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N° 1181

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME  LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 3 mai 2023.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION
 

tendant à la création d’une commission d’enquête sur
la structuration, le financement, l’organisation
des groupuscules et la conduite des manifestations illicites
violentes entre le 16 mars 2023 et le 4 avril 2023

 

PAR M. Florent BOUDIÉ

Député

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Voir le numéro : 1064

 


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SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION..................................................... 5

I. Une proposition de résolution dont la recevabilité juridique paraît acquise

A. un objet d’enquête précis

B. L’absence de renouvellement de travaux d’enquête ayant moins d’un an

C. La satisfaction de la condition tenant aux poursuites judiciaires

II. Une commission d’enquête dont l’opportunité est évidente

A. Des violences inquiétantes et dangereuses qui sapent l’ordre républicain et le droit de manifester

1. Un accroissement intolérable des violences lors de mobilisations

a. Les violences constatées lors de la contestation de la réforme des retraites

b. Le déchaînement de violences à Sainte-Soline

2. Une systématisation des violences à la signification préoccupante

3. Une enquête parlementaire nécessaire

B. L’absence de recoupement avec la mission d’information sur l’activisme violent

1. Les prérogatives spécifiques aux commissions d’enquête

2. Une commission d’enquête à l’objet plus ciblé et circonscrit

III. La position de la Commission des lois : une commission d’enquête approuvée et enrichie

A. L’extension de la période d’enquête jusqu’au 3 mai 2023

B. L’extension du champ des manifestations et rassemblements visés

C. Une contextualisation des violences permise par une enquête ciblant le « déroulement » des manifestations

COMPTE-RENDU DES DÉBATS

Lettre DU GARDE DES SCEAUX

 


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MESDAMES, MESSIEURS,

 

Le 4 avril dernier, la présidente du groupe Renaissance, Mme Aurore Bergé, et des membres de ce groupe, ainsi que M. Laurent Marcangeli, président du groupe Horizons, et les membres de celui-ci, ont déposé une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur la structuration, le financement, l’organisation des groupuscules et la conduite des manifestations illicites violentes entre le 16 mars et le 4 avril 2023.

Contester un projet politique, s’opposer à une réforme et manifester, sont des comportements non seulement normaux, mais sains dans le cadre d’une société démocratique et pluraliste, où l’expression de tous les courants est assurée et respectée. En revanche, la violence, quelle qu’en soit la forme, n’est pas admissible en démocratie, et ne saurait être un moyen normal d’expression d’opinions, encore moins un moyen toléré. Or, depuis le 16 mars dernier, notre pays a été le théâtre d’actions violentes d’une rare intensité, pendant ou en marge de manifestations sur la voie publique, à l’occasion de rassemblements spontanés ou, s’agissant de Sainte-Soline, dans ce qui, s’agissant des auteurs des violences, s’apparentait plus à une action préméditée et organisée qu’à une mobilisation destinée à faire valoir des revendications légitimes.

Entre le 16 mars et le 4 avril 2023, plus d’un millier de femmes et d’hommes membres des forces de sécurité intérieure ont été blessés, souvent à l’occasion d’affrontements violents recherchés par des individus et des groupuscules qu’on ne saurait qualifier de manifestants sans insulter ceux qui défilent pacifiquement dans les cortèges.

Entre le 16 mars et le 4 avril 2023, des centaines de dégradations, parfois très lourdes, ont été perpétrées contre des bâtiments publics, des symboles de l’autorité républicaine, des véhicules de police et de gendarmerie, mais aussi contre des biens privés dont le seul tort était de se trouver sur le chemin d’activistes déchaînés, mus par une volonté de destruction.

Entre le 16 mars et le 4 avril 2023, de nombreux manifestants ont, eux aussi, subi les conséquences de cette violence exacerbée, parfois dans leur chair, et pour tous dans le libre exercice de leur droit constitutionnel de manifester, à cause des agissements de black blocs et d’activistes radicaux.

Ces violences sont-elles la manifestation d’un sentiment de supériorité idéologique, en vertu duquel le point de vue personnel prime la règle commune, l’opinion individuelle supplante-t-elle la loi de la République et le fonctionnement régulier des institutions ? Sont-elles le fait d’individus présents dans le seul but d’en découdre avec les forces de l’ordre et de « casser du flic » ?

Le degré inouï de violence constaté à l’occasion ou en marge de ces manifestations et rassemblements, le spectre que cette violence fait planer sur nos institutions et notre pacte républicain, et le risque qu’elle fait peser sur les droits et libertés dont chacun doit pouvoir disposer, en démocratie, pour faire valoir ses opinions, commandent que notre Assemblée, dans le cadre de ses prérogatives constitutionnelles, puisse se saisir de ces événements.

Telles sont les raisons qui ont conduit les groupes Renaissance et Horizons à déposer cette proposition de résolution, afin que la représentation nationale puisse se pencher sur les groupes auteurs ou promoteurs des violences constatées et la conduite des manifestations qui en furent le théâtre, dans le cadre d’une commission d’enquête qui relève d’une exigence de salubrité démocratique.

Telles sont les raisons qui ont conduit la Commission des Lois à adopter cette proposition de résolution, dont l’objet a été enrichi à l’initiative du rapporteur afin de renforcer la pleine effectivité de l’enquête, à travers l’extension de cette dernière :

– à l’ensemble des manifestations et rassemblements où furent constatées des violences, et non uniquement les manifestations et rassemblements illicites, permettant d’inclure les manifestations autorisées et celles spontanées et non interdites ;

– au déroulement de ces manifestations et rassemblements, et non à leur seule conduite ;

– et aux manifestations et rassemblements tenus jusqu’au 3 mai 2023 (plutôt qu’au 4 avril 2023), incluant par exemple les manifestations du 6 avril, celles du 14 avril, ou encore celles du 1er mai dont certaines furent marquées par une extrême violence.

Telles sont les raisons qui conduisent la Commission à inviter l’Assemblée à adopter cette proposition de résolution pour permettre une enquête nécessaire, transparente, transpartisane et sans anathème.

 

 


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Aux termes de l’article 140 du Règlement de l’Assemblée nationale (RAN), une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête fait l’objet d’un examen par la commission permanente compétente, chargée :

– de s’assurer de la recevabilité juridique de la proposition de résolution, en vérifiant la satisfaction de trois conditions ;

– de se prononcer sur l’opportunité de la proposition – sauf si cette dernière résulte de la mise en œuvre du « droit de tirage » prévu au deuxième alinéa de l’article 141 du RAN.

I.   Une proposition de résolution dont la recevabilité juridique paraît acquise

Les conditions de recevabilité juridique d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont prévues au I de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ([1]), et déclinées aux articles 137 à 139 du RAN :

– la première condition exige une détermination précise de l’objet de l’enquête ;

– la seconde condition exclut la réitération des travaux d’une commission d’enquête antérieure pendant au moins un an à compter du terme de ses travaux ;

– la troisième exclut la création d’une commission d’enquête sur des faits donnant lieu à des poursuites judiciaires en cours.

Ces trois conditions apparaissent en l’espèce remplies.

A.   un objet d’enquête précis

Ainsi que le prévoit le deuxième alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 précitée, une commission d’enquête est formée « pour recueillir des éléments d’information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales ». Cette exigence est reprise comme condition de recevabilité juridique par l’article 137 du RAN, aux termes duquel la proposition de résolution doit « déterminer avec précision […] les faits qui donnent lieu à enquête » ([2]).

L’article unique de la proposition de résolution tend à créer une commission d’enquête « sur la structuration, le financement, l’organisation des groupuscules et la conduite des manifestations illicites violentes entre le 16 mars 2023 et le 4 avril 2023 ».

Cette formulation remplit manifestement la première condition de recevabilité.

D’une part, l’objet est clairement défini et se comprend par son texte même. Au demeurant, s’il en était besoin, l’exposé des motifs de la proposition de résolution précise les faits faisant l’objet de l’enquête souhaitée en déclinant d’abord, chiffres à l’appui, les événements violents de Sainte-Soline et d’autres actions intervenues dans différentes villes de France depuis le 16 mars 2023, ainsi que les conséquences humaines et matérielles de ces événements, avant de conclure en justifiant la création d’une commission d’enquête pour faire « toute la lumière sur les conditions et les moyens par lesquels des activistes et groupuscules organisent et conduisent ces mobilisations ultraviolentes, en interrogeant notamment leurs sources de financement et leurs liens avec les partis politiques institués. » Ces éléments sont ainsi de nature à lever toute éventuelle ambiguïté sur l’acception à donner au terme de « groupuscules » dans l’article unique de la proposition, ces groupuscules étant ceux impliqués dans les mobilisations ultraviolentes précédemment mentionnées.

En tout état de cause, à supposer que la formulation de l’article unique soit jugée comme insuffisamment précise – ce qui n’est pas le cas –, les précisions complémentaires apportées par l’exposé des motifs permettent de remplir la première condition de recevabilité : il est renvoyé, à titre d’exemple de précédent, à la proposition de résolution du président Olivier Marleix tendant à la création d’une commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France, jugée recevable (et dont la commission d’enquête issue de l’adoption de cette proposition a conclu ses travaux le 6 avril dernier) ([3]).

D’autre part, le cadre temporel est précisément défini, les faits visés allant du 16 mars au 4 avril 2023, soit :

– des premières mobilisations à la suite de l’engagement, par la Première ministre, de la responsabilité du Gouvernement sur le projet de loi de financement rectificatif de la sécurité sociale pour 2023 sur le fondement de l’alinéa 3 de l’article 49 de la Constitution ;

– au jour de l’enregistrement de la proposition de résolution à la Présidence de l’Assemblée.

Notons, ainsi qu’il sera vu plus loin, que l’objet et le cadre temporel de l’enquête ont été amendés à l’initiative du rapporteur, afin d’en renforcer la pleine effectivité (cf. infra, III).

B.   L’absence de renouvellement de travaux d’enquête ayant moins d’un an

Aux termes du cinquième alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 précitée, une commission d’enquête ne peut être reconstituée avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter de la fin de sa mission. Cette interdiction temporaire de reconstitution est précisée par le premier alinéa de l’article 138 du RAN, qui prévoit que la commission d’enquête dont la création est proposée ne doit pas avoir « le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 1451 [du RAN] ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou l’autre » – l’article 145‑1 du RAN vise l’hypothèse d’une commission permanente ou spéciale à laquelle ont été conférées les prérogatives d’une commission d’enquête, en application de l’article 5 ter de l’ordonnance du 17 novembre 1958 précitée.

