1191

 

 583 

ASSEMBLÉE NATIONALE

 

SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

SESSION ORDINAIRE 2022 - 2023

Enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale

 

Enregistré à la présidence du Sénat

le 9 mai 2023

 

le 9 mai 2023

 

 

 

RAPPORT

 

au nom de

 

L’OFFICE PARLEMENTAIRE D’ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

 

sur

 

 

Les lois de programmation militaire et l’innovation

 

 

par Mme Huguette TIEGNA, députée,
et M. Ludovic HAYE, sénateur

 

 

 

 

 

Déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale

par M. Pierre HENRIET,

Président de l’Office

 

 

Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Gérard LONGUET

Premier vice-président de l’Office

 


 

 

Composition de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques
et technologiques

 

 

Président

M. Pierre HENRIET, député

 

 

Premier vice-président

M. Gérard LONGUET, sénateur

 

 

Vice-présidents

 

 M. Jean-Luc FUGIT, député  Mme Sonia de LA PROVÔTÉ, sénatrice              M. Victor HABERT-DASSAULT, député              Mme Angèle PRÉVILLE, sénatrice

 M. Gérard LESEUL député  Mme Catherine PROCACCIA, sénateur

 

 

 

 

DÉputés

 

 

SÉnateurs

Mme Christine ARRIGHI

M. Philippe BERTA

M. Philippe BOLO

Mme Maud BREGEON

M. Moetai BROTHERSON

M. Hadrien CLOUET

M. Hendrik DAVI

Mme Olga GIVERNET

M. Aurélien LOPEZ-LIGUORI

M. Yannick NEUDER

M. Jean-François PORTARRIEU

M. Alexandre SABATOU

M. Jean-Philippe TANGUY

Mme Huguette TIEGNA

 

 Mme Laure DARCOS

 Mme Annie DELMONT-KOROPOULIS

 M. André GUIOL

 M. Ludovic HAYE

 M. Olivier HENNO

 Mme Annick JACQUEMET

 M. Bernard JOMIER

 Mme Florence LASSARADE

 M. Ronan Le GLEUT

 M. Pierre MÉDEVIELLE

 Mme Michelle MEUNIER

 M. Pierre OUZOULIAS

 M. Stéphane PIEDNOIR

 M. Bruno SIDO

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


— 1 —

SOMMAIRE

___

Pages

Saisine

SynthÈse

introduction

I. LA POLITIQUE D’INNOVATION DU MINISTÈRE DES ARMÉES

A. La LPM 2019-2025 a fait de l’innovation une priorité

B. Une réforme structurelle avec la création de l’Agence de l’innovation de défense

C. Premier bilan de l’action de l’Agence de l’innovation de défense

D. La Base industrielle et technologique de défense et l’innovation

E. Le Fonds européen de défense, une approche qui reste encore à préciser

F. L’organisation actuelle à l’épreuve d’un exemple concret : la lutte anti-drone

II. L’INNOVATION ET LA DUALITÉ CIVIL-MILITAIRE

A. Le domaine militaire : un catalyseur historique d’innovations scientifiques et technologiques

B. Une dynamique inversée par l’accélération des cycles d’innovation dans le monde civil

C. Le risque d’une dépendance à l’innovation civile.

D. La recherche publique duale : un creuset d’innovation

E. La BITD et la dualité.

III. COMPARAISON AVEC LES PARTENAIRES EUROPÉENS.

A. Le Royaume-Uni : un modèle d’innovation défense proche du modèle français.

B. L’Allemagne : une innovation de défense axée sur le numérique, dans le cadre d’un modèle dénué de dualité

C. Italie : une ambition timide encore très dépendante des projets européens.

D. Espagne : des ambitions nationales à confirmer.

ConClusion et recommandations

EXAMEN DU RAPPORT PAR L’OFFICE

Annexe: liste des personnes entendues par les rapporteurs

 

 

 


   Saisine


   SynthÈse

 

En avril 2023, le gouvernement a déposé un projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030. Les lois de programmation militaire (LPM) définissent la programmation pluriannuelle du budget de l’État destiné aux forces armées françaises.

En amont de l’examen de ce projet de loi, la commission de la défense et des forces armées de l’Assemblée nationale a saisi l’Office en décembre 2022 pour établir un état des lieux de l’innovation de défense dans le cadre des lois de programmation militaire, avec un éclairage particulier sur la récente réforme de la gouvernance et sur la dualité civil-militaire.

En termes d’innovation de défense, la France se donne-t-elle les moyens de l’ambition affichée dans le projet de LPM 2024-2030 ? À quelles conditions la France sera-t-elle porteuse d’innovations de rupture ? La dualité forte affichée par le système français est-elle source de dépendance à l’innovation civile ? Le modèle français est-il unique dans le paysage européen ? Étayé par les enseignements tirés d’auditions et de déplacements, le rapport de l’Office fait le point sur le rôle stratégique et économique de l’innovation de défense.

 


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La politique d’innovation du ministère des Armées

La hausse du budget des Armées mise en œuvre par la LPM 2019-2025 s’est accompagnée d’un effort identifié sur le volet innovation dans le but d’accompagner la montée en puissance et la modernisation des forces françaises.

Bénéficier de technologies de pointe permet en effet de disposer d’une supériorité technologique sur l’adversaire. Cela vise aussi à favoriser la compétitivité des industriels français de l’armement sur le marché mondial et à l’exportation. Il s’agit donc d’un atout à la fois stratégique et économique pour notre pays.

En 2022, le budget de l’innovation de défense a augmenté d’environ 20 % pour atteindre 1 milliard d’euros (Md€). Le projet de loi déposé le 4 avril 2023 prévoit que 10 Md€ seront consacrés à l’innovation sur la période 2024-2030, soit un peu plus d’1 Md€ par an, afin d’« offrir aux armées la maîtrise des nouveaux champs de conflictualité (espace, fonds marins, champ informationnel, cyber) à l’horizon 2030, que ce soit en captant des technologies civiles ou en explorant des nouvelles technologies de rupture ».

L’émergence de nouvelles menaces et leur multiplicité ne doivent pas inciter à la dispersion de l’écosystème d’innovation. Répartir 10 Md€ entre plusieurs domaines ne permettra pas de couvrir parfaitement tous les champs possibles de l'innovation et, en parallèle, de porter des innovations de rupture. Il faudra opérer des choix précis lors de chaque actualisation de la LPM en fonction de l’évolution des menaces, des progrès technologiques réalisés et des points forts de l’innovation française.

En parallèle de cet effort budgétaire, le ministère des Armées a créé en 2018 l’Agence de l’innovation de défense (AID) placée sous l’autorité du Délégué général de l’armement. Son rôle est de fédérer toutes les actions d’innovation dans le monde des armées et de soutenir un réseau d’acteurs de l’innovation. Le budget d’innovation de défense, principalement géré par l’AID, doit permettre d’accompagner un changement de stratégie globale. Avant la réforme de 2018, certains projets d’innovation gérés par la DGA étaient confrontés à une difficulté de mise en œuvre liée à une trop faible prise de risque et à la complexité du processus permettant à l’innovation de « sortir du laboratoire ». Ce problème trouvait son origine dans un manque de moyens mais aussi dans une culture insuffisante de l’innovation. Si l’écosystème d’innovation militaire français possède maintenant sa propre agence et un budget propre en hausse, il faut encore confirmer la réforme engagée en répondant mieux à ce problème central et toujours d’actualité. Le nouveau budget d’innovation de défense permettra de mieux anticiper, gérer et maitriser les risques inhérents aux innovations programmées ou ouvertes, mais il ne pourra suffire pour financer les innovations de rupture qui demandent des impulsions et des moyens considérables.

Ces réformes de l’écosystème d’innovation sont nécessaires pour créer un cadre favorable à celle-ci et attirer de nouveaux acteurs.

Il est encore trop tôt pour tirer un bilan complet de cette réforme de la gouvernance de l’innovation de défense, d’autant que certaines évolutions sont toujours en cours.

Quelques points de vigilance peuvent néanmoins déjà être soulevés :

En premier, l’AID ne doit pas être « victime de son succès » mais au contraire rester au cœur de la nouvelle démarche de recherche de performance initiée par le ministère des Armées.

Ensuite, « organisation du ministère à compétence nationale », placée sous l’autorité du Délégué général de l’armement, l’AID n’a pas d’autonomie juridique. Sa mutation vers un type de structure plus agile, ouvert et capable de réagir rapidement – tel que cela avait été pensé initialement – nécessitera une réflexion sur l’évolution de son statut à court ou moyen terme.

La base industrielle et technologique de défense (BITD) française compte au total près de 2 000 entreprises dont une grande majorité de petites et moyennes entreprises sous-traitantes. Pourtant, 70% des crédits d’innovation de défense sont fléchés vers les huit plus grands groupes industriels. Dans ce contexte, il est plus difficile pour les PME de trouver leur place et de compter dans le paysage d’innovation même si les budgets obtenus par les grands groupes sont aussi destinés à alimenter l’écosystème dans sa globalité.

Du fait de la restructuration récente de la gouvernance de l’innovation et de la création de l’Agence de l’innovation de défense, l’écosystème industriel a dû rééquilibrer ses demandes entre le guichet traditionnel de la DGA et les différents programmes de financement de l’AID, notamment pour les grands projets d’innovation programmée.

Au-delà des grands programmes d’armement et des financements du ministère des Armées et de la DGA, la BITD fait aussi de l’innovation sur fonds propres en suivant globalement les grandes orientations définies par le ministère des Armées. Programmer des financements et des axes de priorité sur le temps long (7 ans) comme le fait la LPM permet de donner de la visibilité et de conforter les projets mais aussi de renforcer l’attractivité du secteur, par exemple pour le recrutement d’ingénieurs de haut niveau.

Concevoir des équipements de pointe permet aux entreprises de la BITD d’honorer les contrats domestiques mais surtout de rester compétitives à l’export.

En effet, le seul marché français reste insuffisant pour assurer le modèle économique des industriels de défense et pour amortir les coûts de R&D et R&T nécessaires pour résister à la compétition technologique mondiale. Il est donc indispensable pour les industriels français d’être performants à l’exportation. La dynamique reste cependant assez vertueuse puisque les revenus d’exportation sont très souvent réinvestis dans l’innovation afin de maintenir la place de la France sur le marché mondial, c’est-à-dire au 3e rang pour les exportations d’armes.

Malgré ces moyens, les technologies de défense actuelles s’inspirent essentiellement des technologies issues du monde civil.

L’innovation de défense et la dualité civil-militaire

On appelle dualité la synergie entre des fins civiles et militaires de l’innovation. De la Seconde Guerre mondiale aux années 1970, le contexte géopolitique a amené les grandes puissances à mettre en place d’importants programmes d’armement et d’innovation, à la fois dotés de budgets conséquents et soumis à des délais de développement très brefs. Il en est résulté un développement rapide de technologies de rupture et l’innovation militaire entrainait alors l’innovation civile.

Après la chute du bloc soviétique, les financements des programmes militaires ont connu une baisse tendancielle pendant toute la décennie 1990. De ce fait, l’innovation militaire a globalement ralenti et ses déclinaisons vers le secteur civil se sont atténuées.

Depuis un quart de siècle, les cycles d’innovation dans le monde civil connaissent une accélération sensible portée par des investissements privés massifs. Ce phénomène résulte pour une large part de l’essor des technologies de l’information et de la communication, où les GAFAMs occupent une place dominante.

Dans un contexte économique plus concurrentiel et un marché militaire français devenu trop étroit, la dualité est alors apparue nécessaire pour l’industrie de défense. Elle suppose de réfléchir au double usage, militaire et civil, d’une technologie dès les débuts de sa conception afin d’élargir l’éventail de ses possibles applications et d’accroître son potentiel de rentabilité.

L’écosystème d’innovation militaire s’est adapté à cette nouvelle donne et la dualité a pris une nouvelle orientation entre la fin des années 1990 et le début des années 2000. Ce phénomène s’observe dans le monde entier, et notamment en France où l’Agence de l’innovation de défense a développé une politique active pour promouvoir la dualité.

Si s’inspirer des technologies civiles permet de rester à la pointe et d’externaliser la prise de risque, il convient de rappeler que les grandes lignes de l’innovation civile sont aujourd’hui dictées par des acteurs non français et marquées par une forte prédominance des technologies numériques.

La politique nationale en matière de dualité ne doit pas consister à seulement se placer dans le sillage des écosystèmes d’innovation privée, que ce soit celui des start-up ou celui des grands acteurs mondiaux du numérique.

Certes, l’intelligence artificielle, la cybersécurité, le spatial ou les technologies quantiques sont des champs d’innovation cruciaux pour la défense et la sécurité nationale. Mais il ne faut pas pour autant négliger les autres domaines d’innovation, plus classiques, tels que la science des matériaux, les sciences hydro- et aérodynamiques, la chimie, l’électronique ou encore la santé, qui restent tout aussi fondamentaux pour donner à la France les moyens de garantir sa souveraineté.

C’est pourquoi la puissance publique doit également mobiliser la recherche publique et les organismes de recherche duale.

Par exemple, le ministère des Armées exerce ou participe à la tutelle de l’État sur quatre établissements de recherche : le CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives), le CNES (Centre national d’études spatiales), l’ONERA (Office national d’études et de recherches aérospatiales) et l’ISL (Institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis). Ces établissements conduisent des recherches duales, tant fondamentales qu’appliquées.

Ils sont le bras armé de l’État pour la définition d’objectifs, de priorités et de projets dans les champs scientifiques et technologiques ayant des implications majeures pour la défense. Les spécificités de la recherche publique, notamment l’absence d’impératif de rentabilité, permettent une certaine liberté d’exploration sur le long terme, dans le respect des orientations fixées par la puissance publique et des programmes décidés par leurs organes de direction. Ceci offre un cadre favorable à l’innovation, qu’elle soit incrémentale ou de rupture. Il convient donc de continuer à soutenir l’écosystème de recherche publique français – qui, par ailleurs, ne vit pas en vase clos et a développé des politiques actives de connexion avec le monde des start-up.

