N° 1273

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 mai 2023

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l’administration pénitentiaire et de l’appareil judiciaire ayant conduit à l’assassinat d’un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d’Arles,

 

 

Président

M. Jean-Félix ACQUAVIVA

 

Rapporteur

M. Laurent MARCANGELI

Députés

 

——

 

 

 

 

 Voir les numéros : 170 et 516.

 


La commission d’enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l’administration pénitentiaire et de l’appareil judiciaire ayant conduit à l’assassinat d’un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d’Arles, est composée de : M. Jean-Félix Acquaviva, président ; M. Laurent Marcangeli, rapporteur ; Mme Caroline Abadie ; Mme Sabrina Agresti-Roubache ; Mme Ségolène Amiot ; Mme Bénédicte Auzanot ; M. Romain Baubry ; M. Ugo Bernalicis ; M. Mickaël Cosson ; M. Jocelyn Dessigny ; M. Pierre Dharréville ; M. Guillaume Gouffier Valente ; M. Meyer Habib (jusqu’au 3 février 2023) ; M. Sacha Houlié ; M. Philippe Juvin ; M. Mohamed Laqhila ; M. Emmanuel Mandon ; Mme Élisa Martin ; M. Karl Olive ; M. Didier Paris ; M. Thomas Portes ; Mme Angélique Ranc ; Mme Cécile Rilhac ; Mme Sandrine Rousseau ; Mme Anaïs Sabatini ; M. Hervé Saulignac ; Mme Sarah Tanzilli ; Mme Cécile Untermaier ; M. Guillaume Vuilletet.


  1  

SOMMAIRE

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 Pages

Avant-propos du PrÉsident

introductioN

Synthèse des recommandations du rapport

PREMIÈRE PARTIE : La GESTION comparée des parcours de DÉTENTION respectifs D’YVAN COLONNA et DE FRANCK ELONG ABÉ a SUSCITÉ UNE INCOMPRÉHENSION LÉGITIME

I. L’ORGANISATION PARTICULIÈREMENT RIGOUREUSE DE LA DÉTENTION D’YVAN COLONNA CONTRASTE AVEC SON BON COMPORTEMENT

A. UNE DÉTENTION dont lE caractÈre PRESQUE EXEMPLAIRE, SANS INCIDENT NOTABLE, n’a jamais été pris en considÉration

1. La prise en charge sans indulgence d’Yvan Colonna

a. Une procédure judiciaire qui, à l’évidence, n’a pas permis de jouer son rôle d’apaisement

b. Peu d’incidents disciplinaires mais de multiples transfèrements jusqu’à la stabilisation d’Yvan Colonna à la maison centrale d’Arles

2. À la maison centrale d’Arles : un détenu calme et apprécié

a. Un comportement très correct pendant dix ans

b. Un détenu apprécié du personnel et de ses codétenus

c. Une peine qui n’aurait sans doute pas été aménagée

B. UN STATUT SUSCEPTIBLE DE FAVORISER L’ARBITRAIRE : LE CAS D’YVAN COLONNA, RÉVÉLATEUR DE LA NÉCESSITÉ DE FAIRE ÉVOLUER LE STATUT de détenu particuliÈrement signalÉ (DPS)

1. Le statut de DPS, une solution de facilité appliquée de manière uniforme à des profils très différents

a. L’inscription et le maintien au répertoire des DPS

i. L’état du droit applicable

ii. La persistance de zones d’ombres au niveau national comme local

b. Un statut aux conséquences parfois contraires au principe d’individualisation de la peine

i. Les restrictions imposées par le statut de DPS

ii. Un statut « attrape-tout »

2. Des conséquences inacceptables sur le droit à la vie familiale d’Yvan Colonna

a. Pour Yvan Colonna, l’apparence d’une double peine

b. L’aménagement de la prison de Borgo, une question centrale

i. Une volonté politique asymétrique entre l’État et la Corse

ii. Le processus de sécurisation du centre pénitentiaire de Borgo

3. Un détenu marqué au fer rouge du statut de DPS : des motivations sommaires et une situation générant de l’automaticité

a. Des arguments extra-pénitentiaires insuffisamment étayés

i. Des critères opposés à Yvan Colonna peu convaincants

ii. Une procédure au carrefour de nombreuses influences, dont certaines de nature politique

iii. Une pratique critiquable et critiquée

b. Un statut qui emporte une certaine automaticité, et finalement peu efficace à la lumière de l’agression du 2 mars 2022

4. Une réforme indispensable du statut de DPS

a. Un statut qui doit être défini par le législateur

b. Un meilleur encadrement de ce statut et un renforcement de son contrôle juridictionnel

II. la gestion erratique, voire permissive, du parcours carcÉral de Franck elong abÉ

A. un profil extrÊmement dangereux, violent et instable

1. Du Cameroun au djihad afghano-pakistanais : l’itinéraire singulier d’un terroriste islamiste français

a. La jeunesse chaotique d’un petit délinquant multirécidiviste

b. Un « combattant de confiance » des talibans

i. Les actions commises en zone afghano-pakistanaise

ii. Un événement primordial pour appréhender la personnalité de l’individu

2. Avant la maison centrale d’Arles, l’affectation au sein de cinq établissements en cinq ans et d’innombrables incidents, pour la plupart d’une gravité certaine

a. Maison d’arrêt de Rouen (2014-2015 et 2015-2016)

i. Première période

ii. Seconde période

b. Centre pénitentiaire de Lille-Loos-Sequedin (2015 et 2016-2017)

i. Première période

ii. Seconde période

c. Centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil (2017-2019)

d. Centre pénitentiaire d’Alençon-Condé-sur-Sarthe (2019)

e. Centre pénitentiaire de Nantes (2019)

3. À la maison centrale d’Arles : stabilisation ou dissimulation ?

a. Le transfert à la maison centrale Arles : un défi réussi, en apparence

i. Le transfert de Franck Elong Abé à la maison centrale d’Arles portait, dès l’origine, les germes d’un possible échec futur

ii. Il est néanmoins incontestable que l’intégration de Franck Elong Abé à Arles s’y déroule de façon relativement correcte au regard de ses précédentes affectations

b. La persistance d’incidents qui, initialement, n’avaient pas été portés à la connaissance de l’Assemblée nationale

c. Des signaux d’alertes et des manifestations d’instabilité préoccupants

d. 13 décembre 2023 : la perspective inquiétante de la fin de peine

i. Le régime d’application des différentes peines

ii. La nécessité de préparer cette échéance préoccupante

B. LES NON-ORIENTATIONS EN quartier d’Évaluation de la radicalisation (QER), RÉVÉLATRICES DE L’ÉCHEC MANIFESTE DE LA PRISE EN CHARGE DE L’INDIVIDU

1. Une succession de demandes, pour la plupart transmises dans les formes à l’administration centrale, qui n’aboutissent pas

a. Les demandes auxquelles la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) n’a pas donné suite

b. Les demandes auxquelles la directrice de la maison centrale d’Arles n’a pas donné suite

c. La demande intervenue hors procédure, et trop tardivement

2. Le transfert à maison centrale d’Arles : les prémices du drame

a. Un contexte complexe qui n’absout toutefois pas l’administration pénitentiaire

i. Trois options, un choix discutable

ii. Une décision non conforme, à l’époque, à l’état du droit

b. Le rôle de l’autorité judiciaire en question

i. Un cadre d’intervention dont l’imprécision persiste

ii. Des avis réservés et très réservés qui ont pesé dans la décision

c. Les raisons et les conséquences de la mise en échec de la stratégie de la DAP

i. Une décision qui n’a pas été encadrée par des garanties suffisantes

ii. Des conséquences indirectement dramatiques

3. La situation à la maison centrale d’Arles : origine et expansion d’un « trou noir » administratif

a. Pourquoi il était indispensable d’évaluer Franck Elong Abé en QER

i. Déterminer le régime de détention approprié

ii. Prévenir le risque de passage à l’acte violent

b. Une dilution des responsabilités à tous les niveaux de l’administration pénitentiaire

i. La défaillance grave de la cheffe d’établissement

ii. Un défaut de vigilance généralisé

c. Le cas de Franck Elong Abé dans une perspective comparative

i. Au niveau national, un cas unique en son genre

ii. La confirmation d’une situation particulièrement anormale à la maison centrale d’Arles en matière d’évaluation des profils radicalisés

C. UN CLASSEMENT AU SERVICE GÉNÉRAL QUI A suscité la stupéfaction de LA COMMISSION D’ENQUÊTE

1. Une situation qui renforce la conviction selon laquelle la prise en charge de Franck Elong Abé a fait l’objet de graves défaillances à Arles

a. Une décision dont le caractère incompréhensible est aggravé par les éléments statistiques révélés par le rapporteur

i. Une prise de risque inconsidérée en l’absence d’évaluation de la dangerosité de l’individu

ii. Un cas authentiquement hors normes

b. Une décision à ce point choquante qu’elle a suscité l’émergence de certaines théories qui se sont néanmoins révélées infondées

2. L’impérieuse nécessité d’encadrer les conditions du classement au travail des détenus sensibles

a. Définir les conditions de classement et de déclassement d’un détenu

b. Instaurer des mesures de vigilance suffisantes pour le classement des détenus dangereux

Seconde partie : l’agression mortelle du 2 mars 2022, une tragÉdie qui appelle une prise de conscience collective

I. un drame qui trouve son origine dans des dysfonctionnements qui auraient dÛ alerter l’administration pÉnitentiaire

A. À lA MAISON CENTRALE D’arles, des dÉfaillances ÉclairÉes par les travaux de la commission d’enquÊte

1. Une maison centrale supposée sécuritaire

a. Un établissement remis en service en 2009

b. Description des deux bâtiments d’hébergement

2. La maison centrale d’Arles : un « village » soumis à un contexte difficile et dégradé

a. Des détenus aux profils lourds

b. Des personnels expérimentés, mais en nombre insuffisant au regard des effectifs théoriques

3. Un établissement confronté à des difficultés significatives

a. Des conditions de travail et de sécurité inquiétantes

b. La confirmation d’une gestion défaillante du personnel

i. Au niveau des personnels de surveillance

ii. Au niveau de la direction de l’établissement

B. Le jour du drame : un dÉfaut de surveillance anormal dans une maison centrale

1. Une agression d’une extrême violence qui s’est prolongée de façon inexplicable

a. Un incident hors du commun

b. Un déroulé des faits qui demeure quelque peu confus

2. Comment un détenu a-t-il pu en agresser un autre pendant de si longues minutes ?

a. Des agents dépassés, mais pas de leur fait

b. Un système de vidéosurveillance paradoxalement étoffé mais totalement inexploitable le jour de l’agression

i. Un système de vidéosurveillance développé

ii. Le jour de l’agression : des images non exploitables

iii. Une doctrine d’emploi de la vidéosurveillance en détention à repenser

3. Une reprise en main qu’il convient de souligner

C. UNE MAUVAISE APPRÉCIATION DE LA DANGEROSITÉ DE L’AGRESSEUR DONT LES CONSÉQUENCES ONT ETE AGGRAVÉES PAR une circulation imparfaite DE L’INFORMATION

1. Une circulation des informations globalement défaillante

a. Depuis la maison centrale d’Arles, un circuit de remontée des informations qui a semblé révéler une certaine forme de légèreté

i. Une alerte la veille du drame portée trop tardivement à la connaissance de la commission d’enquête

ii. Un manque de réactivité déconcertant

iii. Une impression de confusion générale inacceptable, des contradictions inexplicables

b. Les services de renseignement et Franck Elong Abé : qui savait quoi ?

i. Le service national du renseignement pénitentiaire (SNRP) : un service récent mais essentiel dans la circulation des informations

ii. Le suivi de Franck Elong Abé à la maison centrale d’Arles

iii. Les relations entre le délégué local au renseignement pénitentiaire (DLRP) et le chef d’établissement : des échanges non formalisés

iv. Y a-t-il eu des failles dans la transmission de l’information au sujet de Franck Elong Abé ?

v. L’autorité judiciaire : à la source d’informations progressivement tombées dans l’oubli ?

2. Des divergences hautement préjudiciables dans l’appréciation de la dangerosité de Franck Elong Abé

a. Un individu décrit comme situé dans le « haut du spectre »

b. D’une dangerosité extrême à l’extérieur à une dangerosité largement relativisée en détention

i. Pour les services de renseignement

ii. Pour l’administration pénitentiaire

iii. Pour l’autorité judiciaire

iv. Ce qu’il est possible d’en conclure

c. Renforcer les groupes d’évaluation départementaux de la radicalisation islamiste (GED) pour améliorer la circulation de l’information et la qualité de l’évaluation

II. UN ÉVéNEMENT dramatique QUI RÉVÈLE LES problématiques PLUS GÉNÉRALES DU SYSTÈME CARCÉRAL

A. LA DÉFINITION D’UNE STRATÉGIE DE GESTION DE L’ISLAMISME RADICAL LOUABLE MAIS ENCORE INABOUTIE

1. 2016-2022 : six années d’action déterminée mais discutée

a. La mise en œuvre d’une stratégie opérante dans un contexte contraignant

i. Les premiers tâtonnements face à l’intensification du défi

ii. La constitution d’un corpus doctrinal et juridique complet

b. Un climat de tension qui reste très marqué

i. Des drames indélébiles

ii. Des inquiétudes fortes de la part des personnels pénitentiaires

iii. La nécessité d’évaluer en profondeur le dispositif

2. Les leçons qui peuvent d’ores et déjà être tirées du cas Franck Elong Abé

a. Renforcer tous les niveaux du nouveau quadriptyque

b. Une attention spécifique à porter à la prise en charge en quartier de prise en charge de la radicalisation (QPR)

i. Pourquoi Franck Elong Abé y avait potentiellement davantage sa place qu’en détention ordinaire

ii. Pourquoi il importe de renforcer la prise en charge de la dangerosité dans ces quartiers spécifiques

B. LA PRISON ET SES FLÉAUX : DES FEMMES ET DES HOMMES EN SOUFFRANCE

1. La situation alarmante des violences entre détenus

a. L’état des lieux au niveau national

b. La situation au niveau de la direction interrégionale des services pénitentiaires Sud-Est – Marseille

i. Les données générales

ii. Le cas spécifique des homicides

c. Le plan pluriannuel de lutte contre les violences commises en milieu pénitentiaire

2. Face à la dégradation de la santé mentale des personnes détenues, des dispositifs de prise en charge dépassés

a. Un phénomène massif qui exige une réaction d’ampleur

i. La situation à la maison centrale d’Arles

ii. Une situation généralisée

b. La nécessité de renforcer les structures de prise en charge des troubles psychiatriques

3. Pour celles et ceux qui constituent les piliers du système pénitentiaire, un besoin de considération et de reconnaissance

a. Un malaise qui reste palpable malgré une mobilisation tous azimuts

b. Les leçons qui peuvent être tirées du drame du 2 mars 2022

i. Améliorer la prise en compte du travail de surveillance des personnels pénitentiaires

ii. Renforcer les liens entre tous les acteurs de la détention

examen en commission

CONTRIBUTIONS DES Députés

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

liste des personnes rencontrÉes À l’occasion du dÉplacement d’une dÉlÉgation de la commission d’enquÊte à la maison centrale d’arles

ANNEXE : ÉLÉMENTS VERSÉS PAR LE PRÉSIDENT  DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE

glossaire des principales abréviations

 


  1  

   Avant-propos du PrÉsident

VÉRITÉ, JUSTICE ET DÉMOCRATIE

 

INTRODUCTION

 

Dans la vie d’un homme ou d’une femme, que cela soit sur le plan personnel, professionnel ou a fortiori sur le plan politique, il est des événements qui restent à jamais gravés dans la mémoire. De ces événements au cours desquels on se souvient précisément où l’on se trouvait, ce que l’on faisait.

Le 2 mars 2022, jour de l’agression mortelle d’Yvan Colonna, requalifiée en assassinat par le parquet national antiterroriste, restera pour moi l’un de ceux-là.

J’ai une pensée sincère et émue pour la famille d’Yvan Colonna, son père et sa mère, son frère, sa sœur, sa femme, son ancienne femme, ses deux fils, ses amis…Tous ceux, et j’y reviendrai un peu plus loin dans cet avant-propos, qui ont été entravés sciemment de relations suffisamment régulières avec leur père, leur fils, leur frère, leur ami. La véritable obstruction au rapprochement dans un centre de détention en Corse qui s’est organisée de manière continue au fil des ans, de nature politique et administrative, par la gestion « spéciale » du cas d’Yvan Colonna a conduit à l’application effective d’une double peine pour lui et sa famille. Et nous le savons malheureusement tous aujourd’hui, à une triple peine, celle de mourir en prison par agression. Il apparaît clairement dans le cadre de nos travaux qu’une « doctrine » politique et administrative particulière a été appliquée avec une continuité inébranlable au plus haut niveau de l’État, de certaines sphères de la haute administration, en particulier au niveau de la Chancellerie, de l’administration pénitentiaire, du parquet et des juridictions anti-terroristes. La mise en exergue de cette doctrine tout du long de nos auditions, s’appliquant aux membres du commando dit Érignac, visant à une gestion extrêmement rigoureuse de leurs demandes de levée du statut de DPS, rempart au rapprochement effectif dans un centre de détention en Corse, ou de leurs demandes fondées d’aménagement de peine pour deux d’entre eux après 24 ans d’emprisonnement, constitue déjà en tant que tel un scandale d’État. Quelles que soient en effet les conclusions de l’enquête judiciaire en cours, la gestion administrative et politique d’Yvan Colonna a conduit, d’un point de vue moral et déontologique, à sa mort.

Cette doctrine est liée au traumatisme qu’a constitué l’assassinat du préfet Claude Érignac, notamment au sein de l’administration préfectorale, bien au-delà de la douleur de la famille, à laquelle nous avons toujours compati. Comme nous l’avons toujours précisé, le rapporteur, moi-même et de nombreux élus et acteurs de la société insulaire, le drame du 2 mars est à restituer dans l’histoire longue, celle des relations conflictuelles de la Corse avec la République. Depuis 25 ans bien entendu, date de l’assassinat du préfet Claude Érignac, mais aussi bien au-delà. Depuis plus de 60 ans. Avec une cohorte de drames accompagnant un problème politique encore non résolu à ce jour. Je veux donc avoir une pensée émue aussi pour toutes les familles endeuillées, celles des militants, des civils, des gendarmes. Il ne peut y avoir dans notre esprit de hiérarchie des peines et des douleurs.

CETTE COMMISSION D’ENQUÊTE : UNE CONVERGENCE MORALE ET POLITIQUE

Cette commission d’enquête parlementaire, nous l’avons voulue. Nous étions déterminés à faire en sorte qu’elle contribue à la lumière sur tous les mécanismes qui ont pu conduire à ce drame. Je veux remercier ici le groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires (LIOT), son Président et l’ensemble de ses membres, parmi lesquels mes deux autres collègues députés nationalistes de Corse, pour m’avoir fait confiance et avoir permis d’exercer le droit de tirage du groupe, afin que la représentation démocratique de l’Assemblée nationale, dans la pluralité de ses opinions, puisse réaliser un travail en profondeur, sans faux-fuyants, en transparence, dans le but de répondre à l’exigence de Justice et de Vérité qui s’est fortement exprimée à la suite de ce drame.

Je veux particulièrement remercier Laurent Marcangeli, rapporteur de cette commission, pour son engagement, son honnêteté, son travail tout au long des auditions. Au-delà des divergences liées à nos appartenances politiques respectives, je crois pouvoir dire que notre convergence sur la méthode et sur le fond a été réelle tout au long de nos travaux, de même que dans notre volonté commune d’associer toutes les forces politiques représentées. Cette convergence est gage d’espoir en l’avenir pour la démocratie et pour notre île.

La portée symbolique et politique d’une commission d’enquête animée par un président et un rapporteur du même territoire, issus d’une île bouleversée, choquée et en colère par ce qui s’était produit, était forte. Cela représentait un défi et nous obligeait. Le produit de cet engagement et de nos investigations est aujourd’hui soumis à l’avis des acteurs politiques, de la société civile, des parties concernées, du peuple.

Je veux enfin remercier les députés siégeant dans cette commission d’enquête pour leur présence constante, leur implication, leur contribution. Ce rapport, adopté à l’unanimité, est aujourd’hui celui de l’Assemblée Nationale dans son ensemble. Ce qui lui confère une force démocratique incontestable.

UNE HISTOIRE ET DES TRAJECTOIRES SPÉCIFIQUES

Le champ d’investigation de cette commission d’enquête parlementaire se centrait nécessairement sur la genèse, les processus décisionnels administratifs et politiques, tant dans les années précédant, que durant le déroulé de la journée du drame, en se gardant d’entrer dans le domaine de l’enquête judiciaire.

D’un point de vue global, il s’agissait à la fois de traiter de trajectoires, d’histoires, de contextes très particuliers et spécifiques, liés aux protagonistes, à la maison centrale d’Arles, à la dimension politique de certains aspects et de problématiques générales légitimement évoquées autour de thèmes récurrents posés depuis de nombreuses années, au sein du fonctionnement de l’administration pénitentiaire et des autorités judiciaires, réapparaissant de manière saillante à l’occasion de ce drame. Permettre d’éclairer le chemin conduisant à la justice et à la vérité dans ce qui a conduit à cet assassinat, tant les zones d’ombre étaient et restent d’ailleurs, grandes, tout autant qu’en déduire des propositions et des recommandations de portée générale, voilà ce qu’était l’enjeu de la restitution de nos travaux. Ce chemin de crête a été respecté.

Pourquoi s’agit-il de trajectoires et de contextes spécifiques ?

– Yvan Colonna et Franck Elong Abé étaient tous les deux sous le régime du statut de Détenus Particulièrement Signalés, l’agresseur étant en outre terroriste islamiste. Il n’existe que 225 DPS en France sur 70 000 détenus. Nous sommes donc sur une analyse des petits nombres. Un effet de zoom. Le statut de DPS implique surtout des obligations de surveillance accrue vis-à-vis des détenus concernés, ce qui n’a pas été respecté bien évidemment en l’espèce.

– La gestion du parcours carcéral et des demandes de levée du statut de DPS d’Yvan Colonna a été excessivement rigoureuse, de nature politique, inversement proportionnelle à son comportement en détention jugé très correct et fortement conditionnée aux faits pour lesquels il était incarcéré. Franck Elong Abé est un terroriste islamiste, désormais connu grâce à nos travaux pour être « haut du spectre » dans les fichiers de renseignement. Il a combattu en Afghanistan et n’est donc pas un terroriste islamiste lambda parmi ceux en détention en France. Il a bénéficié d’une « mansuétude » à ce stade encore inexpliquée, tant du point de vue de sa non affectation en Quartier d’Evaluation de la Radicalité (QER), malgré les nombreuses demandes émises par les Commissions Pluridisciplinaires Uniques (CPU), que du point de vue de la relativisation des incidents survenus à Arles, de son statut en détention ordinaire et en emploi au service général. Ce qui n’aurait pas dû être le cas. La comparaison des modalités de gestion de l’un et de l’autre, tous deux DPS, laisse émerger une différence de traitement incontestable. Une grande interrogation naît, in fine, de cet état de fait.

– La Centrale d’Arles avec ses 127 détenus au moment des faits est un « village ». Nous ne sommes pas en situation de surpopulation carcérale. Ni dans un grand établissement. Elle est en outre très sécurisée dans son fonctionnement. Tous les manquements et dysfonctionnements, toutes les défaillances qui se sont faits jour dans ce drame prennent donc une toute autre dimension. Et creuse l’interrogation.

UNE GESTION SPÉCIALE ET POLITIQUE D’YVAN COLONNA

Au fil des auditions et des échanges, matérialisés dans le rapport, en croisant les propos et analyses, mais aussi les contradictions, la gestion « spéciale » et de « nature politique » du cas d’Yvan Colonna, et plus globalement des détenus du « commando Érignac » apparaît nettement. De la reconnaissance implicite de ce fait pour les détenus basques et corses évoquée par l’ancienne garde des Sceaux Nicole Belloubet lors de son audition du jeudi 16 février 2023 ([1]) ; en passant par les propos clairs des syndicats de la magistrature lors de leur audition du mercredi 15 mars ([2]) ; mais aussi le début d’analyse émise par l’actuel Directeur de l’Administration Pénitentiaire sur la « largesse » de certains critères réglementaires issus de l’instruction ministérielle pour le classement DPS, reposant sur la situation pénale et non sur l’évolution du parcours carcéral, sur la nature des faits liés à l’assassinat du préfet Claude Érignac (cf. audition du 12 janvier 2023) ; tout cela concourt à reconnaître sur l’histoire longue une gestion politique. Jusqu’à des propositions de réforme de la procédure de classement au statut de DPS et de renouvellement de celui-ci émise en audition par des acteurs de premiers plans, et non des moindres, comme l’ancien Premier ministre Jean Castex. Propositions qui sonnent comme la reconnaissance officielle d’une dimension arbitraire venue se nicher dans les méandres des critères larges le permettant.

Cette logique a été corroborée durant nos travaux par la référence à des actes démontrant une certaine ingénierie, une énergie développée par l’administration pénitentiaire au niveau central pour s’assurer qu’aucun risque de levée de statut de DPS n’intervienne. À titre d’exemples, la mise en exergue par le tribunal administratif de Toulon qui débouta la Chancellerie en décembre 2013 au sujet de la tenue d’une fausse réunion de la commission locale DPS ou le sujet de la « vraie-fausse » évasion d’Arles ayant justifié un transfert en urgence à la maison centrale de Réau avant que la DAP ne se ravise, comme s’il s’agissait de trouver des arguments supplémentaires, quitte à les créer de toutes pièces, pour tenter d’alourdir le dossier d’incidents de celui qui, tout au long des auditions, apparaît comme ayant un parcours de détenu modèle de l’aveu des agents de l’administration pénitentiaire et du SPIP, notamment. Les propos de Maîtres Davideau, Spinosi et Cormier sont à cet égard aussi évocateurs (cf. audition du jeudi 16 mars 2023).

Quant aux tenants d’une ligne de défense visant à justifier le fait que toutes les décisions de maintien du statut de DPS étaient les bonnes (Parquet National Anti-Terroriste, ancien directeur de l’administration pénitentiaire, juge d’application des peines anti-terroriste), leurs argumentaires se résument à un concours d’ouverture de parapluies, en invoquant les critères de l’instruction ministérielle du statut de DPS liés à la situation pénale et au « potentiel » risque d’évasion, au « potentiel » trouble à l’ordre public « qu’aurait » suscité cette « éventuelle » évasion. A contrario, l’analyse des acteurs de terrain, elle, reste claire et inchangée : faible risque d’évasion, aucun élément ne le corroborant, parcours carcéral parfait.

Une doctrine, une « automaticité », une mécanique stéréotypée, particulièrement bien mises en lumière par les travaux du rapporteur et bien rodées depuis le début de son incarcération, se sont mises en place. Tout cela au dépend de ses droits.

La contribution de Patrick Baudouin (Président de la Ligue des Droits de l’Homme) rappelle à dessein le contexte des trois procès le concernant, faisant apparaître une logique à sens unique au mépris d’éléments tangibles, mais aussi des procédures et des droits de la défense. Le rapport rappelle aussi à juste titre la vive atteinte à la présomption d’innocence lors de l’arrestation.  Enfin, à titre d’exemple, la non réponse, malgré de multiples relances de la LDH, au courrier commun des parlementaires de Corse et de la présidence de la Ligue en octobre 2019 visant à obtenir le rapprochement de Pierre Alessandri et Alain Ferrandi est révélatrice d’un état d’esprit et d’une chape de plomb posée sur les détenus du « commando Érignac ».

Les auditions et le rapport évoquent aussi deux points importants pour parachever l’aspect de la gestion particulière de ces détenus et du manque patent de volonté politique concernant le rapprochement familial et le respect de l’esprit et de la lettre du droit.

Tout d’abord, il est rappelé que ni l’existence d’une peine de sureté, ni le fait d’être incarcéré en maison centrale ne sont des éléments réglementaires obligatoires pour la gestion des détenus DPS même si usuellement cela est le cas. Sauf que pour les détenus en question et en particulier Yvan Colonna, factuellement, le droit au rapprochement familial a été bafoué, malgré moult arguments et réalités développés sur le temps long pour faire cesser cette situation. En vain.

Ensuite, la confirmation de l’existence d’une inspection de fonctionnement sur le centre de détention de Borgu, menée en 2021, quelques mois à peine avant les faits, certes larges dans ses domaines d’investigation, au-delà de l’aspect sécuritaire, vient appuyer sur le fait qu’il était bien prévu des aménagements de sécurité tenant compte de la « spécificité » de ce centre accueillant « des détenus nationalistes corses ». Bien entendu, à aucun moment, au niveau de la lettre de mission des inspecteurs n’est évoquée la question des « DPS ». Mais, des anciens députés (Bruno Questel et François Pupponi), comme moi-même, avons évoqué les échanges durant la même période, visant à obtenir des garanties de transfert pour raisons de rapprochement familial des détenus DPS en Corse en l’état de leur statut par des aménagements à réaliser somme toute peu coûteux eu égard à l’enjeu. Durant les auditions sur ce point, une négation de l’administration pénitentiaire a émergé, au niveau central et interrégional visant à se couvrir, brandissant l’absence de commande d’études sur ce point de la sécurité des DPS à Borgu, ce qui est réglementairement vrai, mais contextuellement et implicitement faux dans les faits, puisque celle-ci ne pouvait pas ne pas connaître l’attente et les échanges sur ce sujet. D’ailleurs, Jean Castex viendra confirmer que dans la période allant de septembre 2021 à début 2022 des discussions avec son cabinet ont eu lieu. Celles-ci se focalisaient bien sur la question du rapprochement opérationnel en Corse des membres du « commando Érignac », soit par une levée du statut de DPS, soit par un aménagement du centre de détention et la création d’un quartier spécifique (travaux à réaliser notamment au niveau des miradors et des caméras). Ces discussions ont été interrompues en février 2022 soit quelques semaines avant le drame. Un marché public a néanmoins été programmé concernant la vidéosurveillance.

Cet épisode est révélateur du jeu sibyllin instauré politiquement et administrativement par l’État sur ce sujet. Un pas en avant, deux pas en arrière.

Lors de cette histoire, nombre d’acteurs y a vu l’ombre d’une « vengeance d’État » qui ne disait pas son nom. Du fait des travaux de cette commission d’enquête parlementaire et de ce rapport, c’est aujourd’hui une réalité, à mon sens, difficilement contestable.

LE CARACTÈRE INEXPLIQUÉ VOIRE SUSPECT DE LA GESTION DE FRANCK ELONG ABÉ

La gestion du parcours de Franck Elong Abé laisse pantois tellement la succession d’actes, de décisions, mais aussi d’omissions durant celle-ci, est vaste. Les travaux et le rapport ont réussi à mettre en lumière que cet individu constitue un « cas exceptionnel » parmi l’ensemble des terroristes islamistes incarcérés en France. Cette seule affirmation pourrait suffire à résumer la situation inadmissible vécue. Elle pourrait suffire à fonder la grande interrogation qui taraude nombre de personnes, de démocrates, en Corse et ailleurs.

Comment en effet justifier sérieusement que l’on n’ait à aucun moment transféré en QER cet individu malgré les avis unanimes ou quasi-unanimes des CPU concernées constituées d’experts, à 5 reprises depuis 2019 jusqu’à 2022, mais bien plus que cela finalement nous explicite le rapporteur lorsque l’on note que dès 2016 avant la naissance des QER, il a été recommandé à trois reprises supplémentaires de traiter sa situation ?

La fréquence et la récurrence de ces avis, ciblant notamment sa dangerosité (« idée de mourir en héros ; ambitionne d’être grand par l’islam »), démontrent une continuité structurelle de sa dangerosité en détention, identique à celle « terroriste » d’avant son insertion dans le milieu carcéral français. Les légères « améliorations » n’étaient que conjoncturelles et passagères, laissant entrevoir d’une part le spectre de la dissimulation de son côté, et d’autre part une « mansuétude » coupable du côté de l’administration et du renseignement pénitentiaire, des autorités judiciaires.

Comment justifier sérieusement ne pas avoir transmis par la directrice de l’établissement d’Arles les PV de réunions des CPU dangerosité concernés ? Pourquoi la direction interrégionale et la Direction de l’Administration Pénitentiaire ne sont-elles pas intervenues, avertis notamment de la situation par la coordinatrice de la MLRV ? Les réponses sont insuffisantes et alimentent le trouble.

Comment justifier que l’on nous ait dissimulé le 30 mars 2022 en audition libre en commission des Lois les quatre incidents survenus à Arles ayant fait l’objet de sanctions disciplinaires ?

Parmi ceux-ci, un enchaînement de faits à un moment clé synthétise tout l’étonnement qui est le nôtre : en août 2021, Franck Elong Abé tente d’agresser et repousse un membre du personnel avec un bâton, c’est son quatrième incident à Arles, il passera en commission de discipline et sera néanmoins classé au service général, au nettoyage des salles de sports, cinq jours après avoir été sanctionné. Comment cela a-t-il pu être possible ? Surtout que l’on apprend de l’audition d’un syndicaliste des agents de la pénitentiaire que durant ce même mois d’août, il changeait d’attitude lié la prise de Kaboul à tel point qu’il était surnommé « Air Kaboul ».

Si l’on y ajoute l’inscription dans le logiciel prévu à cet effet par le renseignement pénitentiaire durant le même mois, d’attitudes de pression témoignées par des détenus à leur encontre pour obtenir un poste d’auxiliaire : même si un doute est émis sur la psychologie de ceux-ci et sur la nature du poste, l’ensemble des éléments porté à notre connaissance aurait dû conduire à une stabilisation de l’individu, soit à l’isolement, soit en quartier de prise en charge de la radicalisation.

Au lieu de cela, il sera classé en emploi au service général avec liberté de mouvement. Pourquoi ?

UN INDIVIDU CONNU POUR ÊTRE EXTRÊMEMENT DANGEREUX

Deux autres volets essentiels pour identifier les problématiques et interrogations lourdes liées à Franck Elong Abé sont issus des travaux et bien identifiées dans le rapport.

Tout d’abord, la DGSE et la DGSI nous ont appris désormais avec certitude que l’individu était connu des services de renseignement pour être « haut du spectre ».  Il fait partie du haut du pavé des détenus terroristes islamistes incarcérés en France. On pourrait même aujourd’hui expliciter qu’il fait partie du « très » haut du pavé. Il n’est pas un terroriste islamiste médian parmi les 550 qui sont détenus, ce qui accentue le caractère saillant des interrogations. Cet état de fait est à mettre en relation avec des propos tenus en audition qui relativisent pourtant fortement cette identification : ceux de la préfète de police des Bouches-du-Rhône, pilotant le GED qui parle des TIS comme faisant tous partie du haut du spectre, tout comme l’ancien DAP, le DLRP et la CIRP. Et ce, sans oublier le PNAT qui s’est lancé dans une démonstration peu probante et contradictoire, à savoir la différence entre dangerosité terroriste et dangerosité en détention pour parler d’écarts constatés entre les deux dans de nombreux cas, pour finir par préciser que Franck Elong Abé était connu pour être dangereux de manière continue dans l’une et l’autre des situations. Il s’agit ni plus, ni moins d’un aveu de parfaite connaissance de la dangerosité de l’individu par les responsables du parquet anti-terroriste alors qu’Elong Abé était en milieu carcéral.

Force est de constater que cette parfaite connaissance de la part du PNAT, « meneur de jeu » de la distribution en aval vers l’administration et du renseignement pénitentiaire de l’information et des renseignements sur l’individu qui lui ont été transmis par la DGSE, cohabite avec une méconnaissance totale de ce très haut degré de dangerosité par les acteurs de terrain, les agents de la centrale d’Arles, la direction de l’établissement et les membres de l’inspection générale de la Justice ayant réalisé l’inspection de fonctionnement peu après les faits. Le très grand étonnement a même été de rigueur en audition.

Un « glissement » s’est donc effectivement opéré. Un grand écart, à mon sens inexplicable pour l’heure, s’est créé.

Ensuite, les travaux du rapporteur dévoilent un point complémentaire important : Franck Elong Abé est statistiquement un cas unique parmi les Terroristes Islamistes incarcérés en France. Il est le seul parmi ceux qui n’ont pas fait l’objet d’évaluation en QER sur plusieurs années à ne pas l’avoir été pour des raisons réglementaires normales et identifiées.

Il est aussi le seul détenu à la fois DPS et TIS à occuper un emploi au service général avec liberté de mouvement puisque d’autres TIS ont des emplois mais en ateliers, encadrés et surveillés donc.

À ce stade, si l’on s’exerce à faire la somme de l’ensemble des incohérences et actes de gestion contraires à ce qui aurait dû se passer concernant Franck Elong Abé se dessine une trajectoire qui ne peut qu’interpeler tous ceux en recherche de vérité dans ce dossier.

Les tenants de la même ligne de défense pour expliquer ce qui s’est passé comme étant le produit de hasards malheureux, sans responsabilités fonctionnelles et humaines significatives, au niveau central notamment sur le plan des autorités judiciaires et de l’administration pénitentiaire, se sont bornés à nous dire :

Qu’ils connaissaient le degré de dangerosité de Franck Elong Abé et que c’est en raison de celui-ci et de son état psychique qu’ils assument d’avoir donné des avis négatifs, en 2019, pour qu’il n’aille pas en QER sur l’argument qu’il allait déstabiliser la session, outrepassant leurs compétences pour certains d’entre eux par rapport au code de procédure pénale (PNAT et JAPAT), créant un « équilibre » avec la DAP pour décider de cela alors que celle-ci n’était pas liée par les avis du parquet et des juridictions anti-terroristes;

Qu’ils relativisaient le rôle des QER dans la détection du passage à l’acte violent, à l’encontre des conclusions de l’Inspection Générale de la Justice dont ils se permettent de réduire la portée alors qu’il s’agît d’une affaire d’assassinat, ce qui est pour le moins révélateur d’un état d’esprit, de même qu’à l’encontre de ce qui est prévu dans le code de procédure pénale ;

Que, dans le même temps, ils comprenaient l’évolution de la progression de Franck Elong Abé vers la détention ordinaire, puis vers le classement en emploi général au nom de sa sortie à préparer et du droit à la réinsertion, relativisant l’ensemble des incidents à Arles, prenant fait et cause pour le fait qu’il allait mieux, adoptant une attitude pro-active à son égard.

Ce sont les mêmes, la DAP et la PNAT notamment, justifiant les évolutions positives vers la sortie de cet individu au nom d’une amélioration dans son parcours carcéral qui, soit-dit en passant, est largement infirmée par nos travaux et ceux de l’IGJ qui ont justifié de manière immuable et extrêmement rigoureuse le maintien du statut de DPS des membres du « commando Érignac » et leurs demandes d’aménagement de peine, à l’encontre de leur réel parcours carcéral sans histoires, de leur projet d’insertion fondé, au nom de leur seule situation pénale et du « fumeux » argumentaire du « trouble à l’ordre public » s’ils venaient à être un jour libérés. « Trouble à l’ordre public » remis en cause par la décision de la Cour de cassation du 29 septembre 2022, après l’assassinat d’Yvan Colonna. Tout comme la décision de levée du statut de DPS d’Alain Ferrandi et de Pierre Alessandri.

La mise en miroir de leurs argumentaires et positionnements lors de cette enquête parlementaire aboutit à un tableau sans concessions et cruel les concernant, un tableau sans appel : leur responsabilité morale, déontologique, politique est engagée dans ce qui a pu se produire par les conséquences de leurs actes et décisions, nonobstant les conclusions à venir de l’enquête judiciaire.

Ce constat est d’autant plus lisible et accablant que d’autres acteurs politiques et administratifs, et non des moindres, comme les anciens gardes des Sceaux, Nicole Belloubet et Jean-Jacques Urvoas par exemple, l’inspecteur général de la Justice, Jean-Louis Daumas (à la connaissance en audition du classement en « haut du spectre »), affirment très nettement que Franck Elong Abé n’avait rien à faire, ni en détention ordinaire, ni en emploi au service général.

La cheffe du pôle psychiatrique de la Centrale d’Arles venant corroborer le fait, en experte, que les troubles de nature psychotique de Franck Elong Abé ne l’empêchaient pas d’aller en QER pour être évalué et pris en charge, démontant là aussi l’argumentaire du PNAT et de la DAP.

Une affaire est entendue : cet individu n’avait rien à faire en détention ordinaire et en emploi.

DES RECOMMANDATIONS GÉNÉRALES POUR L’AVENIR

Au-delà de la particularité et du caractère politique et sensible de ce drame, des questions se posent. Les travaux du rapporteur, s’appuyant sur les auditions, sur la documentation reçue et sur d’autres travaux parlementaires touchant aussi au sujet du monde carcéral se concluent par des recommandations pour l’avenir.

Des recommandations autour de la réforme à mener concernant la procédure d’inscription et de renouvellement du statut de DPS pour les détenus concernés et les voies de recours, tirant les conséquences de ce qui s’est passé, soldant la reconnaissance d’une gestion politique qui a dérivé. Certaines prônent de solder définitivement la question du rapprochement des détenus corses dans l’île.  D’autres concernant la clarification des textes et des procédures sur le transfert en QER, et le rôle effectif de celui-ci, en le renommant d’ailleurs. D’autres enfin visent à faire évoluer les systèmes de vidéosurveillance et la formation des agents à ceux-ci.

La question de la surveillance, des moyens humains y afférents, mais aussi de la psychiatrie en milieu carcéral sont aussi abordés. Tout comme des recommandations liées à la prise en compte des terroristes islamistes, ainsi que visant l’encadrement des procédures d’attribution d’emplois d’auxiliaires. Autant de propositions précises qui m’agréent et qui se situent dans le fil de nos travaux collectifs.

Il faut de ce point de vue remercier et féliciter le rapporteur, d’une part, et les administrateurs, d’autre part, qui ont fourni un très bon travail et permis de traduire l’esprit et la lettre de ce qui a animé l’ensemble des membres de la commission d’enquête parlementaire que j’ai eu l’honneur de présider.

Ces recommandations sont essentielles pour l’avenir du monde carcéral et pour la résolution de dysfonctionnements administratifs et politiques lourds qui sont advenus au travers de cet événement douloureux.

La majeure partie de mon avant-propos se concentre sur la recherche de la justice et de la vérité, mais les deux dimensions de nos travaux sont bien évidemment liées.

RAISONS DU DRAME : TOUTES LES HYPOTHÈSES RESTENT À INVESTIGUER

Cette commission d’enquête parlementaire ne peut rentrer dans le domaine de l’enquête judiciaire, mais elle a travaillé avec le souci permanent d’y contribuer en investiguant des aspects complémentaires qui semblent indispensables à la bonne compréhension de ce qui s’est réellement passé.

 En ce sens, je souhaite que l’ensemble des conclusions et constats de nos travaux soient utilisés à bon escient dans ce cadre par l’ensemble des parties.

Que peut-on dire, arrivés aux confins de nos travaux, des hypothèses concernant le drame ?

Qu’il s’agisse de la thèse du blasphème ou du hasard, cet assassinat reste du domaine de l’affaire d’État tant la gestion administrative et politique du « commando Érignac », et, en particulier, d’Yvan Colonna et la gestion calamiteuse du parcours d’Elong Abé, balisée de dysfonctionnements lourds sur le plan judiciaire, de l’administration pénitentiaire, du renseignement, ont conduit au drame.

Il est à noter sensiblement que les agents de l’administration pénitentiaire, y compris des membres de la direction, relativisent fortement ou ne croient pas qu’Yvan Colonna ait pu « blasphémer ». À part le PNAT, se basant sur les déclarations de « l’intéressé » et le DLRP qui affirment que c’est le cas.

Est-ce que l’on peut considérer qu’il y a un faisceau d’indices pour penser qu’il y a eu préméditation ?

De nos travaux, des éléments précis portent à le croire : notamment, des éléments se rapportant à problématique de la vidéosurveillance. Le rapport de l’IGJ conclut non seulement au fait que le « scénario jour » retenu pour les images récurrentes qui passaient sur les écrans n’intégrait pas la salle d’activité sportive où se trouvait Yvan Colonna, que les agents n’étaient pas suffisamment formés pour interagir avec le matériel, mais que, de surcroît, ce qui est beaucoup plus troublant, même si l’agent du PIC avait voulu voir ce qu’il se passait dans la salle de sport cela aurait été une autre image qui lui serait apparue du fait d’un « défaut de paramétrage » (constat fait par l’IGJ dans son rapport mais aussi par la délégation de la commission d’enquête sur place, à la centrale d’Arles).

Cet élément, couplé au constat réalisé en auditions par les agents de l’administration pénitentiaire et du nouveau directeur de l’établissement, en évoquant la visualisation de la vidéo du drame, laisse à penser que Franck Elong Abé ne semble pas du tout inquiet de la vidéosurveillance lorsqu’il commet l’agression, ne prêtant aucune attention aux caméras, plus soucieux du retour éventuel de l’agent qui l’avait conduit jusqu’à la porte de la salle. L’échange en audition avec les acteurs indiqués a laissé entendre que l’information sur la défaillance du système vidéo ou le choix du « scénario jour », a pu être connue de l’intéressé dans le contexte de ce « village » que constitue la Centrale d’Arles.

Ce simple constat ouvre aussi la voie au questionnement d’un degré d’organisation plus élevé.

UN CONTEXTE PRÉGNANT, UNE « HAINE » ET DES ZONES D’OMBRE TRÈS INQUIÉTANTES

Pourquoi à ce stade aucune hypothèse, selon moi, y compris la plus « haute », liée au caractère commandité d’un assassinat de portée politique lié à la rancœur, au ressentiment, à la « haine » que certaines sphères entretenaient à l’encontre des membres du « commando Érignac », en particulier à l’encontre d’Yvan Colonna, ne peut être exclue à ce stade ?

D’une part, cela a été dit par le rapporteur et moi-même, l’histoire de ce drame est liée à celle de l’histoire conflictuelle qui existe entre la Corse et la République depuis plusieurs décennies dans la période récente. Des morts violentes ont jalonné cette histoire, des actions « barbouzardes » dans lesquelles certaines officines et réseaux d’État étaient impliqués ont existé, à plusieurs reprises et périodes, y compris suite à l’assassinat du préfet Claude Érignac. Nous pensons à titre d’exemple à l’épisode des paillottes incendiées clandestinement par un groupe de gendarmes (GPS) piloté par le préfet Bonnet, dont l’objet était de conduire à un affrontement sanglant si l’affaire n’avait pas été dévoilée. Ces épisodes, les Corses les ont en mémoire. De sorte que spontanément, de nombreux Corses quelles que soient leurs opinions, connaissant l’état d’esprit de rancœur évoqué plus haut, n’excluent pas la thèse de l’action « barbouze ».

D’autre part, comme évoqué clairement durant les travaux de cette commission, mais aussi par de nombreux acteurs politiques depuis 25 ans, du fait d’une gestion particulière, spéciale, politique du cas des détenus du commando Érignac mue par une « haine » et logique de vengeance qui se cachait de moins en moins au fil du temps. Au-delà des échanges que j’ai pu avoir, comme d’autres députés corses d’ailleurs, après d’autres élus insulaires avant nous qui ont connu ce même état d’esprit, avec un certain nombre d’interlocuteurs nous expliquant, de manière informelle, les raisons liées au traumatisme de l’assassinat du préfet Érignac pour ne pas accéder à la demande de rapprochement. J’ai pu évoquer, dans le cadre de l’audition de Jean Castex, des échanges de messages entre préfets dans les jours qui ont suivi l’assassinat d’Yvan Colonna comme éléments caractéristiques de cet état d’esprit de « haine » à l’encontre d’Yvan Colonna notamment (cf. éléments joints en annexe au rapport).

Ensuite, le contexte d’une revendication démocratique et large, déjà existante depuis plusieurs années se faisait de plus en plus pressante autour de la demande de rapprochement des détenus corses, en particulier ceux du « commando Érignac », au cours des mois précédant le drame (cf. visites à Poissy et Arles par les trois députés nationalistes corses en juillet 2020, lettre des parlementaires corses avec la LDH à la Chancellerie en octobre 2019, question orale sans débat au garde des Sceaux en octobre 2020, question au gouvernement à Jean Castex en février 2021, manifestations de collectifs en janvier 2021, réunion entre association humanitaire de prisonniers et groupes politiques de l’Assemblée Nationale en novembre 2021, tribune dans Le Monde en décembre 2021 pour le respect du droit les concernant signée par des présidents de six groupes parlementaires, discussion entre le cabinet de Jean Castex et l’exécutif de Corse pour trouver une issue rapide au rapprochement en septembre 2021 et février 2022, visite médiatisée de Pierre Alessandri et Alain Ferrandi le 20 janvier 2022 à la maison centrale de Poissy et le 21 janvier 2022 d’Yvan Colonna à Arles, soit moins d’un mois et demi avant les faits). À cela, il faut rappeler qu’Yvan Colonna était sorti de sa période de sureté en juillet 2021, rendant théoriquement possible un aménagement de peine.

Enfin, à la suite du rapport de l’IGJ et maintenant à la conclusion de nos travaux, si nous ne pouvons prouver quoi que ce soit du point de vue matériel ou de témoignages, ce n’était pas d’ailleurs l’objet de notre commission, nous ne pouvons néanmoins que constater un alignement de constats, de décisions, d’actes, d’omissions, d’anomalies, tellement extraordinaire et largement encore inexpliqué à ce stade, tant dans la « mansuétude » dont a bénéficié Franck Elong Abé tout au long de son parcours (épisode des QER, dangerosité réelle, emploi au service général…), que sur le plan de la surveillance et du renseignement le concernant et, enfin, durant le moment de l’acte lui-même.

Sur ce point, au sujet des dysfonctionnements de la vidéosurveillance que nous avons déjà évoqués, s’ajoutent l’absence de surveillance durant de longues minutes, mais aussi l’absence de témoignages plus précis alors que cinq détenus sont dans des salles proches et que les oculus n’ont pas de vitres. Sur le plan de ces zones d’ombre ou contradictions préoccupantes, il est à évoquer plus précisément les comptes rendus écrits de l’agent de l’administration pénitentiaire des 11 mars 2022 puis du 21 mars 2022, plus complets qui évoquent une conversation entre trois détenus, dont Franck Elong Abé, la veille de l’agression, soit le 1er mars avec des menaces (« Je vais le tuer »).

Ces comptes rendus évoquent aussi le 21 mars 2022 un changement d’attitude repéré de la part de l’agresseur depuis quelques semaines. Il est à noter que cet agent a déclaré à plusieurs reprises avoir reporté cette deuxième information, contrairement à la première, dans le logiciel Genesis prévu à cet effet. Or, celle-ci n’y figure pas. Durant certaines auditions sur ces points d’information entre cet agent et sa hiérarchie, mais aussi sur le fonctionnement du logiciel d’information Genesis, nous avons noté de très grandes contradictions qui peuvent laisser penser qu’il y ait pu avoir dissimulation ou effacement de données. Nous ne nous interdisons pas d’entamer une démarche judiciaire sur ce point précis par le biais de l’article 40 du code de procédure pénale pour solder cette question qui peut revêtir une grande importance pour la suite.

En conséquence de ce qui est développé précédemment je ne peux que réitérer mon appel à ce que toutes les hypothèses, sans exception, fassent l’objet d’une étude sérieuse et approfondie.

C’est au rôle de l’enquête judiciaire et des parties concernées que de pouvoir réaliser cela.

CONCLUSION : LA TRANSPARENCE ET LA DÉMOCRATIE, GAGES DE JUSTICE

La Corse, son peuple, sa jeunesse attendent la justice et la vérité. L’état d’esprit qui a présidé à nos travaux, celui du rapporteur et de moi-même est de considérer que l’on ne peut craindre d’aller vers la transparence. Que celle-ci est gage d’apaisement par l’acte de Justice qui en découle.

La démocratie est le meilleur moyen de combattre pour atteindre l’idéal de justice. C’est aussi la volonté de démonter cela qui a animé notre action lors de cette commission. Sans détours ni faux-fuyants, et ce, même si la recherche de vérité peut s’accompagner de moments d’échanges tendus, vigoureux. La Démocratie se doit d’être exigeante au service de l’intérêt général. La Corse a droit à la Justice. Sur tous les plans. C’est dans cet esprit que nous œuvrons modestement.

Je forme donc le vœu que pour notre Corse et les générations à venir vienne enfin le moment de la solution politique globale tant espérée. Respectueuse de sa langue, de sa culture, de sa terre, de sa volonté mainte fois exprimée par les urnes d’obtenir les moyens réels de maîtriser son avenir économique, social et culturel au cœur de la Méditerranée. Dans la Paix et la réconciliation.

« Heureux les artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu », Évangile selon Matthieu (5,9).

« L’art de la paix devrait s’enseigner. Des écoles de guerre il y en a partout tandis que des écoles de paix, je n’en ai jamais vues » Michel Rocard, Mes idées pour demain, mai 2000.


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   introductioN

« Yvan Colonna est mort. »

Le 22 mars 2022, vingt jours après le drame survenu à la maison centrale d’Arles et l’onde de choc qui s’était muée, en traversant la mer Méditerranée, en une vague de douleur, d’incompréhension et de violence, ce tragique dénouement, selon les mots affichés en une du quotidien Corse-Matin, marquait, pour ses proches, le début d’une période de deuil et annonçait le temps, à venir, de la recherche de la vérité. 

La création d’une commission d’enquête sur les faits survenus le 2 mars 2022 était indispensable pour éclairer les circonstances de la mort d’Yvan Colonna et pour créer les conditions d’un apaisement que ces mêmes circonstances n’avaient évidemment pas permis de trouver. Une telle initiative n’avait cependant rien d’évident tant le chemin étroit qu’elle devait emprunter, entre l’information judiciaire, l’inspection administrative et les procédures disciplinaires, pouvait s’annoncer périlleux. Malgré les contraintes inhérentes à cet exercice, il n’en a pourtant rien été.

L’information judiciaire, ouverte par le parquet national antiterroriste du chef d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste ([3]), permettra, il faut l’espérer, la manifestation complète de la vérité. L’autorité judiciaire ne dispose pas des mêmes moyens d’investigation, dans son champ de compétences, qu’une commission d’enquête, n’est pas contrainte par la même limite de temps et, en tout état de cause, n’a pas la même vocation. Une commission d’enquête parlementaire ne saurait s’y substituer. Le respect de la justice implique également le respect de l’autorité de la chose jugée à l’issue des procès au terme desquels Yvan Colonna avait été condamné en raison d’un crime d’une extrême gravité, l’assassinat du préfet Claude Érignac. Il convient de continuer d’honorer la mémoire de ce dernier et de respecter la peine de ses proches.

Sur le plan administratif, une mission d’inspection de fonctionnement à la maison centrale d’Arles a été menée par l’Inspection générale de la justice, dont le rapporteur souligne la grande qualité du travail et des conclusions : ils ont constitué une assise solide et une boussole constante pour la conduite des travaux de la commission d’enquête. Ils ont également fondé l’engagement de deux actions disciplinaires qui sont toujours en cours à ce jour.

Entre les procédures judiciaires et administratives, il existait un espace pour une initiative parlementaire. Après les auditions liminaires organisées peu de temps après l’agression par la commission des Lois à l’initiative de sa présidente d’alors, Mme Yaël Braun-Pivet, celle-ci est matérialisée par la présente commission d’enquête « chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l’administration pénitentiaire et de l’appareil judiciaire ayant conduit à l’assassinat d’un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d’Arles », dont la création a été actée par la Conférence des présidents du 28 novembre 2022 en application du « droit de tirage » attribué au groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires (LIOT). Le rapporteur tient à saluer l’engagement et la persévérance du président de la commission d’enquête, M. Jean-Félix Acquaviva, et à le remercier pour la relation de confiance qu’ils ont construite de manière responsable, malgré leurs divergences politiques, afin de conduire ses travaux en parfaite harmonie, conscients de l’importance de l’enjeu et des attentes placées en elle.

Incontestablement, cette commission d’enquête a su prouver toute son utilité et toute sa légitimité. Cela résulte notamment de la qualité et de la densité des trente-sept auditions auxquelles elle a procédé et au cours desquelles soixante-et-onze personnes ont été entendues. Une délégation de neuf de ses membres s’est par ailleurs rendue à la maison centrale d’Arles.

À l’heure de faire le bilan de six mois de travail, le rapporteur garde en tête le message transmis par Me Patrice Spinosi, avocat d’Yvan Colonna et de sa famille, lors de son audition : « La famille [d’Yvan Colonna] attend beaucoup du travail de cette commission parlementaire, car cette dernière dispose de moyens d’investigation qu’elle n’a pas, et que le juge judiciaire a peut-être mais n’utilisera pas. Le juge saisi de l’assassinat d’Yvan Colonna a en effet pour but de déterminer les circonstances ayant conduit à cet assassinat, mais non de rechercher les responsabilités, les inactions ou les erreurs qui ont pu être commises par l’administration. Ce travail incombe en revanche certainement à cette commission d’enquête. » ([4])

Le présent rapport identifie les responsabilités, les inactions et les erreurs qui ont été commises par les différentes autorités concernées dans la gestion des parcours carcéraux respectifs d’Yvan Colonna et de son agresseur, Franck Elong Abé. S’agissant du premier, le rapport souligne la sévérité qui a prévalu en la matière avec, notamment, le maintien tout au long de sa détention du statut de détenu particulièrement signalé (DPS) qui a empêché tout rapprochement familial d’Yvan Colonna sur son île d’origine. S’agissant du second, le rapport met en lumière les défaillances qui ont été constatées dans la gestion de ce détenu au profil certes complexe, mais dont la mauvaise appréciation de la dangerosité explique certainement pour partie la survenue du drame du 2 mars 2022.

Yvan Colonna n’aurait jamais dû mourir en prison de la main d’un de ses codétenus. Et si Yvan Colonna a été tué en prison, c’est bien parce que l’administration pénitentiaire, malgré la difficulté de sa tâche qu’il convient de souligner, a failli à l’obligation qui lui incombe sur le fondement de l’article L. 7 du code pénitentiaire et aux termes duquel celle-ci « doit assurer à chaque personne détenue une protection effective de son intégrité physique en tous lieux collectifs et individuels ».

Mais l’histoire d’Yvan Colonna, qui est intrinsèquement liée à celle, tout aussi douloureuse, de Claude Érignac, est aussi celle de vingt-cinq années d’une relation tourmentée, complexe, difficile et parfois cruelle entre la République française et la Corse, et elle est éminemment politique.

C’est pour éclairer cette double responsabilité, administrative et politique, qu’une telle commission d’enquête était nécessaire. Le présent rapport apporte certaines réponses ; pas toutes néanmoins. Pour le reste, il appartiendra à l’autorité judiciaire de confirmer ou d’infirmer certains éléments et, très certainement, d’en apporter de nouveaux. Dans un premier temps et dans le cadre d’une commission d’enquête parlementaire, il convenait d’analyser de la façon la plus objective et dépassionnée possible la manière dont les parcours carcéraux d’Yvan Colonna et de Franck Elong Abé ont été gérés et de relever les dysfonctionnements manifestes qui ont pu se produire.

Même si le rapporteur reste pleinement conscient que la violence du monde carcéral compromet fatalement la réalisation d’une telle ambition, le présent rapport formule vingt-neuf propositions afin de tirer tous les enseignements de cette tragédie pour éviter, autant que faire se peut, que de tels événements puissent de nouveau advenir. À cet égard, il s’est concentré principalement sur trois axes : la réforme impérieuse du statut de DPS, le renforcement de la détection et de la surveillance des détenus radicalisés dangereux, et l’amélioration de la prise en charge de ceux présentant des troubles psychiatriques. Mais l’agression mortelle du 2 mars 2022 est également révélatrice de défaillances plus générales au sein du système carcéral. En s’inscrivant dans la continuité des travaux conduits en la matière, notamment ceux de la commission d’enquête visant à identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire, présidée par M. Philippe Benassaya et dont la rapporteure était Mme Caroline Abadie ([5]), le rapporteur entend également apporter une pierre à l’édifice pour œuvrer à l’amélioration de la situation des prisons. Cette contribution sera par nature modeste compte tenu du champ, limité, de la commission d’enquête, mais il y tient particulièrement eu égard à l’importance de ce sujet trop souvent méconnu, voire ignoré.

Au moment de rendre ses conclusions, et en ayant une pensée pour Claude Érignac, pour Yvan Colonna et pour leurs proches, le rapporteur forme le vœu ardent que les constats qu’il dresse et les recommandations qu’il formule apporteront, pour la Corse, pour les Corses, mais également pour la République et pour le pays tout entier, l’éclairage et l’apaisement et qu’il s’est efforcé de favoriser et de construire. Pour que la République française et la Corse avancent ensemble, à nouveau.


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   Synthèse des recommandations du rapport

Pour tirer les leçons de l’agression mortelle du 2 mars 2022, le rapport formule vingt-neuf recommandations qui visent à encadrer le statut de détenu particulièrement signalé (DPS), à renforcer la stratégie de lutte contre la radicalisation en détention et à accroître la vigilance envers les détenus aux profils sensibles.

1.   L’encadrement du statut de DPS

La sévérité qui a prévalu concernant le maintien du statut de DPS d’Yvan Colonna durant toute sa détention, qui a empêché tout rapprochement familial sur son île d’origine, appelle des évolutions de deux ordres.

Tout d’abord, et il était hautement symbolique que cette recommandation soit la première formulée par le rapporteur, il importe que l’État s’engage formellement sur la question du rapprochement familial des détenus corses en parachevant les travaux de sécurisation du centre pénitentiaire de Borgo et en le dotant, si besoin, d’un quartier maison centrale (recommandation n° 1).

Sur le statut DPS en tant que tel, les recommandations visent tout d’abord à ce que celui-ci soit défini par le législateur, qu’il s’agisse des critères d’inscription ou de maintien au répertoire des DPS, des modalités de mise en œuvre de la procédure ou de l’affirmation du principe selon lequel ce statut n’a pas vocation à revêtir un caractère définitif a priori (recommandations nos 2 à 4). Il est également proposé de mieux encadrer ce statut, par l’exigence d’une plus grande motivation des décisions ou par une meilleure prise en compte de la dangerosité pénitentiaire réelle des détenus concernés (recommandations nos 5 et 6). Ces mesures, prolongées par les recommandations nos 7 et 8 relatives à la durée de validité des décisions et à la présomption d’urgence applicable à leur contentieux, permettront un renforcement du contrôle juridictionnel opéré sur les décisions d’inscription ou de maintien au répertoire des DPS. 

2.   Le renforcement de la stratégie de lutte contre la radicalisation en détention

Les défaillances qui se sont manifestées dans la prise en charge de Franck Elong Abé, détenu radicalisé et dangereux, doivent être l’occasion de renforcer et de transformer le triptyque « détection, évaluation, prise en charge » en un quadriptyque élargi à l’enjeu de la préparation de la fin de peine.

Au premier niveau, il importe de renforcer la procédure de détection de la radicalisation ou de la dangerosité des personnes détenues et de garantir le traitement des signalements de manière rapide et pluridisciplinaire (recommandation n° 21).

Les principales recommandations portent sur le renforcement de l’évaluation (recommandations nos 9 à 11) et de la prise en charge (recommandations nos 23 et 24) des détenus radicalisés, avec une attention spécifique à porter aux détenus dangereux. À cet égard, il est notamment recommandé de renommer les structures spécifiques que sont les quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER) et les quartiers de prise en charge de la radicalisation (QPR) en quartiers d’évaluation de la radicalisation et de la dangerosité (QERD) et en quartiers de prise en charge de la radicalisation et de la dangerosité (QPRD) afin d’accroître, en leur sein, l’évaluation puis la prise en charge du risque de passage à l’acte violent (recommandations nos 11 et 23). Il convient également de rendre obligatoire l’évaluation ou la réévaluation d’un détenu condamné pour terrorisme islamiste avant son intégration en détention ordinaire (recommandation n° 10) et de faire de l’affectation en QPRD une véritable phase de transition entre l’isolement et la détention ordinaire (recommandation n° 24). Par ailleurs, la recommandation n° 9 prévoit de clarifier la procédure d’orientation et l’intervention de l’autorité judiciaire.

Enfin, au dernier niveau, il apparaît nécessaire de faire de la préparation de la fin de peine une composante à part entière de la stratégie de lutte contre la radicalisation en définissant une doctrine globale relative à l’évaluation de la radicalisation et de la dangerosité à la fin de la peine (recommandation n° 22). 

3.   Une plus grande vigilance envers les détenus aux profils sensibles, qu’ils soient violents ou instables

Il convient de relever que la mise en œuvre des recommandations précitées permettra de mieux prévenir les violences commises par les personnes radicalisées (recommandation n° 25). Sur ce sujet, le rapporteur propose également d’édicter une nouvelle doctrine d’emploi pour la vidéosurveillance et d’envisager la possibilité de recourir à la surveillance vidéo intelligente pour mieux lutter contre les violences (recommandation n° 16) et de permettre aux surveillants de contribuer de manière effective aux propositions de prise en charge adaptée des détenus, notamment pour garantir une meilleure prise en compte des enjeux de sécurité (recommandation n° 28). Il importe également de faire du renseignement pénitentiaire un réel outil d’anticipation, de détection et de prévention du risque de passage à l’acte violent (recommandation n° 18).

La mauvaise appréciation de la dangerosité de Franck Elong Abé a par ailleurs révélé la nécessité de prendre des mesures pour fluidifier la circulation de l’information entre les différents acteurs du système carcéral afin d’améliorer l’appréhension de certains profils par le renseignement pénitentiaire, par les groupes d’évaluation départementaux de la radicalisation violente, par les établissements pénitentiaires ou par l’autorité judiciaire (recommandation nos 17, 19, 20 et 29).

Sur l’enjeu spécifique des détenus présentant des troubles psychiatriques, il paraît nécessaire d’initier une mobilisation inédite, à la hauteur des difficultés rencontrées. À cet égard, le rapporteur recommande d’élaborer un plan pluriannuel pour la santé mentale des personnes détenues (recommandation n° 26) et d’augmenter le nombre de structures de prise en charge de ces troubles (recommandation n° 27).

Enfin, une attention spécifique doit être portée au classement des détenus au travail, et surtout les plus dangereux d’entre eux. Il s’avère nécessaire de définir des critères objectifs, notamment en ce qui concerne le comportement, pour permettre ce classement (recommandation  12), de prévoir une période de suspension de la candidature en cas d’incident (recommandation n° 13) et de permettre le déclassement du détenu lorsqu’il ne satisfait plus aux critères (recommandation n° 14). Il est également recommandé de proscrire le classement des détenus présentant un risque de passage à l’acte violent aux missions du service général impliquant une autonomie de déplacement (recommandation n° 15).

*

*     *

Recommandation n° 1

Permettre le rapprochement familial des détenus corses en parachevant les travaux de sécurisation du centre pénitentiaire de Borgo et en le dotant, si besoin, d’un quartier maison centrale.

Recommandation n° 2

Définir au niveau législatif le statut de DPS en fixant les critères d’inscription et de maintien à ce répertoire.

Recommandation n° 3

Déterminer clairement les modalités de mise en œuvre de la procédure, au niveau local comme au niveau national.

Recommandation n° 4

Fixer dans la loi le principe selon lequel le statut de DPS n’a pas vocation, a priori, à revêtir un caractère définitif et consacrer explicitement le fait que celui-ci doit faire l’objet d’un réexamen régulier fondé sur des critères objectifs.

Recommandation n° 5

Renforcer l’exigence de motivation des décisions d’inscription et de maintien d’une personne détenue au répertoire des DPS.

Recommandation n° 6

Subordonner les décisions d’inscription et de maintien au répertoire des DPS à une meilleure prise en compte de la dangerosité pénitentiaire réelle de la personne détenue.

Recommandation n° 7

Fixer de manière expresse à un an la durée de validité de la décision d’inscription ou de maintien au répertoire des DPS et imposer le réexamen de la situation avant l’expiration de cette période.

Recommandation n° 8

Introduire dans la loi la possibilité pour les personnes détenues de saisir le juge des référés dans le cadre de la procédure prévue à l’article L. 521-2 du code justice administrative pour contester leur inscription ou leur maintien au répertoire des DPS.

Recommandation n° 9

Clarifier, dans le code pénitentiaire, les modalités d’intervention de l’autorité judiciaire dans la procédure d’orientation en QER en définissant un cadre juridique spécifique et respectueux des prérogatives de chacun des intervenants.

Recommandation n° 10

Rendre obligatoire l’évaluation ou la réévaluation d’un détenu condamné pour terrorisme islamiste (TIS) avant son intégration en détention ordinaire.

Recommandation n° 11

Renommer les quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER) en quartiers d’évaluation de la radicalisation et de la dangerosité (QERD), et renforcer, en leur sein, l’évaluation du risque de passage à l’acte violent afin de mieux le prévenir.

Recommandation n° 12

Définir des critères objectifs, notamment en ce qui concerne le comportement, pour permettre le classement d’un détenu au travail.

Recommandation n° 13

Prévoir de manière expresse que, dès lors qu’un détenu candidat au classement provoque un incident ou adopte un comportement répréhensible, la possibilité de candidater à un tel classement est suspendue pendant une période donnée, en fonction de la gravité des faits.

Recommandation n° 14

Prévoir la possibilité de déclasser à tout moment un détenu lorsqu’il ne satisfait plus aux critères qui ont fondé son classement au travail, y compris pour des motifs étrangers à l’exercice direct de l’activité réalisée à ce titre.

Recommandation n° 15

Proscrire le classement des détenus présentant un risque de passage à l’acte violent aux missions du service général impliquant une autonomie de déplacement.

À défaut, assortir l’autonomie de déplacement de garanties suffisantes en termes de surveillance, y compris a posteriori, par exemple en étudiant la possibilité de doter ces détenus d’une caméra piéton pour l’exercice de leurs tâches.

Recommandation  16

Édicter une nouvelle doctrine d’emploi pour la vidéosurveillance dans les prisons et envisager la possibilité de recourir à la surveillance vidéo intelligente pour appuyer les personnels de surveillance dans leurs tâches et mieux lutter contre les violences.

Recommandation n° 17

Clarifier et formaliser l’organisation des échanges entre le délégué local ou le correspondant local au renseignement pénitentiaire et le chef de l’établissement pénitentiaire.

Recommandation n° 18

Faire du renseignement pénitentiaire un réel outil d’anticipation, de détection et de prévention du risque de passage à l’acte violent.

 

Recommandation n° 19

Prévoir la présence d’un médecin psychiatre de liaison dans les groupes d’évaluation départementaux de la radicalisation violente (GED) afin de permettre une évaluation plus fine de la dangerosité réelle de l’individu dont la situation est examinée.