En l’espèce, cette deuxième condition de recevabilité juridique est satisfaite : aucune commission d’enquête, ou commission permanente ou spéciale dans le cadre de l’article 5 ter précité, n’a conclu ses travaux sur le même objet que celui ici proposé.

Les derniers travaux pouvant être rapprochés de l’objet de la commission d’enquête dont la création est proposée, en ce qu’ils portaient sur des groupuscules, sont ceux de la commission d’enquête sur la lutte contre les groupuscules d’extrême‑droite en France, dont le rapport a été publié il y a près de quatre ans, le 6 juin 2019 ([4]).

Les actes de violences et de vandalisme commis en marge de manifestations de « Gilets jaunes » ont fait l’objet d’une mission d’information sénatoriale en 2019 ([5]), n’affectant nullement la recevabilité de la présente proposition : d’une part, le délai de douze mois est largement consommé, d’autre part, il s’agissait d’une mission d’information – au demeurant sénatoriale – et non d’une commission d’enquête.

Enfin, la circonstance qu’une mission d’information sur l’activisme violent a été créée par la commission des Lois de l’Assemblée le 7 février dernier n’est pas, là non plus, de nature à compromettre la recevabilité de la proposition : outre la différence d’objet, il ne s’agit pas des hypothèses prévues à l’article 138 du RAN. La prise en compte de cette mission d’information relève ainsi, non de la recevabilité juridique de la proposition de résolution, mais de son opportunité, qu’elle ne remet d’ailleurs pas en cause (cf. infra, II, B).

C.   La satisfaction de la condition tenant aux poursuites judiciaires

La troisième et dernière condition de recevabilité est fixée au troisième alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 précitée, et déclinée à l’article 139 du RAN ; elle interdit la création d’une commission d’enquête sur des faits donnant lieu à des poursuites judiciaires – et impose la fin des travaux d’une commission d’enquête si les faits sur lesquels elle porte font l’objet, après sa création, d’une information judiciaire.

Pour vérifier la satisfaction de cette condition, l’article 139 du RAN prévoit l’information, par le Président de l’Assemblée nationale, du garde des Sceaux, ministre de la justice, au sujet du dépôt de toute proposition de résolution tendant à créer une commission d’enquête – à charge ensuite pour le garde des Sceaux d’indiquer, le cas échéant, si des poursuites judiciaires sur les faits visés sont en cours.

Interrogé par la Présidente de l’Assemblée en application de cet article 139, M. Éric Dupont-Moretti, garde des Sceaux, a indiqué dans un courrier du 28 avril 2023, que le périmètre de la commission d’enquête dont la création est demandée « est susceptible de recouvrir des procédures diligentées » du chef de différentes infractions.

Il appartiendra ainsi à la commission d’enquête, tout au long de ses travaux, de veiller à ce que ses investigations ne portent pas sur des questions relevant exclusivement des compétences de l’autorité judiciaire, et donc de ne pas étudier les faits précis commis pendant ou en marge de manifestations, qui ont été identifiés comme constitutifs d’infractions pénales et font l’objet de poursuites judiciaires.

Cette réserve ne prive en aucun cas d’objet la commission d’enquête souhaitée. Cette dernière n’a en effet pas vocation à aborder des faits spécifiques et précisément identifiés pour en rechercher les auteurs et apporter une réponse pénale ; elle a pour ambition d’étudier, de façon plus large et globale, la structuration et le financement des groupuscules prenant part aux violences au cours ou en marge de manifestations, ainsi que la conduite de ces dernières.

Il s’agit au demeurant d’une réserve usuelle pour ne pas dire systématique, nombreuses étant les commissions d’enquête se penchant sur des faits liés à des procédures judiciaires ([6]).

*

*     *

À l’aune de l’ensemble de ces éléments, et sous la réserve – au demeurant habituelle – mentionnée au point C, il apparaît que la création de la commission d’enquête envisagée est juridiquement recevable.

II.   Une commission d’enquête dont l’opportunité est évidente

Si elle paraît bien juridiquement recevable, la présente proposition de résolution est également manifestement opportune – point sur lequel la commission des Lois doit se prononcer en application du premier alinéa de l’article 140 du RAN, cette proposition de résolution n’ayant pas été déposée dans le cadre d’un « droit de tirage ».

A.   Des violences inquiétantes et dangereuses qui sapent l’ordre républicain et le droit de manifester

L’arsenal juridique français permettant de faire face aux violences lors de rassemblements publics est relativement étoffé, et a été récemment enrichi afin, non seulement de réprimer les violences, mais aussi – voire surtout – de les prévenir. Peuvent ainsi être mentionnées, sans prétendre à l’exhaustivité :

– les mesures destinées à éviter la présence de casseurs pendant des manifestations, résultant de la loi du 10 avril 2019 visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations ([7]) ;

– le renforcement des dispositions pénales en cas d’atteintes aux forces de l’ordre et en matière de détention ou d’usage d’engins pyrotechniques, dans le cadre de la loi du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés ([8]) ;

– les évolutions apportées par la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République ([9]), notamment en matière de dissolution d’associations ou de groupements de fait et de transparence financière des associations ;

– ou encore, de façon plus transversale, l’accroissement sans précédent des moyens alloués au ministère de l’Intérieur par la loi du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, qui inclut notamment dans la feuille de route pluriannuelle du ministère la lutte contre les groupuscules violents ([10]).

Malgré ce cadre juridique robuste, les événements constatés à l’occasion des manifestations et rassemblements entre le 16 mars et le début du mois d’avril 2023 illustrent la difficulté – voire l’impossibilité – d’empêcher tout débordement, surtout si, plutôt qu’une manifestation des opinions et la défense de revendications, sont en cause des violences volontaires liées à la recherche directe d’un affrontement avec les forces de l’ordre.

1.   Un accroissement intolérable des violences lors de mobilisations

a.   Les violences constatées lors de la contestation de la réforme des retraites

● Lors des dix premières journées nationales d’action contre la réforme des retraites auxquelles avait appelé l’intersyndicale, plus de mille femmes et hommes des forces de sécurité intérieure (1 083) ont été blessés, et 1 442 interpellations ont eu lieu. Néanmoins, ces chiffres globaux ne permettent pas de percevoir la nette évolution de la violence à partir de la mi-mars :

– le nombre moyen de blessés parmi les forces de sécurité intérieure pour les huit premières journées nationales d’action est d’environ 40, et celui des interpellations est d’un peu moins de 80 ;

– en revanche, la première journée nationale d’action organisée après le 16 mars 2023, celle du 23 mars, a vu 552 membres des forces de sécurité intérieure blessés, et 428 personnes placées en garde à vue ; au cours de la journée nationale d’action suivante, le 28 mars, ce furent 219 membres des forces de sécurité intérieure qui furent blessés, et 428 personnes placées en garde à vue.

Ces chiffres, produits par le ministère de l’intérieur lors de l’audition du ministre par la commission des Lois de l’Assemblée le 5 avril dernier, illustrent l’accroissement des violences à partir du 16 mars : alors que les journées nationales d’action consistent en des manifestations traditionnelles autorisées et encadrées, elles sont, malheureusement, de plus en plus le théâtre, en marge des défilés officiels, de violences de la part d’individus ou de groupuscules cherchant à en découdre.

● Au 3 mai 2023, les chiffres relatifs aux violences constatées lors des manifestations liées à la contestation de la réforme des retraites qu’a obtenus le rapporteur de la part du ministère de l’intérieur, et qui portent sur la période comprise entre le 19 janvier et le 1er mai 2023, font état de :

– 3 891 interpellations et 3 540 placements en garde à vue (principalement les 16, 23 et 28 mars et le 1er mai 2023) ;

– 546 manifestants blessés (dont 19 en urgence absolue), dont plus du quart la seule journée du 23 mars 2023 ;

– 2 382 membres des forces de sécurité intérieure blessés, dont 49 en urgence absolue, parmi lesquels :

Les journées ayant vu le plus grand nombre de blessés parmi les forces de sécurité intérieure sont celles du 23 mars (552), du 28 mars (219), du 6 avril (241) et du 1er mai (376).

● Parallèlement à ces faits, fruits d’affrontements entre forces de l’ordre et activistes, sur la même période, soit entre le 19 janvier et le 3 mai 2023, le ministère de l’intérieur a dénombré :

– 438 atteintes aux biens, dont :

– 3857 incendies, dont 156 de bâtiments, 99 de véhicules et 3 602 incendies de voie publique ; les journées ayant connu le plus grand nombre d’incendies sont celles du 16 mars (279 incendies), du 20 mars (441), du 23 mars (929), du 28 mars (440) et du 6 avril (225).

● Enfin, le ministre de l’intérieur avait également fait état, lors de son audition du 5 avril 2023, de l’enregistrement par la préfecture de police de 33 plaintes par des membres du Gouvernement ou des élus pour menaces ou outrages.

● Les images des poubelles en flamme dans les rues de Paris le soir du 16 mars 2023, celles d’un incendie touchant un immeuble d’habitation dans cette même ville après la manifestation du 23 mars suivant, la porte en flamme de l’hôtel de ville de Bordeaux le même soir ou encore l’incendie de la façade d’un établissement de restauration le 6 avril 2023, autant d’événements qui ont alimenté les chaînes d’information et fait le tour du monde, témoignent de la transformation de la situation. Parallèlement ou après les cortèges de manifestants présents sur la voie publique pour faire valoir, légitimement, leurs revendications, certains ne poursuivent qu’un objectif d’affrontement, de violence et de destruction, en un mot : de chaos.

Ces violences ne sont, au demeurant, pas cantonnées aux marges des défilés traditionnels : des manifestations spontanées, voire des rassemblements malgré des arrêtés préfectoraux d’interdiction, ont été, plusieurs soirs, le théâtre de dégradations et d’actions destinées à détruire et à chercher l’affrontement avec les forces de l’ordre.

b.   Le déchaînement de violences à Sainte-Soline

Enfin, parallèlement à ces événements liés à la réforme des retraites, a eu lieu le 25 mars 2023 à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) un véritable déchaînement de violences, dans le cadre d’une manifestation pourtant expressément interdite par un arrêté préfectoral du 17 mars 2023, qui n’a pas été contesté en justice.