La BITD participe aussi à la démarche de dualité. Certaines entreprises ont une activité duale par nature. Leurs investissements d’innovation civile et militaire sont souvent complémen­taires.

Au contraire, des entreprises comme Nexter, NavalGroup ou MBDA ont une activité entièrement orientée vers la défense. Elles financent leur R&D interne via les dispositifs de la DGA ou de l’AID mais aussi grâce aux recettes tirées de leurs activités d’exportation. Pour détecter, capter et adapter les innovations du secteur civil, ces entreprises n’ont d’autre choix que de nouer des partenariats avec l’écosystème civil de R&D : PME, universités, laboratoires de recherche, etc.

Quels que soient leur profil et leur secteur d’activité, les industriels de la BITD inscrivent quasi systématiquement leur R&D dans une démarche de dualité, très souvent dans le sens d’une adaptation du civil vers le militaire.

Si ce système permet d’avancer plus rapidement et de ne pas « réinventer la roue » lorsqu’un besoin apparaît, il ne doit pas créer une dépendance préjudiciable. Le monde militaire, de par ses besoins spécifiques, doit conserver la capacité d’innover indépendamment du monde civil.

Comparaison avec les partenaires européens

Le modèle français et son évolution récente sont souvent décrits comme s’inspirant du modèle américain, au moins sur quelques aspects : ouverture vers les acteurs privés ou civils, hausse des financements, création d’un fonds d’investissement. La France a cependant décidé de placer son agence d’innovation sous l’ombrelle de la DGA.

Le projet de LPM 2024-2030 prévoit que seront mises en place des « coopérations au service de l’autonomie stratégique européenne » en citant « l’Italie, l’Espagne, […] l’Allemagne et le Royaume-Uni [comme] partenaires privilégiés ». Avec chacun leurs spécificités, les modèles d’innovation de défense de ces pays présentent des avantages et des inconvénients.

En Allemagne, la R&D à destination militaire ne présente presque aucune dimension duale pour des raisons historiques, ce qui contraint un écosystème ayant pourtant un fort potentiel.

En Espagne et en Italie, des actions nationales en faveur de l’innovation de défense commencent à se mettre en place, en complément des projets déjà initiés via le Fonds européen de défense et avec d’autres partenaires européens.

Enfin, le modèle britannique réunit peu ou prou les mêmes acteurs que l’écosystème français, même si son organisation n’est pas totalement superposable : ministère de la Défense, entité spécifique chargée des projets R&D, BITD avec une forte activité duale et d’exportation, recherche publique. Ces similitudes en font a priori un partenaire à privilégier pour des coopérations d’innovation de défense dans le cadre de la LPM.

 


 


— 1 —

   introduction

Les lois de programmation militaire (LPM) définissent la programmation pluriannuelle du budget de l’État destiné aux forces armées françaises. Depuis 2019, elles couvrent des périodes de six ans au lieu de cinq ans auparavant.

La loi du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire a prévu les moyens alloués à la défense pour la période 2019-2025. Après une longue période de réduction des moyens et des effectifs, cette LPM s’inscrivait dans une tendance inédite en prévoyant une remontée des moyens accordés aux Armées : création de 6 000 emplois et hausse du budget global pour atteindre 2 % du PIB en 2025[1]. Cet effort semblait alors nécessaire face à un contexte international marqué par les compétitions entre grandes puissances et une intensification des menaces.

De manière générale, l’exécution de cette LPM suit bien son cours avec une augmentation des crédits entre 2019 et 2022 conforme à la programmation[2]. Pour la fin de la période, et sans actualisation à mi-parcours, cette loi doit cependant faire face aux conséquences de la crise sanitaire COVID et surtout de la guerre en Ukraine.

Aussi le Gouvernement a-t-il décidé d’anticiper de deux années la période couverte par la LPM suivante. En mai 2023, le gouvernement soumettra au Parlement un projet de loi de programmation militaire pour la période 2024-2030.

Lors de ses vœux 2023 aux Armées, présentés le 20 janvier dernier[3], le Président de la République a dessiné les contours et les ambitions du projet de LPM 2024-2030. Celle-ci devrait être créditée d’environ 410 Md€ contre 295 Md€ pour la précédente (+30 %) avec pour objectif d’avoir « une guerre d'avance » et de faire de la France « un pays plus souverain, entreprenant, agile et apte à prendre l’initiative ».

En amont de l’examen de ce projet de loi, la commission de la défense et des forces armées de l’Assemblée nationale a saisi l’OPECST en décembre 2022 lui demandant d’évaluer « ce que fut l’apport des LPM présente et passées à l’innovation en général, avec en conséquence la prise en considération de l’aspect « dual » de ces dépenses et la valorisation des financements LPM hors du champ militaire. »

L’Office a confié cette étude à Mme Huguette Tiegna, députée, et M. Ludovic Haye, sénateur.

Les rapporteurs ont suivi une démarche d’investigation conforme aux pratiques habituelles de l’Office, en organisant l’audition des différents acteurs de l’innovation militaire en France, que ce soit des organismes publics, tels que l’Agence de l’innovation de défense, des grands groupes industriels ou encore des entreprises de taille intermédiaire (ETI).

En mars 2023, une visite du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) sur le site de Gramat dans le Lot a permis de mieux appréhender les enjeux de l’innovation scientifique et de la dualité dans le domaine de la dissuasion nucléaire.

En complément, un déplacement au Royaume Uni a été organisé fin avril 2023 afin de comparer le modèle d’innovation militaire français au modèle britannique.

La réflexion ainsi menée sur l’impact des LPM sur l’innovation s’est articulée autour de trois axes principaux :

  1. un bilan de la politique d’innovation du Ministère des Armées et de sa gouvernance actuelle ;
  2. l’innovation et la dualité civile-militaire ;
  3. une comparaison avec les politiques d’innovation de défense de plusieurs partenaires européens : Allemagne, Italie, Espagne, Royaume-Uni.

Le récent conflit en Ukraine a contraint le monde de la défense à réfléchir à son organisation, mettant en exergue les points forts mais aussi certains points faibles. Les rapporteurs ont dès lors intégré les leçons tirées de la première année du conflit dans leur rapport.

Enfin, afin de permettre la présentation de leurs conclusions et recommandations avant le dépôt du projet de LPM 2024-2030 à l’Assemblée nationale, les rapporteurs ont dû limiter leurs auditions à quelques interlocuteurs essentiels.

 


— 1 —

I.   LA POLITIQUE D’INNOVATION DU MINISTÈRE DES ARMÉES

A.   La LPM 2019-2025 a fait de l’innovation une priorité

La hausse du budget des Armées mise en œuvre par la LPM 2019-2025 s’est accompagnée d’un effort identifié sur le volet innovation dans le but d’accompagner la montée en puissance et la modernisation des forces françaises. L’innovation constituait l’un des quatre axes prioritaires de la LPM 2019-2025. Bénéficier de technologies de pointe permet en effet de disposer d’une supériorité technologique sur l’adversaire. Cela vise aussi à favoriser la compétitivité des industriels français de l’armement sur le marché mondial[4] et à l’exportation, notamment vers l’Europe. Il s’agit donc d’un atout à la fois stratégique et économique pour notre pays.

Le dispositif intitulé « études amont » (EA) centralise le financement des recherches et études d’innovation appliquées au domaine de la défense.

En 2022, le budget du dispositif EA a atteint 1 Md€, en augmentation d’environ 20 % par rapport aux 821 M€ de 2020.

Il s’agit principalement de contrats d’études R&D passés par la direction générale de l’armement (DGA) avec les industriels (70 % des crédits) ainsi que de subventions de soutien à la recherche et l’innovation attribués à divers partenaires, notamment académiques. Cet agrégat comprend aussi la participation au capital du fonds « Definvest » qui soutient les pépites technologiques du secteur de la Défense. Géré par BpiFrance pour le compte du ministère des Armées, ce fonds s’est vu doter de 100 M€ en 2022.

Dans la prochaine LPM, le milliard d’euros annuel dorénavant alloué à l’innovation militaire parait assuré. Il sera réparti sur un spectre couvrant tous les domaines capacitaires, à travers 17 domaines pré-identifiés (Figure 1). Le projet de loi déposé à l’Assemblée nationale le 4 avril fait ainsi état de 10 Md€ consacrés à l’innovation sur la durée 2024-2030, soit un peu plus d’1 Md€ par an, afin d’« offrir aux armées la maîtrise des nouveaux champs de conflictualité (espace, fonds marins, champ informationnel, cyber) à l'horizon 2030, que ce soit en captant des technologies civiles ou en explorant des nouvelles technologies de rupture[5] ».

L’émergence de nouvelles menaces et leur multiplicité ne doivent cependant pas inciter à la dispersion de l’écosystème d’innovation. Même si certains axes vont bénéficier de budgets complémentaires hors innovation (espace, renseignement, drones…), répartir 10 Md€ entre 17 domaines ne permettra pas de couvrir parfaitement tous les champs possibles de l'innovation et, en parallèle, de porter des innovations de rupture[6]. Il s’agira d’opérer des choix précis lors de chaque actualisation de la LPM en fonction de l’évolution des menaces, des progrès technologiques réalisés et des points forts de l’innovation française.

Figure 1. Les principaux domaines d’innovation de défense définis par l’Agence de l’innovation de défense. Le budget d’un milliard d’euros dédié à l’innovation sera réparti entre ces différents domaines dans la LPM 2024-2030. (Source : document de référence de l’orientation de l’innovation de défense 2022 (DrOID)[7])

En 2019, le dispositif EA alimentait principalement les domaines « aéronautique de combat » (19 %) et « missiles » (17 %) tandis que les financements consacrés à la « cyberdéfense » ne représentaient que 3 % du budget, et ceux fléchés « renseignements et surveillance » 11 %. Cette situation allait à l’encontre de la revue stratégique de 2017[8] qui recommandait de mettre l’accent sur ces deux derniers domaines.

Les annonces du Président de la République, lors de ses vœux aux Armées en janvier 2023, anticipaient une hausse de 60 % des budgets dédiés au renseignement et un doublement de la capacité cyber dans la LPM 2024-2030. La hausse des crédits consacrés à ces deux axes reflète en particulier les enseignements de la guerre en Ukraine. Le début de ce conflit avait mis en évidence certaines lacunes des services de renseignements militaires français et les défis technologiques à surmonter dans ce domaine, notamment la gestion de masses de données cyber ou satellitaires[9]. Il est ainsi devenu nécessaire de permettre la montée en puissance des services de la Direction du renseignement militaire (DRM) pour assurer le traitement et l’analyse des informations. En parallèle, les attaques cyber russes vers les pays de l’OTAN auraient connu une hausse de 300 % depuis le début du conflit[10] confirmant la nécessité de renforcer les capacités dans ce domaine.

La répartition des moyens à venir devra continuer à s’inspirer de ce retour d’expérience sans perdre de vue les objectifs à horizon plus lointain.

B.   Une réforme structurelle avec la création de l’Agence de l’innovation de défense

Voulue dès 1961 par le Général de Gaulle[11], la Direction générale de l’armement emploie aujourd’hui plus de 10 000 personnes et a pour missions « d’équiper les armées de façon souveraine, de préparer le futur des systèmes de défense, de promouvoir la coopération européenne et de soutenir les exportations »[12].

Les programmes d’armement menés par la DGA sont complexes par nature, accompagnés d’investissements massifs (souvent plusieurs dizaines de milliards d’euros pour un seul programme) et s’inscrivent sur le temps long, avec une planification stricte. Ce mode opératoire, qui garantit le respect des lignes budgétaires, permet le développement de projets d’ampleur et surtout limite les risques. Il ne laisse cependant que peu de place à l’innovation qui peut apparaitre ou s’avérer utile au cours du développement d’une technologie.

Face à ce constat, et afin « d’accélérer la mise en œuvre de l’innovation au profit de la défense »[13], le ministère des Armées a créé le 1er septembre 2018 l’Agence de l’innovation de défense (AID), placée sous l’autorité du délégué général pour l’armement.

Quelques années après sa création, l’Agence de l’innovation de défense emploie plus de 130 officiers, ingénieurs, chercheurs et innovateurs, provenant du ministère des Armées comme de la société civile. Son rôle est de fédérer toutes les actions d’innovation dans le monde des armées et d’entretenir un réseau d’acteurs de l’innovation. Il s’agit notamment de capter les innovations hors du champ militaire, d’orienter et de conduire les politiques d’innovation du ministère ainsi que de valoriser et adapter les nouvelles technologies auprès des forces armées. Aujourd’hui, l’AID traite aussi bien des projets d’innovation programmée que de l’innovation ouverte[14].

L’ambition budgétaire d’1 Md€ par an dédiés à l’innovation est principalement gérée par l’AID dans le but d’accompagner un changement de stratégie globale : il ne s’agit pas simplement de poursuivre, avec plus de moyens, la politique de l’innovation précédemment en vigueur à la DGA mais bien de changer de paradigme à l’égard de l’innovation (Figure 2).

Figure 2. Illustration du changement de stratégie d’innovation militaire liée à la création de l’Agence de l’innovation de défense en 2019 (Source : document de référence de l’orientation de l’innovation de défense 2022 (DrOID)[15]).

Avant la réforme de 2019, certains projets d’innovation gérés par la DGA étaient confrontés à une vraie difficulté de mise en œuvre liée au manque de prise de risque et à la complexité de la « sortie du laboratoire ».

Ce problème trouvait son origine dans un manque de moyens – financiers et humains – mais aussi dans une certaine culture de l’innovation.

Si l’écosystème d’innovation militaire français possède maintenant sa propre agence et un budget propre en hausse, il faut encore confirmer la réforme engagée en répondant mieux à ce problème central et toujours d’actualité.

