EST PORTEUSE DE RISQUES PARFAITEMENT IDENTIFIÉS

La cancérogénicité des produits de charcuterie n’est pas directement liée à l’ingestion de nitrites et de nitrates, mais principalement à la formation de composés de nitrosés connus pour leur caractère cancérogène. Les nitrites et les nitrates forment des agents nitrosants, à l’origine de réactions biochimiques lors de trois étapes : au contact des protéines de la viande lors de la fabrication des produits de charcuterie (formation exogène) ; lors de la préparation par l’utilisateur final, notamment la cuisson (formation exogène) ; puis au cours de leur digestion (formation endogène).

L’utilisation d’additifs nitrés explique que la charcuterie soit plus cancérogène que la viande rouge, très riche en fer héminique et classée comme probablement cancérogène pour l’homme (groupe 2A) : selon l’avis révisé de l’ANSES, la consommation de charcuterie (produits traités) augmente la formation de composés nitrosés par rapport à la viande rouge.


Figure 1 – Mécanismes de transformation des nitrites et nitrates
dans les aliments carnés et dans l’organisme

Source : Anses, avis relatif aux risques associés à la consommation de nitrites et de nitrates, 12 juillet 2022 (saisine n° 2020‑SA-0106), p. 151.

Les effets dits mécanistiques à l’origine du risque de cancer ne relèvent pas d’un « effet cocktail », qui serait provoqué par le mélange de différentes substances nocives pour la santé, mais sont appréciés dans le cadre de « parcours de l’effet adverse » (Adverse Outcome Pathway, AOP) : la démarche consiste à établir le lien entre un évènement déclencheur et un effet néfaste sur l’organisme.

Ces mécanismes peuvent être classés en trois catégories : la formation de fer nitrosylé (FeNO) issu de la M-nitrosation ; la formation de nitrosothiols issus de la S-nitrosation ; la formation de N-nitroso-composés issus de la N-nitrosation.

1.   La formation de nitrosylhème lors de la fabrication de charcuterie traitée aux additifs nitrés et de leur digestion via la M-nitrosation

La formation de fer héminique nitrosylé ou nitrosylhème (FeNO) résulte de deux mécanismes identifiés lors de la fabrication des produits de charcuterie (formation exogène) et de leur digestion (formation endogène). D’une part, le nitrite et ses dérivés, tels que l’oxyde nitrique (NO°), réagissent avec les protéines de la viande lors de son traitement. Cette réaction dite de nitrosylation est provoquée par la fixation de la molécule d’oxyde nitrique sur le fer héminique contenu dans la myoglobine, la protéine à l’origine de la couleur rouge de la viande. D’autre part, la digestion des produits de charcuterie catalyse une réaction supplémentaire liée à la nitrosylation du fer héminique libéré par l’environnement acide de l’estomac.

L’avis révisé de l’ANSES précise que le développement de fer héminique nitrosylé est un marqueur du cancer colorectal lié à la consommation de produits de charcuterie nitrités. Cette conclusion est notamment fondée sur les résultats d’études expérimentales menées sur des rats : lors de la consommation de charcuterie, la présence de fer héminique nitrosylé dans les excréments est associée à une augmentation significative de lésions précancéreuses (Santarelli et al., 2010 ([28]) ; Bastide et al., 2017) ([29]).

2.   La formation de nitrosothiols lors de la fabrication de charcuterie traitée aux additifs nitrés et de leur digestion via la S-nitrosation

Les nitrosothiols sont également formés à partir de mécanismes exogènes et endogènes. Lors de la fabrication des produits de charcuterie, l’oxyde nitrique (NO°) et l’ion nitrosonium (NO+) dérivés du nitrite réagissent avec les protéines thiols présents dans la viande pour générer des nitrosothiols. Par ailleurs, les nitrosothiols se forment rapidement au cours de la digestion des protéines au niveau intestinal, du fait de la libération de composés acides. Une réduction supplémentaire intervient : les nitrosothiols se décomposent en monoxyde d’azote (NO) durant la digestion du fait de leur instabilité, formant de nouveaux composés nitrosés potentiellement cancérigènes.

3.   La formation de composés N-nitrosés lors de la cuisson et de la digestion de charcuterie traitée aux additifs nitrés via la N-nitrosation

a.   Les mécanismes de la N-nitrosation

Le processus de N-nitrosation forme deux N-nitroso-composés, les nitrosamines et les nitrosamides. Ces derniers sont listés par l’ANSES parmi les « sources d’incertitudes » pouvant entraîner une sous-estimation de l’exposition aux nitrites et aux nitrates. En effet, leur formation endogène n’est pas exclue au regard de la présence dans la nourriture d’agents précurseurs des nitrosamides, sans pouvoir être évaluée en l’état des connaissances scientifiques. En revanche, la présence exogène de nitrosamides dans les aliments nitrités est considérée comme peu probable du fait de leur caractère instable, à l’origine d’une décomposition rapide.

À l’inverse, les conditions de formation des nitrosamines et leur dangerosité sont mieux caractérisées.

De manière exogène, les nitrosamines dites stables sont formées selon une cascade de réactions mettant en jeu l’ion nitrosonium (NO+) et une amine contenue dans les protéines. Ces composés existent sous deux formes, volatiles ou non-volatiles, selon leur point d’ébullition. Les nitrosamines volatiles, telles que la N‑nitrosodiméthylamine (NDMA) et la N-nitrosodiéthylamine (NDEA), apparaissent lorsque les produits carnés sont chauffés à des températures élevées : un saucisson sec cuit à la poêle à 150 °C sans huile ou avec de l’huile aura une teneur plus élevée en nitrosamines volatiles qu’un saucisson sec bouilli ou chauffé au micro-onde. Les nitrosamines non-volatiles sont les plus fréquemment détectées dans les produits de charcuterie, mais sont considérées comme peu susceptibles d’être cancérogènes par l’EFSA dans son avis scientifique de 2017 sur les nitrites.

De manière endogène, les nitrosamines peuvent être formées tout au long du tractus digestif, soit à pH acide dans l’estomac, soit à pH neutre et en présence de fer dans l’intestin. L’avis révisé de l’ANSES révèle que l’ajout de nitrites augmente la N-nitrosation d’environ 30 % par rapport à la viande sans nitrites.

b.   Les effets génotoxiques et cancérigènes des nitrosamines

La recherche scientifique démontre que certaines nitrosamines sont génotoxiques – susceptibles d’endommager l’ADN – et cancérigènes – susceptibles de provoquer le cancer. Ces risques ont justifié la classification des NDEA et NDMA comme « probablement cancérogènes pour l’homme » (groupe 2A) par le CIRC en 2010.

L’avis révisé de l’ANSES de juillet 2022 rappelle que des associations positives sont suspectées entre :

-         l’exposition aux NDEA et NDMA présents dans l’alimentation et le risque de cancer du pancréas ;

-         l’exposition au NDMA présent dans l’alimentation et le risque de cancers de l’intestin et colorectal.

La Commission européenne, en qualité de gestionnaire des risques, reconnaît « le pouvoir cancérogène avéré » des nitrosamines dans sa décision autorisant les mesures particulièrement restrictives du Danemark ([30]). L’EFSA a toutefois été chargée le 20 juillet 2020 de mener une évaluation spécifique des risques liés à la présence de nitrosamines dans les aliments. Ce mandat intervient alors que l’EFSA concluait en 2017 que les nitrosamines qui se forment dans l’organisme à partir des nitrites ajoutés dans la charcuterie sont « peu préoccupantes pour la santé humaine » lorsque les doses maximales sont respectées. Le projet d’avis scientifique de l’EFSA sur les nitrosamines a été dévoilé en octobre 2022 pour être soumis à consultation. Dans ses réponses écrites à votre rapporteur, l’EFSA avance que « des réactions positives, des propositions constructives et des demandes de clarification ont été reçues ». L’avis définitif a été adopté en janvier 2023 par le groupe scientifique de l'EFSA sur les contaminants de la chaîne alimentaire (groupe CONTAM), puis publié le 28 mars 2023.

Les conclusions finales sont conformes aux résultats préoccupants dévoilés à l’automne 2022. Votre rapporteur note avec satisfaction que la formule finalement retenue par l’EFSA est particulièrement assertive. Pour tous les groupes d’âge, l'exposition alimentaire aux nitrosamines constitue un problème de santé publique (« raises a health concern ») ([31]). Le projet d’avis scientifique concluait prudemment que l’exposition était supérieure au niveau qui pouvait indiquer un problème de santé (« which may indicate a health concern ») ([32]).


Dix nitrosamines présentes dans les aliments, dont la N‑nitrosodiméthylamine (NDMA), sont cancérogènes et génotoxiques. Ces effets nocifs ont été dérivés de l’incidence des tumeurs du foie provoquées chez les rongeurs par l’une des nitrosamines, la N-nitrosodiéthylamine (NDEA). Les produits de charcuterie sont la principale catégorie d’aliments contribuant à cette exposition.

Les précisions apportées par le directeur exécutif de l’EFSA, M. Bernhard Url, lors d’une audition de la commission ENVI du Parlement européen le 8 novembre 2022 sont particulièrement alarmantes ([33]). Interrogé par Mme Nathalie Colin-Oesterlé, eurodéputée française, M. Bernhard Url a notamment indiqué que les risques liés à l’exposition des consommateurs aux nitrosamines requièrent des mesures de réduction des doses autorisées de nitrites et de nitrates. Ces déclarations dénotent avec la prudence habituelle des autorités chargées de l’évaluation des risques, qui évitent de se prononcer sur le bien-fondé de la réglementation établie par les gestionnaires de risques (Commission européenne, États membres, Parlement européen).

 

L’évaluation de l’EFSA sur les nitrosamines, une occasion manquée

Votre rapporteur déplore que le mandat transmis par la Commission européenne ne porte que sur les nitrosamines dans les aliments, et non sur l’ensemble des composés nitrosés tels que le fer héminique nitrosylé et les nitrosothiols.

Le groupe CONTAM de l’EFSA, chargé de l’avis scientifique sur les nitrosamines, a proposé d’évaluer l’ensemble des composés nitrosés. Le périmètre d’étude a finalement été restreint, le groupe de travail compétent estimant qu’il ne serait pas en mesure de fournir une telle évaluation dans les délais fixés par la Commission ([34]).

Ce constat d’échec est dommageable pour la santé des consommateurs. D’une part, l’EFSA a obtenu de la Commission européenne de prolonger ses travaux au‑delà de la date fixée dans le mandat. La demande d’extension aurait dû être l’occasion d’élargir le périmètre de l’évaluation, les délais fixés par la Commission étant manifestant souples. D’autre part, l’ANSES considère dans son avis révisé que « les données sur le potentiel toxicologique de ces composés, et en particulier du fer héminique nitrosylé et des nitrosothiols, font défaut ». Ces derniers sont toutefois bien qualifiés de « préoccupants » et nécessitent une évaluation.

Le périmètre de l’évaluation de l’EFSA sur les nitrosamines, dont les résultats ont été publiés le 28 mars 2023, ne peut plus être modifié. La procédure d’interdiction des additifs nitrés proposée par votre rapporteur sera l’occasion pour la Commission européenne de confier un mandat élargi à l’EFSA.

 


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   DEuxiÈMe partie : L’UTILISATION DES ADDITIFS NITRÉS DANS LA CHARCUTERIE DOIT ÊTRE INTERDITE PAR L’UNION EUROPÉENNE, EN S’APPUYANT le cas ÉchÉANT SUR UNE INITIATIVE PRÉCURSEUR de la france

I.   LA LÉGISLATION EUROPÉENNE, AUJOURD’HUI INSUFFISANTE, CONFÈRE UN RÔLE DÉTERMINANT À LA COMMISSION EUROPÉENNE ET À L’EFSA

A.   LA RÉGLEMENTATION EUROPÉENNE, FONDÉE SUR L’EXPERTISE DE L’EFSA, NE PROTÈGE PAS SUFFISAMMENT LA SANTÉ DES CONSOMMATEURS

1.   Les doses maximales d’additifs nitrés sont fixées par le règlement européen (CE) n° 1333/2008, qui s’appuie sur les avis scientifiques de l’EFSA

a.   Les additifs nitrés dans la charcuterie sont aujourd’hui autorisés par l’Union européenne

La réglementation des additifs alimentaires au niveau européen est absolument nécessaire car elle assure l’intégrité du marché intérieur, dont la libre circulation des denrées alimentaires, et la protection harmonisée des consommateurs. En ce sens, l’Union européenne agit conformément au principe de subsidiarité consacré à l’article 5 du traité sur l’Union européenne (TUE) et dont les modalités de mise en œuvre sont précisées par le protocole (n° 2) sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, annexé aux traités : les objectifs visés ne pourraient en aucun cas être atteints de manière suffisante par les vingt‑sept États membres et requièrent des mesures à l’échelon européen.

Les additifs alimentaires sont soumis à une législation européenne spécifique depuis la directive-cadre du 21 décembre 1988, complétée par une directive spécifique du 20 février 1995 concernant les additifs autres que les colorants et les édulcorants. Le cadre juridique européen distingue alors une « dose indicative d’incorporation » pour la majorité des denrées et une « dose résiduelle » pour certains produits traditionnels dont les procédés de fabrication ne permettent pas de mesurer les doses incorporées. La dose indicative d’incorporation ne constitue alors pas une valeur limitative des niveaux de nitrites ajoutés dans les produits de charcuterie. Ces règles ont évolué une première fois en 2006, avec l’établissement de doses d’incorporation maximales lors de la fabrication. L’architecture en vigueur repose désormais sur une série d’actes législatifs adoptés en 2008 dans le cadre du Food Improvement Agent Package (FIPA) destiné à moderniser les règles applicables aux additifs, enzymes et arômes alimentaires.


Deux textes en particulier sont aujourd’hui applicables aux nitrites et nitrates utilisés comme additifs alimentaires :

-         le règlement (CE) n° 1331/2008 du 16 décembre 2008 instaure une procédure uniforme d’évaluation et d’autorisation de plusieurs substances, dont les additifs alimentaires. La mise sur le marché des additifs alimentaires autorisés par la Commission européenne est régie par le principe dit de « liste positive » : toute substance qui ne figure pas expressément sur une liste communautaire est interdite. Les aliments dans lesquels les additifs peuvent être incorporés sont précisément identifiés, ainsi que les doses maximales à utiliser ;

-         le règlement (CE) n° 1333/2008 du 16 décembre 2008 établit une législation alimentaire sectorielle propre aux additifs alimentaires. Le texte définit les additifs alimentaires comme « toute substance habituellement non consommée en aliment en soi […], et dont l’adjonction intentionnelle aux denrées alimentaires, dans un but technologique, […] » a pour effet qu’elle devient un composant de ces denrées alimentaires. Pour être inclus dans la liste communautaire, un additif alimentaire doit présenter un intérêt pour le consommateur et répondre à plusieurs critères non exhaustifs destinés à protéger la santé de celui-ci. Ainsi, l’additif ne doit poser aucun problème de sécurité pour la santé du consommateur, selon les preuves scientifiques disponibles et aux doses proposées, ni induire le consommateur en erreur. Il doit également répondre à un besoin technologique suffisant qui ne peut être satisfait par d’autres méthodes. L’annexe II, partie E, du règlement n° 1333/2008 fixe la liste des additifs alimentaires autorisés et leurs conditions d’utilisation.