Pour mémoire, l’intention préfectorale d’interdire la manifestation avait été communiquée dès le 10 mars – l’interdiction formelle intervenant, donc, le 17 mars. Entre cette seconde date et le 22 mars, la préfète des Deux-Sèvres a pris huit arrêtés interdisant ou restreignant le transport d’armes et d’artifices, le survol de la zone ou encore la circulation d’engins agricoles (arrêtés non contestés pour six d’entre eux, et validés par le juge administratif pour les deux autres).

Parmi les 8 000 manifestants décomptés par le ministère de l’Intérieur – et, répétons-le, présents malgré l’interdiction de la manifestation, qui rendait la participation à celle-ci constitutive d’une infraction pénale –, un millier de membres de groupuscules extrémistes, venant pour certains de pays voisins, se sont retrouvés pour affronter les forces de l’ordre, sans lien avec la cause environnementale – voire au détriment de celle-ci.

Le militant suédois Andreas Malm, interrogé sur les événements de Sainte‑Soline, a ainsi relevé que « le niveau de combativité des manifestants était impressionnant. Il y avait comme une “division des tâches” entre celles et ceux qui sont allés plus à l’affrontement avec les forces de l’ordre et celles et ceux qui n’y sont pas allés. Mais on sentait qu’il y avait une approbation tacite de ce rapport de force avec la police. Ce degré d’affrontement, c’est quelque chose d’inédit pour moi. » ([11])

Comme le relève par ailleurs la préfète des Deux-Sèvres, dans un rapport mentionné par le ministre de l’intérieur devant la commission des Lois de l’Assemblée, « l’objectif n’était pas d’entourer le chantier de la réserve, mais d’attaquer les forces de l’ordre en causant le plus de dommages humains et matériels possibles », la direction générale de la gendarmerie nationale soulignant quant à elle que « ce déchaînement de violence organisé et coordonné visait à mettre en échec la capacité à maintenir l’ordre public et à assurer la protection des institutions. » ([12])

En effet, des scènes relevant davantage d’un théâtre d’opérations militaires que d’une manifestation pacifique ont été constatées, avec des charges d’individus organisés, armés et équipés contre les forces de l’ordre, ou encore l’incendie de véhicules de gendarmerie.

Il suffit, à cet égard, de se pencher sur le matériel saisi par les forces de l’ordre avant ou au cours des événements pour se rendre compte de la réalité d’un dessein violent et préparé, prémédité : armes blanches, mortiers, frondes à billes d’acier, cocktails Molotov, boules de pétanques, bidons d’essence, mélanges incendiaires à retardement, bonbonnes de gaz… Autant d’instruments qui ne vont guère de pair avec une revendication apaisée dans le cadre de l’exercice du droit de manifester.

Comme l’a rappelé le président de notre commission des Lois lors de l’audition du ministre de l’intérieur le 5 avril dernier, le bilan humain de cette journée s’est révélé particulièrement lourd : 47 gendarmes blessés, dont deux en urgence absolue, et entre 17 et 200 blessés parmi les manifestants, selon les décomptes, dont trois en urgence absolue.

2.   Une systématisation des violences à la signification préoccupante

Les événements de Sainte-Soline et les violences constatées en marge de la contestation de la réforme des retraites depuis le 16 mars 2023 semblent traduire un changement de paradigme :

– la systématisation d’une volonté affichée de causer des violences et des troubles et de s’en prendre aux forces de l’ordre ou à des établissements qui seraient symboliques (tels que des bâtiments publics et des agences bancaires), pendant une manifestation et indépendamment des revendications défendues pacifiquement par les manifestants ;

– une forme d’internationalisation et de professionnalisation des actions violentes, comme en témoigne la présence d’activistes étrangers à Saint-Soline ;

– la multiplication des atteintes aux élus, dont les permanences sont dégradées et qui font l’objet d’agressions, d’injure et de menaces – ces atteintes particulièrement préoccupantes touchant des élus de tous bords politiques ;

– la montée en puissance d’un sentiment de légitimation des violences au nom d’une cause supérieure à toutes les normes collectives et les valeurs communes, justifiant selon leurs auteurs de s’affranchir des lois de la République ;

– la relativisation, voire la justification des violences, qui ne seraient en réalité rien d’autres qu’une forme de défense face à l’action des pouvoirs publics, une réaction à de prétendues provocations des forces de l’ordre : la violence des manifestants répondrait ainsi à celle des institutions, et se trouverait dès lors absoute et légitimée ;

– le risque, à terme et si ces actions violentes ne sont pas jugulées, d’éroder le pacte républicain et de déboucher, en dernière extrémité, sur des mouvements de type insurrectionnel.

En outre, les violences commises pendant ou en marge de manifestations publiques, autorisées ou non, nuisent fondamentalement aux manifestants eux‑mêmes : risques de blessures, dissuasion de venir défiler par crainte de violences, dévalorisation des revendications par une possible association entre ces violences et la cause défendue, etc. Ces violences constituent bel et bien une menace pour le droit de manifester publiquement ses idées et opinions ; elles en sont la négation.

Il est ainsi permis de craindre une forme de glissement dans notre société, où la manifestation pacifique d’une opposition, où la contestation normale de réformes et de décisions politiques, ne seraient plus possibles sans usage de violence.

3.   Une enquête parlementaire nécessaire

Il apparaît donc non seulement utile, mais indispensable, que le Parlement, dans le cadre de ses pouvoirs de contrôle, puisse faire la pleine lumière sur ces actions, à travers une enquête fouillée consacrée aux manifestations récentes et aux violences constatées pendant ou en marge de celles-ci, ainsi qu’aux acteurs de ces violences. Cette enquête aurait vocation à répondre aux questions suivantes :

– qui sont ces personnes, à quels groupes appartiennent-elles et, si tant est qu’elles en aient, quelles revendications politiques portent-elles ?

– comment ces groupes sont-ils structurés, organisés, quel est leur mode opératoire, quels sont leurs moyens de communication ?

– de quels financements ces groupes bénéficient-ils, et selon quelles modalités ?

– comment mieux prévenir la commission de violences en marge de manifestations, notamment sous l’angle du renseignement, des modalités de maintien de l’ordre et de la réponse pénale ?

La composition pluraliste de la commission d’enquête, dont les trente membres représenteront l’ensemble des groupes ainsi qu’en dispose l’article 142 du RAN, garantira aux travaux d’enquête leur objectivité et leur pertinence : il ne s’agit pas, en effet, de cibler en particulier et de façon prédéterminée un courant spécifique, mais bien d’appréhender l’ensemble des groupuscules et activistes dont les violences sont si préoccupantes pour notre société. Telle était d’ailleurs la démarche qui a conduit à enrichir le rapport annexé de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur précitée d’un développement dédié à la « lutte renforcée contre les groupuscules violents, notamment d’extrême droite et d’extrême gauche », englobant l’ensemble des mouvances.

C’est précisément pour lutter contre de tels groupuscules violents que la compréhension des récents événements est nécessaire, non seulement pour pleinement assurer le bon ordre républicain, mais aussi pour garantir à chacun la possibilité de manifester sereinement ses opinions, sans craindre d’être pris dans un maelstrom de violences commises par des individus étrangers aux revendications portées.

B.   L’absence de recoupement avec la mission d’information sur l’activisme violent

S’il paraît difficile de remettre en cause l’opportunité d’enquêter sur les faits visés par la proposition de résolution, certains pourraient toutefois être tentés de la remettre en cause en s’appuyant sur les travaux de contrôle en cours, et singulièrement sur la mission d’information sur l’activisme violent.

Cette mission, créée le 7 février 2023 par la commission des Lois après que le bureau de cette dernière en eut approuvé le principe le 25 janvier précédent, a été confiée à nos collègues Jérémie Iordanoff (Écologiste-NUPES) et Éric Poulliat (Renaissance) ; ses travaux sont actuellement en cours.

1.   Les prérogatives spécifiques aux commissions d’enquête

Sur la forme, rappelons que les prérogatives d’une commission d’enquête sont plus étendues que celles dont peut jouir une mission d’information.

D’une part, le rapporteur d’une commission d’enquête, aux termes de l’avant‑dernier alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 précitée, peut procéder à des contrôles sur pièces et sur place, et se voir communiquer tout renseignement jugé utile (à l’exception des documents de service secrets concernant la défense nationale, les affaires étrangères et la sécurité de l’État).

D’autre part, l’audition par une commission d’enquête revêt un caractère obligatoire : la personne que la commission souhaite entendre est tenue de déférer à sa convocation, et est entendue sous serment ; le refus de comparaître ou de prêter serment constitue un délit passible de deux ans d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende – pouvant être assorti d’une interdiction de l’exercice des droits civiques à titre de peine complémentaire –, ainsi qu’en disposent les II et III de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 précitée.

Enfin, les auditions d’une commission d’enquête sont, en principe, publiques – sauf décision de la commission d’appliquer le secret, dont la violation est sanctionnée, au titre de l’atteinte au secret professionnel, d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

Ces prérogatives renforcées font d’une commission d’enquête un instrument puissant en matière de contrôle parlementaire, lui permettant d’obtenir, pour éclairer ses travaux, des informations et des éléments qui pourraient être inaccessibles à une mission d’information.

2.   Une commission d’enquête à l’objet plus ciblé et circonscrit

Sur le fond, l’objet de la mission d’information sur l’activisme violent et celui de la commission d’enquête dont la création est ici proposée ne se confondent pas.

Le champ de la mission d’information ne se limite en effet ni aux violences commises pendant ou en marge des récentes manifestations, ni aux groupuscules ayant commis ces violences, ni aux manifestations dont elles furent le théâtre.

L’objet de cette mission, qui n’est pas borné dans le temps, est beaucoup plus large, étant consacré à l’ensemble de l’activisme dans ses traductions violentes et à ses fondements historiques, idéologiques et sociologiques, afin d’appréhender ce phénomène, d’en identifier les ressorts, d’apprécier les réponses existantes et d’élaborer des recommandations ne se limitant pas aux aspects pénaux et de sécurité.

L’objet de la commission d’enquête envisagée est ainsi beaucoup plus circonscrit, à la fois parce qu’il cible certains événements récents précis et les violences physiques et matérielles dont ils furent l’occasion, et parce qu’il porte en particulier sur l’organisation et le financement des groupes à l’origine de ces violences.

