N° 1297

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 31 mai 2023.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LA PROPOSITION DE LOI

visant à élargir l’assiette de la taxe sur les transactions financières (n° 1145),

PAR M. Christophe NAEGELEN

Député

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 Voir le numéro : 1145

 


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SOMMAIRE

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Pages

Avant-propos

A. La taxe sur les transactions financières françaiseS : un levier potentiellement efficace mais sous-exploité

1. La taxe sur les transactions financières a une assiette étroite qui épargne les transactions les plus spéculatives

2. Faire la lumière sur la procédure de recouvrement apparaît nécessaire

3. Le rendement budgétaire de la TTF est pourtant non négligeable pour les finances publiques

4. La TTF n’a pas affaibli l’attractivité de la Place financière de Paris

5. D’autres pays européens dont le secteur financier est fort ont instauré une TTF

B. Le projet de la commission européenne était ambitieux mais s’est enlisé, notamment à cause de la position française

1. Le projet de TTF européenne prévoyait une assiette très large

2. L’impasse actuelle des négociations est largement imputable à la France

C. L’extension aux transactions intrajournalières soulève des difficultés techniques, qui pourraient être surmontées

1. La taxation des transactions intrajournalières pose des difficultés techniques

2. Ces difficultés techniques ne constituent pas un obstacle dirimant

D. L’extension aux produits dérivés peut être ciblée sur les dérivés d’actions

1. Les produits dérivés sont parfois spéculatifs mais peuvent aussi satisfaire des besoins de couverture

2. Des difficultés techniques sont également avancées

3. La taxation des dérivés d’actions constituerait un premier pas mesuré

TRAVAUX DE LA COMMISSION

DISCUSSION GENERALE

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er Élargissement de l’assiette de la taxe sur les transactions financières aux transactions intrajournalières et aux contrats dérivés

Article 2 (nouveau) Rapport du Gouvernement au Parlement sur les modalités de collecte de la TTF

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNEES PAR LE RAPPORTEUR

 


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   Avant-propos

La présente proposition de loi vise à faire contribuer davantage le secteur financier à l’effort financier de la Nation.

Depuis 2017, les impôts sur le capital ont été fortement allégés : « flat tax » de 30 % sur les revenus mobiliers, baisse du taux de l’impôt sur les sociétés à 25 % ou encore suppression progressive de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises.

Il importe donc de rétablir une forme d’équité fiscale entre capital et travail, tout en dégageant de nouvelles recettes pour résorber la dette publique qui a augmenté de manière préoccupante et brutale avec la crise sanitaire, pour dépasser aujourd’hui 111 % du PIB.

Pour cela, la taxe sur les transactions financières (TTF) constitue un gisement important mais encore largement sous‑exploité. Elle réunit pourtant potentiellement toutes les caractéristiques d’un bon impôt : assiette large, taux bas, coûts de collecte minimes et rendement spontanément dynamique. Avec un taux de seulement 0,3 %, son montant atteindrait ainsi 2,2 milliards d’euros en 2023.

Pourtant, la TTF « à la française » reste encore contrainte par une assiette bien trop étroite. Elle ne taxe que les achats d’actions, et non des opérations pourtant bien plus spéculatives : transactions intra‑journalières et produits dérivés. 80 % des transactions échappent ainsi à l’impôt.

Un élargissement aux transactions intraday a été voté par le Parlement en 2017, mais supprimé l’année suivante avant son entrée en vigueur. Des difficultés techniques, la crainte d’une perte de compétitivité de la Place financière de Paris et l’intention gouvernementale affichée d’aboutir à une taxe européenne ont eu raison de cette ambition parlementaire.

Ces arguments peuvent néanmoins être opposés à tous les impôts. Aujourd’hui, pour la TTF, ils apparaissent en outre dépassés et démentis par les faits :

– les difficultés techniques et juridiques alléguées sont loin d’être insurmontables ;

– le recul de dix ans d’application de la TTF permet de constater qu’elle n’a pas fait obstacle à la croissance continue de la Place de Paris ;

– les négociations européennes sur une TTF se sont enlisées du fait de la position française qui tente d’exporter son modèle à des institutions européennes et des États membres bien plus volontaires pour une assiette la plus large possible.

Les rendements envisageables, qui pourraient aller de plusieurs centaines de millions d’euros à plusieurs milliards d’euros, imposent d’agir.

A.   La taxe sur les transactions financières françaiseS : un levier potentiellement efficace mais sous-exploité

1.   La taxe sur les transactions financières a une assiette étroite qui épargne les transactions les plus spéculatives

La taxe sur les transactions financières (TTF) a été créée par l’article 5 de la première loi de finances rectificative pour 2012.

Elle porte sur les acquisitions de titres de capital ou titres assimilés.

Il existe également une taxe sur les ordres annulés dans le cadre d’opérations à haute fréquence dont le rendement est nul.

La taxe sur le trading haute fréquence

Elle porte sur les ordres annulés dans le cadre d’opérations à haute fréquence ([1]). Les opérations à haute fréquence sont des ordres successifs sur un titre donné adressés à un dispositif de traitement automatisé et espacés de moins d’une demi-seconde. C’est une activité particulièrement spéculative. Elle vise les entreprises exploitées en France ([2]) mais le lieu du siège et le volume de leur capitalisation boursière sont indifférents. La taxe est due lorsque le taux d’annulation ou de modification des ordres sur une journée dépasse 80 %. Le taux est de 0,01 % du montant des ordres annulés ou modifiés excédant ce seuil. Son rendement est nul. Selon la Cour des comptes, cela pourrait résulter de plusieurs facteurs.

D’abord, le seuil de 80 % d’annulation au cours de la même journée serait trop élevé. Comme le souligne un universitaire ([3]), si un trader haute-fréquence envoie un ordre d’achat pour 100 000 titres et, dans le dixième de seconde qui suit, annule une partie de son ordre pour n’en acquérir que 25 000, il est exempté de taxe.

Ensuite, la Cour relève que les activités de tenue de marché sont exonérées alors qu’elles représentent l’essentiel du trading haute fréquence (le teneur de marché réalise une opération pour laquelle il n’existe pas de contrepartie au même moment et conclut ensuite lui-même une opération en sens inverse).

Enfin et surtout, « quelle que soit la pertinence de ces explications, la limitation du champ de la taxe aux entreprises exploitées en France permet d’échapper à la taxe en déplaçant les transactions à l’étranger. La taxe n’a donc pas permis de faire disparaître les opérations nocives qu’elle visait : elle les a seulement déplacées dans d’autres pays. » ([4])

Il existait également une taxe portant sur les acquisitions de contrats d’échange sur défaut d’un État, qui a été abrogée par l’article 26 de la loi de finances pour 2019 dans la mesure où ces opérations ont été interdites par le droit de l’UE ([5]), ce qui en a fait disparaître l’assiette.

La TTF ([6]) porte donc essentiellement sur les achats d’actions. Elle s’applique lorsque cinq conditions sont réunies :

– le titre est admis aux négociations sur un marché réglementé français, européen ou étranger ;

– il s’agit d’un titre de capital ou d’un titre de capital assimilé, ce qui exclut les produits dérivés, à l’exception de ceux qui entraînent le transfert de propriété du titre sous-jacent ;

– ce titre est émis par une société dont le siège social est situé en France (« principe d’émission », quelle que soit la nationalité ou la localisation de l’acheteur). Ce principe confère une base solide à la TTF et entraîne peu de risques de contournements ([7]) ;

– ce titre est émis par une société dont la capitalisation boursière dépasse un milliard d’euros ;

– son acquisition donne lieu à un transfert de propriété, ce qui exclut les opérations intra-journalières, aussi dites « intraday ».

La liste des entreprises concernées (dont le siège est situé en France et dont la capitalisation boursière dépasse 1 milliard d’euros) est publiée au Bulletin officiel des finances publiques (Bofip) ([8]) . Il y en a 130 en 2023. Par comparaison, au 31 mars 2023, selon l’Autorité des marchés financiers (AMF), les titres de capital de 397 sociétés (françaises ou étrangères) sont cotés sur le marché réglementé français, et 836 sur les différents segments d’Euronext Paris ([9]). Ce seuil de capitalisation est utile dans la mesure où il permet de couvrir l’essentiel des volumes d’achats d’actions sur la place de Paris (qui sont fortement concentrés sur les grandes capitalisations) tout en protégeant les petites capitalisations dont les titres sont moins liquides.

Le redevable de la taxe est le prestataire de services d’investissement (PSI) qui a exécuté l’ordre d’achat du titre ou négocié pour son compte propre, quel que soit son lieu d’établissement. Si l’acquisition a lieu sans intervention d’un tel prestataire, le redevable est l’établissement assurant la fonction de tenue de compte-conservation (banque ou établissement financier). En pratique, les surcoûts liés à la taxe sont souvent répercutés par les redevables sur leurs clients (les investisseurs finaux).

Le taux est fixé à 0,3 % de la valeur d’acquisition du titre.

La taxe est recouvrée par le dépositaire central agréé par l’AMF, en l’occurrence Euroclear France, qui est une entreprise privée, dans le cadre d’un protocole conclu avec l’administration (voir plus bas).

L’article 62 de la loi de finances pour 2017 avait élargi l’assiette aux transactions intrajournalières à compter du 1er janvier 2018.

Avant son entrée en vigueur, cette extension a été abrogée par la loi de finances pour 2018 du fait de difficultés pratiques soulevées (les mêmes évoquées aujourd’hui, voir infra) et du fait de la discussion en cours d’un projet de TTF européenne incluant tant les transactions intra‑journalières que les dérivés.

Pourtant, les opérations intrajournalières représentent le volume principal des transactions financières ([10]). Ainsi, entre 80 % à 90 % des transactions sont exemptés de la TTF en France, ce qui conduit à un « taux effectif » très bas et la rend dans les faits presque indolore.

Le volume précis des opérations intra‑journalières n’est cependant en l’état pas connu ni de l’AMF, ni d’Euroclear (voir infra).

2.   Faire la lumière sur la procédure de recouvrement apparaît nécessaire

Les établissements financiers transmettent à Euroclear leurs déclarations accompagnées de leur paiement. Euroclear adresse ensuite une déclaration agrégée et un virement unique à la direction des grandes entreprises (DGE).

Euroclear réalise ces tâches dans le cadre d’un protocole signé avec la direction générale des finances publiques (DGFiP) le 7 septembre 2012. Selon cette dernière, ce protocole, toujours en vigueur, précise qu’il incombe à Euroclear de traiter les déclarations et paiements tardifs et d’effectuer des contrôles de cohérence et d’exactitude des informations déclarées.

Il semble que les contrôles réalisés par Euroclear sont essentiellement de nature formelle : complétude, qualité et cohérence des informations déclarées. Ces informations sont transmises à la DGFiP (direction générale des finances publiques) et à la DGE (direction des grandes entreprises). Un rapport est remis à la DGFiP chaque année. L’ensemble des données collectées sont à la disposition de l’administration fiscale. Euroclear est rémunéré de cette mission de collecte (321 623 euros en 2022).