En vertu de la réglementation européenne, les additifs nitrés sont ainsi autorisés dans certaines catégories de produits carnés pour lesquelles s’appliquent des doses maximales d’emploi ou résiduelles spécifiques, variant de 10 à 300 milligrammes par kilogramme de produit (mg/kg) :

-         les nitrites et les nitrates sont autorisés dans certains produits traditionnels saumurés par immersion ou traités en salaison sèche, ainsi que dans les produits à base de viande non traités thermiquement, tels que les produits saumurés ou salés crus ;

-         les seuls nitrites sont autorisés dans certaines préparations de viande au sens du règlement n° 853/2004 relatif à l’hygiène des aliments, soit les produits qui ont subi une transformation insuffisante pour faire disparaître les caractéristiques de la viande fraîche.

 

 


Tableau 3 – Doses maximales d’emploi ou résiduelles (marquées par un *) en nitrites et nitrates dans différentes catégories de produits carnés

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Source : règlement (CE) n° 1333/2008 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 sur les additifs alimentaires, données traitées dans le rapport d’expertise collective de l’ANSES, 2022. La mention x désigne un usage non autorisé.


Par ailleurs, votre rapporteur déplore que même les produits de charcuterie issus de l’agriculture biologique ne soient pas préservés des dangers liés aux additifs nitrés. Les bénéfices associés à la consommation d’aliments biologiques sont pourtant documentés, notamment dans le cadre du projet BioNutriNet qui porte sur près de 35 000 participants de la cohorte NutriNet‑Santé ([35]) : ces consommateurs présentent des régimes alimentaires nutritionnellement plus sains, ainsi qu’une exposition réduite aux résidus des pesticides de synthèse. Pourtant, le nitrite de sodium (E250) et le nitrate de potassium (E252) peuvent être ajoutés dans la fabrication de charcuteries biologiques, avec une dose d’incorporation maximale de 80 milligrammes par kilogramme de produit ([36]). La réglementation européenne précise que ces additifs ne peuvent être employés que s’il a été démontré « qu'il n'existe aucune alternative technologique donnant les mêmes garanties sanitaires et/ou permettant de maintenir les caractéristiques propres du produit » ([37]). Cette souplesse est injustifiée alors que de nombreux produits de substitution sont aujourd’hui utilisés, d’autant que les consommateurs s’attendent légitimement à ce que les produits issus de l’agriculture biologique soient plus sains que les produits issus des filières conventionnelles.

b.   Les valeurs de référence établies par l’EFSA sont prises en compte dans la fixation des doses maximales d’additifs nitrés

La Commission européenne établit et met à jour la liste des additifs alimentaires autorisés ainsi que leurs conditions d’utilisation en s’appuyant sur les avis scientifiques de l’EFSA, agence de l’Union européenne créée le 1er janvier 2002 et située à Parme. Dans le cadre de la procédure uniforme, la Commission doit ainsi mettre à jour la liste des additifs alimentaires « compte tenu de l’avis de l’EFSA » et justifier toute décision qui ne serait pas conforme à l’expertise rendue ([38]).

Les doses maximales d’emploi et résiduelles sont fixées par la Commission européenne à l’aune des valeurs toxicologiques de références (VTR) recommandées par l’EFSA. Pour rappel, ces valeurs maximales varient de 10 à 300 milligrammes de sels de nitrites et de nitrates par kilogramme selon les produits de charcuterie visés. L’ensemble des interlocuteurs auditionnés par votre rapporteur a rappelé l’importance de la répartition des compétences en matière d’évaluation et de gestion des risques : l’EFSA et l’ANSES refusent ainsi de se prononcer sur la pertinence des doses maximales d’emploi ou résiduelles fixées par la législation européenne, dont la responsabilité relève des gestionnaires de risques.

Les frontières de la sécurité sanitaire : Risk Management v. Risk Assessment

La Commission européenne, le Parlement européen et les États membres sont les « gestionnaires de risques » (risk managers), compétents pour établir la législation relative aux aliments et mettre en œuvre les politiques de prévention et de contrôle des risques. L’EFSA est chargée d’évaluer les risques associés à la chaîne alimentaire en qualité de risk assessor afin d’éclairer la décision des gestionnaires de risques.

L’EFSA s’appuie sur un vaste réseau composé d’organismes nationaux compétents. Dans ce contexte, l’ANSES représente la France au sein du forum consultatif de l’EFSA, chargé de renforcer l’échange d’informations scientifiques entre États membres, et assure le rôle de « point focal » français. Ce système a été mis en place en 2008 pour améliorer la coordination entre l’EFSA et les autorités nationales (instituts de recherche, écoles vétérinaires, etc.). Ce dialogue entre l’EFSA, les organismes nationaux compétents et les gestionnaires de risques alimente directement la législation européenne relative aux aliments.

L’EFSA évalue l’innocuité des additifs alimentaires en proposant une dose journalière admissible (DJA) comme valeur de référence, soit la quantité estimée d’une substance présente dans les aliments qui peut être consommée quotidiennement pendant toute la durée d’une vie sans présenter de risque pour la santé. En parallèle, l’EFSA évalue par groupe d’âge l’exposition des consommateurs aux additifs nitrés à partir des niveaux de concentration observés dans les aliments et des données de consommation. L’utilisation des nitrites et des nitrates comme additifs alimentaires est considérée comme sûre si l’exposition ne dépasse pas les DJA recommandées.

Mandatée par la Commission européenne pour réévaluer la sécurité des additifs nitrés, l’EFSA a rendu deux avis scientifiques publiés en 2017 ([39]). Ces derniers confirment largement les valeurs de référence établies par l’ancien comité scientifique pour l’alimentation humaine (CSAH) de la Commission européenne en 1997. Les compétences du CSAH, fondé en 1974, ont été transférées à l’EFSA à sa création en 2002. Les DJA recommandées par l’EFSA sont les suivantes – exprimées en milligrammes de substance par kilogramme de poids corporel :

-         pour les nitrates : 3,7 milligrammes d’ions nitrate par kilogramme de poids corporel par jour (mg/kg pc/jour), correspondant au niveau fixé par le CSAH ;

-         pour les nitrites : 0,07 milligrammes d’ions nitrite par kilogramme de poids corporel par jour (mg/kg pc/jour), supérieur au niveau de 0,06 mg/kg pc/jour alors recommandé par le CSAH.

2.   L’interdiction des additifs nitrés dans la charcuterie garantirait le respect des valeurs de référence établies par l’EFSA, aujourd’hui dépassées pour de nombreux consommateurs

Dans ses avis scientifiques de 2017, l’EFSA conclut que les niveaux de protection en vigueur constituent une protection adéquate pour les consommateurs au regard des DJA recommandées : l’exposition aux nitrates et aux nitrites utilisés comme additifs alimentaires se situe dans des limites sûres pour l’ensemble des groupes de population, à l’exception d’un « léger dépassement » chez les enfants dont le régime alimentaire est riche en aliments contenant des additifs nitrés.

L’EFSA précise toutefois que les DJA sont dépassées pour de nombreux groupes d’âge lorsque l’ensemble des sources d’expositions alimentaires – présence naturelle dans les aliments, contamination environnementale, emploi en tant qu’additifs – est pris en compte. Tel est le cas pour les nourrissons, les jeunes enfants et les enfants à un niveau moyen d’exposition aux nitrites, ainsi que pour les personnes de tous les groupes d’âge présentant une exposition élevée.

Face à ce dangereux cocktail d’exposition aux nitrites et aux nitrates, les additifs alimentaires représentent un champ d’action prioritaire : il s’agit d’ajouts intentionnels dont le caractère indispensable n’est pas avéré et pour lesquels des solutions de substitution existent d’ores et déjà. Dans son avis révisé de juillet 2022, l’ANSES a expertisé un scénario « sans nitrites ajoutés » appliqué aux deux produits de charcuterie qui contribuent le plus à l’exposition totale, le jambon cuit, les saucisses et les saucissons cuits. Ce scénario réduit de 18 à 29 % l’exposition totale aux nitrites des adultes et de 25 à 40 % celle des enfants. Quelle que soit la population, aucun dépassement de la DJA pour les nitrites n’est alors observé. Ces projections démontrent que le « levier additif » peut et doit être pleinement activé, via une interdiction à l’échelle de l’Union européenne, pour protéger la santé des consommateurs.

3.   L’évaluation des risques associés à l’exposition aux additifs nitrés tient imparfaitement compte des composés nitrosés

Les DJA proposées par l’EFSA pour les nitrites et les nitrates sont aujourd’hui définies séparément pour chacune de ces substances, en dépit de la complexité des effets mécanistiques à l’origine de la formation de composés nitrosés. Par ailleurs, les DJA sont dérivées à partir du risque de méthémoglobinémie ([40]) : l’augmentation du niveau de méthémoglobine dans le sang, causée par la présence de nitrite ou par la conversion du nitrate en nitrite dans la bouche, est l’effet pris en compte pour mesurer la dangerosité des additifs nitrés.

Dans son avis révisé de 2022, l’ANSES estime que les connaissances scientifiques disponibles sont insuffisantes pour modifier les DJA proposées par l’EFSA, qui demeurent de facto en usage. L’évaluation quantitative des risques liés à l’exposition aux additifs nitrés suppose toutefois d’intégrer les composés nitrosés, aujourd’hui ignorés par les DJA. Les autorités d’évaluation recourent pour cela à la méthode dite de la marge d’exposition (Margin of Exposure, MoE), qui permet pour une population donnée d’évaluer la dose de substance à laquelle un effet indésirable est observé et le niveau d’exposition effectif à cette substance.

L’ANSES, dans son avis révisé de 2022, et l’EFSA, dans ses avis de 2017, ont évalué ces risques en deux étapes : d’abord, en modélisant de manière conservatrice (scénario le plus défavorable) le niveau de nitrosamines endogènes formées après ingestion de nitrites et de nitrates ; ensuite, en calculant les marges d’exposition de différents groupes d’âge. Ces démarches ont conduit l’EFSA à conclure que les DJA sont dépassées pour de nombreux groupes d’âge lorsque toutes les sources d’exposition alimentaires sont prises en compte.

Votre rapporteur relève que les méthodes utilisées, si elles sont jugées pertinentes en l’état des connaissances scientifiques, s’avèrent insuffisantes :

-         le calcul des marges d’exposition intègre les quantités de nitrosamines mais exclut les autres composés nitrosés ;

-         l’approche MoE est un expédient utile, mais qui gagnerait à être complété ou remplacé à l’avenir. L’avis révisé de l’ANSES appelle ainsi à mener « une réflexion pour établir une valeur toxicologique de référence prenant en compte la co-exposition aux nitrates, aux nitrites et aux composés nitrosés » ([41]) ;

Les risques sanitaires posés par les additifs nitrés sont parfaitement identifiés par la recherche scientifique existante. Une meilleure quantification de l’exposition à l’ensemble des composés nitrosés est de nature à conforter ces résultats.

Par conséquent, votre rapporteur appelle les participants au Partenariat européen pour l'évaluation des risques liés aux substances chimiques, dit projet PARC, à développer les modèles d’analyse nécessaires à l’évaluation globale de la dangerosité des additifs nitrés. Le projet PARC, coordonné par l’ANSES et financé par le programme européen de recherche Horizon Europe 2021-2027, a débuté le 1er mai 2022. Les récents travaux de l’ANSES et de l’EFSA sur les additifs nitrés et les composés nitrosés en font l’un des champs d’études prioritaires en matière de santé publique.

B.   LA RÉGLEMENTATION EUROPÉENNE PEUT AUJOuRd’hui FAIRE L’OBJET DE MESURES PLUS RESTRICTIVES

1.   La réalité de l’exception danoise : une réglementation restrictive comme modèle d’inspiration

a.   Une réglementation particulièrement restrictive, unique en Europe

Le Danemark est le quatrième producteur de viande porcine et compte parmi les premiers exportateurs de produits transformés en Europe. La vitalité du secteur de la charcuterie-salaison n’est aucunement entravée par la réglementation danoise en matière d’additifs nitrés, la plus restrictive dans l’Union européenne depuis les années 1990.

Tableau 4 – Doses maximales d’emploi dans les produits
de charcuterie en vigueur au Danemark

Source : décision (UE) 2021/741 de la Commission du 5 mai 2021 relative aux dispositions nationales notifiées par le Danemark concernant l'adjonction de nitrites à certains produits à base de viande.

En effet, le Danemark est aujourd’hui le seul État membre à imposer des doses maximales de sels de nitrite (E249 et 250) inférieures aux dispositions harmonisées prévues par le règlement (CE) n° 1333/2008 du 16 décembre 2008. Ainsi, l’arrêté danois n° 1247 du 30 octobre 2018 relatif aux additifs alimentaires dans les denrées alimentaires fixe par défaut une dose d’adjonction maximale de nitrites à 60 mg/kg, qu’ils soient ou non traités thermiquement. Ces plafonds sont près de deux fois inférieurs aux doses maximales correspondantes prévues par la législation européenne, qui sont fixées alternativement à 100 mg/kg ou à 150 mg/kg. Certains produits danois bénéficient de dérogations jusqu’à 150 mg/kg, tels que le jambon cuit ou le bacon.

Surtout, le Danemark interdit l’ajout de nitrites dans certains produits cuits, en fixant une dose maximale à 0 mg/kg pour les boulettes de viande (frikadeller) et pâté de foie (leverpostej) traditionnels danois, et interdit la mise sur le marché de produits pour lesquels seules des doses résiduelles maximales peuvent être établies. Cette dernière disposition, en excluant toute exception à la règle consistant à appliquer des doses d’adjonction maximales, revient de facto à interdire l’importation de certains produits traditionnels originaires d’autres États membres.

b.   Une capacité reconnue à encadrer plus strictement les additifs nitrés dans la charcuterie

En adoptant des règles protectrices des consommateurs, le Danemark fait simplement usage des marges de manœuvre offertes par le droit de l’Union européenne. Les autorités danoises invoquent avec succès la clause de sauvegarde prévue à l’article 114, paragraphes 4 à 6, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Cette procédure autorise, sous certaines conditions, les États membres à déroger à la législation harmonisée – en l’espèce, le règlement (CE) n° 1333/2008 – en maintenant des dispositions nationales plus strictes – en l’espèce, l’arrêté n° 1247 du 30 octobre 2018 – pour préserver des intérêts non mercantiles.

La réglementation danoise,
une application reconnue du principe de précaution au niveau national

Le bien-fondé de la démarche danoise a été reconnu dès 2003 par la cour de Justice des communautés européennes : la Cour de Luxembourg a annulé une décision de la Commission européenne rejetant les dispositions danoises sur l’emploi des additifs nitrés, alors perçues comme disproportionnées ([42]).

La Cour reconnaît ici aux États membres la possibilité de maintenir des dispositions dérogatoires en se fondant sur une échelle d’évaluation des risques différente de celle retenue par le législateur européen. Les risques liés à la consommation de produits de charcuterie nitrités, qui font alors l’objet d’évaluations divergentes, justifient l’appréciation propre au Danemark. Cette position diffère de la thèse développée dans les conclusions de l’avocat général, M. Antonio Tizzano, selon laquelle toute dérogation à la législation harmonisée doit répondre à des problèmes spécifiques au pays concerné.

La Commission européenne, pourtant à l’origine des doses maximales fixées au niveau de l’Union, a approuvé à plusieurs reprises le maintien des dispositions restrictives notifiées par le Danemark. La demande danoise a été approuvée pour la dernière fois en 2021, pour une période de trois ans ([43]). La Finlande, la Lettonie et Malte ont soutenu cette démarche en soumettant des commentaires favorables à la Commission européenne, qui a de nouveau considéré que la réglementation du Danemark était justifiée en considérant les enjeux sanitaires et économiques.

