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N° 1234

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 12 mai 2023

 

 

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES
SUR LE PROJET DE LOI (n° 1033)
relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030
et portant diverses dispositions intéressant la défense.

 

PAR M. Jean-Michel JACQUES

Député

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AVIS FAITS

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS

en application de l’article 87 alinéa 2 du Règlement

PAR Mme Sabine THILLAYE, Députée

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
en application de l’article 87 alinéa 1 du Règlement

PAR Mme Laetitia SAINT-PAUL, Députée

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES

en application de l’article 87 alinéa 1 du Règlement

PAR M. Christophe PLASSARD, Député

 

 

TOME I

Avant-propos du rapporteur – Commentaire des articles – Travaux des commissions

 

 

 

Voir le numéro : 1033.


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SOMMAIRE

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Pages

avant-propos du rapporteur

introduction

I. un effort budgÉtaire sans prÉcÉdent au service d’une nouvelle ambition pour nos armÉes

A. une nouvelle ambition pour des armÉes transformÉes

1. La protection du territoire, « cœur de notre souveraineté » reposera sur une dissuasion modernisée, une priorité donnée aux Outre-mer et un lien armée-nation rénové

a. Une dissuasion modernisée

b. La protection de nos territoires d’Outre-mer : une priorité de la LPM

c. Un lien armée-nation rénové, pour participer au renforcement de la cohésion et de la résilience de la Nation

2. La transformation des armées : le choix de la cohérence pour mieux répondre aux défis des nouvelles conflictualités

a. Le défi des nouvelles conflictualités

b. Un format cohérent pour nos armées

c. L’adaptation des dispositifs opérationnels, condition de l’efficacité et de la puissance de nos armées

3. Des partenariats stratégiques renouvelés

a. Une stratégie de partenariats redéfinie

b. La confirmation de l’engagement de la France en faveur de l’autonomie stratégique européenne

4. La consécration de la fonction stratégique « influence »

B. une LPM portÉe par des moyens budgÉtaires historiques

1. Une programmation financière inédite pour nos armées

a. Un effort budgétaire sans précédent

b. Une trajectoire sincère et sécurisée, avec des « marches » constituant un plancher et non un plafond

2. Une allocation des moyens qui traduit les grandes priorités de la LPM

a. Un effort financier majeur au bénéfice de l’équipement de nos forces

b. Des investissements en faveur de la cohérence de nos armées

c. Une enveloppe importante pour les ressources humaines

II. l’enjeu fondamental des ressources humaines dans un MinistÈre des ArmÉes modernisÉ

A. Des schÉmas d’emploi rÉalistes et adaptÉs aux Évolutions du marchÉ du travail

1. Une hausse nette des effectifs du ministère de 6 300 ETP à l’horizon 2030

2. Des schémas d’emploi réalistes pour s’adapter aux conditions de recrutement sur le marché du travail

B. Une modernisation des leviers de gestion des personnels visant la rÉtention des compÉtences rares et la fidÉlisation

1. La nécessité de retenir les compétences rares implique une modernisation des leviers de gestion des personnels

2. Un investissement massif dans l’effort de formation initiale et continue

3. La nécessité impérieuse d’accroître la fidélisation des personnels

a. Le déploiement de la NPRM dans le cadre de la programmation 2024-2030

b. Le renforcement du lien au service et l’individualisation des parcours

c. La déclinaison du Plan Famille II, levier majeur de fidélisation

d. La rétention des savoir-faire militaires opérationnels les plus sensibles afin de protéger les intérêts fondamentaux de la Nation

4. L’amélioration de la condition militaire entreprise sous la LPM 2019-2025 sera poursuivie

a. Les infrastructures quotidiennes au cœur des engagements de la programmation

b. Conforter la condition des militaires blessés pour accroître la résilience des forces

C. les rÉserves

1. Une nouvelle doctrine d’emploi pour les réserves

2. La montée en puissance de la réserve opérationnelle

D. la modernisation du ministÈre

1. Plusieurs points de blocage ont été identifiés lors des auditions

a. Une organisation administrative qui ne favorise pas toujours l’écoute du terrain

b. Une précaution excessive, qui freine les initiatives et alourdit les procédures

c. Des relations parfois défaillantes avec les collectivités territoriales

2. Des blocages qui, avec de l’audace, peuvent être levés

a. Améliorer la subsidiarité en privilégiant un strict contrôle a posteriori

b. Développer la culture du risque, pour aller plus vite

III. Le CHOIX DE PRIVILÉGIER LA COHÉRENCE À la masse ENTRAÎNE DES DÉCALAGES DE CERTAINS PROGRAMMES SANS REMISE EN CAUSE DU FORMAT et DE L’EFFICACITÉ DES ARMÉEs

A. La dissuasion

B. LES FORCES CONVENTIONNELLES

1. L’armée de Terre

a. La LPM est porteuse d’un projet de transformation profonde de l’armée de Terre

b. La LPM tire les conséquences des premières leçons du conflit en Ukraine

c. Le décalage dans le temps des cibles de certains programmes d’armement doit permettre de financer les nouvelles priorités et la cohérence d’ensemble des forces terrestres sans remettre en cause la modernisation de l’armée de Terre

2. La Marine

a. La confirmation de trois programmes structurant de la Marine : porte-avion, sous-marin nucléaire d’attaque et SNLE, et d’un effort particulier sur les munitions

b. Des décalages de programme qui, en principe, n’affectent pas le format de la Marine

3. L’armée de l’Air et de l’Espace

a. Une aviation de chasse en route vers le tout-Rafale

b. La consolidation des autres flottes

c. La montée en puissance de segments délaissés lors des précédentes programmations

C. LES NOUVEAUX ESPACES DE CONFLICTUALITÉ

1. L’espace

2. Les fonds marins

3. Le cyber

D. Un effort inÉdit au profit de l’innovation de dÉfense

IV. la prÉparation au combat

A. La prÉparation opÉrationnelle

1. Le rehaussement qualitatif de la préparation opérationnelle

2. La nécessaire consolidation de l’activité

B. Le Maintien en condition opÉrationnelle

1. L’armée de Terre

2. La Marine

3. L’armée de l’Air et de l’Espace

C. L’Économie de guerre

D. Les soutiens et lES InfrastructureS

1. Le service du commissariat aux armées, garant de la crédibilité opérationnelle des Armées

a. La consolidation des soutiens opérationnels

b. La consolidation des soutiens du quotidien

2. Le renouvellement, la modernisation et l’adaptation des infrastructures opérationnelles des armées

3. Un service de santé modernisé et agile

V. Les mesures relatives au renseignement

A. La Direction du renseignement militaire (DRM)

B. La Direction du renseignement de la sÉcuritÉ et de la DÉfense (DRSD)

C. La Direction gÉnÉrale de la sÉcuritÉ extÉrieure (DGSE)

Commentaire des ARTICLES

TITRE Ier  dispositions relatives aux objectifs de la politique de dÉfense et À la programmation financiÈre

Article 1er Programmation

Article 2 Approbation du rapport annexé

Article 3 Moyens de la politique de défense

Article 4 Provision au titre des surcoûts OPEX et MISSINT

Article 5 Carburants opérationnels

Article 6 Effectifs

Article 7 Actualisation

Article 8 Rapport sur le bilan de l’exécution de la programmation

Article 9 Rapport sur les enjeux et l’évolution de la programmation

Article 10 Abrogation du titre Ier de la LPM 2019-2025

TITRE II Dispositions normatives intÉressant la dÉfense nationale

Chapitre Ier  Renforcement du lien entre la Nation et ses armées et condition militaire

Article 11 Assurer la continuité des missions de l’Ordre de la Libération

Article 12 Renforcer le régime d’indemnisation des militaires blessés en service

Article 13 Protéger davantage les ayants droit des militaires décédés en service en garantissant le versement du reliquat de solde du mois du décès

Article 14 Renforcer l’attractivité, la flexibilité d’emploi et l’efficacité de la réserve opérationnelle

Article 15 Renforcer la capacité des armées de disposer d’une ressource humaine conforme au besoin en effectifs et en qualité et améliorer les conditions de réengagement

Article 16 Relever le seuil d'irréversibilité du congé de reconversion

Article 17 Renforcer l’attractivité des carrières militaires en créant un régime d’apprentissage militaire

Article 17 bis (nouveau) Habiliter les établissements d’enseignement technique et préparatoire militaire à percevoir des dépenses déductibles du solde de la taxe d’apprentissage

Article 18 Proroger et moderniser l’attribution du pécule modulable d'incitation au départ et de la promotion fonctionnelle

Chapitre II Renseignement et contre-ingérence

Article 19 Permettre l’accès des services de renseignement au casier judiciaire au titre des enquêtes administratives de sécurité

Article 20 Garantir la prise en compte des intérêts fondamentaux de la Nation en cas d’activité privée en rapport avec une puissance étrangère

Article 21 Permettre la communication par l’autorité judiciaire aux services de renseignement des éléments d’une procédure ouverte pour crime de guerre ou crime contre l’humanité

Article 22 Protéger l’anonymat des anciens agents des services de renseignement ou des anciens membres des forces spéciales dans le cadre des procédures judiciaires

Chapitre III Économie de défense

Article 23 Modernisation et adaptation du régime des réquisitions

Article 24 Constitution de stocks stratégiques et dispositif de priorisation

Chapitre IV Crédibilité stratégique

Article 25 Faire évoluer le régime des enquêtes de coût dans les marchés publics

Article 26 Renforcer l’autonomie des armées en matière sanitaire

Article 27 Renforcer le régime légal de lutte contre les aéronefs circulant sans personne à bord présentant une menace

Article 28 Ratifier l’ordonnance en matière spatiale et adaptation de la loi sur les opérations spatiales

Article 29 Nucléaire de défense

Article 30 Communication par l’autorité judiciaire des suites  données aux affaires pénales militaires

Article 31 Créer un régime d’autorisation relatif aux activités d’études préalables à la pose ou l’enlèvement d’un câble ou d’un pipeline sous-marin en mer territoriale

Article 32 (Art. L. 2321-2-3 [nouveau] du code de la défense) Prescription par l’ANSSI de mesures affectant les noms de domaine en cas de menace susceptible de porter atteinte à la sécurité nationale

Article 33 (Art. L. 2321-3-1 [nouveau] du code de la défense) Transmission à l’ANSSI de données techniques non identifiantes aux fins de détection et de caractérisation des attaques informatiques

Article 34 (Art. L. 2321-4 [nouveau] du code de la défense) Obligation d’information de l’ANSSI et des utilisateurs par les éditeurs de logiciel en cas de vulnérabilité significative ou d’incident informatique

Article 35 (Art. L. 2321-2-1, L. 2321-3 et L. 2321-5 du code de la défense, art. L. 33-14, L. 36-7 et L. 36-14 du code des postes et des communications électroniques) Renforcement des capacités de détection des cyberattaques et d’information des victimes

Article 35 bis (Art. L. 1332-6-4-1 [nouveau] du code de la défense) Meilleure protection des données sensibles des opérateurs stratégiques

Chapitre VI Dispositions relatives à l’Outre-mer, diverses et finales

Article 36 Dispositions relatives à l’Outre-mer

AVIS FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

AVIS FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES

TRAVAUX DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE

 Réunion du mardi 9 mai à 21 heures

 Réunion du mercredi 10 mai à 9 heures

 Réunion du mercredi 10 mai à 15 heures

 Réunion du mercredi 10 mai à 21 heures

 Réunion du jeudi 11 mai à 9 heures

 Réunion du jeudi 11 mai à 15 heures

 Réunion du jeudi 11 mai à 21 heures

 Réunion du vendredi 12 mai à 9 heures

Travaux de la commission des Lois

 Réunion du mercredi 10 mai à 9 heures

 Réunion du mercredi 10 mai à 14 heures 30

Travaux de la commission des affaires ÉtrangÈres

Travaux de la commission des FINANCes

ANNEXE N°1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE

ANNEXE N°2 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA RAPPORTEURE DE LA COMMISSION DES LOIS

ANNEXE N°3 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA RAPPORTEURE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES


 

En application de l’article 87, alinéa 2, du Règlement, la commission de la défense nationale et des forces armées a sollicité l’avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, sur quatre articles : les articles 32 à 35.


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   avant-propos du rapporteur

 

introduction

Aux yeux de votre rapporteur, une loi de programmation militaire (LPM) est le reflet de l’ambition de notre Nation pour son armée. Elle fixe non seulement les moyens financiers que nous sommes prêts à consentir pour notre défense, mais elle définit également le format, les capacités et les contrats opérationnels de nos forces armées pour les années à venir. Elle matérialise en cela l’ambition stratégique de notre pays, pour répondre à l’évolution des menaces. Au final, une LPM traduit « une certaine idée de la France » et symbolise la place que notre pays veut tenir dans le jeu des puissances.

Le vote d’une LPM constitue donc pour le Parlement un acte majeur, non seulement parce qu’il n’y a en principe qu’une seule loi de programmation par législature, mais surtout parce que la LPM engage l’avenir de notre Nation, peut-être plus qu’aucune autre loi. À l’heure du retour de la guerre en Europe, des tensions en Indopacifique et des ruptures technologiques, chacun mesure en effet que la défense des intérêts majeurs de la Nation et notre sécurité collective sont les conditions premières de notre liberté et de notre démocratie.

Au surplus, le temps long consubstantiel aux programmes des équipements militaires signifie que la LPM détermine non seulement les conditions de notre autonomie et de notre sécurité, mais également celles des générations à venir. Pour ne prendre qu’un exemple, les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de troisième génération en cours de réalisation seront encore dans nos forces en 2080.

À travers cette LPM, qui définit les capacités qui seront à même de protéger notre Nation pour les décennies à venir, il s’agit donc de défendre l’intérêt des générations futures dont le Parlement a la charge. Il s’agit d’une lourde responsabilité pour la Représentation nationale, qui commande, selon votre rapporteur, de faire abstraction de tout intérêt partisan, pour ne considérer que l’intérêt supérieur de la Nation.

La LPM 2019-2025 était une « loi de réparation » de nos armées. Celles-ci étaient en effet abîmées par des décennies de déflation des effectifs et des capacités, dans un contexte d’engagement croissant sur les théâtres d’opérations, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme armé.

 

Pour la première fois depuis plus de quarante ans, la trajectoire financière de la LPM a été respectée à l’euro près : le budget alloué à nos armées est ainsi passé de 32,7 milliards d’euros en 2017 à 43,9 milliards d’euros en 2023. Ce respect consciencieux de la programmation financière a permis d’engager une modernisation de nos capacités, appréciée sur le terrain, de monter en puissance dans certains domaines prioritaires (cyber, renseignement, spatial), et de porter une attention accrue à l’amélioration concrète des conditions d’exercice du soldat, à travers « l’axe à hauteur d’hommes ».

Si la LPM 2019-2025 a constitué, selon votre rapporteur, un socle solide pour la réparation de nos armées, l’évolution du contexte stratégique nous impose de consolider et d’amplifier cette dynamique. Il s’agit désormais non seulement de continuer à « réparer », mais aussi de « transformer » nos armées, pour assurer à la France sont autonomie d’analyse, de décision et d’action, en particulier face aux nouvelles menaces. Telle est l’ambition de la LPM 2024-2030.

Une nouvelle programmation était en effet rendue nécessaire par l’évolution du contexte stratégique, telle que mise en exergue dans la revue nationale stratégique de novembre 2022 : le retour, d’une guerre de haute intensité multi-milieux multi-champs en Europe - symptôme d’un phénomène plus large de désinhibition des puissances globales et régionales - mais également l’hybridité croissante des conflits, la militarisation des espaces communs, le rôle majeur de l’influence désormais définie comme une fonction stratégique à part entière, la persistance du terrorisme militarisé islamiste, ou encore les défis causés par le réchauffement climatique et les phénomènes migratoires constituent autant de menaces que notre pays doit être prêt à affronter.

La multiplication et la diversification des menaces intervient au surplus dans un contexte marqué par des ruptures technologiques majeures, dans des domaines tels que l’hypervélocité, le quantique ou l’intelligence artificielle, qui constituent autant des défis que des opportunités pour nos armées.

Face à l’évolution de ces menaces, votre rapporteur est convaincu que notre outil de défense devait s’adapter. Le projet de LPM 2024-2030 est issu, comme en ont pu témoigner de nombreuses personnes auditionnées par votre rapporteur, d’un réexamen approfondi et inédit de notre stratégie de défense et de notre ambition opérationnelle. Le défi était en effet de définir les armées dont nous avons besoin pour les guerres de demain, selon l’ambition du président de la République d’« avoir une guerre d'avance » ([1]).

 

 

La trajectoire financière historique de 413 milliards d’euros de besoins programmés proposés par le projet de LPM 2024-2030 est la traduction de cette ambition de construire « nos armées du futur ». Il s’agit d’un effort inédit en faveur de notre défense - le budget alloué à nos armées aura ainsi doublé de 2017 à 2030 - mais strictement nécessaire pour conserver notre autonomie d’appréciation et d’action et être en capacité de jouer le rôle de Nation cadre – c’est-à-dire d’assumer notre rôle sur la scène internationale et de peser dans les décisions – au sein d’une coalition dans le cas d’un éventuel engagement majeur.

Ces investissements permettront ainsi, comme le détaille le présent rapport :  de conforter les fondamentaux de notre défense, tels que la crédibilité de notre dissuasion nucléaire, la protection de notre territoire national – et singulièrement nos territoires d’Outre-mer –, et notre capacité de projection et d’intervention ; de renforcer des capacités cruciales en cas d’engagement majeur (défense sol-air, drones, artillerie longue portée…) ; d’adapter notre outil de défense à l’hybridité et à l’évolution des conflits multi-milieux multi-champs et de gagner la bataille des perceptions et de l’influence ; enfin, de préserver notre liberté d’action dans les milieux traditionnels comme au sein des nouveaux espaces de conflictualité, que ce soit dans le domaine spatial, la maîtrise des fonds marins, ou encore le cyber. Si le financement de ces priorités a nécessité un décalage (et non un renoncement) de certains programmes – décalage de quelques années qui demeure cohérent avec nos contrats opérationnels et la crédibilité de nos armées – l’effort en faveur des équipements de nos armées est historique : plus de 100 milliards d’euros seront consacrés aux grands programmes d’équipement, soit une augmentation de 70 % par rapport à la LPM 2019-2025.

Votre rapporteur tient à souligner que la transformation de nos armées ne se résume toutefois pas aux équipements. Outre le renforcement des capacités, le projet de LPM consolide la cohérence de notre modèle d’armée. Celle-ci a trop souvent été sacrifiée par le passé, alors qu’elle est essentielle, dès lors que nous avons une « armée d’emploi ». Disposer d’équipements est nécessaire mais non suffisant : encore faut-il que ces matériels soient disponibles, projetables en opérations, dotés des capacités leur permettant d’utiliser pleinement leur potentiel, et employés par des militaires suffisamment entraînés.

Les efforts accrus en matière de préparation opérationnelle, de maintenance, d’infrastructure, de soutien logistique, ou encore de munitions portés par la LPM sont ainsi fondamentaux selon votre rapporteur. Le renforcement de la cohérence de nos armées est en effet une condition de leur crédibilité et de leur réactivité. La capacité de la BITD à produire plus et plus vite, dans le cadre de l’économie de guerre mise en place par la LPM 2024-2030, confortera la cohérence de nos armées, en fluidifiant dans un certain nombre de domaines leur approvisionnement en équipements et en munitions en cas de crise.

La transformation promue par la LPM 2024-2030 porte également les conditions d’exercice de leurs métiers par nos militaires, qui sont la première richesse de nos armées. L’ambition portée par le projet de loi de créations d’effectifs, de souplesse dans la gestion des ressources humaines, d’accroissement des réserves, d’amélioration des conditions de logement et d’hébergement, ou encore d’accompagnement des familles, participeront à relever le défi majeur de la fidélisation de nos militaires.

Enfin, votre rapporteur souhaite saluer un dernier axe du projet de LPM 2024-2030, qui lui semble crucial : il s’agit de la modernisation et de la simplification du fonctionnement de notre appareil de défense. À rebours d’une culture commandée par le principe de précaution, il convient de valoriser l’audace, l’esprit d’initiative et la prise de risque maîtrisée. Il faut réduire les normes, simplifier les circuits de décision, faire davantage confiance à l’échelon le plus proche du terrain, dans une logique de subsidiarité, et assurer un meilleur co-pilotage entre les armées et les services du ministère pour ce qui relève du soutien des forces, par exemple dans le domaine de l’infrastructure. C’est au prix d’un tel changement d’approche que la transformation de nos armées portée par la LPM 2024-2030 sera pleinement effective.

 


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I.   un effort budgÉtaire sans prÉcÉdent au service d’une nouvelle ambition pour nos armÉes

A.   une nouvelle ambition pour des armÉes transformÉes

Après la LPM 2019-2025, LPM dite de réparation, le projet de LPM 2024-2030 prévoit de mettre en œuvre une véritable transformation de nos armées, structurée autour de quatre pivots, afin de lui permettre de mieux répondre aux menaces actuelles et futures. Cette transformation peut être schématisée comme suit :

C:\Users\jbarbot\Desktop\schéma opérationnel.png

Source ministère des Armées

1.   La protection du territoire, « cœur de notre souveraineté » reposera sur une dissuasion modernisée, une priorité donnée aux Outre-mer et un lien armée-nation rénové

a.   Une dissuasion modernisée

La protection de nos territoires est la première mission de nos armées et la LPM le réaffirme avec force. De ce point de vue, la dissuasion nucléaire représente, depuis plus de soixante ans, « le cœur de notre défense en protégeant la France et les Français contre toute menace étatique contre ses intérêts vitaux, d’où qu’elle vienne et quelle qu’en soit la forme », selon les termes du rapport annexé. Elle donne à notre pays, dans un monde plus menaçant que jamais, où un État disposant de l’arme atomique n’hésite pas à agresser son voisin et à déstabiliser l’ensemble du continent européen, les garanties de sa survie mais également les moyens d’agir en toute autonomie, tout en tirant l’ensemble de nos capacités de défense vers le haut, y compris le conventionnel. La dissuasion apparaît ainsi, malgré son coût parfois présenté comme élevé, plus que jamais nécessaire.

Nécessaire pour la France, la dissuasion se doit d’être crédible pour ses ennemis, c’est-à-dire qu’ils aient la certitude de subir des dommages inacceptables s’ils tentaient de s’en prendre à ses intérêts vitaux – dont le président de la République a rappelé la dimension européenne – et ce, quels que soient les moyens qu’ils mettent en œuvre pour les prévenir. Ceux-ci étant toujours plus nombreux, puissants et sophistiqués, notre dissuasion doit, elle aussi, évoluer afin d’être toujours au plus haut niveau tout en demeurant à un niveau de stricte suffisance. Ne pas en assumer la charge, c’est prendre le risque d’une perte de crédibilité et, ainsi, ruiner son fondement.

Par ailleurs, même si la possession de l’arme nucléaire constitue la garantie ultime de sa sécurité, notre pays se doit de disposer, parallèlement à celle-ci, de forces conventionnelles qui en renforcent la crédibilité. Offrant au président de la République un large éventail de solutions en cas de crise, celles-ci continueront à l’avenir d’être des instruments essentiels à notre politique étrangère et au respect de nos engagements internationaux, autant qu’à la protection de nos intérêts, des Français et, in fine, de notre territoire.

Le présent projet de loi, dans la lignée des précédentes LPM, porte donc un effort particulier sur la dissuasion qui verra l’ensemble de ses capacités modernisées, à la fois les porteurs et les vecteurs. Celles-ci seront détaillées dans la troisième partie du présent rapport.

b.   La protection de nos territoires d’Outre-mer : une priorité de la LPM

La France est présente, par ses territoires d’Outre-mer, sur l’ensemble de la planète et, grâce à eux, dispose de la deuxième zone économique exclusive (ZEE) du monde (11 millions de kilomètres carrés). Points d’appuis essentiels pour la mise en œuvre de notre stratégie de défense et de sécurité, disposant de ressources importantes, halieutique aujourd’hui, potentiellement énergétiques ou minières demain avec l’exploitation des nodules polymétalliques, les Outre-mer sont également exposées à des menaces nombreuses et spécifiques :

un environnement stratégique instable, en particulier en Indopacifique, devenue le théâtre d’une compétition exacerbée entre les États-Unis et la Chine. La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie sont en effet exposées à des risques de déstabilisation via des manœuvres hybrides, ainsi qu’au pillage de leurs ressources halieutiques et aux incursions de « pêcheurs » illicites étrangers :

– dans l’Océan Indien, la Réunion et Mayotte font face, à la fois, à un risque d’exportation du terrorisme depuis le Mozambique mais également à une remise en cause de notre souveraineté, via notamment des revendications territoriales (sur les îles Éparses) et des flux migratoires en provenance des Comores ;

– dans toutes les Outre-mer, l’impact du changement climatique se fait déjà sentir, avec son cortège de catastrophes naturelles (ouragans, tsunamis, raréfaction des ressources…) frappant ces territoires mais aussi leurs voisins, vis-à-vis desquels nous avons un devoir d’assistance et de solidarité.

Or, malgré ces menaces, qui vont croissantes, les forces de souveraineté ont longtemps été les « oubliées » de la programmation, subissant pendant de nombreuses années une réduction de leurs capacités, symbolisées par des matériels dépassés, notamment les patrouilleurs P400, les Falcons 200 Guardian ou les frégates de surveillance de type Floréal. S’agissant plus particulièrement de ces dernières, mises en service au début des années quatre-vingt-dix, insuffisamment armées, elles ne sont aujourd’hui plus à la hauteur des enjeux de sécurité, en particulier en Indopacifique.

La précédente LPM a engagé la réparation des moyens militaires affectés dans les Outre-mer avec, notamment, les quatre nouveaux bâtiments de soutien et d’assistance Outre-mer (BSAOM), les patrouilleurs Antilles-Guyane et les nouveaux patrouilleurs d’Outre-mer (POM) dont le premier, l’Auguste-Bénébig, est arrivé en 2023 en Nouvelle-Calédonie. L’effort sera poursuivi et amplifié avec la nouvelle LPM puisque celle-ci fait des Outre-mer « une priorité pour les armées du futur » et prévoit 13 milliards d’euros de besoins programmés en leur faveur. L’ensemble des capacités déployées Outre-mer en bénéficieront :

le volume des forces déployées en permanence dans les Outre-mer sera augmenté, d’environ 10 %, soit 800 militaires supplémentaires, en mission de longue et de courte durée. Ils contribueront à la protection de nos territoires mais constitueront aussi, comme l’a souligné le chef d’état-major de la Marine, « un signalement stratégique témoignant de l’engagement de la France dans la sécurité de la zone et de sa volonté d’y nouer des partenariats contributifs de stabilité » ;

les équipements dont disposeront ces forces seront modernisés et renforcés, à commencer par les patrouilleurs d’Outre-mer À l’Auguste-Bénébig précité s’ajouteront cinq autres POM progressivement livrés. De même, les capacités de surveillance-anticipation seront renforcées avec l’arrivée des avions de surveillance et d’intervention maritime Falcon 50 puis F200 Albatros. Les vieilles frégates de surveillance seront remplacées par six corvettes à partir de 2030. Enfin, les PUMA y stationnant seront remplacés par des hélicoptères plus modernes ;

– comme l’indique le rapport annexé, « les capacités de commandement seront durcies et densifiées de manière ciblée en fonction des enjeux régionaux, et leur résilience sera améliorée (communication, capacité d’influence…) ». À titre d’exemple, le chef de la division emploi des forces, le général Yves Métayer, a indiqué qu’« en matière de lutte informatique d’influence, les états-majors Outre-mer seront densifiés avec la création d’une cellule capable de concevoir une telle manœuvre, en coordination avec le ComCyber » ;

– enfin, les infrastructures militaires dans les Outre-mer seront modernisées, pour un montant global, annoncé par le ministre des Armées, de 800 millions d’euros sur la durée de la programmation (dont 200 millions d’euros d’investissements conditionnant l’arrivée de nouvelles capacités telles que les matériels Scorpion, les patrouilleurs Outre-mer ou encore les hélicoptères de nouvelle génération). Selon les informations transmises à votre rapporteur, compte tenu de leur position et des enjeux, ce sont prioritairement les forces positionnées dans la zone stratégique de l’Indopacifique qui profiteront de cet effort, avant sa généralisation aux autres territoires ultra-marins.

c.   Un lien armée-nation rénové, pour participer au renforcement de la cohésion et de la résilience de la Nation

L’armée n’est pas coupée de la nation, bien au contraire. Armée et Nation s’appuient l’une sur l’autre. C’est dans les forces de la Nation que l’armée puise les siennes, forces qu’elle peut par ailleurs contribuer à développer. C’est là toute l’ambition de cette LPM qui vise, comme l’indique le rapport annexé, à faire davantage contribuer nos armées « à la cohésion et à la résilience de la Nation ».

Le même rapport annexé explicite cette contribution, qui reposera sur un ensemble d’instruments pour l’essentiel existants mais renforcés et mis en cohérence pour une plus grande efficacité ;

le service national universel (SNU) sera l’un de ces instruments. Lancé en 2019, il a concerné 32 000 jeunes qui, en 2022, se sont portés volontaires pour découvrir la vie en collectivité et développer leur culture de l’engagement avant de s’engager dans la réalisation d’une mission d’intérêt général. Un temps évoqué, la généralisation de celui-ci ne figure pas dans le présent projet de LPM car, comme l’a rappelé le ministre des Armées, « la LPM définit le format des armées [et] les armées contribuent en réalité à la marge au projet SNU ». Toutefois, l’ambition de faire du SNU un véritable instrument de cohésion nationale sera poursuivie ;

– plus ambitieuses encore sont la modification de la doctrine d’emploi des réserves et l’augmentation de ces dernières. Comme l’a dit le chef d’état-major des armées, « la réserve constitue […] un moyen puissant et direct de contribuer à la cohésion nationale ». Le présent projet de LPM organise ainsi la montée en puissance de la réserve opérationnelle, plus nombreuse, mieux équipée et mieux intégrée, avec l’objectif, à l’horizon 2035, d’un réserviste pour deux militaires d’active ;

– enfin, dans ce cadre, l’articulation et la coordination de la réserve militaire avec les forces de sécurité intérieure seront encore renforcées, notamment par la création des réserves territoriales, dédiées à la gestion locale des crises, par exemple sanitaires ou environnementales.

2.   La transformation des armées : le choix de la cohérence pour mieux répondre aux défis des nouvelles conflictualités

a.   Le défi des nouvelles conflictualités

Traditionnellement, l’action militaire se déroule dans trois milieux : la terre, la mer et l’air, indépendamment ou simultanément (multi-milieux). Toutefois, avec l’évolution rapide des technologies, la conflictualité a gagné de nouveaux milieux : l’espace, les fonds marins, le cyberespace et le champ électromagnétique et informationnel.

Comme l’explique le rapport annexé, cette extension du domaine de la conflictualité va de pair avec une transformation de l’action militaire qui tend désormais de plus en plus vers l’hybridité. En effet, ces nouveaux espaces de conflictualité sont propices aux actions hybrides, définies comme « volontairement ambiguës, directes ou indirectes, de nature militaire ou non, attribuables ou non, de nos compétiteurs ». Le sabotage d’un gazoduc sous-marin, comme cela s’est produit avec Nord Stream en Mer Baltique en septembre dernier, est un exemple d’une telle action hybride, en l’espèce toujours non-attribuée, un autre étant la déstabilisation d’un pays, via de fausses informations, pendant ses élections.

De fait, ces nouvelles actions possibles de nos compétiteurs, dans ces nouveaux domaines de conflictualité, obligent nos armées à se transformer afin de conserver leur supériorité opérationnelle. Comme l’a expliqué le général Cédric Gaudillière, chef de la division cohérence capacitaire de l’état-major des armées, nos capacités devront s’adapter « au fait que la conflictualité moderne s’inscrit dans un cadre multi-milieux et multi-champs (M2MC), interconnectés les uns aux autres : milieux terrestre, maritime, aérien, mais aussi extra-atmosphérique et cyber ainsi que dans les champs informationnel et électromagnétique ». Une telle adaptation ne va pas de soi. Elle oblige à « combiner les effets de ces différents milieux, dans le cadre d’un travail collaboratif aux niveaux stratégique, opératif, puis tactique », que différents travaux et exercices, comme l’exercice Orion, notamment, permettent de mieux appréhender.

Avoir de telles capacités M2MC est aujourd’hui fondamental pour notre pays, a rappelé le général Gaudillière, car « la supériorité opérationnelle se gagne en maîtrisant l’ensemble de ces milieux, du haut vers le bas (espace, air/maritime puis terre) et du champ immatériel (cyber, informationnelle, guerre électronique) vers le champ matériel », comme l’a d’ailleurs montré Orion.

Outre ce défi de la combinaison des effets dans une dimension multi-milieux/multi-champs, un autre défi d’ampleur se pose à nos armées : la haute intensité. Depuis la fin de la guerre froide, les menaces auxquelles nous étions confrontés étaient, pour l’essentiel, non-étatiques et l’affrontement qui en découlait, asymétrique. La supériorité opérationnelle des armées françaises était incontestée sans qu’elles aient besoin d’engager des dizaines de milliers de soldats sur le terrain ni de tirer des centaines de milliers d’obus. Le modèle expéditionnaire était alors adapté pour participer à des engagements choisis, dans la durée, au sein d’une coalition (Afghanistan, Irak) ou pour diriger une coalition (Sahel).

La guerre en Ukraine a constitué un glissement stratégique. En agressant ce pays, en déployant des centaines de milliers de soldats, en tirant obus et missiles par centaines de milliers, en multipliant les attaques hybrides, informatiques et informationnelles, contre l’Ukraine mais également contre ses alliés européens, cette guerre a mis un terme à ce que le chef d’état-major a appelé « un relatif confort opérationnel ». La guerre symétrique, de haute intensité, impliquant deux États ou davantage, est de retour sur le continent européen et nos armées doivent s’y adapter. Pour ce faire, il leur faudra, comme le précise le rapport annexé, « d’une part rehausser le niveau d’exigence de la préparation opérationnelle et de disponibilité des matériels […] et, d’autre part définir des niveaux d’alerte permettant d’adapter le niveau de notre défense à la menace ».

Mais ce n’est pas tout. Parce que la guerre de haute intensité peut nécessiter la mobilisation des ressources de toute la Nation, notre pays devra, selon le terme du rapport annexé, « tenir », c’est-à-dire utiliser « les leviers de l’économie de guerre comme la sécurisation des approvisionnements de certaines matières premières ou composants et pièces critiques ». La haute intensité imposera également de « concevoir les équipements futurs des armées en trouvant un équilibre entre rusticité et hyper-technologie pour concilier supériorité opérationnelle, délais de production rapide et coût de possession pour l’État ».

Comme le résume le général Vincent Pons, sous-chef Plans à l’état-major des armées, l’ambition des armées est « d’être capable de faire face à une guerre symétrique, non choisie et multi-milieux multi-champs, là où nos armées étaient dimensionnées pour des conflits choisis et asymétriques », transformation qui est l’objet même de cette LPM.

b.   Un format cohérent pour nos armées

La réponse à ces défis, c’est la cohérence. Pour le chef d’état-major des armées, il s’agit du « point clef » de cette transformation, bien plus que « courir derrière une cible capacitaire qui ne répondrait pas aux défis à relever ». En effet, « Vingt ans de guerre contre le terrorisme militarisé avaient conduit à accorder une importance moindre à un certain nombre de fonctions, qui ne trouvaient pas leur emploi (franchissement, feux dans la profondeur, défense sol-air…). Il y a désormais un rééquilibrage pour remonter à niveau sur des capacités qui avaient été un peu sous-dotées car nous en avions moins besoin ».

Or, ces capacités moins utiles dans la guerre contre le terrorisme sont au contraire essentielles pour participer à des opérations d’envergure M2MC, impliquant des affrontements de haute intensité. La cohérence de la réponse aux défis susmentionnés impose donc un effort particulier pour se remettre à niveau. Comme l’explique le chef d’état-major des armées, « Le plus important n’est pas de voir ce que nous avons dans nos casernes, mais ce que nous pouvons réellement faire fonctionner. Nous devons être capables de disposer des matériels, mais également des potentiels d’utilisation et des munitions pour la préparation opérationnelle et pour l’engagement. L’autonomie logistique est donc essentielle. Il ne suffit pas de disposer de matériels ; encore faut-il pouvoir les déployer, grâce à des personnels entraînés et des munitions disponibles ». En outre, si l’objectif est « de créer temporairement et localement des bulles d’hyper-supériorité par la mise en réseau des effecteurs et des senseurs (RM2SE), dans le cadre d’un combat collaboratif », alors, « l’intelligence des systèmes et leur capacité à collaborer entre eux sont essentielles et presque plus importantes que la quantité desdits systèmes sur le champ de bataille », selon le général Vincent Pons, sous-chef Plans à l’état-major des armées.

Maintien en condition opérationnelle (MCO), munitions, préparation opérationnelle, moyens logistiques, économie de guerre, cyber mais aussi « capacités accrues de renseignement doivent permettre d’anticiper les crises ou les menaces et ainsi offrir à nos armées une autonomie de décision et d’action », selon les termes du directeur général de la sécurité extérieure.

C’est aussi sous l’angle de cette cohérence qu’il faut comprendre les différents décalages de programmes qu’il contient. Ils ont permis de dégager les ressources nécessaires pour ces nouvelles priorités car, comme l’explique le chef d’état-major des armées, « il ne sert à rien de disposer de véhicules ou d’avions que je ne pourrai pas déployer. Mon objectif consiste à fournir un outil opérationnel, qui puisse être engagé ». Ces décalages ont aussi servi à financer d’autres programmes, en lien avec les nouveaux défis. Le général Vincent Pons, sous-chef Plans à l’état-major des armées, donne ainsi l’exemple du secteur terrestre : « le décalage des cibles du programme Scorpion permet ainsi de financer les efforts en faveur de la frappe longue portée, de l’armement des systèmes de drones tactiques, des capacités de franchissement, du cyber ». Ces décalages, parce qu’ils permettent à nos armées de couvrir l’ensemble des missions, garantissent leur crédibilité. Comme l’explique le général Cédric Gaudillière, « nous ignorons de quoi la guerre de demain sera faite, donc si nous voulons continuer à peser dans l’ensemble des conflits, à préserver nos intérêts et à protéger nos territoires – pas uniquement le territoire national –, nous devons disposer d’une armée efficace sur l’ensemble du spectre des missions ».

Enfin, votre rapporteur souligne qu’il ne s’agit bien que de décalages et non de renoncements. Comme le confirme le même général Gaudillière, « quasiment l’ensemble des cibles capacitaires seront atteintes à l’horizon 2035 », tout en rappelant que « les besoins programmés en matière de « programmes à effet majeur » (PEM) sont quasiment doublés eu égard à la précédente LPM (de 59 milliards dans la LPM 2019-2025 à 100 milliards d’euros pour la LPM 2024-2030) ». En conséquence, ce décalage « n’aura pas d’impact à long terme sur nos armées, dès lors que le format cible est préservé » et ce, d’autant plus que les nouveaux équipements, à nombre équivalent, sont bien plus performants que ceux qu’ils remplacent.

La notion de masse, secondaire donc par rapport à la cohérence de nos armées, doit par ailleurs être pensée par d’autres voies qui ne remettent en cause ni son format ni ses priorités, tout en étant compatibles avec les contraintes budgétaires :

la première est la différenciation. Comme l’explique le général Gaudillière, « nous travaillons à la conception d’un missile abordable et pouvant être acquis en grande quantité, tout en palliant certaines fragilités opérationnelles. Cette approche différenciée nous permet de mettre d’abord l’accent sur la cohérence, pour finalement atteindre la masse. À l’heure actuelle, nous cherchons à établir un équilibre entre la haute technologie et l’utilisation de munitions à bas coût pour les manœuvres de saturation, comme celles observées en Ukraine » ;

la deuxième est l’inscription des réflexions et des travaux dans le cadre plus large des partenariats stratégiques. Dans l’hypothèse d’un conflit de haute intensité, la France n’interviendrait pas seule mais en partenariat avec d’autres pays, lesquels lui permettront d’atteindre la masse nécessaire. Comme l’explique le général Gaudillière, même dans cette hypothèse, « il est crucial qu’elle conserve une capacité d’entrer en premier et de s’engager de manière autonome : la supériorité locale est fondamentale ». Or, celle-ci « repose sur la cohérence plutôt que sur la quantité de forces ».

c.   L’adaptation des dispositifs opérationnels, condition de l’efficacité et de la puissance de nos armées

La transformation de nos armées qu’implique la réponse aux nouvelles conflictualités ne concerne pas seulement le format de celles-ci, leur cohérence ou leurs équipements. L’évolution du contexte stratégique exige également une adaptation de leur organisation et de la manière de conduire les opérations afin de leur assurer, quelles que soient les actions de l’ennemi, la supériorité opérationnelle.

Le chef d’état-major des armées a expliqué que trois adaptations seraient nécessaires « pour être performant en multi-milieux et multi-champs » :

la première concerne l’organisation du commandement, qui devra être modifiée pour « disposer d’un système de commandement plus plastique et être capables de nous adapter à la diversité des opérations dans lesquelles nous sommes engagés, depuis des situations de gestion de crise jusqu’aux opérations de haute intensité. Au cœur même d’une opération, le système de commandement doit être capable de donner le bon niveau de subsidiarité en fonction des différents secteurs et phases de l’opération. Ce défi constitue la clef de notre efficacité opérationnelle » ;

la deuxième adaptation concerne l’organisation des capacités, « c’est-à-dire la manière dont nous pouvons conduire les opérations le plus efficacement possible. Il s’agit d’une part de produire des effets sur nos adversaires. D’autre part, cette doctrine doit nous permettre de nous protéger de nos adversaires. Pour ce faire, nous devons être capables de mettre en réseau nos senseurs et nos effecteurs, cinétiques ou dans les champs immatériels. Je parle ici du réseau multi-senseurs multi-effecteurs (RM2SE) » ;

enfin, troisième adaptation nécessaire, celle de « notre style d’action, en fonction de nos adversaires et de leurs capacités. Ces vingt dernières années, l’objectif était de conquérir une supériorité aérienne, maritime, ou plus difficilement terrestre et d’agir à partir de ces milieux-là. Face aux adversaires auxquels nous pouvons être confrontés aujourd’hui, il me semble illusoire de pouvoir adopter la même approche. Il nous faut nous rapprocher des principes de la guerre de Foch, l’un d’entre eux étant l’économie des moyens ». D’où l’objectif affiché de « pouvoir créer une bulle d’hyper-supériorité qui permette à un moment donné, dans une zone donnée, d’établir une supériorité pour produire des effets contre l’adversaire. Cette approche peut paraître moins ambitieuse, mais elle est plus réaliste ».

Ces changements dans l’organisation des armées et la manière de conduire les opérations ont, naturellement, un impact sur les contrats opérationnels. Comme l’explique le chef d’état-major des armées, « en matière de contrats opérationnels, nous privilégions la cohérence avant la masse ; la réactivité avant l’endurance. Notre effort porte vers la haute intensité, nous devons être capables de réagir vite. Au fur et à mesure de la LPM, l’endurance viendra compléter la réactivité ».

Le rapport annexé détaille donc ces contrats qui « s’articulent, d’une part, sur une « posture de réactivité » englobant l’ensemble des postures permanentes, les engagements opérationnels courants et l’échelon national d’urgence renforcé [et], d’autre part, en cas d’engagement dans une opération majeure, un complément de forces […], constitué de forces en phase de régénération, en entraînement ou en formation ». Plus précisément, par rapport aux contrats opérationnels issus de la LPM actuelle, les apports suivants doivent être soulignés :

– d’une manière générale, quelle que soit la posture, de nouvelles capacités ont été ajoutées, essentiellement dans les nouveaux milieux ou champs de conflictualité ;

l’échelon national d’urgence sera « renforcé » avec une augmentation significative des moyens mis en œuvre, notamment pour l’armée de Terre (une brigade inter-armée supplémentaire), incluant les nouvelles capacités M2MC ;

– enfin, le complément pour une opération majeure, s’il est globalement équivalent à l’hypothèse d’engagement majeur de la précédente LPM, se caractérise par une intégration plus poussée des nouveaux milieux (espace et densification du cyber) et une densification manifeste des forces spéciales, dont l’organisation est par ailleurs bien plus détaillée.

On retrouve donc, dans ces nouveaux contrats opérationnels, les priorités de ce projet de LPM que sont le M2MC et la haute intensité.

3.   Des partenariats stratégiques renouvelés

a.   Une stratégie de partenariats redéfinie

Puissance d’équilibres, la France se veut aussi, comme l’indique le rapport annexé, « pourvoyeuse de sécurité et de souveraineté ». Non seulement notre pays, avec ses moyens renforcés et ses nouvelles capacités d’action en M2MC, a l’ambition de contribuer à la stabilité d’un ordre international fondé sur le droit, de plus en plus menacé, mais les partenariats stratégiques qu’il noue contribuent également à notre propre sécurité, la guerre de haute intensité ne se faisant pas en solitaire mais en coalition. Ils doivent toutefois eux aussi évoluer, à la fois pour s’adapter au changement de l’environnement stratégique mais également pour mieux répondre aux besoins de nos partenaires, le rapport annexé évoquant « des coopérations déclinées de manière différenciée et adaptées à nos partenaires ».

C’est notamment le cas en Afrique. Comme l’a souligné le chef d’état-major des armées, nos dispositifs seront adaptés « pour répondre du mieux possible et de la manière la plus adaptée aux besoins de formation de ces pays ». La formation représente en effet un levier majeur d’influence et de consolidation des partenariats stratégiques. En se renforçant dans les nouveaux champs de conflictualité et en se dotant de nouvelles capacités, telles que les drones, la France sera en mesure de proposer à ses partenaires une expertise plus riche, mise à disposition notamment via l’accueil d’officiers et de sous-officiers dans ses écoles militaires, où le nombre de places proposé sera accru.

Au-delà de la formation et des bases, les partenariats stratégiques se nouent aussi à l’occasion d’exercices en commun, lesquels sont mutuellement bénéfiques. Comme l’explique le CEMA, « les exercices en multinational sont plus exigeants en termes de niveau d’entraînement, mais également en matière de coordination ». En outre, ces exercices constituent autant de « signalements stratégiques » qui, pour le chef d’état-major de la Marine témoignent de « l’engagement de la France dans la sécurité de la zone et de sa volonté d’y nouer des partenariats contributifs de stabilité ».

Cette zone, c’est l’Indopacifique marquée « par l’accumulation des tensions stratégiques » avec, en toile de fond, la rivalité sino-américaine pour la suprématie mondiale. Nation indopacifique à part entière, la France ne peut les ignorer, tout en ayant un rôle particulier à jouer pour la stabilité de la région, en plus de la défense de ses intérêts. Comme l’explique le CEMM, « compte tenu de l’immensité des espaces à protéger, gagner la guerre avant la guerre suppose de nous déployer régulièrement, d’entretenir une interopérabilité forte et de haut niveau avec nos partenaires et de montrer nos capacités à intervenir dans les domaines de pointe ».

En définitive, pour reprendre les mots du chef d’état-major des armées, « dans notre monde, il est difficile d’imaginer d’être aujourd’hui efficaces et performants dans la durée si l’on agit seul. Nous devons donc être capables de rassembler et d’assumer si nécessaire le rôle de nation-cadre, en particulier dans une coalition. Cela implique de mieux assumer nos responsabilités au sein de l’OTAN, ce qui constitue pour moi le levier principal pour œuvrer au développement et à la consolidation d’un pilier de défense européen ».

b.   La confirmation de l’engagement de la France en faveur de l’autonomie stratégique européenne

La Revue nationale stratégique présente la France comme « un des moteurs de l’autonomie stratégique européenne », ambition confirmée dans le rapport annexé. Notre pays et les entreprises de la BITD sont en effet fortement impliqués dans les deux initiatives européennes majeures que sont la Coopération structurée permanente et le Fonds européen de défense, mais également dans de nombreuses coopérations bilatérales de grande ampleur telles que CaMo avec la Belgique ou encore le SCAF ou le MGCS avec l’Allemagne (et l’Espagne).

Comme l’explique le rapport annexé, « ces initiatives créent les conditions d’une interopérabilité native, développent une culture stratégique commune et une capacité à s’engager ensemble en opérations », autant d’atouts qui contribuent à renforcer l’objectif d’autonomie stratégique européenne. D’autres coopérations pourraient le renforcer encore et le même rapport annexé évoque les pistes à explorer, en particulier avec l’Italie, l’Espagne, la Grèce, l’Allemagne et le Royaume-Uni, citant notamment le futur avion-cargo médian, les drones, la défense surface-air, la frappe longue portée et les bâtiments de surface, ainsi que l’espace, « domaine de coopération à fort potentiel pour les lanceurs, la surveillance, l’observation, la protection des systèmes et capacités de communication, de commandement et de contrôle ».

Toutefois, bien que pleinement engagée dans ses coopérations, la France n’en conserve pas moins ses deux « lignes rouges », que rappelle le rapport annexé :

– d’une part, le fait qu’elles ne doivent être ouvertes aux pays tiers que dans la limite de ce qui est « nécessaire, pertinent et utile » ;

– d’autre part, la « prérogative souveraine de la France » que doivent rester, contre les velléités de les harmoniser au niveau européen, les exportations de systèmes d’armes.

4.   La consécration de la fonction stratégique « influence »

La Revue nationale stratégique a érigé, à juste titre, l’influence au rang de fonction stratégique. Cette fonction stratégique a pour objectifs de défendre et de promouvoir les intérêts et les valeurs de la France à l’international que sont le respect et l’application du droit international, le multilatéralisme et la préservation des biens communs. Pour ce qui concerne le ministère des Armées, c’est-à-dire le volet militaire de l’influence, il s’agira de promouvoir et de valoriser la légitimité des engagements de nos armées sur les théâtres d’opérations extérieure et de répondre aux attaques informationnelles de nos adversaires et de nos compétiteurs dans le champ des perceptions, et singulièrement sur les réseaux sociaux. La guerre informationnelle conduite par la Russie au Sahel à l’encontre de nos militaires déployés dans le cadre de l’opération Barkhane a d’ailleurs démontré la nécessité de prendre en compte cette nouvelle dimension de la conflictualité.

Votre rapporteur ne peut que se féliciter du fait que l’influence figure parmi les priorités du ministère des Armées. Toutefois, il estime qu’il conviendra de porter une attention toute particulière à l’impératif de coordination de la politique d’influence entre, d’une part, les armées, directions et services du ministère des Armées, et d’autre part, les autres services de l’État. L’ensemble des armées, directions et services du ministère des Armées en charge de l’influence devront en effet travailler en parfaite harmonie avec l’ensemble des services de l’État chargés de la politique d’influence, parmi lesquels, entre autres, la Direction générale de la sécurité intérieure, Viginum ou encore le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. L’importance de la coordination de l’ensemble des acteurs a d’ailleurs été rappelée par le Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale lors de son audition devant la commission de la Défense nationale et des forces armées ([2]).

B.   une LPM portÉe par des moyens budgÉtaires historiques

1.   Une programmation financière inédite pour nos armées

a.   Un effort budgétaire sans précédent

Après des années de déflation des effectifs et des capacités de nos armées, la LPM 2019-2025 a initié une dynamique de « réparation », portée par une trajectoire financière ambitieuse. Celle-ci prévoyait une augmentation du budget de la mission « Défense » de 35,9 milliards d’euros en 2019 à 43,9 milliards d’euros en 2023. De façon inédite depuis plus de quarante ans, cette trajectoire a été respectée à l’euro près avec le franchissement des « marches budgétaires » d’1,7 milliard d’euros entre 2019 et 2022 et de trois milliards d’euros en 2023. La LPM 2019-2025 aura même été sur-exécutée, avec les rallonges d’1,2 milliard votées en 2022 et d’1,5 milliard prévues en 2023.

La LPM 2024-2030 consolide et amplifie cette dynamique, en poursuivant le franchissement de marches à 3 milliards d’euros entre 2024 et 2027, puis en accentuant encore l’effort à compter de 2028 avec des marches à 4,3 milliards d’euros. L’effort financier est donc majeur : la LPM prévoit, sur l’ensemble de la période de programmation, 400 milliards d’euros de crédits budgétaires et 413 milliards d’euros de besoins programmés. Cette trajectoire représente une augmentation de 40 % des moyens consacrés à la mission « Défense » par rapport à la LPM 2019-2025, qui prévoyait 295 milliards de besoins programmés.

Trajectoire des crÉdits de paiement de la mission dÉfense

(en milliards d’euros courants)

 

2024

2025

2026

2027

2028

2029

2030

Total 20242030

Crédits de paiement de la mission « Défense »

47,04

50,04

53,04

56,04

60,32

64,61

68,91

400,00

variation

+ 3,1

+ 3,0

+ 3,0

+ 3,0

+ 4,3

+ 4,3

+ 4,3

 

Source : article 3 du projet de LPM 2014-2030.

L’établissement par le projet de LPM des crédits budgétaires pour l’ensemble de la période de programmation constitue en outre un effort de transparence et de prévisibilité eu égard à la LPM 2019-2025, qui ne fixait quant à elle les crédits budgétaires que pour les quatre premières années de la programmation (2019-2023).

Rapportée à une période couvrant trois programmations militaires, l’effort porté par la LPM 2024-2030 est ainsi considérable, comme l’illustre le graphique ci-dessous :

Évolution des CRÉDITS DE PAIEMENt PRÉVUS PAR LES LPM DE 2014 à 2030

Source : avis du Haut Conseil des finances publiques du 27 mars 2023.

Le budget de la mission Défense passera ainsi de 32 milliards d’euros en 2017 à 56 milliards en 2017 et près de 69 milliards en 2030. Les deux tiers de cette augmentation auront donc eu lieu entre 2017 et 2027.

L’ambition de la programmation financière permettra de porter l’« effort national de défense » ([3]) à hauteur du 2 % du PIB entre 2025-2027, selon l’évolution du PIB, comme le prévoit l’article 2 du projet de LPM. Votre rapporteur tient à souligner que ce qui compte n’est pas tant l’année au cours de laquelle sera atteint cet objectif, qui dépend de l’évolution conjoncturelle du PIB, que l’effort concret en faveur de nos armées matérialisé par la trajectoire financière fixée par le projet de LPM.

Il convient enfin de relever que la détermination de la trajectoire financière de la LPM 2024-2030 a été le fruit d’un travail inédit d’introspection et de ré-interrogation de notre modèle d’armées et de notre ambition opérationnelle, comme l’ont mis en exergue de nombreuses personnes auditionnées par votre rapporteur. Contrairement à ce qui a pu être pratiqué par le passé, l’établissement de la programmation financière n’a pas été le point de départ des travaux de construction de la LPM, mais son aboutissement : il ne s’agissait pas de déduire un format humain et capacitaire pour nos armées à partir d’une trajectoire financière donnée, mais bien d’évaluer nos besoins face à l’évolution des menaces pour aboutir à une trajectoire financière adaptée.

Ainsi, l’augmentation des marches de 3 à 4,3 milliards d’euros pour la période 2028-2030 a été dictée par les besoins opérationnels, notamment en matière de dissuasion nucléaire, et non par une logique budgétaire, comme l’a indiqué le ministre des Armées : « si les budgets sont en hausse sur la dernière partie de la LPM, c’est seulement parce que des crédits de paiements plus importants seront nécessaires, y compris pour la dissuasion nucléaire. Les plus grands besoins financiers et budgétaires pour la modernisation des missiles de la composante océanique, et, surtout, aéroportée, seront déployés en fin de période. Il ne s’agit pas d’un choix budgétaire, mais d’une conséquence de la trajectoire du programme de la direction des applications militaires » ([4]).

b.   Une trajectoire sincère et sécurisée, avec des « marches » constituant un plancher et non un plafond

La sincérité de la trajectoire financière prévue par le projet de LPM est confortée par plusieurs éléments, qui participent à sécuriser le budget alloué à nos forces armées.

 Tout d’abord, la programmation financière prévue par le projet de LPM est cohérente avec la trajectoire pluriannuelle des finances publiques, telle qu’établie par le projet de loi de programmation des finances publiques (PLPFP) 2023-2027. Dans son avis du 27 mars 2023, le Haut Conseil des finances publiques a ainsi relevé que « les crédits budgétaires de la mission Défense inscrits dans le PLPM et le PLPFP sont identiques pour les années 2024 et 2025 et que, selon le Gouvernement, ce serait aussi le cas pour les années 2026 et 2027 même si le Haut Conseil n’a pas pu s’en assurer directement, le PLPFP ne présentant les crédits des missions budgétaires que sur les trois premières années de la programmation » ([5]). La cohérence pour les années 2024 à 2027 entre, d’une part, le projet de LPM et, d’autre part, le PLPFP, a été confirmée à votre rapporteur par le représentant de la direction du budget du ministère de l’économie qu’il a auditionné.

● Le second élément permettant de sécuriser la trajectoire financière est que les dépenses liées à l’effort national de soutien à l’Ukraine, par nature imprévisibles, seront financées par des ressources autres que les 400 milliards d’euros de crédits budgétaires prévus par la LPM, en vertu de l’article 3 du projet de loi. Ainsi que l’a souligné M. Pierre Chavy, sous-directeur à la direction du budget, lors de son audition, « la rédaction de l’article 3 couvre notamment la contribution du ministère des Armées à la Facilité européenne pour la paix (FEP), les dépenses liées au recomplètement des matériels et équipements cédés et l’accord intergouvernemental conclu avec l’Ukraine, qui a donné naissance au fonds de soutien. En outre, bien que le texte ne le mentionne pas, il n’est pas invraisemblable que les opérations de réassurance menées sur le flanc Est de l’Europe (type déploiement en Roumanie) soient financées en interministériel et non sur les crédits de la LPM ».

La décision d’exclure du périmètre des crédits de paiement de mission de la mission « Défense » prévus par la LPM le financement d’un tel effort permet ainsi de garantir que les ressources budgétaires prévues dans la LPM profiteront exclusivement à notre outil de défense.

● Le projet de LPM est également sincère, en ce qu’il intègre les contraintes liées à l’évolution du contexte économique, et notamment l’inflation. L’impact de cette dernière est estimé à environ trente milliards d’euros, selon les indications fournies par le ministre des Armées lors de son audition devant la commission. Cette estimation a été confirmée par le représentant de la direction du budget à votre rapporteur. Les hypothèses d’inflation retenues par le ministère des Armées paraissent en outre prudentes. Le représentant de la direction du budget a ainsi indiqué à ce titre à votre rapporteur que « les hypothèses d’inflation qui fondent la LPM sont celles du projet de loi de programmation des finances publiques et que celles-ci sont plus pessimistes que celles qui sont prévues dans le programme de stabilité en cours d’élaboration (indice des prix à la consommation hors tabac (IPCHT) : 3 % contre 2,5 % en 2024 ; 2,1 % contre 2 % en 2025) ».

● S’agissant des ressources extrabudgétaires prévues par le projet de LPM, il s’agit de ressources classiques et récurrentes, a contrario des « recettes exceptionnelles », telles que les ventes de fréquences hertziennes, sur lesquelles ont pu s’appuyer de précédentes LPM. La nature de ces ressources extrabudgétaires, d’un montant total de 5,9 milliards d’euros sur la période, a été détaillée par le ministre des Armées comme suit : « Les ressources du service de santé des armées (SSA) en représentent une partie importante – à hauteur de 3 milliards – en raison de la tarification à l’acte. Par ailleurs, la DGA facture des prestations à nos industriels. Le montant est estimé à 652 millions d’euros. La cession de matériel et formation associée dans le cadre de nos différents programmes de coopération devrait dégager 1 milliard d’euros, et le compte d’affectation spéciale de l’immobilier environ 474 millions. Enfin, les dividendes de contrats renégociés devraient rapporter 650 millions » ([6]).

Ces ressources extrabudgétaires ont déjà abondé par le passé le budget de la mission « Défense », pour combler l’écart entre, d’une part les ressources budgétaires prévues et, d’autre part, les besoins programmés. Un tel écart est en effet usuel, bien qu’il n’était pas explicité par les précédentes lois de programmation. La distinction entre les besoins programmés (413,3 milliards d’euros) et les ressources budgétaires (400 milliards d’euros) figurant dans le projet de loi constitue donc un effort de transparence louable et inédit de la part du Gouvernement.

Enfin, le montant des ressources extrabudgétaires paraît avoir été établi sur des bases réalistes, eu égard aux montants constatés dans la période récente. Le ministère des Armées a ainsi indiqué à votre rapporteur que « les prévisions de ressources extra-budgétaires sont en moyenne inférieures au constaté des dernières années ». Le risque lié à la non réalisation de ces ressources extrabudgétaires paraît donc maîtrisé.

● Les besoins programmés par le projet de LPM (413,3 milliards d’euros) non financés par les ressources budgétaires (400 milliards d’euros), d’une part, et les ressources extrabudgétaires (5,9 milliards d’euros), d’autre part, représentent donc 7,4 milliards d’euros. Ils seront pris en charge, comme l’a relevé le Haut conseil des finances publiques dans son avis sur le projet de LPM, à travers trois mécanismes :

– premièrement, la « marge frictionnelle », c’est-à-dire les moindres dépenses habituellement observées, dans le cadre de l’exécution du programme d’équipements. Il a été précisé à ce titre à votre rapporteur que « lorsqu’il exécute sa programmation, le ministère constate systématiquement des retards ou des reports, qui minorent d’autant ses dépenses et sa consommation de crédits. Au moment de déterminer la ressource, il est donc logique de faire l’hypothèse qu’une part de la programmation ne se réalisera pas comme prévu. C’est là une pratique inhérente à toute forme de programmation, qui n’a rien de récent » ([7]). S’agissant des hypothèses de sous-exécution de la programmation fondant la LPM, il a été indiqué à votre rapporteur que celles qui ont été retenues dans le projet de LPM correspondent à celles des années précédentes (soit 3,3 % en moyenne les premières années).

– deuxièmement, le report de charges du ministère, qui aura vocation à être davantage mobilisé que lors de la LPM 2019-2025. Selon les indications du ministère des Armées, « le report de charges est un procédé technique couramment utilisé en programmation, qui permet de prendre en compte de manière la plus concrète le rythme de paiement des factures. Il s’agit d’ajuster à la marge le volume de factures reportées en fin d’exercice sur l’année suivante, ce qui permet de lisser, de manière maîtrisée, le besoin de crédits budgétaires sur la période. Une augmentation transitoire est un moyen de soutenir le pouvoir d’achat en période d’inflation élevée, et peut être compensée quand la conjoncture est plus favorable : c’est donc un outil contracyclique qui limite les à-coups dans la trajectoire des finances publiques » ([8]). Si aucune trajectoire prévisionnelle du report de charges n’est prévue dans le projet de LPM 2024-2030, le ministère des Armées a indiqué à votre rapporteur qu’il s’impose une limite du montant des reports de charges à hauteur de 20 % de crédits de la mission « Défense » hors titre II.

Le report de charges et la prise en compte d’une « marge frictionnelle » contribueront aux besoins programmés à hauteur de 6,2 milliards d’euros sur la période de la programmation, selon les indications fournies par le ministère des Armées à votre rapporteur.

– troisièmement, le recours à des financements interministériels, notamment en vue de financer l’effort de soutien à l’Ukraine.

● Enfin, il semble important à votre rapport de rappeler que la trajectoire annuelle définie par le projet de LPM constitue un « plancher » et non un « plafond », pour reprendre les termes du ministre des Armées.

La LPM établit ainsi deux mécanismes permettant de compenser d’éventuels surcoûts résultant de l’évolution du contexte économique ou stratégique.

D’une part, en application de l’article 4 du projet de loi, les surcoûts nets des opérations extérieures et des missions intérieures non couverts par la provision annuelle feront l’objet, par principe, d’un financement interministériel. Ce principe d’un financement interministériel est d’autant plus essentiel que la provision OPEX-MISSINT prévue dans le projet de LPM est en forte baisse (d’1,1 milliard d’euros en 2023 à 800 millions en 2024 puis 750 millions à compter de 2025), même si cette réduction paraît cohérente avec le redimensionnement de notre dispositif au Sahel et, plus généralement, la réorientation de notre stratégie en Afrique.

D’autre part, l’article 5 du projet de loi prévoit que des crédits supplémentaires seront alloués à la mission « Défense » en cas de hausse durable du prix des carburants opérationnels, étant précisé que la LPM 2024-2030 est fondée sur une hypothèse de cours du baril de Brent conforme à celles du programme de stabilité 2022-2027, soit un cours de 85 dollars du baril et d’une parité euros/ dollars de 1,07 ([9]).

Au-delà de l’application de ces dispositifs légaux, la période récente a rappelé que des crédits supplémentaires étaient susceptibles d’être alloués au bénéfice de la mission « Défense » pour compenser les surcoûts occasionnés par les aléas économiques ou géostratégiques.

Ainsi, la loi de finances rectificative de 2022 a ouvert 1,2 milliard de crédits supplémentaires au bénéfice de la mission « Défense » pour compenser l’inflation et couvrir les surcoûts liés à l’activité opérationnelle sur le flanc Est de l’Europe. De même, pour l’année 2023, le ministre des Armées a d’ores et déjà annoncé son intention de demander une ouverture de crédits de 1,5 milliard d’euros pour compenser l’inflation et financer des achats urgents en matière de défense sol-air (notamment de VL-MICA) dans la perspective des Jeux olympiques.

Votre rapporteur estime que ces pratiques d’ouverture de crédits supplémentaires en lois de finances devront être poursuivies, en cas de besoin, durant la prochaine programmation.

2.   Une allocation des moyens qui traduit les grandes priorités de la LPM

a.   Un effort financier majeur au bénéfice de l’équipement de nos forces

L’agrégat « équipement » représente 268 milliards d’euros de besoins programmés sur la période de la programmation, contre 172 milliards de besoins programmés par la LPM 2019-2025, soit une augmentation de plus de 55 %.

Au sein de cet agrégat, ce sont les programmes à effet majeur (PEM) qui bénéficieront des investissements les plus conséquents, avec 100 milliards d’euros de besoins programmés sur la période, soit une augmentation de près de 70 % eu égard à la précédente LPM. Ce seul montant suffit à mesurer l’ampleur de l’effort capacitaire portée par cette LPM.

Selon les indications fournies à votre rapporteur, les dix plus grands programmes d’équipement pour la période 2024-2030 absorberont près de la moitié de l’enveloppe dédiée aux PEM, ainsi que l’illustre le tableau ci-dessous.

 

TOP 10 des programmes À effet majeur sur la pÉriode 2024-2030

Activité

Total 24-30 (CP, Md€ courants)

RAFALE (acquisition d’aéronefs)

9,2

SCORPION

8,2

Porte-Avions NG

5,1

SCAF

3,8

A 400 M

3,4

CYBER

3,4

HIL (hélicoptère interarmées léger)

3,2

SAMP-T NG (système sol-air moyenne portée)

3,1

BARRACUDA

2,5

RAFALE (évolutions au standard F4)

2,4

TOTAL

44,4

Source : Ministère des Armées, réponse au questionnaire de votre rapporteur.

Outre ces dix grands programmes, les priorités mises en exergue dans le rapport annexé (section 2.2.3. « efforts prioritaires pour les armées du futur ») absorberont une partie significative de l’enveloppe de la LPM 2024-2030 dédiée au capacitaire, que ce soit dans le domaine du spatial (6 milliards d’euros, en augmentation de 45 % par rapport à la LPM 2019-2025), de la défense sol-air (5 milliards d’euros, soit une hausse de 300 %) ou encore des drones et des robots (5 milliards d’euros, soit une augmentation de 100 %).

Votre rapporteur salue plus particulièrement à ce titre l’effort important consacré à la modernisation et au recomplètement des stocks de munitions de nos armées, qui était nécessaire compte tenu de l’évolution du contexte géostratégique. Ainsi, sur les 16 milliards d’euros de besoins programmés au titre des munitions, 11 milliards seront consacrés aux munitions complexes développées dans le cadre des programmes à effet majeur. Selon les informations fournies par le général Cédric Gaudillière, ces investissements permettront de « commander plus de 6 000 munitions complexes telles que les missiles antichar, air-air ou de croisière, ainsi que des torpilles, et d’en livrer plus de 4 000 » ([10]). Cette consolidation de notre stratégie d’acquisition devra être doublée de l’augmentation du cadencement de la production des munitions, dans le cadre de l’« économie de guerre » ([11]).

Au-delà des programmes à effet majeur, la LPM 2024-2030 consolide également les investissements dédiés aux équipements dits de cohérence, rassemblés sous l’agrégat « Autres opérations d’armement » (AOA), avec 13 milliards d’euros de besoins programmés. Le risque que cette enveloppe dédiée aux AOA soit ponctionnée pour financer les PEM, comme cela a été trop souvent le cas dans le passé, est au surplus réduit du fait que la LPM a rapatrié au sein des PEM des programmes qui étaient jusqu’alors inclus dans les AOA (capacités de franchissement de l’armée de Terre ; bâtiments intermédiaires de la marine ; création de PEM incrémentaux pour les drones, la lutte anti-drones, les munitions, le cyber…), ainsi que l’a indiqué le délégué général pour l’armement lors de son audition par votre rapporteur. Votre rapporteur approuve cette « sincérisation » des AOA et appelle à sanctuariser les moyens dédiés à ces derniers, qui sont non seulement essentiels pour l’équipement du soldat au quotidien, mais contribuent également à la force morale de nos troupes.

b.   Des investissements en faveur de la cohérence de nos armées

La priorité accordée par la LPM 2024-2030 à la cohérence de nos armées, telle que rappelée dans la précédente section, se traduit sur le plan budgétaire par un renforcement conséquent des moyens alloués à plusieurs segments de notre outil de défense.

Tout d’abord, l’entretien programmé du matériel, c’est-à-dire les dépenses liées au MCO, fait l’objet d’un rehaussement significatif, en passant de 35 à 49 milliards d’euros de besoins programmés, soit une augmentation de 40 % eu égard à la LPM 2019-2025.

Les infrastructures opérationnelles et de vie voient également leurs crédits augmenter de 33 % en comparaison de la précédente programmation, en passant de 12 à 16 milliards d’euros.

La consolidation des services du soutien (service du commissariat des armées, base de défense, service de santé des armées, service de l’énergie opérationnelle, service interarmées des munitions) se traduit enfin par des besoins programmés à hauteur de 18 milliards d’euros, soit une hausse de plus de 28 % par rapport à la précédente LPM.

c.   Une enveloppe importante pour les ressources humaines

Selon les indications données par le ministre des Armées lors de son audition, la masse salariale du ministère des Armées s’établit à 97,8 milliards d’euros sur la période de la programmation, soit une augmentation de 12 % par rapport aux 87,4 milliards de la précédente LPM.

Le schéma d’emploi, qui prévoit une augmentation nette des effectifs de 6 300 ETP en vue d’atteindre la cible de 275 000 militaires et civils en 2030, aura un coût d’environ 890 millions.

Quant au volet indemnitaire, la NPRM, dont le dernier volet sera effectif à compter du 1er octobre 2023, coûtera environ 500 millions d’euros par an, à compter de 2024.


—  1  —

II.   l’enjeu fondamental des ressources humaines dans un MinistÈre des ArmÉes modernisÉ

A.   Des schÉmas d’emploi rÉalistes et adaptÉs aux Évolutions du marchÉ du travail

1.   Une hausse nette des effectifs du ministère de 6 300 ETP à l’horizon 2030

L’article 6 du titre I du présent projet de loi prévoit une augmentation nette des effectifs du ministère des Armées de 6 300 ETP à l’horizon 2030.

L’augmentation nette des effectifs du ministère des Armées s’effectuera selon le calendrier suivant :

 

(ETP)

2024

2025

2026

2027

2028

2029

2030

Cibles d’augmentation nette des effectifs

700

700

800

900

1 000

1 000

1 200

À l’horizon 2030, le ministère s’appuiera sur 355 000 ETP, dont 275 000 militaires d’active et civils ([12])  d’une part et 80 000 réservistes opérationnels d’autre part.

La répartition prévisionnelle des augmentations nettes d’effectifs du ministère est construite selon deux approches : une approche par grand employeur et employeur non rattachés et une approche par grand domaine ou secteur d’activité. Le tableau ci-après explicite la répartition prévisionnelle du schéma d’emplois du projet de LPM 2024-2030 par annuité et par employeur.

 

2024

2025

2026

2027

2028

2029

2030

Schéma d'emplois

CEMA (hors SIAé)

448

513

585

655

726

726

861

4 514

SGA

22

26

35

45

51

51

68

298

DGA

48

58

66

76

88

88

108

532

DGSE

78

86

95

105

114

114

136

728

DRSD

6

7

7

7

7

7

8

49

DGRIS / IRSEM

1

2

2

2

2

2

2

13

Réseau diplomatique

3

3

3

3

4

4

5

25

ACSIA ([13]) / CBCM

1

1

2

2

2

2

4

14

Autres

 

1

1

2

3

3

3

27

Effectifs sortants

100

 

 

 

 

 

 

100

TOTAL MINARM

700

700

800

900

1 000

1 000

1 200

6 300

Le cadrage définitif de la masse salariale ainsi que sa répartition par annuité font encore l’objet de derniers ajustements à l’heure où votre rapporteur termine la rédaction de son rapport.

2.   Des schémas d’emploi réalistes pour s’adapter aux conditions de recrutement sur le marché du travail

Comme tous les employeurs publics et privés, le ministère des Armées fait face à des difficultés conjoncturelles pour atteindre ses cibles d’effectifs compte tenu de la concurrence exacerbée sur le marché de l’emploi et de la situation de quasi plein-emploi. Ainsi, en 2022, le ministère des Armées n'a pas réussi à réaliser son schéma d’emploi.

La méthode d'élaboration de cette LPM repose en conséquence sur la transparence, la sincérité et le réalisme. C’est pourquoi, pour la période 2024-2030, le ministère des Armées retient une trajectoire réaliste d’augmentation de ses effectifs avec des paliers de 700 ETP supplémentaires pour les deux premières annuités, suivis d'une accélération en fin de LPM avec un objectif en fin de période de programmation de 275 000 ETP.

Le dernier alinéa de l’article 6 précise à cet égard que « Le ministère adaptera la réalisation des cibles d’effectifs fixées par le présent article et sa politique salariale en fonction de la situation du marché du travail. »

Ainsi que l’a rappelé le Directeur des ressources humaines du ministère des Armées, il existe en effet une forte corrélation entre l’état du marché de l’emploi et la capacité du ministère à réaliser ses objectifs de recrutement. Ainsi, selon la situation conjoncturelle du marché du travail, il est possible que le ministère adapte la programmation annuelle des effectifs pour chaque annuité. En outre, les gestionnaires auront la possibilité d’adapter en cours d’année leur plan de recrutements en fonction des départs constatés.

B.   Une modernisation des leviers de gestion des personnels visant la rÉtention des compÉtences rares et la fidÉlisation

1.   La nécessité de retenir les compétences rares implique une modernisation des leviers de gestion des personnels

Auditionné par votre rapporteur, le directeur des ressources humaines du ministère des Armées a précisé que le présent projet de LPM comportait plusieurs axes de transformation du modèle de ressources humaines du ministère. Le premier axe de transformation du modèle RH a pour objectif d’accroître la réactivité et l’agilité dans la gestion des ressources humaines du ministère.

Les armées subissent de plein fouet la concurrence du secteur privé dans un contexte de marché du travail en tension. Ainsi, le major général de l’armée de l’Air et de l’Espace (AAE) a rappelé à votre rapporteur que l’AAE subissait une forte concurrence du secteur privé qui embauche massivement (13 000 recrutements pour Thales et 10 000 recrutements pour Airbus en 2023). L’AAE travaille également à trouver des « gentlemen agreements » avec la DGAC et les industriels de défense pour limiter le « débauchage massif et non coordonné » des aviateurs et mécaniciens.

Dans ce contexte, il importe d’attirer et surtout de retenir les compétences rares des militaires. Ainsi, l’article 15 du présent projet de loi donne aux gestionnaires la possibilité de maintenir en service des cadres expérimentés jusqu’à trois ans au-delà de la limite d’âge de leur grade ou de la durée de service s’agissant des militaires sous contrat. Il permet également aux anciens militaires de carrière ou sous contrat ayant été radiés des cadres ou des contrôles depuis moins de 5 ans de se réengager dans les Armées dans des conditions avantageuses. Cette disposition permettra aux Armées de pouvoir disposer d’une ressource qualifiée et déjà formée, éventuellement enrichie d’une expérience professionnelle dans le monde civil.

En cohérence avec l’extension des conditions de réengagement prévue par l’article 15 du présent projet, l’article 14 relatif à la réserve militaire prévoit, au cours de la période d’obligation de disponibilité de 5 ans des anciens militaires, la possibilité de convocation du militaire. Ces convocations, d'une durée continue ou discontinue de 10 jours sur les 5 années, sont destinées à la remise à niveau des connaissances de l’ancien militaire. Cette disposition permettra d’assurer le maintien en compétence de militaires n’ayant pas souscrit d’engagement à servir (ESR) dans la réserve opérationnelle.

Un ancien militaire pourra être réengagé même s’il n’aura pu entretenir ses compétences dans le cadre d’un ESR, dès lors que l’investissement nécessaire pour remettre ses compétences à niveau sera acceptable. Cela sera également le cas lorsque les compétences acquises dans le secteur civil lui donneront une employabilité dans un domaine utile aux armées ou à la Gendarmerie nationale.

Par ailleurs, le relèvement par décret du seuil d’irréversibilité du congé de reconversion prévu à l’article 16 permettra aux militaires de bénéficier d’un délai de désistement allongé leur permettant de renoncer éventuellement plus tardivement à leur projet de reconversion. Le maniement réglementaire du seuil d’irréversibilité constitue en outre un nouveau levier RH permettant aux gestionnaires de retenir davantage la main-d’œuvre qualifiée en cas de fortes tensions sur le marché du travail.

Dans le même objectif de rétention des compétences, l’article 18 du présent projet permet aux officiers généraux de pouvoir prétendre à deux promotions fonctionnelles de suite avant leur admission en deuxième section. Cet article permettra aux Armées de sécuriser la ressource du très haut encadrement militaire. En effet, la nécessité de pouvoir proposer plusieurs candidats crédibles aux autorités politiques pour les postes d’officiers généraux impose de disposer de suffisamment de profils, qu’il convient donc de fidéliser. Or les perspectives professionnelles du très haut encadrement militaire ne sont pas assurées dès lors que la pyramide des emplois devient rapidement très resserrée. Ces incertitudes professionnelles fortes, combinées à la durée assez brève d’exercice de responsabilités d’officier général, incitent en effet de plus en plus souvent des colonels ou grades équivalents à quitter prématurément le service actif pour se reconvertir dans de meilleures conditions. Confrontée à ce paradoxe, la gestion du haut encadrement militaire requiert donc des leviers de gestion spécifiques.

Cette perte de compétences serait atténuée par le rajeunissement de l’âge moyen d’accès au généralat, notamment pour une durée contractuelle fixée par la promotion fonctionnelle. Les motivations au départ étant rarement formulées par les individus, les armées estiment ces départs subis à environ 10 % des colonels ou grades équivalents qui constituent le vivier des potentiels officiers généraux. Le doublement de la promotion fonctionnelle permet en l’occurrence de conserver leurs compétences, ce qui optimise la gestion des officiers généraux. Cette mesure permettra de nommer des généraux plus jeunes qu’actuellement, étant précisé que ces derniers auront également vocation à quitter plus tôt les Armées dans le cadre d’une poursuite d’activités professionnelles dans le civil.

2.   Un investissement massif dans l’effort de formation initiale et continue

Le deuxième axe de transformation du modèle RH présenté par le directeur des Ressources humaines du ministère consiste en la poursuite d’un investissement massif dans l’appareil de formation initiale et continue, avec des objectifs à la fois quantitatifs et qualitatifs. Un travail doit être mené avec les écoles sous tutelle, notamment celles de la DGA qui devront mieux contribuer à la construction de parcours d’excellence des cadres civils et militaires. L’investissement dans les écoles de formation initiale (création d’un régime d’apprentissage militaire à l’article 17 du présent projet) est lui aussi essentiel. En outre, la DRH-MD cherche à développer la capacité du ministère à faire de la requalification en cours de carrière afin de valoriser les compétences en interne, à travers par exemple la détection de compétences en matière informatique. Cette formation en interne est essentielle afin d’organiser la montée en puissance des nouveaux métiers du ministère, qui ne pourront s’appuyer uniquement sur des recrutements externes. Elle contribuera également à accroître la fidélisation des personnels.

3.   La nécessité impérieuse d’accroître la fidélisation des personnels

Le directeur des Ressources humaines a souligné devant votre rapporteur l’importance de consolider la fidélisation des personnels. Le ministère des Armées compte à lui seul 650 métiers avec un flux annuel de 30 000 personnes en entrées et sorties. Le directeur a indiqué que la politique salariale devait être centrée sur la rétention des cadres du ministère entre 30 et 45 ans, mais qu’il s’agissait aussi de bien cibler les efforts salariaux sur des compétences plus que les statuts et de mieux utiliser les dispositifs préexistants afin de disposer de plus d’agilité infra-annuelle (bourse à l’entrée ou prime de lien au service, par exemple).

Le renforcement de la fidélisation des personnels civils et militaires passe notamment par la consolidation et la visibilité des parcours professionnels, une politique des compétences repensée en lien avec un effort accru dans la formation, des actions sur la qualité de vie au travail, une amélioration sensible de l'articulation vie privée-vie professionnelle ainsi qu'une politique salariale ciblée.

a.   Le déploiement de la NPRM dans le cadre de la programmation 2024-2030

Le déploiement complet de la NPRM au 1er octobre 2023 devrait simplifier le système de rémunération des militaires. Son déploiement s’est échelonné sur les années 2021, 2022 et 2023. Les primes et indemnités constitutives de l’annuité 2023 – indemnité de garnison des militaires (IGAR), indemnité d’état militaire (IEM), prime de parcours professionnels (3PM) et prime de compétences spécifiques des militaires (PCSMil) – étant déployées à partir du 1er octobre de cette année, l’année 2024 sera la première année de mise en œuvre complète qui permettra d’en mesurer finement les effets, notamment en termes de fidélisation.

Au plus tard trois ans après la dernière étape de la réforme, soit en 2026, la NPRM fera l’objet d’une clause de revoyure, essentielle pour prendre en compte le retour d’expérience et adapter si nécessaire le dispositif.

b.   Le renforcement du lien au service et l’individualisation des parcours

L’effort porté sur la prime de lien au service (PLS) se poursuivra, en particulier au profit des secteurs professionnels en tension comme le nucléaire, les SIC/cyber ou encore le renseignement. Ce dispositif pourrait être étendu au personnel civil. Il pourrait être complété par la mise en place de primes de compétences spécifiques dans les domaines les plus en tension (primes associées à des emplois tenus et à des qualifications détenues).

Afin de répondre aux enjeux d’expertise technique, la future LPM s'attachera à mieux valoriser les filières techniques (ingénieurs et techniciens civils comme militaires).

Pour le personnel civil, la construction de parcours professionnels favorisant les évolutions de carrière, grâce notamment à des parcours de formation plus individualisés et à un renforcement de l’accompagnement et du conseil RH, participera à la fidélisation.

Cette dynamique s’appuiera sur une nouvelle gestion des compétences qui bénéficiera notamment d’une valorisation des qualifications par équivalence de diplômes et d’un dispositif de requalification des compétences, afin de répondre de manière plus agile aux besoins liés à l’apparition de nouveaux métiers.

Pour les militaires, des parcours parallèles au parcours classique de l’enseignement militaire supérieur seront aussi proposés afin d’utiliser au mieux l’ensemble des compétences des différentes catégories de personnel.

Par ailleurs, le ministère des Armées engagera une réflexion sur l’extension du dispositif de compétences spécifiques liées aux domaines renseignement et numérique, afin d’attirer et fidéliser les talents dans un contexte fortement concurrentiel.

La politique salariale permettra de mettre les ressources humaines en cohérence avec les ambitions opérationnelles et les trajectoires capacitaires, en gagnant la bataille des compétences, en compensant les sujétions militaires et en garantissant la reconnaissance au mérite pour une meilleure fidélisation. Elle sera complétée par la compensation des sujétions (pensions, logement, SNCF, etc.), par l’amélioration des conditions de travail (infrastructures, soutien, etc.) et une gestion des carrières plus dynamique. La NPRM y contribue déjà fortement (+500 M€ en année pleine) au travers d’actions ciblées qu’il convient de poursuivre pour d’autres compétences rares. Dans ce cadre, l’effort principal de la politique salariale consistera à :

– reconstruire l’escalier social pour réparer les tassements successifs des grilles indiciaires notamment sur les premiers grades des catégories ;

– consolider la « colonne vertébrale » des forces armées au travers d’une politique de fidélisation et d’incitation des sous-officiers, fondée sur le volontariat et le mérite ;

– conserver des parcours professionnels dynamiques pendant toute la carrière à des fins de fidélisation, en retenant les populations civiles et militaires qui ont acquis de l’expérience et qui sont au cœur des ressources d’encadrement ;

– renforcer l’attractivité des métiers techniques et d’expertise nécessaires aux armées soit parce qu’ils s’appuient sur des compétences rares, soit parce qu’ils correspondent aux pivots capacitaires.

c.   La déclinaison du Plan Famille II, levier majeur de fidélisation

Enfin, dans le but de renforcer la fidélisation du personnel militaire et civil, le ministère des Armées déploiera le plan Famille 2, doté de 750 M€.

Vecteur d’une politique ministérielle des ressources humaines moderne et pragmatique, le plan Famille 2 porte trois objectifs majeurs.

– fidéliser les militaires ;

– améliorer la disponibilité opérationnelle ;

– renforcer la résilience des familles.

Il comporte ainsi trois grands axes : (i) l’accompagnement de la mobilité, (ii) une meilleure prise en compte des sujétions militaires (notamment opérationnelles) dans la politique sociale du ministère, (iii) l'adaptation à la réalité des territoires.

Ces axes entraîneront un pilotage différent du dispositif et une déconcentration des moyens, au profit d’une meilleure territorialisation via une contractualisation accrue avec les collectivités territoriales. La place du commandement local (commandants d’unité ou commandants de bases de défense) sera ainsi centrale dans la mise en œuvre du Plan Famille II avec des efforts de communication accrus à destination des familles. Dans cette même optique, le ministère des Armées va lancer un réseau social fermé « Famille des armées ». Cet outil, déjà expérimenté au niveau local, a pour but de créer du lien entre les familles et de renforcer le sentiment d’appartenance.

Le plan Famille II se décline en 44 mesures.

Une démarche partenariale sera engagée avec les collectivités locales et les services déconcentrés afin de mobiliser leurs ressources et favoriser l’accueil et l’intégration des familles dans les territoires. Des facilités seront ainsi recherchées auprès des élus afin de favoriser l’emploi des conjoints de militaire, faciliter l’installation de maisons d’assistantes maternelles ou mener conjointement des projets de crèche, faciliter les inscriptions aux écoles, en accueil périscolaire municipal et aux activités sportives, ou encore améliorer la desserte par les transports urbains des zones d’habitat et d’affectation des militaires.

L’accompagnement des conjoints vers l’emploi sera également renforcé dans une logique de proximité grâce à un référent dédié dans chaque pôle régional et dans les Outre-mer.

Pensé pour « soutenir ceux qui portent l’engagement opérationnel et vivent les contraintes de la vie militaire », le plan Famille 2 a vocation à s’appliquer également au personnel civil des Armées. Ainsi, sur les 44 mesures de ce plan, 29 concernent les civils de la Défense. Cela est notamment le cas des mesures de soutien à la parentalité, d’amélioration de la prise en compte du handicap et des actions visant à développer le sentiment d’appartenance des familles.

d.   La rétention des savoir-faire militaires opérationnels les plus sensibles afin de protéger les intérêts fondamentaux de la Nation

L’article 20 vise à doter le ministre des Armées de moyens légaux afin de s’opposer au recrutement par un État ou une entreprise étrangère de militaires ou anciens militaires français détenteurs de savoir-faire militaires opérationnels rares. Il institue un régime de déclaration préalable obligatoire pour les militaires souhaitant « exercer une activité en échange d’un avantage personnel ou d’une rémunération dans le domaine de la défense ou de la sécurité au bénéfice d’un État étranger ou d’une entreprise ou d’une organisation ayant son siège en dehors du territoire national ou sous contrôle étranger ». Les militaires astreints à cette obligation de déclaration préalable seront les militaires « exerçant des fonctions présentant une sensibilité particulière ou requérant des compétences techniques spécialisées ».

Ce dispositif résulte d’une multiplication récente, en France, au Royaume-Uni ou encore aux États-Unis, de tentatives de recrutement de militaires par des États compétiteurs. Ces tentatives d’approche ont notamment ciblé les pilotes de chasse français, maîtrisant des savoir-faire militaires opérationnels rares comme le décollage par catapulte ou encore l’appontage.

Ce dispositif est présenté une contrepartie, au nom de la protection des intérêts de la défense nationale, à l’obligation qui pèse sur l’institution d’offrir aux militaires des moyens pour un retour à une activité professionnelle dans la vie civile.

En effet, l’article L. 4111-1 du code de la défense rappelle que « L'état militaire exige en toute circonstance esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu'au sacrifice suprême, discipline, disponibilité, loyalisme et neutralité (…) ». Ce même article dispose également que le statut « offre à ceux qui quittent l'état militaire les moyens d'un retour à une activité professionnelle dans la vie civile et assure aux retraités militaires le maintien d'un lien avec l'institution. La condition militaire recouvre l'ensemble des obligations et des sujétions propres à l'état militaire, ainsi que les garanties et les compensations apportées par la Nation aux militaires ».

Le projet de loi de programmation militaire s’inscrit précisément dans cette recherche d’équilibre entre des dispositions renforçant l’accompagnement des militaires quittant l’institution (cf. les mesures des articles 15 à 18) et d’autres fixant ou consolidant certaines obligations pesant sur les militaires une fois qu’ils retournent à la vie civile. C’est le cas de l’article 14 qui prévoit des dispositions visant à renforcer l’effectivité de la réserve et de l’obligation de disponibilité des anciens militaires pendant 5 ans. Tel est également le cas de l’article 20 précédemment présenté.

Interrogé sur l’article 20 du présent projet de LPM, le major général de l’AAE a estimé que les tentatives chinoises pour recruter des pilotes, notamment de Rafale, étaient une réalité. À sa connaissance néanmoins, « aucun aviateur de l’armée de l’Air et de l’Espace n’a récemment vendu ses services à la Chine ». Il s’est félicité de la création de ce dispositif, qui n’aura selon lui pas d’effet repoussoir sur le recrutement des aviateurs. Le général a enfin estimé que la durée de dix ans de l’obligation créée par cet article était cohérente pour le cas d’un aviateur, dès lors qu’un pilote de chasse conserve son savoir-faire tactique et opérationnel pendant une telle période.

Votre rapporteur souligne qu’un nécessaire travail d’actualisation des fonctions sensibles concernées et de définition des pays dans lesquels l’exercice de ces fonctions sera problématique devra être conduit par les armées, la DGA, la DRSD, la DGSE et en bonne intelligence avec la DGSI. Des ajustements annuels voire infra-annuels de l’arrêté ministériel non publié listant lesdites fonctions sensibles seront nécessaires.

4.   L’amélioration de la condition militaire entreprise sous la LPM 2019-2025 sera poursuivie

En sus des améliorations apportées à la condition militaire dans le cadre du Plan Famille II, le quotidien du soldat sera conforté par la continuation de l’effort entrepris en matière d’infrastructures. La condition du militaire blessé sera renforcée, conformément à l’engagement pris par le Président de la République.

a.   Les infrastructures quotidiennes au cœur des engagements de la programmation

Auditionnée par votre rapporteur, la directrice des territoires, de l’immobilier et de l’environnement du ministère des Armées a rappelé que le présent projet de LPM amplifiait l’effort en faveur des infrastructures, porté de 12 milliards d’euros – dans la LPM actuelle – à 16 milliards d’euros.

Le présent projet de LPM fera un effort particulier en faveur de l’environnement du combattant, afin d’améliorer ses conditions de vie et, ainsi, renforcer l’attractivité du métier. La directrice a rappelé que le « plan Famille II » bénéficiera de 750 millions d’euros, dont 25 % seront consacrés aux infrastructures via l’action de l’IGESA notamment.

Si le plan Famille 2 annoncé porte exclusivement sur la politique d’accompagnement des familles en elles-mêmes, l’amélioration des conditions de vie en emprise militaire et le logement faisant l’objet de plans ou de politiques séparés, plusieurs mesures concernent néanmoins indirectement l’infrastructure :

– une mesure relative à l’augmentation de l’offre de garde de jeunes enfants et de l’intensification de l’effort de construction de crèches, en complément et en partenariat avec les collectivités. À la fin de l’année 2027, l’objectif est d’offrir 600 berceaux supplémentaires ;

– une mesure ayant pour objet la rénovation ou l’aménagement d’espaces consacrés à l’accueil des familles ou au coworking au travers de diverses opérations de maintenance qui seront arbitrées et conduites sur proposition des commandants de base de défense ;

– une mesure visant à améliorer le confort des centres de loisirs et résidences opérés par l’IGESA et à proposer de nouvelles infrastructures de loisirs dans ces mêmes lieux.

La politique du logement, hors concession, sera maintenue dans sa trajectoire actuelle avec un point d’attention particulier concernant les Outre-mer. En effet, dans les territoires ultra-marins, le ministère des Armées a fait le choix de loger ou d’héberger l’ensemble de ses personnels. Bien qu’exclu du périmètre du plan Famille II, le plan « Ambition Logement » est sanctuarisé dans le présent projet de LPM.

Le contrat de concession « Ambition Logement »

Les dépenses associées à l’infrastructure (entretien, réhabilitation, construction) des logements domaniaux situés en métropole sont pilotées et financées par le concessionnaire Nové depuis l’entrée en vigueur du contrat « ambition logement » le 1er janvier 2023.

Ce contrat de concession de 35 ans a notamment pour objectif la rénovation, notamment énergétique, du parc domanial et son accroissement par la réalisation d’un programme de constructions neuves en zones tendues (228 000m² de surface habitable correspondant environ à 2 800 logements).

Le chiffre d’affaires estimé pour le concessionnaire a été évalué par le ministère à 4,2 Md€ TTC sur sa durée. La valeur totale de la concession s’élève à 7 Md€. Une partie du coût est supportée par le concessionnaire à partir des loyers qu’il perçoit. La part restante (2,83 Md€ en euros constants) est à la charge du ministère des Armées et les crédits ont d’ores et déjà été engagés à cette hauteur lors de la signature du contrat le 14 février 2022.

Le montant total sur le projet de LPM 2024-2030 est de 1,3 Md€. Cette chronique n’intègre pas les taxes provisionnées par ailleurs.

La concession est conclue pour 35 ans, mais l’ensemble des constructions nouvelles ainsi que la réhabilitation du parc domanial existant sont prévus sur les premières années du contrat, avec des livraisons au plus tard pour fin 2029.

Concernant la politique de réservation de logements conventionnés pour les militaires, les services du Ministère ont confirmé à votre rapporteur le maintien d’un niveau d’investissement stable sur le parc réservataire hexagonal à hauteur de 800 logements/an.

Le volet « à hauteur d’homme » de la LPM 2019-2024 est poursuivi par le présent projet de LPM 2024-2030 dans le cadre d’un nouveau « plan vie en emprises militaires » (PVEM) qui se déclinera en deux volets : d’une part, la mise en œuvre d’un second plan « hébergement », avec un effort porté à plus d’1 milliard d’euros et, d’autre part, un effort majeur sur la rénovation des lieux de restauration.

Un point de vigilance majeur réside dans l’état du parc immobilier compte tenu de sa date de construction et de l’insuffisance de son entretien. Le présent projet de LPM prévoit donc une hausse des crédits de maintenance et privilégie la rénovation à la construction tout en intégrant des travaux de performance énergétique. En matière de transition écologique, la directrice a mentionné la future stratégie ministérielle de l’eau visant à intervenir sur l’ensemble des infrastructures liés à l’eau.

Depuis 2014, plusieurs plans ont été élaborés afin de rénover en priorité les infrastructures concentrant de graves « points noirs ». Ils ont permis de cibler et de commencer à traiter les principaux problèmes et il resterait actuellement 17 « points noirs » suivis dans le cadre du plan hébergement.

Concernant plus précisément la déclinaison 2024-2030 du plan hébergement, le ministère a indiqué à votre rapporteur que la « programmation de l’incrément 2 (2026-2030) du plan s’établira à l’aide d’indicateurs techniques ». Cette programmation dépendra de cadrages budgétaires qui ne sont pas encore connus à l’heure de la rédaction de ce rapport. Les services du ministère ont précisé à votre rapporteur qu’il « restait globalement 9 000 places à commander et 20 000 places à livrer pour terminer le premier volet du plan hébergement (2019-2025). »

Votre rapporteur a souligné à plusieurs reprises l’existence d’« irritants » du quotidien, tels que les nids-de-poule, et sur la difficulté de les résoudre rapidement dans les bases militaires. La directrice lui a indiqué qu’une réforme du service d’infrastructures de la Défense (SID) – organisme actuellement rattaché directement au SGA – était en cours. S’agissant de la difficulté à résoudre rapidement dans les bases de défense les « irritants » du quotidien, la directrice a insisté sur l’effort considérable fait par le présent projet de LPM en matière de maintenance des infrastructures, ce qui, logiquement, devrait limiter ces « irritants ».

Elle a toutefois insisté sur le fait qu’ont été mis en place des marchés type SOS dépannage, permettant de résoudre plus rapidement des difficultés identifiées localement. S’il appartient à l’échelon local – le commandant de la base de défense – de définir les priorités, le problème n’est pas, pour la directrice, l’organisation mais les moyens budgétaires qui, longtemps, n’ont pas été positionnés au bon niveau.

Interrogés sur les mesures prévues au cours de la programmation 2024-2030 concernant la simplification et la déconcentration des procédures décisionnelles relevant des infrastructures, les services du ministère ont fait observer qu’un groupe de travail avait actuellement pour objectif d’accroître l’agilité du processus décisionnel en réorganisant la gouvernance du soutien de proximité afin de poursuivre le « mouvement de déconcentration au plus près du terrain ». Ce chantier se réalise concomitamment au chantier de transformation du SID qui implique lui-même un approfondissement du soutien de proximité.

Par ailleurs l’évolution des outils numériques, et notamment la mise en œuvre de procédures dématérialisées au sein du ministère, concourt à l’atteinte de ces objectifs. Un chantier de transformation numérique est également à l’œuvre au sein du SID avec une évolution des outils métiers.

b.   Conforter la condition des militaires blessés pour accroître la résilience des forces

Dans son discours aux armées du 13 juillet dernier, le Président de la République indiquait que : « Il n’y a pas de force morale durable sans lien fort avec nos blessés, leurs familles ainsi qu’avec les familles endeuillées. Protecteur des invalides, héritier d’une tradition enracinée depuis Louis XIV et qui m’oblige, je porte avec vigilance le souci de « ceux qui ont exposé librement leur vie et prodigué leur sang pour la défense et le soutien de notre pays » (…). Nous devons garantir aux blessés, aux familles une prise en charge immédiate, durable, adaptée et bienveillante en cas de blessures ou de décès en service. Je serai donc attentif à l’avancée des nouveaux chantiers lancés ces dernières semaines, qu’il s’agisse de la simplification et de l’amélioration des procédures administratives, ou l’adéquation des mesures de reconnaissance, de réparation et d’accompagnement des familles. C’est une condition de sérénité, de confiance, donc de force morale pour l’accomplissement de vos missions. »

Afin de répondre à l’objectif d’amélioration de la condition des militaires blessés, l’article 12 du présent projet de LPM décline l’un des axes du plan d’action 2022-2025 du ministère des Armées en faveur des militaires blessés et de leurs familles. Cet article étend le bénéfice de la réparation intégrale des préjudices subis aux militaires blessés ou ayant contracté une maladie par le fait ou à l’occasion :

– 1° d’une opération de guerre ;

– 2° d’une opération qualifiée d’opération extérieure, dans les conditions prévues à l’article L. 4123-4 ;

– 3° D’une mission mobilisant des capacités militaires, se déroulant sur le territoire national ou hors de celui-ci, visant à la défense de la souveraineté ou des intérêts de la France ou à la préservation de l’intégrité de son territoire, d’une intensité et d’une dangerosité particulières assimilables à celles d’une opération extérieure ;

– 4° D’exercices ou de manœuvres de mise en condition des forces ayant spécifiquement pour objet la préparation au combat.

Dans un objectif de simplification administrative, la demande de réparation intégrale des préjudices couverts par la PMI s’effectuera via un formulaire unique de demande de la PMI et de l’indemnisation complémentaire. Le formulaire sera disponible en version papier, disponible au sein de toutes les emprises militaires ou en version dématérialisée via l’application « démarches simplifiées » accessible depuis la « maison numérique des blessés et des familles ».

En outre, l’article 13 du présent projet de LPM complète l’article L. 4123- 1 du code de la défense par un unique alinéa disposant expressément qu’« en cas de décès du militaire en service, sa rémunération est versée pour l’intégralité du mois concerné. » Actuellement, en raison de l’impossibilité matérielle de prendre en compte un décès intervenu lorsque la liquidation voire le paiement de la solde ont déjà été effectués, l’administration doit recouvrer les trop versés auprès des ayants droit endeuillés. Cet article mettra fin à cette situation difficilement justifiable du point de vue moral. Le reliquat de solde du mois de décès entrera directement dans la succession du militaire blessé.

L’étude d’impact de l’article 13 rappelle par ailleurs qu’« en cas d’engagement majeur des armées françaises, supposant un taux de pertes important, le dispositif de rémunération pourrait se trouver engorgé par les exigences de mises en recouvrement des trop versés de rémunération du mois du décès. L’allègement de cette contrainte participe au renforcement de la résilience du soutien des forces armées. »

C.   les rÉserves

Le projet de loi est porteur d’une ambition forte pour la réserve opérationnelle militaire, conformément à l’impulsion donnée par le Président de la République s’agissant du renforcement des « forces morales » de la Nation, le 13 juillet 2022 puis, dans ses vœux armés le 20 janvier 2023. Face aux défis auxquels elle est confrontée, la France doit en effet consolider son modèle d’armée d’emploi en tendant vers l’équilibre d’« un réserviste pour deux militaires d’active » à l’horizon 2035, dans la perspective de renforcer la cohésion et la résilience de la Nation.

Cette ambition trouve sa traduction dans le projet de loi de programmation militaire qui vise, en conséquence, à promouvoir l’engagement et les parcours au sein de la réserve opérationnelle pour en renforcer les moyens et l’efficacité. Les dispositions proposées à l’article 14 concourent à un double objectif : d’une part, élargir le vivier des réservistes opérationnels et, d’autre part, garantir et accroître la disponibilité et la réactivité de la réserve opérationnelle.

1.   Une nouvelle doctrine d’emploi pour les réserves

L’étude d’impact précise que le nouveau concept d’emploi des réserves s’articulera autour de trois principes : l’unicité, l’intégration et la complétude.

– une réserve unique dans son acception mais naturellement différente dans ses modalités (spécificité de la réserve citoyenne de défense et de sécurité, limite d’âge unique et étendue pour la réserve opérationnelle) ;

– un emploi équilibré et intégré entre les missions des réservistes et celles du personnel d’active ;

– un modèle complet (toutes catégories, toutes armées, directions ou services) dans un schéma de paix, apte à répondre à des situations d’intensité d’engagement graduelles et possiblement simultanées (crise sur le territoire national, pandémie, hypothèse d’engagement majeur, etc).

La réserve rénovée, a vocation à constituer une véritable force de complément, capable de renforcer individuellement les structures ayant besoin de masse, apporter des compétences nouvelles, essentielles à l’engagement hybride dans les différents milieux et champs, et se structurer autour de nouvelles unités de taille adaptée (de l’équipe au bataillon). Elle pourra, le cas échéant, être également complétée par la réserve de disponibilité (RO2), mobilisée partiellement par compétences où totalement en cas de crise grave.

Toujours selon l’étude d’impact, la réserve se déclinera en plusieurs volets :

(i) une réserve de combat constituée d’unités opérationnelles équipées et entraînées, en mesure d’intervenir avec les unités d’active sur le territoire national ou hors de nos frontières, forte de 20 000 réservistes. À ce titre, dans le cadre de l’exercice ORION, le 24e régiment d’infanterie a reçu pour mission d’assurer la protection de la zone arrière de la division, engagée au combat dans les camps de Champagne.

(ii) une réserve de compétences, capable de renforcer les unités et les états-majors, dans des domaines émergents ou dans l’emploi de nouvelles technologies, ou la base industrielle et technologique de défense (BITD), pour répondre aux enjeux de l’économie de guerre. En réponse à votre rapporteur, il a été indiqué que le travail de conception de la future réserve industrielle, estimée à 2 500 personnes, et visant à couvrir les besoins de la Direction générale de l’armement, ainsi que ceux des industriels, est en cours. De nouvelles opportunités pourront également être créées pour les services, à travers par exemple, la réactivation d’un corps de greffiers militaires réservistes au sein du service de la justice militaire du secrétariat général pour l’administration.

(iii) une réserve de protection et résilience du territoire national, chargée de la protection-défense de sites militaires et civils en métropole et Outre-mer via des unités territorialisées, jusqu’au niveau bataillonnaires ou flottilles côtières, ou encore au niveau compagnie en Outre-mer.

(iv) une réserve investie d’une mission de rayonnement, en charge de l’entretien de l’esprit de défense et du renforcement du lien entre la Nation et ses forces armées, tout en apportant aux forces des expertises supplémentaires dans des domaines présentant une forte dualité civilo-militaire.

En réponse à votre rapporteur, il a été précisé que le ministère des Armées tiendra compte des retours d’expérience de l’exercice ORION, auquel ont participé près de 1 000 réservistes, pour affiner les modalités d’emploi de cette réserve rénovée.

2.   La montée en puissance de la réserve opérationnelle

L’objectif inscrit dans le rapport annexé est celui d’un doublement de la réserve d’ici 2030, soit le passage de 40 000 à 80 000 volontaires, puis à 105 000 à l’horizon 2035.

L’objectif est ambitieux et il s’agira d’un vrai défi pour notre modèle d’armée. Aussi, il ressort des auditions menées par votre rapporteur que la montée en puissance des réserves sera progressive et se fera en lien avec celle du Service national universel.

 

Trajectoire prévue de progression de la rÉserve opérationnelle et du SNU

 

Effectif supplémentaire

2024

2025

2026

2027

2028

2029

2030

Réservistes opérationnels

3 500

7 000

10 500

14 000

17 500

21 000

25 000

Volontaires du SNU

1 000

2 000

4 000

8 000

12 000

15 000

15 000

Effectif total

4 500

9 000

14 500

22 000

29 500

36 000

40 000

Source : Ministère des Armées en réponse au questionnaire de votre rapporteur.

L’atteinte des objectifs fixés devrait se faire en deux temps, en créant d’abord, au début de la LPM, les conditions du doublement du nombre de réservistes, puis, dans un second temps, en initiant la montée en puissance des unités collectives.

Dans un premier temps, les mesures d’élargissement des viviers des volontaires potentiels, inscrites à l’article 14 du projet de loi, contribueront à l’objectif d’accroissement des effectifs de la réserve opérationnelle en créant des possibilités nouvelles d’engagement. Le recrutement sera étendu et dynamisé par la révision des critères d’intégration, physiques et médicaux, qui seront désormais ajustés à l’emploi occupé par le réserviste, par le rehaussement et la simplification des limites d’âge, désormais 70 ans pour tous les réservistes et 72 ans pour les réservistes spécialistes, ainsi que par l’extension des positions de non-activité donnant droit aux militaires d’active de rejoindre la réserve s’ils le souhaitent. Des mesures seront également mises en place pour accroître la disponibilité des réservistes et faciliter leur convocation, dans le cadre d’un système de rappel et de mobilisation entièrement refondé, selon des hypothèses graduées (en cas d’urgence, de menace actuelle ou prévisible, ou de mobilisation générale ou de mise en garde) et plus adaptées aux évolutions du contexte stratégique. L’introduction d’une obligation de déclaration à l’autorité militaire de tout changement d’adresse pour les anciens militaires soumis à l’obligation de disponibilité, couplée à l’amélioration du système d’information Réserviste Opérationnel Connecté (ROC) contribuera, par ailleurs, à rendre plus opérationnelle la réserve opérationnelle de deuxième niveau, dont les modalités de convocation seront également étendues. Enfin, le projet de loi entend valoriser davantage le parcours des réservistes, à l’image de l’instauration d’une possibilité d’avancement pour les réservistes spécialistes.

Dans un second temps, les réserves seront davantage territorialisées. Selon le rapport annexé, la mise en place de réserves territoriales (gestion locale de crises, sanitaires ou climatiques) contribuera à renforcer la coordination avec les forces de sécurité intérieure. Les modalités d’organisation d’une telle réserve territoriale étant étroitement liées au projet de chaque armée, celles-ci sont encore en cours en cours définition. En guise d’illustration, des études sont menées pour la création de bataillons de « volontaires du territoire national » au sein de l’armée de Terre. Lors de son audition en commission, le chef d’état-major de l’armée de Terre, le Général d’armée Pierre Schill, a précisé que « L’armée de Terre comptera 24 000 réservistes supplémentaires répartis entre compléments individuels et unités de réserve représentant plus de 70 compagnies. Par ailleurs, nous continuons à travailler à une offre d’engagement de jeunes volontaires sous les armes pour 3 à 6 mois. Ce projet de volontaires du territoire national prévoit, à ce stade, de déployer au cours de la LPM deux bataillons et quatre compagnies Outre-mer. »

Des moyens sont mis en œuvre au service de cette ambition dans le cadre de la loi de programmation militaire. Il est en effet nécessaire de bien anticiper les conséquences qu’aura le doublement des réserves sur le personnel d’active (recrutement, formation, soutiens, équipements etc.) et sur la condition militaire dans son ensemble. En réponse au questionnaire de votre rapporteur, le ministère des Armées a indiqué que le coût de l’augmentation de 40 000 réservistes sur la période 2024-2030 était estimé à environ 1,4 milliard d’euros couvrant les crédits de rémunération, d’équipement, de fonctionnement et d’infrastructure. Environ 500 millions d’euros seront dédiés à la masse salariale et 900 millions d’euros aux dépenses de fonctionnement, d’équipement individuel et collectif, ainsi qu’aux travaux d’infrastructure nécessaires à l’accueil des réservistes. Pour mémoire, le budget dédié aux réserves sous la LPM 2019-2025 était d’environ 200 millions d’euros par an, permettant de maintenir un objectif de 40 000 réservistes sous engagement à servir, pour un emploi annuel moyen d’environ 37 jours.

Par ailleurs, le Général Michel Delion, pilote du groupe de travail « réserves », auditionné par votre rapporteur, a indiqué que les armées se sont réorganisées pour mieux absorber, par endroits, la surcharge mécanique de travail (gestion des RH, formation, entraînement, flexibilité de l’emploi des réservistes, en particulier spécialistes), à travers par exemple la création d’une division « cohésion nationale » au sein de l’état-major des armées qui valorisera et relayera l’action du délégué interarmées aux réserves (DIAR) ou encore la rédaction d’un Plan Réserve 2035, articulé autour des étapes clés du parcours d’un réserviste au sein de l’institution pour traiter les irritants identifiés.

Pour tirer toutes les conséquences de cette nouvelle ambition pour les réserves, votre rapporteur estime que le projet de loi pourrait être complété en plusieurs points. Votre rapporteur est notamment favorable à une meilleure valorisation de l’action des entreprises en faveur de la réserve qui doit être mieux prise en compte au titre de la responsabilité sociétale de l’entreprise, tant il est vrai qu’en facilitant l’engagement du réserviste, l’entreprise valorise aussi son capital immatériel. À l’issue de ses auditions, il est également apparu à votre rapporteur que la coordination entre les différentes réserves pourrait être améliorée, notamment en cas de mobilisation, sans pour autant contrevenir à une forme de souplesse et sans préjudice des compétences des employeurs opérationnels. Enfin, votre rapporteur est particulièrement attaché à la préservation de la singularité militaire. Aussi, votre rapporteur souhaite souligner que le devoir de réserve s’applique dans les mêmes conditions aux réservistes opérationnels, y compris en dehors de leurs périodes de réserve, comme c’est aussi le cas pour les généraux en deuxième section. Dans un contexte d’hybridation croissante des conflits, le rapporteur estime en effet que le ministère des Armées doit pouvoir se doter d’outils pour éviter toute instrumentalisation des réservistes et tout ce qui pourrait écorner la « singularité militaire ».

D.   la modernisation du ministÈre

Votre rapporteur rappelle que la modernisation du ministère des Armées doit être un processus permanent. Des évolutions quant à l’efficience des services doivent être prises continuellement pour améliorer son fonctionnement car c’est dans l’intérêt de tous. Le rapport annexé évoque cette modernisation et en rappelle les objectifs : simplification, déconcentration, subsidiarité et confiance.

1.   Plusieurs points de blocage ont été identifiés lors des auditions

Votre rapporteur est pleinement conscient que le ministère des Armées est une grande administration, qui doit gérer plusieurs centaines de milliers civils et de militaires relevant de statuts très différents ainsi qu’un parc immobilier diversifié et gigantesque, avec les contraintes considérables tenant à la spécificité de ses missions. Toutefois et même si la LPM n’est pas centrée sur la modernisation du ministère des Armées, il considère que celle-ci doit être l’occasion d’une réflexion sur son organisation et son fonctionnement à laquelle il entend contribuer

a.   Une organisation administrative qui ne favorise pas toujours l’écoute du terrain

Comme toute organisation administrative, le ministère des Armée est hiérarchisé : d’en haut viennent les arbitrages globaux que la base, sollicitée au départ pour donner ses priorités, exécute tout en rendant compte de cette exécution. Toutefois, le bon fonctionnement d’une telle organisation exige, certes, que les ordres soient parfaitement exécutés mais également que la base dispose d’un minimum d’autonomie, soit en mesure de prendre des initiatives et de faire remonter les informations et, plus important encore, que la hiérarchie l’écoute et prenne en considération ses besoins.

Or, force est de constater que ce n’est pas forcément le cas, malgré des initiatives telles que l’opération « poignées de porte », notamment en matière de gestion des infrastructures. Comme l’a indiqué le Major général de la Marine lors de son audition, « seuls les commandants de base ont une connaissance fine de leurs infrastructures et, même s’ils ont besoin de l’expertise de la DTIE, une vision de la priorisation à accorder aux différents projets. Toutefois, la complexité de l’organisation actuelle du ministère dans ce domaine entraîne des décalages entre les décisions de l’administration centrale et les réalités du terrain ». Il a ainsi cité l’exemple « du remplacement de chaudières, qui fonctionnaient parfaitement, par des chaudières plus performantes alors même que le budget aurait pu être d’abord consacré à remplacer les Algeco insalubres où logent certains marins lors des périodes d’entretien de leurs bateaux. Il convient donc de concilier la nécessité de décliner les politiques interministérielles en matière d’investissement d’infrastructures portées par la DTIE avec la finalité du ministère qui est de conduire les opérations, et la priorisation locale des besoins à cette fin ». Cet exemple montre que des plans décidés au niveau central ou interministériel, bien que parfaitement justifiés, aboutissent parfois, sur le terrain, à des décisions sinon absurdes, du moins déconnectées des besoins réels des hommes.

À la décharge de la DTIE, comme l’a rappelé sa directrice, celle-ci « n’avait pas d’autorité hiérarchique sur le service d’infrastructures de la Défense (SID) et ses 6 000 agents. Certes, elle s’appuie sur lui pour s’assurer de la bonne marche de la politique immobilière du ministère, lui donne des consignes quant à l’utilisation des crédits, mais ce service dépend, comme elle, du SGA ». Il n’en reste pas moins que de nombreux « irritants du quotidien » ne sont pas traités tels qu’ils devraient l’être, par exemple les nombreux nids-de-poule qui parsèment les routes de nos bases de défense. Interrogée sur ce point, la raison avancée par la directrice est que « leur réduction doit s’inscrire dans des travaux globaux d’infrastructures qui prennent en compte l’ensemble des contraintes ».

b.   Une précaution excessive, qui freine les initiatives et alourdit les procédures

Un autre point de blocage, fréquemment évoqué lors des auditions, est celui de l’excessive prudence ou précaution des services du ministère des Armées, notamment lorsqu’il s’agit de contractualiser. En effet, ce n’est parfois pas tant la signature qui est déléguée que le pouvoir, ce qui incite les signataires – responsables juridiquement – à se « couvrir » en multipliant les précautions, les reportings et autres normes. En effet, comme l’a expliqué la directrice des affaires juridiques du ministère des Armées, « quand il s’agit de marchés publics, une épée de Damoclès est suspendue au-dessus de nous : il existe un risque pénal. Cela est parfaitement normal. La DAJ se doit d’être attentive à la sécurité juridique des procédures. Or les règles en matière de publicité et les calendriers contraignants qu’il est nécessaire de respecter pour mener une procédure d’appel à concurrence à son terme ne sont pas toujours compatibles avec les contraintes opérationnelles ».

Cette prudence ou précaution, comme le rappelle le secrétaire général de l’administration (SGA) du ministère des Armées « ne relève pas uniquement de directives du ministre ou de ses délégataires. Ce principe de précaution figure dans la Constitution, dans les textes européens, dans notre corpus juridique, etc. La manœuvre s’avère complexe à l’intérieur de cette cathédrale de droit, très fortement structurée par le principe de précaution. Elle n’est pas impossible, mais cela requiert davantage de ténacité, d’astuce et de volontarisme ». En d’autres termes, comme l’a relevé le Major général de l’armée de Terre, « l’excessive prudence parfois reprochée aux services achat [est] davantage le fait du système dans son ensemble, des procédures en place et d’une culture que des individualités ».

Le point positif est toutefois la prise de conscience, par le ministère, des conséquences de ce principe de précaution appliqué de manière parfois excessive. Pour le SGA, « Nous devons collectivement (militaires et civils) procéder à une revue des procédures et nous interroger quant à la proportionnalité entre la charge administrative exercée sur les acteurs locaux notamment (patrons de bases et chefs de corps des régiments), et les effets produits. Une telle analyse devrait aboutir à alléger très considérablement la charge administrative […]. Certaines des exigences de reporting qui sont imposées à la totalité des responsables militaires et civils sont disproportionnées par rapport aux montants financiers concernés. L’impulsion politique donnée par le ministre est suffisamment forte pour que les organismes de tête du ministère (directeurs et directrices du secrétariat général, major général des armées et moi-même) produisent un effort d’analyse de la pertinence des règles de gestion financière, de gestion du personnel civil et militaire, etc. Des propositions seront prochainement présentées au ministre et elles impliqueront forcément un risque que nous nous efforcerons de contrôler a posteriori et de façon proportionnée aux enjeux. Cette culture évolue, mais il faut accélérer le rythme de mutation ».

c.   Des relations parfois défaillantes avec les collectivités territoriales

Compte tenu des spécificités de ses missions, le ministère des Armées présente la particularité de gérer lui-même, en toute autonomie, sa politique immobilière. L’ampleur de ses emprises foncières mais aussi la politique active de cessions qu’il mène depuis plusieurs années devraient l’amener à avoir des rapports étroits avec les collectivités territoriales.

Toutefois, force est de constater que le ministère des Armées est fréquemment absent des discussions des principaux documents d’urbanisme tels que les PLU, les PLUI ou encore les SCoT, nuisant par conséquent à la cohérence du développement urbain, au détriment des collectivités territoriales concernées mais également à son propre détriment.

De même, le ministère des Armées n’implique pas forcément au niveau qu’il devrait les collectivités territoriales sur ses projets immobiliers. La directrice de la DTIE a souligné, lors de son audition, que « les relations avec celles-ci étaient étroites pour des projets significatifs, tels que l’hôpital Desgenettes à Lyon ou Robert Picqué à Bordeaux. En revanche, sur les emprises diffuses, les relations sont plus lâches ». La culture de la confidentialité du ministère des armées pourrait expliquer cette situation.

2.   Des blocages qui, avec de l’audace, peuvent être levés

a.   Améliorer la subsidiarité en privilégiant un strict contrôle a posteriori

Les auditions menées par votre rapporteur ont non seulement permis d’identifier certains points de blocages mais également certaines de leurs solutions. Ainsi en est-il des moyens d’outrepasser la rigidité de la chaîne hiérarchique. Le Major général de la Marine a en effet évoqué « l’expérience menée à Brest, où il a décidé de déléguer et de rendre fongible l’ensemble des crédits qui relèvent de la Marine en matière d’infrastructures : déconcentration, fongibilité, fin de la logique de silo et contrôle a posteriori sont les maîtres-mots de cette expérimentation ». Au-delà de cette expérience, il a indiqué « plusieurs pistes comme la déconcentration d’une partie substantielle (70-80 %) des crédits d’innovation et des crédits de fonctionnement courant au niveau des bases de défense ainsi que la mise à jour du plan MERCATOR pour pousser l’état d’esprit de coopération entre les marins. Cette transformation de l’état d’esprit concerne aussi les états-majors, qui doivent se tourner vers et se mettre au service des forces, en commandant « par l’intention », en allégeant le reporting, en faisant confiance, mais aussi en exerçant avec la plus grande rigueur le contrôle a posteriori, en sanctionnant les erreurs relevées vis-à-vis des intentions exprimées ».

Le général Vincent Pons, sous-chef Plans à l’état-major des armées, n’a pas dit autre chose, faisant d’ailleurs le lien avec ce projet de LPM qui promeut la déconcentration et la subsidiarité : « la déconcentration promue par le projet de LPM permettra également de donner davantage de responsabilités aux chefs de corps, conformément à l’expérimentation en cours au sein de l’armée de Terre. L’exemple de la crise liée au Covid a démontré que confier davantage de responsabilité aux échelons locaux était un atout pour être plus agile. Cette déconcentration doit s’accompagner d’un changement de la nature du contrôle, avec un contrôle a posteriori orienté sur le résultat. ».

b.   Développer la culture du risque, pour aller plus vite

Avec la subsidiarité, le développement d’une véritable culture du risque administratif apparaît comme l’autre moyen de lever les blocages. Celle-ci commence toutefois à infuser dans les armées. Comme l’a rappelé le sous-chef Plan, « le chef d’état-major des armées [est] attentif à introduire davantage de culture du risque dans le fonctionnement du ministère [des armées]. Cette prise de risque se matérialise également par le chantier de l’économie de guerre, qui a pour objectif de simplifier les opérations d’armement, en vue de produire plus et plus vite, tout en réduisant les spécifications de certains équipements. La répartition de la responsabilité juridique entre l’autorité technique (DGA) et l’autorité d’emploi (EMA) constitue également un point clé pour réduire les contraintes liées à certaines normes (navigabilité, munitions…) ».

L’économie de guerre vise en effet à aller plus vite lorsque c’est nécessaire car nous devons pouvoir prendre l’initiative sur nos adversaires qui n’attendront pas, le moment venu, que l’ensemble des procédures soient respectées pour menacer ou attaquer nos intérêts. Les armées sont parfaitement conscientes de cette nécessité d’aller plus vite, quitte à prendre plus de risques. Ainsi, tant le chef d’état-major que le Major général de la Marine ont évoqué l’initiative Perseus qui « vise à fédérer les acteurs de l’innovation et à favoriser la rencontre de trois mondes : celui de l’industrie, celui des ingénieurs et de la DGA, et celui des marins. L’objectif est de permettre à ceux qui ont des idées de se rencontrer, pour développer des cas d’usage sur le terrain et les expérimenter dans le monde réel. Le but est de tester, d’apprendre et de s’adapter plus vite ». De son côté, la DGA s’est elle aussi transformée pour aller plus vite. Comme l’a expliqué Emmanuel Chiva, a été mise en place « la force d’acquisition rapide, dont l’objectif est de favoriser le passage à l’échelle des innovations dans des délais rapides (3 ans maximum pour le cycle de développement et d’acquisition) et de procéder rapidement à des achats sur étagère de matériels complexes quand cela est nécessaire. Une dizaine d’opérations ont été identifiées à ce stade (sanitaire, naval…) ».

Votre rapporteur rappelle que cette culture du risque exige tant de certains fonctionnaires civils du ministère des Armées que de certains militaires qu’ils changent non seulement leurs habitudes et procédures internes mais également, voire surtout, leur état d’esprit. En d’autres termes, après avoir été précautionneux, parfois à l’excès, il leur faudra faire preuve d’audace. En la matière, les contrôleurs et les inspecteurs ont un rôle essentiel, d’une part, pour valoriser le pragmatisme et l’efficacité et, d’autre part, pour lutter contre les pratiques qui sclérosent la fluidité et l’efficience des initiatives.


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III.   Le CHOIX DE PRIVILÉGIER LA COHÉRENCE À la masse ENTRAÎNE DES DÉCALAGES DE CERTAINS PROGRAMMES SANS REMISE EN CAUSE DU FORMAT et DE L’EFFICACITÉ DES ARMÉEs

A.   La dissuasion

La dissuasion continue d’être la clé de voûte de notre outil de défense. Elle a également un effet d’entraînement sur l’ensemble de nos capacités. Pour prendre l’exemple du domaine aérien, le major général de l’armée de l’Air et de l’Espace a souligné à votre rapporteur combien l’exigence des missions des forces aériennes stratégiques (FAS) – capacité à pénétrer les espaces aériens ennemis en toutes circonstances – tire vers le haut l’ensemble des capacités de l’armée de l’Air et de l’Espace.

La LPM 2019-2025 a consacré des investissements conséquents au profit du renouvellement de notre outil de dissuasion nucléaire : les crédits de paiement de l’agrégat « dissuasion » sont ainsi passés de 3,2 milliards d’euros en 2018 à plus de 4,6 milliards en 2023, soit une augmentation de près de 44 %.

La LPM 2024-2030 consolidera cette dynamique. Le ministre des Armées a ainsi indiqué en commission que l’enveloppe allouée à la dissuasion représenterait de l’ordre de 13 % des crédits totaux de la LPM en moyenne sur la période de la programmation. Si ce montant inclut certains équipements (notamment les SNLE 3G et les différents missiles) et leur MCO ainsi que des dépenses du titre II (personnels du CEA DAM), il n’intègre pas toutefois le coût de certaines capacités, qui participent également à des missions conventionnelles, tels que les Rafale et les avions ravitailleurs multi-rôles MRTT Phénix.

Ces montants sont à la hauteur de l’enjeu. Ainsi que l’a résumé M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l’armement, lors de son audition par votre rapporteur, les programmes en cours de développement assureront la crédibilité de notre dissuasion pour les quarante prochaines années. La LPM 2024-2030 prévoit en effet le renouvellement des deux composantes, et cela concerne aussi bien les porteurs que les missiles. Les principaux programmes sont les suivants :

● Pour la composante aéroportée :

– le missile nucléaire air-sol moyenne portée amélioré (ASMPA) rénové, emporté par les Rafale, dont la première livraison est prévue en 2023 ;

– les missiles air-sol nucléaire de quatrième génération (ASN4G), missile hypervéloce qui sera le successeur de l’ASMPA à horizon 2035 ;

– la poursuite des évolutions du Rafale, avec le passage au standard F4, dont le premier incrément a été qualifié en mars 2023, et le développement du standard F5 ;

l’augmentation du format des flottes de Rafale (de 100 en 2023 à 137 en 2030 et 185 en 2035) et d’avions ravitailleurs multi-rôles A330 MRTT Phénix (de 12 en 2023 à 15 dès 2030) de l’armée de l’Air et de l’Espace. Ce format reste constant (41 Rafale) pour la Marine nationale.

● Pour la composante océanique :

– le programme SNLE 3G, qui vise à remplacer les quatre SNLE de type « Le Triomphant », pour une première livraison attendue à horizon 2035.

– les travaux de développement et de production du missile M51.3, troisième incrément du missile nucléaire stratégique à têtes multiples, emporté par les SNLE. Illustration de cette logique de modernisation constante, les travaux préparatoires de la quatrième version sont d’ores et déjà engagés.

● Pour les deux composantes :

– la réalisation des infrastructures d’accueil des équipements de la dissuasion, tels que l’accueil des avions ravitailleurs multi-rôles MRTT sur les bases aériennes à vocation nucléaire (BAVN) ou la mise à niveau des installations du port de Cherbourg destinées à la construction et au démantèlement des SNLE.

– les systèmes de transmission nucléaires, avec la réalisation du programme du successeur du système de dernier recours (SYDEREC) et du développement incrémental des systèmes de transmission de la composante nucléaire aéroportée.

– enfin, la mise en œuvre du programme Simulation.

B.   LES FORCES CONVENTIONNELLES

1.   L’armée de Terre

Au total, les investissements consacrés au renouvellement des capacités de l’armée de Terre s’élèveront à près de dix-huit milliards d’euros sur la période 2024-2030, soit une augmentation de cinq milliards d’euros, par rapport à la précédente loi de programmation militaire (LPM).

Ce budget en nette augmentation témoigne de l’ambition de transformation dont est porteuse la LPM pour nos forces terrestres. La hausse permettra de consolider les parcs de l’armée de Terre, de tirer les premières conséquences du conflit en Ukraine, mais surtout de financer de nouvelles priorités en vue de bâtir l’armée de Terre de demain. En effet, les évolutions du contexte stratégique démontrent la nécessité d’acquérir en plus grande nombre certaines capacités clés, aujourd’hui réduites, et d’accélérer le développement de priorités nouvelles dans les différents champs de conflictualité.

a.   La LPM est porteuse d’un projet de transformation profonde de l’armée de Terre

L’armée de Terre connaîtra une modernisation profonde dans les prochaines années, tant du point de vue de ses capacités, que de son organisation.

● L’armée de Terre est au cœur des nouvelles priorités de la LPM. Ces nouvelles priorités sont en premier lieu les capacités drones, le renseignement, la cyberdéfense, la défense sol-air et la robotique terrestre.

Au-delà des capacités interarmées, le projet de LPM prévoit notamment l’acquisition de cinq systèmes de drone tactique (SDT) et vingt-huit vecteurs à horizon 2030, soit cinq vecteurs par système, auxquels s’ajoutent trois vecteurs pour prendre en compte l’attrition et l’instruction, en complément du système de mini-drone de reconnaissance de l’armée de Terre (SMDR). Votre rapporteur a déposé un amendement visant à rectifier l’erreur matérielle qui figurait initialement dans le tableau capacitaire du rapport annexé. L’armement du Système de drone tactique sera accéléré et contribuera, en outre, avec sa charge de renseignement d’origine électromagnétique, à renforcer les capacités de renseignement des forces terrestres. Ensuite, en matière de lutte anti-drones, le rapport annexé prévoit une cible de 12 blindés Serval de lutte anti-drone, en complément des 12 véhicules de l’avant-blindé (VAB) ARLAD (Adaptation Réactive pour la Lutte Anti-Drones) déjà en service. S’y ajouteront 24 Serval dotés de tourelles Mistral pour reconstituer une capacité de défense sol-air terrestre d’accompagnement, dont la nécessité a été mise en lumière par le conflit en Ukraine.

Concernant la robotique terrestre, le programme porté par la LPM a été qualifié de « plus ambitieux programme robotique de l’armée de Terre » par le chef d’état-major de l’armée de Terre. Il vise à doter l’armée de Terre de plateformes polyvalentes terrestres de combat à horizon 2030, en cohérence avec la démarche dite Vulcain.

Enfin, l’armée de Terre ambitionne de devenir un contributeur majeur dans l’espace cyber à travers le renforcement et la création de nouvelles unités, ainsi que la création d’un commandement dédié au numérique et au cyber.

● Au-delà des aspects capacitaires, cette transformation se traduit par une réorganisation d’ampleur de l’armée de Terre. Comme l’a affirmé le chef d’état-major de l’armée de Terre (CEMAT), le Général d’armée Pierre Schill, lors de son audition devant la commission de la Défense « Vaincre sur le champ de bataille ne se réduit pas à emporter des batailles ; vaincre c’est aussi transformer l’armée de Terre. » Au modèle « Au contact » mis en place en 2016, succédera donc le plan « Armée de Terre de combat ».

Dans le cadre de cette réorganisation, il sera procédé à un rééquilibrage des régiments de mêlée au profit du commandement, du soutien, de la logistique et des appuis, ainsi que des nouvelles priorités définies en LPM. De nouveaux commandements seront créés, à l’image du commandement du combat futur, qui aura vocation à éclairer et à dynamiser la transformation capacitaire des forces terrestres.

Le passage à ce nouveau modèle se traduira par une manœuvre en ressources humaines ambitieuse. Plus de 10 000 postes seront transformés. Cette transformation, réalisée presque entièrement à effectif inchangé - la LPM prévoyant la création d’environ 700 postes au profit des forces terrestres - nécessitera donc de renforcer le système de formation de l’armée de Terre. Une part de la manœuvre proviendra en effet de reconversions en interne, et l’autre, de nouveaux recrutements sur des compétences spécialisées.

En particulier, votre rapporteur souhaite saluer la volonté du CEMAT de redonner de l’autonomie aux unités en réintroduisant davantage de subsidiarité. La responsabilisation des chefs de corps, à travers, notamment, l’attribution d’enveloppes pour des achats de toute nature, couplée à des contrôles effectués davantage a posteriori, constituent des initiatives essentielles qui doivent être encouragées.

Source : État-major de l’armée de Terre

b.   La LPM tire les conséquences des premières leçons du conflit en Ukraine

Au-delà des drones et de la défense sol-air précédemment évoqués, les premières leçons tirées du conflit en Ukraine trouvent une traduction dans le projet de LPM, d’une part, à travers l’attention portée à la modernisation des capacités d’artillerie longue portée, d’autre part, à travers le renouvellement des capacités de frappe longue portée et, enfin, via l’effort important consenti au profit des munitions, ou encore à travers le renforcement des capacités de franchissement.

● En premier lieu, la LPM fait le choix d’accélérer la modernisation de l’artillerie longue portée. La cible de 109 systèmes de canons Caesar nouvelle génération en 2030, contre 58 Caesar actuellement en parc, constitue dès lors une amélioration d’ordre qualitative, même si le volume cible demeure inchangé par rapport à la précédente loi de programmation militaire.

● En deuxième lieu, l’armée de Terre devrait se doter d’au moins 13 nouveaux systèmes de frappe longue portée d’ici à 2030, afin de remplacer les 9 lance-roquettes unitaires (LRU) actuellement en parc, dont quatre ont été cédés à l’Ukraine et frappés d’obsolescences croissantes. 26 systèmes sont envisagés à horizon 2035. Auditionné par votre rapporteur, le Major général de l’armée de Terre, le Général de corps d’armée Patrice Quevilly, a rappelé qu’il s’agissait d’une « capacité cruciale pour que l’armée de Terre puisse remplir son rôle de Nation cadre. » Deux scenarii sont actuellement à l’étude pour remplacer le LRU : l’achat sur étagère ou le développement accéléré d’une capacité nationale ou européenne. Compte tenu des très forts enjeux de souveraineté associés, votre rapporteur est attaché au développement d’une solution souveraine, tout en veillant à ce qu’elle soit économiquement viable et développée suffisamment rapidement pour répondre aux besoins des forces terrestres.

● Un effort inédit sera, par ailleurs, consenti en faveur des munitions. Ainsi, 2,6 milliards d’euros seront dédiés aux munitions de l’armée de Terre, dont 1,6 milliard aux munitions non complexes, ce qui représente notamment « plus de 16 millions de munitions « petit calibre », 300 000 obus de mortiers, 3 000 missiles moyenne portée, 2 000 munitions télé-opérées. ([14]) » Les efforts devront se poursuivre, avec une vigilance particulière apportée aux munitions de 155mm, compte tenu des cessions consenties à l’Ukraine.

Enfin, les capacités de franchissement, longtemps délaissées, seront renforcées à travers la livraison des premiers engins du combat du génie et des huit premières portières de franchissement SYFRALL.

c.   Le décalage dans le temps des cibles de certains programmes d’armement doit permettre de financer les nouvelles priorités et la cohérence d’ensemble des forces terrestres sans remettre en cause la modernisation de l’armée de Terre

Le financement de ces nouvelles priorités et de la cohérence d’ensemble des forces terrestres a pour corollaire un décalage des cibles de certains programmes d’armement. Toutefois, il convient de rappeler que ce décalage dans le temps ne s’apparente pas à un renoncement et ne remet pas en cause la modernisation de l’armée de Terre.

● Le programme Scorpion de modernisation des matériels de l’armée de Terre, constitue le deuxième PEM le plus important en montant avec 8,2 milliards d’euros programmés sur la période 2024-2030, derrière le programme RAFALE.

Le projet de LPM prévoit un recadencement des livraisons pour le Jaguar, le Griffon et le Serval. L’armée de Terre comptera en 2030, 1 345 Griffon, 1 405 Serval et 200 Jaguar, contre respectivement 575, 189 et 60 véhicules en parc à la fin 2023 selon le rapport annexé. Ces décalages de cible au profit du financement de nouvelles priorités sont assumés par le chef d’État-major de l’armée de Terre : « Il faut être réaliste, le lissage des cadences de production SCORPION a été la condition de l’acquisition de capacités alternatives que je juge indispensables et urgentes pour la cohérence de nos forces, avant que l’atteinte des cibles – qui restent prévues au niveau ante - nous permette d’atteindre la masse complète. ([15]) » Selon les informations fournies à votre rapporteur, les décalages des livraisons Scorpion permettront notamment de coordonner l’arrivée de nouveaux blindés avec leur système d’information, les infrastructures d’accueil et les munitions pour s’entraîner, permettant d’en faire une capacité complète. Par ailleurs, les Mortiers Embarqués pour l’Appui au Contact (MEPAC), seront tous livrés entre 2024 et 2028. La pleine capacité Scorpion devrait être atteinte en 2035. Ces décalages seront compensés par le maintien en service des anciens parcs.

● Par ailleurs, 160 chars Leclerc seront rénovés sur un parc de 200 chars à horizon 2030. La rénovation consistera principalement en une pérennisation de leur motorisation, une meilleure protection, une connectivité modernisée (intégration dans la bulle Scorpion) et de nouveaux viseurs.

●Enfin, le projet de LPM prépare l’avenir du char de combat en prévoyant la poursuite du programme MGCS. Le Ministre des Armées a néanmoins exprimé publiquement sa préoccupation quant à l’avancée du programme lors de son audition devant la commission de la Défense ([16]). Dans l’intervalle, le CEMAT a indiqué que son objectif de court terme était de prolonger les Leclerc jusqu’en 2040 ou 2045 en les modernisant. Selon les informations fournies à votre rapporteur, la rénovation à mi-vie plus profonde que prévue du char Leclerc dans le cadre de la LPM vise justement à maîtriser le risque d’un éventuel enlisement du programme MGCS. Le CEMAT a cependant précisé qu’« indépendamment du développement industriel, le programme MGCS nous permet de travailler sur ce que seront les caractéristiques du système de chars futur et les briques technologiques nécessaires. Le système comportera nécessairement une partie robotisée. ([17]) » Votre rapporteur estime que toutes les pistes, y compris celles d’une solution nationale ou d’un élargissement à d’autres partenaires, doivent être étudiées pour ménager une solution de repli dans le cas d’un éventuel enlisement du projet, et que la décision devra être prise rapidement pour garantir l’avenir du char de combat.

● S’agissant de l’aviation légère de l’armée de Terre, les conséquences de décalages de cibles devraient rester mesurées dans l’ensemble. L’objectif du projet de LPM est de remplacer les flottes anciennes, de rationaliser et d’homogénéiser les parcs par segment, à travers, notamment, la finalisation du retrofit pour 13 hélicoptères de reconnaissance et d’attaque TIGRE au standard HAD, la livraison de 20 hélicoptères NH90 Caïman, dont 18 au standard Forces Spéciales, ainsi que des 18 premiers HIL Guépard au profit de l’armée de Terre à l’horizon 2030, remplaçant progressivement le parc des Gazelle. Les 8 Caracal de l’armée de Terre seront transférés à l’armée de l’Air et de l’Espace et la flotte de Puma, vieillissante, retirée du service en fin de programmation. Enfin, le passage de la flotte Tigre au standard 3, développé en coopération avec l’Espagne depuis mars 2022, fait l’objet de réflexions internes au ministère des Armées pour l’adapter au mieux aux besoins et prendre en compte le retour d’expérience des conflits récents.

● La LPM aura, ainsi, des effets concrets sur le quotidien des régiments de l’armée de Terre. Lors de sa visite le 20 avril 2023 dans six régiments de l’armée de Terre, le ministre des Armées, M. Sébastien Lecornu a, par exemple, indiqué que le premier régiment d’infanterie à Sarrebourg, plus vieux régiment de France, bénéficierait d’environ 125 millions d’euros d’investissement, permettant de financer notamment l’arrivée de quarante Griffon et des investissements dans les infrastructures ([18]). Le CEMAT a également précisé que si les régiments d’infanterie auront une taille plus ramassée, ils verront leurs capacités significativement renforcées dans tous les champs avec la création d’une section de mortiers de 120mm et d’une section d’attaque électronique, la mise en place d’unités de munitions télé-opérées et de robots terrestres, ainsi que la densification des capacités anti-char ([19]). En parallèle, les régiments de cavalerie verront leur capacité d’agression, ainsi que leur capacité de renseignement renforcées, à travers notamment, la création de nouvelles unités spécialisées de guerre électronique ou de renseignement technique.

 

2.   La Marine

a.   La confirmation de trois programmes structurant de la Marine : porte-avion, sous-marin nucléaire d’attaque et SNLE, et d’un effort particulier sur les munitions

Outre le programme SNLE 3G dédié à la dissuasion (voir supra), le projet de LPM confirme définitivement la construction du porte-avions de nouvelle génération (PANg) qui remplacera le Charles-de-Gaulle en 2038, pour un montant de 5 milliards d’euros (soit la moitié de son coût global estimé).

Cette confirmation de la construction du PANg est essentielle compte tenu du calendrier. En effet, le Charles-de-Gaulle ne pourra être prolongé au-delà de 2038 pour des raisons tenant à ses chaufferies nucléaires qui seront rechargées une dernière fois en 2027-2028 lors de l’ultime arrêt technique majeur. Repousser la décision aurait fait peser un risque majeur de rupture de capacité alors que, maintenant qu’elle est prise, il est possible d’organiser dans les meilleures conditions le « tuilage » entre les deux bâtiments.

Ce choix de construire un nouveau porte-avion n’allait pas de soi et la décision maintenant confirmée continue d’être contestée par certains groupes politiques, toujours avec les mêmes arguments tenant à son coût et à sa prétendue vulnérabilité. Répondant à ceux-ci lors de son audition, le chef d’état-major de la Marine a aussi rappelé que « notre capacité à combattre dans un contexte de haute intensité […] repose sur la capacité à déployer loin et longtemps un groupe aéronaval (GAN) ou un groupe amphibie, avec un niveau de menace caractérisé par le réarmement massif de nos compétiteurs ». Essentiel à la haute intensité, le porte-avions « nous donne une place singulière de nation-cadre parmi nos alliés. Déployer un GAN a indéniablement un effet agrégateur. Au cours des douze dernières années, le Charles de Gaulle a été accompagné, dans ses missions, par des unités de douze nations différentes ». C’est ainsi un moyen puissant de constituer la masse qui peut, dans certaines circonstances, faire défaut à nos armées.

S’agissant des sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) le programme Barracuda, qui les renouvelle complètement, est confirmé à la fois dans son format et son calendrier. Après la mise en service du Suffren en 2022, le deuxième de la série, le Duguay-Trouin doit être livré cet été tandis que les quatre suivants le seront d’ici à 2030.

Enfin, en matière de munition, le Major général de la Marine a souligné, lors de son audition, « les progrès sensibles enregistrés en matière de munitions complexes comme les Aster ou les Exocet. Certes, il y a un creux de disponibilité en raison du tuilage entre les opérations de remotorisation des missiles et l’arrivée des missiles neufs, mais la Marine travaille à le combler, par exemple en internalisant les opérations d’entretien, comme celles de l’Exocet, qui sont faites sur les bases : cela permet de limiter de fait le temps de transport ».

b.   Des décalages de programme qui, en principe, n’affectent pas le format de la Marine

La confirmation des trois programmes majeurs susmentionnés – dimensionnant mais au coût très élevé – a toutefois pour contrepartie le décalage de nombreux autres programmes intéressant la Marine, à commencer par un celui d’un autre programme très structurant : les frégates de défense et d’intervention (FDI). Alors que la première – Amiral Ronarc’h, premier bateau entièrement digital, a été mise à l’eau fin 2022, les quatre suivantes ne rejoindront pas la Marine d’ici à 2029, comme initialement prévu. Le projet de LPM ne vise en effet qu’une cible de trois FDI en 2030, les deux dernières étant renvoyées à la LPM suivante.

Ce décalage va obliger la Marine à devoir accomplir, jusqu’à post-2030, ses missions avec un nombre réduit de frégates de premier rang. Pour le Major général de la Marine, toutefois, « le décalage découlant du projet de LPM aura pour conséquence que la 4ème FDI sera livrée en 2031 et la 5ème en 2032 », deux ans plus tard, certes, « mais le format et la cohérence seront respectées. Les conséquences opérationnelles seront atténuées par la rénovation des FLF », les frégates La Fayette. « Ce calendrier offre également l’opportunité d’améliorer encore le niveau d’équipement de ces bâtiments. La question du format à rallier au-delà de la LPM reste ouverte, le bon chiffre, assez largement partagé, c’est 18 ».

Le programme des patrouilleurs hauturiers, qui visait à remplacer d’ici 2027 les patrouilleurs de haute mer (PHM – ex Aviso) et les patrouilleurs de service public (PSP) fera aussi l’objet de décalages. Sept bâtiments seront mis en service d’ici à 2030 sur les dix initialement prévus, cible qui devrait être atteinte, d’après le rapport annexé, en 2035. Ce décalage est un sujet d’attention pour la Marine. Dans l’impossibilité de prolonger ces patrouilleurs – qui ont plus de quarante ans, coûtent cher en MCO et sont limités à mer 5, la Marine fera face à ce décalage en s’appuyant sur l’arrivée des POM dans les territoires d’Outre-mer, « qui devraient permettre de rapatrier en métropole des patrouilleurs actuellement stationnés dans les Outre-mer (Arago et Malin) qu’il faudra prolonger avec les mêmes risques que ceux associés aux PHM ».

Il est important de préciser que les PH ont des capacités bien supérieures à celles du PHM et que l’arrivée de sept de ces bâtiments au sein de la flotte au cours de cette LPM va considérablement renforcer notre dispositif de maîtrise de l’espace aéromaritime sur les faces Atlantique et Méditerranée. En outre, ce dispositif bénéficiera également d’un effort important en matière de drones, notamment aériens et sous-marins.

Enfin, plusieurs autres programmes significatifs font également l’objet du décalage plus ou moins important de leur cible 2030. Sont particulièrement significatifs :

– en matière de guerre des mines, la cible finale de huit modules de lutte contre les mines est confirmée mais décalée post 2030 (six seront néanmoins opérationnels en 2030) ; de même pour les bâtiments bases de plongeurs démineurs, la cible de cinq sera atteinte post 2030 avec trois unités livrées sur la période. Enfin, s’agissant des bâtiments de guerre des mines, leur nombre – six – reste le même mais seuls trois d’entre eux seront en service en 2030 ;

– le quatrième bâtiment ravitailleur de forces (BRF), prévu pour 2029, est renvoyé à la prochaine LPM, retardant d’autant le retour de la flotte logistique de la Marine à sa pleine capacité, perdue en 2015 avec le désarmement du pétrolier-ravitailleur Meuse ;

3.   L’armée de l’Air et de l’Espace

La LPM 2019-2025 a consolidé des programmes structurants pour l’armée de l’Air et de l’Espace, avec notamment le renouvellement du segment de l’aviation de transport, autour du couple A400M-A330 MRTT Phénix.

Le projet de LPM 2024-2030 poursuit cette dynamique, tout en mettant l’accès sur l’homogénéisation de la flotte de chasse, et en consolidant les segments qui ont été les « parents pauvres » des dernières programmations (munitions, défense sol-air, équipement missionnels…).

a.   Une aviation de chasse en route vers le tout-Rafale

Le projet de LPM relance tout d’abord la dynamique vers le « tout-Rafale ». Alors que l’armée de l’Air et de l’Espace n’avait pas réceptionné de nouvel avion entre novembre 2018 et décembre 2022, ce sont plus 45 Rafale qui sont prévus d’être livrés sur la période de la programmation. L’importance de cette ambition est illustrée par le fait que l’acquisition de Rafale constituera le programme à effet majeur (PEM) le mieux doté budgétairement sur la période de la programmation, avec plus de neuf milliards d’euros de crédits de paiement programmés à ce titre.

La flotte de l’armée de l’Air et de l’Espace sera ainsi portée à 137 Rafale en 2030, compte tenu des 17 Rafale qui seront prélevés sur le parc pour les besoins export sur la même période. L’objectif à terminaison de 185 Rafale Air est en outre réaffirmé, bien que décalé en 2035 pour financer les nouvelles priorités. Ce format est en outre cohérent avec les contrats opérationnels de l’armée de l’Air et de l’Espace, bien qu’il s’agisse de « la limite basse », comme l’a reconnu le major général de l’armée de l’Air et de l’Espace lors de son audition. Les contrats opérationnels figurant dans le rapport annexé au projet de loi prévoient notamment la projection de 40 avions de chasse dans le cadre d’un engagement majeur.

La dynamique vers le « tout-Rafale » a pour corollaire la réduction progressive de la flotte de Mirage 2000. Dans le prolongement du retrait des Mirage 2000 C en 2022, les Mirage 2000-5 seront retirés du service en 2028 comme prévu. La reprise des livraisons des Rafale permettra de compenser le retrait de ces avions utilisés principalement dans le cadre de la posture permanente de sûreté aérienne. La fin de service des Mirage 2000 D rénovés est quant à elle confirmée en 2035. Il est vraisemblable que les M2000D continuent jusqu’à cette date d’être utilement employés sur des théâtres d’opérations asymétriques, dans le cadre de missions d’appui au sol, notamment en Afrique. Le projet de LPM prévoit enfin une légère baisse de la cible des M2000 D rénovés (48 au lieu de 55), ce qui est logique compte tenu du format retenu de 185 avions de chasse et de la montée en puissance des livraisons Rafale.

● Au-delà de l’augmentation du format de la flotte Rafale, la programmation traduit un effort conséquent sur le plan qualitatif, puisque les Rafale livrés le seront au standard F4. Ce nouveau standard, divisé en trois incréments, apportera des évolutions capacitaires majeures dans le domaine du combat aérien : viseur de casque ; améliorations de la conduite de tir pour l’utilisation du missile Meteor ; intégration de l’armement AASM 1 000 kg à guidage laser/GPS ; capacité de connectivité accrue ; amélioration de la survivabilité en matière de guerre électronique. Les montants programmés au titre de ce changement de standard, soit 2,4 milliards d’euros sur la période 2024-2030, démontrent son importance. Illustration du caractère incrémental du développement du Rafale, les travaux de préparation du standard F5 commenceront quant à eux dès 2023. Ce standard permettra de faire pleinement entrer l’aviation de chasse dans l’ère du combat aérien collaboratif. Les avions au standard F5 emporteront en outre le futur missile ASN4G de la composante nucléaire aéroportée.

● Enfin, le projet de LPM prépare l’avenir de l’aviation de chasse avec la poursuite du programme franco-allemand-espagnol SCAF. La phase I B, qui doit se clôturer en 2025, permettra de définir l’architecture finale du SCAF (capacités de l’avion, typologie des drones d’accompagnement…). L’un des choix structurants sur lesquels la France devra se positionner, selon les indications du major général de l’armée de l’Air et de l’Espace lors de son audition par votre rapporteur, est de déterminer si l’on développe plusieurs versions de l’avion, à l’instar du Rafale (monoplace, biplace et versions Marine), ou si l’on adopte une seule version, ce qui nécessitera notamment des ajustements d’emploi pour les forces aériennes stratégiques. L’ambition de ce programme est illustrée par les crédits dédiés à ce PEM pour la période 2024-2030 : 3,8 milliards d’euros, soit le quatrième programme le mieux doté budgétairement, juste après le programme Scorpion et le porte-avions de nouvelle génération.

Au total, les investissements consacrés au renouvellement des capacités de notre aviation de combat s’élèveront à près 19 milliards d’euros sur la période 2024-2030 (acquisitions Rafale, nouveau standard, SCAF, équipements missionnels…), ce qui témoigne de l’ambition dont est porteuse cette LPM pour notre aviation de chasse.

b.   La consolidation des autres flottes

● Sur le segment de l’aviation de transport, la conversion en format MRTT des trois A 330 livrés dans le cadre du plan de soutien à l’aéronautique permettra le retrait des vieux C-135 dès 2025. La flotte d’avions ravitailleurs de l’armée de l’Air et de l’Espace passera donc au « tout-MRTT ». En outre, l’avion ravitailleur multi-rôles MRTT bénéficiera au cours de la prochaine programmation d’évolutions de son standard, avec des travaux de modernisation dans le domaine de la connectivité, de l’autoprotection et de la résilience de ses moyens de navigation, en cohérence avec les évolutions du Rafale, ainsi que l’a annoncé le chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace dans son audition devant la commission de la défense ([20]).

La flotte d’A400M continuera de monter en puissance, avec la livraison de 12 A400M entre 2024 et 2030, en vue d’atteindre la cible d’au moins 35 appareils. Ce format de 35 A400M constitue un seuil et peut être amené à évoluer en fonction de l’évolution de l’inflation et de l’exportation de ces avions, ainsi que l’a confirmé le ministre des Armées lors de son audition devant la commission. La poursuite de la montée en puissance de notre flotte d’A 400M représente un effort financier important, puisque plus de 3,4 milliards d’euros de crédits de paiement seront alloués à ce seul programme pour la période de la programmation.

Cet appareil constitue de l’aveu unanime un véritable game changer pour les capacités de projection de nos forces, ainsi que l’a rappelé tout récemment l’opération d’évacuation Sagittaire au Soudan, qui a nécessité sept rotations d’A400M entre le Soudan et Djibouti. Grâce à cette capacité, comme l’a relevé le chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace, « nous serons en mesure [en 2030] de transporter cinq fois plus de fret avec deux fois moins d’avions qu’en 2012 » ([21]). La consolidation de la flotte d’A400M permettra également de déployer des appareils dans les territoires d’Outre-mer de façon plus permanente qu’à l’heure actuelle, comme l’a confirmé le chef de la division emploi des forces de l’état-major des armées lors de son audition par votre rapporteur.

● Pour assurer le renouvellement de l’aviation de transport tactique, l’armée de l’Air et de l’Espace compte s’appuyer sur le programme européen du futur cargo médian (Future Mid-Size Tactical Cargo ou « FMTC »). Ce programme permettrait de remplacer les C-130H et les Casa, qui seront retirés du service lors de la prochaine décennie. Cet avion pourrait être une sorte d’« A200M », doté des mêmes moteurs que l’A400M, ainsi que l’a indiqué à votre rapporteur le major général de l’armée de l’Air et de l’Espace. Une version spécifique aux forces spéciales pourrait également être conçue.

● Enfin, s’agissant du parc des hélicoptères, la LPM 2024-2030 permettra l’homogénéisation du segment hélicoptères de manœuvre, avec le remplacement tant attendu de la vieille flotte des Puma (40 ans de moyenne d’âge) par des Caracal : les huit Caracal qui seront livrés dans le cadre du plan de soutien à l’aéronautique (2024-2036) seront en effet rejoints par le transfert de huit Caracal de l’armée de Terre. La modernisation du Caracal (rénovation à mi-vie) n’est toutefois pas envisagée par le projet de LPM et devrait donc être réalisée postérieurement à 2030. Sur le segment des hélicoptères légers, les livraisons prévisionnelles du programme HIL (hélicoptères interarmées légers) ne permettront de remplacer les Fennec, qui assurent la posture permanente de sûreté aérienne, qu’après 2030.

c.   La montée en puissance de segments délaissés lors des précédentes programmations

L’accent mis sur la « cohérence » par le projet de LPM se décline également pour le segment de l’aviation de chasse, à travers deux axes principaux.

Le premier axe est le recomplètement des munitions. L’armée de l’Air et de l’Espace bénéficiera de 7 milliards d’euros sur les 12 prévus par la LPM au titre de l’acquisition de munitions. Ces ressources permettront un accroissement inédit des stocks de munitions complexes, ainsi que l’a révélé le chef d’état-major de l’armée de l’air et de son espace : « le nombre de missiles Aster et Mica sera presque doublé d’ici à 2030, tandis que plus de 100 missiles Meteor seront livrés sur la même période » ([22]).

Au titre des munitions, la LPM 2024-2030 permettra également de développer des capacités de destruction des défenses anti-aériennes ennemies dites « SEAD » ([23]), arme indispensable dans le domaine de l’entrée en premier, à travers deux programmes : dans un premier temps, le programme A2SF (armement air-sol du futur), pour une première capacité courte et moyenne portée anti-missiles ; dans un second temps, le programme FMAN, qui développera une capacité de longue portée. Ainsi que l’a souligné le général Stéphane Mille, « le standard F5 permettra de disposer de toutes les capacités SEAD, même si les premières briques seront disponibles dans les développements à venir du standard F4 » ([24]).

Le second axe est l’augmentation des équipements dits « missionnels » des avions de chasse. Le nombre de radars à antennes actives AESA triplera au cours de la période de programmation, en passant de 25 à 75. De même, les « pods Talios », des nacelles optroniques de désignation laser, verront leurs livraisons accélérées avec une cible de 51 pods dès 2026, de sorte qu’ « aucune patrouille ne décollera sans pods Talios, alors qu’aujourd’hui nous nous agitons beaucoup pour en avoir un au bon endroit et au bon moment » ([25]). Le rehaussement du format de tels équipements était particulièrement attendu par les aviateurs, tant ils s’avèrent indispensables en missions et permettent d’exploiter pleinement le potentiel offert par le Rafale.

L’armée de l’Air et de l’Espace est également au cœur de deux priorités capacitaires du projet de LPM : les drones et la défense sol-air.

Sur le segment des drones, les Reaper seront enfin dotés d’une capacité de renseignement électromagnétique. En outre, les conditions d’emploi du Reaper pourraient évoluer, puisque des réflexions sont en cours sur le déploiement d’un drone Reaper en Polynésie, ainsi que l’a souligné le général Yves Métayer, chef de la division emploi à l’état-major des armées, lors de son audition par votre rapporteur. La LPM 2024-2030 permettra également le développement de l’Eurodrone, qui permettra de disposer d’une capacité souveraine européenne de drone MALE, au potentiel important. Les forces spéciales Air se verront dotés de mini-drones pour les missions de reconnaissance (systèmes Skylark, système de mini-drones de reconnaissance « SMDR »). L’utilisation de mini-drones jouera également un rôle important pour la protection des bases aériennes : « On peut s’attendre à voir, dans les années à venir, tous les soldats affectés à la protection de nos bases aériennes dotés d’un minidrone à la ceinture » ([26]).

S’agissant de la défense sol-air, l’armée de l’Air et de l’Espace verra l’ensemble de ses capacités renouvelées, avec l’arrivée d’une nouvelle génération d’équipements : pour la courte portée, le VL MICA remplacera le Crotale, tandis que, pour la moyenne portée, la programmation verra l’arrivée de la nouvelle génération du système sol-air moyenne portée terrestre (SAMP/T NG), aux performances décuplées, « avec une couverture trois fois supérieure à celle de l’actuel [système] » ([27]). Le SAMP/T NG sera notamment équipé du missile Aster 30B1 NT. Sur le plan quantitatif, la LPM 2024-2030 prévoit une augmentation de 50 % de la capacité de moyenne portée entre 2030 et 2035, avec douze SAMP/T NG en 2035.

Un tel renouvellement capacitaire du système de défense sol-air est essentiel pour être en mesure de protéger non seulement des sites statiques stratégiques (bases à vocation nucléaires), mais également un PC d’une division de l’armée de Terre en opérations, comme l’a rappelé le major général de l’armée de l’Air et de l’Espace lors de son audition par votre rapporteur.

Le renouvellement capacitaire des forces spéciales

Le rapport annexé fait figurer les forces spéciales au titre des « efforts prioritaires pour les armées du futur », avec une enveloppe de deux milliards d’euros sur la période de la programmation.

Les forces spéciales, issues des trois armées, ont des besoins capacitaires spécifiques, au regard de la nature de leur mission : être en capacité d’entrer en premier, dans tous les milieux, au sein d’un environnement contesté, en proposant des solutions disruptives aux autorités, à travers des actions ciblées à fort effet de levier stratégique.

Comme l’ont indiqué les représentants du commandement des opérations spéciales (COS) lors de leur audition par votre rapporteur, cela « implique des équipements de nature à ouvrir l’accès sur un théâtre d’opérations non permissif ».

La LPM 2024-2030 permettra de consolider les moyens de projection et d’infiltration, à travers notamment :

- dans le domaine aérien : la livraison de huit NH90 Caïmans forces spéciales et des C130-H rénovés sur lesquels sera intégrée la capacité C3 ISTAR (système de capteurs pour surveiller et créer une bulle de connectivité entre les différents acteurs en opérations) ;

- dans le domaine naval : le développement des propulseurs sous-marins de troisième génération (PSM 3G) et la montée en puissance de la capacité hangar de pont sur les sous-marins de classe Suffren, capacité importante pour les opérations d’entrée en premier ;

- dans le domaine terrestre : la poursuite des livraisons de véhicules, dans le cadre du programme de véhicules des forces spéciales (VFS), notamment pour assurer les besoins de ravitaillement et de secours dans la profondeur (camions-citernes, véhicules sanitaires..) ;

Les forces spéciales bénéficieront également du programme de munitions télé-opérées portée par la LPM, ainsi que de l’effort en matière de drones et de robots.

C.   LES NOUVEAUX ESPACES DE CONFLICTUALITÉ

1.   L’espace

Sous la LPM 2019-2025, la publication de la « stratégie spatiale de défense » en 2019 avait entraîné une accélération des investissements dans le domaine du spatial militaire, qui a été l’une des priorités de l’actualisation de la LPM en 2021.

Le projet de LPM 2024-2035 consolide et amplifie cette dynamique, en consacrant l’espace comme un des neuf axes d’« efforts prioritaires pour les armées du futur », avec une enveloppe de six milliards d’euros consacrée sur la période, soit une augmentation de 45 % eu égard à la précédente programmation, selon le ministre des Armées. Cette montée en puissance concerne aussi bien (i) l’action depuis l’espace, (ii) l’action vers l’espace que (iii) l’action dans l’espace.

En matière d’action depuis l’espace, la LPM 2024-2030 permettra d’assurer le renouvellement de nos capacités dans le domaine satellitaire :

– La capacité d’observation spatiale optique bénéficiera du lancement du troisième satellite CSO en début de programmation, puis du développement et de la mise en orbite de la nouvelle génération de satellites de renseignement image, dans le cadre du programme Iris. Cette nouvelle capacité permettra notamment d’améliorer et d’augmenter la quantité et la qualité des images recueillies ;

– La capacité de renseignement d’origine électromagnétique sera consolidée, avec le développement et la mise en orbites, d’ici 2029, du successeur de la constellation CERES. Il convient de rappeler que la France est l’une des rares nations dans le monde à maîtriser ce type de capacités ;

– Enfin, la capacité de télécommunication militaire, mise en œuvre actuellement par les deux satellites Syracuse IV, sera complétée par les services offerts par constellation de connectivité sécurisée et multi-orbites européennes Iris. L’appui sur les orbites basses permettra d’obtenir une meilleure latence, ce qui est fondamental pour le futur cloud de combat.

Dans ce contexte, la mise en orbite d’un troisième satellite Syracuse IV n’a pas été jugée fondamentale et ne fait donc pas partie de la programmation, comme l’a rappelé le chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace lors de son audition : « S’agissant des satellites Syracuse 4, les évolutions dans le domaine de l’espace sont très rapides : les grands programmes, c’est très bien ; l’agilité du new space, c’est très bien aussi. Nous avons, à une époque, imaginé d’énormes satellites en orbite géostationnaire. Mais les constellations qui évoluent en orbite basse ont aussi des avantages. Les deux sont complémentaires pour assurer l’efficacité et la redondance dont les armées ont besoin. Mettre tous nos objets sur l’orbite géostationnaire serait à mon sens dangereux. Le temps de latence, c’est-à-dire le temps nécessaire pour transmettre une information à un autre vecteur de la patrouille, est plus important s’il faut monter en orbite géostationnaire puis redescendre. Ce delta n’est pas important à l’échelle de notre réunion, mais pour des systèmes comme le SCAF, il est colossal (…) Nous avons opéré des choix, et je crois que la complémentarité des orbites est indispensable dans le monde de demain » ([28]).

S’agissant de l’action vers l’espace, la priorité sera le développement du successeur du radar de surveillance spatiale Graves (Grand réseau adapté à la veille spatiale). Le radar Graves NG aura une capacité de détection accrue, afin de garantir notre autonomie d’appréciation en matière de connaissance de la situation spatiale. Celle-ci sera également assurée par la location de services spatiaux auprès des industriels.

● Le développement de nos moyens d’action dans l’espace constitue un des axes forts de la LPM, à travers :

– Le développement d’un démonstrateur de patrouilleur guetteur en orbite géostationnaire (programmes Yoda puis Egide), mais aussi en orbite basse, à travers la création du programme « action Leo » pour une première capacité dès 2025.

– Le développement de démonstrateurs laser, avec les projets d’action vers l’espace Bloomlase et dans l’espace Flamhe. Une première capacité est là encore attendue en 2025.

– La constitution d’une capacité opérationnelle de commandement et de contrôle des opérations spatiales, avec le système Astreos (appareil structuré de traitement élaboré des opérations spatiales) qui sera mis en place dès 2025, pour une pleine capacité opérationnelle à l’horizon 2030.

L’inauguration du bâtiment du commandement de l’espace (CDE) à Toulouse, prévue en 2025, symbolisera la montée en puissance du centre de commandement, de contrôle, de communication et de calcul des opérations spatiales (C4OS).

Le caractère stratégique du spatial militaire est également illustré par son intégration inédite dans les contrats opérationnels de nos armées. La « posture permanente de protection élargie » définie dans le rapport annexé au projet de loi inclut en effet désormais une « posture de protection spatiale ». Celle-ci emporte l’exigence d’être en mesure de défendre nos intérêts nationaux dans l’espace, y compris de manière active.

Enfin, la LPM 2024-2030 permettra d’adapter notre dispositif juridique aux évolutions que connait le milieu spatial. L’article 28 du projet de loi prévoit ainsi (voir section du rapport sur l’examen des articles) :

– la ratification de l’ordonnance n° 2022-232 du 23 février 2022, qui crée un cadre spécifique aux opérations spatiales militaires conduites par l’État ;

– l’adaptation de la loi du 3 juin 2008 relative aux opérations spatiales, afin d’adapter celles-ci aux constellations de satellites et aux lanceurs réutilisables.

2.   Les fonds marins 

La présentation par la ministre des Armées, le 16 février 2022, d’une stratégie de maîtrise des fonds marins (MFM) a mis en lumière à la fois les nouveaux enjeux de défense dans ce milieu immense, largement inconnu, opaque aux ondes électromagnétiques et, de ce fait, très exposé aux menaces hybrides, et les moyens nécessaires pour y faire face, moyens dont notre pays ne dispose pas actuellement.

C’est pourquoi elle a fixé comme objectif de le doter d’une capacité de connaître, surveiller et agir dans les fonds marins, c’est-à-dire jusqu’à 6 000 mètres de profondeur, basée sur une technologie souveraine développée dans le cadre du programme d’investissement France 2030. En d’autres termes, les dépenses de recherche et développement des futurs robots et drones ne relèveront pas de la future LPM qui ne prendra en compte que leur coût d’acquisition et autres coûts de la MFM tel que le MCO, l’adaptation des bâtiments, les infrastructures (y compris numériques) ou encore le recrutement et la formation des personnels nécessaires.

Dans l’attente de ces équipements, une capacité exploratoire est mise en œuvre, permettant à la Marine d’accomplir ses missions mais également d’affiner ses besoins. Elle repose sur la location de robots et de drones, qui a commencé dès 2022 avec la location de l’AUV norvégien Hugin – capable de descendre à 6 000 mètres, et la location en 2023 d’un ROV permettant de descendre à 4 000 mètres. Selon la stratégie ministérielle, l’objectif était, en 2025, d’un ROV et d’un AUV capable de descendre à 3 000 mètres (moyen fonds) et d’un ROV et d’un AVU capable de descendre à 6 000 mètres, capacités doublées en 2028 pour disposer, à Toulon et à Brest, deux tandems AUV/ROV, moyens et grands fonds.

La LPM confirme, dans le rapport annexé, l’acquisition d’une « capacité moyen et grand fond » d’ici à 2030. Les auditions, notamment celle du chef d’état-major de la Marine, ont permis d’affiner cette ambition qui apparaît d’ores et déjà décalée d’un an, 2026 et 2029, sans plus de précision pour la suite, le rapport annexé ne parlant que d’une « poursuite des incréments ».

Est également confirmé le programme CHOF (capacité hydrographique et océanographique du futur), qui vise à renouveler les capacités du Service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM). Celui-ci serait désormais doté de deux bâtiments hydrographiques de nouvelle génération capables, notamment, de mettre en œuvre des drones sous-marins, notamment les drones MFM. Ils devraient entrer en service d’ici à 2030.

3.   Le cyber

Le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030 prévoit un effort financier conséquent de 4 milliards d’euros sur la période de la programmation pour la cyberdéfense, érigée en domaine prioritaire au même titre, entre autres, que l’espace, le renseignement ou la défense sol-air. À titre de comparaison, le budget dédié à la cyberdéfense dans la loi de programmation militaire pour les années 2019 à 2025 s’élevait à 1,6 milliard d’euros, soit une hausse de 150 % dans le projet de loi.

Ce budget inédit est le fruit d’un travail conduit par le ministère pour tracer les orientations capacitaires dans le domaine de la cyberdéfense à l’horizon 2030 sur la base d’un schéma directeur mis à jour en juin 2021 et d’une programmation des ressources jusqu’en 2027. L’état-major des armées, en s’appuyant sur le commandement de la cyberdéfense, a déterminé les besoins opérationnels, tandis que le cadrage physico-financier a été élaboré conjointement avec la Direction générale de l’armement.

Ce budget permettra au ministère des Armées de renouveler ses capacités cyber existantes et d’en acquérir de nouvelles. À cet égard, sur les 4 milliards d’euros, environ 3,7 milliards d’euros seront consacrés aux programmes à effet majeur, qui relèvent du programme 146 « Équipement des forces ». Plus précisément, l’effort financier total se répartit principalement entre trois catégories de domaines :

– le domaine de la cyber-protection, à hauteur de 1,6 milliard d’euros, pour, d’une part, le renouvellement des chiffreurs militaires afin de garantir l’inviolabilité des données, notre souveraineté numérique et faire face à l’arrivée du quantique, et, d’autre part, le développement de systèmes de communication sécurisés permettant l’échange d’informations sensibles et classifiées entre les différents sites du ministère et avec ses partenaires. Ces efforts constitueront le socle de sécurité rendant possible la réalisation d’opérations interarmées et interalliées ;

– le domaine de la lutte informatique défensive, à hauteur de 1 milliard d’euros, pour l’extension des capacités de surveillance à l’ensemble du périmètre du ministère par le développement et l’acquisition de sondes pour tous les systèmes d’information et les systèmes d’armes, ainsi que pour l’acquisition de capacités de détection et d’investigation dans une optique d’entraînement des personnels spécialisés et de capacités de réponse aux incidents informatiques. En outre, ce budget permettra de mettre en cohérence les pratiques, les procédures et les équipements des trois armées en ce domaine, afin de garantir au chef d’état-major des armées une liberté d’action et de renforcer le pilotage au niveau stratégique ;

– et les nouveaux domaines de lutte que sont la lutte informatique offensive et la lutte informatique d’influence, à hauteur de 1,4 milliard d’euros, pour la diversification des capacités militaires en vue de leur intégration par les armées en opérations.

Il ne faut toutefois pas se limiter au budget du patch cyber pour apprécier l’effort global du ministère. À titre d’exemple, le budget dédié à la transformation numérique du ministère, à hauteur de 8 milliards d’euros, contribuera au renforcement de la résilience des systèmes d’information. Il en ira de même pour l’innovation de défense, dont le budget contribuera à la cyberdéfense.

En outre, un effort conséquent sera également réalisé par le ministère en termes de ressources humaines. 953 équivalents temps plein seront dédiés au domaine de la cyberdéfense sur la période de la programmation, soit 15 % des 6 300 équivalents temps plein du schéma d’emplois du projet de loi. La cible d’effectifs du domaine de la cyberdéfense constitue en effet une priorité politique et opérationnelle, qui s’inscrit, du reste, dans le contexte national d’une croissance des recrutements dans les métiers du numérique. Plusieurs mesures fortes ont été prises depuis 2017 pour répondre à ce défi, sous la supervision du Comité de suivi de la ressource cyber, qui réunit les acteurs du ministère concernés tous les semestres afin d’identifier, partager et piloter les mesures d’attractivité et de fidélisation à adopter en matière de rémunération et de valorisation des parcours de carrière.

Enfin, une filière d’excellence, complémentaire du pôle d’excellence cyber sera créée pour structurer, autour de l’École polytechnique, des contenus, des méthodes et des équipes académiques au bénéfice des missions confiées au ministère des Armées dans le domaine de la cyberdéfense pour développer une expertise de classe mondiale, renforcer la diversification des profils en entrée (et particulièrement le taux de féminisation), l’innovation pédagogique, la fidélisation en sortie de cursus et l’attractivité du ministère auprès de ces étudiants.

Mais au-delà des moyens financiers et humains, un effort particulier sera fait pour adapter les modalités et les niveaux d’action de la cyberdéfense. En effet, si certaines actions peuvent être conduites de loin dans le cyberespace, d’autres nécessitent d’être à proximité des cibles, en particulier dans le domaine de la guerre électronique pour les capacités de brouillage. Or, comme l’indiquait le commandant de la cyberdéfense, dans le domaine de la lutte informatique offensive et de la lutte informatique d’influence, il convient de « descendre d’un niveau car si le niveau stratégique est bien construit, [il faut] désormais mieux appuyer les armées au niveau tactique afin d’agir sur le terrain au plus près de l’ennemi » ([29]). Le commandant de la cyberdéfense indiquait également lors de son audition devant la commission de la Défense nationale et des forces armées qu’il souhaitait « descendre vers les échelons opératif et tactique [en matière de lutte informatique offensive et de lutte informatique d’influence], pour mieux appuyer les armées avec les outils et les capacités [que le ministère des Armées a] développés » ([30]).

D.   Un effort inÉdit au profit de l’innovation de dÉfense

Votre rapporteur salue que le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030 prévoit un budget inédit de 10 milliards d’euros pour l’innovation de défense, également érigée en domaine prioritaire pour nos armées. La création de l’Agence de l’innovation de défense (AID) en septembre 2018 avait déjà permis de fédérer les initiatives du ministère en assurant la coordination et la cohérence de l’ensemble des démarches d’innovation. Avec ce budget inédit de 10 milliards d’euros, le ministère des Armées fait preuve d’une cohérence salutaire avec les ambitions fixées en ce domaine dans la loi de programmation militaire pour les années 2019 à 2025. En effet, l’innovation de défense, dont le budget a augmenté de manière progressive et sans discontinuer pour atteindre un milliard d’euros en crédits de paiement en 2022, était déjà un des axes prioritaires du ministère dans le cadre de cette loi de programmation. L’Agence a ainsi pu poursuivre ses travaux d’innovation technologique sur le temps long et capter des innovations, notamment issues du secteur civil, de manière agile.

Le budget consacré à l’innovation de défense dans le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030 se décompose de la manière suivante :

environ 7 milliards d’euros sur la période de la programmation seront consacrés aux études amont ([31]) (hors dissuasion ([32])), soit environ 1 milliard d’euros par an en moyenne ;

un peu moins de 3 milliards d’euros sur la période de la programmation seront consacrés aux subventions pour charge de service public des deux opérateurs et des cinq écoles sous tutelle de la Direction générale de l’armement (l’Office national d’études et de recherches aérospatiales, l’Institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis, l’École polytechnique, l’Institut polytechnique de Paris, ISAE-Supaéro, l’École nationale supérieure de techniques avancées de Paris et l’École nationale supérieure de techniques avancées de Bretagne) ;

– et quelques dizaines de millions d’euros par an seront consacrées aux études prospectives et stratégiques, gérées par la Direction générale des relations internationales et de la stratégie, et aux études opérationnelles et technico-opérationnelles, gérées par l’état-major des armées.

Le budget consacré aux études amont servira notamment à financer des démonstrateurs technico-opérationnels dans les huit domaines prioritaires suivants, définis à ce stade mais susceptibles d’évoluer au gré des ruptures technologiques, à hauteur de 1 à 1,4 milliard d’euros sur la période de la programmation :

– les armes à énergie dirigée ;

– l’hypervélocité ;

– l’intelligence artificielle et les systèmes autonomes (robotique, drones, espace) ;

– le spectre électromagnétique et la guerre électronique étendue ;

– les capteurs à l’ère des technologies quantiques ;

– les nouvelles technologies de l’énergie (y compris le nucléaire) ;

– les technologies de discrétion et de furtivité ;

– et le calcul quantique.

Par ailleurs, des analyses technico-opérationnelles seront conduites pour affiner les besoins sur les thématiques suivantes :

– les systèmes de protection active ;

– l’hydrogène et les biocarburants ;

– la transition vers la cryptographie post-quantique ;

– les canons électromagnétiques et les armes à énergie dirigée ;

– l’hélicoptère de combat du futur ;

– et l’avion spatial.

L’innovation de défense ne sera pas financée exclusivement sur le budget de 10 milliards d’euros arrêté dans le projet de loi. En effet, à titre d’exemple, les recherches dans le domaine de l’ordinateur quantique ne seront pas financées par le budget du ministère des Armées consacré à l’innovation de défense. Toutefois, l’AID participera à la stratégie nationale pour les technologies quantiques dans le cadre du plan d’investissement France 2030. En outre, dans le domaine du calcul quantique, l’Agence travaillera en partenariat avec le secrétariat général pour l’investissement, qui relève des services de la Première ministre, pour financer le franchissement de niveaux de maturité technologiques de start-ups d’ores et déjà soutenues par l’Agence comme Pasqal ou Quandela. L’Agence profitera également des opportunités de financements communs dans le cadre de coopérations internationales, comme elle le fait actuellement, par exemple, dans le domaine du New Space avec un projet de démonstrateur d’un satellite hyper-spectral géostationnaire.

Le document de référence de l’orientation de l’innovation de défense pour la période 2024-2029, en cours d’élaboration, déclinera les orientations de l’innovation de défense suivant les quatre modes d’action envisagés suivants :

– l’appui sur des démonstrateurs d’envergure pour accélérer le développement en boucle courte ;

– l’exploration des technologies de rupture très amont ;

– le soutien des filières critiques et le renforcement de la souveraineté ;

– et l’ouverture à des nouveaux modes de captation afin d’accélérer les passages à l’échelle opérationnels.

L’Agence devra bénéficier d’une hausse de ses effectifs pour faire face aux défis qui l’attendent. Elle comprend aujourd’hui 110 personnels ([33]) , dont plus des deux tiers sont des personnels civils (ingénieurs, fonctionnaires, anciens entrepreneurs, etc). Au titre du projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, l’Agence a demandé à la Direction générale de l’armement ([34]) d’augmenter ses effectifs pour faire face à bénéficier d’une augmentation de ses effectifs pour faire face aux enjeux dans trois nouveaux domaines de conflictualité (quantique, spatial et guerre cognitive), pour lesquels l’Agence et la DGA ne sont pas encore suffisamment dimensionnées. Au total, l’Agence a exprimé le souhait de voir ses effectifs augmenter de l’ordre de 15 à 20 équivalents temps plein sur la période de la programmation ([35]).


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IV.   la prÉparation au combat

A.   La prÉparation opÉrationnelle

Le niveau de préparation opérationnelle des forces armées conditionne la cohérence d’ensemble de notre modèle d’armée. En effet, rien ne sert d’acquérir de nouvelles capacités si les armées n’ont pas les moyens de s’entraîner sur ces mêmes matériels. Le projet de LPM prévoit d’abord une hausse qualitative puis quantitative du niveau de préparation opérationnelle. Le rapport annexé présente également des normes d’entraînement en partie révisées.

1.   Le rehaussement qualitatif de la préparation opérationnelle

Dans un premier temps, le rapport annexé prévoit que les niveaux d’activité seront stabilisés et la préparation opérationnelle sera renforcée qualitativement en visant des entraînements dans le « haut du spectre ».

Pour atteindre des standards de préparation opérationnelle adaptés à un conflit de haute intensité, le durcissement de la préparation opérationnelle déjà entrepris se poursuivra sur la période de la programmation, couplé à une prise en compte croissance des enjeux multi-milieux et multi-champs (M2MC) dans la conception des entraînements, ainsi que la participation à des exercices à plus grande échelle comme l’exercice ORION.

La simulation complétera la préparation opérationnelle réalisée sur matériels majeurs, sans s’y substituer entièrement, pour une capitalisation plus rapide des savoir-faire. Elle contribuera également à l’amélioration de la qualité et du réalisme de la préparation opérationnelle. Comme l’a précisé le chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace « des investissements importants serviront à la généralisation de la simulation massive en réseau, qui permettra de connecter l’ensemble des simulateurs afin de simuler des missions complexes et de mettre en œuvre des moyens LVC – live, virtual, constructive. Les équipages pourront ainsi combiner activité réelle et activité simulée et s’entraîner de manière plus réaliste à la haute intensité. » Comme identifié dans des précédents rapports parlementaires, une vigilance particulière devra néanmoins être apportée à la mise au standard des simulateurs au même rythme que le renouvellement des matériels, en particulier s’agissant du simulateur Rafale ou du système de simulation Scorpion.

Les infrastructures de préparation opérationnelle feront également l’objet d’un effort dans le cadre de la LPM. Par exemple, l’armée de Terre poursuivra la modernisation de ses infrastructures à travers le plan d’Amélioration de la Préparation Opérationnelle Globale par les Espaces d’Entraînement (APOGEE).

Enfin, une demande récurrente des forces armées consiste à pouvoir s’entraîner davantage avec des munitions en conditions réelles. Votre rapporteur est favorable à ce que l’usage de munitions sur le point d’être périmées soit favorisé autant que de possible afin de renforcer le réalisme de la préparation opérationnelle.

2.   La nécessaire consolidation de l’activité

La LPM 2019-2025 était porteuse d’une remontée du niveau d’activité des armées, sans pour autant atteindre l’ambition initiale. Le projet de LPM 2024-2030 prévoit, quant à lui, que l’activité soit d’abord maintenue au niveau atteint ces dernières années, avant de progresser vers les normes d’entraînement fixées à l’horizon 2030.

La consolidation du niveau d’activité opérationnelle des forces a néanmoins été désignée comme un point de vigilance important, commun aux trois armées, dans un contexte fortement inflationniste.

En effet, l’activité est primordiale à l’entraînement des forces. Il convient donc de tendre le plus rapidement possible vers les normes d’entraînement fixées. Certaines d’entre elles font l’objet d’une refonte dans le cadre du rapport annexé. C’est notamment le cas de « la journée d’activité du combattant terrestre », indicateur nouvellement créé. Selon les informations fournies à votre rapporteur, son périmètre est comparable à celui des journées hors domicile qui permet de mesurer l’activité des soldats à travers les absences de leur foyer.

Votre rapporteur se réjouit donc du fait que le niveau de préparation opérationnelle de nos armées fasse l’objet d’un effort particulier et veillera à ce que sa remontée en puissance soit sécurisée tout au long de la programmation.

B.   Le Maintien en condition opÉrationnelle

1.   L’armée de Terre

Sur les 49 milliards d’euros programmés au profit de l’entretien programmé des matériels dans le projet de LPM, soit une hausse significative de 40 % par rapport à la LPM précédente, environ huit milliards d’euros bénéficieront au maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels terrestres et cinq milliards d’euros au MCO aéroterrestre.

Selon les informations fournies à votre rapporteur, les augmentations permettront de couvrir principalement la pérennisation du char Leclerc dans l’attente d’un successeur, le soutien des parcs Scorpion, autrefois pris en compte par le programme 146 dans le cadre du soutien initial lors de la précédente LPM, le soutien des parcs de la mobilité, ainsi que la préservation du niveau d’activité des forces, évoquée supra.

Toutefois, un des principaux points de vigilance portera sur les effets de l’inflation qui risque de grever une part de l’enveloppe dédiée au MCO. Par ailleurs, votre rapporteur a été alerté sur « l’effet ciseaux » engendré par le décalage de la livraison des parcs Scorpion qui entraînera mécaniquement la prolongation des parcs plus anciens, au premier rang desquels les AMX-10 RC et les VAB, dont le coût d’entretien est plus élevé en fin de vie. Une attention particulière devra également être portée à la poursuite des travaux de pérennisation du char Leclerc, notamment les viseurs, le moteur et la turbomachine et à la couverture des besoins en pièces de rechange. De manière générale, la remontée du niveau des stocks de pièces de rechange constitue un des éléments clés du retour d’expérience du conflit en Ukraine et doit être financée dans le cadre de la LPM.

Au-delà des crédits en croissance alloués dans le cadre de la LPM, d’autres leviers seront actionnés afin d’augmenter la performance du MCO. Le CEMAT a ainsi annoncé que les crédits s’accompagneront du « rééquilibrage de la charge d’entretien programmé des matériels entre industrie privée, industrie étatique et unités du matériel, préparées à surmonter les pics d’activité et la montée en charge qui accompagneraient le déploiement de grandes unités de combat. La SIMMT développera ainsi le dialogue et la coordination avec les industriels dans la logique de l’« économie de guerre » promue par le ministre des Armées. » La Structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT) a ainsi lancé un chantier ambitieux d’optimisation économique du soutien. Ce chantier s’articule autour de trois grands axes que sont les performances de l’industrie, l’organisation du MCO terrestre et l’emploi opérationnel des équipements. Elle conduit un dialogue renforcé avec la DGA et les états-majors des armées pour améliorer la prise en compte du soutien en service d’un équipement dès les premières étapes du programme d’armement, notamment en matière de besoins en outillage et stocks de rechange. La part de l’industrie privée dans la régénération du matériel sera augmentée. Parallèlement, un rééquilibrage de la répartition entre la maintenance réalisée par les industries étatique et privée sera opéré dès 2026 au niveau des parcs d’entraînements, au profit d’un renforcement des parcs régimentaires, soutenus par les maintenanciers des forces terrestres. Enfin, les synergies avec l’industrie privée sont également recherchées comme en témoigne le développement d’un « club utilisateur Caesar » qui vise à mieux partager les coûts fixes et créer des effets d’échelle sur les commandes de pièces de rechange.

La SIMMT poursuivra également sa démarche d’innovation tournée vers la numérisation des ateliers, la maintenance prévisionnelle, la fabrication additive ou encore la robotique de maintenance.

2.   La Marine

Le service de soutien de la flotte (SSF) bénéficiera, comme les autres acteurs du MCO, de l’effort particulier qui sera fait en sa faveur par cette prochaine LPM et, comme ces derniers, il travaillera à une amélioration de ses performances, notamment par « une consolidation de ses stocks stratégiques et une gestion améliorée des pièces de rechange ». Sur ce dernier point, l’audition du Major général de la Marine a permis d’apporter des précisions : « l’idée est de cibler, pour le stockage, les pièces essentielles mais aussi de prévoir, dans les programmes, un stock initial de pièces de rechange plus important ». Par ailleurs, il a souligné « les perspectives ouvertes par la fabrication additive, laquelle oblige cependant les industriels à mettre à disposition les plans des pièces ». Enfin, « la Marine réfléchit à un contrat d’opérationnalisation du soutien assuré par le SSF (RETX Orion/Ursa Minor), en cohérence avec les travaux conduits sur ce thème par l’EMA ».

Un autre axe d’amélioration du MCO de la Marine porte sur les munitions. Comme l’a indiqué le Major général lors de son audition, la Marine travaille à « internaliser les opérations d’entretien, comme celles de l’Exocet, qui sont faites sur les bases ; cela permet de limiter de fait le temps de transport ».

Enfin, il convient de souligner que le décalage de certains programmes entraîne le prolongement de la durée de service d’équipements déjà très anciens – tels que les Aviso qui ont plus de quarante ans. Or, le coût du MCO d’un équipement va croissant avec son âge, si bien que malgré tous les efforts de la Marine pour le maîtriser, il est probable que le coût du MCO de certains équipements augmente, du moins jusqu’à l’arrivée des nouveaux bâtiments (en l’espèce, les patrouilleurs hauturiers).

3.   L’armée de l’Air et de l’Espace

La LPM 2019-2025 a promu une profonde transformation du MCO aéronautique. La réforme de la gouvernance, avec la création de la direction de la maintenance aéronautique (DMAé), s’est en effet accompagnée d’une réforme de la stratégie de MCO, à travers la mise en place de la politique dite de verticalisation des contrats.

Cette politique, qui consiste à confier la responsabilité de la maintenance d’une flotte à un maître d’œuvre unique sur une longue durée, en contrepartie d’engagements de performance, commence à porter ses fruits. Il est en effet constaté une augmentation de la disponibilité sur de nombreuses flottes, même si certaines connaissent des difficultés structurelles, tels que les NH90 de la marine ou les C- 130H de l’armée de l’Air et de l’Espace.

Évolution de la disponibilitÉ de certaines flottes entre 2018 et 2022

Source : direction de la maintenance aéronautique, réponse questionnaire de votre rapporteur

La mise en place de guichets logistiques gérés par les industriels sur les bases a également permis de recentrer les mécaniciens de l’armée de l’Air et de l’Espace sur leur cœur de métier. Les pôles de conduite et de soutien, qui regroupent industries et armées en vue d’assurer une meilleure coordination entre l’ensemble des acteurs en charge de la maintenance, ont également fait leur preuve et devront être généralisés.

Enfin, malgré les craintes, les coûts ont été globalement maîtrisés, ainsi que l’illustre le fait que « le Rafale est aujourd’hui l’avion de chasse de sa génération le moins cher au monde à l’heure de vol » selon les affirmations du directeur de la DMAé, lors de son audition par votre rapporteur.

Les défis du MCO aéronautique dans le cadre de la prochaine programmation militaire sont de plusieurs ordres.

Le premier défi est de davantage prendre en compte le MCO « dès les premiers stades de la vie d’un programme, pour un raisonnement en coût de possession sur la durée », comme le relève le rapport annexé. En pratique, cela requiert une association optimisée entre la DGA et la DMAé, pour garantir que les besoins de maintenance sont pris en compte dès la phase de conception des programmes. Il s’agit également de s’assurer que des éventuels efforts des industriels sur les prix d’acquisition ne soient pas compensés par des marges indues desdits industriels au titre de leur activité de maintenance.

Le second défi est l’adaptation du MCO à la haute intensité. En effet, en cas de forte attrition des aéronefs dans un conflit, le premier défi sera de les réparer pour les remettre en état de voler.

Cela exige tout d’abord d’adapter les contrats verticalisés à une telle hypothèse d’engagement majeur, avec la mise en place ab initio de mécanismes prévoyant une montée en puissance de la part de l’industriel. Selon les indications fournies par le directeur de la DMAé à votre rapporteur, « les contrats verticalisés permettent une augmentation d’activité de 20 % ainsi que la commande de stocks supplémentaires. Il sera aussi prévu le moment venu, par un avenant, la possibilité de tranches de commande conditionnelles (lots de déploiement ou stocks de composants critiques) permettant de gagner sur le temps de contractualisation (6-9 mois) ».

Il faut également réapprendre les compétences en matière de réparation des dommages au combat, comme l’a indiqué le directeur de la DMAé, qui a souligné que « L’État finance ainsi des études pour permettre aux industriels et à leurs ingénieurs de retrouver cette compétence ».

Le MCO de haute intensité requiert enfin que les armées conservent suffisamment de compétences et de savoir-faire en leur sein pour assurer la maintenance des équipements en opérations. Une piste de réflexion pourrait être également d’étudier les modalités envisageables d’intervention des industriels sur le théâtre d’opérations, notamment si ces derniers sont réservistes.

C.   L’Économie de guerre

La finalité de l’« économie de guerre » est que « l’industrie française puisse soutenir un effort de guerre dans la durée, en cas de nécessité pour les forces armées ou au profit d’un partenaire » ([36]), comme le souligne la revue nationale stratégique. Cela exige pour la base technologique industrielle et technologique de défense (« BITD ») d’être en capacité de produire plus, plus vite et à coût maîtrisé, afin de répondre aux besoins d’approvisionnement de nos forces armées en équipements et en munitions.

Cette exigence d’être en capacité d’augmenter les cadences de production est également une condition pour que notre BITD soit compétitive à l’exportation, comme l’a souligné le ministre des Armées : « Nous devons garantir les prix, le respect des délais, la gestion de nos stocks et la capacité à produire en flux tendus, d’autant que ces conditions seront aussi exigées par les pays vers lesquels nous exportons. La Pologne a récemment choisi d’acheter du matériel sud-coréen en raison des délais de livraison imposés par les États-Unis, malgré la relation privilégiée qu’elle entretient avec ces derniers. Notre industrie de défense doit prendre la mesure de ce signal » ([37]).

● Pour promouvoir cette logique de l’économie de guerre, le rapport annexé du projet de LPM en appelle tout d’abord à la transformation de la DGA. La mise en place au sein de cette dernière de la « force d’acquisition réactive », dont l’objectif est de favoriser le passage à l’échelle des innovations dans des délais rapides (trois ans maximum pour le cycle de développement et d’acquisition) et de procéder rapidement à des achats sur étagère de matériels complexes quand cela est nécessaire, constitue une illustration de l’ambition de la DGA de gagner en agilité.

Le passage à l’« économie de guerre » requiert également certainement une réduction des exigences de documentation de la part de la DGA. Sur ce point, M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l’armement, a indiqué à votre rapporteur que le niveau de documentation requise dépendait du niveau de confiance de la DGA en l’industriel : plus ce dernier se montre transparent en amont sur ces normes et processus internes de production, moins la DGA est contrainte d’exiger de la documentation. C’est la raison pour laquelle la DGA travaille actuellement à l’élaboration d’une charte de conduite avec les grands industriels pour que ceux-ci fassent preuve de davantage de transparence, en contrepartie d’un allègement de la documentation.

● Un autre axe de l’« économie de guerre » promu par le projet de LPM consiste à simplifier l’expression des besoins. À cette fin, un travail d’« analyse de valeur » systématique du besoin sera mené par les armées, la DGA et les industriels, pour évaluer l’impact des spéciations demandées, en termes de coût et de délais.

La simplification commande également de trouver un nouvel équilibre « entre rusticité et hyper-technologie » pour l’équipement de nos armées, comme l’indique le rapport annexé du projet de LPM. Ainsi que l’a indiqué le général Cédric Gaudillière, chef de la division cohérence capacitaire de l’état-major des armées, « un exemple concret est la décision de ne pas commander 10 000 missiles antichar haute technologie, longs et coûteux à produire. À la place, les armées ont opté pour l’achat de plusieurs milliers de missiles haute technologie MMP développés par MBDA, tout en travaillant simultanément sur un missile différencié à bas coût répondant à certains besoins spécifiques, tels que les tirs de char en milieu urbain. Ainsi, en utilisant les leçons tirées de l’expérience ukrainienne, nous travaillons à la conception d’un missile abordable et pouvant être acquis en grande quantité, et qui répondent à des besoins opérationnels précis » ([38]). Une telle stratégie de « différenciation » pourrait être utilement élargie à d’autres systèmes d’armement, afin de disposer, pour un système d’armes donné, de capacités sophistiquées mais aussi d’autres plus rustiques.

La capacité à construire rapidement des filières industrielles pour développer de façon souveraine le successeur du LRU ainsi que des munitions télé-opérées (MTO) constituera à cet égard un véritable test quant à notre potentiel collectif à relever le défi de l’« économie de guerre ».

Dans cette perspective, les groupes de travail réunissant armées-industriels et services du ministère mis en place dans le cadre de l’économie de guerre gagneraient, selon votre rapporteur, à être poursuivis postérieurement à la LPM, ainsi que l’a suggéré le représentant GICAT à votre rapporteur.

L’économie de guerre requiert en outre de la part des industriels de prendre davantage de prise de risques. Votre rapporteur estime que la LPM offre une visibilité extraordinaire sur sept ans aux industriels de la défense, y compris dans le domaine terrestre : aucun autre secteur industriel ne peut se targuer d’une telle visibilité sur les commandes publiques. Les commandes prévisionnelles de l’État prévues dans le cadre du programme d’équipements de la LPM 2024-2030 constituent ainsi un socle fort pour permettre à la BITD de prendre des risques en termes d’innovation et de conquête de nouveaux marchés civils ou export.

● Enfin, le volet normatif de la LPM inclut plusieurs dispositifs de nature à fluidifier l’approvisionnement des forces armées, dans une logique d’« économie de guerre » :

L’article 14 ouvre la possibilité d’affecter des réservistes opérationnels au sein d’entreprises de défense. La constitution de « réserves industrielles » permettra à la BITD de disposer d’un vivier de mains-d’œuvre utile pour monter en puissance rapidement en cas de besoin.

L’article 23 modernise le régime des réquisitions, qui est mal adapté aux besoins actuels. Le nouveau régime proposé apporte davantage de souplesse, en distinguant, d’une part, les réquisitions visant à faire aux menaces, actuelles ou prévisibles, pesant sur la vie de la Nation, et, d’autre part, les réquisitions pour faire face aux situations d’urgence mettant en cause la sauvegarde des intérêts de la défense nationale. Concrètement, ce nouveau dispositif offre donc la possibilité de réquisitionner les biens et les personnes en cas de menace prévisible ou d’urgence, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Cela permettra de mieux anticiper les situations de crise.

L’article 24 confère à l’autorité administrative la possibilité d’ordonner aux industriels de la défense :

≥ la constitution de stocks matières premières ou de composants d’intérêt stratégique, ce qui permettra d’augmenter la réactivité de la BITD, c’est-à-dire sa capacité à produire et livrer rapidement des équipements, en cas de nécessité.

L’exécution en priorité des commandes de l’État eu égard à celles des autres clients de l’entreprise, afin de s’assurer que nos forces armées disposent des équipements dans les meilleurs délais en cas de besoin.

D.   Les soutiens et lES InfrastructureS

Le rapport annexé au présent projet de LPM 2024-2030 prévoit 18 milliards d’euros de crédits de paiement au profit des soutiens des forces (contre 14 milliards d’euros lors de la programmation 2019-2025) et 16 milliards d’euros au profit des infrastructures (contre 12 milliards sur la programmation 2019-2025).

Au moment où le rapporteur achève la rédaction de son rapport, la répartition des 18 milliards d’euros de besoins programmés entre le SCA, le SSA, les bases de défense mais aussi d’autres organismes tels que le SIMu ou le SEO fait encore l’objet d’ajustements.

1.   Le service du commissariat aux armées, garant de la crédibilité opérationnelle des Armées

Au titre des soutiens, votre rapporteur a notamment auditionné le Directeur central du service du commissariat des armées. Le SCA est chargé d’assurer le soutien commun des armées pour leur permettre de se préparer et de participer aux engagements opérationnels. Il opère à ce titre onze fonctions de soutien dans le domaine du multiservices, de l’administration et de la logistique.

Le soutien du commissariat des armées est l’un des marqueurs d’un appareil militaire réputé réactif qui permet à la France d’agir en toute crédibilité en soutenant sur le plan opérationnel 15 000 hommes et 2 bases aériennes projetées. La permanence de soutien assurée par le SCA sur toutes les implantations militaires en France sur le territoire national, et singulièrement dans les territoires d’Outre-mer et à l’étranger participe aux postures opérationnelles des ports militaires, des bases aériennes, des régiments et des états-majors. Elle contribue à la capacité de montée en puissance et de déploiement d’une force avec la réactivité nécessaire (24 – 72H pour les situations d’urgence).

La LPM 2019-2025 a permis de consolider certaines de ses fonctions de soutien en tension, de poursuivre sa modernisation, notamment numérique, et de l’amener au plus près des forces, sur tout le territoire, par exemple dans le cadre du déploiement des espaces ATLAS et de la création de pôles commissariat.

Le budget du SCA dans le cadre du présent projet de LPM 2024-2030, consacré à 90 % au profit du soutien des forces et donc des armées, directions et services (ADS), s’inscrit dans la continuité de la LPM précédente, en intégrant désormais le financement, à « enveloppe constante », du doublement de la réserve, de la montée en puissance du service national universel (SNU) ainsi que des plans ministériels Famille 2 (PF2) et Vie en enceinte militaire (VEM).

Sur le plan capacitaire, l’ambition affichée par le CEMA dans le plan stratégique des armées est de « renforcer les capacités de soutien en cohérence avec l’ambition opérationnelle des armées », pour garantir la crédibilité, la cohérence et l’équilibre du modèle capacitaire.

Dans le cadre de du présent projet de LPM, le SCA a exprimé des besoins, dans les domaines du soutien, de l’infrastructure et du numérique, selon un double axe :

Pilier opérationnel : la réalisation des cibles d’équipements nécessaires au soutien à la préparation et aux engagements des armées dans les trois milieux et la poursuite de sa modernisation, en cohérence avec cette exigence, pour garantir la détention des stocks suffisants pour équiper, durer et régénérer dans toutes les configurations de combat (climat, protection, engagement, alimentation).

Pilier modernisation et soutien quotidien : le renforcement d’un opérateur ministériel moderne délivrant une offre de soutien à niveau et aux standards des armées alliées (OTAN) et du secteur civil dans ses domaines de compétences. Il est à ce titre un des acteurs de référence des Plans famille 2 et vie en enceinte militaire (wi-fi gratuit, prise en charge directe des déménagements et des frais de mission).

a.   La consolidation des soutiens opérationnels

De manière générale, un effort substantiel est consenti dans le cadre du projet de LPM 2024-2030 au profit de l’équipement individuel du combattant, intégrant la poursuite de l’équipement du combattant 2020 ainsi que la distribution du nouveau bariolage multi-environnement (BME).

Le déploiement progressif du treillis F3 avec le BME au profit de l’ensemble des armées débutera en 2025 et devrait être finalisé en 2028. L’extension de ce nouveau bariolage à l’ensemble des autres effets de combat (parkas, chemises gilets pare-balles etc.) sera également assurée au cours de la LPM 24/30.

Un effort de modernisation est également programmé sur la LPM 2024-2030 au profit des zones de stockage des ELOCA (Établissements logistiques du service du commissariat aux armées) et des GS (groupements de soutien) socles ainsi qu’au profit du soutien des plots camp. Il apportera aux armées une plus grande réactivité du soutien lors des engagements opérationnels et des exercices de préparation opérationnelle, dans les domaines de l’habillement, des matériels de vie en campagne et des vivres opérationnels.

Par ailleurs, les cibles du nouveau référentiel opérationnel (NRO) seront en partie atteintes en termes de protection balistique au travers d’un stock prévisionnel en 2030 de 140 000 chasubles et 97 000 jeux de plaques. L’entretien de ces équipements individuels de protection balistique sera amélioré, notamment grâce à une capacité de MCO projetable sur les théâtres d’engagement opérationnel à compter de 2027.

Quant à l’environnement grand froid résultant du nouveau pivot géographique vers l’Est, l’équipement en effets spécifiques destinés à une force de 12 000 hommes sera acquis au cours de la LPM 2024-2030.

Dans le domaine NRBC, les équipements en protection individuelle atteindront un stock de 150 000 tenues pour le combat terrestre à compter de 2027.

En matière d’équipements collectifs, les ressources attribuées dans le présent projet de 2024-2030 dans le domaine « équipements du commissariat – matériel vie en campagne » et « vivres opérationnels » devraient permettre, d’une part, d’atteindre une capacité de soutien de 25 000 hommes et, d’autre part, de moderniser des plateformes du module 150 ([39]) avec du matériel de nouvelle génération, plus mobile, moins énergivore et plus adapté aux combats de demain.

Le budget attribué aux vivres opérationnels devrait permettre d’assurer les objectifs de la programmation tout en prenant en compte la forte augmentation des ingrédients et matières premières composant les rations.

Les ressources allouées maintiendront la production de rations de combat au-dessus de 2 millions d’unités par an et un stock de sécurité supérieur à 1 million de rations.

En matière de capacité de production, le SCA disposera d’un outil industriel permettant de produire, à compter de 2024, jusqu’à 1,6 million de rations en 6 mois.

b.   La consolidation des soutiens du quotidien

Dans son rôle de mise en œuvre des plans ministériels d’amélioration de la vie quotidienne, le SCA aura pour objectif de :

– Poursuivre la modernisation des systèmes d’information du soutien commissariat et les mettre à portée des soutenus ;

Accentuer l’effort d’amélioration de la qualité de vie dans les emprises du ministère pour davantage de cohésion et, in fine, contribuer à la fidélisation des personnels militaires et civils dans trois domaines : restauration, vie quotidienne, transport.

Dans le domaine de la restauration, il s’agit notamment de mettre à niveau les infrastructures des 230 restaurants en régie du ministère ainsi que les matériels de restauration collective qui permettent d’assurer la production et de déployer le nouveau SI métier SERES ;

Le SCA confirmera également son rôle d’opérateur proactif des plans Vie en enceinte militaire (VEM) et du Plan Famille II avec des bouquets de service comme la mobilité douce, les offres de restauration alternative, l’accompagnement des mutations des militaires en famille, plan Mut’actions, et la poursuite de la rénovation de l’hébergement en enceinte militaire ;

Dans le domaine du transport, le SCA devra garantir la maintenance d’un parc de 14 000 véhicules, conformément au nouveau moratoire fixé en 2022, tout en poursuivant le verdissement de la flotte dans la limite de la ressource budgétaire qui pourra y être consacrée.

Le Directeur central du service a signifié à votre rapporteur que le principal défi RH pour le SCA au cours de la prochaine programmation consisterait à maintenir une trajectoire en cohérence avec l’augmentation des soutenus envisagée.

S’agissant du personnel civil, l’enjeu porte sur le maintien des compétences, en prenant en compte des volumes de départs à la retraite importants pour le personnel civil (environ 500 personnes par an jusqu’en 2025), même si les résultats du service sont satisfaisants en termes de recrutement. Concernant la population militaire, alors que près de 900 postes ne sont actuellement pas honorés par les gestionnaires d’armées, le SCA est confronté à une insuffisance de la ressource en termes de niveau fonctionnel, ce qui crée des distorsions d’emploi dans ses organismes. Le SCA évalue son besoin en termes de postes supplémentaires à +319 ETP afin de consolider les métiers du soutien commissariat. Les domaines concernés sont la restauration-hébergement (64 %), les transports (9 %), la logistique (8 %), le renforcement du soutien des écoles (7 %), l’administration de proximité (ATLAS, 5 %), le soutien aux missions interministérielles et interarmées (4 %), ainsi que l’augmentation du soutien à l’armée de l’air (3 %).

2.   Le renouvellement, la modernisation et l’adaptation des infrastructures opérationnelles des armées

L’attention principale en matière d’infrastructure dans le présent projet de LPM est consacrée au renouvellement, à la modernisation et à l’adaptation des infrastructures opérationnelles des différentes armées.

Auditionnée par votre rapporteur, la directrice de la DTIE a indiqué que près de 3 milliards d’euros seraient consacrés aux infrastructures des PEM dans le cadre de la prochaine programmation. En effet, des programmes tels que Barracuda, Scorpion ou Rafale présentent des enjeux importants en termes d’infrastructures qui sont pris en compte dans le programme 146. Ces 3 milliards d’euros fléchés vers les infrastructures opérationnelles des PEM ne sont pas compris dans le « patch » infrastructures d’un montant de 16 milliards d’euros figurant dans le rapport annexé.

Des opérations d’infrastructure conditionnant l’arrivée de capacités nouvelles, mais non financées par les programmes à effet majeur, sont par ailleurs programmées sur le P178. À cet égard, les services du ministère ont cité comme exemples les reconstructions de quai à Toulon pour l’accueil des frégates de défense et d’intervention (FDI) et des bâtiments ravitailleurs de force (BRF), l’adaptation de l'épi des avisos pour l'accueil des bâtiments de guerre des mines (BGDM) et des patrouilleurs hauturiers (PH), l’adaptation des aires aéronautiques et la mise aux normes du balisage pour l’accueil des rafales à Orange, le centre de commandement de l’espace, la remise aux normes de la 13e BSMAT (VIPEROPS), ou encore les bâtiments relatifs à la capacité CYBER à Rennes.

Les décalages de livraison d’équipements, tout en conservant les cibles à terminaison, se font avec l’objectif de renforcer la cohérence de capacités complètes et de mieux prendre en compte les rythmes industriels. Ainsi, les infrastructures liées aux programmes d’armement seront mieux cadencées avec l’arrivée des nouveaux matériels (les Griffons avec leurs hangars, les drones avec leurs « tarmacs », les patrouilleurs avec leurs quais).

Les efforts relatifs aux infrastructures opérationnelles accompagnent la transformation des armées en prenant en compte leurs contraintes opérationnelles, notamment celles de l’armée de Terre avec la problématique des espaces d’entraînement de niveau II et III et le projet APOGEE. Il tient compte également des priorités de la LPM avec un effort particulier sur les Outre-mer, qui bénéficieront de 800 millions d’euros pour leurs infrastructures de défense (hors PEM), ainsi qu’en faveur des bases militaires à l’étranger (en particulier aux EAU et à Djibouti) et des services de renseignement (nouveaux sièges de la DGSE et de la DRSD).

L’ambition OME 2030 se traduit concrètement pour les DROM-COM par le renouvellement des capacités dont disposent déjà les forces, par un effort sur la maintenance des infrastructures opérationnelles et des infrastructures de vie, et enfin par le renforcement de capacités ciblées et de renfort (en provenance d’Hexagone, d’autres forces prépositionnées ou de pays alliés).

Compte tenu de leur position et des enjeux, ce sont prioritairement les forces positionnées dans la zone stratégique de l’Indopacifique qui profiteront de ce renforcement avant un renforcement des autres territoires ultra-marins.

Afin de résorber la « dette grise » du ministère, la nouvelle ambition « infrastructures » prévoit un effort particulier sur l’entretien courant et la remise à niveau des infrastructures opérationnelles et du quotidien pour améliorer les conditions d’exercice du métier en emprise militaire. Ainsi, l’effort sur la maintenance courante sur la période 24-30 contribuera à la pérennité des investissements consentis, avec l’atteinte d’un budget d’entretien de 500 M€ par an. Les arbitrages nécessaires à la répartition de ces budgets d’entretien seront rendus par le Centre interarmées de coordination du soutien (CICOS) qui pilote les 55 bases de défense déployées en France et à l’étranger.

Dans le cadre de son audition par votre rapporteur, le major général de l’armée de l’Air et de l’Espace a insisté sur un point de vigilance majeur concernant la rénovation des infrastructures opérationnelles au cours de la prochaine programmation. Le général a souligné à ce titre l’explosion des coûts liés aux travaux de rénovation des aires aéronautiques (de 10 millions d’euros en moyenne il y a quinze ans à 50 voire 100 millions d’euros aujourd’hui). Le général a par exemple fait observer que le coût de la rénovation des pistes de la base d’Orange, dans le contexte de l’arrivée prochaine de deux escadrons Rafale, s’élève à 60 millions d’euros. La rénovation des pistes de la base de Solenzara en Corse a quant à elle été chiffrée à 100 millions d’euros, de sorte que le projet a été décalé de 6 ans.

3.   Un service de santé modernisé et agile

Auditionné par votre rapporteur, le directeur central du service de santé des armées a rappelé que le SSA avait été associé de manière précoce aux travaux de la LPM. Les enjeux étaient nombreux pour le service :

– limiter l’hémorragie des personnels du SSA consécutive aux années post-RGPP ;

– s’inscrire dans le rééquilibrage global des soutiens et décliner l’ambition stratégique 2030 du service ;

– s’inscrire dans le contexte national et géopolitique actuel : crise du monde de la santé post-pandémique, retour de la haute intensité, retour d’expérience de l’opération Barkhane ;

– anticiper « l’hôpital militaire de demain » et son inscription dans un territoire de santé.

La composante hospitalière militaire est en effet engagée dans une évolution qui vise à mieux la préparer à affronter les crises sanitaires (notamment pour l’afflux saturant de malades), à renforcer le service rendu aux armées et par extension aux territoires de santé, et à améliorer la prise en charge des blessés physiques et psychiques de guerre (accompagnement de la reconstruction, amélioration du parcours de soins des blessés).

À cette fin, la composante hospitalière amorce une nouvelle trajectoire qui va s’inscrire dans une temporalité longue, au-delà de la prochaine LPM. Afin de maintenir le vivier de personnels projetables et l’offre de soins dans le territoire national, elle va se réarticuler pour répondre aux besoins militaires tout en conciliant ceux des territoires de santé :

– les HIA Percy (92), Bégin (94), Sainte Anne (83), et Laveran (13) concentrent les pôles d’excellence du SSA (traumatologie lourde, pathologies infectieuses, prise en compte du risque NRBC, médecine physique et réadaptation et psychiatrie en phase aiguë). Le SSA entend renforcer leurs responsabilités au sein de leurs territoires de santé respectifs, en lien avec les acteurs de la santé publique, pour consolider leur contribution au contrat opérationnel ;

– les HIA Clermont-Tonnerre (29) et Legouest (57) répondent à des missions militaires spécifiques, respectivement le soutien à la dissuasion, et la médecine d’expertise au profit des unités du Grand-Est. Ils s’inscrivent dans l’offre de soins de leurs territoires de santé ;

– les HIA Desgenettes (69) et Robert-Piqué (33), sans remise en cause de l’offre de soins locale, se développent en centres spécialisés dans la réhabilitation physique et psychique des militaires blessés. Ils ont également vocation à construire et coordonner un parcours de soins inter établissements porté par un projet médical partagé avec la médecine des forces et les hôpitaux civils de proximité.

Le terme « hôpital de campagne » renvoie à des structures disposant de capacités de réanimation, de chirurgie orthopédique et viscérale, de diagnostic type laboratoire-imagerie et enfin d’hospitalisation. Ces structures sont généralement appelées « rôle 2 » ou groupe médico-chirurgical (GMC) mais lorsque leur taille dépasse les 50/80 lits et que les spécialités chirurgicales de neurochirurgie, d’ophtalmologie ou maxillo-faciale sont implémentées, elles peuvent prendre le vocable de « rôle 3 » ou hôpital médico-chirurgical (HMC).

Sur ce segment, le SSA a planifié principalement pour l’échelon national d’urgence (ENU) l’acquisition de 2 GMC (classe 20 lits ou soutien de 5 000 hommes). La montée en puissance d’une de ces structures vers une classe au minimum de 30-50 lits, adaptée au soutien d’une force divisionnaire de 15 000 hommes est prévue d’ici 2030. La définition des modalités d’acquisition est en cours.

À côté de ces structures plutôt classiques, le développement et l’acquisition de nouvelles capacités médico-chirurgicales de l’avant de taille plus réduite mais très mobiles (sur roues) sont également programmés. Il s’agit de rendre plus mobiles et plus légères les structures médicales (postes médicaux déployés à l’extrême avant au plus près des zones de combat), et les structures projetables dédiées au traitement médico-chirurgical primaire par les premières équipes chirurgicales (antennes de réanimations et de chirurgie de sauvetage).

Ainsi, le SSA disposera de capacités médico-chirurgicales permettant de soutenir 2 brigades interarmes et aura restauré sa capacité d’hôpital de campagne au niveau divisionnaire.

Le SSA devra s’adapter aux transformations capacitaires des armées. Le renforcement capacitaire du service de santé des armées se traduira notamment par l’acquisition de capacités permettant de soutenir la manœuvre Scorpion, la modernisation et l’extension des équipements de rôles 2, l’acquisition de caissons hyperbare et hypobare, la modernisation d’établissements de ravitaillement sanitaire (renforcement des capacités de production et de stockage).

Pour le SSA, deux sujets d’intérêt ont été identifiés suite au déclenchement du conflit ukrainien : les délais d’évacuation médicale et le besoin en produits sanguins.

En prévision de la haute intensité, le système de santé civil doit être en mesure d’accueillir une partie des blessés militaires (notamment en cas d’afflux massif). Les hôpitaux militaires devront nouer des partenariats avec les structures civiles, selon des plans de régulation et d’évacuation définis en amont. La déclinaison territoriale du protocole pluriannuel « Défense-santé-budget » signé en 2022 doit être coordonnée avec la Direction générale de l’offre de soins et les agences régionales de santé. Tout en servant les intérêts des armées, il faudra veiller à ne pas déstabiliser le système civil de santé et garantir la continuité des soins civils. À cette fin, des accords devront être noués entre les hôpitaux militaires et les hôpitaux civils afin de planifier la prise en charge et le suivi des blessés militaires. Les hôpitaux civils partenaires des hôpitaux militaires ne seront pas forcément les hôpitaux de proximité afin de ne pas saturer les hôpitaux civils en fonction des tensions locales.

Concernant les ressources humaines, le service compte aujourd’hui 14 800 personnels dont environ 10 000 personnels soignants gérés et payés par le service et environ 4 800 personnels qui concourent au bon fonctionnement du service mais ne sont pas gérés ni rémunérés par le SSA.

Si le directeur central du SSA a indiqué à votre rapporteur ne pas avoir encore de visibilité d’ensemble sur le « patch » budgétaire affecté au SSA et sa ventilation, il a souligné le caractère fondamental du nouveau modèle RH pour garantir l’attractivité des postes et la fidélisation des personnels.

Interrogé sur les perspectives de montée en puissances des réservistes opérationnels au sein du service, le Directeur central du SSA a rappelé que la réserve jouait un rôle essentiel au sein du SSA, en relayant l’action du service vis-à-vis des structures extérieures, en renforçant les personnels d’active dans leurs missions et en remplaçant temporairement et pour certaines missions les personnels d’active projetés. Le Directeur central a par ailleurs indiqué que certains réservistes détenteurs de compétences spécifiques (par exemple cyber) pourraient être employés au sein du SSA afin d’appuyer le service, notamment en période de crise.

Il appartiendra au commandement de déterminer le niveau d’aptitude requis en fonction de l’emploi occupé. Le parcours d’aptitude des réservistes devra être revisité. À cet égard, des réflexions ont été engagées afin de positionner la visite d’expertise médicale initiale (VEMI) en fin de processus de recrutement, pour optimiser la réalisation des visites médicales réellement « utiles ». Le SSA ambitionne par ailleurs de créer des antennes régionales d’expertise et de soin (ARES) en complément des antennes d’expertise médicales initiales (AEMI).

Par ailleurs, le Directeur central du SSA s’est dit satisfait des dispositifs prévus dans le cadre de l’article 26 du projet de LPM, dont l’intérêt est notamment d’accroître les capacités de développement de contre-mesures médicales.

Un point de vigilance pour la programmation 2024-2030 demeure l’efficacité des leviers de recrutement, d’attractivité et de fidélisation du service. Au sein des écoles de formation, le flux de recrutement des élèves praticiens du Service a été augmenté. L’augmentation du flux de recrutement des personnels paramédicaux sera mise en place dès 2024. Les premiers effets de ces mesures seront observés à moyen/long terme selon les durées de formation des praticiens et des paramédicaux. Le SSA souhaite également consolider le recrutement ab initio des infirmiers.

Aujourd’hui, votre rapporteur souligne la nécessité de limiter les départs de personnels soignants du SSA vers le secteur privé mais aussi vers la fonction publique hospitalière, en adaptant les niveaux de rémunération des soignants des armées. Une attention est également portée à la redéfinition des parcours professionnels et à la gestion des praticiens et des paramédicaux, permettant une prise progressive de responsabilités.

Pour garantir l’attractivité des postes proposés par le SSA, il importe également que le service soit en mesure d’investir dans du matériel médical de pointe, comme les robots dans certaines spécialités chirurgicales.


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V.   Les mesures relatives au renseignement

Les services de renseignement relevant du ministère des Armées bénéficieront de 5 milliards d’euros de besoins programmés sur la période. Le Président de la République a par ailleurs annoncé le doublement des budgets de la DRM et de la DRSD, dans le cadre d’une hausse de 60 % des crédits accordés aux services de renseignement.

D’après les informations communiquées par le ministère, 1 112 ETP devraient être créés au profit des trois services de renseignement du ministère des Armées au cours de la programmation 2024-2030, ce qui représente 17 % de l’augmentation nette des effectifs du ministère au cours de la programmation (+6 300 ETPT). Lors de la période 2019-2025, +1 500 ETP avaient été inscrits en programmation au profit des trois services de renseignement.

Avant de détailler les principaux enjeux de la programmation pour les trois services de renseignement du ministère, votre rapporteur souligne l’impact positif attendu pour les services des mesures normatives inscrites dans le titre II du projet de loi :

– accès des services de renseignement spécialisés au bulletin n° 2 du casier judiciaire dans le cadre des enquêtes administratives de sécurité (article 19) ;

– nouvelle dérogation au principe du secret de l’enquête et de l’instruction de la procédure en élargissant aux enquêtes ouvertes pour crimes contre l’humanité ou crimes et délits de guerre la possibilité de partage de pièces de procédure entre autorité judiciaire et services de renseignement du premier cercle (article 21) ;

– extension de l’application de l’article 656-1 du code de procédure pénale aux témoignages des anciens agents des services de renseignement du premier et second cercle ainsi qu’aux anciens agents des unités des forces spéciales et unités d’intervention spécialisés dans la lutte contre le renseignement, afin de protéger l’identité réelle de ces anciens agents lorsqu’ils témoignent au cours d'une procédure judiciaire sur des faits dont il aurait eu connaissance lors d'une mission intéressant la défense et la sécurité nationale (article 22).

A.   La Direction du renseignement militaire (DRM)

Dans le cadre de la posture de réactivité et de la posture permanente de protection élargie mentionnée au 2.1 du rapport annexé, la posture permanente de renseignement stratégique (PPRS) relève de la DRM et de la fonction interarmées du renseignement (FIR). La FIR est constituée de l’ensemble des unités de renseignement des armées.

Ainsi, la mission de la DRM est de fournir de manière permanente le renseignement de niveau stratégique et, au niveau tactique, d’intégrer le renseignement issu des différents milieux (terre, air, mer, espace, cyber, etc.) au profit du CEMA et des forces armées en opération. L’analyse fournie par la DRM s’inscrit utilement dans le tempo de la veille-anticipation, d’une mission opérationnelle ou dans le temps politique de l’aide à la décision.

Afin de garantir la réactivité de la FIR en cas de crise ou lors des opérations, la DRM dispose d’une structure permanente insérée au centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), qui veille 24h sur 24, 7 jours sur 7, pour synthétiser immédiatement le renseignement issu des capteurs de la DRM ou de la FIR sur un théâtre de veille ou sur un théâtre d’opérations. La DRM va ensuite élaborer, en lien avec la FIR, une analyse en s’appuyant sur ses plateaux.

Auditionnée par votre rapporteur, la DRM se félicite de la hausse de près de 60 % des budgets des services de renseignement du ministère de la Défense dans le cadre de ce projet de loi de programmation militaire, alors que les menaces se multiplient et se complexifient. Le budget opérationnel de la DRM sur l’ensemble de la programmation ne devrait représenter qu’une part modeste des 5 milliards d’euros de besoins programmés en faveur du renseignement, proche des 500 millions d’euros. Pour mémoire, les crédits alloués à la DRM en 2023 étaient de 55 millions d’euros.

Le point d’effort majeur de la DRM au cours de la prochaine programmation portera sur la recherche de cohérence dans le renseignement d’intérêt militaire (RIM). Cet effort de cohérence doit premièrement porter sur la cohérence entre les outils de captation et d’exploitation du RIM. D’après le général de corps d’armée Jacques Langlade de Montgros, Directeur du renseignement militaire, il existe une tendance naturelle à orienter prioritairement les efforts sur les capteurs. Ce faisant, l’écart entre le volume des données recueillies et leur exploitation s’accroît, au risque d’amplifier « la connaissance de notre ignorance ». En conséquence, le programme de capitalisation des données « Artémis » va optimiser les capacités d’exploitation des données recueillies par la DRM. Le programme ARTEMIS.IA (Architecture de Traitement et d’Exploitation Massive de l’Information multi-Sources et d’Intelligence Artificielle) vise à doter le ministère des Armées d’une solution souveraine et sécurisée de traitement massif de données et d’intelligence artificielle.

Le doublement de son budget opérationnel de programme permettra à la DRM de codévelopper des outils d’exploitation qui seront autant de briques intégrées dans son outil global Artemis. Ces développements s’accompagneront nécessairement d’un important volet ressources humaines. En effet, afin de faire fonctionner ces nouveaux outils, de nouveaux métiers sont nécessaires : data scientist, gestionnaire du « besoin d’en connaitre » Artemis, nouveaux métiers liés aux nouvelles menaces (linguistes), etc.

L’effort de cohérence doit en second lieu s’articuler entre le niveau stratégique et tactique, soit entre la direction du renseignement militaire et la fonction interarmées du renseignement (FIR).

Enfin, l’effort de cohérence doit être recherché entre les capteurs relevant des quatre grandes familles de renseignements : imagerie, électromagnétique, cyber et humain. Il est important que chacune de ces quatre familles de renseignement dispose de capteurs, au niveau stratégique comme tactique, l’idéal étant de recueillir du renseignement multicouches, issu de l’ensemble des familles de renseignement, tant au niveau stratégique que tactique, afin d’en accroître la fiabilité.

La composante « image » du renseignement est aujourd’hui composée de deux satellites patrimoniaux stratégiques. Un troisième satellite sera lancé prochainement. À la fin de la LPM 2024-2029, le programme de satellites IRIS succédera à l’actuel programme MUSIS. Les satellites IRIS et MUSIS seront financés sur le patch espace. Dans le domaine du renseignement image, la France bénéficie ainsi d’une réelle expertise.

L’imagerie tactique se compose de capteurs intégrés sous les avions de type ALSR ou drones. Le programme ALSR est maintenu, avec une adaptation de cibles à 3 ALSR. Les armées devront combiner l’emploi des ALSR patrimoniaux et des ALSR loués. Le recours à des appareils loués est vecteur d’agilité concernant l’évolutivité des capteurs, tandis que le recours à des ALSR patrimoniaux permet plus de souplesse et de discrétion sur les déploiements. La DRM a précisé à votre rapporteur que les ALSR et les drones offraient des capacités mixtes d’imagerie et de renseignement d’origine électromagnétique.

En outre, la LPM 2024-2030 permettra une poursuite des efforts de livraison de drones (Patroller, Reaper, et demain EUROMALE). Les drones tactiques Patroller devraient entrer en service cette année. Leur nombre augmentera jusqu’en 2030. Les Patroller ont des capacités imagerie, électromagnétique et armement. La DRM a précisé à votre rapporteur qu’il existait un équilibre à trouver entre la masse de capteurs et la qualité du renseignement recueilli. Il existe également tout un segment qui peut continuer à être exploré grâce à de petits drones à faible coût donnant une réelle agilité capacitaire. L’objectif de la LPM 2024-2030 est d’atteindre une cible de 3 000 drones tous segments compris en fin de programmation. La plupart de ces drones sont achetés par les armées tandis que la DRM les oriente au niveau stratégique en veillant à la cohérence d’ensemble des priorités de recherche.

La DRM a précisé à votre rapporteur que le programme de bâtiments légers de surveillance et de reconnaissance (BLSR) serait reporté ultérieurement à la LPM 2024-2030. La pérennisation du bâtiment d'expérimentations et de mesures Dupuy-de-Lôme ainsi que la modernisation de ses capacités de renseignement électromagnétique constituent un point d’attention.

Interrogée par votre rapporteur sur le programme Archange, la DRM a précisé qu’un premier avion sera livré en 2028. Un parc de trois ARCHANGE sera atteint à la fin 2030. D’ici à 2028, un contrat Solar passé il y a quelques mois par l’armée de l’Air et de l’Espace permettra à la DRM de bénéficier d’une capacité intermédiaire électromagnétique aéroportée dès 2024.

Interrogée par votre rapporteur sur sa capacité à honorer ses recrutements de militaires, la DRM a souligné que les métiers du renseignement militaire étaient bien plus complexes qu’hier et nécessitaient un temps d’appropriation et de formation initiale aux outils plus long qu’auparavant. La DRM plaide donc pour un allongement des durées d’affectation des militaires au sein de la DRM, et un renforcement des parcours croisés de militaires entre services de renseignement du premier cercle et unités de renseignement des armées et chaîne des opérations. La DRM souhaite conserver un seuil de 70 % de militaires afin de conserver l’ADN d’un service spécialisé dans le renseignement d’intérêt militaire.

Interrogée ensuite sur sa capacité à pourvoir ses postes de personnels civils, la DRM a précisé recruter du personnel civil contractuel ou fonctionnaire sur des postes de soutien général, de techniciens, ou d’analystes. Si la DRM n’éprouve pas de difficultés à recruter des analystes ou des personnels de soutien, les recrutements sont plus difficiles pour les profils spécialisés dans le numérique, les systèmes d’information, l’intelligence artificielle. La DRM a reconnu que la rémunération proposée par la DRM pour ces profils n’était pas assez compétitive au regard de la demande générale et des offres dans le secteur privé.

D’après les informations communiquées par le ministère, la DRM devrait bénéficier d’une cible de recrutement de +335 ETP sur la programmation 2024-2030. Le cadencement des créations d’ETP par année est en cours de finalisation, en lien avec les employeurs concernés et les gestionnaires RH.

B.   La Direction du renseignement de la sÉcuritÉ et de la DÉfense (DRSD)

Les services de la DRSD seront confrontés à plusieurs enjeux prioritaires lors de la programmation 2024-2030, parmi lesquels :

– la construction du nouveau siège de la Direction centrale au Fort de Vanves, dont la livraison est prévue fin 2024 début 2025. La DRSD espère pouvoir y emménager avant l’été 2025 ;

– la finalisation de la nouvelle base de données souveraine SIRCID, un outil « cœur de métier » adapté à la contre-ingérence. La troisième version de la base de données devrait être disponible dès l’été 2024 ;

– la modernisation des procédures d’habilitation et des enquêtes administratives dont le nombre a considérablement augmenté ces dernières années. Ainsi, au premier trimestre 2023, la DRSD a connu une hausse de 23 % du volume d’enquêtes administratives réalisées par rapport au premier trimestre 2022 ;

– dans le domaine de la cyberdéfense, la DRSD mettra en place son CERT[ED] de manière effective en juin 2023. Un CERT ([40]) est constitué d’une équipe de réaction aux incidents informatiques ;

– la transformation des ressources humaines avec les besoins en recrutement dans de nouveaux métiers et leur nécessaire fidélisation. L’accompagnement de la densification des postes par la transformation numérique sera essentiel afin d’être en capacité de faire face à la charge de travail croissante du service. Les difficultés de recrutement des armées rejaillissent sur la DRSD qui a indiqué à votre rapporteur éprouver des difficultés à recruter sur ses postes militaires. Afin de faire face à cette contrainte, la DRSD devra adapter son modèle de recrutement et procéder à davantage de recrutements initiaux de jeunes sous-officiers et officiers ayant vocation à faire carrière à la DRSD, alors que le service recrutait traditionnellement des militaires en seconde partie de carrière. Ces changements de schémas de recrutement impliquent de favoriser la construction de parcours croisés dynamiques entre les armées et les différents services de renseignement du premier cercle. D’après les informations communiquées par le ministère, la DRSD devrait bénéficier d’une cible de recrutement de +49 ETP sur la programmation 2024-2030. Le cadencement des créations d’ETP par année est en cours de finalisation, en lien avec les employeurs concernés et les gestionnaires RH.

– la DRSD devra s’assurer de ne pas manquer le tournant des grands défis technologique à venir, notamment la 5G et les objets connectés ;

– la montée en puissance des activités de contre-ingérence économique du service. Dans ce cadre, la DRSD surveille activement, en lien avec la DGA, les entreprises sensibles et sites OIV/PIV bien identifiés (opérateur d’importance vitale ou point d’importance vitale). Toutefois, il est plus difficile de suivre l’ensemble des petites entreprises dites « pépites » de la BITD, moins bien identifiées, mais pourtant incontournables dans la chaîne d’approvisionnement de l’écosystème de la BITD. Pour ce faire, la DRSD conduit un travail majeur d’identification avec la DGA et les grands « systémiers ». Dans cette perspective, la DRSD a mis sur pied un CERT [ED] » (entreprise de défense) consacré aux petites entreprises qui seraient en dessous des niveaux systémiers. La DRSD a des contacts réguliers avec la DGSI pour mieux identifier également ces entreprises et évaluer l’état des menaces qui pourraient les concerner.

C.   La Direction gÉnÉrale de la sÉcuritÉ extÉrieure (DGSE)

La DGSE a indiqué à votre rapporteur disposer d’une vision globale sur la masse budgétaire qui reviendrait au service dans le cadre du projet de LPM 2024-2030, sans toutefois disposer d’une vision fine des effectifs cibles et de leur ventilation en marches annuelles. Nonobstant, le projet de LPM amplifie la dynamique de croissance favorable au service initiée par la précédente LPM 2019-2025.

La DGSE a indiqué avoir abordé la précédente LPM avec des effectifs proches de 5 700 ETPT et dispose en 2023 de près de 6 200 ETPT (hors service Action). Dans le cadre des ajustements annuels de la programmation militaire(A2PM), la DGSE a bénéficié en 2021 d’un renfort supplémentaire en termes d’effectifs pour les années 2024 et 2025, à hauteur de +360 ETPT, qui se sont ajoutés aux +772 ETPT arrêtés dans le cadre de la LPM 2019-2025. Au titre de la LPM 2019-25, la DGSE devait encore recruter 550 ETPT autorisés en 2024 et 2025. La DGSE a signifié à votre rapporteur la nécessité de poursuivre cette dynamique de recrutement dans le cadre du présent projet de LPM, notamment dans le secteur prioritaire du cyber.

D’après les informations communiquées par le ministère, la DGSE devrait bénéficier d’une cible de recrutement de +728 ETP sur la programmation 2024-2030. Comme pour les autres services de renseignement, le cadencement des créations d’ETP par année pour la DGSE est en cours de finalisation, en lien avec les employeurs concernés et les gestionnaires RH.

La DGSE a rappelé à votre rapporteur qu’elle restait au demeurant un service de renseignement modeste en termes d’effectifs. Toutefois, les moyens consacrés au service garantiront l’autonomie du renseignement français. La croissance des moyens du service est pleinement justifiée par les menaces démultipliées : menaces hybrides, conflit ukrainien, bascule vers l’Indopacifique entraînant la création de nouveaux postes dans ces nouvelles zones de tensions internationales. En parallèle, le service doit conserver une présence forte en Afrique et au Moyen-Orient. En outre, les révolutions technologiques et numériques en cours nécessitent des investissements majeurs.

La DGSE a rappelé la dynamique de croissance des crédits budgétaires dont elle a bénéficié sous la précédente LPM ; les crédits de paiement représentaient moins de 300 millions en 2018 contre plus de 417 millions en 2023, dans le cadre de marches budgétaires de près de 52 millions par an.

La DGSE devrait capter 4,5 milliards des 5 milliards d’euros du patch renseignement annoncés dans le cadre du rapport annexé. Dans le cadre de la LPM 2019-2025, le budget global affecté au service représentait 3,3 milliards d’euros.

Par ailleurs, le service espère bénéficier de crédits en provenance d’autres patchs du projet de LPM, et notamment du patch « cyber » à 4 milliards d’euros : ces ressources permettront au service d’organiser la montée en puissance des capacités offensive de la lutte cyber. La DGSE n’a pas été en mesure de préciser à votre rapporteur le montant des ressources du patch cyber dont elle serait bénéficiaire.

Votre rapporteur juge utile que des ressources provenant du patch « innovation » soient affectées à la DGSE, afin que le service puisse développer des capacités nouvelles dans les domaines de l’intelligence artificielle et du quantique. L’innovation est au cœur de la Direction technique devenue Direction technique et de l’innovation depuis la réorganisation du service en 2022. Dans ce cadre, la DGSE va approfondir ses relations avec l’AID. En effet, si l’innovation est traditionnellement portée par les personnels en interne à la DGSE, le Directeur de la DTI de la DGSE a indiqué souhaiter que l’innovation provienne davantage de l’extérieur (AID, start-ups etc). Un des enjeux pour la DGSE sera de rester « maître » des innovations provenant d’entreprises innovantes.

Votre rapporteur juge par ailleurs pertinent que la DGSE perçoive également des ressources provenant des patchs « espace » et « drones », en parfaite coordination avec les armées.

Concernant le volet recrutement, la DGSE a indiqué à votre rapporteur parvenir à réaliser ses schémas d’emploi. Toutefois, les difficultés de recrutement des armées se répercutent sur son propre recrutement de personnels militaires. Ainsi, la DGSE a indiqué à votre rapporteur éprouver des difficultés à réaliser ses schémas d’emploi sur certains postes de militaires, notamment les profils militaires sur des métiers relevant du numérique et du cyber. Le modèle RH de la DGSE s’appuie en effet sur un mixte entre personnels civils et militaires ; ainsi, les militaires représentent près de 30 % des personnels du service en incluant le service « Action », et près de 21 % des personnels du service hors service « Action ». Ainsi, sur les près de 1 300 militaires du service, l’armée de Terre est le principal pourvoyeur de personnels militaires de la DGSE. La DGSE est très attachée au maintien de ce modèle mixte.

Les enjeux de fidélisation et de rétention de la main-d’œuvre sont forts, la DGSE étant elle aussi confrontée aux tensions actuelles sur le marché du travail. Le service a indiqué avoir connu une vague de départs deux fois plus importante qu’à l’accoutumée en 2021, sous l’effet de la crise de la Covid-19. Ces enjeux sont amplifiés dans les métiers du numérique ; ainsi la DGSE applique désormais le référentiel de l’État pour les rémunérations sur ces métiers, ce qui lui a permis de revaloriser significativement ses contractuels officiant dans ce domaine. Le levier de la rémunération est fondamental pour retenir ces compétences très recherchées sur le marché du travail. Il importe également de favoriser les parcours professionnels dynamiques au sein du service, mais aussi de construire des parcours professionnels croisés entre les services de renseignement du premier cercle. Ainsi, beaucoup de cadres de la DGSE partent à la DGSI et inversement. Les échanges techniques entre la Direction technique de la DGSI et la DTI de la DGSE sont nombreux. De même, il existe de nombreux liens avec les personnels militaires de la DRM ou du Commandement de la Cyberdéfense et de l’ANSSI.

Parce que la DGSE abrite près de 250 métiers différents en son sein, le service déploie une stratégie de recrutement multi-niveaux en ciblant de nombreux réseaux sociaux et professionnels. La DGSE a également considérablement diversifié le nombre d’écoles ciblées et amplifié sa présence sur les salons professionnels. Le service organise aussi des sessions techniques sur le quantique ou le cyber, ou organise des hackathons officiels et officieux. En outre, la DGSE bénéficie incontestablement d’un surcroît d’attractivité depuis la diffusion du « Bureau des légendes ».

La DGSE a par ailleurs souligné l’importance d’accompagner la montée en charge progressive des réservistes dans le domaine du renseignement. Concernant le statut et la déontologie de ses réservistes, la DGSE a indiqué procéder pour chacun des réservistes recrutés à une habilitation spéciale de sécurité relevant d’un régime réglementaire propre au service.

La DGSE a précisé à votre rapporteur que les 4,5 milliards d’euros de budget dont bénéficierait le service incluaient les crédits budgétaires consacrés au projet de nouveau siège au Fort Neuf de Vincennes. Le coût total du projet de déménagement est de 1,348 milliard d’euros, dont 1,1 milliard pour la DGSE. Le service dispose de ce budget de 1,1 milliard pour le marché de construction du nouveau siège. Le calendrier de livraison du nouveau siège, initialement prévu pour 2028, a été décalé de deux ans avec un début des travaux programmés en 2025 et une livraison autour de 2030. En raison de l’inflation, un troisième cycle de consultation a été organisé, dans l’optique de mieux maîtriser les coûts.

Interrogée sur l’avenir des casernes Mortier et Des Tourelles, la DGSE a indiqué vouloir évacuer complètement les deux emprises. Les Armées ont indiqué vouloir héberger sur le site du Fort Neuf de Vincennes les forces Sentinelles pendant les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. Le ministère des Armées n’a actuellement fait part d’aucun projet officiel relatif au site. Le Secrétaire général du ministère des Armées est chargé de la réflexion relative au devenir de ces emprises, en lien avec le préfet de la région Ile-de-France. Le schéma de départ prévoyait cependant que les Armées conservent l’un des deux sites, vraisemblablement celui de la caserne Mortier, l’autre emprise ayant vocation à être cédée. Le déménagement du siège au Fort Neuf de Vincennes correspond à un véritable projet de « transformation métiers ». Votre rapporteur estime que l’ensemble des investissements consentis pour le renseignement sont indispensables et que ce déménagement permettra à la DGSE de se conformer à ce que les autres grands services de renseignement étrangers ont fait il y a 4 ou 5 ans en réaménageant et redimensionnant leurs sièges.


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   Commentaire des ARTICLES

 

TITRE Ier
dispositions relatives aux objectifs de la politique de dÉfense et À la programmation financiÈre

 

1.   Le dispositif proposé

En vertu l’article 34 de la Constitution, « des lois de programmation déterminent les objectifs de l’action de l’État ».

En l’espèce, le titre Ier de la LPM fixe les objectifs de l’action de l’État en matière de politique de défense et la programmation financière associée. Il rassemble par conséquent les dispositions de nature programmatique du projet de loi, par opposition aux « dispositions normatives » du titre II.

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Article 1er
Programmation

Adopté par la Commission avec modifications

1.   Le dispositif proposé

L’article 1er a pour objet d’introduire l’ensemble des dispositions du titre Ier.

L’article rappelle l’objet de toute loi de programmation militaire, à savoir la fixation des « objectifs de la politique de défense et de la programmation financière qui lui est associée » pour une période pluriannuelle, en l’espèce de 2024 à 2030 (soit sept exercices, à l’instar de la LPM 2019-2025).

La formulation de cet article est reprise de l’article 1er de la LPM 2019-2025. Ce dernier contenait cependant une mention, introduite par un amendement d’origine parlementaire, qui n’est pas reprise dans le présent projet de loi. Il s’agit de la précision selon laquelle le titre Ier de la LPM fixe non seulement les « objectifs de la politique de la défense et de la programmation financière », mais également « les conditions de leur contrôle et de leur évaluation par le Parlement ».

2.   La position de la commission

La commission a adopté les amendements identiques de votre rapporteur (DN816) et de M. Jean-Pierre Cubertafon (DN119), qui ont pour objet de souligner que le titre Ier contient non seulement des dispositions relatives à la politique de défense et la programmation financière, mais également des dispositions relatives à leur contrôle et à leur évaluation par le Parlement.

Après l’article 1er, la commission a adopté identique un amendement de votre rapporteur et de M. Jean-Pierre Cubertafon, qui introduit un chapitre Ier, intitulé « Objectifs de la politique de défense et programmation financière ».

La création de ce chapitre permet de distinguer au sein du titre Ier : d’une part, les dispositions relatives aux objectifs de la politique de défense et à la programmation financière, qui feront l’objet du chapitre Ier ; d’autre part, les dispositions relatives au contrôle parlementaire, qui feront l’objet d’un chapitre II.

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Article 2
Approbation du rapport annexé

Adopté par la Commission avec modifications

1. Le dispositif proposé

L’article 2 a pour objet l’approbation du rapport annexé.

Le rapport annexé, qui est présenté plus en détail dans l’introduction générale du présent rapport, fixe tout d’abord les objectifs de la politique de défense. Il identifie à ce titre quatre objectifs structurants pour nos armées : (i) le renforcement de la protection de nos territoires ; (ii) la capacité à faire face à un engagement majeur et un affrontement de haute intensité ; (iii) la maîtrise des nouveaux espaces de conflictualité ; (iv) la solidarité stratégique apportée par la France à ses partenaires.

Il établit également les orientations pour nos armées dans quatre domaines principaux : (i) les contrats opérationnels, en définissant le dispositif de postures et d’engagements et les moyens associés ; (ii) les programmes d’équipement, en déterminant les parcs cibles de nos armées en 2030 et 2035 et les efforts capacitaires prioritaires y afférents, en ce compris les programmes développés en coopération européenne ; (iii) la préparation opérationnelle, en fixant notamment les objectifs des normes d’activité pour chaque armée d’ici 2030 ; (iv) la politique de soutien, en définissant les axes et les besoins programmés en la matière (infrastructures, service de santé, bases de défense, services de soutien commun à travers le SCA…).

Enfin, il rappelle la trajectoire financière de la programmation et précise certaines allocations prévisionnelles des crédits, notamment au titre de l’agrégat « équipement ».

Le projet de loi rappelle également l’objectif de porter l’effort national de défense à hauteur de 2 % du PIB. Cet objectif, conforme à l’engagement en matière d’investissement de défense des membres de l’OTAN, figurait déjà à l’article 2 de la LPM 2019-2025. Il convient de préciser que l’effort national de défense est calculé en intégrant notamment les charges de pensions (9 milliards d’euros en 2024), qui viennent donc s’ajouter aux ressources budgétaires prévues par la LPM.

Enfin, il peut être relevé que la formulation de cet article est reprise de celle retenue dans la LPM 2019-2025.

1.   La position de la commission

Outre un amendement rédactionnel de votre rapporteur (DN818), la commission a adopté un amendement du Gouvernement (DN925), qui fixe l’objectif de porter l’effort national de défense à hauteur de 2 % du PIB entre 2025 et 2027. Cet amendement a pour objet de tirer les conséquences du programme de stabilité 2023-2027 présenté en Conseil des ministres le 26 avril 2023. Celui-ci révise en effet les hypothèses de PIB, pour des raisons techniques, notamment de variation des prévisions des prix à l’importation et à l’exportation. Cette modification est sans incidence véritable sur la réalité de l’effort de défense.

S’agissant du rapport annexé, la commission a adopté :

– au premier alinéa, un amendement rédactionnel de votre rapporteur (DN836).

– à l’alinéa 2 : un amendement rédactionnel de votre rapporteur (DN893) ; un amendement de Mme Laetitia Saint-Paul (DN61), rapporteure pour avis au nom de la commission des affaires étrangères, supprimant la référence au « rigoureux travail d’introspection » dont est issu le projet de LPM ; un amendement de Mme Mélanie Thomin (DN209), prévoyant l’établissement de plans de mobilisation pour la BITD ;

– à l’alinéa 3, deux amendements rédactionnels du rapporteur (DN838 et DN839) ; un amendement de Mme Isabelle Santiago (DN214) demandant à tirer les leçons de vingt ans de « conflits asymétriques » ;

– à l’alinéa 4, trois amendements rédactionnels du rapporteur (DN841, DN842 et DN921) ;

– à l’alinéa 8 : un amendement adopté par la commission des finances (DN42) visant à ouvrir la possibilité d’effectuer des partenariats avec les opérateurs privés et services commerciaux pour les activités de renseignement et de défense de nos intérêts nationaux ; un amendement rédactionnel de votre rapporteur (DN819) ; un amendement du rapporteur (DN889) mettant l’accent sur la protection des Outre-mer ;

– à l’alinéa 9 : quatre amendements de M. Christophe Blanchet appelant, pour le premier (DN594), à accroître la visibilité du lien Nation-Armée rénové sur lequel devront s’appuyer les armées, à travers notamment une participation accrue aux cérémonies patriotiques ; précisant, pour le deuxième (DN583), que les armées participeront pleinement à l’enseignement de la défense, par exemple grâce au témoignage de réservistes ; créant, pour le troisième (DN577), un module de sensibilisation aux enjeux et à l’esprit de défense au sein des formations dispensées aux entreprises par les chambres de commerce et d’industrie et les chambres de métiers et de l’artisanat ; et appelant à assurer un meilleur suivi de la réserve opérationnelle de niveau deux en matière de ressources humaines pour le quatrième (DN584) ; l’amendement de votre rapporteur (DN894) indiquant qu’une attention particulière sera portée au renforcement du lien entre la jeunesse et les armées, qui constitue un enjeu essentiel pour la cohésion nationale ;

– après l’alinéa 9, un amendement de M. Julien Bayou (DN290) qui propose d’intégrer au rapport annexé un alinéa rappelant la nécessité pour le ministère des Armées d’intégrer le changement climatique à ses missions, stratégies et plans opérationnels et tactiques ;

– à l’alinéa 11 : un amendement de Mme Anna Pic (DN233) précisant que l’optimisation des stocks de munitions concernera « y compris les munitions les plus complexes » ; un amendement de M. Vincent Bru (DN656) indiquant qu’une réserve opérationnelle industrielle de l’ordre de 2 000 personnes, placées sous statut militaire, sera créée pour garantir la réactivité de la BITD ;

– à l’alinéa 12 : un amendement de votre rapporteur précisant que la relocalisation des moyens de production et des savoir-faire sur le territoire national constitue un des leviers de l’économie de guerre ; un amendement de M. Aurélien Saintoul (DN435), qui précise qui ajoute les munitions et les éléments manufacturés comme éléments constitutifs de la sécurité des approvisionnements de nos armées ; un amendement identique de M. Christophe Plassard (DN44), rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, et de M. Jean-Charles Larsonneur (DN184) sur la nécessaire mise en place de mesures visant à orienter l’épargne et les investissements privés vers la BITD ; un amendement de M. Vincent Bru (DN659) sur l’équilibre à trouver entre la haute technologie et la masse en matière de munitions ; enfin, un amendement de M. Jean-Louis Thiériot (DN712) sur la mise en place d’une mission de médiation du « crédit Défense » pour lever les difficultés de financement, notamment bancaire, de la BITD.

– à l’alinéa 13 : un amendement rédactionnel de votre rapporteur (DN820) ;

– à l’alinéa 17 : un amendement de M. Vincent Bru (DN171), sur les situations dans lesquelles interviennent les forces spéciales ; un amendement de M. Jean-Charles Larsonneur sur la nécessité de prendre en compte les enjeux opérationnels de la très haute altitude (DN507) ; un amendement de Mme Mélanie Thomin (DN294) visant à préciser que l’organisation des services de renseignement serait perfectionnée.

– à l’alinéa 19 : un amendement de Mme Anne Genetet (DN704) qualifiant la France de puissance « influente » ; un amendement de Mme Natalia Pouzyreff (DN704), indiquant que la France, « pourvoyeuse de sécurité, souhaite des coopérations mutuellement bénéfiques, notamment dans le champ de la souveraineté, au soutien de notre diplomatie de puissance d’équilibres » ; deux amendements de M. Bastien Lachaud (DN496 et DN497) précisant que les partenariats pourront également concerner des pays « d’Amérique latine et du sud et d’Océanie » ainsi que la « sphère de la francophonie ».

– à l’alinéa 20 : deux amendements identiques de Mme Laetitia Saint Paul, au nom de la commission des Affaires étrangères (DN67) et de Mme Anne Genetet (DN689) appelant la France à promouvoir et à solliciter la formation de ses cadres officiers et sous-officiers dans les écoles militaires des pays partenaires ; deux amendements identiques des mêmes auteurs (DN68 et DN692) estimant nécessaire l’effort pour entretenir sur le long terme le lien créé avec les cadres étrangers formés dans les écoles militaires françaises.