Recommandation n° 20

Intégrer un représentant de la direction interrégionale des services pénitentiaires dans les GED concernés afin de mieux prendre en compte la gestion de la détention dans l’évaluation de la dangerosité de l’individu, et inversement.

Recommandation n° 21

Instaurer une procédure obligatoire et spéciale de signalement des changements de comportement chez les détenus radicalisés ou dangereux et garantir son traitement de manière rapide et pluridisciplinaire.

Recommandation n° 22

Faire de la préparation de la fin de peine une composante à part entière de la stratégie de lutte contre la radicalisation et définir une doctrine globale reposant sur l’obligation ou, à défaut, la généralisation de l’évaluation de la radicalisation et de la dangerosité avant et éventuellement après la sortie de prison.

Recommandation n° 23

Renommer les quartiers de prise en charge de la radicalisation (QPR) en quartiers de prise en charge de la radicalisation et de la dangerosité (QPRD), et accroître, en leur sein, la prise en charge des détenus présentant un risque de passage à l’acte violent.

Recommandation n° 24

Faire de l’affectation en QPRD une véritable transition entre l’isolement et la détention ordinaire lorsque cela s’avère opportun dans le parcours carcéral du détenu.

Recommandation n° 25

Veiller à la stricte application de la proposition n° 51 du plan pluriannuel de lutte contre les violences commises en milieu pénitentiaire.

Recommandation n° 26

Élaborer un plan pluriannuel pour la santé mentale des personnes détenues fondé sur un état des lieux précis de la situation.

Recommandation n° 27

Prévoir, dans le cadre de l’élaboration du plan pluriannuel, une actualisation des besoins en matière de prise en charge des troubles psychiatriques et, sur ce fondement, achever le programme de construction des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA).

Recommandation n° 28

Définir les modalités concrètes permettant aux surveillants pénitentiaires de contribuer de manière effective aux propositions de prise en charge adaptée des détenus par son travail de surveillance.

Recommandation n° 29

Augmenter les effectifs des juges de l’application des peines, notamment antiterroristes, afin, entre autres, de renforcer leur présence en détention.


  1  

   PREMIÈRE PARTIE : La GESTION comparée des parcours de DÉTENTION respectifs D’YVAN COLONNA et DE FRANCK ELONG ABÉ a SUSCITÉ UNE INCOMPRÉHENSION LÉGITIME

I.   L’ORGANISATION PARTICULIÈREMENT RIGOUREUSE DE LA DÉTENTION D’YVAN COLONNA CONTRASTE AVEC SON BON COMPORTEMENT

La gestion particulièrement stricte de la détention d’Yvan Colonna interpelle au regard de son parcours carcéral sans réel incident pendant dix-neuf ans. Le statut de détenu particulièrement signalé (DPS) lui sera appliqué pendant l’intégralité de son incarcération en dépit de sa dangerosité inexistante. Le cas d’Yvan Colonna invite à repenser un statut dont le cadre juridique ne permet pas aujourd’hui d’objectiver totalement les décisions d’inscription, de maintien ou de radiation au répertoire des DPS.

A.   UNE DÉTENTION dont lE caractÈre PRESQUE EXEMPLAIRE, SANS INCIDENT NOTABLE, n’a jamais été pris en considÉration

De son arrestation en 2003, après une cavale de quatre années, jusqu’à sa dramatique agression du 2 mars 2022, Yvan Colonna sera un détenu apprécié et respectueux envers le personnel et ses codétenus. Les incidents qui émaillent son parcours carcéral sont à la fois très peu nombreux et relativement anodins. Une gestion individualisée de la peine aurait manifestement dû conduire, au fil du temps, à un assouplissement des mesures excessivement contraignantes qui lui ont été appliquées. Pourtant, la gestion de son parcours carcéral n’a jamais été adaptée au regard de son absence de dangerosité et du droit au respect de sa vie familiale.  

1.   La prise en charge sans indulgence d’Yvan Colonna

La gestion particulièrement rigoureuse de la détention d’Yvan Colonna, berger originaire de Cargèse et militant indépendantiste, né le 7 avril 1960 en Corse, est intrinsèquement liée au contexte de son arrestation et au crime pour lequel il a été condamné.

a.   Une procédure judiciaire qui, à l’évidence, n’a pas permis de jouer son rôle d’apaisement

Le 6 février 1998, le préfet de Corse et de Corse-du-Sud Claude Érignac est abattu de trois balles de revolver, en pleine rue, à Ajaccio. Dénoncé par ses co-auteurs et leurs épouses comme l’auteur principal de l’assassinat, Yvan Colonna prend la fuite le 23 mai 1999. Il n’est arrêté que le 4 juillet 2003, après plus de quatre années de cavale, et sera transféré dès le lendemain à la prison de la Santé à Paris. Quelques semaines plus tard, deux autres membres du « commando Érignac », MM. Pierre Alessandri et Alain Ferrandi, sont condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité. Pour Yvan Colonna, commencent plus de dix ans de procédures judiciaires au cours desquelles il ne cessera de clamer son innocence.

● Les 6 février et 4 avril 2007, Yvan Colonna assigne M. Nicolas Sarkozy respectivement en référé et au fond sur le fondement de l’article 9-1 du code civil ([6]) pour atteinte à la présomption d’innocence à la suite des propos que le ministre de l’intérieur a tenu le jour de son arrestation ([7]).

● Le 13 décembre 2007, la cour d’assises spéciale de Paris ([8]) condamne Yvan Colonna à la peine de réclusion criminelle à perpétuité pour « assassinat en relation avec une entreprise terroriste ». Cette peine est assortie d’une période de sûreté de 18 ans pendant laquelle le condamné n’est éligible à aucune forme d’aménagement de peine ou de libération conditionnelle en application de l’article 132-23 du code pénal. Ses avocats interjettent appel, suivis par le parquet de Paris qui souhaite obtenir qu’Yvan Colonna soit condamné à la peine maximale de réclusion criminelle à perpétuité assortie de 22 ans de sûreté s’il était de nouveau reconnu coupable en appel.

Le 27 mars 2009, une nouvelle cour d’assises spéciale confirme en appel la réclusion criminelle à perpétuité mais alourdit sa peine d’une période de sûreté de 22 ans, pour « assassinat, dégradation aggravée, vol avec arme, enlèvement et séquestration aggravée, violences aggravées, en relation avec une entreprise terroriste, et participation une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme ».

Le 30 juin 2010, la Cour de cassation annule, pour des raisons de vice de procédure ([9]), la condamnation prononcée le 27 mars 2009.

Le 20 juin 2011, Yvan Colonna est à nouveau condamné, comme en première instance, par la cour d’assises spéciale à la réclusion criminelle à perpétuité simple ([10]).

C’est la Cour de cassation qui, dans son arrêt du 11 juillet 2012, maintient la période de sûreté à 18 ans et clôt définitivement la procédure en rejetant le pouvoir formé par Yvan Colonna.

● Parallèlement à cette procédure, Yvan Colonna est condamné à un an de prison ferme le 8 juillet 2010 en raison de sa cavale, notamment pour transport et détention d’arme de première catégorie.

● Ayant épuisé toutes les voies de recours internes après sa condamnation définitive du 11 juillet 2012, Yvan Colonna saisit la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) le 11 janvier 2013.  Ses avocats sollicitent notamment son transfèrement au centre de détention de Borgo en Haute-Corse au nom du rapprochement familial. Le 8 décembre 2016, la CEDH juge la requête d’Yvan Colonna irrecevable ([11]). Les juges de la CEDH estiment qu’Yvan Colonna disposait de recours internes « qu’il n’a pas menés à leur terme » ([12]). Cette dernière décision met fin à plus de dix ans de procédures judiciaires.

L’intention du rapporteur, pas plus que ne fut celle de la commission d’enquête, n’est pas de raviver les plaies d’une période qui a généré souffrances et incompréhensions pour les Corses, pour Yvan Colonna et pour ses proches, mais aussi pour les parties civiles et pour la famille de Claude Érignac qui ont eu à pleurer la perte d’un époux, d’un père et d’un grand serviteur de l’État. Il ne peut cependant ignorer certaines observations qui ont pu être développées lors des auditions et qui ont eu pour objet de rechercher dans la procédure judiciaire les prémices d’une gestion particulièrement sévère de ce dossier.

Les propos tenus par Me Patrick Baudouin, président de la Ligue des droits de l’Homme, devant la commission d’enquête méritent à cet égard d’être cités : « La Fédération internationale des droits de l’Homme […] a suivi de très près l’évolution du procès. Nous avons suivi les procès de 2007 et 2009. En 2009, une mission avait été diligentée […]. De nombreux doutes et interrogations avaient alors émergé, et des incohérences et zones d’ombre avaient été constatées. Je citerai quelques passages du rapport de la mission : "En présence d’enquêtes de police menées en application d’une législation d’exception, d’un accusé qui a choisi de politiser son procès et de quitter l’audience, d’une défense qui a tout fait pour déstabiliser un président entouré de magistrats peu au fait des procédures d’assises, sans soutien évident du ministère public, d’accusations rétractées et d’une absence de preuves matérielles, la décision finale rendue conformément à la loi puisque les juges avaient pour seule obligation de se prononcer en se fondant sur leur intime conviction a mis un terme aux poursuites […]. Cette vérité judiciaire n’a cependant pas mis fin aux controverses soulevées par ce procès […]. À l’issue de six semaines de procès et au vu des éléments contenus dans le présent rapport, la question du caractère équitable de ce procès est clairement posée". » ([13])

 

b.   Peu d’incidents disciplinaires mais de multiples transfèrements jusqu’à la stabilisation d’Yvan Colonna à la maison centrale d’Arles

Si le rapporteur ne conteste évidemment pas la peine qui a été prononcée à l’encontre d’Yvan Colonna, il relève toutefois qu’une gestion réellement individualisée de sa détention aurait dû conduire à une réévaluation de sa dangerosité effective au cours de sa longue incarcération.  

● Dans un premier temps, Yvan Colonna va faire l’objet de nombreux transfèrements sans toutefois que ceux-ci semblent justifiés par son comportement ([14]). La direction de l’administration pénitentiaire (DAP) a indiqué au rapporteur ne pas connaître les motifs des transfèrements dont Yvan Colonna a fait l’objet en raison de l’ancienneté des faits. Son parcours carcéral est ainsi jalonné de multiples changements d’affectation avec des périodes de détention souvent très courtes.

ÉTABLISSements pÉnitentiaires frÉquentÉs par yvan colonna

Établissements fréquentés

Date d’arrivée

Date de départ

Maison centrale d’Arles

19/12/2013

21/03/2022

Centre pénitentiaire du Sud-Francilien

12/07/2013

19/12/2013

Maison centrale d’Arles

06/12/2012

12/07/2013

Centre pénitentiaire du Sud-Francilien

11/10/2012

06/12/2012

Centre pénitentiaire de Toulon-La-Farlède

30/08/2011

11/10/2012

Maison d’arrêt de Fresnes

03/01/2008

30/08/2011

Centre pénitentiaire de Paris-La Santé

09/11//2007

03/01/2008

Maison d’arrêt de Fresnes

12/07/2004

09/11//2007

Maison d’arrêt de Fleury-Mérogis

08/07/2003

12/07/2004

Centre pénitentiaire de  Paris-La Santé

05/07/2003

08/07/2003

Source : commission d’enquête, à partir des éléments transmis par la DAP.

Placé à l’isolement judiciaire lors son écrou initial le 5 juillet 2003 à la maison d’arrêt de Paris-la-Santé pendant dix jours, Yvan Colonna a ensuite été maintenu à l’isolement administratif jusqu’au 12 juillet 2004, jour de son arrivée à la maison d’arrêt de Fresnes. Yvan Colonna sera donc placé plus d’un an à l’isolement.

En dix ans, il connaîtra neuf transfèrements successifs sans justification apparente et pour des motifs qui ont pu témoigner d’une forme d’obsession relativement inexplicable à son endroit. Ainsi, en juillet 2013, l’administration pénitentiaire suspecte Yvan Colonna de préparer son évasion. Alors qu’il est incarcéré à la maison centrale d’Arles depuis moins de deux mois, il est transféré au centre pénitentiaire du Sud-Francilien situé à Réau, en Seine-et-Marne. L’administration pénitentiaire revient finalement sur sa décision de transfèrement. Yvan Colonna retourne en effet à la maison centrale d’Arles à la fin de l’année 2013, après avoir passé cinq mois incarcéré au centre pénitentiaire du Sud-Francilien. Si, à la connaissance de la commission d’enquête, l’administration pénitentiaire n’a été en mesure d’apporter aucun élément tangible à l’appui de ses soupçons ([15]), Mme Christiane Taubira, qui était alors garde des Sceaux, a évoqué l’existence de « sources » ([16]). Il est important de mentionner cet épisode car il a pu contribuer, selon les mots du président de la commission d’enquête, « à construire un argumentaire sur la possibilité d’une évasion, alors même que son parcours carcéral n’indiquait pas de risque particulièrement fort » ([17]). De son côté, Me Françoise Davideau, avocate d’Alain Ferrandi, a dénoncé le « fantasme des évasions » ([18]).

● Tout au long de sa détention, ne seront dénombrés que treize incidents disciplinaires à l’encontre d’Yvan Colonna ce qui, de l’aveu du directeur de l’administration pénitentiaire, M. Laurent Ridel, est « assez peu, ces incidents n’étant en outre pas majeurs » ([19]).

Avant son incarcération définitive à la maison centrale d’Arles en décembre 2013, Yvan Colonna fait l’objet de cinq comptes rendus d’incident :

–  le 7 juillet 2010 à la maison d’arrêt de Fresnes en raison de la détention d’objets et de substances interdits ;

– le 18 avril 2012 au centre pénitentiaire de Toulon-La-Farlède en raison d’insultes à l’encontre d’un agent. Il sera sanctionné de dix jours de confinement en cellule ;

– le 16 juin 2013 à la maison centrale d’Arles pour dissimilation de deux courriers transmis au parloir par un membre de son comité de soutien ;

– le 9 août 2013 au centre pénitentiaire du Sud-Francilien pour avoir été l’initiateur d’un mouvement collectif en réponse à des problèmes d’ordre matériel ;

– le 30 septembre 2013 au centre pénitentiaire du Sud-Francilien pour avoir enfreint le règlement intérieur de l’établissement.

Au regard du profil pénal d’Yvan Colonna, qui pouvait laisser craindre à l’administration pénitentiaire un détenu au comportement difficile, les incidents dont il a été l’auteur ont été d’une gravité très relative. Ces incidents n’ont pas pu être détaillés davantage par la DAP en raison d’un changement de logiciel dans lequel les observations sont consignées. En tout état de cause, le directeur de l’administration pénitentiaire a indiqué, en réponse à une interrogation du rapporteur sur le parcours carcéral d’Yvan Colonna, que « son comportement pénitentiaire peut être qualifié de correct, voire de très correct. […] Yvan Colonna entretenait des relations courtoises avec pratiquement tout le monde. Il n’avait pas d’ennemi déclaré, ce qui est assez rare en détention […]. Sa vie était très réglée autour de la lecture, d’une intense activité sportive, et de relations amicales et familiales relativement denses » ([20]).

2.   À la maison centrale d’Arles : un détenu calme et apprécié

a.   Un comportement très correct pendant dix ans

Yvan Colonna est incarcéré à la maison centrale d’Arles en décembre 2012, à la suite de sa condamnation définitive. Après son transfèrement lié à une suspicion d’évasion non étayée, il restera en détention dans cet établissement jusqu’à l’agression mortelle du 2 mars 2022.

 À l’image de l’intégralité de sa détention, les incidents qui ont émaillé le parcours carcéral d’Yvan Colonna à la maison centrale d’Arles sont peu nombreux, et d’une gravité très relative :

– le 21 janvier 2015, un couteau de la marque Laguiole est retrouvé dans sa cellule. Il est sanctionné de six jours de confinement en cellule dont quatre avec sursis. Les extractions du logiciel Genesis obtenues par le rapporteur indiquent qu’il « n’était pas au courant d’avoir eu un rapport d’incident » ([21]) ;

– plus de cinq ans plus tard, le 25 février 2020, trois cartes Micro-SD, un lecteur MP3 dans lequel est insérée une carte micro SD et divers médicaments sont découverts en sa possession. Il est sanctionné d’un avertissement. Au cours de leur audition, les avocats d’Yvan Colonna ont souligné le fait que la détention d’un lecteur MP3 est autorisée alors que celle de cartes mémoires SD, pourtant indispensables à l’utilisation de celui-ci, ne l’est pas. S’agissant des médicaments en sa possession, Me Sylvain Cormier, avocat d’Yvan Colonna et de sa famille, a apporté les précisions suivantes : « Son compagnon d’emprisonnement lui laisse ses cachets – délivrés sur prescription médicale – parce qu’il a mal au dos. Il les prend sans consultation médicale et, lors d’une fouille, on trouve ces cachets sur lui. Cela constituera un incident disciplinaire » ([22]) ;

– le 20 janvier 2021, une montre connectée est découverte en sa possession. Il est sanctionné de 20 jours de privation d’activités sportives. Les avocats d’Yvan Colonna ont rappelé aux membres de la commission d’enquête qu’il s’agissait d’une montre de sport qu’Yvan Colonna portait depuis plusieurs années et dont les surveillants connaissaient donc parfaitement l’existence ([23]) ;

– le 2 février 2021, Yvan Colonna est sanctionné pour avoir refusé de changer de cellule avec un autre détenu. Placés en prévention, ils entament une grève de la faim et de la soif. Yvan Colonna sera sanctionné de trois jours de cellule disciplinaire. À la suite de cet événement, un de ses avocats forme un recours judiciaire contre les sanctions disciplinaires et les rotations sécuritaires très fréquentes dont il fait l’objet ;

– le 15 mars 2021, Yvan Colonna refuse de réintégrer sa cellule par solidarité avec d’autres détenus qui protestaient contre les fouilles intégrales et les restrictions liées aux protocoles sanitaires mis en œuvre dans le cadre de l’épidémie de covid-19. Il est sanctionné de cinq jours de cellule disciplinaire dont cinq avec sursis ;

– le 15 décembre 2021, il provoque un tapage, estimant que l’agent mettait trop de temps à ouvrir la porte de sa cellule ;

– le 27 décembre 2021, il participe à un refus de plateaux avec dix autres détenus, dont Franck Elong Abé, en protestation contre la fermeture d’une salle de sport ;

– début janvier 2022, Yvan Colonna conteste les nouveaux horaires appliqués à la détention et le 8 février, tandis qu’il souhaitait se rendre à la salle de sport, il s’énerve face à l’absence de réponse des personnels et provoque un tapage.

À la lumière de cette multiplication d’incidents disciplinaires à la fin de la peine de sûreté d’Yvan Colonna, Me Sylvain Cormier  s’est demandé « s’il ne s’agissait pas, pour la direction de la prison, d’habiller un peu mieux le dossier disciplinaire, pour le faire correspondre un peu plus à ce que l’on attend d’un DPS », tout en reconnaissant qu’il s’agissait-là d’une « accusation forte » ([24]). En l’absence d’éléments susceptibles d’étayer une telle hypothèse, le rapporteur ne saurait y souscrire. Il s’étonne néanmoins d’une telle prolifération d’incidents somme toute mineurs à la fin de la peine de sûreté d’Yvan Colonna.  

Il convient également de souligner qu’Yvan Colonna a été classé auxiliaire sport chargé du nettoyage du gymnase et du stade le 24 février 2014, ce qui semble témoigner de son bon comportement en détention. À ce titre, les surveillants observent qu’il effectue un « très bon travail » ([25]) en tant qu’auxiliaire.

b.   Un détenu apprécié du personnel et de ses codétenus

Yvan Colonna était particulièrement apprécié du personnel de la maison centrale d’Arles. Le rapporteur a eu accès aux observations retranscrites dans le logiciel Genesis depuis janvier 2015 le concernant. De nombreuses observations confirment qu’il s’agissait d’un détenu au comportement très correct. Il est précisé, entre autres : « détenu souriant et ne posant aucun problème en détention » ([26]), « détenu très correct et respectueux, comportement exemplaire » ([27]), « attitude exemplaire, le mot pour rire » ([28]) ou encore « détenu calme et respectueux avec les surveillants » ([29]).

Ces observations, qui témoignent du bon comportement en détention d’Yvan Colonna, ont été confirmées lors du déplacement d’une délégation de la commission d’enquête à la maison centrale d’Arles. Les surveillants qui ont connu Yvan Colonna ont tous attesté, certains avec une vive émotion, de sa politesse et de son respect envers le personnel. Évoquant le drame du 2 mars 2022, l’actuel directeur de la maison centrale a précisé au rapporteur, que « l’établissement reste très marqué à ce jour par cette agression dramatique » ([30]).

Si Yvan Colonna était apprécié du personnel, il l’était également de ses codétenus, dont Franck Elong Abé. Les observations renseignées dans Genesis depuis janvier 2015 montrent qu’il fréquentait de nombreux détenus à la maison centrale d’Arles. La première mention de sa bonne entente avec M. Elong Abé date d’une observation du 12 août 2020. Les deux détenus s’échangeaient notamment des journaux ([31]) et partaient en promenade ensemble ([32]).

La thèse du blasphème, selon laquelle Yvan Colonna aurait déclaré qu’il « crachait sur Dieu » a notamment été soulevée pour expliquer l’agression du 2mars 2022 ([33]). D’après les surveillants interrogés par les membres de la commission d’enquête, cette thèse est considérée comme peu probable, ou du moins surprenante, au regard du comportement respectueux d’Yvan Colonna à l’égard des autres détenus ([34]). En tout état de cause, quoi qu’Yvan Colonna ait éventuellement pu dire ou faire et que Franck Elong Abé aurait en outre pu mal interpréter compte tenu de son profil, ce dernier reste seul responsable de l’agression atroce qu’il a choisi de perpétrer. Le rapporteur rappelle la nécessité d’attendre les éléments d’explication qui ressortiront de l’instruction et de la procédure judiciaires en cours pour faire toute la lumière sur les motifs de cette agression.

c.   Une peine qui n’aurait sans doute pas été aménagée

Sa période de sûreté de 18 ans ayant pris fin, Yvan Colonna avait formulé une demande d’aménagement de peine le 20 septembre 2021, sous la forme d’une détention à domicile sous surveillance électronique probatoire à la libération conditionnelle. Selon les informations transmises par le parquet national antiterroriste (PNAT), il souhaitait regagner le domicile de son épouse à Cargèse, « même si les liens avec [celle-ci] étaient distendus depuis août 2021 » ([35]), ce que le rapporteur a pu constater dans les extractions du logiciel Genesis auxquelles il a eu accès au regard de l’absence de parloirs ou encore de courriers depuis la date évoquée.

Dans la perspective de sa libération, Yvan Colonna envisageait une reprise d’activités au sein de l’élevage caprin qu’il avait cofondé en 1989. Sa demande d’aménagement de peine impliquait un placement en centre national d’évaluation (CNE) ([36]). Ce placement consiste en une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité confiée à un service spécialisé chargé de l’observation des personnes détenues. L’évaluation d’Yvan Colonna en CNE avait été ordonnée le 3 décembre 2021 par le juge de l’application des peines compétent en matière de terrorisme (JAPAT) et l’administration pénitentiaire avait fixé son admission au 28 février 2022. Yvan Colonna s’était toutefois désisté de sa demande par un courrier du 22 février 2022, indiquant dans cette lettre vouloir privilégier sa demande de rapprochement familial en Corse. Ce désistement a été constaté par ordonnance du JAPAT le 23 février 2022.

Pour expliquer son désistement à sa demande d’aménagement de peine, l’ancien député Bruno Questel a indiqué à la commission d’enquête qu’Yvan Colonna « avait en effet conscience d’être en décalage de trois ans par rapport à Alain Ferrandi et à Pierre Alessandri dans les procédures. Ayant constaté que ces derniers s’étaient vu refuser des aménagements de peine depuis plusieurs années, il considérait comme inéluctable le refus qu’il lui serait opposé » ([37]). Il convient également de rappeler qu’Yvan Colonna continuait de nier être l’auteur de l’assassinat pour lequel il avait été condamné définitivement ([38]). Au cours de la même audition, l’ancien député François Pupponi, a ajouté qu’Yvan Colonna « était convaincu qu’il ne sortirait pas de prison » ([39]).

B.   UN STATUT SUSCEPTIBLE DE FAVORISER L’ARBITRAIRE : LE CAS D’YVAN COLONNA, RÉVÉLATEUR DE LA NÉCESSITÉ DE FAIRE ÉVOLUER LE STATUT de détenu particuliÈrement signalÉ (DPS)

Si l’inscription d’Yvan Colonna au répertoire des DPS pouvait être justifiée au début de sa peine, son maintien sous ce statut pendant l’intégralité de son parcours carcéral interroge. Les conditions de la levée de son statut de DPS le 8 mars 2022 à la suite de son agression puis, quelques jours plus tard, de celui des deux autres membres du « commando Érignac », questionne légitimement le bien fondé des critères d’inscription à ce répertoire.

La commission d’enquête a procédé à l’audition de responsables politiques, de magistrats, d’avocats et d’associations qui ont mis en évidence les failles ou, à tout le moins, les insuffisances de la procédure actuelle, qui fait coexister des décisions prises par des autorités judiciaires, administratives et politiques. À cet égard, le parcours carcéral d’Yvan Colonna est révélateur de l’impérieuse nécessité d’encadrer rigoureusement le droit applicable au statut DPS, tant son maintien au répertoire s’est avéré injustifié à la lumière de son parcours carcéral et de l’évolution de sa situation en détention.

1.   Le statut de DPS, une solution de facilité appliquée de manière uniforme à des profils très différents

a.   L’inscription et le maintien au répertoire des DPS

i.   L’état du droit applicable

Le statut de DPS a été créé en 1967 afin de renforcer la surveillance des détenus écroués pour grand banditisme. Les personnes détenues appartenant à la criminalité organisée ou aux mouvances terroristes sont aujourd’hui les premières visées par ce statut mais le répertoire englobe des détenus aux profils très différents. Au 25 juillet 2022, 235 personnes détenues étaient inscrites au registre des DPS, dont 54 détenus pour terrorisme, soit 23 %. Le nombre de détenus inscrits à ce répertoire apparaît donc relativement modeste au regard du nombre total de personnes écrouées en France qui s’élève à près de 73 000 ([40]). Il est dès lors possible d’affirmer que l’administration pénitentiaire n’est censée avoir recours à ce statut que pour des profils de détenus très particuliers et dont la dangerosité est avérée. En conséquence, l’inscription et le maintien au répertoire des DPS ne constituent pas une décision anodine mais témoignent de la volonté de l’administration pénitentiaire de voir son personnel porter une attention particulière au détenu concerné.

● Le cadre légal du registre des DPS relève du niveau règlementaire et souffre d’une absence de définition dans la loi. 

La décision d’inscription, de maintien ou de radiation des détenus au répertoire des DPS revient au ministre de la justice en vue de la mise en œuvre de mesures de sécurité adaptées ([41]). Par délégation, la DAP est chargée de l’instruction des procédures à l’aune des signalements et éléments communiqués par les directions interrégionales des services pénitentiaires (DISP).

La procédure d’inscription, de maintien et de radiation des détenus au répertoire des DPS ainsi que les mesures de sécurité applicables dans ce cadre sont précisées par instruction interministérielle, via des circulaires : pour la période intéressant les travaux de la commission d’enquête, il s’agit des circulaires du 15 octobre 2012 ([42]) et, plus récemment, du 11 janvier 2022 ([43]).

Jusqu’en 2022, cinq cas de personnes détenues étaient visés :

– détenu appartenant à la criminalité organisée locale, régionale, nationale, internationale ou aux mouvances terroristes. Cette appartenance doit être établie de par la situation pénale de l’intéressé ou par un signalement des autorités judiciaires et administratives ou des forces de sécurité intérieure ;

– détenu ayant été signalé pour une évasion réussie, tentée ou projetée depuis un établissement pénitentiaire ou à l’occasion d’une extraction, d’un transfert administratif ou d’une translation judiciaire ;

– détenu susceptible de mobiliser par tout moyen, un soutien humain, logistique ou financier extérieur en vue de s’évader et/ou de causer un trouble grave au bon ordre de l’établissement ;

– personnes détenues dont la soustraction à la justice pourrait avoir un impact important sur l’ordre public en raison de leur personnalité et/ou des faits pour lesquels elles sont écrouées ;

– détenu susceptible d’actes de grandes violences, ou ayant commis des atteintes graves à la vie d’autrui, des viols ou actes de torture ou de barbarie ou des prises d’otage en établissement pénitentiaire.

La circulaire du 11 janvier 2022 a ajouté un sixième critère d’inscription au répertoire des DPS, soit un détenu signalé ou ayant été signalé pour avoir été à l’initiative d’un mouvement collectif, d’une mutinerie ou d’actes de dégradations de grande ampleur en établissement, ou d’avoir participé à plusieurs reprises à de tels incidents.

● Concrètement, une commission locale DPS se réunit, à l’initiative du chef d’établissement et au moins une fois par année civile, dans tout établissement dans lequel sont écroués des DPS ou des détenus faisant l’objet de demandes d’inscription au répertoire.  

Cette commission est composée des membres suivants :

– le chef d’établissement pénitentiaire ou son représentant ;

– le procureur de la République ou son représentant ;

– le PNAT ou son représentant, dont la présence est prévue formellement depuis la circulaire de 2022 ([44]) ;

– le préfet ou son représentant qui, jusqu’en 2022, n’était présent qu’en « cas de nécessité » ;

– le directeur interrégional des services pénitentiaires ou son représentant ;

– un représentant de chacun des services de police exerçant leurs activités dans le ressort du tribunal concerné ;

– le commandant de groupement de gendarmerie départemental ou son représentant ;

– le délégué ou, depuis 2022, le correspondant local du renseignement pénitentiaire ;

– pour les personnes détenues prévenues, le magistrat saisi du dossier de la procédure au sens de l’article R. 57-5 du code de procédure pénale ;

– pour les personnes détenues condamnées pour des infractions autres que celles prévues en matière de terrorisme, le juge de l’application des peines territorialement compétent dans le ressort de l’établissement pénitentiaire ;

– pour les personnes détenues condamnées pour des infractions en matière de terrorisme, le JAPAT ;

–  pour les personnes détenues condamnées par une juridiction locale pour une infraction de nature terroriste, le juge de l’application des peines (JAP) territorialement compétent dans le ressort de l’établissement pénitentiaire.

ii.   La persistance de zones d’ombres au niveau national comme local

 Les membres de la commission d’enquête se sont interrogés au sujet de l’existence d’une commission nationale DPS qui constituerait l’instance décisionnaire finale s’agissant de l’inscription, du maintien ou de la radiation des détenus à ce répertoire. Juridiquement, la commission nationale DPS a été supprimée par la circulaire du 15 octobre 2012. L’instruction ministérielle du 18 décembre 2007 ([45]), qui fixait le cadre légal du répertoire des DPS, mentionne l’existence d’une commission nationale DPS dont la composition était la suivante ;

– deux représentants de la DAP ;

– un représentant de la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) ;

– deux représentants de la direction centrale de la police judiciaire ;

– un représentant de la direction de la gendarmerie et de la justice militaire.

La présidence de cette commission nationale revenait au chef du bureau de gestion de la détention ou son représentant. Ses membres formulaient des avis sur les propositions d’inscription, de maintien ou de radiation au répertoire des DPS qui lui étaient transmises par les commissions locales.

Les auditions n’ont pas permis d’établir clairement si une procédure, plus officieuse, avait été substituée à la commission nationale DPS. Par exemple, au cours de son audition, l’ancienne cheffe du service national du renseignement pénitentiaire (SNRP), Mme Charlotte Hemmerdinger, a affirmé que lorsqu’il y avait « un problème d’arbitrage, cela pouvait être repris à des niveaux supérieurs. S’il y avait des dissonances marquées dans les avis et que la commission n’arrivait pas à s’entendre, des éléments pouvaient remonter » ([46]). Or, Mme Charlotte Hemmerdinger a dirigé les services du renseignement pénitentiaire de novembre 2016 à juin 2022, période au cours de laquelle la commission nationale DPS était formellement supprimée depuis au moins quatre ans. Dans des observations complémentaires transmises à la suite de son audition, Mme Charlotte Hemmerdinger précise qu’au « niveau central, il pouvait y avoir des réunions informelles inter bureaux pour balayer les avis des services déconcentrés […] auxquelles le SNRP pouvait participer, mais pas de commission nationale DPS en tant que telle ».

M. Stéphane Bredin, précédent directeur de l’administration pénitentiaire, a précisé qu’« il n’existe pas de commission nationale des DPS puisqu’elle a été supprimée en 2012. Donc, au sein de l’administration pénitentiaire, c’est le bureau de la gestion de la détention (BGD) qui prend, chaque année, la décision pour chacun des 200 à 250 DPS, selon les époques » ([47]).

Si le rapporteur ne juge pas étonnant en soi que les dossiers des DPS puissent faire l’objet d’échanges au niveau central, il appelle néanmoins l’administration pénitentiaire à faire preuve d’une plus grande transparence sur cette question.

M. Jean Castex a par ailleurs évoqué également l’existence d’un avis du PNAT qui aurait été prépondérant dans sa décision ([48]). L’ancien Premier ministre a en effet déclaré, à plusieurs reprises, avoir « le souvenir d’une intervention du PNAT, défavorable à la levée » ([49]) concernant le maintien au répertoire des DPS de M. Pierre Alessandri, l’un des membres du « commando Érignac » alors que la commission locale DPS avait émis un avis favorable à la levée de ce statut. Cette déclaration n’a pas manqué de surprendre le rapporteur, et ce dans les deux hypothèses qu’elle implique :

– soit l’avis évoqué est celui qu’a émis le PNAT dans le cadre de la commission locale DPS, et dans ce cas il n’est pas justifié de lui donner une importance prépondérante, la position exprimée – in fine favorable – étant celle de la commission, le PNAT exprimant en la matière un avis consultatif, et non un avis conforme ;

– soit le PNAT est également intervenu a posteriori de la décision de la commission DPS locale, directement auprès du Premier ministre, semblant ainsi témoigner de l’existence d’une procédure officieuse et non encadrée juridiquement au niveau national.

● Le caractère potentiellement opaque ou verrouillé de cette procédure, y compris au niveau local, a également été soulevé au cours des travaux de la commission. À ce titre, a été évoqué à  plusieurs reprises le jugement du tribunal administratif de Toulon ([50]), saisi du recours d’Yvan Colonna contre la décision de maintien au répertoire des DPS du 3 avril 2012, qui n’a pu établir que la commission locale DPS se serait régulièrement réunie pour statuer sur son cas ([51]).

Les interrogations de la commission d’enquête ont également porté sur les raisons qui ont présidé au changement de la nature de l’avis émis par la commission locale DPS, en 2022, par rapport aux années précédentes concernant le maintien au répertoire des DPS des détenus Pierre Alessandri et Alain Ferrandi. Le rapporteur regrette de ne pouvoir apporter aucun élément d’approfondissement ou d’éclaircissement à ce sujet, la DAP ayant décidé d’opérer un tri dans les questions qu’il lui a soumises en ne portant à sa connaissance, concernant le statut DPS, que les éléments qui, d’après elle, relevaient du périmètre de la commission d’enquête. Si les cas de MM. Alessandri et Ferrandi n’étaient pas formellement visés par l’intitulé de la commission d’enquête et la proposition de résolution tendant à sa création, le rapporteur conteste la nature de cette réponse et l’interprétation, totalement infondée selon lui, sur laquelle elle repose, M. Jean Castex ayant lui-même explicitement lié la levée du statut d’Yvan Colonna et celle de Pierre Alessandri et Alain Ferrandi lors de son audition ([52]).

b.   Un statut aux conséquences parfois contraires au principe d’individualisation de la peine

i.   Les restrictions imposées par le statut de DPS

Si les DPS peuvent avoir accès aux mêmes types d’activités que les autres détenus ([53]), des mesures spécifiques leur sont toutefois applicables. La circulaire du 11 janvier 2022 fixe la plupart des règles de sécurité applicables aux DPS. Ainsi, les établissements accueillant des DPS doivent rédiger une note de gestion générale déclinant les modalités de prise en charge applicables à ces détenus ainsi qu’une note individuelle de gestion.

● À la maison centrale d’Arles, Yvan Colonna faisait l’objet de plusieurs consignes de gestion fixées dans une note de service individuelle en date du 11 décembre 2020 ([54]) :

– il devait être placé seul en cellule ;

– sur le logiciel Genesis, un certain nombre de mentions devaient être impérativement renseignées, dont celle d’une surveillance spécifique renforcée ou encore l’indication d’un niveau « Escorte 3 » avec la mention d’un renfort police indispensable ;

– des contrôles de cellule trimestriels étaient effectués notamment pour vérifier l’état matériel de la cellule et la présence d’objets interdits en détention ;

– toutes les observations et événements relatifs à sa détention devaient être consignés quotidiennement dans Genesis via la consigne de service de surveillance particulière. Les observations devaient notamment porter sur ses liens avec l’extérieur, son comportement à l’égard du personnel et des autres personnes détenues, ou encore ses activités comme le sport. Le rapporteur a pu constater que le comportement d’Yvan Colonna faisait l’objet d’observations quotidiennes et précises dans le logiciel Genesis ;

– tout fait marquant le concernant devait être relaté dans un compte rendu d’incident et/ou une observation Genesis et faire l’objet d’une remontée d’observation immédiate auprès de l’encadrement.

À ces règles de sécurité individuelles, s’ajoutaient des mesures d’ordre général qui étaient applicables à Yvan Colonna. À titre d’exemple, dans la circulaire du 11 janvier 2022, il est indiqué que :

– les DPS font systématiquement l’objet d’un placement sous surveillance spécifique renforcée, de jour comme de nuit ;

– leurs cellules sont situées en priorité à proximité des postes de surveillance ;

– la vigilance des personnels doit être renforcée lors des appels, des opérations de fouille et de contrôle des locaux ;

– la candidature des DPS aux activités offertes en détention ou à un travail doit faire l’objet d’un examen attentif.

● Concernant ces mesures d’ordre général, le rapporteur a constaté avec étonnement que certaines d’entre elles n’étaient pas appliquées avec la même rigueur.

La circulaire du 11 janvier 2022, comme celle d’octobre 2012, précise que « la réunion dans un même lieu de personnes détenues DPS doit, dans la mesure du possible, être limitée, notamment en maison d’arrêt ». Si l’établissement d’Arles est une maison centrale, il s’avère que la réunion de deux DPS dans un même lieu semble être une situation fréquente qui laisse supposer une interprétation qui peut parfois s’avérer relativement arrangeante ou, pour le moins, souple, des instructions figurant dans les circulaires.

À l’inverse, la prescription selon laquelle, s’agissant des détenus inscrits au répertoire des DPS, « l’affectation en maison centrale ou quartier maison centrale sera privilégiée lors de l’orientation en établissement pour peines » ([55]) est interprétée beaucoup plus strictement. Lors de son audition, l’ancien Premier ministre Jean Castex a affirmé qu’« au sujet du rapprochement [familial d’Yvan Colonna], j’ai compris, en découvrant le dossier, que le statut de DPS imposait que ceux qui en font l’objet soient incarcérés dans une maison dite centrale, qui intègre des équipements capables d’assurer la protection particulière ». S’il est évident qu’une affectation dans un établissement sécuritaire apparaît nécessaire pour des détenus au profil sensible comme les DPS, il reste étonnant qu’une telle différence d’appréciation dans l’application d’instructions ministérielles existe.

Le rapporteur observe au demeurant que la rédaction de la circulaire ne fait pas de l’affectation en maison centrale un critère obligatoire.

ii.   Un statut « attrape-tout »

Lors de l’audition des représentants des syndicats de magistrats, Mme Kim Reuflet, présidente du Syndicat de la magistrature, a indiqué que « les catégories pénitentiaires font donc obstacle à la nécessité de personnaliser la prise en charge et le suivi des personnes » ([56]). Dans le cas d’Yvan Colonna, cette affirmation s’avère particulièrement pertinente au regard de son maintien au répertoire des DPS pendant l’intégralité de sa peine, sans que son bon comportement en prison ait pu avoir une quelconque influence à cet égard. Pour rappel, l’article 707 du code de procédure pénale prévoit que le régime de détention « est adapté au fur et à mesure de l’exécution de la peine, en fonction de l’évolution de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale de la personne condamnée, qui font l’objet d’évaluations régulières ».

Lors de son audition, M. Stéphane Bredin a pourtant reconnu à quel point il n’était pas pertinent d’appréhender de la même manière les détenus nationalistes – qu’ils soient basques ou corses – et les détenus condamnés pour terrorisme islamiste (TIS), qui représentent un contingent important des DPS ([57]) : « Si les mots sont les mêmes, ils renvoient à des réalités très différentes : on n’a jamais vu un détenu basque prosélyte en détention, ni un détenu corse ou d’Action directe attenter à la vie d’un personnel de surveillance. » ([58]). Pour Mme Kim Reuflet, « il n’y a rien de commun entre les profils pénitentiaires de ces deux personnes détenues [Franck Elong Abé et Yvan Colonna] au moment de l’évènement. Cependant, elles se voient appliquer le même régime, cette même étiquette de DPS » ([59]).

2.   Des conséquences inacceptables sur le droit à la vie familiale d’Yvan Colonna

Du fait des mesures de sécurité liées à ce statut, l’inscription au répertoire des DPS emporte des effets notables sur les conditions de vie en détention. Yvan Colonna restera soumis à ce statut pendant l’intégralité de son incarcération.

a.   Pour Yvan Colonna, l’apparence d’une double peine

Yvan Colonna a eu un premier enfant, en 1990, d’une première relation avant de se marier en 2011 au centre pénitentiaire de Fresnes. Son second fils est né la même année en Corse où il grandit, une mer et 400 kilomètres le séparant de son père détenu à la maison centrale d’Arles. Celui-ci n’a eu de cesse, avec ses avocats, de tenter de faire valoir le respect de son droit à la vie familiale, en vain.

● Dans une décision du 30 novembre 2009 ([60]), le Conseil d’État a reconnu que la décision d’inscription au répertoire des DPS était susceptible de recours pour excès de pouvoir dans la mesure où le statut de DPS affecte les conditions du détenu « en orientant notamment les choix du lieu de détention ». En ce sens, à compter de juillet 2014, plusieurs saisines des proches d’Yvan Colonna ont sollicité son transfert dans un établissement situé en Corse. Ces saisines, dont celle de sa compagne en date du 22 juin 2020, demandaient notamment son affectation au centre de détention de Borgo. Deux demandes de changement d’affectation ont été initiées par Yvan Colonna lui-même, par courriers du 31 juillet 2018 et du 31 juillet 2020, pour rapprochement familial. Il demandait également à être affecté au centre pénitentiaire de Borgo ou au centre de détention de Casabianda. Toutefois, selon l’administration pénitentiaire, son « niveau de dangerosité » n’était pas compatible avec le niveau de sécurité considéré comme moyen pour l’établissement de Borgo, et très faible pour celui de Casabianda.

● Yvan Colonna a par ailleurs déposé une requête auprès du tribunal administratif de Marseille visant à annuler la décision du 20 août 2019 par laquelle la garde des Sceaux avait maintenu son inscription au répertoire des DPS. Dans sa décision, le tribunal relève, outre sa « soustraction à la justice pendant une durée de quatre ans jusqu’à son arrestation », qu’« il ressort des pièces du dossier que l’intéressé a pu exercer son droit au respect de la vie familiale à travers des parloirs, échanges téléphoniques et correspondances écrites » ([61]). Lors de leur audition, les avocats d’Yvan Colonna ont toutefois rappelé que celui-ci ne voyait plus sa mère depuis quinze ans et le plus jeune de ses fils depuis trois ans. Comme le confirment les observations inscrites dans le logiciel Genesis, le nombre de parloirs dont il bénéficiait semblait relativement réduit à la fin de sa peine à la maison centrale d’Arles.  

Le 8 octobre 2021, les conseils d’Yvan Colonna ont saisi le tribunal administratif de Paris pour contester la décision défavorable à son transfert du 5 août 2021. Ils avançaient, une nouvelle fois, que son maintien à la maison centrale d’Arles constituait une violation de son droit au respect de sa vie privée et familiale. L’audiencement de ces deux recours était prévu le mardi 15 mars 2022 au tribunal administratif de Paris.

Outre l’aspect juridictionnel, cette question, élargie à la situation de MM. Alessandri et Ferrandi, a fait l’objet d’une forte mobilisation citoyenne et politique en Corse, ainsi que l’ont notamment rappelé MM. François Pupponi et Bruno Questel lors de leur audition ([62]).

b.   L’aménagement de la prison de Borgo, une question centrale

i.   Une volonté politique asymétrique entre l’État et la Corse

Si le rapprochement familial des détenus corses a fait l’objet d’un engagement massif de la part des élus corses, il n’en a pas été de même de la part de l’État dont les atermoiements regrettables apparaissent sous un angle encore plus cruel après l’agression mortelle dont a été victime Yvan Colonna. Si la question de la place de Franck Elong Abé à la maison centrale d’Arles sera ultérieurement abordée ([63]), qu’il soit permis au rapporteur d’apporter dès à présent une réponse s’agissant d’Yvan Colonna : sa place n’était pas à Arles.

L’audition de M. Jean Castex ([64]) a permis de confirmer l’existence de l’embryon d’une impulsion, du côté de l’État, visant à permettre le rapprochement des détenus corses dans le centre pénitentiaire de Borgo. Les propos tenus par l’ancien Premier ministre à ce sujet sont reproduit ci-dessous.

 « Des discussions ont eu lieu, à mon niveau, sur les questions relatives à la Corse en général. Évidemment, la question du statut de DPS a été évoquée et les réponses que j’ai faites, avant l’agression qui a coûté la vie à M. Colonna, étaient conformes à celles que j’ai faites devant votre commission. Elles n’ont pas totalement emporté la conviction de mes interlocuteurs, mais il m’appartenait de prendre mes responsabilités et je vous en ai donné les raisons. Au sujet du rapprochement, j’ai compris, en découvrant le dossier, que le statut de DPS imposait que ceux qui en font l’objet soient incarcérés dans une maison dite centrale, qui intègre des équipements capables d’assurer la protection particulière. La question de Borgo a bien sûr été mentionnée : j’ai posé des questions et il m’a été répondu que ce n’était pas une maison centrale et qu’elle n’était pas équipée pour recevoir des détenus DPS. Il me semble qu’il existe à ce sujet, mais il faudrait le vérifier, un rapport de l’Inspection générale sur la prison de Borgo – sans lien avec ce dossier – qui confirme tout cela. Dès lors que décision avait été prise de maintenir le statut de DPS des intéressés, ils ne pouvaient être transférés à Borgo. La possibilité d’aménager cet établissement a été évoquée et j’ai demandé qu’on l’étudie. Il m’a été répondu qu’il faudrait mener de lourds travaux. Je précise que je n’ai abordé ce sujet qu’avec mon cabinet ; je n’en ai jamais parlé avec le directeur de l’administration pénitentiaire. Pour répondre à votre question, des échanges ont donc bien eu lieu. À ma connaissance, début 2022, aucuns travaux visant à faire de Borgo une prison centrale n’avaient été entamés. Mais peut-être disposez-vous d’informations qui prouvent le contraire. »

Il a été question, lors des auditions de Mme Nicole Belloubet ([65]) et de M. Stéphane Bredin ([66]), du fort contraste entre la situation corse et le processus politique qui avait été engagé pour permettre le rapprochement effectif des prisonniers basques membres de l’ETA ([67]). Le rapporteur forme le vœu que l’électrochoc provoqué par la mort d’Yvan Colonna et la levée du statut DPS des deux autres membres du « commando Érignac » puissent enfin jeter les bases d’un règlement politique définitif de cette question qui n’a que trop longtemps été ignorée par l’État

ii.   Le processus de sécurisation du centre pénitentiaire de Borgo

Lors de son audition ([68]), M. Laurent Ridel a indiqué ne pas avoir été, depuis qu’il est directeur de l’administration pénitentiaire, « chargé de réaliser une étude visant à renforcer la sécurité de Borgo, de sorte que cet établissement soit en capacité d’accueillir de façon habituelle et durable des DPS ». Il indique néanmoins avoir « travaillé à transformer une partie de cet établissement en quartier centre de détention pour permettre l’accueil de détenus corses afin qu’ils purgent leurs peines à Borgo, qui était jusqu’en 2003 une maison d’arrêt chargée d’héberger des prévenus et des très courtes peines ».

Le 19 octobre 2020, l’Inspection générale de la justice (IGJ) est saisie par le directeur de cabinet du garde des Sceaux pour réaliser une mission d’inspection de l’établissement, notamment aux fins d’évaluer « l’impact éventuel des difficultés du centre pénitentiaire sur la prise en charge des détenus au regard notamment de la spécificité de cet établissement où sont actuellement incarcérés cinq détenus nationalistes corses ([69]) et mesurer l’éventuelle vulnérabilité de la structure au regard de cette spécificité ». L’IGJ remet son rapport en février 2021. La conclusion de celui-ci, au demeurant particulièrement inquiétant sur le fonctionnement de l’établissement, que le rapporteur a pu consulter, est la suivante : « Si la présence à l’établissement des détenus nationalistes, notamment au QCD ([70]), ne pose en l’état, pas de difficulté particulière, ces derniers se montrent agacés par le désordre actuel, leur intérêt étant de ne pas compromettre leur affectation au CP de Borgo pour maintenir leurs liens familiaux. Cependant, la mission estime que le fonctionnement actuellement défaillant […] de l’établissement n’y permet pas l’affectation de personnes détenues aux profils sensibles. »

Le rapporteur observe que ce ne sont pas des enjeux de sécurité que l’IGJ met en exergue pour exclure l’affectation de détenus sensibles, mais des défaillances de fonctionnement. La mission d’inspection relève que l’établissement connaît un affaiblissement des repères professionnels : des personnels qui ont renoncé à être présents dans les unités de vie, des règles de sécurité mal appliquées – mouvements de personnes détenues qui ne sont plus contrôlés, gestes professionnels oubliés dans le cadre du régime  dit « des portes fermées » ([71]), contrôles de sécurité aléatoires lors de l’entrée des personnels à l’établissement, gestes de sécurité de base peu ou mal réalisés – un encadrement intermédiaire qui ne joue pas son rôle, un niveau inégal d’implication des officiers, une stratégie disciplinaire à élaborer, une articulation difficile avec le médecin coordonnateur et une ambiance de travail délétère sur fond d’opposition syndicale.

Selon les informations transmises par la DAP au rapporteur, des travaux de sécurisation de l’établissement ont néanmoins bien été entrepris : aménagement d’une cellule de protection d’urgence (CProU), remplacement des vitrages des miradors, réhabilitation de l’unité sanitaire, réalisation d’un pôle de rattachement des extractions judiciaires (PREJ). Le projet de renouvellement et d’extension du système de vidéosurveillance est quant à lui en cours : initié à la fin de l’année 2022 ([72]), il devrait être achevé à la fin de l’année 2023.

tableau de suivi des travaux au centre pÉnitentiaire de Borgo depuis 2016

Date

Nature

Avancement

Montant définitif
(en euros)

2023

Mise en accessibilité (ADAP)

Programmation

 

2023

Réhabilitation de l’unité sanitaire

Programmation

 

2023

Aménagement d’une cellule en CProU

Réalisé

50 000

2022

Renouvellement et extension du système de sûreté vidéosurveillance

Études PRO

2 155 000

2022

Travaux miradors dont remplacement des vitrages et des châssis

Réalisé

460 000

2022

Sécurisation QCD/MAH (caillebotis, concertina, pose de grille avec effet SAS)

Réalisé

110 000

2020

Travaux importants de serrurerie et de peinture

Réalisé

160 000

2019

Réalisation du PREJ avec la construction de locaux de formation de 100 m2 et d’un parking personnel

Réalisé

1 300 000

2018

Mise aux normes et modernisation SSI

Réception en cours – fin d’opération

2 132 130

2017

Travaux de réfection des étanchéités QI QD + Dalles béton patio infirmerie + traitement fissures

Réalisé

63 858

2017

Plan pluriannuel de remise aux normes de l’éclairage du mur de ronde (perte électrique depuis la construction de l’établissement)

Réalisé

1 350 000

2017

Plan pluriannuel de remise aux normes de l’éclairage du mur de ronde (perte électrique depuis la construction de l’établissement)

Réalisé

881 591

2016

Réaménagement – Travaux divers

Réalisé

52 902

Source : DAP.

Dans une première recommandation aussi emblématique qu’essentielle, le rapporteur appelle désormais avec force l’État à parachever les travaux de sécurisation du centre pénitentiaire de Borgo et à adopter une position claire en faveur du rapprochement familial des détenus corses. Si l’État estime que ce rapprochement nécessite, au-delà des travaux de sécurisation, la création d’un quartier maison centrale ([73]), alors que celle-ci soit initiée afin d’en permettre la réalisation sans perdre plus de temps. 

Recommandation n° 1

Permettre le rapprochement familial des détenus corses en parachevant les travaux de sécurisation du centre pénitentiaire de Borgo et en le dotant, si besoin, d’un quartier maison centrale.

3.   Un détenu marqué au fer rouge du statut de DPS : des motivations sommaires et une situation générant de l’automaticité

a.   Des arguments extra-pénitentiaires insuffisamment étayés

i.   Des critères opposés à Yvan Colonna peu convaincants

Du fait de l’ancienneté de certaines d’entre elles, la DAP n’a pas été en mesure de fournir au rapporteur l’ensemble des décisions des commission DPS ayant concerné Yvan Colonna depuis le début de sa détention.

DÉcisions relatives au statut de dps d’yvan colonna

 

Commission DPS

Décision DAP

Lieu

Date

Proposition

Décision

Date

 

 

Inscription

Inscription

07/07/2003

 

 

 

Maintien

2004

 

 

 

Maintien

2005

 

 

 

Maintien

2006

 

 

 

Maintien

2007

 

 

 

Maintien

2008

 

 

 

Maintien

15/12/2009

 

 

 

Maintien

15/12/2010

 

 

 

Maintien

15/12/2011

 

 

 

Maintien

03/04/2012

 

 

 

Maintien

26/11/2013

MC Arles

 

 

Maintien

11/12/2014

MC Arles

17/03/2015

Maintien

Maintien

19/06/2015

MC Arles

16/03/2016

Maintien

Maintien

25/10/2016

MC Arles

10/03/2017

Maintien

Maintien

18/05/2017

MC Arles

09/03/2018

Maintien

Maintien

24/08/2018

MC Arles

20/02/2019

Maintien

Maintien

20/08/2019

MC Arles

10/02/2020

Maintien

Maintien

05/06/2020

MC Arles

15/07/2021

Maintien

Maintien

05/08/2021

MC Arles

08/03/2022

Radiation

Radiation

08/03/2022

Source : commission d’enquête, à partir des éléments, incomplets, transmis par la DAP.

Selon la DAP, Yvan Colonna a été maintenu au répertoire DPS pendant l’intégralité de sa détention sur les fondements suivants :

– son appartenance à une mouvance terroriste, établie par sa situation pénale au regard de sa condamnation ;

– sa capacité à mobiliser les moyens logistiques extérieurs de cette mouvance et le retentissement persistant que pourrait avoir sur l’ensemble du territoire national l’évasion de l’un des membres du « commando Érignac ».  

Lors  de son audition, le directeur de l’administration pénitentiaire a affirmé qu’« il suffit qu’un seul de ces critères soit avéré pour motiver une inscription ou un maintien au répertoire DPS » ([74]). M. Laurent Ridel a également motivé la décision de maintenir Yvan Colonna à ce répertoire par le fait qu’il se trouvait, jusqu’à récemment, en période de sûreté. L’ancienne garde des Sceaux, Mme Nicole Belloubet, a avancé le même argument pour justifier sa décision de ne pas lever le statut de DPS d’Yvan Colonna : « Lorsque j’étais ministre, Yvan Colonna était toujours en période de sûreté, et pour cette raison-là il me semblait donc difficile de lever ce statut. » ([75]) Or, il convient de rappeler que le fait qu’un détenu soit soumis à une période de sureté n’est pas un critère de maintien du statut.

Dans son avis le plus récent en date du 21 juillet 2021, outre l’appartenance d’Yvan Colonna à la mouvance terroriste corse, le PNAT justifie sa décision de le maintenir au registre des DPS « au regard [de son] comportement en détention, l’intéressé ayant fait l’objet de découvertes d’objets interdits ainsi qu’une participation à un mouvement de contestation » ([76]). Il va sans dire que, compte tenu des éléments rappelés précédemment par le rapporteur, cet argument est peu convaincant eu égard au bon comportement d’Yvan Colonna en détention sur longue période et des incidents mineurs dont il a été l’auteur.

Devant la commission d’enquête ([77]), Mme Émilie Thubin, vice-présidente en charge de l’application des peines en matière antiterroriste au tribunal judiciaire de Paris, a évoqué le critère du soutien logistique dont aurait pu bénéficier Yvan Colonna pour s’évader : « celui dont pouvait bénéficier M. Colonna était très important », celle-ci ayant noté « qu’il avait 41 permis de visite, de mémoire, et un comité de soutien très étoffé ». Qu’il soit, là aussi, permis au rapporteur de faire part de sa grande perplexité devant l’argumentation ainsi développée en faveur du maintien du statut de DPS d’Yvan Colonna. En effet, ces éléments ne constituaient pas, en tant que tels et jusqu’à preuve du contraire, des faits de nature à étayer de manière irréfutable l’existence d’un soutien à l’appui d’une potentielle évasion.

ii.   Une procédure au carrefour de nombreuses influences, dont certaines de nature politique

S’il n’existe pas, en France, de prisonniers politiques au sens où le système judiciaire français criminaliserait certains comportements et opinions de nature politique ‒ seuls des faits, relevant de qualifications pénales précises, le sont ‒, il est évident et parfaitement normal que certains détenus puissent faire l’objet d’une attention particulière de la part des autorités politiques compte tenu de leur profil. Ceci est absolument compréhensible dès lors que celle-ci repose sur des fondements objectifs et légitimes et qu’elle ne conduit pas, par des voies officieuses et pour des raisons extérieures aux seules considérations judiciaires, à détourner certaines procédures et à aggraver les conditions de détention des personnes concernées.

Interrogé par les membres de la commission d’enquête au sujet du maintien d’Yvan Colonna au répertoire des DPS, l’ancien Premier ministre M. Jean Castex a indiqué ne l’avoir « certainement pas fait pour des raisons politiques – mais il faudrait s’entendre sur la portée du mot " politique " ([78]). Il n’apparaît pas satisfaisant qu’une telle décision, emportant des effets notables sur la vie en détention des détenus et, par ricochet, sur celle de leurs proches, dépende de raisons directement ou indirectement liées à des considérations politiques. L’ancien Premier ministre a reconnu qu’après l’agression du 2 mars 2022, il aurait radié Yvan Colonna du répertoire de DPS pour des « raisons humanitaires » ([79]). Si, pour Yvan Colonna, cette radiation pouvait s’entendre au regard de son état de santé qui rendait inopérants les critères justifiant son maintien au répertoire, une telle explication est en revanche moins convaincante s’agissant des deux autres membres du « commando Érignac », dont la situation au regard des critères DPS, jusqu’alors appréciée défavorablement, n’avait pas subitement changé du seul fait de l’agression. Lors cette même audition, le président de la commission d’enquête a évoqué à cet égard,  « une sorte d’ardoise magique » ([80]). L’ancien Premier ministre a admis que, compte tenu « de possibles troubles à l’ordre public que les faits perpétrés à l’encontre de M. Colonna auraient pu provoquer, il [lui était apparu], en [son] âme et conscience, très difficile de maintenir ce même statut pour MM. Alessandri et Ferrandi ».

Mme Béatrice Brugère, secrétaire générale d’Unité magistrats-Force ouvrière, a fait part de la conclusion qui semble prévaloir sur la question du déclassement de Pierre Alessandri et Alain Ferrandi : « Sur l’aspect politique de la gestion des DPS, vous vous demandiez s’il pouvait y avoir des zones d’influence, ou du moins des consignes lorsqu’on travaille à la DAP – je n’y ai pas travaillé. Les faits vous fournissent la réponse. Très peu de temps après le décès de M. Colonna, le statut de DPS de MM. Alessandri et Ferrandi a été levé alors qu’ils y avaient été soumis en raison, j’imagine, d’arguments forts mis en avant, comme pour M. Colonna. Il a donc fallu un décès, qui n’est pas totalement étranger à leur situation mais qui ne les concerne pas personnellement, pour que leur statut soit levé. Vous avez la réponse. » ([81])

Ces affirmations laissent donc entendre que le statut de DPS aurait une certaine portée politique, ce qui n’est pas acceptable. L’audition des représentants des syndicats de magistrats a, là aussi, permis d’étayer ce constat. Ainsi, pour M. Ludovic Friat, président de l’Union syndicale des magistrats, « il est évident pour tout le monde, comme pour ceux qui ont pu le vivre de l’intérieur [...] que le politique porte un regard particulièrement acéré en ce qui concerne les DPS terroristes, islamistes ou autres, et assimilés. Il est également clair que l’impulsion est souvent politique » ([82]).

Enfin, lors de son audition, M. Laurent Ridel a reconnu que les critères opposés à Yvan Colonna ne relevaient pas de l’administration pénitentiaire et qu’ils étaient « plus larges » que ceux relevant de la seule appréciation de son administration : « Ce n’est pas sur la base de critères strictement pénitentiaires qu’Yvan Colonna était inscrit au répertoire des DPS. Sur les six critères que j’ai énoncés, il y en a trois qui sont d’ordre pénitentiaire : celui que nous avons ajouté, qui est lié aux mouvements collectifs ; celui qui est lié à une grande violence – Yvan Colonna n’était pas concerné ; et celui qui est lié aux tentatives d’évasion – Yvan Colonna, qui n’en avait pas perpétré, n’était pas concerné. Il reste trois critères, qui sont indépendants de l’administration pénitentiaire : l’appartenance à une criminalité organisée ou à un mouvement terroriste ; la mobilisation possible de moyens humains ou logistiques pour s’évader ; l’idée que la soustraction du détenu à la justice, en raison de sa personnalité ou des faits commis, serait insupportable et causerait des troubles très graves à l’ordre public. Ces critères sont plus larges, et ne relèvent pas de l’appréciation pénitentiaire. » ([83])

iii.   Une pratique critiquable et critiquée

Le comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) a souligné à plusieurs reprises que les garanties apportées aux DPS étaient insuffisantes. Dans un rapport du 7 avril 2017, le comité indique que, lors de la consultation des dossiers des détenus classés DPS, « il est apparu que les avis de la commission nationale DPS comme les décisions du ministre de la justice en la matière étaient souvent motivées de manière sommaire voire stéréotypée, y compris lorsqu’ils ne suivaient pas les avis formulés par les commissions locales. Le CPT recommande aux autorités d’assurer une meilleure motivation des décisions liées au statut de DPS » ([84]).

Le rapporteur ne peut que s’associer à cette recommandation ([85]), tant le cas d’Yvan Colonna est révélateur des justifications parfois peu convaincantes qui entourent les décisions de maintien au statut de DPS.

Ce constat a été partagé par Mme Kim Reuflet, présidente du Syndicat de la magistrature, lors de son audition : « Quel contrôle peut-on exercer à ce sujet ? Pouvons-nous nous montrer plus exigeants sur le regard que l’on porte et sur l’attente que l’on a vis-à-vis de l’administration pénitentiaire, quant à la motivation de ses décisions ? Qu’est-ce qui fait qu’on choisit d’inscrire ou non un détenu ? Il existe une certaine automaticité, des décisions un peu stéréotypées. L’appartenance à une mouvance terroriste, par exemple, induit la reconduction de décisions d’année en année, sans éléments circonstanciés et sans étayage contemporain. » ([86])

b.   Un statut qui emporte une certaine automaticité, et finalement peu efficace à la lumière de l’agression du 2 mars 2022

Le rapporteur déplore le caractère manifestement assez automatique des décisions de maintien au répertoire des DPS. Mme Kim Reuflet a aussi indiqué à la commission que « le statut de DPS qui est décidé en début de parcours pénal pour des raisons qui peuvent paraître légitimes génère de l’automaticité et, souvent, l’administration ne veut pas prendre de risques. Pour l’autorité judiciaire qui n’est pas décisionnaire, le traitement est parfois quelque peu administratif » ([87]).

Au sujet des membres du « commando Érignac », M. Olivier Christen, directeur des affaires criminelles et des grâces, a indiqué aux membres de la commission d’enquête que « les actes pour lesquels ces personnes avaient été condamnées justifiaient le fait de ne pas lever le statut de DPS » ([88]). Il était pourtant précisé dans la circulaire d’octobre 2012 que « l’inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés ne revêt jamais un caractère définitif ».  Comme l’a souligné Me Patrice Spinosi au cours de son audition, « l’appartenance à une mouvance terroriste, la fuite dans le maquis et le trouble à l’ordre public en cas d’évasion sont des arguments d’ordre général, que l’on peut utiliser tout au long de la vie du détenu » ([89]). Dès lors que de tels arguments peuvent être avancés, il est légitime de s’interroger sur le caractère définitif de l’inscription à ce statut. Le maintien d’Yvan Colonna au répertoire des DPS questionnait d’ailleurs également les surveillants de la maison centrale d’Arles. Un surveillant indique ainsi dans une observation du 15 novembre 2017 inscrite dans le logiciel Genesis : « Détenu correct avec le personnel, mériterait que son statut DPS soit examiné en commission car bon comportement en détention. » ([90])

Il est enfin possible de s’interroger sur la pertinence du maintien d’un tel statut alors qu’il est apparu inefficace pour prévenir la survenue du drame du 2 mars 2022. L’ancien Premier ministre Jean Castex a reconnu que, « d’un point de vue administratif et en ce qui [le] concerne », le drame du 2 mars 2022 a « suscité beaucoup de perplexité sur la nature de ce statut de DPS. DPS signifie "détenu particulièrement signalé", surveillé : il y a effectivement de quoi se poser des questions » ([91]). Les membres de la commission d’enquête ont pu, tout au long des travaux, partager cette « perplexité » qui invite à repenser le statut de DPS.

4.   Une réforme indispensable du statut de DPS

Le cas d’Yvan Colonna est révélateur de la nécessité de réformer le statut de DPS. Le rapporteur estime que ce statut souffre aujourd’hui de trop nombreuses insuffisances et d’un cadre juridique excessivement souple pour apporter de véritables garanties aux détenus qui y sont soumis. Le rapporteur ne recommandera toutefois pas de supprimer ce statut car, comme l’ancienne garde des Sceaux Mme Nicole Belloubet l’a affirmé, on peut estimer que « la France a besoin d’un régime DPS, car il est protecteur de la société, ce qui est la première fonction de la prison » ([92]). Par ailleurs, il est évident que certains détenus, compte tenu de leur profil, doivent pouvoir être soumis à un régime de détention particulier afin de protéger non seulement la société, comme évoqué précédemment, mais également leurs codétenus et les personnels de l’administration pénitentiaire.

En revanche, un certain nombre d’améliorations pourraient être apportées au statut de DPS. Me Spinosi préconisait ainsi, dans la mesure où ce statut « touche à des libertés fondamentales, une évolution réglementaire et législative […] afin de garantir l’absence d’arbitraire ou du moins d’un caractère discrétionnaire trop important de la part de l’administration » ([93]).

a.   Un statut qui doit être défini par le législateur

M. Jean Castex a suggéré lors de son audition de « donner un contenu plus précis » au statut de DPS car le « décret dont il relève […] n’est pas très consistant » ([94]). L’avocat d’Yvan Colonna, Me Sylvain Cormier a également recommandé aux membres de la commission d’enquête de « sortir [le statut de DPS]  du domaine réglementaire » ([95]). En effet, aucune disposition législative n’encadre le recours à ce statut et les critères applicables en la matière. Cette situation n’est pas satisfaisante au regard des effets importants qu’emporte l’inscription à ce statut sur la vie quotidienne des détenus.

Recommandation n° 2

Définir au niveau législatif le statut de DPS en fixant les critères d’inscription et de maintien à ce répertoire.

Selon le rapporteur et sur la base de ses précédents constats, cet encadrement du statut DPS par la loi doit également être l’occasion de clarifier une bonne fois pour toute la mise en œuvre de la procédure au niveau local comme au niveau national. À ce titre, il rappelle que si les dossiers des DPS ont bien sûr potentiellement vocation à faire l’objet d’échanges au niveau central, il souhaite néanmoins que les interventions concernant l’inscription ou le maintien au répertoire soient assorties des garanties procédurales que justifient l’application d’un tel statut.

Recommandation n° 3

Déterminer clairement les modalités de mise en œuvre de la procédure, au niveau local comme au niveau national.

Enfin, il apparaît nécessaire de mettre fin à l’automaticité que le statut DPS tend à générer. S’il demeure envisageable, voire nécessaire, que certains détenus y soient astreints pendant toute leur détention ([96]), il importe néanmoins que leur situation soit réexaminée de manière régulière, loyale et étayée.

Recommandation n° 4

Fixer dans la loi le principe selon lequel le statut de DPS n’a pas vocation, a priori, à revêtir un caractère définitif et consacrer explicitement le fait que celui-ci doit faire l’objet d’un réexamen régulier fondé sur des critères objectifs

b.   Un meilleur encadrement de ce statut et un renforcement de son contrôle juridictionnel

L’ancien Premier ministre a également fait remarquer que la procédure actuelle « mêle des décisions prises par l’autorité judiciaire, comme les demandes de liberté conditionnelle dont j’ai parlé tout à l’heure, et d’autres qui sont prises par les autorités administratives et politiques » ([97]). La décision pourrait revenir à l’autorité judiciaire car « cela permettrait d’objectiver les choses » ([98]). Le syndicat Unité magistrats-Force ouvrière s’est également prononcé pour cette mesure, contrairement toutefois aux deux autres organisations, l’Union syndicale des magistrats et le Syndicat de la magistrature ([99]). La possibilité, pour le juge judiciaire, de connaître du contentieux relatif à ce statut, en lieu et place du juge administratif, a également été évoquée.

Il apparaît délicat, aux yeux du rapporteur, de confier une mesure de gestion de la détention – l’inscription au registre des DPS, mesure administrative, n’est ni une peine, ni une mesure privative de liberté – à l’autorité judiciaire, ou de lui transférer la compétence du contrôle d’une mesure administrative. Il estime par ailleurs qu’une judiciarisation complète de la procédure ferait porter une charge symbolique très forte et indue sur l’autorité judiciaire, en particulier s’agissant de certains dossiers sensibles. Il observe enfin que cette question n’a pas fait l’objet d’un consensus chez les différentes personnes et organisations auditionnées par la commission d’enquête.