-         Le critère de la protection de la santé humaine. Parmi les critères invocables à l’appui de la clause de sauvegarde, le Danemark démontre que ses dispositions restrictives garantissent un niveau plus élevé de protection de la santé et de la vie des personnes. Par conséquent, les règles danoises permettent d’atteindre « les exigences importantes visées à l'article 36 » du TFUE, qui est l’une des conditions prévues par l’article 114 du TFUE. Le Danemark expose deux séries d’arguments, accueillis favorablement par la Commission européenne. D’une part, le Danemark soutient que l’adjonction de nitrites génère la formation de nitrosamines volatiles et non volatiles ([44]), alors que l’EFSA reconnaît uniquement le lien dans le second cas. La cancérogénicité de ces composés nitrosés intervient alors que l’exposition totale aux nitrites – toutes sources confondues – dépasse la DJA pour une grande partie de la population danoise. D’autre part, le Danemark établit que la réduction des doses de nitrites n’a pas dégradé la sécurité microbiologique des produits de charcuterie, contrairement à l’argument-massue régulièrement invoqué par les partisans des additifs nitrés : aucun cas de botulisme provoqué par la consommation de produits à base de viande n’a été détecté au Danemark depuis 1980. La réduction des DLC et la bonne maîtrise de la chaîne du froid contribuent à ces résultats probants.

-         Le critère de l’intégrité du marché unique. La Commission européenne a conclu que les dispositions danoises ne constituaient pas une discrimination arbitraire contre les produits importés, puisqu’elles s’appliquent également aux produits domestiques, et qu’elles ne créaient pas une entrave disproportionnée au fonctionnement du marché unique au regard de l’objectif de protection de la santé. À cet égard, il est notable que les importations danoises de produits de charcuterie en provenance d’autres États membres aient augmenté entre 1994 et 2019.

L’expérience danoise démontre que la lutte contre les additifs nitrés est possible dans un pays possédant une véritable tradition charcutière. Cette réglementation restrictive, bénéfique pour la santé des consommateurs et compatible avec le fonctionnement du marché unique, démontre les limites du cadre juridique européen en vigueur.

2.   Le fantasme de l’exception française : un Code des usages qui repose sur la bonne volonté des producteurs de charcuterie

Face aux nombreuses études scientifiques soulignant la dangerosité des additifs nitrés, les fabricants de charcuterie affichent un discours rassurant : la situation française serait satisfaisante. La Fédération française des industriels charcutiers, traiteurs et transformateurs de viandes (FICT) et la Confédération nationale des charcutiers-traiteurs (CNCT), qui représentent les professionnels du secteur, ont accueilli l’avis révisé de l’ANSES de juillet 2022 dans les termes suivants : « les artisans et les entreprises de charcuterie ont déjà volontairement réduit, depuis 2016, de 40 % les quantités maximales de nitrites par rapport à la réglementation européenne, ce qui fait de la France (avec le Danemark) le pays qui en utilise le moins dans le monde » ([45]).

La réduction susmentionnée des doses d’emploi renvoie aux engagements pris en 2016 par les professionnels dans le cadre de la révision du Code des usages de la charcuterie, de la salaison et des conserves de viandes. Ce document de référence prévoit des doses inférieures aux plafonds européens : les doses d’emploi de nitrites dans les pièces crues et sèches sont par exemple limitées à 120 mg/kg, contre 150 mg/kg dans la législation européenne. Votre rapporteur relève que cette valeur correspond à une réduction de 20 % par rapport aux doses maximales européennes, la trajectoire de -40 % – affichée par les fédérations du secteur – étant à ce stade une proposition formulée par les professionnels. Le plan d’action du Gouvernement, présenté le 27 mars 2023, ne retient d’ailleurs pas ces teneurs réduites pour les pièces crues et sèches – à l’exception des pièces crues étuvées à cuire (lardon, poitrines) dont la dose maximale doit être fixée à 100 mg/kg d’ici la fin du mois d’avril 2023.

Le Code des usages, mis à jour régulièrement depuis 1968, recense les bonnes pratiques de fabrication et définit aujourd’hui près de 450 recettes de charcuterie. Les produits répertoriés, regroupés en 16 familles, doivent réunir des critères précis pour utiliser une dénomination de vente de la charcuterie, tels que le procédé de fabrication (matières premières, ingrédients, etc.) et diverses caractéristiques physiques, sensorielles, chimiques et microbiologiques.

Ce document technique est rédigé dans le cadre d’un partenariat entre les organisations professionnelles et fait l’objet d’une reconnaissance officielle par l’administration. Son contenu est porté à la connaissance de l’administration : la direction générale de l’alimentation (DGAL) du ministère de l’Agriculture et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) du ministère de l’Économie vérifient notamment que les dispositions du Code des usages respectent la réglementation en vigueur et que les pratiques codifiées sont aussi représentatives des artisans que des industriels.

S’il sert de référence pour les transformateurs, les distributeurs, les organismes de contrôle et les consommateurs, le Code des usages ne revêt toutefois pas une portée réglementaire. Il permet d’apprécier la conformité des produits mis sur le marché, le juge pouvant par exemple s’y référer pour établir le délit de tromperie prévu par le Code de la consommation – de la même manière qu’une norme dite AFNOR ou internationale non obligatoire.

L’ensemble des interlocuteurs interrogés par votre rapporteur estime que le Code des usages est unique dans l’Union européenne : aucun document similaire n’est développé par les filières professionnelles parmi les États membres. Votre rapporteur constate toutefois que les producteurs d’autres pays se fixent également des références plus contraignantes que la législation européenne. Or ces pratiques volontaristes sont plus ambitieuses qu’en France. Outre les prescriptions du Consortium du jambon de Parme ou du Consortium du jambon San Daniele en Italie, les producteurs danois de charcuterie biologique – dont les produits représentent 10 % du marché – conviennent de ne pas recourir aux sels de nitrites ([46]). Toute dérogation à cette règle doit être justifiée préalablement à l’administration alimentaire et vétérinaire danoise (Fødevarestyrelsen).

La singularité française du Code des usages, si elle démontre certains efforts de la profession pour maîtriser les quantités d’additifs nitrés, est insatisfaisante. Les normes relatives à la protection de la santé ne peuvent reposer sur le bon vouloir des acteurs d’un secteur qu’elles visent à réguler. Cette responsabilité relève des pouvoirs publics chargés de mettre en œuvre la police de la sécurité sanitaire des aliments.

II.   LA RÉDUCTION ENVISAGÉE DES DOSES MAXIMALES D’ADDITIFS NITRÉS EST UNE IMPASSE, QUI NE SAURAIT SE SUBSTITUER À LEUR INTERDICTION DANS la charcuterie

A.   Les propositions de la commission EUROPÉENNE pour RÉDUIRE L’UTILISATION DES ADDITIFS NITRÉS devraient aboutir prochainement

1.   La Commission européenne a présenté une mise à jour des conditions d’utilisation des additifs nitrés dans le cadre de la procédure de comitologie applicable

La Commission européenne est habilitée par le règlement (CE) n° 1331/2008 du 16 décembre 2008 établissant la procédure d’autorisation uniforme pour diverses substances à modifier les « éléments non essentiels de chaque législation alimentaire sectorielle », dont celle relative aux additifs alimentaires. Par l’intermédiaire de cet actif législatif de base, le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen ont délégué à la Commission européenne les compétences d’exécution lui permettant d’ajouter ou de supprimer des additifs de la liste communautaire et de modifier leurs conditions d’utilisation. La délégation de pouvoirs à la Commission européenne par les co-législateurs est subsidiaire par rapport à la compétence d’exécution du droit de l’Union européenne qui incombe en premier lieu aux États membres. Elle n’en demeure pas moins habituelle – et indispensable – pour assurer la mise en œuvre uniforme de certains actes législatifs.

En l’espèce, la Commission européenne est compétente pour mettre à jour l’annexe II du règlement (CE) n° 1333/2008, qui recense les additifs alimentaires autorisés et leurs conditions d’utilisation. La lecture combinée de l’article 7 et de l’article 14 de ce règlement précise la voie à suivre. La procédure de réglementation avec contrôle (PRAC) ([47]), antérieure au traité de Lisbonne, est applicable. La législation relative aux additifs alimentaires n’a pas encore été alignée sur les procédures de comitologie simplifiées issues du traité de Lisbonne, qui distingue désormais la procédure consultative de la procédure d’examen pour l’adoption d’actes d’exécution. L’absence de « lisbonisation » du texte, si elle implique la coexistence peu intelligible de multiples procédures, n’entraîne toutefois pas sa caducité.

Une mise à jour de la liste communautaire relevant de la PRAC

Article 7, paragraphe 5 du règlement (CE) n° 1331/2008 : « Pour des raisons d’efficacité, les mesures, qui visent à modifier des éléments non essentiels de chaque législation alimentaire sectorielle, y compris en la complétant, qui ont trait à l’ajout d’une substance à la liste communautaire et/ou à l’ajout, à la suppression ou à la modification de conditions, spécifications ou restrictions liées à la présence de la substance sur la liste communautaire, sont arrêtées en conformité avec la procédure de réglementation avec contrôle visée à l’article 14, paragraphe 4. »

Article 14, paragraphe 4 du règlement (CE) n° 1331/2008 : « Dans le cas où il est fait référence au présent paragraphe, l’article 5 bis, paragraphes 1 à 4, et paragraphe 5, (point b), et l’article 7 de la décision 1999/468/CE s’appliquent, dans le respect des dispositions de l’article 8 de celle-ci. »

Les pouvoirs d’exécution de la Commission européenne sont encadrés dans le cadre de la PRAC, qui est particulièrement protectrice des prérogatives des États membres. Ces garanties sont justifiées en ce qu’elles permettent au Conseil de l’Union européenne, émanation des États membres habituellement appelés à assurer l’exécution du droit européen, de contrôler la manière dont la Commission exerce cette compétence déléguée. Deux étapes importantes peuvent être distinguées.

a.   Le nécessaire avis favorable d’un comité de régulation

Dans un premier temps, la Commission européenne soumet un projet de mesures à prendre à l’avis d’un comité de régulation, composé de représentants des États membres et présidé par un représentant de la Commission européenne. En l’espèce, il s’agit du comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et des aliments pour animaux (CPVADAA), dit « comité permanent ». Ce dernier est composé de quatorze sections thématiques au sein desquelles siègent, pour la France, des représentants des directions ministérielles concernées – dont la DGAL du ministère de l’Agriculture et la DGCCRF du ministère de l’Économie. Le comité permanent doit rendre un avis favorable à la majorité qualifiée pour que la procédure d’adoption de l’acte d’exécution se poursuive ([48]). À défaut d’un tel soutien, la mesure est renvoyée devant le Conseil de l’Union européenne, qui décide à la majorité qualifiée.

La Commission européenne a d’ores et déjà finalisé son projet, qui prend la forme d’un règlement d’exécution « modifiant l’annexe II du règlement (CE) nº 1333/2008 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les conditions d’utilisation des nitrites (E 249-250) et des nitrates (E 251-252) en tant qu’additifs alimentaires ». Les produits de charcuterie ne sont pas les seuls concernés par la modification des niveaux d’additifs nitrés autorisés. En effet, les nitrates sont également autorisés dans certains poissons (harengs au vinaigre et sprats) et dans certaines catégories de fromage.

Un long travail de concertation a été engagé en ce sens dès 2021, comprenant notamment une consultation dite « ciblée » des parties prenantes – à laquelle ont par exemple participé les fédérations professionnelles et les associations de consommateurs. Les autorités françaises ont notamment été invitées à présenter les conclusions de l’avis révisé et du rapport d’expertise collective de l’ANSES. La révision à la baisse des doses de nitrites et de nitrates, proposée par la Commission européenne, a fait l’objet de discussions intenses et complexes. Ces difficultés s’expliquent notamment par la grande diversité des produits et des procédés de fabrication parmi les pays européens, ainsi que par la nécessaire prévention des risques microbiologiques liés à la réduction des additifs nitrés. Le projet définitif a été présenté aux États membres lors de la réunion du groupe de travail « additifs » du comité permanent qui s’est tenue les 31 janvier et 1er février derniers.

La section « Nouveaux aliments et sécurité toxicologique de la chaîne alimentaire » du comité permanent s’est réunie dernièrement, le 27 février 2023, pour poursuivre les discussions sur le texte. Aucune date précise de vote n’est encore connue, mais celui-ci pourrait intervenir lors de la prochaine réunion de la section compétente, le 24 avril 2023. Les travaux du comité permanent ont manifestement pris du retard sur le calendrier initialement envisagé, à la manière de l’avis scientifique de l’EFSA sur les nitrosamines dans les aliments – dont la publication a été reportée à plusieurs reprises.

La majorité des États membres est en faveur du projet de révision proposé par la Commission européenne, en dépit de divergences sur l’ampleur de la réduction des doses maximales et sur la durée de la période transition. Un avis favorable ouvrirait la voie à la révision effective de la liste des additifs autorisés, les principaux obstacles à l’adoption de l’acte d’exécution étant alors levés.

b.   Un droit de regard effectif du Parlement et du Conseil

Dans un second temps, la révision envisagée par la Commission européenne sera soumise au Parlement européen et au Conseil de l’Union européenne pour contrôle. Cette transmission intervient « sans tarder » aux termes de la décision de comitologie du Conseil régissant la PRAC. Le Parlement européen, statuant à la majorité absolue, ou le Conseil de l’Union européenne, statuant à la majorité qualifiée, peuvent s’opposer dans un délai de deux mois à l’adoption du projet par la Commission européenne. Celle-ci doit alors retirer ou modifier la mesure proposée.

Trois motifs peuvent être invoqués à l’appui d’une objection à un acte d’exécution :

-         le projet d’acte soumis par la Commission excède les compétences d'exécution prévues dans l'acte législatif de base ;

-         le projet n'est pas compatible avec le but ou le contenu de l'acte législatif de base ;

-         le projet ne respecte pas les principes de subsidiarité ou de proportionnalité.

Il est aujourd’hui improbable que le véto éventuel de l’un des colégislateurs aboutisse. D’une part, la Commission européenne semble recueillir le soutien de la majorité des États membres représentés au sein du comité permanent. Ces derniers, s’ils rendent un avis favorable, ne devraient pas se dédire dans un délai aussi court et veillent habituellement à appuyer des solutions largement partagées entre les pays européens. C’est particulièrement le cas dans un domaine aussi sensible que la sécurité des aliments. D’autre part, l’objection du Parlement européen doit réunir une majorité absolue des membres qui le composent, y compris les députés qui sont absents ou ne prennent pas part au vote. Ce seuil, fixé à 253 voix (pour 705 sièges), est élevé.

Votre rapporteur signale toutefois que les députés européens se sont déjà opposés avec succès à certaines modifications particulièrement dangereuses de la liste communautaire des additifs alimentaires autorisés. Ainsi, le Parlement européen a approuvé à une très large majorité une résolution s’opposant à un projet de règlement de la Commission européenne qui maintenait l’autorisation de mise sur le marché du dioxyde de titane (E171), un colorant cancérogène. Cette objection courageuse, approuvée le 8 octobre 2020 par 443 voix pour, 118 contre et 135 abstentions, intervient avant même l’avis de l’EFSA du 6 mai 2021, qui conclut que « le dioxyde de titane ne peut plus être considéré comme un additif alimentaire sûr » ([49]).