– à l’alinéa 28 : deux amendements de Mme Caroline Colombier visant à préciser, d’une part, que les forces armées s’appuieront sur une réserve « opérationnelle » (DN102) et, d’autre part, que la cible en effectifs à horizon 2035 s’élève à 105 000 réservistes opérationnels (DN103) ; un amendement de M. Aurélien Saintoul (DN441) indiquant que l’emploi de cette réserve sera intensifié ; un amendement de M. Christophe Blanchet (DN616) appelant à ce que les réservistes ainsi que les jeunes du SNU occupent une place importante dans les cérémonies mémorielles et contribuent à faire des commémorations nationales un moment fort de la transmission entre les anciens combattants et les combattants d’aujourd’hui ; un amendement de précision du rapporteur (DN843) visant à préciser « et singulièrement dans nos territoires d’Outre-mer » après « territoire national » ; un amendement de M. Vincent Bru (DN175) visant à mentionner la protection des ressortissants français à l’étranger parmi les cas d’engagement des armées, ainsi que deux amendements rédactionnels du rapporteur (DN844 et 846).

– à l’alinéa 29, un amendement de M. Yannick Chenevard (DN572) visant à souligner la nécessité de gagner la bataille de l’« attractivité » ; un second amendement de M. Yannick Chenevard (DN791) visant à préciser que la politique de rémunération bénéficiera à plein d’une « plus forte progressivité des grilles indiciaires des militaires » ; deux amendements (DN847 et DN848) du rapporteur visant à rappeler l’importance des personnels civils de la Défense dans la politique RH du ministère ainsi que dans la déclinaison du plan Famille II ; un sous-amendement DN957 du rapporteur visant à préciser l’amendement DN644 de M. Fabien Lainé visant à préciser que la féminisation des grades militaires devait se faire « dans le respect de la langue française » ; un amendement de la commission des affaires étrangères (DN71) précisant qu’une plus grande diversité serait recherchée dans l’origine des élèves des écoles dépendant du ministère des armées ; un amendement de Mme Isabelle Santiago (DN219) visant à préciser les axes du Plan Famille II ; un amendement de Mme Poueyto (DN648) visant à rappeler que l’accompagnement de la mobilité des militaires concernait également leurs familles ; deux amendements identiques de Mme Laetitia Saint-Paul, au nom de la commission des affaires étrangères (DN70), et de Mme Anne Genetet (DN691) appelant à encourager, valoriser et mieux accompagner la mobilité internationale des militaires, notamment au sein des missions de défense, des états-majors des pays partenaires et des organisations internationales.

– à l’alinéa 32 : un amendement du Gouvernement (DN976), qui précise en notre de bas de page que le tableau des équipements présente les parcs en dotation dans les forces aux différentes dates considérées et non les échéanciers de commandes et de livraisons, contrairement à la LPM 2019-2025.

– à l’alinéa 34 : un amendement de votre rapporteur (DN901) rectifiant une coquille dans le tableau capacitaire du rapport annexé en précisant que la cible relative au système de drones tactiques de l’armée de Terre s’élève à cinq systèmes et vingt-huit vecteurs à horizon 2030 avec un armement des vecteurs ;

– à l’alinéa 35 : deux amendements du rapporteur (DN890 et DN891) précisant respectivement que deux systèmes de drones aériens marine supplémentaires pourront être livrés avant 2030, portant le jalon de 8 à 10 systèmes, et que deux FDA seront rénovées à échéance 2030 ;

– à l’alinéa 39 : un amendement de M. Jean-Louis Thiériot (DN740) sur l’attention à porter aux PME de la BITD en matière d’innovation.

– à l’alinéa 41 : un amendement identique de M. Christophe Plassard (DN50), au nom de la commission des finances, et de M. Jean-Charles Larsonneur (DN190) qui inclut les architectures duales au titre de nos capacités spatiales d’observations ; un amendement de M. Laurent Jacobelli (DN84) qui précise la défense active permettra également de protéger nos moyens en orbite géostationnaire.

– à l’alinéa 43 : un amendement rédactionnel de votre rapporteur (DN821).

– à l’alinéa 45 : un amendement de M. Jean-Louis Thiériot (DN735), qui précise que l’artillerie sol-air devra être développée.

– à l’alinéa 47 : un amendement de Mme Laetitia Saint-Paul, au nom de la commission des Affaires étrangères (DN72) précisant que les territoires d’Outre-mer « sont un impératif pour la nouvelle loi de programmation militaire » ;

– à l’alinéa 49, deux amendements rédactionnels du rapporteur (DN848 et DN849).

– à l’alinéa 53 : un amendement rédactionnel de votre rapporteur (DN822).

– à l’alinéa 55 : un amendement de votre rapporteur (DN902) indiquant que la recherche d’une solution souveraine serait privilégiée pour remplacer le lance-roquettes unitaire de l’armée de Terre, dans les meilleurs délais ; un amendement de M. Frédéric Boccaletti (DN138) sur l’attention à porter aux missiles hypervéloces.

– à l’alinéa 56, un amendement du gouvernement (DN977) précisant que les coopérations européennes se font « dans le respect de la souveraineté française » ;

– après l’alinéa 56, un amendement du rapporteur (DN975) soulignant le rôle de la France, acteur clé de la défense en Europe ;

– à l’alinéa 57 : un amendement de M. Thomas Gassilloud, président de la commission de la Défense nationale et des forces armées (DN814), indiquant que des éventuels projets industriels de relocalisation de munitions de petit calibre seront encouragés et accompagnés, sous réserve de leur compétitivité et que des partenariats avec des pays proches pourront également être envisagés ;

– à l’alinéa 58 : un amendement de Mme Natalia Pouzyreff (DN705) sur la mention des dispositifs d’alerte avancée au titre des projets de coopérations européennes.

– après l’alinéa 59, un amendement de Mme Mélanie Thomin (DN253), appelant à poursuivre le contrôle des investissements étrangers concernant les entreprises dont le savoir-faire, l’activité ou la production sont sensibles pour les armées, y compris les nouvelles entreprises ou celles dont le chiffre d’affaires est faible ;

– à l’alinéa 59 : deux amendements rédactionnels de votre rapporteur (DN824 et 825).

– après l’alinéa 60 : un amendement de M. Christophe Plassard (DN541) indiquant que si les programmes de coopération sont une priorité pour la France, ils ne doivent pas empêcher la conduite d’études pouvant établir les conditions de faisabilité de projets souverainement conduits et financés par la France en dehors de toute coopération ;

– à l’alinéa 64 : un amendement de votre rapporteur (DN903), précisant que la gestion des stocks de munitions continuera à être optimisée afin de favoriser l’utilisation de munitions, y compris complexes, en conditions réelles, au service d’une préparation opérationnelle réaliste et durcie ; un amendement rédactionnel de votre rapporteur (DN823).

– à l’alinéa 71, un amendement de Mme Mélanie Thomin (DN293) visant à préciser qu’à l’horizon 2030, l’effort d’entretien et de remise à niveau des infrastructures opérationnelles et du quotidien visera en particulier à répondre aux besoins de logement tant pour les militaires que leurs familles dans les territoires les plus en tension, ainsi que deux amendements rédactionnels du rapporteur (DN851 et DN852) ;

–après l’alinéa 71, un amendement de M. Jean-Marie Fiévet (DN752) visant à faire de la transition écologique l’un des axes structurants de la politique immobilière du ministère ;

–à l’alinéa 72, deux amendements rédactionnels du rapporteur (DN853 et DN854).

– à l’alinéa 79 : un amendement rédactionnel de votre rapporteur (DN826).

– à l’alinéa 81 : un amendement de Mme Mélanie Thomin (DN212), qui précise que les crédits indiqués dans la LPM ne financent pas l’effort national de soutien à l’Ukraine ; un amendement rédactionnel de Mme Caroline Colombier (DN488).

– à l’alinéa 87 : un amendement de M. Olivier Marleix (DN418), qui rappelle le rôle du Parlement dans la définition des orientations de la défense nationale lors de l’examen de la loi de finances et lors de l’actualisation de la programmation militaire.

– à l’alinéa 88 : un amendement de Mme Caroline Colombier (DN105), qui rappelle le rôle du Parlement dans le contrôle de la mise en œuvre de la LPM lors de l’actualisation prévue à l’article 7.

– après l’alinéa 88 : un amendement de M. Olivier Marleix (DN419), qui prévoit que le Parlement votera l’actualisation de la LPM prévue à l’article 7.

– après l’alinéa 89, un amendement rectifié de M. Aurélien Saintoul (DN501), prévoyant la remise au Parlement d’un rapport sur les évolutions de la menace cyber et la capacité de résilience du ministère des armées dans les deux ans à compter de la promulgation de la présente loi.

En outre, les amendements rédactionnels suivants ont été adoptés : DN871, DN872, DN873, DN874 DN877, DN893, DN895, DN896, DN897, DN898, DN899, DN900, et DN904 du rapporteur.

 

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Article 3
Moyens de la politique de défense

Adopté par la Commission avec modifications

1. Le dispositif proposé

L’article 3 présente la trajectoire financière pluriannuelle de la LPM.

L’alinéa 1 indique le montant des besoins programmés pour la période 2024-2030 : 413,3 milliards. Comme l’a mis en exergue l’introduction générale du présent rapport, ce montant traduit la dynamique très forte des dépenses de défense portées par cette LPM. Celles-ci sont en augmentation de 40 % eu égard aux besoins programmés par la LPM 2019-2025, alors même que cette dernière marquait déjà un effort financier substantiel au regard des programmations antérieures.

Les alinéas 2 et 3 précisent les ressources budgétaires allouées à la mission Défense pour chaque année de la programmation, soit jusqu’en 2030, ce qui confère une visibilité encore accrue eu égard à la dernière programmation, puisque la LPM 2019-2025 ne détaillait les crédits budgétaires que pour les exercices 2019 à 2023.

Entre 2024 et 2030, 400 milliards d’euros de ressources budgétaires seront consacrés aux crédits de paiement de la mission « Défense », c’est-à-dire au budget des armées stricto sensu, hors des crédits affectés aux anciens combattants ou à la gendarmerie nationale. Ces ressources budgétaires sont exprimées hors charges de pensions. La trajectoire définie traduit une augmentation continue des crédits de la mission Défense, avec des marches de 3 milliards d’euros jusqu’en 2027 (3,1 milliards en 2024) puis de 4,3 milliards d’euros en 2028. Les crédits de la mission atteindraient ainsi 68,91 milliards d’euros en 2030, contre 43,9 milliards en 2023 et 35,9 milliards d’euros en 2019.

La trajectoire financière est conforme à ceux inscrits dans le projet de loi de programmation des finances publiques (LPFP) pour 2023 à 2027 à l’article 12 pour les années 2024 et 2025, ainsi que l’a souligné le Haut Conseil des finances publiques dans son avis du 27 mars 2023 sur le projet de LPM.

L’alinéa 4 précise le périmètre de la programmation militaire. Les ressources budgétaires allouées à la mission « Défense », telles que prévues par la LPM, ne serviront pas à financer l’effort national de soutien à l’Ukraine, que celui-ci prenne la forme de la contribution à la facilité européenne pour la paix (FEP), de l’abondement du fonds spécial de soutien de l’Ukraine de 200 millions d’euros ou encore du besoin de recomplètement du parc de nos armées à la suite de prélèvements au bénéfice des forces ukrainiennes. Ces moyens supplémentaires dédiés à l’Ukraine seront déterminés en lois de finances initiales ou rectificatives.

Une telle exclusion de l’effort national de soutien à l’Ukraine des ressources budgétaires allouées à la mission « Défense » par la LPM permet de s’assurer que ce soutien ne se fera pas au détriment de notre outil de défense national. Cela est d’autant plus important que de telles dépenses sont par nature imprévisibles et qu’elles sont conséquentes : la seule contribution française à la FEP est ainsi de deux milliards d’euros à ce stade, selon les informations fournies par le ministère des Armées à votre rapporteur.

L’alinéa 5 porte sur les ressources extrabudgétaires, qui auront vocation à compléter les ressources budgétaires détaillées à l’alinéa 3 au profit de la mission « Défense ». Dans une formulation identique à celle de la LPM 2019-2025, le projet de loi prévoit ainsi des recettes non fiscales issues notamment des produits des cessions immobilières d’une part, ainsi que des redevances domaniales et les loyers provenant des concessions ou autorisations de toute nature consenties sur les biens immobiliers affectés au ministère. Dans la continuité de la précédente LPM, cet alinéa garantit en outre le retour de l’intégralité du produit des cessions immobilières au bénéfice du ministère des Armées.

Le ministre des Armées a en outre précisé lors de son audition devant la commission que des ressources extrabudgétaires proviendront également de la tarification à l’acte du service de santé des armées, des prestations que la DGA facture aux industriels, de la cession de matériels et formation associés dans le cadre de nos programmes de coopération, ou encore « des dividendes de contrats renégociés ». Au total, les ressources extrabudgétaires atteindront 5,9 milliards d’euros sur la période de la programmation.

2.   La position de la commission

Outre un amendement rédactionnel (DN827) au premier alinéa, la commission a adopté un autre amendement de votre rapporteur (DN924) visant à préciser que la trajectoire des ressources budgétaires prévue à l’alinéa 3 constitue un minimum. Cet amendement traduit le principe selon lequel les « marches » budgétaires constituent des « marches planchers » et non des « marches plafonds », ainsi que l’a rappelé à de nombreuses reprises le ministre des Armées.

À l’alinéa 5, a également été adopté un amendement de M. Olivier Marleix (DN421) ayant pour objet de garantir que des ressources budgétaires supplémentaires seront allouées à la mission Défense en loi de finances, en cas d’insuffisance des ressources extrabudgétaires prévues audit alinéa.

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Article 4
Provision au titre des surcoûts OPEX et MISSINT

Adopté par la Commission avec modifications

1.   Le dispositif proposé

Les alinéas 1 et 2 précisent, pour chaque année de la programmation, le montant de la provision au titre des opérations extérieures (OPEX) et des missions intérieures (MISSINT). Il s’agit là encore d’un effort transparence accru eu égard à la LPM 2019-2025 puisque celle-ci ne détaillait un tel montant que pour les années 2019 à 2023.

Le montant de la provision OPEX-MISSINT sera de 800 millions d’euros en 2024 puis de 750 millions d’euros de 2025 à 2030. Il s’agit d’une baisse importante au regard de la LPM 2019-2025, qui avait fixé le montant de celle-ci à hauteur d’1,1 milliard d’euros à compter de 2020 ([41]).

Cette baisse est cependant cohérente avec le désengagement de la mission Barkhane, la réorientation de notre dispositif militaire en Afrique et la réarticulation de l’opération Sentinelle prévue postérieurement aux jeux olympiques de 2024.

Par ailleurs, les engagements assimilables aux OPEX-MISSINT tels que les missions de réassurance sur le flanc Est de l’Europe ne sont pas intégrés cette provision et feront l’objet « d’un traitement spécifique en gestion », selon les indications fournies à votre rapporteur par le ministère des Armées.

L’alinéa 3 reprend la double clause de sauvegarde en vue de préserver les intérêts du ministère des Armées, qui figurait déjà dans la LPM 2019-2015 :

– les surcoûts nets (une fois perçus les remboursements dus par les organisations internationales) font l’objet, « hors circonstances exceptionnelles », d’un financement interministériel ;

– dans l’hypothèse où les surcoûts nets seraient inférieurs aux provisions inscrites en loi de finances initiale, l’excédent constaté sera conservé par le budget des armées.

Enfin, l’alinéa 4 reprend les dispositions prévues dans les deux dernières lois de programmations, afin de garantir que le Parlement sera destinataire chaque année d’un bilan opérationnel et financier des OPEX-MISSINT en cours.

2.   La position de la commission

À l’alinéa 4, outre un amendement rédactionnel (DN828) au premier alinéa, la commission a adopté un autre amendement de votre rapporteur (DN892) qui précise que l’information du Parlement sur les OPEX-MISSINT sera réalisée au plus tard le 30 juin de chaque année.

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Article 5
Carburants opérationnels

Adopté par la Commission sans modification

1.   Le dispositif proposé

L’article 5 permet de garantir au ministère des Armées qu’il bénéficiera de compensations en cas de hausse des prix des carburants opérationnels, à travers des mesures financières de gestion en cas de hausse conjoncturelle, ou des crédits supplémentaires en loi de finances initiale si la hausse est durable.

Cette disposition est nécessaire pour préserver la continuité de la préparation opérationnelle et de l’activité des forces, dont le rehaussement est l’un des objectifs de la LPM 2024-2030.

Selon les informations fournies à votre rapporteur, la LPM 2024-2030 est fondée pour la période 2024-2027sur une hypothèse de cours du baril de Brent conformes à celles du programme de stabilité 2022-2027, à savoir un cours de 85 dollars du baril et d’une parité euros/ dollars de 1,07.

estimation de l’évolution du cours du baril de brent

Source : Ministère des Armées, réponse au questionnaire de votre rapporteur.

La LPM 2019-2025 avait quant à elle été construite sur les hypothèses d’un cours de 60 dollars du baril et d’une parité euros/ dollars de 1,1.

En 2021 et 2022, le programme 178 de la mission « Défense » avait, sur le fondement de cet article, bénéficié d’une ouverture nette de crédits d’un montant respectif de 50 et 150 millions d’euros dans le cadre des lois de finances rectificatives, pour compenser les surcoûts constatés au titre des carburants opérationnels.

La formulation de l’article 5 est par ailleurs identique à celle de la LPM 2019-2025.

2.   La position de la commission

La commission a adopté cet article sans modification.

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Article 6
Effectifs

Adopté par la Commission sans modification

1.   Le dispositif proposé

Les alinéas 1 et 2 déterminent la trajectoire d’augmentation nette des effectifs pour chaque année de la programmation.

La trajectoire fixée pour les années 2024 et 2025 est moins ambitieuse que celle prévue par la LPM 2019-2025, puisqu’il est prévu une augmentation nette de 700 effectifs pour chacune de ces deux années, contre 1 500 dans le cadre de la précédente programmation. Le ministère des Armées a indiqué à votre rapporteur que cette réduction des cibles traduit une « démarche de sincérisation », au regard des difficultés conjoncturelles que connaît le ministère pour atteindre ses cibles d’effectifs, compte tenu de la concurrence exacerbée sur le marché de l’emploi. Ainsi que le salue le Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi, « si [la programmation] continue de prévoir une hausse des effectifs, le rythme de celle-ci est ramené à un niveau plus en rapport avec la capacité de réalisation de cet objectif en comparaison de ce que prévoit l’actuelle loi de programmation militaire pour les années 2023 à 2025 ».

Les cibles d’augmentation nette des effectifs connaissent pour les annuités suivantes une croissance progressive : 800 en 2026, 900 en 2027, 1 000 en 2028 et 2029 et 1 200 en 2030. Sur l’ensemble de la programmation, les augmentations nettes d’effectifs concernent ainsi 6 300 équivalents temps plein (ETP), en vue d’atteindre un total de 275 000 ETP à l’horizon 2030, avec un point de passage à 271 800 en 2027. Selon l’étude d’impact, ces augmentations d’effectifs permettront notamment « de renforcer les domaines du renseignement, de la cyberdéfense et du numérique ».

Le coût de ce schéma d’emploi ambitieux est d’environ 890 millions selon les indications du ministre des Armées, lors de son audition devant la commission. Le ministre a également souligné que « la masse salariale du ministère des Armées s’établit à 97,8 milliards d’euros [sur la période de la programmation], soit une augmentation de 12 % par rapport aux 87,4 milliards de la précédente LPM ».

Les alinéas 3 à 4 précisent le périmètre de la cible d’effectifs prévue aux alinéas précédents : celle-ci n’inclut pas les apprentis civils et militaires, les volontaires du service militaire volontaire et du service national universel, ainsi que les effectifs du service industriel de l’aéronautique.

L’alinéa 5 traduit l’ambition annoncée par le Président de la République de doubler les réserves, en prévoyant un objectif de 105 000 réservistes au plus tard en 2035, en vue d’atteindre le ratio d’un militaire de réserve pour deux militaires d’active.

L’alinéa 6 affirme la poursuite de l’« effort de transformation de la ressource humaine » initié lors de la LPM 2019-2025. L’étude d’impact souligne à ce titre que « des mesures salariales participeront à renforcer la fidélisation, l’expertise et l’adaptabilité des ressources humaines du ministère ». Lors de son audition devant la commission, le ministre des Armées a indiqué qu’« un chantier indiciaire sera prochainement lancé en lien avec le Conseil supérieur de la fonction militaire (CFSM) et la DRH-MD ».

Enfin, l’alinéa 7 prévoit une faculté d’adaptation des cibles d’effectifs et de la politique salariale du ministère, en fonction de la situation du marché du travail. Selon l’étude d’impact, cette rédaction « permet au ministère de bénéficier d’une souplesse accrue en matière d’effectifs par rapport à la précédente LPM (…) la présente loi lui permet de consacrer tout ou partie des crédits laissés disponibles par la non-réalisation des cibles d’effectifs à une augmentation de l’effort d’attractivité des rémunérations ».

Le ministère des Armées a précisé à ce titre à votre rapporteur qu’il « adapte la programmation annuelle de ses effectifs, établie au titre de chaque annuité, aux évolutions de la situation du marché de l’emploi. Il peut modifier ses cibles de recrutement, comme ses objectifs de sorties (définitives ou non) pour s’adapter à la conjoncture macro-économique et à l’environnement social, dans le respect de la trajectoire pluriannuelle fixée en LPM dans son article 6 » ([42]).

2.   La position de la commission

La commission a adopté cet article sans modification.

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Article 7
Actualisation

Adopté par la Commission avec modifications

1.   Le dispositif proposé

L’unique alinéa de l’article 7 prévoit que la programmation fera l'objet d'une actualisation avant la fin de l'année 2027, soit avant la quatrième année de la LPM.

L’objectif d’une telle actualisation, selon l’étude d’impact, sera de proposer « une réorientation de la trajectoire des ressources et des effectifs pour la période 2027-2030 en fonction de l’évolution du contexte géopolitique et militaire ».

La LPM 2019-2025 prévoyait également une telle actualisation. Celle-ci a eu lieu, comme prévu par la LPM, en 2021, soit après deux exercices.

Le projet de loi est en revanche muet sur les modalités d’association du Parlement à cette actualisation. À ce titre, le ministère a précisé à votre rapporteur que « les dispositions insérées dans la précédente LPM avaient d'abord été reprises, mais [que] le Conseil d’État a estimé qu’un tel article consacré au rôle du Parlement et au contrôle parlementaire de l’exécution des lois empiétait sur des dispositions constitutionnelles ou de lois et ordonnances relatives à l’organisation du Parlement et que ces articles n’avaient par conséquent pas leur place dans le projet de loi présenté par le Gouvernement. Soucieux de ne pas empiéter sur les prérogatives du Parlement, il a paru préférable de traiter ce sujet, comme lors de la dernière LPM, dans le cadre du débat parlementaire. En tout état de cause, le fait même que la programmation soit soumise à l’approbation du Parlement suppose implicitement mais nécessairement que toute actualisation associe également le Parlement, que ce soit par la discussion d’un nouveau projet de loi de programmation dédié à la trajectoire budgétaire du ministère des Armées, ou dans le cadre de l’examen d’un projet de loi de programmation des finances publiques ou des projets de loi de finances » ([43]).

2.   La position de la commission

La commission a adopté un amendement de votre rapporteur (DN868) prévoyant que l’actualisation de la programmation militaire se matérialisera par un vote du Parlement.

Deux amendements rédactionnels de votre rapporteur ont également été adoptés (DN829 et DN864).

Après l’article 7, la commission a adopté un amendement identique de votre rapporteur (DN830) et de M. Jean-Pierre Cubertafon (DN131), qui introduit un chapitre II au sein du titre Ier intitulé « Dispositions relatives au contrôle parlementaire de l’exécution de la loi de programmation ».

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Article 8
Rapport sur le bilan de l’exécution de la programmation

Adopté par la Commission avec modifications

1.   Le dispositif proposé

Cet article prévoit la transmission au Parlement chaque année, avant le 30 avril, d’un rapport sur le bilan de l’exécution de la programmation militaire au cours de l’année passée.

Si un tel rapport était déjà prévu à l’article 10 de la LPM 2019-2025, le présent projet de loi diffère de la précédente LPM sur deux points.

D’une part, l’article 8 ne détaille pas le contenu de ce rapport, mais cela est la conséquence d’une demande en ce sens du Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi.

D’autre part, l’article 8 prévoit une communication annuelle dudit rapport, alors que la LPM 2019-2025 avait institué une communication à un rythme semestriel, à savoir avant le 15 avril et avant le 15 septembre. L’étude d’impact précise à ce titre que cette évolution « permet au Parlement de disposer d’une vision annuelle d’ensemble que ne permettait pas une analyse semestrielle ».

2.   La position de la commission

La commission a adopté un amendement de votre rapporteur (DN834) qui détaille le contenu du rapport sur le bilan de l’année écoulée de la programmation militaire. Celui-ci reprend et enrichit les dispositions de l’article 10 de la LPM 2019-2025.

Eu égard à ce que prévoyait l’article 10 de la dernière loi de programmation, l’amendement propose en effet d’ajouter au sein de ce rapport : (i) un bilan quant à l’atteinte des objectifs concernant les effectifs et les réserves ; (ii) un bilan des grandes orientations de la politique industrielle de défense ainsi que des coopérations européennes en la matière ; (iii) un bilan des actions liées à nos partenariats et à nos alliances stratégiques et (iv) un bilan de la politique environnementale du ministère.

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Article 9
Rapport sur les enjeux et l’évolution de la programmation

Adopté par la Commission avec modifications

1.   Le dispositif proposé

L’article 9 fixe l’obligation pour le Gouvernement de présenter, avant le 30 juin de chaque année, au Parlement, les enjeux et les principales évolutions de la programmation budgétaire de la mission « Défense ».

Un tel rapport était déjà prévu à l’article 11 de la LPM 2019-2025. Il reflète la volonté du Gouvernement d’informer le Parlement sur les ajustements annuels de la programmation.

Selon les indications données par le ministère des Armées à votre rapporteur, « le rapport prévu à l’article 9 vise à présenter pour les années à venir les ajustements de la programmation militaire proposés par les services du ministère des Armées et validés par le ministre. Ces ajustements ont vocation à adapter la programmation à l’évolution des menaces, du contexte international et à répondre au besoin actualisé des armées au regard des technologies émergentes ou des capacités industrielles. La première année de cet ajustement se concrétisera à travers le projet de loi de finance (PLF) qui sera présenté l’automne suivant au Parlement ».

2.   La position de la commission

La commission a adopté un amendement identique de M. Larsonneur (DN562) et de Mme Genetet (DN715), qui a pour finalité de davantage associer le Parlement aux ajustements annuels de la programmation militaire. Cet amendement prévoit en effet la présentation par le ministre des Armées du rapport prévu à l’article 9 devant les commissions des deux chambres du Parlement en charge de la défense, cette présentation devant être suivie d’un débat.

Après l’article 9 a été introduit un nouvel article 9 bis du fait de l’adoption d’un amendement identique de votre rapporteur (DN833) et de Mme Anna Pic (DN203).

Cet amendement, qui reprend les dispositions du I. de l’article 9 de la LPM 2019-2025, rappelle les pouvoirs des commissions du Parlement en charge de la défense pour assurer le contrôle de l’exécution de la programmation militaire.

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Article 10
Abrogation du titre Ier de la LPM 2019-2025

Adopté par la Commission sans modification

1.   Le dispositif proposé

Cet article abroge à compter du 1er janvier 2024 le titre Ier de la LPM 2019-2025. Il s’agit d’une demande du Conseil d’État, dans son avis sur le projet de loi pour garantir que seront seules applicables les dispositions introduites par le projet de loi, à l’exclusion de celles prévues dans la LPM 2019-2025.

2.   La position de la commission

La commission a adopté cet article sans modification.

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TITRE II
Dispositions normatives intÉressant la dÉfense nationale

Chapitre Ier
Renforcement du lien entre la Nation et ses armées et condition militaire

Article 11
Assurer la continuité des missions de l’Ordre de la Libération

Adopté par la Commission sans modification

L’article 11 du projet de loi a pour objet de pérenniser l’existence de l’Ordre de la Libération par la modification de son organisation et par l’extension de ses prérogatives et de ses attributions.

1.   L’état du droit

Créé par l’ordonnance n° 7 du 16 novembre 1940, l’Ordre de la Libération a pour but de « récompenser les personnes ou les collectivités militaires et civiles qui se seront signalées dans l’œuvre de la libération de la France et de son Empire » par l’octroi de la Croix de la Libération, unique insigne de cet ordre.

Le décret du 29 janvier 1941 réglant l’organisation de l’Ordre de la Libération, pris en application de l’ordonnance précitée, a précisé les modalités d’octroi de la Croix de la Libération et institué, au sein de l’Ordre, un « Conseil de l’Ordre de la Libération ».

L’ordonnance n° 45-1779 du 10 août 1945 portant organisation de l’Ordre de la Libération a, quant à elle, octroyé la personnalité morale et une autonomie budgétaire à l’Ordre. Cette ordonnance a été modifiée ultérieurement par le décret n° 2008-459 du 16 mai 2008 relatif au musée de l’Ordre de la Libération, qui a inscrit ledit musée en son sein ([44]).

Enfin, le décret du 23 janvier 1946 mettant fin à l’octroi de la Croix de la Libération indiquait en son article premier qu’« il ne sera plus procédé à l’attribution de la Croix de la Libération à dater du 23 janvier 1946 ». Cette distinction a été octroyée à 1 036 civils et militaires ([45]) jusqu’à cette date.

a.   Les évolutions historiques du statut

Compte tenu de la disparition progressive des Compagnons de la Libération et afin de le pérenniser, plusieurs modifications ont été apportées au régime juridique encadrant l’Ordre de la Libération.

La loi n° 99-418 du 26 mai 1999 ([46]) a créé le Conseil national des communes « Compagnon de la Libération » (CNCCL), entité qui a succédé au Conseil de l’Ordre de la Libération institué en 1941, auquel elle a octroyé le statut d’établissement public national à caractère administratif, sous la tutelle du ministre de la Justice. Cette loi a également intégré les maires en exercice des cinq communes titulaires de la Croix de la Libération dans la liste des membres du conseil d’administration de l’Ordre et confié la direction de l’établissement à un délégué national nommé par le Président de la République.

L’article 10 de la loi n° 99-418 du 26 mai 1999 créant le Conseil national des communes « Compagnon de la Libération » prévoyait, dans sa rédaction initiale, que le passage de la dénomination « Conseil de l’Ordre de la Libération » à la dénomination « Conseil national des communes « Compagnon de la Libération » » ne pouvait s’opérer que lorsque le Conseil de l’Ordre de la Libération ne serait plus en mesure de réunir 15 membres, personnes physiques.

Or, compte tenu de la diminution progressive du nombre des Compagnons de la Libération et de diverses contraintes liées à la gestion de l’Ordre, relatives notamment à la gestion du musée de l’Ordre de la Libération, l’article 4 de la loi n° 2012-339 du 9 mars 2012 modifiant la loi n° 99-418 du 26 mai 1999 créant le Conseil national des communes « Compagnon de la Libération » a modifié l’article 10 de la loi précitée afin de prévoir une entrée en vigueur de la loi de 1999 à une date fixée par décret en Conseil d’État et au plus tard le 16 novembre 2012.

Sur ce fondement, le décret n° 2012-1253 du 14 novembre 2012 relatif au Conseil national des communes « Compagnon de la Libération » a fixé au 16 novembre 2012 la date d’entrée en vigueur de la loi n° 99-418 du 26 mai 1999 créant le Conseil national des communes « Compagnon de la Libération », et donc du changement de dénomination du Conseil de l’Ordre de la Libération.

b.   Des évolutions plus récentes

Deux autres modifications sont intervenues plus récemment par voie législative et réglementaire au niveau de l’organisation de l’Ordre.

En premier lieu, le décret n° 2017-538 du 13 avril 2017 relatif au Conseil national des communes « Compagnon de la Libération » a transféré la tutelle du CNCCL du ministère de la Justice vers le ministère de la Défense.

En second lieu, l’article 48 de la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense a modifié le nom du CNCCL en « Ordre de la Libération (Conseil national des communes « Compagnon de la Libération ») » afin d’inscrire la continuité de l’établissement avec l’Ordre au niveau de sa dénomination. Cet article a également élargi la composition du conseil d’administration de l’établissement.

Évolution de la dÉnomination du Conseil de l’Ordre de la LibÉration de 1941 jusqu’À nos jours

 

Dénomination

Période

Normes

Conseil de l’Ordre de la Libération

1941-2012

Décret du 29 janvier 1941 réglant l’organisation de l’Ordre de la Libération

Conseil national des communes « Compagnon de la Libération » (CNCCL)

2012-2018

Loi n° 99-418 du 26 mai 1999 créant le Conseil national des communes « Compagnon de la Libération »

 

Loi n° 2012-339 du 9 mars 2012 modifiant la loi n° 99-418 du 26 mai 1999 créant le Conseil national des communes « Compagnon de la Libération »

 

Décret n° 2012-1253 du 14 novembre 2012 relatif au Conseil national des communes « Compagnon de la Libération »

Ordre de la Libération (Conseil national des communes « Compagnon de la Libération »)

2018-présent

Loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense

2.   Le dispositif proposé

L’article 11 du projet de loi a pour objet de pérenniser l’existence de l’Ordre de la Libération, compte tenu de la disparition d’Hubert Germain, dernière personne physique titulaire de la Croix de la Libération, en modifiant la loi n° 99-418 du 26 mai 1999 selon six axes :

– le placement symbolique de l’Ordre de la Libération sous la protection du Président de la République ;

– l’octroi au grand chancelier de la Légion d’honneur, représentant du Président de la République, de la responsabilité de veiller au respect des principes fondateurs de l’Ordre ;

– l’affirmation de la tutelle du ministre de la défense sur l’établissement ;

– l’extension des attributions de l’Ordre de la Libération (CNCCL) pour assurer le rayonnement de l’Ordre et l’appui sur l’engagement des médaillés de la Résistance pour le développement de l’esprit de défense ;

– la modification de la composition du conseil d’administration de l’établissement, auquel s’ajoutent le grand chancelier de la Légion d’honneur, en lieu et place du chancelier d’honneur, et le directeur général de l’Office national des combattants et des victimes de guerre (ONaCVG) ;

– et la limitation des catégories de personnes pouvant assister le délégué national dans ses travaux.

a.   Le placement de l’Ordre de la Libération sous la protection du Président de la République

Le de l’article 11 du projet de loi modifie l’article premier de la loi n° 99-418 du 26 mai 1999 pour placer l’Ordre de la Libération sous la protection du Président de la République. Cette protection, d’ordre symbolique, manifeste l’attachement de la Nation aux valeurs portées par l’établissement ainsi que l’attention qui lui est portée par le chef de l’État, selon des modalités identiques à celles accordées aux cinq académies composant l’Institut de France et à l’Académie de marine, qui, elle aussi, est placée sous la tutelle du ministre des Armées.

b.   L’octroi au grand chancelier de la Légion d’honneur de la responsabilité de veiller au respect des principes fondateurs de l’Ordre

Le Président de la République est le grand maître de l’Ordre de la Légion d’honneur, qui est le premier des Ordres nationaux. En sa qualité de représentant du Président de la République, le grand chancelier de la Légion d’honneur aura la responsabilité de veiller au respect des principes fondateurs de l’Ordre, reprenant ainsi le flambeau du dernier Compagnon de la Libération, Hubert Germain. À ce titre, il sera membre du conseil d’administration de l’Ordre en lieu et place des Compagnons de la Libération qui ne sont plus.

Les décrets d’application lui donneront la possibilité de convoquer le conseil d’administration de l’Ordre et prévoiront sa consultation obligatoire sur les questions de principe concernant l’Ordre de la Libération et la médaille de la Résistance. Deuxième ordre national, l’Ordre de la Libération sera ainsi adossé à l’Ordre de la Légion d’honneur.

c.   L’affirmation de la tutelle du ministre de la défense sur l’établissement

Comme indiqué précédemment, le décret n° 2017-538 du 13 avril 2017 relatif au Conseil national des communes « Compagnon de la Libération » a transféré la tutelle du CNCCL du ministère de la Justice vers le ministère de la Défense. Le de l’article 11 du projet de loi inscrit cette tutelle à l’article premier de la loi n° 99-418 du 26 mai 1999.

Concrètement, ce changement de tutelle a eu des conséquences sur les plans juridique, financier et humain.

i. Sur le plan juridique

Sur le plan juridique, le changement de tutelle a permis l’élargissement du conseil d’administration à des représentants de l’État, des représentants des armées d’appartenance des unités combattantes titulaires de la Croix de la Libération, des représentants d’associations mémorielles et de personnes qualifiées. Il a également permis de créer un poste de chancelier d’honneur, le dernier étant Hubert Germain. Enfin, il a permis la création d’un conseil scientifique auprès du musée de l’Ordre.

ii. Sur le plan financier

Sur le plan financier, le changement de tutelle de l’Ordre s’est traduit par le transfert au ministère des Armées du financement de la dotation de service public alloué à l’Ordre depuis le programme 129 « Coordination du travail gouvernemental » vers le programme 169 « Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant, mémoire et liens avec la Nation ».

Aujourd’hui, le budget de l’Ordre de la Libération (CNCCL) se décompose ainsi :

– une subvention pour charges de service public du ministère des Armées, financée par la sous-action 3.37 « Conseil national des communes compagnons de la libération – Subvention » du programme 169 « Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant, mémoire et liens avec la Nation » ;

– et des ressources propres, constituées principalement de dons, de legs et du produit des visites du musée de l’Ordre de la Libération.

En 2022, les recettes totales de l’Ordre de la Libération s’élevaient à environ 2,8 millions d’euros, dont 1,7 million d’euros au titre de la subvention pour charges de service public et 1,1 million d’euros euros au titre de ses ressources propres.

iii. Sur le plan des ressources humaines

Enfin, sur le plan humain, le changement de tutelle s’est traduit par le transfert au ministère des Armées du plafond autorisé des effectifs de l’Ordre. Pour 2023, le plafond autorisé est de 16 équivalents temps plein travaillé.

d.   L’extension des attributions de l’Ordre de la Libération (CNCCL) pour assurer le rayonnement de l’Ordre et l’appui sur l’engagement des médaillés de la Résistance pour le développement de l’esprit de défense

Le de l’article 11 du projet de loi complète la loi n° 99-418 du 26 mai 1999 en étendant les missions de l’Ordre de la Libération aux médaillés de la Résistance. Leur rôle, comme l’était celui des Compagnons de la Libération, est de témoigner de leur engagement auprès des jeunes générations pour le développement de l’esprit de défense de la Nation.

Depuis le 1er janvier 1948, la médaille de la Résistance est décernée exclusivement à titre posthume. On dénombre 64 963 médaillés à ce jour, dont 5 634 femmes (8,7 %) et 59 329 hommes (91,3 %).

Par ailleurs, la médaille de la Résistance a également été décernée à 18 collectivités territoriales (17 communes et une collectivité d’Outre-mer), 15 collectivités civiles (associations, hôpitaux, etc) et 21 unités militaires (régiments, navires, etc).

Un recensement des médaillés de la Résistance vivants est en cours. Le ministère des Armées estime qu’entre 50 et 80 médaillés sont encore en vie. Depuis 2017, la commission de la médaille de la Résistance française a proposé au Président de la République de décerner la médaille de la Résistance française à titre posthume à 28 personnes. À ce jour, une quinzaine de dossiers est en cours d’instruction.

En outre, le de l’article 11 du projet de loi étend l’aide morale et matérielle assurée par l’Ordre aux conjoints survivants et aux enfants des Compagnons de la Libération, aux médaillés de la Résistance française et à leurs conjoints survivants et enfants. La rédaction actuelle du dernier alinéa de l’article 2 de la loi n° 99-418 du 26 mai 1999 exclut les femmes du dispositif en se limitant aux veuves, alors que 6 femmes furent Compagnons de la Libération et 5 634 femmes sont médaillées de la Résistance. La nouvelle rédaction proposée par le de l’article 11 du projet de loi témoigne du rôle joué par ces femmes pour la libération du pays.

Dans le cadre de l’aide morale et matérielle due aux combattants de la Seconde Guerre mondiale et à leur famille, l’Ordre a notamment participé au financement :

– de travaux d’aménagement du logement pour personnes à mobilité réduite ;

– de soins médicaux et paramédicaux ;

– du loyer en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ou en logement locatif ;

– de frais d’obsèques ;

– ou encore de réparation de véhicule.

L’extension de l’aide morale et matérielle à ces catégories de personnes est de nature symbolique et n’engendrera pas de surcoût financier. La mission sociale de l’Ordre fait l’objet d’un budget annuel prévisionnel de 10 000 euros. En 2022, 6 000 euros furent attribués au titre de cette mission à trois enfants de Compagnons de la Libération ou de médaillés de la Résistance.

e.   La modification de la composition du conseil d’administration de l’établissement

Le 3° de l’article 11 du projet de loi modifie la composition du conseil d’administration de l’établissement, auquel s’ajoutent le grand chancelier de la Légion d’honneur, en lieu et place du chancelier d’honneur, et le directeur général de l’ONaCVG.

En sa qualité de protecteur de l’Ordre de la Libération, le Président de la République sera représenté au sein du conseil d’administration de l’établissement par le grand chancelier de la Légion d’honneur.

Par ailleurs, le directeur général de l’ONaCVG siégera au conseil d’administration. Si l’Ordre de la Libération est exclusivement dédié à la mémoire des combattants de la Seconde Guerre mondiale, l’ONaCVG est responsable de l’entretien, de la rénovation et de la valorisation des hauts lieux de la mémoire nationale (y compris, donc, de ceux liés à l’histoire de la Seconde Guerre mondiale) et assure des actions d’information, d’évaluation et de médiation. Pour faire rayonner l’exemple des Compagnons de la Libération et des médaillés de la Résistance, et, ainsi, développer l’esprit de défense, l’Ordre s’appuie notamment sur le maillage territorial de l’ONaCVG, et en particulier sur son réseau des conseils départementaux. Ainsi, la présence du directeur général de l’ONaCVG au conseil d’administration de l’Ordre permettra à ce dernier de bénéficier de son expertise pour la mise en valeur, à l’échelle de chaque territoire, des Compagnons de la Libération et des médaillés de la Résistance.

f.   La limitation des catégories de personnes pouvant assister le délégué national dans ses travaux

Enfin, le 4° de l’article 11 du projet de loi limite les catégories de personnes pouvant assister le délégué national dans ses travaux en supprimant les collaborateurs appartenant à des corps de fonctionnaires de l’État ou des collectivités locales, mis à disposition ou détachés ainsi que d’agents contractuels.

Cette suppression se justifie, d’une part, par le fait que ces dispositions ne relevaient pas du domaine de la loi, et d’autre part, par le fait que lesdites dispositions ne permettaient pas au délégué national de l’Ordre d’être éventuellement assisté par du personnel militaire. Toutefois, à ce jour, il n’est pas prévu d’affecter des personnels militaires à l’Ordre (y compris, donc, auprès du délégué national) en 2023.

3.   La position de la commission

La commission a adopté cet article sans modification.

 

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Article 12
Renforcer le régime d’indemnisation des militaires blessés en service

Adopté par la Commission avec modifications

1. L’état du droit

Aujourd’hui, le régime de réparation des préjudices des militaires blessés en service se caractérise par son éclatement entre plusieurs dispositifs éventuellement complémentaires l’un de l’autre :

– Le militaire blessé en service ou ayant contracté une maladie imputable au service peut bénéficier d’une pension militaire d’invalidité (PMI)[47] ayant pour objet de réparer, de manière forfaitaire, d’une part, les pertes de revenus et l’incidence professionnelle de l’incapacité physique, et d’autre part, le déficit fonctionnel, qui doit être entendu comme l’ensemble des préjudices à caractère personnel liés à la perte de qualité de vie, aux douleurs permanentes et aux troubles ressentis par la victime dans ses conditions d’existence personnelles, familiales et sociales. Le champ des préjudices couverts par la PMI est défini par le juge de manière prétorienne. La PMI peut également être assortie d’une majoration pour tierce personne, qui a pour vocation de réparer les frais d’assistance par tierce personne.

En vertu de l’article L. 121-5 du CPMIVG, le bénéfice de la PMI est ouvert aux militaires dont l’invalidité correspond à des seuils de gravité déterminés : taux d’invalidité de 10 % pour les blessures et de 30 % pour les maladies.

– Outre la réparation forfaitaire au titre de la PMI, le militaire peut également percevoir une indemnisation complémentaire au titre de la réparation des préjudices non couverts par la PMI même en l’absence de faute de l’État, en raison du risque professionnel subi (par ex, préjudice esthétique, préjudice sexuel, préjudice d’agrément etc). Cette disposition a concerné 920 militaires au titre de l’année 2022.

– enfin, le militaire dont le préjudice résulte d’une faute de l’administration dans l’organisation ou le fonctionnement du service peut demander la réparation intégrale de l’ensemble des préjudices subis, y compris l’ensemble des préjudices couverts par la PMI. Toutefois, pour obtenir cette réparation intégrale des préjudices subis, le militaire doit prouver la faute de l’administration.

Or, en l’état actuel du droit, il est très rare pour les militaires d’obtenir la réparation intégrale des préjudices subis dans le cadre des préjudices couverts par la PMI, en raison du mode de calcul du forfait de pension, défavorable aux militaires et notamment aux moins gradés d’entre eux.

En effet, le « forfait de pension » des militaires se distingue de l’allocation temporaire d’invalidité dont bénéficient les civils à plusieurs titres :

Sur le périmètre : en plus de la réparation des pertes de revenus et de l’incidence professionnelle de l’incapacité physique, la PMI répare aussi le déficit fonctionnel (temporaire et permanent) ainsi qu’éventuellement l’assistance par tierce personne. L’ATI perçue par les civils ne répare pas ces deux chefs de préjudices ;

sur la méthode de calcul ; or, le forfait de pensions est calculé proportionnellement à la solde et au grade du militaire. Par conséquent, la réparation au titre du déficit fonctionnel et de l’assistance tierce personne des militaires dans le cadre du forfait de pension s’opère par le versement d’un forfait calculé proportionnellement à la solde du militaire. Inversement, ces deux préjudices, lorsqu’ils concernent des civils, sont indemnisés en fonction du préjudice réellement subi par les fonctionnaires victimes et non proportionnellement au traitement du civil. Or, ce sont sur ces deux préjudices que l’écart entre le forfait de pension perçu par le militaire et la réalité du préjudice subi est le plus important. Cet écart est d’autant plus important pour les militaires les moins gradés.

Interrogé par votre rapporteur, le ministère des Armées a précisé qu’en se limitant aux militaires entrant dans le périmètre des missions couvertes par le I du présent article, le pourcentage des pensionnés pour lesquels la PMI ne couvrait pas intégralement les préjudices qu’elle a vocation de réparer est proche de 25 %.

En conséquence, les militaires qui souhaiteraient obtenir la réparation intégrale des préjudices subis sont contraints de rechercher la faute de l’administration dans l’organisation ou le fonctionnement du service. Ainsi, l’état actuel du droit alimente la judiciarisation des relations entre les armées et les militaires.

Cette judiciarisation résulte du fait que les militaires ne bénéficient pas d’une réparation intégrale des préjudices couverts par la PMI, en raison du mode de calcul du forfait de pension, défavorable aux militaires et notamment aux moins gradés d’entre eux.

Interrogé par votre rapporteur, le ministère des Armées a précisé qu’au titre de l’année 2022, 8 recours indemnitaires ont été introduits visant à réclamer la réparation intégrale des préjudices subis résultant d’une faute de l’administration. Ce faible nombre de recours devant le juge est faible en raison de l’action de la direction des affaires juridiques du ministère des Armées, compétente pour examiner les demandes de réparation complémentaires à la pension, pour prévenir les contentieux et privilégier la voie transactionnelle, en reconnaissant la faute de l’administration quand elle est avérée et en versant le cas échéant des provisions lorsque le préjudice n'est pas consolidé.

2. Le dispositif proposé

Le présent article décline l’un des axes du plan d’action 2022-2025 du ministère des Armées en faveur des militaires blessés et de leurs familles.

Le présent article étend le bénéfice de la réparation intégrale des préjudices subis par les militaires lors des missions opérationnelles. Il convient de noter que le principe de la réparation intégrale des préjudices existe déjà pour :

– les réservistes, ainsi que le prévoit l’article L. 4251-7 du code de la Défense ;

– les appelés accomplissant leurs obligations de service national en application de l’article L. 62 du code du service national.

Le I du présent article insère donc un article L. 4123-2-2 dans le code de la défense. Le nouvel article L. 4123-2-2 garantit la réparation intégrale du dommage subi aux militaires blessés ou ayant contracté une maladie par le fait ou à l’occasion :

– 1° d’une opération de guerre ;

– 2° d’une opération qualifiée d’opération extérieure, dans les conditions prévues à l’article L. 4123-4 ;

– 3° D’une mission mobilisant des capacités militaires, se déroulant sur le territoire national ou hors de celui-ci, visant à la défense de la souveraineté ou des intérêts de la France ou à la préservation de l’intégrité de son territoire, d’une intensité et d’une dangerosité particulières assimilables à celles d’une opération extérieure ;

– 4° D’exercices ou de manœuvres de mise en condition des forces ayant spécifiquement pour objet la préparation au combat.

Ces quatre catégories recouvrent les accidents survenus en opération extérieure ou lors de missions se déroulant sur le territoire national, lors de stages d’aguerrissement ou les entraînements commandos, les crashs d’aéronefs militaires à l’entraînement, ou encore les exercices effectués dans le cadre de l’OTAN, de l’UE ou de l’ONU.

Toutefois, les accidents de service « courants » n’entreront pas dans le périmètre de la réparation intégrale des préjudices prévue par l’article 12. Sont notamment exclus du dispositif les chutes ou accident sur le lieu de service, le maintien en condition physique sans visée opérationnelle, ou les accidents de trajet entre le domicile et le travail.

Cette mesure aura pour principal effet de limiter la judiciarisation des relations entre le militaire blessé et l’institution militaire, puisque le militaire n’aura plus à démontrer la faute de l’État pour obtenir la réparation intégrale des préjudices subis.

En outre, le II du présent article complète l’article L. 133-1 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre qui régit le dispositif de majoration pour tierce personne de la PMI. La majoration pour tierce personne est égale au quart de la PMI. Le II prévoit que la majoration de PMI pour tierce personne est perçue par le pensionné dès lors que « les infirmités pensionnées sont la cause directe et déterminante du besoin d’assistance ». En l’état de la jurisprudence, le dommage devait être la cause « exclusive » du besoin d’assistance. Le II permet donc d’assouplir les conditions d’indemnisation des frais d’assistance pour tierce personne, en facilitant a priori l’accès des pensionnés à la majoration pour tierce personne.

Le III rend applicable l’article 12 aux demandes de réparation de préjudices « n’ayant pas encore donné lieu à une décision passée en force de chose jugée avant la date de publication de la présente loi. »

L’étude d’impact jointe au projet de loi précise par ailleurs que la demande de réparation intégrale des préjudices couverts par la PMI s’effectuera via un formulaire unique de demande de la PMI et de l’indemnisation complémentaire. Le formulaire sera disponible en version papier, disponible au sein de toutes les emprises militaires ou en version dématérialisée via l’application « démarches simplifiées » accessible depuis la « maison numérique des blessés et des familles ».

L’indemnité complémentaire de réparation des préjudices pourra prendre concrètement la forme d’une rente ou d’un capital selon le type de préjudice en cause. Les sommes, en tant qu’elles compensent un préjudice patrimonial (perte de nature économique), entrent dans le champ de l’impôt sur le revenu mais peuvent selon les cas bénéficier d’exonérations fiscales prévues à l'article 81 du code général des impôts, et plus particulièrement son 9° bis concernant les : « Les rentes viagères servies en représentation de dommages-intérêts pour la réparation d'un préjudice corporel ayant entraîné pour la victime une incapacité permanente totale l'obligeant à avoir recours à l'assistance d'une tierce personne pour effectuer les actes ordinaires de la vie ».

Si votre rapporteur salue largement cette avancée, il rappelle cependant que d’après le 13ème rapport du Haut comité à l’évaluation de la condition militaire, « la grande masse » des militaires ou anciens militaires percevant la PMI « relève cependant d’infirmités résultant d’accidents imputables au service survenus sur le territoire national, en dehors de tout contexte opérationnel (plus de 56 % des cas). » Ainsi, la grande majorité des pensionnés au titre de la PMI ne seront pas éligibles à la réparation intégrale des préjudices. En effet, le I du présent article prévoit que seules les activités purement militaires d’une intensité et d’une dangerosité particulières sont concernées par le présent article. D’après les services du ministère, le pourcentage de pensionnés militaires qui seront éligibles à la réparation intégrale des préjudices couverts par la PMI sans avoir à démontrer la faute de l’État sera de l’ordre de 22 %.

3.   La position de la commission

La commission a adopté un amendement du rapporteur (DN855) qui étend aux réservistes ayant contracté une maladie pendant une période d’activité le bénéficie de la réparation intégrale des préjudices visé à l’article L. 4251‑7 du code de la défense.

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Article 13
Protéger davantage les ayants droit des militaires décédés en service en garantissant le versement du reliquat de solde du mois du décès

Adopté par la Commission sans modification

1.   L’état du droit

Dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, l’article L. 90 du code des pensions civiles et militaires de retraite (CPCMR) dispose que « la rémunération est interrompue à compter du jour de la cessation d'activité ». Ainsi, si un militaire décède en service, ses droits à rémunération s’interrompent le jour de son décès.

Or, une exception à ce principe a été récemment établie au profit des agents publics. Entré en vigueur le 1er mars 2022, l’article L. 711-4 du code général de la fonction publique (CGFP) a ainsi institué le principe de la rémunération continuée des agents publics en cas de décès en service. L’article L. 711-4 du CGFP dispose ainsi que « les agents publics décédés en service ouvrent droit, au profit de leurs ayants cause, au paiement du reliquat de la rémunération du mois en cours (…) ». Cet article ne s’applique pas aux militaires.

Or, l’article L. 4123-1 du code de la Défense accorde aux militaires la garantie statutaire fondamentale que toute mesure de portée générale affectant la rémunération des fonctionnaires civils de l'État doit être, sous réserve des mesures d'adaptation nécessaires, appliquée aux militaires.

Ainsi, le présent article a pour objet de transposer la disposition créée par l’article L. 711-4 du CGFP dans la partie législative du code de la défense afin de rétablir une égalité de traitement devant la loi entre les ayants droit des agents publics décédés en service et les ayants droit des militaires décédés en service.

L’article 13 introduit donc une dérogation au principe général de la cessation de la rémunération au jour de la cessation d’activité des militaires posé par l’article L. 90 du CPCMR.

2.   Le dispositif proposé

Le présent article complète l’article L. 4123-1 du code de la défense par un unique alinéa disposant expressément qu’« en cas de décès du militaire en service, sa rémunération est versée pour l’intégralité du mois concerné. »

Actuellement, en raison de l’impossibilité matérielle de prendre en compte un décès intervenu lorsque la liquidation voire le paiement de la solde ont déjà été effectués, l’administration doit recouvrer les trop versés auprès des ayants droit endeuillés. Cet article mettra fin à cette situation.

Le reliquat de solde du mois de décès entrera directement dans la succession du militaire blessé. Les ayants droit du militaire décédé en service en seront donc automatiquement bénéficiaires.

3.   La position de la commission

La commission a adopté cet article sans modification.

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Article 14
Renforcer l’attractivité, la flexibilité d’emploi et l’efficacité de la réserve opérationnelle

Adopté par la Commission avec modifications

L’article 14 du projet de loi modifie le code de la défense ainsi que le code du travail en plusieurs endroits afin de renforcer l’attractivité, la flexibilité d’emploi et l’efficacité de la réserve opérationnelle.

Au regard de la diversité des mesures envisagées par le texte, il est proposé, pour des questions de lisibilité et de clarté du propos, de les exposer par nature plutôt que de retenir une présentation faisant apparaître d’abord l’état du droit puis les dispositions du projet de loi.

1.   L’accroissement de la disponibilité et de l’employabilité de la réserve opérationnelle

a.   La facilitation des modalités de convocation de la réserve opérationnelle de premier niveau par l’autorité militaire en temps ordinaires

L’article 14 entend dispenser l’autorité militaire d’obtenir l’accord de l’employeur du volontaire de la réserve opérationnelle avant de le convoquer pour une durée inférieure à dix jours par année civile, contre cinq à huit jours actuellement, et précise les conditions de rappel des réservistes ayant souscrit un engagement à servir dans la réserve comprenant une clause de réactivité.

● En l’état actuel du droit, aux termes de l’article L.3142-89 du code du travail, « tout salarié ayant souscrit un engagement à servir dans la réserve opérationnelle bénéficie d'une autorisation d'absence de huit jours par année civile au titre de ses activités dans la réserve. » Pour les entreprises de moins de deux cent cinquante salariés, l’employeur peut néanmoins décider de limiter la durée de cette autorisation à cinq jours.

En application de l’article L.4221-4 du code de la défense, le réserviste doit, en outre, prévenir l’employeur de son absence un mois au moins avec le début de celle-ci, quelle que soit la durée de son absence. L’article L.3142-90 du code du travail précise les conditions dans lesquelles le réserviste présente sa demande à son employeur – par écrit, en indiquant la date et la durée de l’absence envisagée.

De plus, en vertu du deuxième alinéa de l’article L.4221-4 du code de la défense, lorsque les activités accomplies pendant le temps de travail dépassent cinq jours par année civile, le réserviste doit obtenir l'accord de son employeur. Si l'employeur oppose un refus, cette décision doit être motivée et notifiée à l'intéressé ainsi qu'à l'autorité militaire dans les quinze jours qui suivent la réception de la demande. Le deuxième alinéa exempte néanmoins le réserviste suivant une formation concourant au développement de ses compétences au titre de l’article L. 6313-1 du code du travail (actions de formation, bilans de compétences, validation des acquis de l’expérience, apprentissage) de solliciter l’accord préalable de l’employeur.

Le préavis d’un mois peut néanmoins être ramené à quinze jours lorsque le réserviste a souscrit, avec l’accord de l’employeur, un contrat d’engagement à servir dans la réserve (ESR) comportant une clause de réactivité (article L. 4221-1 du code de la défense). L’article L.4221-4 du code de la défense prévoit à son troisième alinéa, les circonstances dans lesquelles l’autorité militaire peut rappeler les réservistes ayant souscrit une telle clause de réactivité. Ainsi, « sur demande de l'autorité militaire, lorsque les ressources militaires disponibles apparaissent insuffisantes pour répondre à des circonstances ou à des nécessités ponctuelles, imprévues et urgentes, le ministre de la défense ou le ministre de l'intérieur pour les réservistes de la gendarmerie nationale peut, par arrêté pris dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État, faire appel, sous un préavis de quinze jours, aux réservistes qui ont souscrit un contrat comportant la clause de réactivité prévue à l'article L. 4221-1. Ce délai peut être réduit avec l'accord de l'employeur. » L’article L.3142-90 du code du travail reprend les mêmes éléments.

Enfin, il est rappelé au dernier alinéa de l’article L.4221-4 du code de la défense que le régime applicable aux autorisations d’absence peut être amélioré en accord avec l’employeur. « Des mesures tendant à faciliter, au-delà des obligations prévues par le présent livre, l'engagement, l'activité et la réactivité dans la réserve peuvent résulter du contrat de travail, de clauses particulières de l'engagement à servir dans la réserve opérationnelle ayant reçu l'accord de l'employeur, des conventions ou accords collectifs de travail, ou des conventions conclues entre l'employeur et le ministre de la défense. »

Or, il apparaît que la durée effective d’activité réalisée par les réservistes est en moyenne bien plus élevée que le nombre de jours d’absence autorisé. Elle s’élève à 35,5 jours en 2022 en moyenne. La majorité des volontaires est donc contrainte de poser des jours de congé pour effectuer leur engagement, ce qui peut nuire à la disponibilité effective des réservistes et à l’objectif recherché de montée en puissance de la réserve opérationnelle pleinement intégrée à l’active.

● En conséquence, l’article 14 entend modifier l’article L.4221-4 du code de la défense, ainsi que les articles L.3142-89 et L.3142-90 du code du travail relatifs au régime des congés liés à la réserve opérationnelle, pour les mettre en cohérence avec les modifications apportées au code de la défense. Les objectifs recherchés sont l’accroissement de la disponibilité des réservistes et la simplification de la procédure de convocation pour les périodes de réserve.

Les dispositions du projet de loi prévoient ainsi de relever à dix jours ouvrés, le nombre de jours de convocation pouvant être réalisé pendant le temps de travail d’un volontaire de la réserve opérationnelle, hors période de crise, sans accord préalable de son employeur et, ce, quel que soit le nombre d’employés de l’entreprise. Aussi, à des fins de simplification, l’article 14 supprime-t-il les dispositions particulières spécifiques aux entreprises de moins de 250 salariés inscrites à l’article L.3142-89 du code du travail. La nouvelle rédaction est également porteuse d’une harmonisation entre les différentes réserves puisque l’étude d’impact précise que la durée de dix jours est déjà celle applicable pour la convocation de la réserve opérationnelle de la police nationale depuis le 24 janvier 2022 (article L.411-13 du code de la sécurité intérieure, tel que modifié par la loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure). La durée du préavis pour prévenir l’employeur de son absence est maintenue à au moins un mois. Dans sa nouvelle rédaction l’article L.3142-90 du code du travail facilite l’obtention de l’accord de l’employeur en précisant qu’« à défaut de réponse de l’employeur dans ce délai, son accord est réputé acquis ».

Par ailleurs, l’article 14 précise les circonstances dans lesquelles le délai de préavis peut être réduit d’un mois à quinze jours pour les réservistes ayant souscrit avec l’accord de l’employeur la clause de réactivité. Le 13° de l’article 14 simplifie la qualification des circonstances dans lesquelles l’autorité militaire peut rappeler les réservistes volontaires ayant souscrit un engagement à servir dans la réserve comportant une clause de réactivité, en proposant de supprimer la condition d’urgence inscrite au troisième alinéa de l’article L.4221-4 du code de la défense. L’étude d’impact justifie cette nouvelle rédaction par la nécessité d’éviter « toute redondance et garantir une gradation » avec les autres hypothèses de rappel des réservistes « en cas d’urgence » (article L.4231-5 du code de la défense nouvellement créé par l’article 14), ainsi que de « recentrer l’application des clauses de réactivité aux hypothèses où il apparaît nécessaire de conférer aux armées un renfort ponctuel. » Elle permet également de lever le paradoxe résultant des dispositions en vigueur qui exigent « le respect d’un préavis de quinze jours en dépit de l’urgence requise par la situation. »

Enfin, par symétrie avec la possibilité ouverte pour le ministre de la défense de conclure avec l’employeur des conventions plus favorables tendant à faciliter l’activité et la réactivité dans la réserve, l’article 14 ouvre cette possibilité au ministre de l’intérieur pour les réservistes de la gendarmerie nationale.

Dans son avis rendu sur le projet de loi, le Conseil d’État estime « que ces modifications sont justifiées et proportionnées au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi, qui est d’accroître la contribution opérationnelle de la réserve aux missions des forces armées ».

b.   L’élargissement des possibilités d’affectation des réservistes opérationnels hors des armées

L’article 14 poursuit l’objectif d’accroître les hypothèses d’emploi des volontaires de la réserve militaire opérationnelle en élargissant les possibilités d’affectation des réservistes dans des emplois non permanents ne relevant pas des ministres de la défense ou de l’intérieur. L’étude d’impact précise que la mesure vise à accroître l’attractivité de la réserve opérationnelle et sa complémentarité avec l’armée d’active, en autorisant l’affectation des volontaires dans la même gamme d’emplois que celle accessibles aux militaires d’active.

● Les hypothèses d’emploi des volontaires de la réserve militaire opérationnelle sont aujourd’hui définies à l’article L.4221-1 du code de la défense. L’article prévoit que le contrat d'engagement à servir dans la réserve opérationnelle est souscrit pour une durée d’un à cinq ans renouvelable en vue :

1° De recevoir une formation ou de suivre un entraînement ;

2° D'apporter un renfort temporaire aux forces armées et formations rattachées, en particulier pour la protection du territoire national et dans le cadre des opérations conduites en dehors du territoire national ;

3° De dispenser un enseignement de défense ;

4° De participer aux actions civilo-militaires, destinées à faciliter l'interaction des forces opérationnelles avec leur environnement civil ;

5° De servir auprès d'une entreprise dans les conditions prévues aux articles L. 4221-7 à L. 4221-9 ;

6° De contribuer aux actions de la réserve sanitaire définie au I de l'article L. 3132-1 du code de la santé publique dans les conditions prévues au III de cet article.

De plus, le dernier alinéa de l’article L.4221-1 précise les conditions dans lesquelles les missions des réservistes peuvent s’exercer en dehors des armées : « Le volontaire peut, au titre de son engagement à servir dans la réserve opérationnelle, être admis à servir, par arrêté du ministre de la défense ou par arrêté du ministre de l'intérieur pour les réservistes de la gendarmerie nationale, dans l'intérêt de la défense et de la sécurité nationale, pour une durée limitée, auprès d'une administration de l'État, d'un établissement public administratif, d'un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel ou d'une organisation internationale. »

L’article L. 4221-7 du code la défense encadre en outre les conditions dans lesquelles un réserviste peut être amené à servir dans une entreprise. Les réservistes peuvent servir dans le cadre de leur ESR, uniquement « dans l'intérêt de la défense, auprès d'une entreprise qui participe au soutien des forces armées et formations rattachées ou accompagne des opérations d'exportation relevant du domaine de la défense. » Le dernier alinéa dudit article précise que « ces volontaires sont soumis à l'exercice du pouvoir hiérarchique. »

L’article L.4221-8 code de la défense précise les conditions d’application de l’article L.4221-7 en indiquant qu’une convention est conclue entre l'État et l'entreprise concernée.

● L’article 14 propose de modifier les dispositions du 5° et du dernier alinéa de l’article L.4221-1 du code de la défense afin de permettre l’affectation des réservistes volontaires dans une plus large gamme d’emplois non permanents, ne relevant pas des ministres de la défense ou de l’intérieur.

Dans la nouvelle rédaction proposée l’article permettrait d’affecter des réservistes au sein de :

– Toute entreprise mais également tout « organisme de droit privé lorsque l’intérêt de la défense ou de la sécurité nationale le justifie » (5° de l’article L.4221-1 nouvellement complété) ;

– Toute administration – et non plus exclusivement administration d’État, ou établissement public, mais également « organisme public » ou « autorité publique indépendante » (dernier alinéa de l’article L.4221-1) ;

– Toute organisation internationale (inchangé).

Les conditions d’affection en entreprises ou au sein d’un organisme privé demeurent doublement encadrées par la nécessité, d’une part, pour l’affectation, d’être justifiée par l’intérêt de la défense et, d’autre part, par la nécessité de signer une convention avec l’entité concernée.

Dans la nouvelle rédaction proposée, il est renvoyé à un décret en Conseil d’État le soin de préciser les conditions de telles affectations, à l’instar des dispositions applicables aux militaires d’active inscrites aux articles R.4138-30 et suivants du code de la défense. En réponse à votre rapporteur, le ministère des Armées a précisé que la gestion des réservistes concernés par ce dispositif sera la même que celle des militaires d’active. Par conséquent, l’affectation des réservistes opérationnels hors des armées répondra aux mêmes conditions, exigences et formalités que les affectations temporaires hors des armées des militaires d’active. Les entreprises et organismes concernés seront sélectionnés en fonction du besoin à satisfaire et des ressources humaines disponibles.

En guise d’illustration l’étude d’impact indique que des réservistes pourront, par exemple, avoir vocation à servir au sein des établissements publics industriels et commerciaux ou des groupements de coopération sanitaire, comme cela a été le cas au cours de la crise sanitaire.

Enfin, le 14° de l’article 14 abroge l’article L. 4221-7 du code la défense relatif aux conditions de service en entreprise, l’étude d’impact estimant qu’il est dès lors redondant avec la nouvelle rédaction de l’article L.4221-1 du même code. Le 17° modifie l’article L.4221-8 du code de la défense en conséquence.

c.   La refonte des conditions de rappel de la réserve opérationnelle de deuxième niveau en temps ordinaires

● En l’état actuel du droit, les anciens militaires de carrière ou sous contrat et les personnes qui ont accompli un volontariat dans les armées, sont soumis à l’obligation de disponibilité dans la limite de cinq ans « à compter de la fin de leur lien au service », en application du 2° de l’article L.4231-1 du code de la défense. Ils constituent la réserve opérationnelle de deuxième niveau (RO2).

En dehors des cas de la mobilisation générale ou de la mise en garde, les anciens militaires concernés par l’obligation de disponibilité ne peuvent aujourd’hui être convoqués que dans la limite de cinq jours sur les cinq années de leur disponibilité, aux seules fins de contrôler leur aptitude, en application de l’article L.4231-2 du code de la défense. L’article L4231-3 précise que les personnes soumises à l’obligation de disponibilité sont tenues de répondre dans les circonstances prévues à l'article L. 4231-4 (l'appel ou le maintien en activité de tout ou partie des réservistes soumis à l'obligation de disponibilité peut être décidé par décret en conseil des ministres en cas en cas d'application de l'article L. 1111-2) aux ordres d’appel individuels ou collectifs et de rejoindre leur affectation « pour servir au lieu et dans les conditions qui leur sont assignés ».

Au 31 décembre 2022, 60 750 anciens militaires soumis à l’obligation de disponibilité constituaient la RO2, selon les informations fournies par le ministère des Armées en réponse au questionnaire de votre rapporteur. Or, du fait de motifs de rappel restreints au contrôle de l’aptitude en temps ordinaires et de difficultés à recontacter les anciens militaires, en raison de coordonnées parfois incomplètes ou erronées, force est de constater que cette composante de la réserve opérationnelle est aujourd’hui largement inemployée.

● L’article 14 propose dès lors de modifier les articles L. 4231-1 à L.4231-4 du code de la défense dans l’objectif de modifier les conditions de convocation des anciens militaires soumis à l’obligation de disponibilité, constituant la réserve opérationnelle de deuxième niveau, afin de permettre un recours plus effectif et efficace à la RO2.

Dans un premier temps, le 18° de l’article 14 clarifie le champ d’application de l’obligation de disponibilité incombant aux anciens militaires en supprimant les termes « fin du lien au service », actuellement inscrits au 2° de l’article L.4231-1 du code de la défense, au profit de la date de « radiation des cadres ou des contrôles et au plus tard jusqu’à l’âge mentionné à l’article L.4221-2 ». Cette nouvelle rédaction répond à un souci de cohérence avec la rédaction retenue pour d’autres articles du statut général des militaires.

Dans un deuxième temps, le 19° de l’article 14 modifie l’article L.4231-2 du code de la défense afin d’élargir les possibilités de rappel des anciens militaires soumis à l’obligation de disponibilité.

D’une part, la nouvelle rédaction proposée vise à étendre les motifs de convocation par l’autorité militaire à l’évaluation et au maintien des compétences afin de garantir le caractère effectivement opérationnel de la RO2. L’étude d’impact précise, par ailleurs, que la convocation aux fins de vérification de l’aptitude n’étant pas actuellement mise en œuvre, elle n’est pas conservée dans la nouvelle rédaction proposée, sans pour autant faire obstacle à ce qu’une vérification des aptitudes soit organisée dans le cadre du rappel.

D’autre part, elle propose de doubler le nombre de jours de rappel possible sur cinq ans en le portant à une durée maximale de dix jours. À cette fin, la nouvelle rédaction prévue consacre l’obligation qui incombe aux anciens militaires de la RO2 « de faire connaître à l’autorité militaire tout changement de domicile ou de résidence ainsi que de situation professionnelle pendant la période où ils sont soumis à l’obligation de disponibilité ». L’étude d’impact précise que cette dernière disposition est inspirée de l’obligation d’information à laquelle sont assujettis les Français recensés jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans (article L.113-7 du code du service national). En complément de cette obligation, l’utilisation du système d’information « réservistes opérationnels connectés » aura vocation à monter en puissance dans le cadre du plan « réserve 2035 » et verra son utilisation systématisée progressivement, selon les informations fournies en réponse au questionnaire de votre rapporteur. Le doublement de la durée possible de rappel est, en revanche, contrebalancé par l’introduction au dernier alinéa du même article de garanties pour l’employeur à travers l’instauration d’un préavis minimal d’un mois, qu’est tenue de respecter l’autorité militaire et l’obligation faite à l’ancien militaire d’informer l’employeur de la durée de son absence.

Dans un troisième temps, le 20° de l’article 14 modifie l’article L.4231-3 du code de la défense afin d’élargir l’obligation de respect qui incombe aux anciens militaires de la RO2 aux obligations inscrites au nouvel article L. 4231-5, rétabli par l’article 14 du projet de loi (appel des réservistes volontaires ou maintien en activité de ces derniers en cas d’urgence, lorsque la sauvegarde des intérêts de la défense nationale le justifie). Il complète également l’article en ajoutant un nouvel alinéa renvoyant à un décret en Conseil d’État la définition des modalités pratique d’appel ou de maintien en activité des réservistes. L’étude d’impact précise que le non-respect de ces obligations fait l’objet de sanction pénales prévues aux articles L.4271-1 à L.4271-5 du code de la défense (actes d’insoumission, de désertion, d’abandon de poste ou infraction).

Enfin, le 21° modifie l’article L.4231-4 du code de la défense pour tirer les conséquences des modifications précitées et remplacer la référence à l’article L.1111-2 par la référence à l’article L.2141-1 relatif à la mobilisation et à la mise en garde.

L’étude d’impact estime que l’effet de l’augmentation de la durée de rappel sera limité sur les entreprises et sur l’employabilité des anciens militaires puisqu’elle ne concerne qu’un périmètre restreint d’anciens militaires et que les jours de convocation pourront être regroupés, ce qui permettra de réduire leur fréquence. Il est en effet à noter que les anciens militaires soumis à l’obligation de disponibilité ayant souscrit un engagement à servir dans la réserve sont exclus de cette faculté de rappel car il est considéré que leurs connaissances sont mises à niveau au cours de leurs périodes de réserve. Ils représenteraient environ 34 % des volontaires de la réserve opérationnelle en 2021, selon le rapport social unique du ministère des Armées pour 2021, cité dans l’étude d’impact.

d.   La mise en cohérence de l’appel ou du maintien en activité gradué des réservistes opérationnels en fonction du niveau d’urgence ou de menace

L’article 14 entend aménager une meilleure gradation entre les situations d’appel ou de maintien en activité des réservistes militaires, en fonction du niveau d’urgence ou de menace, sans que soit forcément atteint le seuil de mise en garde ou de mobilisation, et en prenant en compte le degré d’engagement et de volontarisme des réservistes.

● En l’état actuel du droit, le rappel des réservistes volontaires n’est possible qu’en cas de « crise majeure menaçant la sécurité nationale » par voie d’arrêté ministériel, sous réserve d’un préavis de quinze jours et de l’obtention de l’accord préalable de l’employeur au-delà de dix jours par an, ou d’un préavis de cinq jours pour les réservistes ayant souscrit une clause de réactivité (article L.4221-4-1 du code de la défense).

Pour l’ensemble des réservistes de la réserve opérationnelle militaire, le rappel est possible en cas d’activation de la réserve de sécurité nationale par décret du Premier ministre en cas de « survenance, sur tout ou partie du territoire national, d'une crise majeure dont l'ampleur met en péril la continuité de l'action de l'État, la sécurité de la population ou la capacité de survie de la Nation » (article L.2171-1 du code de la défense), pour une durée ne pouvant excéder trente jours consécutifs, renouvelable une fois et sous réserve d’un préavis d’un jour franc à compter de la convocation. Le dispositif de réserve de sécurité nationale a pour objectif de renforcer les moyens mis en œuvre par les services de l'État, les collectivités territoriales ou par toute autre personne de droit public ou privé participant à une mission de service public. Pour mémoire, au-delà de la réserve opérationnelle militaire, la réserve de sécurité nationale est composée de la réserve opérationnelle de la police nationale, de la réserve sanitaire, de la réserve civile pénitentiaire et des réserves de sécurité civile.

Dans l’hypothèse d’une mobilisation générale, d’une mise en garde ou d’une menace portant notamment sur une partie du territoire, sur un secteur de la vie nationale ou sur une fraction de la population (article L.1111-2 du code de la défense), le rappel de l’ensemble des réservistes peut être décidé par décret en conseil des ministres, sans préavis ni durée définie (article L.4231-4 du code de la défense).

Aussi, en dehors des hypothèses de recours à la mobilisation ou à la mise en garde déclenchées sur le fondement de l’article L. 1111-2 du code de la défense et celle de la mise en œuvre des contrats d’engagement à servir dans la réserve ou de la vérification d’aptitude médicale des anciens militaires de la réserve opérationnelle de deuxième niveau évoqués précédemment, les cas d’appel ou de maintien en activité des réservistes militaires ne sont pas articulés les uns aux autres, se recoupent partiellement et reposent sur des compétences concurrentes entre différentes autorités, comme le rappelle le Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi. En effet, sont aujourd’hui concomitamment compétents pour recourir à la réserve opérationnelle militaire en cas de crise :

– les ministres des armées et de l’intérieur, par voie d’arrêté, au titre de l’article L. 4221-4-1 du code de la défense ;

– le Premier ministre, par décret, au titre de l’article L. 2171-1 du même code ;

– le Président de la République, par décret en conseil des ministres, au titre de l’article L. 4231-4 de ce code.

Par ailleurs, l’étude d’impact fait valoir que les hypothèses prévues en l’état actuel du droit ne permettent pas de répondre de manière satisfaisante à l’évolution du contexte stratégique, ce qui suppose d’étendre le périmètre potentiel des situations de recours à la réserve opérationnelle militaire.

SchÉma des situations de recours À la rÉserve opÉrationnelle militaire, en l’État du droit

Source : Étude d’impact

● Dès lors, l’article 14 propose d’aligner les circonstances dans lesquelles le rappel de la réserve opérationnelle militaire pourra intervenir sur celles autorisant la mise en œuvre des régimes de réquisition qu’entend créer l’article 23 du présent projet de loi de programmation militaire aux articles L.2212-1 (menace, actuelle ou prévisible sur la vie de la Nation) et L.2212-2 (en cas d’urgence lorsque la sauvegarde des intérêts de la défense nationale le justifie) du code de la défense.

Pour ce faire, l’article 14 du projet de loi entend modifier l’article L.2171-1 du code de la défense, créer deux nouveaux articles L.2171-2-1 et L.4231-6 et rétablir l’article L.4231-5 du même code, précédemment abrogé, dans une nouvelle rédaction.

• En premier lieu, le 1° du I de l’article 14 du projet de loi modifie l’article L.2171-1 du code de la défense portant sur l’activation du dispositif de réserve de sécurité nationale, en s’alignant sur le cadre prévu à l’article L.2212-1 du code de la défense, dans sa rédaction issue de l’article 23 du présent projet de loi, pour la mise en œuvre des réquisitions de personnes et, ce, à double titre.

D’une part, il assouplit ses critères de mise en œuvre afin de mieux les articuler avec les autres hypothèses d’appel ou de maintien à l’activité des militaires, afin de conférer au Gouvernement un panel de réponses gradué, en fonction de la nature et de l’ampleur des situations exceptionnelles susceptibles de survenir. À cette fin, le nouveau périmètre proposé, inspiré de la définition du périmètre de la stratégie de sécurité nationale et de la politique de défense figurant à l’article L. 1111-1 du code de la défense, couvre tout « cas de menace, actuelle ou prévisible, pesant sur les activités essentielles à la vie de la Nation, la protection de la population, l’intégrité du territoire, la permanence des institutions de la République ou de nature à justifier la mise en œuvre des engagements internationaux de l’État en matière de défense ». Lors de son audition devant la commission de la Défense, la directrice des affaires juridiques du ministère des Armées, Mme Laurence Marion, a indiqué que la menace visée n’est en aucun cas « un danger susceptible de survenir dans une projection de moyen terme (en mois par exemple) mais dans une logique court-termiste. » En guise d’illustration elle a donné l’exemple de la propagation de la covid-19 qui aurait pu être appréhendée en prenant au cours du mois de février 2020 des mesures permettant de bloquer des masques, d’organiser des réquisitions en matière de transport ou de services publics. Elle a également fait référence à des mouvements de troupes aux frontières de l’Europe ou de pays appartenant à l’Otan qui seraient suffisants pour commencer à mobiliser ces leviers de réquisition, sans attendre qu’une première agression ait lieu.

D’autre part, les dispositions proposées ont pour vocation de mettre fin à la concurrence des compétences entre autorités qui découle des mécanismes de recours à la réserve opérationnelle militaire en vigueur. À cet égard, il apparaît que les critères susmentionnés de mise en œuvre du dispositif de sécurité nationale relèvent des attributions dévolues au Président de la République en vertu de l’article 5 de la Constitution. Dans ces conditions, l’article 14 propose de transférer au Président de la République la compétence aujourd’hui dévolue au Premier ministre au titre de l’article L. 2171-1 du code de la défense, en cohérence avec le choix retenu à l’article L. 2212-1 du même code.

• Dans un souci de clarification, il sera donc désormais possible :

– en cas d’urgence (article L.4231-5 du nouveau code de la défense, tel qu’issu de la rédaction proposée à l’article 14), lorsque la sauvegarde des intérêts de la défense nationale le justifie, de rappeler par arrêté du ministre de la défense ou du ministre de l’intérieur, les seuls engagés volontaires de la réserve opérationnelle pour une durée limitée à quinze jours ;

– en cas de menace actuelle ou prévisible sur la vie de la Nation, dans les conditions énoncées précédemment (article L.2171-2 du code de la défense), de rappeler par décret du Président de la République portant activation de la réserve de sécurité nationale, l’ensemble des militaires soumis à l’obligation de disponibilité (RO1 et RO2), pour une durée maximale de trente jours consécutifs qui pourra être augmentée en cas de besoin dans des conditions et selon des modalités à définir par décret en Conseil d’État. Le décret du Président de la République pourra néanmoins habiliter le ministre de la défense ou le ministre de l’intérieur, pour les militaires de la gendarmerie nationale, à procéder lui-même à ce rappel, par voie d’arrêté, lorsque le recours à la seule réserve opérationnelle militaire apparaît suffisant pour répondre à la menace, sans que les autres réserves composant la réserve de sécurité nationale ne soient sollicitées, ainsi que le prévoit le nouvel article L.2171-2-1 du code de la défense ;

– en cas de mobilisation générale ou de mise en garde (article L.4231-4 du code de la défense), de rappeler, par décret en conseil des ministres, l’ensemble des militaires soumis à l’obligation de disponibilité, sans préavis ni durée prédéfinie par la loi.

• En dernier lieu, le 23° du présent article créé un nouvel article L.4231-6 au sein du livre II du code de la défense. Cet article reprend les dispositions du dernier alinéa de l’article L.4221-4-1 du code de la défense permettant d’exempter de leurs obligations de rappel les réservistes qui sont employés par des opérateurs d’importance vitale, « en cas de nécessité inhérente à la poursuite de la production de biens ou de services ou à la continuité du service public. »

• Compte tenu de cette nouvelle gradation des hypothèses de recours à la réserve opérationnelle militaire et de la reprise des dispositions du dernier alinéa de l’article L.4221-4-1 du code de la défense par le nouvel article L.4231-6 précité, la conservation des dispositions de l’article L.4221-4-1, abrogé par le présent article, n’apparaît plus nécessaire selon l’étude d’impact. S’il apparaît nécessaire de convoquer le réserviste pour une durée supérieure à la durée d’activité opposable à l’employeur en temps normal (portée à dix jours par le projet de loi), les dispositions du projet de loi permettent de prolonger ce rappel jusqu’à quinze jours en cas d’urgence (article L.4231-5 du même code nouvellement créé par le présent article) ou jusqu’à trente jours renouvelables une fois, en cas de menace actuelle ou prévisible (article L.2171-1 et R.2171-1 du même code).

SchÉma des situations de recours À la rÉserve opÉrationnelle militaire, en l’État du projet de loi

Source : Étude d’impact

2.   L’élargissement du vivier des réservistes opérationnels

a.   Le rehaussement de l’âge maximal de service dans la réserve opérationnelle

● Actuellement, les limites d’âge des réservistes opérationnels sont diverses et dépendent de la catégorie d’appartenance du militaire.

Aux termes de l’article L.4221-2 du code de la défense, les limites d’âge existantes sont celles mentionnées à l'article L. 4139-16, augmentées de cinq ans. Pour les militaires du rang, la limite d'âge est de cinquante ans.

Deux exceptions figurent néanmoins aux troisième et quatrième alinéas du même article. D’une part, s’agissant des réservistes spécialistes, les limites d’âge fixées sont celles des cadres d'active, augmentées de dix ans, sans qu'elles puissent excéder l'âge maximal de soixante-douze ans. D’autre part, les limites d'âge des réservistes relevant des corps des médecins, des pharmaciens, des vétérinaires et des chirurgiens-dentistes sont celles des cadres d'active, augmentées de dix ans.

Enfin, il est précisé au dernier alinéa du même article que « le réserviste doit posséder l'ensemble des aptitudes requises pour servir dans la réserve opérationnelle. »

Les modifications envisagées à l’article 14 visent à relever et à uniformiser l’âge maximal de service dans la réserve opérationnelle afin d’élargir le vivier des potentiels volontaires et de conserver au service plus longtemps des réservistes qui seraient, à défaut, radiés de la réserve opérationnelle. Lors de son audition devant la commission de la Défense, la directrice des affaires juridiques du ministère des Armées, Mme Laurence Marion a précisé que « le ministre a voulu définir un critère simple permettant de faciliter un engagement prolongé lorsqu’il est souhaité de part et d’autre. »

● L’article 14 prévoit de relever significativement l’âge maximal de service de l’ensemble des réservistes opérationnels à soixante-dix ans pour les militaires du rang, sous-officiers et officiers de toutes les forces armées et formations rattachées, y compris la gendarmerie nationale, à l’exception des praticiens militaires du service de santé des armées et des réservistes spécialistes, dont l’âge maximal de service dans la réserve demeure fixé à soixante-douze ans. Il est à noter que le relèvement de l’âge maximal concerne également les anciens militaires soumis à l’obligation de disponibilité.

Selon les données fournies par le ministère des Armées en réponse au questionnaire de votre rapporteur, la réserve opérationnelle de premier niveau (RO1) comptait 37 083 réservistes opérationnels au 31 décembre 2022. L’étude d’impact estime que le rehaussement à soixante-dix ans créera un vivier d’environ 17 millions de personnes s’agissant des militaires du rang, de nature à favoriser la montée en puissance des effectifs.

Dans son avis, le Conseil d’État estime que le relèvement des limites d’âge n’est « qu’en apparence contraire à l’impératif de jeunesse propre à l’état militaire et à l’objectif d’opérationnalité renforcée de la réserve » car ces « limites hautes ne seront mobilisées que pour attirer et fidéliser les spécialistes dont les armées ont un besoin croissant ». En outre, votre rapporteur se réjouit du fait que la décision de maintenir ou non un réserviste en service appartiendra au chef d’unité, le plus à même de connaître les besoins localement.

b.   L’adaptation des critères de capacité physique requis pour intégrer la réserve à l’emploi effectivement occupé par le réserviste

Les citoyens souhaitant s’engager dans la réserve opérationnelle sont aujourd’hui soumis aux mêmes critères d’aptitude physique que les militaires et ce, quel que soit l’emploi occupé.

● Aux termes des articles L.4221-2 « le réserviste doit posséder l’ensemble des aptitudes requises pour servir dans la réserve opérationnelle » et R. 4221-2 du code de la défense « la signature de l’engagement est subordonnée à la reconnaissance préalable de l’ensemble des aptitudes à y occuper un emploi. L’aptitude physique exigée est identique à celle requise pour les militaires professionnels ».

Ces obligations sont parfois de nature à décourager l’engagement dans la réserve opérationnelle. Or, comme l’a affirmé le ministre des Armées, M. Sébastien Lecornu, « contribuer à la défense nationale de son pays doit devenir un droit ».

● L’article 14 propose, dès lors, d’assouplir ces critères et de les adapter aux emplois effectivement occupés par les réservistes opérationnels. L’objectif visé est de favoriser l’engagement dans la réserve opérationnelle et de contribuer à la diversification des profils, dans une logique de « réserve de compétences ». La mesure tire également les conséquences logiques de la modification des limites d’âge de service dans la réserve opérationnelle.

Dans la nouvelle rédaction proposée à l’article 14, l’article L. 4221-2 est recentré sur les dispositions relatives aux limites d’âge maximal de service des réservistes opérationnels. En revanche, l’article L. 4211-2 relatif aux conditions requises pour être admis dans la réserve (nationalité française, âgé de dix-sept ans au moins, en règle au regard des obligations du service national et non condamné à certaines peines) est complété par un 5° requérant de « posséder les aptitudes requises pour l’emploi occupé dans la réserve opérationnelle. » Ce complément permettra aux forces armées et formations rattachées de définir des profils d’aptitude médicale plus souples.

L’étude d’impact précise, en outre, que cet assouplissement concernera tout particulièrement les réservistes spécialistes qui ont la particularité d’être recrutés du fait de compétences particulières, ce qui les rend immédiatement employables. Par ailleurs, les anciens militaires soumis à l’obligation de disponibilité, non titulaires d’un emploi en tant que réservistes, ne nécessitent pas d’évaluation d’aptitude au recrutement mais restent soumis aux règles applicables aux militaires des corps ou statuts auxquels ils sont rattachés.

Aux côtés de l’augmentation des limites d’âge, votre rapporteur se réjouit du fait que l’adaptation des conditions d’aptitude à servir dans la réserve opérationnelle permettra à tous les volontaires qui en sont à présent exclus pour ces motifs de rejoindre la réserve opérationnelle s’ils le souhaitent.

c.   L’élargissement du champ des positions de non-activité ouvrant droit aux militaires d’active qui le souhaitent de servir dans la réserve opérationnelle

● Les situations de non-activité ouvrant la faculté de souscrire un engagement à servir dans la réserve aux militaires d’active sont aujourd’hui strictement limitées.

Pour mémoire, il existe huit cas de position temporaire de non-activité précisés à l’article L. 4138-11, dans lesquels la rémunération, les droits à avancement et à pension peuvent être partiellement réduits voire ne pas être maintenus :

1° congé de longue durée pour maladie ;

2° congé de longue maladie ;

3° congé parental ;

4° situation de retrait d’emploi ;

5° congé pour convenances personnelles ;

6° disponibilité ;

7° congé complémentaire de reconversion

8° congé du personnel navigant

Le 1° et le 2° concernent des militaires malades ou blessés. Le 3° vise le congé parental commun aux trois fonctions publiques. Le retrait d’emploi prévu au 4° est une sanction disciplinaire du troisième groupe (article L. 4137-2 du code de la défense). Les 6°, 7° et 8° sont des dispositifs d’accompagnement au départ. En particulier, la disponibilité au profit des officiers de carrière ayant accompli au moins quinze ans de service est un dispositif d’aide au départ défini par l’article L.4139-9 du code de la défense. Elle est prononcée pour une période d'une durée maximale de cinq années, non renouvelable, pendant laquelle l'officier perçoit, la première année, 50 % de la dernière solde perçue avant la cessation du service, 40 % de cette solde la deuxième année et 30 % les trois années suivantes. Elle ne doit donc pas être confondue avec la disponibilité des fonctionnaires prévue notamment à l’article 51 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État, et dont le pendant chez les militaires est bien le congé pour convenances personnelles. Enfin, le congé pour convenances personnelles prévu au 5°, non rémunéré, peut être accordé aux militaires, sur demande agréée, pour une durée maximale de deux ans renouvelable dans la limite totale de dix ans et dans le cadre d’un contingent annuel. Cette demande ne constitue pas un droit.

La loi de programmation militaire 2019-2025 a instauré, aux termes de l’article L.4138-16 du code de la défense, la possibilité de servir dans la réserve opérationnelle pour les seuls militaires placés en congé pour convenances personnelles pour l’éducation d’un enfant de moins de huit ans. Selon l’étude d’impact, cette évolution répondait à un triple objectif de renforcement de la réserve opérationnelle, de promotion de la mixité, de fidélisation par la préservation des compétences, favorisant l’emploi du militaire au terme du congé, notamment pour les militaires détenteurs de qualifications rares. Le dispositif a ensuite été étendu aux congés pour l’éducation d’enfants de moins de douze ans dans la loi de finances pour 2023.

Selon les informations fournies par le ministère des Armées en réponse au questionnaire de votre rapporteur, malgré l’entrée en vigueur encore récente du dispositif, les premiers résultats sont positifs et confirment l’amélioration apportée à la condition militaire, en favorisant la fidélisation, y compris dans les métiers en tension. Ainsi, à date, quatre-vingt-quatorze engagements pour servir la réserve ont été accordés en cours de congé pour convenance personnelle pris pour l’éducation d’enfant de moins de huit et cinquante-sept de ces congés sont toujours en cours. Sur les trente-sept congés achevés, trente-quatre ont donné lieu à un retour au service, soit un taux de fidélisation de 91 %. Le rendement de ce levier est néanmoins limité compte tenu de sa limitation au seul congé pour convenances personnelles pris pour l’éducation d’un enfant de moins de douze ans.

● Le présent article entend élargir le dispositif ouvert par la loi de programmation militaire 2019-2025 aux autres situations de non-activité non liées à une raison de santé :

– le congé parental (article L.4138-14 du code de la défense) ;

– le congé pour convenances personnelles (article L. 4138-16 du code de la défense) ;

– la disponibilité (article L.4139-9 du code de la défense) ;

Il est précisé dans l’exposé des motifs que le ministère des Armées poursuit un double objectif à travers cette mesure. D’une part, il entend permettre aux militaires concernés de maintenir leurs compétences et le lien au service. D’autre part, il espère que le ministère pourra continuer à bénéficier de leur expertise, toute en facilitant leur retour ultérieur en position d’activité.

S’agissant des militaires placés en situation de congé parental ou en congé pour convenances personnelles, les 3° et 4° du présent article modifient respectivement les articles L. 4138-14 et L.4138-16 du code de la défense afin d’y inscrire la possibilité de souscrire un engagement à servir dans la réserve opérationnelle pour les militaires qui le souhaitent. Le 5° modifie également l’article L.4138-17 du même code qui prévoit actuellement que, lorsque le militaire bénéficie d'un congé pour convenances personnelles pour élever un enfant ou d'un congé parental, il conserve l'intégralité de ses droits à avancement, dans la limite d'une durée de cinq ans pour l'ensemble de sa carrière. Cette période est assimilée à des services effectifs dans le corps. Dans la nouvelle rédaction proposée, l’article L.4138-17 est complété par l’ajout suivant « lorsque ce militaire a souscrit un engagement à servir dans la réserve pendant l’un de ces congés, il recouvre ses droits à avancement dans l’armée d’active, au prorata du nombre de jours d’activité accomplis au titre de ce contrat d’engagement à servir dans la réserve dans des conditions précisées par décret en Conseil d’État. »

S’agissant des officiers placés en situation de disponibilité, le 6° du présent article introduit un nouvel alinéa à la fin de l’article L.4139-9 du code de la défense, précisant notamment que la rémunération prévue dans le cadre de la disponibilité est suspendue lorsque le militaire accomplit des services dans la réserve opérationnelle. Aussi, l’officier placé en disponibilité percevra-t-il uniquement sa rémunération de réserviste. Cette mesure vise à éviter tout effet d’aubaine et garantit le maintien de l’attractivité de l’armée d’active par rapport à la réalisation de périodes de réserves pendant la position de disponibilité. Il s’agit d’un dispositif ciblé. En revanche, les services rendus au titre de ce contrat d’engagement dans la réserve seront pris en compte en totalité pour l’avancement dans l’armée d’active au choix et à l’ancienneté. L’étude d’impact indique que le plafond d’emploi sera fixé à 90 jours et pourra être porté à 150 jours en cas d’emploi en opération extérieure. L’alinéa nouvellement créé renvoie ensuite à un décret en Conseil d’État pour les conditions d’application du dispositif.

Le 8° de l’article 14 inscrit à l’article L. 4211-1-1 du même code les trois seuls cas susmentionnés dans lesquels le militaire d’active peut souscrire un engagement à servir dans la réserve opérationnelle. Le 7° du présent article en tire les conséquences en modifiant le c du 1° du III de l’article L.4211-1 du même code qui liste les différentes composantes de la réserve opérationnelle. Le III du présent article modifie également en cohérence l’article L.12 du code des pensions civiles et militaires de retraite indiquant que les services accomplis dans la réserve opérationnelle durant un congé pour convenances personnelles pour élever un enfant de moins huit ans sont pris en compte pour le calcul de la bonification du cinquième du temps de service accompli, s’ajoutant aux services effectifs, et l’étend aux autres positions de non-activité dorénavant inscrites à l’article L. 4211-1-1 du code de la défense.

Selon les informations fournies à votre rapporteur en réponse à son questionnaire, le vivier potentiel théorique concerné par l’élargissement du dispositif est relativement restreint. Il s’élève à environ neuf cents militaires annuellement : cinq cents, au titre du congé pour convenances personnelles, quatre-vingts militaires en disponibilité et trois cents militaires en congé parental. Le ministère estime que le vivier réalisé devrait s’établir à environ huit cents militaires.

Toutefois, l’extension des situations de non-activité ouvrant droit à un engagement dans la réserve opérationnelle répond à une demande de longue date du conseil supérieur de la fonction militaire et devrait être de nature à permettre une meilleure conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle, sans pour autant constituer une forme de temps partiel, incompatible avec l’obligation de disponibilité « en tout temps et en tout lieu » qui incombe aux militaires (article L.4121-5 du code de la défense). Enfin, le ministère anticipe que cette mesure participera à conforter l’objectif de parité entre les femmes et les hommes dans le déroulement de carrière, dans un contexte de féminisation croissante du ministère.

d.   La valorisation et la fidélisation des réservistes spécialistes à travers l’instauration d’une possibilité d’avancement

● Les réservistes spécialistes constituent une catégorie spécifique de volontaires de la réserve militaire opérationnelle. Ils sont recrutés au titre d’un emploi, requérant des compétences très spécialisées, auquel correspond le grade qui leur est conféré.

Aux termes de l’article L4221-3 du code de la défense « les forces armées et formations rattachées peuvent avoir recours à des spécialistes volontaires pour exercer des fonctions déterminées correspondant à leur qualification professionnelle civile, sans formation militaire spécifique. » Par ailleurs, « le grade attaché à l'exercice de cette fonction de spécialiste dans la réserve opérationnelle est conféré par arrêté du ministre de la défense, ou du ministre de l'intérieur pour les réservistes de la gendarmerie nationale. Il ne donne pas droit à l'exercice du commandement hors du cadre de la fonction exercée. » Si l’article L.4143-1 du code de la défense qui applique les conditions d’avancement de l’article L. 4136-1 n’exclut pas en droit les réservistes spécialistes du bénéfice de l’avancement, l’étude d’impact indique que le réserviste spécialiste ne bénéficie pas dans les faits d’un avancement, sauf à être admis par nouvel engagement à occuper un nouvel emploi.

Selon les réponses apportées par le ministère des Armées au questionnaire de votre rapporteur, la réserve opérationnelle de premier niveau compte actuellement 742 réservistes spécialistes. La quasi-totalité des réservistes spécialistes sert sous le grade d’officier (641 réservistes) ou de sous-officier (100).

● Le projet de loi entend offrir aux réservistes spécialistes des perspectives d’évolution similaires à celles des autres réservistes opérationnels dans un objectif de valorisation et de fidélisation accrue sur le long terme. Dès lors, le 12° de l’article 14 propose de compléter l’article L.4221-3 du code de la défense par un nouvel alinéa ouvrant explicitement aux réservistes spécialistes la faculté d’avancement en précisant que « les réservistes spécialistes peuvent être promus dans un grade supérieur dans des conditions définies par décret en Conseil d’État lorsque leur activité dans la réserve opérationnelle les fait progresser en niveau d’expertise et de responsabilité ».

L’étude d’impact indique enfin que la faculté d’avancement offerte aux réservistes spécialistes permettra également de modérer le grade de recrutement, au lieu d’attribuer le grade supérieur au premier grade de la hiérarchie du corps auquel il est rattaché.

3.   La position de la commission

La commission de la Défense nationale et des forces armées a adopté six amendements modifiant l’article 14.

En premier lieu, l’amendement DN909 de votre rapporteur intègre parmi les informations publiées dans la déclaration de performance extra-financière annuelle des entreprises concernées, des informations relatives aux actions de ces entreprises visant à promouvoir le lien Nation-Armée et à soutenir l’engagement dans les réserves. Cet amendement permet de valoriser les entreprises qui s’engagent en faveur de la promotion du lien Nation-Armée et qui soutiennent l’engagement de leurs salariés dans les réserves.

Par ailleurs, l’amendement DN525 de M. Jean-Charles Larsonneur modifie le code de la défense pour permettre explicitement aux Français résidant à l’étranger de signer un engagement à servir dans la réserve opérationnelle dans leur pays de résidence dans l’objectif de pouvoir participer à des activités opérationnelles directement dans ce même pays, sans se limiter aux opérations. Enfin, la durée maximale de rappel des anciens militaires soumis à une obligation de disponibilité a été portée à cinq jours par an, contre dix jours sur cinq ans dans la rédaction initiale du projet de loi, par l’adoption de l’amendement DN617 de M. Christophe Blanchet.

Trois amendements rédactionnels DN905, DN906 et DN907 du rapporteur ont en outre été adoptés.

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Article 15
Renforcer la capacité des armées de disposer d’une ressource humaine conforme au besoin en effectifs et en qualité et améliorer les conditions de réengagement

Adopté par la Commission avec modifications

1. L’état du droit

a. Le réengagement des anciens militaires de carrière ou ayant servi en vertu d’un contrat

Les articles L.4132-3 et L.4132-4 du code de la défense ne permettent pas en l’état le recrutement d’anciens militaires de carrière dans le cadre des officiers, sous-officiers et officiers mariniers de carrière.

En revanche, l’article L.4132-6 du code de la défense relatif aux modalités de recrutement du militaire servant en vertu d’un contrat permet au militaire servant en vertu d’un contrat d’être admis à en souscrire un nouveau dans la continuité du précédent ou après interruption de ses services. Dans ce cadre, l’ancien militaire ayant servi sous contrat peut être réengagé avec le grade qu’il a acquis ou avec un grade inférieur, sans reprise d’échelon ni d’ancienneté d’échelon.

b. Le maintien en service au-delà de la limite d’âge ou de la durée de service

L’article L.4139-16 du code de la défense prévoit les limites d’âge statutaires par corps et par grade des militaires de carrière et les limites de durée de service pour les militaires servant en vertu d’un contrat (officiers sous contrat, militaires commissionnés, militaires engagés et volontaires dans les armées).

L’atteinte de la limite d’âge d’un grade ou l’atteinte de la limite de durée de service entraîne automatiquement la cessation de l’état de militaire, en application du 1° de l’article L. 4139-14 du code de la défense. Ces limites d’âge ou de durée de service permettent de garantir l’« impératif de jeunesse » des Armées.

c. La crise sanitaire a permis l’application d’un régime dérogatoire de réengagement des anciens militaires de carrière et de maintien en service des militaires de carrière et sous-contrat

La loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne a instauré plusieurs dérogations aux deux principes exposés précédemment :

– en permettant aux militaires ayant atteint leur limite d’âge ou leur limite de durée de service d’être maintenus temporairement en service pour une année au maximum ou pour finaliser leur reconversion ;

– en instaurant au profit des anciens militaires de carrière ayant quitté le service avant d’avoir atteint la limite d’âge de leur grade une possibilité d’être réengagés, à la condition qu’ils aient quitté le service depuis moins de trois ans.

Ces dispositifs dérogatoires ont été prorogés de six mois par l’ordonnance n° 2021-112 du 3 février 2021 portant rétablissement et adaptation de diverses dispositions visant à préserver les effectifs et les compétences du personnel militaire pour faire face à l’épidémie de Covid-19.

Selon l’étude d’impact du présent projet de loi, « les forces armées dressent un bilan très positif de cette faculté qui leur a été offerte ». Ainsi, 40 anciens militaires de carrière ont pu être recrutés dans le même statut que celui détenu avant la radiation des cadres.

Dans l’armée de l’Air et de l’Espace, 54 % des réengagés l’ont été dans le domaine en tension de la maintenance aéronautique et 46 % dans les spécialités des bases.

Les réengagements dans la Marine nationale concernent des spécialités très diverses (guetteurs sémaphoriques, manœuvriers, fusiliers marins, etc.), sans qu'une tendance ne se dégage.

Dans l'armée de Terre, 17 % des militaires réengagés l’ont été dans le domaine du renseignement, 17 % dans le domaine restauration-hébergement-loisir, les autres dans les spécialités au sein des forces tels que la maintenance ou les systèmes d’information et de communication.

Concernant le maintien en service, 460 militaires de carrière ou sous contrat « hautement qualifiés » ont été admis à prolonger leurs services pour une durée maximale d’une année. Les 460 demandes agréées de maintien en service ont principalement concerné les spécialités en tension suivantes :

•Dans la Marine nationale : mécaniciens des ateliers navals, maintenanciers aéronautiques et personnel navigant tactique ;

•Dans l’armée de l’Air et de l’Espace : systèmes d’information et de communication, contrôleurs des opérations aériennes et de circulation aérienne, maintenanciers aéronautiques et mécaniciens armement.

2.   Le dispositif proposé

a.   Concernant le recrutement des anciens militaires

i.   Les anciens militaires de carrière

Le présent article crée un article L. 4132-4-1 dans le code de la Défense. Cet article permettra aux anciens militaires de carrière radiés des cadres depuis moins de cinq ans, sur demande agréée, d’être recrutés dans les cadres des officiers, sous-officiers ou des officiers mariniers de carrière. La durée d’interruption des services, fixée par le présent article à 5 ans, permet d’aligner ce délai avec l’obligation de disponibilité (RO2) imposée à tout ancien militaire. Elle correspond également à la durée pendant laquelle les qualifications militaires et professionnelles acquises avant la radiation des cadres demeurent valides et peuvent ainsi être exercées dès le réengagement. L’étude d’impact du projet précise par ailleurs que le « militaire pourra du reste entretenir ces qualifications à la faveur d’activités réalisées au titre de son obligation de disponibilité ».

Ce dispositif est exclusif des officiers généraux et ne s’appliquera pas si la radiation de l’ancien militaire de carrière est intervenue dans le cadre d’une mesure d’aide au départ (pécule, pension afférente au grade supérieur, pécule modulable d’incitation au départ, promotion fonctionnelle). Les militaires radiés des cadres ou des contrôles à l’issue d’un congé de reconversion ou d’un congé complémentaire de reconversion seront également exclus du dispositif.

Les anciens militaires seront recrutés « avec le grade et l’ancienneté de grade qu’ils détenaient lors de leur radiation des cadres ».

Le deuxième alinéa de l’article L. 4132-4-1 précise que les « services accomplis au titre de ce recrutement seront pris en compte comme services effectifs au titre des droits à avancement ainsi qu’au titre de la constitution et de la liquidation du droit à pension ».

Le troisième alinéa précise également que « le versement de la pension militaire de retraite dont le militaire ainsi recruté est titulaire est suspendu pendant la durée des services effectués au titre de ce recrutement. »

Le quatrième alinéa précise que « cette pension est révisée au moment de la radiation définitive des cadres pour tenir compte des services accomplis au titre dudit recrutement. Le montant de l’ancienne pension, s’il est plus avantageux, est garanti aux intéressés ».

Le cinquième alinéa précise enfin qu’un décret en Conseil d’État définit les conditions d’application du présent article. D’après l’étude d’impact, ce décret « viendra préciser que ces militaires réengagés sont réintégrés dans l’échelon et avec l’ancienneté qu’ils détenaient lors de leur radiation des cadres », afin de garantir aux anciens militaires l’attractivité du dispositif.

Le septième alinéa précise que les militaires ainsi recrutés sont éligibles, sur demande agréée, au bénéfice du congé de reconversion.

L’étude d’impact du projet précise qu’au terme de leur réengagement, les anciens militaires de carrière seront soumis à une nouvelle obligation de disponibilité de 5 ans, sans déduction du temps accompli au titre d’une première période de disponibilité après la radiation des cadres, contrairement au dispositif mis en œuvre pendant la crise sanitaire.

Par ailleurs, le dispositif prévu ne prévoit pas de réactiver pour les anciens militaires de carrière réengagés l’obligation de lien au service[48] à laquelle ils étaient éventuellement tenus avant leur radiation des cadres. Le militaire réengagé est libre de souscrire ou non une nouvelle obligation de lien au service, sans que l’État ne doive reverser à l’ancien militaire réengagé les sommes remboursées par ce dernier lors de sa précédente radiation des cadres. Cette disposition vaut également pour les anciens militaires sous-contrat réengagés.

ii.   Les anciens militaires ayant servi en vertu d’un contrat

Si l’article L. 4132-6 du code de la Défense permet le réengagement d’anciens militaires ayant servi sous la forme d’un contrat, ce recrutement n’est pas attractif car le réengagement peut être proposé dans un grade inférieur, sans reprise d’échelon ni d’ancienneté d’échelon.

Le neuvième alinéa du présent article renvoie à un décret en Conseil d’État le soin de fixer les modalités de recrutement opérées, en améliorant les conditions indiciaires de réengagement des militaires sous contrat. L’étude d’impact précise que le « décret permettra de fixer les modalités de reprise d’échelon et d’ancienneté d’échelon adéquates, de nature à restaurer l’attractivité nécessaire à cette voie (…) et d’harmoniser les conditions de réengagement avec celles désormais prévues pour les anciens militaires de carrière. Plus précisément, en cas de réengagement dans l’ancien grade détenu, il s’agit de permettre la reprise de l’échelon et de l’ancienneté d’échelon détenus lors de la radiation des contrôles d’activité. »

Toutefois, contrairement aux conditions de réengagement des anciens militaires de carrière, les anciens militaires ayant servi en vertu d’un contrat pourront toujours être réengagés dans un grade inférieur à celui qu’ils détenaient avant la résiliation de leur contrat.

Les anciens militaires réengagés, de carrière ou sous-contrat, ne pourront pas bénéficier du congé de création et de reprise d’entreprise, prévu à l’article L. 4139-5-1 du code de la Défense.

iii.   Objectifs recherchés

D’après l’étude d’impact précitée, les mesures de réengagement des anciens militaires de carrière constituent « un levier de gestion supplémentaire permettant aux forces armées et formations rattachées de faire face aux flux de départs substantiels, en particulier dans les métiers rares et les spécialités en tension ». L’article 15 constitue ainsi un levier d’attractivité et de fidélisation du personnel militaire hautement qualifié. Les forces armées bénéficieront ainsi « d’une ressource humaine déjà formée, désireuse de revenir servir au sein des armées après une expérience dans la vie civile, en particulier lorsque cet ancien militaire y a entretenu ou accru ses compétences et son expérience ».

Les dispositifs de réengagement d’anciens militaires « permettront aux armées de garantir la continuité des missions et d’accroître leur résilience en temps ordinaire comme en période de crise. »

b.   Concernant les possibilités de maintenir en service des militaires au-delà des limites d’âge et de durée de service

i.   Dispositions

L’article pérennise le régime temporaire de maintien en service des militaires introduit à l’occasion de la crise sanitaire. Les conditions de maintien sont adaptées et codifiées dans un nouvel article L. 4139-17 du code de la Défense qui dispose que « par dérogation à l’article L. 4139-16, les militaires de carrière à l’exclusion des officiers généraux, les officiers sous contrat, les militaires commissionnés[49], les militaires engagés et les volontaires dans les armées, peuvent, sur demande agréée, être maintenus en service pour répondre aux besoins des forces armées et formations rattachées. »

Le bénéfice de ce dispositif demeure conditionné à l’accord du gestionnaire. Ainsi, comme le précise l’étude d’impact, ce régime « ne crée nullement de droit à proroger les services au-delà des limites légales et ne modifie pas les paramètres de constitution des droits à pension. »

L’alinéa 17 précise que « cette prolongation de service est prise en compte pour la constitution et la liquidation du droit à pension ainsi que pour l’avancement. » Le droit à avancement d’échelon pendant le maintien en service n’est pas mentionné dans le cadre du présent dispositif. L’étude d’impact précise que cette mention relève du pouvoir réglementaire et sera donc précisée par le décret en Conseil d’État prévu pour l’application de cet article.

L’alinéa 18 précise également que « lorsque le militaire de carrière est promu au grade supérieur durant cette période de maintien en service, la limite d’âge prise en compte pour l’application du présent article est celle de son nouveau grade. »

L’alinéa 19 précise qu’au terme de la période de maintien en service, « le militaire est radié des cadres ou des contrôles ».

Les alinéas 10 à 13 du présent article modifient l’article L. 4139-17 du code de la Défense afin d’y introduire le nouveau cas de radiation d’office prévu par le nouvel article L. 4139-17.

Enfin, l’alinéa 20 précise que le régime de maintien en service de droit commun d’une durée de trois ans introduit par l’article L. 4139-17 est exclusif des autres régimes de maintien en service prévus à l’article L. 4139-16 du code de la Défense. Or, pour l’ensemble des catégories bénéficiant déjà d’un régime de maintien en service, le nouveau dispositif prévu par l’article L. 4139-7 est moins-disant. L’étude d’impact précise ainsi que ces catégories de personnel n’ont « donc aucun intérêt à se le voir appliquer ».

Cependant, le dispositif prévu par l’article L. 4139-7 est mieux-disant pour les volontaires en service au sein de la gendarmerie nationale, qui bénéficient dans le cadre de l’article L. 4139-16 d’une possibilité de maintien en service pour une période d’une année au-delà de la limite de durée des services.

Le présent article ne prévoit par ailleurs pas d’exonération de l’obligation de disponibilité à proportion des services effectués au-delà de la limite d’âge ou de la limite de durée de service.

ii.   Objectifs recherchés

L’étude d’impact précise que cette mesure vise « à adapter le statut général des militaires aux contraintes pesant sur les forces armées et formations rattachées, ceci dans un contexte de grande imprévisibilité et d’accroissement des menaces. En outre, elle permet de répondre à des besoins auxquels le recours aux réservistes n’apporte pas de solution adéquate car la durée des services pouvant être accomplis dans ce cadre est plafonnée. »

L’étude d’impact précise également que cet article est destiné à « combler des déficits sur des emplois permanents ».

D’après les précisions des services du ministère, les emplois ciblés pour le maintien en service concernent les spécialités rares ou en tension, dans les domaines de la cyberdéfense, de l’énergie nucléaire, du contrôle aérien, du numérique, de la maintenance aéronautique, de la lutte au-dessus de la surface (détecteurs), dans certaines spécialités médicales, ainsi que dans les achats et la logistique.

Enfin, l’étude d’impact présente ce dispositif comme l’une des modalités d’application du plan famille ; « La mesure permet, par exemple, aux directions et services gestionnaires de maintenir au service des militaires atteints, en cours d’année, par leur limite d’âge ou limite de durée de service jusqu’au plan annuel de mutation de l’été suivant. Elle évite ainsi de perturber l’équilibre familial des militaires, qui, appelés à remplacer le militaire atteint par sa limite d’âge ou sa limite de durée de service, doivent rallier leur affectation en cours d’année. »

3.   La position de la commission

La commission a adopté un amendement rédactionnel du rapporteur (DN856).

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Article 16
Relever le seuil d'irréversibilité du congé de reconversion

Adopté par la Commission sans modification

1. L’état du droit

Le dispositif de reconversion prévu aux articles L. 4139-5 et L. 4139-5-1 permet aux militaires éligibles de bénéficier, sur demande agréée, de dispositifs d’évaluation et d’orientation professionnelle et d’une formation professionnelle ou d’un accompagnement vers l’emploi. Ces dispositifs visent à faciliter la transition professionnelle des militaires en les préparant au retour à la vie professionnelle civile. Leur pertinence résulte du modèle de ressources humaines des Armées, qui se caractérise par un emploi substantiel de militaires sous contrat (68 %), des limites d’âge basses ainsi qu’une durée maximale d’emploi des militaires servant en vertu d’un contrat plafonnée à 27 ans.

En application de l’article L. 4139-5 du code de la défense, le congé de reconversion dure au maximum 120 jours ouvrés, utilisables de manière fractionnée pendant une durée maximale de deux années après l’atteinte du 40ème jour de formation. Tant qu’il n’a pas atteint le seuil d’irréversibilité du congé de reconversion, aujourd’hui fixé au 40ème jour de formation, le militaire demeure libre de renoncer à sa reconversion. En revanche, dès lors qu’il franchit le seuil d’irréversibilité du congé de reconversion, le militaire est radié d’office à titre définitif des cadres ou des contrôles :

–  soit au terme d’une période de deux ans suivant le 40ème jour de formation s’il n’a pas achevé sa formation ;

– soit s’il parvient au terme du congé de reconversion ou du congé complémentaire de reconversion prévu au même article et dont la durée ne peut être supérieure à 6 mois consécutifs, au terme du dernier jour de son congé de reconversion ou congé complémentaire de reconversion.

Il convient de préciser que la radiation des cadres ou des contrôles suite à l’atteinte du seuil d’irréversibilité du congé de reconversion rend impossible un réengagement ultérieur.

L’étude d’impact précise qu’en 2021, sur le périmètre du seul ministère des Armées, 3 092 militaires ont bénéficié du congé de reconversion et 674 du congé complémentaire de reconversion.

Or, la durée moyenne d’un congé de reconversion est de 71 jours, celle d’un congé complémentaire de 93 jours, la durée moyenne d’un processus de reconversion étant de 155 jours. D’après les informations communiquées par le ministère, seuls 35 militaires sur les 3 092 bénéficiaires du congé de reconversion ont renoncé à ce congé avant l’atteinte du seuil du 40ème jour.

2. Le dispositif proposé

Le présent article vise à assouplir les conditions dans lesquelles un militaire peut bénéficier du congé de reconversion.

Le présent article modifie le III de l’article L. 4139-5 du code de la Défense en prévoyant que le militaire bénéficiaire d’un congé de reconversion est radié des cadres ou des contrôles :

– Soit « au terme prévu du congé de reconversion » ;

– soit, s'il n'a pas bénéficié de la totalité de ce congé, au plus tard deux ans après « l’utilisation d’une fraction du congé fixée par décret et au moins égale à quarante jours ».

Ainsi, l’alinéa 4 du présent article renvoie à un décret la fixation du seuil à partir duquel le militaire bénéficiaire d’un congé de reconversion doit irrévocablement être radié des cadres ou des contrôles. Néanmoins, le seuil du quarantième jour est maintenu dans le présent article comme un seuil « plancher », au-delà duquel le seuil d’irréversibilité pourra être relevé.

L’étude d’impact précise que « l’intention du ministère des Armées » est de relever de manière pérenne le seuil d’irréversibilité au 60ème jour de formation.

En effet, selon l’étude d’impact, « le seuil du 40ème jour apparaît trop précoce pour les militaires auxquels est accordé un congé d’une durée comprise entre 40 et 80 jours ».

Lorsque le ministère souhaitera réduire ses effectifs, l’application du seuil plancher accélérera l’atteinte du seuil d’irréversibilité du congé. A contrario, en période de fortes tensions sur les recrutements, le relèvement du seuil d’irréversibilité permettra de différer de facto les départs des militaires bénéficiant du dispositif. Le ministère conservera ainsi plus longtemps en service des militaires qualifiés. Le relèvement du seuil d’irréversibilité constitue donc un levier de gestion RH permettant la rétention de la main-d’œuvre qualifiée et opérationnelle.

L’étude d’impact précise qu’en cas de crise majeure « ayant pour effet d’affecter brutalement les effectifs et les compétences des armées », la possibilité de relever le seuil d’irréversibilité du congé jusqu’au 119ème jour de formation aura toute sa pertinence.

En outre, la modulation à la hausse du seuil d’irréversibilité permettra aux militaires de bénéficier d’un délai de désistement allongé leur permettant de renoncer éventuellement plus tardivement à leur projet de reconversion. Cette modulation permettra une meilleure prise en compte des éventuelles difficultés rencontrées par les militaires en reconversion : nouvelles perspectives au sein des armées, déception liée au projet de reconversion, nostalgie liée au départ du monde militaire, réévaluation à la baisse des chances de succès du projet de reconversion, évolution de la situation familiale etc. Ainsi, lorsqu’ils franchiront le seuil d’irréversibilité, les militaires auront bénéficié de davantage de jours de formation et auront donc davantage mûri leur projet de reconversion.

Par ailleurs, l’alinéa 5 du présent article précise que l’actuel seuil d’irréversibilité du congé de reconversion au 40ème jour de formation reste applicable jusqu’à l’entrée en vigueur du décret fixant le futur seuil d’irréversibilité.

Enfin, l’alinéa 6 du présent article introduit une mesure transitoire permettant aux militaires en congé de reconversion et n’ayant pas encore utilisé le 40ème jour de formation de ce congé à la date de publication du décret fixant le seuil d’irréversibilité de bénéficier du nouveau seuil s’il leur est plus favorable que le seuil actuellement fixé par la loi.

La commission a adopté cet amendement sans modification.

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Article 17
Renforcer l’attractivité des carrières militaires en créant un régime d’apprentissage militaire

Adopté par la Commission avec modifications

L’article 17 vise à renforcer l’attractivité des carrières militaires en créant un régime d’apprentissage militaire. Il modifie le cadre légal d’emploi des militaires mineurs, y compris celui des élèves des établissements d’enseignement technique et préparatoire militaire (ETPM), conformément aux engagements internationaux de la France en la matière, et définit les activités auxquelles peuvent participer les élèves des ETPM.

Les mesures proposées visent à élargir le vivier de recrutement, en particulier dans les métiers en tension et à accroître la fidélisation des élèves des ETPM à l’issue de leur formation, tout en inscrivant le ministère des Armées dans la politique de développement de l’apprentissage.

1. L’état du droit

a.   La pluralité des statuts actuels des élèves des écoles d’enseignement technique et préparatoire militaire

● Le statut actuel des élèves des écoles d’enseignement technique et préparatoire militaire découle du 4° de l’article L. 4132-1 du code de la défense. Cet article admet la faculté spécifique d’engagement sous les drapeaux des jeunes à partir de seize ans, à la seule fin de « recevoir une formation générale et professionnelle en qualité de volontaire dans les armées ou en qualité d’engagé dans une école militaire ».

L’organisation de ces formations s’effectue, de fait, sous une forme d’apprentissage mais n’en a aujourd’hui pas le statut légal : les statuts des élèves sont très hétérogènes et le caractère d’apprentissage des formations n’est pas formalisé. En effet, le statut actuel des élèves diffère selon chaque école concernée car il est défini par décret.

● Les établissements concernés sont, pour l’armée de Terre, l’école militaire préparatoire technique de Bourges (le décret n° 2022-1484 du 28 novembre 2022 relatif aux élèves de l'enseignement technique de l'armée de Terre et le décret n° 2019-985 du 25 septembre 2019), pour la marine nationale, l’école des mousses (décret n° 2009-1004 du 24 août 2009) et pour l’armée de l’Air et de l’Espace, l’école d’enseignement technique de l’armée de l’Air et de l’Espace (décret n° 2019-1032 du 7 octobre 2019 relatif aux élèves de l'école d'enseignement technique de l'armée de l'air).

Selon l’étude d’impact, ces écoles forment à des métiers techniques près de 1 200 élèves chaque année (prévision 2023), dans le cadre d’une alternance entre cours et formation professionnelle.

● La formation des élèves des ETPM se rapproche d’une formation en apprentissage civil au sens d’une éducation alternée associant périodes de formations professionnelles et enseignements théoriques, sanctionné par un diplôme ou un titre à finalité professionnelle. En effet, l’apprentissage civil, régi par le code du travail, a pour objet de donner à des travailleurs, ayant satisfait à l’obligation scolaire, une formation générale, théorique et pratique, en vue de l’obtention d’une qualification professionnelle sanctionnée par un diplôme ou un titre à finalité professionnelle enregistré au répertoire nationale des certifications professionnelles (article L. 6211-1 du code du travail).

Toutefois, si le régime de l’apprentissage civil est proche de la formation des élèves des ETPM, la spécificité militaire des ETPM appelle la création d’un statut d’apprenti militaire spécifique. Il diffère notamment du régime d’apprentissage civil du fait qu’il est conçu à des fins de recrutement. Sont notamment requis de l’apprenti militaire, l’aptitude à la fonction militaire et la signature d’un contrat d’engagement par lequel il s’engage, à l’obtention du diplôme, à souscrire un contrat d’engagement sous statut de militaire engagé. La création d’un régime d’apprenti militaire par le présent article vise ainsi à allier les principes de l’apprentissage civil, régi par le code du travail, et les spécificités du statut général des militaires.

b.   Les lacunes de l’encadrement du temps de service des militaires mineurs

● L’encadrement du temps de service des militaires mineurs s’inscrit tout d’abord dans un cadre conventionnel et européen.

D’une part, les engagements internationaux auxquels a souscrit la France excluent la participation de militaires mineurs à des engagements impliquant l’emploi de la force armée ou les exposant à des risques opérationnels. La participation des militaires mineurs aux hostilités est prohibée par le protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant du 25 mai 2000, ratifié par la France en 2003. S’agissant de l’engagement des militaires mineurs, la France est également liée par les dispositions de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. En conséquence, la France a mis en place une protection particulière pour les militaires mineurs à travers une directive du ministre de la défense en date du 24 septembre 2007 qui prévoit que « les militaires de moins de dix-huit ans ne participent pas aux opérations militaires à l’étranger » et qu’« en cas de conflits armés sur le territoire national, les militaires de moins de dix-huit ans ne participent pas directement aux hostilités ».

D’autre part, dans la mesure où ils ne peuvent juridiquement pas participer à des opérations militaires, la disponibilité « en tout temps et en tout lieu » des militaires mineurs n’est que partielle.

● Conformément à l’article L. 4132-1 du code de la défense, l’âge minimal pour un recrutement en tant que militaire est fixé à dix-sept ans, ou à seize ans pour recevoir une formation générale et professionnelle en qualité de volontaire dans les armées ou en qualité d'engagé dans une école militaire. Les apprentis militaires font partie de cette seconde catégorie. Toutefois, les militaires mineurs ne peuvent pas être chargés d’« assurer par la force des armes la défense de la patrie et des intérêts supérieurs de la Nation » (article L. 4111-1 du code de la défense). Leur disponibilité, telle que définie par l’article L.4121-5 du même code, auquel ils sont assujettis, n’est donc pas totale.

La France est, en outre, tenue de leur appliquer les garanties prévues par le droit de l’Union européenne en matière de temps de travail des mineurs. La directive 94/33/CE du 22 juin 1994 relative à la protection des jeunes au travail prévoit des restrictions pour les mineurs de plus de 16 ans en matière d’amplitude horaire et de travail de nuit et impose des périodes de repos. Elle prévoit néanmoins la possibilité que les États membres puissent déroger aux normes qu’elle édicte s’agissant notamment des mineurs appartenant aux forces armées. La directive prévoit des dispositions dérogatoires au temps de travail quotidien et hebdomadaire des adolescents, respectivement limité à huit et à quarante heures autorisées, lorsque les raisons objectives le justifient (article 8,5), ainsi qu’à l’interdiction du travail de nuit, autorisé pour les travaux effectués dans le cadre des forces armées ou de la police (article 9, 2 in fine), mais également à la durée minimale de douze heures et de deux jours fixée pour les périodes de repos quotidien et hebdomadaire, autorisés pour les travaux effectués dans le cadre des forces armées ou de police (article 10).

● En droit interne, l’encadrement du temps de service des militaires mineurs initié lors de la loi de programmation militaire 2014-2019 demeure lacunaire.

En effet, en l’état actuel du droit, l’article L.4121-5-1 du code de la défense, issu d’un amendement parlementaire adopté dans le cadre de la loi de programmation militaire 2014-2019, limite le temps d’activité diurne et nocturne des seuls militaires mineurs de la marine nationale, issus de l’école des mousses embarqués sur des unités navigantes.

En application dudit article, le temps de travail des militaires mineurs de l’école des mousses est aujourd’hui limité à onze heures par jour lorsqu'ils sont embarqués. Ils bénéficient d'une période minimale de repos de huit heures consécutives pour chaque période de vingt-quatre heures et d'une période minimale de repos de vingt-quatre heures consécutives, pour chaque période de sept jours.

Par ailleurs, l’article L.4121-5-1 prévoit également les conditions dans lesquelles les militaires mineurs de l’école des mousses peuvent servir de nuit. « Sous réserve de disposer d'un temps de récupération ne pouvant être inférieur à huit heures par jour, les militaires mineurs ayant suivi avec succès un cursus de formation d'une des écoles préparatoires de la marine nationale et âgés de plus de dix-sept ans peuvent être tenus d'assurer un service de nuit lorsqu'ils sont embarqués. Est considéré comme service de nuit tout service de 22 heures à 6 heures. La durée de ces services ne peut dépasser quatre heures. Ils sont réservés aux seules activités strictement nécessaires au fonctionnement des bâtiments de la marine nationale. »

Cette disposition omet de traiter des autres militaires mineurs de la marine, comme des autres forces armées et formations rattachées, qui fait l’objet d’un vide juridique. Or, il apparaît nécessaire de garantir explicitement au niveau législatif les limitations au principe de disponibilité en tout temps et en tout lieu des militaires afin d’encadrer le temps de travail de tous les militaires mineurs, y compris des futurs apprentis militaires.

c.   Le cadre légal des activités des élèves des ETPM

Le statut général des militaires ne prend actuellement pas en compte toutes les spécificités et limitations applicables aux militaires engagés à seule fin d’acquérir les titres et la formation nécessaires à un engagement ultérieur dans les forces armées et formations rattachées. Il apparaît dès lors nécessaire de définir au niveau législatif les activités auxquelles peuvent participer les élèves mineurs des ETPM, en conformité avec le cadre international et européen sur l’emploi des mineurs.

En effet, le statut général des militaires dispose que les recrues ne sont engagées qu’à la seule fin de recevoir une formation générale et professionnelle mais ne précise pas quelles sont les activités qui peuvent être effectuées par les élèves de ces établissements dans le cadre du volet pratique de la formation.

Pour mémoire, les mineurs sont déjà autorisés à participer à des missions de défense civile dans certains cas spécifiques que détaille l’étude d’impact :

- l’article L. 120-1 du code du service national ouvre le service civique aux personnes de seize à vingt-cinq ans et les autorise à concourir à des missions de défense et de sécurité civile ou de prévention ;

- les articles L. 724-1 et L. 724-14 du code de la sécurité intérieure instituent les réserves communales de sécurité civile et les réserves citoyennes des services d’incendie et de secours avec des missions ouvertes aux mineurs de 16 à 18 ans ;

- les articles L. 121-1 du code du service national et D. 3241-33 du code de la défense permettent également aux volontaires du service militaire adapté, dès seize ans, de contribuer aux plans de défense et aux plans de protection et de secours aux populations.

2.   Le dispositif proposé

Les objectifs de l’article 17 sont, en premier lieu, d’harmoniser le statut des élèves des écoles techniques préparatoires militaires, en leur appliquant le régime commun de l’apprenti militaire, ensuite, de recourir à la loi pour encadrer les conditions de service des militaires mineurs (horaires et travail de nuit) et de définir un cadre légal des activités auxquelles peuvent participer les élèves des ETPM dans le cadre de leur formation.

a.   La création d’un statut d’apprenti militaire

La création du statut d’apprenti militaire par le présent article vise à harmoniser les statuts des élèves des différents établissements d’enseignement technique et préparatoire militaire.

Pour ce faire, le 2° du présent article modifie le statut général des militaires aux 2° et 4° de l’article L. 4132-5 du code de la défense relatif aux modalités de service des militaires d'active autres que de carrière, afin d’y faire apparaître les apprentis militaires. Le 3° du présent article crée un nouveau chapitre III dédié à l’enseignement technique et préparatoire militaire au livre Ier de la quatrième partie du code de la défense, au sein du titre V consacré à la formation des militaires. Le chapitre III, nouvellement, crée comporte trois articles : L. 4153-1, L.4153-2 et L.4153-3.

Les dispositions proposées formalisent l’enseignement préparatoire et technique des forces armées et formations rattachées dans le code de la défense, en le définissant comme une forme spécifique d’apprentissage (L. 4153-1), en donnant le statut d’apprentis militaires à leurs élèves et en renvoyant pour ses modalités d’organisation à un décret en Conseil d’État (L.4153-3). L’article mentionne également l’engagement des élèves des ETPM à servir au sein des forces armées et formations rattachées à la fin de leur formation.

Le statut commun d’apprenti vise à garantir le respect des instruments internationaux ratifiés et transposés par la France, pose les principes de la gratuité de la formation et fixe les types de diplômes susceptibles d’être délivrés dans le cadre de l’apprentissage militaire. En revanche, selon les informations fournies à votre rapporteur, les statuts particuliers des différentes écoles seront conservés et préserveront les spécificités propres à chaque filière de formation d’apprentissage militaire (âges et conditions d’accès, durées des formations, durées des engagements proposés au terme de l’apprentissage, régime statutaire de volontaire ou d’engagé et régime de solde, régime des permissions, etc.).

Enfin, il est à noter que l’article 6 du projet de loi précise que les apprentis civils et militaires ne sont pas comptabilisés dans les effectifs du ministère des Armées prévus en loi de programmation militaire, ce qui constitue une incitation à utiliser cette filière de formation.

Votre rapporteur se réjouit de l’importance donnée à la formation initiale et à la valorisation de l’apprentissage dans le projet de loi. Ces dispositifs sont clés pour gagner la bataille des compétences et de la fidélisation. Au regard de l’efficacité du dispositif, le ministère des Armées ambitionne de doubler les effectifs de ces écoles entre 2024 et 2030. Votre rapporteur veillera à ce que les ressources nécessaires à la montée en puissance du dispositif de l’apprentissage militaire soient prévues et effectivement affectées aux forces pour leur donner les moyens d’atteindre ces objectifs. À ce titre, il salue l’annonce faite par le chef d’état-major de l’armée de Terre, le Général d’armée Pierre Schill, lors de son audition en commission, d’un doublement des effectifs de l’EMPT de Bourges à l’horizon 2027 et d’un l’élargissement du panel des scolarités du baccalauréat professionnel en maintenance aéronautique au baccalauréat technologique « sciences et technologies de l’industrie » ou encore « développement durable ».

b.   L’encadrement plus complet du temps de service des militaires mineurs

Le 1° du présent article entend modifier l’article L. 4121-5-1 du code de la défense afin de définir pour tous les militaires mineurs, y compris les apprentis militaires, et conformément à la directive 94/33/CE du 22 juin 1994, l’encadrement des temps de service diurne et nocturne.

Dans la nouvelle rédaction proposée, l’article prévoit :

– que le temps de service diurne soit en principe limité à huit heures par jour, tout en pouvant être porté jusqu’à onze heures par jour pour les activités l’exigeant désignées par décret en Conseil d’État ;

– que le service de nuit, entendu comme tout service compris entre 22 heures et 6 heures, soit autorisé pour les seules activités strictement nécessaires au fonctionnement des unités d’affectation, dans la limite de six heures et sous réserve que le militaire dispose d’un temps de récupération d’au moins huit heures par jour.

Les décrets en Conseil d’État définissant les statuts des élèves apprentis militaires de chaque armée prévoiront les situations dans lesquelles les dérogations au volume quotidien d’activité pourront être envisagées. Selon les informations fournies à votre rapporteur, ces situations devraient répondre aux cas suivants :

– exigences ou contraintes résultant du programme scolaire ou universitaire ;

– nécessité découlant de la formation militaire dispensée dans le cadre de l’apprentissage ;

– cas de participation aux mesures non militaires de défense.

En ce qui concerne le service de nuit, à titre d’exemple, les militaires mineurs de la marine nationale affectés sur les bâtiments, ainsi que dans des unités à terre, effectuent des quarts de nuit. Dans les trois armées, les élèves militaires de l’enseignement technique et préparatoire militaire conduisent certaines activités d’acculturation à la vie militaire et de formation militaire initiale pouvant comporter des activités de nuit. La participation à la mise en œuvre de mesures de défense non militaires sur réquisition préfectorale peut également impliquer un travail de nuit, comme c’est déjà le cas pour les volontaires du service militaire adapté dont certains sont mineurs.

Enfin, en ce qui concerne les dérogations au volume quotidien d’activité des militaires mineurs ne servant pas sous statut d’apprenti militaire, un décret en Conseil d’État définira les cas de dérogation qui devraient englober, selon les informations fournies à votre rapporteur :

– les exigences de la participation aux activités de préparation opérationnelle ;

– les exigences résultant de la participation à des activités opérationnelles telles que les astreintes, gardes, l’engagement dans les opérations de service public ou de sauvetage ;

– les contraintes résultant du programme scolaire en cas d’envoi en formation ;

– l’engagement dans les missions de concours à l’autorité civile.

c.   La définition des activités auxquelles peuvent participer les apprentis militaires

La formalisation de l’ETPM permet de définir un cadre légal pour les activités auxquelles peuvent participer les élèves mineurs de ces établissements.

L’article L.4153-2 nouvellement créé par l’article 17 du projet de loi précise les activités pouvant être effectuées dans le cadre de la formation des élèves apprentis militaires. Il prévoit que les apprentis militaires ne puissent participer qu’aux « activités des unités et organismes au sein desquels ils reçoivent leur formation » qui s’apparentent, selon l’étude d’impact, aux activités d’entraînement et de mise en condition d’emploi des forces armées, ainsi « qu’à la mise en œuvre des mesures de défense civile prévues à l’article L.1321‑2 ». Par ailleurs, l’article L.4153-3 renvoie à un décret en Conseil d’État la définition des modalités du régime d’apprentissage militaire.

Selon les informations fournies à votre rapporteur en réponse à son questionnaire, par ce décret en Conseil d’État, l’intention du gouvernement est de cantonner les mesures de défense, auxquelles les apprentis militaires pourraient être appelés à contribuer, à celles prévues par les articles R.1311-34 et 35 du code de la défense. L’article R.1311-35 traite des mesures non militaires de défense, du ressort des préfets, qui visent à concourir à la liberté d'action des forces armées et à contribuer à leur soutien, et permettent au préfet de requérir ou solliciter le concours des moyens militaires pour l’exercice de ses responsabilités de défense de caractère non militaire. L’article R.1311-34 du même code charge le préfet de l'exécution des mesures non militaires de défense, notamment du plan général de protection et du dispositif opérationnel ORSEC.

L’étude d’impact précise qu’est ainsi exclue la participation des apprentis militaires à toute autre mission, c’est-à-dire à tout engagement opérationnel. Ainsi, les apprentis militaires ne pourront pas participer aux hostilités dans le cadre d’un conflit armé, mais pourront participer aux mesures non militaires de défense destinées à garantir la liberté d’action des forces armées, ainsi qu’aux plans ORSEC. Le décret d’application pourra préciser le ressort géographique dans lequel les élèves d’un établissement d’enseignement technique et préparatoire militaire seront susceptibles d’être appelés à contribuer à ces missions.

Ces missions n’entrent pas dans le champ de l’interdiction prévue par le protocole facultatif à la convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant du 25 mai 2000. Elles sont également conformes aux dispositions de la Directive 94/33/CE du Conseil, du 22 juin 1994, relative à la protection des jeunes au travail.

La faculté d’engager dans de telles missions des militaires mineurs recrutés à des fins exclusives de formation professionnelle est déjà prévue par la loi, en ce qui concerne les volontaires du service militaire adapté. Ces derniers – qui ne répondent pas à la définition d’apprenti militaire – peuvent, dès seize ans, contribuer, le cas échéant, aux plans de défense et aux plans de protection et de secours aux populations (application combinée des articles L. 121-1 du code du service national et L. 4132-12 et D. 3241-33 du code de la défense).

Le régime d’apprentissage militaire permettra donc de mettre ponctuellement à la disposition des préfets en métropole, dans certaines situations précisément définies, de jeunes militaires en formation, à l’instar de l’organisation déjà existante Outre-mer. La participation des apprentis militaires à ces missions harmonisera l’organisation en métropole et Outre-mer. Ponctuelles, ces missions n’hypothèquent pas le déroulement des formations techniques et professionnelles, mais participent d’une formation humaine et professionnelle conforme à la nature et aux objectifs de l’engagement souscrit par les apprentis militaires.

3.   La position de la commission

La commission de la Défense nationale et des forces armées a adopté trois amendements modifiant l’article 17.

L’amendement DN298 de Mme Mélanie Thomin encadre les circonstances dans lesquelles le pouvoir réglementaire pourra prévoir une dérogation au temps de service journalier des militaires mineurs, y compris les élèves des établissements d’enseignement technique et préparatoire militaire, dans la limite de onze heures par jour, en précisant que ces dérogations devront être « justifiées par l’intérêt de la défense ou de la sécurité nationale ».

Deux amendements rédactionnels DN910 et DN911 du rapporteur ont en outre été adoptés.

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Article 17 bis (nouveau)
Habiliter les établissements d’enseignement technique et préparatoire militaire à percevoir des dépenses déductibles du solde de la taxe d’apprentissage

Introduit par la Commission

 

Le présent article additionnel résulte de l’adoption par la commission de la Défense nationale et des forces armées de l’amendement DN805 de M. Thomas Gassilloud, président de la commission, avec un double avis favorable du Gouvernement et du rapporteur. Il introduit une nouvelle catégorie relative aux établissements d’enseignement technique et préparatoire militaire à l’article L.6241-5 du code du travail afin d’habiliter ces établissements à percevoir des financements déductibles du solde de la taxe d’apprentissage qu’une entreprise souhaiterait leur verser.

Pour mémoire, la taxe d'apprentissage vise à favoriser l'égal accès à l'apprentissage et à contribuer au financement d'actions de développement de l'apprentissage dans les conditions prévues à l'article L. 6241-2 du code du travail. Elle est due par les employeurs passibles de l'impôt sur les sociétés mentionné à l'article 205 du code général des impôts, de plein droit ou sur option, ainsi que par les personnes physiques et par les sociétés ayant opté pour le régime fiscal des sociétés de personnes, lorsque ces personnes et sociétés exercent une activité mentionnée aux articles 34 et 35 du même code.

Les employeurs peuvent imputer sur le solde de la taxe d'apprentissage, à hauteur d’un certain montant, mentionné au II de l'article L. 6241-2, les dépenses réellement exposées permettant de financer le développement des formations initiales technologiques et professionnelles, hors apprentissage, et l'insertion professionnelle, dont les frais de premier équipement, de renouvellement de matériel existant et d'équipement complémentaire, dans l'une des catégories d'établissements habilités mentionnées à l'article L. 6241-5, ainsi que les subventions versées à un centre de formation d'apprentis sous forme d'équipements et de matériels conformes aux besoins des formations dispensées.

 

La commission de la Défense nationale et des forces armées a adopté l’article 17 bis.

 

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Article 18
Proroger et moderniser l’attribution du pécule modulable d'incitation au départ et de la promotion fonctionnelle

Adopté par la Commission avec modifications

1. L’état du droit

Le présent article vise à proroger et moderniser deux dispositifs majeurs d’incitation au départ : la promotion fonctionnelle d’une part et le pécule modulable d’incitation au départ d’autre part.

Les dispositifs d’aide au départ s’inscrivent dans le modèle des ressources humaines des Armées, caractérisé par des flux continus d’entrée et de sortie des effectifs. Ce fonctionnement est justifié par un besoin constant pour les armées d’adapter leur ressource humaine aux évolutions rapides des métiers et de répondre à l’impératif de jeunesse. L’étude d’impact explique que les Armées « cherchent ainsi à faciliter les départs des militaires occupant des emplois en déclin et à promouvoir les recrutements dans des domaines prioritaires tels que la numérisation des systèmes d'armes, la cyberdéfense, le renseignement ou l'intelligence artificielle. »

a.   La promotion fonctionnelle

Introduite par l’article 37 de la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 modifiée relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale, la promotion fonctionnelle permet aux officiers, sous-officiers et officiers mariniers de carrière en position d’activité d’être promus au grade supérieur à celui détenu, dans le but d’exercer une fonction déterminée avant leur radiation des cadres ou leur admission dans la deuxième section des officiers généraux.

La promotion est donc conditionnée au départ anticipé du militaire. Ce dernier s’engage à quitter ses fonctions avant l’atteinte de sa limite d’âge, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État. Pour en bénéficier, le militaire doit avoir accompli au moins quinze ans de services militaires effectifs et en faire la demande écrite.

Le dispositif de la promotion fonctionnelle a été prorogé jusqu’au 31 décembre 2025 par l’ordonnance n° 2019-3 du 4 janvier 2019 relative à certaines modalités d’incitation au départ à destination des personnels militaire.

b.   Le pécule modulable d’incitation au départ

Le pécule modulable d’incitation au départ (PMID) a d’abord été introduit pour une période de six ans sous le vocable de pécule modulable d’incitation à une seconde carrière par l’article 149 de la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009. Il a ensuite été introduit dans sa forme actuelle par l’article 38 de la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 modifiée relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale, avant d’être prorogé jusqu’au 31 décembre 2025 par l’ordonnance n° 2019-3 du 4 janvier 2019 relative à certaines modalités d’incitation au départ à destination des personnels militaires. Le dispositif a été marginalement modifié par l’article 111 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020.

Ainsi que le rappelle l’étude d’impact, le « PMID permet, en contrepartie du départ anticipé du militaire de carrière ou du militaire engagé, le versement d’un montant compris entre 27 et 48 mois de solde brute pour les officiers, entre 22 et 36 mois de solde brute pour les sous-officiers et officiers-mariniers et à 17 mois de solde brute pour les militaires du rang. Le PMID peut être attribué aux officiers de carrière en activité cumulant au moins 18 ans de services, aux sous-officiers et officiers mariniers de carrière en activité cumulant au moins vingt ans de services, aux sous-officiers, officiers mariniers, militaires du rang engagés, en activité qui, ayant plus de onze ans et moins de quinze ans de services, sont rayés des contrôles au terme de leur contrat. Ce pécule est versé en une seule fois au moment de la radiation des cadres ou des contrôles ou de l'admission en deuxième section. L’octroi du PMID interdit l’emploi public pendant cinq ans, sauf à rembourser les sommes perçues à ce titre. »

En l’état actuel du droit, les dispositifs de la promotion fonctionnelle et du PMID s’éteindront en le 31 décembre 2025. Le présent article entend pérenniser ces leviers de gestion des flux des Armées.

2. Le dispositif proposé

a. La promotion fonctionnelle

Le I du présent article transforme la promotion fonctionnelle en un levier de gestion permanent en codifiant le dispositif de promotion fonctionnelle dans un article L. 4139-9-1 du code de la Défense.

L’alinéa 2 rappelle que le dispositif est mis en œuvre selon un contingent annuel. L’alinéa 12 renvoie à un arrêté du ministre de la Défense ou du ministre de l’intérieur pour les militaires de la gendarmerie nationale et des ministres chargés du budget et de la fonction publique le soin de fixer, pour une période de trois ans, le contingent. L’arrêté fait l’objet d’une actualisation annuelle.

Les alinéas 3 à 7 précisent que les militaires ayant bénéficié du dispositif de pécule au titre de l’article L. 4139-8 du code de la Défense, de la disponibilité au titre de l’article L. 4139-9 du même code, d’un pécule modulable d’incitation au départ ou encore d’une pension afférente au grade supérieur au titre de l’article 36 de la loi du 18 décembre 2013 ne sont pas éligibles à la promotion fonctionnelle.

L’alinéa 8 renvoie à un décret en Conseil d’État le soin de déterminer pour chaque grade, les conditions requises pour bénéficier de la promotion fonctionnelle. L’alinéa précise que « ces conditions tiennent à l’ancienneté de l’intéressé dans le grade détenu et à l’intervalle le séparant de la limite d’âge applicable à ce grade jusqu’au 1er janvier de l’année de dépôt de sa demande. ».

L’alinéa 9 ouvre la possibilité aux seuls officiers généraux de bénéficier de deux promotions fonctionnelles successives au terme desquelles ils sont admis en deuxième section. Cette mesure s’adresse au très haut encadrement militaire ; elle permettra au ministère de sécuriser la disponibilité du haut encadrement militaire pendant la durée contractualisée d’occupation du second emploi, tout en garantissant le départ de ces militaires avant la limite d’âge. Le doublement de la promotion fonctionnelle pour les officiers généraux permettra de donner davantage de visibilité en fin de carrière à cette population, en renforçant le lien avec l’institution.

Cette mesure se comprend également dès lors que l’étude d’impact précise qu’il « est notamment envisagé que les officiers généraux soient nommés plus jeunes qu’actuellement sans pour autant tous demeurer employés par les armées jusqu’à la limite d’âge. Dès lors, les transitions professionnelles seraient initiées plus tôt, afin d’inscrire les officiers généraux dans une véritable troisième partie de carrière. »

Les alinéas 10 et 11 précisent que « nul ne peut être promu dans le cadre de la promotion fonctionnelle à un grade autre que celui d’officier général, s’il n’est inscrit sur un tableau d’avancement établi par corps annuellement. Sous réserve des nécessités de service, les promotions fonctionnelles sont prononcées dans l’ordre du tableau. »

Les alinéas 14 à 15 modifient l’article 36 de la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 modifiée relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale afin de tenir compte de la codification du dispositif de promotion fonctionnelle.

L’alinéa 16 abroge l’article 37 de cette même loi qui régissait le régime temporaire de la promotion fonctionnelle.

b. Le pécule modulable d’incitation au départ

Les alinéas 17 et 18 pérennisent le PMID en le prorogeant jusqu’au 31 décembre 2030.

L’alinéa 19 adapte le dispositif du PMID à la seule population des officiers généraux, en leur permettant de bénéficier du PMID jusqu’à « plus d’un an de leur limite d’âge », contre trois ans pour les autres catégories. L’étude d’impact précise que cette mesure vise « à accompagner le départ des officiers généraux en première section désignés pour candidater aux emplois les plus élevés du haut encadrement militaires mais finalement non retenus. En outre, cette mesure permettra de piloter de manière plus fine les flux d’entrée et de sortie des postes détenus par les officiers généraux en favorisant des dates compatibles avec le plan annuel des mutations. Ce faisant, cette mesure est cohérente avec les objectifs du Plan Famille II.

L’alinéa 21 modifie l’avant-dernier alinéa du I de l’article 38 précité afin de tirer les conséquences en termes de coordination de la codification de la promotion fonctionnelle à l’article L. 4139-9-1 dans le code de la Défense.

3. La position de la commission

La commission a adopté quatre amendements rédactionnels. (DN857, DN858, DN859, DN860).

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Chapitre II
Renseignement et contre-ingérence

Article 19
Permettre l’accès des services de renseignement au casier judiciaire au titre des enquêtes administratives de sécurité

Adopté par la Commission sans modification

1.   L’état du droit

Cette disposition vise à permettre l’accès des services de renseignement au casier judiciaire au titre des enquêtes administratives de sécurité.

Les services de renseignement ont compétence pour mener des enquêtes administratives de sécurité préalables à l’autorisation de recrutements, d’affectations, de titularisations, d’autorisation, d’agrément ou d’habilitation.

Les services mènent ces enquêtes en vertu de l’article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure. Ces enquêtes ont pour objet de vérifier « que le comportement des personnes physiques ou morales intéressées n’est pas incompatible avec l’exercice des fonctions ou des missions envisagées. » Elles permettent aux services de renseignement relevant du Ministère de la défense d’évaluer le niveau de vulnérabilité de la personne faisant l’objet de l’enquête. Sa probité peut notamment s’apprécier au regard de ses antécédents judiciaires.

Or, en l’état actuel du droit, les services de renseignement enquêteurs ont seulement accès au traitement des antécédents judiciaires (TAJ) pour connaître le passé judiciaire des individus faisant l’objet des enquêtes. Le TAJ ne comporte toutefois pas d’informations sur les condamnations ou relaxes prononcées : ainsi que le résume l’étude d’impact, « il ne permet pas de connaître les suites judiciaires consécutives à une éventuelle mise en cause de la personne concernée, ce qui ne met pas les services enquêteurs en situation de porter une appréciation parfaitement éclairée sur sa probité. »

A contrario, la consultation du casier judiciaire permet de connaître dans une mesure variable l’ensemble des condamnations prononcées par les autorités judiciaires ou administratives à l’encontre d’un individu. Le bulletin n° 3 du casier judiciaire contient seulement les décisions les plus graves, le bulletin n° 2 délivré aux administrations et à certains employeurs contient la plupart des condamnations proposées tandis que le bulletin n° 1, réservé aux services judiciaires, contient l’ensemble des sanctions prononcées à l’encontre d’une personne par les deux ordres de juridiction. L’article 775 du code de procédure pénale précise la liste des condamnations n’apparaissant pas dans le bulletin n° 2 du casier judiciaire.

2.   Le dispositif proposé

L’alinéa unique du présent article autorise les services de renseignement à consulter le bulletin n° 2 du casier judiciaire dans le cadre des enquêtes administratives de sécurité menées en application de l’article L. 114-1 du code de sécurité intérieure.

Cette consultation permettra aux services de renseignement de conforter les conclusions des enquêtes administratives de sécurité et donc de prendre des décisions administratives mieux éclairées en matière de recrutement, d’affectation, de titularisation, d’autorisation d’accès, d’agrément ou encore d’habilitation.

En l’état actuel du droit, les services peuvent prendre des décisions administratives défavorables aux personnes concernées sur la base d’une simple mise en cause judiciaire inscrite au fichier des antécédents judiciaires mais qui aurait finalement donné lieu à un classement sans suite. Au contraire, les services peuvent également autoriser le recrutement ou la décision d’habilitation d’un individu sans connaître d’une éventuelle condamnation prononcée à son encontre. Cet article vise donc à sécuriser les décisions administratives prises sur la base de l’article L. 114-1 du code de procédure pénale.

3.   La position de la commission

La commission a adopté cet article sans modification.

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Article 20
Garantir la prise en compte des intérêts fondamentaux de la Nation en cas d’activité privée en rapport avec une puissance étrangère

Adopté par la Commission avec modifications

1.   L’état du droit

L’article 20 vise à doter le ministre de la Défense de moyens légaux de s’opposer au recrutement par un État ou une entreprise étrangère de militaires nationaux détenteurs de savoir-faire militaires opérationnels rares.

Ce dispositif résulte d’une multiplication récente, en France, au Royaume-Uni ou encore aux États-Unis, de tentatives de recrutement de militaires par des États compétiteurs. Ces tentatives d’approche ont notamment ciblé les pilotes de Rafale français, maîtrisant des savoir-faire militaires opérationnels rares comme le décollage par catapulte ou encore l’appontage. D’après l’étude d’impact, une dizaine de pilotes français ont ainsi fait l’objet d’approche par des États tiers au cours des dernières années. Les autorités britanniques ont déclaré qu’une trentaine de pilotes des Royal Air Forces avaient également été approchés.

Or, en l’état du droit, aucun dispositif juridique ne permet d’empêcher a priori le départ du militaire recruté par un État ou une entreprise étrangère.

La commission de déontologie des militaires instituée à l’article L. 4122-4 du code de la défense veille uniquement à la prévention de la commission du délit de prise illégale d’intérêts.

Par ailleurs, les articles 411-6 à 411-8 du code pénal sanctionnent le fait de livrer ou de rendre accessibles à une entité étrangère des renseignements, procédés, objets, documents, données informatisées ou fichiers dont l’exploitation, la divulgation ou la réunion est de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation. Or, la preuve a posteriori de la commission de ces infractions nécessite de relever la livraison, active ou passive, de toute information stratégique dont l’exploitation par une entité étrangère peut porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation. Si la livraison de savoir-faire opérationnels ou de spécifications techniques sont inclues dans le périmètre de ces infractions, il en faut néanmoins établir la matérialité, ce qui peut être complexe.

En outre, l’article 411-5 punit le fait d’entretenir des intelligences avec une entité étrangère et l’article 411-7 le fait de recueillir ou de rassembler des informations ou supports en vue de la livraison à une entité étrangère. Toutefois, pour caractériser l’infraction d’intelligence avec une entité étrangère, il importe de recueillir des éléments matériels prouvant que l’auteur a agi volontairement et ayant pleinement conscience de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation dont il est ressortissant. Enfin, la collecte et conservation de données au profit d’une entité étrangère punies par l’article 411-7 du code pénal ne correspondent pas par exemple à la livraison d’un savoir-faire militaire opérationnel comme la technique d’appontage pour un pilote de Rafale.

Ainsi, l’ensemble de ces dispositifs ne permettent pas de prévenir le départ d’un militaire vers une puissance étrangère en vue de lui livrer un savoir-faire militaire opérationnel. Il semble que les dispositifs de répression pénale énumérés supra ne soient en outre pas adaptés à la punition des livraisons de savoir-faire opérationnels visées par le présent article. En tout état de cause, ils ne semblent pas suffisants pour empêcher certains militaires d’être recrutés par des puissances étrangères compétitrices.

Ce constat plaide pour la mise en œuvre d’un régime préventif de contrôle des départs des militaires recrutés par des puissances étrangères. Aux États-Unis, une autorisation du Congrès est requise lorsqu’un militaire ou ancien militaire accepte des émoluments, charges ou titres d’un gouvernement étranger. ([50]) L’article 37 de la section 908 du « United States Code » précise par ailleurs que les anciens membres des services en uniforme doivent obtenir l’accord du secrétaire d’État compétent.

En cas de non-respect de cette clause, le gouvernement peut demander le recouvrement des sommes perçues et le ministère peut également procéder à la suspension de la pension. Néanmoins, la législation américaine ne prévoit pas de sanction pénale à cet effet.

2.   Le dispositif proposé

L’alinéa 2 du présent article institue un régime de déclaration préalable obligatoire au Ministre de la défense pour les militaires souhaitant « exercer une activité en échange d’un avantage personnel ou d’une rémunération dans le domaine de la défense ou de la sécurité au bénéfice d’un État étranger ou d’une entreprise ou d’une organisation ayant son siège en dehors du territoire national ou sous contrôle étranger ».

Les militaires astreints à cette obligation de déclaration préalable seront les militaires « exerçant des fonctions présentant une sensibilité particulière ou requérant des compétences techniques spécialisées ».

Ils seront tenus d’exercer leur obligation de déclaration préalable au ministre en respectant « un délai minimal de préavis » fixé par un décret en Conseil d’État.

L’alinéa 3 du présent article prévoit que ce régime de déclaration préalable obligatoire s’applique dans les dix ans suivant la cessation des fonctions mentionnées supra. La durée de dix ans correspond à la durée moyenne au terme de laquelle le savoir-faire des intéressés est présumé devenu obsolète.

L’alinéa 4 du présent article prévoit qu’un « décret en Conseil d’État détermine les domaines d’emploi dont relèvent les fonctions mentionnées au premier alinéa. Celles-ci sont précisées par un arrêté non publié du ministre de la défense. Les militaires ou anciens militaires soumis à l’obligation prévue aux deux premiers alinéas en sont informés. »

La liste des fonctions soumises au régime de déclaration préalable obligatoire pourra être actualisée de manière régulière en fonction de l’évolution des enjeux pour les intérêts fondamentaux de la Nation.

L’alinéa 5 précise que le ministre de la défense peut s’opposer à l’exercice de l’activité envisagée par le militaire dans deux cas présentés comme cumulatifs :

– s’il estime que cet exercice comporte le risque d’une divulgation par l’intéressé de renseignements, procédés, objets, documents, données informatisées ou fichiers auxquels il a eu accès dans le cadre de ces fonctions ;

– si cette divulgation est de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation.

La jurisprudence constitutionnelle et administrative prend pleinement en compte « les exigences constitutionnelles inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation », parmi lesquelles figurent l’indépendance nationale et l’intégrité du territoire, la protection du secret de la défense nationale ou encore la libre disposition de la force armée.

Les alinéas 6 à 7 précisent que les contrats conclus en vue de l’exercice de ces activités sont nuls de plein droit. En ce qui concerne les contrats de droit étranger exécutés en France, l’étude d’impact précise que les « dispositions législatives proposées constitueront une loi de police opposable ».

Les articles 8 à 9 énoncent les sanctions administratives que l’autorité administrative peut prononcer en cas de méconnaissance de l’obligation de déclaration préalable ou de méconnaissance de l’opposition formulée par le ministre de la défense :

– retenues sur la pension de l’intéressé ne pouvant dépasser 50 % de son montant et pour la durée d’exercice de l’activité illicite, dans la limite de dix ans ;

– retrait des décorations obtenues par l’intéressé.

L’alinéa 11 crée un délit-obstacle à l’article L. 4122-12 du code de la défense qui punit d’une peine d’emprisonnement de cinq ans et de 75 000 euros d’amende le fait d’avoir méconnu l’obligation de déclaration préalable ou d’avoir méconnu l’opposition du ministre de la défense à l’exercice desdites fonctions.

Le présent dispositif s’appliquera à compter de la date de publication du décret précisant la liste des domaines d’emploi concernés et de l’arrêté du ministre de la défense établissant la liste des fonctions soumises à la procédure d’autorisation. Les anciens militaires qui auraient déjà été recrutés à cette date par une puissance étrangère ne seront pas rétroactivement soumis à l’obligation déclarative.

Outre les fonctions de pilotes de chasse, l’étude d’impact précise que « paraissent devoir être soumis à ce contrôle » certains emplois sensibles relevant du commandement dans le domaine naval, de la cyberdéfense, du secteur du nucléaire ou encore du renseignement. Votre rapporteur note que seuls les militaires sont concernés par ce dispositif, et non les civils, bien que de nombreux civils exercent dans ces domaines (notamment, renseignement et cyberdéfense). À ce titre, il proposera un amendement à l’article 20 visant à concentrer ce dispositif sur les fonctions présentant une « sensibilité particulière ou requérant des savoir-faire militaires opérationnels spécialisés » afin de resserrer le dispositif sur les fonctions exercées par les militaires.

3.   La position de la commission

La commission a adopté un amendement de Mme Santiago (DN277) visant à préciser que l’obligation de déclaration préalable obligatoire s’appliquerait aux militaires dont l’activité professionnelle bénéficierait « directement ou indirectement » à un État étranger ou d’une entreprise ou d’une organisation ayant son siège en dehors du territoire national ou sous contrôle étranger. Cet amendement vise donc à prévenir l’apparition de sociétés « fantômes » dont le seul objet serait de jouer un rôle d’intermédiaire sans qu’elles ne soient directement contrôlées par des puissances étrangères.

La commission a ensuite adopté un amendement du rapporteur (DN956) précisant que cette obligation ne s’appliquerait « pas au militaire qui souhaite exercer une activité au sein d’une entreprise titulaire de l’autorisation mentionnée à l’article L. 2332‑1 ». Ces entreprises visées par l’article L. 2332-1 du code de la défense sont des entreprises de fabrication ou de commerce de matériels de guerre et d'armes et munitions de défense des 1re, 2e, 3e, 4e catégories, dont l’activité ainsi que celles de leurs intermédiaires et agents de publicité, ne peut fonctionner qu'après autorisation de l'État et sous son contrôle. Cet amendement précise donc l’amendement DN277 précédemment adopté, afin de ne pas inclure les entreprises de la BITD dont le modèle économique repose sur l’exportation de matériels de guerre vers l’étranger dans le champ de l’obligation de déclaration préalable obligatoire.

La commission a également adopté l’amendement du rapporteur (DN862) visant à préciser la portée du contrôle préventif et dissuasif confié au ministre des armées. Cet amendement circonscrit le périmètre de ces informations aux « savoir-faire nécessaires à la préparation et à la conduite des opérations militaires », qui confèrent à la France un avantage sur ses adversaires et dont la divulgation pourrait permettre à ces derniers de développer des stratégies ou des techniques de contre-mesures.

Enfin, la commission a adopté les amendements rédactionnels DN861, DN956 et DN863.

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Article 21
Permettre la communication par l’autorité judiciaire aux services de renseignement des éléments d’une procédure ouverte pour crime de guerre ou crime contre l’humanité

Adopté par la Commission sans modification

1.   L’état du droit

Parce qu’ils exercent une mission générale de prévention de la réalisation des menaces visant le territoire national, les services de renseignement participent à la lutte contre l’impunité des auteurs de crimes supranationaux par la collecte et l’analyse de renseignements relatifs à des individus ou groupes déterminés éventuellement positionnés à l’extérieur du territoire national.

Or, les procédures judiciaires ouvertes pour crimes et délits de guerre ou crimes contre l’humanité peuvent permettre de documenter l’existence d’une menace visant les intérêts fondamentaux de la Nation et ne se matérialisant pas par la commission d’une infraction. Ainsi, certains éléments des enquêtes pénales relatives aux crimes supranationaux pourraient donc s’avérer très utiles pour les services de renseignement dans le cadre de leur mission de collecte et d’exploitation des renseignements relatifs aux enjeux géopolitiques et stratégiques et à la défense des intérêts fondamentaux de la Nation, comme l’exécution des engagements internationaux de la France ou la prévention de toute forme d’ingérence étrangère.

Or, en l’état actuel du droit, aucune disposition législative ne permet l’échange d’informations entre l’autorité judiciaire et les services de renseignement en matière de crime et délit de guerre ou crime contre l’humanité.

L’étude d’impact précise que « la situation au Sahel ou au Levant et plus récemment la guerre en Ukraine ont mis en exergue le besoin d’élargir la possibilité pour le procureur de la République antiterroriste ou pour le juge d’instruction de communiquer aux services de renseignement des éléments relatifs aux procédures portant sur les violations les plus graves des normes fondamentales du droit international. » Ces communications seraient d’autant plus nécessaires aux services que les enquêtes pénales se déroulent de plus en plus concomitamment aux commissions de crimes supranationaux. La transmission d’information par l’autorité judiciaire aux services de renseignement pourrait être de nature à permettre d’empêcher la fuite des criminels de guerre ou leur entrée sur le territoire de l’UE.

Ces transmissions d’informations entre l’autorité judiciaire et les services de renseignement du premier cercle visés à l’article L. 811-2 du code de la sécurité intérieure existent déjà pour :

– des informations issues de procédures d’enquête ou d’instruction ouvertes en matière de terrorisme et nécessaires à l’exercice des missions de services de renseignement relatives à la prévention du terrorisme. (Article 706-25-2 du code de procédure pénale).

– des éléments de toute nature nécessaires à l’exercice des missions des services concernés au titre de la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées.

2.   Le dispositif proposé

Le présent article crée une nouvelle dérogation au principe du secret de l’enquête et de l’instruction de la procédure en élargissant aux enquêtes ouvertes pour crimes contre l’humanité ou crimes et délits de guerre la possibilité de partage de pièces de procédure entre autorité judiciaire et services de renseignement du premier cercle.

L’alinéa 2 crée ainsi un article L. 628-8-1 dans le code de procédure pénale qui prévoit la possibilité pour le procureur de la République antiterroriste (PRAT), pour les procédures d’enquête ou d’instruction ouvertes pour crimes contre l’humanité ou crimes et délits de guerre, de communiquer aux services de renseignement du premier cercle, de sa propre initiative ou à la demande de ces services, des éléments de toute nature figurant dans ces procédures et nécessaires à l’exercice des missions de ces services au titre de la défense et de la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation. L’alinéa 2 précise que si la procédure fait l’objet d’une information, cette communication ne peut intervenir qu’avec l’avis favorable du juge d’instruction.

L’alinéa 3 prévoit que le juge d’instruction peut également procéder à cette communication dans les mêmes conditions et pour les mêmes finalités pour les procédures d’information dont il est saisi, après avoir recueilli l’avis du PRAT et sans que cet avis ne soit conforme.

Les requêtes formulées par les services de renseignement seront susceptibles d’être rejetées par le PRAT ou le juge d’instruction, qui conserveront la faculté d’apprécier l’opportunité de transmettre les informations sollicitées.

L’alinéa 4 précise que les informations communiquées en application du présent article ne peuvent faire l’objet d’un échange avec des services renseignement étrangers ou avec des organismes internationaux compétents dans le domaine du renseignement.

L’alinéa 5 précise que sauf pour les condamnations prononcées publiquement, les personnes destinataires de ces informations partagées sont tenues au secret professionnel dans les conditions et sous les peines prévues aux articles 226-23 et 226-14 du code pénal.

3.   La position de la commission

La commission a adopté cet article sans modification.

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Article 22
Protéger l’anonymat des anciens agents des services de renseignement ou des anciens membres des forces spéciales dans le cadre des procédures judiciaires

Adopté par la Commission sans modification

1.   L’état du droit

En vertu de l’article 656-1 du code de procédure pénale, l’identité réelle des agents appartenant à certains services spécialisés dont le témoignage est requis au cours d'une procédure judiciaire sur des faits dont ils auraient eu connaissance lors de missions intéressant la défense et la sécurité nationale ne doit jamais apparaître au cours de la procédure judiciaire.

Ces agents dont l’anonymat est protégé dans le cadre de l’article 656-1 du code de procédure pénale appartiennent :

– aux services de renseignement dits du « premier cercle » mentionnés à l’article L. 811-2 du code de sécurité intérieure ;

– aux services de renseignement dits du « second cercle » mentionnés à l’article L. 811-4 du même code ;

– aux membres des unités des forces spéciales désignées par arrêté du ministre de la défense ou aux membres des unités d’intervention spécialisées dans la lutte contre le terrorisme désignées par arrêté du ministre de l’intérieur auxquels renvoie l’article 413-4 du code pénal.

En l’état actuel du droit, les dispositions de l’article 656-1 du code de procédure pénale ne précisent pas les conditions d’application dans le temps de ce régime de protection de l’identité réelle des agents. Se pose notamment la question de savoir si ce régime d’audition est applicable après la cessation par les agents des fonctions dans les services désignés supra.

Or, cet enjeu émerge régulièrement dans le cadre des procédures judiciaires. L’étude d’impact précise ainsi que « la pratique actuelle repose en effet sur une appréciation différenciée des dispositions de l’article 656-1 du CPP », ce qui constitue une source majeure d’insécurité juridique.

Cette insécurité juridique peut être nuisible à l’activité des services spécialisés précités. Il importe donc de continuer à garantir l’anonymat des anciens agents des services de renseignement et des forces spéciales, qui plus est quand le départ du service est récent.

En outre, même si leur lien avec le service est rompu, les missions « intéressant la défense et la sécurité nationale » relatives aux faits relatés dans leur témoignage peuvent toujours être d’actualité au moment du témoignage de l’ancien agent. Ainsi, l’identification de ces agents spécialisés lors d’un témoignage public peut faciliter, par recoupement, la révélation de l’identité de leurs anciens collègues toujours en poste. Ces recoupements peuvent in fine compromettre la réussite des missions précitées et donc la protection des intérêts fondamentaux de la Nation.

2.   Le dispositif proposé

Les alinéas 1 à 2 du présent article complètent l’article L. 656-1 du code de procédure pénale par un alinéa ayant pour objet d’étendre l’application de cet article aux témoignages des anciens agents des services de renseignement du premier et second cercles ainsi qu’aux anciens agents des unités des forces spéciales et unités d’intervention spécialisés dans la lutte contre le renseignement.

3.   La position de la commission

La commission a adopté cet article sans modification.

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Chapitre III
Économie de défense

Article 23
Modernisation et adaptation du régime des réquisitions

Adopté par la Commission avec modifications

1.   L’état du droit

La réquisition est une mesure de puissance publique ordonnée pour des motifs d’intérêt général par l’État pour obtenir la fourniture d’un bien ou l’exécution d’une prestation de service, lorsque les moyens dont il dispose sont inexistants, inadaptés, inadaptés ou insuffisants pour répondre aux besoins en cas. Cette réquisition n’est susceptible d’intervenir qu’en dernier recours, à défaut de toute solution alternative, amiable ou contractuelle.

En l’état du droit positif, le code de la défense prévoit deux dispositifs de réquisition distincts :

d’une part, les réquisitions militaires, qui ont pour objet principal l’approvisionnement des forces armées et formations rattachées ;

d’autre part, les réquisitions pour les besoins généraux de la Nation, qui ont une portée plus large, puisqu’elles sont destinées à obtenir les prestations nécessaires pour assurer les activités essentielles de la vie du pays face à des situations critiques.

Ces dispositions souffrent cependant de plusieurs défauts, qui obèrent leur efficacité et les rendent inadaptées aux besoins actuels.

Tout d’abord, les conditions qui doivent être satisfaites pour mettre en œuvre ces dispositifs sont soit trop restrictives soit source d’insécurité juridique :

les réquisitions militaires, sauf exceptions, ne peuvent être utilisées qu’en cas de mobilisation partielle ou générale ;

le recours aux réquisitions pour les besoins généraux de la Nation nécessite de démontrer l’existence d’une menace sur la vie de la Nation, la nature et l’intensité de la menace n’étant pas définies par les textes.

Par conséquent, il n’est pas possible, en l’état, d’ordonner une réquisition pour répondre à une situation d’urgence pour les forces armées, qui ne corresponde pas à une menace effective sur la vie de la Nation. Ceci explique la faible utilisation en pratique de ce dispositif (seuls cinq décrets en ce sens sous la Ve République).

En outre, les modalités d’exercice des deux dispositifs de réquisitions prévues par le code de la défense obéissent à un régime particulièrement complexe, défini par une centaine d’articles législatifs et plus de cent quatre-vingts articles réglementaires. En guise de comparaison, le régime des réquisitions préfectorales est fondé quant à lui sur un seul article du code général des collectivités territoriales.

Le régime d’indemnisation prévu au titre de ces réquisitions est également inadapté, avec des règles de détermination du montant des indemnités réquisitions particulièrement lourdes et des dispositions procédurales et des modes de règlement des conflits obsolètes.

2.   Le dispositif proposé

Après des amendements de cohérence légistique (alinéas 1 à 9), l’article 23 modifie le titre Ier au sein du livre II de la deuxième partie du code de la défense pour créer un nouveau régime relatif aux « réquisitions pour les besoins de la défense et de la sécurité nationale » (alinéas 10 à 13).

Le premier chapitre de ce titre dédié aux « sujétions préalables aux réquisitions » (alinéas 14 à 15), a pour objectif de garantir l’efficacité des réquisitions dans l’hypothèse où celles-ci seraient mises en œuvre, à travers deux mécanismes permettant d’anticiper les crises :

la possibilité pour les pouvoirs publics de recenser les biens, personnes et services susceptibles de faire l’objet d’une mesure de réquisition, afin de les soumettre, sous un préavis de quinze jours, à des essais ou à des exercices jugés indispensables pour une durée ne pouvant excéder cinq jours par an (alinéas 16 à 18). Si cette possibilité de recensement existe déjà en l’état du droit positif, le projet de loi créée par cette disposition un cadre juridique pour planifier des exercices de crise ;

la faculté d’ordonner le blocage des biens mobiliers susceptibles de faire l’objet d’une réquisition (alinéas 21 à 25). Ainsi que le souligne le ministère des Armées dans une réponse aux questionnaires de votre rapporteur « le blocage des biens mobiliers permet d’empêcher que les biens susceptibles d’être réquisitionnés ne soient préalablement vendus ou exportés afin, d’une part, de conférer à l’autorité administrative le temps nécessaire pour définir et mettre en œuvre un plan de réquisition et, d’autre part, de préserver les capacités internes de réponse aux besoins de la Nation. Il s’agit, en ce sens, d’une mesure directement destinée à répondre à une situation de menace actuelle ou prévisible nécessitant l’intervention des pouvoirs publics ». Si cette faculté de blocage existe déjà dans le code de la défense, le projet de loi limite celle-ci à une période maximale de quinze jours (renouvelable une fois) et rehausse au niveau législatif les règles d’indemnisation jusqu’alors prévues dans la partie réglementaire.

Le chapitre II « principes généraux » créée par cet article 23 prévoit une refonte générale du mécanisme des réquisitions du code de la défense. Ainsi que l’a résumé la directrice des affaires juridiques du ministère des Armées, « la dichotomie entre réquisitions militaires et civiles, qui structurait la rédaction des articles du code, est abandonnée au profit d’une distinction fondée sur la nature et l’intensité de la menace et des besoins » ([51]).

Le projet de loi distingue ainsi deux hypothèses :

les réquisitions en cas de menaces pesant sur la vie de la Nation, décidées par le Président de la République par décret délibéré en conseil des ministres (alinéa 28 et 29) ;

les réquisitions en cas de situations d’urgence mettant en mettant en cause la sauvegarde des intérêts de la défense nationale, décidées par décret du Premier ministre (alinéas 30 et 31).

S’agissant du régime de réquisitions en cas de menace, ladite menace peut concerner aussi bien les activités économiques essentielles, la protection de la population, l’intégrité du territoire ou la permanence des institutions de la République que les menaces justifiant la mise en œuvre des engagements internationaux de la France en matière de défense. Un tel périmètre est directement inspiré de celui de la stratégie de sécurité nationale et de la politique de défense figurant à l’article L. 1111-1 du code de la défense.

Un des principaux apports du projet de loi est que la réquisition est possible même si la menace n’est que « prévisible » et non immédiate, ce qui rehausse la capacité des pouvoirs publics à se préparer en cas de montée des périls. Selon les indications du ministère des Armées à votre rapporteur, les mesures prises sur ce fondement peuvent être « destinées à garantir l’approvisionnement en eau, en énergie ou en alimentation » ou encore correspondre à « des mesures dite ‘‘de réassurance’’ prises dans le cadre du traité de l’Atlantique nord ou de la contribution à la défense des pays alliés ».

Quant au dispositif de réquisition en cas d’urgence, il permettra à l’État de disposer des moyens nécessaires à la conduite d’une opération de défense urgente, quand bien même aucune menace ne pèserait sur la vie de la Nation. L’exposé des motifs du projet de loi cite à titre d’exemple l’hypothèse de la « récupération d’un aéronef militaire abîmé en mer ». De même, selon les précisions apportées par le ministère des Armées à votre rapporteur, « la projection de soldats pour un engagement opérationnel à l'étranger a par construction un caractère urgent et peut nécessiter exceptionnellement le recours à des moyens civils (pour le transport de troupes par exemple) ; une réquisition serait possible dans ce cas, alors même qu'aucune menace ne pèserait sur les activités essentielles à la vie de la Nation ».

Le projet de loi apporte les garanties indispensables à la protection des droits et libertés individuelles. Les mesures de réquisition ne peuvent être ordonnées qu’à défaut de tout autre moyen adéquat disponible dans un délai utile, ce qui signifie en pratique qu’elles seront précédées d’une négociation amiable ; elles doivent être strictement proportionnées aux objectifs poursuivis et être levées sans délai dès qu’elles ne sont plus nécessaires ; enfin, les personnes physiques sont réquisitionnées en tenant compte de leurs aptitudes et de leurs compétences (alinéas 32 à 37).

Les personnes susceptibles d’être soumises à ces réquisitions sont les personnes physiques situées sur le territoire français ainsi que les personnes non-résidentes de nationalité française, les personnes morales ayant leur siège social en France, ainsi que tout navire battant pavillon français (alinéas 38 à 42).

Le projet de loi simplifie également le régime de l’indemnisation. Le principe de réparation intégrale est consacré : les dommages subis par la personne requise résultant de manière directe et certaine des mesures de réquisition sont intégralement pris en charge par l’État ; si les dommages sont imputables à un tiers, l’État indemnise malgré tout la victime et est subrogé dans les droits de cette dernière. Dans le cas d’une prestation de service requise, le montant de l’indemnisation est établi en fonction du prix commercial normal de la prestation (alinéas 43 à 48). Les modalités d’indemnisation sont directement inspirées du régime des réquisitions préfectorales.

Enfin, les sanctions pénales prévues en cas de non-respect des mesures de réquisition sont identiques à celles prévues au titre du régime des réquisitions de biens et services spatiaux introduit par l’ordonnance n° 2022‑232 du 23 février 2022 (alinéas 49 à 52), soit une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 500 000 euros d’amende.

Les alinéas suivants introduisent des modifications à des fins de cohérence.

Il convient enfin de relever que les autres régimes spécifiques de réquisition, qui ne figurent pas dans le code de la défense, tels que celui des réquisitions préfectorales, demeurent inchangés.

3.   La position de la commission

Aux alinéas 78 et 79, la commission a adopté un amendement de votre rapporteur (DN865), visant à tirer les conséquences, au sein du code des transports, de la compétence de droit commun du juge administratif pour les contentieux liés à l’indemnisation des mesures de réquisition.

 

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Article 24
Constitution de stocks stratégiques et dispositif de priorisation

Adopté par la Commission avec modifications

1.   L’état du droit

La possibilité pour l’autorité administrative d’ordonner la constitution de stocks est prévue par le code de la santé, qui impose à tout titulaire d’une autorisation de mise sur le marché de constituer un « stock de sécurité » de médicaments, ainsi que l’a rappelé la directrice des affaires juridiques du ministère des Armées lors de son audition devant la commission. De même, les articles L. 642-2 et suivants du code de l’énergie imposent aux opérateurs pétroliers de contribuer à la constitution de « stocks stratégiques » pétroliers, de façon à ce que la France dispose, en permanence, d’un quart des quantités importées ou introduites l’année suivante.

En revanche, le code de la défense ne prévoit aucun dispositif dédié à la sécurité des approvisionnements des forces armées.

2.   Le dispositif proposé

Le retour de la guerre de haute intensité en Europe rend nécessaire la consolidation de l’approvisionnement des forces armées en matériels et munitions, notamment dans un contexte de pénuries accru de certains intrants stratégiques dans les processus de production.

Comme l’a souligné la directrice des affaires juridiques du ministère des Armées, « la revue nationale stratégique de 2022 a fait apparaître la nécessité de prévoir la possibilité d’imposer la constitution de stocks stratégiques, éventuellement mutualisés entre les entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD), pour permettre d’augmenter les cadences de production et d’accélérer les livraisons de matériels, sans que la chaîne d’approvisionnement ne connaisse de rupture. Au nombre des enseignements déjà tirés de la guerre en Ukraine, figurent en effet les difficultés rencontrées par la BITD pour nous aider à reconstituer les stocks de matériels ou de munitions » ([52]).

C’est la raison pour laquelle l’article 24 du projet de loi crée la possibilité pour l’autorité administrative d’imposer aux entreprises titulaires d’une autorisation de fabrication et de commerce d’armes et matériels de guerre la constitution d’un « stock minimal de matières ou composants d’intérêt stratégique » (alinéa 6).

Si le projet de loi ne définit pas la notion de matières ou composants d’intérêt stratégique, l’exposé des motifs du projet de loi donne l’exemple du titane, qui est une matière essentielle pour le secteur aéronautique et dont l’approvisionnement est rendu difficile depuis le début du conflit en Ukraine, dès lors que la Russie constituait un des principaux fournisseurs de nos industriels de défense. Dans sa réponse au questionnaire de votre rapporteur, le ministère des Armées estime que « la constitution de stocks peut s’avérer nécessaire pour des composants de base ou des produits semi-finis spécifiques à certains équipements militaires, dont la disponibilité immédiate apparaît susceptible de permettre à l’industriel d’augmenter sa cadence de production de façon significative. Tel est par exemple le cas des tubes de canons Caesar, qui représentent une faible proportion du coût total de production, mais une part importante dans le délai global de production de ce système d’armes. L’on peut également citer les miroirs entrant dans la fabrication des systèmes optroniques ».

Il convient de relever que la faculté d’ordonner la constitution de tels stocks est indépendante de toute commande en cours avec ladite entreprise : l’État pourra imposer une telle mesure y compris aux entreprises de défense avec lesquels il n’a pas de contrat en cours d’exécution. Pour mettre en œuvre une telle mesure, l’autorité administrative devra démontrer qu’elle est nécessaire pour « garantir la continuité de l’exécution des forces armées » ou pour « sécuriser leur approvisionnement ». L’objectif est de s’assurer que l’entreprise sera en mesure d’augmenter sa cadence de production en cas de besoin par la mobilisation de ces stocks préconstitués.

L’article 24 institue un certain nombre de garanties, afin que cette décision ne soit pas de nature à déstabiliser l’entreprise : la valeur maximale du stock dont la constitution est ordonnée ne pourra excéder un pourcentage du chiffre d’affaires de l’entreprise qui devra être ordonnée par décret et les mesures prescrites devront être strictement proportionnées au regard du volume et à la nature des matériels vendus et des commandes en cours, aux besoins des forces armées et aux conditions d’approvisionnement (alinéas 7 à 11). Ainsi, toute mesure devra faire l’objet d’une analyse in concreto au regard de la situation spécifique de chaque entreprise concernée.

Afin d’assurer une certaine souplesse dans la mise en œuvre de ce dispositif, les entreprises auront en outre la possibilité de mutualiser la constitution et la gestion de ces stocks, à condition de ne pas les utiliser sans autorisation administrative (alinéas 12 et 13).

En revanche, à l’instar du régime applicable pour les stocks stratégiques d’hydrocarbure, les entreprises concernées n’auront pas droit à l’indemnisation des coûts de constitution et d’immobilisation du stock, dès lors que la constitution de tels stocks concourt à la réalisation de leur activité professionnelle (alinéa 14). Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’État souligne à ce titre que « l’absence d’indemnisation des coûts de constitution et d’entretien des stocks prescrits ne porte pas à l’exercice du droit de propriété une limitation se heurtant à un obstacle de nature constitutionnelle ou conventionnelle ».

L’article 24 crée un second dispositif destiné à renforcer l’approvisionnement des forces armées en équipements et en munitions en cas de besoin : le mécanisme de priorisation, inspiré du « Defense Priorities and Allocation System Program » (DPAS) mis en œuvre aux États-Unis.

Le nouvel article L. 1339-2 du code de la défense institué par le projet de loi confère la faculté pour l’autorité administrative d’ordonner à une entreprise avec lequel il a conclu un marché de défense et de sécurité l’exécution de ses commandes en priorité eu égard aux autres engagements de l’industriel (alinéa 16). Concrètement, par ce dispositif, l’État pourra par exemple imposer à Dassault de produire les Rafale destinés à l’armée de l’Air et de l’Espace en priorité par rapport à tout autre client de l’entreprise. L’autorité administrative pourra en outre ordonner un délai de livraison raccourci par rapport au calendrier initial contractuel (alinéa 16).

Les cas d’ouverture de ce mécanisme sont plus larges que le dispositif de constitution des stocks, puisqu’il vise à garantir non seulement la continuité des missions des forces armées, mais également à honorer les engagements internationaux de la France. À ce titre, il pourra également être mobilisé pour rendre prioritaire l’exécution des contrats d’armement passés par une organisation internationale ou un autre État à une entreprise française (alinéa 18).

Dès lors que la production des équipements en cause mobilise non seulement le maître d’œuvre principal mais également l’ensemble de sa chaîne de sous-traitance, le projet de loi prévoit que l’obligation de priorisation s’appliquera aux sous-contractants dont la participation est indispensable à l’exécution du marché en cause (alinéa 19).

Contrairement aux mesures de constitution des stocks stratégiques, l’entreprise soumise à ce mécanisme de priorisation sera indemnisée. Le projet de loi prévoit ainsi que l’État devra indemniser le préjudice matériel résultant de manière directe et certaine des mesures de priorisation (alinéas 20 et 21). À titre d’exemple, les pénalités de retards que subirait l’entreprise en raison de la mise en œuvre de ce mécanisme seront prises en charge par l’État.

Pour assurer leur efficacité, les obligations de constitution de stocks stratégiques et de priorisation sont assorties de sanctions administratives. Celles-ci ne pourront toutefois pas excéder le double de la valeur des stocks ou des prestations concernées, dans la limite de 5 % du chiffre d’affaires annuel moyen constaté au cours des deux exercices précédents (alinéas 15 et 22).

3.   La position de la commission

À l’alinéa 6, la commission a adopté un amendement de votre rapporteur (DN867) prévoyant un réexamen, a minima biannuel, de l’arrêté par lequel l’autorité administrative peut ordonner la constitution d’un stock minimal de matières ou de composants d’intérêt stratégique. Un tel réexamen pourra conduire, le cas échéant, à ne pas renouveler la mesure si celle-ci n’est plus nécessaire. Cet amendement complète ainsi les garanties octroyées aux industriels concernées par ces mesures.

La commission a également adopté plusieurs amendements rédactionnels de votre rapporteur (DN835, 831, 832 et 837).

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Chapitre IV
Crédibilité stratégique

Article 25
Faire évoluer le régime des enquêtes de coût dans les marchés publics

Adopté par la Commission avec modifications

1. L’état du droit

a. Les enquêtes de coûts ne sont aujourd’hui possibles que pour certains marchés publics de défense et de sécurité

Le code de la commande publique donne la possibilité à l’État et à ses établissements publics de diligenter des enquêtes afin de déterminer les coûts de revient (réels ou estimés) d’une prestation faisant l’objet d’un marché public.

Ces enquêtes peuvent avoir lieu :

a posteriori, après attribution du marché et achèvement des prestations auprès des titulaires dudit marché, les entreprises liées et les principaux sous-traitants. Sont ainsi contrôlés les coûts réellement supportés par ces derniers ;

– ou a priori, l’administration contrôlant les éléments ayant servi à l’élaboration de leur offre par les soumissionnaires, notamment les références, le contrôle s’effectuant après la remise des offres ainsi qu’en amont ou en parallèle de la négociation.

Aux termes de l’article L. 2196-5 du code de la commande publique, les entreprises concernées sont ainsi tenues de fournir à l’acheteur, à sa demande, « tous renseignements sur les éléments techniques et comptables du coût de revient des prestations qui font l’objet du marché » ; ils ont également l’obligation de « permettre et faciliter la vérification éventuelle sur pièces ou sur place de l’exactitude de [ces] renseignements », notamment par la présentation de « leurs bilans, comptes de résultat ainsi que de leur comptabilité analytique et tous documents de nature à permettre l’établissement des coûts de revient » (article L. 2196-6 du même code).

Ces enquêtes de coûts ne concernent toutefois pas l’ensemble des marchés publics. En application de l’article L. 2196-4, sont concernés « les marchés pour lesquels la spécialité des techniques, le petit nombre de candidats possédant la compétence requise, des motifs de secret ou des raisons d’urgence impérieuse ou de crise ne permettent pas de faire appel à la concurrence ou de la faire jouer efficacement ». C’est en effet le défaut de concurrence qui justifie ces enquêtes de coûts, afin de permettre à l’acheteur une négociation rationnelle des prix basée sur des éléments incontestables, écartant le risque de hausse injustifiée de prix par des entreprises en situation de monopole.

Toutefois, s’agissant des marchés publics de défense et de sécurité (MPDS), une distinction est faite entre :

– les MPDS relevant du livre III de la deuxième partie du code de la commande publique, auxquels ces dispositions s’appliquent ;

– les MPDS relevant du livre V de la deuxième partie du même code, intitulée « autres marchés publics », lesquels comprennent certains marchés publics de défense spécifiques.

Ces MPDS spécifiques ne sont pas soumis aux enquêtes de coûts ni, d’une manière générale, aux règles européennes de publicité et de mise en concurrence, en raison de leur nature très sensible. Ils concernent en effet, notamment :

– les marchés portant sur des armes, munitions et matériels de guerre relevant de la protection des intérêts essentiels de sécurité de l’État ;

– les marchés nécessitant une confidentialité très élevée, en lien par exemple avec la protection des frontières, la lutte contre le terrorisme ou la cryptographie ;

– les marchés destinés aux activités de renseignement ;

b. Les modalités de détermination et de comptabilisation des coûts n’ont aujourd’hui pas de base légale solide

 

En 1996, deux arrêtés interministériels, s’ajoutant à un arrêté de 1986, ont défini de manière détaillée les modalités de tenue des comptabilités des entreprises pour les marchés publics dans les domaines aéronautique et spatial, de l’ingénierie, de l’électronique et des télécommunications, à des fins de détermination des coûts de revient dans le cadre d’un marché public. Saisi par le Conseil des industries de défense française (CIDEF), le Conseil d’État a annulé ces deux arrêtés en 1999, considérant que les ministres avaient excédé l’habilitation donnée par la loi.

Le nouvel arrêté du 20 décembre 2000 se borne donc à définir un cadre général de détermination des coûts de revient, sans fixer la liste des postes comptables à retenir ou à exclure pour cette dernière, conformément à la décision du Conseil d’État.

En l’absence de base légale pour les modalités de calcul des éléments comptables nécessaires à la valorisation des éléments techniques du coût de revient (charges incorporables aux coûts et règles d’incorporation), les contrôles sont difficiles, limités et sources de contentieux avec les entreprises de la BITD.

2. Le dispositif proposé

            a. La précision par décret des modalités de calcul et de présentation des éléments comptables pour les déterminations des coûts de revient

 

Les alinéas 1 à 5 du présent article introduisent dans la section IV du chapitre VI du titre IX du livre Ier de la deuxième partie du code de la commande public – qui concerne l’ensemble (sauf exceptions) des marchés publics, un nouvel article L. 2196-7 habilitant le gouvernement à préciser, par décret :

– « la forme selon laquelle les éléments techniques et comptables mentionnés à l’article L. 2196-5 et au second alinéa de l’article L. 2196-6 [susmentionnés] sont présentés à l’administration, si celle-ci en fait la demande » ;

– « la nature des charges comprises dans la détermination du coût de revient et les modalités de leur comptabilisation ».

En conséquence, une nouvelle habilitation – très large – sera donnée au gouvernement qui lui permettra de définir, par la voie réglementaire, les modalités de calcul et de présentation des éléments comptables pour la détermination des coûts de revient. D’après les informations communiquées par votre rapporteur par le ministère des Armées, le futur décret présentera la décomposition du type des coûts de revient, les principes d’incorporabilité des charges générales et supplétives et les principes d’incorporation des charges dans les coûts de revient. Les conditions nécessaires pour assurer le respect de ces principes et la possibilité de le contrôler conduiront à fixer des obligations concernant la tenue des comptabilités de gestion. Il reprendra aussi certains principes et obligations de l’arrêté du 20 décembre 2000.

Ce décret sera décliné au niveau ministériel, par la prise d’un arrêté du ministre de la défense qui s’inspirera de l’arrêté du 20 décembre 2000 et de l’arrêté de 1986. Contrairement à ce qui avait été fait dans les arrêtés de 1996, les charges ne seront ni forfaitisées, ni plafonnées. Les secteurs visés seront ceux de la défense, de la sécurité et de l’espace afin d’englober l’armement terrestre et le secteur naval, secteurs non intégrés dans l’arrêté de 2000. Son application à l’infrastructure de défense et aux autres services au profit de la défense sera étudiée ultérieurement.

L’alinéa 6 applique les dispositions du nouvel article L. 2196-7 aux marchés publics de défense et de sécurité relevant du livre III précités.

b.   L’extension des enquêtes de coûts à l’ensemble des marchés publics de défense et de sécurité

 

Les soumissionnaires et les attributaires des marchés publics de défense et de sécurité relevant du livre V de la deuxième partie du code de la commande publique échappent aujourd’hui à toute enquête de coûts, alors même qu’ils ne sont, par leur nature sensible, soumis à aucune obligation de publicité et de mise en concurrence.

Or, ces MPDS représentent des montants importants : six milliards d’euros en moyenne par an ces dernières années.

Les alinéas 7 et 8 du présent article insèrent donc dans le chapitre Ier du titre II du livre V du code de la commande publique un nouvel article L. 2521-6 disposant que les dispositions de droit commun relative au contrôle du coût de revient des marchés de l’État et de ses établissements publics sont « applicables aux marchés publics de défense et de sécurité mentionnés au chapitre V du titre Ier du présent livre ». L’ensemble des marchés publics de défense et de sécurité, quelle que soit leur nature, sont donc désormais soumis aux mêmes obligations en matière de contrôle des coûts de revient, incluant celles des futurs décrets et arrêté susmentionnés.

Ces deux mesures rééquilibreront les relations entre le ministère des Armées et les entreprises de la BITD, tout en offrant à celles-ci plus de transparence et de sécurité juridique.

3. La position de la commission

La Commission a adopté deux amendements rédactionnels du rapporteur (n° DN875 et DN878).

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Article 26
Renforcer l’autonomie des armées en matière sanitaire

Adopté par la Commission avec modifications

Le dispositif proposé à l’article 26 modifie le code de la santé publique dans l’objectif de renforcer l’autonomie des armées en matière sanitaire en permettant aux militaires blessés en opérations de bénéficier d’une transfusion sanguine en urgence lors d’évacuations médicales depuis les théâtres d’opérations et en autorisant le centre de transfusion sanguine des armées à fabriquer de nouveaux médicaments spécifiques à la lutte contre les attaques chimiques neurotoxiques.

1. L’état du droit

            a. Les conditions de conservation des produits sanguins labiles sont aujourd’hui strictement encadrées et ne répondent pas complètement aux besoins opérationnels des armées

On appelle produit sanguin labile le produit issu d’un don de sang et destiné à être transfusé à un patient. Le sang recueilli permet de fabriquer plusieurs produits, qui répondent aux exigences de la médecine transfusionnelle : concentrés de globules rouges, de plaquettes et plasmas.

La conservation des produits sanguins labiles s’inscrit dans le cadre du droit de l’Union européenne, conformément à la directive 2002/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 janvier 2003 établissant des normes de qualité et de sécurité pour la collecte, le contrôle, la transformation, la conservation et la distribution du sang humain et des composants sanguins.

Actuellement, la conservation de produits sanguins labiles est strictement encadrée par la loi qui établit une liste limitative de structures qui peuvent conserver les produits sanguins labiles. En application de l’article L.1221-10 du code de la santé publique, les produits sanguins labiles destinés à une utilisation thérapeutique directe sont conservés, en vue de leur distribution et de leur délivrance, aux seuls Établissement français du sang et centre de transfusion sanguine des armées. L’article prévoit également la possibilité de conserver ces produits en vue de leur délivrance dans les établissements de santé et les hôpitaux des armées, autorisés à cet effet par l'autorité administrative après avis de l'Établissement français du sang ou, le cas échéant, du centre de transfusion sanguine des armées, dans des conditions définies par décret ainsi que dans les groupements de coopération sanitaire sous certaines conditions. Il précise, en outre, les conditions dans lesquelles les produits sanguins labiles doivent être conservés et rester sous la surveillance d'un médecin ou d'un pharmacien. Enfin, il est précisé que la délivrance de produits sanguins labiles ne peut être faite que sur ordonnance médicale.

Ces conditions limitatives ne permettent pas aujourd’hui à l’ensemble des centres médicaux du service de santé des armées (SSA) de stocker des produits sanguins labiles, afin de réaliser des transfusions sanguines en urgence sur le terrain ce qui, selon le ministère des Armées, nuit à l’efficacité de la prise en charge des militaires blessés.

            b. La loi confie aujourd’hui un monopole au laboratoire du fractionnement et des biotechnologies pour la fabrication des médicaments dérivés du sang

La loi confie actuellement au Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB) un monopole s’agissant de la fabrication des médicaments dérivés du sang.

Les médicaments dérivés du sang sont définis au 18° de l’article L.5121-1 du code de la santé publique comme « tout médicament préparé industriellement à partir du sang ou de ses composants. » Ils comprennent, notamment, les médicaments issus du fractionnement du plasma et le plasma à finalité transfusionnelle.

Aux termes de l'article L. 5124-14 du code de la santé publique, la filiale du LFB qui a en charge le fractionnement du plasma, est la seule à pouvoir fabriquer des médicaments dérivés du sang, à partir du sang ou de ses composants collectés par l'Établissement français du sang (EFS). L’EFS bénéficie toutefois, en vertu de l’article L.1222-1-1 du même code, d’une dérogation lui permettant de fabriquer des médicaments de type plasma transfusionnel à l’exclusion de ceux stabilisés issus du fractionnement du sang. En réponse à votre rapporteur, le ministère des Armées a rappelé que cette exclusivité de préparation de médicaments à partir du plasma collecté en France était justifiée par le souci de garantir des conditions de sécurité et de contrôle ainsi qu’une traçabilité maximales, compte tenu des forts enjeux sanitaires que représentent les activités de collecte et de transformation du sang. En effet, à la suite de la crise dite « du sang contaminé », les règles du code de la santé publique en matière de produits sanguins sont sous-tendues par le principe de séparation entre les activités de collecte et les activités de transformation du sang. Ce dispositif repose sur une exigence de sécurité renforcée, qui a conduit à une séparation institutionnelle entre l’Établissement Français du Sang (EFS) et le Laboratoire de fractionnement et des biotechnologies (LFB), selon une conception de la sécurité sanitaire reposant sur l’indépendance de la collecte du sang et du fractionnement du sang.

Actuellement, le Centre de transfusion sanguine des armées (CSTA) n’est donc pas autorisé à fabriquer des médicaments dérivés du sang. Or, le ministère des Armées estime dans l’étude d’impact du projet de loi, qu’il est nécessaire d’autoriser leur production par le service de santé des armées afin d’assurer la prise en charge de personnes exposées ou des victimes d’évènements de type nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC). L’usage de ces médicaments dans le cadre des contre-mesures médicales peut notamment participer à la prophylaxie, aux prétraitements et traitements. Pour mémoire, les contre-mesures médicales comprennent les médicaments destinés, soit à mieux protéger les personnes contre un agent chimique, biologique et radiologique par une administration précédant l'exposition, soit à traiter un patient après une exposition.

Dans sa rédaction actuelle, le VI de l’article L.1222-11 du code de la santé publique prévoit toutefois que le CTSA est simplement autorisé à réaliser la collecte, la qualification biologique du don et la préparation des produits sanguins labiles, leur distribution et leur délivrance notamment pour la satisfaction de la mission prioritaire de soutien sanitaire des forces armées, mais non à fabriquer des médicaments dérivés du sang.

2. Le dispositif proposé

            a. Élargir la liste des structures du service de santé des armées en capacité de conserver des produits sanguins labiles pour assurer des transfusions sanguines en urgence directement sur le terrain

Le dispositif entend modifier l’article L.221-10 du code de la santé publique afin d’autoriser les structures suivantes à conserver, pour répondre à des besoins spécifiques de la défense, les produits sanguins labiles en vue de leur délivrance :

– les centres médicaux du service de santé des armées à bord des bâtiments de la marine nationale, parfois éloignés des structures de santé ;

– les centres médicaux du service de santé pour leurs équipes mobiles exerçant leur mission dans les aéronefs militaires en charge des rapatriements sanitaires ;

– la brigade de sapeurs-pompiers de Paris et le bataillon des marins-pompiers de Marseille dans le cadre du transport médicalisé vers un hôpital des armées ou un établissement de santé des militaires malades ou blessés participant à une mission opérationnelle.

Ces capacités de conservation seront réservées à des besoins spécifiques de la défense, tels que le rapatriement d’un militaire blessé qui nécessite une prise en charge rapide, illustre l’étude d’impact. En effet, le ministère des Armées rappelle dans cette dernière que « l’approvisionnement en sang est crucial pour les troupes en opération puisque la principale cause de décès des blessés est l’hémorragie. » La mesure proposée vise donc à optimiser les soins et à augmenter les chances de survie des militaires blessés.

Les conditions de conservation offriront, par ailleurs, les mêmes garanties que pour les établissements de santé. L’autorisation de conservation sera accordée après avis du centre de transfusion sanguine des armées dans des conditions renvoyées au décret et les produits sanguins labiles seront placés sous la surveillance d’un médecin ou d’un pharmacien relevant des dispositions de l’article L.4138-2 du code de la défense, relatif aux militaires en activité.

Enfin, le projet de loi entend conditionner la délivrance de produits sanguins labiles à une prescription médicale et non plus une ordonnance.

À des fins de coordination, le 2° du présent article prévoit également de modifier l’article L.1221-10-2 relatif aux sanctions encourues par les établissements ne respectant pas les prescriptions relatives à la conservation des produits sanguins labiles.

La mesure s’inscrit plus largement dans un plan de renforcement des services de soutiens dont la réactivité et la résilience sont indispensables au succès des opérations. Aussi, le rapport annexé du projet de LPM fait-il état d’un gain induit pour le SSA en « mobilité des capacités de santé projetables et la modernisation du ravitaillement militaire » qui, selon le ministère, « assureront sa réactivité dans les hypothèses d’engagement majeur. »

Votre rapporteur se réjouit que ce dispositif puisse permettre aux militaires blessés en opérations de bénéficier d’une transfusion sanguine en urgence lorsque leur état de santé le nécessite sur le territoire national, à bord des navires de la marine nationale et lors d’évacuation médicale depuis les théâtres d’opérations, comme le précise l’exposé des motifs du projet de loi.

            b. Permettre au centre de transfusion sanguine des armées de fabriquer de nouveaux médicaments spécifiques à la lutte contre les attaques chimiques et neurotoxiques

L’objectif recherché par le présent article est de renforcer l’autonomie des armées en matière sanitaire en donnant la capacité au centre de transfusion sanguine des armées (CTSA) de fabriquer de nouveaux médicaments dérivés du sang.

Par conséquent, le 3° de l’article 26 du projet de loi propose de modifier l’article L.1222-11 du code de la santé publique pour autoriser le CTSA à fabriquer, importer, exporter et exploiter les médicaments dérivés du sang afin de répondre à des besoins spécifiques de défense ou de sécurité nationale.

Le projet de rédaction prévoit la possibilité pour le CTSA de demander une autorisation à l’ANSM de devenir établissement pharmaceutique fabriquant des médicaments dérivés du sang. L’autorisation est prévue à l’article L. 5124-3 du code de la santé publique. Cette autorisation conférera de facto au CTSA la capacité d’être exploitant, c’est-à-dire de se livrer à des activités de vente ou de cession, d’information médicale et de pharmacovigilance, de suivi et de retrait de lot des médicaments dérivés du sang qu’il sera amené à fabriquer. Par ailleurs, le CTSA pourra demander des autorisations d’importation et d’exportation de médicaments dérivés du sang à l’ANSM (article L.5124-11 et L.5124-13).

La contre-mesure qui sera fabriquée par le CTSA a vocation à être administrée aux militaires en opération partout où ils peuvent être exposés à un risque neurotoxique. Le CTSA doit ainsi pouvoir être en mesure de garantir l'approvisionnement de cette contre-mesure sur les territoires où les forces armées françaises sont présentes, ce qui constitue une exportation au sens des dispositions en cause.

La rédaction proposée s’inspire de l’article L.1222-1-1 du code de la santé publique permettant à l’Établissement français du sang de fabriquer des médicaments dérivés du sang. Le CTSA sera par ailleurs soumis aux mêmes contrôles de l’ANSM que l’EFS pour cette activité.

Le dispositif envisagé répond à un besoin réel des forces étayé par l’étude d’impact qui ne peut pas être satisfait dans la situation actuelle. En effet, il est estimé dans l’étude d’impact que « le Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies ou l’Établissement français du sang ne sont pas en mesure de fabriquer des médicaments dérivés du sang dans le but de constituer et d’entretenir un stock stratégique pour les besoins spécifiques de défense ».

Selon les réponses reçues au questionnaire de votre rapporteur, il apparaît que les travaux de développement de la contre-mesure médicale inscrite au contrat capacitaire interministériel NRBC 2021-2024, engagés depuis 2018, ont mis en évidence le fait que le LFB ne souhaitait pas prendre à sa charge la fabrication de cette contre-mesure. Son développement aurait en effet nécessité une évolution de ses chaînes de production, le LFB ne disposant pas d’un outil de production de lots de petite taille, plus adapté à la fabrication des produits concernés.

En ce qui concerne l’Établissement français du sang, les dispositions du code de la santé publique lui permettent de fabriquer des médicaments dérivés du sang de type plasma transfusionnel, mais il n’existe aucun fondement légal l’autorisant à produire les contre-mesures médicales.

Il est acquis que la pharmacie centrale des armées et le centre de transfusion sanguine des armées (CTSA) du service de santé des armées (SSA) sont aujourd’hui en capacité de développer les contre-mesures médicales nécessaires à la protection des forces armées, et le cas échéant des populations. Concernant le CTSA, service de l’État, cet établissement possède les compétences, les moyens et la technicité pour fabriquer ces contre-mesures médicales. Selon les informations fournies à votre rapporteur, il dispose notamment de locaux de production stériles, d’équipements, de personnels formés permettant une répartition aseptique des produits sans processus de stérilisation par la chaleur. Le dimensionnement de l'outil de production du CTSA permet, en outre, la production de lots de petite taille.

Enfin, le financement de cette nouvelle compétence dévolue au CTSA est programmé dans le projet de LPM, tant du point de vue des effectifs qui viendront renforcer les effectifs du CTSA (deux personnels supplémentaires), que du coût de développement de la nouvelle contre-mesure (11 millions d’euros, portés par le programme 146 en dotation initiale).

3. La position de la commission

La commission de la Défense nationale et des forces armées a adopté trois amendements rédactionnels DN912, DN350 et DN913 modifiant l’article 26, dont deux identiques de votre rapporteur (DN912) et de M. Bastien Lachaud (DN350).

 

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Article 27
Renforcer le régime légal de lutte contre les aéronefs circulant sans personne à bord présentant une menace

Adopté par la Commission sans modification

1. L’état du droit

            a. Les drones peuvent constituer des menaces pour la sécurité nationale

Les aéronefs circulant sans personne à bord, selon leur terminologie légale, représentent une menace croissante pour la sécurité publique et la défense nationale. Non seulement leur faible coût a entraîné un accroissement considérable de leur nombre, avec en conséquence une utilisation accrue de l’espace aérien, mais les caméras qui les équipent sont susceptibles de capturer et de transmettre des données sensibles sur la protection des sites, l’équipement des forces ou leurs modalités d’entraînement. Le survol par les drones de sites sensibles tels que les établissements pénitentiaires ou les centrales nucléaires représentent, en tant que tels, un danger, sans parler de leur utilisation possible pour transporter des substances illicites ou des explosifs, faisant d’eux des armes possibles pour les terroristes.

b.   Les dispositifs de lutte anti-drone sont dépassés par les progrès technologiques

Face à ces menaces, l’article 24 de la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’acte de terrorisme et au renseignement a complété l’article L. 33-3-1 du code des potes et des communications électroniques pour permettre aux services de l’État d’utiliser des « dispositifs destinés à rendre inopérant l’équipement radioélectrique d’un aéronef circulant sans personne à bord, en cas de menace imminente, pour les besoins de l’ordre public, de la défense et de la sécurité nationale ou du service public de la justice, ou afin de prévenir le survol d’une zone » interdite.

Toutefois, en ne visant que « l’équipement radioélectrique » des drones et, par conséquent, en n’autorisant que la seule technique du brouillage de la réception des signaux radioélectriques, l’article L. 33-3-1 est désormais dépassé par les progrès technologiques. En effet, les drones peuvent être désormais autonomes et poursuivre leurs missions sans consigne d’un pilote au sol ou signaux émis depuis un satellite. Les outils légalement autorisés sont donc insuffisants, ce qui affaiblit considérablement l’efficacité de la lutte anti-drones alors même que se profilent des évènements sportifs de grande ampleur comme les Jeux Olympiques ou la coupe du monde de rugby.

2. Le dispositif proposé

Face à ces drones autonomes et aux menaces qu’ils font peser pour la sécurité, les alinéas 1 à 3 du présent article proposent de créer, dans le code de la sécurité intérieure, un nouveau chapitre III bis « Protection contre les menaces résultant d’aéronefs circulant sans personne à bord ». Il intégrera le nouvel article L. 213-2, créé par l’alinéa 4, lequel autorise les services de l’État à « utiliser des dispositifs désignés par arrêté du Premier ministre destinés à rendre inopérant ou neutraliser un aéronef circulant sans personne à bord, en cas de menace imminente, pour les besoins de l’ordre public, de la défense et de la sécurité nationale ou du service public de la justice ou afin de prévenir le survol par un tel aéronef d’une zone mentionnée à l’article L. 6211-4 du code des transports ».

Le nouvel article élargit donc au-delà des seuls dispositifs destinés à rendre inopérant l’équipement radioélectrique d’un drone, les dispositifs que pourront utiliser les services de l’État face à la menace d’un drone malveillant, renforçant de ce fait l’efficacité de la lutte anti-drones. Parmi ceux-ci figurent :

– les armes à effet dirigé (AED) électromagnétiques, qui ne sont pas des brouilleurs mais visent à perturber le fonctionnement de l’électronique embarquée du drone ;

– les drones intercepteurs, qui peuvent bloquer le vol du drone malveillant par plusieurs moyens tels que le brouillage électromagnétique embarqué, la capture par filet ou encore la percussion.

Aux termes de l’alinéa 5 du présent article, l’utilisation de ces dispositifs devra être adaptée, nécessaire et proportionnée au regard des finalités poursuivies, un décret en Conseil d’État déterminant les modalités de leur mise en œuvre (alinéa 6).

Enfin, par coordination avec la création du nouvel article L. 213-2 du code de la sécurité intérieure, la rédaction de l’article L. 33-3-1 du code des postes et des communications électroniques est adapté par les alinéas 7 à 9.

3. La position de la commission

La commission a adopté cet article sans modification.

 

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Article 28
Ratifier l’ordonnance en matière spatiale et adaptation de la loi sur les opérations spatiales

Adopté par la Commission avec modifications

L’article 28, d’une part, ratifie l’ordonnance n° 2022-232 du 23 février 2022 relative à la protection des intérêts de la défense nationale dans la conduite des opérations spatiales et l'exploitation des données d'origine spatiale et, d’autre part, modifie la loi du 3 juin 2008 relative aux opérations spatiales, afin d’adapter celle-ci aux constellations de satellites et aux lanceurs réutilisables.

1.   L’état du droit

Jusqu’au début des années 2000, il était considéré qu’une législation sur les opérations spatiales n’était pas nécessaire, dès lors que l’ensemble des activités spatiales étaient placées sous le contrôle de l’État, soit directement (avec le Centre national d’études spatiales – ci-après CNES) soit indirectement (avec Arianespace). Les normes régulant cette activité prenaient donc la forme d’instructions gouvernementales.

Cependant, l’évolution du secteur spatial et l’arrivée de nouveaux acteurs dans ce domaine en France ont nécessité l’adoption d’un cadre législatif, qui a été matérialisé par la loi n° 2008-518 du 3 juin 2008 relative aux opérations spatiales (ci-après la « LOS »).

Cette loi avait notamment pour objectif, comme le mentionne l’étude d’impact au projet de LPM, d’organiser la responsabilité des acteurs du secteur spatial français, dans un contexte où la responsabilité de la France pouvait être engagée pour des dommages causés par des objets spatiaux, conformément aux stipulations des traités internationaux conclus par la France.

La LOS a ainsi mis en place un régime d’autorisation préalable des activités spatiales, au titre duquel tout opérateur français (autre que le CNES) qui souhaite procéder à un lancement ou assurer la maîtrise en orbite d’un objet spatial doit obtenir au préalable une autorisation de la part du ministère en charge de l’espace.

Outre ce régime d’autorisation préalable, la LOS a également :

créé un régime de responsabilité applicable aux opérations spatiales, en vertu duquel l’opérateur spatial est responsable sans faute pour tout dommage causé par des objets spatiaux, que ce soit au sol ou dans l’espace aérien ;

établi un registre national d’immatriculation, afin de permettre un suivi par le CNES de la flotte satellitaire française ;

institué un régime de déclaration préalable pour l’exploitation des données d’origine spatiale

octroyé au Président du CNES des pouvoirs de police administrative spéciale pour l’exploitation des installations du Centre Spatial Guyanais (ci-après désigné « CSG »)

Depuis son entrée en vigueur, la LOS n’a que très peu évolué, alors même que le domaine spatial a subi de profondes mutations : irruption des acteurs du New Space ; élaboration d’une stratégie spatiale de défense par la France publiée en 2019, qui ouvre la voie à la conduite d’opérations dites de « défense active » ; arsenalisation croissante de l’espace.

Dans ce contexte, il est apparu que le cadre juridique formé par la LOS et devait être adapté à la spécificité des opérations conduites dans l’intérêt de la défense nationale. Il s’agit également de s’assurer que les opérations spatiales non militaires et les activités d’exploitation de données d’origine spatiale ne mettent pas en cause les intérêts de la défense nationale.

Le législateur a par conséquent habilité le Gouvernement, via le II de l’article 44 de la loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur, à prendre des dispositions relevant du domaine de la loi et devant permettre de « compléter et adapter les dispositions relatives aux activités et opérations spatiales et aux services qui y concourent, aux seules fins de garantir la protection des intérêts de la défense nationale ». C’est sur ce dernier fondement qu’a été prise l’ordonnance n° 2022-232 du 23 février 2022, dont le projet de loi prévoit la ratification.

En outre, comme le souligne l’étude d’impact, la LOS n’est pas adaptée aux constellations de satellites, qui peuvent compter plusieurs centaines voire milliers de satellites, notamment en orbite basse : « la version actuelle de la LOS, qui ne prévoit que la maîtrise d’un seul objet spatial en orbite, ne prévoit pas d’autorisation de maîtrise pour un groupe d’objets spatiaux entendu comme un système unique. Elle ne permet donc pas d’imposer des exigences techniques à une constellation dans son ensemble, telles que des exigences relatives à la coordination des satellites composant la constellation, soit de manière autonome soit en passant par le sol. Ces dernières ne peuvent être imposées qu’individuellement, satellite par satellite ».

La LOS n’intègre pas non plus l’hypothèse des futurs lanceurs récupérables, qui arriveront sur le marché avant la fin de la décennie. L’étude d’impact note à ce sujet que « la loi n’identifie pas clairement si la récupération des éléments de lanceur réutilisable s’insère ou non dans la phase de lancement. Dans un domaine où le risque de contentieux est élevé en cas de dommages ou de victimes, une clarification des activités autorisées par la LOS est donc nécessaire ».

2.   Le dispositif proposé

L’article 28 prévoit tout d’abord la ratification de l’ordonnance n° 2022-232 du 23 février 2022 relative à la protection des intérêts de la défense nationale dans la conduite des opérations spatiales et l'exploitation des données d'origine spatiale (alinéa 1).

Cette ordonnance crée tout d’abord un cadre juridique spécifique pour les opérations spatiales à finalité militaire, à travers deux dispositions principales : d’une part, l’État n’est pas soumis à l’obligation d’autorisation préalable prévue par la LOS, lorsqu’il s’agit de conduire des opérations spatiales dans l’intérêt de la défense nationale ; d’autre part, dans le cadre de ces opérations, la réglementation technique de droit commun est, en principe, applicable, mais le ministre des Armées peut, au cas par cas, décider d’y déroger dans la mesure nécessaire au bon accomplissement de la mission.

L’ordonnance facilite également le recours par l’État à des satellites privés. Le transfert temporaire de maîtrise d’un satellite opéré par un tiers au profit de l’État est désormais dispensé d’autorisation quand il a pour finalité la conduite d’une opération dans l’intérêt de la défense nationale. Par ailleurs, afin d’inciter au développement d’une offre de prestations pouvant être réalisées dans l’intérêt de la défense nationale par des satellites opérés par des tiers, l’ordonnance prévoit que les opérateurs peuvent être autorisés par le ministre de la défense, dans la mesure nécessaire au bon accomplissement de la mission, à déroger à la réglementation technique de droit commun. Dans la même perspective, alors que la LOS concentre en principe la responsabilité sur le seul opérateur en cas de dommages causés aux tiers, l’ordonnance dispose que l’État peut, par contrat, prévoir d’endosser tout ou partie de cette responsabilité. Enfin, l’ordonnance établit un régime de « réquisition des biens et services spatiaux au titre de la sauvegarde des intérêts de la défense nationale », applicable, en cas d’urgence, en l’absence ou en cas d’inexécution d’un accord amiable avec les opérateurs privés. À ce titre, les préjudices subis par l’opérateur spatial ou par les tiers à l’occasion d’une telle réquisition sont intégralement réparés par l’État.

L’ordonnance vise également à améliorer le contrôle des opérations spatiales non militaires pour s’assurer que celles-ci ne remettent pas en cause les intérêts de la défense nationale. L’ordonnance prévoit ainsi que le contrôle des opérateurs agréés est élargi au respect des intérêts de la défense nationale. Les sanctions pénales en cas d’inexécution par les opérateurs des obligations auxquelles ils sont soumis sont renforcées, avec la création d’une circonstance aggravante dans l’hypothèse où l’infraction a pour objet ou pour effet de nuire à la défense nationale.

Enfin, le régime de déclaration préalable des activités de données d’origine spatiale, jusqu’alors applicables aux seules données d’observations de la Terre, est étendu à l’ensemble des données d’observation, d’interception de signaux ou de localisation acquises depuis l’espace et en provenance de la Terre, d’un corps céleste, d’un objet spatial ou de l’espace.

Outre la ratification de l’ordonnance précitée, l’article 28 du projet de loi modifie la loi sur les opérations spatiales (« LOS ») pour tenir compte des évolutions technologiques constatées dans le domaine spatial, qu’ils s’agissent des systèmes orbitaux (constellations) ou des systèmes de lancements (futurs lanceurs réutilisables) (alinéas 2 à 24). Ainsi que le met en exergue l’étude d’impact, « la LOS, dans sa version initiale, avait été pensée pour des lanceurs non réutilisables de type Ariane5 et pour des opérations de maîtrise de satellite unique », de sorte que l’état du droit positif n’est pas adapté aux évolutions susmentionnées.

L’article 28 remédie par conséquent à ces lacunes, en :

incluant l’hypothèse d’utilisation des lanceurs réutilisables au sein des définitions de la « phase de lancement » et de la « phase de maîtrise » fixées à l’article 1er de la LOS (alinéas 5 à 7). La clarification du périmètre de la phase de lancement permettra ainsi d’assurer l’application du régime de responsabilité prévu dans la LOS à la phase de récupération des étages réutilisables de lanceur et d’offrir un cadre juridique sécurisé aux opérateurs développant mettant en œuvre une telle technologie.

– intégrant les constellations de satellites (définies comme des « groupes d’objets spatiaux coordonnés ») dans les sections de la LOS relatives aux « définitions » (alinéa 5), aux « opérations soumises à autorisation) (alinéas 8 et 9), aux « conditions de délivrance des autorisations » (alinéa 10), aux « obligations des titulaires d’autorisation et de licence » (alinéas 11 et 16), aux « sanctions administratives et pénales » (alinéas 17 à 22) et aux dispositions applicables aux opérations conduites par l’État ou ne CNES (alinéa 23). Ainsi que le souligne l’étude d’impact, grâce à ces modifications, « un groupe d’objets spatiaux coordonnés sera considéré, pour les procédures administratives de délivrance des autorisations de lancement ou de maîtrise, comme un satellite unique : l’industriel n’aura pas besoin de déposer une demande d’autorisation de lancement satellite par satellite ».

Enfin, l’alinéa 24 élargit les pouvoirs de contrôle du président du CNES à l’ensemble des opérations spatiales menées depuis le centre spatial guyanais, au-delà des seules opérations de lancement, tels que par exemple le retour sur site d’objets spatiaux.

3.   La position de la commission

La commission a adopté un amendement rédactionnel de votre rapporteur à l’alinéa 7 (DN840).

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Article 29
Nucléaire de défense

Adopté par la Commission sans modification

1.   L’état du droit

Le code de l’environnement prévoit, pour les installations nucléaires civiles, la possibilité d’encadrer ou de limiter, par décret, le recours à des prestataires ou à la sous-traitance de certaines activités, en raison de leur importance pour la protection de la sécurité, de la santé et de la salubrité publiques ou la protection de la nature et de l'environnement. Il interdit également à l’exploitant de déléguer à un prestataire extérieur la surveillance des activités importantes pour la protection des intérêts susmentionnées.

Le code de la défense contient quatre régimes juridiques relatifs au domaine nucléaire :

– la protection et le contrôle des matières nucléaires non destinées à la dissuasion, qui concerne majoritairement, comme l’indique l’étude d’impact, le monde nucléaire civil, et vise à prendre en compte les enjeux de malveillance.

– les trois autres régimes concernent (i) les installations et activités nucléaires intéressant la défense, (ii) les installations nucléaires intéressant la dissuasion et (iii) les matières nucléaires destinées à la dissuasion.

Le code de la défense soumet notamment à autorisation ou déclaration et à contrôle les activités portant sur les matières nucléaires ainsi que les activités nucléaires mettant en œuvre des rayonnements ionisants. Il impose par ailleurs aux opérateurs publics ou privés exploitant des installations susceptibles de détenir des matières nucléaires et concourant à la politique de dissuasion de participer à la protection de ces installations.

Cependant, le code de la défense ne prévoit pas de dispositions équivalentes au code de l’environnement pour interdire, limiter ou encadrer le recours à des prestataires ou à la sous-traitance. D’après l’étude d’impact, « lorsqu’elles existent, ces limitations ne sont prévues que par des textes de niveau insuffisant (décret ou arrêté), alors même que ces régimes visent à prendre en compte aussi bien les enjeux de protection des personnes, des biens et de l'environnement que les enjeux de défense nationale ».

Le projet de loi vise par conséquent à corriger cette lacune afin, comme l’a souligné le Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi, « de mieux assurer la sûreté de ces activités et installations, leur protection contre les actes malveillants ou hostiles ainsi que la préservation du secret de la défense nationale ».

2.   Le dispositif proposé

L’article 29 prévoit d’introduire dans le code de la défense des dispositions similaires à l’article L. 593-6-1 du code de l’environnement, en permettant à un décret en Conseil d’État d’interdire, d’encadrer ou de limiter le recours à des prestataires ou à la sous-traitance pour chacun des régimes susmentionnés :

– le régime de la protection du contrôle des matières nucléaires (alinéas 3 à 4) ;

– le régime des installations et activités nucléaires intéressant la défense (alinéas 5 à 6) ;

– le régime des installations nucléaires intéressant la dissuasion (alinéas 8 à 9) ;

– le régime de la protection des matières nucléaires destinées à la dissuasion (alinéas 10 à 13).

S’agissant des installations et activités nucléaires intéressant la défense, l’alinéa 7 de l’article 29 prévoit en outre de créer à la charge de l’exploitant une obligation de surveillance des fournisseurs d’équipements importants pour la sûreté nucléaire et des activités importantes pour la sûreté nucléaire lorsqu'elles sont réalisées par des intervenants extérieurs.

Si le Conseil d’État, dans son avis sur le projet de loi, a estimé « que ce renforcement des moyens de contrôle sur les activités et installations nucléaires intéressant la défense nationale est justifié, dans son principe », il a néanmoins souligné qu’« il appartiendra à l’autorité administrative de veiller à les mettre en œuvre, dans des conditions qui seront précisées par décret en Conseil d’État, de façon à limiter au strict nécessaire les atteintes ainsi portées à la liberté d’entreprendre et, le cas échéant, à la liberté contractuelle. [Le Conseil d’État] note à cet égard que ce nouveau dispositif ne s’appliquera pas aux sous-traitances ou prestations de services en cours à la date de son entrée en vigueur ».

3.   La position de la commission

La commission a adopté cet article sans modification.

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Article 30
Communication par l’autorité judiciaire des suites
données aux affaires pénales militaires

Adopté par la Commission sans modification

1.   L’état du droit

Malgré le rapprochement entre la justice militaire et la justice de droit commun, la procédure pénale applicable aux militaires reste marquée par certaines particularités. L’une d’entre elles s’applique aux poursuites engagées concernant les crimes et délits commis par les militaires sur le territoire de la République dans l’exercice de leur service et toutes les infractions commises hors du territoire national par les militaires ou à leur encontre.

L’article 698-1 du code de procédure pénale dispose en effet qu’à défaut de dénonciation des faits par le ministre des Armées ou l’autorité militaire habilitée par lui, « le procureur de la République doit demander préalablement à tout acte de poursuite, y compris en cas de réquisitoire contre personne non dénommée, de réquisitoire supplétif ou de réquisition faisant suite à une plainte avec constitution de partie civile l’avis du ministre chargé de la défense ou de l’autorité militaire habilitée par lui ». La seule exception concerne les cas de crime ou de délit flagrant.

Sauf cas d’urgence, cet avis est demandé par tout moyen et doit être donné dans un délai d’un mois, sauf cas d’urgence. Il figure au dossier de procédure, à peine de nullité, sauf si cet avis n’a pas été formulé dans le délai précité ou en cas d’urgence.

L’avis ne lie pas le ministère public dans l’appréciation de la suite à donner aux faits et peut, dans le cadre de la procédure, être discuté par les parties. Son intérêt est double :

– d’une part, il permet au ministère des Armées d’être systématiquement informé des faits mettant en cause un militaire dans l’exercice de son service, lui permettant de prendre toutes les mesures internes qui s’imposeraient pour faire cesser les éventuels désordres ou y remédier ;

– d’autre part et en contrepartie, il fournit au ministère public des éléments d’appréciation dont il ne dispose pas habituellement dans le dossier pénal tels que le contexte opérationnel, le périmètre et les contraintes de la mission, les spécificités techniques du matériel employé, le préjudice subi par l’institution ou encore les mesures disciplinaires prises, autant d’éléments susceptibles d’avoir un impact sur l’appréciation pénale du dossier.

Toutefois, l’article 698-1 du code de procédure pénale présente une limite. En effet, il ne permet pas au ministère des Armées de connaître les suites judiciaires données aux procédures dans le cadre desquelles il a rendu un avis ou dénoncé les faits. Certes, plusieurs dispositions législatives (articles 40-2, 11-2 et 706-47-4 du code de procédure pénale et article 561-30-1 du code monétaire et financier) obligent le ministère public à informer l’administration mais dans certains cas précis seulement et pour certains crimes et délits, obligation par ailleurs soumise à l’appréciation de ce dernier.

2.   Le dispositif proposé

Face aux limites des dispositions législatives actuelles obligeant le ministère public à informer le ministère des Armées des suites pénales données à des faits impliquant un militaire, les alinéas 3 et 4 du présent article modifient donc la rédaction de l’article 698-1 du code de procédure pénale en ajoutant un nouvel alinéa disposant que « le procureur de la République avise le ministre de la défense ou l’autorité militaire habilitée par lui des poursuites ou des mesures alternatives aux poursuites qui ont été décidées à la suite de l’énonciation ou de l’avis mentionné au premier alinéa ».

Sera ainsi consacré dans la loi le principe de la communication systématique des suites judiciaires par l’autorité judiciaire à l’autorité militaire, quelles que soient la peine encourue, l’infraction poursuivie ou l’activité du mis en cause.

Par ailleurs, les alinéas 1 et 2 du présent article aménagent, sans portée normative, la rédaction du même article 698-1.

3.   La position de la commission

La commission a adopté cet article sans modification.

 

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Article 31
Créer un régime d’autorisation relatif aux activités d’études préalables à la pose ou l’enlèvement d’un câble ou d’un pipeline sous-marin
en mer territoriale

Adopté par la Commission avec modifications

1. L’état du droit

La pose d’un câble ou d’un pipeline sous-marin est systématiquement précédée d’études (relevés bathymétriques, prélèvements de sédiments…) visant à confirmer le tracé envisagé, études qui peuvent également avoir un impact sur l’environnement.

Si la pose d’un câble ou d’un pipeline sous-marin fait l’objet d’un encadrement par l’article 28 de l’ordonnance n° 2016-1687 du 8 décembre 2016 relative aux espaces maritimes relevant de la souveraineté ou de la juridiction française, qui la soumet à un agrément de l’autorité administrative, cet article présente une double limite :

– visant le tracé des câbles et des pipelines sous-marins, il ne traite pas spécifiquement des études préalables à leur pose (ou à leur enlèvement) ;

– il ne s’applique qu’aux seuls câbles et pipelines sous-marins posés dans la zone économique exclusive ou le plateau continental, à l’exclusion donc de la mer territoriale.

Face à cette situation, qui se traduisait par des pratiques diverses des préfectures maritimes et des services des délégués du gouvernement pour l’action de l’État en mer dans les Outre-mer, le décret n° 2017-956 du 10 mai 2017 fixant les conditions d’application des articles L. 251- et suivants du code de la recherche relatifs à la recherche scientifique marine a été modifié par le décret n° 2021-1942 du 31 décembre 2021. Désormais, ses articles 18 et 18-1 disposent que les études préalables à la pose d’un câble ou d’un pipeline sous-marin font l’objet d’une notification.

Toutefois, cette obligation de notification ne s’applique que pour les études préalables réalisées dans la ZEE ou sur le plateau continental, à l’exclusion donc de celles réalisées dans la mer territoriale.

2.   Le dispositif proposé

Le présent article vise à combler ce vide juridique. Ses alinéas 3 à 5 insèrent dans le titre III de l’ordonnance précité un nouvel article 41 bis disposant que « les études préalables à la pose ou à l’enlèvement d’un câble ou d’un pipeline sous-marin en mer territoriale sont subordonnées à la délivrance d’une autorisation dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État ». Ce dernier définira une procédure d’autorisation largement inspirée de celle applicable au régime de notification évoqué supra des études préalables dans la ZEE et sur le plateau continental. En outre, cette autorisation prendra en compte « les incidences que peuvent avoir ces activités sur la sécurité de la navigation, la protection de l’environnement ou des biens culturels maritimes, ou la sauvegarde des intérêts de la défense nationale ».

Par cohérence avec l’insertion de ce nouvel article, les alinéas 1 et 2 adaptent l’intitulé du titre III de l’ordonnance n° 2016-1687 précitée, qui sera remplacé par l’intitulé suivant : « Encadrement de la recherche et des études en mer »

3.   La position de la commission

La commission a adopté un amendement rédactionnel du rapporteur (n° DN879).

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Article 32
(Art. L. 2321-2-3 [nouveau] du code de la défense)
Prescription par l’ANSSI de mesures affectant les noms de domaine en cas de menace susceptible de porter atteinte à la sécurité nationale

  La commission de la défense nationale et des forces armées a délégué l’examen au fond de cet article à la commission des lois.

Adopté par la Commission avec modifications

  Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 32 permet à l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), en cas de menace susceptible de porter atteinte à la sécurité nationale, de prescrire plusieurs mesures graduelles affectant les noms de domaine, en particulier leur blocage ou suspension, ainsi que leur redirection vers un serveur sécurisé ou neutre contrôlé par l’ANSSI.

  Modifications apportées par la Commission

La commission des Lois a adopté plusieurs amendements rédactionnels de votre rapporteure, ainsi que sept autres amendements apportant davantage de proportionnalité au dispositif. Ces amendements prévoient que l’ANSSI tient compte de la nature du titulaire du nom de domaine de bonne foi ainsi que de ses contraintes opérationnelles lorsqu’elle sollicite, de la part de ce titulaire, des mesures affectant le nom de domaine. Ils assouplissent le délai de mise en œuvre des mesures de blocage, réduisent la durée de conservation des données collectées et prévoient un avis de la Commission nationale de l’informatique et liberté avant la publication du décret d’application de l’article.

I.   Le fonctionnement du systÈme DNS

Consubstantiel au développement d’internet, le système DNS, qui permet concrètement de relier une adresse IP à un nom de domaine, et donc de réaliser des recherches sur internet, est un rouage fondamental de fonctionnement du web. Ce rôle central en fait une cible prisée des cyber-attaquants.

A.   L’Établissement d’une correspondance entre l’adresse ip et le nom de domaine

Chaque périphérique (ordinateur, tablette, téléphone, etc.) connecté à internet dispose d’une adresse IP (pour « Internet protocol »), composée d’une série de chiffres ou de nombres. Le système de nom de domaine, ou DNS (pour « domain name system ») permet de faire correspondre cette adresse IP à un nom de domaine, plus facile à retenir et à retranscrire qu’une suite de numéros. La correspondance est établie par des machines, les serveurs de nom de domaine (ou serveurs DNS).

Le nom de domaine permet ainsi de traduire de façon intelligible et mémorisable les adresses IP. Il est composé d’un préfixe (généralement, www pour « world wide web »), ainsi que d’une chaîne de caractères (par exemple, assemblee-nationale) et d’une extension, qui peut être nationale (c’est le cas, en France, du .fr ou, au Royaume-Uni, du .co.uk) – ou générique, la plus connue étant .com.

L’ensemble de ces éléments rend le nom de domaine unique.

La structure d’une adresse IP

Source : site internet de l’Association française pour le nommage Internet en coopération

Concrètement, quand un internaute exécute une recherche internet, celle-ci est envoyée à plusieurs serveurs DNS successivement interrogés ([53]), jusqu’à obtenir une traduction de cette recherche en une adresse IP compréhensible par les ordinateurs et les réseaux.

L’étude d’impact annexée au projet de loi établit la liste des principaux acteurs du système DNS concernés par le présent article. Il s’agit :

– des fournisseurs d’accès à internet (FAI) : ce sont des entreprises ou personnes dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne, autrement dit à internet. Ces prestataires permettent de connecter les systèmes d’information de leurs clients au réseau internet, et donc de faire transiter tous les flux sur leurs réseaux ;

– des hébergeurs de données : ce sont des prestataires de services équipés de disques durs et de serveurs, qui proposent aux internautes le stockage de leurs contenus et leur diffusion sur internet. L’étude d’impact annexée au projet de loi précise que « les hébergeurs peuvent, sans le vouloir, héberger des données malveillantes, telles que des centres de commande et contrôle qui permettent à un acteur malveillant de contrôler ses outils d’attaque à distance » ;

– des registres et les bureaux d’enregistrement des noms de domaine établis en France : les registres maintiennent et gèrent les noms de domaine, c’est-à-dire la correspondance entre le nom de domaine et la personne ou l’organisation qui en est propriétaire, tandis que les bureaux d’enregistrement se voient déléguer par les registres la commercialisation des noms de domaine.

B.   Le recours frÉquent aux dns lors de cyber-attaques

Le rôle central des DNS en fait une cible privilégiée par les cyber-attaquants : ainsi, les noms de domaine sont fréquemment utilisés pour mener des attaques informatiques, permettant l’établissement d’une communication entre la machine compromise par l’attaque et celle de l’attaquant, ou le leurre d’un utilisateur vers un site malveillant dans le cadre d’attaques par hameçonnage.

L’ANSSI a traité 831 incidents en 2022, dont la plupart impliquant l’usage du DNS. Le SGDSN a détaillé à votre rapporteure plusieurs cas d’espèce où une action sur le nom de domaine a, ou aurait pu, entraver une attaque :

WannaCry, du nom d’un logiciel malveillant de type rançongiciel auto-répliquant qui, en mai 2017, a concerné des pays du monde entier. Une équipe spécialisée a pu reprendre le contrôle du domaine DNS attaqué par le WannaCry, désactivant ainsi l’ensemble des virus sur les machines affectées ;

APT31 : ce mode opératoire, associé en source ouverte à la Chine, a été mis en œuvre dans le cadre d’une vaste campagne d’espionnage à l’encontre d’organisations françaises en 2021. Il utilisait Cobalt Strike, une solution répandue de sécurité offensive, afin d’exfiltrer des données à travers le protocole DNS. Ce mode opératoire, qui a fait l’objet d’une publication sur le site du CERT-FR ([54]), le centre opérationnel de l’ANSSI, permettait la résolution des IP correspondant aux noms de domaine vers des routeurs compromis. Le blocage de ces noms de domaine aurait pu, selon l’ANSSI, permettre d’entraver la menace ;

Nobelium : le mode opératoire d’attaquants Nobelium aurait été utilisé pour mener plusieurs campagnes d’hameçonnage contre des entités françaises entre février et décembre 2021. Cette campagne a permis de compromettre plusieurs comptes de messagerie d’organisations françaises et d’envoyer depuis ces comptes compromis des courriels piégés à des institutions étrangères. L’infrastructure de commande et contrôle des attaquants ([55]) comprenait des noms de domaines ressemblant à des noms légitimes de sites d’information et d’actualités. Leur blocage aurait pu permettre, selon l’ANSSI, d’entraver cette campagne.

Le déroulé classique d’une attaque informatique

Qu’il s’agisse d’une attaque d’espionnage pour obtenir des informations ou des cyberattaques criminelles, comme les rançongiciels, utilisés à des fins d’extorsion, l’organisation d’une cyber-attaque répond à des mêmes grands principes, plus ou moins sophistiqués et automatisés en fonction des cas, rappelés par le SGDSN et l’ANSSI au cours de leur audition :

phase 1 (reconnaissance) : l’attaquant cherche à obtenir des informations sur sa cible. Dans le cadre d’une opération d’espionnage, il s’agit d’obtenir des renseignements, et donc de déterminer les vulnérabilités du système d’information visé, pour mieux comprendre le fonctionnement de l’entreprise cible, les habitudes de son dirigeant, etc. Si l’opération est motivée par des fins criminelles, il s’agit surtout pour l’attaquant de rechercher les faiblesses à exploiter dans l’entreprise et de déterminer la cible la plus facile d’accès pour pénétrer dans le système d’information ;

phase 2 (intrusion initiale dans le système de la victime) : il s’agit de « mettre le pied dans la porte » du système d’information de la victime déterminée par l’attaquant. La manière la plus classique de procéder est de recourir au procédé du fishing, par l’intermédiaire d’un email piégé à une victime. Plus la phase 1 a été préparée en amont, plus l’e-mail de fishing sera vraisemblable. L’attaquant peut aussi chercher des systèmes d’information mal configurés ou mal mis à jour, et donc vulnérables, qu’il pourrait exploiter techniquement pour les contrôler ;

phase 3 (escalade de privilèges) : une fois entré dans le système d’information, l’attaquant doit encore obtenir les informations précises sur sa cible, qui ne sont généralement pas détenues par la première victime, simple « porte d’entrée ». L’attaquant va opérer une « escalade de privilèges », ce terme qualifiant les droits des utilisateurs sur le système d’information concerné. Se déplaçant d’utilisateur en utilisateur, l’attaquant va ainsi rechercher parmi les périphériques les informations qui pourraient in fine l’intéresser. Ce faisant, il prend peu à peu le contrôle de tout le système d’information. L’on peut penser à un attaquant qui, après avoir compromis le compte d’un député, cherchera à obtenir d’autres droits afin de maximiser le potentiel de son attaque, par exemple en ciblant un administrateur du système de l’Assemblée nationale ;

phase 4 (exploitation des accès obtenus) : lorsqu’il s’agit d’une opération d’espionnage, l’attaquant va exfiltrer, en une fois ou de manière régulière, l’ensemble des informations qui l’intéressent (un email sensible, une information industrielle protégée par le secret des affaires, etc.) ; lors d’une attaque par rançongiciel, l’attaquant va déployer son logiciel malveillant sur le parc informatique, chiffrer les données qui y sont stockées et paralyser le système d’information de la victime, l’incitant ainsi à lui verser une rançon.

Un exemple de dns défaillant

Source : étude d’impact annexée au projet de loi

 

 

 

 

 

L’évolution de l’arsenal européen en matière de lutte contre la cybercriminalité

Depuis la création de l’Agence de l’Union européenne pour la cyber sécurité (ENISA) en 2004 – dont les prérogatives ont été significativement renforcées en 2019 – l’Union européenne (UE) a progressivement mis en place un espace judiciaire européen en matière de lutte contre la cybercriminalité. À travers des initiatives telles que le Centre européen de lutte contre la cybercriminalité (EC3), créé en 2013 et développé par Europol, les États ont souhaité renforcer leur coopération, en particulier dans le cadre d’opérations conjointes des services de police en réponse aux attaques cybercriminelles.

Ce processus s’est renforcé avec l’adoption d’une règlementation de plus en plus conséquente sur le sujet ; votée définitivement en 2016, la directive sur la sécurité des réseaux et des systèmes d’information (SRI 1) ([56]) vise à faciliter la coopération entre les services de renseignement des États membres dans la lutte contre le terrorisme et les menaces transfrontalières, y compris liées à la cybercriminalité, en favorisant l'échange d'informations stratégiques et opérationnelles et en encourageant la mise en place de mécanismes de partage d'informations sur les cybermenaces et les attaques informatiques entre les États membres. Elle est complétée, depuis l’an dernier, par la directive SRI 2 ([57]), qui élargit le champ d’application des dispositions de SRI 1 et renforce les efforts de coopération entre États. Cette directive, qui doit être transposée au deuxième semestre 2024 au plus tard, prévoit par exemple la mise en place d’un réseau européen pour la préparation et la gestion des crises numériques (UE-CyCLONE).

Par ailleurs, certaines de ces initiatives législatives visent des secteurs spécifiques ; le règlement sur la résilience opérationnelle numérique du secteur financier (DORA) ([58]) adopté en décembre 2022 a ainsi pour objectif de garantir la résilience du secteur financier de l’UE aux perturbations opérationnelles et aux cyberattaques.

Enfin, face à la diversification et l’amplification des menaces, d’autres projets législatifs sont en cours de discussion. La Commission européenne a  ainsi proposé un projet de règlement européen sur la cyber-résilience, dit « European Cyber Resilience Act » relatif aux produits de consommation, en particulier les objets comportant des éléments numériques. Cette proposition établit un cadre européen commun en matière de cybersécurité et prévoit d’imposer de nouvelles obligations aux fabricants d’objets connectés.

II.   L’existence de mesures administratives et judiciaires de filtrage de certains contenus en ligne

Avec le déploiement et la généralisation d’internet, la circulation en ligne de certains contenus illégaux a contraint le législateur à faire évoluer le cadre légal.

Il existe ainsi déjà plusieurs mesures de filtrage, administratives ou judiciaires, de certains de ces contenus, qui reposent sur plusieurs techniques, comme le retrait des contenus illicites, le blocage par adresse IP ou le blocage par DNS ([59]). Ils ont notamment pour finalité de lutter contre le terrorisme et la pédopornographie, prévenir un dommage aux personnes, protéger la sincérité d’un scrutin, ou lutter contre la circulation de contenus illicites.

Ces dispositifs, qui constituent nécessairement une atteinte au principe de neutralité d’internet, sont néanmoins permis, sous certaines conditions, par le droit européen.

A.   DiffÉrentes formes de blocage existent dÉJÀ

1.   Les procédures de blocage judiciaire

Plusieurs dispositions permettent d’obtenir le blocage judiciaire de contenus diffusés en ligne.

● La loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) comporte ainsi une disposition relative au blocage judiciaire de certains sites, permettant à l’autorité judiciaire de prescrire, en référé ou sur requête, toute mesure propre à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne. Le juge judiciaire peut ainsi enjoindre au fournisseur d’accès à internet ou à l’hébergeur de retirer le contenu litigieux, voire de bloquer l’accès au site internet sur lequel ce contenu est diffusé ([60]).

● En matière de violation d’un droit d’auteur ou d’un droit voisin, le président du tribunal judiciaire peut, à la demande des titulaires de droits ou de leurs ayant droits, ordonner en référé « toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte (…) à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier » ([61]).

● L’article 706-23 du code de procédure pénale dispose par ailleurs que « l’arrêt d’un service de communication au public en ligne peut être prononcé par le juge des référés pour les faits [d’apologie du terrorisme] lorsqu’ils constituent un trouble manifestement illicite, à la demande du ministère public ou de toute personne physique ou morale ayant un intérêt à agir. » 

● Créé par la loi n° 2018-1202 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information, l’article L. 163-2 du code électoral permet au juge des référés de prescrire « toutes mesures proportionnées et nécessaires pour faire cesser » la diffusion d’« allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir diffusées de manière délibérée, artificielle ou automatisée et massive par le biais d’un service de communication au public en ligne », pendant les trois mois précédant une élection.

● Enfin, il existe un mécanisme dit « jeux en ligne » permettant à l’Autorité nationale des jeux d’enjoindre aux hébergeurs de « prendre toute mesure pour empêcher l’accès [à un jeu d’argent et de hasard ne respectant pas la réglementation] et les invite à présenter leurs observations dans un délai de cinq jours ». À défaut, son président peut ordonner aux FAI, moteurs de recherche et annuaires d’empêcher l’accès ou de faire cesser le référencement des contenus illicites. Le non-respect de cette injonction est passible d’une peine d’emprisonnement d’un an et de 250 000 € d’amende ([62]).

2.   Le blocage administratif

● La loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme a instauré, à l’article 6-1 de la LCEC, une procédure de blocage administrative unique des contenus faisant l’apologie ou appelant à commettre un acte terroriste, ainsi que des contenus à caractère pédopornographique, dont l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC) peut demander le retrait, le blocage ou le déréférencement.

● Par ailleurs, le code de la consommation permet aux agents de l’autorité administrative – en l’espèce, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) – d’enjoindre aux offices et bureaux d’enregistrement de noms de domaine de procéder au blocage d’un nom de domaine, à sa suppression ou à son transfert à cette autorité, en cas de manquement à certaines dispositions du code de la consommation ([63]).

B.   exceptions au principe de neutralitÉ du web, ces dispositions sont permises par le droit europÉen

Le règlement (UE) 2015/2120 du 25 novembre 2015 ([64]) consacre, en droit positif, le principe de neutralité d’internet. L’article 3 dispose ainsi, visant à la fois les utilisateurs et les fournisseurs d’accès à internet :

« 1. Les utilisateurs finals ont le droit d’accéder aux informations et aux contenus et de les diffuser, d’utiliser et de fournir des applications et des services et d’utiliser les équipements terminaux de leur choix, quel que soit le lieu où se trouve l’utilisateur final ou le fournisseur, et quels que soient le lieu, l’origine ou la destination de l’information, du contenu, de l’application ou du service, par l’intermédiaire de leur service d’accès à l’internet. (…)

3. Dans le cadre de la fourniture de services d’accès à l’internet, les fournisseurs de services d’accès à l’internet traitent tout le trafic de façon égale et sans discrimination, restriction ou interférence, quels que soient l’expéditeur et le destinataire, les contenus consultés ou diffusés, les applications ou les services utilisés ou fournis ou les équipements terminaux utilisés. »

Les fournisseurs d’accès à internet doivent ainsi traiter de la même manière tous les usagers des services de communication au public en ligne, fournisseurs de contenus et utilisateurs des réseaux, excluant ainsi l’idée d’un internet à plusieurs vitesses en fonction des services ou de leurs utilisateurs.

Ce principe a été décliné en droit français par la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique. Son article 40 dote l’ARCEP de prérogatives nouvelles de contrôle lui permettant de surveiller les pratiques des FAI, diligenter des enquêtes, voire prononcer des sanctions pouvant aller jusqu’à 3 % du chiffre d’affaires des opérateurs ([65]).

La neutralité d’internet n’est néanmoins pas absolue. L’article 3 du règlement européen de 2015 dispose ainsi que :

« Les FAI (…) s’abstiennent de bloquer, de ralentir, de modifier, de restreindre, de perturber, de dégrader ou de traiter de manière discriminatoire des contenus, des applications ou des services spécifiques ou des catégories spécifiques de contenus, d’applications ou de services, sauf si nécessaire et seulement le temps nécessaire, pour : (a) se conformer aux actes législatifs de l’Union ou à la législation nationale qui est conforme au droit de l’Union, auxquels le fournisseur de services d’accès à l’internet est soumis, ou aux mesures, conformes au droit de l’Union, donnant effet à ces actes législatifs de l’Union ou à cette législation nationale, y compris les décisions d’une juridiction ou d’une autorité publique investie des pouvoirs nécessaires » ([66]).

En droit français, l’article L. 33-1 du code des postes et des communications électroniques rappelle d’abord le principe de neutralité de l’internet, qu’il assortit de réserves, en particulier « a) les conditions de permanence, de qualité, de disponibilité, de sécurité et d’intégrité du réseau » et « e) les prescriptions exigées par l’ordre public, la défense nationale et la sécurité publique ».

Les restrictions mises en place par le législateur s’insèrent ainsi dans cette exception au principe de neutralité du web.

