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N° 1360

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 juin 2023.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION tendant à la création d’une commission d’enquête sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l’exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire (n° 1310),

PAR M. Dominique POTIER,

Député

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Voir le numéro : 1310.

 


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Mesdames, Messieurs,

M. Dominique Potier, Mme Mélanie Thomin et les membres du groupe Socialistes et apparentés (membre de l’intergroupe NUPES) ont déposé, le 1er juin 2023, une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l’exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire.

En application de l’article 140 du Règlement de l’Assemblée nationale, « les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont renvoyées à la commission permanente compétente ». Il appartient donc à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de se prononcer sur cette proposition.

Le président du groupe Socialistes et apparentés a exercé le pouvoir confié à certains présidents de groupe par l’article 141, alinéa 2, du Règlement, qui prévoit que « chaque président de groupe d’opposition ou de groupe minoritaire obtient, de droit, une fois par session ordinaire, à l’exception de celle précédant le renouvellement de l’Assemblée, la création d’une commission d’enquête ».

Dans le cadre de ce « droit de tirage », comme le prévoit l’article 140, alinéa 2, du Règlement, la commission compétente doit uniquement vérifier si les conditions requises pour la création de la commission d’enquête sont réunies, sans se prononcer sur l’opportunité de la commission d’enquête. Aucun amendement au texte de la proposition de résolution n’est recevable. Par la suite, si la commission estime que les conditions requises pour cette création sont réunies, la Conférence des présidents prendra acte de la création de la commission d’enquête.

Ces conditions sont au nombre de trois.

1° Tout d’abord, l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires dispose que « les commissions d’enquête sont formées pour recueillir des éléments d’information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales ». Cette condition est réitérée à l’article 137 du Règlement, qui prévoit que les commissions d’enquête « doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ».

Dans le cas présent, la proposition de résolution vise à créer une commission d’enquête « sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l’exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire ».

L’exposé des motifs de la proposition de résolution éclaire sur les faits qui motivent la création d’une telle commission d’enquête. Il s’agit d’établir les causes de l’incapacité de la France à mettre en place une politique de réduction massive de l’usage de tels produits dans l’agriculture, malgré la multiplication au cours des dix dernières années des connaissances et des études scientifiques démontrant la nocivité des produits phytosanitaires pour la santé humaine, mais aussi pour la biodiversité.

La France s’est dotée de plusieurs plans gouvernementaux successifs, dits « Ecophyto ». Le deuxième plan Ecophyto avait pour objectif de réduire de 50 % l’usage des pesticides à l’horizon 2025. Or, cet objectif paraît aujourd’hui difficilement atteignable, alors que la troisième génération de plan « Ecophyto 2030 » est en cours d’élaboration. La commission d’enquête identifierait donc les freins juridiques, politiques, économiques et sociétaux empêchant d’appliquer à la lettre les orientations décidées dans ces plans et la règlementation européenne. Elle porterait, en conséquence, sur la cohérence d’ensemble de la politique de la France et les difficultés ou obstacles pouvant résulter d’une défaillance éventuelle de la coordination entre les ministères, de certaines pratiques des acteurs privés concernés ou d’un manque d’anticipation. Elle porterait également sur le mécanisme des autorisations de mise sur le marché et les pouvoirs ainsi que l’expertise des agences publiques évaluant les effets des produits phytosanitaires.

Cette commission d’enquête se déroulerait dans un contexte européen en pleine évolution, en raison, notamment, de la refonte en cours de la directive cadre sur les produits phytopharmaceutiques en un règlement relatif à l’usage durable de ces mêmes produits. Ce règlement pourrait imposer un objectif global – pour l’ensemble des États membres – de réduction d’au moins 50 % de l’usage de ces produits, d’ici à 2030, par rapport à la période 2015‑2018 ou la période 2018‑2020.

Les auteurs de la présente proposition de résolution estiment qu’il serait pertinent de s’intéresser aux politiques publiques menées au cours des dix dernières années. En effet, au cours de cette période, de nombreuses études de santé publique et de santé environnementale ont été conduites, de nombreuses initiatives ont été prises par la puissance publique et le cadre législatif et réglementaire a été plusieurs fois modifié.