III.   La position de la Commission des lois : une commission d’enquête approuvée et enrichie

Lors de sa réunion du 3 mai 2023, la commission des Lois a examiné la présente proposition de résolution, qu’elle a adoptée dans une rédaction modifiée à l’initiative du rapporteur.

L’article unique de la proposition de résolution a été modifié sur trois principaux aspects, en plus d’aménagements d’ordre rédactionnel – le titre de la proposition de résolution ayant également été modifié en conséquence.

A.   L’extension de la période d’enquête jusqu’au 3 mai 2023

Le terme de la période d’enquête proposée était, dans la version initiale de la proposition de résolution, fixé au 4 avril, jour de l’enregistrement de la proposition de résolution.

Cependant, il est apparu utile d’étendre cette période, afin d’inclure d’autres manifestations et rassemblements qui furent le théâtre de violences.

Ainsi, à l’initiative du rapporteur, la Commission a fixé le terme de la période d’enquête au 3 mai 2023, date de l’examen de la proposition de résolution en commission.

Cette extension, au regard du terme initialement fixé, permet d’inclure à titre d’exemples :

–  les journées nationales d’action organisées à compter du 6 avril 2023 ;

– les manifestations survenues à la suite des décisions du Conseil constitutionnel rendues le 14 avril sur la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 et sur la proposition de loi dont il était également saisi en vue de l’organisation d’un référendum d’initiative partagée ;

– ou encore les manifestations et rassemblements organisés le 1er mai, marqués par d’importantes violences, en particulier à Lyon, Nantes et Paris, où l’image d’un membre des forces de l’ordre brûlant à la suite d’un jet de cocktail Molotov a fait le tour des médias et des réseaux sociaux, suscitant un émoi légitime.

B.   L’extension du champ des manifestations et rassemblements visés

La deuxième modification substantielle apportée à l’initiative du rapporteur concerne le champ matériel de l’enquête, initialement réservé aux « manifestations illicites violentes ».

Il est apparu que ne retenir que les seules manifestations illicites exclurait :

– toutes les violences ayant émaillé les manifestations organisées durant les journées nationales d’action contre la réforme des retraites, qui étaient dûment autorisées ;

– mais aussi les violences constatées lors de manifestations ou rassemblements non illicites car non prohibés, couvrant aussi bien des manifestations et rassemblements qui avaient été organisés hors des journées nationales d’action mais étaient autorisés, ou encore des manifestations non déclarées sans être interdites pour autant.

L’appréhension pénale des manifestations

Le droit de manifester revêtant un caractère constitutionnel, ses limitations, en particulier pénales, sont strictement encadrées – et l’entrave à la liberté de manifestation est un délit passible d’un à trois ans d’emprisonnement, selon qu’il y ait ou non commission de violences (article 431‑1 du code pénal).

● S’agissant de l’organisation de manifestations, constitue un délit passible de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende, aux termes de l’article 431‑9 du code pénal, le fait :

– d’avoir organisé une manifestation sans l’avoir préalablement déclarée dans les conditions prévues par la loi, ou d’avoir établi une déclaration inexacte ou incomplète susceptible de tromper sur l’objet ou les conditions de la manifestation ;

– d’avoir organisé une manifestation qui avait été interdite.

● S’agissant de la participation, les comportements suivants constituent, eux aussi, des délits :

– la dissimulation volontaire du visage, sans motif légitime, au sein ou aux abords d’une manifestation durant ou après laquelle ont lieu des troubles à l’ordre public (article 431‑9‑1 du code pénal) ;

– la participation à une manifestation en étant armé (article 431‑10 du même code) ;

– la participation délictueuse à un attroupement, c’est-à-dire le fait de continuer volontairement à participer à un rassemblement susceptible de troubler l’ordre public malgré les sommations de se disperser (articles 431‑3 et 431‑4 dudit code).

Participer à une manifestation interdite en raison des risques de troubles à l’ordre public constitue une contravention de quatrième classe – et non un délit –, ainsi qu’en dispose l’article R. 644‑4 du code pénal.

En revanche, le seul fait de participer à une manifestation non déclarée ne constitue pas une infraction pénale, ce qu’a expressément jugé la Cour de cassation dans un arrêt récent (1).

(1) Cass., crim., 14 juin 2022,  21-81.072.

La formulation initiale présentait ainsi le risque de réduire le champ de l’enquête de façon indésirable – à titre d’exemples concrets, elle aurait eu pour effet d’écarter :

– les violences physiques et les dégradations matérielles constatées à Paris le 16 mars 2023 à l’occasion de la manifestation Place de la Concorde et après celle-ci, l’interdiction initiale de la manifestation à cet endroit ayant été suspendue par le juge des référés du tribunal administratif de Paris ([13]) ;

– les violences dont la journée du 1er mai fut le théâtre, en particulier dans certaines villes comme Paris, à un degré d’intensité rarement atteint jusque-là dans le cadre de la contestation de la réforme des retraites.

La Commission, sur proposition du rapporteur, a donc élargi le champ de l’enquête aux « manifestations et rassemblements », sans le limiter aux manifestations illicites.

C.   Une contextualisation des violences permise par une enquête ciblant le « déroulement » des manifestations

Enfin, là aussi sur proposition du rapporteur, la Commission a substitué aux termes de « conduite » des manifestations celui de « déroulement ».

Le terme de « conduite » a en effet été vu comme restrictif eu égard à l’ambition de l’enquête affichée par les auteurs de la proposition de résolution dans l’exposé des motifs de celle-ci :

– prise dans une acception étroite, la conduite des manifestations aurait cantonné les travaux de la commission d’enquête à la seule progression des défilés, voire à leur simple direction ;

– en revanche, la notion de « déroulement » des manifestations permet d’inclure non seulement cette progression, mais aussi tous les événements intervenant pendant, en marge et après les défilés et rassemblements, et les comportements de tous les acteurs impliqués.

Cette extension offre donc à l’enquête une nécessaire contextualisation des violences constatées, afin que les travaux de la commission d’enquête, qui portera désormais sur les groupuscules auteurs de violences lors de manifestations et sur le déroulement de ces dernières, soient en mesure de faire toute la lumière sur les agissements visés en toute transparence.


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   COMPTE-RENDU DES DÉBATS

Au cours de sa réunion du mercredi 3 mai 2023, la Commission examine la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur la structuration, le financement, l’organisation des groupuscules et la conduite des manifestations illicites violentes entre le 16 mars 2023 et le 4 avril 2023 (n° 1064) (M. Florent Boudié, rapporteur).

Lien vidéo : https://assnat.fr/9vqNu3

M. le président Sacha Houlié. L’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur la structuration, le financement, l’organisation des groupuscules et la conduite des manifestations illicites violentes entre le 16 mars 2023 et le 4 avril 2023.

Cette proposition ne relève pas d’un droit de tirage, puisque le groupe majoritaire n’en dispose pas. Pour être adoptée, elle devra donc être examinée en séance publique, ce qui aura lieu ce mercredi 10 mai. Cela signifie aussi que nous nous prononçons non seulement sur sa recevabilité, mais aussi sur son opportunité.

M. Florent Boudié, rapporteur. Les présidents des groupes Renaissance et Horizons et apparentés ont déposé le 4 avril dernier la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur la structuration, le financement, l’organisation des groupuscules et la conduite des manifestations illicites entre le 16 mars 2023 et le 4 avril 2023. Cette proposition ne se faisant pas dans le cadre du droit de tirage, nous devons en examiner la recevabilité juridique, ce qui est classique, mais aussi l’opportunité.

Sa recevabilité juridique est soumise à trois conditions par notre règlement.

D’abord, il faut que les faits formant l’objet de l’enquête soient précis. En l’espèce, il me semble que cette condition est remplie. Elle l’est sur le plan matériel : la commission d’enquête viserait la structuration, le financement et l’organisation des groupuscules qui se livrent à des actions et à des mobilisations violentes. Elle l’est sur le plan temporel : la période visée s’étendrait du 16 mars au 4 avril, date de dépôt de la proposition de résolution – je vous proposerai de l’étendre un peu.

Ensuite, il faut qu’aucune commission d’enquête n’ait été réunie sur le même objet dans les douze mois qui précèdent. Tel est le cas. La plus récente a été, en 2019, la commission d’enquête sur la lutte contre les groupuscules d’extrême droite en France, présidée par notre ancienne collègue Muriel Ressiguier et dont le rapporteur était notre ancien collègue Adrien Morenas.

Enfin, il faut que la commission d’enquête n’interfère avec aucune procédure judiciaire en cours. Sur ce point, nous avons reçu le 28 avril la réponse du garde des sceaux à la demande exprimée par la présidente de l’Assemblée. De façon très classique, il constate que le champ de la commission d’enquête serait susceptible de recouvrir certaines procédures diligentées, mais dans des conditions très différentes : il va de soi qu’il n’incombera à la commission d’enquête ni de rechercher les auteurs de faits spécifiques précisément identifiés, ni de se livrer à une qualification pénale des faits portés à sa connaissance. En 2019, la commission d’enquête sur les attaques à la préfecture de police de Paris, dont j’étais le rapporteur, a mené ses investigations sur cet événement tragique sans interférer avec la procédure judiciaire en cours.

S’agissant de l’opportunité de la proposition de résolution, qui nourrira sans doute nos débats, elle ne fait aucun doute à mes yeux, compte tenu des scènes particulièrement violentes, graves et répétées dont les Français ont été les témoins en marge, à côté et pendant des manifestations et rassemblements. Bien entendu, il faut distinguer les manifestants des groupes insurgés – car tel est bien le nom qu’ils méritent. Un citoyen mécontent n’est ni un ennemi ni un insurgé, mais un acteur de la démocratie sociale, de la démocratie tout court. Il va de soi que nous ne visons pas les manifestants, mais les groupes violents, organisés, qui se rendent aux rassemblements armés de bidons d’essence, de cocktails Molotov et de boules de pétanque. Leur choix est d’en découdre, notamment avec les forces de l’ordre.

Nos collègues Jérémie Iordanoff et Éric Poulliat mènent une mission d’information sur l’activisme violent qui ne donne pas lieu à un recoupement général avec la commission d’enquête telle qu’elle est proposée : elles sont complémentaires plutôt que concurrentes.

Mes chers collègues, je vous propose de donner un avis favorable à la proposition de résolution.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Guillaume M. Guillaume Gouffier Valente (RE). Le groupe Renaissance suivra l’avis du rapporteur. Compte tenu des graves violences constatées depuis le 16 mars dernier, la constitution d’une commission d’enquête sur la structuration, le financement et l’organisation des groupuscules particulièrement violents nous semble indispensable et nécessaire.