Lorsqu’il y a plus de deux intermédiaires entre le redevable et Euroclear France, le redevable déclare et paie la taxe directement à la DGE.

La transparence fait fortement défaut sur les modalités de cette collecte. Les seules conclusions disponibles sont celles d’un référé de la Cour des comptes de 2017 ([11]), qui était fortement critique. Selon la Cour :

– le protocole doit être amélioré (la DGFiP a indiqué au rapporteur que le protocole de 2012 est toujours applicable) ;

– le contrôle des déclarations et du recouvrement de la TTF est insuffisant ;

– le nombre précis de transactions assujetties à la taxe n’est pas connu par l’administration ou Euroclear.

Afin de permettre au Parlement de contrôler la bonne application de la loi fiscale, il est donc nécessaire d’obtenir davantage d’informations.

Le rapporteur a donc proposé un amendement demandant un rapport au Gouvernement sur les modalités de collecte de la TTF ([12]).

Il doit faire le point sur le rôle et l’efficacité du dépositaire central dans la procédure de recouvrement, sur le nombre et la portée des contrôles opérés, sur le volume et la nature des transactions concernées par la TTF et sur les développements informatiques et technologiques qui seraient nécessaires pour assujettir effectivement à la taxe sur les transactions financières les transactions intra-journalières et les produits financiers dérivés (voir infra).

Afin que les parlementaires puissent en disposer en temps utile, il est proposé une remise avant l’examen du prochain projet de loi de finances.

Cet amendement a été adopté par la commission.

3.   Le rendement budgétaire de la TTF est pourtant non négligeable pour les finances publiques

La TTF a dès l’origine été affectée en partie au budget général de l’État et en partie au financement de l’aide publique au développement (APD).

Les recettes sont affectées au Fonds de solidarité pour le développement (FSD) jusqu’à un plafond de 528 millions d’euros, l’excédent étant reversé au budget général de l’État. Une part initialement allouée à l’Agence française pour le développement (AFD) a été rebudgétisée à compter de 2019. Le produit total est passé de 766 millions d’euros en 2013 (première année pleine de perception) à près de 1,9 milliard d’euros perçus en 2022 (DGFiP) et plus de 2,2 milliards d’euros prévus en 2023 (prévision associée au projet de loi de finances pour 2023).

Recettes de la TTF

(en millions d’euros)

Source : documents budgétaires, DGFiP.

Cet impôt a donc un rendement spontanément dynamique, en dehors même d’une augmentation de son taux. Son assiette recèle de fortes potentialités qu’il convient d’exploiter davantage. En étendant les transactions taxées, les distorsions économiques déjà faibles, voire indécelables (voir infra) seraient encore moins risquées. Les « bons impôts » sont en effet, d’un point de vue économique, ceux qui ont une assiette large et un taux bas.

4.   La TTF n’a pas affaibli l’attractivité de la Place financière de Paris

La TTF française a été introduite en 2012, avec un taux de 0,1 % immédiatement augmenté à 0,2 % avant son entrée en vigueur le 1er août 2012, puis à 0,3 % en 2017.

Les études menées ont montré une baisse du volume de transactions qui varie entre 10 % et 20 % sur les premiers mois d’application. Elle est plus proche de 10 % si l’on prend en compte la variation saisonnière (l’activité est moindre en août et en décembre). Cette baisse est cohérente avec l’estimation de la commission européenne de l’impact de son projet de TTF, qui prévoyait une baisse du volume d’environ – 15 %. Cependant, cette baisse observée est à mettre en perspective avec l’essor tendanciel considérable des transactions (multiplication par 25 sur les 25 dernières années en France) : « en somme, c’est comme si l’introduction de la TTF n’avait ralenti que de quelques trimestres la hausse tendancielle des volumes de transaction » ([13]).

Ensuite, aucun effet notable sur la liquidité ([14]) ni sur la volatilité ([15]) du marché n’a été mis en évidence. Il n’y a pas non plus eu d’effet sur la fourchette de prix ou de report de l’activité au profit de supports d’investissement non taxables.

Ensuite, la taxe n’a pas empêché la place financière de profiter dans une certaine mesure du Brexit. L’AMF a indiqué au rapporteur avoir constaté « un accroissement et une diversification très significative de l’activité de la Place de Paris ». Les transactions déclarées par les PSI sont passées de 835 millions en 2020 à 1,5 milliard en 2022. Par ailleurs :

– une vingtaine de nouveaux acteurs de marché se sont implantés à Paris (Bank of America, XTX Markets SAS, TP ICAP, etc.) ;

– des succursales de grands groupes bancaires (JP Morgan, Barclays, etc.) ont été créées ;

– on constate une forte hausse du nombre de plateformes de négociation sous la supervision de l’AMF entre 2018 et fin 2022.

 

Type de plateforme

2018

Fin 2022

Système multilatéral de négociation

3

14

Système organisé de négociation

6

10

Internalisateur systématique

12

18

Source : AMF

Depuis 2016, la TTF n’a donc pas fait obstacle à la croissance de la Place de Paris dans le contexte porteur du Brexit, alors même que cette dernière fait face à la concurrence de places qui ne prélèvent plus de TTF (Allemagne ou Pays‑Bas, notamment).

5.   D’autres pays européens dont le secteur financier est fort ont instauré une TTF

Créé en 1694, le stamp duty est le plus vieil impôt encore en vigueur au Royaume-Uni. Le dispositif porte aujourd’hui principalement sur les actions achetées par voie électronique, quelle que soit la nationalité ou la résidence des contreparties. Le taux est de 0,5 % pour des recettes fiscales de plus de 4 milliards de livres sterling par an, soit 0,5 % des recettes fiscales totales. Cette taxe est aussi appliquée par d’anciennes colonies britanniques (Irlande, Afrique du Sud, Hong Kong)

Le droit de timbre suisse (Umsatzabgabe) a été introduit en 1918, puis réformé en 1973. Il porte sur le transfert de propriété de titres, à caractère onéreux, réalisé par un intermédiaire financier suisse habilité, le « commerçant de titres ». Les taux sont de 0,15 % pour les titres suisses et de 0,3 % pour les titres étrangers. Cette taxe rapporte environ 1,5 milliard de francs suisses par an, soit 0,8 % des recettes fiscales totales.

La TTF italienne a été introduite en 2013, sur le modèle de la TTF française. Une taxe analogue a existé jusqu’en 1998. La taxe porte sur les actions des entreprises italiennes de plus de 500 millions de capitalisation (le marché boursier italien est de taille plus réduite qu’en France). Le taux est de 0,1 % pour les échanges réalisés sur les marchés réglementés et sinon de 0,2 %. L’Italie semble être le seul pays avec une taxation différenciée entre le marché réglementé et le marché de gré à gré. Ainsi, en 2022, la part des montants négociés sur plateformes s’élève à 85 %, contre 56 % en France.

Source : AMF

Il existe également une taxe de 0,02 % sur le trading haute-fréquence et une taxe sur les dérivés d’actions, avec des prélèvements forfaitaires, qui a l’inconvénient d’emporter des effets de seuil.

L’ensemble de la taxe italienne rapporte 500 millions d’euros par an, soit environ 0,5 % des recettes fiscales totales.

La TTF espagnole a été introduite en 2021 ; une TTF existait toutefois jusqu’en 1988. Elle est proche du modèle britannique, français ou italien.

Une taxe sur les opérations de Bourse (TOB) existe depuis 1913. Elle a été réformée en 2017 pour inclure les transactions réalisées par des intermédiaires financiers non-résidents. Le taux est de 0,35 % pour les actions, et de 0,12 % pour les obligations.

Elle a été créée en 1937 sur le modèle du stamp duty britannique. Son taux est de 1 % et les recettes fiscales sont de l’ordre de 500 millions d’euros par an, soit environ 0,5 % des recettes fiscales totales.

Parallèlement, d’autres pays européens avaient une TTF qu’ils ont depuis abandonnée : les Pays‑Bas en 1990, l’Allemagne et la Suède en 1991, la Norvège en 1993, le Portugal en 1996, le Danemark en 1999 et l’Autriche en 2000.

B.   Le projet de la commission européenne était ambitieux mais s’est enlisé, notamment à cause de la position française

1.   Le projet de TTF européenne prévoyait une assiette très large

La commission a élaboré un projet de TTF européenne en 2011 ([16]), repris et renforcé en 2013 ([17]) dans le cadre de la coopération renforcée (voir infra). Il prévoyait l’assiette la plus large possible (actions, obligations, transactions intrajournalières, tous dérivés) et couvrait ainsi 85 % des transactions financières. En outre, elle couvre les marchés réglementés mais aussi des marchés organisés et de gré à gré.

Le taux était bas, de 0,1 % sur le prix d’achat des actions et de 0,01 % sur le montant notionnel des contrats dérivés.

La taxation du montant notionnel pour les dérivés

Le projet européen taxe le montant « notionnel » du contrat dérivé.

En effet les produits dérivés sont des contrats qui engagent les contreparties sur des transactions financières à terme, et le plus souvent il n’y a aucun flux financier à la signature du contrat. Le plus simple consiste donc à taxer le montant notionnel, c’est-à-dire le montant total de l’actif sous-jacent d’un titre, la valeur totale de la position. Celui‑ci n’est toutefois pas représentatif des montants effectivement en jeu, d’où un taux bien plus faible pour la taxation des transactions sur produits dérivés que pour celles sur les opérations au comptant.

Par exemple :

• en cas d’acquisition d’actions pour un montant de 1 000 euros, avec un taux de 0,1 %, le redevable paie 1 euro.

• En cas de souscription d’un contrat dérivé, la taxe est calculée non pas sur le montant investi par l’investisseur, mais sur la valeur notionnelle de la transaction sous-jacente. Si un investisseur investit 1 000 euros pour une option d’achat de 1 million d’euros, la taxe de 0,01 % est calculée sur la valeur notionnelle de l’option et non sur le montant investi, la taxe est donc de 100 euros.

La taxe s’appliquerait dès lors qu’au moins un des participants à la transaction est établi dans l’un des pays qui l’ont adoptée (principe de résidence) ou dès lors que la transaction implique un instrument financier émis dans l’un de ces pays (principe du lieu d’émission), et ce quel que soit l’endroit où la transaction a lieu.

2.   L’impasse actuelle des négociations est largement imputable à la France

Selon l’estimation de la commission européenne en 2011, le rendement se serait élevé à 57 milliards d’euros par an (37 milliards en prenant en compte le Brexit). Les deux tiers du rendement seraient provenus des produits dérivés.

En 2012, les discussions pour une adoption à l’unanimité ont échoué et la commission a proposé d’avancer dans le format de coopération renforcée, qui regroupe les seuls États membres volontaires ([18]).

