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N° 1435

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 juin 2023.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT aprÈs engagement de la procÉdure accÉlÉrÉe, relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945,

 

 

Par Mme Fabienne COLBOC,

 

 

Députée.

 

——

 

Voir les numéros :

Sénat :  539, 611, 612 et T.A. 113 (2022‑2023).

Assemblée nationale :  1269.

 

 


—  1  —

SOMMAIRE

___

Pages

avant-propos

I. présentation des dispositions du projet de loi

A. La question de la restitution des biens spoliés : une réponse variable selon les époques

1. Des spoliations reconnues dès avant la fin du conflit

2. Des restitutions nombreuses dans un premier temps mais qui se sont rapidement taries jusqu’aux années 1990

3. À partir du milieu des années 1990, des impulsions politiques replacent la question des restitutions au centre du débat public

4. Des coopérations internationales pertinentes, qu’il convient de renforcer

5. En 2022 : une première loi d’espèce qui a rouvert le débat sur la nécessité d’une loi-cadre

B. Un projet de loi attendu et nécessaire

1. Un cadre unifié et sécurisé

a. Un dispositif clair proposant une dérogation administrative circonscrite à l’inaliénabilité

b. L’implication de la CIVS : le choix de l’expertise et de la continuité

c. Certains musées privés pourront utiliser la procédure dérogatoire

d. Des voies de réparation plus ouvertes

2. Un travail de recherche à poursuivre et des modalités d’application à définir

a. Renforcer les moyens dévolus à la recherche de provenance

b. Accroître les offres de formations

c. Valoriser la publicité des restitutions

d. Aller plus loin dans la prise en compte de ces enjeux

II. principaux apports du sénat

III. principaux apports de la commission

commentaires des articles

Article 1er Création d’une procédure administrative pour la restitution des biens culturels spoliés intégrés aux collections publiques

Article 2 Procédure dérogatoire de sortie des collections des musées privés relevant du label « musées de France »

Article 3 Application de la présente loi aux demandes de restitution en cours à la date de publication

Article 4 Demande de rapport annuel au Gouvernement

Travaux de la commission

Annexe  1 : liste des personnes auditionnées par la rapporteure

Annexe  2 : Contributions Écrites

Annexe  3 : textes susceptibles d’être abrogés ou modifiés à l’occasion de l’examen du projet de loi

 


—  1  —

   avant-propos

Dès 2018, le rapport de David Zivie ([1]) constatait : « Il manque dans le code du patrimoine une disposition législative facilitant la sortie des collections ; elle permettrait d’éviter d’avoir recours à des lois de circonstance pour faire sortir une œuvre des collections publiques – ce qui serait un outil bien trop lourd et disproportionné. »

En 2022, c’est pourtant bien une loi d’espèce qui a permis pour la première fois la sortie des collections publiques de 15 biens spoliés, mais également de susciter – enfin – un réel débat sur l’opportunité d’une loi-cadre pour remédier au manque constaté par David Zivie. Aujourd’hui, le projet de loi qu’il nous est proposé d’examiner vise à combler ce manque, en créant un dispositif dérogatoire de rang législatif permettant la sortie d’un bien culturel du domaine public, cela après l’avis d’une commission compétente en matière de réparation des préjudices consécutifs aux spoliations de biens intervenues du fait de persécutions antisémites.

Ce dispositif dérogatoire, justifié par l’impérieux motif d’intérêt général que constitue la recherche d’une solution juste et équitable pour régler le sort des biens spoliés, devrait faciliter la restitution de ceux-ci et renforcer la détermination des institutions patrimoniales publiques, mais également privées, dès lors qu’elles ont reçu le label « musée de France », à s’engager sur la voie d’une recherche de provenance plus volontaire. Le texte va plus loin, puisqu’il inscrit dans la loi le principe de modalités alternatives de réparation de la spoliation autres que la restitution du bien, dès lors que les parties parviennent à un accord.

La rapporteure souhaite insister sur l’importance historique du texte proposé, comme sur l’humilité qui doit l’accompagner. Il ne saurait être question de véritablement « réparer » les actes qui ont été perpétrés dans le cadre des persécutions antisémites de 1933 à 1945, et dont les spoliations de biens culturels constituent une dimension aux forts enjeux symboliques. Mais ce projet de loi‑cadre, soixante-quinze ans après la fin de la seconde guerre mondiale, constitue néanmoins une pierre de plus sur le chemin de la reconnaissance par la France de sa responsabilité dans les souffrances infligées aux Juifs spoliés et assassinés, dans la lignée du discours de Jacques Chirac de 1995.

 

I.   présentation des dispositions du projet de loi

A.   La question de la restitution des biens spoliés : une réponse variable selon les époques

Si la restitution des biens spoliés durant la seconde guerre mondiale a rapidement constitué un enjeu juridique pour les autorités françaises d’après-guerre, la question a reçu un traitement différent selon les époques. Le présent projet de loi relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945 devrait enfin permettre de définir le périmètre temporel et géographique le plus adapté pour considérer toutes les situations demandant compensation, et de surmonter l’obstacle spécifiquement français de l’inaliénabilité des biens du domaine public, dès lors que la preuve d’une spoliation le justifie.

Le rapport fait au nom de la commission des affaires culturelles et de l’éducation sur le projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites ([2]) étant revenu de manière approfondie sur les différentes phases connues dans la prise en compte de la question des restitutions, la rapporteure se permettra de renvoyer à ce précédent travail pour un exposé plus détaillé.

Il convient néanmoins de rappeler les évolutions intervenues en France dans le traitement de cette question, afin de mieux comprendre comment la nécessité d’une loi-cadre s’est imposée à de nombreux acteurs pour répondre au besoin urgent d’une politique publique plus efficace et plus rapide concernant les restitutions de biens spoliés.

1.   Des spoliations reconnues dès avant la fin du conflit

Dès le 18 novembre 1943, le Journal officiel de la République française ([3]) imprimé à Alger et émanant du Comité français de la libération nationale (regroupant les partis et mouvements de la Résistance) transcrivait dans le droit national ([4]) la déclaration solennelle signée à Londres le 5 janvier 1943 par les Alliés sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l’ennemi ou sous son contrôle, cette nullité frappant « tant les transferts ou transactions se manifestant sous forme de pillage avoué ou de mise à sac, que les transactions d’apparence légale, même lorsqu’elles se présentent comme ayant été effectuées avec le consentement des victimes ».

La reconnaissance des spoliations est donc intervenue très tôt, avant même la fin du conflit, sans toutefois que leur caractère antisémite ne soit alors évoqué ou pris en considération.

À la Libération, l’ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945 portant deuxième application de l’ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l’ennemi ou sous son contrôle et édictant la restitution aux victimes de ces actes de ceux de leurs biens qui ont fait l’objet d’actes de disposition a institué, une procédure permettant au juge judiciaire de prononcer en référé, à la demande des propriétaires dépossédés ou de leurs ayants droit, la nullité « d’actes de disposition accomplis en conséquence de mesure de séquestre, d’administration provisoire, de gestion, de liquidation, de confiscation ou de toutes autres mesures exorbitantes du droit commun en vigueur au 16 juin 1940 et accomplis, soit en vertu des prétendus lois, décrets et arrêtés, règlements ou décisions de l’autorité de fait se disant Gouvernement de l’État français, soit par l’ennemi, sur son ordre ou sous son inspiration » et d’ordonner en conséquence la restitution des biens ayant fait l’objet de tels actes. Il s’agissait de réparer l’appropriation illégale de biens commise durant la guerre, sans considération du motif de ces actes.

Durant la seconde guerre mondiale, les spoliations de biens culturels ont été effectuées de différentes manières. Un organe spécifique est créé par Hermann Goering, commandant en chef de la Luftwaffe et second personnage politique dans la hiérarchie du Reich, dès les débuts de l’occupation allemande, l’Einsatzstab der Dienstellen des Reichsleiters Rosenberg für die Westlichen Besetzten Gebiete und die Niederlande (équipe d’intervention du Reichsleiter Rosenberg pour les territoires occupés de l’Ouest et les Pays-Bas, ci-après « ERR »), afin d’opérer une spoliation systématique des œuvres d’art. S’appuyant sur les listes d’inventaires de l’ERR entre 1941 et 1944, le rapport de Mme Isabelle le Masne de Chermont et de M. Didier Schulmann, rédigé dans le cadre de la Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France (connue également sous le nom de « Mission Mattéoli », du nom de son président) ([5]) , s’attache à établir une typologie des pillages pour en évaluer la portée.

Nécessairement – et parfois volontairement – incomplets, les inventaires de l’ERR constituent un socle minimal d’identification, de nombreuses œuvres des collections spoliées n’y ayant pas été reportées. Le rapport mentionne ainsi que « les pillages conduits en France par les forces d’occupation et qui ont donné lieu à l’établissement de listes ont généré au moins deux cent seize dossiers nominatifs correspondant aux personnes, foyers ou familles dont le patrimoine artistique a été saisi, au domicile des victimes, dans les dépôts des musées nationaux, dans des garde-meubles ou dans des coffres de banques. Plus de seize mille huit cent cinquante références, de la pièce d’argenterie au tableau de maître, ont ainsi été très précisément répertoriées ».

Aux œuvres ainsi répertoriées par l’EER dans des listes nominatives, il faut ajouter les œuvres spoliées à partir de 1942 par la Dienststelle Westen (Service Ouest) chargée de vider les appartements laissés sans occupant dans le cadre de la « Möbel Aktion » (Action Meubles) pour fournir des biens mobiliers aux familles allemandes installées à l’Est. Les biens culturels étaient remis par ce service à l’ERR.

Dans le rapport sur le projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites cité supra, la rapporteure soulignait déjà que les spoliations ont concerné l’ensemble des biens culturels au-delà des seules œuvres d’art : le Sonderstab Musik dirigé par Herbert Gerigk, intégré à l’ERR dès l’été 1940, procède ainsi au pillage des instruments de musique et bibliothèques musicales. De fait, en 1943, « un inventaire intermédiaire mentionne le stockage à Paris de 1 006 pianos en attente de transfert », nombre porté à 2 000 au départ des troupes d’Occupation ([6]). Comme l’indique Mme Marie-Pauline Martin, directrice du musée de la Musique, en réponse aux questions posées lors de son audition : « Entre mai 1942 et août 1944, la Möbel Aktion intervient également pour piller à Paris environ 40 000 foyers de familles juives ayant fui ou été déportées (dont 1 sur 5 possède un piano). Une fois saisis, les instruments étaient mis en caisses et stockés en France ou en Allemagne. Ce pillage, et particulièrement celui des instruments de valeur, est destiné à approvisionner les grands projets culturels du Reich, notamment la Hohe Schule de Leipzig ; les instruments plus ordinaires étaient eux principalement destinés aux familles allemandes sinistrées par les bombardements. »

Il est important de souligner que le projet de loi relatif à la restitution des biens spoliés entre 1933 et 1945 concerne l’ensemble des biens culturels, ce qui pose la question de la restitution des livres et collections spoliés, dont l’évaluation du nombre et la recherche de provenance s’avèrent particulièrement complexes et pourraient concerner de très nombreuses bibliothèques publiques. La restitution des instruments de musique pourrait également s’avérer d’application ardue, en raison des difficultés d’identification de ceux-ci.

2.   Des restitutions nombreuses dans un premier temps mais qui se sont rapidement taries jusqu’aux années 1990

La restitution des biens culturels spoliés, s’appuyant sur l’ordonnance du 21 avril 1945 déjà citée, commence dès l’après-guerre. Comme le soulignent Mme Isabelle le Masne de Chermont et M. Didier Schulmann ([7]) , « la restitution des œuvres d’art est considérée par la France, dans l’immédiat après-guerre, comme un élément du dossier des réparations dues par l’Allemagne, qui comprend également les biens de nature économique (outils de production, matériel de transport), l’or monétaire et les valeurs mobilières. L’objectif premier est le redressement du pays et aucune part spécifique n’est réservée aux spoliations liées aux lois antisémites. »

Dès avant la fin du conflit, une Commission de récupération artistique (CRA) avait été instituée par un arrêté du 24 novembre 1944 ([8]) . La CRA travaille en étroite collaboration avec les autorités alliées qui, à la fin de la guerre, ont rassemblé de grands volumes de biens culturels spoliés dans des collecting points ([9]). Ce travail de collecte, qui supposait la localisation des zones de dépôt de l’ERR, a été permis en grande partie grâce aux précieuses indications de Rose Valland, attachée du directeur du musée du Jeu de Paume, qui avait précisément documenté les sorties du territoire national de milliers d’œuvres.

Le traitement des 2 289 dossiers de demandes adressés à la CRA permettra de rédiger 85 000 fiches d’œuvres et de constituer ainsi un répertoire des biens spoliés en dix volumes, publié entre 1947 et 1949. La CRA, travaillant sur cette base avec les collecting points, retrouvera 61 233 objets spoliés dont 45 441 ([10]) pourront rapidement être restitués à leurs propriétaires. Par le décret n° 49-1344 du 30 septembre 1949 fixant la date de cessation de ses activités, la CRA se voit confier la mission d’identifier parmi les 16 000 œuvres restantes celles qui présentaient un intérêt pour le patrimoine national.

Ce travail est effectué par deux « Commissions de choix » créées par le même décret : l’une pour les livres et manuscrits, l’autre pour les objets d’art. La Commission de choix pour les œuvres d’art sélectionne environ 2 200 œuvres et objets, inscrits sur des listes de récupération et confiés temporairement à la garde des musées nationaux jusqu’à leur restitution, qui deviendront les biens dits « MNR » (« musées nationaux récupération »), inscrits sur des inventaires particuliers. Le statut juridique des « MNR » découle donc du décret du 30 septembre 1949, qui a mis fin à l’activité de la CRA et dispose que ces biens n’appartiennent pas au patrimoine de l’État qui, sans aucune ambiguïté, n’en est que le détenteur provisoire.

Entre 1950 et 1953, les quelque 13 500 œuvres et objets qui n’avaient été ni restitués aux familles spoliées, ni récupérés par les musées nationaux, furent vendus par l’administration des Domaines (parfois au poids), réintroduisant ainsi sur le marché privé de l’art de nombreuses œuvres d’art spoliées dont les propriétaires étaient demeurés inconnus. Ces œuvres s’y trouvent encore pour la plupart, et sont susceptibles d’avoir été spoliées lors de la période 1933-1945. Cela soulève évidemment la question de leur devenir depuis cette période, et de l’importance d’impliquer davantage le marché de l’art dans une recherche de provenance allant plus loin que l’établissement du dernier propriétaire de l’œuvre que les maisons de vente introduisent ou réintroduisent sur le marché.

Après cette première période de l’immédiat après-guerre, la question des restitutions des biens spoliés va perdre de son acuité en France et la recherche de provenance ne constituera plus une priorité dans les établissements culturels. L’étude d’impact de la loi du 21 février 2022 mentionne ainsi que « seulement six œuvres "MNR" furent restituées entre 1954 et 1993 ». Dans une période au cours de laquelle la responsabilité française dans les persécutions antisémites commises en France lors de la seconde guerre mondiale reste difficilement admise, la question des restitutions de biens spoliés demeure un impensé gênant.

3.   À partir du milieu des années 1990, des impulsions politiques replacent la question des restitutions au centre du débat public

Lors de la commémoration de la rafle du Vélodrome d’Hiver – ou, communément, du « Vél’ d’Hiv’ » –, le 16 juillet 1995, le Président de la République Jacques Chirac reconnaissait que la France avait accompli « l’irréparable », établissant sans détour la responsabilité de l’État français à l’égard des victimes des persécutions antisémites. Dans ce discours, il affirmait ainsi ([11]) de façon très claire : « Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français ». Dans le sillage de cet élan politique est créée en 1997 une importante mission sur l’étude de la spoliation des Juifs de France, confiée à M. Jean Mattéoli. Cette mission poursuivra ses travaux jusqu’en 2000, tandis qu’est créée, en 1999, la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliation (CIVS).

En 2018, cette commission voit ses compétences élargies (voir encadré ci‑après) et son action renforcée par l’appui de la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 (M2RS), entité créée au sein du ministère de la Culture en lien avec le service des musées de France. Durant son discours commémorant la rafle du « Vel’ d’Hiv’ » en 2018, le Premier ministre Édouard Philippe avait en effet affirmé la volonté de la France de « faire mieux » en matière de restitutions.


La CIVS et la M2RS

La Commission d’indemnisation des victimes de spoliation (CIVS) a été créée par un décret du 10 décembre 1999 ([12]) . Chargée de répondre aux demandes d’indemnisation pour tout type de spoliation intervenue en France pendant l’Occupation (soit uniquement entre juin 1940 et août 1944), elle ne pouvait initialement être saisie que sur requête des familles et recommander, s’agissant des œuvres d’art, d’indemniser les œuvres disparues ou de restituer des œuvres MNR.

Le service des musées de France du ministère de la Culture – qui dispose d’une cellule spécialisée – coordonnait initialement la recherche et les restitutions pour les œuvres d’art, en lien avec les musées de France conservant les œuvres concernées, tandis que la direction des archives du ministère des Affaires étrangères, qui assurait la responsabilité juridique des MNR, en validait la restitution.

Les missions de la CIVS ont été élargies par le décret n° 2018-829 du 1er octobre 2018. Elle est désormais habilitée à s’autosaisir et étend ses compétences aux biens culturels intégrés aux collections publiques ([13]), pour faire des recommandations au Premier ministre. Le ministère des Affaires étrangères est depuis lors déchargé de sa responsabilité juridique sur les MNR. En parallèle, un nouveau service a été créé en 2019 au sein du ministère de la Culture, pour instruire les dossiers relatifs aux œuvres d’art ([14]) : la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 (M2RS). Elle regroupe les agents de la CIVS et ceux du service des musées de France chargés des dossiers relatifs aux biens culturels mobiliers. Elle a pour missions :

– de coordonner la politique publique visant à identifier et restituer ces biens ;

– d’assurer les recherches permettant l’identification des biens culturels spoliés conservés par les institutions publiques ;

– d’assurer l’instruction des cas de spoliations de biens culturels en assurant, en lien avec la CIVS, la recherche des propriétaires de ces biens et de leurs ayants droit ;

– de veiller à la sensibilisation des publics et des professionnels aux enjeux soulevés par les spoliations de biens culturels intervenues entre 1933 et 1945.

La M2RS assure ainsi l’instruction de demandes formulées non seulement auprès de la CIVS par les victimes de spoliations ou toute personne concernée, mais aussi par le ministère de la Culture ou la CIVS en autosaisine. Cette mission, rattachée au secrétaire général du ministère, est composée d’experts en recherche de provenance et dotée d’un budget propre pour financer des recherches complémentaires par des prestataires extérieurs.

Aujourd’hui, la CIVS, appuyée par la M2RS, a fait la preuve de son efficacité et de son expertise, et la rapporteure souhaite saluer le travail réalisé conjointement par ces institutions liées par la convention du 1er juillet 2019, qui définit les modalités de leur coopération. Les dossiers de biens culturels sont d’abord instruits par la M2RS pour le volet concernant la recherche de provenance et l’évaluation des œuvres, avant d’être examinés par un magistrat-rapporteur de la CIVS, puis de faire l’objet d’une délibération du collège de la CIVS. Depuis mai 2019, la CIVS a enregistré 111 dossiers concernant des spoliations de biens culturels ([15]).

La question de la recherche de provenance ne se limite en outre plus aux biens culturels les plus suspects et tend à devenir une pratique normale des institutions muséales, tout du moins pour les œuvres ayant été intégrées dans les collections publiques entre 1933 et 1945. Des postes spécialisés ont ainsi été créés dans plusieurs grands musées nationaux tels le musée du Louvre ou le musée d’Orsay, mais il faut souligner que cela nécessite d’y consacrer des moyens budgétaires spécifiques, ce qui peut s’avérer difficile pour les établissements les plus modestes (notamment ceux relevant des collectivités territoriales).

4.   Des coopérations internationales pertinentes, qu’il convient de renforcer

Lors de son audition, le président de la CIVS, M. Michel Jeannoutot, a insisté sur une double particularité française, celle de voir le domaine public caractérisé par une inaliénabilité assez étendue et stricte ([16]), mais également de disposer, une fois que le projet de loi sera adopté, du cadre juridique le plus complet en matière de restitutions de biens spoliés. Il a également mentionné l’importance de la coopération de la CIVS avec ses partenaires étrangers. La CIVS a constitué en 2017 avec ses partenaires allemands, anglais, autrichiens et néerlandais un réseau des commissions compétentes en matière de restitution des œuvres spoliées par les nazis.

En 2008, une étude de droit comparé du Sénat ([17]) démontrait que dans l’ensemble, les textes étrangers sont moins stricts que les dispositions françaises en matière de restitution, ce qui n’empêche pas les musées européens d’adopter une approche prudente en la matière. À titre d’exemple, les musées britanniques ne relèvent pas tous de la même loi, et les différents textes comprennent des dispositions variables sur l’aliénation des œuvres. Le principe d’inaliénabilité s’applique à certains musées nationaux anglais, essentiellement la National Gallery. Les musées britanniques non soumis à ce principe ne peuvent céder leurs œuvres que dans des cas précis prévus par la loi. Les transferts d’œuvres entre tous les musées sont possibles, sous forme de ventes, d’échanges ou de dons.

En Allemagne, au Danemark, aux Pays-Bas, les opérations de cession ne sont pas expressément interdites par la loi mais sont encadrées : les musées s’engagent à respecter des textes (codes de déontologie, tel que celui du Conseil international des musées – ICOM –, directives administratives, etc.) qui limitent les possibilités d’aliénation.

Le Royaume-Uni et l’Autriche se sont plus particulièrement saisis du sujet des restitutions de biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 au niveau législatif ces dernières années. Une loi britannique de 2009, le Holocaust (Return of Cultural Objects) Act de 2009, a donné la possibilité à dix-sept musées nationaux britanniques (tels que la Tate Gallery, le Victoria and Albert Museum ou encore le British Museum) de restituer des œuvres spoliées si le Spoliation Advisory Panel (voir infra) en faisait la recommandation, jusqu’en 2019. En juillet 2019, cette loi a été amendée, supprimant cette condition temporelle et autorisant indéfiniment les restitutions. En Autriche, la loi du 4 décembre 1998 dite « Gesetz über die Rückgabe von Kunstgegenständen aus den Österreichischen Bundesmuseen und Sammlungen », prévoit également la restitution des œuvres appartenant aux collections de l’État fédéral ayant fait l’objet d’actes de spoliation pendant la période nazie.

Par ailleurs, plusieurs pays européens ont institué des commissions nationales chargées d’étudier les demandes de restitution d’œuvres d’art spoliées et qui coopèrent déjà fréquemment, comme évoqué précédemment, avec la CIVS.

En Allemagne, la Beratende Kommission im Zusammenhang mit der Rückgabe NS-verfolgungsbedingt entzogener Kulturgüter, insbesondere aus jüdischem Besitz (Commission consultative en lien avec la restitution des biens culturels confisqués à la suite de la persécution nazie, en particulier les biens juifs) a été créée en 2003 par l’État fédéral, les Länder et des associations d’autorités locales. Composée de dix personnalités indépendantes qualifiées, nommées par le délégué fédéral pour la culture et les médias, elle a un rôle de médiateur en cas de litige entre les parties. Elle publie des recommandations non contraignantes, proposant la restitution simple du bien, sa restitution assortie d’une compensation financière ou de conditions particulières, sa conservation dans la collection assortie d’une éventuelle compensation financière ou la garantie d’une exposition expliquant sa provenance, ou enfin le rejet de la demande (toutes possibilités que pourra explorer la CIVS après l’adoption de la loi). La Beratende Kommission a rendu vingt-trois décisions depuis 2005 ([18]), la majorité recommandant une restitution des biens. Elle ajoute ponctuellement à ses propositions des conditions, qui pourraient inspirer de futures recommandations françaises. À titre d’exemple, sa décision du 1er juillet 2020 recommande de restituer le tableau concerné et stipule que si l’œuvre est vendue dans les dix années suivant sa restitution, le Land de Bavière recevra la moitié des bénéfices. De même, sa recommandation du 19 août 2019 propose que l’œuvre en cause soit restituée à la Dr And Mrs Max Stern Foundation à condition que la recherche en cours sur le Dr Max Stern ne révèle pas d’éléments remettant en question la spoliation, dans un délai de dix ans à compter d’ouverture des archives privées concernées.

De façon générale, un grand nombre de personnes auditionnées par la rapporteure ont souligné l’importance des moyens humains et financiers consacrés aux recherches de provenance et aux restitutions en Allemagne. Si le pays est évidemment particulièrement concerné par cette problématique, il est bien plus avancé que la France à plusieurs niveaux. Ainsi, le modèle du Deutsches Zentrum Kulturgutverluste (Fondation allemande pour les biens culturels perdus) pourrait constituer une source d’inspiration pour donner une nouvelle impulsion aux recherches françaises. Cet instrument de coopération fédérale, créé en 2015, a financé 325 projets de recherches de provenances depuis sa création.

En Autriche, le Kunstrückgabebeirat (Commission consultative pour la restitution des œuvres d’art), a été établi au sein du ministère fédéral des arts, de la culture, de la fonction publique et des sports, par loi du 4 décembre 1998 précitée. Ses membres sont des experts nommés au sein du monde académique et des représentants de différents ministères. Ses décisions sont rendues publiques, et établies à l’aune des rapports de la commission pour les recherches de provenance (Kommission für Provenienzforschung) rattachée au ministère. Cette commission consultative s’est réunie 101 fois depuis sa création, et le ministère de la culture autrichien publie un rapport annuel retraçant ses activités et ses recommandations.

Aux Pays-Bas, l’Adviescommissie Restitutieverzoeken Cultuurgoederen en Tweede Wereldoorlog (Commission consultative sur l’évaluation des restitutions des biens culturels et la seconde guerre mondiale) a été fondée par le ministère de l’éducation et de la culture en 2001. Opérateur indépendant, le comité est composé de sept membres qualifiés. Contrairement aux autres organes européens qui sont exclusivement consultatifs, dans le cas où l’œuvre concernée est en possession d’un acteur qui n’est pas l’État néerlandais (c’est-à-dire une institution culturelle relevant des autorités provinciales ou locales, ou une fondation ou collection privée), la décision de ce comité est contraignante.

Au Royaume-Uni, le Spoliation Advisory Panel (Panel consultatif sur la spoliation) mis en place en 2000 est un organe public consultatif sous le contrôle du Department for Culture, Media and Sport. Composé de dix personnalités qualifiées (anciens professeurs, conservateurs, anciens présidents de cours d’appel…), il est compétent pour traiter les demandes pour les objets conservés aussi bien dans les collections nationales britanniques, que dans d’autres musées ou galeries destinés à l’accueil du public, ou dans les collections privées.

La CIVS s’inscrit donc dans un réseau d’institutions européennes, qui favorise le partage d’informations relatives aux conditions des spoliations. La rapporteure souhaitait souligner ce point, dès lors que le dispositif retenu par le projet de loi, par son périmètre géographique et temporel plus étendu que l’état du droit français actuel pour la qualification des spoliations, impliquera de renforcer et de développer plus avant ces coopérations.

5.   En 2022 : une première loi d’espèce qui a rouvert le débat sur la nécessité d’une loi-cadre

La loi du 21 février 2022 ([19]), la première à permettre la restitution de biens spoliés dans le contexte des persécutions antisémites, a rendu incontournable le débat sur une loi-cadre permettant d’éviter la répétition de procédures législatives ad hoc. Les débats parlementaires conduits à l’occasion de l’examen du projet de loi, ainsi que l’avis du Conseil d’État qui avait précédé son dépôt, ont fait apparaître le besoin d’un dispositif administratif dérogatoire pouvant s’appliquer spécifiquement à la restitution de biens spoliés dans le contexte des persécutions antisémites.