Dans un premier temps, cela passe par l’accompagnement du « passage à l’échelle » des projets afin de faciliter la sortie du laboratoire de certaines recherches très fondamentales vers la conception de prototypes de qualité industrielle[16]. La culture de minimisation des risques toujours en vigueur à la DGA ne doit pas se retrouver dans le traitement des projets à l’Agence de l’innovation de défense puisque, par nature, l’innovation est risquée.

Les différentes étapes de maturité d’une technologie

Le degré de maturité d’une technologie se mesure sur l’échelle des « technology readiness levels » ou TRL (Figure 3). Cette échelle traduit les différentes étapes de développement à valider avant de considérer une technologie mature pour le marché. Pour un TRL inférieur à 4, il s’agit d’une recherche amont, en général menée dans un laboratoire de recherche publique. Au-delà d’un TRL 6, la technologie devient suffisamment mature pour « sortir du laboratoire », être reprise par le secteur privé et envisager la conception d’un prototype. La phase appelée « vallée de la mort » désigne cette transition entre les niveaux TRL 4 et TRL 6. La technologie devient alors trop appliquée pour des recherches amont mais pas assez développée pour les industriels. Les investissements sont considérés comme risqués et peu rentables alors qu’il s’agit d’une étape cruciale pour la survie d’une technologie, et qui demande une impulsion forte.

 

Figure 3. Illustration des différents niveaux de TRL et du passage appelé « vallée de la mort » (source : https://laclecestletemps.com/traversez-la-vallee-de-la-mort-avec-votre-startup/ ).

L’accompagnement des projets et des acteurs de la recherche pour passer cette phase difficile de TRL nécessite un effort budgétaire et un changement de paradigme. Les délais de traitement doivent aussi être réduits pour être en phase avec l’accélération des cycles d’innovation de l’écosystème civil. Il s’agit moins d’en faire un mode de fonctionnement systématique que de consolider la capacité à certifier rapidement l’innovation ouverte en temps de paix de manière à être réactif en cas de conflit. En effet, en temps de guerre, l’innovation permet à la fois d’équiper au mieux les forces armées et de réaliser des démonstrations de force qui donnent un avantage stratégique conséquent et entretiennent l’idée d’un pays à la pointe technologique.

L’accompagnement de l’innovation est nécessaire pour créer un cadre favorable à celle-ci et attirer de nouveaux acteurs. Il s’agit aussi de favoriser l’émergence de technologies de rupture sur le territoire national, comme cela est d’ailleurs spécifié dans la présentation du projet de LPM 2024-2030.

Néanmoins, si le budget dorénavant alloué à l’innovation – d’un peu plus d’1 Md€ par an – permettra de mieux anticiper, gérer et maitriser les risques inhérents aux innovations programmées ou ouvertes, il ne pourra suffire pour financer les innovations de rupture qui demandent des impulsions et des moyens considérables.

C.   Premier bilan de l’action de l’Agence de l’innovation de défense

Pour accompagner le renforcement de la politique en faveur de l’innovation, l’AID dispose de différents moyens d’actions.

Elle a d’abord pour mission de se positionner en tant que « guichet » unique face à l’écosystème de l’innovation – militaire et civil - en mettant à disposition des divers acteurs plusieurs moyens de financement définis en fonction du type de projets. Ces catégories de projets sont :

-         les projets de recherche, pour lesquels l’AID travaille en collaboration avec des universités, des organismes de recherche, des entreprises ou encore des écoles d’ingénieurs pour faire émerger des technologies d’intérêt défense (169 projets ont été lancés à ce titre en 2021) ;

-         les projets de technologies de défense (PTD) ou projets d’innovation planifiée, pour lesquels l’action de l’AID vise à accompagner le développement des futures technologies de défense ;

-         les projets d’accélération de l’innovation (PAI) destinés à capter, adapter et déployer rapidement des technologies innovantes provenant du monde civil (134 projets ont été labélisés par l’AID en 2021) ;

-         les projets d’innovation participative (PIP) émanant du personnel du ministère des Armées et proposant une idée innovante (29 projets ont été retenus en 2021).

Début 2022, l’Agence comptait 2 500 projets soumis par différents acteurs et, parmi eux, un total de 950 dossiers ont été retenus. Ces chiffres montrent, en première lecture, un certain succès et une bonne visibilité de l’AID auprès des parties prenantes, trois ans après sa création.

Il est cependant trop tôt pour tirer un bilan complet de cette réforme de la gouvernance de l’innovation, d’autant plus que certaines évolutions sont toujours en cours.

Quelques points de vigilance peuvent néanmoins déjà être soulevés : les 950 projets retenus devront être accompagnés et menés à leur terme, en parallèle des appels à projets suivants qui amèneront aussi leurs lots de nouveaux dossiers à gérer. Les ressources humaines de l’AID devront donc pouvoir être renforcées dans un contexte de recrutement tendu dans ce secteur d’activité. L’AID ne doit pas être « victime de son succès » mais au contraire rester au cœur de la nouvelle démarche de recherche de performance initiée par le ministère des Armées.

Enfin, « organisation du ministère à compétence nationale », placée sous l’autorité du Délégué général pour l’armement, l’AID n’a pas d’autonomie juridique. Sa mutation vers un type de structure plus agile, ouvert et capable de réagir rapidement – tel que cela avait été pensé initialement – nécessitera une réflexion sur l’évolution de son statut à court ou moyen terme.

D.   La Base industrielle et technologique de défense et l’innovation

La base industrielle et technologique de défense ou BITD désigne l’ensemble des industries nationales prenant part aux activités de défense. La DGA collabore en permanence avec les maîtres d'œuvre industriels français de la BITD, notamment en mettant en place des contrats pour la réalisation et l’export de systèmes d’armes. Ainsi, en 2021, la DGA a passé 23,5 Md€ de commandes à l’industrie et investi 1,404 Md€ au profit de l’innovation et des projets de technologie de défense[17].

La BITD française compte au total près de 2 000 entreprises dont une grande majorité de petites et moyennes entreprises sous-traitantes[18].

Pourtant, les crédits « Études amont » sont fléchés à 70 % vers les huit plus grands groupes industriels[19] que sont Airbus, Arianegroup, Dassault Aviation, MBDA, Naval group, Nexter, Safran, Thales. Le groupe Thales récupère à lui seul 27 % de ces crédits et est ainsi le premier bénéficiaire du dispositif EA.

Dans ce contexte, il est plus difficile pour les PME de trouver leur place et de compter dans le paysage d’innovation même si les budgets obtenus par les grands groupes sont aussi destinés à alimenter l’écosystème dans sa globalité.

La BITD française se distingue par son hétérogénéité en taille, en chiffre d’affaires mais aussi en secteurs d’activité. Ainsi, certaines entreprises ont une activité exclusivement de défense (Naval group, MBDA et Nexter par exemple), d’autres se positionnent aussi sur le marché civil et dans différentes proportions (Airbus, Safran, Thales...). Le marché de la défense représente environ 30 Md€ du chiffre d’affaires total de la BITD française, soit un quart de leur revenu total.

Enfin, on peut distinguer les systémiers-ensembliers[20] et les équipementiers. La diversité de la BITD française lui permet de se positionner sur différents secteurs technologiques, notamment dans le cadre des 17 domaines capacitaires d’innovation définis par l’AID (Figure 1).

Pour la BITD, l’Etat joue à la fois le rôle de client, d’actionnaire[21] et de régulateur[22]. Ainsi, à travers sa stratégie de défense, l’Etat conduit aussi une politique industrielle. Or, si l’innovation est considérée comme un outil stratégique et économique par les pouvoirs publics, ce paradigme doit alors aussi se retrouver dans la gouvernance de la BITD.

Face à la restructuration récente de la gouvernance d’innovation et la création de l’Agence de l’innovation de défense, l’écosystème industriel a dû rééquilibrer ses demandes entre le guichet traditionnel « Etudes amont » de la DGA et les différents programmes de financement de l’AID, notamment pour les grands projets d’innovation programmée.

La situation est plus complexe pour les entreprises de taille intermédiaire (ETI). Le système actuel favorise en effet le soutien aux grands groupes industriels, leur faisant confiance pour développer un écosystème d’innovation composé de sous-traitants type PME, mais rarement d’ETI. Certaines ne se reconnaissent ni dans la mesure des appels à projets de la DGA (projets d’ampleur, soutien de plusieurs milliards d’euros) ni dans le fonctionnement plus agile de l’AID avec un soutien à l’innovation qui a surtout visé, dans ses débuts, les petites structures de type start-up.

Au-delà des grands programmes d’armement et des financements du ministère des Armées et de la DGA, la BITD fait aussi de l’innovation sur fonds propres en suivant globalement les grandes orientations définies par le ministère des Armées. Programmer des financements et des axes de priorité sur le temps long (7 ans) comme le fait la LPM permet de donner de la visibilité sur l’avenir, de l’assurance dans les projets mais aussi de renforcer l’attractivité pour le recrutement d’ingénieurs de haut niveau par exemple.

Cela étant, même si les financements EA augmentent et sont confirmés dans la prochaine LPM, ils restent insuffisants pour couvrir intégralement et sur la durée les ambitions scientifiques et technologiques des 17 domaines identifiés dans la loi. Un complément autofinancé par la BITD reste indispensable et une bonne partie de l’innovation de défense française dépend des acteurs de la BITD, notamment des huit grands groupes cités précédemment.

Concevoir des équipements de pointe leur permet certes d’honorer les contrats domestiques mais surtout de rester compétitifs à l’export. Ce constat reste en vigueur puisque le projet de LPM 2024-2030 stipule que « les budgets dédiés à l'innovation renforceront notre souveraineté, mais ne se substitueront pas à l’indispensable mobilisation de notre BITD pour engager, sans tarder, des projets innovants autofinancés pouvant intéresser l’armée française comme nos partenaires à l’export. »[23]

En effet, le marché français seul reste insuffisant pour assurer le modèle économique des industriels de défense et encore plus pour amortir les coûts de R&D et R&T nécessaires face à la compétition technologique mondiale. Il est donc indispensable pour les industriels français d’être performants à l’exportation.

En 2021, 30 % de la production totale d’armement française étaient destinés à l’export, un chiffre en constante augmentation au point que certains parlent de « dépendance » de la BITD à l’exportation[24]. La dynamique reste cependant assez vertueuse puisque les revenus dégagés des activités à l’export sont très souvent réinvestis dans l’innovation afin de maintenir la place de la France sur le marché, c’est-à-dire au 3e rang mondial pour les exportations d’armes. Cependant, même à l’export, le marché militaire reste restreint puisqu’il est limité aux pays partenaires des forces françaises quand le marché civil, lui, n’est pas limité.

Pour faire face à cette situation, certaines PME ou ETI se sont ouvertes à des capitaux étrangers (avec des pays considérés comme partenaires, en Europe ou aux États-Unis) afin d’accroitre leur marché. Elles restent éligibles aux dispositifs de soutien à l’innovation de la DGA et de l’AID mais doivent passer par des procédures plus complexes. Elles se tournent alors souvent vers les nouveaux dispositifs de soutien disponibles à l’échelle européenne, comme le Fonds européen de défense.

E.   Le Fonds européen de défense, une approche qui reste encore à préciser

Face à l’intensification et à l’accélération de la compétition mondiale, avec une montée en puissance budgétaire et technologique des États-Unis et de la Chine, l’Union européenne a créé le Fonds européen de défense (FED) en 2021.

Sur la période 2021-2027, le Fonds bénéficie d’un budget pluriannuel de 7,9 Md€.

L’objectif est de financer les programmes de recherche et développement des industriels européens de la défense, dans un esprit de coopération pour consolider la BITD européenne. En effet, au moment de la création du FED, 80 % des programmes et des achats européens en matière de défense étaient menés sur une base nationale uniquement.

L’intérêt est double : d’une part, accroitre l’autonomie stratégique européenne en faisant émerger des acteurs européens de taille critique susceptibles de rivaliser avec ceux des grandes puissances sur la scène internationale ; d’autre part, améliorer l’interopérabilité des équipements européens [25]. Selon la Commission européenne, la duplication des travaux de R&D couterait aux Etats membres entre 25 et 100 Md€ par an[26].

Le FED a pour but de favoriser à la fois les projets collaboratifs – présentés par un minimum de trois entreprises originaires de trois pays européens différents – et tournés vers les PME, puisque les financements sont plus élevés si le projet implique une petite ou moyenne entreprise.

Quelques données peuvent déjà être présentées sur l’appel à projets 2021 :

Environ 5 % du budget global du FED est consacré au développement ou à la recherche des technologies de rupture susceptibles de déboucher sur des innovations déterminantes dans un contexte de défense[27], soit environ 400 M€. Ce budget pourra s’avérer d’autant plus efficace qu’il s’inscrira en synergie avec les budgets nationaux et qu’il restera concentré sur des sujets précis et circonscrits.

Les différents acteurs de la BITD française ont, dès sa création, répondu aux appels à projets proposés par le FED. L’outil a donc réussi à s’imposer dans le paysage national même si l’articulation avec les projets et les soutiens nationaux doit encore se préciser. Certains pays européens le voient comme un guichet à part entière, pour d’autres il est plutôt perçu comme un complément.

Dans le contexte français, il semble utile pour porter haut des projets de coopération avec des partenaires européens, tel que cela est préconisé par la future LPM, notamment sur les sujets « du futur avion-cargo médian, des drones, de la défense surface-air, de la frappe longue portée et de bâtiments de surface »[28].

Mais les acteurs de la BITD regrettent pour la plupart la complexité des procédures de demandes de financement auprès du Fonds européen de défense et suggèrent que soit entreprise une simplification administrative d’ampleur.

F.   L’organisation actuelle à l’épreuve d’un exemple concret : la lutte anti-drone

Dans le cadre de l’organisation nouvelle du soutien à l’innovation de défense, les différents acteurs doivent être suffisamment agiles pour mutualiser les moyens et les financements des différents guichets. La mise en œuvre de la feuille de route lutte anti-drones (LAD) constitue un bon exemple[29] d’une mobilisation vertueuse des moyens affectés à l’innovation.

