N° 1526

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 12 juillet 2023.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

relative aux suites de la conférence sur l’avenir de l’Europe

PAR M. JEAN-LOUIS BOURLANGES,

Député.

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Voir le numéro : 1357


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SOMMAIRE

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Introduction :

Redéfinir le processus d’élargissement, un enjeu décisif pour l’avenir de l’Europe

I. Tirer les leçons de l’historique des élargissements

A. L’élargissement au service de l’approfondissement

B. Les nouveaux défis dans l’après guerre froide

1. Un triple défi

a. Le défi de l’identité

b. Le défi de la gouvernance

c. Le défi géopolitique

2. Les critères de Copenhague : ambitions et limites

3. Le choc de la guerre

C. Un processus en crise

II. Éliminer les obstacles structurels à l’élargissement

A. Surmonter la crise identitaire de l’Union

1. Les droits fondamentaux sont partie prenante de l’identité de l’Union

2. La primauté du droit communautaire est également partie intégrante de l’identité de l’Union

B. Relever le défi géopolitique

C. gérer l’hétérogénénité croissante de l’espace européen

1. Gérer le nombre

2. Corriger les déséquilibres de représentation entre les États et citoyens

3. Lutter contre les inégalités économiques et sociales à l’intérieur de l’Union

4. Prendre en compte les inégalités de maturité démocratique au sein de l’espace européen

III. Réviser la procédure de négociation-adhésion

A. Combiner gradualisme et flexibilité

B. Une adhésion en trois étapes

1. La première étape : l’engagement politique

2. La deuxième étape : l’acculturation administrative

3. La troisième étape : l’adhésion à part entière à l’Union européenne

TRAVAUX DE LA COMMISSION

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNNÉES

 


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Introduction :

Redéfinir le processus d’élargissement, un enjeu décisif pour l’avenir de l’Europe

Le projet de conférence sur l’avenir de l’Europe avait été imaginé et présenté aux citoyens européens par le président de la République dans sa « lettre aux Européens », publiée au cours de la campagne des élections européennes de mai 2019. L’objet en était de « proposer tous les changements nécessaires à notre projet politique, sans tabou, pas même la révision des traités ». Le projet s’est concrétisé avec retard du fait de la pandémie de la Covid-19 et la conférence n’a vu le jour que le 9 mai 2021 pour une durée dun an.

La mobilisation inédite de panels de citoyens nationaux et européens a débouché sur la formulation de quarante-neuf propositions, déclinées en trois cent vingt-six mesures. Elle a permis didentifier les principales préoccupations des citoyens européens consultés, quil sagisse de la protection des données, de la santé ou de limmigration. Elle a également témoigné de leur volonté de voir lUnion sengager davantage au service effectif de leur protection et s’attacher à la mise en œuvre de politiques publiques plus concrètes. Les concitoyens européens consultés nont pas manifesté de défiance particulière à l’égard de lUnion mais ils ont exprimé leur besoin dune Europe plus présente et plus proche, la succession de crises économiques, sanitaires et géopolitiques suffisant à démontrer l’évident intérêt d’une puissante intervention publique conduite au niveau européen.

La conférence sur l’avenir de l’Europe a souligné avec force la nécessité de repenser en profondeur et dans toutes ses dimensions le projet européen. Elle nous a fait aborder sur des bases intellectuelles et politiques profondément renouvelées la question qui se pose aujourd’hui avec une urgence particulière, celle de l’élargissement de l’Union européenne aux États des Balkans occidentaux, ainsi que, désormais, à l’Ukraine, à la Moldavie et même à la Géorgie. La gestion des nouveaux élargissements sera sans nul doute le banc d’essai des innovations nécessaires à la survie et au développement d’une Union européenne en mutation. Les hommes, a dit le vieux sage, « ne se posent que les questions qu’ils peuvent résoudre » ; il aurait pu ajouter : « et qu’ils ont le devoir de résoudre ». Une chose est sûre : au lendemain de la conférence sur l’avenir de l’Europe, la question des futurs élargissements de l’Union européenne est par excellence de celles-là.

Penser l’avenir de l’Europe, à la suite de la conférence dédiée à cet objectif, c’est donc d’abord s’obliger à repenser un processus d’élargissement bouleversé par les déséquilibres du monde et s’attacher à en redéfinir la nature, les étapes et le rythme. L’objet du présent rapport est d’apporter une contribution, celle de l’Assemblée nationale, à ce travail nécessaire de remise en perspective de ce qui est plus que jamais un enjeu décisif pour le développement de l’Union européenne.

 


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I.   Tirer les leçons de l’historique des élargissements

Initialement composée de six États membres, la Communauté européenne, devenue par le traité de Maastricht de 1992 l’Union européenne, en compte aujourd’hui vingt-sept. Pendant les années de Guerre froide, elle s’est successivement ouverte à trois États de l’Europe du Nord (le Royaume-Uni, l’Irlande et le Danemark en 1973), puis à trois États de l’Europe du Sud (la Grèce en 1981, puis l’Espagne et le Portugal en 1986). Le démantèlement du « rideau de fer » et l’éclatement de l’Union soviétique ont entraîné à leur tour, outre l’intégration à la République fédérale d’Allemagne donc aux communautés européennes du territoire de l’ancienne République démocratique allemande, deux vagues successives d’adhésion : celle des trois États neutres (Autriche, Suède et Finlande en 1995) que leur souci ou leur obligation d’équidistance entre l’Est et l’Ouest avait jusque-là tenus à l’écart de l’aventure européenne en dépit de leur adhésion au même modèle politique que les douze États membres, et celle des États issus du « socialisme réel » en vigueur dans l’espace antérieurement contrôlé par l’Union soviétique (Pologne, Tchécoslovaquie, bientôt divisée en deux, Hongrie, États baltes et Bulgarie), en Roumanie et dans l’ancienne Yougoslavie (Slovénie et Croatie) entre 2004 et 2013.

La constance du processus d’élargissement de l’Union européenne suffit à démontrer qu’il s’agit là d’une composante majeure de la construction européenne, à tel point que la propension de l’Union à accueillir régulièrement de nouveaux membres fait partie intégrante de son identité politique. Les Français ont pourtant tendance à se faire de tout élargissement une image plutôt négative. Celui‑ci est le plus souvent analysé à Paris comme la négation de l’approfondissement, c’est-à-dire comme une fuite en avant dissimulant le refus d’étendre les compétences transférées à l’Union et de renforcer les institutions communes destinées à les gérer.

Cette vision est partiellement erronée. La vérité, c’est que l’histoire des élargissements n’est pas un long fleuve tranquille et que les vagues successives d’adhésion des nouveaux États membres s’inscrivent dans deux périodes fortement contrastées et inégalement novatrices, deux périodes séparées par la césure de la chute du « rideau de fer » et de la disparition de l’Union soviétique. Les élargissements de la première période ont ceci de particulier qu’ils combinent, au rebours de l’opinion dominante des Français qui tend à les opposer, les deux logiques de l’élargissement et de l’approfondissement.

En dépit des trois traités d’Amsterdam (1997), de Nice (2001) et de Lisbonne (2007) dont l’objet est de parachever la démocratisation des institutions européennes engagée par le traité de Maastricht (1992), les élargissements de la seconde période se sont en revanche pratiquement faits à enjeu constant et à règles inchangées. Non seulement l’élargissement de l’Union a été conduit en dehors de toute ambition parallèle d’approfondissement, ce qui a conduit à une détérioration de la gouvernance européenne, imparfaitement compensée par la démocratisation du système, mais il s’est accompagné, ces dernières années, chez certains, d’une remise en cause des principes institutionnels de l’Union éminemment propre à multiplier les déséquilibres et les blocages paralysant toute gestion raisonnable des adhésions potentielles. En outre, le choc de la guerre en Ukraine et la « brutalisation » des relations internationales qui l’accompagne ont transformé en profondeur l’enjeu des élargissements futurs obligeant ainsi les responsables politiques de l’Union à penser autrement que par le passé la question de l’adhésion potentielle tant des candidats de l’Europe la plus orientale que de ceux des Balkans occidentaux.

A.   L’élargissement au service de l’approfondissement

Les premiers élargissements de la Communauté économique européenne (CEE) s’inscrivent tous dans une démarche que l’on peut qualifier de vertueuse, combinant chaque fois trois séries de transformation menées en parallèle : une extension territoriale concrétisée par l’adhésion d’un ou de plusieurs nouveaux membres ; l’introduction d’une politique nouvelle, associée ou non à l’attribution par traité à la CEE de compétences inédites ; l’adoption enfin de règles institutionnelles et budgétaires destinées à faciliter la concrétisation de ces politiques innovantes. L’idée sous-tendant cette démarche était d’associer le lourd effort demandé au candidat contraint d’assumer un « acquis communautaire » constitué avant son adhésion sans souci de ses intérêts spécifiques, à l’octroi d’une gratification particulière, un don de joyeux avènement, serait-on tenté de dire, constitué par une initiative inédite conçue tout exprès pour répondre à une attente forte du nouvel État membre.

Concrètement, ces cycles vertueux associant élargissement territorial, enrichissement politique et approfondissement institutionnel ont déroulé leurs phases successives à trois reprises jusqu’à l’adoption du traité de Maastricht en 1992. L’adhésion du Royaume-Uni, du Danemark et de l’Irlande a été le point de départ de la phase de libéralisation de la communauté économique, qui a conduit en 1985 à l’adoption de l’Acte unique européen instituant le grand marché intérieur. Le libéralisme britannique et l’interventionnisme français ont alors  donné naissance à une politique de libéralisation-harmonisation de grande ampleur, entraînant dans son sillage deux transformations institutionnelles majeures : le recours systématique au vote à la majorité qualifiée pour l’adoption des centaines de directives d’harmonisation exigées par les Français en contrepartie de la libéralisation du marché intérieur, et l’introduction effective, via la procédure dite de « coopération », du Parlement européen dans le processus législatif. Le long intervalle séparant l’adoption du traité d’adhésion de celle de l’Acte unique ne doit pas prêter à confusion. Il s’explique par l’interminable développement de la querelle budgétaire menée par Margaret Thatcher, querelle qui a eu pour effet de différer jusqu’au Conseil européen de Fontainebleau de 1984 la date réelle de la pleine et entière adhésion politique du Royaume-Uni à la CEE.

On observe un phénomène de même nature à l’occasion de l’adhésion des États ibériques, Espagne et Portugal, ainsi que de la Grèce. Ces adhésions vont donner naissance à une vaste politique dite de « cohésion » bénéficiant principalement aux États dont la population disposait d’un revenu par habitant inférieur à la moyenne communautaire. Révolution considérable sur le plan budgétaire puisqu’elle aboutissait à placer les crédits consacrés à la Cohésion presque au même niveau que ceux de la politique agricole commune et que, de surcroît, elle donnait sur ces dépenses, bizarrement qualifiées de « non obligatoires », le dernier mot au Parlement européen, lui permettant de devenir l’une des deux branches effectives de l’autorité budgétaire.

Il est difficile de ne pas voir la même logique à l’œuvre que dans les épisodes précédents, à l’occasion de la gestion de cette adhésion pas tout à fait comme les autres qu’a constituée l’intégration au sein de la République fédérale d’Allemagne des territoires de l’ancienne République démocratique allemande. À cette différence près qu’en l’espèce, c’est l’Allemagne, bénéficiaire de la réunification, qui a consenti en contrepartie à ses partenaires les trois changements majeurs que sont, outre la transformation de la communauté en Union européenne et l’institution virtuelle d’une politique étrangère et de sécurité commune (PESC), la création d’une monnaie unique et d’une banque centrale indépendante des États membres pour la gérer, ainsi qu’un ensemble de dispositions, telle la procédure de codécision, visant à faire du Parlement européen un acteur législatif à part entière et à instituer par le jeu de l’harmonisation des calendriers de l’élection européenne et de la formation de la Commission, puis par l’introduction d’une procédure  d’approbation par le parlement de la composition de la Commission, une véritable responsabilité politique de la seconde devant le premier.

Loin d’exposer la construction européenne au risque de dilution généralement perçu par l’opinion, les élargissements ainsi conçus ont donc été les moteurs d’un approfondissement institutionnel et politique continu de l’entreprise communautaire. Il en ira, en revanche, tout autrement dans les phases ultérieures de l’aventure européenne.

B.   Les nouveaux défis dans l’après guerre froide

La dislocation de l’Union soviétique et l’adoption du traité de Maastricht destiné à tirer au plan européen les conséquences du bouleversement de l’ordre international posent, depuis une trentaine d’années, à ce qui s’intitule à présent l’Union européenne les trois questions qui devraient dominer le débat sur le processus d’élargissement, objectifs et procédures confondus : celle de l’identité de l’Union européenne, celle de la capacité institutionnelle à gérer une communauté politique de plusieurs dizaines d’États membres et celle enfin de l’aptitude à assumer la dimension géopolitique du projet européen redéfini.

1.   Un triple défi

a.   Le défi de l’identité

La première de ces questions, c’est bien celle de l’identité, non pas seulement l’identité de l’Europe, cette réalité géographique forte mais incertaine à l’Est et même au Sud, mais surtout celle, plus étroite, de l’Union européenne. Elle se formule ainsi : par quoi faut-il remplacer les frontières disparues de la Guerre froide ? Il semble difficile de répondre à une telle interrogation autrement que par le rappel des valeurs fondatrices du pacte d’union, c’est-à-dire de l’humanisme démocratique, des libertés fondamentales à commencer par la liberté de conscience, et d’un État de droit garanti par la hiérarchie des normes et la séparation des pouvoirs.

Cette référence aux valeurs et aux principes institutionnels des États concernés est toutefois insuffisante. Il faut y ajouter, au titre de l’acquis communautaire, l’acceptation d’un système institutionnel commun fondé sur des procédures décisionnelles intégrées et, dans le cadre des compétences transférées, sur la primauté inévitable du droit communautaire sur celui des États membres, c’est-à-dire du droit du contrat sur celui des parties au contrat. Il y a là un corpus juridique et politique constitutif d’une identité commune aux membres de l’association, propre à justifier le développement de ce que Jürgen Habermas a justement qualifié de « patriotisme institutionnel ».

b.   Le défi de la gouvernance

La deuxième question, c’est précisément celle des institutions mais posée cette fois-ci en termes, non d’identité de la communauté, mais d’équilibre démocratique et d’efficacité gouvernementale. Comment préserver dans une Union destinée à compter plus de trente États membres un système décisionnel conçu pour une communauté de six membres et peinant quelque peu dès 1992 à fonctionner avec deux fois le nombre initial ? Comment maintenir un équilibre satisfaisant entre les deux injonctions contradictoires d’égalité entre les citoyens, d’un côté, et les États, de l’autre ?

La première de ces deux injonctions est nécessairement regardée avec méfiance par les représentants de tous les États petits et moyens, la seconde étant revendiquée avec énergie par ces mêmes États (vingt sur vingt-sept), qui entendent ainsi disposer d’une majorité absolue des suffrages, par exemple, à la Commission, avec des hommes ou des femmes représentant moins de 10 % de la population totale de l’Union. Si l’objectif était de maintenir l’équilibre initial – constitutif, faut-il le rappeler, de l’équilibre de principe recherché par le fédéralisme –, il faut admettre qu’il était loin de pouvoir être atteint dès lors que l’Union se destinait à intégrer un nombre impressionnant d’États de dimension moyenne, voire modeste, propres à ruiner cet équilibre premier. Le principe d’un membre de la Commission, d’un juge à la Cour de Justice ou d’un membre de la Cour des comptes par État membre a abouti à une déformation évidemment abusive et profondément dysfonctionnelle du système représentatif.

c.   Le défi géopolitique

La fin de la Guerre froide avait donné des ailes politiques à l’Union européenne. La tentation de briser le partage des rôles entre la communauté européenne, en charge des échanges économiques et de la convivialité intra‑européenne, et la communauté atlantique, en charge de la sécurité ouest‑européenne, avait fini par s’imposer et le traité de Maastricht avait affiché, dans le cadre d’un troisième pilier prudemment intergouvernemental, l’ambition de jeter les bases d’une politique extérieure et de sécurité commune. Logiquement, l’affirmation d’une solidarité géopolitique explicite devait sinon prendre le relais de la volonté de participer au marché intérieur, du moins accompagner celle-ci dans la démarche d’adhésion à l’Union européenne. La dégradation ultérieure des relations entre l’Europe occidentale et la fédération de Russie comme avec les États et les groupes islamo-terroristes ne pouvait que confirmer l’exigence d’une solidarité géopolitique forte, à la base de toute démarche cohérente d’élargissement de l’Union. Pour que le processus d’élargissement de l’Union soit assuré, il aurait fallu que ces trois questions reçoivent des réponses satisfaisantes. Tel n’a manifestement pas été le cas.

2.   Les critères de Copenhague : ambitions et limites

Afin de relever les défis posés à la politique d’élargissement, les États membres se sont accordés en 1993 dans le cadre du Conseil européen de Copenhague sur une déclaration précisant les critères des futures adhésions des États candidats. Ces critères sont au nombre de trois : un critère institutionnel, l’existence chez l’État candidat d’institutions démocratiques, garantissant l’État de droit, les libertés fondamentales et le respect des minorités ; un critère économique, l’existence d’une économie de marché capable d’affronter la concurrence au sein de l’Union ; un critère politique, l’acceptation de l’acquis communautaire, c’est-à-dire la volonté d’assumer toutes les obligations découlant de l’acceptation des objectifs de l’Union politique, économique et monétaire.

À ces trois critères, il fallait en ajouter un quatrième, créant des obligations non pas  aux États candidats mais à l’Union elle-même, qui se voyait priée de procéder en son sein aux réformes lui permettant de fonctionner dans des conditions satisfaisantes au terme des élargissements projetés. Il s’agissait là, à l’évidence, des dispositions institutionnelles propres à préserver la capacité décisionnelle de l’Union (extension du vote à la majorité qualifiée et primauté confirmée du droit communautaire) ainsi qu’à garantir un juste équilibre entre les deux égalités, celle des citoyens et celle des États, au sein des institutions de l’Union.

Ces principes de bon sens étaient bienvenus et auraient pu constituer le cadre d’une politique réussie d’élargissement de l’Union, s’ils avaient été plus précis et surtout interprétés avec plus de rigueur intellectuelle, une rigueur qui s’est révélée singulièrement défaillante au cours des trente dernières années. En vérité, aucun des trois défis lancés à l’Union européenne n’a été relevé de façon satisfaisante. Au cours des négociations, les exigences relatives à l’identité, c’est-à-dire la reconnaissance des principes démocratiques et des procédures décisionnelles communes, ont été opposées au cours des négociations aux candidats de façon très inégale et l’évidente incapacité à y satisfaire, voire la claire volonté de s’y soustraire, manifestées dès le début de la part de certains États comme la Turquie, ont été systématiquement ignorées ou sous‑estimées par les gouvernements comme par les institutions communes. Ces défaillances n’ont pas peu contribué à plonger l’Union dans une crise identitaire dans laquelle, la mauvaise foi de certains nouveaux membres prompts à revenir sur leur signature s’ajoutant à l’imprécision des critères fixés à Copenhague, elle ne cesse de s’enfoncer jour après jour au risque de se disloquer.

Il en va de même du défi relatif à la bonne gouvernance de l’Union. Dès les premières négociations d’élargissement à la Suède, à l’Autriche et à la Finlande, les États membres, suivis à son corps défendant par la Commission européenne, ont choisi de refuser les aménagements institutionnels proposés par le Parlement européen et, après les avoir renvoyés de traité en traité, se sont résignés à laisser pratiquement en l’état un système institutionnel déséquilibré, partiellement paralysé, et de surcroît partiellement progressivement perverti par la participation aux institutions communes d’États « illibéraux » ou corrompus.

Quant au défi géopolitique, que le traité de Maastricht avait fait la promesse de relever, il a été d’emblée oublié, la neutralité des trois premiers États - l’Autriche, la Suède et la Finlande - à avoir adhéré après la fin de la Guerre froide ayant été purement et simplement ignorée par des négociateurs trop heureux d’accueillir des pays à l’économie développée, potentiellement contributeurs nets de surcroît, capables de soutenir la seule épreuve qui comptait à leurs yeux, celle de la compétition économique dans le cadre du marché intérieur. Trente ans plus tard, la guerre aux marches de l’Europe nous rappelle toutefois que la solidarité géopolitique, bien davantage que l’aptitude à assumer les disciplines du marché intérieur, est la vraie pierre de touche d’une authentique construction européenne.

3.   Le choc de la guerre

C’est un fait que la transformation des enjeux, procédures et usages du processus de négociation-adhésion, dont la nécessité avait été longtemps ignorée malgré les bonnes intentions de Maastricht et l’affichage des critères de Copenhague, s’impose aujourd’hui du fait de l’irruption brutale des affrontements géopolitiques dans l’agenda européen. Le bouleversement contextuel majeur, c’est bien le retour de la guerre sur le continent européen. L’invasion russe de l’Ukraine en 2022 n’est pas un fait isolé mais trouve sa place dans une stratégie globale de contestation d’un monde abusivement qualifié par Vladimir Poutine d’unipolaire et jugé, à ce titre, dès 2007 comme « non seulement inadmissible mais également impossible » pour la Russie. La suite des évènements nous est familière : l’agression de la Géorgie en 2008, l’annexion illégale de la Crimée et le déclenchement de la guerre dans la région ukrainienne du Donbass en 2014, ainsi que la vassalisation progressive de la Biélorussie sont autant de tentatives menées par la Fédération de Russie pour reconstituer son empire perdu, russe ou soviétique, en dépit de toutes les règles du droit international.

Non seulement l’agression de l’Ukraine n’est qu’un élément, fût-il le plus odieux et le plus téméraire, d’une stratégie globale de la Russie en vue de reconstituer son empire, mais Moscou n’a pas le monopole du retour au cynisme et à la violence décomplexée, pas plus que celui de la contestation des valeurs, des intérêts et de l’unité de l’Union européenne. La Turquie, membre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et toujours théoriquement candidate à l’adhésion, a pris l’habitude de faire cavalier seul aux marges de trois mondes disjoints et de moins en moins solidaires. Or un allié qui oscille ou un ami qui vacille pose à ses partenaires des problèmes particulièrement complexes, le désamour étant par nature plus difficile à gérer que la franche hostilité. La République populaire de Chine investit progressivement les économies et les sociétés européennes, tandis que l’islamisme révolutionnaire fait peser sur la sécurité des Européens et sur l’avenir de notre système politico-social de redoutables menaces. L’Union européenne peine à réguler ses flux migratoires comme à préserver son indépendance stratégique, technologique et économique, y compris vis-à-vis de ses alliés américains, dans un contexte marqué par une fragmentation de plus en plus agressive et risquée de ce qu’on n’ose plus appeler la communauté internationale. L’Union européenne qui se voyait il y a trente ans marcher sereinement à la tête d’une humanité réconciliée autour des valeurs de l’humanisme démocratique se retrouve désormais en face d’une menace géopolitique multiforme qui l’oblige à penser son avenir en termes de confrontation autant que d’association avec le reste du monde.

Cette nouvelle réalité ne peut que transformer en profondeur le projet européen et renouveler notre approche du processus d’élargissement de l’Union. Celle-ci entend bien rester ce foyer de civilisation et de progrès qui apporte à ceux qui la rejoignent de solides perspectives de développement mais elle est désormais contrainte d’envisager son extension au Sud et à l’Est de l’Europe à l’aune de critères géopolitiques – protéger ses États membres, sécuriser son environnement, assister ses voisins menacés dans leur souveraineté –, qui n’avaient pas dans le passé revêtu le même caractère prioritaire.  