Le principe d’inaliénabilité des biens des collections publiques (qui découle de leur appartenance au domaine public ([20])) impose leur déclassement par voie législative avant que puisse être opéré le transfert de leur propriété, dès lors que ces biens ne remplissent pas les critères d’éligibilité à un déclassement administratif.

En effet, s’il existe bien une procédure permettant le déclassement administratif des biens culturels, l’article L. 115-1 du code du patrimoine prévoit que « toute décision de déclassement de biens culturels appartenant aux collections des personnes publiques ou de cession de biens culturels appartenant à des personnes privées gestionnaires de fonds régionaux d’art contemporain […] est préalablement soumise à l’avis de son ministre de tutelle pour les collections appartenant à l’État et au ministre chargé de la culture pour les collections n’appartenant pas à l’État ». Le décret d’application de cet article ([21]) rappelle, par l’article R. 115-1 qu’il introduit dans le code du patrimoine, qu’« un bien culturel appartenant au domaine public en application de l’article L. 2112 1 du code général de la propriété des personnes publiques ne peut être déclassé du domaine public que lorsqu’il a perdu son intérêt public du point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie, de la science ou de la technique ». Or, ce dernier critère apparaît particulièrement difficile à remplir, les biens culturels étant rarement considérés comme ayant perdu leur intérêt public.

On observera d’ailleurs que le fait qu’une œuvre, un livre ou un instrument de musique ait été spolié peut même renforcer son intérêt public du point de vue de l’histoire en constituant le témoignage direct d’évènements historiques dont la mémoire doit faire l’objet d’une transmission appropriée, rendant ce critère de déclassement particulièrement inadapté pour ce type de biens culturels.

Autre possibilité de sortie de biens culturels des collections publiques, la voie judiciaire présente d’autres désavantages. Se fondant sur l’ordonnance du 21 avril 1945 ([22]) portant deuxième application de l’ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l’ennemi, la procédure judiciaire ne peut être enclenchée qu’à l’initiative des ayants droit, et ne concerne que les biens culturels spoliés sur le territoire français par l’occupant ou les autorités en place. Lorsque la spoliation est reconnue par le juge, la conséquence en est l’annulation de l’entrée du bien dans les collections, rendant nulle l’inaliénabilité, et autorisant la restitution. Mais les recherches de provenance sont coûteuses, et la preuve de la spoliation souvent difficile à apporter. En outre, cette procédure ne peut concerner des biens spoliés à l’étranger, et qui se trouveraient aujourd’hui sur le territoire français (à l’image du tableau de Gustav Klimt, Rosiers sous les arbres, acheté par le musée d’Orsay à l’Autriche, où il avait été spolié en 1938).

Les voies de restitutions existantes (législative, administrative et judiciaire) présentent donc chacune des limites et des complexités qui entravent le mouvement de restitution de biens spoliés lors des persécutions antisémites, alors même que son urgence est désormais largement reconnue. C’est pourquoi le présent projet de loi-cadre apparaît bienvenu. Il faut espérer qu’il contribue à amplifier le caractère automatique des recherches de provenance dans les institutions muséales et, au-delà, qu’il puisse encourager le marché de l’art à aller plus loin sur ces questions.

B.   Un projet de loi attendu et nécessaire

Le consensus qui a caractérisé la discussion parlementaire de la loi de restitution du 21 février 2022 a mis en évidence l’intérêt du législateur pour la question de la réparation des spoliations et pour l’adoption ultérieure d’un cadre les facilitant. Le Conseil d’État, dans son avis sur ce projet de loi, avait lui-même considéré qu’une « loi de principe organisant une procédure administrative de sortie des collections publiques en réparation des spoliations » était nécessaire et avait recommandé « que l’élaboration d’une telle loi soit étudiée afin d’éviter la multiplication de lois particulières et de permettre d’accélérer les restitutions » ([23]).

1.   Un cadre unifié et sécurisé

a.   Un dispositif clair proposant une dérogation administrative circonscrite à l’inaliénabilité

Le projet de loi vise à introduire dans la loi une dérogation circonscrite au principe d’inaliénabilité, dans le but spécifique de faciliter la restitution des biens culturels ayant été spoliés à leurs propriétaires légitimes.

Pour cela, l’article 1er crée, dans le code du patrimoine, une procédure administrative permettant à l’État ou aux collectivités territoriales, par dérogation au principe d’inaliénabilité du domaine public, de restituer les biens culturels appartenant à leurs collections qui se révéleraient avoir été spoliés dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945. Il conditionne la décision de restitution par la personne publique à l’avis préalable d’une commission administrative, qui sera la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations (CIVS) ([24]), chargée d’apprécier l’existence de la spoliation et ses circonstances.

L’article 2 autorise les propriétaires des musées privés ayant reçu l’appellation « musée de France » à restituer, après avis de la CIVS, les biens spoliés de leurs collections acquis par dons ou legs ou avec le concours financier d’une collectivité publique, en principe incessibles ([25]) sauf à un autre musée de France.

L’ensemble des formes de spoliation est pris en compte puisque, comme l’indique l’étude d’impact, le terme « spoliation » est « entendu au sens large, dans son acception courante actuelle, notamment vol, pillage, confiscation, saisie, "aryanisation", séquestre, vente contrainte ou vente forcée par les circonstances ». Les spoliations visées sont liées à un contexte particulier, celui des persécutions antisémites commises sous l’égide de l’Allemagne nazie entre 1933 et 1945, et par les autorités des territoires qu’elle a occupés, contrôlés ou sur lesquelles elle exerçait une influence.

Le projet de loi permet d’appréhender les actes de spoliation antisémites de façon assez large, autant s’agissant des bornes temporelles choisies – « entre 1933 et 1945 » – que des territoires concernés, puisque ces faits peuvent avoir eu lieu dans l’ensemble des pays et territoires contrôlés par l’Allemagne nazie ou par des autorités qui lui étaient liées ou étaient placées sous son influence (selon l’article 1er du projet de loi initial : « l’Allemagne nazie » et « les autorités des territoires qu’elle a occupés, contrôlés ou influencés, notamment l’autorité de fait se disant "gouvernement de l’État français" »).

Au Sénat, lors de l’examen du texte en séance, les sénateurs ont souhaité mettre en relief le rôle spécifique joué par les autorités alors en place sur le territoire français en modifiant le texte initial, substituant au terme « notamment », qui plaçait l’État français parmi un ensemble plus grand de territoires « occupés, contrôlés ou influencés », l’expression « et par », mieux à même, selon eux, de souligner la responsabilité propre des autorités françaises.

À la faveur des débats en séance publique, les sénateurs ont également remplacé les mots « se disant "gouvernement de l’État français" » par les mots « le régime de Vichy », ce qui a conduit à adopter la formulation suivante à l’article 1er : « l’autorité de fait du régime de Vichy ». Cela n’est pas apparu satisfaisant à la rapporteure, d’autant que l’article 2 du texte, qui comprenait la même expression à l’origine (à savoir, « l’autorité de fait se disant "gouvernement de l’État français" ») n’a pas été modifié en conséquence. Le projet tel que transmis à l’Assemblée nationale nécessitait donc un travail d’harmonisation des deux premiers articles, et la recherche d’une solution la plus consensuelle possible, sur un sujet faisant encore l’objet d’importants débats au sein de la communauté des historiens. En outre, il ne s’agissait pas ici de faire ou refaire l’histoire, mais bien de trouver une expression permettant la meilleure applicabilité du texte, réduisant l’ambiguïté dans toute la mesure du possible.

Des discussions fournies et répétées ont été conduites par la rapporteure avec les services juridiques du ministère de la Culture, la M2RS, la direction du patrimoine et plusieurs historiens spécialistes de la période ([26])  – que la rapporteure souhaite remercier pour ces nombreux échanges de qualité – afin d’identifier l’expression la plus factuelle et la plus juste pour désigner le régime de Vichy sans faire référence à une ville qui ne mérite pas l’association continuelle à une autorité dévoyée. Toutes les personnes entendues par la rapporteure ont également été consultées sur ce point lors de leur audition.

Lors de l’examen du texte en commission à l’Assemblée nationale, deux amendements de la rapporteure ont été adoptés pour dégager une solution satisfaisante juridiquement, retenant la désignation suivante : « l’État Français entre le 10 juillet 1940 et le 24 août 1944 ». Cette solution a recueilli un large accord, puisqu’elle a reçu le soutien de tous les groupes politiques. Elle se substitue à l’expression retenue par le Sénat pour l’article 1er (« l’autorité de fait du régime de Vichy ») et, pour assurer la cohérence du texte, à l’expression originelle employée dans l’article 2 du texte (« l’autorité de fait se disant "gouvernement de l’État français" »).

b.   L’implication de la CIVS : le choix de l’expertise et de la continuité

Le dispositif dérogatoire à l’inaliénabilité retenu aux articles 1er et 2 repose sur l’avis d’une « commission administrative, placée auprès du Premier ministre, compétente en matière de réparation des préjudices consécutifs aux spoliations de biens intervenues du fait des persécutions antisémites ». Selon l’étude d’impact du projet de loi et la ministre de la Culture, qui l’a confirmé en commission des affaires culturelles, cette commission désigne bien la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l’Occupation (CIVS). Cette commission, dont les représentants ont été auditionnés par la rapporteure, est forte d’une expérience indéniable de plus de vingt ans sur le sujet des spoliations. Elle a vu ses compétences élargies et ses moyens renforcés en 2018, lorsqu’elle est devenue compétente sur le sujet des biens culturels autres que les biens dits « MNR » et a commencé à pouvoir s’autosaisir.

La rapporteure se félicite de la continuité annoncée du travail de la CIVS : sa composition et son fonctionnement garantissent un processus transparent, juste et équitable dans le traitement des dossiers de demandes d’indemnisation pour les spoliations ou de restitution. L’avis prévu aux articles 1er et 2 est un avis simple, ce qui signifie qu’il ne liera pas l’autorité publique à laquelle sera demandée la restitution, contrairement à ce qu’aurait produit le recours à un avis conforme. Le passé a montré que les cas où la personne publique ne suivait pas l’avis de la CIVS étaient extrêmement rares, et généralement plutôt en faveur des personnes ayant demandé la restitution d’un bien ou une indemnisation. En outre, les décisions futures qui seront prises par les personnes publiques en vertu de l’article L. 115-2 du code du patrimoine pourront faire l’objet d’un recours devant le juge administratif.

Au Sénat, un amendement de Mme Monique de Marco a été adopté en séance afin de préciser que les avis de la CIVS seront rendus publics. Cet amendement avait pour objectif de garantir « l’opposabilité » de cet avis. Or, il convient de souligner que cet avis ne liant pas les personnes publiques, il ne peut leur être opposé en cas de décision contraire à l’avis. Il peut toutefois constituer un appui dans le cas d’un recours juridique contre la décision de l’autorité publique.

Lors de l’examen en commission à l’Assemblée nationale, les dispositions relatives à la CIVS n’ont fait l’objet d’aucune modification, même si les questions de sa composition et de la nature de ses avis ont été débattues. Durant ses travaux, la rapporteure avait envisagé la possibilité de désigner des parlementaires pour siéger au sein du collège de la CIVS, afin que cette présence puisse contribuer à la publicité de la question des restitutions, et que le dispositif administratif dérogatoire ne signifie pas la fin de tout regard parlementaire sur le sujet. En raison du caractère très technique du travail effectué par la CIVS, la rapporteure n’a finalement pas retenu cette option, souhaitant privilégier d’autres voies pour accroître l’écho du travail effectué par la CIVS et la M2RS (voir infra).

La composition de la CIVS sera désormais déterminée par un décret en Conseil d’État, ce qui contribuera à renforcer la solennité de sa mission et à inscrire son existence dans le code du patrimoine.

Par ailleurs, la rapporteure n’est pas favorable au remplacement de l’avis simple par un avis conforme : il lui apparaît en effet souhaitable que les personnes publiques soient pleinement en mesure de prononcer les restitutions ou les mesures alternatives et d’en assumer la responsabilité.

Avis simple et avis conforme d’une autorité administrative

Lorsqu’est prévu un avis simple, celui-ci est obligatoirement rendu avant que l’autorité administrative destinataire ne puisse prendre sa décision. L’autorité administrative destinataire peut toutefois dans sa décision passer outre l’avis rendu par la commission.

L’avis conforme lie l’autorité administrative tant par le sens que par le contenu. L’autorité destinataire, sauf à démontrer que l’avis est illégal, ne peut se soustraire à cet avis qu’en s’abstenant d’édicter la décision. Dans cette hypothèse, le requérant peut introduire un recours devant le juge administratif.

Concernant les biens culturels ayant fait l’objet de spoliations et détenus par des établissements relevant des collectivités territoriales, la restitution pourra avoir lieu, une fois l’avis de la commission administrative rendu, sur décision de l’autorité délibérante de la collectivité concernée.

Une fois la décision de restitution prise par la personne publique, le dispositif du texte prévoit que le certificat d’exportation mentionné à l’article L. 111-2 du code du patrimoine sera délivré de plein droit pour les biens culturels restitués. Il semble en effet tout à fait nécessaire à la rapporteure que « l’exportation temporaire ou définitive hors du territoire douanier » (pour laquelle est normalement demandé un certificat selon l’article L. 111-2 du code du patrimoine) du bien culturel soit automatiquement autorisée par l’autorité administrative compétente, à savoir le ministère de la Culture, afin d’assurer la pleine disposition de leur bien aux propriétaires spoliés dès lors qu’il leur est restitué.

c.   Certains musées privés pourront utiliser la procédure dérogatoire

L’initiative de la restitution des biens spoliés pour des motifs antisémites ne concernera pas seulement les établissements publics. En effet, l’article 2 du projet de loi ouvre la possibilité aux personnes morales de droit privé à but non lucratif relevant du label « musées de France » de restituer des biens culturels de leurs collections dès lors qu’ils ont été spoliés au cours de leur histoire.

L’article 2 du projet précise explicitement, grâce à un amendement de la rapporteure Mme Béatrice Gosselin adopté en commission au Sénat, que l’autorisation accordée aux propriétaires de musées privés de restituer les biens qu’ils ont acquis par dons ou legs ou avec le concours financier d’une collectivité publique constitue une dérogation aux dispositions prévues à l’article L. 451-10 du code du patrimoine, selon lesquelles ces biens sont incessibles.

d.   Des voies de réparation plus ouvertes

Un des apports particulièrement intéressants du dispositif proposé par le texte en ses articles 1er et 2 consiste en la possibilité de conclure avec les ayants droit des accords afin de convenir d’autres modalités de réparation que la restitution, une fois la spoliation établie. Cette possibilité est ouverte autant aux personnes publiques qu’aux personnes morales de droit privé que sont les musées privés ayant reçu le label « musée de France » (compris dans le champ de l’article 2).

La rapporteure estime que cette possibilité est de nature à favoriser à la fois la reconnaissance des spoliations subies, mais également les accords de gré à gré permettant le maintien de l’accès à ces biens culturels par le public. L’exemple souvent cité du musée Labenche à Brive-la-Gaillarde, qui a inspiré l’inscription de cette possibilité dans la loi, est à cet égard éclairant (voir encadré ci-après).

La tapisserie « L’Odorat » du musée Labenche

 

En 1995, une tapisserie intitulée « L’Odorat » faisant partie de la tenture des « Cinq sens », tissée par la Manufacture royale anglaise de Mortlake entre 1619 et 1639, est acquise par la commune de Brive pour le musée Labenche auprès d’une galerie d’art, pour la somme de 660 000 francs, avec le soutien financier du Fonds régional d’acquisition pour les musées (FRAM) et de l’État.

En mars 2016, le cabinet d’avocats allemand Von Trott, représentant les héritiers Drey à Munich, contacte la commune pour l’informer que la tapisserie détenue par le musée avait appartenu à une famille de marchands d’arts de confession juive, contrainte de la céder en 1936 à vil prix au régime nazi, afin de payer des impôts injustifiés réclamés par celui-ci. Estimée à 4 000 Reichsmark, la tapisserie est vendue à perte (vente forcée) pour 1 400 Reichsmark. Le cabinet d’avocats demande à la ville de vérifier la provenance de la tapisserie conservée par le musée. Dans l’hypothèse où l’identité entre les deux tapisseries se confirmait, un accord à l’amiable pouvait être envisagé.

Les différentes recherches conduites avec l’aide de la M2RS et du service des Musées Nationaux Récupération (MNR) permettent de confirmer la spoliation.

Une réunion de médiation est organisée en avril 2020 en présence du cabinet d’avocats allemand, de la M2RS, des représentants de la ville de Brive, de l’avocat de la ville et du musée Labenche, aux termes de laquelle un accord est trouvé. La ville de Brive souhaite conserver la tapisserie « L’Odorat » dans ses collections, celle-ci faisant partie d’un ensemble cohérent de dix tapisseries de Mortlake qui contribue à la renommée du musée Labenche. Lors de la réunion de médiation, la ville rappelle sa contribution à la lutte contre le nazisme. Dès le 17 juin 1940, Edmond Michelet y distribue un tract appelant à la résistance contre l'envahisseur nazi. Elle devient ensuite la capitale régionale de la Résistance avec les sièges des principaux mouvements et réseaux d’action et de renseignements, et est la première ville de la France occupée à se libérer par ses propres moyens le 15 août 1944. Elle reçoit à ce titre la Croix de guerre 1939-1945.

À l’issue de cette réunion, la ville accepte le principe qu’un dédommagement financier soit versé aux ayants droit sur la base du prix d’achat de 1995 (soit 140 000 euros). La délibération du conseil municipal du 16 décembre 2020 valide le protocole transactionnel, qui est signé le 15 janvier 2021. La tapisserie figure désormais légitimement dans les collections du musée Labenche et de la ville de Brive. La commune s’engage par ailleurs à communiquer sur l’origine de l’œuvre en informant le public qu’il s’agit d’une œuvre spoliée par le régime nazi.

En février 2023, le musée Labenche, qui conserve aussi en dépôt depuis les années 1950 cinq œuvres liées aux spoliations nazies (identifiées sur l’inventaire des biens MNR), décide de les regrouper pour les exposer désormais dans un seul et unique espace où prend place la tapisserie « L’Odorat ». Grâce à une médiation spécifique, le musée Labenche facilite aujourd’hui par ses actions, en lien avec le musée Edmond-Michelet de Brive, la mise en lumière de ces œuvres aux destins tragiques avec l’espoir qu’elles retrouvent un jour leurs propriétaires légitimes.

Si les autres voies de réparation envisagées peuvent comprendre des compensations financières, notamment pour permettre le maintien des biens dans les collections publiques, il apparaît important de souligner que les enjeux de la restitution des biens spoliés dépassent ces préoccupations et relèvent souvent en premier lieu d’une volonté de réappropriation de l’histoire familiale.

2.   Un travail de recherche à poursuivre et des modalités d’application à définir

a.   Renforcer les moyens dévolus à la recherche de provenance

Le projet de loi proposé constitue un cadre, il offre un dispositif facilitant les restitutions et entérine des modalités de compensation alternatives à celles-ci. Mais pour que ce travail puisse être fait, il apparaît essentiel que la recherche de provenance puisse avoir lieu dans les établissements susceptibles de conserver des biens spoliés. Comme évoqué précédemment, un mouvement en ce sens a été initié depuis plusieurs années par les plus grandes institutions, notamment le musée du Louvre, qui a recruté une chercheuse en provenance, historienne spécialisée dans le marché de l’art durant la période de l’occupation, Mme Emmanuelle Pollack.

Les représentants des institutions auditionnés ont évoqué les efforts réalisés mais aussi l’investissement que ceux-ci représentaient. Ainsi, l’Institut national de l’Histoire de l’art (INHA) a entrepris en 2017 de lancer un programme de recherche sur les provenances concernant la période de l’Occupation. L’INHA a investi entre 2017 et 2023 plus de 650 000 euros de son budget propre pour ce projet ambitieux de recherche, le « Répertoire des acteurs du marché de l’art en France sous l’Occupation, 1940-1945 » ([27]). Par ailleurs, en 2018, l’INHA a parachevé son programme sur l’identification des documents spoliés conservés dans sa bibliothèque, ce qui lui a permis de répertorier 1 224 documents spoliés pendant la seconde guerre mondiale ([28]).

À la Bibliothèque nationale de France (BNF), une opération de numérisation de l’ensemble des registres d’entrée, soit 1 605 documents, et notamment les registres d’acquisitions et de dons, est en cours dans le cadre d’un marché spécifique de deux ans. Ces registres deviennent au fil de leur numérisation, pour les périodes antérieures à 1950, consultables sur Gallica, la bibliothèque numérique de la BNF. Leur numérisation conduit également à faciliter les recherches en interne. Ces registres comportent les mentions d’acquisitions auprès de libraires, de commissaires-priseurs et de particuliers mais ils sont d’un degré de complétude variable.

L’Établissement public du musée d’Orsay et du musée de l’Orangerie Valéry Giscard d’Estaing (EPMO) a recruté une chargée de mission pour les recherches de provenance, qui prendra ses fonctions dans le courant de l’automne 2023. Un agent de l’établissement sera donc entièrement missionné sur ce sujet, ce qui constitue un progrès à saluer. L’établissement bénéficie par ailleurs de l’apport bénévole et à temps très partiel d’une chargée de mission, ancienne conservatrice au musée et anciennement chargée de ces questions, dont la connaissance historique des dossiers est très précieuse. Des stagiaires ont pu être employés à des fins de recherches. Un conservateur coordonne l’activité de recherche dans le domaine, à temps également très partiel. L’ensemble de l’équipe scientifique peut être amené à contribuer aux recherches de provenance. L’apport de la M2RS a été déterminant au cours des dernières années, comme l’a souligné M. Emmanuel Coquery, ancien directeur adjoint de la conservation et des collections de l'établissement public du musée d’Orsay et de l’Orangerie durant son audition, puisque durant deux ans, la M2RS a mis à disposition de l’EPMO un de ses chercheurs, à 80 % de son temps d’activité.

Concernant la recherche de provenance des instruments de musique compris dans les collections publiques, il convient de saluer l’effort particulier mené par le musée de la Musique, l’une des composantes de l’établissement public de la Cité de la musique-Philharmonie de Paris, qui a créé en octobre 2021 un poste spécifiquement consacré à l’étude de l’histoire et des sources des œuvres de sa collection. L’enjeu premier de ce recrutement fut de définir le corpus des instruments et des archets acquis après 1933 et fabriqués avant 1945 (à savoir 2 343 objets), pour étudier ensuite, au cas par cas, leurs modalités d’acquisition. Dans l’état actuel de ses recherches, le musée de la Musique est en mesure d’affirmer que 652 de ses instruments et archets n’ont pas été spoliés, mais la provenance des 1 691 instruments et archets restants est encore à déterminer. La plupart de la documentation du musée sur ces objets a pu être étudiée. Lors de l’audition de sa directrice Mme Marie-Pauline Martin, a été soulevée la question de l’inaccessibilité de la plupart des archives privées du commerce des instruments au cours du XXe siècle (conservées dans les ateliers des luthiers, facteurs, et les maisons de vente), qui complique la recherche de provenance.

Si certaines grandes institutions muséales de rang national ont donc entrepris de faire la lumière sur l’origine des œuvres acquises entre 1933 et 1945, les œuvres acquises depuis cette période sont également susceptibles d’avoir une provenance frauduleuse. Cela représente parfois une masse de biens culturels conséquente, nécessitant l’engagement de moyens importants. Or, les musées plus modestes, même s’ils disposent de fonds de taille plus réduite, pourraient rencontrer des difficultés à mobiliser les moyens nécessaires aux recherches de provenance.

La ministre de la Culture a annoncé en commission des affaires culturelles, le 20 juin 2023, que de nouveaux moyens pourraient être mobilisés afin d’appuyer les collectivités territoriales dans ces efforts, indiquant qu’un « dispositif de subvention sera instauré par nos directions régionales des affaires culturelles, les Drac, pour aider les autres musées à lancer des missions d’investigation, véritables enquêtes » ([29]). La question des moyens a été largement évoquée, non seulement au Sénat, mais également en commission à l’Assemblée nationale. La rapporteure estime qu’il reviendra aux parlementaires de suivre cette question de près, notamment lors de l’examen du projet de loi de finances, mais aussi en auditionnant régulièrement la CIVS et les institutions muséales, afin de pouvoir alerter le Gouvernement en cas de besoin.

b.   Accroître les offres de formations

Au-delà des moyens budgétaires qui pourront lui être alloués, la recherche de provenance nécessite aussi des moyens humains, des personnels formés à ses méthodes spécifiques. Des formations à la recherche de provenance ont été créées ces dernières années, notamment un diplôme universitaire de niveau master 2 à l’Université de Nanterre. Cette formation peut se voir reprocher d’être relativement courte (elle est d’une durée de six mois) et intégralement assurée en ligne, laissant peu de place à l’expérience de terrain. Cela permet toutefois à des personnels déjà en activité d’acquérir un socle de connaissance qu’ils pourront ensuite intégrer à leur pratique professionnelle.

L’École du Louvre a prévu d’ouvrir à la rentrée 2023-3024 un nouveau parcours de spécialisation en master 2 intitulé « Biens sensibles, provenances et enjeux internationaux », dont l’institution indique qu’il a pour objectif de « répondre aux besoins actuels des musées, des institutions patrimoniales et du monde du marché de l’art au sujet des acquisitions d’œuvres et d’objets, de leur circulation, de la documentation de leurs provenances, des nouvelles questions et enjeux soulevés par le contexte international ». La question de la légalité de la provenance des biens culturels dépasse effectivement la question des spoliations dans le contexte des persécutions antisémites, et est appelée à voir son importance croître à l’avenir.

Si la recherche de provenance peut constituer un champ de recherche en soi, il apparaîtrait également intéressant que les problématiques qu’elle recouvre soient abordées de façon transversale, dans tous les métiers de la conservation. C’est le sens de la formation obligatoire de deux à trois jours proposée aux élèves conservateurs du patrimoine de l’Institut national du patrimoine (INP) sur la question des spoliations de la période nazie et sur les recherches de provenance, formation coordonnée par le ministère de la Culture. Une formation similaire est proposée aux élèves conservateurs de bibliothèque de l’École nationale des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib).

c.   Valoriser la publicité des restitutions

Le débat en commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale a fait écho à des préoccupations des parlementaires, déjà exprimées lors de l’examen de la loi du 17 février 2022, liées à la forme de dessaisissement du Parlement que peut représenter la création d’un dispositif administratif dérogatoire à l’inaliénabilité des biens culturels des collections publiques.

Cette inquiétude repose sur deux motifs. Le premier a trait spécifiquement à l’abandon par les parlementaires de leur droit de regard sur la sortie du patrimoine public des biens culturels ayant été spoliés. Le dispositif administratif créé permet effectivement de se dispenser de la discussion et de l’autorisation législatives qui conduisaient auparavant à la restitution du bien, ce qui affecte dans une certaine mesure les prérogatives du Parlement.

La seconde source d’inquiétude tient à ce que les restitutions de biens culturels, en passant par cette voie administrative, pourraient perdre de leur solennité, et faire l’objet d’une moindre attention du grand public, ce qui compromettrait la dimension mémorielle qu’elles revêtent. Les parlementaires ont en effet exprimé la crainte que ces restitutions ne finissent par concerner que les ayants droit et un cercle étroit du public déjà sensibilisé à ces problématiques.