Sur un sujet aussi large et à forts enjeux, une feuille de route d’innovation programmée s’est avérée nécessaire. Aussi, la DGA a initié des projets programmatiques (temps longs, moyens conséquents).

Mais, le sujet étant également d’actualité, les besoins des forces étant à court terme et sur un marché international à forte demande, la France a pu se positionner avec des technologies de pointe et différenciantes aussi bien en matière d’aéronefs, que de mini-drones ou de micro-drones.

Ainsi, ont été mis en place :

-         un appel à projets de l’AID pour la captation de l’innovation ouverte avec des expérimentations sur les drones ;

-         des expérimentations menées par l’armée de Terre sur de l’innovation d’usage ;

-         des projets de technologies de défense pour le développement d’armes à énergie dirigée laser sur de l’innovation planifiée ;

-         enfin, la participation à un projet de coopération européenne.

La feuille de route LAD doit ainsi permettre de mener de front plusieurs axes d’innovation tout en accélérant les expérimentations face à l’évolution rapide et polymorphe des menaces. La mutualisation de ces moyens a permis de donner l’agilité nécessaire à l’intégration des différentes technologies en fonction de leur degré de maturité.

Dans ce cas précis, la gouvernance actuelle fut un succès.

Cet exemple ne doit cependant pas rester anecdotique et doit devenir une réalité pour tous les sujets et programmes portés par l’écosystème d’innovation militaire.

Mener de front plusieurs axes de développement, tout en conservant la capacité à accélérer si nécessaire et à donner une impulsion supplémentaire pour passer à l’étape industrielle doit être la stratégie d’innovation centrale. Solliciter différents guichets et multiplier les acteurs est consommateur de temps – temps pendant lequel les forces ne bénéficient pas des technologies sur les théâtres d’opération. Aussi, est-il impératif de poursuivre dans cette voie visant à faciliter la mobilisation simultanée de moyens différents et complémentaires.

II.   L’INNOVATION ET LA DUALITÉ CIVIL-MILITAIRE

A.   Le domaine militaire : un catalyseur historique d’innovations scientifiques et technologiques

De la Seconde guerre mondiale aux années 1970, le contexte géopolitique a amené les grandes puissances à mettre en place d’importants programmes d’armement et d’innovation, à la fois dotés de budgets conséquents et soumis à des délais de développement très brefs. Il en est résulté un développement rapide de technologies de rupture qui ont trouvé de nombreuses applications civiles.

Cette synergie entre les fins civiles et militaires de l’innovation est appelée dualité. Elle consiste « à tirer parti de l’exploitation de compétences, de technologies, de produits, de procédés pour satisfaire des besoins exprimés à la fois sur des marchés civils et militaires »[30].

L’exploration spatiale constitue un bon exemple de dualité : au milieu des années 1950 et dans les années 1960, la « course à l’espace » a bénéficié de financements dopés par la rivalité entre l’Union soviétique et les États-Unis. La compétition technique ouverte dans le champ militaire a irrigué le secteur civil d’innovations multiples en matière d’informatique, de sciences des matériaux, de navigation, de médecine, etc.

Le développement de la force nucléaire s’inscrit dans le même schéma. Les financements alloués à la conception de ces équipements au lendemain de la Seconde guerre mondiale ont permis des sauts technologiques de grande ampleur qui ont notamment ouvert la voie aux programmes électronucléaires nationaux.

Cependant, la dislocation du bloc soviétique en 1989 a provoqué une baisse tendancielle des financements des programmes militaires pendant toute la décennie 1990. De ce fait, l’innovation militaire a globalement ralenti et ses déclinaisons vers le secteur civil se sont atténuées.

En parallèle, les marchés militaires se sont ouverts aux acteurs industriels civils. En France, les entreprises d’armement, jusqu’alors étatiques, sont devenues des sociétés de droit privé à capitaux publics. Dans un contexte économique plus concurrentiel et un marché militaire français devenu trop étroit, la dualité est alors apparue nécessaire pour l’industrie de défense. En effet, tout comme l’exportation, la dualité favorise la rentabilité des investissements en R&D et R&T. Elle suppose de réfléchir au double usage, militaire et civil, d’une technologie dès les débuts de sa conception afin d’élargir l’éventail de ses possibles applications et d’accroître son potentiel de rentabilité.

B.   Une dynamique inversée par l’accélération des cycles d’innovation dans le monde civil

Les cycles d’innovation dans le monde civil connaissent depuis un quart de siècle une accélération sensible portée par des investissements privés massifs (

Figure 4). Ce phénomène résulte pour une large part de l’essor des technologies de l’information et de la communication, où les GAFAMs[31] occupent une place dominante.

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Figure 4. Les investissements privés dans la R&D mondiale en 2020. Les GAFAMs dominent clairement ce classement, qui ne compte aucun acteur français               (source : https://fr.statista.com/infographie/16120/entreprises-qui-depensent-le-plus-en-r-d/ ).

 

L’écosystème d’innovation militaire s’est adapté à cette nouvelle donne et la dualité a pris une nouvelle orientation entre la fin des années 1990 et le début des années 2000. Ce phénomène s’observe dans le monde entier, et notamment aux États-Unis où les forces armées enchainent depuis quelques années les signatures de « méga contrats » avec les firmes privées de la Silicon Valley[32] [33]. Il ne concerne pas que les technologies du numérique, même si elles y ont un rôle moteur. Ainsi, pour ce qui concerne la France, la Cour des comptes estimait en 2021 que « La période où la recherche de défense avait un rôle premier pour l’innovation en général est révolue. […] Désormais, de nombreuses technologies sont issues du secteur civil et doivent ensuite être adaptées aux besoins militaires. […]. Il en résulte qu'une bonne articulation entre la recherche civile et l'innovation de défense est devenue une condition essentielle du maintien à haut niveau de celle-ci, en particulier dans les domaines des sciences et technologies de l'information et de la communication. La captation de cette innovation nécessitera également une relation plus étroite avec l'écosystème de start-up et de PME innovantes, particulièrement actif dans ce domaine. »[34]

L’Agence de l’innovation de défense a développé une politique active pour promouvoir la dualité[35]. Elle se présente comme un « guichet unique » pour tous les acteurs qui cherchent à développer des projets d’intérêt défense (cf. section I. C. ), y compris ceux du monde civil. Sur certains domaines ayant une forte « dimension duale » (stratégie quantique, intelligence artificielle, menaces NRBC[36], supercalculateurs), elle assure la coordination interministérielle avec les ministères chargés de la recherche et de l’économie ainsi que dans le cadre du programme d’investissement France 2030.

De plus, pour faciliter la détection, la captation et l’adaptation des innovations civiles, l’AID a créé en 2021 une cellule dédiée afin « d’initier, avec les entreprises les plus prometteuses, des projets de co-développement dans une logique de diversification ». Concrètement, si une entreprise civile ou duale développe des technologies dont certaines caractéristiques peuvent intéresser la défense, l’AID peut accompagner financièrement l’effort de R&D correspondant. Pendant sa première année d’existence, la cellule dédiée a référencé un vivier de plus de 400 start-up et en a retenu 11 pour lancer des projets de co-développement. Ceci se traduit par une entrée au capital et une représentation au conseil d’administration, dans une logique d’accompagnement. Il a été jugé qu’une prise de contrôle relèverait d’un esprit de « prédation » et serait contre-productive car elle limiterait l’horizon de la start-up au seul marché de la défense, trop étroit pour garantir son développement économique.

C.   Le risque d’une dépendance à l’innovation civile.

Dans son principe même, la logique d’accompagnement implique de laisser à d’autres acteurs – actionnaires principaux ou direction – l’essentiel du contrôle sur les décisions stratégiques de l’entreprise ; elle réduit l’implication de la puissance publique dans les processus de recherche et développement. Surtout, elle peut induire une dépendance aux orientations définies par une jeune entreprise civile, qui peut choisir de privilégier la conquête du marché qui a le plus grand potentiel, c’est-à-dire le marché civil.

La politique nationale en matière de dualité ne doit pas consister à se placer dans le sillage des écosystèmes d’innovation privée, que ce soit celui des start-up ou celui des grands acteurs mondiaux du numérique. Les besoins, donc les feuilles de route du secteur civil ne font pas forcément écho à ceux des forces armées.

Il faut noter qu’en France, en 2018, 40 % des près de 13 000 start-ups définies par l’INSEE comme « innovantes »[37] appartenaient au secteur d’activité « Information et communication », soit plus que les 34 % relevant du secteur « Activités spécialisées, scientifiques, techniques »[38]. Par ailleurs, au niveau mondial, la R&D est dominée par les entreprises du numérique américaines, chinoises et sud-coréennes (

Figure 4).

Ainsi, les grandes lignes de l’innovation civile sont aujourd’hui dictées par des acteurs non français et marquées par une forte prédominance des technologies numériques.

Certes, l’intelligence artificielle, la cybersécurité ou les technologies quantiques sont des champs d’innovation cruciaux pour la défense et la sécurité nationale : la maîtrise de l’information sous toutes ses formes est l’une clefs du contrôle du champ de bataille et conditionne la conduite de l’effort de guerre. Il en est de même pour le secteur spatial, où les activités du New space connaissent une progression rapide depuis quelques années et s’inscrivent dans une évolution avérée des menaces qui n’épargne pas l’espace.

Il est donc essentiel de développer nos capacités d’innovation sur ces thématiques majeures, tant sur un plan stratégique qu’économique, mais il ne faut pas pour autant négliger les autres domaines d’innovation, plus classiques, tels que la science des matériaux, les sciences hydro- et aérodynamiques, la chimie, l’électronique ou encore la santé, qui restent tout aussi fondamentaux pour donner à la France les moyens de garantir sa souveraineté.

C’est pourquoi la puissance publique doit également mobiliser la recherche publique et les organismes de recherche duale.

D.   La recherche publique duale : un creuset d’innovation

Le Ministère des Armées exerce ou participe à la tutelle de l’État sur quatre établissements de recherche : le CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives), le CNES (Centre national d’études spatiales), l’ONERA (Office national d’études et de recherches aérospatiales) et l’ISL (Institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis). Ces établissements conduisent des recherches duales, tant fondamentales qu’appliquées.

Le budget de l’État comprend un programme budgétaire entièrement dédié à la « recherche duale civile et militaire ». Inclus dans la mission « Recherche et enseignement supérieur »[39], mais placé sous la responsabilité de la DGA, il est doté de 150 M€ en 2023[40]. Le CNES (télécommunications par satellites, observation de la Terre, collecte et analyse de signaux, exploitation des données spatiales, notamment à l’aide de l’intelligence artificielle, etc.) et le CEA (technologies émergentes des composants électroniques, technologies quantiques, cybersécurité, efficience énergétique, etc.) en sont les bénéficiaires[41] [42]. La somme des budgets alloués à l’ONERA et l’ISL atteignait 139 M€ en 2023[43].

L’ensemble de ces financements équivaut à environ 30 % du budget alloué aux études amont.

Même si leurs crédits de recherche duale sont complétés par des financements à vocation civile, ces établissements sont le bras armé de l’État pour la définition d’objectifs, de priorités et de projets dans les champs scientifiques et technologiques ayant des implications majeures pour la défense : dans le domaine spatial et aéronautique avec le CNES et l’ONERA, dans les projectiles hypervéloces avec l’ISL, dans le calcul à haute performance avec le centre de calcul de la direction des applications militaires (DAM) du CEA, situé à Bruyères-le-Châtel et dédié à la simulation de la dissuasion nucléaire française.

Bien qu’il soit un instrument de recherche majeur du programme de dissuasion nucléaire, le Laser Mégajoule (LMJ) de Bordeaux[44] – géré par la DAM – réserve 25 % de son temps de fonctionnement à la communauté de recherche académique (astrophysique, santé, énergie, etc.) depuis son couplage au laser PETAL (PETawatt Aquitaine Laser), financé par des fonds civils. Les bénéfices sont multiples : partenariats avec les acteurs civils, publications scientifiques diversifiées, etc.

Enfin, en complément des actions de promotion de la dualité précédemment évoquées, l’Agence de l’innovation de défense a noué des partenariats avec l’Agence nationale de la recherche (ANR)[45] pour financer une centaine de thèses duales par an. L’AID accompagne aussi des projets de recherche d’intérêt via le mécanisme ASTRID (accompagnement spécifique des travaux d’intérêt défense).

Les spécificités de la recherche publique, notamment l’absence d’impératif de rentabilité, permettent une certaine liberté d’exploration sur le long terme, dans le respect des orientations fixées par la puissance publique et des programmes décidés par leurs organes de direction. Ceci offre un cadre favorable à l’innovation, qu’elle soit incrémentale ou de rupture. Il convient donc de continuer à soutenir l’écosystème de recherche publique français – qui, par ailleurs, ne vit pas en vase clos et a développé des politiques actives de connexion avec le monde des start-up.

E.   La BITD et la dualité.

En matière de dualité, on peut distinguer deux types d’entreprises de la BITD : celles qui sont duales par nature et celles dont l’activité est exclusivement militaire.

Dans le premier cas, les activités civiles et militaires sont souvent complémentaires et la dualité s’inscrit dans une sorte d’équilibre naturel. Les autorités de défense trouvent leur compte à cette organisation puisqu’elle permet de bénéficier de certains effets d’échelle offerts par la mobilisation d’un appareil industriel conçu pour fournir des volumes importants.

Le continuum d’applications défense-civil

Les besoins scientifiques et technologiques du secteur civil ne sont pas complètement distincts des besoins militaires. Certaines innovations développées pour la défense nationale s’inscrivent dans un continuum d’applications défense civil qui passe par la sécurité intérieure. Pour faire face aux menaces pesant sur le territoire national, telles que le terrorisme ou la cybercriminalité, les acteurs civils de la sécurité s’inspirent de technologies militaires.

Par exemple, pour l’organisation de la Coupe du monde de rugby 2023 et celle des Jeux olympiques 2024, les forces civiles de sécurité collaborent avec le monde de la défense pour bénéficier de la R&D et de l’expérience acquise dans la lutte anti-drone ou la simulation numérique de détonation explosive.