Les objectifs que la commission d’enquête poursuivrait apparaissent donc décrits avec une précision suffisante, s’agissant tant du champ de ses investigations que des propositions qu’elle pourrait être amenée à formuler. Il reviendra au bureau de la commission d’enquête d’éventuellement préciser ce champ et les axes de travail.

2° En deuxième lieu, l’article 138 du Règlement prévoit l’irrecevabilité de « toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre ».

La proposition de résolution remplit ce critère de recevabilité. Aucune commission d’enquête ni aucune mission d’information disposant des pouvoirs d’une commission d’enquête en application de l’article 145‑1 du Règlement n’a achevé ses travaux il y a moins de douze mois.

La dernière commission d’enquête sur les produits phytosanitaires et leurs effets remonte à 2019. La commission d’enquête sur l’impact économique, sanitaire et environnemental de l’utilisation du chlordécone et du paraquat comme insecticides agricoles dans les territoires de Guadeloupe et de Martinique, sur les responsabilités publiques et privées dans la prolongation de leur autorisation et évaluant la nécessité et les modalités d’une indemnisation des préjudices des victimes et de ces territoires a rendu ses travaux en décembre 2019. De plus, elle ne concernait que deux départements et régions d’outre-mer particuliers et ne portait pas sur l’ensemble des produits phytosanitaires.

3° Enfin, le I de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 précitée dispose qu’« il ne peut être créé de commission d’enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours ».

L’application de cette disposition est précisée de la manière suivante par l’article 139 du Règlement de l’Assemblée nationale :

« Le dépôt d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête est notifié par le Président de l’Assemblée au garde des sceaux, ministre de la justice.

« Si le garde des sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, celle-ci ne peut être mise en discussion. »

Interrogé par la Présidente de l’Assemblée nationale, M. Éric Dupond‑Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice, lui a fait savoir dans un courrier en date du 13 juin 2023 qu’à sa connaissance, aucune poursuite judiciaire n’était actuellement en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de cette proposition de résolution.

En conclusion, selon votre rapporteur, la création d’une commission d’enquête sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l’exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire est, d’un point de vue juridique, recevable.


EXAMEN EN commission

Lors de sa réunion du mercredi 14 juin 2023, la commission a examiné, sur le rapport de M. Dominique Potier, la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l’exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire (n° 1310).

M. le président Jean-Marc Zulesi. Mes chers collègues, nous débutons la réunion avec l’examen de la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l’exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire.

Cette proposition émane du groupe Socialistes et apparentés qui a indiqué, lors de la conférence des présidents du 6 juin dernier, qu’il souhaitait user de son droit de tirage. Nous ne devons donc pas nous prononcer sur l’opportunité d’une telle commission d’enquête mais simplement vérifier que sa création est juridiquement recevable, conformément à l’article 140 alinéa 2 de notre règlement. Aucun amendement n’est recevable.

M. Dominique Potier, rapporteur. Je suis heureux de vous présenter, avec Mélanie Thomin, cette proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête, qui sera bientôt constituée de trente membres, comme le règlement de notre Assemblée le prévoit. Trois faits récents, qui ont rappelé les effets toxiques des produits phytosanitaires pour la santé humaine et environnementale, expliquent que l’opposition ait décidé d’utiliser son droit de tirage.

Tout d’abord, le collectif de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) a à nouveau souligné dans son rapport actualisé de 2021 la forte présomption d’un lien entre l’exposition aux pesticides et la survenue de maladies neurodégénératives.

Ensuite, une étude publiée en mai dernier a révélé l’effondrement de la biodiversité.

Enfin, diverses publications ont alerté quant à la dégradation de la qualité des eaux superficielles et des nappes phréatiques. Si cette dégradation est aussi le fait des polluants éternels, elle est surtout due à une pollution d’origine agricole par les pesticides et les biocides. Dans ces conditions, les méthodes d’épuration fondées sur la dilution seront complexes à appliquer en cas de stress hydrique.