La rapporteure comprend ces inquiétudes : il est en effet indispensable que la loi-cadre, en facilitant les restitutions de biens spoliés, contribue également à installer cette question au centre du débat public. À cet égard, l’Assemblée nationale aura à prendre sa part, et le rapport que le Gouvernement devra remettre au Parlement constituera un moment opportun pour un état des lieux régulier. En effet, un nouvel article a été introduit au projet de loi en séance au Sénat par l’amendement de M. Bernard Fialaire ([30]), prévoyant un rapport annuel du Gouvernement sur les restitutions de biens culturels spoliés relevant des collections publiques ou des collections des musées privés de France.

À l’Assemblée nationale, la commission a choisi de rendre ce rapport plus exhaustif (en y intégrant les biens ayant fait l’objet de mesures alternatives à la restitution) mais d’en réduire la fréquence de la remise sur une base bisannuelle. On signalera toutefois que la CIVS rend déjà public un rapport d’activité annuel, permettant de disposer de toutes les données chiffrées quant aux dossiers reçus et examinés. En outre, la ministre a annoncé en commission que « les établissements nationaux devront rendre publics chaque année, dans un rapport adressé au Parlement, les moyens qu’ils affectent à la recherche en provenance », ce dont la rapporteure se réjouit.

d.   Aller plus loin dans la prise en compte de ces enjeux

Afin que la loi puisse produire tous ses effets, la rapporteure sera attentive à ce que les moyens nécessaires puissent être mobilisés, dès lors que les premières vagues de recherche de provenance des établissements jusqu’alors peu engagés dans celles-ci auront pu fournir une estimation du nombre de biens culturels concernés. Afin de contribuer à cette recherche de provenance efficace, la rapporteure souhaite insister sur la nécessité de valoriser la recherche publique en histoire et histoire de l’art menée sur le thème des spoliations et des restitutions. Assurer le financement d’au moins deux doctorats par an sur ces sujets pourrait sembler marginal en termes de coût budgétaire, mais permettrait de créer progressivement une vraie communauté de chercheurs français sur ce sujet, susceptible d’assurer une meilleure inclusion du monde académique français dans ce champ de la recherche au niveau international. Les étudiants en histoire de l’art pourraient également être amenés à réaliser plus fréquemment des recherches sur ce thème auprès de conservateurs dans les musées.

Enfin, si la facilitation des restitutions de biens appartenant aux collections publiques constitue une avancée majeure – à condition qu’elle soit suivie d’effets – un important travail reste à réaliser dans le monde du marché de l’art. Certaines grandes institutions montrent la voie, comme l’établissement Drouot-Patrimoine en 2021 : une convention a été signée le 10 mars 2021 pour partager les sources de la documentation de Drouot-Patrimoine avec le musée du Louvre. Un Prix Louvre‑Drouot a été créé en 2021 pour récompenser les mémoires de master sur la question du marché de l’art. Mais, bien qu’il faille prendre en compte la très grande variété des structures et de taille des maisons de vente, qui impose une certaine prudence dans la préconisation de mesures systématiquement plus poussées dans la recherche de provenance, la rapporteure estime qu’un travail reste à réaliser pour qu’elles contribuent de façon plus volontaire à la découverte du caractère spolié de certaines œuvres présentes sur le marché de l’art.

On signalera enfin le rôle important des généalogistes professionnels, et particulièrement des Généalogistes de France ([31]) dans la recherche des ayants droit aux côtés de la M2RS et de la CIVS. Une convention passée entre eux et le ministère de la Culture a conduit à leur contribution bénévole, dans le cadre d’un mécénat de compétences. L’expérience, intéressante, a révélé les difficultés particulières de cet exercice : les ayants droit peuvent être dispersés dans de nombreux pays, ce qui implique des délais très longs d’accès aux informations. L’accès aux archives à l’étranger, mais aussi en France, n’est pas toujours aisé. Le service des Archives de France doit consulter les dossiers de naturalisation et s’assurer qu’ils ne révèlent pas d’informations personnelles trop sensibles avant d’autoriser leur accès. Les dérogations permettant la mise à disposition des documents sont donc difficiles à obtenir dans des délais raisonnables. L’accès aux jugements de divorce comporte le même type de difficultés.

Ces différents sujets relatifs à la mise en œuvre de la loi témoignent de la diversité et de la complexité des enjeux à venir, et laissent pressentir l’ampleur des moyens qu’il conviendra de mobiliser.

II.   principaux apports du sénat

L’examen du projet de loi au Sénat a abouti à la modification de plusieurs articles. Lors de l’examen en commission, des amendements de la rapporteure Mme Béatrice Gosselin (Les Républicains) ont clarifié le dispositif prévu à l’article 2, en précisant que l’autorisation accordée aux propriétaires de musées privés de restituer les biens qu’ils ont acquis par dons ou legs ou avec le concours financier d’une collectivité publique constitue une dérogation aux dispositions prévues à l’article L. 451-10 du code du patrimoine, et que le décret en Conseil d’État prévu à l’article L. 15-4 fixe également les modalités d’application de l’article 2 du présent projet de loi.

De plus, l’examen en séance a contribué à renforcer la transparence de la procédure et l’information des ayants droit et de la représentation nationale : un amendement a ainsi introduit la publicité des avis de la CIVS ([32]), et un article additionnel (l’article 4) a prévu la remise au Parlement d’un rapport annuel du Gouvernement faisant état des biens culturels ayant fait l’objet d’une restitution au cours de l’année écoulée ([33]). Cette disposition répond à un besoin d’information du Parlement, et permet de pallier l’absence de droit de regard des parlementaires sur les sorties des collections des biens culturels. Des modifications ont également été apportées au texte à propos de la dénomination et du rôle de l’autorité en place en France sous l’Occupation. D’une part, la responsabilité propre des autorités françaises pour les actes ayant conduit aux spoliations antisémites a été accentuée par une reformulation syntaxique de l’article 1er ([34]) reprise par un autre amendement dans l’article 2 et, d’autre part, la qualification de ces autorités a été modifiée afin d’inscrire « le régime de Vichy » au sein de l’article 1er ([35]). Les termes choisis lors d’une discussion en séance n’ont toutefois pas été appliqués à la dénomination du même régime à l’article 2, entraînant une incohérence rédactionnelle.

III.   principaux apports de la commission

L’examen du texte en commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale a permis de compléter et d’harmoniser les ajouts sénatoriaux. Ainsi, à l’article 1er, un amendement de la rapporteure a introduit une disposition dérogatoire au code du patrimoine assurant la pleine application du texte aux biens culturels des collections publiques ayant été acquis par dons ou legs. De plus, il a été précisé que la personne publique peut solliciter le concours de l’État afin de contribuer au financement des réparations autres que la restitution ([36]). Ces réparations ou modalités d’accord alternatives à la restitution devront être prévues dans le décret en Conseil d’État prévu au onzième alinéa du premier article ([37]).

L’examen en commission a également permis d’harmoniser la dénomination du régime français entre 1940 et 1944, en substituant aux rédactions distinctes des articles 1er et 2 les termes « l’État français entre le 10 juillet et le 24 août 1944 ». La formule retenue entend ainsi éviter la stigmatisation de la ville de Vichy et inscrire le texte dans la continuité de la reconnaissance par la France de la responsabilité de l’État dans les persécutions antisémites ayant conduit aux faits de spoliations, sans ignorer la constitution progressive d’une autorité française clandestine au cours de la même période.

Enfin, deux amendements ont permis de préciser que la remise du rapport gouvernemental au Parlement, prévue par l’article 4 du projet de loi, sera bisannuelle ([38]) et inclura l’inventaire des biens culturels spoliés ayant fait l’objet d’une modalité de réparation autre que la restitution ([39]).

 

 


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   commentaires des articles

Article 1er
Création d’une procédure administrative pour la restitution des biens culturels spoliés intégrés aux collections publiques

Adopté par la commission avec modifications

Le présent article vise à créer une procédure administrative dérogatoire au principe d’inaliénabilité des biens culturels publics afin de faciliter la restitution de biens spoliés entre 1933 et 1945 dans le contexte des persécutions antisémites.

La rédaction issue de la commission permet d’assurer la pleine effectivité du dispositif, notamment concernant les biens ayant été acquis par dons ou legs. Elle modifie la formulation insérée au Sénat désignant le régime français. Elle complète les dispositions relatives au décret d’application en Conseil d’État et prévoit que les collectivités territoriales pourront demander le concours de l’État lorsque d’autres modalités de réparation que la restitution seront retenues par les ayants droit et les propriétaires.

I.   l’État du droit

Les biens culturels appartenant aux personnes publiques sont soumis au régime de la domanialité publique, qui leur confère une triple protection (inaliénabilité, imprescriptibilité, insaisissabilité).

En effet, au titre de l’article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, « les biens des personnes publiques mentionnées à l’article L. 1 [du même code, soit l’État, les collectivités territoriales et leurs groupements, ainsi que les établissements publics], qui relèvent du domaine public, sont inaliénables et imprescriptibles. » L’article L. 2311-1 du code général de la propriété des personnes publiques indique par ailleurs que « les biens de l’État, des collectivités territoriales et de leurs groupements, ainsi que des établissements publics – qui incluent donc les biens des musées de France relevant des personnes publiques – sont insaisissables ».

Les biens des collections publiques au sein des collections des musées de France appartenant à une personne publique voient cette protection renforcée par des articles spécifiques du code du patrimoine. Ils sont en effet :

– inaliénables, en application de l’article L. 451-5 du code du patrimoine ([40]) : comme l’indique le Conseil constitutionnel ([41]) « l’inaliénabilité […] a pour conséquence d’interdire de se défaire d’un bien du domaine public, de manière volontaire ou non, à titre onéreux ou gratuit » et s’oppose ainsi à ce que la propriété des œuvres des collections publiques, qui appartiennent au domaine public, puisse être transférée ;

– imprescriptibles, au titre de l’article L. 451-3 du code du patrimoine ([42]) : selon la décision précité du Conseil constitutionnel, « l’imprescriptibilité fait obstacle […] à ce qu’une personne publique puisse être dépossédée d’un bien de son domaine public du seul fait de sa détention prolongée par un tiers ». Dans son commentaire, le Conseil constitutionnel précise : « l’imprescriptibilité des biens relevant du domaine public […] permet aux personnes publiques d’exercer de façon perpétuelle l’action en revendication de biens irrégulièrement aliénés [notamment par un vol]. D’autre part, l’imprescriptibilité interdit qu’une personne privée puisse se prévaloir de la possession prolongée d’un bien, soit pour en revendiquer la propriété, soit pour obtenir une indemnisation en cas de dépossession […] ».

C’est pourquoi en l’état actuel du droit, les procédures permettant la restitution de biens culturels intégrés aux collections publiques et ayant fait l’objet de spoliation demeurent limitées.

De fait, la procédure de déclassement administratif des biens du domaine public prévue par l’article L. 2141-1 du code général de la propriété des personnes publiques n’est pas applicable aux biens culturels. Cet article prévoit qu’« un bien d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 ([43]), qui n’est plus affecté à un service public ou à l’usage direct du public, ne fait plus partie du domaine public à compter de l’intervention de l’acte administratif constatant son déclassement ». Mais l’article L. 2112-1 du même code définit comme critère d’appartenance au champ du domaine public mobilier celui de « l’intérêt public du point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie, de la science ou de la technique ».

Pour pouvoir faire l’objet d’un déclassement administratif, le bien culturel devrait donc avoir perdu cet intérêt, comme l’indique le Conseil d’État dans son avis rendu sur le projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal ([44]) : « Il résulte de la combinaison de cet article L. 451-5 du code du patrimoine et de l’article L. 2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques qu’un déclassement par la voie administrative n’est possible que lorsqu’un bien a perdu tout intérêt public du point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie, de la science ou de la technique ». Or, cela est rarement le cas pour les biens susceptibles d’être restitués en raison de la spoliation dont ils avaient fait l’objet.

Il convient d’emblée de distinguer le régime de domanialité publique, s’appliquant aux biens intégrés aux collections publiques, de celui des œuvres et objets d’art figurant à l’inventaire « Musées nationaux récupération », dont l’État n’est que le gardien provisoire dans l’attente de l’identification de leur propriétaire ou de ses ayants droit. N’appartenant pas aux collections publiques, les biens figurant à l’inventaire des « MNR » peuvent faire l’objet d’une restitution par décision administrative sous le contrôle du juge administratif, sans délimitation temporelle.

Outre ce processus de restitution propre aux biens figurant à l’inventaire « MNR », deux procédures permettent néanmoins de restituer un bien culturel détenu par une personne publique et identifié comme spolié, seule l’une d’elles permettant à l’État d’être à l’initiative de l’acte de restitution.

En application de la première procédure, les biens appartenant aux collections publiques peuvent faire l’objet d’une restitution par le biais d’une procédure judiciaire. L’ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945 portant deuxième application de l’ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l’ennemi prévoit en effet la nullité de tout acte de spoliation commis en France par l’Occupant ou par le régime de Vichy. Ainsi, s’il reconnaît l’acte de disposition comme spoliateur, le juge judiciaire peut imposer la restitution d’un bien reconnu spolié au propriétaire ou à ses ayants droit, y compris lorsque le détenteur est une personne publique. Sa décision entraîne alors la reconnaissance du caractère nul et non avenu de toutes les transactions postérieures dont le bien a pu faire l’objet, aboutissant à l’annulation de l’entrée du bien dans le domaine public.

La seconde procédure de restitution des biens spoliés appartenant aux collections publiques se fonde sur une mesure d’ordre législatif. En effet, le principe d’inaliénabilité ne revêt pas une valeur constitutionnelle, ainsi que l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 86-217 DC du 18 septembre 1986 qui précise que ce principe « s’oppose seulement à ce que des biens qui constituent ce domaine soient aliénés sans qu’ils aient été au préalable déclassés ». Dès lors, le législateur peut autoriser la sortie des collections publiques et le transfert de propriété de plusieurs œuvres par la loi. Ainsi, pour la première fois, la loi n° 2022-218 du 21 février 2022 relative à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites a permis la restitution ou la remise de quinze biens spoliés ou acquis dans des conditions troubles pendant la période nazie appartenant aux collections publiques.

Pour autant, ces deux procédures présentent certaines spécificités peu compatibles avec l’actuelle volonté des pouvoirs publics d’accélérer les recherches autour de l’origine des biens intégrés aux collections publiques et, le cas échéant, les restitutions à leurs propriétaires et ayants droit.

En effet, d’une part, la procédure judiciaire est conditionnée à l’introduction d’une requête de la part du présumé propriétaire ou de ses ayants droit. Elle ne permet donc pas aux établissements publics qui auraient identifié un bien comme ayant été spolié de le soumettre, de leur propre initiative, à la décision du juge. Dès lors, les musées et établissements nationaux, incités à la recherche de provenance de leurs collections, voient la restitution de tels biens conditionnée à la mise en œuvre d’une éventuelle action en justice à l’initiative des ayants droit, ainsi qu’à la décision du juge, qui demeure incertaine. Par ailleurs, le champ de cette procédure ne concerne que les spoliations intervenues après le 16 juin 1940, en France, alors qu’il est reconnu que des spoliations ont eu lieu avant cette date et que les collections publiques ont également acquis des biens ayant fait l’objet de spoliation en dehors du territoire français.

D’autre part, si la procédure législative permet de sortir des collections publiques des biens dont la spoliation est intervenue en France ou en dehors du territoire national, l’accroissement de l’identification de biens spoliés et la nécessité de célérité dans la restitution afin que cette dernière puisse advenir alors que les ayants droit sont encore identifiables, se heurtent aux contraintes inhérentes aux lois d’espèce qui imposent une charge administrative telle pour les parties prenantes qu’elles ne peuvent intervenir à intervalle régulier.

Dans le cadre de l’examen de la loi relative à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions du 21 février 2022, tant le Conseil d’État dans son avis préalable que les parlementaires et le Gouvernement au cours des débats ont ainsi affirmé la nécessité d’une loi-cadre permettant de déroger au régime d’inaliénabilité des collections publiques sans que soit systématiquement nécessaire l’intervention du législateur.

II.   Le dispositif proposé : une procédure administrative facilitant la restitution des biens culturels spoliés appartenant aux COLLECTIONS publiques

L’article 1er du présent projet de loi propose d’insérer une nouvelle section 2 au sein du titre Ier du code du patrimoine « Dispositions communes à l’ensemble du patrimoine culturel ». Cette nouvelle section « Biens culturels ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945 » se composerait de trois articles (L. 115-2, L. 115-3 et L. 115-4) qui prévoient une nouvelle procédure de sortie des biens du domaine public, par dérogation au régime d’inaliénabilité mentionné au préalable.

Le dispositif proposé permettrait à la personne publique, après avis d’une commission administrative compétente en matière de réparation des préjudices consécutifs aux spoliations de biens intervenues du fait des persécutions antisémites (article L. 115-3), de prononcer la restitution à son propriétaire ou à ses ayants droit de tous types de biens culturels ayant fait l’objet d’une spoliation (article L. 115- 2).

Aussi, un établissement culturel public, tel un musée ou une bibliothèque, qui identifierait au sein de ses collections un objet ayant possiblement fait l’objet d’une spoliation, pourrait saisir la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations (CIVS) ([45]). Disposant d’une expérience et d’une légitimité reconnues de longue date, la CIVS serait amenée à se prononcer sur l’existence de l’acte spoliateur et, le cas échéant, sur ses circonstances. Une fois cet avis rendu, la personne publique serait libre de le suivre ou d’apprécier différemment les faits, et de prononcer ou non la restitution, sous le contrôle du juge administratif.

Cette nouvelle procédure de déclassement des biens relevant du domaine public vise à assurer un processus de restitution plus large et plus rapide que ne le permettent les procédures existantes. En ce sens, elle élargit, d’une part, les champs géographique et temporel pour lesquels les spoliations pourraient donner lieu à restitution, et ouvre, d’autre part, de nouvelles modalités d’accord entre les personnes publiques et les ayants droit.

En effet, le champ d’application du dispositif proposé serait élargi tant au regard des dispositions de la loi n° 2022-218 du 21 février 2022 que de la procédure de restitution par voie judiciaire. Tout en conservant la jurisprudence constante de la CIVS en matière de définition d’une spoliation, incluant les vols, pillages, mesures d’aryanisation et ventes forcées, le dispositif s’appliquerait désormais également à des faits ayant eu lieu dans l’ensemble des pays et des territoires contrôlés par l’Allemagne nazie et les territoires qui lui étaient liés, au cours de la période ouverte avec l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler (30 janvier 1933) jusqu’à la capitulation allemande (8 mai 1945). Le décret en Conseil d’État prévu par l’article L. 115-4 devrait alors permettre l’élargissement des compétences de la CIVS, notamment pour qu’elle puisse instruire les actes de spoliation étant intervenus en dehors du territoire national.

Afin de rendre pleinement effectif cet élargissement du champ géographique, le deuxième alinéa de l’article L. 115-2 précise que la décision de restitution s’accompagnerait, de manière systématique, de la délivrance d’un certificat d’exportation. Une telle procédure doit assurer que la restitution à des propriétaires ou des ayants droits ne se trouvant pas sur le territoire national ne soit pas entravée par l’absence de certificat, mais aussi de laisser toute liberté au propriétaire dans la disposition du bien restitué.

Le troisième alinéa de l’article L. 115-2 ouvre la possibilité pour la personne publique et le propriétaire ou ses ayants droit de convenir d’un accord amiable de réparation autre que la restitution du bien. Cette disposition va dans le sens de la préservation de l’harmonie et de la cohérence des collections publiques, ainsi que du développement du travail mémoriel et pédagogique autour des spoliations perpétrées dans le cadre des persécutions antisémites, à destination du grand public. Aussi, comme cela fut le cas pour les tapisseries détenues par le musée Labenche de Brive-la-Gaillarde, une compensation financière, ou d’autres formes de compensation, pourraient se substituer à la restitution du bien aux ayants droit.

Enfin, l’article L. 115-4 renvoie à un décret en Conseil d’État la détermination des modalités de mise en œuvre. Ce décret déterminera la procédure de sortie du domaine public en vue d’une restitution, ainsi que « les règles relatives à la compétence, à la composition, à l’organisation et au fonctionnement » de la CIVS.

III.   Les modifications introduites par le Sénat

L’article 1er du projet de loi a été adopté sans modification par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat. En revanche, en séance, trois amendements ont été adoptés.

Premièrement, un amendement ([46]) a été adopté afin de souligner la responsabilité propre des autorités françaises par une modification syntaxique de la phrase. Le texte initial évoquait les persécutions provoquées par les autorités des territoires « contrôlés par l’Allemagne nazie et par les autorités des territoires qu’elle a occupés, contrôlés ou influencés, notamment l’autorité de fait se disant " gouvernement de l’État français " ». Afin de souligner la responsabilité propre de l’État français, l’amendement mentionne spécifiquement et directement les persécutions menées « par » cette autorité et supprime le terme « notamment », qui induisait l’idée d’une influence, voire d’une contrainte, exercée par le régime nazi comme seul motif de la politique discriminatoire menée par l’État français. Cet ajout rappelle ainsi les actions propres et autonomes de l’État français ayant conduit aux spoliations antisémites par l’administration.

Deuxièmement, un amendement rédactionnel ([47]) a modifié les termes faisant référence aux pouvoirs publics de l’époque en remplaçant les mots « se disant "gouvernement de l’État français"», par ceux de « du régime de Vichy ». Cet amendement, rectifié en séance, a été adopté après un débat complexe au cours duquel de multiples possibilités de dénomination ont été évoquées. Il s’inscrit dans le double souhait de marquer une distance avec le texte de l’ordonnance du 9 août 1944 rétablissant la légalité républicaine – très ancré dans le contexte historique d’après-guerre d’affirmation de la légitimité de la France libre –, et de réitérer la reconnaissance de la responsabilité française dans les méfaits commis sous l’Occupation, exprimée par le président Jacques Chirac à l’occasion de son discours du 16 juillet 1995. Le remplacement des termes « se disant "gouvernement de l’État français" » par ceux de « régime de Vichy » n’a toutefois pas été effectué à l’article 2, l’amendement correspondant ayant été rejeté. Cela a entraîné une incohérence rédactionnelle fâcheuse entre les articles 1er et 2 du projet de loi.

Enfin, un amendement ([48]) au dixième alinéa de l’article 1er crée l’obligation de publicité des avis de la CIVS rendus sur sollicitation d’une personne publique pour le déclassement d’un bien spolié, sans préciser toutefois le moment auquel celle-ci devra être assurée.

IV.   la position de la rapporteure

La rapporteure se réjouit de la mise en place d’une procédure administrative dérogatoire qui permettra d’offrir une nouvelle possibilité de restitution des biens culturels. Elle constate avec satisfaction que la loi-cadre élargit le périmètre temporel et géographique des biens culturels pouvant faire l’objet d’une restitution, assurant que les travaux de recherche de provenance engagés par les établissements culturels pourront être suivis d’effets, même lorsque la spoliation est intervenue en dehors du territoire français ou avant le début de la seconde guerre mondiale, ainsi que lorsque les ayants droit ne se trouvent pas en France. En ce sens, elle salue également la délivrance automatique du certificat d’exportation du bien, garantissant la pleine disposition du bien culturel restitué aux ayants droit.

De même, la rapporteure juge pertinente la possibilité, consacrée par la loi-cadre, d’engager une négociation entre les deux parties pour que celles-ci s’accordent sur de nouveaux moyens de compensation. À l’image de l’accord conclu par le musée Labenche de Brive-La-Gaillarde, ces nouvelles procédures pourraient permettre à l’avenir de maintenir certaines œuvres dans les collections publiques, renforçant la dimension pédagogique et mémorielle qui pourra accompagner la présentation des œuvres au public.

La rapporteure approuve la modification apportée au cours de l’examen en séance publique au Sénat pour prévoir la publication des avis rendus par la CIVS. Cet ajout assure en effet la pleine information de l’ayant droit, qui pourrait se fonder sur cet avis pour contester devant le tribunal administratif une décision de rejet de la demande de restitution de la part de la personne publique, dans l’hypothèse peu probable où cette dernière ne se conformerait pas à l’avis de la CIVS. Cette publication pourra également permettre de mieux appréhender les critères et la démarche de la CIVS qui, n’étant pas une juridiction, use parfois de la notion d’équité dans ses recommandations.

Afin de rétablir la cohérence entre les articles 1er et 2 du texte, la rapporteure souhaite proposer une rédaction de substitution à l’expression « autorité de fait du régime de Vichy », issue des discussions en séance au Sénat, qu’elle ne juge pas satisfaisante.

V.   Les modifications introduites par la commission

Outre des amendements rédactionnels, la commission a adopté quatre amendements à l’article premier.

Tout d’abord, un amendement de la rapporteure modifie la dénomination « l’autorité de fait du "régime de Vichy" », introduite par le Sénat, pour la remplacer par « l’État français entre le 10 juillet et le 24 août 1944 ». L’amendement entend ainsi, d’une part, éviter une formulation malheureuse à l’égard de la ville de Vichy, et, d’autre part, inscrire le texte dans la continuité de la reconnaissance par la France de la responsabilité de l’État dans les persécutions antisémites ayant conduit aux faits de spoliations. En effet, la formulation retenue, si elle ne nie aucunement l’existence d’une autorité française clandestine progressivement constituée entre les années 1940 et 1944, permet de mettre en exergue la responsabilité de l’État sous l’Occupation de l’Allemagne nazie, et de l’appareil d’État dans les persécutions antisémites ayant donné lieu à spoliation.

La commission a également adopté un amendement de la rapporteure insérant une dérogation à l’article L. 451-7 du code du patrimoine, afin d’assurer la pleine effectivité du dispositif introduit par l’article L. 115-2. L’article L. 451-7 prévoit en effet l’inaliénabilité des biens intégrés aux collections publiques lorsqu’ils proviennent de dons ou de legs, et aurait pu dès lors constituer un obstacle au processus de restitution. L’ajout explicite de cette dérogation, en cohérence avec le rapport de M. Jean Luc Martinez relatif aux restitutions d’œuvres d’art ([49]), permettra de procéder aux restitutions de biens culturels identifiés comme spoliés, indépendamment de leur modalité d’entrée dans les collections publiques, et d’éviter de possibles contentieux sur ce sujet. Il n’empêche pas de chercher à impliquer et associer positivement les ayants droit des donateurs et légataires dans les restitutions.

De plus, la commission a adopté, contre l’avis de la rapporteure, un amendement de Mme Béatrice Descamps (LIOT) visant à permettre aux personnes publiques concernées de solliciter le concours de l’État afin de contribuer au financement de modalités de réparation de la spoliation autres que la restitution. Cette disposition vise à encourager les accords entre les propriétaires actuels et les ayants droit aboutissant au maintien des biens culturels dans les collections publiques. Au regard des moyens limités des collectivités territoriales notamment, ces accords de gré à gré pourraient en effet être difficiles à mettre en œuvre à défaut de concours de l’État. La rapporteure a souligné le caractère juridiquement peu opérationnel de la disposition, et a rappelé que les discussions à ce sujet pourront être poursuivies lors de l’examen des crédits destinés aux acquisitions des musées votés dans le cadre du programme 175 Patrimoines de la loi de finances.

Enfin, un amendement de Mme Caroline Yadan et de M. Fabrice Le Vigoureux (RE) prévoyant, conformément à l’avis rendu par le Conseil d’État, que les modalités de réparation autres que la restitution du bien soient précisées dans le décret en Conseil d’État mentionné au onzième alinéa, a été adopté par la commission.

*

*     *

Article 2
Procédure dérogatoire de sortie des collections des musées privés relevant du label « musées de France »

Adopté par la commission avec modifications

Le présent article vise à instaurer une procédure dérogatoire permettant aux musées privés bénéficiant du label « musée de France » de faire sortir de leurs collections et de les restituer à leurs propriétaires ou à leurs ayants droit les biens acquis, soit par dons ou legs, soit avec le concours financier de l’État ou d’une collectivité territoriale, dans le cas où il s’agirait de biens spoliés.