L’Union européenne s’est construite sur deux bases : la quête d’une relation pacifiée entre ses États membres et la reconnaissance du pouvoir d’entraînement politique de l’intégration économique et du « doux commerce ». Les enjeux de sécurité géopolitique étaient, en revanche, assurés, soit au niveau de chaque État (Force nucléaire de dissuasion) soit à celui d’une communauté atlantique englobant les États de l’ouest  européen. Le retour de la violence en Europe condamne l’Union à une double révolution : un renversement des priorités, la politique prenant le pas sur l’économique comme moteur de l’intégration, une révolution copernicienne condamnant l’Europe à chercher son unité dans l’établissement d’une confrontation-association avec son environnement planétaire bien davantage que dans un effort de pacification-coopération à l’intérieur de ses frontières. Cette double révolution ne peut que bouleverser le processus – méthodes et enjeux confondus – d’élargissement.

C.   Un processus en crise

Il n’est pas surprenant, sur la base de tels constats, que le processus d’élargissement ait montré ces dernières années de sérieux signes de fatigue qui obligent à s’interroger tant sur la nature des objectifs poursuivis que sur la pertinence des méthodes choisies pour les atteindre. On en relèvera quatre :

– l’enlisement de la candidature de la Turquie, conséquence prévisible de la décision bâclée et irréfléchie de l’ouverture en 1998 des négociations d’adhésion avec ce pays et conséquence moins prévisible de la divergence croissante et assumée de l’État turc par rapport au modèle politique européen ;

– la décision prise par le peuple britannique de quitter l’Union européenne, acte hautement symbolique, puisqu’il accrédite l’idée d’une possible réversibilité d’un processus qui faisait jusque-là de l’Union le bénéficiaire d’un effet de main morte assurant un accroissement sans retour de son territoire ;

– la crise identitaire que traverse l’Union, la remise en cause des valeurs, principes et procédures constitutifs de l’acquis communautaire par certains États membres comme la Pologne et la Hongrie ne pouvant que brouiller le terme de toute négociation d’adhésion. Reconnaissons à cet égard que le seul État à avoir organisé un contre- feu à la crise identitaire de l’Union, c’est le Royaume-Uni qui, en refusant de s’associer plus longtemps à une entreprise jugée intrinsèquement perverse, en a paradoxalement souligné la cohérence et la solidité ;

– le piétinement du processus d’adhésion des États balkaniques qui n’ont pas à ce jour rejoint l’Union (Serbie, Kosovo, Macédoine du Nord, Monténégro, Bosnie‑Herzégovine et Albanie) et qui présentent une double et contradictoire caractéristique : l’urgence, face aux périls géopolitiques qui les menacent, d’un solide arrimage à l’ensemble européen, et leur évidente incapacité à remplir les conditions économiques, politiques et psychologiques d’une adhésion à part entière. Si la question de principe posée par l’élargissement de l’Union européenne vers ses marges orientales semble avoir été tranchée par les États membres, l’Union n’en est pas moins prise en tenaille par deux risques contradictoires. Il lui faut veiller à ne pas épuiser la patience de nos partenaires orientaux en renvoyant sans cesse à un avenir indéterminé la date de leur adhésion effective. À ce jeu, les Européens risqueraient gros, car un excès de procrastination pourrait leur faire perdre définitivement le soutien des pays d’Europe centrale et orientale, tentés de trouver à l’Est du continent, du côté de la Russie, de la Turquie ou de la Chine, des amis et des protecteurs moins regardants sur le plan des principes que les belles âmes de l’Europe des libertés et de l’État de droit. Il leur faut à l’inverse éviter, sous prétexte d’urgence, d’aller à marches forcées à l’élargissement au risque de brader l’acquis communautaire, de sacrifier le système institutionnel de l’Union et de laisser la gangrène d’une corruption massive gâter irrémédiablement les institutions communes. L’adhésion est peut-être perçue comme un paradis pour ceux qui ambitionnent d’accéder à l’Union mais de ce paradis la porte est assurément étroite !

II.   Éliminer les obstacles structurels à l’élargissement

Les Européens doivent faire franchir une nouvelle étape au processus d’élargissement de l’Union. La guerre qui ravage l’Ukraine et l’accentuation des pressions géopolitiques qui s’exercent sur les États balkaniques font désormais de l’extension territoriale de celle-ci, en direction tant des Balkans occidentaux que des États du « trio oriental » que sont l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie, un véritable impératif catégorique. Ce défi ne pourra être relevé de façon satisfaisante qu’à la condition de sortir des impasses dans lesquelles le processus d’élargissement s’est progressivement enlisé et de prendre toute la mesure des changements de fond qui affectent désormais la construction européenne.

Les obstacles structurels qui se dressent sur la route des élargissements ne peuvent être ni ignorés, ni contournés. Ils procèdent principalement d’une triple mutation du projet : l’apparition d’une crise identitaire qui nous a interdit jusqu’à présent de penser en des termes clairs et partagés de tous la question des frontières de l’Union ; une hétérogénéité croissante de l’espace européen qui fait peser sur la cohésion de l’Union des menaces qui peuvent se révéler délétères dès lors qu’elles sapent la confiance dans les institutions communes ; et enfin l’inscription au cœur de l’entreprise d’une dimension géopolitique de compétition et de sécurité qui tend à équilibrer, voire à supplanter en termes de priorités la vocation de l’Union à l’ouverture et aux échanges.

Il paraît difficilement imaginable de piloter les élargissements qui sont à l’ordre du jour sans avoir au préalable imaginé les voies et moyens de répondre à ces trois interrogations.

A.   Surmonter la crise identitaire de l’Union

L’Union traverse depuis plusieurs années une crise identitaire née, sur le plan idéologique, de la disparition des commodités manichéennes de la Guerre froide et, sur le plan géographique, de l’évanescence nouvelle de la frontière orientale de l’Europe, frontière qui traverse le continent eurasiatique mais peine à se définir sur des bases historiques et géographiques qui ne soient pas entachées d’arbitraire. Ce sont aujourd’hui, comme on l’a dit, l’attachement aux valeurs humanistes, le respect des libertés et droits fondamentaux, la défense de la démocratie représentative et du suffrage universel, de la séparation des pouvoirs et du pluralisme partisan, ainsi que la volonté de préserver un système institutionnel intégré fondé sur la primauté reconnue du droit de l’Union sur celui de ses différents membres qui, au-delà de l’appartenance des États à ce que les géographes s’accordent à considérer comme un territoire européen, déterminent l’identité, non de l’Europe en tant que telle, mais plus subtilement et plus étroitement celle de l’Union européenne.

Il est clair, à cet égard, que les États qui contestent aujourd’hui la primauté du droit de l’Union et récusent les droits fondamentaux solennellement reconnus dans le cadre des traités signés et ratifiés par eux, ont ouvert une crise qui n’a pas lieu d’être en raison des engagements souscrits par chacun au jour de son adhésion – pacta sunt servanda – et que la poursuite de ce contentieux abusif qui touche à l’essentiel ne peut que bloquer tout processus d’élargissement. Comment en effet imaginer de faire adhérer de nouveaux membres à une organisation incapable de définir, outre les valeurs à respecter par chacun, sa vocation, ses institutions et ses règles de fonctionnement ?

Concrètement, l’affirmation de l’identité de l’Union européenne passe par la reconnaissance solennelle de deux acquis de la construction européenne : la garantie des droits fondamentaux inscrits dans les traités européens et la primauté du droit communautaire, qui conditionne l’existence même d’une union juridiquement organisée dans le cadre d’un système institutionnel original, qui n’est ni un État fédéral ni une Union intergouvernementale mais une organisation fédérale d’États souverains.

1.   Les droits fondamentaux sont partie prenante de l’identité de l’Union

Le bon fonctionnement de l’Union européenne repose sur le respect des droits et libertés fondamentales. Le traité de Maastricht de 1992 intègre, pour la première fois, une référence aux valeurs démocratiques de l’Union, avant que le traité d’Amsterdam de 1997 n’introduise, à l’article 7 du traité sur l’Union européenne (TUE), la possibilité, pour le Conseil, de constater « l’existence d’une violation grave et persistante par un État membre des valeurs visées à l’article 2, après avoir invité cet État membre à présenter toute observation en la matière ».

Ces droits et libertés sont garantis aux articles 2 et 21 du TUE et forment la matière de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne adoptée en 2000. Leur respect revêt une place centrale dans la procédure d’adhésion à l’Union définie par la déclaration de Copenhague qui exige du pays candidat la présence d’institutions stables garantissant la démocratie, l’État de droit, les droits de l’Homme, le respect des minorités et leur protection. Ce critère s’est trouvé rehaussé par les conclusions du Conseil du 5 décembre 2011 qui rappellent que le respect des droits et libertés fondamentales, notamment discutés dans les chapitres 23 « Pouvoir judiciaire et droits fondamentaux » et 24 « Justice, liberté, sécurité », devait être abordé de manière précoce après l’ouverture des négociations et clos en fin de processus, afin de conditionner l’avancée des négociations aux progrès accomplis dans ce domaine.

La réforme de la procédure d’adhésion, adoptée en 2020, renforce encore cette logique avec la définition d’un groupe thématique transversal, le « bloc des fondamentaux », qui inclut les chapitres relatifs au secteur judiciaire, à la liberté, à la sécurité, aux droits fondamentaux et au fonctionnement des institutions démocratiques. Les négociations sur les fondamentaux sont non seulement les premières et les dernières clôturées, mais les progrès en la matière dictent leur rythme général. Un principe de réversibilité est, en effet, introduit : le processus d’intégration et de participation aux programmes de l’Union européenne, comme la possibilité de recevoir des financements européens, peut être accéléré ou ralenti, selon le rythme de mise en œuvre effective des réformes nécessaires à l’adhésion par le pays candidat. Le Conseil, sur proposition de la Commission, peut ainsi décider par un vote à la majorité qualifiée de suspendre les négociations d’adhésion, de rouvrir des chapitres déjà clos ou de réduire l’accès à des financements de l’Union.

Il n’est pas douteux que la remise en cause par certains États membres des règles, usages et garanties de la démocratie libérale percute en profondeur un processus d’élargissement qui perdrait l’essentiel de sa signification politique dès lors que le terme du voyage cesserait d’être le développement et la consolidation de l’État de droit pour tous les États membres. Il est à remarquer toutefois qu’une vigilance toute particulière s’impose dans les négociations d’élargissement dès lors que la méconnaissance des principes politiques et des garanties juridiques visés par les critères de Copenhague aurait pour effet d’affecter non seulement les droits légitimes de la population concernée mais aussi de troubler indirectement le bon fonctionnement de l’Union européenne toute entière. Tel serait pourtant le cas si se trouvait ainsi mis en cause le respect dû aux règles démocratiques, aux droits fondamentaux, à la primauté du droit de l’Union sur le droit national et si la corruption massive et le népotisme systématique n’étaient pas éradiqués sur l’ensemble du territoire de l’Union.

Les choix culturels et sociétaux liberticides doivent être partout combattus conformément aux dispositions des traités mais ils ne sauraient être le moins du monde tolérés, dès lors qu’ils conduiraient à une détérioration directe ou indirecte de l’État de droit dans l’Union et du fonctionnement démocratique des institutions communes.

2.   La primauté du droit communautaire est également partie intégrante de l’identité de l’Union

Il faut, pour éclairer la querelle de la primauté du droit communautaire, rappeler la spécificité institutionnelle du pacte ayant donné naissance à l’Union. Précisons à cet égard la nature de cette originalité qui est au cœur du pacte d’union. Un État fédéral suppose l’attribution à l’Union de ce qu’on appelle la « compétence de la compétence » ; or, l’Union européenne n’en dispose pas, les seules compétences qu’elle exerce lui étant attribuées par les États souverains. Ajoutons qu’un système intergouvernemental exclut, quant à lui, toute forme d’intégration institutionnelle contraignante alors que l’Union européenne s’est organisée comme un corps politico-administratif solidement intégré. Elle peut se voir légitimement qualifiée d’union fédérale d’États souverains. C’est dire qu’elle se présente à nous comme une organisation chargée de gérer avec des institutions et des procédures de type fédéral des compétences limitées librement transférées par des États souverains qui possèdent de ce fait, grande différence avec les États américains de l’époque lincolnienne, le pouvoir de quitter unilatéralement et en toute souveraineté l’organisation commune dès lors qu’elle aurait cessé de leur convenir.

C’est à la lumière de ces considérations que l’on doit aborder le débat qui fait aujourd’hui fureur sur la primauté du droit de l’Union sur celui des États membres. Écartons d’emblée une mauvaise querelle, en rappelant que cette primauté ne s’étend qu’aux actes juridiques pris dans le cadre de compétences explicitement transférées à l’Union, dans le cadre de traités librement négociés par des États souverains, compétences par nature enfermées dans les limites fixées par les Constitutions respectives de ceux-ci. Rappelons toutefois que ce principe ne saurait être mis en cause sans porter atteinte à l’existence-même de l’Union européenne en sa qualité de communauté juridique organisée. La contestation que l’on produit dans certains États membres emporterait avec elle, si elle devait aboutir, toute possibilité d’ordre juridique communautaire, le droit du contrat ne pouvant sans se nier lui-même  être inférieur à celui des parties au contrat.

Il s’agit là en effet, et fort logiquement, d’un principe fondateur du droit international. L’originalité de la construction communautaire est d’avoir étendu ce principe de primauté au droit dérivé, c’est-à-dire au droit produit par les institutions communes. En contester la logique revient à remettre en cause l’idée-même de la construction européenne et débouche en vérité sur la dénonciation des traités litigieux.

L’arrêt Costa contre Enel du 15 juillet 1964 de la Cour de Justice de l’Union européenne l’établit clairement : selon cet arrêt, « à la différence des traités internationaux ordinaires, le traité de la CEE a institué un ordre juridique propre, intégré au système juridique des États membres […] et qui s'impose à leurs juridictions ». Du fait de « sa nature spécifique originale », en tant qu’il est « issu d’une source autonome, le droit né du traité ne pourrait donc […] se voir judiciairement opposer un texte interne quel qu’il soit, sans perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la Communauté elle-même ». En février 2023, la Commission européenne a ainsi saisi la Cour de Justice de l’Union européenne d’un recours contre la Pologne, notamment au titre de la violation de ce principe. Il est clair que le redémarrage du processus d’élargissement suppose que cette querelle essentielle soit au préalable tranchée.

L’Union européenne n’est pas une maison forte mais une communauté d’États libres et respectueux de leurs engagements respectifs. C’est une association d’États souverains qui y sont entrés volontairement et qui, depuis le traité de Lisbonne, peuvent la quitter librement en suivant un itinéraire balisé et attentif aux droits légitimes de chacun. Il n’est pas imaginable en revanche que près de soixante-quinze ans d’acquis communautaire puissent être passés par pertes et profits par la volonté de gouvernements qui, au mépris de leur signature, auraient décidé de détruire une Communauté qu’ils se refuseraient à la fois à quitter et à laisser vivre. La clarification de l’identité de l’Union et la pleine reconnaissance de la portée du pacte qui la constitue ne peuvent constituer qu’un préalable absolu à toute décision d’élargissement territorial de celle-ci. La défense de l’existant est la clé du succès de l’extension périphérique de l’ensemble.

B.   Relever le défi géopolitique

La substitution d’un monde multipolaire à l’ordre bipolaire issu de la Seconde Guerre mondiale et la fragmentation de plus en plus virulente et belliqueuse de la communauté internationale conduisent l’Union européenne, volens nolens, à placer au cœur de ses préoccupations et de ses initiatives actuelles la dimension géopolitique de son action. Bien que les espoirs enfantés par le traité de Maastricht aient été profondément déçus et que les premiers élargissements postérieurs à la Guerre froide aient purement et simplement ignoré la dimension géopolitique de l’Union, il serait désormais d’autant plus inimaginable de faire l’impasse sur cette dimension que c’est la guerre, et elle seule, qui a fait surgir la candidature ukrainienne et a imposé un principe d’ouverture de négociation d’adhésion avec cet État.

Les élargissements devront s’ouvrir à ces nouvelles perspectives, comme la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, invitait les Européens à le faire en novembre 2019, fût-ce dans une indifférence d’assez mauvais aloi. Non seulement l’octroi du statut de pays candidat à l’Ukraine et à la Moldavie est inséparable de la guerre d’agression menée par la Russie, mais il traduit une rupture historique par rapport à la position traditionnelle de l’Union dans ses rapports avec la Fédération de Russie. Au lieu de continuer de tenter d’organiser aux marges des deux ensembles ce que la Commission avait appelé un « voisinage commun » avec les États relevant de ce que Gorbatchev avait nommé « l’étranger proche » de la fédération de Russie, l’Union accepte désormais de prendre directement pied en Ukraine, comme elle l’avait déjà fait dans les États baltes, c’est-à-dire dans un État membre de l’ancienne Union soviétique, dès lors que cet État voit sa souveraineté mise en cause par une agression dépourvue de toute justification morale et juridique de la part de son grand voisin. Tel est bien l’enjeu de son ouverture à l’Ukraine, à la Moldavie et peut‑être demain à la Géorgie : il s’agit non seulement de protéger ces pays et de les attacher solidement au camp des démocraties libérales mais aussi d’assurer la sécurité de l’ensemble de ses États membres en mettant un coup d’arrêt à l’expansionnisme russe. Cette dimension n’est d’ailleurs pas absente de l’élargissement aux pays des Balkans soumis à des influences russes, chinoises et turques perçues comme concurrentes des intérêts européens. Ainsi, l’Union européenne cesse de rester centrée sur elle-même et vit une révolution copernicienne qui la place dans une relation d’association-rivalité avec le reste du monde.

Ce changement radical de priorités devrait emporter deux conséquences majeures dans la conduite du processus d’élargissement. La première de ces conséquences est la substitution nécessaire des critères politiques aux critères économiques comme facteurs déterminants de légitimation des candidatures. L’acceptation des valeurs fondatrices de l’Union, la reconnaissance des droits fondamentaux figurant dans les traités, les principes et institutions du gouvernement représentatif, la proscription de l’autoritarisme « illibéral » et l’engagement de solidarité militaire fixé par l’article 42, paragraphe 7, du traité de l’Union européenne, ainsi que les orientations précisées dans le cadre dit de « la boussole stratégique » doivent à présent être au premier plan d’une démarche d’adhésion qui, comme Vaclav Havel en avait fait au rapporteur l’observation dépitée, s’était trop longtemps identifiée à une vérification technique, voire technocratique, de l’aptitude du candidat à assumer les contraintes réglementaires régulant le marché intérieur. La seconde conséquence, capitale pour l’organisation du calendrier des adhésions, tient à l’impossibilité de différer trop longtemps l’adhésion effective du candidat à l’union politique sous prétexte qu’il lui faudrait de longs délais pour satisfaire aux canons de la beauté du marché intérieur. Elle doit donc nous conduire à repenser en profondeur le calendrier traditionnel des négociations d’adhésion. La sécurité des candidats n’a pas le temps d’attendre.

C.   gérer l’hétérogénénité croissante de l’espace européen

L’Union européenne est la proie de divergences croissantes affectant à la fois les relations des États membres entre eux et celles des membres et des candidats à l’adhésion. On se contentera ici de préciser les actions à conduire pour corriger les trois déséquilibres majeurs qui appellent des transformations en profondeur, tant de l’Union européenne que des procédures permettant de la rejoindre.

1.   Gérer le nombre

Le premier déséquilibre à prendre en compte tient à l’effet mécanique de l’augmentation du nombre des États membres. Dans une union associant initialement six États et destinée à en compter plus d’une trentaine, toute prise de décision à l’unanimité se révèle très difficile. Ce type de procédure favorise, dans le dessein d’éviter la paralysie, la conclusion entre les États de compromis minimalistes impropres à permettre à l’organisation commune de prendre les décisions qui soient à la hauteur des enjeux auxquels elle est confrontée.

Afin de donner aux processus décisionnels de l’Union l’efficacité nécessaire, il est indispensable de développer, et même de systématiser, le recours au vote à la majorité qualifiée. Environ 80 % des actes législatifs de l’Union sont adoptés en Conseil des ministres par des votes à la majorité qualifiée tels qu’ils sont prévus dans le cadre de la procédure législative ordinaire. La qualification de la majorité prend en réalité la forme d’une combinaison entre deux majorités, celle des États membres et des citoyens. L’adoption du texte en débat requiert le vote favorable d’au moins 55 % des États membres – ce qui correspond à quinze États sur vingt-sept –, représentant au moins 65 % de la population de l’Union. Seuls les votes positifs sont pris en compte dans le calcul des voix nécessaires. L’abstention équivaut donc à un vote négatif.

Il est à remarquer que le vote à la majorité qualifiée n’a pas seulement pour objet d’éviter les blocages décisionnels entre les États membres mais qu’il vise également à désamorcer les confrontations périlleuses. Il se distingue donc par-là autant du vote à la majorité simple que de la règle de l’unanimité. Dans la mesure où il décourage à la fois les manœuvres d’obstruction et la tentation des antagonismes, il équivaut, pour paraphraser Clausewitz, à la quête du consensus par d’autres moyens que l’unanimité.

Le succès de l’élargissement commande d’étendre le champ d’application du vote à la majorité qualifiée. Dans une Europe à vingt‑sept membres déjà, le recours à l’unanimité qui confère de facto un droit de veto à chaque État, est source de blocages récurrents. Il est parfois mis au service d’une stratégie d’obstruction, voire de chantage, que ne dédaignent pas d’utiliser certains membres. On a ainsi vu deux États retarder durant plusieurs mois l’adoption d’un impôt minimal de 15 % sur les bénéfices des entreprises, afin de se ménager l’accès aux crédits européens du fonds de relance sans avoir à mettre un terme aux libertés prises par eux au regard des exigences de l’État de droit. La France a de longue date tenu à nuancer la portée du prétendu compromis de Luxembourg imaginé pourtant par elle en stigmatisant « les liaisons abusives » aboutissant à la prise en otage des ambitions communes par un usage dévoyé de l’unanimité. Il est temps de tirer toutes les conséquences de cette position de principe en rendant ces dévoiements impossibles.

Aussi, la conférence sur l’avenir de l’Europe a-t-elle proposé d’abolir la procédure de l’unanimité pour lui préférer celle du vote à la majorité qualifiée dans tous les domaines. Seules en seraient exceptées l’adhésion d’un nouvel État membre et la modification des principes fondamentaux de l’Union inscrits à l’article 2 du TUE et fixés dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Le chancelier Olaf Scholz a récemment proposé, quant à lui, d’étendre la règle de la majorité qualifiée aux questions de politique étrangère. Il est permis de mettre en doute la pertinence d’une telle priorisation qui conduirait à soumettre à la règle de la majorité, fût-elle qualifiée, des positions par nature potentiellement trop antagonistes - comme celles des alliances ou de la guerre - pour faire l’objet de procédures purement juridiques d’arbitrage  sans entraîner  de sérieuses tensions entre les partenaires.  En vérité, la règle de la majorité qualifiée gagnerait à être d’abord étendue aux décisions rendues difficiles  non par un conflit normatif  ou un vrai dissensus politique entre les États-membres, mais par la frilosité, le corporatisme, et la mauvaise volonté de certains partenaires qui répugnent à avancer ensemble sur des politiques communes sans pour autant en récuser  sérieusement les principes. La majorité qualifiée ne peut permettre à l’union d’arbitrer sur ce qui la divise mais elle est nécessaire pour arbitrer en faveur des actifs contre les inertes. La majorité qualifiée n’est pas  une machine  à choisir entre des options opposées mais à avancer sur des options de principes  partagées. Pour ce qui est des décisions relatives aux domaines les moins consensuels, le mieux serait de faire un usage accru des procédures d’abstention positive ou de coopération renforcée, quitte à les rendre plus simples et plus opérationnelles.