Je salue le travail du rapporteur et les amendements qu’il proposera, qui sont, me semble-t-il, de nature à nous rassembler le plus largement possible en faveur de la création de la commission d’enquête. Nous sommes favorables aux extensions de l’objet de la commission d’enquête qu’il a annoncées, qui portent sur trois points : l’inclusion dans le périmètre de toutes les manifestations, au lieu des seules manifestations illicites ; la substitution de la notion de déroulement, plus large, à celle de conduite des manifestations ; et l’élargissement du calendrier.

Cette commission d’enquête permettra de mener un travail transpartisan, qui doit nous permettre de faire la lumière sur les agissements graves qui ont eu lieu et sur la manière dont leurs auteurs sont structurés, financés et organisés.

M. Julien Odoul (RN). Ces dernières semaines, des millions de Français se sont mobilisés contre la réforme des retraites. Ils ont fait savoir leur opposition à cette mesure injuste dans la rue. Ils l’ont fait, pour la plupart, pacifiquement. Ils l’ont fait en famille, entre collègues, entre amis, pour manifester et faire valoir leurs droits.

Malheureusement, ces manifestations inédites ont été entachées de violences. Elles ont été pourries et dévoyées par toujours les mêmes : les milices d’extrême gauche, de cette extrême gauche qui pourrit tout. Très clairement, ce qui manque dans l’exposé des motifs de la proposition de résolution, c’est l’identité de ces groupuscules. Il faut donner une identité politique à ces fauteurs de troubles, qu’il faut bien appeler des terroristes du quotidien.

La commission d’enquête se concentre sur les événements violents survenus entre le 16 mars et le 4 avril 2023, mais il me semble nécessaire de rappeler que cette violence n’est pas nouvelle. Elle n’est en rien anecdotique. Notre pays l’a déjà subie bien avant la réforme des retraites. Malheureusement, tous les mouvements sociaux sont désormais pourris par l’extrême gauche, avec son lot de violences que nous déplorons à chaque fois.

On se souvient des manifestations contre la loi El Khomri, en 2016, pendant lesquelles 300 policiers et gendarmes ont été blessés à Paris, Nantes, Rennes ou Marseille. On se souvient d’autres manifestations du 1er mai entachées de violences.

En 2018 et 2019, le mouvement des gilets jaunes, et plus généralement les revendications, légitimes et toujours d’actualité, d’une partie du peuple français, ont donné lieu à des rassemblements pacifiques, qui ont ensuite été pourris par des antifas, blacks blocs et autres milices d’extrême gauche. En plusieurs mois, 1 500 membres des forces de l’ordre ont été violemment attaqués, sans qu’aucune commission d’enquête ne soit constituée par la majorité pour tenter de mettre en lumière la violence et la haine antiflics d’une minorité de militants, toujours casqués, cagoulés et vêtus de noir.

Dernièrement, à Sainte-Soline, le mode opératoire des milices et les armes saisies – machettes, haches, pierres aiguisées, boules de pétanque – ont démontré que la violence a monté d’un cran et qu’il n’est plus seulement question de s’en prendre aux banques ou d’arracher des cultures, mais véritablement de tuer ceux qui portent l’uniforme de la République et de s’en prendre aux institutions de notre pays.

Cette violence d’extrême gauche bouleverse tous ceux qui sont attachés à la paix civile et à nos institutions. Hélas, en dépit de ces actes inqualifiables et du profil sulfureux des membres de ces groupuscules, il est navrant de constater qu’ils bénéficient presque toujours d’une bienveillance médiatique, d’une impunité totale et d’une allégeance d’une partie de la classe politique idéologiquement proche, pour ne pas dire complice.

Tous ces actes de violence, de dégradation et de vandalisme doivent bien entendu faire l’objet d’une commission d’enquête approfondie. Pour qu’elle mène à bien ses travaux, il faudra mettre des mots sur ceux qui font régner le désordre et le chaos, alimentant un peu plus chaque jour le climat de tension délétère que nous vivons dans notre pays. Les groupuscules d’extrême gauche doivent être dissous et leurs membres traduits devant les tribunaux.

M. Frédéric Mathieu (LFI-NUPES). Cette proposition de commission d’enquête venue de la Macronie a le goût de l’arbitraire.

Commençons par votre exposé des motifs échevelé et ahuri, dans lequel vous mettez tout et son contraire.

Premièrement, vous bornez le début des investigations de la commission d’enquête au 16 mars 2023, soit la date de l’annonce du 49.3 sur la réforme des retraites. Cette annonce a provoqué la colère légitime de nos concitoyens. Vous êtes tellement conscients et honteux de cette forfaiture démocratique que vous faites comme si le 16 mars était une date prise au hasard. De ce péché originel découle le caractère bancal de votre proposition.

En second lieu, en commençant votre exposé des motifs par l’évocation de la mobilisation écologiste à Sainte-Soline, en détaillant largement, et de façon très orientée, les conditions de cette mobilisation, vous sous-entendez dans près de la moitié du texte que la gauche est devenue un danger. La résistance au hold-up sur nos retraites et la lutte contre l’appropriation privative de l’eau sont deux combats menés exclusivement à gauche contre les intérêts des parvenus que vous représentez.

En revanche, vous taisez opportunément les tags néonazis et fascistes apposés sur des locaux politiques de gauche ou les manifestations racistes comme celle de Callac. Vous taisez également les agressions d’élus par des néonazis, comme celle de Saint-Brevin-les-Pins. Vous taisez tout aussi pudiquement la dégradation de locaux d’élus de gauche par des syndicats agricoles positionnés à droite.

Quel est donc le véritable objet de cette proposition de résolution ? Vous voulez discréditer, sous des prétextes fallacieux et des amalgames grossiers, la seule opposition véritable à votre autoritarisme. La conclusion de votre exposé des motifs vise explicitement des « partis politiques institués ». Dès lors qu’il oublie opportunément l’extrême droite et ses nervis, la devinette n’est pas difficile à résoudre : l’extrême droite – et les propos de l’orateur précédent le prouvent à nouveau – est un fier auxiliaire de la Macronie !

Vraiment, il y a à boire, à manger et tout à vomir dans ce texte. Son exposé des motifs n’est que le verbiage abruti de petits répétiteurs sans envergure ni principes du ministre Darmanin. Rappelons que vous asservissez la justice, en exhortant les parquets, dans une note du 18 mars 2023 relative aux manifestations en lien avec la contestation de la réforme des retraites, à utiliser sans modération des procédures expéditives telles que la comparution immédiate. Rappelons que vous dévoyez les lois antiterroristes dans des instructions adressées aux préfets contre de joyeux concerts de casseroles qui tournent le Gouvernement en ridicule. Rappelons que celui-ci utilise les forces de sécurité intérieure pour mater la révolte d’un peuple au sein duquel vous n’avez aucune majorité.

Sans la moindre honte, vous tentez d’imposer à nouveau votre forfaiture dans notre assemblée. Vous voilà à demander la création de votre petit tribunal de droit privé ! Vous voilà à tenter de revêtir la robe des procureurs pour condamner toute parole osant critiquer le monarque de l’Élysée, Emmanuel Macron !

Le vrai scandale politique de la séquence que vous prétendez ausculter est pourtant celui de la violation de l’article 12 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui dispose, vous l’ignorez peut-être, que la force publique est « instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ». Cela vous rappelle quelque chose ? Cela rappelle en tout cas des choses aux manifestants contre la loi retraites ! Le vrai objet d’une commission d’enquête sérieuse devrait être la corruption des institutions et des moyens de la République à votre seul profit.

M. Raphaël Schellenberger (LR). Les commissions d’enquête font partie des outils les plus aboutis dont dispose le Parlement pour exercer son rôle de contrôle et d’évaluation des politiques publiques. Cet outil est précieux. Pour qu’il le reste, nous devons savoir le mobiliser au bon moment, et non n’importe comment.

Sur la commission d’enquête proposée, je formulerai des remarques de forme avant d’exprimer notre soutien sur le fond.

Sur la forme donc, permettez-moi d’être un peu surpris. Il y a trois façons de créer une commission d’enquête : le droit de tirage, l’adoption d’une proposition de résolution et la constitution de la commission des lois en commission d’enquête – chacun se souvient que ce fut le cas sous la précédente législature, alors que cela ne s’était pas produit depuis longtemps, à l’occasion de l’affaire Benalla.

Sachant que nous sommes déjà en mai, permettez-moi de m’étonner que le groupe Renaissance préfère le vote d’une proposition de résolution en séance publique à la mobilisation du droit de tirage, d’autant qu’il reproche régulièrement aux autres groupes de l’Assemblée de procéder ainsi en inscrivant de telles propositions à l’ordre du jour de leurs niches respectives. Est-il vraiment utile de préserver votre droit de tirage à deux mois de la fin de la session ordinaire ? Ce n’est pas seulement surprenant, c’est aussi une petite alerte. Nous ne pouvons pas admettre qu’il y ait deux poids et deux mesures. Sur des sujets particulièrement importants, nous saurons trouver un consensus et créer des commissions d’enquête sans mobiliser les droits de tirage.

Sur la forme toujours, la commission d’enquête proposée vise des événements particulièrement récents. Contrairement à ce qui fut le cas pour l’affaire Benalla, un grand nombre de faits font l’objet d’une procédure judiciaire, ce qui est les exclut de fait de son champ d’investigation, lequel s’en trouvera largement réduit, du moins tel qu’il est défini. Ainsi, la seule question de la recevabilité de la proposition de résolution, examinée à la lumière juridique et institutionnelle, laisse perplexe.

Sur le fond, s’agissant des mobilisations particulièrement violentes évoquées dans l’exposé des motifs, il est nécessaire que le Parlement se saisisse de la question. C’est pourquoi le groupe Les Républicains soutiendra toutefois la création de la commission d’enquête.

Nous avons de vraies interrogations, s’agissant tant de la violence déployée à l’occasion de ces mobilisations, qui n’est pas nouvelle et va croissant, que de la façon dont l’objet politique créé à Sainte-Soline a été érigé en catalyseur des violences. Il s’agit de méthodes appliquées de façon de plus en plus régulière, à Notre-Dame-des-Landes lors du précédent quinquennat et ailleurs par le passé – je pense au triste exemple du barrage de Sivens. Des choix d’infrastructures pourtant nécessaires sont érigés en symboles et en catalyseurs de la violence de la part de certains mouvements particulièrement structurés.