En 2014, la France a proposé une TTF européenne centrée sur les actions.

L’inclusion des dérivés aurait pénalisé le secteur bancaire français, dans la mesure où les quatre plus grandes banques françaises détenaient alors 20 % des encours de dérivés dans le monde ([19]).

En 2019, la France et l’Allemagne ont présenté un projet très en deçà du projet européen initial, avec une assiette réduite (seulement les actions), qui rapporterait environ 3,5 milliards d’euros dans le cadre de la coopération renforcée.

En décembre 2020 la commission a estimé de nouveau qu’un accord était possible en coopération renforcée. Mais l’Autriche ([20]) a annoncé en 2020 se retirer de la coopération renforcée si une TTF inspirée des demandes françaises était retenue, aux motifs qu’elle exonèrerait 99 % des transactions financières, et qu’elle emporterait des incitations négatives, dans la mesure où les transactions qui n’améliorent pas l’efficacité des marchés (les dérivés et les transactions intra‑journalières) seraient favorisées par rapport aux actions.

Aucune réunion de la coopération renforcée n’a eu lieu sous les récentes présidences tchèque et suédoise. Une reprise des discussions de la coopération renforcée au Conseil semble peu probable et l’approche de la fin de la législature européenne réduit la possibilité d’une relance des travaux par la Commission européenne.

Il paraît nécessaire que la France s’engage en faveur d’un projet plus consensuel de TTF européenne, avec une assiette plus large allant au-delà des actions, pour que le texte aboutisse.

En 2020, le Conseil de l’UE a évoqué la création d’une TTF européenne comme possible nouvelle ressource propre pour le budget de l’UE ([21]). En 2021, la commission européenne a à son tour proposé une telle taxe parmi les futures ressources propres qui permettront de rembourser les emprunts contractés pour financer le plan de relance NextGenerationEU engagé à la suite de la crise sanitaire ([22]). Toutefois, ces propositions restent à ce jour théoriques et ne sont pas à l’ordre du jour législatif de l’UE, d’autant qu’en matière de fiscalité indirecte et donc de TTF, l’initiative revient exclusivement au Conseil de l’UE, le Parlement étant seulement consulté ([23]).

 

C.   L’extension aux transactions intra‑journalières soulève des difficultés techniques, qui pourraient être surmontées

1.   La taxation des transactions intra‑journalières pose des difficultés techniques

La taxation des transactions intrajournalières implique de dépasser le transfert de propriété comme seul fait générateur de l’impôt. Lorsqu’un intervenant réalise des achats et des ventes sur un même titre dans la même journée, le transfert de propriété n’intervient que sur le montant net des achats.

Les achats qui sont compensés par des ventes dans la même journée ont seulement un statut d’enregistrement comptable et ne sont pas taxés au titre de la TTF.

 

Le fait générateur de la TTF

La taxe s’applique aux transactions donnant lieu à un transfert de propriété, ce qui se traduit par la livraison du titre sur le compte titre de l’acquéreur.

Or, la livraison est réalisée en règle générale deux jours après la transaction. Si une même personne réalise au cours d’une même journée à la fois des achats et des ventes sur un même titre, seul le solde donne lieu à livraison. Donc :

– soit les achats sont supérieurs aux ventes, et la taxe est donc due sur la différence (position nette acheteuse) ;

– soit les ventes sont supérieures aux achats, et aucune taxe n’est due.

Selon la Cour des comptes, c’est ce fait générateur lié au transfert de propriété qui confère une base juridique solide à l’impôt, « dans la mesure où il fonde la légitimité de la France à percevoir une taxe sur les transactions effectuées à l’étranger ». La TTF est en effet prélevée sur des actions de sociétés exploitées en France mais cotées sur un marché réglementé, y compris étranger. « La disparition de la notion de transfert de propriété dans la définition de l’assiette taxable risque d’alimenter de nombreux contentieux sur la territorialité de l’impôt. » La Cour suggère cependant que ces difficultés pourraient être levées, notamment dans le cadre d’une réflexion engagée dans le cadre d’une loi de finances.

 

 

L’Association des marchés financiers (Amafi) souligne que les transactions intrajournalières sont essentielles à la liquidité du marché, car elles « permettent les arbitrages qui contribuent à résoudre les anomalies de marché et ainsi à établir le prix juste des actifs pour les investisseurs finaux. La viabilité de ces transactions repose sur la perception, par ceux qui les réalisent, d’une fraction d’écarts de cours très faibles. Cette viabilité se trouverait donc remise en question par l’application de la TTF. »

Selon Euroclear France, l’élargissement de l’assiette « pourrait engendrer des difficultés d’adaptation importantes chez les teneurs de comptes » (les banques et intermédiaires financiers). Même en tant que dépositaire central, Euroclear n’a pas connaissance de l’ensemble des transactions. Un inventaire complet des transactions intra‑journalières apparaîtrait « complexe » à mettre en œuvre. En outre, la déclaration des transactions intra‑journalières devrait être vérifiée depuis l’ensemble des lieux d’exécution.

L’AMF ajoute que la collecte de la TTF sur les opérations intra‑journalières « nécessiterait la mise en place d’un nouveau dispositif complexe, faisant appel, en particulier, aux informations détenues par les plateformes de négociation. Or, il convient de noter que nombre de ces acteurs sont étrangers, rendant la collecte de la taxe plus ardue. C’est notamment le cas des plateformes, dont la plupart se sont localisées aux Pays-Bas suite au Brexit, à l’instar de CBOE Europe, la plus grande bourse européenne en montants échangés sur actions, qui représente déjà près d’un quart des volumes échangés sur actions françaises sur des plateformes transparentes et dont la part croit très rapidement. »

Des difficultés pratiques sont ainsi avancées quant au nombre d’accords à mettre en place, aux protocoles de transmissions, au format des données, au croisement des informations, ou à la relance pour les informations non reçues.

L’AMF estime enfin que la collecte des données des plateformes entraînerait des effets d’éviction. Les participants de marché seraient « incités à privilégier les internalisateurs systématiques des banques et des entreprises de trading à haute fréquence (HFT). »

2.   Ces difficultés techniques ne constituent pas un obstacle dirimant

Le système de collecte de la TTF repose déjà largement sur une base déclarative, dans la mesure où les intermédiaires financiers redevables de la TTF déclarent à Euroclear les transactions et les montants correspondants aux achats d’actions (voir supra).

La taxation de l’ensemble des ordres d’achat, qu’il y ait transfert de propriété ultérieur ou non, conduirait donc à étendre ce système déclaratif déjà existant. C’est notamment une recommandation du prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz. Selon Euroclear, si les transactions intrajournalières étaient déclarées par les redevables de la même manière que les transactions qui leur sont actuellement transmises, les éventuels impacts techniques, matériels ou administratifs seraient difficiles à évaluer mais néanmoins « limités ». Ils pourraient l’être davantage pour les établissements financiers, mais tout impôt se heurte à la difficulté de capter efficacement son assiette. D’ailleurs, dans son référé de 2017, la Cour note qu’Euroclear n’a pas conclu de convention avec des plates-formes de négociation ou des chambres de compensation, contrairement à ce que prévoient les dispositions réglementaires. Ces conventions permettraient d’améliorer la connaissance des transactions taxables.

Enfin, il n’est pas surprenant que les systèmes d’information actuels ne permettent pas de collecter une TTF étendue. C’est justement l’extension de la TTF par le législateur qui conduira l’administration ainsi que les parties prenantes privées (infrastructures de marché, établissements financiers) à mettre en place les évolutions informatiques et le registre nécessaires au fonctionnement de cette nouvelle assiette et à la perception effective de l’impôt.

Enfin, l’identification des transactions intra‑journalières (et des dérivés) semblait réaliste à la commission européenne qui les avait inclues dans son projet initial de TTF. Le projet de TTF européenne vise ainsi les transactions brutes avant toute compensation.

In fine, l’extension de la TTF permettra d’approfondir la connaissance des marchés et des transactions qui y sont réalisées.

Le rapporteur a ainsi proposé un amendement spécifiant que les ordres soient taxés plutôt que les transferts de propriété, ce qui permet d’inclure effectivement les transactions intra-journalières dans l’assiette de la TTF ([24]).

Cet amendement est tombé du fait de la suppression de l’article en commission.

D’abord, comme on l’a vu, la mise en place de la TTF (aujourd’hui au taux de 0,3 % pour un rendement prévu en 2023 supérieur à 2 milliards d’euros) n’a eu aucun effet notable sur la liquidité de la place financière de Paris (voir supra).

En outre, certains intervenants sur le marché peuvent être qualifiés d’apporteurs de liquidité ou « market makers ». Ils contribuent à la liquidité et au bon fonctionnement du marché. Il convient de les distinguer des intervenants purement spéculatifs. En effet, Euronext leur applique diverses obligations pour améliorer la qualité du marché et écarter ceux qui spéculeraient seulement entre eux-mêmes. Ils s’inscrivent dans le cadre d’une « pratique de marché admise » prévue par l’AMF dans le cadre du règlement européen « Abus de marché » (MAR) ([25]).

D’après une étude de l’AMF de 2021 ([26]), une dizaine de prestataires de services d’investissement (PSI) ont été identifiés comme offrant ce service de liquidité, au bénéfice de 442 sociétés françaises en 2020, soit près de 70 % de la cote, dans le cadre de contrats de liquidité. Ces contrats permettent d’améliorer les spreads ([27]) ainsi que l’impact prix des transactions pour l’ensemble des titres (non liquides, liquides et très liquides). Les interventions de ces PSI dans le cadre de ces contrats sont limitées et portent sur moins de 1 % des montants échangés sur la Place de Paris.

Le rapporteur a porté un amendement en commission pour exonérer les opérations intra-journalières de ces apporteurs de liquidité de l’extension de la TTF ([28]), au regard de leur rôle particulier et de leur identification aisée, car adossée à un statut réglementaire prévu par l’AMF.

Cet amendement n’a pu être discuté du fait de la suppression de l’article 1er, mais cette proposition est reprise dans l’amendement de rétablissement déposé en vue de l’examen en séance publique.

La proposition de loi prévoit une application aux transactions réalisées à compter du 1er janvier 2024. Cette entrée en vigueur différée permettra aux acteurs de la place de Paris de prévoir les adaptations nécessaires à l’extension de la TTF. Elle pourrait être aménagée dans la navette s’il apparaissait que le délai prévu est trop court. La loi de finances pour 2017 avait ainsi prévu une entrée en vigueur différée d’un an pour l’extension de la TTF aux transactions intra‑journalières.

D.   L’extension aux produits dérivés peut être ciblée sur les dérivés d’actions

1.   Les produits dérivés sont parfois spéculatifs mais peuvent aussi satisfaire des besoins de couverture

Les produits dérivés sont des instruments financiers qui reposent sur des valeurs mobilières ou sur des indices de marché appelés « sous-jacents ». La valeur d’un produit dérivé dépend de celle de son sous-jacent au cours du temps.