Par cohérence avec la formulation retenue à l’article 1er, la commission a modifié l’expression désignant le régime français sous l’Occupation.

I.   l’État du droit

Si le régime juridique des biens des musées privés relève du droit privé, il existe des dispositions particulières s’appliquant aux musées privés relevant du label « musée de France » (voir infra pour une présentation de celui-ci). Ces établissements sont peu nombreux. En vertu de leur qualité de « musées de France », leurs collections sont, en application des articles L. 451-3 et L. 451-4 du code du patrimoine, imprescriptibles et incessibles.

En outre, une partie de leurs collections relève du même régime d’inaliénabilité que les biens culturels des collections publiques. Comme en dispose l’article L. 451-10 du code du patrimoine, les biens des collections des musées de France appartenant aux personnes morales de droit privé à but non lucratif acquis par dons et legs ou avec le concours de l’État ou d’une collectivité territoriale ne peuvent être cédés, à titre gratuit ou onéreux, qu’aux personnes publiques ou aux personnes morales de droit privé à but non lucratif qui se sont engagées, au préalable, à maintenir l’affectation de ces biens à un musée de France.

La cession ne peut intervenir qu’après approbation de l’autorité administrative et après avis du Haut Conseil des musées de France. Toute cession ou transfert à un particulier, personne physique privée, même pour restitution en raison de la découverte du caractère spolié du bien, est donc impossible en l’état du droit sans une procédure législative spécifique.

Les musées de France

L’appellation « musée de France » a été créée par la loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France en son article 1er. Tout musée, c’est-à-dire toute « collection permanente composée de biens dont la conservation et la présentation revêtent un intérêt public et organisée en vue de la connaissance, de l’éducation et du plaisir du public » (article L. 410-1 du code du patrimoine), peut bénéficier de cette appellation sous réserve, d’une part, de remplir plusieurs missions patrimoniales et d’éducation et, d’autre part, de satisfaire à un certain nombre de conditions dans le statut de ses personnels.

L’appellation est attribuée par le préfet de région ou, pour les collections appartenant à l’État ou à une personne morale placée sous la tutelle de l’État, par le ministre chargé de la culture et, le cas échéant, le ministre dont relève le musée en cause ou qui en assure la tutelle, après avis du Haut conseil des musées de France. Tous les musées nationaux détiennent l’appellation « musée de France » (article L. 442-2 du code du patrimoine).

Selon les données du ministère de la Culture, parmi les 1 218 musées de France, 82 % relèvent des collectivités territoriales ou de leurs groupements, 13 % de personnes morales de droit privé (associations ou fondations) et 5 % de l’État.

II.   les dispositions du projet de loi

L’article 2 du projet de loi vise à créer une procédure dérogatoire permettant aux musées privés bénéficiant du label « musée de France » de faire sortir de leurs collections et de les restituer à leurs propriétaires ou à leurs ayants droit les biens acquis, soit par dons ou legs, soit avec le concours financier de l’État ou d’une collectivité territoriale, dans le cas où il s’agirait de biens spoliés.

Pour cela, il insère un article L. 451-10-1 nouveau au sein du code du patrimoine, afin que ceux des biens concernés relevant des musées privés bénéficiant du label « musée de France » puissent, de manière dérogatoire, faire l’objet d’une restitution après avis de la commission administrative instituée par l’article 1er du projet de loi, le Haut Conseil des musées de France en étant informé. La restitution sera donc, comme pour les biens des collections publiques, conditionnée à l’avis de la CIVS dans son format futur, qui sera chargée de caractériser la spoliation et ses circonstances.

L’article 2 du projet de loi prévoit également en son troisième alinéa une disposition instaurant la possibilité pour les musées privés labellisés « musées de France » de convenir, d’un commun accord avec les propriétaires légitimes ou leurs ayants droit, de modalités de réparation de la spoliation différentes de la restitution, une fois la spoliation établie et le principe de la restitution acquis (second alinéa de l’article L. 451-10-1 nouveau du code du patrimoine). Cette précision étend ainsi aux musées privés labellisés « musées de France » la capacité de trouver une alternative à la restitution, reconnue aux établissements publics à l’article 1er du projet de loi.

III.   Les modifications introduites par le Sénat

La commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat a adopté deux amendements proposés par la rapporteure, Mme Béatrice Gosselin. Un amendement visait à préciser le caractère dérogatoire de cette disposition au principe d’inaliénabilité applicable à certains biens des musées de France privés prévu à l’article L. 451-10 du code du patrimoine de façon plus explicite, afin de prévenir toute possibilité de contentieux. Dans le même souci de clarification et dans la perspective de la bonne application de la loi, la commission a adopté un amendement renvoyant au décret pris en application de l’article 1er le soin de fixer également les modalités d’application du présent article.

Aucun amendement n’a été adopté au stade de l’examen en séance publique, l’article 2 conservant la dénomination « autorité de fait se disant "gouvernement de l’État français" » alors que cette expression avait été remplacée en séance à l’article 1er par celle d’« autorité de fait du régime de Vichy ». Un problème de cohérence subsistait donc à cet égard au sein du projet de loi entre ses deux premiers articles, résolu en commission à l’Assemblée nationale (voir infra).

IV.   la position de la rapporteure

La rapporteure est favorable à cet article qui permet d’appliquer aux musées privés labellisés « musées de France » la même dérogation précise au principe d’inaliénabilité que celle accordée aux « musées de France » relevant de l’État ou des collectivités territoriales. Si l’article ne comporte pas le même degré de contrainte pour ces musées privés, en ouvrant seulement une possibilité de restitution sans caractère obligatoire, il leur permet d’en prendre l’initiative et contribue ainsi à les inclure dans la dynamique que vise à susciter le projet de loi pour la recherche de provenance.

Par ailleurs, il apparaîtrait délicat pour un musée privé ayant fait l’objet d’une demande de restitution donnant lieu à une recommandation en ce sens par la commission administrative compétente de se prononcer publiquement contre la restitution, dès lors que la spoliation aurait été établie.

La rapporteure observe qu’en l’état, l’article 2 n’apparaît toutefois pas totalement cohérent avec le premier article, du fait de la différence dans la qualification employée pour désigner le régime politique français entre 1940 et 1944. La rapporteure proposera donc un amendement visant à assurer cette cohérence, dans le souci de parvenir à une expression équilibrée et donnant toutes les garanties juridiques d’applicabilité.

 

V.   principaux apports de LA COMMISSION

Outre deux amendements rédactionnels, la commission a adopté un amendement de mise en cohérence proposé par la rapporteure, qui a permis que l’expression adoptée à l’article 1er, « l’État français entre le juillet 1940 et le 24 août 1944 », soit également employée dans le présent article.

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Article 3
Application de la présente loi aux demandes de restitution en cours à la date de publication

Adopté par la commission sans modification

Le présent article vise à permettre d’appliquer les dispositions de la loi aux demandes de restitution en cours à la date de sa publication.

I.   les dispositions du projet de loi

Cet article, adopté sans modification au Sénat, précise que les dispositions prévues aux articles 1er et 2 du projet de loi s’appliquent aux demandes de restitution en cours d’examen à la date de publication de la loi au Journal officiel de la République française, sans que les ayants droit aient à déposer une nouvelle demande.

II.   la position de la rapporteure

La rapporteure soutient une telle disposition. Conformément à l’objectif poursuivi par ce texte, qui est de faciliter et d’accélérer le traitement des dossiers des demandes de restitution, cet article permettra que les dossiers actuellement examinés par la CIVS – soit tous les dossiers reçus à date de publication de la loi – trouvent une résolution rapide.

Six dossiers seraient concernés, ce qui représente moins d’une dizaine de biens culturels. Deux de ces dossiers relèvent de demandes déposées par les ayants droit des victimes, et quatre correspondent à des œuvres potentiellement spoliées identifiées par les établissements culturels relevant du ministère de la Culture.

III.   La position du sénat

Le Sénat a adopté l’article sans modification.

IV.   la position de la commission

La commission a adopté l’article sans modification.

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Article 4
Demande de rapport annuel au Gouvernement

Adopté par la commission avec modifications

La rédaction initale du présent article visait à permettre d’informer le Parlement par la remise annuelle d’un rapport par le Gouvernement faisant l’inventaire de tous les biens culturels ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945 restitués à leurs ayants droit au cours de l’année écoulée.

À l’issue des travaux de la commission, le présent article dispose que ce rapport sera bisannuel, et inclura l’inventaire des biens non restitués ayant fait l’objet d’une autre modalité de réparation.

I.   les dispositions du projet de loi tel que modifié par le sénat

Cet article est issu d’un amendement de M. Bernard Fialaire (Rassemblement Démocratique et Social Européen) adopté en séance publique au Sénat. Il dispose qu’un rapport du Gouvernement faisant l’état des lieux des restitutions sera remis annuellement au Parlement. Tous les types de biens culturels ayant fait l’objet d’une spoliation susceptible d’être restitués au titre de cette loi et du décret n° 49-1344 du 30 septembre 1949 relatif à la fin des opérations de la commission de récupération artistique entrent dans le champ du rapport, qui comprend les biens culturels issus des collections publiques, des collections des musées de France appartenant aux personnes morales de droit privé à but non lucratif, et les biens qualifiés de MNR.

Si la liste des biens MNR est bien connue et publiée sur la base de données patrimoniale Rose-Valland, et que le nombre de biens MNR restitués est régulièrement mis à jour sur le site du ministère de la Culture ([50]), tel n’est pas le cas des autres biens culturels conservés dans les collections publiques et les collections des musées de France. L’étude d’impact annexée au projet de loi rappelle à ce titre que « le nombre de cas ne peut être évalué à l’avance puisque seules les recherches de provenance au fur et à mesure de leur avancée à venir permettront de connaître les œuvres concernées, qui ne sont pas encore identifiées. »

Cet article répond à un besoin d’information du Parlement, la procédure de restitution étant jusqu’alors soumise à l’approbation de la représentation nationale, par l’intermédiaire de l’adoption de lois d’espèce. L’introduction d’une procédure indépendante du pouvoir législatif par cette loi-cadre supprimera en effet, pour le cas des biens spoliés, le droit de regard des parlementaires sur les sorties des collections des biens culturels auparavant concernés par le principe d’inaliénabilité.

II.   la position de la rapporteure

La rapporteure a pleinement conscience de l’importance de garantir l’information de la représentation nationale s’agissant des processus de restitution, qui ne seront plus de son ressort suite à l’adoption de cette loi mettant en place une procédure essentiellement administrative. Si le recours à des lois d’espèce présentait l’inconvénient de conditionner, à chaque fois, les restitutions à la procédure législative, qui peut être lente et parfois incertaine, ce procédé donnait néanmoins beaucoup de solennité au débat et le plaçait au cœur de la vie politique et législative. Or, pour perpétuer la connaissance de la Shoah, le travail de mémoire et de transmission est essentiel et doit être sans cesse renouvelé. Le sujet des spoliations, d’importance nationale, a longtemps fait l’objet de trop d’indifférence. Pour l’aborder collectivement, et instaurer le débat, le Parlement est pleinement légitime.

Ainsi, au-delà de l’adoption de cette loi, il lui revient de faire vivre ces questions. Lors de son audition, Mme Corinne Bouchoux, ancienne sénatrice et historienne, a rappelé qu’elle constate que les idées complotistes et antisémites circulent largement, ce qui est très inquiétant. Il est nécessaire que cette loi et son application soient comprises de tous : la publication d’un tel rapport ne peut que participer à la meilleure information du Parlement, mais également du public.

La rapporteure est également favorable à ce nouvel article car le rapport annuel qu’il prévoit permettra de recueillir des informations utiles sur l’état des recherches de provenance et d’ayants droit et l’étendue des moyens qui y sont consacrés. Or, ce sont ces recherches qui permettront la réelle mise en application de la loi. Cela sera particulièrement instructif s’agissant de certains éléments – livres et instruments de musique par exemple –, pour lesquels la recherche est généralement moins avancée.

La rapporteure souhaite par ailleurs signaler les amples pouvoirs d’information et de contrôle législatif et budgétaire dont disposent les parlementaires. À ce titre, la commission administrative compétente pour la mise en œuvre des dispositions de la loi pourra éventuellement être auditionnée par les commissions de la culture et de l’éducation à l’Assemblée nationale, et par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat, afin de présenter aux parlementaires le rapport prévu par la loi. Cette dernière pourra aussi utilement faire l’objet d’une évaluation du Sénat ou de l’Assemblée nationale, au terme du délai de trois années prévu par l’article 145-7 du règlement de cette dernière.

Enfin, il est probable que cette loi aura un impact médiatique important. La publicité qui accompagnera son adoption sera utile pour les familles des victimes qui ne connaissent pas encore les possibilités de recours, mais aussi pour les familles héritières ou acquéreuses de bonne foi d’objets spoliés. En outre, toute sortie des collections d’une œuvre remarquable fera l’objet d’une couverture médiatique, aussi bien de la part de médias spécialisés que généralistes, tout du moins lorsque cette œuvre revêtira une certaine importance.

Les institutions culturelles se disent prêtes à réaliser des expositions, colloques et autres évènements qui participeront à l’information des historiens de l’art autant que du grand public. À cet égard, l’exposition organisée par le Musée d’art et d’histoire du judaïsme (Mahj) du 25 juin au 26 octobre 2008 et intitulée « À qui appartenaient ces tableaux ? » ([51]), qui présentait 53 œuvres principalement issues de l’inventaire des biens « MNR », aurait toute sa place dans un grand musée national « généraliste », et pas nécessairement spécialisé dans la commémoration de la Shoah ou la présentation de la culture juive, comme le faisait judicieusement remarquer M. Paul Salmona (directeur du Mahj) lors de son audition par la rapporteure.

III.   les modifications introduites par la commission

La commission a adopté un premier amendement de M. Jérémie Patrier-Leitus (HOR), tel que sous-amendé par souci de cohérence rédactionnelle par la rapporteure, qui dispose que le rapport prévu au présent article sera bisannuel et non annuel. Ce nouveau calendrier devrait être plus adapté au rythme des restitutions, et permettra au Gouvernement d’avoir davantage de recul sur les procédures en cours, promettant un rapport exhaustif et de meilleure qualité.

Un amendement de précision rédactionnelle de la rapporteure a également été adopté, apportant des bornes chronologiques plus précises à la définition du champ du rapport, et désormais cohérentes avec le reste du texte.

La commission a finalement adopté un amendement de M. Fabrice Le Vigoureux (RE). Soutenu par la rapporteure, cet amendement a ajouté au champ du rapport les biens non restitués qui auront fait l’objet d’autres modalités de réparation telles qu’une compensation financière, une mise en valeur pédagogique et mémorielle, etc. La mention de ces cas de figure dans le rapport pourra inspirer et guider la conclusion d’autres accords.


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   Travaux de la commission

Lors de sa réunion du mardi 20 juin 2023, la commission auditionne Mme Rima Abdul Malak, ministre de la Culture, sur le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945 (n° 1269) et examine le projet de loi (Mme Fabienne Colboc, rapporteure).

Mme la présidente Isabelle Rauch. Nous accueillons Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la Culture, pour nous présenter le projet de loi, adopté par le Sénat le 23 mai dernier, relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945, dont Mme Fabienne Colboc a été désignée rapporteure.

Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la Culture. Le 23 mai dernier, j’ai eu l’honneur de présenter ce projet de loi devant le Sénat. Il a été adopté à l’unanimité, au terme d’une séance chargée de gravité et d’émotion.

Quatre-vingts ans après les faits, nos collections publiques et nos mémoires gardent l’empreinte des persécutions auxquelles ont été confrontés les Juifs, en France et dans toute l’Europe. Leurs biens ont été confisqués, pillés, spoliés. Il s’agissait, le plus souvent, d’objets du quotidien dont on n’a jamais retrouvé la trace. Ces objets ont été spoliés par l’Allemagne nazie, puis par l’État français lui-même, lequel s’était doté d’un commissariat général aux questions juives ayant décidé d’une politique d’aryanisation des biens mobiliers et culturels – livres, objets d’art manuscrits, etc.

Ce projet de loi a pour objectif de couvrir toutes les spoliations intervenues dans le contexte des persécutions antisémites, quel qu’ait été l’auteur de ces dernières : l’Allemagne nazie, les autorités des différents pays et territoires contrôlés, occupés ou influencés, ou le régime de l’État français. Pour ce dernier, nous avons eu plusieurs échanges au Sénat concernant la formulation à retenir. À cet égard, je remercie la rapporteure Fabienne Colboc pour son investissement, son travail de médiation et son travail partenarial afin d’aboutir à un consensus sur les mots, parce que chaque mot compte.

À l’origine, le Gouvernement, éclairé par le Conseil d’État, avait retenu l’expression de l’ordonnance du 9 août 1944 de rétablissement de la légalité républicaine, encore utilisée dans la jurisprudence du Conseil d’État : « l’autorité de fait se disant "gouvernement de l’État français" ». Cette expression a été partiellement revue par le Sénat, qui a amendé l’une des deux occurrences de la formule en écrivant à l’article 1er « l’autorité de fait du "régime de Vichy" ». Toutefois, cet amendement examiné en séance, alors qu’il aurait fallu avoir plus de temps, n’a pas été déposé à l’article 2, qui conserve la formule initiale. C’est la raison pour laquelle il est important de travailler avec vous pour clarifier les formules.

Cette formule ayant reçu un avis défavorable de la commission de la culture du Sénat et du Gouvernement, elle doit être modifiée. Nous avons poursuivi nos consultations dans cette optique. L’expression « l’État français », utilisée dans la loi du 10 juillet 2000, instaurant une journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’État français et d’hommage aux Justes de France, semble s’imposer. Par le choix des termes comme par la reconnaissance des faits, ce projet de loi s’inscrit dans ce travail d’histoire et de mémoire consacré à la seconde guerre mondiale et à la Shoah depuis les années 1990. Je salue, à cet égard, l’importance du discours du président Chirac au Vélodrome d’Hiver en 1995, qui a reconnu notre responsabilité en affirmant la complicité de la France dans la déportation et l’assassinat des Juifs de France au cours de l’occupation du pays par les nazis.

Rappelons aussi l’importance de la mission Mattéoli, en 1997, qui a levé le voile sur le sujet longtemps oublié des spoliations des Juifs de France, en dénombrant les avoirs en déshérence dans les banques et les compagnies d’assurance et en dressant un bilan des œuvres spoliées encore à la garde des musées nationaux. Ces recherches ont permis de rappeler que les spoliations participaient de l’horreur du génocide, puisqu’elles procédaient de la même volonté de priver les victimes de tous leurs biens, préalable à leur annihilation. Individus et professionnels, tous ont été touchés – jusqu’aux galeries d’art appartenant à des Juifs, qui ont été aryanisées par le commissariat général aux questions juives, privant leurs propriétaires de leurs biens et de leur capacité même à exercer leur métier. Les historiens estiment qu’environ 100 000 œuvres et objets d’art ont été arrachés des mains de leurs propriétaires ou vendus sous la contrainte pour financer un exil.

Au lendemain de la guerre, certains de ces biens ont été retrouvés, notamment grâce au travail colossal et courageux de cette femme extraordinaire, Rose Valland. Attachée de conservation bénévole au musée du Jeu de Paume, où les œuvres des collections privées spoliées étaient entreposées avant de partir vers le Reich, elle a inventorié en secret tout ce qu’elle voyait passer. Grâce à ses notes, à son courage et à sa rigueur, on a pu retrouver dès 1945 la trace de milliers d’œuvres. Certaines ont été rendues à leur propriétaire légitime, d’autres pas. Quand elles n’ont pas été vendues au début des années 1950, elles ont été labellisées MNR, Musées nationaux récupération, et confiées à la garde des musées nationaux. Elles sont restituables lorsque la spoliation est établie et que les ayants droit de leurs propriétaires peuvent être identifiés. Mais des milliers d’œuvres spoliées n’ont jamais été identifiées comme telles. Elles ont été dissimulées, vendues, revendues parfois, y compris à des musées qui les ont acquises en ignorant tout de leur histoire sombre.

Je voudrais partager avec vous le parcours de quelques-uns de ces tableaux – par exemple Nus dans un paysage, de Max Pechstein, qu’Hugo et Gertrud Simon ont dû laisser derrière eux pour fuir au Brésil, loin de toute l’existence qu’ils avaient reconstruite après leur premier exil d’Allemagne en 1933. La majeure partie de leur collection a été pillée. Des années plus tard, ce tableau s’est retrouvé dans les collections du Musée national d’art moderne avant que les conservateurs du musée et l’arrière-petit-fils des Simon ne retracent son histoire et qu’il puisse être restitué en 2021. Vous avez aussi en tête l’exemple emblématique du tableau de Gustav Klimt, Rosiers sous les arbres, vendu sous la contrainte à un prix bien inférieur à celui du marché par Nora Stiasny qui avait tenté en vain de fuir l’Autriche en 1938, année de l’Anschluss. Elle sera déportée et assassinée en 1942. Ce n’est qu’après des investigations poussées menées par une chercheuse indépendante autrichienne, par la galerie du Belvédère à Vienne et, en France, par le musée d’Orsay et par nos équipes du ministère de la Culture, qu’il est apparu que ce tableau avait été spolié. L’année dernière, grâce à la loi d’espèce défendue par ma prédécesseure Roselyne Bachelot et que le Parlement a adoptée à l’unanimité, nous avons enfin pu restituer Rosiers sous les arbres aux ayants droit de Nora Stiasny. Le nombre d’œuvres qui ont connu des parcours similaires est impossible à évaluer, mais nous savons qu’il est élevé.

Alors que les derniers témoins de la Shoah sont encore parmi nous, mais plus pour très longtemps, nous devons progresser dans la voie des restitutions, en mémoire de leurs histoires et par devoir envers leurs ayants droit.

En l’état actuel du droit, même lorsque l’on sait qu’une œuvre entrée dans les collections publiques a été spoliée, même si la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l’Occupation, la CIVS, s’est prononcée favorablement et même si toutes les parties sont d’accord, l’œuvre ne peut pas être restituée en raison du principe d’inaliénabilité de nos collections. Prenons l’exemple d’un des tableaux volés au galeriste d’avant-guerre Georges Bernheim, retrouvé dans les collections publiques du musée Utrillo-Valadon de la ville de Sannois en 2018. Malgré l’accord de toutes les parties, les investigations et la confirmation de la spoliation, il a fallu attendre quatre ans et la loi d’espèce votée par le Parlement l’an dernier pour qu’il puisse être restitué aux ayants droit de Georges Bernheim, qu’il n’aurait jamais dû quitter.

Il est nécessaire de faire évoluer ce cadre, pour éviter de retourner devant le Parlement à chaque cas ou d’attendre trop longtemps pour pouvoir regrouper plusieurs cas pour une loi d’espèce, et pour que ce qui est juste devienne un droit et non plus un combat ou un parcours du combattant.

Si cette loi est votée, toutes les collections publiques seront concernées, et pas uniquement celles des musées nationaux. Des années d’attente, d’interrogation et d’incompréhension pourront être apaisées. À chaque fois qu’une enquête aura attesté la provenance frauduleuse et la spoliation de l’œuvre entre 1933 et 1945, celle-ci sera restituée de droit. Pour l’État, un décret simple de la Première ministre suffira. Pour les collectivités, il faudra une décision de l’organe délibérant.

En parallèle, nous nous engagerons à développer les recherches de provenance. Elles sont nécessaires pour faire la lumière sur l’origine et sur l’entrée dans les collections de toutes nos œuvres. Avec cette loi, les établissements nationaux devront rendre publics chaque année, dans un rapport adressé au Parlement, les moyens qu’ils affectent à la recherche en provenance. Un dispositif de subvention sera instauré par nos directions régionales des affaires culturelles, les Drac, pour aider les autres musées à lancer des missions d’investigation, véritables enquêtes. Les collectivités pourront également être accompagnées lorsqu’elles souhaiteront solliciter une mission de recherche en provenance auprès d’historiens de l’art spécialisés. Selon les cas, il faudra aller chercher d’autres compétences.

Je suis fière de soutenir ce projet de loi devant vous. C’est le premier, depuis la Libération, à reconnaître la spoliation spécifique subie par les Juifs en France et ailleurs du fait de l’Allemagne nazie et des diverses autorités qui lui ont été liées – le « régime de Vichy », « l’État français » pour ce qui concerne notre pays.

Comme cela a été précisé au Sénat, rien ne saurait réparer la Shoah, ce drame terrible. Rien ne saurait réparer ce qui a été commis. Notre dette est imprescriptible, pour reprendre les mots du président Chirac en 1995. Les familles ne retrouveront jamais les livres, les cahiers, les ustensiles et les meubles qui faisaient l’intimité de leur foyer et qu’elles auraient dû transmettre à leurs enfants puis à leurs petits-enfants. Mais nous pouvons agir pour restituer les œuvres d’art spoliées. Le ministère de la Culture prendra ses responsabilités pour que les musées consacrent plus de temps et de moyens à ces recherches de provenance. Il y va de notre rapport à notre histoire, de notre rapport à la justice et de notre devoir de mémoire – devoir de mémoire qui se prolonge dans notre combat quotidien contre l’antisémitisme, qui n’a pas disparu avec la guerre et qui est encore trop présent. Nous devons le combattre sans relâche. Ce projet de loi est aussi un moyen de le faire, en préférant la restitution au déni ou au repli.

J’espère que ce texte recueillera votre confiance, en mémoire de celles et ceux qui ont lutté contre l’horreur, et par devoir envers ceux qui en portent l’héritage.

Mme Fabienne Colboc, rapporteure. Le 17 janvier 2022, je présentais devant la commission des affaires culturelles le projet de loi devenu la loi du 21 février 2022, qui a conduit à la restitution de quinze biens spoliés issus des collections publiques. Je concluais alors mon propos avec l’idée que la loi d’espèce constituait le premier pas d’une démarche à prolonger et à accentuer. Je suis donc satisfaite de voir arriver le présent projet de loi-cadre à l’Assemblée nationale, car il constitue cette prolongation, attendue et nécessaire. Je remercie la ministre de l’avoir soutenu dès la première année de cette législature.

Le 23 mai dernier, ce texte a été adopté, à l’unanimité, en première lecture par le Sénat qui a souligné son caractère symbolique et reconnu la simplicité et la praticité du dispositif proposé. J’ai bon espoir que nous pourrons également parvenir à un accord unanime sur ce texte, qui constitue une réelle avancée dans la prise en compte par la France de la nécessité de restituer les biens culturels spoliés.

Les enjeux éthiques, artistiques, diplomatiques, juridiques et économiques de ces restitutions sont primordiaux. Celles-ci n’ont pas pour unique objet de compenser un préjudice matériel, mais aussi de rétablir un titre de propriété légitime et, surtout, de garantir le respect de la dignité des victimes de la barbarie nazie et des persécutions antisémites, auxquelles les autorités françaises ont contribué et qu’elles doivent reconnaitre dans toute la mesure de leurs moyens.

Si le terme de réparation est souvent utilisé dans ce projet de loi et dans le débat qui l’accompagne, cela s’explique par la force d’une habitude communément admise. Mais il ne s’agit en aucun cas de prétendre pouvoir réparer les persécutions et les crimes antisémites commis durant la seconde guerre mondiale – car on ne peut réparer, ni symboliquement ni financièrement, l’irréparable. On peut toutefois faire œuvre de reconnaissance, et ce n’est pas négligeable : cela contribue à restaurer un peu de l’identité de ceux dont on avait voulu l’effacer. On peut également aller vers plus de justice, en restituant aux ayants droit ce qui n’aurait jamais dû être spolié, en leur proposant des compensations, ou en convenant avec eux de la meilleure façon de faire vivre la mémoire des disparus, par exemple à travers l’exposition la plus adaptée de ces biens culturels. Dans la mesure où les biens culturels évoquent un patrimoine particulier, qui touche à l’intime, leur spoliation est l’instrument d’une volonté d’anéantissement innommable.