Les députés européens ont invoqué à raison le motif d’une incompatibilité entre, d’une part, les mesures proposées par la Commission européenne et, d’autre part, le but et les objectifs de la législation européenne sur les additifs. Pour rappel, un additif alimentaire ne peut être autorisé dans l’Union que s’il est sûr pour le consommateur au regard des preuves scientifiques disponibles ([50]). La Commission européenne a été tenue de retirer son projet de règlement, en répondant toutefois que son projet était pleinement compatible avec les exigences de sécurité des aliments au regard des avis existants de l’EFSA.

En l’absence d’opposition du Parlement européen ou du Conseil de l’Union européenne, les mesures modifiant la législation sur les additifs nitrés seront arrêtées en l’état par la Commission européenne et entreront en vigueur à la date fixée par l’acte d’exécution.

2.   Les propositions de la Commission européenne, si elles sont bienvenues, ne protègent pas suffisamment la santé des consommateurs

La Commission européenne a proposé des mesures pour réduire l’exposition des consommateurs aux additifs nitrés en s’appuyant sur une série d’arguments :

-         le dépassement des valeurs toxicologique de référence, en l’espèce les DJA, par plusieurs groupes d’âge ;

-         les risques liés à la formation de nitrosamines ;

-         l’efficacité du levier « additif » pour réduire l’exposition des consommateurs aux nitrites, aux nitrates et aux composés nitrosés ;

-         le retour d’expérience probant des initiatives mises en œuvre par les fabricants pour réduire les additifs nitrés.

Le contenu exact du projet de règlement de la Commission européenne, qui modifie l’annexe II du règlement (CE) nº 1333/2008 du 16 décembre 2008, n’a pas été dévoilé publiquement. Les auditions réalisées par votre rapporteur ont toutefois permis d’appréhender les principales mesures envisagées. Aucune mesure d’interdiction n’est en revanche proposée, ce que regrette votre rapporteur.

-         Réduction des doses d’incorporation maximales. L’ensemble des catégories de produits de charcuterie serait concerné par une réduction des plafonds en vigueur. Par exemple, la dose d’incorporation maximale de sels de nitrites dans les produits à base de viande non traités thermiquement serait abaissée de 150 à 100 mg/kg : les produits salés ou saumurés crus, tels que le jambon cru et le jambon sec, seraient concernés.

-         Introduction de doses résiduelles maximales pour l’ensemble des produits mis sur le marché. À ce titre, les produits traités thermiquement seraient désormais soumis à des doses résiduelles maximales de sels de nitrites de 40 mg/kg pour les produits stérilisés, tels que les conserves de pâté, et de 50 mg/kg pour les produits non stérilisés. Contrairement aux doses d’adjonction, la fixation de doses résiduelles permet d’appréhender les procédés de substitution qui utilisent des extraits végétaux et des bouillons de légumes riches en nitrates d’origine naturelle. Or ces derniers sont convertis en nitrites par les bactéries de la bouche. Ces niveaux résiduels maximaux permettent de vérifier la présence de nitrites et de nitrates au plus proche du moment de consommation, permettant un meilleur contrôle de l’exposition du consommateur au regard des DJA.

De manière formelle, les doses fixées par le texte ne seront désormais plus exprimées en nitrite et en nitrate de sodium, mais en ion nitrite et en ion nitrate pour être alignées sur l’unité de mesure des DJA. Les valeurs mentionnées précédemment par votre rapporteur le sont selon le système en vigueur pour faciliter les comparaisons.

La Commission européenne propose une approche progressive. D’une part, la mise en application des nouvelles règles interviendra après une période transitoire afin que les filières adaptent si nécessaire leurs procédés de fabrication. D’autre part, les teneurs résiduelles seront indicatives dans un premier temps. Cette phase exploratoire doit permettre aux autorités de contrôle et aux professionnels de réaliser des analyses et des études afin de déterminer le lien de corrélation entre les teneurs incorporées et résiduelles. Le plan d’action présenté par le Gouvernement le 27 mars 2023 précise que les nouvelles teneurs « ne s’appliqueront pas avant 2025 ».

Votre rapporteur déplore une prise de conscience et des mesures à la fois tardives et insuffisantes. D’une part, la Commission européenne propose des mesures de réduction peu ambitieuses, dont la faisabilité sanitaire, technique et économique est documentée depuis plusieurs années. Les denrées certifiées « sans nitrites ajoutés » sont ainsi largement commercialisées sur le marché des produits de charcuterie. Par ailleurs, la DG SANTE de la Commission européenne – qui pilote aujourd’hui la mise à jour de la liste des additifs alimentaires – a reçu dès 2016 les conclusions de l’étude ad hoc expertisant les nombreuses pistes de suppression d’additifs nitrés. D’autre part, la réduction des doses ne remplace aucunement les bénéfices pour la santé publique associés à une interdiction – même progressive – des additifs nitrés. La dangerosité de ces substances, auxquelles plusieurs groupes d’âge sont exposés à des niveaux supérieurs aux DJA, et des composés nitrosés requiert une action plus ambitieuse.

 


La France, mieux-disante par défaut

La fixation, en parallèle, de nouvelles teneurs maximales en France et dans l’Union européenne peut susciter des interrogations légitimes.

Au regard des dernières négociations du comité permanent, la France devrait toujours pouvoir se prévaloir d’une réglementation nationale plus stricte que le droit européen. Pour les pièces cuites, telles que le jambon dit blanc, la teneur maximale fixée par le Code des usages aux termes du plan d’action sera de 90 mg/kg, soit une valeur légèrement plus contraignante que le projet de la Commission européenne (contre respectivement 120 mg/kg en France et 150 mg/kg en Europe aujourd’hui).

Ces trajectoires concomitantes soulignent que le volontarisme des mesures annoncées par le Gouvernement peut être nuancé. Les nouvelles teneurs maximales établies en France ne font, en grande partie, qu’anticiper la future réglementation européenne. Par ailleurs, les évolutions inscrites dans le plan d’action sont conformes aux programmes de travail déjà actés par les fabricants de charcuterie, dont les propositions sont encore une fois largement satisfaites.

B.   L’INTERDICTION EUROPÉENNE DE L’UTILISATION DES ADDITIFS NITRÉS, UN HORIZON ATTEIGNABLE À MOYEN-TERME

1.   L’Union européenne est tenue de garantir la protection de la santé des consommateurs

a.   La protection de la santé des consommateurs est consacrée par le droit primaire de l’Union européenne

L’interdiction des additifs nitrés dans la charcuterie est pleinement justifiée au regard du droit primaire de l’Union européenne en matière de protection des consommateurs. L’article 114, paragraphe 3, TFUE relatif au fonctionnement du marché intérieur précise que la Commission européenne, dans ses propositions d’harmonisation portant sur la santé et la protection des consommateurs, prend « pour base un niveau de protection élevé en tenant compte notamment de toute nouvelle évolution basée sur des faits scientifiques ». Le Conseil et le Parlement européen doivent également s’efforcer d’atteindre cet objectif « dans le cadre de leurs compétences respectives », notamment dans l’exercice de leur droit de regard lors de la PRAC. Ensuite, l’article 169, paragraphe 1, TFUE stipule que l’Union européenne contribue à la protection de la santé des consommateurs « afin de promouvoir les intérêts des consommateurs et d'assurer un niveau élevé de protection des consommateurs ». L’article 38 de la Charte européenne des droits fondamentaux, qui s’impose notamment aux actes de droit dérivé, fixe un même niveau d’exigence.

Les objectifs justifiant la compétence d’appui de l’Union européenne en matière de santé publique, qui lui permet de compléter les politiques nationales, peuvent également être invoqués. « Un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l'Union » en application de l’article 168, paragraphe 1, TFUE.

b.   Le principe de précaution, uniquement pertinent dans un contexte d’incertitude scientifique, semble inopérant

En revanche, votre rapporteur estime que le principe de précaution, inscrit dans le traité de Maastricht en 1992, peut difficilement être mobilisé au bénéfice de l’interdiction des additifs nitrés dans la charcuterie. Ce principe figure désormais à l’article 191, paragraphe 2, TFUE parmi les principes qui guident la politique de l’Union européenne dans le domaine de l’environnement. Son champ d’application a été étendu par la cour de Justice à la protection de la santé des personnes ([51]). Le principe de précaution a pourtant déjà été invoqué par les institutions européennes afin de renforcer la législation ayant trait aux additifs alimentaires : le Parlement européen, par exemple, mentionne le principe de précaution dans la résolution s’opposant au maintien de l’autorisation de mise sur le marché du dioxyde de titane.

Le principe de précaution est défini par la jurisprudence européenne « comme un principe général du droit communautaire imposant aux autorités compétentes de prendre des mesures appropriées en vue de prévenir certains risques potentiels pour la santé publique, la sécurité et l'environnement, en faisant prévaloir les exigences liées à la protection de ces intérêts sur les intérêts économiques » ([52]). Or les conséquences et les probabilités liées à l’inaction des pouvoirs publics sont largement documentées en l’espèce : ce n’est pas le doute et l’incertitude, mais l’existence de risques établis qui justifie l’interdiction des additifs nitrés dans la charcuterie. Par conséquent, votre rapporteur considère que le principe « d’action préventive » – également inscrit à l’article 191 TFUE – s’applique en l’espèce.

2.   L’interdiction des additifs nitrés serait l’aboutissement d’une procédure complexe

L’interdiction européenne des additifs nitrés dans les produits de charcuterie pourrait être obtenue selon la même procédure que le projet de réduction des doses maximales actuellement en discussion. En effet, l’article 2 du règlement (CE) n° 1331/2008 du 16 décembre 2008 précise que la procédure de mise à jour d’une liste communautaire de substances s’applique à l’ajout et au retrait d’une substance comme à la modification de ses conditions d’utilisation.

La dangerosité des additifs nitrés exige une action rapide, sans attendre l’évaluation de la mise en œuvre des niveaux réduits d’additifs nitrés. Conformément aux dispositions en vigueur, la procédure aboutissant à l’interdiction des additifs nitrés pourrait prendre la forme suivante.

a.   Déclenchement de la procédure

La procédure uniforme peut être engagée soit à l’initiative de la Commission européenne, soit à la suite d’une demande valide adressée à la Commission. Cette demande peut être introduite par un État membre ou par une partie intéressée ([53]). En pratique, les requêtes de mise à jour émanent principalement de la Commission, notamment du fait de la complexité technique et du coût liés à la constitution des dossiers de demande. La transparence des demandes est assurée par la publicité des informations clés, dont l’identité du demandeur et le nom de la substance visée, les informations utiles à l’évaluation de la sécurité de l’additif et les méthodes d’analyse.

 Les associations de consommateurs et les organisations non gouvernementales, fortement engagées contre les additifs nitrés, semblent aujourd’hui les mieux positionnées pour initier la procédure d’interdiction. En effet, la Commission européenne et les États membres, dont la France, sont susceptibles de privilégier le statu quo à l’issue du projet de révision en cours de discussion. Les fabricants de produits de charcuterie, à l’exception des producteurs tournés vers la production de charcuterie sans additifs nitrés ajoutés, sont également en faveur de simples réductions de dose.

b.   Saisine et avis de l’EFSA

La Commission européenne doit en principe saisir l’EFSA d’une demande d’avis pour expertiser l’interdiction des additifs nitrés. La procédure uniforme n’impose pas de recueillir l’avis de l’EFSA si le retrait d’une substance de la liste des additifs alimentaires autorisés n’est pas susceptible « d’avoir un effet sur la santé humaine ». Les risques microbiologiques liés à la suppression des additifs nitrés, s’ils peuvent être maîtrisés par des mesures compensatrices clairement identifiées, pourraient toutefois justifier la saisine de l’EFSA. Cet avis scientifique devrait alors être élargi à l’ensemble des composés nitrosés. Il conforterait au niveau de l’Union les conclusions rendues par l’ANSES en juillet 2022 sur l’existence de mesures de maîtrise complémentaires.

L’EFSA rend son avis dans un délai de neuf mois et le transmet à la Commission européenne, aux États membres et, le cas échéant, au demandeur. L’EFSA peut demander des informations complémentaires au demandeur lors de l’instruction de son dossier.


c.   Mise à jour de la liste communautaire

Dans un délai de neuf mois suivant l’avis de l’EFSA, la Commission soumet au comité permanent un projet de règlement mettant à jour la liste communautaire. La procédure de réglementation avec contrôle (PRAC), aujourd’hui mise en œuvre pour la révision proposée par la Commission, s’applique également à l’interdiction des additifs nitrés dans la charcuterie.

En pratique, cette interdiction reposerait sur un règlement de la Commission européenne modifiant l’annexe II, partie E, du règlement n° 1333/2008. Les inscriptions relatives aux sels de nitrites (E249 et E250) et de nitrates (E251et E252) seraient supprimées des catégories de denrées alimentaires relevant des produits de charcuterie. Cette suppression entraînerait leur interdiction en application du principe de liste positive.

À ce stade, deux principaux obstacles substituent à l’adoption d’un acte d’exécution retirant les sels de nitrites et de nitrates dans les produits de charcuterie :

-         la Commission européenne peut renoncer à proposer une mesure d’interdiction à tout de stade de la procédure « si elle juge qu’une telle mise à jour n’est pas justifiée » (article 3, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 1331/2008 du 16 décembre 2008). Cette décision se fonde notamment sur les vues des États membres et sur « tout autre facteur légitime pertinent », soit un motif d’interprétation large. Selon la liste indicative mentionnée dans l’exposé des motifs du règlement, la prise en compte de facteurs économiques ou, à l’inverse, l’invocation du prince de précaution pourraient être des éléments pertinents ;

-         l’adoption du règlement de la Commission portant interdiction des additifs nitrés est soumise, dans le cadre la PRAC, à l’avis positif du comité permanent puis à l’absence d’opposition des États membres ou du Parlement européen.

L’interdiction européenne des additifs nitrés dans la charcuterie ne peut être obtenue qu’au terme d’une procédure longue et complexe, dont l’avancée peut être interrompue par plusieurs acteurs. Si les conditions ne semblent pas réunies aujourd’hui pour que la Commission européenne ou un État membre engage une telle démarche, elle n’en demeure pas moins souhaitable et réalisable à moyen‑terme.

 


La nécessaire modulation de l’interdiction

Une interdiction « sèche » et immédiate des additifs nitrés dans la charcuterie aurait des conséquences préjudiciables sur les filières concernées. Plusieurs leviers pourraient être examinés par les gestionnaires de risques pour garantir à la fois l’efficacité et l’acceptabilité des mesures envisagées, en conservant toutefois l’interdiction des additifs nitrés dans tous les produits comme objectif.

Une mise en application progressive de l’interdiction. Un délai raisonnable d’adaptation, qui pourrait être fixé à 48 mois, doit être prévu après l’entrée en vigueur du règlement de la Commission. L’interdiction prendrait progressivement effet, en prévoyant des dates adaptées aux contraintes de fabrication de chaque catégorie de produits. Les produits de charcuterie à base de viande non traités thermiquement pourraient être concernés en premier. Une trajectoire de réduction des doses maximales de nitrites et de nitrates précédant leur interdiction serait toutefois fixée. Des exceptions à l’interdiction ou aux doses transitoires pourraient être prévues en cas d’éventuelle impossibilité technique ou de risques avérés pour la santé humaine ne pouvant être maîtrisés par d’autres moyens.

Des restrictions anticipées pour certains publics fragiles. La liste communautaire comporte aujourd’hui de nombreuses mentions permettant d’exclure des produits ou des catégories de consommateurs de l’autorisation de mise sur le marché aux doses maximales. Par exemple, le dépassement des DJA chez les enfants tend à justifier une mesure ciblée : l’ajout d’additifs nitrés dans les aliments pour enfants, définis comme les produits faisant l’objet d’un marketing ciblé, pourrait être interdit selon un calendrier plus précoce.