La décision d’inscrire et de maintenir un détenu au répertoire des DPS devrait donc continuer de relever du niveau administratif mais cette décision doit s’accompagner de garanties procédurales renforcées, que le rapporteur présente ci-après et qui relèvent de deux mouvements distincts, afin de renforcer le contrôle juridictionnel dont il fait l’objet.

● Il apparaît tout d’abord nécessaire de renforcer le contrôle opéré par le juge administratif en encadrant les conditions qui doivent présider à l’inscription et au maintien au répertoire. Pour cela, il est impératif de renforcer l’exigence de motivation des décisions prises par l’administration pénitentiaire.

Recommandation n° 5

Renforcer l’exigence de motivation des décisions d’inscription et de maintien d’une personne détenue au répertoire des DPS.

Si le rapporteur entend que des critères extra-pénitentiaires puissent être pris en compte pour l’application du statut, il recommande toutefois de les considérer à la lumière d’une meilleure prise en compte de la dangerosité pénitentiaire réelle du détenu, par exemple sur le fondement d’une évaluation réalisée en bonne et due forme comme cela est effectué en quartier d’évaluation de la radicalisation (QER) pour les TIS.

Recommandation n° 6

Subordonner les décisions d’inscription et de maintien au répertoire des DPS à une meilleure prise en compte de la dangerosité pénitentiaire réelle de la personne détenue.

● Enfin, le rapporteur s’associe à la remarque de M. Matthieu Quinquis, président de la section française de l’Observatoire internationale des prisons (OIP) lors de son audition : les décisions de maintien au statut de DPS étant annuelles, le délai de traitement entraîne une prise de décision « à rebours et sans effet concret sur la situation des personnes détenues » ([100]). Lors son audition, Me Françoise Davideau a insisté sur la nécessité de garantir un accès plus rapide aux juridictions administratives ([101]).

Pour rappel, Yvan Colonna avait contesté la décision du 3 avril 2012 du garde des Sceaux de le maintenir au statut des DPS. Ce n’est que le 16 octobre 2014 que le tribunal administratif rendra sa décision, soit plus de deux ans après.

Il convient de remédier à cette situation par deux moyens.

Tout d’abord, le rapporteur recommande de lever le flou qui règne autour du délai dans lequel doit être prise, par l’administration pénitentiaire, la décision de réexamen du maintien au répertoire ([102]). Si les décisions sont prises pour un an, M. Stéphane Bredin indiquait, s’agissant du réexamen, que « la coutume pénitentiaire veut que cela se fasse dans l’année civile, mais les textes n’ont jamais prévu que ce soit absolument avant le 31 décembre de l’année écoulée. Ils prévoient seulement le réexamen régulier et l’administration pénitentiaire considère, par défaut, que cet examen doit se faire au moins une fois par an » ([103]). Il convient, dès lors, de fixer à un an la durée de validité de la décision et de préciser le délai dans lequel doit s’effectuer son réexamen en appréciant cette échéance soit en année civile, c’est-à-dire avant le 31 décembre de chaque année, soit en année glissante, c’est-à-dire chaque année à partir de la date d’inscription ou de maintien au répertoire. Le rapporteur entend laisser ce dernier point à l’appréciation de l’administration pénitentiaire.

Recommandation n° 7

Fixer de manière expresse à un an la durée de validité de la décision d’inscription ou de maintien au répertoire des DPS et imposer le réexamen de la situation avant l’expiration de cette période.

Il conviendrait enfin d’instaurer une présomption d’urgence dans le cadre d’un référé-suspension lorsqu’un détenu décide de contester son inscription ou son maintien au répertoire des DPS. Cette présomption, justifiée par les effets notables qu’emporte ce statut sur la vie quotidienne des détenus, existe d’ailleurs dans le cadre de la procédure d’isolement ([104]). Elle pourrait donc être utilement et légitimement étendue s’agissant des décisions d’inscription et de maintien au répertoire des DPS.

Recommandation n° 8

Introduire dans la loi la possibilité pour les personnes détenues de saisir le juge des référés dans le cadre de la procédure prévue à l’article L. 521-2 du code justice administrative pour contester leur inscription ou leur maintien au répertoire des DPS.


  1  

II.   la gestion erratique, voire permissive, du parcours carcÉral de Franck elong abÉ

Le parcours de Franck Elong Abé contraste de manière flagrante avec celui d’Yvan Colonna. Alors que la dangerosité et l’instabilité de l’individu sont manifestes, l’administration pénitentiaire va quant à elle faire preuve, dans la gestion de son cas, d’une attitude diamétralement opposée à celle dont elle a fait montre à l’endroit d’Yvan Colonna.

Le rapporteur ne méconnaît pas la difficulté extrême liée à la gestion de la population carcérale et, a fortiori, d’individus présentant un profil complexe comme Franck Elong Abé. Il tient à cet égard à exprimer son plein soutien à l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire dont l’action est souvent insuffisamment reconnue. Néanmoins, au cas d’espèce, des manquements ont bien été constatés, qui doivent être analysés rigoureusement afin que des leçons puissent être tirées du drame du 2 mars 2022.

Outre le parcours de l’individu, il sera ici question de deux sujets qui ont cristallisé, à juste titre, l’attention de la commission d’enquête : les procédures d’orientation ‒ ou, plutôt de non-orientation ‒ en QER, qui sont indissociables des circonstances qui ont conduit à l’agression mortelle du 2 mars 2022, et la décision de classement au service général de la maison centrale d’Arles, symbole de l’impression de mansuétude incompréhensible qui, par certains aspects, a caractérisé la manière dont Franck Elong Abé a été pris en charge dans cet établissement.

A.   un profil extrÊmement dangereux, violent et instable

La commission d’enquête a pu appréhender de manière approfondie le profil, le parcours carcéral et l’évolution du comportement de Franck Elong Abé, qu’il s’agisse des actions commises en Afghanistan, de ses multiples condamnations, des nombreux incidents qui se sont produits avant son transfert à Arles puis de son parcours de détention à la maison centrale, jusqu’à la perspective inquiétante que représentaient sa fin de peine et sa sortie.

L’ensemble des informations et signaux d’alerte présentés ci-après auraient incontestablement dû appeler à une plus grande prudence dans la gestion de la détention de Franck Elong Abé lors de sa période d’incarcération à la maison centrale d’Arles.

1.   Du Cameroun au djihad afghano-pakistanais : l’itinéraire singulier d’un terroriste islamiste français

Les auditions de la commission d’enquête et les informations recueillies par le rapporteur auprès des services de renseignement intérieur et extérieur et de l’autorité judiciaire ([105]), dont le PNAT, permettent de retracer avec précision le parcours de Franck Elong Abé jusqu’à son arrestation en Afghanistan.

a.   La jeunesse chaotique d’un petit délinquant multirécidiviste

Franck Elong Abé est né le 15 août 1986 au Cameroun où il est élevé, jusqu’à son adolescence, par ses grands-parents. Il rejoint, à quatorze ans, ses parents en Normandie. Entre fin 2003 et début 2004, dans le contexte de leur séparation, il commet des premiers faits de vols avec violence, de dégradations, de violences et de menaces, délits pour lesquels il fait l’objet d’une assistance éducative par jugement du 23 mars 2004. Il est par la suite hospitalisé en psychiatrie. À sa sortie, il sombre alors dans la petite délinquance. Il sera condamné pour dix faits, commis entre 2006 et 2008, de :

– recel (peine d’un mois d’emprisonnement avec sursis) ;

– vol et faux (peine de quatre mois d’emprisonnement partiellement avec sursis avec mise à l’épreuve) ;

– menaces sous condition (peine de trois mois d’emprisonnement partiellement avec sursis avec mise à l’épreuve) ;

– menace de mort avec ordre de remplir une condition (peine d’un an d’emprisonnement dont six de sursis avec mise à l’épreuve) ;

– dégradations et conduite sans assurance (peine d’un mois d’emprisonnement) ;

– menaces matérialisées, dégradations intimidation d’une victime pour la déterminer à ne pas porter plainte (peine de quatre mois d’emprisonnement) ;

– vol par effraction, contrefaçon de chèque et usage de chèque falsifié (peine de deux ans d’emprisonnement) ;

– escroquerie et faux administratif (peine d’un an et six mois d’emprisonnement, avec mandat d’arrêt) ;

– contrefaçon de chèque et usage de chèques contrefaits (peine d’un an d’emprisonnement).

Entre 2008 et 2010, Franck Elong Abé se rend au Canada où il se convertit à l’islam ([106]) en visionnant des vidéos sur internet. Placé en rétention, il en est expulsé en septembre 2010 pour s’être pris, à plusieurs reprises, à des croyants qualifiés de « mauvais musulmans ». À son retour sur le territoire national, il est interpellé et brièvement incarcéré, jusqu’au 23 décembre 2010, pour l’exécution des trois premières peines prononcées avant son départ pour le Canada.

b.   Un « combattant de confiance » des talibans

Sauf mention contraire, la présentation du parcours de Franck Elong Abé ci-après s’appuie sur les éléments en possession de l’autorité judiciaire. Elle se fonde soit sur les attendus du jugement du tribunal correctionnel de Paris du 20 avril 2016, que le rapporteur a pu consulter, soit sur les informations transmises par écrit par le PNAT. Le rapporteur a choisi de privilégier l’exploitation de telles sources, par rapport aux comptes rendus d’audition ([107]), dans la mesure où elles permettent de présenter un déroulé précis et exhaustif du parcours de Franck Elong Abé, ainsi que d’évoquer certains points qui n’auraient pas été abordés au cours des auditions.

i.   Les actions commises en zone afghano-pakistanaise

Franck Elong Abé adhère à la mouvance salafiste et prend la décision, après avoir rencontré un individu de nationalité afghane, de partir mener le djihad en territoire afghan.

Une telle attitude semble exceptionnelle à l’époque. En effet, selon le PNAT, si quelques dizaines de Français ont été identifiés et poursuivis pour avoir rejoint l’Afghanistan au cours des années 1990 ou au tout début des années 2000, leur nombre est très faible s’agissant des années 2010 ([108]). Pour sa part, la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) estime à une quarantaine le nombre de Français et de binationaux ayant rallié la zone afghano-pakistanaise entre 2001 et 2017 ([109]). La situation est, par ailleurs, sans commune mesure avec la vague des quelque 1 400 ressortissants français qui rejoindront, à partir du début de la guerre civile syrienne en 2011 et sur près de cinq années l’organisation État islamique (EI). Ce sont d’ailleurs les profils du djihad syro-irakien affiliés à l’EI qui composeront, à compter de 2015, l’important contingent de TIS à prendre en charge dans les prisons françaises après les attentats terroristes qui frapperont la France à partir de 2014. Il est donc important de souligner, dès à présent, le profil particulier de Franck Elong Abé que présente parmi les TIS.

Dix ans après les attentats du 11 septembre 2001 et l’invasion de l’Afghanistan par les forces de la coalition internationale, conduite par les États-Unis d’Amérique, pour chasser les talibans du pouvoir et mettre fin aux capacités opérationnelles dont bénéficiait l’organisation Al-Qaïda dans ce pays, Franck Elong Abé obtient auprès des autorités afghanes un visa « travail » de trois mois. Alors inconnu des services de renseignement ([110]), il quitte la France pour l’Afghanistan, via Istanbul, le 13 octobre 2011. Il rejoint alors, sous le nom de « Zakaria », les talibans au nord du Waziristân, au Pakistan. Il subit alors une mise à l’épreuve et suit un entraînement au maniement des armes et aux explosifs avant de pouvoir rejoindre le camp de Mir Ali et de prendre part à des combats contre les forces de la coalition, notamment en participant à l’offensive du printemps 2012 ([111]). Il aurait évolué au sein de groupes talibans du réseau Haqqani ([112]), connu pour sa proximité avec Al-Qaïda, bien que l’intéressé nie tout lien avec cette organisation ([113]).

Il est important de souligner que, parmi les talibans, Franck Elong Abé n’est ni une brebis égarée, ni un combattant subalterne et anonyme. Il s’y fait un nom qui est connu, selon lui, des forces américaines par lesquelles il serait recherché. Il fait ainsi partie des « combattants de confiance » ([114]) de l’organisation. Il est notamment en possession, lors de son arrestation, d’une lettre assimilable à un laissez-passer, garantissant sa liberté de mouvement et la possibilité d’être assisté dans ses missions. Une vidéo transmise par les forces alliées, mentionnée dans le jugement, montre également Franck Elong Abé, probablement en août 2012, tirant au moyen d’un canon sans recul avec deux autres hommes à qui il donne des ordres.

Le 17 octobre 2012, Franck Elong Abé est capturé par les forces afghanes dans la province de Khost, frontalière du Pakistan. Il est immédiatement pris en charge par les autorités américaines et emprisonné à la prison de Bagram, au nord de Kaboul. Lors de son arrestation, et ainsi que le détaille le jugement, des traces de substances explosives ([115]) sont relevées sur ses habits. Il est porteur de cartes SD contenant des procédés de fabrication et des précautions de stockage de composants essentiels d’explosifs, à savoir la nitroglycérine et la dynamite. Sur son téléphone sont également retrouvées des photographies de lui en tenue de combattant, muni d’une kalachnikov.

Franck Elong Abé est remis aux autorités françaises le 19 mai 2014. Il est incarcéré à la maison d’arrêt de Rouen le 22 mai 2014. Pour les faits de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme (AMT) décrits ci-dessus, Franck Elong Abé est condamné par le tribunal correctionnel de Paris, le 20 avril 2016, à un emprisonnement délictuel de neuf ans, assorti d’une période de sûreté à hauteur de deux tiers de la peine.

ii.   Un événement primordial pour appréhender la personnalité de l’individu

Franck Elong Abé assume et revendique sa participation au djihad afghano-pakistanais. Lors de son procès, « il s’est revendiqué comme étant un taliban [et] a justifié son engagement par le fait qu’il devait défendre son territoire », indiquant s’être rendu en Afghanistan « pour libérer le peuple des envahisseurs américains » ([116]). Dès son arrivée à la maison centrale d’Arles, il relate au personnel de surveillance son séjour au Pakistan ([117]).

L’expertise psychiatrique réalisée dans le cadre de l’information judiciaire mentionne, selon les informations transmises par le PNAT, la « qualité intellectuelle certaine » de Franck Elong Abé dont la personnalité, « structurée sur un mode psychotique », présente « une distanciation affective et un isolement affectif, une désorganisation dans son lien aux autres, des troubles, des conduites sociales anciennes et récurrentes » mais pas de « dangerosité psychiatrique ». Si l’expertise évoque une forme d’altération de son discernement, elle exclut toute forme « d’abolition des actes [ou] d’abolition du discernement ».

Franck Elong Abé n’était donc manifestement ni « illuminé », ni manipulé. L’épisode afghano-pakistanais et les actions commises sur zone ont constitué le point culminant des épisodes préalables de violence et d’instabilité et ils ont ensuite, lors de sa détention en France, continué d’influer sur sa personnalité, et, ainsi qu’il en sera question dans la seconde partie, sur sa potentielle dangerosité.

Il s’est, à ce titre, montré sensible à l’évolution de la situation géopolitique dans la zone :

– un changement de comportement aurait été constaté après le retour au pouvoir des talibans, au mois d’août 2021, à tel point que Franck Elong Abé aurait alors été surnommé « Air Kaboul » ([118]) ;

– il parlait « ouvertement », d’une telle manière que le personnel pénitentiaire l’avait relevé, de la situation en Afghanistan et des talibans durant cette même période ([119]).

Il est également à noter que Franck Elong Abé se faisait appeler Zakaria, son nom de djihadiste, par certains détenus ([120]).

Il est rapidement apparu aux membres de la commission d’enquête que l’épisode afghano-pakistanais était incontournable et structurant pour appréhender la personnalité complexe de Franck Elong Abé. Or, à la question du président de la commission d’enquête l’interrogeant si elle était en possession d’informations sur la dangerosité de l’individu au regard de son comportement sur théâtre de guerre en Afghanistan, la précédente cheffe d’établissement de la maison centrale d’Arles fit cette réponse lacunaire : « Non. Comme je l’ai déjà dit, je savais seulement que, comme il le disait lui-même, il avait combattu et été incarcéré un certain nombre de mois en Afghanistan, et que les autorités américaines l’avaient remis aux autorités françaises. Lors de la dernière audition, vous avez donné des précisions sur son parcours là-bas, mais je n’en disposais pas préalablement. » ([121])

2.   Avant la maison centrale d’Arles, l’affectation au sein de cinq établissements en cinq ans et d’innombrables incidents, pour la plupart d’une gravité certaine

Entre 2014 et 2019, le parcours carcéral de Franck Elong Abé s’effectue principalement en quartier d’isolement (QI). Il est ponctué de tentatives de suicide et d’incidents, souvent d’une gravité extrême, qui atteignent leur paroxysme à l’été 2019 et qui vont justifier, aux yeux de la DAP, son transfèrement à la maison centrale d’Arles.

Les informations présentées ci-après proviennent principalement de la fiche pénale de l’intéressé et des éléments transmis par l’administration pénitentiaire et par le PNAT au rapporteur.

a.   Maison d’arrêt de Rouen (2014-2015 et 2015-2016)

i.   Première période

Dès sa mise sous écrou à la maison d’arrêt de Rouen, le 22 mai 2014, Franck Elong Abé est placé en isolement judiciaire, c’est-à-dire à la demande de l’autorité judiciaire pour les besoins de l’information. Selon les documents internes à la DAP recueillis par le rapporteur, il supporte mal cette décision.

Aucun fait notable n’est cependant à relever avant le 21 février 2015, date à laquelle il effectue une première tentative de suicide en ingérant une fiole de javel diluée, en plaçant un sac poubelle sur sa tête, en attachant un lien autour de son cou et en s’accrochant au barreaudage. Il est admis en unité carcérale de soins psychiatriques sans consentement et provisoirement transféré de l’établissement pour le centre pénitentiaire de Lille-Loos-Sequedin afin d’être admis en unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA).

ii.   Seconde période

Franck Elong Abé est de retour à la maison d’arrêt de Rouen le 13 mars 2015 où il reste placé au QI. Suite au décès de son frère survenu le 13 août 2015, son état de santé physique et psychologique se dégrade : un avis médical préconise la levée de son isolement qui intervient le 17 août 2015.

Le 21 septembre 2015, il est reporté, sans plus de précision, une agression sur personnel avec arme.

Franck Elong Abé est inscrit au répertoire des DPS le 6 novembre 2015 et y sera systématiquement maintenu par la suite.

Le 12 novembre 2015, il est de retour à l’isolement suite à la détection d’une activité prosélyte et de propagande religieuse. Lors de cette période au QI intervient, le 2 septembre 2016, un refus de réintégrer sa cellule.

Le 6 octobre 2016, suite à sa condamnation pour AMT, il est à nouveau transféré au centre pénitentiaire de Lille-Loos-Sequedin ([122]). Il quitte définitivement la maison d’arrêt de Rouen.

b.   Centre pénitentiaire de Lille-Loos-Sequedin (2015 et 2016-2017)

i.   Première période

Alors qu’il est hospitalisé à l’UHSA depuis le 26 février 2015, il commet une grave agression envers une interne. Muni d’une arme artisanale, il la ceinture et la menace physiquement en déclarant, selon les éléments transmis par la DAP au rapporteur : « Je te préviens si tu essaies d’appuyer sur ton bip de sécurité, tu n’auras pas assez de temps que je t’aurai déjà enfoncé ce pic dans la gorge [...] Tu vas venir avec moi sans faire d’histoires et tu vas m’accompagner jusqu’au terrain de foot. »

Jugé en comparution immédiate, il est condamné à une peine d’emprisonnement de quatre ans, le 2 juin 2015, par le tribunal de grande instance de Rouen pour évasion avec menace d’une arme ou d’une substance incendiaire, explosive ou toxique.  Le 21 septembre 2015, la cour d’appel de Rouen requalifie les faits en violence avec usage ou menace d’une arme sans incapacité et le condamne à trente mois d’emprisonnement. Selon les informations transmises par le PNAT au rapporteur, la cour d’appel de Rouen a jugé qu’il ne résultait pas de la procédure une intention délictuelle constituant le délit d’évasion, Franck Elong Abé n’ayant à aucun moment manifesté son intention de se soustraire à la garde du personnel hospitalier pour envisager une évasion, fût-elle faite dans des conditions parfaitement impossibles. La cour a jugé que la violence exercée à l’encontre du médecin s’inscrivait dans un contexte spécifique d’isolement total demandé par la DAP, lui interdisant de fait – le temps d’une phase d’observation – l’accès aux cours de promenade et au terrain de sport. 

ii.   Seconde période

Après sa seconde période à la maison d’arrêt de Rouen, Franck Elong Abé est de retour au centre pénitentiaire de Lille-Loos-Sequedin le 6 octobre 2016 où il demeure à l’isolement.

Quatre incidents sont à signaler : destruction du mobilier et des équipements de sa cellule (2 et 8 novembre 2016), refus de réintégrer sa cellule (18 février 2017) et refus de sortir du quartier disciplinaire (24 février 2017).

Franck Elong Abé est transféré au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil le 28 février 2017.

c.   Centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil (2017-2019)

À son arrivée, le 28 février 2017, au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil, Franck Elong Abé est affecté non pas en QI mais en quartier maison centrale (QMC) dans cet établissement au profil sécuritaire. Son intégration s’y passe correctement et il s’y stabilise puisqu’il bénéficie d’un classement au travail sur une période relativement longue, que ce soit en atelier (du 2 mars au 5 juillet 2017) ou au service général comme peintre (du 30 août 2017 au 23 juillet 2018). Les incidents se font plus rares : trois refus de réintégrer sa cellule (31 mai 2017, 2 août 2017 et 11 avril 2018), découverte d’une clé USB et propos menaçant envers le personnel ayant effectué la fouille (31 juillet 2017) et dégradation d’un portique de détection et déclenchement d’une alarme coup de poing (31 octobre 2017).

Le comportement de Franck Elong Abé se dégrade à nouveau à l’été 2018. Le 9 juillet, il menace de « péter les plombs » ([123]) et d’effectuer une prise d’otage, après un refus de cantine de glace alimentaire, en précisant « qu’il ne prendrait pas que cinq ans » ([124]). Il est à nouveau placé à l’isolement le 20 juillet avant d’en sortir, contre son gré et pour des besoins de gestion de la détention, le 13 novembre 2018.

Le 21 novembre 2018, il dégrade des équipements de la cour de promenade (douze néons, un projecteur et le combiné de la cabine téléphonique). La DISP Grand-Ouest – Rennes évoque, selon les éléments transmis au rapporteur, un incident déclenché pour retourner à l’isolement car il ne supportait pas la détention ordinaire. Alors que deux incidents sont à déplorer les 10 et 12 décembre 2018 (tapage et dégradation du mobilier de sa cellule), Franck Elong Abé est transféré le 12 février 2019 pour sortir de cette situation de blocage manifeste.

d.   Centre pénitentiaire d’Alençon-Condé-sur-Sarthe (2019)

À son arrivée à Alençon-Condé-sur-Sarthe le 12 février 2019, Franck Elong Abé est maintenu à l’isolement où il apparaît calme et observateur. Il communique peu, voire pas du tout.

Comme l’a rappelé Mme Marie-Line Hanicot, directrice interrégionale des services pénitentiaires Grand-Ouest ‒ Rennes ([125]), l’attentat islamiste commis par les époux Chiollo sur deux personnels de surveillance, le 5 mars 2019, dans la zone des unités de vie famille (UVF) déclenche un mouvement social qui paralyse, pendant un mois, le fonctionnement du centre pénitentiaire. Un mouvement collectif de contestation des mesures de renforcement de la sécurité mises en œuvre après les attentats se développe, et Franck Elong Abé y prend une part active.

Tout au long de l’été 2019, il multiplie les incidents avec une fréquence et une intensité inédites : tapage en cellule (2 juillet), tapage en cellule et dégradations en cellule (11 juillet), feu de cellule et dégradations du mobilier (21 juillet), dégradation du passe-menotte, mise à feu du matelas et dégradation du mobilier, des sanitaires et des luminaires, menace d’en découdre avec les personnels en utilisant une barre métallique du mobilier (27 juillet), incendie de cellule (6 août), dégradation et incendie de cellule (18 août), incendie de cellule (20 août), feu de cellule, jets d’affaires enflammées, dégradation en cellule avec destruction du passe-menotte (26 août), feu de cellule (28 août).

La crise atteint son point culminant en septembre 2019 avec deux épisodes de tentative de suicide. Le 2 septembre, il tente de se pendre. Une demande d’hospitalisation en soins psychiatriques sur décision du représentant de l’État (SDRE) est initiée suite au diagnostic d’une crise suicidaire aigüe mais aucune place n’est disponible en UHSA et le centre hospitalier local refuse l’accueil des détenus du centre pénitentiaire. Le 10 septembre, lors de sa comparution devant le tribunal judiciaire d’Alençon pour les faits commis durant l’été ([126]), Franck Elong Abé se frappe la tête contre le box et est évacué. Il menace à plusieurs reprises de se donner la mort dans la nuit : il finira par se frapper la tête et par tomber au sol. L’hospitalisation SDRE n’aboutit toujours pas et l’individu fait l’objet d’une injection sous contention. Selon la DAP, il est alors pris en charge au sein d’un service médico-psychologique régional (SMPR).

C’est dans ce contexte particulièrement troublé et violent que la DAP décide d’initier le transfert de Franck Elong Abé vers la maison centrale d’Arles. Il quitte Alençon-Condé-sur-Sarthe le 16 septembre 2019.

e.   Centre pénitentiaire de Nantes (2019)

Avant son arrivée à la maison centrale d’Arles, Franck Elong Abé est transféré, en transit, au centre pénitentiaire de Nantes où il est maintenu à l’isolement. Il le quitte le 17 octobre 2019.

3.   À la maison centrale d’Arles : stabilisation ou dissimulation ?

L’intégration de Franck Elong Abé à la maison centrale d’Arles revêt les apparences d’un processus de stabilisation et de normalisation. Les travaux de la commission d’enquête ont néanmoins permis de fortement nuancer ce constat en réalité tronqué et trompeur

a.   Le transfert à la maison centrale Arles : un défi réussi, en apparence

i.   Le transfert de Franck Elong Abé à la maison centrale d’Arles portait, dès l’origine, les germes d’un possible échec futur

À ce stade de la présentation du parcours carcéral de Franck Elong Abé, c’est-à-dire à son arrivée à la maison centrale d’Arles, le rapporteur souhaite insister sur le fait que ce transfert par mesure d’ordre a été décidé au détriment de deux alternatives :

– une orientation en QER, initiée le 12 juillet par la DISP du Grand Ouest sur la base de la demande formulée par la commission pluridisciplinaire unique (CPU) du centre pénitentiaire d’Alençon-Condé-sur-Sarthe ;

– une prise en charge sanitaire et médicale renforcée, voire une hospitalisation, adaptée aux crises suicidaires aiguës qui se sont manifestées en septembre 2019 et compte tenu de la dégradation générale de son état psychique décrite précédemment.

Si la question de l’opportunité de l’orientation en QER sera abordée ultérieurement ([127]), la question de la prise en charge sanitaire de Franck Elong Abé a, quant à elle, été peu abordée par les personnes auditionnées par la commission d’enquête, si ce n’est par le Syndicat de la magistrature. Ce dernier s’est interrogé, auprès du rapporteur de la commission d’enquête, en ces termes : « Quel était le profit psychiatrique de M. Elong Abé ? Quel a été son parcours de soins en détention ? Le service public hospitalier, chargé des soins en prison, est-il mis en mesure d’exercer cette mission essentielle à l’individualisation de la peine et plus largement au traitement digne des personnes détenues ? À la question des motifs de l’absence d’orientation de M. Elong Abé en QER à laquelle de nombreuses personnes auditionnées ont apporté des réponses diverses, il faut impérativement que la commission ajoute celle de l’accès aux soins, sous peine de ne pas saisir l’ensemble des problématiques autour de la prise en charge des personnes détenues […] Pourquoi un détenu multipliant les comportements violents notamment contre lui-même, qui présente des troubles manifestes, ne bénéficiait-il pas d’une prise en charge médicale adaptée ? Y a-t-il eu un défaut d’accès aux soins, notamment psychiatriques, et pour quelles raisons ? » ([128])

Les crises suicidaires de septembre 2019 se sont soldées par deux échecs manifestes s’agissant de sa prise en charge, avec une absence d’hospitalisation.

Selon la DAP et les éléments qu’elle a portés à la connaissance du rapporteur, l’unité sanitaire d’Alençon-Condé-sur-Sarthe a en effet instruit une demande d’hospitalisation SDRE sur le fondement « d’un discours désorganisé et incohérent, avec des éléments délirants mystiques et persécutifs à mécanisme interprétatif et intuitif avec adhésion totale et sans critique au passage à l’acte suicide ainsi qu’une persistance d’idées suicidaires à scénarios multiples ». Une affectation au sein de l’UHSA était bien envisagée et le rejet systématique d’une prise en charge psychiatrique par l’intéressé a été relevé par l’équipe d’encadrement de la structure. La DAP indique néanmoins qu’il n’a pas été donné suite à cette demande en raison du transfert de Franck Elong Abé au centre pénitentiaire de Nantes dans l’attente de son transfert vers la maison centrale d’Arles. Pour la DAP, ce dernier établissement « constituait un établissement adapté [à son] profil pénal et pénitentiaire […] notamment au regard de sa qualité de détenu particulièrement signalé, lui permettant de bénéficier d’une prise en charge soutenue à même de stabiliser son comportement ».

ii.   Il est néanmoins incontestable que l’intégration de Franck Elong Abé à Arles s’y déroule de façon relativement correcte au regard de ses précédentes affectations

Le comportement de Franck Elong Abé est stabilisé à son arrivée à la maison centrale d’Arles, le 17 octobre 2019, où il intègre le QI. Les relevés d’observation font état d’un détenu calme qui va être canalisé par une activité sportive régulière et intense. Ni les relevés d’observation, ni les informations recueillies par le rapporteur ne permettent d’établir qu’une prise en charge sanitaire particulière ou renforcée aurait été mise en œuvre suite aux crises de septembre 2019 ([129]). Il bénéficie néanmoins d’un suivi psychologique et psychiatrique dans l’établissement.

Le 3 avril 2020, il est classé auxiliaire du QI dont il sort le 30 avril 2020 pour intégrer le quartier spécifique d’intégration (QSI). Le 5 juin 2020, il est classé au sein d’une formation « jardins et espaces verts » (JEV).

Le 3 février 2021, il intègre la détention ordinaire au sein du premier étage du bâtiment A. Il sera par la suite classé au service général, comme auxiliaire sport, le 17 septembre 2021.

S’il est vrai que le comportement de Franck Elong Abé semble, en apparence, s’être stabilisé à Arles, les travaux de la commission d’enquête ont permis de montrer que ce constat devait être relativisé pour deux raisons. D’une part, persistent des incidents et des signaux d’alertes préoccupants qui auraient dû conduire à maintenir une surveillance plus vigilante à son égard. D’autre part, on observe que Franck Elong Abé avait déjà connu, à Vendin-le-Vieil, une apparente phase de stabilisation finalement marquée par une grave rechute : cet élément aurait, lui aussi, dû être pris en compte.

b.   La persistance d’incidents qui, initialement, n’avaient pas été portés à la connaissance de l’Assemblée nationale

Le parcours carcéral de Franck Elong Abé à Arles reste émaillé d’incidents. Aucun de ceux-ci n’a été mentionné par Mme Corinne Puglierini, ancienne cheffe d’établissement, ou M. Laurent Ridel, directeur de l’administration pénitentiaire, lors des auditions organisées par la commission des Lois les 16 et 30 mars 2022 ([130]).

Les éléments transmis par la DAP au rapporteur permettent de les restituer en détail.

● Le 17 juillet 2020, alors qu’il est encore au QSI et qu’il vient d’être classé à la formation JEV, Franck Elong Abé assène un coup de tête à un autre détenu en raison d’un différend sur l’utilisation d’un tuyau d’arrosage et met en cause le formateur. Il est suspendu de la formation pendant quatorze jours.

● Le 12 octobre 2020, il bloque la cour de promenade du QSI à la suite d’un problème de cantine. À l’arrivée des forces d’intervention, il brandit un bâton et profère des menaces. Il écope de cinq jours fermes de cellule disciplinaire.

● Le 14 février 2021, alors qu’il vient d’intégrer la détention ordinaire, il adopte un comportement menaçant vis-à-vis d’un surveillant. Il force le passage et déclare à l’attention de celui-ci, selon le PNAT : « Tu fais le coq, moi je vais te casser la gueule. »

● Le 25 août 2021, après un tapage, il force le passage pour aller à la douche et fonce vers un personnel de surveillance de manière menaçante. La commission de discipline se réunit la veille de son classement comme auxiliaire et prononce à son encontre cinq jours de cellule disciplinaire avec sursis.

Il convient également de mentionner que, le 1er décembre 2021, il participe à un refus collectif de plateaux suite à la fermeture de la salle de sport et que, le 14 janvier 2022, un détenu l’accuse de lui avoir donné un coup de poing et précise se sentir persécuté par lui ([131]).

c.   Des signaux d’alertes et des manifestations d’instabilité préoccupants

L’attitude générale de Franck Elong Abé n’a cessé de susciter des craintes, en premier lieu de la part des personnels de surveillance qui ont notamment pointé l’« anomalie du comportement » du détenu ([132]) ou son comportement « troublant » ([133]). Si, dans les observations renseignées dans le logiciel Genesis, il reste la plupart du temps décrit comme calme et respectueux, assez solitaire, intelligent, curieux, cultivé, attentif à l’actualité et lisant beaucoup, il est aussi présenté comme distant, discret, observateur, soucieux, dans ses pensées, hautain, arrogant, prétentieux, contestataire, complotiste, manipulateur, impatient, imbus de sa personne, testeur, ayant confiance en lui, n’acceptant pas la contrariété et se sentant persécuté.

La radicalisation de l’individu n’a jamais été ignorée et elle est restée prégnante à Arles. Si, prises isolément, les observations qui suivent ne témoignent pas forcément d’un comportement radical, leur accumulation associée au profil de Franck Elong Abé est révélatrice d’une telle radicalisation : absence de télévision, nuits passées à même le sol, attitude pieuse, pratique religieuse régulière, remarques diverses, etc. Elle était sue de tous. Il convient de préciser qu’il commence à se faire pousser la barbe à compter du printemps 2021 ([134]). La nature solitaire de Franck Elong Abé ne l’a cependant pas empêché de nouer des liens, avec certains codétenus TIS, qu’il s’agisse de Lionel Dumont, membre du gang du Roubaix, à Alençon-Condé-sur-Sarthe ou de Smaïn Aït Ali Belkacem, artificier de l’attentat de Saint-Michel, à Vendin-le-Vieil ([135]), avec qui il maintiendra un contact à distance ([136]) et qu’il croisera à nouveau à la maison centrale d’Arles ([137]), sans qu’il soit néanmoins possible d’établir s’ils ont pu y renouer un lien ou non ([138]). Ces liens sont suffisamment sérieux pour que la cellule interrégionale du renseignement pénitentiaire (CIRP) fasse part, lors du groupe d’évaluation départemental de la radicalisation islamiste (GED) du 26 octobre 2021 et selon les informations recueillies par le rapporteur, de son inquiétude au vu des connaissances de Franck Elong Abé « avec des détenus locaux du même acabit ».

Si la question du rapport inquiétant à l’islam a été largement documentée par le rapport de l’IGJ ([139]) à partir des compte rendus des CPU, le rapporteur souhaite ici insister sur la situation psychique de l’individu, notamment dans le prolongement du questionnement précédent concernant l’adaptation de sa prise en charge sanitaire tout au long de son parcours carcéral. On peut en effet estimer que cet élément a eu un impact certain, là aussi, sur sa dangerosité ([140]).

Il convient tout d’abord d’observer que la psychologue du binôme de soutien de la mission de lutte contre la radicalisation violente (MLRV) qualifie son évolution psychique de « peu probante » en novembre 2021 ([141]). Il va évoquer publiquement, selon divers documents consultés par le rapporteur :

– le « chien qui sommeille en » lui et qui pourrait enrager ([142]) ;

– le fait qu’il ne se faisait pas de soucis pour lui, mais « pour les autres », et celui d’être « conditionné à pouvoir mourir demain » ([143]) ;

– sa crainte des djinns ([144]), créatures surnaturelles de la culture arabo-musulmane dont certaines peuvent prendre la forme de possessions démoniaques.

Comment, dès lors, expliquer l’apparente stabilité de l’individu, notamment en comparaison avec la situation de 2019, et la persistance de troubles psychiques, notamment de type agressif, voire morbide ? Deux CPU, les 12 mai 2020 et 7 septembre 2021, mentionnent clairement la possibilité d’un état de dissimulation dans lequel pourrait se trouver Franck Elong Abé.

En parallèle de son observation précitée, la psychologue de la MLRV met en garde contre la nécessité de ne pas alimenter, par un cadre instable, sa « posture de toute puissance ».

Plusieurs observations de surveillance permettent d’étayer un potentiel comportement dissimulateur et intéressé de l’individu, couplé au constat qu’il avait tendance à « prendre ses aises » ([145]) dans l’établissement :

– « Il prend vraiment confiance au sein de l’établissement, essaie d’obtenir intelligemment un certain confort de vie. À suivre avec vigilance » ([146]) ;

– « Personne détenue qui semble penser bénéficier de passe droits en étant auxiliaire sport » ([147]).

Enfin, il convient de noter que Franck Elong Abé a été, tout au long de sa détention à Arles, sujet à des changements de comportement. Le dernier est relaté au début de l’année 2022, peu de temps avant les faits, lorsqu’une surveillante constate un changement d’attitude de sa part et le fait qu’il diminue le nombre d’objets dans sa cellule, déclarant y « faire le vide » ([148]).

d.   13 décembre 2023 : la perspective inquiétante de la fin de peine

i.   Le régime d’application des différentes peines

En application de l’article 132-4 du code pénal ([149]), Franck Elong Abé a bénéficié du mécanisme de la réduction de ses neuf peines ([150]) au maximum légal fixé, par décision du 20 juin 2017, à hauteur de sept ans et cinq mois. Il s’agit là d’un principe d’ordre public applicable depuis 1861 ([151]). Franck Elong Abé a contesté la non-prise en compte des dix-neuf mois d’incarcération en Afghanistan dans la détermination de son quantum de peine en France. L’ensemble des juridictions ont rejeté cette demande, dont la Cour de Cassation en dernier ressort ([152]).

Franck Elong Abé a bénéficié de douze décisions, automatiques, de crédits de réduction de peine (CRP), dont dix-neuf mois au titre de sa peine AMT et huit mois et quatorze jours au titre de l’alignement des CRP opéré par la loi du 15 août 2014 ([153]). Il convient de noter qu’avant l’entrée en vigueur des lois du 21 juillet 2016 et du 22 décembre 2021 ([154]), les CRP étaient automatiques et bénéficiaient aux personnes condamnées pour terrorisme dans les conditions de droit commun, sans dispositif dérogatoire.

Compte tenu de son comportement en détention, Franck Elong Abé a fait l’objet de neuf décisions de retrait de CRP prises par l’autorité judiciaire, pour un total de 320 jours. Il a cependant bénéficié, en parallèle, de cinq décisions de réduction de peine supplémentaire (RPS) pour un total de 103 jours : 15 jours le 9 juin 2016, 35 jours le 9 juin 2017, 30 jours le 10 juillet 2018, 8 jours le 7 juillet 2020 et 15 jours le 26 août 2020.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments qu’au moment des faits, la fin de peine de Franck Elong Abé était prévue pour le 13 décembre 2023.

ii.   La nécessité de préparer cette échéance préoccupante

Cette perspective suscitait l’inquiétude de l’ensemble des personnes entendues par la commission d’enquête, compte tenu du profil TIS de l’individu, de sa longue période de détention passée à l’isolement et des nombreux incidents disciplinaires ayant émaillé son parcours carcéral. Franck Elong Abé ne coopérait pas à la préparation de sa sortie, indiquant ne vouloir « rien devoir à la France » ([155]). Il n’avait pas de réelle perspective de réinsertion, de soutien ou d’accompagnement pour l’après, y compris d’un point de vue familial. Il a également été relevé, par le PNAT ([156]), son refus de procéder à des versements volontaires aux parties civiles.

En raison du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère, Franck Elong Abé ne pouvait faire l’objet de la mesure de suivi socio-judiciaire prévue par la loi du 3 juin 2016 ([157]). La mesure judiciaire de réinsertion introduite par la loi du 30 juillet 2021 ([158]) n’était pas non plus envisagée en raison de la non-publication de ses dispositions réglementaires d’application ([159]) à la date des faits ([160]).

Face à ce constat, les différents acteurs, pénitentiaires ou judiciaires, préparaient d’ores et déjà la mise en œuvre de plusieurs dispositifs afin d’éviter tout risque de sortie sèche.

● La mesure de surveillance judiciaire des personnes dangereuses

Ce dispositif, prévu par les articles 723-29 à 723-39 du code de procédure pénale, permet la mise en place d’une mesure de suivi en milieu ouvert pendant une durée égale aux réductions de peine dont a bénéficié le détenu, c’est-à-dire la somme des CRP et des RPS de laquelle sont déduits les retraits de CRP. Selon le PNAT ([161]), un tel suivi aurait pu porter, pour Franck Elong Abé, sur une durée d’environ douze mois. Sa mise en œuvre exige qu’une expertise médicale ait conclu à la dangerosité de la personne et à un risque de récidive.

Sur un tel fondement, le JAPAT peut ordonner que le condamné libéré respecte, au cours de la durée précitée, des mesures telles que l’interdiction de fréquenter certaines personnes, l’obligation de suivre des soins ou encore l’obligation de respecter les conditions d’une prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologique destinée à permettre sa réinsertion et l’acquisition des valeurs de la citoyenneté. Il est possible de faire intervenir cette prise en charge au sein d’un établissement d’accueil adapté dans lequel le condamné est tenu de résider. Le non-respect de ces mesures entraîne le retour en détention pour la durée de la peine non exécutée du fait des dispositifs de réduction de peine.

La mise en œuvre de cette mesure a été déclenchée le 15 décembre 2021 par le PNAT qui a requis du JAPAT d’ordonner une expertise psychiatrique de Franck Elong Abé afin de caractériser sa dangerosité et le risque de récidive qu’il présentait.

● Les mesures de surveillance administrative

Lors de son audition par la commission d’enquête, M. Laurent Nuñez, ancien coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT), a évoqué les mesures administratives qui auraient pu être mises en œuvre, par le ministère de l’intérieur, à l’encontre de Franck Elong Abé, et notamment les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (Micas) créées par la loi du 30 octobre 2017 ([162]) : « Pour les TIS qui sortent de prison, on prend des Micas qui peuvent durer une année. Ces individus doivent pointer assez régulièrement au commissariat ou à la gendarmerie et ont l’interdiction de rencontrer certaines personnes et de quitter un territoire donné. Cela nous permet de continuer à les surveiller et de les réincarcérer au moindre écart. Ce travail de surveillance est évidemment très confidentiel. La plupart des Micas sont actuellement prises pour des personnes sortant de prison. L’irrespect des obligations – de pointage par exemple – entraîne des sanctions pénales. » ([163])

Inscrit au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), Franck Elong Abé aurait également, selon toute probabilité, continué de faire l’objet d’un suivi en groupe d’évaluation départemental de la radicalisation islamiste (GED), avec un transfert du chef de filât du renseignement pénitentiaire vers la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).

● Le programme d’accueil individualisé et de réaffiliation sociale (Pairs)

Depuis 2018, le dispositif Pairs propose une prise en charge par une équipe pluridisciplinaire de psychologues, éducateurs, médiateurs du fait religieux et conseillers en insertion professionnelle, en parallèle d’une possible solution d’hébergement. Ce dispositif a été présenté en audition par le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) des Bouches-du-Rhône : « Le Spip 13 est également chargé de la coordination sur le département du dispositif Pairs. Ouvert depuis octobre 2018, le dispositif Pairs Marseille est destiné à proposer un accompagnement en milieu ouvert aux TIS et radicalisés, condamnés ou prévenus. La prise en charge, comprise entre trois et vingt heures par semaine, se fait par une équipe pluridisciplinaire composée d’éducateurs, du médiateur du fait religieux, de psychologues et de conseillers en insertion professionnelle. En 2022, le dispositif Pairs Marseille a suivi 49 personnes dans un rayon pouvant atteindre 300 kilomètres autour de Marseille, dont 31 dans le département des Bouches-du-Rhône. » ([164])

Le SPIP a indiqué au rapporteur qu’une prise en charge intensive aurait pu être adaptée au profil initial de Franck Elong Abé : il pouvait conduire à un accompagnement de vingt heures par semaine. Cet accompagnement peut figurer au titre des mesures du suivi judiciaire et donc revêtir un caractère obligatoire. 

B.    LES NON-ORIENTATIONS EN quartier d’Évaluation de la radicalisation (QER), RÉVÉLATRICES DE L’ÉCHEC MANIFESTE DE LA PRISE EN CHARGE DE L’INDIVIDU

L’objet des développements qui suivent n’est ni d’interroger l’ensemble de la stratégie de lutte contre l’islamisme radical en détention – il en sera question ultérieurement – ni de retracer l’ensemble des procédures administratives qui ont concerné les non-orientations de Franck Elong Abé en QER – cela est détaillé avec précision dans le rapport de l’IGJ. L’intention du rapporteur est de mettre en lumière les errements qui se sont multipliés sur cette question et qui illustrent la défaillance plus générale de la gestion du parcours carcéral de ce détenu, celle-ci s’étant principalement manifestée, à partir de 2020, dans l’appréciation erronée de sa dangerosité.

Le rapporteur a relevé pas moins de huit demandes d’évaluation sur la période 2016-2022, toutes vaines, sauf la dernière, intervenue trop tardivement. Elles seront d’abord présentées sommairement puis ce sont celles formulées par le centre pénitentiaire d’Alençon-Condé-sur-Sarthe et les CPU de la maison centrale d’Arles qui feront l’objet d’une analyse plus poussée, dans le prolongement des travaux que la commission d’enquête a conduits et des questions légitimes qu’elle a soulevées. C’est en effet dans ces deux séquences que le rapporteur a identifié un double manquement de l’administration pénitentiaire.

1.   Une succession de demandes, pour la plupart transmises dans les formes à l’administration centrale, qui n’aboutissent pas

a.   Les demandes auxquelles la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) n’a pas donné suite

● La demande formulée par la maison d’arrêt de Rouen

La première demande d’évaluation est formulée dès mai 2016, avant même la création des QER – donc via une unité dédiée – par la maison d’arrêt de Rouen et la DISP de Lille suite à la condamnation de Franck Elong Abé. À défaut est préconisée son affectation au sein d’un établissement permettant son suivi par le renseignement pénitentiaire.

C’est cette seconde option qui est retenue par la DAP : celle-ci prend une décision d’affectation en QMC le 30 septembre 2016. Après un transit en QI au centre pénitentiaire de Lille-Loos-Sequedin, Franck Elong Abé intègre le QMC de Vendin-le-Vieil le 28 février 2017.

● La demande formulée par le centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil

Dans le contexte de rupture à Vendin-le-Vieil précédemment décrit, un dossier de transfert est initié le 15 octobre 2018 : le chef d’établissement évoque à cette occasion l’opportunité d’une orientation en QER de l’individu. La DISP de Lille confirme la demande d’exclusion tout en jugeant opportune une évaluation de la dangerosité de l’individu. L’autorité judiciaire émet également un avis favorable à une orientation.

La DAP estime que seul le QER de Vendin-le-Vieil présente le profil sécuritaire à même d’accueillir Franck Elong Abé, hypothèse rejetée par l’établissement ([165]). Le 11 février 2019, elle prend donc la décision de l’affecter au QMC d’Alençon-Condé-sur-Sarthe.

● La demande formulée par le centre pénitentiaire d’Alençon-Condé-sur-Sarthe

Suite aux multiples incidents qui se produisent à Alençon-Condé-sur-Sarthe, un dossier d’exclusion est initié par l’établissement le 12 juillet 2019 : l’orientation en QER y est une nouvelle fois évoquée, sur la base d’un avis unanime de la CPU. Sur le fondement des avis négatifs de l’autorité judiciaire (JAPAT et PNAT) et compte tenu du comportement de Franck Elong Abé, la DAP engage un transfert par mesure d’ordre qui aboutit à sa réaffectation au QI de la maison centrale d’Arles le 17 octobre 2019.

La question du traitement de cette demande par la DAP sera abordée ultérieurement ([166]).

● Les demandes formulées par la DISP de Marseille

Dès le 20 décembre 2019, alors que le comportement de l’individu s’est stabilisé, la DISP initie une demande d’orientation. La DAP oppose une fin de non-recevoir le 23 décembre 2019, estimant la demande prématurée, d’autant qu’elle impliquerait toujours, selon elle, une prise en charge à Vendin-le-Vieil ([167]). Elle fait part de la nécessité de réévaluer cette situation à une date ultérieure.

Alors qu’en parallèle est mis en place un dispositif peu efficace d’évaluation ambulatoire réalisée par le binôme de soutien de psychologues de la MLRV ([168]), préalable à l’orientation, une seconde demande de la DISP est émise début mars 2020, peu de temps avant la levée de l’isolement de Franck Elong Abé. Le contexte sanitaire lié à la pandémie de covid-19 interrompt le traitement de cette demande.

b.   Les demandes auxquelles la directrice de la maison centrale d’Arles n’a pas donné suite

La CPU de la maison centrale d’Arles a demandé l’affectation en QER de Franck Elong Abé à cinq reprises : les 18 décembre 2019, 25 février 2020, 30 novembre 2020, 18 mai 2021 et 24 janvier 2022.

L’absence de traitement de ces demandes par la cheffe d’établissement sera analysée ultérieurement ([169]).

c.   La demande intervenue hors procédure, et trop tardivement

Malgré l’absence de suite donnée par la cheffe d’établissement, ainsi que par le SPIP des Bouches-du-Rhône ([170]), l’avis de la CPU émis le 24 janvier 2022 parvient néanmoins, selon une procédure hétérodoxe, jusqu’à la DISP de Marseille qui la transmet à l’administration centrale. M. Thierry Alves, directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est ‒ Marseille, a expliqué le circuit par laquelle était remontée l’information : « Il n’y a pas eu de rapport conjoint du directeur fonctionnel des services pénitentiaires d’insertion et de probation (DFSPIP) et de la cheffe d’établissement qui soit remonté à mon niveau. Mais à partir du moment où nous sommes avertis par l’intermédiaire d’un officier du bureau de la gestion de la détention (BGD), nous traitons l’information immédiatement en la faisant remonter. […] La prise en charge de M. Elong Abé devait très concrètement faire l’objet d’une analyse de la situation de celui-ci lors d’une prochaine commission prévue au niveau national. » ([171])

Deux ans et trois mois après avoir fait part de la nécessité de réévaluer la question de l’orientation en QER de Franck Elong Abé à une date ultérieure, la DAP avait inscrit cette question à l’ordre du jour de la commission centrale de supervision (CCS) du 17 mars 2022. Entretemps, Franck Elong Abe aura mortellement agressé Yvan Colonna.

2.   Le transfert à maison centrale d’Arles : les prémices du drame

a.   Un contexte complexe qui n’absout toutefois pas l’administration pénitentiaire

i.   Trois options, un choix discutable

À l’issue de sa détention au centre pénitentiaire d’Alençon-Condé-sur-Sarthe, Franck Elong Abé n’est pas orienté en QER, malgré l’avis unanime de la CPU de l’établissement ([172]). Lors de son audition par la commission d’enquête, M. Naoufel Gaied, chef de la mission de lutte contre la radicalisation violente (MLRV), a présenté la doctrine applicable en matière d’orientation : « Notre doctrine prévoit deux conditions au placement en QER. Il faut que le détenu puisse être évalué à l’instant t […], donc qu’il ne présente pas de troubles psychiatriques non stabilisés le rendant inaccessible à l’évaluation […]. Second critère : nous ne pouvons orienter en QER des personnes qui, en raison de ce placement, pourraient devenir violentes, et commettre par exemple un attentat pour des motifs idéologiques. » ([173])

La nette dégradation de l’état psychique de Franck Elong Abé décrite précédemment permet effectivement de douter de son accessibilité à l’évaluation. Il convient par ailleurs de relever que la CPU a notamment fondé son avis favorable à l’orientation sur l’absence « de risque suicidaire » ([174]), alors que lorsque la décision de non-orientation est prise par la DAP, le 13 septembre 2019, l’individu traverse une crise suicidaire aiguë qui s’est manifestée par une double tentative de passage à l’acte.

Au cours de ses travaux, la commission d’enquête s’est légitimement interrogée : si l’état psychique de Franck Elong Abé était si dégradé, rendant son orientation en QER impossible, pourquoi n’a-t-il pas, dès lors, été hospitalisé ? Lors de son audition, la docteure Christine-Dominique Bataillard, chef de pôle de l’unité sanitaire en milieu pénitentiaire (USMP) de la maison centrale d’Arles, apportait cette précision importante pour éclairer la procédure de prise de décision : « Nous ne participons pas aux décisions de transfert vers le QER. Le traitement des gens considérés comme étant islamistes reste complètement séparé. Ainsi, on ne nous questionne pas sur de potentiels transferts et nous ne répondrions pas si on nous questionnait. La seule réponse que nous apportons, quand nous pensons qu’un détenu a des troubles psychiatriques, c’est l’hospitalisation. Si la personne a des troubles psychiatriques susceptibles de gêner ou d’entraîner des violences, nous déclenchons une hospitalisation. » ([175]) Comme il a été expliqué précédemment, une procédure d’hospitalisation a bien été initiée en septembre 2019, sans aboutir, et sans que cette absence d’hospitalisation résulte d’une amélioration durable et manifeste de l’état de santé de Franck Elong Abé.

Le rapporteur estime que la procédure de l’été 2019 qui a conduit à la non-orientation en QER de Franck Elong Abé a bien été défaillante dans la mesure où les troubles psychiatriques non stabilisés justifiant sa non-orientation auraient dû entraîner son hospitalisation et non son transfert à la maison centrale d’Arles. Ce constat rejoint les propos tenus par la docteure Christine-Dominique Bataillard lors de son audition: « Qu’est-ce qu’un trouble ? Pour moi, un individu ayant un trouble est quelqu’un dont l’état n’est pas compatible avec le maintien en détention, soit parce qu’il risque de se mettre en danger, soit parce qu’il peut mettre en danger les autres. » ([176])

ii.   Une décision non conforme, à l’époque, à l’état du droit

Il apparaît par ailleurs que la pratique de l’administration pénitentiaire n’était pas conforme, en 2019, au droit, certes balbutiant, qui était applicable sur le fondement de la note DAP du 23 février 2017.

Le cadre juridique applicable, en 2019, à la procédure d’orientation en QER

Selon les termes de la note DAP du 23 février 2017 relative à l’évaluation des personnes détenues en QER (1):

« Toute personne écrouée pour des faits de terrorisme liés à l’islam radical peut être incarcérée dans l’un des établissements pénitentiaires comportant un QER en vue d’y être affectée.

« Ce public, poursuivi ou condamné pour des faits d’association de malfaiteurs en vue de commettre des actes terroristes, doit, autant que possible, être évalué QER, sauf à ce qu’il soit parfaitement connu par les professionnels (en raison d’une incarcération déjà longue) et sauf pour les cas où il y a une impossibilité d’ordre judiciaire en lien avec la sensibilité de l’affaire.

« Dans tout établissement pénitentiaire, en cas de suspicion de radicalisation ou de radicalisation avérée, la CPU formule un avis soumis à la décision du chef d’établissement qui, en fonction d’éléments vérifiés et circonstanciés, sollicite le transfert de l’intéressé dans l’un des établissements comprenant un QER, selon la procédure habituelle. »

(1) Les passages soulignés le sont par le rapporteur.

En effet, cette note ne prévoit que deux cas justifiant la non-orientation en QER : lorsque le détenu est parfaitement connu par les professionnels et lorsqu’il existe une impossibilité d’ordre judiciaire en lien avec la sensibilité de l’affaire. Si ladite note indique que la CPU rend son avis sur la capacité de la personne détenue à adhérer à un programme de prise en charge, elle prévoit néanmoins qu’en cas de difficulté, il peut être envisagé le placement sous le régime de l’isolement administratif ou son affectation dans un quartier pour les détenus violents ([177]).

Il faut attendre le décret du 31 décembre 2019 précité pour que soit introduite la disposition selon laquelle la personne doit être apte à bénéficier d’un programme et d’un suivi adaptés ([178]), et surtout la note DAP du 31 janvier 2022 pour que les profils présentant une pathologie psychiatrique avérée et non stabilisée rendant impossible leur évaluation et ceux pour lesquels une levée d’isolement ferait courir un risque imminent de passage à l’acte violent au cours de la session soient exclus, « à l’instant t », du dispositif d’orientation.

La doctrine applicable à l’été 2019 ne semble cependant pas connue de tous les acteurs puisque l’ancienne cheffe d’établissement de la maison centrale d’Arles a expliqué à la commission d’enquête que l’affectation en QER de Franck Elong Abé « n’avait pas été décidée dans son établissement précédent de Condé-sur-Sarthe, sans que nous sachions pourquoi » ([179]), alors que ses troubles du comportement étaient pourtant bien connus. Cette incompréhension est à mettre en perspective avec les éléments comparatifs dont fera état le rapporteur dans la prochaine section ([180]) et qui démontrent qu’au 2 mars 2022, Franck Elong Abé constituait le seul cas de détenu non-orienté en raison troubles du comportement non stabilisés.

b.   Le rôle de l’autorité judiciaire en question

i.   Un cadre d’intervention dont l’imprécision persiste

Deux éléments sont à prendre en compte pour comprendre le cadre dans lequel est intervenue l’autorité judiciaire – JAPAT et PNAT – dans la procédure de l’été 2019.

● L’orientation en QER n’est pas assimilable à une orientation au sens de l’article 211-9 du code pénitentiaire, qui intervient préalablement à une première affectation, où l’avis de l’autorité judiciaire, siège et parquet, est explicitement prévu.

Si le décret du 31 décembre 2019 ([181]) n’était pas en vigueur au moment des faits, celui-ci éclaire, a posteriori, sur la nature de cette procédure qui était encore balbutiante à l’été 2019, celle-ci ayant en effet procédé de la mise en œuvre de la stratégie de lutte contre l’islamisme radical en prison à partir de 2016. Les articles R. 57-7-84-13 à R. 57-7-84-24 du code de procédure pénale ([182]) sont venus préciser qu’il s’agit d’une mesure administrative – une mesure de gestion pénitentiaire – dont la compétence relève exclusivement du ministre de la Justice ou du DISP. L’autorité judiciaire n’intervient donc pas dans la procédure d’orientation, elle en est seulement informée.

● La note du 23 février 2017 précitée ne prévoyait que la sollicitation du magistrat instructeur, dans les cas d’AMT, pour obtenir la décision de transfert d’un prévenu. Pour les autres cas, et notamment les condamnés, le transfert se fait selon la procédure habituelle. À ce titre, l’article D. 82-1 du code de procédure pénale, aujourd’hui codifié à l’article D. 211-28 du code pénitentiaire, dispose que la décision de changement d’affectation d’une personne détenue condamnée « est prise, sauf urgence, après avis du juge de l’application des peines et du procureur de la République du lieu de détention ».

L’avis émis par l’autorité judiciaire ne porte donc pas sur l’opportunité de l’évaluation, mais sur la seule procédure de transfert, lorsque la décision d’orientation implique un changement d’établissement, notamment pour s’assurer du bon déroulement de l’information judiciaire ou des mesures d’exécution et d’aménagement de peine. Cette intervention, tout à fait légitime, intervient dans le cadre des décisions d’orientation et de transfert (DOT).

Néanmoins, le pôle d’application des peines antiterroristes du tribunal judiciaire de Paris a précisé au rapporteur que « dans les faits, l’administration pénitentiaire [le] sollicitait au-delà de ce que prévoient les textes, sur l’opportunité d’une affectation spécifique en quartier spécialisé QER ou QPR », le PNAT indiquant que « la collaboration quotidienne entre le PNAT et la DAP et la fluidité des échanges, presque informels, explique la teneur des avis émis dans le dossier ».  Le tribunal judiciaire de Paris et le PNAT ont confirmé que depuis la publication du rapport de l’IGJ, ils avaient recentré les avis qu’ils émettent sur la procédure de transfert et non sur l’opportunité de l’évaluation.

Si ces éléments ont été formalisés dans une dépêche de la DACG du 18 janvier 2023, les auditions conduites par la commission d’enquête ont mis en lumière le caractère insuffisant de la clarification opérée. Mme Cécile Delazzari, vice-présidente de l’Association nationale des juges de l’application des peines (ANJAP), faisait ainsi part de sa préoccupation quant au fait que « l’avis demandé au JAP et au procureur de la République n’est régi, dans les textes relatifs aux QER et aux QPR, que par un renvoi à un texte général qui concerne l’affectation et le transfèrement. Les textes actuels ne prévoient pas que ces magistrats doivent spécifiquement donner leur avis sur l’affectation en QER ou en QPR. On en reste au dernier alinéa de l’article R. 224-19 du code pénitentiaire ([183]) [...] Une véritable clarification des textes s’impose en la matière, notamment quand on lit les conclusions du rapport de l’IGJ qui appellent à une réévaluation du plan de prévention de la radicalisation » ([184]).

Recommandation n° 9

Clarifier, dans le code pénitentiaire, les modalités d’intervention de l’autorité judiciaire dans la procédure d’orientation en QER en définissant un cadre juridique spécifique et respectueux des prérogatives de chacun des intervenants.

ii.   Des avis réservés et très réservés qui ont pesé dans la décision

C’est donc en outrepassant leur rôle que le tribunal judiciaire de Paris et le PNAT ont rendu, par courriel, en juillet 2019, les avis suivants dans le cadre du transfert par mesure d’ordre et de sûreté de Franck Elong Abé :

– JAPAT : « avis réservé à l’affectation en QER compte-tenu de son profil : tapage, soutien à des actions de rébellion, dégradations, refus de toute mesure de sécurité » ([185]) ;

– PNAT : « avis très réservé à un transfert en QER de la région parisienne, compte tenu de son profil pénal et pénitentiaire, ce dernier multipliant les incidents alors qu’il vient déjà d’être transféré » ([186]).

Le second problème soulevé par ces avis est la place prépondérante qu’ils ont prise dans la décision de la DAP ([187]). Mais la responsabilité en est imputable à cette dernière, et à cette dernière seulement : la DAP est ici seule instigatrice – elle sollicite à ce titre l’avis de l’autorité judiciaire qui n’est pas intervenue d’elle-même – et décisionnaire.

c.   Les raisons et les conséquences de la mise en échec de la stratégie de la DAP 

i.   Une décision qui n’a pas été encadrée par des garanties suffisantes

M. Stéphane Bredin, directeur de l’administration pénitentiaire entre le 2 août 2017 et le 8 mars 2021, assume pleinement cette décision : « Nous avons choisi la maison centrale d’Arles, et c’était un choix très réfléchi. » ([188]) Si la stratégie présentée par M. Stéphane Bredin lors de son audition paraît tout à fait mûrie et cohérente – affectation dans une maison centrale sécuritaire, spécificité de l’organisation des bâtiments et de la détention, gestion initiale en QI, transition par le QSI, suivi psychologique et psychiatrique, prise en charge par le sport et par le travail ([189]) –, elle se heurte néanmoins, aux yeux du rapporteur, aux conditions de sa mise en œuvre qui ont été insuffisamment encadrées.

Il a été question, dans le rapport de l’IGJ et dans les travaux de la commission d’enquête, de l’éventuelle défiance du directeur de l’administration pénitentiaire vis-à-vis de la cheffe d’établissement qui aurait eu pour effet de rendre incohérente la stratégie précitée. Les éléments portés à la connaissance du rapporteur par M. Stéphane Bredin, alors directeur de l’administration pénitentiaire, ne lui permettent pas de reprendre cette hypothèse à son compte ([190]).

Compte tenu de la sensibilité et de la difficulté de la tâche il n’est cependant pas compréhensible qu’un suivi plus assidu de la situation à la maison centrale d’Arles n’ait pas été mis en place à la suite du transfert de Franck Elong Abé. Cette défaillance s’est manifestée, encore une fois, sur le sujet de son orientation en QER : cela sera démontré dans la prochaine section ([191]). Mme Corinne Puglierini comme M. Stéphane Bredin le reconnaissent :

– « Je n’avais pas reçu de consigne particulière indiquant qu’en cas d’amélioration de son état psychique, je devrais réaliser un dossier d’affectation au QER » ([192]) ;

– « Il aurait peut-être fallu, en 2021, réinterroger la décision qui avait été prise de ne pas l’envoyer en QER – lorsqu’on l’a fait en 2022, c’était trop tard. » ([193])

In fine, c’est M. Sébastien Nicolas, secrétaire général du Syndicat national pénitentiaire FO Direction, qui a résumé, devant la commission d’enquête, la mise en échec de la stratégie globale de la DAP. Pour lui, Franck Elong Abé « a connu un parcours en détention chaotique dans plusieurs établissements, est violent, avec des troubles psychologiques, présente des risques auto-agressifs et hétéro-agressifs, a été géré une grande partie de sa détention à l’isolement, etc. À Arles, il se passe quelque chose. Il passe, je crois, six mois à l’isolement puis neuf mois en quartier de réadaptation, et son comportement progresse. L’établissement accompagne cette progression car en [décembre] 2023, Franck Elong Abé doit être libéré. On ne peut pas laisser sortir un individu directement depuis l’isolement, surtout un tel profil, sauf à mettre la société en danger. Je comprends à la lecture des éléments qui m’ont été communiqués qu’il y a eu de la part de l’établissement une stratégie d’accompagnement de Franck Elong Abé vers cette échéance. Dans ce cadre, il n’y a pas eu ou il y a eu peu d’alertes particulières justifiant une attention particulière sur ce détenu. Rétrospectivement, cette stratégie apparaît comme une erreur. Elle a été mise en échec, c’est évident » ([194]).

ii.   Des conséquences indirectement dramatiques

Pour le rapporteur, l’origine de l’échec de la prise en charge de Franck Elong Abé est bien à rechercher dans la décision de l’été 2019 : l’administration pénitentiaire n’a pas tiré les conséquences de la poursuite de son approche sécuritaire qui s’est traduite, à ce moment-là, par le transfert pour mesure d’ordre et de sûreté à la maison centrale d’Arles. Les troubles psychiatriques non stabilisés justifiant sa non-orientation auraient dû entraîner soit une prise en charge sanitaire renforcée et adaptée à son profil, soit une réévaluation effective de la situation au moment de son apparente stabilisation.

Or, il apparaît que l’approche sécuritaire du cas de Franck Elong Abé, qui a prévalu tout au long de sa détention jusqu’en 2020, s’est brusquement relâchée lors de son accès à la détention ordinaire ([195]), et ce ne sont pas les neuf mois passés au QSI, où il provoque d’ailleurs deux incidents, qui apparaissent comme suffisants pour constater une stabilisation durable et effective de son comportement ([196]). Il faut insister sur le fait que ces neufs mois paraissent une goutte d’eau en comparaison des plus de cinq années passées à l’isolement. Lors de son audition, le chef de la détention de la maison centrale d’Arles a reconnu que l’isolement n’avait pas arrangé Franck Elong Abé d’un point de vue psychique ([197]).

Il convient également d’ajouter que la stabilisation constatée à la maison centrale d’Arles n’est qu’apparente et que les travaux de la commission d’enquête ont permis de révéler la nature grave des troubles psychiatriques de Franck Elong Abé. Lors de son audition, M. Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure, a indiqué que Franck Elong Abé a été « diagnostiqué schizophrène durant une incarcération en France » ([198]), avant son départ en zone afghano-pakistanaise. Au vu du parcours de l’individu présenté précédemment, ce diagnostic intervient probablement lors du passage en détention qu’il effectue après son expulsion du Canada, à la fin de l’année 2010. Cette information était tout à fait connue à la maison centrale d’Arles puisqu’elle a été confirmée par le délégué local au renseignement pénitentiaire (DLRP) ([199]). Lors de son audition, la docteure Christine-Dominique Bataillard expliquait les tenants et les aboutissants de cette appréciation : « Le terme "schizophrène" signifie "psychotique" ; il s’agit d’individus ayant des troubles du comportement et chez lesquels on constate, au niveau psychiatrique, une imprévisibilité et une possibilité de passage à l’acte, sans qu’on en comprenne vraiment le sens. Quand on connaît la personne et qu’on entre en discussion avec elle, on comprend que le passage à l’acte est souvent lié à un sentiment de persécution. » ([200])

Pour le rapporteur, le basculement d’une approche sécuritaire à une approche permissive du parcours carcéral de Franck Elong Abé, sans mise en œuvre d’un processus de rattrapage des opportunités écartées – l’orientation et l’évaluation en QER –, ni des garanties et des mesures de vigilance suffisantes, est constitutive d’une faillite manifeste de l’administration pénitentiaire. En ce sens, ce n’est pas tant la non-orientation en tant que telle que le processus, en amont et en aval, de la décision de non-orientation en QER de 2019 qui est révélatrice, aux yeux du rapporteur, de la défaillance majeure de la prise en charge de l’individu. Même s’il ne croit pas à la fatalité ‒ au sens étymologique du terme ‒, en cette matière comme en d’autres, le rapporteur constate que le contraste entre les deux approches précitées était trop fort, et dans ce clair-obscur a malheureusement fini par surgir l’agresseur d’Yvan Colonna.

3.   La situation à la maison centrale d’Arles : origine et expansion d’un « trou noir » administratif

a.   Pourquoi il était indispensable d’évaluer Franck Elong Abé en QER

La non-orientation de Franck Elong Abé au cours de l’année 2021 constitue la seconde faillite de l’administration pénitentiaire dans le sens où l’orientation en QER aurait permis d’accompagner le relâchement de la prise en charge sécuritaire de l’individu. Il s’agissait d’une évolution envisageable de la gestion de son parcours carcéral, compte tenu de la perspective de sa fin de peine, mais celle-ci devait être encadrée par des garanties suffisantes que l’évaluation en QER était en mesure d’apporter.