À travers cette loi-cadre, l’objectif est d’aller plus vite et plus loin dans le processus de restitution de biens culturels spoliés, dans lequel la France s’est malheureusement distinguée par une forme de retard face à d’autres grands pays comme les États-Unis ou l’Allemagne. Si la responsabilité historique particulière de cette dernière explique une politique plus volontariste, on ne peut nier que la France a longtemps fait preuve d’une forme de réticence à se pencher sur son passé, alors même que l’après-guerre y avait constitué une période très active pour la recherche des biens spoliés et leur restitution. Qu’il s’agisse des moyens accordés à ces efforts ou de la volonté politique affichée, la France s’est longtemps montrée trop timorée.

À ces raisons historiques, liées à la difficulté de regarder en face un passé aux heures sombres, s’ajoute la spécificité juridique française du caractère inaliénable des collections publiques, qui réduisait le champ des possibilités de restitution. Plusieurs voies juridiques existaient jusqu’à présent, chacune avec ses difficultés, pour dépasser ce caractère inaliénable.

D’abord, ce principe n’étant pas de rang constitutionnel, le législateur peut autoriser, par une dérogation limitée au caractère inaliénable d’un bien, le déclassement pour la sortie des collections publiques et le transfert de propriété d’une œuvre – sous réserve qu’il existe un motif d’intérêt général et que le déclassement ne porte pas une atteinte disproportionnée à la protection de la propriété publique. Tel est l’objet de la loi du 21 février 2022. Toutefois, l’impulsion donnée à la recherche de provenance par la création de la mission de recherche et de restitution du ministère de la Culture et la coordination de son action avec la CIVS pourraient donner lieu à la découverte de nombreux biens spoliés. Bien qu’il soit encore difficile d’estimer ce nombre, la multiplication possible de ces situations pose la question de la pertinence de lois ad hoc à répétition. Une loi-cadre, en revanche, permettra d’accélérer le rythme des restitutions et constitue une réponse globale et un signe fort d’engagement de la part de la France.

Ensuite, la restitution de biens spoliés peut également être obtenue par la voie judiciaire. Le juge peut la prononcer sur le fondement de l’ordonnance du 21 avril 1945, laquelle frappe de nullité tout acte de spoliation commis en France par l’occupant ou par les autorités en place, et impose la restitution des biens spoliés. Elle s’applique aussi aux biens qui auraient été intégrés aux collections publiques depuis leur spoliation. Cette action judiciaire connait toutefois des limites : elle n’est applicable qu’aux actes de spoliations commis en France, et non dans un État étranger, et l’action doit être engagée par l’ayant droit, ce qui ne laisse pas de place à l’initiative des institutions qui souhaitent effectuer des recherches de provenance. En l’occurrence, le projet de loi que nous examinons permet d’encourager et d’accompagner une démarche plus volontariste des établissements culturels, qui ont pris toute la mesure de l’enjeu consistant à être les conservateurs de collections « propres ».

Pour toutes ces raisons, les personnes auditionnées lors de nos travaux se sont montrées très favorables au dispositif envisagé.

L’article 1er du projet de loi institue une nouvelle procédure de déclassement des biens appartenant au domaine public, par dérogation au régime d’inaliénabilité. Ce dispositif permettra à la personne publique, après avis d’une commission administrative, de prononcer la restitution à son propriétaire ou à ses ayants droit de tout type de biens culturels ayant fait l’objet d’une spoliation. Ceux-ci ne se limitent pas aux œuvres d’art, mais peuvent également être des livres ou des instruments de musique. S’ils n’ont pas nécessairement de valeur financière, ils peuvent revêtir une importance symbolique et intime.

La commission prévue par le texte s’inscrira dans les pas de la CIVS. Instaurée en 1999, celle-ci a vu ses compétences renforcées et élargies en 2018. Le travail remarquable qu’elle effectue pourra se poursuivre et son expérience unique sera capitalisée. L’existence d’avis scientifiques et indépendants constitue une garantie d’impartialité pour l’action publique dans les restitutions, et il faut s’en féliciter.

Bien que la restitution doive demeurer la priorité et la règle générale, l’article affirme également la possibilité d’autres modalités d’accord entre les personnes publiques et les ayants droit, qui ne se limiteront pas à des compensations financières. On peut ainsi imaginer que les ayants droit souhaitent voir certains biens culturels continuer à être exposés dans les collections publiques, encadrés par un dispositif de médiation spécifique favorisant la connaissance des persécutions antisémites commises entre 1933 et 1945.

L’article 2 permet l’application de la procédure administrative dérogatoire prévue à l’article 1er aux biens des collections des musées privés ayant reçu le label « musée de France », acquis par dons et legs ou avec le concours de l’État ou d’une collectivité territoriale. Cette capacité donnée aux musées privés est susceptible de créer une impulsion intéressante dans leur prise en compte de l’enjeu des restitutions de biens spoliés.

L’article 3 rend possible l’application de la loi aux demandes de restitution en cours, dès lors qu’elles ont été reçues à la date de sa publication.

L’article 4, ajouté en séance au Sénat, prévoit un rapport du Gouvernement permettant l’information du Parlement quant aux biens culturels spoliés et ayant fait l’objet d’une restitution durant l’année écoulée.

Vous l’aurez compris, ce projet de loi apparaît cohérent et nécessaire, et répond à un besoin de simplification qui facilitera les processus de restitution. Il permettra à la France de mieux se conformer aux principes de Washington de 1998, pour la recherche de solutions « justes et équitables ». Je proposerai quelques amendements visant à préciser des points rédactionnels et à rétablir la cohérence pour la dénomination du régime français visé par les deux premiers articles.

Je rappelle que l’application de la loi ne doit pas conduire à écarter le Parlement. Il nous reviendra d’user des instruments dont nous disposons pour continuer à faire vivre la mémoire de ces évènements et à suivre l’avancée des restitutions. Cela pourra passer par l’audition régulière de la commission qui sera instaurée, ou par des travaux d’information et d’évaluation des résultats obtenus. Ce suivi devra nous permettre d’alerter le Gouvernement, le cas échéant, quant aux besoins de moyens supplémentaires.

Qu’il me soit permis, pour conclure, de rendre hommage à toutes les personnes qui se sont engagées, individuellement ou collectivement, à la défense des familles juives dépossédées. Je pense à Rose Valland, qui a œuvré à ce que soient documentés un grand nombre de transferts de biens culturels. Je pense aussi à Jean Mattéoli, dont le rapport de 1997 sur la spoliation des Juifs de France a fait date, ainsi qu’à toutes les institutions culturelles qui se sont emparées de ce sujet, avec l’appui de la mission de recherche et de restitution des biens spoliés dirigée par David Zivie, et à la CIVS, présidée par M. Michel Jeannoutot. Je remercie enfin les historiens consultés lors de notre réflexion, pour leurs éclairages précieux sur une période complexe et difficile pour la France – Mme Claire Andrieu, Mme Annette Wieviorka, M. Laurent Joly et M. Johann Chapoutot.

Mme la présidente Isabelle Rauch. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Caroline Yadan (RE). Dans ma circonscription, un passage discret porte le nom de Rose Valland. Conservatrice au musée du Jeu de Paume, cette formidable résistante a permis de cacher et de lister des centaines de milliers d’œuvres d’art réquisitionnées par le régime nazi, et contribuer ainsi, des années plus tard, à leur restitution.

La restitution des œuvres d’art spoliées est, non pas une question d’argent, mais d’histoire et de mémoire – la mémoire des souffrances endurées par tant de familles juives, dont la mienne, françaises et étrangères qui ont connu la persécution, bien souvent avant les arrestations, dès 1933, mais aussi lors de la déportation et de l’extermination. Il y eut les vols, les pillages, les confiscations, les aryanisations ou encore les ventes sous contrainte.

La spoliation est un acte civil, dont il faut mesurer les conséquences dévastatrices. Au-delà de la dépossession, elle constitue une atteinte grave à la dignité des individus. Elle est la négation même de leur mémoire, de leurs souvenirs, de leurs émotions. La spoliation des biens juifs n’était pas une obsession pour l’art, mais l’obsession d’annuler une culture tout entière et, en définitive, une part de notre humanité. Si rien ne peut ramener les victimes d’hier et si leur peine reste imprescriptible, nous pouvons néanmoins rendre plus facile la restitution des biens culturels à leurs familles et à leurs ayants droit. Nous le devons, pour rendre un fragment d’histoire familiale et pour que ce qui est juste ne soit plus un combat législatif sans fin, mais un droit.

Depuis 1995, date à laquelle Jacques Chirac a reconnu officiellement la participation et la responsabilité de la France dans les exactions et dans les déportations dont les Juifs de France furent l’objet, nos gouvernements successifs cherchent à faire la lumière sur les spoliations et à indemniser les spoliés et leurs descendants. La mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945, créée en 2019, a étendu ces recherches aux œuvres entrées en toute légalité dans les collections publiques, parfois bien des années, voire des décennies après la guerre. Pour autant, lorsque les recherches aboutissent, lorsqu’une œuvre spoliée est repérée comme telle dans les collections publiques, lorsque ses propriétaires sont identifiés et lorsque les parties s’accordent sur le principe de la restitution, il reste impossible de le faire sans passer soit par une procédure judiciaire, soit par une loi spécifique au cas par cas, pour déroger au principe d’inaliénabilité des collections publiques.

Ce projet de loi-cadre permet de simplifier le processus de restitution en instaurant une procédure administrative dérogeant au principe d’inaliénabilité des collections publiques, et en étendant ce principe aux musées privés bénéficiant de l’appellation « musée de France » pour restituer des biens spoliés, acquis soit par don ou legs, soit avec le concours financier de l’État ou d’une collectivité territoriale. Est également prévue une information annuelle du Parlement concernant les biens culturels restitués. Cette information sera, à n’en pas douter, une source précieuse pour raviver le souvenir des victimes et transmettre aux générations futures cette exigence du devoir de mémoire. Nous continuerons ainsi à tracer ce chemin de justice et de vérité ouvert par tous ceux qui se sont battus pour rendre les restitutions possibles, considérant qu’il ne peut y avoir de progrès s’il n’est pas rendu justice à ceux qui ont souffert par le passé. Telle est la portée de cette nouvelle mission qui nous engage et nous oblige. C’est pourquoi notre groupe votera avec conviction pour ce projet de loi.

Mme Caroline Parmentier (RN). L’horreur des années 1933 à 1945 a donné lieu aux exactions, persécutions et crimes contre l’humanité que nous connaissons et dénonçons. Entre l’accession au pouvoir d’Hitler le 30 janvier 1933 et la capitulation allemande le 8 mai 1945, le régime nazi s’est livré à des spoliations avérées de biens appartenant aux populations juives en Allemagne et dans les territoires qu’elle a annexés, occupés, dominés et influencés. Ces appropriations et ventes forcées, ces dizaines de milliers de biens spoliés constituent autant de pillages et de vols, mais aussi de destruction morale, d’intrusion, de volonté de déracinement, d’arrachage, de logique d’éradication des hommes, des femmes et des enfants visés. S’attaquer à des biens familiaux, à des héritages et à leur valeur sentimentale, c’est s’attaquer au cœur d’une famille, à son intimité et à son histoire.

Parmi ces biens, des œuvres, des tableaux et des objets d’art, mais aussi des livres – les spoliations nazies ont conduit à la saisie de bibliothèques entières, modestes ou importantes, appartenant dans leur grande majorité à des Juifs, mais également à des opposants politiques. L’occupant allemand l’a fait sur notre territoire national, avec la complicité des autorités locales. Si, dès la Libération, plusieurs œuvres ont été restituées, d’autres ont connu un parcours différent, intégrant parfois les collections nationales.

Il nous est possible d’ouvrir ce nouveau chapitre pour travailler à réparer ce qui peut l’être. Ce projet de loi marque une évolution importante en fixant un cadre général applicable et ne désignant plus seulement des biens précis. La restitution de l’œuvre ainsi facilitée se fera de droit après enquête et reconnaissance de la spoliation par la commission compétente et le propriétaire, pour l’État par décret et pour une collectivité locale par décision de l’organe délibérant.

Ce projet marque une nouvelle étape dans la politique de réparation des spoliations antisémites et dans la réconciliation de notre mémoire nationale. Retrouver ces biens culturels et les restituer aux ayants droit des victimes n’est que justice. C’est aussi donner le droit aux descendants des familles juives de renouer avec leur histoire personnelle et avec leur mémoire. La restitution des biens culturels dont les Juifs furent spoliés par l’Allemagne nazie est une œuvre de justice et d’humanité, dont la signification morale et politique dépasse les valeurs matérielles.

Nous proposons d’enrichir ce texte en précisant certains points sur lesquels nous reviendrons lors de l’examen des amendements. Le Rassemblement national votera ce texte, qu’il soutient et dont il partage les ambitions.

Mme Ersilia Soudais (LFI-NUPES). Un grand pays célèbre ses victoires, mais il se doit aussi de ne pas tourner le dos aux dimensions plus sombres de son histoire et d’en assumer les conséquences. Nous avons des leçons à tirer du discours de Jacques Chirac du 16 juillet 1995 reconnaissant la responsabilité de la France aux côtés de l’Allemagne nazie dans la déportation des Juifs de France.

Sur le plan international, la question de la restitution des œuvres d’art spoliées s’est progressivement imposée, aboutissant à l’adoption par quarante-quatre États, en 1998, des principes de Washington. Ceux-ci constituent une référence pour trouver une solution juste et équitable dans l’intérêt des familles spoliées. Ce projet de loi suit donc la marche de l’histoire, et permet d’éviter la multiplication des projets de loi traitant de cas spécifiques, comme celui de l’an dernier qui autorisait la sortie de treize œuvres des collections nationales et d’une œuvre des collections de la ville de Sannois. Il permet donc de simplifier la procédure.

La France évalue traditionnellement à 100 000 le nombre d’œuvres, objets d’art et instruments de musique spoliés, sans compter les millions de livres, mais ce nombre est sans doute sous-estimé, car il est fondé sur les seules réclamations faites au lendemain de la guerre, dont on sait qu’elles sont incomplètes.

Nous devons nous montrer à la hauteur de l’histoire. Pour que ce projet de loi ne reste pas lettre morte, les effectifs de la CIVS et de la mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés devront être renforcés, et le travail de recherche de provenance devra être intensifié. Or le ministère de la Culture n’envisagerait pas d’augmenter la faible dotation de 200 000 euros dont dispose la mission de restitution des biens spoliés ! C’est ce que nous apprend un article du journal Le Monde du 16 janvier 2023. Avouez que c’est un peu gênant. Il ne suffit pas d’affirmer que nous mettrons les moyens, madame la ministre. Il faut des actes concrets.

Les musées devront également disposer de nouveaux moyens pour recruter des chercheurs. Mais, face à l’envolée des coûts, notamment ceux de l’énergie, le défi est immense.

Par ailleurs, la question des collections privées n’est pas abordée dans ce texte. C’est une lacune fondamentale.

Enfin, c’est aussi parce que nous devons nous montrer à la hauteur de l’histoire que nous ne devons pas laisser le RN déresponsabiliser l’État français par ses amendements, sous prétexte de reformulations qui sont autant de périphrases étranges. Nous serons vigilants face à toute entreprise de relecture de l’histoire. Nous savons d’où vient le RN. Élisabeth Borne l’a fort bien rappelé elle-même, en indiquant qu’il était l’héritier de Pétain, et nous regrettons qu’elle n’ait pas reçu le soutien adéquat du plus haut sommet de l’État.

Mme Annie Genevard (LR). En France, environ 100 000 œuvres et objets d’art ont été spoliés, auxquels s’ajoutent au moins 5 millions de livres. Ces chiffres fondés sur les réclamations faites au lendemain de la guerre soulignent l’ampleur et la gravité des crimes antisémites commis par les nazis. Reconnaître les fautes du passé, c’est défendre une idée de l’homme, de sa liberté et de sa dignité, affirmait Jacques Chirac lors des cérémonies de commémoration du 53e anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv.

Dans la continuité de ce discours historique, le groupe Les Républicains soutient la simplification de la procédure de restitution des biens culturels relevant du domaine public et ayant fait l’objet de spoliations lors des persécutions antisémites. C’est la modeste réparation d’un préjudice inqualifiable et irréparable. Pour les Juifs qui ont été spoliés, retrouver une œuvre ou un objet, parfois ultime témoignage du quotidien de leurs parents, a une portée considérable. Je pense au film La femme au tableau, qui relate le combat de Maria Altmann pour la restitution du tableau le plus célèbre de Klimt.

La sémantique choisie par le Sénat, attribuant les persécutions perpétrées à l’autorité de fait du « régime de Vichy » pose question. Le président Chirac avait souligné que la folie criminelle de l’occupant avait été secondée par l’État français. Nous soutenons l’utilisation du terme « gouvernement de l’État français né du vote du 10 juillet 1940 », conformément à l’amendement proposé par Nicolas Ray, afin de rappeler l’existence et le rôle majeur de la France libre. Nous saluons également la possibilité offerte aux parties de conclure un accord amiable sur les modalités de réparation autres que la restitution. Elle permettra le maintien d’œuvres remarquables dans les collections publiques, tout en assurant une contrepartie aux héritiers des victimes spoliées si gravement, comme cela a été le cas de la tapisserie acquise par le musée Labenche de Brive-la-Gaillarde. Cependant, la faiblesse des crédits d’acquisition doit nous alerter.

Nous regrettons que la recherche publique soit l’angle mort de ce projet. Une politique ambitieuse doit être instaurée afin que les recherches de provenance puissent être effectuées par des acteurs institutionnels autres que les entreprises de vente aux enchères. L’attribution de bourses doctorales annuelles et la création de cours, évoquées dans les auditions, nous paraissent pertinentes.

Le groupe Les Républicains sera attentif à la présentation d’autres textes relatifs aux objets et œuvres ethnographiques, et aux restes humains, afin que la dérogation au principe d’inaliénabilité des biens appartenant au domaine public demeure circonscrite et que le Parlement conserve un rôle actif. Si la restitution des œuvres spoliées dans le cadre des persécutions antisémites ne souffre d’aucune contestation, la légitimité de l’acquisition d’autres biens doit être discutée de manière différente et singulière pour ne pas exposer la France à des demandes de restitution tous azimuts, au prix de la qualité et de la conservation des collections. À cet égard, la formulation de Mme la rapporteure, soulignant l’intérêt d’une loi-cadre pour une réponse globale, paraît ambiguë et mérite une clarification.

Mme Sophie Mette (Dem). L’étude de textes ayant trait à notre histoire représente toujours un moment particulier pour notre commission, souvent objet de tensions, a fortiori lorsque nous abordons les années d’occupation de notre nation par l’Allemagne nazie et la cruelle responsabilité de la France dans les actes commis, irréparables comme les qualifiait le président Chirac – en l’occurrence, les persécutions perpétrées dans les territoires contrôlés par le régime nazi ou par des autorités qui lui étaient liées, de l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler à la capitulation allemande. Ces atrocités recouvrent les spoliations de biens.

Quand vient la question des réparations, le débat se tend davantage. Le chemin étroit, exigeant et juste qui doit être le nôtre se situe entre deux écueils. D’une part, l’autoflagellation, qui voudrait qu’on déteste l’entièreté du passé de la France au détriment de la profondeur de l’histoire, au prix des anachronismes et des jugements à l’emporte-pièce qui nourrissent la haine entre les peuples et entre les classes. C’est là le terreau du déni et de la surenchère constante dans la recherche ravageuse et totalitaire d’une histoire convenable. D’autre part, la surréaction au premier écueil. C’est l’œuvre de ceux qui caricaturent la restitution des biens culturels pour faire croire que notre pays se dépouille et qu’il abandonne sa grandeur. C’est faux. Il faut dire clairement aux Français ce que nous faisons : les restitutions demeurent limitées aux œuvres spoliées en fonction de critères antisémites, par un État que nous condamnons tous.

Agir avec justesse, c’est ce que propose ce projet de loi. Le groupe Démocrate salue votre travail, madame la ministre. Malgré les difficultés que je viens de citer, il a été adopté à l’unanimité par la Chambre haute.

Lors du mandat précédent, grâce à l’impulsion d’Emmanuel Macron, nous rendions au Bénin et au Sénégal des œuvres d’art qui leur appartenaient. Notre groupe défendait déjà l’idée d’une loi-cadre qui apporterait une procédure claire et lisible aux restitutions et qui dépendrait, non pas du bon vouloir d’un décideur, mais d’un travail historique étayé concernant l’origine de nos œuvres. En dépit de l’honneur qui nous est donné d’échanger sur notre histoire et sur l’art, cette loi-cadre vise à nous solliciter un peu moins. Le Conseil d’État, dans son avis du 7 octobre 2021, avait recommandé l’élaboration d’une telle loi afin d’accélérer les restitutions. Deux autres viendront, permettant à la France d’encore mieux regarder en face d’autres périodes avec courage, justice et justesse. Car comment défendre notre humanisme si nous n’appliquons pas ces préceptes ?

Les représentants du monde culturel et d’instances mémorielles auditionnés saluent ce projet de loi. Un point est souvent revenu. Il est important, même s’il ne doit pas nous détourner de l’objet premier du texte : celui de la dénomination de l’État français sous l’Occupation.

Le groupe Démocrate votera en faveur de ce projet de loi.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Avec ce texte, notre commission aborde avec émotion et douleur la période du régime nazi et toutes ses victimes, opposants et Juifs. C’est la deuxième fois que le Parlement examine un texte consacré à ce sujet, après l’adoption à l’unanimité de la loi de restitution de biens spoliés pendant la période du 3e Reich, qui a permis la restitution de quinze biens.

Ce projet de loi vise à créer, dans le code de patrimoine, une dérogation au principe d’inaliénabilité des biens culturels du domaine public, afin de faciliter la restitution des biens spoliés. En effet, les biens culturels appartenant aux collections publiques sont frappés d’inaliénabilité, principe de valeur législative. Le groupe Socialistes et apparentés salue cette facilitation du dispositif de restitution, qui permet d’éviter de passer au cas par cas devant le Parlement. Il faut accélérer le rythme des restitutions. L’encombrement de l’ordre du jour de l’Assemblée nationale et du Sénat ainsi que la complexité de la procédure parlementaire ne doivent pas constituer un frein.

Ce projet de loi-cadre permet aussi de rendre le processus de restitution plus fiable et plus transparent. Son adoption marque l’engagement de la France au-delà de la voie judiciaire existante face à la très probable multiplication des restitutions. Cette future loi constituera une nouvelle étape dans la politique constante de la France, depuis 1945, de réparation des spoliations antisémites. Néanmoins, avec elle, notre Parlement perdra sa capacité d’examen et d’appréciation du bien-fondé de ces restitutions. Nous pensons donc utile de prévoir une information de qualité du Parlement concernant l’évolution de ces restitutions. Le nouvel article 4, inséré par nos collègues sénateurs pour prévoir la remise d’un rapport annuel au Parlement par le Gouvernement, est nécessaire et nous le soutenons.

Ce projet de loi facilitera la perspective des restitutions, mais un immense travail reste nécessaire pour que celles-ci puissent intervenir. À la demande de tous les ministres de la Culture depuis dix ans, les bibliothèques et les musées nationaux ont entamé un travail d’identification des biens spoliés.

Quel est l’ordre de grandeur du nombre d’œuvres spoliées présentes dans le domaine public ? Augmenterez-vous les moyens financiers et humains, notamment les effectifs de la mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 ?

Je souhaite aussi aborder la question de la composition de la CIVS, compétente pour se prononcer sur la spoliation. Dans son avis sur ce projet de loi, le Conseil d’État estime fondamental que cette commission soit créée par la loi. Jusqu’alors, la CIVS ne disposait pas de base légale : ce projet de loi lui en octroie une. Je me félicite de cette avancée.

La haute juridiction a aussi estimé que sa composition garantira l’indépendance et l’expertise nécessaires à une instruction approfondie de la traçabilité de l’œuvre et des circonstances de la dépossession. Cette composition constituera un élément de l’équilibre d’ensemble entre le respect de la propriété publique et la restitution des biens culturels spoliés à leur légitime propriétaire. Mon groupe propose un seul amendement, visant à donner une base légale, à droit constant, à la composition de la CIVS prévue par l’article 3 du décret du 10 septembre 1999, en y ajoutant un parlementaire de chacune des deux assemblées. Cela permettrait de garantir un droit de regard du Parlement quant aux demandes de restitution. Êtes-vous favorable à cette proposition ?

Le groupe Socialistes et apparentés apportera son plein soutien à ce projet de loi.

M. Jérémie Patrier-Leitus (HOR). « Jamais je n’oublierai cette nuit, la première nuit de camp qui a fait de ma vie une nuit longue et sept fois verrouillée. Jamais je n’oublierai cette fumée. Jamais je n’oublierai les petits visages des enfants dont j’avais vu les corps se transformer en volutes sous un azur muet. Jamais je n’oublierai ces flammes. Jamais je n’oublierai ce silence nocturne qui m’a privé pour l’éternité du désir de vivre. Jamais je n’oublierai cela, même si j’étais condamné à vivre aussi longtemps. » Merci, madame la ministre, de contribuer avec ce projet de loi à éclairer cette longue nuit que décrit ici Élie Wiesel.

Je salue la portée historique inédite de ce texte, le premier d’une série de trois lois-cadres dédiées aux restitutions d’œuvres. C’est un pas essentiel sur le plan symbolique, même s’il ne sera jamais possible de réparer les crimes innommables commis pendant la Shoah et ces 6 millions de Juifs, soit les deux tiers des Juifs d’Europe, dont un million et demi d’enfants, qui furent assassinés. Même s’ils n’effacent pas la douleur des familles, les assassinats et le souvenir des atrocités du nazisme, chaque nouvelle restitution représente un nouvel acte de justice et un témoignage de l’indispensable travail de mémoire que nous devons continuer à mener dans notre pays. Nous ne pouvons pas rendre les enfances ou les vies volées, mais nous pouvons faciliter la restitution, aux familles des victimes et à leurs ayants droit, de leurs œuvres massivement spoliées, pillées ou qui firent l’objet de ventes forcées. Il s’agissait là d’un des premiers degrés de l’horreur nazie, le pouvoir hitlérien et les régimes de collaboration commençant par confisquer les biens matériels avant de détruire les vies en pourchassant ces hommes, ces femmes et ces enfants, en les condamnant à la clandestinité, à l’exil ou à la mort.

Il était indispensable que la spécificité de la spoliation des Juifs en raison des politiques antisémites de l’Allemagne nazie et des autorités complices soient reconnues par une loi française. C’est chose faite, grâce à ce projet de loi qui, par son ambition mémoriale, s’inscrit dans le prolongement du discours tenu par Jacques Chirac en 1995 lors des cérémonies commémorant la rafle du Vel’ d’Hiv. Un peu moins de quatre-vingts ans après la fin de l’Occupation, ce texte marquera une nouvelle pierre blanche sur le chemin de la reconnaissance et de la justice pour les victimes de persécutions antisémites. Au-delà de notre devoir de mémoire collective, ce texte est aussi indispensable du point de vue matériel et technique, car il renouvelle les bases légales des démarches de restitution.

Si de nombreuses initiatives ont été prises en matière d’identification et de restitution, de nombreux biens culturels n’ont pas encore été identifiés, y compris dans les collections nationales. Une nouvelle loi était donc nécessaire pour adapter le cadre législatif à l’ampleur du travail qui reste à accomplir.

