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N° 1691

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME  LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 4 octobre 2023.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI
 

visant à renforcer le contrôle de déclaration de minorité

des étrangers

 

PAR Mme Alexandra MASSON

Députée

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Voir le numéro : 1261 rect


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SOMMAIRE

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Pages

AVANT-PROPOS............................................ 5

I. l’enjeu de l’évaluation de l’âge des migrants se déclarant mineurs non accompagnés (MNA)

1. Une augmentation continue du nombre de MNA

2. Deux régimes juridiques radicalement opposés selon que le migrant est déclaré mineur ou majeur

II. la nécessité de rénover le dispositif juridique de recours aux examens radiologiques osseux

1. L’actuel dispositif d’évaluation de la minorité est imparfait

2. L’examen radiologique osseux : un outil d’évaluation de l’âge à renforcer

COMMENTAIRE des articles de la proposition de loi

Article 1er (art 388 du code civil) Assouplir le recours aux examens médicaux aux fins de détermination de l’âge et instaurer une présomption de majorité en cas de refus, par l’intéressé, de l’examen radiologique osseux

Article 2 (art.L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles)  Préciser que le mineur n’ayant pas la nationalité française ne peut être pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance (ASE) sans la vérification préalable de sa minorité dans les conditions fixées par l’article 388 du code civil

Article 3 Gage de charge

Compte rendu des débats

Personnes entendues

 


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Mesdames, Messieurs,

 

Le groupe Rassemblement national a fait le choix d’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale du 12 octobre, journée réservée à ses initiatives, la présente proposition de loi, ayant pour objet de renforcer le contrôle des déclarations de minorité des étrangers.

L’évaluation de la réalité de l’âge du migrant se déclarant mineur non accompagné (MNA) apparaît aujourd’hui défaillante, en tant que le régime juridique prévu à l’article 388 du code civil encadre de façon trop stricte le recours aux examens radiologiques osseux. Ce type d’examen est pourtant indispensable à la détermination de l’âge ; en particulier dans le contexte d’une arrivée toujours plus massive de migrants et l’émergence d’une nouvelle technique, plus précise, de l’analyse scanographique de la clavicule, initiée par le docteur Bernard Marc du Grand Hôpital de l’Est Francilien à la suite de la crise sanitaire.

Le groupe Rassemblement national souhaite en conséquence assouplir le régime juridique encadrant le recours aux « tests osseux » et instaurer une présomption de majorité en cas de refus, par l’intéressé, de l’examen

I.   l’enjeu de l’évaluation de l’âge des migrants se déclarant mineurs non accompagnés (MNA) 

1.   Une augmentation continue du nombre de MNA

En France, le nombre de mineurs non accompagnés (MNA), c’est-à-dire de mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille ([1]), a connu une augmentation importante au cours des dernières décennies. De l’ordre de quelques centaines à la fin des années 1990, ils étaient 1 747 en 2003, 4 000 en 2010 et 28 000 en 2018 ([2]). En 2022, la mission nationale relative aux MNA du ministère de la Justice, chargée de coordonner le dispositif national de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation des MNA, a enregistré une augmentation du flux de près de 31 % par rapport à l’année 2021, qui s’explique notamment par la fin des dispositifs d’état d’urgence sanitaire successifs ([3]). Dans le seul département des Alpes‑Maritimes, entre le 1er janvier et le 31 août 2023, 4 736 MNA ont été pris en charge, contre 4 808 sur la totalité de l’année 2022. Le président du conseil du département des Alpes-Maritimes, M. Charles Ange Ginésy, dénonce « un déferlement migratoire en provenance de l’Italie » et une situation provoquant une « embolie » de l’aide sociale à l’enfance (ASE) ([4]).

Les MNA entrés dans le dispositif de la protection de l’enfance en 2022 avaient pour 60 % d’entre eux entre 16 et 18 ans. Seulement 0,8 % avait moins de 12 ans ([5]). 95 % étaient des hommes. Ces MNA étaient principalement originaires, la même année, de Côte d’Ivoire (17,6 %), de Guinée (17,3 %), de Tunisie (10,7 %) et du Mali (9,4 %) ([6]).  Ces proportions varient toutefois fortement chaque année.

S’agissant des motifs de départ, dans leur rapport d’information sur la prise en charge sociale des mineurs non accompagnés datant de 2017 ([7]), les sénateurs Élisabeth Doineau et Jean-Pierre Godefroy soulignent que le profil des MNA « semble indiquer qu’un nombre important d’entre eux correspond davantage à la catégorie des “ mandatés [dont le départ a été incité, voire financé par la famille ou les proches afin qu’ils puissent apprendre un métier et rembourser ultérieurement le coût de leur voyage] qu’à la catégorie des “ exilés ” [originaires de régions marquées par des conflits violents] ».

2.   Deux régimes juridiques radicalement opposés selon que le migrant est déclaré mineur ou majeur

L’évaluation de la minorité, qui relève du président du conseil départemental, joue un rôle central en matière de prise en charge des migrants se déclarant MNA. Elle trace une ligne de partage entre deux situations juridiques radicalement différentes.

Au regard du droit des étrangers, d’abord. L’exigence de disposer d’un titre de séjour ne s’applique en effet qu’aux personnes majeures. Les MNA ne peuvent faire l’objet d’aucune décision portant obligation de quitter le territoire français ([8]) ou d’expulsion ([9]). À leur majorité ou, s’ils souhaitent travailler, à leurs seize ans, ils bénéficient en outre de conditions facilitantes d’obtention d’un titre de séjour.

En matière pénale, ensuite. L’évaluation de la minorité permet l’application de règles moins sévères, dans le cadre de la justice pénale des mineurs. Cette dimension revêt une importance certaine dans un contexte de multiplication des faits de délinquances commis par une partie de ce public. D’après le rapport d’information sur les problématiques de sécurité associées à la présence sur le territoire de MNA ([10]), de nos anciens collègues Jean-François Eliaou et Antoine Savignat, 10 % de l’ensemble de ces MNA sont en effet délinquants. À Paris, ce chiffre s’élèverait à 15  % ([11]).  Il s’agit principalement de mineurs originaires du Maghreb. Au total, au 31 décembre 2022, 15 % des mineurs incarcérés en France étaient des MNA ([12]). Les faits de délinquance commis par ces étrangers tendent de surcroît à se multiplier et à s’aggraver.

S’agissant de la prise en charge offerte, enfin. Les personnes déclarées mineures bénéficient d’une prise en charge par le service de l’ASE, relevant du département, qui comporte un hébergement, un accès aux soins et à l’éducation, un soutien psychologique, mais également, dans certains cas, une formation professionnelle. Le coût moyen de la prise en charge d’un MNA au titre de l’ASE est estimé à 50 000 euros en moyenne par mineur et par an ([13]).

Il en résulte que le migrant en situation irrégulière sur notre territoire a tout intérêt à se présenter comme mineur et non accompagné. Le statut de MNA, « détourné de sa mission originelle, s’est mué en large partie en filière d’immigration clandestine » ([14]).

II.   la nécessité de rénover le dispositif juridique de recours aux examens radiologiques osseux

1.   L’actuel dispositif d’évaluation de la minorité est imparfait

Lorsqu’un étranger se présente comme MNA, et que sa minorité et son isolement ne sont pas manifestes, trois méthodes de détermination de la réalité de l’âge allégué existent : l’expertise documentaire, l’évaluation sociale et le recours aux examens radiologiques osseux. La détermination de l’âge s’appuie sur un « faisceau d’indices » résultant de ces différentes méthodes.

L’expertise documentaire consiste notamment à vérifier l’authenticité des éventuels documents d’identité que l’intéressé présente, mais également à s’assurer qu’ils lui appartiennent bien. En application de l’article R. 221-11 du code de l’action sociale et des familles, le préfet communique au président du conseil départemental les informations permettant d’aider à la détermination de l’identité et de la situation de la personne.

L’évaluation sociale repose sur des entretiens menés par les services du conseil départemental ou par tout organisme auquel la mission d’évaluation a été déléguée par le président du conseil départemental. L’intéressé est informé des objectifs et des enjeux de l’évaluation sociale qui doit « être une démarche empreinte de neutralité et de bienveillance » d’après l’arrêté du 20 novembre 2019 relatif aux modalités de l’évaluation des personnes se présentant comme mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille. À chaque stade de l’évaluation sociale, les évaluateurs sont chargés de confronter l’apparence physique de la personne, son comportement, sa capacité à être indépendante et autonome, à raisonner et à comprendre les questions posées avec l’âge qu’elle allègue.

En application de l’article 388 du code civil, un examen radiologique osseux peut également être réalisé subsidiairement. Cet examen diffère selon le praticien choisi. Il prend traditionnellement la forme d’une radiographie du poignet, de la main ou dentaire, mais de nouvelles techniques émergent. En tout état de cause, le « test osseux » est trop souvent présenté dans le débat public comme un examen invasif et douloureux – confondu parfois avec une ponction osseuse. Il est donc indispensable de rappeler qu’il s’agit de la simple prise d’un cliché médical.

Le recours à ces types de test, déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans une décision de 2019, est très encadré. En effet, il est subordonné à la réunion de quatre conditions : l’intéressé doit être dépourvu de documents d’identités valables, l’âge qu’il allègue ne doit pas être vraisemblable, seule l’autorité judiciaire peut l’autoriser, et l’intéressé doit y consentir.

En conséquence, les tests osseux semblent être largement sousutilisés ([15]). Un rapport du Sénat a de plus souligné « une grande hétérogénéité dans l’utilisation de ces tests, certains parquets les exigent presque systématiquement alors que d’autres s’y refusent de manière tout aussi systématique » ([16]).

Si la rapporteure considère que l’évaluation sociale est un outil pertinent d’évaluation de l’âge, qui doit être conservé, elle est néanmoins convaincue que l’apport scientifique du « test osseux » est incontournable pour évaluer de façon précise et fiable l’âge de la personne étrangère se déclarant MNA. L’insuffisante utilisation de ces tests, qui résulte tantôt du refus opposé par les intéressés, tantôt de la réticence de l’autorité judiciaire, porte une atteinte préoccupante à l’efficacité de notre dispositif d’évaluation de la minorité.

2.   L’examen radiologique osseux : un outil d’évaluation de l’âge à renforcer

Si, d’ores et déjà, l’évaluation de l’âge permet d’aboutir à la conclusion que 55 % des migrants en moyenne se présentant MNA ne le sont pas ([17]), et ce malgré le faible recours aux « tests osseux », combien de jeunes étrangers demandant à relever de ce statut sont indûment déclarés mineurs et rejoignent chaque année les structures de l’ASE ?

Le rapport sur les problématiques de sécurité associées à la présence sur le territoire de mineurs non accompagnés ([18]) de l’Assemblée nationale confirme que « le plus souvent, forces de l’ordre et magistrats, parfois confrontés à un phénomène de masse, ne disposent pas des outils permettant de distinguer les véritables mineurs, auxquels la France doit protection, des majeurs, qui doivent être éloignés ». Le même rapport indique qu’une expérimentation conduite par le parquet de Paris en 2019 a révélé que parmi 154 jeunes formellement identifiés, 141 étaient majeurs, soit près de 92 % de ceux qui se faisaient passer pour mineurs.

Le groupe Rassemblement national a ainsi fait le choix d’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale le 12 octobre 2023, journée réserve à ses initiatives conformément au cinquième alinéa de l’article 48 de la Constitution, une proposition de loi modifiant le dispositif juridique relatif aux examens radiologiques osseux, afin d’en accroître l’usage. Celle-ci instaure une présomption de majorité pour tout étranger qui refuserait de faire l’objet d’un « test osseux » et assouplit le régime juridique encadrant le recours à ces examens.

D’aucuns diront que les examens radiologiques osseux présentent une marge d’erreur trop conséquente. Il est exact que les examens radiologiques traditionnels étaient établis avec une marge d’erreur allant de 1 à 2 ans. Toutefois, une nouvelle technique a vu le jour à la suite de la crise sanitaire de 2020. Reposant sur l’analyse combinée des clichés issus d’un scanner de la clavicule, d’une radio de la main gauche et d’un examen panoramique dentaire, elle permet de déterminer qu’une personne est majeure avec une marge d’erreur désormais réduite à quelques mois. 

D’autres soutiendront que le dispositif de la présente proposition de loi porte atteinte à l’exigence de protection de l’intérêt de l’enfant, fondée sur les dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946. La rédaction retenue se veut au contraire équilibrée et respectueuse de ce principe, puisque le recours aux examens demeurerait cantonné aux seules situations d’absence de document d’identité valable et lorsque l’âge allégué n’est pas vraisemblable. De plus, elle conserve la mention selon laquelle les conclusions des examens radiologiques osseux doivent préciser la marge d’erreur, et que le doute profite à l’intéressé. L’usage des « tests osseux » aurait enfin pour vocation à s’ajouter aux dispositifs actuels d’évaluation de l’âge, non à les remplacer.