Par exemple, les entreprises du secteur aéronautique (Safran, Airbus, Ratier-Figeac)[46] investissent massivement dans l’innovation civile depuis quelques années pour répondre aux besoins de décarbonation de l’aviation[47]. Même si les rythmes d’innovation et de changement ne sont pas forcément synchrones entre les activités civiles et les activités liées à la défense, ces investissements trouveront à terme un écho dans l’innovation militaire. En effet, la décarbonation de l’aviation civile ne s’appuie pas seulement sur la mise en œuvre d’un panel de solutions techniques mais aussi sur une démarche de sobriété et d’optimisation des ressources dont peuvent tirer profit les forces aériennes : un avion qui consomme moins de carburant peut accomplir des missions de plus longue durée et sur de plus longues distances ; être en capacité de déployer des unités aériennes plus sobres permet de mieux couvrir l’espace aérien.

L’équipementier Thalès présente un schéma de dualité équilibré, son chiffre d’affaires global se partageant à peu près pour moitié entre les activités militaires et les activités civiles. Ces dernières s’inscrivent tout de même dans le continuum défense-civil, puisqu’elles concernent principalement les marchés de la sécurité, de l’aéronautique et du spatial. Ce schéma permet à Thalès de se positionner sur l’ensemble des domaines d’innovation soutenus par le Ministère des armées et d’être ainsi le premier bénéficiaire des crédits Études amont (27 % du total).

Au contraire, des entreprises comme Nexter, NavalGroup ou MBDA ont une activité entièrement orientée vers la défense. Elles financent leur R&D interne via le dispositif Études amont de la DGA ou les PTD de l’AID mais aussi grâce aux recettes tirées de leurs activités d’exportation.

Leurs sources de financements sont donc moins nombreuses, d’autant que les projets sont en général soumis aux autorités avec l’ensemble de la BITD du secteur concerné (BITD navale de défense pour NavalGroup, BITD de l’artillerie ou des blindés pour Nexter, BITD des systèmes de missiles pour MBDA, etc.). De ce fait, une part importante du soutien reçu, qui peut aller jusqu’à la moitié, est redirigée vers les sous-traitants.

Pour détecter, capter et adapter les innovations du secteur civil, ces entreprises n’ont d’autre choix que de nouer des partenariats avec l’écosystème civil de R&D : PME, universités, laboratoires de recherche, etc. Afin de développer des synergies le plus amont possible, ces industriels s’associent aussi avec des start-up, dans une logique d’accompagnement similaire à celle menée par l’AID.

Quels que soient leur profil et leur secteur d’activité, les industriels de la BITD inscrivent leur R&T et leur R&D dans une démarche de dualité plus ou moins développée. Face aux mutations récentes de l’innovation civile, il s’agit de détecter, capter et adapter les technologies développées hors champ militaire dans une logique partenariale avec des laboratoires de recherche ou des start-ups duales. Ceci passe aussi par la mutualisation de certains moyens d’actions – financiers, humains, mais aussi techniques comme par exemple les plateformes d’intégration. Le lien entre les écosystèmes de recherche et d’innovation civils et militaires est donc bien réel grâce aux efforts des acteurs concernés.

III.   COMPARAISON AVEC LES PARTENAIRES EUROPÉENS.

Le modèle français et son évolution récente – sur les plans budgétaire et organisationnel, mais aussi en matière de soutien ouvert à la dualité – est souvent décrit comme s’inspirant du modèle américain.

Le modèle d’innovation militaire américain repose sur principalement sur la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency), agence spécialisée chargée de la R&D au sein du Département de la défense (MoD) américain[48]. Son budget propre ne s’élève qu’à 3 Md$, mais il ne s’agit que d’un budget de fonctionnement d’administration. En effet, la DARPA ne développe aucun projet de R&D en interne mais contractualise tous ses projets d’intérêt avec différents partenaires externes (publics, privés, laboratoires, industriels) en mobilisant les financements conséquents du MoD. La DARPA bénéficie d’une forte autonomie et fait preuve d’un réel « appétit pour le risque » qui lui ont permis d’être à l’origine de nombreuses technologies de rupture aux répercussions mondiales, telles que l’ARPANET (ancêtre de l’internet) ou le GPS.

Depuis quelques années, les pays européens ont entamé une réflexion autour de leur modèle d’innovation défense.

La France s’inspire du modèle américain sur quelques aspects précis : ouverture vers les acteurs privés ou civils, hausse des financements, création d’un fond d’investissement ; elle a cependant décidé de placer son agence d’innovation sous l’ombrelle de la DGA.

Le Royaume Uni s’inspire aussi dans une certaine mesure de ce modèle.

La situation en Espagne et en Italie reste légèrement différente. Dans ces deux pays, des actions nationales en faveur de l’innovation de défense commencent à se mettre en place, en complément des projets déjà initiés via le Fonds européen de défense et les partenaires européens.

Enfin, en Allemagne, la R&D à destination militaire ne présente presque aucune dimension duale, ce qui contraint un écosystème qui dispose pourtant d’un fort potentiel.

Le projet de loi LPM 2024-2030 prévoit que seront mises en place des « coopérations au service de l’autonomie stratégique européenne » en citant « l’Italie, l’Espagne, […] l’Allemagne et le Royaume-Uni [comme] partenaires privilégiés ». De par leurs spécificités, les modèles d’innovation défense de ces pays présentent des avantages et des inconvénients qu’il convient de connaitre.

A.   Le Royaume-Uni : un modèle d’innovation défense proche du modèle français.

Le ministère de la défense britannique dépend de son service Defence Science & Technology (DST) pour conduire sa politique d’innovation. Le DST définit les orientations stratégiques, fournit une expertise scientifique interne et collabore avec différents acteurs industriels, académiques, autres ministères, mais aussi internationaux.

Le DST emploie directement 140 personnes dont une cinquantaine de scientifiques et ingénieurs ; son directeur est placé sous l’autorité du Chief Scientific Adviser ou conseiller scientifique en chef du MoD. Le budget Science & Technology (S&T) du MoD représente 1,2 % du budget de défense global et il a été annoncé récemment que 6,6 milliards de livres, soit 7,5 Md€, devraient lui être alloués sur les cinq prochaines années. Ce montant sera réparti sur cinq domaines d’intérêt stratégique, tels que le renseignement ou les technologies de communication. Une partie des crédits finance le laboratoire de R&D interne au MoD, le Defense Science and Technology Laboratory (DSTL) qui peut travailler non seulement pour les organes du MoD mais aussi pour les industriels de la BITD britannique et des structures académiques.

De nombreux autres acteurs font partie de l’écosystème d’innovation défense britannique, certains dépendant directement des forces armées, d’autres relevant d’organismes civils. Les autorités réfléchissent actuellement à la façon de mieux articuler ces entités.

S’il est difficile d’établir une comparaison directe avec le modèle français, le budget et l’effectif du DST sont similaires à ceux de l’AID. En revanche le DSTL n’a pas d’équivalent direct en France.

La BITD britannique fait face aux mêmes défis que son homologue française : une certaine dépendance à l’innovation civile et un impératif de compétitivité à l’exportation. Le MoD a identifié plusieurs « partenaires d’intérêt stratégique » avec lesquels il entretient un dialogue privilégié et une relation étroite. L’innovation programmée, soutenue par des contrats à long terme, reste au cœur de la stratégie britannique et repose sur ces relations de confiance bien entretenues.

L’écosystème d’innovation repose aussi sur les acteurs académiques, tels que le département de physique de l’Université de Cambridge. Le MoD et la BITD contractualisent des travaux de recherche avec les équipes universitaires, qui ont ensuite le droit d’en publier les méthodes et les résultats. Là aussi, le MoD maintient une relation étroite avec les chercheurs pour pouvoir les solliciter rapidement et bénéficier d’une plus grande réactivité.

Le Brexit a coupé les acteurs britanniques de l’innovation défense d’une source de financement non négligeable. Au-delà de la perte économique stricto sensu, les partenariats noués avec leurs homologues européens facilitaient l’atteinte de la taille critique pour les projets de grande envergure.

Le modèle britannique réunit peu ou prou les mêmes acteurs que l’écosystème français, même si leur organisation n’est pas totalement superposable : Ministère de la défense, entité spécifique chargée des projets R&D), BITD avec une forte activité duale et d’exportation, recherche publique. Ces similitudes en font a priori un partenaire à privilégier pour des coopérations d’innovation défense dans le cadre de la LPM.

B.   L’Allemagne : une innovation de défense axée sur le numérique, dans le cadre d’un modèle dénué de dualité

Depuis 2012, le gouvernement allemand pilote l’innovation technologique de ses armées au moyen du Bundesamt für Ausrüstung, Informationstechnik und Nutzung der Bundeswehr (BAAINBw ou Office fédéral des équipements, des technologies de l'information et du soutien en service de la Bundeswehr). Cette agence fédérale, équivalente à la DGA française, est rattachée au ministère de la défense.

Elle notoirement sous-dotée, aussi bien en termes de budget que de ressources humaines[49]. En effet, en 2020, le ministère allemand de la défense consacrait à la R&D un budget de 1,5 Md€ par an. Peu de temps après le déclenchement du conflit en Ukraine, le gouvernement a annoncé un plan d’investissement de 100 Md€ pour moderniser ses armées dans les prochaines années. Dans le cadre de ce plan, il est prévu que 422 M€ soient consacrés à la R&D et l’intelligence artificielle[50], un effort qui peut apparaître mesuré. Il faut cependant noter qu’il accompagne une réforme structurelle mise en place entre 2018 et 2020, avec la création d’un équivalent de la DARPA, la Cyberagentur, dont le champ d’intervention est néanmoins limité à l’innovation numérique et la cybersécurité.

La BITD allemande compte environ 200 entreprises, dont 8 groupes majeurs.

Malgré la vigueur du tissu industriel et une culture de recherche très affirmée, les activités d’innovation duales sont pratiquement inexistantes en Allemagne, pour des raisons historiques. Il est presque impossible pour les entreprises de défense allemandes de nouer des partenariats avec des entités civiles, comme des universités ou des laboratoires de recherche[51]. Ceci augmente les coûts de la R&D de défense[52] et diminue la compétitivité de la BITD sur les marchés d’exportation.

La coopération franco-allemande sur l’innovation défense passe principalement par la réponse à des appels à projet du FED.

C.   Italie : une ambition timide encore très dépendante des projets européens.

La R&D militaire s’articule autour de sept grandes priorités (IA, capteurs, systèmes autonomes, satellites, etc.). Le Ministère de la défense italien consacre 4,7 Md€ aux activités de recherche et développement sur la période 2019-2029. Le conflit en Ukraine a conduit le gouvernement à intensifier l’effort budgétaire, qui représente désormais 2,5% du budget total de la défense.

L’écosystème de start-up est peu développé et n’interagit que peu avec les acteurs militaires. De ce fait, l’effort public de R&D à vocation militaire se dirige essentiellement vers des projets de recherche appliquée dont le niveau de maturité technologique est déjà élevé, et sur des programmes d’innovation programmée conduits sur long terme avec les industriels.

Si la BITD italienne compte peu de start-up, elle inclut d’ailleurs un très grand acteur, Leonardo, l’un des plus importants groupes mondiaux du secteur aéronautique et spatial. Le groupe a investi 2 Md€ en 2022 en recherche et développement et soutient un réseau de partenariats avec des universités et des laboratoires de recherche italiens.

Depuis quelques années, une ouverture de l’armée italienne aux acteurs civils a été engagée, portée par un effort jugé indispensable sur l’informatisation des systèmes militaires et sur l’exploitation d’opportunités ouvertes par l’aspect dual des thématiques espace, robotique, intelligence artificielle, technologies quantiques, etc.

L’Italie a noué de nombreuses coopérations avec des partenaires européens ou mondiaux[53] pour mener ses projets de R&D défense. Elle est le deuxième bénéficiaire du FED derrière la France et devant l’Espagne et l’Allemagne.

D.   Espagne : des ambitions nationales à confirmer.

Les activités d’innovation défense sont pilotées directement au sein du ministère des Armées par la Direccion general de armamento y material (DGAM) qui coordonne aussi les différents dispositifs de soutien à l’innovation.

Les dépenses de R&D militaire étaient d’environ 500 M€ avant 2022, soit environ 3 % du budget total de la défense. En 2023, en réponse au conflit en Ukraine, les investissements devraient atteindre quasiment 1,5 Md€. Ces fonds proviennent du ministère de la défense mais aussi du ministère de l’industrie et sont pour l’essentiel orientés vers la BITD.

L’État espagnol soutient l’effort de modernisation et d’innovation de ses Armées, en adaptant le cadre législatif, qui était jusqu’à récemment très rigide. Il incite notamment sa BITD à solliciter le Fonds européen de défense (FED) qui est devenu une source importante de financement. SL BITD cherche à consolider ses activités d’exportation face à une concurrence mondiale forte et demandeuse de technologies de pointe.

La France a récemment confirmé sa volonté de continuer le dialogue franco-espagnol lors de la visite du chef d’état-major des armées espagnoles à Paris[54].

 

 


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   ConClusion et recommandations

Le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024-2030 ambitionne de faire de l’écosystème de défense le porteur de nombreuses innovations de rupture, et de garantir la maîtrise d’un certain nombre de champs scientifiques et technologiques.

En effet, l’innovation pour la défense est un instrument de l’autonomie stratégique et de la prospérité économique. Au-delà même des moyens budgétaires et humains qui lui sont consacrés, elle doit être dotée d’une gouvernance publique efficace, dotée de l’autorité nécessaire pour faire prévaloir les intérêts de la puissance publique et de la liberté de s’engager dans des projets risqués.

La mutation de la gouvernance actuelle, engagée avec la création de l’ Agence de l’innovation de défense, va dans le bon sens même s’il reste encore quelques chantiers à mener. Un effort devra être consenti sur le « passage à l’échelle » des projets d’innovation et sur l’appropriation d’un rapport plus ouvert à la prise de risques dans la gestion des projets, état d’esprit indispensable lorsqu’on souhaite faire émerger des innovations de rupture.