Je salue l’engagement de la mission Mattéoli, de la CIVS et de la mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945. Le rythme des restitutions reste lent compte tenu des dizaines de milliers d’œuvres concernées. Nous avons du travail. Les députés du groupe Horizons voteront unanimement ce texte. J’espère que nous arriverons à trouver une écriture qui respectera à la fois l’histoire et la mémoire de cette période sombre.

Enfin, je rends hommage aux Justes de France, qui ont aussi éclairé cette longue nuit, et à Rose Valland qui, au péril de sa vie, a inventorié les œuvres spoliées.

M. Jean-Claude Raux (Écolo-NUPES). Ne pas oublier, pour toutes les victimes de la Shoah, leurs enfants et leurs petits-enfants. Ne pas oublier qu’en France, les spoliations n’ont pas seulement été le fait de nazis, mais aussi de Français, dignitaires du régime de Vichy ou anonymes, qui ont acquis des œuvres avec des procédures de vol légal. Ne pas oublier que la France a participé à la privation des Juifs de leur héritage patrimonial mais surtout culturel, dans une volonté de priver un peuple de son histoire et de son humanité. Ne pas oublier que derrière la spoliation culturelle des Juifs, se cachait la volonté du régime nazi et de l’extrême droite française au service du gouvernement de Vichy d’annihiler leur individualité, leur histoire et leur héritage.

Il est de notre devoir de ne pas oublier la pente fasciste délibérément prise par la France, cette pente réactionnaire engagée avant la défaite de 1940 par une défaite morale faite de la stigmatisation des réfugiés et d’une vindicte des discours publics à l’encontre de la démocratie parlementaire ou des étrangers désignés comme responsables du déclin de la France. Ce terme d’étrangers désignait alors les Juifs français ou européens, pour ceux d’entre eux qui fuyaient les pays annexés par Hitler. Une pente qui a commencé par la superposition de décrets-lois contre l’immigration, pour finir par les lois raciales antisémites et scélérates de Vichy.

Devoir de mémoire, devoir d’histoire pour se souvenir, pour réparer, pour comprendre les mécanismes qui entraînent de tels faits dans un contexte précis et pour comprendre ce qui peut se jouer sous notre nez, aujourd’hui. Le refoulement des crimes passés est le terreau des malheurs à venir. Nous ne pouvons pas effacer notre passé, mais nous pouvons travailler à le réparer. Assumer, c’est apaiser. Ce devoir de réparation nous incombe de manière imprescriptible, comme le sont les crimes contre l’humanité perpétrés pendant la seconde guerre mondiale. Chaque restitution est un acte de justice. Réparer le mal au service des descendants des victimes spoliées, c’est bâtir l’avenir des générations futures sur des bases meilleures.

Aussi longtemps qu’il le faudra, le Parlement prendra les actes nécessaires pour restituer les biens spoliés par les actes antisémites. C’est grâce à l’héroïque action d’inventaire de Rose Valland, cette résistante attachée de conservation du musée du Jeu de Paume, qui a identifié plus de 60 000 œuvres pillées sur les 100 000 estimées et gardé la trace de leurs mouvements, de leur provenance et de leur destination pendant quatre ans, que 45 000 œuvres ont pu être restituées à la Libération. Ensuite, la dynamique de restitution s’est essoufflée. Les principes de Washington, actés en 1998, se sont heurtés à l’inertie de la législation. Si les restitutions annoncées en grande pompe n’ont jamais cessé, elles n’en demeurent pas moins exceptionnelles.

Les travaux de la sénatrice écologiste Corinne Bouchoux, en 2012, ont permis de mettre en lumière la négligence des pouvoirs publics pour certaines œuvres au passé flou, et de relancer le débat sur la nécessité d’une véritable loi-cadre permettant une politique volontariste de restitution des œuvres spoliées pendant la seconde guerre mondiale, mais aussi dans le cadre du passé colonial français. Dans les collections publiques, un immense travail d’inventaire s’impose pour comprendre le parcours juridique d’appropriation de ces œuvres. Une loi-cadre permettrait d’inscrire ces restitutions dans une démarche scientifique et transparente, dans un travail de fond plutôt qu’à travers des décisions dictées par l’urgence ou des considérations diplomatiques.

Au-delà de ces limites, nous saluons la présente initiative gouvernementale. La procédure de sortie de biens culturels spoliés qu’elle instaure lève le frein d’inaliénabilité à la restitution des œuvres publiques, avec un élargissement de la période historique de recherche et une ouverture aux collections privées. Je salue les multiples apports du Sénat, venant notamment inscrire la reconnaissance de la responsabilité de la spoliation par le régime de Vichy dans le code du patrimoine, et donner un caractère public et transparent aux avis de la commission compétente en matière de réparation des préjudices. J’espère que ce projet de loi en appellera d’autres. Nous savons que nos musées regorgent d’œuvres résultant d’autres massacres et pillages. Or nous ne pourrons pas écrire notre avenir sans avoir tiré au clair notre passé.

M. Stéphane Peu (GDR-NUPES). En facilitant les restitutions des biens culturels spoliés aux juifs entre 1933 et 1945, ce texte est un projet de loi de justice. Il n’a pas vocation à réparer les crimes du passé, encore moins à compenser quoi que ce soit. Il consiste à rendre aux familles et aux ayants droit ce qui leur appartient.

Lorsqu’il s’agit de mémoire, il est important d’aller au-delà des symboles. Une loi fixant un cadre général pour les restitutions par la voie administrative sans passer par une voie spécifique fait œuvre utile. Je salue l’action du Gouvernement et du Parlement pour permettre à ce texte d’aboutir. La méthode utilisée est la bonne. Espérons qu’il en sera de même pour le texte sur la restitution des restes humains et celui sur les biens volés pendant la colonisation.

Le nombre de 100 000 biens spoliés est sans doute sous-estimé. Depuis les années 1990, après des décennies de déni, l’État français s’est enfin penché sur la question et s’est doté des moyens nécessaires pour restituer les biens et retrouver les propriétaires ou ayants droit grâce à la mission Mattéoli et à la création de la CIVS. Cette question des moyens humains pour permettre une démarche proactive dans l’identification des œuvres et de leur histoire, et pour retrouver à qui elles appartiennent, est incontournable pour la pleine application des objectifs de ce texte. Nous espérons que l’État accompagnera ce dispositif de moyens renforcés, et nous souhaitons disposer de toutes les précisions réglementaires pour son application.

Malheureusement, ce texte se conjugue aussi au présent. Penser que tout cela appartient au passé serait une erreur. Un candidat aux élections présidentielles, qui a eu une tribune libre dans la presse et l’audiovisuel pendant des années, a osé dire et écrire que Pétain avait sauvé les Juifs français. Le mythe d’un Pétain sauveur de la France et des Français est tenace, même si tous les travaux historiques ont démontré le contraire. Ne sous-estimons pas non plus la menace de ces groupes d’extrême droite qui défilent dans les rues avec des slogans fascistes et nostalgiques de Pétain. N’oublions jamais que c’est aussi l’État français qui a commis ces crimes contre les Juifs, participant activement aux pillages, aux vols, aux tortures et aux déportations.

Nous nous inscrivons pleinement dans les mots de Jacques Chirac, lors de son célèbre discours du Vel d’Hiv : mon parti ne connaît que trop bien le prix du combat contre le nazisme, contre le régime de Vichy et contre des collaborateurs dont certains prospérèrent politiquement après la guerre. Au moment où nous parlons de Manouchian n’oublions pas que c’est la police française qui l’a arrêté, ainsi que ses collègues, et qui l’a torturé. L’une des manières de réparer les spoliations consiste aussi à ne pas oublier cette période, les crimes commis, leurs auteurs et, surtout, à ne pas recréer les conditions d’un retour au pouvoir de leurs héritiers.

Nous proposerons plusieurs amendements, notamment de coordination entre les articles 1er et 2. Il n’est pas possible de conserver la formule « autorité de fait se disant gouvernement de l’"État français" » supprimée à l’article 1er mais maintenue à l’article 2.

Nous nous inscrivons dans les pas de nos collègues du Sénat, conscients de l’intérêt majeur de cette loi – intérêt pour la justice, mais aussi intérêt historique. Notre vote sera favorable.

Mme Béatrice Descamps (LIOT). Dans l’horreur de la seconde guerre mondiale et de l’Occupation, des personnes courageuses ont su s’élever contre l’antisémitisme destructeur. Leurs actes d’hier nous aident à maintenir, des décennies plus tard, le souvenir de petites histoires porteuses d’espoir dans cette grande histoire tragique. Je pense à Rose Valland, qui a joué un rôle décisif dans le sauvetage de plus de 60 000 œuvres d’art spoliées. Son travail a préfiguré le vaste mouvement de restitution d’œuvres vers les familles juives, une tâche immense que nous devons continuer à accomplir.

Notre groupe se réjouit de ce projet de loi relatif à la restitution des biens culturels spoliés dans le cadre des persécutions antisémites. Lors du précédent quinquennat, nous avons adopté un texte pour sortir des collections publiques certaines œuvres dont il était avéré qu’elles avaient été mal acquises – les Rosiers sous les arbres de Klimt, ou Le Père de Chagall. Nous étions déjà plusieurs à appeler une loi-cadre pour accompagner plus largement le mouvement de restitution. En effet, le travail de recherche et de retour qu’il reste à faire est considérable. Mais nous le devons aux victimes, à leurs familles et à leurs ayants droit. Nous le leur devons, car l’État français a malheureusement sa responsabilité dans ces drames. Il a sa responsabilité dans la collaboration et dans la déportation des Juifs de France.

En accompagnant et en accélérant le mouvement de restitution et de réparation, nous continuons de reconnaître les responsabilités de l’État français et nous participons à perpétuer ce devoir essentiel de mémoire et de transmission, pour que plus jamais une telle horreur ne se reproduise.

Notre groupe soutiendra sans réserve ce projet de loi. Quels moyens humains et financiers seront cependant déployés dans la CVIS, qui risque d’être confrontée à une augmentation des demandes ? Nous proposerons d’inscrire dans la loi l’existence de cette commission, car elle prendra une importance particulière. Nous avons également besoin de davantage de moyens pour accentuer l’effort de recherche de provenance, intervenu tardivement. Il implique de mieux former les jeunes diplômés professionnels à l’activité de chercheur en provenance, et de soutenir les établissements culturels dans leur rôle de médiation. Enfin, nous avons besoin de moyens financiers pour soutenir les collectivités. En effet, le projet prévoit que des modalités de réparation autres que la restitution, d’un commun accord avec le propriétaire spolié ou ses ayants droit. Une transaction financière pourrait ainsi être proposée : certaines collectivités pourraient alors avoir besoin d’un accompagnement de l’État, faute de quoi cette disposition ne pourrait être appliquée.

Notre groupe soutient avec conviction ce projet de loi-cadre. C’est la raison pour laquelle nous appelons des garanties maximales pour sa future application.

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. En 2018, lors de la commémoration de la rafle du Vel’ d’Hiv’, Édouard Philippe avait demandé à la CIVS et au ministère de la Culture d’intensifier la recherche de provenance et d’accroître la restitution des biens culturels spoliés. En 2019, la mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 a été créée au sein du ministère de la Culture. Les musées se sont également engagés dans ce processus et y consacrent des moyens. Trois postes ont ainsi été créés au Louvre et un au musée d’Orsay.

S’agissant des musées territoriaux, nous prévoyons que les Drac puissent octroyer des subventions afin de faciliter les recherches de provenance, même si le budget n’est pas très élevé. Dès 2023, nous l’avons augmenté de 100 000 euros, le portant ainsi à 300 000 euros. Nous aurons l’occasion d’y revenir lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2024.

La formation à la recherche de provenance doit être encore renforcée. Un nouveau master a été créé à Nanterre et, avec l’Institut national du patrimoine, nous développons des formations obligatoires pour les conservateurs du patrimoine.

La commission de référence prévue dans la loi est la CIVS qui, depuis sa création en 1999, a fait preuve de sa légitimité. Elle est composée de magistrats en activité ou en retraite, de deux professeurs d’université, de personnalités qualifiées, d’un historien de la seconde guerre mondiale, d’un juriste spécialisé dans le droit du patrimoine, d’un historien de l’art et d’un spécialiste du marché de l’art, qui travaillent tous dans la plus totale indépendance.

Mme Fabienne Colboc, rapporteure. S’agissant de la réponse globale aux demandes de restitutions dans une loi-cadre, je songeais essentiellement au texte dont nous discutons, qui élargit le périmètre géographique concerné puisqu’il vise les biens dont la spoliation est intervenue en France mais, également, en dehors du territoire national. Le périmètre temporel est également élargi puisque seront désormais concernées les spoliations commises entre le 30 janvier 1933 et le 8 mai 1945 et non après le 16 juin 1940, comme en dispose l’ordonnance du 21 avril 1945.

Mme la présidente Isabelle Rauch. Nous en venons aux questions des autres députés.

M. Fabrice Le Vigoureux (RE). Je vous remercie pour ce texte, madame la ministre, dont nous discutons plus de quatre-vingts ans après le pillage organisé ou sauvage des Juifs de notre pays accompli ou encouragé par le régime nazi et les autorités qui ont collaboré avec lui. Rien ne pourra effacer cette sombre période, rien ne pourra consoler des cœurs à jamais meurtris par la Shoah, la déportation, le massacre de tant d’innocents. Ce texte apporte seulement un peu de justice. Je remercie également Mme la rapporteure pour son travail et les passionnantes auditions qu’elle a menées.

La recherche de provenance est complexe. Si je salue la création d’un diplôme d’université (DU) à Nanterre, il convient d’enrichir l’offre de formation et de recherche dans ce domaine car l’engagement de la France, en termes humains et académiques, reste modeste en comparaison de celui de nos voisins européens. L’encouragement à la création de quelques postes d’enseignants-chercheurs représente des possibilités nouvelles d’encadrement de master et de doctorat mais aussi d’apprentissage et de stage.

M. Bruno Bilde (RN). Voilà deux ans, le Gouvernement a présenté un projet de loi relatif à la restitution ou à la remise de certains biens aux ayants droit de victimes de persécutions antisémites. Nous avions alors unanimement conclu à la nécessité d’appliquer une loi-cadre : c’est aujourd’hui le cas.

Ce texte fédérateur et réparateur fait ressurgir l’une des périodes les plus douloureuses de notre histoire. Chaque objet, chaque œuvre spoliés est unique et, au-delà de sa valeur artistique ou marchande, s’inscrit dans un récit familial. Seul un travail ambitieux d’étude et de conservation, y compris au sein des musées dépendant des collectivités locales, permettra d’aboutir à la restitution effective de tous les biens concernés.

Comment l’État accompagnera-t-il les collectivités locales pour mener à bien les recherches des ayants droit, les restitutions des œuvres ou, le cas échéant, pour procéder aux réparations financières ? Quels sont les dispositifs envisagés pour financer la restitution de biens qui ont été envoyés dans des musées étrangers ?

M. Raphaël Gérard (RE). Je salue l’ambition de ce texte essentiel pour la justice et l’apaisement des mémoires. Néanmoins, ce projet, qui vise à passer d’un régime de loi d’exception à un régime administratif, présente un petit écueil dès lors qu’il contribue à dépolitiser l’acte de restitution. Certes, les parlementaires sont invités à se saisir de leur mission de contrôle de l’effectivité de cette politique dans le cadre de la remise d’un rapport annuel par le Gouvernement remis aux assemblées, mais l’acte, en lui-même, perd sa portée symbolique puisqu’il n’appartiendra plus à la représentation nationale de lui donner la force de la loi. Comment, dès lors, lui redonner un écho dans la société ? Comment le réinscrire dans un rituel de transmission de la mémoire, plus que jamais nécessaire face à la banalisation de l’extrême droite ?

M. Alexis Corbière (LFI-NUPES). Ce texte constitue une mesure de justice, donc, de concorde. Il est étonnant que, soixante-dix-huit ans après la seconde guerre mondiale, nous ayons encore besoin de travailler sur cette question.

Il serait toutefois terrible qu’un tel travail se limite à l’adoption d’une loi et que nous ne puissions pas lui donner un caractère pratique afin que cette restitution soit effective. Je veux ainsi soulever la question des moyens. La ministre a fait valoir un certain nombre d’entre eux mais que sont 200 000 euros quand nos collègues allemands, depuis quinze ans, ont consacré 40 millions à une mission comparable ? Le temps est passé, la tâche de restitution est encore plus ardue : l’État doit donc débloquer des moyens supplémentaires.

M. Maxime Minot (LR). En 1995, le Président de la République Jacques Chirac reconnaissait la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs de France et, en 1998, la France adoptait les Principes de Washington. Notre pays promeut donc depuis des années une véritable politique publique de réparation des spoliations antisémites, examinées au cas par cas. Les œuvres intégrées aux collections publiques sont protégées par les principes d’inaliénabilité. Leur sortie, sur l’initiative de l’État, doit nécessairement être autorisée par la loi. D’où la loi du 21 février 2022.

Les opérateurs de ventes volontaires pourront-ils quant à eux suivre des cours de sensibilisation lors des formations de commissaires-priseurs et de commissaires de justice ? Ne craignez-vous pas, en outre, qu’une loi-cadre ouvre la boîte de Pandore et que se multiplient les réclamations d’œuvres qui ne répondraient pas forcément aux critères de spoliation antisémite ?

M. Quentin Bataillon (RE). Il importe de mener dans chaque musée national un véritable travail de recherche de provenance, comme c’est le cas aux musées du Louvre et d’Orsay notamment.

Mme Sophie Blanc (RN). Votre objectif est de parvenir à un texte large, stable dans le temps et répondant de manière concrète au problème des restitutions. L’article 1er dispose qu’un décret en Conseil d’État fixera les règles relatives à la composition de la commission administrative auprès du Premier ministre. Le travail de cette commission est vital dans l’instruction de ces dossiers complexes, comme l’explique l’avis du Conseil d’État. Comment envisagez-vous sa composition ?

M. Christophe Marion (RE). Je remercie les institutions, les spécialistes, généalogistes, historiens de l’art, bibliothécaires, archivistes, ces formidables chercheurs de la mémoire qui ont consacré beaucoup d’énergie à faire la lumière sur la provenance des acquisitions réalisées par les musées entre 1933 et 1945.

J’appelle néanmoins votre attention sur les moyens consacrés à cette mission car, au-delà de la question de l’identification et de la restitution des biens spoliés, du soutien nécessaire à la mission de recherche et de restitution et du financement de la CIVS, il est indispensable d’accroître les moyens consacrés à « l’après » : quelles sont les conséquences d’une restitution pour les descendants de personnes spoliées ? Que signifie, pour eux, une restitution, alors qu’ils se trouvent parfois aux prises avec une mémoire difficile à affronter ? Que signifie-t-elle pour les musées, d’où partent des œuvres jusque-là exposées au public ? Autant de sujets d’étude qui doivent être soutenus par des programmes de recherche pouvant associer le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche. Quelles sont vos actions dans ce domaine ?

Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Une fois n’est pas coutume, nous saluons haut et fort un projet de loi du Gouvernement. Cette première loi constitue une avancée historique qui intègre d’indispensables mesures de justice envers les familles et les ayants droit et approfondit la reconnaissance, par la France, de ses responsabilités dans ces persécutions et spoliations antisémites. Je formule le vœu qu’elle soit non seulement adoptée mais renforcée.

Puisque la ministre nous a assuré du développement de la recherche de provenance et du déblocage de nouvelles subventions pour les Drac, rien ne devrait s’opposer à l’adoption de nos amendements qui vont dans ce sens et visent à lever le doute sur les moyens, lequel s’est fait jour depuis que Le Monde a révélé que le ministère de la Culture ne voudrait pas aller au-delà des 200 000 euros dont dispose la mission de restitution.

J’espère, en outre, que le texte tel qu’il sera voté ne laissera pas penser que l’on minimise la responsabilité de la France à travers telle ou telle reformulation.

Songez-vous à un dispositif législatif concernant la restitution d’œuvres faisant partie de collections privées ?

M. Alexandre Portier (LR). L’ambition de ce texte est louable mais quid des moyens nécessaires pour mener la politique de réparation souhaitée par le Gouvernement dans un délai raisonnable ? Les possibilités de négociation offertes aux personnes publiques buteront nécessairement sur des questions financières. Combien de collectivités pourront verser une seconde fois la valeur du bien sans aide de l’État ?

De plus, une action importante de sensibilisation des établissements culturels et des collectivités territoriales quant à la réparation des spoliations, à l’intensification du travail de recherche et d’identification des propriétaires et ayants droit demandera à la fois du temps et de l’argent. Le ministère de la Culture peut-il garantir que chaque spoliation sera traitée dans un délai raisonnable ?

Mme Béatrice Piron (RE). Pendant la période sombre de 1933 à 1945, les Juifs ont été soumis à une persécution systématique et à une dépossession de leurs biens. Parmi les nombreuses atrocités commises, les nazis ont spolié de nombreux biens culturels. La nécessité de les rendre à leurs propriétaires ou à leurs ayants droit va bien au-delà de la simple restitution matérielle : ces objets ont une valeur symbolique et historique inestimable pour la communauté juive et pour l’ensemble de l’humanité. Les restituer constitue un acte de justice et de réparation morale.

Il est sans doute difficile de quantifier précisément le nombre d’œuvres spoliées ; 100 000 d’entre elles l’auraient été en France pendant la seconde guerre mondiale mais ce nombre est vraisemblablement sous-estimé car il s’appuie sur des déclarations effectuées au sortir de la guerre. Auriez-vous des informations sur le nombre effectif de familles juives spoliées ?

Mme Emmanuelle Anthoine (LR). La restitution des œuvres est dictée par un impératif de justice et de réparation. L’organiser, c’est poursuivre le combat contre les horreurs nazies, mettre en échec les odieux desseins de ce régime de haine et de ses complices. C’est également veiller à l’irréprochabilité des collections publiques afin que nos musées demeurent de lumineux temples des arts et du savoir et à ce qu’aucune ombre ne vienne assombrir leurs collections.

De tels enjeux justifient que l’on déroge au principe d’inaliénabilité des collections publiques. La CIVS a permis de rétablir la vérité sur l’histoire de certaines œuvres dont le parcours a été tumultueux. Dès lors, pourquoi renvoyer à un décret plutôt que de graver dans la loi sa désignation comme commission administrative chargée de rendre un avis dans le cadre de cette nouvelle procédure ?

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Nous sommes tous conscients de cet enjeu qu’est le développement de la formation. J’ai évoqué le nouveau DU de Nanterre et le travail engagé avec l’Institut national du patrimoine mais je signale également la création d’un nouveau master « Recherche de provenance », à partir de la rentrée, à l’École du Louvre. Depuis cette année, les élèves commissaires-priseurs reçoivent une formation sur ce sujet. Nous avons aussi commencé à travailler avec le conseil des ventes volontaires et avec la CIVS afin de mutualiser nos forces sur cet enjeu.

Les moyens consacrés à cette question constituent un enjeu global mais il importe surtout de les concentrer dans le domaine de la formation et des postes au sein des musées. Avec nos Drac, nous déploierons les aides nécessaires et nous nous tiendrons aux côtés des collectivités et des musées territoriaux qui en ont besoin. L’enjeu principal est de « muscler » les moyens humains afin d’organiser des task forces qui, dans les musées, se consacreront aux recherches de provenance. L’exemple des musées du Louvre et d’Orsay ouvre la voie.

Conformément aux procédures habituelles, le texte a été rédigé en lien avec le Conseil d’État, y compris s’agissant de la CIVS, qui est la structure la plus légitime et dont la composition ne changera pas.

Je rappelle que l’inaliénabilité des collections n’existe pas en Allemagne et que le Bundestag n’a donc jamais débattu de ces problèmes. Notre Parlement, avec la loi d’espèce de 2022 et cette loi-cadre, peut débattre d’une manière solennelle. À nous de faire vivre ses préconisations ! Le podcast « À la trace » du ministère de la Culture permet d’humaniser cette question et les recherches de provenance. Avec nos musées et nos services d’archive, nous continuerons à faire vivre les questions liées aux restitutions. Attendre chaque fois quatre ou cinq ans le vote d’une loi d’espèce reviendrait à affaiblir la perspective qui nous est commune. La solennité, la gravité, la force que vous donnerez à cette loi-cadre votée à l’unanimité au Sénat et, je l’espère, dans cette assemblée, marqueront l’histoire. La force politique de ces dispositions n’est en rien atténuée, bien au contraire.

Juridiquement, il n’est pas possible d’intervenir dans le domaine des collections privées mais le mouvement global en cours implique la conscience et la vigilance de tous. Faisons confiance à ce mouvement collectif !

Mme Annie Genevard (LR). Quid de l’ouverture possible à la restitution de biens spoliés sans lien avec les persécutions antisémites ?

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Ce n’est pas l’objet de cette loi-cadre.

Une proposition de loi sénatoriale de Mme Morin-Desailly concernera les restes humains et une troisième loi-cadre visera les biens culturels africains. Un rapport a été demandé à ce sujet à Jean-Luc Martinez, ancien président du Louvre, ambassadeur thématique chargé de la coopération internationale dans le domaine du patrimoine, visant à définir un cadre de travail et des critères de restitution. Des consultations sont en cours.

Ces lois ne visent en rien à vider nos musées. Nous suivons le chemin rigoureux, scientifique, de la reconnaissance et non celui du déni ou de la repentance. Le dialogue avec les pays africains doit avoir lieu dans le cadre d’une doctrine claire. La loi dont nous discutons est spécifique et résulte de trente ans de réflexion. Les contextes historiques ne sont absolument pas comparables. Chaque chose en son temps : la question des biens africains sera abordée.

Article 1er : Création d’une procédure administrative pour la restitution des biens culturels spoliés intégrés aux collections publiques

La commission adopte l’amendement rédactionnel AC33 de Mme Fabienne Colboc, rapporteure.

Amendements AC5 et AC7 de M. Philippe Ballard.

M. Philippe Ballard (RN). Ils visent à étendre la date de prise en compte des spoliations jusqu’au 11 mai 1945. En effet, les combats ne se sont pas arrêtés le 8 mai dans notre pays, le dernier territoire français ayant été libéré le 11 mai avec la fin de la résistance allemande dans la poche de Saint-Nazaire. Il convient donc de tenir compte de potentiels pillages militaires.

Mme Fabienne Colboc, rapporteure. La date du 8 mai 1945 est celle de la capitulation de l’Allemagne nazie et constitue une référence claire, compréhensible par tous. C’est d’ailleurs la date retenue par le Conseil d’État dans le point 6 de son avis. Il est vrai que les combats se sont poursuivis dans la poche de Saint-Nazaire jusqu’à la reddition des troupes allemandes qui s’y trouvaient, le 11 mai. Toutefois, ces troupes étaient assiégées par les forces armées alliées et résistantes dans la ville de Saint-Nazaire encerclée ; à la libération de la ville, les soldats allemands encore présents ont été faits prisonniers. Cette situation de siège a donc conduit, non pas à un retrait en forme de fuite des troupes allemandes vers l’Allemagne, comme cela a pu se produire lors de la libération d’autres parties du territoire, mais bien à la détention des soldats allemands après leur reddition. Avis défavorable.