Ainsi, « les dérivés permettent de prendre des positions très spéculatives avec une mise de fonds relativement modestes ». L’essor des produits dérivés interroge en outre par son ampleur. L’encours notionnel des dérivés est passé de 1 000 milliards de dollars dans les années 1980 à plus de 500 000 milliards de dollars en 2015 ([29]).

Néanmoins, les dérivés permettent aux agents économiques de gérer certaines des incertitudes associées à leurs activités et projets en couvrant les risques qui en découlent. Il s’agit notamment des risques de change, de taux d’intérêt, de volatilité et de fluctuation de prix des matières premières (risque de baisse du prix du blé par exemple).

2.   Des difficultés techniques sont également avancées

Les dérivés sont complexes, et souvent échangés en dehors des marchés réglementés.

Ainsi, la collecte de la TTF serait plus complexe à mettre en œuvre pour les dérivés que pour les actions en l’absence d’infrastructure centrale pour les dérivés OTC (Over the counter, négociés de gré à gré). Certains dérivés sont négociés sur des marchés organisés et sont compensés par une chambre de compensation (dérivés « listés »), mais l’AMF estime que la taxation de ces derniers aurait pour effet d’inciter le marché à délaisser les dérivés listés au profit des dérivés OTC, ce qui nuirait à la transparence du marché.

Une taxation des dérivés se heurterait en outre à la difficulté de définir juridiquement le périmètre des instruments concernés. L’AMF souligne que les dérivés portant sur des sous-jacents actions ne représentent qu’une faible part du marché des dérivés, qui est largement dominé par les dérivés de taux et de change. Elle estime que la mise en place d’une TTF française sur ce large périmètre ne semble pas envisageable. Pourtant, le projet de TTF de la commission européenne prévoit une assiette très large qui inclut tous les dérivés.

 

Du fait du caractère protéiforme des dérivés, il serait en outre aisé de contourner leur taxation, par exemple en constituant un sous‑jacent d’un ensemble composé à 99 % de l’action d’un émetteur soumis à la taxe, et à 1 % de devise ou d’actif monétaire.

3.   La taxation des dérivés d’actions constituerait un premier pas mesuré

Parmi les dérivés portant sur ces actions, les instruments dit single name (dont le sous-jacent est une action unique) représentent des volumes relativement limités : l’AMF estime que sur l’ensemble des valeurs françaises, les échanges sur dérivés single name représentent 12 % en nominal par rapport aux volumes échangés directement sur les actions. En pratique, l’essentiel des dérivés négociés sur actions porte sur plusieurs titres, notamment sur des indices. Selon l’AMF, les dérivés sur indices représentent 65 % des montants échangés directement sur actions. Ils peuvent être plus difficiles à taxer dans la mesure où ils peuvent comporter à la fois des titres français et étrangers (y compris au sein de l’indice CAC40 dont les composants n’ont pas tous leur siège social en France).

La taxation des dérivés sur actions et sur des indices constituerait un premier élargissement de l’assiette de la taxe vers les dérivés. Elle permettrait de mesurer les conséquences de la taxe sur ces produits financiers et le rendement qui pourrait en résulter sans risquer de pénaliser excessivement les opérations de couverture.

Le plus simple consisterait à taxer le montant notionnel du contrat dérivé, en suivant la méthode du projet de la commission européenne (voir ci‑dessus). Le taux serait de 0,03 % pour la souscription d’un contrat dérivé lié à des actions de sociétés concernées par la TTF.

En outre, afin de soutenir la transparence des marchés et d’attirer les dérivés vers des marchés réglementés, il serait possible de les taxer davantage lorsqu’ils sont négociés hors marchés réglementés. Cette recommandation suit l’exemple de l’Italie qui prévoit des taxations supérieures pour les actions et les dérivés hors marché réglementé.

S’agissant des dérivés, le rapporteur propose ainsi dans son amendement de rétablissement en séance publique ([30]) :

– d’élargir la TTF aux seuls dérivés liés à des actions ou à des indices répliquant des actions de sociétés concernées par la TTF ;

– de taxer leur montant notionnel à un taux de 0,03 % (taux dix fois inférieur à celui applicable aux achats d’actions) ;

– de taxer à un taux deux fois supérieur les dérivés négociés hors marché réglementé (0,06 %).

   TRAVAUX DE LA COMMISSION

   DISCUSSION GENERALE

Au cours de sa séance du mercredi 31 mai au matin, la commission a procédé à l’examen de la proposition de loi visant à élargir l’assiette de la taxe sur les transactions financières (n° 1145) - (M. Christophe Naegelen, rapporteur).

Mme Nadia Hai, présidente. Cette proposition de loi doit être examinée en séance au cours de la journée réservée au groupe LIOT, le jeudi 8 juin. Le président de la commission des finances a déclaré irrecevables cinq des quarante-et-un amendements déposés. Quatre d’entre eux portaient sur les modifications de l’assiette de la TTF (taxe sur les transactions financières) ou sur l’affectation de ses recettes ; ils pourront aisément être redéposés assortis d’un gage de recettes permettant de les rendre recevables. Le cinquième demandait un rapport sur la création d’une agence nationale de trading : trop éloigné de l’objet de la proposition de loi, il tombait sous le coup de l’article 45 de la Constitution.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Lors des auditions, les acteurs du secteur financier nous ont dit que la taxe sur les transactions financières était un mauvais impôt, mais qui fonctionne bien. Je dirais plutôt, après étude, que c’est un impôt logique, mais qui pourrait fonctionner mieux et, surtout, être plus juste.

Cet impôt est logique parce qu’il taxe le capital – de manière relativement faible, d’ailleurs – en vertu d’un champ d’application simple : les achats d’actions de grandes entreprises cotées – plus de 1 milliard d’euros de capitalisation, ce qui correspond à 130 entreprises concentrant l’essentiel des volumes de transaction. Il existe peu de risques de le contourner, grâce à un principe d’« émission » : peu importent la nationalité de l’investisseur, le lieu de cotation ou la nationalité de la société. Son rendement spontané est en hausse constante : alors qu’il était de 766 millions en 2013, 1,7 milliard est prévu en 2023. Ses coûts de collecte sont faibles, bien plus que ceux de l’impôt sur le revenu (IR). Le recouvrement est délégué à Euroclear, unique dépositaire central en France.

L’impact de la TTF sur l’attractivité de la place est très modéré : malgré les craintes lors de la création de cet impôt, en 2012, les volumes de transaction augmentent tendanciellement, la volatilité n’a pas baissé à long terme et la place connaît une dynamique de croissance. Des pays dotés de places financières robustes appliquent des taxes semblables ou dont le taux est parfois même plus élevé.

Mais cet impôt peut être amélioré pour être rendu plus juste. Son assiette est trop étroite : on taxe les transferts d’actions qui matérialisent une prise de position de long terme, mais pas d’autres transactions qui ont pourtant une utilité sociale et économique plus discutable, voire sont surtout spéculatives et ne créent pas de valeur ajoutée. Ainsi, on ne taxe pas les transactions intrajournalières, qui représentent pourtant environ 80 % des volumes de transaction, ni les produits dérivés qui peuvent servir de couverture, mais aussi d’outils de spéculation. J’ai donc déposé un amendement qui limite l’extension de la taxation à ces derniers, c’est-à-dire aux dérivés d’actions ou d’indices. Enfin, les modalités de collecte de la taxe sont peu transparentes et insuffisamment contrôlées, comme l’a relevé la Cour des comptes dans un référé de 2017.

Je propose donc d’élargir son assiette en taxant les transactions intrajournalières et les dérivés.

Depuis vingt ans, avec les progrès technologiques et la déréglementation des marchés qui ont réduit les coûts de transaction, on constate une explosion des volumes des transactions intrajournalières ; mais pour quelle utilité sociale, puisque cela ne signifie pas plus de financements pour les entreprises ? Le nombre et le volume précis des transactions intrajournalières n’est pas connu, faute d’un registre. Le Parlement avait voté leur taxation dans le cadre de la loi de finances pour 2017, mais l’a abrogée l’année suivante, avant l’entrée en vigueur de cet élargissement.

L’administration et la place de Paris objectent un obstacle technique : il faudrait se fonder sur un transfert de propriété acté par le dépositaire central Euroclear, qui intervient seulement sur le solde net de transactions à la fin de la journée. Pourtant, le système est déjà en grande partie déclaratif. On pourrait donc taxer les ordres sur une base déclarative.

Les gouvernements successifs bottent en touche au motif de la nécessité d’une TTF européenne. Or la Commission européenne a proposé dès 2011 une TTF incluant les dérivés et les transactions intrajournalières. Sa version a tout pour plaire – une assiette très large, une taxe peu distorsive, un taux bas. Pourtant, c’est la France qui bloque l’avancée du texte en proposant une assiette bien trop étroite pour les autres pays.

Je propose donc à la France d’avancer et de taxer les ordres d’achat plutôt que les transferts de propriété actés par Euroclear, ce qui permet d’inclure les ordres d’achat annulés par une transaction intrajournalière inverse. C’est une recommandation du Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz.

Je proposerai également, par amendement, d’exempter les apporteurs de liquidité (market makers) pour préserver l’attractivité de la place de Paris.

S’agissant des dérivés, s’ils peuvent servir de couverture, donc avoir une utilité financière et économique, ce sont aussi des outils de spéculation risqués et « en aucun cas ils ne répondent à des besoins d’investissement de moyen ou long terme » comme l’AMF (Autorité des marchés financiers) en avertit le public sur son site internet – si même elle le reconnaît… En outre, les dérivés étant souvent négociés hors des marchés réglementés, il serait utile d’inciter à renforcer la connaissance de ces outils et la transparence quant à leur utilisation.

Je souhaite que soient inclus les dérivés sur les actions. Il est paradoxal de taxer les détentions longues d’actions, mais pas les transactions plus spéculatives. Je suggère que nous nous inspirions de l’Italie, qui, malgré une taxation des dérivés, a la place financière la plus fréquentée en parts de marché, et taxe davantage les dérivés hors marché réglementé.

Il faut cependant préserver les atouts actuels de la taxe : un taux raisonnable qui ne décourage pas l’investissement de l’épargne en actions ni la cotation sur la place de Paris ; un champ d’assujettis protecteur, en conservant un seuil de capitalisation, dont on peut discuter le niveau, pour protéger les petites capitalisations moins liquides.

Cette proposition de loi servira à renforcer la transparence des marchés et le contrôle de l’application de la loi fiscale. La taxation des transactions intrajournalières et des dérivés incitera l’administration et la place à constituer enfin le registre des transactions et à donner les moyens de connaître la nature des transactions réalisées.

Je proposerai par amendement d’éclaircir les modalités de collecte de la taxe par Euroclear, qui préoccupent à juste titre plusieurs groupes, par la remise au Parlement, avant le prochain projet de loi de finances, d’un rapport détaillé qui fera également le point sur les contrôles mis en œuvre et sur les développements technologiques nécessaires à l’extension de l’assiette.