3.   L’interdiction européenne de l’utilisation du dioxyde de titane, initiée par la France, est un exemple à suivre

a.   L’Union européenne a interdit le dioxyde de titane dans les denrées alimentaires après une action précurseur de la France

L’interdiction de mise sur le marché des aliments contenant du dioxyde de titane (E171) résulte d’un long combat, dans lequel la France a pris ses responsabilités pour anticiper la mise à jour de la liste communautaire.

Le règlement n° 2022/63 de la Commission européenne du 14 janvier 2022 a retiré le dioxyde de titane de la liste des additifs alimentaires autorisés, interdisant la mise sur le marché de nouveaux produits contenant cet additif à partir du 7 août 2022. Le comité permanent avait préalablement rendu un avis favorable à l’unanimité, tandis que ni le Conseil ni le Parlement européen ne se sont opposés à l’adoption du règlement. Cette mesure intervient alors même que la Commission européenne défendait encore en 2020 le bien-fondé du maintien de l’autorisation de mise sur le marché de cette substance. Le dioxyde de titane à l’état nanoparticulaire était utilisé sous forme de poudre dans de nombreux produits, tels que les confiseries et les pâtisseries. Ses propriétés colorantes (pigment blanc) et opacifiantes améliorent l’aspect des denrées. Le règlement (CE) n° 1333/2008 ne fixait aucune dose maximale d’incorporation, le dioxyde de titane pouvant être utilisé quantum satis – en « quantité suffisante », soit un emploi conforme aux bonnes pratiques de fabrication et proportionné à l’effet désiré.

La proposition de la Commission est fondée sur l’avis scientifique de l’EFSA du 6 mai 2021 précisant que le dioxyde de titane, « compte tenu des nombreuses incertitudes », ne pouvait plus être considéré comme sûr lorsqu’il est utilisé en tant qu’additif alimentaire ([54]). Cet avis infirme une première expertise de l’EFSA publiée le 14 septembre 2016 ([55]), selon laquelle l’exposition des consommateurs aux aliments contenants du E171 ne créait pas de risque sanitaire. En particulier, l’évaluation de 2021 de l’EFSA s’appuie sur de nouvelles données scientifiques pour conclure que l’effet génotoxique lié à la consommation de particules de dioxyde de titane (TiO2), soit sa capacité à endommager l’ADN, ne pouvait pas être exclu. La génotoxicité d’une substance peut elle-même avoir un potentiel cancérogène. Aucun niveau sûr de consommation, exprimé par une DJA, ne peut alors être fixé.

En réalité, ces résultats ont confirmé différentes études soulignant la dangerosité du dioxyde titane pour différentes voies d’exposition – par inhalation (voie pulmonaire) et par ingestion (voire orale). S’agissant de la voie pulmonaire, le CIRC a classé dès 2006 le TiO2 comme « cancérogène possible chez l’Homme » (groupe 2B) lorsqu’il est inhalé. S’agissant de la voie orale, l’ANSES a publié deux avis, en 2017 et en 2019, aboutissant aux mêmes analyses : les incertitudes sur l’innocuité de l’additif E171 ne peuvent pas être levées. Les travaux coordonnés par l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) dans le cadre du projet NANOGUT, financé par l’ANSES, mettent notamment en évidence que l’ingestion de l’additif E171 a des effets initiateurs et promoteur des stades précoces du cancer du côlon ([56]).

Au regard de ces éléments, la France a précocement suspendu la mise sur le marché du dioxyde de titane et des denrées alimentaires en contenant pour protéger les consommateurs. L’article 53 de la loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable, dite EGALIM, introduit par voie d’amendement parlementaire, interdit l’utilisation de cette substance. Par un arrêté du 17 avril 2019, le Gouvernement a suspendu une première fois la mise sur le marché français d’aliments – y compris importés – contenant du E171 à partir du 1er janvier 2020, soit près de deux ans avant l’interdiction européenne. Cette mesure, valable pour une durée d’un an, a été reconduite en 2021 et en 2022.

Votre rapporteur se félicite du rôle précurseur de la France, salué par le Parlement européen dans sa résolution du 8 octobre 2020 objectant au projet d’acte d’exécution de la Commission européenne. Pour déroger à la législation alimentaire de l’Union européenne, la France a activé la clause de sauvegarde prévue aux articles 53 et 54 du règlement (CE) n° 178/2002, un texte qualifié de « General Food Law » au regard de son caractère structurant pour la sécurité alimentaire. Un État membre peut prendre des mesures conservatoires dites d’urgence lorsque la Commission, alertée de l’existence d’aliments dangereux, n’a pas suspendu l’utilisation ou la mise sur le marché de ces denrées. Pour justifier des mesures conservatoires, les produits mis en cause doivent être « susceptibles de constituer un risque sérieux pour la santé humaine, la santé animale ou l'environnement » et ce risque ne doit pas pouvoir être maîtrisé par d’autres mesures moins strictes.

b.   La France refuse à ce jour de recourir à des mesures conservatoires s’agissant des additifs nitrés, en dépit de leur bien-fondé

Les conclusions de l’avis révisé de l’ANSES de juillet 2022 sur les risques associés à la consommation de nitrites et de nitrates ont contraint le Gouvernement à se positionner sur la question. L’exécutif annonce à cette occasion qu’un plan d’action sera mis en place pour « aboutir à la réduction ou la suppression de l’utilisation des additifs nitrés dans tous les produits alimentaires où cela est possible sans impact sanitaire et cela le plus rapidement possible ». Le Gouvernement a toutefois d’emblée exclu de recourir à la cause de sauvegarde pour édicter une « interdiction stricte » des additifs nitrés. Les données d’exposition des consommateurs français ne justifient pas, selon le Gouvernement, une telle décision. Le manque de substituts satisfaisants aux nitrites sur le marché est également évoqué.

Les arguments invoqués par les pouvoirs publics à l’appui de ce traitement différencié des additifs nitrés et du dioxyde de titane sont de deux ordres.

-         Des propriétés différentes. Le dioxyde de titane est un colorant, sans valeur nutritionnelle et sans fonction de conservation des aliments. À l’inverse, les additifs nitrés sont utilisés comme des conservateurs dont la suppression nécessite soit la mise en place de mesures de maîtrise des risques microbiologiques, soit une évolution des modes de consommation.

-         Une temporalité distincte. Le recours à une clause de sauvegarde doit répondre à des conditions de fond, dont la cour de Justice a précisé les contours à l’occasion d’un recours de l’entreprise Monsanto contre la réglementation française applicable aux OGM ([57]) : outre l’urgence, un État membre doit justifier l’existence d’un « risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine ». Le Gouvernement estime que le critère de l’urgence n’est pas réuni s’agissant des additifs nitrés.

Votre rapporteur conteste cette lecture de la dangerosité des additifs nitrés. D’une part, le recours aux sels de nitrites et de nitrates par les fabricants s’explique principalement par d’autres motifs que la sécurité des aliments. En tout état de cause, ces additifs ne sont pas indispensables puisque de nombreux producteurs parviennent à s’en affranchir. D’autre part, l’interdiction européenne du dioxyde de titane semble avoir été guidée par une conception toute relative de « l’urgence » : une période transitoire de six mois avant la mise en application de l’interdiction a été prévue, tandis que les produits déjà mis sur le marché peuvent continuer à être commercialisés jusqu’à leur date limite de consommation (DLC) ou jusqu’à leur date de durabilité minimale (DDM), après laquelle ils perdent leurs qualités gustatives ou nutritionnelles.

Sur le modèle du dioxyde de titane, la France gagnerait à interdire l’utilisation des additifs nitrés sur le marché domestique, avant de porter cet objectif européen. L’expertise reconnue de l’ANSES, dont l’avis révisé de juillet 2022 est accueilli avec grand intérêt en Europe, et l’importance du secteur français de la charcuterie-salaison – y compris sur les gammes sans nitrites ajoutés – plaident en ce sens.

4.   Les autorités européennes et françaises doivent assumer la responsabilité politique de la protection de la santé publique, et ne pas s’en décharger sur une hypothétique initiative citoyenne européenne

Votre rapporteur a examiné l’opportunité et la faisabilité d’une initiative citoyenne européenne (ICE) pour obtenir l’interdiction des additifs nitrés dans les vingt-sept États membres. Cet instrument de démocratie participative a été instauré par le traité de Lisbonne de 2007 pour renforcer la participation des citoyens européens au processus décisionnel.

a.   L’ICE est une option envisageable, aussi bien juridiquement que matériellement

Aux termes de l’article 11, paragraphe 4, TUE, « Des citoyens de l'Union, au nombre d'un million au moins, ressortissants d'un nombre significatif d'États membres, peuvent prendre l'initiative d'inviter la Commission européenne, dans le cadre de ses attributions, à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu'un acte juridique de l'Union est nécessaire aux fins de l'application des traités ». Un règlement de la Commission interdisant les additifs nitrés relève des critères énoncés. Il s’agit d’un acte juridique de l’Union européenne au sens de l’article 288 TFUE, pris par la Commission européenne dans le cadre de ses compétences d’exécution de la législation relative aux additifs.

Le règlement (UE) 2019/788, pris en application de l’article 24 TUE, précise les modalités de mise en œuvre de l’ICE. Les critères de recevabilité, dont le nombre requis de signataires, apparaissent a priori peu contraignants au regard de l’importance du sujet des additifs nitrés dans la société. Ainsi, l’initiative doit recueillir le soutien d’un million de citoyens européens issus d’au moins un quart des États membres, dont la représentativité est garantie par leur répartition selon les niveaux de population. La France doit ainsi recueillir au minimum 55 574 signataires.

Or la présence d’additifs dans les aliments est une source de préoccupation généralisée parmi les consommateurs européens, qui aspirent massivement à une alimentation naturelle, saine et sans additifs. En France, la pétition « pour exiger une alimentation sans nitrites ajoutés », lancée en novembre 2019 par l’ONG Foodwatch, la société Yuka et la Ligue contre le cancer, recueille près de 379 000 soutiens. Cette initiative, peu appréciée des fabricants de charcuterie, résonne avec les attentes des consommateurs européens. L’enquête Eurobaromètre sur la sécurité des aliments réalisée annuellement par l’EFSA éclaire ces inquiétudes : parmi les répondants ayant entendu parler d’au moins un sujet lié à la sécurité alimentaire, les additifs représentent le deuxième sujet de préoccupation (36 %) derrière les résidus de pesticide dans les aliments (40 %) ([58]). Les consommateurs les plus sensibles à la question des additifs ne sont d’ailleurs pas issus des pays d’Europe de l’Ouest, mais des pays d’Europe centrale (Hongrie, République tchèque) et des États baltes.

b.   L’ICE, dont l’aboutissement est difficile, ne ferait que prolonger l’inaction des pouvoirs publics

Le lancement d’une initiative citoyenne européenne aurait pu susciter une mobilisation transnationale de nature à mettre l’Union européenne et les États membres devant leurs responsabilités en matière de protection des consommateurs.

En réalité, les conditions de réussite d’une ICE sont complexes. Une telle initiative repousserait la décision – pourtant indispensable – d’interdire les additifs nitrés.

-         La procédure d’ICE est fastidieuse et coûteuse en l’absence de financement européen. Selon une étude de 2014 des services du Parlement européen ([59]), les organisateurs d’une ICE sont confrontés à des charges importantes (personnel, services informatiques, traduction, publicité, etc.) et peinent à lever des fonds. Par ailleurs, la période de collecte de signature dure un an – repoussant d’autant une éventuelle proposition de la Commission.

-         La Commission européenne, si elle doit examiner et répondre à l’ICE, n’est pas tenue de lui donner une suite favorable. Parmi les six initiatives ayant abouti à ce jour, celle demandant l’interdiction des herbicides a par exemple reçu une réponse défavorable.

C.   la France GAGNERA À ÊTRE PRÉCURSEUR DANS L’INTERDICTION DES ADDITIFS NITRÉS, avec l’appui de l’union europÉenne

1.   La charcuterie française, pionnière de la suppression des additifs nitrés, bénéficierait de leur interdiction à l’échelon européen

L’offre de produits sans nitrate ni nitrite ajoutés s’est largement développée sur le marché français, à la fois chez les industriels et les artisans. Le Danemark et les Pays-Bas, s’ils font figurent de référence, ne représentent plus des cas isolés. Les importants investissements en recherche et développement de la marque Aoste, leader du marché du jambon cru, lui ont par exemple permis de renoncer aux additifs nitrés dès 2019. Les grandes marques et entreprises du secteur (Herta, Monique Ranou, Fleury Michon, Madrange, etc.) ont toutes lancé des gammes de jambons sans nitrate ni nitrite. La mise sur le marché de ces produits a nécessité une adaptation des procédés de fabrication, tout en sensibilisant les consommateurs à de nouvelles habitudes de consommation (denrées de couleur souvent grise ou beige, DLC raccourcies, etc.). Les fabricants de charcuterie français, dont les représentants professionnels présentent les efforts de réduction des doses comme inédits en Europe, disposent d’une longueur d’avance sur leurs concurrents étrangers.

Si la majorité des exportations françaises de produits transformés, salaisons et charcuteries est orientée vers l’Europe, la France souffre d’une balance commerciale structurellement déficitaire avec ses partenaires européens.

À cet égard, l’interdiction européenne des additifs nitrés renforcerait les opportunités d’export des producteurs français. D’une part, la transition de l’appareil productif français vers des produits « sans nitrites ajoutés » est largement engagée, facilitant a priori la mise sur le marché de volumes importants et les gains de parts de marché en Europe. D’autre part, l’interdiction des additifs nitrés rétablirait un level-playing field entre les producteurs français, qui respectent aujourd’hui des teneurs réduites de nitrites et de nitrates, et les producteurs issus d’autres États membres, qui bénéficient de réglementations domestiques moins exigeantes. Ainsi, les produits de charcuterie européens importés en France – qui représentent 15 % du marché – ne sont pas soumis aux plafonds fixés par le Code des usages, sauf s’ils utilisent des dénominations spécifiquement françaises. Réagissant à la publication du plan d’action du Gouvernement, les producteurs de charcuterie ont d’ailleurs alerté sur les risques de concurrence déloyale créés par la trajectoire française de baisse en l’absence d’harmonisation européenne ([60]). Par ailleurs, les professionnels interrogés par votre rapporteur ont dénoncé l’existence de réglementations allemande et italienne rendant obligatoire l’adjonction de nitrites dans le jambon cuit. De telles disparités requièrent un alignement « par le bas », en supprimant les additifs nitrés, plutôt que « par le haut ». Ce dernier consisterait à autoriser des doses peu protectrices des consommateurs au prétexte que ces pratiques sont autorisées ou imposées à l’étranger.

2.   La sortie du « tout nitrite » dans la charcuterie doit être accompagnée de mesures de soutien de l’offre et de la demande

a.   Un accompagnement technique et financier de l’offre de produits de charcuterie sans nitrate ni nitrite ajoutés

En premier lieu, la suppression de l’usage des nitrates et des nitrites doit reposer sur des mesures de maîtrise des risques « autorisées, validées, surveillées et partagées par les professionnels et par les autorités », telles que recommandées par l’ANSES ([61]).

Un travail doit être engagé afin de déployer massivement des bonnes pratiques éprouvées en France et en Europe, telles que l’allongement de la durée de séchage des charcuteries crues ou l’allongement de la durée de cuisson de certains produits cuits. La Commission européenne, gestionnaire de risques au niveau de l’Union européenne, pourrait utilement adopter une recommandation en ce sens en se fondant sur l’expertise de l’EFSA et des autorités nationales de sécurité des aliments, en particulier de l’ANSES ([62]).