La rapporteure escompte que la représentation nationale se montrera réceptive à cette proposition de loi, motivée par des préoccupations qui ne peuvent que susciter l’adhésion :

l’intérêt supérieur des enfants confiés à l’ASE, qui suppose de ne pas faire cohabiter dans un même espace de vie des mineurs et des majeurs indûment déclarés mineurs, avec tous les risques que cela comporte ;

l’intégrité de nos frontières, qui requiert de pouvoir identifier les étrangers majeurs sans titres de séjour, afin de procéder à leur éloignement ;

la sécurité des Français, qui rend impérieux que les majeurs soient jugés par la « justice des majeurs » ;

et la préservation du budget de nos départements, impliquant de réserver nos généreux et coûteux dispositifs d’aide sociale à l’enfance aux seuls véritables mineurs.

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   COMMENTAIRE des articles de la proposition de loi

Article 1er
(art 388 du code civil)
Assouplir le recours aux examens médicaux aux fins de détermination de l’âge et instaurer une présomption de majorité en cas de refus, par l’intéressé, de l’examen radiologique osseux

Supprimé par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article assouplit les conditions de recours à l’examen radiologique osseux aux fins de détermination de l’âge et crée une présomption de majorité en cas de refus, par l’intéressé, de l’examen. Il supprime également le dernier alinéa de l’article 388 du code civil, interdisant l’évaluation de l’âge à partir d’un examen du développement pubertaire des caractères sexuels et secondaires.

       Dernières modifications législatives intervenues

Cet article a été modifié par l’article 43 de la loi  2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant, qui a introduit trois alinéas précisant les conditions dans lesquelles il est possible de recourir aux examens médicaux en vue de déterminer si un individu est mineur ou majeur.

1.   L’état du droit

a.   L’évaluation de l’âge des étrangers se déclarant MNA

Le mineur non accompagné (MNA) se définit comme un ressortissant étranger de moins de 18 ans se trouvant séparé de ses représentants légaux sur le territoire français.

Le président du conseil départemental du lieu dans lequel se trouve la personne étrangère se déclarant MNA doit mettre en place un accueil provisoire d’urgence d’une durée de cinq jours. Il s’agit de l’étape de « mise à l’abri ».

Au cours de cette période, le conseil départemental procède aux investigations nécessaires en vue d’évaluer la véracité de la situation de la personne.

Les articles R. 221-11 et suivants du code de l’action sociale et des familles et l’arrêté du 20 novembre 2019 relatif aux modalités de l’évaluation des personnes se présentant comme mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille précisent les modalités d’évaluation de la minorité. L’évaluation conduite s’appuie sur un « faisceau d’indices » qui peut inclure :

les informations fournies au président du conseil départemental par le représentant de l’État dans le département selon les modalités prévues à l’article R.  221-11 du code de l’action sociale et des familles, découlant par exemple de la consultation du fichier d’appui à l’évaluation de la minorité et de l’isolement (cf. encadré infra.) ou de la vérification des documents d’identité de la personne ;

une évaluation sociale prenant la forme d’entretiens menés par les services du conseil départemental ou par tout organisme du secteur public ou associatif auquel la mission a été déléguée par le président du conseil départemental.  Ils se déroulent dans une langue comprise par l’intéressé et portent sur l’état civil, la composition familiale, la présentation des conditions de vie dans le pays d’origine, les motifs du départ et le parcours migratoire, les conditions de vie depuis l’arrivée en France, et le projet de la personne ([19]). À l’issue des entretiens, l’évaluateur rédige un rapport d’évaluation et rend un avis motivé quant à la minorité (et à l’isolement) de l’évalué. Ce rapport et cet avis sont transmis au président du conseil départemental.

Sur la base dudit avis, le président du conseil départemental apprécie la nécessité d’une saisine de l’autorité judiciaire, soit aux fins d’assistance éducative, soit pour faire procéder à des investigations complémentaires. C’est dans ce dernier cas que peut être demandé un examen radiologique osseux (cf. infra.).

Comme l’a souligné le rapport sénatorial de 2021, « la mise en œuvre de cette phase d’évaluation reste très hétérogène : professionnalisme de l’organisme en charge de l’évaluation, durée de la procédure, conditions de mise à l’abri… » ([20]). Il en résulte que le taux de reconnaissance de minorité varie grandement d’un département à l’autre. D’après le rapport de la mission bipartite de réflexion sur les MNA du 15 février 2018, « au premier semestre 2017, la dispersion du taux de reconnaissance de minorité variait de 9 % à 100 % selon les départements » ([21]).

 

La mise en place d’un fichier d’appui à l’évaluation de la minorité (AEM)

Pour faciliter l’évaluation de la minorité de l’étranger et contribuer à l’homogénéisation des pratiques entre les départements, le Gouvernement a instauré un fichier d’appui à l’évaluation de la minorité (AEM).

Prévu à l’article L.  142-3 du CESEDA depuis la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, ce fichier a été instauré par le décret n° 2019-57 du 30 janvier 2019 relatif aux modalités d’évaluation des personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et autorisant la création d’un traitement de données à caractère personnel relatif à ces personnes. Les dispositions le concernant sont désormais codifiées aux articles R. 221-15‑1 et suivants du code de l’action sociale et des familles.

Ce traitement a pour objectif d’identifier, à partir de leurs empreintes digitales, les personnes se déclarant mineures et isolées, de permettre une meilleure coordination des services de l’État et de ceux compétents en matière d’accueil et d’évaluation de la situation des personnes concernées, d’améliorer la fiabilité de l’évaluation et d’en raccourcir les délais, et enfin de prévenir le détournement du dispositif de protection de l’enfance par des personnes majeures ou des personnes se présentant successivement dans plusieurs départements.

L’article 40 de la loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants prévoit que la contribution forfaitaire versée par l’État aux départements pour l’évaluation de la situation et la mise à l’abri des personnes se déclarant MNA pourra ne pas être versée si le conseil départemental n’organise pas la présentation de la personne à la préfecture ou s’il ne transmet pas, chaque mois, la date et le sens des décisions individuelles prises à l’issue de l’évaluation.

Entre la publication du décret de 2019 et la fin de l’année 2022, 85 départements ont signé une convention avec leur préfecture permettant de recourir à l’utilisation du fichier AEM ([22]).

b.   L’évolution du droit en matière de recours aux examens radiologiques osseux

i.   En 2013, une circulaire du 31 mai 2013 visant à encadrer le recours aux « tests osseux »

Avant 2016, les examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l’âge étaient réalisés sans fondement législatif.

Le 31 mai 2013, la garde des Sceaux, Mme Christiane Taubira a adressé aux magistrats la circulaire n° NOR JUSF1314182C relative aux modalités de prise en charge des jeunes isolés étrangers. Ce document dispose que l’évaluation de la minorité doit s’appuyer sur la combinaison d’un « faisceau d’indices » incluant un entretien conduit avec le jeune étranger dans le cadre d’une approche pluridisciplinaire et la vérification de l’authenticité des documents d’état civil qu’il en détient. Toutefois, elle précise que « si le doute persiste au terme de cette étape et seulement dans ce cas, il peut être procédé à une expertise médicale de l’âge sur réquisition du parquet ».

ii.   En 2016, l’inscription dans la loi de la possibilité du recours aux « tests osseux »

Jusqu’à 2016, l’article 388 du code civil se bornait à préciser que « le mineur est l’individu de l’un ou l’autre sexe qui n’a point encore l’âge de dixhuit ans accomplis ».

En mai 2015, lors de l’examen de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant par la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale, celle-ci adopte un amendement visant à interdire la pratique des « tests osseux » ([23]), considérant qu’un « faisceau d’indices (évaluation par une équipe pluridisciplinaire, examen des papiers officiels…) permettra[it] une évaluation plus rigoureuse et objective » ([24]). L’exposé sommaire de l’amendement souligne par ailleurs que la fiabilité des « tests osseux » est largement critiquée par la communauté scientifique et que ces examens exposent les intéressés à des irradiations dangereuses pour leur santé.

Toutefois, la rédaction actuelle de l’article 388 du code civil diffère de cet objectif et résulte de l’amendement n° 201 (rect.) déposé par le Gouvernement et adopté en séance publique lors de l’examen du texte en première lecture par l’Assemblée nationale ; cette rédaction a été précisée par plusieurs sous‑amendements (cf. infra.). Il en découle que le recours aux tests osseux est autorisé, dans de strictes conditions.

La rédaction actuelle de l’article 388 du code civil, telle qu’elle résulte de la loi du 14 mars 2016

L’article 388, dans sa rédaction issue de l’article 43 de la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant, dispose que les « examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l’âge, en l’absence de documents d’identité valables ([25]) et lorsque l’âge allégué n’est pas vraisemblable, ne peuvent être réalisés que sur décision de l’autorité judiciaire et après recueil de l’accord de l’intéressé ».

Il prévoit également que les conclusions de ces examens doivent préciser la marge d’erreur ne peuvent à elles seules permettre de déterminer si l’intéressé est mineur. Enfin, le doute profite à l’intéressé. Cet alinéa provient de l’adoption de deux sous‑amendements ([26])  de M. Denys Robiliard en séance publique en première lecture à l’Assemblée nationale.

De surcroît, en cas de doute sur la minorité de l’intéressé, l’article 388 précise à son dernier alinéa qu’il ne peut être procédé à une évaluation de son âge à partir d’un examen du développement pubertaire des caractères sexuels primaires et secondaires  ([27]). Cette disposition est issue de l’adoption d’un sous‑amendement ([28]) de Mmes Annie Le Houerou, Françoise Dumas et Monique Rabin, en séance publique, en première lecture par l’Assemblée nationale.

iii.   Une initiative parlementaire d’assouplissement du recours aux examens radiologiques osseux en 2021

Le 20 octobre 2020, Mme Agnès Thill et plusieurs cosignataires ont déposé la proposition de loi n° 3443 sur le Bureau de l’Assemblée nationale, visant à mieux lutter contre la fraude à l’identité dans le cadre des MNA. Le groupe UDI et Indépendants a fait le choix d’inscrire ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, le 25 mars 2021, journée réservée à ses initiatives conformément au cinquième alinéa de l’article 48 de la Constitution.

Cette proposition loi avait pour objet de modifier l’article 388 du code civil, notamment en disposant qu’est présumé majeur tout individu refusant de faire l’objet d’un examen médical visant à déterminer son âge lorsqu’il existe un doute sur sa minorité. Elle prévoyait également que la possession de document falsifié ou ne pouvant être valablement certifiés conformes entraînerait de facto la demande d’examens radiologiques osseux.

La proposition de loi a été rejetée.

c.   La jurisprudence

  1.   La conformité à la Constitution des dispositions de l’article 388 du code civil relatives aux « tests osseux » confirmée par le Conseil constitutionnel

Saisi le 21 décembre 2018 par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 388 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 14 mars 2016 précitée, le Conseil constitutionnel a jugé que le recours aux examens radiologiques osseux aux fins de déterminations de l’âge ne méconnaissait pas en soi l’exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt de l’enfant ([29]).

Il a également jugé qu’au regard des garanties entourant le recours aux examens radiologiques osseux à des fins de détermination de l’âge, le législateur n’avait pas méconnu l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant ([30]).

ii.   Une jurisprudence de la Cour de cassation qui précise les contours de l’usage des « tests osseux »

La Cour de cassation a eu à de nombreuses reprises à s’exprimer sur les « tests osseux », qu’il s’agisse :

du recours à ceux-ci : en cassant une décision ayant pris en compte un examen radiologique osseux alors que le demandeur avait produit un document d’état-civil en français et une décision du juge des enfants ([31]) ; en confirmant que des examens radiologiques peuvent être ordonnés en présence de documents d’identité contenant des erreurs ou de nombreuses contradictions, lorsque l’âge n’est pas vraisemblable ([32]) ; et en précisant que le consentement de l’intéressé à l’examen ne prend pas nécessairement une forme écrite  ([33]) ;

du bénéfice du doute : en disposant que le principe du doute profite à l’intéressé ne s’applique que lorsqu’un examen radiologique a été ordonné sur le fondement de l’article 388, et non à l’appréciation de documents d’identité  ([34]).