La proposition de loi contribuera enfin à désendetter l’État et à rééquilibrer la taxation du capital et celle du travail. La dette a augmenté de presque quinze points de PIB et dépasse 111 % du PIB en 2022 ; il est urgent de rétablir nos finances publiques compte tenu de la hausse des taux, qui aggravera la charge des intérêts. La taxation des transactions intraday et des produits dérivés pourrait générer plusieurs centaines de millions à plusieurs milliards selon différents rapports. Pourtant, le capital et le secteur financier ont bénéficié depuis 2017 d’allégements fiscaux importants – la flat tax sur les revenus du capital, la baisse de l’impôt sur les sociétés (IS) à 25 % au maximum et la suppression progressive de la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises).

Mme Nadia Hai, présidente. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. le rapporteur général ayant dû s’absenter, il prendra la parole à son retour.

M. Daniel Labaronne (RE). On peut être sensible aux trois objectifs que le rapporteur détaille dans l’exposé des motifs de la proposition de loi : faire contribuer le secteur financier, trouver de nouvelles ressources pour l’État et lutter contre la spéculation. Le problème est que l’élargissement de l’assiette de la TTF ne fera rien de tout cela.

En ce qui concerne le premier objectif, vous savez très bien, monsieur le rapporteur, que ce n’est pas le secteur financier qui paie la TTF, mais les entreprises ou les épargnants, c’est-à-dire les acteurs de l’économie réelle. Le référé de la Cour des comptes que vous avez évoqué le dit très bien : relisez-le !

S’il s’agit de trouver des ressources pour l’État, viser les transactions les plus volatiles et mobiles est une mauvaise stratégie : ces transactions sont facilement délocalisables. Votre taxe aura un rendement nul, comme le prouvent les expériences suédoise et italienne ainsi que la taxe sur le trading à haute fréquence instaurée en France. Pire, elle risque d’encourager les entreprises émettrices à déplacer leur siège social ou les intermédiaires financiers leurs activités, donc leur emploi, ce qui exposerait au risque d’une perte d’IS et d’IR.

Enfin, pour lutter contre la spéculation, c’est une mauvaise idée d’agir de manière unilatérale, au niveau français, sur des transactions très facilement délocalisables. Il n’y a qu’au niveau européen, au moins, que l’on peut espérer avoir un effet sur un système mondialisé. Et la France, en la matière, est à la pointe, contrairement à ce que vous avez dit.

L’élargissement de l’assiette de la TTF à l’intraday et aux produits dérivés pose un problème juridique et pratique insurmontable. Il a déjà été tenté deux fois en France ; chaque fois, le Gouvernement est revenu sur la mesure, pour des raisons juridiques. On peut le faire une troisième fois, mais voter des mesures inapplicables n’est pas de bonne pratique législative.

Si on veut lutter contre la spéculation, il faut s’attaquer au shadow banking et aux dark pools, ce que vous ne faites pas dans cette proposition de loi. Celle-ci manque ses objectifs et aurait des conséquences négatives sur notre économie, le financement de nos entreprises, nos emplois et nos recettes fiscales.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Notre groupe soutiendra évidemment cette excellente proposition de loi du groupe LIOT, qui prouve une fois encore en ce jour sa capacité à proposer des textes d’intérêt général, national et démocratique, permettant à tout le monde de discuter du fond – du moins quand on nous y autorise –, au lieu d’en rester à la forme comme on le fait trop souvent au sujet des textes du Rassemblement national. Nous aurions pu défendre sinon les mêmes dispositions, du moins la même philosophie : chercher l’argent là où il est et rétablir la justice fiscale ou, en tout cas, un ordre fiscal qui mette à contribution ceux qui doivent contribuer davantage, même si ce n’est qu’un début.

L’exposé des motifs le dit, les contribuables et les banques centrales sont venus à de nombreuses reprises au secours du système financier, qui était pourtant seul responsable de ses erreurs et de ses errements. La proposition de loi n’est donc qu’un juste retour des choses.

Vous avez aussi raison, monsieur le rapporteur, de viser les échanges intraday, qui non seulement ne produisent pas de valeur, mais sont toxiques pour l’économie française et occidentale en général. Il serait temps d’en tirer les conséquences alors que nous devons changer nos modes de production et de financement pour assurer la transition énergétique et le retour de l’industrie et des activités productives et rémunératrices pour les salariés.

Félicitations à vous, monsieur le rapporteur, et au groupe LIOT pour ce texte. Vous pourrez compter sur notre soutien. Il faut entendre la Macronie dire qu’il faut mieux lutter contre la finance internationale, alors qu’elle est en conflit d’intérêts permanent, entre ceux qui lui ont permis d’arriver au pouvoir et ceux qui lui permettent de s’y maintenir ! (Protestations sur les bancs du groupe RE.)

M. Mathieu Lefèvre (RE). Rappel au règlement. Que voulez-vous dire exactement, monsieur Tanguy ?

Mme Perrine Goulet (Dem). Des preuves, au lieu de raconter n’importe quoi !

Mme Nadia Hai, présidente. Gardons notre calme.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). La commission des finances s’est subitement transformée en commission d’enquête express. Je n’ai pas à répondre aux interpellations des commissaires. Je ne peux que les renvoyer aux différentes affaires que traite le PNF (Parquet national financier), par exemple les 600 millions d’euros apparus dans le petit milieu français dans l’affaire de la vente d’Alstom. Ce ne sont peut-être que des salades, mais j’invite ceux qui nous regardent à s’y intéresser de près.

Mme Nadia Hai, présidente. Évitons les invectives de part et d’autre et poursuivons nos travaux avec sérénité, même si le débat est passionnant et passionné.

M. Michel Sala (LFI-NUPES). L’idée de taxer les transactions financières n’est pas nouvelle. Dès 1930, Keynes était favorable à ce type de régulation du marché ; en 1972, James Tobin a été à l’origine d’un grand mouvement altermondialiste, dont Attac est l’une des héritières, visant à instaurer cette taxe sur la finance. L’efficacité de la taxe sur les transactions financières provient moins du gain financier attendu que de la limitation d’une spéculation nocive provoquée par l’absence de régulation.

Cette proposition de loi nous donne l’occasion d’agir pour une plus grande justice fiscale et d’abonder le budget de l’État. Sont en jeu les échanges intrajournaliers, qui s’additionnent sous l’effet des transactions à haute fréquence et créent un risque de spéculation touchant 25 à 40 % des échanges de la Bourse de Paris et 70 % des échanges mondiaux. Cette mécanique doit être mieux contrôlée grâce à l’augmentation des taux de l’impôt sur la finance et à l’extension de son assiette.

À la suite de la crise de 2008, l’ensemble du monde politique est sorti du bois pour réintroduire l’idée d’un contrôle accru des mécanismes financiers. Nicolas Sarkozy, longtemps réfractaire, a été obligé d’acter la TTF. Emmanuel Macron a quant à lui décidé de réduire son assiette en 2018.

L’élargissement réel de l’assiette de cet impôt pourrait contribuer à la lutte contre l’extrême pauvreté en allouant une part plus importante des fonds à l’aide publique au développement (APD). Nous espérons qu’un tel outil sera rediscuté au niveau européen, où le processus est bloqué depuis 2013. Appliquée aux pays du G20, une telle taxe rapporterait 156 à 260 milliards. Cette manne pourrait fournir les moyens nécessaires à la lutte contre le réchauffement climatique.

Ce type de taxe est indolore pour les ménages et les entreprises, car elle ne touche pas l’économie réelle. Elle rapporte aujourd’hui environ 2,2 milliards et son bilan a doublé depuis 2019. En dix ans d’application, les économistes n’ont révélé aucune perte d’attractivité.

Nous sommes donc favorables à cette PPL, qui a pour objectif plus de transparence et de régulation.

Mme Émilie Bonnivard (LR). La droite a toujours été favorable à une taxation raisonnable de la spéculation. C’est d’ailleurs Nicolas Sarkozy qui est à l’origine de l’instauration en France de la taxe sur les transactions financières, dont Emmanuel Macron a toujours combattu l’extension aux transactions intrajournalières.

La proposition de loi tend à augmenter le nombre d’activités imposables au titre de la TTF, afin d’accroître les recettes de l’État, mais en réduisant le champ aux activités spéculatives qui déstabilisent les marchés et ne financent pas l’économie réelle.

Nous sommes à un moment de la vie politique de notre pays où la justice sociale impose que l’effort soit demandé à tous.

On qualifie de bonnes taxes celles dont l’assiette est large et le taux réduit. Ce serait le cas de la TTF à la suite de cette proposition de loi. Toutefois, la taxation doit rester raisonnable – un tel équilibre fait partie de l’ADN de la droite – et non punitive, pour ne pas faire fuir les capitaux hors de France, ce qui serait totalement contre-productif.

Nous nous opposerons donc à tous les amendements visant à augmenter le taux ou à modifier le seuil d’éligibilité, mais nous voterons la proposition de loi, car elle rapporte des revenus élevés, est fortement redistributive, n’engendre pas de distorsion, n’entraînera que peu de fuite de capitaux et aucun renoncement à des transactions.

M. Mohamed Laqhila (Dem). Le groupe Démocrate est favorable à une taxation des transactions financières, qui nous semble le bon outil pour imposer efficacement le secteur.

Nous sommes néanmoins conscients de ses limites. Ainsi, la taxe ne régule pas clairement la volatilité, donc la spéculation. Elle a des effets négatifs sur le volume des transactions et, pire encore, sur la liquidité, réduisant la possibilité pour les épargnants de céder leurs titres sans subir une décote. Elle peut augmenter le coût du financement pour les entreprises alors que l’économie française a un besoin criant de fonds propres, notamment pour financer les investissements de demain. Enfin, elle peut conduire à un déplacement des capitaux vers d’autres zones non taxées, ce qui devrait nous encourager à l’instaurer dans la zone géographique la plus large possible, au moins au niveau de l’Union européenne. La discussion a été portée devant le G20, sans résultat pour le moment.

Au-delà des principes généraux, le texte en lui-même a des limites. L’élargissement de la taxe aux transactions intrajournalières a été tenté en 2016 et abandonné dès les années suivantes à cause des difficultés de mise en place – il fallait un changement complet des modalités de taxation. Avant d’essayer de nouveau, ne faudrait-il pas un vrai travail de fond et une vraie étude d’impact ?

Quant à la taxation des dérivés proposée, à un taux trente fois supérieur à celui que suggérait la Commission européenne en 2011, elle me semble néfaste. Qu’est-ce qu’un actif dérivé, sinon un contrat de couverture des risques ? Ce n’est pas un artifice de la grande finance, mais un outil utile à beaucoup d’entreprises. Un de nos collègues, agriculteur de métier, me rappelait hier qu’au sein de sa coopérative, on y avait recours chaque année pour sécuriser son revenu dans le temps en réduisant la très forte volatilité des prix agricoles. Je ne suis pas sûr que soumettre ces contrats à une taxe soit une bonne idée, surtout à ce taux.