 

L’évolution du cadre juridique applicable à la procédure d’orientation en QER

Sur le fondement du décret du 31 décembre 2019 précité, les articles R. 57-7-84-13 à R. 57-7-84-24 du code de procédure pénale ont apporté les précisions suivantes (1) alors que la note DAP du 23 février 2017 demeure en vigueur :

● Lorsqu’une personne détenue majeure est dangereuse en raison de sa radicalisation et qu’elle est susceptible, du fait de son comportement et de ses actes de prosélytisme ou des risques qu’elle présente de passage à l’acte violent, de porter atteinte au maintien du bon ordre de l’établissement ou à la sécurité publique, elle peut être placée au sein d’un quartier de prise en charge de la radicalisation, dès lors qu’elle est apte à bénéficier d’un programme et d’un suivi adaptés. Le placement en quartier de prise en charge de la radicalisation intervient à l’issue d’une évaluation de la dangerosité réalisée au sein d’un quartier de prise en charge de la radicalisation spécialisé dans l’évaluation.

● Le placement est une décision administrative qui relève de la compétence exclusive du ministre de la justice ou du DISP.

(1) Les passages soulignés le sont par le rapporteur.

i.   Déterminer le régime de détention approprié

Le constat du rapporteur est confirmé par l’analyse que lui a transmise M. Stéphane Bredin, pour qui « la sortie du QSI vers la détention ordinaire […] aurait dû être le fruit d’une évaluation en QER […] pour deux raisons : une raison de principe, puisque c’est l’objet même de l’évaluation en QER de permettre de décider du régime de détention d’un détenu radicalisé (a fortiori pour ce détenu qui depuis 2015 a passé l’essentiel de sa peine à l’isolement) et une raison tenant au parcours même d’Elong Abé, avec la perspective de sa remise en en liberté assez proche ».

Cette approche est par ailleurs cohérente avec l’un des objectifs assignés aux QER par la note DAP du 31 janvier 2022 précitée qui est de « contribuer à évaluer les enjeux de sécurité et les modalités de gestion en détention ».

L’évaluation en QER de Franck Elong Abé avant son intégration à la détention ordinaire aurait constitué une mesure de prudence indispensable à la préparation de cette échéance, conformément à la vocation des QER de déterminer le régime de détention adapté au profil particulier des TIS. Il convient donc de la rendre obligatoire. Dans cette optique, il pourrait également être envisagé une réévaluation, éventuellement sous un format allégé, de tout détenu ayant initialement été affecté à l’isolement sur le fondement de son évaluation.

Recommandation n° 10

Rendre obligatoire l’évaluation ou la réévaluation d’un détenu condamné pour terrorisme islamiste (TIS) avant son intégration en détention ordinaire. 

ii.   Prévenir le risque de passage à l’acte violent

Le postulat du rapporteur est également fondé sur l’analyse de la première vice-présidente du tribunal judiciaire de Paris qui a confirmé que l’évaluation de Franck Elong Abé lui « paraissait indispensable puisque sa dangerosité n’avait jamais été évaluée » ([201]).

L’évaluation en QER, malgré ce qu’indique son nom, ne vise pas seulement à apprécier le degré de radicalisation d’une personne détenue. La radicalisation de Franck Elong Abé ne faisait aucun doute et elle n’a été minorée par personne. Selon la note DAP du 23 février 2017, le principal objectif du QER « est de déterminer le niveau de risque que la personne détenue présente de poser des actes de violence ». Cette notion est toujours prépondérante aujourd’hui, l’article R. 224-13 du code pénitentiaire disposant que « lorsqu’une personne détenue majeure est dangereuse en raison de sa radicalisation et qu’elle est susceptible, du fait de son comportement et de ses actes de prosélytisme ou des risques qu’elle présente de passage à l’acte violent, de porter atteinte au maintien du bon ordre de l’établissement ou à la sécurité publique, elle peut être » orientée en QER.

Les auditions de la commission d’enquête ont néanmoins permis de révéler une différence d’appréciation sur le rôle des QER quant à la prévention du risque de passage à l’acte violent. Alors que le rapport de l’IGJ indique qu’une « évaluation pluridisciplinaire aurait éventuellement permis de déconstruire le processus de violence à l’origine du passage à l’acte gravissime du 2 mars 2022 », le PNAT a estimé qu’une « évaluation n’est en rien une déradicalisation. Le QER ne vise pas à déconstruire un processus violent, ce qui est pourtant écrit dans le rapport. Le QER est là pour évaluer » ([202]).

Le rapporteur estime que l’évaluation de Franck Elong Abé était indispensable, à compter de sa sortie de l’isolement, une fois apaisés les troubles psychiatriques qui justifiaient jusqu’ici sa non-orientation, afin d’identifier et de prévenir le risque de passage à l’acte violent que présentait son intégration à la détention ordinaire après presque cinq années d’isolement, conformément à l’objectif des QER dont le rapporteur estime qu’il doit être renforcé et mieux identifié.

Recommandation n° 11

Renommer les quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER) en quartiers d’évaluation de la radicalisation et de la dangerosité (QERD), et renforcer, en leur sein, l’évaluation du risque de passage à l’acte violent afin de mieux le prévenir.

b.   Une dilution des responsabilités à tous les niveaux de l’administration pénitentiaire

i.   La défaillance grave de la cheffe d’établissement

La note DAP du 23 février 2017 précitée ne souffre d’aucune ambiguïté sur le rôle du chef d’établissement dans la mise en œuvre de la procédure d’orientation : sur la base de l’avis de la CPU, celui-ci décide, en fonction d’éléments vérifiés et circonstanciés, de solliciter le transfert à la DISP en produisant un rapport pour justifier le besoin d’évaluer la personne. Le 17 juillet 2021, la DAP est venue rappeler la procédure en y joignant un schéma explicatif lui aussi tout à fait limpide.

le rÔle du chef d’Établissement dans la procÉdure d’orientaton

Source : note DAP du 17 juillet 2021.

Pourtant, la cheffe d’établissement n’a transmis spontanément aucun des comptes rendus de CPU ([203]) et n’a, à aucun moment, initié la mise en œuvre de la procédure alors qu’elle avait fait de la gestion et du suivi des détenus TIS sa prérogative exclusive au sein de l’équipe de direction, ainsi que le souligne le rapport de l’IGJ.

Dans les éléments écrits qu’elle a transmis au rapporteur, Mme Puglierini apporte cette explication : « J’ai gardé à mon niveau les préconisations de la CPU. Je me suis convaincue, à tort, d’attendre plutôt la fin de peine pour solliciter ce passage en QER, sa radicalisation étant avérée. » ([204]) Le rapporteur ne peut que déplorer cette méconnaissance profonde des objectifs de l’évaluation qui ne se limitent pas, ainsi qu’il l’a développé précédemment, à l’appréciation de la radicalisation de la personne détenue.

ii.   Un défaut de vigilance généralisé

L’absence de suivi par la DAP de sa stratégie globale de gestion du « cas » Franck Elong Abé s’est particulièrement manifestée dans la question de son orientation en QER.  Si la responsabilité de la cheffe d’établissement est accablante, les informations qu’elle a portées à la connaissance de la commission d’enquête le sont tout autant pour l’administration pénitentiaire, à la fois au niveau déconcentré et au niveau central :

– « Le QER a aussi pour objectif de déterminer si les personnes radicalisées doivent être gérées à l’isolement, ou peuvent être gérées en détention ordinaire. À son arrivée, Franck Elong Abé a été directement placé en isolement. Nous avons ensuite demandé la prolongation de cet isolement, avant d’en demander la levée, sur la base d’un rapport adressé à la direction interrégionale et à la direction de l’administration pénitentiaire. La hiérarchie aurait alors pu demander une affectation au QER avant d’accepter la levée d’isolement. Cela n’a pas été le cas. De même, la direction interrégionale a accepté les demandes de travail de Franck Elong Abé sans y faire obstacle » ([205]) ;

– « Lors des décisions importantes prises à l’égard de M. Elong Abé dans son parcours de détention (sortie du quartier isolement, classement en formation professionnelle, prise en charge en détention ordinaire, classement au poste d’auxiliaire des salles de sport du bâtiment A) jamais l’absence de passage en QER n’a été objecté au niveau local, interrégional ou par les services de la DAP pour empêcher ces évolutions » ([206]) ;

– « J’assume ma part de responsabilité dans l’appréciation que j’ai faite de la situation de M. Elong Abé, et le non envoi d’une proposition de passage en QER plus tôt dans son parcours. Je regrette que les parties prenantes de la DISP ne m’aient pas alerté voyant que rien n’était initié au niveau de l’établissement. Je souligne que le SPIP n’a pas non plus initié ce rapport alors que la note du 17 juillet 2021 lui en donne la possibilité. La MILRV qui par deux fois est intervenue auprès des services de la DAP ne m’a pas de mémoire associé à ces démarches qui pourtant m’auraient éclairées. Ce défaut de communication et de fluidité, rajoutés à mon appréciation inadaptée, ont été préjudiciables à la bonne gestion du dossier » ([207]).

Deux éléments ont par ailleurs été mis en avant par l’administration pénitentiaire pour justifier la faille représentée par le « cas » Franck Elong Abé dans la mise en œuvre de la stratégie globale d’évaluation des TIS : la réorientation de cette stratégie à compter de l’été 2019 et la crise du covid-19. Le rapporteur tient à apporter des précisions sur ces deux points.

● Lors de son audition, M. Stéphane Bredin a expliqué qu’après l’attentat de Condé-sur-Sarthe commis par un détenu radicalisé non TIS, « au cours du second semestre 2019 et de l’année 2020, la priorité était d’évaluer les radicalisés de droit commun » ([208]).

Si cette réorientation stratégique se comprend – le rapporteur y reviendra dans la seconde partie –, elle ne saurait justifier qu’elle puisse avoir été opérée au détriment de la prise en charge des TIS non encore évalués, surtout lorsqu’une procédure de sortie de l’isolement était enclenchée en l’absence d’évaluation de la dangerosité. Il convient également de préciser que le plan national de prévention de la radicalisation prévoyait déjà, dès février 2018, la création d’un nouveau QER pour l’évaluation des détenus de droit commun.

● Concernant le covid-19, s’il faut souligner le caractère proactif de DISP de Marseille jusqu’à la pandémie puisqu’elle initie les demandes d’orientation de la fin de l’année 2019 et du début de l’année 2020, après cette date, plus aucun acteur, en dehors des CPU au sein de l’établissement, ne se saisira de la question pendant près de deux ans.

Le contexte pandémique, qui a durement éprouvé l’administration pénitentiaire et exigé une implication extraordinaire de ses agents, n’explique pas tout. Selon les informations recueillies par le rapporteur, les évaluations en QER, suspendues le 16 mars 2020, n’ont pas attendu 2022 pour reprendre. Sur la seule année 2020, ce sont quatorze sessions qui sont initiées à compter du 27 avril 2020. Ces sessions ont permis l’orientation de 143 détenus sur l’année 2020 : il s’agit d’un record.

Bilan statistique des évaluations en QER

Entre le 17 septembre 2017 et 6 janvier 2023, 604 détenus ont été évalués au cours de 71 sessions de quinze semaines, comprenant chacune quatre à douze détenus, au sein des sept QER existants : quatre au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil, un au centre pénitentiaire de Fresnes, un à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis et un à la maison d’arrêt d’Osny-Pontoise.

Au cours de la période 2019-2021, ce sont 142 détenus qui ont été évalués, en moyenne, chaque année.

Depuis 2022, la réduction du nombre d’évaluations s’explique par l’assèchement du vivier des détenus restant à évaluer et par la fermeture de deux QER à Vendin-le-Vieil afin de créer le centre national d’évaluation de la radicalisation (CNER) prévu pour l’évaluation des détenus en fin de peine.

Le seul impact de l’épidémie de covid-19 concerne le moindre nombre de détenus dont l’évaluation s’est achevée au cours de l’année 2020, dans la mesure où l’épidémie a « gelé » les affectations au cours du premier trimestre de l’année : cela a eu pour effet de reporter mécaniquement sur 2021 l’effet du rattrapage initié à partir du déconfinement du printemps 2020.

Évolution du nombre de dÉtenus orientÉs (1) et ÉvaluÉs (2) en QER

Source : commission d’enquête, à partir des données transmises par la MLRV.

(1) Au sens où le détenu a commencé son évaluation au cours de l’année.

(2) Au sens où le détenu a achevé son évaluation au cours de l’année.

c.   Le cas de Franck Elong Abé dans une perspective comparative

i.   Au niveau national, un cas unique en son genre

Les informations transmises par la DAP au rapporteur font état, au 2 mars 2022, de 482 TIS incarcérés. Parmi eux, quarante n’avaient pas fait l’objet d’une évaluation en QER, soit 8 %. La grande majorité est constituée d’individus non orientés en raison de leur dangerosité, c’est-à-dire ceux pour lesquels est identifié un risque de passage à l’acte grave et imminent.

Dans cette liste, Franck Elong Abé constitue le seul cas de détenu non orienté en raison de troubles du comportement non stabilisés. Ce constat ne peut qu’interpeller le rapporteur, notamment du fait de la forte prévalence des troubles du comportement chez les personnes détenues.

La situation psychique des TIS évalués en QER

Le rapport de MM. Xavier Crettiez et Romain Seze (1), publié le 5 décembre 2022, a montré que, sur 353 TIS évalués, 8 % d’entre eux souffrent de troubles psychiatriques et 38 % de vulnérabilités psychologiques (vulnérabilités faibles pour 22 %, moyennes pour 12 % et fortes pour 4 %).

Les auteurs écrivent que « ces chiffres sont cependant sous-évalués dans la mesure où les agents de l’administration pénitentiaire n’affectent pas en QER les personnes dont les troubles psychologiques ou psychiatriques sévères rendraient cette orientation incompatible avec leur intérêt. On estime à moins d’une quinzaine le nombre de personnes incarcérées pour des faits de terrorisme et non affectées en QER pour raisons de santé. En entretiens, les professionnels sollicités confirment le très faible nombre d’individus psychotiques, "même si quelques-uns ont des fragilités psychologiques" ».

(1) Sociologie du djihadisme français : https://www.vie-publique.fr/rapport/287439-sociologie-du-djihadisme-francais)

Si l’on exclut de l’analyse les situations particulières – jeunes majeurs, personne transgenre, malade ou handicapée, prévenus du procès du 13 novembre (identifiés par le code « V13 » dans le tableau ci-après) – ou récentes – en se limitant ainsi aux personnes écrouées avant 2020 –, ce sont en fait dix-sept TIS qui n’avaient pas fait l’objet d’une évaluation au 2 mars 2022 : deux en raison de l’opposition du magistrat instructeur ([209]), quatorze en raison de leur dangerosité, et Franck Elong Abé.

situation des quarante TIS NON évalués au 2 mars 2022

Date d’écrou initial

Motif de la non-orientation

06/11/1995

Dangerosité

01/12/2005

Dangerosité

01/01/2006

Dangerosité

08/03/2007

Opposition judiciaire

06/05/2011

Dangerosité

02/04/2012

Dangerosité

28/04/2012

Dangerosité

15/05/2012

Transgenre

14/02/2013

Dangerosité

14/03/2014

Dangerosité

22/05/2014 (1)

Fragilités psychiatriques

23/01/2015

Dangerosité

02/03/2015

Dangerosité

27/04/2016

Dangerosité

05/10/2016

Dangerosité

29/08/2017

Handicap

08/09/2017

Opposition judiciaire

05/06/2018

V13

15/11/2018

Jeune majeur

27/12/2018

Dangerosité

31/05/2019

Dangerosité

04/09/2019

V13

25/01/2020

Jeune majeur

08/04/2020

Dangerosité

09/10/2020

Dangerosité

22/10/2020

Dangerosité

07/12/2020

Dangerosité

19/12/2020

Opposition judiciaire

19/12/2020

Opposition judiciaire

19/12/2020

Opposition judiciaire

19/12/2020

Opposition judiciaire

19/12/2020

Opposition judiciaire

12/02/2021

Dangerosité

30/04/2021

Dialyses

23/06/2021

Écrou récent

01/07/2021

V13

02/07/2021

V13

05/07/2021

V13

15/12/2021

Écrou récent

04/02/2022

Écrou récent

(1) Date d’écrou initial de Franck Elong Abé.

Source : DAP.

Les données présentées ci-dessus s’avèrent néanmoins limitées par la réponse apportée au rapporteur par la DAP qui estime que la collecte de certaines d’entre elles « supposerait l’examen de chacune des 482 situations ». Le rapporteur ne peut que déplorer fortement cette réponse qu’il juge très insuffisante et qui n’est pas à la hauteur de la soif de compréhension et de vérité qui s’est légitimement exprimée après le décès d’Yvan Colonna.

ii.   La confirmation d’une situation particulièrement anormale à la maison centrale d’Arles en matière d’évaluation des profils radicalisés

Alors que la maison centrale d’Arles ne comprenait, au 2 mars 2022, que quatre TIS, soit moins de 1 % de la population TIS globale, un seul avait fait l’objet d’une évaluation en QER, et ce avant son arrivée dans l’établissement. Alors qu’au niveau national, le taux de détenus TIS non évalués est de 8 %, il atteignait, au moment des faits, 75 % à Arles.

Ces chiffres confirment une situation qui ne semble pas pouvoir être expliquée par des éléments objectifs. Même en excluant le cas particulier de Smaïn Aït Ali Belkacem, la situation au sein de la maison centrale apparaît comme d’une particulière gravité puisqu’aucun détenu TIS n’y a fait l’objet d’une évaluation initiée par la direction de l’établissement. Outre Franck Elong Abé, le cas d’Hussen Aroua ([210]), impliqué dans la vague d’attentats de 1985-1986, est lui aussi resté ignoré jusqu’à la CCS du mois de mars 2022 ([211]).

Ce constat inquiète fortement sur la réalité du suivi hiérarchique mis en place par l’administration pénitentiaire concernant la gestion de la maison centrale d’Arles en particulier, et la mise en œuvre de la stratégie de lutte contre l’islam radical en détention en général.

C.   UN CLASSEMENT AU SERVICE GÉNÉRAL QUI A suscité la stupéfaction de LA COMMISSION D’ENQUÊTE

Le rapporteur a souhaité conclure ce chapitre relatif au parcours carcéral de Franck Elong Abé par une section spécifique consacrée à la question de son classement au service général de la maison centrale d’Arles tant elle symbolise, à ses yeux, les dérives qui se sont manifestées dans sa prise en charge.

Le rapporteur tient néanmoins à souligner le fait qu’un tel classement n’a pas constitué, en soi, la condition sine qua non de l’agression mortelle d’Yvan Colonna. Toutes choses égales par ailleurs, Franck Elong Abé aurait parfaitement pu perpétrer cet acte barbare sans être classé auxiliaire. Toutefois, un tel constat ne minimise en rien les défaillances relevées, qui ont conduit à l’affectation de cet individu au service général de l’établissement.

1.   Une situation qui renforce la conviction selon laquelle la prise en charge de Franck Elong Abé a fait l’objet de graves défaillances à Arles

a.   Une décision dont le caractère incompréhensible est aggravé par les éléments statistiques révélés par le rapporteur

i.   Une prise de risque inconsidérée en l’absence d’évaluation de la dangerosité de l’individu

Le 17 septembre 2021, Franck Elong Abé est classé par la CPU en tant qu’auxiliaire de nettoyage des salles de sport du bâtiment A alors que, la veille, la commission de discipline prononce à son encontre cinq jours de cellule disciplinaire avec sursis pour un double incident tapage et menace envers un personnel de surveillance commis le 25 août 2021.

Lors de son audition, le chef de la CIRP de Marseille a affirmé qu’aucun chef d’établissement « n’aurait pris le risque de sortir ce détenu de l’isolement et de le classer dans une formation jardins et espaces verts, puis au travail, sans avoir évalué les choses avec justesse » ([212]).

Qu’il soit permis au rapporteur de douter de cette affirmation, notamment parce que la cheffe d’établissement n’a pas procédé à une évaluation sérieuse de la dangerosité de Franck Elong Abé dans la mesure où elle n’a pas engagé de procédure d’orientation en QER comme préalable à son intégration à la détention ordinaire. Pour M. Jean-Jacques Urvoas, ancien garde des Sceaux : « L’évaluation vise à détecter la dangerosité éventuelle d’un détenu. Quand sa dangerosité est avérée, sa prise en charge doit être adaptée, et il faut que le suivi soit individualisé. Dans le cas d’espèce, l’isolement ou le quartier pour détenus violents doivent être privilégiés. Je conçois mal qu’un détenu dangereux – on ne peut contester que ce soit le cas, en l’espèce, au regard du profil que vous avez décrit – puisse servir en tant qu’auxiliaire. C’est quelque chose qui surprend, qui conduit à s’interroger. » ([213])

La réalité de ce qui s’est passé à la maison centrale d’Arles est donc probablement plus proche de la situation décrite par M. Emmanuel Baudin, secrétaire général du Syndicat national Force ouvrière Justice : « On veut toujours donner sa chance à un détenu, même s’il a été l’auteur de multiples agressions. On va le transférer dans un nouvel établissement – car c’est la seule solution – et une fois arrivé, on va lui redonner sa chance. Cela aboutit à classer "auxi" quelqu’un qui n’aurait pas dû l’être, et qui un jour tue son codétenu. » ([214])

ii.   Un cas authentiquement hors normes

Selon les informations transmises au rapporteur par la DAP, au 10 février 2023 :

– sur 223 détenus inscris au répertoire DPS, 56 étaient classés à un emploi, dont seulement 29 au service général ;

– parmi ces détenus DPS ne figuraient que 7 TIS ([215]), la totalité d’entre eux étant classés en atelier et aucun au service général.

La situation de Franck Elong Abé à la maison centrale d’Arles constituait donc un cas littéralement exceptionnel ([216]), et en tout cas sans équivalent aujourd’hui.

Si le rapporteur ne remet pas en cause le fait qu’un détenu TIS, même DPS, puisse accéder au classement au travail – à condition que son comportement soit favorable et qu’une évaluation de sa dangerosité le permette – il juge plus pertinent que cela se fasse par un classement aux ateliers – qui impliquent une moindre autonomie de déplacement – plutôt qu’au service général. En effet, faut-il ici rappeler que les TIS ne sont pas des détenus qui auraient vocation à être gérés comme les autres ? Lors de son audition, M. Stéphane Bredin rappelait en effet les éléments suivants : « Il a beaucoup été dit que l’administration pénitentiaire avait acquis de longue date un savoir-faire dans la gestion des détenus terroristes, avec les détenus basques, dès les années 1970-1980, avec l’ultra-gauche et Action directe, ou avec les détenus corses, à certaines époques. Si les mots sont les mêmes, ils renvoient à des réalités très différentes : on n’a jamais vu un détenu basque prosélyte en détention, ni un détenu corse ou d’Action directe attenter à la vie d’un personnel de surveillance. La singularité du terrorisme islamiste a conduit à repenser totalement la prise en charge des détenus terroristes, car les risques qui lui sont associés n’ont rien de commun avec ceux que présentaient les terroristes que l’administration pénitentiaire a eu à gérer pendant les quarante années précédentes. Le premier est le risque prosélyte, qui nécessite de surveiller les contacts, l’environnement, les relations des détenus "terro" avec leurs codétenus – d’où la notion qui s’impose, dans les années 2017 et 2018, d’ "étanchéité", de places étanches à créer par rapport au reste de la population pénale. Le second risque est celui d’un passage à l’acte violent en détention : c’est la nouveauté radicale du terrorisme islamiste, dès lors qu’il pénètre dans nos centres de détention. » ([217])

Or, dans le cas présent, Franck Elong Abé a été classé au service général et ce alors que son comportement ne le justifiait pas – au contraire – et qu’aucune évaluation de sa dangerosité n’avait été entreprise.

Par ailleurs, le classement de ce détenu inscrit au répertoire DPS aurait dû faire l’objet d’une vigilance renforcée à la maison centrale d’Arles. Le directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est  Marseille, qui a été saisi de la demande et ne s’y est pas opposé, a en effet indiqué ceci : « Les chefs d’établissements ont proposé un classement, mes services en ont été avisés, j’ai moi-même été informé du fait que Franck Elong Abé ferait l’objet d’une surveillance durant l’exercice de son travail. Il a été répondu – car je ne suis pas décideur en la matière – que ce classement ne pourrait se faire qu’à travers la mise en place d’une sécurité renforcée autour de l’intéressé. » ([218])

b.   Une décision à ce point choquante qu’elle a suscité l’émergence de certaines théories qui se sont néanmoins révélées infondées

Face à cette situation qui a dépassé l’entendement de la commission, l’hypothèse selon laquelle ce régime de faveur aurait pu s’expliquer par le fait que Franck Elong Abé aurait été une source du renseignement pénitentiaire a finalement été explicitement démentie par le chef de la CIRP de Marseille : « Franck Elong Abé n’est pas une source du renseignement pénitentiaire et ne l’a jamais été. » ([219])

Une seconde explication aurait pu être trouvée dans le fait que Franck Elong Abé aurait exercé des pressions auprès de ses codétenus pour obtenir le classement d’« auxi-sport ». Au-delà des éléments recueillis à l’occasion de l’audition du DLRP ([220]), le rapporteur a sollicité le SNRP afin d’éclairer la commission d’enquête sur cette hypothèse.

Selon les informations transmises par le SNRP, un signalement dans l’applicatif du service a bien effectué le 19 août 2021. Sa teneur est la suivante : « Provenant d’un capteur humain, elle relate le fait que FEA [Franck Elong Abé] exercerait des pressions sur plusieurs détenus aux fins de salir la douche, le local poubelle et les coursives et fait un lien entre le déclassement d’un auxiliaire de nettoyage et ces pressions. »

Le DLRP de la maison centrale d’Arles a souhaité apporter, dans les observations complémentaires à son audition qu’il a adressées au rapporteur, les précisions suivantes :

– les faits ont été relatés par un détenu dont la fiabilité et la crédibilité sont à relativiser compte tenu de son profil psychiatrique ;

– dans l’hypothèse, non privilégiée, où les faits seraient avérés, le détenu déclassé le 19 août 2021 occupait en tout état de cause le poste d’auxiliaire d’étage, et non d’auxiliaire des salles d’activités ;

– Franck Elong Abé avait également postulé, depuis son arrivée à Arles, sur d’autres postes de travail, notamment les ateliers ou comme auxiliaire d’étage, démontrant qu’il ne visait donc pas en particulier le poste d’auxiliaire chargé du nettoyage des salles de sport, mais qu’il souhaitait avant tout travailler, quel que fût le poste occupé ([221]).

Pour expliquer cette décision, le rapporteur n’est pas en mesure d’apporter d’autres éléments que ceux qu’il a d’ores et déjà étayés : une absence d’évaluation de la dangerosité de l’individu et une mauvaise appréciation de celle-ci couplées à un manque de vigilance et de prudence généralisé confirmant le sentiment d’un laisser-aller manifeste dans la gestion de l’individu. Son caractère dissimulateur et manipulateur mérite également d’être rappelé. Le rapporteur mentionne une nouvelle fois, ici, l’observation Genesis formulée l’avant-veille de l’agression mortelle, survenue dans la salle de cardio-musculation alors que Franck Elong Abé venait y faire le ménage : « Personne détenue qui semble penser bénéficier de passe droits en étant auxiliaire sport ».

2.   L’impérieuse nécessité d’encadrer les conditions du classement au travail des détenus sensibles

Le rapporteur estime nécessaire de formuler deux types de recommandations concernant la procédure de classement au travail des détenus en général, et celle des détenus présentant un profil sensible en particulier. Il s’est efforcé de garder en tête l’avertissement formulé par Mme Dominique Simonnot lors de son audition ([222]) : aucune des recommandations ci-après ne pose en effet d’interdiction de principe fondée sur le statut du détenu ([223]).

a.   Définir les conditions de classement et de déclassement d’un détenu

La nécessité de définir des critères clairs et objectifs de classement des détenus procède de l’audition des chefs d’établissements :

– M. Marc Ollier, chef d’établissement de la maison centrale d’Arles : « Le comportement du détenu jouera également, même s’il n’existe pas de critère strict d’évaluation à cet égard. Parmi les conditions pour être classé figurent l’absence d’agression envers un codétenu, sauf si elle remonte à plus de dix ans, ou si elle reste mineure, et l’absence d’agression envers le personnel. Un détenu qui se sera bien comporté sera classé à peu près n’importe où. Un détenu qui aura été "hyper-agressif" avec d’autres détenus ou envers le personnel ne sera pas classé » ([224])  ;

 M. Philippe Lamotte, secrétaire national du Syndicat national pénitentiaire FO Direction : « J’ai pour politique que tout incident provoqué par un détenu déclenche une période de deux mois d’attente avant un éventuel classement. Durant ce laps de temps, soit le détenu améliore son comportement, auquel cas il peut reformuler une demande de classement qui passera en CPU et il sera, ou non, classé ; soit il cause un nouvel incident, alors la période d’attente est prolongée de deux mois » ([225]).

Recommandation n° 12

Définir des critères objectifs, notamment en ce qui concerne le comportement, pour permettre le classement d’un détenu au travail.

Au-delà de l’intérêt de définir des critères objectifs, notamment en termes de comportement, que le détenu doit satisfaire pour pouvoir être classé au travail, ces éléments sont éclairants quant au fait que le classement de Franck Elong Abé n’aurait manifestement jamais dû advenir compte tenu de son comportement, a fortiori à la lumière des faits constatés juste avant son classement.

Recommandation n° 13

Prévoir de manière expresse que, dès lors qu’un détenu candidat au classement provoque un incident ou adopte un comportement répréhensible, la possibilité de candidater à un tel classement est suspendue pendant une période donnée, en fonction de la gravité des faits.

 L’introduction de critères pour le classement implique nécessairement qu’une procédure de déclassement puisse être mise en œuvre lorsque ceux-ci ne sont plus respectés, y compris en dehors du cadre de l’emploi. C’est M. Yoan Karar, secrétaire général adjoint pour le Syndicat national Force ouvrière Justice qui a appelé l’attention de la commission d’enquête sur ce sujet : « Au sujet du classement, nous remarquons que cela sert au personnel de direction à acheter la paix sociale, pensant que les détenus amélioreront peut-être leur comportement. En revanche, en cas de problème, il est très difficile de déclasser un détenu, même pour faits de violence ou des insultes. Le déclassement doit obligatoirement être en rapport avec une faute commise dans le cadre de son emploi. Au niveau de vos conclusions, nous vous invitons à faire évoluer cela. Il faudrait pouvoir déclasser le détenu à tout moment lorsque son comportement en détention n’est pas satisfaisant. À Arles, je suppose que la directrice a été prise au piège, ne pouvant déclasser le détenu Franck Elong Abé malgré les alertes qu’elle a pu recevoir. » ([226])

Recommandation n° 14

Prévoir la possibilité de déclasser à tout moment un détenu lorsqu’il ne satisfait plus aux critères qui ont fondé son classement au travail, y compris pour des motifs étrangers à l’exercice direct de l’activité réalisée à ce titre.

b.   Instaurer des mesures de vigilance suffisantes pour le classement des détenus dangereux

Pour le rapporteur, l’une des principales leçons qui doit être tirée du drame du 2 mars 2022 doit consister à mieux encadrer – sans le supprimer – le classement au travail des détenus sur certaines missions, et ce sur le fondement de critères objectifs – et non sur celui de leur statut –, c’est-à-dire lorsqu’ils présentent un risque de passage à l’acte violent envers les autres, cette dangerosité ayant préalablement été évaluée, pour les TIS, dans le cadre de leur évaluation en QER.

Cette mesure d’encadrement consisterait à proscrire le classement de ces détenus aux missions du service général impliquant une trop grande autonomie, notamment en termes de déplacement. Elle aurait donc pour effet de privilégier le classement aux ateliers, conformément à la pratique la plus répandue concernant les TIS, et à la pratique quasiment systématique pour les TIS classés DPS.

À défaut, et compte tenu du nombre insuffisant de personnels pour surveiller l’ensemble des activités ([227]), le rapporteur souhaite introduire dans le débat l’idée d’assortir les déplacements de ces détenus de garanties suffisantes en termes de surveillance, y compris a posteriori, par exemple en étudiant la possibilité de les doter, pour l’exercice de leurs tâches en autonomie, d’une caméra piéton. Le rapporteur relève, par ailleurs, que l’introduction de ces caméras est déjà expérimentée, au bénéfice des surveillants pénitentiaires dans le cadre du décret du 23 décembre 2019 ([228]).

Recommandation n° 15

Proscrire le classement des détenus présentant un risque de passage à l’acte violent aux missions du service général impliquant une autonomie de déplacement.

À défaut, assortir l’autonomie de déplacement de garanties suffisantes en termes de surveillance, y compris a posteriori, par exemple en étudiant la possibilité de doter ces détenus d’une caméra piéton pour l’exercice de leurs tâches.


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  Seconde partie : l’agression mortelle du 2 mars 2022, une tragÉdie qui appelle une prise de conscience collective

I.   un drame qui trouve son origine dans des dysfonctionnements qui auraient dÛ alerter l’administration pÉnitentiaire

Les travaux de la commission d’enquête, comme ceux de l’IGJ, ont révélé un certain nombre de défaillances dans le fonctionnement de la maison centrale d’Arles. La longue agression dont a été victime Yvan Colonna n’est pas uniquement le fruit d’une succession de manquements le jour du drame ; plus largement, elle s’explique également par les failles dans l’appréciation de la dangerosité de son auteur. S’il se gardera d’affirmer catégoriquement que le drame du 2 mars 2022 était évitable, le rapporteur se doit de faire état des facteurs qui ont, à ses yeux, clairement conduit à cette issue fatale pour Yvan Colonna.

A.   À lA MAISON CENTRALE D’arles, des dÉfaillances ÉclairÉes par les travaux de la commission d’enquÊte

1.   Une maison centrale supposée sécuritaire

a.   Un établissement remis en service en 2009

Implantée dans une zone industrielle située au nord de la commune d’Arles, la maison centrale d’Arles a été mise en service une première fois le 1er juin 1991 dans le cadre du programme 13 000 ([229]) initié par la loi du 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire ([230]). Une crue du Rhône, nécessitant l’évacuation des 193 détenus ([231]), endommage gravement l’établissement en 2003. La maison centrale ne sera rouverte que le 6 octobre 2009 « sur un projet spécifique d’accueil des profils lourds et son architecture a été conçue en ce sens » ([232]). À cette fin, les locaux font l’objet de travaux de rénovation conséquents portant à la fois sur les aspects sécuritaires, le lien avec les familles et les conditions d’hébergement : 

– 4 800 mètres de rouleaux fils barbelés « concertina » et un nouveau système d’étanchéité entre les deux bâtiments du site ont été mis en place. Des barrières électriques ont été installées sur les toits de tous les bâtiments de moins de deux étages. Enfin, les systèmes de caméras et d’alarme ont été complétement modernisés ;

– trois salons familiaux et deux UVF ont été créés pour faciliter et renforcer les liens entre les détenus et leurs proches ;

– les zones d’hébergement ont été concentrées dans les étages afin de limiter les risques d’évasion. Le gymnase, les cours de promenade, l’unité sanitaire et la cuisine ont également été entièrement rénovés afin d’améliorer les conditions de vie des détenus.

Après la réouverture de 2009, le DAP a établi une « feuille de route de la maison centrale d’Arles » en date du 16 mai 2011, instituant un régime sécuritaire dit de « portes fermées » et des modalités de gestion de la détention visant à prévenir la violence ainsi qu’à assurer la sécurité du personnel.  Cette nouvelle stratégie s’est traduite notamment par la création du QSI, de « mini-CPU » et par la mise en place de « débriefings » techniques ([233]). L’établissement s’est donc inscrit, depuis 2009, dans une véritable stratégie sécuritaire afin d’accueillir des détenus aux profils difficiles.

● Les bâtiments et les aires aménagées de la maison centrale couvrent aujourd’hui une superficie de 30 000 mètres carrés sur un domaine d’une emprise de 11 hectares. L’établissement se décompose en :

– deux zones d’hébergement avec un bâtiment A et un bâtiment B formant un arc de cercle et comprenant respectivement 55 et 104 places. Ces deux bâtiments sont chacun composé de deux ailes ;

– une partie centrale comprenant sur deux niveaux les locaux communs de la détention et les services administratifs ;

– une zone d’ateliers de production et de formation professionnelle située à droite de la partie centrale, représentant une superficie de 2 000 mètres carrés ;

– des espaces extérieurs dévolus à la pratique du sport (stade et gymnase) et du jardinage.

b.   Description des deux bâtiments d’hébergement

● Au rez-de-chaussée, l’aile droite du bâtiment A comprend onze cellules dont une destinée aux personnes à mobilité réduite, une de protection d’urgence, cinq au quartier des arrivants et, dans son prolongement, quatre au QSI. Le QSI constitue une particularité de la maison centrale d’Arles dont la finalité est de préparer l’intégration des personnes instables, fragiles ou vulnérables en détention ordinaire et de leur éviter ainsi un placement à l’isolement. Dans l’aile droite, huit salles d’activités, se trouvent à proximité des grilles d’accès.

L’aile gauche du bâtiment A est composée de 13 salles d’activités dont une salle de cardio training, une bibliothèque, deux espaces d’activités libres, un local de coiffure, une salle de douche et un local pour le rangement du matériel d’entretien. Au fond de l’aile se situe l’accès aux UVF. Au total, le bâtiment A représente une zone à surveiller qui s’étend sur une aile et demie de 35 (partie droite du plan ci-après) et 20 mètres (partie gauche du plan). Selon les informations recueillies par le rapporteur, le nombre maximum de détenus présents dans l’aile gauche au même moment est fixé à 20 et à une dizaine dans l’autre aile. 

La jonction entre les deux ailes, séparées, est effectuée par le poste d’information et de contrôle (PIC) du bâtiment (PIC A).

Le premier étage du bâtiment comprend 46 cellules et le second accueille les quartiers disciplinaires et d’isolement.

Ce bâtiment est donc de taille plutôt modeste, ce qui « permet une prise en charge beaucoup plus individualisée » ([234]) pour des profils lourds. Ces derniers sont  d’ailleurs « mélangés à d’autres gros profils, mais plus faciles à gérer sur le plan pénitentiaire, notamment des détenus issus du grand banditisme, qui sont très calmes en détention » ([235]).

plan du rez-de-chaussÉe du bÂtiment a

 

Source : commission d’enquête, d’après les éléments transmis par la maison centrale d’Arles.

● Le bâtiment B comprend quant à lui un total de 20 salles à surveiller sur deux ailes complètes de 35 et 37 mètres. Le rez-de-chaussée est composée de salles d’activités et les étages comprennent un total de 104 cellules. Les détenus affectés dans ce bâtiment, plus grand, présentent généralement un profil et un comportement plus faciles à gérer pour le personnel.

2.   La maison centrale d’Arles : un « village » soumis à un contexte difficile et dégradé

a.   Des détenus aux profils lourds

La maison centrale d’Arles héberge exclusivement des personnes détenues condamnées à de longues peines. La circulation y est très contrainte au sein des bâtiments pour éviter que de trop nombreux détenus se croisent. M. Bruno Questel a indiqué avoir été frappé, lors de sa visite de l’établissement, par « l’organisation et la structuration des déplacements : il était impossible de parcourir deux mètres dans les couloirs sans être soumis à une surveillance, légitime compte tenu de la nature de l’établissement » ([236]). Les cellules sont toutes individuelles, de 11,52 mètres carrés pour la plupart, et tenus fermées en permanence. Les regroupements entre les détenus, hors salles d’activités, de travail et de formation et cour de promenade, sont par ailleurs interdits.

À la suite de sa réouverture en 2009, l’établissement a vu sa capacité opérationnelle diminuer de 210 à 159 places afin d’en faire une prison de taille plus modeste et donc plus sécuritaire.

Selon les informations transmises au rapporteur par la DAP, l’occupation optimale de l’établissement est actuellement fixée à 135 places. Au moment de l’agression d’Yvan Colonna le 2 mars 2022, 131 personnes étaient détenues dont 6 étaient placés au QI et une au quartier disciplinaire (QD). À cette même date, 13 personnes détenues étaient inscrites au répertoire des DPS dont deux TIS ([237]) et deux détenus corses, dont Yvan Colonna. Comme souvent s’agissant des maisons centrales, l’établissement ne souffre pas de surpopulation carcérale. L’effectif de la maison centrale est maintenu à un niveau sensiblement inférieur au nombre de places disponibles afin de permettre au personnel de gérer plus facilement la dangerosité des détenus qui y sont incarcérés. La semaine précédant le drame du 2 mars 2022, la situation était qualifiée par l’établissement de « plutôt calme en détention ordinaire et toujours tendue au quartier d’isolement » ([238]) .

Le 27 février 2023, près d’un an après l’agression d’Yvan Colonna, lors du déplacement d’une délégation de la commission d’enquête, le directeur de l’établissement a indiqué que 120 détenus étaient présents parmi lesquels dix DPS mais aucun TIS ([239]). Une dizaine de détenus sont actuellement suivis pour radicalisation et font l’objet d’observations quotidiennes des agents. Par ailleurs, 75 % des détenus travaillent ce qui représente, selon le directeur, une situation proche du « plein emploi ».

Si l’établissement n’est pas confronté à une surpopulation carcérale, le profil pénal des détenus de la maison centrale est très lourd. À cet égard, la DAP a indiqué que l’établissement accueillait uniquement des « détenus présentant une dangerosité liée à la gravité des faits commis, à l’existence de troubles avérés de la personnalité, d’un important potentiel de passage à l’acte violent ou de risques d’évasion » ([240]).

 En effet, 88 % des détenus écroués à la maison centrale d’Arles ont été condamnés à des peines criminelles :

– 54 % pour des faits de meurtres ;

– 12 % pour des vols aggravés ;

– 15 personnes détenues sont condamnées à une peine de réclusion criminelle à perpétuité ;

– 35 personnes présentent un reliquat de peine égal ou supérieur à vingt ans.

Au profil pénal difficile des détenus, s’ajoute un nombre important d’écroués souffrant de troubles psychiatriques. Selon les données du dernier bilan de l’équipe psychiatrique de la maison centrale d’Arles, « plus d’une centaine [de détenus] reçoit des soins réguliers pour des troubles regroupant toutes formes de souffrances ou de pathologies mentales, telles que des états dépressifs ou de stress » ([241]). Une quarantaine de personnes écrouées présentent ou ont présenté des troubles psychotiques.

b.   Des personnels expérimentés, mais en nombre insuffisant au regard des effectifs théoriques

Lors de son audition, l’actuel chef d’établissement a indiqué que l’effectif théorique du personnel de la maison centrale d’Arles était de 151 surveillants. En mars 2022, 144 personnels travaillaient dans l’établissement dont 11 premiers surveillants, 14 officiers, 20 personnels administratifs et techniques et 4 membres de la direction. L’équipe psychiatrique de la maison centrale d’Arles comprend un équivalent temps plein (ETP) de médecin psychiatre, un ETP de psychologue et trois ETP d’infirmiers.

 Le rapport de l’IGJ fait état de « personnels aguerris » ce que le rapporteur a effectivement constaté lors de son déplacement à la maison centrale et des auditions qui ont été conduites. Notamment, l’agent mis en cause en raison de son absence dans l’aile du bâtiment A dans laquelle s’est déroulée l’agression d’Yvan Colonna est surveillant pénitentiaire depuis mars 1990 et a été affecté à la maison centrale d’Arles en 1997. Il a toujours donné pleine satisfaction dans son travail dont il faut ici souligner la difficulté et l’exigence. Il en va de même pour le DLRP, présenté par son supérieur hiérarchique comme « l’un des meilleurs » compte tenu de ses « états de service exceptionnels » ([242]). Le rapporteur est conscient de l’impact que le drame du 2 mars 2022 et ses suites ont eu sur les personnels de surveillance. Il estime que les responsabilités, ainsi qu’il l’a d’ores et déjà démontré dans la première partie, sont essentiellement d’ordre politique et administratif, et qu’elles sont davantage à rechercher dans le sort qui a été réservé à Yvan Colonna, dans la prise en charge carcérale de Franck Elong Abé et dans la mauvaise appréciation de la dangerosité de ce dernier.

Le rapporteur remarque toutefois que les effectifs de l’établissement sont plutôt en diminution en dépit de la prise de conscience qu’aurait dû constituer l’agression d’Yvan Colonna. Au moment de l’audition du chef d’établissement par la commission d’enquête, le 11 janvier 2023, 141 personnes étaient en poste dont 10 premiers surveillants, 13 officiers et 3 membres de la direction. Lors du déplacement de la délégation, un peu plus d’un mois plus tard, le directeur a indiqué que 138 surveillants et 7 surveillants stagiaires travaillaient dans l’établissement. À cette même date, 9 surveillants étaient absents et 5 accidents du travail étaient dénombrés.

3.   Un établissement confronté à des difficultés significatives

Si l’ensemble des établissements pénitentiaires sont confrontés à des problématiques bien connues, la maison centrale d’Arles se distingue par des défaillances assez marquées bien qu’atténuées depuis la reprise en main opérée par l’actuel chef d’établissement.

a.   Des conditions de travail et de sécurité inquiétantes

À la maison centrale d’Arles, les conditions de travail du personnel ne semblent pas satisfaisantes.

● Les accidents du travail constatés à dans l’établissement sont, pour un certain nombre d’entre eux, le fruit d’agressions de détenus sur le personnel. Ainsi, sur 25 accidents du travail en 2020, 10 étaient liées à une agression en détention ([243]). À titre d’exemple, les surveillants ont évoqué aux membres de la commission d’enquête une tentative de meurtre le 1er août 2020 à l’encontre de plusieurs agents, au niveau des parloirs. Le détenu a blessé trois gardiens puis s’est retranché dans le bureau des surveillants et au parloir. L’équipe régionale d’intervention de sécurité (ERIS) de Marseille a dû intervenir pour mettre un terme à l’agression particulièrement traumatisante pour les personnels.

Cette situation n’est pas nouvelle puisque les deux rapports du Contrôleur général des lieux de privations de liberté (CGLPL) sur l’établissement d’Arles, de septembre 2013 et de juillet 2022, font également état de violences envers le personnel et entre codétenus. Le rapport le plus ancien mentionnait déjà une prise d’otage d’un premier surveillant et l’agression de deux surveillants par une personne détenue dans un laps de temps d’un mois ([244]). S’il s’agit d’événements malheureusement fréquents en détention, le rapporteur estime que ces incidents interrogent plus particulièrement dans une maison centrale dont la vocation est justement d’être un établissement sécuritaire. Dans son rapport, le CGLPL précise d’ailleurs que ces agressions sont, pour la plupart, perpétrées par des individus ayant des troubles psychiatriques très importants ce qui témoigne, de manière plus générale, d’une mauvaise prise en charge de ce type de profils ([245])

● Ce constat inquiétant contraste fortement avec la situation de l’établissement telle qu’une délégation de la commission d’enquête a pu la constater lors de son déplacement le 27 février 2023. S’il est bien conscient qu’un tel déplacement fait, évidemment et fort logiquement, l’objet d’une certaine préparation par les acteurs locaux, le rapporteur a en effet été étonné par la bonne organisation apparente de la maison centrale et le calme qui y régnait, bien que les surveillants rencontrés le jour du déplacement aient eu l’occasion de préciser que les membres de la délégation avaient visité un « établissement modèle » ([246]).

Une grande partie des témoignages de surveillants recueillis lors de ce déplacement convergeaient également pour affirmer que la gestion de l’ancienne cheffe d’établissement était défaillante, voire « laxiste », qui avait conduit à « laisser l’établissement à la dérive pendant plusieurs années ». L’ancienne directrice « ne voulant pas trop se mouiller avec les détenus », la maison centrale était « à la ramasse au niveau de la sécurité » depuis plusieurs années ([247]).  L’UFAP-UNSa Justice a indiqué au rapporteur que les agents avaient alerté « la direction locale sur la gestion de cet établissement à travers plus de 60 tracts syndicaux » ([248]) notamment au regard de l’augmentation des agressions, l’absence de prise de décision de la chaîne hiérarchique et de sanction disciplinaire pour les détenus ne se pliant pas au règlement intérieur. Si les représentants des syndicats de personnels de direction ont pu relativiser de tels constats ([249]), ces témoignages multiples et convergents sont, aux yeux du rapporteur, particulièrement préoccupants et révélateurs de la gestion au moins pour partie défaillante de l’ancienne cheffe d’établissement.

Les personnels de surveillance ont néanmoins mentionné la reprise en main opérée par l’actuel chef d’établissement depuis sa prise de poste en mars 2022. « Pour que les choses s’améliorent, il fallait attendre le départ de Mme Puglierini […]. Le nouveau directeur écoute les personnels et sanctionne les détenus lorsque c’est nécessaire » ([250]) a ainsi affirmé M. Thomas Forner, surveillant de la maison centrale d’Arles et représentant syndical de l’UFAP-UNSa Justice.

b.   La confirmation d’une gestion défaillante du personnel

i.   Au niveau des personnels de surveillance

Comme la plupart des établissements pénitentiaires, la maison centrale d’Arles doit faire face à un manque de personnels significatif. Ce phénomène est en outre aggravé par un taux d’absentéisme particulièrement élevé au sein de l’établissement

 Le manque de personnel ne permet pas d’assurer des conditions de sécurité optimales dans une prison dont la vocation est pourtant sécuritaire. Un certain nombre de postes, pourtant essentiels dans le dispositif de sécurité de l’établissement, doivent ainsi régulièrement être découverts.

M. Marc Ollier, actuel chef de l’établissement, a déclaré en audition que « le poste le plus souvent découvert est le poste central de circulation (PCC), qui effectue la jonction entre le PCI, qui correspond plutôt à l’entrée de l’établissement, les deux bâtiments de détention, à gauche et en face, et les ateliers, à droite. Plus rarement, nous découvrons aussi le poste de porte d’entrée principale (PEP) numéro 2 ». Le directeur a poursuivi en indiquant que le fait de découvrir ces postes était « anormal » et que cette situation s’expliquait par la fréquence des accidents du travail et par le fait que l’établissement dénombre, en permanence, quelque huit agents en congé maladie.

Certains surveillants sont en effet arrêtés depuis 2016. Selon les informations transmises au rapporteur par la direction de l’établissement, l’un d’entre eux n’aurait que 39 ans et n’envisagerait pourtant aucune reprise, ce qui, au-delà d’éventuelles considérations personnelles propres à l’intéressé, témoigne à n’en pas douter de la difficulté du métier mais également de problématiques particulières de l’établissement. À cet égard, l’UFAP-UNSa Justice mentionne l’absence de fidélisation du personnel « ce qui, dans une centrale, est rarissime » et entraîne « une valse d’arrivées et de départs » ([251]) empêchant toute forme de suivi. Cette situation n’est pas nouvelle puisque le rapport de juillet 2018 du CGLPL sur la maison centrale mentionne un taux d’absentéisme élevé dans l’établissement, de l’ordre de 25,5 % contre 19,5 % au plan national ([252]). Le CGLPL faisait également état d’une « proportion importante d’agent confrontés à de réelles difficultés sociales et personnelles » ([253]). Entre 2015 et 2018, l’établissement aurait perdu 40 % de ses effectifs en raison du « malaise » du personnel y travaillant. Selon l’UFAP-UNSa Justice, la maison centrale d’Arles est également l’établissement cumulant le plus d’heures supplémentaires par agent de la DISP de Marseille. M. Thomas Forner souligne que « les compteurs d’heures supplémentaires explosent […] ce qui n’est pas anodin dans une maison centrale dont on ne cesse de rappeler le caractère sécuritaire » ([254]) .

Il est à noter que les difficultés de recrutement et de fidélisation touchent également les services de l’équipe de psychiatrie. Le poste de médecin psychiatre – 1 équivalent temps plein (ETP) – est par exemple « réduit à 0,6 au lieu de 1, en raison des difficultés rencontrées pour recruter des praticiens » ([255]).

Plus largement, la gestion du personnel et le dialogue social semblent avoir été particulièrement problématiques lorsque l’ancienne directrice était en poste. Si, d’après les éléments qu’il a transmis au rapporteur, M. Stéphane Bredin, en tant qu’ancien directeur de l’administration pénitentiaire, n’avait pas « l’image d’une directrice insuffisante », il concède que les relations qu’elle entretenait « avec les personnels et les syndicats [étaient] réputées rugueuses » et qu’elle « n’excellait pas dans la conduite du dialogue social local ». L’ancien directeur de l’administration pénitentiaire, a d’ailleurs confirmé au rapporteur s’être impliqué personnellement pour choisir la première adjointe chargée de la soutenir, selon ses mots, en matière de gestion des ressources humaines.

Le rapporteur estime qu’au regard des conditions de sécurité critiquées et d’une gestion du personnel manifestement sous-optimale il paraît étonnant que « les profils les plus compliqués, les détenus présentant un fort degré de dangerosité » ([256]) aient pu être affectés dans un établissement qui semblait, à plusieurs égards, dysfonctionnel. Selon les propos recueillis par le rapporteur, la maison centrale était devenue « un établissement de la seconde chance » accueillant les détenus dont la prise en charge avait échoué jusqu’ici, à l’image de Franck Elong Abé. Ainsi, au moment des faits du 2 mars 2022, la maison centrale d’Arles était dans une situation « critique » susceptible d’expliquer la survenue d’un incident grave voire d’un drame, à l’image de celui représenté par l’agression d’Yvan Colonna.

ii.   Au niveau de la direction de l’établissement

La situation de Mme Corinne Puglierini a déjà précédemment fait l’objet de développements. Au regard des auditions conduites par la commission d’enquête et des informations recueillies par le rapporteur, il est possible d’affirmer que celle-ci avait bel et bien la confiance de sa hiérarchie compte tenu de ses états de service ([257]), de son expérience, ses évaluations étant qualifiées de « toujours bonnes » par la DISP de Marseille ([258]). Il est néanmoins confirmé que les relations managériales au sein de l’équipe de direction étaient difficiles ([259]) et que le dialogue social avec les organisations syndicales était extrêmement dégradé.

Il convient ici de revenir sur deux éléments qui ont été mentionnés dans les travaux de la commission d’enquête.

 Tout d’abord, il importe de souligner la longévité de Mme Puglierini à la tête de la maison centrale : elle y a été affectée du 21 septembre 2015 au 28 février 2022, soit au-delà des six années statutaires. Pour le rapporteur, cette situation procède d’une gestion des ressources humaines problématique au sein de l’administration pénitentiaire qui s’avère d’autant plus inquiétante dans le cas d’un établissement sensible comme la maison centrale d’Arles. Le rapporteur appelle l’administration pénitentiaire à mieux anticiper ce type de situation qui concernerait près de 13 % des établissements ([260]).

En revanche, il n’est pas possible d’identifier de manquement s’agissant de la vacance de dix jours qui a été constatée entre le départ de Mme Corinne Puglierini et l’arrivée M. Marc Ollier ([261]). Lors de son audition par la commission des Lois, le mercredi 30 mars 2022, ce dernier avait communiqué ces éléments : « Entre le 18 février et le 1er mars, le poste de chef d’établissement était en effet vacant mais l’équipe de direction est composée de quatre personnes et l’adjointe, en poste depuis trois ou quatre ans, connaît bien la maison centrale d’Arles. Elle "tient la route" et l’établissement était donc "couvert", si je puis dire. Un intérim de quinze jours est relativement court et fréquent dans l’administration pénitentiaire lors des campagnes de mutations. »

Les éléments recueillis par le rapporteur, qui résultent du croisement des informations communiquées par la DISP de Marseille et de celles présentées dans le rapport de l’IGJ, démontrent que Mme Corinne Puglierini était bien officiellement affectée à la direction de la maison centrale d’Arles jusqu’au 28 février 2022 et qu’elle n’a pris ses fonctions à la mission de contrôle interne de la date que le 1er mars 2022, date de la prise de poste de M. Marc Ollier à la maison centrale d’Arles.

B.   Le jour du drame : un dÉfaut de surveillance anormal dans une maison centrale

1.   Une agression d’une extrême violence qui s’est prolongée de façon inexplicable

a.   Un incident hors du commun

Le Syndicat national de l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire (SNEPAP-FSU) évoque « la dimension médiatique de la victime » ([262])  pour expliquer le retentissement qu’a entraîné le drame du 2 mars 2022. Si le rapporteur ne peut contester cette affirmation, il rappelle toutefois que la mort d’Yvan Colonna n’est pas le fruit d’une agression comme une autre et ce, à plusieurs titres.

Comme M. Stéphane Bredin l’a rappelé lors de son audition, les fait « se sont produits dans une maison centrale sécuritaire, et en métropole. Le plus souvent, les homicides ont lieu dans les établissements des départements français d’Amérique. Par ailleurs, ils se sont déroulés en salle d’activité, et non entre cocellulaires ou au cours d’une promenade. Les circonstances elles-mêmes de cette agression mortelle sont donc assez rares » ([263]). Le rapporteur s’associe à ces remarques en précisant que l’agression d’Yvan Colonna s’est anormalement prolongée pendant plus de dix minutes dans un établissement pourtant qualifié de « sécuritaire ». L’IGJ a d’ailleurs précisé qu’il n’était pas systématique que des inspections de fonctionnement soient menées à la suite d’agressions mortelles commises sur des personnes détenues ([264]), ce qui démontre, s’il en était encore besoin, la gravité et la spécificité du drame du 2 mars 2022.

Enfin, si la mort d’Yvan Colonna devait entraîner un retentissement certain, en Corse bien sûr, mais également dans le pays tout entier, il reste que la personnalité de l’auteur de l’agression, comme il a déjà été rappelé, aurait dû susciter une vigilance bien plus active de l’administration pénitentiaire.

b.   Un déroulé des faits qui demeure quelque peu confus

Si le déroulé de l’incident a été détaillé longuement par le rapport de l’IGJ et que le rapporteur n’entend pas interférer avec l’instruction judiciaire en cours, il convient de rappeler brièvement la manière dont les événements se sont déroulés dans la matinée du 2 mars 2022 ([265]).

L’agression d’Yvan Colonna débute à 10 h 13, lorsque Franck Elong Abé pénètre dans la salle de cardio training du bâtiment A pour y effectuer son travail d’auxiliaire. Il saute alors à pieds joints sur Yvan Colonna, à ce moment allongé au sol en train de pratiquer des exercices de musculation entre deux machines. Franck Elong Abé, prenant rapidement le dessus, écrase le cou d’Yvan Colonna avant de recouvrir la tête de sa victime de plusieurs sacs poubelle. L’agression dure au total neuf minutes, avant que Franck Elong Abé ne décide de sortir de la salle en revenant muni de son chariot de nettoyage. Après avoir ôté les sacs du visage d’Yvan Colonna, il quitte de nouveau la salle et croise dans le couloir l’agent chargé de la surveillance du secteur activités. Auditionné par la commission d’enquête, le surveillant a indiqué avoir découvert Yvan Colonna inconscient vers 10 heures 25.

Les horaires de travail des auxiliaires du bâtiment A et du bâtiment B

Dans son rapport d’inspection, l’IGJ relève que « faute de précision normative, l’activité de l’auxiliaire chargé du nettoyage des salles de sport s’organisait, au moment des faits, selon le rythme de vie des personnes concernées auquel devaient s’adapter les agents affectés à la surveillance du secteur activités. Ainsi, il est apparu que l’auxiliaire du bâtiment B procédait à l’entretien des salles tôt le matin, avant l’arrivée des premières personnes venant faire du sport, alors que celui du bâtiment A se rendait au rez-de-chaussée dans le cours de la matinée quand les salles sont déjà occupées ».

En audition, le surveillant activités a confirmé l’absence, au moment des faits, d’organisation formelle des tâches tout en apportant des précisions sur le fonctionnement du bâtiment B. Il indique que « les salles de sport sont ouvertes aux horaires auxquels les détenus ont le droit de se déplacer, soit de huit heures à onze heures trente, et de treize heures à dix-huit heures quinze. Au niveau du bâtiment A, il y a deux salles de musculation et une salle de boxe. Au niveau du bâtiment B, il y a autant de salles et une salle supplémentaire. Le détenu du bâtiment B descend faire en même temps son sport et le ménage, vers 7 h 30, au plus tard 7 h 40. S’il n’a pas fini à 8 heures, il arrive que des détenus descendent faire du sport dans une salle dont il finit le ménage. Nous fermons les portes une fois l’auxiliaire parti. Les détenus classés au travail ont une fourchette horaire dédiée au ménage, qu’ils peuvent faire au début ou à la fin de ce laps de temps, l’important étant qu’il soit fait. Il est difficile d’éviter que les "auxis" côtoient d’autres détenus dans ces salles, à moins de les fermer à certaines heures pour entretien, ce qui ne semble pas gérable. » (1)

(1) Audition du mercredi 29 mars 2023, compte rendu n° 27.

Si le déroulé des faits est établi, demeurent certaines zones d’ombre que les travaux de la commission d’enquête n’ont pas pu complètement lever. Au moment de l’agression d’Yvan Colonna, cinq détenus étaient dans l’aile gauche :   deux à la bibliothèque et trois dans « le gourbi », une salle commune servant de cuisine collective. Une des directrices adjointes se trouvait dans l’aile droite ([266]) en audience avec un détenu inscrit au répertoire des DPS. La salle de cardio training ([267]), dans laquelle a eu lieu l’incident, est située à une vingtaine de mètres du bureau du surveillant ([268]) et du PIC du bâtiment A. Il est à noter que les salles d’activités sont toutes dotées d’un oculus qui permet d’effectuer un contrôle visuel sans y pénétrer. En dépit de la présence de cet oculus, non vitré dans la salle de sport, aucun détenu n’aurait entendu la longue agression d’Yvan Colonna ([269]).

Les travaux de la commission d’enquête n’ont pas permis d’établir clairement si une réunion se tenait dans l’autre aile du bâtiment au moment de l’agression d’Yvan Colonna. Eu égard à la gravité de l’agression, le rapporteur s’étonne de l’apparente confusion dans la reconstitution du déroulé de la matinée du 2 mars 2022.

Dans son rapport, l’IGJ fait état d’un courriel de la directrice adjointe adressé à la mission précisant qu’elle avait, au moment de l’agression, réuni environ cinq ou six stagiaires de la formation « jardin espaces verts » (JEV) dans la salle polyvalente ([270]). Néanmoins, au cours de ses auditions par l’Inspection, la directrice adjointe n’a jamais évoqué cette formation. Interrogé par les membres de la commission d’enquête, le directeur a indiqué « [qu’on] lui avait dit que dans le même temps, sept détenus participaient à une formation horticole » mais « qu’après maintes vérifications, il s’est avéré que cette formation n’avait pas eu lieu ce jour-là » ([271]). En réponse à une question du rapporteur et dans une lettre adressée à la DISP de Marseille, le surveillant chargé du secteur a indiqué qu’il s’était éloigné de l’aile gauche pour « terminer la mise en place des détenus JEV », sans pourtant qu’il confirme cette information en audition devant les membres de la commission d’enquête. Le surveillant déclare simplement avoir ouvert des salles, « notamment une où une directrice venait auditionner un détenu » et signé « un document pour un détenu "psy" ne sachant pas écrire » ([272]). Ces explications n’apparaissent pas pleinement convaincantes pour le rapporteur qui estime difficile de se satisfaire d’une reconstitution aussi imprécise s’agissant de faits aussi graves.

localisation des diffÉrentes salles du bÂtiment a

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Source : commission d’enquête, d’après les éléments transmis par la maison centrale d’Arles.

Il est vrai toutefois que le surveillant, occupé à de multiples tâches au moment des faits et qui a confirmé à la commission d’enquête ne pas avoir quitté son secteur d’activité ([273]), n’a pas eu communication de l’ensemble des images vidéos produites par les caméras du secteur du rez-de-chaussée du bâtiment A au cours de la matinée du 2 mars 2022 ([274]). Il en a pourtant fait la demande à la DISP de Marseille par courrier en date du 17 août 2022, qui lui a répondu qu’ « en application de la règlementation en vigueur, les images correspondant [à sa] demande ont été effacées automatiquement au terme d’un délai de trente jours à partir des faits » ([275]). Les enregistrements prélevés à la demande de l’autorité judiciaire ne sont en outre plus en la possession de l’administration pénitentiaire. En tout état de cause, le rapporteur s’étonne de l’impossibilité pour le surveillant de consulter les vidéos qui n’ont pas été demandées par l’autorité judiciaire. Ces images auraient sans doute permis de clarifier le déroulé de la matinée du 2 mars 2022 et d’identifier d’éventuels dysfonctionnements que le rapporteur n’est donc pas en mesure de confirmer ou d’infirmer en ce qui concerne les modalités de surveillance des activités du bâtiment A

2.   Comment un détenu a-t-il pu en agresser un autre pendant de si longues minutes ? 

a.   Des agents dépassés, mais pas de leur fait

Dans les faits, le rapporteur a constaté que les agents ne pouvaient pas accomplir l’ensemble de leurs missions de manière pleinement satisfaisante. Le surveillant du PIC A est installé à un poste où seuls deux écrans de caméras sont disponibles. Sur ces deux écrans, de taille plutôt modeste, défilent pendant trois à quatre secondes neuf « tuiles » correspondant à neuf caméras. Selon les termes du chef d’établissement, l’agent du PIC « est complètement dépassé. Il doit répondre au téléphone, surveiller et ouvrir 15 portes et grilles sur appel de ses collègues par émetteur-récepteur, après s’être assuré que l’appel ne vient pas d’un détenu, ou qu’il est alors bien accompagné d’un agent. Il doit passer les consignes de l’encadrement aux agents d’étage » ([276]). Les agents auditionnés par la commission d’enquête partagent ce constat, déclarant qu’ils ne peuvent « pas être partout, d’autant que [leurs] tâches sont nombreuses » ([277]). Cette situation n’est pas spécifique à la maison centrale d’Arles puisque le directeur de l’administration pénitentiaire a rappelé, au cours de son audition qu’« un surveillant en centre de détention dans un poste d’information et de contrôle (PIC) doit réaliser une levée de doute avec vérification d’identité toutes les dix secondes, […] ce qui est assez compliqué » ([278]). L’agent du PIC est donc sollicité en priorité par les circulations internes et externes du secteur laissant de côté, malgré lui, la surveillance des images retransmises par les caméras.

En outre, l’agent chargé du secteur activités doit surveiller deux ailes séparées par le PIC et plusieurs barrières que son collègue doit ouvrir en effectuant un contrôle visuel. Ce procédé ralentit son passage entre les deux parties du bâtiment, d’autant plus que le jour de l’agression, le PIC faisait l’objet d’une intervention nécessitant un déplacement des équipements. L’agent, lorsqu’il est occupé sur une aile ne peut donc légitimement pas surveiller l’autre de manière efficace. En raison du système complexe relatif à l’organisation des heures de travail des surveillants, il faudrait cinq agents supplémentaires pour qu’un surveillant soit présent en permanence dans chaque aile ([279]). M. Emmanuel Baudin, secrétaire général du Syndicat national Force ouvrière Justice, a indiqué en audition qu’« on l’a bien compris, s’il y avait eu davantage de personnel à Arles ce jour-là, peut-être aurait-on évité le meurtre d’Yvan Colonna » ([280]). Le rapporteur ne peut que s’associer à cette affirmation mais cet enjeu, qui touche plus largement l’ensemble de l’administration pénitentiaire, sera abordée ultérieurement de manière plus approfondie.

b.   Un système de vidéosurveillance paradoxalement étoffé mais totalement inexploitable le jour de l’agression

i.   Un système de vidéosurveillance développé

M. Laurent Ridel a indiqué que la maison centrale d’Arles comportait entre 300 et 350 caméras, le bâtiment A en comptant 50 ([281]).  En 2020-2021, une opération d’un coût total de 1,4 million d’euros a été mise en œuvre pour étendre le dispositif de vidéosurveillance, notamment aux UVF et aux parloirs, à tel point que l’inspection de fonctionnement de la maison centrale conduite en 2021 relevait que « la couverture de l’établissement par la vidéosurveillance est un point fort car pratiquement aucune zone de la maison centrale n’en est dépourvue » ([282]). Dès 2013, le CGLPL soulignait que « la vidéosurveillance est omniprésente au sein de l’établissement » ([283]) ce qui devrait théoriquement constituer un gage de sécurité. 

Dans la salle de cardio training du bâtiment A, deux caméras offrent deux angles de vue opposés. Les images sont retransmises, d’une part, au niveau du poste centralisé des informations (PCI) ([284]) localisé à l’entrée du secteur de la détention et, d’autre part, au niveau du PIC situé au milieu de l’arc de cercle formant les deux ailes du bâtiment A. Lors de son déplacement, la délégation de la commission d’enquête a également pu constater qu’une partie des images était par ailleurs rediffusée en salle de crise. La zone dans laquelle s’est déroulée l’agression d’Yvan Colonna était donc couverte par un certain nombre de caméras, ce qui aurait théoriquement pu permettre une meilleure réactivité lors de la commission des faits.

ii.   Le jour de l’agression : des images non exploitables

Le jour de l’agression, au niveau du PCI, les deux agents ne disposaient pas à l’écran du retour des caméras de la salle de cardio training : l’un visionnait le scénario « bâtiment A jour » lui permettant de visualiser notamment les cages d’escalier et les grilles palières, l’autre visualisait le scénario « PCI jour » qui permet de contrôler la porte d’entrée principale et le poste central de circulation. Ces choix sont cohérents avec la nécessité de surveiller les zones les plus sensibles de l’établissement.

Au niveau du PIC, l’agent en poste avait sélectionné le scénario « jour » lui permettant de surveiller la circulation des trois niveaux du bâtiment. S’il avait souhaité contrôler les caméras de la salle de cardio training, il aurait fallu qu’il opère un changement de paramétrage dont il se déclare incapable par manque de formation. En tout état de cause, si le surveillant avait souhaité visualiser l’intérieur de la salle de la cardio training, se serait affiché non pas cet espace, mais la zone environnant le PIC du bâtiment. Il s’agit d’un dysfonctionnement grave du système de vidéosurveillance qui perd dès lors tout son intérêt dans le contrôle actif des mouvements dans le bâtiment.

Le rapporteur souhaite indiquer que le caractère dysfonctionnel du système de vidéosurveillance n’est sans doute pas inconnu des détenus de la maison centrale et, a fortiori, ne l’était probablement pas de Franck Elong Abé. Le chef d’établissement a ainsi indiqué que celui-ci se « moquait » des caméras présentes dans la salle de sport et qu’« il ne les avait jamais regardées » ([285]) pendant toute la durée de l’agression. M. Jean-Louis Daumas est venu étayer, en audition, le constat qui avait été fait dans le rapport de l’IGJ ([286]) : « Nous avons visionné l’enregistrement de la scène horrible où M. Elong Abé procède à l’agression de son codétenu. L’observation fine des images montre que les quelques fois où il manifeste une attention inquiète, c’est lorsqu’à deux reprises, il se tourne vers la porte de la salle pour vérifier que personne n’entre. En revanche, il n’est manifestement pas inquiet du fait qu’une caméra enregistre ses agissements. C’est notre interprétation qui m’a amené à déduire qu’il avait compris que l’organisation de la vidéo le protégeait. Nous ignorons si les autres détenus en étaient également conscients. Nous sommes deux des trois membres de notre mission à avoir travaillé avec des détenus. Nous savons que les personnes qui purgent de longues peines observent le fonctionnement et l’agencement de la vidéosurveillance. » Le rapporteur a relevé une observation Genesis qui semble indiquer que l’agresseur d’Yvan Colonna s’était déjà interrogé, sur un sujet similaire, à propos des « futures caméras individuelles », demandant au surveillant si l’enregistrement était permanent et si elles permettaient un captation sonore ([287]).