Plus réaliste et plus utile sans doute à la marche en avant de l’Union serait cependant l’extension du vote à la majorité qualifiée à toutes les questions relatives au cadre financier pluriannuel, au budget de l’Union et aux ressources propres. Aujourd’hui, l’article relatif aux ressources propres se présente comme un véritable traité dans le traité avec sa double exigence d’unanimité au Conseil et de ratification parlementaire ou référendaire à chacun des États membres. Il y a là une source de blocages majeure pour le développement des politiques communes à l’Union. Le chancelier allemand a eu en tout état de cause raison de souligner devant le Parlement européen, à l’occasion de la journée de l’Europe, le 9 mai 2023, que rien ne peut fonctionner dans une Europe élargie sans une extension conséquente du vote à la majorité qualifiée.

La mise en œuvre de cette réforme nécessiterait assurément une révision des traités. À défaut, l’Union pourrait se tourner vers les « clauses passerelles » prévues par l’article 48 du TUE, qui permettent de passer d’un mode de décision à l’unanimité des États membres à une décision à la majorité qualifiée, ou de la procédure législative spéciale à la procédure législative ordinaire. Il ne s’agirait pourtant pas d’une solution miracle, la mise en œuvre de la clause passerelle exigeant une décision unanime des États membres.

2.   Corriger les déséquilibres de représentation entre les États et citoyens

Ces déséquilibres tiennent à la multiplication au sein de l’Union des États de dimension petite et moyenne. La communauté européenne reposait initialement sur la coexistence en son sein de trois États qualifiés de « grands » dans la mesure où ils étaient peuplés de plus de 50 millions d’habitants et de trois États de dimension moyenne ou modeste.

Le système institutionnel se présentait initialement comme une combinaison empirique, mais relativement harmonieuse de deux principes contradictoires dans leurs effets mais constitutifs de légitimité dans toute construction à caractère fédéral : l’égalité entre les États et l’égalité entre les citoyens. C’est ainsi que, jusqu’au traité de Nice, la Commission était constituée d’un commissaire nommé par chaque État et d’un deuxième commissaire nommé par chacun des cinq États les plus peuplés.

Par ailleurs, le système de pondération des voix au Conseil et la mise en place d’un principe de proportionnalité régressive au Parlement européen assuraient la prise en compte de ces mêmes équilibres dans les procédures décisionnelles.

Il n’en est plus de même aujourd’hui. Si les règles relatives à la composition du Parlement européen et au calcul des suffrages au sein du Conseil restent fort heureusement fondées sur la combinaison du double équilibre États-citoyens, il n’en va pas de même des autres institutions de l’Union que sont la commission exécutive, la Cour de Justice et la Cour des comptes.

À règles constantes et dans l’hypothèse d’une Union à trente-cinq membres, les dix-neuf pays les moins peuplés pourraient désigner plus de la moitié des commissaires européens alors même qu’ils ne représenteraient que 10 % environ de la population totale de l’Union. Pour éviter cet écueil, diverses solutions seraient possibles, dont la plus évidente serait que la réduction du nombre total de commissaires commissaire combinée avec le  renforcement du rôle du président de la Commission européenne dans la procédure de nomination.

La perspective d’une Europe élargie fait donc courir le risque d’une aggravation des déséquilibres actuels de la Commission. La remise en cause du principe « un commissaire par État membre » fait l’objet d’un véritable tabou dans l’ensemble des États petits et moyens de l’Union européenne mais une extension aussi déraisonnable  du statu quo à une Union élargie serait dans certains États-membres comme la France un obstacle insurmontable à la ratification des futures adhésions.

Aucune réforme pleinement satisfaisante intellectuellement et politiquement ne paraît aujourd’hui se dessiner. Notons cependant les efforts réalisés pragmatiquement par les responsables européens pour gérer au mieux une situation aussi déséquilibrée. Les présidents successifs de la Commission ont su prendre quelques libertés avec les exigences d’un fonctionnement collégial supposant l’égalité de tous les commissaires. Ils ont, en particulier, créé autour d’eux-mêmes un collège de huit vice-présidents en charge d’une thématique politique majeure. Avec l’adhésion des États balkaniques le problème changerait d’échelle, ce qui interdirait de se contenter de demi mesures. Une solution appropriée devrait prendre en compte la situation des trois institutions, Commission, Cour de justice et Cour des comptes. S’agissant de la Banque centrale  européenne, on peut en effet espérer, sous bénéfice d’inventaire, que les équilibres actuels ne seraient pas sérieusement remis en cause par l’introduction, inévitablement différée, de la monnaie unique au sein des nouveaux États- membres.

La solution supposerait, dans cet esprit, une véritable rupture du cordon ombilical unissant les membres du collège, comme ceux de la Cour de Justice et de la Cour des comptes, à chacun de leurs États d’origine et la substitution au système actuel de nomination d’une procédure combinant une responsabilité accrue des chefs des institutions concernées avec une approbation collective à la majorité qualifiée par le collège des États-Membres, Conseil européen ou Conseil des ministres.

Ce saut supplémentaire dans ce qui serait perçu comme une démarche fédéraliste ne manquerait pas toutefois de susciter de solides réserves parmi les États membres actuels. L’état d’esprit dominant au sein de l’Union est, reconnaissons-le, fort éloigné de l’acceptation de schémas institutionnels de cet ordre. Il s’agit en tout état de cause du problème institutionnel le plus sérieux que posent les perspectives d’élargissement car à travers cette question, c’est la légitimité, donc l’avenir, de la Commission et celui des institutions communes qui se joue, la tentation d’une remise en cause du rôle de celles-ci et d’une fuite dans l’intergouvernemental ne pouvant désormais  être exclue dans un nombre significatif d’Etats-membres.

3.   Lutter contre les inégalités économiques et sociales à l’intérieur de l’Union

L’hétérogénéité des situations économiques et sociales au sein de l’espace européen intégré, même si elle est combattue par les politiques de cohésion, est la donnée majeure de la situation créée par l’élargissement continu de l’Union. Notons à titre d’exemple que la Grèce dispose d’un revenu équivalent à 68 % de la moyenne européenne en 2021 et la Bulgarie à 41 % seulement de cette même moyenne en 2022, selon les données d’Eurostat. Cet écart serait bien plus marqué avec les pays candidats. C’est ainsi que le revenu par habitant de l’Albanie ne représente que 38 % de la moyenne européenne en 2022. La gestion de cette hétérogénéité croissante exige la mise en œuvre d’un processus d’intégration à l’Union plus flexible et la mise en place d’un nouveau système de solidarité entre membres actuels et futurs de l’ensemble européen. Ces écarts de développement et de revenus justifient un recours plus systématique que jamais aux rythmes différenciés d’intégration. Une Union européenne à plus de trente États membres ne pourra pas fonctionner de manière uniforme. Le mode d’intégration différencié prévoyant des calendriers différents d’accès aux politiques communes n’est en rien étranger à la construction européenne. L’euro en est la consécration la plus éclatante.

Il convient d’ailleurs d’observer que cette démarche qui vise à gérer des rythmes différents au service d’un processus convergent n’est pas comparable à une Europe à géométrie variable qui vise, elle, à créer des niveaux de solidarité durablement différents entre certaines catégories d’États membres. En somme, la mise en œuvre de rythmes différenciés affecte le mouvement et pas le terme du voyage. La géométrie variable, elle, entend proposer aux États européens des destinations finales différentes. Observons à cet égard que la création de la communauté politique européenne relève bien d’une démarche qui s’inscrit dans la recherche d’une Europe à géométrie variable dans la mesure où elle vise à accueillir des États qui sont pour certains d’entre eux membres de l’Union européenne, pour d’autres candidats à l’adhésion et, pour d’autres encore, comme le Royaume-Uni, des États qui n’ont plus vocation à s’intégrer à celle-ci. Aussi bien, si la Communauté politique européenne peut jouer un rôle utile de forum entre des États disposant de statuts très différents les uns les autres mais unis par une commune représentation de leurs intérêts géopolitiques, elle ne peut en revanche en aucune façon espérer se substituer à l’Union européenne. La communauté et l’Union sont toutes deux fondées à reprendre à leur compte la formule célèbre : « elle, c’est elle et moi, c’est moi ». 

Le principe d’une progression de l’Union européenne fondée sur des rythmes différenciés d’intégration devra désormais affecter non pas seulement le fonctionnement ordinaire de l’Union mais le processus de négociation de ces adhésions, comme la France l’a du reste proposé à ses partenaires en 2019. Nous ne pouvons plus nous permettre de subordonner l’adhésion politique des États candidats à la réalisation préalable des conditions nécessaires à une intégration économique, sociale et administrative en bonne et due forme. Les étapes assurant la participation des nouveaux adhérents aux disciplines et aux bénéfices du marché intérieur et des politiques communes doivent être parcourues dès la phase de négociation. C’est cette logique qui justifie la distinction, à nos yeux capitale, entre les phases d’engagement politique et d’acculturation administrative conduisant à scander le processus des adhésions futures.

4.   Prendre en compte les inégalités de maturité démocratique au sein de l’espace européen

L’accumulation des dispositions protectrices des droits fondamentaux n’est pas à la hauteur des enjeux. La vie publique dans la plupart des États candidats est loin de répondre aux exigences minimales d’une vie démocratique respectueuse des citoyens, de leurs droits et de leurs libertés. C’est ainsi que l’indice de perception de la corruption de Transparency International pour l’année 2022 classe nombre des pays des Balkans au-delà de la 100ème place mondiale (sur 180) : la Bosnie-Herzégovine est en recul dans ce domaine (110ème place), tout comme la Serbie (101ème place) et la Moldavie (91ème place). L’Ukraine, quant à elle, est en progression mais se classe 116ème, compromettant ainsi sa capacité à obtenir satisfaction sur sa demande d’adhésion rapide à l’Union.

L’ampleur des déséquilibres à corriger et la lenteur nécessaire du processus d’acculturation démocratique au sein d’États et de sociétés privées pendant des décennies de toutes les garanties et de toutes les libertés permettant une vie publique démocratique transparente et pluraliste doivent nous conduire à proposer une révision radicale du processus d’intégration. Il paraît indispensable de fractionner le cheminement des États vers l’adhésion. Il faut, en particulier, éclater la démarche d’intégration entre trois processus distincts : l’adhésion politique aux valeurs et principes de l’Union européenne, l’accès aux bénéfices et aux disciplines exigées par les différentes politiques communes selon des modalités à négocier bilatéralement entre les candidats et l’Union et, enfin, la participation aux institutions communes qui doit être différée jusqu’à ce que les États candidats aient pleinement satisfait aux exigences d’une authentique vie démocratique.


III.   Réviser la procédure de négociation-adhésion

A.   Combiner gradualisme et flexibilité

La procédure d’adhésion à l’Union européenne est conçue, ainsi que le souligne une récente étude de l’institut Jacques Delors ([1]), « comme une longue séquence de préparation, suivie d’un accès immédiat au statut de membre plein et entier, pas comme une intégration progressive », ce qui induit plusieurs conséquences.

En termes de perception des nouvelles adhésions d’abord, le processus d’adhésion tend à dramatiser – avec son lot de fausses promesses, de vains espoirs et de déceptions – le choix de la date d’adhésion effective du pays candidat, pour lequel les instruments d’adaptation que sont l’aide de préadhésion, d’une part, et les périodes de transition octroyées au nouvel État membre, d’autre part, semblent de peu d’importance face au changement majeur de statut que constitue son entrée effective dans l’Union. Se trouve ainsi créée une asymétrie dommageable entre les États membres, perçus comme d’abusifs donneurs de leçons, et les pays candidats, placés dans une situation de dépendance et d’infériorité, source de frustrations. D’un point de vue plus concret ensuite, cette logique empêche tout processus de familiarisation et de socialisation « en douceur » entre les pays candidats et les États membres de l’Union, suscitant  par là même craintes, fantasmes et méconnaissances mutuelles et heurtant ainsi le bon fonctionnement ultérieur des institutions européennes.

Le rapporteur suggère une nouvelle approche du processus d’adhésion combinant gradualisme et flexibilité. Le gradualisme est imposé par l’inachèvement structurel du processus de construction de l’État de droit dans la très grande majorité des futurs États-membres. Qu’il s’agisse de la qualité des procédures démocratiques, des garanties relatives à l’exercice des libertés fondamentales, ou encore des habitudes persistantes d’une corruption de masse, les situations sont inégales d’un État à l’autre, mais aucune n’est vraiment satisfaisante parmi les pays candidats à l’adhésion. Tirer prétexte de cette situation pour demeurer, si l’on ose dire, l’arme au pied et s’interdire de faire bénéficier, sous des formes et selon des modalités appropriées, des politiques communes et des interventions financées sur fonds communautaires, n’en serait pas moins à la fois moralement méprisable et politiquement irresponsable.

Nier en revanche les risques que ferait courir non seulement à l’État concerné, mais aussi à l’ensemble des institutions communes, la participation bâclée au système européen d’États fragiles, de démocraties immatures et de sociétés divisées, voire violentes, constituerait un pur déni de réalité. Les institutions de l’Union européenne relèvent de l’horlogerie fine et ne peuvent s’accommoder sans dommage des risques de déséquilibre et de dysfonctionnement que des adhésions mal préparées et mal gérées feraient courir aux institutions parlementaires, judiciaires et administratives communes. L’affichage de bonnes intentions réformatrices ne suffit pas en l’espèce. C’est seulement sur pièces et sur place, comme on dit à la Cour des comptes, que doit s’apprécier la capacité effective des États à assumer toutes les exigences d’une vie démocratique partagée entre plus de trente partenaires.

La flexibilité vise, quant à elle, à éviter de soumettre à un processus identique des candidats se trouvant dans des situations économiques, politiques, sociales et culturelles différentes, et requérant de ce fait des cheminements spécifiques vers l’adhésion. L’accès aux politiques communes, les modalités administratives et financières de l’insertion de chacun doivent relever du « sur-mesure » et non du « prêt-à-porter », et doivent donc faire l’objet de contrats négociés bilatéralement entre les États concernés et la Commission européenne.

Une approche fondée sur un double principe de gradualisme et de flexibilité permettrait de contourner les inconvénients du « tout ou rien » à haut risque dans lequel est aujourd’hui enfermé le processus d’élargissement. En novembre 2019 déjà, un non-paper diffusé par la France proposait la création d’un « accès graduel aux politiques et aux programmes de l’UE », officiellement adopté en mars 2020. Son application s’est toutefois heurtée à l’opposition de la Bulgarie à l’ouverture des négociations avec l’Albanie, ainsi qu’à la pandémie de la Covid-19. Ce projet a néanmoins été réactivé, dans la foulée de la candidature ukrainienne, dans les conclusions du Conseil européen du 23 juin 2022, lequel évoque une « intégration graduelle […] sappuyant sur la méthodologie révisée » et « un processus d’élargissement […] de manière réversible et fondée sur les mérites ».

Aujourd’hui, il faut aller plus loin, tirer toutes les conséquences d’une logique de négociation fractionnée et construire un processus d’adhésion par étapes destiné à arrimer sans délai les États candidats à l’union politique des Européens, à leur faire bénéficier sans retard des politiques communes appropriées et à les accueillir, le moment venu, en qualité d’États membres à part entière.

B.   Une adhésion en trois étapes

La plupart des pays candidats à l’adhésion n’ont pas encore atteint le degré de développement démocratique nécessaire à leur participation pleine et entière à l’Union. Il leur reste à accomplir des progrès importants, qui tiennent autant à la lutte contre la corruption qu’au respect de la séparation des pouvoirs, de l’indépendance de l’autorité judiciaire, des libertés fondamentales (conscience, expression, mouvement, réunion, association, information) et de la hiérarchie des normes constitutionnelles. On ne peut se contenter, comme on l’a parfois fait dans la phase précédente, de passer outre, à l’heure de l’adhésion, à l’inachèvement du processus d’adaptation du candidat. Il est donc essentiel de distinguer, dans le parcours d’adhésion, trois périodes distinctes : une période de reconnaissance des principes fondateurs de la construction européenne débouchant sur une adhésion sans équivoque aux choix fondamentaux de l’Union, une période d’acculturation aux bénéfices et aux disciplines des politiques communes dans un cadre institutionnel  proche de celui de l’Espace économique européen (EEE), dont on ne sache pas qu’il est perçu comme déshonorant par les États, telle la Norvège, qui en bénéficient, et enfin une période de participation à part entière à la vie institutionnelle de l’Union européenne, couronnant un effort pluriannuel de modernisation et de développement de l’État de droit au sein des États candidats.

1.   La première étape : l’engagement politique

La première étape de la procédure d’adhésion doit être celle d’un engagement politique, moral et institutionnel sans équivoque de chaque candidat, tant vis-à-vis de lui-même que de ses futurs partenaires et des institutions de l’Union européenne. Le cahier des charges prendrait la forme de cinq déclarations aussi précises que solennelles. Ces déclarations pourraient donner lieu soit à la signature d’un accord politique  entre l’Union et l’État-candidat, soit à la conclusion d’un traité d’adhésion aux objectifs politiques de l’Union. Les engagements  porteraient sur les points suivants :

  1.   Proclamation d’une volonté de bon voisinage avec tous les États de l’Union sur la base d’un dépassement assumé et partagé de tous les contentieux et querelles qui empoisonnent depuis trop longtemps les relations interétatiques. Il s’agirait ici de relancer et prolonger le processus engagé en 1995 par  le gouvernement de M. Balladur qui avait amené les États candidats de l’époque à signer un “ pacte de stabilité ” par lequel ils reconnaissaient leurs frontières mutuelles et s’engageaient à respecter chez-eux leurs minorités. Les clauses de confiance mutuelle et de gestion solidaire des difficultés de chacun constituent en effet les pierres fondatrices de la construction européenne ;
  2.   Souscription à la Charte des droits fondamentaux et à toutes les dispositions des traités relatives à l’État de droit ;
  3.   Adhésion aux principes fondateurs du système institutionnel de l’Union et acceptation, en particulier, du recours systématique au vote à la majorité qualifiée comme procédure décisionnelle de droit commun, respect des institutions communes et de la primauté du droit communautaire sur celui des États membres dans le cadre de l’exercice par l’Union des compétences qui lui sont attribuées ;
  4.   Adoption d’un plan pluriannuel de développement de la démocratie et des libertés, ainsi que de lutte contre la corruption, soumis à un contrôle d’exécution rigoureux par un organisme indépendant dédié à cette tâche ;
  5.   Déclaration de solidarité diplomatique et militaire et acceptation des orientations fondamentales de « la boussole stratégique ». Rappelons à cet égard que l’article 42, paragraphe 7 du TUE, stipule qu’ « au cas où un État membre serait l’objet d’une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l’article 51 de la charte des Nations Unies […] ».

Cet ensemble d’engagements, souscrits en forme solennelle, consacrerait l’adhésion politique de chaque candidat à l’Union européenne. Celle-ci ouvrirait un droit d’association au Conseil européen des chefs d’État ou de gouvernement mais ne donnerait a priori accès ni aux politiques, ni aux autres institutions communes.

2.   La deuxième étape : l’acculturation administrative

Dans un deuxième temps, et à dater de la signature de cet accord politique l’Union accorderait aux membres en gestation le bénéfice négocié, au cas par cas, de toutes les politiques communes dont la mise en œuvre apparaîtrait compatible, moyennant des arrangements administratifs et budgétaires ad hoc, avec la situation économique, sociale, politique et administrative de l’État concerné. Cette approche par tranches de compétences est proche de la proposition française de 2019. Le non-paper mentionnait en effet la « possibilité de participer dans les programmes de l’UE, d’être engagé dans certaines politiques sectorielles et, là où cela est approprié, de bénéficier d’un financement ciblé ».

La Commission européenne superviserait la participation à ces politiques communautaires et à la mise en place des filières administratives nécessaires à cette fin. La contribution au budget communautaire du nouvel adhérent ferait l’objet d’une négociation spécifique sous le contrôle du Conseil de l’Union et du Parlement européen.

Ce modèle d’intégration implique de sortir de la méthode monolithique et groupée qui a prévalu jusqu’alors pour proposer aux pays candidats un parcours d’adhésion, proche d’une forme d’Europe « à la carte » mais s’en distinguant toutefois par le maintien d’un objectif commun unique : l’adhésion finale pleine et entière à l’Union européenne. Un tel modèle reconnaît que tous les États ne peuvent être soumis au même rythme d’acclimatation des réformes nécessaires et n’ont pas vocation à intégrer l’Union européenne en même temps et à une date préalablement décidée. La logique de « régate » – c’est-à-dire d’adhésion différenciée, par opposition à celle du « big bang » de l’adhésion groupée comme en 2004 – permet en outre à l’Union qui accueille, comme à l’État qui adhère, de prendre le temps nécessaire à une intégration harmonieuse.

 

 

 

L’évaluation orale de la Commission européenne sur les progrès réalisés par les pays du « trio oriental »

Le 21 juin 2023, le Commissaire hongrois au voisinage et à l’élargissement Olivér Várhelyi a présenté les progrès réalisés par les pays du « trio oriental », à savoir l’ Ukraine, la Moldavie et la Géorgie, quant à la réalisation des recommandations formulées par la Commission européenne dans ses avis du 22 juin 2022 relatifs à leurs candidatures à l’Union européenne.

Le Commissaire a souligné que l’Ukraine a pleinement satisfait deux recommandations : la réforme de la justice et la lutte contre les intérêts particuliers dans les médias. L’Ukraine a également réalisé des progrès sur quatre autres recommandations que sont la lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent, la désoligarchisation de la société et la protection des droits des minorités nationales. Elle doit néanmoins poursuivre ses efforts sur ces différents sujets auxquels s’ajoute la sélection des juges de la Cour suprême.

La Moldavie a, quant à elle, pleinement mis en œuvre trois des neuf conditions liées aux réformes démocratiques, au dialogue avec la société civile et à la protection des droits humains., tandis que des progrès importants ont été réalisés en termes de réforme de la justice, de désoligarchisation et de gestion des finances publiques. Des avancées ont enfin été notées en matière de lutte contre la corruption et la criminalité organisée, ainsi que pour la réforme de l’administration publique. Le pays doit toutefois poursuivre ses réformes, en particulier quant à la dé-oligarchisation, la lutte contre la corruption et la criminalité organisée.

Concernant la Géorgie enfin, le commissaire a souligné que le pays est particulièrement vulnérable aux menaces russes et sa population favorable à 80 % à son adhésion à l’Union. En revanche, l’État et ses élites doivent démontrer un engagement plus crédible et explicite sur la voie de l’adhésion et travailler sur l’alignement de leur pays en matière de politique étrangère et de sécurité commune, point sur lequel la Géorgie est en régression. Trois recommandations ont pu être pleinement mises en œuvre sur l’égalité de genres et la lutte contre les violences faites aux femmes, la prise en compte des décisions de la Cour européenne de droits de l’Homme, ainsi que de la transparence dans la nomination et l’indépendance de l’ombudsperson. En revanche, des progrès très limités ont été réalisés sur la désoligarchisation de la société et aucune avancée n’a pu être constatée concernant la liberté des médias.