2.   Le dispositif proposé

Le dispositif proposé modifie l’article 388 du code civil comme suit :

l’examen radiologique osseux pourrait être réalisé sur décision de l’administration, ce qui aurait pour effet de supprimer la nécessité d’une décision de l’autorité judiciaire et du recueil de l’accord de l’intéressé ;

le refus de cet examen entraînerait une présomption de majorité de l’intéressé ;

la mention de l’interdiction de l’examen du développement pubertaire des caractères sexuels primaires et secondaires est supprimée. Cette suppression, conséquence non voulue de la réécriture globale de l’article 388 du code civil, n’apparaît néanmoins pas pertinente à la rapporteure, qui considère ces examens comme peu fiables et trop invasifs.

Le cœur du dispositif réside dans l’instauration de la présomption de majorité pour tout étranger refusant de faire l’objet d’un examen radiologique osseux. Cette disposition est une condition sine qua non de l’efficacité du dispositif d’évaluation de l’âge. Sans cette mention, tout migrant se sachant majeur refusera en toute logique le « test osseux », et sera susceptible, comme en l’état actuel du droit, d’être déclaré mineur indûment. De surcroît, lorsque le Conseil constitutionnel précise dans sa décision de 2019 mentionnée précédemment que « la majorité d’une personne ne saurait être déduite de son seul refus de se soumettre à un examen osseux », il « s’agit de son interprétation de la volonté du législateur » ([35]), sur laquelle le législateur pourrait donc revenir.

Par souci de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, le dispositif maintient l’obligation de mentionner la marge d’erreur dans les conclusions des examens osseux. Il préserve également le principe selon lequel le doute profite à l’intéressé. Il cantonne en outre le recours à l’examen radiologique osseux aux seules situations dans lesquelles le migrant ne peut se prévaloir de documents d’identité valables, et lorsque l’âge allégué n’est pas vraisemblable.

3.   La position de la Commission

Malgré l’avis défavorable de la rapporteure, la Commission a adopté quatre amendements de suppression de l’article.

 

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Article 2
(art.L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles)
Préciser que le mineur n’ayant pas la nationalité française ne peut être pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance (ASE) sans la vérification préalable de sa minorité dans les conditions fixées par l’article 388 du code civil

Supprimé par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article précise, dans le code de l’action sociale et des familles, qu’un mineur étranger ne peut être pris en charge par l’ASE sur décision du président du conseil départemental que s’il a fait l’objet d’une vérification de son état de minorité en application de l’article 388 du code civil.

       Dernières modifications législatives intervenues

Cet article a été modifié par l’article 10 de la loi  2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, qui a complété la liste des personnes pouvant être prises en charge par le service de l’ASE sur décision du présent du conseil départemental.

1.   L’état du droit

a.   Le service de l’aide sociale à l’enfance (ASE)

Placé sous l’autorité du président du conseil départemental, le service de l’ASE est chargé de plusieurs missions, parmi lesquelles :

apporter un soutien matériel, éducatif, et psychologique tant aux mineurs qu’à leur famille ;

mener en urgence des actions de protection des mineurs en danger ;

veiller à la stabilité du parcours de l’enfant confié et à l’adaptation de son statut sur le long terme.

Ces missions sont présentées à l’article L. 221-1 du code de l’action sociale et des familles.

b.   Les publics pris en charge par le service de l’ASE

L’article L. 222-5 du même code énumère cinq types de publics pris en charge par le service de l’ASE sur décision du président du conseil départemental :

1° Les mineurs qui ne peuvent demeurer provisoirement dans leur milieu de vie habituel et dont la situation requiert un accueil à temps complet ou partiel, en particulier de stabilité affective, ainsi que les mineurs rencontrant des difficultés particulières nécessitant un accueil spécialisé, familial, ou dans un établissement ou service spécialisé ;

2° Les pupilles de l’État ;

3° Les mineurs confiés au service par l’autorité judiciaire, en application de plusieurs dispositions ([36]) ;

4° Les femmes enceintes et les mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin d’un soutien matériel et psychologique, sous certaines conditions ;

5° Les majeurs âgés de moins de vingt et un ans et les mineurs émancipés qui ne bénéficient pas de ressources ou d’un soutien familial suffisants, lorsqu'ils ont été confiés à l’ASE avant leur majorité.

2.   Le dispositif proposé

L’article 2 de la présente proposition de loi tend à préciser, à l’article L. 222‑5 du code de l’action sociale et des familles, que le mineur étranger ne peut être pris en charge par le service de l’ASE sans la vérification préalable de sa minorité dans les conditions fixées par l’article 388 du code civil, dans sa rédaction modifiée par l’article 1er de la présente proposition de loi.

3.   La position de la Commission

Malgré l’avis défavorable de la rapporteure, la Commission a adopté quatre amendements de suppression de l’article.

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Article 3
Gage de charge

Rejeté par la Commission

 

Le présent article prévoit que la charge résultant, pour l’État, de l’application de la proposition de loi est compensée par la création d’une taxe additionnelle à la taxe mentionnée à l’article 235 ter ZD du code général des impôts, c’est-à-dire la taxe s’appliquant à toute acquisition à titre onéreux d’un titre de capital ou d’un titre de capital assimilé, dès lors que ce titre est admis aux négociations sur un marché réglementé français, européen ou étranger, que son acquisition donne lieu à un transfert de propriété et que ce titre est émis par une société dont le siège social est situé en France et dont la capitalisation boursière dépasse un milliard d’euros.

La Commission n’a pas adopté cet article.

 


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   Compte rendu des débats

  Lors de sa réunion du mercredi 4 octobre 2023, la Commission examine la proposition de loi visant à renforcer le contrôle des déclarations de minorité des étrangers (n° 1261 rect.) (Mme Alexandra Masson, rapporteure).

Lien vidéo : https://assnat.fr/6cyXjZ

M. le président Sacha Houlié. Nous examinons d’abord la proposition de loi visant à renforcer le contrôle des déclarations de minorité des étrangers, qui est inscrite, en septième et dernière position, à l’ordre du jour de la séance réservée du groupe Rassemblement national (RN), le 12 octobre prochain.

Mme Alexandra Masson, rapporteure. Je vous remercie de m’accueillir dans votre commission en tant que rapporteure de cette proposition de loi, qui est un texte d’importance. Elle vise en effet à renforcer le contrôle des déclarations de minorité des étrangers, dans un triple contexte.

Tout d’abord, notre pays enregistre des arrivées toujours plus importantes de mineurs isolés étrangers, dits mineurs non accompagnés (MNA). De quelques centaines en France au cours des années 1990, leur nombre est passé à 4 000 en 2010 et à 28 000 en 2018. Selon les projections, les « flux » de MNA confiés aux départements, sur décision judiciaire, se seraient élevés à 17 000 entre janvier et août 2023, contre 9 500 pour toute l’année 2021. Dans les seules Alpes-Maritimes, 4 736 MNA ont été pris en charge durant cette période, contre 4 808 pendant la totalité de l’année 2022. Pour rappel, 95 % de ces MNA sont des garçons et 60 % d’entre eux ont entre 16 et 18 ans.

En second lieu, de nombreux rapports ont pointé du doigt le lien entre la présence de MNA sur notre sol et la problématique de la délinquance. D’après un rapport de 2021 de nos anciens collègues Antoine Savignat et Jean-François Eliaou, les MNA représenteraient 30 % des mis en cause dans les vols par effraction à Paris, 44 % dans les vols à la tire et 32 % dans les vols avec violence.

Enfin, le dispositif actuel d’évaluation de la minorité des étrangers se déclarant MNA est défaillant. La détermination de l’âge s’appuie, en l’état du droit, sur un faisceau d’indices qui résulte d’une procédure faisant appel à une expertise documentaire, à une évaluation sociale et, subsidiairement, à des examens radiologiques des os, les fameux « tests osseux ». L’évaluation sociale est un dispositif pertinent, qui repose sur une série d’entretiens pluridisciplinaires visant à comparer l’âge allégué du migrant avec son apparence physique, son comportement ou encore sa capacité de raisonnement, mais cette évaluation est trop subjective et ne saurait donc se substituer aux examens scientifiques que sont les examens radiologiques. Ceux-ci, hélas, sont assez rarement utilisés – j’y reviendrai.

Avant de préciser en quoi le dispositif juridique encadrant le recours aux examens radiologiques osseux doit être repensé, je rappelle que l’évaluation de la minorité du migrant se déclarant MNA joue un rôle primordial. En effet, elle trace une ligne de partage entre deux régimes juridiques diamétralement opposés.

En matière de droit des étrangers, alors qu’un individu majeur peut faire l’objet d’une mesure d’éloignement, le migrant déclaré MNA ne peut se voir appliquer ni une obligation de quitter le territoire français (OQTF), ni une mesure d’expulsion. Le MNA bénéficie, en outre, de conditions facilitant l’obtention d’un titre de séjour lorsqu’il atteint la majorité. En d’autres termes, il s’installe durablement, pour ne pas dire définitivement, sur notre territoire.

De surcroît, le migrant déclaré MNA est pris en charge par le service départemental de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Il est ainsi hébergé et il bénéficie d’un accès aux soins et à l’éducation et éventuellement d’un soutien psychologique ou d’une formation professionnelle. Dans le département des Alpes-Maritimes notamment, le coût moyen de prise en charge d’un MNA est de 50 000 euros par an pour le contribuable.

Enfin, le MNA bénéficie de l’application de dispositions moins sévères dans le cadre de la justice pénale des mineurs, ce qui n’est pas un aspect anodin compte tenu des liens entre la présence de MNA sur notre sol et les problèmes de délinquance.

Il résulte de ces différences entre les régimes juridiques applicables que l’évaluation de l’âge doit être la plus précise et la plus fiable possible. Or, le recours aux examens radiologiques, déclaré conforme à la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel datant de 2019, est entouré de conditions bien trop strictes.

Celles-ci, qui doivent toutes être réunies, sont au nombre de quatre : l’intéressé doit être dépourvu de documents d’identité valables, l’âge qu’il allègue ne doit pas être vraisemblable, seule l’autorité judiciaire peut autoriser le recours à ces examens, et la personne concernée doit donner son consentement. En conséquence, ce dispositif est largement sous‑utilisé. Le ministère de la justice n’a pas été en mesure de nous communiquer les chiffres exacts, malgré différentes demandes, mais la faiblesse du recours aux examens radiologiques a été unanimement soulignée lors des auditions.

Il nous apparaît dès lors indispensable de rénover le dispositif juridique actuel de deux manières : d’abord, en réduisant de moitié le nombre de conditions, par la suppression de l’intervention de l’autorité judiciaire et de la mention selon laquelle l’intéressé doit être consentant ; ensuite et surtout, en prévoyant que tout refus d’un tel examen entraînera une présomption de majorité. Cet ajout est indispensable pour assurer l’efficacité du dispositif. Sinon, le migrant se sachant majeur n’aura qu’à refuser les examens radiologiques et pourra indûment être déclaré mineur si l’évaluation sociale va en ce sens. Il ne s’agira pas de procéder à des examens radiologiques osseux sous contrainte, mais de considérer, sauf démonstration du contraire, que le migrant refusant l’examen est majeur.

Je précise, pour la bonne information de chacun, qu’un « test osseux », comme nous l’avons écrit dans l’exposé des motifs, n’est en réalité qu’une radiographie ou un scanner – de trop nombreuses confusions ont lieu en la matière.

Par ailleurs j’ai constaté qu’il était indiqué, dans de multiples amendements, qu’un examen radiologique osseux présentait une marge d’erreur trop importante. Les auteurs de ces amendements se sont fondés sur des rapports surannés, alors que la science évolue, et vite.

J’ai ainsi auditionné, lors de mes travaux préparatoires, le docteur Bernard Marc, chef du service des urgences médico-légales du Grand Hôpital de l’Est francilien, qui nous a présenté une étude clinique visant à évaluer l’âge à partir d’un scanner de la clavicule. Depuis la crise sanitaire, les services hospitaliers disposent d’une base de données de plusieurs centaines de scanners réalisés sur de jeunes personnes réunissant tous les critères des migrants se déclarant MNA – une population jeune, ethniquement variée et originaire d’Afrique. Deux juridictions sollicitent déjà le Grand Hôpital de l’Est francilien : le tribunal de Meaux, en Seine-et-Marne, et celui de Paris, territoire où la délinquance des MNA est la plus importante. Cinq à six demandes d’examen sont ainsi reçues chaque semaine par l’hôpital.

J’aurai l’occasion d’y revenir plus précisément lors de l’examen des amendements, mais la marge d’erreur a été ramenée de vingt-quatre mois à seulement deux à six mois en passant des examens radiologiques de la main et du poignet gauche au scanner de la clavicule – c’est une avancée très importante – et la marge d’erreur pourrait encore être réduite. Le recours à l’intelligence artificielle, envisageable prochainement, pourrait permettre de la rendre quasi nulle.