III.   le dispositif proposÉ : de nouvelles mesures graduelles applicables aux noms de domaine qui permettent À l’anssi de mieux lutter contre les menaces À la sÉCURITÉ nationale

L’article 32 du projet de loi créé un nouvel article L. 2321-2-2 au sein du code de la défense, qui permet à l’ANSSI de mettre en œuvre des mesures graduelles de filtrage, dès lors qu’elle constate une menace susceptible de porter atteinte à la sécurité nationale du fait de l’exploitation d’un nom de domaine.

L’appréciation des risques d’atteinte à la sécurité nationale par l’ANSSI

L’ANSSI a précisé à votre rapporteure comment ses agents apprécient concrètement le risque d’atteinte à la sécurité nationale. Celui-ci repose notamment sur trois critères :

– si les éléments à disposition de l’ANSSI permettent de supposer que l’attaquant est de nature étatique. Cela arrive lorsque le mode opératoire de l’attaquant est susceptible d’être rapproché de ceux exploités par des entités liées à des puissances étrangères ;

– si les moyens de l’attaquant sont d’une complexité ou d’un niveau particulièrement avancés, l’ANSSI citant en particulier le cas des attaques issues d’entreprises spécialisées dans la lutte informatique offensive privée, notamment le recours au logiciel Pegasus développé par la société NSO Group, dont les clients étaient des États ;

la nature de la (ou des) victime(s) : si la cible d’une compromission est une entité étatique, un opérateur d’importance vitale (OIV) ou un opérateur de services essentiels (OSE) ([67]) ou si l’étendue de la compromission est telle qu’elle fait courir un risque particulier au tissu économique, sanitaire ou à l’ordre public sur une portion ou l’entièreté du territoire national.

Les mesures employées se distinguent selon que le titulaire du nom de domaine est de bonne foi ou est, au contraire, animé par des intentions malveillantes. Elles partagent un même objectif : neutraliser l’utilisation dévoyée d’un nom de domaine.

A.   Les mesures de filtrage applicables au titulaire de bonne foi (alinéas 2 à 6)

Lorsque la menace résulte « de l’exploitation d’un nom de domaine à l’insu de son titulaire qui l’a enregistré de bonne foi », le nouvel article L. 2321-2-3 du code de la défense prévoit une gradation des mesures susceptibles d’être demandées par l’ANSSI :

– dans un premier temps, l’ANSSI peut demander au titulaire du nom de domaine de prendre « les mesures adaptées pour neutraliser cette menace dans un délai qu’elle lui impartit ». À titre d’exemples, le SGDSN a précisé à votre rapporteure que le propriétaire pourrait être invité à modifier son enregistrement dans l’annuaire d’internet, de sorte qu’il ne soit plus associé à une machine contrôlée par un attaquant, ou choisir d’associer son nom de domaine à une machine non compromise qu’il contrôle, voire de l’associer à une adresse « vide » ;

– si la menace n’a pas été neutralisée dans le délai imparti, l’ANSSI peut ordonner aux fournisseurs d’accès à internet et aux hébergeurs ([68]) le blocage ou la suspension du nom de domaine. Concrètement, le blocage consiste, plutôt que d’orienter l’utilisateur vers le nom de domaine malveillant, à ne pas lui fournir de réponse (« page introuvable ») ou à le renvoyer vers une page internet expliquant que le nom de domaine a été suspendu. Le SGDSN a précisé à votre rapporteur que le choix de l’une ou l’autre de ces options se fera en fonction des cas d’espèce.

B.   Les mesures de filtrage applicables au titulaire de mauvaise foi (alinéas 7 à 9)

Le II de l’article L. 2321-2-2 du code de la défense prévoit, lorsque le nom de domaine représentant une menace a été enregistré à des fins malveillantes – c’est-à-dire, avec la volonté de l’utiliser aux fins de mener une attaque informatique – et que le titulaire est donc de mauvaise foi, une procédure applicable sans délai.

Dans un tel cas de figure, l’ANSSI peut en effet ordonner aux FAI et aux hébergeurs de procéder au blocage du nom de domaine ou à la rediriger vers un serveur sécurisé de l’ANSSI ou vers un serveur neutre. Cette opération permet en effet à l’ANSSI d’observer le mode opératoire de l’attaquant et d’identifier, le cas échéant, de nouvelles victimes.

L’ANSSI peut également demander à l’office d’enregistrement ou aux bureaux d’enregistrement des noms de domaine d’enregistrer, renouveler, suspendre ou transférer le nom de domaine concerné par la menace. L’objectif de telles dispositions est de s’assurer que le blocage du nom de domaine ne peut être contourné par l’attaquant, tout en préservant l’anonymat de l’ANSSI afin qu’elle puisse caractériser la menace sans que l’attaquant n’en soit informé.

L’étude d’impact détaille les avantages attendus de l’ensemble de ces mesures. Celles-ci vont ainsi « contribuer à renforcer la sécurité des systèmes d’information en France par la sécurisation du système de noms de domaine contre les agissements d’acteurs malveillants en cas de menace susceptible de porter atteinte à la sécurité nationale. [Elles permettront] de neutraliser l’utilisation dévoyée d’un nom de domaine par un cyber attaquant, d’améliorer la compréhension des modes opératoires d’attaque et donc, d’agir en conséquence. »

Votre rapporteure comprend que l’ensemble des procédures de blocage administratif déjà existantes, ainsi que celle prévue par le présent article, servent des intérêts distincts et concernent des périmètres d’acteurs différents. Elle regrette néanmoins qu’une harmonisation de certaines d’entre elles – en particulier, les blocages permis au titre de la LCEN et celui de l’article 32 – ne soit à ce stade pas prévue, et invite le Gouvernement à engager une réflexion sur ce sujet, qu’ont soulevé plusieurs auditionnés directement concernés par ces dispositions au cours de leur audition.

C.   des garanties de nécessité et de proportionnalité des mesures inscrites à l’article (alinéas 10 à 14)

Outre la proportionnalité de la disposition inhérente à la distinction entre le propriétaire du nom de domaine de bonne foi et le propriétaire malveillant, l’article L. 2321-2-3 du code de la défense apporte plusieurs garanties :

– d’une part, les mesures que peut ordonner l’ANSSI sont prises dans un délai ne pouvant être inférieur à quarante-huit heures ;

– ces mesures doivent être « mises en œuvre pour la durée et dans la mesure strictement nécessaires et proportionnées dans leurs effets », aux seuls fins de prévenir, caractériser et neutraliser la menace ;

– s’agissant plus particulièrement de la redirection du nom de domaine vers un serveur sécurisé de l’ANSSI, l’article prévoit qu’une telle mesure ne peut excéder une durée de deux mois, reconductible une seule fois en cas de persistance de la menace, et après avis de l’ARCEP. Cette mesure doit, en revanche, cesser sans délai lorsque la menace est maîtrisée ;

– les autres mesures sont également soumises au contrôle de l’ARCEP et l’ensemble des mesures pouvant être ordonnées par l’ANSSI seront susceptibles de recours devant le juge administratif, dans les conditions du droit commun ;

– les données collectées dans le cadre des mesures prises à l’encontre des propriétaires de noms de domaine malveillants sont conservées sur une durée maximale de dix ans. Les autres données sont détruites sans délai lorsqu’elles ne sont pas utiles à la caractérisation de la menace, à l’exception des données permettant d’identifier les utilisateurs ou les détenteurs des systèmes d’information menacés.

Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’État observe que « le dispositif envisagé est justifié par la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation et par la prévention des atteintes à l’ordre public [de sorte que] l’atteinte portée aux droits et libertés (…) est adaptée, nécessaire et proportionnée au motif d’intérêt général qui la justifie. » ([69])

D.   La prise d’un dÉcret en conseil d’État (alinÉa 15)

Enfin, l’article 32 prévoit qu’un décret en Conseil d’État, pris après avis de l’ARCEP, précisera les modalités d’application de cet article.

Ce même décret précisera les modalités de compensation des surcoûts à la charge des FAI, des hébergeurs et de l’office d’enregistrement et des bureaux d’enregistrement des noms de domaine. L’étude d’impact indique que le montant de compensation des surcoûts « pourrait être déterminé après consultation des entités concernées au regard de leurs pratiques existantes (coût d’un blocage, prix d’un transfert de nom de domaine qui va de 2 à 100 euros par an et par nom de domaine pour une dizaine de demandes par an, etc.) »

IV.   La position de la commission

Outre neuf amendements rédactionnels de votre rapporteure, la commission des Lois a adopté plusieurs amendements précisant la portée et le périmètre de l’article :

– l’amendement CL88 de votre rapporteure précise que les mesures que l’ANSSI peut demander au titulaire du nom de domaine de bonne foi tiennent compte de la nature de ce titulaire ainsi que de ses contraintes opérationnelles ;

– l’amendement CL42 de M. Latombe prévoit que le délai de mise en œuvre des mesures demandées par l’ANSSI est déterminé après concertation des opérateurs, tandis que l’amendement CL87 de votre rapporteure instaure un délai plancher de deux jours ouvrés (au lieu de 48 heures) afin de mieux prendre en compte les impératifs opérationnels qui pèsent sur les acteurs du numérique ;

– par un amendement CL104 de votre rapporteure, la commission des Lois a souhaité limiter à cinq ans (au lieu de dix ans) la durée de conservation des données techniques collectées ;

– enfin, les amendements CL24 de M. Bernalicis, CL44 de M. Latombe et CL96 de votre rapporteure prévoient que le décret en Conseil d’État précisant les modalités d’application de l’article est pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil).

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Article 33
(Art. L. 2321-3-1 [nouveau] du code de la défense)
Transmission à l’ANSSI de données techniques non identifiantes aux fins de détection et de caractérisation des attaques informatiques

  La commission de la défense nationale et des forces armées a délégué l’examen au fond de cet article à la commission des lois.

Adopté par la Commission avec modifications

   

   

  Résumé du dispositif et effets principaux

Aux fins de détection et de caractérisation des attaques informatiques, l’article 33 permet aux agents de l’ANSSI d’être destinataires des données techniques non identifiantes enregistrées temporairement sur les serveurs des opérateurs de communications électroniques et des fournisseurs de système de résolution de noms de domaine.

  Modifications apportées par la Commission

Outre trois amendements rédactionnels ou de précision légistique de votre rapporteure, la commission des Lois a adopté plusieurs amendements visant à préciser la portée de l’article. Ces amendements disposent en particulier que les prérogatives nouvelles offertes à l’ANSSI se justifient par les seules finalités de garantie de la défense et de la sécurité nationale, que les données collectées au titre de cet article sont conservées pendant cinq ans, qu’elles ne peuvent comprendre les données relatives aux adresses IP source et, enfin, que le décret d’application de l’article est pris après avis de la Cnil.

1.   Le droit existant

Le système DNS ([70]) a pour objet de faire correspondre une adresse IP et un nom de domaine : cette opération s’appelle la « résolution de nom de domaine » et est proposée par des fournisseurs de système de résolution de noms de domaine.

Afin de limiter le temps nécessaire à la réalisation de cette opération, ces prestataires conservent, de manière temporaire, certaines données dites « données de cache » dans leurs serveurs. Le but de ce stockage est ainsi de diminuer le temps d’accès ultérieur à ces données. Ces données sont généralement conservées moins d’une journée, et parfois seulement sur des délais très courts dans le cas d’attaques malveillantes.

À cette fin, les fournisseurs de système de résolution de noms de domaine conservent donc l’adresse IP du périphérique utilisé pour faire la recherche (par exemple, l’ordinateur de l’utilisateur), ainsi que le nom de domaine demandé, la date de cette demande et les adresses IP des différentes machines interrogées.

2.   Le dispositif proposé

L’article 33 crée un nouvel article L. 2321-3-1 au sein du code de la défense. Celui-ci permet à l’ANSSI, « pour les seuls besoins de la sécurité des systèmes d’information et aux seules fins de détecter et de caractériser des attaques informatiques », de solliciter auprès des opérateurs de communication électronique et des fournisseurs de système de résolution de noms de domaine les données de cache non identifiantes enregistrées de manière temporaire dans leurs serveurs. L’ANSSI vise ainsi l’ensemble des situations où l’utilisation de noms de domaine est motivée par des intentions malveillantes.

La notion d’opérateur de communications électroniques

La notion d’opérateur de communications électroniques est définie au 15° de l’article L. 32 du code des postes et des communications électroniques : « On entend par opérateur toute personne physique ou morale exploitant un réseau de communications électroniques ouvert au public ou fournissant au public un service de communications électroniques. » Deux critères alternatifs le définissent : il s’agit de « toute personne physique ou morale exploitant un réseau de communications électroniques ouvert au public » ou « fournissant au public un service de communications électroniques ».

Aux termes du 6° du même article : « On entend par services de communications électroniques, les services fournis via des réseaux de communications électroniques qui comprennent au moins l’un des types de services suivants : / - un service d’accès à Internet ; / - un service de communications interpersonnelles ; / - un service consistant entièrement ou principalement en la transmission de signaux tels que les services de transmission utilisés pour la fourniture de services de machine à machine et pour la radiodiffusion. / Ne sont pas visés les services consistant à fournir des contenus transmis à l’aide de réseaux et de services de communications électroniques ou à exercer une responsabilité éditoriale sur ces contenus. »

Les fournisseurs de système de résolution de noms de domaine n’étant définis dans aucun texte de loi, le troisième alinéa en apporte une première définition, insérée directement au sein de ce nouvel article L. 2321-3-1. Il s’agit de « toute personne mettant à disposition un service permettant la traduction d’un nom de domaine en un numéro unique identifiant un appareil connecté à internet. »

Le quatrième alinéa apporte deux garanties dans l’exercice de cette prérogative :

– d’une part, les données recueillies ne doivent pas être directement ou indirectement identifiantes. L’étude d’impact précise que les données non identifiantes collectées concerneront uniquement le nom du serveur de réponse, son adresse IP ainsi que la date de la réponse. Un décret pris en Conseil d’État, après avis de l’ARCEP, fixera les modalités de l’article, et en particulier les données techniques collectées par les agents de l’ANSSI.

Ces données ne peuvent pas être considérées comme des données à caractère personnel, définies à l’article 4 du règlement dit RGPD ([71]), comme « toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable », et précisant qu’« est réputée être une "personne physique identifiable" une personne physique qui peut être identifiée, directement ou indirectement, notamment par référence à un identifiant, tel qu’un nom, un numéro d’identification, des données de localisation, un identifiant en ligne, ou à un ou plusieurs éléments spécifiques propres à son identité physique, physiologique, génétique, psychique, économique, culturelle ou sociale ».

Dans son avis (point 37) le Conseil d’État rappelle d’ailleurs que, « si les adresses IP peuvent de manière générale, constituer des données personnelles, cette caractérisation résulte de la circonstance que ces données "permettent l’identification précise [des] utilisateurs" (CJUE, 24 novembre 2011, Scarlet Extended, n° C-70/10). Or, en l’espèce, les adresses IP collectées sont des données non identifiantes qui ne concernent que des noms de domaine et non des utilisateurs. Par conséquent, elles n’ont pas, en l’espèce, le caractère de données personnelles ».

Votre rapporteure observe d’ailleurs que la formulation employée dans l’article affirme clairement cette garantie : les « données techniques non identifiantes enregistrées de manière temporaire par [les] serveurs gérant le système d’adressage par domaines » concernent en effet un périmètre plus circonscrit de données que les « données de cache », qui incluent notamment les adresses IP source, lesquelles sont identifiantes (et dont le présent article ne prévoit ainsi pas la collecte).

– d’autre part, la collecte de données doit uniquement permettre de servir « les seuls besoins de la sécurité des systèmes d’information et aux seules fins de détecter et de caractériser des attaques informatiques ».

Il est précisé dans l’étude d’impact que l’ARCEP aura un accès permanent à la base stockant ces données et pourra ainsi exercer un plein contrôle sur le respect de ces garanties. Cette prérogative ne figure pas à l’article 33, mais est visée, pour des considérations légistiques, aux alinéas 17, 25 et suivantes de l’article 35.

L’étude d’impact justifie l’intérêt de cette disposition. Ainsi, « le dispositif envisagé permettrait à l’ANSSI de connaître les requêtes DNS qui ont été effectuées par les clients, légitimes et malveillants, de manière anonymisée, pour identifier l’infrastructure de l’attaquant et suivre son activité. On pourrait, par exemple, considérer une situation opérationnelle dans laquelle les attaquants mettraient en place des serveurs d’attaque spécifiques pour leurs victimes en France. Une entrée du résolveur (ou journaux) pourrait être collectée pendant les recherches. Par ce biais, l’ANSSI pourrait alors accéder aux données relatives à la requête DNS, son horodatage et au résolveur ayant résolu la requête. Les résolveurs étant spécialisés par périmètre (téléphonie mobile, secteur d’activité, etc.) chez les opérateurs de communications électroniques et les fournisseurs de système de résolution de noms de domaine, les données obtenues par l’ANSSI permettraient de caractériser plus finement l’attaque et la stratégie de l’attaquant. »

3.   La position de la Commission

La commission des Lois a adopté deux amendements rédactionnels. Elle a également souhaité préciser les contours de l’article :

– l’amendement CL47 de M. Latombe prévoit que la transmission des données technique est permise aux seules fins de garantir la défense et la sécurité nationale ;

– l’amendement CL89 de votre rapporteure supprime les opérateurs de communications électroniques du périmètre du texte, seuls les fournisseurs de système de résolution de noms de domaine étant en pratique concernés par l’obligation de transmission de données visée par l’article ;

– l’amendement CL91 de votre rapporteure pose une durée maximale de conservation des données collectées de cinq ans ;

– l’amendement CL92 de votre rapporteure inscrit dans l’article l’interdiction de collecte des données relatives aux adresses IP source ;

– enfin, l’amendement CL90 de votre rapporteure prévoit un avis de la Cnil avant la publication du décret d’application de l’article.

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Article 34
(Art. L. 2321-4 [nouveau] du code de la défense)
Obligation d’information de l’ANSSI et des utilisateurs par les éditeurs de logiciel en cas de vulnérabilité significative ou d’incident informatique

  La commission de la défense nationale et des forces armées a délégué l’examen au fond de cet article à la commission des lois.

Adopté par la Commission avec modifications

  Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 34 renforce les exigences de transparence qui s’appliquent aux éditeurs de logiciel en contraignant ces derniers à informer l’ANSSI et leurs utilisateurs en cas de vulnérabilité significative ou d’incident informatique susceptible d’affecter un de leurs produits.

 

 

  Modifications apportées par la Commission

Dans le souci d’assurer la proportionnalité du dispositif, la commission des Lois a adopté cinq amendements prévoyant que les incidents informatiques nécessitant une information de l’ANSSI sont ceux qui compromettent « significativement » la sécurité des systèmes d’information des éditeurs et que l’obligation d’information de ces derniers s’applique uniquement aux utilisateurs professionnels, dans un délai fixé par l’ANSSI. La Commission a souhaité inscrire une définition de l’incident informatique à l’article, et prévoir un avis de l’ARCEP avant la publication du décret d’application – lequel devra préciser les critères d’appréciation du caractère significatif de la vulnérabilité ou de l’incident en fonction des pratiques et standards internationaux communément admis.

1.   Le droit existant

a.   L’existence d’obligations d’information pour certains acteurs du numérique

Certains acteurs du numérique sont déjà contraints par des obligations d’information. C’est notamment le cas :

– des responsables de traitement de données personnelles : les articles 58 et 83 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés obligent ces responsables à notifier à la Cnil, ainsi qu’à chaque personne concernée, toute violation de données à caractère personnel, définie comme « toute violation de la sécurité entraînant accidentellement ou de manière illicite la destruction, la perte, l’altération, la divulgation ou l’accès non autorisé à des données à caractère personnel faisant l’objet d’un traitement dans le cadre de la fourniture au public de services de communications électroniques » ;

– des opérateurs d’importance vitale (OIV) : l’article L. 1332-6-2 du code de la défense dispose ainsi qu’ils informent sans délai le Premier ministre des incidents affectant le fonctionnement ou la sécurité d’un de leurs systèmes d’information. Introduits dans le code de la défense par la loi de programmation militaire de 2013 et identifiés par l’État comme des opérateurs réalisant des activités indispensables à la survie de la nation, ces acteurs sont ainsi soumis à des obligations particulières en matière de sécurisation des systèmes d’information et sont accompagnés spécialement par l’ANSSI dans ce processus ;

– des opérateurs de services essentiels (OSE) et des fournisseurs de services numériques (FSN) : les articles 7 et 13 de la loi n° 2018-133 du 26 février 2018 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine de la sécurité dispose que ceux-ci doivent déclarer à l’ANSSI les incidents affectant les réseaux et systèmes d’information nécessaires à la fourniture de services essentiels, lorsque ces incidents ont ou sont susceptibles d’avoir un impact significatif sur la continuité de ces services. L’ANSSI peut prendre des mesures d’information du public lorsqu’une telle information est nécessaire pour prévenir ou traiter un incident ;

Les opérateurs d’importance vitale (OIV) et de services essentiels (OSE)

La notion d’opérateurs d’importance vitale (OIV), introduite dans le code de la défense par la loi de programmation militaire de 2013, désigne « les opérateurs publics ou privés exploitant des établissements ou utilisant des installations et ouvrages, dont l’indisponibilité risquerait de diminuer d’une façon importante le potentiel de guerre ou économique, la sécurité ou la capacité de survie de la nation ». Elle concerne plus d’une centaine d’opérateurs identifiés par l’État exerçant des activités ayant trait à la production et la distribution de biens ou de services indispensables, dès lors que ces activités sont difficilement substituables ou remplaçables, ou qui peuvent présenter un danger grave pour la population ([72]).

Le texte de l’article L. 1332-1 du code de la défense impose à ces opérateurs de coopérer à leurs frais, sur la base d’un plan individuel élaboré en concertation avec l’État, à la protection de leurs établissements contre toute menace, notamment à caractère terroriste. Ces acteurs sont entre autres soumis à des obligations particulières en matière de sécurisation des systèmes d’information.

Ainsi, le Premier ministre peut imposer des règles en matière de sécurité informatique, notamment l’installation de dispositifs de détection, qui devront être appliqués par les OIV à leurs frais ([73]). Ces opérateurs doivent par ailleurs informer le Premier ministre des attaques informatiques dont ils sont victimes ([74]), leurs systèmes d’information peuvent, à sa demande, faire l’objet d’un contrôle de l’ANSSI ([75]) et des mesures particulières peuvent être décidées à son initiative en cas de crise majeure menaçant ou affectant la sécurité des systèmes d’information ([76]).

La directive sur la sécurité des réseaux et des systèmes d’information du 6 juillet 2016, dite directive NIS ([77]), transposée par la loi n° 2018-133 du 26 février 2018 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine de la sécurité, a par la suite créé la catégorie des opérateurs de services essentiels (OSE).

Les OSE sont définis à l’article 5 de la directive comme « les opérateurs, publics ou privés, offrant des services essentiels au fonctionnement de la société ou de l’économie et dont la continuité pourrait être gravement affectée par des incidents touchant les réseaux et systèmes d’information nécessaires à la fourniture desdits services ».

Un service essentiel correspond à 3 critères : ce service est essentiel au maintien d’activités sociétales ou économiques critiques ; la fourniture de ce service est tributaire des réseaux et des systèmes d’information ; un incident sur ces réseaux et systèmes aurait un effet disruptif important sur la fourniture dudit service.

Le décret du 23 mai 2018 ([78]) précise les critères d’identification des OSE, renvoyant à une liste d’activités, de sous-secteurs et d’entités figurant en annexe de ce décret. Tenant compte de ces éléments, l’ANSSI apprécie l’appartenance d’un opérateur ou non à cette catégorie en fonction de plusieurs critères ([79]), et soumet une liste au Premier ministre, auquel il revient la décision de désignation ([80]).

Un opérateur identifié comme OSE est notamment soumis à des obligations en matière d’application de règles de sécurité aux réseaux et systèmes d’informations essentiels (SIE) identifiés par l’OSE, et de notification à l’ANSSI en cas d’incident de sécurité ([81]).

– des opérateurs de communications électroniques, pour lesquels l’article L. 33-1 du code des postes et des communications électroniques prévoit « des obligations de notification à l’autorité compétente des incidents de sécurité ayant eu un impact significatif sur leur fonctionnement ».

En revanche, il n’existe pas d’obligation légale contraignant les éditeurs de logiciels à déclarer à l’ANSSI d’éventuelles vulnérabilités et à en informer leurs utilisateurs, qui ne sont dès lors notifiés que dans la mesure où ces vulnérabilités emportent des conséquences sur les données à caractère personnel. L’ANSSI n’est en effet compétente que pour traiter des vulnérabilités concernant l’État, les autorités publiques ainsi que certains opérateurs publics et privés. Son périmètre d’action ne couvre donc pas les éditeurs de logiciels.

Pourtant, l’étude d’impact relève que « les éditeurs peuvent sous-estimer les conséquences, pour leurs utilisateurs et pour l’écosystème numérique, de l’existence de vulnérabilités. Surdéterminant les réactions potentielles des marchés financiers ou des investisseurs, ils peuvent ainsi s’avérer réticents à transmettre à leurs utilisateurs d’éventuelles faiblesses dans leurs produits. De surcroît, l’éditeur seul ne dispose pas toujours des capacités techniques suffisantes pour identifier les utilisateurs (…) et les alerter de manière efficace. »

b.   La publicité des menaces sur le site du CERT-FR

Lorsqu’un logiciel est fragilisé par une vulnérabilité, une alerte peut être publiée sur le site du Centre gouvernemental de veille, d’alerte et de réponse aux attaques informatiques (CERT-FR), qui assure notamment une mission de détection de la vulnérabilité des systèmes, sous l’autorité de l’ANSSI.

Des campagnes de signalement peuvent par ailleurs être mises en œuvre lorsque ces vulnérabilités concernent les logiciels les plus utilisés ou ceux particulièrement répandus parmi les administrations publiques ou les entreprises. Ces campagnes ont lieu, lorsque l’ANSSI a connaissance d’une vulnérabilité critique pouvant affecter ses bénéficiaires, sous la forme de courriels contenant des recommandations et les mesures à appliquer et sont parfois accompagnées du déploiement par l’ANSSI de moyens de détection.

2.   Le dispositif proposé

L’article 34 créé un nouvel article L. 2321-4-1 au sein du code de la défense. Cet article impose à certains éditeurs une double obligation :

la notification à l’ANSSI de « toute vulnérabilité significative affectant un de leurs produits » ou « tout incident informatique compromettant la sécurité de leurs systèmes d’information susceptible d’affecter un de leurs produits » ([82]), ainsi qu’une analyse de leurs causes et conséquences (alinéa 2).

Les notions de « vulnérabilité significative » et d’« incident informatique »

Les acteurs du numérique auditionnés par votre rapporteur ont souligné que les dispositions du texte pouvaient paraître insuffisamment claires, en particulier s’agissant des termes « vulnérabilité significative » et « incident informatique ».

L’emploi du terme « significatif » existe déjà en droit français, en particulier à l’article D. 98-5 du code des postes et des communications électroniques, dont le III dispose : « le caractère significatif de l’impact de l’incident de sécurité est déterminé en particulier au regard des paramètres suivants : a) Le nombre d’utilisateurs touchés par l’incident de sécurité ; b) La durée de l’incident de sécurité ; c) L’étendue géographique de la zone touchée par l’incident de sécurité ; d) La mesure dans laquelle le fonctionnement du réseau ou du service est affecté ; e) L’ampleur de l’impact sur les activités économiques et sociétales. »

Le SGDSN a précisé à votre rapporteure que l’appréciation d’une « vulnérabilité significative », qui sera détaillée par décret, reposera notamment sur trois critères : le score CVSS ([83]) associé à la nature du produit (par exemple, s’il exerce un rôle clé dans une infrastructure, est largement utilisé, etc.), le contexte de son exploitation ainsi que l’évolution de la situation, qui peut amener l’ANSSI a réévaluer le niveau de criticité.

La notion d’ « incident » existe dans notre droit, sans être précisément définie ([84]). La directive NIS 2 propose néanmoins une définition de l’incident, qui représente « un événement compromettant la disponibilité, l’authenticité, l’intégrité ou la confidentialité des données stockées, transmises ou faisant l’objet d’un traitement, ou des services que les réseaux et systèmes d’information offrent ou rendent accessibles ». ([85])

Le SGDSN a précisé à votre rapporteure qu’il s’agit de cibler, avec cet article, un type précis d’incident informatique – ceux compromettant la sécurité des systèmes d’information de l’éditeur, rappelant qu’il s’agit d’une cible privilégiée des attaquants.

l’information des utilisateurs du produit « dans les meilleurs délais ». À défaut, l’ANSSI peut enjoindre l’éditeur concerné de procéder à cette information, voire informer les utilisateurs ou rendre publics la vulnérabilité ou l’incident concerné, ainsi que l’injonction qu’elle a adressée à l’éditeur si celui-ci n’y a pas donné suite (alinéa 6) ([86])

L’article précise les éditeurs concernés par cette obligation : il s’agit de ceux fournissant le produit sur le territoire français, ou à des sociétés ayant leur siège social ou France, ainsi que les sociétés contrôlées par ces dernières (alinéas 3 à 5).

Enfin, l’article 34 prévoit que ses modalités d’application seront fixées par un décret en Conseil d’État (alinéa 7).

Si l’on fait exception de la procédure d’injonction prévue par l’article, la nouvelle obligation qu’il instaure n’est assortie d’aucune sanction. L’étude d’impact justifie ce choix par la menace que pourrait d’ores et déjà représenter, pour la réputation de l’éditeur, la possibilité offerte à l’ANSSI d’informer les utilisateurs du logiciel vulnérable, voire de rendre public le manquement de l’éditeur. Elle précise par ailleurs que cela peut « constituer une première étape permettant d’habituer les acteurs du marché, sans exclure qu’à l’avenir, une sanction autre que seulement réputationnelle soit introduite par le législateur. »

Votre rapporteure observe que cet article s’inscrit, plus largement, dans une dynamique de notification des incidents qui existe déjà dans le droit de l’Union européenne, s’agissant tant d’incidents portant sur les réseaux ou systèmes d’information que d’incidents relatifs à une violation des données à caractère personnel ([87]).

3.   La position de la Commission

La commission a voté cet article, modifié par cinq amendements :

– l’amendement CL99 de votre rapporteure précise que les incidents informatiques nécessitant une information de l’ANSSI sont ceux qui compromettent « significativement » la sécurité des systèmes d’information des éditeurs ;

– l’amendement CL49 de M. Belhamiti dispose que les éditeurs informent leurs utilisateurs dans un délai fixé par l’ANSSI (et non « dans les meilleurs délais »), et l’amendement CL100 de votre rapporteure restreint cette obligation d’information aux seuls utilisateurs professionnels ;

– l’amendement CL95 de votre rapporteure intègre à l’article la définition de l’incident informatique telle que formulée par la directive dite NIS 2 ([88]), non encore transposée ;

– par un amendement CL27 de M. Bernalicis, la commission des Lois a souhaité que l’ARCEP soit saisie pour avis du projet de décret d’application ;

– enfin, l’amendement CL98 de votre rapporteure dispose que le décret d’application précise les critères d’appréciation du caractère significatif de la vulnérabilité ou de l’incident en fonction des pratiques et standards internationaux communément admis.

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*     *

Article 35
(Art. L. 2321-2-1, L. 2321-3 et L. 2321-5 du code de la défense, art. L. 33-14, L. 36-7 et L. 36-14 du code des postes et des communications électroniques)
Renforcement des capacités de détection des cyberattaques et d’information des victimes

  La commission de la défense nationale et des forces armées a délégué l’examen au fond de cet article à la commission des lois.

Adopté par la Commission avec modifications

  Résumé du dispositif et effets principaux

D’une part, l’article 35 permet à l’ANSSI, en cas de menace grave sur les systèmes d’information des autorités publiques et des opérateurs stratégiques, et aux seules fins de détection et de caractérisation de la menace, de mettre en œuvre des dispositifs de recueil de données sur le réseau d’un opérateur de communications électroniques ou sur le système d’information d’un fournisseur d’accès, d’un hébergeur ou d’un centre de données.

D’autre part, ce même article rend obligatoire, pour les opérateurs de communications électroniques qualifiés d’« opérateurs d’importance vitale », la mise en œuvre de systèmes de détection des attaques informatiques.

Enfin, il élargit aux hébergeurs de données l’obligation de communiquer à l’ANSSI certaines informations concernant des utilisateurs ou systèmes d’information vulnérables, menacés ou attaqués, afin de les alerter sur la vulnérabilité ou l’atteinte de leur système d’information, et supprime l’assermentation des agents de l’ANSSI habilités à obtenir ces informations. Il complète également une disposition permettant déjà à ces mêmes agents d’obtenir, de la part des opérateurs stratégiques et des autorités publiques victimes d’un évènement affectant la sécurité de leur système d’information, les données techniques nécessaires à l’analyse de cet évènement, en étendant cette prérogative aux sous-traitants de ces entités.

  Dernières modifications législatives intervenues

Depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025, l’article L. 2321-2-1 du code de la défense habilite l’ANSSI, sous certaines conditions, à mettre en œuvre sur certains réseaux et systèmes d’information des dispositifs de détection des événements susceptibles d’affecter la sécurité des systèmes d’information des autorités publiques, des OIV ou des OSE.

La loi précitée a également créé l’article L. 33-14 du code des postes et des communications électroniques, qui permet aux opérateurs de communications électroniques de mettre en œuvre, sur leurs réseaux, des systèmes de détection des attaques informatiques visant leurs abonnés, exploitables par l’ANSSI en cas de menace.

Enfin, la loi de programmation militaire 2014-2019 ([89]) a créé un article L. 2321-3 au sein du code de la défense qui permet à l’ANSSI, en cas d’attaque informatique concernant des autorités publiques, OIV ou OSE, d’obtenir l’adresse IP, l’adresse postale et l’adresse électronique des utilisateurs de systèmes fragilisés afin de les informer de cette attaque. La loi du 13 juillet 2018 a introduit deux nouveaux alinéas à cet article permettant notamment à l’ANSSI, en cas d’événement visant les autorités publiques, OIV et OSE, d’obtenir les données techniques nécessaires à l’analyse de cet évènement auprès des OCE.

  Modifications apportées par la Commission

Outre l’adoption de plusieurs amendements rédactionnels de votre rapporteure, la Commission des Lois a souhaité préciser les modalités de recours à la technique de recueil de données en permettant un tel recours, ainsi que l’usage de marqueurs techniques, uniquement pour garantir la défense et la sécurité nationale. La Commission a également souhaité que le décret d’application soit pris après avis de l’ARCEP et de la Cnil et qu’il précise les informations et catégories de données conservées dans le cadre du recueil de données. Enfin, elle a maintenu la procédure d’assermentation des agents de l’ANSSI chargés de procéder au recueil, que l’article proposait de supprimer.

I.   LE renforcement deS CAPACITÉS DE DÉTECTION D’ÉVÈNEMENTS POUVANT ATTEINDRE LES SYSTÈMES D’INFORMATION DES AUTORITÉS PUBLIQUES ET DES OPÉRATEURS STRATÉGIQUES

Ainsi qu’en dispose l’article L. 2321-2-1 du code de la défense depuis la précédente loi de programmation militaire, l’ANSSI peut d’ores et déjà mettre en place des marqueurs techniques afin d’identifier une menace circulant sur les réseaux. L’article 35 complète cette disposition et vise à lui permettre, sous certaines conditions, de procéder à des recueils de données sur un réseau ou un système d’information.

A.   Des capacités de détection dÉJÀ existantes mais aujourd’hui insuffisantes

1.   Le recours aux marqueurs techniques pour prévenir les menaces à l’encontre des systèmes d’information les plus sensibles

L’article 34 de la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 a inséré l’article L. 2321-2-1 au sein du code de la défense.

Celui-ci permet à l’ANSSI, lorsqu’elle a connaissance d’une menace susceptible de porter atteinte à la sécurité des systèmes d’information des autorités publiques, des OIV et des OSE, de mettre en œuvre, sur le réseau d’un opérateur de communications électroniques (OCE) ou sur le système d’information d’un fournisseur de services de communication au public en ligne ou d’un hébergeur, des dispositifs de détection des événements susceptibles d’affecter la sécurité de ces systèmes d’information.

Ces dispositifs de détection, qualifiés de « marqueurs techniques », sont définis par l’article R. 2321-1-3 du code de la défense comme des « éléments techniques caractéristiques d’un mode opératoire d’attaque informatique, permettant de détecter une activité malveillante et d’identifier une menace susceptible d’affecter la sécurité des systèmes d’information. Ils visent à détecter les communications et programmes informatiques malveillants et à recueillir et analyser les seules données techniques nécessaires à la prévention et à la caractérisation de la menace. »

Les marqueurs techniques

Les marqueurs techniques sont des données techniques qui peuvent être collectées via une sonde intégrée dans un système d’information. Elles permettent la détection de menaces et sont principalement de deux types : les signatures dites « simples » correspondent à un élément technique caractéristique de l’activité d’un attaquant, qui peut être un élément réseau (un nom de domaine qu’il utilise) ou système (le nom d’un fichier qu’il dépose sur la machine de sa victime) ; les signatures « complexes », plus sophistiquées, permettent de reconnaître des ensembles d’éléments techniques (« motifs » ou patterns) particuliers dans le trafic réseau, les fichiers, ou l’activité sur le système.

Ces sondes sont connectées à des systèmes de détection d’intrusion par signature, qui reposent sur des bibliothèques de description des attaques (appelées signatures). Au cours de l’analyse du flux réseau, le système de détection d’intrusion analysera chaque événement et une alerte sera émise dès lors qu’une signature sera détectée. Cette signature peut référencer un seul paquet, ou un ensemble (dans le cadre d’une attaque par « déni de service » par exemple), c’est-à-dire une attaque informatique ayant pour but de rendre indisponible un service.

Le déploiement des dispositifs de détection n’est possible que dans le cadre d’une unique finalité : la détection d’événements susceptibles d’affecter la sécurité des systèmes d’information des autorités publiques, des OIV et des OSE.

Par ailleurs, le texte prévoit un encadrement strict quant à la mise en œuvre du dispositif de détection, qui devra répondre à un principe de proportionnalité. Ainsi, il ne pourra être mis en œuvre que « pour la durée et dans la mesure strictement nécessaires à la caractérisation de la menace ». L’article R. 2321-1-2 du code de la défense précise à ce titre que ce dispositif est mis en œuvre pour une période maximale de trois mois, prorogeable en cas de persistance de la menace et dans cette limite. Toute prorogation fait l’objet d’une décision de l’ANSSI, communiquée à l’ARCEP.

Les données techniques pertinentes sont recueillies et analysées par des agents de l’ANSSI individuellement désignés et spécialement habilités, et ne peuvent être conservées plus de dix ans. Par ailleurs, les données recueillies autres que celles directement utiles à la prévention et à la caractérisation des menaces sont immédiatement détruites.

2.   Une prérogative contrôlée par l’Arcep

Cette prérogative de l’ANSSI est contrôlée par l’ARCEP. L’article L. 2321-5 du code de la défense dispose ainsi : « l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes est chargée de veiller au respect par l’autorité nationale de sécurité des systèmes d’information des conditions d’application de l’article L. 2321-2-1 (…) »

L’article L. 36-14 du code des postes et des communications électroniques précise les modalités de ce contrôle, opéré par la formation de règlement des différends, de poursuite et d’instruction de l’ARCEP.

Cet article dispose notamment que cette formation est informée sans délai des mesures de détection d’évènements mises en œuvre par l’ANSSI, qui doit lui fournir tous les éléments nécessaires à l’accomplissement de sa mission. Par ailleurs, la formation dispose d’un accès complet et permanent aux données recueillies ou obtenues en application de l’article L. 2321-2-1 du code de la défense.

La formation peut formuler toute recommandation à l’ANSSI, et, en cas de non-respect de cette dernière, l’enjoindre d’interrompre les opérations et de détruire les données collectées. Enfin, lorsque l’ANSSI ne se conforme pas à une injonction, la présidence de l’ARCEP peut saisir le Conseil d’État d’un recours.

3.   Une disposition encore incomplète pour faire face à la menace

L’étude d’impact annexée au projet de loi souligne que ces dispositions permettent à l’ANSSI « d’obtenir, pendant une durée limitée, des informations sur le trafic réseau [de la machine faisant l’objet d’un marqueur technique]. Toutefois, en pratique, les données accessibles demeurent très limitées, permettant seulement de savoir avec quelles autres machines l’attaquant communique, ainsi que la méthode de communication utilisée (…). »

Or, selon l’étude d’impact « la mise en œuvre de marqueurs spécifiques pour détecter des évènements suppose une connaissance préalable de l’attaquant qui ne peut être obtenue que par l’analyse de l’ensemble de données figurant sur une machine compromise. »

La rédaction actuelle contraint pourtant l’ANSSI à recueillir uniquement les données techniques, dites métadonnées, la privant de données de contenu et d’informations qu’elle juge nécessaires pour mieux qualifier la menace. Or, les données techniques des flux réseaux auxquelles a accès l’ANSSI sont déclenchées par des actions lancées en amont par des acteurs malveillants à partir de codes et logiciels malveillants, auxquels l’ANSSI n’a pas accès. De surcroît, la mise en place de marqueurs techniques, si elle « permet de prévenir certaines attaques, implique que l’ANSSI connaisse déjà en amont les modes opératoires utilisés par les attaquants et en ait tiré des marqueurs spécifiques pour pouvoir les détecter. [Elle] ne lui permet donc pas de détecter un acteur inconnu ou non caractérisé et ne permet que des actions en réaction. »

Le recours, par les autorités publiques, les OIV et les OSE, à des sous-traitants, présente par ailleurs une difficulté particulière que le dispositif légal actuel ne prend pas en compte. Ceux-ci se voient en effet accorder des accès aux systèmes d’information « alors que les mesures de sécurité qu’une entité sensible s’impose sont souvent bien moindres, voire inexistants chez les sous-traitants, lesquels ne disposent en outre pas des mêmes moyens financiers et humains que les entités sensibles et ne sont pas soumises aux mêmes obligations légales. Il en résulte que les attaquants, pour atteindre in fine des entités sensibles, utilisent fréquemment leurs sous-traitants comme porte d’entrée. »

Enfin, l’étude d’impact précise que, lorsqu’un évènement pouvant porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation est détecté par l’ANSSI, le recours à des serveurs informatiques compromis est quasi systématique. Or, la rédaction actuelle de l’article L. 2321-2-1 du code de la défense ne permet pas de cibler les opérateurs de centres de données qui proposent le recours à ces serveurs, et ne sont juridiquement pas assimilables aux hébergeurs ou aux FAI ([90]).

B.   Le dispositif proposÉ : une extension matÉrielle et organique des capacitÉs de dÉtection de l’ANSSI

Les alinéas 2 à 9 du présent article réécrivent les dispositions de l’article L. 2321-2-1 du code de la défense.

Tout en maintenant la possibilité, pour l’ANSSI, de recourir à des marqueurs techniques –et en l’étendant aux opérateurs de centre de données – l’article 35 lui permet également de recueillir des données sur le réseau d’un opérateur de communications électroniques ou sur le système d’information d’un hébergeur, d’un FAI ou d’un opérateur de centre de données. Concrètement, cela permettrait à l’ANSSI d’accéder au contenu de la machine infectée, par le biais d’une copie de son disque dur, afin de récupérer les configurations et le détail des codes malveillants utilisés par l’attaquant, ainsi que les données qu’il a dérobées, ses journaux de connexion et les éléments secrets permettant de déchiffrer le trafic malveillant.

Le recours à cette prérogative nécessite une condition, déjà présente dans la rédaction actuelle de l’article L. 2321-2-1 : l’ANSSI doit avoir eu connaissance d’une menace susceptible de porter atteinte à la sécurité de systèmes d’information des autorités publiques, des OIV et des OSE. En pratique, cela nécessite de remplir deux critères :

– d’un point de vue opérationnel, la justification d’une menace auprès de l’OCE, l’hébergeur ou l’opérateur de centre de données par l’ANSSI, dont la portée réelle est appréciée par l’ARCEP, ainsi qu’en dispose l’alinéa 34 du présent article([91]) ;

– par la nature des systèmes d’information visés, à savoir le fait qu’ils concernent ceux d’une autorité publique, d’un OIV ou d’un OSE.

Plusieurs garanties assurent la proportionnalité de ce dispositif ([92]). D’une part, un tel recueil de données ne peut être réalisé qu’après avis conforme de l’ARCEP et n’est permis qu’aux agents de l’ANSSI individuellement désignés et spécialement habilités, aux seules fins de prévention et de caractérisation de la menace et à l’exclusion de toute autre exploitation. Cela implique, en amont, d’avoir ciblé la machine compromise faisant l’objet de la copie. D’autre part, les données directement utiles sont conservées pour une durée maximale de deux ans – la durée de conservation a ainsi été réduite puisqu’elle est, dans la rédaction actuelle de l’article, de dix ans – et celles n’étant pas utiles à la menace sont supprimées sans délai. Un décret en Conseil d’État définira les modalités d’application de l’article.

Les possibilités ouvertes par le présent article seront ainsi circonscrites aux menaces les plus graves. Selon les informations transmises par le SGDSN à votre rapporteure, l’ANSSI devrait exploiter une vingtaine de marqueurs techniques, réaliser une vingtaine de recueils de données sur les flux réseaux et une cinquantaine de recueils de données sur les systèmes d’information chaque année.

Tout en souscrivant à l’ensemble de ces garanties, votre rapporteure insiste sur la nécessité de trouver un juste équilibre et d’aboutir à une rédaction proportionnée du dispositif. S’agissant tant de cette disposition que de celles prévues aux articles 32 et 33 du texte, elle est particulièrement attentive au risque concurrentiel que de telles obligations peuvent faire peser sur l’écosystème du numérique de confiance français, tout en comprenant le sens des mesures proposées dans le cadre de la loi de programmation militaire.

Cette vigilance est partagée par les opérateurs télécoms ainsi que par l’ARCEP, qui relevait d’ailleurs, dans son avis n° 2023-0542, que, « en fonction de la nature et du volume des données concernées par ces demandes, les utilisateurs pourraient questionner leur choix de fournisseur d’accès à internet ou de services numériques, ce qui, in fine, pourrait avoir des effets sur les modèles d’affaires de ces acteurs et conduire à des distorsions concurrentielles avec des acteurs, par exemple extraterritoriaux, qui ne sont pas eux-mêmes soumis à ces obligations. »

II.   Le renforcement des capacitÉs de dÉtection sur les rÉseaux des opÉrateurs de communications Électroniques

Le présent article modifie l’article L. 33-14 du code des postes et communications électroniques relatif aux capacités de détection des menaces pouvant être mis en place sur les réseaux des opérateurs de communication électroniques, mis en place par la précédente loi de programmation militaire. De simple faculté proposée aux OCE, elle deviendrait désormais obligatoire pour les opérateurs qualifiés d’OIV (ce qui concerne quatre OCE en France sur environ 3 500 opérateurs, selon les chiffres transmis à votre rapporteure par le SGDSN).

A.   La loi du 13 juillet 2018 a permis la miSe en œuvre facultative de capacitÉs de dÉtection sur les rÉseaux des oce

1.   Un dispositif facultatif proposé aux OCE…

L’article L. 33-14 du code des postes et des communications électroniques, créé par la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025, permet aux OCE de recourir, sur les réseaux qu’ils exploitent, à des marqueurs techniques. Cette possibilité est néanmoins conditionnée à une information préalable de l’ANSSI et ne peut se faire que pour les besoins de la sécurité et de la défense des systèmes d’information (alinéa 1).

L’étude d’impact précise à ce titre que les systèmes de détection visés par cet alinéa sont des « dispositifs techniques qui comparent en temps réel l’activité d’un réseau à des marqueurs d’attaque (ces marqueurs sont des éléments techniques propres à certains attaquants, tels que l’adresse IP d’un serveur malveillant ou le nom d’un site internet piégé). Ceux-ci analysent automatiquement le trafic sans s’intéresser au contenu, en se limitant à le comparer aux marqueurs d’attaque. Le trafic n’est pas stocké. »

Les données techniques strictement nécessaires à la caractérisation d’un évènement peuvent être conservées pendant six mois, les autres devant être détruites immédiatement (alinéa 3). L’article R. 10-15 du code des postes et des communications électroniques précise les données pouvant être conservées par les opérateurs dans ce cadre.

Code des postes et des communications électroniques

Article R. 10-15. – En application de l’article L. 33-14, les opérateurs de communications électroniques sont autorisés à conserver, lorsqu’elles sont associées à une alerte mentionnée au II de l’article R. 9-12-1 et à l’exclusion du contenu des correspondances échangées :

1° Les données techniques permettant d’identifier l’origine de la communication et l’utilisateur ou le détenteur du système d’information affecté par l’événement détecté ;

2° Les données techniques relatives à l’acheminement de la communication par un réseau de communications électroniques, notamment le routage et le protocole utilisé ;

3° Les données techniques relatives aux équipements terminaux de communication concernés ;

4° Les caractéristiques techniques ainsi que la date, l’horaire, le volume et la durée de chaque communication ;

5° Les données techniques relatives à l’accès des équipements terminaux aux réseaux ou aux services de communication au public en ligne ;

6° Les caractéristiques techniques ainsi que la date et l’horaire de l’alerte dont l’utilisation des marqueurs techniques est à l’origine.

La conservation de ces données est limitée au temps strictement nécessaire à la prévention et à la caractérisation des événements susceptibles d’affecter la sécurité des systèmes d’information des abonnés sans excéder six mois.

L’ANSSI peut, lorsqu’elle a connaissance d’une menace susceptible de porter atteinte à la sécurité des systèmes d’information, demander aux OCE d’exploiter ces systèmes de détection (alinéa 2). Elle fournit à cette fin des marqueurs d’attaque : lorsqu’une attaque informatique est menée en lien avec ces marqueurs, les systèmes de détection des OCE produisent une alerte de sécurité. Quand un tel évènement est détecté sur leurs réseaux, les OCE doivent informer sans délai l’ANSSI, qui peut exiger d’eux d’informer leurs abonnés sur la vulnérabilité de leurs systèmes d’information ou sur des atteintes qu’ils ont subies (alinéas 4 et 5).

Si la menace concerne une autorité publique, un OIV ou un OSE, l’article L. 2321-3 du code de la défense, complété de deux nouveaux alinéas par la loi du 13 juillet 2018, permet aux agents de l’ANSSI habilités par le Premier ministre et assermentés, de demander aux OCE les données techniques strictement nécessaires à l’analyse de cet événement (par exemple, la volumétrie et le type de trafic), aux seules fins de caractérisation de la menace, voire d’information de la victime potentielle.

2.   … qui paraît aujourd’hui insuffisant pour répondre à la menace cyber

L’étude d’impact annexée au projet de loi estime que le dispositif prévu par l’article L. 33-14 du code des postes et des communications électroniques n’a pas permis de répondre pleinement à l’objectif du législateur, du fait de son caractère facultatif, alors même qu’il nécessite, lorsqu’il est respecté, d’importants investissements incombant aux OCE.

Cette disposition pourrait pourtant s’avérer très utile pour l’ANSSI : les cyberattaques transitent en effet par le réseau des opérateurs. L’étude d’impact estime à ce titre que « le développement de la capacité des opérateurs à détecter efficacement les traces des cyberattaques serait une avancée majeure dans la lutte contre les cyberattaques touchant les entreprises et les administrations françaises. »

B.   Le dispositif proposÉ : la mise en œuvre obligatoire de systÈmes de dÉtection des attaques informatiques pour les OCE dÉsignÉs opÉrateurs d’intÉrÊt vital

Le présent article modifie les articles L. 33-14 du code des postes et des communications électroniques et L. 2321-3 du code de la défense afin de faire évoluer les modalités légales de mise en œuvre de systèmes de détection.

Les alinéas 20 à 22 réécrivent les deux premiers alinéas de l’article L. 33-14 du CPCE, qui détermine les modalités selon lesquelles les OCE peuvent recourir à des dispositifs mettant en œuvre des marqueurs techniques sur leurs réseaux.

La réécriture conduit à supprimer cette faculté, pour la rendre obligatoire pour les seuls opérateurs de communications électroniques désignés opérateurs d’intérêt vital. La réécriture complète la rédaction actuelle de l’article en indiquant que « ces dispositifs sont mis en œuvre pour répondre aux demandes de l’ANSSI ».

Lors de leur audition, les représentants du SGDSN et de l’ANSSI ont défendu cette position médiane qui consiste à tirer les leçons des difficultés liées à la rédaction actuelle du dispositif, qui le fait reposer sur la bonne volonté des acteurs, et sur la volonté de ne pas entraver l’activité des OCE par une obligation trop lourde. L’étude d’impact justifie ce choix, relevant que « plus l’opérateur est important, plus les flux qui transitent par son réseau sont conséquents, ce qui permet de maximiser l’efficacité des marqueurs fournis par l’ANSSI. »

L’article prévoit d’indemniser les OCE pour les surcoûts liés à la mise en œuvre de cette mesure (alinéa 24). L’ANSSI évalue son coût à un million d’euros par an.

III.   Une meilleure information des victimes de cyberattaques et la suppression de l’assermentation des agents de l’anssi

L’article 35 préconise d’élargir le périmètre de l’article L. 2321-3 du code de la défense – dont l’une des finalités est de mieux informer les victimes de cyber-assaillants – en intégrant d’autres acteurs concernés par les cyberattaques. À des fins d’allégement procédural, il propose également de supprimer l’assermentation des agents de l’ANSSI ciblés à ce même article.

A.   L’État du droit : des dispositions particuliÈres S’AGISSANT DES cyber attaques visant des opÉrateurs stratÉgiques

L’article L. 2321-3 du code de la défense a deux finalités. D’une part, il permet à des agents habilités par le Premier ministre et assermentés de l’ANSSI, pour les besoins de la sécurité des systèmes d’information des autorités publiques, OIV et OSE, d’obtenir auprès des OCE l’identité, l’adresse postale et l’adresse électronique d’utilisateurs ou de détenteurs de systèmes d’information vulnérables, menacés ou attaqués, afin de les alerter sur la vulnérabilité ou l’atteinte de leur système. Il s’agit d’une disposition permettant à l’ANSSI d’informer facilement la victime en cas d’attaque.

L’habilitation et l’assermentation des agents de l’ANSSI – extraits de la partie réglementaire du code de la défense

Art. R. 2321-2. Les habilitations prévues aux articles L. 2321-2-1 et L. 2321-3 sont accordées, de manière individuelle, par décision du Premier ministre à des agents de l’ANSSI.

Nul ne peut être habilité s’il n’a fait l’objet d’une enquête administrative conformément à l’article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure. Si besoin, l’enquête administrative peut être reconduite pendant la période d’habilitation de l’agent (…)

L’habilitation peut être retirée à tout moment par décision du Premier ministre. Elle prend fin lorsque son titulaire n’exerce plus les fonctions à raison desquelles il a été habilité.

Art. R. 2321-3. – Pour accomplir leur mission prévue à l’article L. 2321-3, les agents habilités de l’ANSSI présentent une commission d’emploi aux opérateurs de communications électroniques. La commission d’emploi mentionne la décision d’habilitation de l’agent.

Tout agent qui n’est plus habilité remet sans délai sa commission d’emploi à l’ANSSI.

Art. R. 2321-4. – Les agents habilités de l’ANSSI prêtent devant le tribunal judiciaire dans le ressort duquel ils exercent leurs fonctions le serment suivant : « Je jure de bien et fidèlement remplir la mission pour laquelle je suis habilité et de ne rien révéler ou utiliser de ce qui sera porté à ma connaissance à l’occasion de son exercice. » (…)

Art. R. 2321-5. – Les agents habilités de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information veillent à la protection des informations à caractère secret qui sont recueillies dans le cadre de leur mission prévue à l’article L. 2321-3 et dont la révélation est réprimée par les dispositions de l’article 226-13 du code pénal.

La transmission des informations mentionnées à l’article L. 2321-3 par les opérateurs de communications électroniques aux agents habilités de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information est effectuée selon des modalités assurant la sécurité, l’intégrité et le suivi de ces informations.

D’autre part, et comme précisé supra, le deuxième alinéa de cet article permet à ces mêmes agents de l’ANSSI, dans le cadre de l’exercice de ses prérogatives mentionnées à l’article L. 33-14 du CPCE, d’obtenir des opérateurs de communications électroniques les données techniques strictement nécessaires à l’analyse d’un évènement concernant une autorité publique, un OIV ou un OSE.

L’étude d’impact avance trois raisons nécessitant une modernisation des dispositions de cet article :

– les dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 2321-3 ne sont applicables qu’aux autorités publiques, OIV et OSE, et non aux opérateurs publics et privés qui peuvent participer à leurs systèmes d’information. Or, selon l’étude d’impact, ces opérateurs « représentent une porte d’entrée de prédilection pour les cyber-attaquants qui visent, par rebonds, les systèmes d’information des entités plus critiques » ;

– alors que les pratiques numériques évoluent, les hébergeurs de données sont de plus en plus victimes d’opérations malveillantes, sans pour autant être concernés par le périmètre du premier alinéa de l’article L. 2321-3 ;

l’assermentation des agents est une garantie exigée pour les agents chargés de rechercher ou poursuivre des infractions pénales, ce qui n’est pas le cas des agents de l’ANSSI ciblés à cet article et complexifie inutilement leur mission.

Selon l’étude d’impact, cette dernière disposition s’applique en effet à la quasi-totalité des agents de la sous-direction des opérations de l’ANSSI, soit près de 200 agents sur un total de 280. Elle induit des procédures lourdes d’assermentation pour les agents et expose ces derniers lorsque les données exploitées ne permettent pas d’identifier une victime et nécessitent des recherches complémentaires à mener avec d’autres analystes n’étant pas soumis à cette obligation d’assermentation.

Votre rapporteure observe d’ailleurs que le caractère principalement judiciaire de l’assermentation a été rappelé par le Conseil d’État dans son rapport d’avril 2021 sur les pouvoirs d’enquête de l’administration. Il y est ainsi précisé que, « à l’exception des agents de la DGCCRF, la loi prévoit que les agents habilités, commissionnés ou agréés doivent être assermentés pour pouvoir rechercher et constater des infractions pénales. La prestation de serment constitue l’engagement solennel de l’agent, généralement pris devant le président du tribunal judiciaire du ressort de son affectation, ce qui est une manifestation du caractère judiciaire des fonctions qu’il exerce, de bien remplir ses fonctions et de respecter les règles déontologiques inhérentes à leur exercice. » (page 86).

B.   La solution proposÉe : un Élargissement des acteurs du numÉrique visÉs par le dispositif et la suppression de l’assermentation des agents de l’anssi

L’article L. 2321-3 du code de la défense est modifié à plusieurs titres par le présent article :

– le premier alinéa est modifié afin d’étendre le dispositif aux hébergeurs et de supprimer l’assermentation des agents de l’ANSSI (alinéa 11) ;

– le deuxième alinéa est complété afin d’élargir ses dispositions aux sous-traitants des autorités publiques, OIV et OSE (alinéa 13).

1.   Un élargissement des dispositions de l’article aux hébergeurs et aux opérateurs publics et privés des autorités publiques, OIV et OSE

● Inclure les hébergeurs dans le périmètre de l’article

Le premier alinéa de l’article L. 2321-3 du code de la défense est modifié afin d’en élargir le périmètre aux hébergeurs de données (alinéa 11). Ceux-ci devront ainsi, pour les besoins de la sécurité des systèmes d’information des autorités publiques, OIV et OSE, transmettre à l’ANSSI l’identité, l’adresse postale et l’adresse électronique d’utilisateurs ou de détenteurs de systèmes d’information vulnérables, menacés ou attaqués, afin de les alerter sur la vulnérabilité ou l’atteinte de leur système.

Le décret n° 2021-1362 du 20 octobre 2021 relatif à la conservation des données permettant d’identifier toute personne ayant contribué à la création d’un contenu mis en ligne oblige déjà les hébergeurs à collecter ces données. L’étude d’impact précise que les données de connexion qui pourront être transmises à ce titre sont visées à l’article 2 de ce même décret ([93]).

En conséquence, les alinéas 14 à 16 réécrivent le dernier alinéa de l’article L. 2321-3 relatif aux modalités de compensation des surcoûts afin de prévoir que les prestations assurées par les hébergeurs sont compensées selon des modalités prévues en Conseil d’État.

● Étendre les dispositions de l’article aux opérateurs

Le deuxième alinéa de l’article L. 2321-3 est modifié afin d’intégrer les sous-traitants des autorités publiques, OIV et OSE (qualifiés dans le texte d’opérateurs publics ou privés participant aux systèmes d’information de ces entités) ([94]) dans le périmètre de cet alinéa. Il prévoit également que la durée de conservation maximale des données exploitées par l’ANSSI est de dix ans.

Cet élargissement du périmètre de l’article aux opérateurs s’inscrit en cohérence avec d’autres dispositions imposant déjà des règles de sécurité particulières aux sous-traitants dans le domaine de la défense des systèmes d’information des OIV et OSE ([95]).

2.   La suppression de la procédure d’assermentation des agents de l’ANSSI

L’alinéa 11 supprime la condition d’assermentation des agents de l’ANSSI prévue par l’article L. 2321-3. Les agents de l’ANSSI demeureront spécialement habilités, dans les conditions déjà précisées aux articles R. 2321-2 à R. 2321-3 et R. 2321-5.

L’étude d’impact précise que l’ANSSI fournira à l’ARCEP la liste des agents spécialement habilités, afin de lui permettre de s’assurer que seuls ces agents disposent effectivement d’un accès aux données qui leur sont communiquées au titre de cet article.

IV.   La position de la commission

La commission des Lois a adopté cinq amendements rédactionnels de votre rapporteure. Elle a surtout souhaité encadrer davantage les modalités permettant le recueil de données :

– par deux amendements identiques CL34 et CL45 de Mme Le Hénanff et de M. Latombe, la Commission a circonscrit le périmètre du nouvel article L. 2321-2-1 du code de la défense aux seules fins de garantie de la défense et de la sécurité nationale ;

– les amendements CL94 et CL97 de votre rapporteure prévoient que le décret d’application de cet article est pris après avis de la Cnil et de l’ARCEP et qu’il détermine notamment les informations et catégories de données conservées dans le cadre du recueil de données ;

– par des amendements identiques CL13 de Mme Thomin, CL35 de Mme Le Hénanff, CL46 de M. Latombe, CL53 de Mme Chassaniol, CL55 de Mme Lelouis, CL65 de M. Iordanoff et CL93 de votre rapporteure, la Commission a souhaité maintenir la procédure d’assermentation des agents de l’ANSSI chargés de procéder au recueil de données.

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Article 35 bis
(Art. L. 1332-6-4-1 [nouveau] du code de la défense)
Meilleure protection des données sensibles des opérateurs stratégiques

  Cet article additionnel, ayant un lien avec un article délégué par la commission de la défense nationale et des forces armées, a été créé par commission des lois.

Introduit par la Commission

  Résumé du dispositif et effets principaux

Introduit par un amendement CL38 de M. Latombe, l’article 35 bis insère un article L.1332-6-4-1 au sein du code de la défense qui prévoit de nouvelles obligations de protection des données sensibles des opérateurs stratégiques.

D’une part, cet article impose aux opérateurs d’intérêt vital et aux opérateurs de services essentiels de tenir une liste des traitements de données sensibles, c’est-à-dire des traitements dont la captation par une puissance étrangère pourrait porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ([96]), laquelle est mise à la disposition du Premier ministre. L’ANSSI peut elle-même identifier de tels traitements et en informer les opérateurs.

D’autre part, cet article oblige ces mêmes opérateurs à faire opérer les traitements de données sensibles par des sociétés établies au sein d’un pays de l’Union européenne (UE). Ces traitements ne peuvent être confiés à des sous-traitants au capital social ou aux droits de vote détenus individuellement à plus de 24 % et collectivement à plus de 39 % par des sociétés établies en dehors de l’UE.

L’article précise d’ailleurs que les sociétés tierces ne doivent pas disposer d’un pouvoir de fait ou de droit de contrôle des décisions du prestataire et que les opérateurs doivent s’assurer que les traitements sont réalisés de telle sorte qu’aucune puissance étrangère ne soit en capacité de les suspendre, d’en détourner les finalités et les moyens ou de contraindre les opérateurs.

En cas de non-respect de leurs obligations, les opérateurs encourent une amende de 5 % du chiffre d’affaires annuel moyen constaté sur les deux exercices précédents. Certains hauts fonctionnaires sont chargés de s’assurer de la connaissance et de la bonne application de ces dispositions ([97]).

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Chapitre VI
Dispositions relatives à l’Outre-mer, diverses et finales

Article 36
Dispositions relatives à l’Outre-mer

Adopté par la Commission avec modifications

 

Le présent article a pour objet d’adapter aux Outre-mer les différentes dispositions du présent projet de loi de programmation militaire.

1.   Les dispositions relatives au droit de réquisition

L’article 23 du présent projet de loi modifie les articles L. 160-6 et L. 160-7 du code des assurances, relatifs au régime de réquisition des biens et services. Les alinéas 3 et 4 modifient en conséquence la rédaction de l’article 194-1 du même code, lui ajoutant un huitième alinéa disposant que ces articles ainsi modifiés sont applicables dans les îles Wallis et Futuna. Les alinéas 1 et 2 sont quant à eux des dispositions de coordination.

Les articles L. 2651-1, 2661-1, 2671-1 et 2681-1 du code de la commande publique listent, dans un tableau, les dispositions respectivement applicables dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises aux marchés publics conclus par l'État ou ses établissements publics. L’article 25 du présent projet de loi adaptant le cadre des enquêtes de coût dans les marchés publics et étendant ces dernières aux marchés publics de défense et de sécurité relevant du livre V du même code, les alinéas 5 à 17 du présent article appliquent l’ensemble de ces dispositions, telles qu’elles figurent aux articles L. 2196-7 et L. 2396-13 modifiés ainsi qu’au nouvel article L. 2521-6, aux marchés publics susmentionnés.

L’article 23 du présent projet de loi insère, dans le code de la défense, un nouvel article L. 2212-1 disposant qu’« en cas de menace, actuelle ou prévisible, pesant sur les activités essentielles à la vie de la Nation, la protection de la population, l’intégrité du territoire, la permanence des institutions de la République ou de nature à justifier la mise en œuvre des engagements internationaux de l’État en matière de défense, la réquisition de toute personne, physique ou morale, et de tous biens et services nécessaires pour y parer peut être décidée par décret en conseil des ministres ». Dans le cas d’une rupture des communications avec le Gouvernement du fait d'une agression interne ou externe, les alinéas 18 à 22 et 24 à 31 du présent article confie ce droit de réquisition en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à La Réunion, à Mayotte, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, à Saint-Pierre et Miquelon, à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les TAAF « au haut fonctionnaire de zone de défense et de sécurité territorialement compétent ». Par coordination, l’alinéa 23 abroge l’article L. 6123-2 du même code relatif aux réquisitions des navires ou aéronefs à Mayotte, désormais incluses dans le nouvel article L. 2212-1 précité. Quant à l’alinéa 32, il abroge les articles L. 6313-2, miroir de l’article L. 6123-2 précité pour Wallis et Futuna, la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie et les TAAF, ainsi que les L. 6333-1 et L. 6343-1. Enfin, l’alinéa 33 corrige une erreur de plume figurant au 4° de l’article L. 6323-2 du code de la défense, issue de la création de cet article, via l’ordonnance n° 2019-1335 du 11 décembre 2019 portant dispositions relatives à l’Outre-mer du code de la défense. En effet, il apparaît que le membre de phrase : « ainsi que dans les territoires exclus du territoire douanier de l’Union européenne » y est mentionné à deux reprises.

Le nouvel article L. 2212-8, inséré dans le code de la défense par l’article 23 du présent projet de loi fixe les modalités de la rétribution, par l’État, d’une personne (physique ou morale) faisant l’objet d’une réquisition. Le même article 23 modifie l’article L. 218-72 du code de l’environnement, relatif aux réquisitions par l’État en cas d’avarie ou d’accident en mer, en renvoyant désormais, pour le calcul du montant des indemnités, à l’article L. 2212-8 précité. Les alinéas 34 à 37 et 40 du présent article modifient les articles du code de l’environnement rendant applicable l’article L. 218-72 à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française, à Wallis-et-Futuna et aux TAAF, en visant désormais sa rédaction prévue par le présent projet de loi. Quant aux alinéas 38 et 39, ils rendent applicable aux TAAF l’article L. 218-71 du code de l’environnement, donnant compétence aux agents du ministère pour le contrôle de la pollution par incinération dans les bâtiments de la marine nationale, ainsi que dans les navires et les structures artificielles fixes militaires français.

L’article 27 du présent projet de loi modifie l’article L. 33-3-1 du code des postes et des communications électroniques relatif à la prohibition des dispositifs de brouillage des émissions et réceptions des équipements radioélectriques ou des appareils intégrant des équipements radioélectriques. Déjà applicable en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna, dans les TAAF et en Nouvelle-Calédonie, il le sera désormais, aux termes des alinéas 41 et 42 du présent article, dans sa rédaction issue dudit article 27.

L’article L. 33-15 du code des postes et des communications électroniques rend applicable dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie l’article L. 33-14 du même code, relatif aux marqueurs techniques que les opérateurs de télécommunications sont autorisés à utiliser sur leurs réseaux. La rédaction de cet article est modifiée par l’article 35 du présent projet de loi. L’alinéa 43 du présent article adapte donc, en conséquence, le renvoi prévu par l’article L. 33-15 à cette nouvelle rédaction.

2.   Les dispositions relatives au code de procédure pénale

L’alinéa 44 du présent article permet de rendre applicable le code de procédure pénale, tel qu’il est modifié par le présent projet de loi, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna.

3.   Les dispositions relatives à la santé publique

L’article 26 du présent projet de loi modifie la rédaction de l’article L. 1221-10 du code de la santé publique, relatif à la conservation des produits sanguins labiles destinés à une utilisation thérapeutique directe, élargissant le nombre des organismes pouvant conserver ces derniers. Les alinéas 45 à 47 du présent article permettent de rendre applicable cet article ainsi modifié à Wallis-et-Futuna.

L’alinéa 48 fait de même pour l’article L. 1221-10-2, relatif aux sanctions applicables en cas de violation des dispositions précitées, également modifié par l’article 26. Par cohérence, les alinéas 49 et 50 rendent inapplicable à Wallis-et-Futuna le nouveau 3° de l’article L. 1221-10 précité, relatif à la conservation des produits sanguins par la brigade de sapeurs-pompiers de Paris et le bataillon des marins-pompiers de Marseille. Les alinéas 51 à 55 rendent applicables les mêmes dispositions que les alinéas précités dans les TAAF et les alinéas 56 à 60 en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. Toutefois, s’agissant de ces deux derniers territoires, les alinéas 61 et 62 précisent que les 1ers et 5èmes alinéas ne sont pas applicables.

Enfin, l’alinéa 63 rend applicable, à Wallis-et-Futuna le titre III du livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique, relatif aux menaces et crises sanitaires graves, dans sa rédaction issue de la présente loi, c’est-à-dire incluant la modification faite à l’article L. 3131-8 relatif à la réquisition des personnels de santé, désormais encadrée par le nouvel article L. 2212-8 du code de la défense précité.

4.   Les dispositions relatives à la sécurité intérieure

Les alinéas 64 à 66 du présent article rendent applicable en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie, à Wallis-et-Futuna et dans les TAAF l’article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure, tel qu’il est modifié par l’article 19 du présent projet de loi. Celui-ci autorise l’autorité administrative à consulter le bulletin n° 2 du casier judiciaire dans le cadre des enquêtes entourant les décisions de recrutement, d'affectation, de titularisation, d'autorisation, d'agrément ou d'habilitation de personnels pour certains emplois sensibles.

Les alinéas 67 à 72 du présent article rendent applicables en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie, à Wallis-et-Futuna et dans les TAAF les dispositions du nouveau chapitre III bis du titre Ier du livre 2 du code de la sécurité intérieure, relatif à la lutte anti-drone aérien.

5.   Les dispositions relatives aux transports

Aux termes de l’article L. 5241-1 du code des transports, les dispositions du chapitre Ier relatif à la sécurité des navires et à la prévention de la pollution sont applicables « aux navires battant pavillon français à l'exception, outre des navires de guerre, des navires affectés au transport de troupes pendant la durée de cette affectation, des navires affectés aux transports dont l'État s'est assuré la disposition en application de l'article L. 2211-1 du code de la défense et des navires armés par des personnels militaires ». L’article 23 du présent projet de loi modifie cet article en étendant le champ des exceptions aux navires réquisitionnés par l’État en application du nouvel article L. 2212-2 du code de la défense. Les alinéas 73 à 75, 78 et 79, 82 et 83, 86 et 87 appliquent ces dispositions à en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, à Wallis-et-Futuna et aux TAAF.

L’article L. 5434-1 du code des transports est modifié par l’article 23 du présent projet de loi. Il dispose désormais que, « sans préjudice du droit de réquisition prévu au titre Ier du livre II de la deuxième partie du code de la défense, les règles relatives au transport maritime d’intérêt national sont fixées par les dispositions du chapitre V du titre III du livre III de la première partie du même code. », étant précisé que ce titre Ier du livre II de la deuxième partie du code de la défense est intégralement modifié par l’article 23 du présent projet de loi. Les alinéas 76 et 77, 80 et 81, 84 et 85, 88 et 89 du présent article applique ces dispositions en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, à Wallis-et-Futuna et aux TAAF.

6.   Dispositions diverses

L’article 31 du présent projet de loi insère, dans l’ordonnance n° 2016-1687 du 8 décembre 2016 relative aux espaces maritimes relevant de la souveraineté ou de la juridiction française, un nouvel article 41 bis relatif aux activités d’études préalables à la pose ou à l’enlèvement d’un câble ou de pipeline sous-marin en mer territoriale. Les alinéas 90 et 91 du présent article appliquent ce nouvel article « à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, sous réserve des compétences dévolues à ces collectivités, ainsi que dans les îles Wallis et Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises ».

L’alinéa 92 ratifie l’ordonnance n° 2019-1335 du 11 décembre 2019 portant dispositions relatives à l’Outre-mer du code de la défense.

L’alinéa 93 fixe l’entrée en vigueur de plusieurs dispositions du présent article non pas à l’entrée en vigueur de ce projet de loi mais à la date fixée par le décret mentionné au XI de son article 23.

7.   La position de la commission

La commission a adopté neuf amendements rédactionnels du rapporteur (n° DN880 à DN888).

 


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   AVIS FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

La commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale s’est saisie pour avis d’une partie du projet de loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2024 à 2030 ([98]). Cette saisine pour avis de la commission, désormais traditionnelle sur les projets de LPM, se justifie par le fait que les options de politique militaire sont déterminées par les options de politique étrangère. L’importance prise par les enjeux stratégiques contribue d’ailleurs à une imbrication toujours plus étroite des questions militaires et diplomatiques.

Le projet de LPM 2024-3030 est présenté dans un contexte marqué par plusieurs grandes transformations de la conflictualité mondiale : le modèle des opérations extérieures interroge, la guerre est de retour sur le sol européen et les ruptures technologiques s’accélèrent dans le domaine de l’armement. Ces évolutions questionnent profondément le modèle d’armée français, mis au défi de répondre à l’intensité croissante des nouveaux conflits comme à l’extension des champs de la confrontation sans remettre en cause ses capacités expéditionnaires.

Après la réduction constante des moyens consacrés à la défense nationale depuis la fin de la guerre froide, la LPM 2019-2025, dont l’exécution a été – fait inédit – fidèle à la programmation, a engagé la réparation de notre outil militaire. La dégradation continue de l’environnement international, analysée dans la revue nationale stratégique (RNS) publiée en novembre 2022, milite aujourd’hui pour l’adoption d’une LPM capable non seulement de régénérer mais de transformer nos armées à l’horizon 2030. Il en résulte le projet de LPM le plus ambitieux jamais présenté depuis la fin de la guerre froide, à la hauteur du changement d’époque.

La rapporteure pour avis a consacré la deuxième partie de son avis à la contribution des armées à l’influence de la France. L’influence a en effet été érigée par la récente RNS en nouvelle fonction stratégique aux côtés des cinq autres fonctions traditionnelles des armées. Compétence traditionnellement confiée au Quai d’Orsay, la politique d’influence est en réalité le résultat d’une action interministérielle à laquelle contribuent les armées, parfois sans le savoir.

Le renforcement de la compétition stratégique, notamment dans le champ des perceptions, amène à accorder une dimension nouvelle à l’influence. La progression du sentiment antifrançais au Sahel suggère d’ailleurs que la France perd du terrain dans ce domaine.

La consécration de la fonction stratégique « influence » se traduira par l’adoption d’une stratégie nationale dont la portée sera bien plus large que la « feuille de route » de l’influence dont s’est doté le Quai d’Orsay fin 2021. Dans ce contexte, les armées doivent définir leurs priorités dans le domaine de l’influence qui inclue, sans nullement s’y réduire, la lutte contre la désinformation. La rapporteure pour avis appelle à faire de l’accueil des stagiaires étrangers dans les écoles militaires françaises et de la mise à disposition des militaires français auprès des organisations internationales et au sein des états-majors des pays partenaires deux axes structurants de l’action des armées en matière d’influence. Dans ce domaine, les armées ont aussi intérêt à faire des distinctions selon les géographies et à assumer l’importance du continent africain et de nos territoires ultramarins.

 

 


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I. PrÉsenté dans un moment de bascule de la conflictualitÉ mondiale, ce projet de loi de programmation militaire est le plus ambitieux depuis la fin de la guerre froide

La conflictualité mondiale connaît des transformations majeures dont la plus évidente est le retour de la guerre sur le territoire européen. L’accumulation des menaces qui en résultent pour la France interroge en profondeur notre modèle d’armée. La loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2019 à 2025 a répondu au besoin de réparation de notre outil de défense. Le projet de LPM 2024-2030 obéit à une logique de transformation pour permettre à nos armées d’être à la hauteur des défis posés par la dégradation du contexte sécuritaire international.

A. Le modÈle d’armÉe français est bousculÉ par l’Évolution du paysage gÉopolitique et technologique

Plusieurs grands changements sont aujourd’hui à l’œuvre : la remise en cause du modèle des opérations extérieures, le retour d’un conflit de haute intensité sur le sol européen et les évolutions technologiques dans le domaine de l’armement. Ces changements, qui témoignent moins d’une substitution que d’une addition nette des menaces, interrogent notre modèle d’armée, qui doit répondre à l’intensité des nouveaux conflits et à l’extension des champs de la confrontation sans remettre en cause ses capacités expéditionnaires.

1. La gestion de crise : une fonction moins dimensionnante qui ne devrait cependant pas disparaître

Depuis que le terrorisme s’est imposé, au début des années 2000, comme la principale menace visant notre pays, les armées françaises ont adopté une posture expéditionnaire, fondée sur la conduite d’opérations extérieures. Nos armées ont ainsi été transformées en corps expéditionnaires destinés à être projetés à l’extérieur de nos frontières. De ce fait, les Français se représentent leurs armées sous le prisme des soldats engagés sur le théâtre sahélien, dans le cadre de l’opération Barkhane, ou des Rafale engagés, au sein de l’opération Chammal, contre Daech au Levant.

La fonction stratégique « intervention » n’a toutefois pas toujours été aussi dimensionnante pour nos armées. Sous la guerre froide, marquée par la menace d’un affrontement majeur entre les États-Unis et l’Union soviétique, la priorité était donnée par la France à la dissuasion nucléaire. De la même manière, les ambitions françaises de projection des forces pourraient se réduire à l’avenir. D’après Elie Tenenbaum, directeur du centre des études de sécurité de l’Institut français des relations internationales (IFRI), la gestion de crise devrait en effet se réduire au profit de conflits marqués par une plus haute intensité ([99]).

Si elle n’est pas propre à notre pays, la remise en cause des ambitions de projection militaire tient en partie au bilan mitigé des opérations extérieures conduites ces dernières décennies, notamment au Sahel, après l’expulsion de nos forces armées du Mali et du Burkina Faso. En cause : les difficultés à transitionner de la phase d’intervention à la phase de stabilisation et à répondre à la dimension multidimensionnelle des crises sur le terrain, dont il est de vain de penser qu’elles puissent être résolues uniquement par une action militaire. Mais les difficultés rencontrées par la France au Sahel s’expliquent aussi en grande partie par des considérations externes, dont la sensibilité des opinions publiques locales à une intervention étrangère, qui plus est d’une ancienne puissance coloniale, dont le rejet est alimenté par des compétiteurs stratégiques, principalement la Russie (cf. infra).

Surtout, la France, comme les États-Unis quelques années auparavant, a progressivement réévalué l’ordre de priorité des menaces à partir de 2017 et la disparition de l’emprise territoriale de l’État islamique au Levant. La menace représentée par l’activité des groupes armés terroristes est ainsi devenue moins aiguë que celle liée à la montée en puissance des compétiteurs stratégiques. Cette évolution justifie une réarticulation de notre outil de défense afin que celui-ci soit mieux adapté à une compétition stratégique permanente pouvant déboucher sur un conflit de haute intensité. L’agression russe de l’Ukraine et le retour de la guerre en Europe ont accéléré la nécessité d’une transformation de notre modèle d’armée dans cette direction.

Pour autant, l’hypothèse de nouvelles opérations extérieures demeure. Le paysage sécuritaire international est aujourd’hui moins marqué par la substitution que par l’addition des menaces. Bien que moins visible, la menace terroriste persiste. S’il est nécessaire de se préparer à l’hypothèse d’un engagement majeur, il ne faut pas tirer des conclusions trop hâtives du conflit en Ukraine, auxquelles ne se résumeront sans doute pas l’ensemble des guerres de demain. Les armées françaises doivent pouvoir continuer à intervenir selon d’autres scénarios, que ce soit dans les Balkans, en Méditerranée orientale ou en Indopacifique.

En conséquence, notre outil de défense doit rester agile et s’adapter à une variété de missions. Les forces prépositionnées, en particulier, restent fondamentales pour maintenir notre capacité de projection militaire. Si les forces de présence françaises en Afrique doivent évoluer, car elles cristallisent aujourd’hui une partie du sentiment antifrançais sur le continent, elles doivent continuer à apporter un appui indispensable à des partenaires africains qui restent exposés à la menace terroriste et demandeurs de coopération pour y faire face. Il est également nécessaire de consolider nos forces de souveraineté dans nos Outre-mer, notamment dans l’Indopacifique, où s’accumulent les tensions internationales.

2. La défense de l’Europe : l’avènement de conflits étatiques marqués par une plus haute intensité

La future LPM pour les années 2024 à 2030 se construit dans un contexte international nouveau marqué par le retour de la compétition entre puissances majeures qui est susceptible de déboucher sur des guerres de haute intensité. Comme l’explique le général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées (CEMA), l’évolution de l’environnement stratégique se traduit par la transition d’un triptyque de la conflictualité « paix – crise – guerre », qui justifiait un modèle expéditionnaire, à un nouveau triptyque « compétition – contestation – affrontement » ([100]). À la situation de paix se substitue en effet aujourd’hui une posture de compétition stratégique permanente, qui est devenue le mode normal des relations internationales et que le CEMA appelle « la guerre avant la guerre ».

La phase de compétition se caractérise par l’utilisation par nos compétiteurs de stratégies hybrides, dont font partie les manipulations de l’information ou l’action d’organisations paramilitaires comme Wagner, qui visent à compliquer la prise de décision. La contestation est marquée par la transgression des règles par un acteur pour imposer un fait accompli, à l’image de l’annexion de la Crimée ou du Donbass par la Russie. L’affrontement a lieu lorsque l’adversaire estime qu’un seuil a été dépassé, ce qui s’est produit à compter de l’agression russe de l’Ukraine le 24 février 2022. L’Europe est aujourd’hui contrainte d’être crédible dans son soutien à l’Ukraine, non seulement pour assurer sa sécurité et faire respecter ses valeurs, mais aussi du fait des incidences de cette guerre sur le calcul d’autres acteurs, compte tenu de l’interconnexion entre les théâtres, et donc sur les probabilités d’un autre conflit majeur.

Si le monde a basculé le 24 février 2022 avec l’invasion russe de l’Ukraine, le retour d’une guerre entre grandes puissances était anticipé depuis des années, en particulier au sein de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) qui, à partir de 2014, s’est recentrée sur le cœur de sa mission : la défense collective. Dès 2014, les Alliés ont renforcé la force de réaction rapide (NATO Response Force – NRF) avant de créer, en 2016, la présence avancée renforcée (Enhanced Forward Presence – EFP). Le sommet de Madrid de juin 2022, consécutif au début de la guerre en Ukraine, a aussi fortement renforcé l’Alliance atlantique en entamant la construction sur le flanc Est de l’Europe d’une « défense de l’avant » (forward presence), un concept inspiré de la guerre froide destiné à arrêter les forces russes en cas d’invasion.

La rapporteure pour avis, qui militait dans son avis sur la LPM 2019-2025 pour un renforcement de la coopération militaire entre la France et ses partenaires européens ([101]), se félicite aussi de constater un début d’éveil stratégique en Europe. L’Union européenne (UE) s’impose de façon croissante comme un acteur industriel dans le domaine de la défense grâce en particulier au soutien du Fonds européen de défense (FED) à la consolidation de la base industrielle et technologique de défense

(BITD) européenne ([102]) et au financement des livraisons d’armement à l’Ukraine par la Facilité européenne pour la Paix (FEP), dont le budget a été rehaussé de 500 millions à 3 milliards d’euros. La rapporteure pour avis regrette en revanche, malgré la convergence stratégique favorisée par l’adoption d’une boussole stratégique, que l’Europe ne s’affirme pas encore comme un acteur opérationnel, sauf pour assurer de modestes missions de formation en Afrique ou dans les Balkans. Les évacuations de Kaboul face à la progression talibane à l’été 2021 comme le déroulement de la guerre en Ukraine depuis plus d’un an attestent du fait que l’Europe demeure en grande partie dépendante des États-Unis pour sa sécurité.

La guerre en Ukraine, et plus largement la perspective d’un affrontement entre grandes puissances, a en tout cas accéléré l’effort de réarmement des pays européens. Certes, plusieurs pays d’Europe orientale, comme la Pologne, la Roumanie et les trois pays baltes, historiquement et géographiquement plus sensibles à la menace russe, avaient déjà atteint l’objectif des 2 % du produit intérieur brut (PIB) consacrés à leur défense nationale. Depuis le début de la guerre, ces pays ont cependant affiché leur volonté d’investir encore davantage dans leur défense. La Pologne est notamment engagée dans un immense effort d’équipement de son armée grâce à de volumineuses commandes de matériels américains et sud-coréens de sorte que, selon Camille Grand, ancien secrétaire général adjoint de l’OTAN chargé de l’investissement de défense, « d’ici la fin de la décennie, la Pologne pourrait avoir plus de chars que la France, l’Allemagne et l’Italie réunis » ([103]). L’annonce la plus spectaculaire a cependant été faite par l’Allemagne, dont le chancelier Olaf Scholz a annoncé une « Zeitenwende » (nouvelle ère) pour la Bundeswehr devant se traduire par un investissement de 100 milliards d’euros même si, à la mi-avril, seule une faible part de cette enveloppe semblait avoir été consommée. D’après Camille Grand, la France, qui consacre 43,9 milliards d’euros ([104]) à sa défense en 2023, ce qui représente 1,9 % de son PIB, se situe « dans le peloton de tête […] mais est rattrapée par d’autres pays européens ».

Dans ce contexte, le projet de LPM pour les années 2024 à 2030 doit concilier trois ambitions : l’indépendance nationale, l’engagement au sein de l’OTAN et l’autonomie stratégique européenne.

La première ambition est le dimensionnement de nos forces armées nationales à la haute intensité. Pour Manuel Lafont-Rapnouil, directeur du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) du ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE), les exigences imposées par la guerre de haute intensité restent mal définies. Il apparaît néanmoins clairement que la dissuasion, instrument fondamental de la défense du territoire national et de la défense de nos alliés, demeure indispensable dans un contexte marqué par les menaces de la Russie, le réarmement de la Chine et les crises de prolifération. La perspective d’un conflit de haute intensité renforce aussi l’impératif d’accroître « l’épaisseur » des moyens conventionnels de nos armées qui ont par le passé privilégié la performance technologique au volume. La crise ukrainienne a notamment révélé l’utilité de renouer avec une armée blindée mécanisée et une puissante force d’artillerie mais aussi de réinvestir dans des domaines jusqu’ici négligés car peu visibles comme les munitions, les pièces détachées et la disponibilité des forces, ainsi que l’entraînement et la préparation opérationnelle.

De plus, la France doit être claire et crédible quant à l’engagement de nos forces armées au sein de l’Alliance atlantique. L’effort de la France au profit de l’OTAN doit justifier une part importante du format des armées. Comme le montre sa participation à des missions de police du ciel au-dessus des États baltes, à la mission Lynx en Estonie ainsi que le récent déploiement en Roumanie, la France dispose des capacités de transport stratégique et de mobilité militaire dont l’OTAN a besoin. En revanche, le niveau d’ambition de la France pour un engagement majeur en coalition reste de l’ordre de 15 000 soldats alors que, depuis le sommet de Madrid, le niveau d’ambition de l’Alliance atlantique a crû avec le renforcement de la force de réaction rapide, qui devrait passer de 40 000 à 300 000 hommes.

Enfin, la LPM pour les années 2024 à 2030 doit soutenir et s’appuyer sur un renforcement de l’intégration européenne dans le domaine de la défense. Ni la France, ni aucun pays européen n’a aujourd’hui les moyens d’avoir, seul, un modèle d’armée complet et crédible pour faire face à un conflit de haute intensité. Dès lors que les États-Unis ne seront pas toujours présents pour garantir la sécurité de l’Europe, l’UE n’a d’autres choix que celui d’un sursaut d’intégration militaire. D’après Federico Santopinto, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), le réalisme impose de développer une coopération renforcée entre les pays européens les plus volontaires.

La construction d’une autonomie stratégique européenne devra être pensée de façon non pas contradictoire mais complémentaire au renforcement de l’OTAN. Dès lors que l’Alliance atlantique est perçue comme l’ultime garantie de sécurité par la plupart des pays européens, a fortiori dans un contexte dégradé, la France doit sans doute reconnaître le rôle de l’OTAN dans la défense collective. L’OTAN laisse néanmoins une place importante à l’affirmation d’une autonomie stratégique européenne, qui n’est pas un projet d’indépendance absolue mais une aspiration à faire partie de ceux qui contribuent à définir les règles. Dans le cadre du conflit en Ukraine, le rôle joué par l’UE, qui vote des sanctions contre la Russie, finance les cessions de matériels de guerre à Kiev, forme des soldats ukrainiens en Pologne et consolide la BITD européenne, illustre son caractère complémentaire à l’OTAN.

3. Les armes nouvelles : le dilemme entre la sophistication et la masse

Afin de conserver leur supériorité opérationnelle, les armées sont confrontées au défi de couvrir l’intégralité du spectre capacitaire, qui ne cesse de s’étirer sous l’effet des révolutions technologiques en cours. En effet, les armées auraient tort de miser exclusivement sur la rusticité, sur la base d’une lecture erronée du conflit en Ukraine, et de se priver de certaines capacités critiques. La France a déjà souffert au Sahel du retard pris sur les drones, qui fournissent un réel avantage sur le champ de bataille. Comme le relève Philippe Gros, coordinateur de l’Observatoire des conflits futurs, il reste difficile de définir le champ des « armes nouvelles », qui inclue des innovations dans le domaine des technologies (intelligence artificielle, physique quantique, etc.), des systèmes d’armes (armes à énergie dirigée, missiles à haute vélocité, etc.) et des capacités (combat collaboratif embarqué, etc.). Si toutes les armes nouvelles ne présenteront pas in fine le même intérêt sur le plan militaire, notre pays ne peut prendre le risque de passer à côté d’une innovation qui changerait fortement la donne sur le champ de bataille.

En même temps, la France ne peut pas davantage prendre le risque que l’investissement technologique se fasse au détriment de l’épaisseur opérationnelle. En effet, plus les équipements sont performants, plus ils sont chers et donc moins il est possible d’en acquérir. Le risque, en définitive, est que la France fasse le choix d’une armée sophistiquée et clairsemée au détriment d’une armée robuste et capacitaire. De nombreuses critiques visent déjà l’armée française, qualifiée parfois d’« armée de vitrine » ou d’« armée bonsaï », dans un contexte où la guerre en Ukraine a mis évidence l’importance de se doter de capacités de masse pour faire face à la haute intensité. La LPM 2024-2030 est ainsi mise au défi de trouver le juste point d’équilibre entre l’investissement en faveur des armes nouvelles et l’actualisation des cibles de production des armes traditionnelles, notamment dans l’artillerie et la cavalerie blindée.

En tout état de cause, dans un contexte où les moyens budgétaires sont comptés, les états-majors devront faire des choix en matière de développement technologique. Toutes les innovations technologiques n’offriront pas la même rentabilité au regard des ruptures opérationnelles qui peuvent être envisagées. Sur une même technologie, toutes les applications ne seront pas aussi intéressantes. S’il est nécessaire de disposer de capacités dans tous les milieux, il ne faudra pas chercher nécessairement une sophistication maximale dans tous les domaines. De la qualité de la recherche et développement et de la veille technologique dépendront la justesse des choix de capacités qui seront faites pour équiper les armées.

Surtout, afin de dépasser le dilemme entre la sophistication et la masse, il est nécessaire d’européaniser un plus grand nombre de programmes d’armement, qui permettent de mutualiser les coûts. Si la France a pu développer le Rafale de façon souveraine, il serait aujourd’hui très difficile de financer le système de combat aérien du futur (SCAF) sur nos fonds propres, compte tenu du degré d’ambition de ce système, ce qui justifie une coopération avec l’Allemagne et l’Espagne. Ce type de coopération dans le domaine de l’armement doit être répliqué, en particulier pour les capacités les plus structurantes et les plus onéreuses. La rapporteure pour avis est cependant inquiète des difficultés entourant le programme franco-allemand de système principal de combat terrestre (MGCS) qui doit remplacer le char Leclerc. Afin de dépasser les difficultés politiques qui font parfois obstacle à ces coopérations, la convergence stratégique entre Européens doit être approfondie.

Renforcer la coopération européenne dans le domaine spatial

Dans le domaine spatial, les ruptures technologiques, dans le numérique et l’intelligence artificielle notamment, ont ouvert le champ à un nombre croissant d’applications, tant civiles que militaires. L’espace s’impose, non seulement comme un nouvel espace de conflictualité, mais aussi comme un nouveau terrain de compétition technologique à l’échelle mondiale.

Afin d’éviter que l’UE ne soit dépassée dans cette nouvelle compétition, les programmes en cours dans le cadre de l’Agence spatiale européenne s’articulent autour de trois priorités stratégiques : renforcer l’autonomie d’accès de l’UE à l’espace, renforcer le rôle de leader mondial de l’UE en matière scientifique et maintenir la compétitivité de l’industrie spatiale européenne.

Dans son rapport de préfiguration de la présidence française du Conseil de l’UE au premier semestre 2022 ([105]), la rapporteure pour avis faisait plusieurs propositions pour concrétiser l’ambition spatiale européenne :

– assurer la bonne application du « règlement espace » d’avril 2021, auquel les parlements nationaux pourront porter une attention particulière ;

– promouvoir l’orientation plus environnementale du programme spatial « Copernicus », notamment afin de mesurer le plus précisément possible les performances des États au regard des objectifs de l’accord de Paris ;

– accompagner l’adoption rapide de la constellation de connectivité ;

– soutenir les travaux de définition des contours de la prochaine génération de lanceurs spatiaux.

B.   AprÈs une phase de rÉparation de l’outil de dÉfense, le projet de LPM engage la transformation de nos armÉes

Grâce à son niveau d’ambition et à la sincérité de son exécution, la LPM 2019-2025 a engagé la réparation de nos armées rendue nécessaire par la réduction continue des moyens depuis la fin de la guerre froide. L’évolution de l’environnement international, analysée dans la revue nationale stratégique publiée fin 2022, milite aujourd’hui pour l’adoption d’une LPM à l’ambition encore plus élevée, capable de doter la France d’un modèle d’armée complet et équilibré à l’horizon 2030.

1.   Exécutée à l’euro près, la LPM 2019-2025 a permis la régénérescence des armées

La fin de la guerre froide, qui a conduit tous les pays à tirer les « dividendes de la paix », a ouvert trois décennies de réduction d’effectifs et de capacités dans les armées françaises. Entre 2008 et 2019, le ministère des armées a ainsi perdu plus de 60 000 emplois, soit 20 % de ses effectifs. De même, entre 2003 et 2020, le nombre de chars Leclerc a été divisé par deux, passant de 406 à 222, et le nombre d’avions de combat et de frégates de premier rang a également fortement diminué. En conséquence, l’ambition opérationnelle a été réduite. Alors que, jusque dans les années 2000, les armées pouvaient envisager la projection de 50 000 soldats en opération, une décennie plus tard, cette ambition était réduite à seulement 15 000 soldats.

Après un exercice de revue stratégique qui a permis de caractériser en 2017 les tendances lourdes affectant l’environnement stratégique, la LPM 2019-2025 a été adoptée avec pour ambition la réparation et la remontée en puissance de notre outil de défense. La LPM prévoyait ainsi de rehausser progressivement le budget des armées aux alentours de 2 % du PIB en 2025, de créer 6 000 emplois dans la défense et de combler certaines lacunes capacitaires dans les différents milieux.

Dans un rapport publié en mai 2022 ([106]), la Cour des comptes dresse, malgré certaines limites, un bilan très satisfaisant de l’exécution de la LPM 2019-2025. La Cour relève d’abord que, contrairement aux LPM précédentes, le niveau de dépense programmé a été respecté, et ce malgré des hausses de crédits plus exigeantes en fin de programmation, fixées à 3 milliards d’euros par an à partir de 2023 contre 1,7 milliard d’euros par an jusqu’en 2022. Plusieurs écueils ayant marqué les LPM précédentes ont par ailleurs été évités, parmi lesquels la sous-budgétisation chronique des opérations extérieures et la surestimation des hypothèses d’exportation d’armement. La Cour souligne aussi, parmi les points positifs, la hausse des investissements en faveur des capacités et des dépenses d’innovation. En revanche, malgré d’importants moyens alloués à la maintenance, le niveau d’entraînement et le taux de disponibilité du matériel demeurent inférieurs aux objectifs fixés et définis dans la perspective d’un conflit de haute intensité.

Entendu par la commission des affaires étrangères le 11 janvier 2023 pour présenter ce rapport, Gilles Andreani, alors président de la quatrième chambre de la Cour des comptes, concluait que, dans un contexte de finances publiques dégradées, les états-majors devaient choisir entre trois scénarios pour l’avenir. Le premier scénario consistait à conserver un modèle d’armée complet en procédant néanmoins à une réduction homothétique des capacités, ce qui avait pour inconvénient de mettre à mal la cohérence d’ensemble des armées. Pouvaient par ailleurs être envisagés, sur le modèle britannique, des choix drastiques en défaveur de certaines capacités, ce qui risquait cependant d’entraîner des renoncements irréversibles. Enfin, le Gouvernement pouvait, malgré son impact sur les finances de l’État, choisir de maintenir une programmation budgétaire exigeante jusqu’en 2030 ce qui, pour la rapporteure pour avis, était le seul scénario souhaitable. Les sources d’économies disponibles au sein des armées (réduction du périmètre de certaines missions dont Sentinelle, exploitation des synergies européennes, etc.) étant limitées, ce scénario impliquait des choix difficiles pour limiter la dépense.

2.   La revue nationale stratégique de 2022 insiste sur la dégradation continue de l’environnement international

Travail interne à l’administration conduit sous le pilotage du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), la revue nationale stratégique (RNS) de 2022 est un document d’orientation qui met à jour l’analyse de notre environnement de sécurité dans la perspective de la préparation de la LPM 2024-2030 ([107]). Le président de la République en a fait une présentation lors d’un discours à bord du porte-hélicoptère Dixmude à Toulon le 9 novembre 2022.

La RNS analyse en premier lieu la dégradation de l’environnement international qui s’est poursuivie au rythme des surprises diplomatiques et stratégiques, de l’Indopacifique au Sahel, pour culminer avec la rupture majeure introduite par la guerre d’agression russe en Ukraine. D’après la RNS, il faut anticiper une confrontation avec la Russie sur le temps long, dans des régions et espaces multiples. L’affirmation de la Chine et le renforcement de la compétition avec les États-Unis auront des effets de bord sur les Européens. Nos compétiteurs vont également continuer de tirer un profit maximal du recours aux modes d’action hybrides et des effets nivelants de la diffusion des technologies avancées, émergentes ou disruptives. Dans ce contexte, l’Alliance atlantique est devenue plus centrale encore dans la sécurité de l’espace euro-atlantique, tandis que l’Europe démontre sa pertinence stratégique et entame un sursaut capacitaire.

Ensuite, la RNS réaffirme nos priorités de sécurité et présente les six fonctions stratégiques des armées. Sont réaffirmées les cinq fonctions essentielles auxquelles contribuent les armées, identifiées dès le livre blanc de 2008 : la connaissance-compréhension-anticipation, la dissuasion, la protection-résilience, la prévention et l’intervention. La RNS consacre aussi l’influence dans toutes ses dimensions comme une nouvelle fonction stratégique à part entière. La rapporteure pour avis a fait le choix d’y consacrer la deuxième partie de son avis (cf. infra).

Enfin, la RNS présente les dix objectifs stratégiques qui doivent structurer la transformation des armées à l’horizon 2030. Des objectifs anciens sont réaffirmés. Le premier objectif réaffirme ainsi la valeur unique de la dissuasion nucléaire dans un contexte d’intensification de la compétition stratégique et de place renouvelée des armes nucléaires. Le dixième objectif porte sur l’importance de la crédibilité des forces armées françaises dans des opérations de haute intensité dans tous les champs. D’autres objectifs sont plus nouveaux par rapport à la revue stratégique de 2017. Ainsi en est-il du deuxième objectif sur le renforcement de la résilience et la promotion de l’esprit de défense face à tous les défis sécuritaires, ainsi que du troisième objectif relatif au passage à une « économie de guerre ».

En définitive, la RNS invite à approfondir l’effort de modernisation des armées initié en 2019. Le défi est cependant de convertir la RNS en ambition budgétaire et opérationnelle dans le cadre du projet de LPM 2024-2030.

L’actualisation de la revue stratégique (IR Refresh) du Royaume-Uni

Le 13 mars 2023, le Royaume-Uni a dévoilé son IR Refresh intitulé « Répondre à un monde plus concurrentiel et instable ». En soixante pages, Londres annonce son intention d’intensifier ses dépenses militaires pour faire face à la menace posée par « la convergence croissante des États autoritaires », en particulier la Chine, « un défi systémique », et la Russie, « la menace la plus aiguë ».

Le budget de défense annuel du Royaume-Uni est de 48 milliards de livres sterling (2,2 % du PIB). Il sera porté à 2,25 % du PIB en 2025 et à 2,5 % du PIB « à plus long terme ». Pour tenir cette ambition, cinq milliards de livres sterling (soit 5,6 milliards d’euros) supplémentaires seront injectés dans la défense au cours des deux prochaines années, au profit de la dissuasion et des stocks de munitions. En outre, six milliards de livres sterling supplémentaires seront consentis les années suivantes.

3.   Le projet de LPM 2024-2030 engage une transformation de notre modèle d’armée

Le projet de LPM 2024-2030, adopté en conseil des ministres le 4 avril 2023, est le quatorzième projet de LPM sous la Ve République. La première LPM, qui remonte à 1960, était destinée à accompagner la mise en œuvre de la dissuasion nucléaire. L’adoption d’une LPM se justifie en effet par l’inscription sur le long terme de la politique de défense. À l’exception de quelques dispositions normatives, elle est toutefois une loi de cadrage politique dont l’exécution dépend, chaque année, de l’ouverture en loi de finances des crédits correspondants.

a.   Un cadre budgétaire ambitieux

Fondé sur une logique de transformation, le projet de LPM 2024-2030 fixe un cadre budgétaire ambitieux qui permettra à la France de franchir le cap des 2 % du PIB consacré à la défense dès 2025, un cap qui, d’après l’étude d’impact, est « désormais un seuil et non plus seulement un objectif ». Le projet de LPM, qui répond à 413,3 milliards d’euros de besoins identifiés, prévoit de débloquer 400 milliards d’euros de crédits budgétaires sur les sept annuités de la LPM, dont 268 milliards d’euros pour les équipements. Cela représente une hausse de 105 milliards d’euros par rapport à la LPM 2019-2025, qui était dotée de 295 milliards d’euros de ressources budgétaires. D’après les prévisions du Gouvernement, l’inflation devrait représenter 30 milliards d’euros sur toute la durée de la LPM, de sorte que l’effort supplémentaire consenti devrait être, en valeur réelle, aux alentours de 75 milliards d’euros. Comme la LPM actuelle, le projet de loi prévoit des « marches » annuelles différenciées : la hausse sera de 3 milliards d’euros par an jusqu’en 2027, puis de 4,3 milliards d’euros par an sur la fin de la période ([108]).

 

Programmation des crédits de la mission « Défense » entre 2024 et 2030*

 

Md€ courants

2024

2025

2026

2027

2028

2029

2030

Total 20242030

Crédits de paiement de la mission « Défense »

47,04

50,04

53,04

56,04

60,32

64,61

68,91

400,00

variation

+ 3,1

+ 3,0

+ 3,0

+ 3,0

+ 4,3

+ 4,3

+ 4,3

 

*Hors charges de pensions et à périmètre constant.

Source : article 3 du projet de LPM 2024-2030.

Les 13 milliards d’euros manquants pour couvrir l’ensemble des besoins identifiés par le projet de loi seront financés par des ressources extrabudgétaires, composées notamment du produit des cessions immobilières du ministère des armées, des redevances domaniales et des loyers provenant des concessions ou autorisations de toute nature consenties sur les biens immobiliers affectés au ministère. Dans la continuité de la précédente LPM, le projet de loi garantit au ministère un taux de retour de 100 % du produit des cessions immobilières.

Certaines dépenses de défense sont exclues du périmètre de la programmation militaire, ce qui réduit les effets d’éviction sur le budget programmé pour les armées. Les moyens dédiés au soutien militaire à l’Ukraine, notamment les crédits versés à la FEP, dont l’évolution est difficilement prévisible, sont ainsi exclus du champ de la programmation. Par ailleurs, le projet de loi ne prévoit pas, comme il avait un temps été envisagé, la généralisation du service national universel (SNU).

Le projet de loi contient par ailleurs plusieurs clauses de sauvegarde afin de faire face à certains aléas qui pourraient fortement peser sur le budget des armées. L’article 4 reproduit ainsi le système de provision annuelle prévue pour couvrir en partie les dépenses liées à de potentielles opérations extérieures ou missions intérieures, qui surviendraient, comme toujours, de façon imprévisible. Comme l’explique l’exposé des motifs, cette dotation, qui s’établissait dans la précédente LPM à 1,2 milliard d’euros en 2023 est ramenée à 800 millions d’euros en 2024 puis 750 millions d’euros chaque année jusqu’en 2030, principalement pour tenir compte de la réduction de l’empreinte opérationnelle du ministère, notamment au titre de la fin de l’opération Barkhane. Comme sous la précédente LPM, cette provision est assortie d’un dispositif permettant de couvrir d’éventuels surcoûts supplémentaires, en gestion, par un recours à la solidarité interministérielle.

L’article 5 présente aussi une clause similaire à celle de la précédente LPM qui assure au ministère de pouvoir bénéficier de mesures financières en gestion en cas de hausse des prix constatés des carburants opérationnels et de crédits budgétaires supplémentaires en loi de finances initiale si cette hausse des prix constatés s’avère durable. Ainsi, dès cette année, un projet de loi de financement rectificatif devrait ouvrir 1,5 milliard d’euros de crédits supplémentaires au sein du budget des armées pour faire face à l’inflation et aux dépenses en Ukraine.

b.   Des augmentations d’effectifs, dans l’active comme dans la réserve

L’article 6 maintient la cible en effectifs du ministère fixée à 275 000 hommes et femmes à l’horizon 2030, avec un point de passage à 271 800 en 2027. Les recrutements de 6 300 effectifs supplémentaires dans l’active bénéficieront en premier lieu au renseignement, à la cyberdéfense et au numérique. L’effort est décliné en augmentations nettes d’effectifs par annuité de la LPM.

Programmation de l’augmentation nette des effectifs du ministère des armées entre 2024 et 2030

 

(ETP)

2024

2025

2026

2027

2028

2029

2030

Cibles d’augmentation nette des effectifs

700

700

800

900

1 000

1 000

1 200

Source : article 6 du projet de LPM 2024-2030.

À ces hausses d’effectifs s’ajoutera l’augmentation des effectifs de la réserve opérationnelle, avec une cible portée à 105 000 au plus tard en 2035 pour atteindre l’objectif d’un militaire de réserve pour deux militaires d’active.

c.   Des choix capacitaires cohérents

La répartition des crédits d’équipement, précisée dans le rapport annexé approuvé à l’article 2, est un exercice délicat. Dans un contexte où les moyens budgétaires sont limités, la rapporteure pour avis estime cependant qu’un juste équilibre a été trouvé dans la réponse aux différentes menaces, ainsi qu’entre le besoin de renforcer la masse et celui d’anticiper des ruptures technologiques.

En premier lieu, la LPM pérennise et renforce le socle de notre défense, à savoir les capacités du « cœur de souveraineté ». Elle consacre des moyens très substantiels à la poursuite du renouvellement de la dissuasion nucléaire, ce qui passe par la modernisation des armes (têtes nucléaires), des vecteurs (missiles M51-2 et ASMP-A) et des porteurs (Rafale et sous-marins nucléaires lanceurs d’engins). Les moyens des services de renseignement placés sous la tutelle du ministère des armées – direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), direction du renseignement militaire (DRM) et direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) – seront accrus de 60 % au bénéfice de nos capacités d’appréciation autonome des situations stratégiques et opérationnelles. Enfin, la rapporteure pour avis est particulièrement satisfaite du renforcement de la posture prévu dans les territoires d’Outre-mer, qui doit cependant être concrétisé.

 

 

Durcir le dispositif de défense dans nos territoires ultramarins

Dans un contexte international qui se dégrade, une attention doit être portée à nos territoires ultramarins qui, en raison de leur éloignement de la métropole, sont plus vulnérables aux risques et menaces. Comme devrait le prévoir la prochaine « feuille de route » des armées pour l’Outre-mer, un plus grand nombre de capacités, dont des capacités de haute technologie (drones, moyens de surveillance aérienne), sera mis à demeure dans nos territoires ultramarins.

Afin de nourrir cette « feuille de route », la rapporteure pour avis propose notamment de renforcer et de durcir le dispositif naval, en particulier en Indopacifique, d’augmenter notre capacité de surveillance aéromaritime en acquérant des drones de surveillance de type civil, et d’étudier le renforcement des capacités aériennes et navales de déploiement intra théâtre. Elle propose aussi d’augmenter les forces terrestres mobilisables par une augmentation de la réserve opérationnelle de l’armée de terre dans les territoires ultramarins et de mettre en place un dispositif de lutte contre les menaces hybrides auprès des préfets et hauts commissaires, sous pilotage central du SGDSN.

Deuxièmement, nos armées se transformeront, à travers d’importants efforts capacitaires, pour faire face à des scénarios de haute intensité. Les capacités dimensionnantes, qui permettent de rester à la pointe de la technologie et d’agréger des partenaires, seront préservées. Le projet de LPM maintient ainsi le calendrier du prochain porte-avions nucléaire, qui devrait entrer au service actif en 2038 en remplacement du Charles-de-Gaulle. Il prévoit la généralisation progressive du déploiement du Rafale, la poursuite du SCAF et des études sur le MGCS ainsi que le déploiement de SCORPION, un programme mêlant l’arrivée de véhicules blindés de nouvelle génération (Serval, Jaguar et Griffon) avec la mise en place d’un ensemble de capteurs et de capacités de communication faisant entrer l’armée de terre dans l’ère du « combat collaboratif ». En même temps, il répond au besoin d’améliorer « l’épaisseur » des forces. S’agissant de l’artillerie, malgré les cessions à Kiev, la cible de canons Caesar sera atteinte en 2030 (109 pièces), les 13 lance-roquettes unitaires seront remplacés en 2030 et doublés en 2035, tandis qu’un effort important sera fait en matière de défense sol-air dans chacune des armées ; 16 milliards d’euros seront par ailleurs investis dans les munitions.

Le projet de LPM ne contient aucun renoncement mais comprend certaines révisions de cadencement, de sorte que certains matériels pourraient ne pas arriver en nombre aussi important que prévu à l’horizon 2030. Environ 30 % des cibles des Griffon, des Jaguar et des Serval seront ainsi décalées de 2030 à 2035, les cibles des frégates de défense et d’intervention (FDI) ne seront atteintes qu’en 2035 et la cible des Rafale air passera de 185 à 137 en 2030. Si ces étalements sont regrettables mais nécessaires pour maintenir la cohérence de notre modèle d’armée, la rapporteure pour avis estime que l’effort simultané qui est effectué, dans le cadre de ce projet de LPM, sur les équipements, d’un côté, et les infrastructures, le maintien en condition opérationnelle (49 milliards d’euros, soit une augmentation de 40 % par rapport à la LPM précédente) ainsi que la formation et l’entraînement, d’un autre côté, résulte d’une logique saine qui conduit à structurer des capacités réellement opérationnelles. En tout état de cause, la rapporteure pour avis considère comme hasardeuses les comparaisons qui pourraient être faites avec des pays qui s’équipent plus vite sans que ces derniers ne soient nécessairement dotés de l’arme nucléaire, ni confrontés aux mêmes menaces que la France, ni pourvus de territoires d’Outre-mer, lesquels constituent tout autant des atouts que des points de vulnérabilité.

Enfin, la LPM conforte notre volonté d’agir dans les nouveaux espaces de conflictualité et de couvrir l’ensemble du spectre capacitaire. Si la guerre en Ukraine donne parfois l’impression de ressembler à une guerre du XXe siècle, compte tenu de la rusticité de certains matériels employés, ce conflit fait en réalité intervenir tout le spectre capacitaire, du pick-up au spatial en incluant les drones et les moyens cyber. Le projet de LPM renforce ainsi le niveau d’ambition cyber dans ses trois dimensions (informationnel, défense et offensif). Dans le domaine spatial, il prévoit le développement de la prochaine génération de satellites Celeste, qui permettra d’améliorer nos capacités de renseignement d’origine électromagnétique, et Iris, destiné à renforcer notre capacité d’observation optique, ainsi que du successeur du satellite patrouilleur Yoda. Des drones seront aussi acquis, y compris des drones permettant d’investir les grands fonds marins. Les Patroller, qui seront armés, passeront à 28 vecteurs en 2030.

d.   Un contrôle parlementaire préservé

L’article 7 précise qu’une actualisation interviendra avant la fin de l’année 2027 et proposera une réorientation de la trajectoire des ressources et des effectifs pour la période 2027-2030 en fonction de l’évolution du contexte géopolitique et militaire. En 2021, l’actualisation de l’actuelle LPM avait ainsi fait l’objet d’une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat et d’un vote, en application de l’article 50-1 de la Constitution. Elle avait notamment permis de renforcer les moyens dans le spatial et le cyber, dont l’importance n’a cessé de croître.

Les articles 8 et 9 prévoient, dans un souci de transparence, la transmission de deux rapports annuels au Parlement. Le premier, transmis au Parlement avant le 30 avril, porte sur le bilan de l’exécution de la programmation militaire au cours de l’année passée. Le second, communiqué avant le 30 juin, concerne les enjeux et les principales évolutions de la programmation budgétaire de la mission « Défense ».

4.   Le projet de LPM 2024-2030 contient certaines mesures normatives intéressant directement la politique étrangère

L’article 20 institue un régime de déclaration préalable applicable aux militaires ou anciens militaires ayant occupé des fonctions d’une sensibilité particulière et souhaitant exercer une activité lucrative pour le compte d’une entreprise ou d’un État étranger intervenant dans le domaine de la défense et de la sécurité. Ce contrôle préventif doit permettre de vérifier l’absence de risque de divulgation de connaissances ou de savoir-faire opérationnels qui serait de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation. La rapporteure pour avis, qui militait pour un meilleur contrôle des reconversions des militaires à l’étranger, afin d’éviter que certains ne contribuent au renforcement des capacités de nos compétiteurs, se félicite de cette disposition qu’elle soutient sans réserve.

L’article 21 modifie le code de procédure pénale pour permettre la communication par l’autorité judiciaire aux services spécialisés de renseignement des éléments d’une procédure recueillis dans le cadre d’une enquête ouverte pour crime et délit de guerre ou crime contre l’humanité. Alors que cette possibilité est déjà ouverte en matière de terrorisme, la nature des conflits actuels, notamment au Sahel, au Levant et en Ukraine, rend particulièrement nécessaire cette extension.

L’article 24, destiné à accélérer la mise en œuvre de « l’économie de guerre », ouvre la possibilité pour l’autorité administrative d’imposer aux entreprises du secteur de la défense, d’une part, la constitution de stocks stratégiques de matières ou de composants d’intérêt stratégique, particulièrement lorsqu’ils sont produits hors de France, et d’autre part, l’exécution prioritaire de commandes passées dans le cadre d’un contrat d’armement. Ces dispositions sont justifiées par la résurgence de la perspective d’une guerre de haute intensité, par nature très consommatrice en matériels, ainsi que les risques de pénurie de matières premières, qui rendent plus que jamais nécessaire le fait de sécuriser et de fluidifier l’approvisionnement en matériels et munitions des armées françaises.

L’article 28 ratifie l’ordonnance n° 2022-232 du 23 février 2022 relative à la protection des intérêts de la défense nationale dans la conduite des opérations spatiales et l’exploitation des données d’origine spatiale et modernise la loi sur les opérations spatiales dans l’objectif de garantir la sécurité et l’utilisation durable et responsable de l’espace. Cet article décline en partie la stratégie spatiale de défense présentée le 25 juillet 2019 dont l’objectif est de garantir notre autonomie stratégique dans l’espace, milieu international dont l’accès est de plus en plus contesté.


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II.   Les armÉes doivent structurer leur action dans le domaine de l’influence, ÉrigÉe en fonction stratÉgique dans un contexte de compÉtition dans le champ des perceptions

Notion dont les contours sont difficiles à circonscrire, l’influence est une compétence traditionnellement rattachée à la diplomatie. Le renforcement de la compétition stratégique, en particulier sur le terrain des perceptions, conduit à accorder une dimension nouvelle à l’influence, à laquelle tous les acteurs institutionnels comme la société civile doivent concourir. C’est la raison pour laquelle la revue nationale stratégique présentée en novembre 2022 a consacré l’influence comme une nouvelle fonction stratégique des armées. Alors que l’influence fera prochainement l’objet d’une stratégie nationale dédiée, les armées doivent structurer leurs priorités dans ce domaine devenu fondamental.

A.   Champ conceptuel en construction, l’influence ne peut relever seulement du Quai d’Orsay

Si la définition comme le caractère autonome de la politique d’influence sont débattus, celle-ci est mieux exercée lorsque plusieurs conditions sont réunies. Compétence confiée au Quai d’Orsay, la diplomatie d’influence est en réalité une action interministérielle à laquelle les armées contribuent de façon importante.

1.   Notion débattue, l’influence est une capacité qui repose sur des atouts

Comme l’explique Matthieu Peyraud, directeur de la diplomatie d’influence au MEAE, la définition de la notion d’influence, « un champ conceptuel en chantier, en tâtonnement », ne fait pas consensus aujourd’hui.

Au plan historique, le terme d’influence était précédé, pendant l’entre-deux-guerres, par l’expression « propagande culturelle » avant que le premier des deux mots ne soit discrédité sous la seconde guerre mondiale. L’expression a donc été remplacée, dans la période d’après-guerre, par l’expression « coopération culturelle », qui tend aujourd’hui à céder la place à la notion d’« influence ».

Au plan conceptuel, il est utile, pour comprendre l’influence, de la distinguer de certaines notions voisines. Contrairement à la « coopération », le plus souvent coconstruite, l’influence a pour finalité de créer un effet unilatéral, même s’il est préférable de ne pas l’afficher comme tel, ce qui la rapproche du concept de soft power. L’influence doit aussi être distinguée de la notion d’« ingérence », qui désigne l’immixtion nocive dans les affaires intérieures, en contradiction avec le respect de la souveraineté des États consacrée par le droit international.

En définitive, l’influence peut être définie comme la capacité à peser et à orienter, sans contrainte et de façon légale, les perceptions d’un certain nombre d’acteurs pour obtenir des gains en fonction d’une politique particulière. Les objectifs de l’influence sont la promotion d’intérêts ou de valeurs. Les cibles peuvent être externes, des adversaires ou des partenaires, ou internes, à savoir tout ou partie de l’opinion publique, mais on parle alors le plus souvent de « contre-influence ». Les leviers peuvent être variés – action diplomatique, déclarations publiques, aide au développement, etc. – mais se distinguent de ceux, moins vertueux, de l’ingérence – corruption, chantage, manipulations de l’information, etc. –. L’influence est une action de long terme, puisqu’elle agit sur les perceptions, ce qui la distingue d’une opération de déstabilisation, par essence très rapide.

Un autre débat porte sur le caractère autonome ou non de l’influence. Ses détracteurs lui font en effet le procès d’être un concept « attrape tout ». L’influence ne serait pas une action autonome mais le dénominateur commun de l’ensemble des actions conduites vers l’extérieur. La rapporteure pour avis estime cependant que tous les outils ne contribuent pas, dans la même mesure, à la politique d’influence. Certaines actions produisent de l’influence à titre principal tandis que d’autres poursuivent des objectifs distincts qui comportent incidemment une part d’influence.

Le pouvoir d’influence dont dispose chaque État est variable. Ce pouvoir repose sur un triptyque « crédibilité – ouverture – exemplarité ». Pour faire adhérer d’autres acteurs à des projets ou des idées, il faut d’abord apparaître crédible, ce qui suppose d’avoir des capacités pour l’être. Dans le domaine militaire, cette crédibilité repose autant sur les capacités que sur les personnels et les doctrines d’emploi. L’influence exige ensuite une ouverture à l’autre, afin de connaître ses besoins et les leviers d’action qui sont efficaces sur celui-ci. Enfin, l’influence suppose l’exemplarité. La voix d’un pays à l’étranger ne porte que s’il est exemplaire.

Un modèle anglais de l’influence ?

La rapporteure pour avis a entendu plusieurs personnes vanter l’excellence de la politique d’influence du Royaume-Uni.

Comme le relève Adam Thomson, ancien diplomate britannique et directeur du think tank European Leadership Network, le Royaume-Uni a intégré l’influence dans sa politique de défense depuis plusieurs années. L’Integrated Review a une dimension beaucoup plus large que les revues stratégiques françaises et incorpore de nombreux leviers qui contribuent à l’influence du Royaume-Uni.

Celle-ci reposerait aussi sur des qualités communes aux militaires et aux diplomates britanniques, dont une discipline de pensée qui les conduirait à faire preuve d’une forte unité à l’international.

Par contraste, en France, certaines tendances mettraient à mal l’unité de l’institution militaire. S’il ne fait aucun doute que la grande majorité des armées est républicaine, certains articles parus récemment indiquent qu’une partie de la haute hiérarchie militaire ne semble pas totalement imperméable au narratif russe, malgré l’agression de l’Ukraine. Dans une tribune ([109]), le vice-amiral Chevallereau déplore notamment que « sur les réseaux sociaux souvent, sur des plateaux de télévision parfois, d’anciens responsables militaires n’hésitent pas à relativiser ou à inverser la charge des responsabilités qui sont à l’origine du pire conflit que connaît l’Europe depuis la fin de la seconde guerre mondiale. » Une récente enquête publiée dans Challenges dresse le même constat ([110])

2.   L’influence est une politique traditionnellement rattachée au Quai d’Orsay

En France, l’influence est, depuis longtemps, une politique qui relève de la diplomatie. Dans notre pays, la diplomatie d’influence se singularise de deux manières. Elle regroupe, d’une part, un spectre très large d’actions, en matière linguistique, éducative, universitaire, scientifique, artistique, médiatique ou encore touristique, qui contribuent à promouvoir notre culture, notre modèle de société et notre narratif sur l’état du monde. D’autre part, la diplomatie d’influence, même si elle est conçue par le MEAE, repose, pour sa mise en œuvre, sur de vastes réseaux pilotés par des opérateurs multiples. À titre d’exemple, le réseau d’enseignement français à l’étranger, composé de 567 établissements qui scolarisent près de 390 000 élèves, dont un tiers d’élèves français, n’a pas d’équivalent dans le monde.

L’expansion continue du champ des actions relevant de l’influence a récemment rendu nécessaire l’adoption, à l’échelle du Quai d’Orsay, d’une stratégie en la matière. Ainsi, après une phase de coordination interministérielle ayant associé les ministères de l’éducation nationale, de la culture, de l’enseignement supérieur et de la recherche, l’ancien ministre Jean-Yves Le Drian a présenté une « feuille de route » de l’influence en décembre 2021 qui, d’après le directeur de la diplomatie d’influence du MEAE, « se veut un manifeste de notre diplomatie culturelle ».

3.   L’influence est toutefois le résultat d’une action interministérielle à laquelle contribuent également les armées

La politique d’influence ne se limite cependant ni à l’action du Quai d’Orsay, ni au contenu de la « feuille de route » de décembre 2021 dont le champ, limité à l’action culturelle, est finalement assez restreint. Cette politique repose sur tous les acteurs de l’appareil d’État, dont les forces armées.

Contrairement à d’autres pays, l’influence française peut s’appuyer sur la reconnaissance à l’international de notre réputation militaire, du fait de nos capacités mais aussi de notre expérience sur les théâtres d’opérations. Les armées apportent ainsi une crédibilité en soutien à notre politique d’influence. En outre, la coopération de défense, portée par un réseau d’attachés de défense à la dimension mondiale, représente un avantage concurrentiel par rapport à d’autres pays qui ne sont pas en mesure de présenter une offre de coopération aussi large.

La coopération structurelle est le principal levier de la politique d’influence du ministère des armées. Elle repose sur la direction de la coopération de sécurité et de défense (DSCD) dont les trois grandes missions sont la formation d’officiers et de sous-officiers étrangers, notamment au sein des écoles militaires françaises, le conseil et l’expertise, auquel contribue le réseau de coopérants insérés dans les organisations internationales et les états-majors étrangers, ainsi que, dans une moindre mesure, le renforcement capacitaire des pays partenaires. La DSCD a pour atout d’être une structure interministérielle intégrée entre le MEAE, le ministère des armées et le ministère de l’intérieur, ce qui lui permet de développer une large offre de coopération. Ses domaines d’intervention s’étendent aujourd’hui à de nouvelles matières comme le cyber, la protection civile et l’action de l’État en mer.

De manière générale, l’ensemble des formes de coopération militaire contribuent à l’influence. Ainsi en est-il des dialogues stratégiques, par lesquels la France promeut sa vision des enjeux sécuritaires auprès de ses partenaires, des exportations d’armement, qui permettent de développer des capacités en commun, ou encore des entraînements, qui rapprochent nos militaires de ceux de nos alliés.

B.   La compÉtition dans le champ des perceptions confÈre une importance nouvelle À l’influence

Nos compétiteurs ont fortement investi le domaine de l’influence, en particulier dans sa composante informationnelle. Dans un contexte marqué par le durcissement de la compétition dans le champ des perceptions, la rapporteure pour avis s’inquiète d’un recul marqué de l’influence française au Sahel.

1.   L’influence ne relève plus seulement du « soft power »

Aux yeux des États, l’influence comme politique a vu son efficacité s’accroître sous l’effet de la mondialisation, par laquelle tous interagissent avec tous, et du numérique, qui permettent des déstabilisations à court terme. Dans un contexte marqué par le blocage de la diplomatie traditionnelle, l’influence s’impose aujourd’hui comme un élément central de la confrontation entre États.

D’après Philippe Bertoux, directeur des affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement du MEAE, la frontière entre l’influence et l’ingérence tend aujourd’hui à se brouiller « sous l’effet de l’arsenalisation de l’influence par les puissances révisionnistes et de l’affaiblissement du droit international ». Cette situation explique la complexification de l’hybridité, par laquelle tous les leviers peuvent être utilisés à des fins de puissance (le « lawfare », le « lobbying », la désinformation, etc.), l’enjeu étant de rester en deçà du seuil d’acceptabilité.

Cette hybridité dans la confrontation est désormais à l’œuvre partout. La Chine utilise des leviers aussi divers que les livraisons de masques et de vaccins, la construction d’infrastructures, sa diaspora à travers le monde, la technologie de la 5G et sa présence dans les organisations internationales à des fins stratégiques. La Russie utilise, contre la France, les manipulations de l’information et la milice Wagner pour promouvoir ses intérêts en Afrique. La guerre en Ukraine est aujourd’hui un cas d’école d’un conflit multifacette, hybride et global, marqué par le poids relatif de la composante informationnelle, compte tenu de l’importance du terrain des perceptions, qui conditionne l’unité dans la durée du camp occidental.

Comme l’explique Philippe Bertoux, l’influence est un outil asymétrique entre les régimes autoritaires et démocratiques, non seulement parce que les premiers ont un usage beaucoup plus désinhibé de l’influence, voire de l’ingérence, mais aussi parce que, ayant des sociétés plus fermées, ils sont moins vulnérables aux effets en retour. Les démocraties apparaissent ainsi sur la défensive.

2.   Le champ informationnel est devenu un nouvel espace de conflictualité

Au sein de l’influence, le champ informationnel est le domaine dans lequel les dynamiques et les menaces, en provenance d’acteurs étatiques comme d’acteurs non étatiques, ont connu la progression la plus nette.

D’après Anne-Claire Legendre, porte-parole du MEAE, la stratégie informationnelle de nos compétiteurs stratégiques repose sur trois piliers. Le premier est le renforcement des capacités audiovisuelles. Disponibles en plusieurs langues, les médias RT et Sputnik ont aujourd’hui un rôle de premier plan dans la diffusion de la propagande du pouvoir russe. Après leur interdiction dans l’UE, où ils bénéficiaient d’une large audience, les médias russes ont été redéployés vers l’Afrique. Les acteurs de l’audiovisuel extérieur chinois, CGTN et Chine Nouvelle, ouvrent actuellement de nombreux bureaux en Afrique, en Amérique latine et dans les Balkans. Début 2023, la Turquie a ouvert une chaîne francophone en Afrique.

Le renforcement des capacités audiovisuelles est combiné avec un fort activisme de nos compétiteurs stratégiques sur les réseaux sociaux. Pour mener des opérations sur les réseaux sociaux, la Russie a recours à de nombreuses « usines à trolls » comme l’Internet Research Agency, basée à Saint-Pétersbourg et créée par Evgueni Prigojine, qui est également le fondateur du groupe Wagner. Depuis 2019, les grandes plateformes américaines n’hésitent par ailleurs plus à désigner la Chine derrière certaines campagnes coordonnées visant notamment les manifestants favorables à l’autonomie de Hong Kong ([111]).

En dernier lieu, les acteurs audiovisuels et les auteurs de campagnes sur les réseaux sociaux au service des intérêts de nos compétiteurs s’appuient sur un discours politique, qui soutient leurs efforts. La porte-parole du ministère des affaires étrangères de la Russie, Maria Zakharova, joue un rôle actif dans la propagation de « fake news » favorables au narratif russe. C’est également le cas de nombreux diplomates chinois dont les prises de paroles, marquées par la désinformation et teintées d’agressivité, sont caractéristiques de la diplomatie dite du « loup guerrier ».

Ces stratégies informationnelles ont une certaine efficacité dans des pays démocratiques dont les sociétés sont plus ouvertes qu’auparavant et dont les opinions publiques, exposées à des sources d’informations toujours plus nombreuses et variées, sont plus malléables. Elles bénéficient par ailleurs du « business model » des réseaux sociaux qui, étant fondé sur l’attention, favorise la diffusion des fausses informations, et de la faiblesse de la politique de modération des contenus des grandes plateformes. Le développement d’un marché de la désinformation, récemment mis en lumière par la plateforme Forbidden Stories, risque de polluer davantage le marché de l’information dans un contexte marqué par la fragilisation des médias traditionnels.

3.   Le sentiment antifrançais progresse au Sahel

La rapporteure pour avis appelle à relativiser l’idée d’une perte d’influence française à l’échelle du continent africain dans son ensemble. Si la France est sur la défensive face à la désinformation, notre diplomatie d’influence reste offensive en Afrique. La qualité de la formation française y est reconnue. Les chiffres d’audience de notre audiovisuel extérieur témoignent d’un succès continu. De nombreux pays africains reviennent par ailleurs de l’offre de coopération chinoise dont les défauts, notamment le surendettement qu’elle alimente, sont désormais apparents.

En revanche, le sentiment antifrançais semble bel et bien progresser au sein d’une partie des populations d’Afrique de l’Ouest, en particulier au Sahel. L’expulsion de nos forces armées du Mali et du Burkina Faso après dix ans de présence militaire française en est aujourd’hui la manifestation la plus évidente.

La perte d’influence française n’est pas entièrement attribuable à des erreurs commises par la France. S’il existe une coresponsabilité dans l’échec de la lutte contre le terrorisme au Sahel, la responsabilité est aussi celle des dirigeants africains eux-mêmes. Les élites africaines, à la tête d’armées souvent défaillantes, ont dans l’ensemble négligé de consolider l’appareil sécuritaire régional. Le départ des forces françaises est aujourd’hui attribuable, au Mali et au Burkina Faso, à des putschistes sans légitimité démocratique dont l’arrivée au pouvoir n’augure pas une meilleure réponse à la progression des groupes armés terroristes.

L’activisme russe explique aussi une part des déconvenues françaises. La Russie peut se prévaloir de trois atouts auprès des pays africains pour avancer son offre de coopération : « l’absence de passé colonial ; la proximité datant de l’époque de l’URSS et de la lutte pour la décolonisation ; la coopération pragmatique sans contreparties en termes de gouvernance interne et de démocratisation » ([112]). Les intérêts russes sont aujourd’hui portés par Wagner, milice à laquelle se sont associés plusieurs pays sahéliens, et par des opérations de désinformation qui font progresser le discours antifrançais. Au Mali et au Burkina Faso, où les médias français ont désormais interdiction d’émettre, les populations sont alimentées par des « fake news » dont le contenu est souvent hostile à la France.

Notre statut d’ancien colonisateur rend plus difficile de remporter la bataille des perceptions dans cette région. Compte tenu de son passé colonial, la France est l’objet en Afrique de représentations qui peuvent constituer un terreau fertile pour la progression du sentiment antifrançais. Depuis les décolonisations, une partie de l’opinion publique en Afrique a l’impression que la France continue de jouer un rôle, qui n’est pas toujours positif, dans la destinée du continent, ce qui donne une prise aux arguments russes. De la même manière, l’échec de l’armée française, dont la puissance est parfois mythifiée en Afrique, à venir à bout de l’insécurité au Sahel donne prise à l’accusation d’une complicité entre la France et les terroristes.

Pour autant, le sentiment antifrançais au Sahel est également nourri par des erreurs françaises. D’après certaines personnes entendues par la rapporteure, l’héritage colonial reste très présent dans le logiciel de certains officiers militaires français en Afrique. Pour le journaliste Rémi Carayol en particulier, les références de certains officiers renvoient souvent à la conquête coloniale, qui n’est pas vue sous un angle critique. Dans nombre d’ouvrages ou de témoignages, les militaires ayant participé aux récentes opérations françaises au Sahel les décrivent « avec les mots de soldats biberonnés depuis leur enfance aux « exploits » de la conquête coloniale » ([113]). D’après ce journaliste, le corps professoral au sein de l’enseignement militaire supérieur est en partie responsable du décalage croissant entre l’armée et l’évolution de la société. Un profil comme Bernard Lugan, un africaniste d’extrême droite aux théories racialistes, a ainsi pu enseigner durant de nombreuses années à Saint-Cyr, avant d’en être écarté, tout en restant une référence dans l’armée française ([114]).

Même si la persistance d’un univers colonial dans l’esprit de certains militaires français pose un problème moral et a parfois pu conduire à des choix tactiques contestables, elle n’est cependant pas en cause dans le rejet dont la France fait l’objet. Après tout, lorsque des accusations de bavures ont parfois visé l’armée française, la mobilisation n’a jamais été très importante. En revanche, beaucoup de militaires africains, notamment maliens, estiment que l’armée française s’est substituée aux armées locales dans la définition de la stratégie sécuritaire au Sahel.

Au plan politique ou diplomatique, la France est accusée en Afrique d’avoir un double discours et des valeurs à géométrie variable en fonction de ses intérêts. Certains dictateurs apparaitraient volontiers soutenus alors même que d’autres seraient souvent critiqués sur le fondement des violations des droits de l’Homme. A contrario, la Russie serait mieux acceptée compte tenu de son absence d’exigence vis-à-vis des pays africains, ce qui la protège d’éventuels procès en hypocrisie.

Quoi qu’il en soit, c’est sans doute la crainte d’une perte d’influence française, dans un contexte international de plus en plus compétitif, qui a précipité la consécration de l’influence comme nouvelle fonction stratégique des armées.

C.   Les armÉes doivent dÉfinir leurs prioritÉs dans le domaine de l’influence

Présentée en novembre 2022, la revue nationale stratégique érige l’influence en nouvelle fonction stratégique, aux côtés des cinq autres fonctions traditionnelles des armées, et prévoit que celle-ci s’incarnera dans une stratégie nationale d’influence. Cette stratégie, sur laquelle les réflexions ne font que commencer, aura une portée interministérielle, c’est-à-dire une portée plus large que la « feuille de route » de l’influence dont s’est doté le Quai d’Orsay fin 2021.

En vue sa présentation prochaine, les armées doivent définir leurs priorités dans le domaine de l’influence. Ces priorités incluent, sans s’y réduire, la lutte contre la désinformation et la communication stratégique. La rapporteure pour avis appelle à faire de l’accueil des stagiaires étrangers dans les écoles militaires françaises et de la mise à disposition des militaires français auprès des organisations internationales et des états-majors des pays partenaires deux axes structurants de l’action des armées en matière d’influence. Dans ce domaine, les armées ont aussi intérêt à faire des distinctions selon les géographies et à assumer l’importance du continent africain et de nos territoires ultramarins.

1.   Assurer notre supériorité dans l’espace informationnel

La France ayant perdu du terrain dans la bataille des perceptions, il est d’abord très important de consolider notre posture dans l’espace informationnel afin de lutter efficacement contre les manipulations de l’information.

Face à la multiplication des attaques informationnelles visant les forces françaises en opération, le ministère des armées s’est doté, en octobre 2021, d’une doctrine de lutte informatique d’influence (L2I). Cette doctrine organise et structure les opérations militaires françaises conduites dans la couche informationnelle du cyberespace pour détecter, caractériser et contrer les attaques qui y sont organisées. Sa mise en œuvre est confiée au commandement de la cyberdéfense (COMCYBER) qui dispose d’unités spécialisées dans ce type d’opérations. À titre d’exemple, elle a permis à Gossi, premier poste évacué par l’armée française au Mali en avril 2022, de déjouer une tentative de mise en scène de crimes de guerre organisée par Wagner grâce à la captation d’images par un drone français. Après l’effort déjà réalisé depuis 2019, la rapporteure pour avis se félicite des moyens consacrés par le projet de LPM 2024-2030 à la cyberdéfense, notamment en termes d’effectifs, qui doivent être dotés de compétences variées et de haut niveau.

La supériorité dans l’espace informationnel exige aussi un effort de structuration interministérielle passant par une meilleure coordination entre le ministère des armées et le MEAE, qui a été désigné chef-de-file de la lutte contre la désinformation. Tandis que les armées analysent les dynamiques informationnelles au regard de la conduite des opérations militaires, le MEAE analyse ces dynamiques au regard d’objectifs plus généraux, dont l’évolution du sentiment antifrançais. Comme le précise la doctrine de L2I, pour contrer une attaque informationnelle, il est nécessaire de coordonner les actions militaires, diplomatique et intérieure, avec l’apport des entreprises spécialisées dans le numérique.

La France doit aussi militer en faveur d’un renforcement du droit international applicable aux opérations dans le cyberespace. Elle promeut et soutient déjà les initiatives de l’UE et de l’OTAN pour lutter contre les manipulations de l’information. Elle doit aussi créer des stratégies collaboratives avec ses partenaires pour renforcer la régulation de l’écosystème numérique. Avec ses partenaires européens, elle peut promouvoir à l’international les dispositions du Digital Services Act (DSA), notamment celles relatives à la lutte contre l’inauthenticité des contenus ou la transparence des algorithmes, qui font figure de modèle.

Enfin, la rapporteure pour avis invite à ne pas oublier le front interne sur lequel les démocraties doivent également se battre. La France, comme d’autres pays occidentaux, est également victime, sur son territoire, de manipulations de l’information, qui touchent aussi la communauté de défense. Il est donc impératif de renforcer la fonction de contre-influence. Une partie de la hausse du budget de la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), dont la mission est de lutter contre les menaces à l’encontre des militaires, devra y être consacrée.

2.   Refonder notre politique d’accueil des étrangers dans les écoles militaires françaises

L’accueil d’élèves stagiaires étrangers dans les écoles militaires françaises vise à satisfaire plusieurs objectifs dont la réponse aux besoins des partenaires, l’interopérabilité matérielle et humaine ainsi que l’accompagnement des projets d’exportation d’armement. Surtout, la formation des élites étrangères est et doit être reconnue comme un axe central de l’action des armées dans le domaine de l’influence. Elle favorise en effet la création de liens durables qui permettent, lorsque les officiers étrangers formés dans les écoles françaises accèdent à des postes de responsabilité dans leur pays, d’entretenir la coopération militaire avec la France. Certains de ces officiers étrangers sont parfois appelés aux plus hautes responsabilités, à l’image du général Saïd Chengriha, chef d’état-major de l’armée nationale populaire algérienne, qui a été formé à l’école de Saint-Cyr Coëtquidan.

Les missions de défense à l’étranger sont chargées de recueillir les besoins des partenaires et d’instruire les candidatures en tenant compte des critères communiqués par les armées et les organismes de formation. Si le principe est le financement par les États partenaires, la DCSD peut prendre en charge la formation des élèves issus de pays qui rencontrent des difficultés à la financer.

Toutes les armées et de nombreux services du ministère accueillent des élèves stagiaires en formation, mais la majorité sont accueillis au sein de l’armée de terre. En 2022, l’armée de terre a ainsi accueilli 267 stagiaires sur les 487 accueillis au sein des armées, directions et services du ministère des armées, dont 88 au sein de l’École de guerre. Sur ces 267 stagiaires accueillis, 158 sont africains, ce qui illustre le lien privilégié entretenu par la France avec ce continent.

L’accueil de stagiaires étrangers au sein des écoles militaires de Saumur

Les écoles militaires de Saumur (EMS), qui regroupent quatre écoles d’application d’officiers de l’armée de terre ([115]), forment plus de 4 000 stagiaires français et accueillent une quarantaine de stagiaires étrangers chaque année. Avant d’arriver aux EMS, les stagiaires étrangers ont déjà suivi, pour une partie d’entre eux, une formation de plusieurs années à l’école spéciale militaire de Saint-Cyr Coëtquidan. Comme l’explique le général de brigade Emmanuel Charpy, commandant les écoles militaires de Saumur, les stagiaires étrangers sont complètement intégrés dans le dispositif de formation, sans aucune différence avec les stagiaires français.

La plupart des stagiaires étrangers – 12 d’entre eux au premier semestre 2023 – sont intégrés au sein de l’école d’état-major (EMM) où ils apprennent les fonctions de rédacteurs d’état-major. En 2023, seuls deux stagiaires étrangers, de niveau lieutenant ou capitaine, sont intégrés au sein de l’école de cavalerie, qui forme les cadres de la cavalerie blindée. Le centre d’enseignement et d’entraînement du renseignement de l’armée de terre (CEERAT), longtemps resté fermé afin de protéger ses savoir-faire et les stagiaires français qui ont vocation à réaliser des actions secrètes, s’ouvre tout juste à la possibilité d’accueillir des stagiaires étrangers à travers la création d’une formation ad hoc, centrée sur ce qui peut être échangé avec les partenaires. Le centre de défense nucléaire et biologique et chimique (CDNBC) n’accueille en revanche aucun stagiaire étranger.

Dans le cadre du partenariat militaire opérationnel avec l’Ukraine, les EMS organisent par ailleurs des stages de formation au bénéfice des militaires ukrainiens. Début février, l’école de cavalerie et l’école de renseignement de l’armée de terre avaient déjà organisé deux stages au profit, à chaque fois, d’une quinzaine d’Ukrainiens pendant environ un mois, l’un centré sur la reconnaissance et l’autre sur la formation à l’utilisation des véhicules blindés AMX-10 RC, dont un certain nombre d’exemplaires ont été cédés par la France à l’Ukraine. Les stages ayant donné satisfaction aux militaires ukrainiens, d’autres étaient prévus par la suite. L’encadrement militaire des EMS alertait néanmoins sur les tensions engendrées par ces formations sur les ressources humaines, qui conduisaient à privilégier le simulateur au détriment des conditions réelles, sauf pour l’usage des AMX-10 RC.

Comme la rapporteure pour avis a pu le constater à l’occasion de ses échanges avec les stagiaires étrangers intégrés aux EMS, l’offre de formation militaire française répond à un véritable besoin pour les pays partenaires, en particulier pour les pays africains avec lesquels la France a une histoire commune. Si plusieurs stagiaires étrangers avaient déjà réalisé un stage aux États-Unis, ces derniers estimaient que, compte tenu des différences entre les doctrines de combat, la formation reçue ne leur serait pas très utile à leur retour dans leur pays. En revanche, la formation reçue en France leur servirait davantage car, même si les matériels étaient différents, les modes d’actions et les méthodes de combat étaient similaires. Certains stagiaires ont ainsi exprimé le souhait de revenir se former en France, par exemple à l’École de guerre, pour la deuxième partie de leur carrière.

La condition de la maîtrise de la langue française pour suivre une formation militaire en France représente toutefois un obstacle important à l’approfondissement de la coopération avec certains pays non francophones. Comme l’explique le général de Larouzière, chef du pôle « relations internationales » de l’état-major de l’armée de terre, si la coopération opérationnelle est très forte avec, par exemple, les Émirats arabes unis (EAU), le nombre réduit de francophones est un frein à l’accueil d’un plus grand nombre d’Émiriens au sein des écoles militaires françaises.

Les cours dispensés par l’Alliance française d’Atar aux élèves officiers mauritaniens

Créée en 1998, l’Alliance française d’Atar est la troisième alliance française créée en Mauritanie, après celles de Nouakchott et de Nouadhibou.

Au-delà des cours destinés à la population mauritanienne, l’Alliance française d’Atar assure, avec un soutien financier de la DCSD d’environ 15 000 euros par an, des cours extramuros à destination des élèves officiers en formation au sein de l’Académie militaire interarmes d’Atar (AMIA) afin de leur permettre notamment de postuler à des stages sur le territoire français. Les professeurs y appliquent la « méthode DCSD » centrée sur l’apprentissage du vocabulaire militaire.

En 2023, 330 officiers répartis dans 19 classes bénéficient de cours de français au sein de l’AMIA. 80 % de la promotion a reçu un diplôme de français en 2022.

La difficulté est néanmoins de maintenir le niveau de français après que les soldats ont rejoint leurs unités. Des stages de remise à niveau sont proposés aux officiers en poste au sein de l’état-major général des armées mauritanien, notamment pour ceux souhaitant rejoindre la Force conjointe du G5 Sahel ou la MINUSCA, seule opération de maintien de la paix des Nations Unies à laquelle participe la Mauritanie.

L’accueil de stagiaires étrangers dans les écoles militaires françaises souffre cependant de plusieurs défauts auxquels il est nécessaire de remédier pour atteindre le niveau d’ambition visé par les armées en termes d’influence.

D’abord, la réduction sur le temps long des capacités d’accueil de stagiaires étrangers sur le territoire français a débouché sur un nombre insuffisant de places de formation par rapport à la demande de nos partenaires, qui demeure à un niveau élevé. Ainsi, en 2022, alors qu’elles étaient saisies de 1 689 demandes, les armées, directions et services du ministère des armées n’ont pu accueillir que 487 stagiaires. Or, comme le déplore le général de corps d’armée Régis Colcombet, directeur de la DCSD, « les Russes, les Chinois, les Turcs forment dix fois plus que nous ». Dans ce contexte, la rapporteure pour avis se félicite de l’engagement du ministre des armées, Sébastien Lecornu, de doubler le nombre d’élèves stagiaires étrangers accueillis dans l’hexagone sur la durée de la LPM 2024-2030 ([116]).

La rapporteure pour avis s’inquiète aussi de la qualité de l’accueil réservé aux étrangers dans nos écoles militaires. En effet, de la qualité de cet accueil dépendent en grande partie les dispositions qu’auront les militaires étrangers à l’égard de la France pour le reste de leur carrière. Il est certain que, par le passé, la France ne s’est pas fait que des amis parmi les étrangers accueillis dans les écoles militaires. La rapporteure pour avis peut témoigner directement de négligences dont ont été victimes un certain nombre d’entre eux venus se former en France.

Bien qu’elle ne puisse évaluer la persistance de ces lacunes aujourd’hui, la rapporteure pour avis estime que l’accueil des étrangers en France reste à bien des égards perfectible. Elle porte notamment un regard positif sur les initiatives prises par les EMS – accueil du stagiaire à son arrivée à la gare, binômage avec un officier et une famille française, organisation d’évènements conviviaux en lien avec des associations locales, etc. – pour faciliter l’accueil et l’intégration des stagiaires étrangers au sein de l’armée française et du Saumurois. Elle regrette cependant que, jusqu’à récemment, le mess des EMS ne proposait pas d’alimentation chaude en fin de semaine et, qu’à ce jour, ne soit toujours pas proposé le petit-déjeuner, ce qui est très regrettable car, contrairement à beaucoup d’élèves français, les stagiaires étrangers n’ont pas la possibilité de rentrer dans leur famille en fin de semaine. Cette situation s’explique par les conséquences néfastes que continue de produire la réforme de l’embasement engagée en 2008 qui, en mutualisant les soutiens pour faire des économies, a privé le commandement de ses prérogatives en la matière. En tout état de cause, la France reste loin des États-Unis, qui vont jusqu’à verser un per diem aux stagiaires étrangers venus se former sur le territoire américain.

De l’aveu de tous les responsables militaires entendus par la rapporteure pour avis, le suivi des stagiaires étrangers à l’issue de leur formation militaire en France, une fois ces derniers rentrés dans leur pays, est défaillant. S’il existe une base de données, tenue par la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS), qui recense les informations sur les étrangers venus se former dans nos écoles militaires, celle-ci est néanmoins peu utilisée. Et même si certains attachés de défense peuvent s’impliquer, dans leur pays de résidence, pour maintenir le lien avec les anciens élèves étrangers, cette mission reste largement facultative. La rapporteure pour avis estime, qu’a minima, les anciens élèves devraient être invités à un évènement à l’ambassade de France au moins une fois par an. De façon générale, les armées mériteraient de se rapprocher de Campus France pour s’inspirer des meilleures pratiques de France Alumni, le réseau des anciens étudiants internationaux de l’enseignement supérieur français.

Enfin, la politique d’accueil de stagiaires étrangers sur le territoire français manque de réciprocité. Alors que l’armée de terre a accueilli 267 stagiaires étrangers en 2022, seuls 25 officiers ont été envoyés à l’étranger, pour l’essentiel chez nos partenaires occidentaux (États-Unis, Allemagne, Royaume-Uni, etc.). La France doit promouvoir et solliciter davantage la formation de ses cadres officiers et sous-officiers dans les écoles militaires des pays partenaires, y compris en dehors de l’espace occidental. À titre d’exemple, la France pourrait envoyer un élève stagiaire en formation au sein du Collège de défense du G5 Sahel, qui s’est déjà ouvert à des élèves officiers saoudiens. De tels échanges sont de nature à renforcer la connaissance et l’interopérabilité avec les armées des pays partenaires, au bénéfice de l’influence française.

3.   Structurer et revaloriser le réseau des personnels militaires français à l’étranger

Les agents publics détachés auprès d’une organisation internationale ou d’un pays étranger sont, quel que soit leur ministère de rattachement, des acteurs clés de l’influence. Sur ce terrain aussi, la concurrence s’affirme entre pays. La Chine en particulier déploie des efforts très importants pour placer ses ressortissants dans les organisations internationales, jusqu’aux plus techniques, et à tous les niveaux de responsabilité, des postes de direction jusqu’aux postes de stagiaires, ceux qui les occupent pouvant ensuite progresser dans l’organisation.

Alors que la France était historiquement très présente auprès des pays partenaires, notamment africains, elle réinvestit aujourd’hui davantage les organisations internationales. Le chemin reste long car, comme l’explique Michel Andrieu, ingénieur français ayant longtemps travaillé au sein des institutions européennes, « en France, on fabrique surtout des solistes, pas des concertistes ».

a.   Le rétrécissement de notre réseau de coopérants militaires

Le réseau de coopérants bilatéraux de la France s’est fortement rétréci, au détriment de l’influence française. Alors que, à l’époque du ministère de la coopération, la France disposait d’un réseau de près de 20 000 coopérants, positionnés surtout en Afrique, leur nombre a depuis très fortement décru. À Atar, dans le Nord de la Mauritanie, où la rapporteure pour avis s’est rendue, il n’existe plus qu’un coopérant français contre une trentaine dans les années 1980. En 2023, la DCSD n’anime plus qu’un réseau de 313 coopérants sous différents statuts – policiers, militaires, gendarmes, douaniers, etc. – répartis dans cinquante pays.


Carte du réseau des coopérants de la DCSD 2022-2023

Source : rapport d’activité 2022 de la DCSD.

Les militaires représentent la majorité des coopérants animés par la DCSD, à savoir 248 sur les 313 coopérants. La majorité des coopérants militaires, soit 145 d’entre eux, sont issus de l’armée de terre. Insérés dans les structures d’état-major ou auprès des ministres de la défense, ils sont investis de missions de conseil et d’identification de missions d’expertise en réponse aux besoins des partenaires.

b.   Le réinvestissement des organisations de défense et de sécurité

La France tente aujourd’hui de renforcer sa présence dans les organisations internationales et régionales compétentes en matière de défense et de sécurité. Outre la remontée du niveau de nos contributions volontaires, ce réinvestissement français se traduit par le détachement de personnels militaires plus nombreux.

L’OTAN en fournit la meilleure illustration. Alors que, pendant longtemps, ayant quitté le commandement intégré, la France n’a pas beaucoup investi cette organisation, elle y renforce aujourd’hui sa présence. La France dispose de plus de 700 personnels intégrés au sein de l’OTAN, dont 334 appartiennent à l’armée de terre, le poste de commandant suprême allié pour la transformation (SACT) revenant par ailleurs à un général français. Auparavant marginalisée au sein de l’Alliance atlantique, la France y dispose aujourd’hui d’une influence plus importante, encore renforcée par ses déploiements sur le flanc Est de l’Europe.

c.   La nécessaire revalorisation de la mobilité internationale dans les armées

La France a intérêt à inverser la tendance à la réduction du nombre de coopérants militaires et à poursuivre les efforts visant à placer des militaires français dans les organisations internationales afin de renforcer son influence, sans remettre en cause l’obligation de loyauté des personnels détachés vis-à-vis de leurs structures d’accueil.

La dévalorisation des mobilités à l’international au sein des armées y fait cependant obstacle. De façon générale, l’institution militaire, dont le principal souci est la gestion administrative des personnels en fonction des postes vacants, ne sait pas tirer profit des profils qui sont prêts à prendre des chemins de traverse. À l’armée, les cas non conformes sont perçus comme des problèmes. Tel est le cas en particulier des militaires qui réalisent des mobilités à l’international. Alors qu’ils sont détenteurs de compétences utiles pour les armées, les personnels qui s’y risquent en subissent les conséquences pour la suite de leur carrière. Les attachés de défense sont très peu nombreux à devenir par la suite généraux, de sorte que ces postes sont perçus comme des « voies de garage ». Les postes dans les organisations internationales sont plus encore perçus comme des « placards ». Les postes de coopérants, coupés du monde de la défense en étant rattachés à la DCSD, ne sont pas davantage porteurs pour la carrière.

La rapporteure pour avis estime qu’il est vain d’ériger l’influence en fonction stratégique si cela ne conduit pas à valoriser les expériences des militaires à l’international. Elle ne préconise pas de structurer, dans les armées, des carrières internationales, qui comportent un risque de déconnexion. En revanche, il lui paraît utile de revoir certaines dispositions législatives et d’adopter des mesures de gestion et d’accompagnement afin de favoriser la mobilité internationale des militaires.

La rapporteure pour avis portera ainsi un amendement destiné à consacrer statutairement la mobilité internationale comme une option possible dans la carrière des militaires. Aujourd’hui, les dispositions contenues dans le code de la défense se limitent à prévoir l’accès des militaires à la fonction publique civile. L’amendement proposera de fixer, après les articles L. 1439-1 et L. 1439-2 du code de la défense, un cadre pour le détachement des militaires au sein de l’UE ou des organisations internationales, en essayant par ailleurs d’en simplifier les conditions.

En parallèle, le ministère des armées pourrait prendre plusieurs mesures de gestion destinées à structurer et à valoriser les mobilités à l’international : rédaction d’un guide de mobilité vers et en provenance d’une organisation internationale, formalisation du lien avec les militaires en détachement à l’étranger et création de postes destinés à en assurer le suivi, élaboration d’un annuaire recensant les militaires en mobilité à l’étranger, sensibilisation des gestionnaires du ministère à la nécessité de valoriser l’expérience acquise après une mobilité internationale, etc.

4.   Concrétiser la nouvelle stratégie de la France en Afrique

La rapporteure pour avis estime que la nouvelle stratégie de la France en Afrique présentée par le président de la République est la bonne réponse à la progression du sentiment antifrançais, à l’activisme russe dans cette région ainsi qu’à certaines erreurs commises par la France. Dans son discours prononcé à l’Élysée le 27 février, le chef de l’État a en effet annoncé une évolution significative des implantations militaires françaises, marquée par une « diminution visible » des effectifs militaires permanents et un « nouveau modèle de partenariat » au sein de « bases, d’écoles, d’académies qui seront cogérées […] avec une montée en puissance dans ces bases de nos partenaires africains ». Cette réorganisation « n’a pas vocation à être un retrait ou un désengagement, mais elle se traduira en effet par […] une africanisation, une mutualisation de ces grandes bases ».

Pour rappel, la France dispose en Afrique d’un appareil militaire prépositionné unique au monde. Si l’on exclut les déploiements temporaires de l’armée française issus de l’ex-opération Barkhane, le dispositif militaire français prépositionné en Afrique est composé de quatre bases permanentes en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Gabon et à Djibouti. Parce qu’elle est davantage tournée vers l’Indopacifique, l’implantation militaire située à Djibouti n’est toutefois pas concernée par la réarticulation annoncée. Ces bases militaires permanentes exercent deux types de missions : la formation et le soutien logistique aux opérations.

En réduisant les effectifs militaires français en Afrique, la nouvelle stratégie annoncée a pour mérite de réduire la part du militaire dans les relations avec les pays africains, conformément à ce que souhaitent les populations. Certes, les forces françaises ne sont implantées en Afrique qu’en réponse à une demande des autorités des pays concernés. Il est toutefois difficile d’ignorer que la présence de bases militaires françaises en Afrique dans une logique d’intervention armée n’est plus acceptable pour une bonne partie des populations. De fait, la France est la seule ancienne puissance coloniale à avoir des bases militaires sur le territoire de ses anciennes colonies, ce qui a de quoi interpeller. Il n’est pas inutile d’indiquer que la fête nationale de la quasi-totalité de nos anciennes colonies correspond à leur date d’indépendance, preuve que l’indépendance est au cœur des psychés nationales.

En même temps, la stratégie présentée par le chef de l’État évite l’écueil qui consisterait à remettre en cause entièrement notre présence militaire en Afrique et, par extension, notre influence sur ce continent. Comme l’explique Elie Tenenbaum dans une tribune récente, les bases françaises en Afrique sont « des pôles de coopération avec les forces locales, des interfaces permanentes et des points d’observation uniques à la compréhension de la région, ainsi que des plateformes logistiques essentielles à une éventuelle projection de forces en urgence » ([117]). Il est à parier qu’un désengagement militaire français serait rapidement comblé par nos compétiteurs, au premier rang desquels la Russie, qui progresse au Sahel.

Plutôt que de fermer nos bases militaires en Afrique, l’idée est, bien au contraire, de les ouvrir aux armées locales, afin de faire de la coopération militaire autrement. Comme le décrit l’ancien ministre Jean-Marie Bockel, la France bascule ainsi « d’une stratégie de présence permanente à une stratégie d’influence dans notre intérêt ». Cette stratégie d’influence reposera, d’une part, sur une meilleure écoute des besoins des partenaires africains et, d’autre part, sur le renouvellement de l’offre française en matière de coopération militaire.

Côté partenaires : toute action de coopération française devra commencer par l’expression des besoins des pays d’Afrique. Historiquement, la France a eu trop souvent tendance à définir les besoins à la place des partenaires africains, quand elle ne se substituait pas à ces derniers. Comme l’expliquait le général Hervé Pierre, ancien adjoint au poste de commandement « Partenariat » de l’opération Barkhane, « aujourd'hui on inverse complètement la relation partenariale : c'est le partenaire qui décide de ce qu'il souhaite faire, des capacités dont il a besoin et qui commande lui-même les opérations effectuées avec notre appui » ([118]).

Côté français : la France structurera une nouvelle offre de coopération plus conforme à ce qu’attendent les pays partenaires. Cette offre de coopération sera non plus axée sur les opérations extérieures mais sur la formation, l’appui en matériel et en logistique, l’appui en renseignement, l’accompagnement au combat – à travers un appui feu et un appui aérien – et la lutte informationnelle et d’influence.

La formation est appelée à occuper une place centrale dans les nouveaux partenariats de défense avec les pays africains. Depuis des années, l’offre de formation française n’est plus adaptée et manque d’efficacité. Il suffit pour s’en rendre compte de se rappeler qu’en 2013, après des décennies de coopération structurelle avec l’armée malienne, celle-ci était mise en déroute par les terroristes. Par ailleurs, elle ne répond pas au besoin des partenaires, de sorte que la France perd des parts de marché au profit de nos compétiteurs stratégiques. L’offre de formation française doit donc être renouvelée, en ayant davantage recours aux missions d’experts plutôt qu’aux forces permanentes et en recentrant la formation sur les capacités futures, comme le renseignement, les drones ou la défense sol-air, en fonction des demandes formulées par les partenaires africains. Une logique de projet, précisant les objectifs et la durée des actions de coopération, doit prévaloir, quitte à les remettre en cause si celles-ci n’ont pas le dynamisme escompté.

Les écoles nationales à vocation régionale : une formule d’avenir

Développées depuis les années 1990, les écoles nationales à vocation régionale (ENVR) sont des écoles de formation de stagiaires officiers et sous-officiers ouvertes à une sous-région, avec lesquelles la France entretient un partenariat. Elles permettent de former environ 3 000 cadres par an dans tous les domaines : protection civile, sécurité intérieure, santé, cyber, antiterrorisme, etc.

La DCSD appuie aujourd’hui 19 projets d’ENVR, dont la majorité se trouve sur le continent africain, et de nouvelles écoles sont en cours de création, à l’image de l’Académie nationale de lutte contre le terrorisme à Abidjan. La France est l’un des seuls pays à pouvoir s’appuyer sur un réseau d’écoles aussi intégrées avec les pays partenaires, ce qui en fait un outil d’influence fort.

Le renouvellement de notre coopération de défense avec l’Afrique devra s’appuyer sur le réseau des ENVR, ce qui suppose notamment de renforcer certaines écoles, de trouver un appui multilatéral et de tisser des liens plus étroits avec les écoles françaises.

Le réseau des écoles de sécurité et de défense soutenues par la DCSD en Afrique*

* Les ENVR sont représentées par des étoiles sur la carte.

Source : rapport d’activité 2022 de la DCSD.

Étude de cas : le renouvellement du partenariat de défense avec la Mauritanie

Dans le cadre de ses travaux, la rapporteure pour avis s’est rendue en Mauritanie, du 3 au 7 avril 2023, afin d’identifier les modalités d’un partenariat renouvelé avec ce pays.

● Pourquoi la Mauritanie ? En premier lieu, contrairement aux autres pays de la région, la Mauritanie est considérée comme un pôle de stabilité régionale sur le plan sécuritaire, malgré une frontière terrestre de plus de 2 000 kilomètres avec le Mali. Le sol mauritanien a en effet été épargné de toute attaque terroriste depuis 2011, faisant émerger la notion d’« exception mauritanienne ». D’après le général Mokhtar Bolle Chaabane, chef d’état-major général des armées (CEMGA), cette réussite repose sur une approche multidimensionnelle combinant une réponse sécuritaire efficace avec le retour de l’Etat et une action originale des autorités religieuses. Si certains avancent que l’exception mauritanienne s’explique aussi par un « pacte de non-agression » entre le gouvernement mauritanien et les groupes armés terroristes, les autorités mauritaniennes ont toujours démenti l’existence d’un tel accord.

De plus, la Mauritanie joue un rôle important dans la sécurité régionale en tant qu’acteur majeur du G5 Sahel, organisation sous-régionale dont la création a été rendue nécessaire par le caractère transnational de la menace terroriste. La Mauritanie accueille deux institutions centrales du G5 Sahel. Nouakchott héberge le Collège de Défense qui, comme l’indique son directeur, le général Vall, est la « première école de guerre transnationale de l’histoire » et permet de concrétiser le volet « défense et sécurité » du G5 Sahel, en préparant les futurs chefs militaires à conduire des opérations de niveau interarmées dans une zone d’opération commune, le Sahel, pour faire face à une même menace, le terrorisme. La capitale mauritanienne héberge par ailleurs le secrétariat exécutif, qui est aujourd’hui plus concentré sur la mise en œuvre du volet « développement » du G5 Sahel.

Enfin, la Mauritanie est un pays avec lequel la France entretient une relation militaire ancienne, apaisée et de confiance, ce qui la distingue à nouveau d’autres pays de la région. La coopération militaire est structurée par des commissions militaires mixtes (COMMIXTE) qui se réunissent tous les deux ans et rassemblent les autorités militaires françaises et mauritaniennes, la prochaine étant prévue en juin 2023 à Paris. C’est au cours de ces réunions permettant l’expression du besoin du partenaire mauritanien que sont déterminées les modalités de la relation. Cette relation s’articule autour de la formation, de la préparation opérationnelle et de la logistique. La France dispose de sept coopérants militaires en Mauritanie, dont six sont insérés dans les états-majors mauritaniens, avec un accès direct au niveau des chefs d’état-major.

● La Mauritanie fait aujourd’hui face à des difficultés croissantes sur le plan sécuritaire qui font évoluer ses besoins de coopération. Si Nouakchott affronte plusieurs défis sécuritaires, notamment sur sa façade maritime et à sa frontière avec le Sahara occidental, la menace principale tient au risque de déstabilisation, voire d’un effondrement du Mali. Les autorités militaires mauritaniennes s’inquiètent d’un regain d’activités de groupes terroristes à la frontière, qui mobilisent fortement les forces armées et provoquent un afflux de réfugiés – on compterait à l’heure actuelle près de 100 000 réfugiés sur le sol mauritanien – au sein desquels des terroristes pourraient s’infiltrer.

Alors que le contexte sécuritaire se dégrade, la fin de l’opération Barkhane et l’affaiblissement du G5 Sahel contribuent à l’isolement de la Mauritanie. En plus de plonger le G5 Sahel dans une crise, le départ du Mali en mai 2022 a créé une discontinuité géographique de l’organisation au détriment de la Mauritanie. Ayant repris la présidence du G5 Sahel depuis février 2023, Nouakchott doit répondre aux questionnements sur l’avenir de cette organisation dont les projets sont entravés et qui fait face à des difficultés de financement.

● Dans ce contexte, la France a intérêt à continuer à soutenir Nouakchott dans la lutte contre le terrorisme. Contrairement à d’autres pays de la région, la Mauritanie ne souhaite pas de présence militaire française sur son territoire et n’en a sans doute pas besoin, ce qui permet une coopération plus mature. Le renouvellement du partenariat suppose d’entendre le besoin des autorités mauritaniennes, ce que, de l’aveu même des autorités françaises, la France n’a pas toujours fait, contrairement aux Espagnols qui attendent l’expression d’un besoin pour agir et parviennent parfois mieux à se positionner. Les autorités françaises se félicitent en tout cas des progrès réalisés ces dernières années par la partie mauritanienne dans la définition des besoins de coopération.

Les entretiens conduits par la rapporteure pour avis à Nouakchott ont révélé que, pour les autorités mauritaniennes, l’urgence était l’équipement des forces armées, notamment en radars terrestres et en moyens d’observation aériens, pour sécuriser les 2 000 kilomètres de frontières avec le Mali. Pour le CEMGA mauritanien, le renforcement capacitaire était un préalable au renforcement de la formation, qui n’était pas envisageable tant que les unités seraient aussi mobilisées. La rapporteure pour avis appelle la DCSD à expertiser la solution militaire demandée par le partenaire mauritanien, à vérifier si la France est en mesure de répondre à ce besoin et à réfléchir au meilleur schéma – cession ou exportation –, en incitant nos industriels à mieux se positionner sur le marché mauritanien.

Alors que le besoin exprimé par les autorités mauritaniennes s’inscrit dans une logique d’urgence, la rapporteure pour avis espère que ces dernières ne perdront pas de vue l’importance de la coopération de long terme, en matière de formation des cadres et de préparation opérationnelle. Le général Dah Mohamed El Agheb, directeur de l'Académie militaire interarmes d'Atar, a cependant bien indiqué à la rapporteure pour avis son souhait que la France continue d’accompagner la montée en puissance de la formation militaire en Mauritanie.

Enfin, la rapporteure pour avis appelle à créer de la réciprocité dans la coopération avec la Mauritanie, notre pays ayant aussi des besoins que ce partenaire peut pourvoir. En l’occurrence, un stagiaire français pourrait être formé au sein de l'Académie militaire interarmes d'Atar, où sont formés, outre les élèves officiers mauritaniens, une vingtaine d’élèves originaires d’autres pays du Sahel. Cette proposition a reçu un très bon accueil de la part des autorités mauritaniennes.

5.   Renforcer le rayonnement des forces armées dans le bassin régional de nos Outre-mer

La France est confrontée à de nombreux défis sécuritaires qui découlent de l’environnement régional de ses territoires d’Outre-mer. S’il n’existe actuellement pas de menace première sur la défense de nos Outre-mer, la France doit faire face à des contestations de la souveraineté française sur certains de ses territoires, en particulier Mayotte, ainsi qu’à des contestations visant le tracé de certaines frontières, comme en Guyane ou à Saint-Martin. Les frontières étant plus poreuses en Outre-mer que dans l’hexagone, notre pays est également exposé à de nombreux problèmes de sécurité, à l’image du trafic de drogue dans la Caraïbe, de l’orpaillage clandestin sur le territoire guyanais, du pillage des ressources halieutiques dans les eaux françaises du Pacifique et de l’immigration irrégulière dans l’océan indien.

Pour assurer la protection des Outre-mer, l’État déploie une action régalienne qui repose en partie sur les armées. La France dispose de cinq forces dites « de souveraineté » implantées en Outre-mer, un dispositif unique parmi les pays de l'Union européenne. Ces forces remplissent trois missions-cadre : la défense du territoire national, la protection de nos espaces de souveraineté et la protection des ressources naturelles. Comme l’explique Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), nos Outre-mer, « toujours plus stratégiques », sont « un formidable atout pour la surveillance des activités d'États non alliés, et pour effectuer des missions veillant à garantir la liberté de navigation. Elles permettent de projeter rapidement des forces dans une zone de crise. Ou encore d'accueillir des exercices majeurs. Et, bien sûr, de faciliter les missions de l'État, depuis la lutte contre les trafics et l'immigration clandestine jusqu'au secours humanitaire en passant par l'évacuation sanitaire. » ([119])

Effectifs, unités et équipements des forces de souveraineté (en 2021)

Source : ministère des Armées.

Si les défis sécuritaires auxquels nos Outre-mer sont confrontés ont eu tendance à s’accroitre, les moyens militaires ont suivi une évolution inverse. Entre 2008 et 2021, les forces de souveraineté ont vu leurs effectifs se réduire de 10 590 à 8 473 personnes, soit une baisse de 20 %. La part des missions de courte durée, calquées sur la logique des opérations extérieures, s’est par ailleurs accrue jusqu’à représenter la majorité des déploiements en Outre-mer, au détriment du lien entre les armées et les territoires d’Outre-mer. Au plan capacitaire, les équipements, notamment de transport, sont en nombre insuffisants, en plus d’être souvent vétustes ou défaillants. La première étape du redressement, prévue par la LPM actuelle, est le déploiement de six nouveaux patrouilleurs Outre-mer, le premier venant d’être livré à la Nouvelle-Calédonie. La rapporteure pour avis se félicite que la LPM 2024-2030 prévoit un investissement record de 13 milliards d’euros pour mettre un terme à la déshérence de notre dispositif militaire en Outre-mer.

Alors que nos Outre-mer sont un trait d’union avec le reste du monde, l’ouverture de ces territoires à leur environnement régional est encore insuffisant. Malgré la qualité de nos services régaliens, l’État ne peut répondre seul aux enjeux de sécurité qui découlent du voisinage de nos Outre-mer : une action concertée avec les forces des pays voisins est indispensable pour relever les défis communs. La coopération régionale qui s’est mise en place dans la gestion des catastrophes naturelles, face aux ouragans Irma et Maria dans les Antilles en 2017 et suite à l’éruption volcanique à proximité de l’archipel des Tonga en 2022, est un bon exemple de ce qui mérite d’être répliqué dans d’autres domaines. La lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane pourrait ainsi faire l’objet d’une réponse plus vigoureuse grâce à une coopération renforcée avec les forces armées du Brésil et du Suriname. Les Outre-mer s’approprieront ainsi leur nouveau rôle stratégique.

Afin de renforcer la contribution de nos Outre-mer à la fonction stratégique influence des armées, la rapporteure pour avis formule une proposition concrète : favoriser la création dans nos territoires ultramarins de centres de cadets de la défense, de classes préparatoires militaires, voire d’une école d’officiers, en les ouvrant autant que possible aux pays situés dans le même bassin régional. Cette proposition présente un double intérêt. D’une part, si les Ultramarins sont surreprésentés au niveau des militaires du rang, ils sont en revanche peu nombreux à accéder au rang d’officier, ce à quoi cette proposition peut en partie remédier. D’autre part, en ouvrant ces structures de formation militaire à l’environnement régional, sur le modèle des ENVR, la France pourra renforcer ses liens avec des régions avec lesquelles elle ne travaille qu’insuffisamment, de l’Afrique de l’Est à l’Amérique latine jusqu’aux îles du Pacifique, au bénéfice de l’influence française.


Conclusion

Tout projet de LPM exige d’en passer par des arbitrages difficiles. La rapporteure pour avis estime que le projet de LPM 2024-2030 incarne un juste équilibre entre, d’un côté, des moyens budgétaires nécessairement comptés, et de l’autre, le besoin de répondre à des menaces toujours plus nombreuses. Au bénéfice de l’ensemble des observations contenues dans le présent rapport, elle émet un avis favorable sur ce projet de loi, qui est à la hauteur du changement d’époque.

Il serait certainement tentant d’inclure, dans le projet de LPM, une ligne budgétaire spécifique consacrée à l’influence, afin de parer le risque de dilution de cette nouvelle priorité. Les leviers de l’influence étant multiples, cette solution ne parait cependant pas optimale. En conséquence, une rigueur particulière sera requise pour assurer le suivi des moyens attribués à cette fonction stratégique.

S’agissant de la gouvernance, l’influence ne peut faire l’objet d’un pilotage ministère par ministère, sous peine de perdre en cohérence et en efficacité. Afin de ne pas multiplier inutilement le nombre d’acteurs, il n’est pour autant pas souhaitable de créer un coordinateur interministériel de l’influence rattaché à Matignon ou à l’Élysée. Il est sain que le MEAE, dont la mission première est de coordonner l’action extérieure de l’État, ait été nommé chef-de-file de l’influence.


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   AVIS FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES

 

Après trente années de désinvestissement dans la défense et de désarmement, la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2019-2025 a marqué un tournant, en prévoyant de porter l’effort de défense à 2 % du produit intérieur brut (PIB) d’ici 2025, dans la continuité de la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale d’octobre 2017, qui faisait état d’un contexte stratégique instable et imprévisible, marqué par la simultanéité des crises, l’affirmation militaire de puissances établies ou émergentes et l’accélération des bouleversements technologiques. L’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022 est la manifestation la plus évidente de ces changements stratégiques, même si elle n’est pas la seule.

La période des « dividendes de la paix » est bien révolue. L’objectif de porter l’effort de défense à 2 % du PIB est devenu un minimum pour les pays membres de l’OTAN. Ainsi, l’Allemagne a annoncé un fonds spécial de 100 milliards d’euros pour atteindre durablement cet objectif de 2 %. Le budget fédéral pour 2023 s’élève quant à lui à 50,1 milliards d’euros hors fonds spécial. Au Royaume-Uni, le Premier ministre a annoncé, le 13 mars dernier, une rallonge de 5 milliards de livres sterling pour le ministère de la défense afin de « reconstituer et renforcer ses stocks de munition », après une hausse de 24 milliards de livres sur quatre ans, avec comme objectif d’atteindre un budget de défense équivalent à 2,5 % du PIB.

L’accélération des changements stratégiques rendait donc nécessaire de prolonger et d’actualiser les objectifs de la LPM pour les années 2019-2025, qui ont été respectés à l’euro près, ce qui constitue un signal fort et inédit envers nos armées et l’écosystème de défense. C’est toute l’ambition du projet de LPM pour la période 2024-2030 que le Parlement a désormais à examiner.

À titre liminaire, le rapporteur souligne que l’objectif de porter l’effort de défense à 2 % du PIB d’ici 2025 sera respecté, c’est pourquoi il lui semble important d’inscrire dans la loi de programmation que, à partir de cette date, l’objectif de maintenir les dépenses militaires à 2 % du PIB constituera un plancher, afin de rattraper les retards qui ont pu être pris et de permettre à la France de s’inscrire comme une nation cadre auprès de ses alliés. Cela nous permettra de poursuivre le renouvellement et la modernisation des équipements militaires, en particulier en matière de dissuasion, de renforcer la disponibilité opérationnelle des matériels et d’accélérer l’augmentation des effectifs.

Si le projet de LPM prévoit une augmentation significative des crédits affectés à la défense, il ne permettra à nos armées de regagner en masse (I). Ce projet de loi n’a donc pas pour ambition ni de modifier le rôle de la France en tant que puissance d’équilibre, ni de changer notre modèle d’armée, qui s’articule autour de la dissuasion et de forces de projection ayant vocation à évoluer en coopération. Pour autant, la programmation proposée n’est pas dénuée de zones d’ombre, dans un contexte marqué par l’inflation qui grèvera nécessairement une partie de l’accroissement des dépenses (II). Compte tenu des enjeux majeurs abordés et de l’importance des sommes engagées, le rapporteur insiste sur la nécessité d’un débat politique sérieux, articulé autour d’un Gouvernement transparent et d’un contrôle du Parlement efficace (III).

I. Une programmation ambitieuse et crÉdible qui conforte notre modÈle d’armÉe

Si le projet de LPM pour les années 2024 à 2030 maintient l’objectif de porter l’effort national de défense à hauteur de 2 % du produit intérieur brut (PIB) à compter de 2025 ([120]), il va au-delà de cet objectif afin d’accélérer la reconstruction et la modernisation des armées, dans un contexte de menaces croissantes.

A. Une augmentation massive des CrÉdits budgÉtaires compatible avec la trajectoire des finances publiques

L’article 3 du projet de LPM prévoit que le montant des besoins du ministère des armées programmés pour la période 2024-2030 s’élève à 413,3 milliards d’euros, dont 400 milliards d’euros de crédits budgétaires et 13,3 milliards de ressources additionnelles. Il convient de mesurer l’ampleur de cet effort, compte tenu des contraintes qui pèsent actuellement sur les finances publiques de la France.

1. Les crédits budgétaires font plus que doubler entre 2017 et 2030

Si la LPM pour les années 2019 à 2025 prévoyait déjà une augmentation significative du budget des armées, la hausse prévue dans le projet de LPM pour les années 2024 à 2030 est encore plus importante. Les crédits de paiement de la mission Défense, hors contribution au compte d’affectation spéciale Pensions et à périmètre constant, s’élèveront à 400 milliards d’euros entre 2024 et 2030.

Cela représente une augmentation de 105 milliards d’euros (+ 36 %) par rapport aux 295 milliards d’euros prévus entre 2019 et 2025. Ces 400 milliards d’euros sur sept ans équivalent à une moyenne annuelle de 57,1 milliards d’euros, contre 39,6 milliards d’euros par an entre 2019 et 2023 (+ 44 %). En 2030, les crédits atteindront 68,9 milliards d’euros et auront plus que doublé par rapport aux 32,7 milliards d’euros exécutés en 2017 (+ 110 %).

Certes, le fait que les « marches » les plus élevées soient programmées en fin de période, après les élections présidentielles et législatives de 2027, constitue un risque pour la réalisation des capacités planifiées. L’augmentation des crédits prévue est en effet plus forte entre 2028 et 2030 (+ 4,3 milliards d’euros par an), même si elle reste significative en début de programmation (+ 3,1 milliards d’euros en 2024 et + 3 milliards d’euros par an entre 2025 et 2027).

Toutefois, il convient de souligner que la programmation comprend un objectif de dépense pour chacune des sept annuités de la période 2024-2030, ce qui n’était pas le cas pour les deux dernières annuités de la LPM pour 2019 à 2025. Par ailleurs, c’est presque la moitié de l’effort proposé qui aura lieu d’ici 2027 (soit 12,1 milliards d’euros, contre 12,9 milliards d’euros entre 2028 et 2030).

Évolution des crÉdits de paiement de la mission dÉfense

(en milliards d’euros)

Source : commission des finances.

En outre, comme l’a indiqué le ministre des armées, la programmation a également été déterminée en fonction du rythme d’avancement des programmes : « Si les budgets sont en hausse sur la dernière partie de la LPM, c’est seulement parce que des crédits de paiements plus importants seront nécessaires, y compris pour la dissuasion nucléaire. Les plus grands besoins financiers et budgétaires pour la modernisation des missiles de la composante océanique, et, surtout, aéroportée, seront déployés en fin de période. Il ne s’agit pas d’un choix budgétaire, mais d’une conséquence de la trajectoire du programme de la direction des applications militaires » ([121]). C’est également le cas pour d’autres programmes, tels que le porte-avions de nouvelle génération et la troisième génération de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE).

En tout état de cause, les objectifs de dépense fixés dans la LPM constituent non pas un plafond mais un plancher de crédits. Ils pourront donc être réévalués au gré des besoins et urgences lorsque cela sera nécessaire, notamment pour faire face à l’inflation.

Évolution du dÉficit public et de la dette publique

(en pourcentage du PIB)

Source : programmes de stabilité présentés par le Gouvernement entre 2017 et 2023.

L’effort proposé au profit du budget des armées n’est pas anodin, compte tenu des contraintes croissantes sur les finances publiques. Le déficit public et la dette publique ayant atteint des points hauts en 2020, le Gouvernement a défini une trajectoire destinée à les maîtriser d’ici 2 027. En outre, la charge annuelle de la dette de l’État pourrait d’ici quelques années dépasser les 70 milliards d’euros ([122]), soit autant que le budget de la défense prévu en fin de programmation. Dans ces conditions, le rapporteur rappelle que la maîtrise de nos finances publiques est, pour la France, un enjeu de souveraineté majeur, et que la trajectoire définie dans le projet de LPM est d’autant plus solide qu’elle demeure crédible d’un point de vue global.

2. Une programmation compatible avec la trajectoire des finances publiques

Saisi des dispositions du projet de LPM ayant une incidence sur les finances publiques, comme le prévoit la dernière réforme de la loi organique relative aux lois de finances ([123]), le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a rendu un avis sur la compatibilité de la programmation avec la trajectoire budgétaire prévue pour la période 2023-2027. En l’absence de loi de programmation des finances publiques (LPFP), le HCFP s’est référé à la trajectoire prévue par le Gouvernement dans le projet de LPFP pour 2023-2027 déposé au Parlement le 26 septembre 2022, également reprise dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2023 ([124]).

Selon le HCFP, la programmation militaire proposée est compatible avec la trajectoire budgétaire globale prévue par le Gouvernement. Les crédits de la mission Défense prévus dans le projet de LPM pour 2024 et 2025 sont identiques à ceux prévus à l’article 12 du projet de LPFP pour la période 2023-2027. Le Haut Conseil n’a pu s’assurer directement que tel était aussi le cas pour 2026 et 2027, dans la mesure où le projet de LPFP ne présente des montants de crédits pour les missions budgétaires que pour les trois premières années de la programmation, mais il prend acte de la réponse donnée en ce sens par le Gouvernement.

Toutefois, le HCFP émet quelques réserves. D’une part, il s’interroge sur les 13,3 milliards d’euros de dépenses supplémentaires, dans la mesure où « le Gouvernement n’a pas fourni d’éléments permettant de vérifier si les 13,3 Md€ de dépenses supplémentaires prévues dans le PLPM étaient bien pris en compte dans la trajectoire de dépenses du PLPFP. La compatibilité entre les deux trajectoires n’apparaît donc pas assurée » ([125]).

D’autre part, le HCFP constate que le projet de LPM, conjointement aux autres lois de programmation sectorielles en vigueur ou prévues, « contraint les autres dépenses du budget de l’État ». En conséquence, pour respecter la trajectoire globale prévue par le Gouvernement, les dépenses non couvertes par les lois de programmation « devraient ainsi baisser en volume […], ce qui impliquerait un effort de maîtrise important et, à ce jour, peu documenté de la dépense » ([126]).

B. Une augmentation des effectifs plus cohÉrente avec les capacitÉs du ministÈre des armÉes

Le budget des armées prévu dans le projet de LPM intègre une enveloppe de 97,8 milliards d’euros pour les ressources humaines sur la période 2024-2030, en augmentation de 12 % par rapport à la LPM précédente.

L’article 6 du projet de LPM prévoit une augmentation nette des effectifs du ministère des armées de 6 300 équivalents temps plein (ETP) entre 2024 et 2030 (contre + 6 000 ETP prévus entre 2019 et 2025). Comme dans la LPM précédente, le périmètre retenu englobe l’ensemble des emplois financés par les crédits de personnel du ministère des armées, à l’exclusion des apprentis civils et militaires, des volontaires du service militaire volontaire, des volontaires du service national universel et du service industriel de l’aéronautique.

Cibles d’augmentation nette des effectifs

2024

2025

2026

2027

2028

2029

2030

700

700

800

900

1 000

1 000

1 200

On peut noter que :

– les cibles prévues en 2024 et 2025 (+ 700 ETP par an) se situent en deçà des hausses prévues pour ces années dans la LPM 2019‑2025 (+ 1 500 ETP par an) ;

– la trajectoire des effectifs – qui doivent s’élever à 271 800 ETP en 2027 et à 275 000 ETP en 2030 (dont 210 000 personnels militaires et 65 000 personnels civils) – a dérivé par rapport à la LPM pour les années 2019 à 2025 (qui prévoyait 271 936 ETP en 2023 et 274 936 ETP dès 2025).

Évolution des effectifs du ministÈre des armÉes

Source : Cour des comptes, notes d’analyse de l’exécution budgétaire de la mission Défense pour 2017 à 2022.

Dans un premier temps, la remontée des effectifs prévue entre 2019 et 2025 avait pu être réalisée à quelques postes près, nonobstant des déficits de compétences dans certaines spécialités (maintenance aéronautique, propulsion nucléaire ou encore cyberdéfense). Toutefois, depuis 2021, le ministère n’a plus été en capacité de réaliser son schéma d’emplois, malgré un niveau de recrutement élevé, en raison d’un nombre important de départs, dans le contexte de reprise économique post crise sanitaire. Face à la concurrence du secteur privé, le ministère éprouve ainsi des difficultés à attirer et à fidéliser ses personnels, en particulier les sous-officiers, les personnels civils de catégorie A et B et les services de renseignement.

Selon la Cour des comptes, le ministère des armées présentait à la fin de l’exercice 2022 « une vacance sous plafond d’emplois de 4 589 ETPT et un retard de 2 228 ETPE au regard de la cible du schéma d’emplois ». En conséquence, elle recommande « de s’assurer du réalisme du schéma d’emplois de la LPM 2024-2030 au regard des capacités du ministère des armées à recruter et fidéliser et des effets sur sa masse salariale » ([127]). Dans cette perspective, le rapporteur note que le rythme de l’augmentation des effectifs prévu dans le projet de LPM est ramené à un niveau plus cohérent avec la capacité du ministère à réaliser ses objectifs.

Afin d’atteindre les cibles envisagées, le projet de LPM s’appuie sur des mesures visant à renforcer l’attractivité du ministère des armées et la fidélisation des personnels ainsi que sur un renforcement de la réserve opérationnelle.

1. Des mesures pour renforcer le recrutement et la fidélisation

L’article 6 du projet de LPM prévoit de « renforcer la fidélisation, l’expertise et l’adaptabilité des agents civils et militaires du ministère ». Outre les dispositifs mis en place dans le cadre de la LPM pour les années 2019 à 2025 (plan famille, plan « Ambition logement », etc.), trois mesures du projet de loi doivent permettre d’améliorer l’attractivité des armées, notamment dans des domaines requérant des formations techniques et scientifiques.

L’article 18 du projet de loi renforce les dispositifs de réengagement des militaires radiés des cadres (ouvert à ceux qui ont quitté l’armée depuis moins de cinq ans, contre trois ans auparavant) et de maintien en fonction des militaires au-delà de la limite d’âge ou de la durée de service (dans la limite de trois ans). Ces dispositifs sont rendus plus attractifs en termes de reclassement (prise en compte non seulement du grade mais aussi de l’ancienneté), d’avancement (prise en compte des services effectués) et de liquidation de la pension. Leurs bénéficiaires se voient également donner l’accès à des dispositifs de formation et de reconversion.

Le même article 18 pérennise la promotion fonctionnelle, mise en place dans la LPM pour les années 2014 à 2019 et prorogée jusqu’en 2025 par la LPM pour les années 2019 à 2025, et ouvre la possibilité d’une seconde promotion fonctionnelle pour les officiers généraux. Ce mécanisme permet de promouvoir des militaires de carrière, compte tenu de leurs mérites et de leurs compétences, au grade supérieur des sous-officiers et des officiers, afin qu’ils exercent une fonction déterminée au service des armées.

L’article 17 crée un régime d’apprentissage militaire. Il autorise le recrutement d’élèves sous statut militaire dès l’âge de 16 ans, en vue d’un engagement dans les armées au titre de l’enseignement technique préparatoire militaire. Un effectif de 1 200 apprentis militaires est envisagé dès 2023.

À ce stade, aucune mesure indiciaire n’est toutefois décidée. La LPM pour les années 2019 à 2025 a permis d’avancer sur un certain nombre de mesures indemnitaires, notamment dans le cadre de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) dont la mise en place s’achève en octobre 2023 et dont il faudra tirer un bilan. Compte tenu de la difficulté du ministère des armées à fidéliser certains de ses personnels, notamment dans des domaines sensibles, des revalorisations indemnitaires ciblées paraissent devoir s’imposer pour les sous-officiers qualifiés, comme le ministre l’a confirmé ([128]), sans que les conséquences budgétaires soient pour l’heure précisées.

2. Le renforcement de la réserve opérationnelle

Dans la continuité de la LPM pour les années 2019 à 2025, le projet de LPM pour les années 2024 à 2030 prévoit également une augmentation des effectifs de la réserve opérationnelle militaire. Conformément à l’engagement pris par le Président de la République, les effectifs de la réserve doivent être portés à 80 000 hommes en 2030 (soit un doublement par rapport aux 41 000 réservistes actuels), puis à 105 000 en 2035, ce qui équivaudra alors à un militaire de réserve pour deux militaires d’active. Pour contribuer à l’augmentation des effectifs de la réserve, l’article 14 du projet de LPM prévoit différentes mesures :

– il relève les limites d’âge des réservistes, aujourd’hui différenciées : 70 ans pour toutes les catégories et grades, 72 ans pour les réservistes spécialistes ;

– il porte à dix le nombre de jours pouvant être réalisés pendant le temps de travail d’un volontaire sans l’accord préalable de son employeur civil (contre cinq à huit jours actuellement) ;

– il facilite la convocation des anciens militaires soumis à l’obligation de disponibilité dans les cinq années suivant leur retour à la vie civile, en portant leur durée de convocation à dix jours sur cinq ans et en élargissant leurs activités au maintien et à l’évaluation de leurs compétences ;

– il prévoit la possibilité d’appeler ou de maintenir en activité les volontaires de la réserve opérationnelle en fonction du niveau d’urgence ou de menace, sans que soit atteint le seuil de mise en garde ou de mobilisation, et harmonise les critères de rappel avec ceux du régime des réquisitions (modifiés à l’article 23) ;

– il élargit la possibilité, lorsque l’intérêt de la défense ou de la sécurité nationale le justifie, d’affecter des réservistes hors des armées ;

– il prévoit de nouveaux cas dans lesquels les militaires d’active placés en position de non-activité peuvent souscrire un engagement dans la réserve opérationnelle (congé parental, congé pour convenances personnelles, disponibilité).

Le rapporteur salue le renforcement de la réserve, qui est essentiel pour renforcer le lien entre les citoyens et les armées ainsi que la cohésion et la résilience de la Nation. Toutefois, à l’instar du Conseil d’État, il note que « si ces mesures contribueront à augmenter les effectifs de la réserve, elles ne suffiront pas […] pour atteindre 80 000 hommes, puis 105 000 à l’horizon 2035 » ; il conviendrait de « préciser les autres mesures qui permettront d’atteindre cet objectif ambitieux » ([129]).

 


C. la modernisation de l’Équipement des forces continue

L’augmentation des crédits prévus dans le projet de LPM pour la période 2024-2030 doit permettre de renforcer les capacités dont disposent les forces armées, même s’il n’a pas été possible d’éviter un étalement des livraisons de certains matériels.

1. Une augmentation significative des moyens affectés aux équipements

Comme l’indique le rapport annexé au projet de LPM, 268 milliards d’euros sont prévus pour l’agrégat « équipement », ce qui représente une augmentation de 56 % par rapport aux 172 milliards d’euros prévus entre 2019 et 2025. La dotation de 100 milliards d’euros prévus pour les programmes à effet majeur (contre 59 milliards d’euros dans la LPM précédente, ce qui représente une hausse de 70 %) témoigne de la montée en puissance de l’équipement des forces.

Le rapporteur tient particulièrement à souligner l’augmentation de l’enveloppe destinée à l’entretien programmé des matériels, qui s’élève à 49 milliards d’euros (contre 35 milliards d’euros dans la LPM pour les années 2019 à 2025, soit une hausse de 40 %) : cette hausse est essentielle pour améliorer la disponibilité opérationnelle des équipements, même si des évolutions de nature extra-budgétaire sont aussi à prendre en compte (verticalisation des contrats, simplification des normes et des expressions de besoins).

Le rapport annexé au projet de LPM identifie également 13 milliards d’euros pour les forces de souveraineté pré-positionnées dans les Outre-mer, afin d’améliorer la surveillance de ces territoires et lutter contre les tentatives de prédation ou de déstabilisation. Ces crédits sont d’une importance capitale compte tenu des tensions géopolitiques croissantes, notamment dans la zone Indo-Pacifique. Les Outre-mer bénéficieront tout particulièrement de la hausse des moyens prévus pour les infrastructures (16 milliards d’euros, soit une hausse de 33 %).

La programmation des crédits tient compte des enseignements tirés de la guerre en Ukraine et de la nécessité de se préparer à l’hypothèse d’un affrontement majeur. C’est en ce sens qu’elle intègre :

16 milliards d’euros pour renforcer et renouveler les stocks de munitions complexes et non complexes, ce qui représente une augmentation de 45 % ;

5 milliards d’euros pour la défense surface-air, soit une augmentation de 300 %, au profit des systèmes de missile antiaérien et antimissile, mais aussi de la lutte contre les drones et d’un investissement dans les nouvelles technologies, notamment hypersoniques ;

5 milliards d’euros pour les drones (drones aériens, drones sous-marins ou de surface, robots terrestres), ce qui correspond à un doublement des moyens par rapport à la période 2019-2025. Il s’agit de rattraper les retards pris depuis plus d’une décennie, d’améliorer l’efficacité opérationnelle des forces ainsi que de développer des capacités souveraines innovantes (drones de contact, munitions télé-opérées, vol en essaim) ;

5 milliards d’euros pour le renseignement militaire, dont l’importance n’est plus à démontrer, soit une hausse de 60 %.

Les moyens consacrés à l’innovation de défense ainsi qu’aux nouveaux champs de conflictualité sont en nette augmentation :

– pas moins de 10 milliards d’euros seront consacrés à l’innovation entre 2024 et 2030 ; la programmation poursuit ainsi la hausse des crédits engagée dans la LPM pour les années 2019 à 2025, qui a permis de consacrer plus d’un milliard d’euros par an aux études amont depuis 2022. Ces crédits doivent permettre à nos armées de conserver une supériorité technologique, en exploitant les technologies de rupture, y compris celles venues du domaine civil ;

6 milliards d’euros sont prévus pour les capacités militaires spatiales, soit une augmentation de 45 % par rapport à la LPM précédente. Les programmes Iris (observation spatiale), Celeste (renseignement d’origine électromagnétique) et de satellites patrouilleur-guetteur (s’appuyant sur le projet de démonstrateur Yoda) seront poursuivis. S’agissant des moyens de télécommunications, le satellite Syracuse 4C est abandonné au profit d’une « constellation sécurisée et multi-orbites européenne » qui reste à définir ;

4 milliards d’euros pour le cyber, soit une hausse de 300 %, afin de renforcer les effectifs et les moyens de défense, notamment face à un risque élevé de haute intensité sur le bas du spectre.

2. Un calendrier de livraison ambitieux, bien que marqué par des étalements

● L’effort consacré au renouvellement des moyens de la dissuasion nucléaire est massif, puisqu’il représente 13 % des ressources prévues dans le projet de LPM (soit environ 52 milliards d’euros). La modernisation des composantes aérienne, navale et aéronavale de la dissuasion concernera à la fois les missiles (mise en service des missiles aéroportés ASMP-A rénovés, préparation de la quatrième génération de missiles aéroportés, poursuite des évolutions du missile M51 pour la composante océanique) et les porteurs (évolution du Rafale, préparation de l’avion de combat du futur, poursuite du programme de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de troisième génération).

● S’agissant des forces terrestres, les cibles prévues en 2030 sont maintenues pour l’artillerie (109 canons équipés d’un camion de nouvelle génération), pour les hélicoptères de reconnaissance et d’attaque (67 Tigre) et les systèmes de drones tactiques (17 systèmes). Des moyens nouveaux sont consacrés aux systèmes de franchissement ainsi qu’aux lanceurs de longue portée (au moins 13 systèmes en 2030, 26 systèmes en 2035).

Néanmoins, des étalements sont prévus pour les livraisons de chars et de blindés. S’agissant des chars de combat, seuls 160 des 200 chars Leclerc seront rénovés d’ici 2030 (contre 200 dans la LPM 2019-2025). Surtout, les cibles de véhicules blindés multi-rôles, déjà abaissées dans le cadre de l’actualisation de la programmation militaire en 2021, sont réduites à 1 345 Griffon et 1 405 Serval en 2030 (les cibles de 1 818 et 2 038 étant reportées à 2035).

● Pour les forces navales, les études relatives au porte-avions de nouvelle génération sont confirmées (pour un coût annoncé de 10 milliards d’euros, dont 5 milliards d’euros dans le cadre de la LPM pour les années 2024 à 2030), notamment pour garantir la pérennité des compétences en matière de propulsion nucléaire. Les cibles en termes de sous-marins nucléaires d’attaque sont aussi maintenues (6 Barracuda d’ici 2030). En outre, de nouvelles capacités de maîtrise des fonds marins jusqu’à une profondeur de 6 000 mètres sont intégrées dans la programmation (drones et robots pour moyens et grands fonds).

Des étalements sont toutefois prévus pour les livraisons de bâtiments de premier rang et de patrouilleurs. Le format de 15 navires de premier rang d’ici 2030 est maintenu, mais il sera assuré par seulement 3 frégates de défense et d’intervention (contre 5 prévues dans la LPM 2019-2025), les 2 frégates légères furtives de type La Fayette étant maintenues jusqu’en 2035. De même, le format de 19 patrouilleurs ne comprendra que 7 patrouilleurs océaniques en 2030 (désormais qualifiés de patrouilleurs « hauturiers »), le format de 10 étant reporté à 2035. Le format de 5 chasseurs de mines (bâtiment-base de plongeurs démineurs) est quant à lui décalé à 2035 (contre 3 prévus en 2030).

● Concernant les forces aériennes, la cible de 15 avions de ravitaillement et de transport stratégique MRTT est maintenue. L’objectif d’acquisition de 4 drones moyenne altitude longue distance développés en coopération européenne est porté à 6 mais il est décalé de 2030 à 2035 (1 seul système est prévu pour accompagner les 4 Reaper en 2030).

Le format de la flotte d’avions de chasse est revu à la baisse. Une nouvelle commande de Rafale (tranche 5) aura bien lieu, mais la livraison des 42 appareils est étirée jusqu’en 2035. L’armée de l’air et de l’espace ne disposera donc que de 137 Rafale en 2030 (contre 185 prévus dans la LPM précédente), tandis que le format global de l’aviation de combat (air et marine) est reporté à 225 d’ici 2035. Le passage au tout Rafale attendra donc, et les Mirage 2000D rénovés verront leur durée de service prolongée.

Il en va de même pour les avions de transport tactique A400M : la cible n’est que d’au moins 35 appareils en 2030, l’objectif d’en acquérir 53 étant reporté sans calendrier précis.


● Le rapporteur regrette que des étalements de livraison aient été nécessaires face à la multiplication des menaces. Il constate que la LPM pour les années 2024 à 2030 ne permettra pas aux forces armées de retrouver de la masse sur tous les segments et qu’elles demeureront à certains égards échantillonnaires. Il note toutefois que cela fait l’objet d’un choix assumé du ministère des armées et des états-majors : plutôt que la masse, le projet de LPM fait le choix de la cohérence. Il s’agit de garantir un modèle d’armée cohérent, crédible et équilibré, dans lequel les livraisons de nouveaux matériels s’accompagnent d’un effort sur la formation et l’entraînement, sur les munitions, les pièces détachées et les autres consommables ainsi que sur le maintien en condition opérationnelle.

En s’appuyant sur les capacités prévues, la France se donne la possibilité de conserver une armée d’emploi et d’agir seule lorsque cela est nécessaire, mais aussi d’être une nation cadre au sein des coalitions auxquelles elle participe avec ses alliés. Ainsi que l’a expliqué le ministre des armées devant la commission des finances, le projet de LPM « est construit en fonction de la réalité des missions que nous pouvons confier à l’armée française dans les cinq à dix ans qui viennent. Je reviens à ce que je disais des comparaisons stupides avec l’Ukraine : on voudrait nous préparer à des menaces qui ne sont pas d’actualité ou qui ne peuvent pas exister. Sur certaines capacités, nous serons toujours échantillonnaires : certaines missions seront toujours expéditionnaires, et nous n’avons pas vocation à les mener seuls. Inversement, sur d’autres segments, nous devons nous renforcer, parce que nous pouvons être amenés à être les premiers à marcher, seuls peut-être. C’est le cas dans nos Outre-mer : ce serait une terrible humiliation de devoir demander à un pays riverain d’un de nos territoires ultramarins de nous aider à faire face à une crise majeure. La crédibilité du projet de LPM est un facteur clé : cela nous évite le fantasme de certaines missions imaginaires, mais cela nous évite aussi de passer à côté de certains risques bien réels » ([130]).

● Le projet de LPM pour les années 2024 à 2030 prolonge par ailleurs certains programmes menés en coopération européenne, notamment le programme SCAF (système d’avion de combat du futur) et le projet MGCS (main ground combat system) de char lourd du futur. Si ces programmes sont justifiés par un potentiel d’économies budgétaires substantielles, notamment dans les phases d’études, il convient de veiller à ce que les gains attendus de la coopération demeurent supérieurs aux inconvénients. Les coopérations n’ont de sens que si elles permettent de répondre à nos besoins opérationnels, qu’elles n’aboutissent pas au pillage de certains de nos actifs stratégiques et que nous demeurions indépendants quant à notre politique d’exportation. Dans cette perspective, le rapporteur invite le ministère des armées à envisager l’ensemble des alternatives possibles, y compris d’éventuels changements de partenaires.


II. Une programmation non dÉnuÉe d’incertitudes

Si l’ambition du projet de LPM pour les années 2024 à 2030 est incontestable, des incertitudes pèsent sur les ressources additionnelles aux crédits de la mission Défense, sur certaines prévisions de dépense, notamment du fait de l’inflation, ainsi que sur le niveau durablement élevé des restes à payer.

A. Des Incertitudes sur les ressources additionnelles

Les besoins programmés dans le projet de LPM intègrent 13,3 milliards d’euros de ressources supplémentaires qui s’ajoutent aux crédits budgétaires de la mission Défense. Ces ressources s’accompagnent de plusieurs incertitudes, même si elles ne représentent que 3,2 % des besoins programmés.

1. Les ressources extra-budgétaires

Les 13,3 milliards d’euros évoqués intègrent 5,9 milliards d’euros de ressources extra-budgétaires, qui se décomposent de la manière suivante :

– 3,1 milliards d’euros en provenance du budget de l’Assurance maladie au titre de l’activité hospitalière du Service de santé des armées ;

– environ 1 milliard d’euros provenant de cessions de matériels et des formations associées ;

– 474 millions d’euros provenant du compte d’affectation spéciale Gestion immobilière de l’État au titre des cessions immobilières, des redevances domaniales et des loyers des concessions ou autorisations de toute nature consenties sur les biens immobiliers affectés au ministère ;

– 652 millions d’euros pour des prestations de services facturées par le ministère des armées, notamment par la direction générale de l’armement ;

– 650 millions d’euros liés à des renégociations de contrats.

Il est vrai que la Cour des comptes a souvent mis en garde contre le recours à des ressources extra-budgétaires, dont la matérialisation est incertaine, et qui peut retarder le calendrier de certains programmes ([131]), mais aussi conduire le ministère des armées à une gestion patrimoniale sous-optimale ([132]).

Néanmoins, il convient de distinguer les ressources exceptionnelles, qui ont pu être intégrées dans certaines lois de programmation avant la LPM pour les années 2019 à 2025 (cessions immobilières de grande ampleur, cessions de fréquences hertziennes, conditionnement des cibles capacitaires à des objectifs d’exportation), et les ressources additionnelles prévues dans le projet de LPM, qui sont des ressources récurrentes du ministère des armées, et dont l’intégration dans la trajectoire procède avant tout d’un objectif de transparence. En tout état de cause, le ministère indique que les hypothèses retenues sont volontairement mesurées : ainsi, le montant annuel moyen de ces ressources prévu entre 2024 et 2030 (840 millions d’euros par an) est inférieur au montant constaté entre 2019 et 2022 (1,1 milliard d’euros par an).

2. Les autres ressources exceptionnelles

Les 7,4 milliards d’euros de besoins restants seraient financés par des mécanismes divers.

● Une partie des besoins seront financés dans le cadre du remplacement des matériels militaires cédés à l’Ukraine.

L’effort national de soutien à l’Ukraine n’est pas inclus dans les crédits prévus par le projet de LPM, afin qu’il ne puisse déstabiliser le soutien militaire français. Des ressources supplémentaires seront nécessaires pour financer cet effort. Elles proviendront de fonds européens, notamment au titre de la Facilité européenne pour la paix, mais aussi de moyens additionnels déterminés soit dans la loi de finances initiale, soit en exécution sur une base interministérielle, la participation de la mission Défense ne devant alors excéder la proportion qu’elle représente dans le budget général de l’État.

Une dépense spécifique est d’ores et déjà prévue pour le remplacement des systèmes de défense aérienne de courte portée Crotale cédés à l’Ukraine, qui seront remplacés, notamment par des missiles d'interception, de combat et d'auto-défense (Mica), afin de ne pas créer de manque pour l’armée française. Une provision de 1,2 milliard d’euros a été annoncée pour cette dépense au sein des 13,3 milliards d’euros de ressources additionnelles, sans que l’origine des crédits n’ait à ce stade été précisée ([133]).

● Enfin, les 6,2 milliards d’euros de besoins restants seront financés via les moindres dépenses permises par un relâchement du report de charges de la mission Défense et par la marge frictionnelle.

Le relâchement du report de charges ([134]) consiste à reporter le décaissement de certains crédits de paiement sur l’exercice suivant afin de financer d’autres dépenses jugées prioritaires. La LPM pour les années 2019 à 2025 prévoyait une trajectoire de diminution du report de charges de 16 % en 2019 à 10 % en 2025. Celle-ci a été globalement respectée jusqu’en 2021 mais le report de charges a ensuite été utilisé par le ministère comme un moyen d’atténuer les effets de l’inflation. Ainsi, au 31 décembre 2022, le report de charges de la mission Défense s’élevait à 13,7 % des crédits hors titre 2 ouverts en loi de finances initiale, contre un objectif de 12 %.

Le projet de LPM ne prévoit aucun objectif d’évolution du report de charges, contrairement à la LPM pour les années 2019 à 2025. Or la Cour des comptes rappelle que les reports de charges « dans cette ampleur constituent une entorse à l’annualité budgétaire » et « préconise de poursuivre l’effort de réduction au-delà de la LPM actuelle qui prévoit un plafond du report de charge de 10 % en 2025 » ([135]). Aussi, le rapporteur souligne que le relâchement du report de charges constitue pour le ministère des armées un instrument utile à condition d’être utilisé dans une proportion soutenable ;

La marge frictionnelle renvoie quant à elle aux redéploiements de crédits rendus possibles par le décalage de certains programmes d’armement par rapport au calendrier initialement prévu. De tels décalages sont inévitables, notamment en raison de la dynamique propre aux grands programmes d’armement ou aux opérations d’investissement et de la difficulté de prévoir précisément à quel moment les jalons technologiques nécessaires à l’avancement des programmes seront franchis. La capacité budgétaire ainsi libérée est estimée à 3,25 % du budget annuel, ce qui correspond au réalisé des années 2021 et 2022.

On peut s’interroger sur la pertinence d’intégrer dans le montant des besoins programmés des outils qui constituent surtout des marges de manœuvre en gestion. Néanmoins, le report de charges et la marge frictionnelle – qui ne sont pas des nouveautés de la LPM pour les années 2024 à 2030 – constituent des outils pertinents pour exécuter la programmation militaire dans un contexte d’inflation et d’incertitude.

Par ailleurs, le rapporteur rappelle que la soutenabilité de la programmation budgétaire et capacitaire est une préoccupation constante du ministère des armées ainsi que du ministère de l’économie et des finances, et que la gouvernance des investissements militaires – structurée autour du Comité ministériel d’investissement et du Comité financier interministériel – vise précisément à organiser un dialogue régulier entre les deux ministères pour gérer au mieux les difficultés susceptibles de survenir dans la conduite des grands programmes d’armement ou de maintien en condition opérationnelle.

B. Des Incertitudes sur les prÉvisions de dÉpense

Des incertitudes pèsent sur certaines prévisions de dépense, notamment en raison du contexte inflationniste, sans toutefois que la sincérité de la programmation soit remise en cause.

1. Un niveau d’inflation incertain

Le niveau d’inflation effectif entre 2024 et 2030 aura nécessairement un impact sur les achats du ministère des armées ainsi que sur sa masse salariale.

Le projet de LPM intègre une provision de 30 milliards d’euros sur sept ans pour faire face aux conséquences de l’inflation. Cette provision est calculée sur la base de l’indice des prix à la consommation hors tabac, pour lequel est retenue la même hypothèse que celle du projet de LPFP 2023-2027. Or, au moment du dépôt de ce projet de loi, le HCFP s’interrogeait déjà sur les prévisions d’inflation : « le reflux anticipé de l’inflation peut sembler rapide, surtout avec le scénario retenu de croissance soutenue, supérieure à la croissance potentielle et dans un contexte où l’inflation a constamment surpris à la hausse les prévisionnistes depuis deux ans » ([136]). Devant la commission des finances, le président du Haut Conseil a confirmé que les prévisions d’inflation lui semblaient plutôt faibles ([137]).

L’avis du HCFP invite donc à une certaine prudence : « Si l’inflation devait être plus élevée que prévu dans le projet de LPM, que ce soit du fait de pressions inflationnistes plus persistantes que prévu au niveau macroéconomique ou d’une augmentation plus forte que prévu du coût des matériels militaires […], ce ne serait pas sans conséquence sur la trajectoire de dépenses. L’objectif d’évolution des dépenses des administrations publiques instauré par la loi organique étant exprimé en volume, une inflation plus forte, à budget de la mission Défense inchangé, réduirait d’autant la dépense publique en volume, facilitant ainsi le respect de cet objectif. À l’inverse, elle pourrait susciter un ajustement des crédits budgétaires en euros courants pour assurer le respect des orientations stratégiques du PLPM » ([138]).

Il convient de reconnaître que les prévisions d’inflation sont un exercice difficile, tant elles dépendent de la méthode et des hypothèses utilisées. De fait, les prévisions d’inflation du Gouvernement entre septembre 2022 et avril 2023 sont plus élevées pour 2023 (+ 4,9 % au lieu de + 4,2 %) mais moins élevées pour 2024 et 2025 (+ 2,6 % et + 2,0 % contre, respectivement, + 3,0 % et + 2,1 %). – bien que le HCFP estime que ces dernières prévisions sont « un peu sous-estimées » ([139]).

Qui qu’il en soit, le ministère des armées s’est fondé, au moment de la préparation du projet de LPM sur les hypothèses d’inflation les plus crédibles qu’il avait à sa disposition.

Évolution des prÉvisions d’inflation

(en pourcentage du produit intérieur brut)

Prévision

Date

2023

2024

2025

2026

2027

Programme de stabilité 2022-2027

juillet 2022

3,2 %

1,9 %

1,75 %

1,75 %

1,75 %

PLF 2023 –
PLPFP 2023-2027

septembre 2023

4,2 %

3,0 %

2,1 %

1,75 %

1,75 %

Programme de stabilité 2023-2027

avril 2023

4,9 %

2,6 %

2,0 %

1,75 %

1,75 %

Malgré les incertitudes qui pèsent sur son mode de calcul, l’existence même d’une provision pour faire face à l’inflation est un instrument dont ne disposent pas tous les ministères. En outre, pour faire face à une inflation plus forte qu’anticipée sans rogner sur la programmation, le ministère des armées pourra mettre à profit l’ensemble des moyens à sa disposition : redéploiement de crédits en gestion, relâchement du report de charges, marge frictionnelle (voir le A du présent II).

Il n’est pas exclu que l’ouverture de crédits supplémentaires en gestion ou en loi de finances rectificative soit nécessaire, conditionnant de fait le respect de la programmation à des arbitrages politiques et budgétaires. Lors de son audition par la commission des finances, le ministre l’a d’ailleurs ouvertement assumé ([140]). À cet égard, le niveau des crédits additionnels ouverts en 2022 (1,18 milliard d’euros ([141])) et annoncés pour 2023 (1,5 milliard d’euros) peut, à court terme, inciter à l’optimisme. De fait, il n’y a aujourd’hui aucun retard de programme lié à l’inflation.

En outre, le dispositif spécifique prévu pour les carburants opérationnels est reconduit (article 5 du projet de loi, qui reprend l’article 5 de la LPM pour les années 2019 à 2025) : en cas de hausse du prix constaté des carburants opérationnels, la mission Défense « bénéficiera de mesures financières de gestion et, si la hausse est durable, des crédits supplémentaires seront ouverts en loi de finances pour couvrir les volumes nécessaires à la préparation et à l’activité opérationnelle des forces ».

 


2. La provision pour les Opex-Missint en nette baisse

Alors que la Cour des comptes alertait régulièrement sur la sous-budgétisation de la provision au titre des opérations extérieures (Opex) et des missions intérieures (Missint), la LPM pour les années 2019 à 2025 avait augmenté cette provision de manière significative, avec 1,1 milliard d’euros par an entre 2020 et 2023, auxquels s’ajoutaient 100 millions d’euros de crédits de personnel pour les Missint, soit un total de 1,2 milliard d’euros. Cette hausse était essentielle pour éviter que les surcoûts Opex-Missint ne viennent affecter la programmation.

Entre 2018 et 2020, la provision avait permis de couvrir les surcoûts des Opex-Missint avec les seuls crédits de la mission Défense, sans recourir à la solidarité interministérielle. En 2021 et 2022, les surcoûts liés au redimensionnement de l’opération Barkhane au Sahel puis au lancement de la mission Aigle en Europe centrale et orientale ont à nouveau conduit à faire assumer une partie des surcoûts par l’ouverture de crédits supplémentaires compensés par de moindres dépenses sur l’ensemble des budgets ministériels.

L’article 4 du projet de LPM prévoit que la provision au titre des Opex-Missint s’élèvera à 800 millions d’euros en 2024 puis à 750 millions d’euros par an entre 2025 et 2030. La provision diminue donc fortement par rapport aux provisions des années précédentes, et d’autant plus que les dépenses de personnel des missions intérieures y ont été intégrées, conformément à une recommandation de la Cour des comptes ([142]). Le ministère des armées explique la diminution de la provision au titre des Opex-Missint par :

– la fin de l’opération Barkhane et la réduction des engagements des forces armées au Sahel, malgré le renforcement des activités de formation, dans le cadre de nos coopérations structurelles ;

– la moindre intensité des activités engagées en Europe centrale et orientale, dans le cadre du renforcement du flanc Est de l’OTAN, notamment les missions Aigle en Roumanie et Lynx en Estonie ;

– la réduction des besoins liés aux missions intérieures et notamment de l’opération Sentinelle après les Jeux olympiques et paralympiques de Paris en 2024.

La diminution de la provision interroge néanmoins par son ampleur (entre – 30 % et – 40 % par rapport à 2023). Le montant de cette provision ne représente qu’un peu plus de la moitié de la moyenne annuelle des coûts complets liés aux Opex-Missint entre 2017 et 2022, même si elle reste largement supérieure à son niveau d’avant 2018. Dès lors, une incertitude pèse sur d’éventuels besoins récurrents de redéploiement de crédits ou, comme l’indique le rapport annexé, d’ouvertures de crédits supplémentaires, même couverts par la solidarité interministérielle.

Évolution des surcoÛts liÉs aux opex-missint

(en milliards d’euros)

Source : commission des finances d’après Cour des comptes, notes d’analyse de l’exécution budgétaire de la mission Défense pour 2017 à 2022.

3. Le coût du soutien au matériel sous-estimé

Parmi les réserves formulées dans l’acte de certification des comptes de l’État pour 2022, la Cour des comptes ([143]) relève dans les « anomalies significatives » la sous-évaluation des besoins liés au soutien des matériels militaires à hauteur d’au moins 6 milliards d’euros :

– d’une part, la dépréciation des équipements militaires lui semble être sous-estimée d’au moins 3 milliards d’euros ;

– d’autre part, les provisions pour charges de « gros entretiens » et de « grandes visites » lui paraissent également sous-évaluées d’au moins 3 milliards d’euros.

Cette sous-évaluation des dépenses nécessaires au soutien des matériels militaires risque, pour le ministère des armées, de contraindre les acquisitions de nouveaux équipements par rapport à la programmation initialement envisagée.

 


C. Un niveau ÉlevÉ d’engagements non couverts par des paiements

La LPM pour les années 2019 à 2025 s’est accompagnée d’un accroissement significatif des restes à payer ([144]) de la mission Défense, qui sont passés de 52 milliards d’euros en 2017 à 91 milliards d’euros en 2022 ([145]), soit une hausse de 39 milliards d’euros. En y ajoutant les 25,9 milliards d’euros d’autorisations d’engagement affectées non engagées (AEANE) constatés à la fin de l’exécution 2022, le total des engagements non couverts par des paiements atteint aujourd’hui 117 milliards d’euros.

Évolution des restes à payer de la mission DÉfense

(en milliards d’euros)

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

La hausse des restes à payer n’est pas anormale alors que les armées sont engagées dans une phase de reconstruction marquée par des investissements importants. Elle procède notamment de la montée en puissance des grands programmes d’armement (programme 146), qui exigent un niveau élevé d’engagement dans leur phase initiale mais des paiements étalés sur plusieurs années voire plusieurs décennies mais aussi de la verticalisation des contrats de MCO ([146]) (programme 178).

Toutefois, selon la Cour des comptes, les restes à payer, qui représentent 1,8 année de ressources du ministère des armées, « vont préempter une partie des ressources disponibles pour la nouvelle LPM. […] À fin 2022, ils représentent au total plus de 20 % de l’effort budgétaire (prévu de 400 Md€). Si l’on prend en compte les AEANE, ce seraient même près de 30 % de ces ressources qui pourraient être ainsi préemptées » ([147]). Le rapporteur note que la réparation entamée en 2019 est loin d’être terminée et qu’une part non négligeable des crédits de paiement prévus dans la LPM pour les années 2024 à 2030 serviront à couvrir des engagements pris dans le cadre de la LPM pour les années 2019 à 2025. Il rappelle toutefois que ce ne sont pas seulement des crédits de paiement qui vont être budgétés, mais aussi leurs effets et donc des livraisons de matériels qui vont s’opérer.

En outre, un niveau élevé de restes à payer expose la mission Défense au risque d’une rigidité trop forte de la dépense en cas d’aléa. Tant que l’État maintient ou accroît son effort budgétaire, la soutenabilité de la programmation n’est pas menacée. Le risque d’un revirement de la programmation est donc écarté, en tout cas jusqu’aux prochaines élections présidentielle et législatives ; il sera alors de la responsabilité de la future majorité de confirmer la programmation ou de procéder à de coûteuses réductions des cibles et renégociations des contrats. Il n’en demeure pas moins le risque d’une inflation forte et durable susceptible de fragiliser ou de remettre en cause toute ou partie de la programmation ; ce risque devra quant à lui être surveillé.

III.   la nÉcEssitÉ d’un ContrÔle efficace et transparent par le Parlement

Compte tenu de la forte augmentation des crédits prévue dans le projet de LPM pour les années 2024 à 2030, le contrôle du Parlement sur l’exécution de la programmation est essentiel afin d’assurer l’acceptabilité par les citoyens de l’effort budgétaire massif consacré par la Nation au profit des armées.

Dans cette perspective, le projet de loi prévoit chaque année la remise par le Gouvernement au Parlement de trois rapports :

– avant le 30 avril, un rapport sur le bilan de l’exécution de l’année passée de la programmation militaire (article 8) ;

– avant le 30 juin, un rapport sur les enjeux et les principales évolutions de la programmation budgétaire de la mission Défense (article 9) ;

– un rapport spécifique sur les Opex-Missint comprenant un bilan opérationnel et financier (article 4).

Le rapporteur souligne l’économie de ces mesures qui, sous réserve de la qualité du contenu de ces rapports, permettront aux commissions permanentes chargées de la défense et des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat de se prononcer sur l’exécution des crédits de la mission Défense au moment de l’examen du projet de loi de règlement et d’approbation des comptes et de se préparer en vue de l’examen du projet de loi de finances de l’année à venir.

L’article 7 du projet de LPM prévoit quant à lui que la programmation « fera l’objet d’une actualisation avant la fin de l’année 2027 » afin de « vérifier la bonne adéquation entre les objectifs fixés […], les réalisations et les moyens consacrés » et de permettre « une mise à jour des besoins au regard du contexte sécuritaire du moment et des avancées technologiques constatées ». Le rapporteur relève l’engagement du ministre des armées à ce que cette disposition soit appliquée en associant le Parlement autant que possible.

Outre l’actualisation de la programmation prévue avant la fin de l’année 2027, le rapporteur invite également le ministère des armées à une plus grande transparence sur les ajustements annuels de la programmation militaire (désignés sous l’acronyme « A2PM »). Ces ajustements sont inévitables compte tenu des divergences entre le rythme anticipé et le rythme réel d’avancement des programmes d’armement. La Cour des comptes indique d’ailleurs que, lors de la LPM précédente, les redéploiements de crédits ont pu être réalisés sans effet d’éviction sur les autres dépenses prévues ([148]). Il est toutefois nécessaire que le ministère puisse, vis-à-vis du Parlement, documenter précisément le montant et la destination des crédits faisant l’objet de redéploiements.


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE

Lors de ses réunions du mardi 9 mai, mercredi 10 mai, jeudi 11 mai et vendredi 12 mai 2023, la commission examine les articles du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense (n° 1033) (M. Jean-Michel Jacques, rapporteur).

Lien vidéo : https://assnat.fr/yE5Ugr

M. le président Thomas Gassilloud. Avant de commencer, je veux avoir une pensée pour Arman Soldin, le journaliste de 32 ans tué aujourd’hui à proximité de Bakhmout à la suite d’un tir de roquettes. J’assure ses proches de notre soutien. Cet événement tragique nous rappelle les risques encourus par les journalistes. Gardons en tête que derrière chaque article et chaque reportage, il y a des hommes et des femmes qui risquent leur vie au plus près des combats pour nous assurer une information objective.

Je salue aussi les collègues qui ont porté assistance à la fonctionnaire prise d’un malaise cardiaque en séance jeudi dernier : Julien Rancoule, membre de notre commission, et Stéphanie Rist. Cela montre que chacun, avec ses compétences, a un rôle à jouer ; compter parmi nous des sapeurs-pompiers volontaires et des médecins garantit une forme de sécurité.

Cette réunion est historique, puisque nous engageons l’examen du projet de loi relatif à la programmation militaire (PLPM) pour les années 2024 à 2030, alors que les menaces n’ont jamais aussi nombreuses et diversifiées depuis la fin de la guerre froide. Rappelons en ce 9 mai que l’Union européenne a été bâtie sur un idéal de paix ; plus de soixante-dix ans plus tard, et bien qu’imparfaite, elle a tenu cette promesse. Mais aujourd’hui, la guerre interétatique est de retour en Europe, des puissances révisionnistes contestent l’ordre international issu de la seconde guerre mondiale et n’hésitent pas à recourir à la force ou à des stratégies hybrides, de nouveaux espaces de conflictualité émergent : le cyber, les fonds marins, l’espace. Ces menaces nouvelles s’ajoutent aux anciennes, comme le terrorisme international armé ou la prolifération nucléaire, dans un contexte à la fois de mutations technologiques profondes et de dérèglement climatique.

La France n’est pas condamnée à subir ce contexte ; elle a le devoir de le modeler. Nombreux sont les atouts dont elle dispose. Nation archipel de dimension mondiale, elle est ce pays sur lequel le soleil ne se couche jamais. Elle est riveraine de tous les océans, à l’exception de l’Arctique. Elle assume des responsabilités internationales éminentes : membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, membre fondateur de l’Union européenne et de l’Otan, seul État membre de l’Union européenne à être doté de l’arme nucléaire. Elle ne se résout pas au blocage de l’ONU et se mobilise pour que l’Union européenne assume sa puissance et devienne un acteur géopolitique de premier plan. Elle vise un idéal de paix et de renforcement du droit international.

Le présent PLPM, très attendu, fixe pour les sept prochaines années les grandes orientations de notre politique de défense. Notre commission, consciente de ses responsabilités, s’est préparée à son examen. Nous avons réalisé cinq missions d’information, mis en place des groupes de travail, participé à ceux du ministère, organisé plusieurs cycles d’auditions, effectué une vingtaine de déplacements à l’international et quatorze sur le territoire national, eu de nombreuses sessions de travail avec des députés d’autres commissions, lancé des débats citoyens, qui ont rassemblé, physiquement ou en ligne, plus d’un millier de nos compatriotes.

Au-delà de la commission, l’Assemblée nationale s’est saisie du texte. Quatre commissions permanentes ainsi que la commission des affaires européennes ont travaillé dessus, dont deux au fond. L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a présenté aujourd’hui son rapport sur les retombées des lois de programmation militaire (LPM) en matière d’innovation civile. Un débat sur le bilan de la précédente LPM a été organisé en séance plénière la semaine dernière, à l’initiative du groupe Démocrates et apparentés. Plus de soixante auditions ont été réalisées. Des citoyens ont été sollicités pour exprimer leurs idées – je pense en particulier aux membres des Jeunes IHEDN (Institut des hautes études de défense nationale), dont certains sont parmi nous et qui ont produit en à peine dix jours une analyse de grande qualité. Presque 700 amendements sont en discussion.

Ce PLPM se veut à la hauteur des enjeux vertigineux auxquels la France fait face. Ses grandes lignes sont fidèles à notre héritage stratégique comme aux promesses républicaines. Un effort budgétaire considérable de 400 milliards d’euros permettra à nos armées de s’adapter aux évolutions de l’environnement géostratégique, en gagnant en réactivité, en épaisseur et en cohérence, tout en conservant un modèle équilibré qui fournit à notre pays la boîte à outils militaire la plus large d’Europe. Le texte maintient le cap exigeant mais indispensable du renouvellement de notre dissuasion nucléaire, de façon à en assurer la crédibilité. Notre politique de défense ne se résumant pas à sa seule dimension militaire, nous mènerons des travaux complémentaires pour appréhender ces questions de manière globale.

Nos débats, publics, seront suivis par la communauté de défense, par nos alliés, nos compétiteurs et nos adversaires, ce qui nous impose une certaine hauteur de vue et la conscience de la gravité des enjeux. Bref, Monsieur le ministre des armées, vous avez devant vous une commission fin prête pour de riches échanges.

Pour conclure, j’aurai une pensée pour nos militaires engagés en opération, en premier lieu pour l’opérateur des forces spéciales blessé au cours de l’opération Sagittaire, ainsi que pour les civils de la défense et les opérateurs de l’industrie de défense. Le succès militaire de la France repose sur la mobilisation de tous. Nous leur exprimons toute notre reconnaissance – et, à travers la nôtre, celle de l’ensemble des Français.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. À l’heure du retour de la guerre en Europe, avec l’agression russe en Ukraine, de la stratégie de puissance de la Chine, des risques terroristes persistants et de la multiplication des menaces hybrides, chacun d’entre nous a conscience de l’importance des armées pour nous protéger et, quand le besoin s’en fait sentir, faire entendre la voix de la France. « La France ne peut être la France sans la grandeur » disait le général de Gaulle. Lui aussi avait dû faire face à des bouleversements géostratégiques et technologiques majeurs, et il avait choisi d’investir massivement dans le nucléaire militaire au détriment d’autres investissements capacitaires. L’histoire lui a donné raison.

Le présent PLPM a quelque chose de gaullien. L’enjeu est de continuer d’assurer à la France son autonomie d’analyse de décision et d’action sans avoir à dépendre d’un quelconque protecteur et de renforcer son statut de puissance d’équilibre et de pays cadre pour d’autres nations. Les choix que nous ferons durant l’examen de ce texte nous engageront bien au-delà des sept prochaines années, car la défense est une affaire de temps long, notamment parce que les programmes d’armement prennent du temps. Notre responsabilité est grande : nous allons débattre de l’avenir de notre modèle d’armée, des moyens qui lui seront alloués et de la sécurité des générations futures. Soyons à la hauteur de l’engagement de nos valeureux soldats, qui, fidèles à l’histoire et aux valeurs de l’armée française, sont prêts au sacrifice suprême si la réussite de leur mission le nécessite.

J’ai naturellement à cette heure une pensée émue pour toutes celles et tous ceux qui sont morts pour la France, ainsi que pour nos blessés ; je sais que chacun d’entre vous s’associe à cet hommage. Derrière les trajectoires financières et les cibles en matière d’équipements, il y a des femmes et des hommes, qui sont les premières richesses de nos armées. Ne l’oublions jamais. Adopter une loi de programmation militaire, c’est aussi prendre la responsabilité d’un texte qui a des effets directs sur les conditions d’exercice des métiers et sur la vie de plus de 207 000 militaires d’active et 63 000 civils de la défense animés d’un sens de l’engagement profond, ainsi que sur les réservistes.

La LPM qui s’achève a permis de réparer nos armées après des décennies de sous-investissement. L’impulsion donnée en 2017 a engagé une modernisation capacitaire appréciée sur le terrain et a eu des effets positifs sur le quotidien de nos militaires. Nous disposons désormais d’un socle solide pour assurer la montée en puissance de nos armées, comme l’ont souligné nos collègues Yannick Chenevard et Laurent Jacobelli dans leur rapport.

Après le temps de la réparation vient celui de la transformation. Pour ce faire, le présent projet de loi définit plusieurs axes.

La clef de voûte est la modernisation de notre dissuasion nucléaire dans toutes ses composantes et dans une logique de stricte suffisance pour rester crédible.

Ensuite, nos armées doivent être prêtes à réagir de manière rapide et décisive en cas d’engagement majeur. À cette fin, il est prévu de consolider les capacités cruciales pour un conflit de haute intensité, comme l’artillerie lourde, la défense sol-air, les drones, les munitions ou les blindés. Les équipements de nos armées doivent bénéficier du meilleur des ruptures technologiques à venir dans les domaines quantique, de l’intelligence artificielle, de l’hypervélocité et de la connectivité. Nous devons également disposer des systèmes de commandement capables de nous permettre de continuer à jouer le rôle de nation cadre au sein d’une coalition en cas d’engagement majeur. Enfin, il convient de renforcer la cohérence des armées grâce à un soutien logistique et à un maintien en condition opérationnelle de qualité.

Troisième axe, donner à nos armées la capacité de défendre et d’agir dans les champs hybrides : espace, fonds marins, cyber, bulles informationnelles, qui constituent désormais des champs de conflictualité au même titre que la terre, l’air ou la mer. La compétition, la contestation et l’affrontement sont devenus multimilieux et multichamps. Les représentants de tous les états-majors ont insisté sur cette révolution copernicienne.

Quatrièmement, il est plus que nécessaire de renforcer encore la protection de nos territoires d’Outre-mer, sur lesquels les menaces et les pressions de nos compétiteurs stratégiques s’intensifient.

Enfin, il est indispensable que nous entrions dans une logique d’économie de guerre, afin de gagner en agilité de production en cas d’engagement dans un conflit de haute intensité. Pour cela, il convient de consolider les entreprises de la base industrielle et technologique de défense, de disposer d’un maximum de filières d’approvisionnement souveraines et de mieux capter l’innovation dans nos territoires – ce qui sera bénéfique pour eux puisque cela se traduira par la création d’emplois.

Je voudrais vous faire part de mon analyse sur deux points.

D’abord, je me réjouis que, pour concevoir ce PLPM, on n’ait pas déduit un format humain et capacitaire à partir d’une trajectoire financière ; c’est au contraire l’examen approfondi des besoins des armées au regard des objectifs et des menaces qui a conduit à définir une trajectoire financière cohérente, à hauteur de 413 milliards d’euros.

Ensuite, j’estime qu’il est essentiel d’agir concrètement pour la modernisation, la simplification et le fonctionnement de notre appareil de défense. À rebours de la culture du principe de précaution, il convient de valoriser l’audace et la prise de risque. Il faut réduire les normes, simplifier les circuits de décision, faire davantage confiance à l’échelon le plus proche du terrain, dans une logique de subsidiarité. C’est au prix d’un tel changement des mentalités que la transformation des armées engagée par le présent PLPM pourra être pleinement effective.

Je n’ai aucun doute sur le fait que nous serons collectivement à la hauteur des enjeux et que nous ferons de l’examen de ce texte un débat constructif sur notre politique de défense. Sans doute aurons-nous des divergences – peut-être sont-elles nécessaires – mais je sais que chacun d’entre vous sera guidé par une même boussole : l’intérêt supérieur de la nation. Au travail et vive l’armée française !

M. le président Thomas Gassilloud. Nous en venons aux interventions des porte-parole des groupes.

Mme Anne Genetet (RE). Ensemble, le 2 mai dernier, nous avons dressé le bilan de la précédente LPM, en nous appuyant notamment sur l’excellent rapport de deux de nos collègues ici présents. La LPM pour 2019 à 2025 provoquait une « révolution copernicienne » par la double ambition qu’elle portait à l’horizon 2030 : d’une part, réparer nos armées abîmées par des décennies de sous-investissement ; d’autre part, les préparer pour demain, en tenant compte de l’évolution du contexte stratégique et des nouveaux champs de conflictualité. Par cette LPM, notre majorité a engagé une politique de rupture en mettant enfin un terme à l’érosion de nos capacités militaires. Cette double ambition s’est traduite, concrètement, d’une part, par l’augmentation du budget de la mission Défense et de sa part dans les crédits du budget général de la nation, d’autre part, par une exécution budgétaire unanimement saluée. La LPM pour 2019-2025 se présente ainsi comme un gage de confiance et de crédibilité pour la programmation à venir.

Les auditions que nous avons menées nous ont conduits à une appréciation stratégique que je crois partagée. Notre environnement sécuritaire se dégrade, avec le retour de la guerre de haute intensité sur le sol européen, du fait de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, une situation de guerre hybride généralisée, une accentuation de la compétition et de la confrontation stratégique, les défis climatique, démographique, énergétique, alimentaire, l’inflation ou encore la menace nucléaire à des fins d’intimidation. Ce bouleversement de notre environnement stratégique justifie la réévaluation de la LPM en cours, en lien avec les dix objectifs stratégiques identifiés par la revue nationale stratégique 2022. Il justifie de poursuivre la réparation et la montée en puissance de nos armées par un effort de transformation permettant à la France de conserver une supériorité opérationnelle.

Cette trajectoire exige un effort important que la nation est prête à supporter. Il prend en considération deux exigences : d’une part, porter notre défense à la hauteur de nos ambitions, d’autre part, respecter les contraintes budgétaires nationales. Cet effort exceptionnel exige une trajectoire soutenable : programmer moins limiterait notre capacité de défense ; programmer plus mettrait en péril d’autres budgets et d’autres politiques publiques. Le Président de la République a donc arbitré en faveur d’un budget de 413 milliards d’euros, soit une augmentation de 40 % par rapport à la précédente LPM, qui elle-même marquait un effort financier substantiel. Entre 2017 et 2030, le budget annuel des armées aura donc plus que doublé.

Les fondamentaux seront ainsi consolidés, qu’il s’agisse de la protection du territoire, des conditions de vie et de travail des militaires et des civils de la défense, de la prise en considération de la situation de leurs familles, de la mobilisation des réserves, de la cohérence, de la préparation et de la réactivité de notre armée, de la modernisation des capacités opérationnelles ou de la crédibilité de la dissuasion. Cet effort nous permettra également de transformer nos armées, en renforçant notre défense et notre liberté d’action dans les espaces communs et dans les nouveaux champs de conflictualité grâce à des moyens inédits alloués à l’innovation, à l’espace, au cyber, aux drones et à la défense sol-air.

Enfin, le PLPM entend renforcer encore notre autonomie stratégique et notre souveraineté. Le budget des trois services de renseignement placés sous la tutelle du ministère des armées sera porté à la fin de la période à près de 1 milliard d’euros, ce qui permettra d’accroître notre capacité d’appréciation autonome. Dans le contexte du passage à l’économie de guerre, le texte entend également répondre aux défis auxquels est confrontée la base industrielle et technologique de défense (BITD) par des mesures portant sur la sécurisation des approvisionnements critiques, la constitution de stocks stratégiques et la relocalisation de filières de production sur le territoire européen ou national.

La cohérence entre les engagements budgétaires, les moyens déployés et le calendrier retenu rend ainsi la critique en insincérité irrecevable. Dans une démarche de transparence, le détail des ressources allouées à la mission Défense lui confère la visibilité accrue que nous devons à nos armées, à nos industriels ainsi qu’à nos partenaires, parmi lesquels l’Union européenne et l’Otan.

M. Laurent Jacobelli (RN). Dans ses vœux aux armées, le président Macron a dressé une série de constats plutôt justes, reconnaissons-le, concernant notamment le retour de la guerre conventionnelle et la nécessité de transformer nos armées. Il a annoncé en regard un budget de 400 milliards d’euros pour la période 2024-2030. Dont acte.

Force est de constater que, si le PLPM contient de bonnes choses, il comporte aussi des effets d’annonce. La plus grande part des marches budgétaires est reportée à après 2027 – comme c’est curieux ! Il n’est pas assez tenu compte de l’inflation. Les recettes extrabudgétaires annoncées nous paraissent largement surestimées. Cela étant, nous venons de recevoir un courrier du ministre que je lirai avec attention.

Soyons honnêtes : tout n’est pas à écarter dans ce texte. Certaines dispositions nous semblent même aller dans le bon sens. Il en est ainsi de la priorité accordée à la dissuasion nucléaire, engagée sous l’impulsion du général de Gaulle et devenue l’un des piliers de notre souveraineté et de notre défense. Le Rassemblement national militant depuis longtemps en faveur de la sanctuarisation du porte-avions de nouvelle génération indispensable pour garder la maîtrise de notre destin par-delà les océans, nous approuvons le maintien de ce programme.

Sur d’autres points, nous attendons de voir comment vont évoluer les débats. Ainsi, alors que le contexte international nécessiterait de revoir à la hausse le format de nos armées, celui-ci demeure globalement inchangé. Une guerre conventionnelle impliquerait d’importantes pertes humaines et matérielles, tout le monde le sait : pourquoi ne pas préparer nos armées en conséquence ?

Pour justifier ces choix capacitaires, la majorité utilise un élément de langage : la « cohérence ». Mais où est la cohérence quand la marine nationale ne disposera en tout et pour tout que de quinze frégates alors que notre souveraineté est menacée dans l’Indopacifique, quand vous vous entêtez à poursuivre, par pure idéologie, des coopérations industrielles européennes telles que le système de combat aérien du futur (Scaf) ou le système principal de combat terrestre (MGCS), alors qu’elles rencontrent de très graves difficultés, quand certains objectifs de l’actuelle LPM sont décalés ou revus à la baisse alors que les tensions géopolitiques ne cessent de croître, ou quand vous n’excluez pas l’achat de Himars américains pour remplacer les lance-roquettes unitaires et que vous refusez de relancer notre filière de munitions de petit calibre alors même que vous soulignez la nécessité d’une souveraineté de notre défense et d’une relocalisation d’un maximum de filières ?

Au-delà du capacitaire, il y a l’humain. Comme nous l’avons indiqué dans notre rapport, c’est là l’une des carences de la précédente LPM. Notre armée souffre d’un cruel manque de fidélisation. Le plan « famille » est utile mais insuffisant. Ce n’est pas un hasard si un tiers des militaires mettent un terme à leur contrat avant la fin et si un autre tiers ne le renouvelle pas. Les soldes sont insuffisantes. Comment pouvons-nous tolérer que des hommes et des femmes prêts à donner leur vie pour la nation doivent compter sur des primes pour vivre décemment ? La part indiciaire représente 70 % de la solde d’un militaire du rang et 55 % de celle d’un officier général. Nos militaires attendent une politique salariale ambitieuse. La fidélisation requiert une revalorisation substantielle des indices.

De surcroît, les militaires sont logés dans des conditions parfois indignes. Un quart seulement du parc immobilier du ministère des armées est en bon état. Si ce PLPM entend poursuivre les travaux de rénovation, il ne résoudra pas le problème des petits travaux, qui touche durement nos soldats dans leur vie quotidienne : vitres cassées, plomberie défaillante… Les chefs de corps doivent bénéficier d’une enveloppe budgétaire discrétionnaire pour réaliser les travaux de rénovation élémentaires.

Enfin, nous devons garantir à nos soldats un bon niveau d’entraînement. Le recours de plus en plus fréquent à la simulation ne doit pas remplacer les entraînements réels indispensables à la préparation opérationnelle des forces.

Vous le voyez, il y a du travail ! Nous espérons que l’examen de ce PLPM se fera avec intelligence, dans l’écoute des oppositions, et que nos idées et nos amendements seront acceptés. Il y va de l’intérêt supérieur de la nation. Nous verrons comment les débats évoluent. Pour notre part, nous sommes ouverts à la discussion ; nous espérons qu’il en est de même pour vous.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Je me joins aux pensées du président pour nos armées et nos soldats – j’aurai une pensée particulière pour le piroguier du troisième régiment étranger d’infanterie récemment porté disparu au cours d’une mission sur l’Oyapock, en Guyane.

L’examen du présent PLPM intervient alors que se prépare une contre-offensive majeure des Ukrainiens sur le front de l’Est. Aux milliers de morts causés par l’agression russe s’ajoutent les bouleversements dus au changement climatique, le retour de la bipolarisation, la crise financière et l’inflation galopante. Des ruptures technologiques investissent les nouveaux champs de confrontation, comme le cyber ou l’espace. L’heure est grave. L’examen d’un projet de loi de programmation militaire ne peut pas se faire à la légère. Il doit aboutir à une loi de programmation et de planification souveraine, qui donne à la France les moyens de sa défense. C’est pourquoi je regrette la mauvaise qualité de ce texte.

Vous nous fournissez un rapport lacunaire d’une vingtaine de pages, qui présente en quelques lignes seulement plus de 400 milliards de dépenses : ce n’est ni sérieux ni respectueux. Le service national universel (SNU) reste collé comme le sparadrap du capitaine Haddock – sauf qu’il pourrait coûter 1 milliard d’euros par an. Brandir un budget de 413 milliards alors que seulement 400 sont financés, ce n’est pas sérieux. Partir du principe que plusieurs milliards correspondront à des sous-exécutions, ce n’est pas sérieux. Évoquer des besoins mais ne pas s’engager sur les crédits correspondants, ce n’est pas sérieux. Et que dire des reports de charges, des éléments de langage qui évoquent une « trajectoire plancher », abolissant ainsi toute forme de programmation et de planification, de la non-prise en compte de l’inflation qui conduit à prévoir des marches en euros constants inférieures à celles prévues dans la précédente LPM ?

En réalité, le budget de nos armées est en baisse. Quelles leçons tirer de la guerre en Ukraine ? Quel modèle d’armée privilégier ? Nous n’en savons rien. Un catalogue de matériels et de dépenses ne fait pas une vision. Si vous souhaitez nous faire adopter ce projet de loi à la hâte, c’est précisément pour ne pas avoir à respecter la LPM en cours. Le Gouvernement avait expliqué qu’il n’y avait pas besoin de rédiger un nouveau Livre blanc car il n’y avait pas de rupture majeure entre la précédente LPM et la nouvelle. Or il y en a une. Les reports massifs de cibles le démontrent, par exemple la diminution de 30 % de celle du programme Scorpion.

Certes, les sujets que nous défendons depuis des années – le cyber, le spatial, les fonds marins – sont enfin repris mais vos ambitions restent floues. Vous faites du saupoudrage et vous reniez vos choix passés lorsque vous retardez des programmes pourtant majeurs.

Le budget augmente de 40 % mais, au mieux, tout est flou, au pire, on a moins de tout. Même lorsqu’il s’agit de sujets identifiés comme majeurs, c’est plus qu’imparfait. Exemple : le spatial ; avec la suppression du programme Syracuse IV C, on fait reposer notre capacité de communication satellitaire sur un hypothétique programme de la Commission européenne, au détriment d’une solution souveraine. Idem avec la fin de vie annoncée de la composante spatiale optique (CSO) en 2030 : il y aura un trou capacitaire jusqu’en 2032, lorsque le programme français Iris prendra le relais. Ce n’est pas sérieux.

Et que dire des impensés du texte ? Rien sur les cessions d’armement. Quant à la dissuasion, héritage tout autant de la IVe République que du général de Gaulle, les crédits que nous allons voter financeront des équipements qui resteront en service jusqu’à la fin du siècle. Quid de la dissuasion de demain ? Ne faisons pas de la dissuasion la prochaine ligne Maginot. Le projet de loi ne propose rien non plus en matière de rémunération pour fidéliser les militaires du rang, alors qu’un tiers d’entre eux dénoncent leur contrat. Pourtant, il faudra bien des hommes et des femmes pour faire fonctionner notre outil de défense ! Seule une réforme de la part indiciaire de leur rémunération nous permettra de les garder.

La France a un rôle particulier à jouer dans le monde. Nous ne sommes pas une nation occidentale, car nous sommes présents sur tous les continents et dans tous les océans. La France, dotée de l’arme nucléaire et membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, est une puissance indépendante qui doit parler au monde entier et être au service de la paix. Elle doit œuvrer au désarmement nucléaire général et offrir des partenariats à d’autres puissances qui refusent la logique des blocs. Bref, elle doit être non-alignée.

Les enjeux sont immenses. Il importe que nous y répondions au mieux en dotant la France des moyens nécessaires pour sa défense et pour la promotion de la paix. Nous y veillerons.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Dans ce monde particulièrement dangereux, c’est avec un sérieux tout particulier que le groupe Les Républicains entend examiner le présent PLPM. Tout le reste dépendra de ce que nous voterons : sans sécurité extérieure, tout s’effondre.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je pense aux femmes et aux hommes qui sont actuellement en première ligne. De ce que nous déciderons dépendra pour eux la possibilité de remplir la mission pour laquelle ils sont prêts à sacrifier leur vie.

Au nom de notre groupe, je tiens d’abord à saluer l’effort considérable que représente ce PLPM : une augmentation de 40 % du budget, ce n’est pas rien ; 413 milliards, c’est considérable. Je vous félicite aussi pour votre ambition de cohérence. Disposer de chars, d’avions, d’hélicoptères, c’est formidable, mais s’ils restent au hangar ou sont immobilisés au bout de deux jours, cela ne fait pas gagner une guerre – c’est tout au plus rassurant. Il suffit de voir les difficultés rencontrées en matière de logistique durant l’exercice Orion, notamment avec les véhicules dépanneurs de chars à chenilles… Un effort de cohérence est donc nécessaire, surtout si l’on prend en considération les nouveaux champs de conflictualité : le spatial, le cyber, les fonds marins, le renseignement et l’influence.

Je me dois également de constater les limites du projet de loi : si vous répondez parfaitement à l’ambition de la cohérence, la masse n’est qu’insuffisamment traitée. Dans la mission d’information sur la préparation à la haute intensité dont j’ai été le corapporteur avec Patricia Mirallès lors de la précédente législature, nous avions constaté l’existence de quelques trous capacitaires, que cette LPM ne comble pas totalement.

Il faut être modeste : l’effort inscrit dans ce projet de loi est formidable et tranche avec tous les renoncements des décennies précédentes, pendant lesquelles nous avons cru pouvoir encaisser sans rien faire les dividendes de la paix. Tous les partis ont commis la même erreur, et le mouvement ne s’est inversé qu’en 2017 : notre famille politique ne fait pas exception et a, elle aussi, baissé la garde. Néanmoins, les dépenses militaires n’atteindront que 2 % du PIB quand elles s’élevaient en moyenne à 3 % pendant la guerre froide. Un effort est bien accompli, mais nous ne sommes pas à l’idéal auquel nous aspirons pour les armes de la France. Nous sommes néanmoins très conscients de la situation budgétaire du pays : la charge de la dette va représenter 52 milliards d’euros, soit davantage que le budget de la défense des premières marches de la LPM.