Depuis 2009, la France, dans la dynamique des règlements européens, a mis en œuvre un plan Écophyto. La Première ministre en a annoncé la quatrième version au salon de l’agriculture. Les bienfaits sont multiples. Ainsi, le programme Certiphyto a permis de former les agriculteurs et de mener une campagne de prévention massive. Le fonds Phyto-Victimes a été créé en 2019 et son bilan a été unanimement salué par la commission des affaires sociales, lors de sa présentation par la Mutualité sociale agricole.

Surtout, la grande majorité des molécules les plus nocives, dites CMR –cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction – ont été retirées grâce à la mission dévolue à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) par une décision politique majeure prévue dans la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt de 2014.

Le réseau des 3 000 fermes Déphy est une réussite. Ce laboratoire vivant a démontré que l’on pouvait réduire la pression pesticide de 26 % sans altérer le revenu des agriculteurs.

Enfin, des solutions dites de biocontrôle et de programme de recherche inédits sont développées.

Ces résultats restent cependant très insuffisants et éloignés des objectifs fixés. Non seulement nous sommes en retard mais surtout, nous continuons à utiliser massivement des produits chimiques. Pire, la révolution culturelle qui semblait acquise quant à la nécessité de s’affranchir de notre dépendance aux produits phytosanitaires est remise en cause dans le contexte des tensions consécutives à la guerre en Ukraine et à la concurrence déloyale sur le marché mondial. La logique productiviste est de retour dans les discours publics et privés.

D’autre part, l’expérimentation des certificats d’économie des produits phytosanitaires, inspirée par une proposition du rapport que j’avais remis au Premier ministre en 2014, a été remise en cause par la décision de séparer la vente du conseil en matière de produits phytosanitaires, prise dans la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi Egalim. Cette mesure, sans doute prise de bonne foi, n’est pas jugée efficace par la majorité des parties prenantes. Je serai chargé, avec Stéphane Travert, de l’évaluer dans le cadre d’une mission d’information.

Pire, les missions de l’Anses, chargée de protéger les populations et l’environnement, prévues à l’article L. 1313-1 du code de la santé publique sont remises en cause. Il en est de même du règlement européen relatif à la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques.

Ces dérives justifient que nous demandions la constitution d’une commission d’enquête pour rétablir la vérité et éclairer l’avenir.

La commission d’enquête visera à identifier les causes structurelles et conjoncturelles de l’incapacité à atteindre les objectifs du plan de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale, en particulier depuis une décennie et le rapport de l’Inserm. Elle s’attachera notamment à mesurer la pertinence du pilotage interministériel des priorités d’actions dans les filières et les territoires. Elle visera à rendre visible le jeu des acteurs incarnant la puissance publique et des représentants des intérêts privés dans la définition des objectifs opérationnels et la mise en œuvre des moyens afférents. Elle portera un regard singulier sur les enjeux propres au statut et à la mission des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire et de la recherche. Elle évaluera la performance de l’allocation des crédits publics affectés et la cohérence budgétaire et réglementaire avec l’ensemble des politiques publiques incidentes (politique agricole commune et plan stratégique national, alimentation, santé, commerce extérieur, droit foncier, eau, industrie…). Elle dressera un tableau des coopérations opérationnelles qui sont engagées à l’échelle européenne. Elle observera comment est intégrée l’approche One Health afin de permettre un déverrouillage systémique de ce qui fait encore aujourd’hui obstacle à la réussite du plan Écophyto.

Enfin, la commission d’enquête sera attentive à la capacité de la France à relever le triple défi de la garantie de la souveraineté alimentaire et du revenu des agriculteurs, de l’impact du dérèglement climatique sur le plan phytosanitaire et de l’adéquation à l’ambition du règlement européen dit SUR.

Depuis que vous m’avez nommé rapporteur, la semaine dernière, il a fallu procéder à quelques vérifications. Le garde des Sceaux, par un courrier du 13 juin, a indiqué qu’aucune procédure judiciaire en cours ne serait de nature à entraver ou limiter les travaux de cette commission d’enquête. Nous nous sommes également assurés qu’aucun travail parlementaire récent n’avait été réalisé sur le sujet, qui aurait rendu superfétatoire cette commission. La dernière commission d’enquête sur ces questions, qui remonte à 2019, concernait le chlordécone, utilisé en Martinique et en Guadeloupe.