Enfin, la France est vraiment en avance sur ses partenaires européens en la matière. Gardons-nous donc de fragiliser le secteur français. La priorité est d’avancer vers une taxe européenne, y compris dans le cadre d’une coopération renforcée. La proposition de la France et de l’Allemagne va dans le bon sens.

Nous voterons contre le texte, car cette belle idée doit progresser au niveau européen.

Mme Christine Pires Beaune (SOC). Cette proposition de loi est bienvenue. Les parlementaires socialistes demandent depuis au moins 2013 l’inclusion des transactions intrajournalières et des produits dérivés dans l’assiette de la TTF. Elle a été adoptée en 2016, mais censurée par le Conseil constitutionnel ; réadoptée définitivement début 2017, elle a malheureusement été enterrée à l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée. Depuis, nous n’avons de cesse de la demander à chaque budget, par des amendements défendus notamment par mon collègue Dominique Potier ou par moi-même.

Si le Président de la République a trouvé en 2017 qu’il était urgent d’attendre, c’est qu’il était convaincu que fragiliser la TTF permettrait à la place de Paris de rester compétitive, donc de voler les traders de la City une fois le Brexit venu. Manque de chance, ce n’est pas arrivé. Le pari était surprenant pour qui sait que le Royaume-Uni applique déjà lui aussi une taxe sur les transactions financières, dont le taux, de 0,5 %, est d’ailleurs supérieur à celui de la nôtre, ce qui n’empêche pas la City de respirer.

Augmenter le taux est l’objet de l’un de nos amendements. Au Royaume-Uni, la taxe rapporte 3 à 4 milliards d’euros par an. Elle pourrait rapporter autant en France, voire plus. Surtout, la taxe étendue pourrait impulser un mouvement pour une taxe européenne, alors que les débats sont au point mort à cause, notamment, de la position française en faveur d’une TTF minimaliste. L’Autriche menace même de quitter les négociations si la proposition de la France reste sur la table !

Le vote de la proposition de loi serait un signal fort du Parlement français à Emmanuel Macron afin que celui-ci révise la position française et propose enfin à l’Union européenne une TTF ambitieuse intégrant les transactions intraday et les produits dérivés, en ligne avec les résolutions du Parlement européen. Ce serait aussi un signal fort à l’approche du sommet pour un nouveau pacte financier mondial, qui se tiendra les 22 et 23 juin.

Mme Félicie Gérard (HOR). L’idée de faire davantage contribuer le secteur financier revient régulièrement dans nos débats à propos de l’impôt et des diverses taxes existantes. Si l’intention est louable, le projet comporte de nombreuses difficultés.

L’élargissement de la TTF aux transactions intrajournalières pose un problème technique majeur : il reviendrait à taxer les transactions même lorsqu’elles ne donnent pas lieu à un transfert de propriété ; la taxe porterait ainsi sur le flux et non sur l’acquisition réelle de l’action. Cela soulève de nombreuses questions juridiques qui ont déjà fait l’objet d’un débat dans notre assemblée, lequel s’était conclu par l’abrogation du dispositif, principalement en raison de ces difficultés techniques d’application. La Cour des comptes avait relevé les mêmes difficultés de mise en œuvre et les risques élevés de contentieux. Le texte qui nous est proposé aura les mêmes inconvénients.

La seule modification qu’il apporte consiste à étendre la taxe aux produits dérivés en France, ce qui nuirait considérablement à l’attractivité de notre place financière par rapport aux autres pôles financiers européens.

Pour ces raisons, le groupe Horizons et apparentés votera contre cette proposition de loi.

M. Hubert Julien-Laferrière (Écolo-NUPES). Le groupe Écologiste accueille bien sûr favorablement cette proposition de loi. Il s’agit de faire contribuer la finance la plus spéculative à nos politiques publiques, en particulier à la transition écologique. C’est une disposition que je défends par amendement au projet de loi de finances depuis cinq ans. Comment la refuser à l’heure où les inégalités sont de plus en plus criantes, où les plus modestes de nos concitoyens sont fragilisés par l’inflation et où les superprofits explosent ?

Les arguments d’infaisabilité technique que nous avons entendus sont les mêmes que ceux que l’on nous opposait au moment de la création de la taxe sur les transactions financières. En quatre ans seulement, ses recettes ont plus que doublé, pour atteindre plus de 2 milliards en 2023, selon les prévisions de l’État lui-même. On nous a aussi parlé d’harmonisation européenne ; on nous en parle depuis 2017. Vous nous avez dit, monsieur Labaronne, que la France était à la pointe en la matière ; je ne crois pas en avoir jamais entendu parler au moment de la présidence française de l’Union européenne.

M. Daniel Labaronne (RE). Vous ne connaissez pas le sujet.

M. Hubert Julien-Laferrière (Écolo-NUPES). Là n’est pas la question : avez-vous entendu le président Macron parler de la TTF pendant sa présidence de l’UE ?

Je veux cependant vous alerter sur un point. L’objet de la taxe créée par Nicolas Sarkozy est de financer la solidarité internationale. Comme beaucoup de taxes affectées, elle comporte une part affectée à son objet et une autre affectée au budget général. La part affectée à l’objet a été plafonnée à 528 millions, soit, à l’époque 50 % de ses recettes, mais seulement un quart aujourd’hui du fait de leur forte augmentation. J’espère que la proposition de loi sera votée et permettra d’accroître les recettes de la TTF, mais cela va faire paradoxalement baisser la proportion affectée à son objet. J’ai bien compris que l’article 40 allait nous empêcher de relever le taux affecté à la solidarité internationale, mais nous proposerons de le faire par amendement au projet de loi de finances.

M. Michel Castellani (LIOT). On nous dit que cette proposition va réduire l’influence de la place de Paris, mais elle ne vise que les transactions spéculatives. On nous dit qu’il faut attendre un règlement à l’échelle européenne, mais on risque d’attendre longtemps, puisque les choses sont au point mort depuis 2013. On nous dit que cette proposition va réduire le volume des transactions, mais il faut faire le rapport entre le coût et l’avantage. L’impôt sur les sociétés a aussi un effet d’éviction : faut-il pour autant le supprimer ? La réponse est non. C’est pourquoi nous sommes favorables à l’élargissement de l’assiette de la taxe sur les transactions financières.

La spéculation strictement financière a explosé. Elle est presque déconnectée de l’économie réelle et le capital devient une matière première que l’on transfère à l’infini, dans des montages de plus en plus complexes. Les excès de la spéculation ont déjà déstabilisé à plusieurs reprises notre vie économique et sociale et elle menace en permanence l’équilibre mondial.

Cette proposition est une bonne chose, à la fois pour nos finances publiques et pour l’équilibre mondial de la vie économique et sociale, et nous espérons que vous la soutiendrez.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je veux tout d’abord remercier M. Tanguy, M. Sala, Mme Pires Beaune, M. Julien-Lafferrière et M. Castellani pour leur soutien, et Mme Bonnivard pour avoir parfaitement résumé la situation en disant que nous sommes à un moment où nos concitoyens ont soif de justice sociale. Cette proposition de loi ne vise que les produits purement spéculatifs ; elle ne remet pas en cause la place de Paris ; et, surtout, elle vise à garantir davantage de justice sociale.

Monsieur Laqhila, cette proposition n’aurait aucun impact sur les liquidités des entreprises, car elle vise uniquement celles dont la capitalisation est supérieure à 1 milliard. Elles sont au nombre de 130 et n’ont aucun problème de liquidités. Certains amendements proposent d’ailleurs d’abaisser le seuil de capitalisation mais, à titre personnel, je n’y suis pas favorable, précisément parce que des entreprises qui ont moins de liquidités seraient alors visées.

Vous dites que cette mesure serait difficile à mettre en œuvre. Afin d’en simplifier l’application, je proposerai, par voie d’amendement, de supprimer la référence au transfert de propriété, ce qui ne posera pas de problème, dans la mesure où le système est déjà largement déclaratif. Par ailleurs, la taxation des dérivés ne sera pas trente fois supérieure à ce que propose l’Union européenne, car je proposerai de la ramener de 0,3 à 0,03 %, afin de l’harmoniser avec le rapport Barroso.

Vous avez prôné, pour finir, une coopération renforcée au niveau européen, mais je confirme ce qu’a indiqué Mme Pires Beaune : l’ancien ministre des finances autrichien, M. Gernot Blümel, a fait savoir que si le Parlement européen vote une taxation sur les transactions financières dont l’assiette est trop étroite – comme le souhaite la France –, il se retirera de tout accord de coopération.

La position de la France est pour le moins paradoxale. À l’échelle nationale, elle est pour la taxation des transactions financières, mais cela fait des années que c’est elle qui bloque l’adoption par le Parlement européen d’une telle taxation. Nous votons parfois la surtransposition de directives européennes qui ont des effets beaucoup plus négatifs sur les entreprises françaises que n’en aurait une taxation sur les dérivés à 0,03 %. Je vous invite donc à donner l’exemple en adoptant cette proposition de loi : la France ouvrirait ainsi la voie à une future taxation des transactions financières au niveau européen, que j’appelle aussi de mes vœux.

Monsieur Labaronne, c’est en 1984 que la Suède a introduit une taxation sur les transactions financières et elle l’a supprimée en 1990. Pour notre part, nous ne sommes pas restés bloqués dans les années 1990.


   EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
Élargissement de l’assiette de la taxe sur les transactions financières aux transactions intrajournalières et aux contrats dérivés

L’article prévoit d’étendre la TTF aux transactions intra‑journalières et aux contrats dérivés.

L’article est rejeté à la suite de l’adoption des amendements identiques CF1 et CF28 prévoyant sa suppression.

En l’état actuel du droit, la TTF porte seulement sur les acquisitions de titres de capital ou titres assimilés, d’entreprises dont le siège social est en France, cotées sur un marché réglementé et dont la capitalisation dépasse un milliard d’euros. L’acquisition doit donner lieu à un transfert de propriété pour être imposable : l’impôt porte sur la « position nette acheteuse », c’est-à-dire le montant net (des ventes) des titres achetés à la fin de la journée.

En pratique, il s’agit notamment des achats d’actions.

Sont donc exclues les transactions intra‑journalières, qui ne donnent pas lieu individuellement à un transfert de propriété, ainsi que les souscriptions de contrats dérivés.

Le présent article 1er propose donc d’étendre l’assiette à ces opérations en :

– supprimant l’exigence d’un transfert de propriété, ce qui doit conduire à une taxation des ordres d’achats (qu’ils soient ou non compensés par une vente inverse dans la même journée), et donc des transactions intrajournalières ;

– inclure dans les titres taxés les diverses catégories de dérivés.