Dans ce contexte, il serait irresponsable de se livrer à de la surenchère ; nous agirons avec responsabilité pour parvenir à un équilibre qu’il sera délicat de trouver. Tel est le dilemme de l’action : tout n’est pas noir ou blanc, et nous espérons que nos travaux amélioreront un petit peu cette LPM. Notre groupe examinera le texte avec bienveillance mais vigilance, afin de doter les armées et ceux qui la servent du meilleur outil possible ; nous avons tous ici la responsabilité d’envoyer le bon message à nos compétiteurs stratégiques et à nos adversaires, qui nous surveillent et qui regardent les travaux de cette commission.

Mme Josy Poueyto (Dem). En janvier, lors de ses vœux aux armées, le Président de la République a présenté le budget de la loi de programmation que nous nous apprêtons à étudier, à savoir 413 milliards d’euros sur sept ans ; ensuite, le passage du projet de loi en Conseil des ministres il y a un mois nous a éclairés sur les choix opérés, lesquels ont suscité quelques premières critiques.

Le groupe Démocrate est conscient de l’effort financier important que la nation s’apprête à consentir pour soutenir ses armées. Il ne se compte pas seulement en nombre de chars, d’avions ou de canons dont nous doterons les femmes et les hommes qui se battent pour la France, il s’inscrit dans un modèle d’armée proprement français, reposant sur la dissuasion nucléaire pour assurer notre sécurité et sur la capacité des militaires à se projeter pour défendre nos territoires ou nos intérêts. Cet effort est également le fruit d’un retour d’expérience de la guerre en Ukraine, qui a démontré la supériorité de l’efficacité et de l’ingéniosité sur le nombre.

Avant d’exiger une armée de masse comme si nous nous trouvions aux portes d’un conflit, la France doit se doter d’une armée bien entraînée disposant d’un équipement fonctionnel. Nous saluons en ce sens l’effort effectué pour le maintien en conditions opérationnelles ou pour les munitions. Le rapport d’information de nos collègues Vincent Bru et Julien Rancoule sur les stocks de munitions avait démontré à juste titre l’importance de relancer en France et en Europe la production de munitions ; vous avez d’ailleurs annoncé, Monsieur le ministre, la première réouverture d’un site de production, ce dont nous nous réjouissons.

L’effort que nous consentons a également pour but de permettre à la France de demeurer une nation à la pointe de l’innovation pour les sous-marins ou le futur porte-avions, mais également pour le domaine spatial, le cyber et les drones. Toutes ces évolutions sont nécessaires pour préserver un modèle d’armée adapté au XXIe siècle et celui hérité des dernières décennies, celui d’une France indépendante grâce à sa dissuasion, disposant d’une armée professionnelle et d’une base industrielle et technologique de défense (BITD) de renom.

Une France indépendante n’est pas une France isolée : en cette Journée de l’Europe, comment ne pas saluer les gros efforts réalisés à l’initiative de la France pour enfin donner du corps à l’Europe de la défense ? Avec la Facilité européenne pour la paix (FEP), le Fonds européen de la défense (FED) ou, plus récemment, les achats groupés de munitions, l’Union européenne a su démontrer qu’elle pouvait trouver sa place dans ce secteur ; n’en déplaise à certains, elle constitue une plus-value indispensable pour aider les États européens à demeurer souverains et compétitifs.

Il en va de même pour les programmes d’armement : nombreux sont ceux qui crient au manque d’équipements mais qui souhaitent en même temps que la France développe seule des programmes coûteux, ce qui aurait un impact direct sur les capacités des armées. Oui, nous pouvons et nous devons partager ce qui doit l’être car c’est ainsi que nous bâtirons de l’interopérabilité et que nous contribuerons à renforcer nos alliances et, à terme, nos armées. Il n’est pas toujours facile, pour les collègues obnubilés par les prochaines échéances électorales, d’arriver à penser le temps long.

La fidélisation des militaires est un élément central pour penser l’avenir et atteindre nos objectifs. Je sais que vous y êtes vigilant, Monsieur le ministre, et nous saurons enrichir à bon escient le texte sur ce point. Vous connaissez mon engagement sur la question de la famille et de ceux qui partagent le quotidien des soldats : leur vie est liée à celle des militaires et nous devons leur accorder une attention particulière.

Notre groupe est attaché au renforcement du lien entre l’armée et la nation, auquel le texte consacre un chapitre. La nation doit retrouver le sens de l’engagement, notamment au travers des réserves et, pour les plus jeunes, du service national universel (SNU). L’armée doit, elle aussi, faire un pas vers les citoyens, afin que chacun comprenne les enjeux de la défense ; nous nous y attelons souvent dans cette commission car c’est ainsi que la France saura se montrer résiliente et relever les défis de demain.

Vous pouvez compter sur le soutien total du groupe Démocrate pour garantir le succès de cette loi de programmation militaire.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Le projet dont nous débutons l’examen n’est pas une loi de programmation militaire comme les autres. Nous pourrions avoir la tentation de la percevoir comme une simple actualisation de la LPM précédente, tant sa trajectoire semble davantage marquer une continuité qu’une rupture. Ce projet de loi s’inscrit néanmoins dans un moment de bascule, à cause de l’agression de la Russie contre l’Ukraine, qui fait émerger aux portes de l’Europe une volonté nationaliste et belliqueuse, et de la politique agressive et autoritaire du régime chinois. Alors, l’impensable redevient probable : jamais depuis la fin de la guerre froide, les menaces et les enjeux de la défense nationale n’auront été aussi prégnants. ; jamais depuis longtemps, les choix et les arbitrages n’auront été aussi difficiles. Pour emprunter à Clausewitz, nous pourrions dire que cette programmation militaire est recouverte d’un brouillard épais.

Face à l’incertitude, le groupe Socialistes et apparentés ne souhaite ni éluder, ni refuser les choix ou la discussion car il est conscient des implications concrètes de cette loi pour la nation et pour les armées. Je tiens à saluer au nom de mon groupe l’engagement des personnels civils et militaires des armées, mobilisés dans le territoire national, dans les bases et dans des théâtres d’opérations. Dans le cadre de la LPM, nous souhaitons que soit défini un cap crédible, cohérent et ambitieux pour la défense. Dès lors, nous ne céderons ni à l’urgence du moment en donnant un blanc-seing au Gouvernement, ni à l’obstruction de courte vue. Cette position de responsabilité, c’est celle des socialistes. Groupe le plus ancien de cette assemblée, nous avons accompagné pas à pas et sur le temps long les politiques de défense de notre république ; souvenons-nous de Jaurès et de son modèle d’armée nouvelle et du président Mitterrand : la gauche a une longue histoire avec les armées et mon groupe souhaite y prendre toute sa part.

Depuis le début de cette législature, nous avons suivi avec grande attention l’ensemble des auditions et des conclusions des missions d’information, notamment celles sur la précédente LPM, les stocks de munitions ou les fonds marins. En tant que parlementaires, il est de notre rôle d’interroger les militaires, les personnels civils de la défense et, bien entendu, le Gouvernement pour questionner les choix de ce projet de loi et enrichir celui-ci dans l’intérêt du pays.

Monsieur le ministre, vous avez assuré que vous vous teniez à la disposition du Parlement : nous veillerons à ce que cette proclamation se traduise en actes. Le Gouvernement fixe dans la LPM les priorités des armées, de ses capacités et de ses équipements pour les années à venir face aux grands enjeux du monde ; elle doit traduire un sursaut, déjà annoncé à de nombreuses reprises.

L’augmentation de 30 % du total des crédits semblait prometteuse. Le projet de loi comporte cependant certains défauts majeurs. Tout d’abord, sa préparation ne s’est pas accompagnée de la rédaction d’un Livre blanc, pourtant nécessaire pour ancrer les anticipations et réaliser des choix robustes – nous aurons l’occasion de l’évoquer. Pour la première fois dans l’histoire de l’Assemblée, la conférence des présidents a jugé que l’étude d’impact était excessivement faible et a refusé l’inscription du texte à l’ordre du jour. Ensuite, sa trajectoire budgétaire, censée justifier l’union nationale, souffre d’incertitudes considérables et de limites perceptibles. L’atteinte de la cible des 2 % semble un vœu pieux. Ainsi, dans le détail, la programmation laisse une sensation paradoxale à cause de renoncements marquants et de choix doctrinaires timides voire indécis, malgré un coût élevé.

Nous attendons des débats une discussion constructive et exigeante. Nous avons déposé des amendements pour enrichir nos échanges et nous projeter dans le cycle long de la LPM. L’examen du texte s’inscrit bien entendu dans un contexte social de crise, tendu par certaines positions inflexibles du Gouvernement. C’est pourquoi nous serons particulièrement attentifs à la condition sociale des militaires, laquelle nous semble un enjeu prioritaire du projet de loi.

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). J’ai tout d’abord une pensée pour les femmes et les hommes du ministère des armées et une autre plus grave pour les familles et les proches des militaires tombés en opération mais également pour ceux du journaliste Arman Soldin, tué aujourd’hui près de Bakhmout.

Le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024-2030 représente, pour les armées, un effort budgétaire sans précédent, considérable et pleinement justifié. Considérable, car il porte à 413 milliards d’euros le budget de la mission Défense, pour aboutir à un doublement du budget annuel des armées par rapport à 2017 ; justifié, car il doit prendre en compte la préservation du cœur de notre souveraineté nucléaire, un contexte géostratégique dégradé et la nécessité pour les armées de monter en puissance après leur réparation.

Au-delà de l’effort budgétaire, la LPM propose, pour les armées, un modèle cohérent et robuste, qui s’inscrit dans la lignée des conclusions de la dernière revue nationale stratégique (RNS). Ce modèle est celui d’une armée moderne donnant la capacité à la France d’agir seule ou en coalition avec ses alliés.

Le premier pilier est celui de la modernisation des armées. Notre territoire, nos armées et nos alliés sont sans cesse la cible d’attaques hybrides dans de multiples champs de conflictualité : le spatial, le cyber, les fonds marins et le renseignement sont autant de domaines majeurs qu’il nous faut développer pour pouvoir faire face à ces menaces. Dans le secteur du spatial, les armées doivent pouvoir tirer profit de l’ensemble des innovations et technologies civiles, comme les constellations et les lanceurs réutilisables. Il importe de renforcer la relation de confiance entre, d’une part, les armées et, d’autre part, les industries et les services qui concourent à leur action, comme les opérateurs de satellites. On ne compte plus les attaques cyber contre les services publics, les hôpitaux et les collectivités territoriales. Il a fallu créer une posture permanente sur le cyber, recruter massivement des cybercombattants et renforcer les infrastructures numériques. Le projet de loi renouvelle cet engagement, indispensable pour préserver notre souveraineté et pour participer pleinement à l’ensemble des mécanismes de solidarité cyber qui seront déployés à l’échelle européenne. Le budget consacré au renseignement devrait augmenter de 60 % sur la période, afin de lutter efficacement contre les ingérences et les attaques dans le champ informationnel.

Le deuxième pilier a trait au rôle de la France en tant que puissance crédible au sein de ses alliances. Cela passe par un renouvellement de notre engagement au sein de l’Otan et par une action constante en faveur de l’autonomie stratégique du continent européen, l’une ne pouvant se concevoir sans l’autre.

La guerre d’agression en Ukraine, à quelques heures seulement de Paris, nous rappelle que notre pays n’est pas à l’abri d’un conflit de haute intensité. Sans en tirer de conclusion hâtive, cela doit nous conduire à nous préparer sur deux plans : celui du lien entre la nation et ses armées et celui de l’économie de guerre. Pour renforcer le lien entre la nation et l’armée, le projet de loi de programmation militaire perpétue les engagements à hauteur d’homme, à l’image du deuxième plan « famille » ou des investissements prévus dans les infrastructures et les logements militaires. Il consacre aussi un effort particulier pour les réserves opérationnelles avec l’objectif de doubler le nombre de réservistes volontaires à l’horizon 2030. Pour une économie de guerre, le projet de loi engage un effort particulier sur les munitions, à hauteur de 16 milliards d’euros, et prévoit, dans ses dispositions normatives, une réforme du régime de réquisitions en cas d’urgence et la possibilité de demander à la BITD de constituer des stocks stratégiques et d’accorder la priorité aux commandes nationales.

Nous vous remercions, Monsieur le ministre, d’avoir étroitement associé les parlementaires à la préparation de ce projet de loi de programmation. Nous comptons sur votre détermination pour poursuivre dans cette voie, tant pour l’élaboration des lois de finances annuelles que pour l’actualisation de la LPM – sujet sur lequel nous aurons l’occasion de revenir. Aussi le groupe Horizons et apparentés votera-t-il naturellement en faveur de ce projet de loi de programmation militaire.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). À l’entame de l’examen de ce projet de loi de programmation militaire et alors que nous étions présents hier dans nos circonscriptions pour les cérémonies du 8 mai, je voudrais à nouveau dire notre reconnaissance pour le dévouement et le courage de toutes les femmes et de tous les hommes qui ont choisi de servir au sein de nos armées. En cette Journée de l’Europe au cours de laquelle nous commémorons la déclaration de Robert Schuman qui commence par ces mots « La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent », je souhaiterais saluer les efforts accomplis pendant soixante-treize ans : soixante-treize années pour réaliser et conserver la paix en Europe ; soixante-treize années au cours desquelles des efforts massifs de désarmement ont été réalisés, notre armée s’est professionnalisée et les dépenses militaires ont baissé. Le retour actuel des conflits de haute intensité en Europe nous interroge. Pendant ces soixante-treize années, la France, fidèle à ses valeurs humanistes, a su faire reposer sa politique sur deux piliers : le premier était certes militaire mais le second était la diplomatie. À ce titre, nous regrettons la réforme du corps diplomatique qui continue de démanteler le métier de ceux qui concourent à la force de la parole de la France de par le monde. Je regrette le manque de moyens alloués au Quai d’Orsay, qui ne bénéficie pas, lui, de lois de programmation.

La résurgence de nouveaux conflits asymétriques bouleverse notre environnement géostratégique. En ce sens, il est évident que notre modèle d’armée doit s’adapter. Nous devons repenser notre armée à hauteur d’homme et de femme, en valorisant les conditions d’exercice et en poussant la féminisation et l’inclusivité. L’armée doit pouvoir se reposer sur un socle capacitaire fiable, la guerre en Ukraine ayant confirmé l’importance fondamentale du maintien en conditions opérationnelles. Cependant, la place que continue de prendre la dissuasion nucléaire nous semble tout à fait disproportionnée ; cette position paraît difficilement compatible avec le respect du principe de stricte suffisance auquel la France s’est engagée, notamment vis-à-vis du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP).

Les écologistes sont par ailleurs inquiets de voir que cette LPM continue de placer l’exportation d’armements au cœur de la stratégie française, alors que plusieurs ONG ont émis de sérieuses critiques sur la place des armes françaises dans les répressions opérées par la dictature égyptienne, dans le conflit au Yémen ou celui au Liban. Il est indispensable que ces ventes fassent l’objet de davantage de contrôles : les parlementaires doivent impérativement jouer leur rôle dans ce domaine. Notre modèle de défense ne doit pas devenir une vitrine commerciale pour vendre des armes à des dictatures.

Le changement climatique représente le défi de notre siècle : en 2030, à la fin de la période couverte par la LPM, les émissions de gaz à effet de serre de la France devront avoir baissé de 50 % par rapport à 1990. Pour atteindre cet objectif, tous les secteurs doivent engager un effort massif : la défense peut d’autant moins se soustraire à cette obligation que les armées représentent le premier émetteur de CO2 de l’État.

Les écologistes ont à cœur d’assurer la continuité de l’ensemble des missions de l’État pour tous nos concitoyens. Cela nous conduit à nous interroger sur la viabilité budgétaire du projet de loi que vous nous présentez. Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a indiqué dans son rapport qu’il existait une différence de 13 milliards d’euros entre les besoins programmés et les crédits identifiés. Nous exprimons une vive inquiétude quant à la manière dont cet écart sera comblé : où allons-nous trouver l’argent ? En outre, le HCFP a expliqué que les crédits couverts par les lois de programmation vont croître plus rapidement que le total des dépenses de l’État. Par conséquent, les autres dépenses, à savoir celles qui n’entrent pas dans le périmètre d’une loi de programmation, devront connaître une baisse en volume de 1,4 % entre 2023 et 2027. La contrainte sera alors plus forte que celle connue dans les dernières décennies. Il s’agit, en creux, d’une mise sous pression de l’éducation nationale, des hôpitaux, de la transition écologique et du logement, alors que la France traverse une crise sociale et énergétique particulièrement difficile et que l’inflation précarise chaque jour davantage les foyers les plus en difficulté.

Le groupe Écologiste tient à rappeler la nécessité d’avancer collectivement vers une Europe de la défense, centre de notre autonomie stratégique, garante de la paix et grande absente de ce texte. Alors que la guerre fait rage dans le continent européen, l’incertitude sur les contours du monde de demain grandit : réchauffement climatique, pandémie, nous ignorons l’avenir que nous allons offrir à nos enfants ; je ne souhaite leur laisser en héritage ni une planète détruite, ni une planète en guerre.

M. Fabien Roussel (GDR-NUPES). Permettez-moi de saluer à mon tour l’engagement de nos soldats, prêts à sacrifier leur vie au service de la nation : ils ont besoin de tout notre soutien dans leur mission et ils peuvent compter sur le nôtre.

Ce projet de loi de programmation militaire ne nous convient pas car il consacre un modèle d’armée et une doctrine que nous contestons. Nous ne sommes ni des naïfs, ni des pacifistes béats, et l’évolution des stratégies déployées par les grandes puissances occidentales nous inquiète profondément ; néanmoins, l’obsession d’y répondre en se lançant à corps perdu dans la course aux armements nous préoccupe tout autant. La trajectoire de cette LPM nous conduira à doubler le budget de la défense entre 2017 et 2030 : pour quels objectifs ? Et pour quels résultats ces dernières années ?

Depuis vingt ans, les opérations extérieures que la France a menées, seule ou au sein d’alliances, n’ont réglé aucun des problèmes posés, à commencer par le terrorisme. Elles ont au contraire entraîné une déstabilisation politique, économique et sociale importante, comme en Libye ou en Afghanistan, et même une rancœur à l’égard de nos forces et de notre pays au Sahel. C’est la raison pour laquelle nous ne partageons pas le choix d’une armée de projection puissante et symbolisée par l’investissement dans le porte-avions. Nous doutons de la pertinence de la décision, très coûteuse, de développer un nouveau porte-avions : les compétences exceptionnelles de nos soldats ne sont bien entendu pas en cause, mais nous considérons qu’il serait plus efficace d’investir dans des moyens de surveillance et de protection de l’Hexagone et des territoires ultramarins, dans de meilleurs équipements des soldats et dans des soldes plus élevées.

Nous appelons à un large débat avec les Français sur les choix de notre pays en matière de paix et de sécurité ; sans cela, nous risquons d’avoir, plutôt qu’une guerre d’avance comme le proclame le Président de la République, une paix de retard.

Le projet de loi de programmation militaire défend un modèle d’armée placé sous l’emprise de la dissuasion nucléaire. Le choix d’augmenter la force de frappe nucléaire vampirise l’essentiel des autres moyens d’action. C’est tellement vrai que la mise en service de nombreux équipements, chars, bateaux, avions et drones a dû être reportée au-delà de 2030. Or nos armées ont besoin de moyens pour défendre les intérêts de la France partout où ceux-ci sont menacés, en particulier dans nos zones maritimes et nos zones économiques exclusives (ZEE). D’autres choix sont possibles et même nécessaires pour renforcer nos points faibles, mais nous en sommes actuellement empêchés parce que la LPM est plombée par le tout-nucléaire militaire, dont le coût ne figure nulle part dans le texte, ce que nous déplorons. Nous souhaiterions obtenir des réponses précises pendant les débats. Le seul point de repère, que vous avez confirmé, Monsieur le ministre, est cette part d’environ 13 % prise par le nucléaire militaire dans le budget global de la défense, soit 54 milliards d’euros sur sept ans. Nous sommes opposés à cette escalade, qui entre en contradiction avec la ratification par notre pays du TNP. Mes collègues de Polynésie interviendront d’ailleurs pour rappeler les ravages des essais nucléaires sur l’atoll de Mururoa et exprimeront leur demande de réparation.

Ce projet de loi de programmation nous entraîne vers une militarisation excessive et inédite depuis 1960 de notre pays. La militarisation démesurée de la planète ces dernières années et la dissuasion nucléaire, qui existe depuis des décennies, n’ont pas empêché le déclenchement des conflits extrêmement meurtriers que nous connaissons depuis le début du XXIe siècle. Cela devrait nous faire réfléchir. Voilà pourquoi nous devrions concentrer nos moyens sur la défense de l’Hexagone et des territoires d’Outre-mer, garantir de meilleures conditions de sécurité d’entraînement pour les soldats ainsi que des rémunérations plus élevées et assurer l’indépendance de la filière de défense, y compris par rapport à nos alliés.

M. Christophe Naegelen (LIOT). Face au risque du retour des conflits à haute intensité, une grande partie de nos voisins européens et de nos alliés sont entrés dans une course à l’armement. Les budgets de défense augmentent et la constitution de stocks stratégiques s’accélère : plus qu’une compétition entre voisins, nous évoluons dans un espace international grevé par les concurrences économiques et traversé par des rivalités géopolitiques. La question principale est : sommes-nous à la hauteur ? La quatorzième LPM nous offre l’opportunité de répondre par l’affirmative.

Nous l’avons constaté au fil des auditions de notre commission, il est indispensable de donner un souffle nouveau aux armées pour répondre à ces enjeux. Ne nous y trompons pas, il y aura des arbitrages difficiles et nos choix engageront la nation pour des décennies, bien au-delà de 2030. Notre cap doit être de donner aux militaires des moyens à la hauteur de leur engagement. Le groupe Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires tient à réaffirmer son attachement aux armées et aux soldats, qui assurent notre sécurité au quotidien. L’effort budgétaire de défense est là : 413,3 milliards sur sept ans représentent une somme substantielle, et notre groupe salue cette volonté de transformer nos armées. Cependant, il faut relativiser ces effets d’annonce car ce total reprend une partie des crédits inscrits dans la présente LPM, qui court jusqu’en 2025 et que l’inflation rogne. L’exécution annuelle de cette trajectoire constituera un défi : nous rejoignons pleinement les critiques du Conseil d'État et du HCFP, qui relèvent que les marches annuelles les plus hautes, de l’ordre de 4,3 milliards, sont prévues à la fin du quinquennat, ce qui fait peser de nombreux aléas sur la capacité du Gouvernement à mener à bien une mise en œuvre sincère de cette loi de programmation.

Le cap est ambitieux, mais comment le tenir compte tenu du niveau de la dette et de l’accélération de la hausse des taux, couplés à la dégradation de la note financière de la France par l’agence Fitch ? En outre, notre groupe alerte à nouveau la commission sur le manque d’information sur les 13,3 milliards d’euros de ressources extrabudgétaires. Cette somme est loin d’être négligeable, et nous défendrons des amendements destinés à clarifier la situation et à obtenir une meilleure trajectoire pour les armées.

La mise en œuvre de la LPM devra également être l’occasion pour le Parlement de se réapproprier la défense nationale. Telle est la ligne que notre groupe entend suivre. Nous jugeons insuffisante la clause de revoyure prévue car, en l’état, elle ne se traduirait que par un simple débat. Nous proposerons des amendements visant à imposer une véritable actualisation législative. Dans le même sens, nous soutiendrons des amendements tendant à renforcer le pouvoir de contrôle des commissaires de la défense sur l’action du ministère des armées et sur l’exécution de la LPM.

D’autres mesures appellent des précisions, toujours dans l’intérêt de nos armées et de nos soldats. Je pense en particulier à la clause anti-inflation, censée permettre l’octroi de crédits supplémentaires en cas de hausse du prix des carburants opérationnels ; en l’état, cette clause est obscure et n’apporte pas de réponse efficace. Nous défendrons donc des amendements visant à la renforcer.

Autre sujet qui nous tient à cœur, l’engagement de nos armées dans les territoires ultramarins. Il est nécessaire d’assurer la continuité territoriale de notre défense : ces moyens sont nécessaires pour protéger les citoyens ultramarins et surveiller notre ZEE. Nous invitons le Gouvernement à inclure un angle ultramarin dans la LPM : en dépit des annonces, le rapport annexé est relativement pauvre sur le sujet. Nous saluons le choix de consacrer 13 milliards d’euros sur la période de la LPM à la souveraineté outre-mer, au travers notamment du renforcement capacitaire des forces chargées de cette mission. Nous avons alerté le Gouvernement sur la situation particulière de l’océan Indien : nous appelons à consolider les moyens des forces armées dans la zone sud de cet océan, afin de garantir la protection du territoire et d’assurer la coopération entre La Réunion et Mayotte.

Enfin, les ambitions de la LPM ne pourront être tenues qu’à condition d’offrir un cadre optimal aux armées : notre groupe appelle votre attention sur le déploiement du deuxième plan « famille », qui, présenté en février dernier et doté de 750 millions d’euros, est le grand absent de ce texte ; ce dernier ne le mentionne qu’à une reprise et ne dissipe aucun flou relatif à son enveloppe et à son décaissement annuel. Nous défendrons, là aussi, des amendements visant à combler ce manque.

Cette LPM doit être l’occasion de mettre l’accent sur les droits des militaires : il faut renforcer leurs soutiens mais également mieux communiquer sur ceux-ci. Ces mesures sont loin d’être accessoires car elles permettent de fidéliser les effectifs et de rythmer la vie quotidienne des militaires et de leurs familles. Nous reconnaissons les efforts menés par le ministère sur le sujet, mais nous appelons à les poursuivre et à mieux associer les collectivités locales, afin de répondre plus efficacement aux besoins concrets des familles des militaires.

M. le président Thomas Gassilloud. Nous en venons aux questions des autres députés.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué un montant global de la LPM de 400 milliards. Ce chiffre sera au cœur de nos discussions, d’ailleurs de nombreux collègues en ont déjà parlé. Quelle est la conclusion de votre travail : les crédits inscrits dans cette LPM atteignent-ils 400 ou 413 milliards ?

Pouvez-vous nous éclairer sur la ventilation des crédits ? Comment sont présentés les patchs ? Certains d’entre eux ne comportent-ils pas des dépenses déjà inscrites ailleurs, par exemple dans les domaines cyber et spatial ?

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées. Je ne vais pas vous présenter le texte considérant que la méthode que nous avons collectivement retenue – et que plusieurs orateurs ont saluée – repose sur un cycle préalable d’auditions suffisamment approfondi et documenté ; nous avons ainsi présenté à plusieurs reprises le projet de loi et répondu à l’ensemble des questions qui nous ont été posées.

Je remercie les députés qui se sont rendus sur le terrain, notamment dans le cadre des exercices Orion que vient d’évoquer M. Thiériot : le contact avec les forces permet de comprendre des éléments auxquels un rapport annexé et un texte ne donnent pas accès.

À vous écouter, je comprends que certains aspects du projet de loi de programmation demandent plus de pédagogie pour expliquer les choix qui ont été retenus – libre à vous ensuite de les partager ou non. J’aimerais revenir sur une phrase que certains d’entre vous ont prononcée : il n’y a pas de rupture majeure dans cette LPM. Quelles ruptures majeures proposez-vous ? Le Président de la République, le Gouvernement et la majorité présidentielle ne proposent pas de rupture majeure dans notre modèle de défense. Des transformations sont prévues, mais pas de rupture : ce point est important, notre orientation est claire, même si elle suscitera des oppositions parmi certains d’entre vous.

Certaines approches politiciennes rendent un peu vaines les démonstrations sérieuses et techniques. Il y a toujours eu des marges frictionnelles, des reports de charges et des recettes extrabudgétaires au ministère des armées : mal m’en a peut-être pris d’en faire état, peut-être aurais-je dû afficher le montant de 413 milliards sans vous montrer la construction de ce montant. Depuis que le ministère des armées, sur décision du Parlement, a des recettes extrabudgétaires, toutes les programmations militaires ont reposé sur un montage identique. Le mobile de cette interrogation est peut-être politique et vise à atténuer l’effort que le Gouvernement propose, par exemple en découvrant l’inflation, qui a toujours été présente dans les programmations militaires des années 1960 et 1970.

Par ailleurs, le ministère des armées est le seul qui dispose d’outils permettant de réguler l’inflation. Il est frappant de constater que l’on pose peu de questions au ministre de l’intérieur à propos de l’impact de l’inflation sur le plan de construction de brigades de gendarmerie et de commissariats, ou au garde des Sceaux sur la construction de prisons. Le projet de loi de programmation militaire, lui, contient des mécanismes prenant en compte les effets de l’inflation.

Le groupe Démocrate avait souhaité consacrer une séance de contrôle à l’exécution de la LPM. Certes, aucune programmation n’est parfaite, mais tous les groupes politiques ont souligné que, s’agissant de l’exécution à l’euro près, une volonté politique existait.

Il est vrai que la programmation que nous vous proposons court jusqu’en 2030. Il faut donc assumer le fait que nous programmons pour une partie d’un quinquennat durant lequel Emmanuel Macron ne sera pas Président de la République. Cela renvoie au niveau de confiance que l’on aura dans les candidats à l’élection présidentielle… En outre, vous ne serez pas la première génération de parlementaires à établir une programmation à cheval sur deux mandats présidentiels.

La discussion d’une LPM est un beau moment pour le Parlement. Notre constitution est très équilibrée en la matière : voulue par un militaire, elle n’en a pas moins consacré la primauté du politique. Un grand nombre des choix transcrits dans le texte ont été faits par nos armées elles-mêmes. Par exemple, vous opposez la cohérence et la masse, mais l’équilibre proposé résulte d’un choix des états-majors, que j’endosse politiquement. Le rôle de chacun est clairement défini, qu’il s’agisse de celui du Président de la République, chef des armées, de celui du Gouvernement ou de celui du Parlement. À cet égard, les parlementaires ont beaucoup plus de poids que certains veulent bien le dire ou le croire.

Je ferai preuve d’une grande ouverture en ce qui concerne les clauses de revoyure et la manière dont le Parlement pourra contrôler la programmation. À la demande du Conseil d’État, nous avons retiré du texte les mesures que nous avions imaginées en matière de contrôle. Le Conseil a considéré, en effet, que c’était au Parlement qu’il revenait de faire des propositions sur ce point. Quoi qu’il en soit, le principe est acquis ; il conviendra de trouver des solutions, et, à cet égard, votre rapporteur a des propositions.

Ce débat constitue également un moment de vérité politique – je le dis sans esprit de polémique. En vous écoutant, je suis intrigué et intéressé : certaines sensibilités politiques défendent un modèle cohérent, quand d’autres avancent masquées, sans s’en prendre frontalement à notre modèle d’armée mais en attaquant la dissuasion nucléaire et nos alliances militaires et diplomatiques. Quelle diplomatie, quel rapport aux autres proposent-ils ? La défense est un sujet relatif : il s’agit de traiter des menaces.

Je l’ai dit publiquement au Sénat, puis dans l’hémicycle, et je le redis devant vous, Monsieur Roussel : je ne suis pas d’accord avec vos propositions, mais, depuis les années 1960, le Parti communiste français est cohérent. Vous avez le mérite de la franchise, y compris en ce qui concerne la dissuasion, et je vous en remercie.

Chez d’autres, j’observe la tentation de s’attaquer à la copie par le détail. Loin de moi l’idée de considérer que les détails ne sont pas importants : le diable peut s’y nicher. Nous aurons tout le temps de les examiner et de répondre aux critiques. Mais il ne faudrait pas que cela nous amène à négliger ce qui constitue l’essentiel en matière de défense nationale.

En vous écoutant, Mesdames et Messieurs les députés de la NUPES, je me dis que les enjeux de défense n’ont pas dû faire partie du projet d’alliance, car les positions de vos groupes ne sont pas les mêmes. C’est intéressant du point de vue de la transparence démocratique, car lorsque les électeurs se sont prononcés, ils n’avaient pas forcément conscience d’un décalage aussi important : certains d’entre vous sont très atlantistes, d’autres ne le sont pas du tout – c’est le moins que l’on puisse dire. Ce n’est pas une provocation de ma part : ce constat est factuel. Si je me trompe, je serai heureux que vous m’expliquiez où est la cohérence entre vos positions.

Nous sommes là pour parler de choses militaires. Souvent, les questions budgétaires dominent, et c’est bien naturel. Néanmoins, si j’en juge d’après la manière dont certains amendements sont rédigés, l’un des principaux risques du débat qui s’annonce me semble être de ne pas parler des finalités militaires. Les tableaux capacitaires, les reports de charges et les marges frictionnelles peuvent occulter la vraie finalité attendue d’une loi de programmation militaire, c’est-à-dire l’effet militaire recherché. À ce propos, il ne faut pas négliger la cohérence : s’il y a un retour d’expérience important de la guerre en Ukraine, c’est bien le fait que des armées manquant de cohérence dans leur organisation sont en échec sur le terrain.

Dans le contexte actuel, nous devons prendre des risques, faire des paris militaires et industriels. La programmation n’est pas une science exacte. Je sens bien, par ailleurs, qu’il y a désormais une forme d’aversion au risque. Souvenons-nous qu’il a fallu du courage pour présenter, en 1960, une loi de programme posant le principe la dissuasion nucléaire. Certes, sous la IVe République, Pierre Mendès France, quand il était président du Conseil, avait posé les jalons de l’organisation du Commissariat à l’énergie atomique, mais les grands programmes ont bel et bien été lancés en 1960, avec une incertitude majeure et face à une opposition internationale plus que farouche. Les gaullistes, en majorité relative, ont dû affronter l’ensemble des autres sensibilités politiques du Parlement. Il apparaît que celles-ci ont eu tort – M. Roussel ne sera pas d’accord avec moi sur ce point, évidemment. Quoi qu’il en soit, c’est donc un moment de responsabilité pour chacun d’entre nous, au-delà des stratégies politiques de court terme : il y a là un enjeu historique pour la nation tout entière.

Avec l’ensemble des équipes du ministère, nous serons à votre disposition pour améliorer autant qu’il le faut le texte, sans esprit clanique ou partisan. La défense nationale doit nous permettre, non pas d’être d’accord – puisque, depuis les années 1960, il n’y a pas de consensus –, mais de faire converger autant que possible, dans la plus grande transparence, nos aspirations en matière de sécurité de la nation.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Le mot « cohérence » est souvent revenu dans le débat. De fait, la cohérence est nécessaire, sur le plan capacitaire et sur le plan politique. M. le ministre l’a souligné : si nous étions en guerre, que pourrait faire un gouvernement dont la politique de défense serait dépourvue de cohérence ? La question se pose de façon particulièrement aiguë pour les partis, représentés ici, qui aspirent à exercer le pouvoir.

S’agissant de cohérence, il est important de bien comprendre la méthode utilisée : plutôt que d’aligner des moyens capacitaires, le ministère a défini son ambition pour le pays et s’est fixé des objectifs. Il était d’autant plus pertinent de procéder de la sorte que nous n’avons pas une armée de défilé : l’armée française fait la guerre. Cela suppose des moyens adaptés et des investissements. À cet égard, et même s’il n’y a jamais assez de moyens, le projet de LPM est généreux : 113 milliards sont prévus pour les capacités militaires.

Avoir une armée capable de faire la guerre suppose de maîtriser aussi bien l’espace que les troupes au sol. À cette fin, 6 milliards seront consacrés aux investissements dans le spatial. Celui qui tient l’espace possède du renseignement lui procurant une analyse précise de la situation, ce qui est très important pour une nation comme la nôtre, qui est une puissance d’équilibre souhaitant conserver sa capacité de décision souveraine.

La cohérence passe par des investissements substantiels, y compris dans les technologies innovantes. En effet, l’une des leçons de la guerre en Ukraine est qu’il ne suffit pas d’aligner des blindés : encore faut-il qu’ils soient en mesure de tirer les premiers et d’atteindre leur cible, ce qui suppose que l’on soit en mesure de localiser l’adversaire.

La formation des soldats est aussi très importante. À cet égard, le projet de LPM prévoit 97 milliards pour les ressources humaines.

La fonction de soutien, dont nous avons vu l’importance en Ukraine – les troupes russes sont en difficulté car cette fonction leur fait défaut –, bénéficie de 18 milliards.

Le maintien en condition opérationnelle (MCO) augmente pour sa part de 40 % par rapport à la précédente LPM, pour atteindre 49 milliards.

L’examen des amendements nous permettra de développer les questions budgétaires, capacitaires et surtout humaines.

M. le président Thomas Gassilloud. Comme il est d’usage avant d’entamer l’examen des articles, je vous donnerai quelques éléments statistiques concernant la recevabilité des amendements déposés.

Quatre-vingt-cinq ont été déclarés irrecevables, soit 12,5 % du nombre total. Treize l’ont été d’emblée car ils constituaient des doublons. Un autre, relatif à l’article 3, était inopérant. Deux portaient sur les articles 33 et 35 du projet de loi, dont l’examen au fond a été délégué à la commission des lois. Quarante ont été déclarés irrecevables par le président de la commission des finances car ils instituaient une charge supplémentaire. Vingt-huit constituaient des cavaliers législatifs.

Par ailleurs, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, tout amendement doit pouvoir se rattacher au contenu d’un article du projet de loi : le simple fait qu’il porte sur un sujet évoqué par le texte ne suffit pas à rendre un amendement recevable.

Enfin, le Conseil constitutionnel censure d’office les cavaliers législatifs. Une attitude trop légère de ma part n’aurait donc pas permis pour autant la traduction législative de vos intentions.

J’interromps nos travaux quelques minutes pour permettre à ceux de nos collègues qui le souhaitent d’aller dans l’hémicycle pour voter.

La réunion est suspendue de vingt-deux heures vingt-cinq à vingt-trois heures cinq.

 

TITRE Ier dispositions relatives aux objectifs de la politique de défense et à la programmation financière

 

Article 1er : Programmation

 

 

Amendement DN300 de M. Bastien Lachaud.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Si un bouleversement complet de la situation géopolitique est intervenu, si la guerre en Ukraine exige des mesures d’urgence, il faut travailler à un Livre blanc et repenser le modèle de fond en comble. Si, au contraire, il n’y a pas péril en la demeure, pourquoi interrompre la LPM en cours ? La question mérite d’autant plus d’être posée que les documents stratégiques qui nous sont fournis sont relativement bâclés et que le rapport annexé, éthique, ne compte qu’une vingtaine de pages.

Le projet de LPM arrive soit trop tôt soit trop tard. C’est pourquoi nous vous proposons de modifier son cadrage temporel : la loi couvrirait les années 2026 à 2032, ce qui permettrait d’aller au bout de la loi précédente.

Si vous avez choisi d’engager de manière anticipée une nouvelle LPM, c’est manifestement pour vous autoriser à ne pas respecter celle qui est en cours. Les cibles ont été repoussées et les marches sont les mêmes. Les objectifs, quant à eux, ne suivent pas. En outre, l’absence de compensation de l’inflation pose problème.

Pour ces raisons, nous vous proposons de remettre l’ouvrage sur le métier et de vous donner le temps de travailler à une nouvelle LPM.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Le projet dont nous discutons est bien calibré par rapport aux besoins. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Avis défavorable également.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). J’espère que nous n’aurons pas droit à des avis aussi courts pour l’ensemble des amendements : ce serait une mauvaise manière d’engager le débat, alors que chacun souhaite que celui-ci soit constructif.

Vous l’aurez compris, il s’agit d’un amendement d’appel. C’est un moyen de vous interpeller une nouvelle fois, car nous n’avons pas obtenu de réponse. Si une rupture majeure est intervenue, il faut changer les choses en profondeur, ce qui suppose un Livre blanc – la revue nationale stratégique, publiée en novembre dernier, n’est pas suffisante. Dans le même temps, il faudrait prévoir bien plus que 3 milliards, d’autant que cette somme, du fait de l’inflation, est inférieure à ce qu’elle représentait en 2018. Si, en revanche, il n’y a pas eu de rupture et que des moyens supplémentaires ne sont pas nécessaires, pourquoi engager une nouvelle LPM ? Il y a là une incongruité. Nous comptions sur votre travail, Monsieur le rapporteur, pour nous expliquer ce qu’il en est.

M. Laurent Jacobelli (RN). Cette juxtaposition de deux LPM pose effectivement question. Espérez-vous faire oublier ainsi d’autres événements de l’actualité ?

Quoi qu’il en soit, cet amendement ne réglerait pas le problème : si on décalait seulement la programmation dans cet article mais pas dans la suite du texte, cela ne fonctionnerait pas. Certes, ses auteurs ont voulu faire passer un message, mais cette proposition n’a pas d’autre valeur, et ils le savent très bien. Nous y sommes donc défavorables.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). S’agissant d’un texte aussi grave, il faut éviter de faire de l’agit-prop. Personne ne croit une seule seconde que nous allons faire passer la programmation à 2026-2032. Nous avons bien entendu qu’il s’agissait d’un amendement d’appel, mais pensez aux soldats qui nous regardent : ce que vous proposez n’est pas très sérieux.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Le projet de LPM a été construit selon une méthodologie sérieuse, et la revue nationale stratégique a été nourrie de nombreuses réflexions. Votre propos balaye l’ensemble de ce travail. Je réitère donc mon avis défavorable, tout en me réjouissant des débats constructifs que nous aurons sur l’ensemble du texte.

M. Sébastien Lecornu, ministre. S’il s’agit d’un amendement d’appel, je le prendrai comme tel, tout en partageant le point de vue de M. Thiériot : personne ne croit un seul instant, étant donné le contexte et la nécessité d’asseoir la sécurité collective, qu’il n’y a pas lieu d’établir une programmation militaire.

Par ailleurs, le Président de la République a été réélu l’an dernier. Des élections législatives se sont également tenues ; votre mandat en est issu, avec la légitimité qui s’ensuit. Il me semble donc sain que le Parlement s’exprime sur les orientations à venir.

Enfin, vous faites mine de vous interroger sur une éventuelle rupture et sur l’urgence d’élaborer un nouveau texte, mais ce que vous voulez, en réalité, c’est remettre en cause notre modèle en matière de défense. C’est votre droit le plus strict, mais alors il vous revient de présenter clairement celui que vous souhaitez à la place. Ce sera un débat noble et intéressant sur le plan intellectuel. Depuis le début des auditions, vous tournez autour du pot. Je préfère que nous nous disions les choses avec franchise. Oui, le texte reflète un certain modèle d’armée – je fais suffisamment référence aux années 1960 pour que chacun ait compris que c’est à cette époque qu’il trouve ses racines. Certaines transformations sont indispensables, mais dans un cadre connu. Il n’y a pas de surprise. Ces transformations sont, pour nombre d’entre elles, dictées par la géopolitique, par les sauts technologiques et par la nécessité de maintenir une cohérence, de manière à obtenir des effets militaires réels.

Plutôt que des amendements visant à souligner telle ou telle incohérence dans notre projet, je préférerais des propositions traduisant concrètement le programme de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle. Cela nous permettrait d’acter par des votes nos accords ou nos désaccords. Cette démarche serait saine et démocratique.

La commission rejette l’amendement.

Amendements identiques DN816 de M. Jean-Michel Jacques et DN119 de M. Jean-Pierre Cubertafon.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. L’amendement DN816 vise à insister, à l’instar de la LPM 2019-2025, sur le fait que le titre Ier contient des dispositions relatives non seulement à la politique de défense et à la programmation financière, mais également à leur contrôle et à leur évaluation par le Parlement.

M. Jean-Pierre Cubertafon (Dem). L’amendement DN119 a pour objectif d’assurer une cohérence avec le texte de la précédente LPM et d’enrichir le projet d’un dispositif de contrôle parlementaire. Cet instrument essentiel permettra à la commission d’apporter sa contribution au suivi de la bonne exécution de la loi. Il s’agit d’associer davantage les parlementaires à la conception, à la décision et à l’évaluation des politiques publiques, conformément aux articles 24, 47-2, 48 et 51-2 de la Constitution.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Avis favorable.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). On peut être tatillon, Monsieur Thiériot – comme quand l’on se demande s’il convient d’écrire le mot « équilibres » au pluriel dans le rapport annexé –, ou déposer des amendements d’appel sans pour autant verser dans l’agit-prop ou dans le comique troupier.

Vous devez répondre, Monsieur le ministre, à la question de la nécessité et de l’urgence d’une nouvelle LPM. En l’occurrence, il n’y a pas d’urgence, vos propos en témoignent.

Par ailleurs, vous ne pouvez pas vous défausser sur nous en nous sommant de proposer un plan B. Contrairement à vous, nous ne disposons pas d’une administration et d’un cabinet ô combien compétents. Nous sommes des gens humbles et sérieux ; nous proposons les linéaments d’un grand projet, nous posons de grands principes. Vous avez raison : sur certains points, nous ne serons pas d’accord. Mais il n’est ni sérieux ni respectueux de prétendre que nous devons vous présenter un plan alternatif achevé et chiffré, comme vous êtes, de votre côté, dans l’obligation de le faire.

Par ailleurs, si la loi doit être révisée à chaque élection présidentielle, comme vous le suggérez, je vous invite à modifier dès maintenant la période prévue pour la programmation, puisque, quoi qu’il arrive, il y aura un nouveau Président de la République en 2027, conformément à la Constitution.

Vous le voyez, vos arguments n’étaient pas très étayés. Sur le fond, ces amendements identiques ne nous posent pas de problème : nous sommes évidemment favorables au contrôle parlementaire.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). J’espère que la prochaine LPM fera l’objet d’un véritable contrôle parlementaire. La loi actuelle comportait l’engagement qu’un vote aurait lieu s’agissant de son adaptation. Or tel n’a pas été le cas. Nous serons très vigilants sur ce point et nous comptons sur vous, Monsieur le ministre.

M. Loïc Kervran (HOR). Nous sommes très favorables à ces amendements.

Je tiens à relever une forme d’incohérence chez certains de nos collègues : on ne peut pas, d’un côté, demander davantage d’implication du Parlement, y compris par des clauses de revoyure, et, de l’autre, refuser une nouvelle LPM alors que la précédente a été votée il y a plus de cinq ans.

La commission adopte les amendements.

 

La commission adopte l’article 1er modifié.

 

Après l’article 1er

 

Amendements identiques DN817 de M. Jean-Michel Jacques et DN120 de M. Jean-Pierre Cubertafon.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. L’amendement DN817 vise à distinguer, au sein du titre Ier, d’une part, les dispositions relatives aux objectifs de la politique de défense et à la programmation financière, qui feront l’objet d’un chapitre Ier, et, d’autre part, celles relatives au contrôle parlementaire, qui feront l’objet d’un chapitre II. Cette distinction était déjà retenue dans la LPM 2019-2025.

M. Jean-Pierre Cubertafon (Dem). L’amendement DN120 a lui aussi pour objet d’intégrer, comme c’était le cas dans la précédente LPM, un chapitre consacré au contrôle parlementaire de l’exécution. Cela suppose de créer deux chapitres distincts au sein du titre Ier.

La commission adopte les amendements.

 

Article 2 : Approbation du rapport annexé

 

Amendement de suppression DN301 de M. Aurélien Saintoul.

Mme Martine Etienne (LFI-NUPES). Le rapport annexé est à l’image de l’étude d’impact : il est insuffisant, non chiffré, les dépenses ne sont pas fléchées et les objectifs énoncés sont flous et inadaptés. Ce rapport est symbolique du mépris du Gouvernement envers le Parlement : alors qu’il s’agit de 413 milliards de dépenses publiques, nous ne savons pas à quoi cet argent sera destiné. Même si cela peut paraître évident, il est bon de rappeler que les députés doivent savoir à quoi serviront les crédits qu’ils programment. En l’occurrence, le texte ne contient aucun fléchage des dépenses en matière de ressources humaines, aucune justification des marges budgétaires prévues, aucun chiffrage des nouveaux investissements et des grands objectifs énoncés.

Les informations données par le ministre sur son compte Twitter sont plus précises que celles contenues dans le rapport. On trouve davantage de chiffres en allant faire un tour sur Twitter qu’en passant toute une matinée en commission à auditionner les personnes concernées par certaines lignes budgétaires. Les seules informations vraiment précises sont celles qui concernent les renoncements, les reports de programmes et les annulations de commandes.

Une loi de programmation militaire est bien trop importante pour se transformer en opération de communication gouvernementale. Cet amendement vise donc à supprimer le rapport annexé pour en avoir un autre, plus précis et sur lequel le Parlement pourra s’appuyer pour établir une vraie loi de programmation des dépenses publiques pour nos armées.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Ce rapport a beau être concis, il est très riche. On y retrouve l’ensemble du raisonnement qui a été mené, consistant à partir des besoins des armées. Du reste, rien ne nous empêche d’amender le texte. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Le rapport annexé est bien plus précis que la plupart des lois de programme et de programmation de la Ve République, sans pour autant verser dans le bavardage, ce qui serait inapproprié. Cela ne veut pas dire que la navette parlementaire ne l’enrichira pas – ce à quoi nous allons nous employer dès maintenant, et c’est une bonne chose.

Par ailleurs, il ne faudrait pas entretenir, vis-à-vis de celles et de ceux qui nous écoutent ou nous regardent, la confusion entre loi de programmation et loi de finances, et vouloir faire dire à la première ce qui relève des programmes et des missions budgétaires de la seconde. En tant que parlementaires, vous restez souverains en ce qui concerne l’ouverture de crédits en loi de finances – du reste, c’est le problème qui s’est posé avec les lois de programmation du passé, qui faisaient l’objet d’une sous-exécution.

Enfin, Monsieur Saintoul, je maintiens qu’il vous revient d’exposer le modèle d’armée que vous souhaitez. On ne peut pas appeler à rompre toutes les alliances et remettre en cause la dissuasion nucléaire sans en tirer les conclusions. Ce ne sont pas là quelques griffonnages en plus ou en moins : c’est un changement de paradigme. Ne cherchez pas à tirer argument du manque de sérieux supposé du rapport annexé. Ce ne sont pas le ministre et son cabinet, si compétent soit-il, qui l’ont rédigé : c’est le fruit d’un travail collectif, que je défends, mené par le secrétariat général pour l’administration, la direction générale de l’armement (DGA) et les états-majors. Avis défavorable.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Pas de faux procès, s’il vous plaît ! Nous ne remettons absolument pas en cause la qualité du travail de l’état-major des armées et des services du ministère. C’est un texte politique que vous présentez : vous ne pouvez pas vous abriter derrière le travail de vos fonctionnaires. C’est vous qui avez choisi ce format. Vous l’assumez, dites-vous ; tant mieux.

Quand nous serons aux responsabilités, le rapport annexé aux LPM sera beaucoup plus précis et détaillé. En ce qui concerne nos propositions, ne vous inquiétez pas : vous en prendrez connaissance dans la suite du débat et plus encore en séance.

Je relève une contradiction dans vos propos. Vous venez de dire que cette loi de programmation n’est pas engageante car les parlementaires pourront faire ce qu’ils jugent bon en loi de finances initiales. Dans ce cas, pourquoi avoir besoin aussi vite d’une nouvelle LPM ? Pour augmenter le budget des armées de 1,5 milliard dès cette année, vous auriez pu recourir à une loi de finances rectificative. Il n’y avait donc pas d’urgence à revoir la LPM : il était possible de prendre le temps d’élaborer un rapport annexé beaucoup plus conforme à ce que devrait être un tel document. Si notre amendement de suppression est rejeté, nous essaierons de compléter ce rapport.

Quant à la question du nucléaire, je ne sais sur quel ton vous le dire : nous ne nous sommes jamais opposés au vote des budgets de la dissuasion et n’avons jamais remis en question ce principe.

M. Christophe Blanchet (Dem). Dans l’exposé sommaire de leur amendement, nos collègues écrivent : « le rapport n’explique en rien à quoi cet argent sera destiné ». Il suffit pourtant d’ouvrir le rapport pour trouver toutes les explications chiffrées, aux alinéas 38 et suivants : « Innovation : 10 milliards », « Espace : 6 milliards », « Drones et robots : 5 milliards », « Défense Surface-air […] : 5 milliards », « Souveraineté outre-mer : 13 milliards », « Renseignement : 5 milliards », « Cyber : 4 milliards », « Forces spéciales : 2 milliards », « Munitions : 16 milliards » – et tous les détails suivent.

M. Laurent Jacobelli (RN). Je tiens à vous dire que si nos rangs sont vides, c’est parce que certains députés de la majorité ont cru bon de déposer une proposition de loi complètement inutile au moment même où nous discutons du projet de LPM : ils veulent accrocher le drapeau de l’Union européenne – qui n’en est pas un – sur le fronton des mairies, et nous ne pouvons pas les laisser faire.

Pour en revenir au texte, le rapport annexé pose en effet des questions et suscite des frustrations, mais il vaut mieux l’amender : si nous supprimions purement et simplement l’article 2 et l’annexe qui va avec, nous n’aurions plus de base pour nos discussions. Or nous sommes ici pour débattre de l’avenir de nos armées. Nous nous efforcerons donc, pour notre part, de corriger ce qui ne nous plaît pas dans le rapport – en espérant que la majorité ne s’oppose pas, une fois de plus, à tout ce que nous proposons.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN299 de M. Aurélien Saintoul.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Cet amendement vise à préciser que le rapport « tente » de traduire les orientations budgétaires en besoins programmés et en ressources budgétaires jusqu’en 2030 – car il ne le fait qu’imparfaitement.

À ce propos, je voudrais revenir sur les patchs, que M. Blanchet a jugés si précis. Les 6 milliards consacrés au spatial bénéficient en tout et pour tout de cinq lignes d’explication. J’aurais préféré, pour ma part, un peu plus de précisions ! Par ailleurs, certains patchs sont cumulatifs : une partie des sommes engagées se trouvent dans plusieurs d’entre eux. Or cela n’est pas précisé dans le rapport. Certaines dépenses relevant du patch Outre-mer, par exemple, sont comptabilisées dans d’autres patchs. Voilà qui montre que le texte est flou. Je ne dis pas qu’il y a là une volonté de tromperie, mais le texte manque de précision. Je compte sur le débat parlementaire pour clarifier ces éléments.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Vos critiques à l’égard du programme d’équipement sont injustifiées : plus de 100 milliards sont consacrés aux programmes à effet majeur, par exemple, en hausse de plus de 70 % par rapport à la précédente LPM. Les investissements sont donc importants.

En ce qui concerne les patchs, je vois bien ce que vous voulez dire. D’une façon générale, les capacités sont partagées – l’espace et l’informatique, par exemple, sont utilisés par tout le monde. Vous essayez de relativiser les éléments inscrits dans le rapport ; nous n’entrerons pas dans ce jeu. Les chiffres ont été fournis, le rapport annexé est riche et précis. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Avis défavorable. Le spatial est un mauvais exemple. Un tableau précise les capacités prévues en la matière. Nous reviendrons sur ce point lorsque nous aborderons le contenu du rapport annexé, et nous pourrons ainsi répondre à vos interrogations.

Mme Natalia Pouzyreff (RE). Je ne suis pas d’accord avec M. Lachaud. Toute une série d’auditions a été réalisée : lorsqu’on est assidu en commission, on est suffisamment éclairé. Nous connaissons les grands programmes, ainsi que les plus petits. L’important est que le compte y soit, et il y est dans ce projet de LPM.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Je crains qu’on n’avance pas si le rapporteur et les collègues de la majorité s’obstinent à faire de la tautologie : pour eux, le compte y est, donc le compte y est. On n’avancera pas davantage si vous prétendez que nous n’avons pas été assez présents en commission. Il faudrait alors reprendre les feuilles de présence, ce qui serait un jeu stupide.

Il y a un problème dans la façon dont ce rapport est conçu. Comparez-le avec celui de la précédente loi de programmation militaire. Qui a commandité un rapport insuffisant, verbeux ? Est-ce vous, Monsieur le ministre, ou Mme Parly ? Dites-nous pourquoi, dans la ventilation des crédits par patchs que vous essayez d’imposer, suivant une logique de communicant, certaines dépenses sont comptées deux fois. Si c’était explicité dans le rapport, on pourrait effectivement avancer que nous avons été suffisamment éclairés. Nous ne l’avons pas été lors des discussions en commission : il a fallu se déplacer au ministère pour apprendre la vérité en la matière.

La commission rejette l’amendement.

 

Elle adopte l’amendement rédactionnel DN818 de M. Jean-Michel Jacques.

 

Amendement DN693 de M. Laurent Jacobelli.

M. Laurent Jacobelli (RN). De précédentes LPM n’ont pas été respectées financièrement. Le ministre nous a expliqué que chaque montant annuel, chaque nouvelle marche, était un plancher, répondant ainsi à nos inquiétudes concernant certaines règles de calcul – chat échaudé craint l’eau froide. Néanmoins, les paroles s’envolent et les écrits restent. C’est pourquoi nous proposons de préciser que les ressources budgétaires prévues sont des minima. Notre amendement ne fait que retranscrire ce que le ministre nous a dit.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je comprends votre demande, mais il me semble qu’une telle précision serait plus opportune à l’article 3, qui détaille la trajectoire des crédits budgétaires. J’ai déposé en ce sens un amendement, au profit duquel je vous suggère de retirer le vôtre. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je suis cohérent : nous voulons une exécution de ce texte à l’euro près jusqu’en 2027 – je ne sais pas qui sera ensuite le président de la République et qui aura une majorité au Parlement – et je souhaite donc, pour sanctuariser la programmation, que les marches prévues soient des planchers. Je vous suggère néanmoins de retirer cet amendement, car c’est à l’article 3 qu’il faut s’y prendre.

M. Laurent Jacobelli (RN). Je suis content que nous soyons d’accord sur le fond, mais je ne voudrais pas qu’on se mette à jouer sur la place des amendements pour éviter d’adopter ceux du Rassemblement national. J’espère que ce n’est pas ce qui vous anime ; si c’est le cas, nos discussions risquent d’être moins tranquilles et moins constructives.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements DN925 du Gouvernement et DN303 de M. Aurélien Saintoul (discussion commune).

M. Sébastien Lecornu, ministre. La trajectoire prévue permettra de porter l’effort national de défense à 2 % du PIB non pas seulement pendant cette loi de programmation militaire mais avant la fin du quinquennat.

J’ai toujours dit, y compris à la ministérielle de l’Alliance atlantique, que nous devons suivre une approche militaire. Je partage d’ailleurs, en la matière, l’analyse de la France insoumise : c’est à partir des menaces que l’on construit un appareil de défense. Telle est bien notre méthode.

L’objectif des 2 % est un critère otanien, qui a une dimension technique, voire technocratique. Certains pensent qu’il est virtuel, mais il a une réalité : il est là pour obliger les membres de l’Alliance à réaliser un effort suffisant pour leur appareil de défense, et cette règle s’applique à tous.

Il n’en reste pas moins que ce type de données est relatif : tout dépend de la taille du PIB, et ce n’est pas non plus la même chose selon qu’on a, ou non, une dissuasion nucléaire, des Outre-mer et, pour jeter un pavé dans la mare, une armée d’emploi.

Par ailleurs, les variations du programme de stabilité font évoluer, ce qui n’est pas une nouveauté, le moment à partir duquel l’objectif des 2 % peut être atteint. Il l’a été en 2020 du fait d’un tassement du PIB, alors que nous n’avions pas un modèle d’armée aussi bon que celui qui sera le nôtre en 2023 ou en 2024, années durant lesquelles l’objectif des 2 % ne sera pourtant pas forcément atteint. Cet objectif, qui a une dimension symbolique, ne saurait donc être le seul critère. Ce serait méconnaître les réalités militaires.

Les dernières projections sont beaucoup plus pessimistes que les précédentes : elles laissent penser qu’il pourrait y avoir un décalage de 2025 à 2026 ou 2027, pour des raisons que nous ne maîtrisons pas. J’ai jugé, avec l’autorisation de la Première ministre, qu’il fallait présenter un amendement honnête et transparent en la matière. Cela n’aura pas d’impact sur nos efforts militaires réels, ni sur la soutenabilité des marches, et c’est ce qui compte.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Nous vous donnons acte d’une évolution : le débat sur la précédente LPM s’était largement polarisé autour de la question des 2 %. Vous revenez à une meilleure méthode lorsque vous nous expliquez qu’il faut partir des besoins, mais vous n’allez pas jusqu’au bout : il faut supprimer purement et simplement ce critère artificiel et purement symbolique – s’il ne l’est pas, c’est le signe d’une forme d’allégeance, horresco referens, à l’Otan. Nous défendons la possibilité de ne pas passer sous les fourches caudines des 2 % et d’élaborer plutôt un modèle d’armée correspondant à des scénarios d’emploi et à des contrats opérationnels. Ces éléments ne figurent pas, contrairement à ce que vous nous avez dit, dans le rapport annexé : il n’y a pas tout, ce qui nous pose un problème.

Vous nous expliquez que vous vous fiez aux projections selon lesquelles nous réatteindrons peut-être les 2 % en 2027 plutôt qu’en 2025. Cela signifie que vous anticipez un tassement de la croissance ou, à tout le moins, du PIB. Il faudrait interpeller plus durement la Première ministre sur ces perspectives. Vous ne pouvez pas dire que vous n’avez pas une responsabilité à l’égard de ces évolutions macroéconomiques inquiétantes.

S’agissant des 2 %, ne vous accrochez pas au totem otanien : si vous vous en détachez, personne ne vous en fera grief. Acceptez l’idée que vous pourriez faire plus ou moins, et rendez des comptes à la nation et à ses représentants, au lieu d’aller expliquer à Washington que vous avez bien coché une certaine case.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis favorable à l’amendement du Gouvernement et défavorable à celui de M. Saintoul. Le PIB est sujet à des évolutions conjoncturelles, et la référence à 2025 n’est pas un totem. C’est la réalité de l’effort de défense qui compte. Cet effort, qui s’incarne dans la trajectoire financière de la LPM, est sans précédent.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). L’amendement DN303 me paraît plus logique : il serait plus cohérent de supprimer toute référence aux 2 %, notamment parce que vous affirmez, Monsieur le ministre, que vous partez des besoins pour définir les crédits nécessaires. Cette référence n’a pas de sens, à moins qu’elle ne constitue un signal pour nos alliés otaniens. Si c’est le cas, il faudrait le dire clairement.

Ni M. le ministre ni M. le rapporteur n’ont répondu à ma question concernant les montants de certains patchs. Les milliards prévus au titre des Outre-mer sont-ils aussi comptabilisés dans le cadre d’autres patchs ? Dites-moi oui ou non et j’arrêterai de poser cette question. Quand il n’y a pas de réponse, cela cache quelque chose.

M. Yannick Chenevard (RE). Il est extrêmement frappant que la Finlande, qui avait souhaité ne pas intégrer l’Otan depuis sa création et qui a un peu plus de 1 200 kilomètres de frontières avec la Russie, ait désormais décidé, dans les circonstances actuelles, d’intégrer cette organisation. Je suis toujours très dubitatif quand certains disent que notre salut passe par la sortie de l’Otan ; il passe évidemment par notre présence dans cette organisation, dont l’article 5 permet de mobiliser l’intégralité des forces militaires pour faire face aux menaces. La véritable question est de savoir dans quel camp nous voulons être.

Nous nous sommes fixés, avec l’ensemble des pays de l’Otan, l’objectif de consacrer 2 % du PIB à la défense. C’est un effort qu’il convient de réaliser, étant entendu que la France a un statut un peu particulier dans cet ensemble : elle a une armée d’emploi, qui se bat, et des Outre-mer, ce qui pèse beaucoup plus lourd.

M. Laurent Jacobelli (RN). Ne coupons pas les cheveux en quatre. Il est question à l’article 2 d’un « objectif » – et non d’une obligation – « de porter l’effort national de défense à hauteur de 2 % du PIB à compter de 2025 ». Ce que nous dit le Gouvernement avec son amendement, c’est qu’il tâtonne sur le plan économique : il ne sait pas très bien ce qui va se passer dans les années à venir.

Vous émettez un signal qui n’est pas forcément très bon. On peut laisser l’article 2 en l’état, que l’on atteigne ou non l’objectif de 2 % en 2025. Je ne comprends pas bien l’intérêt de l’amendement du Gouvernement. Ne touchons pas au texte : nous aurons ainsi un horizon plus proche et un chiffre qui, au-delà des critères otaniens, permettra de s’assurer que le budget de la défense n’est pas inférieur à une certaine masse critique.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je suis désolé de décevoir les oppositions les plus dures : s’il peut y avoir un doute sur la possibilité d’atteindre la cible, c’est parce que l’assiette du PIB augmente, et non parce qu’elle diminue. Pardon pour cette bonne nouvelle.

Vous auriez les mêmes incertitudes économiques si vous étiez aux affaires. Il y a nécessairement un aléa quand on parle de choses relatives, exprimées en pourcentage du PIB. Cela bouge. Quand le PIB s’écroule, on peut atteindre l’objectif des 2 %, comme en 2020 du fait du covid ; quand le PIB augmente au contraire, cela peut repousser l’échéance.

Vous avez raison, Monsieur Jacobelli, il s’agit d’un objectif et non d’une obligation, mais vous pourriez me dire à juste titre que nous ne sommes pas sincères si, alors que les ministres Le Maire et Attal viennent de rendre public un nouveau programme de stabilité, la copie du projet de loi n’évolue pas en fonction des projections retenues. Nous proposons tout simplement de décaler la date à 2027 pour tenir compte de variations dont nous ne sommes pas complètement maîtres. Il ne faut pas mépriser cette question, qui fait l’objet d’autres amendements. C’est un point de repère important pour certaines formations politiques, qui souhaitent au contraire plus de rigidité et de prévisibilité. En effet, cela dit quelque chose de l’effort réalisé, et c’est pourquoi nous souhaitons de la transparence.

Le critère des 2 % existe, que vous le vouliez ou non. Mieux vaudrait, dans votre perspective, adopter un amendement visant à sortir directement de l’Otan. Cela irait plus vite !

Vous dites que nous revenons à plus de raison. En vérité, mon logiciel politique n’a pas beaucoup changé. La France a contribué à fonder l’Otan, puis elle a cultivé à partir des années 1960 une autonomie particulièrement forte au sein de cette organisation, ce qui n’est pas la même chose qu’en sortir, comme deux formations politiques proposent de le faire – en tout cas, elles plaident pour une remise en cause radicale –, en s’appuyant parfois, à tort, sur le général de Gaulle, mais c’est un autre débat. Je souhaite que la France soit forte, par ses contributions militaires, au sein de l’Otan, et notre pays n’a pas à rougir de ce qu’il met sur la table.

Par ailleurs, lorsqu’un critère nous est favorable, autant l’afficher. Je ne sais pas quand, entre 2025 et 2027, nous atteindrons les 2 % du PIB, car cela peut glisser pour de bonnes raisons, mais ce sera avant la fin du quinquennat, et je pense qu’il est bon de montrer que cet objectif existe. Je redis néanmoins, et nous nous rejoignons sur ce point, que le critère des 2 % n’a pas d’intérêt si on ne regarde pas, en plus, les spécificités de notre armée. Dissuasion ou non, Outre-mer ou non, il faut comparer ce qui est comparable.

S’agissant des patchs, il est évident que l’Outre-mer n’est pas un équipement, ni un programme – ce n’est ni un bateau ni un avion – et qu’il y a forcément dans le patch relatif aux drones des équipements qui y seront affectés. Les patchs sont une présentation qui permet de donner de la lisibilité, sans changer quoi que ce soit au total de 413 milliards d’euros. Si vous voulez vous opposer à tout prix au texte, je peux comprendre que tout argument soit bon pour vous, mais je vous démontrerai que le projet de loi a été préparé sérieusement. Vous pourriez tout simplement assumer de ne pas être d’accord avec ce que nous proposons, sans jeter le doute sur la qualité du travail qui a été fait.

La commission adopte l’amendement DN925.

En conséquence, les autres amendements se rapportant à la seconde phrase de l’article 2 tombent.

 

Rapport annexé

Amendement DN226 de Mme Anna Pic.

Mme Anna Pic (SOC). L’« amplification » de l’effort de défense ne traduit pas la réalité budgétaire de ce projet de loi de programmation militaire, dont la trajectoire semble identique à celle de la LPM en cours. Compte tenu des reports de charges à hauteur de 100 milliards d’euros et du contexte inflationniste actuel, dont la charge est évaluée à 30 milliards, le montant des crédits prévus par le présent projet de loi de programmation correspond davantage à une stabilisation des efforts qu’à une véritable amplification de ces derniers – l’augmentation budgétaire n’interviendra qu’après 2027. Aussi proposons-nous de supprimer, à la première phrase de l’alinéa 1, les mots « et amplifie ».

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Cette trajectoire correspond bien à une amplification, puisqu’elle prévoit une augmentation de 40 % des crédits alloués à la mission Défense par rapport à la LPM 2019-2025 : les besoins programmés, qui s’établissent à 295 milliards d’euros dans la loi de programmation en vigueur, s’accroissent de 105 milliards. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Même avec toute l’inflation du monde, l’effort budgétaire augmente : il s’amplifie. On peut débattre du bien-fondé ou de l’usage de cette amplification, mais sa réalité ne fait aucun doute. On nous reproche même parfois une augmentation trop importante par rapport à celles dont bénéficient d’autres secteurs prioritaires.

La contrainte pèse autant sur vous que sur moi, puisque c’est le Parlement qui vote le budget des armées. Les reports de charges ne sont que des outils qui permettent de traiter l’inflation. Vous ne pouvez pas à la fois déplorer qu’il y ait trop d’inflation et critiquer l’emploi d’outils permettant d’atténuer ce phénomène ! Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense de François Hollande, avait également prévu des reports de charges, pour les mêmes raisons.

Vous expliquez que l’effort n’interviendra qu’après 2027 – nous en rediscuterons lorsque nous examinerons les amendements sur les marches. Nos amis de La France insoumise nous invitent à partir des besoins physiques de nos armées, notamment de la conduite des grands programmes. Or, dans vos municipalités, vous pouvez constater qu’entre le moment où vous décidez de construire une piscine et celui où vous avez besoin des crédits de paiement pour payer les entreprises réalisant cet investissement, il y a une certaine inertie. Ce principe est valable quel que soit le Président de la République en fonction, à moins de remettre en cause tous les grands programmes qui ont été lancés – il faudrait cependant payer des dédits. Il en est ainsi pour le porte-avions de nouvelle génération (PANG), pour toute la classe des sous-marins nucléaires d’attaque (SNA), pour toute la classe des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) et pour toute une partie de la dissuasion : pour des raisons qui tiennent à la vie des programmes, il y a d’importants efforts budgétaires à faire tous les vingt ans.

En dépit de l’inflation, qui est bien documentée, on peut bel et bien parler d’une amplification de l’effort. Les faits parlent d’eux-mêmes. Nous ne demandons pas un satisfecit, même si les diminutions connues par le passé laissent quelques traces.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Nous soutiendrons cet amendement de bon sens. Certes, en retirant les 100 milliards de reports de charges et les 30 milliards correspondant à l’inflation, il reste une augmentation, mais cette dernière sera absorbée par le renouvellement des forces de la dissuasion. C’est un fait que vous admettez vous-même – je ne vous en fais pas grief –, mais de là à parler d’une amplification de l’effort… Nous allons renouveler la force de dissuasion existante, mais pas amplifier le mouvement !

Vous avez évoqué le programme du PANG, qui n’a jamais été soumis à l’approbation de l’Assemblée nationale.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Vous allez voter, maintenant !

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Sauf que le programme est déjà lancé.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Si vous votez contre, il n’y aura pas de PANG !

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Il n’y aurait pas de dédits à payer ?

M. Sébastien Lecornu, ministre. Déposez donc un amendement pour supprimer le PANG !

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Ce n’est pas forcément notre souhait. Nous disons simplement que le fait que la représentation nationale n’ait pas encore été consultée au sujet d’un programme de plusieurs milliards d’euros pose problème. Or, dans les 100 milliards de reports de charges, il y a le PANG.

M. Loïc Kervran (HOR). Je vous invite à la sérénité devant les bonnes nouvelles : le PIB peut augmenter, de même que l’effort militaire. Ce débat révèle en réalité une forme d’atavisme ou d’inertie par rapport à la loi de programmation militaire votée sous la présidence de François Hollande, qui avait supprimé 34 500 postes, et à la précédente, qui en avait supprimé 45 000. On pouvait alors parler d’une amplification de la baisse !

Mme Anna Pic (SOC). Vous savez qu’il n’est pas dans mes habitudes d’aller sauver le soldat François. Nous ne nions pas que, pendant de nombreuses années, nous avons toujours voté des budgets de la défense inférieurs aux précédents ; cependant, il est clair – et un certain nombre de groupes présents de longue date dans notre assemblée en conviennent – que nous voulions alors récolter les dividendes de la paix.

Aujourd’hui, en revanche, en raison des nouvelles réalités géopolitiques et des creux capacitaires que nous avons pu constater dans le cadre des différentes missions que nous avons menées, nous doutons que ce projet de LPM puisse répondre assez rapidement aux enjeux et que la trajectoire financière proposée nous permette d’atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés. Il n’y a pas d’amplification de l’effort, au regard notamment de l’inflation que nous n’envisagions certes pas si élevée.

Nous nous réjouissons de l’adoption de l’amendement DN925, qui correspond davantage à la réalité s’agissant des 2 %. Nous tenons au respect de cet engagement que nous avons pris dans le cadre de l’Otan et auprès de nos partenaires, car la France doit être fiable.

M. Laurent Jacobelli (RN). À quoi servent les mots « et amplifie » dans le rapport annexé ? Finalement, à pas grand-chose ! Ils permettent juste de faire un peu de marketing, de promotion, d’autosatisfaction – si vous ne le faites pas vous-mêmes, qui s’en chargera ? Chacun pourra se faire son idée en fonction des montants annoncés et des programmes lancés. Pour être très honnêtes, nous n’y avions pas pensé, mais maintenant que le problème a été soulevé, nous trouvons cet amendement assez sensé. Les mots « et amplifie » n’ajoutent rien ; ils peuvent juste être sujets à caution. LPM signifie « loi de programmation militaire », pas « livret de promotion de Macron » ! Ce n’est pas parce que nous y retirons certains éléments de marketing que nous altérerons la force de certaines propositions. Nous voterons donc pour cet amendement.

Mme Anne Genetet (RE). Vous avez raison, Monsieur Jacobelli, on peut s’interroger sur le sens des mots. Pour avoir côtoyé ces derniers mois un certain nombre de militaires, puisque je suis auditrice à l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), je peux vous assurer que les principaux intéressés constatent cette amplification, et qu’ils le disent. On peut pinailler sur certains mots, mais l’amplification est bien là. Peut-être pourrions-nous choisir un autre terme, mais cela n’apporterait rien de plus. Discutons du fond du texte et donnons aux militaires les moyens qu’ils attendent pour former une armée à la hauteur de nos ambitions !

Mme Natalia Pouzyreff (RE). On peut ne pas être d’accord s’agissant de la répartition des crédits, mais on ne peut pas contester que nous nous inscrivons, depuis 2018, dans une véritable trajectoire de réarmement. Certains programmes seront consolidés, tandis que les investissements dans le renseignement et dans les drones, par exemple, seront nettement supérieurs à ce qu’ils sont dans la loi de programmation en vigueur.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Nous avons ouvert une belle querelle byzantine au sujet du sexe des anges – je sais que l’on me dira la même chose prochainement, lorsque je défendrai mon amendement visant à remplacer l’expression « puissance d’équilibres » par « puissance d’équilibre ». Que les mots « et amplifie » figurent ou non dans le rapport annexé, au fond, qu’est-ce que cela change ? Chacun peut constater que ce texte marque un effort.

Enfin, le verbe « amplifier » peut s’appliquer à la matière budgétaire comme aux champs d’action de nos armées qui, justement, bénéficient d’investissements accrus dans le domaine spatial, le renseignement, le cyber et les fonds marins. Il ne me semble donc pas poser de problème.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Madame Genetet, nous rencontrons tous des militaires – du reste, vous n’êtes pas la seule députée auditrice à l’IHEDN. Vous ne pouvez pas vous servir d’eux en nous expliquant qu’ils constatent une amplification à venir ! Le projet de loi de programmation militaire dont nous discutons n’est pas encore entré en vigueur. Nous ne vous dénions pas le droit d’essayer d’inscrire dans le marbre de la loi la promotion de l’exécutif ou de votre groupe politique, mais nous soulignons que le verbe « amplifier » rejoint une logique d’affichage politique que nous contestons. Nous voulons plus de rigueur dans les termes : aussi soutenons-nous cet amendement visant à supprimer la notion d’amplification.

La commission rejette l’amendement.

 


Lien vidéo : https://assnat.fr/gu88HQ

M. le président Thomas Gassilloud. Mes chers collègues, cette nuit un piroguier du troisième régiment étranger d’infanterie a disparu et un gendarme de l’escadron mobile de Satory a également été blessé, en Guyane, où les forces armées sont durement frappées puisqu’un gendarme du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) avait déjà été tué par balle, il y a un mois.

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées. J’ai fait le choix de ne pas faire de communication nationale et de laisser le préfet de la région Guyane intervenir. Cet adjudant du régiment étranger d’infanterie a disparu à la suite d’une collision entre la pirogue et un arbre, dimanche dernier. Une enquête judiciaire est ouverte. Il n’a toujours pas été retrouvé. Il est actuellement quatre heures du matin en Guyane et les recherches reprendront dès l’aube. Des moyens importants sont déployés, mobilisant la gendarmerie, la sécurité civile, les forces armées guyanaises et des nageurs de combat. À Camopi, le courant du fleuve est extrêmement fort. La personne disparue est un sous-officier, connaissant particulièrement bien la Guyane, puisqu’il en est originaire, et très engagé contre l’orpaillage illégal, notamment en lien avec les autorités coutumières.

M. le président Thomas Gassilloud. Il y a quatre ans jour pour jour, dans la nuit du 9 au 10 mai, deux commandos marine – Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello – sont décédés en service, au Burkina Faso, dans le cadre de la libération de quatre otages, dont deux Français. Ces événements nous rappellent la dureté du métier des armes.

Mes chers collègues, nous poursuivons l’examen des amendements.

 

Rapport annexé (suite)

 

La commission adopte l’amendement rédactionnel DN836 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Amendement DN430 de M. Aurélien Saintoul.

Mme Martine Etienne (LFI-NUPES). Il vise à mettre en avant l’importance du contexte international, de son évolution et de la récente transformation de ses conflictualités, dans la définition des objectifs et des besoins pour nos armées. En effet, la guerre en Ukraine a récemment mis en lumière les manquements et l’insuffisance des modèles d’armée européens. Elle a précipité la rédaction et le vote d’une nouvelle loi de programmation militaire (LPM), en pointant les difficultés encourues par les forces armées, en cas de mobilisation internationale.

Les bouleversements systémiques majeurs ne se limitent pas aux conflits internationaux : s’y ajoutent aussi la crise écologique, la crise financière et l’accélération de la mondialisation. Tout cela accroît la vulnérabilité et les menaces touchant le territoire national. Or ils ne sont que très peu, voire pas du tout, pris en compte dans le projet de LPM. En l’absence de réelle revue stratégique et de Livre blanc, il est important d’y faire référence, au moins dans le rapport annexé.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Cet amendement n’apporte pas de réelle plus-value et alourdit le texte. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Sur la forme, il faudra nous expliquer en quoi la guerre en Ukraine a remis en cause les modèles d’armée des pays européens. Quel modèle d’armée proposez-vous, d’ailleurs ? Sur le fond, faire référence au contexte géopolitique me semble être un argument plein de bon sens, même si je me méfie du mot « systémique », qui peut recouvrir des réalités différentes. Je vous invite à retirer votre amendement et à le retravailler pour la séance.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Je ne sais pas si la guerre en Ukraine a remis en question les modèles d’armée, mais vous avez en tout cas jugé nécessaire d’élaborer, en urgence, une LPM, pour y répondre. Cela signifie donc bien qu’il faut, selon vous, changer les choses. J’entends vos arguments quant à l’utilisation du terme « systémique ». Vous reconnaissez néanmoins qu’il est utile que ce que ce mot recouvre puisse figurer dans le rapport annexé. Nous retirons donc notre amendement, pour le retravailler en vue de la séance.

L’amendement DN430 est retiré.

 

Amendement DN701 de M. Jean-Louis Thiériot, amendement DN489 de M. Bastien Lachaud, amendements identiques DN431 de M. Aurélien Saintoul et DN708 de M. Jean-Louis Thiériot (discussion commune).

M. Jean-Louis Thiériot (LR). L’amendement DN701 est un amendement d’appel. La notion de « puissance d’équilibres », au cœur de tous les documents stratégiques, est ambiguë et n’a fait l’objet d’aucune définition. Cela pose deux problèmes. Le premier est théorique : il suffit de lire ce qu’écrit la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), sous la plume de Bruno Tertrais, ou, dans d’autres domaines, l'Institut français des relations internationales (Ifri).

Le second est pratique : tous les pays du flanc Est de l’Europe s’interrogent sur ce concept, le lisant comme une prise de distance par rapport à nos alliances, alors que tel n’est pas son esprit. Je propose l’expression de « puissance stratégique d’équilibre », de façon à signifier une puissance équilibrée, pesant dans les affaires du monde, et à éviter les questionnements quant à son interprétation. Je suis prêt à retirer mon amendement, en vue d’une clarification du concept en séance. Le rôle du Parlement n’est toutefois pas de se livrer à une herméneutique du vocabulaire employé par l’exécutif.

M. Emmanuel Fernandes (LFI-NUPES). Par l’amendement DN489, le groupe LFI-NUPES s’oppose à une définition de la politique étrangère de la France fondée sur le concept flou, mal défini et peu compréhensible de « puissance d’équilibres ». Notre groupe préconise l’emploi des termes d’« indépendance » et de « non-alignement », plus clairs et plus conformes à la tradition diplomatique de notre pays. La France n’a pas vocation à être une puissance « équilibriste », pour reprendre le terme utilisé par Florian Louis, historien des relations internationales et membre de l’équipe de la revue Le Grand Continent.

La dernière revue nationale stratégique ne brille ni par sa clarté ni par son originalité. En effet, alors qu’une logique d’affrontement entre deux blocs tend à s’imposer, la France ne doit pas prêter son concours à cette polarisation. Elle doit rester un tiers-lieu, indépendant et non-aligné sur cette logique. En tout état de cause, elle doit conserver sa souveraineté. Elle ne doit être subordonnée à aucune puissance hégémonique : elle doit faire la démonstration, par son indépendance même, que l’engrenage vers une confrontation globale n’est pas inéluctable.

Mme Pascale Martin (LFI-NUPES). Par l’amendement DN431, le groupe parlementaire LFI-NUPES s’oppose à la définition de la politique étrangère de la France comme « puissance d’équilibres » et entend y substituer l’expression « puissance d’équilibre ». L’utilisation du pluriel est un artifice rhétorique, cachant mal l’absence de vision du Gouvernement. Si la France peut effectivement avoir une influence utile au maintien de la paix, il est oiseux de revendiquer d’être une « puissance d’équilibres » : cette expression n’a aucune portée concrète. Il convient plutôt de préciser que c’est par son indépendance, son exemplarité, son action résolue en faveur du respect du droit international et sa contribution à la restauration du système onusien que la France peut contribuer à défendre la paix et la stabilité du monde.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). L’amendement DN708 vise à écrire « équilibre ».

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Certains pays souhaiteraient assurément que la France ne soit pas une « puissance d’équilibres ». Or, l’honneur et le choix de la France consistent précisément à ne pas s’aligner systématiquement sur l’un ou sur l’autre. Cette notion est importante, comme les auditions auxquelles j’ai procédé l’ont montré. Nous pouvons ainsi agir dans l’intérêt de notre pays et ne pas nous faire dicter nos choix par un bloc ou un autre. Cela nous permet de participer aux grands équilibres du monde. À cet égard, la LPM vise aussi à nous donner les moyens de cette politique d’équilibres. Avis défavorable à l’ensemble de ces amendements.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Dans votre exposé des motifs, vous indiquez, Monsieur le député Thiériot, que le concept de « puissance d’équilibres » est « au mieux une forme atténuée du non-alignement gaullien, au pire le cache-misère d’un déclassement relatif dans le concert des puissances, que ne compense pas l’idée d’autonomie stratégique européenne ». Précisément, il s’agit d’une autre manière d’évoquer le non-alignement gaullien.

Voulons-nous encore que la France soit une puissance ? Nous pensons parler de la même chose, mais nos acceptions du mot « puissance » sont différentes, notamment s’agissant du multilatéralisme. Oui, la France a cette singularité, notamment comme alliée au sein de l’Alliance atlantique, de tenir à certains équilibres mondiaux, peut-être moins clivés ou définitifs.

Après une année passée à la tête du ministère des armées, je peux vous dire que la notion de puissance d'équilibre, au singulier ou au pluriel, a du prix dans une partie des pays ne se situant pas dans l’hémisphère nord – le Sud global –, y compris la zone indopacifique. De la diplomatie gaullienne jusqu’à la terminologie employée par le Président de la République aujourd’hui, tout le monde comprend le signal ainsi envoyé. Je vous invite à en discuter avec les Indonésiens, les Indiens et les Émiriens : ils ont compris ce que nous souhaitions faire, et cela se traduit dans des accords de défense ou commerciaux, en matière d’armement. Le concept renvoie aussi à la grande question d’équilibre entre les États-Unis d’un côté, et la Chine de l’autre, voire la Russie. Cette posture est cependant spécifique à la France et mérite d’être toujours défendue. En son temps, le général de Gaulle lui-même était assez minoritaire…

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Je n’ai pas compris votre réponse, Monsieur le ministre. Vous considérez que le mot « équilibre » peut être utilisé au singulier comme au pluriel : j’en déduis que vous êtes favorable aux amendements visant à l’écrire au singulier. La notion de « puissance d’équilibres » est pourtant l’une des rares novations de la revue nationale stratégique : a-t-elle été introduite sans raison ? Je n’en suis pas certain.

Par ailleurs, vous considérez qu’il s’agit d’une autre façon de dire notre indépendance ou le non-alignement. Si tel est le cas, autant choisir une formulation claire. Nous ne vous empêchons pas de mener une diplomatie active auprès de toutes celles et ceux qui ne veulent pas être embrigadés dans un affrontement, par exemple entre les États-Unis et la Chine ; au contraire, nous y sommes très favorables. En revanche, choisissez des mots clairs pour exprimer vos intentions. Vous dites être attaché à des équilibres mondiaux : dès lors, utilisez plutôt l’expression de « puissance attachée aux équilibres suivants », en en donnant la liste. Quels sont ces équilibres mondiaux ? Personne ne le comprend.

M. Laurent Jacobelli (RN). Je vous propose de considérer le point de vue de la commission des affaires étrangères : le vrai problème est celui de la dissolution programmée du corps diplomatique. Comment peut-on être une puissance d’équilibre, au singulier ou au pluriel, si le corps diplomatique français, qui a le pedigree que l’on connaît, est progressivement écarté ? L’armée n’interviendra qu’en support et en dernier recours. Le débat gagnerait donc à se tenir ailleurs : comment pouvons-nous être une puissance indépendante et d’équilibres, sans une diplomatie digne de ce nom ?

Les amendements DN701 et DN708 sont retirés.

La commission rejette les amendements DN489 et DN431.

 

Amendement DN98 de Mme Caroline Colombier.

Mme Caroline Colombier (RN). Il nous semble important d’inscrire, si ce n’est dans la loi, du moins dans le rapport annexé, les six fonctions stratégiques qui fondent notre stratégie de défense et de sécurité nationale : connaissance et anticipation, prévention, dissuasion, protection, intervention et influence. Cette inscription est d’autant plus nécessaire qu’elle vient acter la volonté du Président de la République d’ériger l’influence au rang de fonction stratégique, conformément à son discours du 9 novembre 2022, à Toulon.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Cet ajout n’apporte pas de plus-value, puisque cela est déjà implicitement dit dans l’ensemble du texte, ainsi que dans la Revue nationale stratégique. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Mon avis est également défavorable, essentiellement en raison de la rédaction de votre amendement, qui considère l’influence comme faisant partie des autres fonctions, alors qu’elle est nouvelle.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN544 de Mme Cyrielle Chatelain.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Il vise à supprimer les mots « véritable projet politique et militaire de transformation ». Le mot « transformation » pose en effet problème. Le projet de LPM s’inscrit dans la continuité des précédentes et plus largement dans celle de la politique de défense menée depuis des dizaines d’années. La tentative d’une politique de défense européenne a été la seule inflexion, mais cette volonté semble avoir disparu, de même que la perspective d’augmentation des opérations de sécurité conjointes, alors même que nous connaissons une reprise des conflits de haute intensité et une multiplication des lieux de tension à travers le monde.

Aujourd’hui, l’Europe est une force, avec un tiers des dépenses militaires mondiales ; son poids économique est colossal. Elle pourrait non seulement permettre la mutualisation des moyens, mais également peser : l’autonomie stratégique que nous avons évoquée doit reposer sur l’Europe. Or, nous ne voyons pas advenir ce tournant de la construction d’une défense européenne.

Par ailleurs, le choix continu de la dissuasion nucléaire reste le pivot de la politique de défense : il n’y a pas le moindre début d’une réflexion sur la manière dont la France pourrait répondre à ses engagements dans le cadre des traités de non-prolifération. Nous considérons donc qu’il s’agit d’un projet de LPM de continuité, et non pas de transformation.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Cette LPM met en œuvre une véritable transformation de nos armées. Face à des ruptures technologiques et géostratégiques importantes, ce projet prend non seulement en compte la nécessité de revoir ce qui relève de l’innovation, mais vise aussi à améliorer la capacité de nos armées à durer et à mener des combats de haute intensité – je vous renvoie notamment aux investissements relatifs au maintien en condition opérationnelle (MCO).

M. Sébastien Lecornu, ministre. Votre amendement soulève deux questions : la transformation organique des armées et la dimension européenne. Sur le premier point, il ne faut pas sous-estimer la transformation en profondeur, notamment de l’armée de terre, dans les années à venir. Quelque 10 000 ou 15 000 militaires vont voir leur métier complètement évoluer, en particulier en raison du cyber ou de la guerre électronique. Cette transformation sans précédent n’est pas sans incidence sur la manière de fidéliser et de recruter, ou sur le pyramidage des grades.

La fonte des crédits budgétaires pour les armées durant les vingt dernières années a permis de protéger certaines fonctions. Si certaines ne sont pas consensuelles, comme la dissuasion nucléaire, d’autres le sont davantage. Je pense à nos forces spéciales, qui ont été plutôt épargnées – à l’exception des hélicoptères. En revanche, les capacités expéditionnaires ont été globalement abîmées, s’agissant notamment des soutiens. Le service de santé des armées en est un des exemples les plus édifiants, tout comme le service du commissariat des armées (SCA) ou les infrastructures. La remise en cohérence concerne donc non seulement le matériel, mais aussi la capacité à projeter – deux brigades, une division, à terme, en 2030, un niveau corps d’armée. Au sein de l’Otan, à part les États-Unis, personne ne sait le faire : les Britanniques le peuvent avec des manques, en raison des coupes budgétaires violentes et importantes qu’ils ont subies, et nous, avec des lacunes, d’où un important champ de transformation pour les combler – défense sol et air, guerre électronique, capacité de tir dans la profondeur. Ainsi, le sujet n’est pas tant d’avoir des Griffons dans chaque régiment, mais d’armer une division tout entière. Les parlementaires qui ont eu l’occasion de voir l’exercice Orion ont compris les propositions des états-majors.

Le spatial, le cyber et les fonds marins sont aussi des champs de transformations importants pour les armées. Je conçois que vous refusiez de donner le point au Gouvernement, pour des raisons politiques, mais lorsque vous visiterez un régiment d’infanterie dans les dix prochaines années, il aura énormément évolué.

Sur la dimension européenne, je vous trouve dure ou pessimiste : jamais l’Europe de la défense n’a autant avancé, sur certains items jusque-là bloqués. La facilité européenne de paix en est un bon exemple. Il est extraordinaire que les membres de l’Union européenne aient été capables d’imaginer un fonds de mutualisation, abondé, permettant à chaque pays de donner des armes à un allié – l’Ukraine – et de se faire rembourser dans une logique de solidarité totale, à due proportion des moyens des pays. Sous la présidence française, un tel instrument avait été imaginé pour l‘Afrique : de fait, il sert aujourd’hui surtout pour l’Ukraine.

Un autre exemple réside dans le dispositif que les armées ont mis en place à Khartoum, au Soudan, avec la capacité à mettre en protection puis à évacuer, non seulement nos diplomates, mais aussi nos ressortissants et la plupart de ceux de l’Union européenne. C’est un cas pratique concret de ce que nos armées doivent pouvoir faire à l’avenir, dans des pays déstabilisés. Sur le volet européen, le texte comporte donc des avancées qui peuvent être consensuelles, ce d’autant que nous ne sommes pas dans une communautarisation, mais dans une Europe de la défense qui respecte la souveraineté nationale.

Les coopérations militaires – système de combat aérien du futur (SCAF), système principal de combat terrestre (MGCS), projets de commandes avec la base industrielle et technologique de défense européenne (Bitde) – sont moins consensuelles, en revanche, mais c’est mieux aujourd’hui qu’il y a dix ou vingt ans.

M. Loïc Kervran (HOR). Le groupe Horizons et apparentés a hâte de débattre du fond. Certains pensent qu’il n’y a pas suffisamment de transformations, ou d’amplification, et je les respecte, même si tel n’est pas notre avis. Toutefois, il semble dommage de vouloir supprimer les mesures ambitieuses d’un texte que l’on considère comme ne l’étant pas assez. Pourquoi ne pas les conserver, en y ajoutant les moyens que vous souhaitez y voir figurer ?

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Les réponses apportées, comme les questions posées, concernent le fond. Je remercie à cet égard M. le ministre d’avoir pris le temps d’y répondre. Vos propos sur les moyens capacitaires m’ont convaincue que nous sommes dans une politique de continuité des choix stratégiques. Certes, l’augmentation des moyens permettra de les déployer différemment. Cependant, alors que nous connaissons un changement de contexte très net, que les tensions sont extrêmement fortes, le projet de LPM ne repense pas les choix stratégiques.

Si vous me trouvez pessimiste sur la question de l’Europe, peut-être est-ce parce que j’ai énormément d’ambition pour la politique de défense européenne. Certes, il existe des mécanismes de coopération, mais nous devrions aller beaucoup plus loin compte tenu du conflit en Ukraine. Cela suppose une volonté politique. En matière d’industrie, il faut augmenter les coopérations entre Européens et penser les politiques d’armement avec plus d’opérabilité. L’autonomie stratégique viendra de l’ambition que nous aurons en matière de politique de défense européenne.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Ma collègue a parfaitement raison de pointer la notion de transformation : le sens premier de ce terme comporte l’idée d’une radicalité, d’un virage à opérer concernant l’orientation de nos armées. Or, le texte ne semble pas s’inscrire dans une telle démarche et il n’y a pas de changement majeur du modèle. Le constat est le même s’agissant de la défense européenne : aucun élément concret ne vient étayer votre ambition en la matière, Monsieur le ministre.

M. Lionel Royer-Perreaut (RE). Cet amendement vise à supprimer les mots « véritable projet politique et militaire de transformation », ce qui est loin d’être anodin. Vous présupposez donc que les efforts conséquents que le Gouvernement se propose de faire pour les armées ne seraient que de l’ordre d’une inflexion. Or c’est tout le contraire. Ainsi, les efforts capacitaires augmentent de 300 % en matière de cyber, de 45 % pour le spatial, de 100 % s’agissant des drones, sans oublier les fonds marins. Ces chiffres montrent nettement que nous sommes au-delà d’une inflexion : nous sommes bel et bien dans une démarche de transformation visant à accompagner les évolutions du contexte géostratégique. Ne cherchez donc pas à banaliser ce projet de LPM ! Cette tentative de banalisation ressort de nombre d’interventions des oppositions. Or la représentation nationale se doit de montrer à nos armées que les efforts que nous allons consentir sont véritablement ancrés et adaptés aux évolutions géostratégiques.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). J’ai été très étonné de vous entendre dire, Monsieur le ministre, que les armées françaises n’auraient pas été capables de faire une RESEVAC à Khartoum : elles ont toujours répondu présentes quand il a fallu évacuer nos ressortissants. Je ne comprends donc pas pourquoi vous prétendez que nous avons désormais besoin de l’Europe pour évacuer nos ressortissants de par le monde. Ce propos ne devait pas traduire votre pensée.

J’en reviens à l’amendement. Votre texte comporte en effet des formules creuses, plus dignes d’une plaquette de communication que d’un travail de fond pour le Parlement. Il en va de même pour la manière dont sont présentés les « patchs ». Au final, tout cela n’est pas clair.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Alors que nous examinons ce texte, des hommes sont sur le terrain : plutôt que de savoir si l’on amplifie ou si l’on transforme, ils veulent surtout avoir une armée qui fonctionne.

Mme Anna Pic (SOC). Il ne s'agit pas de refuser d’élargir le champ de compétences de nos armées : l’amendement ne remet pas en cause le modèle actuel. Il souligne qu’il ne s’agit pas d’une transformation. Le Gouvernement continue de choisir le modèle de l’armée globale, mais qui devient toujours plus miniature. Avec le retour de la haute intensité dans le territoire européen, nous avons besoin d’affirmer un volontarisme et une ambition pour la défense européenne. Or ceux-ci apparaissent dans les propos du ministre, mais pas dans le projet de loi, ce qui laisse planer un doute quant à l’équilibre que peut proposer la loi de programmation militaire.

Nous ne remettons donc pas en cause le montant des crédits ni l’objectif de porter l’effort national de défense à 2 % du PIB à compter de 2025, ni le modèle que vous avez choisi – nous discuterons pour déterminer s’il nous convient. Mais le rapport annexé ne fournit pas d’éléments significatifs pour justifier le caractère transformateur de la LPM. Élargir le champ de compétences de nos armées est une chose mais, en cas de conflit, nous avons besoin de tous les champs pour faire masse, ce qui n’est pas inscrit dans le texte.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il n’y a pas une visite de base aérienne, de bateau ou de régiment dans laquelle les militaires n’expliquent pas qu’ils ont mené ou qu’ils continuent de mener un chantier de transformation. On peut toujours contester les mots qu’ils emploient sur le terrain et ne pas voir ce que ce que la professionnalisation de l’armée de terre a produit dans les années 1990, ni que cette loi de programmation militaire achève la professionnalisation, qui s’accompagne d’importants sauts technologiques. C’est bel et bien une transformation. À force d’ergoter sur les mots « amplifier » ou « transformation », on finit par se prendre les pieds dans le tapis.

La réalité est que, pour l’armée de terre, la transformation est puissante. J’en ai fait la démonstration. Vous ne pourrez pas dire aux 15 000 soldats qui vont changer de métier qu’il n’y a ni transformation ni évolution.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN552 de Mme Cyrielle Chatelain.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Comme toutes les composantes de nos politiques publiques, l’armée doit prendre le virage de la lutte contre le réchauffement climatique. La LPM s’étend jusqu’à 2030, date à laquelle la France devra avoir diminué ses émissions de gaz à effet de serre de 50 %. Cela signifie qu’il faut doubler notre rythme actuel de baisse des émissions. L’armée doit y contribuer en repensant sa dépendance aux produits pétroliers : chaque année, elle en consomme 800 000 mètres cubes, dont les trois quarts servent à faire voler les avions. Elle doit aussi afficher une ambition très forte pour rénover l’ensemble de ses bases militaires. Introduire un objectif clair de contribution des armées à la baisse des émissions de gaz à effet de serre serait un virage bénéfique à tous.

Globalement, une telle attitude aura nécessairement des incidences sur le terrain. Nous le voyons déjà, le réchauffement climatique créera demain les conditions d’une augmentation de nos tensions. Une partie du territoire ne sera plus vivable car, en raison des sécheresses, la nourriture n’y poussera plus. La guerre de l’eau a déjà commencé dans certaines parties du monde. Cet enjeu est non seulement à prendre en compte dans notre réflexion concernant la défense, mais aussi à anticiper. Chaque degré compte. Nous devons, y compris dans le cadre de la politique de défense, anticiper la situation future et contribuer à la baisse des émissions.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Merci pour ce propos. Comme d’autres ministères, le ministère des armées a déjà entrepris de nombreuses actions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Lors de la précédente législature, une mission d’information dont le corapporteur était Jean-Marie Fiévet a étudié les enjeux de la transformation écologique pour le ministère, afin de préparer l’outil de défense au défi climatique.

Quant à la stratégie énergétique de défense, adoptée en 2020, elle vise à maîtriser les consommations d’énergies fossiles et à augmenter l’efficience énergétique dans les armées.

Votre amendement semble aller dans le bon sens mais sa rédaction ne convient pas. Je vous suggère donc de le retirer ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Même si beaucoup ont été accomplis lors des dernières années grâce à une stratégie ad hoc, le ministère des armées doit faire plus. La priorité va à notre parc : nous ne sommes pas un propriétaire vertueux, c’est le moins que l’on puisse dire – bâtiments anciens, épaves thermiques, difficile gestion des fluides.

Nous avons en revanche bien progressé s’agissant du respect de la biodiversité, notamment avec la gestion des sites Natura 2000, des réserves naturelles ou des zones d’intérêt faunistique et floristique. Les armées travaillent sur ces sujets avec beaucoup de cœur, en lien avec des associations ou des opérateurs agréés.

Bien que l’amendement ne les évoque pas directement, son exposé sommaire peut introduire un doute sur les carburants opérationnels, en présentant les armées comme le premier émetteur de CO2 de l’État, qui « consomment chaque année 800 000 mètres cubes de produits pétroliers, dont les trois quarts du volume servent à faire voler les avions. » Même lorsqu’elle est très utile, une mission peut avoir un impact négatif sur la planète !

Nous devons être plus précis et travailler à une rédaction plus consensuelle. Je serai alors prêt à émettre un avis favorable en séance, si l’amendement montre bien ce que le ministère souhaite faire. Surtout, le volet des opérations doit être pondéré : il est compliqué de reprocher aux militaires de polluer, alors qu’ils n’ont pas d’autre choix. À ce titre, je ne souhaite pas ouvrir un autre débat sur la propreté de la propulsion nucléaire du futur porte-avions...

Je vous suggère donc de retirer l’amendement pour que nous puissions le retravailler d’ici à la séance, en vue de trouver une rédaction satisfaisante.

Mme Stéphanie Galzy (RN). Chers collègues de la NUPES, je peux comprendre l’inquiétude globale liée au changement climatique et aux dangers qui nous menacent, mais je ne peux vous suivre sur ce point. Nous venons de commémorer la fin de la seconde guerre mondiale et nous évoquons un sujet encore plus grave : l’éventualité d’un conflit plus global.

Nous devrions exempter notre défense nationale de l’objectif de baisse des émissions de gaz à effet de serre : nos futurs canons Caesar, nos chars, notre aviation ou nos navires de combat n’avanceront pas à l’électricité et ne seront pas équipés de panneaux solaires.

Certes, c’est un tantinet caricatural, mais je suis persuadée que les Français auront compris que votre proposition est inepte face aux enjeux internationaux actuels.

M. Frank Giletti (RN). Nous voterons contre l’amendement car nous devons concentrer nos efforts sur la cohérence et sur la masse. Cette LPM fait déjà la part belle à la décarbonation, avec la confirmation du porte-avions nucléaire de nouvelle génération, ainsi qu’avec la rénovation de nos sous-marins nucléaires lanceurs d’engins.

Mme Isabelle Santiago (SOC). Tout en partageant l’avis de ma collègue, je rappelle que, lors de la précédente législature, j’avais présenté avec mon collègue Jean-Marie Fiévet un rapport d’information sur les enjeux de la transition écologique pour le ministère des armées. Nos propositions se retrouvent aujourd’hui dans les amendements que j’ai déposés.

Les armées réalisent de nombreuses actions en faveur du climat, des rénovations et de la gestion des espaces naturels autour des bases. L’ampleur de ces initiatives m’avait étonnée, mais s’agissant du bâti, on part de très loin. Un investissement massif est nécessaire : il importe qu’une ligne budgétaire lui soit dédiée.

Une autre mission d’information, conduite notamment par mon collègue Fabien Lainé, avait étudié la politique immobilière du ministère des armées. Nous sommes nombreux à travailler sur ces sujets.

M. Jean-Marie Fiévet (RE). En 2019, le ministère des armées a en effet utilisé 835 000 mètres cubes de produits pétroliers, mais il faut séparer les véhicules et matériels porteurs d’armes et ceux non porteurs d’armes. Sous l’impulsion de Mme Florence Parly, le ministère s’est lancé dans l’acquisition de véhicules d’usage, électriques ou hybrides. Le résultat est très positif : le coût de la pollution engendrée par les militaires est en forte baisse, même s’il faudra confirmer et amplifier ce point.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Compte tenu des réponses reçues, je retire l’amendement afin qu’il puisse être précisé et retravaillé d’ici à la séance. J’entends la volonté d’avancer, ce qui est nécessaire.

Contrairement à ce qui a été dit, j’estime que l’ensemble des politiques d’État doivent être mises à contribution non seulement pour répondre à la question du changement climatique mais aussi parce que les hommes et les femmes de l’armée subiront les incidences de ce changement, en intervenant dans des territoires affectés par le réchauffement climatique. On ne peut pas se retrancher derrière une vision court-termiste. Il faut savoir penser les dangers d’aujourd’hui et de demain.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN394 de M. Fabien Roussel.

M. Fabien Roussel (GDR-NUPES). Par cette nouvelle rédaction de l’alinéa 2, nous proposons que partout en France soit mené un débat approfondi sur le modèle d’armée que nous souhaitons, qui va engager notre pays pour les années qui viennent. La proposition s’inscrit dans notre débat sur la transformation ou l’amplification des moyens que nous donnons à notre modèle d’armée. D’ici à 2030, la LPM prévoit de doubler l’effort financier de la France en matière militaire : c’est un changement, une transformation, une amplification des choix de ces dernières années.

Deux choix nécessitent un débat. Il s’agit d’abord d’investir dans une armée de projection, avec l’investissement dans un porte-avions de nouvelle génération. J’entends, Monsieur le ministre, que vous envisagez que la France se mette au niveau d’une puissance comme les États-Unis, qui jouent au gendarme du monde.

La transformation est également importante en tant que les moyens que nous mettons dans la dissuasion nucléaire se trouvent amplifiés. L’investissement dans de nouvelles armes nucléaires pousse à un changement profond de notre politique dans ce domaine.

C’est la raison pour laquelle nous invitons à mener un débat avec l’ensemble de nos concitoyens sur les choix de la France en matière de défense.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Nos approches de la dissuasion nucléaire divergent. Comme je l’ai précisé dans la discussion liminaire, elle est pour nous la clé de voûte de la LPM. Doter la dissuasion nucléaire d’une cinquantaine de milliards dans la LPM est un choix délibéré, que nous assumons. Il nous permet d’élever l’ensemble des compétences et des moyens technologiques des armées liés au nucléaire, qu’il s’agisse des vecteurs, des fusées, de la recherche. Les boucles technologiques sont de plus en plus courtes : les missiles hypervéloces se développent. Si notre pays n’a pas la capacité à répondre au feu que nos adversaires éventuels pourraient envoyer, il sera détruit. Nous assumons le fait que nous voulons une France qui puisse être à la table des grands grâce à sa dissuasion nucléaire, mais aussi qui puisse se défendre, si elle en a besoin.

Par ailleurs, la France n’a pas de dépendance envers les opérations extérieures. Elle s’engage soit pour honorer sa parole envers les partenaires avec lesquels elle est liée ; soit parce qu’elle a des intérêts nationaux à défendre.

Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Monsieur Roussel, au moins, vous n’avancez pas masqué ! Vous avez naturellement le droit de faire cette proposition. Contrairement à vous, je crois à l’efficacité de notre dissuasion nucléaire.

Il n’y a pas de changement de doctrine : nous restons sur une dissuasion nucléaire défensive et suffisante. Le fait de réinjecter de l’argent pour la moderniser et l’adapter en permanence aux différentes contraintes, n’est pas un changement de doctrine ni de doctrine d’emploi, ni de stricte suffisance. C’est un effort à consentir, comme nos prédécesseurs l’ont fait.

La dissuasion nucléaire est aussi affaire de cycles. Nous reparlerons des courbes et des marges budgétaires car certains programmes peuvent être gourmands en crédits de paiement. Lors de la discussion liminaire, il a été dit que la dissuasion était la même. Par définition, la nouvelle génération de vecteurs comme de missiles est nouvelle et requiert un effort important.

On ne peut pas parler de souveraineté à tout va, sans pédagogie. Le fait de mettre en œuvre la dissuasion nucléaire seule, de manière souveraine, à la différence d’un voisin immédiat, a un prix, qu’il faut assumer.

M. Yannick Chenevard (RE). Ce débat a lieu tous les cinq ans et s’appelle l’élection présidentielle. Il est large, puisque tous les Français sont appelés à se prononcer. Cette élection permet au chef de l’État d’affirmer ses orientations. Depuis que la dissuasion nucléaire existe, aucun Président de la République ne l’a remise en question. L’Ukraine aurait-elle été attaquée par la Russie si elle avait conservé son armement nucléaire ?

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Nous devons être conscients du trésor que la dissuasion nucléaire, voulue par le général de Gaulle, a représenté pour la France : elle est vraiment la clé de voûte. Si le mémorandum de Budapest, par lequel l’Ukraine a renoncé à la force nucléaire, n’avait pas été signé en contrepartie de garanties concernant leur intégrité territoriale, plusieurs centaines de milliers de morts auraient été épargnées. Si je siège à la commission de la défense nationale, c’est pour sauver des vies.

Quant à la dépendance aux opérations extérieures (Opex), je ne comprends pas ce qu’elle signifie. On sait à quel point on est obligé de financer régulièrement nos Opex, et combien cela affecte le budget de nos armées. C’est une dépense ; cela ne rapporte certainement pas des avantages économiques.

Enfin, on ne doit pas opposer la dissuasion nucléaire et la défense opérationnelle du territoire (DOT). La dissuasion est la clé de voûte ; la DOT vise à éviter un contournement, en dessous du seuil de la prise en compte de nos intérêts vitaux. Nous avons une doctrine cohérente, qu’il faut conserver.

Nous voterons évidemment contre l’amendement.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). L’amendement aborde plusieurs sujets et il faut sérier les questions. Comme d’habitude, nos collègues font de la dissuasion nucléaire un totem. Les observations sur le mémorandum de Budapest et l’Ukraine sont toutefois déplacées : l’Ukraine n’avait tout simplement pas les moyens de conserver ses armements nucléaires dans de bonnes conditions. Il suffit de lire le dernier livre de Benoît Pelopidas pour s’en convaincre.

Le groupe La France insoumise a la conviction que le mécanisme de dissuasion est opératoire ; l’amendement de nos collègues communistes prévoit un débat. Mais quand notre collègue Yannick Chenevard explique que le Président de la République a fait campagne sur un modèle d’armée et une doctrine de défense, j’ai envie de rire : nous n’avons pas eu plus de dix minutes de débat de fond sur ces questions dans le cadre de la campagne présidentielle. Par ailleurs, le Président de la République s’affranchit allégrement de toute idée ou promesse de la campagne présidentielle lorsqu’il s’agit de faire passer la réforme des retraites. Il y a matière à discuter et la souveraineté du peuple pourrait largement être mise à contribution sur les sujets qui l’intéressent, indépendamment du vote lors de l’élection présidentielle.

Je conviens cependant que la rédaction de l’amendement pose un problème s’agissant notamment de la dépendance économique aux Opex et à la dissuasion nucléaire. S’il y a un tropisme vers l’Opex, je ne la formulerai pas sous cette forme. La dissuasion est aussi un moyen de tirer vers le haut le modèle industriel. Si elle apparaît comme un moyen rationnel, partagé dans le pays, le débat est possible ; la population fera un choix légitime et fort.

Mme Caroline Colombier (RN). La dissuasion nucléaire est un élément crucial pour notre pays : il est normal de lui allouer des moyens. Nous avons d’ailleurs déposé une proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir la force de dissuasion nucléaire.

M. Fabien Roussel (GDR-NUPES). Il est gonflé de dire que cette question a fait l’objet de débats lors de l’élection présidentielle. Cela tombe bien : j’étais candidat et je peux vous dire qu’une seule émission a été consacrée à ce sujet. J’y ai participé avec certains candidats ; le candidat Macron a refusé d’y prendre part, comme à d’autres débats. Il n’y a pas eu de débat sur la politique que conduirait la France dans les années à venir en matière de défense.

Qu’auraient dit les Français si le Président de la République avait annoncé qu’il prévoyait d’injecter 50 milliards dans les sept ans pour développer l’armement nucléaire de la France ? L’amendement vise à organiser un débat, avec les Français, sur ces choix financiers et militaires importants. Il ne s’agit pas de remettre en cause, de manière unilatérale, la politique nucléaire de la France en matière de dissuasion nucléaire. Nous sommes une puissance nucléaire ; il ne s’agit pas de cesser de l’être, seuls, du jour au lendemain. Il s’agit de faire en sorte que la France, avec les autres puissances nucléaires, entame un processus de désengagement multilatéral en matière de dissuasion nucléaire, comme le prévoit le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Nous devons donner des signes dans le sens d’un désengagement multilatéral, surtout pas unilatéral. Avoir ce débat avec nos concitoyens est le minimum.

Je propose de réécrire l’amendement d’ici à la séance, afin de clarifier la question des Opex.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Je soutiens l’idée d’un débat sur la dissuasion nucléaire. Vous dites que la question a été tranchée, qu’elle ne ferait plus débat et que les Français la soutiendraient fortement. Alors, allons-y ! Si toutes les parties prenantes sont convaincues que la dissuasion nucléaire est le choix fait par la majorité des Français, elles devraient accepter ce débat, qui nous concerne tous, étant donné sa dangerosité et ce qu’il implique.

Il faut faire œuvre de transparence sur la question de la politique de défense, de la dissuasion nucléaire, de son utilisation, de ce qu’est l’intérêt vital de la nation – certes, seul le Président peut en décider, mais nous devrions pouvoir discuter du cadre dans lequel on peut l’utiliser.

Lors des auditions, des intervenants ont mentionné en quoi la conception de l’intérêt vital de la Russie était en train de changer. Le monde est changeant, mais les dangers qu’apporte l’arme nucléaire restent réels. Tout le monde devrait être favorable à ce débat, et vous, d’autant plus si vous pensez que le débat est tranché et qu’il n’y aura pas de remise en cause de la politique que vous soutenez.

M. Fabien Lainé (Dem). L’amendement est intéressant en tant qu’il permet une clarification. Je rappelle le contexte de l’élection présidentielle de 2022 : la guerre d’Ukraine avait commencé, Vladimir Poutine ne cessait de menacer l’Occident d’utiliser les bombes nucléaires, à tel point que notre ministre des affaires étrangères lui avait vertement répondu.

Matin, midi et soir, les médias n’ont cessé d’expliquer comment fonctionnait la dissuasion nucléaire française et quelles en étaient les composantes et d’énoncer les positions des différents candidats. On ne peut pas dire que les Français n’ont pas voté en connaissance de cause sur ces sujets.

Enfin, en tant que membres de la commission de la défense nationale, il nous appartient de faire vivre ce débat citoyen. Avec Thomas Gassilloud et d’autres collègues, nous avons récemment organisé un débat citoyen sur la dissuasion nucléaire, où chacun a pu donner sa version des faits, et je me réjouis que l’on aborde le sujet.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Nous sommes dans une démocratie représentative ; tous les groupes politiques de l’Assemblée sont représentés dans cette commission. Le vote que nous exprimerons dira la position du pays sur la question de la dissuasion nucléaire.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Le député Thiériot n’a pas tort, mais, par ailleurs, pourquoi avoir peur du peuple et d’un débat plus large sur ces questions ?

Ce débat intéressant a mis en lumière certains aspects. D’abord, le ministre doit arrêter de créer un distinguo entre ceux qui ont une position claire et ceux qui avancent masqués. Le président Fabien Roussel a clairement annoncé la position du parti communiste : le désarmement, mais pas seul. Certes, cette position a pu évoluer car, pendant la campagne présidentielle, j’ai entendu certains de ses porte-parole proposer la signature du traité sur l’interdiction des armes nucléaires (Tian), donc aller vers un désarmement unilatéral.

En tout cas, il n’y a pas de divergence au sein de la NUPES sur la volonté d’en finir avec l’arme nucléaire, mais dans le cadre d’un désarmement multilatéral. N’essayez pas de créer des divisions là où il n’y en a pas.

Mme Delphine Lingemann (Dem). Cette salle est aujourd’hui pleine à craquer alors qu’elle était vide lors du cycle dédié à la dissuasion nucléaire. Ces mêmes opposants qui demandent un débat, n’étaient pas là.

Nous sommes dans une démocratie représentative ; nous avons tous été élus légitimement. Cette instance est légitime et nous sommes en mesure de discuter de façon légitime de la dissuasion nucléaire.

M. François Cormier-Bouligeon (RE). La façon dont ce débat sur la dissuasion nucléaire est introduit est intéressante. Certains disent qu’ils veulent en sortir, d’autres – nos amis communistes, de La France insoumise et écologistes –, qu’ils veulent en débattre, avec nos concitoyens, au motif que ce débat n’a pas été tranché lors de l’élection présidentielle et qu’il faut en reparler avec le peuple. Nous sommes ici, à l’Assemblée nationale, pour avoir ce débat à travers la discussion sur la loi de programmation militaire.

Élargissons la focale, dans le temps et dans l’espace. Hier, en séance, certains d’entre vous remettaient en cause la construction européenne. Ce matin, en commission de la défense nationale, vous revenez sur la dissuasion nucléaire. Au fond, vous ne reconnaissez pas que notre pays et notre continent vivaient en paix dans un temps long, inédit dans son histoire, que l’invasion de l’Ukraine par la Russie est venue rompre.

Nos amis des pays d’Europe orientale et des pays baltes aimeraient bénéficier de la dissuasion nucléaire pour protéger leur frontière orientale : notre débat leur semblerait hallucinant. Ayons-le en commission de la défense nationale et expliquez-nous, cher collègue François Roussel, comment, sans dissuasion, vous assurerez la sécurité de notre pays et de notre continent dans le temps long. Enfin, comment utiliserez-vous la dissuasion en mode de décision partagée, pour assurer notre sécurité ?

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Nous avons eu le débat en janvier. Ce que je récuse, ce sont les termes de l’amendement, non le débat. Qu’il y ait une dépendance militaire et économique aux opérations militaires extérieures n’est pas le sujet. La question à trancher est la façon dont le format d’armée répond aux menaces.

Non, il ne faut pas opposer nucléaire et défense opérationnelle du territoire. Jean-Louis Thiériot l’a dit, la dissuasion, clé de voûte, a son but propre. Par ailleurs, la DOT traite des menaces sous le seuil. Les termes du débat sont mal posés. C’est pourquoi il faut rejeter l’amendement.

M. Laurent Jacobelli (RN). Le débat est salutaire et sain. Arrêtez de dire qu’il y a des opinions respectables et d’autres qui ne le seraient pas ; qu’il y a des vérités révélées et, en face, des impies, qui veulent les anéantir. Je le dis d’autant plus facilement que nous voterons contre l’amendement. D’abord, parce que nous sommes attachés à la dissuasion nucléaire, non partagée, souveraine, franco-française.

Concernant les Opex, je suis surpris des termes qu’a utilisés M. Roussel. J’y vois davantage d’idéologie que de pragmatisme. C’est grâce aux Opex que la France a lutté efficacement – du moins, là-bas, au Sahel – contre l’islamisme qui nous attaque ici.

C’est dans les Opex qu’un certain nombre de soldats français sont morts, parfois pour libérer des Français. Nous pouvons tous leur rendre hommage. Vous essayez de propager l’image d’une France encore un peu colonialiste, qui se servirait de ses opérations extérieures pour préserver des puits de pétrole. C’est une vision surannée d’un combat et d’une idéologie surannés. Soyons pragmatiques : les Opex défendent les Français et nos alliés ; elles nous permettent de respecter nos engagements envers d’autres pays. Il faut avoir une vision moins manichéenne et plus nuancée.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Le groupe Socialistes ne remet pas en cause la légitimité de la dissuasion nucléaire car nous la considérons comme le meilleur moyen pour préserver la paix dans le territoire national et européen. En revanche, il souscrit à la façon dont Fabien Roussel questionne la légitimité de certains choix pour nos armées. Il n’a pas tort lorsqu’il évoque le fait que les citoyens ont besoin de débats. Les Français le démontrent tous les jours, en étant des millions à défiler dans les rues. Ils ont besoin de débats, dans un contexte où certains services publics sont sacrifiés ou optimisés jusqu’à la moelle. Pour effectuer nos choix budgétaires, nous avons aussi besoin de grilles de compréhension et il importe de nous rapprocher des citoyens par un débat public.

J’ai déposé un amendement qui met en lumière la notion de citoyen contribuable, pour les choix budgétaires en matière de défense. Parce qu’il s’agit d’argent public, les citoyens sont en droit de recevoir des réponses et d’être inclus dans la réflexion que nous menons à l’Assemblée. À ce titre, nous leur devons d’être informés et inclus dans nos débats

M. Fabien Roussel (GDR-NUPES). Ayons le débat avec nos concitoyens, pas seulement en commission et dans l’hémicycle car les débats que nous avons ne sortiront pas de ces enceintes.

La dissuasion et le surarmement nucléaires n’ont pas empêché les guerres qui ont lieu sur la planète. Il n’y a jamais eu autant de conflits et de guerres dans le monde. L’arme nucléaire menace la planète : plus il y en a, plus il y a de risques. D’ailleurs, la Russie ne cesse de brandir cette menace dans sa guerre contre l’Ukraine, ce qui montre qu’il y a un risque grave, que la dissuasion n’empêche pas.

De quoi avons-nous besoin pour vivre en paix ? La course aux armements garantit-elle la paix ? Telles sont les questions que nous aimerions poser aux Français, pour entamer un débat avec eux.

Enfin, nos interventions en Afghanistan, au Sahel ou en Libye ont-elles fait reculer l’islamisme ? Là encore, posons la question aux Français. Nous répondons par la négative : non seulement elles ne l’ont pas fait reculer, mais elles l’ont renforcé. Il suffit de voir la situation en Afghanistan, au Mali, en Libye pour se rendre compte que nos choix d’intervention dans ces pays ont surtout provoqué le chaos et renforcé les forces islamistes terroristes qui viennent combattre jusque dans notre pays. Les choix que nous avons faits là-bas n’étaient pas les bons.

En revanche, avoir une armée qui nous permette d’intervenir pour aider nos ressortissants, comme dernièrement au Soudan, est utile et indispensable.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Grâce à ses interventions, en particulier au Levant et en Afghanistan, l’armée française a efficacement réduit la menace terroriste, de façon très significative. On ne peut pas effacer en quelques mots les sacrifices de nos soldats.

Je me réjouis de ce débat nourri, et remercie M. Roussel d’avoir introduit le sujet de la dissuasion nucléaire dans les discussions sur la LPM. Nous en avons parlé pendant tout un cycle de discussions. Le débat existe, donc. Nous regrettons qu’il ne soit pas assez relayé dans les médias mais nous n’avons pas de télévision d’État et nous ne décidons pas des sujets qui doivent être traités.

Naturellement, il faut ouvrir ce débat. D’ailleurs, Fabien Lainé l’a dit, des initiatives sont prises partout dans le territoire pour organiser des discussions sur la politique de défense, notamment sur la dissuasion nucléaire.

Monsieur Lachaud, vous avez finalement mis en évidence les divergences que La France insoumise et le parti communiste entretiennent voire celles du parti communiste lui-même car tous les porte-parole de M. Roussel ne défendaient pas la dissuasion nucléaire. Hier, vous avez évoqué la LPM que vous prépareriez lorsque vous seriez au pouvoir – on peut tout imaginer. Mais comment ferez-vous sur le sujet du nucléaire ? Il y a beaucoup d’incohérences dans votre propos.

Revenons aux faits : notre dissuasion nucléaire se fonde sur la stricte suffisance, qui est nécessaire : c’est notre assurance vie. N’oubliez pas que nos compétiteurs nous regardent, en ce moment même.

La commission rejette l’amendement.

 

M. le président Thomas Gassilloud. Si nous conservons le rythme actuel, nous aurons besoin de quelque soixante heures de débat pour examiner la totalité des amendements. Je vous propose donc, mes chers collègues, de limiter la durée des interventions à une minute – à l’exception de celles de l’auteur de l’amendement, du rapporteur et du ministre – afin de permettre à tous de s’exprimer dans le temps qui nous est imparti.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Alors que vous venez de mettre en avant le travail de la commission pour justifier l’absence de débat populaire, M. le président nous explique que nous manquons de temps. Ce n’est pas très sérieux.

M. le président Thomas Gassilloud. C’est précisément pour garantir la bonne tenue des débats parlementaires et permettre l’expression des différents points de vue que je propose de réduire la durée des interventions.

 

Amendement DN61 de la commission des affaires étrangères.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères. La commission des affaires étrangères reconnaît au texte de nombreuses vertus parmi lesquelles la transformation sincère de notre modèle d’armée mais la thérapie n’en fait pas partie. Il est donc proposé de supprimer la notion d’introspection.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je peux vous assurer que le travail préparatoire sur le projet de LPM a été très rigoureux et très dense. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il a bien été demandé aux forces armées de mener un travail d’introspection. Cette méthode est plus vertueuse que celle qui consistait par le passé à solliciter l’avis d’intervenants extérieurs sur le devenir de notre modèle d’armées sans jamais consulter les forces armées elles-mêmes.

Avis défavorable ou demande de retrait mais je suis disposé à revoir la rédaction si elle vous semble redondante.

M. Laurent Jacobelli (RN). L’introspection est définie ainsi : « observation, analyse de ses sentiments, de ses motivations par le sujet lui-même ; étude psychologique par ce procédé ».

Nos armées ne me semblent pas psychologiquement atteintes. Il ne doit être question que de faits et pas de sentiments. Il s’agit d’un amendement de bon sens. Ne faisons pas de la LPM un tract politique.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). La rapporteure pour avis a effectué un travail de toilettage salutaire. Le texte n’a pas besoin de tels falbalas. Les termes objectifs – revue, bilan – ne manquent pas pour qualifier le travail qui a été mené pour élaborer le projet de loi. Soyons, nous aussi, rigoureux.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Je maintiens l’amendement. Pour reprendre le mot de M. Thiériot, il ne s’agit pas de faire de l’herméneutique.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN395 de M. Fabien Roussel et sous-amendement DN928 de M. Bastien Lachaud.

M. Fabien Roussel (GDR-NUPES). Nos collègues ultramarins souhaitent substituer une formule plus consensuelle au terme de « métropole » qui établit une hiérarchie, non dénuée de connotation coloniale, entre l’Hexagone et les territoires d’Outre-mer.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Le groupe LFI-NUPES est favorable à l’amendement sous réserve de remplacer l’expression « dans l’Indopacifique » par les termes plus précis : « dans l’océan Indien et dans l’océan Pacifique ».

L’Indopacifique est un concept importé des États-Unis pour lesquels il s’étend des côtes californiennes jusqu’à Taïwan en passant par l’île de Guam. Il est préférable de recourir à une notion géographique et non stratégique pour désigner nos territoires ultramarins qui sont situés tant dans l’océan Indien que dans l’océan Pacifique.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis défavorable car il semble impossible d’être exhaustif.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Aucune des rédactions ne convient. Lorsque j’étais ministre des Outre-mer, je parlais d’Hexagone et non de métropole. Mais l’expression « territoire national en Europe, en Amérique et en Indopacifique » ne va pas dans le sens de la clarté que nous revendiquons.

Je vous invite à retirer l’amendement et je suggère à ceux qui le souhaitent d’en déposer un autre reprenant l’expression habituelle « de l’Hexagone et de nos Outre-mer ».

M. Fabien Roussel (GDR-NUPES). Je le retire.

L’amendement est retiré.

 

En conséquence, le sous-amendement tombe.

 

La commission adopte l’amendement rédactionnel DN893 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Amendement DN227 de Mme Anna Pic.

Mme Anna Pic (SOC). La volonté d’amplifier nos efforts de défense ne trouve pas réellement de traduction budgétaire. Vous justifiez aussi le report de charges par l’incapacité des industriels à accélérer pour franchir le cap de l’économie de guerre.

La stabilité de l’effort budgétaire et le manque de visibilité sur les commandes publiques empêchent les entreprises de se projeter durablement.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. La BITD joue un rôle essentiel, nous sommes les premiers à le constater dans nos territoires. Nous pouvons faire confiance à la DGA pour définir les modalités contractuelles appropriées. Et n’oublions pas que la première boussole reste les besoins des forces. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. À refuser de donner acte au Gouvernement de la hausse des moyens budgétaires, il arrive un moment où vous vous prenez les pieds dans le tapis.

Notre industrie de défense n’a jamais connu une telle visibilité, qui, de surcroît, concerne des moyens en hausse. Je m’étonne d’ailleurs que le débat ne porte pas sur la pertinence de telles dépenses publiques.

Vos amendements remettent en cause la hausse des moyens en parlant de stabilité. C’est sans doute le prix du grand pardon pour avoir abîmé, avec d’autres, les armées françaises pendant des décennies. Certains ont compris que cette époque était révolue, d’autres peinent encore à le croire.

En toute transparence, je vous donne l’augmentation de chiffre d’affaires de chacune des industries de la BITD que la LPM, sous réserve de la discussion parlementaire, leur permet d’espérer : 40 % pour Airbus ; 40 % pour Arquus ; 15 % pour Naval Group ; 90 % pour les autres chantiers navals ; 75 % pour Dassault ; 70 % pour MBDA ; 90 % Nexter ; 70 % pour Thales ; un doublement pour Safran.

L’angle que vous avez choisi, Madame la députée, n’est pas le bon. La visibilité est incontestable, les chiffres sont têtus. Citez-moi un autre secteur industriel au profit duquel une cible capacitaire – de surcroît en hausse – est inscrite dans le rapport annexé d’une loi.

Les reports de charge n’ont rien à voir avec les délais de livraison. Ce sont les marges frictionnelles qui permettent de les prendre en considération. Les reports de charge sont d’ailleurs plutôt populaires chez les industriels et pour cause : l’État leur verse des intérêts, lesquels sont moins importants que l’inflation, ce qui permet tout de même à l’État d’être gagnant finalement.

Vous pouvez tenter d’en faire des objets politiques, mais les reports de charges et les marges frictionnelles sont de bons outils qui garantissent la sincérité budgétaire et permettent de lisser l’inflation.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Monsieur le ministre, vous confondez peut-être rentabilité et visibilité. Le chiffre d’affaires, ce n’est pas la visibilité industrielle. Si la production de l’A400M s’arrête à la fin de l’année, est-ce une affaire de rentabilité ou de visibilité et de chaîne de production ? Ne mélangez pas tout.

Vous attaquez nos collègues socialistes avec un peu de forfanterie : le ministre responsable de la baisse des moyens des armées est passé avec armes et bagages du côté de la macronie pour devenir ministre des affaires étrangères. Peut-être s’agit-il d’un règlement de comptes interne mais le procès d’intention se trompe de coupable.

Il nous manque des éléments puisque nous ne connaissons pas les contrats – on nous explique qu’il est difficile de nous les communiquer. Mais quel sera le coût des dédits, du report des livraisons ? S’agit-il de commandes fermes ? On ne sait rien.

Vous mettez en avant des hausses de chiffre d’affaires qui sont en partie la conséquence de commandes de la précédente LPM dont les cibles ne seront pas respectées, dites-vous. Non, il n’y a pas de visibilité.

Mme Delphine Lingemann (Dem). Les inquiétudes des industriels ne portent pas sur les futures commandes mais sur leur capacité à les honorer. Votre remarque n’a donc aucun sens.

Le maître mot des industriels est l’agilité. C’est un synonyme de la souplesse dont vous gagneriez à faire preuve.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). L’organisation des chaînes de production exige de l’anticipation et de la planification. Nous sommes ravis de votre conversion à la planification industrielle, Monsieur le ministre. Moi, je ne me satisfais pas de voir le chiffre d’affaires des entreprises augmenter autant alors que les cibles, si elles ne diminuent pas, sont décalées dans le temps.

Dans la logique de l’économie de guerre, il conviendrait de nationaliser les entreprises de la BITD pour assurer leur pérennité et les mettre entièrement au service de nos armées.

Mme Anna Pic (SOC). L’horizon de la loi de programmation est 2030 – 2035 pour le matériel en raison du report.

La main-d’œuvre et la structuration de la filière sont des enjeux majeurs pour la BITD. Or la visibilité à cinq ans n’est pas suffisante pour que les industriels investissent sur le long terme. Ils font des marges et du chiffre d’affaires mais ils ne recrutent pas massivement de peur de rester avec des salariés sur les bras et ne contribuent pas à structurer la filière.

C’est la raison pour laquelle l’amendement préconise une planification au-delà des cinq ou dix prochaines années

M. Laurent Jacobelli (RN). La BITD n’est pas une industrie comme une autre, c’est une évidence. C’est une industrie stratégique que vous souhaitez mobiliser dans le cadre de l’économie de guerre. Les efforts que vous lui demandez exigent des investissements et des recrutements. Quiconque a travaillé dans une entreprise le sait.

Si nous soutenons l’idée d’une planification pour la BITD afin d’assurer la souveraineté de notre armée et de nos équipements – et ainsi ne pas être obligés de nous jeter dans les bras des Allemands constamment –, nous nous abstiendrons sur l’amendement tant l’exposé sommaire brouille son objectif.

M. Sébastien Lecornu, ministre. En effet, il y a dans plusieurs amendements du groupe Socialistes et apparentés un décalage entre le dispositif et l’exposé sommaire au nom duquel je serai parfois amené à émettre un avis défavorable.

Toutefois, je partage, Madame la députée, votre préoccupation s’agissant de la main-d’œuvre – le rapport annexé n’aura cependant guère d’effet en la matière.

Je suis à disposition d’ici à la séance pour travailler à des améliorations.

Mme Anna Pic (SOC). J’améliorerai l’exposé sommaire d’ici à la séance.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN209 de Mme Mélanie Thomin.

Mme Mélanie Thomin (SOC). L’amendement vise à garantir notre souveraineté en ce qui concerne nos ressources énergétiques, minières, industrielles et scientifiques. La BITD doit pouvoir faire face à des montées en charge rapides dans un environnement très concurrentiel, la guerre en Ukraine nous le rappelle tous les jours.

En 1905, Jean Jaurès insistait déjà sur la nécessité d’anticiper les besoins des armées dans ces domaines. Malgré un contexte bien différent, cette exigence demeure. Nous restons dépendants de pays dont certains sont nos compétiteurs, parmi lesquels la Chine. La sécurité de notre économie de guerre et sa capacité de réaction découlent de ses approvisionnements.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Votre objectif s’inscrit pleinement dans l’économie de guerre. Sagesse.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Avis favorable mais il faudrait revoir la rédaction avant la séance pour trois raisons : la liste des ressources n’est pas exhaustive ; il faut manier avec précaution la « mobilisation de ressources minières » ; les plans concernent les exigences de l’État mais aussi celles des industriels vis-à-vis de leurs fournisseurs.

L’accès aux matières premières fait partie des enjeux majeurs, à côté des ressources humaines. Il est utile de développer une culture stratégique en la matière.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Monsieur le ministre, le néogaulliste que vous êtes reconnaît que la planification est une méthode de gouvernement sage et raisonnable.

L’amendement est le pendant de celui de Mme Chatelain que nous avons examiné précédemment visant à inscrire les armées dans l’objectif français de réduction des émissions de gaz à effet de serre et à prendre en considération le réchauffement climatique.

Il est raisonnable d’anticiper. J’alerte notamment nos collègues du Rassemblement national pour lesquels la dernière goutte de pétrole devra aller aux armées : que fera-t-on ensuite ?

Il manque au texte une stratégie de décarbonation et d’indépendance s’agissant des matières premières pour l’ensemble de la production industrielle de défense.

La commission adopte l’amendement.

 

 

Amendement DN81 de M. Frédéric Boccaletti.

M. Frédéric Boccaletti (RN). Nos armées ont de plus en plus recours à l’externalisation.

Dans les domaines touchant à l’autonomie stratégique de la nation, une attention particulière doit être portée à la sécurité.

La professionnalisation de nos armées, les contraintes budgétaires et l’exigence toujours plus importante de performance ont entraîné une refonte de la chaîne d’approvisionnement et une révision des moyens alloués à nos armées.

L’amendement vise à imposer la réalisation d’une étude d’impact sur tout projet d’externalisation. Celle-ci devra s’intéresser aux conséquences opérationnelles et sur notre autonomie stratégique ainsi que sur les savoir-faire vitaux. La réactivité, la fiabilité, la sécurité mais aussi la réversibilité feront l’objet d’une vigilance particulière.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il faudrait d’abord préciser ce que recouvre l’externalisation. En outre, l’amendement est déjà satisfait. À défaut de retrait, mon avis sera défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il fut un temps où les armées recouraient massivement à l’externalisation mais ce n’est plus vrai depuis trois ou quatre ans. Nous cherchons à internaliser ce que nous avions délégué dans de nombreux domaines à cause notamment des risques d’ingérences étrangères et parce que nous voulons développer une culture de souveraineté et de sécurité. Ensuite, nous ne pouvons pas essayer d’attirer des réservistes sans préciser leur doctrine d’emploi. Pourquoi recourir à des prestataires si vous disposez des personnels nécessaires au sein de l’active ou des réserves ?

L’amendement est satisfait parce que l’opportunité de chaque marché est étudiée, notamment à l’aune de la subsidiarité, avant sa passation. J’ai mis la pression sur le Service du commissariat des armées (SCA) et l’économat des armées pour ce qui concerne les fonctions logistiques et de support.

Je vous invite donc à retirer l’amendement, à défaut, avis défavorable.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Je donne acte au ministre du processus de réinternalisation en cours qui doit selon moi être poursuivi. À cet égard, le rôle de l’économat des armées doit être revalorisé et mieux connu.

Il suffit de se rendre à Balard, au siège du ministère des armées, pour se rendre compte des limites de l’externalisation, ne serait-ce qu’en matière de sécurisation et d’accès aux bâtiments.

Il serait souhaitable d’en finir avec des externalisations problématiques à plus d’un titre.

M. Mounir Belhamiti (RE). On ne peut pas laisser dire n’importe quoi au sein de la commission au prétexte de le faire avec un certain aplomb.

Vous êtes allé à Balard de nombreuses fois, donc vous le savez : c’est une forteresse. De nombreux militaires me l’ont dit, les Américains nous envient les conditions de sécurité et d’accès au site. Celui-ci est considéré comme l’un des mieux sécurisés d’Europe.

C’est un mensonge de dire que la sécurité est défaillante à cause de l’externalisation.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Je n’ai jamais dit que la sécurité de Balard était défaillante. J’ai évoqué les limites de l’externalisation. Pour moi, cela pose problème de sous-traiter la sécurisation des accès à Balard – un site classé secret-défense – à une société privée alors que les forces militaires pourraient assurer ces fonctions. L’État n’a pas à se dessaisir de cette part de souveraineté.

M. Laurent Jacobelli (RN). On ne peut évacuer ainsi la question de l’externalisation en s’abritant derrière la mauvaise rédaction de l’amendement. Oui, cela pose un problème de confier la sécurité de bâtiments sensibles à des entreprises privées. Lorsqu’on externalise la construction d’infrastructures, au risque qu’elles ne soient pas conformes à l’usage qui en sera fait, alors qu’on dispose des savoir-faire en interne, cela pose un problème.

Écoutez les oppositions parfois : on ne peut pas dire que tout va bien dans cette matière. J’entends qu’un effort a été fait pour limiter l’externalisation – je vous en donne acte, Monsieur le ministre. Mais nous ne pouvons pas laisser les choses en l’état alors que de l’argent public est dépensé et que la sécurité de la nation est en jeu.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je suis tout à fait disposé à évoquer dans une audition ad hoc l’externalisation. Cela permettra de rétablir quelques vérités.

Ensuite, les infrastructures des armées sont toujours gardées par les forces armées et les gendarmes. Des prestataires privés gèrent l’accueil et les badges sous l’autorité et le contrôle des forces armées et des gendarmes. Je vous assure que les points d’intérêts vitaux sont toujours gardés par des militaires.

Enfin, il n’y a aucune dépendance aux externalisations en ce qui concerne les capacités opérationnelles. L’externalisation n’a pas d’impact lorsque des forces sont déployées.

Nous pouvons organiser un débat sur les badges à Balard si vous voulez. Mais je vous prie de croire que les officiers de la gendarmerie qui s’occupent de ces questions – des gens de grande confiance – ne laisseraient pas passer une sécurisation insuffisante de Balard.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Le problème est, non pas sécuritaire, mais politique ou idéologique, si vous préférez. C’est une question de principe : l’État ne se dessaisit pas de telles prérogatives au bénéfice du secteur privé. Vous ne partagez pas ce point de vue mais acceptez que l’on puisse considérer qu’il y a un problème.

M. Frank Giletti (RN). L’externalisation pèse aussi sur les capacités opérationnelles de nos armées.

À l’Atelier industriel de l’aéronautique (AIA) de Cuers, l’externalisation a créé d’importants problèmes sur le stock, sur la chaîne logistique ainsi que sur le maintien en condition opérationnelle (MCO) des Atlantique 2, qui participent aux actions de l’État en mer et assurent notre souveraineté.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Nous devons en préambule nous entendre sur ce que recouvre l’externalisation. Depuis toujours, une partie du maintien en condition opérationnelle est assurée par nos industriels de défense.

Il faut distinguer l’externalisation qui consiste à abandonner une fonction à un acteur privé et les liens contractuels avec des parties prenantes de la défense qui sont le fruit de notre histoire. On ne peut pas parler d’externalisation s’agissant du MCO.

Je ne veux pas me dérober sur l’externalisation qui est un bon sujet de discussion. Au contraire, et je serai heureux de vous présenter les efforts de réinternalisation que je mène.

M. Laurent Jacobelli (RN). Nous ne lâcherons pas. Nous ne disons pas que l’externalisation est mauvaise en elle-même ; nous demandons une étude d’impact avant tout projet de cette nature. En quoi cela vous gêne-t-il de graver dans le marbre une pratique dont vous affirmez qu’elle est déjà réalité ?

Arrêtez de réclamer à l’opposition qu’elle se taise et qu’elle mette le petit doigt sur la couture du pantalon. J’aimerais qu’on n’écoute pas seulement les alliés du Gouvernement.

La commission rejette l’amendement.

 

La réunion, suspendue à onze heures, est reprise à onze heures dix.

 

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels DN838 et DN839 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Amendement DN214 de Mme Isabelle Santiago.

Mme Isabelle Santiago (SOC). Il vise à insérer, après le mot « terrorisme », les mots « et de conflits asymétriques » à la seconde phrase de l’alinéa 3. Il importe de préciser et d’élargir le champ de l’article.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis favorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Avis favorable.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Monsieur le ministre, j’aimerais obtenir une explicitation. Qu’entendez-vous par « les leçons retenues de la lutte contre le terrorisme » ? Si vous êtes capable de les expliciter en quelques minutes, nous serons sans doute très à l’aise pour voter l’amendement, voire l’article.

La réalité, c’est que nulle part, dans aucun document officiel, n’est dressé un bilan politique et stratégique de ce que vous appelez, de façon un peu générale, la lutte contre le terrorisme. Entendez-vous par là la lutte contre le terrorisme sur le territoire national ? La lutte contre les groupes armés terroristes au Sahel ? En ce cas, j’aimerais savoir quelles leçons vous avez réellement retenues de ces engagements qui, pour tout dire, n’ont pas produit des résultats stratégiques très convaincants.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN728 de Mme Christelle d’Intorni.

Mme Christelle D’Intorni (LR). Il s’agit de mettre en lumière, dans le contexte des menaces hybrides, l’importance des campagnes de désinformation visant l’opinion publique, et plus particulièrement les populations sujettes aux opérations extérieures (OPEX) de l’armée française dans sa lutte contre le terrorisme. Le sentiment anti-français au Sahel suscité par la propagande et la manipulation, qui a grandement influencé la fin de l’opération Barkhane, illustre l’importance que doit constituer cette menace dans les leçons tirées par nos armées.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Le paragraphe 1.3 du rapport annexé, relatif aux nouveaux lieux de conflictualité, traite de la question. Je suggère le retrait de l’amendement en vue de le retravailler et émets à défaut un avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Même avis. Dresser une liste des menaces hybrides suppose qu’elle soit complète, ce qui suppose d’ajouter à la guerre informationnelle les chantages énergétiques ou alimentaires par exemple, pour illustrer le diagnostic stratégique que nous avons tous formulé de façon similaire. L’hybridité des menaces n’est pas limitée à la guerre informationnelle. Si on dresse une liste, il faut la documenter de façon globale. En outre, une telle liste devrait sans doute figurer ailleurs dans le texte.

Je suggère le retrait de l’amendement en vue de travailler, peut-être en liaison avec le rapporteur, à un amendement explicitant clairement l’hybridité. Il s’agit de l’un des beaux pivots, malheureusement, d’adaptation aux nouvelles menaces. Plus nous serons clairs et complets, mieux cela vaudra.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN62 de la commission des affaires étrangères.

Mme Lætitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. La plupart des amendements de la commission des affaires étrangères portent sur la désignation de l’influence comme nouvelle fonction stratégique. L’influence ne peut pas être pensée sans la contre-influence.

L’amendement vise à lutter contre les campagnes de désinformation. La France, comme l’a rappelé l’affaire de Gossi, est victime de nombreuses campagnes de désinformation, lesquelles exploitent l’une des fragilités des démocraties. Il importe d’y répondre efficacement.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je suggère le retrait de l’amendement en vue de le retravailler et émets à défaut un avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. L’amendement n’est peut-être pas placé au bon endroit. L’alinéa 4 du rapport annexé porte sur le maintien de la supériorité opérationnelle de nos armées. Or la guerre informationnelle ne saurait être traitée par les seules armées. Elle relève d’une manœuvre étatique globale. Je suggère le retrait de l’amendement en vue d’un travail conjoint des commissions des affaires étrangères et de la défense.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Monsieur le ministre, je vous ai demandé d’expliciter « les leçons de la lutte contre le terrorisme ». J’aimerais obtenir une réponse, même si l’amendement DN214 a été adopté.

S’agissant de la lutte contre les campagnes de désinformation, il s’agit d’un sujet légitime. Nous évoquerons plus amplement la doctrine de lutte d’influence et de contre-influence ultérieurement.

La commission rejette l’amendement.

 

Elle adopte l’amendement rédactionnel DN841 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

 

Amendement DN215 de Mme Isabelle Santiago.

Mme Isabelle Santiago (SOC). Il s’agit d’insérer, après le mot « quantique », les mots « des fonds marins » à la première phrase de l’alinéa 4 du rapport annexé, qui énumère plusieurs sauts technologiques attendus dans les prochaines années, notamment dans les domaines du spatial, du cyber, des drones, du quantique et de l’intelligence artificielle.

Insérer la mention fonds marins dans le rapport annexé permet de montrer que cet objectif est également pour nos armées, afin d’anticiper les ruptures novatrices à venir. Au demeurant, la maîtrise des fonds marins est l’un des objectifs du présent projet de loi de programmation militaire, ce dont je me félicite.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. L’insertion des fonds marins dans la liste des futurs sauts technologiques n’est pas tout à fait adaptée pour les fonds marins, s’agissant d’une technologie existante et mise en œuvre par de nombreuses nations. La France a même joué un rôle pionnier en la matière, avant d’y renoncer, certaines lois de programmation militaire ayant loupé le coche. En outre, les fonds marins sont évoqués un peu plus loin dans le rapport annexé. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Si j’étais espiègle, je dirais que ce que nous allons faire en matière de fonds marins est un bel exemple de transformation. L’amendement est satisfait par l’évocation des fonds marins un peu plus loin dans le texte.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN228 de Mme Anna Pic.

Mme Anna Pic (SOC). Il vise à insister sur l’importance de la disponibilité des matériels et à lutter contre les creux capacitaires qui empêchent, dès lors que nous avons une armée d’emploi, de procéder à une préparation opérationnelle optimale conforme à tous les critères que nous souhaitons remplir, notamment dans le cadre de l’OTAN. Il s’agit d’afficher l’objectif de consolidation de la préparation et d’assurer la disponibilité des matériels. D’ailleurs, nous n’avons pas eu de tableau présentant les taux de disponibilité réels, ce qui nous aurait informés sur notre capacité à favoriser la préparation opérationnelle.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. L’amendement n’est pas sans justification, mais il n’est pas placé au bon endroit. Demande de retrait ou avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Sur le fond, l’exposé des motifs comme la disposition proposée sont bons. Mieux vaudrait cependant faire porter l’amendement sur le paragraphe 2.2.5 du rapport annexé. J’en suggère le retrait pour le présenter tel quel en séance publique, s’agissant d’une précision qui me semble très utile.

Sur les taux de disponibilité, des informations figurent dans les documents budgétaires et nous pouvons vous en transmettre, à l’exclusion de ceux classés secret-défense.

L’amendement est retiré.

 

La commission adopte l’amendement rédactionnel DN921 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Amendements DN229 de Mme Anna Pic et DN842 de M. Jean-Michel Jacques (discussion commune).

Mme Anna Pic (SOC). Il s’agit de supprimer une mention relevant davantage de la communication que de la réalité.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. L’amendement DN842 est rédactionnel.

M. Sébastien Lecornu, ministre. J’émets un avis défavorable à l’amendement CD229 et favorable à l’amendement DN842.

La commission rejette l’amendement DN229.

Elle adopte l’amendement DN842.

 

Amendement DN63 de la commission des affaires étrangères.

Mme Lætitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Cet amendement a été déposé par M. Lecoq. Nous sommes confrontés à un dilemme : entre la sophistication et la masse, il faut choisir. Il s’agit du grand dilemme structurant le présent projet de loi. Nous ne pouvons pas considérer que la guerre en Ukraine est un nouveau modèle, s’agissant d’une guerre de tranchées basée sur l’artillerie. Toutefois, faut-il céder aux sirènes technologiques ?

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Nous sommes conscients de ce dilemme. L’amendement est satisfait par l’alinéa 12, qui prévoit de « concevoir les équipements futurs des armées en trouvant un équilibre entre rusticité et hyper-technologie pour concilier supériorité opérationnelle, délais de production rapide et coût de possession pour l’État ». Demande de retrait ou avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Le sous-jacent est juste et figure ailleurs dans le rapport annexé, dont l’amendement alourdit la rédaction. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN396 de M. Fabien Roussel.

M. Fabien Roussel (GDR-NUPES). Il ne s’agit pas pour nous, par cet amendement, de mettre en cause notre politique en matière de dissuasion nucléaire et de proposer son abandon unilatéral, mais, à tout le moins, d’ouvrir un débat avec le pays sur les moyens que nous y consacrerons dans le cadre de la nouvelle loi de programmation militaire.

Le budget de la dissuasion nucléaire passera de 5,6 à 7,7 milliards d’euros par an. C’est énorme et sans précédent. Par jour, nous passerons de 15 à 21 millions d’euros. Nous allons dépenser 21 millions d’euros par jour pendant sept ans pour améliorer notre armement nucléaire ! Cela doit nous inviter à avoir ce débat très largement, avec toutes les forces civiles et militaires, pour bien mesurer le choix que nous faisons, peut-être au détriment d’autres investissements, pour notre armée ou pour notre pays en général.

Certes, notre amendement pourrait être rédigé autrement. Il porte sur l’alinéa 7, dont je fais observer et déplore qu’il ne comporte aucune référence au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP).

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Le budget du nucléaire ne finance pas uniquement l’armement nucléaire. De nombreux domaines sont duaux et concernent aussi la recherche et développement, et se déploient dans nos territoires. Au surplus, l’arsenal nucléaire de la France est strictement nécessaire à sa défense. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Avis défavorable.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). M. Roussel nous parle d’augmentation des moyens des forces nucléaires. À la lecture du projet de loi de programmation militaire, je constate que nous nous en tenons à la suffisance. Nous n’augmentons pas le nombre de têtes. Nous améliorons les vecteurs et la capacité de pénétration. Pour être crédible, la dissuasion doit être au top de ses performances. Prendre du retard est contraire à l’intérêt de la sécurité de la France.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Je comprends l’esprit de l’amendement. Faire référence au TNP dans le rapport annexé me semble nécessaire, en rappelant que la France, en le signant, s’est engagée à désarmer, à terme, et à mener des négociations avec les autres puissances dotées pour poursuivre la réduction du nombre de têtes nucléaires mise en œuvre pendant la Guerre froide. Quant au moratoire proposé, il consiste, dans le cadre de telles négociations, à se tirer une balle dans le pied. Il serait utile de rédiger autrement l’amendement d’ici à l’examen du texte en séance publique.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN490 de M. Bastien Lachaud.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Nous en venons au cœur du sujet de la dissuasion : quel doit en être l’usage ? Elle doit empêcher toute puissance de mettre en péril les intérêts vitaux de la France, et donc assurer la sécurité du territoire national. À ce titre, elle ne peut être, compte tenu de notre doctrine de stricte suffisance, que nationale.

Or, depuis quelques années, un flou règne à ce sujet. Tel est le cas dans le rapport annexé. La dissuasion doit-elle être partagée avec nos alliés européens ? Je n’irai pas jusqu’à dire que certains envisagent de la mettre au service de l’OTAN… L’amendement vise à rappeler que la dissuasion doit être strictement nationale, afin de garantir son usage et notre doctrine.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. La dissuasion doit être strictement souveraine pour la France. Pour éclairer votre réflexion, je citerai le Président de la République, qui a indiqué, dans un discours à l’École de guerre le 20 février 2020 : « Notre indépendance de décision est pleinement compatible avec une solidarité inébranlable à l’égard de nos partenaires européens. Notre engagement pour leur sécurité et leur défense est l’expression naturelle de notre solidarité toujours plus étroite. […] Soyons clairs : les intérêts vitaux de la France ont désormais une dimension européenne ». Rien de tout cela n’entame notre souveraineté. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. S’il est un domaine dans lequel, du général de Gaulle à Emmanuel Macron en passant par François Mitterrand, il n’y a pas de flou, c’est bien notre doctrine de dissuasion nucléaire. On peut la désapprouver, mais elle n’est pas floue. Notre dissuasion est purement nationale. Mieux : nous sommes le seul pays de l’OTAN, avec les États-Unis d’Amérique, à la mettre en œuvre de façon complètement autonome, techniquement et budgétairement.

Par ailleurs, certains intérêts vitaux – indépendamment de la dissuasion, mise en œuvre en autonomie et en souveraineté – ont de toute évidence une dimension européenne, pour des raisons géographiques. Lors de la négociation des accords de Lancaster House, le Président Chirac a obtenu des avancées sur la défense en miroir des intérêts vitaux des deux puissances dotées que sont le Royaume-Uni et la France. Ce sujet fait l’objet d’un travail foisonnant et précis, qui n’a rien de flou.

Quant au procès d’intention sur l’OTAN, il est très clair, depuis les années 1960, que la France est absente de sa planification nucléaire. Avis défavorable.

Mme Caroline Colombier (RN). Il n’y a aucun flou sur la dissuasion, mais il est absolument indispensable de l’inscrire dans la Constitution. Nous avons déposé une proposition de loi à cet effet. La dissuasion nucléaire doit être propre à la France. Notre souveraineté en dépend.

M. Frédéric Mathieu (LFI-NUPES). Monsieur le rapporteur, votre réponse me surprend. Ce n’est pas parce que le Président de la République a dit quelque chose que nous devons le croire sur parole. La séquence que nous venons de vivre a confirmé ce que nous savons depuis plusieurs années : les mots sont mélangés, le sens des mots n’existe plus, tout est dit et son contraire dans le même paragraphe, voire dans la même phrase.

Comme le dit le bon sens populaire, cela va toujours mieux en le disant, et même en l’écrivant dans la loi, ce qui est de la compétence de la représentation nationale, qui n’a pas à se contenter de prendre acte d’une simple déclaration, faite il y a trois ans à l’École militaire, du président Macron, qui change d’avis tous les quatre matins. Votre réponse ne nourrit pas l’intelligence du débat.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Monsieur le ministre, vous avez cité les présidents Mitterrand et Chirac. N’oublions pas les engagements du président Hollande. Il importe de rappeler le principe essentiel de notre solidarité inébranlable avec nos alliés européens. Notre dissuasion nucléaire a aussi cette signification, ce qui n’entrave pas sa gestion souveraine. Le groupe Socialistes et apparentés tient à rappeler que notre dissuasion est aussi au service des valeurs démocratiques et de la liberté.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). L’un des aspects essentiels de notre doctrine de dissuasion nucléaire est l’incertitude, qui renforce son pouvoir dissuasif. Indiquer noir sur blanc ce que nous protégeons grâce à elle en sus de nos intérêts vitaux, y compris à l’échelon européen, me semble malavisé.

M. Loïc Kervran (HOR). La dissuasion nucléaire n’est pas un objet comme un autre. Le discours du Président de la République à son sujet, très attendu et très suivi, fait partie à part entière de la crédibilité de la dissuasion française, donc de notre sécurité. Il n’est pas une simple déclaration à l’École militaire.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Notre collègue Thiériot a raison : il faut parler de ce sujet avec prudence. Notre doctrine comporte une dimension déclaratoire et nous ne sommes pas exempts d’un devoir de responsabilité en la matière.

Souvenons-nous quand même que le Président de la République lui-même n’a pas toujours été irréprochable dans ses déclarations, prenant un mot pour l’autre et parlant alternativement d’intérêts fondamentaux et d’intérêts vitaux. Certes, la déclaration sur la dimension européenne des intérêts vitaux de la nation, rédigée à l’avance, est plus solide.

Quoi qu’il en soit, rien ne nous interdit à nous, parlementaires, de graver dans le marbre de la loi une déclaration de principe comportant elle aussi une dimension diplomatique. Il s’agit d’envoyer un signal à nos partenaires, qui se sont faits fort, ces dernières années, d’expliquer qu’ils sont prêts à financer la dissuasion et que nous ne le sommes pas.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je loue les efforts de La France insoumise pour défendre la dissuasion nucléaire française. Soyons rigoureux et lisons l’amendement : « La dissuasion nucléaire, cœur souverain de notre défense au caractère strictement national, protège la France ». Notre dissuasion protège les intérêts vitaux français. Cette seule nuance, qui équivaut à un changement de doctrine, justifie un avis défavorable. Vous appelez à la précision, à raison : il faut être précis.

Vous avez le droit d’être en désaccord avec la Constitution. Je vous en donne acte, comme vous le dites souvent, Monsieur Saintoul. Il se trouve qu’elle confie au Président de la République la définition des intérêts vitaux de la nation. C’est pourquoi le Président de la République a introduit son élection au suffrage universel direct lorsqu’il s’appelait Charles de Gaulle, en 1962. Il s’agissait de renforcer sa légitimité, comme le montrent les échanges entre le ministre Peyrefitte et le général de Gaulle rapportés dans C’était de Gaulle.

Il ne faut pas que l’anti-macronisme pollue cette affaire. Tous les chefs d’État de puissances dotées, qu’il s’agisse du président français sous la Ve République, du président des États-Unis d’Amérique ou du président russe, définissent la doctrine de dissuasion, qui est observée de très près par les alliés et les compétiteurs dans le monde.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Notre amendement modifie le début de la deuxième phrase de l’alinéa 7 mais ne supprime pas la mention de nos intérêts vitaux, qui figure après. Nous ne modifions en aucun cas la doctrine. Soyons précis, Monsieur le ministre.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN432 de M. Aurélien Saintoul.

M. Christophe Bex (LFI-NUPES). Si nous souhaitons que la France rejoigne le traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) en tant que membre observateur, c’est avant tout pour clarifier notre vision du rôle de la France à l’international. Sommes-nous réellement une puissance qui aspire à promouvoir la paix entre les peuples ? Ces mots peuvent sembler légers, mais n’oublions pas que la paix ne se construit pas sur de belles paroles. Tel est l’enjeu de ce genre de traité : imaginer, pour l’humanité, l’horizon d’un futur plus soutenable.

Bien entendu, nous ne prônons pas une adhésion ayant pour but immédiat de nous débarrasser de notre arsenal nucléaire, qui demeure le cadre permettant d’assurer notre sécurité collective dans un monde régi par des logiques de puissance. Ce traité ne peut être réduit à sa seule portée symbolique.

En tant que puissance nucléaire, notre parole porte à l’échelle internationale. Elle peut encourager d’autres puissances à s’engager davantage en faveur du désarmement général. Certes, le contexte actuel n’est pas adéquat pour imaginer cette évolution dans un futur proche. Toutefois, nous sommes signataires du TNP, qui empêche les États non dotés de développer un arsenal.

Allons plus loin : en tant que puissance nucléaire, la France a un pouvoir d’impulsion important, susceptible d’avoir des effets bénéfiques pour l’humanité entière. Ne laissons pas les méandres de la Realpolitik nous aveugler ! Adoptons une démarche plus volontariste et soucieuse d’un monde débarrassé de ses armes de destruction massive en rejoignant le TIAN en tant que membre observateur !

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Un désarmement ne peut pas être unilatéral. Le monde n’est pas désarmé et la France est exemplaire en la matière. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Avis défavorable.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Monsieur le rapporteur, pouvez-vous s’il vous plaît répondre sur le fond ? L’amendement dispose : « La France rejoindra le traité sur l’interdiction des armes nucléaires en tant que membre observateur ». Il n’est donc pas question de désarmement unilatéral. Votre argument ne porte pas sur l’objet de l’amendement. Nous disons, quant à nous, fermement et clairement, que nous sommes pour la dissuasion et pour le désarmement, ce qui est exactement la doctrine française dans le cadre du TNP.

Monsieur le ministre, vous ne pouvez pas dire que des négociations ont été menées de bonne foi entre les États dotés ces dernières années. La campagne internationale pour abolir les armes nucléaires (ICAN) a rappelé l’insuffisance de la mobilisation des États dotés en faveur du désarmement global. Nous considérons qu’une campagne internationale ne peut pas être balayée d’un revers de main au prétexte que d’autres sont les méchants et ne veulent pas non plus de désarmement. Il ne s’agit pas d’une initiative nulle et non avenue.

J’observe que nos alliés, qui sont sous parapluie nucléaire américain, sont capables, eux, d’assister aux réunions des États parties au TIAN, et qu’ils ne renoncent pas pour autant à leur doctrine ni à leur sécurité. Nous ne pouvons pas adresser ce message à la communauté internationale. Nous devons avoir une attitude plus volontariste. Tel est l’objet de l’amendement.

M. Frédéric Mathieu (LFI-NUPES). Monsieur le rapporteur, votre réponse est encore une fois surprenante. Personne n’a proposé un désarmement unilatéral. Personne n’a proposé que nous nous débarrassions dès à présent de nos armes nucléaires.

La promotion de la paix dans le monde est une ligne de crête qu’il n’est pas facile d’emprunter. Il n’y a rien de contradictoire à avoir un pied dans la continuation de la dissuasion au meilleur niveau possible pour protéger nos intérêts vitaux, et un autre dans la promotion patiente et inlassable de la paix et du désarmement dans le monde.

M. le ministre a évoqué la Constitution de la République française. Je citerai le préambule de la Constitution de 1946, qui fait partie du bloc de constitutionnalité de la République française. Issu du programme du CNR – le vrai, le Conseil national de la Résistance, pas le truc inventé il y a quelque temps –, il dispose, en son alinéa 15 : « Sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix ». Notre amendement ne fait que mettre en musique la Constitution de notre pays, telle qu’elle a été héritée du Conseil national de la Résistance.

M. Fabien Roussel (GDR-NUPES). Nous soutenons l’amendement, qui précise notre pensée – il n’y en a qu’une, au Parti communiste français et au sein du groupe GDR, dans ce domaine. Dans l’absolu, nous aimerions que toutes les puissances nucléaires s’engagent dans un traité d’interdiction des armes nucléaires, afin que nous sortions d’un monde où la menace nucléaire plane sans arrêt, ce qui serait idéal. Toutes les puissances nucléaires devraient mener ce combat, comme le TNP les y invite au demeurant.

Dans cette attente, la demande que nous formulons, qui ne remet pas en cause la dissuasion nucléaire actuelle, est que la France assiste aux réunions des États parties au TIAN en tant qu’observateur. Nous déposerons un amendement en séance publique à cet effet, pour que les choses soient claires.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). J’admire le sens du timing de La France insoumise. Tandis que la Russie brandit la menace nucléaire régulièrement, au cœur de l’examen du projet de loi de programmation militaire, nous adopterions un statut d’observateur au sein du TIAN, dont chacun sait qu’il est un outil de déstabilisation utilisé par certains de nos compétiteurs stratégiques pour fragiliser la position de certaines puissances, dont la France !

Quant à votre rêve d’un monde dénucléarisé, il signifie pour demain que des forces conventionnelles massives affronteraient des forces conventionnelles massives, que nous n’aurons plus un mais dix Bakhmout, et que nous aurons sur le sol de l’Europe des batailles où le sang coulera. Nous sommes avares du sang français.

M. Laurent Jacobelli (RN). Voilà les ravages du « en même temps » ! Tout à l’heure, La France insoumise parlait de notre dissuasion nucléaire comme du cœur souverain de notre défense ; à présent, elle nous explique qu’il faut dénucléariser. C’est cinquante nuances de rouge : on essaie de faire plaisir à plein de gens qui ne pensent pas tous pareil ! La loi de programmation militaire ne doit pas être un objet de fantasmes, ni ceux d’auto-glorification macronienne, ni ceux d’une extrême gauche qui n’a plus rien pour se recoudre et se ressouder.

Soyons sérieux ! Nous parlons de nos armées ! La défense nucléaire est importante, elle est même le cœur de notre défense. Nous avons voté votre amendement à ce sujet, mais là, cela commence à ressembler à du n’importe quoi ! Réglez vos problèmes internes et mettez-vous d’accord entre vous, mais ne prenez pas en otage la loi de programmation militaire !

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Nous soutenons l’amendement. Je suis étonnée du niveau de caricature que nous atteignons dans un débat qui est quand même d’une grande complexité. Monsieur le ministre, vous avez admis qu’il était légitime d’avoir des positions différentes sur un sujet aussi important que l’arme nucléaire. Dans le contexte de retour des conflits de haute intensité que nous connaissons, tracer le chemin vers la paix et vers un monde dénucléarisé relève de notre responsabilité.

L’amendement propose un équilibre et une trajectoire. Il est question, non pas de renoncer de façon unilatérale à la dissuasion nucléaire, mais de continuer à progresser sur le chemin d’un monde sans armes nucléaires. C’est quand les conflits sont au plus fort et qu’on les voit revenir qu’il faut promouvoir davantage encore la paix.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN551 de Mme Cyrielle Chatelain.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Il s’agit d’inscrire dans le rapport annexé le respect du TNP, dont la France est signataire. Même s’il date des années 1970, son contenu est resté pertinent.

En signant ce traité, La France rappelle qu’elle est désireuse de promouvoir la détente internationale et le renforcement de la confiance entre les États, afin de faciliter la cessation de la fabrication d’armes nucléaires, la liquidation des stocks d’armes existants et l’élimination des armes nucléaires de leurs vecteurs des arsenaux nationaux, en vertu d’un traité sur le désarmement général et complet, sous un contrôle international strict et efficace.

Ces engagements, la France les a pris et nous devons les rappeler. Certes, nous sommes dans une période de conflit, mais nous n’en devons pas moins continuer à défendre nos engagements pour la paix.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Permettez-moi de vous rappeler que la France est exemplaire en la matière. Sa dissuasion repose sur le principe de stricte suffisance. L’amendement est satisfait. Demande de retrait ou avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Si on commence à citer un traité, en l’espèce relatif à la dissuasion nucléaire, il faut citer aussi tous les traités relatifs aux questions de défense. Or les citer tous dans un rapport annexé, alors même qu’ils sont déjà en application, relève sinon d’une forme de bavardage, du moins d’un foisonnement de données.

Je suis attaché au TNP, mais j’émets un avis défavorable pour cette raison de forme. La question de l’interdiction des armes chimiques, par exemple, est tout aussi importante.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Monsieur le ministre, votre argumentation pose problème. Vous ne pouvez pas exciper de l’exceptionnalité de la dissuasion nucléaire en raison de son statut de clé de voûte ou de fondement de la défense nationale tout en refusant d’évoquer le TNP dans ce texte.

Nos collègues du Rassemblement national ont évoqué cinquante nuances de rouge. Sachant qu’ils n’aiment ni le rouge ni la nuance, il n’est pas surprenant qu’ils ne s’y retrouvent pas. En l’occurrence, il n’y a aucun problème. Il s’agit d’être cohérent avec la doctrine française qui consiste, au moins depuis la signature du TNP, à promouvoir et la dissuasion et le désarmement. Je vous laisse gamberger à ce sujet.

Notre collègue Thiériot a dit que la dissuasion était de nature à stabiliser et à pacifier les relations entre États. Dans ce cas, pourquoi soutient-il la lutte contre la prolifération nucléaire ? À tout prendre, la multiplication des armes atomiques sur la planète pourrait être un gage de stabilité. Je doute qu’il soit d’accord avec cette affirmation.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Excellente idée, Monsieur le ministre : il faudrait aussi parler des armes chimiques, qui sont une autre ligne rouge. Mais un rappel des engagements de la France en matière de non-prolifération des armes nucléaires serait un symbole fort. Il s’agit, non pas d’allonger inutilement le rapport annexe, mais de réaffirmer le chemin qui passe d’abord par la non-prolifération, puis par le désarmement global pour aboutir à la paix. Nous souhaitons que, sur cette question, la parole de la France porte.

La commission rejette l’amendement.

 

 

 

Amendement DN144 de M. Franck Giletti.

M. Frank Giletti (RN). Le retard accumulé dans le programme du SCAF, le système de combat aérien du futur, et son avion de nouvelle génération, dont la mise en service ne devrait pas survenir avant l’année 2040 au minimum, nous oblige à développer un cinquième standard du Rafale, le F5, dans la perspective d’assurer la continuité notamment de la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire. Pourtant, on ne trouve pas dans le projet de loi de précisions relatives au calendrier retenu pour conduire cette évolution.

Cette lacune est surprenante, surtout vu le contexte international, d’autant que le Président de la République vient de déclarer se donner pour objectif le passage au tout Rafale. Le Gouvernement dispose-t-il d’une visibilité en la matière ?

Dans l’attente de l’hypothétique mise en service du SCAF, il est primordial que l’armée de l’air et de l’espace puisse au moins disposer d’échéances claires concernant le nouveau standard.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Comme l’a indiqué le chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace devant notre commission, le lancement des travaux de développement du standard F5 vient d’être validé par le ministère. Ce n’est pas un mystère que les Rafale au standard F5 auront vocation à emporter le nouveau missile de la composante nucléaire aéroportée, l’ASN4G, à l’horizon 2035. Le F5 sera donc disponible avant. Il n’y a pas d’enjeu de calendrier spécifique sur le sujet.

Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Cet amendement me donne l’occasion de faire un point sur le Rafale.

SCAF ou pas, le cinquième standard aurait été développé.

De même, quoi qu’il arrive, le SCAF verra le jour. La question est de savoir avec quels pays et quels industriels le réaliser. Mais le SCAF est le nom de la technologie utilisée par la génération de chasseurs qui suivra le Rafale. Pour effectuer le tuilage, Rafale et SCAF cohabiteront pendant dix à vingt ans. C’est entendu depuis le début. D’ailleurs le SCAF ne succédera au Rafale qu’à terme ; ce ne sera pas le cas dans un premier temps.

J’ai pris la décision, en liaison avec l’industriel concerné, d’engager la production et le déploiement du F5. On commence en effet à disposer de gains technologiques précieux, notamment en matière de détection de cibles furtives et, surtout, de guerre électronique, car les systèmes se transforment rapidement et les avions de chasse risquent d’être vulnérables à la guerre électronique à venir. Le F5 sera muni d’instruments de défense en la matière.

Il est évident que le standard F5 correspond aussi au programme de missiles nucléaires. La cohérence est pour le coup évidente. Je pense, Monsieur le rapporteur, que cela se fera avant 2035, vers 2032.

Le F5 est donc bien la génération d’avions de demain. Il faut bien distinguer cette question de celle du SCAF.

Votre amendement me semble donc satisfait. Je le prends comme une demande de précisions.

Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.

M. Frank Giletti (RN). Il est évident que nous aurons besoin à la fois du nouveau système de combat aérien du futur et de l’avion de nouvelle génération. Je maintiens l’amendement.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). De toute évidence, le ministère dispose déjà d’un calendrier de passage au standard F5 : inutile d’en redéfinir un. En revanche, la question se pose de savoir combien de Rafale basculeront dans le nouveau standard. Nous souhaiterions avoir des précisions sur ce point et que le calendrier soit inscrit dans le rapport annexé. Un amendement du Gouvernement en ce sens en séance serait le bienvenu.

La commission rejette l’amendement.

Amendement DN114 de M. Michaël Taverne.

M. Michaël Taverne (RN). Depuis la fin des essais nucléaires français, les installations permettant d’effectuer des simulations sont devenues essentielles. Celles-ci assurent en effet la fiabilité, la sûreté et la crédibilité de notre dissuasion.

La France compte parmi les pays les plus avancés dans ce domaine, grâce notamment au laser Mégajoule (LMJ), inauguré en 2014 et le plus énergétique au monde, ainsi qu’au supercalculateur Tera 1000, qui était en juin 2018 le quatorzième le plus puissant au monde.

Cette expertise est un atout majeur, qui permet à notre dissuasion de jouer son rôle et d’assurer quotidiennement la sécurité de notre pays. Une attention toute particulière doit lui être portée. Le présent amendement vise à inscrire dans la loi l’objectif de poursuivre les investissements dans ce domaine où la compétition internationale est très forte et où les développements technologiques sont rapides.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Votre description montre bien qu’on fait déjà beaucoup en la matière. L’amendement est donc satisfait.

Demande de retrait ou avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Sur le fond, il est évident que les capacités de simulation sont essentielles. C’était l’enjeu de la reprise des essais décidée dans les années 1990 par le président Chirac. Il s’agit d’une compétence souveraine, qui s’appuie sur des outils technologiques, mais aussi sur de l’ingénierie et sur des ressources humaines remarquables. Elle est pilotée en partie par la direction générale de l’armement (DGA) et, surtout, par la direction des applications militaires (DAM) du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Je peux m’engager devant vous sur le fait que nous disposons en matière de simulation et d’essais numériques d’une visibilité sur plusieurs décennies. C’est une prouesse !

En revanche, je doute de l’opportunité d’inscrire un tel objectif dans le rapport annexé. Je ne veux pas introduire de doute concernant nos capacités de dissuasion.

Demande de retrait ou avis défavorable.

M. Fabien Lainé (Dem). J’ai invité l’autre jour les collègues de la commission qui le souhaitaient à visiter le laser Mégajoule au Barp, dans l’agglomération bordelaise. Le CEA nous a présenté le programme d’investissements lié. Il s’agit d’une installation complexe, complétée régulièrement par de nouveaux faisceaux. Elle ne pose aucun problème. Idem pour les supercalculateurs. Il ne me semble pas judicieux, dans ce domaine, de tout inscrire dans la loi.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). La simulation est tellement au cœur de la dissuasion que l’amendement semble en effet superfétatoire. En revanche, il faudra veiller à protéger la filière française des supercalculateurs car c’est un enjeu de souveraineté – j’ai interrogé le directeur général de l’armement à ce sujet. Nous avons déposé un amendement en ce sens. J’espère que nous nous accorderons sur ce point.

L’amendement est retiré.

 

L’amendement DN115 de Mme Isabelle Santiago est retiré.

 

Amendement DN889 de M. Jean-Michel Jacques.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il s’agit, à l’alinéa 8, de substituer aux mots : « de renforcer celle de nos territoires d’Outre-mer, en Indopacifique notamment », les mots : « singulièrement de nos territoires d’Outre-mer ».

M. Sébastien Lecornu, ministre. Avis favorable. Chacun des territoires d’Outre-mer fait face à des menaces qui lui sont propres. Il faut traiter dans la loi l’ensemble du territoire de la République de manière égale.

La commission adopte l’amendement.

Amendement DN491 de M. Bastien Lachaud.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NUPES). Cet amendement vise à substituer au mot « Indopacifique » les mots « dans les océans Indien et Pacifique ». L’Indopacifique est un concept géopolitique importé des États-Unis, qui recouvre la zone qui s’étend de la Californie à l’Inde en passant par Hawaï, Guam, Okinawa et la Corée du Sud. Compte tenu de la répartition des collectivités d’Outre-mer et des bases françaises à l’étranger, il est préférable de distinguer l’océan Indien et l’océan Pacifique, afin de renvoyer à des notions géographiques claires pour les Français. Que les lois soient intelligibles par tous nos concitoyens doit être pour nous une préoccupation constante. La langue française est assez riche pour ce faire.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Le concept d’Indopacifique, bien que d’origine américaine, s’applique parfaitement à la France, dont les intérêts dans les deux océans sont liés. Soit dit en passant, la France possède plus de territoires dans l’océan Indien que les États-Unis. Le Président de la République a présenté en 2018 une stratégie pour l’Indopacifique, reprenant à son compte le concept.

Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. L’origine du concept est peut-être américaine mais les pays riverains eux-mêmes utilisent cette terminologie. Tous ceux qui connaissent la zone le savent. Ne sombrons pas dans l’antiaméricanisme primaire – cela étant, je ne dis pas que vous le faites.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Pas de caricature, s’il vous plaît. Il s’agit simplement de s’assurer qu’on utilise les termes adéquats et une grille d’analyse conforme à nos besoins et à nos intérêts. Nous ne sommes pas les seuls à avoir fait cette remarque – je vous renvoie aux comptes rendus des auditions auxquelles nous avons procédé.

Nous appréhendons la région depuis notre base de Djibouti, Mayotte et La Réunion. En nous laissant imposer nos mots, nous nous laissons aussi imposer une grille d’analyse qui n’est pas conforme à nos intérêts.

M. Yannick Chenevard (RE). « Indopacifique » renvoie à l’océan Indien, à l’océan Pacifique et à la liaison entre les deux. La France est présente dans le canal du Mozambique, à Mayotte et à La Réunion, et dans l’océan Pacifique, en Nouvelle-Calédonie, à Wallis-et-Futuna et, à environ 5 000 kilomètres de là, en Polynésie française : le terme me paraît s’appliquer parfaitement à cette zone.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Le concept d’Indopacifique a permis aux États-Unis de faire basculer leur flotte du Golfe vers le Pacifique pour organiser une sorte de glacis autour de la Chine. La France est présente, à travers ses territoires d’Outre-mer, dans les deux océans, mais nos intérêts se trouvent-ils auprès de Taïwan ou auprès des pays du Golfe ? Utiliser le terme « Indopacifique » est déjà une manière de répondre à cette question. Nous devrons être très précis dans l’utilisation des concepts et prudents dans nos relations tant avec la Chine qu’avec les pays du Golfe.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Spontanément, j’avais une réserve concernant l’utilisation du concept d’Indopacifique car je crois qu’il s’agit de deux réalités distinctes, mais après avoir entendu l’argumentation de notre collègue Lachaud, je voterai contre l’amendement…

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN217 de Mme Isabelle Santiago et sous-amendement DN929 de M. Bastien Lachaud.

Mme Isabelle Santiago (SOC). Nous souhaitons préciser que le déploiement militaire français dans les Outre-mer, notamment en Indopacifique, doit s’accompagner du renforcement substantiel des partenariats stratégiques avec les pays de ladite zone et que ces partenariats doivent permettre d’assurer autant que possible une interopérabilité entre les forces françaises et celles de nos alliés.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis favorable sur l’amendement et défavorable sur le sous-amendement, qui vise le même objectif que l’amendement DN491.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je suis plutôt favorable à l’amendement avec néanmoins la réserve que la précision « notamment en Indopacifique » nous fait tomber dans le travers pointé tout à l’heure : cela reviendrait à dire que l’on ne renforce pas les partenariats stratégiques avec la Guyane, le Brésil, le Suriname ou le Canada. N’établissons pas de distinguos entre les territoires d’Outre-mer. Il faudrait soit retirer l’amendement et le modifier d’ici à la séance, soit l’adopter mais effectuer la modification en séance.

L’amendement est retiré.

 

En conséquence, le sous-amendement n’a plus d’objet.

 

La commission adopte l’amendement rédactionnel DN819 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

 

 

Amendement DN42 de la commission des finances.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. Il s’agit de prévoir la possibilité de conclure des partenariats avec des opérateurs privés et d’utiliser des services commerciaux pour les activités de renseignement et de défense de nos intérêts nationaux. Dans une économie de guerre, l’ensemble des services nationaux et alliés, publics comme privés, doivent être mis à contribution pour la défense de la nation. Cela permettrait de multiplier nos moyens de défense et les outils au service de nos armées. En Ukraine, par exemple, le recours à des prestataires privés a été utile au renseignement.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis favorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Avis favorable : c’est un apport au texte.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Je suis stupéfait que le rapporteur et le ministre ne donnent pas plus d’arguments pour justifier leurs avis favorables. Il est ici question de renforcer une tendance bien identifiée, celle de la privatisation des conflits. Quand nous avons abordé la question de l’externalisation, on nous a répondu que nous étions tatillons, qu’il ne s’agissait que de badges à l’entrée de Balard – mais en l’espèce, il n’est plus question de badges, il s’agit de savoir si des moyens de surveillance et même d’action seront confiés à des prestataires privés. Je rappelle qu’il y a quelques années, le ministère avait déjà été critiqué parce que le recours à des prestataires privés pour le transport stratégique n’avait pas été assez transparent. Or cet amendement, qui plus est présenté au lendemain d’un débat en séance sur le groupe Wagner, donc sur les sociétés militaires privées, encourage l’État à se dessaisir une fois encore de ses responsabilités. Vous mettez le doigt dans un engrenage dangereux, je vous le dis. L’État doit être le seul à faire la guerre et à assurer la défense de la France et de sa population.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Nous avons adopté hier à l’unanimité l’inscription de Wagner, une société militaire privée, sur la liste des organisations terroristes. À l’instant, l’un des piliers de la majorité vient d’affirmer que le recours à des prestataires privés durant la guerre en Ukraine avait été utile. Je ne dis pas que vous établissez une relation entre les deux mais, dès lors que l’on enlève les garde-fous, que l’on n’apporte aucune précision ni aucune limite, il y a un risque d’engrenage. Si vous voulez recourir à du renseignement privé, discutons-en, mais qu’entendez-vous par « action » ?

M. Sébastien Lecornu, ministre. Vraiment, tout est bon pour s’opposer !

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Sur l’Outre-mer, nous étions d’accord ! Ne banalisez pas nos désaccords.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je cherche au contraire à les révéler. Vous souhaitez que nous argumentions alors que le modèle d’armée que nous promouvons est cohérent et connu de tous. Au contraire, on a du mal à comprendre celui que La France insoumise propose…

J’ai dit que cet amendement apportait quelque chose au texte parce que la rédaction en était précise. Libre à vous de supprimer ensuite ce que vous souhaitez. Mais le déploiement d’offres d’accès à des images satellitaires par Airbus Defence and Space, est-ce comparable à l’action du groupe Wagner ? Attention à ce que vous dites, Messieurs les députés !

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Ce n’est pas ce que nous avons dit.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Un peu, tout de même : vous avez sous-entendu que les partenaires commerciaux français étaient des sociétés militaires privées – mais vous n’en êtes pas au premier dérapage, même si vous vous rattrapez parce que vous avez du métier.

Faut-il que Naval Group cesse de participer aux travaux sur la base de l’île Longue ? Si vous remettez en cause le fait que nos entreprises participent à notre défense, c’est un autre modèle que vous défendez. Dans ce cas, assumez-le et allez jusqu’au bout de votre raisonnement. Si je n’ai pas tout compris de votre position, excusez-moi, mais entre le service militaire obligatoire, la fin de la dissuasion – à laquelle vous êtes néanmoins favorable – et la sortie de l’Otan sans savoir pour autant dans quelle autre alliance on s’insère, je ne sais plus très bien où l’on en est.

Pour ma part, je trouve que M. Plassard propose un bon équilibre. Il n’ouvre pas la voie à une nouveauté, il précise au contraire le champ des possibilités actuelles. Si vous n’êtes pas de cet avis, si vous identifiez des risques de dérive, indiquez-les et l’on amendera le texte.

M. Frank Giletti (RN). Notre collègue de la commission des finances promeut à travers cet amendement une vision très libérale de la défense, alors que nous défendons plutôt une conception nationale, fondée sur la souveraineté. Nous avons déjà parlé de l’externalisation et de ses effets sur le maintien en condition opérationnelle des armées, notamment à propos des Atlantique 2 de l’Atelier industriel de l’aéronautique (AIA) de Cuers-Pierrefeu. Certes, le privé dispose d’atouts. Ne nous interdisons pas d’y recourir, mais pas de manière aussi substantielle et permanente.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Si vous voulez supprimer « substantiel » ou préciser que les entreprises en question doivent être françaises, je n’y suis pas opposé – c’est à M. Plassard d’en décider – mais on ne peut pas dire qu’on est fier de notre BITD et refuser de la faire travailler ! Elle participe elle aussi à notre souveraineté.

La commission adopte l’amendement.

 

 

 

Amendement DN247 de Mme Mélanie Thomin.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Il s’agit de promouvoir la lutte contre les ingérences étrangères à l’échelon du littoral. L’accroissement des conflits et des compétitions mondiales entraîne un renforcement des démonstrations de force face à notre zone économique exclusive (ZEE).

D’autre part, le chef d’état-major de la marine et les préfectures maritimes appellent l’attention sur l’ouverture de nouvelles voies en Arctique du fait du réchauffement climatique, ce qui ouvre également de nouvelles voies économiques qui font de l’océan Atlantique le théâtre d’influences nouvelles. Il n’est pas rare d’observer au large de nos côtes, par exemple en mer d’Iroise, des démonstrations de force de la part de certains de nos compétiteurs : câbles coupés, manœuvres de bâtiments russes…

Si l’on veut que la marine nationale se consacre pleinement à ses missions en haute mer, il est nécessaire de renforcer la surveillance de nos côtes par la mise en place d’une flottille côtière complémentaire. L’objet de cet amendement est d’y associer les représentants des collectivités territoriales, en particulier littorales, afin de faciliter le déploiement des moyens.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Étant moi aussi député breton, je comprends votre souci du littoral… Cela étant, la marine nationale fait convenablement son travail, que ce soit avec ses bâtiments ou ses sémaphores. Ce qui importe, et c’est l’un des objets du présent PLPM, c’est de mettre l’accent sur l’espace. D’où la nécessité d’augmenter nos moyens dans ce domaine, afin d’améliorer la surveillance de la surface maritime et des fonds marins.

Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Vous avez raison, madame Thomin, d’évoquer la problématique de l’Arctique, de la sécurité collective dans l’océan Atlantique et du durcissement de la marine, en particulier des sous-marins russes, dans la zone : c’est une réalité.

Pour ce qui est de l’amendement, il me semble difficile d’inscrire dans la loi qu’« un plan de défense du littoral sera élaborée en lien avec les acteurs locaux ». Des plans de défense existent déjà, fort heureusement, et ils sont pilotés par l’état-major des armées, par les préfets maritimes et par les officiers généraux de zone de défense et de sécurité (OGZDS).

En revanche, y associer les collectivités territoriales me semble une idée intéressante. On pourrait même soulever la question générale de la résilience et de la culture collective de défense nationale, en incluant par exemple les entreprises.

Je vous propose donc de retirer l’amendement et de proposer en séance un dispositif qui, sans évoquer un plan de défense, poserait le principe d’un travail collectif englobant non seulement le littoral mais aussi les zones frontalières et l’Outre-mer.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Je pense que le littoral soulève des questions de défense spécifiques. J’accepte néanmoins votre invitation à travailler sur un amendement qui viserait à y associer les collectivités territoriales, en particulier celles situées dans les zones littorales.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN80 de M. Frédéric Boccaletti.

M. Frédéric Boccaletti (RN). Le développement des activités économiques a provoqué une croissance exponentielle du nombre de câbles sous-marins, au point d’atteindre 420 câbles. Désormais, 99 % des télécommunications intercontinentales utilisent le câble sous-marin et 10 000 milliards de dollars d’opérations financières transitent quotidiennement par cette voie, selon la Banque centrale américaine.

Les câbles sous-marins constituent donc un enjeu stratégique majeur, au cœur des rivalités internationales. En raison des investissements colossaux qu’ils représentent, l’installation et la maintenance de ces outils sont cruciales. Du fait de leur fragilité, ils peuvent faire l’objet d’actes de malveillance ou d’opérations d’espionnage. La maîtrise des câbles sous-marins est indispensable à la souveraineté et à la place de la France dans le monde. Il y va de l’autonomie stratégique de la France. C’est pourquoi nous vous proposons de compléter l’alinéa 8 par la phrase : « Une attention particulière sera portée à la sécurisation des câbles sous-marins. »

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. La maîtrise des fonds marins est une priorité ministérielle et le PLPM prévoit le développement de nouvelles capacités allant jusqu’à 6 000 mètres de profondeur, ce qui permettra de sécuriser les câbles sous-marins : demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. L’amendement est intéressant mais il me semble satisfait.

D’autre part, si l’on veut souligner une menace, il faut le faire pour toutes. Pourquoi ne pas sécuriser les pipelines d’hydrocarbures ? Pourquoi ne pas évoquer la guerre des mines ?

Si vous souhaitez lister les menaces pour rendre les choses plus claires, libre à vous – bien que cela ne me semble pas nécessaire –, mais dans ce cas retirez l’amendement et déposez-en un global en séance.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Cet amendement a le mérite de mettre l’accent sur les câbles sous-marins. Toutefois, la mission flash dont ma collègue Métayer et moi étions les rapporteurs a souligné que leur sécurisation active n’était pas réaliste. Les seuls moyens de les protéger sont la redondance et la relocalisation des infrastructures. Un amendement a été déposé en ce sens.

Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille éviter d’utiliser des câbles ou renoncer à notre souveraineté sur ces infrastructures. C’est pourquoi nous proposerons un autre amendement, visant à la nationalisation d’Alcatel Submarine Networks. Je vous invite, Monsieur le ministre, à préparer d’ores et déjà votre argumentaire, parce que nous ne nous satisferons pas d’une réponse du type : « C’est intéressant mais retirez-le ».

Mme Stéphanie Galzy (RN). Cet amendement est d’autant plus important que nous vivons un conflit de haute intensité durant lequel on a pu constater que le sabotage était également une arme – j’en veux pour preuve le récent sabotage du gazoduc Nord Stream. Nos installations sous-marines, notamment les câbles sous-marins, peuvent être prises pour cibles ; cela affaiblirait considérablement nos capacités de communication, donc notre défense.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN230 de Mme Anna Pic.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Il vise à prévoir une meilleure information du Parlement concernant la stratégie de la France dans la zone indopacifique à la suite de l’échec de la vente de sous-marins à l’Australie, en distinguant les différents types d’influence que nous pouvons avoir dans cette zone.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis défavorable car la commission de la défense a les moyens d’étudier ces sujets.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Votre commission peut convoquer le chef d’état-major des armées ou le ministre. Si vous estimez que je dois vous rendre compte sur un thème, je suis à votre disposition.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN433 de M. Aurélien Saintoul.

M. Christophe Bex (LFI-NUPES). L’utilisation et la gestion des données méritent toute notre attention. Alors que 80 % de nos données sont hébergées dans des centres situés aux États-Unis d’Amérique, la vulnérabilité des câbles sous-marins qui nous relient à eux soulève des interrogations, notamment dans un contexte de guerre hybride. Leur surveillance est impossible et une défaillance majeure ou une attaque d’une puissance étrangère hostile pourrait paralyser un pays, voire un continent. En outre, le mandat présidentiel précédent a montré que l’attachement à l’Union européenne pouvait évoluer… Nous devons donc nous rendre capables de stocker nos données en France ou, à tout le moins, en Europe pour garantir un minimum de souveraineté et de sécurité. Sommes-nous seulement en mesure d’assurer une communication internet et GPS sur notre territoire ?

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il serait difficile de relocaliser toutes les données sur le territoire français. Il faut avoir une approche plus large, tout en gardant la plus grande souveraineté possible dans ces domaines ; beaucoup de mesures interministérielles vont dans ce sens. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il faut distinguer entre les données, certaines ne présentant pas d’intérêt majeur tandis que d’autres sont critiques. Les données classifiées sont évidemment hébergées sur des serveurs militaires, en France ou à l’étranger – des serveurs peuvent se trouver sur nos bases lorsque des forces sont projetées à l’étranger. S’agissant des données non sensibles, des analyses sont désormais faites au cas par cas. Avis défavorable car la référence aux « données » est trop générale : il convient de resserrer la grille d’analyse.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Il s’agit d’un enjeu de résilience en cas de sabotage. L’installation de ces serveurs sur le continent, particulièrement en France, est indispensable car il n’y a pas de perspective crédible de protection active des câbles sous-marins. Il s’agit également d’un enjeu de protection contre l’extraterritorialité du droit américain, puisque ces installations sont le plus souvent situées sur le territoire américain, ce qui nous rend très vulnérables à l’action des États-Unis.

S’agissant de la sensibilité des données, votre argument n’est pas convaincant car les moyens en matière d’exploitation du big data ne permettent presque plus de faire le distinguo entre les données sensibles et celles qui ne le sont pas. Nous devons donc d’ores et déjà nous donner la possibilité de disposer de serveurs en France pour garantir la résilience du réseau.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je redis ma disponibilité pour étudier une formulation qui serait plus précise, et donc plus opérante, qu’une simple référence aux « données » en général. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN594 de M. Christophe Blanchet.

M. Christophe Blanchet (Dem). Il vise à rendre plus visible le lien nation-armée rénové, sur lequel s’appuieront les armées pour contribuer davantage à la cohésion et à la résilience de la nation, en particulier par une participation accrue aux cérémonies patriotiques.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis favorable.

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre des armées et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de la jeunesse et du Service national universel. Nous avons besoin de résilience. Celle-ci passe par la cohésion nationale et, naturellement, par le renforcement du lien de la nation avec l’armée. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendements identiques DN231 de Mme Anna Pic et DN434 de M. Aurélien Saintoul.

M. Emmanuel Fernandes (LFI-NUPES). Notre amendement vise à supprimer la mention du service national universel du rapport annexé. En effet, le SNU est un dispositif mal conçu et coûteux – le repas à 1 euro pour tous dans les Crous coûterait 60 millions d’euros par an, contre 1 milliard pour le SNU pour quelques-uns –, qui ne remplit aucun objectif en matière de défense, d’éducation ou de cohésion sociale.

Le SNU, c’est aussi un florilège de dérives : agressions sexuelles, propos racistes, punitions collectives comme à Strasbourg, sorties en montagne dangereuses et mal encadrées… On a vu bien mieux pour faire vivre les principes républicains ou développer une culture de l’engagement. Nous refusons donc le SNU mais nous soutenons le projet d’une conscription citoyenne permettant de rémunérer au SMIC une classe d’âge pendant neuf mois pour participer à des activités civiles et militaires d’utilité sociale et écologique. Loin du gadget folklorique que constitue le SNU, il s’agirait d’un dispositif réellement égalitaire, au service de l’intérêt général.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Les propos excessifs de notre collègue montrent bien la volonté farouche de décrédibiliser le SNU en évoquant des cas isolés. Je peux vous assurer, pour avoir suivi l’expérimentation du SNU dans le Morbihan, que les jeunes sont heureux de leur expérience. En tout cas, le débat sur la loi de programmation militaire ne doit pas se confondre avec celui sur le SNU. Avis défavorable.

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État. Vos propos sont en effet excessifs, Monsieur Fernandes, et je vous invite à participer à un séjour de cohésion pour rencontrer des jeunes qui y participent. S’agissant des faits que vous avez évoqués, les malaises recensés dans les Hautes-Alpes ont été provoqués par des insolations, comme cela se produit chaque année dans des milliers de colonies de vacances. Je ne vous laisserai pas jeter l’opprobre sur plus de 9 000 encadrants venant de l’éducation populaire, de l’éducation nationale, de l’armée et des forces de sécurité intérieure. Si des comportements répréhensibles ont eu lieu, la justice tranchera car nous avons saisi avec beaucoup de fermeté le procureur de la République et l’Inspection générale.

Pourquoi voulez-vous priver des jeunes de mixité sociale, territoriale et d’engagement ? Pourquoi ne pas leur donner une chance de rejoindre un projet qui les fait sortir de leur département, de leur vie de tous les jours et leur fait découvrir d’autres horizons ? Cela ne représente que 140 millions d’euros, très loin du milliard que vous avez évoqué. Avis très défavorable.

Mme Caroline Colombier (RN). Les propos de notre collègue sont absolument inacceptables et insultants pour ces jeunes qui s’engagent pour la nation. Il exprime ainsi la tendance antimilitariste de son groupe mais, quand il s’agit de donner des leçons de morale, LFI devrait commencer par balayer devant sa porte.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Le SNU n’a besoin de personne pour se discréditer. Si vous voulez faire de la mixité sociale, c’est simple : revoyez la carte scolaire et vous l’aurez tous les jours à l’école ! Ce sera bien plus utile que quinze jours d’expérience exaltante au SNU.

Par ailleurs, le Président de la République s’était engagé à ne jamais utiliser le budget des armées pour le SNU. Or celui-ci se trouve dans la loi de programmation militaire, avec des embauches fléchées vers le SNU. Le budget des armées servira au SNU : c’est un reniement du président.

Enfin, pouvez-vous, Madame la secrétaire d’État, confirmer les propos que vous avez tenus sur France 3, à savoir que le Président de la République n’avait jamais dit que le SNU serait obligatoire ? Si vous les confirmez, ce soulèverait un problème car cet engagement figurait dans le programme du Président de la République –  et même sur le site du SNU, juste avant qu’il ne soit modifié le lendemain de vos propos…

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). D’une manière générale, il y a un problème de sincérité budgétaire. Le SNU figure dans la loi de programmation militaire alors qu’il n’était pas censé s’y trouver, avec quelque 600 emplois fléchés vers le SNU. Il y a donc un mensonge, une tromperie. Combien d’entre vous le savaient, chers collègues ? Si vous voulez que les enfants découvrent la montagne, organisez des classes vertes, des colonies de vacances, mais ne mélangez pas tout.

Vous affirmez que le SNU ne sera pas obligatoire. Or le général Delion nous a expliqué qu’il espérait atteindre ses objectifs de recrutement de réservistes grâce à un SNU suffisamment ample et large pour inciter une population sensibilisée à devenir réserviste.

M. Yannick Chenevard (RE). Je souhaite dire aux jeunes, aux parents et aux encadrants qu’ils peuvent être très fiers d’avoir choisi cette voie. Alors que certains remettent parfois en cause nos valeurs, je tiens à rappeler que « honneur, patrie, valeur, discipline » font partie de nos fondamentaux.

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Le SNU est un caprice qui n’est soutenu par personne, ni la jeunesse ni l’armée. Il y aurait pourtant beaucoup à faire : des missions civiques, sociales et environnementales pourraient être organisées, sur la base du volontariat, pour prendre soin de la population et de l’environnement. Mais l’engagement civil ne se décrète pas et rendre ce service obligatoire ne peut fonctionner. C’est un des points de désaccord que nous avons avec la conscription voulue par nos amis de LFI car elle ne correspond pas aux besoins de la nation ni à ceux de l’armée.

M. Emmanuel Fernandes (LFI-NUPES). Mme la secrétaire d’État a affirmé que le SNU permettrait d’assurer la mixité sociale. Ses propos sont contredits par un rapport du Sénat sur le SNU, publié en mars 2023, qui démontre que cet objectif n’est pas atteint.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Pour ma part, je ne connais que trois valeurs : liberté, égalité, fraternité. Ce sont elles qui guident mon engagement. Or ces valeurs ne s’incarnent pas dans le SNU. La liberté passe par l’éducation nationale, à qui il faut redonner les moyens d’émanciper par la liberté de penser. L’égalité nécessite d’assurer la mixité dans les écoles, en arrêtant d’affaiblir l’école publique. La fraternité s’exprime au travers de l’éducation populaire et du tissu associatif. Les jeunes aspirent à s’engager autrement : donnons-leur les moyens de le faire sans recourir au SNU et à sa vision paternaliste.

M. Yannick Chenevard (RE). « Honneur, patrie, valeur, discipline », c’est tout simplement ce qui est inscrit sur tous les bâtiments de combat de la marine française.

M. Christophe Blanchet (Dem). Quelques incidents ne font pas une généralité. Il faut en finir avec les caricatures sur le SNU, qui ne correspondent en rien à ce que j’ai pu ressentir en allant à la rencontre de ces jeunes dans les centres d’hébergement. Quant à vos affirmations erronées sur le budget du SNU, elles sont insupportables : donnez les vrais chiffres ! Le SNU est certes perfectible mais il est très bien conçu et très utile.

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État. La mixité sociale se travaille évidemment à l’école mais celle-ci ne peut faire se rencontrer des jeunes venant de lycées privés et de lycées publics, de territoires ruraux et de territoires urbains. La mixité sociale s’améliore, avec 22 % des jeunes qui viennent de lycées professionnels. Si nous multiplions le nombre de séjours tout au long de l’année, c’est pour permettre à ceux qui travaillent l’été d’y participer.

Vous parlez de faire confiance aux jeunes mais, en fait, c’est tout l’inverse : vous stigmatisez les quelque 50 000 jeunes qui ont fait le choix de consacrer leurs vacances à un séjour citoyen. Le SNU ne s’oppose d’ailleurs pas au soutien des colonies de vacances : 40 millions seront consacrés cette année aux « colonies apprenantes », 6 millions au développement du Bafa – brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur. Il faut arrêter ce travail de sape ciblé sur le SNU, qui s’améliore année après année.

Contrairement à vous, je ne hiérarchise pas entre les missions choisies par les jeunes : certains prennent plaisir à lever le drapeau, d’autres décident de rejoindre les cadets de la gendarmerie ou la SPA, ou encore d’effectuer leur mission d’intérêt général dans un Ehpad ou une caserne de pompiers. Ma mission n’est pas de faire la morale mais de permettre à chacun de trouver ce qui fait battre son cœur. Si, en plus, cela permet de servir les valeurs de notre république, alors c’est une réussite !

La commission rejette les amendements.

 

Amendement DN207 de Mme Mélanie Thomin.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Il vise à préciser que le service national universel demeurera fondé sur le volontariat. La généralisation annoncée du SNU est un vrai choix politique, qui fait polémique. Elle a été suspendue car son financement n’est pas abouti – certains rapports évoquent un budget de 3 milliards. De plus, son pilotage par l’éducation nationale n’est pas réaliste.

La jeunesse n’a pas besoin d’un encadrement militaire. Celui-ci n’est d’ailleurs pas souhaité par les armées car ce gadget représente pour elles une charge supplémentaire. Nous sommes favorables au développement de l’engagement citoyen pluriel, sur la base du volontariat, dans le cadre d’associations ou d’institutions comme la protection civile ou la SNSM – Société nationale de sauvetage en mer. Nous pensons plus globalement que c’est à l’éducation nationale d’assurer la mixité sociale et que les enseignants ont besoin de moyens pour concrétiser leurs projets pédagogiques.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il est encore trop tôt pour décider si le SNU peut être étendu. La question de son caractère obligatoire ou volontaire méritera un débat apaisé et approfondi. Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État. Avis défavorable car le service national universel est encore en déploiement. Le moment n’est pas venu de décider s’il doit être généralisé.

Vous avez évoqué les projets pédagogiques : le Président de la République a annoncé la création d’un fonds d’innovation pédagogique, doté de 500 millions d’euros, pour financer les projets. Il n’est pas nécessaire d’opposer les budgets entre eux : le SNU ne pioche ni dans celui de l’éducation nationale ni dans celui des armées. Il figure dans le Programme 163, Jeunesse et vie associative. De plus, le budget du service civique continue à augmenter.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Vous devriez vous mettre d’accord avec le cabinet de M. Lecornu car son ministère nous a indiqué que 612 emplois, pris sur le budget des armées, seraient fléchés vers le SNU.

Vous faites peser une épée de Damoclès sur la programmation budgétaire en ne précisant pas dès maintenant si le SNU sera obligatoire ou non. Le Président de la République a pris l’engagement que les armées ne seraient pas affectées par le SNU, alors que son encadrement est en partie assuré par les armées, par d’anciens militaires ou par des réservistes. Nous ne vous faisons pas confiance lorsque vous affirmez que cela n’affectera pas les armées.

Le budget des colonies apprenantes s’élève à 40 millions pour 80 000 enfants. Celui du SNU s’élèvera à 160 millions pour 60 000 bénéficiaires : manifestement, tous les enfants ne se valent pas dans ce pays.

Enfin, si vous rendez le SNU obligatoire, vous aurez un grave problème car vous devrez sortir les enfants de leur foyer sans demander leur avis à leurs parents. Je pense que vous n’y parviendrez pas.

M. Christophe Blanchet (Dem). Contrairement à ce que vous avez affirmé, le SNU n’est pas encadré par des militaires et ne représente pas de charge pour les armées. Seule la Journée défense et citoyenneté relève de leur budget, et cela ne date pas de la création du SNU.

Quant à son caractère obligatoire ou non, nous ne sommes pas actuellement en mesure d’accueillir toute une classe d’âge de 800 000 jeunes en donnant à chacun les mêmes chances de vivre une expérience inclusive, patriotique et de développement personnel. Il faudra à terme s’en donner les moyens mais nous ne savons pas encore à quelle échéance.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). L’engagement des jeunes, quelle que soit sa forme – SNU, association, syndicalisme lycéen et étudiant – doit être respecté. En rendant le SNU obligatoire, vous priveriez les jeunes du droit de choisir la nature de leur engagement.

Nous nous interrogeons également sur l’objectif assigné à ces temps d’engagement. Nous pensons qu’ils doivent servir à l’émancipation, à l’apprentissage. Je suis en désaccord avec le Président de la République quand il affirme que le SNU doit nous permettre de disposer d’une jeunesse parée à tous les périls. Certes, les jeunes peuvent choisir de devenir réservistes ou pompiers, et je les en remercie tous les jours, mais c’est un choix personnel. Le soutien de l’État doit aller à toutes les associations qui accueillent des jeunes souhaitant s’engager. Or, nous le constatons dans nos circonscriptions, il n’y a plus de moyens pour ces associations. Votre choix se fait donc à leur détriment.

Mme Delphine Lingemann (Dem). Je suis effarée par le dogmatisme des députés LFI, qui contribue à appauvrir le débat, et par leur manque de patriotisme. Le SNU donne l’occasion à des jeunes d’apprendre les valeurs de la République. C’est une belle expérience : vous devriez vous rendre sur place pour échanger avec eux ; ce serait instructif.

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État. Je veux clarifier un point : le SNU n’est pas encadré par des militaires mais par des hommes et des femmes qui, pour un tiers d’entre eux, ont servi sous nos drapeaux et sont sous contrat civil.

Nous voulons préparer les jeunes à tous les périls, qu’ils soient d’ordre climatique, démocratique ou numérique. Cela ne se fera pas au détriment des structures d’éducation populaire, au contraire : le SNU est hébergé dans des bâtiments de la Ligue de l’enseignement, de la Fédération Léo Lagrange et des Francas.

Si vous ne souhaitez pas accompagner le projet des 50 000 jeunes qui choisissent de porter l’uniforme, c’est peut-être parce que cela vous déplaît. Pour notre part, nous pensons qu’il faut mobiliser les efforts de notre pays pour permettre à chacun de trouver l’engagement de son choix. C’est ce que nous faisons avec ce dispositif en trois temps : séjour de cohésion, mission d’intérêt général et engagement long. Ce dernier peut revêtir la forme d’un service civique, autre dispositif dont nous avons augmenté le budget de 20 millions d’euros cette année. Jamais nous n’avons proposé autant de missions de service civique, au point qu’il y a désormais plus de missions que de candidats ! Il n’est donc pas possible d’affirmer que nous avons retiré des crédits au budget de la jeunesse pour les consacrer au SNU. Nous accompagnons l’engagement quelle que soit sa forme : c’est ainsi que l’on fait confiance à notre jeunesse.

La commission rejette l’amendement.


Lien vidéo : https://assnat.fr/GrH0gm 

 

Article 2 : Approbation du rapport annexé (suite)

 

Amendement DN583 de M. Christophe Blanchet.

M. Christophe Blanchet (Dem). L’efficacité de l’enseignement de la défense, dont le contenu et les modalités sont à la discrétion de l’éducation nationale, n’est pas satisfaisante. Pourtant celui-ci joue un rôle important dans le renforcement du lien armée-nation et dans la résilience de la nation. Il est donc proposé que le ministère des armées collabore à la conception et à la pratique de cet enseignement.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis favorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées. Avis favorable.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Sur la forme, compte tenu du niveau de détail des amendements relatifs à la réserve, je ne suis pas convaincu qu’ils aient leur place dans le rapport annexé puisque d’autres propositions ont été rejetées au motif qu’elles étaient bavardes.

Sur le fond, je suis dubitatif sur l’idée de confier l’enseignement conjointement au ministère des armées. Nous pourrions plutôt allouer plus de moyens à l’éducation nationale.

Le groupe LFI-NUPES votera contre l’amendement.

M. Laurent Jacobelli (RN). L’enseignement de la défense et le lien armée-nation sont très importants.

Alors que nous déplorons des difficultés de fidélisation et de recrutement des réservistes, je doute que ces derniers aient vocation à se substituer aux professeurs. Qu’on organise des visites de régiment ou des témoignages, très bien, mais la rédaction est assez ambiguë pour laisser penser qu’on refile la patate chaude à l’armée.

À moins que l’amendement ne soit nuancé, nous nous y opposerons car l’enseignement de la défense revient d’abord à l’éducation nationale, les militaires pouvant venir en appoint.

M. Sébastien Lecornu, ministre. L’idée à laquelle nous pouvons tous adhérer est de permettre aux réservistes d’intervenir à la demande des enseignants. Une réécriture peut être envisagée si c’est nécessaire.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN894 de M. Jean-Michel Jacques.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Cet amendement vise à appeler l’attention sur le lien entre la jeunesse et les armées, qui est essentiel pour la cohésion nationale.

La jeunesse est une priorité du ministère des armées. Qu’il s’agisse d’attractivité des métiers de la défense, de transmission d’une culture de défense, de développement de la citoyenneté ou de contribution à la cohésion de la nation, elle est au cœur des préoccupations du ministère, d’autant qu’elle est aussi une caractéristique de nos armées. Pourtant, elle est peu évoquée dans le rapport annexé. L’amendement tend à y remédier.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je suis évidemment favorable au principe que pose l’amendement – mais, comme chacun sait, c’est la mise en œuvre qui importe.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Bavardage ! Quelle est la valeur ajoutée par rapport à ce qui figure déjà dans le rapport annexé ?

M. Laurent Jacobelli (RN). Il faut veiller au lien entre l’armée et la jeunesse, c’est évident mais cela va mieux en le disant. Il n’y a aucune substitution entre la défense et l’enseignement. Nous sommes donc favorables à l’amendement, qui est sans ambiguïté.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN577 de M. Christophe Blanchet.

M. Christophe Blanchet (Dem). Cet amendement est issu du rapport que j’ai coécrit avec Jean-François Parigi sur les réserves en 2021. Le doublement du nombre de réservistes suppose l’adhésion des entreprises au dispositif. Les chefs d’entreprise doivent prendre conscience des bénéfices qu’ils peuvent retirer de la présence d’un réserviste dans leurs murs. Aujourd’hui, nombre de réservistes n’osent pas se déclarer officiellement au sein de leur entreprise.

C’est la raison pour laquelle l’amendement vise à créer « un module de sensibilisation aux enjeux et à l’esprit de défense, qui sera intégré aux formations habituellement délivrées aux entrepreneurs et employeurs par les chambres de commerce et d’industrie et les chambres de métiers et de l’artisanat. »

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Le lien avec les entreprises locales est en effet important. Sagesse.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Les amendements sur le lien armée-nation ne sont pas que du bavardage, ils fixent des principes – c’est l’essence du rapport annexé. Sagesse.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Cet amendement me paraît un peu large. Je reconnais la nécessité de sensibiliser les PME prestataires pour la base industrielle et technologique de défense (BITD) à des sujets tels que l’intelligence économique ou la protection des données. En revanche, ce n’est pas le rôle des chambres de commerce que de sensibiliser à l’esprit de défense les entrepreneurs qui viennent suivre une formation en couture. Je plaide donc pour une rédaction recentrée.

M. Christophe Blanchet (Dem). Je n’adhère pas à cette remarque. L’intervention des chambres de commerce permet de sensibiliser les PME et les TPE.

Je peux vous citer l’exemple d’une entreprise qui a été distinguée car elle compte parmi ses quatre salariés un réserviste. Le chef d’entreprise a fait ce choix parce qu’il avait été sensibilisé au volontariat.

Les entreprises seront libres de décider d’accueillir un réserviste ou non, mais au moins auront-elles eu l’information que la présence d’un réserviste peut être bénéfique.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN589 de M. Christophe Blanchet.

M. Christophe Blanchet (Dem). Le bataillon de Joinville est connu pour avoir longtemps accueilli des sportifs de haut niveau, avant de fermer ses portes en 2002 puis de renaître, sous une forme un peu différente, en 2015.

Sur son modèle, l’amendement vise à expérimenter une déclinaison du service national universel (SNU) s’adressant spécifiquement à des jeunes sportifs prometteurs.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis défavorable. Malgré un objectif louable, votre proposition ne relève pas du rapport annexé.

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre des armées et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de la jeunesse et du service national universel. Vous avez raison, nous devons offrir un accompagnement spécifique aux jeunes sportifs de haut niveau. Je vous invite néanmoins à retirer l’amendement car il n’est pas souhaitable de préciser dans la loi de programmation militaire (LPM) les contours d’un dispositif particulier, d’autant que le SNU, qui est encore au stade de l’expérimentation, est fondé sur le principe du brassage social.

Je m’engage à étudier comment nous pouvons, sur le terrain, travailler avec les encadrants pour mieux accompagner les jeunes à haut potentiel sportif.

M. Christophe Blanchet (Dem). Merci de cette réponse en faveur d’un SNU qui évolue dans le souci de toujours mieux accompagner nos jeunes.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN579 de M. Christophe Blanchet.

M. Christophe Blanchet (Dem). Les réservistes sont parfois – dans les déserts militaires notamment – privés d’accès au réseau Intradef sur lequel ils peuvent notamment consulter leurs mails.

L’amendement a pour objet l’installation de guichets Intradef dans les brigades de gendarmerie qui maillent le territoire national. J’ai soumis cette proposition au ministère de l’intérieur par le biais d’une question écrite. Voici sa réponse : « l'accès des personnels militaires depuis le poste Intranet d'un gendarme pourrait être envisagé si le ministère des armées en faisait la demande. » Moi, je vous en fais la demande, Monsieur le ministre.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Cette demande est cohérente avec l’alinéa 9 du rapport annexé qui plaide pour un renforcement de « l’articulation et la coordination avec les forces de sécurité intérieure ». Toutefois, je vous invite à retirer l’amendement qui n’a pas vraiment sa place dans le rapport annexé.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Les deux ministres vont saisir le directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN) : cela évitera aux gendarmes de souffrir du syndrome des enfants de parents divorcés. Le découpage entre intérieur et défense connaît quelques imperfections, même s’il fonctionne globalement bien, et le réseau Intradef est un exemple d’impensé.

Je vous demande donc de retirer l’amendement, qui ne relève pas du rapport annexé, et je m’engage à vous tenir informé des suites de notre démarche auprès du DGGN.

M. Christophe Blanchet (Dem). Je le retire et suivrai avec attention l’évolution du dossier.

L’amendement est retiré.

 

 

 

Amendement DN584 de M. Christophe Blanchet.

M. Christophe Blanchet (Dem). Il s’agit de tenir à jour et de vérifier annuellement les coordonnées des anciens militaires membres de la réserve opérationnelle de deuxième niveau afin qu’ils soient toujours joignables.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis favorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Vous tenez à rappeler la loi dans le rapport annexé. Avis favorable. J’ai d’ailleurs donné des instructions dans le sens que vous souhaitez.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN249 de Mme Mélanie Thomin.

Mme Anna Pic (SOC). L’amendement vise à affirmer la nécessité de créer une défense civile polyvalente et réactive en soutien des militaires d’active et de la réserve opérationnelle.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. L’objet de la défense civile est assez flou. En outre, d'autres dispositifs de réserves civiles existent déjà comme la Croix-Rouge, les bénévoles de la protection civile ou encore les réserves communales de sécurité civile, lesquelles se rapprochent sans doute le plus de ce que vous souhaitez. Retrait ou avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je ne suis pas sûr de comprendre ce que la défense civile recouvre exactement. Cela ajoute de la confusion alors que notre pays connaît déjà un foisonnement de réserves en tout genre. Je vous invite à retirer l’amendement mais nous pouvons le retravailler d’ici à la séance.

Mme Anna Pic (SOC). Il ne s’agit pas d’ajouter un dispositif mais de donner de la visibilité à ceux, très nombreux, qui existent, voire de les rassembler dans un souci de clarification.

M. Sébastien Lecornu, ministre. L’insuffisante visibilité tient peut-être au manque de clarté de la garde nationale, qui est censée englober les réserves militaires, civiles et du ministère de l’intérieur. Il est sans doute préférable de préciser ce qu’est la garde nationale plutôt que d’introduire un nouveau concept pour désigner quelque chose qui existe déjà.

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Nous avons besoin d’une défense civile polyvalente et réactive, mais aussi de passer au crible les différentes réserves : communales, qui ne fonctionnent pas très bien, départementales, que l’on connaît mal… La défense civile remplacerait avantageusement le SNU qui est un échec.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Il y a des problèmes concernant la doctrine d’emploi des réserves, la capacité à atteindre les objectifs de recrutement et le SNU. L’audition du secrétaire général de la garde nationale et du général Delion a permis de les mettre au jour.

Les objectifs de recrutement pour les réserves sont conditionnés par la généralisation du SNU. Or le SNU est un canard boiteux : initialement doté d’une vocation militaire, il ressemble finalement plus à une colonie de vacances. Pour atteindre la masse dont nous avons besoin, le général Delion a présenté l’alternative très clairement : soit la réserve, soit la conscription. Vous avez fait le choix de la réserve et vous ne réussirez pas à atteindre les objectifs.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Il faut prendre garde à ne pas multiplier les réserves en tous genres – j’en dénombre quarante-sept, si je suis bien à jour.

Ensuite, nous examinons une loi de programmation militaire. Les réserves civiles, quelles que soient leurs indéniables qualités, n’y ont donc pas leur place.

Enfin, le SNU devait, entre autres objectifs, promouvoir la réserve mais il y a bien d’autres moyens de la faire connaître. Je ne vois donc pas de lien entre les deux.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN597 de M. Christophe Blanchet.

M. Christophe Blanchet (Dem). Les réservistes sont rarement présents aux cérémonies patriotiques et quand ils y assistent, ils sont en tenue civile. Dans certains départements ou régiments, on ne les autorise pas à porter leur tenue de réserve.

L’amendement vise à contribuer à la reconnaissance qui a été demandée dans toutes les auditions en permettant aux réservistes qui le souhaitent de participer à une cérémonie patriotique en tenue de réserve, sans avoir à solliciter l’autorisation de quiconque.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis défavorable. Les réservistes sont soumis, comme les militaires d’active, à une autorité hiérarchique qui peut à tout moment donner l’autorisation de porter l’uniforme lors d’une cérémonie.

Votre amendement a le mérite d’encourager les réservistes à assister aux cérémonies. Il me semble toutefois normal que leur présence soit soumise à autorisation.

M. Sébastien Lecornu, ministre. On me rapporte en effet des pratiques très hétérogènes sur le terrain.

Ce sujet ne relève pas du rapport annexé. Je vous propose d’adresser une instruction écrite à l’ensemble des armées, gendarmerie comprise, pour encourager les réservistes à participer aux cérémonies. Mais, selon le principe de la militarité, la voie hiérarchique doit, en tout état de cause, être empruntée.

De manière plus générale, j’ai demandé au chef d’état-major des armées de réfléchir à la présence d’au moins un militaire à chaque cérémonie autour d’un monument aux morts. C’est la dernière génération des vétérans que nous voyons aux cérémonies du 8 mai, et qui assistera à l’anniversaire du débarquement en 2024. Dans quelque temps, la génération des anciens d’Algérie et d’Indochine s’éteindra. Nous devons donc réfléchir à la manière d’aider les communes à continuer à faire vivre les cérémonies patriotiques. Je ne manquerai pas de vous tenir informés sur ce point.

M. Christophe Blanchet (Dem). Je comprends tout cela, mais aujourd’hui, des réservistes qui voudraient participer aux cérémonies ne peuvent pas le faire à cause de la complexité administrative. Nous pourrions solliciter les délégués militaires départementaux pour faire le lien avec les correspondants défense de chaque mairie. Ceux-ci nous aideraient à identifier les réservistes qui mériteraient d’être mis à l’honneur.

J’espère que nous pourrons avancer car cela fait partie des marques de reconnaissance attendues par celles et ceux qui s’engagent.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je me permets de rappeler que les consignes auxquelles vous avez fait référence ont été données à la suite des attentats commis par Mohammed Merah afin de pas exposer des militaires en uniforme désarmés.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN357 de M. Christophe Naegelen.

M. Laurent Panifous (LIOT). L’amendement vise à faciliter le recours aux réservistes lors des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 pour qu’ils se déroulent dans les meilleures conditions possibles.

Afin de pouvoir mobiliser les fonctionnaires volontaires, il suggère une réflexion sur la possibilité de porter temporairement de 30 à 40 jours, voire 45, la durée maximale du congé avec traitement pour les militaires souhaitant accomplir une activité en réserve.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. La sécurisation des Jeux olympiques ne relève pas de la LPM, même si, vous avez raison, nous aurons besoin des réservistes. En outre, ceux-ci ont vocation à être engagés dans les mêmes conditions que les militaires d'active. Demande de retrait, ou avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Les Jeux olympiques sont évidemment un défi pour le ministère des armées, mais la LPM doit enjamber les événements ponctuels.

Nous disposons de provisions budgétaires pour convoquer massivement des réservistes. Selon les remontées de terrain, les demandes portent sur la prévisibilité – par chance, les épreuves sportives ont lieu à date fixe, de surcroît, en juillet et août ce qui facilite la disponibilité.

Par ailleurs, je ne suis pas favorable à un amendement qui concernerait uniquement les fonctionnaires. Non seulement les associations de réservistes ne réclament pas de mesures catégorielles, mais d’autres mécanismes permettent déjà de convoquer des réservistes.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN542 de M. Aurélien Saintoul ; amendement DN232 de Mme Anna Pic et sous-amendement DN930 de M. Bastien Lachaud (discussion commune).

Mme Pascale Martin (LFI-NUPES). L’amendement DN542 a pour objet de mettre fin à l’opération Sentinelle, lancée voilà neuf ans.

Cette opération est coûteuse et inefficace. Elle use inutilement les soldats. Elle les expose. Elle repose sur l’idée illusoire d’un quadrillage complet du territoire permettant d’intervenir en cas de besoin – or le flagrant délit est rare dans la lutte contre le terrorisme.

Mme Anna Pic (SOC). Nous sommes conscients qu’il serait difficile de mettre fin brutalement à l’opération Sentinelle tant la présence des militaires est devenue familière pour nos concitoyens. Mais cela n’interdit pas de s’interroger. En effet, les missions effectuées dans le cadre de l’opération sont chronophages et n’ont parfois pas grand-chose à voir avec la fonction militaire.

C’est la raison pour laquelle nous demandons que le dispositif fasse l’objet d’une communication annuelle au Parlement comportant une appréciation sur l’opportunité de le renforcer ou de le réduire. Il faut un débat public sur cette question.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Le sous-amendement précise que la communication annuelle prévue par l’amendement DN232 peut envisager la suppression de l’opération Sentinelle s’il est démontré qu’elle n’a plus de raison d’être, qu’elle ne remplit plus sa mission ou qu’elle mobilise trop de moyens pour le résultat obtenu.

Les armées sont épuisées par ce dispositif, qui a déjà été revu car il était intenable. Nous nous interrogeons vraiment sur son utilité. La lutte contre le terrorisme ne devrait pas passer par la présence des forces armées sur le territoire national. C’est le rôle du renseignement, auquel un budget important est alloué, mais aussi des opérations extérieures – ainsi qu’en a décidé le Gouvernement – qui bénéficient également de moyens substantiels, et de la police et de la gendarmerie, qui sont chargées d’assurer la sécurité. Pourquoi les armées devraient-elles continuer à participer à cette opération, qui est malheureusement devenue la norme ?

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis défavorable. Il appartient au commandement des forces d’évaluer le danger, ce n’est pas notre rôle.

Il me semble en outre malvenu de mettre fin à l’opération à l’approche de grands événements pour lesquels il sera nécessaire de mobiliser des forces.

Quant au rapport qui est demandé, rien n’empêche la commission de procéder elle-même à une évaluation. Des auditions sur l’opération Sentinelle seraient intéressantes.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il ne faut pas faire de l’opération Sentinelle une question de principe ou un sujet politique. Il suffirait d’un nouvel attentat de masse pour que la question de sa disparition devienne caduque. Néanmoins, je suis d’accord avec Mme Pic, il ne faut pas s’interdire de s’interroger.

Sur le premier amendement, mon avis est défavorable. Personne ne comprendrait qu’il soit mis fin à Sentinelle à la veille des Jeux olympiques, qui exigeront d’importantes forces de sécurité. Par ailleurs, les forces armées ont envie, pour des raisons bien compréhensibles, de participer à ce moment de cohésion nationale.

En revanche, oui, il faudra s’interroger au lendemain des Jeux olympiques sur le devenir de Sentinelle, et cela pour plusieurs raisons. D’abord, les effectifs du ministère de l’intérieur ont considérablement augmenté désormais – il ne s’agit plus de pallier la pénurie qui était l’une des raisons d’être de Sentinelle. Ensuite, l’opération a été intégrée dans les missions des armées – la force opérationnelle terrestre a été dimensionnée en conséquence par Jean-Yves Le Drian notamment. Quant au rapport annuel, il existe déjà : Sentinelle étant une mission intérieure, elle figure dans le rapport remis chaque année par le ministère de l’intérieur au Parlement.

Un débat, auquel prendraient part le ministre des armées et le ministre de l’intérieur, serait bienvenu mais il ne sera pas évident : certains de nos concitoyens considèrent que les militaires doivent être cantonnés aux opérations extérieures tandis que d’autres apprécient leur présence rassurante sur le territoire national – il est vrai que les soldats de Sentinelle ont souvent été les premiers à intervenir. Il faut, me semble-t-il, aborder ce débat de la manière la plus clinique et la plus technique possible.

Mme Josy Poueyto (Dem). Mon groupe, pour sa part, est très favorable à la poursuite de l’opération Sentinelle – le nom en lui-même a du sens compte tenu du contexte. Pour en avoir discuté avec les Palois, je peux témoigner du fait que la présence des militaires sur le terrain rassure la population, qui manifeste envers eux une certaine bienveillance. Ils joueront bien sûr un rôle majeur lors des Jeux olympiques. Quant à l’idée de revoir le dispositif ensuite, tout dépendra de ce qui se sera passé au cours de l’année. En tout état de cause, il convient d’attendre.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Vous nous avez dit, Monsieur le ministre, que les armées voulaient participer aux Jeux olympiques ? Je suis désolé de vous le dire, mais c’est vous qui leur donnez des ordres, non l’inverse. J’espère que vous savez que c’est vous qui décidez.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Écouter la troupe, cela ne fait pas de mal ! Vous qui voulez ouvrir le droit à la représentation syndicale dans les armées, vous devriez peut-être faire montre d’un peu plus de bienveillance…

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Je suis favorable à la fois à la représentation syndicale des militaires et au fait d’écouter la troupe. Pour votre part, votre langue a sans doute fourché, vous feriez mieux de l’admettre.

On a nourri l’illusion selon laquelle Sentinelle jouait un rôle indispensable. On a mis le doigt dans l’engrenage, et on ne sait plus comment en sortir. Nous notons que, sur le fond, vous nous donnez raison. Vous vous fixez comme échéance les Jeux olympiques. Soit : nous déposerons un amendement vous permettant de sauver les apparences, et la France renoncera à Sentinelle après les Jeux.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Pourquoi politisez-vous Sentinelle ?

M. Fabien Roussel (GDR-NUPES). Alors que la mission Sentinelle était censée être exceptionnelle en des circonstances exceptionnelles, elle s’inscrit de plus en plus dans la durée.

Je soutiens pour ma part l’amendement DN232 : il faut mener une évaluation annuelle. Si un rapport existe déjà, il faut nous le communiquer, et organiser une audition du ministre et du chef d’état-major pour que nous puissions à chaque fois juger de l’opportunité de poursuivre l’opération. Assurer la sécurité intérieure n’est pas le rôle premier de l’armée : c’est aux forces de police et de gendarmerie qu’il revient de le faire.

Mme Anna Pic (SOC). Que ce soit au lendemain des Jeux olympiques ou à un autre moment, il faudra ouvrir le débat. L’opération Sentinelle a débuté dans des circonstances particulières, mais en dehors des exercices et de l’état d’urgence, le déploiement de forces militaires sur le sol français n’est pas normal. Il faut être conscient du signal que cela envoie. Par ailleurs, la présence continue sur le territoire risque de rendre difficile une montée en puissance en cas d’état d’urgence.

La diminution drastique des forces de police entre 2007 et 2012, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), avait fait beaucoup de mal, ce qui nous avait obligés à relever le niveau des effectifs – démarche que vous avez poursuivie. Il faut désormais retrouver un mode de fonctionnement normal et sortir de l’opération Sentinelle, qui s’est pour ainsi dire inscrite dans le paysage culturel.

M. Laurent Jacobelli (RN). Nous avons besoin de nos forces armées pour de nombreuses missions, et leurs effectifs sont loin d’être trop importants – il est même difficile de fidéliser les gens. Réaffecter les militaires à ce qui est au cœur de leurs missions serait donc une bonne chose, mais il importe de le faire sans précipitation : il est vrai que l’armée ne devrait pas mener une opération comme Sentinelle, mais celle-ci a au moins la vertu de protéger nos concitoyens contre un risque terroriste qui perdure.

Nous nous opposons donc à la fin de l’opération à une date précise, et plus encore si elle devait intervenir avant la fin de l’année, comme le proposent les auteurs de l’amendement DN542, car ce serait irresponsable. En revanche, il nous paraît souhaitable d’établir chaque année le bilan de l’opération et d’étudier le moment où l’on pourra commencer à en sortir. Nous voterons donc en faveur de l’amendement DN232.

M. Mounir Belhamiti (RE). Il faudra en effet que l’opération Sentinelle évolue après les Jeux olympiques, nous en convenons tous.

Certains considèrent qu’il n’est pas nécessaire de faire appel aux militaires sur le territoire pour le protéger. Or, face aux menaces cyber et hybrides, ou aux attaques visant nos outils de production énergétique, nous sommes bien contents de trouver des compétences spécifiques dans nos armées, qui travaillent en collaboration avec les forces de sécurité intérieure. Gardons-nous donc de jeter le bébé avec l’eau du bain. Sentinelle sert à lutter contre le terrorisme. Lors de l’attentat de la gare Saint-Charles, en 2017, l’un des assaillants a été stoppé par un soldat de la force Sentinelle. Il faut rendre à César ce qui appartient à César.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il s’agissait même d’un réserviste !

La commission rejette successivement les amendements et le sous-amendement.

 

Amendement DN290 de M. Julien Bayou.

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Cet amendement vise à réparer un oubli. Le projet de stratégie ministérielle « Climat & défense » a été approuvé par Florence Parly en 2022. Son objectif est de préparer les forces armées au défi climatique. Il comporte quatre axes très intéressants : anticipation, adaptation, atténuation des émissions et coopération. Ce projet indique très clairement l’impact du changement climatique sur les missions des forces armées et l’enjeu que constitue la protection de l’environnement pour nos forces, à travers l’action en mer, la lutte contre l’orpaillage illégal – nous avons eu à déplorer récemment, une fois encore, la disparition d’un gendarme dans cette bataille – ou encore le secours aux populations, par exemple dans le cadre de l’opération Héphaïstos, dont le but est de combattre les incendies, ou après un ouragan, en particulier aux Antilles.

À travers cet amendement, nous proposons que la LPM intègre cette stratégie, de manière à déboucher sur un plan d’action global face au dérèglement climatique et à ses effets.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Un travail considérable a été accompli, sous la précédente législature, par Mme Santiago et M. Fiévet, qui ont rédigé un rapport très riche. Il me paraît préférable de se baser sur ce travail plutôt que d’adopter cet amendement, dont je ne vois pas bien l’utilité. Néanmoins, je m’en remets à la sagesse de la commission.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Nous en avons déjà parlé en audition. M. Fiévet, en particulier, y était revenu à de nombreuses reprises. L’amendement reprend la position du ministère, sans y ajouter d’élément nouveau. Sagesse, voire avis favorable.

M. Jean-Marie Fiévet (RE). L’armée tient en permanence à la disposition du ministère de l’intérieur trois unités de sécurité civile composées de sapeurs-sauveteurs spécialisés dans les feux de forêt et les risques climatiques. Chaque unité compte environ 600 hommes. Dans quelques semaines, une quatrième sera créée, à la demande du Président de la République, à la suite des feux de forêt dans les Landes. Une base aérienne de la protection civile sera également déplacée dans ce département.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN593 de M. Christophe Blanchet.

M. Christophe Blanchet (Dem). La réserve citoyenne fonctionne particulièrement bien dans la gendarmerie. Celle-ci s’appuie sur le dispositif pour faire rayonner son action auprès de la population, tirer un retour d’expérience de ses interventions et faire évoluer la doctrine. De la même manière, il pourrait être utile d’inclure la réserve dans l’exercice Orion.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je comprends l’objet de votre amendement, mais il faut laisser de la souplesse à l’autorité militaire. C’est elle qui est la plus à même d’évaluer ses besoins, qu’il s’agisse des spécialités ou de la masse d’hommes que nécessite chaque exercice. Je demande le retrait de l’amendement ; à défaut, avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il s’agit d’un amendement d’appel motivé par une réalité de terrain. Cela dit, c’est au commandement qu’il revient de veiller à associer les réserves citoyennes – et cela fonctionne mieux dans certaines armes que dans d’autres : tout dépend de la culture de commandement. Des messages seront de nouveau passés en ce sens, Monsieur Blanchet, et nous vous tiendrons informé. Qui plus est, la disposition ne relève pas du rapport annexé en tant que tel, mais de la doctrine d’emploi des réserves et de la manière dont le commandement les utilise. Je demande le retrait de l’amendement.

M. Christophe Blanchet (Dem). Je ne le retire pas. Peut-être pourrions-nous tomber d’accord sur une autre rédaction, qui consisterait, par exemple, à présenter le dispositif comme une incitation, plutôt qu’une obligation, à intégrer les réservistes ? J’insiste vraiment sur cet amendement qui me semble avoir du sens et qui fait suite à plusieurs rapports.

M. le président Thomas Gassilloud. Peut-être pourriez-vous le réécrire en vue de la séance ?

M. Sébastien Lecornu, ministre. Au-delà de la rédaction et de ce que l’on inscrit dans le rapport annexé, tout dépend des instructions données aux armées.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN43 de la commission des finances.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Dans la continuité de l’amendement de la commission des finances adopté ce matin, il s’agit d’ajouter les mots « et des services » après le mot « moyens », afin de nouer des partenariats avec des opérateurs privés.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Ce que vous proposez me paraît implicitement possible. Demande de retrait, ou avis défavorable.

M. le président Thomas Gassilloud. Il s’agit d’un amendement adopté par la commission des finances : M. le rapporteur pour avis ne peut pas le retirer.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Les avis du rapporteur et du ministre témoignent du fait qu’il ne s’agit pas d’un amendement rédactionnel. L’amendement auquel il fait suite ne l’était pas non plus, alors qu’il avait été présenté comme tel. Dès lors, on pourrait se demander s’il ne serait pas légitime de réexaminer ce premier amendement, qui abordait la question des services, de la contractualisation et de la privatisation, dont nous ne voulons pas.

La commission rejette l’amendement.

Amendement DN233 de Mme Anna Pic.

Mme Anna Pic (SOC). Il s’agit de préciser qu’il s’agit des stocks de munitions, « y compris les plus complexes ». Cela permettra d’améliorer la préparation opérationnelle de nos armées, qui est déterminante dans les missions qui leur sont dévolues.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Le propos est juste. D’ailleurs, 16 milliards d’euros seront déployés en faveur des munitions. Avis favorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. La précision est utile et ne change rien au fond. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN656 de M. Vincent Bru.

M. Vincent Bru (Dem). Il s’agit d’apporter à notre BITD l’appui dont elle aurait besoin en termes de ressources humaines pour faire face à un conflit de haute intensité.

En vue de l’élaboration de notre rapport sur les stocks de munitions, Julien Rancoule et moi-même avons rencontré des industriels, notamment des fabricants de munitions. Ces entreprises doivent produire plus et plus vite, accroître rapidement et de manière significative leur cadence de production. Pour ce faire, elles sont prêtes à embaucher du personnel supplémentaire. Celles qui ont un caractère dual acceptent de faire passer des salariés du domaine civil au bénéfice de la production de défense. Elles envisagent également d’utiliser la réserve industrielle en rappelant d’anciens salariés.

L’amendement vise à mettre de surcroît à leur disposition la réserve opérationnelle, c’est-à-dire des réservistes de statut militaire venant renforcer leur production dans le cadre d’une économie de guerre.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. La question étant abordée à l’article 14, je ne vois pas l’intérêt de l’amendement. Néanmoins, je m’en remets à la sagesse de la commission.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Le dispositif existe déjà : l’amendement a davantage pour objet de redire ce qui est possible en droit que de créer une nouvelle catégorie de réserve. Peut-être tenez-vous culturellement à ce rappel, Monsieur Bru ? Pour ma part, le droit en vigueur me suffit. Avis défavorable, ou sagesse…

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN234 de Mme Anna Pic.

Mme Anna Pic (SOC). Plutôt que d’agilité, les entreprises de la BITD ont besoin d’une vision de très long terme pour pouvoir s’engager dans des recrutements et dans la mise en place de chaînes industrielles. Je demande donc à substituer au mot « agilité » les mots « engagement ferme et sur le long terme de l’État ».

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je comprends votre souhait de sécuriser la BITD. Toutefois, les besoins de l’état-major et de la direction générale de l’armement doivent être notre seule boussole. Si nous prenions des engagements fermes sur le long terme, nous risquerions de devoir nous dédire si une révolution technologique ou un changement géostratégique survenaient entre-temps. Ce que vous proposez ne me paraît donc pas possible. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Vous vous contredisez par rapport à ce matin. Dans l’exposé sommaire de l’amendement, vous voulez « insister sur le fait que notre BITD ne souffre pas de problèmes capacitaires à produire ». Mais si, malheureusement ! Ce n’est pas faire offense à nos entreprises de le dire, leurs dirigeants eux-mêmes le reconnaissent et vous disiez vous-même ce matin qu’elles avaient des difficultés à embaucher. Vous avez aussi présenté un amendement visant à sécuriser leur approvisionnement en matières premières, que nous avons adopté. Il existe bel et bien des difficultés de production, qui ne sont pas liées aux carnets de commandes.

J’en veux également pour preuve l’aide à l’Ukraine : si nous n’avions pas de difficultés à produire, nous lui donnerions davantage de matériel militaire ! Il a fallu que le patron de Nexter et moi nous attelions sérieusement à réduire les délais de production des camions équipés d’un système d’artillerie (Caesar) – au demeurant, il faudrait encore progresser en la matière.

Personne n’attaque la BITD, mais il ne faut pas non plus la défendre de manière démagogique. Si les Polonais préfèrent acheter en Corée du Sud plutôt qu’aux États-Unis, c’est précisément parce que la BITD américaine rencontre elle aussi des difficultés de production. Dans toutes nos perspectives d’exportation, le prix compte, évidemment, mais la première objection de mes homologues concerne les délais de livraison et de production.

C’est un défi collectif qu’il nous faut relever, et l’on ne saurait se contenter de dire que c’est à l’État de faire en sorte que les entreprises produisent. À raison de 413 milliards d’euros, les entreprises ont de la visibilité, des carnets de commandes pleins et même des perspectives d’exportation. Toutes, cependant, n’ont pas la même capacité à renforcer leur production, pour des raisons propres à chacune. Le fait est qu’il existe un goulot d’étranglement. Avis défavorable.

Mme Anna Pic (SOC). Cet amendement n’est pas du tout en contradiction avec nos réflexions précédentes. Pour certains matériels, nous devrons continuer à renforcer la production après 2030, voire 2035. Il faut du temps pour former du personnel compétent, et si nous ne sommes pas en mesure de garantir aux entreprises que nous en aurons besoin durant les quinze prochaines années, il leur sera beaucoup plus difficile d’investir dans la formation et dans la filière.

C’est vrai, à l’instant T, les capacités de production ne sont pas suffisantes. La question est de savoir comment les renforcer dans les plus brefs délais. Il a déjà fallu dire aux industriels qu’ils devaient prendre toute leur part de l’effort. Certains ont créé des écoles post-bac pro pour répondre aux nécessités du monde industriel particulier qui est celui de la défense. Néanmoins, pour qu’ils puissent aller plus vite, plus loin et changer les chaînes de production ainsi que l’échelle, il ne faut pas que nous nous arrêtions au bout de cinq ans ou dix ans : il leur en faut à peu près quinze.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). J’irai dans le même sens. Vous ne pouvez pas demander de l’agilité à tout-va. Il ne s’agit pas d’un domaine économique où l’on fait jouer la concurrence libre et non faussée entre les entreprises et où le marché apporte une solution : il s’agit d’entreprises uniques en leur genre, et il en va de même pour leurs réseaux de sous-traitants. Nous n’allons pas demander à une autre entreprise qu’Arquus et Nexter de fabriquer un Caesar ou son équivalent ! Pourquoi demander de l’agilité dans un secteur non concurrentiel ? Vous devriez plutôt nationaliser ces entreprises, les ramener dans le giron public pour les avoir à votre main et vous assurer qu’elles feront ce que vous leur demandez, c’est-à-dire produire plus quand il le faut et produire moins quand ce n’est plus nécessaire. Toute autre solution revient à choisir un canard boiteux.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Je voterai contre cet amendement, mais en n’étant pas totalement satisfait, car nous sommes confrontés à un dilemme : d’un côté, nous avons besoin d’industriels qui puissent produire pour les besoins de la nation, et de l’autre ces industriels doivent également être incités à exporter, pour que leurs produits soient à un prix accessible. Il faudrait trouver une rédaction indiquant que l’État soutient ces entreprises, sans pour autant que cela les démotive quand il s’agit d’exporter. J’appelle donc à pousser plus loin la réflexion.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN492 de M. Bastien Lachaud.

M. Christophe Bex (LFI-NUPES). Le terme « économie de guerre » est trop souvent minimisé et dépolitisé. Nous souhaitons rappeler, à travers cet amendement, qu’il désigne une mise à disposition totale des industries en cas d’engagement majeur, ce qui nous renvoie au triste concept de guerre totale, utilisé à propos des deux guerres mondiales.

Un rapide survol des conflits survenus depuis la chute du mur de Berlin permet de comprendre le rôle des complexes militaro-industriels nés de la course aux armements pendant la seconde guerre mondiale puis la guerre froide. À l’heure de la mondialisation, ils sont devenus de véritables systèmes militaro-sécuritaires vampirisant l’argent public, au détriment de la population, en particulier aux États-Unis.

Ces systèmes ont intérêt à la guerre, contrairement au peuple. Nous ne devons donc pas utiliser un tel terme aussi légèrement. Si par malheur arrive le jour où une vraie économie de guerre devient nécessaire, que direz-vous ? Les mots eux aussi sont des armes, et leur sens doit être minutieusement étudié avant de les choisir.

Le terme « actions étatiques » nous paraît bien plus judicieux, car il défend les intérêts du peuple, et non ceux des grands groupes militaro-industriels. L’État évite la guerre autant que possible, quand ces groupes la chérissent. C’est pourquoi nous devons lui donner un rôle cardinal : il se doit d’être le garant de notre défense nationale, surtout en cas de crise majeure. L’État doit préparer les guerres, mais garantir la paix autant que possible – je n’irai pas jusqu’au fameux si vis pacem para bellum, mais l’esprit est semblable.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. L’économie de guerre est forcément accompagnée par la volonté étatique. La substitution que vous proposez ne sert à rien, si ce n’est à vous offrir une tribune pour évoquer votre envie de nationaliser ces entreprises et de tout blinder pour plusieurs décennies. C’est un choix. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. L’expression « économie de guerre » a été employée dans le cadre de la mobilisation de nos industriels en faveur de l’Ukraine, où une guerre est bel et bien en cours. Il convient de mettre les mots dans leur contexte. C’est justement parce que l’Occident – car notre pays n’est pas le seul concerné – a besoin de l’ensemble du système de production de ses industries qu’il a développé une « économie de guerre », et cette expression est utilisée par nos alliés. Peut-être, désormais, ce qui se passe en Ukraine est-il plus clair pour vous ; pour ma part, je suis absolument convaincu qu’il s’agit bien d’une guerre et qu’il faut aider ce pays. Pour cela, nous demandons à nos industriels de faire davantage.

Pour en revenir à l’amendement, vous proposez de remplacer les mots « économie de guerre » par les mots « actions étatiques ». Mais alors que deviennent les actions internes à la BITD ? Une fois de plus, la gauche ne demande plus rien aux entreprises, y compris d’armement. C’est quand même très étonnant… Je reste persuadé, pour ma part, qu’il s’agit d’un effort collectif. Avis défavorable.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Ne nous faites pas des procès d’intention, Monsieur le ministre. Il ne faut pas construire des épouvantails pour prétendre ensuite…

M. Sébastien Lecornu, ministre. Après Wagner ce matin… Cela commence à faire beaucoup !

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Soyons sérieux. Vous savez très bien de quoi il est question. Il ne nous a pas échappé qu’il y avait une guerre en Ukraine, nous ne sommes ni des naïfs ni des imbéciles. Nous disons simplement que nous ne sommes pas en guerre et que l’on aurait tort d’employer des mots qui donnent à penser le contraire.

En outre, vous devriez vous laisser la possibilité de monter en puissance si, par malheur, il le fallait.

Enfin, ne prétendez pas que l’économie de guerre ressemble à ce que vous faites : non, la mobilisation de l’appareil productif du pays dans le cadre d’une guerre, ce n’est pas la même chose que de donner des ordres pour combler les besoins de nos amis ukrainiens. Employer les bons mots nous permettra de raisonner juste.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements DN920 de M. Jean-Michel Jacques et DN100 de Mme Caroline Colombier (discussion commune).

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. L’amendement DN920 vise à souligner qu’une politique de relocalisation de nos moyens de production et de nos savoir-faire est essentielle pour relever les défis de l’économie de guerre.

Mme Caroline Colombier (RN). Il est important d’intégrer, à l’alinéa 12, le fait que la résilience de nos forces en cas d’engagement majeur passe non seulement par la sécurisation de l’approvisionnement de certaines matières premières, mais aussi – et même au préalable – par la relocalisation des chaînes de production, permettant à l’État de maîtriser parfaitement la disponibilité des matériels nécessaires pour tenir dans la durée.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Mon amendement fait référence également aux savoir-faire, qu’ils soient locaux ou nationaux. Cette dimension me paraît très importante.

Mme Caroline Colombier (RN). Je suis tout à fait prête à compléter mon amendement dans ce sens !

La commission adopte l’amendement DN920.

En conséquence, l’amendement DN100 tombe.

 

 

 

Amendement DN435 de M. Aurélien Saintoul.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Il s’agit d’un amendement de précision : nous souhaitons ajouter les munitions et les équipements manufacturés à la liste des éléments constitutifs de la sécurité des approvisionnements destinés à assurer la continuité des missions des forces armées. Cet ajout permet d’éviter le flou, ainsi que les mauvaises surprises.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Les munitions sont essentielles, bien entendu, mais le projet de LPM prend la question à bras-le-corps, avec 16 milliards d’euros de besoins programmés. Quant à la référence aux éléments manufacturés, la notion de pièces critiques, qui figure déjà dans le texte, est susceptible de les inclure. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Pour ma part, je trouve que l’ajout proposé correspond, dans l’ensemble, aux positions que j’ai défendues et à la stratégie de souveraineté que nous souhaitons conduire. Dans un souci de cohérence, avis favorable ou sagesse.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendements identiques DN44 de la commission des finances et DN184 de M. Jean-Charles Larsonneur.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. Le rapport de la mission flash menée par Jean-Louis Thiériot et Françoise Ballet-Blu en 2021 ainsi que le rapport d’information que j’ai publié le 29 mars ont constaté que les entreprises de la BITD étaient de plus en plus confrontées à des problèmes d’accès aux financements privés. Or la BITD fait partie intégrante de notre autonomie stratégique et du modèle d’armée français. L’industrie de défense est le gage de la liberté d’approvisionnement de nos forces, de la liberté d’emploi de nos équipements, de l’autonomie de notre capacité à les entretenir et à les modifier ainsi que de notre capacité à exporter. La LPM 2024-2030 doit être l’occasion de le réaffirmer et d’encourager le financement de la BITD.

Dans cette perspective, il est de la responsabilité de l’État de prendre des mesures. Parmi celles que l’on pourrait envisager, je citerai la création d’un label ou d’un sous-label « entreprises de souveraineté », visant à encourager les investissements dans les entreprises dont la production participe à des activités de souveraineté. Deuxième exemple : la mobilisation de l’épargne privée, qui pourrait passer par la réorientation du Livret A ou du livret de développement durable et solidaire, par la création d’un livret dédié ou par celle d’un plan d’épargne réglementée. Troisième exemple : la création d’un fonds d’investissement, à hauteur de 50 ou 100 millions d’euros, pourrait compléter le dispositif.

Ces propositions doivent être encore approfondies. C’est la raison pour laquelle il est simplement question, dans l’amendement, d’« orienter l’épargne et les investissements privés ».

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis favorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Même avis.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Pour ma part, j’ai quelques doutes à propos de cet amendement. Vous prenez les choses un peu à la légère : il est compliqué de faire dépendre les finances de la BITD de l’épargne privée. Il serait plus judicieux de faire rentrer ces grandes entreprises dans le giron de l’État ou, à défaut, d’assurer leur financement par un pôle bancaire public.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). J’apporte tout mon soutien à cet excellent amendement qui reprend effectivement certains de nos travaux. J’ai moi-même déposé plusieurs amendements qui déclinent le thème. Drainer l’épargne privée est un plus – ce qui ne veut pas dire que, si elle ne venait pas, l’État ne s’y substituerait pas d’une manière ou d’une autre pour financer l’outil de défense. Quoi qu’il en soit, cela demeure un outil permettant d’asseoir notre force et notre résilience. Tous les directeurs généraux de l’armement et tous les ministres successifs, y compris vous-même, ont insisté sur les menaces pesant sur les financements privés, même lorsque l’on appelle à la mobilisation des banques et des investisseurs.

La commission adopte les amendements.

 

M. Sébastien Lecornu, ministre. Mesdames et Messieurs les députés, j’ai la tristesse de vous annoncer que le corps de l’adjudant Guy Barcarel vient d’être retrouvé par les forces armées de Guyane.