Au niveau français, une cellule d’accompagnement associant les services compétents des ministères de l’Agriculture et de l’Économie pourrait être installée afin de soutenir les producteurs dans leur transition, en particulier les microentreprises et les petites et moyennes entreprises (PME). Cette task force pourrait notamment expertiser les solutions de substitution envisagées par les fabricants.

En second lieu, l’accompagnement financier des fabricants faciliterait la transition de la filière sans compromettre sa viabilité et sa compétitivité. Les États membres pourraient notamment déployer des fonds de transition chargés d’instruire les demandes d’aides publiques et d’assurer leur versement. Ce dispositif, recommandé par la mission d’information sur les sels nitrités dans l’industrie agroalimentaire, soutiendrait en priorité les structures artisanales et de petite taille. La proposition de loi relative à l’interdiction progressive des additifs nitrés dans les produits de charcuterie, adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale le 3 février 2022 et dont votre rapporteur est l’auteur, prévoyait initialement la création d’un tel fonds de transition.

b.   La promotion d’une alimentation saine et l’éducation au goût

La France, patrie du bien manger et du bien vivre, gagnerait à se positionner comme promotrice de l’alimentation carnée de qualité. L’éducation au goût revêt une importante dimension culturelle, patrimoniale et sensorielle. Les consommateurs pourraient d’ores et déjà être orientés vers des produits sans nitrites ni nitrates, en anticipant l’interdiction des additifs nitrés proposée par votre rapporteur.

Votre rapporteur estime que les politiques visant à réduire la consommation de viande transformée sont compatibles avec la promotion de produits de charcuterie plus sains pour l’ensemble des consommateurs, en particulier les plus modestes. Il s’agit de manger moins de charcuteries, mais de meilleure qualité, conformément aux repères de consommations alimentaires : l’ANSES préconise ainsi de limiter la consommation de charcuterie à 150 grammes par semaine.

Plusieurs dispositifs européens, qui encouragent aujourd’hui le passage à une alimentation plus végétale, pourraient être mobilisés du côté de la demande. Votre rapporteur envisage notamment la politique de promotion des produits agricoles (AGRIP), dotée de près de 186 millions d’euros en 2023. Les subventions en faveur d’actions d’information et de promotion des produits agricoles (publicité, évènements, etc.) sont attribuées par la Commission sur la base d’un appel à propositions. Plusieurs entités, dont les organisations de producteurs, peuvent y participer. Les projets, pour être retenus, doivent contribuer aux objectifs du Pacte vert pour l’Europe, qui vise notamment à encourager les pratiques agricoles durables et à développer la consommation de fruits et légumes frais. Une réflexion sur l’extension du périmètre des projets éligibles pourrait être engagée afin d’y inclure les produits transformés sans nitrites ni nitrates.

 


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   CONCLUSION

 

La dangerosité des additifs nitrés présents dans la charcuterie requiert leur interdiction à l’échelon le plus pertinent, c’est-à-dire l’Union européenne. Les gestionnaires de risque, au premier rang desquels la Commission, doivent assumer leurs responsabilités au titre de la protection de la santé des consommateurs.

Votre rapporteur estime que les orientations de la proposition de résolution européenne, tel qu’il est proposé de l’amender, garantissent une interdiction équilibrée des additifs nitrés dans les produits de charcuterie. La mise en place d’une période transitoire et la création de dispositifs d’accompagnement sont de nature à faciliter la transition du secteur. Celle-ci est en réalité largement engagée par les professionnels, soucieux de proposer des aliments sûrs et sains.

Le combat pour une alimentation de qualité, s’il doit être porté au niveau européen, n’exonère pas la France de ses responsabilités. L’interdiction européenne des additifs nitrés gagnerait à être anticipée sur le territoire national via l’adoption de mesures conservatoires d’urgence. La France serait alors en position pour initier un mouvement européen, comme notre pays a su le faire à de nombreuses reprises par le passé.

 

 

 


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   EXAMEN EN COMMISSION

La Commission s’est réunie le 12 avril 2023, sous la présidence de M. Charles Sitzenstuhl, pour examiner le présent rapport.

 

M. Richard Ramos, rapporteur. Dans le prolongement du vote qui a eu lieu dans l’hémicycle il y a quelques jours, je salue les groupes Écologiste, La France insoumise, GDR, Rassemblement National et MoDem d’avoir entamé un chemin, que j’espère européen.

C’est avec plaisir que je vous propose aujourd’hui de porter, ensemble, le combat pour une alimentation saine, sûre, durable et accessible à tous au niveau européen. La proposition de résolution européenne (PPRE) qui a été déposée appelle à l’interdiction des additifs nitrés dans la charcuterie par l’Union européenne.

Mes chers collègues, posons-nous cette simple question : pourquoi devrions-nous continuer à autoriser l’ajout des additifs nitrés E249, E250, E251 et E252 dans la charcuterie européenne ?

Nous savons aujourd’hui que ces substances sont dangereuses pour la santé des consommateurs : le consensus scientifique est clair. Je salue à cette occasion la mémoire du regretté professeur Axel Kahn, généticien et président de la Ligue contre le cancer. Quelques semaines avant sa mort, Axel Kahn m’envoyait un message afin de me dire qu’il fallait continuer ce juste combat. Il écrivait déjà dans son premier rapport de doctorat que « le nitrite dans la charcuterie, ça tue ».

Ce dernier a très tôt alerté sur le caractère cancérogène des additifs nitrés, en s’appuyant sur de multiples et solides preuves scientifiques. Je rappelle que le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), rattaché à l’OMS, a classé en 2015 la charcuterie nitrée comme cancérogène pour l’homme. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) a publié, en juillet 2022, un rapport très attendu qui confirme ces résultats : il existe bien une « association positive entre l’exposition aux nitrates et/ou aux nitrites via la viande transformée et le risque de cancer colorectal ». D’autres études démontrent l’augmentation des risques de cancer du pancréas et de l’intestin, mais aussi d’hypertension artérielle et de diabète de type 2. Il y a donc un consensus scientifique sur la mortalité, que cela soit au niveau national ou européen. Je rappelle également que M. Bernard Vallat, alors président de la Fédération des industriels charcutiers-traiteurs (FICT), a reconnu lors d’une audition à l’Assemblée nationale que le nitrite tuait. Il avait donné le chiffre de 1 200 morts, à l’inverse du professeur Axel Kahn qui parlait de 4 000 et 5 000 morts. Le nitrite tue, cela a été reconnu par les industriels eux-mêmes.

Tout se joue lors de la fabrication de cette charcuterie, de sa cuisson et de son ingestion. Les additifs nitrés se transforment en composés nitrosés, des substances toxiques à l’origine de nombreux cancers constatés. J’attire votre attention sur l’avis scientifique sur les nitrosamines publié fin mars par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) sur les dangers du nitrite dans la charcuterie. L’agence d’évaluation européenne conclut, sans ambages, que le niveau d’exposition aux nitrosamines dans les aliments constitue un problème de santé publique et un problème sanitaire pour tous les consommateurs européens. Nos concitoyens, surtout les plus fragiles tels que les enfants et les femmes enceintes, sont exposés à des doses supérieures aux valeurs recommandées ! Je vous rappelle que pour un produit cancérogène, il n’y a pas de doses journalières.

Vous reconnaîtrez, chers collègues, l’urgence à agir pour protéger la santé de nos concitoyens. Il n’y plus de place pour le doute ou l’attentisme. Le plan d’action du Gouvernement sur les nitrites nous propose à court de terme de réduire les teneurs maximales autorisées. J’y vois simplement un cap partagé, un horizon qui nous rassemble. Si la vitesse du chemin n’est pas la même, le plan d’action précise bien que l’objectif est d’aboutir à la suppression des additifs nitrés partout « où cela est possible » à moyen et long termes. Ce plan commence par reconnaître que les nitrites dans la charcuterie sont bien mortels, notamment par la formation de cancer colorectaux.

Brillat-Savarin écrivait « la destinée des nations dépend de la manière dont elles se nourrissent ». Nous avons de bonnes raisons d’espérer en la matière, puisque des milliers de tonnes de charcuterie « sans nitrite, ni nitrate ajoutés » sont d’ores et déjà vendues depuis 2017 dans les rayons de nos supermarchés ainsi que par des centaines d’artisans en Europe. Ne nous y trompons pas, des centaines de millions de tranches sans nitrite sont mangées chaque année sans que cela ne provoque un retour de botulisme et de salmonellose. Nous avons aujourd’hui la preuve que le « sans nitrite » est possible et non dangereux. Cette consommation massive de produits « sans nitrite » met fin aux allégations des lobbyistes sur l’éventuel risque sanitaire des additifs de substitutions.

La France avance et l’Europe s’interroge pour réduire les dangers des additifs nitrés. Ces efforts sont malheureusement insuffisants, alors que l’interdiction de ces substances est inéluctable. C’est le sens du chemin européen que je vous soumets aujourd’hui, qui repose sur trois axes.

D’abord, nous pouvons conforter les connaissances scientifiques actuelles, afin notamment de mieux mesurer l’exposition de l’ensemble des composés nitrosés et leur dangerosité.

Ensuite, nous devons interdire, au niveau européen, l’emploi des additifs nitrés dans la charcuterie. La Commission européenne propose aujourd’hui une trajectoire de réduction des doses qui est moins-disante que le France. Ces disparités réglementaires créent des distorsions de concurrence. L’interdiction européenne est donc une mesure qui nous permettra d’assurer, par le haut, un terrain à jeu égal avec l’ensemble des producteurs européens.

Enfin, il s’agit d’accompagner juridiquement, techniquement et financièrement les fabricants de charcuteries dans leur transition. L’interdiction doit être progressive, je propose un délai de quatre ans, adapté à chaque catégorie de charcuteries.

Pour conclure, je rappellerai que, la France, c’est notamment l’art de bien vivre et de bien manger. Il ne tient qu’à vous de faire valoir ce patrimoine en Europe. Chers collègues, la santé des consommateurs doit être l’un de ces sujets de convergence ! Je vous propose de débuter ce travail ambitieux aujourd’hui, ensemble, au sein de la commission des affaires européennes.

 

L’exposé du rapporteur a été suivi d’un débat.

 

M. Denis Masséglia (RE). Les nitrites et nitrates représentent bien entendu un sujet sanitaire pour la collectivité, vous l’avez d’ailleurs fort bien présenté. Leur nocivité a été clairement réaffirmée par un rapport de l’ANSES en juillet 2022 et il est recommandé de réduire leur utilisation. Cependant, si cette proposition de résolution européenne a le mérite de traiter d’un sujet qui doit tous nous concerner, elle le fait en proposant des solutions déséquilibrées. Elle prévoit notamment un calendrier d’interdiction trop rapide pour permettre à nos petites et moyennes entreprises (PME) de s’adapter efficacement. Par ailleurs, le recours unilatéral par la France à la clause de sauvegarde, qui permet de suspendre l’utilisation des nitrites dans les productions françaises, reviendrait à exposer le marché français à une concurrence accrue de la part des produits venant des pays de l’Union européenne, mais également hors de l’Union européenne. Les solutions de cette proposition de résolution européenne sont déséquilibrées, ensuite, car l’interdiction des additifs nitrés à échéance courte reviendrait soit à supprimer certains produits de charcuterie, soit à faire courir des risques sanitaires aux consommateurs dans la mesure où les substituts aux nitrites sont insuffisamment vérifiés.

Par ailleurs, certains de ces substituts produisent eux-mêmes des composés nitrosés. Bien que le rapporteur ne voie qu’une seule solution vertueuse, celle de l’interdiction, il faut souligner que le plan d’action du Gouvernement, présenté le 28 mars dernier, prévoit la réduction significative des additifs nitrés dans la charcuterie. Il s’agit d’une démarche volontariste.

Ainsi, dès les prochaines semaines, devront être constatées une baisse de 20 % des additifs nitrés introduits dans les charcuteries les plus consommées, ainsi qu’une baisse de 25 % des additifs pour les saucisses, les saucissons, les rillettes, les andouilles et les andouillettes.

En l’état, ce plan accompagne efficacement le secteur vers une sortie des additifs nitrés sans mettre en danger l’activité des petites et moyennes entreprises. Dans ce même élan, l’avis publié au printemps 2023 et remis à la Commission européenne par l’EFSA témoigne de la volonté des autorités européennes de se saisir de cette problématique. La France a d’ailleurs annoncé qu’elle allait se mobiliser pour mettre en œuvre un alignement de la norme communautaire sur la nouvelle norme française.

Parce qu’il nous apparaît que la voie d’une réduction progressive, mais claire et volontariste, est la plus susceptible d’assurer l’impératif de sauvegarde de la santé des consommateurs, sans risquer de déstabiliser une filière alimentaire importante pour notre pays, le groupe Renaissance s’opposera à cette PPRE.

M. Thomas Ménagé (RN). Je me réjouis tout d’abord que ce sujet soit proposé à l’examen de notre commission. En effet, tout le monde ici pourra reconnaître le travail abattu depuis des années par notre collègue et rapporteur Richard Ramos dans la lutte contre ces additifs et pour une amélioration de nos standards alimentaires.

Cette question, qu’il a contribué à amener dans le débat public par une proposition de loi votée sous la précédente législature, est importante à plusieurs titres. Cela relève d’un débat de santé public majeur. La charcuterie est un produit populaire que l’on retrouve dans quasiment toutes les assiettes et qui contribue à l’équilibre alimentaire. En 2021, plus de 212 000 de jambon, pour ne citer que ce produit, ont été achetées par nos concitoyens. Cependant, les plus gros consommateurs de charcuterie sont, sociologiquement, les foyers dits « modestes ». Ils en consomment près de 26 kilogrammes par an. Bien souvent, car ils y sont contraints, ils se tournent vers des produits peu chers, traités aux conservateurs et peu qualitatifs d’un point de vue nutritionnel. Ils sont les plus exposés aux additifs nitrés ainsi qu’aux problèmes de santé qui peuvent en découler, notamment les cancers, comme l’a démontré l’ANSES.

Se poser la question de la présence et de la quantité de nitrites dans les produits alimentaires, c’est donc contribuer à la santé publique et au bien-être de l’ensemble des consommateurs – et notamment des plus fragiles en cette période d’inflation alimentaire.

En revanche, cette proposition de résolution doit également permettre de parer d’éventuelles distorsions de concurrence. La France s’est engagée dans une trajectoire de réduction de l’utilisation des additifs, comme l’avait initié précédemment le Danemark. Il est capital que l’ensemble des pays européens s’accorde sur la réduction de ces additifs et que notre pays ne soit pas à nouveau lésé, en prenant des mesures plus restrictives qu’exigées. Il faut veiller à ce qu’une éventuelle suppression, si elle devait être actée à terme, soit progressive et concertée avec l’industrie, notamment avec les plus petites PME, afin de prendre en compte les intérêts de notre industrie agroalimentaire française.

L’Autorité européenne de sécurité des aliments doit s’emparer de la question et émettre des recommandations uniformes. Elles devront être strictement suivies par les vingt‑sept États membres afin de préserver la compétitivité de notre production agroalimentaire et le savoir-faire français. Il serait inadmissible que notre pays soit à nouveau victime d’une distorsion de concurrence, comme cela a été le cas pour notre industrie agroalimentaire.