M. le président Sacha Houlié. Monsieur Schellenberger, comme je l’ai rappelé au tout début de l’examen de la proposition de résolution, le groupe majoritaire ne dispose pas de droit de tirage, contrairement aux groupes minoritaires et d’opposition. C’est pourquoi non seulement la recevabilité, mais aussi l’opportunité de la proposition de résolution doivent être examinées par notre commission.

M. Roger Vicot (SOC). Telle quelle, sans les amendements de M. le rapporteur tendant à recontextualiser le mouvement de manifestations qui se déroule depuis plusieurs mois, la commission d’enquête proposée est un peu singulière. Son champ est réduit à certaines manifestations, celles qui étaient illicites, et à leur seule organisation, sans inclure leur déroulement. De plus, elle ne cherche les fauteurs de troubles que d’un côté, sans regarder comment d’autres violences ont pu advenir.

En préambule, je rappelle que, sauf erreur de ma part, tous les groupes politiques ici, y compris ceux qui parlent très haut de nazis ou d’ultragauche, ont condamné les violences, d’où qu’elles viennent – notamment hier, lors de la séance de questions au Gouvernement, à plusieurs reprises. Nous sommes tous d’accord, me semble-t-il, pour condamner toutes les violences survenues ces derniers mois.

Telle qu’elle est proposée, cette commission d’enquête est bien trop restreinte. En revanche, les amendements de M. le rapporteur sont très intéressants, car ils pacifient et recontextualisent les choses et permettent de prendre du recul sur la manière dont elles se sont déroulées. L’adoption d’un cadre temporel plus large que celui prévu initialement, couvrant toutes les manifestations et non seulement quelques-unes, notamment celle de Sainte-Soline, nous semble pertinente.

Par ailleurs, il importe d’analyser le déroulement des manifestations pour déterminer comment les violences adviennent, et non seulement qui les a organisées : comment l’enchaînement des choses fait qu’on en vient, à un moment donné, à des violences qui, dans certains cas, ont été extrêmes. Les amendements de M. le rapporteur permettront également de déterminer, dans cet enchaînement de violences, comment les forces de l’ordre – ce sujet a été évoqué plusieurs fois hier aux questions au Gouvernement – sont amenées à adopter des comportements que, pour notre part, nous considérons comme déviants ou indignes.

Telle quelle, nous voterons contre la commission d’enquête, car son champ est bien trop restreint. Si les amendements de M. le rapporteur sont adoptés, elle nous semblera plus pertinente, plus légitime et plus adaptée au sujet étudié.

Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback (HOR). Nous sommes un certain nombre, au sein de cette commission, à faire régulièrement référence à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. J’en citerai l’article 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». Il est toujours utile de rappeler que la liberté d’avoir et de manifester des opinions est une liberté fondamentale, et que, parce que nos fondements constitutionnels respectent un principe d’équilibre et de proportionnalité, elle ne saurait conduire à troubler l’ordre public établi par la loi.

Les syndicats, qui ont organisé un nombre important de manifestations depuis janvier 2023, ont respecté ce principe, qui fonde aussi notre vivre ensemble. Si ces manifestations, déclarées donc par les organisations syndicales et encadrées par leurs services d’ordre, se sont déroulées dans le calme, elles ont régulièrement été polluées par des franges de casseurs, venus dans le seul but de créer des affrontements avec les forces de l’ordre.

Le défilé du 1er mai en a malheureusement été une nouvelle preuve flagrante. Si les manifestants ont défilé dans le calme tout du long, la fin de la journée a été marquée par des actes d’une violence inouïe. Cent-huit policiers ont été blessés. L’un d’entre eux, âgé de 27 ans et revêtu de l’uniforme, a été brûlé au deuxième degré par un cocktail Molotov.

Depuis le mois de janvier, 1 083 membres des forces de sécurité intérieure ont été blessés. C’est inacceptable. Nous ne saurions nous résoudre à accepter ces scènes de violence terrifiante, qui ne sont ni improvisées ni spontanées, mais bien préparées et inscrites dans une logique de désordre, de chaos et d’anarchie visant à remettre en cause et à nier l’autorité de l’État.

Il faut absolument distinguer les manifestations organisées et sécurisées en toute responsabilité des groupes de casseurs, extrémistes et autres blacks blocs venus pour générer de la violence contre nos institutions et leurs représentants. Il ne faut pas se leurrer : ces groupuscules appelant à des actions violentes sont issus de mouvements radicaux identifiés et structurés, très éloignés de la spontanéité apparente des manifestations illégales. La commission d’enquête proposée vise précisément à faire la lumière sur leur organisation et leur financement.

Le groupe Horizons et apparentés considère que la création d’une telle commission d’enquête est nécessaire. Elle sera très éclairante pour nous, parlementaires, mais également pour l’ensemble des Français, qui s’interrogent et s’inquiètent.

Elle doit donc selon nous être déclarée recevable. Les faits qui donnent lieu à l’enquête sont déterminés avec précision, encadrés par des dates exactes. Ces faits n’ont pas donné lieu à un autre travail parlementaire dans l’année qui précède. Enfin, le garde des sceaux ne semble pas avoir fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution. En tout état de cause, la commission d’enquête veillera, tout au long de ses travaux, à ne pas faire porter ses investigations sur des questions relevant de la compétence exclusive de l’autorité judiciaire.

Par ailleurs, nous soutiendrons l’amendement de M. le rapporteur visant à ce que la lumière soit faite sur les moyens et les modalités d’action des groupuscules auteurs de violences non seulement lors des manifestations illicites, mais également lors des manifestations du 1er mai. Cet amendement s’inscrit pleinement dans l’esprit de la proposition de résolution que nous avons déposée aux côtés du groupe Renaissance, que nous appelons à adopter et que nous voterons avec force et conviction.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Soit vous n’êtes pas sérieux, soit vous êtes sérieusement malhonnêtes, intellectuellement : un débat aussi important que celui du maintien de l’ordre et de l’organisation des mobilisations sociales mérite mieux que ce genre d’opération politicarde qui vise à détourner l’attention de ce qu’est la réalité du maintien de l’ordre dans notre pays, que la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté a rappelée ce matin à la radio.

On cherche à détourner l’attention d’un mouvement historique, exemplaire, pacifique, de lutte contre une réforme injuste et brutale. C’est la stratégie de communication du Gouvernement et de la majorité, qui voudraient que l’on passe à autre chose. De l’aveu même de conseillers du Président de la République, vous cherchez à lancer des appels à l’ordre, comme en 1968. Mais n’est pas le général de Gaulle qui veut, et surtout pas Emmanuel Macron !

Je le dis d’entrée de jeu, pour éviter les gesticulations à venir – qui auront tout de même lieu, à n’en pas douter : nous condamnons l’ensemble des violences, d’où qu’elles viennent, et nous l’avons toujours fait. La violence, physique et verbale, le harcèlement nous répugnent : toute l’histoire de notre formation politique et tout notre héritage politique en témoignent.

Expliquer n’est pas excuser. Je parle de malhonnêteté intellectuelle parce que quand on cherche d’où viennent la violence et la radicalisation de certains groupes et actions, on comprend qu’elles naissent aussi du fait que notre pacte démocratique ne se porte pas bien. Pour apaiser la société et organiser un maintien de l’ordre respectueux de nos grands principes démocratiques, ce n’est pas créer une commission d’enquête qu’il faut, mais changer de ministre de l’intérieur !

Votre malhonnêteté intellectuelle s’exprime aussi par l’arbitraire de votre proposition, même si les amendements que vous avez déposés, tout en n’allant pas assez loin, vont dans le bon sens. Les bornes temporelles que vous fixez disent quel type de mouvements vous visez. Vous avez d’ailleurs refusé de soutenir la proposition de loi de notre collègue Aurélien Taché pour dresser un état des lieux exhaustif de la menace terroriste d’extrême droite. Voilà pourtant une menace bien réelle sur la sécurité de nos concitoyens, nos libertés publiques et notre pacte démocratique. Les propos de M. Odoul le montrent, par votre discours sur une prétendue extrême gauche, par cette petite musique que vous faites entendre depuis le début de ce second quinquennat chaotique, vous servez la soupe au Rassemblement national.

Une grande démocratie s’honorerait de mener une réflexion collective et apaisée sur le maintien de l’ordre, sur la nature des mouvements sociaux et sur la façon dont on réduit la part de violence dans notre société et dont on est capable d’organiser des débats démocratiques respectueux de l’opinion populaire. Quand 1 ou 2 millions de personnes se mobilisent, elles doivent être entendues. Cela mériterait qu’il y ait au Gouvernement, notamment au ministère de l’intérieur, des gens qui ne traitent pas leurs opposants politiques de « terroristes intellectuels » quand ceux-ci les interrogent sur le maintien de l’ordre ou notre fonctionnement démocratique et républicain. Cela est plus nécessaire que vos gesticulations politiques, qui visent à détourner l’attention de l’actualité démocratique de notre pays.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Avec les deux textes qu’elle examine ce matin, notre commission semble davantage pavoiser le drapeau « tourner la page », qu’être dans l’esprit des cent jours d’apaisement.

Puisque tous les groupes semblent devoir montrer patte blanche, je rappelle qu’en 2018, le groupe GDR avait demandé à cor et à cri la création d’une commission d’enquête sur les violences importantes qui avaient eu lieu en marge de la manifestation du 1er mai et sur la façon dont les forces de l’ordre étaient outillées pour y faire face. Les seuls à l’avoir refusée étaient les députés du groupe majoritaire La République en marche.

Votre proposition de résolution s’inscrit dans une stratégie plus globale pour délégitimer et criminaliser les organisations et les partis de gauche de notre pays. Sa rédaction n’est pas neutre : il s’agit non de mener une enquête sur les comportements violents en marge des manifestations mais de nourrir un discours dangereux, qui cherche à priver certaines personnes de leur liberté de manifester, à les désigner comme ennemis de la République, et à justifier l’usage de la force par les dépositaires de l’autorité publique et la répression judiciaire. Face aux réprimandes fondées que différentes instances européennes et mondiales adressent à la France, vous cherchez à légitimer une violence disproportionnée.