Guy Barcarel était piroguier au sein du 3e régiment étranger d’infanterie en Guyane. Il était tombé à l’eau dimanche lors d’une opération de lutte contre l’orpaillage illégal à Camopi. Sous-officier commissionné depuis 2016, il était par ailleurs chef coutumier amérindien et membre du grand conseil coutumier.

Je tiens, au nom du Gouvernement, à rendre hommage à sa mémoire. J’ai également une pensée particulière pour sa famille. J’adresse toutes nos condoléances aux Guyanaises et aux Guyanais, car le visage de Guy Barcarel était connu, notamment dans la lutte contre l’orpaillage illégal. Son décès nous rappelle à quel point la mission Harpie et celles qui l’entourent restent des missions intérieures particulièrement douloureuses et complexes.

M. le président Thomas Gassilloud. La commission s’associe bien évidemment à vos propos. Nous avons également une pensée pour le gendarme qui a été blessé. C’est une séquence extrêmement difficile en Guyane, avec deux décès en l’espace d’un mois.

(La commission observe une minute de silence.)

 

Amendement DN643 de M. Fabien Lainé.

M. Fabien Lainé (Dem). Il a trait à un sujet sur lequel j’ai déjà interpellé le ministre, à savoir le pétrole stratégique. La loi du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures dispose que nous ne pourrons plus extraire de pétrole dans notre pays à partir de 2040. Les aéronefs consommant plus de 70 % du pétrole utilisé par les armées et comme il n’y aura probablement pas de rupture technologique d’ici là, il faudra importer en totalité le pétrole des armées. Or le pétrole importé émet trois fois plus de CO2 à cause du transport et de la méthode d’extraction – en France, quand on produit du pétrole, on fait de la cogénération, on fait de la géothermie, on chauffe des serres et des écoquartiers : le modèle est assez vertueux – sans même parler de la question de la souveraineté.

L’amendement vise à anticiper nos besoins en 2040 – je concède qu’il arrive un peu tôt, mais l’anticipation est indispensable – en constituant une réserve de pétrole stratégique uniquement destinée à nos armées, voire à nos opérateurs d’importance vitale, afin de garantir l’autonomie stratégique de la France.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Comme l'avait mentionné ici la directrice des affaires juridiques du ministère des armées ; le code de l'énergie prévoit déjà l'obligation pour les opérateurs pétroliers de constituer des stocks stratégiques de pétrole, de façon à ce que la France dispose, en permanence, d’un quart des quantités importées ou introduites l’année suivante.

Les dispositifs de réquisition du code de la défense, que le projet de LPM modernise, permettraient naturellement de réquisitionner de tels stocks pour nos armées en cas de crise. Je vous demande de retirer l’amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Vous êtes engagé localement sur ce sujet, qui comporte en effet une dimension territoriale. Cette question dépasse le ministère des armées car elle touche à la souveraineté énergétique globale et au développement économique. L’autre dimension a trait au développement par les forces armées elles-mêmes de leurs propres stocks stratégiques : votre amendement vise à connecter ces deux sujets entre eux.

Il se situe hors du champ de la LPM, ne serait-ce que par son horizon temporel fixé à 2040. Tout ce qui contribue à la sécurité des approvisionnements va dans le bon sens. Il faut continuer à associer le ministère des armées aux travaux des élus locaux, des acteurs des territoires et du ministère chargé de l’énergie. Je vous demande de retirer cet amendement d’appel.

M. Fabien Lainé (Dem). Vous avez bien compris qu’il s’agissait d’un amendement d’appel puisque son dispositif s’inscrit dans un horizon temporel dépassant celui de la LPM. Monsieur le rapporteur, pour constituer des stocks, encore faut-il que l’on produise sur place : je souhaite maintenir la production, dans les Landes, chez moi, en Gironde et en Île-de-France. Comme elle est plus respectueuse de l’environnement que celle de certains pays du Golfe, il me semble que l’amendement est opportun. Je vais consulter l’ensemble des ministères sur ce sujet interministériel et je ferai un retour de ces échanges à votre cabinet.

Monsieur le ministre, je n’arrive pas à obtenir de réponse sur le niveau de carburant de synthèse dont nous disposerons en 2040 : on ne le mesure pas bien actuellement, mais il serait intéressant d’être éclairé sur cet élément, qui nous aidera à connaître la quantité de pétrole conventionnel qu’il nous faudra importer à cette date.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN659 de M. Vincent Bru.

M. Vincent Bru (Dem). Le déclenchement d’une guerre de haute intensité sur le territoire européen incite à repenser notre modèle munitionnaire : la logique de stocks doit désormais s’imposer au détriment de celle de flux qui prévalait depuis plusieurs décennies. Pour faire face à la haute intensité, il est nécessaire de disposer de suffisamment de munitions de masse, mais les munitions de haute technologie nous assurent une supériorité rapide sur nos éventuels ennemis. Aussi l’amendement promeut-il la notion de panachage des munitions, qui garantit un équilibre entre la masse et la technologie. Il reprend la troisième proposition du rapport d’information que nous avons présenté avec Julien Rancoule devant cette commission sur les stocks de munitions.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Nous devons atteindre un équilibre entre la masse et la technologie pour les munitions, domaine dans lequel nous allons réaliser de lourds investissements – de l’ordre de 16 milliards. Avis favorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Même avis.

Mme Caroline Colombier (RN). La production de munitions touche à notre souveraineté et crée de l’emploi, donc nous sommes, avec Julien Rancoule, favorables à l’amendement.

La commission adopte l’amendement.

 

 

 

Amendement DN193 de Mme Anna Pic.

Mme Anna Pic (SOC). L’amendement vise à insérer l’alinéa suivant : « Le premier levier de « l’économie de guerre » sera la capacité de l’État à offrir, à l’occasion de chaque programme d’acquisition de matériels, de l’obus de 155 millimètres au SNLE [sous-marin nucléaire lanceur d’engins], une visibilité aux acteurs de la BITD passant par des commandes globales et cadencées de l’ensemble des besoins identifiés pour une période donnée. L’acquisition par tranches, qui ne permet pas aux acteurs de la BITD de réaliser des investissements dans l’outil de production et dans ses cadences, ni à l’État de bénéficier des économies d’échelle en résultant, devra être proscrite. »

Nous souhaitons faciliter les investissements dans l’appareil de production en nous appuyant sur les économies d’échelle que rend possible la visibilité donnée par l’État à la BITD pour les acquisitions de matériels. Chaque euro dépensé est optimisé grâce au développement des appels d’offres portant sur des volumes élevés, des durées longues et des cadences de livraisons bien identifiées.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Nous en avons déjà parlé. Les contrats à tranches conditionnelles offrent l’avantage de la flexibilité, nécessaire pour nous adapter aux besoins de nos armées et à l’évolution du contexte géostratégique. Refuser de s’en servir revient à s’interdire de procéder au moindre ajustement de la programmation. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il y a encore un décalage entre l’exposé sommaire de l’amendement et son dispositif réel, ce dernier étant plus équilibré.

Peut-être y a-t-il des cas particuliers à traiter s’agissant d’un ou deux industriels, nous en parlerons en aparté. Pour le reste, je comprends la nécessité de trouver un point d’équilibre dans les commandes. D’une part, la souplesse est indispensable pour ne pas faire n’importe quoi sur le terrain militaire. On nous a suffisamment reproché, avec raison, d’avoir raté quelques trains sur les drones pour ne pas s’enfermer dans des logiques de programme desquelles on ne pourrait plus sortir Mais il faut d’un autre côté limiter les commandes par tranches, pour éviter les effets de trappe.

L’avis est donc défavorable pour cet amendement, mais je ne suis pas opposé à ce que le rapport annexé fasse état d’une exigence de visibilité pour les commandes, d’autant que j’ai passé cette consigne à la direction générale de l’armement (DGA). Demande de retrait pour retravailler l’amendement, ou avis défavorable.

Mme Anna Pic (SOC). S’agissant des SNLE par exemple, les transformations ne sont pas fréquentes. Il est possible d’avoir davantage de visibilité sur certains matériels que celle que l’on offre actuellement à la BITD.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). La proposition de Mme Pic est particulièrement intéressante, et nous avons d’ailleurs déposé un amendement qui va dans le même sens. J’entends la réponse sage du ministre. Nous pourrions en effet travailler à une rédaction très large en séance publique.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN718 de M. Jean-Louis Thiériot.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Nous en arrivons à une série de six amendements qui concernent le financement de la BITD. Ils s’inspirent des conclusions de deux missions conduites lors de la précédente législature : une mission flash que j’avais menée avec Benjamin Griveaux sur le rôle de l’industrie de défense dans la politique de relance et une mission d’information effectuée avec Françoise Ballet-Blu sur le financement de la BITD. Ils s’inspirent également d’une proposition de résolution européenne sur la taxonomie sociale et sur le label Finance durable, ainsi que de la mission d’information sur l’économie de guerre de notre collègue Christophe Plassard, qui vient de rendre son rapport. J’ai essayé de transcrire cela dans un ensemble d’amendements aussi cohérent que possible.

L’amendement DN718 vise à encourager le fléchage des fonds européens dépensés dans la défense vers les entreprises de la BITD européenne. Le Gouvernement essaie déjà de déployer cette politique à travers la Facilité européenne pour la paix (FEP). Thierry Breton a fait part de la même ambition. Il faut en faire un objectif politique en soi, qui peut figurer dans la LPM, dans une dimension programmatique.

Cet amendement, comme les suivants, peut être réécrit avant la séance pour aboutir à une rédaction qui satisfasse tout le monde.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. C’est ce qu’il faudrait en effet, car l’amendement aurait davantage sa place dans les alinéas relatifs aux coopérations européennes. Demande de retrait ou avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Le fond de l’amendement est bon, mais je rejoins le rapporteur sur son mauvais emplacement. En outre, la dernière phrase me gêne : « Les fonds devront être fléchés, sauf impossibilité technique ou matérielle. » Quels fonds ? On pourrait supprimer la dernière phrase et voir si une majorité se dégage sur l’amendement ainsi rectifié.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN717 de M. Jean-Louis Thiériot.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Alors que nous voulons développer une BITD européenne, la Banque européenne d’investissement (BEI) s’interdit de soutenir les projets de défense. Notre diplomatie a déjà exprimé sa préoccupation face à cette dissonance. Je suggère que les autorités françaises fassent leur possible pour convaincre la BEI d’investir dans le secteur de la défense ; là encore, la rédaction de l’amendement peut être revue.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Même avis que pour le précédent amendement, pour les mêmes raisons.

M. Sébastien Lecornu, ministre. La BEI n’entre pas dans le périmètre de la LPM. Je vous propose une rédaction alternative : « En cohérence avec la volonté d’autonomie stratégique, il est souhaitable que la Banque européenne d’investissement agisse en faveur du financement du secteur de la défense. » Elle a le même sens que la vôtre, mais elle respecte davantage la nature d’une LPM. Monsieur le rapporteur, nous sommes disponibles pour élaborer une rédaction consensuelle, afin que la commission de la défense, qui maîtrise bien ce sujet, l’introduise dans l’hémicycle.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN716 de M. Jean-Louis Thiériot.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). L’Assemblée a voté, de façon transpartisane, une proposition de résolution appelant à éviter l’exclusion du secteur de la défense de la taxonomie européenne de la finance durable. Il serait opportun de retrouver cette position dans la LPM, là encore sous une forme qui peut évoluer.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je partage votre combat, mais votre amendement suggère l’existence de projets officiels des autorités européennes visant à exclure la défense de la taxonomie européenne de la finance durable, ce qui n'est pas le cas même si je vous accorde que certaines études préparatoires ont pu le faire craindre. Demande de retrait ou avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je me suis exprimé avec vigueur à de nombreuses reprises sur la taxonomie, donc je me retrouve dans votre amendement, comme plusieurs parlementaires de la majorité avec qui j’en ai parlé. Mais je vous propose de travailler à sa reformulation. De façon générale, il est toujours délicat d’écrire dans un texte de loi : « il appartient aux autorités françaises de… », car c’est une catégorie trop large. Mesdames et Messieurs les députés, vous faites partie des autorités françaises !

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN714 de M. Jean-Louis Thiériot.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Plusieurs labels privés excluent actuellement le secteur de la défense, qui relève pourtant de l’ordre public économique et de la sécurité nationale. Il ne serait donc pas aberrant que la loi interdise ces labels. Il s’agit néanmoins d’un amendement d’appel car cette question, de nature économique, n’entre pas dans le périmètre des attributions de notre commission.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je rejoins totalement votre propos. Le Parlement et le Gouvernement essaient de faire évoluer la situation. Les régions, qui possèdent la compétence économique, ont également un rôle à jouer pour veiller à ne pas exclure de ces labels les entreprises de la BITD de leur territoire.

M. Sébastien Lecornu, ministre. La BITD attend en effet de nous tous que nous facilitions son accès aux différentes sources de financement : nous venons d’évoquer la taxonomie, ici il s’agit des labels. En touchant à ces derniers, nous dépassons le cadre de la seule BITD, même si nous débattons du rapport annexé au projet de LPM. Il convient là aussi de réécrire l’amendement, en lien avec Bercy, pour éviter les effets de bord.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN713 de M. Jean-Louis Thiériot.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Il vise à élaborer un label, que j’ai nommé Souveraineté et résilience et qui, délivré par l’État, adapterait les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance à la souveraineté et à la résilience.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis est tout à fait favorable : c’est une initiative bienvenue, car le défense bashing existe.

M. Sébastien Lecornu, ministre. À mes yeux, il s’agit d’un amendement d’appel. La finalité politique me convient, mais il n’y a pas d’étude d’impact et je me demande quels sont les effets de bord de votre proposition. Je peine à les évaluer. L’avis est plutôt défavorable. Si vous retirez l’amendement, nous pourrons réfléchir ensemble à ce qu’il est possible de faire, mais la solution n’est pas évidente.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN712 de M. Jean-Louis Thiériot.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Nous avions suggéré de créer un médiateur du crédit défense : à chaque fois qu’on voit les banques, elles nous disent qu’il n’y a pas de problème, et à chaque fois qu’on voit les PME, comme récemment le président du Comité Richelieu, on nous dit qu’il y en a. Il faut afficher cette ambition et travailler sur cette idée avec Bercy.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis favorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Votre amendement n’est pas normatif puisqu’il vise à installer une mission commune de médiation. Sur le fond, vous avez raison, donc je m’en remets à la sagesse de la commission.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN218 de Mme Isabelle Santiago.

Mme Isabelle Santiago (SOC). L’économie de guerre, que ce projet de LPM cherche à déployer, implique des choix capacitaires forts. Dans cette optique, l’amendement vise à constituer, à la charge de l’État, des stocks de produits finis dans des bases prévues à cet effet. Le projet de LPM indique que les entreprises pourraient constituer des stocks, mais il faut aussi que l’État aménage des lieux destinés aux stockages prévus dans le cadre de l’économie de guerre.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Le projet de loi satisfait votre amendement puisque l’article 24 prévoit la possibilité d’imposer aux industriels la constitution de stocks stratégiques, par exemple de produits semi-finis comme les tubes de canon. Demande de retrait ou avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Si vous voulez distinguer les stocks de matières premières des stocks de produits finis, il faut insérer votre amendement à un autre endroit du texte. Par ailleurs, je suis obligé de lui donner un avis défavorable à cause des mots « quand bien même cela entrerait en contradiction avec certaines obligations juridiques de droit privé ». On ne peut pas introduire dans le rapport annexé un dispositif qui peut écraser d’autres normes de droit… Je vous propose de réécrire votre amendement d’ici à la séance publique, en gardant votre idée selon laquelle les stocks stratégiques concernent autant l’amont que l’aval de la production de matériels.

Mme Isabelle Santiago (SOC). Monsieur le rapporteur, notre amendement vise à la constitution de stocks par les entreprises, et celles que nous avons auditionnées nous ont fait part de leurs inquiétudes à ce sujet, mais aussi par l’État, qui doit prendre sa part de cette tâche. Je redéposerai une nouvelle rédaction en séance publique.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN493 de M. Bastien Lachaud.

Mme Martine Etienne (LFI-NUPES). Il vise à permettre la nationalisation des entreprises stratégiques de défense pour préserver la souveraineté et l’indépendance nationale de nos armées. Le bilan des dernières décennies de privatisations des industries de défense est particulièrement inquiétant. On accorde de plus en plus d’importance aux exportations, et les besoins des armées françaises ne constituent plus la priorité mais deviennent des variables d’ajustement de la production et de la vente de marchandises.

Il faudrait partir des besoins de nos armées pour que les industriels disposent de carnets de commandes suffisants et conservent leurs compétences et leurs savoir-faire en continuant à investir dans la recherche et le développement (R&D) au bénéfice des armées. On parle ici de préserver les savoir-faire et la souveraineté de nos industries. Nous proposons depuis de nombreuses années de créer un pôle public de l’armement pour que l’État puisse déployer une planification en matière d’innovation et de préservation des stocks stratégiques.

Monsieur le ministre, vous attendiez de connaître nos idées pour ce projet de loi de programmation militaire, voilà un amendement qui répond à votre curiosité.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis défavorable. Nous avons déjà discuté de la nationalisation d’entreprises de notre BITD. Les exportations jouent un rôle important, mais l’État assume une fonction planificatrice à travers la DGA, qui effectue un travail remarquable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. J’étais en effet curieux de savoir !

Approche de la dissuasion nucléaire manquant de clarté, sortie de l’Otan, nationalisations : on commence à comprendre votre modèle, et il est totalement opposé au nôtre. Avis défavorable.

M. Fabien Roussel (GDR-NUPES). Nous parlons cet après-midi de la manière de financer notre industrie de défense. Vous proposez que celle-ci appartienne essentiellement au secteur privé. Le groupe Gauche démocrate et républicaine souhaite garantir la sécurité du financement de la BITD, sans pour autant tout nationaliser – là se situe la nuance avec nos collègues de La France insoumise, mais nous parviendrions rapidement à nous mettre d’accord dans ce domaine si nous avions à diriger le pays demain. Il est en effet hors de question que la défense repose sur des financements privés. Une participation de l’État, sous une forme ou sous une autre, garantirait le financement de cette industrie et permettrait de planifier son activité.

Mme Caroline Colombier (RN). Le Rassemblement national n’a rien contre un État fort, bien au contraire, mais les entreprises privées ont leur utilité. Le canon Caesar, l’un des plus gros succès français à l’exportation, n’est pas issu d’une commande d’État. L’écosystème actuel est efficace, avec la DGA qui joue tout son rôle. L’approche de La France insoumise, plus idéologique que pragmatique, n’est pas bonne.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Nous sommes aujourd’hui le 10 mai, jour anniversaire de l’élection de François Mitterrand en 1981. Il a nationalisé une partie de la BITD, laquelle ne s’est pas effondrée, bien au contraire. Cela est donc possible.

Je rassure Fabien Roussel, nous ne voulons nationaliser que les entreprises nécessaires à la préservation de notre souveraineté, pas l’ensemble des acteurs de la BITD. Nous ciblons les grandes entreprises, qui sont les donneurs d’ordre de l’ensemble des sous-traitants. Vous les invitez à exporter, Monsieur le rapporteur, mais je vous rappelle que l’exportation d’armes est illégale en France et que seule une autorisation de l’État peut lever cette interdiction. En les incitant à exporter, vous les soumettez donc à l’autorité étatique, et en outre vous soumettez notre politique étrangère au besoin de vendre des armes, ce qui limite l’autonomie de notre pays.

La commission rejette l’amendement.

 

La commission adopte l’amendement rédactionnel DN820 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Amendements identiques DN45 de la commission des finances et DN183 de M. Jean-Charles Larsonneur.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. L’alinéa 13 du rapport annexé prévoit que la loi de programmation militaire permettra « d’anticiper certains besoins capacitaires par des innovations de rupture » et que dans cette perspective, « les armées et la direction générale de l’armement assumeront des paris technologiques ».

Dans la continuité du rapport sur l’économie de guerre que j’ai publié le 29 mars dernier, je propose que le soutien à l’innovation ainsi envisagé bénéficie en particulier aux TPE (très petites entreprises), aux PME et aux start-ups de la BITD, qui ont peu accès à la commande publique alors qu’elles sont les plus capables de développer des innovations de rupture.

Il serait notamment pertinent d’envisager des solutions permettant aux unités militaires d’acquérir directement des équipements pour les tester. L’idée serait de permettre aux forces d’expérimenter des matériels sans attendre qu’ils soient finalisés, afin d’apporter aux entreprises un retour d’expérience rapide. Les produits seraient ainsi adaptés aux missions des forces car leur conception ne résulterait pas uniquement d’un cahier des charges théorique, que l’on sait pléthorique, mais aussi d’expérimentations sur le terrain. Les pompiers effectuent des achats décentralisés et peuvent acheter à l’unité. Ils bénéficient ainsi d’un retour d’expérience rapide pour améliorer les produits dont ils se dotent. Il serait opportun d’appliquer ce schéma aux forces armées : une partie des crédits consacrés par l’État à l’innovation de la défense, soit 10 milliards d’euros dans la LPM, gagnerait à être étudiés par petits montants au profit des PME et des TPE.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis favorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Même avis.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Ces amendements nous font tomber dans le mythe de la start-up nation. Vous confondez l’innovation en boucle courte et l’innovation de rupture. Soyons sérieux, l’innovation de rupture résulte d’un travail de recherche fondamentale que seuls les grands groupes qui font de la R&D peuvent mener. Je ne défends pas le crédit d’impôt recherche, mais il n’est pas vrai que ce sont d’abord des start-ups qui font de l’innovation de rupture : elles font de l’innovation en boucle courte, ce qui est très bien.

Une sorte de démagogie exalte la petite entreprise, qui serait agile et qui produirait de l’innovation de rupture. Il y en a, mais vous exagérez le phénomène pour brosser votre tableau de la start-up nation. Nous vous proposons, à l’inverse, de déployer une stratégie de planification. C’est ce qui manque à ce texte : il aurait fallu élaborer une loi de planification de la souveraineté, en associant les ministères chargés de l’industrie, de l’enseignement supérieur et de la recherche, plutôt que de se précipiter dans une loi de programmation militaire que rien ne nous obligeait à préparer aussi tôt.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. J’ai employé les mots « PME », « TPE » et « start-ups », mais vous n’avez retenu que le dernier : en matière de démagogie, vous me battez largement.

Ce sont rarement les fabricants de bougies qui inventent les ampoules : les innovations de rupture sont forcément impulsées par des personnes qui se situent elles-mêmes en rupture. Les entreprises les plus grosses et les plus structurées ne sont pas les plus enclines à sortir du cadre et à innover. L’exemple des pompiers que j’ai cité en atteste. Autre exemple, les fabricants d’automobiles ne sont pas les leaders du secteur de la voiture électrique, ce sont de nouveaux acteurs qui le sont. Et dans le domaine satellitaire, ce n’est pas la Nasa qui produit Starlink.

C'est en laissant entrer de nouveaux acteurs dans les marchés de la BITD que l’on favorisera l’innovation de rupture, et non en comptant sur la planification et les mastodontes.

Mme Natalia Pouzyreff (RE). Monsieur Saintoul, vos propos montrent votre méconnaissance de l’industrie, car l’innovation est davantage le fait des petites structures qui ont un potentiel dual, à la fois dans le civil et le militaire.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Je comprends que vous n’appréciiez pas le modèle global de planification que nous défendons, mais de là à me répondre que ce ne sont pas les fabricants de bougies qui ont inventé l’ampoule… C’est précisément pour cela que nous défendons la recherche fondamentale et l’enseignement supérieur ! Or vous refusez d’investir dans ces domaines. Vous vous déchargez de cet effort sur le marché, en nous faisant croire que la concurrence permettra de faire émerger des innovations qui rendront service à l’ensemble de l’humanité, ou au moins à nos armées. Ce n’est pas vrai, les technologies de rupture ne naissent pas dans les petits choux, elles résultent de grands desseins industriels et du colbertisme.

M. Loïc Kervran (HOR). Le débat a le mérite de souligner le changement qui s’est opéré dans ce domaine. Pendant longtemps, les innovations venaient du secteur militaire et étaient ensuite transposées dans la sphère civile. De nombreux travaux récents montrent que le phénomène est désormais inversé : l’innovation naît dans la sphère civile, y compris dans de petites entreprises, puis est réutilisée pour des applications militaires. Je salue l’amendement de la commission des finances qui traduit ce changement de monde.

Mme Caroline Colombier (RN). Nous avons bien compris que vous étiez dans votre moment start-up nation, mais ce ne sont pas les start-ups qui ont inventé les missiles hypersoniques. Bien sûr, chacun, selon sa place et sa taille, peut innover, mais les programmes à effets majeurs nécessitent des années d’investissements et d’importants prêts financiers. Merci pour les éléments de langage, mais ne passons pas trop de temps sur la start-up nation.

La commission adopte les amendements.

 

Amendement DN494 de M. Bastien Lachaud.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Il reprend une proposition du rapport d’information que j’ai rédigé avec Lysiane Métayer sur les fonds marins, qui demandait la clarification des documents stratégiques portant sur la maîtrise de ces fonds. Afin de conforter la crédibilité de nos ambitions, notre stratégie doit s’articuler avec les autres composantes de la lutte anti-sous-marine. Comme nous l’avons écrit et comme nous avons été autorisés à le publier, il y a une forme d’impensé dans l’articulation des différentes couches de la colonne d’eau quand il s’agit de lutte sous-marine : nous souhaiterions nous assurer qu’une mise en cohérence est enfin effectuée, afin de pouvoir définir une stratégie réellement ambitieuse dans ce domaine.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Nous avons déjà évoqué à plusieurs reprises la stratégie pour les fonds marins : financée notamment par le plan France 2030, elle vise à développer une capacité souveraine à descendre à 6 000 mètres de profondeur, qui sera très certainement opérationnelle d’ici à la fin de la décennie. Votre amendement est satisfait sur ce point.

Il me semble par ailleurs que la marine nationale a une vision à suffisamment long terme pour pouvoir élaborer une stratégie maritime adaptée à nos besoins. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Sur le fond, il n’y a rien à reprocher à votre amendement, mais la rédaction enrichit-elle vraiment le texte ? La stratégie ministérielle du 16 février 2022, la galaxie capacitaire – drones et robots sous-marins – et l’objectif de descendre à 6 000 mètres figurent dans le texte. Quant à l’enjeu lié à la filière industrielle souveraine, il faut le traiter, mais peut-être plus brièvement. Par ailleurs, mes moyens sont partagés, notamment avec le Centre national de la recherche scientifique et l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, parce que ce sujet n’intéresse pas que la marine nationale.

Si l’on voulait faire figurer ce thème dans le rapport annexé, il faudrait changer la rédaction de votre amendement. Je vous en demande donc le retrait, mais je suis assez ouvert à l’idée de préciser certains éléments. Un amendement portant sur les fonds sous-marins est tombé plus tôt dans la discussion, mais si la commission de la défense – je parle sous le contrôle du rapporteur – estimait que des précisions sont à apporter, il serait possible de trouver une rédaction consensuelle.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Nous sommes d’accord pour assurer la souveraineté de notre filière industrielle mais je serais plus tranquille si nous en inscrivions le principe dans le texte. Je retire l’amendement afin de le retravailler en vue de la séance publique.

L’amendement est retiré.

 

La réunion, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures dix.

 

Amendement DN171 de M. Vincent Bru.

M. Vincent Bru (Dem). L’amendement tend à préciser le champ d’action des forces spéciales. Celles-ci sont envoyées en premier en cas de danger afin de poser les bases d’une intervention plus importante de l’armée conventionnelle ou de protéger la nation contre une menace qui couve. Elles ont pour rôle de répondre très rapidement à une agression de l’ennemi, d’agir en amont d’un conflit ou de désamorcer des tentatives de déstabilisation ou d’agression contre la France. C’est pourquoi je vous propose de préciser dans l’alinéa 17 du rapport annexé que leur champ d’action s’étend aux situations qui constituent une menace immédiate pour la nation.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis favorable.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Nous sommes le 10 mai. Il y a quatre ans, les premiers maîtres Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello mouraient au service de la France. Membres des commandos marine, ils intervenaient pour libérer des otages au Burkina Faso. Nous avons une pensée pour eux et pour leurs proches. Je me demande si la mission qu’ils accomplissaient ce jour-là entre dans l’une des catégories que vous citez. Préciser le champ d’action des forces spéciales n’emporte-t-il pas le risque de restreindre l’utilisation qui pourrait être faite de ces commandos ? Je voudrais m’assurer auprès de vous que la liste n’est pas limitative.

M. Vincent Bru (Dem). Elle est moins limitative que la formulation de l’alinéa 17 qui n’évoque que les conflits majeurs déclarés et, en dessous du seuil, les actions hybrides.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je maintiens mon avis favorable, mais peut-être serait-il judicieux de supprimer le mot « immédiate ».

M. le président Thomas Gassilloud. L’amendement DN171 rectifié tend donc à insérer les mots « ou face à une situation qui constitue une menace pour la Nation ».

La commission adopte l’amendement tel qu’il vient d’être rectifié.

 

Amendement DN294 de Mme Mélanie Thomin.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Il tend à améliorer la coordination entre les services de renseignement, grâce au coordonnateur national. Un effort considérable est prévu en faveur de ces services puisque leur budget serait doublé, passant à 1 milliard par an d’ici la fin de la LPM, soit plus de 5 milliards sur la période 2024-2030 – 9 milliards si l’on y ajoute l’enveloppe consacrée à la cybersécurité.

Lors des auditions, nous avons eu du mal à nous faire indiquer comment les budgets seraient alloués aux différents services. Pourriez-vous nous en dire davantage, Monsieur le ministre ?

Nous sommes convaincus de la nécessité d’augmenter les moyens des services de renseignement, mais l’éclatement de leurs missions entre plusieurs institutions doit nous conduire à renforcer encore davantage la coordination dans des domaines comme la cybersécurité ou la lutte contre les influences étrangères. Nos services seront plus efficaces s’ils peuvent partager leurs informations, mutualiser leurs moyens et se répartir les priorités. Il convient par conséquent de renforcer les moyens du coordonnateur national pour qu’il puisse contrer la fâcheuse tendance des services à défendre leur périmètre.

Au passage, pourquoi ne pas créer une mission d’information à ce sujet ?

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Sagesse.

M. Sébastien Lecornu, ministre. J’irai même jusqu’à rendre un avis favorable. Vous voulez mentionner explicitement l’organisation du renseignement. Si nous voulions être rigoureux, nous pourrions ajouter la coordination – ce qui ne tendrait pas forcément à renforcer le rôle du coordinateur puisque la coordination ne tient pas uniquement à lui.

Je peux d’ores et déjà vous donner quelques chiffres pour les trois services de renseignement dont j’ai la tutelle, sans préjuger de leur évolution – qui peut être importante : vous avez constaté que la trajectoire définie en 2018 avait été largement modifiée du fait de l’apparition de nouvelles fonctions dans la cybersécurité. Pour l’heure, nous prévoyons une hausse de 728 équivalents temps plein (ETP) pour la direction générale de la sécurité extérieure), de 49 ETP pour la direction du renseignement et de la sécurité de la défense et de 335 ETP pour la direction du renseignement militaire. Ces sujets doivent faire l’objet d’une clause de revoyure, ne serait-ce qu’en raison des perspectives nouvelles qu’offre l’intelligence artificielle. D’autre part, le plus important ne sera bientôt plus le nombre d’ETP supplémentaires que nous pouvons financer mais notre capacité à les fidéliser.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendements identiques DN46 de la commission des finances et DN186 de M. Jean-Charles Larsonneur.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. Il s’agit d’élargir nos capacités de surveillance en ouvrant la possibilité de partenariats avec des opérateurs de satellites privés. Cette disposition permettrait aux armées et aux services de renseignement de bénéficier de solutions satellitaires nombreuses et plus flexibles, et de réaliser des économies par rapport au lancement de satellites dédiés.

Bien qu’il soit proposé de s’appuyer sur des opérateurs privés, l’amendement tend à réaffirmer la primauté des objectifs de souveraineté. En effet, seuls les opérateurs ayant la confiance de l’État seraient choisis. Il serait plus intéressant d’utiliser les satellites d’un opérateur civil français pour remplir des missions de renseignement en garantissant que ce sont des capacités propres que de construire des satellites en coopération afin de réaliser des économies au risque de ne pas avoir de garantie de souveraineté.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Votre amendement est satisfait par la rédaction actuelle du rapport annexé, qui prévoit que « la montée en puissance de nos capacités spatiales sera également poursuivie en s’appuyant notamment sur le New space ». Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. La notion d’opérateur de confiance peut sembler quelque peu tautologique dans ce secteur. Avis défavorable.

L’amendement DN186 est retiré.

 

La commission rejette l’amendement DN46.

 

Amendement DN64 de la commission des affaires étrangères.

Mme Laëtitia Saint-Paul, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères. La commission des affaires étrangères s’inquiète de la militarisation de l’Arctique. Les pôles sont devenus de nouvelles zones de conflictualité. La France a nommé un ambassadeur chargé des pôles et des enjeux maritimes et il nous semblerait important que le ministère des armées se saisisse de la question.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. La commission des affaires étrangères pourrait lancer une mission d’information à ce sujet. Retrait ou avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il faudrait revoir la rédaction de l’amendement avant de le redéposer en séance publique. En l’état, il tend en effet à ce que le Gouvernement dresse une revue complète de l’intérêt stratégique civil et militaire pour la France des zones polaires, notamment de l’Arctique. Ce que vous dites est légèrement différent : constatant que les pôles se sont militarisés, vous souhaitez qu’ils soient intégrés au rapport annexé. J’y suis favorable. Il n’est pas besoin de demander une revue au Gouvernement. Précisons simplement que les pôles, en ajoutant peut-être les Terres australes et antarctiques françaises, font partie des nouveaux espaces militarisés, ce qui aurait le mérite d’engager la réflexion sur les conséquences de la fonte des glaces, qui ouvre de nouvelles routes maritimes.

Mme Laëtitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Je ne peux pas le retirer, mais j’inviterai M. Lionel Vuibert, qui a rédigé l’amendement, à vous contacter en vue d’une réécriture.

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Je salue l’intérêt que porte la commission des affaires étrangères aux pôles. Mentionner les Terres australes et antarctiques françaises serait également opportun. La région de l’Antarctique est régie par des traités, ce qui n’empêche pas certaines puissances, en particulier la Chine, de montrer quelques signes d’agressivité dans ces zones stratégiques.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Du fait du bouleversement climatique, la fonte des glaces ouvre des voies maritimes et de nouveaux enjeux de sécurité apparaissent. La raréfaction des ressources incite de surcroît à en rechercher de nouvelles dans les territoires arctique et antarctique, au détriment de la préservation de l’environnement : la production de gaz à effet de serre augmente, ce qui accélère encore davantage la fonte des glaces. Nous devrons nous saisir de ce sujet, quitte à trouver une formulation qui fasse consensus en séance publique.

La commission rejette l’amendement.

 

 

Amendement DN556 de Mme Cyrielle Chatelain.

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Nous proposons de supprimer la dernière phrase de l’alinéa 17, qui a trait à nos capacités spatiales, mais entendez plutôt cet amendement comme une demande de précisions. Ce faisant, nous nous inscrivons dans le cadre du rapport d’information sur l’espace de Jean-Paul Lecoq et Pierre Cabaré, adopté à l’unanimité en février 2022. La formulation retenue ne nous semble pas suffisante pour nous prémunir contre la militarisation de l’espace. Par exemple, elle n’exclut pas les armes de destruction massive, comme nous y contraint le traité relatif à l’espace extra-atmosphérique de 1967, ou en ne rappelant pas que nos actions doivent être motivées par la seule défense de nos satellites.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Le spatial est devenu un nouveau champ de conflictualité, même si on peut le regretter. C’est un domaine crucial pour nos capacités de renseignement et d’analyse et protéger nos satellites est un enjeu majeur. On peut regretter la militarisation de l’espace, mais on doit d’abord assurer la protection du pays. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Notre armée est défensive. Je le répète d’autant plus volontiers que certains amendements, qui tendent à nous surarmer, pourraient laisser penser que nous avons des velléités d’agression. Au contraire, nous respectons le droit international et Yoda, le futur patrouilleur spatial, ne sera chargé que d’assurer la protection des satellites. Demande de retrait ou avis défavorable.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). J’ai bien compris les arguments du ministre mais je partage également les préoccupations des écologistes. Nous aurions pu proposer un sous-amendement pour réaffirmer la volonté de la France de lancer des négociations internationales en vue de signer un nouveau traité de l’espace qui garantisse son désarmement total. En attendant, la suppression de la dernière phrase ne résoudra pas le problème et nous ne voterons pas l’amendement. En revanche, nous pourrions réfléchir pour la séance à une nouvelle rédaction qui rappelle l’ambition française en matière de désarmement de l’espace. Je ne dis pas que la France doit être la seule désarmée dans l’espace mais que nous devons nous fixer comme objectif d’en convaincre le reste du monde.

M. Frank Giletti (RN). Il n’est pas question de dépeindre le monde tel qu’on souhaiterait qu’il soit mais tel qu’il est. La politique de défense repose sur un principe de réalité et nous n’empêcherons jamais la Chine ou la Russie de militariser l’espace. La France a un rôle à jouer, en raison du savoir-faire de ses entreprises, dont témoigne le lancement des fusées Ariane depuis la base de Kourou, en Guyane. Nous nous opposons donc à cet amendement comme les groupes de la NUPES s’opposent entre eux.

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Le Front national n’a pas compris le sens de l’amendement. Nous travaillerons avec les autres groupes pour faire émerger de l’intelligence collective une formulation qui sécurise la lutte contre la militarisation de l’espace sans porter atteinte au renseignement ou mettre en danger les satellites.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN507 de M. Jean-Charles Larsonneur.

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Il tend à actualiser la stratégie spatiale de défense, qui remonte à 2019, afin de tenir compte des enjeux opérationnels de la très haute altitude – la zone où ont évolué les ballons météorologiques chinois dont chacun a entendu parler.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement.

 

Amendements identiques DN65 de la commission des affaires étrangères et DN685 de Mme Anne Genetet.

Mme Laëtitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. La revue nationale stratégique impose l’influence comme nouvelle fonction stratégique. J’y ai consacré une partie de mon rapport pour avis et il me semblerait important qu’elle imprègne l’ensemble du texte.

Mme Anne Genetet (RE). L’influence est un élément-clé qui, jusqu’à présent, était cantonné au périmètre des affaires étrangères. Mais l’influence dépasse largement les domaines de la culture et de la langue française, comme en témoignent le mètre linéaire, la TVA ou le notariat… Il est absolument essentiel que nos armées s’emparent de ce sujet de l’influence, dont elles sont parfois l’un des acteurs, là où elles sont déployées.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis favorable. Je me suis d’ailleurs inspiré de l’excellent rapport pour avis de Laëtitia Saint-Paul pour rédiger le mien.

La commission adopte les amendements.

 

Amendement DN704 de Mme Natalia Pouzyreff et sous-amendement DN962 de M. Jean-Michel Jacques.

Mme Natalia Pouzyreff (RE). La France est attachée à la défense de sa souveraineté mais aussi à celle de ses partenaires. Elle soutient sans ambiguïté l’Ukraine dont la souveraineté a été remise en question par la Russie. Pour autant, l’expression retenue à l’alinéa 19, qui mentionne une France « pourvoyeuse de souveraineté », prête à confusion et pourrait laisser penser que la France pourrait se substituer à un autre État. Je propose par conséquent de modifier la rédaction du paragraphe en supprimant notamment cette expression.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Le sous-amendement tend, dans un souci de cohérence, à remplacer dans l’amendement de Mme Pouzyreff la notion de « politique d’équilibre » par celle de « puissance d’équilibres ».

M. Sébastien Lecornu, ministre. Vous avez été nombreux, sur tous les bancs, à critiquer la formule « pourvoyeuse de souveraineté ». Elle ne revêt pas le sens que vous lui prêtez mais si elle n’est pas claire, il faut la corriger.

Les États africains nous demandent souvent de les aider à assumer leur souveraineté et à la faire respecter. En l’état, la rédaction n’est pas comprise dans ce sens. L’amendement sous-amendé permettra de clarifier le rôle de la France, qui revient tout simplement à défendre le droit international, qu’il s’agisse des frontières, des zones économiques exclusives ou des eaux territoriales. Pour certains continents, c’est un défi permanent. Avis favorable.

Mme Caroline Colombier (RN). C’est ubuesque : c’est le gouvernement qui a cassé la diplomatie française, en supprimant le corps diplomatique par idéologie, qui prétend à présent la défendre.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Pourquoi les amendements suivants, qui portent exactement sur le même sujet et tomberont en cas d’adoption de l’amendement, ne sont-ils pas en discussion commune ?

M. le président Thomas Gassilloud. Il n’y a pas de discussion commune car l’amendement DN704 vise à remplacer entièrement la deuxième phrase de l’alinéa 19 alors que les autres prévoient simplement d’en modifier certains mots.

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Je conviens volontiers que la formule « pourvoyeuse de souveraineté » n’est pas satisfaisante, mais celle de « coopérations mutuellement bénéfiques, notamment dans le champ de la souveraineté », n’est pas plus claire. Pourriez-vous nous expliquer le sens de cette phrase.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). La formule « pourvoyeuse de souveraineté », qui n’est pas très heureuse, trahit votre volonté, déjà manifestée à propos des « puissances d’équilibres », de trouver des slogans et des expressions marquantes. Ces afféteries de langage posent problème, mais elles ont été pensées comme telles. La revue nationale stratégique employait le terme de « partenariat de souveraineté », qui se comprend bien plus facilement. Mais peut-être l’expression « pourvoyeuse de souveraineté » est-elle un anglicisme, ou alors révèle la légèreté, la désinvolture et la précipitation avec laquelle vous avez écrit ce texte.

Mme Anna Pic (SOC). Ces expressions que l’on comprend mal doivent être précisées. L’amendement sous-amendé ne permet pas de clarifier la rédaction. Vous avez rappelé que les coopérations qui nous lient, pour qu’elles soient bénéfiques, doivent répondre à un objectif de soutien, dans le respect du droit international. Je regrette que ces valeurs que nous défendons au travers des partenariats n’apparaissent plus clairement dans le texte. Plutôt que de nous ingénier à trouver de nouvelles formules, rappelons la base : le respect du droit international.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Ce texte n’a pas été rédigé dans la précipitation mais rien ne vous interdit, Monsieur Saintoul, de critiquer la méthode et d’abîmer le travail des équipes de la direction générale des relations internationales et de la stratégie.

Quand les armées françaises, prépositionnées au Gabon, au Sénégal ou en Côte d’Ivoire, sont chargées de former les armées de ces pays dans le cadre de traités de défense bilatéraux, c’est une manière de les aider à assumer leur souveraineté. Quand le groupe aéronaval mène des missions dans des zones qui peuvent être contestées, ou dans lesquelles il est porté atteinte au droit de circulation maritime, il défend le droit international mais il permet aussi à des pays alliés d’asseoir leur souveraineté dans les zones économiques exclusives ou dans les eaux territoriales des pays amis. Écrivez-le comme vous voulez mais ces notions ne sont pas purement théoriques.

Les forces armées, dans le cadre de traités bilatéraux, reçoivent des missions concrètes qui peuvent aller jusqu’à l’appui au combat, comme au Niger. Et il me semble que le but est bien de défendre les frontières du Niger.

Je suis favorable à la rédaction proposée par Mme Pouzyreff, qui a le mérite d’être plus claire, mais si vous avez une idée géniale d’ici à la séance, tant mieux.

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Je voterai l’amendement sous-amendé, même si je ne suis pas opposé à en revoir la rédaction d’ici l’examen en séance publique pour le clarifier encore davantage.

La commission adopte successivement le sous-amendement et l’amendement sous-amendé.

En conséquence, les amendements DN149 de M. Frank Giletti et DN495 de M. Bastien Lachaud tombent.

 

Amendement DN496 de M. Bastien Lachaud.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NUPES). Par cet amendement, nous nous opposons à l’exclusion de l’Amérique latine, de l’Amérique du Sud ainsi que de l’Océanie, des partenariats stratégiques visés à l’alinéa 19 du rapport annexé. Comment expliquer cette décision alors que la Guyane se trouve dans le continent sud-américain, les Antilles françaises dans les Caraïbes et la Polynésie française en Océanie ? Notre plus grande frontière terrestre est partagée avec le Brésil et notre plus grande frontière maritime avec l’Australie.

Il est dommage qu’aucun partenariat avec des pays d’Amérique du Sud ou d’Océanie ne soit envisagé. Par exemple, la lutte contre l’orpaillage illégal au sein de la forêt amazonienne ne peut se mener sans une discussion internationale, alors que les États frontaliers de la France, le Brésil et le Suriname, sont confrontés au même fléau. Dans ce contexte, la coopération de défense aurait du sens.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Sagesse.

M. Sébastien Lecornu, ministre. C’est le seul continent dans lequel nous n’avons pas de force prépositionnée. La relation de défense n’a pas la même intensité et s’exerce essentiellement au travers des missions de défense, au sein des ambassades. Il arrive que des questions liées à l’exportation d’armes se posent et des coopérations transfrontalières peuvent être décidées comme, par exemple, avec le Suriname et le Brésil. Cela étant dit, même s’ils ne sont pas de même intensité, nous nouons des partenariats stratégiques en Amérique du Sud et surtout en Océanie, où les forces armées de la Nouvelle-Calédonie (Fanc) jouent un rôle essentiel, notamment pour secourir la population, confrontée à des catastrophes naturelles liées au réchauffement climatique.

Mme Anne Genetet (RE). Je salue le travail remarquable des attachés de défense, installés dans tous les continents et j’espère que leur expérience sera valorisée. La France est très présente en Océanie. Lors du tremblement de terre sur l’archipel du Vanuatu, les Fanc ont été les premiers à arriver sur le site. Nos partenaires sur place, qu’il s’agisse de la Nouvelle-Zélande ou de l’Australie, savent très bien que ce sont toujours les forces françaises qui réagissent le plus rapidement.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Vous avez raison et vous faites mentir ceux qui prétendent que nous abîmerions la diplomatie française. La réforme d’un corps diplomatique ne signifie pas la réduction de ses moyens – le Président de la République vient d’ailleurs d’annoncer le contraire.

Concernant les missions de défense, je vous confirmerai bientôt que nous comptons augmenter le nombre d’attachés de défense et densifier leurs missions. Nous souhaitons également rouvrir des postes d’attachés d’armement.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN624 de Mme Sabine Thillaye

Mme Delphine Lingemann (Dem). Il tend à singulariser l’Union européenne comme partenaire stratégique au sein du projet de loi de programmation militaire. L’Union européenne est souvent confondue avec l’Europe. Or l’Europe est un continent tandis que l’Union européenne désigne une union économique et politique. Ces deux mots revêtent une importance particulière en ce qu’ils illustrent le rôle clé de l’Union européenne dans la défense de notre continent, au même titre que l’Otan.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. L’amendement est pertinent car l’Union européenne, en effet, ne recoupe pas le continent européen. Favorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. L’adoption de l’amendement permettrait aussi de souligner la coordination entre l’Union européenne et l’Otan. Avis favorable.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Avec cette modification, la phrase ne perd-elle pas de son sens ? Je ne connais pas d’États membres de l’Union européenne qui ne soient pas géographiquement situés en Europe. Cet amendement n’apporte strictement rien, si ce n’est de la confusion.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je mets pour ma part la mention de l’Union européenne en relation avec celle, non de l’Afrique, de l’Asie et de l’Europe, mais de l’Alliance atlantique. Il me semble qu’on fait ici référence aux coopérations militaires dans le cadre de l’Union européenne, comme la task force Takuba. D’où mon avis favorable.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Désolé, mais je ne comprends pas la phrase ainsi. Au sein de l’Alliance atlantique, il y a des pays – à commencer par les États-Unis et le Canada – qui ne sont ni en Afrique, ni en Asie, ni en Europe.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Tous les États membres de l’Union européenne n’appartiennent pas à l’Alliance atlantique.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Certes, mais tous sont en Europe. Il me semble que l’amendement complexifie inutilement la phrase.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN497 de M. Bastien Lachaud.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). La France est riche de sa langue, qui sera bientôt la deuxième langue la plus parlée au monde. Il serait intéressant de nouer des partenariats stratégiques avec les pays francophones.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Sagesse.

M. Sébastien Lecornu, ministre. On ne peut qu’être favorable à cet amendement.

La commission adopte l’amendement.

 

 

 

Amendement DN235 de Mme Anna Pic.

Mme Anna Pic (SOC). Nous souhaitons enrichir l’alinéa 19 en insistant sur la nécessité de prévenir d’éventuels aléas géopolitiques en construisant une Europe de la défense, au sein de laquelle la France aurait vocation à jouer un rôle majeur. Si un conflit de haute intensité menaçait le territoire français, nous aurions besoin de faire masse et de mieux nous coordonner avec nos partenaires européens pour donner une deuxième jambe à nos alliances en Europe.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je suis d’accord mais l’amendement me semble mal placé : il serait préférable de traiter cette question dans les alinéas consacrés aux coopérations européennes.

Demande de retrait et, à défaut, avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Si l’on veut évoquer l’Europe de la défense dans le rapport annexé, il faut traiter l’ensemble de la question et parler d’objets concrets. Or le diagnostic que vous émettez, essentiellement militaire, est fondé sur la stratégie de l’Otan. Vous évoquez l’éventualité d’un désinvestissement de celle-ci de la zone Europe : sachez que c’est une option qui, pour nous, en tant que membres de l’Alliance, n’existe pas – mais nous pourrons y revenir si vous le souhaitez.

Il existe déjà des exemples de coopération européenne : la brigade franco-allemande, la task force Takuba, les opérations d’évacuation de ressortissants (Resevac) en Afrique et dans le Golfe… De plus, certains sujets – dont la stratégie pour l’Indo-Pacifique – ne concerneront jamais, pour de multiples raisons, l’Otan.

Si l’on veut traiter ce thème, il faut donc aller plus loin et être plus concret. Demande de retrait pour y travailler en vue de la séance publique – éventuellement avec les députés de la majorité qui ont des idées sur la question.

Mme Stéphanie Galzy (RN). Le Rassemblement national considère que l’Europe de la défense est une proclamation plutôt qu’une réalité ; qui plus est, ce discours d’intention est strictement franco-français. Nos partenaires européens estiment que le parapluie américain leur convient parfaitement et ils écoutent avec réserve, pour ne pas dire avec ironie, les velléités du président Macron en la matière. Où est l’Europe de la défense quand le seul autre pays européen à posséder, comme nous, une armée digne de ce nom, le Royaume-Uni, n’est plus membre de l’Union européenne, quand les Allemands, nos prétendus partenaires commerciaux privilégiés, nous vendent des fusils d’assaut HK mais achètent américain ? Tout cela me fait penser à de Gaulle et à son cabri… Foin de vœux pieux et de formules qui ne mènent à rien, sinon à une dissolution de la souveraineté de la France ! Nous voterons contre cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN437 de M. Aurélien Saintoul.

M. Emmanuel Fernandes (LFI-NUPES). Le retour de la France dans le commandement intégré de l’Otan, entériné par Nicolas Sarkozy en 2009, était présenté comme un moyen de développer l’influence de la France dans le monde. À l’heure du bilan, une quinzaine d’années plus tard, il convient de se demander dans quelle mesure la voix de la France a été mieux entendue ou comprise sur la scène internationale. Cette réintégration a-t-elle favorisé ou dégradé notre position singulière de « puissance d’équilibres » – pour reprendre l’expression consacrée par le texte ?

Le retour au sein du commandement intégré a certes été accompagné de compensations, par exemple la garantie que les officiers français exerceront des responsabilités au sein de l’Alliance, mais cet enrôlement a banalisé la position française et relégué le pays au rang d’allié exemplaire des États-Unis. Cette exemplarité affichée jusque dans la revue nationale stratégique est contradictoire avec l’idée d’un pays revendiquant indépendance et non-alignement.

« Et c’est un vieux pays, la France, d’un vieux continent comme le mien, l’Europe, qui vous le dit aujourd’hui, qui a connu les guerres, l’occupation, la barbarie… » : l’éclatant discours de Dominique de Villepin aux Nations unies aurait-il été possible après le retour de la France dans le commandement intégré de l’Alliance ? Force est de constater qu’il a coïncidé avec un alignement de la France sur les options stratégiques des États-Unis. D’ailleurs, un certain François Bayrou déclarait en 2009 : « Je considère que la France abandonne là quelque chose d’infiniment précieux qui était le signe de son indépendance. Contre quoi ? Rien. »

Nous demandons au Gouvernement de remettre à la représentation nationale un rapport sur le bilan du retour de la France dans le commandement intégré de l’Otan et ses gains politiques et stratégiques.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je suis persuadé que le discours de M. de Villepin aurait été possible. Cela montre votre confusion sur le rôle de l’Otan. Après l’avoir quitté en 1966, la France a réintégré le commandement militaire intégré de l’Otan en 2009 à l’initiative du président Sarkozy. On voit bien, avec la guerre en Ukraine, combien cela est bénéfique pour notre pays. Nous avons sur ce point des perceptions totalement différentes.

Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Avis défavorable également.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Il n’est pas question, par cet amendement, d’entériner une sortie du commandement intégré de l’Otan. Ce que nous demandons, c’est un document objectif, impartial, qui évalue si le retour dans ce commandement intégré a constitué une plus-value pour la France et s’il lui a permis de faire valoir son point de vue et d’atteindre des objectifs qu’elle n’aurait pas atteints autrement. Tâchez de nous convaincre au lieu de répondre que nous avons des perceptions différentes. Il ne s’agit pas que d’une affaire de perception !

Mme Anne Genetet (RE). Avec les travaux de la commission de la défense et ceux de la délégation française à l’Assemblée parlementaire de l’Otan, nous disposons d’outils d’analyse très précis sur le rôle de la France dans l’Otan ainsi que sur la perception qu’en ont nos partenaires en son sein – je crois d’ailleurs, Monsieur Saintoul, que vous êtes vous-même membre de cette délégation. Le bilan ne fait guère de doute. La France est nation-cadre de l’Otan, notamment en Roumanie, et elle tient son rôle – même s’il reste du travail pour que nos partenaires comprennent le positionnement parfois singulier de notre pays, qui fait notre richesse et notre originalité et que, j’en suis certaine, nous conserverons.

Mme Mélanie Thomin (SOC). L’amendement est une demande de rapport sur le bilan de la réintégration de la France au sein du commandement de l’Otan : il ne s’agit nullement de trancher la question. Il me semblerait utile qu’un rapport parlementaire nous éclaire sur le sujet.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Eh bien, faites-le !

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Nous demandons un rapport. On nous répond que c’est à l’Assemblée de le faire. Le problème, c’est que nos ressources sont limitées. Nos administrateurs ne peuvent pas se multiplier comme des petits pains et nous n’arrivons pas à obtenir la création de toutes les missions d’information que nous souhaitons. Néanmoins, si le président Gassilloud s’engage à défendre, lors de la prochaine réunion du bureau de la commission, la création d’une mission d’information ayant le même champ d’application que l’amendement, nous sommes disposés à le retirer.

M. le président Thomas Gassilloud. La création de telles missions découlant d’une décision collective du bureau, je ne peux pas vous garantir qu’elle verra le jour. En revanche, je peux m’engager à mettre ce point à l’ordre du jour de la prochaine réunion.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. C’est précisément ce que j’allais vous proposer, Monsieur Lachaud : que la commission de la défense se saisisse du sujet par l’intermédiaire d’une mission d’information dont la création sera soumise au vote du bureau.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Vu la dimension très politique, voire politicienne, du sujet, il vaut mieux que le rapport soit produit par l’Assemblée nationale – même si le ministère des armées pourra y concourir. Un rapport de notre part n’aurait à mon avis que peu de valeur à vos yeux : vous douteriez de son objectivité.

La meilleure manière de faire le bilan de la réintégration dans le commandement intégré de l’Otan, c’est d’auditionner les officiers généraux français qui servent dans les différents états-majors. Celles et ceux qui se sont rendus récemment sur le porte-avions Charles-de-Gaulle ont pu observer les effets concrets de la planification et de l’interopérabilité en mer Méditerranée ; idem dans l’océan Atlantique. Mme Genetet l’a rappelé : la France a le statut d’une nation-cadre. Une coordination de la défense du ciel est assurée, notamment sur le flanc est de l’Europe. Tout cela relève du commandement intégré. J’ajoute, pour éviter toute caricature, que la France n’a pas rejoint le Groupe des plans nucléaires de l’Otan.

Celles et ceux qui servent au sein du commandement intégré vous diront que le bilan est plutôt favorable et positif, et qu’il s’agit aussi d’un outil d’influence française au sein de l’Otan au quotidien. C’est une fois encore une affaire d’équipe de France, d’orientations et de moyens. J’ai moi-même acquis, au bout d’un an, une certaine expérience du sujet, que je serai heureux de partager avec vous.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Vu les prises de position du ministre et du rapporteur, je n’ose penser que le bureau de la commission refusera la création d’une telle mission d’information ! Comme nous avons confiance dans le président Gassilloud, nous retirons cet amendement en espérant la mission sera rapidement mise en place.

L’amendement est retiré.

 

Amendements identiques DN66 de la commission des affaires étrangères et DN688 de Mme Anne Genetet, sous-amendement DN922 de M. Frédéric Petit.

Mme Laëtitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Le Quai d’Orsay s’est doté en 2021 d’une feuille de route de l’influence, érigée en nouvelle fonction stratégique des armées. Il serait nécessaire de disposer d’une approche interministérielle du sujet. Tel est l’objet des amendements identiques.

Mme Josy Poueyto (Dem). Le sous-amendement vise précisément à articuler la stratégie nationale d’influence à la feuille de route de l’influence présentée par Jean-Yves Le Drian le 14 décembre 2021.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis favorable sur les amendements identiques, sagesse sur le sous-amendement.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Pour être franc, je ne suis pas sûr que la référence à une feuille de route datée soit limpide pour tous nos concitoyens… Avis favorable sur les amendements identiques, demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable, sur le sous-amendement. Si vous estimez qu’il faut préciser les choses, on amendera en séance.

Le sous-amendement est retiré.

La commission adopte les amendements identiques.

 

Elle adopte l’amendement rédactionnel DN895 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Amendement DN703 de Mme Natalia Pouzyreff.

Mme Natalia Pouzyreff (RE). L’alinéa 20 du rapport annexé porte sur le soutien que la France peut apporter à ses partenaires, notamment en matière de formation. J’aimerais ajouter que ces partenariats sont fondés sur une relation de réciprocité et qu’ils s’enrichiront de ces échanges mutuels.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. C’est un fait mais je ne suis pas sûr que l’amendement apporte grand-chose. Demande de retrait et, à défaut, avis défavorable.

Mme Natalia Pouzyreff (RE). C’est la notion de réciprocité qui est importante.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Peut-être faut-il la mettre en valeur, dans ce cas. La formulation proposée, quoiqu’élégante, n’est pas assez technique.

Vous décrivez néanmoins une réalité. Ainsi, durant la formation aux actions contre-IED – engins explosifs improvisés –, des échanges ont lieu entre nos soldats du génie et les personnes formées.

L’amendement est retiré.

 

Elle adopte l’amendement rédactionnel DN896 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Amendements identiques DN67 de la commission des affaires étrangères et DN689 de Mme Anne Genetet.

Mme Laëtitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Il s’agit de donner un contenu concret à la fonction d’influence.

Le Président de la République a souhaité un partenariat rénové avec les pays africains. Pour ce faire, il faut penser la réciprocité. En Mauritanie, j’ai rencontré les responsables du collège de défense du G5 Sahel ; ils se sentiraient honorés d’accueillir à Nouakchott des stagiaires de l’École de guerre. Puisque vous souhaitez, Monsieur le ministre, accueillir un plus grand nombre d’élèves étrangers, je pense qu’il serait bon qu’un plus grand nombre d’élèves français aillent faire leurs études chez nos partenaires.

Mme Anne Genetet (RE). J’en profite pour lancer un appel à une meilleure valorisation de la carrière à l’étranger et des parcours internationaux de nos militaires.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis favorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Sagesse.

La commission adopte les amendements identiques.

 

Amendements identiques DN68 de la commission des affaires étrangères et DN692 de Mme Anne Genetet.

Mme Laëtitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. J’ai découvert avec stupéfaction, lors de mes auditions, qu’il n’y avait aucun suivi des alumni étrangers venus faire leurs études en France, même lorsque les formations sont financées par notre pays. Il serait indispensable d’entretenir avec eux un lien dans la durée, sachant que nombre d’étudiants formés au début de leur carrière en France occupent vers l’âge de 40 ans des postes-clés au sein de leur ministère, notamment dans les pays africains.

Mme Anne Genetet (RE). Je tiens à saluer le remarquable travail réalisé dans ce domaine par l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), qui accueille des cadres étrangers, et je lance à tous les collègues un appel à préserver son budget dans le cadre de la prochaine loi de finances.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis favorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. J’ai fait le même constat en arrivant à Brienne. C’est incroyable mais vrai. Indépendamment de la question du rapport annexé, j’ai saisi le commandement des écoles militaires, au moins pour ce qui concerne la formation des officiers, en leur demandant de faire un recensement sur les dix à quinze dernières années et de missionner les attachés de défense pour opérer le suivi. Les amendements vont donc dans le bon sens.

La commission adopte les amendements identiques.

 

Amendement DN439 de M. Aurélien Saintoul.

Mme Martine Etienne (LFI-NUPES). Nous souhaitons supprimer la mention du Tchad à l’alinéa 21. En effet, à la différence des trois autres États cités, le Tchad n’accueille pas de forces françaises prépositionnées. En outre, il est actuellement sous la coupe de la junte militaire dirigée par Mahamat Idriss Déby, qui a pris le pouvoir à la mort de son père à la suite d’un coup d’État ; de nombreuses violations des droits humains y ont été constatées.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Le Tchad joue un rôle important au Sahel dans la lutte contre le terrorisme. Ce partenariat a un sens. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Avis défavorable également.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). L’explication est un peu courte ! Quel rôle joue le Tchad ? Pourquoi ? Est-il irremplaçable ?

Nous sommes présents au Tchad depuis plusieurs décennies, soit bien avant l’apparition des groupes armés terroristes. Nous avons bombardé en février 2019 une colonne rebelle pour sécuriser le pouvoir de M. Idriss Déby. Pourquoi cette ingérence dans les affaires intérieures du pays, en contradiction formelle avec l’accord de défense qui nous lie à N’Djaména ? Vous ne pouvez pas vous en tenir à l’utilité de l’action du Tchad dans la lutte contre le terrorisme – d’autant que celle-ci est loin de respecter les normes internationales en matière de respect des droits humains.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Et pourquoi, dans ce cas, ne pas citer aussi le Niger, qui joue probablement un rôle central dans la lutte contre le terrorisme et où nous disposons d’une base aérienne projetée ? Il y a là un problème de parallélisme des formes.

La commission rejette l’amendement.

 

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels DN870 et DN897 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Amendement DN236 de Mme Anna Pic.

Mme Anna Pic (SOC). La persistance de la menace terroriste en Afrique ne doit pas être sous-évaluée. Il nous faut nous assurer que les actions de lutte contre le terrorisme sont bien poursuivies, conformément aux attentes du pays concerné et avec un appui éclairé, de manière à éviter les débordements régulièrement révélés par la presse.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis défavorable : la France prend en compte la réalité des menaces.

M. Sébastien Lecornu, ministre. La première partie de l’amendement constitue le cœur des accords de défense : c’est bien ce que font les armées françaises, suivant diverses formes, dans différents pays. En revanche, je ne comprends pas la fin de la phrase : « dès lors que la menace est réelle et met en péril les intérêts fondamentaux du pays ». Soit il y a menace terroriste, auquel cas les intérêts fondamentaux des pays concernés sont en péril – voyez au Mali –, soit il n’y en a pas. Que la menace terroriste figure en bonne place dans le rapport annexé, je ne peux qu’y être favorable, mais attention aux formulations absconses qui peuvent donner lieu à interprétation.

Mme Anna Pic (SOC). Vous avez raison. Nous voulions simplement appeler l’attention sur la nécessité de modifier certains de nos modes d’action. Néanmoins, la réduction des crédits des opérations extérieures (Opex) en Afrique ne doit pas nous faire oublier que la menace n’a pas disparu.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Cela dépend aussi des pays concernés et de l’état de leur armée. Je pense qu’il faut revoir la rédaction de l’amendement.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN436 de M. Aurélien Saintoul.

M. Christophe Bex (LFI-NUPES). L’Otan n’est pas un cadre qui nous permet de promouvoir la paix et le rôle de la France dans le monde. Nous devons cesser d’être les acteurs de la politique étrangère américaine. Les politiques de défense sont dépendantes de la politique étrangère. C’est pourquoi il convient de soulever la question de notre engagement au sein de cette organisation – en espérant que vous ne tomberez pas encore dans la caricature.

Non, l’agenda américain ne correspond pas à nos intérêts ni à ce à quoi nous aspirons. Dans un monde où les enjeux climatiques questionnent notre survie, nous pensons que la priorité ne doit plus être la guerre. Néanmoins, nous restons pragmatiques et le reproche qui nous est fait concernant le timing est injuste. Nous ne prônons pas une sortie immédiate de l’Otan, car elle serait dommageable. Prenez la peine de nous écouter et de comprendre.

Cet amendement invite à nous questionner sur le bilan de notre retour dans le commandement intégré de l’Otan. Notre rôle s’est-il renforcé, en adéquation avec nos valeurs et notre vision du monde ? Pouvons-nous accepter d’être les alliés de la Turquie d’Erdogan, qui intervient militairement dans le nord de la Syrie, au mépris du droit international et contre son propre peuple ? Dans la lutte contre le terrorisme, les Kurdes, que combat la Turquie, ont toujours œuvré pour la sécurité collective. Comment pouvons-nous les soutenir alors que nous sommes membres, aux côtés de leurs bourreaux, d’une organisation militaire hégémonique ? L’Otan ne nous permet pas de combattre les racines profondes du terrorisme et des guerres ; elle les alimente. Ce ne doit pas être un sujet tabou au prétexte que le contexte actuel ne nous permet pas de la quitter.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Tout à l’heure, vous vous moquiez des divergences au sein du groupe communiste mais j’ai l’impression que c’est la même chose chez vous – à moins que vous ne progressiez de façon cachée, auquel cas vous sortez du bois. Alors que M. Saintoul demandait, il y a quelques instants, la création d’une mission d’information, en précisant qu’il ne s’agissait absolument pas que la France quitte le commandement intégré de l’Otan, voilà que vous, vous affirmez qu’il faut en sortir !

En réalité, c’est bien là l’objectif que vous visez. C’est votre droit, mais dites-le clairement, au lieu de faire des pirouettes et de vous cacher derrière votre petit doigt.

Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. « L’Otan alimente les guerres » : pensez-vous vraiment ce que vous dites, Monsieur Bex ? Si c’est le cas, vous reprenez le narratif de la Fédération de Russie. C’est très grave.

Nous avons eu tout à l’heure un débat de bonne tenue sur le rôle de la France dans le commandement intégré, qui a conduit à confier à la commission, donc au Parlement, le soin d’objectiver cette question. Cette fois, entre le corps de l’amendement, l’exposé sommaire et votre argumentation, Monsieur le député, je note un durcissement préoccupant des propos.

On s’est moqué de moi hier quand j’ai dit qu’au sein de certaines alliances politiques, il y avait des divergences assez importantes – mais je reconnais que cela ne me regarde pas. En revanche, à la fois en tant que ministre et en tant que citoyen français, j’aimerais savoir si vous pensez vraiment que l’Alliance atlantique alimente les guerres et, en l’espèce, la guerre.

M. Christophe Bex (LFI-NUPES). Non, j’appelle par cet amendement à ce que nous dressions le bilan du retour de la France dans le commandement intégré de l’Otan. Il me semble normal que la représentation nationale s’interroge sur l’intérêt que nous avons à être membre de cette structure. Je n’ai pas dit qu’il fallait en sortir tout de suite, mais je pense que cette réflexion est nécessaire – et dans l’opinion publique aussi.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Monsieur le ministre, ce que vous venez de faire n’est pas très respectueux.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Des choses ont été dites.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Vous nous mettez en cause dans des termes qui ne sont pas acceptables.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Bas les masques !

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Il n’y a pas de masques : nous déposons des amendements, et nos intentions sont explicites.

Vous nous demandez si l’Otan alimente les guerres.

M. Sébastien Lecornu, ministre. C’est vous qui l’avez dit !

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Vous nous avez posé une question et je vous réponds.

L’Otan n’alimente pas les guerres en général. Mais je vous le dis droit dans les yeux : l’Otan a eu la main lourde en Libye et a participé à la guerre en Afghanistan, pays qui n’est aucunement riverain de l’Atlantique. Donc, oui, l’Otan a cherché pendant plusieurs décennies des raisons d’exister, de se maintenir en vie. C’est d’ailleurs pourquoi le Président de la République a cru bon de dire, il y a quelques années, qu’elle était en état de mort cérébrale. L’inertie de cette organisation n’était pas de nature à produire de la stabilité, vous le savez bien.

Quant à savoir si nous sommes en désaccord entre nous, non, évidemment, nous ne le sommes pas. Nous sommes signataires des mêmes amendements. Mais vous connaissez, j’imagine, la stratégie parlementaire qui consiste à en déposer plusieurs, dont certains de repli. Votre argument, Monsieur le rapporteur, tombe à plat.

Mme Natalia Pouzyreff (RE). Ne tergiversons pas. L’Otan se trouve au cœur de la défense collective de l’Europe. Je pense que, dans le contexte de l’agression de l’Ukraine par la Russie, nos partenaires européens s’interrogeraient si la France venait à quitter ne serait-ce que le commandement intégré. Cela conduirait à nous isoler, donc à nous affaiblir. Ce que nous voulons, c’est une France forte dans l’Otan.

Mme Caroline Colombier (RN). Nous sommes favorables à cet amendement dans la mesure où nous avons toujours été pour la sortie du commandement intégré de l’Otan – c’était d’ailleurs la position du général de Gaulle, et aussi celle de Chirac. Nous engagerons cette sortie dès que nous arriverons au pouvoir, en 2027.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Chassez le naturel, il revient au galop : c’est toujours le même antiaméricanisme qui s’exprime. On parlait de faire tomber les masques, mais il serait temps aussi de mettre des lunettes ! J’aimerais bien savoir en quoi le pacte Briand-Kellogg, qui a fait suite aux accords de Locarno, a contribué à la paix en Europe. On a cru qu’en signant des pactes, on ferait la paix. En réalité, que s’est-il passé ? L’Italie a envahi l’Éthiopie et l’Allemagne a provoqué l’Anschluss, s’est réarmée et a occupé la Rhénanie. Et c’étaient deux pays signataires : on voit ce que ces traités ont apporté à la sécurité du monde !

M. Mounir Belhamiti (RE). À travers cet amendement, vous remettez en cause l’Otan, qui est une alliance militaire, diplomatique et historique, mais vous n’allez pas au bout de votre raisonnement, ce qui est un peu hypocrite. Le programme de votre candidat à l’élection présidentielle est pourtant très clair : ce que vous voulez, c’est que la France se rapproche de l’Alliance bolivarienne. C’est inscrit noir sur blanc dans votre programme, alors dites-le, pour que nous ayons enfin un débat honnête et franc.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Le pacte Briand-Kellogg constitue, avec la SDN, la base du droit international. Son principe, c’est que les conflits peuvent se régler pacifiquement par des traités, plutôt qu’avec des canons. Si cela n’a aucune valeur pour vous, alors jetons la SDN et l’ONU à la poubelle et faisons la guerre ! Si vous rejetez le droit international, dites-le ! Si vous pensez que les traités ne servent à rien, dites-le !

Ce que nous proposons, ce sont des partenariats bilatéraux, sur des projets, avec toutes les nations qui refusent la logique de blocs, laquelle ne mène qu’à la guerre.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN69 de la commission des affaires étrangères

Mme Laëtitia Saint-Paul (RE). J’espère que cet amendement, rédigé par le président Bourlanges, mettra au moins d’accord ceux qui estiment que le rapport annexé ne parle pas assez de l’Otan et de la défense européenne. Il s’agit de rappeler que la France est un pilier de la défense du continent européen, dans le cadre de la défense européenne et de l’Otan.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis défavorable. Il me semble que cela pourrait figurer un peu plus loin dans le rapport annexé.

M. Sébastien Lecornu, ministre. L’ajout que vous voulez faire est assez long et risque de déstructurer cette partie du rapport annexé, construite autour des quatre pivots que sont la souveraineté, la haute intensité, les nouveaux espaces et les partenariats. Votre amendement tendrait à ajouter un cinquième pivot, autour de la défense européenne et de l’Otan. Or cela ne me semble pas tout à fait consensuel, si j’en crois les débats que nous venons d’avoir… Je suis plutôt défavorable à cet amendement, car j’ai peur qu’il alourdisse notre copie.

Mme Laëtitia Saint-Paul (RE). Nous sommes plusieurs à regretter que le rapport annexé ne dise rien de la défense européenne. Au moment de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, nous avons défini une Boussole stratégique, dont il n’est absolument pas question ici. Cet amendement traduit un souhait exprimé par différents groupes, d’une manière très apaisée et j’espère vraiment, Messieurs, que vous voudrez bien revenir sur votre avis.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Le président de la commission des affaires étrangères, qui fait partie de la majorité, a déposé un amendement. Bien que celui-ci ait été adopté par la commission des affaires étrangères il ne reçoit ici l’assentiment ni du ministre, ni du rapporteur. J’ai l’impression qu’il y a du mou dans la corde à nœuds, si vous me passez l’expression. Il y a un instant, vous avez suggéré qu’il y avait des désaccords au sein de notre groupe, mais ce qui se passe au sein de la majorité est pour le moins surprenant. Vous allez repousser cet amendement, alors qu’il est conforme à tout ce que vous nous avez dit précédemment ! Cela témoigne d’un certain mépris pour le Parlement.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Après vos propos sur l’Otan et la milice Wagner, je comprends que vous ayez envie de faire diversion. J’ai seulement indiqué que cet amendement ne me semblait pas placé au bon endroit, puisque son adoption risque de déstructurer le texte, articulé autour des quatre piliers. Plutôt que de faire diversion, j’aimerais que vous nous donniez votre avis sur la coordination entre l’Union européenne et l’Otan.

Mme Anna Pic (SOC). Le groupe Socialistes et apparentés votera cet amendement, qui explicite parfaitement la nature du lien entre l’Union européenne et l’Otan. Nous pouvons le voter et le déplacer, en vue de la séance.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je suis tout à fait d’accord.

Mme Laëtitia Saint-Paul (RE). Peut-être pouvons-nous apporter la modification qui s’impose dès maintenant, pour éviter d’alourdir les débats dans l’hémicycle ?

M. Christophe Blanchet (Dem). Si le Gouvernement s’engage à émettre un avis favorable sur cet amendement une fois qu’il aura été réécrit, on peut peut-être envisager son retrait ?

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je ne dis pas qu’il faut réécrire cet amendement, mais qu’il faut le placer au bon endroit, c’est-à-dire dans la partie du rapport relative aux « coopérations au service de l’autonomie stratégique européenne », qui s’ouvre à l’alinéa 56.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Historiquement la défense européenne a toujours été le moyen, pour l’Alliance atlantique – ou les États-Unis – de rassembler, de canaliser et finalement d’empêcher l’existence d’une véritable autonomie stratégique européenne. On nous explique que l’on va garantir l’autonomie stratégique européenne, tout en maintenant la défense européenne dans le cadre de l’Otan : c’est pour le moins incongru. La défense européenne ne peut pas davantage être conçue au sein de l’Union européenne, puisque ce n’est pas une nation. Ce qui contribuerait à la défense de l’Europe, en revanche, ce sont des partenariats européens entre nations indépendantes, hors du cadre de l’Otan.

M. Laurent Jacobelli (RN). Bien sûr que le travail que nos armées font en commun avec l’Italie est utile. Bien sûr que notre association avec la Belgique, sur un certain nombre de programmes, est utile. Bien sûr que si l’un de nos alliés européens est attaqué, nous l’aiderons : c’est une évidence. Mais le terme de « défense européenne » n’a pas de sens.

Est-ce qu’on parle de défense européenne au sens de l’Union européenne ? Cela veut dire que nous partagerions la même vision de la défense que les pays de l’Est qui achètent du matériel américain ? Nous partagerions la même vision de la défense que ceux qui préfèrent l’Otan à la France ? Nous partagerions la même vision de la défense que ceux qui refusent d’intervenir à l’étranger, alors que nous, nous sommes forts en opérations extérieures ? Cela n’a pas de sens.

Bien sûr, nos nations sont soudées et doivent s’entraider, mais vouloir tout mettre dans un pot commun, c’est une folie. C’est faire passer la doctrine et l’idéologie avant le pragmatisme, avant la défense de la nation. L’Union européenne n’est pas une nation ; la souveraineté européenne n’existe pas ; la défense européenne est une chimère. Revenons à la défense de la nation, revenons à la souveraineté nationale.

M. le président Thomas Gassilloud. On m’indique qu’il est possible de réécrire cet amendement, mais pas de le déplacer. Ce que je vous propose, Madame Saint-Paul, c’est que nous votions contre. Le rapporteur pourra ensuite le redéposer – sauf si vous préférez le faire vous-même – en vue de la séance publique.

Mme Laëtitia Saint-Paul (RE). Comme je m’exprime au nom de la commission des affaires étrangères, il m’est de toute façon impossible de retirer cet amendement.

Je suis favorable à ce que le rapporteur le redépose, à l’endroit qu’il jugera adéquat. Ce sera une façon de montrer la convergence de vues entre nos deux commissions.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. J’aurais aimé associer le président Bourlanges à cette démarche, mais on me dit que c’est impossible.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN483 de M. Bastien Lachaud.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Il est souvent question, au sein de la commission de la défense, de « guerre de haute intensité ». Or une guerre de haute intensité est en cours : c’est celle que le capitalisme et les politiques productivistes mènent contre la planète, et qui cause le dérèglement climatique. L’effondrement de la biodiversité, la raréfaction des ressources et le changement climatique modifient l’ordre des événements naturels auxquels nous nous sommes adaptés depuis des millénaires. L’environnement stratégique militaire est lui aussi bouleversé par ces évolutions.

La pandémie a montré l’absurdité du système qui l’a provoquée, puisque les zoonoses sont rendues plus fréquentes par la destruction des milieux d’habitat naturel des animaux et par les élevages intensifs. Sans transformation des modes de production, d’échange et de consommation, les conflits pour l’accès à l’eau, à l’alimentation et à l’énergie iront croissant, comme ceux liés aux déplacements forcés de populations : l’ONU prévoit 250 millions de personnes déplacées à cause de phénomènes climatiques extrêmes d’ici 2050.

La communauté internationale doit tenir compte de ces enjeux sans attendre. C’est pourquoi nous soutenons la création d’une Organisation mondiale de l’environnement et la mise en place, au niveau de l’ONU, d’une force d’intervention et de sécurité écologique. Cette dernière serait une sorte de détachement de casques bleus, appelé à intervenir en cas de catastrophe naturelle.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Même si je partage vos préoccupations, j’émettrai un avis défavorable sur cet amendement, car je ne suis pas certain que l’ONU, compte tenu de ses blocages et de ses problèmes financiers et administratifs, soit l’instance la plus apte à réagir rapidement.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il est clair que la prise en compte des effets du réchauffement climatique sera un élément clé pour la définition de nos capacités expéditionnaires. On le voit déjà dans le Pacifique, où nous avons des territoires d’Outre-mer. Il est clair que les forces qui sont prépositionnées en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française vont être de plus en plus sollicitées par les micro-États du Pacifique, qui sont soumis à des phénomènes climatiques de plus en plus violents. Par ailleurs, l’érosion du trait de côte et l’élévation du niveau de la mer ont des conséquences sur la pêche, donc sur la police des pêches, qui est un domaine régalien. Et je ne parle pas des problèmes de pollution... À l’avenir, je pense que le génie va être particulièrement sollicité, sur certains théâtres.

S’agissant de la rédaction de votre amendement, la France ne peut pas « s’assurer » de la création d’une force d’intervention de l’ONU, comme vous le proposez : elle n’en a tout simplement pas les moyens. Je vous invite donc à retirer votre amendement.

L’amendement DN290 de M. Julien Bayou, qui a été adopté tout à l’heure, satisfait en partie le vôtre. Il est important de montrer que l’armée française est plutôt en pointe sur cette question de la solidarité, notamment vis-à-vis des États qui manquent de moyens.

Mme Natalia Pouzyreff (RE). Les catastrophes climatiques risquent de se multiplier à l’avenir : on ne peut que s’accorder sur ce point. Toutefois, comme le rapporteur l’a souligné, l’ONU n’est sans doute pas le cadre à privilégier pour y faire face. Il est déjà arrivé que la France intervienne de façon bilatérale, par exemple en Suède, il y a quelques années, lorsque ce pays a été touché par de grands feux de forêt. Je voulais également rappeler que la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) vise précisément à déployer une force d’intervention rapide pour gérer des crises de ce type.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Rien n’est plus grave que de banaliser des problèmes importants, comme les catastrophes climatiques, en les traitant à la légère. Je voudrais que l’on m’explique comment la France pourrait « s’assurer » que l’ONU prendra quelque décision que ce soit.

M. Jean-Marie Fiévet (RE). Nos collègues de La France insoumise ne connaissent manifestement pas le fonctionnement de la sécurité civile européenne. C’est une force d’une puissance phénoménale, reconnue dans le monde entier, à laquelle participent tous les pays de l’Union européenne. La direction générale pour la protection civile et les opérations d’aide humanitaire européennes (DG Echo) peut intervenir dans le monde entier, par exemple à la demande d’un pays touché par un tremblement de terre.

La France est intervenue au sein de la DG Echo après le séisme qui a touché la Turquie et la Syrie ; elle a installé un hôpital de campagne, qui a secouru plus de 2 000 personnes. Je tiens à féliciter les pompiers qui faisaient partie de cette équipe, et qui ont été secondés par des militaires. Nos concitoyens connaissent mal cette force d’intervention. En 2022, pour la première fois, le Président de la République a engagé des moyens aériens et terrestres pour lutter contre les feux des Landes, avec des pompiers venus de Roumanie, d’Allemagne, de Belgique, d’Italie. Je tiens à l’en féliciter.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Je tiens à remercier le ministre et notre collègue Natalia Pouzyreff, qui n’ont pas cru nécessaire de faire preuve de goguenardise pour évoquer ce sujet grave.

Face au réchauffement climatique, nous avons la conviction qu’il existe un intérêt général humain. Dans la mesure où toute l’espèce est menacée par le réchauffement global, nous devons – en particulier en tant que membres du P5 – promouvoir l’idée d’une coopération la plus large possible pour faire face à ces catastrophes. Je crois que nous pouvons nous retrouver sur cette idée.

Le réchauffement climatique, avec les catastrophes qu’il engendre, peut être un levier pour revivifier l’ONU, la seule instance à notre disposition pour défendre ce qui serait l’intérêt général de l’espèce humaine. Cela n’exclut absolument pas d’autres formes de coopérations, bilatérales ou régionales. La coopération en Méditerranée, par exemple, que ce soit pour la dépollution ou la lutte contre les incendies, est tout à fait pertinente et mériterait d’être réinvestie, car elle a été un peu négligée ces dernières années.

Je propose de rectifier l’amendement pour tenir compte de la remarque du ministre et d’écrire que la France « propose » la création d’une force d’intervention des Nations unies. Il importe en effet que la France ait un rôle moteur sur cette question.

Mme Anne Genetet (RE). La France joue un rôle moteur dans la lutte contre le réchauffement climatique. Les îles du Pacifique avec lesquelles nous coopérons, notamment sur la question de la pêche, savent qu’elles peuvent compter sur nous et considèrent que nous sommes loyaux.

Je voudrais dire un mot de l’initiative Kiwa, projet multilatéral qui vise à préserver la biodiversité des îles du Pacifique. Ce projet bénéficie de fonds européens et la France y est engagée avec les collectivités d’Outre-mer de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et de Wallis-et-Futuna. Vous le voyez, la France agit déjà, sur la question climatique, au sein d’instances multilatérales.

M. le président Thomas Gassilloud. Je rappelle que le groupe La France insoumise a proposé de rectifier l’amendement DN483 en remplaçant les mots « s’assure » par le mot : « propose ».

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN438 de M. Aurélien Saintoul.

Mme Pascale Martin (LFI-NUPES). Nous appelons votre attention sur un impensé du projet : les cessions d’armement aux partenaires étrangers.

Instrument des stratégies indirectes, les cessions doivent faire l’objet d’une vraie doctrine. Il est à craindre que, après l’Ukraine, la France soit de nouveau confrontée à des conflits de ce type, où sa réponse se limite à céder des armements et des équipements. Or ce type de réponse mérite une doctrine, des plans, une programmation. Il importe donc de mener des études, en vue de l’élaboration d’une stratégie d’ensemble concernant ces cessions.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis défavorable. Sur cette question, la commission de la défense pourra créer une mission d’information ou organiser des auditions, mais je ne pense pas qu’il faille inscrire cette mention dans le rapport.

M. Sébastien Lecornu, ministre. C’est un sujet que j’ai évoqué en détail lors des deux auditions de présentation du projet de loi. À cette occasion, j’ai rappelé les trois types de cession de matériel. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN440 de M. Aurélien Saintoul.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). La recherche quantique, dans ses divers aspects, et le domaine des calculateurs à haute performance doivent faire l’objet d’un investissement et d’une vigilance particulière de la part de l’État, afin de développer et de protéger des filières souveraines. J’ai interpellé le délégué général pour l’armement (DGA) sur la question des supercalculateurs. Il a apporté quelques éléments de réponse, mais nous serions plus sereins si ces engagements étaient formalisés dans le rapport.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Sagesse.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN101 de Mme Caroline Colombier.

Mme Caroline Colombier (RN). Il nous semblerait opportun que le rapport annexé décline les six fonctions stratégiques de nos armées, qui n’apparaissent pas une seule fois dans le projet, à savoir : connaissance et anticipation, dissuasion, protection, prévention, intervention et influence.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je comprends votre préoccupation, mais ces notions figurent déjà dans la revue nationale stratégique (RNS). Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Pourquoi voulez-vous mentionner les fonctions stratégiques dans la partie du rapport qui concerne les contrats opérationnels ? Cette mention aurait plutôt sa place au début du rapport annexé.

Mme Caroline Colombier (RN). J’ai déjà évoqué cette question plus tôt. Si ce n’est pas la bonne place, où peut-on l’inscrire ?

M. Sébastien Lecornu, ministre. Cette mention est un peu redondante avec ce qui figure dans la RNS, mais cela montre aussi sa cohérence avec elle. Si vous en êtes d’accord, je vous invite à l’inscrire plus haut.

Nous ne sommes plus dans l’exposé des grands principes, mais dans l’énoncé des objectifs que le Parlement donne au Gouvernement : les missions que les forces armées doivent accomplir, les contrats, le tableau capacitaire puis le volet relatif aux ressources humaines. Je vous invite donc à retirer votre amendement, et le rapporteur pourra vous indiquer où il convient de le redéposer.

L’amendement DN101 est retiré.

 

Successivement, la commission adopte les amendements rédactionnels DN898, DN899 et DN900 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Amendements identiques DN47 de la commission des finances, DN187 de M. Jean-Charles Larsonneur et DN706 de Mme Natalia Pouzyreff.

M. Christophe Plassard (HOR). Les planeurs et missiles hypersoniques constituent l’une des menaces les plus graves pour un pays, même doté de l’arme atomique. Pilotables pendant la majeure partie de leur vol, avec des vitesses supérieures à Mach 5, les missiles hypersoniques sont particulièrement difficiles à intercepter, et même à détecter.

La vitesse n’est pas seulement un atout de furtivité de ces armes, elle accroît aussi leur capacité de destruction, du fait de l’inertie. Il importe donc de mieux se préparer pour faire face aux missiles hypersoniques, d’autant que les pays les plus en pointe dans ce domaine sont aussi ceux qui ont les comportements les plus agressifs avec leurs voisins.

L’amendement DN48, qui va suivre, vise également à mieux nous protéger contre les missiles hypersoniques. Dans ce but, il entend favoriser les partenariats avec les opérateurs privés.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Les missiles et planeurs hypersoniques sont une vraie menace et des projets sont en cours pour y faire face. Je pense notamment au programme européen Twister, dont MBDA est le chef de file. Je ne pense pas qu’il faille faire de la protection contre les missiles hypersoniques une posture spécifique, comme vous le proposez, car la posture de sûreté aérienne inclut déjà, de fait, une telle mission. Il ne faudrait pas laisser penser que nos postures actuelles n’assurent pas une telle protection.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Nous abordons la partie du rapport consacrée aux contrats opérationnels que l’on donne aux armées. On n’est ni dans le capacitaire, ni dans les principes. La posture est un contrat en tant que tel : elle suppose des moyens d’alerte et d’intervention. Vous avez évidemment raison de soulever la question des planeurs et des missiles hypersoniques : cela renvoie au capacitaire de renseignement, de détection, de radar, d’interception. Mais on ne peut pas créer une posture nouvelle. Cela reviendrait à dire que ni la posture permanente de dissuasion assurée par la force océanique stratégique (FOST) et les forces aériennes stratégiques (FAS), ni la posture permanente de sûreté aérienne ne couvrent cette menace-là. Or elles le font.

Je ne suis pas défavorable à ce que, lorsqu’on abordera la question capacitaire, on indique qu’il importe de muscler nos moyens pour faire face à l’hypervélocité, mais je ne crois vraiment pas qu’il faille créer une nouvelle posture. Je vous invite donc à retirer votre amendement que je suppose d’appel, comme le DN48.

M. Christophe Plassard (HOR). Ces amendements, qui ne sont pas d’appel, ont été adoptés par la commission des finances, de sorte que je ne peux pas les retirer.

Mme Natalia Pouzyreff (RE). Je comprends très bien vos explications et, à vrai dire, je les avais un peu anticipées : c’est pourquoi j’ai déposé un autre amendement, le DN705 ; qui porte sur l’alinéa 58, et dans lequel je propose d’introduire la notion de « dispositif d’alerte avancée ». J’espère qu’il obtiendra un avis favorable. Pour l’heure, je retire l’amendement DN706.

Les amendements DN706 et 187 sont successivement retirés.

 

La commission rejette l’amendement DN47.

 

Amendements identiques DN48 de la commission des finances et DN188 de M. Jean-Charles Larsonneur.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je vous invite à retirer vos amendements. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. J’en suis désolé pour la commission des finances, mais j’émettrai également un avis défavorable sur ces amendements. Nous avons déjà eu ce débat ce matin, à propos d’autres fonctions. On est là dans l’opérationnel, au cœur des questions de souveraineté, et cela relève de l’État.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Je remercie le ministre de rappeler qu’il y a des limites et qu’il ne les franchira pas. Cela me rassure pour l’avenir, même si, dans les faits, vous avez considéré qu’il y a un périmètre à l’intérieur duquel il est possible de faire entrer les opérateurs privés. Nous, nous considérons que ce périmètre doit être plus restreint.

M. Laurent Jacobelli (RN). Je tiens à saluer l’apparition d’une nouvelle force d’opposition, la commission des finances. Sur le fond, ce qui est proposé est une pure folie et nous voterons évidemment contre.

L’amendement DN188 est retiré.

 

La commission rejette l’amendement DN48.

 

Amendement DN428 de M. Bastien Lachaud.

M. Emmanuel Fernandes (LFI-NUPES). La rédaction actuelle donne l’impression qu’il y a une opposition entre le « territoire national » et les « Outre-mer », qui en semblent donc exclus. Aussi convient-il de remplacer le terme « national » par le mot « hexagonal ». Ce n’est pas à un ancien ministre des Outre-mer que nous apprendrons que la France ultramarine fait partie intégrante du territoire national et que, à ce titre, elle doit être pleinement incluse dans la pensée stratégique de la nation.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je donne à votre amendement un avis défavorable, bien que je sois d’accord avec vous sur le fond. J’en profite pour saluer les Outre-mer, que nous aimons. Cependant il me semble plus opportun d’ajouter, après le mot « national », les mots « et singulièrement dans nos territoires d’Outre-mer ». Tel sera l’objet de mon amendement DN843.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Nous avons opéré ce matin une correction similaire ; ce que nous n’aurons pas pu faire en commission, nous le ferons en séance. Je suis évidemment mille fois favorable à une rectification de l’expression « territoire national », qui est une scorie – les Outre-mer appartiennent évidemment au territoire national ! Cependant, l’alinéa 28 concerne les contrats opérationnels, et nous voulons montrer qu’à certains échelons et dans certains modules présentés dans le tableau, c’est « singulièrement dans nos territoires d’Outre-mer » que nous renforcerons les moyens pour faire face à des menaces spécifiques. Je vous invite donc à retirer votre amendement au profit de celui du rapporteur, qui rejoint d’ailleurs la position défendue par le groupe LFI-NUPES au sein de cette commission.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Votre réponse nous satisfait évidemment, mais elle montre aussi que l’amendement du rapporteur n’est pas strictement rédactionnel : si vous pensez comme nous qu’il existe une singularité ultramarine en matière de protection, vous infléchissez le sens du texte et il convient que nous en discutions. Pour la suite de nos travaux, en commission comme en séance, je vous demanderai donc de veiller à ce que les amendements que vous présenterez comme rédactionnels le soient réellement.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Vous avez entièrement raison : mon amendement DN843 n’est pas rédactionnel.

L’amendement est retiré.

 

La commission adopte l’amendement rédactionnel DN843 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Amendement DN175 de M. Vincent Bru.

M. Vincent Bru (Dem). Nous souhaitons préciser le cadre dans lequel nos forces armées peuvent être engagées. Aux trois cas mentionnés à l’alinéa 28 du rapport annexé – « crise sur le territoire national, en Outre-mer ou engagement majeur » –, il convient d’ajouter les « menaces sur des ressortissants français ». Les opérations liées à la protection de nos ressortissants à l’étranger constituent en effet un engagement important de nos forces armées et représentent un risque considérable pour nos militaires, notamment en cas de conflit de haute intensité. L’opération Sagittaire, au Soudan, montre l’importance des actions de sauvetage ainsi que leur dimension internationale.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis favorable à cet amendement de bon sens, qui colle totalement à l’actualité.

La commission adopte l’amendement.

Amendement DN102 de Mme Caroline Colombier.

Mme Caroline Colombier (RN). Il convient de préciser que l’accent sera mis sur la réserve « opérationnelle », car c’est elle qu’il faudra mobiliser dans les situations particulièrement intenses et en cas d’engagements divers et simultanés.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Vous avez entièrement raison : il s’agit d’une précision de bon sens, qu’il sera nécessaire d’apporter à de nombreux endroits du texte. Je vous propose donc de retirer votre amendement au profit de celui que je déposerai en séance à cet effet.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Pour ma part, je donne à votre amendement un avis favorable. Il ne faut pas entretenir de confusion entre la réserve citoyenne, la réserve opérationnelle et toutes les autres. Le rapporteur dit que la même précision devra être apportée à d’autres endroits du texte, mais la commission peut très bien adopter votre amendement dès à présent et opérer ultérieurement les corrections restant à effectuer.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Effectivement, le fait que je présenterai en séance un amendement similaire ne doit pas nous empêcher d’adopter celui de Mme Colombier.

La commission adopte l’amendement.

 

Elle adopte l’amendement rédactionnel DN844 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Amendement DN441 de M. Aurélien Saintoul.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Vous prévoyez de doubler les effectifs des réserves. Dès lors, et même si nous pouvons contester cet objectif, j’imagine que vous allez en intensifier l’emploi. Il me paraît utile d’apporter cette précision, y compris pour les réservistes à qui nous montrerons ainsi l’importance que nous leur accordons.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. La réserve est déjà l’objet de l’article 14 du projet de loi. Je m’en remets à la sagesse de notre commission.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Au détour d’une phrase, je découvre que le groupe LFI-NUPES n’est pas favorable non plus à une augmentation du nombre de nos réservistes.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Ce n’est pas ce que j’ai dit ! Nous pouvons contester l’objectif du doublement des effectifs.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Ce n’est vraiment pas clair.

De fait, l’augmentation du nombre de réservistes permettra d’intensifier l’emploi des réserves, mais je doute que cette précision apporte quelque chose. Sagesse.

M. Christophe Blanchet (Dem). Lors des auditions que nous avons menées, de nombreux réservistes ont dit qu’ils ne se sentaient pas reconnus et ont fait part de leur frustration de ne pas être appelés. Je suis donc plutôt favorable à cet amendement, qui me semble aller dans le bon sens : il nous permettra d’afficher clairement notre objectif de doublement des effectifs et notre volonté d’un engagement réel des réservistes.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN753 de M. Frédéric Petit.

Mme Josy Poueyto (Dem). Après la troisième phrase de l’alinéa 28, il convient de préciser que nos forces armées « s’appuieront également sur la réserve citoyenne de défense et de sécurité, qui se chargera de créer des passerelles entre les différentes formes d’engagement citoyen afin de les rendre plus visibles et plus cohérentes ».

Cet amendement, que M. Petit m’a demandé de défendre à sa place, rejoint le point 114 de la revue nationale stratégique, qui fixe un cadre stratégique de refondation du système de réserve en s’appuyant notamment sur le service national universel et sur toutes les formes d’engagement citoyen. Il vise à mettre en relation les formes d’engagement citoyen existantes en s’appuyant sur la réserve citoyenne de défense et de sécurité, qui a pour objet d’entretenir l’esprit de défense et de renforcer le lien entre la nation et son armée. Cette consolidation d’engagements très divers, aujourd’hui un peu éparpillés, s’effectuera sous le chapeau de la réserve citoyenne de défense et de sécurité, qui en constituera le ciment et favorisera la cohérence des itinéraires personnels. Tout en respectant la diversité des situations de départ ainsi que la variété des expériences d’engagement, de leur durée et de leur intensité, la réserve citoyenne de défense et de sécurité s’engagera à favoriser le brassage et incarnera le creuset où se renforcera le lien entre les forces armées et la nation.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je crains que cet amendement alourdisse l’organisation de la réserve citoyenne. Sagesse.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Si le rapport annexé n’appartient pas à la partie normative du projet de loi, il n’en crée pas moins une forme de droit. Or je ne comprends pas la notion de « passerelle entre les différentes formes d’engagement citoyen afin de les rendre plus visibles et plus cohérentes ». Je préfère donc donner à cet amendement un avis défavorable.

Mme Laëtitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. En commission des affaires étrangères, j’avais déjà demandé à M. Petit de simplifier la rédaction de son amendement.

Nous ne savons pas forcément que tous les dispositifs nationaux existent aussi pour les Français vivant à l’étranger : l’ensemble de nos compatriotes, y compris ceux résidant, par exemple, dans la circonscription de M. Petit, peuvent s’engager dans la réserve citoyenne. De même, tous les jeunes Français vivant à l’étranger sont tenus d’effectuer leur journée défense et citoyenneté. Par son amendement, M. Petit veut, en quelque sorte, promouvoir la réserve citoyenne « hors les murs ». Je proposerai de simplifier les choses en favorisant ce dispositif tant sur le territoire national qu’à l’étranger.

M. Christophe Blanchet (Dem). Dans notre rapport d’information sur les réserves nous avons énuméré l’ensemble des réserves citoyennes existantes : la réserve citoyenne judiciaire, la réserve citoyenne de l’armée de terre, la réserve citoyenne de la marine nationale, la réserve citoyenne de l’armée de l’air et l’espace, la réserve citoyenne de la gendarmerie nationale, la réserve citoyenne de la cyberdéfense, la réserve citoyenne de la police nationale, la réserve citoyenne de l’éducation nationale, les jeunes du service civique. Il faut y ajouter les réserves communales, qui ne sont pas assez développées en France, et la future réserve des douanes, qui sera créée dans le cadre du projet de loi visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN295 de Mme Mélanie Thomin.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Il est nécessaire d’inciter plus fortement les employeurs privés, notamment les PME, à accueillir les parcours d’engagement dans la réserve.

Nous avons longuement abordé ce sujet au cours des auditions : l’engagement dans la réserve semble encore susciter quelques réticences de la part de certains employeurs, notamment dans les TPE-PME. Pourtant, les réservistes représentent une véritable valeur ajoutée au service de l’entreprise. Il convient donc de mieux accompagner les entreprises dans l’intégration de leurs personnels réservistes et de créer des dispositifs allant dans ce sens. J’en appelle à la créativité des techniciens de M. Le Maire pour proposer et mettre en œuvre des dispositifs incitatifs et innovants en la matière.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je comprends très bien le sens de votre amendement, mais nous parlons ici de dispositions fiscales qui ne relèvent pas du domaine de la LPM. Il me semble que des réflexions sont en cours à ce sujet ; le prochain PLF sera peut-être l’occasion d’y revenir. Demande de retrait ou avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Sur la forme, je ne pense pas non plus que le rapport annexé soit le bon endroit pour traiter cette question. Nous examinerons ultérieurement, dans la partie normative, des articles relatifs aux réserves qui contiennent déjà plusieurs avancées. Par ailleurs, comme l’a dit le rapporteur, les éventuelles dispositions fiscales ne peuvent figurer que dans une partie précise de la loi de finances. Je donne donc à votre amendement un avis défavorable, qui ne doit pas clore le nécessaire débat de fond sur ce sujet.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN604 de M. Christophe Blanchet.

M. Christophe Blanchet (Dem). Cet amendement est une nouvelle fois issu du rapport d’information sur les réserves corédigé avec Jean-François Parigi. Sa proposition n° 1 était de redynamiser le fonctionnement du Conseil supérieur de la réserve militaire (CSRM) ; les auditions que nous avons menées ont montré que cette mesure avait toujours du sens. Il s’agit de renforcer la contribution du CSRM à la montée en puissance de la réserve opérationnelle, en veillant à l’organisation de réunions régulières et programmées ainsi qu’en créant et animant des groupes de travail à ce sujet.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je comprends très bien l’esprit de votre amendement. Il convient en effet de redynamiser le CSRM, mais je ne pense pas que cette mesure relève de la LPM. Demande de retrait.

M. Sébastien Lecornu, ministre. La nécessité de redynamiser le CSRM ne fait aucun doute : il faut lui donner du contenu et un plan de travail – j’ai donné des instructions allant dans ce sens. Vous souhaitez notamment veiller à l’organisation de réunions régulières : je suis tout à fait d’accord sur le fond. Sur la forme, cependant, on pourrait se demander ce que le CSRM vient faire à l’alinéa 28 qui, en une quinzaine de lignes, évoque tour à tour la cible d’ETP, la cible de réservistes et le durcissement de notre armée. Ce serait un peu dommage pour la cohérence du rapport annexé. Cela ne veut pas dire que je ne vous dois pas un droit de suite sur cette question, qui relève de la hiérarchie et du commandement. Au vu de votre engagement, nous pourrons vous associer aux réflexions menées à ce sujet.

L’amendement est retiré.

 

Amendements identiques DN237 de Mme Anna Pic, DN429 de M. Bastien Lachaud et DN546 de Mme Cyrielle Chatelain.

Mme Martine Etienne (LFI-NUPES). Nous proposons la suppression pure et simple de toute mention du service national universel dans le présent texte. Ce n’est un secret pour personne, nous restons farouchement opposés au SNU en raison de son format, de ses objectifs et des sommes faramineuses qui lui seraient consacrées pour rien. Vous ne renforcerez pas le lien armée-nation en envoyant des mineurs faire des stages de quelques semaines dans des centres inadaptés, avec des formations à mi-chemin entre l’entraînement sportif et les cours d’éducation civique. Les récents scandales relatifs au comportement d’un commandant et d’un lieutenant-colonel infligeant aux jeunes des actions collectives les poussant parfois jusqu’à l’évanouissement sont trop souvent passés sous silence, au profit d’une communication édulcorée du Gouvernement et de quelques influenceurs.

Là encore, Monsieur le ministre, nous avons des propositions. Nous pensons qu’un lien armée-nation ne pourrait voir le jour qu’à travers une conscription citoyenne de neuf mois, rémunérée au Smic, pour les femmes et les hommes de moins de 25 ans. Elle comprendrait une formation militaire initiale, avec droit d’objection de conscience, et des tâches d’utilité publique, ce qui nous permettrait de disposer d’une réserve opérationnelle complète et adaptée tant aux enjeux actuels qu’aux nouveaux modes de conflit.

Votre SNU est hors-sol : le récent recul du Président de la République sur sa généralisation le prouve. Il est temps de le supprimer définitivement.

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Nous l’avons dit ce matin, nous demandons l’abandon du SNU, un caprice du Président de la République rejeté tant par les associations de jeunesse que par l’armée. L’engagement civique ne se décrète pas. Si l’objectif est de faire du SNU un vecteur de l’engagement des jeunes, sa généralisation est un non-sens. Ce cadre est inadapté aux besoins pourtant nombreux de la société, qu’il s’agisse des soins à apporter aux populations fragiles ou de la protection de la planète. En attendant de trouver le format d’une réserve civique constituée sur la base du volontariat et permettant de répondre à toutes ces questions, nous proposons que les sommes importantes destinées à l’éventuelle généralisation du SNU soient affectées à la jeunesse, pour que celle-ci bénéficie d’une allocation d’autonomie et d’un ticket climat donnant accès à tous les transports en commun du territoire.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. J’invite ceux qui émettent des critiques excessives à exercer leur droit de contrôle, en tant que députés, et à aller voir comment se passe le SNU sur le terrain. Vous êtes hors de la réalité : sortez de votre bulle informationnelle et cessez de tourner en rond en vous fondant sur des on-dit ! Sur le terrain, vous verrez des personnes qui s’investissent fortement et des jeunes contents d’effectuer un SNU.

Par ailleurs, il arrivera certainement un moment où nous parlerons du SNU – en tout cas, je l’espère –, mais nous examinons pour le moment un projet de loi de programmation militaire. N’en faites pas une tribune ! Avis défavorable.

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre des armées et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de la jeunesse et du service national universel. Je m’exprimerai dans la continuité des propos du rapporteur et répéterai ce qui a déjà été dit tout à l’heure : le SNU n’est pas un service militaire, et les jeunes y participent sur la base du volontariat. Je vois bien que cela vous embête, mais ils sont satisfaits de ce temps de patriotisme. Vous parlez de sommes colossales alors qu’il s’agit en réalité de 140 millions d’euros dans le cadre d’un budget autonome. Vous hiérarchisez les engagements des jeunes et opposez le SNU à d’autres types d’engagement. Or il faut remettre les choses en perspective : pourquoi les jeunes n’auraient-ils pas le droit d’effectuer un séjour de citoyenneté et de civisme, où ils découvriraient des engagements divers et variés dans des départements différents, avant de s’engager chez les pompiers, au sein des cadets de la gendarmerie, à la SPA – Société protectrice des animaux –, dans nos Ehpad ou dans nos municipalités ? Vous parlez de liberté, mais vous voulez en réalité restreindre celle des jeunes qui s’engagent dans une voie qui ne vous plaît pas. C’est dommage, car vous les privez d’une opportunité.

La question du SNU n’est pas abordée dans ce projet de LPM. Le jour où ses modalités devront être débattues, la représentation nationale prendra les décisions qu’elle souhaitera. En attendant, je vous invite une nouvelle fois à venir voir comment se passe le SNU, comme l’ont déjà fait un certain nombre de députés. Vous serez les bienvenus ; c’est ainsi que nous pourrons sortir des caricatures diverses et variées. Avis défavorable.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Je répondrai favorablement à votre invitation : je viendrai sur place, mais cela ne changera pas grand-chose à mes convictions. Vous défendez un canard boiteux, et vous le savez. Le Président de la République avait émis cette idée pendant la campagne présidentielle de 2017, comme un lapin qu’il aurait sorti de son chapeau. Ce matin, vous nous avez expliqué qu’il s’agissait plutôt de classes vertes, de colonies de vacances, de séjours de découverte à la montagne… Or cette partie du rapport annexé souligne l’importance du SNU, qui participera au durcissement de notre modèle d’armée : on s’élève donc vers le militaire. Vous défendez une chimère dont vous ne savez pas comment vous débarrasser, et qui coûte très cher sans rien apporter en termes de défense. Nous parlons d’enfants de 16 ans à qui vous allez demander de marcher au pas ou de saluer les couleurs ; ils apprennent déjà La Marseillaise à l’école, dans le cadre des cours d’éducation civique…

Mme Josy Poueyto (Dem). Cela vous aurait fait du bien, à vous !

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Monsieur le président, il n’est pas possible d’entendre ce genre de mise en cause personnelle ! Madame Poueyto, cette façon de faire est insupportable ! Depuis tout à l’heure, votre comportement n’est pas acceptable. Nous avons un débat de fond, nous ne sommes pas d’accord sur le format du SNU, mais je n’ai pas besoin d’apprendre La Marseillaise : je la connais et j’en ai d’ailleurs fait la démonstration. Je n’ai pas besoin non plus de recevoir des leçons de patriotisme, de respect des institutions ou de connaissance de notre pays et de ses symboles. Je suis enseignant et j’ai enseigné tout cela à mes élèves – je ne me vante pas d’avoir été un bon pédagogue, mais d’avoir été reconnu comme un bon éducateur. Vous ne pouvez contester une seule seconde mon patriotisme, ma connaissance des valeurs de la République et de nos textes fondamentaux, ni mon attachement viscéral à notre pays. Je vous interdis de tenter de le faire une fois de plus. Je compte sur vous, Monsieur le président, pour que cela ne se reproduise plus.

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Madame la secrétaire d’État, vous avez parlé de volontariat, de liberté et d’opportunités. Tout cela me va très bien ! Si vous confirmez publiquement qu’il n’y aura pas de généralisation du SNU, alors je retirerai volontiers mon amendement.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). M. Saintoul a été personnellement mis en cause par Mme Poueyto. Je vous demande donc, Monsieur le président, de rappeler tout le monde à l’ordre afin que nous puissions continuer à travailler sur le fond, sereinement, sans subir de telles attaques personnelles.

La commission rejette les amendements.

 


    

Lien vidéo : https://assnat.fr/dXVtkM

 

Article 2 : Approbation du rapport annexé (suite)

 

Amendement DN208 de Mme Mélanie Thomin.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Cet amendement vise à préciser que le service national universel (SNU) demeurera volontaire. C’est sur la base de cette clarification que nous pourrions trouver un compromis.

Le mois dernier, le groupe Socialistes a signé une tribune refusant que soit donné au SNU un caractère obligatoire. Nos armées ne souhaitent pas se voir imposer le coût matériel, humain et financier de l’encadrement de jeunes contraints de suivre ce SNU. Nous sommes en revanche plutôt favorables au développement de l’engagement citoyen pluriel, sur la base du volontariat, grâce aux associations ou aux institutions.

Il y a quelques mois, à Quimper, lorsque vous êtes venue présenter ce projet aux parlementaires du Finistère, j’ai vu autour de la table des représentants de l’éducation nationale. Le monde enseignant était donc associé à ce projet. Nous sommes ici quelques représentants de ce monde, et il ne faut pas opposer éducation nationale et défense.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées. Vos propos sont très justes : l’articulation de ces deux mondes est tout à fait vertueuse.

Le SNU n’est pas intégré au projet de loi de programmation militaire (LPM). Ses modalités seront précisées plus tard.

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre des armées et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de la jeunesse et du Service national universel. Dans la continuité des propos du rapporteur, je souligne que je défends le SNU depuis trois ans sous une double tutelle, volontaire : celle du ministre de l’éducation nationale et celle du ministre des armées. Un projet aussi ambitieux, aussi unique en son genre, a besoin de ces deux grandes institutions. Au cours du séjour de cohésion, il y a une journée défense et mémoire, qui permet une transmission et le renforcement du lien entre armée et nation. Un travail est mené avec les associations patriotiques.

Vos propos ne sont pas caricaturaux, et votre question est légitime : comment construire le SNU ? Comment conjuguer engagement associatif, éducation populaire, éducation informelle, engagement territorial des citoyens, engagement patriotique, voire éducation morale et civique, en cohérence avec l’enseignement d’EMC dispensé par l’éducation nationale, qui doit être revu de fond en comble ?

Cependant, inscrire les modalités du SNU dans la LPM n’aurait aucun sens. Le débat sur sa forme définitive arrivera : doit-il avoir lieu sur le temps scolaire ou pas, par exemple ? Les décisions seront prises par la représentation nationale. Nous sommes encore dans une phase d’expérimentation ; les concertations avec les organisations syndicales enseignantes, les associations, notamment de jeunesse, les collectivités, les associations mémorielles continuent.

Je vous suggère donc de retirer l’amendement, et je vous propose de travailler avec nous sur le contenu du SNU.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Je crois que des sessions de SNU se déroulent du côté de Camaret, dans ma circonscription, et je suis tout à fait volontaire pour rencontrer les participants.

Il me paraît essentiel de débattre du SNU dans le cadre du projet de LPM, je maintiens l’amendement.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Laissons la forme du SNU de côté et parlons budget. Le SNU pourrait être généralisé et devenir obligatoire dans deux ans – c’est une option qui est sur la table. Un rapport sénatorial chiffre le coût d’une telle opération à environ 3 milliards en année pleine, et les rapports sénatoriaux sont reconnus pour leur sérieux. Il resterait alors cinq ans pour terminer la période de la LPM : cela ferait donc 15 milliards. Quelle partie de cette somme sera prélevée sur le budget de la défense ? Sur une LPM à 400 ou 413 milliards, 15 milliards, ce n’est pas négligeable. Nous aimerions une réponse à cette question simple.

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État. Votre question est tout à fait légitime.

Le budget du SNU est aujourd’hui de 140 millions d’euros pour 50 000 jeunes. Nous sommes dans une phase d’expérimentation, en partenariat avec les associations. Plus le nombre de participants sera élevé, plus le coût individuel diminuera ; plus nous travaillerons avec les collectivités territoriales, dans un exercice d’aménagement du territoire, plus le coût diminuera.

Pensons à tous les défis que notre jeunesse doit affronter : créer de la rencontre, de la cohésion, de l’unité, voire de la résilience, ce n’est pas anodin.

Une généralisation – si elle devait avoir lieu, car ce n’est pas la seule hypothèse – ne se fera de toute façon pas du jour au lendemain. Le Président de la République l’a rappelé lui-même dans Le Parisien. Il y aura une planification – notion qui ne déplaît pas à votre mouvement politique – et une montée en charge sera nécessaire, s’agissant des bâtiments par exemple. Cela prendrait plusieurs années.

Le budget du SNU est autonome et contrôlable. Il relève du budget de la jeunesse : ni du budget des armées, ni de celui de l’éducation nationale.

La commission rejette l’amendement.

 

L’amendement DN127 de Mme Isabelle Santiago est retiré.

 

Amendement DN616 de M. Christophe Blanchet.

M. Christophe Blanchet (Dem). Beaucoup de jeunes qui ont, depuis trois ans, volontairement participé au SNU ont poursuivi leur engagement en assistant aux cérémonies patriotiques, celle du 8 mai par exemple. Vous les avez vus sans doute, en tenue SNU. Les élus locaux les ont souvent reçus et accompagnés, mais parfois, ils ne connaissaient pas le SNU et ont découvert cet engagement.

Mon amendement prévoit que les jeunes du SNU, ainsi que les réservistes, occupent une place importante dans les cérémonies mémorielles. Ils contribueront ainsi au renforcement du lien armée-nation et à une meilleure compréhension de l’importance de la défense nationale et de la place des forces armées dans notre société. Il me semble essentiel d’accorder à tous ces jeunes qui s’engagent volontairement toute la reconnaissance qu’ils méritent.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis favorable. On voit de plus en plus souvent ces jeunes devant nos monuments aux morts, en effet. Il faut favoriser ce mouvement. C’est tout aussi vrai pour les réservistes, dont je suis sûr que leur commandant d’unité se fera un plaisir de les autoriser à représenter les armées en uniforme devant un monument aux morts.

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État. On ne peut être que favorable à cet amendement. Rien ne donne plus d’énergie, de sens, que de s’inscrire dans une continuité, de faire vivre ces monuments aux morts, de faire vivre la mémoire et de la transmettre. Je voudrais seulement citer ici Léon Gautier, qui m’a dit : « On m’a appris à aimer la France. » C’était sur votre territoire !

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Léon Gautier, qui faisait partie des commandos Kieffer qui ont participé au débarquement de Normandie, a eu 100 ans l’année dernière. Nous le saluons tous !

M. Christophe Blanchet (Dem). Léon Gautier, habitant de ma circonscription, est le dernier des 177 Français qui ont débarqué le 6 juin 1944 sur la plage de Colleville-Montgomery. Lorsque les jeunes du SNU qu’il a rencontrés il y a deux ans lui ont demandé pourquoi il s’était engagé, à 17 ans, pour rejoindre le général de Gaulle, dans l’espoir de libérer la France, il a en effet simplement répondu : « J’ai fait tout cela parce qu’on m’a appris à aimer la France. » On ne peut comprendre cette phrase que comme l’expression d’un vrai sens patriotique. C’est un exemple pour nous tous.

Lorsque l’on évoque le SNU, on ne parle souvent que du séjour de cohésion. Mais il y a une autre phase, celle de la mission d’intérêt général. Or il n’y a pas assez d’offres pour accueillir tous ces jeunes. Pour nourrir ce sens du patriotisme, il faut que davantage d’associations et de collectivités les reçoivent.

Mme Isabelle Santiago (SOC). Les jeunes des collèges participent aux cérémonies, mais souvent, les maires ne savent pas qui sont les réservistes, ni les jeunes du SNU. Il serait intéressant de leur communiquer la liste afin qu’ils soient invités à participer.

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État. Nous avons besoin de l’autorisation des jeunes – ou de leurs parents – pour transmettre leurs coordonnées. C’est un sujet sur lequel nous travaillons. Si des maires souhaitent les inviter, il faut qu’ils s’adressent à la délégation régionale académique à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (Drajes).

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN845 de M. Jean-Michel Jacques.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées. Avis favorable.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Une fois de plus, cet amendement n’est pas rédactionnel ! « Fixer » et « atteindre » une cible, ce n’est pas du tout pareil. Je préfère la rédaction initiale, où l’on se donne l’ambition d’atteindre la cible.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Vous avez raison.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN442 de M. Bastien Lachaud.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Nous souhaitons, comme le ministre, partir des besoins pour définir les moyens, soit budgétaires, soit humains.

S’agissant de la réserve, vous avez décidé de fixer un ratio d’un réserviste pour deux militaires d’active. Comme pour les 2 % du PIB, j’ai l’impression que vous cherchez un chiffre pour communiquer. Pourquoi ne pas avoir commencé par définir l’utilisation de la réserve et le nombre d’hommes nécessaires pour fixer l’objectif du nombre de réservistes à atteindre ? Si le chiffre n’était pas rond, ce ne serait pas grave.

Il s’agit ici d’un amendement d’appel. Pouvez-vous nous préciser comment vous en êtes arrivé à ce ratio ?

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis défavorable. Ce ratio de deux pour un me semble équilibré et à même de garantir la cohérence de notre modèle d’armée. Le projet de LPM a été élaboré avec les états-majors.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Vous avez raison sur un point, Monsieur Lachaud : la cible mériterait une présentation plus aboutie. Ainsi, nous aurions pu présenter la réserve par arme – avec le service de santé des armées (SSA), la direction générale de l’armement (DGA)… – ou par grade – une armée de sous-officiers, ce n’est pas la même chose qu’une armée d’hommes du rang.

En ce qui concerne la réserve, mon premier combat est culturel : pardon de cette mauvaise formule, mais les réservistes sont-ils des supplétifs ou bien font-ils partie du modèle d’armée complet ? Nous avons regardé ailleurs. Certaines armées considèrent les réserves comme un apport parmi d’autres ; dans d’autres, la présence de réservistes est obligatoire dans toute opération extérieure (Opex). Nous préférons un modèle très intégré.

Cela veut dire que nous devons nous fixer l’objectif de ne pas avoir d’unité sans réserviste.

Nous devons aussi territorialiser nos objectifs, car il y a une dimension de ressources humaines très importante : on ne parle pas seulement de budget, il s’agit surtout de notre capacité à aller vers, à bien recruter, à fidéliser aussi, car parfois, on n’arrive pas à retenir les réservistes parce qu’on ne les a pas suffisamment employés. Recruter pour fabriquer des déçus, ça ne va pas. Nous ne sommes donc pas arc-boutés sur le rythme auquel nous progressons : ce qui compte, c’est que ça fonctionne.

J’ai aussi demandé à chaque chef d’état-major ou à leurs majors généraux de m’indiquer les particularités de leurs services, certains de ceux-ci étant prioritaires. On ne peut pas traiter tous les sujets que nous avons commencé à évoquer – le cyber, les sauts technologiques – sans changer notre rapport avec la réserve de la DGA. J’ai demandé à Emmanuel Chiva, délégué général pour l’armement, d’élaborer un plan de réserve. Aujourd’hui, pour être réserviste à la DGA, il faut un diplôme d’ingénieur. Or, dans le domaine du cyber par exemple, il y a des gens qui n’ont pas ce diplôme mais qui pourraient être très utiles à nos équipes. Aujourd’hui, à la DGA, il n’y a pas de sous-officiers : tout le monde est ingénieur, il faut donc être officier. Je ne suis pas convaincu que nous n’ayons pas besoin de sous-officiers pour occuper des fonctions particulières. Il y a enfin un problème de pyramide des âges : faut-il expliquer à un génie de 25 ans qu’il va rester sous-lieutenant très longtemps parce que, pour obtenir ses cinq galons panachés ou quatre galons, il faut attendre d’être plus vieux ?

Tout cela ne relève pas vraiment de la LPM, c’est plutôt la politique du Gouvernement, de l’état-major, du commandement. Mais je suis disponible pour débattre en profondeur de ce sujet avec la commission.

Les missions de la réserve sont très diverses. Certaines unités spécialisées font face à des enjeux particuliers. C’est du bon sens : partir sur un bateau pendant quatre-vingts jours, ce n’est pas complètement la même chose qu’être réserviste dans les forces spéciales. Il existe aussi une réserve à la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), dont on parle peu. Il existe aussi des réserves plus larges, plus classiques, qui typiquement permettent d’encadrer la Journée défense et citoyenneté.

J’ai la certitude qu’il faut aller vers une réserve de masse. Évidemment, on ne peut pas parler d’engagement majeur sans une vaste réserve. Mais rétablir un service militaire n’aurait pas de sens : on ne peut pas nier la professionnalisation de nos armées, la nécessité d’une formation spécifique. Être médecin des forces, par exemple, c’est une médecine particulière. Par ailleurs, si l’on veut disposer de capacités expéditionnaires importantes, il faut aussi pouvoir continuer à faire tourner le reste des unités.

Il y a aussi des savoir-faire dont nous n’avons pas besoin en permanence. Les réserves servent logiquement à cela : nous devrons donc continuer à densifier la réserve des experts.

Enfin, on ne peut pas, comme nous le faisions tout à l’heure, parler d’envoyer des unités dans le Pacifique pour donner un coup de main en sécurité civile dans les pays alentour sans parler de réserve. Ceux qui ont lutté contre les feux de forêt l’an dernier étaient pour partie des réservistes. Ces événements vont se faire plus fréquents, il est donc nécessaire de monter en puissance.

Croyez-moi, ce ratio de deux pour un n’a pas été choisi au hasard. Il ne faut pas non plus s’y attacher de façon fétichiste ; ce qui comptera, c’est évidemment le détail de la politique menée. Il faut bien écrire quelque chose, néanmoins, et j’ai préféré un ratio à un nombre : il me semble qu’un réserviste pour deux actifs, cela dit quelque chose du modèle d’armée que nous voulons. Mon rêve, c’est qu’on dise un jour : l’armée française, c’est 300 000 militaires, dont 200 000 d’active et 100 000 réservistes.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Merci beaucoup de cette explication éclairante, Monsieur le ministre. Vous prêchez un convaincu en ce qui concerne l’utilité de la réserve, et d’une réserve de masse – nous divergeons peut-être quant aux moyens d’y arriver et à l’ampleur de la masse.

Je vais retirer l’amendement, mais je souhaiterais qu’un amendement déposé par le Gouvernement, ou que nous travaillerions avec lui, explicite ces éléments dans le rapport annexé, pour que le chiffre soit justifié et ne puisse plus sembler purement incantatoire.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Les différentes sensibilités politiques pourraient y travailler ; ce serait une bonne chose que l’initiative vienne du Parlement. En tout cas, la doctrine est claire. Mais la réserve est une vraie aventure, car nous partons de loin.

L’amendement est retiré.

 

La commission adopte l’amendement rédactionnel DN846 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Amendement DN103 de Mme Caroline Colombier

Mme Caroline Colombier (RN). Il s’agit d’un amendement de conformité avec l’alinéa 5 de l’article 6 du projet de loi, lequel donne le chiffre de 105 000 réservistes opérationnels.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Ce chiffre figure déjà à l’article 6, en effet, comme dans l’étude d’impact sur l’article 14. Demande de retrait.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Sagesse.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN296 de Mme Mélanie Thomin

Mme Mélanie Thomin (SOC). Il vise à promouvoir la garde nationale comme vecteur d’engagement et à valoriser les institutions qui y participent, au-delà des seules forces de sécurité intérieure et des armées.

La garde nationale n’est pas remise en cause, contrairement au SNU, et bénéficie d’une ancienneté de sept ans. Elle est un débouché important pour les jeunes : les 17-30 ans constituent déjà plus de 30 % de ses effectifs et cette catégorie d’âge est celle auprès de laquelle il est pertinent de promouvoir la réserve. L’idée est d’étendre ses prérogatives. Elle pourrait ainsi intégrer en son sein la protection civile ou la SNSM (Société nationale de sauvetage en mer).

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. La garde nationale comporte déjà des réserves, et les coordonne, tandis que l’aspect opérationnel relève des états-majors. Pourriez-vous retravailler la rédaction de l’amendement ? À cette fin, demande de retrait ; sinon, avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Nous sommes tous d’accord pour réfléchir à la simplification du système des réserves. Par ailleurs, la garde nationale actuelle est en uniforme et en armes. L’ouvrir à d’autres acteurs sous un label commun impliquerait de renoncer au principe qui veut que l’on parte des missions : les réserves doivent correspondre aux missions qu’on leur confie. Je reste cependant disposé à y réfléchir encore, car cette simplification est bien compliquée ! Vous pointez un problème réel, même si votre solution, à mon avis, n’est pas la bonne. En tout cas, cela ne relève pas du rapport annexé à ce stade.

Demande de retrait.

M. Yannick Chenevard (RE). Les participants institutionnels évoqués dans l’amendement sont en fait des associations agréées de sécurité civile, comme la Croix-Rouge française ou l’Ordre de Malte. Elles forment un ensemble à l’intérieur de la sécurité civile : celui des bénévoles, qui représente 250 000 personnes environ. Les pompiers professionnels et volontaires sont 245 000. Ces 500 000 personnes constituent le bloc de la sécurité civile, destiné non à l’intervention armée mais au soutien aux populations – à la défense passive, pourrait-on presque dire.

M. Christophe Blanchet (Dem). L’enjeu de l’amendement est double. D’abord, la place donnée à la garde nationale comme porte d’entrée unique pour le recrutement. Selon les travaux portant sur la réserve, chaque ministère œuvre dans son périmètre et les interactions ne se font pas nécessairement. Une fois franchie cette porte, chacun serait orienté en fonction de son profil, de ses compétences et de son souhait vers l’armée ou vers une réserve. La garde nationale souhaite cette évolution.

Monsieur le ministre, tous les effectifs de la garde nationale ne sont pas en armes : le service de l’énergie opérationnelle (SEO) ne l’est pas.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il est composé de militaires.

M. Christophe Blanchet (Dem). En tout cas, le second intérêt de l’amendement concerne la SNSM, qui pourrait entrer dans la réserve de sécurité nationale.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Ce serait un changement de paradigme.

M. Christophe Blanchet (Dem). Absolument. Et dans la réserve de sécurité nationale figure la RO2 (réserve opérationnelle de deuxième niveau). Il va bien falloir harmoniser et simplifier cet ensemble pour le rendre compréhensible.

Mme Mélanie Thomin (SOC). L’enjeu est également celui de la classe d’âge qui a été mise en valeur à propos de la garde nationale lors de nos auditions. Par ailleurs, ce n’est pas par hasard que j’ai cité la SNSM : ses bénévoles ont besoin que leur engagement soit reconnu et d’être protégés – certains se sont retrouvés en garde à vue et ont eu quelques ennuis judiciaires. C’est aussi pour mieux encadrer certaines activités bénévoles qu’il est ici proposé de regrouper différentes formes d’engagement au sein de la garde nationale.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN443 de M. Aurélien Saintoul

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Cet amendement d’appel demande au Gouvernement une étude sur l’instauration d’une conscription citoyenne civile et militaire, rémunérée, de neuf mois, destinée à de jeunes adultes. Elle fera l’objet d’un rapport au Parlement.

Je l’ai dit, le SNU est un canard boiteux parce qu’il mélange l’animation et la défense. Tous les problèmes qu’il pose sont résolus par la conscription que nous proposons. Le SNU concerne des mineurs, d’où ce mélange entre animation et défense, et le problème de l’autorité parentale ; mieux vaut une formation de défense destinée aux adultes. Il est trop court ou trop long : on n’apprend rien en matière de défense en deux semaines, rien qui soit utile à la patrie, mais cette durée est excessive pour une initiation comme celle que visait la JAPD (journée d’appel de préparation à la défense). Les difficultés logistiques qui se posent dès lors qu’il s’agit de caserner ou de déplacer des mineurs sont évitées par notre proposition, qui n’implique pas de casernement. La mission attribuée du SNU est bancale : tantôt éducative, tantôt civique. Nous, nous proposons de rendre la citoyenneté pleinement active par le retour à une conscription, mais rénovée, non exclusivement militaire. Elle permettra une vraie mixité – tout le monde sera concerné –, l’insertion – puisqu’elle sera rémunérée –, la qualification et l’abondement de la réserve.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Vous proposez le retour à un service militaire obligatoire de neuf mois pour toute une génération. En fait, vous avez un double discours : tantôt il ne faut pas militariser le SNU, tantôt celui-ci est trop court pour permettre d’enseigner la défense. Votre projet n’est pas réalisable. Comment allez-vous financer les rémunérations des conscrits ? Qu’allez-vous faire faire à chacun ? C’est très flou.

Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Même avis.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Monsieur le rapporteur, vous n’avez pas bien écouté le député Saintoul : la conscription ne serait pas uniquement militaire, mais aussi civile. Ce système a existé par le passé, rien ne s’oppose à sa réactivation – là où il y a une volonté, il y a un chemin. Toute l’utilité du rapport serait de montrer comment le dispositif peut renforcer les réserves ainsi que vous le souhaitiez.

M. Christophe Blanchet (Dem). Quel est l’objectif ? Comment une conscription peut-elle être militaire sans casernement ? D’un autre côté, si un casernement est prévu, cela mettra en tension notre armée d’active : il faudra bien créer des structures d’accueil. Ainsi, vous reprochez à tort au SNU d’être une contrainte pour nos armées, mais vous leur en imposez une. Vous voulez payer les conscrits au Smic ; comment ? Enfin, la citoyenneté active repose sur un système qui existe déjà : le service civique, dont le budget a doublé en cinq ans. Je ne comprends pas le sens de cette proposition.

M. Lionel Royer-Perreaut (RE). Le sens, c’est tout simplement l’application du programme de M. Mélenchon. Il suffit de le lire, page 17 – oui, il m’arrive de regarder le programme des opposants politiques, même si ce n’est pas le plus sain pour notre pays. La conscription « sera mixte et une vigilance particulière sera apportée face au risque de pratique sexiste ; sera effectuée entre 18 et 25 ans ; sera rémunérée au Smic ; comprendra une formation militaire initiale (avec droit à l’objection de conscience) au maniement des armes et aux manœuvres, et des formations ponctuelles dans d’autres secteurs (aux côtés des effectifs professionnels de la police, gendarmerie, sécurité civile (pompiers, agents des eaux et forêts), premiers secours). Elle pourra être prolongée sur la base du volontariat, dans la limite des besoins des armées et des autres secteurs accueillant les recrues ; sera proche du lieu de vie, en limitant le « casernement » aux fonctions qui l’exigent impérativement ». Si ce n’est pas une usine à gaz ! Comment pourrez-vous mettre cela en place ?

En réalité, votre demande de rapport n’est qu’une diversion : vous avez déjà la réponse à votre question et tous les amendements que vous nous soumettez depuis hier ne sont que des artifices pour faire croire que vous avez quelques idées sur le sujet, ce qui est de plus en plus douteux.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Je crains que notre collègue ne se noie dans un verre d’eau. Il existe actuellement 47 réserves : la complexité des dispositifs existants est au moins équivalente à celle de ce que vous qualifiez d’usine à gaz. Vous jouez à vous faire peur, ou vous n’êtes pas en état de gouverner.

Je m’étonne aussi de la petite inflexion de voix que vous avez eue en évoquant la vigilance particulière face aux pratiques sexistes. Nous revendiquons résolument cette vigilance. Mais peut-être ai-je l’oreille trop fine ? En tout cas, le son est souvent révélateur. Je laisserai chacun apprécier.

Sur le fond, vous savez bien que ce genre de chose est tout à fait réalisable. Bien sûr, il serait beaucoup plus confortable de ne pas défendre une pensée hétérodoxe. Nous savons que la nôtre l’est pour l’instant ; nous avons l’ambition qu’elle devienne majoritaire ; nous convaincrons. Une minute n’y suffira pas, mais un colloque, une explication longue nous permettront de rallier les bonnes volontés.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN572 de M. Yannick Chenevard

M. Yannick Chenevard (RE). Le rapport d’information sur le bilan de la LPM 2019-2025 que Laurent Jacobelli et moi-même avons rédigé insiste sur la fidélisation des militaires. Les armées recrutent beaucoup ; il y a beaucoup d’entrées et de sorties. L’objectif pour la période 2019-2022 était ambitieux : plus de 1 500 personnes devaient être recrutées. Elles n’ont été que 1 063.

Dans ce contexte, l’amendement soulève le problème de l’attractivité. Je reviendrai ultérieurement sur l’élément indiciaire, essentiel en la matière.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. L’amendement est tout à fait pertinent. Il faut accroître la fidélisation, votre rapport d’information le montre bien. L’escalier social est important aussi : il existe dans les unités un besoin de reconnaissance lorsque l’on prend des responsabilités. Tout cela concourt à un pacte global.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il faut gagner la bataille de la fidélisation et de l’attractivité : je suis favorable à l’amendement. Cette bataille a aussi trait au modèle d’armée – sur le terrain, les réponses à la question de savoir pourquoi chacun s’est engagé sont à cet égard éloquentes, différentes de celles que l’on entend dans d’autres pays pas si éloignés. S’y ajoute la particularité du statut de militaire et ses effets sur les proches et les familles.

Le ministère des armées sait embaucher, mais a du mal à fidéliser : l’attractivité pose problème non à l’entrée, mais ensuite. Il faut y travailler dans le détail. Il est difficile d’avoir un discours global : la situation varie en fonction des armées, des grades, des spécialités – services de renseignement compris.

Il ne faut pas opposer l’indemnitaire et l’indiciaire. Ils finissent tous deux sur le bulletin de solde. Des efforts importants ont été consentis pour la partie indemnitaire dans le cadre de la LPM en cours, mais le gros de ces efforts – les trois quarts du demi-milliard que représente la NPRM, la nouvelle politique de rémunération des militaires – ne sera ressenti qu’en fin d’année par nos soldats. Dans l’armée de terre, la prime de combat est attendue et se remarquera – c’est la fameuse troisième marche de la NPRM.

Je réfute l’idée qu’une LPM indiciaire devrait succéder à une LPM indemnitaire. Cette approche scolaire serait totalement inefficace. Les mesures indiciaires doivent s’emboîter dans les dispositions indemnitaires.

L’augmentation de 3,5 % du point d’indice de la fonction publique était très bienvenue dans l’armée.

Le vrai chantier qui nous attend concerne l’indiciaire. Il ne relève pas du domaine de la loi, mais le principe des lois de programmation militaire est que le Gouvernement donne au Parlement les orientations à venir, en l’occurrence celles qui seront prises dans le cadre de notre dialogue avec le CSFM (Conseil supérieur de la fonction militaire) et d’autres organisations.

Nous avons un énorme problème de progressivité. D’abord dans la troupe, compte tenu du niveau du Smic. Ensuite, chez les sous-officiers : d’un côté, même si tout est lié, les sous-officiers subalternes – sergents et sergent-chefs, seconds maîtres ; de l’autre, les sous-officiers supérieurs – adjudant-chefs et majors. Les premiers souffrent du tassement des grilles indiciaires au fil du temps, qui dissuade un caporal-chef de devenir sous-officier. Y remédier est essentiel pour l’attractivité, la justice, la rémunération en fonction du risque et du mérite. Enfin, les officiers, notamment subalternes, sont concernés par le même phénomène. Priorité absolue, ce chantier doit être ouvert dès le début de la nouvelle LPM, qui consacre aux mesures RH 10 milliards de plus que la précédente.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Dans mon avis budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2023, je pointais la faiblesse de la part indiciaire par rapport à l’indemnitaire et la nécessité de l’accroître. Je suis donc ravi de vous entendre.

Nous voterons l’amendement, qui mentionne bien dans son exposé sommaire – par ailleurs discutable – la progressivité des grilles indiciaires, mais il méritera d’être complété par l’amendement DN462, plus précis et cohérent avec ce qui a été dit, qui tend à inscrire dans le rapport annexé une augmentation de la part indiciaire de la rémunération des militaires et des civils de la défense.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN848 de M. Jean-Michel Jacques

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il s’agit de préciser que la fidélisation concerne aussi les personnels civils, qui sont un peu plus de 65 000 au sein du ministère et contribuent à la réussite de nos armées.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN462 de M. Bastien Lachaud.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Les indemnités représentent l’essentiel de la solde des militaires mais elles n’entrent pas dans le calcul de leur pension. La nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) a fiscalisé certaines de ces primes mais il est devenu impératif, pour renforcer l’attractivité du métier et reconnaître le service rendu, de revoir les grilles de rémunération et d’augmenter leur progressivité. Certains sous-officiers ne sont pas augmentés avant huit ans de service. Or c’est en général au bout de ce laps de temps qu’ils sont invités à renouveler leur contrat, ce qu’ils ne font pas toujours, l’attractivité n’étant pas suffisante.

Je salue les engagements que vous prenez, Monsieur le ministre, mais il me semble nécessaire de les inscrire expressément dans le rapport annexé. C’est l’objet de l’amendement.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je vous propose de voter l’amendement DN791, que M. Yannick Chenevard présentera plus tard, qui me semble plus précis et vise à accélérer la progressivité des grilles indiciaires. Sinon, avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. La part indiciaire représente deux tiers de la solde d’un militaire, contre un tiers pour la part indemnitaire. Ce modèle est équilibré.

D’autre part, l’exposé sommaire de l’amendement fait état du point d’indice, qui concerne la fonction publique.

Enfin, vous proposez d’augmenter la part indiciaire de la rémunération des militaires, ce qui pourrait laisser penser que vous diminueriez d’autant la part indemnitaire.

Pour toutes ces raisons, je vous invite retirer votre amendement au profit de celui de M. Chenevard.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). J’accepte de le retirer mais je ne suis pas convaincu que la progressivité prévue par l’amendement DN791 soit suffisante. Outre la progressivité, il faut une augmentation, y compris pour les premiers échelons. J’espère que nous pourrons revoir la rédaction en séance publique.

M. Sébastien Lecornu, ministre. C’est possible.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN644 de M. Fabien Lainé, sous-amendement DN957 de M. Jean-Michel Jacques.

M. Fabien Lainé (Dem). Nous nous sommes tous réjouis de voir l’armée se féminiser, au cours des cinquante dernières années, même si le parcours fut semé d’embûches. Je me souviens que, jusqu’à récemment, une femme ministre des armées était appelée « Madame le ministre », ce qui semblerait incongru aujourd’hui. Je vous propose que l’on achève de reconnaître le rôle des femmes au sein des armées par la féminisation des grades militaires. Il serait paradoxal d’avoir féminisé les titres dans toute la société, excepté l’armée. Nous ne sommes pas des Anglo-Saxons : notre langue latine différencie les genres. C’est bien parce que ces postes n’étaient occupés que par des hommes que les grades qui y sont attachés sont au masculin.

M. Jean-Michel Jacques (RE). Je me suis inspiré de la lecture du Guide d’aide à la féminisation des noms de métiers, titres, grades et fonctions, rédigé par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) pour rédiger un sous-amendement de précision, qui vise à éviter les tournures maladroites et peu élégantes du type premier maître, première maîtresse, en complétant l’alinéa par les mots « dans le respect de la langue française ». Certaines femmes maires ne souhaitent pas se faire appeler « Madame la maire » car, à l’oreille, la formule peut porter à confusion. Quant au terme de mairesse, il désigne la femme du maire. Avis favorable sous réserve de l’adoption du sous-amendement.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Sagesse.

Mme Caroline Colombier (RN). La commission a reçu de nombreuses femmes officiers souhaitant conserver leur grade tel qu’il existe. Ne les contraignons pas à les féminiser.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Je salue l’amendement car il conviendrait d’étendre aux grades la féminisation des titres, des métiers ou des fonctions, largement admise dans notre société. Les exemples choisis ne sont pas anodins – mairesse, maîtresse. Vous nous expliquez que, dans ces cas, retenir la féminisation amoindrirait la fonction et vous n’auriez pas tort, en un sens, car ils sont le reflet d’une période durant laquelle les femmes étaient exclues des postes de pouvoir. En féminisant les grades, on accepte que le pouvoir soit partagé entre les femmes et les hommes. Cette avancée doit aussi être transcrite dans la langue française. Lorsque l’on n’a pas de mot pour désigner les choses, c’est qu’on les cache.

M. Fabien Lainé (Dem). Je suis bien d’accord avec le rapporteur : il ne faut pas froisser les gens mais achever la féminisation des armées dans la langue française.

La commission adopte successivement le sous-amendement et l’amendement sous-amendé.

 

Amendements identiques DN70 de la commission des affaires étrangères et DN691 de Mme Anne Genetet.

Mme Laëtitia Saint-Paul, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères. La mobilité internationale des militaires, quel que soit leur grade, n’est pas valorisée. Alors que notre réseau de coopérants militaires à l’étranger s’est fortement rétréci, nos compétiteurs comme nos partenaires investissent largement cet espace. L’amendement tend à mieux structurer les carrières internationales des militaires.

Mme Anne Genetet (RE). Il convient, en effet, de valoriser la carrière de nos militaires. Le travail de ceux qui ont eu la chance d’être détachés à l’OTAN doit être reconnu à leur retour, de même que celui de ceux qui partent à l’étranger comme attachés de défense ou d’armement. Le ministère des armées n’est pas le seul à ne pas valoriser ces carrières, mais ce n’est pas une raison pour ne pas innover et montrer l’exemple.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Favorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Même avis. Concernant les attachés de défense, j’ai commencé à modifier la liste d’aptitude des colonels pour accéder au grade de général en considérant que, dans certains cas, le colonel pouvait prendre ses étoiles en poste dans la mission de défense. C’est aussi un signal que nous envoyons aux pays bilatéraux, en particulier l’Algérie. Un colonel a ainsi reçu ses étoiles de général en conseil des ministres, il y a quelques semaines.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). C’est une excellente initiative. Le poste d’attaché de défense est vital mais nombreux sont ceux qui hésitent à l’accepter, de crainte que leur évolution de carrière n’en soit ralentie ensuite.

La commission adopte les amendements.

 

Amendement DN71 de la commission des affaires étrangères.

Mme Laëtitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Les élèves issus de milieux modestes ou originaires des territoires ultramarins restent sous-représentés dans les écoles d’officiers. Le Service national universel permettra peut-être de mieux faire connaître auprès de nos jeunes ces établissements. Ils forment le vivier de nos armées mais ils font aussi œuvre sociale car ils fournissent le gîte et le couvert à leurs élèves et leur versent une petite rémunération. J’ai entendu parler à leur sujet de discrimination positive. Je ne partage pas cet avis. C’est une façon, au contraire, de reconnaître les talents là où ils se trouvent.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. C’est vrai, il faut encourager la mixité sociale et géographique parmi nos élites militaires, mais je me demande si nous ne devrions pas nous demander pourquoi nous en sommes arrivés là plutôt que d’essayer de résoudre le problème du défaut de mixité en imposant des quotas. Sagesse.

M. Sébastien Lecornu, ministre. L’égalité d’accès au concours est un principe fondamental que je tiens à rappeler. D’autre part, les écoles ont consenti des efforts importants. En quelques années, la composition des promotions a évolué, notamment grâce à un travail en amont pour inciter des profils jusque-là éloignés du milieu militaire à se présenter. L’Association française de normalisation (Afnor) a d’ailleurs attribué un label à ces établissements.

Cela étant, on ne peut pas devenir général si on n’a pas été sous-lieutenant : il est donc important de renforcer l’attractivité des métiers pour enrichir le vivier initial, dès l’entrée dans les écoles militaires. Avis favorable.

M. Laurent Jacobelli (RN). Nous ne comprenons pas vraiment votre intention. S’il s’agit d’assurer que le concours d’entrée est accessible à tous, que l’origine n’est pas un obstacle et que les grades seront attribués en fonction du mérite, nous sommes bien évidemment d’accord ! Mais si vous voulez établir des quotas, nous ne le sommes plus. Cette disposition n’aurait aucun sens et nous nous retrouverions protégés par une armée dont la composition respecterait les équilibres sociologiques et sociétaux mais sans aucun souci de la compétence. Ce serait très grave. Les quotas tuent le symbole d’une école du mérite pour ceux qui ont pu y accéder malgré leur origine. Leur réussite sera entachée de la suspicion d’y être arrivé grâce au quota et non à leurs compétences. Nombreux sont les militaires qui ont travaillé d’arrache-pied pour intégrer l’école mais ils ne doivent leur réussite qu’à leur mérite. Ils ont gagné le respect de leurs pairs. Des quotas ont été instaurés à l’entrée de certaines grandes écoles. Ceux qui ont pu intégrer ces dernières grâce à eux alors qu’ils n’avaient pas le niveau, souffrent doublement.

Mme Laëtitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. En commission des affaires étrangères, tous les groupes ont voté l’amendement, à l’exception du Rassemblement national, qui voit dans la diversité un handicap plutôt qu’une force.

M. Laurent Jacobelli (RN). Je ne peux vous laisser dire cela. Probablement êtes-vous obtuse mais je vais reprendre pour votre bonne intelligence. Je souhaite que personne, quelles que soient ses origines, son lieu de naissance, sa région, ne soit entravée dans la poursuite de ses études ou de sa carrière du fait de ses origines, dès lors qu’elle a les compétences requises. En revanche, une personne qui obtiendra une place dans une école ou un poste dans l’armée, à cause de ses origines, sera pénalisée et rejetée, ce qui ne servira pas nos armées.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Je suis étonnée de la manière déplacée et irrespectueuse dont notre collègue s’adresse à Mme Saint-Paul en en appelant à sa « bonne intelligence ». Cela m’a choquée. D’autre part, ce collègue a dit tout et son contraire. Il a commencé par regretter que les quotas jettent une suspicion sur la compétence des personnes qui en ont profité avant de dénigrer ces dernières.

Le système actuel entrave l’accès aux écoles ou à certains postes de nombreuses personnes, du fait de leur origine. De par vos propos, vous leur niez des compétences. Au contraire, l’amendement tend à leur assurer un bon accueil au sein de nos armées.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Les arguments du groupe du Rassemblement national sont faibles parce qu’ils ne reposent sur aucun fait. M. Jacobelli a évoqué les quotas. Or il n’y en a pas, en France, dans l’enseignement supérieur. Sans doute les confond-il avec les dispositifs passerelles. D’autre part, l’amendement ne vise pas à en instaurer mais à promouvoir la diversité au sein des établissements militaires. Vos propos sont donc hors sujet mais ils révèlent votre haine de classe, consubstantielle à l’extrême droite qui ne supporte pas la moindre mesure d’ouverture à la diversité.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Nous soutiendrons l’amendement. Il ne vise pas à instaurer un quelconque quota mais à favoriser la représentativité des élèves originaires des milieux modestes et des territoires ultramarins, sous-représentés dans les écoles d’officiers.

M. Sébastien Lecornu, ministre. L’intérêt de l’amendement est, précisément, de rappeler avec force que jamais aucun quota ne sera instauré. Notre modèle d’armée est singulier : pour devenir officier général, il faut avoir été sous-lieutenant, puis lieutenant, capitaine et commandant. Ce n’est pas le cas des commissaires de police qui peuvent accéder directement à ce grade par concours. Il est donc très important de maintenir un vivier suffisant à l’entrée des écoles. Je ne vous citerai qu’un exemple : chaque année, autant de Polynésiens intègrent l’armée française que d’élèves originaires d’Île-de-France – mais jamais officiers. Le ministère des armées est sans doute celui qui garantit le mieux l’égalité des chances à l’entrée de ses grandes écoles, école polytechnique comprise. Mais il ne faut pas négliger le travail à réaliser en amont pour faire connaître ces écoles aux lycéens et leur donner l’envie de les intégrer. En l’espèce, nous pouvons mieux faire, en fonction des zones géographiques ou des publics.

M. Laurent Jacobelli (RN). Il aurait été écrit qu’une plus grande diversité sera « respectée » dans l’origine des élèves, et non « recherchée », nous aurions pu être d’accord, mais en voulant « rechercher », vous suggérez l’instauration d’un mécanisme de péréquation. Les mots ont un sens.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Le terme « recherchée » tend à créer une obligation de moyen à la charge du ministère des armées pour susciter des vocations dans toutes les couches sociétales de notre société. Celui de « respectée » aurait fait peser sur ses épaules, au contraire, une obligation de résultat, ce dont personne ne veut, pas plus que des quotas.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendements DN791 de M. Yannick Chenevard, DN238 de Mme Anna Pic, DN297 de Mme Mélanie Thomin et DN566 de M. Laurent Jacobelli (discussion commune).

M. Yannick Chenevard (RE). La moitié des sous-officiers sont issus des hommes du rang. La moitié des officiers sont issus du corps des sous-officiers. Les armées sont un escalier social remarquable. La seule obligation, c’est le travail.

La loi de programmation militaire 2019-2025 a instauré la nouvelle politique de rémunération des militaires, qui représente un effort financier de près de 500 millions d’euros en année pleine. Cette disposition commence à porter ses fruits. Elle est aussi une avancée technique majeure puisqu’elle a regroupé les 174 primes en huit primes, réparties en trois volets.

Pour conserver nos militaires, il faut aussi entretenir leurs compétences. Or le civil chercher à attirer ces militaires particulièrement bien formés par des salaires qui peuvent atteindre le triple de leur solde.

Nous vous proposons par conséquent de compléter la quatrième phrase de l’alinéa 29 pour que l’accélération de la progressivité des grilles indiciaires des militaires soit aussi un élément de l’attractivité des carrières et de la progression des personnels.

Mme Anna Pic (SOC). L’amendement tend à rééquilibrer la répartition entre la part de l’indiciaire et celle de l’indemnitaire dans la solde des militaires. En effet, la part des primes et des indemnités dans la solde brute des militaires des trois armées et de la gendarmerie représentait, en 2020, 38 % en moyenne et oscillait entre 47 % pour les officiers supérieurs et 29 % pour les militaires de rang. Une telle répartition accorde une place trop importante à la rémunération indemnitaire au détriment de la rémunération indiciaire, ce qui n’est pas de nature à fidéliser les militaires.

Mme Mélanie Thomin (SOC). L’amendement tend à inscrire dans le texte la nécessité de revaloriser les trajectoires de rémunération des personnels civils et militaires, notamment au regard de leur pouvoir d’achat et des contraintes de service. Le Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM), dont nous avons auditionné des représentants, a insisté sur l’importance d’opérer un « choc indiciaire » pour revaloriser les carrières des militaires. Le ministère des armées a lui-même reconnu qu’entre 2019 et 2022, une hausse globale des départs de l’ordre de 6 % avait été constatée, dont 2,5 % concernaient les militaires et plus de 25 % les civils. Le problème frappe l’ensemble de la fonction publique, caractérisée par la faiblesse des rémunérations qui conduit à un recul de l’attractivité et à un sentiment de déclassement dans les familles de militaires soumis à la contrainte des mobilités. La réforme des retraites est une autre source d’inquiétude. Ce besoin de reconnaissance par la rémunération est un enjeu majeur de fidélisation des personnels militaires et civils.

M. Laurent Jacobelli (RN). Vous disiez, Monsieur le ministre, qu’il ne fallait pas opposer les primes et l’indiciaire. Certes, mais il faut augmenter la part de l’indiciaire qui entre dans le calcul des pensions de retraite. Bien entendu, ce n’est pas le montant de la solde qui fait toute l’attractivité du métier. L’amour de la patrie, l’intérêt du métier, les évolutions de carrière entrent pour une large part dans le choix des militaires de s’engager dans cette voie. Mais le salaire compte aussi, d’autant plus que les métiers deviennent de plus en plus techniques et la concurrence avec le privé, de plus en plus forte. Tel est l’objet de l’amendement.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je vous invite à préférer l’amendement de M. Chenevard aux autres.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Même avis. L’amendement DN791 est celui dont la rédaction est la plus équilibrée.

La commission adopte l’amendement DN791.

 

En conséquence, les amendements DN238, DN297 et DN566 tombent.

 

M. Laurent Jacobelli (RN). Je ne suis pas sûr que le vote de l’amendement DN791 fasse tomber les autres.

On peut revoir la progressivité de la grille indiciaire, mais cela ne signifie pas que l’indice augmente. Ce n’est pas exactement la même chose. C’est la raison de mes observations sur la rédaction de l’amendement, somme toute excellente, de M. Chenevard.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Je rappelle que l’amendement de notre collègue Chenevard et la NPRM ne concernent pas les personnels civils du ministère des armées.

Mme Anna Pic (SOC). Rendre la grille indiciaire plus progressive ne signifie pas procéder à un rééquilibrage entre la part indiciaire et la part indemnitaire. Pourquoi nos amendements tomberaient-ils alors qu’ils sont différents et n’auront pas les mêmes conséquences en matière de rémunération et de carrière ?

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Les trois dernières interventions confirment ce que j’ai dit précédemment : l’amendement de M. Chenevard ne répond pas à toutes les préoccupations.

Je ne sais pas si les amendements tombés doivent être examinés et votés. Ce dont je suis certain c’est que, plutôt qu’adopter quatre amendements mal assortis, il vaudrait mieux travailler à la rédaction d’un seul intégrant les différents éléments d’une manière cohérente et qui satisferait tout le monde lors de l’examen en séance.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Une fois encore, je ne suis pas dogmatique en ce qui concerne la répartition entre l’indiciaire et l’indemnitaire.

Je ne suis pas opposé à ce que l’on affine la rédaction de l’amendement DN791 en séance, si c’est nécessaire. Même si la politique de rémunération relève du pouvoir réglementaire, je souhaite bien entendu que les principes qui figurent dans le rapport annexé soient aussi précis que possible, en s’appuyant sur les engagements que j’ai formulés précédemment. Sur cette base, nous pourrons arriver à une solution contentant tout le monde lors de la discussion en séance.

M. le président Thomas Gassilloud. Ce texte pourra évoluer pour la séance.

Une discussion commune a pour objet d’examiner des amendements qui ne sont pas compatibles entre eux et le premier qui est adopté fait tomber les suivants.

M. Laurent Jacobelli (RN). Nous discutons de l’un des points majeurs de ce projet de LPM, et qui est probablement le plus attendu par nos troupes. Et vous nous dites que vous êtes désolé que notre amendement n’ait en quelque sorte pas été mis dans le bon paquet ! Cela pose tout de même un problème.

Nous voulons bien être souples, mais pas nous laisser avoir.

M. le président Thomas Gassilloud. Je ne peux pas vous laisser dire ça. Ces amendements ont été identifiés comme incompatibles lors de l’organisation de notre réunion et placés en conséquence en discussion commune. Si vous vouliez la contester, il fallait le faire avant le vote.

M. Laurent Jacobelli (RN). Nous allons vérifier ce point. J’ai déjà assisté en séance à l’examen en commun d’amendements, qui faisaient ensuite chacun l’objet d’un vote. Je ne comprends pas votre affaire.

Si vous avez raison, dont acte. Mais honnêtement, sur un sujet aussi important, la manœuvre est un peu grossière.

M. le président Thomas Gassilloud. Il n’y a pas de manœuvre. Cette discussion est organisée par les services de l’Assemblée.

 

Amendement DN626 de Mme Sabine Thillaye.

Mme Josy Poueyto (Dem). Les ressources humaines sont un véritable enjeu pour nos armées.

Par-delà le recrutement, c’est la fidélisation des militaires qui pose un problème face aux moyens des entreprises privées. Les défis les plus importants à relever concernent le secteur du cyber, essentiel dans ce projet de LPM. Or, le bilan de la précédente LPM indique que le commandement de la cyberdéfense (Comcyber) dispose de seulement 80 % des effectifs prévus.

Plutôt que d’opposer le secteur privé au secteur public, il serait intéressant de faciliter les passerelles avec les entreprises ayant noué un partenariat durable avec le Comcyber. L’amendement permet d’apporter de la souplesse dans la carrière des cybercombattants et ainsi d’accroître l’attractivité de ce métier auprès des plus jeunes.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Cet amendement aurait dû porter sur l’alinéa 51 du rapport annexé, qui traite plus précisément de la cyberdéfense.

En outre, le dispositif proposé confie au Comcyber une mission qui n’est pas la sienne.

Demande de retrait.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Demande de retrait également.

La fidélisation est aussi un sujet de préoccupation pour la DGA Maîtrise de l’information (DGA MI) et la DGSE.

Pourquoi s’en tenir aux partenariats ? Il faut aussi agir par le biais du chantier des rémunérations et de celui des réserves. Je comprends l’intention mais la question n’est pas traitée de manière suffisamment globale. C’est pour moi un amendement d’appel.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN283 de M. José Gonzalez.

M. José Gonzalez (RN). Si les ressources humaines constituent un enjeu majeur pour nos armées, ces dernières souffrent particulièrement de la concurrence que lui livre le secteur industriel privé. Les rémunérations plus attractives, la mobilité géographique de plus en plus mal vécue et l’emploi accru des conjoints de militaires sont autant de facteurs qui peuvent inciter ces derniers à rejoindre le secteur civil.

On constate d’ailleurs que nombre d’entre eux font le choix de rester militaire du rang alors même qu’ils pourraient devenir sous-officiers, non seulement pour éviter les contraintes de mobilité mais aussi parce que le gain financier est finalement souvent trop faible.

Pourquoi ne pas envisager la mise en place de conventions entre les armées et les entreprises du secteur industriel, sur le modèle de celles qui existent déjà – par exemple entre Air France et l’armée de l’air et de l’espace ? De telles conventions permettraient d’imposer des conditions et d’encadrer le départ des personnels militaires vers le secteur civil, pour qu’il ne s’effectue pas au détriment des effectifs.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Le sujet est important mais votre amendement est satisfait. Au-delà de l’exemple que vous avez cité entre Air France et l’armée de l’air, d’autres armées s’apprêtent à conclure de telles conventions avec des industriels de la base industrielle et technologique de défense (BITD).

Demande de retrait.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Faut-il signer des conventions avec des entreprises pour qu’elles n’embauchent pas les militaires ? La question est délicate. Je ne méconnais pas l’ampleur du problème, mais il faut l’aborder par le biais de la politique générale de fidélisation.

En revanche, nous pourrions travailler d’ici à la séance sur les « allers-retours ». Pour l’heure, lorsqu’on quitte les armées, c’est une bonne fois pour toutes. Or on constate une demande de souplesse accrue de la part des militaires, qui souhaiteraient pouvoir travailler pendant quelque temps dans le secteur privé puis revenir dans les armées, comme réserviste ou militaire d’active. D’autres armées procèdent ainsi et je ne vois pas pourquoi nous nous l’interdirions. C’est une piste de réflexion. La mesure que vous proposez aurait été utile il y a quelques années, mais il est désormais un peu tard.

La commission rejette l’amendement.

 

M. Laurent Jacobelli (RN). Je demande une suspension. Il y a manifestement eu une incompréhension des services de l’Assemblée en ce qui concerne la différence entre une grille salariale et un salaire. Nous ne pouvons pas en être les victimes.

M. le président Thomas Gassilloud. Quand des amendements ne sont pas compatibles entre eux, ils font l’objet d’une discussion commune. Si l’un de ces amendements est adopté, les autres ne peuvent pas l’être et tombent en conséquence. Vous n’avez pas contesté l’organisation de la discussion de ces amendements. J’ajoute que le fait que cette discussion soit organisée par des fonctionnaires de l’Assemblée constitue une garantie pour les oppositions.

M. Laurent Jacobelli (RN). Soyons très clairs. Sans parler à la place de notre collègue Chenevard, je pense qu’il considère qu’il y a trop peu de différence de rémunération entre certains grades et qu’il faut donc revoir l’échelle des salaires. Mais l’échelle des salaires et le montant des salaires sont deux choses extrêmement différentes.

Il y a donc eu une erreur d’appréciation des fonctionnaires – tout à fait pardonnable. Ils sont de très grande qualité, mais ils peuvent se tromper. Le problème est que cette erreur a fait tomber trois amendements qui portaient sur le point essentiel des soldes et qui n’ont de ce fait pas été débattus. C’est un peu fort de café. L’erreur est humaine, persévérer est diabolique.

M. le président Thomas Gassilloud. Ce qui est déterminant, c’est que les amendements soient incompatibles.

M. Yannick Chenevard (RE). L’amendement DN791 offre de la souplesse. Sa rédaction laisse une marge de manœuvre, puisque la plus forte progressivité des grilles indiciaires des militaires restera à définir. Un travail de fond devra avoir lieu, afin de déterminer comment faire face aux différents problèmes qui ont été mentionnés – dont par exemple le caractère insuffisamment incitatif de l’évolution de la solde lorsque l’on accède à certains grades supérieurs.

M. le président Thomas Gassilloud. On me dit, Monsieur Jacobelli, qu’à titre tout à fait exceptionnel, on pourrait mettre aux voix les trois amendements qui sont tombés lors de l’examen en discussion commune. Je suppose qu’ils recevront un avis défavorable du rapporteur et du ministre.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Vous nous ouvrez des possibilités inouïes ! Depuis que je suis député, jamais, des amendements tombés dans le cadre d’une discussion commune n’ont été votés. Si c’est le cas, c’est merveilleux et il faut appliquer également cette règle en séance. Pourriez-vous m’indiquer l’article du règlement qui le permet, car je compte bien l’invoquer en séance publique ?

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je n’ai pas à m’immiscer dans ces questions de procédure.

En revanche, sur le fond, vous avez raison de faire une distinction entre grille indiciaire et solde. J’espère que vous me donnerez acte d’avoir donné un avis détaillé sur la dizaine d’amendements portant sur ce sujet. Peut-être n’ai-je pas été assez précis, auquel cas je pourrais y revenir.

L’amendement de M. Chenevard souligne que la progressivité de la grille indiciaire doit être accentuée. Si vous estimez, qu’il faut apporter davantage de précisions en séance, Monsieur Jacobelli, j’y suis d’autant plus disposé que la détermination des grilles indiciaires relève des prérogatives réglementaires du ministre et non du domaine de la loi – vous conviendrez que je n’ai pas abusé de cet argument. Il s’agit cependant d’une question tellement importante que je considère naturel d’en débattre avec les forces politiques représentées à l’Assemblée nationale – ne serait-ce qu’en raison des conséquences budgétaires.

Beaucoup de militaires suivent nos débats sur cette question, qui est très attendue. Alors que nous consacrons précisément beaucoup d’argent au volet indiciaire de la rémunération des militaires, je veux que les choses soient clairement dites.

M. le président Thomas Gassilloud. La contestation d’une discussion commune doit intervenir avant que l’examen des amendements concernés commence. On ne peut plus y revenir ensuite. Prenez en acte pour la prochaine fois.

M. Laurent Jacobelli (RN). Et donc prenez acte, Monsieur le président, que le groupe Rassemblement national refusera désormais que ses amendements fassent l’objet d’une discussion commune.

M. le président Thomas Gassilloud. Il s’agit non pas d’un choix qui vous est laissé mais d’une faculté de contester une procédure de discussion commune. Cela donne lieu à un examen au cas par cas.

M. Laurent Jacobelli (RN). Eh bien nous contesterons systématiquement…

 

Amendement DN463 de M. Bastien Lachaud.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Cet amendement autorise l’expérimentation d’un recrutement local en Guyane.

Les forces armées en Guyane procèdent au recrutement d’Amérindiens pour des postes très spécifiques de pisteur ou de piroguier. Or les conditions dans lesquelles ils sont recrutés sont particulièrement insatisfaisantes. Ils peuvent souscrire des contrats de réservistes avec 120 jours de service par an, ce qui leur offre beaucoup moins de garanties que s’ils étaient militaires d’active. Ils peuvent également être recrutés en tant que sous-officier commissionné et leur grade ne correspond pas à leur fonction – c’est dans ce cadre que le piroguier récemment décédé en service avait été recruté. Enfin, ils peuvent être engagés en tant que personnel civil, alors que le statut militaire serait nécessaire.

Nous souhaiterions donc que soit examinée la possibilité de recrutements locaux, sous une forme qui reste à déterminer. Il s’agit d’offrir à ces personnes qui servent les armes de la France un statut protecteur et qui corresponde aux services qu’ils rendent à la patrie.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Votre proposition manque de précision sur les modalités de recrutement. En outre, une telle mesure ne devrait pas figurer dans le rapport annexé. Demande de retrait.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il est exact que le statut de réserviste n’est pas adapté.

En revanche, je ne vois pas en quoi celui de sous-officier commissionné ne l’est pas, puisqu’il a précisément été créé pour les métiers que vous avez mentionnés. Vous évoquez une inadéquation du grade, mais un adjudant dans un régiment étranger d’infanterie assure déjà des fonctions d’encadrement d’un niveau certain.

Vous êtes allé en Guyane récemment. J’imagine donc que vous pensez à un cas en particulier, dont vous pourrez me faire part directement. Si des évolutions sont nécessaires, plutôt que d’inventer un nouveau dispositif il serait opportun de jouer sur les critères du statut de sous-officier commissionné, qui donne satisfaction. En tout état de cause, la mesure que vous proposez n’a pas sa place dans le rapport annexé.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Je retire cet amendement et je reviendrai sur le sujet en séance publique. Je suis ouvert à toutes les propositions de rédaction pour aboutir à une solution. Je ne peux pas accepter que l’on utilise ainsi le statut de réserviste.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN275 de Mme Mélanie Thomin.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Cet amendement précise que le concours éventuel des collectivités territoriales au plan « famille » ne doit pas entraîner des contraintes excessives en matière financière ou d’aménagements.

La décentralisation fait partie de l’ADN de mon groupe politique. Mais il s’agit d’un projet politique ambitieux et non d’un moyen pour le Gouvernement de se défausser de ses responsabilités sur les collectivités territoriales. La suppression de la taxe d’habitation a signifié aux villes, aux départements et aux régions qu’ils n’étaient qu’une variable d’ajustement pour équilibrer les finances publiques.

Notre amendement vise à garantir à ces collectivités qu’elles ne subiront pas des choix politiques et budgétaires – je pense notamment aux communes rurales susceptibles d’accueillir des projets liés au plan « famille ».

De manière générale, les collectivités locales et les maires sont fiers d’accueillir les familles des militaires, mais il leur faut des garanties lorsque cela s’accompagne de projets structurants. Ils ont besoin d’être rassurés pour s’impliquer pleinement dans ces projets.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je ne considère pas que les projets liés au futur plan « famille » constituent une charge pour les collectivités territoriales.

Demande de retrait.

M. Sébastien Lecornu, ministre. S’il est nécessaire de rassurer, je le fais : ce plan ne comporte aucune obligation. Votre voisine, Mme Santiago, a d’ailleurs participé à tous les travaux du groupe de travail qui a étudié le plan « famille ».

L’enjeu essentiel de ce plan porte sur la simplification. C’est par exemple le cas en prévoyant des dérogations aux dates limites et aux modalités d’inscription dans les établissements scolaires, afin de tenir compte du calendrier particulier de mutation des militaires.

Le ministère des armées ne peut rien imposer aux collectivités territoriales, quel que soit le cas de figure. C’est sans doute la meilleure réponse que je peux faire pour vous demander de retirer l’amendement.

Mme Isabelle Santiago (SOC). Certains maires de communes rurales au budget limité sont inquiets des investissements qu’ils pourraient avoir à faire en raison de projets liés au plan « famille », tel l’aménagement d’une crèche. C’est ce qui a motivé cet amendement.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Ce projet de LPM ne prévoit, et c’est une rupture importante par rapport au passé, ni ouverture ni fermeture de régiment ou de base aérienne, ce qui règle beaucoup de problèmes en matière d’aménagement du territoire.

Au pire – ou plutôt au mieux – des régiments pourraient gagner quelques sections, soit l’arrivée d’une centaine de militaires supplémentaires. C’est alors le cas classique d’augmentation de la population d’une commune, qui entraîne une progression de la dotation globale de fonctionnement (DGF) et des recettes fiscales. C’est une bonne nouvelle, au même titre que l’implantation d’une nouvelle entreprise.

J’ai été maire d’une ville où l’on a fermé un laboratoire militaire et j’ai bien vu la charge que cela représentait…

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN219 de Mme Isabelle Santiago.

Mme Isabelle Santiago (SOC). Cet amendement précise le contenu des mesures destinées à améliorer les conditions de vie des familles de militaires.

L’accompagnement social du militaire et de sa famille est une composante essentielle de la condition militaire. On recrute un soldat, mais c’est une famille entière qui s’engage.

J’ai participé aux réflexions sur le plan « famille II », pour lequel 750 millions sont prévus par ce projet. L’amendement vise à détailler davantage les axes de cette politique, en mentionnant notamment l’atténuation des effets des contraintes opérationnelles, l’aide à l’emploi, au logement et à la scolarisation.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Madame Santiago, vous avez rédigé avec Séverine Gipson, lors de la précédente législature, un rapport d’information intitulé Le plan Famille : quel bilan ?. Vous connaissez bien ces questions. Je constate que vous assurez le suivi de votre engagement. Les précisions que vous apportez ne peuvent que profiter à nos soldats et à leurs familles, dont l’amélioration des conditions de vie est de surcroît un facteur de fidélisation. Avis favorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Sans préjudice des contraintes afférentes au rapport annexé, cela est sûrement trop court, s’agissant d’un aspect majeur du présent projet de loi de programmation militaire. Nous ne pouvons pas parler fidélisation et bataille de l’attractivité en ne parlant que de l’indiciaire et pas du plan « famille ». La définition proposée, sans être complète, contient les ingrédients principaux. Elle peut servir de base.

S’agissant des amendements relatifs au plan « famille », j’en demanderai souvent le retrait, faute de quoi ce sujet occuperait à lui seul un grand nombre de lignes au sein du rapport annexé. Il vous incombe donc de faire un choix : soit nous nous en tenons au rapport annexé, soit nous l’augmentons d’une synthèse de quelques lignes, par le biais du présent amendement, voire de quelques sous-amendements ou de quelques indications complémentaires.

Adopter tous les amendements qui suivent, nous ferait trop entrer dans le détail du plan « famille », qui demeure dépourvu de force normative du point de vue du droit positif et qui, de surcroît, fait consensus. Je tenais à livrer à la commission cette observation de méthode avant de poursuivre la discussion des amendements relatifs à ce sujet.

Mme Corinne Vignon (RE). Je suis d’accord avec vous. J’ai beaucoup travaillé sur ce sujet avec Mme Santiago au sein du groupe de travail sur le logement des militaires, le SSA et la vie des familles. L’amendement est un peu restrictif. Par exemple, faut-il étendre l’aide à l’emploi du militaire quittant l’armée, à son conjoint ? Toutefois, si nous entrons trop dans le détail, la suite sera un peu compliquée.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Le rapport annexé, dont je ne veux surtout pas amoindrir la force normative, demeure un recueil d’indications.

Tel que je le comprends, l’amendement vise à remédier au fait que le plan « famille II », pour n’importe quelle personne lisant la loi, cela ne veut rien dire. Il semble donc judicieux de le définir d’une façon ou d’une autre, l’essentiel étant que la solution que vous adopterez participe à l’intelligibilité de l’ensemble.

Mme Anne Genetet (RE). Je profite de l’examen de cet amendement relatif à la condition de vie du militaire et aux conditions d’accompagnement de sa mutation pour poser sur la table une demande formulée depuis longtemps par les militaires : la création du statut de « résidence de repli », permettant de conserver sa résidence principale en France. Les ministres délégués chargés des Français de l’étranger et des comptes publics ont créé un groupe de travail conjoint à ce sujet. Il serait souhaitable d’associer les militaires à ses réflexions, pour avancer sur ce sujet qui leur tient à cœur depuis longtemps.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Cette observation est exacte. Il y a dans l’armée un public intéressé par la question, notamment les gendarmes nommés attachés de sécurité intérieure dans les ambassades et les consulats. J’émets un avis de sagesse sur l’amendement et suggère à Mme Genetet de rédiger un bref amendement de complément et de le présenter en séance publique.

La commission adopte l’amendement.

Amendement DN648 de Mme Josy Poueyto.

Mme Josy Poueyto (Dem). Il vise à compléter l’alinéa 29 par les mots « et de leurs familles ». Il s’agit de rappeler, dans le rapport annexé, l’importance des deux plans « famille », que nous évoquons régulièrement. Les familles de militaires subissent les conséquences des engagements opérationnels et des mutations fréquentes.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il faut tenir compte de la mobilité. Avis favorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN620 de M. Christophe Blanchet.

M. Christophe Blanchet (Dem). Il vise à assurer la fidélisation des réservistes.

Lors des auditions, nous avons eu connaissance de la situation d’étudiants – deux en particulier – engagés dans la réserve au cours de leurs parcours universitaire et affectés, une fois devenus enseignants, loin du lieu où ils vivent et servent. Or leur engagement ne va pas jusqu’à franchir 400 ou 500 km pour servir. Comment mieux valoriser les personnels de la fonction publique engagés dans la réserve ?

Cet amendement est d’autant plus un amendement d’appel qu’il suppose une démarche interministérielle, incluant notamment l’éducation nationale. Il faut réfléchir à l’aménagement de la mutation des enseignants, qui dépend de points accumulés au fil des années d’expérience, par exemple en prévoyant un quota de points supplémentaires attaché aux cinq années de réserve, pour faciliter leur rapprochement effectif de leur unité opérationnelle de réserve. Une telle reconnaissance faciliterait leur fidélisation.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Cet amendement d’appel soulève une vraie question. Souvent sollicité, comme tout député, par exemple par un couple de fonctionnaires dont l’un est dans les armées et l’autre enseignant, je constate qu’il est très difficile de faire bouger les choses. Les autres administrations ont des règles et des syndicats établis, sur lesquels on bute inévitablement.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Demande de retrait ou avis défavorable. Ce sujet, certes de fond, ne relève pas du rapport annexé, relatif au format des armées – je n’ai pas abusé de cet argument jusqu’à présent. Il s’inscrit parmi ceux abordés par le groupe de travail territoire national, dont vous êtes corapporteur et dont les propositions seront examinées.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN256 de Mme Isabelle Santiago.

Mme Isabelle Santiago (SOC). La communication dont le plan « famille » fait l’objet est régulière, mais insuffisante. En particulier, elle parvient à chaque militaire par le truchement de son courrier électronique, qui n’est pas nécessairement consulté par sa conjointe ou son conjoint. Cette difficulté, qui nous a été signalée, est majeure, compte tenu de l’ampleur des politiques publiques destinées à faciliter la vie des militaires et à contribuer à leur fidélisation.

Il s’agit de monter en charge et de fluidifier les choses sur tous les aspects de la vie quotidienne de la famille du militaire. Pour que celle-ci soit informée de façon pratique et rapide, l’amendement prévoit la création d’une équipe de communication dotée d’outils numériques permettant de transmettre l’information de façon moins archaïque qu’un courriel adressé au seul agent du ministère.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Ces observations sont exactes, d’autant que vous connaissez bien le sujet. Toutefois, je ne suis pas certain qu’il ait vocation à figurer dans le présent projet de loi. Comme l’ont démontré nos auditions, des améliorations s’imposent en effet sur ce point.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Cela relève de la conduite interne avec les services du ministère. Message bien reçu, demande de retrait.

Mme Isabelle Santiago (SOC). J’accepte de retirer l’amendement mais je suivrai de très près le déploiement du plan « famille II », comme j’ai suivi celui du plan « famille I ».

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN847 de M. Jean-Michel Jacques.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Cet amendement de précision vise à rappeler que près de 30 % des crédits du plan « famille » bénéficieront aux personnels civils de la défense, dont le service mérite d’être mis en valeur.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

 

 

 

Amendement DN276 de Mme Mélanie Thomin.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Il vise à étayer la concrétisation des actions du service Défense mobilité. La condition sociale des militaires nous semble être un enjeu prioritaire de la présente loi de programmation militaire.

L’amendement rappelle l’importance des solutions proposées en matière de rapprochement de conjoints et de regroupement des familles. En particulier, le déploiement des ambitions du plan « famille » s’agissant du service Défense mobilité semble indispensable à la fidélisation des personnels et au succès des ambitions de la présente loi de programmation militaire.

Comme l’ont montré les chiffres officiels présentés lors des auditions, la moitié des conjoints des personnels des armées sont également des agents publics, souvent de l’éducation nationale. Pourtant, nous sommes sollicités par des personnels éprouvant encore des difficultés significatives en matière de rapprochement de conjoints. Des solutions plus facilement accessibles pourraient être proposées dans le cadre d’un dialogue entre les administrations publiques, incluant notamment le ministère de l’éducation nationale.

L’amendement ne vise pas à épuiser la question mais à signaler qu’elle demeure un axe d’amélioration pour l’exécution de la présente loi de programmation militaire. Je me tiens à la disposition des services du ministère pour travailler sur ce sujet.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Vous avez entièrement raison. J’ai moi-même évoqué le sujet. Une convention a été conclue en 2018. Nous devons vérifier, sur le terrain, qu’elle est bien appliquée et, si tel n’est pas le cas, le signaler au ministère. J’émets un avis défavorable car ce sujet ne relève pas du rapport annexé.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Message bien reçu en matière d’art d’exécution des ambitions de Défense mobilité, qui toutefois n’a pas sa place dans le rapport annexé. Demande de retrait ou avis défavorable.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Je maintiens l’amendement afin que nous débattions en séance publique de la situation sociale des militaires.

Mme Isabelle Santiago (SOC). Le plan « famille I » comportait une proposition qui, à ce jour, n’a pas été mise en œuvre. Le problème de la mobilité des conjoints relevant de l’éducation nationale est majeur et connu de longue date. Il faut décloisonner les deux ministères en nommant au sein de l’éducation nationale un fonctionnaire chargé de suivre les personnels concernés. Cette préconisation, que nous avons formulée dans le rapport d’information précité, répond à une attente très forte d’établissement d’un lien direct entre le ministère des armées et le ministère de l’éducation nationale, sous la forme d’un service dédié. Quelques personnes, pour commencer, suffiraient à prendre soin des familles des militaires.

Mme Anna Pic (SOC). Un tel suivi rapproché est d’autant plus nécessaire que, depuis quelques années, le tableau des mutations est entièrement déterminé par les points obtenus, à l’exclusion de la présence régulatrice des syndicats au deuxième tour. Désormais, le système est géré de façon un peu technique, au détriment d’une approche fine des situations tenant compte des particularités, au point qu’un échange de postes peut échouer même si leurs deux titulaires y sont favorables.

La commission rejette l’amendement.

 

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement DN266 de Mme Isabelle Santiago.

 

Amendement DN265 de Mme Isabelle Santiago.

Mme Isabelle Santiago (SOC). Sans préjudice du caractère adéquat de l’amendement, il s’agit d’encourager la conclusion de conventions avec les acteurs du parc de logement privé, afin de répondre à un enjeu majeur des mutations des militaires. Il s’agit de créer une dynamique. La rédaction de l’amendement n’est qu’une proposition ; d’autres sont envisageables. Ce qui compte, c’est de rappeler qu’il est possible d’agir sans imposer aux territoires des bouleversements incroyables.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il s’agit d’un vrai sujet, qui toutefois n’a pas sa place dans le rapport annexé. Suivons cette question et poursuivons le travail de terrain que nous menons, avec le ministère, pour améliorer les choses. Demande de retrait ou avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Cette disposition figure dans le plan « famille ». Les premières conventions avec des agences immobilières ont été signées. Tel est l’intérêt d’avoir imaginé un plan « famille » plus territorialisé, car ce n’est qu’en partant du bas que nous réussirons. Demande de retrait ou avis défavorable.

Mme Corinne Vignon (RE). Je souscris aux propos de notre collègue Santiago. Il importe de créer un lien très fort avec les collectivités locales. Monsieur le ministre, vous avez été maire, moi aussi. Ma commune est à cinq kilomètres de la garnison de la 11e brigade parachutiste. Pourtant, personne n’est jamais venu me demander « Madame le maire, avez-vous des logements libres ? », alors même que la moitié des citoyens ayant une maison à louer seraient enchantés de la louer à des militaires, ce qui garantit qu’elle sera bien gardée.

Par ailleurs, les conventions conclues avec les bailleurs sociaux de Toulouse – il n’y en a que deux – sont gérées depuis Bordeaux, ce qui est aberrant. J’aimerais qu’on m’explique comment les personnels en poste à Bordeaux géreront des conventions avec les bailleurs sociaux de Toulouse, alors même qu’ils n’ont absolument aucune idée des implantations nécessaires.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN118 de Mme Isabelle Santiago.

Mme Isabelle Santiago (SOC). Il s’agit d’améliorer l’offre de services au sein des unités, notamment en créant des points de vente automatisés, dans le prolongement des dispositifs prévu par le plan « famille » et déjà installés sur de nombreuses bases.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN267 de Mme Isabelle Santiago.

Mme Isabelle Santiago (SOC). Il vise à la conclusion de partenariats avec la médecine de ville. Une mutation peut priver de médecin référent le militaire et ses enfants, parfois suivis pour des pathologies graves ou porteurs de handicaps qui ne sont plus pris en charge correctement. Dans le cadre de la décentralisation et du plan « famille », les collectivités locales doivent être très engagées auprès de nos militaires, par exemple en concluant des partenariats avec la médecine de ville, pour que tous les militaires aient un médecin référent lorsqu’ils sont mutés.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il s’agit d’un vrai sujet, sur lequel nous devons continuer à travailler, mais qui n’a pas sa place dans le rapport annexé.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Ce sujet est très suivi, en mobilisant le SSA là où il est présent. Il relève de la territorialisation du plan « famille ». J’émets un avis défavorable, non sur le fond, mais pour éviter que le rapport annexé ne prenne une forme qui n’est pas celle attendue dans une loi de programmation militaire, qui vise à préciser la cible et le format des armées.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN720 de M. Jean-Louis Thiériot.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Le rapport annexé prévoit un modèle d’armée au format humain renforcé et fidèle à notre histoire. L’efficacité de notre modèle militaire repose notamment sur le principe de la disponibilité en tout temps et en tout lieu.

J’appelle l’attention sur un sujet que nous connaissons tous par cœur : l’interprétation par les juridictions européennes de la directive sur le temps de travail, dans le cadre du fameux arrêt Matzak, et de son application aux forces armées par la décision « B. K. contre Republika Slovenija » du 15 juillet 2021, qui repose sur une distinction assez fumeuse entre le temps opérationnel et le temps relevant de la directive sur le temps de travail, ce qui est manifestement une interprétation ultra vires allant bien au-delà des traités.

L’amendement, dont je laisse M. le rapporteur me dire s’il est opportun de le maintenir, alerte sur le risque qui en résulte. Il est des sujets qu’il est prudent de ne pas rouvrir. Mme Parly et les responsables des ressources humaines des armées se sont montrés très prudents en la matière. Nous le sommes aussi.

Le Conseil d’État a rendu un arrêt avec le brio qui est le sien, sans trancher sur le fond. La France doit faire son possible pour obtenir une réécriture des textes précités, une réserve d’interprétation ou toute modification susceptible d’éviter que nos armées ne soient paralysées et dérogent au principe de disponibilité en tout temps et en tout lieu.

M. Jean-Michel Jacques. Sur le fond, il s’agit d’un sujet très important. Ce combat doit absolument être mené. Il y va de la singularité du soldat français, dont dépendent ses performances. Tout cela ne doit pas être détricoté. Toutefois, nous avons obtenu satisfaction. Nous devons demeurer vigilants et bien tenir nos positions. Vous pouvez compter sur moi. Je suggère le retrait de l’amendement.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Affirmation de l’exigence de libre disposition de la force armée, non-transposition de la directive lorsque le problème s’est posé : le chemin que nous avons emprunté nous permet, pour l’essentiel, de protéger notre modèle.

Je recommande de ne pas remettre cette affaire sur la table, d’autant que nous achevons les discussions avec les instances européennes pour offrir aux États membres la possibilité d’activer une clause de renonciation, car nous ne sommes pas seuls dans cette affaire.

Je suggère le retrait de l’amendement et émets à défaut un avis défavorable, non sans vous remercier d’avoir abordé le sujet, sur lequel je m’exprime pour la première fois depuis que je suis ministre des armées.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN548 de Mme Cyrielle Chatelain.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Au-delà de la féminisation des titres militaires se pose la question de la place des femmes dans l’armée. Dans son rapport annuel de 2020, la Cour des comptes dit que l’armée française doit encore progresser dans la promotion de l’égalité hommes-femmes. Malgré des avancées, comme l’ouverture de toutes les filières aux femmes, ces dernières restent sous-représentées dans les postes de commandement et dans les filières techniques. L’objectif de cet amendement, sur lequel vous vous êtes, me semble-t-il, déjà prononcés par anticipation, est de doubler d’ici à 2030 la part des femmes parmi les officiers.

J’espère que nous pourrons au moins nous entendre pour retravailler cet amendement en vue de l’examen du texte en séance publique. Les interventions que j’ai entendues me laissent penser que la féminisation des armées est un domaine dans lequel nous pouvons avancer. Cette question pose aussi celle, importante pour les femmes – mais pas seulement –, de la conciliation entre les contraintes professionnelles et la vie personnelle.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. La féminisation des armées est en effet importante pour notre pays et l’apport de personnel féminin est un atout pour les armées. C’est du reste une question qui est déjà prise en compte depuis quelques années.

J’émets cependant un avis défavorable à cet amendement, dont je propose le retrait afin que vous puissiez le retravailler. L’objectif d’un doublement de la présence des femmes doit en effet être abordé avec précaution, car les personnels féminins sont beaucoup plus nombreux dans certaines fonctions que dans d’autres – je pense en particulier au système de santé des armées (SSA) – et la répartition des grades dépend aussi des fonctions et des spécialités.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Premièrement, il faut comparer le chiffre global de la féminisation des armées non pas avec celui des institutions civiles, mais plutôt avec ceux des armées des autres pays. Sur ce plan, des progrès ont été faits et la France se situe, selon les comptages, entre la troisième la quatrième place.

Deuxièmement, dans la réalité du modèle militaire, l’accès au généralat suppose d’avoir été colonel et, pour atteindre ce grade, d’avoir été préalablement lieutenant-colonel, et ainsi de suite au long du cursus honorum. Il faut donc améliorer le recrutement initial. En l’état du vivier, l’objectif d’un doublement du nombre d’officiers généraux féminins d’ici à 2030 ne peut être atteint. Du reste, le terme même de « général » est imprécis, car un général peut avoir entre deux et cinq étoiles. Il faut donc également travailler sur la situation aux postes sommitaux. Après avoir pu proposer au Conseil des ministres d’attribuer, pour la première fois, la cinquième étoile à une femme officier général, j’espère pouvoir le faire à nouveau prochainement.

Pour en revenir à l’amendement, doubler la part des femmes dans le généralat d’ici à 2030 supposerait d’introduire des logiques de quotas et une réforme de l’École de guerre, c’est-à-dire un modèle entièrement différent. Je suggère de ne pas toucher à l’étape du cursus comprenant le diplôme d’état-major et l’École de guerre, qui concerne le niveau des lieutenants-colonels et colonels, mais de travailler plutôt sur l’amendement proposé par Mme Laetitia Saint-Paul, qui tend à revenir au modèle initial.

Il s’agit surtout d’être à l’écoute des femmes engagées, car certaines de celles qui ont été nommées officiers générales ces dernières années ne sont pas allées au bout de leur engagement, et j’ai demandé à l’une d’entre elles d’identifier les raisons pour lesquelles elles ont anticipé leur départ en deuxième section – ce qui explique du reste que la Cour bouge un peu.

M. le président Thomas Gassilloud. Il s’agit de la générale que notre commission a auditionnée à l’occasion de la journée du droit des femmes.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). La ministre qui vous a précédé a eu le mérite de porter cette question, qui semble aujourd’hui moins mise en valeur. Il serait donc important de réaffirmer dans le rapport annexé les principes relatifs à la féminisation des armées. J’entends certes vos arguments fondés sur le modèle d’armée et l’impossibilité de doubler la part des femmes parmi les officiers généraux d’ici à 2030, et il serait en effet utile de travailler à une autre rédaction pour que le sujet soit abordé en séance publique et que la représentation nationale réaffirme cet objectif – et l’élargisse même à la lutte contre l’ensemble des discriminations.

M. Fabien Lainé (Dem). Pour faire écho à l’amendement que j’ai défendu, je souscris, sur le fond, à l’amendement de Mme Chatelain. Cependant, pour avoir écouté les témoignages de nombreuses femmes militaires sur leur vie et leur progression, je reconnais qu’il est difficile de trouver le juste milieu. En effet, lorsque les premières d’entre elles ont réussi à devenir amirales ou générales, elles ont souffert de nombreuses critiques suggérant que la promotion des femmes avait un caractère politique.

Il importe de fixer cet objectif dans la LPM, moyennant peut-être une réécriture de l’amendement pour éviter d’imposer une contrainte tout en fixant un objectif permettant à la représentation nationale d’accompagner la féminisation des armées. Nous pouvons en effet déjà considérer comme une fierté nationale d’être la troisième armée la plus féminisée au monde.

M. le président Thomas Gassilloud. Je saisis cette occasion de féliciter notre camarade, l’adjudante Clarisse Agbegnenou pour le titre de championne du monde de judo qu’elle vient d’obtenir à Doha. Je constate par ailleurs que le tweet de la Gendarmerie nationale qui annonce cette nouvelle emploie le terme d’adjudante, au féminin, respectant ainsi la loi à la minute même du vote de l’amendement en commission.

L’amendement est retiré.

 

 

Amendement DN210 de Mme Mélanie Thomin.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Il vise à souligner l’objectif de rénovation du parc immobilier et de renforcement des capacités du ministère des armées à attribuer des logements aux personnels militaires. Bien que la crise de l’attractivité des carrières ne puisse se résumer à une raison unique, l’accès au logement apparaît comme un avantage clé et un juste retour face aux contraintes de mobilité propres à la condition militaire. La difficulté de logement des militaires et de leurs familles est une réalité dans les territoires qui abritent nos bases et dans les zones tendues où sont installées certaines d’entre elles. Je pense en particulier à la presqu’île de Crozon, en Bretagne, dans la circonscription dont je suis élue, où le problème du logement est récent et bien réel, mais aussi au sud-est de la France, à Cherbourg ou à la région bordelaise.

L’amendement vise donc à promouvoir le plan « ambition logement », dont le succès a un rôle clé pour renforcer l’attractivité des carrières et améliorer les conditions de vie de nos militaires.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Cette démarche est déjà inscrite à l’alinéa 74 du rapport annexé. En outre, le plan « ambition logement » bénéficiera de 1,3 milliard d’euros de crédits. Vous avez raison d’évoquer cette question, mais je demande néanmoins le retrait de l’amendement.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Même avis de demande de retrait. À défaut, avis défavorable, non sur le fond, mais pour des raisons de forme déjà évoquées.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN505 de M. Jean-Charles Larsonneur.

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Les crèches sont un élément essentiel pour la vie des familles, qu’il s’agisse des civils de la défense ou des militaires de nos circonscriptions. Des expérimentations intéressantes ont été menées, notamment par la 7e brigade d’infanterie de montagne, et le plan « famille » accorde une importance certaine à cet aspect. Allons plus loin en adoptant cet amendement compact et respectueux de l’économie du texte, mais aussi humain.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Nous pourrions ajouter à la liste de Mme Santiago les termes de « crèches » ou de « petite enfance ».

M. Sébastien Lecornu, ministre. Les crèches correspondent à des moyens budgétaires engagés par le ministère. Il faudrait déposer à nouveau cet amendement en séance, en l’accrochant à celui de Mme Santiago en ajoutant les mots « construction de crèches » ou « disponibilité de places en crèche ». Il recevra alors un avis favorable.

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Nous allons donc travailler sereinement à une rédaction adaptée, d’ici à la séance publique,

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN444 de M. Aurélien Saintoul.

Mme Martine Etienne (LFI-NUPES). Monsieur le ministre, dans un tweet du 10 novembre 2022, vous disiez très justement à propos des blessés psychiques de guerre : « À leur combat pour guérir ne doit pas s’ajouter un combat administratif. La reconnaissance de leurs blessures sera simplifiée et accélérée. C’est la juste reconnaissance que nous leur devons. »

L’amendement reprend le dispositif qui, dans la proposition de loi pour une meilleure reconnaissance et un meilleur accompagnement des blessés psychiques de guerre déposée par mon collègue Bastien Lachaud, visait à simplifier les démarches administratives pour ces blessés. En effet, les blessés militaires se trouvent souvent face à un mur administratif lorsqu’il s’agit de faire reconnaître leur situation et d’obtenir la pension à laquelle ils ont droit, et ces difficultés sont encore plus inquiétantes pour les blessés psychiques qui doivent admettre leurs blessures, puis entamer des démarches administratives lourdes. Or la reconnaissance par l’institution de l’existence d’une blessure, aussi immatérielle soit-elle, participe pleinement des soins, voire du processus de guérison. En vue de mettre fin à un parcours administratif long et décourageant, nous proposons que le seul diagnostic d’un médecin du SSA puisse ouvrir un droit à la pension d’indemnisation. Il s’agit d’une mesure de respect et de dignité pour ces femmes et ces hommes, qui répond à l’un des engagements du Gouvernement.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il faut travailler cette question, mais cette précision n’a pas vocation à figurer dans le rapport annexé. Retrait ou avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Sur le fond, j’ai un doute. La secrétaire d’État Patricia Mirallès a présenté aujourd’hui dans ce domaine un plan qui propose de belles avancées. La blessure psychique vaut la blessure physique et un colloque auquel a participé l’ancien ministre Jean-Marie Bockel a d’ailleurs permis récemment à de très nombreux experts de s’exprimer sur cette question majeure.

Pour avoir vu toutefois de nombreux blessés de nos armées, il me semble que l’absence de diagnostic ne va pas dans le bon sens. Par définition, il faut détermine le taux d’invalidité, ce qui relève d’un médecin du service de santé des armées. Or ce n’est pas le sens que je vois à cet amendement. Du reste, le fait d’inscrire cette mention dans le rapport annexé ne lui donnerait pas de caractère normatif. Je demande donc le retrait de l’amendement pour mieux le comprendre avant de l’examiner à nouveau en séance et, le cas échéant, rédiger un véritable article normatif. Sur le fond, toutefois, je ne suis pas convaincu.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Monsieur le ministre, vous aurez mal lu. L’amendement prévoit en effet que le lien au service est établi « par le seul diagnostic médical du service de santé des armées » : il s’agit précisément de passer par-dessus un élément de la procédure administrative consistant à établir le lien entre la blessure et le service, homologation qui était une sorte d’Himalaya pour les victimes, entravées dans la plupart de leurs gestes du quotidien. Nous avons donc conçu un dispositif qui enclenche la procédure d’indemnisation dès que le diagnostic médical est posé par le service de santé des armées. Nous avons été très vigilants dans l’établissement de cette procédure. Peut-être jugez-vous qu’elle n’a pas sa place dans le rapport mais, si tel est le cas, nous avons déjà perdu assez de temps : permettez-nous de déposer à nouveau un amendement dans la partie législative et assurez-nous que le gage sera levé, pour éviter qu’il ne soit rejeté au titre de l’article 40 de la Constitution.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il ne faut pas shunter pour autant le comité des experts après l’avis des médecins. La question était celle de la durée des procédures, car les comités d’experts ont eu longtemps du mal à reconnaître l’existence des blessures psychiques. Nous assistons aujourd’hui à un renversement dans le traitement de cette question, pilotée à un haut niveau du SSA.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Il n’est pas indispensable de « shunter » le comité des experts. Nous voulons nous assurer que le patient ne soit pas obligé de se présenter plusieurs fois, car chaque présentation est pour lui une épreuve. Un comité des experts pourrait donc fort bien se prononcer sur dossier ou sur témoignage de tiers. Il n’y a là aucun risque de fraude.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je vais demander que l’on étudie cette question afin de voir ce qui est possible. Je ne suis, du reste, pas même certain que cette question relève de la loi.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). L’amendement est retiré pour être à nouveau déposé lors de l’examen du texte en séance publique. Nous souhaiterions néanmoins un engagement sur sa recevabilité au titre de l’article 40 de la Constitution.

M. Sébastien Lecornu, ministre. J’ai vraiment besoin de savoir ce qu’il en est.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Mais alors, en amont du dépôt de l’amendement pour la séance publique.

L’amendement est retiré.

 

 

 

Amendement DN464 de M. Bastien Lachaud.

Mme Martine Etienne (LFI-NUPES). Parmi l’ensemble des blessures auxquelles sont potentiellement exposés les soldats, la blessure psychique a un statut particulier du fait de la nature des affections qu’elle cause, mais aussi de la relative nouveauté de sa prise en compte. Elle n’est plus aujourd’hui l’objet d’un tabou : le service de santé des armées se mobilise pour prendre en charge ce type de blessures et les maisons Athos permettent la réhabilitation psychosociale des militaires blessés psychiques.

Nous souhaitons renforcer ce dispositif. En effet, les nouveaux modes de conflit, leur intensification et la levée croissante des tabous sur les blessures psychiques ont pour effet d’augmenter le nombre des blessés qui se reconnaissent comme tels et qui auraient donc besoin de ce dispositif. L’amendement vise ainsi à sanctuariser dans le rapport la volonté de construire autant de maisons Athos que nécessaire pour assurer une place à toutes celles et ceux qui en auraient besoin.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. La secrétaire d’État Patricia Mirallès a dévoilé un plan d’accompagnement des blessés et de leurs familles qui prévoit l’ouverture de dix maisons Athos d’ici à 2030. J’ai moi-même eu l’occasion d’en inaugurer une le 27 avril dernier à Pluneret, près d’Auray. Ce dispositif est efficace et l’accueil s’y fait très bien. Il faut certes multiplier ces maisons mais l’objectif d’en avoir dix, dont une ou deux en Outre-mer, satisfait l’amendement, dont je demande donc le retrait. Continuons à travailler sur cette question.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Nous portons en effet de quatre à dix le nombre de maisons Athos, qui sont d’ailleurs un élément du renforcement des antennes des services de santé de l’armée en région. C’est là l’un des rôles du service de santé des armées, en fonction du degré de la blessure ou du moment de la prise en charge du patient.

Je demande donc le retrait l’amendement, car l’effort qu’il prévoit figure déjà dans le cadre de la LPM. Du reste, nous n’en sommes qu’au début de l’aventure, car nous n’aurions pas pu avoir cette conversation voilà quelques années.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Il est un peu regrettable que la présentation publique d’un programme aussi important ait lieu le deuxième jour de l’examen de la LPM en commission, car elle aurait pu avoir lieu en amont. Nous avons le sentiment d’être « shuntés », et c’est un peu frustrant. Nous retirons néanmoins l’amendement, dans l’attente peut-être de relancer la discussion pour affiner l’examen de cette question.

L’amendement est retiré.

 

 

Amendement DN250 de Mme Mélanie Thomin.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Il vise à mettre en lumière la situation d’incertitude que connaît le service de santé des armées, qui n’a pas échappé, ces dernières années, à des restructurations.

Monsieur le ministre, vous vous étiez prononcé, en juillet dernier, en faveur d’un investissement majeur dans le service de santé des armées à l’occasion de la LPM. Lors des débats sur le projet de loi de finances pour 2023, vous aviez exprimé le vœu d’une feuille de route entièrement nouvelle. Malheureusement, le SSA apparaît peu dans ce rapport – sans doute en raison d’un souci de synthèse dont je vous sais gré.

Le rôle que jouent le SSA auprès des armées et le maillage territorial qu’il assure est pourtant essentiel pour les populations tant militaires que civiles. L’amendement tend donc à inscrire le cap de la transformation du SSA que vous annonciez à l’automne dernier et à laquelle nous pouvons souscrire si elle pérennise les moyens et l’excellence de ce service.

Dans une période de crise pour l’hôpital public et, plus globalement, pour l’accès aux soins, nos hôpitaux militaires et le SSA représentent une offre de soins et un accès aux soins complémentaires pour les civils et les militaires.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Le service de santé des armées s’adapte et se transforme, comme toute organisation. Ses moyens seront préservés et sa carte territoriale ne changera pas, comme l’avait du reste précisé M. le ministre le 5 avril dernier. Il n’y aura donc pas de fermeture du SSA en régions. S’ajoute à cela l’acquisition des deux hôpitaux de campagne, ce qui n’est pas négligeable. L’amendement étant plutôt satisfait, j’en demande le retrait.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je suis favorable à l’ajout de quelques lignes relatives au SSA dans le rapport annexé, car cela relève vraiment de la vie des forces et de notre modèle d’armée. Sur la forme, il me semble que, plutôt que dans l’alinéa relatif aux blessés, elles devraient s’insérer dans la partie 2.3, intitulée « La préservation de la cohérence du modèle par des soutiens renforcés », car c’est bien le soutien interarmées le plus évident.

Il convient aussi de souligner, car on l’oublie trop souvent, qu’il s’agit d’un soutien sanitaire apporté aux forces et d’une médecine de combat. Peut-être pourrions-nous donc travailler à une nouvelle rédaction en vue de la séance publique.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Pouvons-nous envisager un sort favorable à cet amendement s’il est réécrit ?

M. Sébastien Lecornu, ministre. Tout à fait. À dire vrai, mon cabinet en a même déjà élaboré une nouvelle rédaction. Je le répète, ces éléments doivent être intégrés au bon endroit, c’est-à-dire là où il est question de soutien interarmées, car le SSA a besoin de voir qu’il est considéré comme un service de combat, et non pas comme un service qui pourrait pallier les difficultés de l’hôpital de ville – même s’il le fait ! – et d’être habilité et réhabilité dans la première de ses missions. Je n’ai pas le temps ici de décliner à nouveau les moyens financiers consacrés dans la LPM au service de santé des armées dans la période qui s’ouvre.

En tout cas, nous pouvons, si vous le souhaitez, travailler à tout cela avec le rapporteur.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Je veux bien m’y atteler. Certes, c’est une médecine de combat. Il y a toutefois un sens à ce que nos hôpitaux militaires complètent l’offre de la médecine de ville et l’accès aux soins pour toute une population – c’est ce que fait notamment, en cœur de ville, l’hôpital Clermont-Tonnerre de Brest.

M. Sébastien Lecornu, ministre. C’est aussi, et on ne le dit pas assez, l’hôpital qui permet la permanence de la dissuasion nucléaire, car il est clairement imbriqué dans le contrat opérationnel de la dissuasion. Il faut expliquer pourquoi les services sont implantés là où ils le sont.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN506 de M. Jean-Charles Larsonneur.

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Sur la base de très nombreuses remontées de terrain, cet amendement porte sur le parcours des blessés psychiques et l’accompagnement du stress post-traumatique. Je salue l’action du SSA, en particulier à l’hôpital Clermont-Tonnerre. Quant aux maisons Athos, elles prennent de l’ampleur, ce qui est très bien, mais il semble qu’en fonction de la localisation des installations du SSA ou des hôpitaux et des parcours des victimes de blessures psychiques, la couverture ne soit pas assurée partout.

Cet amendement, dont la rédaction n’est peut-être pas tout à fait aboutie, porte néanmoins sur la question de fond de la grande inégalité géographique qui prévaut dans l’accès à un psychiatre. Peut-être faudrait-il donc construire une continuité entre le SSA et la psychiatrie libérale dans le cadre d’un parcours de soins intégré.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Vous soulignez à juste titre que l’accès aux maisons Athos n’est pas toujours facile. En 2021, ces maisons n’existaient pas ; nous en avons quatre aujourd’hui et en aurons dix en 2030. Il faut insister pour qu’elles soient plus nombreuses et géographiquement plus proches. Elles seront également le point de départ d’un réseau de professionnels qui permettra d’aider nos blessés.

Votre amendement soulève une question importante, mais qui n’a pas lieu de figurer dans le rapport annexé. Il faut néanmoins poursuivre la réflexion en la matière et veiller à l’évolution des maisons Athos.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Monsieur Larsonneur, vous avez vous-même reconnu que cet amendement pourrait être mieux travaillé.

Il existe pour les armées une ligne rouge : dès lors qu’un diagnostic médical induit une modification statutaire pour le combattant, il doit être posé par un médecin militaire – c’est le principe même de l’existence d’un service de santé des armées. On pourrait, en revanche, distinguer de ce principe les soins de suite, pour lesquels un médecin militaire n’est pas toujours disponible.

Je demande, en tout cas le retrait de l’amendement en l’état. Ce sujet n’a pas sa place dans le rapport annexé mais nous pourrions néanmoins le traiter avec le service de santé des armées. Je demanderai au patron de celui-ci d’étudier avec vous les cas concrets qui pourraient exister dans la région dont vous êtes élus.

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Il s’agissait en effet d’un amendement d’appel destiné à ouvrir une réflexion sur les parcours de soins. Je le retire donc afin de le retravailler avec le ministère dans un esprit constructif.

L’amendement est retiré.


Lien vidéo : https://assnat.fr/KYQHtj

 

M. le président Thomas Gassilloud. Nous poursuivons l’examen de l’article 2 et du rapport annexé.

 

Article 2 : Approbation du rapport annexé (suite)

 

Rapport annexé (suite)

 

Amendement DN79 de M. Raphaël Gérard.

M. Jean-Marie Fiévet (RE). Le cadre réglementaire évaluant les inaptitudes physiques à exercer certaines fonctions interdit à toute personne séropositive de s’engager dans une carrière militaire. Cette interdiction systématique nous paraît discriminatoire, car elle ne tient pas compte des évolutions médicales et scientifiques. Il faut se battre contre le sida, pas contre les malades.

Nous saluons la démarche entreprise par le ministre des armées, en concertation avec les associations de lutte contre le VIH, en particulier Aides, afin de réviser les coefficients associés au VIH dans le référentiel Sigycop et de mettre un terme aux mesures d’exclusion systématique. Cette initiative témoigne de l’engagement sans faille du Gouvernement et de la majorité dans la lutte contre tout type de discrimination, notamment la sérophobie et en raison de l’état de santé. Sont concernés les militaires des armées de terre, de l’air et la marine mais aussi les gendarmes, les pompiers de Paris, de Marseille et les sapeurs-sauveteurs de la sécurité civile.

Le ministre des armées peut-il nous donner plus de précisions sur les contours de l’arrêté qui sera pris dans les prochains jours ? Je retirerai ensuite mon amendement.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je laisse le ministre s’exprimer sur cet amendement issu d’un travail collectif.

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées. L’arrêté est signé et publié.

Je salue le travail qui a été mené avec les différentes associations, dont Aides, qui ont relayé la parole des marins-pompiers de Marseille, des sapeurs-pompiers de Paris et des gendarmes.

Le service de santé des armées a longtemps tenu à prendre des précautions pour les opérations extérieures (Opex) – des chutes d’immunité étant notamment possibles –, mais tel n’est plus le cas grâce aux nouveaux protocoles thérapeutiques. Désormais, être atteint du VIH ne constitue plus un obstacle par principe pour intégrer les armées.

L’amendement est retiré.

 

L’amendement DN645 de M. Fabien Lainé est retiré.

 

Amendement DN976 du Gouvernement.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il vise à préciser le contenu des colonnes du tableau capacitaire présenté dans le rapport annexé et dispose : « À la différence de la loi de programmation militaire pour 2019‑2025 qui présentait des échéanciers de commandes et de livraisons, sont ici présentés les parcs d’équipement effectivement en dotation dans les forces aux différentes dates considérées. »

Certains d’entre vous ont fait valoir que la comparaison des tableaux était difficile. La présentation, en 2018-2019, reposait sur des jalonnements d’objectifs ou sur les passations de commandes. Je préfère que l’on raisonne à partir des parcs d’équipement, c’est-à-dire du matériel dont disposent nos forces.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis favorable.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Je comprends la logique de cet amendement puisque la loi de programmation militaire (LPM), nous en sommes bien d’accord, ne doit pas simplement permettre aux industriels de disposer d’une certaine visibilité, mais je me demande s’il n’y a pas anguille sous roche puisque nous ne disposerons d’aucune information sur la disponibilité effective des matériels.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je suis conscient des troubles que peuvent susciter la lecture du rapport annexé et les comparaisons qui peuvent être faites.

Parler de « vœux de commandes » n’est pas approprié. Les représentants de la nation doivent pouvoir connaître l’état réel des forces et des parcs d’équipement.

La disponibilité effective de tel ou tel équipement, cependant, ne peut pas figurer dans un rapport annexé, sauf s’il s’agit de cibler des objectifs en pourcentage. Elle dépend essentiellement du maintien en condition opérationnelle (MCO), de la disponibilité des pièces détachées ou des équipages. Le durcissement et la cohérence dont le chef d’état-major des armées (Cema) et les trois chefs d’état-major ont pu vous parler à maintes reprises sont liés au « syndrome hélico » : il faut compter avec le parc théorique – ceux que nous devons acheter –, le parc physique – ceux dont nous disposons –, et le parc des hélicos qui volent vraiment. Ce sont eux qui doivent nous intéresser, tout en tenant compte du secret-défense.

Le Gouvernement présentera un autre amendement en séance publique lié à d’éventuelles nouvelles annonces d’aide à l’Ukraine par du matériel plus ancien qui serait retiré plus rapidement à nos forces. Je vous en ferai part dès que les décisions seront prises.

Le rapport annexé peut être encore modifié puisque des négociations commerciales menées par la direction générale de l’armement (DGA) sont en voie d’achèvement favorable, en particulier dans le domaine satellitaire mais aussi s’agissant du standard Rafale F5.

Je vous prie de m’excuser à propos des coquilles concernant le système de drones tactiques (SDT) Patroller et le système de drone aérien pour la marine (Sdam). Elles seront corrigées.

Des amendements rédactionnels seront également défendus s’agissant, par exemple, des frégates de défense aérienne (FDA).

Enfin, j’aurai l’occasion de revenir sur les raisons des choix opérés, en mettant en regard le tableau des contrats opérationnels et le tableau capacitaire.

M. Frank Giletti (RN). Saurons-nous ce qu’il en est de la disponibilité technique opérationnelle (DTO) des matériels, comme vous vous y êtes d’ailleurs engagé, afin que nous puissions évaluer l’état de nos forces ?

M. Sébastien Lecornu, ministre. La disponibilité technique (DT) est classifiée. Faire état de la disponibilité du matériel reviendrait aussi à la donner à ceux qui ne nous aiment pas. Est-il possible de se référer à des agrégats afin que vous puissiez y voir plus clair ? Je n’y vois pas d’inconvénient, d’autant plus que le durcissement concerne des points qui ne sont pas toujours évidents, comme les pièces détachées ou la MCO.

Je suis contrarié de ne pas pouvoir faire état de tous les chiffres puisque nous avons réalisé de grands efforts depuis deux ans. Dès 2027, les disponibilités seront très sensiblement différentes, comme le démontrera la visite des forces.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Je m’interroge, comme M. Giletti, mais je me permets de vous conseiller la lecture d’un livre de l’amiral Woodward, One hundred days, commandant les forces britanniques lors de la guerre des Falklands : sa connaissance de la DTO lui a permis d’organiser son dispositif afin de mesurer l’ampleur des raids que la flotte britannique pouvait subir. S’il est possible d’avoir un agrégat, c’est très bien, mais je comprends aussi parfaitement les enjeux de sécurité et de confidentialité.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Il est tout à fait possible de présenter à la fois un échéancier des commandes et un état du parc physique.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Sur le tableau capacitaire, la colonne « Parc horizon 2035 » fournit tout de même des indications.

S’agissant des choix de certaines technologies, il convient de garder une part de souplesse dans un contexte où les bonds technologiques sont considérables. Ce que les uns ou les autres ont pu qualifier de renoncement permet parfois d’éviter d’être « has been » au moment de la livraison.

Cet amendement est rigoureux et transparent. La LPM « sortante » comprenait des colonnes mentionnant simplement des « commandes pendant la période ». Comment les parlementaires que vous êtes pouvaient-ils s’y retrouver ?

La commission adopte l’amendement.

M. le président Thomas Gassilloud. Nous en venons à deux amendements en discussion commune.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). En fait, ils sont identiques, Monsieur le président. Notre amendement DN445 comporte une coquille puisque nous visions la troisième colonne du tableau. Nous le rectifions et il sera ainsi identique à l’amendement DN147.

 

Amendements identiques DN147 de M. Frank Giletti et DN445 rectifié de M. Aurélien Saintoul.

M. Frank Giletti (RN). La loi de programmation militaire supprime le troisième satellite Syracuse IV dont l’armée de l’air et de l’espace allait disposer à l’horizon 2030. Cela se fera-t-il au profit de la constellation Iris ? Si oui, comment le justifier ? Le rapport annexé ne dit rien à ce propos, alors que Syracuse IV résiste mieux aux attaques et aux agressions militaires depuis le sol et l’espace. De même, il peut offrir aux armées des télécommunications très sécurisées et résilientes.

Alors que ce troisième satellite répondait aux besoins des plateformes aéronautiques formulés dans la LPM 2019-2025, un tel choix paraît inopportun, surtout lorsque l’espace constitue un enjeu plus que jamais stratégique et alors que la France a accumulé un retard considérable par rapport à ses partenaires et à ses adversaires dans ce domaine.

Cet amendement vise à annuler l’abandon du troisième Syracuse IVC.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Il est évident qu’il ne faut pas revenir sur ce projet de troisième satellite Syracuse IV. Selon Xavier Pasco, spécialiste de politique spatiale, les satellites Syracuse montrent que « la France reste une puissance peut-être moyenne en matière spatiale, mais dont l’étendue d’action reste internationale ».

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. La mise en orbite du troisième satellite Syracuse IV n’a pas été jugée fondamentale. Comme l’a rappelé le chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace lors de son audition, « mettre tous nos objets sur orbite géostationnaire serait à mon sens dangereux ». Demande de retrait ou avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. En matière de stratégie de télécommunications militaires, nous vous proposons un léger changement de pied.

Les systèmes Syracuse III et Syracuse IIIB utilisent des satellites géostationnaires, à 36 000 kilomètres. La charge utile française Sicral 2, intégrée sur un satellite réalisé en coopération avec l’Italie, fait partie intégrante de Syracuse III. Demain, nous disposerons du Syracuse IVA et, depuis Kourou, nous enverrons par Ariane 5 le Syracuse IVB, qui, lui aussi, sera opérationnel en 2024.

Deux choix s’offrent à nous.

Nous partons du principe que la militarisation de l’espace est particulièrement préoccupante. Ces « grosses bêtes » géostationnaires sont robustes et nous permettent d’avoir des télécommunications très sécurisées et souveraines, mais elles peuvent aussi être attaquées. Le commandement militaire nous propose donc de lancer les études sur le Syracuse V pour 2035. Cela ne figure pas dans le rapport annexé, mais une partie de nos budgets y sera affectée afin que ce système soit encore plus robuste, qu’il puisse supporter des débits encore plus importants et communiquer avec des aéronefs très rapides comme l’Airbus A330 MRTT. Ce sont là trois sauts technologiques essentiels.

Une autre piste – sans que nous sachions encore avec qui nous le ferions – serait, plutôt que de lancer un troisième satellite volumineux dans l’espace, de recourir à une multitude de petits satellites sur une orbite différente afin de pouvoir doubler nos télécommunications moins critiques. De plus, en cas d’incident sur un satellite volumineux, un tel système de subsidiarité permettrait de passer par les satellites de courte orbite – le système Kuiper repose sur une constellation de 3 200 petits satellites.

Deux satellites souverains, géostationnaires, patrimoniaux, franco-français suffisent donc, mais il est préférable, d’une part, de lancer les travaux pour le Syracuse V et, d’autre part, d’opter pour les constellations multiples. Là est le pivot technique imaginé par les armés. Si nous ne le faisons pas, vous serez fondés, dans cinq ans, à nous reprocher d’avoir raté les constellations d’orbite basse comme nous avons raté les drones. Ce n’est donc pas un renoncement mais une affectation différente de nos budgets.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). D’une certaine façon, nous avons déjà raté les constellations. En 2020, nous vous disions qu’il était possible de racheter OneWeb pour 1 milliard et le Gouvernement n’a jamais répondu. Aujourd’hui, nous dépendrons d’une solution, non pas française, mais européenne, non souveraine. Avez-vous des garanties sur la présence de « boîtes noires » souveraines françaises pour nos armées ?

En outre, la moindre des choses serait d’inscrire Syracuse V dans la LPM.

M. Sébastien Lecornu, ministre. L’entreprise britannique, française et italienne MBDA est exemplaire s’agissant de ces « niches de souveraineté ». Son modèle me semble utile et consensuel. Nous souhaitons disposer d’une industrie comparable.

Je suis ouvert à l’idée de mentionner Syracuse V dans le rapport annexé.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). J’entends les efforts du ministre pour obtenir une « niche de souveraineté » mais il n’a aucune garantie sur leur effectivité, la Commission européenne ayant la main sur le choix de l’industriel. Je maintiens donc mon amendement en attendant d’avoir plus de précisions et que Syracuse V soit inscrit dans le marbre de la loi.

La commission rejette les amendements.

 

Amendement DN467 de M. Bastien Lachaud.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). D’un point de vue capacitaire, je note nombre de renoncements pour tenir les cibles.

La précédente LPM indiquait qu’en 2030, les armées recevraient 169 hélicoptères interarmées légers (HIL) et cette LPM en prévoit désormais vingt. J’ai bien compris qu’il s’agit de commandes mais nos armées ont besoin de renouveler une flotte qui date des années 60 et 70 et il devrait être possible de procéder plus rapidement. Je ne suis pas certain que l’industriel puisse produire les 169 appareils à cette échéance puisque le HIL n’est toujours pas en production mais je pense qu’il peut en produire plus de vingt. Nous proposons que ce soit « au moins soixante-dix ».

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Ce programme HIL, lancé il y a deux ans, vise une production de 169 appareils sur une dizaine d’années, les vingt premiers étant livrés d’ici 2030. Le nombre total d’appareils de la gamme léger-médian sera stable durant toute la phase de biseau. Accélérer la cible reviendrait donc à remettre en cause l’équilibre d’ensemble de la programmation. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Le rapport annexé de 2019 avec ses « commandes sur la période » montre combien l’amendement DN976 du Gouvernement est nécessaire.

Le HIL n’est pas encore en production, en effet, ce qui montre bien que les 169 appareils n’ont pas été prévus pour 2030. Un comité ministériel d’investissement (CMI) de 2021 ou 2022, avec Florence Parly, a acté la commande des 169 appareils, le Parlement ayant voté plus de 2,2 milliards d’autorisations d’engagement.

Le nombre de HIL soulève les mêmes questions budgétaires : faut-il aller au-delà des 413 milliards de crédit ou réduire d’autres lignes budgétaires ?

J’ajoute que ce n’est pas la seule ligne budgétaire consacrée aux hélicoptères et que nous devons avoir un regard global. Un effort particulier a été réalisé pour les forces spéciales (FS), pour lesquelles les hélicoptères sont décisifs.

La cible de vingt HIL me semble correcte. Je n’abuserai pas de la clause de revoyure de 2027-2028 mais, selon la capacité de production et les enjeux financiers, des observations seront possibles.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN721 de M. Jean-Louis Thiériot.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). On est sérieux ou on ne l’est pas. Si on l’est, on essaie de faire en sorte que l’édredon rentre dans la valise. Nous aurions certes préféré que celle-ci soit plus grande mais ce n’est pas à nous, parlementaires, de faire le boulot des états-majors. Une loi de programmation militaire est un mikado très compliqué et tout peut très vite être chamboulé. Notre groupe proposera les amendements les plus réalistes possible, qui ne déséquilibreront pas l’ensemble de la programmation.

Celui-ci résulte de la mission flash sur la défense sol-air en France et en Europe que nous avons menée avec Natalia Pouzyreff. Toutes les personnes que nous avons entendues nous l’ont confirmé : nous avons besoin d’une défense missile – je me félicite que le rapport annexé fasse état des vingt-quatre Serval Mistral – et d’une artillerie sol-air permettant d’intercepter des drones ou de faire face à des attaques saturantes. Je souhaiterais qu’une nouvelle ligne les mentionne, sans faire état d’un nombre de pièces précis.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. C’est un sujet que vous connaissez bien, puisque vous y avez consacré un rapport. Vous avez posé la question au DGA, qui nous a rassurés en nous disant qu’une instruction était en cours. Par conséquent, il serait peut-être prématuré de faire un choix. Demande de retrait.

M. Sébastien Lecornu, ministre. C’est un point très important dans notre capacité de projeter une division de deux brigades de manière complète. Pour l’armée de terre, il y a la couverture Serval, dans ses deux composantes, les canons et les missiles Mistral. À cela s’ajoute le Jaguar, dans une version adaptée aux munitions spécifiques à la défense sol-air.

Sur le fond, l’amendement est satisfait. Si vous estimez néanmoins qu’il faut compléter en séance le rapport annexé pour tenir compte des travaux du Parlement – j’assume qu’il n’y ait pas de nouveau Livre blanc, car j’ai donné pour instruction qu’on reprenne l’ensemble des rapports parlementaires disponibles sur étagère –, je suis prêt à le faire pour montrer que la question est traitée et qu’elle fait partie des chantiers de transformation.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN220 de Mme Isabelle Santiago.

Mme Isabelle Santiago (SOC). Cet amendement concerne les capacités de chars de combat rénovés. Le Livre blanc de 2013 avait fixé l’horizon à 2025, notamment dans le cadre du programme Scorpion. À l’époque, l’armée de terre devait être structurée autour de 200 chars lourds, les Leclerc, de 248 chars médians et de 2 700 véhicules blindés multirôles. Depuis, les arbitrages rendus n’ont fait que décaler les cibles : de 2025, nous allons passer à 2035. Nous souhaitons que l’objectif soit de rénover 200 chars d’ici à 2030.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il s’agit simplement d’un décalage dans le temps : 200 chars Leclerc seront bien rénovés d’ici à 2035.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Un rapport annexé comme celui-ci ne permet pas de montrer le lien entre le tableau des contrats opérationnels, que nous avons examiné hier très rapidement, et le tableau des capacités.

La cible de 200 chars Leclerc est confirmée. La LPM de 2018 prévoyait 200 chars rénovés, soit 100 % du parc. Je vous propose 80 % de rénovation, c’est-à-dire 160 chars, et 20 % de chars non rénovés. Nous avons, je le rappelle, trois régiments de cavalerie blindée – à Verdun, Olivet et Mailly-le-Camp –, ce qui représente globalement trois fois soixante chars, et il y a aussi des chars Leclerc aux Émirats arabes unis.

On ne peut pas détacher le parc global, organique, de ce que nous souhaitons en matière de projection. La vraie transformation de cette LPM, et elle est majeure, c’est d’être capables de projeter seuls une division, de deux brigades, de l’armée de terre au complet, toutes fonctions comprises – soutien, service de santé et stocks de munitions. Jusqu’à présent, on a diminué les moyens des armées en essayant de conserver une cohérence. Nous devons maintenant essayer de gérer leur croissance. Dans cette perspective, soit on travaille sur la cohérence organique, soit on part de la possibilité d’envoyer, si le Président de la République ou le Parlement le décide, un corps expéditionnaire, ce qui représente un niveau de mobilisation important – peu de pays sont capables, en Europe et dans l’Otan, d’envoyer une division –, en raisonnant à coûts complets.

Cet objectif de pouvoir déployer une division, c’est-à-dire deux brigades et deux régiments de chars Leclerc, comprenant chacun soixante chars, a pour horizon 2027. Quand on part de la projection, la question est de savoir pour quelles guerres et pour quelles missions. Il n’y aura pas forcément un accord avec les parlementaires qui sont contre la dissuasion nucléaire – quand on n’en a pas, il faut un parc conventionnel différent. Par ailleurs, si on veut aller au-delà d’une division projetée, ce qui est énorme, il faut expliquer à quoi cela servirait, pour quelle guerre et pour quel emploi. Je précise à ce sujet que les chars Leclerc n’ont été déployés que deux fois : au Kosovo et au Liban – quinze chars, qui n’ont jamais tiré, dans le premier cas, et treize chars dans le second cas.

Il faut également avoir en tête, s’agissant du rythme de rénovation, le tuilage à venir avec le char du futur. Il faudra en établir le portrait-robot d’ici à 2027-2028 – on verra à quelle échéance le Parlement fixe la revoyure.

Ce que je vous propose, c’est de la cohérence et non un renoncement. Il s’agit d’être capable de rénover à l’horizon 2027 l’ensemble des chars Leclerc nécessaires pour armer une division de deux brigades. On ralentit un peu la rénovation, car c’est la capacité de mettre les chars sur le terrain qui compte. En même temps, on réfléchit à ce que sera le char du futur et à la rénovation des 20 % restants. Pour moi, ils seront aussi rénovés, parce que le char du futur arrivera plus tard : la fin de la rénovation devrait avoir lieu au début des années 2030.

L’autre pari que la représentation nationale peut faire, mais ce n’est pas ce que je lui propose, c’est de préférer la cohérence organique, d’une façon peut-être plus scolaire, ce qui n’est pas péjoratif, et donc de se détacher de la cohérence opérationnelle.

Toutes celles et ceux qui ont assisté à Orion récemment ont vu ce que sont une division et un état-major de division projetés. Mon pari, et j’espère que j’arriverai à vous convaincre de me suivre, c’est d’arrêter de partir des tableaux pour se réintéresser plutôt à ce que sont la réalité et la finalité militaires. C’était d’ailleurs un peu le sens de la question de M. Lachaud hier soir au sujet des réservistes.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN446 de M. Aurélien Saintoul.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Vous nous plongez dans une forme d’incertitude en restant au milieu du gué. Je comprends votre raisonnement au sujet des conséquences, mais vous renoncez, d’une certaine façon, à un appareil intermédiaire : on attendra le MGCS – système principal de combat terrestre. Or, entre le char Leclerc d’aujourd’hui, sa version prolongée de 2050 et le char du futur, il y a une place pour autre chose. Mais, puisque la question n’est pas explicitement posée dans le texte, nous ne soutenons pas, pour l’instant, l’idée d’un char intermédiaire, d’un gap filler.

Cela suppose de ne pas rester au milieu du gué pour la rénovation à l’horizon 2030. Notre amendement propose de maintenir un objectif de 180 chars rénovés à cette date. Je comprends que ce chiffre vous pose un problème de cohérence avec ce que vous proposez en matière de projection, mais nous pourrons revenir sur ce point, et il ne faut pas oublier la question de continuité pour les industriels.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Tout a déjà été dit. Demande de retrait ou avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. La rénovation représente aussi de l’activité pour l’industriel et, en outre, on ne produit plus de chars Leclerc. Ajoutons à cela que le Jaguar entre dans la danse : c’est une nouveauté intéressante. Enfin, je le répète, il faut partir de la capacité à projeter deux brigades, soit deux fois soixante chars.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN523 de M. Jean-Charles Larsonneur.

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Un parlementaire cohérent, sérieux et a fortiori de la majorité, adopte évidemment une vue d’ensemble et reconnaît la cohérence globale du texte. Vous proposez 413 milliards d’euros, et pas 450 ou 460 milliards. Dès lors, certains amendements prennent la forme d’études visant à se ménager des possibilités pour l’avenir. Mon amendement porte ainsi sur la capacité de la France à monter en puissance si nécessaire, notamment dans la perspective d’un renforcement de notre crédibilité dans le cadre d’un pivot à l’Est.

Je tiens à souligner la cohérence de la maquette d’ensemble pour les questions relatives à l’armée de terre. Ce que vous avez dit au sujet de l’objectif de cohérence opérationnelle avec la division et les deux brigades projetées était parfaitement clair, et je pense aussi au durcissement, à la densification de nos brigades en matière de défense sol-air, de capacités d’artillerie, d’appui feu et de soutien, ce qui me paraît tout à fait essentiel.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Demande de retrait ou avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je suggère aussi de retirer cet amendement. La passion des chars, c’est bien, mais il y a également, dans la copie qui vous est présentée, toutes les nouveautés qui participent à la cohérence globale de l’armée de terre.

Je redonne les chiffres : si on projetait 120 chars, comme nous pourrons le faire, ce serait déjà parce qu’il se passerait des choses très graves.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Notre collègue ne doit pas s’excuser d’être d’accord avec l’opposition. Nous avons grosso modo le même raisonnement, ce qui est intéressant : c’est plutôt le signe que la discussion avance bien. Nous voterons pour cet amendement, parce qu’il est cohérent avec ce que nous défendons. Ne vous inquiétez pas : nous sommes sérieux, nous aussi.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Il y a également le sujet des coopérations européennes et du projet EMBT – Enhanced Main Battle Tank –, dont on sait qu’il pose beaucoup de questions. Mener une étude me paraît plutôt une bonne idée. Nous voterons en faveur de cette proposition.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN85 de M. Laurent Jacobelli.

M. Laurent Jacobelli (RN). Si l’on peut tirer un enseignement de la guerre en Ukraine, c’est que les chars sont vulnérables. Selon le site de renseignement en sources ouvertes Oryx, à peu près 1 500 chars auraient été détruits en tout, des deux côtés, au cours de cette première partie de la guerre.

Nous savons qu’il existe plusieurs systèmes de protection des chars : ce qu’on appelle le soft-kill empêche le véhicule d’être détecté, tandis que le hard-kill, plus actif, détecte et intercepte les projectiles. Puisque nous devons prendre soin de nos chars, qui sont assez rares, nous souhaitons qu’un tel système de protection active soit intégré à la LPM. Il est tout à fait possible de le faire grâce à une solution souveraine, puisque la DGA a annoncé en janvier 2023 avoir conduit des tests d’un système de protection de ce type dans le cadre d’un projet de technologie de défense nommé Prometeus.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. C’est effectivement un sujet très important. Il faut toujours penser, quel que soit le système blindé, aux munitions, au MCO, au soutien et à la protection active. Un véritable travail est mené dans ce domaine, comme la DGA nous l’a indiqué à la suite de votre interpellation. Néanmoins, il faut faire attention à ne pas graver trop tôt les choses dans le marbre, car les évolutions technologiques vont très vite, en particulier dans ce domaine. Gardons de la souplesse et de l’agilité : j’émets un avis défavorable, sauf si vous retirez l’amendement.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Quand on parle de cohérence, cela vaut aussi dans ce domaine. Nous allons changer d’époque : on a commandé les MRTT – avions multirôles de transport et de ravitaillement – avant de se préoccuper de savoir quand on y mettrait des systèmes de brouillage, et c’est également vrai pour les frégates. Afin de pouvoir durcir très vite, il faut revenir à des considérations forcément quantitatives. Il vaut mieux avoir une division complètement équipée, y compris en modules de protection, que de mettre ces derniers un peu partout sans cohérence organique.

Par ailleurs, la DGA estime à juste titre que la priorité n’est pas nécessairement les chars, mais plutôt les Griffon, qui sont souvent les premiers à avancer, pour le transport de troupes ou le génie.

Enfin, si on commence à inscrire dans le rapport annexé tous les modules, de brouillage, de protection, de télécommunications ou de radio – il y en a beaucoup sur les frégates, le porte-avions et les avions de chasse –, j’ai peur qu’on aboutisse à un résultat encore moins lisible. Pourquoi mentionnerait-on le système de protection active et non celui de brouillage sur les frégates ? Je suis donc plutôt réservé, mais s’il vous faut des engagements, y compris par écrit, j’y suis prêt.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements DN222 de Mme Isabelle Santiago et DN466 de M. Bastien Lachaud (discussion commune).

Mme Isabelle Santiago (SOC). Notre amendement vise à faire repasser le nombre de véhicules Jaguar de 200 à 300 à l’horizon 2030.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Une fois n’est pas coutume, nos camarades socialistes sont maximalistes : nous proposons un objectif de 250. Je n’y reviens pas davantage, en l’absence de décision concernant un gap filler, ne réduisons pas trop les cibles.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Même avis défavorable que précédemment, au nom de la cohérence.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il s’agit de lignes qui pourraient bouger de nouveau – je pense à l’Ukraine, mais je n’en dis pas plus pour l’instant.

Ce qui compte, c’est la capacité de projection. On peut faire un choix différent, celui de la cohérence organique, en renforçant les cibles et en retardant, par exemple, l’équipement des blindés en systèmes d’information SICS ou en systèmes radio. Nous vous proposons le contraire.

Par ailleurs, il faut que le reste suive. Les régiments du génie ont besoin de moyens de franchissement lourds, les Syfrall. Avoir beaucoup de blindés de nouvelle génération mais pas de capacités de franchissement n’aurait pas de sens pour ces régiments. Avoir beaucoup de nouveaux véhicules Scorpion, mais sans les équipements logistiques des régiments du train, pour les acheminer, n’aurait pas davantage de sens. Pourquoi prévoit-on un étalement, sans toucher à la capacité opérationnelle au niveau divisionnaire et des brigades ? C’est parce que beaucoup de choses nouvelles sont prévues, qu’il s’agisse des feux en profondeur, des munitions téléopérées, des franchissements lourds ou des armes de nouvelle génération.

J’ajoute que le tableau capacitaire correspond au tableau des contrats opérationnels. Ce dernier n’a pas été beaucoup amendé : j’imagine donc qu’il est assez consensuel – il a été imaginé par les armées sur la base de menaces et de critères très précis.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendements DN221 de Mme Isabelle Santiago et DN447 de M. Aurélien Saintoul (discussion commune).

Mme Isabelle Santiago (SOC). Notre amendement vise à modifier, dans le même esprit, le chiffre prévu pour les Griffon.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). La question du coût du MCO se pose : plus on laisse vieillir le matériel et plus le MCO risque de devenir cher. Cela fait partie des éléments que nous avons demandés mais que nous n’avons pas pu avoir entièrement.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Même position que précédemment, pour la même raison.

S’agissant du système Scorpion, je rappelle qu’il faut aussi prendre en compte la question de l’infrastructure.

Pour ce qui est du MCO, la LPM prévoit une augmentation de 40 % du budget, qui s’élèvera à 49 milliards – ce n’est tout de même pas mal, et j’espère que cela sera efficace.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Même avis défavorable.

La question du MCO contribue à expliquer la difficulté à boucler l’exercice. Le MCO du Griffon neuf coûte plus cher que celui d’un VAB – véhicule de l’avant blindé – ancien.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendement DN83 de M. Frédéric Boccaletti.

M. Frédéric Boccaletti (RN). Nos analyses font apparaître une inadéquation toujours plus importante entre les moyens alloués aux armées et les missions qui leur sont confiées. Ce projet de loi de programmation militaire comporte notamment des décalages majeurs concernant les livraisons. Pour l’armée de terre, 1 206 véhicules blindés sont reportés à 2030 et il est prévu 30 % de budget en moins pour le programme Scorpion. Cela aura directement un impact sur notre défense sol-air, par essence multicouche. Les Jeux olympiques de 2024 à Paris seront un test grandeur nature pour notre programme de lutte antidrone. Pour la marine, la cible pour le nombre de frégates de défense et d’intervention (FDI) est passée de 5 à 3 en 2030. S’agissant de l’armée de l’air, la cible concernant les Rafale passe de 185 à 137 en 2030 et celle des avions de transport de 49 à 39 en 2035.

Ce projet de LPM occulte de nombreux sujets et expose nos forces à d’inexorables angles morts capacitaires en préférant la cohérence au détriment de la masse. Nous demandons qu’une étude d’impact soit menée avant tout projet de décalage de livraison de matériels.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Tous les points que vous évoquez ont été pris en compte par les états-majors. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il y a déjà, à chaque fois, des études d’impact.

On ne peut pas dire qu’il y a un décalage entre les moyens et les missions qui sont confiées. Tout l’objet du texte est de l’éviter. L’autre option serait de prévoir davantage de capacités, mais sans mettre en face les pièces détachées, le MCO ou la formation.

Vous affirmez que nous préférons la cohérence au détriment de la masse : heureusement ! Privilégier la masse est le choix qui a été fait dans le passé, mais on voit bien, quand on visite les unités, que cela n’a eu qu’un succès limité. Dire aux soldats qu’ils auront du matériel mais qu’il ne fonctionnera pas ou qu’il ne sera pas entretenu, c’est un peu se moquer du monde.

Quelle guerre veut-on mener ? C’est sur cette base qu’il faut définir les cibles. L’objectif que nous fixons à notre armée défensive, d’une puissance dotée de l’arme nucléaire, est d’être capable de projeter une division, ce que nous ne pouvons pas faire à l’heure actuelle. C’est donc un chantier de transformation que nous engageons. Je pourrais comprendre que vous remettiez en cause cet objectif si vous souhaitiez que l’on puisse mener une guerre d’agression, mais je ne pense pas que cela aille dans le sens de la diplomatie française ou de ce que vous souhaitez faire dans cette commission. On peut toujours revenir sur les questions capacitaires, mais il faut faire preuve de cohérence.

La commission rejette l’amendement.

 

 

 

Amendement DN901 de M. Jean-Michel Jacques.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il s’agit tout simplement de corriger une coquille, déjà évoquée par M. le ministre, dans le tableau capacitaire. La cible pour les systèmes de drones tactiques de l’armée de terre sera portée à cinq systèmes et vingt-huit vecteurs à l’horizon 2030, soit cinq vecteurs par système et trois vecteurs supplémentaires afin de prendre en compte le phénomène d’attrition et l’instruction.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN96 de M. Laurent Jacobelli.

M. Laurent Jacobelli (RN). Nos lance-roquettes unitaires (LRU) sont vieillissants. La question de leur remplacement se pose donc, et on s’est aperçu au cours des auditions qu’il était question d’acheter du matériel américain, des Himars – High Mobility Artillery Rocket System –, ce qui poserait certains problèmes, notamment en matière de souveraineté et d’indépendance à l’égard des puissances étrangères. Cela nous soumettrait aussi au système américain Itar – International Traffic in Arms Regulations –, qui est plus que gênant. Vous me direz qu’il y a déjà de la technologie américaine dans les LRU actuels, mais nous avons justement l’occasion de nous en émanciper et d’attaquer un nouveau marché : les LRU américains font l’objet de files d’attente. Nous proposons de privilégier une solution nationale ou, à défaut, avec nos alliés européens.

M. le président Thomas Gassilloud. Bel effort de votre part !

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Vous avez raison de soulever la question des lance-roquettes unitaires et de penser aussi à l’Europe dans ce domaine. Néanmoins, je suis presque plus sévère que vous : j’ai déposé un amendement proposant une solution souveraine. Par conséquent, avis défavorable à votre amendement. J’espère que vous vous rallierez au mien.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Le châssis du LRU est américain. Je suis favorable à une solution française, mais il faut assumer la question du délai. Vous avez parlé à juste titre de la liste d’attente pour un achat sur étagère. Safran a fait une proposition assez récemment : elle est en cours d’étude par la DGA, et je pense que nous n’aurons pas de réponse avant la fin de l’année. Si nous choisissons une solution patrimoniale, nous pourrions rester plusieurs années sans solution de substitution. Nous nous poserons la question en loi de finances. Le rapport annexé propose simplement de garder des systèmes en définissant des cibles et des montants financiers.

M. Laurent Jacobelli (RN). Il faudrait s’entendre sur les règles du jeu. Quand M. le rapporteur est d’accord avec un de nos amendements, cherche-t-il systématiquement à le faire passer à la trappe en le redéposant ailleurs sous son nom ?

M. Sébastien Lecornu, ministre. Pour ma part, c’est le fond qui m’intéresse. Je constate que les rédactions proposées ne sont pas identiques.

M. Laurent Jacobelli (RN). Si la référence à une solution européenne gêne M. le rapporteur, je suis tout à fait disposé à la supprimer !

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Mon amendement n’est pas identique au vôtre, puisqu’il propose une solution souveraine. Des systèmes « français ou européens » ne le sont pas nécessairement.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Vous préférez, Monsieur Jacobelli, une solution souveraine dans cinq ans, après une potentielle rupture capacitaire, plutôt qu’une solution américaine, ou en partie américaine, dont le délai de livraison serait plus court. C’est une vraie question de fond : cela fera partie des critères de choix.

M. Laurent Jacobelli (RN). L’amendement fixe un objectif mais n’interdit pas d’acheter des LRU américains. Par ailleurs, je veux bien qu’on écrive « souverain » à la place de « français », mais je vois mal quelle autre souveraineté que française pourrait exister pour notre pays.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements identiques DN391 de Fabien Roussel et DN792 de M. Julien Bayou.

M. Fabien Roussel (GDR-NUPES). Le projet de loi de programmation militaire (PLPM) est marqué par le fort développement de l’arme nucléaire ainsi que par la construction d’un porte-avions de nouvelle génération à propulsion nucléaire, pour un montant de 10 milliards d’euros. Vous avez dit hier, Monsieur le ministre, que nous pourrions revenir sur la décision d’investir dans ce porte-avions. C’est ce que nous proposons, avec nos collègues Julien Bayou et Cyrielle Chatelain. Le Parlement est en effet souverain.

D’abord, à cause de cette dépense, d’autres budgets subissent des coupes claires et la modernisation de matériels est, on vient de le voir, reportée.

Ensuite, le choix d’un porte-avions est lourd de conséquences. Pour sa protection, il mobilisera lors de ses déplacements beaucoup de matériel militaire et de moyens humains : frégates, sous-marins, avions de chasse, autant d’outils qui ne seront pas utilisés pour d’autres fonctions de sécurité et de défense de notre territoire.

Se pose, en outre, la question de notre stratégie militaire. À quoi servira ce porte-avions à 10 milliards ? S’agit-il d’assurer la sécurité du territoire national ou d’intervenir dans des conflits lointains au nom d’une politique définie par l’Otan et découlant de notre alignement sur les États-Unis ? Si la deuxième option est la bonne, nous ne sommes pas d’accord.

Enfin, vous concevez ce porte-avions comme un élément de notre diplomatie et de notre puissance politique. En somme, vous raisonnez comme Kissinger, l’homme de la guerre du Vietnam et de la défaite américaine, qui disait qu’un porte-avions, c’est 100 000 tonnes de diplomatie. Nous préférons, pour notre part, la diplomatie humaine qui fait de la politique et ne prépare pas la guerre.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). La décision de construire ce porte-avions a été prise par le Gouvernement. L’examen du PLPM est l’occasion de questionner ce choix et d’engager un débat au sein du Parlement.

Nous sommes, en dehors des États-Unis, le seul pays à disposer d’un porte-avions à propulsion nucléaire, les États-Unis disposant d’une flotte bien plus importante. Ce porte-avions est devenu un élément clé de notre stratégie de défense maritime. Pourtant, sa disponibilité temporelle, quoiqu’en voie d’amélioration, reste limitée du fait des phases nécessaires au maintien en conditions opérationnelles et de l’arrêt technique effectué tous les sept ans et demi. Cela nous semble poser un problème dans le contexte de reprise des conflits.

En outre, la multiplication des zones de conflit en fait-il encore l’outil idoine ? Il paraît qu’une étude a été faite sur la question – c’est en tout cas ce qui nous a été dit. Eh bien, engageons le débat avec l’ensemble de ces éléments.

Un porte-avions représentant entre 5 et 10 milliards d’investissements est-il le bon outil pour intervenir partout, tout le temps, dans un contexte de changement climatique et avec de nouveaux dangers et de nouveaux conflits ? Ne vaudrait-il pas mieux privilégier des bâtiments plus petits, comme des patrouilleurs océaniques, des bâtiments polyvalents de soutien à la marine, des porte-hélicoptères amphibies ? Tel est le débat que nous souhaiterions ouvrir.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. N’oublions pas que la possession d’un porte-avions nous permet aussi d’être une nation-cadre dans un très vaste théâtre d’opérations, le milieu maritime. La France agit aussi au sein d’une coalition, avec ses partenaires.

Certes, Monsieur Roussel, le porte-avions est accompagné de frégates, de sous-marins, de Rafale Marine et autres bâtiments, mais ceux-ci peuvent aussi être chargés de missions parallèles.

M. Bayou estimait que si l’on supprimait le porte-avions, on pourrait construire plusieurs bâtiments d’un autre type pour être présents partout – mais, si vous me pardonnez ce trait d’humour, des milliers de pédalos ne remplaceront jamais un porte-avions ! Ce n’est pas parce qu’on multiplie les bâtiments qu’on est plus efficace.

Par ailleurs, je précise que la sécurité en mer dépend aussi de la surveillance depuis l’espace, associée à une puissance de feu pouvant être mise en œuvre si nécessaire.

Enfin, permettez-moi de signaler une petite incohérence au sein de la NUPES, puisque certains de ses membres, dans d’autres amendements, réclament un deuxième porte-avions.

Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Avis défavorable.

M. Fabien Lainé (Dem). Ces amendements ont le mérite de soulever le débat.

Nous possédons la deuxième zone économique exclusive (ZEE) au monde, dont 90 % se trouvent dans l’Indo-Pacifique. Comment faire pour assurer la surveillance de cet espace ? La marine dit qu’elle manque de matériel – d’où l’amendement que je présenterai ultérieurement ; supprimer le porte-avions ne me semble pas raisonnable, surtout pour une nation-cadre. Nous voterons contre les amendements.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Il n’y a pas de puissance navale de premier rang sans porte-avions. C’est tellement vrai que le général de Gaulle, qui était pourtant un terrien, en avait deux – rassurez-vous, je ne vais pas proposer d’en construire un deuxième tout de suite. C’est un outil contre le déclassement et pour faire face à nos compétiteurs stratégiques, comme la Chine ou même la Turquie, qui développent des porte-avions ou des porte-aéronefs. Certes, un porte-avions est vulnérable mais quel bateau ne l’est pas ? En outre, le déplacement en fin de parcours et la bulle de protection de l’ensemble du groupe aéronaval assurent quand même une certaine sécurité, même face aux missiles hypersoniques. Enfin, l’idée de développer des flottilles renvoie aux errements de la jeune école au début du XXe siècle : tout cela a très mal fini.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Les collègues Roussel et Chatelain ont raison de soulever la question. La construction du porte-avions a été décidée par le Président de la République, tout seul. Le Parlement n’a pas été consulté.

Un porte-avions ne sert en aucun cas à protéger la ZEE. Jamais on ne l’a vu à Nouméa ou à Papeete – les bases locales seraient d’ailleurs bien incapables de l’accueillir. Il n’est pas non plus un outil contre le déclassement. Il s’agit, en revanche, d’un outil de projection, qui peut avoir son utilité, y compris dans le cadre de partenariats avec d’autres marines. C’est pourquoi nous ne voterons pas pour ces amendements – mais il est nécessaire qu’un débat démocratique s’engage sur la question.

M. Yannick Chenevard (RE). On constate que toutes les marines du monde qui procèdent à un réarmement naval massif fabriquent des porte-avions. La construction d’un porte-avions à propulsion nucléaire prend du temps. On le voit avec les 5 milliards inscrits dans le présent texte, auxquels s’ajouteront 5 autres milliards dans la LPM suivante. La question est donc de savoir quand le nouveau bâtiment sera susceptible de remplacer le Charles-de-Gaulle. Il faut aussi que les équipages soient formés. Il est nécessaire de faire ce choix dès maintenant. Le remettre en cause serait renoncer à une base aérienne dont on ne connaît pas les coordonnées GPS.

La commission rejette les amendements.

 

Amendement DN223 de Mme Isabelle Santiago.

Mme Isabelle Santiago (SOC). J’imagine que cela va vous faire sourire, mais cet amendement se distingue des précédents.

Nous réaffirmons, pour notre part, le choix du porte-avions, la France étant une nation-cadre. Par ailleurs, j’ai la chance cette année d’être auditrice de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) au sein de la majeure « Enjeux et stratégies maritimes » ; à ce titre, j’aurai demain une étude de cas sur l’éventualité que la France se dote d’un deuxième porte-avions. Mon amendement vise à ouvrir cette possibilité.

Il y a quelques décennies, la marine nationale comptait trois porte-avions : le Foch, le Clemenceau et l’Arromanches, ce qui lui permettait, en cas d’opérations de maintenance, d’en disposer en permanence d’au moins deux et d’avoir toujours un porte-avions en mer. Les arrêts techniques sont en effet nombreux, notamment pour réaliser les mises aux normes : un porte-avions n’est utilisé qu’entre 65 % et 70 % du temps.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Cette série d’amendements met en évidence les contradictions au sein de la NUPES.

Et pourquoi pas quatre porte-avions, pendant que vous y êtes ? Si vous avez raison de soulever le débat, il faut aussi trouver le bon équilibre. Multiplier ce type de bâtiments casserait la cohérence d’une armée complète. La France de 2023 n’est plus la France éternelle avec son empire. Elle reste unique, mais elle doit faire avec les moyens qu’elle a. Ne mentons pas à nos concitoyens. Tenons-nous en à ce qui est faisable. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je ne reviendrai pas sur l’opportunité ou non de disposer de deux porte-avions, ce serait trop long.

L’amendement porte sur le lancement d’études. Il se trouve que d’ici à 2027, le coût d’un éventuel deuxième porte-avions sera objectivé, notamment pour ce qui concerne les chaudières, avec le lancement du programme prévu par la LPM en cours et les études figurant dans les lois de finances – car le fait que le Charles-de-Gaulle aura un successeur a déjà été débattu par le Parlement. Cela signifie que le Président de la République qui sera élu en 2027 pourra, le cas échéant, décider de construire un deuxième porte-avions.

Inutile donc de lancer de nouvelles études : la direction générale de l’armement et la direction des applications militaires (DAM) du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) seront capables d’objectiver les coûts. Néanmoins, pour les raisons de soutenabilité avancées par le rapporteur, un groupe aéronaval me semble suffisant. Avis défavorable.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). L’idée d’un sister-ship ne me semble pas incongrue, d’autant moins que la question de la vulnérabilité se pose sur de nouveaux frais pour ce qui est du porte-avions, le défi de l’hypervélocité n’étant pas relevé : cette vulnérabilité a bien été identifiée par la marine nationale. La bulle de protection ne nous met pas à l’abri de tout.

De surcroît, une telle frappe toucherait une base mouvante coûtant 10 milliards d’euros.

Un deuxième porte-avions permettrait, non seulement des économies d’échelle, mais aussi le développement de technologies qui ne sont pas encore souveraines.

M. Fabien Lainé (Dem). Étant l’autre député auditeur de l’IHEDN au sein de la majeure « Enjeux et stratégies maritimes », j’apporte tout mon soutien à Isabelle Santiago dans ce dossier. Le fait que nous ne puissions pas assurer de permanence en mer avec un seul porte-avions est une question récurrente et extrêmement sensible dans l’opinion. Merci donc, Monsieur le ministre, de nous avoir répondu qu’un second restait de l’ordre de l’éventualité.