Même si l’ Agence de l’innovation de défense est une création récente, il ne faut pas s’interdire de réfléchir d’ores et déjà à son positionnement – faut-il la laisser rattachée à la DGA ou franchir un pas vers plus d’autonomie ? Si l’on veut construire un modèle d’innovation robuste en temps de paix comme en temps de crise, comment lui donner l’agilité nécessaire sans le couper des bénéfices qu’apporte la conduite des programmes inscrits dans le temps long ?

L’ambition d’innovation du Ministère des Armées dans la prochaine LPM repose encore beaucoup sur les acteurs industriels de la BITD et sur les activités de R&D civiles. Cette stratégie conforte l’innovation comme instrument de puissance économique, y compris par les activités d’exportation. Mais elle laisse subsister une forme de dépendance. La feuille de route des acteurs civils – même si certains sont duaux – n’est pas toujours en phase avec les besoins de la défense. L’enjeu pour les pouvoirs publics est de trouver le bon équilibre entre le bouillonnement innovatif dont peut faire preuve le secteur civil, notamment mais pas exclusivement les start-up – pour ce qui est des acteurs – et le numérique – pour ce qui est du champ scientifique – et les indispensables apports d’une innovation plus « classique ».

D’ailleurs, malgré leurs profils variés, tous les acteurs de la BITD auditionnés par les rapporteurs ont appelé de leurs vœux une meilleure coordination et un meilleur dialogue entre les parties prenantes de l’écosystème d’innovation : DGA, AID, forces armées, industriels. Face à l’évolution rapide et polymorphe des menaces, garantir une supériorité technologique des Armées passe par une articulation plus étroite des différentes feuilles de route, et éventuellement des moyens

Un tel effort aura pour effet de mieux positionner les acteurs français sur la scène internationale en montrant une vision française cohérente. Ceci ne pourra que conforter la position prise par la prochaine LPM, qui entend encourager les projets de collaboration avec des partenaires européens.

A cet égard, le Fond européen de la défense reste un très bon outil pour mettre en place des projets collaboratifs avec des pays comme l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne – qui dépendent de ce type de financement pour mener des projets d’innovation d’ampleur. La collaboration avec le Royaume Uni doit prendre une autre forme puisque ce pays n’est pas éligible au FED. La similitude entre les modèles d’innovation défense français et britannique devrait faciliter une telle coopération.

Enfin, puisqu’une loi de programmation définit aussi des moyens, une attention particulière devra être portée à resserrer les priorités pour éviter la dispersion des budgets et le syndrome du saupoudrage. L’effort budgétaire devra a minima être maintenu dans la durée, si possible en volume, car le retour de la guerre de haute intensité en Europe montre qu’il faut sortir de la configuration « expéditionnaire » longtemps assignée aux forces françaises conventionnelles.

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Recommandations :

Sur la base de ces considérations, et pour répondre aux ambitions portées par le projet de loi de programmation militaire sur le volet innovation, l’Office formule les recommandations suivantes :

  1. Mieux assumer la prise de risque inhérente à toute innovation de rupture, notamment en améliorant les instruments et les processus qui permettent d’accompagner le « passage à l’échelle » des projets ;
  2. Ouvrir la possibilité de faire évoluer le positionnement de l’ Agence de l’innovation de défense, sur la base d’une analyse de ses réalisations à l’occasion d’un bilan à mi-parcours de la prochaine LPM ;
  3. Accompagner la dynamique contemporaine de la dualité civil-militaire en approfondissant la logique de détection-captation-adaptation de l’innovation civile, tout en veillant à ne pas enfermer la défense dans une dépendance au civil, notamment par la mobilisation de la recherche académique et des organismes publics impliqués dans la recherche duale ;
  4. Tirer parti de la proximité entre les modèles d’innovation défense français et britannique pour faire du Royaume Uni un partenaire privilégié de l’innovation défense ;
  5. A moyen terme, resserrer le nombre d’axes d’innovation prioritaires. Cela pourra passer par une actualisation de la LPM à mi-parcours.

 

 


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   EXAMEN DU RAPPORT PAR L’OFFICE

L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques s’est réuni le 9 mai 2023.

M. Pierre Henriet, député, président de l’Office. ‑ Mes chers collègues, je vous souhaite la bienvenue à cette nouvelle réunion de l’Office. L’unique point à l’ordre du jour est l’examen du rapport préparé par Huguette Tiegna et Ludovic Haye sur les lois de programmation militaire et l’innovation. Je cède immédiatement la parole aux rapporteurs pour qu’ils nous présentent le résultat de leurs travaux.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. ‑ Mes chers collègues, au printemps 2023 sera examiné au Parlement un projet de loi de programmation militaire pour la période 2024-2030. Les lois de programmation militaire (LPM) définissent la programmation pluriannuelle du budget de l’État destiné aux forces armées françaises.

En amont de l’examen de ce projet de loi, la commission de la défense et des forces armées de l’Assemblée nationale a saisi l’Office en décembre dernier pour établir un état des lieux de l’innovation de défense dans le cadre des lois de programmation militaire, avec un éclairage particulier sur la récente réforme de la gouvernance et sur la dualité civil-militaire.

Pour les Armées, bénéficier de technologies de pointe permet de disposer d’une supériorité technologique sur l’adversaire. Cela favorise aussi la compétitivité des industriels français de l’armement sur le marché mondial et à l’exportation, notamment vers l’Europe. L’innovation de défense représente donc un atout à la fois stratégique et économique pour notre pays.

Le rapport que nous présentons aujourd’hui explore principalement les questions suivantes : en termes d’innovation défense, la France se donne-t-elle les moyens de l’ambition affichée dans le projet de LPM 2024-2030 ? À quelles conditions la France sera-t-elle porteuse d’innovations de rupture ? La dualité forte affichée par le système français est-elle source de dépendance à l’innovation civile ? Le modèle français est-il unique dans le paysage européen ?

Pour tenter d’apporter des réponses, nous nous sommes penchés, dans un premier temps, sur la politique d’innovation mise en place récemment par le ministère des Armées.

Cette politique passe par une impulsion budgétaire qui s’est consolidée au fil de la dernière LPM. En 2022, le budget innovation défense était de 1 milliard d’euros (Md€) par an et la prochaine LPM prévoit 10 Md€ consacrés à l’innovation sur la durée 2024-2030 – soit plus d’1 Md€ par an. Ce budget sera réparti sur différents domaines d’intérêt afin d’« offrir aux armées la maîtrise des nouveaux champs de conflictualité (espace, fonds marins, champ informationnel, cyber) à l’horizon 2030, que ce soit en captant des technologies civiles ou en explorant des nouvelles technologies de rupture ».

L’émergence de nouvelles menaces et leur multiplicité ne doivent cependant pas inciter à la dispersion de l’écosystème d’innovation. Il faudra opérer des choix précis lors de chaque actualisation de la LPM en fonction de l’évolution des menaces, des progrès technologiques réalisés et des points forts de l’innovation française.

Cet effort budgétaire a été accompagné d’une réforme de la gouvernance avec la création de l’Agence de l’innovation de défense (AID) en 2018. L’AID a pour rôle de piloter et mettre en œuvre l’innovation défense française, sous l’autorité du délégué général de l’armement.

Le milliard d’euros dédiés chaque année à l’innovation est donc principalement géré par l’AID dans le but d’accompagner un changement de stratégie globale : il ne s’agit pas simplement de poursuivre, avec plus de moyens, la politique d’innovation précédemment mise en œuvre par la Délégation générale de l’armement (DGA) mais bien de changer de paradigme à l’égard de l’innovation.

En effet, les programmes d’armement menés par la DGA sont complexes par nature, accompagnés d’investissements massifs (souvent plusieurs dizaines de milliards d’euros pour un seul programme) et s’inscrivent dans le temps long, avec une planification stricte. Ce mode opératoire garantit le respect des lignes budgétaires, permet le développement de projets d’ampleur et surtout limite les risques. Il ne laisse cependant que peu de place à l’innovation qui peut apparaitre ou s’avérer utile au cours du développement d’une technologie.

Avant la réforme de 2018, certains projets d’innovation gérés par la DGA étaient confrontés à une vraie difficulté de mise en œuvre liée une prise de risque insuffisante et à la complexité du processus permettant à l’innovation de « sortir du laboratoire ». Ce problème trouvait son origine dans un manque de moyens – financiers et humains – mais aussi dans une culture insuffisante de l’innovation.

La culture de minimisation des risques en vigueur à la DGA ne doit pas se retrouver dans le traitement des projets à l’Agence de l’innovation de défense puisque, par nature, l’innovation est risquée. Cela passe par l’accompagnement du « passage à l’échelle » des projets afin de faciliter la sortie du laboratoire de certaines recherches très fondamentales vers la conception de prototypes de qualité industrielle. Il s’agit moins d’en faire un mode de fonctionnement systématique que de consolider la capacité à certifier rapidement en temps de paix l’innovation ouverte de manière à être réactif en cas de conflit.

Plus généralement, l’accompagnement de l’innovation est nécessaire pour créer un cadre favorable à celle-ci et attirer de nouveaux acteurs. Il s’agit aussi de favoriser l’émergence de technologies de rupture sur le territoire national, comme cela est d’ailleurs spécifié dans la présentation du projet de LPM 2024-2030.

Pour accompagner le renforcement de la politique en faveur de l’innovation, l’AID dispose de différents leviers. Elle a d’abord pour mission de se positionner en tant que « guichet unique » face à l’écosystème d’innovation militaire et civil, en mettant à disposition des acteurs plusieurs moyens de financement définis en fonction du type de projet.

Quelques années après sa création, l’AID montre un certain succès et a une bonne visibilité auprès des parties prenantes. Il est cependant trop tôt pour tirer un bilan complet de cette réforme de la gouvernance de l’innovation, d’autant que certaines évolutions sont toujours en cours.

Un point de vigilance peut néanmoins déjà être soulevé : « organisation du ministère à compétence nationale », placée sous l’autorité du délégué général de l’armement, l’AID n’a pas d’autonomie juridique. Sa mutation vers un type de structure plus agile, ouvert et capable de réagir rapidement – tel que cela avait été pensé initialement – nécessitera de réfléchir à l’évolution de son statut à court ou moyen terme.

L’écosystème d’innovation défense compte aussi la base industrielle et technologique de défense (BITD). Ce terme désigne l’ensemble des industries nationales prenant part aux activités de défense. La DGA collabore en permanence avec les maîtres d’œuvre industriels français de la BITD, notamment par le biais de contrats pour la réalisation et l’exportation de systèmes d’armes.

La BITD française compte au total près de 2 000 entreprises dont une grande majorité de petites et moyennes entreprises sous-traitantes.

Pourtant, 70% des crédits d’innovation sont fléchés vers les huit plus grands groupes industriels que sont Airbus, Arianegroup, Dassault Aviation, MBDA, Naval group, Nexter, Safran et Thales. Dans ce contexte, il est plus difficile pour les PME de trouver leur place et de compter dans le paysage d’innovation, même si les budgets obtenus par les grands groupes sont aussi destinés à alimenter l’écosystème dans sa globalité.

Pour la BITD, l’État joue à la fois le rôle de client, d’actionnaire et de régulateur. Ainsi, à travers sa stratégie de défense, l’État conduit aussi une politique industrielle. Si l’innovation est considérée comme un outil stratégique et économique par les pouvoirs publics, ce paradigme doit alors se retrouver dans la gouvernance de la BITD.

Du fait de la restructuration récente de la gouvernance de l’innovation et de la création de l’Agence de l’innovation de défense, l’écosystème industriel a dû rééquilibrer ses demandes entre le guichet traditionnel de la DGA et les différents programmes de financement de l’AID, notamment pour les grands projets d’innovation programmée.

La situation est plus complexe pour les entreprises de taille intermédiaire (ETI). Certaines ne se reconnaissent ni dans les appels à projets de la DGA (projets d’ampleur, soutien de plusieurs milliards d’euros) ni dans le fonctionnement plus agile de l’AID, dont le soutien à l’innovation a surtout visé, dans ses débuts, les petites structures de type start-up.

Au-delà des grands programmes d’armement et des financements du ministère des Armées et de la DGA, la BITD fait aussi de l’innovation sur fonds propres en suivant globalement les grandes orientations définies par le ministère des Armées. Programmer des financements et des axes de priorité sur le temps long, environ 7 ans, comme le fait la LPM permet de donner de la visibilité et de conforter les projets, mais aussi de renforcer l’attractivité du secteur pour le recrutement d’ingénieurs de haut niveau, par exemple.

Concevoir des équipements de pointe permet aux entreprises de la BITD d’honorer les contrats domestiques mais surtout de rester compétitives à l’export. En effet, le seul marché français reste insuffisant pour assurer le modèle économique des industriels de défense et pour amortir les coûts de R&D et R&T nécessaires pour résister à la compétition technologique mondiale. Il est donc indispensable pour les industriels français d’être performants à l’exportation.

La dynamique reste cependant assez vertueuse puisque les revenus d’exportation sont très souvent réinvestis dans l’innovation afin de maintenir la place de la France sur le marché mondial, c’est-à-dire au 3e rang pour les exportations d’armes.

Dans ce contexte, certaines PME ou ETI se sont ouvertes à des capitaux étrangers (avec des pays considérés comme partenaires, en Europe ou aux États-Unis) afin d’élargir leur marché. Elles restent éligibles aux dispositifs de soutien à l’innovation de la DGA et de l’AID mais doivent passer par des procédures plus complexes. Elles se tournent alors souvent vers les nouveaux dispositifs de soutien disponibles à l’échelle européenne, comme le Fonds européen de défense.