Le rapporteur précise que l’utilisation de la vidéosurveillance, si elle est clairement défaillante dans la maison centrale d’Arles, est une problématique fréquente dans les établissements pénitentiaires. L’IGJ a produit un certain nombre de rapports sur des établissements à la suite d’évasion de détenus. Il ressort de ces publications que l’usage des caméras est régulièrement orienté vers « l’analyse a posteriori des incidents afin d’en comprendre le déroulement et d’en identifier les auteurs » ([288]), que les agents ne connaissent pas la marche à suivre pour modifier le défilement des images ([289]), ou encore que l’exploitation des images peut être « contreproductive » car « trop dense » ([290]). Aux yeux du rapporteur, ces multiples alertes émanant d’établissements différents auraient dû conduire l’administration pénitentiaire à édicter une nouvelle doctrine d’emploi pour la vidéosurveillance dans les prisons.

S’agissant de la maison centrale d’Arles, le rapporteur comprend que, comme dans la plupart des établissements pénitentiaires, la doctrine d’emploi de la vidéosurveillance est principalement axée sur la constitution « d’éléments de preuve » a posteriori en cas d’incident et moins sur la surveillance directe en temps réel. En revanche, il est permis de s’étonner, une fois encore, que les images de la matinée du 2 mars 2022 – à tout le moins celles qui n’ont pas été versées à l’instruction judiciaire – n’aient pas été davantage exploitées pour en tirer des enseignements.

Il convient enfin de relever que le dispositif de vidéosurveillance a fait l’objet d’une opération de maintenance dans la matinée du 2 mars 2022. Pour M. Laurent Ridel, celle-ci « aurait duré entre trente secondes et deux minutes, et n’aurait pas eu d’incidence sur l’enregistrement de la séquence la plus dramatique » ([291]). Lors de son audition, Me Sylvain Cormier a relevé que cette opération a été effectuée à partir de 9 h 30 ([292]).

iii.   Une doctrine d’emploi de la vidéosurveillance en détention à repenser

L’événement du 2 mars 2022 est révélateur des problématiques liées à la vidéosurveillance dans les établissements pénitentiaires. 

Le rapporteur souhaite tout d’abord rappeler que les capacités humaines d’attention ne permettent pas de faire de la vidéosurveillance un outil performant en matière de contrôle direct de l’activité des détenus. La mission d’information de l’Assemblée nationale sur les enjeux de l’utilisation d’images de sécurité ([293]) fait état de recherches scientifiques particulièrement éclairantes à ce sujet. Des conclusions de ces recherches ressort le fait que les opérateurs ne parviennent généralement plus à détecter les incidents dans une scène vidéo après seulement 20 minutes de surveillance. D’autres études révèlent qu’après 12 minutes de surveillance vidéo continue, un opérateur est susceptible de manquer jusqu’à 45 % de l’activité à l’écran et qu’après 22 minutes de surveillance, il en manque jusqu’à 95 %. M. Marc Ollier a souligné lors son audition qu’il est « toujours possible d’ajouter des caméras, mais le risque est alors qu’on ne puisse plus suivre leurs images dans les PIC : je ne suis donc pas sûr que ce soit la solution » ([294]). Le rapporteur s’associe à cette remarque et considère que l’augmentation du nombre de caméras de surveillance, notamment dans un établissement déjà très équipé, ne permettrait pas de renforcer significativement la sécurité de la maison centrale.

À l’incapacité humaine de faire de la vidéosurveillance un outil de vigilance efficace de manière permanente, s’ajoutent des problématiques spécifiques à la maison centrale d’Arles. Les systèmes de vidéosurveillance sont en effet de « conception vieillissante et sont donc très peu efficaces (pannes, mauvaise visibilité) » ([295]). La situation n’est pas nouvelle puisque le rapport de 2018 du CGLPL souligne que le système est « vieillissant » et que « des pannes ont privé certains secteurs d’images pendant de longues périodes » ([296]).

Par ailleurs, le déficit de formation des agents de la maison centrale à l’utilisation de ce système semble être patent. Dans les réponses écrites transmises au rapporteur, l’UFAP-UNSa Justice affirme ainsi : « Durant de nombreuses années nous avons été dépourvus de moniteur pour assurer les formations », les directions locale et interrégionale n’ayant « jamais pris la mesure » de ce manque de formation ([297]). Ce point, longuement détaillé dans le rapport de l’IGJ, constitue selon le rapporteur un facteur explicatif ayant facilité la survenue du drame.

De manière générale, le rapporteur s’associe à la remarque du directeur de l’administration pénitentiaire, lorsqu’il affirme, au cours de son audition que « la vidéosurveillance en milieu pénitentiaire pour surveiller tous les détenus et intervenir en temps réel sur tous les incidents n’est pas possible ». Le rapporteur souhaite toutefois préciser que le recours à intelligence artificielle en matière de vidéosurveillance devrait ouvrir la voie à meilleure utilisation de cet outil en détention, notamment en tant que méthode de surveillance active et directe. Les caméras « augmentées » pourraient permettre une « multiplication capacitaire » ([298]) en sélectionnant et repérant les événements susceptibles de caractériser un danger. Ces méthodes sont d’ores et déjà expérimentées dans certaines prisons en Allemagne.

Le rapporteur souhaite donc donner une suite à la recommandation formulée par le Syndicat national pénitentiaire FO Direction : « À l’heure de l’intelligence artificielle, nous nous posons la question du recours à une surveillance vidéo intelligente : est-il techniquement et juridiquement possible de disposer d’outils détectant des comportements "anormaux" et alertant immédiatement l’agent du poste de surveillance ? » ([299])

Recommandation n° 16

Édicter une nouvelle doctrine d’emploi pour la vidéosurveillance dans les prisons et envisager la possibilité de recourir à la surveillance vidéo intelligente pour appuyer les personnels de surveillance dans leurs tâches et mieux lutter contre les violences.

3.   Une reprise en main qu’il convient de souligner

Les membres de la mission d’inspection de la maison centrale d’Arles ont formulé un certain nombre de recommandations visant à améliorer le fonctionnement de l’établissement. Le rapporteur constate que ces recommandations ont été, pour l’essentiel, mises en œuvre rapidement.

L’IGJ ayant précisé qu’aucun suivi des recommandations de la mission d’inspection n’était opéré à son niveau, le rapporteur souhaite donc détailler brièvement les mesures qui ont été prises pour tirer les conséquences du drame du 2 mars 2022 afin de prévenir ce type d’incidents.

Le directeur de l’établissement a indiqué que, tous les mois, un comité de suivi vérifiait la mise en œuvre des recommandations de l’IGJ pour la maison centrale d’Arles et d’autres établissements. Selon les informations recueillies par le rapporteur, le chef de mission considère désormais que les recommandations ont été mises en œuvre.

S’agissant de la surveillance, l’agent en charge du rez-de-chaussée du bâtiment A doit dorénavant obligatoirement informer son collègue du PIC lorsqu’il quitte le secteur de façon à ce que celui-ci puisse visionner les vidéos des salles d’activités en son absence ([300]). Par ailleurs, l’agent du PIC doit visionner les salles d’activités et non plus un seul scénario. Il a été rappelé, dans une note de service du 28 août 2022, que l’agent doit assurer « un contrôle visuel aléatoire des ailes du bâtiment à l’aide des écrans de surveillance ». Le chef d’établissement a précisé que cette consigne était fréquemment rappelée aux agents lors des briefings du matin. Le surveillant du rez-de-chaussée doit également passer au moins cinq fois par heure dans l’aile où se situent les salles d’activé ([301]), ce qui n’était pas précisé dans sa fiche de poste avant le drame. Il est également rappelé que l’agent effectue un contrôle visuel dans l’oculus de chaque porte des salles d’activités. M. Marc Ollier a informé les membres de la commission d’enquête qu’il avait créé un poste supplémentaire de surveillant de rez-de-chaussée pour qu’il y’ait « ponctuellement un agent dans chaque aile activité, soit au bâtiment A soit au bâtiment B, quand cet agent sera de service » ([302]), initiative que le rapporteur salue.

La possibilité laissée aux auxiliaires de nettoyage de se rendre dans les salles d’activités alors qu’elles sont en cours d’utilisation par d’autres détenus a suscité l’incompréhension des membres de la commission d’enquête, après celle de l’IGJ. Désormais, l’auxiliaire nettoyage peut intervenir dans les salles uniquement lorsqu’elles sont inutilisées ([303]), le surveillant étant chargé de faire appliquer cette consigne. Il s’agit, aux yeux du rapporteur, d’une mesure de sécurité de bon sens.

Le directeur a précisé que les avis de chaque membre de la CPU étaient dorénavant consignés par écrit et plus seulement indiqués à l’oral. Cette nouvelle façon de procéder constitue une mesure de transparence et d’efficacité bienvenue.

S’agissant du système de vidéosurveillance, les nouveaux agents ont été formés à son utilisation à raison de 18 heures à partir d’avril 2022. Depuis novembre 2022, les agents spécialistes du PCI dispensent une formation pendant trois heures à leurs collègues amenés à occuper ces postes ([304]). Les 40 agents concernés par cette situation en ont donc bénéficié et des attestations de formation ont été délivrées puis renseignées dans le dossier des agents. L’UFAP-UNSa Justice relève toutefois que les formations dispensées par d’autres surveillants récemment formés peuvent diluer le contenu et la qualité de la formation. Au total, ce sont néanmoins 59 agents qui ont été formés. M. Marc Ollier a en outre indiqué que l’ergonome de la DAP s’était rendu trois fois à la maison centrale afin d’optimiser le fonctionnement de la vidéosurveillance. Un budget de 4 300 euros a été demandé dans le cadre du plan de formation du personnel pour 2023 afin de poursuivre cet élan.

 Le rapporteur relève donc avec satisfaction que la plupart des dysfonctionnements identifiés à la maison centrale d’Arles par la mission d’inspection ont été corrigés et salue, à ce titre, le travail accompli par M. Marc Ollier, qu’il remercie pour la diligence avec laquelle il a coopéré avec la commission d’enquête tout au long de ses travaux, y compris dans le cadre du déplacement qu’elle a effectué à la maison centrale d’Arles.

C.   UNE MAUVAISE APPRÉCIATION DE LA DANGEROSITÉ DE L’AGRESSEUR DONT LES CONSÉQUENCES ONT ETE AGGRAVÉES PAR une circulation imparfaite DE L’INFORMATION

La dangerosité de Franck Elong Abé était établie mais elle ne semble pas avoir été appréciée de la même manière par les différents responsables de sa prise en charge et de sa surveillance. Les membres de la commission d’enquête se sont interrogés sur les éventuels signaux d’alerte qui auraient pu, soit laisser présager un passage à l’acte, soit mettre en évidence une éventuelle stratégie de dissimulation mise en œuvre par Franck Elong Abé à la maison centrale d’Arles. L’enjeu de la circulation et du partage de l’information entre les différents acteurs qui ont eu à prendre en charge ou à surveiller Franck Elong Abé, notamment lors de sa détention dans les Bouches-du-Rhône, apparaît essentiel. Il s’agit ici non pas d’affirmer catégoriquement que le drame du 2 mars 2022 aurait pu être évité mais, plus modestement, de faire état d’éventuels dysfonctionnements dans la transmission de l’information et l’évaluation de la dangerosité de l’agresseur.

1.   Une circulation des informations globalement défaillante

Le rapport de l’IGJ fait état d’un « cloisonnement excessif » de l’équipe de direction de la maison centrale empêchant de fait une circulation optimale de l’information. Le rapporteur a été particulièrement vigilant quant au fait que les informations essentielles concernant Franck Elong Abé aient bien été transmises au sein de l’administration pénitentiaire et de la communauté du renseignement. À l’issue de ses travaux, il constate que, dans le drame du 2 mars 2022, c’est la circulation générale de l’information qui s’est révélée parfois très dysfonctionnelle.

a.   Depuis la maison centrale d’Arles, un circuit de remontée des informations qui a semblé révéler une certaine forme de légèreté

i.   Une alerte la veille du drame portée trop tardivement à la connaissance de la commission d’enquête

● Le rapporteur a pris connaissance d’un certain nombre de documents transmis par le DLRP de la maison centrale d’Arles le 10 mars 2023 concernant Franck Elong Abé et d’autres détenus. Une succession de deux courriers qu’il s’est fait communiquer a particulièrement retenu son attention.

Un premier courrier d’une surveillante, en date du 11 mars 2022 et adressé au chef d’établissement, évoque des faits survenus le 1er mars 2022, soit la veille de l’agression d’Yvan Colonna. La surveillante indique avoir entendu « je vais le tuer » en passant devant les cellules de trois détenus, dont celle de Franck Elong Abé. Elle précise que, dans le même temps, un détenu crée un tapage pour se rendre en promenade sans néanmoins établir de corrélation entre les deux événements. La surveillante ajoute dans son compte rendu professionnel (CRP) avoir prévenu le premier surveillant des propos tenus. Celui-ci aurait alors réagi en recevant rapidement le détenu ayant provoqué le tapage, ce qui semble en décalage complet avec la véritable priorité qui aurait dû être la sienne après avoir eu connaissance des observations. La surveillante termine son courrier en signalant un don de 30 paquets de pâtes de Franck Elong Abé à un autre détenu, événement qu’elle précise avoir mentionné sur le logiciel Genesis en « impliquant nominativement les détenus concernés ».

Un second courrier de la même surveillante, en date du 21 mars 2022, apporte un certain nombre de précisions sur l’événement du 1er mars 2022. La surveillante indique que Franck Elong Abé venait de se faire livrer 50 paquets de pâtes au moment des faits. Elle signale avoir effectué un sondage des barreaux ainsi qu’un contrôle visuel de sa cellule. Les aliments échangés ont, semble-t-il, été contrôlés avec l’aide d’un autre surveillant. Elle poursuit son compte rendu en indiquant avoir prévenu le chef de poste du bâtiment A de cet échange et interrogé Franck Elong Abé à ce sujet, qui lui aurait alors répondu que le détenu à qui il avait donné les paquets de pâtes « était son ami ». Plus étonnant, la surveillante achève son compte rendu professionnel en indiquant avoir « remarqué que le comportement de la personne détenue Elong Abé avait changé » depuis plusieurs semaines. Elle précise la nature de ce changement en expliquant qu’il avait « diminué le nombre d’objets dans sa cellule » et, en réponse au questionnement de la surveillante, il aurait confessé qu’il « faisait du vide ».

● Les modalités de transmission de ces éléments appellent deux observations de forme de la part du rapporteur.

Ces documents lui sont parvenus alors qu’il avait sollicité de la DAP la transmission de l’ensemble des observations inscrites dans le logiciel Genesis concernant la surveillance de Franck Elong Abé. Le 23 février 2023, M. Laurent Ridel lui a adressé un document de 29 pages où aucune observation n’était formulée entre le 29 janvier 2022 et le jour du drame. Trois jours après les faits nouveaux communiqués par le DLRP, la DAP lui a finalement transmis un document de 329 pages « extraites d’un onglet différent du logiciel Genesis lié à la surveillance particulière dont ils [MM. Colonna et Elong Abé] faisaient l’objet ». Cette transmission s’est avérée surprenante à plus d’un titre puisque, outre le fait qu’elle n’ait été opérée qu’à la suite d’une relance de la part du rapporteur, seule l’information la plus anodine relative au don de paquets pâtes figure dans le relevé finalement communiqué.

Ces documents, qui lui sont également parvenus à la fin du cycle des auditions et sans qu’aucune des personnes interrogées jusqu’alors n’en ait fait état, ont légitimement suscité des interrogations parmi les membres de la commission d’enquête. L’intention du rapporteur n’est évidemment pas de déterminer qui est l’auteur des propos entendus ou d’affirmer qu’ils sont en lien direct avec l’agression d’Yvan Colonna survenue le lendemain. À ce titre, il rappelle qu’il convient d’attendre les conclusions de la procédure judiciaire pour mieux comprendre l’éventuel rôle de cette alerte dans l’agression d’Yvan Colonna. En revanche, il est permis de s’interroger sur le traitement par l’administration et le renseignement pénitentiaires de ces éléments qui, en tout état de cause, constituaient a priori des observations particulièrement inquiétantes, à tout le moins dignes d’intérêt.

ii.   Un manque de réactivité déconcertant

Eu égard à la potentielle gravité des propos relevés, le président et le rapporteur de la commission d’enquête ont souhaité entendre les agents de la maison centrale d’Arles et du renseignement pénitentiaire dont le rôle aurait dû se révéler actif, si ce n’est proactif, dans le traitement de celles-ci. De manière générale, le rapporteur s’étonne du manque de précision dans le déroulé des faits, témoignant d’un défaut inquiétant dans la circulation de l’information dès lors qu’il s’agissait de prendre en compte un éventuel passage à l’acte violent immédiat d’un détenu

● Dans les extractions du logiciel Genesis que le rapporteur a obtenues, il n’est fait à aucun moment mention des propos menaçants tenus le 1er mars 2022. Auditionnée par la commission d’enquête, la surveillante a affirmé que, « n’ayant pas pu identifier clairement qui avait tenu ces propos » ([305]), elle avait choisi de ne pas faire état de cet incident dans le logiciel. Cet argument ne convainc évidemment pas le rapporteur qui estime que cette information primordiale aurait dû figurer dans le dossier Genesis des trois détenus potentiellement impliqués dans ces propos ([306]), et ce même si, comme l’a précisé la surveillante, une telle observation aurait potentiellement conduit à surveiller des détenus qui n’avaient pas à l’être ([307]). Le constat du rapporteur a été partagé, par écrit, par un ancien supérieur hiérarchique de la surveillante, chef de secteur au moment des faits ([308]).

Certes, une expression telle que celle rapportée par la surveillante peut être employée pour de multiples raisons, y compris anodines, a fortiori dans ce cadre particulier que constitue le milieu carcéral. Certes, également, d’après les informations recueillies, il n’était possible d’identifier ni l’auteur, ni la cible potentielle de tels propos. Certes, enfin, et pour être tout à fait complet, la teneur exacte des propos varie selon les interlocuteurs ([309]), de même que le lieu ([310]) où ils ont pu être prononcés. Néanmoins, à partir du moment où il existait des raisons légitimes de suspecter qu’un DPS, par ailleurs TIS, avait pu participer à cet échange, celui-ci aurait dû éveiller davantage l’attention.

Il est d’ailleurs permis de s’étonner que l’incident ne figure pas dans le logiciel lorsque la doctrine d’utilisation de cet outil conduit les surveillants à y inscrire des éléments qui peuvent parfois paraître anecdotiques. L’ancien chef de secteur déclare ainsi n’effectuer « aucun tri sur les observations », y compris lorsqu’il s’agit de préciser que le détenu « n’a pas pris son repas » ou qu’« il est allé à la douche » ([311]).

Le rapporteur souhaite reproduire une partie des consignes figurant dans la note de gestion DPS de Franck Elong Abé : « Tout fait marquant ([312]) le concernant doit être relaté dans un CRI ([313]) et/ou une observation Genesis et faire l’objet d’une remontée immédiate auprès de l’encadrement ».

Il va sans dire que, quand bien même il n’a pas été possible d’identifier Franck Elong Abé comme l’auteur des propos en question, cette consigne n’a pas été respectée, ce qui constitue une erreur d’appréciation manifeste qui ne saurait cependant peser sur la seule surveillante, qualifié de « bon agent » selon les informations recueillies, compte tenu des défaillances dans la circulation et le traitement de l’information que le rapporteur a identifiées.

● La surveillante ayant surpris la conversation a indiqué à la commission d’enquête avoir rédigé le premier CRP à la demande de l’adjoint au chef de détention le 11 mars 2022. Il aura donc fallu attendre dix jours ([314]) pour que cette information, qui semble suggérer une éventuelle menace imminente, fasse l’objet d’un compte rendu écrit. Ce n’est que dix jours plus tard, le 21 mars 2022, que l’adjoint au chef de détention exige un second CRP afin d’obtenir davantage de détails sur l’incident. Au total, 20 jours se sont écoulés avant qu’une description détaillée de l’événement ne remonte officiellement au chef de l’établissement. Le rapporteur estime que la remontée d’information s’est révélée gravement dysfonctionnelle dans le traitement de cet incident.

Auditionné par la commission d’enquête, le DLRP de la maison centrale évoque d’ailleurs une simple « rumeur » qui circulait oralement, « quelques jours après le 2 mars », et qui émanait de la détention ([315]). Le DLRP affirme également, sans en avoir la certitude, avoir été informé le 14 mars des propos tenus ([316]), illustrant une nouvelle fois une diffusion plus que perfectible de l’information au sein de l’établissement.

● Les services du renseignement pénitentiaire ne semblent pas non plus avoir suffisamment pris la mesure de la gravité des propos entendus. Au cours de son audition, le chef de la CIRP de Marseille a précisé que « dans la mesure où l’on aurait clairement identifié que c’était bien Franck Elong Abé qui avait prononcé la phrase et quel était l’individu visé, il aurait évidemment fallu avoir une vigilance extrême » ([317]). Il est permis de s’interroger sur cette affirmation qui laisse entendre que, puisqu’il n’était pas possible d’attribuer formellement ces propos à Franck Elong Abé, cette alerte ne nécessitait pas de vigilance particulière. Le rapporteur souhaite souligner que cette menace a été potentiellement proférée par un détenu dont le comportement était instable et parfois d’une grande violence, comme en témoignent les incidents graves qui ont émaillé son parcours carcéral. En ce sens, le DLRP a concédé lors de son audition, que « lorsqu’on peut entendre un TIS ou un DPS dire dans sa cellule "Je vais le tuer" et qu’on constate que, dans le même temps, il vide sa cellule, ces éléments doivent alerter la hiérarchie de la détention, qui doit à son tour alerter le renseignement pénitentiaire, et le détenu doit faire l’objet de mesures de vigilance supplémentaires » ([318]).

iii.   Une impression de confusion générale inacceptable, des contradictions inexplicables

Au manque de réactivité et de prise de conscience de la potentielle gravité de cet événement, s’ajoute, aux yeux du rapporteur, une grande confusion dans la reconstitution du déroulé des faits. Les auditions n’ont pas permis d’établir clairement les informations qui ont – ou qui n’ont pas –  été transmises au renseignement pénitentiaire et à la direction de l’établissement. Le rapporteur comprend qu’il s’agit d’éléments précis remontant à des faits survenus il y’a plus d’un an mais ne peut se satisfaire de telles imprécisions lorsqu’il s’agit d’événements potentiellement liés à une agression mortelle.

La surveillante indique, sous serment devant la commission d’enquête ([319]) :

– ne pas avoir « renseigné les propos tenus par l’un des trois détenus dans le logiciel Genesis, puisque [elle en a] rendu compte oralement à [son] supérieur hiérarchique [qui] en a lui-même référé à l’officier du bâtiment présent ce jour-là » ;

– avoir inscrit les « informations concernant le fait que M. Elong Abé avait vidé une partie de sa cellule […] dans une observation dans le logiciel Genesis », en concédant toutefois qu’elle a peut-être « mal validé ou fait une mauvaise manipulation ». Il est à noter que les observations rédigées dans Genesis ne peuvent pas s’effacer ni être supprimées par un membre de la hiérarchie. Seul l’agent rédacteur peut supprimer son observation, dès lors qu’elle n’a pas fait l’objet d’une validation par la hiérarchie ([320]).

Or, ayant eu accès à l’ensemble du dossier Genesis de Franck Elong Abé, le rapporteur relève ici une série de contradictions préoccupantes.

Il peut attester qu’aucune mention d’un changement de comportement ne figure sur le logiciel Genesis. Plus surprenant encore, outre l’observation relative au don de paquets de pâtes ([321]), celle qui y figure à la date du 1er mars 2022  est la suivante : « comportement correct, tout semble normal ».

Au cours de son audition ([322]), l’ancien premier surveillant, supérieur hiérarchique de la surveillante, a précisé que celle-ci ne lui avait pas fait part de la conversation entre les trois détenus. Elle lui aurait simplement mentionné le tapage du détenu souhaitant se rendre en promenade et elle lui aurait relaté avoir entendu « On va le tuer, on va le niquer » ‒ « on va », et non pas « je vais » ‒ mais sans indiquer qu’il s’agissait d’une conversation entre trois détenus. L’adjoint au chef de détention indique que ce n’est que le 11 mars, qu’on « [lui] rapporte que la surveillante, lors de son dernier service de nuit, quelques jours auparavant, aurait parlé d’une situation concernant M. Colonna et M. Elong Abé » ([323]). Il lui aurait alors demandé de rédiger un CRP. Cette affirmation pose question au regard des « rumeurs » circulant quelques jours après le 2 mars évoquées par le DLRP.

L’adjoint au chef de détention a affirmé que, s’agissant de l’échange de nourriture, « l’observation ne figure que dans le dossier Genesis » de l’autre détenu impliqué ([324]). Or, le rapporteur a pu constater que cette information figurait bien dans les observations relatives à Franck Elong Abé. L’adjoint au chef de détention a alors indiqué qu’il avait uniquement « dû consulter la partie "Observations" sur ce point » ([325]).

Le rapporteur relève par ailleurs des différences d’appréciation notables sur un éventuel changement de comportement de Franck Elong Abé tel que rapporté par la surveillante :

– au cours de son audition, le DLRP a précisé qu’il n’avait « pas remarqué de changement au vu des images prises lors des fouilles de cellule opérées en novembre et le 16 février chez M. Elong Abé » ([326]) ;

– le chef de détention n’a « pas noté de changement de comportement de sa part » et précise : « Pour moi, il a toujours été le même. C’est quelqu’un d’un peu spécial, avec des idées bien arrêtées, mais je n’ai pas observé le changement de comportement dont la surveillante a fait état dans ses observations, effectuées postérieurement à l’agression » ([327]) ;

– l’adjoint au chef de détention indique que les photos réalisées avant et après les fouilles « n’ont montré aucun changement dans la cellule de Franck Elong Abé ». Il précise, à propos du contrôle des barreaudages, que « le compte rendu professionnel de la surveillante n’a peut-être pas été très bien rédigé sur ce point car le contrôle n’a pas été fait seulement dans [les] trois cellules : il a concerné l’intégralité des cellules du premier étage du bâtiment A » ([328]).

Enfin, et de manière générale, les auditions sur ce sujet ont laissé au rapporteur un désagréable sentiment de confusion générale témoignant, en filigrane, de circuits de remontée des informations balbutiants et donc perfectibles au niveau de l’établissement.

b.   Les services de renseignement et Franck Elong Abé : qui savait quoi ?

i.   Le service national du renseignement pénitentiaire (SNRP) : un service récent mais essentiel dans la circulation des informations

Le SNRP est un service récent créé en 2017. Néanmoins, comme l’a précisé la cheffe du service au cours de son audition, « cette création récente ne signifie pas qu’avant cette date l’administration pénitentiaire ne recueillait pas les informations auxquelles elle avait accès en détention, puisqu’un bureau du renseignement pénitentiaire existait depuis 2003 » ([329]).

● Les attentats de 2015 ont conduit le législateur à s’interroger sur la nécessité de créer un service ad hoc permettant de suivre les détenus en milieu carcéral de manière efficace. La loi du 3 juin 2016 ([330]) a consacré la création d’un service de renseignement pénitentiaire composé de dix cellules interrégionales (CIRP), placées au sein des DISP ainsi que d’un bureau central du renseignement pénitentiaire (BCRP) au sein de l’administration centrale.

Le SNRP a été constitué en service à compétence nationale en 2019 afin de rationaliser la chaîne hiérarchique tout en conservant les différents niveaux d’organisation. Cette restructuration est devenue effective le 15 juin 2019 après la publication d’un arrêté du 29 mai 2019 ([331]).

Depuis 2017, le SNRP fait partie du « second cercle » de la communauté du renseignement. Sur ce fondement, le SNRP « a un champ de compétences plus limité, et est soumis à des conditions plus restrictives de mise en œuvre des techniques de renseignement » ([332]).

 

Les deux cercles de la communauté du renseignement

Sur le fondement de l’article L. 811-2 du code de la sécurité intérieure, les services dits du « premier cercle », désignés par décret en Conseil d’État, « ont pour missions, en France et à l’étranger, la recherche, la collecte, l’exploitation et la mise à disposition du Gouvernement des renseignements relatifs aux enjeux géopolitiques et stratégiques ainsi qu’aux menaces et aux risques susceptibles d’affecter la vie de la Nation. Ils contribuent à la connaissance et à l’anticipation de ces enjeux ainsi qu’à la prévention et à l’entrave de ces risques et de ces menaces ». L’article R. 811-1 du même code mentionne la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), la direction du renseignement militaire (DRM), la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) et le traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (Tracfin).

Les services du « second cercle », prévus par l’article L. 811-4 du code de la sécurité intérieure (1), sont mentionnés à l’article R. 811-2 du même code : y figurent notamment, aux côtés du SNRP, le service central du renseignement territorial (SCRT), la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP) et la sous-direction de l’anticipation opérationnelle de la gendarmerie nationale (SDAO).

(1) « Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, désigne les services, autres que les services spécialisés de renseignement, relevant des ministres de la défense, de l’intérieur et de la justice ainsi que des ministres chargés de l’économie, du budget ou des douanes, qui peuvent être autorisés à recourir aux techniques » de renseignement.

Le SNRP est compétent sur les finalités liées à :

– la lutte contre le terrorisme ;

– la lutte contre la délinquance et la criminalité organisées ;

– la sécurité pénitentiaire ([333]).

Le service a vu son champ de compétence s’étendre en 2019 aux atteintes faites aux institutions républicaines.

L’action du SNRP s’appuie sur le travail des délégués locaux au renseignement pénitentiaire (DLRP) affectés dans les établissements pénitentiaires. Les DLRP sont placés sous l’autorité des CIRP et non des chefs d’établissement. Ces délégués, actuellement au nombre de 85, sont affectés sur un total de 74 établissements pénitentiaires ([334]). Au cours des auditions, le rapporteur a pu prendre conscience de l’importance du rôle des DLRP dans la remontée d’informations inquiétantes. Ses missions dans le suivi de Franck Elong Abé seront détaillées ci-après.

● La création du SNRP a, selon les termes de la cheffe de service, permis de combler « ce qui constituait un trou noir » ([335]). Avant 2017, aucun service de renseignement n’était en mesure d’effectuer un suivi des détenus pendant leur période d’incarcération, ce qui ne permettait de savoir comment ceux-ci avaient évolué en détention. Le SNRP permet donc d’offrir « une photographie » de l’individu au moment de sa libération et de passer le relais au service qui sera éventuellement chargé de son suivi en milieu extérieur. À ce titre, Franck Elong Abé était particulièrement suivi par le renseignement pénitentiaire.

Lors de son audition, M. Ludovic Friat, président de l’Union syndicale des magistrats, a expliqué le double enjeu qui a présidé à la création du SNRP et ses implications : « Assurer le bon ordre dans les établissements, c’est-à-dire vérifier qu’il n’y a pas de mauvais coups en préparation à l’intérieur des murs – une action terroriste, une évasion ou des infractions, quelles qu’elles soient ; mais aussi, et surtout, faire le lien avec les services de renseignement à l’extérieur […]. Selon le raisonnement des services de renseignement, ce qui se passe à l’intérieur des murs relève de la responsabilité de l’administration et du renseignement pénitentiaires. Le service de renseignement extérieur à la détention souhaite quant à lui savoir quelle est la dangerosité d’une personne qui sort. D’où ce qui a été mis en place dans le cadre des groupes d’évaluation départementaux (GED) avec les préfets, avec des informations transmises par le renseignement pénitentiaire à destination des autres services qui assurent le suivi à l’extérieur. » ([336])

ii.   Le suivi de Franck Elong Abé à la maison centrale d’Arles

En raison du profil particulier des détenus qu’elle accueille, la maison centrale d’Arles dispose d’un DLRP. Celui-ci est un agent expérimenté, ainsi qu’a pu le constater la commission d’enquête. En tant que DLRP, ses missions sont multiples mais consistent essentiellement en la collecte d’informations et la détection de menaces. Il anime également un réseau propre à l’établissement et contribue à la remontée d’informations à la CIRP. Cet agent « circule en détention sans que tous les détenus sachent qu’il est DLRP » ([337]) ce qui lui donne un positionnement central dans la captation d’informations.

Franck Elong Abé était suivi par le renseignement pénitentiaire eu égard à son statut de DPS mais aussi en tant que TIS. En réponse à une interrogation du rapporteur, le DLRP, a indiqué la façon dont il appréhendait le profil de Franck Elong Abé : « Je m’attachais donc principalement à son relationnel intérieur/extérieur, au comportement qu’il pouvait avoir auprès du personnel, de la population pénale. J’observais également l’évolution du comportement des détenus qu’il pouvait côtoyer afin de déceler tout élément en lien avec le prosélytisme. » ([338])

Le rapporteur s’est interrogé sur le rôle qu’aurait éventuellement pu jouer le renseignement pénitentiaire dans l’anticipation du passage à l’acte de Franck Elong Abé. Le DLRP de la maison centrale a reconnu que les détenus classés DPS pour leur « grande violence » ne sont pas nécessairement suivis par le renseignement car ils sont trop instables pour que leurs agissements soient « anticipables, prévisibles et donc détectables » ([339]). Le rapporteur ne peut, à l’issue des travaux de la commission d’enquête, affirmer que Franck Elong Abé était –  à tout le moins en partie –  à classer dans cette catégorie de détenus. Il semble néanmoins, qu’en dépit de son profil psychiatrique, certains de ses agissements pouvaient être détectables au regard de son caractère réfléchi déjà démontré. Le DLRP qualifie toutefois l’acte du 2 mars 2022 d’« inexplicable » et précise qu’aucun élément en sa possession n’aurait permis d’anticiper la survenue de cet événement ([340]). Il est permis de se demander si les propos menaçants entendus la veille de l’agression auraient pu constituer un élément exploitable par le renseignement, mais encore aurait-il fallu que le DLRP en eût connaissance au moment opportun. Il convient néanmoins de relever, une nouvelle fois, que c’est en QER que le véritable travail d’évaluation de la dangerosité de Franck Elong Abé aurait dû être effectué.

iii.   Les relations entre le délégué local au renseignement pénitentiaire (DLRP) et le chef d’établissement : des échanges non formalisés

Il convient de rappeler que le chef d’établissement pénitentiaire et le DLRP n’ont pas de lien hiérarchique ni fonctionnel. En conséquence et en application du principe classique, en matière de renseignement, du « besoin d’en connaître », le DLRP n’est pas tenu de partager avec la direction de l’établissement l’ensemble des informations obtenues dans le cadre de ses missions. Or, ces informations peuvent être de nature à permettre une adaptation de la gestion de la détention de l’individu en assurant une évaluation plus fine du risque pénitentiaire qu’il représente.

La cheffe du SNRP a précisé qu’il était normal que le DLRP alerte le chef d’établissement lorsque cela est nécessaire, tout en admettant que les « échanges se font intuitu personae, leur intensité et leur qualité variant en fonction des personnalités de chacun ». Si le rapporteur comprend qu’il s’agit de deux services bien distincts ([341]), il n’apparaît pas satisfaisant que les relations entre le DLRP et le chef d’établissement dépendent exclusivement de leur bonne entente ou de bonnes pratiques. Mme Charlotte Hemmerdinger a affirmé que, lorsqu’elle était à la tête du renseignement pénitentiaire, « l’habitude avait été prise de demander tout et n’importe quoi aux DLRP et les chefs d’établissement souhaitaient tout savoir » ([342]). Elle ajoute, par ailleurs, que la loi de 2016 relative au renseignement implique « le verrouillage de certaines données et de ne pas exposer nos méthodes d’investigation » et qu’il pouvait parfois s’agir de « protéger des agents pénitentiaire en ne communiquant pas toutes les informations ».

Dans les réponses écrites transmises au rapporteur, le DLRP de la maison centrale d’Arles reconnaît, que la « la thématique de la radicalisation doit être prise en compte par l’ensemble des professionnels et responsables de l’établissement » et qu’elle nécessite "une analyse pluridisciplinaire" ». Il affirme donc transmettre les signalements de terrain au responsable de secteur « par transparence ». Le rapporteur ne peut que saluer cette nécessaire transparence dans le partage de l’information qui constitue, à ses yeux, un outil d’adaptation de la gestion carcérale des détenus. Néanmoins, il déplore que cette approche ne puisse pas être valable dans l’ensemble des établissements puisqu’elle semble dépendre en partie des relations personnelles entre le chef d’établissement et le DLRP.

Recommandation n° 17    

Clarifier et formaliser l’organisation des échanges entre le délégué local ou le correspondant local au renseignement pénitentiaire et le chef de l’établissement pénitentiaire.

De manière générale, le rapporteur souhaite souligner le positionnement particulier du SNRP au sein de la communauté du renseignement. Si le DLRP ainsi que ses supérieurs ne doivent pas rendre de comptes au chef de l’établissement dans lequel le premier évolue, celui-ci dépend néanmoins hiérarchiquement, en dernière analyse, du directeur de l’administration pénitentiaire. Le rapporteur estime qu’il serait dès lors judicieux de clarifier les modalités de circulation des informations entre le renseignement pénitentiaire et la « détention ». Il rejoint le constat de Mme Béatrice Brugère, secrétaire générale d’Unité magistrats-Force ouvrière, selon laquelle « le cloisonnement entre le renseignement pénitentiaire et les chefs d’établissement, qui n’ont aucun lien hiérarchique ou fonctionnel, doit être totalement repensé » ([343]). Selon elle, il conviendrait, dès lors, que le renseignement pénitentiaire soit partagé « avec les bonnes personnes » et « au bon moment pour éviter les drames » ([344]).

Recommandation n° 18    

Faire du renseignement pénitentiaire un réel outil d’anticipation, de détection et de prévention du risque de passage à l’acte violent.

iv.   Y a-t-il eu des failles dans la transmission de l’information au sujet de Franck Elong Abé ?

Le rapporteur a été particulièrement vigilant quant au fait que l’ensemble des informations pertinentes concernant Franck Elong Abé aient bien circulé entre les différents services de renseignement concernés.

Deux entités ont retenu l’attention des membres de la commission d’enquête au cours des auditions pour leur rôle dans la circulation de l’information :

– le coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terroriste (CNRLT) qui a été créé en 2008 avec l’objectif  d’améliorer la fluidité du partage des informations entre les différents services du renseignement ([345]) ;

– les groupes d’évaluation départementaux de la radicalisation islamiste (GED) créés en 2014, qui sont présidés par les préfets et auxquels le renseignement pénitentiaire participe notamment. L’ancien CNRLT, M. Laurent Nuñez, a souligné que « les services de renseignement échangent en permanence des informations sur les individus radicalisés dans le cadre des GED » ([346]), donnant à cette entité un rôle essentiel dans le décloisonnement de l’information. 

Ces deux organes ont permis une nette amélioration dans la fluidité de la circulation de l’information entre les différents acteurs du renseignement. M. Laurent Nuñez a toutefois admis devant les membres de la commission d’enquête que les services de renseignement « partent de très loin » en matière d’échange d’informations et que « de nombreux progrès restent à faire » ([347]). Le rapporteur s’est donc interrogé si le cas de Franck Elong Abé était révélateur des progrès qui restent à accomplir dans la fluidité des échanges au sein de la communauté du renseignement.

● Le rapporteur s’est notamment questionné sur le niveau de connaissance du DLRP et, plus largement, du renseignement pénitentiaire, au sujet du profil de Franck Elong Abé. Il est évident qu’au regard de son passé et de son profil pénal, l’agresseur d’Yvan Colonna avait fait l’objet d’un suivi tant par les services de la DGSE – en dehors du territoire national – que par ceux de la DGSI. Le DLRP a indiqué avoir été informé de son passé en Afghanistan, de sa radicalisation ainsi que de sa dangerosité au vu de ses antécédents disciplinaires ([348]). Néanmoins, il affirme que son « niveau d’information sur la dangerosité de Franck Elong Abé lors de son arrivée à Arles était le même que celui de l’établissement » ([349]). Cette déclaration pose question à deux titres.

En premier lieu, en réponse au président de la commission d’enquête qui l’interrogeait sur son niveau de connaissance de la dangerosité de Franck Elong Abé, la précédente cheffe de la maison centrale, Mme Corinne Puglierini, a souligné qu’elle savait qu’ « il avait combattu et été incarcéré un certain nombre de mois en Afghanistan, et que les autorités américaines l’avaient remis aux autorités françaises » mais qu’elle ne disposait d’aucun élément sur son parcours en territoire étranger ([350]). Sauf à considérer que le renseignement pénitentiaire ne disposait d’aucun élément complémentaire sur ses agissements en Afghanistan, qu’il soit permis au rapporteur de s’étonner de cette incohérence, dont l’origine n’est néanmoins peut-être pas à rechercher du côté du DLRP

En second lieu et en tout état de cause, si le renseignement pénitentiaire n’était pas davantage informé de son parcours auprès des talibans, il faut considérer que la circulation a été incomplète entre les différents services de renseignement. En effet, comme l’a rappelé le directeur général de la sécurité intérieure , la logique de continuité veut que « lorsqu’un individu suivi par la DGSI est incarcéré, le SNRP soit rendu destinataire de l’ensemble des éléments d’information en notre possession » ([351]). Ce principe de partage de l’information a été confirmé par M. Laurent Nuñez, selon lequel « il est évident que le SNRP dispose de tout son pedigree, à la fois de combattant et de détenu » ([352]). Si le SNRP était informé de son « pedigree », il est permis de s’interroger sur les éléments qui ont été transmis au DLRP par sa hiérarchie pour réaliser efficacement ses missions et prendre la mesure de la dangerosité de Franck Elong Abé. L’ancienne cheffe du SNRP affirme toutefois très clairement que « la DGSI ne nous a pas transmis d’informations sur M. Elong Abé au moment de sa prise en charge par l’administration pénitentiaire » et qu’elle était « même dans l’incapacité de […] dire ce dont dispose la DGSI quant au parcours précis de Franck Elong Abé en Afghanistan » ([353]).

● De même, les relations entre le SNRP et la DGSE ne semblent pas particulièrement développées, à tout le moins s’agissant de la transmission d’information. Le directeur général de la sécurité extérieur (DGSE) a reconnu qu’en matière de suivi, la DGSE n’avait « pas de relation directe avec le SNRP » car « cela n’est pas [son] métier : la DGSE agit à l’extérieur de nos frontières et ne s’occupe pas des questions intérieures ». Si le rapporteur comprend cette position, il considère qu’elle laisse entendre une nouvelle fois un certain cloisonnement des informations au sein de la communauté du renseignement.

De manière générale, les travaux conduits par le rapporteur ne permettent pas d’établir clairement s’il y a effectivement eu des failles dans la transmission des éléments concernant Franck Elong Abé. Néanmoins, les incohérences soulevées suffisent à mettre en lumière un système de partage de l’information encore perfectible.

v.   L’autorité judiciaire : à la source d’informations progressivement tombées dans l’oubli ?

Les comptes rendus d’audition convergent pour dresser un triple constat, étayé par les pièces consultées par le rapporteur : les informations issues de la procédure judiciaire étaient suffisantes pour caractériser la dangerosité de Franck Elong Abé ; celles-ci ont été alimentées par les informations détenues par la DGSI et par la DGSE, et elles ont été communiquées au SNRP.

● Le procureur de la République antiterroriste a été très complet sur la densité des informations détenues par l’autorité judiciaire dans le cadre de l’instruction : « La justice a obtenu un certain nombre d’informations, que j’ai déjà évoquées : sur le séjour de M. Elong Abé, sa présence au sein du campement de Mir Ali, dans la province d’Orakzai pendant six mois, sur la manière dont il va commencer à opérer au sein des différents groupes talibans basés à Miram Shah, etc. Nous avons beaucoup de choses, contrairement à ce dont nous pouvons disposer habituellement sur des individus ayant séjourné dans des zones d’activité de groupes terroristes. Nous disposons même d’une vidéo, datant probablement d’août 2012, qui permet de le voir tirer au canon sans recul avec deux autres personnes. Nous disposons de supports informatiques et téléphoniques exploités qui comportent des photographies de l’intéressé en tenue de combat, des fichiers relatifs à des substances explosives et des procédés de fabrication. M. Elong Abé fait partie des individus pour lesquels nous disposons de beaucoup d’éléments, qui ont été versés à la procédure. » ([354])

● Du côté des services du premier cercle, la DGSI a également confirmé que la procédure judiciaire constituait la source d’informations – en partie nourrie par les renseignements qu’elle détenait – permettant d’apprécier la dangerosité de l’individu. M. Nicolas Lerner a relevé, de manière exhaustive, les éléments suivants ([355]) :

– « Dans le cadre de cette procédure judiciaire, c’est l’exploitation de supports et d’éléments communiqués par un partenaire qui permet de caractériser clairement son rôle de combattant, rôle qui se confirmera lors des auditions de Franck Elong Abé par le juge d’instruction dans la phase ultérieure de la procédure. Selon les éléments versés en procédure et qui apparaissent dans les réquisitoires et les jugements, il est établi qu’il a pris part à des combats. Des photographies le montrent au nombre de combattants en armes ; d’autres éléments attestent qu’il a manipulé des explosifs. Ce parcours est documenté autant que possible, puisqu’il reste muet en garde à vue, mais tous ces éléments sont versés en procédure, et c’est pour partie sur eux que se fonde le tribunal correctionnel pour le condamner à neuf ans de détention le 20 avril 2016 ;

– « Tout ce que nous savions, et c’était déjà beaucoup, c’est qu’il avait quitté la France pour l’Afghanistan où il avait joué un rôle actif de combattant ; tout cela ressort des pièces judiciaires. Nous savions aussi qu’il présentait des troubles psychologiques ou psychiatriques avérés le rendant particulièrement instable  je ne reviens pas sur ses hospitalisations d’office lors de sa détention. Si l’on considère le dossier et l’historique de Franck Elong Abé, sa dangerosité a été non seulement établie par la DGSI mais partagée, de très nombreuses fois, dès la phase judiciaire et durant toute sa détention ;

– « La DGSI ne connaissait pas Franck Elong Abé avant d’être informée par notre partenaire de la présence d’un Français en Afghanistan. Il nous revient, nous l’interrogeons en garde à vue à son arrivée, il est déféré, présenté au juge, incarcéré. Tous les éléments dont nous disposons sur cet individu sont versés à la procédure judiciaire et je n’ai pas connaissance qu’un rapport administratif aurait été rédigé à l’époque. La procédure judiciaire est très complète : tous les éléments de dangerosité que je vous ai donnés et que vous a sans doute donnés le SNRP  maniement d’armes et d’explosifs, caractère de meneur d’hommes  y figurent et résultent, comme je vous l’ai dit, soit d’éléments recueillis pendant une garde à vue qui n’a pas été décisive, soit de l’exploitation des supports numériques, soit d’éléments issus de la coopération internationale ; 

– « […] à ma connaissance, tous les éléments utiles à la perception de cette personnalité ont été versés à la procédure judiciaire, ce qui a permis la condamnation de l’individu. »

De son côté, M. Bernard Émié a confirmé que « l’essentiel [des informations de la DGSE] a naturellement été partagé avec les services intérieurs, mais aussi avec la justice » ([356]).

● Le SNRP a enfin confirmé, en audition, avoir eu une connaissance détaillée des éléments versés à la procédure judiciaire ([357]). Mme Charlotte Hemmerdinger a ainsi indiqué que le renseignement pénitentiaire avait « connaissance du parcours de M. Elong Abé en Afghanistan puisque son dossier pénal, qui l’a suivi depuis le premier jour de son incarcération jusqu’à la maison centrale d’Arles, contenait des pièces judiciaires résumant son parcours avant son retour en France. Son degré de dangerosité et ses activités sur place étaient connus, non par le biais des services partenaires, mais parce que l’autorité judiciaire en avait fait des résumés extrêmement clairs et précis figurant dans le dossier pénal qui l’a suivi dans tous les établissements ». Mme Camille Hennetier est quant à elle revenue sur la portée des informations contenues dans la procédure judiciaire. Pour elle, « le dossier judiciaire évoque le parcours de Franck Elong Abé et le fait qu’il soit parti en Afghanistan, qu’il ait intégré un groupe de talibans affilié à Al-Qaïda et qu’à ce titre il ait combattu », ce qui lui paraît, in fine, « constituer un élément de dangerosité suffisant ».

Sur la base de ces éléments, le rapporteur déplore que les informations issues de l’autorité judiciaire n’aient pas été mieux exploitées pour appréhender la dangerosité de Franck Elong Abé.

2.   Des divergences hautement préjudiciables dans l’appréciation de la dangerosité de Franck Elong Abé

Les travaux de la commission d’enquête ont révélé qu’il existait des divergences d’appréciation s’agissant du niveau de dangerosité de Franck Elong Abé. À ce titre, le rapporteur distinguera la dangerosité carcérale de celui-ci et la menace qu’il aurait représentée s’il avait été libéré, c’est-à-dire sa dangerosité dite extérieure. Le rapporteur rappelle toutefois que le niveau de dangerosité carcérale de Franck Elong Abé n’a jamais été évalué, comme il a déjà été démontré, et que, par voie de conséquence, celui-ci a été largement relativisé.

a.   Un individu décrit comme situé dans le « haut du spectre »

Les membres de la commission d’enquête se sont interrogés sur le niveau de dangerosité connu de Franck Elong Abé. Un certain nombre de questionnements du président comme du rapporteur ont porté sur le fait de savoir si Franck Elong Abé pouvait être classé parmi les TIS les plus dangereux.

 C’est Mme Camille Hennetier, cheffe du SNRP, qui a mentionné pour la première fois ses « liens avec des détenus figurant dans le haut du spectre » ([358]), notamment ses relations avec Smaïn Aït Ali Belkacem. En réponse à la question de savoir si Franck Elong Abé pouvait également être classé dans le « haut du spectre », la cheffe du SNRP a indiqué, qu’en tout état de cause il s’agissait d’un « individu dangereux ». M. Nicolas Lerner a quant à lui été beaucoup plus affirmatif dans sa qualification de l’individu puisqu’il atteste que les éléments dont il dispose placent « sans l’ombre d’un doute, […] Franck Elong Abé parmi les détenus du haut du spectre » ([359]). Mme Frédérique Camilleri, préfète de police des Bouches-du-Rhône, a confirmé cette information en précisant que « tous les détenus présentant ce profil sont évidemment considérés comme le haut du spectre et nous les suivons d’encore plus près que les autres » ([360]).

Le rapporteur tient à souligner que la notion de « haut du spectre » n’est pas une qualification opérationnelle pour les services du renseignement ([361]), ainsi que l’a rappelé Mme Frédérique Camilleri évoquant les travaux des GED ([362]). Le chef de la CIRP de Marseille a lui aussi précisé que « la notion de « haut de spectre » n’est pas très usitée dans l’administration pénitentiaire, ni dans le renseignement pénitentiaire » ([363]). Les individus les plus dangereux sont inscrits au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) et, logiquement, les TIS comme Franck Elong Abé font l’objet d’un suivi rapproché. Le rapporteur souhaite rappeler ici que les fiches du FSPRT, à la différence des fiches S, sont élaborées pour garantir le partage de données entre les services qui ont besoin de les connaître afin d’assurer le suivi des personnes, trois niveaux de suivi pouvant être fixés par le GED ([364]). La question du niveau de suivi de Franck Elong Abé sera abordée ci-après.

b.   D’une dangerosité extrême à l’extérieur à une dangerosité largement relativisée en détention

En premier lieu, le rapporteur estime important de mentionner les propos de M. Stéphane Bredin qui, lors de son audition, a expliqué que « les personnes qui se sont exprimées devant [la] commission ont confondu les deux [types de dangerosité], ce qui ne participe pas à la clarté des débats » ([365]) . En effet, le terme « haut du spectre » a conduit à des confusions au sujet de la dangerosité de Franck Elong Abé lorsqu’il était écroué à la maison centrale d’Arles. En tout état de cause, le rapporteur souhaite détailler les divergences assez notables qui ont existé entre les services dans leur appréciation de la dangerosité de Franck Elong Abé.

i.   Pour les services de renseignement

La DGSE admet ne pas avoir « recueilli beaucoup de renseignements le concernant » mais souligne son « extrême dangerosité, en raison de son état mental, de son aguerrissement supposé, de son accès à des armes de guerre et de sa maîtrise de la langue française, lui permettant d’organiser sur le territoire afghan de potentielles attaques contre nos intérêts » ([366]). Il s’agit ici de qualifier la menace que Franck Elong Abé représentait à l’extérieur, et notamment en tant que combattant : celle-ci est, sans ambiguïté, extrême. Mais comme l’a rappelé le directeur général de la sécurité extérieure, « la catégorisation de la dangerosité dans le cadre du système intérieur et de l’administration pénitentiaire » ne relève pas de sa compétence.

Pour les services de la DGSI, la dangerosité de Franck Elong Abé ne s’est pas atténuée à son retour d’Afghanistan ni même pendant sa détention puisque M. Nicolas Lerner estimait « son niveau de dangerosité potentielle comparable à celui qu’il était lors de sa mise sous écrou » ([367]). Dès lors, sa dangerosité a été « non seulement établie par la DGSI mais partagée, de très nombreuses fois, dès la phase judiciaire et durant toute sa détention ». Dans son évaluation de la dangerosité de Franck Elong Abé, la DGSI, fait en outre référence à des éléments d’appréciation liés à sa détention comme la prise en otage d’une surveillante, les menaces de mort ou encore les feux de cellule, événements qui ont été rappelés supra.

Pour le renseignement pénitentiaire, le niveau de dangerosité de Franck Elong Abé pose davantage question. De l’aveu du chef de la CIRP de Marseille, Franck Elong Abé « présentait une dangerosité terroriste absolument certaine pour peu qu’il eût été remis en liberté » ([368]).  Il affirme néanmoins qu’« au moment de son incarcération, la dangerosité terroriste de Franck Elong Abé a […] été réévaluée ». Cette nouvelle évaluation aurait permis d’établir que Franck Elong Abé ne constituait pas « une menace imminente pour la sécurité de l’établissement ou du point de vue du risque terroriste ».

En conséquence, au sein de la classification utilisée pour déterminer la dangerosité des individus suivis au sein des GED, Franck Elong Abé « n’était pas au sommet » lorsqu’il évoluait à la maison centrale d’Arles. Le rapporteur a eu communication des relevés de décisions du GED des Bouches-du-Rhône concernant Franck Elong Abé. Il s’avère que ce dernier n’était suivi qu’au niveau le plus faible, le niveau 3 ([369]), et n’était donc pas au sommet de la classification.

Le cas de Franck Elong Abé a néanmoins fait l’objet d’un suivi régulier, toujours reconduit, dans le cadre du GED, puisqu’il y a été évoqué à sept reprises entre 2019 et 2022. M. Stéphane Bredin a également précisé qu’il ne fallait « pas confondre le niveau de dangerosité pénitentiaire et le niveau de suivi » et que « dans l’immense majorité des cas, le niveau de suivi des détenus est inférieur au niveau de suivi en milieu ouvert », en prenant l’exemple de Salah Abdeslam qui « n’est pas au niveau de suivi maximum » mais qui « fait l’objet d’une surveillance par caméra dans sa cellule vingt-quatre sur vingt-quatre » ([370]).

ii.   Pour l’administration pénitentiaire

S’agissant de l’administration pénitentiaire, le rapporteur considère, pour reprendre les termes de M. Laurent Ridel, que la gestion de Franck Elong Abé a révélé une « banalisation de la surveillance » ([371]).  Pourtant, M. Nicolas Lerner a précisé que, pour la DGSI, « un individu ayant le profil de Franck Elong Abé représente une menace directe en détention », ce qui ne semble pas avoir été suffisamment pris en compte par l’administration pénitentiaire.

Au regard de ces divergences d’évaluation de la dangerosité de Franck Elong Abé, le rapporteur souhaite préciser, comme M. Stéphane Bredin lors de son audition, que « la fin de l’histoire nous apprend qu’une erreur d’appréciation a vraisemblablement été commise sur l’évolution réelle de son risque pénitentiaire » ([372]). Cette erreur d’appréciation de sa dangerosité carcérale est, aux yeux du rapporteur, liée à deux éléments importants :

– la dangerosité de Franck Elong Abé n’a jamais été réellement évaluée puisqu’il n’a pas été orienté en QER. Le rapporteur rappelle ici les propos de la première vice-présidente du tribunal judiciaire de Paris lorsqu’elle indique que son affectation en QER lui « paraissait indispensable puisque sa dangerosité n’avait jamais été évaluée » ([373]). Il apparaît donc logique que le risque pénitentiaire qu’il représentait ait été très largement minimisé, du fait de l’absence d’évaluation de sa capacité à présenter, à nouveau, un risque de passage l’acte violent hétéro-agressif ;

– cet aspect a déjà été longuement abordé mais il convient de rappeler que son passage en détention ordinaire et son classement en tant qu’auxiliaire constituaient une prise de risque –  peut-être envisageable au regard de sa sortie proche, ce n’est pas ici le sujet –  qui aurait dû conduire à une réelle évaluation de sa dangerosité en détention. Or, force est de constater que tel n’a pas été le cas, ce qui a conduit à une forte sous-estimation de sa capacité à agresser violemment d’autres personnes.

Le rapporteur n’ignore cependant rien de la complexité du sujet et des limites inhérentes à un tel exercice d’évaluation. En audition, M. Éric Aouchar, représentant du syndicat national de l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire (SNEPAP-FSU), a ainsi relevé que « le débat sur la dangerosité est un fantasme. Tout le monde est dangereux potentiellement, personne ne l’est dans l’absolu. On évalue des personnes qui peuvent ne pas être dangereuses au moment de l’évaluation, mais qui peuvent s’avérer extrêmement dangereuses plus tard, et inversement. Certains détenus sont extrêmement dangereux à l’extérieur, mais ne le sont pas en détention – c’est l’exemple bien connu des délinquants sexuels » ([374]).

iii.   Pour l’autorité judiciaire

Le sujet a été abordé par M. Jean-François Ricard, lors de son audition ([375]), s’agissant des précédents attentats islamistes perpétrés en détention. Il en sera question ultérieurement ([376]).

iv.   Ce qu’il est possible d’en conclure

Le débat sur la différence d’appréciation, compréhensible, entre la dangerosité extérieure et la dangerosité pénitentiaire est légitime mais il ne saurait occulter la défaillance qui s’est manifestée dans l’appréciation de celle de Franck Elong Abé. Le rapporteur souhaite conclure ce sujet par deux constats.

Les auditions de la commission d’enquête ont parfois donné le sentiment que le monde pénitentiaire et le monde du renseignement pouvaient renvoyer l’image d’une étanchéité déconcertante et d’une forme d’incompréhension mutuelle préjudiciable. Cela s’est particulièrement révélé lorsque M. Jean-Louis Daumas, responsable de la mission d’inspection de fonctionnement, a fait cette déclaration : « Les cadres de l’administration pénitentiaire à Arles, à Marseille et à Paris savaient-ils que l’auteur de l’agression était "en haut du spectre" terroriste ? Non. Nous n’avons pas eu le sentiment que l’on nous mentait, ou que ces cadres en auraient eu connaissance et qu’ils n’auraient pas pris de mesures adaptées. » ([377])

In fine, le cas de Franck Elong Abé s’est caractérisé par une évaluation partielle et défaillante de sa dangerosité pénitentiaire, et sa dangerosité extérieure n’a pas été perçue de la même façon par tous les acteurs responsables de sa prise en charge. C’est à la lecture de cette double défaillance que doit être analysée la mauvaise appréciation générale de la dangerosité de l’individu qui a incontestablement permis, pour partie, la survenue du drame du 2 mars 2022 expliqué ici, une nouvelle fois, par une prise en charge carcérale inadaptée à la dangerosité Franck Elong Abé.

c.   Renforcer les groupes d’évaluation départementaux de la radicalisation islamiste (GED) pour améliorer la circulation de l’information et la qualité de l’évaluation

Le rapporteur considère que l’évaluation des détenus présentant un profil analogue à celui de Franck Elong Abé est largement perfectible. S’il est évident que la dangerosité carcérale et la dangerosité, en liberté, d’un même individu ne sont pas identiques, il apparaît essentiel de mieux coordonner ces deux appréciations et de ne pas estimer trop rapidement que l’individu, une fois incarcéré, ne constitue plus une menace directe au motif qu’il évoluerait dans un espace clos et sous surveillance. Si tel est le cas pour ce qui concerne la société, effectivement protégée par le simple placement en détention d’un individu dangereux, il ne faut pas oublier les femmes et les hommes qui travaillent en prison ainsi que celles et ceux qui y sont détenus, et dont il convient évidemment d’assurer aussi la sécurité.

À ce titre, le profil de Franck Elong Abé est révélateur de la nécessité de faire évoluer l’examen des individus qui sont à la fois particulièrement dangereux à l’extérieur de murs de la prison, mais aussi très instables sur le plan psychologique. L’agression d’Yvan Colonna démontre, s’il en était encore besoin, qu’un manque de vigilance couplé à une mauvaise évaluation de la dangerosité d’un détenu peut s’avérer dramatique.

● Afin de permettre une évaluation plus fine de la dangerosité des individus suivis en GED, il conviendrait d’étoffer leur composition en renforçant leur dimension pluridisciplinaire, sans néanmoins altérer leur caractère opérationnel auquel le rapporteur est attaché.

La composition des GED : un enjeux essentiel dans l’évaluation
de la dangerosité des individus

À titre d’exemple, le GED des Bouches-du-Rhône est composé de représentants (1):

– des trois parquets territorialement comptétents (Marseille, Aix-en-Provence et Tarascon) ;

– de la direction zonale de la police judiciaire ;

– du service zonal du renseignement territorial ;

– de la direction zonale de la police judiciaire ;

– de la direction zonale de la police aux frontières ;

– du groupement de gendarmerie départementale ;

– de la cellule interrégionale du renseignement pénitentiaire ;

– de la direction du service pénitentiaire d’insertion et de probation.

Si nécessaire, participent également au GED des représentants :

– de la direction du renseignement et de la sécurité de la défense ;

– et de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières.

() La composition des GED est fixée par la circulaire INTK1824920J du ministre de l’intérieur du 14 décembre 2018 relative au pilotage opérationnel de la lutte anti-terroriste et de la nouvelle doctrine de fonctionnement des groupes d’évaluation départementaux.

Le rapporteur estime que seule une pluralité de regards peut permettre d’évaluer la dangerosité réelle d’un individu. À cet égard, le rapporteur suggère de prévoir la présence d’au moins un médecin psychiatre de liaison au sein des GED. Ce médecin psychiatre, éventuellement en lien avec les unités sanitaires des établissements pénitentiaires ([378]), serait en mesure d’apporter une perspective complémentaire et précieuse sur le risque de passage à l’acte lié aux troubles psychiatriques et donc de déterminer plus finement le niveau de dangerosité de l’individu et, par conséquent, de contribuer à fixer de manière encore plus éclairée le niveau de suivi associé.

Au cours de son audition, Mme Frédérique Camilleri a précisé, que « les rares fois où [elle s’est] sentie démunie » en exerçant la présidence du GED de son département « concernaient des personnes présentant manifestement des troubles psychiatriques » ([379]). Le rapporteur souligne que la préfète de police des Bouches-du-Rhône a précisé que 30 % des cas étudiés en GED relèvent de la psychiatre ce qui « pose une difficulté car leur appréciation peut s’avérer complexe ». Il est donc permis d’imaginer que les difficultés d’évaluation dépassent en réalité sans doute les « rares fois » ainsi mentionnées et que cette situation problématique doit pouvoir évoluer.

Le niveau de dangerosité de Franck Elong Abé aurait pu être rehaussé en appréhendant plus avant son profil psychiatrique, au regard notamment du fait que le SNRP qualifie l’agression du 2 mars 2022 d’ « inexplicable » ([380]).

Recommandation n° 19

Prévoir la présence d’un médecin psychiatre de liaison dans les groupes d’évaluation départementaux de la radicalisation violente (GED) afin de permettre une évaluation plus fine de la dangerosité réelle de l’individu dont la situation est examinée.

● Le rapporteur s’étonne également que la direction du service pénitentiaire d’insertion et de probation et le renseignement pénitentiaire participent aux GED alors que la DISP, qui est en lien direct avec les chefs d’établissement, n’y est pas directement associée. Seule la CIRP peut actuellement apporter des éléments concernant la gestion de la détention d’un individu écroué mais, comme il a déjà été précisé, il ne s’agit pas de son domaine de compétence.

Le rapporteur précise, ainsi que l’a indiqué Mme Frédérique Camilleri, que « 30 % des cas [examinés par les GED] concernent des personnes sous main de justice ou détenues » ([381]). Dès lors, il semble inopportun de ne pas prévoir de membre des services pénitentiaires au sein des GED comprenant, dans leur périmètre, un établissement pénitentiaire, sous peine de ne pas prendre pleinement en considération la façon dont la peine de l’individu est gérée par la « détention » et, à l’inverse, de ne pas prendre en compte dans la gestion carcérale du détenu certains éléments à l’appréciation de sa dangerosité réelle. Le rapporteur, attaché à la bonne circulation de l’information, estime également que la présence d’un membre des services pénitentiaires déconcentrés contribuerait au décloisonnement des éléments de « profilage » évoqués dans les GED.

Recommandation n° 20

Intégrer un représentant de la direction interrégionale des services pénitentiaires dans les GED concernés afin de mieux prendre en compte la gestion de la détention dans l’évaluation de la dangerosité de l’individu, et inversement.


  1  

II.   UN ÉVéNEMENT dramatique QUI RÉVÈLE LES problématiques PLUS GÉNÉRALES DU SYSTÈME CARCÉRAL

La présente section conclusive est essentielle aux yeux du rapporteur : il s’agit de mettre en perspective, à la lumière des travaux de la commission d’enquête, les constats révélés par l’agression mortelle d’Yvan Colonna au regard de la question plus générale de la situation carcérale en France. Il convient de tirer toutes les leçons du drame du 2 mars 2022, à la fois tout à fait singulier mais aussi, malheureusement, révélateur d’un état général inquiétant des prisons.

Cet exercice se heurte néanmoins à une double limite : il peut exister un biais certain dans l’exercice qui consiste à esquisser des recommandations générales à partir d’une situation particulière, d’autant plus que certains sujets mis en lumière par les auditions relèvent de problématiques susceptibles de constituer des sujets d’analyse à part entière et qui excèdent largement le champ d’investigation, très spécifique, de la commission d’enquête.

A.   LA DÉFINITION D’UNE STRATÉGIE DE GESTION DE L’ISLAMISME RADICAL LOUABLE MAIS ENCORE INABOUTIE

La prise en charge carcérale de Franck Elong Abé doit être l’occasion d’établir un premier bilan de la stratégie de gestion de la radicalisation en détention – 1 000 détenus ont été pris en charge au total ([382]) – et de compléter les propositions qui ont pu être formulées précédemment sur ce sujet. 

1.   2016-2022 : six années d’action déterminée mais discutée

a.   La mise en œuvre d’une stratégie opérante dans un contexte contraignant

i.   Les premiers tâtonnements face à l’intensification du défi

Lors de son audition ([383]), M. Naoufel Gaied, chef de la MLRV ([384]), a présenté, la manière « très empirique » dont la stratégie de lutte contre la radicalisation violente s’est construite dans le contexte d’une « menace croissante, qui existait dans notre société et [qui] a éclaté au grand jour en 2015 ». Néanmoins, c’est « dès 2012 [que] la montée de la radicalisation violente à référentiel djihadiste s’est manifestée en détention ».

Deux modèles existent en matière de gestion des détenus. Ils ont été rappelés par M. Naoufel Gaied devant la commission d’enquête : « Les regrouper, selon une logique de ségrégation, ou les disperser, ce qui peut présenter l’inconvénient majeur d’une contamination du reste de la population carcérale par les idées radicales, mais permet d’éviter l’effet de sur-radicalisation que le regroupement peut produire, en mettant en contact des personnes du bas et du haut du spectre, au risque de recréer des réseaux terroristes en détention. » ([385])

Après avoir initialement opté pour la dispersion, la France a expérimenté le regroupement sans discernement avec l’ouverture, en 2014, d’une première unité spécifique d’accueil et de regroupement des détenus terroristes créée au centre pénitentiaire de Fresnes, à l’initiative de  son directeur ([386]). Des structures du même type sont par la suite ouvertes, jusqu’en 2016, par l’administration pénitentiaire à Osny-Pontoise, Fleury-Mérogis et Lille ([387]).

Trois éléments sont à prendre en compte pour contextualiser l’évolution de la stratégie d’un régime de regroupement sans discernement vers ce que M. Naoufel Gaied a qualifié de « régime mixte » :

– le contexte géopolitique et terroriste qui évolue jusqu’au tournant de l’année 2015, marquée par l’apogée de l’État islamique et par l’horreur des attentats islamistes à Paris ;

– l’augmentation exponentielle du nombre de détenus TIS et radicalisés en détention (cf. tableaux ci-après) ;

– le premier attentat islamiste commis en détention, le 4 septembre 2016,  par Bilal Taghi envers des surveillants pénitentiaires de la maison d’arrêt du Val-d’Oise ([388]).


Évolution du Nombre de TIS incarcÉrés

Janvier 2015

Février 2016

Février 2017

Février 2018

Février 2019

Février 2020

1er février 2021

1er février 2022

159

253

411

514

506

531

486

434

 

- 18,3 %

+ 173 %

 


Évolution du Nombre de dÉtenus radicalisÉs

Janvier 2015

Janvier 2016

Février 2017

Février 2018

Février 2019

Février 2020

Février 2021

Février 2022

Non renseigné

1 218

1 294

1 133

1 037

892

850

568

 

- 53,4 %

Source : commission d’enquête, d’après les données transmises par la MLRV.

ii.   La constitution d’un corpus doctrinal et juridique complet

La stratégie de gestion carcérale des TIS découle de la déclaration sur la sécurité dans les prisons et la lutte contre la radicalisation de M. Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux depuis janvier 2016, prononcée le 25 octobre 2016 ([389]). Il engage, selon ses mots, la « révolution copernicienne de l’administration pénitentiaire » ([390]) afin qu’elle se dote d’une véritable « doctrine » ([391]) en la matière.