La commission d’enquête devra rendre ses travaux dans six mois

M. le président Jean-Marc Zulesi. Nous en venons aux orateurs de groupe.

Mme Sandrine Le Feur (RE). Nous examinons la recevabilité de la proposition de résolution de nos collègues socialistes. Ils tentent de relever un défi de taille : la maîtrise des externalités négatives des produits phytosanitaires pour notre santé et l’environnement. En vertu des conditions fixées par le règlement de l’Assemblée nationale, notre groupe considère que cette proposition de résolution est recevable. En effet, aucune mission n’a été récemment réalisée sur ce sujet. L’objet de l’enquête est précis, à savoir la gestion interministérielle de ces risques, avec une attention portée à l’indépendance de cette gestion, sa cohérence, ainsi que son efficacité.

À son caractère recevable s’ajoute sa légitimité. Depuis plusieurs années, la question de la réduction des effets négatifs de l’usage des produits phytosanitaires revient régulièrement dans nos débats sans que nous n’ayons pu trouver une solution. Le sujet mérite que l’on y prête une attention particulière car il y a urgence sanitaire et environnementale. Je suis donc favorable à cette proposition de résolution et nous remercions le groupe Socialistes et apparentés d’en avoir pris l’initiative.

M. Antoine Vermorel-Marques (LR). Vous avez raison : nous avons affaire à des enjeux majeurs en ce qui concerne la qualité de l’eau, la biodiversité et la santé de nos concitoyens.

Mais nous vous invitons à ne pas cantonner les travaux de la commission d’enquête au seul cas français. Les importations de produits agricoles sont de plus en plus importantes, et elles interviennent dans des conditions de concurrence déloyale pour les agriculteurs tout en posant des problèmes pour la santé. La part des produits alimentaires provenant de l’étranger dépasse désormais les 20 %.

Nous vous invitons donc à vous pencher sur le droit communautaire et sur les dérogations obtenues par nos voisins européens mais aussi en dehors de l’Union européenne. Il s’agit d’éviter de tomber dans le dénigrement systématique de l’agriculture française.

M. Bruno Millienne (Dem). Cette commission d’enquête me paraît bien évidemment nécessaire.

Cela dit vous connaissez l’engagement de notre groupe sur ces sujets, monsieur Potier. Cette commission d’enquête est l’occasion de remettre à plat tout ce qui se dit sur les produits phytosanitaires et de voir quelles sont les pratiques en Europe. Même si la France n’est peut-être pas un modèle de vertu en matière sanitaire s’agissant de l’agriculture, elle est en tout cas en tête de peloton en Europe.

Il faut donc envoyer un message à nos partenaires, car il est insupportable de trouver sur les étals de nos marchés des produits étrangers qui bénéficient de dérogations – notamment pour des produits bios – et qui sont vendus beaucoup moins chers que les produits français. C’est aussi un enjeu capital pour la santé de nos concitoyens. Je ne vous parlerai pas du diméthoate, car vous connaissez très bien ma question.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Merci monsieur le rapporteur, cher Dominique, de proposer la création de cette commission d’enquête qui s’inscrit dans la continuité de ton long et juste combat parlementaire.

Les députés du groupe Socialistes et apparentés ont envie d’être utiles. À travers notre droit de tirage, nous voulons agir collectivement sur les politiques publiques pour préserver nos biens communs.

Le travail de fond proposé sur les effets des produits phytosanitaires répond à l’exigence forte de nos concitoyens, consommateurs éveillés, de préserver leur santé et l’environnement. Des chercheurs alertent sur la concentration des produits phytosanitaires dans les sols agricoles en France, qui atteignent des taux inattendus et inquiétants – y compris dans des terrains qui n’ont jamais été traités. Notre démarche consiste à mesurer l’effet des produits phytosanitaires sur l’environnement en général, la qualité des sols, la biodiversité et l’alimentation.