3.   La troisième étape : l’adhésion à part entière à l’Union européenne

Une troisième étape marquerait enfin, par l’adhésion à part entière du candidat à l’Union européenne, l’achèvement du processus de construction d’un État démocratique respectueux des libertés et de l’État de droit et disposant d’instruments efficaces de lutte contre la corruption. Le processus ferait l’objet d’un contrôle technique assuré par un organisme ad hoc émanant de la Commission et d’une vérification politique menée conjointement  par le Conseil et le Parlement européen.  Cette troisième étape se traduirait par l’accès du nouvel adhérent aux institutions politiques et administratives de l’Union européenne : Commission européenne, Conseil de l’Union, Parlement européen, Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), Cour des comptes européenne et, le moment venu, Banque centrale européenne (BCE).

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Il ne fait guère de doute que les réformes proposées, aussi bien celle de la procédure d’adhésion que les transformations affectant l’architecture et le fonctionnement institutionnels de l’Union, seront l’objet de réticences nombreuses. Les trotte-menu du changement homéopathique et ceux qui préfèrent le déni à l’acceptation des réalités, fussent-elles parfois incommodes, ne trouveront pas leur compte à une modification aussi drastique de règles du jeu, qui ont certes eu le mérite de nous permettre d’accueillir en un demi-siècle plus d’une vingtaine d’États membres qui s’en sont dans l’ensemble plutôt bien trouvés, mais qui n’ont pas donné à l’Union les moyens politiques, administratifs et financiers qui lui permettraient de relever les immenses défis qui lui sont aujourd’hui imposés.

Sachons voir en conclusion que ce grand travail d’adaptation ne saurait être le monopole des autres et que la part de la tâche qui nous incombe n’est pas négligeable. Il nous faut mettre de l’ordre dans nos têtes, dans nos cœurs, dans nos lois, dans nos procédures et dans nos usages.

Le succès exigera le plus rapidement possible une révision des traités plus ou moins déchirante, mais assurément ambitieuse et novatrice, pour mettre une Union si considérablement élargie en état de marche. La procédure en sera longue et incertaine car elle passe par la quête victorieuse de l’unanimité au Conseil européen et la ratification finale du texte par chaque État membre. Il en va de même pour le reste des traités d’adhésion soumis à des procédures de ratification particulièrement lourdes dans certains États membres comme la France.

Le schéma que le rapporteur propose et qui ferait de la ratification de chaque adhésion le bouquet final, et non l’acte inaugural d’un processus bien nécessaire de convergence politique, économique et institutionnelle des États de notre vieille Europe, aurait à ses yeux le grand mérite de nous permettre d’agir et d’avancer sans plus attendre. Notre premier devoir, à nous autres États membres de l’Union européenne, c’est de ne pas faire payer aux autres le prix de notre incorrigible procrastination.

 

 

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Le mercredi 12 juillet 2023, la commission examine la proposition de résolution européenne relative aux suites de la conférence sur l’avenir de l’Europe.

Mme Eléonore Caroit, présidente. Notre ordre du jour appelle l’examen de la proposition de résolution européenne (PPRE) n° 1357, relative aux suites de la conférence sur l’avenir de l’Europe, qui a été déposée sur le Bureau de l’Assemblée nationale le 14 juin dernier.

En application de l’article 151-6 de notre règlement, toute commission permanente compétente au fond sur une proposition de résolution européenne dispose d’un délai d’un mois, à compter de son dépôt, pour l’examiner et déposer son propre rapport. La politique étrangère et européenne relevant du champ des compétences de la commission des affaires étrangères, notre commission a suivi la suggestion de son président et de son bureau de débattre de cette proposition de résolution, et elle a nommé le président Jean-Louis Bourlanges pour en être le rapporteur.

La conférence sur l’avenir de l’Europe a constitué un exercice inédit et presque révolutionnaire, puisqu’elle a réuni des citoyens européens répartis en quatre panels et qu’elle a suscité près de 50 000 contributions portant sur neuf thématiques pré-identifiées. Ce processus de consultation démocratique s’est achevé le 9 mai 2022, avec la présentation d’un rapport contenant 49 propositions citoyennes, réparties en 325 mesures concrètes pour faire évoluer l’Union européenne.

Le 9 mai 2023, en séance publique, notre rapporteur a déclaré que les Européens sont globalement incapables de répondre aux trois questions qui sont pourtant déterminantes pour l’avenir de l’Union européenne (UE). Qui sommes-nous ? Quelle Europe voulons-nous ? Comment allons-nous faire ? Il est d’autant plus important d’en débattre que des rendez-vous démocratiques s’annoncent pour les institutions européennes et qu’un élargissement de l’Union à l’Ukraine, mais aussi à d’autres pays européens, est envisagé.

Nous ne pouvons dès lors que nous réjouir de l’initiative du président de la commission des affaires européennes, M. Pieyre-Alexandre Anglade, dont je salue la présence parmi nous, d’avoir posé les termes de ce débat, avec notre collègue Julie Laernoes.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Je suis très heureux de cette réunion. C’est d’abord un plaisir pour nous d’accueillir le président Anglade, qui a pris l’initiative de la proposition de résolution européenne que nous allons examiner. Il nous a paru opportun que la commission des affaires étrangères l’examine après la commission des affaires européennes : joindre nos noms à la rédaction de cette résolution européenne, c’était marquer notre unité d’action – et l’ordre alphabétique a bien fait les choses puisque M. Anglade apparaît comme premier signataire.

Étant donné la confusion mentale qui règne au sein de l’Union européenne, il m’a semblé judicieux de consacrer mon rapport à une réflexion sur l’élargissement de l’UE, question qui m’a toujours intéressé et qui me semble plus que jamais d’actualité.

Le rapport que je vous présente n’est donc pas un ensemble ficelé de propositions engageant mon groupe politique mais plutôt ma contribution intellectuelle et politique personnelle à une réflexion qui me paraît s’imposer. Je me suis rendu à Bruxelles il y a quelques jours et j’ai été frappé de l’extrême désarroi intellectuel qui assaille les milieux dirigeants de l’Union. J’y ai rencontré deux commissaires, l’un et l’autre remarquables. Ils font un diagnostic assez sûr des problèmes qui se posent. En revanche, la manière dont il convient de gérer le processus d’élargissement de l’Union européenne semble les plonger dans le plus grand embarras.

Je ne vais pas ici détailler le contenu du rapport mais vous en exposer les lignes directrices.

Ce que les Français ne perçoivent pas toujours, c’est que, historiquement, l’élargissement ne s’est pas construit d’emblée contre l’approfondissement. Ce qui est très frappant durant la première période d’élargissement, celle qui va pratiquement jusqu’à l’intégration de l’Allemagne de l’Est – devenue l’Est de l’Allemagne –, c’est le cycle vertueux qui associe élargissement, approfondissement institutionnel et élargissement des compétences.

Le premier élargissement, en direction du Royaume-Uni, du Danemark et de l’Irlande, a été le moteur de changements majeurs : l’irruption du marché intérieur mais aussi des modifications institutionnelles de première grandeur, comme la généralisation du vote à la majorité qualifiée pour l’adoption des directives d’harmonisation et l’entrée du Parlement européen dans le processus décisionnel à travers ce qu’on appelait à l’époque la procédure de coopération.

Plus tard, l’élargissement aux pays du Sud – l’Espagne, le Portugal et la Grèce –, s’est traduit par le développement de la politique de cohésion, qui a complètement transformé le budget de l’Union européenne et qui a aussi eu des répercussions sur le plan institutionnel. En effet, sur les dépenses de cohésion, que l’on qualifiait de « non obligatoires », c’est le Parlement et non le Conseil qui avait le dernier mot. D’une façon un peu baroque, le budget de l’Union était donc décidé en dernière analyse par le Conseil et, pour partie, par le Parlement européen. Ce fut là le point de départ d’une coopération nécessaire des deux institutions sur l’ensemble.

Le troisième élargissement, avec l’inclusion de l’Allemagne de l’Est, s’est accompagné du traité de Maastricht, lequel a constitué un bouleversement formidable, avec la monnaie unique, l’institution, de la Banque centrale européenne, une transformation très profonde des procédures démocratiques – puisque la codécision s’est imposée progressivement à l’ensemble du travail législatif – et, enfin, une responsabilisation accrue de la Commission.

Durant la seconde période des élargissements, en revanche, ceux-ci se sont faits de manière totalement improvisée, sans aucun travail de réflexion. Alors qu’à Maastricht on avait proclamé la nécessité d’une politique extérieure et de sécurité commune (PESC), qui aurait fait franchir à l’Union européenne une étape sur la voie de la géopolitique, on a accueilli trois États neutres – l’Autriche, la Suède et la Finlande –, sans questionner leur neutralité. On a donc fait immédiatement l’impasse sur la transformation politique qu’on avait proposée.

Par ailleurs, les critères de Copenhague, relatifs à l’adhésion de nouveaux pays à l’Union, ont été très mal appliqués. Je les rappelle : le respect institutionnel, la capacité à assumer le marché intérieur, le respect des droits fondamentaux et la nécessité pour l’Union européenne de s’adapter à un élargissement. Il va de soi qu’une Union européenne à vingt-sept ne peut pas fonctionner avec les mêmes institutions, les mêmes procédures, les mêmes règles qu’une communauté européenne de six membres.

Ces critères ont été appliqués sans aucune rigueur, en particulier au moment de l’ouverture des négociations avec la Turquie. Quoi que l’on pense de ce projet, ce qui est inadmissible, c’est que l’on se soit engagé dans ces négociations sans avoir rien préparé, alors que l’entrée de ce pays dans l’Union aurait impliqué une modification considérable de l’ensemble du système. En effet, cet État important, plus peuplé que tous les autres, était profondément allergique à toutes les logiques d’intégration communautaire et ne s’était absolument pas engagé dans la transition vers la démocratie. Il s’est d’ailleurs orienté vers une régression assez profonde, qui dure depuis vingt ans.

Je ne dirais pas que cette seconde phase d’élargissement a été un insuccès, parce que les États d’Europe centrale et orientale qui sont entrés dans l’Union en ont bénéficié – l’exemple le plus fameux étant celui de la Pologne –, mais l’Union européenne s’en est trouvée très profondément affaiblie, distendue, incapable de relever les défis qui se sont présentés à elle. On n’a pas introduit, par exemple, les modifications institutionnelles étendant la majorité qualifiée, ce qui nous a condamnés à la paralysie. Aujourd’hui, le processus d’élargissement est en crise.

Nous sommes désormais confrontés à des exigences très différentes. D’abord, la question géopolitique est devenue primordiale et constitue le moteur de l’Union ; autrefois, c’était la construction du marché intérieur. Par ailleurs, cette extension considérable va nous porter au-delà de trente membres. Enfin, l’hétérogénéité fondamentale de l’espace européen fait qu’il est très difficile d’imposer des lois communes. Cette hétérogénéité prend deux formes : des inégalités de développement économique et un développement inégal de la « maturité démocratique » des États concernés. Ce que je propose, pour faire face à ces nouveaux enjeux, c’est de repenser le processus lui-même. Je me suis appuyé, pour ce faire, sur un grand nombre de travaux académiques.

Je propose de fractionner le processus d’adhésion en trois étapes, sachant qu’il faut répondre de toute urgence à certains États – ceux des Balkans et l’Ukraine –, dont les besoins géopolitiques doivent être pris en compte, sans pour autant précipiter l’élargissement.

J’envisage d’abord une phase d’engagement politique, au cours de laquelle les États concernés souscriraient à une sorte d’adhésion à l’union politique de l’Union européenne en prenant des engagements sur le respect des droits, le fonctionnement de l’Union, la primauté du droit communautaire et la solidarité géopolitique. Ils feraient aussi une déclaration de paix intérieure avec leurs voisins, ce qui est un grand problème pour les Balkans.

Viendrait ensuite une phase d’acculturation administrative au cours de laquelle, bilatéralement, entre la Commission et chaque État, on mettrait en œuvre les politiques communes sans attendre, dès qu’elles seraient techniquement possibles.

Enfin, et seulement à ce moment-là, interviendrait l’adhésion pleine et entière. À partir de là, les nouveaux États participeraient aux institutions politiques et démocratiques communes : Parlement européen, Commission, Conseil, Cour de Justice et, éventuellement, Cour des comptes et Banque centrale. Pourquoi ? Parce que tant que ces États n’ont pas atteint la plénitude démocratique, leur entrée dans le système institutionnel peut avoir des effets pervers sur l’ensemble de celui-ci. Nous ne pouvons pas nous accommoder d’un Parlement européen imparfaitement et incomplètement démocratique ; nous ne pouvons pas nous accommoder d’une Commission dans laquelle certains éléments seraient fragiles.

Voilà pourquoi je propose ce fractionnement, qui ressemble, en réalité, à l’Espace économique européen dont bénéficie un État comme la Norvège. Je crois qu’une telle démarche permettrait de répondre rapidement aux besoins d’intégration de nouveaux États, sans pour autant risquer de polluer l’ensemble du système institutionnel et administratif de l’Union, mécanique de précision qui doit être protégée.

Cette démarche de fractionnement en choquera peut-être certains mais elle permettra à l’Union européenne de remplir le quatrième critère de Copenhague.

Mme Eléonore Caroit, présidente. Avant de donner la parole aux orateurs des groupes, je vais la donner, pour cinq minutes, au président Anglade, co-auteur de la proposition de résolution européenne.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, président de la commission des affaires européennes. Je tiens d’abord à remercier le président Bourlanges d’avoir bien voulu reprendre cette proposition de résolution européenne, qui a été adoptée très largement par la commission des affaires européennes il y a un peu moins d’un mois.

Dans notre rapport d’information et notre proposition de résolution, Julie Laernoes et moi avons voulu réfléchir aux suites à donner à la conférence sur l’avenir de l’Europe, qui s’est déroulée l’an passé à Strasbourg. Pendant près d’un an, des parlementaires européens, des parlementaires nationaux, des membres de la société civile et des citoyens européens tirés au sort ont travaillé à l’élaboration de recommandations et de mesures. Un grand nombre d’entre elles ont déjà été mises en œuvre mais d’autres nécessitent une renégociation des traités européens. C’était, au fond, l’objet initial de notre proposition de résolution européenne.

Pourquoi cette proposition de résolution demande-t-elle une révision des traités ? Ce n’est pas un objectif en soi mais un instrument au service de la mise en œuvre et de la redéfinition d’objectifs politiques de notre Union. Il s’agit d’abord de renforcer son caractère démocratique en donnant davantage de prérogatives aux citoyens et à leurs représentants au Parlement européen. Nous pensons qu’il faut achever la mue du Parlement européen en un vrai Parlement, doté de véritables pouvoirs budgétaires et du droit d’initiative législative. Il convient aussi renforcer la démocratie européenne, à travers le lancement des fameuses listes transnationales, grâce auxquelles un certain nombre d’eurodéputés seraient élus sur la base d’une circonscription européenne unique.

Les modalités de prise de décision en Europe doivent par ailleurs être réformées sans tarder. Au moment de la crise économique et financière du début des années 2000, au moment de la crise sanitaire puis de la crise géopolitique provoquée par la Russie, l’Europe a su montrer qu’elle était capable de réagir, et même de dépasser certains dogmes. Mais elle a aussi montré qu’elle réagissait parfois trop lentement dans sa prise de décision. Alors que les Américains ont été capables, en seulement quelques semaines, de décréter un embargo sur le pétrole russe, il nous a fallu plusieurs mois pour le faire. La nécessité de prendre des décisions à l’unanimité sur les questions touchant à la fiscalité et à la politique étrangère est, à nos yeux, un facteur bloquant. De même, il est problématique qu’une question comme l’immigration, au sujet de laquelle des décisions pourraient être prises à la majorité, continue d’être régie par l’unanimité. Il me semble que les deux domaines où l’unanimité doit rester la règle sont la politique d’élargissement de l’Union, qui doit continuer d’obtenir l’assentiment de l’ensemble des États, et les changements que certains voudraient instaurer au sujet des valeurs fondamentales de notre Union.

Il convient, enfin, de préparer l’avenir et de répondre aux bouleversements récents ; je pense en particulier à la guerre en Ukraine. La question n’est plus de savoir si nous devons élargir l’Union, ni même quand nous devons le faire, mais comment. L’Europe de 2030, celle qui comptera plus de trente États membres, ne sera plus celle d’aujourd’hui. Deux erreurs doivent être évitées. La première consisterait, alors même que la situation se dégrade dans notre environnement immédiat, à ne rien faire et à laisser les Balkans, l’Ukraine ou la Moldavie patienter, en nous contentant de leur donner des perspectives assez lointaines. Cela reviendrait à laisser la clé à ceux qui veulent nous déstabiliser. Je pense qu’il vaut mieux se mettre autour de la table avec ces États plutôt que de nous exposer à des conflits larvés aux frontières extérieures de l’Union.

La deuxième erreur consisterait à élargir l’Union européenne sans condition et sans la réformer, au prétexte que c’est notre intérêt géopolitique ou que nous le devons à la Moldavie ou à l’Ukraine, du fait de leur combat acharné pour leur liberté, leur souveraineté et les valeurs européennes. Élargir sans réformer, ce serait nous condamner à l’impuissance et aggraver les pesanteurs que nous connaissons. On ne peut pas se payer le luxe de fonctionner à trente ou trente-cinq comme nous peinons déjà à fonctionner à vingt-sept.

L’heure est à la clarification de notre Union européenne. Elle doit s’élargir, repenser très profondément sa gouvernance et ses grandes politiques historiques – la politique de cohésion, le fonctionnement du marché intérieur, la politique agricole commune –, intégrer davantage les politiques économiques et avoir plus d’exigences encore sur l’État de droit.

Telles sont, madame la présidente, les bases de la proposition de résolution européenne qui a été adoptée en commission des affaires européennes et qui est aujourd’hui reprise par le président Bourlanges.

Mme Eléonore Caroit, présidente. Vos deux interventions posent vraiment la question de l’avenir de l’Europe. La troisième partie du rapport montre très bien l’hétérogénéité croissante au sein de l’espace européen et combien il importe de trouver de nouvelles synergies pour préserver la paix, qui est à la base du projet européen.

Les orateurs des groupes politiques vont à présent s’exprimer.

Mme Brigitte Klinkert (RE). Je souhaite tout d’abord féliciter le président Anglade pour son initiative et les rapporteurs pour leur travail, d’abord en commission des affaires européennes et, maintenant, en commission des affaires étrangères.

Cette proposition de résolution européenne permet de revenir sur le travail important qu’ont réalisé les participants à la conférence sur l’avenir de l’Europe et d’exhorter les institutions européennes à donner des retombées concrètes à ce travail. Cette conférence avait justement été conçue pour répondre aux défis et aux aspirations des citoyens européens, pour qu’ils s’expriment sur les politiques de l’Union européenne, son fonctionnement démocratique, ses valeurs, sa place dans le monde, ainsi que sur d’autres sujets d’importance.

Cette conférence a constitué une initiative majeure pour impliquer les citoyens européens dans la réflexion sur l’avenir de l’Union européenne et les faire participer à la création d’une Europe plus forte, plus démocratique et plus inclusive. Les participants ont fait un travail considérable, dans un contexte qui a été perturbé par la crise sanitaire, puis par l’agression russe en Ukraine. Fervente européenne, je ne peux que me joindre à l’appel que vous lancez pour une inclusion pérenne de la démocratie participative dans le processus décisionnel de l’Union européenne. Vous notez dans le rapport que l’Union européenne reste malheureusement un horizon lointain pour les habitants des États membres. Comment élaborer une stratégie efficace de communication et de médiatisation des actions de l’Union européenne et mieux faire connaître à nos concitoyens français et européens les avancées concrètes de la conférence sur l’avenir de l’Europe ?

Parce que ce texte lance plusieurs pistes pour rendre l’Union européenne plus démocratique, en cohérence avec la position sans cesse réaffirmée de la France et du président de la République, le groupe Renaissance votera bien sûr en faveur de cette proposition de résolution européenne.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Je me suis exprimé avant le président Anglade parce que nous sommes en commission des affaires étrangères mais, en toute logique, c’est lui qui aurait dû présenter cette proposition de résolution européenne. Pour ma part, je ne suis qu’un rapporteur technique et c’est à ce titre que j’ai fait le choix de zoomer sur le processus d’élargissement. Mon rapport n’apporte qu’un complément ; l’architecture de base, c’est la proposition de résolution proposée initialement par la commission des affaires européennes.

S’agissant de l’opportunité qu’il y aurait à définir une stratégie de communication et de médiatisation, on dit volontiers que l’Europe doit être concrète. L’UE est toujours concrète mais les gens ont du mal à mettre les choses en perspective. Ce qui nous manque, en réalité, c’est une vision cohérente qui nous permette d’évaluer où nous en sommes, ce que nous avons réussi, ce que nous n’avons pas réussi et ce que nous pouvons entreprendre. Elle fait défaut pour une raison très profonde : nos États, qui ne sont pas d’accord sur un certain nombre de perspectives, ont tous tendance à mettre la poussière sous le tapis. Ainsi, la Serbie a un attachement à la Russie très différent des autres et se trouve en conflit aigu avec le Kosovo. Les approches étant différentes, les problèmes ne sont pas abordés au fond. C’est pourquoi je propose que l’on clarifie, lors de l’adhésion, les engagements fondamentaux qui sont les nôtres, afin d’assurer une plus grande cohérence stratégique.

M. Thibaut François (RN). Alors que cette proposition de résolution européenne vise à façonner l’avenir de notre continent, il est essentiel d’aborder certains aspects de la politique européenne qui suscitent de nombreuses inquiétudes.

Tout d’abord, les implications de la politique d’élargissement de l’Union européenne, notamment aux pays des Balkans, doivent être évaluées. Les problèmes de corruption, de criminalité organisée et les tensions ethniques qui subsistent dans certains pays de la région soulèvent des doutes quant à leur capacité réelle à rejoindre l’Union. De plus, la route des Balkans occidentaux demeure la plus empruntée par les migrants, avec une augmentation de 170 % sur une année. L’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) a dénoncé les migrations clandestines, affirmant avoir détecté près de 130 000 passages irréguliers aux frontières extérieures de l’UE en 2022. Le Rassemblement national continuera de s’opposer à tout élargissement de l’Union européenne, pour une raison simple : les Français sont contre.

Sur la question du renforcement des instances européennes, il est crucial de maintenir un équilibre entre l’efficacité décisionnelle et la représentation démocratique. Trop souvent, nous constatons une centralisation du pouvoir dans des instances bien trop éloignées des citoyens. Il est essentiel de garantir que les décisions prises au niveau européen reflètent véritablement les intérêts et les préoccupations des citoyens de tous les États membres.

Il est indispensable de renforcer la transparence et la participation citoyenne pour construire une Europe libre et véritablement démocratique, en respectant la décision des peuples, notamment en organisant des référendums en cas de modification de traités ou bien en garantissant la prise de décision à l’unanimité lors du vote au Conseil européen. Le groupe du Rassemblement national s’opposera donc à cette résolution car elle va à l’encontre des intérêts des Français.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Je ne vous étonnerai pas en vous disant que nous ne sommes pas d’accord. Nous considérons que le cadre européen est essentiel pour organiser l’avenir de nos pays. Toutes les mesures doivent être prises pour le renforcer.

Cela dit, nous sommes très sensibles à certaines des préoccupations que vous avez exprimées, comme la corruption et le non-respect des droits fondamentaux. Ces pays, qui ont vécu dans un enfer non démocratique pendant des décennies, éprouvent des difficultés à vivre un processus d’acculturation démocratique satisfaisant, ce qui est normal. Nous ne pouvons toutefois tolérer cette insuffisance démocratique ni en tirer prétexte pour dire : « Passez votre chemin, on fera sans vous parce que vous n’êtes pas tout à fait parfaits » ; or, c’est un peu la teneur de votre intervention.