Ce discours est dangereux également en tant qu’il établit un lien entre des partis institués et des personnes perçues comme étant en dehors de l’État de droit, dans le but de délégitimer plus globalement les partis et les groupes de gauche. C’est une manière d’ouvrir la porte pour les sortir du champ républicain, ce qui va dans le sens des propos du ministre Gérald Darmanin, en particulier quand il parle de « terrorisme intellectuel ».

Alors que les syndicats, les associations, les organisations supranationales, la Défenseure des droits et d’autres acteurs institutionnels vous alertent sur les pratiques violentes des forces de l’ordre et s’inquiètent des prises de parole antidémocratiques du Gouvernement, la proposition de résolution ne va-t-elle pas, au mieux, contre le sens de l’histoire, et au pire offrir un espace supplémentaire pour nourrir et justifier ces pratiques et prises de position ?

La proposition de loi visant à rendre obligatoire le pavoisement des drapeaux français et européen sur le fronton des mairies, que nous venons d’examiner, semblait à mille lieues des attentes et des besoins actuels. La présente proposition de résolution, elle, a un sujet au cœur de nos préoccupations, mais est orientée à l’inverse de ce qu’il faudrait. Elle semble être un élément supplémentaire dangereux pour notre démocratie. Ariane Vidal-Naquet et Xavier Magnon ont d’ailleurs lancé un appel pour inscrire la liberté de manifester dans la Constitution, puisqu’elle n’y figure pas, contrairement aux constitutions de 1791, 1793 et 1848.

M. Florent Boudié, rapporteur. Madame Faucillon, d’abord, l’article unique en l’état, avant même les amendements que je vous propose, ne comprend strictement rien qui fasse la moindre référence à une formation politique, ni à une organisation syndicale, ni même à une sensibilité ou coloration.

Ensuite, dans une manifestation, toutes les violences ne se valent pas. Nous visons des individus organisés, armés, qui viennent pour en découdre avec les forces de l’ordre, non les organisations syndicales ou les formations politiques, même lorsque nous considérons que certaines d’entre elles ne dénoncent pas assez fort la commission des violences.

Un Français mécontent qui manifeste n’est ni un insurgé ni un ennemi. En revanche, monsieur Mathieu, à l’occasion de ces rassemblements et manifestations, des violences inouïes sont commises par des personnes organisées qui, pour certaines d’entre elles, se revendiquent historiquement de l’ultragauche – je pense aux black blocs. La commission d’enquête aura vocation à faire la lumière sur l’ensemble de ces éléments.

J’en ai assez du climat que vous voulez instaurer au sein de l’Assemblée nationale, tant en commission que dans l’hémicycle, avec vos anathèmes et vos excès. Nous avons de forts désaccords, des divergences évidentes d’interprétation, d’analyse, de convictions, mais vous n’êtes pas obligé d’employer les mots « à vomir », « forfaiture » ou « verbiage abruti » dans cette commission. Dans cette majorité présidentielle, fût-elle minoritaire, il n’y a aucun « parvenu », mais des députés élus par nos concitoyens. Selon le Larousse, un parvenu est une personne qui n’a pas « acquis les manières qui conviendraient à son nouveau milieu » : il semble que vous n’ayez pas encore acquis tous les comportements de la civilité démocratique, c'est-à-dire la façon de dialoguer dans une institution démocratique. (Exclamations du groupe LFI-NUPES.)

M. Frédéric Mathieu (LFI-NUPES). Je n’ai pas appris les bonnes manières des salons que vous fréquentez !

M. Florent Boudié, rapporteur. Pour en venir aux procédures judiciaires, monsieur Schellenberger, le 15 octobre 2019, à la demande du groupe LR, nous avions créé la commission d’enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements ayant conduit aux attaques commises à la préfecture de Paris le 3 octobre 2019, commission qu’Éric Ciotti a présidée et dont j’étais le rapporteur. Ces actes, qui avaient entraîné la mort de quatre personnes, étaient évidemment judiciarisés. Nous avons veillé à ne pas aller jusqu’à la qualification pénale, car le rôle d’une commission d’enquête est d’examiner, non de qualifier les faits ou d’apporter une réponse pénale. C’est ce que la commission d’enquête, lorsqu’elle sera constituée, pourra faire en toute transparence, de façon transpartisane et pluraliste.

Enfin, mes amendements, qui ont été évoqués avant même que je ne les présente, porteront sur trois aménagements.

Le premier concerne la période visée. La proposition de résolution avait pour objet d’analyser les violences commises entre le 16 mars et la date de son dépôt devant le bureau de l’Assemblée nationale, soit le 4 avril. Je vous proposerai d’aller jusqu’à la date de son examen en commission, aujourd’hui 3 mai, voire de l’examen en séance, le 10 mai. La date du 1er mai n’est pas un critère. En revanche, il n’a échappé à personne qu’il y a un avant et un après 16 mars – peut-être parce que la Première ministre a utilisé le 49.3 et engagé la responsabilité du Gouvernement… Il y a eu une accélération de certains phénomènes : le 16 mars a été un moment particulier dans le débat démocratique français.

Vous l’avez noté, les mouvements sociaux de la première phase des rassemblements ont démontré que l’on pouvait manifester en France de façon sereine, populaire, familiale et politique, sans violence. C’était le résultat de l’organisation des préfectures, y compris de la préfecture de police de Paris, et des organisations syndicales,

Le deuxième aménagement se rapporte aux manifestations. L’article unique vise les « manifestations illicites ». Or certaines d’entre elles, illicites au départ, ont pu être ensuite autorisées par décision juridictionnelle ; d’autres n’ont été ni autorisées ni interdites ; enfin, des violences inacceptables ont été commises en marge de manifestations légales. Par conséquent, je propose que, sur la période étendue que j’ai décrite, la commission d’enquête puisse examiner l’ensemble des manifestations et des rassemblements à l’occasion desquels des violences ont été commises.

Troisième aménagement : nous devons veiller à ce que la commission d’enquête travaille efficacement. Si nous voulons analyser les phénomènes de violence commis en marge, pendant, avant et après des manifestations, nous devons pouvoir les contextualiser. Je propose ainsi que la commission d’enquête ne s’attache pas uniquement à la « conduite » des manifestations, mais à leur « déroulement ». La commission d’enquête aura alors tout loisir d’examiner l’ensemble des situations. Vous avez évoqué la lettre du 17 avril de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté : si la commission d’enquête le souhaite, elle pourra auditionner Mme Simonnot en vertu de la nouvelle rédaction de l’article unique.

Pour conclure, monsieur Mathieu, vous avez cité l’article 12 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, mais vous oubliez systématiquement son article 5 : « La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. » Ce sera précisément le champ d’investigation de la commission d’enquête.

Article unique

Amendement CL1 de Mme Marianne Maximi, amendement CL8 de M. Florent Boudié et sous-amendement CL9 de Mme Cécile Untermaier, amendements CL2 de M. Frédéric Mathieu et CL3 de Mme Marianne Maximi (discussion commune).

M. Frédéric Mathieu (LFI-NUPES). D’abord, je n’ai pas traité de « parvenu » le rapporteur mais les personnes dont vous défendez les intérêts. Que vous ayez une telle image de vous-même n’est pas mon problème. Par ailleurs, ma grand-mère maternelle ne parlait pas français ; mon grand-père paternel l’a appris à l’usine. Peut-être qu’un certain atavisme me conduit à ne pas maîtriser la définition de ce mot ! (Exclamations du groupe Renaissance.)

M. le président Sacha Houlié. Veuillez revenir à l’amendement, monsieur le député.

M. Frédéric Mathieu (LFI-NUPES). Vous visez bien les partis politiques institués : ils figurent dans l’exposé des motifs ! Vous suivez là la voix de votre maître, M. Darmanin, qui en a plein la bouche après nous. Vous essayez de mettre sur le dos de l’opposition politique ce qui n’est qu’à la charge du Gouvernement. Ce sont les discours du ministre de l’intérieur et sa doctrine qui sont en cause, non les policiers et les gendarmes !

La CRS 8 est prétendument l’élite du maintien de l’ordre. Mais quand on est l’élite du maintien de l’ordre, on doit savoir maîtriser un manifestant avec une clé de bras. On ne traîne pas une femme par les cheveux, comme je l’ai vu par deux fois dans les manifestations du 15 avril à Rennes ! On n’écrase pas un homme en appuyant du genou sur ses cervicales !

Nous demandons une commission d’enquête sur la brutalité du maintien de l’ordre. L’utilisation de la force publique pour préserver les intérêts d’une petite caste de puissants est aussi ancienne que la bourgeoisie elle-même – d’où la mention dans la Déclaration des droits de l’homme. Nous devons pouvoir examiner cette confiscation des moyens publics.

Il y a aussi un article 2 de la DDHC, qui dispose que l’un des droits naturels et imprescriptibles de l’homme est la « résistance à l’oppression ». C’est ce que je fais en prenant la parole devant vous et en vous mettant devant vos responsabilités !

M. Florent Boudié, rapporteur. Merci pour la clarté et la nuance de vos propos. La NUPES version LFI se caricature elle-même avec un tel amendement, qui revient à remplacer simplement les mots « groupuscules violents » par « policiers violents ». Vous ne mettez même pas les violences des uns et des autres sur un pied d’égalité – ce que nous réfutons. Vous changez la réalité, vous réécrivez les faits.

À vos yeux, les violences commises à l’occasion des manifestations et des rassemblements que nous visons l’ont été par les forces de l’ordre. C’est la ligne de démarcation fondamentale qui existe entre vous et nous, entre la République et ceux qui la contestent et luttent contre elle. Nous, nous voulons la défendre.

C’est pourquoi nous sommes résolument contre votre amendement.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Roger Vicot l’a dit, nous sommes résolument contre toutes les violences, d’où qu’elles viennent et où qu’elles se déroulent, et convenons de l’opportunité de créer une commission d’enquête. Dans le territoire s’expriment une grande inquiétude, un grand désarroi à l’égard de cette liberté publique fondamentale qu’est la liberté de manifester. Dans le même temps où l’on étudie le déroulement de la violence dans les manifestations, illicites ou non, il serait utile de réfléchir à la doctrine du maintien de l’ordre qui est appliquée pour éviter l’escalade de violence que nous constatons et que nous regrettons tous.

Tel est le sens de mon sous-amendement à l’amendement de M. Boudié, auquel nous sommes favorables.

Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). Le texte que vous présentez est hémiplégique et nos amendements ont pour but d’en élargir la portée. Chacun ici devrait considérer que personne ne devrait subir d’atteinte à son intégrité physique parce qu’il travaille – c’est le cas des policiers et des journalistes – ou parce qu’il manifeste et exprime une opinion différente du point de vue de ceux qui gouvernent. En tant que députés, c’est cela qui devrait nous inquiéter au premier chef.

Nous vivons dans une période, où, au lieu d’une paix civile organisée grâce à des moyens démocratiques de purger les conflits politiques, nous nous retrouvons dans une situation de violence. C’est un problème démocratique. On essaye, par des mobilisations syndicales, de combattre une loi rejetée par l’ultramajorité de la population et on n’est pas entendu. On rejette le texte par des votes à l’Assemblée nationale et on se voit opposer le 49.3. On présente des recours devant le Conseil constitutionnel qui décide de ne pas argumenter en droit mais de souscrire à la volonté du Président de la République. Quand les chemins pacifiques de règlement des conflits sont bloqués par des portes blindées constitutionnelles, vous ne devez pas vous étonner que la violence s’exprime dans la société ! C’est cela, chers collègues, qui devrait vous préoccuper.

Oui, il est temps de passer à la VIe République, car tout cela est le résultat d’un abus de pouvoir du Président permis par la Ve.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). La proposition de loi sur la menace terroriste d’extrême droite que notre collègue écologiste avait présentée devant notre commission a été tout bonnement caviardée. Ce député avait dans l’idée de travailler sur les méfaits commis par l’extrême droite et l’on a voulu, de façon inacceptable, y accoler les pratiques et comportements de l’ultragauche – un terme strictement policier, dont personne ne sait ce qu’il désigne. Nous ne nous inscrivons pas dans une telle logique, parce que nous respectons le travail de chacun.

De façon générale, nous voulons qu’une commission d’enquête puisse établir des faits, voire la vérité. De ce point de vue, on ne peut pas travailler sur les manifestations en méconnaissant que le comportement des policiers n’est lié qu’aux instructions données, en particulier par le ministre de l’intérieur. Si l’on veut vraiment comprendre ce qui s’est passé, l’on doit élargir le sujet aux consignes et à ce qui a relevé du maintien de l’ordre pendant ces rassemblements.

Tel est l’objet de l’amendement CL3, qui a été repris par de nombreux députés.

M. Florent Boudié, rapporteur. Avis défavorable à tous les autres amendements que le mien.

Madame Untermaier, rien dans le texte que je propose n’empêche la commission d’enquête d’examiner le contexte, le déroulement, les consignes et les éléments liés au schéma national du maintien de l’ordre. Cela est nécessaire, sans être la cible essentielle. L’objectif, ce sont les personnes organisées, qui viennent dans les manifestations pour confisquer le droit de manifester, alors que les forces de l’ordre sont là pour protéger les manifestants et l’ordre public, ainsi que la liberté et le droit de manifester. Quant aux actes isolés, ils font l’objet d’enquêtes administratives et sont tous judiciarisés en tant que nécessaire.

Je rappelle qu’en 2021, une commission d’enquête présidée par M. Fauvergue, avec M. Jérôme Lambert pour rapporteur, a déjà travaillé sur l’état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l’ordre. Ses conclusions sont très intéressantes.

Madame Élisa Martin, Aurélien Taché avait formulé une demande de rapport, non de création d’une commission d’enquête.

Enfin, la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) comprend une proposition de Mme Untermaier, que j’appuie, relative à un collège de déontologie. Dans le rapport annexé à la loi, nous avions souhaité que la direction du collège ne soit pas confiée à un membre des forces de l’ordre ni du ministère de l’intérieur. La réflexion sur sa composition progresse. Nous aurons l’occasion de parler dans les prochains mois de cette institution nouvelle, qui est un acquis important des discussions de la Lopmi.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). La proposition d’Aurélien Taché a bel et bien été caviardée : son objet même a été détourné – avec la complicité du Rassemblement national, cela dit son intention de semer la pagaille.

Notre intention n’est en rien de caviarder votre proposition de résolution mais de permettre à la commission d’enquête que vous proposez, ce dont nous vous remercions d’un certain point de vue, d’objectiver les faits, de prendre en compte ce que vous appelez leur « déroulement ». Nous voulons plus précisément, dans ce déroulement, connaître les consignes relatives au maintien de l’ordre qui ont été données par le ministère de l’intérieur et la façon dont elles ont été appliquées par les forces et les services de police.

M. Ian Boucard (LR). En sécurisant les cortèges, les forces de l’ordre protègent non seulement les manifestants mais également la transmission de leur message. Or, ces dernières semaines, les violences ont été tellement fréquentes que les revendications contre la réforme des retraites sont devenues inaudibles, l’actualité ne retenant des manifestations que les débordements.

Ce constat n’est pas une lubie de droite ou d’extrême droite. Le sénateur socialiste Jérôme Durain, qui a suivi la manifestation du 1er mai en immersion avec la Brav (brigade de répression de l’action violente), a expliqué combien il avait eu peur. Le sénateur communiste Fabien Gay, lui, n’ose plus emmener ses enfants en manifestation et demande plus de protection. Je suis ravi qu’il y ait encore une gauche républicaine dans notre pays, qui sait que la police protège les Français, les manifestants et le message qu’ils veulent transmettre.

Je suis choqué par les propos qui ont été tenus dans cette commission, même si nous commençons à y être accoutumés, à l’encontre des forces de l’ordre mais aussi du rapporteur, dont je connais l’honnêteté intellectuelle, bien que nos désaccords soient profonds. C’est bien la première fois que je défends quelqu’un de la majorité, et j’espère que cela ne lui portera pas préjudice !

La commission rejette l’amendement CL1.

Elle rejette le sous-amendement CL9 et adopte l’amendement CL8.

En conséquence, les amendements CL2 et CL3 tombent, ainsi que l’amendement CL5 de M. Benjamin Lucas.

La commission adopte l’article unique modifié.

Titre

Amendement CL7 de M. Florent Boudié et sous-amendement CL10 de Mme Cécile Untermaier, amendement CL4 de M. Benjamin Lucas (discussion commune).

M. Florent Boudié, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination qui tient compte de la modification de l’article unique que nous venons d’adopter.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Je retire le sous-amendement.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). L’amendement CL5, qui portait sur l’article unique, visait à inclure dans le champ d’investigation une véritable réflexion sur la menace que fait peser l’extrême droite sur notre république. Rappelons que c’est elle qui a, il y a quelques semaines, attaqué à coups de barres de fer une réunion publique de nos collègues de La France insoumise, ou encore qui tague des croix gammées sur des permanences de parlementaires.

Cette menace doit être prise au sérieux car il y a une différence fondamentale entre l’extrême gauche et l’extrême droite : cette dernière est représentée à l’Assemblée nationale, et était présente au deuxième tour de l’élection présidentielle de 2022. Arrêtez de fantasmer sur la menace de l’ultragauche, celle-ci n’existe pas dans l’hémicycle – la gauche parlementaire est, depuis deux siècles, on ne peut plus fidèle à la tradition républicaine, même si une partie a pu parfois s’en affranchir. En revanche, l’extrême droite, qui n’a jamais été aussi importante à l’Assemblée nationale depuis la seconde guerre mondiale, fait peser sur notre démocratie et notre république une menace bien réelle. C’est de cela que nous devrions parler, alors même que nous avons commémoré avant-hier l’assassinat de Brahim Bouarram. Il y a dans votre volonté de ne pas aborder la question du terrorisme d’extrême droite quelque chose de troublant – mais nous avons l’habitude.

M. Florent Boudié, rapporteur. La mission d’information sur l’activisme violent, à laquelle contribuent Jérémie Iordanoff et Éric Poulliat, s’intéresse à toutes les formes de ce phénomène. Par ailleurs, certaines formations politiques d’extrême droite ayant commis des violences inacceptables ne sont pas représentées à l’Assemblée nationale, comme Dissidence française, qui a toutefois présenté des candidats aux élections européennes. Il ne m’a pas échappé non plus que des affrontements entre ultragauche et ultradroite ont eu lieu à Lyon, il y a quelques semaines. La commission d’enquête devra examiner les faits qui se sont produits à l’occasion de ces manifestations et de ces rassemblements, et faire la transparence de façon transpartisane, pluraliste et effective.

Le sous-amendement CL10 est retiré.

La commission adopte l’amendement CL7. En conséquence, l’amendement CL4 tombe.

La commission adopte l’ensemble de la proposition de résolution modifiée.

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur la structuration, le financement, l’organisation des groupuscules et la conduite des manifestations illicites violentes entre le 16 mars 2023 et le 4 avril 2023 dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.


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   Lettre DU GARDE DES SCEAUX

 

 

 

 

 


([1]) Ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

([2]) Ou les services ou entreprises publics, si la commission d’enquête porte sur la gestion de services publics ou d’entreprises nationales.

([3]) Antoine Armand, Rapport sur la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France, Assemblée nationale, XVIe législature,  287, 5 octobre 2022, page 4.

([4]) Rapport au nom de la commission d’enquête sur la lutte contre les groupuscules d’extrême droite en France, Assemblée nationale, XVe législature,  2006, 6 juin 2019.

([5]) Rapport sur les moyens mis en place pour faire face aux nouveaux actes de violences et de vandalisme commis à Paris, Sénat, session ordinaire de 2018-2019,  450, 10 avril 2019.

([6]) Réserve que l’on retrouve ainsi, pour ne prendre que quelques exemples récents, s’agissant de la commission d’enquête sur la lutte contre les groupuscules d’extrême droite en France, de celle chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements ayant conduit aux attaques commises à la préfecture de police de Paris le jeudi 3 octobre 2019 ou encore, plus récemment, de la commission d’enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l’administration pénitentiaire et de l’appareil judiciaire ayant conduit à l’assassinat d’un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d’Arles.

([7]) Loi n° 2019‑290 du 10 avril 2019 visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations.

([8]) Loi n° 2021‑646 du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés.

([9]) Loi n° 2021‑1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République.

([10]) Loi n° 2023‑22 du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, rapport annexé, point 3.3.4.

([11]) Andreas Malm, entretien à Médiapart, 27 mars 2023.

([12]) M. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, Assemblée nationale, Commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, audition du 5 avril 2023, séance de 9 heures, compte rendu n° 48, pages 2 et 3.

([13]) TA Paris, 16 mars 2023, Union syndicale Solidaires de Paris et al., n° 2305590.