Face à l’intensification et à l’accélération de la compétition mondiale, avec une montée en puissance budgétaire et technologique des États-Unis et de la Chine, l’Union européenne a créé le Fonds européen de défense (FED) en 2021. Sur la période 2021-2027, le Fonds bénéficie d’un budget pluriannuel de 7,9 Md€. L’objectif est de financer les programmes de recherche et développement des industriels européens de la défense, dans un esprit de coopération pour consolider la BITD européenne.

L’intérêt est double : d’une part, accroitre l’autonomie stratégique européenne en faisant émerger des acteurs européens de taille critique susceptibles de rivaliser avec ceux des grandes puissances sur la scène internationale ; d’autre part, améliorer l’interopérabilité des équipements européens.

Environ 5 % du budget global du FED est consacré au développement ou à la recherche de technologies de rupture susceptibles de déboucher sur des innovations déterminantes dans un contexte de défense.

L’outil a donc réussi à s’imposer dans le paysage national même si l’articulation avec les projets et les soutiens nationaux doit encore se préciser.

Face à la multiplication des acteurs, il faut maintenant mutualiser ces guichets de financement de manière vertueuse. Solliciter différents guichets et multiplier les acteurs est consommateur de temps – temps pendant lequel les forces ne bénéficient pas des technologies sur les théâtres d’opération.

M. Ludovic Haye, sénateur, rapporteur. ‑ Dans un second temps, nous avons examiné l’évolution de la dualité à la française et comment elle conditionne l’écosystème d’innovation de défense aujourd’hui.

De la Seconde Guerre mondiale aux années 1970, le contexte géopolitique a amené les grandes puissances à mettre en place d’importants programmes d’armement et d’innovation, à la fois dotés de budgets conséquents et soumis à des délais de développement très brefs. Il en est résulté un développement rapide de technologies de rupture qui ont trouvé de nombreuses applications civiles.

Cette synergie entre les fins civiles et militaires de l’innovation est appelée dualité. Elle consiste « à tirer parti de l’exploitation de compétences, de technologies, de produits, de procédés pour satisfaire des besoins exprimés à la fois sur des marchés civils et militaires ». On peut penser par exemple aux grands programmes d’exploration spatiale ou au développement de la force nucléaire pendant la guerre froide.

La dislocation du bloc soviétique en 1989 a provoqué une baisse tendancielle des financements des programmes militaires pendant toute la décennie 1990. De ce fait, l’innovation militaire a globalement ralenti et ses déclinaisons vers le secteur civil se sont atténuées.

Dans un contexte économique plus concurrentiel et un marché militaire français devenu trop étroit, la dualité est alors apparue nécessaire pour l’industrie de défense. Elle suppose de réfléchir au double usage, militaire et civil, d’une technologie dès les débuts de sa conception afin d’élargir l’éventail de ses possibles applications et d’accroître son potentiel de rentabilité.

Les cycles d’innovation dans le monde civil connaissent depuis un quart de siècle une accélération sensible portée par des investissements privés massifs, alors que les investissements de défense ont diminué. Ce phénomène résulte pour une large part de l’essor des technologies de l’information et de la communication, où les GAFAMs occupent une place dominante.

L’écosystème d’innovation militaire s’est adapté à cette nouvelle donne et la dualité a pris une nouvelle orientation entre la fin des années 1990 et le début des années 2000. Ce phénomène s’observe dans le monde entier, notamment en France où l’Agence de l’innovation de défense a développé une politique active pour promouvoir la dualité.

Cependant, la politique nationale en matière de dualité ne doit pas consister à se placer dans le sillage des écosystèmes d’innovation privée, que ce soit celui des start-up ou celui des grands acteurs mondiaux du numérique.

Les grandes lignes de l’innovation civile sont aujourd’hui dictées par des acteurs non français et marquées par une forte prédominance des technologies numériques. Certes, l’intelligence artificielle, la cybersécurité, le spatial ou les technologies quantiques sont des champs d’innovation cruciaux pour la défense et la sécurité nationale. Mais il ne faut pas pour autant négliger les autres domaines d’innovation, plus classiques, tels que la science des matériaux, les sciences hydro- et aérodynamiques, la chimie, l’électronique ou encore la santé, qui restent tout aussi fondamentaux pour donner à la France les moyens de garantir sa souveraineté.

C’est pourquoi la puissance publique doit également mobiliser la recherche publique et les organismes de recherche duale.

Par exemple, le Ministère des Armées exerce ou participe à la tutelle de l’État sur quatre établissements de recherche : le CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives), le CNES (Centre national d’études spatiales), l’ONERA (Office national d’études et de recherches aérospatiales) et l’ISL (Institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis). Ces établissements conduisent des recherches duales, tant fondamentales qu’appliquées.

Ces établissements sont le bras armé de l’État pour la définition d’objectifs, de priorités et de projets dans les champs scientifiques et technologiques ayant des implications majeures pour la défense : dans le domaine spatial et aéronautique avec le CNES et l’ONERA, dans les projectiles hypervéloces avec l’ISL, dans le calcul à haute performance avec le centre de calcul de la direction des applications militaires (DAM) du CEA, situé à Bruyères-le-Châtel et dédié à la simulation de la dissuasion nucléaire française.

Les spécificités de la recherche publique, notamment l’absence d’impératif de rentabilité, permettent une certaine liberté d’exploration sur le long terme, dans le respect des orientations fixées par la puissance publique et des programmes décidés par leurs organes de direction. Ceci offre un cadre favorable à l’innovation, qu’elle soit incrémentale ou de rupture. Il convient donc de continuer à soutenir l’écosystème de recherche publique français – qui, par ailleurs, ne vit pas en vase clos et a développé des politiques actives de connexion avec le monde des start-up.

La BITD participe aussi à la démarche de dualité. On distingue deux types d’entreprises : celles qui sont duales par nature et celles dont l’activité est exclusivement militaire.

Dans le premier cas, les activités civiles et militaires sont souvent complémentaires et la dualité s’inscrit dans une sorte d’équilibre naturel. Par exemple, les entreprises du secteur aéronautique investissent massivement dans l’innovation civile depuis quelques années pour répondre aux besoins de décarbonation de l’aviation. Cela s’inscrit dans une démarche de sobriété et d’optimisation des ressources dont peuvent tirer profit les forces aériennes : un avion qui consomme moins de carburant peut accomplir des missions de plus longue durée et sur de plus longues distances ; une force aérienne capable de déployer des unités plus sobres peut mieux couvrir l’espace aérien.

Au contraire, des entreprises comme Nexter, NavalGroup ou MBDA ont une activité entièrement orientée vers la défense. Elles financent leur R&D interne via les dispositifs de la DGA ou de l’AID mais aussi grâce aux recettes tirées de leurs activités d’exportation. Pour détecter, capter et adapter les innovations du secteur civil, ces entreprises n’ont d’autre choix que de nouer des partenariats avec l’écosystème civil de R&D : PME, universités, laboratoires de recherche, etc.

Quels que soient leur profil et leur secteur d’activité, les industriels de la BITD inscrivent presque systématiquement leur R&T et leur R&D dans une démarche de dualité plus ou moins développée. Le lien entre les écosystèmes de recherche et d’innovation civils et militaires est donc bien réel grâce aux efforts des acteurs concernés, sachant que le principal moteur est la contrainte financière.

De manière générale, le modèle français et son évolution récente – sur les plans budgétaire et organisationnel, mais aussi en matière de soutien ouvert à la dualité – est souvent décrit comme s’inspirant du modèle américain.

Le modèle d’innovation militaire américain repose principalement sur la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency), agence spécialisée chargée de la R&D au sein du Département américain de la défense (DoD). Son budget propre ne s’élève qu’à 3 milliards de dollars, mais il ne s’agit que d’un budget de fonctionnement d’administration. En effet, la DARPA ne développe aucun projet de R&D en interne mais contractualise tous ses projets d’intérêt avec différents partenaires externes (publics, privés, laboratoires, industriels) en mobilisant les financements conséquents du DoD. La DARPA bénéficie d’une forte autonomie et fait preuve d’un réel « appétit pour le risque » qui lui ont permis d’être à l’origine de nombreuses technologies de rupture aux répercussions mondiales, telles que l’ARPANET (ancêtre de l’internet) ou le GPS.

Depuis quelques années, les pays européens ont entamé une réflexion autour de leur modèle d’innovation défense.

La France s’inspire du modèle américain sur quelques aspects précis : ouverture vers les acteurs privés ou civils, hausse des financements, création d’un fond d’investissement ; elle a cependant décidé de placer son agence d’innovation sous l’ombrelle de la DGA.

Le projet de loi LPM 2024-2030 prévoit que seront mises en place des « coopérations au service de l’autonomie stratégique européenne » en citant « l’Italie, l’Espagne, […] l’Allemagne et le Royaume-Uni [comme] partenaires privilégiés ». De par leurs spécificités, les modèles d’innovation défense de ces pays présentent des avantages et des inconvénients qu’il est utile de connaitre.

En Allemagne, la R&D à destination militaire ne présente presque aucune dimension duale pour des raisons historiques, ce qui contraint un écosystème qui dispose pourtant d’un fort potentiel.

En Espagne et en Italie, des actions nationales en faveur de l’innovation de défense commencent doucement à se mettre en place, en complément des projets déjà initiés via le Fonds européen de défense et les partenaires européens.

Enfin, dans le cadre de cette étude, nous nous sommes déplacés au Royaume Uni pour explorer de plus près son modèle d’innovation défense. Nous avons pu rencontrer différents acteurs de cet écosystème : le Ministère de la défense, la recherche académique à Cambridge, et deux industriels, Marshall Group et Babcock. En définitive, il nous semble que le modèle britannique réunit peu ou prou les mêmes acteurs que l’écosystème français, même si son organisation n’est pas totalement transposable : Ministère de la défense, entité spécifique chargée des projets R&D, BITD avec une forte activité duale et d’exportation, recherche publique. Ces similitudes en font a priori un partenaire à privilégier pour des coopérations d’innovation défense dans le cadre de la LPM.

Au vu de tous ces éléments, nous formulons les recommandations suivantes :

– mieux assumer la prise de risque inhérente à toute innovation de rupture, notamment en améliorant les instruments et les processus qui permettent d’accompagner le « passage à l’échelle » des projets ;

– ouvrir la possibilité de faire évoluer le positionnement de l’Agence de l’innovation de défense, sur la base d’une analyse de ses réalisations à l’occasion d’un bilan à mi-parcours de la prochaine LPM ;

– accompagner la dynamique contemporaine de la dualité civil-militaire en approfondissant la logique de détection-captation-adaptation de l’innovation civile, tout en veillant à ne pas enfermer la défense dans une dépendance au civil, notamment par la mobilisation de la recherche académique et des organismes publics impliqués dans la recherche duale ;

– tirer parti de la proximité entre les modèles d’innovation défense français et britannique pour faire du Royaume Uni un partenaire privilégié de l’innovation défense ;

– à moyen terme, resserrer le nombre d’axes d’innovation prioritaires. Cela pourra passer par une actualisation de la LPM à mi-parcours.

M. Pierre Henriet, député, président de l’Office. ‑ Je vous remercie pour cette présentation et je salue l’étendue du travail que vous avez fourni pour présenter ce rapport, notamment pour ce qui concerne les comparaisons avec les États-Unis et nos partenaires européens.

Vous signalez l’ouverture plus importante des acteurs militaires vers les activités civiles. Nous avons tout à gagner à une coopération plus étroite entre le civil et le militaire, mais le cadre de la souveraineté doit rester maîtrisé. Vos interlocuteurs vous ont-ils fait part d’alertes quant aux risques que soient divulguées de façon intempestive des avancées techniques ? Quels enjeux de souveraineté s’attachent à cette récente ouverture vers le civil ?

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. ‑ Ce sujet a été abordé lors des auditions. Les financements de l’État étant trop faibles, les budgets de R&D doivent être abondés, voire sécurisés par les recettes tirées de l’exportation et des activités civiles. Donc l’ouverture vers les marchés civils est essentielle à l’équilibre financier des firmes industrielles.

Celles-ci peuvent également tirer profit de recettes tirées de leur propriété intellectuelle, comme les redevances de brevets, mais il n’est parfois pas possible de déposer de brevet si les fondamentaux techniques sont très sensibles, très stratégiques, et nécessitent une confidentialité élevée.

Globalement, les acteurs industriels de la défense parviennent à concilier toutes ces exigences.

En matière de souveraineté, les liens étroits entre le secteur industriel de la défense et la DGA permettent de sécuriser certaines technologies. Pour ce qui est des collaborations avec des partenaires étrangers, des dispositions sont prises pour assurer la protection de la propriété intellectuelle.

M. Ludovic Haye, sénateur, rapporteur. ‑ L’articulation est néanmoins complexe. L’audition de l’AID a montré que deux questions sont en toile de fond : comment peut-on repérer une « pépite » civile ? Comment les militaires peuvent-ils communiquer sur leurs besoins ? L’AID est au cœur de cette articulation et elle est une interface entre les deux mondes civil et militaire. Ses missions incluent le repérage des innovations civiles, d’où un lien étroit avec le marché français de l’innovation.

Il faut prendre conscience que le développement d’un produit n’est pas toujours effectué pour répondre spécifiquement à un besoin de la défense. Mais le dynamisme des entreprises technologiques nationales fait que, grâce au repérage fait par l’AID, la France a une bonne carte à jouer.

La principale difficulté pour les garanties de souveraineté est l’achat des start-up par des acteurs économiques plus importants. Notre mission au Royaume-Uni nous a montré que l’attractivité générale du pays est un paramètre à prendre en compte pour éviter les départs et faciliter les retours.

M. Philippe Bolo, député. ‑ Je remercie nos collègues pour ce travail très intéressant. Il montre à nouveau que l’Office est utile au Parlement. C’est le cas ici, bien sûr, dans la perspective de l’examen du projet de loi de programmation militaire, mais c’est aussi le cas dans de nombreux autres domaines, comme la bioéthique ou, plus près de nous, sur le sujet de l’éventuelle fusion entre l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).