Nous proposons donc une voie moyenne, dans laquelle on solennise véritablement ce qui nous unit. Nous voulons clarifier un certain nombre d’enjeux ainsi que les conséquences de l’intégration de ces pays dans le système institutionnel politico-administratif communautaire. Le chemin que nous proposons consiste donc à ne pas consentir à des imperfections démocratiques, sans pour autant procrastiner.

Mme Ersilia Soudais (LFI-NUPES). Quoi qu’en disent quelques bruits de couloir, nous avons un véritable désir d’Europe : celui d’une autre Europe, loin de la loi du chacun pour soi. Depuis trente ans, cette politique du libéralisme décomplexé ne mène qu’à une chose : un dumping social générant rancune et renfermement et faisant monter les idées d’extrême droite.

Avez-vous lu les résultats des quatre panels de la conférence sur l’avenir de l’Europe ? Les recommandations sont à 90 % en adéquation avec le programme que nous défendons : faire évoluer le rapport au travail en harmonisant par le haut un salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) européen ; améliorer les conditions de travail par la lutte contre le stress et le burn-out ; créer des quotas spécifiques pour mieux intégrer les jeunes, les personnes âgées, les femmes, les minorités dans le marché du travail ; œuvrer en faveur d’une politique environnementale forte par le développement des énergies renouvelables, l’abolition des fermes usines ou encore l’abandon du plastique partout où nous le pouvons.

Il est aussi question de faire respecter les droits humains et de mener une politique d’immigration respectueuse de ces derniers. Faut-il rappeler qu’ériger des barrières entre les hommes produit la mort ? Depuis dix ans, selon l’Organisation internationale pour les migrations, plus de 56 000 migrants ont péri, dont 33 700 par noyade, faisant ainsi de la Méditerranée centrale la voie la plus meurtrière pour ceux qui pensaient trouver refuge et humanité. En vérité, malgré des errements démocratiques, malgré une résurgence de l’extrême droite causée par la politique libérale et l’austérité européennes, les citoyens veulent voir émerger une Europe humaine, sociale, plus proche et accessible, forte face aux défis environnementaux, loin devant une Europe qui défend ses intérêts économiques.

La priorité pour les institutions européennes est donc de se saisir pleinement des recommandations de la conférence sur l’avenir de l’Europe en convoquant une convention pour la révision des traités. Cela permettrait de surmonter la crise identitaire de l’Union que vous déplorez dans votre rapport, monsieur le président.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Nous partageons les objectifs que vous avez évoqués concernant l’amélioration de la condition des travailleurs, la lutte contre le réchauffement climatique ou encore une régulation plus humaine de l’immigration. Simplement, vous êtes une « Madame Tant Pis » tandis que je suis un « Monsieur Tant Mieux » : quand je regarde l’Europe, je me désole ; quand je la compare au reste, je me console. Les pays de l’Union européenne ont atteint un niveau de développement économique et social à nul autre pareil dans l’espace géographique mondial et dans la continuité historique mondiale. C’est un résultat dont nous ne devons pas nous satisfaire mais que nous constatons.

Le maintien de la souveraineté absolue des 193 États indépendants membres de l’Organisation des Nations Unies (ONU) ne permet pas de construire un monde harmonisé. Si l’organisation de solidarités respectueuses des États et des peuples est favorable à la construction européenne, la solidarité géopolitique doit être effective. La construction de l’Union européenne est une étape essentielle dans la construction d’une planète unie. Voilà ce qui me motive.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). La commission des affaires étrangères a toute légitimité pour étudier ce texte dont les propositions sont susceptibles de modifier profondément le fonctionnement de l’Union dans les années à venir, alors que se profilent les élections au Parlement européen et le renouvellement de la Commission.

Le mandat actuel aura été marqué par le Brexit – un État membre a choisi de quitter l’Union pour la première fois de son histoire – et le retour de la guerre en Europe avec l’invasion de l’Ukraine par son voisin russe. Face à ces événements majeurs, chacun ressent un besoin de faire évoluer l’Union, afin qu’elle réponde aux différents enjeux auxquels nous sommes confrontés. La conférence sur l’avenir de l’Europe s’est achevée le 9 mai 2022 après un an de travail avec, à la clef, 49 propositions citoyennes déclinant plus de 300 mesures concrètes pour faire évoluer l’Union européenne. Pour certaines, une modification des traités serait nécessaire.

Ces propositions sont très disparates : limitation de la pollution lumineuse, promotion d’un régime alimentaire végétal, formation aux premiers secours, traitement de l’infertilité, sensibilisation des citoyens à la désinformation, révision du règlement de Dublin, valorisation des petites destinations touristiques, éco-score ou encore renforcement du rôle du haut représentant. Chacun peut y trouver ce qu’il souhaite et, malgré leur regroupement dans neuf grandes thématiques, il est parfois complexe de s’y retrouver. Nos concitoyens européens ne manquent parfois pas d’imagination. Cela rend la partie sur la démocratie européenne encore plus intéressante, surtout celle sur le processus décisionnel de l’Union, où l’on sent tout de même que nos chers concitoyens ont été bien coachés pour produire certaines propositions qui, pour certaines, sentent le vieux verbiage européen.

Au nom du groupe Les Républicains, je souhaite rappeler certains points qui nous paraissent essentiels et feront l’objet de quelques amendements. Nous nous opposons à tout élargissement avant une réforme institutionnelle et nous considérons que cela ne peut pas se faire conjointement. Nous souhaitons que le passage de la règle de l’unanimité à celle de la majorité qualifiée ne se fasse pas de façon systématique mais au cas par cas. Dans le cadre d’une réforme institutionnelle et d’un élargissement à la majorité qualifiée, les Républicains souhaitent rappeler leur attachement au respect du poids démographique des États dans le processus décisionnel européen. Par ailleurs, nous nous opposerons à toute proposition de création de listes dites transnationales, qui creuseraient encore plus le fossé entre les citoyens et leurs représentants au Parlement.

Enfin, de retour de Bosnie-Herzégovine et de Serbie pour une mission de la commission des affaires européennes, je peux vous confirmer que ces deux pays se trouvent à des années-lumière d’atteindre les standards attendus pour une adhésion à l’Union européenne, tant les problèmes de respect de l’État de droit, ou même tout simplement de l’existence d’un État en Bosnie, sont importants. Notre vote dépendra des travaux de la commission, avec la volonté de parvenir à une position équilibrée entre euphorie de certains collègues de la majorité et rejet de l’Union d’une autre partie d’entre eux.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. L’Union européenne ne fonctionne pas sur le mode de la vraie subsidiarité, laquelle consiste à traiter au niveau européen ce qui doit être traité au niveau européen et au niveaux inférieurs – national, régional, local – ce qui doit l’être. On peut parler d’une « subsidiarité à l’envers » car, en vérité, ce que les États aiment mettre en commun, c’est ce qui ne leur importe pas, ce qu’ils peuvent mettre en commun sans atteindre leur propre pouvoir. Les négociations dépendent donc de l’intérêt de chacun. Cela a commencé dès le début, avec l’agriculture française contre l’ouverture de la France aux exportations de l’industrie allemande, ce qui ne correspond à aucune logique de subsidiarité. Pour ma part, je me réclame – comme vous, si je comprends bien – du principe de subsidiarité.

Si la réforme institutionnelle est l’élément essentiel, elle ne passe pas nécessairement par une réforme des traités. Ainsi, la mobilisation de la clause passerelle pour l’extension du vote à la majorité qualifiée ou certaines modifications institutionnelles concernant le fonctionnement de la Commission ne nécessitent pas de réviser les traités.

Par ailleurs, il faut utiliser l’élargissement pour amener un certain nombre de partenaires à prendre toutes leurs responsabilités en matière de droits fondamentaux et d’acceptation des logiques communautaires. Nous disposons d’un levier important, que nous devons utiliser de telle manière que cela ne pénalise pas les pays dont l’intégration est urgente si nous ne voulons pas les voir dériver dans les orbites turques, russes ou chinoises.

M. Frédéric Petit (DEM). Je connais très bien ces régions et ces pays, y compris ceux qui ne sont pas encore membres de l’Union. Pour ma part je considère qu’à Varna, à Sarajevo ou à Bitola, on est chez nous.

Nous devons affirmer que l’identité et la cohérence de l’Union européenne reposent justement sur son hétérogénéité. Loin d’être un problème, celle-ci est l’essence de ce que nous sommes, comme le rappelle notre devise : « Unie dans la diversité ». Il m’arrive même de dire « Unie dans la divergence » car le projet européen a commencé par l’acceptation, à la fin de la première guerre mondiale, de travailler avec son ennemi héréditaire. C’est ce contre-pied magnifique que nous avons le devoir de maintenir, notamment dans les Balkans : de ce point de vue, les Balkans, c’est le franco-allemand à la puissance dix !

Depuis quatre-vingts ans, l’Union européenne fonctionne plus ou moins bien. La solution qu’elle a apportée, sans être unique, s’avère solide. L’identité européenne, c’est le fait que des voisins qui ne parlent pas les mêmes langues essayent de construire ensemble sans en venir aux mains.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Sommes-nous chez nous à la périphérie de l’Union européenne ? Oui, assurément, et la démarche ukrainienne le montre. J’ajoute cependant que l’on n’est fort à la périphérie que si le centre est fort. Il est donc fondamental de renforcer la cohésion de l’Union européenne si l’on veut qu’elle s’ouvre institutionnellement, politiquement et administrativement, dans de bonnes conditions, à l’extérieur. C’est pourquoi certaines déclarations du premier ministre polonais m’inquiètent car il veut refuser l’influence franco-allemande. Or celle-ci est nécessaire, même si elle n’est pas suffisante.

L’Union européenne, c’est la diversité, en effet, tempérée par un double message d’unité concernant, d’une part, tout ce qui touche aux droits fondamentaux, à la démocratie, à la séparation des pouvoirs, à l’exercice démocratique et, d’autre part, un acquis communautaire institutionnel, qui est important.

Pour ma part, la définition que je propose de l’Union européenne est, pour paraphraser un proverbe bien connu : « Égoïsme bien ordonné commence par les autres ». Si l’on veut que nos intérêts et nos valeurs fondamentales soient défendus, il est essentiel de prendre en compte les intérêts et les valeurs légitimes de ses voisins. C’est ce que nous essayons d’expliquer aux Kosovars et aux Serbes, comme nous l’avons fait nous-mêmes entre Allemands et Français naguère. Ce n’est pas facile à faire comprendre mais c’est la base du pacte.

M. Guillaume Garot (SOC). Depuis dix ans, l’Union a connu une cascade de crises – crise de 2008, Brexit, Covid-19, guerre en Ukraine –, dont elle est finalement sortie positivement. Chaque fois, l’Europe a tenu bon.

Il importe désormais de tirer tous les enseignements de ce que nous avons vécu en renouvelant la construction européenne. Cela ressort de façon assez claire, du reste, de la conférence sur l’avenir de l’Europe. Ce qui manque, à nos yeux, c’est une capacité de l’Europe à agir plus rapidement, à se réformer pour être plus efficace et mieux répondre aux attentes de nos concitoyens européens.

Les députés socialistes ont toujours été très exigeants avec l’Europe : critiques quand il le fallait mais toujours confiants sur la nécessité et l’avenir de la construction européenne. L’euroscepticisme ne tient pas à la trop grande place qui serait accordée à l’Union européenne dans nos vies : c’est une interrogation fondamentale sur l’efficacité de l’Europe, sur sa capacité à tenir ses promesses au service d’une vision cohérente.

En conclusion, nous voterons bien évidemment la proposition de résolution européenne, ainsi que de nombreux amendements qui seront présentés, mais nous serons toujours extrêmement vigilants sur l’action du gouvernement français à Bruxelles.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Je suis évidemment d’accord avec M. Garot. S’il est vrai que l’Europe traîne – elle est de ce point de vue à l’image de La Recherche de Proust lue par Céline, qui reprochait au récit de ne pas avancer –, c’est parce que l’on ne donne pas une chance suffisante aux instruments d’action communautaire qui ont été mis en place. Le système est très intelligent : une initiative de la Commission, qui ne décide pas mais qui propose ; une décision à la majorité qualifiée, qui permet de ne pas antagoniser et de ne pas paralyser ; un vote à la majorité des membres du Parlement européen ; un contrôle de la Cour de Justice ; enfin, une banque centrale qui a fait la preuve de son efficacité. Tout cela forme un ensemble cohérent. Il faut donner leur chance aux institutions communes si nous voulons avancer plus vite.

Mme Stéphanie Kochert (HOR). La conférence sur l’avenir de l’Europe s’est terminée l’an passé dans des conditions particulières : nous sortions à peine d’une pandémie qui a profondément changé notre rapport à la construction européenne et au rôle que l’Union européenne peut jouer pour la santé et pour la relance économique de notre continent.

La guerre en Ukraine remet au centre des préoccupations la question de l’élargissement de l’Union. C’est dans cette crise sans précédent que les citoyens ont dû travailler pour proposer un chemin ambitieux pour une Europe soucieuse de protéger l’environnement, l’économie et les libertés fondamentales. Il s’agit désormais de valoriser leur travail en enjoignant aux institutions européennes de renforcer le suivi de la réalisation des recommandations.

La proposition de résolution européenne comporte plusieurs conclusions majeures marquant une vision de l’avenir que les Européens souhaitent construire ensemble. Le groupe Horizons soutient notamment la généralisation du vote à la majorité qualifiée au Conseil, afin de fluidifier l’adoption de textes indispensables à la réalisation des objectifs européens tout en préservant la capacité des États les moins peuplés à conserver leur voix singulière au sein de nos institutions. Cette première mesure devrait être complétée par l’octroi d’un pouvoir d’initiative législative pour le Parlement européen, qui fait actuellement défaut à cette institution pourtant élue au suffrage universel direct depuis quarante-quatre ans.

Destinées à conférer davantage de légitimité démocratique et d’efficience, ces propositions ne peuvent être concrétisées sans la convocation d’une convention pour la révision des traités européens, plus nécessaire que jamais à l’heure des négociations pour l’adhésion de l’Ukraine. Le groupe Horizons et apparentés partage les constats de cette proposition de résolution européenne et votera en faveur de son adoption.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Il faut éviter, quand on aborde la question européenne, d’avoir une position unilatérale. Certains disent qu’il faut que ce soit l’Europe des citoyens – un citoyen, une voix –, ce qui aboutit évidemment à l’écrasement de tous les petits et moyens derrière les trois grands États que sont l’Allemagne, l’Italie et la France. À l’inverse, l’égalité entre les États aboutirait, surtout dans la perspective d’un élargissement en direction des Balkans – avec une multitude de petits États membres –, à une situation totalement déséquilibrée sur le plan institutionnel car les commissaires issus des Balkans, au sens large, auraient la majorité dans la Commission avec une représentation démographique très faible.

Le principe, c’est l’équilibre : il faut trouver un moyen terme entre ces deux logiques. C’est la base du fédéralisme et, au-delà – car tout le monde n’est pas fédéraliste –, c’est la base du bon sens.

M. Nicolas Dupont-Aignan (NI). À la grande époque de l’Union soviétique, chaque fois que le communisme se fracassait sur son échec, les dignitaires du parti communiste appelaient à davantage de communisme et s’enfonçaient un peu plus dans leur échec. Cette proposition de résolution participe de la même logique avec la folie d’un élargissement impossible – ce que d’ailleurs vous reconnaissez – et, plus grave, l’impasse d’un processus qui se construit de plus en plus contre les peuples, une supranationalité hors-sol.

L’alinéa 16 – point 2 – du texte, qui prône une « inclusion pérenne de la démocratie participative dans le processus décisionnel de l’Union avec la poursuite du système des panels citoyens et l’approfondissement de ces mécanismes », apparaîtrait comique s’il n’était tragique : chaque fois que les peuples ont voté, cette Union qui refuse le référendum les a bafoués.

Quant au point 4, qui prévoit de soutenir « le recours aux clauses passerelles pour permettre le passage de l’unanimité à la majorité qualifiée dans le processus décisionnel au Conseil de l’Union européenne », il est la négation même de la souveraineté des nations, seul échelon de notre démocratie. Même Édouard Balladur, qui n’est pas un grand souverainiste, a récemment mis en garde contre cette fuite en avant.

La réalité est que l’Union européenne telle que vous l’avez construite, de plus en plus supranationale, est un fiasco complet et que les citoyens s’en aperçoivent. La suppression des frontières entraîne un chaos migratoire qui ne peut qu’aller croissant ; la multiplication des accords de commerce internationaux aboutit à un désastre industriel et écologique. La politique énergétique est suicidaire pour la France : elle a torpillé notre atout et ruiné nos PME. L’Union est un coût exorbitant puisque la France est un contributeur net, toujours plus important, qui subventionne ses concurrents. Enfin, sa politique étrangère est désormais totalement alignée sur l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et soumise aux États-Unis, au point qu’elle nous fâche avec le reste du monde.

Cela ne veut certainement pas dire qu’il ne faut pas d’Europe. Il y a toujours eu deux façons de construire l’Europe. Dans la façon intergouvernementale, celle du général de Gaulle, « on ne fait pas d’omelette avec des œufs durs » – les œufs durs, c’est-à-dire les nations. Vous avez voulu faire une omelette avec des œufs durs, vous aboutissez à un système de plus en plus totalitaire, antidémocratique. Le paradoxe est que l’Europe que vous avez construite n’a même pas traité les questions fondamentales : l’avenir de l’Afrique, la puissance scientifique, l’avancée technologique.

La seule solution est une réorientation complète, à l’opposé de cette proposition de résolution, c’est-à-dire le retour à des nations libres, qui peuvent coopérer entre elles. Elle viendra car, dans notre histoire, les constructions antidémocratiques se sont toujours effondrées.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Dire que je ne suis pas entièrement d’accord avec vous relève de la litote. Vous instruisez deux procès différents : l’un contre l’organisation politico-administrative de l’Union européenne ; l’autre contre l’idée d’une économie ouverte, telle qu’on la pratiquait depuis la seconde guerre mondiale, et qui n’a pas besoin d’Europe – les Anglais la poursuivent d’ailleurs très bien en dehors du cadre de l’Union. C’est un autre débat, même si, je le reconnais volontiers, le projet européen s’est identifié à cette démarche d’ouverture.

Surtout, je suis en désaccord avec votre conclusion. Non, vous ne construirez pas une France puissante, une civilisation européenne respectée en pratiquant l’inter-gouvernementalisme systématique : 193 États souverains, comme on le voit avec l’ONU, cela ne fonctionne pas pour créer un monde équilibré dans lequel nos intérêts économiques et sociaux comme nos valeurs démocratiques sont défendus face aux Russes, aux Chinois ou aux islamistes.

Toutefois, vous avez raison de dire que ce que nous faisons dans l’Union européenne depuis soixante-dix ans est un travail pénible, poussif, digne de Sisyphe. J’essaie d’imaginer Sisyphe heureux ou, en tout cas, volontaire : pour nous, héritiers d’une histoire occidentale magnifique en dépit de ses pages d’horreur, notamment au siècle dernier, il n’y a pas d’autre issue qu’un mouvement puissant d’organisation. C’est ce que nous tentons de faire. Ceux qui essaient s’exposent aux critiques de ceux qui n’essaient pas, mais ils l’assument.

Mme Eléonore Caroit, présidente. Nous en venons aux interventions des députés à titre individuel.

Mme Mireille Clapot. Au-delà de la proposition que nous examinons, notre débat porte sur les valeurs de l’Union et la réflexion est centrée sur le processus d’élargissement. Cela a été dit, bâtir une zone de paix sur des antagonismes est un défi extrême, que le monde entier observe. Les institutions sont solides même si ce sont les femmes et les hommes qui les activent et les orientent.

Je suis d’accord pour donner leur chance aux petits pays, ceux qui sont au cœur de l’Europe géographique comme ceux de la périphérie. Il faut aussi protéger nos intérêts contre les influences étrangères.

Dans une contribution annexée au rapport sur les résultats de la conférence, les citoyens néerlandais recommandent de n’élargir l’Union que « si cela apporte une valeur ajoutée ». Comment interpréter ces termes ?

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Les Néerlandais sont attentifs aux balances comptables. Il faut surtout que la non-adhésion ne soit pas synonyme de soustraction de valeur.

Quand on regarde la fragilité démocratique, la vulnérabilité géopolitique et les mauvaises habitudes d’anti-convivialité qui caractérisent historiquement les Balkans, il est évident que nous avons un devoir, une responsabilité particulière. Notre but est de l’assumer ; la condition pour y parvenir est de ne pas abîmer le produit que nous avons construit ensemble. Il faut donc être attentifs à ce que l’entrée de ces pays dans l’Union européenne ne se traduise pas par une régression de l’ensemble.

Mme Véronique Besse. La proposition de résolution tend à mettre fin au principe d’unanimité dans la prise de décision. Inversement, elle évoque la nécessité de renforcer la légitimité de l’Union européenne. Or la suppression du principe d’unanimité présenterait un danger pour la souveraineté des peuples : elle minerait la légitimité de l’Union européenne. Comment parvenez-vous à intégrer ces deux propositions dans le même texte ?

Le rapport issu de la conférence sur l’avenir de l’Europe prône plutôt le statu quo sur le plan migratoire. Pourquoi ne voulez-vous pas écouter les Français qui estiment qu’il existe un problème dans ce domaine, ni préciser clairement dans la proposition de résolution que la France doit garder la maîtrise de ses flux migratoires ?

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. En Europe comme en France, la question migratoire divise. Devons-nous nous ouvrir à « la misère du monde », pour reprendre une expression de Michel Rocard, tout bloquer, ou offrir un accueil sélectif et régulé – en bon centriste, c’est la position que je défends ? L’Europe doit définir une position et il est évidemment plus difficile de régler un antagonisme avec une communauté élargie, composée de trente-cinq États, qu’avec vingt-sept pays.

Je ne comprends pas votre remarque sur l’unanimité. L’unanimité, c’est l’anti-démocratie par excellence, où un pays qui représente 300 000 personnes – je n’en citerai aucun en particulier – peut bloquer le développement de la lutte contre les paradis fiscaux et la fiscalité.

L’unanimité d’États de dimensions aussi différentes n’est pas la solution. La majorité non plus car elle antagonise. Nous en convenons, il est difficile de mettre les Européens dans un même ensemble. Les majorités simples mettent face à face une majorité et une opposition. Ce serait le prélude à une sécession d’une moitié de l’Europe contre l’autre : le Sud contre le Nord, l’Est contre l’Ouest, etc.

La majorité qualifiée est une solution très intelligente, qui oblige ceux qui veulent aboutir à faire des concessions et qui interdit à ceux qui siègent dans l’opposition de pratiquer la mauvaise foi. Tout le monde est obligé de faire un effort vers l’autre. Nous examinerons ces points plus en détail avec les amendements de M. Pierre-Henri Dumont.

M. Lionel Vuibert. La conférence sur l’avenir de l’Europe, qui s’est achevée par la présentation de 49 propositions, déclinées en 325 mesures concrètes, avait pour objectif de promouvoir la cohésion et la solidarité entre les États membres, en cherchant à identifier les domaines où une action européenne est nécessaire pour relever les défis communs, tout en respectant les différentes réalités nationales et régionales.