Dans ces conditions, le dispositif que nous présentons semble pertinent et souhaitable à plusieurs égards.

Il est dans l’intérêt supérieur des enfants confiés à l’ASE que l’on ne fasse pas cohabiter dans un même espace de vie des mineurs et des majeurs indûment déclarés mineurs. L’article 2 prévoit ainsi que, pour que l’intéressé soit pris en charge par l’ASE, sa minorité devra avoir été vérifiée dans les conditions fixées par l’article 388 du code civil tel qu’il est réécrit par l’article 1er de la proposition de loi.

L’intégrité de nos frontières requiert, par ailleurs, que l’on puisse identifier les étrangers majeurs sans titre de séjour, afin de procéder à leur éloignement.

Ensuite, la protection de la sécurité des Français demande, de façon impérieuse, que les migrants délinquants et majeurs soient jugés par la justice des majeurs.

La préservation du budget de nos départements suppose, enfin, de réserver nos généreux et coûteux dispositifs d’aide sociale à l’enfance aux seuls véritables mineurs.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Ludovic Mendes (RE). Cette proposition de loi témoigne de l’approche simpliste et néfaste pour l’État de droit qui caractérise les projets du Rassemblement national.

L’article 1er tend à réécrire l’article 388 du code civil, en particulier ses alinéas relatifs à la détermination de l’âge d’un mineur qui n’est pas en mesure de prouver son âge par un document d’identité valable. Par ailleurs, l’article 2 vise à compléter l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles, en précisant qu’un mineur qui n’a pas la nationalité française ne peut être pris en charge dans les conditions prévues par cet article s’il n’a pas été procédé à une vérification préalable de la réalité de son état de minorité. Pour faire simple, sans test osseux, le mineur ne pourra pas bénéficier de la protection de l’aide sociale à l’enfance.

Par ces deux articles, le Rassemblement national va à l’encontre de la Constitution française, de la Charte européenne des droits de l’enfant, du Comité des droits de l’enfant de l’ONU, du Haut Conseil de la santé publique, du Défenseur des droits, de l’Académie nationale de médecine et j’en passe. Partout en Europe, les associations de pédiatres sont catégoriques sur un point : la maturité de la dentition et du squelette ne permet pas de déterminer l’âge exact d’un enfant, mais uniquement de procéder à une estimation, avec une marge d’erreur de deux à trois ans.

En 2005, déjà, le Comité national consultatif d’éthique (CCNE) avait confirmé « l’inadaptation des techniques médicales utilisées actuellement aux fins de fixation d’un âge chronologique ». Dans son avis, le CCNE « ne récuse pas a priori leur emploi, mais suggère que celui-ci soit relativisé de façon telle que le statut de mineur ne puisse en dépendre exclusivement. […]  L’important est de protéger les enfants, non de les discriminer, ce qui renforce le rôle d’écoute du corps médical, même requis aux fins d’expertise ». Le CCNE avait révélé, par ailleurs, l’existence d’« un risque d’erreur majeur à l’égard des enfants non caucasiens, originaires d’Afrique ou d’Asie, dont le développement osseux peut être tout à fait hétérogène par rapport aux références anglo-saxonnes ».

Dans un rapport de 2007, l’Académie nationale de médecine a confirmé que la lecture de l’âge osseux permet d’apprécier avec une bonne approximation l’âge de développement d’un adolescent en dessous de 16 ans. En revanche, cette méthode ne permet pas de distinction nette entre 16 et 18 ans.

S’agissant du cas spécifique de l’évaluation de la minorité d’un jeune étranger isolé, le Haut Conseil de la santé publique a estimé que le consentement de la personne concernée est nécessaire, que l’examen médical ne doit intervenir qu’en dernier ressort, après une évaluation sociale et l’examen des documents d’état civil, que l’estimation d’un âge osseux ne permet pas de déterminer l’âge exact du jeune lorsqu’il est proche de la majorité légale et que la détermination d’un âge physiologique sur le seul fondement d’un cliché radiologique est à proscrire.

De plus, dans une décision du 21 mars 2019, le Conseil constitutionnel a consacré l’existence d’une exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant et rappelé les garanties applicables en cas d’examen radiologique osseux pour déterminer l’âge d’une personne.

La Cour européenne des droits de l’homme s’est également prononcée sur la question. Dans une décision du 21 juillet 2022, elle a confirmé à la fois la nécessité de prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant et l’existence d’une présomption de minorité – et non de majorité –, pour les personnes non accompagnées, ce qui entre en contradiction avec les dispositions de la présente proposition de loi.

Enfin, il ressort des travaux menés par différentes autorités, à la fois médicales et éthiques, que les résultats de ces tests sont d’une grande incertitude quant à la détermination de l’âge, surtout pour les mineurs de plus de 15 ans. Il a été établi, en outre, que les interprétations des résultats sont sujettes à des écarts importants selon les praticiens, en l’absence de protocole unique. Aucune méthode de détermination de l’âge, qu’elle soit utilisée isolément ou de façon combinée, ne fournit actuellement des informations scientifiques suffisamment fiables et précises pour déterminer l’âge biologique du mineur évalué.

Cette proposition de loi est ainsi inconstitutionnelle et antieuropéenne, contraire aux droits des enfants, contraire à la nécessité d’un consentement préalable et d’un examen médical, contraire à l’État de droit, contraire au code civil, contraire au code de l’action sociale et des familles, contraire aux droits de la défense, contraire aux décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, contraire à la science et immorale. Aussi comprendrez-vous que nous votions contre ce texte.

Mme Edwige Diaz (RN). Saturation, embolie, appel à l’aide : voilà comment de nombreux départements français, rejoints par l’Assemblée des départements de France, caractérisent la situation de l’aide sociale à l’enfance depuis l’arrivée massive de mineurs non accompagnés sur notre territoire. De 2 500 en 2005, leur nombre est passé à près de 40 000. Il s’agit donc, comme l’a indiqué Mme la rapporteure, d’un phénomène à prendre avec beaucoup de sérieux.

La protection de l’enfance, que personne ne remet en cause, offre de nombreux avantages à ceux qui en bénéficient : l’inexpulsabilité du mineur, la quasi-automaticité de la délivrance d’un titre de séjour à sa majorité et la clémence du droit pénal à son égard, qui n’est pas un élément à négliger. Selon la préfecture de la Gironde, 42 % de la délinquance des mineurs à Bordeaux étaient le fait de MNA en 2020. À Paris, ils représentent 80 % des défèrements de mineurs, et on ne compte plus les articles de presse qui décrivent une justice débordée par la violence des MNA.

Un autre avantage lié à leur statut est la prise en charge matérielle, scolaire et sanitaire de l’enfant, pour un coût évalué à environ 50 000 euros par an et par mineur, soit une facture de près de 2 milliards d’euros réglée par le contribuable français. Parce que ce système est particulièrement généreux, il ne faut pas être dupe des tentatives de dévoiement dont il pourrait faire l’objet. Nous avons toutes les raisons de ne pas faire preuve de naïveté quand on entend Mme la directrice de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne estimer qu’« il n’est pas exagéré d’imaginer qu’a minima la moitié des MNA qui se prétendent âgés de 16 ou 17 ans dans l’agglomération parisienne sont en réalité âgés d’au moins 18 ans et mentent sur leur âge », ou lorsque Sud Ouest nous apprend, dans un article d’octobre 2021, qu’il résulte des cinquante évaluations de la minorité et de l’isolement réalisés chaque mois en Gironde que plus des deux tiers des demandeurs ne sont pas considérés comme mineurs par le département. De même, un rapport de la cour régionale des comptes de Nouvelle Aquitaine indiquait, en 2018, que le département de la Charente avait émis 83 avis négatifs sur 219 étrangers s’étant présentés comme mineurs.

Dans l’état actuel du droit, à partir du moment où un étranger a déclaré qu’il était mineur, il est très compliqué de prouver le contraire. L’examen radiologique évoqué par cette proposition de loi est le meilleur moyen de s’assurer qu’il n’y a pas d’abus systémiques. Le dispositif de radiologie de la clavicule présenté par Mme la rapporteure nous paraît tout à fait pertinent et efficace pour trancher dans les nombreux cas où on se situe dans la marge d’erreur.

Ne nous trompons pas de débat : cet examen radiologique ne sera ni invasif, ni systématique. Certains députés se sont emportés durant les auditions et ne manqueront pas de caricaturer à nouveau le débat, mais il n’est nullement question de pratiquer un quelconque examen sur un enfant de 3 ans. En revanche, si un doute subsiste sur l’âge d’une personne et que celle-ci refuse de coopérer, elle sera considérée comme majeure. La réalisation d’un tel examen et l’application des décisions de justice permettront de préserver de détournements le dispositif existant, d’assurer une meilleure garantie des droits des mineurs et d’améliorer le consentement des Français au financement de la politique de l’aide sociale à l’enfance dont bénéficient les MNA.

Contrairement aux macronistes, qui enchaînent les contorsions pour essayer de nous faire croire qu’il n’est pas possible de changer notre droit et in fine font la démonstration de leur manque de courage, et contrairement aussi à la NUPES, car ce texte va à l’encontre de son idéologie immigrationniste, nous voterons en faveur de la proposition de loi.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Les niches parlementaires sont des moments particuliers puisqu’ils permettent aux groupes de s’exprimer sur leurs priorités. Lorsque la NUPES fait le choix d’investiguer sur la question du blocage des prix ou sur celle du retour à une retraite décente pour tous, vous choisissez, au Rassemblement national, de vous attaquer aux mineurs étrangers isolés.

J’emploie ce verbe, car vous travestissez la réalité. Vos chiffres sont un mélange d’éléments plus ou moins sourcés et de propos vagues, voire d’anecdotes, pour ne pas dire de faits divers. À cela nous opposons d’autres éléments, qui prouvent une chose : lorsqu’un jeune mineur isolé, non accompagné, est effectivement pris en charge sur le plan éducatif, il ne pose strictement aucun problème. Les 5 à 10 % d’entre eux qui font l’objet de mesures pénales de toute nature sont en errance, c’est-à-dire qu’ils sont totalement livrés à eux-mêmes et totalement vulnérables.

Cependant, ce n’est pas le sujet. Vous nous dites que pour profiter de l’aide sociale à l’enfance, laquelle est mise en œuvre d’une façon très imparfaite par les départements – réalité que vous faites semblant d’ignorer –, ces jeunes mentiraient sur leur âge et que les tests osseux seraient le moyen d’y mettre fin. Examinons donc la fiabilité de ces tests. Leur marge d’erreur se situe entre dix-huit mois et trois ans. Autant dire que l’établissement de la majorité d’une personne relève de la loterie.

On pourrait aussi évoquer la genèse de ce dispositif, qui date en gros des années cinquante. Il est fondé sur un atlas de radiographies d’enfants blancs de la classe moyenne, qui permet de mesurer si ces derniers pourraient avoir un retard de croissance : cela n’a rien à voir avec la fixation de tel ou tel âge. Le Haut Conseil de la santé publique a d’ailleurs indiqué, dans un avis de 2014, que l’on ne pouvait utiliser ces tests osseux pour déterminer l’âge d’une personne.

Vous nous dites que la science avance et qu’une nouvelle technique permet de fixer l’âge avec certitude en combinant un scanner de la clavicule, une radio de la main gauche et un examen panoramique dentaire. Or, il n’en est rien : aucune étude ne prouve que c’est fiable, et vous le savez, bien sûr. Alors pourquoi avancez-vous ces arguments et cette proposition de loi ? Tout simplement parce que vous criminalisez les migrants : qui dit migrant dit délinquant, ce qui tombe bien, parce qu’on parle ainsi d’autre chose que de l’inflation qui explose ou du dérèglement climatique, et qu’on fait porter à l’autre la responsabilité de tous les maux. Ces pratiques démagogiques sont votre fonds de commerce et l’apanage des pouvoirs autoritaires que vous incarnez, en tout cas du point de vue de votre philosophie.

Vous dites respecter l’intérêt supérieur de l’enfant, mais il n’en est rien. Comme l’ont montré des éléments déjà cités, votre texte est tout à fait anticonstitutionnel, et vous le savez. Dès que le vernis craque, on voit le fond xénophobe et raciste de votre organisation politique.

M. Philippe Gosselin (LR). Cette réunion est très particulière puisqu’elle coïncide avec la niche parlementaire de nos collègues du RN. Tous les sujets, évidemment, sont possibles, et chacun essaie de faire le buzz dans ce cadre, une fois par an.

Les mineurs non accompagnés sont une vraie question. Le nombre des arrivées et des demandes explose depuis plusieurs mois, ce qui coûte 500 millions de plus aux départements – ce n’est pas une paille. Par ailleurs, l’accueil devient de plus en plus difficile, y compris celui de vrais mineurs, qui n’ont donc pas toujours la chance d’avoir un encadrement sérieux.