Nous attendons de la Commission européenne qu’elle veille au respect des règles dans l’intérêt des consommateurs, des producteurs et de la France. Le Gouvernement doit tenir fermement cette ligne et se battre pour notre production nationale, en veillant à ne pas sur-transposer les règles européennes. Les produits extra-européens doivent également être contrôlés à leur arrivée sur notre sol, pour garantir leur conformité aux standards imposés à notre industrie.

Cette proposition de résolution va globalement dans le sens de la préservation de la santé publique même si elle ne doit pas faire oublier la sauvegarde des intérêts de la France. Nous voterons en faveur de cette proposition de résolution.

M. Gabriel Amard (LFI-NUPES). Cette proposition de résolution va dans le bon sens et confirme le travail engagé par notre collègue Loïc Prud’homme dans une mission d’information passée. Il en va de l’intérêt général de fixer le cap en matière de nitrites et de prendre en compte les réalités des différentes filières concernées par cette bifurcation au niveau sanitaire. Nous voterons en faveur de cette proposition de résolution, tout en étant sensible aux arguments pour accompagner les commerces et nos concitoyens dans leurs choix alimentaires. Nous avons identifié la férocité avec lequel le lobby de la charcuterie a porté des coups aux organisations non gouvernementales (ONG) s’intéressant à ces questions sanitaires. Par ailleurs, il est temps de compléter cette urgence sanitaire d’une urgence climatique, notamment afin de limiter notre alimentation carnée.

Mme Marietta Karamanli (SOC). Le projet de rapport se fonde sur les risques sanitaires associés à l’ingestion d’additifs nitrés dans la charcuterie : nous partageons la préoccupation du rapporteur concernant l’interdiction des nitrites. Il faut rappeler que les autorités de santé confirment un lien entre ces additifs et les risques de cancer. Or l’article 168 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne l’oblige à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine. L’Union dispose en outre de nouveaux leviers pour assurer la sécurité sanitaire, avec les traités internationaux et les règles coutumières de droit international. Il existe donc une obligation de diligence aux termes de laquelle les États doivent prévenir tout dommage d’une activité économique placée sous leur contrôle. L’identification des dangers doit également conduire à soutenir l’effort de recherche. Notre groupe soutiendra donc cette proposition de résolution européenne.

Mme Sandra Regol (Ecolo-NUPES). Je regrette que cette interdiction des nitrites n’ait pas pu aboutir dans le cadre de la niche du groupe Écologiste, le 6 avril dernier. Nous avons un enjeu alimentaire, climatique et sanitaire majeur. Il y a une urgence particulière à agir, au moins par respect du principe de précaution. Il faut donc porter ce texte à l’échelle nationale et européenne.

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). J’étais dans un premier temps dubitatif, au regard notamment de l’étude de l’ANSES et du plan d’action du gouvernement, qui relativisent les risques relatifs aux nitrites.

J’ai ensuite eu une étape consultative : j’ai appelé des artisans de ma circonscription qui m’ont fait savoir qu’ils n’avaient pas de réticences, dans la mesure où un délai suffisant de mise en œuvre des nouvelles normes était prévu.

Dans la dernière étape, décisionnelle, j’ai remarqué que la proposition de résolution se fondait sur une démarche scientifique, avec l’invitation à saisir de nouveau l’EFSA d’une demande d’avis scientifique. La deuxième partie de la proposition de résolution appelle tous les États membres à initier d’urgence une démarche mais prévoit une période d’adaptation de 48 mois, qui paraît suffisante. Je suis plus réticent sur la clause de sauvegarde, qui pourrait induire une distorsion de concurrence.

M. Richard Ramos (Dem). On ne peut pas avoir deux alimentations en France, une pour les pauvres et une pour les riches. Aujourd’hui, des millions de tranches se vendent sans nitrites. Les pauvres ont aussi le droit de manger de la nourriture qui ne tue pas : le vote porte sur la question de savoir si l’on continue à tuer les pauvres ou non. Tous les industriels ont aujourd’hui une gamme sans nitrite. Le rapport de l’ANSES rappelle qu’il y a des risques d’infertilité chez les garçons si leur mère a consommé des additifs nitrés durant la grossesse. Aujourd’hui, notre devoir est donc de protéger : nous appelons à une nouvelle étude de l’EFSA, mais nous prévoyons également un délai de quatre ans. Aujourd’hui, les plus pauvres ne doivent pas avoir de la mauvaise protéine.

M. Guillaume Garot (SOC). Je soutiens la démarche de M. Richard Ramos. C’est la seule façon d’avancer vraiment. Comme ministre de l’Agroalimentaire, j’avais essayé d’avancer sur ce dossier et fait face à de fortes résistances. Beaucoup d’acteurs économiques se sont également battus pour la production de charcuterie sans nitrite. Maintenant, nous n’avons pas observé d’impact négatif sanitaire de la charcuterie sans nitrite.

Aujourd’hui, pour être cohérent, il faut agir à l’échelle européenne puisque c’est une étude européenne qui a caractérisé le caractère cancérogène des nitrites.

M. Denis Masséglia (RE). Je m’aperçois, une fois arrivé en commission, qu’un amendement réécrit l’intégralité de la proposition de résolution. Aussi, la précédente proposition comportait 12 alinéas, il y en a là 48. Je partage votre avis sur l’importance d’un tel sujet, toutefois, il me paraît dommageable que nous ne puissions prendre une décision en toute connaissance de cause.


Sur le fond, j’ai comme vous tous eu l’occasion de rencontrer de nombreux industriels qui partagent la vraie volonté de réduire les produits à base de nitrates et de nitrites. Vous l’avez dit, ils ont aussi beaucoup œuvré en faveur de produits sans ces types de composants, mais cela a entraîné des complications pour maintenir leur clientèle, notamment eu égard au changement de couleur du jambon. Je ne remets pas en cause la qualité gustative du produit, je vous fais toutefois part de mon inquiétude en ce qui concerne les caractéristiques des produits que nous importons en Europe. D’autre part, pourquoi imposer une telle règle alors que les futurs consommateurs se tourneront naturellement vers ces produits-là ?

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). La clause de sauvegarde est l’élément nouveau par rapport à la dernière rédaction, mais ne me paraît pas nécessaire. Ensuite, la proposition de résolution prévoit une période de transition de 48 mois à partir de l’entrée en vigueur du règlement d’exécution, lequel fixe l’interdiction des additifs. Ce règlement d’exécution fait-il uniquement allusion à l’éventuel règlement européen ou concerne-t-il également la clause de sauvegarde, qui serait d’effet immédiat ?

M. Richard Ramos, rapporteur. La clause de sauvegarde ne sera pas d’effet immédiat. Le principal apport de cette proposition de résolution repose sur l’ajout d’une période de transition de quatre ans. Entretemps, l’EFSA s’est prononcée sur les dangers des nitrosamines. Il m’a ainsi semblé important de prendre cette information en compte. Aussi, l’allongement de la période de transition a été évoqué au cours de certaines auditions réalisées dans le cadre de ce travail, de même que l’importance d’introduire des mesures visant à adoucir le texte, à l’instar d’un fonds de transition. Il n’y a aujourd’hui plus de débat entre les industriels et les petits charcutiers. En France, une centaine d’entre eux travaille aujourd’hui avec des produits sans nitrite, comme l’école de charcuterie d’Aurillac.

Amendement de rédaction globale du rapporteur

M. Richard Ramos, rapporteur. Cet amendement est un amendement de nouvelle rédaction de la proposition de résolution visant à trouver un chemin européen sur une interdiction. Nous ne pouvons pas, lorsqu’il est question d’un produit cancérogène avéré, laisser le choix à la discrétion du consommateur. J’estime que notre rôle d’élus, français ou européens, est de protéger les consommateurs. Alors qu’il n’y a plus de débat sur la mortalité liée aux additifs nitrés, la loi doit s’inscrire en ce sens, en France et en Europe.

L’amendement est rejeté.

La proposition de résolution européenne est rejetée.


M. Richard Ramos, rapporteur. Je remercie le groupe Socialistes, le groupe Écologistes, le groupe Rassemblement national et le groupe La France Insoumise. Ce texte a été rejeté par le groupe Renaissance. On ne protège pas les pauvres en France en faisant cela, vous continuerez à ce que les pauvres puissent mourir.

M. le Président Charles Sitzenstuhl. Le texte ayant été rejeté, la commission des Affaires économiques sera saisie du texte de de la proposition de résolution dans sa version initiale.

 


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   PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE INITIALE

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu les articles 114, 168 et 169 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Considérant le consensus scientifique établi par le Centre international de recherche sur le cancer, l’Assemblée nationale, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail et le Gouvernement français sur le lien entre consommation de charcuteries nitrées et développement de cancers, notamment colorectaux ;

Considérant la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale le 3 février 2022 en première lecture, relative à la consommation de produits contenant des additifs nitrés et le plan d’actions visant à réduire l’ajout des additifs nitrés dans les produits alimentaires, présenté par le Gouvernement français le 12 juillet 2022 dernier ;

Considérant l’autorisation accordée par la Commission européenne au Danemark de maintenir des dispositions plus restrictives que la réglementation européenne, se traduisant par une réduction drastique des additifs nitrés dans la fabrication de charcuterie ;

Considérant que les recommandations de consommation issues des évaluations de l’Autorité européenne de sécurité des aliments de 2017 font courir un risque de santé publique ainsi que cela découle des conclusions de l’Assemblée nationale confirmées par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail et pris en compte par le Gouvernement français ;

Enjoint l’Autorité européenne de sécurité des aliments d’intégrer les conclusions des travaux de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail dans son rapport d’évaluation afin de protéger le consommateur européen contre les risques associés à l’emploi de nitrates ou de nitrites dans la charcuterie ;


Demande que l’évaluation en cours menée par l’Autorité européenne de sécurité des aliments, limitée aux nitrosamines, prenne en compte la totalité des composés nitrosés identifiés par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, afin que notamment les nitrosothiols et le fer nitrosylé soient inclus dans le champ de cette évaluation ;

Demande la révision des recommandations de consommation émises par l’Autorité européenne de sécurité des aliments, et issues d’évaluations datant de 2017, qui font aujourd’hui courir un risque de santé publique à tous les consommateurs européens ;

Demande à la Commission européenne de placer d’urgence la question de la cancérogénicité des nitrites et additifs nitrés dans la charcuterie parmi ses priorités, en vue de la mise en place d’un plan d’action tenant à la suppression de ces additifs cancérogènes à l’échelle des vingt‑sept États membres.

 

 

 

 


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   AMENDEMENT EXAMINÉ PAR LA COMMISSION

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

12 Avril 2023


Proposition de Résolution européenne relative à l’interdiction des additifs nitrés dans les produits de charcuterie

 

AMENDEMENT

No 1

 

présenté par

M. Richard RAMOS, rapporteur

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ARTICLE UNIQUE

Rédiger ainsi cet article :

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu l’article 151-5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu l’article 5 du traité sur l’Union européenne,

Vu les articles 36, 114, 168, 169 et 191 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu l’article 38 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

Vu le règlement (CE) nº 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l'Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires,

Vu le règlement (CE) nº 1331/2008 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 établissant une procédure d’autorisation uniforme pour les additifs, enzymes et arômes alimentaires,

Vu le règlement (CE) nº 1333/2008 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 sur les additifs alimentaires,

Vu la décision 1999/468/CE du Conseil du 28 juin 1999 fixant les modalités de l’exercice des compétences d’exécution conférées à la Commission,

Vu la décision (UE) 2021/741 de la Commission du 5 mai 2021 relative aux dispositions nationales notifiées par le Danemark concernant l'adjonction de nitrites à certains produits à base de viande,

Vu les avis scientifiques de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) publiés le 15 juin 2017 sur la réévaluation des nitrites et des nitrates ajoutés aux aliments,

Vu l’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) publié le 12 juillet 2022 sur les risques associés à la consommation de nitrites et de nitrates,

Vu l’avis scientifique de l’EFSA sur l’évaluation des risques liés aux nitrosamines dans les aliments publié le 28 mars 2023,

Considérant que le lien positif entre la consommation de produits de charcuterie fabriqués avec des additifs nitrés et le développement de pathologies chroniques, en particulier de cancers, fait l’objet d’un consensus scientifique international ;

Considérant que l’exposition totale aux nitrites et aux nitrates de nombreux groupes d’âge dépasse les doses journalières admissibles recommandées par l’EFSA ;

Considérant que l’avis scientifique de l’EFSA publié le 28 mars 2023 conclut que l’exposition de la population européenne aux nitrosamines dans les aliments constitue un grave problème de santé publique ;

Considérant que les méthodes d’évaluation des risques prennent imparfaitement en compte la co-exposition des consommateurs aux nitrites, aux nitrates et aux composés nitrosés ;

Considérant que le périmètre du projet d’avis scientifique de l’EFSA sur les nitrosamines exclut d’autres composés nitrosés connus pour leur caractère génotoxique et cancérigène ;

Considérant que l’offre de produits de charcuterie sans nitrite et nitrate ajoutés croît fortement en France et dans l’Union européenne, au bénéfice de la santé des consommateurs ;

Considérant que les risques microbiologiques liés à la suppression des additifs nitrés dans les produits de charcuterie peuvent d’ores et déjà être maîtrisés dans le cadre de techniques et de pratiques connues ;

Considérant que la Commission européenne a renouvelé à plusieurs reprises l’autorisation accordée au Danemark de maintenir des dispositions plus restrictives que la législation européenne, sans que cette dérogation ne dégrade la sécurité sanitaire des aliments ;

Considérant que la suppression des additifs nitrés dans les produits de charcuterie représente la solution la plus efficace pour réduire à court terme l’exposition de la population européenne aux nitrites, aux nitrates et aux composés nitrosés ;

Considérant que l’interdiction des additifs nitrés doit prioritairement intervenir à l’échelon européen, conformément aux principes de subsidiarité et d’action préventive ;

Considérant que l’interdiction par l’Union européenne des additifs nitrés dans les produits de charcuterie constitue l’une des seules mesures protectrices et efficaces susceptibles de prévenir les distorsions de concurrence liées à la diversité des réglementations entre les États membres ;  

Considérant que le projet de règlement d’exécution présenté par la Commission européenne se borne à réduire les doses maximales d’incorporation en vigueur et à établir une dose résiduelle maximale pour l’ensemble des produits de charcuterie, sans toutefois interdire les additifs nitrés ni limiter la teneur en composés nitrosés ;

Considérant que les mesures envisagées par la Commission européenne sont par conséquent insuffisantes pour garantir effectivement le niveau élevé de protection des consommateurs consacré par le droit de l’Union européenne ;

Considérant que la France a jusqu’à présent renoncé à recourir à la clause de sauvegarde lui permettant de suspendre la mise sur le marché de produits de charcuterie fabriqués en employant des additifs nitrés, contrairement à son action précurseur au sujet du dioxyde de titane ;

Considérant que l’Union européenne et les États membres doivent accompagner les filières concernées dans leur transition vers une charcuterie sans nitrite ni nitrate ;

1. Invite la Commission européenne à saisir de nouveau l’EFSA d’une demande d’avis scientifique sur les risques liés à la formation de composés nitrosés dans les aliments, afin d’inclure notamment le nitrosylhème et les nitrosothiols dans le champ de cette évaluation ;

2. Appelle l’ANSES et l’EFSA à placer l’évaluation des risques liés aux additifs nitrés parmi les priorités du Partenariat européen pour l'évaluation des risques liés aux substances chimiques, afin notamment :

a) de compléter les données relatives à l’identification, à la quantification et au potentiel toxicologique des composés nitrosés exogènes et endogènes ;

b) d’établir une valeur toxicologique de référence plus pertinente que les doses journalières admissibles, qui font aujourd’hui courir un risque de santé publique à tous les consommateurs européens en ne prenant pas en compte la co‑exposition des consommateurs aux nitrites, nitrates et composés nitrosés ;