Dans un contexte contraint par les enjeux sécuritaires, environnementaux, économiques et commerciaux, il importe de réfléchir à la manière de réformer et de moderniser l’Union européenne pour mieux relever les défis du XXIe siècle. Pour y faire face, il semble primordial de mettre à disposition des moyens : quelles ressources financières sont allouées à la mise en œuvre des recommandations de la conférence ? Comment se répartissent-elles entre les différents domaines d’action ?

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Les ressources financières sont le talon d’Achille le plus grave de la construction communautaire. L’article relatif aux ressources propres est un véritable traité dans le traité : il prévoit un vote à l’unanimité des États et la ratification selon leurs procédures propres, référendum ou voie parlementaire. Dans un pays comme la Belgique, qui dispose de plusieurs Parlements, cela aboutit à une quarantaine de votes parlementaires. C’est un point de blocage essentiel et je ne partage pas la position du chancelier fédéral d’Allemagne, qui met l’accent sur un déblocage de la politique étrangère : celle-ci antagonise les partisans d’un camp ou de l’autre. Débloquer la situation dans le domaine budgétaire est en revanche primordial pour que l’Union puisse prendre des initiatives. Et cela ne signifie pas qu’elle adoptera n’importe quoi car la majorité qualifiée est difficile à obtenir.

M. Adrien Quatennens. On se trompe si on résume le débat à une opposition « pour » ou « contre » l’Europe. En 2005, les Français n’ont pas voté contre l’Europe mais contre un mode d’organisation particulier de l’Union européenne.

Le rapport final de la conférence sur l’avenir de l’Europe enchaîne les vœux pieux, éloignés des orientations politiques européennes. Bercée par l’illusion du dogme de la concurrence libre et non faussée, l’Union européenne s’oppose au protectionnisme écologique et solidaire. Faisant fi des oppositions populaires, elle continue de négocier des traités de libre-échange que l’on sait climaticides et socialement dangereux. Elle empêche la constitution de pôles publics et la protection de nos biens communs. Le droit européen interdit par exemple de nationaliser le fret ou de privilégier des productions locales et bio dans la commande publique. Les traités européens refusent l’harmonisation sociale et fiscale, encourageant la concurrence entre les salariés. Incapable de lutter contre les paradis fiscaux, l’Union européenne n’en manque pas moins d’imposer d’absurdes règles budgétaires – notamment celle des 3 % –, qui réduisent les capacités à investir. Loin des ambitions affichées, le droit européen oppose de nombreux blocages à l’application de tout autre programme.

Que peut-on attendre d’une initiative refusant de désobéir au traité dont les Français n’ont pas voulu, qui mine nos capacités à relever les défis présents et futurs ?

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Nous n’avons manifestement pas la même appréciation des possibilités et des risques qui pèsent sur nos sociétés. L’évolution que vous évoquez ne peut déboucher que sur une chose : il est regrettable que les partisans du non, il y a une vingtaine d’années, ne l’aient pas formulée expressément en tant que sortie de l’Union européenne. Partant des bases que vous évoquez, vous n’arriverez pas à reconstruire un traité qui associe l’ensemble des États. Vous aurez déjà du mal à obtenir une majorité en France ; vous n’en obtiendrez certainement pas une dans la très grande majorité des États membres.

La question est donc de savoir si nous continuons dans les voies idéologiques dominantes qu’ont choisies les peuples européens et que vous n’approuvez pas ou si nous estimons qu’en cassant le système, comme l’ont fait les Britanniques, nous améliorons la situation. Depuis la fin de l’Union soviétique, c’est-à-dire la fin du camp du socialisme réel, l’alternative n’existe pas. C’est une des différences que nous avons – et elles sont nombreuses !

Mme Liliana Tanguy. Des réformes structurelles ont été engagées dans les pays candidats – je l’ai constaté récemment en Serbie et en Bosnie-Herzégovine –, comme dans ceux qui sont en phase de négociation. Les attentes en matière d’accompagnement par l’Union européenne sont fortes : tous ces pays, européens convaincus, aspirent à rejoindre l’Union. Il est nécessaire d’accroître les coopérations avec eux.

La région est en outre exposée à un risque élevé d’ingérence. La situation géopolitique résultant de la guerre en Ukraine doit mener à faire de l’intégration des Balkans occidentaux une priorité pour l’Europe. Quelle méthode et quel agenda pourrait-on fixer pour atteindre cet objectif ?

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. L’aspiration est forte mais il faut déterminer si elle ne repose pas sur une vision mythifiée : l’Union est attendue comme le paradis, comme l’est la ville de Moscou dans Trois sœurs de Tchekhov. Pour réussir l’élargissement, on doit éviter que ces aspirations ne se concrétisent de manière confuse et identifier précisément ce que l’on veut faire.

Quant à la méthode et à l’agenda, il faut lire le rapport : j’ai tenté d’y définir un processus qui permet de répondre, de clarifier et d’éviter de laisser l’Union se diluer dans un espace invertébré et dépourvu de toute capacité d’action. J’ai esquissé une voie : il faut à présent voir si on l’aménage.

M. Frédéric Zgainski. Vous avez précisé la manière de repenser le processus, avec une première phase d’engagement politique ; une seconde d’acculturation administrative et une troisième d’adhésion pleine et entière. Quelles différences voyez-vous entre cette première phase et l’initiative lancée par Emmanuel Macron d’une Communauté politique européenne, la CPE ?

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. La CPE, dont j’approuve pleinement la création, n’a pas le même objet : elle vise à offrir un forum de convergence à des pays de statuts différents : États membres, pays candidats, associés ou extérieurs, comme le Royaume-Uni. Ces pays n’ont pas la même perspective institutionnelle mais se sentent solidaires sur le plan des valeurs civilisationnelles et de la réponse aux menaces géopolitiques qui peuvent leur être adressées, notamment par la fédération de Russie. Ce forum existe : il a montré sa force et son dynamisme. Il doit être considéré comme extérieur à l’Union européenne.

Au contraire, la déclaration d’adhésion à l’union politique, telle que je la préconise, est l’ensemble des engagements fondamentaux conduisant à participer à l’Union européenne, – les droits fondamentaux, l’organisation démocratique, l’acquis communautaire, le système institutionnel communautaire et la solidarité géopolitique –, qui doivent être assumés par les candidats. Cet engagement constitue le point de départ du cheminement de ces États vers l’aboutissement final : la participation pleine et entière aux institutions communes, à travers la phase intermédiaire d’acculturation technico-administrative, où l’on appliquera les politiques communautaires chaque fois que cela sera possible. L’exigence est donc beaucoup plus forte.

La première phase se distingue des deux autres par le fait que ces États ne sont pas forcément prêts, loin de là, à assumer toutes les exigences. Nous leur demandons en revanche d’assumer immédiatement tous les engagements.

Mme Eléonore Caroit, présidente. Nous avons débattu il y a peu de la CPE en présence de la secrétaire d’État, Mme Laurence Boone.

Nous en venons à l’examen des amendements. Le texte adopté par notre commission sera soit débattu en séance publique, soit réputé définitivement adopté si aucune demande d’inscription à l’ordre du jour n’est formulée en conférence des présidents dans un délai de quinze jours francs à compter de la publication du texte adopté, conformément à l’article 151-7 de notre règlement.

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Article unique

Amendement AE32 de M. Jérôme Buisson.

M. Jérôme Buisson (RN). Plutôt qu’une « réflexion intellectuelle », le rapport est un scénario catastrophe démocratique. Le principe de souveraineté nationale est manifestement oublié dans la proposition de résolution européenne, et même bafoué dans les textes sur lesquels elle s’appuie.

Cet amendement a pour objet de rappeler l’article 3 de notre Constitution, qui dispose : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». La nation est souveraine : le peuple l’exprime par son suffrage, non dans le cadre de la consultation, qui est sans valeur légale ni légitimité démocratique.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. L’article 3 de la Constitution ne me pose aucun problème, y compris par rapport à l’Union européenne, qui est une union d’États souverains, pour fédérale que soit son organisation. Un État souverain garde la compétence de la compétence ; c’est un peu le contraire de ce qu’était l’État américain selon Abraham Lincoln, car il estimait cet État doté de la compétence de la compétence tout en la refusant aux États du Sud.

La mention proposée viendrait comme un cheveu sur la soupe, si je puis dire : la souveraineté n’étant pas mise en cause, cela donnerait le sentiment qu’on est obligé de rappeler cet article de la Constitution, dont de nombreux articles, auxquels je souscris, ne figurent pas pour autant dans la proposition de résolution. Avis de sagesse.

M. Nicolas Dupont-Aignan (NI). Vous dites que l’Union européenne ne remet pas en cause la souveraineté nationale. C’est faux : la proposition de résolution aboutit à la remise en cause de la souveraineté nationale, donc de la démocratie, en généralisant le passage à la majorité qualifiée. Elle détruit ainsi les démocraties nationales, sans aboutir pour autant à une démocratie européenne. C’est là votre contradiction majeure.

D’ailleurs, vous avez répondu en substance à M. Quatennens qu’il n’y a pas d’autre solution : soit on sort de cette union supranationale, soit on est condamné à subir sa politique. Ce faisant, vous alimentez la destruction de l’Union européenne puisque, quand les peuples ne supporteront plus les politiques menées par cette organisation autoritaire, ils n’auront d’autre choix que la sortie.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. C’est une erreur d’identifier l’absence de démocratie au vote à la majorité qualifiée : l’unanimité pose les mêmes problèmes. Quand on modifie la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à l’unanimité, on crée un effet de cliquet qui bloque les décisions. Votre contestation est plus vaste : c’est la constitution du droit dérivé qui serait en cause.

J’ai émis un avis de sagesse car je ne crois pas que l’on s’expose à un risque en votant l’amendement. Pour ce qui me concerne, je voterai néanmoins contre.

La commission rejette l’amendement.

Puis, elle adopte les amendements identiques, visant à corriger une erreur de référence, AE46 de M. Jean-Louis Bourlanges et AE31 de M. Jérôme Buisson.

Amendement AE19 de Mme Marine Hamelet.

Mme Marine Hamelet (RN). Je défendrai en même temps mon amendement AE34.

L’article 3 de notre Constitution dispose : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ». Par conséquent, le résultat du référendum des 28 et 29 mai 2005 ne peut pas être passé sous silence dans le cadre d’une proposition de résolution, a fortiori dans le cas présent.

En effet, la présente proposition entend s’appuyer sur une consultation « citoyenne » ; or la légitimité démocratique d’une telle consultation est éminemment problématique et contestable, contrairement à celle du référendum. En outre, il convient de rappeler qu’aucune loi ni aucun traité ne donne de légitimité démocratique au format de la « consultation », qui n’est pas fondé sur l’expression du fait majoritaire.

Il est faux de prétendre, comme on peut le lire dans l’introduction du rapport sur les résultats finaux, que « tous les Européens » ont eu « leur mot à dire sur ce qu’ils attendent de l’Union européenne » dans le cadre de cette conférence, alors même que ses résultats s’appuient sur une fraction infime de l’ensemble des citoyens que comptent les États membres. Au total, en effet, en comptant les participants aux « panels », aux « assemblées plénières », aux « groupes de travail », à la « plateforme multilingue » et à l’ensemble des événements organisés, on comptabilise environ 700 000 personnes, soit moins de 0,2 % de la population des États membres de l’Union européenne.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Si je rédigeais un amendement rédactionnel, je proposerais de remplacer les mots : « du référendum » par les mots : « des référendums », car ils ont été, si je ne me trompe, au nombre de trois – celui de l’Espagne ayant été favorable et ceux de la France et des Pays-Bas défavorables.

L’amendement est du reste inutile car, juridiquement, le résultat du référendum renvoie à l’état juridique antérieur, c’est-à-dire celui qu’ont défini l’ensemble des traités de Paris, de Rome, de Maastricht et de Nice, qui ont jalonné la construction de l’Union européenne. En effet, en refusant de lier le vote du « non » à la sortie de l’Union européenne – à la différence de ce qu’ont fait les Britanniques, acceptant de tirer les conséquences de leur décision –, ce système valait juridiquement retour à l’ensemble des traités antérieurs, qui avaient par ailleurs été constamment critiqués pendant la campagne du « non ». Renvoyer à ce résultat n’est donc pas très clair. Avis défavorable.

M. Frédéric Petit (DEM). Je voterai contre cet amendement. La question de savoir si les conférences sont démocratiques ne manquera pas de revenir très souvent. Chers collègues, vous prétendez que l’Europe est éloignée des citoyens, mais le Conseil économique, social et environnemental (CESE) est démocratique, comme les grèves et les manifestations, et les partis figurent dans la Constitution.

Les conclusions sont complexes et des gens participent à ces conférences. Il est absurde de dire qu’une consultation n’est pas démocratique : nous sommes précisément en train de prouver le contraire aujourd’hui, où cette question vient au Parlement, qui peut s’en saisir comme il peut le faire d’une manifestation ou d’un texte du CESE.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Je souscris entièrement à l’argumentation de M. Petit, qui est fondamentalement juste. On ne peut pas considérer que cette consultation n’est pas démocratique dès lors qu’elle n’incarne pas une prise de pouvoir dessaisissant les institutions démocratiques, notamment les Parlements nationaux.

M. Nicolas Dupont-Aignan (NI). La remarque de M. Petit vaut pour les sujets ordinaires mais si les Constitutions sont approuvées par référendum, c’est bien parce que les règles fondamentales, pour être légitimes, doivent être confortées par le peuple. Sur un dossier aussi important que l’avenir de nos démocraties, de nos nations et du continent européen, seul le peuple peut donner la légitimité qui permet la contrainte. Penser l’inverse est une folie.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Vous méconnaissez le droit constitutionnel français : combien de révisions de la Constitution ont été faites sans référendum !

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE30 de M. Jérôme Buisson.

M. Jérôme Buisson (RN). Cet amendement tend à rappeler que la consultation citoyenne organisée dans le cadre de la conférence sur l’avenir de l’Europe n’a pas de légitimité démocratique puisqu’elle n’exprime pas le fait majoritaire issu des suffrages de nos concitoyens et reste très peu représentative car, au-delà des nombreux panels, européens comme nationaux, à la composition opaque, elle repose sur de nombreuses consultations en ligne et événements peu suivis qui n’ont, au total, attiré qu’environ 700 000 personnes, soit 0,15 % de la population des pays européens.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Avis défavorable, sur la base de la « jurisprudence Frédéric Petit ».

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement AE34 de Mme Marine Hamelet.

Amendement AE20 de Mme Marine Hamelet.

Mme Marine Hamelet (RN). Le Rassemblement national rejette les conclusions de la conférence sur l’avenir de l’Europe. En effet, aucune loi ni aucun traité ne donne de légitimité démocratique au format de la « consultation », lequel n’est pas fondé sur l’expression du fait majoritaire.

Il est faux de prétendre, comme on peut le lire dans l’introduction du rapport sur les résultats finaux, que « tous les Européens » ont eu « leur mot à dire » dans le cadre de cette conférence. Comme je l’ai dit, en effet, il ne s’agit que de 700 000 personnes.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Avis défavorable, au titre de la « jurisprudence Petit ».

M. Frédéric Petit (DEM). J’ajouterai un seul mot : nous avons voté !

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE35 de Mme Laurence Robert-Dehault.

Mme Laurence Robert-Dehault (RN). Depuis 2011, le nombre de résidents de nationalité étrangère au sein de l’Union européenne s’accroît constamment, atteignant 37,5 millions en 2021. Parmi ces migrants, 36 % sont installés en Europe grâce aux divers mécanismes de regroupement familial, 20 % pour des raisons économiques et 9 % seulement pour asile.

L’une des conséquences de cette immigration anarchique venant de pays aux cultures radicalement différentes se traduit par une hausse des tensions dans les pays d’accueil. La dernière publication de l’Institute for Economics and Peace classe la France au 67ème rang des pays les plus paisibles au monde, derrière la Gambie, le Chili ou le Sierra Leone. Les premières places sont occupées par des pays à la population relativement homogène, tels que la Suisse, l’Islande ou le Japon. Sont en cause le mécanisme européen de répartition des demandeurs d’asile, dont la défaillance n’est plus à démontrer, ainsi que le contrôle quasi-inexistant des migrants aux frontières de l’Union européenne.

L’augmentation des moyens financiers et humains alloués à Frontex à l’horizon 2027 demeure insuffisante, tant cette agence fait aujourd’hui office de personnel d’accueil des migrants irréguliers. Par comparaison, la United States Border Patrol, équivalent américain de Frontex, dispose, sous l’administration Biden, d’un budget annuel de plus de 5 milliards de dollars, tandis que l’agence européenne bénéficie de 845 millions d’euros seulement, bien qu’elle doive couvrir une surface plus grande.

À rebours de ces constats, la Commission européenne a présenté en 2022 un paquet de mesures visant à faciliter les possibilités d’immigration légale pour pallier le manque de main-d’œuvre dans l’espace européen ; or en 2021, le taux d’emploi des citoyens de l’Union européenne s’élevait à 74 %, contre 59,1 % seulement pour les résidents de nationalité étrangère à l’Union.

L’amendement vise donc à enjoindre un changement de paradigme dans la politique migratoire de l’Union.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Mme Robert-Dehault appelle notre attention sur un important défaut de la politique européenne. Je comprends son point de vue, cependant nous ne nous concentrons pas ici sur les politiques européennes mais sur le système de l’Union européenne, comme le président Anglade, sa commission et nous-mêmes l’avons décidé. Quel que soit donc l’intérêt des observations qui viennent d’être exposées – et qui, du reste, peuvent aussi être contestées –, elles sont hors sujet. Avis défavorable.

M. Nicolas Dupont-Aignan (NI). Sur ce sujet majeur, la construction européenne telle qu’elle fonctionne ne peut pas aboutir à des résultats et se traduit par un chaos. Face à ce chaos, au lieu de reconnaître que le rétablissement des frontières nationales est la seule solution et qu’il peut s’accompagner d’un contrôle extérieur, l’Union européenne fonce dans le mur en voulant imposer une répartition des migrants, heureusement refusée par la Pologne et la Hongrie.

Viendra bien un moment où les peuples verront la réalité – ils la voient d’ailleurs de plus en plus – et où ce système s’effondrera, car il ne peut pas obtenir de résultats.

M. Bourlanges nous disait que l’Union européenne est la seule solution, par comparaison avec un système qui, avec 193 nations, n’existe pas. Je remarque que les seuls endroits où l’on observe un chaos migratoire sont les pays de l’Union européenne, qui ont supprimé leurs frontières, et que tous les pays du monde, même s’ils coopèrent et s’ils appartiennent à des ensembles, contrôlent leurs frontières nationales.

M. Frédéric Petit (DEM). Si l’on peut mesurer le chaos et l’anarchie avec une aussi faible marge d’erreur statistique que dans votre amendement, c’est peut-être parce que ces mots sont un peu exagérés. Du reste, le général de Gaulle évoquait les fromages français pour suggérer que la diversité pouvait être intéressante.

Plus sérieusement, puisque nous parlons d’élargissement et que vous avez évoqué tout à l’heure la route des Balkans, je rappelle que Frontex est aujourd’hui bloquée dans cette région. En effet, l’agence intervient dans les Balkans et en Moldavie mais, sans entrer dans le détail, il est clair que la politique de protection de l’Union européenne et de gestion de ses frontières sera bien plus efficace lorsque le bloc sera homogène qu’elle ne l’est aujourd’hui, où l’intégration n’est pas faite.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Pour répondre à M. Dupont-Aignan, pour qui les pays qui ont repris le contrôle de leurs frontières ne sont pas confrontés au chaos migratoire, je puis vous assurer, en tant que député de Calais, territoire qui a subi le Brexit et a pour voisin un pays qui a repris ce contrôle, que jamais autant de personnes n’ont atteint les côtes britanniques que depuis que le Royaume-Uni est sorti de l’Union européenne.

Par ailleurs, je m’étonne de l’évolution de la position du Rassemblement national, qui demande aujourd’hui plus de moyens pour Frontex alors que les eurodéputés de ce parti ont voté, en avril 2019, contre la création de 10 000 postes de garde-frontières européens pour cette agence.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE41 de M. Pierre-Henri Dumont.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). L’alinéa 10 fait état d’un choc géopolitique lié la guerre en Ukraine, or cette guerre n’existait pas au moment où la conférence a été lancée, tandis que la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne était une réalité, qui a créé un précédent. Nous devons donc envisager dans nos analyses la possibilité que d’autres pays fassent de même, d’où cet amendement qui, déposé par Michel Herbillon et moi-même, vise à mentionner le Brexit avant la guerre en Ukraine.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Je reconnais l’importance du Brexit mais les événements ne sont pas de même nature. L’évolution du contexte géopolitique, dont il est ici question, renvoie à une modification de la menace, qui englobe certes l’évolution de la Russie, mais aussi celle de la Chine et de la Turquie, ainsi que le conflit islamiste, c’est-à-dire tout un ensemble de modifications – d’où l’emploi, dans le texte, de l’adverbe « notamment » pour évoquer la guerre d’Ukraine, qui est le plus récent et le plus spectaculaire de ces changements. Le Brexit, en revanche, même si je n’en sous-estime pas l’importance et s’il pose un problème de fonctionnement et d’organisation pour l’Union européenne, ne modifie pas le contexte géopolitique proprement dit. Avis plutôt défavorable.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Le Brexit est aussi une conséquence directe du mauvais fonctionnement de l’Union européenne et du sentiment qu’avaient les Britanniques d’avoir perdu de la souveraineté, comme le montrent les slogans utilisés durant la campagne. Ne pas évoquer cet élément central risque d’être problématique.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. L’alinéa 10 concerne le contexte géopolitique international. Ce que vous dites est donc vrai mais hors sujet.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE21 de Mme Marine Hamelet.

Mme Marine Hamelet (RN). Nous ne pouvons accepter que les États membres d’une Union déjà largement critiquée ces dernières années perdent chacun leur droit de veto au Conseil européen, qui garantit le respect ultime de leur souveraineté nationale.

La proposition de résolution, qui appelle à supprimer la règle de l’unanimité au Conseil européen, ne peut faire l’impasse sur les résultats des élections nationales ayant porté au pouvoir, dans plusieurs pays européens, des gouvernements demandant un respect strict de leur souveraineté nationale.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Le Conseil européen fonctionne par consensus, après avoir recueilli des conclusions, et ne vote que dans des cas très précis fixés par les traités, par exemple pour définir la liste des États rejoignant l’Union européenne. À l’initiative des Italiens, qui étaient parvenus à vendre cette idée à Margaret Thatcher, des votes à la majorité ont également eu lieu, à titre exceptionnel, pour la décision du Conseil européen de Milan instituant le marché intérieur.

D’ordinaire, les chefs d’État et de gouvernement parlent – interminablement ! –, puis vont se coucher. À cinq heures du matin, les collaborateurs qui ont veillé la nuit proposent un relevé de conclusions, qui est glissé sous la porte de chaque délégation. Les délégations formulent alors des observations, à partir desquelles est rédigée une conclusion générale qui constitue la matière de la décision du Conseil européen.

L’amendement est donc hors de propos.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE29 de M. Jérôme Buisson.

M. Jérôme Buisson (RN). Monsieur Bourlanges, vous avez dit qu’à trente, on ne serait jamais d’accord. Il faudrait donc prendre des décisions sans être d’accord, mais aux dépens de quel pays ?