Les tests osseux sont traités comme un repoussoir. Ils font l’objet de certaines oppositions pratiques et idéologiques, mais il faut quand même rappeler que la loi du 14 mars 2016 comportait une reconnaissance de ces tests et que le Conseil constitutionnel a lui-même réaffirmé en 2019 leur constitutionnalité.

Pour Les Républicains, il ne s’agit pas de faire reposer la totalité de la preuve sur les tests osseux – il n’en a jamais été question. Je partage ce qui a été dit au sujet de la marge d’erreur, même si elle n’est pas de dix-huit mois à trois ans, mais plutôt de douze à dix-huit mois, selon le consensus. Cela vaut en particulier pour les jeunes qui sont à la limite des 18 ou 19 ans, mais il y a aussi, et vous le savez, un nombre important de personnes qui se prétendent mineures, alors qu’elles ont en réalité 22 ou 23 ans : même avec une marge d’erreur de douze à dix-huit mois, elles ne peuvent être mineures. Je rappelle aussi qu’on utilise un faisceau d’indices : il n’y a pas que le test osseux, celui-ci ne constitue pas une réponse absolue.

Cela fait plusieurs années que nous nous sommes positionnés pour un renforcement de ces tests. Ils font, je l’ai dit, l’objet d’une bataille assez compliquée sur le plan idéologique et sur le plan pratique, et je sais bien, par ailleurs, quelle interprétation sera retenue. J’ai ainsi lu ce matin dans la presse que les LR couraient après le RN… Or ce n’est pas du tout le cas : nous revendiquons l’antériorité de nos propositions. Éric Ciotti avait déposé des amendements à ce sujet en 2018, lors de l’examen d’un projet de loi sur l’immigration, et l’UDI avait aussi déposé, il y a quelques années, une proposition de loi qui allait exactement dans le même sens.

Si vous faites un petit sondage auprès de nos concitoyens, vous verrez que, par empathie pour des personnes qui ont souvent subi beaucoup de difficultés, qui sont venues chez nous à pied, généralement après avoir quitté leur famille, beaucoup souhaitent qu’on assure, dans l’intérêt de ces personnes, un encadrement sérieux des vrais mineurs, des gamins laissés à l’abandon, et qu’on se donne des moyens de le faire. Sinon il se produit, d’une certaine façon, un détournement de fonds publics et de l’esprit de l’accueil. En matière de solidarité, il faut aussi fixer certains critères. Voilà pourquoi nous nous associons à ce texte.

M. Erwan Balanant (Dem). Je trouve cette proposition de loi intéressante et même d’utilité publique.

Il faut dire que vous avez le sens des priorités et du timing : alors que certains, aux frontières de l’Europe, sont plongés dans le malheur et vivent des situations dramatiques qui appelleraient plutôt à faire preuve de solidarité et d’humanité, vous proposez de suivre une logique froide et comptable. Priorité nationale, d’abord, et considérations conventionnelles et constitutionnelles après, pour ne pas dire jamais. Vous répondrez peut-être que gouverner, c’est prévoir, mais que prévoyez-vous pour les présumés non mineurs non accompagnés qui auraient le malheur de franchir nos frontières à leurs risques et péril ? Vous semblez avoir choisi, comme vous le faites bien souvent, de ne regarder la question que par le petit bout de la lorgnette et en faisant fi des principes fondamentaux de notre droit. L’exposé des motifs de votre proposition de loi aurait pu être le suivant : cachez cette Constitution et ces accords européens que nous ne saurions voir !

Les Français, nombreux, qui nous suivent en ce moment sont des témoins privilégiés de la qualité des propositions que vous faites en réponse à la crise migratoire. Le dernier rapport d’activité de la mission mineurs non accompagnés souligne que nos territoires rencontrent quatre difficultés principales : augmentation de l’arrivée de très jeunes ; recrudescence de suspicions de cas de traite des êtres humains ; déserts médicaux ; situations d’errance. Vous proposez, pour y répondre, de « rationaliser » les garanties constitutionnelles fixées en 2019 s’agissant du régime de détermination de la minorité, en consacrant une présomption de majorité. Après tout, en effet, l’irrégularité du séjour ne conduit-elle pas à retenir une présomption de fraude ?

Quant à l’intervention de l’autorité judiciaire, gardienne des libertés fondamentales de tout individu, fût-il étranger, pourquoi s’en encombrer ? L’exercice, d’office, d’un pouvoir discrétionnaire pourrait bien suffire et serait bien plus efficace. Quant à la condition de n’utiliser qu’en dernier recours les tests osseux, dont le caractère faillible est confirmé par toute la littérature scientifique, pourquoi devrions-nous nous en embarrasser ? Et pour quelles raisons devrait-on rechercher un consentement libre et éclairé lors d’un examen médical ? Cela ne vaut, peut-être, que lorsqu’on impose une expertise psychiatrique – vous n’êtes pas à une contradiction près. En ce qui concerne le renversement de la présomption de minorité au profit d’une présomption de majorité, là aussi pourquoi s’embêter avec le principe de la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant ? Pour ce qui est de la suppression de l’interdiction de l’examen du développement pubertaire il est heureux, en revanche, qu’un petit moment de lucidité ait conduit au dépôt, hier, à la dernière minute, d’un amendement tendant à la rétablir. S’agissant enfin du deuxième volet de la proposition de loi, qui met sous conditions la protection dans le cadre de l’ASE, nos débats démontreront votre cynisme.

Si nous avions un doute sur votre capacité à gouverner avec pragmatisme et dans le respect des principes conventionnels et constitutionnels, vous nous permettez fort heureusement, une énième fois, de le dissiper. Chers collègues du Rassemblement national, sachez que vous nous trouverez nombreux sur votre chemin lorsqu’il s’agira de garantir l’effectivité des droits et des libertés de tout individu, majeur, mineur, français ou étranger. Si ce texte, en l’état, recueille l’adhésion de collègues siégeant sur d’autres bancs, nous nous y opposons fermement, comme nous nous opposerons à toutes vos attaques contre nos valeurs républicaines, démocratiques et humanistes.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Ce texte, pour nous, ne propose qu’un mirage en réponse à une question sérieuse et légitime que l’on ne doit pas ignorer. Il systématise, sans le consentement de l’intéressé, le recours aux tests osseux en l’absence de documents d’identité valables et lorsque l’âge allégué n’est pas vraisemblable. L’utilisation, d’office, de ces tests est pourtant contraire à l’analyse du Conseil constitutionnel, qui a fait du consentement à un tel geste invasif une garantie permettant de protéger les droits individuels et a précisé, dans une décision de 2019, qu’il appartient à l’autorité judiciaire de s’assurer du respect du caractère subsidiaire de cet examen. Seule l’autorité judiciaire – et non l’administration, comme le prévoit l’article 1er de la proposition de loi – peut décider de la légalité d’un test. On voit bien, en effet, le conflit d’intérêts qui se produirait si l’on confiait à une administration supportant la charge de l’accueil le soin de faire réaliser des tests dans un objectif bien déterminé. L’autorité judiciaire est la garante des droits de la personne.

Bien que ces seuls motifs suffisent à nous faire rejeter cette proposition de loi, je rappelle en outre que la fiabilité du procédé en question n’est pas avérée, comme l’ont souligné de nombreuses instances – l’Académie de médecine dès 2007, le Haut Conseil de la santé publique en 2014, le Défenseur des droits, le Comité consultatif national d’éthique, le Comité des droits de l’enfant de l’ONU et de nombreuses ONG. Vous annoncez l’apparition d’une nouvelle technique à la suite de la crise sanitaire de 2020, mais nous n’en avons pas trouvé la trace.

La présomption de majorité que vous souhaitez instaurer méconnaît la Convention internationale des droits de l’enfant, tout comme elle méconnaît notre Constitution. Le Conseil constitutionnel a précisé, dans sa décision de 2019, que la majorité d’une personne ne saurait être déduite de son seul refus de se soumettre à un examen osseux. Vous méconnaissez également la jurisprudence constante du Conseil d’État, qui établit une présomption de minorité. En somme, rien ne va dans ce texte.

La question est complexe, mais cela ne nous oblige pas à faire preuve de démagogie, en donnant à penser qu’une solution facile et simple serait possible. Au lieu de céder aux sirènes de la simplification, cherchons la justice et l’efficacité, dans l’humanité et l’État de droit.

M. Philippe Pradal (HOR). Le texte que nous examinons aborde un sujet important, celui des mineurs non accompagnés, auxquels nos concitoyens sont attentifs.

Rappelons quelques principes. Tout d’abord, notre philosophie générale envers les mineurs – accueillir et protéger des enfants qui arrivent seuls sur notre territoire – relève d’une évidence qui doit être manifeste sur tous les bancs. Nous avons en la matière, bien sûr, des engagements internationaux, européens et constitutionnels que nous devons respecter, mais aussi, en premier lieu, un devoir humanitaire. Un mineur non accompagné est, avant tout, un enfant.

Au cours des dernières années, nous avons renouvelé les modalités d’évaluation de la minorité par un arrêté de 2019, nous avons codifié la justice pénale des mineurs, grâce notamment à M. Jean Terlier et à Mme Cécile Untermaier, et nous avons adopté la loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure, qui autorise dans certains cas la prise d’empreintes sans consentement. Le rapport d’information de nos prédécesseurs Jean-François Eliaou et Antoine Savignat, sur les problématiques de sécurité associées à la présence sur le territoire de mineurs non accompagnés, expose la double nécessité de remplir notre devoir humanitaire et de nous doter de moyens d’identification et, éventuellement, de répression des jeunes isolés, afin de s’assurer que seuls les mineurs bénéficient de la protection qui leur est due. Il évoque ainsi l’entrée en vigueur en 2019 d’un fichier d’appui à l’évaluation de la minorité, créé en application de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, dite asile et immigration. Ce fichier national, mis à la disposition des départements, répertorie toutes les personnes ayant sollicité une prise en charge de l’ASE ; il contient notamment les empreintes digitales et permet donc d’identifier les personnes et de connaître la durée séparant deux demandes d’évaluation.

Le recours aux tests osseux intervient donc à la fin de l’enquête sociale, sur autorisation des services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Depuis de nombreuses années ils font l’objet de débats : non seulement ils posent la question du respect de l’intégrité physique, que nous défendons, mais tous les acteurs médico-sociaux s’accordent aussi sur leur peu de fiabilité. Or, au regard des conséquences induites, il est indispensable d’établir scientifiquement un résultat certain. Pourtant, quel que soit le référentiel utilisé, les mesures d’ossification du cartilage de croissance connaissent une marge d’erreur particulièrement élevée entre 16 ans et 18 ans. Déjà peu fiables sur un public européen, les tests osseux le sont encore moins s’agissant de jeunes non caucasiens arrivés dans notre territoire après des mois ou des années d’errance et de souffrance. L’Académie de médecine et le CCNE ont plusieurs fois souligné le manque de fiabilité médicale de ces tests chez les jeunes de plus de 15 ans, en particulier les garçons, et le risque d’erreur juridique qu’entraînent les fausses déclarations de majorité.

La proposition de loi du groupe Rassemblement national vise à placer les tests osseux au cœur du processus d’estimation de l’âge et à conditionner la prise en charge des jeunes concernés à leur réalisation, ainsi qu’à instituer une présomption de majorité pour ceux qui refuseraient de s’y soumettre. Le groupe Horizons et apparentés y est fermement opposé. D’une part, l’enjeu de l’évaluation est potentiellement la protection d’un enfant seul dans un pays qu’il ne connaît pas et dont il ne parle pas la langue. Il serait surprenant que des parlementaires établissent comme seul moyen de preuve un test dont la fiabilité scientifique est contestée. D’autre part, le Conseil constitutionnel a expressément rappelé le caractère fondamental de certains droits que ce texte méconnaît, comme l’intervention d’un juge.

Le groupe Horizon et apparentés est convaincu que la présence de mineurs non accompagnés, ou de jeunes qui se présentent comme tels, mérite une réponse ferme mais juste. Elle doit être élaborée, efficace et respectueuse de nos droits fondamentaux et ne peut donc reposer sur des tests peu fiables. Nous voterons donc contre cette proposition de loi.

Mme Sabrina Sebaihi (Écolo-NUPES). La bête immonde se réveille quand l’homme s’endort. La présente proposition de loi l’illustre parfaitement. Contraire à nos valeurs fondamentales d’humanité et de solidarité, elle remet en cause notre devoir moral envers les enfants les plus vulnérables.