Peut-être, Monsieur le président, serait-il bon de suspendre la séance le temps que les membres de la NUPES se mettent d’accord sur le sujet.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Lancer des études sur la question ne serait pas inutile – d’ailleurs, si j’ai bien compris, c’est déjà le cas –, mais ce qui serait vraiment important, c’est de disposer d’un rapport au moment où l’on devra prendre la décision. Cela étant, je ne pense pas que nous ayons les moyens de financer deux porte-avions avec leurs groupes aéronavals.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Écologistes et socialistes n’ont pas la même position sur le sujet, mais le principe même d’une coalition parlementaire est qu’on n’est pas d’accord sur tout. C’est ainsi que cela fonctionne chez nombre de nos voisins, et c’est plutôt le signe d’une démocratie mature. Malheureusement, dans la coalition présidentielle, la parole présidentielle prévaut, mais je suis sûre que de nombreux désaccords aimeraient pouvoir s’exprimer.

Parmi les points d’accord au sein de la NUPES, il y a l’intérêt d’assurer une permanence en mer, même si nous ne proposons pas les mêmes solutions. Pour notre part, nous nous demandons si d’autres types de bâtiments ne seraient pas plus pertinents.

Autre point d’accord, l’importance du débat parlementaire : que ce soit pour un, deux ou zéro porte-avions, il faut des éléments d’objectivation pour prendre la décision.

M. Yannick Chenevard (RE). Certainement sera-t-il nécessaire de s’interroger un jour sur l’éventualité d’un deuxième porte-avions, mais le ministre vient de dire que nous disposerions en 2027 de chiffres consolidés concernant son coût, notamment pour ce qui regarde les chaudières. Et comme ce PLPM prévoit la première étape de financement du futur porte-avions et que ce dernier ne sera livré qu’en 2038, la question ne se pose pas tout de suite.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Dans la précédente LPM, il était noté, Monsieur le ministre, que des études allaient être lancées, peut-être même – aussi surprenant que cela paraisse – « en coopération », en vue de procurer des éléments sur les aspects technologiques, notamment dans le domaine des catapultes, de manière à préparer une éventuelle commande anticipée. Nous pensions que ce serait au Parlement que reviendrait cette décision, mais c’est finalement le Président de la République, et lui seul, qui l’a prise.

Cela montre que le Parlement doit débattre de cette question. Si des études sont lancées et que des éléments objectifs concernant les coûts sont disponibles à partir de 2027, il faudra que le Parlement en soit immédiatement saisi.

Mme Natalia Pouzyreff (RE). Puisque nous faisons de la prospective, je souhaiterais que l’éventuel deuxième porte-avions soit un outil de souveraineté européenne, au service de l’Europe de la défense.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Monsieur Lachaud, les autorisations d’engagement concernant le nouveau porte-avions figuraient dans le projet de loi de finances pour 2023. Ce sont les lois de finances annuelles qui enclenchent les programmes. Il y a donc bien eu débat dans le cadre de la discussion budgétaire.

Madame Pouzyreff, dès lors que le porte-avions met en œuvre la force aéronavale nucléaire (Fanu), on ne peut s’inscrire que dans un cadre de souveraineté nationale.

Mme Isabelle Santiago (SOC). Cet amendement avait bien pour objet d’engager le débat et de lancer des études.

La commission rejette l’amendement.

 

 

 

Amendement DN519 de M. Jean-Charles Larsonneur.

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Amendement similaire au précédent visant à engager des études en vue d’un sister-ship au porte-avions de nouvelle génération. On ne trouve pas les porte-avions dans des paquets Bonux et notre pays est endetté à hauteur de 3 000 milliards d’euros mais nul ne peut dire quel sera l’état de la France et du monde en 2060 ou en 2080. Dès lors, il me semble responsable de soulever le débat sur l’opportunité de disposer à terme d’un second porte-avions.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Ce que je vous propose, à l’issue de cette discussion, c’est de déposer en séance un amendement visant à demander au Gouvernement de remettre un rapport au Parlement en 2027 ou 2028, en vue d’évaluer les coûts structurels d’un deuxième porte-avions, mais sans prendre position quant à son éventuelle réalisation. Cela me semblerait à la fois utile et transparent.

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). C’est une excellente formule qui recevra, je crois, une large approbation parmi les commissaires. Sur la base de cet engagement, je retire l’amendement.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN891 de M. Jean-Michel Jacques.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il s’agit de rectifier une coquille dans le tableau du rapport annexé en précisant que deux frégates de défense aérienne seront rénovées.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Rectification qui change tout en ne changeant pas la cible de frégates. Avis très favorable.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Il s’agit d’un amendement loin d’être anodin : il change beaucoup de choses. Nous y sommes évidemment favorables.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN515 de M. Jean-Charles Larsonneur.

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Cet amendement d’appel a trait au format des frégates. Il vise à engager des études en vue d’un remplacement ou d’un complément des frégates de défense aérienne de type Horizon par coopération franco-néerlandaise. Je doute que qu’il reçoive un avis favorable, mais j’aimerais avoir un éclairage sur les perspectives dans ce domaine.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je laisse le ministre répondre.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je ne sais pas très bien ce que vous avez en tête. Dans ce domaine, nous coopérons déjà avec les Italiens et nous avons des perspectives d’exportations vers le pays que vous mentionnez. Demande de retrait.

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Nous en reparlerons dans un autre cadre.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN224 de Mme Isabelle Santiago.

Mme Isabelle Santiago (SOC). Nous souhaitons accélérer le remplacement des frégates de type La Fayette par des frégates de défense et d’intervention. Du fait de l’accroissement des menaces multichamps dans les espaces maritimes, y compris par le droit, la norme et l’influence, notre ZEE va être très contestée. Il lui faudra, en outre, surmonter des défis majeurs, comme le réchauffement climatique. Nous pensons qu’il faut accélérer le renouvellement de notre flotte. D’où cette série d’amendements.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je vous remercie de mettre en avant les FDI, qui sont des bâtiments de très bonne qualité fabriqués à Lorient et qui s’exportent très bien. Toutefois, nous n’allons pas revoir la copie ni remettre en question la cohérence des choix qui ont été faits. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il faut en l’espèce prendre aussi en considération la continuité de la ligne de production à Lorient. Nous faisons pour cela des paris à l’export. En outre, les frégates La Fayette rénovées répondent au contrat opérationnel. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN225 de Mme Isabelle Santiago.

Mme Isabelle Santiago (SOC). Dans le même esprit, nous souhaitons porter le nombre de frégates de quinze à dix-huit. C’est une attente de la marine nationale. En 2040, il est évident que la confrontation sera en grande partie maritime.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Une frégate coûte 500 millions d’euros. Vous en demandez trois supplémentaires. La cible initiale me semble plus soutenable. Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.

Mme Isabelle Santiago (SOC). C’est une question de choix.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN647 de M. Fabien Lainé.

M. Fabien Lainé (Dem). Le LPM acte un effort important en faveur de la marine, avec le porte-avions de nouvelle génération et les nouveaux systèmes de détection en mer. Se pose toujours, néanmoins, le problème de la surveillance de la deuxième ZEE au monde, notamment dans le Pacifique. Il serait nécessaire de disposer d’un plus grand nombre de patrouilleurs. D’où l’objectif d’arriver à vingt et un patrouilleurs à l’horizon 2035, ce qui implique de prévoir deux patrouilleurs Outre-mer (POM) supplémentaires.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Même si leur nombre est équivalent, les POM sont beaucoup plus efficaces que les P400 qu’ils remplacent. Surtout, la surveillance doit s’exercer aussi depuis l’espace. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Les patrouilleurs Outre-mer sont un outil décisif mais je pense qu’il faut durcir la nature même des équipements dans les Outre-mer. Le Président de la République déclinera lui-même un certain nombre d’éléments pour que l’ensemble soit cohérent. Le tableau mentionne une corvette supplémentaire en 2030 avec une cible de 6 en 2035 : elles seront essentiellement à destination de l’Outre-mer. Gardons les patrouilleurs pour les missions hauturières, les missions régaliennes classiques. Demande de retrait.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN509 de M. Jean-Charles Larsonneur.

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Il s’agit de lancer des études en vue du remplacement des frégates de classe Floréal – excellents navires par ailleurs –, afin d’acquérir une masse permettant d’assurer l’ensemble des missions de la marine nationale dans la ZEE.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je vous remercie d’apprécier nos frégates de défense et d’intervention, néanmoins je vous demanderai de retirer l’amendement ; à défaut, mon avis serait défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Les études n’apparaissent pas dans le tableau, mais l’amendement est satisfait. Il ne suffit pas de disposer de matériels, encore faut-il réfléchir à leurs évolutions incrémentales.

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Je tiens à souligner l’intérêt de l’approche incrémentale. Le durcissement des plateformes est un enjeu essentiel. Je retire l’amendement.

M. Sébastien Lecornu, ministre. C’est pourquoi il est difficile de comparer les bateaux. La frégate actuelle n’a plus rien à voir avec celle d’il y a vingt ans, que ce soit en matière d’armement, d’électronique, de cyber et même de tonnage.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN468 de M. Bastien Lachaud.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Nous en venons au système de drones aériens pour la marine. Cet amendement vise à préciser que c’est la solution souveraine qui sera retenue, et non la solution étrangère – autrichienne, en l’occurrence.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. La solution autrichienne est temporaire, dans l’attente qu’une solution soit proposée par Naval Group et Airbus Helicopters – mais je laisse le ministre répondre.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Notre préférence va bien évidemment à la solution française, mais le programme a malheureusement connu un échec lors d’essais le week-end dernier. Il y a donc quelques incertitudes – même si je fais confiance aux équipes d’Airbus Helicopters pour trouver une solution.

La marine nationale avait fait le choix, avant mon arrivée au ministère, d’acheter du matériel autrichien. Je n’ai pas d’avis définitif sur le sujet. La question est de savoir quand Airbus Helicopters sera capable de proposer une solution, car on a besoin de ces drones pour un certain nombre de missions.

Par ailleurs, je préférerais qu’on écrive qu’il faut privilégier une solution souveraine plutôt qu’on inscrive directement un modèle dans le tableau. Ce qui compte, c’est que ce soit français. Demande de retrait.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Nous retirerons l’amendement et en déposerons un autre en séance. Je note toutefois que, dans d’autres cas, cela ne dérange personne qu’on inscrive des noms de matériel dans le tableau.

M. Sébastien Lecornu, ministre. C’est qu’ils sont déjà choisis !

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Vous savez très bien ce que nous pensons du code des marchés publics.

M. le président Thomas Gassilloud. L’enjeu est de ne pas empêcher d’autres propositions françaises d’apparaître.

L’amendement est retiré.

 

Amendements DN448 de M. Aurélien Saintoul et DN890 de M. Jean-Michel Jacques (discussion commune).

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Je constate que le rapporteur est d’accord avec nous sur la nécessité d’augmenter la cible de Sdam à la fin 2030 – quoique nous divergions sur le nombre.

En revanche, c’est la troisième fois que le rapporteur justifie un amendement par la nécessité de rectifier une erreur matérielle dans le tableau initial. Cela pose un problème. Soit la cause de ces erreurs est la précipitation, auquel cas nous avons travaillé sur un document qui n’était pas abouti, soit ce sont, non des erreurs, mais des modifications, auquel cas il nous faut des explications – à moins que vous n’ayez pas une vision très claire du modèle d’armée que vous nous proposez ?

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Mon amendement vise bien à rectifier une erreur, tout en respectant les montants financiers globaux prévus dans le projet de loi. Deux Sdam supplémentaires devront être livrés avant 2030, ce qui porte le jalon à dix.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je l’ai dit en propos liminaire : il y a deux erreurs à corriger et une précision à apporter concernant les frégates de défense aérienne, sur un total de 200 lignes ! Eu égard à la qualité du travail accompli par les équipes de Balard, les états-majors et le secrétariat général pour l’administration, vous conviendrez que ce n’est pas si mal.

Avis favorable sur l’amendement du rapporteur, défavorable sur le DN448.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). S’agit-il d’erreurs ou de négociations en cours – auquel cas nous serions dans un théâtre d’ombres et l’on nous demanderait d’enregistrer des décisions qui sont prises, non pas ici par nous, mais ailleurs par d’autres ?

La commission rejette l’amendement DN448 et adopte l’amendement DN890.

 

 

Amendement DN142 de M. Frank Giletti.

M. Frank Giletti (RN). Le PLPM fixe à 137 le nombre d’avions Rafale dont disposera l’armée de l’air et de l’espace à l’horizon 2030. Certes, avec les 41 Rafale de la marine nationale, nous atteindrons un total de 225 d’ici à 2035, mais cela soulève deux problèmes.

Tout d’abord, cet objectif ne sera pas atteignable avant 2035, et cinq années de décalage, c’est colossal. Surtout, cette cible interroge : la loi de programmation militaire 2019-2025 prévoyait d’atteindre le nombre de 185 Rafale pour l’armée de l’air et de l’espace, et l’objectif fixé par le PLPM est donc très insuffisant – il est même inférieur aux 159 Rafale que nous pouvions espérer en 2030, selon les prévisions budgétaires que le ministère des armées m’avait fournies lors de la rédaction de mon rapport sur le budget de l’armée de l’air et de l’espace. À l’aube d’une potentielle guerre de haute intensité et dans un contexte désormais bien plus conflictuel que celui de l’élaboration de la précédente LPM, il est impératif de revoir cette cible à la hausse.

L’amendement vise donc à accélérer la livraison d’avions Rafale pour atteindre l’objectif de 185 avions d’ici à 2030.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Le projet de LPM insuffle une dynamique vers le tout-Rafale. Alors que l’armée de l’air et de l’espace n’avait pas réceptionné de nouvel avion entre 2018 et 2022, ce sont plus 45 Rafale qui seront livrés pendant cette période de programmation. L’acquisition de Rafale constituera le programme le mieux doté budgétairement pendant les sept prochaines années, avec plus de 9 milliards d’euros. En outre, la flotte des Rafale passera au standard F4 : c’est, là encore, un effort considérable de 2,4 milliards entre 2024 et 2030.

Notre aviation de chasse constitue donc l’une des priorités de la LPM, et le format prévu permettra de satisfaire les contrats opérationnels, comme l’a confirmé le chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace (Cemaae). Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Vous l’avez dit, la cible de la LPM en cours d’application est de 225 avions de chasse pour le parc de l’armée de l’air et de l’espace et celui de la marine en fin de période. La programmation que nous vous proposons fixe le nombre d’appareils à 226 en 2030, soit à un niveau très proche.

Je vous propose, dans la transition vers le tout-Rafale, un décalage de dix avions, ce qui ne signifie pas l’annulation de dix appareils, car le Mirage 2000-D est rénové. Ce dernier est totalement efficace pour certaines missions, notamment celles relatives à la posture permanente de sûreté (PPS), et le Rafale a pris totalement le relais dans les forces aériennes stratégiques (FAS).

Ce décalage génère environ 1 milliard d’euros, une somme que nous avons réinjectée en nombre d’heures de vol pour durcir notre modèle. Certes le nombre d’avions de chasse au regard des missions compte, mais il y a également l’activité. Vous le savez mieux que quiconque en tant que rapporteur des crédits, nous étions un peu justes sur ce point. Ce milliard d’euros représente 29 000 heures de vol supplémentaires pendant la loi de programmation, soit 4 000 heures au total et 15 heures par pilote chaque année.

On pourrait trouver gênant le ralentissement du passage au tout-Rafale, mais cela ne l’est que si l’on s’arrête à la cohérence organique ; si on revient à la cohérence opérationnelle, cela l’est beaucoup moins. Comme je vous l’ai dit, le Mirage 2000-D remplit parfaitement sa mission, surtout quand il est rénové. C’est un bon avion, dont Dassault et l’armée de l’air s’occupent particulièrement bien. En outre, nous ne créons pas de trouble chez l’industriel : Dassault a des commandes d’exportation, donc aucune ligne de production n’est affectée – je le dis pour M. Lachaud et M. Saintoul qui s’en inquiétaient, d’autant que l’entreprise rénove aussi les Mirage 2000-D.

Cela ne ressort peut-être pas assez, mais le tableau de l’alinéa 35 du rapport annexé sur l’accompagnement du standard F5 – je ne parle pas du système de combat aérien du futur (Scaf), mais du système qui l’entoure –, prévoit aussi des financements qui permettent d’imaginer le développement d’un drone d’accompagnement. Il s’agit d’un élément majeur dans le patch « drones », qui vient aussi durcir les équipements pour les années 2030 et suivantes.

Telle est la cohérence d’ensemble de la partie dédiée à la chasse. Sans les heures de vol supplémentaires, nous pourrions avancer plus vite vers le tout-Rafale, mais c’est une orientation que m’a proposée le CEMAAE et qui a été validée par le Président de la République. Je vous demande de retirer l’amendement, mais je suis prêt à préciser des choses en séance publique.

M. Frank Giletti (RN). Il est louable d’augmenter l’activité, mais vous le faites par la diminution des plateformes. La cohérence de la précédente LPM et de sa cible de 185 Rafale a disparu de ce projet de loi de programmation, alors que le contexte géostratégique est radicalement différent. Je souhaite pointer cette incohérence.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il n’y a pas d’incohérence. Du point de vue opérationnel, les Mirage 2000-D sont totalement adaptés aux missions permanentes de sûreté et de protection du ciel. Au regard du contrat opérationnel de dissuasion, que je peux vous transférer par écrit dans un souci de transparence vis-à-vis du Parlement, nous sommes déjà au tout-Rafale : Rafale Marine pour la force aéronavale nucléaire, et Rafale pour les FAS sur les trois bases nucléaires. S’agissant des missions qui relèvent du statut de nation-cadre ou de la culture expéditionnaire, l’accompagnement aérien de la division et des deux brigades est assuré, selon les théâtres, par les Rafale ou les Mirage 2000-D.

Je comprendrais vos reproches si nous ne rénovions pas les Mirage 2000-D. Le durcissement de l’activité est essentiel : on ne peut pas visiter de base aérienne sans en entendre parler, comme vous le savez.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Je souhaiterais que tous les éléments ayant trait à l’activité des armées, notamment les heures d’entraînement et les coûts, soient insérés dans le rapport annexé. Comme ils ne sont écrits nulle part, ils sont souvent faciles à raboter. Inscrivons-les dans le marbre de la loi.

Je m’inquiète de la capacité de l’armée à utiliser l’ensemble de ces équipements, sachant que lorsqu’elle recrute 3 500 personnes par an, les effectifs baissent tout de même de 500 agents. L’armée souffre d’une perte d’attractivité, que traduit le fait qu’un tiers de ses personnels a moins de trois ans d’armée, à cause de la concurrence du secteur privé. Il y a là un vrai enjeu, qui touche également les pilotes de chasse et de transport.

La commission rejette l’amendement.

 

La réunion, suspendue à onze heures dix, reprend à onze heures vingt.

 

Amendements DN449 de M. Aurélien Saintoul, DN148 de M. Frank Giletti et DN469 de M. Bastien Lachaud (discussion commune).

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Je vais présenter les amendements DN449 et DN469.

L’A400M est utile pour faire face à des crises multiples, de l’évacuation de ressortissants aux catastrophes climatiques. Nous avons besoin d’une flotte plus importante que celle dont nous disposons actuellement. Le programme de cet Airbus a connu de multiples avanies depuis son lancement – c’est le moins que l’on puisse dire. La chaîne de production se situe en Espagne. Je veux être assuré que le rythme des commandes de la puissance publique garantisse la pérennité de la chaîne, de sorte que nous n’ayons pas à la financer à vide par des surcoûts de matériel si les partenaires britanniques ou espagnols ne respectaient pas leurs engagements, comme ce fut le cas de l’Allemagne.

M. Frank Giletti (RN). La loi de programmation militaire 2019-2025 avait pour ambition opérationnelle d’atteindre la cible de quarante-neuf A400M d’ici à 2030 ; le présent PLPM se limite à une cible minimale de trente-cinq appareils. Le contexte international et la perspective d’une guerre de haute intensité poussent à s’interroger sur ce choix.

On se souvient du défi logistique qu’a dû relever l’armée de l’air et de l’espace au Mali lors de la rétrocession de la base de Gao aux forces armées maliennes, qui aura nécessité près de 400 rotations de l’A400M. Sans le moindre doute, cet avion a constitué un atout majeur. De même, l’opération Sagittaire a récemment offert une illustration frappante de la nécessité pour la France de ne pas revoir à la baisse la cible d’A400M. À cette occasion, trois A400M et un C-130 s’étaient montrés capables d’acheminer en urgence plus de 30 tonnes de fret et plus de 150 militaires à Djibouti.

Dans la mesure où la capacité de projection stratégique des armées s’appuie à la fois sur les Phénix A330-MRTT et sur les A400M, la nouvelle LPM doit absolument consolider leur montée en puissance, en ciblant notamment un format définitif de quarante-neuf A400M. Tel est l’objet de l’amendement.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. La montée en puissance de la flotte d’Airbus A400M sera notamment utile aux territoires d’Outre-mer, mais je vais laisser M. le ministre développer cette question.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Le programme de l’A400M a en effet connu des difficultés, mais on voit désormais l’utilité de cet avion. Le segment de l’aviation de transport tactique a des besoins importants. La cible de trente-cinq appareils signifie qu’il y aura treize nouveaux aéronefs pendant la période de la programmation ; cela va sans dire, mais les trente-cinq avions suffiront pour remplir les contrats opérationnels – j’imagine que le Cemaae vous en a fait la démonstration.

Monsieur Lachaud, il est impossible que les lignes de production ne soient pas dépendantes des commandes britanniques et espagnoles : si ces commandes étaient annulées, nous ne pourrions pas les compenser, ce qui est normal car le programme a été imaginé à plusieurs.

Dans notre esprit, la cible est d’au moins trente-cinq A400M. Il y a aussi des perspectives d’exportation. Certains de mes homologues se présentent à moi comme des clients potentiels vis-à-vis desquels Airbus doit s’engager. Toutes les armées d’un certain niveau opérationnel ont besoin de ce type d’avion, on aurait donc du mal à comprendre qu’il n’y ait pas d’option d’exportation dans les temps qui viennent – je le dis de manière diplomatique, mais vous avez compris mon engagement.

Une autre question importante est le lancement ou non de l’Airbus A200-M. Les avis des observateurs sont partagés. D’un côté, on penche pour réaliser l’intégralité de la cible d’A400-M et pour ne pas faire l’A200-M, qui va générer des coûts et dont la livraison ne débutera qu’en 2029 ; de l’autre côté, on préconise de lancer le programme de l’A200-M et de ne pas réaliser complètement la cible d’A400-M. C’est une décision que nous prendrons dans le cadre la LPM, mais pas maintenant car nous manquons de visibilité.

Pour résumer, avis défavorable car notre cible est cohérente.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Nous ne souhaitons pas remplacer les commandes des partenaires. Nous voulons simplement nous assurer que d’éventuelles annulations n’empêcheraient pas d’atteindre la cible sans trou dans les chaînes de production ni compensation du coût des avions que nous payons.

Assurons-nous que les décisions que nous prenons n’envoient pas de signal d’abandon de l’A400M au motif que l’avion ne nous conviendrait pas : cela tuerait les exportations.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il nous convient !

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Précisons-le bien !

J’ai l’impression que le rapport annexé et l’ensemble du PLPM n’évoquent pas beaucoup l’A200-M. Peut-être faudrait-il davantage en parler. Je m’étonne d’ailleurs que vous nommiez une marque pour un programme qui n’a pas encore été décidé, même si nous soutenons l’idée qu’il faille avancer en faveur de cet appareil.

M. Sébastien Lecornu, ministre. J’ai parlé d’une marque, mais je ne l’ai pas inscrite dans le texte. Comme je l’ai dit, les études ne figurent pas dans le tableau, or nous en sommes encore à ce stade pour l’A200-M. Il ne faut pas alourdir le tableau, mais il est possible de renvoyer à des notes de bas de page dressant la liste des programmes à l’étude.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendement DN146 de M. Frank Giletti.

M. Frank Giletti (RN). L’avion léger de surveillance et de reconnaissance (ALSR) effectue des missions de renseignement dans un déploiement facilité, ce qui est primordial dans le contexte stratégique actuel. La loi de programmation militaire 2019-2025 prévoyait une cible de deux avions en 2025 et de six appareils supplémentaires en 2030. Or le présent projet de loi n’en évoque étonnamment plus que trois en 2030.

Dans la perspective d’une guerre de haute intensité, la réduction de cette cible pose question. Ce choix semble malheureusement s’expliquer par les difficultés rencontrées pour faire progresser les capacités de l’ALSR patrimonial et par la préférence accordée à la location pour bénéficier d’un système adapté au dernier niveau. Est-ce le cas ?

Dans une optique de souveraineté, l’amendement vise à rétablir la cible de six ALRS initialement fixée.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Le Chef d’état-major de l’Armée de l’air et de l’espace nous a indiqué lors de son audition que les armées allaient recourir à des ALSR patrimoniaux et des ALSR loués. Ces derniers sont un vecteur d’agilité compte tenu de l’évolution des capteurs. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. L’armée de l’air et de l’espace revendique le caractère mixte de la flotte d’ALSR : pour certaines missions, elle utilise des avions patrimoniaux, pour d’autres, elle loue des appareils pour des raisons de souplesse. La copie semble satisfaisante pour l’armée de l’air et de l’espace dans les contrats opérationnels, donc je vous demande de retirer l’amendement.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN538 de M. Christophe Plassard.

M. Christophe Plassard. Il vise à créer un centre d’alerte et de réaction aux attaques informatiques (Cert) sectoriel, dédié à l’espace. Les Cert sont organisés de manière territoriale ; leurs missions prioritaires consistent à centraliser les demandes d’assistance à la suite d’attaques, à traiter les alertes, à réagir aux attaques informatiques, à apporter des solutions et à assurer la prévention et l’éventuelle coordination avec les entités en dehors du domaine d’action.

En France, il existe aussi des Cert sectoriels, par exemple celui de la santé, qui est opéré par l’Agence du numérique en santé (ANS) ou celui de la marine. Éclairés par des attaques comme le piratage du satellite KA-SAT par les hackers russes à la veille de l’invasion de l’Ukraine, nous proposons, dans cet amendement, de créer un Cert sectoriel centré sur l’espace.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Le commandement de la cyberdéfense (Comcyber) est déjà chargé de la cyberdéfense des systèmes d’armes. L’avis est défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Même avis. Pour être efficace dans ce domaine, il faut de la masse, et les services du ministère estiment que nous ne l’avons pas dans le spatial.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN465 de M. Bastien Lachaud.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). De même que celui défendu par mon collègue Lachaud pour l’A400-M, cet amendement a pour objet de s’assurer que l’organisation de la commande publique veille à ne pas créer de pause dans les chaînes de production. Il ne s’agit pas de défendre les intérêts de qui que ce soit – je vois votre sourire malicieux, Monsieur le ministre –, mais bien de défendre ceux de la nation et du pays. L’exemple de l’Albatros reste pertinent puisqu’il y aura un trou entre 2025 et 2027 : il n’est pas de très bonne politique de placer nos industriels dans la difficulté.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis défavorable. Nous nous adaptons aussi aux besoins de notre BITD.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il n’y a pas de pause dans les livraisons. En plus, il n’y a pas d’inquiétude à avoir sur les lignes de production du Falcon dont l’Albatros est la version française. M. Trappier sera heureux de savoir que La France insoumise veille à sa sécurité !

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). La question sur la méthode mérite d’être posée : il faut veiller à ne pas interrompre les chaînes de production. Nous pouvons enlever l’exemple de l’Albatros du dispositif de l’amendement, mais je trouverais dommage que l’on ne reconnaisse pas explicitement le principe selon lequel la puissance publique se donne, dans la mesure du possible, l’objectif de ne pas interrompre les chaînes de production des industries de défense, d’autant que l’on ne cesse ici de proclamer son soutien à la BITD.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Je me réjouis que La France insoumise se préoccupe désormais de l’avenir du segment de l’aviation d’affaires. C’est une bonne nouvelle pour les jets produits par la France.

Plus sérieusement, l’amendement pose une question intéressante, mais il faut intégrer les perspectives d’exportations pour évaluer la continuité des chaînes. J’aurais été prêt à soutenir l’amendement, mais le cas particulier qui figure dans son dispositif me gêne, car on en fait une généralité. La vigilance pour nos chaînes de production est essentielle, mais la DGA s’acquitte parfaitement de cette tâche, comme elle l’a fait lors du covid.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Le problème est que la BITD recouvre des réalités extrêmement différentes, notamment entre les PME et les grandes entreprises.

En outre, on ne peut pas accepter que la commande publique soit un filet de sécurité pour les entreprises qui n’auraient pas suffisamment investi dans l’exportation. Cette position n’est peut-être pas très populaire, mais je la défends. Certains de mes homologues m’informent être en pourparlers avec des entreprises françaises qui ne leur donnent pas de nouvelles, et je suis obligé de jouer le rôle de directeur commercial : ce n’est pas normal ! Cette question recouvre celle de l’emploi français, que nous défendons, de la création de richesses dans notre pays, de la souveraineté et de l’utilisation de l’argent du contribuable. Or j’ai constaté depuis un an que des contrats avaient été dénoncés par manque d’agilité de certaines entreprises.

Je partage le souci de protéger la BITD, mais la commande publique ne doit pas jouer l’assureur en dernier ressort de l’inaction de certaines entreprises à l’exportation. Ce refus épouse mes convictions de citoyen et de ministre. On peut imaginer que des rédactions ménagent un équilibre entre ces deux principes, mais le modèle repose aussi sur une action des entreprises, ou alors, on en revient à la nationalisation de la BITD. Je m’oppose à cette orientation, mais il faut lui reconnaître sa cohérence même si je doute que le député Thiériot soit prêt à la soutenir.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). J’entends ce que vous dites, Monsieur le ministre, mais je tiens à rappeler que les exportations d’armes sont interdites.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Non, elles sont soumises à autorisation.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). L’État peut autoriser certaines exportations. Demander à ces entreprises de fonder leur modèle économique sur les exportations revient à les mettre dans la main de l’État et à les soumettre aux orientations de politique étrangère suivies par le gouvernement français. La solution la plus logique est donc en effet la nationalisation. Nous avons bien noté que vous y étiez opposé, donc nous essayons de trouver une voie intermédiaire empêchant la destruction de la BITD jusqu’à ce que nous arrivions au pouvoir et procédions à des nationalisations.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je note, en vue de la prochaine commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG) au mois de juillet, que vous donnez acte au Gouvernement de l’existence d’une politique de licence régulant les exportations et de la rationalité de son action dans ce domaine, contrairement à ce que d’autres députés de La France insoumise peuvent affirmer.

Le régime de licence est très prévisible. Mes homologues qui me font part de difficultés avec les entreprises françaises appartiennent à des gouvernements qui ont, par définition, des relations avec la France. Certains pays d’Afrique font des efforts absolument remarquables pour procéder à la montée en puissance de leurs armées et lutter contre le terrorisme, mais ils attendent encore que des industriels français les rappellent parce que le marché africain ne les intéresse pas : cette situation me met en colère. J’assume cette position. Le système de licence n’empêche pas les entreprises de rappeler les pays partenaires de la France.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements DN736 et DN737 de M. Jean-Louis Thiériot (discussion commune).

M. Jean-Louis Thiériot (LR). J’ai rédigé mes amendements sur les capacités avec beaucoup de prudence pour ne pas déséquilibrer l’ensemble du texte. Je souhaite que s’ouvre une réflexion sur le retour des Batral, ces petits bateaux amphibies qui permettent de débarquer sur des plages et qui ne coûtent pas cher – environ 25 millions d’euros. L’amiral Vandier nous a fait part de son intérêt pour ces navires. Le retour des Batral enverrait un signal stratégique très fort aux Outre-mer, car il montrerait notre capacité d’intervention en cas de crise climatique ou sociale ; leur présence serait réellement dissuasive, car ils peuvent faire débarquer une compagnie d’infanterie.

Plusieurs officiers généraux qui ont été en poste dans les Outre-mer m’ont dit que les Batral étaient un grand atout quand ils étaient en service. Ces deux amendements proposent de livrer quatre bâtiments amphibies aux Outre-mer à l’horizon de 2030 ou de 2035.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Les bâtiments de soutien et d’assistance Outre-mer (BSAOM) remplissent déjà une partie de ces missions. Certes, les Batral pourraient accoster sur des plages, mais seules 30 % d’entre elles se prêtent à cette manœuvre. Les bâtiments de soutien peuvent en outre emporter une trentaine de personnes, un hélicoptère et des moyens de levage. Un choix a été fait dans le passé, nous ne souhaitons pas revenir dessus. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. J’ai interrogé la marine après avoir pris connaissance de vos amendements : compte tenu de la houle, votre version du Batral à 25 millions d’euros le bateau serait insuffisante ; il faudrait un bâtiment de 1 000 tonnes qui coûte environ 100 millions. Il me semble donc très difficile de modifier notre copie pour la période allant jusqu’à 2030.

Je vous propose de retirer vos amendements, dans la perspective de réfléchir en séance sur les objectifs pour 2035, une autre technologie et un nombre moindre de bateaux. Je ne fais aucune promesse, car la marine n’avait pas évoqué le Batral dans sa copie initiale ; c’est vous qui mettez ce sujet sur la table. J’ai besoin d’une vision d’ensemble, mais nous pouvons travailler à une évolution à l’horizon de 2035.

Les amendements sont retirés.

 

Amendement DN126 de Mme Isabelle Santiago.

Mme Isabelle Santiago (SOC). Les investissements dans les technologies du futur se feront en partenariat avec les innovations dans le domaine de la dissuasion nucléaire. L’amendement rappelle la nécessité de ne pas prendre de retard technologique par rapport aux autres acteurs dotés de l’arme nucléaire.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je suis d’accord avec vous. Avis favorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Dans la première phrase de votre amendement, vous évoquez « notre défense métropolitaine et ultramarine » : il faut remplacer cette expression par « la défense nationale » ou par « la défense nationale de nos intérêts vitaux ». Une fois rectifié, je serai favorable à l’adoption de l’amendement. Comme la modification est substantielle, je vous invite à le retirer et à le redéposer rectifié en séance publique. Je ne veux pas que figure dans la loi autre chose que des éléments lisibles pour les compétiteurs et les alliés sur la dissuasion nucléaire.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN450 de M. Aurélien Saintoul.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Cet amendement simple cherche à clarifier la présentation des budgets par patchs, car nous avions suspecté à raison que les mêmes sommes d’argent allaient être comptées plusieurs fois. Trois patchs sont concernés : les munitions, les drones et l’Outre-mer. Je comprends la tentation d’afficher des montants élevés, mais il faut éviter que des dépenses soient comptées deux fois.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis défavorable, car les patchs donnent de la lisibilité.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Vous voyez malice ! Les patchs capacitaires sont étanches entre eux, il n’y a pas de double compte. Quand il y a une présentation géographique et une présentation capacitaire – Outre-mer ou forces spéciales –, vous retrouvez l’agrégat car cela donne de la visibilité. L’avis est défavorable, d’autant que l’adoption tout à l’heure de l’amendement du Gouvernement a clarifié encore davantage la présentation.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Vous venez de dire que les patchs étaient étanches mais que certains d’entre eux reprenaient des montants que l’on trouve ailleurs.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Oui, les patchs capacitaires.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Dans ce cas-là, transformons les patchs capacitaires en crédits. Je sais que ce n’est pas exactement le sujet de l’amendement mais nous en avons d’autres sur les patchs capacitaires, auxquels vous donnerez, j’en suis sûr, un avis favorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN451 de M. Aurélien Saintoul.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Cet amendement décline quelque peu le précédent. Il nous a paru opportun de remplacer « besoins » par « crédits », car un crédit est un financement alors qu’un besoin n’est qu’un constat. On nous trouvera soupçonneux, mais nous sommes simplement prudents. C’est ce que l’on attend de nous.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Nous avons déjà donné des éléments de réponse. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

La commission adopte l’amendement rédactionnel DN914 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Amendements identiques DN49 de la commission des finances et DN189 de M. Jean-Charles Larsonneur.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis de la commission des finances. Avec plus de 2 000 entreprises et sous-traitants totalisant un chiffre d’affaires de près de 30 milliards d’euros, la base industrielle et technologique de défense (BITD) constitue l’essentiel de notre économie de défense. Selon la définition de Paul Dunne, qui est communément utilisée depuis 1995, la BITD est constituée de trois groupes d’entreprises distincts : les unités qui concourent à la production des systèmes d’armes et des équipements létaux ; les unités qui fournissent des produits non létaux mais stratégiques ; et celles qui fournissent des produits courants, comme la nourriture. Cette définition a pour inconvénient d’exclure de fait ces acteurs majeurs apparus avec la révolution numérique que sont les opérateurs civils pouvant apporter des solutions à la BITD, notamment les opérateurs de satellites. Il est donc proposé de les inclure dans la stratégie de défense de la loi de programmation militaire.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. La précision est opportune. Avis favorable.

La commission adopte les amendements.

 

Amendement DN919 de M. Jean-Michel Jacques.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il tend à préciser que l’innovation peut être issue des forces armées – le Fuscolab ou le Battle Lab, issus de la dernière loi de programmation militaire, sont très actifs en la matière –, mais aussi des territoires, à travers les laboratoires des entreprises et des collectivités territoriales.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Avis favorable.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Qui sont les « acteurs socio-économiques » que vous citez dans votre amendement, et qu’y a-t-il de social dans leur action ?

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il peut s’agir des chambres de commerce et d’industrie (CCI), qui prennent des initiatives dans de nombreux territoires.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN470 de M. Bastien Lachaud.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Le Gouvernement parle sans cesse d’économie de guerre mais ne s’en donne pas véritablement les moyens – c’est la marque de son hypocrisie. Le degré d’intervention étatique que suppose une telle économie n’est pas compatible avec une formule par laquelle le Gouvernement se décharge de sa responsabilité de planifier. En conséquence, il convient de supprimer la dernière phrase de l’alinéa 39.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

 

Elle adopte l’amendement rédactionnel DN915 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Amendement DN917 de M. Jean-Michel Jacques.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il a pour objet de préciser que les financements consacrés à l’innovation proviennent aussi de fonds interministériels, en particulier le plan d’investissement France 2030 ou la stratégie nationale pour les technologies quantiques et la stratégie ministérielle de maîtrise des fonds marins.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Favorable.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN740 de M. Jean-Louis Thiériot.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Il vise à rappeler l’attention que le ministère des armées porte aux PME, notamment à celles qui innovent. Elles sont un vivier de notre économie de défense et c’est parmi elles que pourront se trouver les licornes de demain. Je sais que la DGA y est attentive, mais il est utile de faire figurer dans le rapport annexé cet objectif pour notre BITD.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement.

 

 

 

Amendement DN471 de M. Bastien Lachaud.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Sauf si sa rénovation est lancée, le Tigre arrivera en fin de vie en 2035. Il faut donc commencer à penser l’hélicoptère du futur, et cet amendement tend à sécuriser le budget des études à y consacrer.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je laisse le ministre répondre sur ce sujet.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je le répète, le meilleur moyen de sécuriser, ce sont les lois de finances. Le projet de LPM prévoit évidemment de maintenir le Tigre en condition opérationnelle le plus longtemps possible, à l’horizon de 2040 ou de 2045, tout en réfléchissant à la nouvelle génération d’hélicoptères de combat. Là aussi, les sauts technologiques pourront être remarquables, qu’il s’agisse d’en faire un engin occupé ou pas, de son niveau d’armement, de sa vélocité, de sa furtivité ou de son équipement en intelligence artificielle.

J’émets un avis défavorable, car, en matière d’études, je ne vois pas de raison de privilégier le Tigre. Je peux néanmoins m’engager à ce que le sujet figure explicitement dans la loi de finances.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Vous le dites vous-même, les ruptures technologiques vont arriver. Nous avons besoin d’études prospectives pour penser l’avenir. S’il est bon d’inscrire les commandes ou le matériel physique dans le rapport annexé, il est également fondamental d’y inclure l’ensemble des études. Sans pour autant consacrer une ligne à tous les programmes, un tableau récapitulatif pourrait lister les études, avec les montants à engager.

Je maintiens donc l’amendement, quitte à déposer en séance un amendement plus global sur l’ensemble des études. Il est de la responsabilité de la représentation nationale de cranter les choses.

M. Sébastien Lecornu, ministre. D’autres programmes sont concernés – Syracuse IV ou le porte-avions de nouvelle génération (Pang), notamment. Je ne suis pas opposé à présenter pour la séance un amendement du Gouvernement fixant un cadre global sur les études, afin de leur donner de la visibilité.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN452 de M. Aurélien Saintoul.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). En décembre 2022, le général Philippe Adam, commandant de l’espace, évoquait devant nous l’idée d’un avion spatial, « abandonnée avec Hermès, mais qui reprend sérieusement de l’intérêt parce que la technologie le permet, que les usages sont probablement différents, et que cela se fera de façon plus automatisée – pas forcément pilotée comme peuvent l’être les drones. » C’est pourquoi nous proposons d’inscrire dans la LPM des études sur le développement d’un avion spatial, incluant un démonstrateur.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Les différents états-majors n’ont pas exprimé ce besoin lors des auditions.

M. Sébastien Lecornu, ministre. L’amendement est satisfait par l’amendement global sur les études que je compte déposer.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Les armées n’en expriment pas le besoin maintenant, mais il est évident qu’il se fera sentir à l’horizon de 2050-2060. Si nous disposons d’un démonstrateur d’ici à la fin de la LPM, tant mieux, nous serons en avance par rapport à nos compétiteurs – nul ici ne pourrait s’y opposer.

Nous vous faisons confiance et retirons l’amendement, pour en rediscuter en séance.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN39 de M. Julien Rancoule.

M. Julien Rancoule (RN). Les concepts et les produits qui répondront aux besoins de la défense dans dix, quinze ou vingt-cinq ans seront issus d’études engagées en amont. De très nombreuses ruptures technologiques sont attendues en matière d’intelligence artificielle, de quantique, d’hypervélocité, ou encore dans le domaine spatial, les fonds marins ou le cyberespace.

Tous les acteurs que nous avons auditionnés avec Vincent Bru dans le cadre de notre rapport d’information sur les stocks de munitions ont mis en avant l’importance de ces études amont. Nous l’avons traduite dans notre proposition n° 13 – Renforcer le soutien public à la recherche-développement – et considérons que le rapport annexé doit aussi en faire mention. Tous les efforts ne doivent certes pas être consentis par l’État, mais il a un grand rôle à jouer dans les investissements, si nous ne voulons pas être distancés à l’avenir.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis défavorable. L’innovation de défense, et donc les études amont, bénéficiera de 10 milliards d’euros sur sept ans. L’amendement est donc satisfait.

M. Sébastien Lecornu, ministre. L’amendement du Gouvernement en séance couvrira le vôtre et sera plus détaillé. Je vous suggère donc de le retirer.

La commission rejette l’amendement.

 

 

Amendement DN677 de Mme Delphine Lingemann.

Mme Delphine Lingemann (Dem). Il tend à promouvoir les recherches sur l’hydrogène et son développement comme carburant utilisé dans nos armées. Il s’agit de proposer une nouvelle source, sécurisée et durable, d’approvisionnement en carburant, tout en conservant les performances des équipements militaires. La LPM vise à anticiper les défis de demain : favoriser l’exploration d’usages potentiels de l’hydrogène dans les applications militaires va tout à fait dans ce sens.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Amendement satisfait. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Le ministère des armées est davantage un consommateur qu’un acteur de la chaîne de production, qui relèverait davantage d’autres ministères.

L’hydrogène n’est pas une fin en soi, mais un moyen d’arriver à d’autres fins, militaires ou capacitaires. Ce sujet pourra être repris dans l’amendement global du Gouvernement, qui deviendra un texte œcuménique à la construction duquel auront contribué toutes les sensibilités politiques. Demande de retrait.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN472 de M. Bastien Lachaud.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Cet amendement fait partie d’une série visant à substituer le mot « crédits » au mot « besoins ». Il est défendu, ainsi que les suivants.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Nous en avons déjà parlé : avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. La LPM précédente qui ne faisait pas état de ces sujets soulevait finalement moins de questions : cela n’encourage pas à être plus transparent. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements identiques DN50 de la commission des finances et DN190 de M. Jean-Charles Larsonneur.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. Intégrer les architectures duales dans la loi de programmation militaire permettrait d’inclure des opérateurs civils aptes à fournir des services d’observation et d’écoute depuis l’espace, grâce à des capacités multicouches et multimissions par l’emport de charges utiles secondaires. Il s’agit notamment de réaliser des économies et de multiplier les satellites offrant des possibilités d’écoute et d’observation pour nos services de renseignement et nos armées.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte les amendements.

 

L’amendement DN453 de M. Aurélien Saintoul est retiré.

 

Amendement DN84 de M. Laurent Jacobelli.

M. Laurent Jacobelli (RN). De nombreux satellites en orbite géostationnaire, tels ceux des programmes Syracuse, pourraient être détruits par des États, comme la Russie ou la Chine, qui en auraient les moyens techniques. Il nous faut prévoir une défense à cette altitude, car la destruction de ces satellites aurait de terribles conséquences militaires, notamment la perte des communications et de position sur le champ de bataille. C’est pourquoi nous proposons d’ajouter les mots « géostationnaire et » après le mot « orbite ».

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Sagesse.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Sagesse également.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendements identiques DN454 de M. Aurélien Saintoul et DN473 de M. Bastien Lachaud.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Les satellites de la composante spatiale optique (CSO) qui remplissent la fonction de renseignement optique arrivent en fin de vie en 2030. Le lancement de leurs remplaçants, les satellites Iris, n’est prévu qu’en 2032. Comment les armées comptent-elles gérer ce trou capacitaire ?

Au passage, celui qui a eu l’idée de donner au système optique français le même nom que celui de la constellation européenne de communication Iris s’est montré assez malin, mais ce n’est pas sans créer de confusion.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. J’ai évoqué tout à l’heure une négociation industrielle susceptible d’être fructueuse : je pense pouvoir vous présenter en séance un amendement du Gouvernement tendant à inscrire dans le tableau capacitaire un Iris à l’horizon de 2030, et ce à enveloppe constante. Ces éléments ne figurent pas dans le rapport annexé initial, puisqu’ils sont un élément de négociation.

Je m’engage à déposer très tôt l’amendement gouvernemental pour vous permettre de vous positionner. Demande de retrait.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Monsieur le ministre, je vous remercie de répondre à cette préoccupation majeure. J’espère que vous pourrez déposer l’amendement avant la date limite de dépôt de nos amendements. Nous-mêmes en déposerons un dans ce sens. Il semble que nous partagions le même objectif.

Les amendements sont retirés.

 

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement DN455 de M. Aurélien Saintoul.

 

Amendement DN549 de Mme Cyrielle Chatelain.

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). L’amendement vise à rappeler un principe éthique que la France s’est engagée à respecter : les drones tueurs, équipés de fonctions létales, doivent toujours opérer sous tutelle humaine.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. À ma connaissance, il n’a jamais été question qu’ils opèrent sans cette tutelle. Sagesse.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je suis favorable à l’amendement sur le fond, mais il faut en revoir la rédaction : la tutelle caractérise une vérification a posteriori, il faut plutôt parler de contrôle. Dans la doctrine française, à aucun moment, le drone, qu’il soit armé ou non, ne doit sortir du contrôle d’un soldat habilité. Le respect d’une éthique permet même d’aller très loin dans le domaine des drones.

Je vous propose de retirer l’amendement et d’en revoir la rédaction pour la séance.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN164 de M. Pierrick Berteloot.

M. Julien Rancoule (RN). Les fonds marins deviennent un nouvel espace de conflictualité hautement stratégique, qui s’accentuera inévitablement avec les évolutions technologiques à venir. Maîtriser les fonds marins, c’est les protéger, et cela passe par le contrôle de l’information. Nous pensons que le rapport annexé doit mentionner la nécessité absolue de mettre en place des systèmes de collecte et de traitement des données par des drones sous-marins. Pour notre sécurité et notre indépendance stratégique, nous ne pouvons prendre de retard dans la collecte d’informations par cette technologie.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Demande de retrait.

M. Sébastien Lecornu, ministre. L’amendement est trop restrictif : la collecte d’informations peut aussi être effectuée par des dispositifs fixes, et pas seulement par des drones.

M. Julien Rancoule (RN). Je le maintiens, car il s’agit d’un amendement d’appel pour souligner l’importance de la protection des fonds marins.

La commission rejette l’amendement.

 

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement rédactionnel DN821 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Amendement DN160 de M. Pierrick Berteloot.

Mme Caroline Colombier (RN). L’installation de capteurs permanents ou semi-permanents est capitale pour l’enjeu stratégique que sont les fonds marins. L’accroissement et le développement de capacités dédiées, notamment de renseignement, sont essentiels si l’on veut garantir la sécurité de nos espaces sous-marins.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Demande de retrait.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN739 de M. Jean-Louis Thiériot.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Le démonstrateur de drone aérien de combat de type Neuron ayant rencontré un certain succès et les perspectives semblant prometteuses, ne faudrait-il pas prévoir un démonstrateur de nouvelle génération ? Celui-ci pourrait-il être intégré au programme Scaf, sachant qu’il doit rester une capacité souveraine ? Je mets le sujet sur la table en précisant qu’il mériterait, à mon avis, d’être financé.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il ne revient pas au législateur de se prononcer sur un tel choix.

M. Sébastien Lecornu, ministre. J’y ai fait allusion tout à l’heure : le démonstrateur entre, non pas dans le Scaf, mais dans le standard F5, et celui-ci relève de la LPM. J’invite au retrait de l’amendement car, s’agissant du drone d’accompagnement de la succession du Rafale à venir, c’est la ligne F5 qu’il faut durcir. Préparons une rédaction beaucoup plus claire pour la séance, car la nouvelle est d’importance pour l’armée de l’air.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN162 de M. Pierrick Berteloot.

M. Frank Giletti (RN). La France possède la deuxième façade maritime mondiale, mais cette force pour notre pays est également un point de tension majeur : nous sommes concurrencés sur nos façades maritimes comme sur nos fonds marins. Il est essentiel de concentrer nos efforts sur nos équipements en drones sous-marins, qui permettent des actions offensives et défensives contre tout adversaire présent dans une zone stratégique.

Certaines puissances maritimes ont déjà mis en place de tels concepts : le Seabed Warfare – la guerre des fonds sous-marins – pour les États-Unis, ou le système de zone d’interdiction d’accès (System Anti-Access Area) pour la Chine. Face à ces risques, nous devons nous réarmer et développer de nouvelles capacités afin de nous défendre et de protéger nos intérêts stratégiques.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Demande de retrait. L’amendement est incomplet, car il faut non seulement agir, mais aussi connaître et surveiller.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il est, en outre, satisfait par la stratégie présentée.

La commission rejette l’amendement.

 

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement DN474 de M. Bastien Lachaud.

 

Amendement DN40 de M. Julien Rancoule.

M. Julien Rancoule (RN). Cet amendement, reprenant une proposition du rapport d’information que j’ai rédigé avec M. Bru sur les stocks de munitions, vise à ajouter à l’alinéa 45 les systèmes de contre-mesures, pour renforcer à court terme la défense surface-air. Face à l’augmentation globale de l’intelligence des missiles, ceux-ci doivent continuer de se perfectionner pour les contrer.

Les évolutions privilégient des systèmes de protection multicouches, alliant plusieurs types de masquage-leurrage : les leurres spectraux à LED ou pyrotechniques, le brouillage, les leurres multipoints, les flashes et le masquage sont autant de technologies susceptibles de perturber le missile donc de renforcer l’autodéfense des plateformes.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je ne suis pas certain de comprendre l’expression « systèmes de contre-mesures ». C’est pourquoi je vous propose de retirer votre amendement.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Comme je l’ai dit pour les brouilleurs de la marine ou pour la défense des chars et des blindés, on ne peut pas lister l’ensemble des équipements technologiques et modules de protection. Ceux que cite l’amendement sont bien intégrés à la LPM.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN86 de M. Laurent Jacobelli.

M. Laurent Jacobelli (RN). Il s’agit de préciser que la lutte contre les drones « de toutes catégories » s’effectue « grâce à des moyens de détection et de destruction » dont il faut prévoir le financement. Les drones tactiques kamikazes sont particulièrement dangereux utilisés en essaim.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Le sujet est réel mais l’amendement est satisfait. Demande de retrait.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il est en effet satisfait. La détection et la destruction des drones pourraient n’impliquer que leur capture : le terme « neutraliser » serait préférable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements DN91 de M. Laurent Jacobelli et DN99 de Mme Caroline Colombier (discussion commune).

M. Laurent Jacobelli (RN). À la dernière phrase de l’alinéa 45, vous érigez en principe la recherche de coopérations européennes ; nous, nous souhaiterions que, dans un premier temps, la priorité soit donnée à la BITD française avant de rechercher des coopérations interétatiques, puis européennes, si nécessaire.

Mme Caroline Colombier (RN). De même, il s’agit de privilégier la BITD française.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. L’intérêt national n’est pas forcément contradictoire avec l’intérêt européen.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Dans les faits, depuis les années 1960, la priorité est donnée à la BITD. Ce n’est pas parce que le Rassemblement national devient gaulliste qu’il faut réécrire des évidences !

Je conviens que la rédaction de l’alinéa 45 n’est pas heureuse, car elle ne cible que l’intercepteur dans les hautes couches de l’atmosphère. J’émets toutefois un avis défavorable à l’amendement, car j’ai un doute sur son mobile : je vois que vous cherchez à remettre en cause, par principe, les coopérations européennes.

M. Laurent Jacobelli (RN). C’est parce que je suis gaulliste que j’ai rejoint le Rassemblement national.

La recherche d’une coopération européenne est un moyen, non un but, si nos entreprises françaises ne peuvent à elles seules produire ce dont nous avons besoin. Une coopération européenne n’est pas exclue, mais nous avons vu à quoi cela a conduit pour certains programmes : s’acharner à coopérer mène au fiasco.

Mme Natalia Pouzyreff (RE). C’est une question de cohérence : notre système de défense aérienne SAMP/T, qui comprend des capacités de lutte contre les missiles hypersoniques, est déjà le fruit d’une coopération européenne avec l’Italie et la Grande-Bretagne. Nous nous inscrivons dans cette perspective européenne avec les programmes lancés dans le cadre de la politique de défense et de sécurité commune (PSDC).

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendement DN456 de M. Aurélien Saintoul.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Le groupe La France insoumise est favorable aux coopérations européennes – certaines sont très fructueuses, notamment la société MBDA ou les coopérations avec nos amis britanniques. Néanmoins, nous avons été échaudés par celles qui n’ont pas abouti, comme les accords de Schwerin ou le programme MAWS (Missile Approach Warning System).

Nous souhaitons affirmer un principe, que je crois partagé : ces coopérations européennes ne doivent pas nuire à la souveraineté française. Nous savons mener des coopérations et introduire des éléments de souveraineté lorsqu’il s’agit de la dissuasion. Nous pourrions tous nous retrouver sur cette affirmation.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. La France veille toujours à préserver sa souveraineté. L’amendement est satisfait.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Ne cherchez pas à caricaturer les membres de la majorité présidentielle sous les traits d’Européens béats, qui écraseraient trop facilement l’autonomie stratégique et les intérêts souverains français. C’est une vision que je sens poindre, et le président Olivier Marleix a lui-même tenu des propos étonnants en la matière.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Il parle sagement !

M. Sébastien Lecornu, ministre. Voilà qui devrait interpeller l’ensemble du groupe Les Républicains !

Je ne suis pas fermé à une mention de la souveraineté, mais pas comme cela. L’expression « qui ne nuisent pas à la souveraineté française » veut tout dire, et rien à la fois. Je pense qu’un amendement peut être trouvé en séance, qui fera l’unanimité – on verra alors s’il s’agit de faire de la politique ou d’installer ensemble des garde-fous. Il faut être précis dans la rédaction. Je préconise plutôt : « qui ne nuisent pas à des intérêts militaires souverains ». Vous avez pris l’exemple de la dissuasion ; en la matière, la doctrine est pure et parfaite : elle ne se disperse pas et recouvre vraiment les intérêts militaires souverains. Il y a d’autres sujets duaux qui n’abîment pas la souveraineté française, et il ne faudrait pas qu’une formule nous fasse nous contredire dans d’autres débats capacitaires et nous fasse passer pour des hypocrites.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Vous demandez souvent de retirer les amendements ; il serait temps d’en adopter un, pour ancrer quelque chose, quitte à le retoucher en séance. La majorité aura à cœur de ne pas se mettre en porte-à-faux avec votre avis. Il est bon de noter une inflexion. Votre ligne politique ne correspond manifestement pas à celle de votre prédécesseure ; vous montrez moins d’irénisme à l’égard des institutions européennes, ce qui est plutôt pour nous satisfaire. La majorité a fait preuve ces dernières années de beaucoup d’innocence et de naïveté. Le programme MAWS, pour lequel on a beaucoup tergiversé, en est un exemple.

M. Laurent Jacobelli (RN). Vous nous accusez de malice mais pourquoi précisez-vous « en recherchant des coopérations européennes » ? C’est cela qui nous contraint à réaffirmer la souveraineté française. Avez-vous un agenda caché ?

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il n’y en a pas, mais j’ai eu raison de souligner votre malice.

Mme Lysiane Métayer (RE). Certes, nous devons concentrer les efforts sur la coopération européenne industrielle, mais il va de soi que la souveraineté française passe en priorité. C’est un élément crucial de notre autonomie stratégique européenne, sans laquelle il ne peut pas y avoir de défense commune. Aller dans cette voie relève du bon sens.

Mme Natalia Pouzyreff (RE). Cette priorité est implicite : lorsqu’une coopération est entamée, il faut la poursuivre, par cohérence, mais, le ministre l’a dit et répété, l’enjeu de la souveraineté française est au cœur de cette loi de programmation militaire. Je ne comprends pas un tel procès d’intention.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN735 de M. Jean-Louis Thiériot.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). J’ai déjà évoqué ce sujet de l’artillerie sol-air, et je me contenterai de dire qu’il s’agit de poser le principe de la nécessité de celle-ci. J’espère que cet amendement fera l’unanimité.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis favorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Avis favorable à cet amendement de repli.

La commission adopte l’amendement.

 

Suivant les avis du rapporteur, elle rejette successivement les amendements DN475 de M. Bastien Lachaud et DN161 de M. Pierrick Berteloot.

 

Amendement DN72 de la commission des affaires étrangères.

Mme Laëtitia Saint-Paul, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères. Cet amendement me donne l’occasion de vous dire, Monsieur le ministre, à quel point la politique que vous menez au profit des Outre-mer a été saluée par toute la commission des affaires étrangères. S’il y a un point qui nous unit tous, c’est bien celui-là.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement.

 

Amendements identiques DN51 de la commission des finances et DN191 de M. Jean-Charles Larsonneur.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. Il s’agit de préciser que les communications peuvent être terrestres, air-air et spatiales.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette les amendements.

 

 

Amendement DN738 de M. Jean-Louis Thiériot.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Sur ce sujet des bâtiments amphibie, j’ai pris bonne note que nous réfléchirions, pour le débat en séance, à une rédaction et à un contenu pouvant convenir à tout le monde.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN423 de M. Olivier Marleix.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). La situation très difficile à Mayotte nécessite une présence maritime importante. Il nous faut un port en eau profonde, capable d’accueillir des bâtiments plus importants. Le groupe LR souhaite que cela figure dans le rapport annexé.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. La LPM prévoit de consacrer 16 milliards d’euros aux infrastructures, dont 800 millions d’euros pour l’investissement en Outre-mer.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Avis défavorable, car le port de Mayotte appartient au conseil départemental : le ministère des armées ne peut pas intervenir. Au reste, les moyens ne sauraient être seulement maritimes, un appui est possible depuis La Réunion. Nous reviendrons sur ces sujets en séance.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN163 de M. Pierrick Berteloot.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Demande de retrait car l’amendement est satisfait.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN686 de M. Bastien Lachaud.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Le directeur général de la sécurité extérieure (DGSE) a exprimé le souhait, en audition, que le budget de son service « tangente » les 5 milliards. Puisque vous avez annoncé que la DGSE perdrait 400 millions, nous proposons d’augmenter l’enveloppe globale du renseignement à 5,4 milliards, ce qui permet de répondre aux besoins de la DGSE sans déshabiller les autres services.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Les besoins de la DGSE sont compris dans le patch de 5 milliards. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Même avis. Dans l’esprit du DGSE, c’est ce que « tangenter » voulait dire.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Je considère que 10 %, cela va au-delà d’un simple « tangentement ». Nous maintenons cet amendement pour nous assurer que les crédits ne feront pas défaut ; vous aurez toujours la possibilité d’en ventiler une partie vers les autres services, notamment la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), car les besoins en la matière sont très importants.

La commission rejette l’amendement.

 

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement DN457 de M. Aurélien Saintoul.

 

Elle adopte l’amendement rédactionnel DN849 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Amendement DN697 de M. Bastien Lachaud.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Il s’agit également de garantir un budget de 5 milliards à la DGSE.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Mon avis sera donc le même. Je tiens à préciser que la DRSD n’a pas fait de demande particulière lorsque je l’ai auditionnée.

M. Sébastien Lecornu, ministre. De fait, c’est moi qui ai musclé la copie de la DRSD pour des missions je suis en train de lui confier, liées au retour de la guerre ainsi qu’à des sujets de contre-espionnage et d’ingérence. Demande de retrait ou avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Elle adopte l’amendement rédactionnel DN850 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

 

Amendements DN476 de M. Bastien Lachaud et DN458 de M. Aurélien Saintoul (discussion commune).

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Lors des auditions, les services de renseignement, en particulier la DGSE, se sont inquiétés de leur capacité à maintenir une présence suffisante de militaires en leur sein. Le premier de ces amendements vise à fixer à 25 % la part des personnels militaires dans les effectifs de la DGSE, tandis que le deuxième propose un taux de 20 %. Il est important de préserver la militarité des services.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. La militarité de la DGSE est un sujet clef, sur lequel j’ai donné mandat au Cema et au DGSE de me faire des propositions. Les enjeux sont très importants, tant à la sortie des écoles – il n’y a pas de parcours type dans le renseignement, comme cela peut exister dans d’autres armées – qu’au stade des nominations. Pour ma part, je veille à ce que le nouvel organigramme comprenne des militaires.

Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable, car le rapport annexé n’est pas le lieu pour traiter de ce sujet. Néanmoins, sur le fond, les objectifs doivent être tenus : nous sommes actuellement autour de 20 % et il ne faut pas aller en dessous.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). J’aurais aimé que le rapporteur nous donne un peu plus d’arguments. Vous nous demandez de retirer nos amendements alors que vous êtes d’accord sur le principe : dites-nous au moins dans quelle partie du texte vous considérez qu’une telle disposition serait légitime.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Nous avions calé nos interventions avec M. le ministre, raison pour laquelle je n’ai pas voulu trop m’étendre dans ma réponse. Je souhaite néanmoins apporter une précision sur la subsidiarité : les services n’ont pas besoin de votre regard extérieur pour savoir qu’ils ont besoin de militaires et que le problème qui se pose à eux est celui du recrutement et de la fidélisation.

M. Sébastien Lecornu, ministre. L’augmentation des effectifs crée aussi une forme de diminution, beaucoup des nouveaux équivalents temps plein (ETP) étant affectés au cyber et présentant plutôt des profils de civils. Le défi, pour nous, sera d’imaginer des aménagements sur les postes de militaires, peut-être en faisant appel à des officiers contractuels. La réflexion est tout aussi quantitative que qualitative.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Il est tout à fait normal que le législateur s’intéresse au modèle et se prononce sur la part des militaires dans le service. Nous maintenons donc ces amendements, quitte à trouver une autre formulation pour la séance.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendement DN251 de Mme Mélanie Thomin.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Il vise à renforcer la lutte contre les ingérences étrangères à tous les niveaux, notamment dans le champ informationnel. L’influence est devenue une fonction stratégique et un champ d’affrontement, et nécessite une coopération allant au-delà du strict périmètre de nos armées. Ainsi, la défense de nos intérêts, en particulier ceux de la BITD, bénéficie d’actions conjointes de la DRSD avec la DGSI. La poursuite de cette coordination entre services apparaît indispensable pour relever ce défi.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Votre amendement souligne l’intérêt de la coopération interministérielle dans la lutte contre les ingérences étrangères. Avis favorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. La lutte contre les ingérences étrangères étant le cœur de métier des services que vous ciblez, il ne me paraît pas nécessaire de le repréciser. Quant à son caractère interministériel, il me paraît également évident. J’émettrai un avis de sagesse, voire plutôt défavorable, car je crains que votre amendement n’en inspire d’autres tendant à préciser des évidences pour la séance.

Mme Mélanie Thomin (SOC). L’idée est surtout de souligner la nécessité de coordonner nos services entre eux.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Cela peut poser un problème de coordination, car des amendements adoptés hier ont déjà modifié le texte.

La commission adopte l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement DN477 de M. Bastien Lachaud.

 

Elle adopte l’amendement rédactionnel DN916 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Amendement DN282 de M. José Gonzalez.

M. José Gonzalez (RN). La transformation de la France en une grande nation pourvue de capacités cyber de premier rang nécessite d’engager l’ensemble des acteurs, étatiques comme locaux, publics comme privés, dans des manœuvres communes. Il faut pour cela identifier les structures capables de fonctionner conjointement grâce à la mutualisation de leurs moyens et à un travail de réflexion commun. L’État doit poursuivre l’accompagnement existant, tout comme les parcours de cybersécurité destinés à accompagner les collectivités territoriales ou encore la création de campus cyber ouverts aux acteurs publics et privés. Il est impératif que cette nécessité soit inscrite dans la loi de programmation militaire.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis défavorable, car le ministère des armées n’est pas chargé de la cybersécurité des collectivités territoriales, qui relève de l’Anssi.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Les armées n’ont pas à se coordonner avec les collectivités territoriales sur les sujets cyber : cela relève de la responsabilité de l’Anssi. Demande de retrait ou avis défavorable.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN918 de M. Jean-Michel Jacques.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il vise à inscrire dans le rapport annexé l’impératif de coordination interministérielle de la lutte informatique d’influence et, plus généralement, de la politique d’influence de la France.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Même avis de sagesse que pour l’amendement de Mme Thomin.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Nous aimerions avoir davantage de précisions sur les services de l’État concernés et sur la façon dont ils se coordonnent. Vous n’avez pas souhaité inscrire dans la loi le principe de la souveraineté de la France dans ce domaine au motif que cela était implicite, mais vous acceptez de le faire s’agissant de la coordination des services entre eux alors qu’elle aussi est évidente : manifestement, votre avis sur ce qui est implicite diffère selon que la proposition vient du rapporteur ou de l’opposition. Nous voterons cependant pour cet amendement, car il nous paraît préférable d’expliciter certains éléments dans la loi.

La commission adopte l’amendement.

 

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement DN478 de M. Bastien Lachaud.

 

 

 

Amendement DN111 de M. Michaël Taverne.

M. Michaël Taverne (RN). Il est essentiel de s’assurer que les forces spéciales ne souffriront pas dans le futur de failles capacitaires. Une crainte existe concernant de potentiels déficits de moyens nécessaires à l’action et à l’entraînement des FS, notamment le carburant. Il est donc proposé d’inscrire dans le rapport annexé un objectif de renforcement des moyens logistiques destinés à assurer cette mission primordiale.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. L’amendement est satisfait. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. La rédaction actuelle du rapport annexé est plus précise que celle que vous proposez. Demande de retrait ou avis défavorable.

L’amendement est retiré.

 

Elle adopte l’amendement rédactionnel DN822 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Amendement DN95 de M. Laurent Jacobelli.

M. Laurent Jacobelli (RN). Puisque, selon le principe de cohérence, l’important n’est pas d’avoir toujours plus de matériel mais que celui-ci soit utilisable, nous proposons de préciser, à l’alinéa 53 qui fait référence aux matériels mis à disposition des forces spéciales, la nécessité de poursuivre non seulement leur modernisation, mais aussi l’amélioration de leur taux de disponibilité. Cela concernerait particulièrement l’hélicoptère NH90, dont le taux de disponibilité est assez faible.

Je ne vois pas comment vous pourriez refuser cet amendement, car il n’est que la stricte application du principe de cohérence que vous nous expliquez depuis deux jours.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il est satisfait, car la LPM consacre 49 milliards d’euros au MCO, soit une augmentation de 40 % du budget.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Notre objectif est d’améliorer le taux de disponibilité de l’ensemble de la gamme de matériels des armées, pas uniquement ceux des FS. S’il fallait le préciser dans la loi, alors il faudrait le faire à chaque fois que celle-ci évoque des équipements. La rédaction initiale de l’alinéa couvre déjà cette idée. Demande de retrait.

M. Laurent Jacobelli (RN). Il se trouve que cet alinéa évoque les NH90. Soit on est général partout, soit on est précis partout ; on ne peut pas être précis que sur une partie du texte.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il s’agit d’hélicoptères nouveaux, en l’espèce.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN110 de M. Michaël Taverne.

M. Michaël Taverne (RN). Le renforcement des moyens d’action des forces spéciales doit prendre en considération les demandes exprimées par les forces elles-mêmes. Ainsi, le général commandant la brigade des FS a indiqué très nettement son souhait de doter ses unités de mortiers. Il est donc proposé de répondre à cette demande.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je ne doute pas que vous ayez pu entendre évoquer ce besoin, mais le commandant des opérations spéciales (COS) ne l’a pas explicitement exprimé lorsque je l’ai auditionné. Demande de retrait.

M. Sébastien Lecornu, ministre. D’une manière générale, les FS ne manquent pas de grand-chose, le risque étant plutôt celui de l’étalement. Il ne me semble pas opportun d’apporter cette précision, car il faudrait alors dresser un catalogue de tous les matériels nécessaires. Tout cela est prévu dans le patch FS.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN424 de M. Michaël Taverne.

M. Michaël Taverne (RN). Les missions confiées aux forces spéciales devront évoluer sensiblement et prendre en compte un besoin croissant d’agilité lors des opérations. Ces missions s’effectuent désormais dans une logique de défense en profondeur dynamique, en ayant recours à des patrouilles motorisées plus lointaines. Si l’objectif de fournir aux FS une gamme de véhicules renouvelée est positif, il faudrait l’indiquer clairement dans la LPM.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Les efforts de renouvellement des véhicules des forces spéciales ont été entrepris depuis plusieurs années ; ils vont se poursuivre et être durcis. Votre amendement étant satisfait, je vous en demande le retrait.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Nous proposons le durcissement pour l’ensemble de la galaxie capacitaire. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement DN459 de M. Aurélien Saintoul.

 


Lien vidéo : https://assnat.fr/UtPBUR

M. le président Thomas Gassilloud. Nous poursuivons l’examen de l’article 2 et du rapport annexé.

 

Article 2 : Approbation du rapport annexé (suite)

 

Rapport annexé (suite)

 

Amendement DN902 de M. Jean-Michel Jacques.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il s’agit de préciser que « s’agissant des capacités de frappe longue portée, la recherche d’une solution souveraine sera privilégiée pour remplacer le lance-roquettes unitaire dans les meilleurs délais ».

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées. Merci de cet amendement, qui répond aussi aux inquiétudes exprimées tout à l’heure par M. Jacobelli, mais dans une rédaction plus prudente et plus conforme à nos débats.

M. Frank Giletti (RN). Nous sommes favorables à cet amendement.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendements DN138 et DN140 de M. Frédéric Boccaletti.

M. Frank Giletti (RN). Il s’agit ici de l’hypervélocité. Les deux amendements sont complémentaires : l’un porte sur l’épée – le missile –, l’autre sur le bouclier – l’interception.

Les missiles hypersoniques sont si précis et si rapides qu’ils nous font entrer dans une nouvelle ère. La France n’est pas en retard, mais il est important d’inscrire dans la loi l’importance de la recherche sur ces nouvelles technologies, tant pour attaquer que pour nous défendre. La guerre en Ukraine nous y oblige : les Russes ont déjà tiré l’un de ces missiles, peut-être deux. Les États-Unis travaillent également sur ces armes.

Nous avons des atouts, notamment des entreprises comme Ariane. Je redis notre volonté de disposer d’une recherche française et bien française. D’autres pays européens, comme l’Espagne, travaillent aussi sur ce sujet, mais je crois savoir que nous ne boxons pas tout à fait dans la même catégorie.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Sagesse.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Avis défavorable à l’amendement DN140 : si je comprends l’intention, la formulation nous renvoie aux contrats opérationnels d’hier. Sur le fond, votre intention est satisfaite par le système sol-air moyenne portée terrestre (Samp/T) de nouvelle génération.

En revanche, avis favorable à l’amendement DN138 : il s’agit bien ici d’améliorer nos missiles.

La commission adopte l’amendement DN138 et rejette l’amendement DN140.

 

Amendement DN664 de M. Vincent Bru.

M. Vincent Bru (Dem). Cet amendement, qui reprend la proposition n° 2 du rapport d’information que j’ai présenté à la commission avec Julien Rancoule, vise à inciter à l’utilisation de munitions réelles, « bonnes de guerre », plutôt que de munitions d’entraînement, lors de la préparation opérationnelle. Comme les simulateurs, les munitions d’entraînement sont utiles, mais elles ne permettent pas une préparation optimale de nos forces armées.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. C’est un très bon rapport. Sagesse.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Certaines des préconisations de ce très bon rapport, dont celles-ci, sont reprises par le commandement. Cela ne relève, à mon sens, ni de la loi, ni même de l’instruction ministérielle : qui suis-je pour expliquer à un maître principal ou à un adjudant-chef comment il doit procéder ?

Nous mettons les moyens pour que nos stocks soient suffisants ; le chef d’état-major des armées (CEMA) a donné les instructions nécessaires. Faisons confiance à la hiérarchie militaire pour trouver le bon équilibre entre les munitions réelles et les autres solutions.

M. Julien Rancoule (RN). Le choix du type de munitions relève en effet des régiments. Encore faut-il que les stocks soient là : ce n’est pas toujours le cas.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Le projet de LPM augmente les moyens et les stocks de munitions. Je comprends cet amendement comme un amendement d’appel. Il n’a pas sa place dans le rapport annexé : c’est se substituer au commandement.

L’amendement est retiré.

 

Amendements DN252 et DN211 de Mme Mélanie Thomin (discussion commune).

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Sagesse.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Avis défavorable. Tous les stocks de munitions ne se valent pas.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendement DN38 de M. Julien Rancoule.

M. Julien Rancoule (RN). Vous faisiez ce matin référence au général de Gaulle, Monsieur le ministre : je ne crois pas qu’il aurait accepté que la France soit dépendante pour des munitions aussi stratégiques que celles de petit calibre. Cet amendement propose une relocalisation de leur production.

Pour notre rapport, Vincent Bru et moi-même avons notamment entendu des représentants du ministère de l’intérieur. Ils nous ont dit avoir rencontré de fortes difficultés d’approvisionnement au début de la guerre en Ukraine, alors que le ministère disposait d’une autonomie inférieure à deux mois. Nous nous fournissons principalement en Europe de l’Est, notamment en République tchèque : dans cette période de crise, nos partenaires ne pouvaient pas nous fournir ces munitions.

Le ministère de l’intérieur promeut un projet ambitieux de relocalisation de la production de munitions de 9 millimètres, qui pourrait à terme fournir également du 5,56, voire du 12,7 : le ministère des armées devrait se joindre à ce projet.

Il faut changer de paradigme et, pour défendre notre indépendance et notre souveraineté, travailler à un projet national.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. C’est un sujet essentiel. De premières avancées doivent être saluées : Eurenco va relocaliser à Bergerac sa production de poudre pour obus. Il faut aller plus loin et mener une politique volontariste ; le Gouvernement et la direction générale de l’armement (DGA) ont un rôle à jouer. Il faut aussi que ces projets soient viables économiquement.

M. Sébastien Lecornu, ministre. C’est un dossier encore plus critique pour le ministère de l’intérieur que pour celui des armées. Pour nous, les obus sont encore plus prioritaires. Je travaille sur le dossier des obus de 155 millimètres, de certaines munitions critiques.

À ce jour, nous n’avons pas trouvé d’industriel pour mener le projet.

Il faut réfléchir à la compétitivité de la filière : la nécessité d’être souverain ne fait pas disparaître celle d’être compétitif.

Je suggère plutôt le retrait de l’amendement, car ce serait aujourd’hui un vœu pieux. Mais ce dossier sera suivi, davantage par le ministère de l’intérieur.

M. Julien Rancoule (RN). Le ministère de l’intérieur nous a indiqué que les prix des munitions avaient beaucoup augmenté, sous l’effet de l’inflation mais aussi du contexte international. Celles de 9 millimètres seraient 6 centimes moins cher à l’unité que ce que propose le marché actuel. On peut donc écarter l’argument de la compétitivité. C’est un amendement de bon sens !

Mme Mélanie Thomin (SOC). Mes amendements précédents défendaient aussi la relocalisation de nos filières de production de munitions et de poudre. Nous disposons d’un savoir-faire français et de sites prêts à accueillir ces industries. Il faut tirer les leçons du conflit en Ukraine : être autonomes en matière de production et de stockage, c’est une assurance, et même un élément de dissuasion conventionnelle.

Il me semble intéressant de faire bénéficier les industriels français de cette relocalisation. Bergerac a été cité ; je mentionne également Pont-de-Buis, dans ma circonscription.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN402 de M. Fabien Roussel.

M. Fabien Roussel (GDR-NUPES). Dans la même logique que les précédents, il s’agit de garantir notre pleine souveraineté, notre pleine autonomie, dans la production de munitions de petit calibre, notamment par le biais de la nationalisation. Nous avons déjà abordé hier ce sujet de la construction d’un pôle public de la défense, de nationalisations, de prise de participations de l’État.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis défavorable. Je ne suis pas favorable à cette méthode de la nationalisation.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Avis défavorable.

M. Julien Rancoule (RN). Il paraît compliqué de renationaliser une activité qui n’existe plus en France !

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Renationaliser, rétablir, recréer, peu importe en réalité. C’est un sujet dont nos camarades communistes se sont emparés depuis déjà plusieurs années ; le président Chassaigne l’a défendu au cours de la législature précédente. Aujourd’hui, tout le monde veut relocaliser : c’est une façon de leur donner raison. Je ne désespère pas de vous voir finir par leur donner raison aussi sur la nécessité de nationaliser la filière.

La commission rejette l’amendement.

Amendements DN88 de M. Laurent Jacobelli, DN480 de M. Bastien Lachaud et DN977 du Gouvernement (discussion commune).

M. Laurent Jacobelli (RN). Je demande que l’amendement DN88 soit étudié séparément des deux autres. Le vote de cet amendement ne rend caduc aucun autre amendement. Un peu de rigueur !

M. le président Thomas Gassilloud. Les trois amendements sont exclusifs les uns des autres. Pouvez-vous nous expliquer en quoi ils seraient compatibles ?

M. Laurent Jacobelli (RN). Si vous voulez, faisons cela ! Nous pourrions même suspendre notre réunion pour étudier ce point !

M. le président Thomas Gassilloud. Je veux seulement bien comprendre votre demande.

M. Laurent Jacobelli (RN). Je vais vous expliquer. L’amendement DN88 modifie le titre de la partie numérotée 2.2.4. L’amendement du Gouvernement complète ce même alinéa 56, par des mots qui ne sont en rien incompatibles avec ma proposition. Si les deux sont votés, le titre deviendrait : « Des coopérations européennes au service des intérêts nationaux dans le respect de la souveraineté française. » Non seulement ils ne sont pas incompatibles, mais ils ne sont pas antinomiques !

M. le président Thomas Gassilloud. L’amendement DN88 réécrit le titre. Dans ce cas-là, l’amendement DN480 devient sans objet, nous en sommes d’accord ?

M. Laurent Jacobelli (RN). Pour l’amendement DN480, c’est vrai.

M. le président Thomas Gassilloud. Bien. Nous avons déjà fait une partie du chemin.

M. Laurent Jacobelli (RN). Mais ce n’est pas vrai pour l’amendement du Gouvernement ! Ce n’est pas à vous d’en juger. Ça suffit ! Montrez-moi que les deux ne peuvent pas se combiner.

M. le président Thomas Gassilloud. L’amendement DN977 du Gouvernement s’accroche à une phrase qui n’existerait plus si votre amendement était adopté. Ce n’est pas une approche politique, mais formelle.

M. Laurent Jacobelli (RN). Mais pourquoi dites-vous qu’il n’y a plus d’accroche ? Soit vous vous entêtez, et c’est une procédure d’entrave, soit vous écoutez mes arguments et c’est du bon sens. Ça suffit !

M. le président Thomas Gassilloud. Si vous changez le titre, l’amendement DN977 perd son accroche et devient sans objet. Pour que les deux soient compatibles, il aurait fallu que le Gouvernement dépose un sous-amendement à votre amendement.

M. Laurent Jacobelli (RN). Le titre change, mais dans les deux cas l’amendement du Gouvernement ne perd pas son sens !

M. le président Thomas Gassilloud. Ce n’est pas une question de contenu. C’est un formalisme juridique. Si vous remplacez le titre…

M. Laurent Jacobelli (RN). Je n’ai rien remplacé ! Qu’est-ce que j’aurais remplacé ? Je veux bien changer les mots « Rassemblement national », si c’est cela qui vous ennuie !

M. le président Thomas Gassilloud. Tout le monde est ici attaché à la discussion sur le fond. Je ne veux pas créer de nouvel usage sur les discussions communes. Si vous y tenez absolument…

M. Laurent Jacobelli (RN). Je vous ai prouvé que les amendements étaient compatibles !

M. le président Thomas Gassilloud. Absolument pas. Écoutez, vous restez sur votre position, je reste sur la mienne. Il y a une discussion commune, et j’ai la certitude que cela est bien conforme au droit.

Vous avez la parole pour défendre l’amendement DN88.

M. Laurent Jacobelli (RN). Je demande une suspension de séance.

M. le président Thomas Gassilloud. Elle n’est pas de droit. L’amendement est-il défendu ?

M. Laurent Jacobelli (RN). Nous allons quitter la salle !

M. le président Thomas Gassilloud. Si vous voulez. L’amendement est-il défendu ?

M. Laurent Jacobelli (RN). C’est de l’obstruction !

M. le président Thomas Gassilloud. Pas du tout, c’est le respect du droit.

M. Laurent Jacobelli (RN). Si je comprends bien, une fois que c’est fait, c’est trop tard, mais quand on demande avant, je vous prouve que j’ai raison, mais c’est non quand même !

M. le président Thomas Gassilloud. Nous étudions votre demande et nous justifions notre réponse.

M. Laurent Jacobelli (RN). Vous ne l’avez pas justifiée !

M. le président Thomas Gassilloud. Mais si ! L’accroche de l’amendement du Gouvernement disparaît !

M. Laurent Jacobelli (RN). Cela ne veut rien dire ! Vous répétez ce qu’on vous souffle, mais cela ne veut rien dire !

M. le président Thomas Gassilloud. Je vous ai fait part de ma position. Encore une fois, la procédure protège les minorités. Ce serait un mauvais tour joué aux oppositions que de donner au président de séance la possibilité de modifier la manière dont sont étudiés les amendements.

Je constate que l’amendement DN88 est défendu. Nous en venons à l’amendement DN480.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Nous revenons à une discussion ouverte ce matin. Des coopérations européennes, pourquoi pas ; des coopérations bilatérales, certainement ; mais ces coopérations doivent toujours se faire dans le respect de l’indépendance de la France.

L’autonomie stratégique européenne nous semble un vain mot, dès lors que la défense européenne s’inscrit dans le cadre de l’Otan. En revanche, il faut évidemment garantir que les coopérations se font toujours au service de l’indépendance de la France.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je le dis aux oppositions : j’ai du mal à faire la différence entre ce qui relève de lignes rouges pour vos sensibilités politiques, que vous avez bien raison de faire valoir, et ce qui relève d’un procès d’intention fait à la majorité présidentielle sur les valeurs européennes qu’elle défend.

Je ne veux pas m’immiscer dans les affaires internes de l’Assemblée nationale, d’abord parce que je fais partie du Gouvernement, ensuite parce que je suis sénateur. Je m’exprimerai donc sur le fond.

Monsieur Jacobelli, avec votre amendement, on perd l’idée d’autonomie stratégique européenne, qui n’est pourtant pas antinomique avec notre propre souveraineté. C’est une réalité de voisinage : la France est en Europe, et au-delà de l’Europe politique que vous pouvez contester, il faut reconnaître qu’il existe des enjeux de sécurité continentale. La question de l’autonomie stratégique européenne se pose pour des acheminements de matières premières, par exemple, ou d’accès aux voies maritimes. J’enfonce une porte ouverte, j’en ai bien conscience.

Monsieur Lachaud, je suis pour l’indépendance de la France, mais je trouve dur de faire disparaître l’autonomie stratégique européenne.

Je vous propose donc un amendement de compromis aux termes duquel le titre de la partie 2.2.4 devient : « Des coopérations au service de l’autonomie stratégique européenne dans le respect de la souveraineté française ». J’espère que nous serons tous d’accord.

M. le président Thomas Gassilloud. J’ajoute que si le Gouvernement avait voulu sous-amender un autre amendement, cela aurait été possible, mais c’était autre chose.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Les coopérations européennes non seulement diminuent les coûts mais servent aussi à préserver la souveraineté française. Nous assumons notre attachement aux valeurs européennes. Avis défavorable aux deux premiers amendements ; avis favorable à l’amendement du Gouvernement.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). La clarification apportée par l’amendement du Gouvernement est extrêmement bienvenue. La souveraineté française est vitale, l’Europe est nécessaire, ne serait-ce que pour des raisons géographiques.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Nous ne croyons pas que l’autonomie stratégique européenne soit, dans le cadre actuel, autre chose qu’une chimère. Le discours d’Olaf Scholz hier devant le Parlement européen devrait vous inciter à plus de réalisme. Prétendez-vous faire l’Europe sans l’Allemagne, l’Union européenne sans l’Allemagne ? Ce n’est pas votre ambition. Si vous le voulez, lisons ensemble ce discours et voyons les marges de manœuvre qu’il vous laisse !

Mme Natalia Pouzyreff (RE). Il s’agit ici de coopérations qui ne sont pas toutes circonscrites au domaine de l’Union européenne, puisque le texte mentionne le Royaume-Uni : ces coopérations doivent en premier servir les intérêts de la souveraineté française.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Je comprends votre amendement, Monsieur le ministre, et nous le voterons ; je comprends beaucoup moins pourquoi vous avez émis ce matin un avis défavorable à notre amendement DN456 en expliquant que le terme de « souveraineté française » n’était pas assez précis. Ici, ce terme vous paraît suffisant.

Mais vous n’avez toujours pas apporté la démonstration que l’idée d’autonomie stratégique européenne dans le cadre de l’Otan a un sens.

Successivement, la commission rejette les amendements DN88 et DN480 et adopte l’amendement DN977.

 

Amendement DN975 rectifié de M. Jean-Michel Jacques.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. C’est l’amendement inspiré de la commission des affaires étrangères que nous avons déjà évoqué.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN239 de Mme Anna Pic.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Nous affirmons notre attachement viscéral à la construction européenne, comme beaucoup ici. Les programmes de coopération sont essentiels à la construction de l’Europe de la défense, qui n’est pas au service d’intérêts nationaux mais d’intérêts communs. L’Europe de la défense est la condition de l’autonomie stratégique européenne.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je comprends l’intention, mais je ne suis pas sûr que l’amendement apporte de la clarté là où il règne déjà une grande confusion.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Je maintiens l’amendement, car l’Europe de la défense est un vrai enjeu de cette LPM.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Une lecture précise de cet amendement doit nous empêcher de le voter. L’objectif du budget de la défense, ce n’est pas l’Europe de la défense mais bien la défense de l’Europe. Les coopérations servent à construire la défense la plus efficace possible, en permettant de faire mieux et moins cher.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN513 de M. Laurent Jacobelli.

M. Laurent Jacobelli (RN). Tout cela reste confus ; il s’agit ici d’introduire des garde-fous. Nous voudrions être sûrs que cette LPM sert les intérêts de l’armée française, mais aussi de la base industrielle et technologique de défense). Nous ne sommes pas contre les coopérations quand elles sont utiles, nous sommes contre seulement quand elles sont idéologiques et quand les projets pourraient être confiés à des entreprises françaises. Nous proposons donc d’écrire que les programmes en coopération sont menés pour nous doter de capacités militaires « qui n’auraient pu être produites par la BITD française dans des conditions de financement ou de délai acceptables ».

Il ne s’agit pas de pratiquer un souverainisme étroit, mais de donner leur chance aux entreprises françaises. Pour qu’elles passent en mode d’économie de guerre, comme nous le leur demandons, il faut leur donner de la visibilité.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je comprends bien l’esprit de cet amendement, mais il néglige certains aspects positifs des coopérations comme les économies d’échelle. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je le redis, je veux éviter tout procès d’intention. Nous n’avons rien à cacher. Apporter des précisions par amendement ne me dérange pas. Vous regrettez un flou, et je vous propose une nouvelle rédaction, que toutes les sensibilités politiques pourraient reprendre en séance publique. Nous pourrions écrire que les programmes en coopération sont pertinents pour se doter de capacités militaires communes en mutualisant les financements, « en particulier quand la BITD française n’est pas en capacité de proposer des solutions à des coûts soutenables » – c’est le bon mot, à mon avis, plutôt qu’« acceptables » – « et dans des délais cohérents avec les besoins opérationnels ».

C’est, je crois, le garde-fou que vous appelez de vos vœux, et il respecte le rythme militaire. Il n’y a pas de loup.

Tel que l’amendement DN513 est écrit, demande de retrait.

M. Laurent Jacobelli (RN). Nous déposerons en séance un amendement libellé comme vous le proposez. Nous retirons donc l’amendement DN513.

L’amendement est retiré.

 

Amendements identiques DN461 de M. Aurélien Saintoul et DN796 de M. Laurent Jacobelli.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Le concept d’autonomie stratégique européenne est un cache-sexe, destiné à dissimuler la faiblesse des réalisations, qui se sont en outre faites le plus souvent au détriment de la BITD française. D’une façon générale, nous devons ouvrir le chapitre des relations franco-allemandes et nous interroger sur les véritables capacités de nos partenaires. Il ne nous semble pas sérieux de tout brader au nom de l’autonomie stratégique européenne. Construire la sécurité de l’Europe, la défense des Européens, pourquoi pas, mais pas en défaisant la souveraineté française.

M. Laurent Jacobelli (RN). Les coopérations européennes doivent correspondre à des projets, à des attentes et à des financements particuliers. Elles ne doivent pas être une doctrine.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Ce n’est pas une doctrine. Le partage des coûts qu’elles permettent est un avantage. Par ailleurs, l’autonomie stratégique européenne et la souveraineté ou l’indépendance de la France ne s’opposent pas, à nos yeux. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Ni Otan, ni UE, des coopérations bilatérales sans que l’on sache toujours très bien avec qui… J’ai du mal à comprendre. Avis défavorable.

Mme Natalia Pouzyreff (RE). Que les auteurs des amendements n’acceptent pas la notion d’autonomie stratégique, on l’a compris, mais ils ne veulent même pas se projeter à long terme ; il faut pourtant bien préparer l’avenir. C’est comme si, dans le domaine civil, vous vous étiez opposés dans les années 1980 à la constitution d’Airbus. On peut prévoir l’avenir sans s’attaquer à la souveraineté française ! C’est un défaut de vision de votre part. La coopération est essentielle en Europe.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). « Ni Otan, ni UE », Monsieur le ministre ? Il n’y a pas d’UE sans Otan : c’est dans les traités. Vous pouvez essayer d’éluder, mais la question se pose nécessairement dans ces termes.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Mais que voulez-vous, vous ?

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). L’indépendance du pays, la possibilité pour la France de faire entendre une voix singulière. Toutes les nations du monde l’attendent de nous, mais cette singularité s’est résorbée au cours des années passées.

Notre collègue Pouzyreff trouve que nous manquons d’une vision de l’avenir, mais nous jugeons bien du passé et nous avons été échaudés. Dans le domaine du spatial, les Allemands ont cherché à promouvoir certaines coopérations dans l’idée de nous manger ensuite la laine sur le dos. Désolé d’être réaliste !

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Je trouve bien timide de dire qu’il n’y a pas de doctrine en la matière. Au-delà des amendements ponctuels, nous devrions assumer une doctrine de la construction d’une défense européenne. On peut revendiquer une indépendance française favorisée par la construction européenne. Je ne comprends pas l’opposition entre autonomie stratégique européenne et préservation de l’indépendance de la France. Pour moi, la première est la condition de la seconde.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Cela doit bien être la première fois que je suis d’accord avec un député Vert ! Pourquoi opposer autonomie stratégique européenne et souveraineté française ? Sans un pilier européen de notre défense, un pilier européen de l’Otan, la France serait bien seule. La France insoumise nous propose une France seule, mais heureusement que nous avons eu des alliés pour soutenir l’Ukraine ! Sans eux, nous aurions eu du mal et ce n’est pas 413 milliards qu’il faudrait voter, mais 1 000 ou 1 500 – et ils seraient encore plus difficiles à trouver.

M. Laurent Jacobelli (RN). Pour qu’une autonomie stratégique européenne soit possible, il faut que nous ayons tous les mêmes besoins ; et pour avoir les mêmes besoins, il faut avoir la même stratégie. Or tous les pays de l’Union européenne n’ont pas les mêmes appétences ni la même stratégie. Qu’aurait fait une défense européenne au moment de l’invasion de l’Irak ? Je suis très heureux qu’à cette époque, la France ait eu une position singulière. Nous avons des partenaires avec lesquels nous travaillons, mais notre objectif premier est la France, non de construire une nouvelle Europe en sautant comme un cabri – pour citer une référence qui nous est commune avec le ministre.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Ces intérêts communs ont été définis par la Boussole stratégique.

La commission rejette les amendements.

 

Amendement DN150 de M. Frank Giletti.

M. Frank Giletti (RN). C’est un amendement de repli par rapport à l’amendement DN88.

À l’alinéa 57, le rapport annexé indique que les programmes en coopération « contribueront à l’objectif de renforcer l’autonomie stratégique européenne ». Or il est impératif de donner la priorité, dans les coopérations, au renforcement de l’autonomie stratégique française. On ne fait la guerre correctement qu’avec les matériels qu’on a conçus soi-même. Coopérer, c’est d’abord garantir sa propre indépendance.

L’enlisement de certains programmes européens – système principal de combat terrestre (MGCS), système de combat aérien du futur (Scaf) – confirme la nécessité pour la France de s’affirmer en tant que puissance autonome, ce qui suppose une convergence de doctrines qui n’est pas toujours évidente.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Même avis. Je préfère que l’on revienne sur les coopérations concrètes, pour parler du fond.

La commission rejette l’amendement.

 

Elle adopte l’amendement rédactionnel DN871 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Amendement DN814 de M. Thomas Gassilloud.

M. le président Thomas Gassilloud. Il s’agit d’un amendement dont je suis cosignataire avec le rapporteur.

Les munitions de petit calibre intéressent notre commission depuis des années ; il faut avancer dans ce domaine. Nous proposons d’encourager les projets industriels et de coopération en la matière, sous réserve de leur compétitivité par rapport aux acquisitions que nous pourrions faire par ailleurs. Nous faisons confiance aux industriels français et européens pour être compétitifs. L’approche est pragmatique.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Sagesse.

M. Julien Rancoule (RN). Nous voterons pour cet amendement, qui confirme ce que Vincent Bru et moi-même écrivions dans notre rapport. Mais il parle de « partenariats avec des pays proches », alors qu’il faut s’appuyer sur une filière nationale.

Concernant le projet du ministère de l’intérieur, qui est pertinent et semble bien progresser – on parle de production de munitions dès la fin 2024 –, il faudrait, Monsieur le ministre, que votre ministère y travaille avec lui, notamment pour produire des 5,56 ou des 12,7, particulièrement utiles à nos armées.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). La mention « sous réserve de la compétitivité » pousse à s’interroger. À quelles conditions pensez-vous que ce genre d’industries puissent être compétitives ? À l’export ? Peut-on alors savoir avec quels partenaires ?

Pourquoi, il y a quelques années, a-t-on laissé vendre Manurhin à une monarchie du Golfe ? L’entreprise ne devait pas être compétitive, et on a considéré qu’il fallait la laisser partir.

En réalité, cette mention vous ménage une porte de sortie ; c’est un clou doré sur le cercueil des munitions de petit calibre.

M. le président Thomas Gassilloud. C’est plutôt une marque de confiance. Les informations que nous avons obtenues concernant les projets susceptibles d’être menés montrent que la compétitivité est tout à fait possible sur le territoire national, notamment si des partenariats stratégiques sont envisagés avec des pays proches, comme la Belgique.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN151 de M. Frank Giletti.

M. Frank Giletti (RN). Cet amendement, qui ne vous surprendra pas de notre part, introduit un principe de sauvegarde des technologies nationales et d’adéquation aux besoins capacitaires des forces armées dans le cadre des programmes de coopération en matière d’armement.

Si ces derniers ne permettent pas d’atteindre l’objectif de renforcer la souveraineté de la nation et ne garantissent pas la sauvegarde et le développement des technologies françaises, ils doivent impérativement être abandonnés.

Aux termes de l’amendement, les programmes Scaf et MGCS sont donc abandonnés au profit de deux programmes nationaux préservant et développant les technologies et savoir-faire nationaux, mais aussi adaptés aux besoins capacitaires de nos forces armées. Le cas du Scaf en témoigne, une coopération ne peut fonctionner que si un maître d’œuvre compétent a été identifié, comme Dassault vis-à-vis de la filiale allemande d’Airbus. S’il n’est pas reconnu comme tel par nos partenaires, nous devons privilégier une alternance souveraine.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Lors des coopérations – qui entraînent une réduction des coûts –, le gouvernement fait toujours en sorte de préserver les intérêts de la France. Les avancées qu’elles permettront en matière de recherche et développement seront toujours utiles à nos armées.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Que le Parlement cherche à encadrer les coopérations en fixant des lignes rouges est une bonne chose, mais vous demandez leur abandon pur et simple. M. Jacobelli disait qu’il ne fallait pas faire de coopérations pour des raisons idéologiques ; il ne faut pas non plus en abandonner pour des raisons idéologiques.

M. Frank Giletti (RN). On est ici au-delà de l’idéologie : c’est du pragmatisme. Concernant le MGCS, vous avez reconnu vous-même son impasse, Monsieur le ministre. Ce programme est mort-né. Quant à la réduction des coûts, je ne suis pas sûr qu’au bout du compte le Scaf n’aura pas coûté plus cher aux États, dont la France.

M. Mounir Belhamiti (RE). Chaque projet de loi de finances définit les autorisations d’engagement et les crédits de paiement pour chaque programme de coopération. Les lignes rouges, nous les connaissons : nous les fixons. Nous donnons notre avis sur chaque budget. Nous l’avons dit à propos du projet de loi de finances pour 2023, tout plan A doit être assorti d’un plan B. Or les plans B existent. Restons-en à cette position.

Votre volonté d’abandonner les projets montre que vous ne faites pas confiance à l’industrie française. Vous doutez des capacités de notre pays à être leader de grands programmes. Je regrette cette logique de repli s’agissant de programmes aussi emblématiques et alors même que la France a les atouts nécessaires pour être le leader européen en matière d’aviation de défense et d’armement terrestre.

M. Frank Giletti (RN). Au contraire, nous avons toute confiance dans le savoir-faire de nos entreprises, qui nous disent qu’elles sont capables de réaliser seules des programmes, de manière souveraine et indépendante – dans la mesure où l’État s’engage avec elles.

Mme Natalia Pouzyreff (RE). Monsieur Giletti, vous sous-estimez la portée de ces programmes. Il ne s’agit pas seulement d’un avion ou d’un char, mais de tout un environnement collaboratif, d’interconnectivité, d’interopérabilité, de systèmes de drones. C’est l’avènement du combat collaboratif qui est visé.

La France peut s’enorgueillir d’être à la pointe de ces technologies, mais il faut aussi voir ce que ses partenaires sont susceptibles de lui apporter, si tant est qu’ils aient les mêmes besoins – sur ce dernier point, nous sommes bien d’accord.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN481 de M. Bastien Lachaud.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Cet amendement quasiment rédactionnel, ou, si vous préférez, de précision, tend à retirer l’Allemagne de la liste de nos partenaires privilégiés, car, dans ce domaine, l’Allemagne a démontré qu’elle n’était pas un partenaire fiable. On peut énumérer ses trahisons dans le domaine industriel : les accords de Schwerin, les problèmes du programme Eurodrone, l’abandon de Maws (système de patrouille maritime), les atermoiements concernant le Scaf et le MGCS, la compétition actuelle pour le New Space avec la création d’Isar Aerospace Technologies – ce n’est pas l’ancien maire de Vernon qui me contredira.

Il ne s’agit pas de ne pas travailler avec l’Allemagne, simplement de ne pas la considérer comme un partenaire privilégié dans le domaine militaire.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je ne suis pas d’accord. L’Allemagne reste un partenaire privilégié de la France. Défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. La rédaction du texte est bonne : elle montre bien que l’Allemagne est un partenaire parmi d’autres. Demande de retrait ou avis défavorable.

M. Laurent Jacobelli (RN). On ne change pas une équipe qui perd ! Non seulement la coopération ne marche pas, mais elle peut entraîner un détournement technologique et, pire, un gel de nos propres programmes dont l’Allemagne profite pour exporter ses matériels. Nous sommes les naïfs de l’histoire. Il est difficile de remettre en selle un partenaire qui n’a qu’une idée : vous remplacer. C’est un couple où l’un veut se marier, l’autre cocufier.

Cela dit, on voit bien quel est l’objet de l’amendement ; or on ne peut pas stigmatiser un pays qui est un partenaire. Nous ne voterons donc pas pour cet amendement.

Mme Sabine Thillaye (Dem). (Mme Thillaye commence son propos en allemand.) Je n’aurais pas cru entendre cela aujourd’hui. On se croirait revenus des dizaines d’années en arrière ! Certes, il y a des problèmes, parce qu’en effet, nous sommes concurrents. Dassault a tout de même le lead pour le Scaf. Il est normal aussi qu’entre un État central doté d’un exécutif très puissant et un État fédéral dont le Parlement est très fort, les choses n’aillent pas de soi. Je vous invite à aller à Évreux pour y voir le premier escadron de transport intégré franco-allemand ; on y essaie de surmonter les barrières et de travailler ensemble : c’est assez extraordinaire. Il n’y a pas de miracle dans la vie. Il faut mettre les mains dans le cambouis pour dépasser les problèmes. Mais pas de discrimination !

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Notre collègue maîtrise la langue de Goethe – Bruno Le Maire n’est pas le seul dans ce cas en France –, mais, dans notre assemblée, on s’exprime en français : c’est le règlement. Nos collègues polynésiens s’astreignent à parler en langue française, n’utilisant leur langue que pour saluer. Votre démonstration n’avait rien de très amical ; je trouve cela dommage. Mais vous me trouverez à vos côtés pour promouvoir l’enseignement de l’allemand en France !

Monsieur le rapporteur, donnez-nous un exemple de coopération qui n’ait pas été marqué par une avanie ou une déloyauté de la part de l’Allemagne.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Tout le monde sait que la coopération avec nos amis allemands est relativement difficile en ce moment, mais l’Allemagne est une puissance géopolitique majeure au cœur de notre continent et rien ne justifie cet antigermanisme primaire après les déchirements que nous avons connus en Europe.

Je ne comprends pas qu’on ne nous ait pas proposé un amendement ajoutant aux partenaires fiables Cuba, le Venezuela et l’Alliance bolivarienne !

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. L’Allemagne est un grand pays, a une belle industrie, fait de la recherche et développement de façon efficace. Nous devons travailler avec elle, car c’est un partenaire qui reste fiable. Ce pays est notre voisin, nous avons une histoire très forte en commun. Dès lors, je ne vois pas pourquoi on ne le ferait pas figurer parmi nos partenaires privilégiés.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN705 de Mme Natalia Pouzyreff.

Mme Natalia Pouzyreff (RE). Le rapport annexé mentionne des pistes de coopération qui portent notamment sur la défense surface-air. Étant donné les nouvelles menaces hypersoniques venant des missiles balistiques hypervéloces, nous proposons de mentionner non seulement les programmes d’intercepteurs, qui ne peuvent être effectifs sans dispositifs d’alerte avancée, mais aussi ces dispositifs eux-mêmes.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement.

 

Amendements DN707 de Mme Natalia Pouzyreff, DN412 et DN793 de Mme Anne Le Hénanff (discussion commune).

Mme Anne Le Hénanff (HOR). La coopération en matière de cyberdéfense est un véritable enjeu pour l’autonomie européenne. Le fait que nous développions des infrastructures de télécommunications communes, comme la constellation Iris (infrastructure de résilience et d’interconnexion sécurisée par satellite), appelle une stratégie également commune de défense de ces infrastructures.

Ces constellations satellites peuvent, en outre, constituer un véritable atout pour la cyberdéfense, notamment en cas d’attaque des infrastructures numériques, afin d’assurer la permanence des télécommunications par voie satellite, à l’image de ce qu’a permis Starlink en Ukraine. C’est pourquoi nous souhaitons ajouter la cyberdéfense aux domaines susceptibles de bénéficier d’une coopération à fort potentiel dans le domaine spatial. Tel est le sens de l’amendement DN412.

La coopération européenne en la matière permet l’échange de bonnes pratiques, l’assistance aux nations en difficulté et le partage d’informations. Par l’amendement DN793, nous proposons une ouverture à une coopération plus poussée dans le domaine de la cyberdéfense. Nous devons renforcer notre souveraineté cyber et porter nos capacités nationales à un degré suffisant de maturité, mais aussi être disposés à d’autres types de coopération et de solidarité, y compris en cas d’attaque cyber significative contre notre pays et ses partenaires.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Favorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Même avis. La rédaction de l’amendement DN707 est la plus complète.

M. Laurent Jacobelli (RN). Pour le groupe Rassemblement national, dans certains domaines, notamment émergents, une coopération est possible avec d’autres pays européens. Nous sommes pragmatiques !

Nous nous interrogeons sur une phrase de l’amendement DN707 : « la France pourra pleinement participer à doter l’Europe d’un ‟bouclier cyber” ». Elle peut être lue de deux manières différentes. C’est la raison pour laquelle nous nous abstiendrons, même si, sur le fond, une coopération européenne en matière de cyber ne nous paraît pas une mauvaise idée.

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Je salue le travail intergroupes entre Mme Pouzyreff et Mme Le Hénanff sur ces sujets importants.

L’expression consacrée par la Commission européenne est celle de « projet de solidarité européenne cyber », d’où les choix rédactionnels qui ont été faits. Nous sommes très favorables aux trois amendements ; voyons la formulation qui convient le mieux au Gouvernement.

La commission adopte l’amendement DN707.

En conséquence, les amendements DN412 et DN793 tombent.

 

 

Amendement DN558 de M. Aurélien Saintoul.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). L’alinéa 59 indique simplement que « le dispositif de contrôle des exportations et les modalités d’information du Parlement seront consolidés ». Nous souhaitons préciser cette phrase très vague en indiquant que « le Parlement sera amené à se prononcer sur les exportations d’armements et veillera au respect du traité sur le commerce des armes ». Il est temps de mettre en œuvre les recommandations de la mission Maire-Tabarot. Nous attendons des engagements de votre part.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Cet amendement est très flou. Que veut dire « se prononcer » ? Est-ce synonyme d’« autoriser » ? Cela relève alors du Gouvernement. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Même avis.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). J’aurais aimé connaître les arguments du ministre.

Quant à M. le rapporteur, il devrait se réjouir que l’amendement soit flou : cela lui laisse la possibilité de préciser les détails.

M. Maire et Mme Tabarot ne sont ni des bolcheviks ni des pacifistes bêlants. Leurs propositions n’ont pourtant pas été appliquées. J’aimerais que leurs groupes d’origine soutiennent l’amendement.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Vous répondez à ma question par une autre question ; c’est une façon d’éviter l’obstacle. Vous bottez en touche. Comme d’habitude, ce que vous racontez est très flou et vous renvoyez les questions vers les autres. Je voudrais que vous soyez beaucoup plus précis, qu’il s’agisse de la politique d’armement ou de la politique internationale.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Qu’en est-il des propositions du rapport Maire-Tabarot ?

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Répondez à ma question !

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Si nous retirons l’amendement pour y introduire les dispositions qui figurent dans ce rapport et le redéposer ensuite, l’approuverez-vous ? Vous ne répondez pas !

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN555 de Mme Cyrielle Chatelain.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Je vais le retirer, car l’alinéa qu’il indique n’est pas le bon. Nous le défendrons à nouveau en séance. Il s’agissait d’inscrire dans le rapport annexé, à propos des coopérations européennes, l’objectif de créer des chaînes de production européennes.

Pour les écologistes, c’est le moyen d’assurer la sécurité européenne dans un cadre budgétaire soutenable. Les Européens produisent 178 systèmes d’armes alors que les États-Unis n’en ont que 30. Sur les 37 milliards de dépenses d’armement des États membres en 2020, seulement 4,1 milliards concernent des projets communs à deux pays européens au moins. Selon la Commission, une coopération plus efficace permettrait d’économiser 25 à 100 milliards par an et garantirait l’interopérabilité du système d’armes. La question de la BITD européenne est primordiale et doit faire partie d’une doctrine de la défense européenne.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN253 de Mme Mélanie Thomin.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Il vise à renforcer à droit constant le contrôle des investissements étrangers, en ce qui concerne notamment les entreprises sensibles pour nos armées, y compris des start-up de défense.

Il s’agit d’un amendement de repli, plusieurs de nos propositions ayant été considérées comme des cavaliers et nos amendements sur la commande publique ayant été écartés.

Le contrôle des investissements étrangers, renforcé à l’occasion de la crise sanitaire, est piloté par le ministère de l’économie et des finances, mais le ministère des armées est impliqué vis-à-vis de ses cocontractants, dont les sous-traitants, systématiquement contrôlés s’agissant de la défense et de la BITD. Un pilotage interministériel nous apparaît donc crucial. L’actualité montre que des PME de défense peuvent être la cible d’acquisitions d’États étrangers, dont nos compétiteurs – l’ancien ministre Montebourg veut arracher l’entreprise Segault aux Américains.

Il s’agit de promouvoir un levier encore méconnu qui permet à l’État de faire valoir ses intérêts souverains, même concernant des entreprises naissantes ou de petite taille.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Sagesse.

M. Sébastien Lecornu, ministre. L’amendement apporte quelque chose au texte, mais je remplacerais « renforcé » par « poursuivi », pour rendre justice au temps déjà passé par la DGA sur les procédures IEF (investissements étrangers en France). Il ne faudrait pas donner l’impression qu’actuellement, le contrôle est faible. Est-il possible de rectifier l’amendement en ce sens ?

Mme Mélanie Thomin (SOC). J’accepte. Le sujet pourrait également être traité par une mission d’information.

La commission adopte l’amendement tel qu’il a été rectifié.

 

Amendement DN547 de M. Julien Bayou.

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Nous proposons la création d’une délégation parlementaire chargée de contrôler les exportations d’armes et de biens à double usage. En la matière, le contrôle est insuffisant ; les éléments sont parcellaires et tardifs. Il faut un véritable contrôle du Parlement. Actuellement, on vérifie surtout que des éléments technologiques trop pointus ne sont pas transférés. Il faudrait d’autres critères, dont le respect des droits humains : il n’est pas question de fournir des armes qui peuvent être retournées contre les populations ou servir à des crimes d’État.

L’amendement est dans le droit-fil du rapport de Jacques Maire et Michèle Tabarot, où l’on peut lire que le système actuel de contrôle est « critiqué, compte tenu de son opacité et donc des doutes qu’il génère sur sa capacité à assurer le respect par la France de ses engagements européens et internationaux sur le plan du droit international humanitaire ».

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Un rapport relatif aux exportations d’armes nous est remis chaque année et peut être consulté par qui s’y intéresse. Nous pouvons également poser des questions écrites ou orales au ministre quand nous le souhaitons. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Même avis. Nous en avons déjà discuté et ce sujet n’entre pas dans le cadre du rapport annexé.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Quelle hypocrisie ! Le rapport de Jacques Maire et Michèle Tabarot a été approuvé par tout le monde. Si ce n’est maintenant, à quelle occasion pourrez-vous créer cette délégation parlementaire ? Montrez que le Parlement est capable d’agir. Vous nous reprochiez il y a un instant, Monsieur le rapporteur, de ne pas être assez précis et à présent vous considérez que ce n’est pas le moment ! Soyez honnête et reconnaissez que ce ne sera jamais le moment !

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je n’ai jamais dit que ce n’était pas le moment, vous déformez mes propos.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Cela fait des années que cela dure. Nous avons bien compris que la création de cette délégation ne serait jamais à l’ordre du jour. Vous déclarez que le rapport annuel dont nous disposons suffit amplement alors qu’il est lacunaire, ce que vous savez très bien. Nous ne sommes pas en mesure de suivre les commandes ni de connaître les délibérations de la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG). Vous avez choisi de dédire M. Maire et Mme Tabarot : assumez-le. Votre formation politique est divisée sur ce sujet.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Monsieur le ministre, si cette proposition n’a pas sa place dans le rapport annexé, trouvons un véhicule législatif adapté, car il est indispensable d’associer le Parlement à l’exportation d’armement et de biens à double usage. Vous avez d’ailleurs reconnu, pas plus tard que mardi soir dernier, qu’il appartenait au Parlement de définir les modalités selon lesquelles il pourrait y être associé.

Monsieur le rapporteur, votre position est plus problématique, car vous ne comprenez pas le besoin de créer une telle délégation. Je crains, par conséquent, que la question du véhicule législatif ne soit qu’un prétexte pour cacher votre refus de progresser en la matière.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Monsieur le rapporteur, notre amendement manquait de précision ? Qu’à cela ne tienne, nos camarades écologistes vous en présentent un extrêmement détaillé : ce n’est pas le bon moment ! Il faudrait savoir !

Monsieur le ministre, vous dites que les entreprises doivent être agiles et exporter. L’exportation de matériels de guerre est interdite par principe et les industriels doivent demander une licence auprès de l’administration. Les parlementaires doivent pouvoir contrôler ces exportations, dans l’intérêt de notre BITD. La détermination des conditions dans lesquelles les entreprises de défense peuvent exporter et se développer a toute sa place dans le rapport annexé. C’est le bon moment, contrairement à ce que vous déclarez.

M. le président Thomas Gassilloud. Si l’amendement avait été déposé à la partie normative du rapport, il aurait été déclaré irrecevable car il n’aurait pu être relié à aucune partie du texte.

M. Fabien Lainé (Dem). Je suis d’accord avec M. Bayou. En France, sous la Ve République, ne soyons pas aveugles : nous sommes très en retard par rapport aux autres démocraties occidentales dans le contrôle que les parlementaires peuvent exercer sur le renseignement, les ventes d’armes ou le nucléaire. Même si notre régime est marqué par la prééminence de l’exécutif, il est temps d’améliorer le contrôle parlementaire. Ce serait faire preuve de maturité démocratique.

Mme Mélanie Thomin (SOC). L’amendement traduit le besoin impérieux de renforcer les droits et le contrôle du Parlement. Le contexte géopolitique évolue et nos concitoyens se posent des questions. En outre, lorsque l’on engage des crédits importants pour le projet de loi de programmation militaire, il est nécessaire de renforcer le contrôle du Parlement.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). En droit français, les exportations d’armement sont un acte de gouvernement. C’est l’un des derniers qui demeure et nous ne devons pas priver l’exécutif de ce pouvoir.

Si vous voulez l’inscrire dans la loi, faites-le au cours de l’une de vos niches. Nous verrons si votre proposition de loi sera adoptée.

Enfin, contrairement à ce que vous croyez, le rapport de M. Maire et de Mme Tabarot est loin de faire l’unanimité.

M. le président Thomas Gassilloud. Signalons qu’il a été en partie appliqué puisque, désormais, un double rapport est produit, l’un pour ce qui concerne l’exportation d’armement et l’autre pour les biens à double usage. Les trois ministres concernés sont, de surcroît, auditionnés par les commissions de l’Assemblée nationale.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN702 de Mme Natalia Pouzyreff.

Mme Natalia Pouzyreff (RE). L’amendement tend à insérer la phrase suivante au début de l’alinéa 60 : « La France œuvrera au renforcement du pilier européen au sein de l’Otan pour le bénéfice mutuel de l’Alliance transatlantique et de la politique de sécurité et de défense commune de l’Union européenne ». Le renforcement du pilier européen de l’Otan n’est contradictoire ni avec l’émergence d’une politique commune de défense européenne ni avec notre souveraineté.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Sagesse, car je crains que l’amendement ne soit redondant avec l’amendement précédemment adopté sur le même sujet.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Demande de retrait, pour les mêmes raisons.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN794 de M. Frank Giletti.

M. Frank Giletti (RN). L’amendement tend à supprimer les deux dernières phrases de l’alinéa 60, relatives au programme Scaf et au projet MGCS.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

 

Amendements DN872 de M. Jean-Michel Jacques et DN484 de M. Aurélien Saintoul (discussion commune).

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). L’amendement est également rédactionnel. Nous pouvons nous entendre avec le rapporteur quand il s’agit de défendre la langue française.

La commission adopte l’amendement DN872.

 

En conséquence, l’amendement DN484 tombe.

 

Amendement DN90 de M. Laurent Jacobelli.

M. Laurent Jacobelli (RN). Le contrat pour la prochaine phase 1B du programme Scaf a été signé dans la douleur, à la fin de l’année dernière, après dix-huit mois de négociations entre les industriels. Les divergences en matière de droit de la propriété industrielle étaient nombreuses, ce qui n’est pas rassurant. Ne soyons pas naïfs, rien ne nous garantit que le programme Scaf sera mené à son terme, ni même que ce soit dans l’intérêt de la France. Nous vous proposons par conséquent que le démonstrateur du NGF ne soit développé dans le cadre du programme Scaf que « sous réserve du bon avancement du programme ». Cela pourrait être une solution de compromis pour les convaincus et les sceptiques.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je fais confiance au Gouvernement pour veiller aux intérêts de la France. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. La formule proposée pourrait laisser penser que des difficultés d’ordre industriel seraient apparues. Ce sont des choses qu’il ne faut pas sous-entendre, car la France est chef de file politique et industriel. Le contrat a été attribué à Dassault Aviation, en qui nous avons pleinement confiance.

Plusieurs amendements ont été déposés par différents groupes politiques et la majorité se préoccupe, elle aussi, de cette affaire. Nous avons besoin de la phase 1B, car elle couvre les premières marches vers le démonstrateur, qui occupera la phase 2. Au passage, nous ne sommes pas deux pays, mais trois, à réaliser cette première phase : nous, l’Allemagne et l’Espagne. Elle coûte 3 milliards d’euros, que nous nous partageons en trois parts égales. Si nous avions réalisé cette phase seuls, elle ne nous aurait certes pas coûté 3 milliards d’euros, mais 2 milliards tout de même, soit un de plus que notre quote-part aujourd’hui. Ne l’oublions pas, la contribution européenne fait économiser 1 milliard aux contribuables français.

Par ailleurs, nous nous sommes fixé des lignes rouges pour la poursuite du projet. Cet avion de combat nouvelle génération est le lointain descendant du Rafale, encore après le standard F5. Ce sont les menaces auxquelles nous sommes confrontés, nos missions et nos contrats opérationnels qui façonnent le cahier des charges. Je n’en dirai pas plus, mais vous aurez compris qu’il est question des missions des forces aériennes stratégiques, ainsi que d’un volet aéronaval car cet avion aura vocation à se poser sur un porte-avions de nouvelle génération. Pour être honnête, je reconnais que la France a sa part de responsabilité dans le retard pris par le projet. J’ai demandé à la DGA et à l’état-major de l’armée de l’air et de l’espace de définir les caractéristiques attendues de l’appareil, d’affiner les critères qui présideront sa conception et d’identifier les risques.

L’autre ligne rouge tient à notre doctrine d’exportation d’armement, que nous ne voulons pas soumettre au bon vouloir du Parlement allemand. Nous vendons aujourd’hui des Rafale à l’Indonésie, aux Émirats arabes unis, à la Grèce, à l’Inde. Si nous décidons de vendre demain notre nouvel avion de combat à ces pays, nous devons pouvoir le faire sans l’aval du Bundestag. Personne ne le comprendrait. C’est aussi pour cette raison que je défends le rôle de l’exécutif dans notre pays.

J’ai rendu tout à l’heure un avis défavorable à vos amendements parce qu’ils semblaient viser l’arrêt immédiat du programme Scaf. Je vous en proposerai un autre dans l’hémicycle pour assurer l’information du Parlement à l’issue de la phase 1B, avant l’examen du projet de loi de finances pour 2026, par la remise d’un rapport qui présentera un bilan et les perspectives envisagées entre la phase 1B et la phase 2. Je suppose, par ailleurs, que nous allons bientôt discuter de la clause de revoyure de la loi de programmation militaire. Je ne sais pas ce que vous déciderez mais sans doute sera-t-elle fixée vers 2027

M. Laurent Jacobelli (RN). Nous avons déposé, nous aussi, un amendement qui tend à la remise au Parlement de rapports, à intervalles réguliers, pour le tenir informé de l’évolution du Scaf. Je suis certain que nous pourrons nous accorder.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN485 de M. Aurélien Saintoul.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Voici un amendement qui devrait rassurer tout le monde et éviter au Gouvernement d’en déposer un en séance. Nous savons nous inspirer de la procédure allemande quand elle va dans le bon sens, et nous vous proposons que le Parlement valide chaque étape du programme Scaf. Cette pratique renforcera la position de l’exécutif et des industriels dans les négociations avec leurs partenaires allemands. Nous aurons ainsi la certitude que les intérêts de notre pays seront aussi bien défendus que ceux de l’Allemagne.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Comment vous y prendrez-vous pour expliquer cette nouvelle procédure à la BITD ? Il y a peu, vous défendiez une vision de long terme pour celle-ci et, à présent, vous la rendez plus qu’incertaine. Faisons confiance à l’état-major, à la DGA, au ministère des armées. Surtout, l’examen du budget de la mission Défense vous offre, chaque année, l’occasion de vous exprimer. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. La rédaction ne convient pas du tout : avis défavorable.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). La place prépondérante qu’occupe le Parlement dans le régime allemand n’a pas empêché ce pays de devenir une grande puissance industrielle. Vous devriez vous inspirer de cet exemple et associer plus étroitement notre Parlement aux différentes étapes qui jalonnent les coopérations en matière de défense.

Mme Natalia Pouzyreff (RE). L’amendement, tel qu’il est rédigé, pourrait laisser penser que le Parlement français ne contrôle rien. Or, chaque année, le vote du budget de la mission Défense permet au Parlement d’exercer ce contrôle.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Bien entendu, les Allemands ne votent sans doute pas de budget et il est fort probable que cette procédure redondante soit rendue nécessaire par leur difficulté à comprendre rapidement ce qu’on leur présente.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Ce n’est pas la même Constitution.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). C’est vrai mais, d’une part, nous pourrions vouloir changer la Constitution, d’autre part, rien dans la Constitution n’interdit que le Parlement soit mieux informé et se prononce plus précisément sur la conduite d’un projet industriel d’aussi grande ampleur que le Scaf.

En quoi la rédaction de l’amendement ne vous satisfait-elle pas, Monsieur le ministre ? Nous sommes prêts à la rectifier.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Faisons attention aux décisions que nous pourrions prendre et qui feraient jurisprudence. Ce qui fonctionne le mieux dans le système français de défense, ce sont les boucles courtes de décision et la qualité du travail de la DGA. On voit bien comme toutes les étapes prévues dans d’autres pays, notamment en Allemagne, font prendre du retard. Conservons notre procédure qui a fait la preuve de son efficacité. L’information du Parlement est essentielle mais, de grâce, ne cassons pas un système qui marche ! Je m’amuse que nos amis de la France insoumise s’inspirent de la procédure outre-Rhin. Les soumis ne sont pas forcément ceux qu’on croit.

Mme Isabelle Santiago (SOC). Nous soutiendrons l’amendement, car nous devons trouver le moyen d’associer le Parlement aux coopérations, en nous inspirant des modèles étrangers qui donnent de bons résultats.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Je ne sais que vous répondre, Monsieur Thiériot. Nous verrons ce qu’en pense M. Marleix lorsque nous examinerons l’amendement en séance. Quant à ceux qui voulaient, par amendement, envoyer une bombe nucléaire sur Daech, heureusement qu’ils ont eu la décence de le retirer avant qu’il ne soit examiné.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Voilà que M. Saintoul voudrait changer de Constitution ! Je comprends mieux l’exposé des motifs de l’amendement et la référence à la souveraineté populaire.

M. Sébastien Lecornu, ministre. On ne va tout de même pas écrire dans la loi de la République française : « à l’instar de la procédure allemande ». Qui plus est, le terme d’étape, en l’espèce, ne signifie rien. On ne va pas convoquer le Parlement à chaque fois qu’un industriel visse un boulon. On parle de phases. Bref, il faudrait revoir toute la rédaction de votre amendement, aussi est-il préférable d’attendre celui que je vous présenterai en séance et dont vous débattrez.

Enfin, j’ai bien compris que les députés socialistes et écologistes voulaient davantage de débats au Parlement. Seulement, je ne peux pas oublier que La France insoumise a déposé des amendements pour remettre en question toutes les coopérations européennes. Reconnaissez que, si vous voulez débattre davantage, c’est pour faire reculer l’Europe de la défense – les députés socialistes et écologistes doivent être conscients de cela.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN498 de M. Bastien Lachaud.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Je ne vois pourquoi la formule « à l’instar de la procédure allemande » poserait problème. Le choix de la démocratie ne fait pas de nous les vassaux d’Athènes !

L’amendement tend à compléter l’alinéa 60 pour que, concernant le Scaf, une solution nationale soit engagée en cas de refus du Parlement de poursuivre le projet.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je fais confiance au Gouvernement pour prendre la bonne décision.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Même avis pour les mêmes raisons.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Le Parlement doit être étroitement associé aux coopérations, comme il l’est en Allemagne et dans de nombreuses autres démocraties européennes. Nous n’avons pas la même position que nos collègues de la France insoumise à ce sujet et, de surcroît, la commission n’a pas adopté ces amendements. Selon nous, un vote au Parlement ne remettrait pas en cause les coopérations, au contraire. La France en sortirait renforcée.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Monsieur le ministre, vous nous avez accusés de vouloir interrompre toutes les coopérations. Pouvez-vous nous citer les amendements par lesquels nous aurions défendu cela ? Vous aurez du mal à les trouver : ils n’existent pas, car nous sommes favorables aux coopérations. Ce n’est pas parce que nous avons voulu rappeler la souveraineté de la France que nous y sommes opposés. En revanche, nous restons libres de critiquer celles qui nous semblent mal engagées ou pensées. Ne caricaturons pas la pensée des uns et des autres !

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il n’y a pas une demi-heure, vous vouliez retirer l’Allemagne de la liste des partenaires privilégiés. Que voulez-vous, vous n’êtes pas clairs mais, déjà hier, nous ne comprenions pas bien ce que vous vouliez.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN89 de M. Laurent Jacobelli.

M. Laurent Jacobelli (RN). Dire que le MGCS patine est un doux euphémisme, les acteurs de l’industrie militaire sont unanimes à ce propos. Les Allemands et les Français ne partagent pas le même intérêt stratégique. Par exemple, là où l’Allemagne voudrait des blindés lourds, la France aurait besoin de blindés plus rapides à forte puissance. Et que dire du conglomérat industriel allemand Rheinmetall, qui rompt l’équilibre et exporte des chars Léopard ! Aucun argument ne milite en faveur du MGCS. Nous vous proposons, par conséquent, de supprimer la dernière phrase de l’alinéa 60.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je reste optimiste et j’espère que le programme MGCS aboutira. Quoi qu’il en soit, il permet de travailler sur les briques technologiques nécessaires à ce que pourrait être un plan B. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Même avis.

Mme Natalia Pouzyreff (RE). On est toujours très enthousiaste au début d’une coopération, mais une coopération, comme un mariage, n’est pas un long fleuve tranquille. Si on ne se donne pas la peine de construire des fondements solides, tout peut s’effondrer. Pour le moment, le MGCS n’en est qu’à ses prémices. Ne nous précipitons pas pour tout abandonner.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN743 de M. Jean-Louis Thiériot.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Une règle de base régit les relations diplomatiques : s’il doit y avoir une rupture, il ne faut jamais en être à l’origine ou se mettre dans son tort, sauf nécessité absolue.

Nous devons donner leurs chances à ces deux projets structurants que sont le Scaf et le MGCS, mais par prudence, je vous propose d’ajouter, à l’alinéa 60, qu’en cas d’échec, une attention particulière sera portée aux solutions alternatives.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Demande de retrait.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je vais être plus radical que vous : il n’existe aucun schéma dans lequel nous cesserions de construire des avions de chasse. Quoi qu’il arrive, il nous restera le standard 5 du Rafale et un projet d’avion du futur. Quant à MGCS, beaucoup de questions demeurent autour de la morphologie du char du futur. Sera-t-il ou non habité ? Sera-t-il connecté à Scorpion ou non ? Faudra-t-il un seul opérateur ou plusieurs ? De quelles missions sera-t-il chargé ? Les programmes Scaf et MGCS n’ont pas atteint le même degré de maturité. Surtout, le chef de file est allemand pour le programme MGCS, français pour le Scaf. Je vous invite à retirer l’amendement car, quoi qu’il advienne de ces programmes, nous aurons des plans B.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN486 de M. Aurélien Saintoul.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Il ne s’agit pas, contrairement à ce que vous pourriez penser, de saboter un programme mais de préparer, précisément, un plan B. Pour reprendre l’image de Mme Pouzyreff, le ménage bat de l’aile et nous en sommes déjà au ménage à trois. Rheinmetall s’est invité et le partage des tâches est compliqué. N’attendons pas d’être au pied du mur pour réagir. Nous vous proposons, par conséquent, compte tenu des difficultés, qu’une étude portant sur une solution nationale soit engagée.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. La commission de la défense a la faculté de se saisir de cette question et de contrôler l’action du Gouvernement dans ce domaine. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN742 de M. Jean-Louis Thiériot et sous-amendement DN978 de Mme Nathalie Serre.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). L’amendement tend à ce qu’un rapport soit remis chaque année au Parlement sur les programmes Scaf et MGCS. Mme Serre propose, dans un sous-amendement, que cette remise ait lieu à chaque étape décisive. Quelle proposition préférez-vous ? Le cas échéant, nous pourrions voter l’amendement en l’état, sinon nous le reprendrions pour la séance publique.

Mme Nathalie Serre (LR). Un rapport annuel, c’est très bien, mais il est plus pertinent d’informer le Parlement à chaque étape décisive de ces programmes. Tel est l’objet de mon sous-amendement.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Mon amendement DN834 à l’article 8 propose que le Gouvernement remette un bilan annuel au Parlement, ce qui permettra notamment de suivre l’avancement des programmes. Demande de retrait.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il faut distinguer entre les attentes de M. Thiériot et de Mme Serre – qui ont d’ailleurs souvent été formulées dans cette commission – et la rédaction de l’amendement et du sous-amendement. J’ai bien entendu la demande de transparence, qui est partagée par la majorité et par la commission des finances en ce qui concerne les aspects financiers.

Je vous soumets la proposition suivante, qui est susceptible de recueillir un assentiment assez large sur l’ensemble des bancs. À la fin de la phase 1B et avant la décision de lancement de la phase 2, le Gouvernement présentera au Parlement un rapport d’étape sur les travaux réalisés pendant la phase 1B, et ce avant la discussion du projet de loi de finances (PLF) pour 2026. Cela permettra de disposer d’informations précises sur les crédits nécessaires à la poursuite des programmes, au moment où un comité ministériel d’investissement devra se tenir.

Encore une fois, quelque chose m’échappe dans les propositions qui tendent à supprimer le Scaf – ce que ne demandent pas les auteurs de l’amendement et le sous-amendement. En revanche, il est sain que le Gouvernement soit transparent sur l’avancement industriel et opérationnel des programmes prévus par la LPM.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Votre proposition correspond exactement à nos demandes. Nous serons informés lors des étapes décisives et il y aura un vote dans le cadre du PLF. Nous ne doutons pas de votre parole.

L’amendement est retiré.

En conséquence, le sous-amendement DN978 de Mme Nathalie Serre tombe.

 

Amendement DN541 de M. Christophe Plassard.

M. Christophe Plassard (HOR). Cet amendement vise à encourager la réalisation d’études sur les conditions de faisabilité de projets financés par la France en dehors de toute coopération, notamment pour le Scaf et le MGCS.

Les besoins opérationnels sont connus, de même que les exigences techniques particulières qui découlent de l’inclusion des matériels de nouvelle génération dans l’appareil de défense français. Comme les négociations avec nos partenaires sont difficiles, nous ne pouvons plus exclure la possibilité de mener un ou plusieurs projets nationaux en option de rechange.

C’est la raison pour laquelle, tout en rappelant que les programme MGCS et Scaf demeurent prioritaires, cet amendement propose de soutenir les études précitées en vue de plans B nationaux, afin d’anticiper un éventuel échec des coopérations.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis favorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Sagesse.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). La réponse du rapporteur est curieuse et incohérente. Il est favorable à cet amendement alors que l’amendement DN486 que j’ai défendu précédemment ne disait pas autre chose en ce qui concerne le MGCS : la France ne doit pas s’interdire de mener une étude sur les conditions de faisabilité d’un programme de manière souveraine.

Le rapporteur avait estimé que notre commission pouvait mener une mission d’information sur le sujet. Je lui fais respectueusement remarquer que nous ne sommes pas la DGA et que nous ne le deviendrons pas quels que soient nos efforts. Il se fait une trop haute idée de nous-mêmes pour me répondre ainsi.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN116 de Mme Isabelle Santiago.

Mme Isabelle Santiago (SOC). Afin de renforcer les partenariats stratégiques et de faciliter nos exportations d’équipements, nous pensons que toutes les ambassades de France dans un État membre de l’Otan devraient disposer d’un attaché de défense. Même au sein de l’Union européenne, les attachés de défense sont parfois chargés de plusieurs pays. Ces militaires font un travail extraordinaire et l’amendement permettrait de renforcer l’influence de la France.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il faut laisser de la souplesse aux états-majors. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il faut même en laisser au ministre, qui est responsable de cela.

Je l’ai moi-même constaté, le réseau des missions de défense s’est bien amaigri avec le temps. J’ai décidé de le renforcer en nommant des attachés d’armement ou en affectant des adjoints lorsque plusieurs pays doivent être couverts. L’objectif est bien entendu d’avoir une mission de défense dans chaque pays. Cela relève de l’organisation du ministère et l’amendement est satisfait. Demande de retrait.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN143 de M. Frank Giletti.

M. Frank Giletti (RN). Dans le présent projet de LPM, l’objectif de 180 heures de vol par pilote de chasse ne sera atteint qu’en 2030, ce qui est préjudiciable à leur entraînement. Même si des efforts considérables ont été faits en matière de simulation, rien ne remplace le fait de voler. Les pilotes sont unanimes, les heures passées en simulateur ne peuvent être comparées à un véritable ravitaillement en vol ou à un tir de missile.

L’objectif de 180 heures, qui correspond à la norme fixée par l’Otan, était déjà prévu par l’actuelle LPM, mais il n’est pas atteint. Cet amendement d’appel propose de sanctuariser le nombre d’heures de vol pour les pilotes de chasse. Voler participe à leur fidélisation. Un pilote au sol aura tendance à aller voir ailleurs, notamment dans les compagnies aériennes. Pour garder nos pilotes, donnons-leur des avions et faisons-les voler au moins 180 heures par an.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Demande de retrait de cet amendement d’appel.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Demande de retrait, puisqu’il s’agit d’atteindre cet objectif dès 2023.

L’objectif de 180 heures de vol est prévu pour 2030, mais l’idée est bien évidemment de l’atteindre le plus vite possible. Je ne reviens pas sur les chiffres que j’ai donnés ce matin. Il faut tenir le rythme d’amélioration – et c’est bien pour favoriser l’activité des forces aériennes qu’un décalage a été prévu pour la livraison de dix Rafale.

Les données globales doivent être abordées avec une certaine prudence. Il s’agit de moyennes générales et les situations peuvent être assez différentes, par exemple lorsque des missions stratégiques sont remplies.

M. Frank Giletti (RN). Nous déposerons un amendement modifié en séance.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN104 de Mme Caroline Colombier.

Mme Caroline Colombier (RN). Cet amendement d’appel vise à alerter sur l’absence de standards d’entraînement en ce qui concerne les réservistes opérationnels.

Il conviendrait de réfléchir à l’élaboration de standards spécifiques qui permettent aux réservistes d’entretenir et de développer leurs compétences, en fonction de leur armée d’appartenance et de leur spécialité. Augmenter le volume des réserves est nécessaire pour faire face à un engagement majeur, mais il est indispensable de les former et de les entraîner.

L’amendement propose, à titre d’exemple, de déterminer un nombre de cartouches à tirer chaque année, mais on pourrait envisager beaucoup d’autres critères pour nourrir une grille de référence.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je comprends très bien votre préoccupation, mais en l’occurrence le nombre de cartouches qui méritent d’être tirées peut varier beaucoup en fonction de la spécialité du réserviste et des matériels. Il faut conserver le principe de subsidiarité : les chefs de corps savent très bien organiser l’entraînement. Demande de retrait.

M. Sébastien Lecornu, ministre. La trajectoire financière qui vous est proposée intègre l’augmentation du nombre de réservistes. L’équipement individuel de chacun d’entre eux est donc prévu, de même que les équipements qui leur sont confiés lorsqu’ils sont convoqués – comme l’armement, par exemple.

En ce qui concerne l’entraînement, je souligne que pour les personnels d’active il n’existe pas de grille de référence aussi précise que celle que vous envisagez dans cet amendement d’appel. Il ne faut pas tomber dans le piège qui consisterait à créer des références spécifiques pour les réserves. Cela ne correspond pas à notre modèle, où les réservistes sont intégrés dans les unités d’active.

Je suis même hostile à toute forme de différenciation des réservistes. Lorsque j’étais officier de réserve, j’interdisais le port d’un signe distinctif parce que je considère qu’un réserviste qui a été convoqué est un militaire à part entière. Il faut aller au bout de cette logique.

Si vous le souhaitez, je vous ferai parvenir par écrit des précisions montrant comment l’augmentation du nombre de réservistes a été prise en compte en matière d’équipement. Demande de retrait.

L’amendement est retiré.

 

La commission adopte l’amendement rédactionnel DN823 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Amendement DN37 de M. Julien Rancoule.

M. Julien Rancoule (RN). Il s’agit de favoriser le recours à des munitions réelles lors des entraînements.

L’amendement précédent portait sur les munitions de petit calibre, mais de nombreux militaires nous ont indiqué qu’ils n’avaient jamais eu l’occasion de tirer certains types de missiles. Il serait pertinent qu’ils puissent le faire, car l’expérience offerte par les simulateurs n’est pas de même nature.

Cette mesure contribuerait également à la rotation des stocks de munitions.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je rappelle que ce projet prévoit de consacrer 16 milliards aux munitions – c’était nécessaire.

Une fois encore, je considère qu’il faut appliquer le principe de subsidiarité. Les instructeurs de tir et les chefs de corps ont pour mission de veiller à un entraînement adapté. Demande de retrait.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je ferai la même réponse qu’à M. Bru, avec qui vous avez rédigé le rapport sur les stocks de munitions.

C’est une bonne recommandation et les moyens correspondants sont prévus dans le projet. Néanmoins, cela ne relève pas du rapport annexé mais du commandement. Il faut faire confiance aux chefs de corps comme aux chefs de section. C’est à eux de décider de la manière dont doivent être conduits les entraînements. L’essentiel est qu’ils disposent des stocks nécessaires. Demande de retrait.

M. Julien Rancoule (RN). Je comprends cet argument lorsqu’il s’agit de munitions de petit calibre, peu coûteuses. Mais la décision de tirer des missiles à l’entraînement dépasse largement le cadre du régiment. Il est nécessaire d’envoyer un signal sur la possibilité de s’entraîner davantage avec des munitions réelles coûteuses.

M. Sébastien Lecornu, ministre. En effet, lorsqu’il s’agit de missiles la décision appartient à des états-majors. De manière générale, je peux vous assurer qu’ils n’ont pas besoin de signaux pour consommer des crédits.

Des missiles sont régulièrement tirés lors d’exercices, par exemple des missiles Aster par la marine.

Il me semblerait plus utile que vous procédiez à une actualisation de votre rapport dans deux ans, plutôt que de prévoir dans le rapport annexé des mesures qui relèvent au fond des décisions d’un chef de corps ou d’un général commandant une brigade. Ces derniers ont surtout tendance à dire : « Donnez-moi des moyens et je m’occupe de mon affaire. »

La commission rejette l’amendement.

 

 

Amendement DN97 de M. Laurent Jacobelli.

M. Laurent Jacobelli (RN). La simulation a du bon, car elle permet des entraînements qui n’étaient auparavant pas possibles, ou alors très rarement. Grâce à elle, les rendez-vous sont plus fréquents et nos soldats sont mieux formés. Mais la simulation peut aussi malheureusement souvent servir de cache-misère quand manquent les munitions et les encadrants. Il ne faudrait pas qu’elle se substitue aux entraînements réels ; c’est en ce sens que nous proposons de compléter l’alinéa 64. On conserve ainsi la force d’une simulation d’excellence, très technologique, et celle de l’entraînement réel.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Sagesse.

M. Sébastien Lecornu, ministre. La simulation est autrement plus exigeante que certains entraînements réels. On peut en effet introduire une résistance beaucoup plus grande de l’adversaire. Vous serez rassurés de savoir que lors des entraînements réels on ne tire pas sur les chars Leclerc, alors que c’est le cas avec les simulateurs, dans lesquels l’intelligence artificielle permet de durcir les exercices.

Il conviendrait donc d’utiliser dans votre amendement la notion de combinaison plutôt que celle de substitution, car je ne souhaite pas accréditer l’idée d’une forme de supériorité d’un entraînement sur l’autre. À cette condition, j’y serai favorable en séance.

M. Laurent Jacobelli (RN). Monsieur le ministre, une forte pression pèse sur vous du fait du nombre d’amendements dont vous avez obtenu le retrait en disant qu’ils seraient adoptés en séance. Mais nous allons jouer le jeu.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN903 de M. Jean-Michel Jacques.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Cet amendement résulte des conclusions du rapport Bru-Rancoule et des auditions réalisées lors de la préparation de l’examen de ce texte. Il prévoit de compléter l’alinéa 64 par la phrase suivante : « La gestion des stocks de munitions continuera à être optimisée afin de favoriser l’utilisation de munitions, y compris complexes, en conditions réelles, au service d’une préparation opérationnelle réaliste et durcie. »

M. Sébastien Lecornu, ministre. Cela relève de l’évidence. Sagesse.

M. Julien Rancoule (RN). Lors de l’examen d’un amendement similaire, vous m’avez répondu que cela n’avait pas forcément sa place dans le rapport annexé, Monsieur le ministre.

Cet amendement va dans le bon sens, car il reprend la logique de rotation des stocks et fait référence au panachage des munitions simples et complexes. Comme nous ne sommes pas sectaires, nous allons le voter par pragmatisme.

M. Sébastien Lecornu, ministre. D’où mon avis de sagesse.

Je suis attentif à ce qu’on ne soit pas trop intrusifs dans la vie quotidienne des forces, alors que l’on invoque par ailleurs la subsidiarité et la confiance. J’essaie d’être cohérent.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Je suis d’accord avec le ministre : soyons sages. Si l’on rajoute trois lignes dans le rapport, il faut au moins être précis. Le rapporteur peut-il nous dire ce qu’il entend de manière concrète par « optimiser » ?

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il s’agit de tirer les munitions complexes qui arrivent à péremption plutôt que de les neutraliser.

Cela dit, j’entends les remarques sur la subsidiarité et je suis disposé à retirer éventuellement mon amendement.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Pour revenir sur la précision du rapporteur, j’ai découvert, à ma grande surprise, que ce n’était pas toujours le cas. Toutefois je considère que les choses ne changeront pas grâce au rapport annexé mais aux instructions, aux ordres et au commandement.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Ce sujet intéressant renvoie également aux enjeux environnementaux. Précédemment, les missiles balistiques étaient tirés lorsqu’ils arrivaient à échéance et leur propergol entraînait une pollution. Désormais, ArianeGroup a mis au point un procédé qui permet de recycler la totalité du propergol grâce à des bactéries. L’optimisation ne réside donc pas toujours dans le fait de tirer des munitions. Leur recyclage est parfois préférable pour préserver l’environnement.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN570 de M. Jean-Louis Thiériot.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). L’alinéa 65 prévoit que le niveau de préparation opérationnelle progressera pour atteindre 100 % des normes d’activité en 2030. Les militaires de toutes les armées que nous rencontrons nous disent combien l’entraînement est vital. Il conditionne l’efficacité et la cohérence des forces armées, tout en constituant un outil de fidélisation.

Si nos demandes ont été très raisonnables en matière d’équipements, il faut faire un effort particulier dans le domaine de l’entraînement afin que l’objectif fixé pour 2030 soit atteint plus tôt, en 2027 ou en 2028. Je ne dispose pas d’informations précises sur le coût de cette mesure, dont on me dit qu’il s’élèverait à quelques centaines de millions sur la durée de la LPM – mais je suis désormais prudent avec les chiffrages qui me sont communiqués.

Cette question mérite d’être approfondie et un effort en matière d’entraînement aurait un véritable retentissement au sein de nos forces. Cela serait en tout cas extrêmement significatif pour notre groupe.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il est difficile de savoir si l’on peut atteindre l’objectif dès 2027, comme le propose l’amendement. Demande de retrait.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il est utile de parler de l’activité des forces. Dès que l’on aborde cette question, on doit naturellement évoquer le maintien en condition opérationnelle (MCO).

Je vais essayer de fournir en séance davantage de données par armée et par contrat opérationnel, parce que les taux très globaux ont un intérêt somme toute limité. Le rapport annexé ne permet pas forcément de mesurer comment tout est lié, j’en conviens.

La LPM 2019-2025 prévoyait 35 milliards pour le MCO ; le projet qui vous est soumis propose d’y affecter 49 milliards. Cette progression ne doit pas nous exonérer d’une réflexion sur le poids du MCO, car il fait partie d’un modèle économique. Les matériels américains sont certes moins chers à l’achat que les matériels français, mais leur entretien est ensuite très lourd. Par ailleurs, si l’augmentation des coûts du MCO se poursuit, la disponibilité des matériels risque de baisser et il viendra un moment où cela affectera la cohérence de notre modèle d’armée.

L’accélération que vous proposez doit être analysée précisément par armée et par mission, car des goulets d’étranglement peuvent exister, notamment en matière de pièces détachées – même si une action est menée sur ce point dans le cadre des réflexions sur l’économie de guerre.

Je ne dispose pas encore d’une évaluation précise du coût de la mesure proposée par l’amendement, mais l’ordre de grandeur est bien en centaines de millions. J’ai demandé qu’un chiffrage de votre amendement soit réalisé par la sous-chefferie plans de l’état-major des armées, car une telle accélération modifie pas mal de choses. Il faut les étudier de près, car je ne souhaite pas que cette mesure intervienne au détriment des équipements et des infrastructures. Avis défavorable.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Dans l’attente des éléments qui seront fournis en séance, je vais retirer l’amendement.

Le chef d’état-major de l’armée de terre a indiqué lors de son audition que l’objectif d’entraînement de son armée était atteint à 74 % et qu’aller jusqu’à 100 % coûterait environ 300 millions.

La question mérite d’être réellement approfondie afin de mesurer le geste qui peut être fait, sachant que l’on pourrait prévoir d’atteindre l’objectif en 2028 et non pas en 2027 comme cela est proposé par l’amendement.

Mais faisons quelque chose, parce que cela a un sens pour l’ensemble de nos armées.

L’amendement est retiré.

 

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels DN824 et DN825 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

La réunion est suspendue de dix-sept heures trente à dix-sept heures quarante-cinq.

 

M. le président Thomas Gassilloud. Il nous reste un peu plus de 300 amendements à examiner. Je vous propose de conserver le bon rythme acquis depuis ce matin pour essayer d’en discuter la moitié d’ici à ce soir et de pouvoir achever l’examen de ce texte demain.

 

Amendement DN240 de Mme Anna Pic.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Cet amendement concerne la santé des personnels du ministère des armées. Il vise à mettre fin à l’utilisation d’amiante dans le cadre du MCO.

Les personnels de la marine nationale sont tout particulièrement exposés et de nombreuses études confirment que le risque est bien plus grand pour les personnels du ministère des armées que pour la population générale.

À Brest et à Cherbourg, nous connaissons tous des ouvriers malades de l’amiante et certains sont partis trop vite. Comme le relèvent les associations de victimes de l’amiante, il y a des avancées en matière d’indemnisation, mais peu ou pas en ce qui concerne la reconnaissance par l’État de sa responsabilité.

Avec cet amendement, je vous invite à prendre nos responsabilités. Il est nécessaire que le Parlement prenne des décisions fortes pour réparer une injustice collective.

C’est la raison pour laquelle il est proposé d’interdire l’usage de matériaux composés tout ou partie d’amiante dans le cadre du MCO.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. C’est malheureusement un sujet que je connais bien car, dans ma circonscription, nombreux sont les anciens marins ou ouvriers travaillant dans les arsenaux qui ont été exposés à l’amiante.

Ce matériau est interdit en France depuis 1997. Il ne peut être manipulé qu’en prenant les précautions réglementaires destinées à éviter les contaminations.

L’amendement est satisfait. Demande de retrait.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Vous avez raison de revenir sur ce sujet, qui a été très douloureux pour plusieurs générations de militaires et d’ouvriers de l’État.

Des directives ministérielles très claires ont été données en la matière depuis les années 2000. En outre, les référentiels techniques des programmes d’armement exigent l’absence d’amiante. Demande de retrait.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN754 de M. Jean-Marie Fiévet.

M. Jean-Marie Fiévet (RE). Je m’aperçois d’une coquille dans mon amendement et je le modifierai en vue de la séance. Je ne doute pas que vous émettrez alors un avis favorable à son adoption, compte tenu de son excellence.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Comme je l’avais indiqué à M. Bayou sur un autre sujet, je souhaite que les objectifs qui figurent dans le rapport annexé soient aussi clairs que possible.

L’amendement est retiré.

 

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels DN851 et DN852 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Amendement DN122 de Mme Michèle Martinez.

Mme Stéphanie Galzy (RN). Le rapport d’information sur le bilan de la loi de programmation militaire 2019-2025 réalisé par nos collègues Yannick Chenevard et Laurent Jacobelli a mis en évidence de nombreux problèmes, dont celui de la vétusté des logements des militaires.

J’ai pu constater dans ma circonscription combien les processus de décision en matière d’infrastructures étaient longs.

Le terme « hébergement » qui figure à l’alinéa 71 fait référence aux chambres dans les régiments. Cela exclut les appartements ou les maisons, qui sont considérés comme des logements. Il est important de mentionner que les logements bénéficieront aussi d’un effort d’entretien et de remise à niveau, dans la mesure où sept militaires sur dix vivent en couple et que plus de la moitié d’entre eux sont parents.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. La seconde phrase de cet alinéa est relative à l’amélioration des conditions d’exercice du métier dans les emprises militaires. Il convient donc bien de mentionner seulement la politique d’hébergement. Demande de retrait.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il faut sans doute réfléchir à une rédaction différente. Celle de l’amendement DN293 de Mme Thomin me semble plus adaptée et correspond à votre intention. Demande de retrait également.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN293 de Mme Mélanie Thomin.

Mme Mélanie Thomin (SOC). En 2020, près de 56 % des militaires vivant dans un logement du parc du ministère des armées indiquaient ne pas être satisfaits de son état global.

Avec cet amendement, mon groupe propose de poursuivre l’effort pour répondre aux besoins de logement des militaires et de leurs familles.

Comme cela a été relevé par le rapport d’information sur le bilan du plan « famille » – dont ma collègue Isabelle Santiago était corapporteure –, les plans « ambition logement » et « hébergement » sont destinés à répondre aux attentes de la communauté militaire.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis favorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Avis favorable également. Je rappelle que les crédits destinés au logement sont doublés dans le projet de LPM.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN255 de Mme Isabelle Santiago.

Mme Isabelle Santiago (SOC). Cet amendement vise à accélérer l’opération « poignées de porte », dédiée au quotidien de nos militaires. Il s’agit d’avoir la certitude que nous améliorerons rapidement les petits travaux du quotidien.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Ce très bon amendement s’inscrit dans notre démarche de simplification et de subsidiarité. En 2022, 46 millions d’euros de budget sont alloués à l’opération « poignées de porte ». Avis favorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. L’idée venant de moi, je ne suis pas objectif, mais je constate que cela a bien fonctionné. Toutefois, s’agissant d’actions ponctuelles et d’entretien courant – par exemple la réparation d’une douche qui fuit ou de petits travaux l’électricité –, nous ne sommes pas à l’épure du rapport annexé. En tout état de cause, je souhaite qu’une culture « poignées de porte » très déconcentrée se renforce, pour éviter aux militaires de devoir demander à Balard ou ailleurs l’autorisation de changer une poignée de porte.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN117 de Mme Isabelle Santiago.

Mme Isabelle Santiago (SOC). L’instruction n° 1707 du 25 octobre 2011 relative aux infrastructures du ministère de la défense est régulièrement critiquée par les militaires. Le développement d’infrastructures est entravé, à tout le moins fortement ralenti, par les normes de construction des infrastructures en vigueur dans le secteur civil. Ce constat est tiré du bilan de la loi de programmation militaire 2019-2025. La disposition proposée, qui figure dans le rapport d’information sur la politique immobilière du ministère des armées, corédigé par Fabien Lainé, contribuerait à la simplification des normes, au bénéfice du ministère et de ses personnels.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Promouvoir la simplification des normes me plaît, mais modifier une instruction n’est pas du domaine de la loi. Demande de retrait et, à défaut, avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Madame Santiago, je note que vous mettez à profit l’absence de M. Bayou et de Mme Chatelain ! Plaisanterie à part, il ne faut pas négliger la question du respect des normes environnementales.

Je le dis franchement : je doute qu’une législation d’exception pour les emprises militaires, les exemptant par exemple du respect de la loi sur l’eau et des normes de construction, rassemble une majorité. Quoi qu’il en soit, l’amendement ne porte pas sur des normes spécifiques élaborées par le service d’infrastructure de la défense (SID) mais sur le droit ordinaire de la construction, en vertu duquel un maire doit signer un permis de construire pour autoriser la construction d’un bâtiment sur une base aérienne. Il n’apporte donc rien au rapport annexé. L’autre possibilité est de modifier les normes en vigueur.

Avis défavorable.

M. Fabien Lainé (Dem). Le rapport d’information sur la politique immobilière des armées aborde le problème des cas exceptionnels, que vous connaissez bien pour avoir été maire, Monsieur le ministre. Dans les zones tendues, où les maires bâtissent peu, le problème est réel. En Gironde et dans les Landes, certaines bases, comme celle de Cazaux, sont très éloignées des zones où le logement locatif est accessible aux militaires du rang. Même si le ministre des armées consent un effort dans le cadre du contrat d’externalisation pour la gestion des logements du ministère des armées (CEGeLog), il me semble que la question de l’introduction d’une exception au droit de la construction pour les emprises militaires se pose.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Je souscris aux propos de M. le ministre. Il faut distinguer les normes militaires des normes civiles. Les premières nous sont parfois imposées par l’Otan ou par la DGA, ce à quoi il faudra peut-être réfléchir. Par exemple, nous achetons des munitions américaines dont la durée de vie est réduite faute d’être aux normes de la DGA. S’agissant des normes civiles qui s’imposent aux militaires, il n’y a aucune raison d’y déroger, ce qui nuirait à l’exemplarité demandée aux armées, notamment en matière environnementale.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN254 de Mme Isabelle Santiago.

Mme Isabelle Santiago (SOC). Cet amendement vise à préciser l’effort d’investissement nécessaire pour résorber la dette grise. Les efforts consentis dans le cadre de la loi de programmation militaire 2019-2025 doivent être maintenus. De nombreux bâtiments sont vétustes. J’ai constaté que les travaux avancent dans de nombreuses bases, mais beaucoup reste à faire. L’amendement vise à accélérer l’amélioration des conditions de vie et de travail de nos militaires, même si elles progressent à petits pas mais nettement.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. La maintenance, plusieurs fois évoquée à juste titre, bénéficiera d’un investissement de 500 millions d’euros par an de 2024 à 2030. L’amendement est satisfait. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Les infrastructures sont un enjeu-clé. Elles ont bénéficié de 12 milliards d’euros dans la période couverte par la loi de programmation militaire 2019-2025 et bénéficieront de 16 milliards dans la période à venir. Cette augmentation doit en permanence être remise sur le métier. La gestion de la dette grise est en partie prévue sur le terrain budgétaire. Par ailleurs, si cette notion est familière pour nous, je doute qu’elle ait vocation à figurer dans le rapport annexé. Je lis l’amendement comme un amendement d’appel destiné à obtenir des chiffres. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

L’amendement est retiré.

Amendement DN752 de M. Jean-Marie Fiévet.

M. Jean-Marie Fiévet (RE). L’amendement vise à inscrire dans le rapport annexé, donc dans les grandes orientations fixées par la loi de programmation militaire, la participation du ministère des armées à la politique nationale de transition écologique dans tous ses versants.

Plans ministériels Climat et Biodiversité, stratégie ministérielle de performance énergétique (SMPE) de 2020, plan d’accélération des mesures de sobriété énergétique et d’exemplarité de 2022, stratégie ministérielle relative aux déchets : les plans du ministère des armées ont produit des effets. Ces efforts doivent être poursuivis et intensifiés pour concourir à atteindre tous les objectifs en matière de transition écologique ainsi que celui, dans le domaine non capacitaire, de neutralité carbone en 2050.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je salue le travail sur ce point de M. Fiévet et de Mme Santiago lors de la précédente législature. Avis favorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Avis favorable. Je suggère de soumettre ce bon amendement aux députés qui nous ont saisis à ce sujet et qui sont absents cet après-midi, pour s’assurer que sa rédaction convient à tout le monde.

La commission adopte l’amendement.

 

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels DN853 et DN854 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Amendement DN487 de M. Aurélien Saintoul.

Mme Martine Etienne (LFI-NUPES). Cet amendement vise à relancer l’activité des hôpitaux d’instruction des armées (HIA) en cours de restructuration, notamment le HIA Desgenettes, à Lyon, sur lequel nous avons interrogé le ministre de nombreuses fois, par écrit, en commission et lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023. Ses réponses sont aussi floues que contradictoires.

La fermeture annoncée de l’hôpital devait être suspendue. L’hôpital est à moitié fermé ; certains patients ont déjà été transférés et certains personnels réaffectés. Les soignants disent continuer à recevoir des ordres de mutation ; la direction de l’hôpital parle désormais de fermeture définitive. Le personnel a besoin de réponses claires. L’exemple de Lyon vaut pour tous les hôpitaux du service de santé des armées (SSA) dont la situation demeure incertaine.

Les militaires, les patients et les territoires ont cruellement besoin de ces instituts d’excellence. Il est indispensable de revenir sur des années de sous-investissement, pour rétablir un service d’excellence indispensable au bon fonctionnement des armées et à la résilience de la nation. Au demeurant, ces HIA ne sont pas mentionnés dans le rapport annexé, ce qui nous inquiète, ainsi que les personnels, et devrait collectivement nous alarmer. L’amendement vise à remédier à cette situation.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Concernant les HIA, nos auditions ont montré qu’il n’y aura pas de fermeture, mais des spécialisations. Le HIA Desgenettes sera spécialisé dans la réhabilitation physique et psychologique des militaires blessés.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Madame Etienne, vous avez raison : sur la visibilité des antennes du SSA en région dans le rapport annexé, nous n’y sommes pas.

Voici ce que je vous propose : le Gouvernement déposera, d’ici à l’examen du texte en séance publique, un amendement assez complet, un cartouche clair, qui servira de base de travail et offrira la visibilité dont nous avons besoin. Cela permettra aussi de couper court aux rumeurs internes, l’affaire étant délicate.

S’agissant de la prise en charge des blessures psychiques, que nous avons abordée hier soir lors de l’examen d’amendements émanant de plusieurs groupes, elle doit faire l’objet d’une spécialisation de plusieurs HIA. C’est un enjeu majeur. J’ai demandé il y a déjà un an aux officiers généraux des zones de défense concernées d’évaluer les besoins des forces. Outre les amendements examinés hier sur les bassins sanitaires psychiatriques, l’accès à ces soins et les maisons Athos, il faut traiter l’accès aux soins les plus immédiats et le statut du soignant.

S’agissant des HIA Robert Picqué à Bordeaux et Desgenettes à Lyon, le besoin de durcir l’offre en matière de soins psychiatriques est exprimé par les forces dans leur ensemble. En disant cela, je m’engage pour leur pérennité et leur spécialisation accrue. Je présenterai un amendement visant à redéfinir la stratégie pour les deux grands HIA d’envergure nationale que sont Percy et Bégin, ainsi que pour le HIA Laveran, à Marseille, sur lequel des députés m’ont interrogé, et pour le HIA Clermont-Tonnerre de Brest, que j’évoquais hier au détour d’une phrase, et dont l’activité est étroitement liée aux contrats opérationnels de la dissuasion.

Conscient que la situation n’est pas claire, je vous proposerai un amendement du Gouvernement relatif à la stratégie du SSA, pas par emprise mais presque, pour vous offrir une visibilité. Je suggère le retrait de l’amendement, que son contenu – « Relance de l’activité des hôpitaux d’instruction des armées en cours de restructuration » – identifie selon moi à un amendement d’appel. Je déposerai tôt l’amendement du Gouvernement, ce qui vous permettra de l’étudier et, le cas échéant, de le sous-amender.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Le problème, c’est que le temps file et que les équipes s’inquiètent. Il y a une vraie souffrance parmi le personnel du SSA affecté à ces établissements, notamment au HIA Desgenettes, où je me suis rendu. L’incertitude a eu des effets délétères. Certains ont été mutés ; ceux qui restent ont le sentiment d’habiter une espèce de coquille vide, ce qui est dangereux pour la suite.

Monsieur le ministre, vous parlez de spécialisation. Nous lirons de près l’amendement du Gouvernement. Le besoin de soins psychiatriques est répandu. Je n’ai pas de religion à ce sujet, mais je crains que la spécialisation ne soit une fausse bonne idée. En tout état de cause, je vous remercie d’avoir pris acte du besoin de visibilité et de précision.

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Le groupe Horizons et apparentés est très attentif à la situation des HIA dans nos territoires et approuve les propos de M. le ministre. Compte tenu de l’économie du texte, il ne nous a pas semblé possible d’aborder ce sujet dans le rapport annexé de façon pertinente. Passer par le truchement d’un cartouche dédié, que nous pourrons examiner attentivement et suivre, est une très bonne idée. Nous remercions le Gouvernement de cette initiative.

M. Sébastien Lecornu, ministre. J’ajoute deux précisions.

Au risque d’être pénible, j’insiste sur la nécessité d’être à l’écoute des besoins exprimés par la médecine des forces. Je sais que chacun, en commission de la défense, en est convaincu ; hors de cette commission, le SSA est parfois envisagé comme une solution palliative à d’autres difficultés des territoires, dont je ne dis certes pas qu’il ne faut pas les traiter. Si les membres de la commission de la défense et le ministre des armées ne s’occupent pas de la médecine des forces, personne ne s’en occupera. Tel est le juge de paix.

Par ailleurs, j’ai demandé à l’Institution nationale des Invalides (INI) d’étudier la création de partenariats avec les hôpitaux en région du SSA, afin de les faire profiter de sa culture, qui est bonne mais très jacobine et parisienne. Le risque de doublon avec les maisons Athos est nul.

Mme Martine Etienne (LFI-NUPES). Monsieur le ministre, nous vous remercions de vos éclaircissements. Votre amendement satisfait ceux que nous avons présentés hier soir, ce dont je me réjouis.

L’amendement est retiré.

 

La commission adopte l’amendement rédactionnel DN873 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Amendement DN877 de M. Jean-Michel Jacques.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Cet amendement est issu d’un travail de terrain mené lors de visites d’unités. Souvent, les processus d’achat ne sont pas les plus efficients en matière de coût et de délai. Parfois, les services s’abritent derrière le principe de précaution. Chacun ajoute une couche de précaution, et on finit par ne plus rien acheter.

L’amendement vise à ajouter l’audace aux principes de fonctionnement du ministère. Il s’agit, tout en respectant les règles, de s’affranchir du principe de précaution, dont l’application finit par étouffer nos administrations, pour ne pas dire notre pays.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Donner à l’audace une traduction juridique n’est pas simple ; je n’en émets pas moins un avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

 

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels DN874 et DN904 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Amendement DN639 de Mme Sabine Thillaye.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis de la commission des lois. Je tiens à appeler l’attention sur le fait que tout renforcement de notre BITD est un renforcement de la BITD européenne. À terme, la défense européenne dépend du capacitaire. Je constate toutefois, en relisant l’amendement, que sa rédaction n’est pas satisfaisante. Je le retire pour en préciser les termes d’ici à l’examen du texte en séance publique.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN679 de Mme Delphine Lingemann.

Mme Delphine Lingemann (Dem). Cet amendement vise à encourager les industriels de la défense à développer des filières de recyclage de matériaux, tels que l’aluminium, très utilisé dans l’industrie aéronautique. Il s’agit d’assurer l’autonomie des chaînes d’approvisionnement de nos industriels et d’en réduire l’empreinte carbone.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Ce sujet important n’a pas vocation à figurer dans le rapport annexé. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Même avis.

Mme Delphine Lingemann (Dem). Je vais compléter l’amendement par les mots « et de sécuriser les approvisionnements » et le défendrai en séance publique.

L’amendement est retiré.

 

La commission adopte l’amendement rédactionnel DN826 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Amendement DN241 de Mme Anna Pic.

Mme Mélanie Thomin (SOC). L’amendement porte sur un point d’inquiétude, pour ne pas dire une divergence entre notre groupe et le Gouvernement, s’agissant de la conduite de la présente loi de programmation militaire.

Le choix d’un modèle complet d’armée se heurtera irrémédiablement à l’insuffisance des crédits proposés. Nous considérons que leur dispersion constitue un risque d’affaiblissement de notre modèle d’armée, même dans des secteurs où nous sommes performants. Le choix du Gouvernement d’un modèle d’armée complet porte en lui le risque d’une réduction de son format. L’amendement vise donc à substituer au mot « historiques » les mots « conséquents mais insuffisants pour répondre au modèle d’armée complet promu ».

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis défavorable. Pour gagner sur le terrain, la cohérence est préférable à la masse.

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées. Compte tenu des débats que nous avons eus ce matin, on ne peut pas dire que la cohérence est synonyme d’affaiblissement. Pas un militaire n’y souscrit, au contraire. Ce qui a été historique, malheureusement, ce sont les réductions de crédits infligées à nos armées pendant vingt ans. Les moyens budgétaires que nous prévoyons sont pour le moins conséquents. Demande de retrait et, à défaut, avis défavorable.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). « Historique », « amplifier » : encore un débat de vocabulaire ! Faisons en sorte que le rapport annexé ne ressemble pas à une brochure promotionnelle de l’action du Gouvernement !

Les moyens budgétaires de la présente loi de programmation militaire sont peut-être historiques en valeur absolue, mais il faut tenir compte de l’inflation. En points de PIB, l’effort consenti dans les années 1960 était plus important. Historique ou non, la qualification de l’effort budgétaire n’est pas un objet sur lequel légiférer.

Les moyens sont-ils « conséquents mais insuffisants pour répondre au modèle d’armée complet promu » ? Certainement, à ceci près que le modèle d’armée promu n’est pas complet. Si j’ai bien suivi la présentation de notre capacité de projection par M. le ministre, elle n’exige pas de disposer d’un modèle d’armée complet, d’autant que nous n’avons pas les avions pour projeter la division prévue. Celle que nous avons projetée en Roumanie n’a pas été transportée par des avions français, mais par des avions loués.

M. Yannick Chenevard (RE). Hier, nous étions le 10 mai. Quiconque suit l’évolution du budget de la défense à partir d’un autre 10 mai, celui de 1981, parviendra au même constat que le mien : si 413 milliards d’euros ne suffisent pas à atteindre la cible d’un modèle d’armée complet, j’y perds mon latin. À un moment donné, il faut savoir reconnaître que des efforts conséquents sont consentis.

M. Laurent Jacobelli (RN). Ces mots boursouflés et emphatiques tendent à décrédibiliser l’ensemble, en donnant l’impression que le rapport annexé est une ode au Président de la République. Le mot « historique » peut être interprété de plusieurs façons, ce qui introduit un biais. Sans aller jusqu’à considérer que le rapport annexé est un fascicule publicitaire, je pense qu’il faudrait opter pour des mots plus neutres, d’autant que je ne vois pas ce qu’apporte le choix contraire.

Chacun est libre de juger les moyens budgétaires de la présente loi de programmation militaire suffisants ou non, et d’amender le texte en conséquence. Quant à l’autopromotion permanente, je ne vois pas à quoi elle sert, sinon à semer une forme de doute, alors même que ce genre de document doit plutôt recueillir l’adhésion.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je pourrais aussi retourner le compliment, et les membres de la majorité ici présents avec moi, en demandant ce qui justifie ces tentatives d’amoindrir par tous les bouts l’effort politico-budgétaire que le Gouvernement et la majorité présidentielle proposent. Quand ce n’est pas le pan de l’inflation, c’est le pan des 13 milliards ; quand ce n’est pas le pan des 13 milliards, c’est le pan de la cohérence opposée à la masse.

Nous ne demandons pas un satisfecit. S’il faut renoncer au mot « historique » pour apaiser les esprits, je suis prêt à le faire en séance publique, mais je sens bien que ce débat est plus politique, voire politicien. Vous n’enlèverez pas à la majorité présidentielle le fait que la réparation des crédits militaires et leur augmentation, singulièrement avant l’invasion de l’Ukraine, dès le programme présidentiel de 2017, c’est à Emmanuel Macron et à la majorité présidentielle que nous les devons. Nous ne demandons pas à être applaudis, mais ces tentatives d’érosion répétées me font dire que vous avez bien du mal à donner le point.

Monsieur Lachaud, modèle d’armée complet et cohérence vont ensemble, par définition. C’est grâce à notre modèle d’armée complet que nous sommes nation-cadre. Nous avons juste ce qu’il faut, mais de tout. Les avions Phénix A330-MRTT – Multi Role Tanker Transport, avion multirôle de transport et de ravitaillement – sont prévus et en cours de livraison, ce qui nous dispensera, demain, d’affréter des avions. Il ne faut pas entretenir le doute sur ce point. En Roumanie, les équipements terrestres sont arrivés par voie terrestre, et les premiers à partir sont partis par des vols affrétés, car les Phénix n’étaient pas encore livrés. Grâce à la loi de programmation militaire voulue par le Président de la République et votée par la majorité présidentielle en 2018, nous n’aurons plus recours aux vols affrétés à l’avenir.

Le modèle que nous proposons est cohérent. Vous avez le droit de ne pas être d’accord avec la dissuasion, ni avec l’inscription de nos forces dans le cadre de l’Otan et dans celui de l’Union européenne, ce n’est pas grave ; mais ne cherchez pas à éroder la cohérence du modèle que nous proposons. Il ne faut pas y aller par petites touches, mais franchement. Pour ma part, je n’ai toujours pas compris quel modèle d’armée promeuvent nos oppositions.

M. Laurent Jacobelli (RN). Ni accord, ni érosion : nous cherchons le juste milieu. Par exemple, nous désapprouvons la formule « conséquents mais insuffisants pour répondre au modèle d’armée complet promu », qui ne convient pas à un titre. Nous pensons qu’il faut opter pour une formulation plus neutre, ce qui n’enlève rien aux mérites du texte. Ayant corédigé un rapport d’évaluation se félicitant que la précédente loi de programmation militaire ait été exécutée à l’euro près, je n’ai aucun problème pour les reconnaître, mais « historiques », cela commence à ressembler à de la pub.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. La présente loi de programmation militaire est historique, en raison non seulement de son budget, mais des bouleversements technologiques qu’elle prévoit, qui sont comparables au choix de la dissuasion dans les années 1960. Toutefois, compte tenu du débat que nous avons, je propose de déposer en séance publique un amendement visant à corriger l’alinéa 79 en supprimant le mot « historiques ».

M. Sébastien Lecornu, ministre. Quoi qu’il en soit, l’histoire nous rendra raison.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Certes, par rapport au budget alloué aux autres services publics, celui de la présente loi de programmation militaire est sans doute un peu plus historique, du moins en valeur absolue, car une part significative en sera effacée par les effets de l’inflation. Le mot « historiques » est sans doute un peu trop fort. Nous maintenons l’amendement. Ce point nous semble important.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Répéter le contraire à l’envi n’y changera rien : la présente loi de programmation militaire tient compte de l’inflation. Dire le contraire, c’est propager une fake news, comme on dit en mauvais français. J’inverserai la charge de la preuve en demandant que l’on me démontre en quoi l’inflation a un impact sur les tableaux capacitaires que nous avons étudiés ce matin. Répéter à l’envi une assertion fausse est un peu facile.

La commission rejette l’amendement.

 

 

Amendement DN479 de M. José Gonzalez.

M. José Gonzalez (RN). Il s’agit d’inciter le Gouvernement à créer un programme budgétaire au sein de la mission Action extérieure de l’État, en vue d’améliorer l’application du principe de spécialité budgétaire.

La Facilité européenne pour la paix (FEP), mise en place le 22 mars 2021 par une décision du Conseil, est un instrument hors budget reposant sur le triptyque européen suivant : prévention des conflits, construction de la paix, renforcement de la sécurité internationale. La France contribue à ce fonds européen à hauteur de presque 20 %, dont une grande partie est destinée à l’Ukraine, afin de lui fournir les moyens matériels pour la guerre. La FEP est aussi officiellement un fonds de soutien à des pays du monde entier, ce qui ne semble pas une réalité tangible. Depuis sa création, les moyens financiers injectés n’ont cessé de croître, pour atteindre presque 8 milliards d’euros en prix courant jusqu’en 2027.

Par ailleurs, le Rassemblement national propose d’instaurer un plafond auquel la France s’attacherait, ce qui permettrait non seulement d’éviter un effet d’accroissement et de surenchère des dépenses, mais aussi d’améliorer la visibilité sur les dépenses militaires engagées pour l’avenir. Ce plafond serait convenu en Conseil des ministres et pourrait être revu annuellement en fonction du contexte géopolitique, tout en conservant à l’esprit la nécessité de freiner la politique du chèque en blanc.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Le périmètre du programme budgétaire relève de la loi de finances, pas de la loi de programmation militaire. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées. Sur le fond, j’ai largement répondu lors des deux auditions consacrées à la présentation du projet de loi de programmation militaire et à l’aide à l’Ukraine. Les craintes que vous évoquez sont dissipées pour l’essentiel. Une part de l’aide à l’Ukraine sort de la loi de programmation militaire, et une part de la FEP, par définition, fait partie de la loi de programmation militaire, comme les autres politiques d’accompagnement des armées amies, notamment celles d’Afrique.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN212 de Mme Mélanie Thomin.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Mon amendement vise à obtenir une précision.

Monsieur le ministre, vous avez indiqué que les crédits consacrés à l’aide à l’Ukraine et les ceux dévolus au remplacement des matériels cédés ne sont pas inclus dans les crédits du présent projet de loi. Le rapport annexé gagnerait à dire les choses plus clairement pour le bénéfice de tous. Tel est l’objet – modeste, mais essentiel – de l’amendement.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Pour moi, les propos du ministre sont clairs. L’amendement est cohérent avec l’article 3 du projet de loi. Avis favorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Pour clarifier le sujet, les matériels que nous livrons à l’Ukraine relèvent de trois catégories.

Le matériel ancien et retiré du parc des armées fait l’objet d’une cession. Tel est par exemple le cas des canons tractés Tr F1 que nous stockions dans des hangars, devenus sans utilité. Nous livrons aussi du matériel dont nous accélérons le retrait, tel que les missiles sol-air Crotale, à hauteur de 1,2 milliard d’euros, qui sont inclus dans les 13 milliards de ressources supplémentaires, ce qui me permet de contester la fake news selon laquelle ces derniers n’existent pas. Nous participons, à hauteur de 1,2 milliard, au financement des matériels nécessitant un recomplètement dans le format des armées. Enfin, nous livrons des matériels neufs financés hors du cadre de la loi de programmation militaire, et nous les remplaçons à l’identique – le camion équipé d’un système d’artillerie, ou Caesar, en est le meilleur exemple.

J’émets un avis de sagesse sur l’amendement, sans être certain qu’il corresponde précisément à ce que je viens de dire, mais nous pourrons le rectifier en séance publique.

La commission adopte l’amendement.

 

Elle adopte l’amendement rédactionnel DN488 de Mme Caroline Colombier.

 

Amendement DN165 de M. Pierrick Berteloot.

M. Pierrick Berteloot (RN). L’amendement vise à garantir que le budget des armées ne sera pas impacté par l’aide internationale. Le budget de nos armées ne doit en aucun cas subir l’impact des financements à des structures supranationales. Nous devons préserver et accentuer nos efforts en matière de réarmement de nos forces.

Nous voulons sanctuariser les budgets alloués à nos armées et uniquement à celles-ci. La coopération internationale doit être un budget bien distinct de celui des armées. Il nous semble important de le préciser au sein du rapport annexé, pour nous prémunir de tout risque sur ce point.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. L’amendement est satisfait par l’adoption de l’amendement DN212. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Même avis.

Je suis défavorable à l’amendement sur le fond. Les forces armées doivent disposer d’outils pour faire de la coopération militarisée. La FEP permet de le faire, sans induire aucun abandon de souveraineté. Il est normal de faire figurer, dans l’enveloppe globale, une ligne budgétaire prévue à cet effet. Le pire, pour le budget des armées et pour le Parlement, serait au contraire de ne pas la faire figurer clairement et de procéder à des prélèvements sur la loi de programmation militaire pour ce faire sans le dire, comme cela se faisait auparavant. Demande de retrait et, à défaut, avis défavorable.

L’amendement est retiré.

 

L’amendement DN651 de M. Fabien Lainé est retiré.

 

Amendements DN418 de M. Olivier Marleix et DN93 de M. Laurent Jacobelli.

Mme Nathalie Serre (LR). L’amendement DN418 vise à rappeler que le Parlement joue un rôle essentiel dans la définition des orientations de la défense nationale, lors de l’examen de la loi de finances initiale et lors de l’actualisation prévue à l’article 7 du présent projet de loi.

M. Laurent Jacobelli (RN). Chacun a en mémoire l’absence d’actualisation de la loi de programmation militaire 2019-2025, pourtant promise pour 2021. Mieux vaut inscrire dans la loi que le Parlement est saisi à chaque actualisation.

M. Jean-Michel Jacques (RE). Sagesse.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il n’incombe pas à l’exécutif d’inscrire dans un projet de loi de programmation militaire des mécanismes de contrôle. C’est pourquoi le Conseil d’État a supprimé certaines dispositions du texte initial.

Sans préjudice de l’examen de l’article 7, il est clair que l’actualisation d’une loi de programmation militaire est un élément-clé, d’autant qu’elle est en vigueur pendant deux quinquennats distincts. Sagesse.

La commission adopte l’amendement DN418.

 

En conséquence, l’amendement DN93 tombe.

 

Amendement DN105 de Mme Caroline Colombier.

Mme Caroline Colombier (RN). Il importe de rappeler dans le rapport annexé que le Parlement s’assure de la mise en œuvre de la loi de prorogation militaire à l’occasion de l’actualisation prévue à son article 7. En 2021, l’exécutif n’a pas respecté la clause de revoyure.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. L’amendement est satisfait. Sagesse.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je ne suis pas certain que des renvois internes au projet de loi de programmation militaire s’imposent, mais j’émets un avis de sagesse, par cohérence avec celui émis sur l’amendement DN481.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN419 de M. Olivier Marleix.

Mme Nathalie Serre (LR). Cet amendement tend à rappeler dans le rapport annexé que le Parlement vote l’actualisation de la LPM.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je défendrai un amendement en ce sens à l’article 7. Sagesse.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il faut, surtout, bien rédiger l’article 7, car c’est cet article, et non le rapport annexé, qui produira ses effets. Au demeurant, et conformément à la ligne que je me suis fixée, c’est l’affaire du Parlement. Sagesse.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Nous sommes des polytraumatisés de la clause de revoyure et nous tenons à ce que le dispositif soit sécurisé. L’inscription de la disposition dans le rapport annexé n’a, en effet, pas grande conséquence, et l’important est qu’elle figure dans la rédaction de l’article 7.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN244 de Mme Anna Pic.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Cet amendement de précision, qui vise à la bonne information des parlementaires, tend à imposer de la transparence dans le recours croissant à des prestataires privés pour des activités de défense. Il y a là un fort enjeu de souveraineté.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il faut faire confiance à nos services lorsqu’ils recourent à l’externalisation, car ils vérifient l’intégrité morale de leurs prestataires. Cette question pourrait plutôt faire l’objet d’auditions devant la commission de la défense.

M. Sébastien Lecornu, ministre. J’ai pris dès le premier jour des engagements devant la commission à propos de la sous-traitance et de l’équilibre dans le recours à l’externalisation. Retrait et, à défaut, avis défavorable.

En outre, évoquer le recours à des prestataires privés dans le paragraphe relatif aux exportations d’armement pourrait induire en erreur nos amis de La France insoumise, qui suggéraient déjà hier que les industries françaises seraient capables d’agir comme la milice Wagner.

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Le contrôle, qui fait partie de notre activité de parlementaires, ne signifie pas systématiquement une remise en cause de la qualité du travail des services.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Comme vient de le dire M. Bayou, c’est notre travail que de contrôler et, pour ce faire, il nous faut des éléments, c’est-à-dire le plus souvent des rapports du Gouvernement à partir desquels nous puissions auditionner les ministres concernés. Cette demande de nos collègues socialistes me semble tout à fait raisonnable.

Quant à l’emplacement où cette disposition doit être inscrite, puisque le Gouvernement annonce la remise d’un rapport au Parlement, ce n’est pas établir un lien que d’en annoncer un autre, portant sur les prestataires privés. C’est, au contraire, la bonne position pour le faire. Ce rapport permettra, en outre, de faire taire les critiques et de lever tous les doutes quant au recours par le Gouvernement à des entreprises militaires et de sécurité privées.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN287 de M. Julien Bayou.

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). J’ai déjà dit que le rapport annuel sur les exportations d’armement était lacunaire ou, du moins, partiel, et que les informations qu’il contient étaient tardives. Cet amendement vise à fixer au 1er juin au plus tard la date de la remise de ce rapport.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

 

 

 

Amendement DN243 de Mme Anna Pic.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Cet amendement vise à vérifier la bonne exécution de la présente loi de programmation militaire en prévoyant une clause de revoyure qui donnera lieu à un vote tous les deux ans. Le contexte géopolitique soulève de nombreuses questions qui invitent à renforcer les pouvoirs de contrôle du Parlement.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. D’un point de vue méthodologique, ces amendements au rapport annexé devraient porter plutôt sur l’article 7, qui définira dans la partie normative du texte le contrôle exercé par la Parlement. Je demande donc le retrait de celui-ci.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Vous proposez donc que nous le présentions à nouveau à l’article 7 ?

M. Sébastien Lecornu, ministre. J’ai souhaité que figurent, à la fin du rapport annexé – c’est-à-dire à l’article 2, auquel ce rapport est rattaché –, des éléments relatifs au contrôle du Parlement, mais c’est l’article 7 qui définit ce contrôle en termes normatifs. J’ignore cependant s’il est encore temps de déposer des amendements sur cet article.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Comme vient de le dire le ministre, l’important est l’article 7, qui est normatif et contraignant.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Je maintiens l’amendement, mais nous retravaillerons aussi, en vue de l’examen du texte en séance publique, notre positionnement sur l’article 7.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN800 de M. Julien Bayou.

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Cet amendement, qui vise à faire figurer dans le rapport le nombre et les raisons des refus de demandes d’exportation d’armes, me permettra peut-être d’obtenir du rapporteur une réponse plus complète à propos du contrôle parlementaire en la matière.

S’il est usuel de s’assurer lors de l’exportation qu’on ne livre pas de technologies trop sophistiquées à des compétiteurs ou à un ennemi, nous souhaiterions que, comme le propose Amnesty International, les droits humains soient pris en compte dans ces opérations et que l’on puisse notamment garantir que les armes ne seront pas employées contre la population.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Cette question est parfois couverte par le secret défense.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Avis défavorable.

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Cette réponse plus précise du rapporteur plaide pour une délégation parlementaire habilitée au secret défense sur cette question.

M. Bastien Lachaud. Cet amendement de repli du groupe Écologiste-NUPES semble cohérent et de bon sens. Il s’agit là du minimum de ce que l’exécutif devrait pouvoir accorder au Parlement. En-deçà, il est absolument impossible de contrôler l’action du Gouvernement.

Quant au secret défense, derrière lequel l’exécutif se cache pour empêcher les parlementaires d’exercer leur droit et leur devoir de contrôle sur des sujets qui, du reste, ne relèvent peut-être même pas de ce secret – mais comment le savoir ? –, il pose question.

Mme Natalia Pouzyreff (RE). Le rapport indique bien le nombre de refus à l’exportation. Il est cependant difficile, comme vous pouvez l’imaginer, d’identifier nommément les pays.

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). L’amendement vise à préciser le nombre de refus par pays et les raisons de ces refus.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN242 de Mme Anna Pic.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Cette loi de programmation militaire souffre de l’absence d’un Livre blanc, lequel aurait l’avantage d’associer les parlementaires à l’évaluation des implications des stratégies de défense. Le groupe Socialistes et apparentés demande qu’une commission soit créée pour élaborer ce Livre blanc et que l’entrée en vigueur du texte soit conditionnée à ce décret.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. On ne peut conditionner la loi de programmation militaire à un Livre blanc, mais il faut souligner l’excellent travail réalisé lors de la dernière revue nationale stratégique. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. La loi de programmation militaire relève de la commission de la défense de l’Assemblée nationale. La confiance en la méthodologie du Livre blanc est malheureusement abîmée durablement, car il s’agissait principalement de donner une légitimité à la décroissance des crédits budgétaires et à des décisions qui ont prodigieusement dégradé nos formats d’armée. Les Livres blancs ont ainsi servi de paravent à des pouvoirs politiques pour donner à leurs décisions une assise prétendument technique. Les commissions qui élaboraient ces documents réunissaient des intérêts très différents et ont fait, du reste, du bon boulot, leurs membres étant parfois otages de certaines décisions politiques.

J’assume donc depuis le début l’absence de Livre blanc. C’est du reste pour cela que j’ai déféré à chacune des convocations du président Gassilloud, que vous avez eu accès notamment à tous les chefs d’état-major et que nous avons créé des groupes de travail ad hoc – ce dont je vous remercie, Madame la députée, car votre groupe y a participé avec une grande liberté. C’est aussi la raison pour laquelle nous acceptons de nombreux amendements.

Il n’y a pas de mystère : si les travaux de la commission se déroulent bien, c’est parce que ce travail préparatoire a été bien fait dans les groupes de travail. Je ne fais pas partie des nostalgiques du Livre blanc et je préfère, pour ma part, travailler avec les députés et les sénateurs et que ceux-ci arment des groupes qui leur sont propres. Le Sénat, dont vos collègues socialistes, n’a pas souhaité participer aux groupes de travail et a créé ses propres groupes, d’où sortiront des amendements. C’est là une autre méthode. Elle me convient aussi et l’ensemble me semble fonctionne mieux ainsi. Quant à l’amendement, avis défavorable.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Je sais le Président de la République très attaché à la notion de récit national, or un Livre blanc permet précisément de raconter le projet de nos armées pour les années à venir. Je regrette donc que cette loi de programmation militaire ne s’accompagne pas d’un tel document.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN508 de M. Bastien Lachaud.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Monsieur le président, en préalable à une série d’amendements visant à demander des rapports, je rappelle que vous avez récemment déclaré que nous avions déjà enregistré quatre demandes de missions d’information, laissant entendre que cela représenterait plusieurs mois de travail et que les services de l’Assemblée pourraient difficilement assurer des missions supplémentaires. C’est ce qui nous pousse à demander au Gouvernement ces rapports que l’Assemblée n’aura pas les moyens de faire. Inutile, donc, de nous répondre qu’elle le pourrait.

M. le président Thomas Gassilloud. Je me suis borné à constater le nombre de rapports.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Je sais de combien d’administrateurs dispose notre commission et je sais que leur capacité de travail, certes extraordinaire, est limitée car ce sont, malgré tout, des êtres humains.

Pour en revenir à l’amendement, l’article 31 de la précédente LPM prévoyait deux expérimentations, notamment pour des recrutements. Par principe, une expérimentation donne lieu à un rapport final qui permet d’en tirer le bilan et de savoir si cette expérimentation doit se poursuivre, se généraliser ou s’interrompre. Or, à ma connaissance, le Parlement n’a aucunement été informé des résultats de cette expérimentation. L’amendement vise donc à en obtenir un bilan.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. L’article 31 de la loi de programmation militaire 2019-2025 lançait deux expérimentations, du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2022. L’une portait sur le recrutement de fonctionnaires du premier grade des corps de catégorie B sans concours et l’autre sur le recrutement d’agents contractuels pour faire face à une vacance d’emploi de plus de six mois, dans l’attente du recrutement de fonctionnaires dans certains métiers en tension. L’article 31 précisait qu’une évaluation de ces expérimentations, portant notamment sur le nombre d’emplois ainsi pourvus, serait remise au Parlement un an avant leur terme.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Certains de mes collègues ministres émettent, par principe, un avis défavorable à toutes les demandes de rapport. Pour ma part, je considère qu’en matière militaire, pour les raisons déjà exposées, notamment en réponse aux amendements de M. Bayou et sur d’autres sujets, les rapports ont un intérêt intellectuel, car ils fixent les choses.

Puisque vous êtes soucieux, en camarade syndiqué, de la bonne santé des administrateurs de cette commission, vous comprendrez que j’aie le même souci à l’endroit de mes propres troupes. En effet, même s’ils sont évidemment aux ordres, il n’y a rien de pire pour nos fonctionnaires ou nos militaires que de produire des rapports dont ils sentent très bien qu’ils ne seront pas utiles ou qu’ils ne seront pas lus. Si donc je suis plus enclin que certains de mes collègues à émettre des avis favorables aux demandes de rapports, encore faut-il que ces rapports soient lus et utiles. Or, pour avoir été, dans ma jeunesse, assistant parlementaire dans cette maison, je sais ce qu’il peut en advenir…

L’amendement DN508, qui renvoie à la loi de programmation militaire précédente, est par définition un amendement d’appel visant à savoir où est le rapport. On m’a dit que celui-ci avait été produit en décembre 2022 et transmis aux deux chambres par le SGG, le secrétariat général du Gouvernement. Nous allons donc partir à sa recherche.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN516 de M. Bastien Lachaud.

Mme Martine Etienne (LFI-NUPES). Le recul de l’âge légal de départ en retraite imposé par le Gouvernement, sans vote à l’Assemblée nationale et malgré le rejet du texte en commission de la défense, se traduira automatiquement par une importante diminution de l’attractivité du métier et du réengagement des militaires. Ceux-ci devront en effet servir plus longtemps, ce qui risque d’avoir un fort impact sur l’attractivité dans leur parcours de carrière et sur la fidélisation de personnels militaires et civils expérimentés. Les effectifs pourraient ainsi diminuer.

Il ne serait donc ni sérieux ni honnête d’évoquer le réengagement des anciens militaires d’active ou une volonté de fidélisation et de recrutement sans prendre en compte la réforme des retraites ni son impact sur la santé et l’engagement des militaires.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Les particularités du système de pensions militaires de retraite ont été reconnues dans le cadre de la réforme des retraites promulguée le 15 avril 2023 et n’ont donc pas été affectées par celle-ci. Les bornes de pension à liquidation immédiate ne sont pas modifiées, les limites d’âge des différents corps militaires sont maintenues à l’identique et les bonifications restent inchangées. Seul l’âge auquel un ancien militaire peut bénéficier d’une pension à liquidation différée est reporté, et cela ne concerne que très peu de personnes. La demande d’un rapport relatif à l’impact de la réforme des retraites sur les ressources et les effectifs des armées ne me semble donc pas utile. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Même avis.

M. Laurent Jacobelli (RN). Notre commission a rejeté récemment l’article 7 de la réforme des retraites, redoutant ses répercussions sur les militaires et doutant qu’elle soit sans aucun impact. L’élaboration d’un rapport à ce propos est une bonne idée. Toutefois, l’amendement qui nous est proposé est limitatif et comporte certaines formulations peu claires, notamment aux deux dernières lignes. S’il est modifié, nous le voterons ; s’il ne l’est pas, nous en déposerons un plus court en séance publique.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Je ne comprends pas bien ce qui pose problème à M. Jacobelli, mais ce ne sera pas la première fois que le Rassemblement national aura apporté un demi-soutien ou un faux soutien à la lutte contre la réforme des retraites. La réponse de M. le rapporteur n’en est pas moins contradictoire. Vous avez en effet signalé que les changements concernent surtout les pensions à liquidation différée, mais il paraît délicat d’expliquer à la fois que nous avons un problème de fidélisation et une forte attrition, mais que cela ne concerne finalement pas un trop grand nombre de personnes. J’ai l’impression que le nombre est toujours trop grand lorsqu’il s’agit de le regretter, puis qu’on en minimise l’ampleur.

Se pose toujours, par ailleurs, la question de la bonification du cinquième du temps de service accompli, qui concernera toutes celles et ceux qui seront versés notamment en gendarmerie, dont le nombre n’est finalement pas si restreint, ce qui vaut largement qu’on s’y intéresse dans un rapport.

La commission rejette l’amendement.

Amendement DN502 de M. Bastien Lachaud.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NUPES). Cet amendement vise à ce que soit remis au Parlement un rapport relatif à l’impact des changements climatiques sur la capacité de projection des forces armées à l’horizon 2030. Les perturbations qui ont lieu et qui continueront à s’intensifier dans les prochaines années contraindront nos armées à s’adapter à un nouvel environnement, toujours plus hostile. Ces contraintes pesant sur la capacité de projection des armées françaises doivent être prises en compte rapidement pour limiter notre exposition et garantir notre souveraineté. Un rapport permettra d’éclaircir de nombreuses questions, notamment quant à la capacité de nos équipements et infrastructures à résister à des températures extrêmes, mais aussi quant à notre capacité à appréhender de nouveaux terrains opérationnels.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je déposerai un amendement de rédaction globale de l’article 8, qui visera à inclure chaque année dans le bilan d’exécution de la LPM un bilan de la politique environnementale du ministère. L’amendement DN502 semblant ainsi satisfait, j’en demande le retrait.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Même avis.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN526 de M. Bastien Lachaud.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NUPES). L’amendement vise à demander un rapport permettant d’identifier les bases françaises les plus exposées et les plus vulnérables au changement climatique.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Ces éléments pourront figurer dans le bilan ajouté à l’article 8.

M. Sébastien Lecornu, ministre. On voit bien, sans qu’il soit besoin d’un rapport, que ce sont les forces prépositionnées dans les territoires d’Outre-mer qui sont les plus exposées aux risques liés à l’activité volcanique, aux ouragans et aux tsunamis. Du fait de mes anciennes fonctions, c’est là un sujet sur lequel je suis intarissable. Dans le cadre du plan Séisme et d’autres mesures, le ministère des armées doit faire des efforts importants pour ses propres infrastructures. Je ne suis donc pas favorable à un rapport en tant que tel, mais je le serai si le rapporteur peut trouver une formule appropriée.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NUPES). Nous retirons donc l’amendement s’il est bien pris en compte dans la rédaction ultérieure.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN528 de M. Bastien Lachaud.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Cet amendement porte sur l’avenir de la Guyane, compte tenu des températures humides et des canicules que ce territoire pourrait subir entre 2050 et 2070. Le phénomène de températures humides peut en effet être mortel et, en tout cas, rendre l’activité littéralement impossible. Selon les données cartographiques de la Nasa qui mettent en évidence des phénomènes de wet-bulb, la Guyane serait dans une situation assez critique. Compte tenu de l’évolution du climat, il n’est pas du tout impossible que la vie y devienne quasiment impossible à l’horizon 2050 ou 2070. Afin donc de préparer l’avenir tant pour la population que pour l’industrie et pour l’accès à l’espace, il importe de clarifier le risque que représente le réchauffement climatique dans la zone.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Le rapport consacré à la politique environnementale du ministère apportera des réponses. Toutefois, la rédaction de l’article 8 ne pourra pas établir une liste précise de tous les éléments et l’intitulé adoptera une formulation globale, afin de nous éviter de nous enfermer dans les détails. Le rapport devra cependant aborder toutes les questions relevées par les députés, qui demanderont des réponses.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Sur le fond, ces éléments ont de l’intérêt, notamment pour ce qui concerne la base de Kourou et l’impact des changements sur l’électronique. En revanche, je ne suis pas sûr qu’il faille limiter l’approche au domaine militaire, car le problème se pose à l’échelle interministérielle.

Je prends toutefois la commande sur le fond et je regarderai ce qui peut être fait sur le plan interministériel. Je comprendrais que vous mainteniez l’amendement, mais j’émets un avis défavorable. Néanmoins, venant d’où je viens, je vois bien la question de fond, et elle est redoutable.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Cet amendement est trop spécifique pour être retiré d’avance et j’espère que les amendements que vous proposerez vous-même le satisferont. Pour l’heure, nous le maintenons.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN524 de M. Aurélien Saintoul et sous-amendement DN979 de M. Jean-Marie Fiévet.

Mme Martine Etienne (LFI-NUPES). L’amendement vise à demander un rapport du Gouvernement sur le rôle des armées dans la protection du territoire français face aux variations extrêmes du climat. Pour illustrer le retard criant de la France dans ce domaine, je rappelle qu’en 2005 l’ouragan Katrina a poussé l’état-major états-unien à élaborer une stratégie claire de déploiement des armées en cas d’événement climatique extrême et de catastrophe nationale. En 2005 encore, le gouvernement espagnol a mis en place des unités militaires d’urgence, chargées de répondre aux catastrophes naturelles sur le territoire national. En revanche, il a fallu attendre l’ouragan Irma à Saint-Barthélemy, en 2017, pour que la question se pose aux armées françaises. Que l’on parle de variations extrêmes du climat ou de changement climatique, la réponse reste inexistante, ou presque.

Les changements climatiques sont de plus en plus nombreux et le dérèglement climatique est à l’œuvre. Ainsi, les feux de forêt se multiplient et se produisent de plus en plus tôt. Chaque année, les armées sont mobilisées, mais aucune stratégie nationale de programmation n’est réellement identifiée. Les armées ne sont pas préparées au bouleversement climatique, rien n’est programmé et c’est toute la population nationale qui en souffre et en subira les conséquences. Nous proposons donc de prendre en compte les variations extrêmes du climat dans le cadre de cette LPM, par la remise d’un rapport au Parlement.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Les points spécifiques que vous abordez sont pertinents. Peuvent s’y ajouter des auditions en commission de la défense. Il n’est pas possible d’établir une liste précise de tous les points à traiter, mais la politique environnementale du ministre de la défense doit évidemment être prise en compte et son exécution peut faire l’objet d’un bilan annuel.

M. Sébastien Lecornu, ministre. La question ne porte pas sur le bilan environnemental de l’action du ministère, mais sur le rôle des armées dans la protection du territoire français face aux variations extrêmes du climat. Pour l’année en cours, je suis en mesure de vous donner immédiatement et oralement le résultat, car il s’agit de la vie des forces.

Avis défavorable sur l’idée d’un rapport qui serait remis au bout d’un an. Nous pouvons renvoyer le texte à la séance, en intégrant au rapport annuel remis au Parlement un chapitre sur les missions intérieures (Missint) et les opérations extérieures (Opex) – il y a matière, avec par exemple les feux de l’été dernier en Gironde ou les activités Outre-mer, ainsi que les concours apportés au titre de la solidarité à d’autres pays européens. Cela pose, au passage, la question des forces militaires employées par les Missint ou les formations militaires de la sécurité civile (Formisc), évoquées par MM. Chenevard et Fiévet. Il ne s’agit pas de faire un rapport annuel, mais d’y insérer les éléments relatifs à ces activités opérationnelles.

Si cette information doit devenir un exercice permanent, elle doit emprunter les canaux classiques employés pour rendre compte de l’activité des forces devant la commission de la défense, et l’amendement est inutile. Si en revanche on considère que cette question est spécifique, ce n’est pas au bout d’un an qu’il faut la traiter – car ce document ad hoc ne serait plus qu’une opération de communication –, mais à l’occasion de la LPM.

Je m’engage donc – et c’est, pour d’autres, une instruction – à ce que le concours apporté par nos forces à la protection du territoire, voire du territoire de pays alliés, soit isolé dans un chapitre distinct du rapport annuel sur les Missint et les Opex. Je demande donc le retrait de cet amendement.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Merci pour cette proposition, que nous acceptons. Cependant, l’amendement ne demandait pas un bilan, mais plutôt une prospective : quel sera, à échéance de cinq ou dix ans, au vu de leur accélération, l’impact des phénomènes extrêmes sur le rôle des forces et sur notre modèle d’armée ?

Nous maintenons donc l’amendement, parce que nous voulons de la prospective, quitte à le retravailler pour la séance.

M. Jean-Marie Fiévet (RE). Nos forces armées ont constitué trois unités de sécurité civile, composées de sapeurs-sauveteurs, militaires déjà formés aux catastrophes telles que les feux de forêt, inondations ou tremblements de terre. Une quatrième unité sera prochainement constituée à la demande du Président de la République, à la suite des feux de forêt qu’ont connus les Landes l’an dernier. Ce seront donc désormais quatre unités spécialisées d’environ 600 hommes qui seront projetables dans le monde entier en moins de quarante-huit heures. La décision sur l’emplacement de cette quatrième unité est imminente : l’État a donc tenu compte de la nécessité d’augmenter ses effectifs, même si cela ne se fait pas du jour au lendemain.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Nous parlons déjà de prospective lorsque nous évoquons les réserves, comme nous l’avons fait hier soir, ou les moyens du génie, comme ce matin, ainsi que la cohérence des moyens. On voit bien, notamment, que nous aurons de plus en plus besoin de sapeurs-pompiers pour les incendies. On peut certes isoler la prospective à dix ou quinze ans, mais le plus intéressant concerne l’activité des forces.

M. Frank Giletti (RN). On ne voit pas clairement quels sont les moyens alloués aux ressources humaines – recrutement et formation –, qui dépendent du ministre de la défense, et à l’activité, qui dépend du ministère de l’intérieur. Il ne faudrait pas que les trois autres unités soient dépourvues des moyens affectés à la quatrième. Cette interrogation relaie celle des personnels de ces unités, qui manquent de visibilité à la veille de la constitution rapide – on parle en effet de 2024 – d’un nouveau régiment.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Bien que leur statut soit militaire, les chiffres concernant la gendarmerie, la brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), les marins-pompiers de Marseille ou les Formisc ne relèvent pas du format des forces, mais ils figurent dans les crédits et les tableaux d’emplois du ministère de l’intérieur. La situation de la BSPP et des marins-pompiers est, du reste, particulière, car les collectivités territoriales interviennent dans le financement de ces modèles, tandis que celui des Formisc ne fait intervenir que l’État.

M. Jean-Marie Fiévet (RE). Je propose de sous-amender cet amendement pour porter à trois ans la périodicité du rapport.

M. le président Thomas Gassilloud. Je vous invite à faire preuve également de modération dans la mobilisation des armées sur le territoire national, régie par la règle des quatre « i » : les moyens civils doivent être inexistants, insuffisants, inadaptés ou indisponibles.

Je précise, pour ce qui est de l’amendement et du sous-amendement, que ne sont visés que les personnels relevant du ministère des armées.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Je maintiens l’amendement, que nous présenterons à nouveau en séance.

Le sous-amendement est retiré.

 

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN517 de M. Aurélien Saintoul.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NUPES). L’amendement vise à demander la remise, dans un délai de douze mois, d’un rapport sur l’opportunité de passer à des carburants alternatifs pour les équipements motorisés des armées.

Tous les secteurs de notre économie doivent participer à la bifurcation écologique. Les véhicules militaires représentent trois quarts de la consommation énergétique du secteur de la défense. Sachant que les ressources pétrolières sont de plus en plus rares, il est impératif de nous en libérer et de trouver des alternatives. Pour planifier la transition écologique et énergétique de nos armées, garante de notre souveraineté dans un futur proche, il faut connaître les activités les plus émettrices et leurs facultés d’évolution, les carburants alternatifs adaptés aux besoins ainsi que les infrastructures nécessaires pour mener à bien les changements.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Le sujet mérite en effet d’être traité sans méconnaître les contraintes militaires ; il pourrait l’être dans le bilan de la LPM. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN527 de M. Bastien Lachaud.

M. Emmanuel Fernandes (LFI-NUPES). Il s’agit de demander un rapport sur les conséquences de la raréfaction des ressources naturelles sur la sécurité de la France et notamment des Outre-mer.

Le temps de l’abondance est révolu depuis très longtemps – bien plus longtemps que la prise de conscience présidentielle, fût-elle sincère ou feinte. Nous sommes entrés de manière inéluctable dans l’ère des bouleversements climatiques, des pénuries et de la raréfaction des ressources.

Selon un document du ministère de l’environnement datant de 2020, les réserves représentent dix-sept ans de consommation pour le chrome – utilisé pour les missiles, les réacteurs et les turbines –, trente-deux ans pour le nickel – utilisé dans l’électronique des équipements –, trente-cinq ans pour le cuivre. Les guerres pour l’eau, le pétrole et le gaz ont déjà commencé. Comment nos armées, largement dépendantes des ressources naturelles, se préparent-elles aux pénuries ?

La planification écologique, dont une loi telle que la LPM doit fixer les objectifs et le calendrier pour les armées, ne pourra pas être mise en œuvre si les marchés financiers continuent à agir à leur guise. Il y a urgence à engager une transformation au service des citoyens qui rompe avec la logique du capital et de ses circuits financiers.

La concurrence et les conflits que feront naître l’appropriation et l’usage des ressources se font déjà sentir. Le devoir des armées est de planifier autant que possible les effets géostratégiques du dérèglement climatique. Il y va de la sûreté de la nation, de notre rayonnement international et de notre autonomie stratégique.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. La raréfaction des ressources est une préoccupation interministérielle qui dépasse le cadre de la LPM. Il convient néanmoins de porter une attention particulière à la souveraineté des filières d’approvisionnement des armées.

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées. Avis défavorable.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Je vais être un peu alarmiste. Il ne s’agit pas simplement de sécuriser des filières. Il est question de programmes industriels pensés sur les trente ou quarante prochaines années. L’horizon est le même pour les pénuries, mon collègue l’a dit, et nous ne découvrirons pas de filon miraculeux d’ici là. Je vous adjure de prendre en considération cet avertissement : si les armées n’envisagent pas le manque de matériaux pour leurs matériels, nous serons fort marris quand les autres eux auront basculé vers des équipements capables de se passer de ressources naturelles. Il faut se fixer dès maintenant l’objectif de mettre fin à notre dépendance à ces ressources.

M. Jean-Marie Fiévet (RE). Nos armées s’appuient sur l’écoconception, qui permet de limiter les changements lors de la révision à mi-vie, et de recycler 90 % des matériels en fin de vie.

Nous devons miser sur le recyclage pour pallier la raréfaction des matières premières. Les industriels de la défense ont déjà pris en compte cette problématique. Seuls le caoutchouc et les verres ne peuvent pas être recyclés pour l’instant ; quant au cuivre, on peut sans difficulté le récupérer et le recycler.

Mme Natalia Pouzyreff (RE). Je tiens à porter à la connaissance de mes collègues l’existence de l’Observatoire français des ressources minérales pour les filières industrielles (Ofremi), créé par le Gouvernement, dont l’objet est de développer l’intelligence minérale pour sécuriser les approvisionnements de l’industrie française.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN521 de M. Aurélien Saintoul.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NUPES). L’amendement tend à demander un rapport sur les changements géostratégiques à prévoir à l’approche de l’ouverture de nouvelles voies de navigation au pôle Nord et au pôle Sud.

Depuis 1980, la banquise a perdu 75 % de son volume et peine à se reconstituer chaque été. Les pôles changent d’apparence et de nouvelles routes maritimes s’ouvrent, suscitant l’intérêt des grandes puissances qui y voient une opportunité économique, politique et militaire.

Les ressources entraîneront inévitablement des conflits pour leur appropriation qu’il convient d’anticiper. Les nouvelles routes maritimes seront à l’origine d’une pollution atmosphérique considérable liée au trafic des navires de fret mais aussi d’un développement de l’activité touristique néfaste pour l’environnement et les populations locales.

Les pôles sont perméables aux conflits. Du fait de la guerre en Ukraine, la Russie a ainsi été exclue de nombreux travaux du conseil de l’Arctique. Afin de préserver notre souveraineté et notre rôle de garant de la paix, une réflexion sur les changements géostratégiques à l’œuvre ou à venir aux pôles nous semble nécessaire.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je laisse le ministre vous répondre.

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées. Plutôt qu’une demande de rapport, je plaide pour la réécriture du rapport annexé sur laquelle nous nous sommes entendus hier afin que les enjeux des pôles soient mieux pris en considération. Quant aux évolutions géostratégiques, elles pourraient faire l’objet d’un rapport d’information de la commission. Je demande donc le retrait de l’amendement.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NUPES). Nous proposerons une nouvelle rédaction dans le rapport annexé.

M. le président Thomas Gassilloud. Le ministère des armées dispose d’un Observatoire défense et climat.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN751 de M. Aurélien Saintoul.

M. Christophe Bex (LFI-NUPES). Sous le précédent quinquennat, le Gouvernement a été incapable de présenter une stratégie claire s’agissant de l’opération Barkhane. Il a navigué à vue et l’opération s’est soldée par le rapatriement des forces françaises déployées au Mali. Son coût humain – cinquante-neuf soldats français et des milliers de soldats maliens, burkinabés, tchadiens morts ; 12 000 civils morts ; 3 millions de déplacés à la fin de 2022 – et financier – entre 8 et 10 milliards d’euros – a été bien trop important au regard des résultats peu concluants – les groupes djihadistes que l’on prétendait éradiquer n’ont cessé de s’étendre et de gagner en puissance.

La politique étrangère et militaire française en Afrique nous interroge. De nombreux citoyens des pays africains ont le sentiment que la France est partout et tout le temps, sentiment qui se transforme souvent en ressentiment. Ils se demandent, à juste titre, si elle intervient pour eux ou pour elle-même.

Nous ne comprenons pas la stratégie géopolitique que vous comptez suivre en Afrique : où est la cohérence ? Quels sont les objectifs ? Il serait bon de tout remettre à plat et de s’inspirer des nombreuses idées et initiatives existantes. L’amendement vise donc à demander un rapport, dans un délai de trois mois, sur la stratégie des armées en Afrique.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Vos propos sont scandaleux. Je ne peux vous laisser passer sous silence les réussites de nos militaires. Quelle que soit votre opinion sur la politique française, vous ne pouvez pas nier les résultats qu’ont obtenus les militaires français.

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées. Avis défavorable. Je suggère à la France insoumise de préparer un rapport sur la politique étrangère qu’elle mènerait et sur sa volonté de lutter contre le terrorisme en Afrique.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Ne nous faites pas de faux procès.

Les soldats français ont fait ce qu’on leur a demandé de faire et ils ont remporté des victoires tactiques. Il n’y a pas de victoire stratégique. Si, à l’issue de l’engagement de vos forces, la zone d’influence de ceux que vous combattiez s’est étendue, que le nombre des victimes civiles a crû de manière exponentielle et que les régimes se sont effondrés, vous ne pouvez pas affirmer que cet engagement était une bonne stratégie.

Nous vous proposons – comme nous l’avons fait pendant les cinq années du mandat précédent – de placer la question démocratique au cœur de votre politique.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Face à Wagner et au terrorisme ?

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Nous n’avons pas toujours été face à Wagner ni face à des situations enkystées au point d’être intenables. Vous avez pris la décision de maintenir les forces françaises à l’issue de l’opération Serval ; vous avez choisi de poursuivre l’opération Barkhane alors qu’il était encore temps de partir.

Vous nous avez toujours servi le même argument contrefactuel : « Si nous n’y étions pas, ce serait pire. » Vous nous avez, de manière fallacieuse, fait un chantage au terrorisme sur le territoire national alors qu’aucun attentat n’a jamais été préparé depuis le Sahel.

M. Laurent Jacobelli (RN). Ces propos sont tout simplement inacceptables. La France est intervenue à la demande du Mali. Certains de nos soldats sont morts en protégeant et en sauvant des milliers de vies. Notre armée s’est battue pour la paix locale mais aussi pour la paix en France au nom de la lutte contre l’islamisme. S’il y a un groupe qui n’a de leçons à donner à personne en matière de lutte contre l’islamisme, c’est bien le vôtre.

M. Yannick Chenevard (RE). Vous voulez livrer à nos adversaires toutes nos stratégies économiques et militaires la semaine où l’Assemblée a voté une résolution appelant à inscrire le groupe militaire privé Wagner sur la liste des organisations terroristes. C’est intéressant…

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Nous le savons tous, la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. La politique n’est pas décidée par le ministère des armées mais par le Président de la République et le ministre des affaires étrangères. La LPM n’est donc pas le lieu pour ce débat.

Nous pensons à tous nos hommes tombés au Mali. Croire qu’il est possible d’écrire en trois mois un rapport sur ce que devra être notre politique en Afrique pendant la prochaine décennie, c’est faire peu de cas de cette politique et de ceux qui sont envoyés au combat.

Mme Anne Genetet (RE). Votre demande de rapport est opportuniste. Vous souhaitez faire le procès de la politique africaine de la France au mépris des hommes tombés au Mali, qui ont sauvé des milliers de vies.

Votre démarche est particulièrement malvenue alors que nous discutons d’une loi de programmation militaire dont l’objet est de donner des moyens à nos armées pour les sept années à venir. Le délai de trois mois que vous prévoyez est une preuve supplémentaire que votre préoccupation n’est pas la programmation militaire.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Madame Genetet, nous déposons chaque année des amendements demandant un bilan des opérations extérieures et de la stratégie des armées françaises en Afrique.

Il n’est pas possible de penser la stratégie de demain sans avoir tiré les leçons du passé. C’est particulièrement vrai de l’opération Barkhane. La France s’est enferrée au Mali et a finalement été expulsée du pays par les autorités maliennes après deux coups d’État que personne n’a vu venir – ni les services de renseignement, ni les militaires.

La France conserve des bases militaires en Afrique, et il serait intéressant de connaître la vision du Gouvernement sur leur devenir. Je n’ai pas tout à fait compris ce que voulait le président Macron lorsqu’il s’est exprimé sur le sujet – sa pensée est certainement trop complexe. Ce qui est sûr, c’est que l’opération Barkhane n’a pas donné de résultats probants. Oui, nous pensons aux soldats qui sont morts et nous ne souhaitons pas qu’ils le soient pour rien.

M. François Cormier-Bouligeon (RE). Nous pourrions sous-amender pour demander un rapport sur les conséquences de la stratégie d’influence russe sur le sentiment, voire le ressentiment, de nos amis africains à l’égard de notre activité militaire en Afrique, ainsi que sur le positionnement de certains parlementaires français.

La commission rejette l’amendement.

 


Lien vidéo : https://assnat.fr/2n7nhD 

 

Article 2 : Approbation du rapport annexé (suite)

 

M. le président Thomas Gassilloud. Nous reprenons l’examen du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

Si l’on excepte les 38 amendements votés en commission des lois, dont l’adoption sera une formalité, 250 amendements environ restent à examiner. J’espère que nous parviendrons ce soir à en étudier une centaine de manière à ce que nous puissions achever l’examen du texte demain… avant minuit.

 

Amendement DN514 de M. Aurélien Saintoul.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Nous demandons au Gouvernement la remise d’un rapport sur les ambitions industrielles et opérationnelles françaises dans les fonds marins.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées. Il est satisfait par le rapport d'information Saintoul-Métayer et la stratégie ministérielle de maîtrise des fonds marins.

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées. Des rapports de grande qualité ont effet été publiés. Proposition de retrait.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Nous travaillerons à un amendement pour la séance publique afin d’intégrer au rapport annexé la référence au rapport parlementaire Saintoul-Métayer. Je suis certain que nous recueillerons un avis favorable.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN518 M. Bastien Lachaud.

M. Emmanuel Fernandes (LFI-NUPES). Le groupe LFI-NUPES demande un rapport du Gouvernement sur les évolutions et les leçons tirées depuis plus de vingt ans de lutte contre le terrorisme.

En deux décennies, la menace terroriste s’est transformée et les modes opératoires ont changé. Depuis 2002, l’arsenal législatif antiterroriste est complété chaque année par un nouveau texte, or, nous constatons de plus en plus fréquemment un détournement de ces lois contre des militants, notamment écologistes, des manifestants ou des citoyens qui se mobilisent dans le cadre des mouvements sociaux.

Si la menace djihadiste demeure importante, les services de renseignement indiquent que la menace terroriste la plus sérieuse provient de l’extrême droite. Au total, ils estiment à 3 000 le nombre de militants qui entrent dans ce spectre, dont plus de 1 300 sont fichés S. En témoignent les projets d’attentats d’un gendarme néonazi visant des mosquées, des dîners du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) et les meetings de Jean-Luc Mélenchon, tout comme l’incendie du domicile du maire de Saint-Brevin, lequel a démissionné car il craint pour sa vie et déplore le manque de soutien de l’État.

Ce rapport devra également se pencher sur le bilan de l’opération Sentinelle. Selon un rapport de la Cour des comptes du 12 septembre 2022 actant ce changement de typologie de la menace terroriste depuis les attentats de 2015, les forces militaires, qui ne disposent ni du renseignement intérieur, ni du pouvoir de police, ni des armements appropriés en zone urbaine, ne paraissent pas les mieux placées pour y faire face.

La Cour des comptes dénonce l’affichage de militaires dans les rues à des fins de tranquillité publique et de perception plus que d’efficacité militaire. S’appuyant sur un rapport de l’inspection des armées, la Cour note une banalisation du rôle des militaires et un amalgame avec les policiers et les gendarmes.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Nous disposons déjà de nombreux documents en la matière, le terrorisme est en effet polymorphe. Je suis moi-même très choqué par les exactions commises contre nos gendarmes de la part de certains groupes qui profitent des troubles sociaux pour s’infiltrer. Néanmoins, une mission d’information sur le sujet – peut-être de la commission des lois – me semblerait plus opportune. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il convient de distinguer l’amendement et sa défense. Hors l’opération Sentinelle, vous avez évoqué nombre de questions qui ne concernent pas directement le ministère des armées mais la sécurité intérieure. Vous avez déploré que les forces armées se chargent de missions qui en relèvent mais c’est sur elles que vous avez concentré votre propos.

Des rapports ont été publiés sur les opérations extérieures (Opex) et il ne me paraît pas utile d’en demander un autre. Il appartient me semble-t-il au Parlement de porter un regard rétrospectif et prospectif sur ces questions, le pouvoir exécutif étant à sa disposition pour les auditions qu’il envisagerait.

L’amendement est retiré.

Amendement DN501 de M. Aurélien Saintoul.

Mme Martine Etienne (LFI-NUPES). Nous souhaitons mettre l’accent sur les évolutions de la menace cyber et sur la faible capacité de résilience et d’adaptation de l’État français dans son traitement. En effet, les nouveaux modes de conflictualité, particulièrement ceux liés à l’émergence du cyber, souffrent d’un sous-investissement chronique et d’un manque de planification de moyen et long termes.

Nous pensons notamment au développement d’armements spatiaux permettant d’infliger des dommages impossibles à attribuer à une puissance ennemie et face auxquels la France pourrait être mise devant le fait accompli sans être en mesure d’y riposter.

Les évolutions des technologies font craindre l’émergence de vulnérabilités dans le domaine informatique et des communications. Une loi de programmation militaire (LPM) doit en tenir compte en prévoyant une adaptation de la politique de formation et de sensibilisation du plus grand nombre, un recrutement massif dans les domaines du cyber, un renforcement du capital technique et opérationnel et un élargissement des espaces de stockage des données sensibles.

Les évolutions de la menace doivent forcer la nation à développer une culture cyber en direction de la population, des autorités publiques, des acteurs économiques et territoriaux afin d’augmenter la résilience globale de la société.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Frédéric Mathieu, membre de votre groupe, et Anne Le Hénanff ont été co-rapporteurs d’une mission d’information à ce sujet, dont le Parlement a eu raison de se saisir. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je suis favorable à la remise d’un rapport mais à condition qu’il porte uniquement sur la contribution du ministère des armées – direction générale de l’armement (DGA), direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) – à l’effort cyber. La référence à « l’État français », outre qu’elle est malheureuse, pourrait en effet intégrer l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) et d’autres structures. Il me paraît également important d’envisager un délai non d’un an mais de deux, voire, un rapport tous les deux ans jusqu’à 2030.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Pourrions-nous nous mettre d’accord pour adopter l’amendement et le modifier en séance publique dans le sens que vous indiquez et que nous approuvons ?

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je m’en remets à la sagesse de la commission.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Je vous propose de remplacer « Dans un délai d’un an » par « Dans un délai de deux ans » et « de l’État français » par « du ministère des armées ».

M. Mounir Belhamiti (RE). La menace cyber est globale et ne concerne pas uniquement les armées, même si elles concourent à l’effort de cyberdéfense, comme en atteste d’ailleurs cette LPM.

Nous nous dirigeons vers la création d’un observatoire interministériel de la menace cyber. L’Anssi, le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), d’autres acteurs travaillent dans ce sens, y compris les assureurs et nombre d’acteurs économiques.

Je vous invite à retravailler la rédaction de cet amendement pour qu’il vise les seules affaires militaires, afin de parvenir à un accord.

La commission adopte l’amendement DN501 rectifié.

 

Amendements DN510 de M. Aurélien Saintoul et DN511 de M. Bastien Lachaud (discussion commune).

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Je m’étonne que ces amendements, déposés par le même groupe, soient en discussion commune.

M. le président Thomas Gassilloud. Les deux portent sur une demande de rapports à propos de la technologie quantique. En procédant autrement, nous introduirions une jurisprudence préjudiciable dans le travail réalisé par les fonctionnaires de l’Assemblée nationale. Je vous invite à examiner avant la séance le mode de discussion de vos amendements et, le cas échéant, à demander une modification.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Le premier amendement demande la remise d’un rapport sur la doctrine « Cloud au Centre », son application et son éventuelle extension pour les données issues du calcul intensif et de la technologie quantique au sein du ministère des armées. Nulle part il n’est dit explicitement que les données produites par ces nouveaux outils soient traitées comme les autres.

Le second demande un rapport sur les utilisations possibles de la technologie quantique dans les armées françaises.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. La création d’une mission d’information par la commission de la défense me semble préférable. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Nous avons prévu d’affiner la rédaction du rapport annexé sur les objectifs que nous nous fixons. Sans doute le Parlement serait-il mieux à même d’envisager la prospective et, peut-être, le benchmarking car il dispose sans doute en la matière d’une plus grande liberté que le pouvoir exécutif et les administrations.

M. le président Thomas Gassilloud. Le Parlement, de surcroît, dispose de cet outil maison qu’est l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), que nous avons missionné pour réaliser une étude sur les retombées de la LPM dans l’innovation civile. Son rapport devrait nous être présenté mercredi prochain.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). J’entends ces réponses à propos du second amendement mais je souhaiterais connaître le point de vue du ministère sur l’application de la doctrine « Cloud au Centre ».

M. Sébastien Lecornu, ministre. Vous pourriez auditionner le directeur général de l’armement et le nouveau directeur de l’Agence de l’innovation de défense (AID).

L’amendement DN511 est retiré.

 

La commission rejette l’amendement DN510.

 

Amendement DN504 de M. Aurélien Saintoul.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Nous demandons un rapport sur le surcoût financier que représenterait le fait de basculer les systèmes des armées sur un standard de cryptographie post-quantique ainsi que sur le délai nécessaire à un tel basculement. La plupart de ces standards, en effet, ne sont pas robustes face aux menaces plus traditionnelles. L’enjeu financier est donc réel.

J’ajoute que ce type de vulnérabilité pourrait s’étendre à d’autres domaines. Le ministère des armées doit être aux avant-postes pour pouvoir, ensuite, piloter la transformation numérique globale.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Ce serait là encore un bon thème pour une mission d’information. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. La question est immense.

La nouvelle direction générale du numérique et des systèmes d’information et de communication (DGNUM) a hérité de cette mission dans sa feuille de route.

Je ne doute pas que la revoyure prévue en 2027 portera largement sur la question du numérique et des nouvelles technologies. Cette LPM ne pourra qu’être actualisée.

Je suis plutôt réservé sur la remise d’un rapport dans un délai d’un an.

M. le président Thomas Gassilloud. Notre ancien collègue Cédric Villani a remis il y a à peine un an un rapport sur la stratégie quantique française, qui est toujours en ligne sur le site de l’Assemblée nationale et qui me semble encore très pertinent, même si, en la matière, les choses évoluent très rapidement.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Je crains que cette question, très technique, ne puisse relever d’une mission d’information de notre commission. Outre que nous avons besoin des services de la DGA et de la DGNUM, certaines informations relèvent du secret défense.

Nous demandons depuis plusieurs années des investissements massifs dans ce que nous appelons les nouvelles frontières de l’humanité, dont vous êtes manifestement conscients des enjeux.

Je retire l’amendement afin que nous puissions travailler ensemble, Parlement et exécutif, sur les évolutions structurantes en cours.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Cette question est en effet cruciale et je ne peux que me féliciter que l’on y travaille.

Néanmoins, nombre de demandes de rapports aboutiront à la création de missions par notre commission, à propos desquelles seul son bureau est à même de statuer, je le rappelle à nos collègues de La France insoumise. Je ne voudrais pas que nous soyons confrontés à un embouteillage pendant deux ans !

Nous avons besoin d’un État plus agile. Nous nous plaignons d’un État « Cerfa » qui produit toujours plus de papier et je ne voudrais pas que l’on mobilise trop les fonctionnaires du ministère des armées pour faire des rapports que liront mes collègues Lachaud et Saintoul, comme moi et quelques autres, mais qui serviront à caler les armoires. Prenons garde aux innombrables rapports !

M. Sébastien Lecornu, ministre. En séance publique, nous aurons l’occasion de préciser qu’un certain nombre de critères devront impérativement être pris en compte lors de la revoyure de 2027, en particulier les conséquences budgétaires du basculement que vous avez évoqué. C’est aussi le sens d’un rapport annexé concernant le format des armées.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN512 de M. Bastien Lachaud.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Nous demandons la nationalisation d’Alcatel Submarine Networks (ASN). Cette proposition est issue de la mission que j’ai co-rapporté avec ma collègue Métayer mais je suis le seul à y avoir souscrit.

Il est de notoriété publique qu’ASN est à vendre, que Nokia cherche un repreneur. Nous pouvons donc consolider la position française dans ce domaine. Avec la flotte câblière d’Orange, la France pourrait être l’un des rares État à être souverain sur l’ensemble de la chaîne et susceptible de discuter de manière crédible avec les Gafam. Nous serions coupables de ne pas saisir une telle opportunité, que nous formulons à partir de cet amendement d’appel.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je laisse le ministre répondre à votre appel.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Si vous le souhaitez, nous pourrons revenir en commission sur quelques stratégies industrielles dans un certain nombre de secteurs, mais ce ne sera pas le cas dans le cadre du rapport annexé.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Je comprends, j’essaie de lire entre les lignes, mais je maintiens cet amendement pour que les collègues qui le souhaitent puissent manifester leur intérêt pour cette question.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). L’entreprise Prysmian, dans ma circonscription, à Montereau, produit aussi des câbles sous-marins de grande qualité.

M. le président Thomas Gassilloud. Et des câbles de fibre optique pour les terriens !

La commission rejette l’amendement.

 

Elle adopte l’article 2 modifié.

 

Article 3 : Moyens de la politique de défense

 

Amendement DN827 rectifié de M. Jean-Michel Jacques.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Cet amendement précise que la loi de programmation militaire vise à couvrir des besoins financiers, correspondant aux besoins physiques de nos armées.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Ce sera effectivement plus clair ainsi. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

 

 

Amendement DN199 de Mme Anna Pic.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Nous souhaitons extraire de ce budget les effets de l’inflation sur la programmation militaire et nous assurer, à la suite des travaux du Haut Conseil des finances publiques, que les montants programmés seront effectivement perçus. Nous proposons donc que les crédits ne soient pas exprimés en euros courants, mais constants.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. L’inflation prévisionnelle est prise en compte dans la programmation à hauteur de 30 milliards d’euros. Par ailleurs, des crédits supplémentaires peuvent abonder le budget de la mission Défense en cas de surcoûts liés à l’inflation – on l’a vu dans la pratique récente.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Les euros courants embarquent l’inflation, et on raisonne toujours ainsi en matière budgétaire. Quand on est passé aux euros constants, durant deux quinquennats, pour la définition des trajectoires des LPM, on a vu l’effondrement budgétaire qui a suivi pour nos armées. Je suis défavorable à cet amendement : ce serait une erreur. Il n’y a d’ailleurs plus grand monde qui formule une telle demande.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements DN31 de Mme Valérie Rabault, DN306 de M. Bastien Lachaud, DN422 de Mme Michèle Tabarot, DN304 de M. Bastien Lachaud, DN560, DN561 et DN563 de M. Jean-Louis Thiériot, DN305 de M. Aurélien Saintoul, DN36 de M. Julien Rancoule et DN568 de M. Jean-Louis Thiériot (discussion commune).

Mme Mélanie Thomin (SOC). L’amendement DN31 propose une trajectoire budgétaire alternative, sur laquelle notre collègue Valérie Rabault a plus particulièrement travaillé.

En valeur, l’effort budgétaire prévu par le Gouvernement est conséquent, voire historique, mais il doit être apprécié à l’aune des nouvelles réalités géopolitiques et de la forte inflation que nous connaissons. L’évolution du budget de la défense que demande le Gouvernement est inférieure aux prévisions d’inflation établies par l’Insee, et on constate une baisse des moyens malgré l’effort consenti dans le cadre de ce budget.

Vous avez fait adopter mardi un amendement, Monsieur le ministre, qui fixe l’objectif de porter notre effort en matière de défense à 2 % du PIB entre 2025 et 2027. À cette date, sur la base des prévisions pour le PIB transmises à la Commission européenne, cela impliquerait un budget de 64,94 milliards d’euros, alors que vous prévoyez 56 milliards dans ce texte. Il manque donc 9 milliards dans vos projections. Comment le Gouvernement entend-il respecter son propre amendement ?

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Nous proposons, par l’amendement DN306, de prendre en compte une inflation de 5,4 % dans le budget des armées dès 2023 et jusqu’en 2026. Les ressources propres du ministère pourront naturellement servir en complément, comme dans le cadre des précédentes LPM.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Nous sommes un peu contrariés que les marches les plus importantes soient prévues lorsque M. Macron devra de toute façon quitter, pour des raisons constitutionnelles, la présidence de la République. Il aurait été plus cohérent, ne serait-ce qu’à l’égard de nos compétiteurs stratégiques, à un moment où les enjeux géopolitiques sont absolument considérables, de lisser davantage l’effort dans le temps. Nos différents amendements proposent des marches plus importantes, allant de 3,1 à 3,5 milliards d’euros par an jusqu’en 2027. Ce serait un symbole fort.

Nous avons fait attention à ne pas demander des explosions capacitaires qui sortiraient de l’enveloppe de 413 milliards d’euros. Nous proposons des marches raisonnables qui permettront de traiter la question du taux d’entraînement des forces sans déséquilibrer l’ensemble du système. Nous devons nous assurer que nos forces ont dès maintenant les moyens dont elles ont besoin.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). L’amendement DN304 prévoit un montant de 4,3 milliards pour commencer, au lieu de 3,1 milliards. C’est presque du pur bon sens, car vous annoncez dès cette année une hausse de 1,5 milliard : on est déjà dans le même ordre de grandeur.

Une telle évolution serait utile, l’inflation étant là. On peut espérer qu’on parviendra à la juguler dans les années qui viennent, et donc se contenter de marches plus modestes, mais il faut traduire rapidement les ambitions de la LPM en inversant l’ordre des marches, si je puis dire. Nous ne croyons évidemment pas à ce que pourrait faire M. Macron après son mandat.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Nous sommes quasiment tous certains, au vu des projections, y compris celles du Gouvernement, que l’inflation perdurera au moins jusqu’en 2024. L’amendement DN305 vise donc à prendre en compte l’inflation jusque-là et à ouvrir la voie à des évolutions pour les années suivantes.

M. Laurent Jacobelli (RN). Nous sommes effectivement étonnés que le gros des marches soit prévu à la fin de la période. Si on veut que les investissements attendus aboutissent dans le cadre de cette LPM, il vaut mieux les réaliser au début. Nous vous remercions, néanmoins, pour votre confiance : les marches les plus importantes sont prévues après 2027 ; nous saurons en prendre grand soin. En attendant, l’amendement DN36 propose un rééquilibrage.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je pense, Madame Thomin, que votre amendement repose sur une confusion. L’effort national de défense dans le cadre de l’Otan inclut non seulement les crédits budgétaires prévus dans la LPM mais aussi d’autres dépenses, notamment les charges de pensions, qui représentent entre 9 et 10 milliards d’euros par an durant la période considérée. Par conséquent, avis défavorable à votre amendement.

Pour le reste, les marches prévues visent à apporter une réponse cohérente aux besoins physico-financiers des armées. L’évolution envisagée correspond à l’augmentation des besoins en fin de période, notamment en matière de dissuasion. Je rappelle aussi que ces marches sont des planchers et que l’inflation a été prise en compte. Nous nous adapterons aux évolutions économiques : les lois de finances annuelles le permettront.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Madame Thomin, sans vouloir être polémique, je comprends encore moins, après votre amendement, le débat de l’autre soir sur l’amplification : votre amendement tend à ce que le budget annuel des armées soit de 64,95 milliards d’euros la dernière année, contre 68,91 milliards dans les autres amendements et la copie du Gouvernement. Il manquerait donc 4 milliards d’euros : c’est un amendement diminuant le budget annuel des armées. Non seulement tous les amendements par lesquels vous souhaitiez plus de bateaux, plus d’activité ou plus de moyens pour le plan « famille » tombent à l’eau, mais il faudrait aussi enlever beaucoup de choses que nous avons prévues.

Cet amendement, que je vous invite à retirer, me conduit à réexpliquer ce que sont les marches. Vous nous avez reproché lors de la discussion générale, avec d’autres, de prévoir les mêmes marches, de 3 milliards, chaque année. Lorsqu’on monte un escalier, les marches sont cumulatives. J’ai été un élu municipal et départemental, et j’ai joué, moi aussi, avec les chiffres quand j’étais dans l’opposition. C’est de bonne guerre, mais je vais quand même redonner les chiffres : nous prévoyons en 2017 32,3 milliards d’euros, en 2018 34,1 milliards, soit + 1,8 milliard, en 2019 35,8 milliards, soit + 3,5 milliards, en 2020 37,5 milliards, soit + 5,2 milliards, en 2021 39,2 milliards, soit déjà + 6,9 milliards d’euros par an depuis 2020, en 2022 40,9 milliards, soit + 8,6 milliards, et en 2023 43,9 milliards, soit cumulativement + 11,6 milliards par rapport à 2017.

J’observe au passage qu’il y avait moins de débats à la commission de la défense quand les moyens militaires diminuaient ! Mes prédécesseurs étaient plus questionnés sur les ressources extrabudgétaires que lorsqu’ils fermaient des régiments. Mais revenons aux chiffres : en 2024, nous prévoyons 47 milliards d’euros, soit + 14,7 milliards, en 2025 +17,7 milliards, en 2026 + 20,7 milliards, en 2027, fin du quinquennat, + 23,7 milliards d’euros d’effort, en 2028 + 28 milliards, en 2029 + 32,3 milliards et en 2030 + 36,6 milliards.

L’amendement du groupe socialiste donne l’impression qu’on pourrait avoir une progression très rapide au début, mais il aboutit à un budget militaire moins important à la fin. Il faut regarder les effets physiques que cela induit, comme le groupe LFI nous invite à le faire à chaque fois. La progression que nous proposons ne vise pas à émettre des signaux politiques ou stratégiques : elle correspond à des effets physiques.

J’en viens aux trois amendements du groupe La France insoumise. Vous nous dites que vous ne croyez pas à nos prévisions d’inflation, qui sont celles de Bercy, et que vous avez donc appliqué vos propres critères. Vous demandez des rapports, parce que vous n’auriez pas suffisamment de moyens, mais vous arrivez à redresser vous-mêmes l’inflation le soir dans vos chambres… Je conteste vos chiffres. Puisque vous avez évoqué le Haut Conseil des finances publiques, je suis curieux de connaître son avis sur vos projections.

Je sais que La France insoumise a parfois des problèmes de connexion quand il est question de dépenses publiques, mais vous arrivez, dans vos différents amendements, à un total de 413, 411 ou 403 milliards, auquel il faudra continuer à ajouter 13 milliards de recettes extrabudgétaires, à moins que vous ne les supprimiez, comme certains amendements le demandent – je ne souhaite pas, pour ma part, qu’on supprime des ressources affectées au ministère de la défense. Même s’il y a toujours des marges frictionnelles et des retards, l’augmentation du budget militaire que vous prévoyez est donc très importante. Vous proposez une copie entièrement nouvelle, qui n’est absolument pas compatible avec les finances publiques, ni réaliste. On ne sait toujours pas à quelle armée, à quelles alliances, ni à quelle dissuasion nucléaire cela correspondrait, mais peu importe, puisque vous proposez des marches…

Je vous ai trouvé bien taquin, Monsieur Jacobelli, quand vous avez évoqué les efforts en début de période et que vous avez dit que vous prendriez soin de la question quand vous seriez aux affaires. Mme Le Pen, qui avait un programme, proposait un budget annuel pour le ministère des armées de 55 milliards d’euros en 2027. Le Président de la République et les députés élus sous les couleurs de la majorité présidentielle proposent 56 milliards, soit 1 milliard de plus. Si vous aviez dû faire des marches à l’époque, elles auraient furieusement ressemblé aux nôtres.

Quand on prévoit des marches aussi importantes au début, comme vous le faites dans l’amendement que vous avez déposé, et qu’on termine par des marches de 900 millions d’euros, cela veut dire qu’on décide d’acheter sur étagère, donc pas forcément en France – on n’accélère pas ainsi la production des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, des sous-marins nucléaires d’attaque ou plus généralement les grands programmes. Ou alors on fait de l’affichage, en prévoyant des AE – autorisations d’engagement – plutôt que des CP – crédits de paiement.

Vous voulez peut-être acheter en Allemagne ou aux États-Unis ; si vous voulez le faire en France, la courbe que vous proposez n’est pas soutenable. Ce n’est donc qu’un amendement d’appel, à caractère politique : cela ne peut pas correspondre avec ce que vous proposez fondamentalement. Ce n’est compatible ni avec le programme de Mme Le Pen, même en prenant en compte l’inflation, ni avec vos orientations industrielles.

Les amendements des députés Les Républicains vont de 403 à 411 milliards d’euros sur l’ensemble de la période, auxquels il faut ajouter les 13 milliards déjà évoqués. Votre propos est qu’il faut faire plus en début de période, et donc prévoir une répartition différente – c’est ce qu’a demandé le président Marleix hier soir, sur Twitter. Il faudrait, cependant, nous dire pour quels effets sur le plan militaire et « caper » l’ensemble, pour assurer la soutenabilité budgétaire, et on revient aussi à la question de la cohérence d’ensemble. J’émets donc un avis défavorable à ces amendements, comme aux précédents, s’ils ne sont pas retirés.

Je le redis s’agissant des marches : il faut que l’effort soit soutenable sur la durée, sans quoi on sait bien comment cela se terminera, en particulier après 2027 : en cas de retournement de situation, le ministère des armées sera encore le premier à trinquer. C’est sur lui qu’on fera des économies parce qu’on n’aura pas veillé à définir une pente soutenable. Je souhaite donc qu’on trouve un équilibre.

Mme Anne Genetet (RE). Merci, Monsieur le ministre, pour votre précieux éclairage. Je crois que nous sommes tous d’accord pour assurer la soutenabilité de la trajectoire budgétaire de nos armées. Un équilibre est difficile à trouver, nous en convenons tout à fait, et il faut définir des marches. Durant le précédent mandat, les augmentations ont été de l’ordre de 4,5 % par an. Nous avons franchi cette année une marche très importante, avec une augmentation d’à peu près 7 %, et l’effort sera globalement constant dans la trajectoire proposée jusqu’en 2030.

Nous avons vu lorsque nous avons travaillé sur les moyens capacitaires proposés pour nos armées que certains grands projets nécessitent pour la phase des études en amont des crédits qui ne sont pas du tout du même niveau que ceux à mettre sur la table quand on passe à la phase de production et de mise en service des équipements. La trajectoire envisagée est soutenable, réaliste et transparente, elle correspond aux ambitions de nos armées, et elle nous permettra de ne pas être trop gourmands au départ, afin d’atteindre au bout du compte les objectifs fixés.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Vous deviez être un excellent élu d’opposition, Monsieur le ministre, vu la manière dont vous jouez avec les chiffres. En 2018, nous avons voté des marches de 3 milliards pour les années 2023, 2024 et 2025. Or vous nous demandez maintenant de voter pour ces mêmes années des marches de 3 milliards, en disant que vous tenez compte de l’inflation. Si on l’inclut, ces marches sont inférieures à ce qui était prévu en 2018. C’est tellement vrai que vous proposez pour 2023 un budget rectificatif de 1,5 milliard pour tenir compte de l’inflation. Anticipons tout de suite ce qui va se passer en 2024 et 2025 en ajoutant 1,5 milliard.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Notre contre-trajectoire budgétaire n’a qu’une vocation : montrer que la vôtre ne correspond pas à certaines ambitions affichées pour nos militaires et nos forces armées, que nous partageons. Elle nous semble insincère, et vous n’avez pas réussi à nous convaincre du contraire pour l’instant. Nous poursuivrons donc le débat en séance avec le groupe socialiste. Vous vous souvenez que nos collègues ont été pleins de ressources pour mener des investigations lors du débat sur la réforme des retraites. S’agissant de cette trajectoire budgétaire, nous serons également au rendez-vous.

M. Loïc Kervran (HOR). La série d’amendements concernant les aspects capacitaires et celle-ci portant sur les marches montrent la difficulté extrême de l’exercice. Nos décisions engagent en effet à la fois notre capacité à produire, à entretenir, à armer et à équiper les matériels, à leur fournir des équipages et à acheter français. Je tiens à cet égard à saluer l’excellence du travail réalisé par le ministre, par le secrétariat général pour l’administration (SGA) et par les états-majors pour construire une masse cohérente, avec efficacité et sincérité.

Je rappelle qu’on sera passé de 32 milliards de crédits en 2017 à 69 milliards à la fin de la LPM, en 2030. On a le sentiment un peu étrange – mais qui doit correspondre à une réalité physique – qu’il est plus facile de descendre les escaliers que de les monter…

Mme Josy Poueyto (Dem). Je dois dire que j’ai écouté avec délectation la démonstration du ministre… J’invite tout le monde ici – en particulier certains collègues – à la réécouter.

Je tiens à rappeler que les dépenses liées à l’Ukraine sont sorties du budget de la LPM. Et si l’inflation diminue, chers collègues des oppositions, diminuerez-vous aussi les marches ?

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Le ministre sait effectivement être brillant et taper juste quand les calculs montrent qu’on va dépenser moins alors qu’on avait annoncé qu’on allait dépenser plus – ce qui est une vieille habitude remontant au temps de François Hollande…

Plus sérieusement, il y a là une dimension symbolique importante. Il est vrai que nous n’avons pas tenu compte dans nos amendements de l’effet cumulé que vous évoquez, Monsieur le ministre ; nous les réécrirons.

Nous sommes plus généralement pris dans un dilemme qui oppose les besoins de nos forces armées et la situation économique. Je n’oublie pas que la dette publique atteint 115 % du PIB et que sa charge est plus importante que le budget des armées, ce qui limite considérablement notre liberté de manœuvre. Il faut trouver le bon équilibre. Nous en rediscuterons en séance.

M. Laurent Jacobelli (RN). Il est traditionnel, de la part de l’opposition, d’utiliser les chiffres pour attaquer la majorité et, de la part de la majorité, de se moquer de l’opposition pour ne pas avoir à répondre. Les deux techniques ont été utilisées ce soir. Merci pour cette leçon de politique.

Le sujet est néanmoins sérieux. Vous avez, Monsieur le ministre, cité l’excellent programme de Marine Le Pen. Il ne vous aura néanmoins pas échappé qu’entre-temps, grâce à vos collègues, la situation économique ne s’est pas améliorée. Et puis, ne le prenez pas mal, mais vous ne partez pas de rien : il y avait une LPM en cours. Comme l’ont souligné certains collègues, la marche sera de 3 milliards alors qu’elle aurait dû être de 4,5 milliards. En outre, des programmes ont déjà été engagés et vont être livrés. Remettre à plus tard, c’est une astuce bien connue que nous avions détectée dès l’annonce du budget de la nouvelle LPM – 400 ou 413 milliards, c’était déjà flou : nous avions anticipé que les principales marches seraient programmées après 2027. Tel est bien le cas.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Je peux vous retourner la question, Madame Poueyto. Dans le projet de loi, il est prévu 30 milliards pour contrebalancer les effets de l’inflation : qu’en ferez-vous si elle n’atteint pas ce niveau ?

Mon collègue Lachaud l’a démontré : vous présentez une nouvelle LPM pour ne pas avoir à respecter celle en cours. Cela se vérifie sur le plan capacitaire mais aussi pour ce qui concerne la hausse : les marches de 3 milliards prévues en 2018 ont été grignotées par l’inflation et elles le seront encore, sans que vous prévoyiez aucune compensation.

Vous nous demandez à quoi correspondent les marches que nous proposons. Je crois que nous avons passé assez de temps sur d’autres amendements pour que vous sachiez qu’il y a bien du physique derrière. On nous a suffisamment reproché d’être dépensiers.

Vous prétendez que nos propositions ne sont pas compatibles avec les finances publiques – curieuse formulation. Si, elles le sont, parce que nous savons aller chercher les ressources correspondantes : nous, nous ne faisons pas 156 milliards de cadeaux fiscaux aux entreprises, en pure perte.

Certes, nous présentons un modèle alternatif au vôtre, mais il est cohérent. Ne mettez pas en doute notre sérieux et notre rigueur intellectuelle, merci.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendement DN924 de M. Jean-Michel Jacques.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Cet amendement vise à préciser que les crédits budgétaires prévus à l’alinéa 3 constituent des planchers, et non des plafonds.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Autrement dit, c’est le corollaire de l’exécution à l’euro près – même si nos opposants ont du mal à nous l’accorder. Avis favorable.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). « Cette trajectoire de ressources budgétaires s’entend comme un minimum », est-il précisé dans l’amendement. Or le PLPM prévoit déjà 13 milliards de recettes extrabudgétaires. Est-ce à dire que le Gouvernement se réserve le droit d’augmenter encore les ressources budgétaires, en plus des recettes extrabudgétaires ?

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Oui, les ressources budgétaires se cumuleront.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Cela peut paraître incroyable, mais c’est ce qui se fait déjà. Le rapporteur propose de l’inscrire dans la loi. Ce n’est pas sur les questions budgétaires qu’il faut essayer de nous coincer ; si j’étais mon propre opposant, j’utiliserais un autre angle d’attaque…

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN307 de M. Bastien Lachaud.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Il ne faudrait pas que la loi nous contraigne à remplacer un canon Caesar que nous aurions cédé à l’Ukraine et qui aurait été détruit. La formulation de l’alinéa 4 ne nous semblant pas très claire sur ce point, nous proposons de préciser que le recomplètement s’entend « au sein de l’armée française ». L’exécutif conserverait ainsi la possibilité de remplacer le matériel détruit au sein de l’armée ukrainienne, mais ce ne serait pas une obligation légale.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Ce qui est donné est donné : la précision est superfétatoire. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Pour être honnête, je n’avais pas très bien compris le sens de cet amendement à sa lecture…

Non, il n’est absolument pas question d’un recomplètement automatique des matériels donnés à l’Ukraine. Une telle précision dans la partie normative de loi de programmation militaire s’appliquant aux armées françaises serait bizarre !

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Ce n’est pas clair : la preuve.

M. Sébastien Lecornu, ministre. C’est parce que vous avez parfois l’esprit taquin…

Une loi ne peut pas imposer une cession d’armes automatique – vous l’avez suffisamment répété pour les exportations de matériels de guerre. Cela me semble relever de l’évidence. Sagesse.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN284 de M. José Gonzalez.

M. José Gonzalez (RN). La contribution de la France à la Facilité européenne pour la paix (FEP), à hauteur de 100 millions d’euros fin 2023, devrait servir à promouvoir notre industrie de défense nationale plutôt que permettre aux États européens bénéficiaires d’acheter du matériel étranger. En effet, il semblerait que les versements français – vraisemblablement plus de 1 milliard d’euros sur la période couverte par la nouvelle loi de programmation – permettront à des pays comme la Pologne ou les Pays baltes de continuer à acheter en grande proportion du matériel américain au détriment du matériel français. À l’heure où l’on parle d’économie de guerre et de conflits de haute intensité, la France bénéficie-t-elle d’une telle avance dans son effort de défense pour financer indirectement l’industrie de défense américaine ?