 3. Demande à ce que les connaissances scientifiques disponibles, telles qu’elles sont présentées dans l’avis révisé et le rapport d’expertise collective de l’ANSES de juillet 2022, soient effectivement employées pour mettre en œuvre une politique cohérente de protection de la santé publique ;

4. Regrette que le projet de règlement d’exécution de la Commission européenne modifiant l’annexe II du règlement (CE) nº 1333/2008 du Parlement européen et du Conseil ne prévoit pas l’interdiction des additifs nitrés dans les produits de charcuterie ;

5. Demande au comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et des aliments pour animaux d’inviter la Commission européenne à modifier ledit projet de règlement d’exécution afin d’interdire les additifs nitrés dans les produits de charcuterie ; 

6. Demande, à défaut, au Gouvernement d’envisager le recours à la clause de sauvegarde prévue aux articles 53 et 54 du règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement et du Conseil afin de suspendre la mise sur le marché de produits de charcuterie contenant des additifs nitrés ou des composés nitrosés ;

7. Appelle la Commission européenne, les États membres ou toute partie intéressée à initier d’urgence une procédure de mise à jour de l’annexe II du règlement (CE) nº 1333/2008 du Parlement européen et du Conseil tendant à interdire l’emploi des additifs nitrés dans les produits de charcuterie ;

8. Propose de prévoir une période de transition de 48 mois entre l’entrée en vigueur du règlement d’exécution prévoyant l’interdiction des additifs nitrés dans les produits de charcuterie et sa mise en application effective ;

9. Considère que les gestionnaires de risques pourraient utilement prévoir une période de transition plus courte pour certaines catégories de produits de charcuterie et certains groupes de consommateurs, en concertation avec les autorités chargées de l’évaluation des risques et les professionnels ;

10. Demande à la Commission européenne d’adopter une recommandation exposant les mesures de maîtrise des risques microbiologiques vérifiées et partagées par les parties prenantes ;

11. Encourage les États membres à déployer des plans de transition destinés à accompagner techniquement et financièrement les professionnels, en particulier les artisans et les petites et moyennes entreprises ; 

12. Appelle le Gouvernement à identifier les normes susceptibles d’entraver les exportations françaises de produits de charcuterie sans additifs nitrés en vigueur dans les États membres et d’engager les discussions bilatérales nécessaires à la levée de ces obstacles ;

13. Appelle l’Union européenne et les États membres à soutenir rapidement la demande de produits de charcuterie sans additifs nitrés, notamment par l’intermédiaire de la politique de promotion des produits agricoles.

 

 

 

 

 

Cet amendement est rejeté.


—  1  —

   ANNEXE 1 :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR

(par ordre chronologique)

 

– Mme Karine Jacquemart, directrice générale

– M. Camille Dorioz, responsable de campagnes

 

– Mme Claire Camdessus, chef du service économique

 

 

– M. Guilhem de Seze, chef du département « Production des évaluations du risque »

– Mme Anna Christodoulidou, senior scientific officer

 

– M. Bruno Gautrais, chef d’unité « Technologies de transformation des aliments et nouveaux aliments »

 

– M. Matthieu Schuler, directeur général délégué en charge du pôle « Sciences pour l’expertise »

 


– M. Bernard Vallat, président

– M. Fabien Castanier, délégué général

 

 

– Mme Camille Perrin, responsable des questions alimentaires

 

– M. Joël Mauvigney, président

– Mme Elisabeth de Castro, déléguée générale

 

– Mme Mathilde Touvier, directrice

– M. Bernard Srour, coordonnateur du réseau Nutrition Activité physique Cancer Recherche (réseau NACRe)

 

 

 


(1) Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, Ministère chargé de l’Organisation territoriale et des Professions de santé, Plan d’action « Réduction de l’utilisation des additifs nitrites/nitrates dans les aliments », mars 2023.

([2]) Annexe I du règlement (CE) nº 1333/2008 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 sur les additifs alimentaires.

([3]) ANSES, avis relatif aux risques associés à la consommation de nitrites et de nitrates, 12 juillet 2022 (saisine n° 2020-SA-0106), pp. 18-19, disponible en ligne.

([4]) Oqali, Bilan et évolution de l’utilisation des additifs dans les produits transformés, édition 2019, disponible en ligne.

([5]) Données transmises à votre rapporteur par la Fédération française des industriels charcutiers, traiteurs, transformateurs de viande (FICT).

([6]) Food Chain Evaluation Consortium (FCEC), Study on the monitoring of the implementation of Directive 2006/52/EC as regards the use of nitrites by industry in different categories of meat products, Final Report, 2016.

([7]) Les doses établies par la législation européenne sont exprimées en nitrite de sodium (NaNO2) et en nitrate de sodium (NaNO3).

([8]) ANSES, avis relatif aux risques associés à la consommation de nitrites et de nitrates, 12 juillet 2022, p. 68.

([9]) M. Bernard Vallat, président de la FICT, cité dans un article du magazine 60 millions de consommateurs, « Charcuteries, peut-on vraiment supprimer les nitrites ? », août 2022, disponible en ligne.

([10]) M. Richard Ramos, Mmes Barbara Bessot-Ballot et Michèle Crouzet, rapport d’information sur les sels nitrités dans l’industrie agroalimentaire, commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale, 13 janvier 2021, p. 60, disponible en ligne.

([11]) Les consommateurs achetant des produits sans nitrites, plus chers, sont a priori moins sensibles à la variation des prix.

([12]) ANSES, avis relatif aux risques associés à la consommation de nitrites et de nitrates, 12 juillet 2022, p. 90.

([13]) Centre national de référence des bactéries anaérobies et du botulisme, Rapport annuel d’activité 2021 – année d’exercice 2020, Institut Pasteur, juin 2021, p. 14, disponible en ligne.

([14]) Food Chain Evaluation Consortium (FCEC), Study on the monitoring of the implementation of Directive 2006/52/EC as regards the use of nitrites by industry in different categories of meat products, Final Report, 2016, p. 216.

([15]) Données transmises à votre rapporteur par le Service économique (SE) de Copenhague, rattaché à l’Ambassade de France au Danemark.

([16]) ANSES, avis relatif aux risques associés à la consommation de nitrites et de nitrates, 12 juillet 2022, p. 93.

([17]) Arrêté ministériel du 3 juillet 1978, qui charge le Consortium du jambon de Parme de surveiller la production et la commercialisation du jambon de Parme en application de l’article 7 de la loi n° 506 du 4 juillet 1970.

([18]) AFSSA, Avis relatif à la prise en compte du danger Clostridium botulinum dans la fabrication de produits transformés à base de viandes, 21 mars 2005 (saisine n° 2004-SA-0183).

([19]) CIRC, Ingested nitrate and nitrite, and cyanobacterial peptide toxins. IARC Monographs on the Evaluation of Carcinogenic Risks to Humans, volume 94, 2010.

([20]) CIRC, Ingested nitrate and nitrite, and cyanobacterial peptide toxins. IARC Monographs on the Evaluation of Carcinogenic Risks to Humans, volume 94, 2010, p. 296.

([21]) CIRC, Read meat and processed meat, IARC Monographs on the Evaluation of Carcinogenic Risks to Humans, volume 114, 2015.

([22]) WCRF et AICR, Résumé du troisième rapport d’expertise « Diet, nutrition, physical activity and cancer : a global perspective », 2018, p. 38, disponible en ligne.

([23]) Saisine n° 2020-SA-0106 du 29 juin 2020 de la Direction générale de la santé (DGS), de la Direction générale de l’alimentation (DGAL) et de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

([24]) Chazelas E. et al., « Nitrites and nitrates from food additives and natural sources and cancer risk : results from the NutriNet-Santé cohort », International Journal of Epidemiology, 2022, disponible en ligne.

([25]) M. Richard Ramos, Mmes Barbara Bessot-Ballot et Michèle Crouzet, rapport d’information sur les sels nitrités dans l’industrie agroalimentaire, commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale, 13 janvier 2021, p. 38, disponible en ligne.

([26]) Srour B., et al., « Nitrites, Nitrates, and Cardiovascular Outcomes : Are We Living “La Vie en Rose” With Pink Processed Meats ? », Journal of the American Heart Association, 2022, disponible en ligne.

([27]) Srour B., et al., « Dietary exposure to nitrites and nitrates in association with type 2 diabetes risk : Results from the NutriNet-Santé population-based cohort study », 2023, disponible en ligne.

([28]) Santarelli R. L. et al., « Meat processing and colon carcinogenesis : cooked, nitrite-treated, and oxidized high‑heme cured meat promotes mucin-depleted foci in rats », Cancer prev Res, 2010 3 (7) : 852-64.

([29]) Bastide N. M. et al., « Red Wine and Pomegranate Extracts Suppress Cured Meat Promotion of Colonic Mucin-Depleted Foci in Carcinogen-Induced Rats », Nutr Cancer, 69 (2) : 289-298.

([30]) Décision (UE) 2021/741 de la Commission du 5 mai 2021 relative aux dispositions nationales notifiées par le Danemark concernant l'adjonction de nitrites à certains produits à base de viande, paragraphe 9.

([31]) EFSA, avis scientifique publié le 28 mars 2023, Risk assessment of N‐nitrosamines in food, EFSA Journal 2023.

([32]) EFSA, projet d’avis scientifique sur l’évaluation des risques liés aux N-nitrosamines dans les aliments, 12 octobre 2022, p. 2.

([33]) La commission ENVI du Parlement européen est compétente pour les sujets relatifs à l’environnement, à la santé publique et à la sécurité alimentaire. Auditionné le 8 novembre 2022, M. Bernhard Url déclare : « In terms of use of nitrites, a reduction will be needed. It’s not only a research question, something will also have to be changed in the use of charcuterie » (disponible en ligne).

([34]) Groupe CONTAM, Minutes de la 114e session plénière, 23 et 24 mars 2021, disponible en ligne.

([35]) Kesse Guyot E., « Key Findings of the French BioNutriNet Project on Organic Food-Based Diets : Description, Determinants, and Relationships to Health and the Environment », Adv Nutr, 2021, disponible en ligne.

([36]) Règlement d’exécution (UE) 2021/1165 de la Commission du 15 juillet 2021 autorisant l’utilisation de certains produits et substances dans la production biologique et établissant la liste de ces produits et substances.

([37]) Règlement (CE) n° 889/2008 de la Commission du 5 septembre 2008 portant modalités d'application du règlement (CE) n° 834/2007 du Conseil relatif à la production biologique.

([38]) Article 7 du règlement CE n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l'Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires.

([39]) Avis scientifiques de l’EFSA publiés le 15 juin 2017, Re-evaluation of potassium nitrite (E 249) and sodium nitrite (E 250) as food additives et Re-evaluation of sodium nitrate (E 251) and potassium nitrate (E 252) as food additives, EFSA Journal 2017, disponibles en ligne.

([40]) La méthémoglobinémie est une intoxication aigüe caractérisée par un taux trop important de méthémoglobine dans le sang. La réduction en quantité excessive des nitrates en nitrites réduit la capacité du sang à transporter l’oxygène, entraînant une détresse respiratoire. Cette maladie est sans lien avec le cancer.

([41]) ANSES, avis relatif aux risques associés à la consommation de nitrites et de nitrates, 12 juillet 2022, p. 26.

 

([42]) CJCE, arrêt du 20 mars 2003, Royaume du Danemark c/ Commission des communautés européennes, affaire C-3/00.

([43]) Décision (UE) 2021/741 de la Commission du 5 mai 2021 relative aux dispositions nationales notifiées par le Danemark concernant l'adjonction de nitrites à certains produits à base de viande.

([44]) Les nitrosamines volatiles, qui se forment par exemple dans l’air, et non volatiles sont des composés différents retrouvés dans les produits carnés, formés par la réaction de N-nitrosation. L’EFSA estime que les nitrosamines non volatiles sont peu susceptibles d’être cancérogènes.

([45]) Communiqué de presse de la FICT et de la CNCT du 12 juillet 2022, disponible en ligne.

([46]) Selon les informations recueillies par le Service économique (SE) de Copenhague auprès d’une organisation professionnelle, le Conseil danois de l’Agriculture et de l’Alimentation (Landbrug og Fødevarer), et transmises à votre rapporteur.

([47]) La PRAC est régie par l’article 5 bis de la décision 1999/468/CE de comitologie du Conseil du 28 juin 1999, fixant les modalités de l'exercice des compétences d'exécution conférées à la Commission européenne.

([48]) La majorité qualifiée est atteinte sous deux conditions, si 55 % des États membres (soit 15 sur 27) représentant au moins 65 % de la population totale de l'Union soutiennent la mesure proposée par la Commission.

([49]) Résolution du Parlement européen du 8 octobre 2020 sur le projet de règlement de la Commission modifiant l’annexe du règlement (UE) nº 231/2012 établissant les spécifications des additifs alimentaires énumérés aux annexes II et III du règlement (CE) nº 1333/2008 en ce qui concerne les spécifications du dioxyde de titane (E 171).

([50]) Ce critère compte parmi les « conditions générales » d’autorisation des additifs prévues à l’article 6 du règlement n° 1333/2008 du 16 décembre 2008 sur les additifs alimentaires.

([51]) CJCE, arrêts du 5 mai 1998, Queen c. Ministry of Agriculture (affaire C-157/96) et Royaume-Uni c. Commission (affaire C-180/96).

([52]) TPICE, arrêt du 26 novembre 2002, Artegodan c/ Commission (affaire T-74/00).

([53]) La définition de la notion de « partie intéressée » est largement jurisprudentielle. Les sept catégories de « parties prenantes » définies par l’EFSA, intéressées aux travaux de l’autorité, pourraient relever de cette notion : associations de consommateurs, ONG et groupes de pressions, entreprises du secteur de l’industrie alimentaire, distributeurs et secteur de l’hôtellerie-restauration, milieu universitaire, agriculteurs (EFSA Stakeholder Engagement Approach).

([54]) Avis scientifiques de l’EFSA du 6 mai 2021, Safety assessment of titanium dioxide (E171) as a food additive, EFSA Journal 2021, disponible en ligne.

([55]) EFSA, avis scientifique du 14 septembre 2016, Re-evaluation of titanium dioxide (E 171) as a food additive, EFSA Journal 2016.

([56]) ANSES, avis du 4 avril 2017 relatif à une demande d'avis relatif à l’exposition alimentaire aux nanoparticules de dioxyde de titane.

 

([57]) CJUE, arrêt du 8 septembre 2011, Monsanto SAS et autres c/ ministère de l’Agriculture et de la Pêche (affaires jointes C-58/10 à C-68/10).

([58]) EFSA, Enquête Eurobaromètre 2022 sur la sécurité des aliments dans l’Union européenne, 2022, disponible en ligne.

([59]) Direction générale des politiques internes du Parlement européen, L’initiative citoyenne européenne – Premières leçons tirées de la mise en œuvre, 2014, disponible en ligne.

([60]) Communiqué de presse de la FICT et de la CNCT du 27 mars 2023, disponible en ligne.

([61]) ANSES, avis relatif aux risques associés à la consommation de nitrites et de nitrates, 12 juillet 2022, p. 204.

([62]) Les recommandations de la Commission européenne « ne lient pas » les destinataires aux termes de l’article 288 TFUE, mais constituent un puissant outil d’orientation et de convergence parmi les États membres.