Par ailleurs, les pesticides sont détectés dans l’eau du robinet, celle que nous buvons. Plusieurs études nous alertent à ce sujet. C’est un domaine que nous souhaitons explorer dans le cadre de la commission d’enquête. Les dépassements des seuils pour les pesticides et les métabolites dans l’eau potable auraient concerné environ douze millions de personnes en 2021. La vigilance des agences régionales de santé (ARS) ne nous met pas à l’abri de ces contaminations. Le nord et le nord-ouest du pays sont plus particulièrement touchés par une eau non conforme – dans les proportions édifiantes de 43 % en Bretagne et de 65 % dans les Hauts-de-France. Certains spécialistes estiment que les autorités sanitaires ont failli dans leur mission de veille et d’accompagnement en ce qui concerne la qualité de ces eaux.

Notre initiative soulève donc des questions essentielles de santé publique et environnementale. Comment consolider l’autorité de l’État en matière de réduction des pesticides ? Comment mieux protéger et accompagner les acteurs du monde agricole dans les transitions ? Comment mieux préserver la ressource en eau et les biens communs que nous allons léguer aux générations futures ?

Cette commission d’enquête a pour vocation de faire collectivement face à un problème urgent.

M. Vincent Thiébaut (HOR). Nous sommes aussi favorables à cette commission d’enquête, tout en étant d’accord avec ce que vient de dire Bruno Millienne : il faut que ses travaux soient véritablement équilibrés.

Il convient certes d’aborder les enjeux sanitaires et environnementaux, mais aussi de traiter ceux liés à l’alimentation de l’ensemble de la population et à la sauvegarde de l’agriculture. On voit par exemple que beaucoup de collectivités territoriales achètent davantage de produits bio, mais 70 % du bio est importé de pays où les exigences et les pratiques sont largement discutables.

Il faut éclairer le sujet de manière objective, tant pour les élus que nous sommes que pour le public. Contrairement à ce que certains souhaiteraient, la France n’est pas une île. Nous ne pouvons pas devenir un pays où la nature est totalement préservée mais qui est contraint d’importer des produits bien moins sains que ceux auxquels nous avons accès actuellement.

Mme Delphine Batho (Écolo-NUPES). Merci pour cette proposition de création d’une commission d’enquête, alors qu’on ne semble pas avoir pris la mesure de la gravité de ce qui est à l’œuvre – comme le montrent les interventions de certains collègues.

La question centrale est celle de la capacité de la démocratie à entendre et tenir compte des données scientifiques. Le constat scientifique est implacable : les pesticides sont la première cause de l’effondrement dans des proportions vertigineuses de la biodiversité, des populations d’insectes, d’oiseaux et de vers de terre – 80 % des populations d’insectes notamment.

Les pesticides affectent de manière grave la santé humaine. Au point que nous faisons face à une épidémie de maladies chroniques et que l’espérance de vie stagne, voire pourrait être amenée à reculer. On peut faire la longue liste de ces maladies, qui va des cancers pédiatriques à l’endométriose – laquelle touche une femme sur dix. Les premiers concernés sont les agriculteurs eux-mêmes.

Avec Dominique Potier, nous avions mené la bataille pour le fonds d’indemnisation des victimes de pesticides. Mais il ne s’agit pas seulement d’indemniser les victimes, il faut surtout qu’il n’y en ait plus. Les pesticides sont partout. Dans les eaux, dans les sols, dans nos corps et dans le cordon ombilical qui relie le fœtus à la femme enceinte.

Cette commission d’enquête est plus qu’utile, elle est indispensable. De nombreux rapports – dont notamment un référé de la Cour des comptes – ont depuis longtemps pointé l’échec du plan Écophyto. Selon nous, c’est la conception même de ce plan qu’il faut revoir, car il repose sur le volontariat et non sur des décisions environnementales d’ordre public. Le poids des lobbies est aussi en cause.

Je rappelle qu’en la matière, la responsabilité pénale des ministres et gouvernements successifs est engagée depuis 2017. Il est assez consternant de voir les fabricants de pesticides se tenir au côté du ministère de l’agriculture dans la procédure « Justice pour le vivant ».