C’est sur ce fondement qu’est élaborée la note de la DAP du 23 février 2017 relative à l’évaluation des personnes détenues en QER précédemment présentée et actualisée par la note, aujourd’hui en vigueur, du 31 janvier 2022. 

Le 23 février 2018 est ensuite présenté le plan national de prévention de la radicalisation. Sur les soixante mesures qui en relèvent, trois concernent spécifiquement le suivi des publics détenus radicalisés :

– la mesure n° 55 a trait au développement des capacités d’évaluation des détenus radicalisés, notamment par la création de quatre nouveaux QER, dont un pour l’évaluation des détenus de droit commun ;

– la mesure n° 56 prévoit la conception et la répartition sur le territoire des QPR pour y accueillir, après leur évaluation, les détenus majeurs radicalisés et prosélytes nécessitant une prise en charge adaptée et séparée de la détention ordinaire en disposant, à la fin de l’année 2018, d’au moins 450 places en gestion étanche (QI, QER, QPR et quartiers spécifiques) ;

– la mesure n° 57 entend développer les programmes de prévention de la radicalisation violente dans l’ensemble des établissements susceptibles d’accueillir des TIS en renforçant le repérage et la prise en charge des troubles psychologiques.

Qu’il soit ici permis au rapporteur de constater qu’une mise en œuvre efficace de cette stratégie s’agissant de Franck Elong Abé aurait peut-être permis d’éviter le drame du 2 mars 2022.

Cette stratégie est parachevée par la publication du décret du 31 décembre 2019 précité et l’introduction, au sein du code de procédure pénale, d’une section relative aux QPR ([392]). Les articles R. 224-13 à R. 224-25 du code pénitentiaire fixent aujourd’hui les modalités de prise en charge de la radicalisation ([393]).

Lors de son audition ([394]), le chef de la MLRV a résumé, la stratégie mise en œuvre qui « est fondée sur la mixité des régimes d’incarcération : à l’issue d’une phase d’évaluation, la prise en charge est adaptée au profil de chaque détenu – détention ordinaire, quartier d’isolement ou QPR ». Celle-ci repose ainsi sur les trois piliers que sont la détection, l’évaluation ([395]) et la prise en charge, déterminée  à l’issue de l’évaluation en QER.

Pour M. Naoufel Gaied, « la spécificité de la France, en matière de régime mixte, est de discriminer les détenus en trois catégories identifiées lors de l’évaluation ». Cette prise en charge est en effet organisée selon trois niveaux :

– « les détenus ne présentant pas de risque de violence ou d’influence, définie comme la contamination des idées radicales par des actions de prosélytisme, sont placés en détention ordinaire ;

 « les détenus présentant un risque de violence ou d’influence tout en étant accessibles à la prise en charge sont orientés en QPR, où sont menées des actions de désengagement de la violence et de distanciation des idées radicales ;

– « les détenus présentant un danger grave et imminent de passage à l’acte violent en détention pour des motifs idéologiques – soit, concrètement, un risque direct ou indirect d’attentat en détention – sont orientés en quartier d’isolement ».

récapitulatif de la stratégie de prise en charge des détenus tis ou rad

Niveau de radicalité

Affectation

Objectifs

Individu très prosélyte ou très violent incompatible avec une prise en charge

Quartier d’isolement

 

• Étanchéité

• Sécurité du personnel

• Endiguement du prosélytisme

• Préparation à une affectation en QPR ou détention ordinaire

Individu prosélyte ou susceptible d’être violent accessible à une prise en charge

Quartier de prise en charge de la radicalisation

 

• Étanchéité avec le reste de la population pénale

• Sécurité du personnel

• Endiguement du prosélytisme

• Désengagement possible (renoncement à la violence tout en demeurant radicalisé)

• Préparation à une affectation

en détention ordinaire

Public radicalisé d’opportunité ou public influencé non prosélyte

Détention ordinaire

• Réaffiliation sociale et réhabilitation

• Insertion sociale et professionnelle

Source : MLRV.

Selon les informations communiquées par la MLRV au rapporteur, l’orientation des détenus à l’issue de leur évaluation se fait dans 11 % des cas vers l’isolement, dans 22 % des cas vers les QPR, et dans 67 % des cas vers la détention ordinaire.

b.   Un climat de tension qui reste très marqué

i.   Des drames indélébiles

Lors de son audition, le procureur de la République antiterroriste a rappelé qu’avec l’agression mortelle d’Yvan Colonna par Franck Elong Abé, « le fanatisme islamiste est pour la cinquième fois à l’origine d’un crime en milieu pénitentiaire » ([396]). Dans les réponses écrites qu’il a transmises au rapporteur, M. Jean-François Ricard a apporté des informations complémentaires de nature à mieux appréhender les quatre précédents attentats. Le rapporteur souhaite ici en faire état, tant ils ont marqué les personnels pénitentiaires qui ont, à ces occasions, été pris pour cible.

● Ainsi que cela a été mentionné, le 4 septembre 2016, Bilal Taghi, incarcéré dans l’unité dédiée de la maison d’arrêt d’Osny en exécution d’une peine de cinq ans d’emprisonnement pour AMT pour tentative de départ en Syrie, attaque des surveillants avec une arme artisanale dotée d’une lame de quinze centimètres. Il est condamné, le 22 novembre 2019, à une peine de vingt-huit ans de réclusion criminelle.

● Le 11 janvier 2018, alors qu’il est placé à l’isolement au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil dans le cadre d’une procédure d’extradition vers les États-Unis émise dans la perspective de sa fin de peine prévue le 24 janvier 2018, Christian Ganczarski attaque trois surveillants pénitentiaires muni d’une paire de ciseaux à bouts ronds et d’un couteau de cantine. Ancien cadre d’Al-Qaïda, il exécute alors une peine de réclusion criminelle pour sa participation, en tant qu’intermédiaire entre le conducteur et les responsables de l’organisation de celui-ci, à l’attentat au camion piégé de Djerba le 11 avril 2002 qui avait fait 21 morts, dont 2 ressortissants français, et de nombreux blessés. Son jugement devant la cour d’assises est prévu du 12 au 16 juin 2023.

● Ainsi que cela a également été mentionné, le 5 mars 2019, Michael Chiolo et son épouse Hanane Aboulhana, qui sera tuée pendant l’assaut, agressent deux surveillants pénitentiaires au couteau en céramique au sein de l’UVF du centre pénitentiaire de Condé-sur-Sarthe. Le casier judiciaire de Michael Chiolo, détenu radicalisé, présentait onze mentions dont une condamnation, en 2015, à trente ans de réclusion criminelle et vingt ans de période de sûreté pour vol avec arme et arrestation, enlèvement, séquestration et détention arbitraire suivie de mort.

● Le 21 juin 2019, Mohammed Ta Ha El Hannouni attaque une surveillante avec une barre de fer et un pic au centre pénitentiaire du Havre. Il avait été condamné en 2017 à une peine de sept ans d’emprisonnement et quatre ans et huit mois de période de sureté pour des faits d’AMT : il s’est rendu en Syrie en août 2014 et a tenté d’y retourner courant février 2015. Il a été reconnu irresponsable pénalement de son acte.

Ces attentats appellent à la prise en compte de deux éléments supplémentaires par rapport à ceux relevés jusqu’ici à propos de celui qui a concerné, à titre principal, la commission d’enquête.

● Ils ont tous les quatre concerné le personnel pénitentiaire qui reste fortement exposé au risque terroriste en détention et qu’il convient donc de protéger contre ce dernier et, plus généralement, contre toute violence dans le cadre professionnel.

● Lors de son audition, M. Jean-François Ricard a relevé qu’à « une exception près, tous ces individus étaient dans le bas du spectre, c’est-à-dire des individus qui n’étaient pas des "têtes d’affiche" du terrorisme islamiste » ([397]). Cet élément doit effectivement être intégré à la réflexion sur l’articulation de la perception des dangerosités extérieure et pénitentiaire ([398]). L’enjeu est ici inversé, mais complémentaire, par rapport à celui concernant Franck Elong Abé. Il illustre, là aussi, la nécessité de mettre en œuvre pleinement le triptyque ([399]) « détection, évaluation, prise en charge », y compris pour les détenus de droit commun radicalisés (RAD), et justifie pleinement, à ce titre, la stratégie opérée en 2019 tendant à accélérer l’orientation en QER des détenus RAD, sous les réserves précédemment formulées par le rapporteur.

ii.   Des inquiétudes fortes de la part des personnels pénitentiaires

Il était important d’insister sur ces quatre attentats – qui ne sauraient cependant occulter l’ensemble des agressions et des violences dont sont victimes les personnels pénitentiaires – pour contextualiser les revendications qui ont été émises par les organisations syndicales des personnels de surveillance. Il s’agit incontestablement d’un point dur. M. Stéphane Bredin rappelait ainsi que « le dialogue social, au sein de l’administration pénitentiaire, est très rugueux », mentionnant « le conflit social très dur de janvier 2018, qui s’est répété sous une forme atténuée en janvier et février 2019, et qui portait notamment sur la prise en charge des détenus radicalisés » ([400]).

Le rapporteur juge, là aussi, qu’il est important de relayer les propos qui ont été émis par la majorité des représentants des organisations syndicales des personnels de surveillance lors de leur audition en table-ronde ([401]) :

– M. Emmanuel Baudin, secrétaire général du Syndicat national Force ouvrière Justice : « En 2018, plutôt que d’opérer une classification des établissements pénitentiaires, on a créé des quartiers spécifiques qui ne sont pas efficients, nous le savons tous. L’idée des établissements spécifiques est de placer les détenus en fonction de leur dangerosité, au sein de prisons plus ou moins sécuritaires. Il faut davantage de personnel et de moyens pour surveiller les détenus afin que ce genre de drame n’arrive plus. La classification des établissements est à revoir, car tous les types de détenus ne peuvent pas être mélangés » ;

– M. Emmanuel Chambaud, secrétaire général de l’UFAP-UNSa Justice : « Depuis des années, notre organisation revendique la création d’établissements spécialisés pour ceux qui ne peuvent pas être placés en détention classique, y compris en maison centrale » ;

– M. Éric Faleyeux, membre de la CFDT pénitentiaire : « Aujourd’hui, 70 % des détenus qui sortent des QER – c’est-à-dire des détenus radicalisés ou des terroristes – sont affectés en détention ordinaire, au milieu d’autres détenus de droit commun. Je vous laisse imaginer ce que cela peut donner en termes de prosélytisme, de pressions, d’initiation idéologique. La CFDT dénonce cet état de fait et revendique au contraire le développement des QER, et celui des unités spécifiques pour accueillir les détenus radicalisés et terroristes. Il en va de la sécurité des établissements, des personnels et des autres détenus. Le drame de la maison centrale d’Arles nous l’a malheureusement rappelé. »

iii.   La nécessité d’évaluer en profondeur le dispositif

Le rapporteur est conscient de la sensibilité et de la complexité du sujet qui nécessite, selon lui, d’être évalué de fond en comble, à la lumière de ce qui a été mis en œuvre au cours des dix dernières années, des attentats qui ont frappé les surveillants pénitentiaires et de l’acte odieux perpétré contre Yvan Colonna. Ce constat va dans le sens de deux recommandations qui ont été formulées en audition :

– M. Sébastien Nicolas, secrétaire général du Syndicat national pénitentiaire FO Direction : « En huit ans, depuis 2015, nous avons considérablement avancé. Le dispositif n’est sans doute pas parfait. Il est en tout cas nécessaire de l’évaluer, comme cela a été évoqué devant cette commission et dans le rapport de l’IGJ. C’est une démarche que nous soutenons à titre syndical. Malgré les progrès réalisés, sans doute existe-t-il des marges de manœuvre qu’il convient de mesurer pour continuer à aller de l’avant et à améliorer ce dispositif » ([402]) ;

– Mme Béatrice Brugère, secrétaire générale d’Unité magistrats-Force ouvrière : « En matière de prise en charge des détenus terroristes, la multiplication des dispositifs et des intervenants, parfois en concurrence, complexifie la prise en charge des détenus, ou la rend inefficiente. L’empilement textuel rend illisibles le champ de compétences et le périmètre d’intervention des différents acteurs. Notre organisation préconise donc de procéder à un état des lieux de l’existant et à l’évaluation de leur efficacité et de leur interopérabilité » ([403]).

Le rapporteur se réjouit que la recommandation n° 11 du rapport de la mission l’IGJ soit en cours de mise en œuvre. Dans le rapport d’inspection sur les faits survenus le 2 mars 2022 précité, la mission avait en effet relevé « défavorablement l’écart conséquent entre les moyens importants déployés par le ministère de la justice pour l’évaluation des personnes détenues TIS/RAD et le traitement brouillon réservé au traitement d’une situation individuelle à risques ». Sur ce fondement, la recommandation de l’IGJ était la suivante : « Afin de prévenir la réitération d’une telle défaillance dans l’évaluation et le suivi des personnes détenues TIS/RAD aux profils sensibles, la mission recommande l’évaluation de la mise en œuvre des dispositions relatives à l’évaluation et au suivi de ce public et plus globalement les mesures 55, 56 et 57 (suivi des publics détenus radicalisés) du plan national de prévention de la radicalisation du 27 février 2018. »

Selon les informations recueillies par le rapporteur, la mission d’évaluation de la mise en œuvre des mesures pénitentiaires du plan national de prévention de la radicalisation confiée à l’IGJ et à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a entamé ses travaux le 15 novembre 2022. Le rapport sera remis au garde des Sceaux et au ministre de la santé et de la prévention au cours de la première quinzaine du mois de juin 2023.

Si le rapporteur estime qu’il serait précipité de formuler des recommandations d’ordre général avant de connaître la teneur et les conclusions de ce rapport attendu, il estime cependant que certains éléments largement perfectibles révélés par la gestion de Franck Elong Abé méritent dès à présent d’être versés au débat.

2.   Les leçons qui peuvent d’ores et déjà être tirées du cas Franck Elong Abé

Le rapporteur considère que les défaillances constatées par la commission d’enquête doivent être l’occasion de renforcer et de transformer le triptyque « détection, évaluation, prise en charge » en un quadriptyque élargi à l’enjeu de la préparation de la fin de peine, et d’insister particulièrement sur la prise en charge des détenus dangereux dans les quartiers spécifiques que sont les QPR. Il s’agit ainsi d’établir une chaîne cohérente et efficace tout au long du parcours carcéral.

a.   Renforcer tous les niveaux du nouveau quadriptyque

● Le premier niveau de la stratégie concerne la détection de la radicalisation ou de la dangerosité. Cette tâche peut s’avérer parfois complexe compte tenu de l’utilisation de techniques de dissimulation qui découlent du concept de taqîya ([404]). Lors de son audition, M. Naoufel Gaied a assuré qu’une « formation […] a permis la montée en compétences de nos personnels sur […] la lutte contre la dissimulation la fameuse taqîya » ([405]).

S’il n’est évidemment pas possible d’affirmer de manière formelle que le passage à l’acte violent de Franck Elong Abé aurait forcément pu être détecté, il n’en demeure pas moins que les travaux de la commission d’enquête ont mis en lumière un certain nombre d’éléments qui invitent à s’interroger sur l’efficacité des procédures de détection mises en œuvre en détention. Ainsi, si les travaux de la commission d’enquête n’ont pas permis d’apporter un éclairage complet sur cette affaire, il n’est pas acceptable qu’un changement de comportement inquiétant, constaté « depuis plusieurs semaines » ([406]), n’ait finalement été pris en compte que par un compte rendu écrit rédigé dix-neuf jours après les faits qu’un tel signalement aurait éventuellement pu contribuer à prévenir. Le rapporteur juge indispensable qu’une telle défaillance, quoi qu’il ait pu se passer dans le traitement de cette observation à la maison centrale d’Arles, ne puisse plus advenir.

Il convient également de souligner que la dangerosité de Franck Elong Abé était non seulement liée à sa radicalisation mais aussi à son instabilité psychique, et que les phénomènes de dissimulation potentiellement à l’œuvre peuvent, eux aussi, relever de cette double dimension. Dès lors, la détection de ces ressorts nécessite une approche pluridisciplinaire, incluant des psychologues ou des psychiatres, ainsi que le rapporteur l’a par exemple précédemment recommandé s’agissant du fonctionnement des GED. Cela est certes d’ores et déjà pratiqué en détention, mais il convient de renforcer cette approche dans le traitement de ces alertes spécifiques.

Recommandation n° 21

Instaurer une procédure obligatoire et spéciale de signalement des changements de comportement chez les détenus radicalisés ou dangereux et garantir son traitement de manière rapide et pluridisciplinaire.

● Le renforcement de l’évaluation a déjà fait l’objet des recommandations nos 9 à 11 ([407]) et celui de la prise en charge fait l’objet, ci-après, d’une section spécifique. Si M. Naoufel Gaied avait relevé que « les QER et les QPR ne sont pas l’alpha et l’oméga de l’évaluation et de la prise en charge » ([408]), le rapporteur entend bel et bien faire de ces deux structures spécifiques les piliers de la prise en charge des détenus au profil sensible ou dangereux, comme Franck Elong Abé.

Sur l’enjeu de l’évaluation, le rapporteur salue la mise en place d’une procédure de réexamen annuel, en CCS, des situations des détenus TIS qui n’ont pas pu faire l’objet d’une orientation en QER. Selon les informations communiquées par la DAP, cette évolution bienvenue a permis, en 2022, l’orientation de neuf détenus qui n’avaient pas pu être évalués initialement.

● Enfin, il convient de faire de la préparation de la fin de peine le quatrième pilier de la stratégie de la lutte contre la radicalisation.  S’il a précédemment été question du programme Pairs ([409]), il convient ici d’insister sur l’enjeu de l’évaluation en fin de peine, notamment afin de prévenir les risques de récidive fondés sur la dangerosité de la personne libérée. Lors de son audition, M. Naoufel Gaied a mentionné l’ouverture à Vendin-le-Vieil, le 20 juin 2022, du centre national d’évaluation de la radicalisation (CNER) : « Spécialisé dans une évaluation juste avant les sorties, il formule des préconisations sur des mesures judiciaires de sûreté permettant de suivre des personnes après leur sortie. » ([410])

Le rapporteur se réjouit de la création de ce centre par une note de la DAP du 4 avril 2022 ([411]), tout en relevant qu’il a uniquement vocation à permettre l’évaluation des détenus susceptibles de faire l’objet de la mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion applicable aux TIS sur le fondement de la loi du 30 juillet 2021 précitée. La DAP lui a indiqué que, d’une manière plus générale, « les personnes détenues TIS peuvent faire l’objet d’une réévaluation lorsque leur date prévisionnelle de libération est prévue dans les trois années à venir (évaluation ancienne, demande des magistrats, sortie d’isolement demandée) » ([412])

Conscient de l’étroitesse des marges de manœuvre sur le sujet ([413]), le rapporteur invite néanmoins la DAP à définir une doctrine complète et ambitieuse qui permettrait de renforcer et de parachever le triptyque initial, en insistant notamment sur l’enjeu de l’évaluation de la radicalisation et de la dangerosité qui pourrait être obligatoire ou, à défaut, généralisée, à la fin de la peine, avant la sortie de prison et, suivant la mesure de suivi à laquelle la personne peut être astreinte, à son issue.

Recommandation n° 22

Faire de la préparation de la fin de peine une composante à part entière de la stratégie de lutte contre la radicalisation et définir une doctrine globale reposant sur l’obligation ou, à défaut, la généralisation de l’évaluation de la radicalisation et de la dangerosité avant et éventuellement après la sortie de prison. 

b.   Une attention spécifique à porter à la prise en charge en quartier de prise en charge de la radicalisation (QPR)

i.   Pourquoi Franck Elong Abé y avait potentiellement davantage sa place qu’en détention ordinaire

« M. Elong Abé aurait-il dû, à un moment ou à un autre, […] être placé [en QPR] ? » ([414]) À cette question du rapporteur posée au chef de la MLRV, les travaux de la commission d’enquête n’ont pas permis d’apporter une réponse tranchée. M. Naoufel Gaied estime qu’« en tout état de cause, une personne inapte à intégrer un QER ne peut pas, a fortiori, intégrer un QPR, dont la dimension collective est encore plus prononcée, sans mettre en danger ses codétenus et les surveillants pénitentiaires ». Mais si ce constat pouvait éventuellement être partagé dans le contexte de 2019, il n’est plus recevable à compter de 2020. Or, comme le chef de la MLRV l’a lui-même précisé, l’évaluation en QER n’est pas « un préalable indispensable au placement en QPR, même si elle est souhaitable ». C’est en effet ce qui résulte de la lecture de l’article R. 57-7-84-13 du code de procédure pénale ([415]), en vigueur à l’époque ([416]).

Le premier alinéa du II du même article dispose que « lorsqu’une personne détenue majeure est dangereuse en raison de sa radicalisation et qu’elle est susceptible, du fait de son comportement et de ses actes de prosélytisme ou des risques qu’elle présente de passage à l’acte violent, de porter atteinte au maintien du bon ordre de l’établissement ou à la sécurité publique, elle peut être placée au sein d’un quartier de prise en charge de la radicalisation, dès lors qu’elle est apte à bénéficier d’un programme et d’un suivi adaptés. »

Si cette appréciation mérite un vrai travail d’évaluation dont on ne saurait évidemment préjuger des conclusions, il est néanmoins possible de présumer que le cas de Franck Elong Abé relevait bien des critères fixés pour envisager une prise en charge en QPR, une fois confirmée son aptitude à bénéficier d’un programme et d’un suivi adaptés. Mais aux yeux du rapporteur, cette aptitude semble largement envisageable dès lors que son intégration à la détention ordinaire et son classement au service général n’ont pas fait, eux, l’objet d’une réserve particulière. Ce constat est par ailleurs partagé par la remarque d’une psychologue en charge du suivi des détenus radicalisés dont a fait état M. Thierry Alves, directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est – Marseille lors de son audition : « M. Franck Elong Abé s’investit exclusivement au sport, sans pour autant investir d’autres champs. Il me semble que lui non plus ne soit pas passé par le QER et cela semblerait intéressant avant une orientation éventuelle en quartier de prise en charge de la radicalisation (QPR), sachant qu’il est sortant en 2023. » ([417])

Quoi qu’il en soit, le rapporteur observe que Franck Elong Abé ne relevait en aucun cas des catégories « public radicalisé d’opportunité » ou « public influencé non prosélyte » du tableau récapitulatif de la MLRV, présenté précédemment, publics susceptibles d’être affectés en détention ordinaire.

ii.   Pourquoi il importe de renforcer la prise en charge de la dangerosité dans ces quartiers spécifiques

L’interrogation du rapporteur, à partir du cas de Franck Elong Abé, porte sur la question de savoir si les QPR sont employés à la hauteur de ce à quoi ils ont vocation à contribuer, c’est à dire prévenir le risques de passage à l’acte violent en évitant d’introduire en détention ordinaire les détenus qui n’y ont pas toujours leur place ([418]).

Un premier constat s’impose : les QPR ne font pas le plein. Dans ses réponses écrites, la MLRV a indiqué au rapporteur que, selon les données arrêtées début 2023, la DAP avait déployé sept QPR, dont un pour femmes, pour une capacité totale d’accueil de 176 places ([419]). Néanmoins, à cette date, seuls 90 détenus y étaient affectés, soit un taux d’occupation s’élevant à 51 %.

occupation des qPR au début de l’annÉE 2023

QPR

Détenus affectés

Dont RAD

Dont TIS

Capacité d’accueil (nombre de places)

Taux d’occupation

Aix-Luynes

12

5

7

19

63 %

Bourg-en-Bresse

8

4

4

19

42 %

Condé-sur-Sarthe

13

5

8

30

43 %

Lille-Annœullin

16

4

12

28

57 %

Nancy

10

4

6

19

53 %

Paris-la-Santé

18

5

13

45

40 %

Rennes

13

0

13

16

81 %

TOTAL

90

27

63

176

51%

Source : commission d’enquête, d’après les données transmises par la MLRV.

Il a été confirmé au rapporteur que la politique de la DAP vise désormais à augmenter sensiblement le taux d’occupation en QPR. Cela se traduit d’ailleurs, d’ores et déjà, dans les statistiques d’orientation post-QER : 21 % des détenus sont aujourd’hui pris en charge en QPR après évaluation, contre un total de 15 % depuis la mise en place des QER.

Le rapporteur ne peut que souscrire à cette ambition mais il juge essentiel, pour y parvenir, que la DAP clarifie sa stratégie pour accélérer, in fine, la prise en charge, dans les QPR, des détenus dangereux, c’est-à-dire ceux qui présentent un risque de passage à l’acte violent. En effet, il identifie, à ce stade, une certaine confusion dans la doctrine applicable aux critères de placement en QPR :

– la mesure n° 56 du plan national de prévention de la radicalisation envisage la prise en charge en QPR des seuls détenus prosélytes ;

– la doctrine de la DAP du 28 octobre 2019 relative aux QPR, en disposant que « sont concernées les personnes détenues radicalisées, pour des faits de nature terroriste ou de droit commun, dont le niveau de prosélytisme idéologique de type salafisme jihadiste ou de violence liée à cette idéologie extrémiste serait de nature à créer un trouble à l’ordre de l’établissement, si elles étaient maintenues en détention ordinaire, et qui sont accessibles à des actions de désengagement », prévoit bien la prise en charge à la fois des détenus prosélytes et des détenus violents, lorsque cette violence est liée à la même idéologie islamiste ;

– l’annexe 6 de la note du 31 janvier 2022 précitée, consacrée aux modalités de prise en charge après évaluation, indique que « les QPR ont vocation à accueillir les personnes qui exercent, ou sont en capacité d’exercer, un leadership, du prosélytisme idéologique en détention ordinaire », réduisant les QPR à leur seule dimension de prise en charge des détenus prosélytes, omettant donc la prise en charge des détenus dangereux en raison de la même idéologie islamiste.

Sur ce point, le rapporteur ne peut qu’insister sur la nécessité d’appliquer le droit en vigueur sur le fondement de l’article R. 224-13 du code pénitentiaire ([420]) qui prévoit que la prise en charge en QPR peut concerner les détenus radicalisés prosélytes et ceux, dangereux, présentant un risque de passage à l’acte violent.

Recommandation n° 23

Renommer les quartiers de prise en charge de la radicalisation (QPR) en quartiers de prise en charge de la radicalisation et de la dangerosité (QPRD), et accroître, en leur sein, la prise en charge des détenus présentant un risque de passage à l’acte violent.

Il y a là, bien sûr, un enjeu d’adaptation de la prise en charge des détenus TIS ou RAD mais aussi un enjeu essentiel de sécurité, concernant ceux qui sont dangereux, pour les personnels de surveillance et pour les détenus de droit commun. Ainsi, le rapporteur estime que le taux de prise en charge – 67 % – en détention ordinaire des détenus TIS et RAD, à l’issue de leur évaluation, pourrait être raisonnablement réduit. Ce constat vaut aussi, du moins provisoirement, pour les détenus encore dangereux qui n’ont plus vocation à être maintenus à l’isolement ainsi que cela fut le cas pour Franck Elong Abé.

Recommandation n° 24

Faire de l’affectation en QPRD une véritable transition entre l’isolement et la détention ordinaire lorsque cela s’avère opportun dans le parcours carcéral du détenu.

Cette recommandation est à mettre en lien avec la proposition n° 10 visant à rendre obligatoire l’évaluation ou la réévaluation d’un détenu TIS avant son intégration en détention ordinaire. Le rapporteur avait précisé que cette évaluation pourrait être envisagée sous un format allégé : à ce titre, elle a parfaitement vocation à être conduite dans le cadre d’une prise en charge en QPRD si cette affectation est conçue comme un sas entre l’isolement et la détention ordinaire.

B.   LA PRISON ET SES FLÉAUX : DES FEMMES ET DES HOMMES EN SOUFFRANCE

Au cours de ses travaux, la commission d’enquête a identifié trois sujets d’alerte qui expliquent la situation détériorée du monde carcéral en France : les violences entre détenus, la gestion des cas psychiatriques et les conditions de travail des acteurs de la détention – principalement les personnels pénitentiaires. Il ne sera pas question, ici, de la surpopulation carcérale qui est évidemment une problématique prégnante et qui peut constituer un fort catalyseur à ce égard, mais qui ne concernait pas la maison centrale d’Arles ([421]).

Lors de son audition, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté a tenu les propos suivants : « Le fait qu’une commission d’enquête se penche sur la prison, sur les personnes atteintes de troubles mentaux de prison – que l’on évalue à plus 30 % –, sur la mort en prison – personne ne devrait mourir en prison – et, de manière générale, sur la façon dont sont traités les détenus, est pour moi une source d’espoir de voir cette situation s’améliorer. » ([422])

Sans naturellement prétendre régler l’ensemble des problèmes anciens et complexes liés à la détention – dont chacun mériterait un travail d’analyse spécifique approfondi –, et conscient du caractère par nature limité du champ de la présente commission d’enquête, le rapporteur forme néanmoins le vœu que les développements qui suivent permettront de contribuer, modestement, à des avancées dans un certain nombre de domaines.

1.   La situation alarmante des violences entre détenus

Me Patrice Spinosi a particulièrement alerté la commission d’enquête sur le sujet des violences en détention : « Ma consœur a avancé le chiffre de 9 000 cas répertoriés et elle a parfaitement raison de le souligner, car chacun sait que ces 9 000 cas ne recouvrent pas du tout la réalité des violences en détention. En effet, énormément de violences sont tues, de la part des détenus eux-mêmes, pour éviter des représailles, ou au nom d’une forme de code d’honneur qui veut que les détenus ne se plaignent pas des violences qui peuvent exister entre eux. Mais même si l’on s’en tient à ce chiffre de 9 000 agressions sur une population qui oscille, hélas, entre 65 000 et 70 000 personnes, cela représente un taux de violence de 12 à 13 %. À titre de comparaison, le taux de violence dans la société française – dont on nous explique qu’elle est particulièrement soumise à l’insécurité – est de 1,5 %. Le taux de violence connu en détention est donc 10 fois supérieur à celui de la société française. » ([423])

Or, pour 2022, ce ne sont pas 9 000 mais 11 703 faits de violences physiques qui ont été répertoriés entre personnes détenues ([424]). Si le rapporteur n’oublie évidemment pas les quelque 4 910 actes commis contre les agents pénitentiaires ([425]) – soit plus de 13 par jour –, il se concentrera ici sur les violences entre détenus compte tenu des faits survenus à la maison centrale d’Arles le 2 mars 2022.

a.   L’état des lieux au niveau national

La DAP a transmis au rapporteur une note détaillée concernant les violences entre les personnes détenues observées entre 2010 et 2022.

Les 11 703 agressions physiques commises entre personnes détenues recensées en 2022 révèlent une hausse de 19 % de ces faits par rapport à 2021, et de 21 % par rapport à 2019 ([426]) : jamais la barre des 10 000 agressions n’avait jusqu’alors été franchie. Sur la période 2010-2022, la hausse atteint même 50 %. Un total de 116 414 faits de violences ont été recensés sur les douze dernières années.

Il est néanmoins important de signaler qu’en 2022 la DAP a mis en place un nouveau système de remontée des informations relatives aux incidents survenus en milieux fermé et ouvert ([427]) : les établissements renseignent désormais en temps réel et de manière systématique tous les incidents qui se produisent au moyen du système d’information Prince. Le rapporteur en tire la conclusion que la hausse constatée en 2022 est en partie – mais pas en totalité ([428])  – liée à un meilleur recensement des violences carcérales.

ÉVOLUTION DU NOMBRE de faits de violence physique
commis entre personnes dÉtenues

Source : DAP.

 

Il convient également de relever que cette croissance reste exponentielle par rapport à l’augmentation de la population écrouée, qui est passée, sur l’ensemble de la période, de 61 000 à 71 500 détenus, soit une hausse de 17 %. Entre 2020 et 2021, la hausse du nombre de détenus hébergés est inférieure à 3 %.

ÉVOLUTION DES violences au regard de la population carcérale

Source : commission d’enquête, à partir des données transmises par la DAP.

En 2022, la majorité des violences recensées – 57 % – relevaient de coups isolés sans réplique du codétenu. 1 400 faits supplémentaires ont été relevés en 2022 par rapport à 2021. La hausse la plus préoccupante concerne néamoins les homicides : il y en a eu huit en 2022, celui d’Yvan Colonna et sept autres. Ce chiffre est sans commune mesure avec ceux des années précédentes : en effet, dans la majorité des cas, le nombre annuel d’homicides est inférieur ou égal à deux.

Nombre de violences en dÉtention selon la nature de l’atteinte subie

Année considérée

Nombre total de violences recensées

dont homicides

dont agressions sexuelles

dont
prises d’otage ou séquestrations

dont actes de torture ou de barbarie

dont violences avec arme ou objet

dont humiliations

dont
coups isolés

dont
rixes

dont racket

Cumul sur la période

116 414

35

715

54

365

6 094

2 287

60 715

45 793

969

2010

7 825

4

41

-

15

291

81

3 793

3 511

89

2011

8 323

3

62

-

22

337

105

4 476

3 220

98

2012

8 861

2

66

5

17

424

144

4 463

3 670

70

2013

8 560

1

59

4

15

448

121

3 982

3 840

90

2014

8 103

1

58

6

16

420

136

3 969

3 424

73

2015

8 424

2

40

6

7

445

145

4 186

3 517

76

2016

8 161

6

42

9

9

429

151

4 189

3 271

55

2017

9 322

3

48

4

15

544

211

4 796

3 643

58

2018

9 484

1

61

7

26

481

192

5 025

3 639

52

2019

9 626

-

51

-

12

386

295

5 178

3 634

70

2020

8 192

3

41

-

13

370

343

4 156

3 198

68

2021

9 829

1

58

1

11

520

336

5 249

3 616

37

2022

11 703

8

84

-

13

975 ([429])

([430])

6 650

3 834

134

Source : DAP.

b.   La situation au niveau de la direction interrégionale des services pénitentiaires Sud-Est – Marseille

i.   Les données générales

Selon les informations transmises par la DAP, la DISP de Marseille constitue la deuxième zone interrégionale la plus violente de France métropolitaine, peu après celle de Rennes ([431]), avec 1 552 faits de violence recensés pour 8 048 détenus écroués hébergés, soit un taux de violence de 193 faits pour mille détenus.

La DISP de Marseille a transmis au rapporteur un relevé complet, par année et par établissement, du nombre d’agressions constatées entre codétenus sur les dix dernières années. Elle lui a précisé qu’à l’instar de ce qui peut être constaté en milieu libre, l’une des caractéristiques de la zone est la violence entre codétenus, avec un impact fort en détention des inimitiés liées au trafic de stupéfiants. Elle relève que les faits se déroulent principalement dans les cours de promenade, mais également en cellule, et de moins en moins dans les douches dans la mesure où se développent les douches individuelles dans les cellules.

Concernant la maison centrale d’Arles, entre 5 et 21 agressions sont à dénombrer chaque année. Pour la DISP, « ces agressions se caractérisent principalement par une certaine gravité tenant au profil des personnes détenues affectées sur une maison centrale sécuritaire ». Un fait notable est néanmoins l’absence d’agression mortelle, avant celle d’Yvan Colonna, au cours des dix dernières années.

Évolution du nombre d’agressions entre codÉtenus
dans le ressort de la disp sud-est – marseille

Établissements

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Total

Centre pénitentiaire d’Aix-Luynes

108

119

165

101

130

137

177

255

286

263

297

2 038

Maison d’arrêt d’Ajaccio

7

6

2

13

6

4

5

3

5

6

0

57

Maison d’arrêt de Digne

7

10

5

11

2

1

4

1

11

5

6

63

Maison d’arrêt de Gap

5

7

4

6

10

12

9

10

1

1

0

65

Maison d’arrêt de Grasse

172

57

75

82

90

70

120

87

27

110

68

958

Maison d’arrêt de Nice

76

72

85

60

98

79

78

86

68

69

67

838

Centre de détention de Casabianda

0

0

0

1

2

3

10

6

4

2

1

29

Centre de détention de Salon-de-Provence

43

39

45

45

38

81

67

42

60

79

75

614

Centre de détention de Tarascon

51

60

73

65

52

61

37

69

63

81

88

700

Maison centrale d’Arles

9

5

11

6

14

12

11

21

9

21

11

130

Centre pénitentiaire d’Avignon-le-Pontet

116

110

108

115

127

140

138

162

118

148

147

1 429

Centre pénitentiaire de Borgo

46

29

18

21

21

18

15

14

8

10

6

206

Centre pénitentiaire de Marseille-les-Baumettes

138

120

121

138

165

145

80

87

73

47

125

1 239

Centre pénitentiaire de Toulon-la-Farlède

31

52

36

44

40

38

47

57

43

80

85

553

Établissement pénitentiaire pour mineurs de Marseille

56

56

67

58

98

102

107

51

24

40

34

693

Maison d’arrêt de Draguignan

 

 

 

 

 

 

62

105

71

136

206

580

Total

865

742

815

766

893

903

967

1 056

871

1 098

1 216

10 192

Source : DISP de Marseille.

ii.   Le cas spécifique des homicides

Le rapporteur a souhaité évoquer les huit agressions mortelles, en dehors de celle d’Yvan Colonna, commises dans le ressort de la DISP de Marseille ([432]) au cours des dix dernières années, éclairées par les conclusions de l’IGJ, qui lui ont été transmises, lorsqu’une mission d’inspection a été diligentée suite à la survenue d’un tel drame.

● Au centre de détention de Tarascon, un détenu est mortellement poignardé lors d’un mouvement de promenade en 2014.

● Au centre pénitentiaire de Toulon-la-Farlède, trois détenus sont tués en cellule par leur codétenu en 2014, 2015 et 2022.

L’agression mortelle du 16 janvier 2022
au centre pénitentiaire de Toulon-la-Farlède

Le 16 janvier 2022 au matin, un détenu est découvert mort dans sa cellule : il présente des traces de coups sur son corps et son visage. Les constations médico-légales révéleront également un traumatisme crânien.

Le rapport de l’IGJ met en exergue la surpopulation au sein de l’établissement, un pilotage insuffisant, un absentéisme du personnel qui rend contre-productif un service exigeant et un phénomène de violence nécessitant un traitement plus dynamique. Le rapport révèle enfin les manquements individuels de certains des personnels dans l’accomplissement des contrôles réglementaires ayant pu concourir au décès.

Source : IGJ.

● À la maison d’arrêt d’Aix-Luynes, un détenu est mortellement poignardé lors d’un mouvement de promenade en 2016.

● Au centre pénitentiaire de Marseille-les-Baumettes, un détenu est tué en cellule par son codétenu en 2017.

● À la maison d’arrêt de Grasse, un détenu est tué en cellule par son codétenu en 2022.

● Au centre pénitentiaire d’Avignon-Le Pontet, un détenu est mortellement poignardé dans une cour de promenade en 2022.

L’agression mortelle du 3 août 2022
au centre pénitentiaire d’Avignon-Le Pontet

Le 3 août 2022 au matin, six personnes détenues du quartier maison d’arrêt n° 1 sont en cour de promenade dite spécifique – dédiée aux détenus ayant commis des incidents – lorsque les agents déclenchent l’alarme après qu’une rixe a éclaté. Un détenu est mortellement blessé au couteau en céramique.

Le rapport de l’IGJ révèle que deux précédentes agressions en réunion commises en cour de promenade par l’auteur présumé des faits n’ont donné lieu qu’à l’établissement d’un compte rendu d’incident et à l’inscription des intéressés en promenade spécifique. Une altercation verbale violente entre la future victime et l’auteur présumé des faits dans leur secteur d’hébergement, sous les yeux d’un surveillant pénitentiaire, n’a pas non plus été signalé par ce dernier.

Le rapport relève par ailleurs que l’établissement connaît le taux d’occupation le plus élevé de la DISP, que l’absentéisme tend à s’accentuer et conduit à dégrader la qualité du service. Il pointe les deux phénomènes qui caractérisent l’établissement, à savoir les projections extérieures et les violences, tant à l’égard du personnel qu’entre personnes détenues dans un contexte territorial fortement marqué par le narco-banditisme marseillais. Il note enfin que les résultats de la stratégie lutte contre ces violences mise en œuvre par le chef d’établissement, sur le double front judiciaire et disciplinaire, semblent encore peu probants.

Source : IGJ.

c.   Le plan pluriannuel de lutte contre les violences commises en milieu pénitentiaire

Face à cette situation alarmante, la DAP a adopté, au premier semestre de l’année 2023, un plan pluriannuel de lutte contre les violences commises en milieu pénitentiaire. Il vise à lutter contre toutes les formes de violences par la mise en œuvre de 100 actions, regroupées en quatre thématiques :

– approfondir la connaissance et la compréhension du phénomène des violences ;

– adopter une stratégie globale de lutte contre les violences en milieu fermé et en milieu ouvert ;

– définir et renforcer des mesures spécifiques au milieu fermé et au milieu ouvert ;

– institutionnaliser la lutte contre les violences dans l’administration pénitentiaire.

La proposition n° 51 de ce plan a retenu toute l’attention du rapporteur : « Proposer une orientation en QPR-se ([433]) pour les personnes détenues violentes repérées au titre de la radicalisation ». Celle-ci se fonde sur le constat suivant, tout à fait impérieux compte tenu des défaillances révélées par la commission d’enquête dans le cas de la gestion de Franck Elong Abé : « Réduire les phénomènes de violence consisterait aussi à mieux évaluer la dangerosité potentielle des personnes détenues pour les orienter vers les quartiers spécifiques. En effet, l’administration dispose de plusieurs de ces quartiers […] destinés à adapter la prise en charge à la problématique majeure identifiée dans le comportement. Dans le cas particulier des personnes détenues présentant des troubles psychologiques et/ou psychiatriques (qui représentent plus du tiers de la population pénale), une affectation dans un établissement doté d’un service médico-psychiatrique régional (SMPR) ou d’une unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) devra être envisagée. »

Le rapporteur ne peut que souscrire à cette proposition qui confirme, s’il en était encore besoin, que la prise en charge défaillante dont Franck Elong Abé a fait l’objet et l’homicide qu’il a commis sont intrinsèquement liés. Il soutient donc la stricte mise en œuvre de cette proposition, renforcée par les recommandations qu’il a lui-même précédemment formulées afin de renforcer l’évaluation des détenus TIS ou RAD et de garantir une prise en charge carcérale adaptée à leur dangerosité.

Recommandation n° 25

Veiller à la stricte application de la proposition n° 51 du plan pluriannuel de lutte contre les violences commises en milieu pénitentiaire.

2.   Face à la dégradation de la santé mentale des personnes détenues, des dispositifs de prise en charge dépassés

La commission d’enquête a également été alertée par la CGLPL, à partir du cas de la maison centrale d’Arles, sur la question plus générale de la prise en charge des troubles psychiatriques des détenus : « Nos prisons sont peuplées de plus de 30 % de personnes souffrant de troubles psychiques graves et la prison joue le rôle des asiles d’antan. On ne peut se satisfaire d’une telle situation. Aussi, si cette mort peut avoir une signification, elle doit nous amener à nous pencher sérieusement sur ce problème. » ([434])

a.   Un phénomène massif qui exige une réaction d’ampleur

i.   La situation à la maison centrale d’Arles

Lors de son audition ([435]), la docteure Christine-Dominique Bataillard, chef du pôle psychiatrique de l’USMP de la maison centrale d’Arles, a dressé un état des lieux de la situation dans l’établissement.

le pôle psychiatrique de l’USMP de la maison centrale d’Arles

 

Effectif théorique

Effectif réel

Médecin psychiatre

1 ETP

0,6 ETP
(deux psychiatres)

Cadre de santé psychiatrique

0,2 ETP

0,5 ETP

Infirmiers psychiatriques

3 ETP

2 ETP
(3e en cours de recrutement)

Psychologue

1 ETP

1 ETP
(deux psychologues)

Secrétaire psychiatrique

0,1 ETP

0,1 ETP

Source : maison centrale d’Arles.

● Concernant les détenus pris en charge, « sur 130 personnes incarcérées, plus d’une centaine reçoit des soins réguliers pour des troubles regroupant toutes formes de souffrances ou de pathologies mentales, telles que des états dépressifs ou de stress. Selon le dernier bilan d’activité de notre unité sanitaire, une quarantaine de personnes, soit 30 % de la population détenue, présentent ou ont présenté des troubles psychotiques, soit dix fois plus que dans la population générale et trois fois plus que selon la récente étude que j’ai citée ([436]). Sur ces quarante personnes, deux sont actuellement hospitalisées en UMD pour une durée indéterminée et elles ont passé pratiquement tout leur temps d’incarcération en hospitalisation, soit en UHSA soit en UMD ([437]). Par ailleurs, quatre personnes sont hospitalisées au sein de l’UHSA depuis plus d’un an. C’est vous dire à quel point leurs troubles sont importants. Enfin, une dizaine de ces détenus font régulièrement des allers-retours entre l’UHSA et la prison, au fil des ruptures de traitement et des rechutes ».

● Quant à leur nature, les troubles psychotiques « se manifestent essentiellement par des troubles relationnels, plus ou moins importants et variables en fonction de l’environnement et de l’état de stress de la personne. Dans la symptomatologie, les troubles du comportement prédominent, avec imprévisibilité, perception erronée et sentiment de persécution pouvant conduire à des passages à l’acte auto ou hétéro-agressifs ».

● La docteure Bataillard a également mentionné les contraintes qui pèsent sur la prise en charge des troubles psychiatriques en milieu carcéral : « Le plus souvent, ces personnes ne se sentent pas malades. Les traitements médicamenteux dont nous disposons ne permettent qu’un apaisement de ces troubles, dont on ne peut guérir [bien qu’] il existe des situations dans lesquelles les choses s’apaisent, surtout quand les troubles sont secondaires à des prises de toxiques ou à des états de stress très importants. La vie carcérale, avec ses contraintes et ses règles, ne permet pas d’organiser les soins autrement que de façon partielle. Les ruptures de soins sont extrêmement fréquentes, en raison du déni de la maladie mais aussi des difficultés rencontrées pour accéder aux soins. Ayant trouvé que nous voyions moins nos patients, nous avons récemment mené une étude pendant un mois, qui a montré que jusqu’à 50 % des consultations psychiatriques et des entretiens psychologiques n’étaient pas honorés. On ne nous présentait pas les patients. Nous estimons le refus de soin à environ 10 % et, en général, quand les gens demandent à nous voir, ils viennent, surtout à la maison centrale ».

ii.   Une situation généralisée

Au niveau national, la publication, en décembre 2022, d’une étude nationale sur la santé mentale en population carcérale sortante ([438]) a permis de mettre en lumière la proportion importante des troubles psychiatriques qui touchent les personnes détenues.

Les principaux enseignements de l’étude relative à
la santé mentale en population carcérale sortante

Les résultats de l’étude  « confirment le constat d’une santé mentale dégradée pour une majorité de personnes détenues ».

Ils montrent que les deux tiers des hommes et les trois quarts des femmes sortant de maison d’arrêt présentent un trouble, qu’il soit lié à une substance ou psychiatrique.

La moitié des personnes est concernée par un trouble lié à une substance.

S’agissant des troubles psychiatriques :

– un tiers des hommes et la moitié des femmes sont concernés par des troubles de l’humeur ou affectifs, incluant la dépression ;

– un tiers des hommes et la moitié des femmes sont concernés par des troubles anxieux ;

 10 % des hommes et un sixième des femmes sont concernés par un syndrome psychotique ;

– un quart des hommes et la moitié des femmes sont sujets aux insomnies.

L’étude caractérise aussi la sévérité de ces troubles psychiques : un tiers des hommes et 60 % des femmes sont considérés comme modérément à gravement malades alors que le risque suicidaire est estimé à près de 30 % pour les hommes et 60 % pour les femmes.

Source : Fédération régionale de recherche en santé mentale et psychiatrie.

Le phénomène est donc massif, même si l’étude précitée ne concerne que les détenus sortant de maison d’arrêt. Il est également polymorphe puisqu’il serait réducteur de le limiter à son seul aspect budgétaire. La docteure Bataillard indiquait ainsi que « depuis quelques années, nos moyens ont augmenté et l’effectif de mon équipe a doublé en dix ans. On tente donc de s’occuper de ces personnes. Mais si les moyens humains ont doublé, les lieux n’ont pas bougé et on ne soigne pas bien en prison. Les personnes se font soigner si elles en ont envie – elles le font en général – mais surtout, les ruptures de soins sont nombreuses » ([439]).

Le rapporteur souhaite ici se faire le relais des demandes qui ont été formulées, outre celle de la CGLPL précitée, devant la commission d’enquête afin que l’administration pénitentiaire et le ministère de la santé se saisissent pleinement d’un problème dont l’ampleur ne fait que croître. Par exemple, Mme Kim Reuflet, présidente du Syndicat de la magistrature insistait sur le fait qu’« il nous faut enfin progresser sur la question de l’accès au soin des personnes détenues » ([440]). Après la lutte contre les violences, le rapporteur estime que la prise en charge de la santé mentale des personnes détenues doit constituer le prochain chantier d’ampleur de l’administration pénitentiaire.

Recommandation n° 26

Élaborer un plan pluriannuel pour la santé mentale des personnes détenues fondé sur un état des lieux précis de la situation.

b.   La nécessité de renforcer les structures de prise en charge des troubles psychiatriques

D’ores et déjà, le rapporteur souhaite insister sur la nécessité de renforcer les structures de prise en charge des troubles psychiatriques, et ce pour deux raisons principales. D’abord, et ainsi qu’il en déjà été question, parce que le transfert de Franck Elong Abé à la maison centrale d’Arles a résulté d’un échec de sa prise en charge hospitalière après sa crise suicidaire aiguë de l’été 2019. Ensuite parce qu’il lui apparaît impérieux de soulager les prisons de situations qui devraient relever de structures de prise en charge psychiatrique adaptées.

L’organisation des soins psychiatriques en détention

Le premier niveau de prise en charge relève des soins ambulatoires qui sont pratiqués au sein de chaque unité sanitaire en milieu pénitentiaire (USMP) dont l’organisation relève du ministère chargé de la santé.

Au deuxième niveau, les soins nécessitant une prise en charge à temps partiel sont pratiqués dans les 26 services médico-psychologiques régionaux (SMPR).

Enfin, le dernier niveau permet de pratiquer les soins requérant une hospitalisation à temps complet. Ils sont réalisés soit en unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), au nombre de neuf (1), soit en unités pour malades difficiles (UMD) (2), au nombre de dix (3).

(1) Lyon-Bron, Toulouse, Nancy-Laxou, Fleury-les-Aubrais, Villejuif, Lille-Seclin, Rennes, Cadillac-sur-Garonne et Marseille.

(2) À la différence des UHSA, les UMD ne sont pas réservées aux personnes détenues. L’article R. 3222‑1 du code de la santé publique dispose qu’elles « accueillent des patients relevant de soins psychiatriques sans consentement sous la forme d’une hospitalisation complète […] et dont l’état de santé requiert la mise en œuvre, sur proposition médicale et dans un but thérapeutique, de protocoles de soins intensifs et de mesures de sécurité particulières ».

(3) Villejuif, Montfavet, Sarreguemines, Cadillac-sur-Garonne, Plouguenével, Monestier-Merlines, Bron, Albi, Châlons-en-Champagne et Sotteville-lès-Rouen.

Sur le second point soulevé par le rapporteur, M. Éric Aouchar, représentant du Syndicat national de l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire (SNEPAP-FSU) expliquait qu’« aujourd’hui, la pénitentiaire gère ce qui n’est plus gérable dans le secteur psychiatrique ». Il avançait, pour étayer son constat, « une raison simple : le prix de journée. Il est de moins de 130 euros en prison. Le montant en UMD est dix fois supérieur. Pour des questions purement économiques, on a transféré des populations d’un secteur qui tenait à un autre où les personnes ne sont pas préparées pour les accueillir, et qui sont chargées par ailleurs de missions plus globales avec un nombre plus élevé d’individus à suivre » ([441]). Face à constat, M. Vincent Le Dimeet, représentant du même syndicat, jugeait « indispensable de distinguer établissement pénitentiaire et centre hospitalier spécialisé » ([442]).

Si la problématique ne saurait être réduite à cette seule question, le rapporteur ne peut que déplorer l’inachèvement du programme de construction des UHSA qui est aujourd’hui arrêté au milieu du gué : 440 places ont été construites sur les 705 prévues ([443]) et seule la première phase de construction de neuf structures a été finalisée en 2018, dans un délai qualifié de « très long » par un rapport d’évaluation réalisé par l’IGAS et l’IGJ et publié à la fin de la même année ([444]).

Il relève, à ce titre, les conclusions du rapport de la commission d’enquête visant à identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française qui appelle à « achever le programme de construction des UHSA pour une meilleure prise en charge des troubles psychiatriques » en se fondant sur le constat suivant : « Avec un taux d’occupation supérieur de 75 %, les neuf UHSA risquent de ne pouvoir faire face à l’augmentation des prises en charge. D’autant plus que la répartition géographique des SMPR couvre imparfaitement l’ensemble du territoire, sans toujours respecter leur vocation régionale […] Il est aujourd’hui indispensable de poursuivre le programme de construction des UHSA, en réalisant les huit autres unités de la seconde tranche de construction initialement programmées par la loi du 9 septembre 2002 mais dont la construction n’a pas été réalisée depuis la fin de la première tranche de construction. » ([445])

S’il souscrit pleinement à cette recommandation, le rapporteur juge au préalable indispensable que les besoins de prise en charge, en UHSA mais aussi dans les autres structures sanitaires ([446]), fassent l’objet d’une actualisation compte tenu de l’aggravation constatée de l’état de santé mentale des personnes détenues.

Recommandation n° 27

Prévoir, dans le cadre de l’élaboration du plan pluriannuel, une actualisation des besoins en matière de prise en charge des troubles psychiatriques et, sur ce fondement, achever le programme de construction des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA).

3.   Pour celles et ceux qui constituent les piliers du système pénitentiaire, un besoin de considération et de reconnaissance

Lors de son audition, M. Jean-Jacques Urvoas, ancien garde des Sceaux, avait formulé un conseil à l’attention de la commission d’enquête, sur la base de son expérience personnelle : « L’administration pénitentiaire est une administration compliquée, en perpétuel besoin de reconnaissance. Au-delà des tensions qui peuvent exister, il y a toujours une dimension relative aux ressources humaines. […] On a tendance à résumer la pénitentiaire à des considérations métriques. Or c’est d’abord une question de ressources humaines. » ([447])

Si le rapporteur ne peut que souscrire à ce constat, il ne souhaite cependant pas réduire cette question à un seul enjeu « RH » : pour lui, la pénitentiaire est avant tout une question humaine. En effet, la prison en général et le drame du 2 mars 2022 en particulier suscitent des sentiments professionnels et personnels forts, heurtés, ambivalents, et souvent mélangés. C’est d’ailleurs pour cela qu’il a presque systématiquement demandé, en ouverture ou en conclusion des questionnaires adressés aux personnes auditionnées, quelle avait été leur réaction à l’agression mortelle.

 Il fait siens les propos de M. Thomas Forner, surveillant à la maison centrale d’Arles et secrétaire local de l’UFAP-UNSa Justice qui a fait part, devant la commission, de son espoir sincère « que la mort de M. Colonna marquera un changement profond au sein de notre institution, tant pour le bien-être des personnels qui y travaillent que pour celui des détenus qui y sont incarcérés » ([448]), M. Emmanuel Baudin, secrétaire général de FO Justice, ayant d’ailleurs fort justement rappelé que « les conditions de travail des personnels de surveillance et les conditions de détention des personnes incarcérées » sont liées ([449]).

a.   Un malaise qui reste palpable malgré une mobilisation tous azimuts

● Le rapport précité de la commission d’enquête visant à identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française a mis en lumière le fait que, sur les cinq dernières années « près de 100 millions d’euros [avaient] ainsi [été] dédiés à la politique catégorielle de l’administration pénitentiaire ». Ce constat se fonde sur l’augmentation continue du budget de l’administration pénitentiaire : 2,2 % en 2018, 5,7 % en 2019, 6,2 % en 2020, 7,8 % en 2021, 7,4 % en 2022 et 7,5 % en 2023.

Cette dynamique se traduit par une augmentation des effectifs – 44 582 ETPT pour 2023, en hausse de près de 500 postes, dont 180 pour les équipes de sécurité et 8 pour le SNRP – mais aussi par des mesures volontaristes sur les carrières et la rémunération, ainsi qu’en témoigne la récente annonce du Gouvernement, en date du 21 février 2023, consistant à faire passer le corps des surveillants pénitentiaires en catégorie B et celui des officiers en catégorie A ([450]).

Mais chacun est conscient du caractère polymorphe d’un malaise qui ne saurait être abordé par le seul prisme budgétaire ou catégoriel. À ce titre, le rapporteur salue la mise en place, en 2021, d’une charte des principes du surveillant pénitentiaire, acteur incontournable d’une détention sécurisée sur laquelle il reviendra ci-après.

Les principes du surveillant pénitentiaire,
acteur incontournable d’une détention sécurisée 

Un cadre professionnel respectueux garantit une meilleure qualité de vie au travail, au sein d’une équipe pluridisciplinaire, et ce afin d’éviter l’isolement.

Le surveillant agit dans un collectif : la solidarité entre les surveillants, l’esprit d’équipe et le soutien de la hiérarchie sont réaffirmés.

La relation entre le surveillant pénitentiaire et le détenu, fondée sur l’autorité, l’écoute, l’observation et la responsabilité, est déterminante.

En effet, par son travail d’écoute, d’observation et d’évaluation au quotidien, le surveillant contribue aux propositions de prise en charge adaptée des détenus ; il agit aussi pour réduire les violences et renforcer la sécurité.

Afin de développer ces principes, plusieurs initiatives consolideront le socle de formation, en veillant en particulier à renforcer la méthodologie de l’observation, et les liens entre la formation à l’École nationale d’administration pénitentiaire et les stages en établissements pénitentiaires.

L’autorité et le rôle du surveillant sont renforcés par un positionnement et des prérogatives réaffirmés : le surveillant pénitentiaire est un acteur majeur de la détention.

Source : ministère de la justice.

● Le rapporteur retient néanmoins des auditions un certain nombre de préoccupations qui ont été soulevées devant elle et qui appellent, de la part de l’État, une attention particulière.

Outre le souci prégnant et légitime relatif à la sécurité des personnels, qui a déjà été abordé et sur lequel des recommandations ont été formulées par le rapporteur visant à évaluer le dispositif de lutte contre la radicalisation en vigueur et à mieux adapter la prise en charge des détenus TIS ou RAD dangereux ([451]), des mesures relatives au recrutement et à l’attractivité dans l’administration pénitentiaire demeurent indispensables pour pallier les difficultés de recrutement des nouveaux agents et de fidélisation des personnels en poste.  M. Emmanuel Baudin déclarait ainsi espérer que « l’ensemble des députés pourra […] allouer davantage de moyens, améliorer le recrutement et l’attractivité. […] faire évoluer les conditions de travail des personnels de surveillance et les conditions de détention des personnes incarcérées » ([452]).

Sur ce sujet, la question spécifique de l’organisation du temps de travail a particulièrement attiré l’attention du rapporteur. Les sacrifices exigés des surveillants pénitentiaires et les contraintes pesant sur eux s’avèrent particulièrement importants et difficilement conciliables avec la légitime aspiration à une vie privée et familiale normale. Ce constat, qui a été particulièrement perceptible lors des échanges de la délégation de la commission d’enquête avec des personnels de la maison centrale d’Arles, a également été relayé en audition par M. Vincent Le Dimeet, représentant du SNEPAP-FSU : « Le défaut d’attractivité tient non seulement au niveau des salaires, mais également aux rythmes de travail. Des structures fonctionnent encore en "3 x 2". Les agents assurent alors un cycle de 13 heures à 19 heures le premier jour, de 8 heures à 18 heures le lendemain, et, le troisième jour, font ce qu’on appelle un "matin-nuit" : ils commencent à 7 heures du matin, s’arrêtent à 13 heures et reprennent à 18 h 45 jusqu’à 7 heures le lendemain matin. Tout cela en trois jours. Physiologiquement, ce n’est pas tenable, des rapports l’ont souligné. Pourtant, l’administration pénitentiaire fonctionne ainsi. Lorsque l’agent termine à 7 heures du matin – une "descente de nuit" –, il bénéficie d’un repos hebdomadaire et c’est reparti. Certains établissements travaillent même en "4 x 2" : on y travaille quatre jours d’affilée avec le "matin-nuit" en quatrième jour, puis une "descente de nuit" et un repos avant de repartir. Par ailleurs, les congés sont imposés. Vous voyez bien que l’on marche sur la tête. » ([453])

Enfin, la question de la formation des agents est elle aussi primordiale, ainsi que cela s’est malheureusement vérifié s’agissant de la gestion de la vidéosurveillance à la maison centrale d’Arles. Pour M. Sébastien Nicolas, secrétaire général du SNP FO Direction, « l’amélioration de la formation des personnels affectés dans les postes de surveillance [semble] prioritaire » ([454]).

Le champ restreint de la commission d’enquête ne lui a pas permis d’approfondir ces sujets que le rapporteur souhaitait néanmoins verser au débat. Le drame du 2 mars a cependant révélé un certain nombre d’éléments qui apparaissent, sur la question humaine, perfectibles à ses yeux.

b.   Les leçons qui peuvent être tirées du drame du 2 mars 2022

i.   Améliorer la prise en compte du travail de surveillance des personnels pénitentiaires

La confusion qui s’est manifestée dans la formulation et dans la prise en compte des observations de surveillance de Franck Elong Abé doit être l’occasion de reconsidérer le travail du surveillant pour une meilleure prise en considération son travail dans l’organisation de la prise en charge du détenu. M. Philippe Kuhn, secrétaire général national adjoint du Syndicat pénitentiaire des surveillants non gradés déplorait que « les observations des personnels de surveillance ne [soient] pas prises en compte. Par conséquent, les collègues se découragent et se démotivent. Faire remonter des informations sur la sécurité paraît évident, jusqu’au moment où cela n’est plus fait, car les agents constatent que cela n’est jamais suivi d’effets » ([455]).

Pourtant, la charte du surveillant pénitentiaire publiée en 2021 prévoit que « par son travail d’écoute, d’observation et d’évaluation au quotidien, le surveillant contribue aux propositions de prise en charge adaptée des détenus », ce point étant d’ailleurs lié, à juste titre, à son action pour réduire les violences et renforcer la sécurité. M. Vincent Le Dimeet              indiquait néanmoins que cette charte « n’est pas appliquée », citant comme exemple le fait que « les surveillants sont censés pouvoir siéger dans les CPU ou dans les commissions d’application des peines (CAP), mais compte tenu du manque de personnel, ce n’est pas possible, pas partout » et concluant sur le fait que « les remontées des surveillants ne sont majoritairement pas écoutées » ([456]).

M. Thomas Forner a confirmé qu’à la maison centrale d’Arles, « les personnels de surveillance ne sont pas conviés aux prises de décision et leur avis n’est pas sollicité au-delà des observations » et que « l’agent qui participe à une CPU n’est pas un surveillant en activité, en général ». Il estime lui aussi que « les informations données par le personnel de surveillance sont certes pertinentes au niveau de l’étage  donc de l’unité d’hébergement  où il travaille, mais il n’a aucune connaissance de ce qui se passe au niveau des activités ou du rez-de-chaussée ». En cela, « la situation n’a pas changé depuis l’assassinat de M. Colonna » ([457]).

À ce jour, la participation d’un surveillant en CPU, dont le caractère  supposément unique se heurte en pratique à la multiplicité de telles commissions en fonction de leur objet (radicalisation, classement, dangerosité, suicide, etc.) ([458]), ne permet pas de donner une traduction concrète et effective à la charte du surveillant pénitentiaire, ce que le rapporteur regrette. Néanmoins, il souhaite que la relation de confiance qu’il appelle de ses vœux soit fondée sur une nécessaire contrepartie : celle d’une exigence de vigilance de chaque instant de la part des surveillants, notamment dans le caractère exhaustif et précis du compte rendu des faits dont ils sont témoins ([459]).

Recommandation n° 28

Définir les modalités concrètes permettant aux surveillants pénitentiaires de contribuer de manière effective aux propositions de prise en charge adaptée des détenus par son travail de surveillance.

ii.   Renforcer les liens entre tous les acteurs de la détention

Le rapporteur a déjà largement abordé l’enjeu de la circulation de l’information au sein des établissements pénitentiaires, et entre l’administration et le renseignement pénitentiaires. Il souhaite compléter son propos avec le rôle déterminant que jouent les magistrats dans l’application de la peine, notamment les JAPAT, qui contraste avec les possibilités qu’ils ont de pouvoir appréhender son exécution de manière concrète, en détention.

Ainsi, Mme Françoise Jeanjaquet, première vice-présidente du tribunal judiciaire de Paris et coordinatrice du service d’application des peines antiterroriste a expliqué à la commission ([460]) que « si la compétence nationale permet une spécialisation et une uniformisation de la jurisprudence en matière de terrorisme, elle a aussi un inconvénient, qui est notre éloignement des établissements », regrettant qu’il lui « manque une connaissance fine de la politique menée dans chaque établissement ». Elle a également déploré ne pas avoir « le temps de présider [elle-même] des commissions de l’application des peines », voire même de ne pas pouvoir « organiser des réunions de la commission en visioconférence ». Elle a enfin indiqué ne pouvoir « consacrer qu’un temps limité aux [très nombreux] avis [qu’elle est amenée] à donner à l’administration pénitentiaire » ([461]).

De manière plus générale, Mme Cécile Delazzari, vice-présidente de l’ANJAP, a estimé que ces derniers ne sont « pas assez nombreux pour exercer les missions qui [leur] sont dévolues : une augmentation des effectifs apparaît nécessaire afin de [leur] permettre de remplir [leurs] missions juridictionnelles, bien sûr, mais aussi les missions effectuées dans le cadre de partenariats, lesquelles ne doivent pas être négligées car elles contribuent à prévenir la récidive » ([462]).

Si le rapporteur a lu avec intérêt la proposition, issue du rapport du comité des États généraux de la justice, visant à renforcer la présence des SPIP en juridiction ([463]), il estime parallèlement que le fait de permettre aux JAP d’être davantage présents en détention ([464]), pourrait également s’avérer particulièrement utile. 

Alors que Mme Cécile Delazzari a évoqué, lors de son audition, les travaux en cours d’un groupe de travail du ministère de la justice sur la charge de travail des magistrats et plus particulièrement des JAP ([465]), Mme Françoise Jeanjaquet a quant à elle souligné devant la commission d’enquête qu’il serait intéressant d’envisager la création d’un quatrième poste de JAPAT pour développer la politique d’application des peines antiterroristes, ainsi que la création d’un poste d’assistant.

Recommandation n° 29

Renforcer les effectifs des juges de l’application des peines, notamment antiterroristes, afin, entre autres, de renforcer leur présence en détention.

 


  1  

   examen en commission

Au cours de sa réunion du mercredi 24 mai 2023, la commission d’enquête procède à l’examen du rapport.)

M. le président Jean-Félix Acquaviva. Nous arrivons au terme des travaux de notre commission d’enquête. Ces six derniers mois, nous aurons procédé à trente-sept auditions, ce qui représente près de cinquante-cinq heures de réunion au cours desquelles nous avons entendu soixante-et-onze personnes. Une délégation de notre commission s’est par ailleurs rendue à la maison centrale d’Arles, où nous avons pu échanger avec une dizaine d’acteurs locaux.

Je tiens à remercier l’ensemble des membres de la commission d’enquête, qui se sont investis dans la conduite de nos travaux. Je remercie tout particulièrement notre rapporteur pour la qualité de son travail et le bon état d’esprit dans lequel nous avons mené nos investigations. Au-delà de nos appartenances politiques, nous avons en commun un attachement profond à notre terre de vie et d’élection, la Corse, et nous partageons la même volonté d’apaisement, de justice et de vérité.

Je tiens également à remercier les administrateurs, dont le concours a été précieux pour la conduite de nos travaux.

Sans plus attendre, je cède la parole à M. Marcangeli pour qu’il nous présente son rapport, que vous avez eu l’occasion de consulter ces derniers jours.

M. Laurent Marcangeli, rapporteur. Nous concluons six mois d’un travail dense, utile et très prenant. Comme le président, j’associe les commissaires qui se sont investis dans nos travaux, ainsi que les administrateurs qui ont été particulièrement efficaces.  Nous n’avons pas ménagé nos efforts tout au long de ces trente-sept auditions, de ces échanges avec soixante-et-onze personnes, prolongés par un déplacement sur les lieux du drame. J’ai également procédé à un examen approfondi de l’ensemble des comptes rendus de nos réunions et des très nombreux documents qui m’ont été remis dans le cadre de mes prérogatives de rapporteur.

Je veux vous remercier pour l’intérêt constant que vous avez manifesté, pour votre sensibilité à l’importance de notre tâche et pour votre implication tout au long de ce semestre. Nous avons accompli un travail collectif dans un état d’esprit remarquable, je veux le souligner. On évoque souvent les vicissitudes liées à la composition de notre assemblée, aux divergences – saines – que le débat public suscite. Le sujet qui a mobilisés était difficile. Néanmoins, en dépit de nos différences politiques – y compris au niveau insulaire – nous avons conduit nos travaux dans un excellent état d’esprit. Cela est suffisamment rare pour que nous puissions en être fiers et nous en réjouir. On parle en effet souvent de ce qui ne marche pas plutôt que d’évoquer les éléments de consensus et de respect qui ont en l’espèce présidé à la conduite de nos travaux.

J’adresse des remerciements plus particuliers au président Acquaviva, dont je salue l’engagement, la détermination et l’opiniâtreté. Nous avons su, de manière responsable, construire une relation de confiance qui dépasse les cadres politiques, afin de conduire ces travaux en harmonie, conscients de l’importance de l’enjeu et des attentes placées en cette commission d’enquête. Il me semble que nous avons su nous hisser à la hauteur nécessaire ; nos concitoyens en jugeront.

Notre initiative, dont l’impulsion revient au président et à son groupe parlementaire, n’avait cependant rien d’évident. Le chemin était étroit, entre l’information judiciaire, l’inspection administrative et les procédures disciplinaires, et pouvait s’annoncer périlleux. Malgré les contraintes inhérentes à cet exercice, il n’en a pourtant rien été.

Bien sûr, l’information judiciaire ouverte par le parquet national antiterroriste permettra, il faut l’espérer, la manifestation complète de la vérité. Juger n’est pas notre rôle, et nous constatons que des zones d’ombre subsistent après nos travaux. Le rapport se veut le plus exhaustif possible et les mentionne, afin que les petits cailloux qu’il sème contribuent, à terme, à trouver le chemin vers la manifestation complète de la vérité.

Ce rapport que je vous présente aujourd’hui formule vingt-neuf recommandations qui entendent répondre à un triple objectif.