Les mineurs étrangers non accompagnés ne sont pas responsables des conflits, des persécutions ou des crises économiques qui les ont poussés à quitter leur pays d’origine. Ils sont les victimes innocentes de circonstances tragiques ; comme nation humaniste, nous avons le devoir de leur offrir protection et assistance. L’application de ce texte entraverait la prise en charge des enfants, avec des conséquences humanitaires désastreuses : où iront ces jeunes privés de ressources et de protection, ou, pire, renvoyés dans le pays qu’ils ont souvent fui pour survivre ? Vous ne cherchez pas à protéger des enfants ni nos concitoyens ; vous cherchez à renvoyer des enfants à la violence, à l’exploitation, à la traite d’êtres humains – à des conditions de vie inhumaines. La patrie des droits de l’homme, de la protection des plus vulnérables et du droit d’asile doit fermement s’opposer à votre proposition de loi mortifère, qui renvoie dos à dos les clairs de peau et les foncés. En effet, Madame Masson, nous ne sommes pas dupes de votre grossière manœuvre : en défendant ce texte, vous alimentez des fantasmes désuets, vides de sens et morbides, pour choyer la frange la plus extrémiste de votre électorat : Jean-Marie Le Pen, qui parlait de « bicots » et de « sidaïques » ; votre collègue Grégoire de Fournas, qui a dit dans notre hémicycle : « Qu’il retourne en Afrique ! » ; Anne-Sophie Leclère, candidate aux élections municipales sous votre bannière, qui aurait préféré voir Christiane Taubira « dans un arbre » ; Jean-Francis Étienne, candidats aux départementales, qui affirmait qu’il suffirait peut‑être de « couler un ou deux bateaux poubelles » – c’est ainsi qu’il désignait les bateaux de migrants – avec « quelques mines bien placées ».

Votre proposition de loi méconnaît nos obligations internationales, issues notamment de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), qui précise que dans toutes les décisions qui le concernent, « l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ». Votre dispositif d’obligation de test irradiant et invasif est contraire aux conventions internationales les plus largement ratifiées au monde.

Nous croyons à une société qui protège les plus vulnérables, qui respecte la dignité de chaque individu, qui garantit l’égalité des droits de toutes et tous, qu’importe la nationalité, la provenance, la couleur de peau, la religion. Il est inhumain d’imposer des tests osseux à des mineurs qui ont déjà souvent connu un parcours traumatique. Plutôt que leur offrir soutien et protection, vous les soumettez à la suspicion et à la matraque. Rassurez-vous, Madame Masson, quinze mineurs qui traversent la frontière franco-italienne n’arrêteront pas la fête du citron de Menton ; pas plus que quinze mineurs traversant le col de Tende l’hiver n’arrêteront la fête médiévale de Breil-sur-Roya. Comme je vous sais attachée aux traditions et aux institutions, je vous propose de demander que Cédric Herrou figure à la prochaine promotion de la Légion d’honneur, pour humanité et service rendu à la nation.

Jean Cocteau, amoureux de Menton, disait que l’enfance est un rêve dont on se réveille trop tôt. En défendant cette proposition de loi, vous proposez de transformer ce rêve en cauchemar.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). En me rendant ce matin en commission, je savais que nous examinerions en premier lieu une proposition de loi abjecte, mais je ne m’attendais pas à entendre certains collègues justifier par l’empathie leur volonté de traîner des jeunes à l’institut médico-légal pour pratiquer un scanner de leur clavicule.

Ce texte est dangereux ; il nie les difficiles conditions de vie, passées et présentes, des enfants que sont les jeunes mineurs isolés. Ils ont quitté seuls leur pays d’origine et affronté un parcours migratoire ardu ; souvent exposés à la maladie, ils ont été traumatisés à toutes les étapes, parfois exploités par des réseaux de traite d’êtres humains. De tout cela, votre texte ne dit rien.

À leur arrivée, plus de la moitié nécessite une prise en charge sanitaire urgente ; tous ont besoin de protection. Les opérateurs de l’État leur opposent le plus souvent la suspicion. Leur identité est mise en doute par la police, qui se croit compétente pour évaluer leur âge ; certains sont illégalement refoulés, enfermés dans des centres de rétention administrative ou en zone d’attente. De tout cela, votre texte ne dit rien non plus. Vous choisissez d’ignorer les besoins fondamentaux d’enfants, et même de renforcer le soupçon en évoquant des estimations sorties du chapeau, qui visent à entretenir la panique morale en nourrissant la représentation des personnes migrantes en fauteurs de troubles à l’ordre public, en délinquants en devenir –dans la continuité des propos, condamnables et condamnés, d’Éric Zemmour.

Lorsque le département a rendu un avis négatif s’agissant d’une demande de prise en charge, il est possible de déposer un recours judiciaire. Dans la réalité, entre 50 et 80 % des recours déposés contre un déni de minorité trouvent grâce auprès des juges des enfants, qui d’ailleurs pratiquent déjà des tests osseux, dans des conditions assez éloignées de celles que prévoit la loi. En effet, cet examen doit intervenir en dernier recours, or les juges de nombreuses juridictions le demandent d’emblée. Le parcours de ces enfants est si long qu’ils en viennent à demander ce test eux-mêmes, parce que sûrs de leur minorité, ils veulent en finir pour être enfin pris en charge – c’est terrible. Toutes les embûches que vous disposez, nous le savons, visent à leur faire atteindre la majorité, pour que l’aide sociale à l’enfance ne les prenne pas en charge.

Vous dénoncez la délinquance de ces jeunes, mais elle est le résultat de leur abandon ; vous faites tant durer la clandestinité et la vulnérabilité que les réseaux de délinquance vont puiser ces jeunes en mal d’accompagnement et de protection. Le dispositif d’obligation des tests osseux révèle votre idéologie, que vous justifiez et légitimez à l’aide d’un argument faussement scientifique, puisque cet examen radiologique n’est ni fiable, ni éthique, ni souhaitable ; il est intrusif, violent et instrumentalisé à des fins judiciaires : pour un tiers des tests pratiqués, l’écart moyen entre les interprétations atteint dix-huit mois.

Le groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES s’opposera donc à votre texte et, surtout, à votre idéologie.

M. Paul Molac (LIOT). La présente proposition de loi tend à généraliser une méthode qui n’a pas fait ses preuves et qui n’a plus sa place dans le code civil. Plus inquiétant, les conditions d’application du dispositif sont de nature à porter une atteinte grave à l’intérêt supérieur de l’enfant. En 2022, 15 000 mineurs non accompagnés sont arrivés en France. Souvent, leur parcours est chaotique et traumatique ; ils ont connu des sévices et des privations. Avant tout, ce sont des enfants : nous avons intérêt à nous occuper d’eux et à les protéger, plutôt qu’à les laisser aux mains de la pègre.

Notre groupe reconnaît les difficultés, mais nous estimons que la généralisation des tests osseux ne constitue pas une réponse pertinente ou efficace. D’abord, l’adoption de ce dispositif, contraire à la Constitution, serait un recul grave. Le Conseil constitutionnel a validé en 2019 le recours aux tests osseux parce que pour protéger l’intérêt supérieur de l’enfant, le législateur l’a assorti de nombreuses garanties, que votre texte vise à supprimer une à une.

À l’encontre des fondements de notre droit, le texte prévoit que l’examen peut être pratiqué sur simple décision de l’administration. Le juge doit seul avoir la prérogative d’autoriser un examen aussi intrusif, en particulier sur un enfant. Par ailleurs, nous ne comprenons pas le choix de mettre fin à l’interdiction constante de procéder à un examen du développement pubertaire des caractères sexuels, qui porte directement atteinte à la dignité humaine des enfants.

J’ajoute que le recours systématique aux tests osseux serait inefficace. Dans votre exposé des motifs, vous prétendez qu’il s’agit de la méthode d’évaluation la plus fiable. Il n’en est rien : aucune institution scientifique sérieuse n’a jamais affirmé leur fiabilité ; le risque d’erreur est très élevé, en particulier entre 16 et 20 ans, comme c’est le cas de la majorité des jeunes pour qui le doute existe.

Vous souhaitez une vérification préalable de minorité avant toute prise en charge par l’aide sociale à l’enfance. Cette mesure, contre-productive, conduirait à laisser les jeunes concernés aux mains de la pègre. J’ajoute que les services de l’ASE peuvent prendre en charge des jeunes majeurs, de moins de 21 ans, privés de soutien familial. Pourquoi exclure les jeunes étrangers ?

Il existe d’autres pistes pour lutter contre les faux mineurs délinquants sans pénaliser tous les enfants étrangers. En ce sens, le rapport d’information sur les problématiques de sécurité associées à la présence sur le territoire de mineurs non accompagnés, déposé en 2021 par notre commission, recommande sans surprise de proscrire tout recours supplémentaire aux tests osseux, de renforcer l’accompagnement des mineurs et de créer un registre des MNA délinquants – tout le contraire de ce que vous proposez.

Le groupe LIOT votera contre cette proposition de loi inefficace, contraire à la Constitution, à nos engagements internationaux et à la morale.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Entre 2016 et juin 2023, le Royaume-Uni a connu 11 275 litiges relatifs à l’âge des demandeurs d’asile ; dans près de la moitié des cas, les personnes concernées ont finalement été considérées comme adultes ; le 12 septembre, il a annoncé qu’il recourrait désormais aux tests osseux pour déterminer l’âge des migrants qui se prétendent mineurs. Or il ne s’agit pas d’un régime fasciste.

François Sauvadet, président de l’Assemblée des départements de France, explique : « Nous sommes face à une situation explosive. Nous enregistrons des arrivées massives à nos frontières, notamment dans les Alpes-Maritimes où près de 2 000 MNA ont été accueillis depuis le début de l’année, soit près de 5 000 au niveau national. Nous retrouvons les niveaux intenables des années 2017-2018 ! »

Les MNA sont devenus une importante filière d’immigration illégale et une source de délinquance inquiétante. C’est logique : le régime d’accueil leur est très favorable, grâce notamment à une solide prise en charge matérielle – il aurait été étonnant que les filières des passeurs ne s’engouffrent pas dans cette voie. Michel Aubouin, ancien préfet de l’Essonne, décrit ainsi le parcours type d’un mineur isolé qui débarque à Orly : « Placé dans un foyer, scolarisé, soigné, accompagné, sa situation se trouve régularisée le jour de sa majorité présumée. Et c’est ce jour-là qu’il retrouve ses papiers et que ses parents se font connaître. »

La fraude porte également sur l’âge – c’est ce qui nous occupe aujourd’hui. De nombreux majeurs demandent le statut de MNA, si bien que l’aide sociale à l’enfance rejette 60 % des demandes. Ainsi, une filière de faux MNA venus de Côte d’Ivoire a été démantelée il y a quelques années : ils avaient en moyenne 25 ans. Il serait évidemment plus simple de ne rien faire, mais cela conduirait dans le mur. Je défendrai donc plusieurs amendements sur cette proposition de loi, pour trouver de vraies solutions. J’espère que nous pourrons débattre sereinement et que nous ne cacherons pas, une fois de plus, la poussière sous le tapis.

Mme Alexandra Masson, rapporteure. Je tâcherai de dépasser les caricatures abjectes et ignobles qui ont été faites de cette proposition de loi. Soyons sérieux, pour travailler sereinement. Il est minable de stigmatiser la population de Menton et celle de la vallée de la Roya, en première ligne face à la vague migratoire, car elle souffre. Quand on vit loin de ces problèmes et qu’ils ne nous affectent pas, on en a certainement une vision déformée, mais si ces habitants nous écoutent, ils trouvent certainement très désagréable d’entendre semblables propos.

Il est vrai que nous avons le sens des priorités : les Alpes-Maritimes connaissent une importante vague migratoire de mineurs isolés. Fin août, leur nombre se montait à 4 808, soit une augmentation de 132 % par rapport à 2022. D’autres conseils départementaux rencontrent le même problème : nous ne savons plus où mettre les mineurs isolés. Il est donc important de pouvoir distinguer les vrais mineurs des faux. C’est l’unique objectif que nous visons en défendant cette proposition de loi.

Ce texte concerne essentiellement les jeunes âgés de 16 à 20 ans, puisque le dispositif vise les personnes dont l’âge allégué n’est pas vraisemblable. Soyons pragmatiques. Vous citez l’étude de 2014. J’ai auditionné le docteur Bernard Marc, et je tiens son étude clinique à votre disposition. Il a effectué un travail exceptionnel, d’une grande précision, sur les tests osseux de la clavicule. Vous dénoncez des examens très invasifs, mais pour la énième fois, je le répète, il s’agit de radiographies et de scanners ; banals, ils n’ont rien d’invasif et peuvent être pratiqués partout en France, de manière rapide et fiable.