Comme nous l’avons déjà dit, nous ne contestons pas seulement la légitimité et la représentativité de cette consultation « citoyenne » mais nous considérons aussi que certaines de ses conclusions portent atteinte à notre souveraineté nationale et, de ce fait, outrepassent les processus démocratiques nationaux, au premier rang desquels le suffrage populaire.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Avis défavorable, toujours en application de la « jurisprudence Petit ». Je ne crois pas avoir évoqué ces perspectives de désaccords. Du reste, l’existence de désaccords n’est pas, en soi, critiquable, et toute la réflexion politique, depuis Jean-Jacques Rousseau et quelques autres, consiste à savoir comment les surmonter. Il existe pour ce faire plusieurs méthodes, dont celle que nous appliquons au sein de l’Union européenne – et d’autres.

M. Frédéric Petit (DEM). La logique de la souveraineté implique qu’on ne peut pas être souverain et ne prendre qu’une partie de l’assiette. Dans cette logique, si le droit du traité est supérieur à mon droit, j’ai le droit de sortir du traité et de me retirer. Il faut l’assumer. En Pologne, pays que vous citez et que je connais bien, pour rien au monde un gouvernement, même s’il ne cesse de dire qu’il conteste une perte de souveraineté, ne tentera de sortir de l’Union car il sait que 80 % de la population y serait opposée.

Il faut assumer jusqu’au bout la logique de la souveraineté et décider si l’on veut sortir ou non. Votre parti est bien placé pour le savoir.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE40 de M. Pierre-Henri Dumont.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Cet amendement vise à remplacer, à l’alinéa 12, le mot : « est » par les mots : « peut être ». En effet, la règle de l’unanimité n’est pas la cause unique du ralentissement de certaines décisions prises au sein du Conseil et elle n’empêche pas, par ailleurs, d’avancer sur certains sujets. On peut donc être moins catégorique dans l’application de la règle de l’unanimité, d’où la proposition de cette petite modification sémantique.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Je propose un sous-amendement AE56 tendant à remplacer les mots : « est la cause du » par les mots : « contribue au ».

La commission adopte successivement le sous-amendement AE56 et l’amendement sous-amendé.

Amendement AE18 de M. Thibaut François.

M. Thibaut François (RN). L’unanimité au Conseil européen est un élément essentiel qui permet la sauvegarde de la souveraineté des nations. L’Union européenne ne peut se substituer à la souveraineté de ses membres.

Cet amendement fait suite à l’amendement AE16, qui vise à ancrer l’unanimité au Conseil européen, afin de garantir aux États membres indépendance et souveraineté. La suppression de cette unanimité donnerait un plus grand pouvoir à la Commission européenne, par exemple dans des négociations avec des pays tiers, ce qui irait à l’encontre du principe de souveraineté de chacun des États membres.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. L’analyse est fausse car la question n’est pas d’opposer l’unanimité et la majorité qualifiée. Si j’essaie de me mettre à la place des représentants du Rassemblement national, il me semble que ce qui est en cause est la possibilité d’une décision créant du droit dérivé qui s’impose absolument à tous les États. En effet, même à l’unanimité, une décision n’est pas prise dans un cadre intergouvernemental mais communautaire. Ainsi, lorsque nous avions adopté à l’unanimité une mesure relative à la TVA, il était impossible de la changer, ce qui remettait également en cause la souveraineté telle que vous l’entendez.

Vous faites donc une erreur : la majorité qualifiée ne diminue certainement pas le pouvoir de chacun des États, même si elle les conduit à adopter une attitude plus positive dans la négociation. Avis défavorable.

M. Nicolas Dupont-Aignan (NI). On en revient toujours à la même question. Vous considérez que l’unanimité ne défend pas la démocratie, alors qu’elle permet à un État comme la France de ne pas se voir imposer une politique contraire à son intérêt national. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le général de Gaulle, lors du compromis de Luxembourg, avait pratiqué la politique de la chaise vide afin de maintenir le droit de veto lorsque l’intérêt vital du pays était en cause. C’est absolument fondamental.

La réflexion de M. Petit illustre bien votre vision d’une Europe fédérale. Vous considérez déjà que votre nation est européenne et que la démocratie s’exerce au niveau européen. Nous considérons, pour notre compte, que la démocratie ne s’exerce qu’au niveau national, parce qu’il n’existe ni peuple européen, ni démocratie européenne, comme en témoigne d’ailleurs la très faible participation aux élections pour le Parlement européen.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE36 de Mme Laurence Robert-Dehault.

Mme Laurence Robert-Dehault (RN). L’Union européenne est la seule organisation au monde qui affaiblisse volontairement sa compétitivité, le plus souvent en se soumettant à des injonctions écologiques inefficaces, voire contre-productives, dénuées de pragmatisme et entièrement idéologiques. D’autres États ont créé leur propre marché du carbone, un mécanisme consistant à acheter ou revendre des quotas donnant un droit à polluer, mais celui de l’Union européenne est, de loin, le plus contraignant. En France, par exemple, un fabricant de verre qui paie son gaz 50 euros le mégawattheure doit y ajouter 20 euros supplémentaires en quota d’émission de CO2.

L’Union semble pourtant vouloir poursuivre dans sa politique écologique mortifère et ambitionne, cette fois, d’asphyxier les citoyens et les ménages des États membres, comme s’ils n’avaient pas assez souffert de la crise du Covid et de celle des prix de l’énergie, deux crises dans lesquelles l’Union européenne s’est d’ailleurs révélée particulièrement inutile.

En effet, la prochaine réforme du marché du carbone prévoit d’accélérer le rythme de réduction de quotas des émissions de CO2, au détriment des industries des États membres mais elle prévoit également d’étendre ce système aux carburants routiers et au chauffage des bâtiments, ce qui se traduira par de nouvelles taxes à la charge des ménages à partir de 2027.

Dans le même temps, l’Union européenne continue d’empiler les traités de libre-échange avec des pays aux normes sociales et environnementales bien différentes de celles pratiquées par les États membres de l’Union. Pas plus tard que la semaine dernière, c’est avec la Nouvelle-Zélande, située à 24 549 kilomètres de la France en transport maritime, que l’Union européenne a signé un accord de libre-échange.

L’écologie réellement efficace ne peut passer que par la promotion du localisme et ne doit surtout pas se traduire par l’empilement de contraintes normatives et fiscales au détriment des industries et des citoyens des États membres. Cet amendement vise à l’affirmer.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Avis défavorable, pour les mêmes raisons que tout à l’heure. Mme Robert-Dehault présente toujours des alternatives à des politiques concrètes de l’Union. On voit bien, en effet, que l’exposé des motifs ne vise pas tant à définir une politique écologique qu’à rappeler une inspiration générale visant à ce que les politiques soient plus concrètes et plus écologiques. Or, ni la conférence, ni la résolution n’ont pour objet de passer en revue l’ensemble des politiques de l’Union pour les critiquer, les approuver ou les réformer, ce qui serait un travail tout à fait excessif. L’amendement est donc hors sujet.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE37 de Mme Laurence Robert-Dehault.

Mme Laurence Robert-Dehault (RN). Grâce à l’énergie nucléaire, la France possédait l’un des modes de production d’énergie les plus rentables et les plus décarbonés du monde. Les gouvernements successifs depuis 2012 se sont montrés incapables de défendre ce fleuron national. Malgré le virage pris par Emmanuel Macron, qui a présenté un vaste plan de relance nucléaire en octobre 2021, le Gouvernement ne parvient pas à défendre notre industrie nucléaire à l’échelle européenne ; il a notamment échoué à faire inscrire le nucléaire dans la liste des objectifs d’énergies renouvelables de l’UE, à cause d’une coalition menée par l’Autriche et l’Allemagne : encore une belle preuve de la complicité tant exaltée du couple franco-allemand. Dans le même temps, l’Allemagne a réussi à faire plier l’Union sur l’interdiction des voitures thermiques après 2035. Il est urgent que la France reprenne la main sur sa politique énergétique, notamment sur la composition de son mix, laquelle ne peut pas être imposée de manière uniforme aux États membres ; chacun d’entre eux possède une géographie et des ressources naturelles propres qu’il doit prendre en compte pour composer son mix énergétique.

Des différences se retrouvent déjà à l’intérieur des pays : alors que les énergies hydraulique et solaire représentaient respectivement 16 % et 7 % de la production d’énergie en Provence-Alpes-Côte d’Azur, leur part plafonnait à 10 % et 1 % dans le Grand Est. Il est temps de mettre fin aux politiques idéologiques, qui promeuvent des énergies inefficaces, insuffisantes et inadaptées aux réalités naturelles des États membres. Il faut laisser aux États la liberté de composer leur mix énergétique ; pour ce qui est de la France, il est urgent de refaire de l’énergie nucléaire un fleuron technologique français et européen, sans l’entraver et en menant des politiques qui lui sont favorables.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. L’avis est défavorable pour les mêmes raisons que précédemment. Votre amendement est hors sujet ; je le dis d’autant plus facilement que je suis très favorable à la politique que mène actuellement le Gouvernement pour constituer une alliance nucléaire. L’objet de la résolution n’est pas d’énumérer les politiques l’une après l’autre.

M. Nicolas Dupont-Aignan (NI). C’est l’exemple type du cas où la règle de la majorité qualifiée aboutit à des drames et à la remise en cause de notre indépendance nationale. L’Europe doit s’occuper de certains dossiers, mais pas de tous, et chaque pays doit recouvrer sa liberté.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Je suis plutôt favorable à cet amendement ; nous avions d’ailleurs adopté une formulation semblable en commission des affaires européennes. Une proposition de résolution est aussi faite pour affirmer certains principes.

La France perd en ce moment tous les arbitrages sur le nucléaire à l’échelle européenne ; ces revers mettent à mal la compétitivité de nos entreprises et risquent de détacher davantage les citoyens et les entrepreneurs de l’Union européenne.

M. Frédéric Petit (DEM). Le nucléaire n’est pas une énergie renouvelable mais une énergie décarbonée.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE28 de M. Jérôme Buisson.

M. Jérôme Buisson (RN). Personne ne lit dans une boule de cristal mais les prochaines élections européennes feront office de consultation citoyenne ; je ne m’avance pas beaucoup en affirmant que celles-ci rejetteront certainement l’esprit de cette proposition de résolution. La formulation proposée manque de clarté et fixe un cap politique sans porter aucune attention au souhait des peuples européens, qui sont fermement opposés à l’écologie punitive imposée par les institutions européennes.

L’amendement vise à remettre la volonté des peuples au centre des politiques menées.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Vous connaissez la distinction entre la langue de bois et la langue de coton : la première énonce des dogmes et la seconde des propositions dont il est exclu de soutenir l’inverse. La rédaction de votre amendement est un pur exemple de langue de coton : qui voudrait veiller à être non-conforme aux souhaits et aux intérêts des peuples des États membres ? Je suis défavorable à cet amendement tautologique, donc inutile.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE47 de M. Jean-Louis Bourlanges.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Cet amendement reflète les idées du rapport que je vous ai présenté. Pour prendre en compte les modifications structurelles intervenues dans la vie de l’Union, l’élargissement doit répondre à certaines conditions, comme le fait de placer au cœur des priorités de l’adhésion l’exigence de solidarité géopolitique. Cela constituerait une rupture profonde par rapport aux élargissements antérieurs, qui mettaient en avant la réalisation du marché intérieur ; les changements géopolitiques que nous avons évoqués rangent désormais la solidarité géopolitique au cœur de la démarche d’adhésion.

Autre condition : l’établissement solennel de relations de confiance et de respect mutuel dans l’ensemble des États candidats. Tous ceux qui connaissent un peu les Balkans savent que le principal problème de chaque pays balkanique est l’amélioration de ses rapports avec son voisin. Or l’Union européenne repose fondamentalement sur l’apurement préalable des contentieux existants entre des voisins : l’exemple franco-allemand doit, à cet égard, être suivi. Il est essentiel d’expliquer à la Serbie et au Kosovo, par exemple, qu’ils doivent s’entendre.

Troisième condition, évidente : il faut fonder l’élargissement sur le strict respect par les pays candidats à l’adhésion des principes fondateurs de l’identité de l’Union.

Il convient également de surmonter la contestation actuelle du modèle institutionnel européen, tâche plus délicate mais essentielle. Nous ne pouvons pas accepter la moindre remise en cause des principes fondamentaux de l’Union européenne, notamment la primauté du droit de l’Union, que contestent certains États.

Dernière condition : nous devons gérer l’hétérogénéité politique, saluée par M. Petit, par une attitude fondée sur la flexibilité.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Je m’oppose à l’amendement car il n’y a aucun impératif à ce que l’Union s’élargisse dans les prochaines années. Vous évoquez l’exigence de solidarité géopolitique mais je vous rappelle que la Serbie refuse d’imposer des sanctions à la Russie. Votre démonstration est contradictoire.

M. Kévin Pfeffer (RN). Nous sommes en profond désaccord avec les termes de l’amendement. Tout d’abord, vous qualifiez l’élargissement de l’Union européenne d’impératif catégorique, alors que les Français y sont majoritairement opposés. Toute tentative d’imposer du sommet des nouvelles adhésions mettrait en péril toute l’Union européenne. Nous sommes d’accord sur un point, à savoir la contradiction qui existe entre la logique d’élargissement et la quête d’approfondissement du fonctionnement de l’Union européenne. Les Français ne veulent pas d’approfondissement, comme de plus en plus de forces politiques au Parlement européen et dans presque tous les États membres.

Nous nous opposons aussi à tout ce qui peut faire échec à la remise en cause de la primauté du droit européen, tant la Commission et l’Union s’arrogent régulièrement de nouvelles compétences alors qu’elles échouent dans les domaines industriel et migratoire.

Enfin, nous ne voulons pas d’assouplissement du processus d’adhésion. Les peuples européens connaissent des conditions de vie de plus en plus hétérogènes, et nous ne réussirons pas à trente ou à trente-cinq ce qui s’est révélé impossible à quinze ou à vingt-sept.

M. Frédéric Petit (DEM). Je n’aime pas le mot « élargissement » auquel je préfère celui d’« adhésion ». Comme vient de le dire notre collègue, on n’impose pas une adhésion, celle-ci est par nature volontaire. Le rapport de M. Bourlanges démontre que chaque élargissement a été suivi d’un approfondissement : il s’agit d’un fait historique. Nous devons continuer à construire et à faire comprendre notre système.

La situation des Balkans nous concerne tous. Celui qui aime la France ne peut pas se permettre de ne pas agir pour régler le conflit entre le Kosovo et la Serbie. Nous aidons d’ailleurs ces pays, à travers l’Office régional de coopération pour la jeunesse des Balkans occidentaux, qui est une extension de l’Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ).

La commission adopte l’amendement.

Amendement AE48 de M. Jean-Louis Bourlanges.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Le quatrième critère de Copenhague a été oublié lors des élargissements précédents : on ne peut pas élargir indéfiniment l’Union européenne sans qu’elle se dote des capacités de gérer les élargissements. C’est une exigence que nous nous devons à nous-mêmes. Il me semble que nous sommes plusieurs à nous accorder sur cet objectif : je pense notamment à M. Dumont, qui s’est penché sur le sujet.

M. Kévin Pfeffer (RN). L’exposé sommaire, qui évoque une hétérogénéité croissante au sein de l’Union, justifie l’opposition à son élargissement. L’unité et la convergence étaient promises aux peuples européens mais l’élargissement s’est révélé un échec depuis au moins vingt ans. Comment, dans ce contexte, envisager de nouveaux élargissements ? Nous nous opposons à cet amendement.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Quand vous parviendrez à démontrer que la Pologne est plus en échec que la Biélorussie, je vous suivrai.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AE10 de M. Kévin Pfeffer.

M. Kévin Pfeffer (RN). Nous avons exposé à plusieurs reprises notre opposition à tout élargissement de l’Union européenne. L’amendement vise donc à fermer toute perspective d’emprunter ce chemin. Le cours actuel de l’Union européenne menace gravement les nations européennes et leur souveraineté mais également l’idée européenne elle-même, tant les peuples européens rejettent son action. Nous défendons une alliance des nations libres et souveraines ; c’est en fixant des limites géographiques que la nouvelle Europe se définira.

Je ne reviens pas sur le coût financier considérable qui accompagne l’intégration de nouveaux membres, tant en termes d’investissements, d’aides structurelles et de fonds de cohésion. L’argument économique et les pressions budgétaires renforcent la nécessité de s’opposer à tout élargissement et de mettre un terme à tous les processus en cours car ils représentent un puits sans fond pour l’argent du contribuable européen.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Je suis très défavorable à cet amendement. L’élargissement est une nécessité absolue : nous avons le devoir de nous impliquer dans la gestion stable, sereine, tranquille et démocratique d’États voisins du nôtre.

Henry Kissinger a très bien étudié comment les Britanniques avaient refusé de participer à la gestion des affaires continentales en 1815 : ils ont préféré laisser les Européens se disputer, ce qui a conduit à la première guerre mondiale. En 1918, les Américains ont estimé qu’ils n’avaient pas à se mêler des affaires européennes, ce qui a abouti à la seconde guerre mondiale.

Nous avons des responsabilités historiques à assumer, d’autant que notre pays se réclame d’un grand destin. Voilà pourquoi nous nous opposons au refus de l’élargissement, même si nous en mesurons les risques, les difficultés et les contraintes.

M. Nicolas Dupont-Aignan (NI). Vous nous engagez toujours dans le « tout ou rien ». La France a bien évidemment une responsabilité historique mais celle-ci implique-t-elle d’intégrer ces pays dans une Union européenne déjà chancelante, qui n’est pas capable d’accomplir ses missions et qui est rejetée par les peuples ? Un tel mouvement pourrait d’ailleurs entraîner une grande déstabilisation. Pourrions-nous avoir le choix sur les questions européennes ? Je réclame le débat et la liberté de choisir.

Mme Marine Hamelet (RN). Nous entendons votre détermination mais entendez également la nôtre. Vous reconnaissez vous-même dans votre rapport que les Français ont « tendance à se faire de tout élargissement une image plutôt négative ». Nous souhaitons que le peuple puisse s’exprimer : il faut entendre les réticences de nos compatriotes.

Je ne vois pas en quoi l’adhésion de certains pays empêcherait le déclenchement d’une guerre. L’Albanie prend actuellement position dans les tensions qui touchent le Kosovo. Ce n’est pas nous qui allons empêcher la guerre.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Monsieur Dupont-Aignan, je trouve très singulier que vous me reprochiez d’être dans le « tout ou rien » : mon rapport est la négation d’une telle position. Il n’est pas facile de concilier des objectifs différents et je crois, madame Hamelet, que nous pouvons contribuer à la paix dans les Balkans et qu’il serait extrêmement grave de laisser ces pays exposés à la triple concurrence des Turcs, des Chinois et des Russes, nous-mêmes assistant du rivage au péril du navigateur, comme dirait Lucrèce. Je souhaite amorcer un processus qui neutralise les inconvénients, que vous signalez tous avec raison, d’un élargissement bâclé.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE42 de M. Pierre-Henri Dumont.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Cet amendement vise à marquer une différence de temporalité : notre rapporteur propose de mener en parallèle élargissement et réforme institutionnelle, alors que nous faisons de celle-ci un préalable à celui-là. Comment peut-on imaginer dépasser les blocages que nous constatons à trente-cinq quand nous sommes incapables de les surmonter à vingt-sept ?

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Je souhaiterais entendre le président Anglade sur cette question.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, président de la commission des affaires européennes. La formulation de la proposition de résolution est la bonne : le processus d’élargissement est déjà enclenché puisqu’un rapport oral de la Commission s’est prononcé sur la candidature de l’Ukraine et sur celle d’autres pays et que des discussions ont lieu depuis de nombreuses années avec les États des Balkans occidentaux ; en outre, des réformes des institutions et des modes de décision sont actuellement débattues, notamment au Parlement européen au sein de la commission des affaires constitutionnelles (Afco).

Ce processus doit aller de pair avec celui de l’élargissement, même si cela ne signifie pas que nous serons capables d’intégrer des États au sein de l’Union européenne avant l’aboutissement des réformes. Je suis défavorable à l’amendement.

M. Kévin Pfeffer (RN). Nous partageons les termes de l’amendement : l’élargissement ne peut se faire sans une profonde réforme du fonctionnement de l’Union européenne. Le peuple français n’a donné aucun mandat pour aller vers plus d’Europe : il n’y aura pas d’unanimité au sein de l’UE pour une réforme institutionnelle car l’élargissement a été trop vaste et trop rapide et il a plongé l’Union dans une impasse.

Le positionnement du groupe Les Républicains pose problème : ici même, nous pouvons souscrire à plusieurs interventions de leurs membres mais leur discours au Parlement européen se révèle très différent ; il est vrai que nos concitoyens sont moins attentifs à la vie politique européenne mais nous saurons leur rappeler que les députés LR ont voté en faveur de tous les fonds de préadhésion à l’UE, même celui de la Turquie. Nous nous abstiendrons sur cet amendement.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. M. Dumont a raison, il est impossible de réussir l’élargissement sans modifier les règles constitutionnelles.

Notre collègue du Rassemblement national propose une réforme des institutions européennes dont toutes les dispositions – promotion de l’unanimité et suppression de la primauté du droit de l’Union – visent à rendre le système encore plus impraticable. Avec de telles mesures, il faudrait se passer de réforme pour accomplir l’élargissement !

Enfin, je partage l’opinion de M. Anglade car toute la démarche que je vous ai proposée ce matin vise précisément à organiser le parallélisme entre les deux mouvements. Avant de faire entrer de nouveaux États, il faut clarifier certains aspects du fonctionnement de l’Union européenne et prendre des engagements. Il est beaucoup plus aisé de s’accorder sur une décision de principe si on ne la réalise pas immédiatement. L’intégration d’États dont la maturité démocratique est insuffisante ne se concrétisera qu’après les réformes institutionnelles.

Je suis défavorable à votre amendement tout en partageant la préoccupation qui vous anime.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE22 de Mme Marine Hamelet.

Mme Marine Hamelet (RN). Compte tenu de la crise migratoire actuelle, il n’est pas concevable pour le Rassemblement national d’élargir l’Union européenne à des pays dont les frontières ne permettent pas de réguler les flux, en particulier en Europe de l’Est et du Sud où ils se concentrent.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Je suis défavorable à cette prise de position qui s’apparente à un procès d’intention : on peut élargir en affaiblissant la maîtrise des flux migratoires ou en la renforçant.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE27 de M. Jérôme Buisson.

M. Jérôme Buisson (RN). Nous contestons la légitimité et la représentativité de la conférence sur l’avenir de l’Europe, dont les conclusions sont illégitimes et, pour partie, inconstitutionnelles et dont nous souhaitons, par cet amendement, rejeter le travail.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. L’avis est défavorable : « jurisprudence Frédéric Petit ».

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel AE49 de M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur.

Amendement AE50 de M. Jean-Louis Bourlanges.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. La communauté internationale fait face à une fragmentation croissante, qui dépasse la seule agression russe en Ukraine. Il s’agit d’un amendement de précision.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AE23 de Mme Marine Hamelet.

Mme Marine Hamelet (RN). La remise en cause de la règle de l’unanimité au Conseil et la volonté de doter le Parlement européen d’un droit d’initiative direct général ne sont pas seulement une atteinte à la souveraineté nationale ; ce sont deux mesures d’essence fédéraliste qui, si elles venaient à être mises en œuvre, modifieraient en profondeur le fonctionnement de l’Union européenne. Ces deux propositions se situent aux antipodes de notre vision de l’avenir de l’Europe car elles feraient de facto de l’Union européenne une union fédérale.