Éclairer, d’abord. Des dysfonctionnements et des défaillances ont été constatés, des erreurs manifestement commises dans la gestion des parcours carcéraux respectifs d’Yvan Colonna et de son agresseur, Franck Elong Abé. Le rapport en dresse un état des lieux aussi précis et impartial que possible. Ses constats sont sévères mais j’estime qu’ils sont équilibrés, exhaustifs et étayés. Il m’a particulièrement tenu à cœur de m’appuyer sur les témoignages et les observations des surveillants pénitentiaires et de relayer leur parole, car ce sont eux qui sont en première ligne, parfois seuls ou insuffisamment soutenus. J’y reviendrai plus tard, mais il était inenvisageable de faire reposer la responsabilité du drame sur le défaut de surveillance d’un seul agent : les responsabilités en la matière sont éminemment politiques et administratives.

Apaiser, ensuite. Vous en êtes conscients, il était important de saisir l’ampleur de l’onde de choc qui s’est muée, en traversant la mer Méditerranée, en une vague de douleur, d’incompréhension et de violence, et d’y répondre.

Avancer, enfin, pour contribuer à tourner la page, ouverte il y a vingt-cinq ans avec l’odieux assassinat du préfet Claude Érignac, d’une relation tourmentée, complexe, difficile et parfois cruelle entre la République et la Corse.

Ainsi qu’il en a été tout au long de nos travaux, la première partie du rapport présente en miroir les parcours carcéraux respectifs d’Yvan Colonna et de Franck Elong Abé, dont la gestion a pu susciter l’incompréhension, notamment à la maison centrale d’Arles, où les deux cas ont semblé aux antipodes.

Je mets d’abord en exergue la gestion particulièrement stricte du régime carcéral d’Yvan Colonna, intrinsèquement liée au contexte de son arrestation et à la nature du crime pour lequel il avait été condamné, qui contraste fortement avec son bon comportement en détention.

Il y a d’abord la procédure judiciaire, qui, à l’évidence, n’a pas permis de jouer son rôle d’apaisement, puis les multiples transfèrements dont Yvan Colonna a fait l’objet avant son arrivée à la maison centrale d’Arles, dont celui décidé après une information, non étayée, relative à une possible tentative d’évasion : c’est l’épisode du transfert à Réau, symptomatique, à mon sens, d’une attitude pour ainsi dire obsessionnelle de l’administration pénitentiaire, sur laquelle il me semblait important d’insister. À ce titre, l’échange entre le directeur de l’administration pénitentiaire et notre collègue Romain Baubry a été particulièrement éclairant. Je reviens également sur les dix années de détention d’Yvan Colonna à la maison centrale d’Arles, où il apparaît comme un détenu calme et apprécié du personnel et de ses codétenus, dont, d’ailleurs, son futur agresseur.

Tout au long de sa détention, Yvan Colonna sera soumis au statut de détenu particulièrement signalé (DPS). Si l’application d’un tel statut pendant une certaine période était légitime, son maintien pendant toute la durée d’incarcération d’Yvan Colonna en dépit de son absence de dangerosité, en application de critères extra-pénitentiaires manifestement discutables quant à leur nature et à leur motivation et selon une procédure insuffisamment transparente, a fait l’objet de vives critiques. J’en fais un compte rendu exhaustif et reviens également sur les conditions de la levée de ce statut pour les trois membres du « commando Érignac », décidée à la suite de l’agression, au nom de « l’ardoise magique » évoquée par le président Acquaviva. Cela a renforcé le trouble sur les conditions d’application de ce régime et sur les influences politiques auxquelles il peut être soumis.

Pour Yvan Colonna, l’application de ce statut a engendré une forme de double peine – non pas juridiquement, certes, mais de manière pratique – aux conséquences inacceptables pour l’exercice de son droit à la vie familiale. L’analyse de cet épisode constitue l’occasion de revenir sur les atermoiements des pouvoirs publics s’agissant de la question du rapprochement des détenus corses. À cet égard, j’appelle solennellement l’État à s’engager dans un processus politique clair en saisissant la main tendue par les élus corses de tous bords, depuis des années, sur ce sujet majeur.

Plus généralement, j’invite à repenser ce statut. Son cadre juridique ne permet pas, à l’évidence, de prendre en toute objectivité les décisions d’inscription, de maintien ou de radiation au répertoire des DPS. Aussi, je formule sept recommandations pour que ce statut, qui demeure nécessaire, soit défini au niveau législatif, qu’il soit mieux encadré et qu’il soit assorti d’un contrôle juridictionnel renforcé. Je propose notamment de déterminer clairement les modalités d’application de la procédure, au niveau local comme au niveau national, de fixer dans la loi le principe selon lequel le statut de DPS n’a pas vocation, a priori, à revêtir un caractère définitif, de subordonner les décisions à une meilleure prise en compte de la dangerosité pénitentiaire réelle de la personne détenue, ou encore de permettre la contestation des décisions devant le juge administratif en référé.

Le parcours carcéral de Franck Elong Abé contraste de manière flagrante avec celui d’Yvan Colonna. Alors que la dangerosité et l’instabilité de l’individu étaient manifestes, l’administration pénitentiaire fera preuve, à certains égards, d’une mansuétude certaine et assez inexplicable à son endroit.

Le rapport revient de manière approfondie sur le profil instable et extrêmement dangereux, le parcours carcéral chaotique et l’évolution du comportement de Franck Elong Abé. J’évoque ainsi ses actions commises en Afghanistan : je relève notamment qu’il comptait, selon l’expression retenue par le tribunal correctionnel en 2016, parmi les « combattants de confiance » des talibans. Il y a aussi ses multiples condamnations, les nombreux incidents, pour la plupart graves, qui se sont produits avant son transfert à Arles, puis son parcours de détention à la maison centrale, toujours émaillé d’incidents, d’une gravité certes moindre, mais persistante. L’ensemble des informations et signaux d’alerte, éminemment inquiétants, que je détaille, auraient incontestablement dû appeler à une plus grande prudence dans la gestion de la détention de Franck Elong Abé lors de sa période d’incarcération à la maison centrale d’Arles.

J’insiste sur deux sujets qui ont particulièrement retenu l’attention de la commission d’enquête car ils mettent en lumière les défaillances de cette gestion, qui se sont principalement manifestées, à partir de 2020, dans l’appréciation erronée de sa dangerosité. En effet, Franck Elong Abé a été intégré à la détention ordinaire de la maison centrale d’Arles et classé au service général sans mesures de vigilance suffisantes, alors que sa dangerosité était non évaluée et, de fait, minorée.

Le rapport revient sur les huit demandes d’évaluation en quartier d’évaluation de la radicalisation (QER) faites entre 2016 et 2022, toutes vaines sauf la dernière, intervenue trop tardivement. Il insiste plus particulièrement sur celles formulées par le centre pénitentiaire d’Alençon-Condé-sur-Sarthe et par les commissions pluridisciplinaires uniques de la maison centrale d’Arles : c’est dans ces deux séquences que j’ai identifié un double manquement de l’administration pénitentiaire.

Pour la première, je relève que le transfert à la maison centrale d’Arles a été décidé au détriment de deux alternatives : l’orientation en QER, bien sûr ; mais aussi, et surtout, une prise en charge sanitaire et médicale renforcée, voire une hospitalisation, adaptée aux crises suicidaires aiguës qui se sont manifestées en septembre 2019 et à la dégradation générale de l’état psychique de Franck Elong Abé. Les éléments révélés sur son état psychique sont saisissants. Le transfert à Arles portait donc en lui les germes d’un possible échec compte tenu du profil instable de l’individu, d’autant qu’il n’a pas été assorti de mesures de suivi suffisantes. Cela s’est vérifié, plus tard, au moment où Franck Elong Abé a été sorti, un peu comme si de rien n’était, de l’isolement. En somme, j’estime qu’il aurait dû faire l’objet, en 2019, d’une prise en charge sanitaire adaptée à son instabilité psychique.

La non-orientation de Franck Elong Abé au cours de l’année 2021 constitue la seconde faillite de l’administration pénitentiaire – de la cheffe d’établissement en premier lieu, mais aussi de l’ensemble de la ligne hiérarchique, qui était, pour le dire trivialement, aux abonnés absents. C’est le « trou noir administratif » que j’évoque dans le rapport. Cette orientation aurait permis de déterminer le régime de prise en charge adapté et d’accompagner le relâchement de la prise en charge sécuritaire de l’individu. Cette évolution de la gestion de son parcours carcéral était envisageable, mais elle aurait dû être encadrée par des garanties suffisantes, notamment pour mesurer le risque d’un passage à l’acte violent, que l’évaluation en QER était en mesure d’apporter. Le profil instable et dangereux de Franck Elong Abé n’aurait jamais dû conduire à une intégration en détention ordinaire sans des mesures minimales de prudence, une évaluation rigoureuse des risques et une évaluation complète de sa dangerosité. Il était nécessaire, pour cela, de l’évaluer en QER : je fais l’hypothèse que cela aurait permis de l’orienter en quartier de prise en charge de la radicalisation (QPR), lequel s’adresse certes aux individus prosélytes, mais aussi aux détenus présentant un risque de passage à l’acte violent. Compte tenu de la radicalisation violente de Franck Elong Abé et de son instabilité psychique, il était irresponsable de le « lâcher » ainsi en détention ordinaire.

Pour pallier les carences constatées, je formule trois recommandations, qui visent notamment à rendre obligatoire l’évaluation ou la réévaluation d’un détenu condamné pour terrorisme islamiste (TIS) avant son intégration en détention ordinaire, et à mieux identifier et à renforcer, au sein des QER, l’évaluation de la dangerosité.

Tout comme le motif de non-orientation en QER pour troubles psychiatriques non stabilisés faisait de Franck Elong Abé un cas unique en son genre, le classement d’un TIS inscrit au répertoire DPS au service général est également hors normes. J’en fais état dans le rapport : il n’y a aucun cas similaire à ce jour. Pourtant, une fois incarcéré à Arles, Franck Elong Abé n’est pas subitement devenu un détenu exemplaire. Son profil dangereux et instable rend incompréhensible une telle décision, pourtant exceptionnelle au sens où elle a concerné un TIS par ailleurs DPS. Pour nous tous, je le pense, cette décision de classement à la maison centrale d’Arles constitue le symbole de la mansuétude qui, par certains aspects, a caractérisé la manière dont Franck Elong Abé a été pris en charge dans cet établissement et l’erreur manifeste d’appréciation de sa dangerosité, aggravée par le fait que cette dernière n’a jamais réellement été évaluée.

À cet égard, je formule quatre recommandations qui visent à définir des critères objectifs pour permettre le classement d’un détenu au travail, à prévoir de manière expresse que, dès lors qu’un détenu candidat au classement provoque un incident ou adopte un comportement répréhensible, la possibilité de candidater est suspendue, à prévoir la possibilité de déclasser à tout moment un détenu lorsqu’il ne satisfait plus aux critères qui ont fondé son classement, et à proscrire le classement des détenus qui présentent un risque de passage à l’acte violent aux missions du service général impliquant une autonomie de déplacement.

La seconde partie du rapport aborde spécifiquement l’agression mortelle du 2 mars 2022 tout en mettant en perspective, à la lumière des travaux de la commission d’enquête et ainsi que j’en ai régulièrement émis le souhait, les constats révélés par cette agression au regard de la question plus générale de la situation carcérale en France.

L’agression du 2 mars 2022 a révélé un certain nombre de défaillances dans le fonctionnement de la maison centrale d’Arles. Nous les avons constatées, notamment lors de notre déplacement. Cet établissement au profil supposément sécuritaire a été marqué, pendant de nombreuses années, par un contexte social tendu et des difficultés significatives. Je ne reviendrai pas sur les détails que nous avons relevés concernant le laisser-aller qui semble avoir caractérisé l’établissement lorsque sa précédente directrice était en fonction. Le jour du drame, cela s’est manifesté par une défaillance généralisée de la surveillance du secteur des activités – dont je n’impute pas la responsabilité au surveillant – symbolisée par l’impossibilité d’exploiter en direct le système de vidéosurveillance.

La longue agression dans la salle de cardio-training est à la fois le fruit d’une succession de manquements le jour du drame mais aussi de failles dans l’appréciation de la dangerosité de son auteur. Celle-ci était établie, mais elle ne semble pas avoir été appréciée de la même manière par tout le monde. Pour étayer ce point, je retrace les signaux d’alerte qui auraient pu, soit laisser présager un passage à l’acte, soit mettre en évidence une éventuelle stratégie de dissimulation. Nos travaux ont également mis en lumière que, dans cet établissement, le circuit de remontée des informations était manifestement défaillant. Sur ce point, nous restons, au moment de conclure nos travaux, sur notre faim, notamment au regard des incohérences qui ont été soulevées lors des dernières auditions.

Le rapport révèle qu’il existait bien des divergences d’appréciation sur le niveau de dangerosité de l’agresseur. Le débat sur la différence de prise en compte de la dangerosité extérieure et de la dangerosité pénitentiaire, qui a longuement occupé nos travaux, est légitime mais il ne saurait occulter la défaillance qui s’est manifestée dans l’appréciation de celle de Franck Elong Abé. Cette défaillance s’est caractérisée, d’une part, par une évaluation partielle et dysfonctionnelle de sa dangerosité pénitentiaire et, d’autre part, par le fait que sa dangerosité extérieure, fondée sur les éléments initialement en possession de l’autorité judiciaire, n’a pas été perçue de la même façon par tout le monde. C’est à la lecture de cette double défaillance que doit être analysée la mauvaise appréciation générale de la dangerosité de l’individu qui a incontestablement permis, pour partie, la survenue du drame du 2 mars 2022. Cette mauvaise appréciation a en effet conduit à une prise en charge carcérale inadaptée. Je me garderai bien d’affirmer de manière catégorique que l’agression subie par Yvan Colonna était évitable, mais certains facteurs ont clairement contribué à ce qu’elle ait lieu.

Cette situation a révélé la nécessité de prendre des mesures pour fluidifier la circulation de l’information au sein du système carcéral afin d’améliorer l’appréhension de certains profils, notamment les plus sensibles. Je formule quatre recommandations en ce sens.

Enfin, je consacre des développements spécifiques aux problématiques plus générales du système carcéral mises en lumière par les travaux de la commission d’enquête. En effet, si le drame du 2 mars 2022 est tout à fait singulier, il est aussi, malheureusement, révélateur d’un état général inquiétant des prisons françaises.

En premier lieu, nos travaux sont l’occasion d’établir un premier bilan de la stratégie de gestion de la radicalisation en détention développée depuis 2016. Une stratégie opérante et complète a été lancée dans un contexte contraignant mais elle suscite certaines critiques, notamment de la part des personnels de surveillance, durement éprouvés par les attentats islamistes qu’ils ont subis ces dernières années. Je soutiens la démarche d’évaluation de fond en comble du dispositif qui a été initiée à la suite de l’agression mortelle. Je relaie donc les recommandations émises sur ce sujet, notamment celles visant à mettre fin à la politique de dissémination des TIS en détention, mais, dans l’attente des conclusions de la mission, je n’ai pas souhaité prendre position de manière définitive à ce sujet.

J’aborde néanmoins les leçons qui peuvent d’ores et déjà être tirées de ce drame. Ainsi, je recommande de renforcer et de transformer le triptyque « détection, évaluation, prise en charge » en un quadriptyque élargi à l’enjeu de la préparation de la fin de peine, en insistant particulièrement sur la prise en charge des détenus dangereux dans les QPR. Ces quartiers ne sont actuellement pas exploités à la mesure de leur potentiel, notamment pour écarter de la détention ordinaire les détenus qui présentent un risque de passage à l’acte violent.

Nous avons enfin collectivement identifié trois sujets d’alerte qui participent à la détérioration de la situation carcérale de France : la situation alarmante des violences entre détenus ; la difficile prise en charge des cas psychiatriques, dans un contexte de dégradation de la santé mentale des détenus ; et les conditions de travail des acteurs de la détention – les personnels pénitentiaires notamment accomplissent un travail difficile, dans des conditions dégradées et souffrent légitimement d’un manque de considération et de reconnaissance. Sans naturellement prétendre régler l’ensemble des problèmes anciens et complexes liés à la détention, j’entends que le rapport puisse contribuer, modestement, à des avancées dans ces domaines.

Pour conclure, le rapport qui est soumis à votre approbation constitue une base complète et transpartisane sur laquelle toute la commission pourra, je l’espère, se retrouver, et ce sans que cela n’implique, pour ma part, la moindre concession. Il aura bien sûr vocation à présenter vos contributions personnelles ou de groupe sur certains points que vous souhaiteriez approfondir ou discuter. Cela me paraît tout à fait sain et conforme à la liberté de ton qui a structuré nos travaux.

Dans l’immédiat, je suis impatient d’entendre vos réactions et je vous remercie une nouvelle fois pour ce travail que nous avons accompli ensemble. Nous avons, sur la forme, fait œuvre utile, dans un bon état d’esprit. Sur le fond, nous devons engager une réflexion stratégique globale sur l’administration pénitentiaire. Il n’est pas normal qu’un homme placé sous la surveillance de l’État se fasse tuer par un autre homme, lui aussi placé sous la surveillance de l’État. La violence est omniprésente dans nos prisons. J’ai voulu insister sur les conditions de travail difficiles des personnels pénitentiaires, notamment des surveillants, dont les témoignages m’ont touché. Je suis fier du travail que nous avons réalisé, sans esprit partisan, dans une totale liberté de ton et j’espère avoir été à la hauteur de la confiance que vous m’avez accordée.

Ce rapport poursuivra son chemin mais il aura une résonance particulière chez nous, en Corse. Nous y sommes préparés, avec le président, et nous nous sommes promis d’agir pour rester dignes de la mission que nous avons reçue. Mais le débat devra être porté au niveau national, car ce drame ne doit pas faire oublier que d’autres se sont produits par le passé. Nous devons formuler des préconisations pour que cela ne se reproduise plus. Notre système carcéral doit être plus juste et efficace. Il doit être capable d’affronter la radicalisation de certains détenus, leurs troubles psychiatriques et psychologiques – les prisons ressemblent parfois plus à des asiles de fous qu’à autre chose. La gestion de la détention doit être plus juste et personnalisée. Certains détenus sont exemplaires, font du sport, font preuve de respect, mènent une vie presque ascétique ; d’autres posent de graves difficultés. Nous devons proposer des règles qui fassent évoluer la situation.

Je terminerai par une pensée singulière pour le président qui s’est impliqué avec toute son âme dans cette mission. Je vous remercie tous pour le bon esprit qui a régné sur nos travaux et nous a permis de cheminer sereinement.

Mme Caroline Abadie (RE). Merci de ce rapport exhaustif, de votre sincérité, de votre sensibilité ; nous connaissons tous la résonance particulière de cette affaire en Corse. Nous avons eu peu de temps pour en prendre connaissance, c’est l’exercice qui veut cela.

Ayant moi-même écrit un rapport d’enquête sur la politique pénitentiaire, je sais qu’un travail sur la prison n’est jamais simple, et que des zones d’ombre subsistent toujours. Reste qu’un homme a ôté la vie d’un autre, sous la responsabilité de l’État.

Je salue d’abord vos considérations sur l’évaluation et la prise en charge de la radicalisation, et surtout sur la préparation de la sortie de ces détenus dont on ne sait jamais vraiment si le travail mené avec eux a porté ses fruits. La réflexion sur ce sujet n’en est qu’à ses débuts, mais vos propositions sont intéressantes.

Vos remarques sur la santé mentale sont tout aussi intéressantes. La psychiatrie est largement touchée par les problèmes de la désertification médicale et il est encore plus difficile en prison qu’ailleurs de trouver un psychiatre, leurs conditions de travail y étant particulièrement rudes. C’est vrai à Arles comme partout ailleurs – j’étais à Gradignan hier. Nous devons combler cette lacune, et le problème va bien au-delà des moyens financiers.

Un encadrement du statut de DPS paraîtrait en effet souhaitable. Je comprends que vous vouliez creuser toutes les pistes, notamment le recours à la loi et l’intervention du juge, mais j’entends plutôt votre volonté d’exhaustivité – ceinture et bretelles, si vous me permettez l’expression – comme une invitation à poursuivre la réflexion : au final, il faudra probablement faire des choix pour que le dispositif ne soit pas inopérant.

La question de l’évaluation de la dangerosité revient régulièrement. Pouvez-vous rappeler quels sont les outils, les protocoles qui existent ? On ne pourra jamais évaluer exactement la dangerosité future des individus, sauf à vivre dans une société à la Minority Report – ce qui n’est pas forcément souhaitable. Puisqu’un homme est mort, on ne peut que chercher à tendre vers le risque zéro, à l’intérieur comme à l’extérieur de la prison ; mais à mon sens, il ne faut pas forcément tout verrouiller par des règles trop précises – je pense notamment à votre recommandation n° 13. Prévoir des conséquences automatiques pour chaque incident ne me semble pas souhaitable – Yvan Colonna avait lui-même assassiné un homme, mais il a pu être affecté à des postes d’auxiliaire. Vous montrez le déséquilibre de deux destins, l’un ayant suscité plus de clémence que l’autre sans que son attitude en détention puisse le justifier. Mais, hors de ce contexte précis et qui nous touche tous, ne faut-il pas laisser un peu d’autonomie aux personnels pénitentiaires et aux services pénitentiaires d’insertion et de probation, à même d’apprécier l’opportunité de donner une seconde chance et de préparer l’inévitable sortie de détention ? Il faut laisser des marges de manœuvre locales aux hommes et aux femmes qui suivent ces détenus, qui prennent des décisions parfois risquées mais qui permettent à ceux-ci de s’amender – même si des erreurs peuvent aussi être commises à ce niveau.

M. Laurent Marcangeli (HOR). Le rapport peut être amélioré ; il poursuit les travaux que vous aviez vous-même menés pour la commission d’enquête visant à identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française.

Nous avons ouvert le champ des propositions aussi largement que possible. Le statut de DPS – qui concerne d’ailleurs non seulement le terrorisme, mais aussi le grand banditisme par exemple – ne correspond pas à ce que je souhaite comme régime carcéral à qui que ce soit. Avec ce rapport, je veux aussi intervenir dans le débat politique corse : je ne veux pas d’une remise en cause politique d’une décision qui a trait à un régime carcéral particulier. Il faut éviter les procès d’intention politiques, qui abîment la démocratie comme le lien entre la Corse et la République.

Au-delà de ce contexte, il faut à mon sens rationaliser ce statut. Nos auditions ont largement abordé cette question, avec des prises de position très diverses – de la part d’avocats, de magistrats, de personnalités politiques ; un ancien Premier ministre a carrément évoqué une possible judiciarisation. Nous ouvrons des pistes et appelons à revoir ce régime.

S’agissant de l’évaluation de la dangerosité, des outils existent effectivement – il y a même tellement de sigles qu’on s’y perd. Mais dans le cas qui nous occupe, ils ont été défaillants. Au-delà, les statistiques sur le nombre d’agressions hebdomadaires en prison sont effrayantes.

C’est aussi la question de la personnalisation et du suivi de la détention qui se pose. La victime de ce drame était connue, médiatique, condamnée pour des faits d’une gravité incommensurable, ni le président ni moi-même n’avons jamais été amenés à en disconvenir. Mais nous avons parfois eu le sentiment que, pour certains, Yvan Colonna ne devait jamais sortir de prison. Il en va de même pour les deux autres membres du « commando Érignac », qui ont, contrairement à lui, reconnu leur implication dans l’assassinat, dont le parcours en prison est tout aussi calme et le régime carcéral tout aussi particulier. En dépit de la gravité des faits qui peuvent mener à une condamnation, ne devons-nous pas faire évoluer les choses afin que celles-ci soient plus conformes à l’État de droit ? La peine ne doit pas être une vengeance. C’est une privation de liberté, une sanction, éventuellement une façon de protéger la société.

Franck Elong Abé, en revanche, qui présentait des signes évidents de troubles psychologiques, voire psychiatriques, aurait dû être libéré à la fin de l’année 2023. On peut se demander si cela n’aurait pas été à l’origine d’autres drames, susceptibles d’entraîner d’autres commissions d’enquête. Malgré les process existants, décrits dans le rapport, cet individu a pu cheminer jusqu’au service général d’une maison centrale et accomplir son forfait. Nous devons éviter que cela se reproduise.

Dès lors qu’il approchait de la fin de sa peine, on ne s’est plus soucié que de sa sortie, alors que lui-même ne formulait aucun projet, ne s’y intéressait pas. On a voulu le resocialiser, en l’employant au service général. Mais préparer la sortie, cela aurait dû être plutôt évaluer le risque, traiter ses problèmes psychiatriques. Même si certains voudraient que cela devienne réalité, Minority Report est un film de science-fiction : nous n’arriverons jamais au risque zéro. Néanmoins, quand on regarde le parcours de Franck Elong Abé, il est évident qu’il allait passer à l’acte à un moment ou à un autre : il provoque constamment des incidents, se montre dangereux pour lui-même comme pour les autres, il est prosélyte, il change de comportement à l’été 2021 à la suite de la chute de Kaboul. Cela n’a pas été suffisamment pris en considération : à sa sortie de prison, il n’aurait rien perdu de sa radicalité, de sa violence et de sa capacité à agir pour le mal d’autrui, y compris sans raison.

Est-ce être un cas isolé ? Peut-être, mais nous devons nous pencher sur le sujet, parce que nous sommes face à des vagues de détenus radicalisés qui vont sortir de prison. Mon rôle en tant que parlementaire est d’alerter : je ne sais pas ce qui va se passer ! Le travail a-t-il été bien fait ? Ne risque-t-on pas de nouvelles attaques, un nouveau Mohammed Merah qui entre dans une école pour tuer des enfants ? Quoi qu’il en soit, nous avons de grands progrès à faire, à l’intérieur du milieu carcéral – car il faut protéger personnels et détenus – comme à l’extérieur, pour ne relâcher des bombes à retardement passées par le milieu carcéral au milieu d’innocents.

Cela soulève aussi, mais ce n’était pas le cas en l’occurrence, la question des phénomènes de radicalisation en prison. Je ne sais pas si nous nous sommes dotés de tous les outils pour éviter qu’on ne sorte de prison pire qu’on y est entré.

M. Romain Baubry (RN). Je vous remercie sincèrement, monsieur le président, monsieur le rapporteur, pour avoir mené cette commission d’enquête durant six mois. Merci également aux administrateurs qui ont effectué un important travail. Ancien surveillant pénitentiaire, j’apprécie ce rapport, dont j’espère qu’il servira à faire évoluer l’administration pénitentiaire. Lorsque j’ai quitté la maison centrale d’Arles, il y a bientôt dix ans, je pensais qu’à tout moment un surveillant pouvait perdre la vie sur la coursive. C’est un détenu qui est mort, mais je n’en ai donc pas été surpris. J’ai d’ailleurs connu Yvan Colonna comme détenu : certes condamné pour des faits graves, il était irréprochable – tous les surveillants souhaiteraient avoir de tels détenus sur leur coursive – et n’aurait pas été un danger pour la société. Il n’a jamais manifesté d’envie de s’évader : j’étais à Arles lorsqu’il a été transféré en urgence à Réau, et je me rappelle que nous en avions tous été surpris. Les travaux de la commission d’enquête montrent d’ailleurs que rien n’étayait les soupçons de projet d’évasion.

La question de la prise en charge des détenus radicalisés et terroristes, est cruciale. Ils sont détenus avec d’autres, de droit commun, et il y a un risque de prosélytisme. C’est un danger pour le personnel pénitentiaire, pour les détenus et surtout pour la société, une fois libérés. Je suis certain que Franck Elong Abé aurait fait des dégâts s’il était sorti. La mort d’Yvan Colonna aura peut-être permis une prise de conscience à cet égard. Il faut se demander comment empêcher la sortie d’un détenu dangereux, pour protéger la société.

Des zones d’ombre subsistent, vous l’avez dit. Malgré toutes les auditions menées, des questions demeurent sans réponse. Peut-être l’enquête judiciaire nous en apprendra-t-elle davantage. Sur certains points, nous restons effectivement sur notre faim.

Cette commission d’enquête aura aussi permis de mettre en lumière les difficultés du métier des surveillants pénitentiaires. Ils exercent un métier dangereux avec des outils désuets. La vidéo doit occuper une place d’autant plus importante que le manque de personnel est criant, mais les moyens humains resteront essentiels ; il faudra toujours des surveillants derrière les portes des cellules et devant les écrans.

Il faut conserver le statut de DPS, mais des garde-fous pourraient être utiles. S’agissant d’Yvan Colonna, son maintien sous ce statut résultait en effet d’une décision politique, et non de l’appréciation d’une dangerosité ou d’un risque d’évasion. Cela l’a suivi tout au long de son parcours et c’est à l’évidence ce qui l’a empêché de purger sa peine en Corse.

Merci d’avoir mené ces travaux de façon transpartisane et d’avoir permis aux députés d’y participer activement.

M. Laurent Marcangeli, rapporteur. Je me suis engagé dans ce combat parce que je voulais la vérité, mais il demeure effectivement des zones d’ombre. J’espère que l’instruction judiciaire en cours les éclairera, et que le rapport y contribuera. Le président Acquaviva et moi-même nous interrogeons d’ailleurs sur l’opportunité de lancer une procédure au titre de l’article 40 du code de procédure pénale.

Face à ces différentes zones de mystère, je ne veux surtout pas laisser croire à un grand complot. Mais il y a eu des erreurs, en grand nombre, certaines structurelles et d’autres imputables à des individus. Il faut dire que les membres du « commando Érignac » ont été traités de façon particulière. Ils ont assassiné un préfet de la République : des réflexes corporatistes sont compréhensibles. Cela a compté dans la gestion de la détention d’Yvan Colonna, prétendre le contraire serait un mensonge. Celui-ci a été condamné comme étant le tireur, a toujours nié sa participation, a été arrêté après quatre années de cavale : je peux comprendre qu’il ait fait l’objet d’une attention particulière. Mais si l’on compare la façon dont lui et les deux autres membres du commando ont été traités et la façon dont sont traités d’autres détenus, on peut s’interroger. Cela fait partie des zones d’ombre. Certains nous l’ont dit : la gestion de ce cas était politique. Mais la France est une grande nation, une grande démocratie qui peut parfaitement juger et condamner au nom du peuple français sans laisser croire que puissent exister des comportements douteux.

M. le président Jean-Félix Acquaviva. Il n’était pas simple d’émettre des recommandations générales à partir de deux trajectoires et d’un contexte très particuliers, et ce, en dépit des zones d’ombre qui demeurent.

Le contexte est particulier d’abord du point de vue de la gestion de la détention d’Yvan Colonna et des membres du « commando Érignac », qui tranche face à celle des autres DPS et de Franck Elong Abé, lui aussi inscrit au répertoire des DPS.

Il l’est aussi car la maison centrale d’Arles n’est pas Fleury-Mérogis : c’est un village, le rapport le dit, un petit établissement où la proximité entre les détenus est forte. Ceci explique nos interrogations sur le rôle du renseignement pénitentiaire ainsi que sur la transmission d’informations dans la chaîne hiérarchique. D’autant que Franck Elong Abé est un « cas unique » : selon les statistiques, il est le seul TIS à ne pas avoir été orienté en QER en raison de troubles du comportement non stabilisés. S’agissant de l’évaluation de sa dangerosité, les auditions ont mis en exergue le fait qu’il tenait le haut du pavé des terroristes islamistes, qu’il faisait partie des 1 à 5 % les plus dangereux parmi les quelque 500 TIS. Bref, ce n’était pas un cas médian.

La recommandation n° 13, à laquelle Mme Abadie a fait référence, est liée aux événements d’août 2021. Le représentant du Syndicat pénitentiaire des surveillants non gradés nous a indiqué que les personnels des équipes locales d’appui et de contrôle avaient alors noté, à la suite du retour au pouvoir des talibans, un changement de comportement de Franck Elong Abé qui lui a valu le surnom d’« Air Kaboul ». Au cours du même mois, le renseignement pénitentiaire a effectué un signalement en raison des pressions que Franck Elong Abé exerçait sur ses codétenus pour obtenir un poste d’auxiliaire. Toujours en août 2021, il faisait l’objet d’une sanction disciplinaire pour avoir menacé un personnel de surveillance. Pourtant, en septembre 2021, il obtenait un poste au service général.

Il est toujours difficile de tirer d’une séquence particulière une recommandation de portée générale. Nous le faisons après avoir entendu le secrétaire national du Syndicat national pénitentiaire FO Direction : selon lui, tout incident provoqué par un détenu déclenche habituellement une période de deux mois d’attente avant un éventuel classement au service général.

Lors de son audition devant la commission des lois le 30 mars 2022, Mme Puglierini a omis de mentionner les incidents se rapportant à Franck Elong Abé. Nous avons tous été choqués de cette attitude. Ensuite, les auditions ont démontré que quatre incidents avaient eu lieu, en dépit de quoi Franck Elong Abé avait obtenu l’emploi. Oui, il reste des zones d’ombre que la suite des investigations, qui ne relèvent plus de notre ressort, permettra d’éclairer. En revanche, il nous appartient de tirer une recommandation générale de ce cas d’espèce, même s’il est rare.

Il en va de même pour la vidéo, qui pose des problèmes dans tout le monde carcéral, notamment à cause de l’insuffisante formation des personnels. Dans le cas d’espèce, selon l’Inspection générale de la justice (IGJ), les scénarios ne couvraient pas les salles d’activité : d’autres priorités avaient été établies. Ensuite, les agents n’étaient pas formés pour intervenir sur les matériels. Enfin, même si l’agent avait souhaité visualiser la salle de sport, c’est l’image d’une autre zone qui se serait affichée en raison d’un défaut de paramétrage, confirmé par l’IGJ et par le chef d’établissement, M. Ollier. La singularité de cette zone d’ombre qu’il appartiendra à l’enquête judiciaire de dissiper ne doit pas nous empêcher d’élaborer des recommandations pour rendre la vidéosurveillance plus efficace et améliorer la formation des agents.

Bref, l’exercice n’était pas simple et le travail qui a été mené mérite d’être salué. Nous devions à la fois présenter des recommandations générales, qui n’appellent, d’ailleurs, aucun commentaire de ma part, et purger cette histoire particulière. De ce point de vue, le rapporteur l’a dit, nous nous interrogeons sur le fait que les résultats de nos investigations puissent donner lieu à l’activation de l’article 40 du code de procédure pénale.

Rappelez-vous, une surveillante indique dans un courrier, en date du 11 mars, avoir entendu une conversation entre trois détenus, dont Franck Elong Abé, dans laquelle l’un d’eux dit « je vais le tuer ». Elle n’a pas mentionné l’incident dans le logiciel Genesis faute d’avoir pu identifier clairement l’auteur de ces propos. Ce choix a un peu étonné les membres de la commission puisqu’un don de paquets de pâtes entre Franck Elong Abé et un autre détenu figure, lui, dans le logiciel – c’est un point qui mérite d’être éclairci. La même surveillante rapporte, dans un autre courrier, en date du 21 mars 2022, que le comportement du détenu Elong Abé avait changé depuis plusieurs semaines. Celui-ci lui aurait expliqué qu’il « faisait du vide » dans sa cellule. On note une certaine continuité entre ce qui lui a valu d’être surnommé « Air Kaboul » après août 2021 et le constat fait dans ce dernier courrier.

Lors de son audition, à quatre reprises, il est demandé à la surveillante si elle a inscrit ses observations dans le logiciel et elle répond positivement à chaque fois. Or nous n’en avons trouvé aucune trace. Soit il s’agit d’une erreur humaine qu’il faut purger ; soit il convient de rechercher les marques d’un éventuel effacement de ses observations. C’est à l’enquête judiciaire de le déterminer.

Si le rapporteur et moi nous interrogeons sur le recours à l’article 40 du code de procédure pénale, c’est précisément parce que nous pensons que cela pourrait aider la justice à cheminer vers la vérité. Nous sommes à la frontière entre les travaux de la commission d’enquête parlementaire et l’enquête judiciaire. Nous voulons être utiles sans outrepasser nos pouvoirs.

J’approuve entièrement les propos du rapporteur. Nous avons tenu à adopter une approche commune, quelles que soient nos opinions politiques, la plus honnête et la plus factuelle possible. Les faits indiquent une gestion spéciale, voire politique du cas d’Yvan Colonna en tant que DPS. J’ai été surpris de la franchise des représentants des syndicats de magistrats sur ce point. Ils ont reconnu le caractère politique de la gestion des DPS dans certains cas et une organisation préconise d’ailleurs une judiciarisation de la procédure – qui ne nous semble pas forcément la bonne solution. Nicole Belloubet a également été très honnête : sans bien sûr dire qu’elle avait reçu des ordres de nature politique – personne n’attendait un tel aveu – elle a reconnu que les détenus corses ou basques avaient pu faire l’objet d’une attention particulière. Nous avons ainsi obtenu un début de reconnaissance des choses, nécessaire face à l’écart entre le parcours carcéral de l’un et celui de l’autre.

M. Karl Olive (RE). Un immense merci d’abord pour la qualité et la rigueur de votre travail ainsi que pour votre choix de partager vos informations avec les membres de la commission.

S’agissant de l’état des établissements, la maison de centrale de Poissy, dans ma circonscription, a deux cents ans. Les conditions de travail déplorables des surveillants pénitentiaires n’ont pas changé d’un iota depuis des années ; les locaux sont insalubres. Nous avons beau tenter de secouer le cocotier, rien n’y fait.

Les travaux de la commission mettent également en lumière le drame de la psychiatrie, qui est tristement d’actualité dans d’autres structures – je pense à la malheureuse infirmière poignardée avant-hier dans un hôpital. J’ai moi-même été harcelé par un déséquilibré qui, après m’avoir menacé en pleine nuit à mon domicile, a été retrouvé en robe de chambre avec une arme blanche sur le parvis de l’hôtel de ville ; il venait tuer le maire. Il a été interné d’office mais, une fois sorti, son incarcération n’a pas été possible. Cela peut arriver tous les jours. J’insiste sur les besoins dans le domaine de la psychiatrie, à l’intérieur des structures pénitentiaires comme à l’extérieur. Je soutiens donc pleinement vos recommandations en la matière.

Je suis, comme vous, monsieur le président, stupéfait de ce que je lis dans le rapport sur la vidéosurveillance. Les maires connaissent les centres de supervision urbains et la nécessité de modernisation : quand il y a 300 caméras et un dispositif quasiment moyenâgeux comme à Arles, on ne peut pas en vouloir aux agents devant les écrans ! Mais il existe désormais des dispositifs de vidéoprotection intelligente, s’agissant des mouvements de foule par exemple. S’ils ne sont pas déployés dans des lieux nécessitant une surveillance étroite tels que les établissements pénitentiaires, où le seront-ils ? Trois cents caméras, cela demande un investissement de 3 millions d’euros ! Je suis vraiment sidéré des dysfonctionnements constatés dans la vidéosurveillance – et comme par hasard, ce jour-là, le système ne fonctionne pas !

M. Mickaël Cosson (Dem). Je salue le travail effectué et l’esprit qui a régné pendant six mois au sein de la commission, ainsi que la qualité des auditions.

Celles-ci ont mis en lumière de nombreux dysfonctionnements, qu’ils concernent les moyens de surveillance – on ne peut que s’en étonner, s’agissant de structures qui requièrent plus de vigilance que d’autres – ou le traitement des détenus : l’un qui n’aurait pas dû être considéré comme dangereux et l’autre, dangereux, à qui l’on a octroyé certaines souplesses et qu’on laissait rencontrer d’autres détenus sans aucune surveillance.

Alors que des zones d’ombre persistent, il appartiendra à la justice, qui ne connaît pas les mêmes limites que la commission d’enquête, de faire la lumière sur les événements.

Ce dont je suis le plus fier, ce sont les recommandations, qui permettront – je l’espère – d’apporter des solutions à un milieu pénitentiaire qui peine à suivre l’évolution du profil des détenus. Le risque psychiatrique est de plus en plus présent à l’intérieur des établissements comme à l’extérieur. Il est indispensable d’assurer un suivi, sans quoi on met en danger les surveillants, bien sûr, ainsi que les détenus placés en prison pour des faits mineurs et qui y côtoient des personnes dangereuses.

Certains détenus se radicalisent en milieu carcéral, d’autres l’étaient déjà auparavant et la détention n’y change rien. Nombre d’individus incarcérés comme M. Elong Abé sortent de prison en représentant un danger pour la population sans que personne ne l’ait remarqué. Il est nécessaire non seulement de former les personnels pénitentiaires, mais aussi d’autoriser une remise en cause de la libération d’un détenu dont la dangerosité s’est aggravée. Il s’agit d’éviter des drames tels que celui qui vient d’avoir lieu dans un hôpital et qui frappent des personnes qui se rendent utiles à la société.

Espérons enfin que ce rapport ne finira pas dans un placard. Vous avez mis tout votre cœur dans ce gros travail afin que la mort d’Yvan Colonna puisse aider à prévenir de nouveaux dysfonctionnements.

M. Jocelyn Dessigny (RN). À l’issue de cette commission d’enquête, je suis frappé par deux points particuliers.

Le premier a trait aux dysfonctionnements généraux qui existent au sein des maisons centrales et du milieu carcéral en général. Nous avons constaté des problèmes de vidéosurveillance ou de manque de formation du personnel pénitentiaire. Il a également été fait état de différences de traitement à l’égard de certains détenus, par exemple basques ou corses – ce qui peut paradoxalement nous faire nourrir l’espoir d’être capables un jour de nous adapter à chaque situation, dont celle des détenus radicalisés.

Le second concerne précisément la radicalisation. Il est dramatique que des individus radicalisés restent au contact de détenus de droit commun. C’est un engrenage qui conduit certains détenus à devenir beaucoup plus dangereux en prison qu’ils ne l’étaient en y entrant. Je note également que ces personnes très dangereuses sont ensuite remises en liberté, comme l’aurait été M. Elong Abé s’il n’avait pas commis ce crime.

La question de la psychiatrie au sein du système pénitentiaire est également importante. Ma circonscription comprend un centre pénitentiaire spécialisé en psychiatrie : c’est une gestion différente, beaucoup plus médicalisée. Or nous manquons cruellement de psychiatres. Selon le juge de Soissons, soixante-dix personnes potentiellement dangereuses sont en liberté dans la cinquième circonscription de l’Aisne faute des analyses psychiatriques nécessaires pour les incarcérer. Il y a deux jours, un père et une mère m’ont supplié de les aider à faire interner leur fille en hôpital psychiatrique, son comportement étant de plus en plus dangereux.

La recommandation n° 27 vise à renforcer la prise en charge des troubles psychiatriques des détenus, ce qui est une évidence, mais que peut-il en être vraiment alors que nous avons déjà beaucoup de mal à recruter des psychiatres en médecine de ville ? Le problème n’est pas seulement financier, mais beaucoup plus global.

Je note enfin qu’Yvan Colonna était un détenu calme, qui ne posait pas de problème et qui faisait l’objet d’une attention particulière pour des raisons politiques. Cela aurait dû être le cas de M. Elong Abé, au lieu de quoi il a été envoyé à marche forcée vers la sortie et a pu bénéficier d’affectations surprenantes, lui permettant d’être au contact d’autres détenus.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Je salue à mon tour le travail qui a été réalisé, notamment par le président et le rapporteur. Le cadre qui vient d’être posé me semble particulièrement intéressant car il ouvre des perspectives.

Le parallèle que nous avons réalisé entre les parcours de Franck Elong Abé et Yvan Colonna est éloquent. La quantité de dysfonctionnements que nous avons relevés n’est même pas une surprise. Dès avant que notre commission soit constituée, je présumais hélas un grand nombre d’insuffisances et de manquements, sans doute graves. Car dans l’histoire de l’institution pénitentiaire, on voit que la France a coutume de laisser prospérer des situations d’autant plus choquantes qu’elles mettent en évidence un écart entre nos principes et la réalité.

Nous ne devons ni verser dans un relativisme dangereux, ni mettre la barre trop haut. Je suis donc sceptique quant à notre capacité collective à relever le défi. Quoi qu’il en soit, notre volonté doit se traduire en actes. J’espère que nos travaux contribueront à enrichir la réflexion afin d’agir là où c’est possible. La littérature sur le sujet est abondante mais nous devons être pragmatiques et lucides.

Je comprends parfaitement vos motivations de départ. J’ai commencé ces travaux en me sentant extérieur à l’émotion qui avait été soulevée au plan local, mais en tant que citoyen, j’avais des inquiétudes et des interrogations sur l’enchaînement qui s’est produit, lequel n’est pas neutre. L’application des règles carcérales elle-même ne l’est pas : il y a toujours un contexte, cela dit sans aucunement incriminer l’attitude des agents de nos centres pénitentiaires. Je ne suis donc pas surpris d’un certain nombre de réactions. En revanche, notre ambition étant de défendre l’État de droit, nous restons si j’ose dire prisonniers de certaines « traditions » ou de pratiques qui ne sont pas satisfaisantes. Or, c’est précisément là que la démocratie doit s’appliquer. La commission d’enquête était donc dans son rôle en pointant un certain nombre d’éléments, même si, nous le savons, les parts d’ombre sont nombreuses.

Je note qu’installer de la vidéosurveillance, souvent, nous donne bonne conscience mais ne permet pas de régler tous les problèmes. Sur ce plan-là, le rapport ne peut que nous interpeller.

S’agissant de la radicalisation, mon point de vue de départ sort malheureusement conforté. Là encore, nos aspirations sont élevées mais je ne suis pas certain que le système puisse assurer autant de sécurité que nous le voudrions. Le problème est récent, complexe, nous partons de loin et il est assez facile d’être induits en erreur : les appréciations que nous portons peuvent donc être assez subjectives. Il n’en reste pas moins qu’il y a des évidences. Après coup, on ne peut que constater qu’il y a eu d’inacceptables sinon inexplicables ratés.

Qu’attend-on de la politique carcérale et de la prison ? Bien des questions se posent, qui touchent à l’essence même de ce qu’est la démocratie, mais nous devons impérativement répondre à des faits précis car nous ne pouvons pas nous satisfaire d’un simple constat.

Je vous félicite enfin et vous remercie pour la manière dont vous avez conduit ces travaux en objectivant un maximum les choses, ce qui leur a donné une grande sérénité.

M. le président Jean-Félix Acquaviva. Pour que ce rapport ait les suites que nous en attendons, je vous propose de voter en faveur de son adoption.

Le contenu du rapport d’une commission d’enquête doit rester confidentiel jusqu’au jour de sa publication. Après le dépôt du rapport s’ouvrira un délai de cinq jours francs au cours desquels nous sommes soumis au secret, conformément à l’ordonnance n° 58-1100 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et à notre règlement. Ce n’est qu’à l’issue de ce délai que le rapport pourra être publié.

La commission adopte le rapport à l’unanimité et autorise sa publication.

 


  1  

   CONTRIBUTIONS DES Députés

contribution de Mme Ségolène Amiot,
DÉputée du groupe La France insoumise – NUPES

 

 

L’enquête de notre commission parlementaire visait à faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l’administration pénitentiaire et de l’appareil judiciaire ayant conduit à l’assassinat du détenu Yvan Colonna et peut-être tordre le cou aux accusations en complotisme à l’encontre de l’Etat et de ses représentants, en mettant en évidence l’absence d’ingérences dans les parcours carcéraux de la victime et de son assaillant.

Les dizaines d’auditions n’ont pas apporté la preuve de l’absence de ces ingérences, mais ont mis en lumière des mensonges éhontés ou par omission ; des décisions incohérentes et dangereuses, des traitements à géométrie variable. L’enquête nous laisse encore beaucoup de zones d’ombre que seule l’enquête judiciaire saurait éclaircir.


La mise en parallèle des parcours carcéraux des détenus Yvan Colonna et Franck Elong Abé, portant tout deux le même statut de DPS, a clairement mis en évidence des traitements inéquitables que ce soit par la direction de l’administration pénitentiaire ou par les CPU successives envers l’un et l’autre. Ainsi, l’enquête de la commission démontre la surévaluation volontaire de la « dangerosité » du détenu Yvan Colonna ayant permis de maintenir une pression pénitentiaire drastique sur ce dernier alors même qu’il était décrit comme « très correct, calme et respectueux, au comportement et l’attitude exemplaires ». A contrario, le risque de passage à l’acte du détenu Franck Elong Abé a été largement et volontairement sous-estimée, d’abord par l’absence d’évaluation en QER mais aussi et surtout par l’obsession de la direction pour sa sortie prochaine en lui attribuant le privilège d’un emploi lui offrant la liberté de déplacements en dépit de son parcours émaillé d’incidents parfois violents et de son classement « haut du spectre » des menaces terroristes islamistes.

Je partage globalement l’ensemble des constats établis par le rapport de nos confrères Aquaviva et Marcangeli et je souhaite attirer l’attention sur différents points d’importance pour l’amélioration de notre système carcéral :

 

 

 

Enfin, il apparait que le sujet de la psychiatrie soit le sujet commun à un grand nombre de nos auditions. À commencer par les soins psychiatriques en France, de moins en moins accessibles pour la population générale, faute de médecins en nombre suffisant et de places en structures d’accueil. C’est ainsi que bon nombre des personnes en mal de soins psychiatriques se retrouvent à la charge de l’administration judiciaire puis inévitablement de l’administration pénitentiaire. Or, si des soins psychiatriques et psychologiques sont prévus et accessibles en détention, nos prisons n’en sont pas pour autant des hôpitaux et les personnels des soignants. Par contre, la concentration de personnes requérant des soins psychiatriques en prison augmente la charge de travail des personnels de l’administration pénitentiaire et des soignants y intervenant ainsi que le risque pour la sécurité de toutes et tous intra-muros.

C’est pour cela que je propose, à l’issu de cette commission d’enquête, qu’un vaste plan sur la psychiatrie en France soit mis en œuvre, allant bien au-delà de l’administration pénitentiaire. Je reprends pour ce faire des propositions émises par Caroline Fiat dans le rapport d’information (n°2249) Fiat/Wonner :

 


  1  

contribution de M. ROMAIN BAUBRY,
DÉputé du groupe Rassemblement national

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  1  

Contribution de m. Philippe Juvin,
député des Hauts de Seine

 

COMMISSION D’ENQUETE CHARGEE DE FAIRE LA LUMIERE SUR LES DYSFONCTIONNEMENTS AU SEIN DE L’ADMINISTRATION PENITENTIAIRE ET DE L’APPAREIL JUDICIAIRE AYANT CONDUIT A L’ASSASSINAT D’UN DETENU LE 2 MARS 2022 A LA MAISON CENTRALE D’ARLES

 

 

A titre préliminaire, je tiens à saluer la très bonne organisation des travaux de la Commission d’enquête par son Président, son Rapporteur, mais aussi de l’implication de l’ensemble de ses membres, avec toujours comme impératif de ne pas faire porter les investigations sur des questions relevant de la compétence exclusive de l’autorité judiciaire. Seule l’enquête judiciaire peut éclaircir les motifs de l’agression, délimiter les responsabilités et d’éventuelles complicités.

 

Au-delà du rapport approuvé par les membres de la Commission, les travaux de ces derniers mois me conduisent à quatre conclusions d’ordre général et à deux questions, selon moi, non résolues, en rapport directement avec l’affaire.

 

Les quatre leçons et questions générales :

 

1.     La nécessité de revoir le statut de détenu particulièrement signalé (DPS)

Issu de la circulaire de la DAP 2007 du 18 décembre 2007 d’application de l’instruction ministérielle relative au répertoire des détenus particulièrement signales (DPS), le registre éponyme regroupe les détenus appelant une surveillance particulière - définie aux termes de l’article D 223-11 du code pénitentiaire, en raison de leur niveau de dangerosité élevé ou du risque d'évasion qu'ils présentent, en raison notamment des réseaux qu'ils sont susceptibles de mobiliser. Si environ 300 détenus sont concernés en France, le Conseil d’État a déjà rappelé que l’inscription au répertoire des DPS doit être décidée en conformité́ avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, et notamment ses articles 3, interdisant les traitements inhumains et dégradants, et 8, garantissant le droit au respect de la vie privée et familiale. Dans son arrêt du 9 juillet 2009 Khider c. France, la Cour Européenne des droits de l'Homme a condamné la France en raison de son régime de détention appliqué à certains détenus jugés dangereux et classés de ce fait comme DPS. Dans ces conditions, les travaux de la Commission d’enquête soulignent l’opportunité de judiciariser la procédure aujourd’hui aux mains du Garde des sceaux, après avis d’une commission composée de représentants de l’autorité administratives et judiciaires - et j’y souscris pleinement afin de lever tout soupçon quant à une éventuelle instrumentalisation politique.

 

2.     La pauvreté de l’accès à la psychiatrie en prison

Alors contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Mme Adeline Hazan indiquait en 2019 qu’environ “70 % des personnes détenues avaient au moins un trouble psychologique ou mental et 25 % un trouble psychotique grave” illustrant combien les troubles mentaux sont tout sauf minoritaires dans la population carcérale. Pourtant, la santé mentale des personnes incarcérées est un véritable enjeu de santé publique - et s’étend même au-delà des murs de nos prisons avec la libération future des détenus. L’étude de 2022 relative à la Santé mentale en population carcérale sortante (SPCS) révèle ainsi que les deux tiers des hommes et les trois quarts des femmes présentent au moins un trouble psychiatrique et/ou lié à une addiction à leur libération. Cela représente un ratio trois fois supérieur à la population générale. Or la prison est un milieu pathogène et l’accès dégradé aux soins psychiatriques ne permet pas une prise en charge suffisante de ces détenus. Dans ces conditions, il apparaît urgent de renforcer les moyens afin de garantir un véritable parcours de soins psychiatriques en prison.

 

3.  La question des violences en prison

Si l’article 44 de la loi pénitentiaire de 2009 dispose que “l’administration pénitentiaire doit assurer à chaque personne détenue une protection effective de son intégrité physique en tous lieux collectifs et individuels”, la surpopulation est souvent un catalyseur d’un climat de détention dégradé. Selon la CGLPL, c’est un facteur de perturbations de l’ordre intérieur notamment en raison de la suroccupation des cellules et des cohabitations forcées. Le lien entre la surpopulation et le niveau de violence n’est pas forcément démontrable, mais les syndicats du personnel pénitentiaire ont pointé à maintes reprises le climat de violence engendré par la surpopulation. Les violences à l’encontre des personnels et des intervenants extérieurs mais également les violences à l’encontre des personnes détenues sont en hausse. Selon la direction de l’administration, 9 484 actes de violence entre détenus ont été commis en 2018, 9 626 en 2019 et 8 204 en 2020 - sans compter la sous-évaluation de ces statistiques considérant qu’une part des violences échappe sans doute à toute mesure car les incidents n’affectant pas gravement l’intégrité physique des détenus ne sont pas ou peu détectés. La Commission d’enquête parlementaire est l’occasion d’interroger le gouvernement sur les pistes qu’il envisage d’emprunter pour faire de la lutte contre les violences une priorité de sa politique pénitentiaire.

 

4.     La radicalisation en milieu carcéral

Avec selon l'administration pénitentiaire au 1er juin 2021, 467 détenus écroués pour des faits de terrorisme islamiste (TIS) et 658 détenus de droit commun suspectés de radicalisation (DCSR), la prise en charge des personnes radicalisées en détention et la préparation de leur sortie doivent figurer parmi nos préoccupations majeures tant elle représente en enjeu pour notre sécurité publique. La prison est en effet de plus en plus un lieu de cristallisation de la radicalisation religieuse, compte tenu de la concentration de détenus islamistes, qu’ils aient été condamnés pour des faits de terrorisme ou de droit commun. Si cette problématique est bien connue, comme en témoigne la création des quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER), des quartiers de prise en charge de la radicalisation (QPR) et de nouvelles spécialisations professionnelles, à l’instar des médiateurs du fait religieux, la structuration de la réponse à ce phénomène doit être encore renforcée.

 

Il me semble que ces quatre sujets, qui ont émergé des différentes auditions, méritent une attention particulière de la part des autorités compétentes si nous voulons vraiment tirer des leçons de cette très triste affaire.

 

Concernant l’affaire précise du meurtre d’Yvan Colonna, les deux questions qui ne me semblent toujours pas résolues sont les suivantes :

 

1. Pourquoi Franck Elong Abé n’était pas dans un quartier d’évaluation de la radicalisation (QER), et avait été admis un service général ?

Depuis le début de l’examen du cas de M. Franck Elong Abé, en 2019, le Groupe d’évaluation départemental a systématiquement décidé de maintenir son suivi, son inscription au FSPRT et la fiche S qui y était associée. Sa radicalisation ne faisait aucun doute. Elle était claire et manifeste. Franck Elong Abé relevait du haut du spectre des terroristes islamistes (TIS) comme nous l’a confirmé M. Laurent Nuñez, préfet de police de Paris (auditionné au titre de ses précédentes fonctions en tant que coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme) parmi les 10 % les plus dangereux – il s’agissait bien d’un terroriste islamiste et non d’un détenu radicalisé en prison. Le rapport de l’Inspection générale de la justice a mis en évidence le grave problème de l’absence d’affectation en quartier d’évaluation de la radicalisation (QER), à cinq reprises. Les commissions pluridisciplinaires uniques (CPU) ont relevé que lorsqu’il se trouvait en détention ordinaire, Franck Elong Abé avait affirmé de manière réitérée vouloir mourir par l’islam. Pourtant, selon M. Jean-Louis Daumas, inspecteur général de la justice, responsable de la mission d’inspection de fonctionnement à la maison centrale d’Arles suite à l’agression d’Yvan Colonna, il a été proposé à deux reprises d’affecter Franck Elong Abé en QER comme il nous l’expliquait en audition le 26 janvier : “En 2019, lorsqu’il est détenu à Condé-sur-Sarthe, les professionnels réunis dans la commission pluridisciplinaire unique (CPU) débattent de son évolution et proposent qu’il soit affecté en QER. La directrice interrégionale des services pénitentiaires de Rennes relaie cette proposition ; cependant, l’administration centrale n’affecte pas l’auteur de l’agression en QER, mais à la maison centrale d’Arles, sur la base – nous a-t-on dit – des avis défavorables émis par le magistrat du parquet et le juge de l’application des peines antiterroriste (JAPAT) qui estiment qu’il n’est pas opportun, à ce moment-là, de l’affecter en QER. Or, les normes définissant les QER, d’après une note de février 2017, modifiée le 31 janvier 2022, font état de deux exceptions à l’affectation de ces condamnés en QER : il faut que la personne soit parfaitement connue, ou qu’il existe une « impossibilité judiciaire ». Or, l’auteur de l’agression ne relevait d’aucune de ces deux exceptions. En 2020 et en 2022, à quatre reprises, la CPU, unanimement, propose à la cheffe d’établissement de transmettre une proposition d’affectation de l’auteur de l’agression en QER. 6 % des 500 personnes étiquetées terroristes islamistes (TIS) rentraient dans les deux exceptions citées, ce qui signifie que depuis la mise en service des QER, la quasi-totalité de ces détenus y a été affectée. À ces quatre reprises, la cheffe d’établissement n’a pas transmis la proposition de la CPU. Nous l’avons interrogée deux fois : elle n’a pas su nous en expliquer la raison.

 

2. Pourquoi malgré son comportement exemplaire, Yvan Colonna, n’avait-il pas bénéficié des facilités de rapprochement et de remises de peine ?

Sur la base de son inscription, renouvelée chaque année depuis plus dix ans, au répertoire des DPS, le transfert d’Yvan Colonna dans l’unique prison corse de Borgo a systématiquement été refusé considérant que celle-ci n’était pas équipée pour accueillir ce type de détenu. Cette décision, inexplicable et injustifiée au regard du comportement d’Yvan Colonna dont la détention s’est passée sans aucune difficulté ni incident, s’inscrit malheureusement dans ce qui semblerait être une tradition de faire obstacle aux rapprochements des détenus corses de leur île natale. Sans compter ce paradoxe : comment avancer qu’un détenu exige une surveillance accrue de par son statut de DPS et, dans un même temps, expliquer qu’il puisse être l’objet d’un assassinat pendant près de 10 minutes, loin donc, de la surveillance des gardiens ?

 

 

 

 


  1  

   LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Les comptes rendus des auditions sont consultables à l’adresse suivante :

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/organes/autres-commissions/commissions-enquete/ce-dysfonctionnements-assassinat-maison-centrale-arles/documents?typeDocument=crc

Les auditions sont présentées dans l’ordre chronologique des réunions de la commission d’enquête.

11 janvier 2023

– Mme Corinne Puglierini, contrôleuse en établissement, mission de contrôle interne à la direction de l’administration pénitentiaire, ancienne cheffe d’établissement de la maison centrale d’Arles.

– M. Marc Ollier, directeur des services pénitentiaires, chef d’établissement de la maison centrale d’Arles.

12 janvier 2023

 M. Laurent Ridel, directeur de l’administration pénitentiaire, et de M. Thierry Donard, directeur adjoint.

17 janvier 2023

 Délégué local au renseignement pénitentiaire d’Arles (à huis clos).

18 janvier 2023

– Mme Camille Hennetier, cheffe du service national du renseignement pénitentiaire (à huis clos).

– Mme Charlotte Hemmerdinger, ancienne cheffe du service national du renseignement pénitentiaire (à huis clos).

24 janvier 2023

– M. Thierry Alves, directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est – Marseille.

25 janvier 2023

– M. Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure (à huis clos).

26 janvier 2023

– M. Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, au titre de ses précédentes fonctions en tant que coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (à huis clos).

26 janvier 2023

– M. Jean-Louis Daumas, inspecteur général de la justice, responsable de la mission d’inspection de fonctionnement à la maison centrale d’Arles suite à l’agression d’Yvan Colonna, Mme Florence D’Andrea, inspectrice générale de la justice, membre de la mission, M. Thierry Landais, inspecteur de la justice, membre de la mission, et M. Christophe Straudo, inspecteur général de la justice, chef de l’Inspection générale de la justice.

30 janvier 2023

 Mme Marie-Line Hanicot, directrice interrégionale des services pénitentiaires Grand-Ouest – Rennes.

1er février 2023

– M. Jean-François Ricard, procureur de la République antiterroriste, accompagné de Mme Juliette Le Borgne, procureure de la République adjointe.

7 février 2023

 M. Jean-Jacques Urvoas, ancien garde des Sceaux, ministre de la Justice.

8 février 2023

 Mme Marie-Anne Ganaye, directrice pénitentiaire d’insertion et de probation, mission de lutte contre la radicalisation violente – service pénitentiaire d’insertion et de probation des Bouches-du-Rhône, et M. Jean Cauvé, chef de l’antenne d’Arles-Tarascon et référent de la maison centrale d’Arles – service pénitentiaire d’insertion et de probation des Bouches-du-Rhône (à huis clos).

 Mme Françoise Jeanjaquet, première vice‑présidente, coordinatrice du service d’application des peines anti-terroriste, tribunal judiciaire de Paris, et Mme Émilie Thubin, vice-présidente en charge de l’application des peines en matière anti-terroriste (à huis clos).

– Mme Cécile Delazzari, vice-présidente de l’Association nationale des juges de l’application des peines (ANJAP).

15 février 2023

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant les représentants des organisations syndicales des personnels de direction de l’administration pénitentiaire :

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant les représentants des organisations syndicales des personnels de surveillance de l’administration pénitentiaire :

16 février 2023

 MM. François Pupponi et Bruno Questel, anciens députés.

 Mme Nicole Belloubet, ancienne garde des Sceaux, ministre de la Justice.

28 février 2023

– M. Naoufel Gaied, chef de la mission de lutte contre la radicalisation violente, accompagné de Mme Véronique Pajanacci, adjointe au chef de la mission, et de Mme Caroline Ciancia, chargée de mission (à huis clos).

7 mars 2023

– M. Olivier Christen, directeur des affaires criminelles et des grâces au ministère de la Justice, accompagné de M. Julien Retailleau, sous-directeur de la justice pénale spécialisée, et de Mme Claire Martineau, cheffe du bureau de l’exécution des peines et des grâces.

8 mars 2023

– Mme Frédérique Camilleri, préfète de police des Bouches-du-Rhône (à huis clos).

– M. Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure (à huis clos).

– M. Jean Castex, ancien Premier ministre.

15 mars 2023

– Table ronde réunissant les représentants des syndicats de magistrats : 

16 mars 2023

– Audition commune de :

22 mars 2023

– Mme Dominique Simonnot, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté.

– Mme Christine-Dominique Bataillard, médecin psychiatre, praticien hospitalier et chef de pôle des unités pour malades difficiles de l’hôpital de Montfavet (Avignon) et des unités en milieu pénitentiaire de la maison centrale d’Arles, du centre de détention de Tarascon et du centre pénitentiaire du Pontet.

23 mars 2023

– Chef de la cellule interrégionale du renseignement pénitentiaire de Marseille et du délégué local au renseignement pénitentiaire d’Arles (à huis clos).

28 mars 2023

– M. Matthieu Quinquis, président de l’Observatoire international des prisons – Section française et de Mme Prune Missoffe, responsable analyses et plaidoyer.

29 mars 2023

– Un surveillant de la maison centrale d’Arles, accompagné de M. Thomas Forner, secrétaire local UFAP-UNSa Justice de la maison centrale d’Arles (à huis clos).

– Mme Christiane Taubira, ancienne garde des Sceaux, ministre de la Justice.

– M. Stéphane Bredin, préfet de l’Indre, au titre de ses anciennes fonctions de directeur de l’administration pénitentiaire.

4 avril 2023

– Une surveillante de la maison centrale d’Arles (à huis clos).

13 avril 2023

– Me Patrick Baudouin, président de la Ligue des droits de l’Homme *.

– Agents actuellement ou précédemment en poste à la maison centrale d’Arles (à huis clos).

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.


  1  

   liste des personnes rencontrÉes À l’occasion du dÉplacement d’une dÉlÉgation de la commission d’enquÊte à la maison centrale d’arles

 

● Table-ronde avec les membres de la commission locale DPS :

M. Marc Ollier, chef d’établissement ;

Mme Bérangère Cusanno, directrice en charge de la détention ;

Lieutenante-colonelle Nassima Djebli, ancienne commandante de la compagnie de gendarmerie d’Arles ;

Mme Fabienne Ellul, préfète, ancienne sous-préfète d’Arles ;

Mme Stéphanie Héry, représentante de la DISP Marseille ;

M. Bruno Magnien, chef de service pénitentiaire, chef de détention ;

Le délégué local au renseignement pénitentiaire.

 

● Table-ronde avec les représentants des organisations syndicales :

M. Thomas Forner, UFAP-UNSa Justice ;

Mme Chedlia Ouni et M. Jean-Mickael Pothin, CGT Pénitentiaire ;

M. Eddino Wojak, Syndicat national pénitentiaire FO des personnels de surveillance (SNP FO PS).

 

 

 


  1  

   ANNEXE : ÉLÉMENTS VERSÉS PAR LE PRÉSIDENT
DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE

Complément à la suite de l’audition de l’ancien Premier Ministre Jean Castex du 8 mars 2023

Durant l’audition de Jean Castex, le 8 mars 2023, j’ai pu faire état de manière spontanée d’échanges de messages entre préfets au moment des événements de mars 2022 qui ont secoué la Corse.

Au terme des travaux de notre commission d’enquête parlementaire, je précise des éléments ci-dessous comme il en a toujours été question, lors de mes échanges avec le rapporteur et les collègues membres de la commission :

  1. Ces échanges ont lieu entre le 10 mars et le 11 mars 2022, c’est à dire au moment de la décision de levée du statut de DPS d’Alain Ferrandi et de Pierre Alessandri, à la suite de l’agression mortelle d’Yvan Colonna du 2 mars 2022. La décision de levée de statut de DPS le concernant ayant eu lieu quant à elle le 8 mars 2022.
  2. Les messages évoqués sont un échange de réactions vis-à-vis de la décision de levée des statuts de DPS.
  3. Ces messages sont émis sur une boucle Whatsapp
  4. Ces messages sont échangés entre deux préfets en activité.
  5. Voici les contenus de l’échange privé tels qu’ils nous sont parvenus (les noms sont masqués) :

X : « Fernandel tue Erignac une 2ème fois. Honte à lui. »

Y : « M. devrait démissionner s’il a des c……. »

X : « Président qui veut compter sur la scène internationale et même pas capable de faire respecter l’ordre dans son pays »

Y : « Ça aura été la présidence de la honte et du déshonneur »

X : « Tout cela milite pour 2 choses : - Le rétablissement de la peine de mort. L’autre détenu n’a fait que ce que l’Etat aurait dû faire à l’époque ; - Faire comme on l’a fait pour l’Algérie un référendum national sur l’indépendance de la Corse »

Y : « Fernandel doit démissionner !!! Il a trahi l’Etat. Vraiment un fantoche auquel la rue fait peur. J’espère que M. va faire un communiqué pour l’exiger. Ou alors c’est lui qui doit démissionner »

X : « C’était pas la peine de nous obliger à faire des salles Erignac partout si c’est pour pisser sur sa mémoire aujourd’hui »

Y : « Dans un souci méticuleux de lâcheté réconciliatrice on va sans doute transférer les cendres de Klaus Barbie au Panthéon à côté de celles de Jean Moulin »

X : « On va voir aujourd’hui qui sont les candidats courageux aux présidentielles qui protesteront contre cette décision scélérate »

Je précise que ces éléments sont fournis de manière complémentaire aux échanges du 8 mars 2023, dans le cadre de la Commission d’enquête parlementaire. Ils sont fournis dans une forme et un cadre qui permettent le respect absolu des sources, principe auquel je ne dérogerai pas. Je les livre car ils confirment qu’une rancœur et une « haine » existaient bien au sein de certaines sphères de la haute administration d’État concernant le « commando Érignac ». En clair, les protagonistes de l’échange s’insurgent contre le changement apparent de ce qui a toujours été prévu par la doctrine, depuis de nombreuses années dans une forme de continuité d’État, aujourd’hui évidente, à savoir ici la décision de la levée du statut de DPS pour permettre un rapprochement au centre de détention de Borgu. Cette décision provoque ainsi une réaction contestataire vive.

Jean-Félix Acquaviva, député de la Haute-Corse et président de la commission d’enquête.