Le rapporteur proposait par amendement d’affiner le dispositif en :

– clarifiant la taxation des ordres ([31]) ;

– exonérant les apporteurs de liquidité de la taxation des transactions intra‑journalières ([32]) ;

–  et en restreignant les dérivés inclus aux dérivés sur actions et indices tout en prévoyant de taxer leur montant notionnel ([33]) (voir supra). La suppression de l’article a fait tomber ces amendements.

 

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*     *

Article unique

Amendements de suppression CF1 de M. Charles Sitzenstuhl et CF28 de M. Daniel Labaronne.

M. Charles Sitzenstuhl (RE). Il y a ceux qui veulent aider la place financière de Paris et ceux qui, en soutenant ce texte, vont la plomber durablement. Nous pouvons être fiers de l’industrie financière et bancaire française qui, grâce à notre majorité, a formidablement su tirer profit du Brexit. L’idée d’élargir l’assiette de la taxe sur les transactions financières, qui peut avoir quelque chose de séduisant a priori, ne sera, en l’absence d’harmonisation européenne, qu’un formidable cadeau pour les places européennes concurrentes que sont notamment Francfort et Amsterdam. Le capital, parce qu’il est mobile, fuira notre pays. Rappelons-nous ce qui est arrivé à la Suède dans les années 1980 : elle est vite revenue sur cette taxe, parce qu’elle a été désastreuse pour sa place financière. En quelques années, elle s’est retrouvée durablement affaiblie : ne faisons pas la même erreur.

M. Daniel Labaronne (RE). Cette proposition de loi, si elle est adoptée, aura des conséquences dommageables sur le financement de nos entreprises. D’abord, elle risque d’augmenter le coût de transaction sur les actions. Vous parlez des entreprises émettrices, mais je vous rappelle qu’il y a, en face, des gens qui achètent des actions, par l’intermédiaire d’un courtier, et que c’est ce courtier qui verse à Euroclear le montant de la taxe pour le Trésor public. Vous allez renchérir le coût des actions, au moment où les entreprises ont besoin de fonds propres. Elles vont donc abandonner le marché des actions au profit des marchés bancaire et financier. Par votre proposition, ce sont ces secteurs que vous allez finalement favoriser.

Par ailleurs, si vous élargissez l’assiette, vous allez priver les entreprises de liquidités pour équilibrer le marché entre ceux qui offrent et ceux qui vendent des actions. Vous allez, enfin, priver les entreprises d’outils de prévention des risques opérationnels.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je suis évidemment défavorable à la suppression de l’article unique, car je souhaite que nous puissions examiner les amendements déposés sur ce texte, qui répondent à nombre des préoccupations formulées au cours de la discussion générale.

Pour revenir à la taxe suédoise, le contexte économique était très différent dans les années 1990 et, surtout, la Suède n’avait pas adopté, comme je le propose ici, le principe d’émission, qui est beaucoup plus difficile à contourner.

J’ai déjà rappelé que cette proposition de loi ne vise que les entreprises dont la capitalisation est très élevée et qui n’ont aucun problème de liquidités. Par ailleurs, j’ai déposé un amendement qui vise à exempter de cette disposition les apporteurs de liquidités, ou market makers : par conséquent, votre argument tombe.

M. Mathieu Lefèvre (RE). Je voterai ces amendements, non pas tant parce que je serais opposé sur le fond à l’élargissement de l’assiette de cette taxe que parce qu’il paraît évident que cet élargissement doit se faire, au minimum, sur la base d’un accord unanime des pays membres de la zone euro. Certains pays, comme l’Allemagne ou l’Autriche, n’ont même pas de taxe nationale et nous, nous irions élargir l’assiette de notre taxe ?

J’aimerais revenir, d’un mot, sur l’historique. Lorsque les socialistes ont adopté la taxe, en 1997, elle était à un taux zéro : elle était donc totalement inopérante et il y avait beaucoup d’hypocrisie derrière tout cela. Le premier Président de la République qui a relevé ce taux, c’est le président Sarkozy, en 2012. Mais de 2002 à 2012, si la droite n’est pas revenue sur ce taux, c’est précisément parce qu’elle savait que cela risquait de pénaliser la compétitivité de notre pays.

Monsieur Julien-Laferrière, l’aide au développement a beaucoup augmenté sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, puisqu’elle est passée de 10 milliards en 2017 à 15 milliards en 2022. Personne n’a à rougir de ce qu’a fait le Président de la République en faveur de l’aide au développement.

Mme Christine Pires Beaune (SOC). Le refus de débattre va-t-il devenir la marque de fabrique de la majorité ? Vous savez très bien que si vous supprimez l’article unique, vous mettez fin au débat. Laissez-le avoir lieu dans l’hémicycle ! De quoi avez-vous peur ? Ce texte est inscrit dans la niche parlementaire du groupe LIOT !

Nous avons déjà eu ce débat et il n’a rien de scandaleux. Nous avons des positions divergentes et chacun doit pouvoir exposer ses arguments dans l’hémicycle. Vous êtes en train de prendre de très mauvaises habitudes, qui sont dangereuses pour la démocratie.

Mme Nadia Hai, présidente. Je précise qu’il y a plusieurs amendements portant article additionnel après l’article unique : même si ces amendements de suppression sont adoptés, l’examen du texte n’est donc pas terminé.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article unique est supprimé et les autres amendements tombent.

Mme Alma Dufour (LFI-NUPES). Madame la présidente, pouvez-vous nous préciser combien il y a eu de voix pour et de voix contre ?

Mme Nadia Hai, présidente. Il y a eu vingt-six voix pour et dix-huit voix contre.

 


Article 2 (nouveau)
Rapport du Gouvernement au Parlement
sur les modalités de collecte de la TTF

Cet article a été introduit par l’adoption de l’amendement CF41 du rapporteur.

Il prévoit la remise par le Gouvernement d’un rapport permettant au Parlement d’obtenir davantage d’informations sur la collecte de la TTF.

La TTF est collectée par le dépositaire central Euroclear France (qui est une entreprise privée) dans le cadre d’un protocole signé avec l’administration fiscale. La Cour des comptes, en 2017, a estimé que ce protocole devait être amélioré, notamment s’agissant des contrôles mis en œuvre.

Le présent article résulte de l’adoption d’un amendement du rapporteur par la commission ([34]). Répondant aux préoccupations de plusieurs groupes politiques et tirant les conséquences des auditions menées qui ont établi le manque de connaissances sur la collecte de la TTF et les transactions réalisées sur la place financière de Paris (voir plus haut), il prévoit que le Gouvernement remette au Parlement, au plus tard à la date du dépôt du projet de finances pour 2024, un rapport qui fait le point sur les modalités de collecte de la TTF, notamment :

– sur le rôle et sur l’efficacité du dépositaire central et le cas échéant d’autres infrastructures post-marché dans la procédure de recouvrement ;

– sur le nombre et sur la portée des contrôles opérés par le dépositaire central et par l’administration fiscale et économique ;

– sur le volume et sur la nature des opérations financières concernées par la taxe ;

– et sur les développements informatiques et technologiques (l’administration ayant évoqué la perspective de recourir à la blockchain pour taxer les transactions intra‑journalières) nécessaires pour assujettir effectivement à la taxe sur les transactions financières les transactions intra-journalières et les produits financiers dérivés.

 

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Après l’article unique

Amendements identiques CF18 de M. Karim Ben Cheikh et CF21 de M. Hubert Julien-Laferrière.

M. Karim Ben Cheikh (Ecolo-NUPES). Alors que la TTF dégage des recettes de plus en plus élevées depuis plusieurs années, la part allouée à l’APD reste plafonnée, ce qui constitue un frein à la solidarité internationale.

Ce que nous critiquons, ce n’est pas tant le montant de l’APD française, qui est effectivement élevé, que sa structure, puisqu’elle consiste essentiellement en des prêts et que le niveau des subventions, insuffisant, ne permet pas d’intervenir, ou très peu, dans des zones pourtant prioritaires, comme le Sahel. Dans les zones où les États ne sont pas éligibles aux prêts, le seul mode d’intervention est la subvention, or son niveau a été très inférieur aux besoins depuis dix ans.

C’est pourquoi nous demandons que, dans un délai de trois mois après l’adoption de la présente loi, le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur l’affectation des recettes de la taxe sur les transactions financières et la pertinence d’augmenter la part allouée à l’aide publique au développement, actuellement fixée à 528 millions d’euros.

M. Hubert Julien-Laferrière (Écolo-NUPES). Cette taxe a été créée pour financer la solidarité internationale. Je ne suis pas opposé à ce qu’une partie des recettes qu’elle engendre aille au budget général, mais il est curieux que l’aide publique au développement, qu’elle était censée financer, ne profite absolument pas de l’augmentation de ces recettes.

Je ne conteste pas, et j’ai toujours salué, l’augmentation du budget de l’APD sous le précédent quinquennat, mais là n’est pas la question. Il n’y a jamais trop d’argent pour la solidarité internationale, d’autant que nous n’avons toujours pas atteint l’objectif, fixé en 1960, de lui consacrer 0,7 % de notre PIB. Il semblerait logique d’augmenter, ne serait-ce qu’un peu, la part de TTF affectée à l’APD. On a bien compris qu’on ne pourrait pas le faire dans le cadre de cette proposition de loi, mais il faudra en débattre lors de l’examen du projet de loi de finances.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Le financement de l’aide publique au développement mérite un débat à part entière et ce n’est pas l’objet de cette proposition de loi. Je vous invite donc à retirer vos amendements.

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général. Madame Pires Beaune, vous savez très bien que ce texte sera examiné dans l’hémicycle et qu’il n’est pas question pour nous de le censurer. Toutefois, puisqu’il ne comporte qu’un article et que nous y sommes fondamentalement opposés, il est logique que nous ayons souhaité le supprimer. Nous privilégions une approche européenne, car nous ne voulons pas brider le potentiel de la place française.

Par ailleurs, il me semble que, sur le texte précédent, vous n’avez vous-même déposé que des amendements de suppression.

La commission rejette les amendements.

Amendements identiques CF19 de M. Karim Ben Cheikh et CF22 de M. Hubert Julien-Laferrière.

M. Karim Ben Cheikh (Ecolo-NUPES). Nous demandons que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur le rendement attendu d’un élargissement de l’assiette de la taxe sur les transactions financières aux transactions intrajournalières ainsi que sur sa faisabilité technique et sur l’inaction de l’administration à ce sujet, alors même que cet élargissement avait été voté dans les PLF pour 2016 et pour 2017.

M. Hubert Julien-Laferrière (Écolo-NUPES). L’audition de la direction générale du Trésor nous a montré les difficultés techniques que pose l’élargissement de l’assiette.