Nous ne pouvons pas accepter que le Parlement européen devienne souverain car il est une instance de coopération et de discussion ne disposant pas de l’initiative parlementaire ; en outre, la représentation ne peut être que nationale car il n’y a pas de peuple européen mais des peuples, ceux qui composent les États membres et qui sont évidemment prêts à coopérer. Nous combattons avec vigueur la chimère du peuple européen, manifestation d’un projet politique impérialiste qui entend se faire contre les peuples et qui marquerait un recul inouï de la civilisation européenne.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Avis défavorable. Un fossé idéologique nous sépare.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE26 de M. Jérôme Buisson.

M. Jérôme Buisson (RN). Le Rassemblement national rejette les institutions non démocratiques de l’Union européenne, ainsi que leur caractère supranational. Nous nous opposons donc aux tentatives de passer d’une structure supranationale à une union protofédérale menant à la dissolution des États-nations. Nous souhaitons au contraire refonder les institutions européennes sur un modèle intergouvernemental fondé sur la coopération librement choisie des peuples.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. L’avis est évidemment défavorable. Vous méconnaissez ce qu’est l’Union européenne : son organisation est peut-être d’essence fédérale mais elle unit des États parfaitement souverains. L’Union européenne ne détruit pas les États, elle les transforme et vise, pour parler comme Hobbes, à ce qu’ils cessent d’être des « loups » les uns pour les autres.

La commission rejette l’amendement.

Amendements AE51 de M. Jean-Louis Bourlanges et AE24 de Mme Marine Hamelet (discussion commune).

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Mon amendement vise à rappeler le caractère essentiel du gouvernement représentatif. La démocratie participative peut prendre différentes formes et se révèle utile – le Parlement européen la pratique très bien alors que les formes retenues en France ne sont pas les plus opportunes, ni les meilleures –, mais il est essentiel de maintenir le gouvernement représentatif : ce n’est pas un amendement Bourlanges, c’est un amendement Sieyès.

Mme Marine Hamelet (RN). Le Rassemblement national refuse l’affaiblissement du rôle du Conseil européen, considérant que les chefs d’État ou de gouvernement qui y participent ont été élus démocratiquement par chacun des peuples des États membres pour les représenter.

La commission adopte l’amendement AE51.

En conséquence, l’amendement AE24 tombe.

Amendements AE52 de M. Jean-Louis Bourlanges et AE17 de M. Frédéric Falcon (discussion commune).

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Mon amendement vise à déplacer un alinéa du texte.

M. Frédéric Falcon (RN). Le panel de citoyens européens constitue un élément central de la conférence sur l’avenir de l’Europe. Il n’est cependant constitué que d’un infime échantillon regroupant seulement quatre panels composés de 200 citoyens choisis de manière aléatoire dans les vingt-sept États membres. En outre, le processus de sélection des citoyens et des experts participant à la conférence a manqué de la plus élémentaire transparence. Aucune voix critique de la construction européenne n’a été entendue, alors qu’on ne peut nier qu’il en existe en Europe. On peut donc légitimement se poser la question de la réelle représentativité des citoyens participant à cette conférence. Par conséquent, l’amendement vise à faire entendre toutes les opinions vis-à-vis de la construction européenne, en donnant une capacité d’initiative aux pouvoirs législatifs nationaux ; les pouvoirs exécutifs de chaque pays membre se réunissent au sein du Conseil de l’Union européenne, il semble donc tout à fait cohérent que les pouvoirs législatifs nationaux proposent des initiatives aux institutions européennes.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. L’avis est défavorable. Certaines de vos critiques sont assez justifiées, en particulier l’absence de voix dissidente. Mais là n’est pas la question : je me réfère toujours à la « jurisprudence Frédéric Petit » ; la démocratie n’était peut-être pas à la conférence mais elle est présente ici.

La commission adopte l’amendement AE52.

En conséquence, les amendements AE17, AE39 de Mme Laurence Robert-Dehault, et AE43 de M. Pierre-Henri Dumont tombent.

Amendement AE53 de M. Jean-Louis Bourlanges.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Cet amendement résume le rapport que je vous ai présenté. La méthode est de fractionner la procédure en trois phases : déclaration solennelle et reconnaissance des droits fondamentaux et des principes fondateurs de l’Union européenne ; extension graduelle des politiques de l’Union aux nouveaux adhérents en fonction de leur capacité à en bénéficier ; adhésion solennelle, qui se traduit par la participation aux institutions communes. Cette dernière représente l’aboutissement du processus.

M. Kévin Pfeffer (RN). Nous nous opposons à tout élargissement de l’Union européenne, qu’il soit flexible, progressif, échelonné ou graduel et nous souhaitons conserver la règle de l’unanimité.

Face à l’approfondissement et à l’élargissement, nous défendons le principe de coopération, qui permettrait à de petits groupes de pays d’expérimenter des actions communes, par exemple en matière de défense ou d’industrie ; ces groupes pourraient inclure des pays voisins qui n’appartiennent pas à l’Union européenne. Nous voterons contre l’adoption de l’amendement.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AE38 de Mme Laurence Robert-Dehault.

Mme Laurence Robert-Dehault (RN). Selon un sondage Satista d’octobre 2022, seuls 34 % des Français faisaient confiance à l’Union européenne : il s’agit du taux le plus faible en Europe. La construction européenne n’emportait déjà pas l’adhésion des Français en 2005, quand ils ont majoritairement repoussé le traité établissant une Constitution pour l’Europe. Après vingt ans de construction européenne hasardeuse, d’abandon de pans entiers de notre souveraineté et d’empilement de normes contraignantes, la défiance envers cette institution démocratique est plus forte que jamais.

Comme à leur habitude, le Gouvernement et sa majorité démontrent qu’ils sont parfaitement à l’écoute et en phase avec les Français : « Les Français rejettent l’Europe supranationale et technocratique, nous allons demander plus d’Europe et moins de souveraineté nationale » – tel est le sens de l’alinéa 18, qui soutient le recours aux clauses passerelles dans le processus décisionnel de l’Union européenne.

Ces clauses permettent au Conseil de l’Union européenne de statuer à la majorité qualifiée plutôt qu’à l’unanimité. Elles ont ainsi pour effet de supprimer le droit de veto des États membres. L’utilisation des clauses passerelles doit néanmoins être soumise à l’approbation tacite des Parlements nationaux mais ces derniers ne peuvent s’y opposer dans certains domaines d’importance primordiale, comme le cadre financier pluriannuel, la politique étrangère et de sécurité commune ou une partie des secteurs social et environnemental. Sur ces sujets, et d’une manière plus générale, la norme absolue du Conseil de l’Union doit rester l’unanimité car la suppression du droit de veto réduirait mécaniquement la souveraineté des États membres : nous nous y opposons fermement.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. C’est le type même de mesure d’adaptation institutionnelle régressive. Son adoption rendrait encore plus difficile la prise de décision dans une Union élargie. L’amendement prend le contre-pied de ce qui est nécessaire. Les clauses passerelles sont d’une application limitée car il faut une décision à l’unanimité pour les enclencher et pouvoir ensuite se prononcer à la majorité qualifiée. L’amendement vise à supprimer l’un des rares moyens de réformer les institutions sans passer par la modification des traités. J’y suis évidemment défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE54 de M. Jean-Louis Bourlanges.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Je rappelle la difficulté de parvenir rapidement à une révision, pourtant nécessaire, des traités européens. Voilà pourquoi je propose une démarche fractionnée. Seule la révision des traités assurera une réforme durable et efficace du fonctionnement de l’Union. Mon argumentation se situe à l’exact opposé de celle que vient de soutenir Mme Robert-Dehault, qui veut moins de clauses passerelles alors que je souhaiterais les rendre plus effectives.

Mme Laurence Robert-Dehault (RN). Je le redis, nous nous opposons avec force à toute disparition du droit de veto au Conseil de l’Union européenne. Nous regrettons également la dévotion avec laquelle la représentation nationale s’empresse de satisfaire les caprices des Allemands. C’est en effet l’Allemagne qui, la première, a demandé à étendre le recours aux clauses passerelles.

En 2021, Heiko Maas, le ministre des affaires étrangères allemand, s’était exprimé en ces termes à l’encontre de notre allié hongrois, qui avait eu l’outrecuidance d’utiliser son droit de veto : « Nous ne pouvons plus nous laisser prendre en otage par ceux qui paralysent la politique étrangère européenne avec leur veto ». Une prise d’otages, voilà comment était qualifiée l’utilisation d’un droit souverain par un État membre sur un sujet de politique extérieure qui n’allait pas manquer d’engager l’ensemble des autres États membres !

Même si la diplomatie française vacille, la France reste l’un des seuls États à avoir une vision globale du monde et des intérêts à défendre dans la plupart des pays ou parties du globe. Avec la suppression du droit de veto, la France court le risque d’être mise en minorité en matière de politique étrangère et, ainsi, d’être contrainte d’assurer le service après-vente. Nous payons déjà pour les actions diplomatiques contestables que le président prend seul au nom de la France. Quel intérêt aurions-nous à courir le risque de supporter les caprices des Allemands ?

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Je n’admets pas l’expression « caprice des Allemands ». Le vote à la majorité qualifiée, sous toutes ses formes, et les clauses passerelles sont des revendications que formulent, dans tous les pays de l’Union européenne, ceux qui veulent le développement de l’intégration. Personnellement, j’ai proposé en 1992 au Parlement européen et fait voter un avis sur l’adhésion de l’Autriche demandant la généralisation du vote à la majorité qualifiée : je ne suis ni allemand, ni capricieux.

M. Nicolas Dupont-Aignan (NI). Monsieur le rapporteur, nous avons encore le droit de regarder en face la politique allemande, qui vise à faire disparaître la France comme acteur diplomatique et à s’emparer de notre siège à l’ONU. La proposition du chancelier sur le passage à la majorité qualifiée en politique étrangère a de quoi inquiéter. La politique allemande a détruit notre industrie nucléaire et, à présent, elle veut détruire notre politique étrangère. Les Allemands sont tout à fait respectables mais, face à eux, il faut aussi que nous défendions nos positions. J’aimerais d’ailleurs connaître, Monsieur le rapporteur, votre position réelle quant à la suppression du droit de veto en matière de politique étrangère.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AE13 de M. Thibaut François.

M. Kévin Pfeffer (RN). Les Français n’ont plus été consultés sur la construction européenne depuis le référendum de 2005 – et chacun se souvient du respect qui a été accordé à leur vote. Du reste, depuis cette date, les Français n’ont plus été consultés sur rien.

Nous considérons le référendum comme l’expression démocratique suprême ; nous défendons et encourageons son utilisation, notamment lorsqu’il s’agit de modifier les traités européens pour faire évoluer le fonctionnement ou les compétences des institutions européennes. En accord avec les fameuses « valeurs européennes », nous souhaitons, par cet amendement, promouvoir la démocratie et l’expression des peuples.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendement AE16 de M. Thibaut François.

M. Alexis Jolly (RN). L’unanimité au sein du Conseil est essentielle en ce qu’elle permet la sauvegarde de la souveraineté des nations. La supprimer pourrait engager des pays dans des accords internationaux qu’ils ne désirent pas, voire dans des accords contraires à la volonté des peuples, qui ont élu un gouvernement pour appliquer un programme.

Surtout, renoncer à l’unanimité au sein du Conseil européen reviendrait à pouvoir contraindre des États à appliquer une politique qu’ils ne veulent pas, donc à bafouer leur souveraineté.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Je suis évidemment défavorable à cet amendement, qui vise à paralyser l’Union européenne. Soyez plus clairs et proposez la sortie de l’Union. Comme en 2005, vous êtes dans un entre-deux inacceptable.

Je vous rappelle par ailleurs qu’en 2005 les partisans du « non » ont été entendus puisque le traité de Lisbonne n’a créé aucun des droits qui avaient été contestés dans le cadre de la campagne référendaire. Il a en revanche introduit un élément absolument essentiel : la clause de sortie, qui garantit un droit au départ. Du reste, je n’ai jamais compris pourquoi les partisans du « non » n’avaient jamais fait valoir que la réversibilité du processus d’adhésion à l’Union était leur victoire. C’est la conséquence directe du « non » et du traité de Lisbonne : ne l’oubliez pas.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE44 de M. Pierre-Henri Dumont

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Vous proposez, Monsieur le rapporteur, que la majorité qualifiée s’applique dans tous les domaines des politiques européennes, à l’exception des décisions concernant l’admission de nouveaux États membres. Nous estimons que ce serait aller trop loin et qu’il faut que la règle de l’unanimité continue de s’appliquer dans d’autres domaines, afin de préserver le droit de veto de la France.

Je pense en premier lieu aux affaires étrangères. On ne peut pas fermer les yeux devant l’offensive de l’Allemagne, que ce soit par la voix du chancelier Olaf Scholz ou de son ministre des affaires étrangères. Il n’est pas anodin qu’elle demande en même temps que l’on mette fin à la règle de l’unanimité et que la France cède son siège au Conseil de sécurité des Nations Unies.

La rédaction que nous proposons nous paraît plus à même de garantir les droits et la souveraineté de notre pays.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. C’est une question très sensible et très délicate. Mettons à part le sujet du siège de la France au Conseil de sécurité des Nations Unies : la position allemande n’a aucun sens, dès lors que l’Allemagne récuse l’idée d’une politique extérieure commune qui se substituerait aux politiques nationales. Nous sommes dans un système où l’Union européenne peut prendre des positions ou des orientations de politique étrangère mais le siège de la France vise à exprimer la politique d’un État membre. Dans la mesure où il n’y a pas de politique étrangère unique de l’Union européenne, les Allemands, sur ce point, sont totalement contradictoires.

Que signifie, par ailleurs, le souhait du chancelier Scholz de passer à la majorité qualifiée ? Je crois qu’il vise à favoriser – dans des conditions que je trouve, comme vous, assez contestables – des prises de position de l’Union européenne en matière de politique étrangère mais qu’il ne débouche pas, en lui-même, sur la création d’une politique étrangère européenne. Adopter des positions communes, ce n’est pas la même chose que développer une politique étrangère.

Votre amendement m’a beaucoup fait réfléchir et j’en suis arrivée à la conclusion suivante : il m’apparaît que le vote à la majorité qualifiée est parfaitement fondé dès lors qu’il s’agit de développer une initiative, autrement dit de choisir entre « faire » et « ne pas faire » quelque chose. En revanche, le vote à la majorité qualifiée ne me paraît pas du tout adapté quand il s’agit de choisir entre les deux termes d’une alternative, c’est-à-dire de faire une chose ou son contraire : par exemple, choisir la Russie ou l’Ukraine, même si c’est un peu caricatural. De ce point de vue, je suis assez d’accord avec vous et je n’ai pas trouvé opportunes les déclarations du chancelier Scholz, selon lesquelles la majorité qualifiée devrait s’appliquer d’abord à la politique étrangère. Je crois qu’il faudrait commencer par la question des ressources propres ou du budget communautaire.

La rédaction que vous proposez me paraît à la fois trop restrictive et un peu vague, notamment les mots : « dans de nouveaux domaines des politiques européennes ». Je vous proposerais volontiers de retirer votre amendement, afin que nous puissions travailler à une rédaction commune d’ici à l’examen en séance.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Si examen en séance il y a !

L’amendement est retiré.

Amendement AE55 de M. Jean-Louis Bourlanges.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Avec un représentant par État membre, le système actuel est fou. À l’origine, il y avait deux commissaires français, italiens, allemands et britanniques, puis nous sommes passés à un commissaire avec le traité de Lisbonne. C’est totalement absurde. L’arrivée de plusieurs États balkaniques créerait un véritable déséquilibre car, même si les commissaires ne représentent pas leur État, ils sont le produit de la culture politique de leur pays. Il faut donc soutenir cet amendement même si je suis très conscient du fait que l’on se heurte à un tabou fondamental pour tous les États moyens et petits, qui ne veulent pas entendre parler de la remise en cause de leur commissaire.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Je suis très favorable à cet amendement, avec peut-être une précision à apporter en vue de la séance : il conviendrait de rappeler qu’il y a des critères démographiques. On pourrait imaginer un système comparable à celui de l’ONU, avec des groupes de pays ayant un ou plusieurs commissaires et les grands pays qui conserveraient leur représentant.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Je crois vraiment que nous mettrions le pied dans une terra incognita dont on ne sortirait pas vivants !

M. Alexis Jolly (RN). Cet amendement va dans le sens d’une Europe fédérale puisqu’il part du principe que les États ne sont pas capables de se mettre d’accord entre eux et que les petites nations n’ont pas voix au chapitre. De plus, il présuppose que l’Union européenne a vocation à s’élargir encore ; c’est à se demander jusqu’où elle va s’étendre, à l’heure où l’on reparle de l’adhésion de la Turquie comme monnaie d’échange du soutien de Recep Tayyip Erdoğan à l’intégration de la Suède dans l’OTAN. Ces velléités d’élargissement à tout-va, alors que le continent européen est traversé par de grands bouleversements et n’est même pas certain de pouvoir assurer la sécurité et la prospérité de ses membres, constituent un nouveau danger pour nos peuples. Une telle remise en question de la souveraineté des nations au nom de la gouvernabilité d’une Europe pléthorique n’est pas justifiée. Nous nous opposons donc à cet amendement.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AE45 de M. Pierre-Henri Dumont.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Cet amendement vise à préciser que l’extension du principe de la majorité qualifiée doit respecter le poids démographique de chaque pays membre.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Je n’y suis pas favorable car c’est déjà ainsi que cela fonctionne : la règle de la double majorité suppose le vote favorable de 55 % des États membres représentant 65 % de la population de l’Union. Ainsi, il n’est pas possible actuellement de prendre une décision allant contre la majorité.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Vous l’avez dit : c’est le cas actuellement. Mais dans la mesure où cette proposition de résolution invite à réformer les institutions, il est nécessaire de préciser que la position du Parlement français est de préserver cet équilibre démographique. Je propose que nous y travaillions ensemble en vue de l’examen en séance.

L’amendement est retiré.

Amendement AE11 de M. Thibaut François.

M. Alexis Jolly (RN). L’Union européenne est devenue une véritable agence migratoire organisant la submersion du continent au détriment des intérêts de nos peuples. Cette immigration de masse, non choisie, est un véritable cataclysme socioculturel pour les sociétés européennes. La mission première de l’Europe doit être de protéger et de garantir d’abord l’avenir des peuples qui la composent, en s’appuyant sur les piliers civilisationnels qui ont fait sa force et sa grandeur.

Cet amendement vise à protéger concrètement notre identité européenne. L’immigration forcée, imposée par l’Union européenne, est le contraire même de la défense des intérêts de l’Europe. Il est donc nécessaire d’y mettre un terme le plus rapidement possible. Les multiples difficultés et désordres, souvent tragiques, causés par cette immigration incontrôlée devront être jugulés pour ne pas mettre davantage en péril la cohésion, la souveraineté et la pérennité de la civilisation européenne.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendement AE12 de M. Thibaut François.

M. Alexis Jolly (RN). Cet amendement vise à s’opposer fermement à la mise en place de nouvelles ressources propres au profit de l’Union européenne, considérant que ces taxes pèseront in fine sur les citoyens des États membres. Nous dénonçons ce saut fédéraliste qui donnerait une indépendance budgétaire à l’Union car il n’y aurait plus de limite à son immixtion dans les politiques des États membres : cela bat en brèche tout principe de souveraineté, dont la souveraineté fiscale.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendements AE15 et AE33 de M. Thibaut François (discussion commune).

M. Frédéric Falcon (RN). Ces deux amendements ont pour objet de renforcer la souveraineté française. La perte de poids législatif des Parlements nationaux pourrait en effet entraîner une perte de confiance des citoyens envers les institutions européennes, perçues comme éloignées et déconnectées de la réalité nationale. Je ne doute pas que vous approuverez ces amendements, qui contrebalancent le catéchisme européiste que M. le président Bourlanges nous sert depuis ce matin.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Avis défavorable. Je suis tout de même assez surpris de voir qu’on propose de retirer le droit d’initiative au Parlement européen, qui serait amené à voter les textes. C’est une construction pour le moins baroque.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement AE14 de M. Frédéric Falcon.

M. Frédéric Falcon (RN). La plateforme numérique multilingue, élément central de la conférence sur l’avenir de l’Europe, a été conçue pour que tout citoyen puisse faire part de ses idées sur les dix thèmes et commenter celles des autres, afin de renforcer la démocratie. En avril 2022 elle comptait 5 millions de visiteurs, dont 50 000 participants actifs, et enregistrait 17 000 idées et 6 000 événements.

Pourtant, les conclusions de la conférence ne tiennent pas compte des recommandations de la plateforme. Nombre de positions n’ont pas été entendues, en particulier celles émettant des réserves sur la construction européenne ou l’immigration.

L’amendement vise à intégrer la demande populaire émanant de la plateforme dans ces conclusions. Cela permettra de montrer que le modèle européen défendu est une construction qui se réclame de la démocratie, non d’une démocratie sélective.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Avis défavorable. Il n’y a pas de raison de réserver un sort particulier à cette plateforme.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE25 de Mme Marine Hamelet.

Mme Marine Hamelet (RN). Il s’agit d’ajouter, après l’alinéa 22, l’alinéa suivant : « 9. Dénonce le coup de force que constitue la tentative de réviser les traités pour imposer aux peuples européens un système fédéral sur la base des conclusions d’une consultation non représentative et court-circuitant les voies démocratiques européennes et nationales ».

L’amendement dénonce l’instrumentalisation de la conférence sur l’avenir de l’Europe, en particulier de la consultation dite citoyenne, organisée à cette occasion. Nous ne pouvons accepter que le Parlement européen devienne souverain car une représentation ne peut être que nationale. Or il n’y a pas de peuple européen : il n’y a qu’un ensemble de peuples issus des États membres prêts à coopérer entre eux.

M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. La conférence ne court-circuite rien. Les décisions qui en résulteront seront prises conformément aux règles constitutionnelles. En France, elles sont claires : nous voterons les décisions. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte ensuite l’ensemble de la proposition de résolution ainsi modifiée.

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M. Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Chers collègues, je vous remercie de ces échanges parfois contrastés, pour ne pas dire abrupts. Ainsi va la loi de la démocratie mais je récuse le mot de « catéchisme », n’étant adepte d’aucun catéchisme.

Je me suis prêté à l’exercice de cette confrontation, sous le magistère d’Eléonore Caroit, qui a fait respecter la règle commune. Nous avons effectué un travail de fond, imparfait, que nous continuerons d’améliorer.

Enfin, je remercie Pieyre-Alexandre Anglade qui a été à l’origine de cette proposition de résolution européenne. Bien qu’elle ne fasse pas l’objet d’un accord unanime, elle sera une contribution utile de notre Assemblée au débat européen.

 

 

 


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   LISTE DES PERSONNES AUDITIONNNÉES

 

– M. Philippe Léglise-Costa, ambassadeur, représentant permanent de la France auprès de l’Union européenne ;

– M. Lukáš Macek, chef du centre grande Europe, chercheur sur l’Europe centrale et orientale, institut Jacques Delors ;

– M. Maroš Šefčovič, vice-président de la Commission européenne chargé des relations interinstitutionnelles et de la prospective ;

– M. Tonino Picula, député membre de la commission des Affaires étrangères du Parlement européen, rapporteur sur la recommandation du Parlement européen au Conseil, à la Commission et au vice-président de la Commission/Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité concernant la nouvelle stratégie de l’Union européenne en matière d’élargissement ;

– Mme Věra Jourová, vice-présidente de la Commission européenne chargée des valeurs et de la transparence.

 


([1]) « Pour une adhésion graduelle à l’Union européenne », Lukáš Macek, institut Jacques Delors, mai 2023, policy paper n° 290.