Mme Nathalie Bassire (LIOT). Comment ne pas soutenir la création de cette commission d’enquête ? Au nom du groupe LIOT, je remercie M. Potier et les collègues qui se sont associés à son initiative.

Il est en effet très important d’y voir un peu plus clair dans l’utilisation des pesticides. Je suis élue dans un territoire ultramarin, La Réunion, et mes collègues et moi-même sommes très souvent interpellés par les agriculteurs, notamment par les planteurs de canne à sucre, qui sont très inquiets au sujet de la survie de leurs plantations. Ils ont en effet recours à un certain nombre de produits phytosanitaires qui posent problème pour la biodiversité et la santé humaine.

Les territoires ultramarins sont plus exposés car, du fait du climat tropical, les fruits et les légumes sont très touchés par différentes maladies et parasites. Les agriculteurs disent souvent qu’ils rencontrent des difficultés pour continuer à produire, alors même que l’on trouve sur les étals des produits qui viennent des pays voisins et qui ne sont pas du tout soumis aux mêmes normes. Cela permet à ces derniers de développer leur économie grâce à une concurrence déloyale.

Comment éradiquer les pesticides et produire de manière plus saine, tout en préservant la production et une économie fragile ? Ce sont des questions que la commission d’enquête devra aborder.

M. Dominique Potier, rapporteur. Je remercie les orateurs pour l’accueil qu’ils ont réservé à cette proposition. Par-delà la recevabilité – qui semble acquise – ils ont formulé des encouragements et quelques mises en garde.

Mmes Le Feur et Batho, les travaux de la commission débuteront dès le mois de juillet par un état de la science en matière de santé environnementale. Les découvertes les plus récentes indiquent que les pesticides ont non seulement un effet direct sur le corps humain, mais aussi qu’ils affectent la santé indirectement en raison de la dégradation des écosystèmes. Ce champ doit être exploré et la commission d’enquête peut être l’occasion de le mettre publiquement en évidence.

MM. Vermorel-Marques, Thiébaut et Millienne ont relevé un point majeur à travers leurs observations sur les importations, tant européennes qu’extra-européennes. Il existe en effet une forme de concurrence déloyale et nous ne devons pas éluder ce sujet. C’était d’ailleurs le sens du vote d’hier en faveur de la proposition de résolution relative à l’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur, avec la demande de mise en place de clauses miroirs. L’Europe a été trop naïve. Elle doit réaffirmer ses positions, ses valeurs et son éthique pour protéger les populations – ici et ailleurs.

Je vous invite à prendre connaissance de la note sur l’agribashing que j’ai rédigée pour la Fondation Jean-Jaurès, publiée dans La France qui vient. Cahier de tendances 2020. J’y explique combien je suis éloigné de cet état d’esprit de dénigrement.

Avec le groupe Socialistes et apparentés, nous avons souhaité que cette commission d’enquête s’intéresse à trois enjeux : défendre à la fois la souveraineté alimentaire et le revenu des paysans ; réduire l’effet des pesticides sur l’environnement ; enfin, s’adapter à des règlements européens qui de fait nous fixent un nouveau défi.

Nous ne serons pas indifférents aux outre-mer Mme Bassire, même si nous ne nous y rendrons pas. Nous écouterons les collègues d’outre-mer et l’audition des autorités compétentes constituera une part importante de nos travaux, tant le sujet est sensible.

La question de l’eau est peut-être celle qui illustre le mieux l’enjeu écologique et social, Mme Thomin. Le prix de la dépollution de l’eau est vertigineux. L’étude de ce sujet permettra probablement de redécouvrir que la prévention en la matière est absolument majeure, tant d’un point de vue écologique et sanitaire que social – il faut voir ce que pourraient représenter les trente mètres cubes d’eau par personne et par jour à l’horizon 2040 ou 2050 pour le budget des ménages modestes.

Nous sommes vraiment à la croisée des questions écologiques et sociales. Nous souhaitons que cette commission d’enquête soit utile et permette de changer de regard, afin de réorienter les pratiques pour qu’elles soient plus efficaces.

La commission déclare recevable la proposition de résolution.