S’agissant de la constitutionnalité, il est vrai que le dispositif proposé réduit le nombre des garanties. Toutefois, l’examen ne pourra être réalisé qu’en l’absence de document d’identité valable, lorsque l’âge allégué n’est pas vraisemblable et les conclusions des examens devront préciser la marge d’erreur. Avec les critères du docteur Bernard Marc, elle est de deux à six mois ; en réalité, au niveau 4, elle est nulle : nous sommes désormais capables d’identifier sans erreur une personne âgée de 18 ans au moins. Ainsi, le risque d’inconstitutionnalité n’est pas si élevé. Ce dispositif constitue le meilleur moyen de protéger les mineurs : lorsqu’ils seront pris en charge dans les centres, comme la loi nous y oblige, ils seront entre eux, et non en compagnie de majeurs avec des risques d’émeute et de violence.

Enfin, de nombreuses études montrent que les risques d’irradiation liés aux examens par scanner ou radiographie sont presque nuls.

 

Article 1er (article 388 du code civil) : Assouplir le recours aux examens médicaux aux fins de détermination de l’âge et instaurer une présomption de majorité en cas de refus, par l’intéressé, de l’examen radiologique osseux

Amendements de suppression CL9 de Mme Élisa Martin, CL12 de Mme Sabrina Sebaihi, CL18 de M. Ludovic Mendes et CL19 de Mme Elsa Faucillon

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Sans revenir sur les dispositions de protection des mineurs que ce texte du groupe Rassemblement national enfreint de plein fouet, il nous faut examiner l’esprit de l’article 1er : il vise à convertir la présomption de minorité en présomption de majorité et à imposer un examen biométrique.

L’exposé des motifs établit une corrélation fallacieuse entre les mineurs non accompagnés d’origine étrangère et la délinquance, afin de donner corps aux fantasmes xénophobes qui servent de colonne vertébrale au programme d’extrême droite, et à ce texte en particulier. On est d’ailleurs passé près de la demande de supprimer l’interdiction d’examiner les parties génitales ; seule une honte trop difficile à assumer médiatiquement a fait renoncer le parti lepéniste à cette abomination.

Substituer des décisions administratives à l’autorité judiciaire est caractéristique des régimes autoritaires ; pour votre parti, la justice fait obstacle à l’arbitraire de la répression.

Nous le répétons : les tests osseux ne sont pas fiables. En l’état du droit, on ne peut les imposer à l’intéressé.

Enfin, on nous inflige l’examen d’un texte qui tend à séparer l’humanité en deux catégories : les humains qui bénéficieraient de la circonstance atténuante d’être âgés de moins de 18 ans et les étrangers qui auraient commis le crime d’avoir dépassé la date administrative de péremption, que vous aimeriez voir déchus de leurs droits humains.

Nous espérons donc que l’article 1er, comme le reste du texte, retournera dans le cerveau cruel de ses géniteurs.

M. Charles Fournier (Écolo-NUPES). Nous avons déjà entendu beaucoup d’arguments relatifs aux problèmes constitutionnels, éthiques et pragmatiques que pose le texte. Nous sommes opposés au texte, toutefois nous partageons l’intention de modifier la rédaction de l’article 388 du code civil, afin d’interdire les tests osseux. Il s’agit d’un examen médical qui a été transformé en outil d’expertise judiciaire, dans le cadre d’une démarche administrative, ce qui est problématique. La communauté médicale et la communauté judiciaire s’accordent à dénoncer leur efficacité. Des méthodes alternatives d’évaluation de la minorité existent. Je me suis entretenu avec des mineurs qui ont subi toutes ces démarches d’évaluation : elles sont bien invasives. Beaucoup finissent par demander le test pour sortir de ce parcours violent.

M. Ludovic Mendes (RE). Si nous adoptions l’article 1er, la justice n’aurait plus son mot à dire ; la personne concernée devrait subir l’examen médical sans y consentir ; le caractère accessoire du test disparaîtrait. Surtout, si l’on se réfère à la décision du Conseil constitutionnel, cet article est inconstitutionnel. Nous voulons le supprimer rapidement.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Nous sommes attachés à la protection de tous les enfants. Nous avons d’ailleurs déposé une autre proposition de loi visant notamment à instaurer une présomption de minorité. Lorsque les jeunes arrivent dans notre territoire, celle-ci fait trop souvent défaut ; les conditions d’accueil sont indignes pour des enfants. Il faut que l’évaluation psycho-sociale respecte les libertés et les droits fondamentaux. L’État et les départements doivent consentir les moyens nécessaires pour satisfaire leurs besoins, en particulier dans le domaine de la santé physique et psychique. Ces jeunes doivent recevoir un accueil digne et protecteur, pour leur offrir un répit.

Évidemment, nous n’espérions pas que le groupe Rassemblement national s’attacherait à protéger ces enfants, puisqu’il trie entre ceux qui doivent l’être et les autres. Nous voulons que l’État soit à la hauteur des besoins des départements, dont certains au moins veulent accueillir et protéger les mineurs non accompagnés. Pour cela, nous nous battrons toujours.

Mme Alexandra Masson, rapporteure. Vous nous reprochez de vouloir « trier » les personnes. Le mot est très péjoratif. Nous voulons seulement que la loi soit strictement appliquée, or elle distingue les mineurs des majeurs. Nous voulons d’autant plus éviter que des majeurs bénéficient du statut réservé aux mineurs sur le sol français, qu’il ne s’agit pas de Français – ce sont des migrants. Le droit n’est pas le même pour les majeurs, qui peuvent déposer une demande d’asile, et pour les mineurs, que nous devons évidemment protéger. Personne ne remet en cause cette nécessité ; nous en faire le reproche est absurde et montre votre ignorance du texte.

La marge d’erreur des tests osseux pratiqués sur les clavicules est très faible. Les tribunaux de Meaux et de Paris font appel six fois par semaine au service du docteur Bernard Marc pour recourir à cet examen, qui est le plus précis dont nous disposions.

Avis défavorable.

M. Éric Ciotti (LR). Je voterai contre ces amendements de suppression. Je suis cohérent : j’ai moi-même défendu des dispositifs similaires dès 2018, je soutiens donc cette proposition de loi. Il faut analyser le sujet abstraction faite de toute idéologie. Vous riez, mais l’idéologie que vous-mêmes défendez est dangereuse pour le pays.

Nous sommes tous attachés à la protection de l’enfance. J’ai été président de conseil départemental et je suis conseiller départemental des Alpes-Maritimes : je connais bien le sujet. Les services de l’aide à l’enfance sont débordés par un afflux considérable de mineurs non accompagnés. Le terme est d’ailleurs bien pudique pour désigner des personnes entrées clandestinement dans notre pays, de manière irrégulière. Pour faire face à la situation, l’ASE doit renoncer à accomplir certaines missions.

Nous devons trouver des solutions. Il faut s’attaquer aux filières de traite des êtres humains, qui envoient des majeurs susceptibles de passer pour des mineurs en Europe, où ils resteront définitivement, grâce à la naïveté de nos systèmes. Nous devons être efficaces et évaluer précisément l’âge des demandeurs. La loi prévoit déjà le recours à des examens radiologiques osseux, mais les conditions sont si restrictives que le dispositif est très peu appliqué ; il faut le systématiser.

Il n’est pas normal que la France assume la protection de l’enfance de mineurs qui viennent de pays démocratiques, comme la Côte d’Ivoire : ceux-là devraient être ramenés chez eux.

M. Timothée Houssin (RN). La situation est ubuesque. La fraude au statut de mineur non accompagné est massive et documentée, notamment dans des rapports d’information de l’Assemblée nationale, parfois signés par des députés macronistes. Nous savons que 60 % des migrants prétendument mineurs sont majeurs, que chaque MNA coûte 50 000 euros par an à l’aide sociale à l’enfance et que cette fraude dans son ensemble coûte 1,2 milliard par an aux départements.

Mme Alexandra Masson défend une proposition de loi visant à recourir davantage aux examens radiographiques, test scientifique que le Conseil constitutionnel a validé et que le Royaume-Uni, par exemple, utilise pour lutter efficacement contre la fraude.

La réaction de la gauche est caricaturale, mais on n’en attendait pas moins : elle trouve toutes les excuses pour voter contre le texte parce qu’elle refuse de lutter contre la fraude et contre l’immigration illégale ; elle souhaite que nous continuions à prendre en charge des migrants de 20, 25 ou 30 ans, que l’aide sociale à l’enfance nourrit, loge et blanchit aux frais du contribuable.

La position de la Macronie est surprenante. L’équipe gouvernementale est peut-être celle qui a le plus endetté le pays de l’histoire de la Ve République ; elle cherche partout de l’argent pour équilibrer les budgets ; elle fait peser de lourdes taxes sur les Français, en particulier sur les plus modestes. Nous lui offrons sur un plateau une solution pratique, à même de lutter contre une filière d’immigration illégale et d’économiser 1,2 milliard d’euros par an en faisant cesser un détournement de fonds publics.

Chers collègues de la Macronie et de la gauche, vous êtes déconnectés de la réalité. Vous ignorez les aspirations des Français ; ils se souviendront de votre vote. Vous ne voulez lutter ni contre la fraude, ni contre l’immigration illégale ; vous voulez que les Français paient 1,2 milliard par an pour l’escroquerie des faux mineurs non accompagnés.

M. le président Sacha Houlié. Ni les conventions internationales ni la Constitution ne sont monnayables, Monsieur Houssin.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Jamais la fin ne justifie les moyens. On ne peut pas s’asseoir à la fois sur le respect de l’humanité et sur l’État de droit. Dans notre pays, la loi respecte des normes comme la Constitution, la Convention internationale des droits de l’enfant et la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH). Le problème est réel, et nous sommes soucieux de combattre les filières qui exploitent des mineurs ou des jeunes majeurs et les font souffrir. Mais vous ne pouvez mentir aux citoyens en faisant croire que vous disposez d’une solution, car la justice, qui est un pilier de la démocratie, ne peut admettre comme preuve irréfutable un dispositif qui ne garantit pas un résultat parfaitement fiable. Ce texte est de mauvais augure pour l’orientation que vous voulez donner à la politique française.

Les sujets sont complexes, mais il faut toujours faire la pédagogie de la complexité et refuser la démagogie de la simplification. La solution est bien plus compliquée que ce que vous proposez, et il faut avoir le courage de le dire aux Français. Nous devons être les garants d’un État de droit où l’on est heureux de séjourner.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Mesdames et Messieurs les députés du groupe Rassemblement national, vous êtes une nouvelle fois à côté de vos pompes !

Si vous vouliez parler d’immigration, vous parleriez de capitalisme et de votre ami Bolloré, qui a exploité l’Afrique pendant des années et a, lui, poussé des gens à migrer. Mais comme vous n’êtes pas anticapitalistes, vous ne pouvez rien dire de cet aspect-là de ce phénomène et des souffrances que l’immigration provoque. Vous avez l’impression que l’immigration est belle, facile, légère, et que les gens viendraient en France parce qu’ils feraient du droit social comparé depuis le bout du monde. Mais non ! L’immigration est une souffrance.

Vous ne connaissez pas la France : savez-vous combien d’Italiens, au cours des dernières décennies, ont traversé la frontière à Menton ? C’est l’histoire de ma famille, et ces gens venus d’ailleurs deviennent ensuite français, car la République ne trie pas en fonction des origines, de la couleur de peau ou de la religion. La République, c’est une idée simple : on peut faire des Français avec n’importe qui, dès lors que l’on défend ses valeurs : la liberté, l’égalité, la fraternité. En vous en prenant aux enfants, vous faites tout l’inverse : vous faites honte à la République et à la façon dont elle a été conçue au moment où se créaient le drapeau tricolore et La Marseillaise.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Mes amendements, qui tomberont si ces amendements de suppression sont votés, visaient à préciser les modalités du contrôle de la minorité. Mon amendement CL4, en particulier, réécrit l’article 1er en précisant que ces examens « sont réalisés au sein d’une unité médico‑judiciaire » et que « l’intéressé est informé des modalités et des conséquences de son accord ou de son refus d’effectuer ces examens ».

Je regrette qu’une discussion raisonnable sur ces sujets soit impossible. De vraies solutions doivent être apportées aux départements, qui sont débordés, et à l’ASE. Ce sont les vrais mineurs isolés qui sont pénalisés par cette situation.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article 1er est supprimé et les autres amendements à cet article tombent.

Après l’article 1er

Amendement CL3 de Mme Emmanuelle Ménard

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Il s’agit de créer un fichier national biométrique des personnes déclarées majeures à l’issue de leur évaluation par un département, afin que ces personnes ne puissent pas solliciter dans un autre département des aides destinées aux mineurs.

Ce fichier existe, mais mon amendement est plus complet et en précise les modalités d’application.