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis défavorable : la contribution française à la FEP ne vise pas à promouvoir notre base industrielle et technologique de défense (BITD), reconnue pour son savoir-faire, elle permet à la FEP de remplir son rôle, à savoir notamment renforcer les capacités de nos partenaires.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Avis défavorable

Mme Stéphanie Galzy (RN). J’abonde dans le sens de mon collègue Gonzales : il est frustrant de verser 100 millions à la Facilité européenne pour la paix alors que nos partenaires européens achètent du matériel étranger, d’autant plus que cette somme correspond aux projections des députés Dhuicq et Bays en 2015 en vue de la relance de la filière française de production de petites munitions que nous évoquions tout à l’heure. Certes, comparaison n’est pas raison et l’inflation est telle qu’il faudrait abonder ce montant, mais il est primordial de promouvoir la base industrielle et technologique française par le fléchage de financements.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). S’il est évident qu’il faut soutenir la BITD, il faut aussi prendre en considération le contexte. La seule utilité de la FEP, aujourd’hui, est d’aider les Ukrainiens à résister à l’invasion russe. C’est à cela qu’elle doit servir, non à promouvoir la BITD.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN795 de M. Bastien Lachaud.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Compte tenu du caractère exceptionnel et imprévisible des cessions à l’Ukraine et de leur montant, nous proposons qu’elles fassent l’objet, à l’instar des surcoûts des opérations extérieures (Opex), d’un financement interministériel. Nous ne voulons pas que ce choix, qui engage la nation et qui est politique au sens le plus noble du terme, affecte spécifiquement le ministère des armées. Les crédits utilisés seraient ponctionnés sur le programme 552, consacré aux dépenses accidentelles et imprévisibles.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis défavorable : le périmètre des missions budgétaires relève du ministère des comptes publics et de la loi de finances, non du ministère des armées et de la loi de programmation militaire.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je considère qu’il s’agit d’un amendement d’appel. La construction des projets de loi de finances dépend de Bercy et des ministres concernés. Ce qui compte, c’est que, dans la programmation militaire, la distinction soit clairement faite. Demande de retrait.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Je ne suis pas convaincu. On pourrait très bien affirmer dès maintenant que les dépenses de ce genre relèvent de l’interministérialité. On ne sait pas combien de fois nous serons conduits à utiliser de tels dispositifs.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN413 de M. Olivier Marleix.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Cet amendement du groupe LR vise à obtenir une information du Parlement sur l’aide fournie à l’Ukraine. Afin que nous ne nous soyons pas empêchés par la nécessaire discrétion concernant le contenu de cette aide, je pourrais user de mon droit de rectification pour exclure de cette information ce qui relève du secret-défense.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Le contrôle parlementaire du soutien à l’Ukraine existe. Je rappelle d’ailleurs que nos collègues Lionel Royer-Perreaut et Christophe Naegelen sont les corapporteurs de la mission d’information flash sur le bilan du soutien militaire à l’Ukraine. L’amendement est donc satisfait. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. L’amendement est en effet satisfait. Il y aura en juillet des auditions sur les exportations d’armes devant les commissions des affaires économiques, des affaires étrangères et de la défense. Tout don d’armes à l’Ukraine donne lieu à une licence. Vous trouverez donc le détail de l’aide à l’Ukraine pour l’année 2022 dans le rapport annuel sur les exportations d’armements par la France – nous ferons en sorte de le faire ressortir. Inutile de créer une autre obligation.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Comme il s’agit d’un amendement du groupe, je le maintiens. Peut-être serait-il intéressant de prévoir que la communication sur 2022 sera amenée à se prolonger si la guerre dure.

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Un conseil spécial d’information réunit en outre les ministres concernés et les responsables du Parlement, dont les présidents de groupe. Il procure une information de bon niveau. Le président Marleix y a d’ailleurs assisté.

La commission rejette l’amendement.

 

 

Amendement DN309 de M. Aurélien Saintoul.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Nous estimons que les ressources extrabudgétaires du ministère des armées n’ont pas à figurer dans la LPM – elles ne figuraient d’ailleurs pas dans la précédente.

Nous considérons que le budget de la programmation militaire doit s’entendre hors ressources extrabudgétaires : est-il de 413 milliards ou de 400 milliards d’euros ?

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Les ressources extrabudgétaires ont toujours figuré dans les LPM. En l’espèce, leur proportion est inférieure à celle de la LPM pour 2019-2025. Il s’agit de recettes récurrentes et connues. En les supprimant, vous retireriez d’un trait de plume 5,9 milliards de ressources au budget de la défense. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. On voit qu’il y a une difficulté politique à prendre acte de l’effort consenti par la majorité présidentielle… Je suis de bonne foi mais à force, il devient évident qu’il s’agit de manœuvres politiciennes.

Les ressources extrabudgétaires, le retour du produit des cessions immobilières du ministère, cela figurait dans la précédente LPM. Vous avez déposé je ne sais combien d’amendements pour réclamer plus de transparence et maintenant il faudrait supprimer l’alinéa qui apporte de la transparence ? Je n’arrive plus à vous suivre ! Avis défavorable.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). La bonne foi, Monsieur le ministre, on en jugera en séance. Il y a des engagements que vous avez pris en séance lors de l’examen de projets de loi de finances et dont on n’a toujours pas vu la couleur – par exemple, concernant les cuisines…

M. Sébastien Lecornu, ministre. Nous l’avons fait : mauvais exemple !

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Au temps pour moi. En revanche, pour ce qui est du service de santé des armées (SSA), ça traîne.

Mais j’en reviens aux ressources extrabudgétaires. Êtes-vous certain qu’elles seront stables ? D’autre part, si l’on ajoute les cessions et les revenus du SSA, cela représente, grosso modo, 7 milliards. Il en manque 6 : ce n’est pas une paille.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Voyez, Monsieur Saintoul : vos questions ne sont pas dans le même registre que la défense de l’amendement. Si des parlementaires, quelle que soit leur sensibilité, ont des doutes concernant le montant des ressources extrabudgétaires, on peut en discuter. Si c’est pour jouer sur l’argument de la sincérité – 400 ou 413 milliards – c’est inutile.

La commission rejette l’amendement.

Amendement DN124 de M. Jean-Pierre Cubertafon.

Mme Josy Poueyto (Dem). Amendement rédactionnel.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Demande de retrait : les services du ministère m’ont confirmé que « ministère de la défense » était bien le terme consacré par le code de la défense.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je le confirme.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN421 de M. Olivier Marleix.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Je souhaite revenir sur la question des ressources extrabudgétaires, qu’il est possible de traiter avec sérieux et bonne foi. Vous avez dit que ce PLPM était fondé sur des besoins physiques et sur du concret. Comment fera-t-on si les recettes extrabudgétaires sont insuffisantes ?

L’objet de l’amendement est d’inscrire noir sur blanc qu’elles seront compensées en loi de finances par des ressources budgétaires.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Sagesse.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il paraît vraiment curieux, quand on fait partie de la majorité, de devoir donner autant de gages concernant la trajectoire alors que la précédente LPM, votée en 2018, a été exécutée à l’euro près, voire surexécutée, et que l’inflation a été traitée. Il semblerait qu’on prenne plus de précautions lorsqu’il s’agit d’augmenter les crédits que lorsqu’il s’est agi de les diminuer…

J’ai reçu le président Marleix pendant plus d’une heure et demie. Il m’a posé la même question que vous. Je lui ai longuement expliqué les choses. Comme j’ai lu ensuite dans la presse que, globalement, il n’accordait pas de crédit à mes propos, j’ai pris ma plume et j’ai mis l’ensemble des membres du groupe Les Républicains en copie du courrier – étant entendu que je suis à la disposition de tous les groupes pour donner des explications. Désormais, le groupe LR souhaite inscrire dans la loi ce que j’ai déjà dit des dizaines de fois, en commission de la défense, en commission des finances, en commission des affaires étrangères, au Sénat. Je ne peux pas faire mieux. Par conséquent, si tel est vraiment le souhait du groupe LR, j’émettrai un avis favorable sur cet amendement. J’espère que, du coup, les ressources extrabudgétaires ne feront plus l’objet de polémiques.

On me renvoie sans cesse à l’insincérité de ma copie – je ne parle pas pour vous, Monsieur Thiériot –, sans jamais la démontrer. J’espère que cet ajout sera de nature à rassurer l’ensemble des groupes politiques. La majorité présidentielle n’a rien à cacher.

Mme Anne Genetet (RE). L’amendement explicite ce qui s’est toujours fait naturellement et qui, en tout cas dans la précédente LPM, n’avait rien à voir avec de l’insincérité. Nous n’avons pas de doute sur le fait que nous pourrons trouver ces 13 milliards de recettes extrabudgétaires, mais nous n’avons pas d’objection à écrire ce qui se fait déjà.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Votre soutien à l’amendement de M. Marleix est un choix important, Monsieur le ministre. Ne devrions-nous pas planifier d’ores et déjà les 13 milliards d’euros en faisant apparaître les moments auxquels cette enveloppe sera dépensée ? C’est le principe d’une loi de programmation. Si l’amendement est adopté, l’existence des 13 milliards d’euros est garantie – sans prendre en compte les lois de finances initiales, comme vous ne cessez de le rappeler, Monsieur le ministre –, donc pourquoi ne planifierions-nous pas ce montant dans les marches puisque l’éventuelle absence des ressources extrabudgétaires sera compensée par des crédits budgétaires ? Cela apporterait de la visibilité aux industriels, aux soldats et aux citoyens.

M. Christophe Blanchet (Dem). Le groupe Démocrate soutiendra l’amendement, l’explication du ministre ne faisant qu’entériner ce qu’il avait déjà dit à six reprises. Inscrivons dans le marbre cet engagement et sanctuarisons ces ressources budgétaires pour éviter toute polémique ou quiproquo.

M. Sébastien Lecornu, ministre. En tant que militant politique, j’admire la rhétorique de La France insoumise : nous examinons des sujets très techniques sur lesquels je pense qu’aucune génération de parlementaires ne s’est penchée depuis 1960, mais nous ignorons toujours vos idées sur les contours de l’armée une fois la France sortie de l’Otan, vos orientations en matière de politique étrangère ou votre conception du système aérien de combat du futur (Scaf) : nous avons juste compris que vous aviez failli sortir l’Allemagne de nos partenariats stratégiques et que l’Otan était la source de toutes les guerres.

C'est bien joué parce que nous passons beaucoup de temps sur cette question et d’autres oppositions sont tombées dans le panneau – c’est vous qui avez soulevé le sujet les premiers –, mais au bout d’un moment, il faut revenir sur l’essentiel. Espérons que l’adoption de cet amendement nous en donne l’occasion !

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN683 de M. Jean-Louis Thiériot.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). L’adoption de l’amendement précédent satisfait celui-ci, dont je le retire.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN198 de Mme Anna Pic.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Adopté par la commission des affaires étrangères, l’amendement vise à compléter le volet des engagements budgétaires, en inscrivant dans la loi l’atteinte des objectifs de dépenses. Il propose de recourir à des crédits déterminés en loi de finances tout au long de la période de la LPM car nous pensons que les besoins programmés ne correspondent pas aux crédits documentés pour la période 2024-2030. L’amendement souligne nos doutes sur le respect de cette programmation budgétaire.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. La formulation de votre amendement pose problème car elle ne fait référence qu’aux ressources budgétaires.

M. Sébastien Lecornu, ministre. J’ai répondu plusieurs fois : avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN106 de Mme Caroline Colombier.

Mme Caroline Colombier (RN). Il reprend la recommandation d’un rapport du Sénat de juin 2021 sur l’actualisation de la LPM 2019-2025, en ajoutant dans le texte que les ressources budgétaires seront complétées par un retour intégral du produit de cession à l’export de matériels d’occasion.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. L’amendement est satisfait : la vente de Rafale d’occasion à la Grèce et à la Croatie a directement abondé le budget de la mission Défense.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je me tue à expliquer que le ministère des armées a des recettes propres, comme la vente de matériels d’occasion. L’amendement est satisfait, donc je vous demande de le retirer.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN310 de M. Bastien Lachaud.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Le texte apporte peu de précisions sur la ventilation des crédits, donc nous vous avons pisté sur Twitter pour obtenir des informations. L’amendement retranscrit des fléchages de crédits que vous avez indiqués sur votre compte pour garantir l’attribution de ces sommes, modestes pour l’instant : 35 millions d’euros investis au profit du premier régiment de tirailleurs, 20 millions pour le régiment de marche du Tchad, 692 millions investis pour la base aérienne 125, etc. L’adoption de l’amendement serait de nature à nous rassurer puisque vous nous avez sentis soupçonneux.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Vous le savez bien, ce genre de précisions n’a jamais eu sa place dans une LPM. Ces annonces avaient une visée pédagogique, utile à nos concitoyens pour comprendre l’effort de défense.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Encore un peu de militantisme politique ! Le ministre est ordonnateur des dépenses : quand vous serez ministre chargé de la défense de M. Ruffin ou de M. Mélenchon, vous le serez également. Il faudra néanmoins revoir toute la loi de programmation militaire. Quand la France sera sortie de l’Otan, se sera fâchée avec tout le monde et n’aura plus de dissuasion nucléaire, il faudra en effet concevoir un modèle différent et acheter sans doute beaucoup de chars…

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Il est étrange que vous vous livriez à ce genre de caricature quand nous avons des discussions informées et sérieuses sur le quantique ou la cryptographie. Je pensais que vous aviez compris notre doctrine en faveur de la dissuasion et du désarmement, les deux n’étant pas incompatibles puisqu’ils figurent en toutes lettres dans le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP).

On peut regretter que vous n’ayez pas donné ces éléments précis de ventilation à la représentation nationale, mais vous en avez publiquement fait état, donc je ne vois pas de raison de retirer l’amendement même si nous savons qu’il s’agit de petites sommes. Cet amendement n’aurait pas été nécessaire si le rapport annexé avait été plus détaillé.

M. Sébastien Lecornu, ministre. La territorialisation de la LPM est un sujet essentiel : chaque parlementaire recevra un portrait des effets du projet de loi de programmation dans son territoire ; ce tableau abordera les conséquences sur la BITD, les infrastructures – bases des régiments et bases navales – et le capacitaire. Ce portrait manquait et il sera utile pour susciter l’appropriation par les citoyens des dépenses militaires. Le ministre est dans son rôle lorsqu’il explique, à l’occasion d’un déplacement dans une unité pour rencontrer la troupe, ce que la LPM prévoit pour celle-ci ; la presse est dans son droit de le relayer comme mon compte Twitter.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Nous avons mis le doigt sur quelque chose d’important, et il aurait été très utile d’avoir ce rapport avant l’examen du projet de loi pour que nous nous prononcions de manière éclairée.

La commission rejette l’amendement.

 

Elle adopte l’article 3 modifié.

 

 

 

Après l’article 3

 

Amendement DN32 de Mme Valérie Rabault.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Il a trait à la transparence de l’exécution budgétaire et il définit une trajectoire d’autorisations d’engagement et de restes à payer, dans le but de sécuriser la trajectoire budgétaire présentée à l’article 3. Dans son analyse de l’exécution budgétaire de la mission Défense publiée en avril 2023, la Cour des comptes a alerté les parlementaires sur la soutenabilité de la trajectoire des restes à payer de la mission, lesquels atteignaient 91 milliards d’euros en 2022 contre 52 milliards en 2017. Nous souhaitons suivre les préconisations de la Cour des comptes et inscrire une trajectoire d’autorisation.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Les notes d'exécution budgétaires de la Cour des comptes documentent très bien l'évolution des restes à payer et sont suffisantes. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Même avis. Je suis néanmoins favorable à ce que l’on élabore un document présentant une visibilité à deux ans. Les restes à payer sont élevés, parce que le ministère investit énormément. Plus il y a de factures de capacitaire et d’infrastructures à payer, plus il y a d’étalement – cela se vérifie par exemple pour les Rafale. Il est impossible de donner une visibilité à cinq ans pour les programmes parce que la nature juridique des contrats – verticaux ou par tranches – n’est pas connue. En revanche, nous pouvons nous engager en séance publique à prévoir une projection à deux ans : je suis disponible pour y travailler avec Mme Rabault. En attendant, je vous demande de retirer l’amendement.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Nous le maintenons mais nous sommes ouverts à en redessiner les contours.

La commission rejette l’amendement.

 

Article 4 : Provision au titre des surcoûts OPEX et MISSINT

 

Amendement DN311 de M. Aurélien Saintoul.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Notre groupe est particulièrement attaché à la notion de financement interministériel des surcoûts des opérations extérieures (Opex) et des missions intérieures (Missint). L’amendement vise à plafonner le montant provisionné au sein du budget des armées, des crédits provenant d’autres ministères pouvant éventuellement les abonder – nous pensons notamment au programme 552 dont je vous ai déjà parlé. Une provision de 350 millions nous paraît plus raisonnable que celle de 750 millions inscrite dans le projet de loi.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il convient de trouver un juste équilibre, mais les principes de sincérité, de bonne gestion et de prudence imposent de prévoir une provision réaliste par rapport aux prévisions de dépenses. Ce n’est pas le cas de votre amendement, donc l’avis est défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Le projet de loi affiche déjà une diminution importante de la provision annuelle au titre des Opex et des Missint, rendue possible par la fin de Barkhane. Nous avons également intégré une réflexion sur l’avenir de Sentinelle après les Jeux olympiques. La proposition me semble équilibrée parce que l’activité peut vite avoir un coût élevé – on l’a vu avec la mission réassurance à l’Est après l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Nous maintenons l’amendement. Le gouvernement précédent avait choisi de présenter une enveloppe de provisions sincère : nous n’étions pas favorables à cette présentation car nous préférons le programme 552 qui garantit le caractère interministériel de l’enveloppe.

Mme Lysiane Métayer (RE). La France est l’un des rares pays à déployer des forces à l’extérieur de ses frontières : ces opérations sont extrêmement importantes, donc il ne faut pas trop réduire leurs crédits pour ne pas pénaliser nos efforts pour la stabilité et contre le terrorisme.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Nous ne souhaitons pas baisser le budget des Opex ou des Missint, nous voulons réduire la provision annuelle du ministère des armées pour ce poste, afin que le supplément soit financé en interministériel. Les armées n’agissent pas en Opex ou en Missint pour le seul compte de leur ministère, mais pour la nation tout entière : c’est donc à la solidarité nationale de s’exprimer. D’ailleurs, le montant de 350 millions d’euros que nous proposons correspond à celui de 2017 et de 2018, juste avant la LPM en cours d’exécution.

Mme Lysiane Métayer (RE). J’avais bien compris votre amendement, mais ce sont les surcoûts que peut reprendre l’interministériel.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN892 de M. Jean-Michel Jacques.

M. Jean-Michel Jacques (RE). Il a pour objet de fixer au 30 juin au plus tard la communication au Parlement du rapport sur le bilan des Opex et des Missint, comme le prévoyait la LPM 2019-2025.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

 

La commission adopte l’amendement rédactionnel DN828 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Amendement DN669 de Mme Delphine Lingemann.

Mme Delphine Lingemann (Dem). Il propose de fixer la même échéance pour la communication du bilan opérationnel et financier des Opex et des Missint que celle de la transmission du rapport sur le bilan de l’exécution de la programmation militaire, prévue à l’article 8, à savoir avant le 30 avril.

Suivant les avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN245 de Mme Anna Pic.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Il s’agit d’un amendement de confort pour le travail des parlementaires : il a pour objet de donner à ceux-ci au moins quinze jours pour examiner le bilan opérationnel et financier des Opex et des Missint. Ce délai servira à examiner les documents avant leur discussion dans notre assemblée.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. La Constitution donne déjà au Parlement un rôle en matière d’Opex : il faut s’y tenir et en rester là, d’autant que les articles 8 et 9 du projet de loi prévoient la transmission au Parlement d’un rapport dressant le bilan de l’ensemble de l’exécution de la programmation militaire. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Même avis.

M. le président Thomas Gassilloud. Si le bureau de la commission le souhaite, la présentation du rapport pourra faire l’objet d’une réunion destinée à faire le point annuel sur les Opex et les Missint.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Je n’ai pas compris pourquoi vous étiez défavorable à l’amendement, Monsieur le ministre.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je n’ai pas d’avis particulier, donc je me range derrière celui du rapporteur. Les documents seront de toute façon prêts.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Monsieur le rapporteur, faites-vous le porte-étendard du parlementarisme !

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 4 modifié.

 

Article 5 : Carburants opérationnels

 

Amendement DN314 de M. Aurélien Saintoul.

Mme Martine Etienne (LFI-NUPES). Il vise à élargir la mesure prévue à l'article 5, à savoir une dotation de crédits budgétaires supplémentaires en cas de hausse des prix des carburants opérationnels, à toutes les énergies nécessaires au fonctionnement des armées. Le texte propose une ventilation budgétaire qui omet les effets de l’inflation sur toute la trajectoire, ce que nous n’acceptons pas. La Banque centrale européenne (BCE) ne cesse de prendre des mesures pour limiter l’inflation, mais celles-ci ne doivent pas grignoter les augmentations de crédits promises. Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023, nous avions soulevé l’insincérité budgétaire des crédits de la mission Défense, dans laquelle ne figurait pas l’inflation des prix des carburants. Si l’article 5 la prend en compte, il omet toutefois l’augmentation drastique des prix de l’énergie, qui affecte pourtant fortement nos armées.

Le prix du baril de pétrole n’est pas la seule variable à avoir un impact sur le présent budget. Protéger l’ensemble des énergies utiles aux armées, et non les seuls carburants, est indispensable pour compenser l’inflation et garantir l’annualité effective de la programmation. Vous l’aurez compris, la modification que nous proposons n’est pas simplement sémantique : ne prendre en compte que la seule hausse des prix des carburants irait à rebours de la juste part que prennent les armées dans la transition écologique et de la stratégie de diversification énergétique entreprise.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je comprends votre souci d'élargir la mesure à l'ensemble des énergies, mais c’est essentiellement le coût des carburants opérationnels qui est susceptible d’affecter l’activité de nos armées, et non celui des autres énergies. C'est donc faire preuve de transparence et de sincérité que de faire référence aux seuls carburants opérationnels.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je vous remercie d’être restée dans le champ de l’opérationnel et de respecter la philosophie de l’article 5 – il y a d’autres mécanismes de gestion de l’inflation pour les aspects non opérationnels, que l’on croit ou non à leur efficacité.

L’essentiel de la dépense est dû au carburant opérationnel et les autres postes énergétiques sont très résiduels : je ne réfute pas votre intuition, mais en termes budgétaires, c’est sur le carburant qu’il faut porter notre effort. Avis défavorable.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). J’entends votre argument, mais le service des essences des armées est devenu le service des énergies opérationnelles : là encore, le changement n’est pas que sémantique, il y a bien une bascule. Bientôt, la moitié des carburants des avions sera des carburants durables d’aviation (SAF) : là, ce n’est pas le baril de brut qui entre en jeu. Les cours varient et il y a des flottes de véhicules blancs dans les armées qui sont électriques : nous devons dès maintenant anticiper les ruptures technologiques d’avenir, surtout dans une loi qui couvre une période de sept ans. L’adoption de l’amendement serait bénéfique pour nos armées.

M. Frank Giletti (RN). Derrière les mots, il y a des réalités : je vois le Charles-de-Gaulle tous les jours et il ne me semble pas qu’il se déplace à la voile. Cet amendement n’a pas de sens.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je vous propose de retirer l’amendement et je vais demander aux services d’évaluer, d’ici à la séance, le coût budgétaire de l’extension que vous proposez – cela m’intéresse de connaître ce montant.

Il ne faut inscrire dans le texte que des éléments imputables budgétairement : le parallèle avec le changement du nom du service n’est pas pertinent car l’électricité, l’énergie nucléaire, l’hydrogène et le carburant sont différents et n’ont pas la même imputation budgétaire ; or l’article 5 est normatif, nous ne sommes plus dans le rapport annexé.

L’avis est défavorable car j’ignore en l’état l’impact de l’amendement, mais je vais faire chiffrer le différentiel, qui, à mon avis, n'est pas très élevé.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). J’entends votre proposition, Monsieur le ministre. L’écart entre les deux périmètres ne doit en effet pas être très grand actuellement, mais les carburants actuels seront peut-être minoritaires dans sept ans. Nous retirons l’amendement et nous le redéposerons en séance publique.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN313 de Mme Martine Etienne.

Mme Martine Etienne (LFI-NUPES). Comme votre projet de loi est incomplet, nous souhaitons élargir la mesure prévue à l'article 5 à toutes les matières premières nécessaires au fonctionnement et à l'emploi des forces, afin de les protéger de la volatilité des prix. Le baril de pétrole n’est en effet pas le seul paramètre affectant les prévisions budgétaires.

Les crédits en loi de programmation militaire sont en euros constants, donc exposés à l’inflation. Cette dernière peut remettre en cause l’augmentation des crédits dans l’ensemble des trajectoires car ne prendre en compte que la seule hausse du prix des carburants reviendrait à omettre les changements de prix dus à l’évolution du contexte international, comme l’ont rappelé la pandémie de covid-19 et la guerre en Ukraine.

L’inflation touche concrètement le fonctionnement des armées, tant pour l’acquisition d’équipements que pour le maintien en condition opérationnelle. Intégrer l’ensemble des matières premières utiles aux armées – et pas seulement les énergies – dans le périmètre de l’article 5 est indispensable pour compenser l’inflation et garantir l’annualité d’une programmation juste pour nos militaires.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. L’évolution générale des prix est prise en compte dans la LPM, à travers l’inflation. Par ailleurs, cet article porte sur les problèmes spécifiques des carburants utilisés dans un contexte opérationnel. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Les crédits sont en euros courants. Je suis défavorable à l’amendement : la réflexion qui sous-tendait la proposition précédente était intéressante, mais celle-ci est moins pertinente.

Plus largement, le système de l’article 5 fonctionne – je le dis d’autant plus facilement que c’est le Parlement qui l’a imposé au Gouvernement il y a quelques années ; par conséquent, je m’opposerai à tout ce qui peut l’affaiblir, y compris en interministériel, car ce ne serait pas une bonne nouvelle pour les armées. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN312 de M. Bastien Lachaud.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Le diable se cachant dans les détails, nous avons repéré les mots « si la hausse est durable ». Ils prêtent à interprétation, donc nous proposons de les supprimer pour éviter une version défavorable et assurer une réelle compensation de l’augmentation des prix, qui soit immédiate et qui ne dépende pas des acceptions différentes que l’on peut donner à l’adjectif « durable ».

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Nous avons repris la même rédaction que celle de la précédente LPM, parce que le dispositif fonctionne – en 2022, 152 millions d’euros ont été ouverts, pour vous donner un chiffre. Je vous demande de retirer l’amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

 

Amendements DN145 de M. Frank Giletti et DN35 de Mme Valérie Rabault (discussion commune).

M. Frank Giletti (RN). La forte hausse du coût des carburants du fait de l’inflation, pourrait affecter notre préparation opérationnelle. Comme la précédente loi de programmation militaire, le texte indique que les dépenses de carburants opérationnels bénéficient de crédits supplémentaires en cas de hausse durable, sans préciser de seuil ni de principe de compensation.

Le présent amendement prévoit que des crédits supplémentaires correspondant au surcoût soient ouverts en cas de hausse sur plus de trois mois consécutifs de 10 % du prix moyen constaté des carburants opérationnels par rapport à la moyenne des prix des trois années précédentes.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Chaque année, le groupe Socialistes et apparentés dépose des amendements sur la loi de finances pour tenir compte de l’inflation des coûts du carburant ; le Gouvernement et la majorité les rejettent systématiquement. Nous souhaitons que les dispositions de l’article correspondent à des engagements réels. La notion de « hausse durable » paraît trop floue, d’autant que le ministre a souhaité que chaque élément du texte renvoie à une imputation budgétaire concrète. Notre amendement a donc pour objet de préciser que la hausse doit dépasser 50 millions d’euros sur une année.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Ce que vous dites n’est pas tout à fait exact : dès lors que ces provisions sont inscrites, on rouvre des crédits. Le Gouvernement l’avait proposé, lors de discussion sur la loi de finances.

Rien ne sert de rigidifier le mécanisme : il fonctionne, du moins avec ce Gouvernement, car il est souple. Il repose sur le principe que l’on ne reporte jamais une activité opérationnelle pour un problème lié au coût du carburant.

Avis défavorable aux deux amendements.

La commission rejette successivement les amendements.

 

M. le président Thomas Gassilloud. Il est vingt-trois heures. Je vous propose de prolonger la séance jusqu’à une heure. Tous les groupes, sauf un, y sont favorables.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je suis à la disposition du Parlement, hormis dimanche soir et lundi, où je me rendrai en Guyane pour les obsèques d’un soldat français.

 

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement DN125 de M. Jean-Pierre Cubertafon.

 

Amendement DN34 de Mme Valérie Rabault.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Cet amendement de repli de l’amendement DN35 vise à compléter l’article par la phrase : « Les hausses de prix de carburants opérationnels sont documentées par l’Institut national de la statistique et des études économiques. »

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Ces hausses de prix sont déjà parfaitement documentées. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il ne faut pas s’acharner sur un mécanisme qui fonctionne bien. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN687 de M. Jean-Louis Thiériot.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Il s’agit de compléter l’article pour sécuriser le montant budgétaire dans l’hypothèse où l’inflation serait supérieure à l’estimation de 30 %. Vous rouvrez habituellement des crédits lors de la loi de finances rectificative de juillet, mais l’amendement sécuriserait encore plus le dispositif.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il était question de garder de la souplesse : prévoir un seuil prédéterminé ne le permet pas. Je vous suggère de retirer l’amendement.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Même avis que pour les amendements précédents.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN315 de M. Bastien Lachaud.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). L’amendement remédie au fait que les armées ne bénéficient pas du tarif régulé de l’électricité : elles lancent des appels d’offres comme toute autre entreprise. Il est paradoxal qu’elles ne soient pas protégées des surcoûts d’électricité par le tarif régulé. La disposition pourra figurer dans un autre article, si le ministre le juge bon.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je fais confiance aux services du ministère pour déterminer la solution optimale.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Ce sujet n’entre pas dans le périmètre de la loi de programmation militaire mais renvoie à la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité du 7 décembre 2010. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Elle adopte l’article 5 non modifié.

 

Après l’article 5

 

Amendement DN316 de Mme Martine Etienne.

Mme Martine Etienne (LFI-NUPES). Il vise à ouvrir des crédits supplémentaires en loi de finances initiale si les prix des matières premières augmentent. Les explications du ministre butent sur la réalité d’une programmation en euros courants, exposée à l’inflation. C’est particulièrement le cas pour les premières marches d’augmentation, entre 2024 et 2026, qui ne prennent pas en compte la hausse générale des prix. Or on peut calculer qu’avec l’inflation de 7,2 % estimée pour 2023, il y aura une baisse mécanique ou, au mieux, une stagnation du budget des armées.

Accepter une planification financière qui ne prend pas en compte l’inflation, c’est prendre le risque de renier ou de reporter certains engagements. Au contraire, inscrire la protection budgétaire de l’ensemble des matières premières de la mission Défense garantirait l’annualité des engagements. Refuser toute mesure de gel des prix serait accepter le risque d’exposer nos armées à l’inflation.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je ne crois pas au gel général des prix. Quant à la possibilité de crédits supplémentaires, elle est déjà garantie par nos amendements à l’article 3. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Article 6 : Effectifs

 

Les amendements DN128 et DN129 de M. Jean-Pierre Cubertafon sont retirés.

Amendement DN318 de M. Aurélien Saintoul.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Cet amendement d’appel vise à faire figurer dans la LPM un tableau des cibles d’augmentation, voire de l’affectation des augmentations d’effectifs, employeur par employeur. Nous regrettons que le tableau présenté ne soit pas aussi détaillé.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Nous sommes dans une démarche de sincérisation. C’est pourquoi j’émettrai un avis défavorable sur l’amendement.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je propose de conserver cette présentation. Les LPM précédentes ne fournissaient pas les cibles d’ETP (équivalents temps plein). Nous sommes aujourd’hui confrontés au défi d’une LPM qui s’achève et d’une autre qui commence. Les auditions budgétaires de fin d’année comprennent désormais un chapitre T2 « Qualité quantité ». On revient aux réserves, évoquées hier soir, ainsi qu’aux postes civils, dont on parle trop peu. C’est sur ce point que porteront les efforts pour rendre compte dans la LPM, ainsi que sur les chantiers indiciaire et indemnitaire, et sur l’évolution des cibles.

Une certaine souplesse d’affectation existe entre les grands employeurs du ministère. Et pour cause, car il y a des évolutions, des pivots. À titre d’exemple, selon le seuil de militarité et le nombre de militaires requis, le nombre de civils affectés en nouveaux ETP évolue. C’est une matière vivante.

Un débat budgétaire n’est pas possible sans une discussion sur les ressources humaines (RH). J’en prends l’engagement, pour répondre à votre amendement d’appel. C’est un combat collectif : être attractif n’est pas qu’une affaire de normes ou de lois.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN319 de M. Bastien Lachaud.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NUPES). Cet amendement d’appel vise à agir pour fidéliser les personnels civils et militaires des armées. Il semble urgent de procéder à une réforme du point d’indice, puis de rattraper le gel indiciaire des dernières années. Pour fidéliser et attirer les futurs personnels, il est nécessaire que ces hommes et ces femmes puissent construire des objectifs de carrière solides et disposer d’un pouvoir d’achat à la hauteur de leur engagement pour la nation. Il faut agir contre le tassement des grilles indiciaires, qui remet en cause l’ascenseur social dans nos armées.

Face à la nouvelle politique de rémunération du Gouvernement consistant à agir prioritairement sur l’indemnitaire, non l’indiciaire, nous nous interrogeons sur les moyens que se donne l’État à court et moyen termes pour fidéliser ses troupes. Ouvrir des postes ne remplira pas le ministère et ne comblera pas les manques affichés ces dernières années.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Attaché à l’ascenseur social, je considère qu’il faut éviter tout tassement des grilles. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il n’est pas exact de parler d’un gel du point d’indice puisque celui-ci a récemment été revalorisé de 3,5 %.

Je vous renvoie aux discussions que nous avons eues avec Bastien Lachaud et Aurélien Saintoul hier : le traitement indiciaire s’additionne à l’indemnitaire, dans des proportions de deux tiers un tiers.

Je vous propose donc de retirer l’amendement, afin de le retravailler d’ici à la séance à partir de ce qui a dit.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN320 de M. Aurélien Saintoul.

Mme Martine Etienne (LFI-NUPES). Il vise à supprimer l’alinéa 7. Vous proposez d’adapter vos objectifs de recrutement « en fonction de la situation du marché du travail ». S’agit-il, en période de chômage, de recruter avec de moins bons salaires ? De diminuer les recrutements lorsque le taux de chômage baissera ?

Selon le Conseil d’État, l’alinéa est « obscur » et envisage « la non-réalisation des objectifs fixés », ce qui est contraire à l’esprit de la programmation. Si l’on souhaite réellement recruter, il convient de partir des besoins des armées, de se fixer des objectifs et de tout mettre en œuvre pour les atteindre, en appliquant des politiques salariale et de fidélisation attrayantes.

On l’a dit, votre projet de LPM ne chiffre pas les dépenses RH et ne détermine en rien ce qu’une bonne programmation devrait définir – les effectifs dont chaque corps d’armée a besoin, le nombre de personnes nécessaires au bon fonctionnement des armées, la façon de s’assurer de la bonne réalisation des objectifs. Si vous prévoyez d’atteindre vos objectifs, commencez par retirer l’alinéa 7, comme le préconise le Conseil d’État.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. L’alinéa 7 est clair : il prévoit la faculté d’adapter la réalisation des cibles d’effectifs et la politique salariale du ministère « en fonction de la situation du marché du travail ». J’émets donc un avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. La phrase est claire. Avis défavorable

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). L’alinéa 7 dispose : « Le ministère adaptera la réalisation des cibles d’effectifs fixées par le présent article et sa politique salariale en fonction de la situation du marché du travail ». Vous prévoyez donc d’ajuster la rémunération des soldats en fonction de la disponibilité et de la fluidité du marché du travail. Vous nous serinez régulièrement que nous atteignons le plein emploi : cet argument vous servira-t-il pour baisser les soldes ? Si vous n’avez pas voulu dire cela, c’est que la phrase n’est pas claire.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je dois prévenir une possible désinformation du groupe La France insoumise. Plusieurs auditions ont traité du sujet et tous les commissaires comprennent de quoi il s’agit. Des secteurs civils, comme le cyber, qui attirent beaucoup de personnes posent un problème en matière de fidélisation. Les employeurs du ministère pourront adapter les politiques salariales et de recrutement pour les postes sur lesquels il est difficile d’embaucher.

Vous y avez vu une tentative d’expliquer que nous comptions baisser les soldes et les traitements alors que nous expliquons le contraire depuis hier. En le disant, j’aurai du moins évité toute contrevérité.

Avis défavorable.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Je n’ai évoqué que la politique salariale mais l’alinéa vise aussi la réalisation des cibles d’effectifs fixées par l’article. À quelle condition déciderez-vous de renoncer aux cibles définies ?

M. Sébastien Lecornu, ministre. La souplesse est de mise : si les cibles ne sont pas atteintes en annualités budgétaires, pourquoi geler les postes, alors que l’on peut les redonner à d’autres employeurs du ministère ? On peut l’interdire, ce qui est ridicule.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Alors, formulez-le !

M. Sébastien Lecornu, ministre. C’est ce que cela signifie. Si, de bonne foi, vous ne l’avez pas compris, dont acte. La formulation tend à ne pas rigidifier et à permettre, en gestion, de ventiler les ETP. C’est ce qui a déjà été fait, entre certains employeurs qui n’arrivent pas à atteindre leurs cibles : on ne gèle pas budgétairement les ETP, pour permettre à un autre employeur d’en bénéficier.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN565 de M. Laurent Jacobelli.

M. Michaël Taverne (RN). Cet amendement a pour objet d’inscrire dans la LPM la nécessité de revaloriser la part indiciaire de la solde des militaires et de préciser les modalités de cette revalorisation. Un décrochage s’opère par rapport aux civils : malgré des efforts, il reste la question de la fidélisation à résoudre. Comme le Sénat l’a montré, les entreprises privées n’hésitent pas à débaucher.

Nous proposons une revalorisation annuelle, qui devra être égale ou supérieure à la moyenne nationale d’augmentation des salaires.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. L’amendement n’est pas clair. En évoquant la revalorisation annuelle de la part indiciaire, vous parlez peut-être de celle du point d’indice. Cette politique ne dépend pas du seul ministre des armées mais s’applique à toute la fonction publique. C’est pourquoi je donne un avis défavorable à l’amendement.

M. Sébastien Lecornu, ministre. En effet, parlez-vous du point d’indice ou de la grille indiciaire ? Je me suis engagé hier soir à lancer prochainement un chantier de revalorisation des grilles indiciaires. Vous retrouverez mes propositions en séance.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN321 de M. Bastien Lachaud.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Cet amendement reprend une proposition issue d’un rapport de M. François Cormier-Bouligeon, que la majorité sera heureuse d’appliquer – d’autant que le CEMAT (chef d’état-major de l’armée de terre) en a exprimé le besoin.

Il s’agit de porter les effectifs de la FOT, la force opérationnelle terrestre, de 77 000 à 80 000 d’ici à 2030.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Défavorable. On revient au choix de la cohérence avant la masse et du modèle d’armée, que nous avons évoqué au début de nos débats.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Pour quelle mission et quel modèle d’armée ? La FOT a augmenté, pour les raisons que j’ai présentées hier, s’agissant de l’opération Sentinelle. On ne peut pas déconnecter du tableau des contrats opérationnels souhaités. Avis défavorable.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Le rapporteur Cormier-Bouligeon pourrait donner les raisons de sa proposition, mais il est apparemment enfermé dans son mutisme.

La commission rejette l’amendement.

 

Elle adopte l’article 6 non modifié.

 

Article 7 : Actualisation

 

Amendement DN201 de Mme Anna Pic.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Cet amendement de réécriture de l’article 7 vise à actualiser deux fois la présente programmation : d’abord, en 2026, pour nous adapter au nouveau contexte stratégique et sécuritaire, en nous appuyant sur un Livre blanc qui définirait nos objectifs opérationnels et capacitaires ; ensuite, en 2028, pour adapter la programmation aux priorités des autorités issues des échéances électorales de 2027. Cette seconde actualisation aura l’ambition de préparer la modernisation de nos armées à l’horizon de 2035.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Deux actualisations semblent excessives.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Avant-hier, vous vous inquiétiez d’un manque de visibilité pour nos industriels. Vous disiez que les commandes par tranche de la DGA (Direction générale de l’armement) créent des difficultés pour la base industrielle et technologique de défense. Aujourd’hui, vous proposez de faire plusieurs LPM dans la LPM, en la coupant en morceaux. S’il y a une chose que la BITD ne veut pas, c’est bien cela !

Certes, des remises à jour annuelles sont possibles mais produire un Livre blanc en 2026 revient à concevoir une nouvelle LPM. C’est le contraire de ce que vous souhaitiez !

Mme Mélanie Thomin (SOC). Je ne vois pas de contradiction avec les propositions que j’ai faites tout au long de l’examen du texte. Il s’agit d’appeler l’attention sur ce sujet, pour disposer de points d’étape réguliers, dans un contexte stratégique particulier.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN414 de M. Olivier Marleix.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Amendement superfétatoire. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

L’amendement est retiré.

 

Amendements DN690 de M. Jean-Louis Thiériot, DN799 de M. Jean-Charles Larsonneur, DN415 de M. Olivier Marleix, DN322 de M. Bastien Lachaud et DN868 de M. Jean-Michel Jacques (discussion commune).

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Mon amendement et celui de M. Marleix ont pour objectif de placer dans la partie législative les dispositions que nous avons adoptées dans le rapport annexé et de prévoir un vote du Parlement sur l’actualisation. Je vous laisse choisir la rédaction la plus opportune.

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Le groupe Horizons souligne le contexte géostratégique changeant et la nécessité d’actualiser la présente LPM, tout en assurant une visibilité pour les acteurs de la BITD. Nous ne faisons pas de la date d’actualisation un point de fixation.

Quant au passage devant le Parlement, il éviterait les polémiques qui ont éclos lors de la précédente LPM. Peu clair, le texte avait été contesté.

M. Emmanuel Fernandes (LFI-NUPES). Il s’agit de s’assurer que le Parlement sera consulté à l’occasion de l’actualisation de cette future LPM, qui ne saurait être un blanc-seing accordé au Gouvernement pendant sept ans. Le Parlement doit pouvoir se prononcer en toute transparence sur le budget des armées, en plus du vote de la loi de finances. M. le ministre s’est montré favorable à cette mesure lorsque nous avons discuté du rapport d’information sur le bilan de la LPM pour la période allant de 2019 à 2025. Elle permettrait une coconstruction, un terme qui vous est cher, même si nous en avons rarement vu la couleur.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Mon amendement, qui pourra satisfaire chacun, vise à garantir que l’actualisation se matérialisera par un vote du Parlement, contrairement à l’actualisation de 2021. La disposition est importante pour renforcer le contrôle du Parlement sur l’évolution qu’apportera l’actualisation de la loi de programmation.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Monsieur Fernandes, il est exagéré de dire que vous ne voyez pas la couleur de la coconstruction. En revanche, nous ne vous avons jamais vu dans les groupes de travail pour préparer la LPM.

Ce débat sur l’association du Parlement est important. Je vous propose de retirer l’ensemble des amendements au bénéfice de celui du rapporteur, qui deviendra l’amendement de la commission de la défense en séance, puis au Sénat. Il semble logique que la commission dise comment elle souhaite être associée.

Les amendements DN690, DN799, DN415 et DN322 sont retirés.

La commission adopte l’amendement DN868.

 

Amendements DN87 de M. Laurent Jacobelli et DN567 de M. Jean-Charles Larsonneur (discussion commune).

Mme Caroline Colombier (RN). L’inflation aura consommé intégralement l’augmentation prévue lors de la première variation budgétaire, en 2024. Alors que la majorité des variations budgétaires est prévue à compter de 2028, une réactualisation en 2027 interviendrait trop tard pour corriger un éventuel effet délétère de l’inflation. C’est pourquoi il apparaît nécessaire d’actualiser plus tôt la LPM, en 2025.

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Je retire mon amendement, par cohérence avec le précédent.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. L’année 2025 est une échéance trop proche pour une actualisation. Défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. L’amendement qui a été adopté précédemment est un bon équilibre. Avis défavorable.

L’amendement DN567 est retiré.

La commission rejette l’amendement DN87.

 

Amendement DN108 de Mme Caroline Colombier.

Mme Caroline Colombier (RN). Il s’agit de préciser que l’actualisation aura « notamment pour objet de consolider la trajectoire financière, l’évolution des effectifs, l’amélioration de la préparation opérationnelle et la disponibilité technique des équipements jusqu’en 2030. »

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il ne faut pas encadrer l’actualisation : tous les sujets doivent être abordés. Dresser une liste revient à exclure certains éléments. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN200 de Mme Anna Pic.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Le présent amendement vise à inscrire dans la loi la nécessité d’élaborer un nouveau Livre blanc sur la défense, avant toute nouvelle actualisation. Cette élaboration semble un exercice incontournable : dans un contexte stratégique en rapide mutation, il faut définir les enjeux de nos capacités militaires et les défis liés à la sécurité.

Selon le rapport du Sénat sur les enseignements d’un an de guerre en Ukraine, la Revue nationale stratégique n’apporte qu’un éclairage partiel sur les défis de nos armées. Le Livre blanc représente un travail collectif de réflexion, pour associer chacun à la redéfinition de nos enjeux de défense.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Le travail que représente l’élaboration d’un Livre blanc semble disproportionné. Une actualisation de la Revue nationale stratégique est suffisante. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Avis très défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Elle adopte les amendements rédactionnels DN829 et DN864 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Amendement DN152 de M. Frank Giletti.

M. Frank Giletti (RN). L’amendement vise à préciser le contexte dans lequel l’actualisation est réalisée. Outre les enjeux de sécurité et les avancées technologiques, l’inflation, qui augmentera dans les prochaines années, doit entrer en compte dans les débats. Elle recouvre 7 % des 413 milliards de la LPM, soit près de 30 milliards sur la période.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. L’inflation est bien prise en compte dans la loi de programmation militaire, sur des bases annuelles. L’actualisation traduit avant tout une évolution du contexte stratégique mais n’aborde pas l’inflation. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. De façon globale, le champ de l’actualisation ne doit pas être limité. Après le rapport annexé, nous discutons de la partie normative et créons de la norme. Ces ajouts reviennent à enfermer : plus le texte est sobre, plus le Parlement, comme l’exécutif, est libre d’actualiser la loi. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN323 de Mme Martine Etienne.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NUPES). Par cet amendement, le groupe La France insoumise s’assure de prendre en compte les conséquences du changement climatique pour l’actualisation de la présente loi de programmation. Notre défi est d’inscrire l’activité humaine dans le cadre des limites planétaires.

Pour le relever, nous devons procéder à une bifurcation écologique de notre économie, changer la façon dont nous produisons, consommons et échangeons, pour nous mettre en harmonie avec la nature tout en garantissant des conditions de vie dignes pour tous. Pour cela, il faut planifier, grâce à ce que nous appelons la règle verte, qui concerne tous les secteurs, y compris la défense.

L’amendement permettra d’identifier les conséquences du bouleversement climatique sur les armées, notamment sur ses infrastructures critiques, de Brest à la Nouvelle-Calédonie en passant par les opérations extérieures, avec la base militaire de Djibouti. Le bouleversement climatique impacte et impactera profondément le fonctionnement des armées, jusqu’à modifier leur mission. Elles devront s’impliquer de plus en plus pour protéger le territoire français et les populations face aux variations extrêmes du climat. Depuis 1984, avec l’opération Héphaïstos, les armées sont mobilisées pour lutter contre les feux de forêt de grande ampleur dans le sud de la France.

Le présent projet de loi ne programme pas d’accélérer cette mobilisation, alors que les feux de forêt se multiplient et s’intensifient dans l’ensemble du territoire et durant bientôt toute l’année. L’amendement propose de revenir sur les importants manquements du texte, en intégrant la prise en compte de ces bouleversements lors de sa future actualisation.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Le changement climatique créera des mouvements qui affecteront le contexte stratégique et sécuritaire, de sorte qu’ils seront traités dans l’actualisation de la LPM. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Le réchauffement climatique et ses effets sont traités dans le rapport annexé, il n’est pas nécessaire de les faire figurer ailleurs. Si l’on commence à enrichir le texte, on pourrait ajouter d’autres contextes, notamment sanitaire. Tout dépend donc de la façon dont le sujet a été traité précédemment. Défavorable.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). J’entends la remarque. Le terme « sécuritaire » pourrait être remplacé par « stratégique », qui inclut les questions écologiques et climatiques.

M. Sébastien Lecornu, ministre. En effet, ce mot est adéquat car il englobe de nombreux aspects. Partie normative : pas de bavardages !

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Nous maintenons l’amendement en l’état et le redéposerons en séance après l’avoir retravaillé.

La commission rejette l’amendement.

 

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette les amendements DN324 et DN325 de Mme Martine Etienne.

 

Elle adopte l’article 7 modifié.

Après l’article 7

 

Amendements identiques DN830 de M. Jean-Michel Jacques et DN131 de M. Jean-Pierre Cubertafon.

M. Jean-Michel Jacques (RE). L’amendement a pour objet de mettre en exergue, à l’instar de la distinction opérée au sein du titre Ier de la LPM pour la période 2019 à 2025, que les dispositions qui figurent après l’article 7 sont relatives au contrôle parlementaire de l’exécution de la loi de programmation militaire.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Avis favorable.

La commission adopte les amendements.

 

Article 8 : Rapport sur le bilan de l’exécution de la programmation

 

Amendements DN834 de M. Jean-Michel Jacques et DN213 de Mme Mélanie Thomin (discussion commune).

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il a pour objet d’inclure, dans le rapport du Gouvernement sur le bilan de l’exécution de la programmation militaire, outre ce qui était déjà prévu dans la LPM 2019-2025 : un bilan d’exécution des objectifs concernant les effectifs et les réserves ; un bilan des grandes orientations de la politique industrielle de défense ainsi que des coopérations européennes en la matière ; un bilan des actions liées aux partenariats et aux alliances stratégiques ; un bilan de la politique environnementale du ministère.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Nous proposons également de détailler le contenu du rapport du Gouvernement, tout en étant ouverts à une rédaction différente. Nous souhaitons, sinon rétablir le niveau de détail exigé dans la LPM de 2018, du moins trouver le bon niveau de détail pour permettre au Parlement de se saisir de l’exécution de la nouvelle LPM.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Mon amendement prend en compte toutes les discussions ayant eu lieu en amont, contrairement au vôtre. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. L’amendement du rapporteur fait la synthèse de la plupart des demandes émanant des groupes. Il est donc plus complet.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). L’amendement du rapporteur est intéressant en ce qu’il précise le contenu du rapport. Je regrette toutefois qu’il en réserve l’examen aux seules commissions permanentes. Étant donné l’importance du sujet, l’ampleur des dépenses et le peu de temps dont nous disposons en hémicycle pour traiter de ces affaires, il aurait été plus intéressant que cet examen se fasse en séance, par exemple sous la forme d’une communication du Gouvernement, suivie d’un vote.

La commission adopte l’amendement DN834 et l’article 8 est ainsi rédigé.

En conséquence, l’amendement DN213 ainsi que les amendements DN285 de M. Julien Bayou, DN326 de M. Bastien Lachaud et DN747 de M. Jean-Marie Fiévet tombent.

 

Article 9 : Rapport sur les enjeux et l’évolution de la programmation

 

Amendement de suppression DN327 de M. Aurélien Saintoul.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Nous souhaitons la suppression de cet article car il prévoit la remise d’un rapport annuel qui remet en question le principe de la programmation pluriannuelle des crédits, le Gouvernement y présentant les principales évolutions adoptées en loi de finances initiale.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Si la loi de programmation a une vision globale, sur du long terme, il est cependant possible de revoir annuellement certains points, à la marge, sans que cela remette en cause le principe de la programmation. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Alors que vous passez votre temps à nous demander la plus grande transparence, vous voulez la suppression de ce rapport. Les évolutions en question peuvent porter sur de nombreux sujets : les programmes, l’inflation, les réserves, les ETP – équivalents temps plein… Avis défavorable.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Si le ministre nous réaffirme clairement que c’est juste une information au Parlement sur la manière dont il a exécuté la LPM, nous pourrions retirer l’amendement.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Si vous voulez le supprimer, faisons-le ! Cela fera un rapport de moins à rédiger pour les équipes du ministère. La majorité pourrait être joueuse et supprimer le rapport pour que vous puissiez ensuite mieux redéposer l’amendement en séance, pour mieux expliquer que le Gouvernement cache des choses !

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Je considère que la réponse du ministre est un engagement. Je retire donc l’amendement.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN748 de M. Jean-Marie Fiévet.

M. Jean-Marie Fiévet (RE). Il vise à s’assurer de la prise en compte de la dimension environnementale et énergétique dans la programmation budgétaire de la mission Défense. Alors que nos armées se sont d’ores et déjà engagées au profit de la transition écologique et énergétique, avec un premier plan d’action environnemental interarmées datant de 2007, il est nécessaire que l’exécution de la LPM poursuive cette logique.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Votre vigilance sur l’environnement est satisfaite par l’amendement que nous avons adopté à l’article 8. Demande de retrait.

M. Sébastien Lecornu, ministre. L’activisme dont vous faites preuve sur le sujet a été entendu par le rapporteur dans son amendement. Demande de retrait

L’amendement est retiré.

 

Amendements identiques DN562 de M. Jean-Charles Larsonneur et DN715 de Mme Anne Genetet.

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Il vise à organiser chaque année un débat au Parlement sur l’actualisation en gestion de la loi de programmation militaire.

Mme Anne Genetet (RE). Nous souhaitons que, avant le 15 juillet de chaque année, le Gouvernement présente au Parlement un rapport retraçant les inflexions éventuelles à la trajectoire que nous nous sommes fixée.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis favorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Ces deux amendements me semblent équilibrés. Sagesse.

La commission adopte les amendements.

 

Elle adopte l’article 9 modifié.

 

Après l’article 9

 

Amendement DN75 de la commission des affaires étrangères, amendements identiques DN833 de M. Jean-Michel Jacques et DN203 de Mme Anna Pic (discussion commune).

M. Jean-Louis Bourlanges, président de la commission des affaires étragères. L’amendement DN75 a suscité une émotion qui ne me paraît absolument pas justifiée. Le souhait de la commission des affaires étrangères de disposer de tous les moyens d’information et de contrôle nécessaires ne met en aucune façon en cause la commission de la défense, qui n’est pas concernée par cet amendement.

La politique militaire d’un pays est faite pour mettre en œuvre sa politique étrangère. Nous avons fait le choix dans cette assemblée d’avoir deux commissions distinctes, ce qui pose des problèmes car les différentes crises qui ont eu lieu depuis deux ou trois ans ont toutes associé des enjeux militaires et des enjeux diplomatiques. Nous avons besoin, les uns et les autres, de disposer du maximum d’informations. Je sais que cela vous a un peu irrités mais c’est simplement le souhait de vos collègues des affaires étrangères de pouvoir faire leur métier en toute connaissance de cause. Je vous demande donc une modeste égalité d’information dans l’exercice du mandat qui est le nôtre. N’y voyez aucune manifestation d’hostilité ni d’impérialisme. Permettez-nous, chers collègues, de faire notre métier !

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. L’amendement DN833 vise à introduire un article relatif au pouvoir des commissions permanentes chargées de la défense dans leur mission de contrôle et d’évaluation de l’exécution de la loi de programmation militaire. Il rappelle notamment les pouvoirs d’investigation sur pièces et sur place des rapporteurs pour avis et des membres de ces commissions spécialement désignés pour contrôler l’application de la programmation.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Il s’agit de formaliser l’indispensable rôle des commissions du Parlement dans le contrôle des engagements pris dans le cadre de la LPM, et de rappeler que la programmation financière est susceptible d’amélioration, même à budget constant.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il me paraît important de conserver la différence entre nos deux commissions, même si nos collègues des affaires étrangères seront toujours les bienvenus pour participer à nos travaux. Avis défavorable à l’amendement du président Boulanges.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Ce n’est pas à l’exécutif de définir les règles de contrôle du Parlement. Je m’en remets donc à la sagesse des commissions.

M. Jean-Louis Bourlanges président de la commission des affaires étrangères. Si votre commission devait suivre l’avis défavorable du rapporteur, ce serait une tristesse pour nous.

M. le président Thomas Gassilloud. Nos rapporteurs ne revendiquent pas l’examen du budget des affaires étrangères.

M. Jean-Louis Bourlanges président de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, ce que vous venez de dire est très grave : si la politique de défense est l’expression de la politique étrangère, l’inverse n’est pas vrai !

M. le président Thomas Gassilloud. C’est votre avis. Pour ma part, je pense que la défense du territoire national se fait indépendamment de la politique étrangère.

Mme Josy Poueyto (Dem). Le groupe Modem apporte son soutien à l’amendement du président Bourlanges. L’objectif n’est pas de fusionner les deux commissions mais de rappeler qu’elles peuvent être complémentaires dans leur travail de contrôle et d’évaluation.

Mme Anne Genetet (RE). Je rejoins le président Bourlanges sur un point : la politique de défense est au service de la politique étrangère de notre pays. Néanmoins, connaissant le volume de travail de nos deux commissions, je vois mal comment on pourrait les associer. De plus, il arrive très régulièrement que plusieurs commissions soient concernées par des sujets transversaux, ce n’est pas propre à celles des affaires étrangères et de la défense. Enfin, l’organisation de notre assemblée permet à chaque commission de se saisir pour avis. Ayant été auparavant commissaire aux affaires étrangères, je suis plus à l’aise avec le fonctionnement actuel.

Successivement, la commission rejette l’amendement DN75 et adopte les amendements identiques.

 

Amendement DN92 de M. Laurent Jacobelli.

M. Laurent Jacobelli (RN). Nous souhaitons pouvoir sortir d’une coopération européenne si cela devient nécessaire. Pour cela, il faut avoir une vision très claire de l’avancement des programmes concernés. Il est donc proposé de créer des jalons décisionnels permettant de faire le point à chaque phase du développement d’un projet et de prendre une décision sur sa poursuite.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Ces jalons décisionnels existent déjà dans le cadre de la coopération entre le ministère, la DGA – direction générale de l’armement – et les états-majors. Votre amendement est donc satisfait.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Votre formulation me paraît trop générale car les programmes en coopération européenne peuvent concerner de tout petits projets. Il serait préférable de cibler certains programmes dans le rapport annexé.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Je ne vois pas l’intérêt d’un tel amendement, dès lors qu’il ne donne pas au Parlement le pouvoir de contrôler les jalons. Si vous en laissez la responsabilité à l’exécutif, cela ne changera rien à la situation actuelle.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN204 de Mme Anna Pic.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Il vise à demander un rapport détaillant en quoi la LPM inscrit dans les faits la coopération européenne et en quoi elle participe à la stratégie française d’autonomie dans un nouveau contexte européen. Dans sa version actuelle, la LPM manque d’informations précises concernant la participation à des projets en coopération européenne. Nous souhaitons mettre en place des moyens de redéfinir rapidement nos moyens de coopération européenne.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Votre amendement est satisfait par celui que adopteé à l’article 8. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Avis défavorable car l’amendement du rapporteur permet de traiter ce sujet. Si cela concerne des sujets très précis, il faut le prévoir dans le rapport annexé.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Il serait intéressant de disposer d’une évaluation des programmes en coopération européenne financés par la LPM et d’organiser un débat et un vote au Parlement sur ce sujet.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN264 de Mme Anna Pic.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Il vise à demander un rapport évaluant l’état actuel ainsi que les perspectives de développement de la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE). Avant d’élaborer une stratégie industrielle forte en matière de défense au niveau européen, nous souhaitons qu’une cartographie claire soit établie et que des scénarios de synergie et des partenariats soient envisagés, permettant de soutenir une véritable autonomie stratégique européenne.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis défavorable car le Gouvernement n’est pas le mieux placé pour faire de la prospective industrielle.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Même avis que précédemment.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Les perspectives de développement de la BITDE ne sont pas si roses que cela. Nous aurions intérêt à défendre notre BITD en créant des coopérations européennes avec des nations avec lesquelles nous travaillons déjà – Royaume-Uni, Italie, Allemagne. Il serait intéressant d’obtenir un rapport sur ce sujet de la part du Gouvernement puisqu’il est, selon le rapporteur, le mieux placé pour faire de la prospective.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN416 de M. Olivier Marleix.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Il vise à demander un rapport sur les grands programmes d’armement européens. Ce sujet est certes évoqué dans le rapport annexé mais il peut être utile de le demander dans la partie législative, même si la rédaction de cet amendement mériterait d’être revue.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il est satisfait par mon amendement à l’article 8. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. C’est l’intérêt de l’amendement du rapporteur, qui remet dans la partie normative un certain nombre de points qui ont été évoqués hier et aujourd’hui. Votre amendement est donc satisfait.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN258 de Mme Isabelle Santiago.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Il a pour objet la remise d’un rapport sur la faisabilité d’un projet de char de nouvelle génération en partenariat avec des pays non engagés dans le programme MGCS franco-allemand, en particulier l’Italie et l’Espagne.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il est satisfait par l’amendement adopté à l’article 8.

M. Sébastien Lecornu, ministre. L’intérêt du rapport annexé est d’éviter de remettre dans chaque article normatif tout ce qui figure déjà dans ledit rapport. Avis défavorable.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Les socialistes sont d’accord avec nous pour dire que le MGCS est mal engagé et qu’il est nécessaire de penser une alternative. Nous soutenons donc cet amendement, même si nous aurions souhaité élargir l’objet du rapport à l’étude d’une solution purement française.

M. Laurent Jacobelli (RN). Le nombre d’amendements déposés sur ce sujet montre que le doute est partagé par l’ensemble des groupes d’opposition. Cette inquiétude est de plus partagée par ceux qui portent l’uniforme et par la BITD. La LPM doit en tenir compte.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN259 de Mme Isabelle Santiago.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Il a pour objet la remise d’un rapport étudiant la possibilité de remplacer progressivement le char Leclerc par le char E-MBT.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis défavorable car des auditions régulières du ministre et des industriels peuvent permettre de satisfaire ce besoin.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Avis défavorable.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Nous n’avons pas de solution pérenne pour remplacer le char Leclerc. Si sa rénovation devrait accroître sa durée de vie, c’est maintenant que nous devons penser à l’avenir de notre cavalerie. Vous avez refusé l’amendement du groupe socialiste qui proposait une solution européenne ; la logique voudrait que vous soyez favorables à une solution française.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN216 de Mme Isabelle Santiago.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Nous demandons un rapport visant à évaluer l’opportunité de l’élaboration d’un second porte-avions et à chiffrer son coût de construction afin de pouvoir envisager toutes les perspectives d’économie d’échelle et d’amortissement des coûts.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis défavorable sur cette question déjà évoquée lors de la discussion du rapport annexé.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Je vous donne acte de la définition du modèle d’armée à partir des questions opérationnelles. Vous avez ainsi fait part de cet objectif qu’est le déploiement d’une division mais quel est-il s’agissant du porte-avions ? Est-ce la permanence à la mer ? Dans ce cas, nous avons besoin de deux porte-avions. D’ici à la revoyure de 2027 et l’évaluation d’une telle construction, vous pouvez prendre quelques minutes pour préciser la nature de cet objectif opérationnel.

La commission rejette l’amendement.

 

 

 

Amendement DN668 de Mme Josy Poueyto.

Mme Josy Poueyto (Dem). Nous demandons un rapport évaluant les conséquences de la sujétion militaire sur les carrières des conjoints dans le cadre des mobilités du soldat, sur leur pension de retraite ainsi que sur leur protection sociale. Ce rapport s’intéresse aux cas de mobilités en métropole, dans les Outre-mer et à l’étranger.

Selon l’association d’épouses de militaires « Women Forces », 85 % des conjoints de militaires sont des femmes, ce qui montre combien cette problématique relève aussi de l’égalité femmes-hommes. Ces difficultés sont connues mais nous ne disposons pas d’un état des lieux précis de la situation.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Cette importante question a déjà été évoquée dans le rapport annexé. Nous porterons une attention particulière à la question du rapprochement des conjoints dans le cadre des mutations militaires. Demande de retrait, sinon, avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. C’est une question de fond sur laquelle le Haut Comité d’évaluation de la condition militaire (HCECM) a travaillé. La commission a-t-elle auditionné l’un de ses membres ? Le rapport du HCECM est remis au Président de la République, chef des armées, puis au ministre des armées et au chef d’état-major des armées (Cema). Je suis favorable à ce que le Haut Comité puisse travailler avec votre commission et le Parlement.

Je ne souhaite pas de remise de rapport dans la partie normative du texte mais il est possible de réfléchir, d’ici à la séance publique, à l’inclusion de la question de la sujétion militaire dans le rapport annexé en renvoyant aux travaux du HCECM.

M. le président Thomas Gassilloud. Le HCECM, qui conseille en effet le Président de la République, m’a également remis son rapport.

Mme Josy Poueyto (Dem). La question précise que j’ai soulevée, qui excède celle du rapprochement entre conjoints, l’est-elle aussi dans le rapport du HCECM ? Je n’en suis pas certaine.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Nous allons regarder ce qu’il en est dans la revue annuelle du Haut Conseil.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN317 de Mme Martine Etienne.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Un rapport doit être remis sur les conséquences de l’inflation sur le financement des armées afin de les prémunir de toute baisse éventuelle de leur budget en cas d’augmentation continue et généralisée.

Ce projet de loi tient compte, certes, de l’augmentation de l’inflation, qui pèsera à hauteur de 30 milliards sur un budget de 413 milliards, mais le montant des deux premières marches est identique à celui de 2018.

Il s’agit d’un amendement de repli puisque nos amendements précédents sur la prise en compte de l’inflation dans les marches n’ont pas été adoptés. Nous vérifierons ainsi si nous avions tort ou raison, si l’inflation a eu ou non des conséquences sur l’exécution de la loi de programmation militaire.

Je rappelle que vous avez refusé de prendre en compte l’inflation sur le coût des matières premières alors qu’il explose, notamment pour le service d’infrastructure de la défense (SID).

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. L’article 9 prévoit déjà un rapport sur l’évolution de la programmation budgétaire, qui fera état des conséquences de l’inflation. Avis défavorable.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Confirmez-vous que ce rapport prendra bien en compte les questions liées à l’inflation et que nous disposerons de toutes les informations nécessaires ? Si tel est le cas, je vous fais confiance et je retire l’amendement.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Le projet de loi de finances permettra également de disposer de toutes les informations nécessaires.

L’amendement est retiré.

 

L’amendement DN684 de M. Jean-Louis Thiériot est retiré.

 

Amendements DN420 de M. Olivier Marleix et DN571 de M. Jean-Louis Thiériot (discussion commune).

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Nous proposons la remise d’un rapport afin de nous assurer que les recettes d’exécution extrabudgétaires seront bien garanties suite à la décision prise par notre commission après avis favorable du ministre. Le second amendement va dans le même sens.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Votre demande me paraît satisfaite par les notes d’exécution budgétaire de la Cour des comptes. Je vous suggère donc de retirer ces amendements.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Comme je l’ai indiqué au président Marleix, tout cela figure dans les PAP – projets annuels de performances – et les RAP – rapports annuels de performances. Les recettes extrabudgétaires ne sont pas une nouveauté, et une sécurisation a été adoptée. Votre demande étant satisfaite, j’émets une demande de retrait ou, à défaut, un avis défavorable.

Les amendements sont retirés.

 

Suivant l’avis du rapporteur, l’amendement DN206 de Mme Anna Pic est rejeté.

 

Amendement DN202 de Mme Anna Pic.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Nous demandons un rapport sur les voies et moyens qui permettraient d’exclure du calcul du déficit public les dépenses et investissements en matière de défense, notamment au regard des traités et règlements européens.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. C’est une compétence européenne. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Même avis.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). J’aimerais bien savoir en quoi c’est une compétence européenne. Ce que demandent nos collègues socialistes, c’est que le Gouvernement essaie de trouver les voies et moyens de désobéir, d’une certaine manière, aux règles européennes. Je ne peux qu’être favorable à une telle volonté.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Cela doit faire l’objet, excusez-moi, d’une négociation européenne.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN257 de Mme Isabelle Santiago.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Nous proposons que le Gouvernement remette au Parlement un rapport examinant la possibilité de créer une ligne budgétaire dédiée à la transition écologique dans le cadre de la mission Défense. Nous faisons ainsi écho à une mission d’information menée par Mme Santiago et M. Fiévet. C’est une mesure essentielle pour mettre en application la volonté, que j’imagine commune, de préserver l’environnement, y compris dans nos armées et sur nos bases militaires.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. C’est présent dans toutes les lignes budgétaires du ministère, je me suis déjà exprimé à ce sujet. Créer une ligne spécifique reviendrait à faire de l’affichage.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Je vous rejoins sur ce point. La lutte contre le réchauffement climatique et l’engagement des armées d’atteindre l’objectif, nécessaire, de sobriété énergétique doivent s’inscrire dans l’ensemble des programmes et des lignes budgétaires. Je crains qu’il ne soit contre-productif de se limiter à une seule ligne.

La commission rejette l’amendement.

 

Article 10 : Abrogation du titre Ier de la LPM 2019-2025

 

Amendement de suppression DN328 de M. Bastien Lachaud.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). À partir du moment où l’on considère qu’il n’était pas urgent d’examiner une nouvelle LPM, il n’est pas davantage urgent d’abroger la loi précédente.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Ne refaisons pas ce débat. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Un amendement qui aurait présenté une proposition de format d’armées et d’alliances pour la France aurait été préférable, mais supprimer ce qui existe résume bien, au fond, la politique de La France insoumise. Avis défavorable.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Je pensais, Monsieur le ministre, que vous aviez compris certaines de nos propositions, notamment au sujet de la dissuasion. Le débat en séance, à l’occasion duquel nous déposerons des amendements supplémentaires, devrait vous permettre de mieux saisir notre programme et d’avoir une discussion de fond sur ces questions.

La commission rejette l’amendement.

 

Elle adopte l’article 10 non modifié.

 

 

Article 11 : Assurer la continuité des missions de l’Ordre de la Libération

 

Compte tenu de l’avis défavorable du rapporteur, l’amendement DN134 de M. Jean-Pierre Cubertafon est retiré.

 

La commission adopte l’article 11 non modifié.

 

Article 12

 

Amendement DN855 de M. Jean-Michel Jacques.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. C’est un amendement miroir, qui reprend la rédaction du nouvel article L. 4123‑2‑2 du code de la défense, relatif à la réparation intégrale des préjudices subis par les réservistes.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN332 de M. Bastien Lachaud.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Il est tard et nous allons vite, mais j’aimerais que nous prenions vraiment le temps de traiter de la question, importante, de nos blessés. Nous demandons la suppression de l’alinéa 8 de cet article, que je trouve particulièrement injuste : il vise à entériner la non-rétroactivité des bonnes mesures prises par le Gouvernement dans ce domaine. Je trouve regrettable que des personnes, parce qu’elles ont été blessées avant l’adoption de cette loi, ne puissent pas bénéficier des mesures de justice qui sont prévues. Il faut élargir le champ d’application de ces dernières pour qu’elles s’appliquent à l’ensemble des personnes blessées au service de la France. Je sais que vous allez nous dire que la chose a été jugée, mais ce que la loi a fait, elle peut le défaire. Nous devons regarder ce qu’il est possible de faire – il ne suffit peut-être pas de supprimer l’alinéa 8 – pour garantir l’égalité de toutes et tous devant cette loi et surtout face aux blessures.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Cet article n’est pas rétroactif et la réparation intégrale qui est prévue ne s’appliquera qu’aux demandes n’ayant pas donné lieu à une décision passée en force de chose jugée.

M. Sébastien Lecornu, ministre. S’agissant des blessures subies avant la promulgation de la loi, le dispositif de réparation s’appliquera. Un problème se pose pour les faits ayant donné lieu à une décision passée en force de chose jugée, avec des exceptions concernant les faits non prescrits et les premières demandes non définitivement examinées. Il s’agit d’une question d’ordre constitutionnelle, qui a fait l’objet d’un travail en amont avec le Conseil d’État de manière à retenir la meilleure formulation. Demande de retrait – non que je sois en désaccord avec l’objectif de l’amendement mais il convient de veiller à la solidité juridique du dispositif.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Si votre seule crainte est une décision du Conseil constitutionnel, je pense que l’ensemble des groupes peuvent s’engager à ne pas le saisir ! Au pire, prenons le risque. Adoptons cet amendement, et voyons collectivement d’ici à la séance ce qu’on peut faire pour résoudre le problème.

La commission rejette l’amendement.

 

Elle adopte l’article 12 modifié.

 

Article 13

 

La commission adopte l’article 13 non modifié.

 

Article 14

 

L’amendement DN135 de M. Jean-Pierre Cubertafon est retiré.

 

Amendement DN268 de Mme Isabelle Santiago.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Cet amendement du groupe socialiste vise à réparer le préjudice que risquent de subir les militaires qui cessent temporairement leur travail pour élever leur enfant dans le cadre d’un congé parental. Nous souhaitons qu’ils conservent l’intégralité de leurs droits à avancement, dans la limite d’une durée de cinq ans pour l’ensemble de leur carrière.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Rassurez-vous, le droit à l’avancement des militaires placés en congé parental n’est pas supprimé par le projet de loi. Si la mention est supprimée de l’article L. 4138-14 du code de la défense, elle est insérée à l’article L. 4138-17 du même code, comme le prévoit l’alinéa 11 de l’article 14 du PLPM. Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Même avis : l’amendement est satisfait.

La commission rejette l’amendement.

 

Elle adopte l’amendement rédactionnel DN905 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Amendement DN525 de M. Jean-Charles Larsonneur.

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Nos compatriotes qui vivent à l’étranger constituent pour la réserve un vivier précieux, étant susceptibles de collaborer à diverses activités : assistance aux missions militaires de défense, participation au soutien des forces prépositionnées, rôle de liaison dans les salons d’armement… Or ils font depuis longtemps les frais d’une bizarrerie administrative : ils ne peuvent être engagés directement dans le pays où ils résident. Ils sont obligés d’être affectés fictivement en métropole pour être ensuite envoyés en mission dans leur pays de résidence.

Le projet de loi prévoit une réserve « plus nombreuse et mieux équipée, pleinement intégrée à l’active et polyvalente dans ses missions », avec un objectif ambitieux de doublement de ses effectifs. Dans cette optique, supprimer cette bizarrerie serait une bonne chose.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Sagesse.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Le problème avait été identifié par le groupe de travail sur l’avenir de la réserve militaire et la rédaction que vous proposez paraît satisfaisante. Avis favorable.

M. Christophe Blanchet (Dem). Je confirme qu’il en a été question au sein du groupe de travail. Je remercie notre collègue Larsonneur pour son amendement.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN269 de Mme Isabelle Santiago.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Vous affirmez vouloir élargir les possibilités d’affectation des réservistes, y compris à l’étranger, mais, dans le même temps, vous supprimez la possibilité pour un volontaire engagé dans la réserve opérationnelle d’exercer ses fonctions dans un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel. N’est-ce pas contradictoire ?

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel ainsi que les établissements publics administratifs sont compris dans la catégorie des établissements publics inscrite à l’article 14 du projet de loi. L’amendement est donc satisfait. Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Recourir à la catégorie générique des « établissements publics » permet de toucher l’ensemble de la galaxie, par exemple les établissements publics de coopération culturelle (EPCC). Si l’on commence à préciser leur nature, on exclura tous ceux qu’on n’aura pas cités. Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Je maintiens l’amendement.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Vous souhaitez donc exclure les réservistes qui souhaitent servir dans un EPCC ?

Mme Mélanie Thomin (SOC). L’éclairage qui m’a été apporté n’est pas suffisant pour que je retire l’amendement.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je viens de vous expliquer le droit. Si vous précisez la nature des établissements publics, vous excluez ceux qui ne sont pas cités. Vous souhaitez donc, au nom du groupe socialiste, que les réservistes ne participent pas à un EPCC.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Ce n’est absolument pas ma conception de la réserve. Je souhaite en discuter avec mon groupe. Je maintiens l’amendement et nous reprendrons ce débat en séance.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN340 de M. Bastien Lachaud.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Avec cet amendement, nous voulons encadrer la nomination et l’avancement des réservistes spécialistes, en cohérence à la fois avec leurs compétences et avec l’évolution des militaires d’active.

Il nous semble juste de permettre aux réservistes spécialistes d’avancer dans leur grade, au même titre que les militaires de carrière et les réservistes opérationnels. L’avancement vient récompenser et signifier une montée en compétences et une certaine loyauté envers l’institution militaire. Cependant, afin d’éviter des nominations complaisantes qui récompenseraient plutôt des amitiés que des compétences réelles, nous proposons que cet avancement soit soumis à ces critères d’âge et de compétences.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. L’alinéa 28 de l’article 14 du projet de loi précise bien que les réservistes spécialistes peuvent être promus dans des conditions définies par décret en Conseil d’État lorsque leur activité dans la réserve opérationnelle les fait progresser en niveau d’expertise et de responsabilité. Je pense que vos craintes ne sont pas fondées. Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Cette question renvoie à la confiance que l’on a dans le commandement et dans les directeurs des ressources humaines (DRH) de chaque armée. Comme je suis ministre, je suis passé, pour des raisons juridiques et parce que je n’exerce plus de mission d’encadrement militaire, du statut de réserviste opérationnel (R01) à celui de réserviste spécialiste. L’adoption de votre amendement créerait de la rigidité, alors que l’idée est d’avoir de la souplesse ; sur le critère de l’âge – même si je ne suis pas le mieux placé pour en parler –, on peut rencontrer des problèmes avec, par exemple, un bon combattant cyber âgé de 25 ans qui peut être un petit génie : on va vouloir le faire entrer dans la réserve et il recevra des galons de lieutenant ou de capitaine alors qu’il a peut-être un savoir-faire qui pourrait le propulser commandant et qu’une asymétrie se créera par rapport à son âge.

Je tiens à cette souplesse, même si tout ne doit pas être possible bien entendu. La réserve experte ne peut pas se massifier, elle possède par définition quelque chose de rare. Le commandement doit pouvoir employer facilement des personnes qui possèdent un savoir-faire civil utile pour lui. Tel que votre amendement est rédigé, on se demande quel sera le critère : le niveau de diplôme ? Il faudra avoir un master, un doctorat, l’agrégation ? Votre proposition instille de la rigidité au système.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). J’entends vos arguments, ainsi que ceux du rapporteur, mais le problème est inverse et lié aux promotions trop rapides. Je pense à quelqu’un d’assez célèbre, le lieutenant-colonel Benalla, qui a obtenu son grade à 25 ans. Accroître l’encadrement des évolutions pour éviter ce genre de dérive me paraît opportun.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je suis tellement de bonne foi que je n’ai pas vu le coup arriver. Il faut faire confiance au commandement ; s’il y a des abus, celui-ci impose la discipline, il n’est pas nécessaire d’insérer une norme législative. Cela irait en outre à l’inverse de nos efforts pour attirer et fidéliser. L’avis est défavorable.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). J’entends, Monsieur le ministre, mais je pense aux militaires de carrière : le saint-cyrien, lui, ne deviendra pas colonel à 25 ans, même s’il est aussi brillant que l’officier spécialiste.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je peux vous rassurer, les textes le prévoient déjà : quand on est dans la réserve experte, on ne peut pas encadrer d’autres militaires – d’ailleurs, les petits chevrons disparaissent des fourreaux des gendarmes – et on sort du cadre de commandement classique sur le terrain. Je compte sur la réserve pour limiter les externalisations et le recours à des cabinets de conseil.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN341 de M. Aurélien Saintoul.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Il vise, dans le même esprit, à encadrer l’avancement des réservistes spécialistes.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Nous avons eu le débat, l’avis est défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. J’espère avoir éclairé la commission sur ce beau sujet lié à la doctrine d’emploi des forces à l’avenir.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements DN342 de M. Bastien Lachaud et DN270 de Mme Isabelle Santiago (discussion commune).

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Les réservistes peuvent actuellement servir cinq jours par an sans l’autorisation de leur employeur. Le projet de loi prévoit d’augmenter ce quota à dix jours : si nous cherchons réellement à développer une économie de guerre, ce nombre nous paraît trop faible et les employeurs pourraient faire le sacrifice de vingt jours. Il s’agit, d’une certaine manière, d’un amendement de cohérence avec les objectifs du Gouvernement.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Nous souhaitons faire passer le nombre de jours de dix à douze. Notre raisonnement est pragmatique et repose sur l’idée de consacrer une journée par mois à la réserve.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Ce choix de dix jours permet d'augmenter la disponibilité des réservistes, mais également de l'aligner sur celle des réservistes opérationnels de la police nationale, qui est de dix jours depuis le 24 janvier 2022

M. Sébastien Lecornu, ministre. Nous avons en effet choisi dix jours par souci d’homogénéisation. Sous le contrôle de celles et de ceux qui n’ont pas boycotté le groupe de travail sur les réserves, les partenaires sociaux et les associations de réservistes ont fait part d’un problème de progressivité. Je m’en tiens à ce qui est sorti de ce groupe par respect pour le travail qui y a été fait.

M. Christophe Blanchet (Dem). Ayant participé aux six réunions du groupe de travail, je suis convaincu que passer à douze ou à vingt jours recèle plusieurs dangers. Nous voulons inciter les TPE et les PME à embaucher des réservistes, mais une très petite entreprise de dix salariés mourra si on lui enlève un employé pendant vingt jours. C’est peut-être possible pour les grands groupes, mais pas pour les autres structures. L’adoption de l’amendement tuerait toute perspective de doubler les réserves dans les entreprises de toutes les tailles.

La commission rejette successivement les amendements.

 

La commission adopte l’amendement rédactionnel DN906 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Amendements DN343 de M. Aurélien Saintoul et DN617 de M. Christophe Blanchet (discussion commune).

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Il s’agit d’augmenter la durée maximale de convocation des militaires de la réserve opérationnelle de deuxième niveau (RO2) pour la porter à cinquante jours, soit dix jours par an puisqu’ils sont convocables pendant cinq ans. L’objectif est de garantir l’entretien des compétences et des aptitudes opérationnelles. Avec dix jours sur une période de cinq ans, on est vraiment très loin du compte : compte tenu de l’évolution des armées, une durée de deux jours par an est loin d’être à la hauteur des enjeux, d’autant que la RO2 constitue un vivier essentiel pour doubler les effectifs de la réserve.

M. Christophe Blanchet (Dem). Le texte prévoit la possibilité de convoquer les réservistes RO2 pour une durée qui ne peut excéder dix jours pendant une période de cinq ans. Le risque est que les réservistes ne se déclarent pas à leur entreprise. L’amendement fixe la durée à cinq jours par an pendant cinq ans parce que la loi les autorise à demander à leur entreprise de bénéficier de ces cinq jours : le but est d’éviter qu’ils restent invisibles et de les aider à s’intégrer totalement à la réserve.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. L’adoption du premier amendement ferait porter une charge trop importante à un ancien militaire passé à la RO2, notamment pour son employabilité. S’il souhaite en faire davantage, il pourra toujours s’engager dans la réserve opérationnelle de premier niveau. L’avis est donc défavorable. S’agissant du deuxième amendement, je m’en remets à la sagesse de l’Assemblée.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Le débat est très intéressant sur ce sujet de fond. Celui qui a envie d’en faire plus y parviendra toujours. Le texte dispose que l’on ne peut pas excéder dix jours dans le cadre de la RO2, mais il suffit de passer en RO1 pour dépasser cette durée. Je n’avais pas vu l’argument évident du député Blanchet sur l’homogénéisation derrière lequel je me range. Je vous demande de retirer votre amendement, Monsieur Lachaud, au profit de celui de M. Blanchet auquel je donne un avis favorable. Le sujet reviendra dans une prochaine LPM, me semble-t-il.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Je vais me ranger aux arguments du député Blanchet et retirer mon amendement en faveur du sien, en présumant que la révision de la LPM en 2027 sera l’occasion de remettre le sujet sur la table.

L’amendement DN343 est retiré.

 

La commission adopte l’amendement DN617.

 

La commission adopte l’amendement rédactionnel DN907 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

L’amendement rédactionnel DN908 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur, est retiré.

 

Amendement DN909 de M. Jean-Michel Jacques.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il propose d’intégrer, parmi les informations publiées dans la déclaration de performance extrafinancière annuelle des entreprises concernées, des éléments relatifs à leurs actions en faveur du lien entre la nation et l’armée, et de leur soutien à l’engagement dans les réserves. Les réservistes sont en effet de véritables atouts pour les entreprises et en valorisant leur engagement, celles-ci améliorent leur valeur immatérielle.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Cette mesure est également le fruit de la réflexion du groupe de travail. On touche là à un combat culturel : la responsabilité sociale des entreprises (RSE) a produit des avancées, et l’on considère aujourd’hui que l’engagement des salariés a une valeur pour la société, pour la nation et pour l’entreprise. J’ai été frappé par le besoin de reconnaissance exprimé par les syndicats de salariés et d’employeurs : l’amendement y répond, donc j’émets un avis favorable.

M. Christophe Blanchet (Dem). Je confirme qu’à chacune des six réunions du groupe de travail, la quarantaine d’intervenants ont tous décliné le mot « reconnaissance » sous toutes ses formes. Je soutiens évidemment l’amendement car les réservistes ont besoin de reconnaissance.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’article 14 modifié.

 


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Après l’article 14

 

Amendement DN344 de M. Bastien Lachaud.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Nous proposons de supprimer la deuxième section des généraux. Ce dispositif, créé par Louis-Philippe afin de disposer de généraux en cas d’une levée en masse, est obsolète. Si la nation venait à être menacée, que ferions-nous d’anciens généraux n’ayant pas servi depuis de nombreuses années ? Il y a fort à parier que nous préférerions promouvoir quelques colonels exemplaires et rappeler les officiers généraux ayant cessé leur activité il y a peu. En outre, pour plus de 5 000 officiers généraux dans la deuxième section, à peine moins d’une cinquantaine sont rappelés chaque année.

La suppression de la deuxième section mettrait aussi fin à un régime d’exception. Notre proposition est une mesure d’égalité car les officiers généraux basculeraient alors dans le régime des autres réservistes.

Enfin, il est apparu que certains membres de cette deuxième section ont utilisé leur grade afin de donner du poids à leurs combats politiques, ce qui nous semble particulièrement malvenu. Cette suppression éviterait ce genre de déconvenue ; elle relève du bon sens et de la bonne gestion des deniers publics.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis très défavorable. La deuxième section est un renfort d’expérience potentiellement très utile. La tribune à laquelle vous faites allusion est regrettable, mais cela ne concerne que très peu de monde. Il ne faut pas généraliser comme vous le faites.

La deuxième section est un symbole fort pour nos officiers et nos officiers généraux.

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées. On finit trop souvent par confondre la deuxième section avec une forme d’honorariat. Elle joue pourtant un rôle : vous avez raison d’en rappeler l’histoire, car elle répond vraiment à une logique de rappel ; c’est une sorte de réserve des officiers généraux.

Je me suis demandé s’il fallait introduire dans le projet de loi de programmation militaire (LPM) des dispositions relatives à la deuxième section, car il faut bien constater le flou qui existe. Beaucoup d’officiers généraux de deuxième section (OG2S) finissent eux-mêmes par ne plus savoir ce que cela veut dire. J’y ai renoncé pour privilégier l’idée de la revitaliser, de mieux nous en servir. Pour cela, il faut une base légale, même si nous ne rappelons que peu de gens. Nous avons commencé cette évolution en confiant à des OG2S différentes missions, sur les cérémonies de commémoration du débarquement l’année prochaine, sur des questions militaires, diplomatiques ou touchant aux relations avec les collectivités territoriales.

Cette revitalisation doit particulièrement concerner les OG2S du service de santé des armées et de la direction générale de l’armement.

Je recommande donc de ne pas toucher pour l’instant à la base légale de la deuxième section tout en essayant de la revitaliser. Cela n’exclut pas d’ouvrir un débat sur le fond à l’avenir.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Nous sommes sensibles à votre réflexion. La suppression de la deuxième section est dans l’air depuis longtemps, et nous avons hésité à déposer cet amendement. Il s’agissait de mettre un coup de pied dans la fourmilière.

Je ne suis pas sûr de comprendre comment vous pourrez atteindre votre objectif de revitalisation. Le moment est sans doute venu d’agir.

Mme Caroline Colombier (RN). Nous nous opposerons à cet amendement. Ces généraux ont bien servi la France, et leur expérience peut encore être utile.

M. Yannick Chenevard (RE). Est-ce de Camus ? « Il y a une espèce de honte à être heureux à la vue de certaines misères. »

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN580 de M. Christophe Blanchet.

M. Christophe Blanchet (Dem). Beaucoup de réservistes ne se déclarent pas comme tels au sein de leur entreprise parce qu’ils ont peur que cela n’entrave des promotions ou l’obtention de primes par exemple. Cet amendement propose donc d’ajouter la participation aux activités de réserve à la liste des vingt-cinq critères qui permettent de juger d’une discrimination. Il interdit aussi d’utiliser les absences en raison d’une période de réserve pour établir une évaluation défavorable, ou pour réduire une prime.

Ce serait une reconnaissance pour nos réservistes, mais aussi un message aux entreprises qui ne jouent pas le jeu.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je comprends votre intention. Mais il ne faut pas caricaturer : je connais beaucoup d’entreprises très fières de la participation de leurs salariés à la réserve. Sagesse.

M. Sébastien Lecornu, ministre. On touche ici au Code pénal, et je préfère rester très prudent. Avis défavorable. Nous pouvons y réfléchir d’ici à la séance publique.

M. Christophe Blanchet (Dem). Il faut envoyer un signal fort ! Il n’est d’ailleurs pas nécessaire de créer un vingt-sixième critère de discrimination : la participation à la réserve opérationnelle peut être intégrée à l’un des critères existants. Cela me paraît nécessaire. Je maintiens l’amendement, mais nous pourrons l’améliorer d’ici à la séance publique.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Je trouve l’amendement très intéressant. Je connais des entreprises fières de leurs réservistes : ce sont souvent les plus grandes. J’en connais aussi beaucoup, souvent plus petites, où la participation à la réserve peut être mal vue. Dans mon propre cabinet d’avocat, où tout le monde me savait officier de réserve, j’ai découvert après trois ans que l’un de mes collaborateurs était lui aussi réserviste : il avait peur que cela nuise à sa carrière.

Il est possible que l’amendement mérite d’être retravaillé, mais j’y suis favorable à ce stade.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN585 de M. Christophe Blanchet.

M. Christophe Blanchet (Dem). Des témoignages montrent que certaines entreprises interdisent aux réservistes, dans leur règlement intérieur, d’effectuer des périodes de réserve ! Cet amendement interdit cette pratique.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Votre appel est absolument justifié, mais cette pratique est déjà interdite par la loi. Demande de retrait.

M. Sébastien Lecornu, ministre. L’amendement est satisfait, en effet. Bien sûr, on peut redire ce qui est déjà dit… Je préfère rester prudent dans un texte normatif. Il faut sans doute plus de communication sur le sujet.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Dans l’exposé des motifs, vous parlez d’interdiction de participation à des activités de réserve y compris pendant le temps libre des salariés : c’est fou !

M. Christophe Blanchet (Dem). C’est fou, mais c’est bien ce qui ressort de témoignages qui nous sont parvenus. C’est un amendement d’appel, vous l’avez compris, mais il faut envoyer un message aux entreprises.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN746 de M. Jean-Louis Thiériot.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). C’est un amendement d’appel : j’ai conscience qu’il ne pourra pas être voté en l’état et je le retirerai.

Il faut mobiliser la jeunesse pour qu’elle rejoigne la réserve. L’un des freins à l’engagement est la crainte de conséquences néfastes sur les études. Je propose donc une marque de reconnaissance : un système de bonus pour ceux qui s’engagent dans la réserve opérationnelle. Certaines universités ont créé des mécanismes qui permettent une valorisation, mais cela reste souvent complexe.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il y a certainement un travail à mener avec les universités, en effet. Merci de votre proposition de retrait.

M. Sébastien Lecornu, ministre. J’accueille avec bienveillance tout ce qui permet de rendre la réserve plus attractive. Faisons toutefois attention à ne pas créer des ruptures d’égalité entre étudiants – à la commission de la défense, on est en général très fana mili !

La question s’est posée dans le groupe de travail : jusqu’où aller dans les incitations ? Il ne faut pas oublier non plus les autres réserves, sanitaire par exemple.

Demande de retrait, comme vous vous y attendiez. C’est un peu dommage, car la LPM est un véhicule adapté et qu’il n’y en aura pas d’autre rapidement.

Mme Delphine Lingemann (Dem). Dans l’école d’ingénieurs où j’enseigne, une unité d’enseignement libre d’engagement est prévue. Cela a suscité des vocations de réservistes. L’idée me paraît intéressante.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Ravi d’entendre que l’idée est intéressante.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN745 de M. Jean-Louis Thiériot.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Il s’agit également d’un amendement d’appel, que je retirerai. On connaît les difficultés que rencontrent les étudiants pour se loger. Je propose donc de donner aux réservistes de la réserve opérationnelle une priorité pour obtenir un logement attribué par les Crous (centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires). S’y oppose une préoccupation d’égalité légitime, mais ceux qui s’engagent dans la réserve opérationnelle, comme, à mon sens, les jeunes sapeurs-pompiers volontaires, ont une singularité : ils font le choix d’un engagement qui peut les amener à risquer leur vie. Il ne me paraîtrait pas absurde de faire passer ce critère avant d’autres, y compris sociaux.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je comprends votre intention. Ayant exercé ces deux fonctions, je ferai juste une différence entre le sapeur-pompier volontaire et le militaire : le premier a un droit de retrait, le second non.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Demande de retrait de cet amendement d’appel.

Je redis qu’il faut éviter les ruptures d’égalité : c’est un sujet sensible. En outre, un simple engagement à servir dans la réserve ne pourrait pas suffire : il est facile d’en signer un, et nous allons tout faire pour faciliter encore ce processus. Ce n’est pas parce que vous avez signé que vous êtes régulièrement convoqué, ou que vous répondez aux convocations d’ailleurs. Des mesures d’incitation devraient donc être fondées sur des critères plus solides.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Je retire l’amendement, évidemment, mais il faut y réfléchir.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Il faut effectivement réfléchir aux meilleures manières de valoriser l’engagement, mais cet amendement mènerait à des ruptures d’égalité. M. Thiériot passe la mesure en semblant considérer qu’il faut subordonner un droit social essentiel, le droit au logement, à la participation à la réserve. Il y a là entre nous une profonde opposition de principe.

Mme Anne Genetet (RE). La sensibilisation à l’importance de la réserve est vraiment essentielle. Il faut mettre en valeur ce service sans créer de rupture d’égalité, et communiquer auprès de toutes les institutions – universités, centres d’apprentissage, entreprises.

Mme Mélanie Thomin (SOC). J’approuve les propos de M. Saintoul et de Mme Genetet. Il faut éviter toute rupture d’égalité dans l’accès au logement, alors que les possibilités de valorisation de l’engagement dans la réserve sont nombreuses. Ne remettons pas en cause l’attribution de logements sur critères sociaux : c’est une question de principe.

M. Laurent Jacobelli (RN). Nous sommes très attachés à l’implication des jeunes dans la défense de la nation, mais nous ne voudrions pas d’une réserve d’opportunité : pour obtenir un logement, on s’engagerait dans la réserve… Nous atteindrions nos objectifs, mais nous aurions une réserve inactive.

Je comprends l’intention de M. Thiériot mais ce n’est probablement pas la bonne façon de s’y prendre.

L’amendement est retiré.

 

 

 

Amendement DN588 de M. Christophe Blanchet.

M. Christophe Blanchet (Dem). Pour valoriser les réserves, il faut les connaître mieux. En préparant notre rapport d’information sur les réserves, en 2021, Jean-François Parigi et moi nous sommes aperçus que nous manquions de données. Cet amendement vise donc à demander un rapport qui comprendrait différents indicateurs : nombre de réservistes, taux de sélection lors du recrutement, taux d’emploi…

Un rapport annuel est normalement rendu au Parlement par la Garde nationale, mais il est présenté avec un an de décalage. Nous pourrions demander qu’il soit présenté à la commission. Nous pourrions également lancer une mission d’information sur ce sujet.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. La Garde nationale établit en effet un rapport tous les ans. Par ailleurs, le rapport introduit par mon amendement à l’article 8 du projet de loi comprendra un bilan concernant les réserves. En revanche, je suis très favorable à une audition en commission, ainsi qu’à une mission d’information sur le sujet

M. Sébastien Lecornu, ministre. Demande de retrait, à défaut avis défavorable. Sur la forme, le rapport annuel de performances est un document budgétaire, on ne peut pas en créer de cette façon. Sur le fond, si l’on considère que la réserve fait pleinement partie de notre modèle d’armée, alors elle doit être intégrée aux documents budgétaires existants du programme 212 Soutien de la politique de la défense. C’est à mon sens une question de ressources humaines au sein du ministère des armées.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN586 de M. Christophe Blanchet.

M. Christophe Blanchet (Dem). C’est un amendement d’appel. Je suis sûr que beaucoup ici partagent mon constat : aux cérémonies patriotiques, à commencer par celle du 8 mai qui a eu lieu il y a quelques jours, on voit des élus, des Français volontaires, des porte-drapeaux, des anciens combattants, parfois quelques jeunes s’il y a eu un accompagnement de l’éducation nationale et des parents… mais cela fait peu de monde. Or le 8 mai est un jour férié – caractère qui lui a été rendu par le président Mitterrand après qu’il ait été supprimé par le président Giscard d’Estaing. Quand on ne travaille pas, on devrait pouvoir venir à cette cérémonie patriotique qui ne dure que trente minutes. Il s’agit de pleurer ceux qui ont libéré la France. Le 8 mai doit être une journée patriotique avant d’être un jour férié. Comment lui redonner ce sens, qui se perd ? Quel avenir pour cette cérémonie, comment inciter les Français à y revenir ? Il faut de la pédagogie, évidemment, mais c’est une question de citoyenneté.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je vous rejoins. Le 8 mai est un jour important, voire sacré. C’est la commémoration de la victoire sur le régime nazi. Je trouve immoral de l’abîmer par des casserolades ou autres manifestations. Le droit de grève est légitime mais il y a des moments qui doivent être respectés.

M. Sébastien Lecornu, ministre. André Kaspi avait écrit un rapport sur la modernisation des commémorations publiques. Je suis frappé de voir tout de même davantage de gens à ces cérémonies qu’il y a quelques années, et des gens pas toujours liés au monde combattant : il y a de l’espoir.

On doit mobiliser les réserves, et les jeunes du service national universel (SNU) se rendent toujours volontiers à ces cérémonies. Il faut travailler avec l’éducation nationale, ce qui n’est pas simple un jour férié, mais aussi avec les collectivités locales, car il y a des mairies qui organisent plus ou moins bien ces cérémonies. Je réfléchis aussi à une présence plus systématique des forces armées lors des cérémonies du 8 mai et du 11 novembre.

Demande de retrait, s’agissant d’un amendement d’appel.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Notre groupe est profondément attaché aux cérémonies du 8 mai. L’idée a été émise de fusionner les cérémonies pour ne garder que le 11 novembre : nous n’y sommes pas favorables. Ce sont deux dates très importantes, les deux guerres n’ont pas tout à fait le même sens.

Nous sommes aussi très attachés à la dimension populaire de ces célébrations. C’est la raison pour laquelle nous regrettons qu’il ait été décidé que le Président de la République devait descendre l’avenue des Champs-Élysées tout seul, sans aucun concours du peuple. La pique du rapporteur était tout à fait malvenue.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Je partage les ambitions de M. Blanchet comme du ministre. Il faut arriver à mobiliser l’éducation nationale. J’ai vu des maires se heurter à des directeurs d’école qui ne veulent surtout pas participer, car ils mettraient en cause leur responsabilité. J’avais déposé une proposition de loi qui imposait aux établissements de l’éducation nationale de proposer, sous une forme ou sous une autre, une participation aux cérémonies patriotiques, sans susciter visiblement l’enthousiasme du ministère. Le sujet mérite d’être repris.

Dans mon département, la Seine-et-Marne, le général commandant l’École des officiers de la gendarmerie nationale a demandé aux élèves de se rendre aux cérémonies patriotiques en tenue Tetra, c’est-à-dire la tenue de tradition. C’est un symbole fort et remarqué.

Mme Anne Genetet (RE). Je salue les lycées français à l’étranger qui organisent chaque année, grâce au personnel militaire sur place, une commémoration à laquelle des élèves sont associés. Alors que le 8 mai n’est pas férié dans la plupart des pays, c’est un effort qu’ils font pour renforcer le lien entre la nation et ces élèves qui sont loin de nous.

M. Christophe Blanchet (Dem). Comment recréer des liens avec l’éducation nationale, pour instaurer un parcours citoyen dès le plus jeune âge ? Il faut y réfléchir. Il faut aussi communiquer, et mieux reconnaître ceux qui s’engagent : les réservistes doivent être présents en tenue de réservistes, cela aura un effet d’entraînement. Enfin, le 8 mai est certes un jour férié, mais beaucoup de gens travaillent et ne peuvent pas assister à la cérémonie.

L’amendement est retiré.

 

Article 15

 

La commission adopte l’amendement rédactionnel DN856 du rapporteur.

 

Elle adopte l’article 15 modifié.

 

Article 16

 

La commission adopte l’article 16 sans modification.

 

Article 17

 

Amendement DN272 de Mme Anna Pic.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Il s’agit de mieux encadrer le travail des mineurs ayant le statut d’apprenti militaire en supprimant la dérogation prévue à l’alinéa 4. La journée de huit heures est une avancée sociale historique accomplie grâce à notre famille politique il y a déjà plus d’un siècle. C’est une garantie de conditions de travail raisonnables. Cela n’empêche pas que nous ayons à cœur de soutenir la défense nationale et d’adapter les dispositions régulières quand c’est nécessaire.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis défavorable. L’article 17 encadre le temps de travail des militaires mineurs. Cet encadrement est actuellement lacunaire puisqu’il ne concerne que les militaires mineurs de la marine nationale. Il est donc judicieux de l’étendre.

Ces dérogations sont conformes aux engagements européens et internationaux de la France. On trouve dans l’institution militaire beaucoup d’humanité et de bienveillance. Je ne doute pas que ces dispositions soient appliquées convenablement.

M. Sébastien Lecornu, ministre. L’idée est en effet d’étendre l’encadrement prévu dans la marine, notamment pour les mousses.

Votre groupe a déposé trois amendements sur cet article. Je suis défavorable à l’amendement DN272, ainsi qu’au DN273. En revanche, je serai favorable au DN298, qui installe un garde-fou utile.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Ces amendements sont en effet dans le même esprit : l’amendement DN298 prévoit que le temps de travail ne pourra être porté de huit à onze heures par jour que si l’intérêt de la défense ou de la sécurité nationale le justifie.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Je soutiens cet amendement de nos collègues socialistes. Nous comprenons les nécessités de la défense nationale, mais c’est bien de mineurs, d’enfants, qu’il s’agit. Il est important de reconnaître qu’ils ne peuvent pas être soumis au même régime que les adultes.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Ce statut existe déjà ! Êtes-vous contre le modèle des mousses de la marine nationale ? L’idée est simplement d’étendre ces dispositions à l’armée de terre et à l’armée de l’air. C’est une demande qui vient des troupes et qui s’appuie sur des fondements sérieux. Parfois, il y a des enjeux tout simples : par exemple, on ne peut pas apprendre la navigation sans module nocturne. Tous ceux qui ont vu de près ce qui existe savent qu’il n’y a pas de loup, surtout avec l’encadrement supplémentaire proposé par l’amendement DN298. Nous développons aussi les centres d’apprentissage de l’armée de terre, parce que ce besoin se fait sentir.

La commission rejette l’amendement.

 

La commission adopte l’amendement rédactionnel DN910 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Amendement DN298 de Mme Mélanie Thomin.

Mme Mélanie Thomin (SOC). C’est celui que nous venons d’évoquer.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis favorable – en précisant, pour éviter toute surinterprétation, que l’apprentissage de la navigation nocturne par les jeunes marins fait partie de ce qui est justifié par l’intérêt de la défense.

M. Sébastien Lecornu, ministre. C’est une précision utile.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN273 de Mme Anna Pic.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Cet amendement, dans le même esprit que les précédents – nous pourrions les regrouper – rappelle en particulier que le travail de nuit est strictement interdit aux mineurs de 22 heures à 6 heures.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Amendement satisfait par l’adoption du précédent. Même avis.

M. Yannick Chenevard (RE). Un trait d’humour : il est également interdit de déclarer la guerre entre 22 heures et 6 heures !

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Les sarcasmes de M. Chenevard sont déplacés, comme l’était sa citation de Camus tout à l’heure. J’espère qu’il n’imagine pas qu’on mobilisera prioritairement des jeunes de 16 à 18 ans en cas de guerre.

La commission rejette l’amendement.

 

La commission adopte l’amendement rédactionnel DN911 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Elle adopte l’article 17 modifié.

 

Après l’article 17

 

Amendement DN805 de M. Thomas Gassilloud.

M. le président Thomas Gassilloud. J’ai cosigné cet amendement avec le rapporteur. Il vise à rendre les établissements d’apprentissage militaire éligibles à la taxe d’apprentissage pour compléter leur financement.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement.

 

Article 18

 

La commission adopte l’amendement rédactionnel DN857 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Amendement DN136 de M. Jean-Pierre Cubertafon.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il est rédactionnel.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Avis défavorable, le code de la défense parlant de ministre de la défense et non de ministre des armées.

L’amendement est retiré.

 

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels DN858, DN859 et DN860 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Elle adopte l’article 18 modifié.

 

Après l’article 18

 

Amendement DN59 de Mme Stéphanie Galzy.

M. Laurent Jacobelli (RN). C’est un amendement d’appel soulignant l’importance de l’aspect social de la condition de nos militaires. Les efforts réels qui ont été consentis, notamment sous la forme du plan « famille », ne suffisent pas. Il s’agit donc d’une demande de rapport – nous n’en avons pas abusé.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Vous faites bien de souligner cet aspect. Nous pourrons suivre cela de près lors de nos futures auditions. Merci d’envisager de retirer l’amendement.

M. Sébastien Lecornu, ministre. C’est en effet l’un des sujets auxquels il faut être systématiquement attentif lors des auditions préparatoires au débat budgétaire. Outre le plan « famille », il convient de mentionner, entre autres, les avancées concernant les infrastructures – dont la vétusté est souvent pointée du doigt – et l’articulation entre indemnitaire et indiciaire.

Demande de retrait, s’agissant d’un amendement d’appel demandant un rapport, qui plus est à propos d’un sujet de préoccupation permanent. Nous en avons parlé avec Mme Poueyto, plusieurs instances du ministère produisent déjà des rapports sur la condition militaire que nous veillerons à communiquer à la représentation nationale.

L’amendement est retiré.

 

Article 19

 

La commission adopte l’article 19 non modifié.

 

Article 20

 

Amendement DN278 de Mme Mélanie Thomin.

Mme Mélanie Thomin (SOC). L’article introduit un dispositif pertinent, qui crée un droit de regard sur l’activité de personnels ayant occupé des fonctions sensibles dans nos armées. Il contribue ainsi à l’effort de contre-ingérence et de lutte contre les influences.

Notre amendement vise à étendre ce dispositif au personnel civil de la défense. En effet, ce n’est pas le statut mais les fonctions exercées et, de ce fait, les compétences, savoirs et informations détenus qui représentent un enjeu pour la défense et la sécurité nationale. Dans des domaines de pointe comme le cyber ou le spatial, une part importante des personnes recrutées ou ayant vocation à l’être relèvent du statut civil.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Cette extension ne correspondrait pas à l’objectif précis de la mesure. Par ailleurs, elle serait fragile eu égard au principe d’égalité si les seuls civils du ministère de la défense – une notion qui n’existe pas vraiment en droit interne – sont visés, mais disproportionnée si des pans entiers de la population active civile sont concernés. Enfin, elle pourrait tarir les flux de recrutement du Ministère des Armées et les chances de mobilité.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Merci d’avoir salué la pertinence de l’article, sur un sujet qui a défrayé la chronique. Tout amendement est bon pour poursuivre le débat.

Le problème de celui-ci est que la notion de personnel civil de la défense est très large et que celle de catégorie civile est floue, à la différence de la définition juridique du personnel sous statut militaire.

Avis défavorable en raison de ce problème de rédaction, mais il est souhaitable d’avancer dans ce domaine. On ne peut nier qu’il y a des civils dans notre appareil de défense, dans certains services critiques, qui en savent autant sinon plus que certains personnels sous statut militaire. Nous allons donc voir avec les juristes s’il est possible de trouver une formule en vue de la séance. Je préconise un travail préparatoire avec vos collaborateurs et les administrateurs pour aboutir à une solution robuste dans l’hémicycle, car on ne peut se permettre un texte fragile à ce sujet.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Mes collaborateurs et moi-même sommes disponibles pour travailler avec votre conseiller parlementaire. Il y a d’ailleurs un autre travail sur le service de santé des armées à mener.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN277 de Mme Isabelle Santiago.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Il vise à mieux encadrer les situations où un militaire pourrait être recruté par une société établie sur le territoire national, mais au profit d’une société étrangère ou d’un État étranger. Il s’agit d’éviter que des sociétés fantômes contrôlées par des puissances étrangères ne recrutent des militaires français.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Favorable. C’est un angle mort.

M. Sébastien Lecornu, ministre. L’amendement durcit le contrôle des militaires concernés, ce à quoi je ne suis pas opposé. Il faut certainement trouver un équilibre, mais en prenant en considération les conditions de contrôle et des obligations déontologiques auxquels parlementaires et politiques sont astreints de leur côté.

Je souhaiterais que cet amendement soit soutenu le plus largement possible par les différents groupes politiques, car il ne s’agit de rien de moins que de protéger l’intégrité de tous les autres militaires. Avis favorable.

Mme Anne Genetet (RE). Le groupe Renaissance est également tout à fait favorable à cet amendement. Nous devons plus que jamais sensibiliser l’ensemble du tissu économique et social, y compris nos militaires, aux enjeux de la présence d’intérêts étrangers sur notre territoire, dont certains sont bienveillants, mais d’autres malveillants, voire toxiques.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Notre groupe votera lui aussi pour cet amendement. Nous sommes tout à fait d’accord avec la nécessité d’un front large sur le sujet. J’estime d’ailleurs qu’il faudrait donner encore davantage de moyens à la DRSD (direction du renseignement et de la sécurité de la défense).

Le terme « indirectement » rend cependant le texte délicat à appliquer. Il appelle en tout cas des moyens de contrôle suffisamment fins.

M. Laurent Jacobelli (RN). Notre groupe votera également pour l’amendement, bien que nous ayons nous aussi un doute à propos du mot « indirectement », très peu clair et dont on se demande jusqu’où il nous emmène. Mais l’amendement reste de bon sens.

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Le groupe Horizons soutient pleinement cette très bonne idée.

Mme Josy Poueyto (Dem). Notre groupe soutiendra également l’amendement.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Soutien total à l’amendement, comme à l’ensemble des dispositions qui reprennent une de mes propositions de loi sur le sujet. Le mot « indirectement » ne pose pas de problème, dès lors que la notion de contrôle direct et indirect existe dans le code du commerce, notamment à propos des procédures collectives. Le juge saura comprendre l’intention du législateur.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN271 de Mme Anna Pic.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Il vise à substituer au régime de déclaration un régime d’autorisation des activités réalisées sur notre territoire au profit de puissances étrangères. Il s’agit de sécuriser l’administration et de rendre le contrôle effectif.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Cette disposition porterait une atteinte excessive aux principes de libre circulation des travailleurs, de liberté contractuelle et de liberté d’entreprendre. Même dans un régime déclaratif, le ministre a toujours la main en cas de problème.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Avis défavorable, pour que la proposition soit retravaillée d’ici à la séance publique. Il faut adopter une vision globale plutôt que procéder par petites touches, et toujours prendre garde à la constitutionnalité du dispositif au bout du compte – même si je ne vois pas de problème de ce type dans votre amendement. Je ne suis pas opposé à un durcissement global du dispositif, mais j’aurais besoin d’une vue d’ensemble.

Plus généralement, je ne serais pas favorable à une extension aux militaires du domaine de compétence de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), car il faut tenir compte des spécificités du statut militaire. Peut-être des députés moins au fait des questions militaires que les membres de la commission de la défense présenteront-ils dans l’hémicycle des amendements en ce sens.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Je suis d’accord avec vous, Monsieur le ministre. L’idée d’un régime d’autorisation est pertinente, mais quel serait son périmètre ? On ne va pas soumettre à ce régime la totalité des personnels du ministère ou même de ses seuls personnels militaires. Il faut donc un travail plus coordonné pour aboutir en séance à un dispositif rigoureux, efficace et équilibré.

M. Mounir Belhamiti (RE). On entend beaucoup parler de prédéclaration ou de régime spécial d’autorisation, alors que le régime d’habilitation fonctionne très bien, sous l’égide de la DRSD. Les sénateurs communistes ont déposé plusieurs propositions de loi visant à encadrer les interventions des cabinets, notamment dans la sphère publique. C’est se tirer une balle dans le pied : déclarer publiquement qui sont nos experts cyber est suicidaire !

Travaillons à des dispositifs intelligents, qui empêchent les abus – quoique je ne pense pas qu’il en existe – et soient plus simples ; mais prenons garde à ce risque.

La commission rejette l’amendement.

 

L’amendement DN137 de M. Jean-Pierre Cubertafon est retiré.

 

La commission adopte l’amendement rédactionnel DN861 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Amendement DN956 de M. Jean-Michel Jacques.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il complète le dispositif retenu par l’amendement DN277 et visant à prévenir les manœuvres de contournement de la loi par la création de sociétés fantômes servant indirectement des intérêts étrangers.

La précision apportée par l’amendement DN277 est très utile, mais elle ne doit pas faire obstacle au recrutement de militaires par des entreprises françaises de la base industrielle et technologique de défense (BITD) dont le modèle économique repose sur l’exportation de matériels de guerre vers l’étranger.

Ces entreprises sont déjà soumises à des autorisations délivrées par l’État pour exercer leur activité et pour exporter leurs matériels ou leurs savoir-faire.

L’objet premier de l’article 20 est d’empêcher les départs à l’étranger de nature à remettre en cause les intérêts de la défense nationale. Il ne doit pas avoir pour effet de pénaliser la BITD française.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Sagesse.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement DN862 de M. Jean-Michel Jacques.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il est destiné à préciser la portée du contrôle préventif et dissuasif confié au ministre des armées concernant les militaires ou anciens militaires ayant occupé des fonctions d’une sensibilité particulière et souhaitant exercer une activité lucrative pour le compte d’un État étranger ou d’une entreprise étrangère intervenant dans le domaine de la défense et de la sécurité.

En effet, afin de garantir une juste conciliation entre la protection des intérêts fondamentaux de la nation et la liberté d’entreprendre, il paraît nécessaire de circonscrire les hypothèses dans lesquelles le ministre des armées pourra s’opposer à l’exercice d’une telle activité, en définissant expressément la nature des renseignements, procédés, objets, documents, données informatisées ou fichiers dont il entend prévenir la divulgation.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Favorable.

La commission adopte l’amendement.

 

Elle adopte l’amendement rédactionnel DN863 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Elle adopte l’article 20 modifié.

 

Article 21

 

La commission adopte l’article 21 non modifié.

 

 

Article 22

 

La commission adopte l’article 22 non modifié.

 

Article 23

 

Amendement DN347 de M. Aurélien Saintoul.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Nous proposons qu’en cas de menace prévisible, le Parlement doive valider le régime de réquisition pour que ce dernier entre en vigueur.

Notre groupe comprend bien l’intérêt de laisser des marges de manœuvre à l’exécutif en cas de péril imminent. En revanche, si la menace est prévisible, on ne voit pas pourquoi le Parlement ne serait pas associé à la décision.

Dans un contexte où le Gouvernement ne daigne même plus engager sa responsabilité devant les représentants de la nation, où le Président déclare que ses choix représentent ceux de toute la nation, où les décisions de réquisition du Gouvernement ou celles de l’exécutif en matière de sécurité sont annulées par la justice, un tel article ouvre la voie à des abus dont il faut se prémunir.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Le vote du Parlement se fait dans le cadre de l’examen du présent projet de loi, qui autorise le régime de réquisition. En tout état de cause, le juge sera garant du respect des conditions prévues.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Le meilleur instrument de respect de l’État de droit est notre Constitution. Or l’amendement n’est pas constitutionnel, puisqu’il concerne un acte de gouvernement. Je ne peux croire qu’en cas de dérive ou d’abus, vous ne déposeriez pas de motion de censure.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Des abus, nous en voyons régulièrement ces dernières semaines et ces derniers mois. Il faut bien souvent du temps pour faire constater des abus et, dans bien des cas, ils demeurent, on s’y habitue, on les banalise. L’histoire nous a donné des exemples de ce phénomène. En outre, Monsieur le ministre, vous serez sans doute sensible au risque qu’un tel arsenal juridique tombe en de mauvaises mains. Il est donc bienvenu de distinguer les cas de péril imminent et ceux où la menace est prévisible.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. La disposition reste proportionnée : elle ne permet pas de faire n’importe quoi.

J’essaie de vous comprendre idéologiquement – j’ai parfois du mal. N’êtes-vous pas favorable à un État fort, qui tient son rang, notamment vis-à-vis des entreprises ? Vous avez au moins cette cohérence. Or la disposition proposée va dans ce sens.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Nous n’avons jamais dit que nous étions contre le principe des réquisitions, quel que soit le contexte. Simplement, le Parlement ne doit pas se dessaisir de ses prérogatives et doit rester vigilant face à l’exécutif. Notre Constitution – qui n’est pas à nos yeux une bonne Constitution – donne déjà énormément de poids à ce dernier. N’aggravons pas les choses.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement DN427 de Mme Delphine Lingemann.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il est satisfait.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Il porte sur un cas trop particulier. Demande de retrait.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN641 de Mme Sabine Thillaye.

Mme Delphine Lingemann (Dem). En cas de conflit de haute intensité qui toucherait l’Union européenne ou l’Otan, la logique d’alliance voudrait que les stocks stratégiques au niveau européen soient prévus à une plus grande échelle.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. La proposition de règlement relatif à la mise en place de l’instrument destiné à renforcer l’industrie européenne de la défense au moyen d’acquisitions conjointes (Edirpa) est en discussion au Parlement européen. Elle devrait être adoptée à la fin de l’année. Dès lors, il semble délicat d’y faire référence dans la loi.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN672 de Mme Delphine Lingemann.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il est satisfait : en cas de réquisition, il sera procédé à une indemnisation en cas de dommage. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Là encore, le degré de précision de l’amendement est trop élevé. Demande de retrait.

L’amendement est retiré.

 

L’amendement DN482 de Mme Delphine Lingemann est retiré.

 

Amendement DN865 de M. Jean-Michel Jacques.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il est destiné à tirer les conséquences de l’abrogation de l’article L. 2234‑22 du code de la défense. Cette abrogation a pour effet direct de rétablir la compétence de droit commun du juge administratif en matière de contestation du montant des indemnités proposées par l’autorité administrative à une personne faisant l’objet d’une mesure de réquisition au titre du code de la défense.

Dans un souci de cohérence générale, il paraît nécessaire de consacrer la compétence du juge administratif lorsque les indemnités sont dues en contrepartie d’une réquisition des personnes et des biens prononcée afin de mettre fin au danger ou à l’entrave prolongée à l’exercice des activités maritimes, littorales ou portuaires résultant d’un navire abandonné, ou en vue d’assurer le sauvetage d’une épave maritime.

M. Sébastien Lecornu, ministre. C’est cohérent. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

 

Elle adopte l’article 23 modifié.

 

Article 24

 

Amendement DN348 de M. Bastien Lachaud.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Au préalable, je voudrais revenir sur le choix qui a été fait de prolonger la réunion d’hier soir bien au-delà d’une heure raisonnable. Voyez comme nous avançons vite ce matin : il est clair que nous finirons tôt aujourd’hui. Beaucoup d’amendements ne sont pas défendus, peut-être parce que leurs auteurs étaient trop fatigués pour venir. Nous avions donc raison de refuser d’aller jusqu’à deux heures du matin. La plupart d’entre nous sommes fatigués, bafouillons. Nos travaux auraient été de meilleure tenue si nous avions fini bien avant minuit.

Mme Josy Poueyto (Dem). Cette intervention est inutile !

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Jugez de l’utilité de mes propos autant que vous le voudrez, mais laissez-moi parler.

Monsieur le président, vous avez fait un choix hier ; nous l’avons désapprouvé ; les faits nous donnent raison. Ce choix était dommageable pour nos travaux, que nos concitoyens sont bien moins nombreux à pouvoir suivre à deux heures du matin.

L’amendement tend à ajouter aux composants les munitions et équipements fabriqués, en tant qu’éléments constitutifs de la sécurité des approvisionnements pour la continuité des missions des forces armées. Il s’agit d’éviter le flou sémantique induit par les seules expressions « matières » et « composants d’intérêt stratégique ».

M. le président Thomas Gassilloud. Hier, nous nous sommes arrêtés à une heure et non à deux heures. Cette prolongation d’une heure seulement était précisément destinée à garantir la bonne tenue des débats en évitant de nous contraindre ce soir-là. Les amendements non défendus aujourd’hui émanent des groupes Écologiste, GDR et LIOT, qui étaient déjà absents hier en fin de soirée.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Vous auriez donc pu anticiper le fait que nous avancerions plus vite aujourd’hui.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis défavorable à l’amendement : ce sont les armées qui constituent les stocks de munitions ou d’équipements, non les entreprises.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Demande de retrait ou avis défavorable. L’article porte sur les matières premières. Si on ajoute les munitions, viendront ensuite les missiles, et ainsi de suite. Parler de stocks de produits complètement terminés modifie la philosophie du texte.

Je propose donc que soit ajoutée, après « composants », la précision « semi-finis ». Le rapporteur pourrait le faire en vue de la séance, au nom de la commission.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Nous allons nous donner le temps de la réflexion et étudier les conséquences inaperçues de notre amendement ; il est possible que vous ayez raison.

L’amendement est retiré.

 

Amendement DN867 de M. Jean-Michel Jacques.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il est proposé de consacrer dans la loi la nécessité pour l’État de réexaminer périodiquement les sujétions qu’il a imposées aux industriels par voie d’arrêté.

Compte tenu des délais de production des équipements militaires, le réexamen aurait lieu au moins une fois tous les deux ans. Il pourrait conduire à ne pas renouveler la mesure si celle-ci n’est plus nécessaire.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Favorable. Par conséquent, je demanderai le retrait de l’amendement suivant de Mme Lingemann, qui sera ainsi satisfaite.

M. Christophe Blanchet (Dem). Je ne voudrais pas que ceux qui suivent nos travaux pensent que nous aurions mal travaillé parce que nous aurions levé la réunion à une heure ce matin. Vous étiez peut-être fatigués hier soir, cela arrive. Nous ne l’étions pas et si nous devons passer nos nuits à défendre l’intérêt de nos forces armées, nous le ferons. C’est d’ailleurs ce que vous faites, mais pour d’autres débats, dans l’hémicycle.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Nous sommes, par principe, défavorables à la tenue de séances jusqu’à tard dans la nuit. Cela étant, nous sommes endurants, ne vous inquiétez pas, et nous sommes capables d’organiser un tour de parole. Vous aurez aussi remarqué que nous ne sommes pas épuisés et que la défense de nos amendements progresse bien.

Nous avons certes remarqué les absences de M. Cormier-Bouligeon, mais nous ne nous en sommes pas formalisés. Il est fait, lui aussi, de deux bras et de deux jambes et il a besoin de reconstituer sa force de travail, comme n’importe quel prolétaire.

La commission adopte l’amendement.

 

L’amendement DN674 de Mme Delphine Lingemann est retiré.

 

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels DN835, DN831, DN832 et DN837 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Elle adopte l’article 24 modifié.

 

Article 25

 

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels DN875 et DN878 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

La commission adopte l’article 25 modifié.

 

Article 26

 

L’amendement DN155 de M. Jean-Pierre Cubertafon est retiré.

 

La commission adopte les amendements identiques rédactionnels DN912 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur, et DN350 de M. Bastien Lachaud.

 

Elle adopte l’amendement rédactionnel DN913 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

L’amendement DN670 de Mme Delphine Lingemann est retiré.

 

M. Laurent Jacobelli (RN). Nous ne voterons pas pour l’article 26, non pas que le sujet ne soit pas crucial, pour le domaine militaire comme civil, mais parce que nous comptons déposer des amendements en séance publique et que nous aviserons en fonction du sort qui leur sera réservé.

 

La commission adopte l’article 26 modifié.

 

Article 27

 

Amendement DN351 de M. Aurélien Saintoul.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Nous vous proposons de remplacer la mention « les services de l’État » par « les militaires » afin de réserver la lutte contre les drones aux seuls militaires, en coordination avec le rapport annexé dans lequel il est précisé que la posture permanente de sûreté aérienne, assurée par l’armée de l’air et de l’espace, est étendue à la lutte contre les drones.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Avis défavorable. Cette disposition serait trop limitative.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Défavorable.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Pour le dire autrement, nous ne sommes pas rassurés à l’idée que n’importe quel service de l’État puisse être engagé dans la lutte contre les drones. Si vous le jugez nécessaire, nous sommes d’accord pour accorder des moyens supplémentaires à l’armée de l’air et de l’espace qui assure la posture permanente de sûreté aérienne.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Que craignez-vous, Monsieur le député ? Les services de l’État comprennent des militaires, des militaires de la gendarmerie ou des policiers.

M. le président Thomas Gassilloud. La notion de militaire renvoie à un statut, pas à une fonction. Précisez votre pensée.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Nous ne sommes pas rassurés à l’idée que de telles missions soient confiées au ministère de l’intérieur. C’est aujourd’hui une sorte de canard sans tête, avec un ministre qui laisse la bride sur le cou à ses services, indépendamment des réels besoins de la sécurité publique. Nous préférerions, parce que nous avons toute confiance en nos militaires, que cette mission soit confiée aux armées.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Je suis choqué par les propos de M. Saintoul, qui ne sont pas à la hauteur des débats. Les policiers, les gendarmes, les agents pénitentiaires aussi, sont dignes de confiance et ne méritent pas que vous les dénigriez ainsi.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Monsieur Jacques, vous êtes plus éloquent pour nous faire part de vos émotions que pour nous donner des arguments de fond. Cela fait plusieurs jours que cela dure et nous en avons assez.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Il semble assez facile de comprendre qu’il faille fournir des moyens de réaction aux agents pénitentiaires si un drone survole une prison, ou aux policiers et aux gendarmes pendant les Jeux olympiques. Mais si vous avez besoin que je le réexplique, je le ferai autant que de besoin.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Vous êtes beaucoup plus intéressant quand vous répondez sur le fond.

M. Mounir Belhamiti (RE). Une nouvelle fois, les députés de La France insoumise attaquent les fonctionnaires du ministère de l’intérieur qui assurent la sécurité de tous nos concitoyens, la leur comprise. Ces insultes sont abjectes mais hélas, ils en sont coutumiers. Le rôle des armées n’est pas de sécuriser tous les périmètres civils du territoire. On ne va pas mobiliser des Rafale pour s’assurer que des drones ne survolent pas les aéroports parisiens ! Les services de l’État sont compétents en la matière et nous pouvons leur faire confiance pour mener à bien cette mission. Vous injuriez le professionnalisme de nos fonctionnaires et je suis choqué par vos propos.

M. Michaël Taverne (RN). La psychologie de La France insoumise est simple à comprendre : ils visent les policiers du matin au soir. Mais M. Louis Boyard est bien content de bénéficier d’une protection policière, bien que, selon lui, les policiers tuent.

Revenez donc sur terre. Les policiers, ce sont des professionnels, des pères de famille, des gens qui s’attachent à défendre l’intérêt général.

M. Sébastien Lecornu, ministre. La limitation que vous proposez aurait des conséquences lourdes pour le ministère des armées. Ainsi, les 3 000 gendarmes placés auprès du ministre des armées ne pourraient pas détruire un drone qui s’approcherait d’une zone d’intérêt vital.

Je vous relis l’article qu’il est prévu d’insérer dans le code de la sécurité intérieure : « Les services de l’État peuvent utiliser des dispositifs désignés par arrêté du Premier ministre destinés à rendre inopérant ou neutraliser un aéronef circulant sans personne à bord, en cas de menace imminente, pour les besoins de l’ordre public, de la défense et la sécurité nationales ou du service public de la justice ou afin de prévenir le survol par un tel aéronef d’une zone mentionnée à l’article L. 6211-4 du code des transports ». Je ne comprends pas pourquoi cette disposition vous heurte. C’est le cadre d’emploi qui compte et non la couleur de l’uniforme de celui qui agit.

Quant au rapporteur, non seulement il fait très bien son travail, mais nous devrions nous réjouir d’avoir à nos côtés, pour examiner le projet de loi de programmation militaire, un homme qui a été cité en Afghanistan et qui porte sa médaille militaire. (Applaudissements des députés des groupes Renaissance, Rassemblement national, Les Républicains, Démocrate et Horizons et apparentés).

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Je retire l’amendement car il est mal formulé et m’abstiendrai de tout commentaire pour le reste. Nos critiques portent sur la conduite politique du ministère de l’intérieur et non sur l’institution de la police à laquelle nous sommes attachés. Il est facile de faire des procès d’intention. Nous sommes bien conscients que les fonctionnaires du ministère de l’intérieur sont des agents de l’État comme les autres, qui doivent être défendus de la même manière. (M. Laurent Jacobelli s’exclame.)

Est-ce que la police a causé des morts dans ce pays, Monsieur Jacobelli ? Vos interpellations sont obscènes, parce que vous cherchez à faire de la basse politique sur la mort de certains de nos concitoyens.

M. Laurent Jacobelli (RN). L’obscénité, c’est de recevoir des leçons de la part de gens qui instrumentalisent les faits de quelques-uns pour jeter dans la boue une institution à laquelle nous sommes tous attachés sur ces bancs, sauf vous. Les policiers en ont assez que vous les stigmatisiez du matin au soir, à toutes les occasions, même s’il faut bien chercher pour en trouver une, comme aujourd’hui. C’est votre marotte, votre obsession. Vous détestez la police, assumez-le.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Nous détestons les abus de pouvoir, Monsieur Jacobelli.

L’amendement est retiré.

 

La commission adopte l’article 27 non modifié.

 

Article 28

 

La commission adopte l’amendement rédactionnel DN840 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Elle adopte l’article 28 modifié.

 

Article 29

 

Amendement DN352 de M. Bastien Lachaud.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Nous souhaitons supprimer la possibilité de recourir à des acteurs non étatiques privés pour une intervention importante dans le domaine de la protection contre tout acte de malveillance ou perte des matières nucléaires et des sources de rayonnements ionisants. La logique de marchandisation n’a pas lieu d’être, spécialement dans des secteurs aussi sensibles. Des dérogations très encadrées peuvent être prévues, dans des conditions définies par décret en Conseil d’État.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Le texte prévoit déjà la possibilité d’interdire. Je préfère qu’on fasse confiance à l’administration et qu’on lui laisse une marge d’appréciation. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements DN353 de M. Aurélien Saintoul, DN354 de M. Bastien Lachaud et DN355 de M. Aurélien Saintoul.

La commission adopte l’article 29 non modifié.

 

Après l’article 29

 

Amendement DN356 de M. Bastien Lachaud.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Il s’agit de demander au Gouvernement un rapport sur la sous-traitance par les armées des activités liées à la production, l’utilisation, l’entretien et le traitement de matière nucléaire ainsi que sur ses effets pour la sûreté des infrastructures militaires françaises.

Nous déplorons souvent qu’il soit recouru si largement à la sous-traitance dans le domaine du nucléaire civil, ce qui pourrait avoir de graves conséquences pour la sûreté du personnel, du public et des installations. Dans le domaine du nucléaire militaire, nous voulons avoir des garanties et des éléments d’informations précis sur les décisions qui sont prises.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Cette problématique dépasse largement le seul domaine du nucléaire de défense puisqu’un dispositif similaire est prévu dans le code de l’environnement pour le nucléaire civil. Avis défavorable.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Même avis.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Je comprends bien que le sujet dépasse le nucléaire de défense mais ce n’est pas une raison pour ne pas nous y intéresser, quitte à ce que d’autres commissions s’y penchent aussi, par exemple celle des affaires économiques pour la sous-traitance dans le nucléaire civil.

La commission rejette l’amendement.

 

Article 30

 

La commission adopte l’article 30 non modifié.

 

 

Article 31

 

La commission adopte l’amendement rédactionnel DN879 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement DN158 de M. Pierrick Berteloot.

 

Compte tenu de l’avis défavorable du rapporteur, l’amendement DN750 de M. Jean-Marie Fiévet est retiré.

 

La commission adopte l’article 31 modifié.

 

La réunion, suspendue à dix heures quarante, est reprise à onze heures.

 

M. le président Thomas Gassilloud. Nous en arrivons aux articles 32, 33, 34 et 35, qui ont été délégués au fond à la commission des lois. En effet, deux commissions se sont saisies pour avis, la commission des finances et la commission des affaires étrangères, mais j’avais choisi de déléguer au fond quatre articles à la commission des lois. Je remercie la rapporteure pour avis Sabine Thillaye de son travail sur ces articles.

S’agissant d’articles délégués, l’usage veut que notre commission ne revienne pas sur la décision de la commission des lois. Nous devrons tout de même formellement voter les articles et je donnerai la parole à ceux qui souhaitent s’exprimer.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis de la commission des lois. La loi de programmation militaire dont nous débattons depuis le début de la semaine comprend un chapitre consacré à la sécurité des systèmes d’information, qui compte lui-même quatre articles. C’est ce sujet, qui concerne au plus près les libertés publiques, qui a fait l’objet d’une délégation à la commission des lois et j’ai l’honneur d’avoir été désignée rapporteure pour avis.

Les articles 32, 33 et 34 prévoient de créer de nouveaux dispositifs dans notre droit, tandis que l’article 35 prolonge les dispositions d’ores et déjà votées et éprouvées par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) et les acteurs du numérique.

Ce texte témoigne de la difficulté parfois à légiférer. Il faut assurer la sécurité nationale contre des organisations qui n’ont plus rien à voir avec le gentil hacker qui trafiquait seul dans son garage. Ce faisant, les mesures prises doivent respecter la liberté d’entreprendre et ne pas créer de distorsions de concurrence. Enfin, nous devons veiller au respect des libertés fondamentales. Ces trois dimensions doivent être traitées de façon équilibrée.

L’article 32 permet à l’Anssi, en cas de menace susceptible de porter atteinte à la sécurité nationale, de prescrire plusieurs mesures graduelles affectant les noms de domaine, en particulier leur blocage ou leur suspension.

Aux fins de détection et de caractérisation des attaques informatiques, l’article 33 permet aux agents de l’Anssi d’être destinataires des données techniques non identifiantes enregistrées sur les serveurs des fournisseurs de systèmes de résolution de noms de domaine.

L’article 34 renforce les exigences de transparence qui s’appliquent aux éditeurs de logiciels en contraignant ces derniers à informer l’Anssi et leurs utilisateurs en cas de vulnérabilité significative ou d’incident informatique compromettant la sécurité de leurs systèmes d’information.

Enfin, l’article 35 prévoit plusieurs dispositions pour renforcer les capacités de détection des cyberattaques et l’information des victimes. En particulier, il devrait permettre à l’Anssi, en cas de menace grave sur les systèmes d’information des autorités publiques et des opérateurs stratégiques, de mettre en œuvre des dispositifs de recueil de données. D’autre part, ce même article rend obligatoire, pour les opérateurs de communications électroniques stratégiques, l’installation de systèmes de détection des attaques informatiques.

Quatre-vingt-onze amendements ont été discutés en commission des lois, dont t quarante-six ont été adoptés. L’ensemble de ces amendements s’inscrit dans un objectif de clarification et d’encadrement des prérogatives dévolues à l’Anssi.

 

Article 32 (examen délégué) (Art. L. 2321-2-3 [nouveau] du code de la défense) : Prescription par l’ANSSI de mesures affectant les noms de domaine en cas de menace susceptible de porter atteinte à la sécurité nationale

 

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. À l’article 32, la commission a souhaité que l’Anssi tienne compte, lorsqu’elle s’adresse à un titulaire de nom de domaine de bonne foi, de sa nature et de ses contraintes opérationnelles. Elle a assoupli le délai d’application des mesures de blocage en prévoyant une concertation préalable des opérateurs ainsi qu’un délai minimal de deux jours ouvrés. Elle a réduit la durée de conservation des données collectées et souhaité prévoir un avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) avant la prise du décret d’application de l’article.

Mme Mélanie Thomin (SOC). J’ai déposé un amendement DN974 à l’article 35, qui a été adopté en commission des lois. Les pouvoirs qui sont conférés à l’Anssi ne sont pas anodins. On peut s’interroger sur les effets concrets qu’aura l’élargissement proposé. C’est pourquoi nous défendrons en séance la suppression de l’article 35.

Nous souhaitons également que l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) rende un avis conforme préalablement à l’exercice de ces pouvoirs. La concurrence des cadres réglementaires invite à la prudence. La justification que vous avez avancée est louable – prévenir efficacement les attaques cyber contre les administrations publiques – mais le contrôle de ces pratiques devrait relever de l’Arcep et non de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qui intervient pour les services de renseignement. Enfin, la Cnil n’a pas été consultée s’agissant de ces articles et aucun avis de l’Arcep ne nous a été communiqué. Nous serons donc très vigilants lors de l’examen en séance publique.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Vous aurez remarqué que la commission des lois a pris la mesure du sujet et a souhaité circonscrire le périmètre de l’article 35. Les décrets d’application détailleront les mesures et la Cnil sera systématiquement sollicitée. De nombreuses garanties entourent cet article et rien ne justifie qu’il soit supprimé. Nous avons par exemple maintenu l’assermentation des agents de l’Anssi. Prenons garde, cependant, à ne pas confondre : l’Anssi n’est pas un service de renseignement.

 

La commission adopte successivement les amendements DN932, DN933, DN934, DN935, DN936, DN937, DN938, DN939, DN940, DN941, DN942, DN944, DN943, DN945 et DN947 de la commission des lois.

 

Elle adopte l’article 32 modifié.

 

Article 33 (examen délégué) (Art. L. 2321-3-1 [nouveau] du code de la défense) : Transmission à l’ANSSI de données techniques non identifiantes aux fins de détection et de caractérisation des attaques informatiques

 

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. L’article 33 permet de transmettre des données non identifiantes à l’Anssi. La commission des lois a adopté plusieurs amendements visant à préciser sa portée.

Ces amendements disposent en particulier que les prérogatives nouvelles offertes à l’Anssi se justifient par les seules finalités de garantie de la défense et de la sécurité nationale, que les données collectées au titre de cet article sont conservées pendant cinq ans, qu’elles ne peuvent comprendre les données relatives aux adresses IP source et, enfin, que le décret d’application de l’article est pris après avis de la Cnil.

 

La commission adopte successivement les amendements DN948, DN949, DN951, DN953, DN952, DN954 et DN955 de la commission des lois.

 

Elle adopte l’article 33 modifié.

 

Article 34 (examen délégué) (Art. L. 2321-4 [nouveau] du code de la défense) : Obligation d’information de l’ANSSI et des utilisateurs par les éditeurs de logiciel en cas de vulnérabilité significative ou d’incident informatique

 

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Dans le même souci d’assurer la proportionnalité du dispositif tout en maintenant son efficacité opérationnelle, la commission des lois a adopté plusieurs amendements à l’article 34. Elle a voulu préciser que les incidents informatiques nécessitant une information de l’Anssi sont ceux qui compromettent significativement la sécurité des systèmes d’information des éditeurs. Elle a souhaité restreindre l’obligation d’information qui s’applique à ces mêmes éditeurs, en la limitant uniquement aux utilisateurs professionnels dans un délai fixé par l’Anssi. Pour plus de clarté, la commission a voulu définir l’incident informatique et prévoir un avis de l’Arcep avant la prise du décret d’application, lequel devra préciser les critères d’appréciation du caractère significatif de la vulnérabilité ou de l’incident en fonction des pratiques et des standards internationaux communément admis.

 

La commission adopte successivement les amendements DN958, DN959, DN960, DN961, DN963 et DN964 de la commission des lois.

 

Elle adopte l’article 34 modifié.

Article 35 (examen délégué) (Art. L. 2321-2-1, L. 2321-3 et L. 2321-5 du code de la défense, art. L. 33-14, L. 36-7 et L. 36-14 du code des postes et des communications électroniques) : Renforcement des capacités de détection des cyberattaques et d’information des victimes

 

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. À cet article, la commission des lois a souhaité préciser les modalités de recours à la technique de recueil de données en n’autorisant ce recours, ainsi que l’usage de marqueurs techniques, que pour garantir la défense et la sécurité nationales. La commission a également voulu que le décret d’application soit pris après avis de l’Arcep et de la Cnil et qu’il précise les informations et les catégories de données conservées dans le cadre du recueil de données. Enfin, elle a maintenu la procédure d’assermentation des agents de l’Anssi chargés de procéder au recueil, que l’article proposait de supprimer.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Je remercie la commission des lois d’avoir adopté l’amendement DN974 dont je suis l’auteure et qui vise à maintenir l’exigence d’assermentation des agents de l’Anssi, ce qui est d’autant plus important que les pouvoirs de cette institution sont renforcés.

 

La commission adopte successivement les amendements DN971, DN965, DN972, DN966, DN974, DN967, DN968, DN969 et DN970 de la commission des lois.

 

Elle adopte l’article 35 modifié.

 

Après l’article 35

 

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. La commission des lois a enfin adopté un amendement de M. Latombe, qui prévoit de nouvelles obligations de protection des données sensibles des opérateurs stratégiques. D’une part, il est imposé aux opérateurs d’intérêt vital et opérateurs de services essentiels de tenir une liste des traitements de données sensibles. D’autre part, ces mêmes opérateurs sont contraints de faire opérer les traitements de données sensibles par des sociétés établies au sein d’un pays de l’Union européenne.

Cet amendement est arrivé tardivement. J’y ai donné un avis favorable mais j’espère que nous trouverons une meilleure rédaction pour la séance.

M. Mounir Belhamiti (RE). L’intention est bonne, mais la rédaction mérite d’être revue. Le groupe Renaissance s’opposera à cet amendement.

Mme Josy Poueyto (Dem). Pour notre part, nous nous abstiendrons.

M. le président Thomas Gassilloud. Il est d’usage, et c’est le principe même de la délégation, que la commission qui est à l’origine de cette délégation suive la position de celle à qui elle a délégué l’examen d’une partie du texte. Il ne s’agit pas là pour autant d’un engagement politique et cela n’obère en rien notre liberté de voter comme nous l’entendrons lors de l’examen du texte en séance publique.

 

La commission adopte l’amendement DN973 de la commission des lois.

 

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. On parle très souvent du lien armée-nation, mais nous avons également besoin de liens entre la commission de la défense nationale et des forces armées et les autres commissions permanentes.

 

Article 36

 

M. le président Thomas Gassilloud. Nous en arrivons au dernier article de ce projet de loi, qui lui n’a pas été délégué.

 

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels DN880, DN881, DN882, DN883, DN884, DN885, DN886, DN887 et DN888 de M. Jean-Michel Jacques, rapporteur.

 

Elle adopte l’article 36 modifié.

 

Mme Anne Genetet (RE). Je tiens à saluer l’excellente qualité des débats et à en remercier le président de notre commission. Je remercie également notre rapporteur et notre ministre pour leurs éclairages et leurs précisions très utiles. Le travail approfondi, serein et apaisé que notre commission a mené cette semaine, avec parfois des divergences de vues, mais qui n’ont jamais gêné le débat, a été un bel exemple d’exercice démocratique.

Le groupe Renaissance salue en particulier les nombreuses précisions apportées par le ministre à propos notamment de l’équilibre budgétaire subtil et délicat à atteindre et de l’objectif consistant à porter le budget de la mission Défense à 2 % du PIB entre 2025 et 2027. Des annonces ont également renforcé le texte, comme le plan « blessés » et l’arrêté publié juste avant nos débats qui met fin à la discrimination visant les personnes séropositives.

Nos débats ont également fait progresser texte sur d’autres axes. Nous avons ainsi réitéré notre engagement à poursuivre l’effort entrepris pour améliorer les conditions de vie des militaires et des civils de la défense, ainsi que celles de leurs familles. Des efforts significatifs, avec notamment l’amendement de notre collègue Chenevard sur la partie indiciaire de la rémunération, ont été engagés pour remporter la bataille indispensable de l’attractivité et de la fidélisation de ces métiers.

Pour ce qui concerne également le visage de nos armées, nous avons rappelé, répété et inscrit dans la loi notre ambition d’une plus grande diversité et d’une meilleure représentation des femmes et de nos concitoyens ultramarins.

Nous avons également renforcé la crédibilité de nos armées avec des moyens renforcés et amplifiés – malgré les débats que nous avons eus sur ce dernier terme.

Nous avons réaffirmé, avec les moyens que nous avons votés cette semaine, la fiabilité de notre pays auprès de ses partenaires et alliés de l’Union européenne et de l’Otan.

Nous avons aussi réaffirmé nos ambitions pour nos armées à l’international, en consacrant dans le texte la fonction stratégique « influence » et en promouvant la mobilité internationale des militaires. Je vous remercie, Monsieur le ministre, d’avoir accordé une grande attention à ce point important, source de reconnaissance pour nos militaires. Nous avons ainsi rappelé que la France est un acteur clé de la défense de l’Europe, tout en restant un allié loyal et exemplaire au sein de l’Otan, en vue du renforcement du pilier européen de cette alliance.

Nous avons, et je remercie Christophe Blanchet pour les nombreux amendements qu’il a portés en ce sens, renforcé notre ambition pour les réserves en intensifiant leur emploi et en soutenant leur engagement.

Nous avons renouvelé notre ambition pour notre BITD, en inscrivant dans le texte plusieurs objectifs, dont l’amélioration de son financement et le soutien aux petites et moyennes entreprises, notamment à celles qui sont innovantes, car l’innovation vient souvent des petites structures. Nous avons également souligné l’importance de la relocalisation des filières stratégiques, des moyens de production et des savoir-faire sur le territoire national, ainsi que du développement et de la protection des filières souveraines dans divers domaines tels que le quantique.

Nous avons encore consolidé le contrôle des investissements étrangers et de la lutte contre les tentatives d’ingérence étrangère et de manipulation de l’information.

L’information et le contrôle du Parlement ont également été renforcés par nos travaux, que ce soit au moyen des rapports programmés, du vote du Parlement sur l’actualisation prévue à l’article 7 ou des précisions apportées aux articles 8 et 9.

Enfin, nous avons rappelé l’impact du changement climatique et notre souci de le prendre en compte dans la stratégie militaire française.

Nous sommes convaincus de la cohérence entre les engagements budgétaires présentés ici, les moyens déployés et le calendrier retenu. Le groupe Renaissance votera donc cette loi de programmation militaire qui nous permettra de conforter nos fondamentaux, de transformer nos armées pour conserver notre supériorité opérationnelle, de renforcer la cohérence, la préparation et la réactivité des armées françaises et d’améliorer les conditions de vie et de travail des militaires et des civils de la défense et de leurs familles.

M. Laurent Jacobelli (RN). Je tiens moi aussi à souligner la qualité des débats. Ayant eu l’occasion de siéger dans d’autres commissions, je peux témoigner que les joutes y sont parfois beaucoup plus politiciennes qu’ici où, malgré quelques écarts, nous avons eu des discussions de fond très intéressantes. C’est du reste normal, car l’examen d’une feuille de route de sept ans pour nos armées est un sujet important.

De nombreux points restent toutefois en suspens, suivant le souhait de M. le ministre de réétudier certains amendements. Ne mettons donc pas la charrue avant les bœufs : notre groupe ne se prononcera sur cette loi de programmation militaire que lorsque nous aurons étudié l’ensemble de ces amendements. Il est en effet important de bien placer le curseur en termes de financement, avec le cadencement et les marches, en termes de ressources humaines, avec les questions touchant aux indices, aux familles et au logement des militaires, et en termes de coopération avec nos partenaires européens, malgré les limites qu’ont fait apparaître les travaux de notre commission.

Pour toutes ces raisons et par respect pour le travail constructif que nous avons accompli, nous déterminerons dans l’hémicycle notre vote sur cette loi de programmation militaire. Nous nous abstiendrons aujourd’hui, sans qu’il faille toutefois interpréter cette abstention au-delà des raisons que je viens d’exposer.

M. Bastien Lachaud (LFI-NUPES). Nous travaillons sur ce texte depuis maintenant trois jours et sans doute aurions-nous pu le faire dans de meilleures conditions encore, en prenant davantage le temps pour chaque sujet. Il s’agit en effet d’un texte qui engage la nation pour sept ans, avec des budgets très importants – 413 milliards d’euros. La question se posera donc à nouveau en séance.

Certes, le ministre a apporté des réponses, mais il en a également renvoyé de nombreuses à l’examen du texte en séance publique, admettant lui-même que le rapport annexé pouvait être enrichi et amélioré, ne serait-ce que parce que les négociations sont encore en cours avec les industriels. Je ne sais pas si le travail de préparation de cette LPM a été précipité, mais le fait est que nous devrons procéder en séance à ces enrichissements et précisions, par exemple dans le domaine de l’optique spatiale, où la question du capacitaire entre 2030 et 2032 n’est toujours pas réglée. Nous espérons que le ministre fera les annonces qu’il nous a promises.

Si le travail sur la LPM n’a pas été précipité, peut-être son inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée l’a-t-elle été quelque peu. Peut-être eût-il mieux valu attendre quelques jours la fin des négociations avec les industriels, ce qui aurait permis de nous présenter un document complet et précis. L’examen du texte en séance, pendant quinze jours, nous permettra certainement d’apporter ces précisions – de vérifier que le SNU ne fait pas planer un danger sur la LPM, que le financement des patchs est bien assuré. Surtout, nous pourrons échanger avec l’ensemble de nos collègues, notamment les membres de la commission des affaires étrangères, à propos de notre vision stratégique du monde, afin de déterminer quel modèle d’armée y est le plus adapté. Ce débat intéressant mettra au jour plusieurs projets alternatifs.

Pour élaborer une LPM, il n’était, selon nous, pas nécessaire d’aller aussi vite que le Gouvernement a voulu le faire. En tout état de cause, au vu des incertitudes qui demeurent et des questions qui ont été renvoyées à la séance, il est impossible pour notre groupe de se prononcer sur ce texte. Nous ne participerons donc pas au vote.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Le parti des héritiers du général de Gaulle ne peut évidemment pas s’opposer à une loi de programmation militaire qui prévoit une augmentation de 30 % des budgets. C’est une loi qui préserve l’essentiel, la dissuasion, une loi de cohérence et une loi qui préserve les grands programmes.

Je regrette toutefois, comme je l’ai également écrit dans la presse, que la situation de nos finances publiques ne nous permette pas de faire mieux. À ce stade, ce sont donc les débats qui se tiendront en séance publique qui détermineront la position de notre groupe. À titre personnel cependant, compte tenu des avancées obtenues, notamment hier, et de l’écoute dont ont fait preuve le rapporteur et le ministre, je voterai pour ce texte en commission.

Mme Josy Poueyto (Dem). Je salue l’excellente tenue de nos débats tout au long de l’examen du texte par notre commission. Je tiens aussi à remercier M. le ministre d’avoir été en permanence à nos côtés et d’avoir été aussi percutant et convaincant dans ses explications, en recherchant constamment la coconstruction – et avec un style tout personnel.

J’associe à mes remerciements le rapporteur, le président et l’ensemble des collaborateurs des cabinets et de chacun des groupes de notre commission, ainsi que les administrateurs qui, par la qualité de leur travail, nous ont permis de débattre en connaissance de cause et avec objectivité.

Rendez-vous maintenant dans l’hémicycle, où le groupe Démocrate votera ce texte sans états d’âme et avec enthousiasme. Nous formons le vœu que cette LPM ambitieuse et historique soit adoptée avec la majorité que méritent nos armées, notre BITD et toutes celles et tous ceux qui s’engagent professionnellement, civilement ou volontairement. C’est la juste reconnaissance que nous leur devons et je ne doute pas que nous en serons tous conscients.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Le groupe Socialistes et apparentés tient lui aussi à souligner la qualité de nos débats. Nous avons particulièrement apprécié, Monsieur le ministre, votre disponibilité durant l’ensemble des travaux et le respect des prises de parole de tous les membres de notre commission, dans leur diversité. Chaque suggestion et proposition d’amendement mérite en effet d’être débattue et nous sommes très attachés au respect de chacune.

Cette loi de programmation militaire est fondamentale pour notre nation et c’est la raison pour laquelle notre groupe s’est particulièrement investi dans ces travaux. Cet engagement pour sept ans appelle une réflexion qu’il ne faut pas prendre à la légère, qu’il s’agisse du volet financier ou des dispositions normatives. Le groupe socialiste est en outre particulièrement attaché aux garanties concrètes qui nous seront fournies quant à la condition des militaires et des personnels de la défense.

Nous réservons notre vote en séance, compte tenu des nombreuses clauses de revoyure que vous avez proposées tout au long des débats. Vous avez pris, Monsieur le ministre, Monsieur le rapporteur, plusieurs engagements à propos des amendements que nous allons retravailler, et nous sommes donc dans l’attente des garanties correspondantes. Notre groupe s’abstiendra donc lors du vote en commission.

Je dois enfin exprimer notre inquiétude à propos du temps dont nous disposerons avant la date et l’heure limite de dépôt des amendements, car le jour férié que compte la semaine prochaine est un handicap qui obligera nos équipes à travailler dans des délais restreints.

M. Jean-Charles Larsonneur (HOR). Mes collègues du groupe Horizons et moi-même tenons à remercier chaleureusement notre président et notre rapporteur, ainsi que le ministre, qui a étroitement associé les parlementaires à la réflexion sur ce texte, ce qui a permis d’alimenter très sainement notre débat. Je remercie également tous les collaborateurs des députés et des groupes, ainsi que les administrateurs de l’Assemblée.

La tenue de ce débat a été exemplaire, comme l’ont déjà noté les orateurs précédents. Elle n’est pas indigne des femmes et des hommes de nos armées, militaires et civils de la défense. Souhaitons que cette bonne tenue inspire également les débats qui se tiendront en séance publique dans l’hémicycle.

Nous avons sous les yeux un texte sérieux et cohérent, à la hauteur du défi de la modernisation qui attend nos armées. Le groupe Horizons le votera donc en l’état.

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Le groupe Écologiste-NUPES s’abstiendra, en espérant qu’un travail sera mené d’ici à la séance publique. Je soulignerai cinq points et ferai une remarque.

Tout d’abord, nous contestons certaines orientations stratégiques. La première est la dissuasion nucléaire, dont le coût pèse très lourd dans le budget, sans même parler de son coût éthique et moral.

La deuxième est la construction d’un nouveau porte-avions, qui grève elle aussi lourdement le budget pour une dépense de pur prestige. Ce porte-avions sera peu opérationnel, puisqu’il en faudrait trois pour assurer la permanence à la mer. Nous ne disposons pas du budget nécessaire à cette fin, et celui qui sera construit ne disposera même pas des bâtiments que réclame la marine pour lui assurer une plus grande agilité et une plus grande présence à la mer, notamment aux abords des Outre-mer.

Je ne vois guère comment nous pourrions trouver d’ici à l’examen du texte en séance un point d’accord sur ces deux orientations que nous contestons. Assumons donc ce désaccord.

Nous pourrions peut-être progresser sur trois autres points.

Le premier est l’affirmation d’une autonomie stratégique européenne comme une fin en soi et comme le moyen de l’indépendance de la nation. Il s’agit là d’un objectif civilisationnel en soi, mais aussi d’un objectif d’efficacité, comme le montrent les réflexions de ma collègue Cyrielle Chatelain à propos des chaînes de production. En un mot, nous ne devons pas avoir la construction européenne honteuse.

Le deuxième est le contrôle parlementaire. Nous devons progresser dans la réduction de l’opacité, critiquée notamment par Amnesty International, et dans la prise en compte des droits humains lors des ventes d’armes. Nous devons éviter de reproduire des situations telles que celle nous avons connue en Égypte ou lors de l’utilisation au Yémen des armes que nous avions vendues à l’Arabie saoudite.

Le troisième est la prise en compte de la menace que représente le dérèglement climatique. La commission de la défense pourrait voir là un projet fédérateur pour notre pays : lutter contre le dérèglement climatique est beaucoup plus intéressant qu’un SNU stérile, hyper-coûteux et qui est, au fond, un caprice et inutile et une charge pour nos armées. Favoriser l’engagement volontaire pour la protection de la planète et des humains dans le cadre d’une réserve ou d’un service civique contribuerait à élever la force morale de la nation, à agir concrètement contre le dérèglement climatique et ses effets, qui touchent d’abord les plus vulnérables, et à décharger l’armée de missions de sécurité civile qui lui sont souvent confiées pour lui permettre de se consacrer à la défense du pays.

Une remarque, enfin : je salue les travaux menés au sein de cette commission car, pour en changer parfois, je peux témoigner que l’ambiance n’est pas toujours la même ailleurs – je pense en particulier à la commission des affaires économiques. Je salue également la présence et la disponibilité du ministre, ainsi que les réponses qu’il a apportées à nos questions – certes pas assez favorables, mais c’est le jeu. Une telle présence n’est cependant pas la norme sous l’actuel gouvernement, qui gagnerait à s’en inspirer.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Je souscris à tout ce qui a été dit à propos de la bonne tenue des débats. J’espère que ceux que nous aurons en séance seront aussi respectueux, pour nous permettre de confronter nos idées. C’est en effet de cette confrontation que vit la démocratie : si nous avions tous les mêmes idées, nous ne pourrions pas trouver de solutions à nos problèmes.

J’espère aussi que nous trouverons en séance, à propos du chapitre 5, le bon équilibre entre la sécurité nationale, nos libertés fondamentales et la facilité d’entreprendre laissée à nos entreprises. Un tel équilibre est toujours très difficile à trouver et nous devons savoir où placer le curseur.

Je vous remercie également de la confiance que vous nous avez accordée pour examiner un chapitre qui n’est pas facile, car très technique. Je prévois d’ailleurs de rendre prochainement visite à l’Anssi pour voir in situ comment elle fonctionne.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. La cinquantaine d’auditions auxquelles j’ai procédé, soit avec la commission soit en tant que rapporteur, m’a permis de prendre conscience de l’examen approfondi dont la préparation de cette LPM a fait l’objet de la part des services du ministère. Je salue ce travail. Je tiens également à vous remercier chaleureusement pour la tenue de ces débats et les échanges nourris que nous avons eus, marqués parfois par des désaccords, mais la plupart du temps très respectueux. Merci également à l’administration de l’Assemblée nationale qui a géré et accompagné ce débat. Mes pensées vont à toutes les femmes et tous les hommes qui travaillent pour le ministère de la défense, qu’ils soient militaires ou civils. Ce projet de loi dessine l’avenir de notre pays et la manière dont nous l’avons traité fait honneur à nos responsabilités.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Trois remarques au terme de cette semaine de débats. Le travail en commission avait, en réalité, démarré bien avant, avec les nombreuses auditions auxquelles nous avons procédé. Les travaux menés en commission à propos des crédits pour 2023 avaient également commencé à aiguiller la réflexion sur différents sujets, et l’ensemble des contributions parlementaires ont été utiles dans la préparation du texte initial.

Le texte ne sort cependant pas de commission comme il y est entré. Des précisions très utiles ont été apportées, tantôt techniques, tantôt budgétaires, tantôt militaires ou industrielles, et parfois aussi politiques. Toutefois, un important travail d’écriture reste à faire.

Je suis très heureux de faire ce travail avec vous, car ce n’est pas par hasard que l’on est membre de la commission de la défense ou ministre des armées : il y faut un goût, une appétence, et nous avons tous envie de bien faire.

J’ai toutefois une petite appréhension quant à la qualité des débats que nous aurons dans l’hémicycle, où je redoute une volonté de récupérer le texte à des fins plus politiques, au détriment peut-être d’une approche de fond. Je serai bien sûr à la disposition du Parlement et je ferai avec, mais je suis obligé de constater qu’entre les échanges menés en conférence des présidents ou en amont de l’étude d’impact et la qualité des débats que nous avons eus cette semaine, il y a deux ambiances radicalement différentes, qu’on ne peut ignorer. Que ce soit en matière de défense nationale ou de finances publiques, il est évidemment bien plus facile de travailler avec des personnes qui connaissent le dossier et qui ont vraiment envie d’avancer. J’espère donc que nous pourrons conserver cet état d’esprit, car nos armées ne méritent pas une surpolitisation déconnectée des questions de fond.

En deuxième lieu, il est très étonnant de constater que nos échanges ont porté sur des points certes pas mineurs, mais qui restent des modules accessoires de l’ensemble du texte, alors qu’il existe entre nous des divisions et des désaccords certes sains en démocratie, mais beaucoup plus clivants, brutaux et profonds qu’on ne le croit. Je ne peux pas ne pas voir que les échanges de cette semaine, par ailleurs intéressants et de bonne qualité, actent des divergences profondes quant aux relations extérieures, aux coopérations multilatérales et bilatérales ou aux organisations politiques et militaires dont la France est membre. Cela ne date pas d’hier, mais il faut l’assumer jusqu’au bout, et nos concitoyens doivent être éclairés à ce propos.

Comme je l’ai dit à de nombreuses reprises, nous ne pouvons pas déconnecter le format des armées françaises de nos alliances et des missions que nous voulons leur confier. Quelque intérêt que l’on ait pour les courbes, les marges frictionnelles et les recettes extrabudgétaires, ce qui fait, au bout du compte, le format de l’armée, c’est ce que le pouvoir politique en attend. Cette question n’a pas été traitée jusqu’au bout en commission, mais elle a été entendue et elle mériterait d’être approfondie. De fait, nous n’aurons pas la même armée selon que la France appartiendra ou non à l’Alliance atlantique, qu’elle possèdera ou non la dissuasion nucléaire ou qu’elle agira seule par principe ou acceptera de le faire avec d’autres. Bref je suis frappé de constater combien nous pouvons gratter sur certains détails tout en perdant de vue l’essentiel.

M. Bayou a rappelé plusieurs points sur lesquels nous ne convergerons pas. Au moins, comme je l’ai dit plus tôt à M. Roussel, vous n’avancez pas masqués. Sur les questions européennes et d’autres, je vous souhaite de bonnes conversations au sein de la NUPES. Je le dis sans malice. C’est le fruit d’un héritage politique : ainsi, chez les communistes, on est cohérent depuis 1960 ; dans le nom Europe Écologie-Les Verts, il y a « Europe ». On voit bien que les débats cachent des divergences beaucoup plus profondes. Néanmoins, en tant que citoyen et élu de l’Eure, je suis triste que nos concitoyens, en votant aux élections législatives, n’aient pas vu que les positions étaient aussi peu claires et aussi divergentes sur ces sujets de fond.

En troisième lieu, le travail doit continuer. J’ai pris de nombreux engagements ici, que je tiendrai bien évidemment. N’hésitez pas à nous relancer le cas échéant : si je n’avais pas voulu tenir ces engagements, je ne les aurais pas pris.

Il y a dans la rédaction du texte un enjeu de légistique : mieux la loi sera écrite en amont, moins nous risquons de décevoir en séance. En outre, plus ce travail sera mené autour du rapporteur, plus le texte pourra être affiné – ce qui ne limite évidemment pas la faculté des différents groupes de proposer leurs propres amendements, car il est très important pour la démocratie que chacun puisse marquer sa position. La rédaction finale doit être la plus propre possible, car nous ne reviendrons pas sur cette loi de programmation militaire d’ici longtemps – sauf à élaborer un texte dans la précipitation, ce qui n’est absolument pas le cas de celui-ci.

Je m’efforcerai pour ma part, dans un souci de clarté, de vous communiquer le plus vite possible les amendements du Gouvernement. Ils porteront notamment sur le service de santé des armées, les coopérations et le volet du rapport annexé plus spécifiquement consacré à l’aide à l’Ukraine. Je me suis engagé à avancer sur plusieurs sujets et ce sera, je l’espère, une base qui nous permettra de converger.

Merci en tout cas pour l’accueil que vous m’avez réservé cette semaine.

M. le président Thomas Gassilloud. Depuis mardi soir, après plusieurs mois de travail préparatoire et dans la continuité de nos expériences respectives, nous avons consacré trente heures de débat à l’examen de ce projet de loi de programmation militaire et aux 721 amendements en discussion.

Je remercie tout particulièrement le ministre pour sa pleine disponibilité, même pendant le Conseil des ministres. Je remercie à travers lui ses équipes, les secrétaires d’État, les armées, les directions et les services. Nous avons observé son degré d’expertise et bien noté qu’il assume pleinement et dans la transparence certaines positions, tout en restant ouvert à des apports, quelle qu’en soit l’origine.

Nous avons fait progresser notre défense nationale et fait vivre ensemble notre démocratie. Merci à tous d’y avoir pleinement participé.

 

La commission adopte l’ensemble du projet de loi modifié.


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   Travaux de la commission des Lois

Lors de ses réunions du mercredi 10 mai 2023, la Commission examine les articles 32 à 35, délégués au fond par la commission de la défense et des forces armées, du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense (n° 1033) (Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis).

Lien vidéo : https://assnat.fr/pgXCY5

M. le président Sacha Houlié. Notre commission étant compétente au premier chef sur les sujets visés par les articles 32 à 35 – sécurité des systèmes d’information et rôle de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi), libertés publiques et sécurité intérieure – j’ai souhaité qu’elle en soit délégataire au fond.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. La loi de programmation militaire (LPM) s’inscrit dans la continuité de la revue nationale stratégique que le Président de la République a présentée en novembre dernier. Un titre constitué de quatre articles étant consacré à la sécurité des systèmes d’information, il a semblé naturel que ce sujet, qui concerne les libertés publiques, soit discuté en commission des lois.

Désignée rapporteure pour avis, j’ai conduit douze auditions et j’ai entendu plus d’une quarantaine de personnes issues des administrations, des entreprises et des associations, qui m’ont fait part de leur analyse de l’état de la menace cyber et de leurs observations sur la LPM. Je les remercie de l’avoir fait dans des délais contraints. Toutes ont unanimement souligné l’importance des menaces et des enjeux liés à la cybersécurité, élément central de notre souveraineté et de notre défense.

Nos communications, nos paiements, nos loisirs et nos modes de travail dépendent de plus en plus des nouvelles technologies. Si elle simplifie notre quotidien, cette dépendance présente aussi des risques pour notre cybersécurité, que certains acteurs exploitent tant à des fins d’espionnage et de déstabilisation qu’à des fins financières, au détriment de nos entreprises, de nos collectivités ou de nos hôpitaux.

L’Anssi fait face à des attaquants dont les modes opératoires évoluent en technicité. Cette sophistication s’explique par un changement fréquent d’outils utilisés pour effectuer les attaques et par le recours de plus en plus massif aux logiciels commerciaux transformés en véritables « bombes numériques ».

Toutes les auditions ont convergé vers un même constat : la menace cyber est protéiforme, en mutation constante et en augmentation, dans notre pays et dans le monde.

Les capacités des cyberattaquants évoluent constamment. La représentation collective, quasi romantique, du hacker isolé dans son garage n’est pas conforme à la réalité. Les attaques se sont industrialisées. Les modes opératoires peuvent cibler tout un secteur d’activité et concerner tout un pays.

Le « Panorama de la cybermenace 2022 », publié par l’Anssi, révèle l’ampleur des attaques que subissent les acteurs institutionnels et économiques de notre pays. L’an dernier, l’Anssi a ainsi traité 831 attaques informatiques. C’est moins qu’en 2021, mais cette diminution doit être relativisée dans le contexte de guerre en Ukraine, qui peut conduire à une réorientation des attaques. Ce même rapport précise d’ailleurs que si l’activité liée aux rançongiciels visant des opérateurs régulés publics ou privés a diminué, la menace cyber s’est reportée vers des entités moins bien protégées, dont les collectivités territoriales, les hôpitaux et les petites et moyennes entreprises de notre pays.

Les conséquences de ces attaques sont financières. L’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, estime que les risques liés à la sécurité numérique coûtent plus de 100 milliards de dollars à l’échelle planétaire. Ces attaques ont aussi des répercussions lourdes sur la continuité du service public et, s’agissant des hôpitaux, sur le traitement des données à caractère personnel des patients, ce qui peut constituer une atteinte généralisée au secret médical.

Techniquement, les cyberattaquants exploitent les nombreuses vulnérabilités des logiciels, y compris ceux dont l’utilisation est répandue. L’externalisation croissante de services informatiques accroît le risque d’attaques. Le nombre d’entreprises de services numériques touchées est ainsi passé de quinze à trente-sept entre 2020 et 2022. Désormais, pour maximiser l’efficacité de leurs attaques, les cyberattaquants ciblent plutôt les systèmes d’information des sous-traitants et des fournisseurs, dont le niveau de sécurité est plus faible que ceux des opérateurs stratégiques. Cela leur permet d’accéder à des informations valorisables.

La loi de programmation militaire précédente a déjà doté l’Anssi d’un premier arsenal juridique en matière de prévention des cyberattaques. Mais l’évolution constante des modes opératoires implique une réévaluation de notre cadre juridique et une adaptation des prérogatives qui lui sont dévolues.

Le chapitre V, dont nous allons débattre, prend acte de cette évolution. Il comprend quatre articles visant à renforcer notre arsenal en matière de lutte contre les attaques informatiques malveillantes, d’étude des comportements et des modes de fonctionnement des assaillants, et d’information des victimes. Les articles 32, 33 et 34 créent de nouveaux dispositifs dans notre droit, tandis que l’article 35 est un prolongement de dispositions déjà votées et éprouvées par l’Anssi et les acteurs du numérique.

L’article 32 permet à l’Anssi, en cas de menace susceptible de porter atteinte à la sécurité nationale, de prescrire plusieurs mesures graduelles affectant les noms de domaine par leur blocage ou leur suspension.

Aux fins de détection et de caractérisation des attaques informatiques, l’article 33 permet aux agents de l’Anssi d’être destinataires des données techniques non identifiantes enregistrées dans les serveurs des fournisseurs de système de résolution et de noms de domaine.

L’article 34 renforce les exigences de transparence qui s’appliquent aux éditeurs de logiciels et les contraint à informer l’Anssi et leurs utilisateurs en cas de vulnérabilité et d’incidents informatiques graves.

L’article 35 prévoit plusieurs dispositions visant à renforcer les capacités de détection des cyberattaques et l’information des victimes. Il permet à l’Anssi, en cas de menace grave pour les systèmes d’information des autorités publiques et des opérateurs stratégiques, d’activer des dispositifs de recueil de données. Il rend également obligatoire, pour les opérateurs de communication électroniques stratégiques, la mise en place de systèmes de détection des attaques informatiques.

Ces nouvelles prérogatives s’accompagnent d’un élargissement des modalités de contrôle de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, l’Arcep, des opérations effectuées par l’Anssi. Je précise, à cet égard, que les dispositions dont nous débattrons sont soumises à un contrôle strict de cette autorité et du juge administratif.

L’Arcep, dont j’ai auditionné la présidente, n’a pas encore pleinement estimé les efforts humains et budgétaires supplémentaires que cette évolution implique. Elle a toutefois appelé mon attention quant au fait que les nouvelles procédures prévues, en particulier les avis conformes que l’Arcep devra rendre concernant certains dispositifs, entraîneront une réorganisation de ses services. Si nous voulons garantir des modalités de contrôle efficaces, c’est un élément que nous devrons garder à l’esprit lors des futurs débats budgétaires.

Ces mêmes prérogatives représentent un accroissement de la charge de travail de l’Anssi, que la trajectoire d’emploi à l’horizon 2027 prend en compte. Le nombre des agents de l’Anssi passera de 660 cette année à plus de 800 dans cinq ans. Cette progression est indispensable pour lui permettre de remplir les missions que le législateur lui confie. Elles représentent aussi une charge pour les acteurs privés du numérique, soumis à de nouvelles exigences. Les entreprises de notre pays comptent parmi les meilleures du monde dans le marché des solutions numériques de confiance. C’est un fait que le législateur doit garder à l’esprit quand il écrit la loi.

Un seul curseur doit nous guider dans l’examen de ces articles : l’équilibre nécessaire entre le respect de nos libertés fondamentales, les intérêts de la sécurité nationale et la préservation d’un écosystème favorable aux entreprises françaises de l’internet de confiance. Cette recherche d’équilibre m’a conduite à déposer plusieurs amendements qui permettront, je l’espère, d’aboutir à un texte prenant en compte tous les intérêts légitimes des acteurs concernés par ses dispositions.

Une ambition majeure de cette loi de programmation militaire réside dans le défi historique consistant à faire face à l’émergence de nouveaux espaces de conflictualité, dont le cyber fait partie, et à assurer à la France les moyens de sa souveraineté et de son indépendance. Je vous invite à voter largement ces articles, nécessaires à la protection de nos intérêts nationaux.

Présidence de Mme Caroline Abadie, vice-présidente.

Mme Caroline Abadie, présidente. Nous en venons aux prises de parole des orateurs des groupes.

Mme Clara Chassaniol (RE). Les évolutions technologiques sont toujours ambivalentes et utilisées à la fois pour améliorer l’espace de vie des sociétés, détruire, assiéger ou récolter le butin d’un ennemi. Depuis l’Assyrie antique et la maîtrise du fer jusqu’à celle de l’atome et ses drames au XXe siècle, il a fallu s’adapter pour se protéger et comprendre les techniques façonnées pour s’en défendre. Notre temps est celui de l’information. Ce nouvel espace qui rend des services prodigieux à l’humanité est aussi un terrain de conflictualités et d’attaques. En augmentation constante, celles-ci peuvent avoir des conséquences dramatiques pour nos installations essentielles et pour la sécurité des systèmes d’information stratégiques auxquels nos acteurs économiques et vitaux sont connectés.

Face à ces menaces et à l’agilité des attaquants, la précédente LPM a fait de la lutte contre les cybermenaces une priorité en renforçant la résilience de nos systèmes, le nombre de cybercombattants et le rôle de l’Anssi pour conforter la puissance cyber française, analyser et neutraliser la menace. Le plan national de relance et de résilience instauré après la crise sanitaire a alloué 136 millions d’euros à l’Anssi pour la cybersécurisation de nos territoires, car la spécificité de la menace cyber est qu’elle peut impliquer toutes les machines, tous les opérateurs et toutes les sociétés publiques ou privées pour attaquer. C’est un défi hors norme. En 2021, une stratégie nationale pour accélérer la cybersécurité a été lancée et, à l’automne, la Lopmi a permis de voter des moyens inédits pour renforcer la lutte contre la cybercriminalité.

La LPM que nous examinons pour la période 2024-2030 consacre 4 milliards d’euros au domaine cyber. Si les équipements ne sont pas des plus coûteux, ce sont les effectifs de lutte et les procédures de détection que nous devons améliorer pour que notre défense soit plus solide et crédible, nous permettant de réagir avec précision et sévérité. L’objectif de sécurisation de nos systèmes d’information est aussi la garantie de notre souveraineté économique et administrative. L’arsenal législatif déployé grâce à la LPM votée en 2018 a permis d’expérimenter des stratégies utiles, mais qui ont aussi montré des limites face à l’adaptation rapide des attaquants. Il s’agit donc de renforcer nos moyens, en particulier la prévention, avec une meilleure connaissance préalable des modes opératoires, pour anticiper les menaces et mieux les détecter pour les contrer.

La loi prévoit quatre articles, renforçant le rôle de l’Anssi pour prescrire des mesures de filtrage ou de redirection de noms de domaine en cas d’attaque, pour recueillir des données anonymisées des serveurs DNS – système de noms de domaine –, pour obliger les éditeurs de logiciels à être transparents auprès de l’Agence et de leurs clients quant à leurs incidents et leurs vulnérabilités, et pour améliorer les capacités de détection des menaces pour mieux informer les victimes.

Je ne doute pas que nos débats feront honneur à la vigilance que nous devons avoir, en tant que législateur, pour que les moyens déployés préservent les grands principes qui organisent nos droits et libertés en matière de vie privée, de communication, d’entrepreneuriat et de neutralité d’internet. Les articles qui nous sont délégués respectent ces principes en ce qu’ils approfondissent les procédures existantes, permettant de poursuivre la sécurisation de nos systèmes d’information et la neutralisation des menaces comportant un risque pour la sécurité nationale, avec un cadre juridique et des garanties du respect de nos libertés. Cet équilibre fondamental requiert un arbitrage complexe face à des menaces nouvelles, susceptibles de toucher des secteurs stratégiques de notre économie et de nos services publics.

Nous estimons que si des améliorations sont possibles par l’apport de précisions dans le texte, les moyens proposés sont adaptés à la protection de nos intérêts fondamentaux.

M. Aurélien Lopez-Liguori (RN). On ne peut que se féliciter que cette LPM aborde le sujet de la cybersécurité, trop souvent perçu comme secondaire alors que la menace cyber ne cesse de se développer, avec des violations de données personnelles en hausse de 79 % entre 2020 et 2021, un nombre d’intrusions dans des systèmes d’information en progression de 37 % et des notifications à la plateforme gouvernementale de signalement en croissance de 65 %. Plus d’attaques sont déclarées chaque jour, pour toujours plus de victimes. Entreprises, particuliers, autorités publiques : nous sommes tous des cibles potentielles. En tant que député de l’Hérault, je n’ai pu ignorer la cyberattaque qui a paralysé la mairie de Frontignan durant des semaines. Elle n’est qu’un exemple des dommages dévastateurs causés par des hackers. Elle illustre la nécessité urgente de se doter des moyens de répliquer, et de détecter les menaces en amont. Ces sujets doivent faire l’objet d’une attention accrue de l’Assemblée. L’occasion nous en est fournie par l’examen des articles qui nous sont délégués au fond.

Au Rassemblement national, nous estimons que la recherche du juste équilibre entre libertés publiques et sauvegarde de la sécurité nationale doit être notre fer de lance, notre boussole pour l’élaboration de notre politique cyber. Protéger les données contre les attaques est nécessaire, mais pas à n’importe quel prix. Aussi les articles 34 et 35, qui confèrent à l’Anssi un pouvoir démesuré de collecte de données, font-ils l’objet d’amendements d’appel visant leur suppression.

L’article 33 prévoit que les opérateurs de télécommunications transmettent leurs données de cache à l’Anssi à des fins de détection des cyberattaques. S’il est voté, des copies de serveurs entiers pourront être transmises à une agence gouvernementale sans décision de justice.

L’article 35 est tout aussi intrusif puisqu’il prévoit la possibilité pour l’Anssi de se faire transmettre des données de contenus d’utilisateurs. Il s’applique en cas de menaces pouvant porter atteinte aux systèmes d’information d’opérateurs d’importance vitale. L’intention de protection des domaines sensibles contre les cyberattaques est louable, mais ses implications sont désastreuses.

L’article 34 oblige les éditeurs de logiciel à déclarer à l’Anssi leurs vulnérabilités et leurs incidents cyber et à avertir leurs utilisateurs. C’est très bien, mais comment justifier la possibilité donnée à cette agence de publier les vulnérabilités si les éditeurs n’informent pas les utilisateurs ? Cette publication exposerait les entreprises à des attaques en règle des hackers, qui s’en donneraient à cœur joie ! Elle est pensée comme une épée de Damoclès pesant sur les entreprises, s’apparentant ainsi à une méthode de hackers. Ce n’est pas la vision de la cybersécurité que le Rassemblement national entend faire valoir. Pour une obligation non respectée, une sanction doit être prononcée par un juge indépendant et impartial. Pour une liberté atteinte, une garantie solide doit être apportée. Pour une mesure proposée, l’applicabilité concrète doit être assurée. Telle est la position de bon sens que nous défendons et que nous traduirons dans nos amendements et dans nos votes.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). La loi de programmation militaire est pour le moins floue dans son périmètre et ses objectifs politiques, sans compter que l’étude d’impact n’apporte pas de réel éclairage. Vous en avez d’ailleurs fait état, Madame la rapporteure pour avis, en indiquant que l’Arcep ignorait si elle aurait les moyens de remplir ses nouvelles obligations. Le sentiment est celui d’un texte rédigé à la va-vite. S’agissant des questions de ressources humaines, l’avis du Conseil d’État laisse perplexe puisqu’il évoque de potentiels ajustements en cours de route et en fonction de la politique salariale du ministère. Cela laisse entendre qu’il serait possible de faire des plans sociaux au sein du ministère des armées.

Le flou demeure concernant les articles qui nous sont délégués et les moyens supplémentaires prévus pour lutter contre les attaques sur internet.

L’article 32 prévoit le blocage du nom de domaine en passant par les fournisseurs d’accès à internet si la personne de bonne foi ne prend pas les mesures préconisées par l’Anssi. L’étude d’impact liste tout ce qui peut déjà être fait en l’état actuel du droit, mais elle conclut qu’il faut une loi pour permettre toutes ces actions, sans justifier pourquoi elles ne peuvent pas être effectuées aujourd’hui. Une explication simple est nécessaire ! Pourquoi n’est-il pas possible d’appliquer les mesures existantes ? Qui plus est, cet article reprend des dispositions inscrites dans d’autres textes, par exemple le projet de loi relatif aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024, qui prévoit un délai à quarante-huit heures pour obtempérer. Cela fait penser au délai de vingt-quatre heures pour retirer un contenu dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, sans recours a priori à un juge. Certes, le recours a posteriori reste possible dans un État de droit ; mais quand le temps ne permet pas de faire un recours, ce n’est qu’une garantie de façade.

Il est également étrange d’observer qu’au détour d’un alinéa, on prévoit de conserver des données pendant dix ans, à des fins de recherche et de meilleure compréhension des systèmes. On connaît ce type d’article ! Vous avez évoqué les fleurons français de cette industrie de la cybersécurité en précisant qu’il ne faudra pas les oublier au moment de légiférer – et pour cause, ce marché lucratif a besoin de données complémentaires pour améliorer ses systèmes en vue de les vendre à la France, qui paie rubis sur l’ongle, mais aussi à l’international. Ce n’est pas exactement la conception que nous avons de la cybersécurité. Notre souveraineté, y compris pour les solutions numériques que nous utilisons, nous semble indispensable.

Vous utilisez une fois encore les mêmes recherches : donner toujours plus de moyens à toujours plus d’entités, sans garantie supplémentaire et avec pour seul argument un argument d’autorité selon lequel les services en ont besoin, la situation l’exige et le monde a évolué. Ces considérations sont avancées pour chaque texte de loi, mais le monde évolue en permanence, hier était hier et demain sera demain. Au-delà de ces tautologies, il faudrait s’intéresser au fond à la manière de garantir nos libertés fondamentales, y compris dans le cadre de la sécurité nationale.

M. Philippe Gosselin (LR). Nous voyons arriver cette LPM avec beaucoup d’intérêt. Au-delà de la défense, elle aborde des enjeux transversaux.

Des rapporteurs pour avis ont été désignés, notamment au sein de la commission des finances. Le budget de 413 milliards interroge, dans un contexte d’inflation galopante. Rien ne dit que l’inflation perdurera de nombreuses années mais, au rythme où vont les choses, des dizaines et des centaines de millions, pour ne pas dire des milliards cumulés viendront amputer ce projet ambitieux. Il ne faudrait pas que nous nous retrouvions « déshabillés » en cours de route. Certes, c’est souvent le problème des lois de programmation militaire. Prévoir l’avenir est compliqué, et en assurer le financement plus encore.

Nous avons aussi les avis de la commission des affaires étrangères – nous voyons bien pourquoi – et de la commission de lois pour les sujets qui ont trait à la cybersécurité.

Je serais moins critique que certains de mes collègues, notamment celui qui vient de s’exprimer, même si un point d’équilibre doit être trouvé entre les nécessités absolues de défense et celles des libertés individuelles et publiques. Le cyber monte en puissance, nous le constatons aux portes de chez nous, en Ukraine, et ailleurs. Nos armées européennes, internationales et françaises ont besoin de s’adapter. Nous devons revoir nos stratégies et devenir performants en matière de cyber. Il n’existe pas de liberté sans sécurité. Le rôle indispensable de nos armées et de nos militaires et leur engagement doivent ainsi être salués. Mais « l’état de défense » ne peut pas tout justifier ; or c’est cette porte étroite vers laquelle nous mènent les articles 32 à 35, qui sont à parfaire. Ce n’est pas être un antimilitariste ou un humaniste à tous crins et naïf des enjeux de cybersécurité que de l’affirmer.

Nous pouvons rendre l’ouvrage perfectible, mais il va dans le bon sens. Vous pouvez donc compter sur la détermination du groupe Les Républicains pour s’associer à ce travail dans l’intérêt supérieur de la nation.

M. Philippe Latombe (Dem). Le relèvement du niveau de la menace cyber oblige notre pays à renforcer ses capacités opérationnelles dans sa gestion de la cyberdéfense. Du fait de la connaissance des cyberattaquants et de leur expertise des mécanismes, mais aussi des dégâts que peuvent causer les attaques informatiques, on ne peut que comprendre et partager le souci du Gouvernement de renforcer les capacités nationales de détection, de caractérisation et de prévention des attaques informatiques.

Il nous appartient de légiférer à dessein et d’assurer un juste équilibre entre la préservation de la sécurité nationale, les libertés publiques et la liberté d’entreprendre de nos opérateurs économiques, et d’éviter toute distorsion de concurrence. Cet équilibre n’est pas aisé à trouver mais nous espérons y parvenir à chacun des stades de la navette parlementaire. Notre groupe y est particulièrement attaché.

Je salue le travail de la rapporteure pour avis, qui a su saisir les enjeux inhérents au texte et nous proposera des amendements permettant de dissiper les doutes que nous pouvons avoir en l’état de la rédaction. Mes amendements de suppression doivent être compris comme un vecteur de discussion. J’entends qu’ils le restent, comme les amendements des rapporteurs et, le cas échéant, du Gouvernement en séance, en vue d’un encadrement nécessaire à la préservation de nos libertés publiques, objectif concomitant au maintien des capacités opérationnelles idoines.

Les contributions attendues de l’écosystème privé pour renforcer ces capacités semblent parfois démesurées, voire illusoires compte tenu des moyens techniques, matériels et humains dont disposent les opérateurs, sans évaluation des coûts significatifs que l’application de ces articles entraînerait.

Nous regrettons que certains dispositifs ne soient pas suffisamment détaillés. Cela nous contraint à nous interroger quant à leurs conséquences pour la protection des libertés publiques, notamment du fait de l’absence de contrôle d’une autorité judiciaire ou administrative comme la CNCTR, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, et d’atteintes au secret des correspondances dont le législateur est garant.

L’extension des motifs au titre desquels l’Anssi serait habilitée à déployer ses nouvelles compétences pose aussi de nombreuses questions. En outre, on ne peut que souscrire au constat de l’Arcep dans son avis n° 2023-0542, selon lequel « en fonction de la nature et du volume des données concernées par ces demandes, les utilisateurs pourraient questionner leur choix de fournisseur d’accès à internet ou de services numériques ce qui, in fine, pourrait avoir des effets sur le modèle d’affaires de ces acteurs et conduire à des distorsions concurrentielles avec des acteurs, par exemple extraterritoriaux, qui ne sont pas eux-mêmes soumis à ces obligations ».

Pour ces raisons, le groupe MODEM et indépendants soutiendra les articles ici examinés, à la condition qu’ils soient raisonnablement encadrés – en particulier les articles 33 et 35. Par exemple, à l’article 33, le fait que l’Anssi soit habilitée à adresser ses demandes « aux seules fins de détecter et de caractériser des attaques informatiques » interroge quant à l’ampleur du dispositif, bien au-delà d’un périmètre circonscrit à la protection de la sécurité nationale.

C’est en ce sens que nous avons déposé, au stade de la commission, les amendements qui nous semblent nécessaires pour rééquilibrer en partie le texte. Ce travail sera à poursuivre pour la séance en vue de corriger les angles morts. La rapporteure et le Gouvernement s’y sont engagés. Nous y serons très vigilants.

Nous proposons un amendement additionnel avec le groupe Horizons et apparentés, pour permettre aux opérateurs d’importance vitale (OVI) et aux opérateurs de services essentiels (OSE) d’être plus résistants. Nous y attachons une grande importance.

Je salue aussi le travail de coconstruction que nous avons mené avec mes collègues de la majorité, en particulier Clara Chassaniol et Anne Le Hénanff.

À ce stade, et sous ces réserves, nous sommes favorables au texte.

M. Roger Vicot (SOC). La LPM est importante dans le contexte actuel. Elle est aussi marquée par les incertitudes et les aléas à venir. Ces aléas sont à la fois financiers – les besoins sont chiffrés, mais pas documentés concernant les crédits –, politiques – plusieurs scrutins sont attendus –, économiques – avec le risque inflationniste – et internationaux. En outre, des incertitudes demeurent concernant les reports d’objectifs, s’agissant des capacités, des équipements, des ressources humaines et de la trajectoire d’embauche, puisque la modernisation des armées en la matière sera repoussée non plus à 2030 mais à l’horizon 2035. Enfin, le caractère évolutif du texte n’est pas négligeable. Le ministre a d’ailleurs pris soin de mentionner que, malgré sa vocation à être respecté, le projet de LPM doit être vu comme un plancher et non un plafond.

S’agissant des articles qui nous sont délégués sur le fond, l’irruption d’internet dans nos vies depuis une trentaine d’années a offert des possibilités d’échanges quasi illimitées, mais ouvre aussi des possibilités de contournement et d’attaque. Les cyberattaques se développent de manière exponentielle. Outre le domaine militaire, les services publics, les hôpitaux et les collectivités territoriales sont attaqués. Lille a ainsi subi une cyberattaque il y a quelques semaines, dont nous devrions sortir dans plusieurs mois. Internet sert aussi à faire pression. C’est également un outil de paralysie et de guerre.

Cette évolution de la situation sur le front des cyberattaques justifie le renforcement des compétences et des interventions de l’Anssi. Mais ces prérogatives nouvelles sont loin d’être anodines, dès lors qu’elles touchent aux droits humains et aux libertés fondamentales. Il importe d’apporter, par des amendements, des garanties légales et de transparence. Les pouvoirs nouveaux qui seraient donnés à l’Anssi doivent pouvoir être évalués et communiqués de la manière la plus transparente possible.

Nous donnerons un accord global sur le texte et sur la nature des articles qui nous sont délégués sur le fond, à condition qu’ils soient cadrés par des amendements.

Présidence de M. Sacha Houlié, président.

Mme Anne Le Hénanff (HOR). En ma qualité de membre de commission de la défense et des forces armées, je rappelle que la sécurité et la défense de notre pays doivent guider nos débats. La LPM alloue pas moins de 4 milliards d’euros pour le volet cyber dans son ensemble, soit une augmentation de 300 % par rapport à la dernière LPM. Ce montant, de même que le chapitre V du titre II, témoigne de la volonté du Gouvernement de faire de la cybersécurité une priorité. L’effort stratégique et budgétaire est réel, signe que nous avons pris en compte l’évolution du contexte mondial.

Le groupe Horizons et apparentés est conscient que le cyberespace est un champ de bataille à part entière et que la France doit s’armer pour répondre à cette nouvelle forme de guerre. La sécurité des systèmes d’information est un enjeu stratégique majeur, justifiant à lui seul les quatre articles du chapitre V. Ces articles ont pour objectif de renforcer les prérogatives et les moyens de l’Anssi, agence ô combien essentielle dans la protection de nos systèmes d’information depuis sa création. Notre groupe se réjouit que, grâce à ces dispositions, l’Anssi puisse accroître sa connaissance des modes opératoires des cyberattaquants pour mieux remédier aux effets de leurs attaques et alerter plus efficacement les victimes des incidents ou des menaces pensant sur leurs systèmes d’information. Toutefois, ce renforcement ne doit pas se faire sans garantie et sans un encadrement strict et clair. Aussi notre groupe a-t-il déposé plusieurs amendements visant à apporter des précisions, à encadrer plus finement certaines dispositions et à demander des clarifications dans la rédaction du texte.

Par exemple, nous jugeons essentielle la conservation de l’assermentation des agents de l’Anssi, l’inscription dans la loi de la définition d’un éditeur de logiciels ou la précision de critères, dans les décrets en Conseil d’État, de l’application des dispositions.

Sous ces réserves, notre groupe s’exprimera en faveur de chaque article du chapitre V.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). La matière qui nous occupe requiert notre plus grande vigilance. La diffusion du numérique dans nos vies quotidiennes nous expose à de nouvelles menaces, susceptibles de paralyser notre pays.

Il faut renforcer nos moyens de contrer les cyberattaquants et veiller à mieux alerter les victimes. Cette question ne fait pas débat. Mais nous devons aussi faire preuve de discernement, car nous ne voulons pas d’une société de surveillance généralisée. Nous assistons, avec ce texte, à une extension non négligeable des moyens d’intrusion de l’État dans la vie privée de nos concitoyens. Les techniques de renseignement qu’institue ce texte sont placées entre les mains d’une autorité, l’Anssi, qui est tout sauf indépendante puisqu’elle est placée sous l’autorité directe de la Première ministre. En outre, elle agit dans un cadre préventif duquel l’autorité judiciaire a totalement été écartée. C’est, encore une fois, une conception très « Ve République » de la séparation des pouvoirs !

Dans ce contexte, on est en droit d’attendre des précisions quant aux finalités des procédés envisagés et quant aux contrôles dont ils devraient faire l’objet. Or rien de tout cela n’est prévu. Les objectifs sont flous. La nature des données collectées n’est pas précise. Les contre-pouvoirs ne sont pas là, ou pas opérationnels. Les personnes surveillées ne sont pas en situation de se défendre. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir été alertés en amont du dépôt du texte, notamment par l’Arcep qui s’est montrée très réservée quant à l’ampleur des prérogatives confiées à l’Anssi. Et que dire des nombreuses réserves de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la Cnil, que le Gouvernement n’a pas même pris la peine de consulter ?

Des garde-fous doivent être installés. C’est le sens des amendements déposés par le groupe Écologiste-NUPES. En l’état, ce texte n’est pas satisfaisant. Notre vote dépendra de la capacité du Parlement à se rapprocher du juste équilibre entre la sécurité et la protection des libertés.

M. Davy Rimane (GDR-NUPES). Le pouvoir de recueillir des données relatives aux individus et d’en faire usage prend de multiples formes. Alors que chaque citoyen cède une part croissante de ses données, la question du choix éclairé volontaire de cette cession n’a plus sa place dans la société du tout-dématérialisé qui s’installe insidieusement. L’enjeu sécuritaire qui transparaît à travers l’accélération phénoménale de la dématérialisation et du transit de données devrait justifier que le pouvoir de collecter des informations revienne à la puissance publique, car ce pouvoir constitue un moyen de garantir la sécurité de tous.

La logique des articles qui nous sont délégués est la bonne, puisqu’elle vise à prévoir plutôt que guérir et à instaurer plus de transparence à l’égard des clients lésés et des victimes de cyberattaques. Mais l’enjeu sécuritaire soulève trois interrogations. Quel est le degré de sécurité souhaitable ? Quels seraient les moyens les plus efficaces pour l’atteindre ? Jusqu’à quel point est-il acceptable que les moyens déployés pour l’atteindre touchent nos libertés individuelles ? Les réponses apportées par l’article 32 ne vont pas dans le bon sens. Permettre à l’Anssi d’obliger les fournisseurs d’accès à internet à bloquer les sites web sans passer par une décision de justice est un contournement du pouvoir judiciaire. Nous avions observé le même phénomène lors de l’examen de la Lopmi, qui instaurait au travers de l’extension des amendes délictuelles forfaitaires un principe de saisine du juge uniquement a posteriori et en cas de contestation. La même logique sera à l’œuvre à travers le projet de loi présenté ce matin en Conseil des ministres, texte dont l’objet, sécuriser et réguler l’espace numérique, donnera à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) des pouvoirs élargis, parmi lesquels celui d’ordonner le blocage de certains sites sans l’intervention d’un juge.

Le chapitre V du titre II est un condensé de mécanismes défaillants. On acte qu’il « met le paquet » sur les moyens matériels au détriment des moyens humains. Pour ne pas avoir à embaucher plus d’agents de justice qui pourraient se prononcer en amont de toute opération de blocage, on se passe de toute décision de justice a priori. Et pour terminer cette belle opération de passe-passe, on se cache derrière des garanties a posteriori sans détailler la façon dont seront traitées les contestations.

Le budget de l’éducation nationale s’élève à 59 milliards d’euros. À compter de 2028, celui de l’armée représentera 60 milliards d’euros. Il est même prévu qu’il atteigne 69 milliards d’euros en 2030. Si l’on part du principe que le budget de l’éducation nationale évoluera moins vite que celui des armées, ce qui semble réaliste compte tenu de la politique menée, le budget militaire passera devant celui de l’éducation d’ici à la fin de la période couverte par la LPM. Certes, la cybercriminalité et les attaques extérieures nécessitent des réponses rapides. L’Anssi doit pouvoir faire preuve de réactivité. Mais il faut arrêter de tout sacrifier, à commencer par l’éducation de nos enfants, nos libertés, notre accès à la justice et, plus largement, la survie de nos services publics.

Nous approuvons l’objectif du texte, en l’occurrence la sécurité face aux cyberattaques et aux personnalités numériques à risque, et les moyens pour l’atteindre, à savoir la prévention, la surveillance et l’anticipation. Mais la chasse aux métadonnées lancée depuis les attentats de Paris de janvier 2015 semble entraîner un dévoiement progressif de la notion de suspicion légitime, qui se traduit par une collecte indifférenciée de nos données numériques. C’est pour ces raisons que l’accord d’un juge devrait rester le principe et non l’exception.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Merci d’avoir pris conscience des menaces auxquelles nous faisons face.

Au sein la commission de la défense et des forces armées, dont je suis issue, les décisions sont souvent consensuelles. Nous agissons, malgré nos différences, de manière transpartisane pour préserver les intérêts de la nation. J’espère que nous parviendrons à trouver ici l’équilibre que vous appelez de vos vœux, bien qu’il ne soit pas très facile de bien placer le curseur. Je suis, moi aussi, attachée aux libertés fondamentales et je n’ai pas envie de vivre dans un État policier. En revanche, nous devons nous doter d’outils pour nous défendre, dans ce monde où les menaces sont hybrides et protéiformes et où la technologie avance à grands pas, et donner à nos entreprises la capacité d’entreprendre.

Je vous remercie pour vos interventions, et j’espère que nous parviendrons à améliorer le texte.

 

Article 32 (Art. L. 2321-2-3 [nouveau] du code de la défense) : Prescription par l’ANSSI de mesures affectant les noms de domaine en cas de menace susceptible de porter atteinte à la sécurité nationale

 

Amendement CL56 de M. Jérémie Iordanoff.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Dans sa rédaction actuelle, l’article 32 permet à l’Anssi d’imposer des mesures de filtrage des noms de domaine en cas de menace susceptible de porter atteinte à la sécurité nationale.

Lors de son audition, la Cnil nous a alertés sur le caractère indéterminé de la notion de « sécurité nationale ». Compte tenu de l’impact de ces mesures sur la liberté de communication, il faut absolument clarifier les finalités en vue desquelles l’Anssi peut agir.

Il nous semble donc utile de suivre les recommandations de la Cnil en faisant référence au code de la sécurité intérieure, qui définit de manière précise la notion d’« intérêts fondamentaux de la nation ».

Nous faisons le choix d’uniquement renvoyer aux trois premiers paragraphes de l’article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure concernant notamment l’indépendance nationale, les intérêts majeurs de la politique étrangère ainsi que les intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Je suis défavorable à votre amendement pour deux raisons. D’une part, sa rédaction ne permet pas nécessairement de couvrir certaines cibles privilégiées des cyberattaquants, comme les collectivités territoriales et les hôpitaux. D’autre part, cet amendement reprend une définition figurant dans le code de la sécurité intérieure et une rédaction qui concerne, à ce stade, les services de renseignement.

Ce mélange de genres, malvenu, peut ouvrir la voie à un amalgame, l’Anssi étant un service de cyberdéfense et de cybersécurité, et non un service de renseignement. Elle n’a pas vocation à suivre des personnes et à identifier des auteurs, mais uniquement des victimes.

La rédaction actuelle, faisant référence aux menaces susceptibles de porter atteinte à la sécurité nationale, me convient davantage.

Au sujet de la Cnil, d’autres amendements ont pour objet de l’inclure davantage dans le dispositif.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Je souscris à cet amendement qui s’inspire directement de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

On peut mettre ce que l’on veut derrière l’expression de « sécurité nationale », et dans ce cas c’est l’arbitraire de celui qui gouverne qui finit par l’emporter. Or nous avons en la matière besoin de garanties, parce qu’il y a plusieurs droits, fondamentaux, qui sont en concurrence à l’instar du droit à la vie privée et d’autres libertés.

Nous sommes obligés de donner des garanties, à tout le moins si vous voulez éviter de passer sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel.

Il est bienvenu de circonscrire le dispositif aux intérêts fondamentaux de la nation, même si j’ignorais que les hôpitaux n’en faisaient pas partie, compte tenu du caractère sensible des cyberattaques pour ces établissements – ou pour les collectivités territoriales. Sur ce sujet nous gagnerions à dresser une liste détaillée, afin de ne pas aller vers l’arbitraire.

Ça me fait sourire d’entendre qu’il ne faut pas faire référence aux services de renseignement. L’Anssi n’en est pas un, mais j’ose espérer qu’en cas de cyberattaque ces derniers sont prévenus et qu’un canal d’information, reliant ces deux acteurs, existe, d’autant que chacun est directement rattaché au Premier ministre – comme la CNCTR.

L’Anssi étant placée sous l’autorité du Premier ministre, nous sommes en droit d’exiger un certain nombre de garanties dès lors que ces données, on l’imagine, peuvent circuler ailleurs que là où elles sont censées le faire – sauf si vous pensez que l’on vit dans le monde parfait des Bisounours.

M. Philippe Latombe (Dem). Nous aurons cette discussion pour l’ensemble des articles, car la vraie question est de savoir si l’article 32 est le seul, parmi ceux qui nous sont délégués, à traiter de sécurité nationale. Le but est d’intégrer cette notion dans les articles 33, 34 et 35, qui n’y font pas référence, afin de mieux les encadrer.

Je partage aussi le point de vue de la rapporteure pour avis : la notion de sécurité nationale, plus large que celle d’intérêts fondamentaux, inclut les hôpitaux, les collectivités territoriales et certains opérateurs. Cette liste peut être réévaluée au fur et à mesure de la digitalisation d’un certain nombre d’acteurs qui, dès lors, pourraient devenir vulnérables.

Conserver l’expression de « sécurité nationale » me convient, à condition que nous puissions l’intégrer aux autres articles, ce qui conférerait une cohérence et une colonne vertébrale à l’ensemble des articles permettant une interprétation de cette notion, que pourrait préciser le Conseil constitutionnel grâce à une réserve d’interprétation.

Faire référence au renseignement, dans le cadre de la LPM, au sujet des vulnérabilités informatiques n’est pas de bon aloi, l’Anssi n’étant pas un service de renseignement.

Le groupe Démocrate votera contre cet amendement dans la mesure où la référence à la sécurité nationale paraît suffire, mais il souhaite intégrer cette notion aux articles 33, 34 et 35 également.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement CL88 de Mme Sabine Thillaye.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Cet amendement précise que le délai fixé par l’Anssi pour les mesures affectant les titulaires de noms de domaine qui sont de bonne foi doit prendre en considération leur nature et leurs contraintes opérationnelles.

Il vise ainsi à apporter davantage de proportionnalité au dispositif sans nuire à son intérêt opérationnel, et rappelle que l’Anssi mettra en œuvre un dialogue constructif avec les victimes.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). C’est vraiment la garantie pour se faire plaisir ! Le niveau de contrainte et d’obligation fixé par cet amendement est proche de la bonne volonté, alors que nous parlons de données sensibles, notamment celles des victimes de l’attaquant.

Cet article, dont le but est aussi d’identifier l’auteur de l’attaque et son mode opératoire, ne concerne pas les seules victimes, ce qui explique la durée, fixée à dix ans, de conservation des données. N’allez pas nous faire croire que vous recueillerez les données des victimes uniquement pour leur bien : le but est de retrouver les attaquants.

On peut se faire plaisir avec l’expression « qui tient compte de la nature », mais l’instance la plus à même de tenir compte de la nature de chaque cas tout en respectant les libertés fondamentales, c’est un juge !

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Vous confondez l’Anssi et les services de renseignement, lesquels n’ont aucunement besoin de l’Anssi pour agir.

Nous devons trouver une réponse à ces nouveaux phénomènes, les noms de domaine étant souvent le premier moyen, pour les attaquants, de s’infiltrer dans des machines.

La commission adopte l’amendement.

 

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL71 de Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis.

 

Amendement CL28 de Mme Anne Le Hénanff.

Mme Anne Le Hénanff (HOR). Les bureaux d’enregistrement n’ont actuellement ni les moyens ni les outils techniques pour enregistrer, renouveler, suspendre et transférer un nom de domaine, contrairement aux offices d’enregistrement – appelés également « registres » – qui peuvent, à la source et de manière centralisée, effectuer ces opérations efficacement et immédiatement.

Cet article soulève en outre un problème de concurrence entre les bureaux d’enregistrement français et ceux établis hors de France. Face à la contrainte pesant sur les opérateurs établis dans notre pays, les demandeurs de noms de domaine pourraient être tentés de se tourner vers des acteurs étrangers, ce qui est contre-productif pour la filière française.

Cet amendement clarifie le fait que seuls les offices d’enregistrement sont concernés par les dispositions de l’article.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. J’émets un avis défavorable pour des raisons d’efficacité du dispositif, cet amendement prévoyant d’exclure les bureaux d’enregistrement du périmètre de l’article.

Ces derniers sont chargés de la commercialisation des noms de domaine, tandis que les offices d’enregistrement s’occupent de leur gestion – en France, l’Association française pour le nommage internet en coopération (Afnic) gère les noms de domaine nationaux.

Votre amendement conduirait à ne faire peser d’obligations que sur l’Afnic, donc à ne plus couvrir les noms de domaines ne revêtant pas un caractère national, alors qu’il n’y aura, chaque année, qu’une dizaine de demandes de compensation des surcoûts.

L’amendement est retiré.

 

La commission adopte l’amendement rédactionnel CL72 de Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis.

 

Amendement CL41 de M. Philippe Latombe.

M. Philippe Latombe (Dem). Cet amendement a pour objet d’intégrer les moteurs de recherche dans la liste des opérateurs concernés par l’article 32.

L’Anssi nous rétorque que cela est inutile, car les moteurs de recherche, ne faisant que du Google bombing, ne relèvent pas de la sécurité nationale dans la mesure où il ne s’agit que d’atteintes aux individus.

Or, lorsque l’on interroge l’ensemble des entreprises travaillant dans le domaine de la cybersécurité, y compris des bugs bounties – prime aux bogues –, ils considèrent que les prochaines attaques seront plutôt du type drive-by download : un malware est téléchargé sur l’ordinateur dont l’utilisateur s’est rendu sur un site, et cet ordinateur peut ensuite être pris en main par un attaquant ou par un système de robots en vue d’une attaque par déni de service.

Ces difficultés sont propagées par les moteurs de recherche, puisqu’il suffit de bien référencer les sites infectés pour les rendre accessibles au public. Ainsi les ordinateurs individuels deviennent-ils des relais pour les attaques.

Il faut donc ici intégrer les moteurs de recherche. Si l’Anssi n’utilise pas cette disposition, tant mieux, mais la LPM prépare l’avenir : si les attaques de ce genre se multiplient, l’Anssi en aura besoin et nous n’aurons pas à légiférer à nouveau. Le législateur doit agir de manière prospective.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. La question a été soulevée lors des auditions que j’ai menées. L’intégration des moteurs de recherche dans le périmètre de cet article n’est techniquement pas utile.

L’Anssi ne cherche pas le déréférencement du contenu, mais le blocage immédiat de la menace en agissant à la source, à savoir le nom de domaine. Le but est d’empêcher le code malveillant des logiciels d’entrer en contact avec les systèmes d’information, ce qui ne passe pas, pour l’instant, par les moteurs de recherche.

L’inscription des moteurs de recherche dans l’article constitue donc un élargissement non justifié opérationnellement, d’autant que l’objectif est d’obtenir une rédaction équilibrée et proportionnée. Je reconnais néanmoins que j’étais partagée sur cette question.

M. Philippe Latombe (Dem). Je souhaite qu’on limite la portée des articles 32 à 35, comme je l’indiquais dans la discussion générale, mais cet élargissement répond à des enjeux opérationnels.

On commence à observer des attaques en drive-by download. Quand vous utilisez un célèbre moteur de recherche ayant deux « o » et deux « g », vous ne passez pas par des noms de domaine français, qui ont des blocages, et vous contournez donc le système.

Intégrer les moteurs de recherche dans cet article éviterait que des particuliers ou des entreprises puissent se connecter à ces sites, et que ces derniers téléchargent à leur insu des malwares qui permettent d’utiliser leur ordinateur pour réaliser des attaques par déni de service.

Avec ce travail de prospective, nous nous placerons dans le triptyque « “opérationnalité” du dispositif, préservation des libertés et minimisation des atteintes économiques ».

M. Philippe Gosselin (LR). Il ne s’agit effectivement pas de légiférer pour quelques mois : le principe d’une loi de programmation est de donner une visibilité à long terme.

Exprimer vos interrogations était très honnête de votre part, Madame la rapporteure pour avis, et nous les partageons.

Cependant, au vu du rythme d’évolution des techniques et des technologies qui ont cours, je crois qu’il serait sage de faire droit à la demande de cet amendement qui protège l’intérêt collectif. Gouverner, c’est prévoir, c’est aussi anticiper.

La commission rejette l’amendement.

 

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL73 et CL74 de Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis.

 

Amendement CL42 de M. Philippe Latombe.

M. Philippe Latombe (Dem). Cet amendement, allant de pair avec l’amendement CL43 qui propose une échéance de « deux jours francs et ouvrés », permet à l’Anssi et aux opérateurs de négocier le délai imparti. Il faut laisser un peu de souplesse pour leur permettre de trouver une solution car, si les délais peuvent parfois être réduits à vingt-quatre heures, c’est parfois impossible, aux dires mêmes des opérateurs.

Nous instaurerions donc un délai maximal de deux jours ouvrés et francs, tout en laissant à l’Anssi et aux opérateurs une capacité de négociation, lesquels pourraient se sensibiliser au problème et discuter avec l’autorité nationale.

Suivant la recommandation de la rapporteure pour avis, la commission adopte l’amendement.

Amendements CL22 de M. Ugo Bernalicis, CL43 de M. Philippe Latombe et CL87 de Mme Sabine Thillaye (discussion commune).

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). L’amendement CL22 interroge la pertinence du délai plancher de quarante-huit heures.

S’il est question de sécurité nationale, voire d’atteintes à des éléments vitaux du pays, il faudrait probablement réagir dans la demi-heure ou dans l’heure. Or ce n’est visiblement pas ce qui est prévu.

Le délai d’un référé-liberté est de soixante-douze heures. Comme vous n’imaginez pour ce dispositif que des recours a posteriori, vous pourriez faire en sorte que le délai de ces mesures corresponde à celui d’un référé-liberté, étant donné que le blocage d’un nom de domaine est une atteinte aux libertés, même dans le cas d’un usager de bonne foi utilisé par un tiers malveillant.

Il aurait peut-être fallu ajouter vingt-quatre heures supplémentaires à ce délai de soixante-douze heures afin de permettre à l’usager de faire valoir ses droits devant le magistrat et à ce dernier de trancher.

On voit bien comment le contrôle a posteriori des arrêtés d’interdiction de manifester prend forme : quand ce dernier est pris trois heures avant la manifestation, il est plus compliqué de faire valoir l’État de droit.

La question des délais appelle toute notre vigilance car il y va non seulement de l’opérabilité des techniques de l’Anssi, mais aussi du respect des droits fondamentaux.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Un délai plancher de soixante-douze heures est particulièrement long, sachant que l’objectif des mesures est d’assurer la sécurité nationale face aux cyberattaquants, ce qui implique de la réactivité.

Mon amendement CL87, dans la recherche d’un équilibre entre l’impératif opérationnel des mesures et le soin d’éviter une charge trop lourde aux acteurs, prévoit plutôt un délai de deux jours ouvrés.

Il faut effectivement une garantie contre d’éventuelles décisions arbitraires de l’Anssi – ce à quoi je ne crois pas –, tout en garantissant un délai de réponse raisonnable.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Il faut voter l’élargissement de la durée que propose M. Bernalicis.

Ce qui est envisagé met en cause l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui n’est pourtant pas mon préféré : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. »

Cette loi met d’une certaine manière en cause le droit de propriété des noms de domaine. Quand vous attaquez ce droit, vous contrevenez à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Il faut donc une « nécessité publique légalement constatée », ce qui est le cas puisqu’il est question de sécurité, mais l’amendement de M. Bernalicis renforce la protection ce droit fondamental.

Mme Anne Le Hénanff (HOR). Nous sommes dans le cadre d’une loi de programmation militaire. Idéalement, l’Anssi devrait pouvoir agir dans l’heure, mais l’amendement CL87 vise à ce que soient prises en compte les contraintes techniques, logistiques et humaines liées à l’opérateur – lequel n’aura pas le temps d’agir en une heure – tout en respectant les droits fondamentaux. Nous souscrivons donc à l’amendement proposé par la rapporteure pour avis.

La commission rejette successivement les amendements CL22 et CL43.

 

Elle adopte l’amendement CL87.

 

Amendement CL57 de M. Jérémie Iordanoff.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Je profiterai de cette intervention pour répondre à Mme la rapporteure pour avis, au sujet de l’amendement CL56, que les collectivités territoriales ne sont a priori pas couvertes par l’Anssi.

Cet article, en lui attribuant des techniques de renseignement, entretient en outre la confusion entre les missions de l’Anssi et les techniques de renseignement.

L’amendement CL57 prévoit que les mesures prises ne peuvent intervenir qu’après que l’autorité nationale a mis la personne concernée en mesure de présenter ses observations et, le cas échéant, de régulariser sa situation.

Il découle de l’audition de la professeure Bertrand, qui nous a suggéré que la personne visée par les injonctions prises par l’Anssi n’est pas nécessairement de mauvaise foi, qu’elle peut régulariser sa situation et qu’elle a besoin de se défendre.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Cet amendement alourdirait considérablement le dispositif puisque la personne concernée par la mesure devrait être sollicitée par l’Anssi et invitée à régulariser sa situation, ce qui suppose un certain délai de réponse.

L’applicabilité de cette disposition serait également problématique au cas où la personne responsable n’est pas joignable.

L’Anssi est là pour défendre les victimes et ne récolte a priori aucune donnée personnelle, contrairement aux services de renseignement.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement CL6 de Mme Mélanie Thomin.

M. Roger Vicot (SOC). L’amendement s’inscrit dans la lignée des propos de plusieurs collègues, dont M. Latombe : il vise à encadrer les prérogatives assez considérables conférées à l’Anssi, en prévoyant que les mesures que pourra prendre l’Agence devront recevoir au préalable un avis conforme de l’Arcep.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Votre dispositif est particulièrement lourd pour l’Arcep et il devrait être réservé aux cas les plus délicats pour les libertés publiques.

S’agissant de la redirection du nom de domaine vers un serveur sécurisé de l’Anssi, l’article prévoit qu’une telle mesure ne peut excéder une durée de deux mois, reconductible une seule fois en cas de persistance de la menace et après avis de l’Arcep. Cette mesure doit cesser sans délai lorsque la menace est maîtrisée.

Les autres décisions sont également soumises au contrôle de l’Arcep, qui dispose d’un accès permanent aux données collectées par l’Anssi. En outre, l’ensemble des mesures susceptibles d’être ordonnées par l’Anssi pourront faire l’objet d’un recours devant le juge administratif, dans les conditions du droit commun. L’ensemble de ces garanties me paraît suffisant. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Dès que l’on parle de donner des moyens juridiques et humains à une autorité comme l’Arcep pour garantir le respect des libertés fondamentales, vous dites qu’une telle mesure serait trop lourde et trop complexe même si elle ne nuit en rien à l’efficacité. On en est donc rendu à dire qu’il est trop lourd et trop complexe de garantir le respect des libertés fondamentales ! En revanche, pour voter la Lopmi et aligner des milliards d’euros pour développer de nouvelles techniques de renseignement, là, il n’y a aucun problème ! J’aimerais que l’on procède à un rééquilibrage.

Oui, assurer le respect des libertés fondamentales coûte de l’argent, mais c’est une question essentielle. J’en ai assez d’entendre toujours la même réponse sur le coût de ces mesures. À ce rythme, le respect des libertés fondamentales deviendra facultatif et dépendra de la disponibilité d’un juge et des moyens du requérant d’y accéder et de comprendre dans quel cadre il peut agir. On glisse tranquillement, au nom d’une sécurité nationale plus ou moins fantasmée, vers quelque chose qui ne ressemble plus à un État de droit.

Les collègues socialistes ne proposent pas la lune, mais une petite garantie apportée par une petite autorité administrative indépendante (AAI) : même ça, c’est trop pour vous !

La commission rejette l’amendement.

 

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL75 de Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis.

 

Amendement CL5 de Mme Mélanie Thomin.

M. Roger Vicot (SOC). Dans le même état d’esprit, nous proposons de compléter l’alinéa 11 par la phrase suivante : « Le contrôle juridictionnel sur les décisions prises au titre du présent article s’exerce notamment dans les conditions prévues à l’article L. 521‑2 du code de justice administrative. » Nous souhaitons que les décisions prises dans le cadre de l’article 32 puissent être soumises au juge administratif au travers de la procédure du référé-liberté. Le juge des référés se prononce sur le fondement de deux critères : l’urgence et l’atteinte à une liberté fondamentale. L’objectif est de clarifier la loi pour que les acteurs concernés connaissent la procédure applicable.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Votre demande est déjà satisfaite. Le référé-liberté est un recours que peut actionner tout justiciable ; le juge donnera une suite favorable à sa requête si plusieurs conditions, prévues à l’article L. 521-2 du code de justice administrative, sont remplies : l’administration doit avoir porté une atteinte grave à une liberté fondamentale, l’atteinte doit être manifestement illégale et imputable à une personne morale de droit public ou à un organisme de droit privé chargé d’un service public, enfin, il doit y avoir une urgence à agir pour faire pour faire cesser cette atteinte. L’avis est défavorable car il ne faut pas rendre la loi trop bavarde en lui faisant répéter des dispositifs qui existent déjà.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Si le magistrat a quarante-huit heures pour se prononcer et que la personne doit obtempérer dans les quarante-huit heures suivant la demande de l’Anssi, quand l’individu pourra-t-il faire valoir ses droits et le juge étudier le dossier et se prononcer ? Le référé-liberté existe certes déjà, mais votre mesure attentatoire aux libertés ne sera pas placée dans la même partie du code ; or il est bon que le citoyen connaisse les voies et les délais de recours. En fait, il vaut mieux que l’attaque ait lieu un dimanche ou un jour férié car, comme le texte prévoit un délai de quarante-huit heures ouvrées, le citoyen bénéficiera, dans ce cas de figure, de vingt-quatre heures supplémentaires : nous allons poliment demander aux cyberattaquants d’agir un dimanche ou un jour férié afin de garantir l’État de droit.

M. Roger Vicot (SOC). Nous avons eu le même débat lors de l’examen de la Lopmi et du projet de loi relatif aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Le référé-liberté existe déjà bien entendu, mais ce qui va sans dire va toujours mieux en le disant : inscrivons ce recours dans cette loi, de manière à ce que cette garantie apparaisse explicitement.

La commission rejette l’amendement.

 

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL76, CL77 et CL78 de Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis.

 

Amendement CL10 de Mme Mélanie Thomin.

M. Roger Vicot (SOC). Cet amendement poursuit un objectif de transparence : puisque les compétences de l’Anssi sont largement élargies, nous souhaiterions disposer d’un rapport d’activité sur les conditions d’application et sur les résultats du nouveau dispositif. L’amendement n’est pas satisfait à ma connaissance.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Je ne compte pas déroger au principe de la commission des lois selon lequel les amendements demandant des rapports sont systématiquement écartés. Ces derniers alourdissent la charge de travail de l’administration sans forcément améliorer l’information du Parlement.

Surtout, comme de coutume pour les lois les plus importantes, nous pourrons tout à fait nous saisir de ce sujet dans le cadre des prérogatives de contrôle du Parlement et procéder à l’évaluation de l’ensemble de la loi – pas uniquement de l’article 32 – plusieurs années après son entrée en vigueur. Nous apprécierons ainsi bien mieux le fonctionnement des dispositifs des articles 32 à 35.

M. le président Sacha Houlié. C’est le président socialiste de la commission Jean-Jacques Urvoas qui avait établi ce principe de refuser les rapports.

M. Roger Vicot (SOC). C’est le passé, Monsieur le président, et ce principe ne figure pas dans le règlement.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Il nous est arrivé, dans cette commission, d’adopter des amendements demandant la transmission d’un rapport au Parlement. Ce qui est vrai, c’est que le Gouvernement ne les remet pas forcément. Il me semble que dans le projet de loi relatif aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024, la commission a adopté une disposition visant à ce que la Cour des comptes élabore un rapport, cette disposition étant présentée comme une garantie – même si j’ai bien compris que les garanties ne constituaient pas le cœur de votre politique. Il serait en effet préférable que le Parlement effectue lui-même ce genre de contrôle, encore faudrait-il qu’il en ait les moyens.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement CL23 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). L’Anssi pourra conserver les données qu’elle aura recueillies pendant dix ans pour connaître, comprendre et analyser les attaques et les attaquants. Je ne comprends pas le choix de cette durée. Pourquoi pas deux ans ? Pourquoi pas l’éternité ? Au milieu de l’article qui prévoit des dispositifs opérationnels concrets, vous insérez une mesure de conservation des données pendant dix ans.

Cette durée est disproportionnée, d’autant que l’Anssi peut déjà collecter des données, certes dans un cadre plus restreint, notamment dans le temps, et plus contraint. Le droit existant suffit largement.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Je ne suis pas favorable à votre amendement car son adoption supprimerait les modalités encadrant la conservation des données recueillies au titre de l’article 32 : ce serait juridiquement très insécurisant et ne répondrait probablement pas à votre souhait.

J’entends qu’il s’agit plutôt d’un amendement d’appel, qui entend s’opposer aux nouvelles autorisations en matière de collecte de données sans motif légitime apparent. Or l’alinéa visé concerne les cas où des cyberattaquants ont sciemment exploité un nom de domaine pour porter atteinte à la sécurité nationale. Il s’agit d’obtenir des éléments sur le comportement de l’attaquant et sur son mode opératoire afin de neutraliser la menace, identifier les victimes et mieux prévenir les attaques. L’alinéa 14 prévoit justement des délais de conservation limités, toujours sous le contrôle de l’Arcep. D’ailleurs, dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’État observe que le dispositif envisagé est justifié par la sauvegarde des intérêts de la nation et par la prévention des atteintes à l’ordre public. En outre, un prochain amendement vise à réduire la durée de conservation des données.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements CL50 de Mme Clara Chassaniol et CL104 de Mme Sabine Thillaye (discussion commune).

Mme Clara Chassaniol (RE). Mon amendement vise à réduire à deux ans le délai de conservation des données directement utiles à la caractérisation des menaces recueillies par l’Anssi, par parallélisme avec l’article 35, même si le type de données diffère dans ces deux articles. La rapporteure pour avis a déposé un amendement prévoyant un délai de cinq ans, qui permettra de vérifier l’antériorité de certaines menaces sans conserver trop longtemps les données recueillies. Je retire mon amendement à son profit.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Le délai de conservation des données de dix ans paraissant trop long et celui de deux ans semblant à l’inverse trop court, j’ai déposé un amendement visant à le porter à cinq ans pour trouver un équilibre.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Un délai de cinq ans est certes préférable à un délai de dix ans, mais on peut encore lui préférer un délai de deux ans. Pourquoi proposez-vous cinq ans ? Les cyberattaquants récidivistes agissent-ils en moyenne pendant cinq ans ? L’alinéa 14 prévoit la destruction sans délai des données inutiles à la caractérisation de la menace, à l’exception de celles permettant d’identifier les utilisateurs ou les détenteurs des systèmes d’information menacés : pourquoi cette disposition ne s’applique-t-elle pas à toutes les données, le cas échéant en prévoyant une conservation de deux ans pour certains éléments spécifiques ? Ne cherche-t-on pas à disposer de jeux de données pour alimenter des logiciels utilisant des algorithmes visant à détecter des menaces ? J’aimerais comprendre car, sans raison objective et rationnelle, il est dangereux de donner des prérogatives insuffisamment encadrées à un organisme.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Le délai de cinq ans n’est pas arbitraire : l’Anssi a besoin de s’appuyer, dans ses recherches d’antériorité, sur des éléments liés à des attaques passées. L’Agence a concédé qu’un délai de dix ans était trop long, mais qu’une durée de deux ans ne lui permettrait pas d’agir efficacement. Le délai de cinq ans est le compromis résultant de notre discussion avec l’Agence.

Mme Anne Le Hénanff (HOR). Les délais de conservation des données sont nécessaires : dans ce domaine bien précis, nous faisons face à des terroristes qui agissent en ligne, et les délais visent à prévenir les récidives et à anticiper les menaces ; ils permettent de croiser les informations sur les menaces, les attaquants et les filières agissant en Europe. Voilà ce qui justifie la conservation des données ; quant à la durée, la fixer à cinq ans me paraît raisonnable.

L’amendement CL50 est retiré.

 

La commission adopte l’amendement CL104.

 

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL79 de Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis.

 

Amendement CL58 de M. Jérémie Iordanoff.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). La célérité et l’efficacité ne doivent pas être réservées au pouvoir exécutif, elles doivent aussi bénéficier à la justice. Le but de cet amendement est de garantir un accès rapide au juge administratif pour les personnes visées par les injonctions de l’Anssi ; il vise ainsi à instaurer des règles spéciales de contentieux administratif sur le modèle des dispositions de la loi du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat concernant la prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Votre amendement prévoit de créer un cadre dérogatoire au droit commun permettant au justiciable de saisir le juge administratif dans des délais très brefs. J’y suis opposée car un recours rapide existe déjà dans notre droit : si les critères sont remplis, en particulier ceux relatifs à l’urgence et à l’atteinte à une liberté fondamentale, toute personne pourra obtenir la suspension d’une mesure dans le cadre du référé-liberté, ce qui me semble être une garantie particulièrement forte, d’autant que le juge se prononce dans un délai de quarante-huit heures.

Par ailleurs, il existe d’autres dispositifs de blocage administratif dans notre droit, et introduire des procédures contentieuses différentes pour chacun d’entre eux nuit à la lisibilité de la loi. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement CL59 de M. Jérémie Iordanoff, amendements identiques CL24 de M. Ugo Bernalicis, CL44 de M. Philippe Latombe et CL96 de Mme Sabine Thillaye (discussion commune).

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). L’amendement CL59 est presque rédactionnel. Il n’a échappé à personne que l’article 32 présentait des enjeux évidents de protection des données personnelles. Il m’apparaît donc logique que la Cnil soit consultée dans la phase d’élaboration du décret d’application de l’article.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Le dispositif de l’article 32 autorise l’Anssi à recueillir et à conserver des données personnelles : ne pas prévoir de consultation de la Cnil dans un tel cadre est soit un oubli, soit la traduction d’une volonté de brouiller la frontière séparant les compétences de la Cnil de celles de l’Arcep, afin de faire croire que cette dernière est suffisamment outillée pour gérer les données personnelles. Peut-être souhaitez-vous démanteler progressivement la Cnil pour transférer ses missions à d’autres autorités aux ambitions différentes – il faut dire que le Gouvernement n’a toujours pas remis les rapports sur la vidéosurveillance qu’il doit à la Cnil depuis 2014.

Pourquoi cet oubli du Gouvernement, que la rapporteure pour avis souhaite également combler ?

M. Philippe Latombe (Dem). L’amendement est identique et fait l’unanimité. La rapporteure pour avis propose également d’intégrer la Cnil dans le dispositif : il s’agit d’une mesure de transparence et de protection de nos concitoyens pertinente. L’adoption de cet amendement rendra l’article 32 plus compatible avec les libertés publiques et individuelles.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Monsieur Iordanoff, je vous propose de retirer votre amendement au profit des trois amendements identiques.

L’amendement CL59 est retiré.

 

La commission adopte les amendements identiques CL24, CL44 et CL96.

 

Amendement CL40 de M. Philippe Latombe.

M. Philippe Latombe (Dem). Lors des auditions, les opérateurs nous ont dit que les demandes de l’Anssi, dont le volume ne figure pas dans l’étude d’impact, engendreront non pas des surcoûts mais des coûts. Il serait logique que l’Anssi indemnise ces derniers et pas seulement les premiers. Or les opérateurs font face à de la concurrence et doivent effectuer des investissements assez lourds au profit de nos concitoyens. L’indemnisation des demandes de l’Anssi doit donc être juste.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. De nombreux acteurs économiques ont en effet soulevé cette question ; je comprends le sens de votre amendement, mais il me semble que les efforts d’investissement dans les réseaux doivent être supportés par les opérateurs, à charge pour l’État de compenser les surcoûts liés à l’exploitation de ces infrastructures dans le cadre des prérogatives régaliennes. Je suis donc opposée à votre amendement, dont l’adoption pourrait représenter un coût très élevé pour les finances publiques, sans que cela paraisse justifié.

M. Philippe Latombe (Dem). Je ne peux pas laisser passer cette explication : l’étude d’impact ne nous donne aucune idée du volume des demandes de l’Anssi, donc il est impossible d’évaluer le coût et le surcoût que celles-ci représenteront pour les opérateurs. Votre seul argument est de dire que le dispositif contribuera à sécuriser les réseaux, ce qui bénéficiera aux opérateurs. L’État impose une charge à des opérateurs privés, qui doivent investir dans des nouvelles technologies pour améliorer leurs réseaux, mais vous refusez de la prendre en compte. C’est à l’Anssi de supporter le coût des demandes qu’elle adressera, ne serait-ce que pour la responsabiliser et la dissuader d’adresser en permanence des requêtes aux opérateurs.

Je pensais que nous avions un accord sur cette partie du texte : je vois que tel n’est pas le cas, j’en tirerai les conséquences.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Je me suis appuyée sur l’argument de l’Anssi, qui n’évoque que vingt opérations par an, ce qui n’est pas beaucoup. Par ailleurs, le code des postes et des communications électroniques prévoit déjà le principe de prise en charge des surcoûts à d’autres articles.

La commission rejette l’amendement.

 

Suivant la préconisation de la rapporteure pour avis, la commission rejette l’amendement CL48 de M. Mounir Belhamiti.

 

Elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 32 modifié.

 

Article 33 : (Art. L. 2321-3-1 [nouveau] du code de la défense) : Transmission à l’ANSSI de données techniques non identifiantes aux fins de détection et de caractérisation des attaques informatiques

 

Amendements de suppression CL15 de M. Philippe Latombe et CL67 de M. Aurélien Lopez-Liguori.

M. Philippe Latombe (Dem). Comme je l’ai indiqué avant l’examen des amendements, l’article 33 marque une évolution qui ne me plaît pas. Nous devions apporter des corrections à la rédaction des articles 32 à 35 qui était trop large et insuffisamment encadrée. Or vous ne semblez pas vouloir la modifier, comme vient de le montrer l’examen de l’amendement précédent.

Je fais confiance à la rapporteure pour avis et au ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications – preuve de la portée de ces articles, ce sera lui qui sera au banc en séance publique et non le ministre des armées. Si jamais le dispositif n’était pas limité, il serait censuré par le Conseil constitutionnel car il touche à des libertés publiques et individuelles : or, selon l’article 34 de la Constitution, c’est notre rôle de trouver l’équilibre entre la garantie de ces libertés et l’intérêt national, en l’occurrence la sécurité des systèmes d’information. Si tous les amendements visant à restreindre le champ du dispositif étaient balayés parce que l’Anssi ou le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) n’en veulent pas et que l’on conservait la rédaction actuelle de l’article, nous serions confrontés à plusieurs problèmes.

Je retire l’amendement de suppression en restant vigilant ; j’en redéposerai un par précaution pour la séance publique, afin de m’assurer que les modalités dont nous avons parlé avec l’Anssi et le SGDSN lors des auditions soient bien mises en pratique.

M. Aurélien Lopez-Liguori (RN). Nous ne faisons pas confiance au Gouvernement et nous maintenons notre amendement de suppression de l’article 33, qui prévoit la transmission à l’Anssi par les opérateurs de communication électronique des données de cache des systèmes de noms de domaine : l’Anssi, qui dépend du SGDSN placé sous l’autorité de la Première ministre, accédera à des données relatives aux utilisateurs de réseaux, qu’ils soient bienveillants ou non.

Le champ de l’article, particulièrement large, excède la protection de la sécurité nationale. Vous nous dites que l’adresse IP source n’est pas incluse dans le périmètre du dispositif, donc que les données recueillies ne seront pas identifiantes. Cela n’est pas suffisant et vous refusez que les utilisateurs des réseaux consentent à transmettre leurs données. Même si ces dernières sont de nature technique, des garanties sont nécessaires. Le groupe Rassemblement national est convaincu qu’il est possible de trouver un juste équilibre entre la protection des libertés et la sauvegarde de la sécurité des données, mais l’article en est loin. Même si la volonté de détecter les menaces est louable, le champ de l’article est trop large, d’où notre souhait de le supprimer.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. L’article 33 imposera aux fournisseurs de système de résolution de noms de domaine de transmettre régulièrement à l’Anssi des données techniques non identifiantes enregistrées temporairement sur les serveurs DNS, afin d’identifier les serveurs mis en place par les attaquants et établir la chronologie de leurs attaques. L’objectif est de mieux comprendre l’infrastructure utilisée par les cyberdélinquants et de mieux détecter et anticiper leurs attaques.

L’Anssi ne recueillera que les données techniques non identifiantes des serveurs, c’est-à-dire celles des machines, sans aucune personne physique derrière elles. En particulier, elle ne collectera pas les adresses IP sources, qui sont des données à caractère personnel. Par ailleurs, l’Arcep bénéficiera d’un accès permanent aux données collectées au titre de l’article, dans le cadre de ses prérogatives de contrôle. Elle sera d’ailleurs consultée en amont de la prise du décret d’application.

Je souhaite en revanche encadrer le dispositif de l’article en précisant dans la loi que les adresses IP sources ne seront pas collectées, en prévoyant que le décret d’application soit pris après avis de la Cnil, qui se prononcera ainsi sur le dispositif et s’assurera que les données collectées et traitées respectent les principes fondamentaux qui se rattachent à la protection des données à caractère personnel, et en portant à cinq ans la durée maximale de conservation des données collectées. Ces garanties permettent d’aboutir à un équilibre convenable. L’avis est défavorable sur ces deux amendements de suppression.

L’amendement CL15 est retiré.

 

La commission rejette l’amendement CL67.

 

Amendement CL47 de M. Philippe Latombe.

M. Philippe Latombe (Dem). Il vise à préciser que des données techniques non identifiantes peuvent être transmises à l’Anssi aux seules fins de garantir la défense et la sécurité nationales. Il est opportun d’expliciter et de circonscrire l’objectif du dispositif dans la loi, non pour la rendre bavarde mais pour ne pas laisser à l’Anssi, qui n’est pas une AAI, des prérogatives trop importantes.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Je suis tout à fait d’accord avec l’objectif de cet amendement, qui est de limiter le périmètre du dispositif aux cas les plus graves, afin d’assurer la proportionnalité des obligations qu’il impose aux acteurs du numérique. Toutefois, la rédaction de l’amendement est imparfaite : je vous propose donc de le retirer et d’échanger avec le Gouvernement pour parvenir, d’ici à l’examen en séance publique, à une rédaction qui convienne à tous.

M. Philippe Latombe (Dem). Je maintiens l’amendement, quitte à le modifier d’ici à l’examen en séance. La commission des lois est saisie de sujets extrêmement techniques qui touchent aux libertés individuelles et publiques ; nous devons éclairer nos collègues en séance sur ces éléments. Je préfère que l’on améliore la rédaction une fois l’amendement adopté et non retiré : vous, ou le Gouvernement, pourrez déposer un amendement en séance publique modifiant la précision adoptée en commission.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Je vais dans le sens de mon collègue Latombe : il importe d’encadrer le dispositif de transmission de données à l’Anssi. Peut-être la rédaction de l’amendement peut-elle évoluer d’ici à la séance publique, mais nous souhaitons que cette modification précise encore davantage la notion de sécurité nationale en dressant la liste des éléments qu’elle recouvre. Nous voterons en faveur de l’amendement.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Je donne un avis favorable à l’amendement pour inviter le Gouvernement à entrer dans la négociation sur ce point. Il me paraît en effet utile de rattacher le dispositif à la défense et à la sécurité nationales. Je comprends également les arguments de l’Anssi, mais propose que nous travaillions à partir de cet amendement pour trouver une rédaction optimale d’ici à l’examen en séance.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement CL89 de Mme Sabine Thillaye.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Je propose une simplification légistique. Il ressort des auditions que j’ai menées que seuls les fournisseurs de système de résolution de noms de domaine sont concernés par le dispositif : cibler l’ensemble des opérateurs de communications électroniques ne paraît dès lors plus utile. Cette suppression n’emporte aucune conséquence opérationnelle pour l’Anssi.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement CL60 de M. Jérémie Iordanoff.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Dans sa rédaction actuelle, l’article 33 prévoit la transmission obligatoire des données techniques non identifiantes, mais ne la formalise pas. Le dispositif ferait peser une lourde charge sur les opérateurs de communications électroniques et les fournisseurs de système de résolution de noms de domaine. Il me semble nécessaire de conditionner la transmission des données à l’envoi d’une demande expresse des agents de l’Anssi.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Par souci d’efficacité et de limitation des coûts et des charges supportés par les acteurs économiques et les agents de l’Anssi, il est prévu une transmission automatisée des données. Je ne souhaite pas revenir sur cet aspect, sauf à alourdir inutilement le dispositif. Avis défavorable.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Nous ne pouvons pas nous contenter de cette réponse car si toutes les transmissions sont automatisées, le dispositif n’est pas ciblé. La démarche retenue est curieuse, et je maintiens mon amendement.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Nous avons déjà apporté des garanties en mettant la Cnil dans la boucle et en limitant le délai de conservation des données.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements CL29 de Mme Anne Le Hénanff et CL51 de Mme Clara Chassaniol (discussion commune).

Mme Anne Le Hénanff (HOR). Actuellement, les opérateurs et les fournisseurs de système de résolution de noms de domaine ne collectent pas tous les mêmes données dans le cadre de la gestion de leur service. L’amendement a pour objet de s’assurer tant de la capacité des acteurs concernés à stocker et à transmettre les données demandées que de celle de l’Anssi à les traiter. Je propose ainsi de limiter le périmètre d’application de l’article aux seules données déjà collectées par les opérateurs et les fournisseurs. L’objectif est d’éviter de leur adresser des demandes complémentaires en limitant les requêtes aux données qu’ils produisent déjà.

Mme Clara Chassaniol (RE). Dans la même logique, mon amendement vise à préciser la nature des données techniques qui entrent dans le champ de l’article. Nous souhaitons cibler les données définies dans l’étude d’impact car ce sont elles qui seront utiles à l’Anssi. Le dispositif fera l’objet d’un contrôle de l’Arcep, mais il importe que la loi précise les données concernées afin d’apporter les garanties nécessaires.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Je partage l’objet de votre amendement, Madame Le Hénanff, mais je vous propose de le retirer afin d’aboutir à une rédaction plus précise en vue de la séance publique, rédaction qui pourrait par exemple s’inspirer de l’article R. 10-12 du code des postes et des communications électroniques. Les acteurs visés auront en effet une opération d’anonymisation à réaliser pour s’assurer que les données ne soient pas identifiantes et soient transmises dans le bon format, aspect que votre amendement n’aborde pas.

La liste des données collectées est normalement définie par voie réglementaire, Madame Chassaniol, même si le législateur peut poser certaines interdictions, ce que je souhaite en l’espèce. Le choix de la norme réglementaire facilite la modification de la liste en fonction de l’évolution de la menace, des moyens technologiques et des besoins, dans le respect des interdictions prévues par la loi. Je vous demande de retirer votre amendement au profit du CL92 que nous examinerons dans un instant : celui-ci vise à inscrire clairement dans la loi l’absence de collecte de données relatives aux IP sources.

Mme Anne Le Hénanff (HOR). J’accepte de retirer mon amendement en notant que vous reviendrez vers nous avec un amendement réécrit d’ici à la discussion en séance.

Mme Clara Chassaniol (RE). Je retire également mon amendement, mais j’espère que nous aboutirons en séance à une rédaction qui dresse une liste claire des données recueillies, sans attendre le décret.

Les amendements sont retirés.

 

La commission adopte l’amendement rédactionnel CL80 de Mme Sabine Thillaye.

 

Amendement CL92 de Mme Sabine Thillaye.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Cet amendement reprend la formulation de l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques pour exclure clairement les adresses IP sources du périmètre de l’article. Je souhaite inscrire cette garantie supplémentaire dans le texte pour assurer la proportionnalité et l’équilibre du dispositif.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). L’article 3 dispose que les données collectées ne sont ni personnelles, ni identifiantes, mais les adresses IP permettent, en croisant des fichiers, de connaître l’identité des personnes – d’ailleurs, l’objectif est bien de démasquer les auteurs des cyberattaques. Vous apportez des garanties de façade, en espérant que l’Arcep fera son travail correctement pour exercer un réel contrôle. Je m’apprêtais à soutenir l’amendement CL51 parce qu’il visait à dresser la liste précise de ce qui pouvait être recueilli ; Madame Chassaniol, vous espérez qu’une liste sera insérée dans l’article en séance publique, mais il n’en sera rien car les amendements de la rapporteure pour avis visent justement à l’éviter en excluant certaines données pour ne pas énumérer celles qui sont concernées par le dispositif. Les services refuseront une telle liste qui circonscrirait leur action. J’espère que vous redéposerez votre amendement en séance publique : si tel est le cas, soyez assurée que notre groupe le soutiendra.

M. Philippe Latombe (Dem). Les amendements de Mme Le Hénanff et de Mme Chassaniol ont été retirés alors qu’ils étaient tout à fait pertinents ; on aurait d’ailleurs dû les adopter tous les deux. Le périmètre de l’article 3 est trop large et ne prévoit que des contrôles ex post et aucun ex ante ; nous ignorons tout du volume de données qui sera concerné. Le traitement des données sera automatisé et nous ne pourrions pas, nous, les législateurs, définir les données qui seront collectées et celles qui ne le seront pas ?

La Constitution nous impose de trouver un équilibre pour de tels dispositifs et nous enjoint de dresser une liste positive des données entrant dans le champ de la loi. Cette exigence a présidé à la création de la Cnil et à l’élaboration du règlement général sur la protection des données (RGPD) et de toutes les dispositions développées à l’échelle européenne. Et parce que ce sont l’Anssi et le SGDSN à la manœuvre, nous devrions fermer les yeux et ne rien faire ? Nous comprenons les impératifs de sécurité nationale – opportunément placés dans le chapeau de l’article 33 –, mais nous devons connaître exactement les données qui seront collectées : nos concitoyens nous le demandent pour avoir confiance dans le système de recueil d’informations visant à assurer leur sécurité. Il n’est pas possible de se contenter d’énumérer les données qui ne pourront pas être transmises, d’autant que l’on sait très bien que le croisement de certains éléments permettra d’identifier la personne derrière l’adresse IP source. En l’état, l’article 33 s’expose à une censure du Conseil constitutionnel – et je ne parle même pas du contrôle de conventionnalité.

Mme Clara Chassaniol (RE). Je rejoins ce qui vient d’être dit et me réjouis de notre discussion, qui nous permettra de nous accorder en séance sur une rédaction plus précise. Les amendements que nous avons proposés présentaient quelques problèmes, et celui de la rapporteure pour avis visant à exclure du champ du dispositif les données identifiantes, comme l’IP, est important. Il restera à définir très précisément les données qui pourront être collectées : il me semble que nous sommes tous d’accord sur ce principe. Comme l’Anssi et le SGDSN pourront préciser le dispositif dans un décret, il nous faut écrire une loi très claire.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Je m’engage à ce que nous travaillions ensemble pour trouver une rédaction optimale : je ne me défilerai pas.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement CL91 de Mme Sabine Thillaye.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Cet amendement vise à encadrer la durée de conservation des données non identifiantes en prévoyant, en cohérence avec l’article 32, un délai maximal de cinq ans.

L’article 33 dispose que l’Anssi collecte les données techniques, mais il ne fixe aucun délai de conservation. Cette absence de précision ne pose pas de grandes difficultés juridiques car les données ne sont pas personnelles ; en outre, la conservation est utile pour lancer, lorsqu’une attaque est signalée, des recherches d’antériorité. Il ressort de mes échanges avec les acteurs concernés qu’une durée de cinq ans paraît appropriée.

M. Philippe Latombe (Dem). La rédaction initiale de l’article était maximaliste. On peut accepter le délai de cinq ans si on nous assure que rien ne permet d’identifier une personne dont les données auront été supprimées. Voilà pourquoi il faut que l’article dresse la liste des données qui peuvent être recueillies : il faut pouvoir s’assurer qu’elles ne peuvent donner lieu à une nouvelle identification. La loi « informatique et libertés » de 1978 et le RGPD nous imposent de prévoir cette garantie. Nous avons besoin de rester dans le cadre conventionnel. Le délai de conservation des données est très long : il peut constituer une exception admissible au RGPD parce qu’il s’agit de la sécurité et de la défense nationales, mais les données ne peuvent être ni personnelles ni identifiantes.

Je vous fais confiance, Madame la rapporteure pour avis, pour dresser une liste positive des données pouvant être collectées, condition sine qua non de l’acceptation d’un délai de conservation de cinq ans, mais je n’ai plus confiance dans l’Anssi et dans le SGDSN, dont les représentants sont revenus sur beaucoup de terrains d’entente que nous avions trouvés.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Je tiens à préciser que la Cnil est présente à tous les stades du dispositif.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendements CL90 de Mme Sabine Thillaye et CL61 de M. Jérémie Iordanoff (discussion commune).

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. L’amendement CL90 prévoit la consultation de la Cnil avant la publication du décret en Conseil d’État prévu pour l’application de l’article 33. Il vise ainsi à s’assurer que le dispositif envisagé respecte pleinement la réglementation en matière de protection des données à caractère personnel.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Dans le même esprit, mon amendement vise à rendre obligatoire la consultation de la Cnil avant l’adoption du décret d’application de l’article 33, lequel présente de vraies menaces pour la protection des données. Dans ce cadre, la consultation de la Cnil est le moins que l’on puisse faire.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Monsieur Iordanoff, je préfère la rédaction de mon amendement.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). C’est mieux de consulter la Cnil que de ne pas le faire, mais je n’ai pas compris si les données étaient identifiantes ou non. Si elles ne le sont pas, comme le prétend le Conseil d’État, l’avis de la Cnil est dispensable. Néanmoins, il faut parfois se méfier des avis du Conseil d’État car n’importe quelle personne un peu initiée à l’informatique sait identifier, en croisant quelques éléments, la personne cachée derrière une adresse IP. Cette dernière n’indique pas en elle-même le nom et le prénom de l’individu, mais elle est fournie par des opérateurs automatisés avec un horodatage qui présente les connexions des différentes adresses IP et le numéro des machines utilisées ; or ce sont justement ces données-là qui seront collectées. Il est donc important que la Cnil soit consultée. Il faut prévoir des garanties qui vont au-delà des constats du Conseil d’État et de l’étude d’impact.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. La Cnil est justement consultée pour garantir que le processus d’anonymisation respecte le RGPD.

M. Philippe Latombe (Dem). La présence de la Cnil est indispensable. La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a une vision extensive des données personnelles et intègre de plus en plus d’éléments dans cette catégorie. Il est aisé de dresser un parallèle entre les données collectées de l’article 33 de ce texte et les métadonnées de connexion des opérateurs de téléphonie ; la CJUE a jugé ces dernières attentatoires, dans plusieurs cas, aux libertés publiques, ce qui obligeait les États à prévoir des formes de collecte et de réquisition très particulières. Face à ces risques juridiques, il faut consulter la Cnil et dresser une liste positive des données collectées, et non prévoir quelques exclusions. Le croisement d’informations sur les métadonnées transforme ces éléments en données personnelles de fait : il faut donc reprendre la rédaction de l’article 33.

La commission adopte l’amendement CL90.

 

En conséquence, l’amendement CL61 tombe.

La commission adopte l’amendement rédactionnel CL81 de Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis.

 

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 33 modifié.

 

M. le président Sacha Houlié. Nous achèverons l’examen des articles délégués cet après-midi à 14 heures 30.

Lien vidéo : https://assnat.fr/uRi0J4

M. le président Sacha Houlié. Nous reprenons nos travaux à l’article 34.

Article 34 (Art. L. 2321-4 [nouveau] du code de la défense) : Obligation d’information de l’ANSSI et des utilisateurs par les éditeurs de logiciel en cas de vulnérabilité significative ou d’incident informatique.

 

Amendements CL31 de Mme Anne Le Hénanff et CL99 de Mme Sabine Thillaye (discussion commune).

Mme Anne Le Hénanff (HOR). Le périmètre de l’article est très large puisqu’il prévoit d’obliger les éditeurs à notifier toute faille de sécurité dont ils auraient connaissance. S’il semble indispensable qu’ils signalent systématiquement et dans les plus brefs délais à l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) les vulnérabilités et les incidents susceptibles de porter atteinte à la sécurité nationale, cette obligation serait disproportionnée si elle s’appliquait à toutes les failles éventuelles.

Il vous est, par conséquent, proposé de préciser que la vulnérabilité, en plus d’être significative, doit être susceptible de porter atteinte à la sécurité nationale.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Afin de clarifier le texte et de rendre le dispositif plus intelligible, l’amendement CL99 vise à préciser que les incidents et les vulnérabilités visés doivent être significatifs.

Je suis sensible à la volonté des auteurs de l’amendement CL31 de préciser et d’encadrer l’article, néanmoins, je les invite à retirer cet amendement au profit du mien. Les éditeurs, s’ils ont la responsabilité de déclarer les vulnérabilités de leurs logiciels, ne sont pas habilités à apprécier l’atteinte à la sécurité nationale, qui est une prérogative de l’État.

M. Philippe Latombe (Dem). La question se pose en effet de savoir qui est à même de considérer que la sécurité nationale est en jeu, d’autant plus que de nombreux logiciels sont revendus par les éditeurs qui les ont conçus à d’autres éditeurs, qui les intègrent ensuite dans leurs propres solutions.

Il semble préférable de retenir l’amendement de Mme la rapporteure pour avis, même s’il conviendrait de le retravailler avant l’examen en séance publique afin d’intégrer la notion de sécurité nationale. C’est l’objectif que nous visions pour ces articles du titre V dans lequel la sécurité nationale semble avoir été oubliée alors qu’il a trait à la sécurité des systèmes d’information.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Si j’ai bien compris, nous voudrions que les éditeurs de logiciel préviennent l’Anssi de toute faille dans la sécurité ou de toute vulnérabilité de leurs logiciels, car il se trouve que l’État et les administrations utilisent ces mêmes logiciels et que les défaillances de ces derniers pourraient provoquer des dégâts autrement plus graves que chez de simples particuliers.

Or vous venez de dire, Madame la rapporteure pour avis, que les éditeurs de logiciel ne sont pas à même de juger si leurs produits risquent de porter ou non atteinte à la sécurité nationale. C’est d’autant plus vrai qu’une faille bénigne pour eux pourrait se révéler catastrophique pour l’État, en offrant un point d’entrée pour des systèmes visant à compromettre des données. L’esprit du texte, me semble-t-il, est d’exiger des éditeurs qu’ils signalent toutes les vulnérabilités, toutes les failles, sans chercher à les hiérarchiser, cette tâche incombant à l’Anssi qui évaluera si ces difficultés présentent un risque pour nos services. Or, si vous prévoyez que les éditeurs n’auront à transmettre que les failles ou les vulnérabilités significatives, vous faites reposer sur leurs épaules la charge de décider ce qui est significatif ou non. Est-ce là ce que nous voulons ? Pour toutes ces raisons, je ne voterai pas l’amendement de la rapporteure pour avis.

L’amendement CL31 est retiré.

 

La commission adopte l’amendement CL99.

 

Amendement CL39 de M. Philippe Latombe.