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Nous avons échangé avec de nombreux historiens et la date du 8 mai 1945 vaut à leurs yeux référence. Toutes les spoliations intervenues dans le contexte des persécutions antisémites sont bien couvertes.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Tout le monde sait que la date officielle de la fin de la guerre est le 8 mai 1945 mais le rétablissement des autorités légitimes sur le territoire n’a pas été effectif du jour au lendemain. La détresse morale, l’indigence matérielle de familles persécutées ont pu entraîner des abus après cette date. Fixer dans la loi la date du 8 mai 1945 et non celle du 11 pourrait exclure des revendications légitimes

M. Alexis Corbière (LFI-NUPES). Je rappelle à nos collègues du Rassemblement national que l’armée nazie a perdu le 8 mai 1945. Je ne comprends pas l’intérêt de ce report de date, si ce n’est de vouloir effacer celle du 8 mai. Il n’y a pas eu trois jours supplémentaires de combat ayant entraîné d’autres spoliations. Vous laissez penser que l’armée nazie se serait retirée tranquillement et qu’elle aurait pu emporter des biens entre le 8 et le 11 mai, or, je vous rappelle qu’elle a été vaincue et que la Résistance l’a emporté, ce que certains fondateurs de votre parti, d’ailleurs, regrettent peut-être.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements identiques AC2 de Mme Caroline Parmentier et AC13 de M. Stéphane Peu.

Mme Caroline Parmentier (RN). Mon amendement propose de préciser qu’à l’article 1er, alinéa 7, l’Allemagne nazie a non seulement occupé, contrôlé et influencé des territoires mais qu’elle en a également « annexé ». Cette précision est importante dès lors que l’annexion implique l’incorporation d’un territoire dans un autre État, même temporairement, quand l’occupation désigne le contrôle d’un territoire sans l’incorporation. En ce sens, au cours de la deuxième guerre mondiale, l’Alsace-Moselle a été annexée.

L’étude d’impact fait d’ailleurs la distinction en évoquant à la page 16 les « territoires annexés, occupés, alliés de l’Allemagne, à travers des actes commis par les autorités allemandes, par les autorités locales ou, dans ce contexte, par divers individus sous l’inspiration des unes ou des autres ».

Cet ajout semble nécessaire afin de prévoir l’ensemble des situations dans le contexte des persécutions nazies perpétrées entre le 30 janvier 1933 et le 8 mai 1945.

M. Stéphane Peu (GDR-NUPES). Il importe en effet de se montrer historiquement exhaustif.

Mme Fabienne Colboc, rapporteure. Ces amendements sont satisfaits car les territoires annexés sont considérés comme incorporés à « l’Allemagne nazie », mentionnée à l’alinéa 7. L’historienne Claire Andrieu, précisément consultée sur ce point, a rappelé que durant la seconde guerre mondiale, l’Alsace-Moselle était intégrée à l’Allemagne suite à son annexion. La liste des termes comprise dans le projet de loi comporte déjà tous les cas de figure envisageables. Demande de retrait.

Mme Caroline Parmentier (RN). La réalité que revêt le terme « annexé » n’est ni contestée ni contestable mais ce n’est pas exactement la même chose. Le droit français, au sein du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre, comporte une section intitulée « patriotes réfractaires à l’annexion de fait » concernant les départements du Rhin, de l’Alsace et de la Moselle. Nous devons nous montrer rigoureux.

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. L’annexion implique une incorporation à l’Allemagne nazie, en effet mentionnée à l’alinéa 7. La mention « des territoires qu’elle a occupés, contrôlés ou influencés » englobe tous les autres cas de persécutions antisémites durant cette période.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). L’ajout du terme « annexé » s’impose car les « territoires » que l’Allemagne nazie « a occupés, contrôlés ou influencés » n’incluent pas l’Alsace-Moselle, l’annexion étant un statut administratif, juridique et historique différent.

Mme la présidente Isabelle Rauch. Les faits sont têtus. Je suis élue de la Moselle et, qu’on le veuille ou non, ce département était alors, malheureusement, allemand.

L’amendement AC13 est retiré.

La commission rejette l’amendement AC2.

Amendement AC43 de Mme Fabienne Colboc et sous-amendement AC47 de Mme Caroline Parmentier, et amendement AC1 de M. Nicolas Ray (discussion commune).

Mme Fabienne Colboc, rapporteure. Cet amendement a fait l’objet de nombreux débats et je tiens à associer les députés de la majorité aux explications que je vais présenter. Au Sénat, la discussion du projet de loi en séance a conduit à la substitution, au septième alinéa de l’article 1er, de l’expression « l’autorité de fait du "régime de Vichy" » au texte originel qui évoquait « l’autorité de fait se disant "Gouvernement de l’État français" ». Cela est d’autant plus regrettable que le texte de l’article 2, demeuré inchangé, reprend l’expression d’abord employée dans la rédaction initiale de l’article 1er, créant de fait une incohérence entre les deux articles.

Afin de nous inscrire pleinement dans la continuité de la reconnaissance par la France de la responsabilité de l’État dans les persécutions antisémites ayant conduit aux faits de spoliation dont le projet de loi vise à faciliter la réparation, je propose d’adopter l’expression « l’État français entre le 10 juillet 1940 et le 24 août 1944 ».

Cette expression s’inscrit dans la ligne du mouvement engagé par le discours du président Jacques Chirac lors des cérémonies commémorant la grande rafle des 16 et 17 juillet 1942 et poursuivi avec la constitution de la commission Mattéoli, puis la création de la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l’Occupation.

Les persécutions antisémites telles que les spoliations ont été commises sous l’autorité de l’État français et à la faveur des lois décidées par lui et qu’il a fait appliquer durant la période de l’Occupation. S’il l’a fait sous l’influence de l’Allemagne nazie, l’État français n’en porte pas moins une part de responsabilité propre qu’il convient de rappeler. En aucun cas cela ne remet en cause le fait que, parallèlement à ce régime inique, se constituait progressivement dans l’ombre une autorité qui parviendrait ensuite à rétablir la République à partir de l’ordonnance du 9 août 1944. Le 24 août 1944 paraissait le dernier numéro du Journal Officiel du régime de l’État français.

Je souligne à cet égard l’importance du rôle de la Résistance dans l’information recueillie lors des spoliations et pillages des biens culturels et dans leur sauvegarde, et rends hommage aux résistants qui, comme Rose Valland, ont permis que les restitutions puissent ensuite avoir lieu.

En choisissant cette expression d’« État français entre le 10 juillet 1940 et le 24 août 1944 », il ne s’agit donc nullement de dire que le régime de Vichy représentait toute la France, car une autre France combattante existait bien, mais d’accepter en conscience que les autorités françaises qui ont assumé le rôle de l’État durant cette période portent une responsabilité indéniable dans les spoliations.

M. Nicolas Ray (LR). En tant que député de la 3e circonscription de l’Allier, qui comprend la ville de Vichy, où je suis né, j’ai été profondément choqué qu’on puisse utiliser, en 2023, l’appellation « régime de Vichy » dans un texte de loi. L’amendement AC1 vise donc à supprimer cette appellation introduite au Sénat dans des conditions assez confuses pour la remplacer par une sémantique plus proche de la rédaction initiale du projet de loi : « Gouvernement de l’État français né du vote du 10 juillet 1940 ».

L’expression « régime de Vichy » est en effet insultante et stigmatisante pour les habitants de la ville de Vichy, qui n’ont pas à porter seuls cet héritage si lourd et qui concerne toute notre nation. Cette sémantique néfaste pour les Vichyssois revient à résumer une ville riche de deux mille ans d’une histoire marquée notamment par le thermalisme à quatre années sombres, qu’ils ont été les premiers à subir. Le général de Gaulle le disait lui-même : « La ville de Vichy, qui n’eut point à choisir de 1940 à 1944 son destin, ne saurait être associée à la déchéance du Gouvernement qui lui fut alors arbitrairement imposé. »

L’amalgame entre la ville de Vichy et le régime du maréchal Pétain revient aussi à occulter le grand acte de résistance par lequel quatre-vingts parlementaires ont refusé de voter les pleins pouvoirs à celui-ci.

L’expression « régime de Vichy » ne nuit pas seulement aux habitants de Vichy, mais aussi au nécessaire devoir de mémoire. En revanche, les termes « Gouvernement de l’État français » permettent de rappeler que nos institutions, bien que démocratiques, sont faillibles.

Enfin, cet amendement s’inscrit dans la logique du célèbre discours dans lequel le président Chirac a utilisé l’expression « État français ».

Le combat mené pour bannir les termes « régime de Vichy » est ancien et a été engagé par mon prédécesseur, le député Gérard Charasse, initiateur de plusieurs propositions de loi, qui est décédé dimanche dernier. Il est encore mené régulièrement par le maire de Vichy dès qu’un homme politique ou un journaliste utilise ce terme.

Pour le respect des citoyens de la ville de Vichy et le rigoureux travail de mémoire que nous devons mener, ainsi que pour l’ensemble des motifs que je viens d’exposer, je vous remercie d’adopter cet amendement.

Mme la présidente Isabelle Rauch. Monsieur Ray, c’est en raison de la charge symbolique, historique et émotionnelle de votre amendement que je vous ai laissé le présenter longuement.

Mme Caroline Parmentier (RN). Le sous-amendement AC47 vise à compléter l’amendement AC43 en affirmant que ce n’était pas l’État français qui était à Vichy, mais bien l’autorité de fait usurpée et illégale se disant « Gouvernement de l’État français » entre le 10 juillet 1940 et le 24 août 1944. L’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental affirme dès son article 1er que « la forme du Gouvernement de la France est et demeure la République. En droit celle-ci n’a pas cessé d’exister. » En effet, la France a, durant ces années sombres, perduré en la personne du général de Gaulle à Londres.

Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Ce débat sur les mots désignant l’État français est important. Certaines manières de parler de la responsabilité de la France durant la période de l’occupation par l’Allemagne nazie et dans les crimes perpétrés contre les juifs de France, contre les opposants et contre d’autres populations charrient bien des choses, notamment une volonté de nier ce qui s’est passé en France durant ces années et la part de collaboration qui entache la mémoire et l’histoire de notre pays. En évoquant un État usurpé et illégitime, vous effacez ou occultez la réalité – qui vous dérange peut-être – que si une partie de la France a résisté, une autre partie a collaboré. Nous souscrivons donc à l’amendement de Mme la rapporteure et nous opposons fermement à des reformulations qui, sans le dire, nient la réalité de la collaboration – nous savons quel intérêt vous avez à le faire.

M. Fabrice Le Vigoureux (RE). L’amendement AC43 et bienvenu. D’abord, en effet, il s’inscrit dans le courant de la reconnaissance de la responsabilité de la France dans les persécutions antisémites, qu’a consacrée le discours très émouvant prononcé par le Président Chirac le 16 juillet 1995, discours qui n’oublie pas pour autant la folie criminelle de l’occupant et le délire de son projet de pureté raciale, ni le rôle des Justes et la solidarité de nombreux Français envers les persécutés de confession juive

Il faut désigner les choses : le 10 juillet 1940, c’est bien l’Assemblée nationale, réunie au théâtre du casino de Vichy, qui a voté, par 569 voix pour et 80 voix contre, les pleins pouvoirs à Philippe Pétain, mettant fin à la République et instituant ce qui sera alors désigné comme l’État français.

Nous devons nous situer sur ce même chemin, comme l’a fait d’ailleurs la loi du 10 juillet 2000 instaurant une journée nationale à la mémoire des crimes racistes et antisémites de l’État français et d’hommage aux Justes de France, qui emploie bien l’expression « État français ».

Mme Annie Genevard (LR). Dès qu’elle est évoquée, cette question sensible ravive des débats que nous ne pouvons occulter.

Je vous remercie, madame la rapporteure, d’avoir donné suite à la demande de notre collègue Nicolas Ray, député de Vichy. On peut en effet comprendre la sensibilité des habitants de cette ville, qui ne souhaitent pas voir constamment associer le nom de celle-ci à des événements aussi douloureux.

Il n’est, par ailleurs, pas contestable qu’il faille faire référence à l’État français – je me réjouis, du reste, de constater que, ce soir, tout le monde ou presque est chiraquien. (Sourires.)

La formulation proposée par M. Ray est néanmoins intéressante car, en l’espèce, les termes « État français » désignent le gouvernement de l’État entre le 10 juillet 1940 et le 24 août 1944 : les bornes chronologiques que vous proposez sont donc bonnes. Je suggère toutefois que nous conservions la formulation de « gouvernement de l’État français », qui contextualise historiquement la situation. Il aurait ainsi été possible de sous amender l’amendement de M. Ray en ce sens.

M. Jérémie Patrier-Leitus (HOR). Je rappelle à nos collègues du groupe Rassemblement national cette phrase d’Albert Camus, que Mme Marine Le Pen a d’ailleurs citée dans une tribune au New York Times en 2015 : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. » Vous êtes en train de réécrire l’histoire, or à chaque débat que nous avons sur ce thème se pose la question de savoir si la France était à Vichy ou à Londres, mais ce n’est pas le sujet. Comme l’a justement rappelé Fabrice Le Vigoureux, un vote légitime a eu lieu.

Ne réécrivez pas l’histoire et contentez-vous de l’équilibre proposé par Jacques Chirac en 1995, qui reconnaissait les agissements de l’État français et saluait en même temps la France libre et généreuse, celle des Justes qui ont sauvé 75 % des juifs français.

M. Stéphane Peu (GDR-NUPES). Madame Genevard, permettez-moi de vous dire amicalement que les communistes n’ont pas attendu le discours de Jacques Chirac pour demander que l’on parle d’État français. Par ailleurs, la légitimité du vote du 10 juillet 1940 est discutable, ne serait-ce que parce que le groupe du Parti communiste était interdit et ne pouvait pas siéger.

Je suis également en désaccord avec la distinction que vous faites entre le gouvernement et l’État. De fait, les juges qui ont condamné à mort les résistants ou les policiers qui ont arrêté Manouchian n’étaient pas membres du gouvernement, mais agissaient en tant qu’agents de l’État français.

Je souscris donc à la proposition de la rapporteure, car cette formulation est meilleure que celle de « régime de Vichy », qui est impropre, qui pose problème aux habitants de Vichy et dont la définition est floue.

M. Roger Chudeau (RN). Ce débat devient quelque peu byzantin et on voit bien les arrière-pensées des uns et des autres. Un collègue nous dit qu’il ne faut pas réécrire l’histoire, mais c’est le général de Gaulle qui l’a réécrite en forgeant, dans l’ordonnance du 9 août 1944, la formule historique évoquant un « autorité de fait se disant "gouvernement de l’État français" ». Pourquoi ne pas retenir cette formule ?

Enfin, entendre les députés du groupe LFI, héritiers du Front populaire qui a voté les pleins pouvoirs à Pétain, nous traiter de négationnistes est particulièrement piquant. Je vous prie donc de ne pas ajouter l’injure à l’inculture.

Mme Fabienne Colboc, rapporteure. Je suis évidemment opposée à ce sous-amendement. On ne peut pas à la fois se féliciter d’un texte qui prend en compte la part prise par la France dans les spoliations et renier cette sombre période de son histoire.

Madame Genevard, il serait injuste de ne citer que le gouvernement de l’État français, car son administration aussi a collaboré.

Ce travail, mené sur la base de nombreuses auditions, a été marqué par de nombreuses hésitations, notamment entre les dates du 24 et du 9 août, date de l’ordonnance rétablissant la légalité de la République. Les choses n’ont pas été faites à la légère et c’est la raison pour laquelle je n’ai déposé cet amendement que cet après-midi. De fait, même si on ne fait pas l’histoire, il importe de réunir le consensus le plus large possible parmi les députés des différents groupes, en tenant compte notamment des débats tenus au Sénat.

Il était en outre important pour moi d’en finir avec l’expression « régime de Vichy », qui stigmatise cette ville qui a d’autres vertus à mettre en valeur. Il s’agit donc de trouver les mots et la période les plus justes pour parler de notre histoire commune sans tabou et sans renier cette histoire.

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Madame la rapporteure, je vous remercie pour ce travail minutieux. Vous avez trouvé la bonne formule, qui se réfère au discours de Jacques Chirac reconnaissant la responsabilité de la France pour les actes commis par l’État français et à la loi du 10 juillet 2000, qui instaure une journée de mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites commis par l’État français. L’expression retenue, qui se situe dans la continuité de ces deux moments très marquants, est donc très légitime. Le fait de l’encadrer par les dates entre lesquelles le régime du maréchal Pétain a été actif permet d’être très clair : il s’agit de la période du 10 juillet 1940, jour du vote des pleins pouvoirs au maréchal Pétain, au 24 août 1944, jour de la dernière publication du Journal officiel de l’État français et de la libération de Paris, laquelle sera définitivement scellée le lendemain, 25 août. Rappelons que le maréchal Pétain, chef de l’État français, a quitté Vichy le 20 août.

Ces bornes temporelles et l’expression « État français » constituent la juste formule, après l’émoi et les débats qu’a connus le Sénat, qui n’a pas eu le temps, pour amender le texte, de faire ce travail fin que vous avez fait. Reconnaître la responsabilité du gouvernement du maréchal Pétain et le nommer « État français » n’est pas contradictoire avec le fait de rappeler qu’au même moment, la France était aussi à Londres et avec la résistance intérieure.

La commission rejette le sous-amendement AC47 et adopte l’amendement AC43. En conséquence, l’amendement AC 1 tombe.

Amendement AC41 de Mme Fabienne Colboc.

Mme Fabienne Colboc, rapporteure. Sur la base du rapport de Jean-Luc Martinez relatif à la législation française en matière de restitution des biens culturels, qui a été remis au Président de la République en avril dernier et identifie une disposition du code du patrimoine pouvant constituer un verrou législatif aux restitutions de biens culturels issus de dons ou de legs, cet amendement vise à ajouter un nouvel alinéa à l’article L. 115‑2 du code du patrimoine, permettant de déroger à l’article L. 451‑7 du même code, afin d’assurer que les restitutions de biens intégrés aux collections publiques soient possibles même lorsque ces biens ont été acquis par dons ou legs. Cette disposition renforce la pleine effectivité du texte et la cohérence des articles nouvellement créés avec l’ensemble du code du patrimoine.

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Avis favorable. La commission de la culture de l’éducation et la communication du Sénat ayant inséré une dérogation à l’article L. 451-7 du code du patrimoine dans la proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques, il est nécessaire de consacrer également cette dérogation dans le projet de loi dédié aux spoliations, dans un souci d’exhaustivité et de cohérence et afin d’éviter tout effet d’opposition avec le dispositif applicable à la restitution des restes humains.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AC18 de Mme Béatrice Descamps.

Mme Béatrice Descamps (LIOT). Le projet de loi prévoit que d’autres modalités de réparation de la spoliation que la restitution peuvent être envisagées d’un commun accord entre la personne publique et le propriétaire spolié ou ses ayants droit. Une transaction financière peut, par exemple, être conclue avec le maintien du bien dans la collection publique, au lieu de la restitution.

Or cette proposition intéressante risque de se heurter à un problème de moyens financiers. L’amendement vise donc à préciser que, dans le cas où la personne publique et les ayants droit conviennent d’autres modalités de réparation, la personne publique peut bénéficier de l’accompagnement de l’État.

Mme Fabienne Colboc, rapporteure. Il est vrai que la question des moyens dédiés devra être étudiée, mais cette discussion aura plutôt sa place, selon moi, dans le cadre des débats budgétaires, lorsque nous examinerons les crédits destinés par exemple aux acquisitions des musées, votés dans le cadre du programme 175, Patrimoines. Dans le passé, l’État a pu mobiliser des fonds pour proposer des dédommagements aux ayants droit d’œuvres spoliées, parfois en étalant les versements sur plusieurs années. Il faudra donc imaginer différents types de solutions pour que les ayants droit puissent recevoir compensation – Mme la ministre a ainsi évoqué tout à l’heure le soutien de la Drac, la direction régionale des affaires culturelles, aux collectivités territoriales. Avis défavorable.

Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Nous pourrons certes, lors du débat budgétaire, examiner les lignes consacrées à la restitution des biens spoliés, et nous ne manquerons pas de le faire avec attention, mais le projet de loi dont nous débattons doit être un instrument efficace. Si j’ai bien compris la leçon des événements récents, un amendement n’est recevable que s’il ne crée pas de charge, mais puisqu’il ne s’agit ici que d’inscrire dans la loi que les musées et les administrations recevront des moyens pour ce travail, ne pourriez-vous, madame la rapporteure, réviser votre avis sur ces amendements ?

Mme Annie Genevard (LR). Je suis favorable à cet amendement, qui pose un principe général. Il y a en effet un intérêt général à ce que certaines œuvres issues de spoliations, dès lors que leur propriétaire légitime accepte une compensation financière, demeurent visibles de tous dans une institution muséale. La question posée par cet amendement est donc on ne peut plus légitime et la situation visée sera sans doute assez courante.

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Le projet de loi prévoit déjà d’autres modalités que la restitution si les parties s’accordent sur ces modalités. Il peut s’agir par exemple de la conservation de l’œuvre dans le musée où elle est exposée en échange d’une compensation financière pour les ayants droit. Certaines familles peuvent vouloir laisser le bien en dépôt, ou même le donner, moyennant l’engagement que l’histoire de leurs aïeux et le parcours du bien seront bien présentés au public. Il est ainsi prévu de donner une valeur législative à de tels accords. Je demande donc le retrait de l’amendement.

Mme Béatrice Descamps (LIOT). Madame la rapporteure, ma proposition ne portait absolument pas sur le débat budgétaire.

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Je le répète, le principe d’un recours à d’autres modalités que la restitution, comme des transactions financières ou des compensations, est déjà prévu par le projet de loi.

Du reste, la CIVS est également compétente depuis longtemps en matière d’indemnisation, et les montants correspondants ne relèvent pas du budget du ministère de la Culture. Si l’œuvre n’est pas retrouvée ou localisée, la CIVS peut recommander une indemnisation. Si enfin l’œuvre est trouvée et identifiée dans les collections publiques, il peut y avoir restitution ou recours à d’autres modalités d’accord avec les ayants droit, comme une compensation financière.

La commission adopte l’amendement.

Amendements AC19 de Mme Béatrice Descamps, AC11 de Mme Caroline Parmentier et AC21 de Mme Claudia Rouaux (discussion commune).

Mme Béatrice Descamps (LIOT). L’amendement AC11 tend à inscrire l’existence de la CIVS dans le code du patrimoine. Cette inscription au sein du code paraît nécessaire compte tenu de l’importance que va prendre la CIVS avec l’adoption de ce projet de loi, et donc de l’augmentation significative du nombre de pièces à restituer dans les années à venir, qu’il convient d’anticiper.

L’amendement propose par ailleurs de faire siéger deux parlementaires au conseil d’administration de la CIVS.

Mme Caroline Parmentier (RN). L’amendement AC11 a pour objet de préciser que la commission administrative compétente en matière de réparation des préjudices consécutifs aux spoliations de biens intervenues du fait des persécutions antisémites doit être composée d’au moins un député et un sénateur, en raison du rôle et de la portée de son mandat. Cette commission ayant pour mission d’apprécier l’existence de spoliations et leurs circonstances, elle devra également comporter des spécialistes des domaines historique et juridique, dont la liste sera établie par décret.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Afin de garantir un droit de regard au Parlement sur des demandes de restitution qui seront sans doute de plus en plus nombreuses, le groupe Socialistes et apparentés propose d’ajouter deux parlementaires – un de chaque assemblée – à la composition de la CIVS.

Mme Fabienne Colboc, rapporteure. Après y avoir moi-même réfléchi, et après avoir aussi auditionné la CIVS et vu la technicité de son travail et de son expertise en matière de recherche d’ayants droit, il ne me semble pas qu’il y ait lieu que des parlementaires y siègent. Il serait bon, en revanche, que notre commission mène une discussion plus approfondie avec la CIVS lors du débat budgétaire ou, comme nous l’évoquerons à l’occasion d’autres amendements, avec la commission qui sera créée dans la ligne de la CIVS, afin de mieux connaître leur travail, leurs besoins et leurs rapports d’activité. Je le répète cependant : aussi passionnant cela puisse-t-il être, la présence de parlementaires au sein de la CIVS n’apporterait pas grand profit ni à cette dernière ni au travail parlementaire. Avis défavorable.

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Même avis. Le Conseil d’État nous a indiqué que la composition de la commission n’était pas une compétence législative. De fait, si cette institution, dans son avis sur le projet de loi, reconnaît que la commission est « un élément de l’équilibre d’ensemble entre le respect de la propriété publique et la restitution des biens culturels spoliés à leurs légitimes propriétaires », elle se contente toutefois d’ajouter que sa « composition garantira l’indépendance et l’expertise nécessaire à une instruction approfondie relative à la traçabilité de l’œuvre et aux circonstances de la dépossession », rejetant l’idée selon laquelle le détail de sa composition devait être précisé dans la loi.

Pour ce qui est de la présence des parlementaires, la CIVS fonctionne aujourd’hui avec deux collèges : l’un, de dix membres, chargé des spoliations matérielles hors bien culturels et l’autre, de quatorze membres, chargé des biens culturels, réunissant des spécialistes d’histoire de l’art, du marché de l’art, du droit du patrimoine culturel, d’histoire, voire de généalogie. Il s’agit là de débats et d’expertises techniques.

Le Parlement en sera informé très régulièrement, notamment par la remise du rapport désormais prévu à l’article 4 du projet de loi, ajouté par le Sénat. Je précise que, lors des débats au Sénat, la majorité sénatoriale n’a pas souhaité ajouter deux membres du Parlement à la composition de la CIVS, et que ce point a fait consensus.

M. Roger Chudeau (RN). Il ne me paraît pas recevable de refuser notre proposition d’amendement au motif que la commission serait trop technique, car il existe de nombreuses commissions techniques au sein desquelles siègent des parlementaires, comme le Conseil supérieur des programmes du ministère de l’Éducation nationale, dont le travail est certes très technique, mais où les parlementaires sont tout à fait à leur place.

Vous ne voyez pas la portée symbolique de cette proposition. Permettre à des représentants de chaque chambre de siéger au sein de la commission montre la sollicitude et l’intérêt que le Parlement porte à cette question.

Mme Annie Genevard (LR). Madame la ministre, la spoliation des biens juifs s’inscrit dans un contexte historique précis. Pourrait-on imaginer d’élargir un jour la compétence de la CIVS à tous les types de spoliation – ce qui interrogerait le principe d’inaliénabilité et intéresserait au premier chef le législateur ? Je comprends l’argument lié à la technicité, et il est très bien que siègent dans cette commission des magistrats, conseillers d’État et conseillers maîtres à la Cour des comptes, mais si l’on décidait de donner une portée plus générale à la CIVS, le regard du législateur serait nécessaire.

Mme Béatrice Descamps (LIOT). Au-delà de la participation de parlementaires à la CIVS, ma proposition principale visait à inscrire cette commission dans la loi, ce qui me paraît très important. Comment cela serait-il possible ?

Mme Claudia Rouaux (SOC). J’ai bien entendu la réponse de la rapporteure : je retire mon amendement.

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Nous n’envisageons pas d’élargir la CIVS à d’autres spoliations que celles liées aux persécutions antisémites. D’abord, il y a une spécificité du sort réservé aux juifs durant cette période. Ensuite, le Conseil d’État s’est exprimé clairement sur la question. Enfin, la CIVS se consacre à cette mission depuis 1999 ; compte tenu de sa légitimité, nous souhaitons qu’elle soit la commission de référence en la matière.

Mme Fabienne Colboc, rapporteure. Le décret en conseil d’État comprendra une section d’application créant des articles réglementaires dans le code du patrimoine. L’un d’entre eux concernera la CIVS, qui s’y trouvera ainsi consacrée.

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Nous avons travaillé sur le texte pendant six mois, ce qui a donné lieu à plusieurs allers-retours avec le Conseil d’État. Je pensais moi aussi que nous pourrions inscrire la CIVS dans la loi, mais le Conseil d’État a estimé qu’une telle disposition ne relevait pas du domaine de la loi – d’où le recours au décret.

L’amendement AC21 est retiré.

La commission rejette successivement les amendements AC19 et AC11.

Amendement AC15 de M. Stéphane Peu.