Plutôt que de rendre les armes, nous demandons que le Gouvernement remette au Parlement un rapport explorant les diverses possibilités techniques qui s’offrent à nous. À l’époque, on répétait à Tobin que sa taxe était impossible à mettre en œuvre techniquement. Aujourd’hui, elle rapporte plus de 2 milliards au budget de la nation. Il faut donc creuser les pistes d’un élargissement de son assiette.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. L’amendement CF41, que je défendrai dans un instant, est une demande de rapport qui englobe ces questions. Je vous invite donc à retirer vos amendements et à travailler, en vue de la séance, à un amendement commun à tous les groupes.

Les amendements sont retirés.

Amendement CF13 de M. Jocelyn Dessigny.

M. Jocelyn Dessigny (RN). La taxation des opérations de trading à haute fréquence et intrajournalières se heurte à une impossibilité matérielle. En effet, l’assiette juridique retenue pour cette taxe est le transfert de propriété et il n’y en a pas dans les opérations précitées.

Toutefois, des auditions menées par M. le rapporteur, il ressort que la technologie blockchain pourrait permettre d’identifier en temps réel les donneurs d’ordre de ces opérations. Dès lors, cette technologie pourrait permettre à l’administration fiscale de saisir dans son périmètre d’imposition les opérations de trading visées.

Pour amorcer cette perspective de travail, le groupe Rassemblement national demande au Gouvernement de bien vouloir remettre au Parlement un rapport sur l’apport possible de cette technologie pour la mise en œuvre d’une taxation des opérations de trading à haute fréquence et intrajournalières.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je vous ferai la même réponse que sur les amendements précédents : mon amendement CF41 reprend ces éléments.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CF41 de M. Christophe Naegelen.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Cet amendement regroupe les différentes demandes de rapport qui ont été formulées.

Je propose que le Gouvernement remette au Parlement un rapport : sur le rôle et l’efficacité du dépositaire central, à savoir Euroclear et, le cas échéant, d’autres infrastructures post-marché, dans la procédure de recouvrement ; sur le nombre et la portée des contrôles opérés par le dépositaire central et par l’administration fiscale et économique ; sur le volume et la nature des opérations financières concernées par la taxe ; enfin, sur les développements informatiques et technologiques nécessaires pour assujettir effectivement à la taxe sur les transactions financières les transactions intrajournalières et les produits financiers dérivés.

M. Michel Castellani (LIOT). Je sais que les demandes de rapport sont toujours mal vues, parce qu’on les considère comme une perte de temps, mais celle-ci paraît légitime, compte tenu de l’ampleur du problème, des volumes de capitaux en jeu et de la complexité des mécanismes. Nous sommes face à un système qui peut déstabiliser la vie économique et sociale mondiale.

Alors qu’on demande à tous les propriétaires de déclarer au fisc leur date de naissance, la nature de leurs propriétés, la date et le lieu de naissance de leurs locataires, on laisse des milliards s’échanger tous les jours, sans savoir qui se cache derrière. Nous voterons donc cet amendement.

La commission adopte l’amendement à l’unanimité.

Amendement CF36 de M. Jean-Philippe Tanguy.

M. Jocelyn Dessigny (RN). L’abandon de l’extension de l’assiette de la taxe sur les transactions financières a été en partie motivé, officiellement, par des difficultés techniques de mise en œuvre, pour la partie relative au trading haute fréquence.

Selon un rapport de la Cour des comptes de 2017 sur le sujet, l’organisation actuelle de l’administration fiscale ne permettrait qu’un contrôle a posteriori et laborieux. En effet, la gestion de la taxe sur les transactions financières repose sur une perception principalement effectuée par Euroclear France, unique dépositaire central agréé en France par l’Autorité des marchés financiers, lié à l’administration des finances par un protocole conclu le 7 septembre 2012 avec la direction générale des finances publiques et la direction générale du Trésor.

Or Euroclear France, en dépit de sa fonction de dépositaire central, n’aurait pas connaissance de l’ensemble des transactions potentiellement assujetties à la taxe. Cela découle notamment du fait que les opérations de règlement-livraison interviennent en fin de traitement des transactions et portent sur des montants consolidés, les achats étant compensés par des ventes.

Par ailleurs, Euroclear France n’avait, en 2017, jamais signé de convention avec des plateformes de négociation ou des chambres de compensation en vue d’obtenir des informations sur les transactions effectuées et de les comparer à celles qui lui sont déclarées.

Afin de lever ces difficultés techniques préalables à l’extension de l’assiette de la TFF au trading haute fréquence, le présent amendement demande la production d’un rapport sur la révision des relations entre Euroclear France et l’administration fiscale, nécessaire à la mise en œuvre de la présente proposition de loi.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Votre amendement est satisfait par l’adoption de mon amendement CF41. Je vous invite donc à le retirer.

La commission rejette l’amendement.

Titre

Les amendements CF32 de M. Daniel Labaronne et CF20 de M. Mathieu Lefèvre sont successivement retirés.

Amendement CF2 de M. Charles Sitzenstuhl.

M. Charles Sitzenstuhl (RE). Je vais retirer mon amendement, mais je voudrais revenir sur le cas suédois, que je ne prends pas à la légère. Je vous renvoie à la documentation économique et aux déclarations que les différents ministres suédois des finances ont faites dans les années 2000 pour expliquer les problèmes qu’a causés cette taxe et les raisons pour lesquelles la Suède l’a supprimée.

À l’époque, le capital était déjà mobile, mais moins qu’aujourd’hui. Cette nouvelle mouture de la taxe poserait encore plus de difficultés et aurait des conséquences encore plus graves qu’à l’époque en Suède.

L’amendement est retiré.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je me réjouis, chers collègues, que vous ayez renoncé à défendre vos amendements tendant à modifier le titre de la proposition de loi, car ils n’étaient pas très sérieux.

Je regrette que nous n’ayons pas pu débattre des amendements déposés sur l’article unique, car ils auraient écarté les inquiétudes qui se sont exprimées au cours de la discussion générale. J’espère que nous pourrons en discuter dans l’hémicycle.

Pour revenir une dernière fois à la Suède, en choisissant, dans cette proposition de loi, le principe d’émission, nous ne risquions pas de connaître la même situation que la Suède dans les années 1980.

Je remercie les collègues qui ont soutenu cette proposition de loi et je déposerai en vue de la séance publique un amendement de rétablissement de l’article unique, intégrant les amendements que j’avais déposés pour modifier le texte initial.

La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.


LISTE DES PERSONNES AUDITIONNEES PAR LE RAPPORTEUR

Direction générale du Trésor

– M. Sébastien Raspiller

– M. Mehdi Ezzaim

Association des marchés financiers (AMAFI) et Euronext

– M. Stéphane Giordano

– Mme Stéphanie Hubert

– Mme Delphine d’Amarzit

– Mme Charlotte Alliot

– M. Vincent Boquillon

– Mme Lucie Gallagher

Autorité des marchés financiers (AMF)

– M. Benoît de Juvigny

– Mme Laure Tertrais

– M. Julien Leprun

Personnalité qualifiée

– M. Gunther Capelle‑Blancard, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon‑Sorbonne et membre du conseil scientifique de l’AMF

Euroclear France (questionnaire écrit)

Direction générale des finances publiques (questionnaire écrit)


([1])  Article 235 ter ZD bis du CGI.

([2])  Au sens de l’article 209 du CGI, c’est-à-dire qui exerce une activité habituelle en France.

([3])  Gunther Capelle‑Blancard, 2021, « La taxation des transactions financières : une vraie bonne idée »

([4])  Même étude.

([5])  Règlement UE 236/2012 du 14 mars 2012 sur la vente à découvert et certains aspects des contrats d’échange sur risque de crédit.

([6])  Article 235 ter ZD du CGI.

([7])  Contrairement à l’ancien impôt sur les opérations de Bourse (IOB), ou à la TTF suédoise, mal conçus dans un contexte de libéralisation financière car visant les intermédiaires financiers établis en France (ou en Suède), que ces opérations portent ou non sur des titres d’entreprises françaises (ou suédoises). Les intermédiaires et les transactions sont plus délocalisables que le siège social.

([8])  Lien.

([9])  Incluant, outre le marché réglementé, les systèmes multilatéraux de négociation Euronext Growth et Euronext Access.

([10])  Alice Fournier, Revue de droit fiscal, 2021, « L’éternel retour de la taxe européenne sur les transactions financières ».

([11])  Lien.

([12])  Amendement  CF41

([13])  Gunther Capelle‑Blancard, 2021, « La taxation des transactions financières : une vraie bonne idée », précité.

([14])  Un actif financier (actions, obligations, etc.) est dit liquide lorsqu’il peut être acheté ou vendu rapidement sans que cela n’ait d’impacts majeurs sur son prix. La liquidité reflète donc la facilité avec laquelle cet actif peut être échangé. Ainsi, plus un marché est liquide, plus il est aisé, rapide et peu coûteux d’y réaliser des transactions (AMF).

([15])  La valeur d’une action ou d’un fonds fluctue en permanence. La volatilité est un indicateur qui mesure l’amplitude de ces hausses et de ces baisses. Quand la volatilité est élevée, la valeur du capital investi peut baisser de façon importante, mais une volatilité élevée s’accompagne généralement d’une espérance de rendement intéressante (AMF).

([16])  Proposition de directive du Conseil établissant un système commun de taxe sur les transactions financières et modifiant la directive 2008/7/CE /* COM/2011/0594 final - 2011/0261 (CNS) *. Lien

([17])  Proposition de directive du conseil mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la taxe sur les transactions financières/* COM/2013/071 final - 2013/0045 (CNS) */. Lien

([18])  La coopération renforcée permet à un minimum de neuf États membres de l’UE d’établir une intégration ou une coopération accrue dans un domaine particulier, quand il apparaît évident que l’UE dans son ensemble ne peut pas parvenir aux objectifs d’une telle coopération dans un délai raisonnable.

([19])  Libération, « Le véritable adversaire, la taxe sur les transactions financières ? » 2014.

([20])  Lettre du 22 janvier 2020 du ministre autrichien des finances adressée aux ministres des finances des États membres participant à la coopération renforcée, transmise au rapporteur.

([21])  Décision 2020/2053 du 14 décembre 2020 relative au système des ressources propres de l’UE.

([22])  The EU’s 2021-2027 long-term budget and NextGenerationEU

([23])  Article 113 du Traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE).

([24])  Amendement  CF37

([25])  Règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014.

([26])  AMF, « Analyse rétrospective de l’impact des contrats de liquidité sur le marché français (décembre 2019 – mai 2020) et pistes d’évolution de la pratique de marché admise », avril 2021. Lien

([27])  Le « bid-ask spread » ou écart de cotation est l’écart entre le prix d’achat et le prix de vente.

([28])  Amendement  CF42

([29])  Gunther Capelle‑Blancard, 2021, « La taxation des transactions financières : une vraie bonne idée », précité.

([30])  Amendement  31

([31])  Amendement  CF37

([32])  Amendement  CF42

([33])  Amendement  CF38 rectifié

([34])  Amendement  CF41