M. Philippe Latombe (Dem). L’amendement tend à limiter l’obligation d’information qui pèse sur les éditeurs de logiciel aux seuls clients professionnels. Le code de la consommation a prévu d’autres dispositions pour informer les autres consommateurs. L’Anssi peut communiquer des informations, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a l’obligation d’informer les clients en cas de fuite de données personnelles.

Si les logiciels sont revendus à d’autres éditeurs qui les intègrent dans leurs propres solutions et que des failles apparaissent, les clients professionnels, hôpital ou collectivité par exemple, seront tout de même informés. Notre proposition limite le champ des consommateurs informés mais pas la portée. L’Anssi y serait favorable.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Je comprends le sens de votre amendement et partage votre objectif mais la rédaction n’est pas sécurisante, car les logiciels à caractère grand public peuvent être utilisés par des professionnels, ce que votre amendement ne prend pas en compte.

Je vous invite à retirer votre amendement au bénéfice de celui que je vous présenterai dans quelques instants, le CL100, qui a pour objet de limiter l’obligation d’information aux seuls utilisateurs professionnels, que vous visez d’ailleurs dans votre exposé sommaire.

Par ailleurs, un travail de rédaction sur une définition des éditeurs de logiciel est en cours. J’espère qu’il aboutira d’ici à l’examen en séance publique.

M. Philippe Latombe (Dem). J’accepte de le retirer mais votre rédaction ne permet pas de s’assurer que l’ensemble des logiciels soient concernés. Vous visez, vous aussi, les utilisateurs professionnels, mais des logiciels pourraient passer entre les mailles du filet.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Je pense qu’au contraire, il ne faudrait pas préciser. Tous les utilisateurs, qu’ils soient des professionnels ou non, devraient être informés. Certes, d’autres dispositions prévoient déjà l’obligation d’avertir les particuliers mais mieux vaut prévoir large et n’oublier personne plutôt que d’en omettre certains à force de restreindre le champ des personnes à informer. L’usage professionnel n’est pas clairement défini et je me demande quel sort vous comptez réserver à ceux qui sont des professionnels mais qui ne se sont pas déclarés en tant que tels lorsqu’ils ont téléchargé un logiciel, par exemple parce qu’il serait libre de droits.

L’amendement est retiré.

 

Amendement CL26 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Je ne crois pas en l’altruisme des éditeurs de logiciel, car ils ont une réputation à préserver. Il est arrivé à de nombreuses reprises que des failles informatiques importantes soient révélées à la suite de fuites émanant des personnels de ces sociétés. Les sociétés n’en ont pas informé leurs clients alors qu’elles en avaient l’obligation. C’est pourquoi je vous propose de sanctionner les éditeurs de logiciel en cas de manquement à leurs obligations par une amende administrative pouvant atteindre 4 % de leur chiffre d’affaires.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. À ce stade, l’introduction de sanctions n’est pas souhaitable, le dispositif prévoyant déjà de publier les vulnérabilités en cas de non-respect de l’injonction de l’Anssi. C’est le fameux name and shame.

Je reste attentive à l’équilibre des dispositions votées et aux charges qui pèsent sur les personnes et les structures concernées.

Pour être honnête avec vous, sachez que je me suis renseignée sur la pertinence de prévoir ou non des sanctions et, après avoir auditionné les acteurs concernés, il me semble préférable d’en rester là, quitte à envisager une évolution ultérieure du dispositif si le name and shame ne suffisait pas.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Le juge peut choisir d’infliger ou non une sanction administrative. Le name and shame ne suffit pas. Encore récemment, de grandes entreprises ont refusé de révéler des fuites de données. Peut-être auront-elles été en difficulté quelques mois durant lesquels leur cotation en bourse aura reculé, mais elles existent encore et leur chiffre d’affaires n’en a pas souffert. Les gens ne sont pas à l’affût de ce type d’information et ne passent pas leur temps à lire la presse spécialisée. La plupart d’entre eux ne sauront pas que leurs données ont été mises en ligne, piratées par des hackers et revendues si l’obligation d’information qui pèse sur l’éditeur de logiciel n’est pas sanctionnée par une amende et que l’État n’en contrôle pas le respect.

Ne soyons pas naïfs ! Un rapport de force est engagé avec les éditeurs de logiciel, qui profitent parfois du monopole qu’ils détiennent sur le marché pour asseoir leur toute-puissance. C’est un problème dont nous avons déjà discuté, notamment à propos des techniques de renseignement pour lesquelles il n’existe qu’un ou deux logiciels sur le marché, ce qui vide de sa substance le name and shame ! Quoi qu’il arrive, vous dépendez d’eux ! Frapper au portefeuille d’une personne morale à but lucratif me semble un bon moyen de la dissuader.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements CL1 de M. Sébastien Chenu et CL49 de M. Mounir Belhamiti (discussion commune).

Mme Marie-France Lorho (RN). L’amendement CL1 tend à clarifier le délai auquel sont soumis les éditeurs de logiciel pour informer les utilisateurs d’une vulnérabilité significative ou d’un incident informatique de nature à compromettre la sécurité de leurs systèmes d’information et d’affecter un de leurs produits. Si une telle vulnérabilité ou un tel incident est détecté par l’éditeur de logiciel, celui-ci doit impérativement en informer ses utilisateurs afin de leur permettre de prendre les dispositions qui s’imposent. Au regard des enjeux de cybersécurité, cette information doit être transmise dans un délai maximal de soixante-douze heures à compter de la découverte de la vulnérabilité ou de l’incident.

Mme Sarah Tanzilli (RE). L’amendement CL49 vise à prévoir le délai dans lequel les éditeurs de logiciel informent leurs utilisateurs de la vulnérabilité significative qui affecte un de leurs produits ou d’un incident informatique qui compromettrait la sécurité de leurs systèmes d’information et pourrait affecter l’un de leurs produits. Nous proposons que ce délai soit fixé par l’Anssi pour assurer une meilleure réactivité face à la menace et éviter de potentiels abus.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. En la matière, la disposition étant déjà suffisamment contraignante pour les éditeurs, il serait souhaitable de laisser un peu de flexibilité et de ne pas prévoir de délais trop contraints.

Je suis néanmoins d’accord avec vous sur un point : il faut préciser au maximum le dispositif. C’est pourquoi je préfère l’amendement CL49, qui laisserait le soin de déterminer le délai à l’Anssi, laquelle pourra apprécier la situation in concreto, et prendre une décision adaptée à l’ampleur de l’incident et de la vulnérabilité.

Successivement, la commission rejette l’amendement CL1 et adopte l’amendement CL49.

 

Amendement CL25 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Nous voulons transformer en obligation la possibilité que ce texte se contente d’offrir à l’Anssi d’enjoindre aux éditeurs de logiciel d’informer leurs utilisateurs en cas de vulnérabilité ou d’incident affectant leur produit. Je ne comprends pas que vous ne soyez pas plus contraignants. Tenez-vous tant que cela à vous montrer sympathiques avec ces éditeurs et à ne pas trop les brusquer au prétexte que vous dépendez d’eux ? Si c’est vraiment l’explication, il devient urgent de nous doter des moyens de développer nos propres solutions informatiques.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Le dispositif juridique doit rester souple et proportionné. Imposer une publication rigidifierait excessivement le texte. L’Anssi doit conserver son libre arbitre et apprécier, au regard de l’ampleur de la vulnérabilité ou de l’incident, la nécessité de prendre une telle décision. Tous les jours, des incidents informatiques se produisent.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Le texte prévoit qu’en cas de vulnérabilité significative – cet adjectif ayant été ajouté par vos soins, Madame la rapporteure pour avis –, les éditeurs de logiciel doivent en informer les utilisateurs. S’ils ne le font pas, vous considérez qu’il serait suffisant de proposer à l’Anssi de leur demander de le faire. Mais dès lors que vous prévoyez, dans ce texte, que les éditeurs doivent informer leurs utilisateurs dans certains cas, vous devez, en cas de manquement de leur part, en tirer des conclusions et prendre les mesures qui s’imposent ! Vous ne pouvez pas vous dédire deux alinéas plus loin. À moins qu’il ne s’agisse que d’une obligation de façade et que vous vous laissiez toute latitude pour négocier. Finalement, celui dont les données auront été pillées se retrouve soumis à l’arbitraire d’un rapport de force entre l’Anssi et les éditeurs de logiciel. Ce n’est pas normal.

M. Philippe Latombe (Dem). Je me suis, moi aussi, demandé s’il fallait imposer une injonction et j’en ai discuté avec les éditeurs, l’Anssi et d’autres acteurs concernés. Le problème est que, tant qu’un patch n’a pas été trouvé pour corriger la faille, la publication de l’événement pourrait inciter les hackers à s’engouffrer dans la brèche. Il faut laisser à l’Anssi la latitude de décider du moment le plus opportun pour informer.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Mais il est indiqué que l’information doit être transmise « dans les meilleurs délais » ! On ne demande pas l’immédiateté !

M. Philippe Latombe (Dem). Certes, mais il arrive que les logiciels soient intégrés dans d’autres et qu’il faille du temps avant de corriger la vulnérabilité. La rendre publique serait dangereux.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement CL68 de M. Aurélien Lopez-Liguori.

M. Jordan Guitton (RN). L’article 34 prévoit un dispositif de remontée des vulnérabilités significatives et des incidents informatiques des éditeurs de logiciel à l’Anssi. L’agence aurait ainsi la possibilité de publier ces informations si l’entreprise n’a pas mis les utilisateurs au courant, même si la vulnérabilité n’a pas été réparée. La méthode est étonnante et s’apparente à une forme de chantage déguisé. Ce sont des procédés de hacker ! Vous autorisez l’Anssi à divulguer des données compromettantes pour faire plier sa cible. Comment justifier une telle doctrine ? Comment expliquer que l’on donne à une agence, qui dépend du Gouvernement, le pouvoir d’exposer des entreprises à des attaques de hackers ? Cette épée de Damoclès qui pèserait sur la tête des entreprises récalcitrantes ne peut pas être le moyen d’obliger les entreprises à remédier aux incidents et aux vulnérabilités.

Si une entreprise dont les failles ont été publiées par l’Anssi est attaquée, qui sera responsable ? L’entreprise ou l’Anssi ? Contre qui la victime se retournera-t-elle pour demander réparation ? Quand une mesure soulève plus de questions qu’elle n’en règle, c’est qu’elle doit être réécrite. Nous vous proposons, par conséquent, que l’Anssi ne puisse procéder à cette publication tant que l’éditeur de logiciel n’a pas remédié à la vulnérabilité ou à l’incident.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Nous venons précisément d’en discuter : laissons l’Anssi décider des modalités de publication et d’information. Avis défavorable.

M. Jordan Guitton (RN). Le problème est que l’Anssi n’est pas indépendante du Gouvernement.

M. Philippe Latombe (Dem). Votre question rejoint la discussion que nous avons eue au précédent amendement. Si nous adoptons le vôtre, l’Anssi ne pourra agir tant que la vulnérabilité n’a pas été réparée. Dans un souci d’équilibre, il faudrait aussi prévoir que l’Anssi puisse enjoindre à l’entreprise de réparer la vulnérabilité. Sinon, il suffirait que l’éditeur ne fasse rien pour que l’incident ne soit jamais publié.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement CL100 de Mme Sabine Thillaye.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. L’amendement tend à ce que seuls les utilisateurs professionnels soient informés en cas de vulnérabilité des produits, pour alléger la charge que fait peser cette disposition sur les éditeurs, sans méconnaître pour autant la portée ni l’objectif de l’article.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement CL32 de Mme Anne Le Hénanff.

Mme Anne Le Hénanff (HOR). Si certaines dispositions législatives actuelles s’appliquent aux éditeurs de logiciel, ces derniers n’y sont pas expressément définis. Dans un souci de clarté, il conviendrait de définir la notion d’éditeur de logiciel.

Ainsi, nul ne pourra prétendre se soustraire aux dispositions de l’article dès lors que son activité correspondra à la définition que nous vous proposons, dans la continuité de la jurisprudence rendue en la matière : « Toute personne assurant la conception, le développement, l’exploitation et la commercialisation de produits logiciels est un éditeur de logiciel ».

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Je suis favorable à tout amendement qui pourrait éclaircir la loi et je soutiens le principe de l’ajout d’une telle définition. Cependant, la rédaction que vous proposez exclurait les éditeurs de logiciel libre, ce qui fragiliserait le dispositif juridique. Je vous invite à retirer l’amendement afin de le retravailler avant l’examen en séance publique.

L’amendement est retiré.

 

Suivant la préconisation de la rapporteure pour avis, la commission rejette l’amendement CL11 de Mme Mélanie Thomin.

 

Amendement CL95 de Mme Sabine Thillaye.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. L’amendement tend à préciser la portée de l’article 34 en y intégrant la définition de l’incident informatique telle qu’elle est formulée dans la directive NIS 2 (Network and information security), cette définition n’existant pas encore en droit français.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement CL27 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Il serait bon que le décret qui sera pris en Conseil d’État pour préciser les dispositions de l’article 34 ne le soit qu’après avis de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep). L’intégrité de l’Anssi dépend de la capacité de contrôle de l’Arcep.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Je ne suis pas défavorable à l’amendement mais l’article 34, qui prévoit d’alerter l’Anssi et les utilisateurs de logiciels en cas de vulnérabilité et d’incident informatique significatifs, n’entre pas dans le périmètre de l’Arcep, qui est le régulateur des communications électroniques. Cet ajout ne me semble donc pas fondé en droit et il n’a pas été demandé par l’Arcep. Avis favorable néanmoins.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendements CL33 de Mme Anne Le Hénanff et CL98 de Mme Sabine Thillaye (discussion commune).

Mme Anne Le Hénanff (HOR). Il s’agit d’un amendement de repli. Nous proposons que le décret d’application précise « le type de vulnérabilité et d’incident informatique que les éditeurs de logiciel sont tenus de signaler à l’Anssi ».

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Comme vous, je propose que le décret en conseil d’État précise les critères d’appréciation du caractère significatif de la vulnérabilité ou de l’incident. Mais j’ajoute que ces critères se fonderont sur des pratiques et standards internationaux communément admis, comme le système d’évaluation des vulnérabilités, le CVSS, qui fait référence en la matière. Je vous invite donc à retirer votre amendement au profit du mien.

M. Philippe Latombe (Dem). L’amendement CL98, qui renvoie à la notion de « pratiques et standards internationaux communément admis », paraît préférable, et il a le mérite de distinguer clairement ce qui relève de la loi et du règlement.

L’amendement CL33 est retiré.

 

L’amendement CL98 est adopté.

 

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 34 modifié.

 

Article 35 (Art. L. 2321-2-1, L. 2321-3 et L. 2321-5 du code de la défense, art. L. 33-14, L. 36-7 et L. 36-14 du code des postes et des communications électroniques) : Renforcement des capacités de détection des cyberattaques et d’information des victimes.

Amendements de suppression CL12 de Mme Mélanie Thomin, CL14 de M. Philippe Latombe, CL37 de M. Ugo Bernalicis et CL69 de M. Aurélien Lopez-Liguori.

M. Roger Vicot (SOC). Nous ne sommes pas favorables à l’élargissement des missions de l’Anssi proposé par cet article. L’agence serait désormais chargée de détecter des attaques en recueillant des données auprès des opérateurs de télécommunication. Cette disposition paraît insuffisamment justifiée et encadrée. Cet élargissement des missions de l’Anssi pourrait, en outre, poser un problème de concurrence, en matière de contrôle, entre les services de renseignement, qui relèvent de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) et l’Anssi qui, elle, relève de l’Arcep.

M. Philippe Latombe (Dem). Je fais confiance à la rapporteure pour avis et au ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications pour corriger les points problématiques dans les articles précédents.

En revanche, l’article 35 pose un problème d’équilibre et est en contradiction avec l’article L. 34-1 du code des postes et des télécommunications. Il concerne, en outre, un volume de données très important. Par ailleurs, même si on nous explique que le cache DNS n’est pas une donnée personnelle identifiante, il permet quand même, quand on agrège les données, d’avoir une vision assez exhaustive de ce que quelqu’un a pu faire, soit sur un site, soit sur un serveur. On est assez proche de la définition que la Cour de Justice de l’Union européenne avait donnée des métadonnées de connexion des opérateurs de téléphonie. Il est impératif de mieux encadrer l’article 35, si nous voulons qu’il soit constitutionnel et conventionnel.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Madame la rapporteure pour avis, lorsque nous avons examiné l’article 32, vous avez répondu à mon collègue Jérémie Iordanoff que nous faisions une confusion entre l’Anssi et les services de renseignement. Mais cet article confie, de fait, à l’Anssi, des missions qui relèvent du renseignement.

Au fond, je comprends votre logique : la menace est réelle et on a besoin de pouvoir l’anticiper en collectant des informations, pour ne pas être uniquement dans la réaction. Je ne suis pas sûr, cependant, que l’Anssi soit suffisamment dotée, en moyens, humains notamment, pour remplir cette mission. En outre, nous allons encore dépendre de solutions logicielles non souveraines.

Ces questions doivent être maniées avec force pincettes et, en l’état, l’article n’apporte pas les garanties suffisantes pour aller au-delà de la réglementation actuelle, laquelle permet déjà de faire des choses. Du reste, j’ose espérer que si les services de renseignement avaient connaissance d’une faille ou d’une menace quelconque, ils préviendraient aussitôt l’Anssi, pour que celle-ci fasse des contrôles plus poussés et écarte la menace.

M. Jordan Guitton (RN). Nous souhaitons, nous aussi, la suppression de cet article fourre-tout.

Si nous reconnaissons évidemment la nécessité de sauvegarder l’ordre public, les moyens proposés ici sont soit trop larges, soit flous, soit inutiles, soit inapplicables. Voulons-nous vraiment que des données de contenu soient transmises à l’Anssi sans décision d’un magistrat ni consultation de la Cnil ? La suppression de l’assermentation des agents habilités est-elle vraiment nécessaire ? L’Arcep a-t-elle la capacité opérationnelle d’assurer les missions qui lui seront confiées ? À toutes ces questions, la réponse est non. Dans son avis sur le présent projet de loi, l’Arcep a elle-même reconnu que « son organisation et son mode de fonctionnement ne lui permettent pas d’assurer une réactivité opérationnelle courte ».

Enfin, les mesures contenues dans l’article sont gravement attentatoires aux libertés et les garanties qui sont données ne nous convainquent pas. Nous en attendons une réécriture complète, plus respectueuse des libertés et plus précise. En attendant le débat en séance, nous demandons sa suppression.

Le Rassemblement national a toujours défendu la sécurité des biens et des personnes, par le renforcement des moyens des forces de sécurité, y compris grâce à de nouvelles technologies. Mais nous sommes aussi pour la sécurité des données, qui est essentielle à la sécurité de tous les Français. Or ce texte ne la garantit pas.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Je rappelle que l’objectif de cet article n’est absolument pas la captation de données à caractère personnel, mais qu’il vise uniquement à mieux détecter une possible attaque, en récupérant les configurations et le détail des codes malveillants utilisés par l’attaquant, les données qu’il a dérobées, ses journaux de connexion, ainsi que les éléments permettant de déchiffrer le trafic malveillant – toutes choses impossibles à détecter avec de simples marqueurs techniques.

Toutefois, j’entends vos inquiétudes et je veux vous dire que des garanties sont déjà prévues. Il y aura, d’abord, un ciblage préalable de la machine compromise faisant l’objet de la copie. Concrètement, l’Anssi devra motiver sa demande, en fournissant un dossier circonstancié analysant au préalable la menace qui justifie le recours à la technique de recueil. Je pense aussi au contrôle de l’application de ces nouvelles mesures par l’Arcep, qui sera saisie en amont de tout enclenchement du dispositif et pourra, si elle considère que c’est justifié, refuser à l’Anssi l’engagement de la procédure. Par ailleurs, la durée de conservation des données utiles a été réduite à deux ans, au lieu de dix.

J’ai sollicité l’Anssi, afin de connaître les volumes estimés de recours à l’article. S’agissant de dispositions enclenchées uniquement pour les menaces graves sur les administrations publiques et opérateurs stratégiques, l’Anssi estime que, sur une année, elle pourrait procéder à une cinquantaine de copies de serveurs et à une vingtaine de captations de flux réseaux, ce qui paraît proportionné à l’objectif de lutte contre les menaces à la sécurité nationale.

Dans la continuité du dispositif existant, plusieurs garanties sont maintenues. Les demandes ne portent que sur le périmètre d’opérateurs présentant une sensibilité particulière – autorités publiques, opérateurs d’importance vitale (OIV) et opérateurs de services essentiels (OSE) – et pour une durée limitée, et elles ont toujours pour finalité la prévention et la caractérisation des menaces. Les données ne seront obtenues et exploitées que par des agents individuellement désignés et spécialement habilités – nous reviendrons sur cette question. Enfin, la destruction immédiate des données par l’Anssi est prévue par notre droit, dès lors que celles-ci sont jugées inutiles pour la prévention et la caractérisation de la menace.

Je suis convaincue de l’utilité de cet article et ne suis donc pas favorable à sa suppression. Toutefois, pour répondre à vos inquiétudes, j’ai souhaité apporter quelques modifications et garanties complémentaires : d’abord, en exigeant des précisions sur le type de données faisant l’objet d’un recueil ; ensuite, en prévoyant la consultation de la Cnil avant la prise du décret ; enfin, en circonscrivant l’utilisation de l’article aux situations les plus graves menaçants la sécurité nationale.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Les alinéas 21 et 22 prévoient que l’Anssi pourra fournir des marqueurs techniques aux opérateurs et que c’est à eux qu’il reviendra de les exploiter et de signaler à l’agence des failles éventuelles. Vous introduisez donc une forme de sous-traitance. Cela me semble être un élément supplémentaire de porosité entre les opérateurs, qui ont leurs intérêts propres, et l’Anssi, qui travaille pour l’intérêt général et la protection de nos concitoyens et concitoyennes, de nos entreprises et de nos intérêts nationaux. Il me semble que les implications de cette disposition mériteraient un examen approfondi.

La commission rejette les amendements.

 

Amendement CL70 de M. Aurélien Lopez-Liguori (RN).

M. Jordan Guitton (RN). Nous proposons de supprimer les alinéas 2 à 9, qui donnent la possibilité à l’Anssi de recueillir des données de contenu. En cas de menace susceptible de porter atteinte à notre sécurité nationale, l’Anssi, qui dépend du SGDSN, placé lui-même sous l’autorité de la Première ministre, pourrait recueillir une multitude de données sensibles qui transitent sur tous les réseaux. Le peu de garanties que vous proposez n’est pas de nature à nous rassurer, loin de là. L’Arcep, je l’ai dit, estime qu’elle n’aura pas les moyens d’assumer la nouvelle mission qui lui incombe. Enfin, les mesures proposées, intrusives, ne font pas l’objet d’une décision judiciaire préalable et ne sont pas assez encadrées. Le droit à la vie privée, au secret des communications et à la liberté d’expression sera toujours au cœur de nos préoccupations et nous ne cesserons jamais de les défendre, en accord avec la sécurité de nos compatriotes.

Suivant la préconisation de la rapporteure pour avis, la commission rejette l’amendement.

 

Amendements identiques CL34 de Mme Anne Le Hénanff et CL45 de M. Philippe Latombe.

Mme Anne Le Hénanff (HOR). Depuis la loi du 13 juillet 2018 relative à la programmation miliaire pour les années 2019 à 2025, en particulier en son article 34, les dispositions du code de la défense confèrent à l’Anssi le pouvoir de mettre en place, « lorsqu’elle a connaissance d’une menace susceptible de porter atteinte à la sécurité des systèmes d’information des autorités publiques », des marqueurs techniques.

Eu égard au renforcement des capacités de détection de l’Anssi, laquelle devra soumettre à l’Arcep tout projet de collecte de données malveillantes, le présent amendement vise à s’assurer que la collecte de données ne s’effectuera qu’aux fins de garantir la défense et la sécurité nationale.

M. Philippe Latombe (Dem). Il faut absolument limiter la portée de l’article 35, en reprenant ce qui avait été fait dans l’article 34 de la précédente loi de programmation. Si nous ne le faisons pas, l’Anssi pourra poser des sondes sur des réseaux pour n’importe quel motif, sans limitation. Cette pratique est tellement attentatoire aux libertés qu’il faut absolument préciser sa finalité, à savoir garantir la défense et la sécurité nationales, et rien d’autre.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Je partage votre objectif mais vous propose plutôt d’adopter l’amendement CL101, dont nous avons discuté hier avec le Gouvernement et le SGDSN et qui, me semble-t-il, a le même objectif que le vôtre. Je vous invite donc à retirer vos amendements.

M. Philippe Latombe (Dem). L’amendement CL101 n’a rien à voir avec les nôtres, puisqu’il évoque les « systèmes d’information » et ne concerne que la sécurité nationale. Or la défense et d’autres sujets sont aussi en cause.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. C’est une question que je me suis aussi posée. Je suis prête à retirer mon amendement au profit des vôtres.

La commission adopte les amendements.

 

L’amendement CL2 de Mme Mélanie Thomin est retiré, de même que l’amendement CL101 de Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis.

 

Amendement CL3 de Mme Mélanie Thomin.

M. Roger Vicot (SOC). L’amendement vise à conditionner la mise en œuvre des marqueurs techniques à un avis conforme et préalable de l’Arcep. En effet, ces dispositifs de collecte particulièrement intrusifs appellent des garanties en matière de droits et de libertés publiques.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Le dispositif juridique relatif aux marqueurs techniques prévoit déjà un contrôle a posteriori de l’Arcep. Il s’agit d’une possibilité qui existe depuis la précédente LPM, qui a été validée par le Conseil d’État, éprouvée par les acteurs, et que personne n’a remise en cause au cours des auditions que j’ai menées. J’estime utile de prévoir un avis a priori de l’Arcep dans le cadre du recueil de données, mais, s’agissant des marqueurs techniques, ce serait une restriction trop importante et injustifiée au regard des objectifs poursuivis, à savoir la protection de nos institutions et des opérateurs vitaux contre les cyberattaquants. Avis défavorable.

M. Roger Vicot (SOC). L’objectif poursuivi est louable mais il peut parfaitement s’articuler avec un avis préalable garantissant le respect des droits et libertés.

La commission rejette l’amendement.

 

La commission adopte l’amendement rédactionnel CL82 de Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis.

 

Amendement CL4 de Mme Mélanie Thomin.

M. Roger Vicot (SOC). L’amendement vise à prévoir explicitement que les décisions prises en application de l’article 35 peuvent être soumises au juge administratif suivant la procédure du référé liberté, si les conditions tenant à l’urgence et à l’atteinte à une liberté fondamentale sont remplies.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Avis défavorable, pour les mêmes raisons que celles avancées au sujet de votre amendement CL5, à l’article 32, qui concernait le même dispositif.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement CL94 de Mme Sabine Thillaye.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Il conviendrait que le décret en Conseil d’État prévu à l’alinéa 9 soit pris après avis de la Cnil et de l’Arcep.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement CL97 de Mme Sabine Thillaye.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Dans un souci de proportionnalité du dispositif, il est souhaitable que le décret d’application précise les informations et les catégories de données conservées.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendements identiques CL13 de Mme Mélanie Thomin, CL35 de Mme Anne Le Hénanff, CL46 de M. Philippe Latombe, CL53 de Mme Clara Chassaniol, CL55 de Mme Gisèle Lelouis et CL93 de Mme Sabine Thillaye.

M. Roger Vicot (SOC). Il s’agit de maintenir l’exigence d’assermentation des agents de l’Anssi recueillant les données auprès des acteurs numériques. Puisque l’article étend le périmètre des données potentiellement recueillies, une garantie supplémentaire est nécessaire.

Mme Anne Le Hénanff (HOR). Si l’assermentation est exigée par le Conseil constitutionnel dans le seul cas où les agents concernés ont pour mission la recherche ou la poursuite d’infractions pénales, il serait préférable de la maintenir pour ceux de l’Anssi, eu égard au caractère particulièrement sensible des données concernées.

M. Philippe Latombe (Dem). Dans son avis, l’Arcep indique ne pas comprendre pourquoi le texte supprime l’assermentation. Nous devons écouter l’autorité de contrôle, d’autant plus que nous cherchons à instituer un dispositif proportionné, dont les finalités sont précisément circonscrites. Il faut absolument maintenir ce lien de confiance avec l’agence, qui est un service administratif et non une autorité indépendante.

Mme Clara Chassaniol (RE). Nos débats attestent le caractère sensible des données auxquelles ont accès les agents de l’Anssi. Il est nécessaire de conserver l’assermentation pour maintenir la confiance dans l’agence.

Mme Gisèle Lelouis (RN). Je me réjouis que l’article 35 confère enfin partiellement à l’Anssi la capacité de disposer de capteurs informatiques au sein d’infrastructures variées pour détecter et contrer les cyberattaques, ainsi que de communiquer des données à d’autres services de l’État, notamment aux services de renseignement. Toutefois, soucieuse de la sécurité des systèmes d’information des autorités publiques et des opérateurs, je souhaite, par cet amendement, maintenir l’assermentation des agents prévue par le code de la défense.

Vous entendez la supprimer, alors que ces personnes ont un niveau d’habilitation particulier. Par cette disposition, je discerne la volonté de supprimer des postes. Je m’inquiète pour ces agents qui risquent de perdre leur travail et me demande qui les remplacera avec autant d’efficacité. N’y a-t-il pas là une volonté de contourner les spécialistes pour agir selon votre bon vouloir ? Des abus ou erreurs sont à craindre, puisque ce ne seront plus des agents ayant prêté serment pour accomplir une tâche particulière qui se consacreront à celle-ci mais des personnes habilitées, peut-être moins formées et moins protégées.

Par cet amendement, je souhaite protéger les agents comme les Français.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. L’assermentation des agents est une garantie exigée pour ceux d’entre eux qui sont chargés de rechercher ou de poursuivre des infractions pénales, ce qui n’est pas le cas des agents de l’Anssi visés par l’article. Selon l’étude d’impact, l’assermentation, qui constitue une procédure lourde, s’applique à la quasi-totalité des personnels de la sous-direction des opérations de l’Anssi, soit près de 200 agents sur un total de 280. Cela étant dit, j’entends les craintes que cet article peut inspirer, bien qu’il soit assorti de garanties. Aussi suis-je favorable, comme vous, au maintien de l’assermentation des agents de l’Anssi.

La commission adopte les amendements.

 

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL83, CL84, CL86 et CL85 de Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis.

 

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 35 modifié.

 

Après l’article 35

 

Amendements identiques CL17 de Mme Anne Le Hénanff et CL38 de M. Philippe Latombe.

Mme Anne Le Hénanff (HOR). Il s’agit de rendre obligatoires, pour les opérateurs d’importance vitale et de services essentiels, l’identification de leurs données sensibles et la prise de mesures techniques ou opérationnelles pour protéger ces dernières. La protection des données sensibles, qui plus est de ces opérateurs, est un enjeu majeur qui s’inscrit dans la démarche de souveraineté numérique du Gouvernement.

Cet amendement traduit une attente réelle de la part de l’ensemble des acteurs de l’écosystème, mais aussi de parlementaires qui travaillent sur le sujet depuis plusieurs années. À titre personnel, je souhaite que nous inscrivions rapidement dans la loi une telle disposition. Je me tiens à la disposition de la rapporteure pour avis pour travailler, en vue de la séance, à une réécriture de cet amendement, que je retire.

M. Philippe Latombe (Dem). J’évoquerai trois cas. Doctolib est hébergé par une plateforme américaine. Si, dans le cadre des règlements DSA (Digital Services Act) et DMA (Digital Markets Act), dont nous allons être saisis par le ministre délégué chargé de la transition numérique dans quelques jours, Amazon Web Services bloquait l’accès aux données de Doctolib à la suite d’un conflit commercial avec cette société, comment ferions-nous pour prendre des rendez-vous, en médecine de ville comme à l’hôpital ? Les propositions qui sont faites pour garantir notre souveraineté nous prémuniraient contre le risque de blocage d’un opérateur de services essentiels tel que Doctolib. Deuxième exemple : Palantir, logiciel qui a été financé à l’origine par la CIA, est aujourd’hui utilisé par des opérateurs français, notamment Airbus. Si un conflit commercial survenait avec Boeing, la dépendance à un opérateur de ce type, qui dispose d’informations stratégiques sur Airbus, soulèverait la question de notre souveraineté économique. Troisième exemple, le Health Data Hub, qui est hébergé par Microsoft. Le Gouvernement avait promis, il y a deux ans, un basculement vers un cloud souverain, mais l’administration n’a pas tenu la promesse. Il semble donc nécessaire de l’inscrire dans la loi pour imposer la réversibilité. Il nous faudra, en séance publique, prévoir l’élaboration d’un plan de réversibilité, par décret, en 2023 et fixer le délai d’application à la fin 2024.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis. Je partage, comme beaucoup de nos collègues, l’objectif de votre amendement. C’est d’ailleurs grâce à vous qu’une discussion s’est semble-t-il engagée à Bercy afin de répondre à la préoccupation que vous soulevez. Toutefois, il s’agit d’un dispositif très lourd, qui n’a pas été expertisé et dont je n’ai pas pu me faire une idée précise. Ce qui est certain, c’est qu’il entraînerait des coûts importants et aurait des conséquences en termes de concurrence qui doivent être mesurées. Je donnerai un avis défavorable tout en vous invitant à retravailler le dispositif en vue de la séance.

M. Aurélien Lopez-Liguori (RN). Cet amendement vise à identifier les données stratégiques qui ne doivent pas être captées par des pays étrangers et à faire en sorte que leur traitement soit opéré par une entreprise française ou européenne. Il est le bienvenu dans une loi de programmation militaire qui évoque très peu la souveraineté dans le domaine cyber, bien que le sujet soit crucial. Comme nous l’affirmons depuis des années au Rassemblement national, souveraineté et sécurité sont les deux faces d’une même pièce. Nous ne pouvons accepter que des administrations, institutions et autorités publiques françaises constituant des opérateurs d’importance vitale hébergent leurs données auprès d’entreprises américaines, chinoises ou relevant d’autres pays extra-européens. Ces sociétés peuvent être soumises à l’extraterritorialité du droit de leur pays, ce qui signifie qu’en bout de chaîne, des gouvernements étrangers pourraient mettre la main sur des données sensibles de l’État français. Cet amendement est très important ; il pourrait changer la donne pour nos entreprises. Nous le voterons.

M. Raphaël Schellenberger (LR). Je salue le travail mené depuis plusieurs années par Philippe Latombe, comme par d’autres collègues, sur la souveraineté numérique. C’est un enjeu stratégique pour notre économie et plus encore pour les données sensibles et la protection de chacun de nos concitoyens. L’exemple médical est le meilleur qui soit. La réalisation de l’étude d’impact ne demanderait pas beaucoup de temps : il suffit de regarder ce que nos voisins européens ont fait. Il n’y a pas de raison que nous ne puissions pas les imiter. Nous disposons d’un véhicule législatif et avons deux semaines, d’ici à la séance, pour retravailler le dispositif. Il est important que nous actions, dès la commission, que le sujet doit figurer dans le texte. Vous trouverez Les Républicains à vos côtés, en séance pour effectuer les corrections à la marge qui s’imposent.

L’amendement CL17 est retiré.

 

La commission adopte l’amendement CL38.

 

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’ensemble des dispositions dont elle est saisie, modifiées.

 

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   Travaux de la commission des affaires ÉtrangÈres

Lors de sa réunion du 3 mai, la commission procède à l’examen pour avis, ouvert à la presse, et au vote des articles 1er à 10, 20, 21, 24 et 28 du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense (n° 1033) (Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis).

Lien vidéo : https://assnat.fr/6wUFZo

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Compte tenu du champ de compétences de la commission des affaires étrangères prévu à l’article 36 du règlement de notre assemblée, nous nous prononcerons sur l’intégralité des dispositions du projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030 relatives aux objectifs de la politique de défense et à la programmation financière, c’est-à-dire sur les articles 1 à 10, rapport annexé inclus, ainsi que sur les dispositions diverses comportant un lien étroit avec les enjeux internationaux suivis par notre commission, soit les articles 20, 21, 24 et 28 du texte.

Le point de vue de notre commission est déterminant pour apprécier l’adéquation des moyens accordés à nos forces armées pour les sept années à venir avec les objectifs stratégiques, diplomatiques et politiques de notre pays. Nous avons déjà eu l’occasion de débattre de ce sujet et nous avons eu un échange avec le ministre des armées.

L’enjeu financier est considérable, puisque le budget de nos forces armées sera porté à 413 milliards d’euros, soit une augmentation de plus de 100 milliards. Ces chiffres attestent un effort de réarmement substantiel.

Du point de vue de la procédure, la commission de la défense nationale et des forces armées, qui est saisie au fond, examinera le texte à compter du mardi 9 mai. L’échéance du délai de dépôt des amendements auprès de celle-ci est fixée à demain dix-sept heures. Aussi, pour que la position de notre commission et les amendements que nous adopterons puissent être pris en compte, il est impératif que nous ayons achevé nos travaux aujourd’hui. Je regrette que la convocation n’ait pu vous être adressée qu’après que le Conseil constitutionnel se soit prononcé sur l’étude d’impact, conformément à la saisine en ce sens du 12 avril 2023, consécutive à la demande de la conférence des présidents. Je ne me prononcerai pas sur le fond de cette procédure mais celle-ci a mécaniquement entraîné un raccourcissement des délais, dont nous subissons les conséquences.

Aucun des soixante-quatorze amendements déposés n’a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution. Un seul, l’amendement AE52, a été exclu de nos débats, car il était sans lien avec le champ de notre saisine.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Je vous remercie, chers collègues, de m’avoir confié la mission de rapporteure pour avis de notre commission sur le projet de loi de programmation militaire (LPM), une responsabilité que j’avais déjà eue sous la précédente législature. À cette occasion, j’avais porté mon attention sur l’Europe de la défense, dont l’accélération amorcée au cours du dernier quinquennat avait été renforcée par la guerre en Ukraine. Pour le présent projet de LPM, mon rapport comportera un point particulier sur l’influence en tant que nouvelle fonction stratégique. Il me semble ainsi montrer que les travaux de notre commission complètent utilement ceux de la commission de la défense nationale et des forces armées.

Ce projet de loi de programmation militaire est présenté alors que se produisent plusieurs grandes bascules dans le paysage de la conflictualité mondiale ; je vous remercie à nouveau, Monsieur le président, d’avoir récemment organisé une journée d’auditions, qui a été très éclairante pour notre commission. Pour rester au meilleur niveau, notre modèle d’armée doit simultanément relever deux défis : l’intensité croissante des nouveaux conflits et l’extension des champs de la confrontation. C’est pourquoi l’on parle d’une LPM de « transformation ».

Nous sortons, depuis la fin de la guerre froide, de trois décennies de réduction des moyens consacrés à la défense nationale. Entre 2008 et 2019, le ministère des armées a ainsi perdu plus de 60 000 emplois, soit 20 % de ses effectifs. Dans ce contexte, la LPM 2019-2025 a engagé la « réparation » de notre outil de défense par l’augmentation progressive du budget des armées, la création de 6 000 emplois et le comblement des lacunes capacitaires les plus criantes.

La Cour des comptes a confirmé que le niveau des dépenses programmées avait été intégralement respecté, ce qui est totalement inédit. Le Parlement peut être salué : il s’est assuré, lors de l’examen de chaque projet de loi de finances, que la LPM était exécutée à l’euro près, et même « surexécutée » dans le contexte d’inflation faible, voire négative, que nous connaissions. En 2023, même si la marche était plus élevée, le budget des armées a bien progressé de 3 milliards d’euros, conformément à ce qui était prévu.

Malheureusement, depuis l’adoption de la précédente loi de programmation militaire, l’environnement international s’est profondément dégradé. La revue nationale stratégique adoptée fin 2022 montre que, de la zone Indopacifique au Sahel ou en Europe avec la guerre en Ukraine, les tensions se sont aggravées partout dans le monde.

Le projet de loi de programmation militaire qui nous est soumis est le plus ambitieux depuis la fin de la guerre froide. Après la phase de réparation, il nous fait entrer dans une phase de transformation des armées. Avec des besoins programmés à hauteur de 413,3 milliards d’euros, il dépassera les 2 % du produit intérieur brut (PIB) dès 2025 – désormais non plus un objectif, mais un seuil. Par ailleurs, l’aide à l’Ukraine et l’effet d’une éventuelle hausse du prix des carburants sont exclus de la programmation et ne pèseront donc pas sur le budget des armées.

Les effectifs connaîtront une hausse, notamment au bénéfice du renseignement et de la cyberdéfense. La réserve fera l’objet d’un effort important, l’objectif à terme étant de disposer d’un militaire de réserve pour deux militaires d’active.

Des choix capacitaires cohérents concilieront le souci de la masse et de la sophistication : un dilemme qui a été parfaitement exposé au cours du cycle d’auditions que nous avons mené. S’agissant de la masse, l’accent sera mis sur l’artillerie, la défense sol-air, les drones et, malgré un étalement des cibles, sur les blindés, les frégates et les avions de chasse. La sophistication passera par la modernisation de la dissuasion nucléaire, la construction d’un nouveau porte-avions, la poursuite du système de combat aérien du futur (SCAF) et du système principal de combat terrestre (MGCS), le renouvellement des capacités spatiales et la prise en compte des nouveaux espaces de conflictualité liés à l’intelligence artificielle, au quantique ou au métavers.

Le projet de loi contient également des mesures normatives, dont certaines intéressent directement la politique étrangère. L’article 20, en particulier, renforce le contrôle sur les reconversions de nos militaires à l’étranger. Il n’est pas acceptable que ceux-ci puissent concourir au renforcement des capacités de nos compétiteurs.

La seconde partie de mon rapport est consacrée au rôle joué par les armées dans la nouvelle fonction stratégique qu’est l’influence. Contrairement au Quai d’Orsay, le ministère des armées ne s’est pas encore doté d’une feuille de route à ce sujet. Je propose donc des pistes pour l’élaborer, en lien avec le ministère des affaires étrangères et de façon interministérielle.

La revue nationale stratégique témoigne d’une prise de conscience et d’une ambition en ce qu’elle a érigé l’influence en fonction stratégique, à côté des cinq fonctions stratégiques traditionnelles. L’influence est donc un sujet diplomatico-militaire. Nous faisons de l’influence en formant des militaires étrangers ou en développant l’interopérabilité avec des partenaires européens et africains. Les spécificités que présente le ministère des armées ne permettent pas de lui dupliquer complètement la feuille de route du Quai d’Orsay ; il en faut une qui lui soit propre.

La confrontation internationale s’est étendue au champ des perceptions, ce qui explique que l’influence ait acquis une telle importance. Nos compétiteurs utilisent désormais tous les leviers de l’influence à des fins stratégiques ; c’est probablement la fin du soft power. Cette tendance est particulièrement forte dans le domaine de l’information. Comme les démocraties le sont généralement, nous sommes sur la défensive face à cette évolution.

L’influence française n’est pas nécessairement en recul à l’échelle de la planète mais elle l’est dans la région stratégique du Sahel, où le sentiment anti-français progresse. J’y ai consacré l’essentiel de mes travaux et effectué un déplacement. Nous devons structurer une stratégie nationale d’influence intégrant les priorités que nos armées auront définies.

Laissant de côté le sujet de la désinformation, qui a été parfaitement traité par l’adoption d’une doctrine de lutte informatique d’influence en octobre 2021, je propose plusieurs axes de réflexion.

D’abord, l’accueil des stagiaires étrangers dans les écoles militaires françaises, qui favorise la création de liens humains durables et la coopération militaire sur le long terme avec nos partenaires. Politique méconnue, elle souffre de plusieurs limites que j’ai pu observer en visite aux écoles militaires de Saumur, notamment au regard des capacités et des conditions d’accueil. Je ne suis pas certaine que nous devions nous inspirer des États-Unis, qui offrent un per diem mais j’ai identifié quelques pistes d’amélioration. Depuis la mise en place de l’embasement, qui a retiré au commandement ses prérogatives en la matière, il est par exemple difficile de servir un repas chaud le week-end. Or ces personnes n’ont souvent pas d’autre option pour se restaurer. Nous présentons également un défaut de réciprocité : nous accueillons beaucoup d’élèves étrangers, venant notamment d’Afrique, mais nous envoyons peu d’élèves en scolarité hors les murs, ce qu’attendent pourtant nos partenaires, comme j’ai pu le constater en Mauritanie.

Ensuite, le réseau de personnels militaires insérés dans des organisations internationales ou dans les structures d’état-major de pays partenaires doit être renforcé. Nous avons beaucoup trop réduit la voilure dans ce domaine, laissant la place à d’autres, comme la Chine. Or nous n’arriverons à rien tant que le choix d’une mobilité à l’étranger restera aussi risqué pour la carrière d’un militaire. Je souhaite donc que ces mobilités internationales au sein de nos armées puissent être revalorisées.

Nos armées doivent aussi avoir des priorités sur le plan géographique. En Afrique, la réduction de notre présence militaire doit avoir pour corollaire le renforcement de nos leviers d’influence, en étant plus à l’écoute des besoins de nos partenaires et en renouvelant notre offre de coopération, notamment dans le domaine de la formation. Au niveau régional, l’Outre-mer est la région la plus pourvoyeuse de soldats au sein de nos armées. À titre personnel, j’entretiens un lien particulier avec ces territoires, dont étaient originaires de nombreux soldats placés sous mes ordres. Je me félicite que la LPM y renforce nos moyens militaires car il s’agissait d’une de nos grandes faiblesses. Ces moyens devront être utilisés pour affirmer notre influence en Afrique de l’Est ou dans les îles du Pacifique. Je propose, par exemple, la création de centres de cadets de la défense ouverts aux pays situés dans le voisinage de nos territoires.

D’importants chantiers sont devant nous. Le texte qui nous est soumis est à la hauteur du changement d’époque et nous donnera les moyens de les conduire. Sans surprise, j’appelle donc à voter en faveur de ce projet de loi.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Philippe Guillemard (RE). Le travail de Mme la rapporteure pour avis met en évidence l’importance cruciale de cette loi de programmation militaire pour le statut international de la France ; nous le saluons.

Parmi les conflits qui se multiplient dans le monde, celui du Soudan a dernièrement été l’occasion pour nos forces armées de s’illustrer par leur courage et leur expertise. Entre le 22 et le 26 avril, dans le cadre de l’opération Sagittaire, elles ont évacué près de 900 personnes de quatre-vingts nationalités différentes, dont notre personnel diplomatique et nos ressortissants. Ce savoir-faire opérationnel suppose d’avoir des moyens suffisants pour agir en autonomie et des corps d’armée à la pointe de la technologie.

Bien que la précédente loi de programmation militaire ait permis une remise à niveau, nous devons faire face à une course à l’armement, au développement de conflits hybrides et au retour de la guerre de haute intensité. Une actualisation de nos moyens est donc vitale pour notre pays. Le projet de loi de programmation 2024-2030 et son budget inédit de 413 milliards d’euros consolident le passage d’un sous-investissement chronique à un renforcement conséquent de nos capacités de défense. Ce renforcement passe également par la définition de notre modèle d’armée, par notre conception de la dissuasion nucléaire et surtout par notre souveraineté industrielle, grâce à nos partenaires nationaux. Les véhicules issus du programme Scorpion, en cours de déploiement, la conception des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de troisième génération ou le projet de porte-avions de nouvelle génération témoignent de la qualité de notre base industrielle et technologique de défense (BITD).

Le projet de LPM est porteur de nombreuses avancées qui contribueront à sauvegarder notre statut de puissance d’équilibre et notre autonomie stratégique, en consolidant nos atouts dans le nucléaire, nos services de renseignement et nos forces spéciales. Il répond à un besoin de transformation de nos capacités de défense. Dans ses articles 3, 4 et 6, il consacre l’augmentation graduelle des effectifs, les ressources financières allouées aux opérations extérieures et le renforcement de la réserve opérationnelle, en fixant l’objectif d’un militaire de réserve pour deux militaires d’active.

Les défis du XXIe siècle ne sont pas non plus oubliés. Pour faire face à la militarisation croissante de ces environnements, des investissements de 4 et 6 milliards d’euros sont respectivement prévus pour notre cyberdéfense et nos opérations spatiales. Les autres articles que nous examinerons vont dans le même sens. L’article 20 préserve l’expertise sensible de nos anciens militaires de toute tentative d’espionnage, tandis que l’article 24 sécurise l’approvisionnement de nos armées en matériels stratégiques.

Cette loi de programmation représente un progrès significatif pour notre défense nationale et notre souveraineté. Le groupe Renaissance sera donc au rendez-vous pour soutenir nos armées et aligner la dimension budgétaire avec nos ambitions.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Je vous remercie d’avoir salué le professionnalisme de nos soldats lors de l’opération Sagittaire.

Vous avez mentionné la dissuasion nucléaire, qui est pour nous une ligne de fracture positive. Pour citer Sun Tzu, « L’art de la guerre, c’est de soumettre l’ennemi sans combat ». La dissuasion nucléaire joue pleinement ce rôle.

Je soutiens également les projets de porte-avions de nouvelle génération ou de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) de troisième génération. On peut certes s’interroger sur leur pertinence : pour le même budget, ne serait-il pas plus judicieux d’acquérir de nombreuses nouvelles frégates ? L’expérience du Royaume-Uni montre cependant que, compte tenu de la rapidité des évolutions technologiques, une compétence abandonnée ne peut pas être rattrapée.

M. Kévin Pfeffer (RN). Ce projet de loi de programmation militaire tente d’enrayer la dynamique d’affaiblissement de nos armées. Toutefois, les efforts budgétaires n’ont pas été prévus en euros constants ni assortis d’une clause de sauvegarde. Ils seront donc en grande partie absorbés par l’inflation, qui est sans doute appelée à durer. Par ailleurs, leur mise en œuvre interviendra principalement au cours du prochain quinquennat : il est toujours plus facile de demander des efforts aux autres !

Si nous nous rejoignons sur la nécessité de renforcer nos armées, nous pensons qu’il faut le faire de manière cohérente. Or nous émettons des inquiétudes face aux insuffisances de ce texte, notamment en matière de préservation de notre souveraineté.

Si, pour minimiser les coûts et augmenter nos capacités de recherche, certaines coopérations industrielles apparaissent souhaitables, elles ne doivent pas être motivées par un idéalisme politique ou, pire, mener au sacrifice d’une partie de notre industrie de la défense, ce que nous risquons de faire en poursuivant le développement du SCAF et du MGCS. Ces projets ne correspondent pas à notre modèle d’armée et peuvent mettre en péril notre approvisionnement en matériels produits souverainement. Des coopérations fructueuses pourraient, en revanche, être envisagées avec des pays dont le modèle d’armée est comparable au nôtre, comme le Royaume-Uni, ou avec lesquels nous avons déjà des partenariats, comme les Émirats arabes unis.

La LPM doit permettre à nos armées de faire face à des conflits de haute intensité dans tous les milieux, ce qui suppose de préserver leur capacité de projection intacte. Les effectifs doivent être revus à la hausse, en les fidélisant et en valorisant les métiers. Nos stocks de munitions et de carburant doivent assurer le maintien en condition opérationnelle, afin de répondre à l’éventualité de l’engagement de nos forces. Une remise à niveau générale des infrastructures militaires est nécessaire. Tel sera le sens de nos amendements et interventions.

Pour atteindre ces objectifs, une politique industrielle nationale doit également être encouragée, par la stimulation de la recherche, la création d’un fonds souverain de la défense ou la refonte des dispositifs de soutien à l’exportation.

Les conflits et les instabilités géopolitiques nous alertent sur l’urgence de conforter et de consolider notre outil de défense et notre modèle d’armée complet, en conservant la dissuasion nucléaire comme pilier. Le constat est unanime : les forces armées françaises sont sollicitées au-delà de leurs moyens et de leur contrat opérationnel. Nous espérons que nos travaux parlementaires permettront d’améliorer cette LPM, afin que nos armées puissent relever les défis de demain.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Nous avons de nombreux points d’accord : l’augmentation des effectifs, le carburant préservé de l’inflation, les besoins infinis pour améliorer le quotidien du casernement. Je partage également votre appréciation s’agissant du modèle d’armée complet et de la place de la dissuasion nucléaire.

Les enjeux européens constituent, en revanche, une ligne de fracture politique entre nous. Dans un contexte d’intensification des menaces et d’élargissement du spectre de la conflictualité, l’Europe me semble être une partie de la solution, alors que vous la considérez comme une partie du problème. La complexité du SCAF ou du MGCS est liée au fait que ce sont des systèmes interconnectés ; nous devons les penser en Européens.

Vous avez souligné que l’effort était principalement réalisé en fin de quinquennat. Il en était déjà ainsi de la LPM précédente, puisque la marche la plus élevée était en 2023. Elle a pourtant été respectée à l’euro près. Notre responsabilité collective est de nous assurer, à chaque projet de loi de finances, que le budget prévu est effectivement voté.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. La parole revient à La France Insoumise, mais il me semble, Monsieur Ruffin, que vous souhaitiez poser plusieurs questions à la rapporteure pour avis et non faire une intervention au nom de votre groupe.

M. François Ruffin (LFI-NUPES). Une question, naïve, m’est venue lorsque le président de la République a présenté ce projet de LPM. Le budget des armées va revenir à 3 % du PIB, comme au moment de la guerre froide. À l’époque, nous avions un ennemi clairement identifié : l’Union soviétique. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Lors de son intervention, le président de la République a évoqué de manière très vague les « dangers de notre temps ». Quels sont-ils ? Qu’est-ce qui justifie ce réarmement ? Pour votre part, vous avez fait référence à un « élargissement du spectre de la conflictualité », ce qui est également très vague. S’agit-il de se préparer à un conflit avec la Russie, avec la Chine, ou en tout cas avec des puissances étatiques identifiées ? S’agit-il de faire face à de la guérilla terroriste ?

Quel bilan pouvons-nous tirer de nos interventions en Afrique ? Les problèmes que nous avons rencontrés sont-ils liés à un manque de moyens militaires ou, au contraire, au fait d’avoir déployé des moyens militaires à un moment où nous aurions dû miser sur la diplomatie ?

Identifier nos adversaires me semble indispensable pour savoir quel type de guerre nous pourrions mener et nous armer en vue de cette guerre-là.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Vos questions sont légitimes. Nous les avons posées lors de nos séances d’auditions, avec des experts puis avec le ministre, et nous avons longuement débattu de ces sujets. La rapporteure pour avis ne pourra pas vous apporter toutes les réponses en quelques minutes.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Je vais essayer d’être plus précise concernant la notion de « spectre de conflictualité ». Pendant des siècles, nous avons pensé la guerre dans trois environnements : terre, air et mer. Ils se sont toutefois élargis au fil du temps avec l’ajout de la menace nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC), puis du cyber et du spatial : des satellites butineurs sont désormais capables de capter du renseignement directement sur d’autres satellites. De nouveaux espaces de conflictualité continuent d’apparaître, comme l’intelligence artificielle ou le métavers. J’aurais également pu mentionner le milieu sous-marin. La compréhension de tous ces environnements est de plus en plus difficile ; il ne s’agit plus seulement d’étudier des nivelés comme en milieu terrestre.

Les dangers sont identifiés dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, qui fait référence aux « menaces de la force » et aux « risques de la faiblesse ». Malheureusement, il est rare de choisir son adversaire.

Dans mon rapport, j’ai donné mon avis concernant le bilan des armées interventionnistes, la nôtre ou d’autres armées occidentales : il est très nuancé. Déjà, dans mon précédent rapport, je soutenais le continuum entre sécurité et développement. Très peu de conflits sont résolus par les armes. Clausewitz disait : « La guerre n’est que la continuation de la politique par d’autres moyens ». L’inverse me semble également vrai.

Mme Michèle Tabarot (LR). Je remercie notre rapporteure pour avis pour la qualité de son travail et ses explications très intéressantes concernant les stratégies d’influence, dont nous avons longtemps ignoré l’importance.

Le projet de LPM prévoit des moyens importants en faveur de la dissuasion nucléaire, de l’espace ou du renseignement militaire. Ces éléments sont très positifs mais je regrette que l’essentiel de l’effort budgétaire ait été reporté après 2027. C’est aujourd’hui que nous avons besoin de moyens supplémentaires. Il faut tirer toutes les leçons de la guerre en Ukraine, combler nos lacunes en munitions, en canons ou en défenses antiaériennes. Nous constatons avec inquiétude des reports de calendrier. Le passage au tout-Rafale ne sera pas atteint durant cette LPM. La marine nationale disposera de moins de frégates que prévu. L’armée de terre subit aussi des réductions de cibles préoccupantes, notamment pour les véhicules blindés.

Nous regrettons que l’effort ne soit pas plus important et plus rapide. La France veut amener son budget de défense à 2 % du PIB, alors que le Royaume-Uni va le porter à 2,5 %. D’autres pays, comme la Pologne, ont engagé un effort de réarmement particulièrement important. Quant à l’Allemagne, elle a annoncé 100 milliards d’euros de dépenses à brève échéance. La France doit faire plus pour répondre à la situation de guerre qui frappe l’Europe.

Nous avons, en outre, relevé d’autres sujets d’inquiétude : l’inflation, qui représentera au moins 30 milliards d’euros et dont les mécanismes de compensation prévus sont trop limités, mais aussi les recettes extrabudgétaires, qui sont floues et devront être précisées pour éviter de nouveaux renoncements.

Je rappellerai enfin notre attachement à une actualisation de la LPM par la loi. S’agissant d’un sujet aussi important, nous ne pouvons pas nous contenter d’un simple débat, comme ce fut le cas en 2021.

Nous abordons ce débat avec responsabilité et conviction. Nous ferons des propositions permettant d’améliorer ce texte car nous savons qu’il représente un moment important pour notre nation. Nous devons tous être au rendez-vous.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Nous avons beaucoup de points d’accord, notamment concernant l’importance des enjeux d’influence ou de la dissuasion.

Le passage au tout-Rafale et l’arrivée de frégates ou de blindés sont effectivement retardés. Pour avoir exercé à la tête d’un pôle logistique au sein de nos armées, je sais toutefois à quel point il est important de disposer des moyens de maintenance et des munitions qui correspondent à nos matériels. Il ne sert à rien d’avoir un char Leclerc s’il est équipé d’une baïonnette ! Si tout l’environnement des matériels prévus peut être mis en œuvre, ces reports n’auront pas de conséquences opérationnelles.

S’agissant des moyens inscrits dans la LPM, il ne tient qu’à nous de les voter lors des différents projets de loi de finances. Je partage également votre point de vue quant à la nécessité de procéder à l’actualisation par la loi. La place du Parlement est d’autant plus importante qu’il s’agit d’un texte de transformation. Des caps technologiques vont être franchis, en particulier dans le spatial, sur lequel j’ai beaucoup travaillé dans le cadre du volet parlementaire de la présidence française du Conseil de l’Union européenne.

M. Frédéric Zgainski (DEM). Je vous remercie pour la qualité de votre rapport et pour le sujet que vous avez choisi d’approfondir. Nous ne le savons que trop bien dans cette commission, la guerre informationnelle sera un enjeu majeur dans les conflits de demain. Si elles ne veulent pas perdre leur capacité d’action, notre diplomatie et nos armées doivent rester vigilantes.

Concernant le projet de loi de programmation militaire, le groupe Démocrate se réjouit de la hausse des moyens alloués à nos armées. La France leur consacrera près de 69 milliards d’euros en 2030. Il s’agit donc d’un effort important que la nation prévoit de faire pour assurer sa défense et surtout pour garantir son indépendance, notamment grâce à la dissuasion nucléaire.

Beaucoup préféraient utiliser cet argent pour transformer les armées françaises en forces dotées de nombreux chars, avions ou autres canons. La LPM 2024-2030 fait le choix de la raison. Les investissements massifs dans les munitions, le renseignement ou le maintien en condition opérationnelle ne sont que les conséquences tirées du conflit ukrainien. Celui-ci a maintes fois démontré que l’efficacité et l’ingéniosité l’emportaient sur le nombre.

Dans la continuité des travaux engagés au cours de la précédente législature, ce projet de loi accentue les investissements en matière d’innovation et de renouvellement de nos équipements, afin de garder des armées compétitives. Loin du cliché de la guerre de tranchées, l’Ukraine nous aura rappelé l’importance du spatial, des drones ou du cyber pour gagner les conflits du XXIe siècle.

La France entend rester une nation souveraine, gardant la maîtrise de sa dissuasion nucléaire et profitant de ce moteur pour innover, grâce à ses sous-marins lanceurs d’engins ou à son porte-avions de nouvelle génération. Ces équipements sont essentiels pour lui permettre de conserver son statut. Toutefois, notre volonté d’indépendance ne doit pas nous faire perdre de vue l’importance des partenariats.

Le groupe Démocrate est particulièrement attaché au concept d’autonomie stratégique européenne, ardemment défendue par le président de la République et qui semble enfin être entendu depuis le début de l’invasion russe en Ukraine. Si l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) reste une alliance essentielle pour la France, les pays européens ne resteront des acteurs majeurs du monde de demain que s’ils s’unissent pour bâtir une politique de défense commune et cohérente. Au-delà des programmes SCAF ou MGCS, qui doivent en être une vitrine, nous devons poursuivre nos efforts pour mutualiser nos achats de munitions et bâtir des projets industriels à l’échelle du continent.

Vous l’aurez compris, le groupe Démocrate soutiendra ce projet de loi, qui prépare une France forte dans une Europe renforcée.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Plusieurs interventions ont déploré que la hausse des moyens intervienne principalement en fin de période. Je vous remercie d’avoir insisté sur l’effort prévu dans le cadre de cette nouvelle LPM, le plus important depuis la fin de la guerre froide. Plutôt que de se focaliser sur le calendrier, je pense qu’il s’agit de l’élément sur lequel nous devons mettre l’accent.

Vous avez rappelé ce à quoi ce budget était destiné. Je sais que votre groupe proposera différents amendements concernant les enjeux de souveraineté et la place de l’Europe de la défense. Je partage votre vision dans ces domaines et je les soutiendrai. Je suis convaincue que l’union fait la force. Si la défense européenne se pense avec l’OTAN, elle doit conserver une liberté d’appréciation. Elle doit être davantage indépendante, pour être en mesure de réagir si l’OTAN décidait de ne pas intervenir là où la sécurité européenne le nécessiterait.

M. Alain David (SOC). Avec nos collègues commissaires socialistes de la défense, nous avons relevé plusieurs aléas financiers, économiques et internationaux que nous chercherons à atténuer par le biais d’amendements. Nous avons également constaté des reports, qui, dans un contexte mondial de plus en plus conflictuel, risquent d’affecter l’ambition d’armée complète et renouvelée d’ici à 2030.

Nous aurons l’occasion de revenir au cours des débats sur l’aléa politique de ce texte. Du fait de ses bornes temporelles, de 2024 à 2030, il enjambera l’échéance de 2027. Tous les groupes ont salué la bonne exécution et le respect des engagements de la précédente LPM ; s’agissant de ce nouveau texte, nous souhaiterions toutefois inverser le rythme des engagements financiers, afin de nous assurer que l’ambition ne sera pas amoindrie.

Nous proposerons également deux clauses de revoyure, au lieu d’une seule en 2027. La première, en 2026, permettrait de dresser, avant la fin de l’actuelle législature, un bilan à mi-parcours ; la seconde interviendrait au cours de l’année 2028, après l’élection présidentielle, pour adapter la programmation aux priorités du prochain président et se projeter dans l’après-2030.

Avec mes collègues socialistes et apparentés, nous serons extrêmement vigilants lors de l’examen de ce texte. Nous nous assurerons que la crédibilité de nos armées, qui sont l’un des instruments essentiels de notre diplomatie, est préservée.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Concernant les reports de livraison de certains équipements, j’ai précisé tout à l’heure les enjeux liés à la disponibilité de l’ensemble de leur environnement opérationnel. D’ailleurs, le président de la République a demandé à notre base industrielle et technologique de défense de se mettre en mode d’économie de guerre, pour être plus rustique et efficace.

Comme vous l’avez indiqué, une clause de revoyure en 2027 n’est pas forcément la plus pertinente. Nous le savons, tous les nouveaux présidents de la République débutent leur quinquennat avec un nouveau livre blanc, une nouvelle revue stratégique et donc une nouvelle loi de programmation militaire. Nous reviendrons sur la place que le Parlement peut prendre dans le suivi de ce texte lors de l’examen des amendements.

Mme Stéphanie Kochert (HOR). Ce projet de loi de programmation militaire est ambitieux, justifié et inédit.

La défense française s’est longtemps articulée autour de la dissuasion nucléaire et a bénéficié des dividendes de la paix mais notre environnement se caractérise désormais par une dégradation du contexte géopolitique : la guerre est de retour en Europe, de nouvelles menaces émergent et des puissances rivales de la France et de l’Europe développent des stratégies d’influence sur nos terrains opérationnels en Afrique, en Méditerranée et dans la zone indopacifique. Cette actualité ainsi que les sauts technologiques dans les domaines de la robotique, des drones et, bientôt, de la technologie quantique et de l’intelligence artificielle nous invitent à repenser notre modèle de défense et à l’accompagner massivement. L’effort financier de 413 milliards d’euros qui se déploiera jusqu’en 2030 ne peut que nous rassembler.

S’agissant des ressources humaines, la création de 6 300 postes durant la période et l’adaptation du régime d’accès à la réserve permettront de poursuivre un effort de formation et de spécialisation de nos forces. La formation devra aussi s’étendre à l’international pour permettre, notamment dans le cadre de la réévaluation de nos partenariats en Afrique, à des officiers de pays alliés de bénéficier de l’expertise française.

Cette future LPM constitue une pierre importante dans la refonte de notre modèle de défense, y compris dans son volet normatif. Les articles 20 et 21, par exemple, encouragent le dialogue entre nos services de renseignement et l’autorité judiciaire, notamment dans les enquêtes pour crime contre l’humanité, et empêchent que nos officiers occupant des fonctions sensibles ne puissent trop facilement proposer en fin de carrière leurs services à des puissances étrangères. L’article 24 organise la priorité accordée à notre défense en matière de livraison et de constitution de stocks stratégiques.

Pour toutes ces raisons, le groupe Horizons et apparentés votera en faveur de ce texte.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Je vous remercie d’avoir insisté sur la défense de nos valeurs. J’ai beaucoup travaillé sur ce sujet pour la partie thématique de mon rapport. Pour garantir la bonne compréhension de la politique française et notre influence, il est important que nos valeurs ne soient pas à géométrie variable. J’ai défini un triptyque de l’influence, qui repose sur l’exemplarité, l’ouverture aux partenaires et à leurs attentes, ainsi que notre indépendance d’appréciation.

Parmi les nouveaux espaces de conflictualité, vous avez évoqué les drones. Nous sommes face à un dilemme opposant la nécessité de ne pas avoir de décrochage technologique et celle de maintenir la rusticité de nos moyens. Lors de notre cycle d’auditions, j’ai eu l’occasion d’évoquer l’influence qu’avait eue sur notre doctrine le chercheur Henrotin, auteur d’un article intitulé « Le drone, figure aérienne du mal ? » Est-il possible de juger d’une technologie avec des valeurs ? Le sens d’une arme réside dans la manière dont elle est utilisée par rapport aux règles d’engagement. Les a priori qui conduisent à mettre d’emblée certaines technologies de côté risquent d’entraîner un décrochage mortifère : on l’a vu avec les drones. Lors de mon déplacement en Mauritanie, j’ai pu constater que des drones capables de surveiller des milliers de kilomètres de frontières constituaient la principale demande des autorités. Trouver un équilibre entre technologie et rusticité de nos moyens sera l’un des enjeux du quinquennat.

Mme Sabrina Sebaihi (ÉCOLO-NUPES). Votre rapport est édifiant à la fois concernant nos convergences et nos divergences.

Compte tenu de l’évolution du contexte géostratégique, investir dans nos armées est évidemment nécessaire. Le monde est en pleine mutation et nous devons anticiper la place que la France prendra en son sein. Nous avons également pour objectif d’accentuer les efforts de coopération européenne, notamment pour échapper à toute forme de dépendance vis-à-vis des États-Unis ou d’une autre puissance.

S’agissant de la BITD, je pense cependant que nous devons aller beaucoup plus loin et construire dès maintenant l’Europe de la défense, stratégique et souveraine. Elle sera le véhicule des valeurs démocratiques de la France et permettra de garantir une sécurité collective et autonome face aux grands blocs. Même si des divergences fondamentales existent au sein de l’Union européenne, en particulier avec les pays qui ont vu l’extrême droite arriver au pouvoir, le modèle fédéral européen me semble être le seul capable de nous positionner sur l’échiquier mondial comme une puissance de premier plan.

Il est indéniable que la France a perdu de son influence. Si nous partageons le constat général, les raisons avancées pour l’expliquer me semblent présenter un paradoxe. Vous admettez la persistance d’un esprit colonial dans l’imaginaire des militaires français, sans reconnaître qu’il fonde en partie la vision stratégique qui nous a conduits à la situation actuelle. La Russie, avec d’autres pays, décrédibilise l’action de la France en Afrique. Tout en ayant recours à des méthodes peu recommandables, ces pays surfent avant tout sur nos erreurs, que nous n’admettons que timidement et dont nous ne sommes pas capables de tirer des enseignements.

Selon votre rapport, la France est accusée d’avoir un double discours en Afrique et des valeurs à géométrie variable en fonction de ses intérêts. De fait, comment qualifier autrement la politique du président de la République vis-à-vis de certains États africains ? Après avoir proclamé depuis l’Élysée une réinvention de nos relations avec le continent, celui-ci a effectué une tournée catastrophique aux accents néocolonialistes, donnant la priorité au commerce et s’affichant tout sourire avec des dictateurs qui n’hésitent pas à massacrer leurs opposants, comme au Gabon.

Avant d’évoquer notre « supériorité dans le champ informationnel », nous devons faire preuve de vigilance et observer une forme d’humilité. S’il faut évidemment lutter contre la désinformation et être les vecteurs de valeurs démocratiques et humanistes, nous n’en devons pas moins porter un regard clair sur nos actions, en particulier sur nos erreurs. Il faut être lucide pour pouvoir répondre sans tomber dans le discours de propagande d’une vérité unique.

S’agissant de l’engagement des armées dans la stratégie d’influence de la France, il faudrait commencer par un rééquilibrage. Je partage la nécessité de redonner des moyens à nos armées mais l’influence doit rester la prérogative principale du Quai d’Orsay. Ce dernier subit depuis trop longtemps des coupes budgétaires, qui l’ont profondément abîmé. Notre action extérieure ne peut pas reposer seulement sur le pilier militaire et celui-ci ne peut pas s’arroger les missions de nos ambassadeurs.

Reconnaître que le monde change n’est pas admettre l’inéluctabilité d’un conflit majeur. Partout où elle peut l’être, la paix doit être préservée.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Je me réjouis de nos convergences. Depuis 2017, l’Europe de la défense a beaucoup plus avancé qu’au cours des vingt ou trente années passées. Je peux citer l’Initiative européenne d’intervention ou le Fonds européen de la défense, qui a notamment profité au domaine spatial.

Nous ne choisissons pas notre héritage mais il nous appartient de l’intégrer pour penser l’avenir. C’est le journaliste Rémi Carayol qui m’a fait part de ce logiciel colonialiste qui animerait certains officiers. Il est évidemment choquant de lancer « Vive la coloniale ! » à la fin d’un briefing avec nos collègues du G5 Sahel, d’autant plus que l’immense majorité de nos anciennes colonies ont choisi le jour de leur indépendance comme fête nationale. Dans mon rapport, j’ai insisté sur le rôle que doivent jouer l’encadrement et le corps enseignant des écoles militaires. Ils ne doivent pas être « en roue libre ».

Le partenariat avec l’Afrique est bien réinventé. La France est le seul pays à avoir encore des bases militaires dans d’anciennes colonies. Pour en avoir parlé avec certains de nos collègues élus des Français de l’étranger, il n’y a pas forcément de souhait de voir partir nos forces armées ; il s’agit de trouver un équilibre, en ouvrant davantage ces bases avancées, en proposant de la formation et des partenariats. Elles ne doivent pas être le village gaulois d’Astérix.

Comme je l’ai indiqué dans mon propos introductif, certains sujets militaires ne trouvent pas leur place dans la feuille de route du Quai d’Orsay. L’influence pourrait, en revanche, être une mission interministérielle menée par ce ministère.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Les 400 milliards d’euros de la future loi de programmation militaire ne transformeront pas nos armées car le modèle échantillonnaire reposant sur le nucléaire militaire et orienté vers les opérations extérieures n’a jamais été remis en question.

S’agissant du nucléaire militaire, l’opacité des dépenses ne permet aucun débat, ce qui est regrettable. Selon le ministre de la défense lui-même, la part de la dissuasion dans la prochaine loi de programmation serait d’environ 13 %, soit près de 10 milliards d’euros par an à partir de 2030. Nous refusons de cautionner un tel montant. Nous proposons que la France rejoigne le traité d’interdiction des armes nucléaires en tant qu’observatrice, ainsi que le gel du remplacement des matériels de la dissuasion tant qu’un débat transparent n’aura pas été mené sur le budget qui lui est consacré, depuis sa conception jusqu’aux déchets nucléaires militaires, en passant par les conséquences des essais en Polynésie et en Algérie.

Nos armées sont faites pour les opérations de guerre extérieures. Les députés de la Gauche démocrate et républicaine dénoncent systématiquement cette obsession néocoloniale, qui a entraîné des désastres pour nos militaires et pour les peuples d’Afrique, sans avoir pu empêcher l’extension du terrorisme au Sahel. Ce modèle expéditionnaire serait plus utile au sein des casques bleus. Nous devons privilégier un modèle d’armée défensif. Nos armées ne sont pas dimensionnées pour protéger les Français en Indopacifique, en Amérique ou en Europe.

Notre modèle industriel de l’armement doit également être questionné. La France est dépendante de ses exportations d’armement, ce qui rend l’équilibre précaire et l’oblige à être peu regardante sur ses clients. Puisque ce secteur est nécessaire pour garantir notre souveraineté, une gestion publique du commerce des armes nous semblerait plus appropriée que sa soumission aux lois cyniques du marché.

Enfin, la guerre étant la continuation de la politique par d’autres moyens, nos engagements internationaux devraient être pilotés par la diplomatie et non par le militaire. Nous sommes très inquiets de ce que le budget du ministère des affaires étrangères est près de vingt fois inférieur à celui des armées.

Compte tenu de toutes ces inquiétudes et de ces manques, les députés du groupe Gauche démocrate républicaine voteront contre ce texte, à moins que des amendements lui permettent de changer du tout au tout.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Il existe de nombreuses lignes de fracture entre nous. J’espère néanmoins que nous pouvons nous retrouver s’agissant des enjeux indopacifiques et ultramarins. Je suis convaincue que nos Outre-mer forment notre trait d’union avec le monde et que leur place est fondamentale. Tous les problèmes qu’ils rencontrent – surpêche, orpaillage, immigration, entre autres – doivent être pris en compte et les moyens budgétaires, adaptés.

En revanche, nos avis divergent totalement concernant la dissuasion nucléaire. Elle est la clef de voûte de notre défense, qui nous a permis de réduire la voilure année après année, jusqu’en 2017. Dans L’ensauvagement – une référence qui ne peut que vous plaire, Monsieur Lecoq –, Thérèse Delpech dit que l’humanité a très peu appris de ce qui n’avait pas eu lieu. En effet, l’humanité a peu appris de la guerre froide et de la course à l’armement qu’elle a entraînée. Alors que la menace nucléaire est brandie dans le conflit en Ukraine – même si j’ai la conviction qu’elle ne sera pas exécutée –, il s’agirait du pire moment pour renoncer à notre dissuasion nucléaire.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Renforcement de la dissuasion nucléaire et du renseignement militaire, investissement dans les défenses cyber, sol-air, spatiale et maritime, nouveaux armements, objectif de 105 000 réservistes : ce projet de loi de programmation militaire prévoit 413 milliards d’euros de dépenses sur sept ans, afin de transformer les armées. Cet effort budgétaire ambitieux se justifie notamment par la dégradation du contexte géopolitique – nous pensons tous à la guerre en Ukraine mais il y en a malheureusement beaucoup d’autres –, par l’émergence de nouvelles menaces et par les progrès technologiques dans les domaines de la robotique, des drones et de l’intelligence artificielle.

Pouvons-nous attendre de cet effort budgétaire appréciable des transformations substantielles pour nos armées ? Si le projet de loi est voté en l’état d’ici au mois de juillet, une entreprise comme Arquus, qui fabrique 90 % des véhicules de l’armée de terre, devra faire face à une baisse de 20 % à 25 % des cibles d’équipements initialement planifiées. La révision de l’échéancier des livraisons entraînera mécaniquement un étalement de la production. Celui-ci ne sera pas sans conséquence, y compris pour les sous-traitants. Ces reports concerneront plus de 1 200 véhicules blindés : 100 Jaguar sur 300, 473 Griffon sur 1 827 et 633 Serval sur 2 038. Les armées françaises ne gagnent pas en masse et l’armée de terre est la première à en faire les frais.

Par ailleurs, la notion de puissance d’équilibre développée par le président de la République ne semble pas convaincre grand monde, surtout que certaines de ses déclarations à contre-courant – notamment à propos de Taïwan – ont eu pour effet de faire passer la France pour un partenaire qui ne serait pas toujours et pas totalement fiable. Nous avons déjà entendu de tels propos dans le cadre de groupes d’amitié.

Face à des États qui réarment massivement, comme la Pologne, cette loi de programmation militaire ne risque-t-elle pas de donner l’image d’une armée française de compromis, qui pourrait ne pas convaincre totalement nos alliés de l’OTAN ?

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. J’ai pu entendre que nous étions une armée « bonsaï », qui aurait tout d’une grande mais en modèle réduit. Cette critique acerbe mérite d’être nuancée. Je crois qu’il est nécessaire de garder une compétence sur tout le spectre. Comme celui-ci s’élargit et se densifie, il faut nécessairement faire des choix et accepter des compromis.

S’agissant des matériels Arquus – anciennement Renault Trucks Défense –, j’insistais tout à l’heure sur l’importance de l’environnement et du maintien en condition opérationnelle. Ce choix, certes pénible, est le bon car nous ne pouvons pas prendre de retard dans le spatial ou dans le cyber, où la menace peut sembler invisible alors qu’elle est très concrète. Il faut notamment sécuriser des câbles sous-marins et de nombreuses autres infrastructures.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. La discussion générale étant close, nous en venons à l’examen pour avis des articles dont nous nous sommes saisis.

 

TITRE Ier

dispositions relatives aux objectifs de la politique
de dÉfense et À la programmation financiÈre

 

Article 1er : Programmation

 

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 1er non modifié.

 

Article 2 : Approbation du rapport annexé

 

Amendement AE5 de M. Jean-Louis Bourlanges

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Cet amendement tend à préciser que l’objectif de l’effort national de défense, à hauteur de 2 % du produit intérieur brut à l’horizon de 2025, doit être envisagé à partir de cette échéance comme un plancher et non comme un plafond. Cette rédaction est conforme aux engagements internationaux que nous avons pris. Il est proposé d’afficher clairement cet objectif dans le corps de la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, au regard de la place et du rôle joués par la France au sein de l’OTAN.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Avis favorable.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Nous sommes contre l’amendement car nous sommes opposés à l’idée de fixer un pourcentage. Si les armées ont besoin d’être renforcées, il faut leur accorder les moyens dont elles ont besoin, quels qu’ils soient. C’est ainsi que nous atteindrons les objectifs politiques que nous nous sommes fixés. L’OTAN réclame un taux de 2 % mais nous refusons de nous soumettre à ce diktat.

La commission adopte l’amendement.

Rapport annexé

 

Amendement AE55 de M. Lionel Vuibert

M. Lionel Vuibert (RE). La diminution de nos capacités militaires s’est réalisée ces dernières décennies par la fermeture de casernes ou de bases en France mais également à l’étranger, par exemple au Sénégal en 2010. Il s’agit, par cet amendement, de préciser que l’ensemble de nos dispositifs militaires ont été touchés par ces réductions drastiques, ce qui a alimenté un sentiment d’affaiblissement de la capacité de projection de notre pays.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. On attend beaucoup des armées mais leur rôle n’est pas d’aménager le territoire. Je comprends cependant que les fermetures de casernes ou de bases aient des conséquences pour les circonscriptions. Le ministre, que j’ai interrogé à ce sujet, est prêt à préciser région par région les effets de la loi de programmation militaire. Avis défavorable.

L’amendement est retiré.

 

Amendement AE59 de M. Aurélien Taché

Mme Sabrina Sebaihi (ÉCOLO-NUPES). Le rapport présente une stratégie qui s’inscrit dans la continuité des lois de programmation militaire précédentes. S’il fait état de transformations technologiques, l’approche reste la même. Alors que la guerre en Ukraine aurait dû nous inciter à revoir notre stratégie de défense, notamment terrestre, l’armée de terre souffre d’une accumulation des retards de livraison et d’un manque d’investissement. Si un conflit majeur éclatait sur notre territoire et nous imposait de passer en économie de guerre, ce qui supposerait une planification industrielle, la France ne serait pas prête.

Nous devons assurer la sécurité de notre pays en renforçant la mutualisation européenne. Une vision cohérente et partagée de la sécurité permettrait d’identifier les menaces potentielles et d’aligner nos efforts pour les affronter efficacement.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Les nouveaux espaces de conflictualité et les sommes importantes que nous consacrons à ce projet de loi de programmation militaire suffisent à justifier que nous parlions de transformation. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

 

Amendement AE24 de M. Jean-Paul Lecoq

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Monsieur le président, vous nous reprochez d’inciter la France à renoncer à la dissuasion nucléaire, quitte à ce qu’elle soit seule à prendre cette décision. À ma connaissance, nous n’avons jamais dit cela. Au contraire, nous avons toujours défendu l’idée qu’il fallait accompagner le mouvement d’interdiction des armes nucléaires ; j’ai même rédigé un rapport en ce sens, relatif à l’arme nucléaire dans le monde, avec Michel Fanget. Cela ne veut pas dire que nous voudrions que la France soit la seule à se désarmer. Simplement, il est temps de se poser la question de la légitimité de la dissuasion nucléaire car la preuve a été apportée que la bombe atomique était un outil utilisé par les colonialistes pour mener leur guerre de colonisation. L’esprit initial de la dissuasion nucléaire n’était pas de protéger les superpuissants et leur permettre de faire ce qu’ils voulaient mais, au contraire, de les placer sous une épée de Damoclès.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Si ma réponse vous a conduit à cette interprétation, je vous présente mes excuses car loin de moi l’idée de caricaturer votre pensée.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. La France respecte le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires et elle a abandonné il y a longtemps la composante terrestre. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement AE44 de Mme Laetitia Saint-Paul

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Il s’agit de supprimer l’appréciation portée sur la qualité de la réflexion menée en amont de ce texte, « rigoureux travail d’introspection », qui s’apparente à un bavardage inutile.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement AE25 de M. Jean-Paul Lecoq

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). L’amendement tend à remplacer « notre métropole et nos Outre-mer » par « notre territoire national en Europe, en Amérique et en Indopacifique ». Il faut changer les mentalités et ne plus employer le terme « métropole » marqué par une connotation coloniale.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Il a été dit que la géographie l’emportait toujours sur l’histoire. Il ne faut pas voir dans l’emploi de ce terme la moindre connotation péjorative. Au contraire, la rédaction que vous proposez pourrait donner l’impression d’une France conquérante. Les enjeux tiennent à la géographie. Avis défavorable.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Votre amendement m’a fait penser à la formule du général de Gaulle qui, dans son discours du 16 septembre 1959, parlait du peuple français, de Dunkerque à Tamanrasset. Il y proposait trois options : la francisation, l’association ou la sécession. Cette réflexion est intéressante au moment où l’un de vos collègues vient de remporter une brillante victoire en Polynésie et s’oriente dans une voie différente. Plus sérieusement, ceux qui emploient le terme d’Outre-mer ne le font pas dans l’intention de hiérarchiser les territoires mais pour marquer leurs spécificités. Là est la différence entre ceux qui refusent cette expression, comme vous, et ceux qui l’acceptent.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement AE60 de M. Aurélien Taché

Mme Sabrina Sebaihi (ÉCOLO-NUPES). La dissuasion nucléaire est au cœur de ce texte, ce qui est contraire à nos engagements internationaux en faveur de la non-prolifération nucléaire. En novembre 2022, la France a accepté la déclaration du G20 à Bali selon laquelle l’emploi d’armes nucléaires ou la menace de leur emploi était inacceptable. Dans un contexte aussi sensible, il est essentiel de débattre de ce sujet au Parlement en toute transparence, conformément aux engagements du ministre des armées devant la commission de la défense de l’Assemblée nationale. Je vous invite à ouvrir le débat pour que nous réfléchissions ensemble aux conséquences de nos choix en matière de dissuasion nucléaire, dans le respect de nos engagements internationaux et avec le souci de promouvoir un monde plus sûr et pacifique.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Notre dissuasion nucléaire est un modèle défensif. En aucun cas nous n’envisageons de l’employer et nous ne menaçons pas davantage de le faire. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement AE61 de M. Aurélien Taché

Mme Sabrina Sebaihi (ÉCOLO-NUPES). La France est présente en Afrique et il serait temps de tirer les leçons de nos opérations extérieures, en particulier de l’échec des opérations Serval et Barkhane. La France doit rééquilibrer les relations qu’elle entretient avec le continent africain pour que chaque partie en retire des bénéfices. La France prévoit de laisser 2 500 militaires dans la région mais nous ne savons rien du nouveau dispositif. Quel sera l’emploi futur de nos armées ?

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Les leçons ont été tirées de nos opérations extérieures. Ainsi, alors que nous pensions qu’à une phase courte d’intervention succéderaient une phase de stabilisation et une longue phase de normalisation, nous avons compris qu’il pouvait être difficile de passer à la phase de normalisation. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement AE56 de M. Lionel Vuibert

M. Lionel Vuibert (RE). Ces dernières années, la désinformation a été largement utilisée pour influencer les opinions et entretenir le sentiment anti-français, en particulier au Burkina Faso et au Sahel où il a été mis fin à l’opération Barkhane dans la précipitation. La désinformation peut représenter une menace hybride à l’encontre de notre pays. Il convient de lutter contre ; c’est le sens de cet amendement.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Il me semblait que le rapport annexé était suffisamment clair sur ce point. S’il vous a paru lacunaire, je m’en remets à votre sagesse.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Je voterai contre l’amendement. En Libye, c’est l’État français qui fut à l’origine de la désinformation ! Rappelez-vous les mensonges qui ont été proférés : l’État affirmait qu’aucun militaire ne se trouvait sur le sol libyen ! Aujourd’hui, tout le monde sait que des militaires étaient présents sur le territoire et que l’opération était engagée depuis longtemps. En temps de guerre, la désinformation fonctionne dans les deux sens. Il n’y a pas les gentils d’un côté, les méchants de l’autre, mais un doux mélange dangereux.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement AE23 de M. Jean-Paul Lecoq

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Le président de la République a évoqué le sujet de la résilience technologique lors de ses vœux aux armées. La rusticité des technologies est indispensable. L’armée doit mettre l’humain au cœur de chaque prise de décision et lui faire confiance. Il est important de mener une réflexion autour des technologies rudimentaires afin de trouver un équilibre entre la technologie et l’absence de technologie. La guerre en Ukraine, comme de nombreuses guerres de la deuxième moitié du XXe siècle, est menée par des soldats qui connaissent parfaitement la géographie et la population, et disposent d’un matériel suffisamment rustique pour être aisément réparable et peu sensible aux conditions météorologiques. Les armées actuelles survalorisent la technologie alors que la basse technologie permet au soldat d’être résilient dans un environnement dégradé. L’une et l’autre doivent être développées ensemble, et l’aspect rustique ne doit surtout pas être abandonné.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Le risque est de se laisser aveugler par la guerre en Ukraine et le retour d’une guerre de position très rustique, qui s’opposerait au tout technologique, paralysé à la moindre faille cyber. Je suis favorable à votre amendement.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement AE22 de M. Jean-Paul Lecoq

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Il est nécessaire de prendre en considération les engagements internationaux de la France au regard de la dissuasion nucléaire. Les termes du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires sont implacables et un moratoire sur les évolutions technologiques de notre dissuasion pourrait être proposé. Nous pourrions ainsi réduire le budget dédié au projet de loi de programmation militaire ; nul ne sait de combien, puisque les chiffres sont tenus secrets ! Surtout, nous enverrions un message positif aux États qui ne sont pas dotés de l’arme nucléaire en leur prouvant que, même en temps de guerre, il est possible de faire des gestes pour l’apaisement et le désarmement.

Enfin, que signifie « l’amélioration des vecteurs » ? Ces armes tueront-elles encore davantage ? Ce genre d’investissement est-il bien nécessaire ?

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Avis défavorable. L’amendement traduit votre profond désaccord avec le principe de la dissuasion nucléaire.

M. Nicolas Dupont-Aignan (NI). Monsieur Lecoq, vous attaquez la dissuasion nucléaire tout en prônant – ce qui me ravit – l’indépendance de la nation face aux engagements qui nous entraînent, au contraire, vers un système conventionnel qui signera notre perte. Je suis hostile à votre amendement parce qu’un moratoire sur la recherche et l’amélioration de nos forces nucléaires nous fragiliserait. Au passage, il est affirmé, dans ce texte, l’indépendance de la nation, la solidarité envers l’OTAN et la solidarité européenne. Or la dissuasion nucléaire est la seule arme qui puisse nous permettre d’éviter un conflit de haute intensité, que nous n’aurions pas les moyens de soutenir. Si nous voulons être indépendants des Américains, nous devons investir massivement dans la dissuasion nucléaire.

La commission rejette l’amendement.

 

Suivant la préconisation de la rapporteure pour avis, la commission rejette l’amendement AE62 de M. Aurélien Taché.

 

 

Amendement AE66 de M. Aurélien Taché

Mme Sabrina Sebaihi (ÉCOLO-NUPES). Le rapport n’insiste pas suffisamment sur les conséquences du changement climatique en Outre-mer, alors que ces départements et collectivités y sont pourtant particulièrement exposés. Cette vulnérabilité particulière s’explique par leur situation géographique et leur dépendance économique aux secteurs les plus touchés. L’adaptation au changement climatique est un enjeu de sécurité globale et nous invitons le Gouvernement à accentuer ses efforts afin de former nos armées à la prévention et à la gestion des catastrophes naturelles.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Je partage votre préoccupation. Un excellent rapport relatif aux conséquences du changement climatique pour la sécurité mondiale a été rendu sous la précédente législature. Cela étant, je ne suis pas d’accord avec la rédaction que vous avez retenue. Je ne suis pas certaine que les Outre-mer soient les premiers à subir le changement climatique : les incendies sévissent dans notre pays alors que nous ne sommes qu’au début du mois de mai et beaucoup de nos littoraux sont exposés au recul du trait de côte. Je vous invite à le retirer pour en revoir la rédaction avant de le déposer en commission de la défense où il pourrait être adopté.

L’amendement est retiré.

 

Amendements AE64 de M. Aurélien Taché et AE21 de M. Jean-Paul Lecoq (discussion commune)

Mme Sabrina Sebaihi (ÉCOLO-NUPES). Le service national universel (SNU), outil de militarisation de la jeunesse, va à l’encontre des valeurs citoyennes, notamment l’engagement associatif, politique ou syndical. Encore récemment, dix-sept jeunes ont été hospitalisés à la suite d’un bivouac. Cet incident succède à de nombreux cas de malaises, de violences physiques et psychologiques de la part d’encadrants. Les périodes d’expérimentation ont montré que le SNU ne favorisait pas la mixité sociale ni l’apprentissage du faire-ensemble. Au contraire, il impose, ordonne, range et ne s’adresse qu’à une minorité de jeunes.

Nous proposons de réallouer le budget du SNU à des mesures réellement utiles aux jeunes, par exemple une allocation d’autonomie de 1 063 euros par mois et un ticket climat donnant accès à tous les transports en commun du territoire. Ces alternatives renforceraient l’autonomie et la mobilité de notre jeunesse, indispensables pour son épanouissement et son insertion dans la société.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Ce service national universel n’est ni national, ni universel. Jacques Chirac a supprimé le service militaire et nous sommes de ceux qui avaient considéré, à l’époque, que ce n’était pas la meilleure mesure qui soit. Le principe de la conscription ne nous pose pas problème, au contraire : le peuple défend le peuple. Malheureusement, le SNU s’apparente davantage à un caprice présidentiel censé résoudre tous les maux de la société. C’est absurde, ce n’est qu’un gadget, une mesure d’affichage.

Nous vous proposons de supprimer ce dispositif mais nous sommes prêts à réfléchir avec vous à une nouvelle définition du service national.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. C’est vrai, le service militaire avait des vertus mais, en interne, on le surnommait « le dernier impôt sur les pauvres » car ceux qui en avaient la possibilité parvenaient souvent à y échapper. Le SNU n’est pas parfait mais il présente l’intérêt de renouer avec une forme de rusticité, de rassembler nos concitoyens autour de nos valeurs, de développer la mixité sociale. Avis défavorable.

M. Frédéric Petit (DEM). Je ne reviendrai pas sur les faits et les chiffres qui ont été donnés : le nombre de cas est extrêmement limité.

Nous examinons un projet de loi de programmation, c’est-à-dire un texte de transformation, ce qui est forcément long : cela prend six ou sept ans. Il est rare que le Parlement ait l’occasion de travailler sur le long terme, de regarder l’horizon. Le SNU n’est pas encore parfait. Le ministère lui-même le dit : le dispositif est encore en phase d’expérimentation. On peut juger cette expérimentation et corriger les erreurs commises, bien entendu, mais très majoritairement les objectifs sont atteints, en particulier s’agissant du brassage social ; la plupart des témoignages le montrent. C’est donc une bonne chose d’inscrire dans ce projet de loi de programmation un travail autour du lien entre l’État et la nation, y compris en rassemblant tous les dispositifs d’engagement citoyen dont nous disposons – c’est le sens de certains amendements que je défendrai un peu plus loin –, et je suis opposé à ce que l’on retire la référence au SNU.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Le vivre-ensemble existe dans d’autres instances, par exemple dans les camps pour adolescents.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendement AE54 de M. Lionel Vuibert.

M. Lionel Vuibert (RE). La France est très bien implantée dans les zones polaires. Sa contribution à la recherche, notamment à travers les publications scientifiques, est reconnue. Les pôles ont vu émerger de nouveaux enjeux stratégiques, économiques et militaires. Alors que des conflits interétatiques surgissent de nouveau sur le sol européen, il apparaît de plus en plus nécessaire de s’intéresser aux diverses possibilités d’engagement, en particulier en Arctique : cette zone pourrait devenir un théâtre d’opérations à l’horizon de 2040. Un engagement sur ce terrain, dans le cadre d’une alliance, poserait d’importants défis à l’armée de terre, notamment en raison des conditions extrêmes qu’offrent ces territoires.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Les pôles sont effectivement un enjeu important : avec la fonte des neiges, de nouvelles routes sont ouvertes, et ces zones deviennent de nouveaux espaces de conflictualité. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement AE20 de M. Jean-Paul Lecoq.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Hier, dans l’hémicycle, nous avons fait avec le ministre des armées le bilan de la précédente loi de programmation militaire et nous avons constaté que la question de l’espace restait à traiter. Tel est l’objet de cet amendement. La commission des affaires étrangères a produit un rapport sur le sujet, écrit par Pierre Cabaré et moi-même, qui préconise de ne pas militariser l’espace. C’est un peu comme l’usage de la bombe atomique : le premier qui jouera à détruire des objets se trouvant dans l’espace portera une lourde responsabilité car c’est alors l’ensemble de l’orbite terrestre qui sera pollué, comme nous l’ont expliqué tous les acteurs que nous avons interrogés. En effet, la pire menace pour les satellites et tous les engins se trouvant dans l’espace, ce sont les « déchets » – en l’occurrence, l’ensemble des corps flottants et incontrôlables.

Nous devons donc œuvrer à la diplomatie spatiale, comme je l’ai dit au ministre. Il faut se mettre d’accord pour ne pas toucher à l’espace car le risque est de très vite rendre celui-ci inutilisable pour plusieurs générations, ce qui serait absurde. Même dans une période conflictuelle, il est possible de trouver un accord.

J’entends bien que des menaces existent. Même si la France prépare une réaction – dont acte, nous n’y sommes pas favorables –, elle doit dire que la militarisation de l’espace constitue un danger réel et durable pour l’avenir. Ce serait une bonne chose si le président de la République, comme il le fait pour les questions relatives au climat, se faisait le porteur de l’idée selon laquelle l’espace est un lieu qu’il ne faut pas « arsenaliser ». Ce serait également une bonne chose si, à travers le débat autour du projet de loi et à travers nos amendements, nous parvenions à faire entendre cet appel : ne touchez pas à l’espace !

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Comme vous, je regrette la militarisation de l’espace. Toutefois, le modèle inscrit dans le texte est défensif : il ne s’agit nullement d’« arsenaliser » l’espace. Nous ne pouvons pas laisser les données captées par nos satellites se faire « butiner » ou être brouillées, et ce alors même que, grâce au projet européen Galileo, nous serons plus autonomes. Nous sommes sur la défensive mais nous ne pouvons pas rester sur le banc de touche. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement AE69 de M. Frédéric Petit.

M. Frédéric Petit (DEM). Je défendrai simultanément l’amendement AE74, qui va de pair avec celui-ci.

Je suis chargé, au sein de notre commission, de la diplomatie culturelle et d’influence. J’ai donc travaillé avec notre rapporteure pour avis sur la notion d’influence militaire. Même si le rapport annexé est consistant et la rapporteure pour avis propose déjà de le compléter, je propose d’ajouter une référence explicite à la feuille de route de l’influence, aboutissement d’un travail mené entre notre commission et le ministère de l’Europe et des affaires étrangères au cours de la précédente législature. Cette feuille de route, qui date de 2021, correspond en quelque sorte à un effort de programmation de l’activité du MEAE dans le domaine de l’influence.

Il est important, tout en respectant les spécificités du domaine militaire, d’engager une politique d’influence. Par exemple, on peut cibler certaines populations : ma collègue rapporteure pour avis propose de mentionner le travail avec les militaires des pays alliés ou dans lesquels nous avons des hommes. Le ministère des armées doit avoir le réflexe d’utiliser aussi les outils d’influence de la diplomatie – ce qu’il ne fait que par saupoudrage –, en facilitant l’accès aux lycées français pour certaines populations, même si ce ne sont pas des Français, ou en travaillant avec les instituts français, les entreprises et nos postes de recherche à l’étranger. Il est absolument nécessaire de faire en sorte que l’effort en matière d’influence militaire soit consenti de manière certes spécifique mais en cohérence avec la feuille de route, qui est, d’une certaine manière, le pendant du projet loi de programmation.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Nous partageons la même vision de l’influence.

J’émets un avis favorable sur l’amendement AE69. En revanche, je vous inviterai à retirer l’amendement AE74 pour que nous y retravaillions : la stratégie des armées en la matière ne doit pas être complètement fondue avec celle du Quai d’Orsay. Vous pourrez le déposer de nouveau en vue de l’examen du texte en commission de la défense nationale et des forces armées.

M. Frédéric Petit (DEM). Je retirerai d’autant plus volontiers l’amendement AE74 qu’il vise à compléter l’article au même endroit que votre amendement AE49 : ils empiètent donc l’un sur l’autre. L’amendement AE74 doit donc, effectivement, être réécrit.

La commission adopte l’amendement.

 

 

Amendement AE19 de M. Jean-Paul Lecoq.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Le monde change ; la France et ses autorités doivent le comprendre très rapidement. Or la stratégie militaire française repose encore sur l’idée d’une armée expéditionnaire. Si ce modèle a pu avoir un sens dans l’esprit des acteurs politiques et militaires au milieu du XXe siècle, il est totalement anachronique. Cela entraîne deux conséquences.

Premièrement, en dépit de ses défauts, ce modèle a permis d’acquérir une grande expertise. Nous proposons donc que nos armées s’impliquent davantage dans des missions de maintien de la paix des Nations Unies.

Deuxièmement, il est nécessaire de renégocier les accords bilatéraux de défense et de sécurité afin de préserver la souveraineté des deux parties. C’est particulièrement vrai s’agissant de l’Afrique.

Enfin, et même si cela va sans dire, il est bon de préciser que le seul cadre envisageable pour une opération militaire est celui de la charte des Nations Unies.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. La dimension expéditionnaire a été profondément remise en question dans ce projet de LPM. Par ailleurs, il est évident que la France respecte la charte des Nations Unies et le droit international : cette conduite est intrinsèque à notre action. Avis défavorable.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Que les interventions aient lieu « dans le cadre de résolutions des Nations Unies » n’est pas la même chose que « dans le respect de la charte des Nations Unies ». L’amendement poserait une limitation excessive.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement AE41 de M. Jérôme Buisson.

M. Jérôme Buisson (RN). Dans la sous-partie du rapport annexé intitulée « Une France puissance solidaire et partenaire de souveraineté », plus précisément à l’alinéa 19, la France est définie comme « pourvoyeuse de sécurité et de souveraineté » et menant une « diplomatie de puissance d’équilibres ». Non seulement cette formulation n’a que peu de sens, mais elle relève d’une conception de la France comme gendarme du monde, visant à défendre la sécurité et la souveraineté des autres États, sans tenir compte de nos alliances et de nos intérêts. Notre vision, au contraire, est celle d’une France dont la politique a pour boussole la défense de sa propre souveraineté.

De plus, la formulation présente la souveraineté, au même titre que la sécurité, comme un bien que l’on confère. Il serait plus approprié de parler de défendre la souveraineté et d’assurer la sécurité.

L’amendement AE41 vise donc à remplacer la formulation par celle, plus neutre, de « puissance souveraine », rappelant la primauté de la défense de la nation, des Français et de nos intérêts par rapport à un rôle de police internationale.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Je ne pense pas que l’objectif poursuivi à travers la formulation en question soit de se présenter comme le gendarme du monde. La France a une responsabilité en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationale. Et de la sécurité internationale dépend, en retour, la sécurité de notre pays car souvent les crises géopolitiques n’ont pas de frontières. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

M. Nicolas Dupont-Aignan (NI). Je suis, quant à moi, favorable à cet amendement car je ne sais pas ce que veut dire « pourvoyeuse de souveraineté » – le texte comporte d’ailleurs beaucoup d’autres termes ambigus. Il n’y a qu’une seule souveraineté : celle de la nation et du peuple français. C’est la raison pour laquelle le seul instrument qui vaille est la dissuasion nationale. Là aussi, les textes officiels opèrent une dérive créant de l’ambiguïté en ce qui concerne l’utilisation de notre force de dissuasion pour la défense de nos voisins européens. Or la force de dissuasion est faite pour le territoire national, elle n’a de sens que pour cela.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je me permettrai de m’exprimer contre l’amendement. Considérer qu’un pays comme la France n’a pas, à travers sa politique militaire, de responsabilité dans le maintien de la paix et dans le respect de la souveraineté des autres États est une conception très limitative. La souveraineté n’est pas le monopole de la France : c’est un droit fondamental pour tous les pays. Quand nous menons une action en faveur de l’Ukraine – à tort ou à raison, là n’est pas la question –, nous pourvoyons de la souveraineté à ce pays, nous lui permettons de rétablir ses droits souverains. On peut être contre ou être pour, mais il y a là une dimension fondamentale de l’action internationale de la France, qui est fixée par le projet de loi de programmation. Il ne s’agit pas d’une erreur de rédaction : c’est une vocation qui est reconnue à notre pays.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement AE49 de Mme Laetitia Saint-Paul.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Le texte ne tient pas suffisamment compte de l’enjeu que constitue l’influence, pourtant érigée comme nouvelle fonction stratégique. Cet amendement, avec d’autres qui suivront, vise à inclure cette dimension. Il s’agit de doter nos armées d’une véritable colonne vertébrale en la matière.

La commission adopte l’amendement.

 

L’amendement AE74 de M. Frédéric Petit est retiré.

 

Amendement AE18 de M. Jean-Paul Lecoq.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). L’objectif de cet amendement est de faire en sorte que l’alinéa 20 n’autorise pas tout et n’importe quoi.

À nos yeux, il est nécessaire de renforcer le droit international, alors que le conflit en Ukraine a fait souffrir les Nations Unies et a révélé un très grand nombre de tensions et de blocages. La France doit prendre sa part de l’effort multilatéral visant à renforcer le droit international et l’Organisation des Nations Unies (ONU). Il est écrit à l’alinéa 20 que les moyens de nos armées « pourront être déployés pour tous les partenaires qui le solliciteraient ». Nous proposons d’ajouter que nos alliances militaires seront conclues « dans le cadre de la Charte des Nations Unies et du strict droit international ».

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. L’alinéa 20 vise non pas les opérations militaires mais les activités de coopération, de formation, d’entraînement et de cession de matériel que la France pourrait mener avec ceux de ses partenaires ayant des besoins de défense légitimes, comme nous en avons. Dans toutes ses activités, y compris la coopération, la France est liée par la Charte des Nations Unies et par le droit international, qu’il y soit fait référence ou non dans le rapport annexé. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement AE45 de Mme Laetitia Saint-Paul.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Il faut développer la réciprocité. C’est l’un des enjeux du partenariat renouvelé avec l’Afrique que le président de la République appelle de ses vœux. Lors de mon déplacement en Mauritanie, j’ai proposé que des stagiaires français soient reçus par le Collège de défense du G5 Sahel. L’idée a été accueillie avec enthousiasme.

Je propose de compléter ainsi l’alinéa 20 : « En sens inverse, la France promouvra et sollicitera la formation de ses cadres officiers et sous-officiers dans les écoles militaires des pays partenaires. »

La commission adopte l’amendement.

 

 

 

Amendement AE48 de Mme Laetitia Saint-Paul.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Le constat dressé dans le cadre des auditions est édifiant : une fois qu’ils ont achevé leur formation en France, les élèves officiers ou sous-officiers étrangers ne sont pas du tout suivis, alors même que certaines formations sont financées par la France, à travers l’aide publique au développement et la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD). Cela me paraît incompréhensible.

Certains de mes camarades de promotion, formés en France quand ils avaient une vingtaine d’années, sont désormais commandants de zone dans leurs pays respectifs. Ils occupent donc déjà, à quarante ans, des fonctions éminentes dans leurs institutions. Assurer le suivi de ces élèves – en langage civil, on parle d’« alumni » –, entretenir un partenariat avec eux me semble primordial. Je propose donc de compléter le texte par la phrase suivante : « Un effort particulier sera fait pour entretenir sur le long terme le lien créé avec les cadres étrangers formés dans les écoles militaires françaises. »

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement AE63 de M. Aurélien Taché.

Mme Sabrina Sebaihi (ÉCOLO-NUPES). Le choix a été fait de maintenir un dispositif militaire français au Sénégal, en République de Côte d’Ivoire, au Tchad et au Gabon. Toutefois, les contours de l’évolution envisagée demeurent flous et aucune stratégie concrète n’a été présentée.

Des erreurs ont été commises dans ces pays. Depuis des années, le sentiment anti-français ne cesse d’y croître. Il est grand temps de poser un regard critique sur nos méthodes et nos stratégies et de mesurer leurs conséquences réelles. Inverser la tendance implique d’engager un audit transparent et approfondi de nos actions passées, afin d’éviter de reproduire les mêmes erreurs. Une démarche élaborée de manière concertée avec les pays concernés permettrait de définir une vision claire et de connaître l’évolution qu’ils souhaitent voir apportée au dispositif militaire.

Malheureusement, le rapport annexé ne fait qu’effleurer en quelques lignes ce sujet crucial. Nous ne saurions nous satisfaire de cette légèreté. Nous demandons une révision approfondie de la stratégie et une véritable concertation avec les pays hôtes afin de garantir un changement du dispositif.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. J’aurais voulu, moi aussi, être en mesure de vous présenter une vision beaucoup plus claire de ce partenariat. Si je ne peux pas le faire, c’est précisément parce que votre requête a été entendue : l’idée est de construire le dispositif en partenariat avec les pays tiers. Or nous n’avons pas encore connaissance de ce qu’ils attendent de nous, du format qu’ils veulent donner à cette nouvelle coopération. Il serait d’ailleurs intéressant, Monsieur le président, que notre commission suive le sujet sur la durée.

Avis défavorable, Madame Sebaihi, même si nous partageons le même objectif.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Puisque vous m’avez tendu la perche, Madame la rapporteure pour avis, je tiens à préciser que je suis cette question attentivement. L’année dernière, sous la précédente législature, j’avais visité trois de nos bases au Niger, au Sénégal et en Côte d’Ivoire. Je suis retourné en Côte d’Ivoire récemment, avec Mme la présidente de l’Assemblée nationale, ainsi que plusieurs collègues, et j’ai pu mesurer que des changements très importants avaient été engagés.

Pour résumer la démarche de façon extrêmement sommaire, je dirai ceci : alors que certains considéraient qu’il fallait fermer nos bases, nous avons choisi de les ouvrir, c’est-à-dire d’engager une coopération beaucoup plus égalitaire, une interpénétration beaucoup plus forte avec les pays concernés. Cet effort doit être poursuivi et théorisé. Cela ne s’improvise pas. Il me semble donc, Madame Sebaihi, que votre souhait a été entendu et que vous pourriez retirer votre amendement car beaucoup d’entre nous n’ont pas envie de voter contre.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement AE1 de M. Jean-Louis Bourlanges.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Cet amendement vise, d’une part, à rappeler que la France est membre à la fois de l’Alliance atlantique et de l’Union européenne et qu’à ce titre elle est un acteur clé de la défense de l’Europe. Certains parmi vous sont très hostiles à ces engagements et considèrent que nous ne devrions pas être tenus par eux. Il n’en demeure pas moins que le projet de loi s’inscrit dans la réalité. Or celle-ci est bel et bien que nous avons souscrit ces engagements internationaux.

Il s’agit aussi, d’autre part, de préciser le sens de l’objectif d’autonomie stratégique. Certaines interprétations excessives ont été faites concernant les déclarations du chef de l’État. Cet objectif ne saurait être considéré comme un acte de défiance et d’émancipation à l’égard de nos engagements vis-à-vis de l’OTAN. Cette organisation est une alliance d’États souverains ; elle ne prévoit en aucune façon la subordination à l’un des États membres. L’objectif d’autonomie stratégique est d’abord motivé par le fait que, dans les années à venir, il risque d’être beaucoup plus difficile pour les Américains de tenir leurs engagements.

Ce message est de nature à rassurer certains de nos alliés, notamment les pays du Nord, les États baltes et la Pologne, qui ont tendance à voir dans notre revendication d’autonomie stratégique européenne une marque d’hostilité à l’égard des États-Unis, alors qu’il s’agit, pour nous, d’assumer des responsabilités dont il n’est pas sûr que les Américains soient en mesure de continuer à les exercer comme ils l’ont fait jusqu’à présent et comme ils le font dans la guerre en Ukraine. La revendication d’autonomie stratégique est destinée non pas à briser ces liens mais à répondre au fait que la situation stratégique sera différente.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Je suis très favorable à cet amendement : le rapport annexé méritait d’être clarifié sur ce point.

M. Nicolas Dupont-Aignan (NI). D’abord, Monsieur le président, je souhaiterais que vous ne caricaturiez pas ma position comme vous l’avez fait tout à l’heure. Il n’est pas question de refuser d’aider un autre pays d’Europe. Il s’agit d’éviter un charabia créant de la confusion à propos de la question de la souveraineté.

Ensuite, je suis hostile à votre amendement parce qu’il pose des problèmes d’automaticité et de cohérence. Si nous voulons vraiment affirmer notre solidarité quasi automatique pour la défense du continent, 400 milliards ne suffiront pas et nous devrons opérer un changement d’orientation radical en matière de défense. Le général de Gaulle avait choisi la dissuasion nucléaire parce que c’était une façon de défendre notre souveraineté nationale sans avoir besoin d’engager des montants colossaux, ce que nous n’avions pas les moyens de faire.

Plutôt que de multiplier les engagements et les vœux pieux en matière de solidarité européenne, nous devrions veiller à être capables d’assurer notre défense. C’est l’objet de ce projet de loi de programmation militaire. Surtout, il convient d’entretenir l’incertitude car tout dépend du conflit : nous pouvons, bien évidemment, aider un pays à défendre sa souveraineté, mais cela doit dépendre de notre propre volonté, sans qu’il y ait eu d’engagement préalable. Du reste, c’est le sens du traité fondateur de l’Alliance atlantique, dont l’article 5 ne comporte pas de caractère automatique.

Mme Natalia Pouzyreff (RE). Je soutiens cet amendement car il est toujours utile de rappeler que le renforcement du pilier européen au sein de l’OTAN n’est absolument pas contradictoire avec la construction d’une Europe de la défense. Le fait que la France prenne des initiatives capacitaires au sein de l’OTAN est même susceptible d’entraîner les autres pays européens, ce qui sera bénéfique pour notre sécurité collective.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement AE17 de M. Jean-Paul Lecoq.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Comme je l’ai déjà expliqué, la façon dont on parle des Outre-mer est parfois mal perçue par nos concitoyens vivant dans ces territoires, soit près de 3 millions de Français.

Je profite de la défense de cet amendement pour vous demander des nouvelles de la stratégie ultramarine, que le président de la République s’était engagé à présenter au Parlement avant la discussion sur le projet de loi de programmation militaire. Nous avons déjà interpellé le ministre sur la question. Cette stratégie sera-t-elle présentée devant notre commission avant le débat dans l’hémicycle ? Mme la rapporteure pour avis dispose certainement de quelques éléments.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Je comprends l’intention et vous connaissez ma position quant à la place des Outre-mer. La formulation que vous critiquez est géographique et nos concitoyens d’Outre-mer ne doivent pas se sentir agressés. Avis défavorable même si, dans l’esprit, je partage votre engagement en faveur de ces territoires.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Le président de la République s’était engagé à présenter au Parlement la stratégie ultramarine dans laquelle s’inscrira la loi de programmation militaire avant notre débat parlementaire. Le ministre, que nous avons interpellé à ce propos, a déclaré que cela viendrait mais nous discutons aujourd’hui du texte sans avoir encore connaissance cette stratégie promise par le président de la République, et dont nous ignorons quand elle nous arrivera.

La commission rejette l’amendement.

 

M. le président Jean-Louis Bourlanges. La question de M. Lecoq est gravée dans ma mémoire et je m’enquerrai de cet engagement pour qu’il soit honoré le plus rapidement possible, dans toute la mesure de mes moyens, qui sont comme vous le savez très limités.

 

Amendements identiques AE16 de M. Jean-Paul Lecoq et AE65 de M. Aurélien Taché.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Monsieur le président, je grave, moi aussi, dans ma mémoire votre promesse.

Quant à l’amendement AE16, qui est de cohérence, il est défendu car nous avons déjà donné notre avis à propos du service national universel.

Mme Sabrina Sebaihi (ÉCOLO-NUPES). Vous connaissez en effet notre avis à propos du SNU.

Suivant la préconisation de la rapporteure pour avis, la commission rejette les amendements.

 

Amendement AE73 de M. Frédéric Petit.

M. Frédéric Petit (DEM). Cet amendement vise à tirer parti de la durée de six ans dont nous disposons avec cette loi de programmation militaire pour procéder à des transformations longues. Parmi des dispositifs très éclatés qui ont pour point commun l’engagement citoyen, l’engagement volontaire, l’adhésion à des idées et le dépassement de soi, la réserve citoyenne de défense et de sécurité fait figure de grand absent dans ce projet de loi de programmation militaire ; elle n’y est aucunement citée.

Il s’agirait donc que, progressivement, dans le temps dont nous disposons, la réserve citoyenne de défense et de sécurité rassemble ces dispositifs différents fondés sur l’engagement citoyen et la formation de la jeunesse, comme le service civique ou le SNU, en les coordonnant et en supprimant les silos qui les séparent.

Une partie de l’amendement est donc rédactionnelle, tandis qu’une autre partie tend à fixer de grandes échéances en vue de parvenir à un dispositif concret.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Tout ce qui est possible en France l’est aussi pour les Français vivant à l’étranger, qui sont donc, eux aussi, tenus d’effectuer leur journée de défense ; ce n’est, du reste, pas toujours facile, et il conviendrait aussi de revoir ce point. La réserve citoyenne mérite également d’être promue auprès de nos concitoyens vivant à l’étranger. Selon les derniers chiffres dont je dispose, les réservistes citoyens sont aujourd’hui au nombre de 4 000 à l’échelle mondiale. Le chiffre de 200 000 que vise l’amendement est donc peut-être trop ambitieux. Je propose donc le retrait de l’amendement et sa réécriture en vue de l’examen du texte par la commission de la défense.

M. Frédéric Petit (DEM). Je retire l’amendement afin de le retravailler. Je précise cependant qu’il ne visait pas à porter l’effectif de la réserve citoyenne à 200 000 mais à structurer, d’ici à 2030, cet ensemble de dispositifs qui concernent aujourd’hui environ 100 000 personnes.

L’amendement est retiré.

 

Amendement AE46 de Mme Laetitia Saint-Paul.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Toujours afin de rendre concrète cette nouvelle fonction stratégique qu’est l’influence, je propose que la mobilité internationale des militaires, notamment au sein des missions de défense des états-majors des pays partenaires et des organisations internationales, soit encouragée, valorisée et mieux accompagnée.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AE47 rectifié de Mme Laetitia Saint-Paul.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Au sein des lycées militaires et de nos grandes écoles, on compte très peu d’élèves ultramarins, voire aucun. Les classes préparatoires des lycées militaires sont désormais intégrées au dispositif Parcoursup mais le recrutement est un enjeu politique et il serait intéressant que l’Assemblée nationale soit mieux éclairée sur ses modalités.

Mme Marine Hamelet (RN). L’amendement ne spécifie pas qu’il est question des Ultramarins. Notre groupe est, par principe, favorable à la reconnaissance des compétences et non pas à l’idée d’imposer des quotas au titre de la discrimination positive.

Mme Sabrina Sebaihi (ÉCOLO-NUPES). Je soutiens cet amendement car il est très important que les écoles militaires soient représentatives de la société française, ce qui vaut tant pour les Ultramarins que pour les différentes classes sociales ou pour les quartiers et villes qui composent nos territoires. Il est donc bon de l’inscrire dans la loi et nous devrons nous doter d’outils et de moyens permettant d’atteindre cet objectif très noble et très important.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. La diversité des origines et la diversité des critères de compétence sont deux choses entièrement différentes.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement AE15 de M. Jean-Paul Lecoq.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Nous ne savons pas quelle sera l’utilité du satellite Egide ni comment seront circonscrites ses missions. On ne sait pas davantage si ces informations sont classifiées ni si tout cela est déjà défini. Egide contribuera-t-il à la militarisation de l’espace, que j’évoquais tout à l’heure, et la France jouera-t-elle un mauvais rôle dans ce domaine ? Aurons-nous un jour un débat sur l’espace et son utilité ? Il y a là beaucoup d’inconnues. Peut-être Mme la rapporteure pour avis pourra-t-elle nous communiquer des éléments à ce propos. Que recouvre le terme de « satellite patrouilleur » ? Est-ce un frelon asiatique qui mangera les abeilles butinant nos satellites ?

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. C’est plutôt nous qui sommes l’abeille attaquée par le frelon. Techniquement, le satellite patrouilleur dénommé YODA (Yeux en orbite pour un démonstrateur agile), démonstrateur composé de deux nano-satellites qui a pour fonction de protéger nos satellites militaires contre d’éventuelles attaques, devrait être mis en orbite prochainement, dans l’idéal dès 2024. Le programme Egide vise, quant à lui, à produire un satellite patrouilleur plus lourd et véritablement opérationnel, qui pourra succéder à YODA vers 2030. Avis défavorable.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Monsieur Lecoq, un amendement d’appel n’a pas de place dans un rapport annexé. En revanche, je comprends votre curiosité légitime quant à l’ensemble de ces dispositifs, nimbés d’un mystère qui mérite d’être dissipé. Je vous suggère de retirer votre amendement, moyennant l’engagement que la commission se penchera sur cette question.

L’amendement est retiré.

 

Amendement AE14 de M. Jean-Paul Lecoq.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Il s’agit également d’un amendement d’appel, relatif à la protection de nos territoires d’Outre-mer, sur lesquels l’exécutif semble porter systématiquement un regard purement utilitaire – ici un port spatial, là une présence dans un océan nous assurant des capacités de projection militaire stratégiques, là encore des ressources naturelles précieuses à exploiter, tandis que partout les services publics sont en berne et qu’on rencontre, entre autres, des problèmes de chômage, de coût de la vie et d’insécurité.

La France est présente sur plusieurs continents : il faut l’assumer et, dans le cadre de la loi de programmation militaire, prévoir la protection de ces territoires, où qu’ils soient et qu’il s’agisse de leurs espaces maritimes, terrestres ou aériens. Les zones économiques exclusives sont insuffisamment dotées en protection ; la surveillance de la surpêche doit être améliorée, ainsi que la lutte contre les divers trafics maritimes et la surveillance de la pollution.

J’ose espérer que tout le matériel militaire qui sera mis en orbite permettra aussi ce travail et cette surveillance mais si nous voulons être des acteurs agiles, rapides et efficaces, ces informations doivent pouvoir être communiquées très vite à des espaces opérationnels susceptibles d’intervenir immédiatement pour arrêter et déférer à la justice ceux qui contreviennent aux règles internationales.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Je partage votre avis quant à l’aspect prioritaire des Outre-mer dans cette nouvelle loi de programmation militaire. Cette priorité s’exprime d’ailleurs financièrement et j’ai moi-même formulé plusieurs propositions figurant dans le rapport, comme la montée en puissance de la réserve opérationnelle de l’armée de terre de nos Outre-mer et la substitution aux tournantes de quatre à six mois, conçues sur le modèle des opérations extérieures, d’affectations de permanents venant en famille entretenir ce lien « à hauteur d’homme ».

Aux frontières, les enjeux diffèrent selon les Outre-mer concernés : à Mayotte, il s’agit de l’immigration, en Guyane, de la drogue venue du Suriname et du Brésil. Dans le cadre du groupe d’études sur l’eau et la biodiversité que je préside, je travaille beaucoup sur le trafic d’espèces végétales et animales menacées. Notre biodiversité se concentre beaucoup sur les Outre-mer et cette question est également un problème de sécurité car ce trafic d’espèces menacées est, après la traite d’êtres humains et la drogue, le troisième pourvoyeur de fonds du terrorisme. Vous prêchez donc une convertie. Avis favorable.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je comprends la préoccupation exprimée par l’auteur de l’amendement et la rapporteure pour avis mais, sur le plan rédactionnel, le mot « priorité » introduit une hiérarchie par rapport à la défense du territoire hexagonal. Je propose donc de rectifier l’amendement en remplaçant les mots « une priorité » par les mots « un impératif ».

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). J’en suis d’accord, Monsieur le président.

La commission adopte l’amendement ainsi rectifié.

 

Amendement AE13 de M. Jean-Paul Lecoq.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Le statut de notre industrie militaire interroge. Les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine considèrent en effet que seul un service public employant des ouvriers d’État peut assumer un carnet de commandes très difficile à anticiper et qui comporte de fortes variations, et permettre ainsi à notre État de rester pleinement souverain dans différents domaines, notamment pour ce qui concerne les munitions de petit calibre, qui ont fait l’objet d’un rapport d’André Chassaigne.

Il faut questionner en profondeur le rôle social et économique de notre secteur de l’armement, qui oblige aujourd’hui notre diplomatie à faire des courbettes devant des chefs d’État parfois peu scrupuleux pour vendre nos fleurons militaires. Ce n’est pas une bonne chose et, plutôt que de faire dépendre de nos exportations la survie de notre économie militaire et notre capacité à fournir des munitions à nos armées, je propose d’éloigner le secteur de l’armement de la libre concurrence.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Je suis, d’une manière générale, favorable à tout ce qui concourt à notre autonomie stratégique et à la réindustrialisation de notre pays. J’ai moi-même, dans mes fonctions antérieures, subi les désagréments liés à l’utilisation de munitions au rabais et défectueuses. Je suggère toutefois de retirer cet amendement et de le retravailler car l’idée de renationalisation supposerait en effet que l’État reprendrait la main sur cette industrie, et je ne suis pas certaine qu’il soit souhaitable d’aller jusque-là.

En l’état, donc, avis défavorable. Peut-être pourriez-vous substituer au terme de « renationalisation » celui de « relocalisation » de la production de munitions de petit calibre.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Nous souhaitons vraiment renationaliser, car c’est ce qui nous assurera l’indépendance. Nous maintenons donc l’amendement.

M. Jérôme Buisson (RN). Le groupe Rassemblement national est favorable à cet amendement essentiel. Nous travaillons, du reste, nous aussi, sur ce sujet : je pense au rapport de Julien Rancoule sur les munitions.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement AE72 de M. Frédéric Petit.

M. Frédéric Petit (DEM). Dans la version actuelle du texte, la coopération est justifiée par le fait qu’elle coûte moins cher et peut offrir de bonnes occasions. Sans trop modifier les mots employés, l’amendement tend à ce que la coopération, en particulier dans le cadre franco-allemand et européen, soit présentée comme stratégique. Elle procède en effet d’une stratégie consistant à ne pas nous défendre toujours tout seuls.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. L’adoption de l’amendement AE1 du président et du groupe Démocrate satisfait celui-ci, qu’il conviendrait donc de retirer, mais aussi de réécrire pour intégrer la mutualisation des coûts.

L’amendement est retiré.

 

Amendement AE42 de M. Jérôme Buisson.

M. Jérôme Buisson (RN). Selon l’alinéa 57 de la sous-partie du rapport annexé intitulée « Des coopérations au service de l’autonomie stratégique européenne », les programmes en coopération contribueront à l’objectif de renforcer « l’autonomie stratégique européenne ».

L’amendement a pour objet de donner priorité au renforcement de l’autonomie stratégique française avant celle de l’autonomie stratégique européenne dans l’établissement de programmes de coopération en matière d’armement. Comme l’amendement AE41, il n’ajoute que quelques mots mais révèle les profondes différences de vision nous séparant des pessimistes qui considèrent que la France serait trop petite pour le monde et que l’intégration européenne serait le seul horizon de notre nation. Nous pouvons évidemment participer à des programmes en coopération mais ceux-ci doivent concourir en premier lieu au renforcement de notre souveraineté.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Au-delà de la sémantique, cet amendement est sous-tendu par une vision stratégique qui nous sépare. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement AE67 de M. Aurélien Taché.

Mme Sabrina Sebaihi (ÉCOLO-NUPES). En matière de défense nationale, la concentration des pouvoirs dans les mains de l’exécutif limite le contrôle effectif du Parlement. Pour garantir une démocratisation accrue de la prise de décision, les parlementaires doivent pouvoir interroger les responsables politiques et militaires et être associés étroitement à la définition des objectifs stratégiques. Un contrôle accru du Parlement sur l’exportation d’armements est également nécessaire et permettrait de s’assurer que ces transactions respectent les valeurs et les principes éthiques de notre nation. Les parlementaires seraient en mesure d’évaluer si les ventes d’armes sont conformes aux engagements internationaux, aux droits de l’Homme et aux objectifs de la politique étrangère du pays. Cette mesure contribuera à une plus grande transparence et à une meilleure prise en compte des préoccupations de nos concitoyens dans les décisions stratégiques de la nation.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. L’Assemblée nationale peut déjà faire tout cela par elle-même. Sous-entendre que ce serait actuellement impossible affaiblit notre rôle. Je vous invite, à ce propos, à lire le rapport rédigé par Jacques Maire durant le mandat précédent sur les enjeux de l’exportation d’armement.

En outre je n’adhère pas à l’idée de mélanger les opérations militaires et les exportations d’armement.

Avis défavorable. En tout état de cause, nous discuterons ultérieurement de la place du Parlement pour les quatre années à venir dans le cadre de la loi de programmation militaire, et je veillerai à ce qu’il figure en bonne place.

M. Kévin Pfeffer (RN). Le groupe Rassemblement national se prononcera également contre cet amendement car la Constitution comporte déjà tous les mécanismes de contrôle nécessaires. Le premier alinéa de son article 35 subordonne d’ailleurs la déclaration de guerre à l’autorisation du Parlement, lequel est systématiquement informé par le Gouvernement de l’intervention des forces armées à l’étranger. Nous devons donc rester dans l’esprit de notre République, qui fait du chef de l’État le chef des armées, sans adopter un modèle différent, dans lequel les forces armées pourraient être une armée subordonnée au Parlement.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE50 de M. Kévin Pfeffer.

M. Kévin Pfeffer (RN). Cet amendement tend à réaffirmer notre intention de quitter le commandement militaire intégré de l’OTAN. Nous en avons déjà débattu plusieurs fois au sein de cette commission et vous connaissez notre position : la France doit pouvoir fixer ses propres stratégies militaires et disposer d’une autonomie dans ses décisions stratégiques, qui doivent toutes être conformes à nos propres intérêts. Afin d’éviter tout risque de suivisme, nous resterons sur cette position.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Cette position est à l’opposé de ce que j’ai défendu dans mon rapport. Nous ne pouvons pas être influents en pratiquant la politique de la chaise vide. Au contraire, il ne faut pas seulement viser des postes de commandement de niveau général mais précisément investir l’OTAN et les organisations internationales à tous les niveaux, à commencer par celui de très jeunes officiers qui peuvent prendre leurs marques pour revenir un jour en connaissant bien ces institutions. Seule une bonne connaissance des institutions internationales peut nous permettre de promouvoir notre vision et d’être plus influents, ce qui concourt à notre souveraineté. Il y a là entre nous une ligne de fracture. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement AE43 de M. Jérôme Buisson.

M. Jérôme Buisson (RN). À l’alinéa 60 de la sous-partie du rapport annexé intitulée « Des coopérations au service de l’autonomie stratégique européenne », sont notamment cités les programmes d’armement menés en coopération – MGCS et SCAF. Il n’y figure cependant aucune réserve ou condition au développement de ces programmes, qui suscitent de grands doutes, portant notamment sur la captation de technologies nationales par des entreprises étrangères ou sur les divergences de cahier des charges en termes de besoins capacitaires.

L’amendement a pour objet d’introduire dans le cadre des programmes de coopération en matière d’armement un principe de sauvegarde des technologies nationales et d’adéquation aux besoins capacitaires des forces armées, de telle sorte que ces programmes soient abandonnés s’ils ne respectent pas ces critères et que les programmes SCAF et MGCS soient remplacés par des programmes d’armement nationaux.

Comme nous l’avons indiqué en défendant l’amendement AE42, nous ne sommes pas opposés au principe des coopérations mais il est impératif qu’elles sauvegardent nos intérêts, nos technologies et notre souveraineté.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Nous avons en commun certains objectifs mais pas les façons de les atteindre. Pour conserver la totalité du spectre, objectif que vous avez également soutenu en exposant la position de votre groupe, la seule manière d’éviter de devoir faire des choix est d’unir nos forces à celles de nos alliés européens. Je crains que les programmes que vous souhaitez abandonner au profit d’un programme national ne soient, en fait, purement et simplement abandonnés. Avis défavorable.

M. Frédéric Petit (DEM). La France est capable de faire le Rafale mais elle ne peut faire le SCAF toute seule car il s’agit d’une intégration de projets beaucoup plus complexes. Comme vient de l’expliquer la rapporteure pour avis, le SCAF et le Rafale ne se situent pas au même endroit du spectre.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Il s’agit d’un amendement à double détente car il comporte, d’une part, des précisions très intéressantes sur les conditionnalités, précisant que les programmes visés ne doivent pas porter atteinte à l’indépendance et aux besoins capacitaires de la France – ce dont les autorités nationales françaises sont très conscientes –, et vise, d’autre part, à l’abandon de certains programmes. Vous tirez, quant à vous, une conclusion unilatérale en posant pour principe que les conditions ne sont pas respectées, ce qui est tout autre chose.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement AE12 de M. Jean-Paul Lecoq.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). La LPM engage notre pays pour plusieurs années et pour une dépense de 413 milliards d’euros : ce n’est pas rien, surtout à une époque où une partie des Français est dans la rue, où l’on souffre d’un déficit démocratique et où l’argent manque pour les actions sociales. Il doit y avoir un débat avec le peuple sur ce projet de loi. Une loi de programmation définit des priorités budgétaires que le peuple doit pouvoir discuter. Pourquoi ces priorités ? Quelles sont leur utilité et leur efficacité ? Il est bon de discuter de ces questions au Parlement mais il est également opportun d’avoir un échange avec la population à ce sujet.

Notre pays a perdu le réflexe d’associer le peuple, de l’informer, par exemple dans des émissions de télévision, et de le convier au débat national. Vous allez me dire que vous ne choisissez pas les thèmes des programmes audiovisuels. À d’autres ! Lorsque l’exécutif veut ouvrir un débat national sur un sujet, il sait actionner les bons leviers pour qu’il ait lieu. Cet amendement vise à ce qu’un tel débat se tienne sur ce projet de loi de programmation militaire.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Je ne partage pas votre vision. Les orientations contenues dans ce projet de loi figuraient dans le programme du président de la République débattu pendant les campagnes présidentielle puis législatives. En outre, arrêtons d’affaiblir le Parlement ! Le débat se tiendra en séance publique et des amendements seront déposés sur le suivi parlementaire de la LPM : je nous fais confiance ! Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement AE57 de M. Lionel Vuibert.

M. Lionel Vuibert (RE). Cet amendement vise à attribuer les futurs investissements en priorité aux zones en reconversion industrielle disposant des compétences et capacités nécessaires. La LPM représente un effort d’investissement sans précédent dans le domaine de l’armement. Des territoires comme celui que je représente, actuellement en reconversion industrielle, doivent pouvoir se positionner sur les marchés de la défense, qui offrent des perspectives de long terme.

Il faut saisir cette occasion pour donner à ces territoires, dans la mesure où ils disposent des compétences et des capacités nécessaires, une chance de revenir dans la course économique, grâce à ces marchés captifs. L’autre objectif, essentiel, est de renforcer notre souveraineté dans le domaine des investissements militaires.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Les armées n’ont pas de rôle à jouer dans l’aménagement du territoire. Vous ciblez la BITD mais je ne suis pas sûre que l’on puisse mettre en œuvre votre amendement, ce qui ne serait de toute façon pas souhaitable. Je doute de la compétence de la commission des affaires étrangères pour trancher un sujet de nature si nationale. Comme le sujet semble vous tenir à cœur, je vous invite à déposer votre amendement auprès de la commission de la défense.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Votre amendement est légitime mais il pose d’innombrables problèmes relatifs à l’aménagement du territoire, par exemple la question des zones de conversion. Je suis d’accord avec la rapporteure pour avis, notre commission n’est absolument pas compétente pour trancher ce sujet, qui plus est par voie d’amendement et sans débat approfondi. Il serait préférable que vous retiriez l’amendement, quitte à le redéposer dans une rédaction qui laisse de côté les domaines qui ne sont pas les nôtres.

M. Lionel Vuibert (RE). J’accepte de le retirer et d’en reprendre la rédaction mais j’appelle votre attention sur le fait que si des groupements d’industriels compétents cherchent à accéder à ces marchés, leur tâche est difficile. Il faut veiller à ce que tous les industriels de notre pays puissent, quand ils en ont la capacité, obtenir des commandes publiques militaires ; mon objectif est que certains d’entre eux bénéficient d’un accès facilité. Peut-être aurais-je dû préciser ce point dans l’amendement ? Je retire ce dernier, que je représenterai, en tenant compte de cet aspect car le sujet me tient à cœur ainsi qu’aux industriels de mon département et, j’en suis sûr, d’autres régions et départements de France.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je n’ai pas de conseil à vous donner mais je conserve la tentation du vieux professeur de français de chercher à améliorer la rédaction : si vous remplaciez « ciblant en priorité » par « exploitant les possibilités » des zones en reconversion industrielle, il serait plus facile de soutenir votre proposition.

L’amendement est retiré.

 

Amendement AE4 de M. Jean-Louis Bourlanges.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Cet amendement vise, dans sa rédaction originelle, à insérer la phrase suivante : « L’élévation de l’effort national de défense à hauteur d’au moins 2 % du produit intérieur brut à partir de 2025 constitue un objectif impératif qui engage à la fois les forces armées françaises et celles de nos alliés européens ». Je vais plaider coupable : cette rédaction est juridiquement maladroite car on n’engage pas les forces armées et encore moins celles de nos alliés. Je propose donc de la rectifier et de remplacer « à la fois les forces armées françaises et celles de nos alliés européens » par « l’État ».

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Ainsi rectifié, j’émets un avis favorable. Il rejoint un autre de vos amendements, déjà adopté, qui ne concernait cependant pas le rapport annexé.

La commission adopte l’amendement AE4 rectifié.

 

Amendement AE51 de M. Sébastien Chenu.

M. Kévin Pfeffer (RN). Cet amendement a pour but de préciser que la contribution de la France à la Facilité européenne pour la paix (FEP) sera financée par une enveloppe extérieure à celle de la LPM. Nous aimerions que ces crédits soient identifiés dans un programme spécifique, inséré dans la loi de programmation des finances publiques (LPFP). Cela nous permettrait d’avoir un débat sur leur utilisation et d’instaurer un plafond, révisable chaque année en fonction du contexte géopolitique.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Le sujet est technique. Votre amendement est en grande partie satisfait car le soutien à l’Ukraine est exclu du champ de la programmation militaire ; si cette aide venait à augmenter, la hausse ne pèserait pas sur le budget des armées. Le financement de la contribution à la FEP et du soutien à l’Ukraine sera assuré en construction budgétaire.

Comme vous le savez, le Quai d’Orsay cofinance la FEP pour la partie non létale, le ministère des armées allouant les crédits relatifs au domaine létal. Il me semble inopportun de créer un programme unique au sein de la mission Action extérieure de l’État car l’effort financier porte actuellement sur l’aspect létal. En outre, il n’est pas souhaitable de plafonner a priori notre soutien à l’Ukraine car nous devons pouvoir l’adapter rapidement à l’évolution de la situation sur le terrain. Nous débloquerons sans doute des financements au cours de la gestion budgétaire, sans pratiquer de politique de chèque en blanc. Avis défavorable.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. La FEP est un programme communautaire financé par le budget de l’Union européenne, lui-même abondé par les contributions des États membres. Je n’ai pas très bien saisi votre explication sur le cofinancement entre le ministère de l’Europe et des affaires étrangères et celui des armées.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. C’est bien un financement communautaire, auquel participent le ministère des armées et le Quai d’Orsay.

Mme Natalia Pouzyreff (RE). Je suis opposée à l’amendement du Rassemblement national, qui est en effet partiellement satisfait car le soutien financier à l’Ukraine n’entre pas dans le champ de la LPM. En outre, l’idée d’un plafonnement de la FEP va à l’encontre de notre position en faveur de l’Europe de la défense, à laquelle s’oppose le Rassemblement national. Outil au périmètre variable créé pour agir au Sahel et actuellement mobilisé pour la guerre en Ukraine, la FEP reçoit une contribution française dont le montant est examiné chaque année par le Parlement ; je ne vois donc pas de raison de plafonner les crédits dans cette loi.

M. Kévin Pfeffer (RN). La FEP n’est pas destinée qu’à l’Ukraine. L’amendement ne prévoit aucun plafonnement des crédits de la FEP, il vise à clarifier le financement. Vous parlez d’évolution des enjeux, raison pour laquelle il faut précisément sortir l’enveloppe de la FEP de celle de la LPM. Dans le cas contraire, on pourrait amputer les crédits des armées pour financer la FEP : l’objectif premier de l’amendement est d’empêcher toute ponction de la LPM.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. La FEP est une coopération européenne structurée, qui n’engage pas tous les États membres et qui est donc financée par des contributions nationales. Il n’en reste pas moins que vous êtes très réservé sur cet outil.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement AE11 de M. Jean-Paul Lecoq.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). La politique étant l’art de la répétition, je demande à nouveau l’ouverture d’un débat portant sur le poids budgétaire du nucléaire militaire. Le ministre des armées, comme son prédécesseur d’ailleurs, a maintes fois dit qu’il acceptait que se tienne un débat sur le sujet, mais à huis clos ; Mme la rapporteure pour avis vient de dire que mener un débat avec le peuple français reviendrait à affaiblir le Parlement. Chiche ! Débattons du nucléaire militaire au Parlement, mais devant le peuple et non à huis clos.

J’estime le coût du nucléaire militaire à un montant compris entre 6 milliards et 10 milliards d’euros par an en crédits de paiement, soit le double de l’ensemble du budget du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, ce qui devrait nous interroger dans cette commission.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. J’ai déjà répondu à cette demande. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Suivant la préconisation de la rapporteure pour avis, la commission rejette l’amendement AE68 de M. Aurélien Taché.

 

Amendement AE2 de M. Jean-Louis Bourlanges.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Cet amendement porte sur les conditions dans lesquelles le Parlement contrôle la politique d’exportation d’armes. Le Gouvernement présente un rapport annuel au Parlement sur le sujet depuis 1997 et sur les biens à double usage depuis 2022, apport que l’on doit à notre ancien collègue Jacques Maire. La présentation de ces documents participe d’une saine transparence sur ces questions.

Afin de permettre au Parlement de disposer d’informations aussi précises que possible, l’amendement vise à préciser, dans le rapport annexé, que le rapport annuel sur les exportations d’armements ne se borne pas à exposer la politique d’exportation de la France ainsi que les modalités du contrôle des armements et des biens sensibles, mais dresse également un état des lieux approfondi du marché mondial des exportations d’armements et précise la place qu’y prennent les industriels du pays, en détaillant les prises de commandes et les livraisons réalisées, ainsi que les principaux clients étrangers en la matière.

L’équilibre que nous avons trouvé avec le Gouvernement lors de la précédente législature n’est pas modifié et seule l’information contextuelle dans laquelle s’exerce l’action de contrôle du Parlement évolue. Cela ne va pas de soi : les armées sont très réservées à l’idée de diffuser une quantité d’informations qu’elles jugent excessive mais d’autres acteurs sont plus favorables à cet effort de transparence.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Notre ancien collègue Jacques Maire avait conduit de nombreux travaux à ce sujet lors de la législature précédente. L’équilibre trouvé à la fin de la législature était le bon : nous devons le conserver et refuser de changer en permanence les règles du jeu car cela enlève de la clarté au dispositif. Il importe d’articuler au mieux la transparence avec le secret-défense. Voilà pourquoi, j’émets un avis défavorable à votre amendement.

Mme Natalia Pouzyreff (RE). L’amendement me pose problème : pas son début, car dresser un état des lieux du marché mondial des exportations d’armement et de la place des industries de défense françaises dans la compétition internationale pourrait être utile, mais détailler toutes les commandes et livraisons ne me semble pas opportun. Sur ce point, je rejoins Mme la rapporteure pour avis.

M. Frédéric Petit (DEM). Je ne suis pas d’accord avec Mme Pouzyreff sur la confidentialité des données. Ces dernières existent et circulent. Dans ma circonscription, je connais deux instituts qui travaillent sur ces éléments. Je me sers de leur travail mais je préférerais que ces faits nous soient directement soumis, en complément du rapport que le Gouvernement nous transmet grâce aux efforts de Jacques Maire. Je voterai donc en faveur de l’amendement.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Si je suivais la proposition implicite de Mme Pouzyreff et que je ne gardais que la première partie de l’amendement, le soutiendriez-vous, Madame la rapporteure pour avis ?

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Dans cette hypothèse, je m’en remettrais à la sagesse de la commission.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Ce n’est pas assez !

La commission rejette l’amendement.

 

Puis, elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 2 modifié.

 

Article 3 : Moyens de la politique de défense

 

Amendement AE28 de M. Alain David.

M. Alain David (SOC). Cet amendement d’appel vise à neutraliser les effets de l’inflation sur la programmation militaire, afin que les montants programmés soient effectivement perçus.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Le ministère des armées a déjà consenti un effort pour prendre en compte l’inflation. Je vous invite à vous assurer qu’il en soit de même pour les crédits militaires dans les futurs projets de loi de finances. L’avis est défavorable mais nous aurons chaque année l’occasion de contrôler la sincérité budgétaire de la LPM.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement AE10 de M. Jean-Paul Lecoq.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Nous doutons de la fiabilité des chiffres du projet de loi, notamment du total de 400 milliards ou de 413,3 milliards d’euros : un apport extrabudgétaire doit provenir, selon l’alinéa 80 du rapport annexé, du produit de ventes immobilières, de la tarification à l’acte du service de santé des armées et de la tarification de certaines prestations d’imagerie spatiale, mais comment planifier ces rentrées complémentaires ?

Lorsque le président de la République a annoncé en grande pompe ce projet de loi de programmation militaire, il a avancé le chiffre de 413,3 milliards d’euros pour la période 2024-2030 mais nous découvrons que les ressources ne dépasseront pas 400 milliards. L’exécutif a l’obligation d’être sincère avec les représentants du peuple car la différence n’est pas anecdotique. De tels ajouts extrabudgétaires sont très précaires et portent atteinte à la fiabilité des chiffres inscrits dans le projet de loi.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. J’ai déjà obtenu des précisions sur la moitié de ces 13 milliards. L’amendement suivant, déposé par M. David, vise à éclairer l’origine de ces ressources : je vous propose de l’adopter après avoir retiré votre amendement. L’avis est défavorable mais votre préoccupation est prise en compte.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Si vous donnez un avis favorable à l’amendement de M. David en reconnaissant que des précisions sont nécessaires sur ces financements, je suis prêt à retirer mon amendement.

L’amendement est retiré.

 

Amendement AE27 de M. Alain David.

M. Alain David (SOC). Cet amendement vise à appeler l’attention sur le fait que les besoins programmés de 413,3 milliards ne correspondent pas aux crédits documentés pour la période 2024‑2030, ceux-ci ne s’élevant qu’à 400 milliards. Dès lors, il existe des doutes sérieux sur le respect de la programmation budgétaire.

La part manquante de 13,3 milliards doit être couverte par des ressources complémentaires, qui proviendraient à la fois de ressources extrabudgétaires de 5,9 milliards et de la solidarité interministérielle. Ces crédits seront couverts par des minorations d’autres dépenses du budget de l’État, à ce jour non documentées. Quels budgets seront affectés par ces coupes ? L’éducation nationale ? La justice ? Nous l’ignorons.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Attachée à la sincérité budgétaire année après année, je me suis engagée à donner un avis favorable à votre amendement.

La commission adopte l’amendement.

 

Elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 3 ainsi modifié.

 

Après l’article 3

 

L’amendement AE34 de M. Alain David est retiré.

 

Article 4 : Provision au titre des surcoûts OPEX et MISSINT

 

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 4 non modifié.

 

Article 5 : Carburants opérationnels

 

Amendement de suppression AE9 de M. Jean-Paul Lecoq.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). L’article 5 octroie à la mission Défense des mesures financières exceptionnelles en cas d’augmentation du coût des carburants opérationnels. Avec un budget des armées s’approchant des 70 milliards d’euros par an d’ici à 2030, il est du devoir du ministère des armées de provisionner les crédits nécessaires à une éventuelle hausse du coût des carburants opérationnels. Il n’est pas opportun de faire supporter au budget général, donc à d’autres ministères moins bien dotés financièrement, les éventuelles variations de prix de ces carburants. Le ministre nous a expliqué hier dans l’hémicycle qu’il avait dans un premier temps bénéficié d’une baisse des prix qui lui avait donné des marges financières, celles-ci ayant disparu à la suite du retournement des cours des carburants.

Le budget des armées doit être sincère et ne doit pas vampiriser celui des autres politiques de la nation comme l’éducation ou la justice ; or le projet de loi sous-entend qu’il en ira ainsi. Les armées n’ont pas consenti suffisamment d’efforts de sobriété énergétique : il ne faut pas récompenser ce manque d’action par un budget extensible. Dans ma circonscription, il y avait des réserves de carburant de l’OTAN – peut-être existent-elles ailleurs ? – : utilisons-les ! Il faut anticiper pour ne pas subir les aléas.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Mon avis est défavorable parce que cette mesure concourt à la sincérité du budget de la LPM.

La commission rejette l’amendement.

 

Puis, elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 5 non modifié.

 

Article 6 : Effectifs

 

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 6 non modifié.

 

Après l’article 6

 

Amendement AE58 de Mme Laurence Robert-Dehault.

Mme Laurence Robert-Dehault (RN). Ce projet de loi de programmation militaire entend mettre l’accent sur plusieurs secteurs dans lesquels la France enregistre un retard par rapport à ses partenaires et concurrents. Ses ambitions sont explicitées dans le rapport annexé, qui insiste notamment sur le développement d’une filière française de drones à munitions téléopérées, de manière à atteindre une capacité de vol en essaim d’ici à 2030, de dispositifs de lutte anti-drones, ainsi que d’une cyberdéfense de premier plan. À cette fin, une enveloppe de 5 milliards d’euros sera consacrée à l’acquisition de drones et une autre de 4 milliards au domaine cyber.

Toutefois, il ne suffit pas d’acheter des matériels ; encore faut-il disposer de femmes et d’hommes capables de conduire des opérations défensives ou offensives et d’assurer la maintenance des équipements et des infrastructures. Or, sur ce plan, les arbitrages ministériels ne sont pas à la hauteur, ce qui suscite l’inquiétude du monde militaire. Faute d’une augmentation importante des effectifs, ces développements ambitieux se feront au détriment des autres domaines, ce que le contexte stratégique ne justifie pas.

En conséquence, nous demandons au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport présentant les conséquences opérationnelles des arbitrages effectués en matière d’augmentation des effectifs, afin d’en tirer les leçons pour l’avenir.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Sincèrement, avec la création de 6 300 emplois et l’objectif de disposer d’un militaire de réserve pour deux d’active, je ne pense pas que l’on puisse soutenir que l’augmentation des effectifs est trop faible. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Article 7 : Actualisation

 

Amendement AE30 de M. Alain David.

M. Alain David (SOC). Il convient de prévoir non pas une mais deux actualisations de la programmation, en 2026 et 2028, qui répondraient à des objectifs distincts mais complémentaires.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Avis défavorable. D’une part, une telle mesure me semble quelque peu disproportionnée. D’autre part, il s’agirait d’une consigne adressée au prochain président de la République.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement AE29 de M. Alain David.

M. Alain David (SOC). Il serait bon d’élaborer un nouveau livre blanc sur la défense avant toute actualisation de la loi de programmation militaire. Il s’agit d’un exercice incontournable si l’on veut adapter nos capacités militaires aux nouveaux enjeux de sécurité dans un contexte stratégique en rapide mutation.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Avis défavorable. Peut-être y aura-t-il besoin d’un nouveau livre blanc mais je ne suis pas certaine qu’il faille se lier les mains dès maintenant.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Une actualisation n’est pas une redéfinition.

La commission rejette l’amendement.

 

Elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 7 non modifié.

 

 

Article 8 : Rapport sur le bilan de l’exécution de la programmation

 

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 8 non modifié.

 

Article 9 : Rapport sur les enjeux et l’évolution de la programmation

 

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 9 non modifié.

 

Après l’article 9

 

Amendements AE3 de M. Jean-Louis Bourlanges et AE32 de M. Alain David (discussion commune).

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Le Parlement contrôle l’action du Gouvernement et évalue les politiques publiques. À ce titre, il joue un rôle majeur pour atteindre les objectifs de la loi de programmation militaire.

L’article 9 de la loi du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense fixait le cadre du contrôle par les commissions des finances et de la défense de l’exécution et du suivi de cette programmation. Mon amendement vise à reconduire ce dispositif tout en incluant la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale dans le champ des commissions appelées à exercer un droit de regard. En effet, dès lors que, à la différence du Sénat, la défense et les affaires étrangères ne relèvent pas d’une seule et même commission, il convient d’assurer un suivi cohérent de l’adéquation des moyens alloués aux forces armées avec les orientations diplomatiques et le contexte géopolitique des actions de la France.

Vous avez cité à plusieurs reprises la formule de Clausewitz : « La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens ». Cedant arma togae, ajouterai-je, suivant l’adage romain – « Que les armes le cèdent à la toge ». Il faut, au nom de ces sains principes républicains, impérativement défendre les droits de notre commission dans ce domaine.

M. Alain David (SOC). L’amendement du groupe Socialistes et apparentés vise précisément à inscrire dans la loi le rôle du Parlement et de ses commissions chargées de la défense dans le contrôle des engagements pris dans la programmation militaire. Il reprend à cette fin l’article 9 de la précédente LPM.

Cet ajout est nécessaire dans la mesure où la programmation financière est susceptible de faire l’objet à tout moment d’améliorations, de rééchelonnements, de réaffectations, peut-être à budget constant, mais toujours sous le contrôle du Parlement. Une information plus précise est donc indispensable au débat.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. J’y suis très favorable mais je préfère l’amendement du président Bourlanges, qui prévoit aussi un suivi par la commission des affaires étrangères.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je tiens en effet à ce que notre commission soit explicitement mentionnée.

La commission adopte l’amendement AE3.

 

En conséquence, l’amendement AE32 tombe.

 

Amendement AE31 de M. Alain David.

M. Alain David (SOC). Nous souhaitons inviter le Gouvernement à étudier les voies et les moyens d’exclure du calcul du déficit public les dépenses et investissements en matière de défense, tant du point de vue de la comptabilité nationale que pour le respect des traités et règlements européens.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. J’y suis totalement opposée. Le budget que nous votons doit être sincère. En outre, cela ouvrirait la voie à une possible escalade militaire. En définitive, le déficit existera quand même, et il pèsera sur les autres dépenses de l’État.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement AE33 de M. Alain David.

M. Alain David (SOC). Cet amendement vise à demander un rapport qui évalue dans quelle mesure la loi de programmation militaire inscrit dans les faits la coopération européenne et en quoi cette dernière participe pleinement de la stratégie française d’autonomie dans le nouveau contexte stratégique européen. Si la capacité de la France à entraîner ses partenaires européens vers une plus grande convergence dépend étroitement de l’ampleur et de la qualité de son propre effort de défense, la coopération européenne doit désormais faire pleinement partie de la stratégie de défense nationale. Or nous manquons d’informations précises concernant la contribution des projets de coopération européenne à la défense nationale, alors même que les relations stratégiques en Europe sont en cours de redéfinition rapide.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Avis favorable.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Il s’agit d’une initiative très intéressante.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement AE53 de M. Lionel Vuibert.

M. Lionel Vuibert (RE). Depuis 2008, de nombreuses casernes ont fermé, ce qui provoque des difficultés économiques et sociales. Des dispositifs d’accompagnement ont été instaurés. Le présent amendement vise à demander au Gouvernement un rapport dressant le bilan précis, à l’aide de données consolidées, des zones de restructuration de la défense (ZRD), des contrats de redynamisation de site de défense (CRSD) et des plans locaux de redynamisation (PLR) conclus entre l’État et les collectivités concernées.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer sur les questions d’aménagement du territoire. Il me semble que cet amendement est assez éloigné des préoccupations de notre commission. Cela étant, ayant moi-même des casernes et des écoles militaires dans ma circonscription, je suis bien placée pour savoir combien ce sujet vous tient à cœur. C’est pourquoi je vous invite à retirer votre amendement et à le redéposer en vue de l’examen du texte par la commission de la défense ; à défaut, j’y émettrais un avis défavorable.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Contrairement à l’amendement AE57, qui visait à accorder une priorité à certains territoires pour la mobilisation des industries de défense, celui-ci se contente de demander une analyse de l’impact des décisions prises. Il me semble que l’éloignement de notre domaine est moindre.

La commission rejette l’amendement.

Article 10 : Abrogation du titre Ier de la LPM 2019-2025

 

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 10 non modifié.

 

 

TITRE II

dispositions NORMatives intÉressant

La dÉfense nationale

 

CHAPITRE II

Renseignement et contreingérence

 

Article 20 (articles L. 4122-11 et L. 4122-12 [nouveaux] du code de la défense) : Régime de déclaration préalable assorti de sanctions pour les militaires souhaitant se reconvertir dans des entreprises de défense étrangères

 

Amendement AE8 de M. Jean-Paul Lecoq.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). L’article 20 prévoit que l’autorité militaire statue sur toute demande d’un ancien militaire de devenir salarié d’une entreprise étrangère exerçant dans le domaine de la défense ou de la sécurité. Nous proposons de supprimer purement et simplement cette possibilité. Dans un contexte géopolitique où la confiance est très limitée, où le Maroc et les États-Unis peuvent écouter le téléphone portable du président de la République et où les logiciels espions se multiplient, il ne semble pas raisonnable de prendre un tel risque, quand bien même les agents qui souhaiteraient travailler à l’étranger seraient soumis à un contrôle a priori approfondi. Leurs connaissances professionnelles, humaines, sociales techniques peuvent être extorquées, volontairement ou non. Chacune de ces personnes est susceptible de livrer des informations importantes, voire classifiées. Le Canard enchaîné a récemment révélé que d’anciens pilotes de chasse français avaient été sur le point de travailler pour la Chine moyennant une forte rémunération. Nous proposons donc d’interdire à tout ancien militaire de travailler pour un autre État ou pour une entreprise étrangère.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Vous proposez une disposition exorbitante du droit commun, qui risque de nuire à l’attractivité du métier des armes. Le cadre de la loi me semble suffisant. Avis défavorable.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. En d’autres termes, Madame la rapporteure pour avis, vous êtes pour le contrôle mais contre l’interdiction.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Tout à fait.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Savez-vous combien de personnes ont quitté nos armées pour aller travailler dans des entreprises étrangères ? Cela permettrait de mesurer l’éventuel impact sur l’attractivité du métier.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Je ne dispose pas à l’heure actuelle de cette information mais je vais essayer de l’obtenir.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. M. Lecoq soulève un problème réel mais la solution qu’il propose me semble relever du marteau-pilon ! Peut-être y aurait-il autre chose à faire.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement AE7 de M. Jean-Paul Lecoq.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Dans le même esprit, il s’agit de ne pas prévoir de limitation de durée à l’obligation édictée.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Avis défavorable, pour les mêmes raisons : cela risquerait de nuire à l’attractivité du métier. De grands bonds technologiques sont effectués en dix ans.

La commission rejette l’amendement.

 

L’amendement AE6 de M. Jean-Paul Lecoq est retiré.

 

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 20 non modifié.

 

Après l’article 20

 

Amendement AE75 de Mme Laetitia Saint-Paul.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Il s’agit, en cohérence avec ma promotion de l’influence comme nouvelle fonction stratégique, d’encourager la mobilité de nos militaires dans les organisations internationales, ou tout au moins de ne pas la dissuader.

La commission adopte l’amendement.

 

L’amendement AE71 de M. Frédéric Petit est retiré.

 

Article 21 (article 628-8-1 [nouveau] du code de procédure pénale) : Communication par l’autorité judiciaire aux services de renseignement des éléments recueillis dans une enquête pour crime ou délit de guerre ou contre l’humanité

 

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 21 non modifié.

 

CHAPITRE III

Économie de défense

 

Article 24 (chapitre IX [nouveau] du titre III du livre III du code de la défense) : Constitution de stocks stratégiques et dispositif de priorisation

 

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 24 non modifié.

 

Après l’article 24

 

Amendement AE26 de M. Alain David.

M. Alain David (SOC). Nous souhaitons que la commande ou l’achat d’équipements et de matériels militaires se fasse prioritairement sous la forme de contrats à long terme, sur une base pluriannuelle. Une véritable économie de guerre ne peut se pérenniser qu’en assurant une stabilité de financement aux entreprises du secteur de la défense, donc une prévisibilité dans leurs commandes. Seuls des contrats pluriannuels peuvent conduire à la constitution et à l’entretien des chaînes de production et des investissements lourds indispensables à la livraison de matériels en quantité demandée.

Mme Laetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis. Si je partage votre objectif de donner à notre BITD une vision à long terme, je ne souhaite pas inscrire des règles trop rigides dans la loi. Il faut aussi pouvoir répondre aux besoins ad hoc. D’ailleurs, vous indiquez vous-même que les commandes ne peuvent se faire que « prioritairement » sous cette forme. Bref, je crains qu’une telle mesure ne complexifie inutilement les choses, l’objectif étant partagé et votre demande en grande partie satisfaite. Avis défavorable – bien que je comprenne votre préoccupation.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je vous sens balancer, Madame la rapporteure pour avis… À titre personnel, et même si je comprends vos réticences, je suis favorable à cet amendement car M. David a opté pour une rédaction très prudente. Il me semble que la préoccupation du long terme est indispensable à la montée en puissance vers une économie de guerre.

Mme Natalia Pouzyreff (RE). L’amendement me semble satisfait : dans les faits, les contrats sont déjà pluriannuels. Je suis d’accord, il importe de donner une visibilité aux entreprises mais la rédaction pose un problème.

M. Alain David (SOC). L’objectif est de protéger nos industriels. Il faut, par exemple, que ceux qui investissent dans des chaînes de montage ne se voient pas brutalement retirer le marché, ce qui arrive.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je crois que nous sommes tous d’accord sur le principe. C’est l’opportunité de la mesure qui fait débat.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Pour aller dans le sens de M. David, l’entreprise Arquus, par exemple, a vu son carnet de commandes diminuer de 20 % à 25 %, alors qu’elle ne s’y attendait pas du tout. Elle risque d’avoir du mal à conserver ses effectifs. Je voterai pour l’amendement.

La commission adopte l’amendement.

 

CHAPITRE IV

Crédibilité stratégique

 

Article 28 : Ratification de l’ordonnance en matière spatiale et adaptation de la loi sur les opérations spatiales

 

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 28 non modifié.

 

Elle émet ensuite un avis favorable à l’adoption de l’ensemble des dispositions dont elle est saisie, modifiées.

 


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   Travaux de la commission des FINANCes

Lors de sa réunion du 3 mai 2023, la Commission examine pour avis les articles 1er à 10 du projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense (n° 1033) (M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis)., du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense (n° 1033) (Mme Sabine Thillaye, rapporteure pour avis).

Lien vidéo : https://assnat.fr/wl01KE

 

M. le président Éric Coquerel. Notre commission a décidé de se saisir pour avis des articles 1er à 10 du projet de loi relatif à la programmation militaire (LPM) pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense, pour lequel nous avons nommé rapporteur pour avis M. Christophe Plassard.

Seuls deux des amendements déposés en commission ont été jugés irrecevables, l’un car il méconnaissait les exigences de la loi organique relative aux lois de finance (LOLF), l’autre car il ne se plaçait pas dans le champ de la saisine pour avis, limitée, donc, aux articles 1er à 10. De façon générale, j’ai opté pour l’interprétation selon laquelle les amendements qui tendent à modifier la programmation financière du projet de loi– ou les règles que cette programmation devra respecter – n’emportent pas en eux-mêmes de dépenses supplémentaires, dans la mesure où ce n’est pas la loi de programmation mais les lois de finances successives qui, juridiquement, ouvriront les crédits. Il ne s’agit pas là d’une innovation, mais de l’application de la jurisprudence applicable aux dispositions programmatiques.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. Ce projet de LPM prévoit une programmation ambitieuse, avec une trajectoire de 413 milliards d’euros, dont 400 milliards d’euros de crédits budgétaires, soit une augmentation de 105 milliards d’euros – en hausse d’environ 36 % par rapport aux 295 milliards d’euros prévus entre 2019 et 2025. En 2030, les crédits atteindront 68,9 milliards d’euros et auront plus que doublé par rapport à 2017.

La trajectoire est également crédible. L’effort s’inscrit dans un contexte de tension pour les finances publiques : la charge annuelle de la dette de l’État pourrait dépasser les 70 milliards d’euros, soit plus que le budget de la défense prévu en fin de programmation. La maîtrise des finances publiques est donc essentielle ; il s’agit d’un enjeu majeur de souveraineté. Selon l’avis du Haut Conseil des finances publiques, la programmation budgétaire est compatible avec la trajectoire globale des finances publiques.

De même, l’augmentation des effectifs – légèrement en deçà de la précédente loi de programmation militaire – est plus cohérente : 6 300 équivalents temps plein (ETP) sont prévus d’ici à 2030, avec un enjeu de fidélisation des personnels. En effet, la fidélisation doit permettre de réduire le décalage entre les objectifs en matière de personnels et la réalité des effectifs.

La LPM étant planifiée sur sept ans, la question de la hauteur des marches peut donner lieu à débat. Les marches les plus élevées sont programmées en fin de période, après les élections présidentielle et législatives de 2027, ce qui constitue un risque pour la réalisation des capacités planifiées. Cependant, la trajectoire est définie en fonction du rythme d’avancement des programmes, notamment les plus structurants : les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), les missiles à tête nucléaire ou le porte-avions, à cheval sur la future LPM et sur la suivante. Il ne sert donc à rien de vouloir anticiper les crédits, calés sur les nécessités industrielles de déploiement plus que sur une mécanique strictement financière.

Les marches de plus de 3 milliards d’euros par an, sur cinq années consécutives, restent significatives ; aucun autre ministère ne peut en dire autant. En outre, la programmation comprend un objectif de dépense pour chacune des sept annuités de la période 2024-2030 – ce qui n’était pas le cas pour la précédente LPM.

Enfin, la moitié de l’effort d’augmentation proposé sera réalisé d’ici à 2027, soit 12,1 milliards d’euros, contre 12,9 milliards d’euros entre 2028 et 2030. Il sera de la responsabilité des candidats et de la future majorité de ne pas remettre en cause notre modèle d’armée. L’histoire nous rappelle en effet qu’une guerre peut se perdre des années avant le déclenchement des hostilités : malgré l’impact des échéances de 2027, il est souhaitable que la LPM ait une visibilité sur sept ans, compte tenu notamment de l’inscription des projets dans un cadre temporel très long.

Les cibles capacitaires sont ambitieuses, même si un étalement des livraisons de certains matériels s’est avéré nécessaire : des arbitrages ont été faits quant à leur planning de livraison, susceptible d’aller au-delà de l’année 2030.

On peut regretter que la LPM ne permette pas aux forces armées de retrouver de la masse sur l’ensemble des segments, dont certains demeureront échantillonnaires. Il s’agit toutefois d’un choix assumé du ministère des armées : plutôt que la masse, le projet de LPM fait le choix de la cohérence. Les achats de nouveaux matériels ne sont rien s’ils ne s’accompagnent pas d’un effort sur la formation des personnels. Les états-majors ont ainsi priorisé un modèle d’armée cohérente, crédible et équilibrée.

Le projet de LPM est aussi construit en fonction de la réalité des missions de nos forces armées. Sur certaines capacités, nous serons toujours échantillonnaires : nous n’avons pas vocation à agir seuls, l’armée française intervenant dans un cadre collectif, avec plusieurs pays. Sur d’autres segments, en revanche, nous devons être souverains – je pense en particulier à la cyberdéfense et à l’Outre-mer.

La programmation n’est toutefois pas dénuée d’incertitudes, notamment sur les ressources additionnelles : le budget a été présenté sur la base de 413 milliards d’euros, avec une ventilation de 400 milliards d’euros d’une part et 13 milliards d’euros de l’autre. Ces derniers peuvent susciter des interrogations, mais l’on peut les détailler comme suit.

Le premier volet – 5,9 milliards – est constitué de ressources extrabudgétaires, ainsi ventilées : 3,1 milliards de l’assurance maladie pour le service de santé des armées, 1 milliard de cessions de matériels, 474 millions d’euros de cessions immobilières et redevances domaniales, 652 millions d’euros de prestations de services et 650 millions d’euros liés à des renégociations de contrats. Ces estimations – en moyenne 840 millions d’euros par an contre 1,1 milliard entre 2019 et 2022 – sont réalistes.

Le deuxième volet représente 1,2 milliard d’euros, destinés au remplacement de matériels cédés à l’Ukraine, le reste de l’effort national de soutien à l’Ukraine n’étant pas inclus dans les crédits prévus par le projet de LPM.

Le troisième volet enfin – 6,2 milliards d’euros – correspond à des mécaniques comptables : le report de charge, qui consiste à reporter le décaissement de certains crédits de paiement sur l’exercice suivant, afin de financer d’autres dépenses jugées prioritaires ; la marge frictionnelle, qui correspond à des redéploiements de crédits, inévitables en raison des décalages industriels liés à des investissements colossaux et de long terme.

Ces outils ne sont pas nouveaux, ils ont toujours existé même si les LPM précédentes ne faisaient pas apparaître distinctement leurs montants. Ils sont pertinents pour exécuter la programmation dans un contexte d’inflation et d’incertitude : il est normal d’avoir des variables d’ajustement, et celles-ci sont réalistes.

Le niveau d’inflation prévisionnel est cependant incertain. Le niveau d’inflation effectif entre 2024 et 2030 aura nécessairement un impact sur les achats du ministère des armées ainsi que sur la masse salariale. Le projet de LPM intègre une provision de 30 milliards d’euros sur sept ans pour faire face aux conséquences de l’inflation. Si l’on peut toujours en discuter la méthode, les hypothèses retenues étaient les plus crédibles au moment de la préparation du projet de LPM, en cohérence avec la vision à moyen terme dont Bercy peut disposer.

Le cas échéant, l’ouverture de crédits supplémentaires en gestion ou en loi de finances rectificative constitue bien évidemment une option d’ajustement, ce qui est une pratique courante. En effet, les marches sont des seuils et non pas des plafonds : les montants proposés dans la LPM ne sont pas gravés dans le marbre ; ils constituent un minimum au-delà duquel aller, si nécessaire, en fonction de la conjoncture. Le niveau des crédits additionnels ouverts en 2022 – 1,18 milliard d’euros – et annoncés pour 2023 – 1,5 milliard d’euros – peut d’ailleurs inciter à l’optimisme. De fait, il n’y a aujourd’hui aucun retard de programme lié à l’inflation dans la LPM qui s’achève.

M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Charles Sitzenstuhl (RE). Le 13 juillet 2017, le Président de la République marquait son engagement envers la fin de la décroissance et pour la remontée de notre effort de défense. Cette promesse a été tenue dans la LPM pour la période 2019-2025, votée sous le premier quinquennat, avec un effort à hauteur de 295 milliards d’euros pour les armées.

Dans son programme présidentiel pour 2022, Emmanuel Macron a indiqué sa volonté de continuer à renforcer notre armée, avec la poursuite de l'objectif de 2 % de notre richesse nationale et la modernisation des équipements. La LPM pour les années 2024-2030 matérialise cet engagement, renouvelé devant les Français. La France est une grande nation militaire, une puissance atomique, un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, membre fondateur et moteur de l’Union européenne : nous avons un rang à tenir, pour défendre nos intérêts dans le monde, dissuader nos ennemis potentiels et protéger nos frontières nationales.

Le terrorisme islamiste qui a touché notre territoire ces dernières années, ainsi que l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, nous rappellent que notre pays doit poursuivre son effort de réarmement : on ne se défend pas avec des épées en bois, mais avec des armes et du personnel. Le groupe Renaissance salue donc l’ambition de cette LPM, qui fait l’effort de consacrer 400 milliards d’euros pour la période 2024-2030, couplés à une hausse des effectifs du ministère des armées. Nous appelons le plus grand nombre de nos collègues à marquer leur attachement à nos militaires, en soutenant ce texte.

M. Jocelyn Dessigny (RN). Le groupe Rassemblement national prend acte de la vision générale de ce texte qui poursuit la dynamique amorcée par la LPM en vigueur, celle de la remontée en puissance de nos armées, en commençant par leur réparation. L’arbitrage obtenu entre Matignon et Brienne rend compte du fragile équilibre qui devait être trouvé entre, d’une part, le respect de la maîtrise des dépenses et, d’autre part, le souhait d’un réarmement de nos armées, le plus rapidement possible.

Dans le prolongement de l’avis rendu par le Haut Conseil des finances publiques, le groupe Rassemblement national ne peut que regretter les faiblesses financières d’une loi de programmation sectorielle. L’incertitude qui pèse sur les 13,3 milliards d’euros programmés mais non budgétés affaiblit considérablement la portée des objectifs de ce projet de loi.

L’incertitude quant aux conséquences d’une inflation plus forte que prévu sur la trajectoire des dépenses n’offre pas non plus une sérénité suffisante pour voter le texte en l’état. Il faut également relever la prudence excessive de la variation des marges budgétaires, qui laissent au quinquennat suivant le plus gros de l’effort que les circonstances commandent pourtant de fournir sur-le-champ. La première marche pour 2024s’en trouve ainsi réduite à néant.

À ce stade de l’examen, le groupe Rassemblement national invite les membres de la commission à voter en faveur des amendements travaillés afin de corriger les imperfections financières de ce texte, qui ne propose pas une programmation financière conforme aux objectifs de politique de défense visés.

Mme Véronique Louwagie (LR). J’ai deux regrets. Tout d’abord, le temps politique nécessaire à l’élaboration d’un tel texte n’a pas été pris, alors qu’il n’y avait pas d’urgence – la précédente LPM courant jusqu’en 2025 – et que les marches – antérieures au conflit ukrainien – sont les mêmes. Par ailleurs, nous ne disposons toujours pas d’une loi de programmation des finances publiques et nous sommes dans une situation d’incertitude : le Haut Conseil des finances publiques l’a souligné, le projet de LPM contraindra fortement les autres dépenses du budget de l’État, qui « devraient baisser en volume pour respecter la trajectoire du projet de loi de programmation, ce qui impliquerait un effort de maîtrise important et, à ce jour, peu de documenté, de la dépense ». La chronologie de ces différents textes est donc problématique.

Sur le fond, l’augmentation de 400 milliards d’euros représente une hausse budgétaire de 35 % par rapport à la précédente LPM : nous avons des doutes sur la méthode utilisée pour les estimations, s’agissant notamment de l’inflation, donc sur la crédibilité des hypothèses. Il manque également 13 milliards d’euros pour financer cette loi de programmation militaire. En outre, ces 413 milliards d’euros sont insuffisants, notamment au regard des annonces budgétaires allemandes et anglaises. Enfin, il existe un risque sur le niveau des marches, quand bien même celles-ci ne constituent pas des plafonds.

M. Mohamed Laqhila (Dem). La LPM pour la période 2024-2030 prévoit une enveloppe de 413,3 milliards d’euros pour les armées, soit une augmentation de plus de 100 milliards d’euros par rapport à la précédente LPM pour 2019-2025. Cet important effort financier doit servir à la transformation de l’armée française, après une grande période d’austérité dans les années 2000-2010. Il ne doit toutefois pas nous conduire à augmenter les effectifs et matériels aveuglément, sans réflexion claire sur nos besoins futurs en matière de défense. Le projet de loi renforce les missions principales de l’armée française pour garantir la souveraineté de la nation, en métropole et en Outre-mer, ainsi que la capacité à agir en dehors des frontières pour préserver les intérêts de la France et de ses alliés.

Il s’agit également de relever le défi de l’émergence de nouveaux espaces de conflictualité, tels que le cyber et le spatial, en tirant parti des ruptures technologiques de l’innovation. Le texte tire aussi les enseignements du retour d’un conflit entre États aux portes de l’Europe et des décennies de lutte contre le terrorisme armé.

Nous devons à présent définir l’ambition militaire de la France en discutant, en amendant et en votant ce texte, afin de fixer les moyens d’évoluer à nos armées pour les sept prochaines années. Nous soutenons ce projet de loi de programmation, que nous saluons avec vigueur. Nous avons toutefois des inquiétudes sur la montée en charge très progressive de cette LPM : nul doute que le débat parlementaire permettra de les lever.

Mme Valérie Rabault (SOC). Le Gouvernement affiche, à l’article 2, un objectif de porter l’effort national de défense à hauteur de 2 % du PIB (produit intérieur brut). Le total des dépenses, rapporté au PIB, est donc supposé correspondre à ce chiffre. MM. Le Maire et Lecornu doivent, à cet égard, se mettre d’accord : le PIB pour 2025 qui figure dans le projet de programme de stabilité pour 2022-2027 n’est pas du tout le même que celui sur lequel se fonde la LPM. Si M. Lecornu ne ment pas, le PIB figurant dans le programme de stabilité envoyé à Bruxelles par Bruno Le Maire est faux. Pour l’heure, le niveau de 2 % revendiqué n’est pas atteint.

Par ailleurs, comme l’a indiqué Mme Louwagie, en l’absence de loi de programmation des finances publiques, l’effort affiché induira une baisse des dépenses publiques ailleurs : est-ce bien le cas ? Le Haut Conseil des finances publiques l’a confirmé, annonçant, pour les autres services publics, une baisse des dépenses comprise, selon les années, entre 2,8 % et 1,2 %.

Enfin, concernant la stratégie globale, les armées françaises sont comparables à des épiceries de luxe : nous disposons de beaucoup de matériels très perfectionnés, mais il est compliqué de mener une guerre plus conventionnelle – on peut le constater avec les efforts consentis en Ukraine, à laquelle je réaffirme mon soutien. Cette dimension n’est pas abordée dans le projet de LPM : quelle stratégie doit être menée – un point sur lequel le ministre ne répond pas ?

M. Karim Ben Cheikh (Écolo-NUPES). Le groupe Écologiste-NUPES aborde cette LPM avec intérêt, en rappelant qu’il défend une approche politique qui promeut la coopération internationale et donne un rôle éminent à l’Europe. La LPM est susceptible de permettre une modernisation des armées, dans un contexte de retour de la guerre sur le continent européen. À cet égard, nous réaffirmons tout notre soutien aux Ukrainiens, agressés par leurs voisins russes.

Tout d’abord, nous avons des inquiétudes quant au caractère bien bouclé de cette LPM et au flou d’environ 13 milliards d’euros relevé par le Haut Conseil des finances publiques, chose bien curieuse pour un projet de loi aussi important sur le plan financier. Certes, il ne s’agit pas de l’essentiel au regard du total de 413 milliards d’euros, mais cela représente tout de même quatre fois le budget consacré à l’action extérieure de l’État.

La cohabitation entre, d’une part, les choix opérés dans la LPM et, d’autre part, les autres services publics, dépourvus de loi de programmation, n’est pas bonne. Le Haut Conseil des finances publiques a rappelé la tension que font exercer ces lois de programmation sur le reste du budget. Si promouvoir des lois de programmation permet, certes, de se donner des perspectives, vous le faites au détriment de tout le reste, ce à quoi nous ne pouvons nous résoudre : vous laissez ainsi la place à de futures coupes dans les services publics de l’éducation, de la santé ou de l’écologie, afin de financer la hausse budgétaire destinée à nos armées.

Nos services diplomatiques, mis en difficulté par trente années de réduction de leurs moyens et effectifs, n’ont d’ailleurs toujours pas de loi de programmation : ils doivent donc se serrer la ceinture pour nos armées, quoi que vous en disiez. Or une action militaire, même forte, combinée à une diplomatie sans moyens, conduit à une impasse, comme cela a été constaté trop de fois, y compris ces derniers mois. Le groupe Écologiste-NUPES veillera donc attentivement au travail législatif sur cette LPM : la nécessité d’une défense nationale à la hauteur des enjeux objectifs, auxquels nous souscrivons, ne doit pas aboutir à opposer la mise en ordre de nos armées et la déshérence financière de nos services publics.

M. Michel Castellani (LIOT). La hausse des crédits s’évalue à l’aune de l’inflation. Or le projet de loi prévoit une clause de revoyure en 2027 et l’augmentation de crédits la plus forte est prévue après cette date : il faut donc sans doute relativiser la hausse de 3 % par an du budget de la défense et la rapprocher du niveau de l’inflation, estimée entre 2 % et 5 % par an.

Ensuite, je m’interroge à mon tour sur l’origine des 13 milliards d’euros, soit 7 milliards d’euros de recettes nouvelles et 6 milliards d’euros de reports de crédits, qui demandent à être précisés.

Troisièmement, le programme de stabilité entend limiter drastiquement l’évolution de la dépense publique dans les prochaines années, alors que la programmation thématique – notamment les missions Justice, Aide publique au développement ou Défense – prend toujours plus de place. Des arbitrages devront donc être faits, de façon à réduire le volume des dépenses d’un certain nombre d’autres missions.

Enfin notre groupe réitère son soutien à notre collègue Estelle Youssouffa, qui demande depuis longtemps l’attribution d’un patrouilleur à Mayotte. Les troubles que connaît actuellement ce territoire ultramarin sont en effet largement dus à un manque de contrôle des frontières et à l’insuffisance de patrouilles.

M. le président Éric Coquerel. J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer lors de l’audition du ministre. De ses réponses, j’ai retenu qu’il s’agissait d’une programmation de base, susceptible d’être réévaluée chaque année, ce qui suppose que l’on compte sur l’approbation de l’Assemblée. Nous pouvons effectivement nous interroger sur les objectifs – ils renvoient à la question de l’étude d’impact, bien qu’elle ait été validée par le Conseil constitutionnel – et sur le coût estimé de l’inflation, qui semble très optimiste.

Par ailleurs, Valérie Rabault l’a rappelé, l’objectif de 2 % du PIB en 2025 ne correspond pas à la programmation du Gouvernement, prévue à hauteur de 50,04 milliards d’euros, soit 1,65 % ; cela me laisse dubitatif.

Je ne suis pas non plus convaincu par le fait que les marches les plus importantes se situent après 2027, notamment en termes d’efficience : l’augmentation lors des deux dernières années est essentiellement due au début de la programmation du porte-avions nucléaire.

Enfin, Sébastien Lecornu avait indiqué que les objectifs primaient sur les contraintes budgétaires du Gouvernement : il me semble que cela peut être appliqué à d’autres urgences, écologiques, sociales et de service public.

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général. Le projet de LPM est à la fois ambitieux et indispensable, dans une période de bouleversements internationaux inédite depuis des décennies. Chacun comprendra, s’agissant notamment de programmes d’armement, que nos forces armées aient besoin de visibilité et d’un accroissement de leurs moyens.

Ce projet de loi s’inscrit dans la continuité de la précédente LPM, dont on peut saluer l’excellente exécution puisqu’elle a permis une régénération de nos forces armées, après plus de deux décennies de baisse des dépenses. Ce texte porte l’effort national de défense à 2 % du PIB. En réponse à la remarque de Mme Rabault : c’est le programme de stabilité qui fait bien évidemment foi. Je suppose que l’écart est dû au fait que ces deux documents n’ont pas été établis au même moment, le projet de LPM datant de la fin de l’année dernière tandis que le programme de stabilité a été actualisé il y a une semaine.

La LPM permet également de créer 6 000 emplois, au bénéfice du ministère des armées, d’ici à 2030. Elle portera le budget des armées à un niveau inédit de 68 milliards d’euros en 2030, soit presque un doublement par rapport à 2019. Nos forces armées, et les Français dans leur ensemble, attendent des moyens supplémentaires à la hauteur des besoins de recrutement et d’innovation.

Certains d’entre vous l’ont souligné, la LPM s’inscrit par ailleurs – comme cela doit être le cas pour toutes les lois de programmation sectorielles – dans le cadre de la trajectoire de maîtrise des finances publiques du Gouvernement. Afin de rendre les lois de programmation sectorielles crédibles, nous devons avoir une loi de programmation des finances publiques. Le programme de stabilité, présenté le 26 avril 2023, confirme et amplifie les perspectives de maîtrise des dépenses publiques et d’endettement. Les lettres de cadrage adressées par la Première ministre aux membres du Gouvernement, le 19 avril dernier, les assises des finances publiques, qui se tiendront d’ici à l’été, témoignent du sérieux de cet effort de maîtrise des dépenses : notre rôle sera de veiller à ce qu’il s’inscrive dans la durée et qu’il soit effectif et documenté dans les futures lois de finances.

À cet égard on ne peut que déplorer à nouveau l’absence d’une loi de programmation des finances publiques : j’espère que la nouvelle lecture – qui devrait intervenir au mois de juillet et dans laquelle un certain nombre de remarques pourront être prises en compte – donnera lieu à un vote favorable, dans l’intérêt de notre pays.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. Le rapport précisera, ligne par ligne, la ventilation des 13 milliards d’euros. Concernant l’absence de loi de programmation des finances publiques, comme le Haut Conseil aux finances publiques l’a rappelé, il existe une cohérence entre la programmation qui a été construite et le projet de loi de programmation des finances publiques qui a été présenté au vote, même si le groupe LR ne l’a pas voté.

 

TITRE Ier

dispositions relatives aux objectifs de la politique

de dÉfense et à la programmation financiÈre

 

 

Article 1er : Programmation

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 1er.

 

Article 2 : Approbation du rapport annexé

 

Amendement CF14 de M. Jocelyn Dessigny.

M. Jocelyn Dessigny (RN). Le projet de LPM alloue des crédits à la mission Défense à hauteur de 413,3 milliards d’euros, mais ne budgète que 400 milliards d’euros. Le présent amendement propose de tenir compte de cet écart en précisant que les montants des crédits programmés doivent être entendus comme des planchers et non comme des plafonds.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. Sur le fond, vous avez raison. Les besoins programmés sont en effet un seuil plancher et non un plafond. Ils pourront être réévalués en fonction de nos marges de manœuvre budgétaires. D’ailleurs, certaines cibles capacitaires sont déjà fixées de la sorte, puisque sont prévus au moins soixante-dix hélicoptères Guépard, au moins trente-cinq avions A400M, au moins six appareils Eurodrone. Je vous propose, dans un amendement à venir, de l’exprimer sous la forme d’un pourcentage du PIB et vous invite donc à retirer votre amendement ; faute de quoi j’émettrai un avis défavorable.

M. Jocelyn Dessigny (RN). Je le maintiens.

La commission rejette l’amendement CF14.

 

Amendement CF13 de Mme Valérie Rabault.

Mme Valérie Rabault (SOC). Cet amendement vise à traduire ce que j’ai indiqué dans ma précédente intervention. Je remercie à cet égard le rapporteur général pour l’honnêteté de ses propos. Le fait qu’il y ait 500 milliards d’euros d’écart – une simple règle de trois permet d’obtenir ce chiffre – entre les deux PIB pris en compte, l’un dans le programme de stabilité, l’autre dans la LPM, pose toutefois question : le différentiel est vraiment très important. Cet amendement invite le Gouvernement à apporter des éclaircissements sur ce point.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. J’ai contacté le Gouvernement pour obtenir une explication au problème que vous soulevez, qui est pertinent, puisque nous avons deux sources, avec deux chiffrages différents. À ce stade, je n’ai pas reçu de réponse. Le cheminement de la LPM nous donnera l’occasion d’étudier ce point, au sein de la commission de la défense puis en séance publique. Je vous invite donc à poser directement votre question au ministre, en commission de la défense ou en séance. Dans l’attente, je vous invite à retirer votre amendement.

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général. Je pense effectivement qu’il faut poser directement la question au ministre.

L’écart constaté, Madame Rabault, tient selon moi au fait que vous n’avez pas intégré les pensions. Si on les intègre, on retrouve un niveau de PIB cohérent avec celui qui est présenté dans le programme de stabilité – et je répète que c’est ce document qui fait foi.

Mme Valérie Rabault (SOC). Monsieur le président, je pense que vous ne serez pas insensible à cet écart de 500 milliards, qui est considérable. Tout le monde, je crois, est capable de faire une règle de trois.

La moindre des choses, dans une loi de programmation, c’est de disposer de chiffres précis : il faut que tout soit carré. Or ce n’est pas du tout le cas. Je maintiens mon amendement, parce qu’il importe que la commission des finances interpelle le Gouvernement sur ce point.

M. le président Éric Coquerel. Je suis évidemment sensible à votre amendement et je le voterai.

M. Patrick Hetzel (LR). Mme Rabault pose une vraie question : 500 milliards d’écart, ce n’est pas une paille.

Il y a un vrai problème de sincérité, et il ne nous revient pas de dire s’il se situe du côté de la loi de programmation militaire ou du côté du programme de stabilité. Notre responsabilité, en tant que parlementaires, est de relever ces incohérences et il faudra bien que le Gouvernement s’en explique.

M. Charles Sitzenstuhl (RE). Madame Rabault, le calcul des 2 % dans la norme Otan inclut les pensions. C’est ce qui explique l’écart que vous notez. Mais je suis d’accord avec vous : il faudra que le Gouvernement précise ce point.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. En prenant en compte le coût des pensions, on arrive à 60 milliards de dépenses en 2025, ce qui représente bien 2 % des 3 040 milliards de PIB. Le fait que l’on n’ait pas pris en compte les pensions explique certainement l’écart constaté. Il reviendra au ministre de nous éclairer sur son mode de calcul.

La commission rejette l’amendement CF13.

 

Amendement CF12 de M. Christophe Plassard.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. C’est l’amendement dont je vous ai parlé : il s’agit de préciser que l’objectif de consacrer 2 % du PIB à l’effort national de défense n’est pas un plafond, mais un plancher.

La commission adopte l’amendement CF12 (amendement DN41).

 

Amendements CF33 rectifié et CF26 de M. Christophe Plassard (discussion commune).

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. Je propose d’ouvrir la possibilité d’effectuer des partenariats avec des opérateurs privés et des services commerciaux pour les activités de renseignement et de défense. C’est particulièrement nécessaire dans le domaine spatial : la guerre en Ukraine en a donné une illustration, avec l’intervention de l’entreprise Starlink. Il existe des opérateurs français ; nous ne serons donc pas obligés d’utiliser des opérateurs étrangers.

M. le président Éric Coquerel. Je suis très dubitatif quant au recours à des prestataires privés. En outre, rien dans vos amendements ne nous obligera à recourir à des prestataires français, ce qui me paraît problématique quand on parle d’équipement militaire et spatial. Je voterai contre.

Mme Marie-Christine Dalloz (LR). Moi aussi, je suis un peu étonnée de ces amendements. La défense, c’est régalien. Commencer à en confier une partie à des opérateurs privés, c’est ouvrir une brèche qui me paraît dangereuse. Nos partenaires allemands et anglais font-ils le même choix ? Nous avons une armée professionnelle ; je ne suis pas favorable à ce que l’on se lance dans des partenariats avec des opérateurs extérieurs, car c’est prendre le risque qu’il y ait des fuites, et c’est dangereux.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. En proposant ces amendements, je pensais à l’entreprise française Eutelsat, un opérateur de satellites. Les acteurs privés ont une place importante dans le monde spatial et je trouverais dommage de nous priver de pareilles collaborations. L’évolution du numérique et de l’organisation du marché satellitaire impose, de mon point de vue, de faciliter ce type de relations commerciales. Ces amendements, du reste, ne portent que sur le rapport annexé.

M. le président Éric Coquerel. Il faudra revenir sur ces amendements en séance car ils ouvrent un champ très largeet mériteront de plus amples débats.

La commission adopte successivement les amendementsCF33 (DN42) et CF26 (DN43).

 

Amendement CF25 de M. Christophe Plassard.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. Dans mon rapport d’information sur l’économie de guerre, j’ai montré qu’il importait de garantir aux entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD) l’accès aux financements privés. Il leur est parfois refusé pour des questions éthiques, alors que l’industrie de défense est indispensable à notre autonomie stratégique et à notre souveraineté.

Cela pourrait par exemple passer par la création d’un label ou d’un sous-label « entreprise de souveraineté » visant à encourager les investissements dans les entreprises dont la production participe à des activités de souveraineté, la mobilisation de l’épargne privée ou encore la création de fonds d’investissement.

La commission adopte l’amendement CF25 (DN44).

 

Amendement CF24 de M. Christophe Plassard.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. Il est nécessaire de préciser dans le rapport annexé que le soutien de l’État à la BITD doit bénéficier en particulier aux PME – petites et moyennes entreprises – et aux TPE – très petites entreprises –, qui sont les plus capables de développer des innovations de rupture.

Pour prendre un exemple dans un autre domaine, celui des pompiers, les services départementaux d’incendie et de secours (Sdis) testent des produits non finalisés sur lesquels ils font des retours d’expérience ; cela leur permet de disposer d’un matériel parfaitement adapté à leurs missions, car leur conception ne résulte pas seulement d’un cahier des charges, mais aussi d’une expérimentation sur le terrain. Un tel schéma gagnerait à être reproduit au niveau des forces armées. À l’heure actuelle, seules les forces spéciales disposent d’une telle marge de manœuvre, dans des conditions limitées qui profitent peu aux entreprises.

Ce que je propose, c’est qu’une partie des crédits consacrés par l’État à l’innovation de défense – 10 milliards – soient fléchés en direction des PME et des TPE. Le cas échéant, ces acquisitions pourraient être réalisées sous forme de leasing.

La commission adopte l’amendement CF24 (DN45).

 

Amendement CF27 de M. Christophe Plassard.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. Dans le même esprit, je propose d’élargir nos capacités de surveillance en ouvrant la possibilité de partenariats avec des opérateurs de satellites privés.

M. le président Éric Coquerel. Comme précédemment, je trouve que ces amendements, même s’ils ne portent que sur le rapport annexé, ouvrent un champ trop large. Je suis déjà assez circonspect lorsqu’il s’agit de recourir à des opérateurs privés mais, en plus, votre exposé sommaire est très imprécis : vous indiquez qu’« il serait plus intéressant de faire appel à un opérateur civil français », sans introduire aucune obligation à cet égard. Cette ouverture au privé, pour des missions on ne peut plus régaliennes, me paraît assez inquiétante.

La commission adopte l’amendement CF27 (DN46).

 

Amendements CF28 et CF29 M. Christophe Plassard (discussion commune).

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. Les planeurs et les missiles hypersoniques constituent l’une des menaces les plus graves pour un pays, même doté de l’arme atomique. Pilotables pendant la majeure partie du vol, avec des vitesses supérieures à Mach 5, les missiles hypersoniques sont particulièrement difficiles à intercepter. Il paraît donc important de faire figurer, dans le rapport annexé, la nécessité de lutter contre ces armes nouvelles.

La commission adopte successivement les amendements CF28 (DN47) et CF29 (DN48).

 

 

Amendements CF30 et CF31 M. Christophe Plassard (discussion commune).

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. Il s’agit d’élargir le champ d’action du rapport. Avec plus de 2 000 entreprises et sous-traitants et un chiffre d’affaires de près de 30 milliards d’euros pour sa seule activité de défense, la BITD constitue l’essentiel de notre économie de défense.

D’après la définition proposée par Paul Dunne en 1995, qui est largement admise, la BITD est constituée de trois groupes d’entreprises distincts : les unités qui concourent à la production des systèmes d’armes et des équipements létaux ; les unités qui fournissent des produits non létaux mais stratégiques, comme les carburants ; enfin, les unités qui fournissent des produits courants utilisés par les armées, comme la nourriture.

L’inconvénient de cette définition, c’est qu’elle exclut, de fait, des acteurs apparus avec la révolution numérique, par exemple les opérateurs de satellites civils, qui peuvent apporter des solutions à notre BITD. Je propose donc de les y inclure.

Mme Marie-Christine Dalloz (LR). J’aimerais comprendre ce que nous sommes en train de faire. La loi de programmation militaire contient trente-six articles, dont une dizaine seulement a une vraie dimension financière. L’article 2 consiste en l’approbation d’un rapport annexé. Il me semble que les amendements que vous défendez depuis quelques minutes relèvent davantage de la commission de la défense que de la commission des finances. Pouvez-vous nous exposer leurs implications budgétaires ?

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. Ce débat pourra effectivement être prolongé en commission de la défense.

Tous ces amendements, je l’ai dit, s’appuient sur le rapport d’information relatif à l’économie de guerre, que j’ai présenté à la commission il y a quelques semaines et qui a mis en exergue des problèmes de financement. Certains des opérateurs de la BITD ne sont pas financés ou n’entrent pas dans le spectre des marchés publics, pour des raisons diverses : raisons normatives, difficulté à mobiliser des financements ou de l’épargne… Il s’agit donc bien de sujets financiers.

Identifier des secteurs qui, du fait de leur taille – les PME et les TPE – ou de leur activité – les entreprises du numérique – ne sont pas considérés comme faisant partie de la BITD ne relève pas, à strictement parler, de questions budgétaires, c’est vrai. Mais je me suis appuyé, pour construire ces amendements, sur le rapport que j’ai rédigé récemment, et qui identifiait des problèmes de financement.

Le débat que j’ai ouvert à propos du rapport annexé pourra très bien se prolonger en commission de la défense.

La commission adopte successivement les amendements CF30 (DN49) et CF31 (DN50).

 

Amendement CF32 de M. Christophe Plassard.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. À l’alinéa 47, je propose d’insérer, après le mot : « communications », les mots : « terrestres, air-air et spatiales ».

La commission adopte l’amendement CF32 (DN51).

Elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 2 modifié.

 

Article 3 : Moyens de la politique de défense

 

Amendement CF15 de M. Jocelyn Dessigny.

M. Jocelyn Dessigny (RN). Le projet de LPM fait une distinction entre les « besoins programmés », qui s’élèvent à 413,3 milliards d’euros, et les « ressources budgétaires », qui s’élèvent, sur la même période, à 400 milliards. Dès lors, il paraît nécessaire de préciser que le montant des ressources budgétaires programmées est un plancher, et non un plafond.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. Je vous ferai la même réponse que sur l’amendement CF14. Sur le fond, vous avez raison. Sur la forme, cette idée apparaît déjà à l’article 3. Ainsi, à l’alinéa 4, il est indiqué que les ressources budgétaires s’ajouteront à d’autres ressources, par exemple celles liées au soutien à l’Ukraine. À l’alinéa 5, il est également précisé que ces ressources seront complétées par des ressources extrabudgétaires. Je vous invite donc à retirer votre amendement.

La commission rejette l’amendement CF15.

 

Amendements CF22 de Mme Valérie Rabault, CF20 de M. Jocelyn Dessigny et CF3 de Mme Valérie Rabault (discussion commune).

Mme Valérie Rabault (SOC). Avec l’amendement CF22, je propose de partir des prévisions du programme de stabilité pour calculer ce que serait une trajectoire budgétaire en adéquation avec l’objectif du Gouvernement de porter l’effort national de défense à hauteur de 2 % du PIB à compter de 2025.

J’ai été un peu déçue que la commission vote contre la règle de trois. J’espère qu’elle adoptera cet amendement, qui nous permettra d’interpeller le Gouvernement.

Avec l’amendement CF3, je propose de raisonner en euros « constants », plutôt qu’en euros « courants », car l’euro de 2027 ou 2030 ne sera pas l’euro de 2023.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. Je suis pour un raisonnement en euros courants, car c’est la présentation la plus lisible. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle toutes les lois de programmation sectorielles sont présentées en euros courants. Du reste, le fait de raisonner en euros constants ne protège pas nécessairement contre une diminution des budgets.

Vous voulez protéger le budget des armées contre l’inflation, mais le projet de LPM comporte déjà des instruments pour le faire : une provision de 30 milliards, le report de charges et la marge frictionnelle.

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général. J’aimerais répondre à la vice-présidente Rabault, qui insiste d’une manière assez déplaisante. Plutôt qu’une règle de trois, je vous propose de faire une addition. Je répète que les documents produits par le Gouvernement ne présentent pas deux PIB différents. Le programme de stabilité a établi que le PIB serait supérieur à 3 000 milliards en 2025. Le calcul que vous faites n’est pas juste, puisque vous ne prenez pas en compte les pensions. En les prenant en compte, on arrive à 60 milliards d’effort budgétaire pour la défense, qui représentent bien 2 % de 3 000 milliards. Avant de faire une règle de trois, faisons une addition.

Mme Valérie Rabault (SOC). Dans ce cas, votez mon amendement, puisqu’il se fonde sur les projections de PIB que vous avez faites. Si cet amendement est voté, il sera beaucoup plus facile pour la commission des finances d’interpeller le Gouvernement pour lui demander de clarifier les choses. Si vous vous fixez un objectif de 2 %, il faut que, dans tous les tableaux de chiffres que vous présentez, on retrouve bien ces 2 %. Sinon, Monsieur le rapporteur général, il y a mensonge. La responsabilité de la commission des finances est d’éclairer nos collègues sur les vrais chiffres, en séance publique.

Au sujet de la lutte contre l’inflation, j’ai un petit désaccord avec vous, Monsieur le rapporteur pour avis. À chaque fois que nous avons déposé des amendements pour revaloriser les carburants – parce que c’est ce qui coûte cher à nos armées –, vous avez toujours voté contre. Alors ne me dites pas que vous voulez soutenir nos armées face à l’inflation : si vous l’aviez voulu, vous auriez voté nos amendements.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. Je rappelle que, dans le dernier projet de loi de finances rectificative (PLFR), nous avons voté 220 millions d’euros de crédits pour lutter contre l’inflation, notamment contre les hausses de carburants.

Dans le tableau que vous proposez, la marche de 2025 représenterait une hausse de 13,77 milliards, ce qui est beaucoup trop important, puisque j’ai expliqué que les marches doivent être cohérentes avec le développement des programmes industriels. Vous ne trouveriez pas, en 2025, à dépenser de telles sommes.

Par ailleurs, dans le tableau proposé par le Gouvernement, la première marche représente une hausse de 7 %. Ce pourcentage va diminuer pendant les quatre années suivantes et recommencer à augmenter en 2028 pour atteindre 6,7 % en 2030. L’augmentation des marches est donc assez cohérente et relativement lissée : il n’y aura pas un effort surhumain à réaliser à la fin de la LPM.

La commission rejette successivement les amendements CF22, CF 20 et CF3.

 

Amendement CF2 de Mme Valérie Rabault.

Mme Valérie Rabault (SOC). Le Haut Conseil des finances publiques constate, on l’a dit, un écart de 13 milliards entre les besoins programmés – 413 milliards – et les ressources – 400 milliards. Nous avons besoin d’explications à ce sujet : tel est le sens du présent amendement.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. J’ai indiqué tout à l’heure que les 13 milliards de ressources additionnelles aux crédits de la mission Défense ne proviendront pas uniquement de crédits budgétaires. Une partie sera financée par l’ouverture de crédits supplémentaires, par exemple la somme de 1,2 milliard nécessaire au remplacement des Crotale livrés à l’Ukraine. Une partie proviendra de ressources extrabudgétaires : cessions de matériels, cessions immobilières, financements du service de santé des armées par l’assurance maladie.

Si c’est nécessaire, des ouvertures de crédits supplémentaires pourront avoir lieu. Ce sera à nous, législateur, de le décider, en loi de finances rectificative. J’émettrai donc un avis défavorable sur cet amendement, tout en m’en remettant à la sagesse de la commission.

La commission rejette l’amendement CF2.

Elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 3 non modifié.

 

Après l’article 3

 

 

 

Amendement CF10 de Mme Valérie Rabault.

Mme Valérie Rabault (SOC). Nous demandons que, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur les voies et moyens pour parvenir à des financements additionnels en vue de compléter les ressources budgétaires non documentées.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. Les moyens d’obtenir les 13 milliards ont été précisément documentés : un rapport serait donc inutile. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement CF10.

 

Amendement CF17 de M. Jocelyn Dessigny.

M. Jocelyn Dessigny (RN). Les plafonds des crédits alloués à la mission Défense par la LPM sont exprimés en euros courants, et non en euros constants : ils ne tiennent donc pas compte des effets de l’inflation.

Le Gouvernement a estimé à 30 milliards l’impact de l’inflation sur la période 2024-2030, soit 4,3 milliards par an, ce qui annule au moins la première marche d’augmentation budgétaire.

Nous demandons que le Gouvernement remette chaque année, au moment du dépôt du projet de loi de finances, un rapport sur l’impact de l’inflation sur les crédits inscrits.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. Je vous rejoins sur la nécessité de surveiller l’impact de l’inflation sur la LPM, mais les articles 8 et 9 prévoient déjà la production de rapports qui apporteront toutes les informations utiles. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement CF17.

 

Amendement CF23 de Mme Valérie Rabault.

Mme Valérie Rabault (SOC). Nous demandons que, dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur l’évolution des restes à payer de la mission Défense.

L’analyse de l’exécution budgétaire de 2022 montre que les restes à payer, pour la mission Défense, sont passés de 52 milliards en 2017 à 91 milliards en 2022, ce qui représente un doublement en l’espace de cinq ans. Il est indispensable que le Gouvernement fournisse au Parlement des chiffres clairs, afin qu’il soit parfaitement éclairé.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. Ces chiffres sont disponibles. Les informations relatives aux restes à payer figurent, tout d’abord, dans les annexes budgétaires. La Cour des comptes, ensuite, en livre une analyse tous les ans, dans sa note d’analyse de l’exécution budgétaire de la mission Défense. Enfin, c’est un sujet qu’examinent régulièrement les rapporteurs spéciaux de la commission des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat : je vous renvoie à leurs différents rapports. Avis défavorable.

Mme Valérie Rabault (SOC). Il va de soi que j’ai lu tous ces documents. Ce que je dis, c’est qu’il faut que le Gouvernement présente une trajectoire incluant ces restes à payer, pour sortir de l’hypocrisie.

La commission rejette l’amendement CF23.

 

Article 4 : Provision au titre des surcoûts OPEX et MISSINT

 

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 4 non modifié.

 

Article 5 : Carburants opérationnels

 

Amendements CF21 de Mme Valérie Rabault et CF18 de M. Jocelyn Dessigny (discussion commune).

Mme Valérie Rabault (SOC). Monsieur le rapporteur pour avis, nous avons un désaccord au sujet de l’inflation. L’article 5 émet l’hypothèse d’une hausse « durable » du prix des carburants, mais cela ne veut rien dire. Je propose de fixer un seuil pour clarifier les choses : dès que l’inflation dépasse 50 millions d’euros sur une année, il doit y avoir une revalorisation des crédits.

Pour clarifier les choses, j’ai fait figurer, dans mon exposé sommaire, tous les amendements que nous avons déposés pour prendre en compte l’inflation, et que vous avez rejetés. Je ne peux pas vous laisser dire que vous l’avez prise en compte.

M. Jocelyn Dessigny (RN). L’article 5 prévoit qu’en cas de hausse durable du prix des carburants opérationnels, des crédits supplémentaires seront ouverts, sans plus de précisions. Le présent amendement vise à définir un seuil de déclenchement et un principe de compensation. Une hausse de 10 %, sur trois mois consécutifs, du prix moyen constaté des carburants opérationnels par rapport à la moyenne des prix constatés lors des trois années précédentes déclencherait l’ouverture des crédits supplémentaires correspondants.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. La rédaction de l’article 5 reprend celle de l’article 5 de la précédente LPM. Cet article a fait ses preuves : en 2022, nous avons voté l’ouverture de 225 millions d’euros dans la seconde loi de finances rectificative pour lutter contre l’inflation, notamment concernant le prix des carburants. Il n’y a pas de raison de modifier une disposition qui a permis d’obtenir les crédits nécessaires. Avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements CF21 et CF18.

 

Amendement CF19 de Mme Valérie Rabault.

Mme Valérie Rabault (SOC). Je propose que les hausses de prix des carburants opérationnels soient documentées par l’Insee.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. Le Gouvernement s’appuie déjà sur l’Insee pour constater l’inflation passée. Cette précision est donc superflue. Par ailleurs, l’activation de l’article 5 relève d’une décision politique. Ce n’est pas à l’Insee de l’imposer, par la publication d’un chiffre.

La commission rejette l’amendement CF19.

Elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 5 non modifié.

 

Article 6 : Effectifs

 

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 6 non modifié.

 

Article 7 : Actualisation

 

Amendement CF6 de Mme Valérie Rabault.

Mme Valérie Rabault (SOC). L’amendement vise à prévoir une actualisation de la LPM fin 2026. Un état des lieux très précis s’impose avant les élections de 2027.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. L’intérêt de la LPM est d’inscrire l’évolution des crédits budgétaires sur une période de sept ans. C’est important pour les armées, mais également pour les industriels, qui doivent avoir une vision de moyen et de long termes pour engager leurs fonds propres dans le développement de projets. À multiplier les actualisations, on risque de réduire la visibilité et, ce faisant, d’aller à l’encontre de l’objectif de la LPM. Par ailleurs, en 2027, la majorité nouvellement élue pourra, si elle le souhaite, s’affranchir de la LPM, en en assumant la responsabilité devant les Français. Il ne me paraît donc pas nécessaire de prévoir ces deux rapports.

M. Manuel Bompard (LFI-NUPES). Votre argumentaire est pour le moins étonnant. L’amendement vise à nous permettre de mener le débat démocratique de 2027 dans de bonnes conditions, grâce à une meilleure visibilité, et vous répondez que le Gouvernement nouvellement nommé disposera des informations nécessaires. L’enjeu est de permettre, préalablement aux élections, un débat objectivé par des données.

Mme Marie-Christine Dalloz (LR). M. Sitzenstuhl nous a dit qu’il fallait montrer notre attachement à nos militaires en votant cette LPM. Or cela n’a rien à voir : le sens de notre vote ne contredit en rien le soutien que nous leur apportons. La question essentielle est de savoir si le texte est adapté compte tenu du retard pris au cours des dernières années et des nouveaux enjeux de défense apparus en Europe. Il me paraît nécessaire de réaliser un point d’étape avant la fin du quinquennat pour voir où l’on se situe par rapport aux engagements de nos voisins et, surtout, à nos besoins. Je ne comprendrais pas que la majorité s’y oppose.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. Je ne partage pas votre point de vue. J’imagine votre réaction si, juste avant l’échéance électorale, on modifiait la LPM : vous nous diriez que nous transformons un instrument régalien en un outil politique destiné à polluer la campagne. Il s’agit précisément de décorréler ces deux dimensions et d’offrir de la visibilité à long terme. Il serait compréhensible que la nouvelle majorité, en 2027, souhaite réviser la LPM.

M. Charles Sitzenstuhl (RE). J’abonde dans le sens du rapporteur pour avis. La défense fait partie des prérogatives essentielles du Président de la République. Or un nouveau Président sera élu en 2027. Madame Dalloz, plusieurs de vos collègues ont reproché à la majorité, début 2022, d’avoir fait des annonces, notamment sur le nucléaire, affirmant que cela avait pollué la campagne présidentielle. Il faut éviter d’avoir, quelques mois avant l’élection, une discussion sur ce genre de sujets, qui serait inévitablement politicienne.

La commission rejette l’amendement CF6.

 

M. le président Éric Coquerel. Le ministre a expliqué que la LPM était une loi de base qui serait révisée chaque année. Le Parlement est fondé à prévoir des garanties sans attendre que le ministre ne décide de procéder à la révision.

Amendement CF5 de Mme Valérie Rabault.

Mme Valérie Rabault (SOC). Il s’agit de prévoir l’élaboration d’un nouveau Livre blanc avant l’actualisation de la LPM de 2027 afin de permettre un véritable débat sur les besoins de la défense française.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. La revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017 ainsi que la revue nationale stratégique de 2022 ont permis d’actualiser les constats sur l’évolution du contexte stratégique, par exemple en intégrant la programmation des nouveaux champs de conflictualité, comme le spatial, le cyber et les fonds marins. Ces éléments sont pris en compte dans le projet de LPM.

Je ne vois pas en quoi il serait nécessaire de conditionner l’actualisation de la LPM à un nouveau Livre blanc. Il sera de la responsabilité du Président de la République, chef des armées, de déterminer si un nouveau Libre blanc est nécessaire ou si d’autres formes de revue sont possibles, en fonction des changements intervenus et du calendrier. La rédaction de l’article 7 me semble à cet égard satisfaisante.

M. Mounir Belhamiti (RE). Les députés ont toute latitude pour exercer leur pouvoir de contrôle. Hier, dans l’hémicycle – dont les bancs étaient quelque peu clairsemés – nous avons eu un débat, à l’initiative du MODEM, sur l’exécution et le bilan de la précédente LPM. Le projet de loi de finances (PLF) est l’occasion, chaque année, d’exprimer des avis, de corriger des trajectoires, de constater des reports de charges qui résultent de l’évolution de la menace et de la situation internationale. Il me paraît osé, de la part des députés Les Républicains et Socialistes, de nous reprocher de ne pas être suffisamment clairs et transparents sur l’exécution d’une LPM à l’euro près, alors que ni la majorité de M. Hollande, ni les majorités précédentes n’ont respecté les trajectoires budgétaires.

La commission rejette l’amendement CF5.

Elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 7 non modifié.

 

Article 8 : Rapport sur le bilan de l’exécution de la programmation

 

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 8 non modifié.

 

 

 

Article 9 : Rapport sur les enjeux et l’évolution de la programmation

 

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 9 non modifié.

 

Article additionnel après l’article 9 : Contrôle parlementaire de l’application de la programmation militaire

 

Amendement CF8 de Mme Valérie Rabault.

Mme Valérie Rabault (SOC). L’article 9 de la précédente LPM confiait le soin aux commissions parlementaires chargées de la défense de contrôler l’application de la programmation militaire par le Gouvernement. Or cette disposition ne figure plus dans le projet de loi. Je ne vois pas ce qui justifie sa suppression.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. Le retrait de cette disposition fait suite à l’avis du Conseil d’État. Cela étant, je partage votre point de vue quant à la nécessité de mentionner les prérogatives de contrôle des commissions des finances et des commissions chargées de la défense. Avis favorable.

M. Charles Sitzenstuhl (RE). Nous voterons en faveur de l’amendement car il nous paraît souhaitable de préciser le rôle des commissions.

Mme Véronique Louwagie (LR). Monsieur Belhamiti, pour revenir sur vos propos, je voudrais vous rappeler que le vote est libre. Par ailleurs, vous nous reprochez de ne pas avoir respecté les lois de programmation antérieures, mais le débat porte sur un autre sujet, qui est la discordance entre la LPM et des documents budgétaires présentés par l’exécutif – la loi de programmation des finances publiques et le programme de stabilité. Il est de notre devoir de contrôler l’action du Gouvernement.

La commission adopte l’amendement CF8 (DN52).

 

Article additionnel après l’article 9 : Rapport sur l’évaluation des programmes de coopération européenne en matière de défense

 

 

 

Amendement CF9 de Mme Valérie Rabault.

Mme Valérie Rabault (SOC). L’amendement a pour objet la remise d’un rapport sur l’évaluation des programmes de coopération européenne en matière de défense. En effet, nous savons très bien que nous ne pourrons pas tout financer et que d’autres pays lancent des programmes. Il s’agit de favoriser la coopération ou la mutualisation sur certains sujets.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. La réalisation de programmes en coopération européenne présente plusieurs avantages. Elle permet de réaliser des économies d’échelle, de faciliter l’interopérabilité des matériels et l’action commune ainsi que de développer des équipements souverains. C’est pourquoi nous soutenons des programmes tels que le Scaf – système de combat aérien du futur – et le MGCS – système principal de combat terrestre –, malgré les difficultés que l’on connaît pour faire avancer ces projets ambitieux et lourds.

Les programmes en cours ont déjà été largement commentés par le ministère des armées et par des rapports parlementaires. De surcroît, vous êtes libres de lancer une nouvelle mission d’information sur le sujet. L’information relative à l’évolution des programmes pourra figurer dans les rapports prévus aux articles 8 et 9 du projet de loi. Toutefois, il me paraît important de favoriser les collaborations européennes. J’émettrai donc un avis de sagesse.

M. Charles Sitzenstuhl (RE). À titre personnel, je voterai l’amendement. Il est important de rappeler l’horizon européen dans lequel nos politiques de défense doivent s’inscrire. Il est nécessaire que nous débattions de la dimension européenne de la LPM. Nous aurons certainement des échanges nourris à ce sujet, en séance, avec le ministre.

La commission adopte l’amendement CF9 (DN53).

 

Après l’article 9

 

Amendement CF7 de Mme Valérie Rabault.

Mme Valérie Rabault (SOC). L’amendement vise à ce que le Gouvernement remette un rapport sur les moyens de faire apparaître, dans le calcul du déficit public, les dépenses et investissements en matière de défense. La France a un budget de la défense parmi les plus élevés des pays de l’Union européenne. Elle contribue, de ce fait, à la défense de l’ensemble du continent. Il nous serait utile de connaître le niveau du déficit public après déduction des dépenses et investissements en matière de défense tant du point de vue de la comptabilité nationale que de celui des traités européens.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. Pour être crédible, la programmation militaire doit être compatible avec la trajectoire globale des finances publiques. La maîtrise des finances publiques est un enjeu de souveraineté majeur, qui renforce notre autonomie. Il ne me semble pas opportun de soustraire les dépenses engagées en matière de défense au respect des exigences relatives aux déficits publics, dont la commission des finances est garante. Avis défavorable.

M. Fabien Di Filippo (LR). Une des leçons de la période que l’on vient de vivre est la nécessité de renforcer notre souveraineté en matière militaire et d’armement. Cela étant, nous subissons aujourd’hui les effets économiques délétères du « quoi qu’il en coûte » décidé par Emmanuel Macron. Vous souhaitez extraire les dépenses liées à la LPM du calcul du déficit, afin que nous puissions nous endetter encore plus avec l’accord de nos partenaires européens. Cela ne nous paraît pas opportun car, in fine, c’est la France qui paiera la facture et supportera l’augmentation du coût de la dette et des taux d’intérêt. Si l’on choisit d’affecter davantage de moyens à notre défense, ce qui est sans doute souhaitable dans le contexte international, il faut se demander comment rééquilibrer les comptes pour qu’ils demeurent soutenables. Le Gouvernement doit nous dire où il fera peser l’effort pour compenser ces dépenses, égales à 1,3 point de PIB.

Mme Valérie Rabault (SOC). Le Haut Conseil des finances publiques a souligné dans son avis que la LPM allait nécessiter la réalisation d’économies dans d’autres domaines. Il a chiffré, sur la base de l’ancienne loi de programmation des finances publiques, le montant des économies à réaliser pour respecter la trajectoire budgétaire qui a été votée. Nous proposons de renforcer la lisibilité des finances publiques pour que chacune et chacun vote de manière éclairée.

La commission rejette l’amendement CF7.

 

Amendement CF4 de Mme Valérie Rabault.

Mme Valérie Rabault (SOC). Cet amendement vise à ce que les projets annuels de performance mentionnent le taux de disponibilité des matériels et le taux de réalisation des grands équipements. Hormis le rapport de la Cour des comptes de 2022 et le rapport d’information n° 864 de la commission de la défense, qui contient certaines données, il n’y a pas d’information disponible à ce sujet.

M. Christophe Plassard, rapporteur pour avis. Un débat sur le bilan de la LPM 2019-2025 a eu lieu hier après-midi en séance. Les zones de flou dont vous faites état m’amènent à émettre un avis de sagesse.

La commission rejette l’amendement CF4.

 

 

Article 10 : Abrogation du titre Ier de la LPM 2019-2025

 

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 10 non modifié.

Elle émet un avis favorable à l’adoption de l’ensemble des dispositions dont elle est saisie, modifiées.


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   ANNEXE N°1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE

 

(Par ordre chronologique)

 

   M. le général de brigade aérienne Cédric Gaudillière, chef de la division « cohérence capacitaire » de l’état-major des armées ;

   M. le général de corps d'armée Jacques Langlade de Montgros, directeur du renseignement militaire (DRM) ;

   M. le général de division Philippe Susnjara, directeur du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) ;

   M. Philippe Missoffe, délégué général et Mme Apolline Chorand, déléguée aux affaires publiques et à la communication du Groupement des industries de construction et activités navales (GICAN) ;

   MM. le général Jean-Marc Duquesne, délégué général et Axel Nicolas, directeur Affaires publiques & Europe du Groupement des Industries Françaises de Défense et de Sécurité Terrestres et Aéroterrestres (GICAT)

   M. Guillaume Muesser, directeur des Affaires économiques et Défense du Groupement des Industries Françaises Aéronautiques et Spatiales (GIFAS) ;

   M. le général de corps d'armée Vincent Pons, sous-chef d'état-major « Plans » à l'état-major des armées ;

   M. le contrôleur général des armées Christophe Jacquot, secrétaire général, et des membres du Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM) ;

   Mme Sylviane Bourguet, directrice des territoires, de l’immobilier et de l’environnement du ministère des Armées ;

   M. Marc Howyan, directeur de la direction de la maintenance aéronautique (DMAé) ;

   M. le général de corps d'armée Michel Delion, pilote du Groupe de travail Réserves ;

   M. le général de division Yves Métayer, chef de la division « emploi des forces » à l’état-major des armées ;

   M. le contrôleur général des armées Thibaut de Vanssay de Blavous, directeur des ressources humaines au ministère des Armées ;

   M. le vice-amiral d’Escadre François Moreau, major général de la marine ;

   M. le général de corps d'armée Patrice Quevilly, major général de l’armée de terre ;

   Des représentants des organisations représentatives du personnel civil du ministère des Armées : M. Laurent Tintignac, secrétaire général adjoint et Mme Nathalie Delaugère de l’UNSA Défense, MM. Erwan Larzul et Gilles Goulm de FO, MM. Didier Brunes et Bruno Le Nezet de FNTE-CGT, M. Albert Corbel, secrétaire général de la fédération CFDT, M. Patrice Malecki, secrétaire du CSE central entreprise et Mme Laetitia Jourdan de la CFDT FEAE ;

   Mme Catherine de Salins, présidente du Haut comité d'évaluation de la condition militaire (HCECM) ;

   M. le général de corps aérien Frédéric Parisot, major général de l’armée de l’air et de l’espace ;

   M. l’ingénieur général de l’armement Patrick Aufort, directeur de l’agence de l’innovation de défense (AID) ;

   M. le commissaire général hors classe Philippe Jacob, directeur du service du commissariat des armées (SCA) ;

   M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l'armement (DGA) ;

   Représentants de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) ;

   M. le général de division Aymeric Bonnemaison, commandant de la cyberdéfense ;

   M. Christophe Mauriet, secrétaire général de l’administration, et Mme Laurence Marion, directrice des affaires juridiques du ministère des Armées ;

   M. le médecin général des armées Philippe Rouanet de Berchoux, directeur central du service de santé des armées ;

   Représentants du commandement des opérations spéciales (COS) ;

   M. Pierre Chavy, sous-directeur chargé de la cinquième sous-direction (Défense, Intérieur et collectivités locales), Direction du Budget du ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.


—  1  —

 

   ANNEXE N°2 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA RAPPORTEURE DE LA COMMISSION DES LOIS

 

(Par ordre chronologique)

 

    Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN)

    Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI)

    Fédération Syntec, représentée par Numeum (*)

    Club de la sécurité de l’information français (Clusif)

    Club des experts de la sécurité de l’information et du numérique (CESIN)

    Conseil national des barreaux (*)

    Conférence des Bâtonniers (*)

    Association française pour le nommage Internet en coopération (Afnic) (*)

    Bouygues Telecom (*)

    Free (*)

    SFR (*)

    Orange (*)

    Fédération Française des Télécoms (*)

    Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP)

    Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL)

    Ligue des droits de l’Homme (*)

    Quadrature du Net (*)

    Mme Brunessen Bertrand, professeure à l’université de Rennes

    Hexatrust

    OVHcloud (*)

    Outscale (*)

(*) Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la
Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans
une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le
Bureau de l’Assemblée nationale.


—  1  —

 

   ANNEXE N°3 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA RAPPORTEURE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

À Paris

 

Ministère des Armées

-          Général Geoffroy de Bégon de Larouzière de Montlosier, chef du pôle « relations internationales » de l’état-major de l’armée de terre.

 

Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères

-          Mme Anne-Claire Legendre, porte-parole et directrice de la communication et de la presse ;

-          M. Matthieu Peyraud, directeur de la diplomatie d’influence ;

-          M. Philippe Bertoux, directeur des affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement ;

-          Général Régis Colcombet, directeur de la coopération de sécurité et de défense.

 

Assemblée nationale

 

Personnalités qualifiées

-          M. Rémi Carayol, journaliste indépendant spécialisé sur le Sahel ;

-          M. Renaud Girard, chroniqueur pour Le Figaro, ancien reporter de guerre ;

 

Déplacement aux écoles militaires de Saumur

 

Déplacement en Mauritanie

 

 


([1]) Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur la politique de défense de la France, à Mont-de-Marsan le 20 janvier 2023.

([2]) Compte-rendu de l’audition à huis clos de M. Stéphane Bouillon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, et de M. Vincent Strubel, directeur général de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, devant la commission de la Défense nationale et des forces armées sur le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030 du jeudi 6 avril 2023 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/cion_def/l16cion_def2223058_compte-rendu#.

([3]) Le périmètre de l’« effort national de défense », conformément à la norme définie par l’OTAN, inclut non seulement les ressources de la mission « Défense » prévues par la LPM, mais également les charges de pensions de la mission « Défense » (montant prévisionnel de 9 milliards d’euros en 2024 et de 10,3 milliards en 2030), ainsi que, de façon plus incidente, une estimation des recettes immobilières ou encore la masse salariale de la gendarmerie nationale en OPEX.              .

([4]) Audition de M. Sébastien Lecornu, ministre des Armées sur le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, Commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 5 avril 2023.

([5]) Haut Conseil des finances publiques, avis n° HCFP-2023-2 relatif au projet de loi de programmation militaire pour 2024-2030 du 27 mars 2023.

([6]) Audition de M. Sébastien Lecornu, ministre des Armées sur le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, Commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 5 avril 2023.

([7]) Ministère des Armées, réponses au questionnaire de votre rapporteur.

([8]) Ministère des Armées, réponses au questionnaire de votre rapporteur.

([9]) la LPM 2019-2025 était quant à elle construite sur les hypothèses d’un cours de 60 dollars du baril et d’une parité euros/ dollars de 1,1.

([10]) Audition de M. le général de brigade aérienne Cédric Gaudillière, chef de la division "cohérence capacitaire" de l'état-major des armées sur le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, Commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 13 avril 2023.

([11]) Le ministre des Armées a indiqué ainsi que la production de missiles Mistral était de 20 par mois en 2022, est passé à 30 en 2023 et montera à 40 en 2024, tandis qu’un mandat a été donné à MBDA par le Royaume-Uni, l’Italie et la France pour réduire le délai de production des missiles Aster de 40 à 18 mois. Voir communiqué de presse du Ministère des Armées du 23 février 2023, « Sébastien Lecornu annonce un plan en trois points pour accélérer la production des munitions ».

([12]) La cible de répartition en 2030 entre personnels militaires d’active et civil s’établit à 210 000 militaires et 65 000 civils.

([13]) Agence comptable des services industriels de l'armement (Acsia)

([14]) Audition de M. le général d’armée Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de Terre, sur le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, Commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, le 12 avril 2023.

 

([15]) Audition de M. le général d’armée Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de Terre, sur le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, Commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, le 12 avril 2023.

([16]) Audition de M. Sébastien Lecornu, ministre des Armées, sur le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, Commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, le 5 avril 2023.

([17]) Audition de M. le général d’armée Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de Terre, sur le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, Commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, le 12 avril 2023.

([18]) Communiqué de presse du Ministère des Armées relatif aux implications territoriales de la loi de programmation militaire pour l’armée de Terre, le 25 avril 2023.

([19]) Audition de M. le général d’armée Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de Terre, sur le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, Commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, le 12 avril 2023.

([20]) Audition de M. le général d’armée aérienne Stéphane Mille, chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace, sur le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, Commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 6 avril 2023.

([21]) Audition de M. le général d’armée aérienne Stéphane Mille, chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace, sur le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, Commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 6 avril 2023.

([22]) Audition de M. le général d’armée aérienne Stéphane Mille, chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace, sur le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, Commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 6 avril 2023.

([23]) Suppression of enemy air defense.

([24]) Audition de M. le général d’armée aérienne Stéphane Mille, chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace, sur le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, Commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 6 avril 2023.

([25]) Ibid.

([26]) Ibid.

([27]) Ibid.

([28]) Ibid.

([29]) Thomas Gassilloud (président), Yannick Chenevard et Laurent Jacobelli (rapporteurs), Rapport d’information sur le bilan de la loi de programmation militaire 2019-2025, 15 février 2023 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion_def/l16b0864_rapport-information#.

([30]) Compte-rendu de l’audition à huis clos de M. le général de division Aymeric Bonnemaison, commandant de la cyberdéfense, devant la commission de la Défense nationale et des forces armées sur le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030 du jeudi 13 avril 2023 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/cion_def/l16cion_def2223064_compte-rendu#.

([31]) L’expression « études amont » renvoie aux crédits de la sous-action 7.3 « études amont » du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » de la mission « Défense ». Cette sous-action finance l’ensemble des actions conduites par l’Agence de l’innovation de défense, qui privilégie l’appellation « projets » à celle d’« études amont ». Ainsi, les crédits de la sous-action financent les quatre catégories de projets soutenues par l’Agence, à savoir les projets de technologie de défense, les projets d’innovation participative, les projets d’accélération de l’innovation et les projets de recherche.

([32]) En comptant le budget consacré à la dissuasion, à hauteur de 200 millions d’euros par an environ (estimation faite à partir des crédits de paiement de l’opération budgétaire « Dissuasion » de la sous-action 7.3 « études amont » du programme 144 dans le projet de loi de finances pour 2023), le budget des études amont s’élève à 8,4 milliards d’euros sur la période de la programmation, dont 1 milliard d’euros environ en début de période et 1,7 milliard d’euros environ en 2030.

([33]) L’Agence en comprend même 130 si on compte les effectifs placés auprès des unités de management de la direction des opérations de la Direction générale de l’armement.

([34]) L’Agence de l’innovation de défense est rattachée au délégué général pour l’armement, et à ce titre, ses effectifs sont inclus dans ceux de la Direction générale de l’armement.

([35]) L’augmentation des effectifs au profit de l’Agence s’inscrira nécessairement dans une logique de révision régulière, tenant compte en particulier des axes de recherches prioritaires, des technologies émergentes et des besoins d’exploration exprimés par les armées. L’évolution annuelle sera donc arbitrée au niveau ministériel, en gestion, sur la période de la programmation.

([36]) Revue nationale stratégique, 9 novembre 2022, p. 35.

([37]) Audition de M. Sébastien Lecornu, ministre des Armées sur le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, Commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 5 avril 2023.

([38]) Audition de M. le général de brigade aérienne Cédric Gaudillière, chef de la division "cohérence capacitaire" de l'état-major des armées sur le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, Commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 13 avril 2023.

([39]) matériels de vie en campagne

([40])  Computer Emergency Response Team

([41]) Hors crédits de masse salariale au titre des missions intérieures, qui fait l’objet d’une autre provision de 100 millions d’euros.

([42]) Ministère des Armées, réponses au questionnaire de votre rapporteur.

([43]) Ministère des Armées, réponses au questionnaire de votre rapporteur.

([44]) Le musée de l’Ordre de la Libération a été créé en 1967 et non en 2008. Le décret n° 2008-459 du 16 mai 2008 relatif au musée de l’Ordre de la Libération n’a fait que consacrer en droit l’existence du musée en modifiant l’ordonnance n° 45-1779 du 10 août 1945 portant organisation de l’Ordre de la Libération en ce sens.

([45]) L’Ordre de la Libération comprend en réalité 1 038 Compagnons de la Libération. La Croix de la Libération a été octroyée à 1 036 civils et militaires entre le 29 janvier 1941 et le 23 janvier 1946 mais elle a également été octroyée à deux occasions exceptionnelles : en 1958 pour Winston Churchill et en 1960 pour le Roi d’Angleterre George VI à titre posthume. Par ailleurs, 5 communes (Nantes, Grenoble, Paris, Vassieux-en-Vercors et Île-de-Sein) et 18 unités combattantes ont obtenu la Croix de la Libération entre le 29 janvier 1941 et le 23 janvier 1946.

([46]) La fixation des règles de création des catégories d’établissement publics relevant de l’article 34 de la Constitution est une prérogative exclusive du législateur, comme l’a précisé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 64-27 L du 17 mars 1964.

[47] Article L.121-1 du CPMIVG

[48] Voir les articles R4139-50 à R4139-52 du code de la Défense

[49] Le commissionné est le militaire servant en vertu d’un contrat, recruté pour exercer des fonctions déterminées à caractère scientifique, technique ou pédagogique correspondant aux diplômes qu’il détient ou à son expérience professionnelle (article L. 4132-10 du code de la défense).

([50]) « The Foreign Emoluments Clause » : Article I, section 9, clause 8 de la Constitution américaine.

([51]) Audition de Mme Laurence Marion, directrice des affaires juridiques (DAJ) au Ministère des Armées, sur le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, Commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 12 avril 2023.

([52]) Audition de Mme Laurence Marion, directrice des affaires juridiques (DAJ) au Ministère des Armées, sur le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, Commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 12 avril 2023.

([53]) Aucun serveur ne comprend l’ensemble des données du système DNS. Par exemple, seuls les serveurs de l’Afnic, chargée de l’enregistrement des noms de domaine en France, peuvent répondre aux sollicitations concernant des noms de domaine se terminant par .fr.  

([54]) https://www.cert.ssi.gouv.fr/cti/CERTFR-2021-CTI-012/ (consulté le 28 avril 2023).

([55]) Selon la définition transmise à votre rapporteure par le SGDSN, une infrastructure d’attaque est un ensemble d’éléments connectés à internet créant un « pont » entre l’attaquant et sa victime dans la perspective, le plus souvent, de garantir l’anonymat et la discrétion du premier. Ces infrastructures peuvent être composées de serveurs loués auprès d’hébergeurs ou de serveurs compromis, utilisés à l’insu de leurs propriétaires. Dans le dernier cas, l’attaquant s’appuie sur des vulnérabilités lui permettant d’y accéder.

([56]) Directive (UE) 2016/1148 du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 2016 concernant des mesures destinées à assurer un niveau élevé commun de sécurité des réseaux et des systèmes d'information dans l'Union.

([57]) Directive (UE) 2022/2555 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022 concernant des mesures destinées à assurer un niveau élevé commun de cybersécurité dans l’ensemble de l’Union, modifiant le règlement (UE) no 910/2014 et la directive (UE) 2018/1972, et abrogeant la directive (UE) 2016/1148 (directive SRI 2).

([58]) Règlement (UE) 2022/2554 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022 sur la résilience opérationnelle numérique du secteur financier et modifiant les règlements (CE) n° 1060/2009, (UE) n° 648/2012, (UE) n° 600/2014, (UE) n° 909/2014 et (UE) 2016/1011.

([59]) Cette dernière technique étant définie dans l’étude d’impact annexée au projet de loi comme le fait de « filtrer le nom de domaine [ce qui] empêche l’internaute de se connecter à la ressource associée au nom de domaine (principalement, les sites internet), ressource qui est rendue inaccessible pour l’ensemble des utilisateurs. »

([60]) Article 6, I, 8 de la LCEN.

([61]) Article L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle.

([62]) Article 61 de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne.

([63]) Article L. 521-3-1 du code de la consommation.

([64]) Règlement (UE) 2015/2120 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 établissant des mesures relatives à l’accès à un internet ouvert et modifiant la directive 2002/22/CE concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques et le règlement (UE) no 531/2012 concernant l’itinérance sur les réseaux publics de communications mobiles à l’intérieur de l’Union.

([65]) L’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) est une autorité administrative indépendante dont la mission de réguler le marché des opérateurs de téléphonie, d’internet et des postes. Elle exerce aujourd’hui des missions relatives à la régulation du secteur postal, la protection de la neutralité du net, l’aménagement numérique des territoires, la distribution de la presse et la mesure de l’impact environnemental du numérique. Pour le secteur des communications, l’ARCEP définit ainsi la réglementation applicable aux opérateurs, attribue les ressources en fréquences, et conseille le Gouvernement. Pour le secteur des postes, elle délivre par exemple les autorisations aux opérateurs de services postaux d’envoi de correspondance, exerce un contrôle comptable et tarifaire du prestataire du service universel ou encore émet des avis relatifs aux aspects économiques des tarifs des prestations offertes à la presse. Pour mener à bien ses fonctions, l’ARCEP dispose d’un pouvoir de sanction qui comprend la possibilité d’attribuer des avertissements, des restrictions d’autorisations, des astreintes ou des amendes.

([66]) Les considérants 13 et 14 de la directive précisent ce point. Ils disposent ainsi que : « (13) Premièrement, des situations peuvent se présenter dans lesquelles des fournisseurs de services d’accès à l’internet sont soumis à des actes législatifs de l’Union ou à de la législation nationale qui est conforme au droit de l’Union (par exemple, en ce qui concerne la légalité des contenus, applications ou services, ou la sécurité publique), y compris le droit pénal exigeant, par exemple, le blocage de contenus, d’applications ou de services spécifiques. En outre, des situations peuvent se présenter où ces fournisseurs sont soumis à des mesures conformes au droit de l’Union mettant en œuvre ou appliquant des actes législatifs de l’Union ou de la législation nationale, telles que des mesures d’application générale, des décisions de justice, des décisions d’autorités publiques investies des pouvoirs pertinents ou d’autres mesures visant à garantir le respect de ces actes législatifs de l’Union ou de cette législation nationale (par exemple, des obligations de respecter des décisions de justice ou des décisions d’autorités publiques exigeant le blocage de contenus illégaux) (…)

 (14) Deuxièmement, des mesures de gestion du trafic allant au-delà de telles mesures raisonnables de gestion du trafic pourraient être nécessaires pour protéger l’intégrité et la sécurité du réseau, par exemple en prévenant les cyberattaques qui se produisent par la diffusion de logiciels malveillants ou l’usurpation d’identité des utilisateurs finals qui résulte de l’utilisation de logiciels espions. »

([67]) Ces deux derniers termes sont définis sous le commentaire de l’article 34, qui concerne directement ces opérateurs.

([68]) Pour des raisons légistiques, ces interlocuteurs sont visés dans le texte de loi par la mention « personne mentionnée au 1 ou au 2 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique ».

([69]) Point 36.

([70]) dont le fonctionnement est détaillé supra sous le commentaire de l’article 32.

([71])  Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données).

([72]) Article R. 1332-2 du code de la défense.

([73]) Article L. 1332-6-1 du même code.

([74]) Article L1332-6-2 du même code.

([75]) Article L. 1332-6-3 du même code.

([76]) Article L. 1332-6-4 du même code.

([77]) Directive (UE) 2016/1148 du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 2016 concernant des mesures destinées à assurer un niveau élevé commun de sécurité des réseaux et des systèmes d’information dans l’Union.             

([78]) Décret n° 2018-384 du 23 mai 2018 relatif à la sécurité des réseaux et systèmes d’information des opérateurs de services essentiels et des fournisseurs de service numérique.             

([79]) Ces critères sont précisés à l’article 2 du décret précité. 1° le nombre d’utilisateurs dépendant du service ; 2° la dépendance des autres secteurs d’activités figurant à l’annexe au présent décret à l’égard du service ; 3° les conséquences qu’un incident pourrait avoir, en termes de gravité et de durée, sur le fonctionnement de l’économie ou de la société ou sur la sécurité publique ; 4° la part de marché de l’opérateur ; 5° la portée géographique eu égard à la zone susceptible d’être touchée par un incident ; 6° l’importance que revêt l’opérateur pour assurer un niveau de service suffisant, compte tenu de la disponibilité de moyens alternatifs pour la fourniture du service ; 7° le cas échéant, des facteurs sectoriels.

([80]) Article 5 de la loi n° 2018-133 du 26 février 2018 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine de la sécurité.

([81]) Articles 7 et 8 de la loi précitée.

([82]) Cette dernière précision reprend ainsi une recommandation du Conseil d’État (point 37) qui estimait « nécessaire, pour assurer la proportionnalité de cette obligation, d’en préciser la teneur en limitant le champ des incidents informatiques devant être déclarés par les éditeurs de logiciel à ceux qui sont susceptibles d’affecter l’un de leurs produits. »

([83]) Le score CVSS (pour « Common Vulnerability Scoring System ») est un système d’évaluation standardisé du caractère critique des vulnérabilités.

([84]) Voir notamment les articles L. 33-1 et D. 98 du code des postes et des communications électroniques, l’article L. 1332-6-2 du code de la défense et l’article 7 de la loi n° 2018-133 du 26 février 2018 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine de la sécurité.

([85]) Point 6 de l’article 6 de la Directive (UE) 2022/2555 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022 concernant des mesures destinées à assurer un niveau élevé commun de cybersécurité dans l’ensemble de l’Union, modifiant le règlement (UE) no 910/2014 et la directive (UE) 2018/1972, et abrogeant la directive (UE) 2016/1148 (directive SRI 2).

([86]) L’information des utilisateurs par l’ANSSI est une recommandation du Conseil d’État (point 37).

([87]) Directive (UE) 2022/2555 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022 concernant des mesures destinées à assurer un niveau élevé commun de cybersécurité dans l’ensemble de l’Union, modifiant le règlement (UE) no 910/2014 et la directive (UE) 2018/1972, et abrogeant la directive (UE) 2016/1148 (directive SRI 2).

([88]) Ibid.

([89]) Loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale.

([90]) L’article L. 32 du code des postes et des communications électroniques définit les centres de données comme des « installations accueillant des équipements de stockage de données numériques » et les opérateurs de centre de données, comme « toute personne assurant la mise à la disposition des tiers d’infrastructures et d’équipements hébergés dans des centres de données ». Concrètement, il s’agira d’une entreprise mettant à disposition des locaux sécurisés fournissant électricité, refroidissement et armoires pour les serveurs informatiques.

([91]) Le SGDSN a précisé à votre rapporteure que l’ANSSI soumettra ainsi à l’ARCEP chaque projet de collecte de données malveillantes, qui accepterait, refuserait ou réviserait la demande. Le recueil se fera par le biais d’une sonde de détection des attaques, placée entre les réseaux ou le système d’information de l’opérateur affecté par la menace et les flux intérieurs à ces réseaux ou à ce système d’information. Seuls les éléments utiles à la prévention ou susceptibles de constituer des marqueurs d’attaque seront conservés.

([92]) Ce que constate le Conseil d’État dans son avis (point 38). Celui-ci relève en effet que, si « le recueil de telles données porte atteinte au droit au respect de la vie privée, au droit à la protection des données personnelles, au secret des correspondances et à la liberté d’expression (…) [celui-ci] est motivé par la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation (…) les seules données analysées, dont la conservation est limitée à deux ans, sont celles qui sont directement utiles à la prévention et à la caractérisation de la menace, les autres données devant être détruites sans délai. Seuls les agents de l’ANSSI individuellement désignés et spécialement habilités peuvent procéder à leur analyse, dans la seule finalité précédemment évoquée. Enfin, cette possibilité de recueil ne peut être mise en œuvre que sur avis conforme de l’ARCEP. En conséquence, le Conseil d’État estime que les atteintes portées par ce nouveau dispositif aux droits et libertés précédemment évoqués sont adaptées, nécessaires et proportionnées à l’objectif poursuivi. »

([93]) 1° Les nom et prénom, la date et le lieu de naissance ou la raison sociale, ainsi que les nom et prénom, date et lieu de naissance de la personne agissant en son nom lorsque le compte est ouvert au nom d’une personne morale ; 2° La ou les adresses postales associées ; 3° La ou les adresses de courrier électronique de l’utilisateur et du ou des comptes associés le cas échéant ; 4° Le ou les numéros de téléphone.

([94]) Cette terminologie reprend celle de l’article L. 1332-6-1 du code de la défense.

([95]) Articles L. 1332-6-1 et R. 1332-41-2 du code de la défense s’agissant des OIV et articles 7 et 17 du décret n° 2018-384 relatif à la sécurité des réseaux et systèmes d’information des opérateurs de services essentiels et des fournisseurs de service numérique, s’agissant des OSE.

([96]) L’article procède par renvoi à l’article 410-1 du code pénal, qui dispose : « Les intérêts fondamentaux de la nation s'entendent au sens du présent titre de son indépendance, de l'intégrité de son territoire, de sa sécurité, de la forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense et de sa diplomatie, de la sauvegarde de sa population en France et à l'étranger, de l'équilibre de son milieu naturel et de son environnement et des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel. »

([97]) Le dispositif renvoie à l’article R. 1143-1 du code de la défense, qui dispose : « Pour l'exercice de leurs responsabilités en matière de défense et de sécurité ; 1° Le ministre de la défense et le ministre des affaires étrangères désignent, pour leurs départements ministériels respectifs, un haut fonctionnaire correspondant de défense et de sécurité, dont ils précisent par arrêté les modalités selon lesquelles ils exercent leurs missions ; 2° Le ministre de l'intérieur est assisté par un haut fonctionnaire de défense ; 3° Les autres ministres sont assistés par un haut fonctionnaire de défense et de sécurité. »

([98]) La commission s’est saisie pour avis des articles 1 à 10, 20, 21, 24 et 28 du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

([99])  Audition par la commission des affaires étrangères du jeudi 13 avril 2023.

([100]) Audition par la commission des affaires étrangères du 25 janvier 2023.

([101]) Avis n° 732 réalisé par Mme Laetitia Saint-Paul, au nom de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense, publié le 7 mars 2018. Accessible ici.

([102]) Parmi les premiers projets sélectionnés à l’été 2022 pour recevoir un financement du Fonds européen de défense (FED) figurent par exemple les études et le design des futures corvettes européennes (European patrol corvette), les études de la prochaine génération d’hélicoptères militaires de l’UE et la fourniture de nouveaux composants électriques avancés pour la prochaine génération de capteurs infrarouges.

([103]) Audition par la commission des affaires étrangères du jeudi 13 avril 2023.

([104]) En crédits de paiement et hors pensions civiles et militaires.

([105]) Rapport présenté par Laetitia Saint-Paul, « La présidence française du Conseil de l’Union européenne (1er janvier – 30 juin 2022) : pour une Europe stratège au service des citoyens », publié en octobre 2021. Accessible ici.    

([106])  Rapport public thématique de la Cour des comptes, La loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 et les capacités des armées, publié en mai 2022. Accessible ici.

([107])  La revue nationale stratégique de 2022 est accessible ici.

([108]) Pour rappel, la dotation de la mission « Défense » est de 43,9 milliards d’euros en 2023.

([109]) Vice-amiral Patrick Chevallereau, « Attention, d’anciens militaires français contribuent aux intérêts du Kremlin », publié dans le Journal du dimanche le 18 janvier 2023. Accessible ici.

([110]) Antoine Izambard et Vincent Lamigeon, « Russie : révélations sur ces militaires français sous influence », publié dans Challenges le 27 avril 2023. Accessible ici.

([111])  Paul Charon et Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, « Les opérations d’influence chinoises : un moment machiavélien », Institut de recherche stratégique de l’école militaire (IRSEM), publié en octobre 2021.

([112]) Poline Tchoubar, « La nouvelle stratégie russe en Afrique subsaharienne : nouveaux moyens et nouveaux acteurs », Note de la FRS n° 21/2019, publiée le 11 octobre 2019. Accessible ici.

([113]) Rémi Carayol, « Dans l’armée française, un imaginaire colonial omniprésent », Afrique XXI, publié le 10 janvier 2022. Accessible ici.

([114])  Rémi Carayol, Le « continent noir » et l’éminence grise : Bernard Lugan, l’africaniste de l’armée française, Revue du crieur, publié en 2020.

([115]) Les écoles militaires de Saumur sont nées en 2012 du regroupement de quatre écoles d’application d’officiers de l’armée de terre : l’École de Cavalerie, créée en 1815, l’École d’État-Major (EEM), le Centre d’enseignement et d’entraînement du renseignement de l’armée de terre (CEERAT) et le Centre de défense nucléaire et biologique et chimique (CDNBC).

([116]) Audition du ministre des armées par la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale du jeudi 13 avril 2023.

([117]) Elie Tenenbaum, « Pour les armées françaises en Afrique, pas d’influence sans présence », tribune publiée dans Le Monde le 19 janvier 2023. Accessible ici.

([118])  Le Point Afrique, « Présence militaire française en Afrique : comment la France compte réellement s’y prendre », publié le 14 juillet 2022. Accessible ici.

([119]) Bruno Tertrais, « Outre-mer : toujours plus stratégiques », Le Point, publié le 30 janvier 2023. Accessible ici.

([120]) Conformément à la norme de calcul de l’OTAN, ce pourcentage inclut les dépenses de pensions.

([121]) Audition de M. Sébastien Lecornu, ministre des armées, par la commission de la défense et des forces armées de l’Assemblée nationale, le 5 avril 2023. Voir également, dans le même sens, l’audition de M. Sébastien Lecornu par la commission des finances de l’Assemblée nationale, le 26 avril 2023.

([122]) Le programme de stabilité présenté par le Gouvernement le 26 avril 2023 évalue la charge de la dette à 71,2 milliards d’euros en 2027.

([123]) Loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques.

([124]) Cette trajectoire ne tient pas compte des dépenses supplémentaires décidées dans la loi de finances pour 2023 (environ 8 milliards d’euros), mais constitue néanmoins une base de référence raisonnable.

([125]) Haut Conseil des finances publiques, avis n° HCFP-2023-2 relatif au projet de loi de programmation militaire pour 2024-2030, 27 mars 2023.

([126]) Haut Conseil des finances publiques, ibidem.

([127]) Cour des comptes, note d’analyse de l’exécution budgétaire 2022 de la mission Défense, avril 2023.

([128]) Audition de M. Sébastien Lecornu, ministre des armées, par la commission des finances de l’Assemblée nationale, 26 avril 2013.

([129]) Conseil d’État, avis sur un projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

([130]) Audition de M. Sébastien Lecornu, ministre des armées, par la commission des finances de l’Assemblée nationale, 26 avril 2013 [seul le compte-rendu définitif de l’audition fait foi].

([131]) Cour des comptes, « La loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 et les capacités des armées », rapport public thématique, mai 2022.

([132]) Cour des comptes, « Le bilan des cessions immobilières parisiennes du ministère des armées », observations définitives, mai 2022.

([133]) Audition de M. Sébastien Lecornu, ministre des armées, par la commission des finances de l’Assemblée nationale, le 26 avril 2013.

([134]) Le report de charges correspond, pour un exercice donné, au montant des paiements pour lesquels le service fait est constaté mais dont la facture n’a pas encore été traitée ou payée au 31 décembre.

([135]) Cour des comptes, Note d’analyse de l’exécution budgétaire 2022 de la mission Défense, avril 2023.

([136]) Haut Conseil des finances publiques, avis n° HCFP-2022-5 relatif au projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, 21 septembre 2022.

([137]) Audition de M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques, par la commission des finances et la commission de la défense et des forces armées de l’Assemblée nationale, le 5 avril 2023.

([138]) Haut Conseil des finances publiques, avis n° HCFP-2023-2 relatif au projet de loi de programmation militaire pour 2024-2030, 27 mars 2023.

([139]) Haut Conseil des finances publiques, avis n° HCFP-2023-6 relatif aux prévisions macroéconomiques associées au programme de stabilité pour les années 2023 à 2027, 25 avril 2023.

([140]) Audition de M. Sébastien Lecornu, ministre des armées, par la commission des finances de l’Assemblée nationale, 26 avril 2013.

([141]) Loi n° 2022-1499 du 1er décembre 2022 de finances rectificative pour 2022.

([142]) Cour des comptes, note d’analyse de l’exécution budgétaire 2022 de la mission Défense, avril 2023.

([143]) Cour des comptes, Certification des comptes de l’État, Exercice 2022, avril 2023.

([144]) Les restes à payer correspondent aux autorisations d’engagement exécutées qui n’ont pas encore été couvertes par des crédits de paiement.

([145]) Le niveau des restes à payer est moins élevé que les 93,6 milliards d’euros anticipés lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023, car la préparation du projet de LPM pour les années 2024 à 2030 a conduit à reporter certaines décisions.

([146]) La verticalisation des contrats de MCO consiste à regrouper des contrats portant sur un même ensemble d’équipements et à signer avec un seul maître d’œuvre sur une durée plus longue. Outre une amélioration de la disponibilité des équipements, elle doit permettre une meilleure maîtrise des coûts, mais génère mécaniquement une augmentation des restes à payer.

([147]) Cour des comptes, note d’analyse de l’exécution budgétaire 2022 de la mission Défense, avril 2023.

([148]) Cour des comptes, « La loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 et les capacités des armées », rapport public thématique, mai 2022.