M. Stéphane Peu (GDR-NUPES). Certaines choses paraissent évidentes mais méritent tout de même d’être explicitées. Nous proposons ainsi que la restitution soit prononcée après avis conforme de la CIVS. Certes, on imagine mal un musée ne pas suivre l’avis de cette commission, mais il convient de le préciser dans la loi. Cela permet à la fois de garantir l’effectivité de la mesure et d’éviter des procédures judiciaires pour obtenir une restitution demandée par la commission et refusée par la personne publique concernée.

Mme Fabienne Colboc, rapporteure. Je comprends votre souhait de faire en sorte que le processus de restitution aille jusqu’à son terme, mais les avis de la CIVS ont toujours été très largement suivis. Par ailleurs, dans le cas peu probable où une personne publique déciderait de rejeter une demande contre l’avis de la commission, l’ayant droit pourrait contester cette décision devant le juge administratif. Qui plus est, les sénateurs ont adopté un amendement assurant la publication de l’avis de la CIVS : l’ayant droit pourra s’appuyer dessus pour contester la décision faisant grief. Je préfère donc en rester à un avis simple et vous demande de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, avis défavorable.

M. Stéphane Peu (GDR-NUPES). Je ne le retirerai pas. Les réalités d’aujourd’hui ne sont pas forcément celles de demain : ce n’est pas parce que l’on ne connaît pas d’exemple de refus de restitution après avis favorable de la CIVS qu’il ne faut pas s’assurer qu’il n’y en aura pas à l’avenir. La disposition que nous vous proposons d’adopter est en adéquation avec la logique du texte et ne fait que sécuriser le processus.

Mme Annie Genevard (LR). En cas de litige, l’avis de la CIVS sera une pièce déterminante au moment du jugement, mais, en tout état de cause, la commission ne peut pas se substituer à la décision du juge.

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. N’oublions pas non plus le cas des musées territoriaux : une fois que la CIVS a émis un avis, la collectivité qui en a la responsabilité délibère. Nous ne saurions ôter aux collectivités la possibilité de délibérer sur la restitution ou d’autres modalités de compensation – par exemple une transaction financière. C’est ainsi que les choses se passent depuis 1999 et cet équilibre me semble satisfaisant.

M. Stéphane Peu (GDR-NUPES). Je ne suis pas d’accord avec cet argument : l’avis des architectes des bâtiments de France – pour rester dans le champ de votre ministère –notamment en matière de permis de construire, s’impose aux collectivités. Celles-ci n’ont pas la possibilité de délibérer dans un sens opposé.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AC9 de M. Carlos Martens Bilongo.

M. Carlos Martens Bilongo. Nous souhaitons inscrire dans le texte la phrase suivante : « La commission dispose des moyens nécessaires pour remplir ses missions ». La rapporteure du Sénat, Béatrice Gosselin, souligne que « l’engagement de la France en termes humains et financiers reste modeste en comparaison de plusieurs de nos voisins européens, à commencer par l’Allemagne, dont l’État fédéral et les Länder ont consacré, depuis quinze ans, plus de 40 millions d’euros en matière de recherche de provenance sur les biens spoliés ». En outre, dans un article du journal Le Monde en date du 16 janvier 2023, il est indiqué que « le ministère de la Culture n’envisage […] pas d’augmenter la faible dotation de 200 000 euros ».

Vous avez fait état, madame la ministre, de trois lois-cadres prévues en 2023. J’espère que les moyens suivront. Vous connaissez mon engagement en faveur de la restitution des œuvres spoliées.

Mme la présidente Isabelle Rauch. Un article dans Le Monde n’est pas le projet de loi des finances…

Mme Fabienne Colboc, rapporteure. En tant que parlementaires, nous devrons veiller à ce que les moyens soient suffisants. Jusqu’à présent, l’État a fait en sorte que ce que soit le cas, notamment en 2019, quand a été créée la mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945, dirigée par David Zivie. De même, quand la CIVS a eu besoin de faire appel à des experts, des moyens supplémentaires lui ont été fournis. Lors de leur audition, les représentants de cette commission ne m’ont pas dit qu’ils manquaient de moyens. Quoi qu’il en soit, nous devrons être vigilants, dans le cadre de la discussion budgétaire et de notre mission d’évaluation des politiques publiques. Avis défavorable.

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Il convient d’éviter les confusions : le mot « commission », dans ce texte, désigne bien la CIVS – le décret clarifiera ce point. Depuis 1999, la CIVS a versé environ 500 millions d’euros aux familles spoliées, tous domaines confondus – car les biens culturels ne sont pas seuls concernés.

Il n’est question ici ni du budget de la mission dirigée par David Zivie ni de celui dédié, dans les musées, à la recherche de provenance, ni de celui de la formation à cette tâche dans le cadre de l’Institut national du patrimoine ou de l’École du Louvre.

Par ailleurs, nous n’en sommes pas encore au débat budgétaire. Pour le moment, la CIVS a largement les moyens de remplir ses missions, comme cela a toujours été le cas depuis 1999 – un consensus existe sur ce point –, mais j’en discuterai avec plaisir au moment de l’examen du projet de loi de finances.

Mme Annie Genevard (LR). En adoptant l’amendement AC18, nous avons fixé un principe qui sera utile, notamment pour les collectivités territoriales possédant des œuvres issues de spoliations et qu’elles devront restituer, alors même qu’elles les ont parfois acquises à des prix très élevés. Ainsi, la somme nécessaire pour acquérir la tapisserie du musée Labenche, à Brive-la-Gaillarde, représentait l’équivalent de trois années du budget de fonctionnement de la collectivité. La question des moyens se pose donc, notamment pour les collectivités qui doivent indemniser les propriétaires.

M. Paul Vannier (LFI-NUPES). L’amendement que nous vous proposons ne coûte rien. Il vise simplement à manifester notre volonté de faire en sorte que les objectifs fixés par la loi soient pleinement atteints – ce qui suppose d’y affecter les moyens nécessaires. Par ailleurs, il témoigne d’une forme de vigilance : l’an dernier, le débat budgétaire a été conclu par un 49-3, et il est tout à fait envisageable, sinon probable, que pareil moyen autoritaire soit utilisé cette année encore par le Gouvernement, réduisant ainsi à néant notre capacité à décider de l’allocation des moyens aux divers objectifs. C’est la raison pour laquelle il nous paraît nécessaire d’inscrire dès à présent dans la loi le principe énoncé à travers l’amendement AC9.

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. L’amendement n’est pas opérationnel : le financement de la CIVS ne dépend pas du ministère de la Culture. En outre, vous avez mentionné la formation et la recherche de provenance. Tel n’est pas l’objet de notre débat.

En ce qui concerne l’aide aux collectivités, l’indemnisation ne viendra pas forcément de l’État. Dans le cas du tableau de Sannois, par exemple, le commissaire priseur a remboursé la collectivité.

La commission rejette l’amendement.

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels AC34 et AC35 de Mme Fabienne Colboc, rapporteure.

Amendement AC23 de Mme Caroline Yadan.

Mme Caroline Yadan (RE). L’une des innovations du projet de loi consiste à offrir aux parties la possibilité de conclure un accord amiable prévoyant des modalités de réparation autres que la restitution, une fois que les victimes ont obtenu gain de cause sur ce principe. La disposition vise à permettre de conserver des biens significatifs du point de vue de l’intérêt ou de la cohérence des collections publiques en contrepartie d’une compensation financière ou de tout autre engagement de la part de l’établissement – une reconnaissance mémorielle, par exemple ; les victimes ou les ayants droit peuvent aussi décider de laisser le bien en dépôt. Dans le cas du musée Labenche, les héritiers ont ainsi exigé de l’établissement que le parcours de la tapisserie soit retracé dans la salle où elle est exposée.

Outre le fait que ces modalités de réparation alternatives doivent reposer sur l’accord des personnes concernées, il semble nécessaire qu’elles soient précisées par décret en Conseil d’État, conformément à la recommandation que celui-ci a énoncée dans son avis. Tel est le sens de cet amendement.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission adopte l’amendement.

La commission adopte l’article 1er modifié.

Article 2 : Procédure dérogatoire de sortie des collections des « musées de France »

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement AC6 de M. Philippe Ballard.

Amendements identiques AC3 de Mme Caroline Parmentier et AC14 de M. Stéphane Peu.

Mme Caroline Parmentier (RN). Par cohérence avec l’amendement AC2, je propose de préciser que l’Allemagne nazie a non seulement occupé, contrôlé et influencé des territoires, mais qu’elle en a également annexé certains.

M. Stéphane Peu (GDR-NUPES). Dès lors que j’ai retiré un amendement similaire portant sur l’article 1er, je retire aussi l’amendement AC14.

L’amendement AC14 est retiré.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement AC3.

Amendement AC44 de Mme Fabienne Colboc, sous-amendement AC48 de Mme Caroline Parmentier et amendement AC12 de M. Stéphane Peu (discussion commune).

Mme Fabienne Colboc, rapporteure. Il s’agit, par coordination avec la formulation que nous avons adoptée à l’article 1er, de modifier la désignation du régime entre le 10 juillet 1940 et le 24 août 1944.

Le sous-amendement AC48 et l’amendement AC12 sont retirés.

La commission adopte l’amendement AC44.

Amendement AC17 de M. Stéphane Peu.

M. Stéphane Peu (GDR-NUPES). Nous proposons de remplacer les mots « peuvent être » par le mot « sont », pour garantir la restitution des œuvres.

Mme Fabienne Colboc, rapporteure. Vous souhaitez obliger les musées privés à restituer les biens spoliés. Malheureusement, ce serait contraire à la Constitution. Toutefois, comme je le disais, l’adoption du projet de loi aura pour effet de sensibiliser l’ensemble du marché de l’art à la question. Les musées privés prêteront plus attention, eux aussi, à la provenance des œuvres qu’ils abritent et à la possibilité d’engager leur restitution.

M. Stéphane Peu (GDR-NUPES). J’entends bien, mais la formulation que je propose est plus contraignante. Si un musée privé ne souhaite pas restituer un bien issu d’une spoliation, il aura toujours la possibilité de former un recours devant la justice.

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Philosophiquement, je partage votre approche, monsieur Peu, mais il est impossible, juridiquement, de contraindre un musée privé à restituer un tel bien. Le Conseil d’État l’a souligné lorsqu’il a examiné le projet de loi : le pouvoir législatif ne peut pas décider du transfert de propriété d’un bien entre deux personnes morales de droit privé, à moins d’entrer dans le régime des expropriations, qui implique des garanties particulières au regard de la Constitution. Nous pouvons suggérer, inciter, rappeler que c’est possible, mais pas contraindre à procéder à cette restitution.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Je partage l’avis de M. Peu : la formulation retenue est beaucoup trop faible. Je ne sais pas quels termes conviendraient davantage, mais ceux qui figurent dans le projet de loi ne donnent vraiment pas l’impression que l’on incite les musées privés à restituer les biens spoliés.

La commission rejette l’amendement.

La commission adopte l’amendement rédactionnel AC36 de Mme Fabienne Colboc, rapporteure.

L’amendement AC16 de M. Stéphane Peu est retiré.

La commission adopte l’amendement rédactionnel AC37 de Mme Fabienne Colboc, rapporteure.

La commission adopte l’article 2 modifié.

Article 3 : Application de la présente loi aux demandes de restitution en cours à la date de publication

La commission adopte l’article 3 non modifié.

Article 4 : Demande de rapport annuel au Gouvernement

Amendement AC31 de M. Jérémie Patrier-Leitus et sous-amendement AC45 de Mme Fabienne Colboc.

M. Jérémie Patrier-Leitus (HOR). Nous proposons que le rapport soit publié non pas chaque année mais tous les deux ans. Au 18 avril 2023, 184 biens identifiés « musées nationaux récupération » – ou un équivalent – avaient été restitués au total. Compte tenu du temps que prend la procédure, et même si l’ambition du texte est d’augmenter le nombre de restitutions, une parution biennale étoffée paraît plus adaptée.

Mme Fabienne Colboc, rapporteure. Le sous-amendement a pour objet de mettre la fin de la phrase visée en cohérence avec le dispositif de l’amendement.

La commission adopte successivement le sous-amendement et l’amendement sous-amendé.

La commission adopte successivement les amendements AC38, rédactionnel, et AC39, de précision, de Mme Fabienne Colboc, rapporteure.

Amendement AC25 de M. Fabrice Le Vigoureux.

M. Fabrice Le Vigoureux (RE). Dans la même logique que celle de l’amendement AC23, qui portait sur l’article 1er, nous proposons que le rapport fasse aussi l’inventaire des autres modalités de réparation, qu’il s’agisse de reconnaissance mémorielle ou de compensations financières.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission adopte l’amendement.

L’amendement AC30 de M. Jérémie Patrier-Leitus est retiré.

Amendement AC10 de M. Carlos Martens Bilongo.

M. Carlos Martens Bilongo. En complément de l’amendement de M. Le Vigoureux, nous proposons que le rapport fasse état des démarches réalisées vis-à-vis des propriétaires et des ayants droit.

Mme Fabienne Colboc, rapporteure. Le rapport vise à dresser l’inventaire des biens culturels des collections publiques, des collections des musées de France de droit privé à but non lucratif et des biens figurant à l’inventaire « musées nationaux récupération » ayant fait l’objet d’une restitution à leurs ayants droit au cours des deux années écoulées.

La recherche de provenance est un enjeu capital pour garantir l’effectivité du dispositif. À cet égard, il est également nécessaire de développer des formations adaptées et de faire en sorte que des professionnels de la question travaillent dans les établissements publics concernés. Néanmoins, le sujet s’éloigne de l’objet même du rapport. Si je vous rejoins quant à la nécessité de s’intéresser aux moyens alloués à la recherche de provenance, il me semble que l’examen du budget donnera toute possibilité à la représentation nationale d’ouvrir ce débat. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

La commission adopte l’article 4 modifié.

Après l’article 4

Amendement AC32 de M. Jérémie Patrier-Leitus.

M. Jérémie Patrier-Leitus (HOR). Cet amendement ne relève sans doute pas du législatif et vous allez me demander de le retirer – ce que je ferai –, mais il me permet d’insister sur un moment solennel qu’il convient d’instaurer et sur lequel je souhaite que vous vous engagiez, madame la ministre, madame la rapporteure.

La restitution d’œuvres spoliées donnera donc lieu, tous les deux ans, à la publication d’un rapport. La lecture des noms est une pratique mémorielle déjà utilisée pour commémorer les victimes du génocide et les héros de la résistance juive lors de la journée de la Shoah, organisée au Mémorial de la Shoah. Une lecture publique à l’Assemblée nationale et au Sénat, dont les modalités précises seraient définies par décret, permettrait à la fois de faire connaître les œuvres concernées par les restitutions – ou les autres modalités de réparation – et de commémorer les victimes des spoliations.

Mme Fabienne Colboc, rapporteure. Je comprends tout à fait votre préoccupation : vous souhaitez que le Parlement se saisisse de la question des restitutions. C’était aussi le souhait de notre collègue Raphaël Gérard. Il y a une dimension solennelle dans les restitutions, et la loi de février 2022 avait suscité beaucoup d’intérêt et d’émotion parmi le grand public. Néanmoins, c’est à nous de trouver les moyens de nous emparer de la question. Du reste, votre amendement ne relève pas du domaine de la loi. Je vous demande donc de bien vouloir le retirer.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’ensemble du projet de loi modifié.

Mme la présidente Isabelle Rauch. Je tiens à remercier Mme la rapporteure et Mme la ministre pour les précisions qu’elles ont apportées.

Je vous remercie également toutes et tous, chers collègues, pour la bonne tenue de nos débats. Nous examinions ce soir un projet très important pour l’ensemble de la nation.

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En conséquence, la commission des Affaires culturelles et de l’éducation demande à l’Assemblée nationale d’adopter le présent projet de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

 Texte adopté par la commission : https://assnat.fr/SQDwRR

 Texte comparatif : https://assnat.fr/hA9uKj


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Annexe N° 1 :
liste des personnes auditionnées par la rapporteure

(par ordre chronologique)

       Audition commune des représentants du ministère de la Culture :

 M. Yannick Faure, chef du service des affaires juridiques et internationales

 M. Hughes Ghenassia de Ferran, sous-directeur des affaires juridiques – service des affaires juridiques et internationales

– M. David Zivie, responsable de la mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945

 Mme Claire Chastanier, adjointe au sous-directeur des collections au service des musées de France – direction générale des patrimoines et de l’architecture (DGPA)

– M. Pierre-Jean Riamond, chef du bureau du patrimoine au service du livre et de la lecture – direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC)

       Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations (CIVS) – M. Michel Jeannoutot, président, Mme Claude Bitter, rapporteure générale, M. Gilles Bon-Maury, directeur, Mme Sylviane Rochotte, responsable du secrétariat des séances

       Fondation pour la mémoire de la Shoah – M. Philippe Allouche, directeur général

       Mme Corinne Bouchoux, historienne, ancienne sénatrice, rapporteure en 2013 de la mission d’information de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication sur les œuvres d’art spoliées par les nazis

       Syndicat national des maisons de ventes volontaires * M. Jean-Pierre Osenat, président, Mme Chloé Thibault, délégué général, et Mme Marine Barrier-Champon, déléguée générale adjointe

       Association pour le soutien aux travaux de recherche engagés sur les spoliations (Astres) – Mme Corinne Hershkovitch, présidente, avocate à la cour

       Audition commune

– Établissement public du musée du LouvreM. Kim Pham, administrateur général, et Mme Emmanuelle Polack, chargée d’études et de recherche à la direction du soutien aux collections, historienne de l’art

– M. Emmanuel Coquery, ancien directeur adjoint de la conservation et des collections de l’établissement public du musée d’Orsay et de l’Orangerie

– Bibliothèque nationale de France (BNF)Mme Laurence Engel, présidente, Mme Anne Pasquignon, adjointe à la directrice des collections, et M. Nicolas Feau, conseiller auprès de la présidente

– Établissement public de la Cité de la musique-Philharmonie de Paris, – Mme Marie-Pauline Martin, directrice du musée national de la Musique

       Musée d’art et d’histoire du judaïsme (Mahj) – M. Paul Salmona, directeur

       Institut national d’histoire de l’art (Inha)M. Éric de Chassey, directeur général, et Mme Inès Rotermund-Reynard, cheffe du projet « Répertoire des acteurs du marché de l’art en France sous l’Occupation »

       Généalogistes de France *M. Cédric Dolain, président, M. Gérald Postansque, secrétaire général, et M. Pierre Simon, consultant senior chez Taddeo

       Mme Claire Andrieu, historienne

       M. Jean-Luc Martinez, ambassadeur pour la coopération internationale dans le domaine du patrimoine, ancien président-directeur de l’établissement public du musée du Louvre

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.


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Annexe N° 2 :
Contributions Écrites

       Mme Claire Andrieu, historienne

       M. Johann Chapoutot, historien

       M. Laurent Joly, historien

       M. Vincent Rigau-Jourjon, directeur du pôle arts et patrimoine, ville de Brive-la-Gaillarde

       Mme Annette Wievorka, historienne


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Annexe N° 3 :
textes susceptibles d’être abrogés ou modifiés
à l’occasion de l’examen du projet de loi

 

Proposition de loi

Dispositions en vigueur modifiées

Article

Codes et lois

Numéro d’article

1er

Code du patrimoine

Section 2 du chapitre V du titre Ier du livre Ier [section et articles L. 115-2 à L. 115-4 – nouveaux]

2

Code du patrimoine

L. 451‑10‑1 [nouveau]

 

 

 


([1]) David Zivie, Mission sur le traitement des œuvres et biens culturels ayant fait l’objet de spoliations pendant la Seconde Guerre mondiale, « Des traces subsistent dans des registres… ». Biens culturels spoliés pendant la seconde guerre mondiale : une ambition pour rechercher, retrouver, restituer et expliquer, février 2018.

([2]) Rapport fait au nom de la commission des affaires culturelles et de l’éducation sur le projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites, Mme Fabienne Colboc, Assemblée nationale, 18 janvier 2022, XVe législature, n°4919.

([3]) Journal officiel de l’autorité établie par l’ordonnance du 3 juin 1943 instituant le Comité français de la libération nationale. Parallèlement était publié le « Journal officiel de l’État français », émanation du régime instauré le 10 juillet 1940 après l’attribution des pleins pouvoirs au maréchal Pétain.

([4]) Par l’ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l’ennemi et sous son contrôle.

([5]) Isabelle le Masne de Chermont et Didier Schulmann, Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France, Le Pillage de l’art en France pendant l’occupation et la situation des 2 000 œuvres confiées aux musées nationaux, 2000.

([6]) Le pillage des appartements et son indemnisation, rapport rédigé par Annette Wieviorka et Floriane Azoulay, pp. 23-24, citant les recherches de Willem de Vries.

([7]) Rapport cité supra.

([8])  Elle était placée au sein de l’Office des biens et intérêts privés (OBIP), organe préexistant et créé après la première guerre mondiale pour veiller à l’application des clauses économiques du traité de Versailles relatives aux problèmes de biens privés.

([9]) Ces points de rassemblement étaient situés à Düsseldorf en zone britannique, Baden-Baden en zone française et surtout Munich et Wiesbaden en zone américaine.

([10]) Les données de ce paragraphe sont issues du rapport précédemment cité : Isabelle le Masne de Chermont et Didier Schulmann, Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France, Le Pillage de l’art en France pendant l’occupation et la situation des 2 000 œuvres confiées aux musées nationaux, 2000.

([11]) Allocution de Jacques Chirac, Président de la République, prononcée lors des cérémonies commémorant la grande rafle des 16 et 17 juillet 1942.

([12]) Décret n° 99-778 du 10 septembre 1999 instituant une commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation.

([13]) Article 1er du décret du 1er octobre 2018 : « La commission est également compétente pour proposer au Premier ministre, de sa propre initiative ou à la demande de toute personne concernée, toute mesure nécessaire de restitution ou, à défaut, d’indemnisation, en cas de spoliations de biens culturels intervenues du fait de législations antisémites en vigueur pendant l’Occupation, notamment lorsque ces biens ont été intégrés dans les collections publiques ou récupérés par la France après la Seconde Guerre mondiale et confiés depuis lors à la garde des musées nationaux ».

([14]) Décret n° 2019-328 du 16 avril 2019 modifiant le décret n° 2009-1393 du 11 novembre 2009 relatif aux missions et à l’organisation de l’administration centrale du ministère de la culture et de la communication ; arrêté du 16 avril 2019 portant création de la mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945.

([15]) Bilan communiqué par la CIVS, à la date du 31 décembre 2022.

([16]) Ainsi, à titre de comparaison, le principe d’inaliénabilité des collections publiques n’est pas reconnu juridiquement en Allemagne.

([17]) L’aliénation des collections publiques, étude de législation comparée n° 191,Sénat, décembre 2008.

([18]) Recension effectuée sur leur site : https://www.beratende-kommission.de/en/recommendations

([19])  Loi n° 2022-218 du 21 février 2022 relative à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites.

([20]) Dont les critères sont définis à l’article L. 2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques : l’« intérêt public du point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie, de la science ou de la technique ».

([21]) Décret n° 2021-979 du 23 juillet 2021 relatif à la procédure de déclassement de biens mobiliers culturels et à la déconcentration de décisions administratives individuelles dans le domaine de la culture.

([22]) Ordonnance du 21 avril 1945 portant deuxième application de l’ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l’ennemi.

([23]) Avis du Conseil d’État du 7 octobre 2021 sur le projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites.

([24]) Cette information figure dans l’étude d’impact du projet de loi et a été confirmée lors de l’audition des représentants du ministère de la Culture par la rapporteure, et par la ministre lors de son audition devant la commission des affaires culturelles le 20 juin 2023.

([25]) Selon l’article L. 451-10 du code du patrimoine, les biens des collections des musées de France appartenant aux personnes morales de droit privé à but non lucratif acquis par dons et legs ou avec le concours de l’État ou d’une collectivité territoriale ne peuvent être cédés, à titre gratuit ou onéreux, qu’aux personnes publiques ou aux personnes morales de droit privé à but non lucratif qui se sont engagées, au préalable, à maintenir l’affectation de ces biens à un musée de France.

([26]) Mme Claire Andrieu, M. Johann Chapoutot, M. Laurent Joly et Mme Annette Wievorrka.

([27]) Le RAMA : https://agorha.inha.fr/database/76

([28]) Voir pour plus de détails voir le programme de recherche : https://www.inha.fr/fr/actualites/actualites-de-l-inha/en-2020/documents-spolies-pendant-la-seconde-guerre-mondiale-identifies-dans-les-collections-de-la-bibliotheque-de-l-institut-national-d-histoire-de-l-art.htm

([29]) Compte rendu n° 52, commission des affaires culturelles et de l’éducation, 20 juin 2023, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/cion-cedu/l16cion-cedu2223052_compte-rendu#  

([30]) Rassemblement Démocratique et Social Européen

([31]) Généalogistes de France est l’organisation nationale représentative des professionnels de la généalogie. Selon son site internet, elle « fédère 95 % des acteurs de la profession à travers deux spécialisations : la généalogie successorale et la généalogie familiale » https://genealogistes-france.org/  

([32])  Amendement de Mme Monique de Marco (Écologiste – Solidarité et Territoires).

([33])  Amendement de M. Bernard Fialaire (Rassemblement Démocratique et Social Européen).

([34])  Amendement de M. Pierre Ouzoulias (Communiste Républicain Citoyen et Écologiste).

([35])  Amendement de Mme Nathalie Goulet (Union centriste).

([36]) Amendement de Mme Béatrice Descamps (LIOT).

([37]) Amendement de Mme Caroline Yadan et M. Fabrice Le Vigoureux (Renaissance).

([38]) Amendement de M. Jérémie Patrier- Leitus (Horizons).

([39])  Amendement de M. Fabrice Le Vigoureux (Renaissance).

([40])  Cet article dispose que : « Les biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont, à ce titre, inaliénables ».

([41]) Dans sa décision n° 2018-743 QPC du 26 octobre 2018, Société Brimo de Laroussilhe.

([42]) Cet article dispose que : « Les collections des musées de France sont imprescriptibles ».

([43]) Soit l’État, les collectivités territoriales, leurs groupements et les établissements publics.

([44]) Projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal, n° 3221, déposé le jeudi 16 juillet 2020. Dossier législatif : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/restitution_biens_culturels_Benin_Senegal?etape=15-AN1-DEPOT  

([45]) L’étude d’impact du présent projet de loi indique en effet en page 5 et 6 : « Le projet de loi prévoit ainsi que la personne publique propriétaire prononce la sortie du domaine public de tout bien culturel qui s’est révélé avoir été spolié entre le 30 janvier 1933 et le 8 mai 1945, aux seules fins de sa restitution, après avis d’une commission administrative spécialisée, qui sera la Commission pour l’indemnisation des victime de spoliations créée en 1999, chargée d’établir les faits, d’apprécier l’existence et les circonstances de la spoliation dans le contexte des persécutions antisémites de la période nazie et de recommander la restitution du bien à ses propriétaires légitimes : la personne spoliée elle-même ou, le plus souvent désormais, ses ayants droit ».

([46]) Amendement de M. Pierre Ouzoulias (CRCE)

([47]) Amendement de Mme Nathalie Goulet (Union Centriste)

([48]) Amendement de Mme Monique de Marco (Écologiste).

([49]) Jean-Luc Martinez, Patrimoine partagé : universalité, restitutions et circulation des œuvres d’art, 27 avril 2023.

([50])  Au 18 avril 2023, 170 biens MNR avaient été restitués depuis 1950. Source : ministère de la Culture, Biens Musées Nationaux Récupération (MNR)

([51]) L’exposition a également été présentée au Musée d’Israël en 2008, les œuvres étant exceptionnellement autorisées à quitter le territoire français.