Le degré de maturité d’une technologie est généralement évalué sur l’échelle dite « TRL ». L’innovation civile et l’innovation militaire progressent-elles à la même vitesse sur cette échelle TRL ? Si c’est le cas, ce phénomène peut-il freiner ou contrarier leur capacité à se nourrir l’une l’autre ?

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. ‑ C’est très variable selon les situations. Pour des innovations purement militaires, la vitesse de maturation de la technologie est surtout liée à la disponibilité du financement, car le substrat scientifique existe et il est performant. Ceci étant, les innovations civiles peuvent être très rapides – c’est notamment le cas pour les technologies numériques. L’enjeu pour les autorités de défense est alors surtout de ne pas laisser passer une opportunité, d’où l’importance de l’effort qu’il faut consacrer à la détection.

M. Ludovic Haye, sénateur, rapporteur. ‑ Le président de la République a dit récemment qu’avec la prochaine LPM, on passera d’une logique de « réparation » à une logique de « rénovation et de transformation ». Une telle approche acte le fait que les phénomènes de maturation technique sont souvent plus rapides dans le civil que dans le militaire. Les armées ont besoin de matériel performant, mais la performance est ici une notion globale qui suppose que le matériel ait fait ses preuves. L’innovation intègre donc souvent le champ militaire vers la fin du processus de maturation technique.

Dans ces conditions, l’enjeu consiste à savoir quel domaine il faut privilégier, ce qui implique de travailler sur les différenciations dans les degrés de maturité.

M. Philippe Bolo, député. ‑ Dans ce processus d’intégration de l’innovation civile par les armées, les recherches se font-elles en parallèle ou en série ? En matière de drones, l’armée semble avoir pris le produit final issu de l’innovation civile pour l’intégrer dans une boucle propre d’innovation militaire.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. ‑ Les deux situations sont observées. Par exemple, dans le domaine aéronautique, l’entreprise Ratier-Figeac, que nous avons visitée, a une activité duale : de nombreux développements visent le marché civil, mais un contrat avec la DGA conduit à prendre en compte des spécifications « défense » dans le développement de certains produits finaux. De même, la technologie des drones est maintenant mature dans le domaine civil, mais les armées expriment des besoins spécifiques qui appellent des développements spécifiques.

M. Ludovic Haye, sénateur, rapporteur. ‑ Comme je l’ai dit précédemment, le secteur militaire arrive souvent en fin de processus pour ce qui est de la maturation des technologies, donc la logique est généralement celle d’une adaptation au cahier des charges de la défense. Pour accélérer, il faut chercher à intégrer le militaire plus tôt dans le processus de développement ; c’est justement le rôle de l’AID.

Il y a beaucoup de lourdeurs dans l’organisation, donc le fonctionnement de la recherche. Il s’y ajoute une forte concurrence entre les laboratoires : certains publient beaucoup et ont de la visibilité, d’autres concentrent leur énergie sur la réalisation des travaux de recherche, mais font moins de publications et ont donc moins d’accès aux financements.

M. Pierre Henriet, député, président de l’Office. ‑ Nous prenons bonne note du message que vous passez sur la nécessité d’une plus grande ouverture entre civil et militaire.

Je remarque par ailleurs que certains établissements publics de recherche fortement impliqués dans les activités de défense – je pense à l’ONERA et à l’ISL – font preuve d’une grande discrétion. On les connaît fort peu. Il serait intéressant de savoir si leurs activités de recherche ont été évaluées par le Hcéres.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. ‑ Pas à notre connaissance.

M. Pierre Henriet, député, président de l’Office. ‑ Il faut donc y voir une combinaison peu courante entre un haut niveau de recherche et une faible valorisation publique.

M. Ludovic Haye, sénateur, rapporteur. ‑ J’approuve ce qu’a dit Philippe Bolo quant à l’utilité de l’Office pour le Parlement. Il faut en profiter pour dire que de nombreux éléments du débat qui nous occupe sont positifs, comme la qualité de la recherche et le dynamisme de l’innovation de défense. Les ingrédients du succès sont là, il suffit de mieux s’organiser pour bien les exploiter. Le message global vers nos collègues parlementaires doit être positif.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. ‑ Je tiens à souligner que toutes les entreprises, petites, moyennes ou grandes, qui travaillent dans nos territoires à l’innovation de défense contribuent à renforcer le lien armée-nation. C’est extrêmement important pour assurer un recrutement pérenne et de qualité, tant pour les industriels que pour les armées. Il est très heureux que, dans la politique de réindustrialisation voulue par le Gouvernement, la partie relevant de la défense tienne une place si éminente.

M. Pierre Henriet, député, président de l’Office. ‑ Vos propos et le travail que vous venez de présenter confirment que l’Office assume avec efficacité sa mission d’information du Parlement. Je m’en réjouis et je vous remercie pour la qualité du débat que vous nous avez proposé aujourd’hui.

L’Office adopte le rapport sur « Les lois de programmation militaire et l’innovation » et en autorise la publication.

 

 


— 1 —

 

   Annexe:
liste des personnes entendues par les rapporteurs

Mardi 28 mars

17 heures : Audition de l’ Agence de l’innovation de défense (AID)

Jeudi 9 mars

9 h 30 : Audition de NEXTER

 

Mardi 14 mars

Audition de CEA Gramat

 

Mercredi 22 mars

15 heures : Audition d’EUTELSAT

Jeudi 23 mars

15 heures : Audition de THALES

 

16 heures : Audition de NAVAL Group

 

Mardi 11 avril

16 heures : Audition de SAFRAN

 

 

Jeudi 13 avril

9 heures : Audition de Collins Aerospace Ratier-Figeac

 

15 heures : Audition de MBDA

 

Déplacement au Royaume Uni

Mercredi 26 avril

9 h 30 : Audition de l’Université de Cambridge

Département de physique - Laboratoire et des activités de recherche duales

 

11 h 30 : Audition de Marshall Aerospace

 

15 h 30 : Visite de Bletchley Park

 

Jeudi 27 avril

9 h 30 : Audition du Ministry of Defence

15 heures : Audition d’ORCA Computing

 

15 heures : Audition de Babcock International

 

 

 

 

Contribution écrite : Airbus - Direction des Affaires publiques France

 


[1] Comme préconisé pour les pays membres de l’OTAN. À ce jour, seuls 11 pays sur les 31 que compte l’OTAN - les États-Unis, la Grèce, l'Estonie, le Royaume-Uni, la Pologne, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la France, la Norvège et la Slovaquie - répondent à ce critère.

[2] Rapport de la Cour des comptes « La loi de programmation militaire 2019-2025 et les capacités des armées » : https://www.ccomptes.fr/fr/publications/la-loi-de-programmation-militaire-2019-2025-et-les-capacites-des-armees

[3] https://www.vie-publique.fr/discours/287928-emmanuel-macron-20012023-politique-de-defense

[4] La France se situe actuellement au 3e rang mondial pour l’exportation d’armes, après les Etats-Unis et la Russie, le volume de ses exportations ayant augmenté de 72 % entre 2010-2014 et 2015-2019.

[5] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b1033_projet-loi.pdf

[6] Une innovation de rupture est une innovation souvent technologique portant sur un produit ou un service et qui finit par remplacer une technologie dominante sur un marché. Elle fait naître une nouvelle catégorie de produit ou service qui n'existait pas. Exemples : la photographie numérique, le MP3, Nespresso, etc (https://bpifrance-creation.fr/innovation-rupture )

[7] https://www.defense.gouv.fr/aid/actualites/document-reference-lorientation-linnovation-defense-2022-droid-est-ligne

[8] Les deux livres blancs sur la défense et la sécurité nationales (2008 et 2013) vont aussi dans ce sens.

[9] https://www.lemonde.fr/international/article/2022/06/15/destabilise-par-la-guerre-en-ukraine-le-renseignement-militaire-francais-en-quete-d-un-rebond_6130490_3210.html

[10] https://www.francetvinfo.fr/internet/securite-sur-internet/cyberattaques/les-cyberattaques-russes-en-hausse-de-300-entre-2020-et-2022-dans-les-pays-de-l-otan-et-de-250-en-ukraine_5662931.html

[11] Originellement appelée « délégation ministérielle pour l'armement », elle regroupait les six corps d’ingénieurs militaires et servait surtout à structurer les industries de l’armement, qui dépendaient directement de l’État. Elle prend le nom de « Direction générale de l’armement » en 1977 et évoluera petit à petit vers son profil actuel de maitre d’ouvrage des systèmes d’armes et de défense.

[12] https://www.defense.gouv.fr/dga/nous-connaitre/presentation-direction-generale-larmement

[13] https://www.defense.gouv.fr/nos-expertises/innovation-technologie

[14] L’innovation ouverte est définie comme une innovation fondée sur le partage et la collaboration à l’extérieur de l’entité concernée.

[15] https://www.defense.gouv.fr/aid/actualites/document-reference-lorientation-linnovation-defense-2022-droid-est-ligne

[16] Cette phase est parfois appelée « la vallée de la mort » en raison de son caractère critique et de la difficulté de passer d’une innovation de laboratoire à sa commercialisation par une entreprise.

[17] https://www.defense.gouv.fr/dga/nous-connaitre/presentation-direction-generale-larmement

[18] https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bc6p070mqsb/f1.pdf

[19] https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2021-03/20210318-02-TomeII-innovation-defense-outil-independance-strategique-et-economique-a-renforcer_0.pdf

[20] Entreprise qui intègre les différentes pièces d’un système. L’entreprise assure en général sa conception, son développement et son maintien en opération.

[21] Parfois majoritaire comme chez Naval Group, Safran ou Thalès.

[22] https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/286199-les-industries-francaises-de-defense-par-benoit-rademacher

[23] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b1033_projet-loi.pdf

[24] https://theconversation.com/sous-marins-australiens-le-modele-francais-dexportation-darmes-en-question-170390

[25] En 2017, il existait 178 systèmes d’armement différents dans l’UE (30 aux États-Unis), 17 modèles de chars (un seul aux États-Unis), 29 modèles de destroyers (4 aux États-Unis) et 20 modèles d’avions de combat (6 aux États-Unis). https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/qu-est-ce-que-le-fonds-europeen-de-defense/

[26] https://www.usinenouvelle.com/editorial/l-europe-debloque-1-2-milliard-d-euros-pour-favoriser-les-cooperations-en-matiere-de-defense.N2028232

[27] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_22_4595

[28] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b1033_projet-loi.pdf

[29] https://www.defense.gouv.fr/aid/actualites/document-reference-lorientation-linnovation-defense-2022-droid-est-ligne

[30] MÉRINDOL Valérie, VERSAILLES David W, « La dualité comme moyen de repenser la position stratégique des firmes », Revue Défense Nationale, 2015/5 (n° 780), pp. 46-51. DOI : 10.3917/rdna.780.0046. URL : https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2015-5-page-46.htm

[31] Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.

[32] https://www.challenges.fr/economie/l-armee-americaine-annule-le-megacontrat-de-cloud-au-centre-d-un-conflit-entre-microsoft-et-amazon_772357

[33] https://www.iris-france.org/129644-de-lia-en-amerique-les-gafam-menent-la-danse-strategique/

[34] https://www.ccomptes.fr/fr/documents/55051

[35] https://www.usinenouvelle.com/editorial/nous-visons-les-entreprises-qui-ont-un-potentiel-dual-a-la-fois-civil-et-militaire-annonce-emmanuel-chiva-le-patron-de-l-agence-de-l-innovation-de-defense.N1034509

[36] Acronyme de « nucléaire, radiologique, biologique et chimique ».

[37] C’est-à-dire les entreprises de moins de 8 ans ayant bénéficié d’au moins une aide à la R&D ou à l’innovation (crédit d’impôt recherche, crédit d’impôt innovation, dispositifs jeune entreprise innovante et jeune entreprise universitaire, concours d’innovation i-Lab et aides à l’innovation de Bpifrance).

[38] https://www.insee.fr/fr/statistiques/5896782?sommaire=5759063

[39] A l’exception des exercices 2021 et 2022, où ce programme a été inscrit sur la mission « Plan de relance ».

[40] Ce montant est supérieur aux 140 M€ inscrits dans la loi de finances initiale pour 2022, mais sensiblement inférieur aux montants inscrits jusqu’en 2015 (192 M€) ou de 2016 à 2019 (180 M€).

[41] https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2021-03/20210318-02-TomeII-innovation-defense-outil-independance-strategique-et-economique-a-renforcer_0.pdf

[42] 80 % de cette ligne budgétaire alimente le CNES, à hauteur de 127,7 M€, et 20 %, soit 22,3 M€, sont destinés au CEA.

[43] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion_def/l16b0369-tii_rapport-avis

[44] https://www-lmj.cea.fr/

[45] Dont le budget annuel est comparable à celui de l’AID.

[46] Pour Safran, les activités militaires et civiles représentent respectivement 20 % et 80 % du chiffre d’affaires.

[47] Airbus a investi 3,1 Md€ sur fonds propres en 2022 pour l’innovation, dont une part importante fléchée vers la construction d’un avion décarboné. De son côté, Safran a investi 800 M€.

[48] La DARPA a été créée par le président Eisenhower en 1958, en pleine course à l’espace.

[49] http://www.forcesoperations.com/une-femme-a-la-tete-du-baainbw/

[50] https://www.spiegel.de/politik/deutschland/sondervermoegen-bundeswehr-das-sind-die-geplanten-ausgaben-fuer-deutschlands-armee-a-42d65084-3f22-44a2-8c3a-700cb2702be2

[51] Il existe pourtant un cadre juridique permettant ce type de partenariat, mais ses dispositions sont très complexes et rarement mises en œuvre.

[52] Notamment parce qu’aucune mutualisation des moyens, des connaissances, des plateformes expérimentales et des ressources humaines n’est possible.

[53] https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/defense-le-japon-le-royaume-uni-et-l-italie-s-allient-pour-developper-un-avion-de-combat-de-nouvelle-generation-943973.html

[54] https://www.defense.gouv.fr/ema/actualites/rencontre-officielle-entre-cema-son-homologue-espagnol