 


  1  

   glossaire des principales abréviations

AMT : association de malfaiteurs terroriste

CCS : commission centrale de supervision

CGLPL : Contrôleure générale des lieux de privations de liberté

CIRP : cellule interrégionale du renseignement pénitentiaire

CLRP : correspondant local du renseignement pénitentiaire

CNE : centre national d’évaluation

CNER : centre national d’évaluation de la radicalisation

CNRLT : coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme

CPU : commission pluridisciplinaire unique

CRI : compte rendu d’incident

CRP : compte rendu professionnel

CRP : crédit de réduction de peine

DACG : direction des affaires criminelle et des grâces

DAP : direction de l’administration pénitentiaire

DGSE : direction générale de la sécurité extérieure

DGSI : direction générale de la sécurité intérieure

DISP : direction interrégionale des services pénitentiaires

DLRP : délégué local au renseignement pénitentiaire

DPS : détenu particulièrement signalé

FSPRT : fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste

GED : groupe d’évaluation départemental de la radicalisation islamiste

JAP : juge de l’application des peines

JAPAT : juge de l’application des peines antiterroriste

MICAS : mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance

MLRV : mission de lutte contre la radicalisation violente

QD : quartier disciplinaire

QER : quartier d’évaluation de la radicalisation

QI : quartier d’isolement

QMC : quartier maison centrale

QPR : quartier de prise en charge de la radicalisation

QSI : quartier spécifique d’intégration

Genesis : gestion nationale des personnes écrouées pour le suivi individualisé et la sécurité

IGJ : Inspection générale de la justice

Pairs : programme d’accueil individualisé et de réaffiliation sociale

PCC :  poste central de circulation

PCI : poste central d’information

PIC :  poste d’information et de contrôle

PNAT : parquet national antiterroriste

RAD : radicalisé

RPS : réduction de peine supplémentaire

SDRE : soins psychiatriques sur décision d’un représentant de l’État

SMPR : service médico-psychologique régional

SNRP : service national du renseignement pénitentiaire

SPIP : service pénitentiaire d’insertion et de probation

TIS : terroriste islamiste

UHSA : unité hospitalière spécialement aménagée

UMD : unité pour malades difficiles

USMP :  unité sanitaire en milieu pénitentiaire

UVF : unité de vie familiale


([1])  « […] En 2017 il me semble, certaines rumeurs circulaient en effet sur une libération anticipée, et la famille Érignac voulait connaître ma position et s’assurer que le meurtre du préfet restait bien présent dans mon esprit. Il y avait donc un contexte politique, des entretiens […] »

([2]) « Sur l’aspect politique de la gestion des DPS, vous vous demandiez s’il pouvait y avoir des zones d’influence, ou du moins des consignes lorsqu’on travaille à la DAP – je n’y ai pas travaillé. Les faits vous fournissent la réponse. Très peu de temps après le décès de M. Colonna, le statut de DPS de MM. Alessandri et Ferrandi a été levé alors qu’ils y avaient été soumis en raison, j’imagine, d’arguments forts mis en avant, comme pour M. Colonna. Il a donc fallu un décès, qui n’est pas totalement étranger à leur situation mais qui ne les concerne pas personnellement, pour que leur statut soit levé. Vous avez la réponse. »

([3]) Le parquet national antiterroriste a ouvert, le 6 mars 2022, une information judiciaire du chef de tentative d’assassinat en lien avec une entreprise terroriste, étendue par réquisitoire supplétif du 22 mars 2022 au chef d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste, à la suite du décès d’Yvan Colonna.

([4]) Audition du jeudi 16 mars 2023, compte rendu n° 23.

([5])  Rapport n° 4906 du 12 janvier 2022 de Mme Caroline Abadie au nom de la commission d’enquête visant à identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française : https://assnat.fr/KANa6r

([6]) L’article 9-1 du code civil dispose que « chacun a droit au respect de la présomption d’innocence ».

([7]) Le 4 juillet 2003, M. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, affirme que « la police vient d’arrêter Yvan Colonna, l’assassin du préfet Érignac ».

([8]) Cette cour d’assises est qualifiée de spéciale en raison de l’absence de jurés populaires parmi ses membres.

([9]) La Cour de cassation considère que la cour d’assises spéciale n’a pas répondu aux conclusions déposées le 13 février 2009 par la défense de l’accusé et constate qu’un témoin a été interrompu par les parties civiles ainsi que par le parquet pendant sa déposition spontanée à la barre.

([10]) Contrairement aux réquisitions du parquet, la peine de sûreté reste fixée à 18 ans, l’article 132-23 du code pénal disposant que « la durée de la période de sûreté est […] s’il s’agit d’une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, de dix-huit ans ».

([11])  Requête no 4213/13, Yvan COLONNA contre la France.

([12]) « La Cour relève qu’il existe en droit français des recours spécifiques dont M. Colonna pouvait faire usage, en particulier le recours spécialement prévu par l’article 9-1 du code civil qui protège la présomption d’innocence. De même, l’intéressé disposait de la possibilité d’engager une action civile fondée sur une atteinte à la présomption d’innocence commise par l’un des moyens visés par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, voire même une action en diffamation au moyen de cette même loi. Or, la Cour constate que M. Colonna n’a jamais – à une exception près – exercé les recours prévus par le droit interne. »

([13]) Audition du jeudi 13 avril 2023, compte rendu n° 31.

([14]) Dans l’affaire Khider contre France, la Cour européenne des droits de l’homme a ainsi pu condamner la France, le 9 juillet 2009, pour le traitement inhumain et dégradant infligé au détenu, classé détenu particulièrement signalé (DPS), en raison des effets combinés des fouilles et des transfèrements répétés.

([15]) À la question de M. Romain Baubry : « En 2013, [Yvan Colonna] a été transféré en urgence de la maison centrale d’Arles à la région parisienne. Quels sont les éléments qui auraient permis de penser qu’il préparait un projet d’évasion ? » le directeur de l’administration pénitentiaire a apporté la réponse suivante : « Aucun » (audition du jeudi 12 janvier 2023, compte rendu n° 3).

([16]) Mme Christiane Taubira est revenue sur cette question lors de son audition du mercredi 29 mars 2023 : « S’agissant de M. Colonna, j’ai été informée une seule fois, en juillet 2013, de son maintien dans le répertoire DPS, en raison d’une suspicion de préparation d’évasion, confirmée par plusieurs sources différentes » (compte rendu n° 28).

([17]) Idem.

([18]) Audition du jeudi 16 mars 2023, compte rendu n° 23. 

([19]) Audition du jeudi 12 janvier 2023, compte rendu n° 3.

([20]) Audition du jeudi 12 janvier 2023, compte rendu n° 3.

([21]) Observation Genesis du 27 janvier 2015.

([22]) Réponse écrite de Me Sylvain Cormier au questionnaire du rapporteur.

([23]) Audition du jeudi 16 mars 2023, compte rendu n° 23.

([24]) Idem.

([25]) Observation Genesis du 24 juin 2021.

([26]) Observation Genesis du 1er septembre 2015.

([27]) Observation Genesis du 28 septembre 2015.

([28]) Observation Genesis du 22 février 2017.

([29]) Observation Genesis du 4 décembre 2021.

([30]) Réponse écrite de M. Marc Ollier, directeur de la maison centrale d’Arles, au questionnaire du rapporteur.

([31]) Observation Genesis du 24 novembre 2020.

([32]) Observation Genesis du 8 mars 2021.

([33]) Lors de son audition, M. Jean-François Ricard a indiqué que « M. Elong Abé a expliqué avoir commis son acte car il considérait que M. Colonna avait proféré un certain nombre de blasphèmes au cours des derniers mois à l’encontre de Dieu. Il avait souligné une phrase qui aurait été prononcée au cours des tout derniers jours par M. Colonna, déclarant qu’"il crachait sur Dieu" » (audition du mercredi 1er février, compte rendu n° 11).

([34]) Les échanges qui se sont tenus avec les surveillants lors du déplacement à la maison centrale d’Arles n’ont pas fait l’objet d’un compte rendu. Ce constat a néanmoins été partagé par le surveillant auditionné le mercredi 29 mars 2023 : « Pour moi, M. Colonna était quelqu’un de très correct. Mal parler de la religion ou blasphémer n’était pas son genre, d’autant qu’il connaissait les convictions religieuses de M. Elong Abé. J’ajoute que, au moment des faits, il était en train de faire de la musculation et non de discuter. À mes yeux, cette thèse n’a aucun sens » (compte rendu n° 27). Lors de son audition, Mme Corinne Puglierini a elle aussi fait part de ses interrogations, estimant que « ce n’était […] pas le style d’Yvan Colonna de blasphémer » (audition du mercredi 11 janvier 2023, compte rendu n° 2).

([35]) Réponses écrites du PNAT au questionnaire du rapporteur.

([36]) Articles 730-2 et D. 527-1 du code de procédure pénale.

([37]) Audition du 13 février 2023, compte rendu n° 16.

([38]) À ce titre, M. François Pupponi indiquait, lors de la même audition « qu’il lui aurait été demandé de reconnaître et d’assumer sa culpabilité, il rappelait que cela faisait 25 ans qu’il répétait ne pas avoir tué le préfet Érignac ».

([39]) Audition du 13 février 2023, compte rendu n° 16.

([40]) Soit environ 0,3 % de la population détenue.

([41]) Article D. 223-11 du code pénitentiaire.

([42]) Circulaire du 15 octobre 2012 relative à l’instruction ministérielle relative au répertoire des détenus particulièrement signalés.

([43]) Circulaire du 11 janvier 2022 relative à l’instruction ministérielle relative au répertoire des détenus particulièrement signalés.

([44]) Le PNAT a été créé le 1er juillet 2019.

([45]) Circulaire du 18 décembre 2007 d’application de l’instruction ministérielle relative au répertoire des détenus particulièrement signalés.

([46]) Audition du mercredi 18 janvier 2022, compte rendu n° 5.

([47]) Audition du mercredi 29 mars 2023, compte rendu n° 29.

([48]) L’intervention du Premier ministre sur cette question s’explique par le déport du garde des Sceaux. En effet, en application de l’article 1er du décret n° 2022-847 du 2 juin 2022 pris en application de l’article 2-1 du décret n° 59-178 du 22 janvier 1959 relatif aux attributions des ministres, le garde des Sceaux, ministre de la justice ne connaît pas des actes de toute nature relevant des attributions fixées par le décret n° 2022-829 du 1er juin 2022 relatif aux attributions du garde des Sceaux, ministre de la justice relatifs « aux conditions d’exécution des peines et au régime pénitentiaire de personnes condamnées qui ont été, directement ou indirectement, impliquées dans les affaires dont il a eu à connaître en sa qualité d’avocat ou dont le cabinet Vey a à connaître ».

([49]) Audition du mercredi 8 mars 2023, compte rendu n° 21.

([50]) Jugement n° 1302373 du 16 octobre 2014.

([51] « Si la ministre de la justice fait valoir en défense que [la commission locale] a rendu un avis favorable au maintien de l’inscription le 14 décembre 2011, elle ne produit pour en justifier qu’un document non signé, dépourvu de tout élément d’identification de son auteur et de toute référence à une réunion de la commission locale, rappelant le passé judiciaire de l’intéressé et les motifs d’une proposition de maintien, auquel a été annexé un avis favorable du chef de l’établissement pénitentiaire daté du 12 octobre 2011, soit à une date antérieure de deux mois à celle de la réunion supposée ; que si la ministre fait valoir que le document en cause constitue la synthèse des avis formulés par les membres de la commission, sa teneur, comme son caractère anonyme, ne permettent pas d’attester d’une réunion préalable effective en vue d’émettre un avis […] ; que l’avis rendu par la commission nationale le 15 décembre 2011 ne fait d’ailleurs aucune référence à l’avis prétendument rendu la veille par la commission locale, pas plus que la décision litigieuse du 3 avril 2012 ; que dans ces conditions, il n’est pas établi que la commission locale se serait effectivement régulièrement réunie le 14 décembre 2011 » (idem).

([52]) Audition du mercredi 8 mars 2023, compte rendu n° 21.

([53]) Concernant, par exemple, le classement au travail, le Conseil d’État a estimé que l’administration pénitentiaire ne tenait « d’aucun texte compétence pour établir des modalités particulières d’exercice des activités par une catégorie de détenus en prescrivant de refuser en toute circonstance la participation des détenus particulièrement surveillés au service général » (décision du 30 décembre 2015, n° 383294).

([54]) Il est précisé sur la note de gestion individuelle d’Yvan Colonna que la précédente version datait de 2019.

([55]) Circulaire du 11 janvier 2022 précitée.

([56]) Audition du mercredi 15 mars 2023, compte rendu n° 22.

([57]) Pour rappel, les terroristes représentent 23 % des DPS.

([58]) Audition du mercredi 29 mars 2023, compte rendu n° 29.

([59]) Ibid.

([60]) Conseil d’État, 10e et 9e sous-sections réunies, 30 novembre 2009, n° 318589.

([61]) Tribunal administratif de Marseille, requête n° 2000091.

([62]) Audition du jeudi 16 février 2023, compte rendu n° 16.

([63]) Voir II de la présente partie.  

([64]) Audition du mercredi 8 mars 2023, compte rendu n° 21.

([65]) Audition du jeudi 16 février 2023, compte rendu n° 16.

([66]) Audition du mercredi 29 mars 2023, compte rendu n° 29.

([67]) « Nous l’avons vu pour les Basques : le changement de positionnement de l’administration est intervenu dans le cadre d’un processus politique que nous connaissons tous et qui a été impulsé par une volonté politique » (M. Ludovic Friat, président de l’Union syndicale des magistrats, audition du mercredi 15 mars 2023, compte rendu n° 22).

([68]) Audition du jeudi 12 janvier 2023, compte rendu n° 3.

([69]) Ces détenus ne sont pas classés DPS.

([70]) Quartier centre de détention.

([71]) Le régime « portes ouvertes » consiste à laisser les portes des cellules ouvertes pour permettre la circulation des détenus. Si la majorité des unités de détention du quartier maison d’arrêt sont gérées selon ce régime (à la différence de la maison centrale d’Arles, par exemple, où les cellules sont maintenues fermées), l’application temporaire du régime « portes fermées » – en vertu duquel les cellules sont constamment closes – a révélé qu’un certain nombre de surveillants ne savaient plus comment travailler sous celui-ci.

([72]) Le rapporteur a pu consulter une relance d’appel d’offres arrivant à échéance en février 2023, suite à l’infructuosité de la première consultation, concernant les travaux de mise en place d’un système de vidéosurveillance sur l’ensemble du centre pénitentiaire.

([73]) La circulaire DPS n’impose pas l’affectation en maison centrale des détenus inscrits au répertoire. Selon les informations recueillies par le rapporteur, Borgo a d’ailleurs accueilli par le passé des détenus DPS. La double évasion de Joseph Menconi, détenu DPS, en 1998 et 2003, avait néanmoins mis en lumière les failles de sécurité de l’établissement.  

([74]) Audition du jeudi 12 janvier 2023, compte rendu n° 3.

([75]) Audition du jeudi 16 février 2023, compte rendu n° 16.

([76]) Réponses écrites du PNAT.  

([77]) Audition du mercredi 8 février 2023, compte rendu n° 13.

([78]) Audition du mercredi 8 mars 2023, compte rendu n° 21.

([79]) Idem.

([80]) « Pour barbare qu’elle ait été, l’agression d’Yvan Colonna, n’a pas pu constituer une sorte "d’ardoise magique " à cet égard ».

([81]) Audition du mercredi 15 mars 2023, compte rendu n° 22.

([82]) Idem.

([83]) Audition du jeudi 12 janvier 2023, compte rendu n° 3.

([84]) Rapport au Gouvernement de la République française relatif à la visite effectuée en France par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du 15 au 27 novembre 2015

([85]) Voir le 4 du présent I.

([86]) Audition du mercredi 15 mars 2023, compte rendu n° 22.

([87]) Audition du mercredi 15 mars 2023, compte rendu n° 22.

([88]) Audition du mardi 7 mars 2023, compte rendu n° 18.

([89]) Audition du jeudi 16 mars 2023, compte rendu n° 23.

([90]) Observation Genesis du 15 novembre 2017.

([91]) Audition du mercredi 8 mars 2023, compte rendu n° 21.

([92]) Audition du jeudi 16 février 2023, compte rendu n° 16.

([93]) Audition du jeudi 16 mars 2023, compte rendu n° 23.

([94]) Audition du mercredi 8 mars 2023, compte rendu n° 21.

([95]) Ibid.

([96]) Lors de son audition, M. Stéphane Bredin a ainsi avancé l’argument suivant : « Je sais bien que comparaison n’est pas raison, mais je vais prendre l’exemple de deux détenus dont le statut de DPS a été maintenu en raison du trouble exceptionnel à l’ordre public qui résulterait de leur évasion, même si ce risque est faible : je pense à Carlos, qui est incarcéré à Poissy et qui est DPS depuis plusieurs décennies, essentiellement pour cette raison. Je pense aussi à Michel Fourniret, qui a été inscrit au registre des DPS jusqu’à sa mort » (audition du mercredi 29 mars 2023, compte rendu n° 29).

([97]) Audition du mercredi 8 mars 2023, compte rendu n° 21.

([98]) Idem.

([99]) Audition du mercredi 15 mars, compte rendu n° 22.

([100]) Audition du mardi 28 mars 2023, compte rendu n° 26.

([101]) Audition du jeudi 16 mars 2023, compte rendu n° 23.

([102]) Ce point a été soulevé par Me Françoise Davideau lors de la même audition du jeudi 16 mars 2023.

([103]) Audition du mercredi 29 mars, compte rendu n° 29.

([104]) L’article L. 231-8 du code pénitentiaire dispose en effet que « lorsqu’une personne détenue est placée à l’isolement, elle peut saisir le juge des référés en application de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ».

([105]) Le jugement du tribunal correctionnel de Paris du 20 avril 2016 est à ce titre particulièrement éclairant.

([106]) Il a grandi dans une famille de confession protestante.  

([107]) Le rapporteur renvoie notamment aux auditions du directeur général de la sécurité intérieure (audition du mercredi 25 janvier 2023, compte rendu n° 7), du procureur de la République antiterroriste (audition du mercredi 1er février 2023, compte rendu n° 11) et du directeur général de la sécurité extérieure (audition du mercredi 8 mars 2023, compte rendu n° 20).

([108]) Lors de son audition, M. Jean-François Ricard a précisé qu’à « cette période, les individus venant de France ayant rejoint l’Afghanistan sont extrêmement peu nombreux. Si on a pu en compter un certain nombre – plusieurs dizaines – dans les années 1990, on n’en dénombre que quatre ou cinq, au maximum, dans les années 2012 » (ibid).

([109]) Audition de M. Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure (ibid).

([110]) Cela a été précisé par les auditions du directeur général de la sécurité intérieure et du directeur général de la sécurité extérieure.

([111]) Le jugement mentionne spécifiquement des combats dirigés contre une « Forward operational base » (FOB), base opérationnelle avancée américaine, de la province du Logar au sud de Kaboul.

([112]) Ce point a été confirmé par M. Bernard Emié, directeur général de la sécurité extérieure (audition du mercredi 8 mars 2023, compte rendu n° 20).

([113]) Le jugement mentionne cette dénégation tout en relevant que Franck Elong Abé ne pouvait ignorer les liens qui unissent les organisations sur place.   

([114]) Jugement du 20 avril 2016.

([115]) TNT, PETN, RDX et chlorate.  

([116]) Jugement du 20 avril 2016. 

([117]) Observation Genesis du 24 octobre 2019.

([118]) M. Joseph Paoli, secrétaire général national adjoint du Syndicat pénitentiaire des surveillants non gradés (SPS), audition du mercredi 15 février 2023, compte rendu n° 15. Cette information est à mettre en lien avec un changement général de comportement relevé à l’été 2021 par les observations Genesis, notamment celles du 7 juillet et du 12 août.

([119]) Commission pluridisciplinaire unique dangerosité du 24 janvier 2022, selon les informations transmises au rapporteur par le service pénitentiaire d’insertion et de probation des Bouches-du-Rhône.

([120]) Observation Genesis du 6 octobre 2020.

([121]) Audition du mercredi 11 janvier 2023, compte rendu n° 2.

([122]) Mesure sans lien, donc, avec le précédent transfert en UHSA au sein du même établissement.

([123]) Commission de discipline du 11 juillet 2018.

([124]) Idem.

([125]) Audition du lundi 30 janvier 2023, compte rendu n° 10.

([126]) Franck Elong Abé est condamné par la cour d’appel de Caen, le 26 février 2020 à une peine de neuf mois d’emprisonnement pour des faits de dégradations par moyen dangereux commis en cellule.

([127]) Voir B du présent II.

([128]) Voir également l’audition du mercredi 15 mars 2023, compte rendu n° 22.

([129]) Ce constat est notamment fondé sur le dimensionnement de l’équipe psychiatrique de la maison centrale que la docteure Christine-Dominique Bataillard, chef de pôle, a qualifié de « petite » devant la commission, celle-ci comprenant théoriquement un équivalent temps plein (ETP) de médecin psychiatre, un ETP de psychologue et trois ETP d’infirmiers (audition du mercredi 22 mars 2023, compte rendu n° 24).

([130]) Comptes rendus de réunion nos 55 et 56.

([131]) Observation Genesis du même jour. Il ne sera cependant pas donné suite à cette observation émanant d’un détenu au profil instable. C’est ce qui explique que le délégué local au renseignement pénitentiaire (DLRP) ait déclaré avoir dénombré cinq incidents « mais [que] quatre seulement [aient] fait l’objet d’une commission de discipline, les faits étant avérés » (audition du mardi 17 janvier 2023, compte rendu n° 4).

([132]) Observation Genesis du 22 octobre 2020.

([133]) Observation Genesis du 21 avril 2021.

([134]) Observation Genesis du 4 mai 2021.

([135]) Lors de son audition du mercredi 18 janvier 2023, Mme Camille Hennetier, cheffe du SNRP, a évoqué une  note d’alerte qui signale, en avril 2018, « un phénomène de regroupement au QI de Vendin-le-Vieil, entre des détenus TIS et des détenus radicalisés, parmi lesquels figurent Franck Elong Abé et Smaïn Aït Ali Belkacem » dont le SNRP s’est inquiété (compte rendu n° 5).

([136]) M. Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure, a indiqué : « Les éléments en ma connaissance laissent penser qu’ils se sont fréquentés avant le transfert de Franck Elong Abé à Arles, qu’ils sont restés en contact ensuite – même si je ne sais pas de quand sont datées les lettres retrouvées » (audition du mercredi 25 janvier 2023, compte rendu n° 7). Pour le DLRP, « lorsqu’ils étaient dans des établissements distincts : par le biais du vaguemestre, on a réceptionné des correspondances – de mémoire, un courrier entrant et un courrier sortant » (audition du jeudi 23 mars, compte rendu n° 25).

([137]) Smaïn Aït Ali Belkacem est transféré de la maison centrale de Saint-Maur à la maison centrale d’Arles le 21 octobre 2021. Il la quitte pour le centre pénitentiaire de Moulins-Yzeure le 13 juin 2022.

([138]) Smaïn Aït Ali Belkacem a été maintenu pendant toute la période à l’isolement. Le délégué local au renseignement pénitentiaire a indiqué : « Lorsque Smaïn Aït Ali Belkacem et Franck Elong Abé se sont trouvés tous deux à la maison centrale d’Arles, il n’y a pas eu, à ma connaissance, de contacts entre eux […] Le détenu Smaïn Aït Ali Belkacem était au quartier d’isolement et le détenu Franck Elong Abé, à l’étage en dessous, mais leurs fenêtres ne donnaient pas sur la même façade » (audition du jeudi 23 mars 2023, compte rendu n° 25). L’ancien premier surveillant de la maison centrale a quant à lui indiqué : « Comme Smaïn Aït Ali Belkacem était au quartier d’isolement et Franck Elong Abé à l’étage juste en dessous, il se peut qu’ils aient échangé par la fenêtre. Ils peuvent avoir eu des échanges verbaux » (audition du jeudi 13 avril 2023, compte rendu n° 32).

([139]) Sauf mention contraire, le rapport de l’IGJ auquel il est fait référence est celui de l’inspection de fonctionnement à la maison centrale d’Arles suite à l’agression d’Yvan Colonna, publié en juillet 2022 : https://www.gouvernement.fr/upload/media/content/0001/03/b7b96024834f8d138fb006a0e6d61438c689df86.pdf

([140]) Lors de son audition, M. Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure, a ainsi indiqué qu’au moment de l’arrestation de Franck Elong Abé, le service était « convaincu de son extrême dangerosité, [notamment] en raison de son état mental » (audition du mercredi 8 mars 2023, compte rendu n° 20).

Lors de son audition, le surveillant activités de la maison centrale d’Arles a lui aussi étayé ce constat : « Nous ne pouvons pas prévoir les réactions de tous les détenus, d’autant que nous avons de plus en plus de détenus "psy". Les détenus comme M. Elong Abé sont imprévisibles ; j’évite de leur tourner le dos » (audition du mercredi 29 mars, compte rendu n° 27).

([141]) Information transmise par écrit par le service pénitentiaire d’insertion et de probation des Bouches-du-Rhône.

([142]) Demande de réduction supplémentaire de peine, PNAT, 2020.

([143]) Rapport de prolongation de l’isolement, directrice de la maison centrale d’Arles, 6 avril 2020.

([144]) Idem.

([145]) Observation Genesis du 31 août 2021.

([146]) Observation Genesis du 30 octobre 2020.

([147]) Observation Genesis du 28 février 2022, soit l’avant-veille de l’agression mortelle.

([148]) Compte rendu professionnel du 21 mars 2022 et audition du mardi 4 avril 2023 (compte rendu n° 30).

([149]) « Lorsque, à l’occasion de procédures séparées, la personne poursuivie a été reconnue coupable de plusieurs infractions en concours, les peines prononcées s’exécutent cumulativement dans la limite du maximum légal le plus élevé. »

([150]) Les sept peines non exécutées avant son séjour en zone afghano-pakistanaise et ses condamnations pour AMT et pour les faits commis à l’UHSA de Lille-Loos-Sequedin.

([151]) Crim., 3 juillet 1861, Bull. crim. 1861 n° 145.

([152]) Arrêt du 9 novembre 2021.

([153]) Loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales.

([154]) Loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste et loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.

([155]) CPU du 24 janvier 2022.

([156]) Audition du mercredi 1er février, compte rendu n° 11.

([157]) Loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.

([158]) Loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement.

([159]) Décret n° 2022-358 du 14 mars 2022 relatif à la mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion.

([160]) L’enjeu général du suivi en milieu ouvert des TIS sera plus spécifiquement abordé dans la seconde partie.

([161]) Réponses écrites transmises au rapporteur.  

([162]) Loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.

([163]) Audition du jeudi 26 janvier 2023, compte rendu n° 8.

([164]) Audition de Mme Marie-Anne Ganay et de M. Jean Cauvé du mercredi 8 février 2023, compte rendu n° 13.

([165]) Selon les éléments écrits transmis par la DAP, le chef d’établissement et le chef de détention excluent l’affectation au QER de Vendin-le-Vieil, Franck Elong Abé « verbalisant une rupture avec l’établissement ». 

([166]) Voir 2.

([167]) Lors de son audition, M. Stéphane Bredin a rappelé que « compte tenu de son profil, le seul QER vers lequel nous aurions pu l’orienter, le plus sécurisé à l’époque, était celui de Vendin-le-Vieil. Or il était hors de question de le renvoyer dans un établissement dont il avait été exclu » (audition du mercredi 29 mars 2023, compte rendu n° 29).

([168]) Ainsi que cela a été évoqué par M. Naoufel Gaied lors de l’audition du mardi 28 février 2023 (compte rendu n° 17), trois rencontres ont été réalisées début 2021, Franck Elong Abé ayant par la suite refusé les entretiens qui lui ont été proposés.

([169]) Voir 3.

([170]) La dernière annexe (« Rôle des acteurs pour l’orientation en QER ») de la note DAP du 17 juillet 2021 relative à la procédure d’orientation des personnes détenues en QER prévoyait en effet qu’à l’issue de la CPU, le chef d’établissement et le SPIP réalisent soit deux rapports distincts, soit un rapport conjoint pour engager la procédure d’orientation.

([171]) Audition du mardi 24 janvier 2023, compte rendu n° 6.

([172]) Selon les informations transmises par la DAP au rapporteur, au premier trimestre 2022, la CCS n’avait pas suivi la préconisation de la CPU et de la DISP pour l’orientation de quatre TIS en raison du risque majeur de passage à l’acte violent en cas de sortie de l’isolement.

([173]) Audition du mardi 28 février 2023, compte rendu n° 17.

([174]) Avis du chef de détention relevé par le rapport de l’IGJ.

([175]) Audition du mercredi 22 mars 2023, compte rendu n° 24.

([176]) Ibid.

([177]) Ainsi que cela a été confirmé par le chef de la MLRV (audition du mardi 28 février 2023, compte rendu n° 17), il n’est pas nécessaire de recueillir l’adhésion de la personne détenue pour l’orienter en QER. L’évaluation peut être réalisée contre son gré, même s’il apparaît préférable que le détenu soit consentant afin qu’elle puisse être la plus complète possible.

([178]) Premier alinéa du II de l’article R. 57-7-84-13 du code de procédure pénale.

([179]) Audition du mercredi 11 janvier 2023, compte rendu n° 2.

([180]) Voir c du 3 du présent B.

([181]) Décret n° 2019-1579 du 31 décembre 2019 modifiant le code de procédure pénale et relatif aux quartiers de prise en charge de la radicalisation.

([182]) Ces dispositions ont été transférées aux articles R. 224-13 à R. 224-25 du code pénitentiaire.

([183]) « Le cas échéant, l’affectation et le transfèrement de la personne détenue sont effectués conformément aux dispositions des articles L. 112-3, L. 211-1, L. 211-2, L. 211-3, D. 112-5, D. 112-10, D. 211-18 à D. 211-31 et D. 215-12 à D. 215-18. »

([184]) Audition du mercredi 8 février 2013, compte rendu n° 14.

([185]) Avis mentionné dans le rapport de l’IGJ.

([186]) Avis transmis au rapporteur par le PNAT.

([187]) Notamment, le rapport de l’IGJ indique que la DAP a justifié cette décision « au vu des avis émis notamment par l’autorité judiciaire et compte-tenu du risque de déstabilisation de la session ».

([188]) M. Stéphane Bredin, audition du mercredi 29 mars 2023, compte rendu n° 29.

([189]) Voir compte rendu de l’audition.

([190]) Dans ses éléments de réponse écrits, M. Stéphane Bredin conclut ainsi son propos, après avoir notamment précisé au rapporteur qu’il a fait appel à la directrice adjointe mentionnée dans le rapport de l’IGJ pour appuyer Mme Puglierini dans la conduite du dialogue social, rugueux, au sein de l’établissement et non pour remédier à une quelconque carence qui aurait été identifiée dans la gestion de la détention et de la sécurité de l’établissement : « Il est donc faux de dire que la directrice n’a pas ma confiance en octobre 2019 lorsque Elong Abé est transféré dans son établissement et en tout état de cause, il est réducteur de considérer qu’un tel profil n’aurait pas dû être orienté vers Arles au seul motif des insuffisances supposées de la cheffe d’établissement qui n’excédaient pas, de la connaissance que j’en avais alors, la problématique du dialogue social ».

([191]) Voir le b du 3.

([192]) Mme Corinne Puglierini, audition du mercredi 11 janvier 2023, compte rendu n° 2.

([193]) M. Stéphane Bredin, audition du mercredi 29 mars 2023, compte rendu n° 29.

([194]) Audition du mercredi 15 février 2023, compte rendu n° 15.

([195]) Cela se manifeste notamment par son classement comme auxiliaire au service général. Il en sera question dans la section C.

([196]) Lors de son audition, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté a d’ailleurs invité la commission à relativiser le rôle de sas joué par le QSI entre l’isolement et la détention ordinaire. Pour elle, le QSI « est en réalité un quartier d’isolement alternatif, qui ne prépare ni à la sortie ni à intégrer une détention normale » (audition du mercredi 22 mars 2023, compte rendu n° 24).

([197]) « Les mesures d’isolement dont il a fait l’objet pendant un certain temps ont certainement joué. Mettre quelqu’un à l’isolement, cela nous arrange en termes de sécurité, mais je ne crois pas que cela arrange le psychisme d’un homme. Être enfermé dans une cellule vingt-deux heures sur vingt-quatre, c’est difficile sur le long terme » (audition du jeudi 13 avril 2023, compte rendu n° 32). 

([198]) Audition du mercredi 8 mars 2023, compte rendu n° 20.

([199]) « Le terme "schizophrène" me parle. Il me semble l’avoir lu quelque part, sans pouvoir dire où » (audition du jeudi 23 mars 2023, compte rendu n° 25).

([200]) Audition du mercredi 22 mars 2023, compte rendu n° 24.

([201]) Mme Françoise Jeanjaquet, première vice-présidente et tribunal judiciaire de Paris, coordinatrice du service d’application des peines antiterroriste, audition du mercredi 8 février 2023, compte rendu n° 13.

([202]) Audition du mercredi 1er février 2023, compte rendu n° 11.

([203]) Et ce, malgré ce que Mme Corinne Puglierini a affirmé lors de son audition par la commission des Lois le mercredi 30 mars 2022 : « Compte tenu des éléments dont nous disposions, nous ne craignions pas un passage à l’acte en détention mais nous devions surtout préparer sa sortie, dont nous pouvions légitimement être inquiets puisque l’intéressé n’avait pas de réel projet. Lors d’une des dernières réunions de la CPU " dangerosité ", j’ai donc demandé que M. Elong Abé puisse bénéficier de cette évaluation. La direction interrégionale a étudié ensuite cette demande, qui est remontée à la direction de l’administration pénitentiaire afin que la mission de lutte contre la radicalisation violente examine l’issue qu’il convient de lui donner. »

([204]) Sur ce point, le chef de la CIRP de Marseille a émis, lors de son audition, la même appréciation erronée : « En tant que DSP, lorsque je vois un individu qui revient de zone de guerre où il a combattu dans les rangs des talibans et qui, en détention, est très ancré dans une pratique très rigoriste de la religion, mon évaluation de sa radicalisation est déjà faite sans qu’il soit forcément besoin d’un passage en QER » (audition du jeudi 23 mars 2023, compte rendu n° 25).

([205]) Audition du mercredi 11 janvier 2023, compte rendu n° 2.

([206]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([207]) Audition du mercredi 11 janvier 2023, compte rendu n° 2.

([208]) Audition du mercredi 29 mars 2023, compte rendu n° 29.

([209]) Cette opposition, intervenue dans le cadre spécifique d’une instruction judiciaire, ne doit pas être confondue avec le cadre d’intervention pour avis de l’autorité judiciaire dans le cas de Franck Elong Abé. La DAP a indiqué au rapporteur avoir identifié six situations de détenus non orientés en QER pour lesquels les magistrats du siège et du parquet avaient émis un avis défavorable.

([210]) Le cas d’Hussen Aroua a été soulevé par Mme Marie-Anne Ganaye, directrice pénitentiaire d’insertion et de probation, lors de son audition du 8 février 2023 (compte rendu n° 13).

([211]) L’administration pénitentiaire a été saisie de son cas selon la même procédure hétérodoxe que celle qui a été précédemment présentée concernant Franck Elong Abé. Cela a été confirmé par le chef de la MLRV (audition du mercredi 28 février 2023, compte rendu n° 17).

([212]) Audition du jeudi 23 mars 2023, compte rendu n° 25.

([213]) Audition du mardi 7 février 2023, compte rendu n° 12.

([214]) Audition du mercredi 15 février 2023, compte rendu n° 15.

([215]) Sur l’ensemble des 414 TIS, inscrits ou non au répertoire des DPS, 68 étaient classés au travail : 52 en atelier et 16 au service général.

([216]) Le classement au service général des TIS inscrits au répertoire DPS n’étant pas prohibé, les précédents existent néanmoins, par exemple le classement du même individu, à Vendin-le-Vieil, du 30 août 2017 au 23 juillet 2018, mais dans le contexte qui précède les graves incidents de 2019.

([217]) Audition du mercredi 29 mars 2023, compte rendu n° 29.

([218]) Audition du mardi 24 janvier 2023, compte rendu n° 6.

([219]) Audition du jeudi 23 mars 2023, compte rendu n° 25.

([220]) « Ce renseignement m’est arrivé par des membres du personnel de la détention qui l’ont fait remonter à leur hiérarchie comme je l’ai fait à la mienne. Plus précisément, cette information m’a été communiquée par un détenu qui présente de très forts troubles psychiatriques, qui était en conflit de longue date avec Franck Elong Abé, faisait souvent des déclarations à son sujet puis revenait quelques jours plus tard sur les propos qu’il avait tenus, si bien qu’il était très difficile pour moi de donner de la crédibilité à cette information. Les autres membres du personnel, tous grades confondus, à qui ce détenu a donné la même information ont fait, à ma connaissance, la même analyse » (audition du mardi 17 janvier 2023, compte rendu n° 4).

([221]) La DAP a précisé au rapporteur que le classement de Franck Elong Abé comme auxiliaire polyvalent du bâtiment A avait été refusé du fait de son statut de DPS.  

([222]) « Le Contrôle général est profondément attaché à ce qu’aucun détenu ne soit exclu de ce statut. Il serait terrible que le cas que vous examinez conduise à remettre en cause l’ensemble de la situation » (audition du mercredi 22 mars 2023, compte rendu n° 24).

([223]) Il convient cependant de noter que la jurisprudence du Conseil d’État n’exclut pas formellement cette possibilité.   

([224]) Audition du mercredi 11 janvier 2023, compte rendu n° 2. M. Ollier précise néanmoins qu’il « n’avait jamais pensé à cette question », semblant dès lors indiquer que la procédure n’est pas réellement formalisée s’agissant du classement des détenus.

([225]) Audition du mercredi 15 février 2023, compte rendu n° 15.

([226]) Audition du mercredi 15 février 2023, compte rendu n° 15.

([227]) S’il en sera question ultérieurement, le rapporteur mentionne dès à présent ce constat de M. Marc Ollier à propos du bâtiment B de la maison centrale d’Arles : « Du fait de notre système complexe d’heures de travail, il faudrait cinq agents supplémentaires pour qu’un agent soit présent en permanence dans chaque aile » (audition du mercredi 11 janvier 2023, compte rendu n° 2).

([228]) Décret n° 2019-1427 du 23 décembre 2019 relatif aux conditions de l’expérimentation de l’usage des caméras individuelles par les personnels de surveillance de l’administration pénitentiaire dans le cadre de leurs missions.

([229]) Le programme 13 000 est un programme de construction de 25 établissements pénitentiaires neufs dont l’objectif était de répondre au manque de places en détention.

([230]) Loi n° 87-432 du 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire.

([231]) Contrôleur général des lieux de privation de liberté, rapport de visite de la maison centrale d’Arles, septembre 2013.

([232]) M. Stéphane Bredin, audition du mercredi 29 mars 2023, compte rendu n° 29.

([233]) Contrôleur général des lieux de privation de liberté, rapport de visite de la maison centrale d’Arles, septembre 2013.

([234]) M. Stéphane Bredin, audition du mercredi 29 mars 2023, compte rendu n° 29.

([235]) Idem.

([236]) Audition du jeudi 16 février 2023, compte rendu n° 16.

([237]) Il y avait 4 TIS au total dans la maison centrale au moment des faits, tous les TIS n’étant pas inscrits au répertoire DPS.

([238]) D’après les éléments transmis par la DAP.

([239]) Le directeur de l’établissement a toutefois indiqué que la maison centrale allait probablement accueillir prochainement des TIS.

([240]) Réponses écrites de la DAP.

([241]) Mme Christine-Dominique Bataillard, audition du mercredi 22 mars 2023, compte rendu n° 24.

([242]) Audition du jeudi 23 mars, compte rendu n° 25.

([243]) Rapport de l’IGJ.

([244]) Contrôleur général des lieux de privation de liberté, rapport de visite de la maison centrale d’Arles, septembre 2013.

([245]) Cette question sera abordée en seconde partie.

([246]) Propos recueillis par le rapporteur lors du déplacement du 27 février 2022 et relayés en audition par M. Thomas Forner, secrétaire local de l’UFAP-UNSa Justice : « vous avez eu ce jour-là une image un peu particulière de l’établissement. Ayant probablement eu l’occasion de visiter d’autres établissements pénitentiaires, vous n’êtes sans doute pas dupes » (audition du mercredi 29 mars 2023, compte rendu n° 27).

([247]) En audition, M. Thomas Forner a livré ce témoignage : « J’ai été affecté en 2012 à la maison centrale d’Arles. Depuis, nous avons connu des prises d’otages, des tentatives de meurtre, tant sur le personnel que les détenus. Pour autant, la réaction de l’administration et de la hiérarchie a été proche de zéro. Malgré les multiples incidents, nous n’avions pas plus de moyens avant le décès de M. Colonna qu’en 2012. L’état de la centrale n’a fait que se dégrader » (audition du mercredi 15 février 2023, compte rendu n° 15).

([248]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([249]) Extraits de l’audition du mercredi 15 février 2022 (compte rendu n° 15) :

 M. Jean-Michel Dejenne, secrétaire général du Syndicat national des directeurs pénitentiaires CFDT : « Je ne sais pas ce qu’est une gestion laxiste. Je comprends que les organisations syndicales puissent adresser des reproches à une direction, mais je n’ai pas pour habitude de commenter les expressions syndicales, que nous intégrons dans notre quotidien et que nous respectons. Je suis un peu en difficulté par rapport à la qualification que vous avez évoquée car je ne sais pas vraiment ce qu’est une gestion laxiste. »

 M. Philippe Lamotte, secrétaire national SNP FO Direction : « Les directeurs d’établissement sont plus ou moins stricts dans la gestion de leur établissement, mais une gestion plus souple n’est pas en soi mauvaise. Le paysage pénitentiaire est extrêmement hétérogène. Pour certains établissements, il faut des « mains de fer », pour d’autres, plus de souplesse. Par ailleurs, chaque directeur a sa propre personnalité. En tout état de cause, une gestion souple n’est pas plus mauvaise qu’une gestion stricte. »

([250]) Audition du mercredi 29 mars 2023, compte rendu n° 27.

([251])  Réponses écrites de l’UFAP-UNSa Justice.

([252])  Contrôleur général des lieux de privation de liberté, rapport de visite de la maison centrale d’Arles, juillet 2018.

([253]) Idem.

([254])  Audition du 15 février 2023, compte rendu n° 15.

([255]) Mme Christine-Dominique Bataillard, audition du mercredi 22 mars 2023, compte rendu n° 24.

([256]) Table ronde réunissant les représentants des organisations syndicales des personnels de surveillance de l’administration pénitentiaire, audition du 15 février 2023, compte rendu n° 15.

([257]) Il convient par exemple de relever que Mme Puglierini a été faite chevalière de la Légion d’honneur le 6 avril 2012, M. Stéphane Bredin ayant indiqué au rapporteur qu’il s’agissait « d’une distinction – très – rarement attribuée au sein de la pénitentiaire à un cadre de son niveau ».

([258]) Réponse au questionnaire adressé par le rapporteur.

([259]) Le rapport de l’IGJ évoque notamment une équipe de direction excessivement cloisonnée.

([260]) Lors de son audition, M. Laurent Ridel a indiqué avoir écrit à vingt-cinq directeurs d’établissement pour leur indiquer que leur mandat avait atteint six ans (audition du jeudi 12 janvier 2023, compte rendu n° 3). 187 établissements pénitentiaires étaient dénombrés au 1er juin 2022.

([261]) Lors de son audition, M. Bruno Questel avait fait part d’une incompréhension a priori tout à fait légitime : « Je ne comprends pas comment une maison centrale peut être laissée plus de quinze jours sans directeur, puisque le nouveau directeur n’est arrivé que quarante-huit heures avant la commission des faits. Une maison centrale est l’établissement le plus organisé et le plus structuré car il accueille les personnes condamnées pour les faits les plus graves. L’adjointe de la directrice était âgée de 26 ou 27 ans » (audition du jeudi 16 février 2023, compte rendu n° 16).

([262]) Réponses écrites du SNEPAP-FSU.

([263]) Audition du mercredi 29 mars 2023, compte rendu n° 29.

([264]) Réponses écrites adressées au rapporteur.

([265]) Il convient de préciser que le rapporteur n’a pas sollicité la transmission des images de vidéosurveillance de l’agression mortelle et ne les a pas visionnées. Les éléments dont il est en mesure de faire état résultent des autres pièces qu’il a pu rassembler dans le cadre de son travail d’enquête.

([266]) Cette salle correspond au 3 sur le plan ci-après.

([267]) La salle de cardio training correspond au 1 sur le plan ci-après.

([268]) Le bureau du surveillant correspond au 2 sur le plan ci-après.

([269]) Le surveillant activités a apporté cette précision : « Concernant le bruit, les portes sont assez épaisses et les oculus ne sont pas grands. Dans la première salle de musculation, qui est plus proche du PIC où je me trouvais, deux détenus étaient en train de s’entraîner. J’ai donc entendu les bruits des appareils de musculation et, quand je me suis rendu dans la deuxième aile, il y avait des mouvements de détenus et des conversations, mais rien d’anormal. Si j’avais entendu le moindre bruit anormal je me serais évidemment précipité vers le lieu concerné. Les détenus qui se trouvaient presque en face de la salle ont d’ailleurs dit qu’ils n’avaient eux-mêmes rien entendu. Étant de l’autre côté, au bout de la coursive, avec deux grilles de séparation, je n’ai pas entendu de bruit particulier » (audition du mercredi 29 mars 2023, compte rendu n° 27).

([270]) La salle polyvalente correspond au 4 sur le plan ci-après.

([271]) Audition du mercredi 11 janvier 2023, compte rendu n° 2.

([272]) Ibid.

([273]) Audition du mercredi 29 mars 2023, compte rendu n° 27.

([274]) Lors de cette même audition, le surveillant activités a indiqué qu’il avait effectué cette demande pour que le détail de son activité puisse être établi, ses propres souvenirs étant eux-mêmes partiels dans le contexte du choc qui a résulté de l’agression d’Yvan Colonna.

([275]) Courrier du bureau des affaires générales du directeur interrégional des services pénitentiaires de Marseille en date du 22 août 2022.

([276]) Audition du mercredi 11 janvier 2023, compte rendu n° 2.

([277]) M. Thomas Forner, secrétaire local UFAP-UNSa Justice, audition du mercredi 29 mars 2023, compte rendu n° 27.

([278]) Audition du jeudi 12 janvier 2023, compte rendu n° 3.

([279]) M. Marc Ollier, audition du mercredi 11 janvier 2023, compte rendu n° 2.

([280]) Audition du mercredi 15 février 2023, compte rendu n° 15.

([281]) Ibid.  

([282]) Contrôle de fonctionnement de la maison centrale d’Arles, rapport du 22 février 2021, page 9.

([283]) Contrôleur général des lieux de privation de liberté, rapport de visite de la maison centrale d’Arles, septembre 2013.

([284]) Le PCI reçoit la totalité des imagées renvoyées par les caméras de la maison centrale.  

([285]) Audition du mercredi 11 janvier 2023, compte rendu n° 2.

([286]) « Les images enregistrées [montrent Franck Elong Abé] totalement indifférent aux deux caméras disposées dans la salle, sa seule attention vis-à-vis de l’extérieur consistant à vérifier ponctuellement l’absence de personnel dans le couloir. »

([287]) Observation Genesis du 16 septembre 2020.  

([288]) Rapport relatif à l’inspection de fonctionnement du centre pénitentiaire de Fresnes à la suite d’une évasion, décembre 2018.  

([289]) Rapport relatif à l’inspection de fonctionnement de la maison d’arrêt de Bourges à la suite d’une double évasion, avril 2020.

([290]) Rapport relatif à l’inspection de fonctionnement de la maison d’arrêt de Vannes à la suite de l’évasion d’un détenu, juin 2020.

([291]) Audition devant la commission des Lois du mercredi 16 mars 2022, compte rendu n° 55.

([292]) Audition du jeudi 16 mars 2023, compte rendu n° 23.

([293]) Rapport d’information n° 1089 du 12 avril 2023 de MM. Philippe Gosselin et Philippe Latombe en conclusion des travaux de la mission d’information de la commission de Lois sur les enjeux de l’utilisation d’images de sécurité dans le domaine public dans une finalité de lutte contre l’insécurité.

([294]) Audition du mercredi 11 janvier 2023, compte rendu n° 2.

([295]) Réponses écrites de l’UFAP-UNSa Justice.

([296]) Contrôleur général des lieux de privation de liberté, rapport de visite de la maison centrale d’Arles, juillet 2018, page 47.

([297]) Cette question a également été étayée en audition, notamment par M. Philippe Kuhn, secrétaire général national adjoint du Syndicat pénitentiaire des surveillants non gradés : « On peut incriminer les collègues qui n’ont pas repéré l’incident, mais ils n’ont pas été formés. Cela passe au-dessus de la direction qui n’est pas experte dans ce domaine et confie le dossier à l’adjoint au chef de détention. Seule une vingtaine d’agents a été formée. Ce n’est ni normal, ni acceptable. Si on change un système pour améliorer la vidéosurveillance, il faut mettre en place les formations associées » (audition du mercredi 15 février, compte rendu n° 15).

([298]) Rapport d’information de MM. Philippe Gosselin et Philippe Latombe précité.

([299]) Réponse écrite au questionnaire adressé par le rapporteur.

([300]) Note de service du 11 septembre 2022.

([301]) Note de service du 12 décembre 2022.

([302]) Réponses écrites de M. Marc Ollier.  

([303]) Fiche de poste de l’auxiliaire nettoyage en date du 29 juillet 2022.

([304]) Note de service du 17 novembre 2022.  

([305]) Audition du mardi 4 avril 2023, compte rendu n° 30. 

([306]) Pour rappel, à propos du don de paquets de pâtes, la surveillante a indiqué dans son CRP avoir rédigé « une observation impliquant nominativement les droits détenus ».

([307]) À la question de M. Romain Baubry lui demandant s’il n’était pas « possible de faire figurer cette observation trois fois, en l’attribuant à chaque détenu », la surveillante a répondu : « Ce sont des propos qui sont quand même importants. Si je les indique pour trois individus, alors qu’on ne sait pas lequel les a tenus, que va-t-il se passer ? », puis « Je ne peux pas affirmer qu’untel a dit cela s’il n’a jamais rien dit : il serait surveillé alors qu’il ne devrait pas l’être » (audition du mardi 4 avril 2023, compte rendu n° 30).

([308]) Dans sa réponse écrite au questionnaire adressé par le rapporteur, l’agent évoque ainsi une justification « un peu légère », et une tâche effectuée que partiellement, indiquant que le sujet aurait mérité d’être investigué « un peu plus ».

([309]) La version de l’ancien premier surveillant de la maison centrale d’Arles est la suivante : « La surveillante me relate qu’elle a entendu "On va le tuer, on va le niquer" mais ne me dit pas que c’est une conversation entre trois détenus » (audition du jeudi 13 avril 2023, compte rendu n° 32).

([310]) Selon l’adjoint au chef de détention de l’établissement, la surveillante « ne savait pas si ces propos venaient de l’une des trois cellules ou de la cour de promenade » (idem).

([311]) Réponses écrites de l’ancien chef de secteur. 

([312]) En gras et souligné dans le document.

([313]) Compte rendu d’incident.

([314]) Et même 13 jours avant qu’il ne soit remis à la direction de l’établissement, l’adjoint au chef de détention ayant indiqué y avoir procédé le lundi 14 mars 2022 (audition du jeudi 13 avril 2023, compte rendu n° 32).

([315]) Audition du jeudi 23 mars 2023, compte rendu n° 25. 

([316]) Les courriels consultés par le rapporteur confirment que le CRP lui a été transmis le 14 mars 2023.

([317]) Ibid.

([318]) Idem.

([319]) Audition du mardi 4 avril 2023, compte rendu n° 30.

([320]) Ces informations ont été communiquées par l’ancien chef de secteur et par l’adjoint au chef de la détention lors de l’audition du jeudi 13 avril 2023 (compte rendu n° 32).  

([321]) Et alors que, lors de son audition, le chef adjoint de la détention a affirmé que « dans l’application Genesis, la seule observation consignée pour la journée du 1er mars porte sur le don de paquets de pâtes » (idem).

([322]) Idem.

([323]) Idem.

([324]) Audition du jeudi 13 avril 2023, compte rendu n° 32. 

([325]) Ainsi qu’il ressort des auditions du chef de la CIRP et du DLRP (audition du jeudi 23 mars 2023, compte rendu n° 25) et des personnels de la maison centrale d’Arles (ibid), les observations relatives aux détenus DPS relèvent de deux parties dans Genesis : l’onglet commun à tous les détenus et un onglet spécifique qui comprend des observations plus régulières. Ces éléments sont confirmés par les deux séries d’observations consultées par le rapporteur concernant Yvan Colonna et Franck Elong Abé.

([326]) Audition du jeudi 23 mars 2023, compte rendu n° 25.

([327]) Ibid.

([328]) Idem.

([329]) Mme Camille Hennetier, audition du mercredi 18 janvier 2023, compte rendu n° 5.

([330]) Loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.

([331]) Arrêté du 29 mai 2019 portant création et organisation d’un service à compétence nationale dénommé « Service national du renseignement pénitentiaire ». 

([332]) M. Laurent Ridel, audition du jeudi 12 janvier 2023, compte rendu n° 3.

([333]) Il s’agit d’une compétence exclusive du SNRP. 

([334])  Sur les 187 établissements du réseau pénitentiaire, 74 accueillent au moins un DLRP. Dans les établissements qui ne sont pas dotés d’un DLRP est désigné un correspondant local (CLRP) qui reste rattaché hiérarchiquement au chef d’établissement dans la mesure où il cumule son activité de renseignement avec une activité de surveillance. Les DLRP sont néanmoins amenés à effectuer des astreintes de surveillance dans les établissements.

([335]) Mme Camille Hennetier, audition du mercredi 18 janvier 2023, compte rendu n° 5.

([336]) Audition du mercredi 15 mars 2023, compte rendu n° 23.

([337]) M. Marc Ollier, audition du mercredi 11 janvier 2023, compte rendu n° 2.

([338]) Réponses écrites du DLRP.

([339]) Idem.

([340]) Réponses écrites du DLRP.

([341]) Toutefois les deux relèvent hiérarchiquement, in fine, de la même autorité : le directeur de l’administration pénitentiaire.

([342]) Audition du mercredi 18 janvier 2023, compte rendu n° 5.

([343]) Audition du mercredi 15 mars 2023, compte rendu n° 22.

([344]) Idem.

([345]) Article R. 1122-8-1 issu du décret n° 2017-1095 du 14 juin 2017 relatif au coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, à la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme et au centre national de contre-terrorisme.

([346]) Audition du jeudi 26 janvier 2023, compte rendu n° 8.

([347]) Idem.

([348]) Réponses écrites du DLRP. 

([349]) Audition du mardi 17 janvier 2023, compte rendu n° 4.

([350]) Audition du mercredi 11 janvier 2023, compte rendu n° 2.

([351]) Audition du mercredi 25 janvier 2023, compte rendu n° 7.

([352]) Audition du jeudi 26 janvier 2023, compte rendu n° 8. 

([353]) Mme Charlotte Hemmerdinger, audition du mercredi 18 janvier 2023, compte rendu n° 5.

([354]) Audition du mercredi 1er février 2023, compte rendu n° 11.

([355]) Audition du mercredi 25 janvier 2023, compte rendu n° 7.

([356]) Audition du mercredi 8 mars 2023, compte rendu n° 20.

([357]) Auditions du mercredi 18 janvier 2023, compte rendu n° 5.

([358]) Auditions du mercredi 18 janvier 2023, compte rendu n° 5.

([359]) Audition du mercredi 25 janvier2023, compte rendu n° 7.

([360]) Audition du mercredi 8 mars 2023, compte rendu n° 19. 

([361]) Et, à fortiori, pour l’administration pénitentiaire.  

([362]) Ibid.

([363]) Audition du jeudi 23 mars 2023, compte rendu n° 25.

([364]) Audition de M. Stéphane Bredin du mercredi 29 mars 2023, compte rendu n° 29.

([365]) Audition du mercredi 29 mars 2023, compte rendu n° 29.

([366]) Audition du mercredi 8 mars 2023, compte rendu n° 20.

([367]) Audition du mercredi 25 janvier2023, compte rendu n° 7.

([368]) Audition du jeudi 23 mars 2023, compte rendu n° 25.

([369]) Il a été reclassé au niveau 2 après les faits du 2 mars 2022, soit le même niveau que le détenu Smaïn Aït Ali Belkacem par exemple.

([370]) Audition du mercredi 29 mars 2023, compte rendu n° 29.

([371]) Il a imputé cette « carence » au fait qu’« aucun élément relevant un antagonisme ou une volonté de violence de Franck Elong Abé n’avait été remonté » (audition du jeudi 12 janvier 2023, compte rendu n° 3).

([372]) Ibid.

([373]) Mme Françoise Jeanjaquet, audition du mercredi 8 février 2023, compte rendu n° 13.

([374]) Audition du mercredi 15 février 2023, compte rendu n° 15.

([375]) Audition du mercredi 1er février, compte rendu n° 11.

([376]) Voir A du II.

([377]) Audition du jeudi 26 janvier 2023, compte rendu n° 9.

([378]) Son expertise ne serait cependant pas limitée au suivi et à l’évaluation des personnes détenues.

([379]) Audition du mercredi 8 mars 2023, compte rendu n° 19.

([380]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.  

([381]) Audition du mercredi 8 mars 2023, compte rendu n° 19.

([382]) M. Laurent Ridel, audition du jeudi 12 janvier 2023, compte rendu n° 3.

([383]) Audition du mardi 28 février 2023, compte rendu n° 17.

([384]) Ainsi que M. Naoufel Gaied l’a précisé lors de son audition, la MLRV est un réseau de 482 agents, constitué, à tous les échelons de l’administration pénitentiaire, d’équipes pluridisciplinaires. La MLRV élabore la politique publique de lutte contre la radicalisation violente, en proposant au garde des Sceaux des stratégies. Elle est ensuite chargée de décliner la stratégie arrêtée en élaborant la doctrine d’emploi des professionnels, ainsi que celle de fonctionnement des dispositifs dédiés. La MLRV émet enfin un avis sur l’orientation en QER et en QPR des détenus dont la situation est particulièrement sensible.

([385]) Audition du mardi 28 février 2023, compte rendu n° 17.

([386]) Pour M. Jean-Jacques Urvoas, ancien garde des Sceaux, « cela lui avait été beaucoup reproché parce qu’il n’avait pas demandé d’autorisation pour le faire » (audition du mardi 7 février 2023, compte rendu n° 12). Le Gouvernement décide néanmoins de s’inspirer de cette initiative et de poursuivre dans cette voie.

([387]) Idem.

([388]) M. Jean-Jacques Urvoas a expliqué, lors de la même audition : « En septembre 2016, à Osny, un surveillant de l’une de ces unités a été attaqué par un détenu qui avait arraché un morceau de sa fenêtre et l’avait limé de façon à en faire une arme par destination, avant de prendre le gardien en otage pendant trois heures dans un couloir. Croyez bien que cela a rendu encore plus concret à mes yeux le danger que représentait ce type de détenu dans nos établissements, auprès de personnels qui n’étaient pas nécessairement préparés à faire face à ce danger et, surtout, à la massification du phénomène. »

([389]) Sur le détail des actions mises en œuvre avant cette date, le rapporteur renvoie à l’audition du 29 mars 2023 de Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux de 2012 à 2016 (compte rendu n° 28).

([390]) Audition du mardi 7 février 2023, compte rendu n° 12.

([391]) « Au fond, ce que j’avais demandé, c’était que l’on établisse une doctrine, puisque la démarche devait non pas se limiter à quelques établissements, mais s’adresser à l’ensemble de l’administration pénitentiaire, beaucoup d’établissements étant concernés » (même audition).

([392]) Articles R. 57-7-84-13 à R. 57-7-84-24.

([393]) Les articles R. 224-13 et R. 224-14 étant relatifs aux QPR.

([394]) Audition du mardi 28 février 2023, compte rendu n° 17.

([395]) M. Naoufel Gaied a indiqué que l’évaluation s’effectuait à deux niveaux : au niveau des établissements par l’intermédiaire des CPU radicalisation, et au niveau des QER pour une évaluation plus approfondie.

([396]) Audition du mercredi 1er février 2023, compte rendu n° 11.

([397]) Audition du mercredi 1er février 2023, compte rendu n° 11.  

([398]) Lors de son audition précitée, le chef de la MLRV appelait, de manière plus générale, à prendre aussi en compte le profil particulier des TIS : « 72 % des TIS n’avaient jamais été incarcérés avant leur implication dans des faits de terrorisme, et il n’y a pas de récidive observée chez les TIS ».

([399]) Terme utilisé MM. Laurent Ridel (audition du jeudi 12 janvier 2023, compte rendu n° 3), Jean-Jacques Urvoas (audition du mardi 7 février 2023, compte rendu n° 12) et Naoufel Gaeid (audition du mardi 28 février 2023, compte rendu n° 17).

([400]) Audition du mercredi 29 mars 2023, compte rendu n° 29.

([401]) Audition du mercredi 15 février 2023, compte rendu n° 15.

([402]) Audition du mercredi 15 février 2023, compte rendu n° 15.

([403]) Audition du mercredi 15 mars 2023, compte rendu n° 22.

([404]) Défini par le Larousse comme concept recommandant, dans la religion musulmane, « la prudence au fidèle en l’invitant à dissimuler sa croyance en cas de danger », il est également utilisé par les djihadistes pour masquer leurs véritables idéologie et intentions et ainsi parvenir plus facilement à leurs fins.

([405]) Audition du mercredi 28 février 2023, compte rendu n° 17.  

([406]) CRP du 21 mars 2022.

([407]) Recommandation n° 9 : Clarifier, dans le code pénitentiaire, les modalités d’intervention de l’autorité judiciaire dans la procédure d’orientation en QER en définissant un cadre juridique spécifique et respectueux des prérogatives de chacun des intervenants.

 Recommandation n° 10 : Rendre obligatoire l’évaluation ou la réévaluation d’un détenu condamné pour terrorisme islamiste (TIS) avant son intégration en détention ordinaire. 

 Recommandation n° 11 : Renommer les quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER) en quartiers d’évaluation de la radicalisation et de la dangerosité (QERD), et renforcer, en leur sein, l’évaluation du risque de passage à l’acte violent afin de mieux le prévenir.

([408]) Audition du mardi 28 février 2023, compte rendu n° 17.

([409]) Lors cette même audition, M. Naoufel Gaied a indiqué qu’un « nouveau marché public conclu le 4 octobre 2022 a permis d’augmenter les places en les portant de 125 à 250 de 2018 à 2022 sur le plan national, ce qui devrait théoriquement nous permettre d’absorber tous les sortants ».

([410]) Idem.

([411]) http://www.justice.gouv.fr/bo/2022/20220429/JUSK2210824C.pdf

([412]) Réponse écrite au questionnaire adressé par le rapporteur.

([413]) Ce constat se fonde notamment sur la décision n° 2020-805 DC du 7 août 2020 du Conseil constitutionnel qui a censuré les dispositions prévues par la loi n° 2020-1023 du 10 août 2020 instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine.

([414]) Audition du mardi 28 février 2023, compte rendu n° 17.

([415]) « Le placement en quartier de prise en charge de la radicalisation intervient à l’issue d’une évaluation de la dangerosité réalisée par une équipe pluridisciplinaire dans le cadre de la commission pluridisciplinaire unique […] ou, si cette instance le juge nécessaire, au sein d’un quartier de prise en charge de la radicalisation spécialisé dans l’évaluation » (deuxième alinéa du II).

([416]) Voir l’article R. 224-13 du code pénitentiaire pour la version, identique, en vigueur à ce jour.  

([417]) Audition du mardi 24 janvier 2023, compte rendu n° 6.

([418]) Encore une fois, le rapporteur ne remet pas en cause le principe de la sortie de l’isolement de Franck Elong Abé : elle était justifiée par l’amélioration, néanmoins relative, de son comportement et par la perspective de sa fin de peine.

([419]) Lors de son audition du jeudi 12 janvier 2023, M. Laurent Ridel a annoncé le chiffre de 225 places disponibles (compte rendu n° 3).

([420]) « Lorsqu’une personne détenue majeure est dangereuse en raison de sa radicalisation et qu’elle est susceptible, du fait de son comportement et de ses actes de prosélytisme ou des risques qu’elle présente de passage à l’acte violent, de porter atteinte au maintien du bon ordre de l’établissement ou à la sécurité publique, elle peut être placée au sein d’un quartier de prise en charge de la radicalisation, dès lors qu’elle est apte à bénéficier d’un programme et d’un suivi adaptés » (premier alinéa du II).

([421])  Le rapporteur renvoie aux travaux, en cours à la date de publication du rapport, de la mission d’information sur les alternatives à la détention et l’éventuelle création d’un mécanisme de régulation carcérale créée par la commission des Lois.

([422]) Audition du mercredi 22 mars 2023, compte rendu n° 24.

([423]) Audition du jeudi 16 mars 2023, compte rendu n° 23.

([424]) D’après les données communiquées par la DAP.

([425]) Plan pluriannuel de lutte contre les violences commises en milieu pénitentiaire.

([426]) L’année 2020 ne saurait être prise en compte de manière pertinente compte tenu du contexte particulier de l’épidémie de covid-19.

([427]) Ces données étaient, jusque-là, comptabilisées manuellement à partir des relevés mensuels d’incidents communiqués par les DISP à la DAP.

([428]) En effet, la hausse inédite du nombre d’homicides en 2022 dont la rareté et le caractère exceptionnel permettent de penser qu’il n’ont jamais souffert d’un défaut de recensement – dont il sera par la suite question témoigne d’une incontestable dégradation générale de la situation.

([429]) La DAP indique que l’écart entre les données de 2022 et de 2021 est lié à la nouvelle méthodologie de recensement des incidents sur Prince : les violences avec armes incluent également celles commises avec projection d’objet qui ont fait l’objet d’un recensement plus exhaustif.

([430]) La DAP apporte la même précision : certains incidents autrefois signalés comme des humiliations ont pu être identifiés dans Prince de manière plus fine. Ainsi, le nombre de rackets ou d’agressions sexuelles qui pouvaient auparavant être comptabilisés au titre des « humiliations » ont légèrement augmenté.

([431]) 1 665 violences pour 8 515 détenus, soit un taux de 196 ‰.

([432]) Au-delà des cas constatés dans le ressort de la DISP de Marseille, le rapporteur souhaite également relayer le témoignage glaçant livré par M. Emmanuel Chambaud, secrétaire général de l’UFAP-UNSa Justice en ouverture de son propos liminaire lors de l’audition du mercredi 15 février 2023 : « Ce week-end encore, au centre pénitentiaire d’Aiton en Haute-Savoie, un détenu a été massacré par un autre dans la nuit : égorgé, les dents arrachées, attaché à un radiateur... » (compte rendu n° 15).

([433]) Quartier de prise en charge de la radicalisation spécialisé dans l’évaluation, c’est-à-dire les QER.

([434]) Audition du mercredi 22 mars 2023, compte rendu n° 24.

([435]) Idem.

([436]) Cette étude est présentée ci-après.

([437]) L’organisation de la prise en charge sanitaire est également présentée ci-après. 

([438]) Thomas Fovet, Camille Lancelevée, Marielle Wathelet, Oumaïma El Qaoubii et Pierre Thomas, « La santé mentale en population carcérale sortante : une étude nationale » : https://www.f2rsmpsy.fr/fichs/30838.pdf

([439]) Audition du mercredi 22 mars 2023, compte rendu n° 24.

([440]) Audition du mercredi 15 mars 2022, compte rendu n° 22.

([441]) Audition du mercredi 15 février 2023, compte rendu n° 15.

([442]) Idem.

(3) Le rapport d’évaluation de l’IGAS et l’IGS indique que « la loi d’orientation et de programmation de la justice du 9 septembre 2002  prévoyait la création des UHSA sans déterminer les capacités précises. Les arbitrages successifs ont conduit à déterminer une capacité totale de 705 places en UHSA dont 440 […] ont déjà été construites. »

([444]) « Évaluation des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) pour les personnes détenues », décembre 2018 : https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/273636.pdf

([445]) Rapport n° 4906 du 12 janvier 2022 de Mme Caroline Abadie au nom de la commission d’enquête visant à identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française : https://assnat.fr/KANa6r

([446]) Le rapport de l’IGAS et de l’IGJ relève notamment que les nouvelles places d’UHSA programmées ne pourront corriger l’insuffisance globale de l’offre.

([447]) Audition du mardi 7 février, compte rendu n° 12.

([448]) Audition du mercredi 15 février 2023, compte rendu n° 15.

([449]) Idem.

([450]) En 2022, une importante réforme de la carrière avait été entreprise avec la fusion des grades de surveillant et de brigadier.

([451]) Recommandation n° 23 : Renommer les quartiers de prise en charge de la radicalisation (QPR) en quartiers de prise en charge de la radicalisation et de la dangerosité (QPRD), et accroître, en leur sein, la prise en charge des détenus présentant un risque de passage à l’acte violent.

 Recommandation n° 24 : Faire de l’affectation en QPRD une véritable transition entre l’isolement et la détention ordinaire lorsque cela s’avère opportun dans le parcours carcéral du détenu.

([452]) Audition du mercredi 15 février 2023, compte rendu n° 15.

([453]) Idem.  

([454]) Réponses écrites au questionnaire du rapporteur. 

([455]) Audition du mercredi 15 février 2023, compte rendu n° 15.

([456]) Idem.  

([457]) Audition du mercredi 29 mars 2023, compte rendu n° 27.

([458]) Dans les réponses écrites au questionnaire du rapporteur, le SNEPAP-FSU « a estimé nécessaire de réétudier le fonctionnement des CPU pour favoriser une approche globale (et unique) de la personne détenue dans son parcours de peine ».

([459]) Au-delà du cas confus de la maison centrale d’Arles, la précédente description des causes de l’agression mortelle survenue au centre pénitentiaire d’Avignon-Le Pontet invite à une telle exigence.

([460]) Audition du mercredi 8 février 2023, compte rendu n° 13.

([461]) Ce constat recoupe celui qui a précédemment été cité de Mme Kim Reuflet à propos des avis rendus en matière de statut DPS (« Pour l’autorité judiciaire qui n’est pas décisionnaire, le traitement est parfois quelque peu administratif », audition du mercredi 15 mars 2023, compte rendu n° 22).

([462]) Audition du mercredi 8 février 2023, compte rendu n° 14.

([463]) Rendre justice aux citoyens, rapport du Comité des États généraux de la justice (octobre 2021 - avril 2022), juillet 2022 : https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/285620.pdf

([464]) Si cette présence passe par des déplacements dans les établissements pénitentiaires, elle peut aussi se traduire par d’autres moyens, par exemple par l’organisation plus fréquente des CAP sous la forme de visioconférences.

([465]) Elle indiquait néanmoins que pour les seules fonctions juridictionnelles, selon les projections actuelles, il faudrait 360 JAP supplémentaires, pour 437 actuellement en fonction.