Mme Alexandra Masson, rapporteure. Avis favorable. L’esprit de cette proposition de loi est bien de s’en prendre aux majeurs qui se font passer pour des mineurs – rien de plus, rien de moins.

La commission rejette l’amendement.

 

Article 2 (art. L. 222‑5 du code de l’action sociale et des familles) : Préciser que le mineur n’ayant pas la nationalité française ne peut être pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance (ASE) sans la vérification préalable de sa minorité dans les conditions fixées par l’article 388 du code civil

Amendements de suppression CL10 de M. Jean-François Coulomme, CL13 de Mme Sabrina Sebaihi, CL17 de M. Ludovic Mendes et CL20 de Mme Elsa Faucillon

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Vous avez parlé d’aborder le sujet avec sérieux et évoqué votre sens des priorités, Madame la rapporteure : votre priorité est donc bien de vous attaquer aux droits des mineurs isolés en France, et plus largement à l’aide sociale à l’enfance.

Nous avons des chiffres : 5 % à 10 % des mineurs isolés seraient majeurs, et non 60 % comme l’a prétendu l’un de vos anciens élus dans un conseil régional. Vous vous fondez aussi sur le rapport d’un scientifique qui conteste l’intégralité des autres rapports.

En ce qui concerne l’aide sociale à l’enfance, la priorité, ce ne sont pas les quelques majeurs qui seraient en réalité mineurs ; pour préserver les droits des enfants, je veux bien les accepter. Parlons plutôt de la réalité du démantèlement de l’ASE ! Les départements ont été abandonnés. Il faut une réétatisation.

Vous préférez, comme d’habitude, chercher un bouc émissaire. C’est votre droit, mais cela montre que votre priorité n’est pas le droit à l’enfance.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Différents travaux parlementaires ont porté sur l’ASE et ses graves dysfonctionnements. Des anciens enfants placés sont venus en témoigner ici même. Au moment où ils étaient pris en charge, le nombre de mineurs étrangers était très faible : résumer en permanence les problèmes des services publics à la présence d’étrangers, c’est votre fonds de commerce, mais c’est une idée simpliste et xénophobe. Vous vous revendiquez en permanence de l’histoire de France, mais il faut rappeler aux citoyens de ce pays à quel point vous bafouez les principes sur lesquels sont fondées la nation et la République.

Nous souhaitons la création d’un véritable service public de l’enfance, au niveau national. Il ne faut ni laisser tomber les départements, ni les laisser faire n’importe quoi, notamment lorsqu’ils valident les pratiques des polices aux frontières qui continuent de refouler des mineurs, à l’encontre de tous les traités que nous avons signés – et qui non seulement sont contraignants, mais sont aussi à notre honneur.

Mme Alexandra Masson, rapporteure. Ce que j’entends est contradictoire. Vous dites que la situation de l’aide sociale à l’enfance n’est pas optimale, et c’est la réalité, en particulier dans les Alpes-Maritimes : vous devriez alors accepter ma proposition de loi, qui en évitant la présence de majeurs dans ces centres permettrait d’offrir des conditions convenables aux mineurs isolés. Arrêtez de ne penser que de façon idéologique.

M. Jordan Guitton (RN). Nous voulons que l’aide sociale à l’enfance s’adresse uniquement à des mineurs avérés. Vous faites semblant de ne pas comprendre cet enjeu, et vous voulez protéger tous les mineurs et majeurs non accompagnés : en fermant les yeux sur ceux qui fraudent ou qui refusent d’apporter des preuves de leur minorité lorsque c’est nécessaire, vous refusez le contrôle de l’immigration. En refusant de procéder aux tests osseux, vous refusez même de faire confiance à la science. En refusant de traiter la question de l’explosion du nombre de mineurs étrangers depuis 2005, vous envoyez un message de laxisme et vous maintenez un appel d’air migratoire.

Ce texte protégera le budget destiné aux vrais mineurs isolés et évitera que des majeurs n’en profitent. Il faut envoyer un message de fermeté : refuser de se soumettre à des règles ne peut faire de vous un mineur de fait. L’immigration doit être contrôlée, c’est un enjeu politique essentiel.

Quant à la sécurité, en refusant la fermeté, vous laissez la délinquance exploser : selon Le Point, rien qu’à Paris en 2020, plus de 40 % des vols à la tire, 30 % des vols avec violence et 30 % des cambriolages étaient le fait de mineurs non accompagnés. Comprenez qu’il est important de contrôler leur minorité, leur statut et donc leurs droits !

Nous devons lutter contre les faux mineurs isolés et inverser la charge de la preuve. Cette proposition de loi est une première étape. Lorsqu’un mineur comprend qu’il peut refuser un test, il en conclut que nos règles sont faibles, que notre pays est laxiste. Si vous restez au pouvoir, cela continuera. La seule chose qui nous rassure, c’est le soutien des Français : ils sont majoritairement d’accord avec nous, et c’est bien là l’essentiel.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). La différence entre nous sur la question des personnes migrantes est extrême. Nous voulons un accueil digne ; vous voulez supprimer la présomption de minorité pour couper l’accès à l’aide sociale à l’enfance. En empêchant celle-ci de mettre à l’abri, de loger, de nourrir, vous nuiriez à l’ensemble de la société. Vous voudriez jeter des gens dans la misère sous le prétexte qu’ils ont passé 18 ans : mais s’ils ont besoin d’être soignés et qu’ils ne le sont pas, c’est toute la société qui est en danger. Il est de notre intérêt à tous que toutes les personnes migrantes soient prises en charge quel que soit leur âge. Sur quel fondement restreindre la protection aux mineurs ?

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Monsieur Guitton, nous avons très bien compris le texte qui nous est proposé. À force de voir des étrangers partout et de les accuser de tous les maux de notre société, vous finissez même par oublier qu’il y a parmi eux des enfants ; vous n’avez même plus de compassion pour ceux qui sont plus vulnérables et que nous avons pour mission de protéger quelle que soit leur couleur de peau et quel que soit leur pays d’origine.

Madame la rapporteure, il n’y a aucune contradiction dans notre position, seulement un peu de complexité : nous pensons que l’aide sociale à l’enfance doit recevoir les moyens nécessaires pour remplir sa mission, qui est de protéger tous les enfants. Vous proposez d’en limiter l’accès ; imaginez-vous formuler une telle proposition pour des enfants blancs et nés en France pour que les départements ne soient pas débordés ? Dans quel monde serions-nous ? Aujourd’hui, il y a des ordonnances rendues par la justice pour sortir des enfants de leur foyer où ils sont en danger qui restent sur la table pendant un mois et demi : nous nous battons pour que tous les enfants soient protégés.

Mme Alexandra Masson, rapporteure. Il n’y a pire sourd que celui qui ne veut entendre ! Vous êtes tout à fait hors sujet. Personne ici ne remet en cause l’aide sociale à l’enfance. Vous le dites vous-même, il y a des enfants qui ne sont pas accueillis dans des conditions convenables ; nous voulons libérer des places occupées par des majeurs pour que les mineurs, quelle que soit leur origine, bénéficient des services de l’ASE dans des conditions correctes, comme les Français.

En refusant ma proposition de loi, vous faites un choix idéologique.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article 2 est supprimé et l’amendement CL16 de Mme Sabrina Sebaihi tombe.

Après l’article 2

Amendement CL5 de Mme Emmanuelle Ménard

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Cet amendement pragmatique vise à remédier à la réticence de certains départements vis-à-vis du fichier d’appui à l’évaluation de la minorité (AEM). Il prévoit une transmission systématique aux départements des informations très utiles contenues dans ce fichier, mais aussi un transfert systématique des évaluations effectuées par le département vers le fichier AEM.

Mme Alexandra Masson, rapporteure. Avis favorable à cet amendement pertinent.

La commission rejette l’amendement.

Article 3 : Gage de charge

La commission rejette l’article 3.

La commission ayant rejeté tous les articles de la proposition de loi, l’ensemble de celle-ci est rejeté.

*

*     *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi visant à renforcer le contrôle de déclaration de minorité des étrangers (n° 1691).


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   Personnes entendues

 

   Mme Raphaëlle Wach, cheffe du bureau du droit des personnes et de la famille

   Mme Diane Richard, rédactrice au sein du bureau du droit des personnes et de la famille

   Dr Bernard Marc, chef de service

 

Contribution écrite

 

 


([1]) Article R. 221-11 du code de l’action sociale et des familles.

([2]) Référé n° S2020-1510 de la Cour des comptes sur la prise en charge des jeunes se déclarant MNA.

([3]) Mission nationale mineurs non accompagnés, rapport d’activité 2022, ministère de la Justice.

([4]) « ‘Ce n’est plus acceptable et ce n’est plus tenable’ : Charles Ange Ginésy alerte Emmanuel Macron sur la situation migratoire », Nice-matin, 25 août 2023.

([5]) Mission nationale mineurs non accompagnés, rapport d’activité 2022, ministère de la Justice.

([6]) Ibid.

([7]) Rapport d’information n° 598 sur la prise en charge sociale des mineurs non accompagnés, Mme Elisabeth Doineau et M. Jean-Pierre Godefroy, Sénat, session ordinaire de 2016-2017, 28 juin 2017.

([8]) Article L. 611-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

([9]) Article L. 631-4 du même code.

([10])  Rapport d’information n° 3975 sur les problématiques de sécurité associées à la présence sur le territoire de mineurs non accompagnés, MM. Jean-François Eliaou et Antoine Savignat, Assemblée nationale, XVème législature, 10 mars 2021.

([11]) Rapport d’information n° 854 sur les mineurs non accompagnés, MM. Hussein Bourgi, Laurent Burgoa, Xavier Iacovelli et Henri Leroy, Sénat, Session extraordinaire de 2020 – 2021, 29 septembre 2021.

([12]) Mission nationale mineurs non accompagnés, rapport d’activité 2022, ministère de la Justice.

([13]) Frais couvrant le logement, la nourriture, les frais d’éducation et de formation, d’après les chiffres de la fiche info « L’accueil et la prise en charge des MNA dans les Départements », de l’Assemblée des départements de France, mars 2020.

([14]) Qui sont les mineurs non accompagnés ? Trois questions à Michaël Cheylan, Institut Montaigne, 14 octobre 2020.

([15]) Le ministère de la Justice, saisi par la rapporteure, n’a pas été en mesure de transmettre le nombre de « tests osseux » réalisés chaque année.

([16]) Rapport d’information n° 598 sur la prise en charge sociale des mineurs non accompagnés, Mme Elisabeth Doineau et M. Jean-Pierre Godefroy, 28 juin 2017, Session ordinaire de 2016-2017.  

([17]) Rapport d’information n° 854 sur les mineurs non accompagnés, MM. Hussein Bourgi, Laurent Burgoa, Xavier Iacovelli et Henri Leroy, Sénat, Session extraordinaire de 2020 – 2021, 29 septembre 2021.  

([18]) Rapport d’information n° 3975 sur les problématiques de sécurité associées à la présence sur le territoire de mineurs non accompagnés, MM. Jean-François Eliaou et Antoine Savignat, Assemblée nationale, XVème législature, 10 mars 2021.

([19]) Article 8 de l’arrêté du 20 novembre 2019 précédemment mentionné.

([20]) Rapport d’information n° 854 sur les mineurs non accompagnés, MM. Hussein Bourgi, Laurent Burgoa, Xavier Iacovelli et Henri Leroy, Sénat, Session extraordinaire de 2020 – 2021, 29 septembre 2021.  

([21]) Rapport de la mission bipartite de réflexion sur les MNA, Inspection générale des affaires sociales, Inspection générale de l’administration, Inspection générale de la Justice, Assemblée des Départements de France, 15 février 2018.

([22]) Mission nationale mineurs non accompagnés, rapport d’activité 2022, ministère de la Justice.

([23]) Amendement n° AS13, présenté par Mme Dubié et M. Claireaux.

([24]) Rapport n° 2744 fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à la protection de l’enfant, par Mme Annie Le Houerou, Assemblée nationale, XIVème législature, 6 mai 2015.

([25]) La notion de « documents d’identité valables » fait référence aux documents dont l’authenticité est établie au regard des règles prévues notamment par l’article 47 du même code

([26]) Sous-amendement n° 211 rect. et sous-amendement n°220.

([27]) Ils consistent en une analyse des organes génitaux des personnes : pour les jeunes filles, analyse de la poitrine et de la pilosité pubienne, et, pour les garçons, analyse de la volumétrie des testicules et de la pilosité pubienne.

([28]) Sous-amendement n° 221.

([29]) Décision n° 2018-768 QPC, M. Adama S, 21 mars 2019.

([30]) Cons. Const. 21 mars 2019, n° 2018-769 QPC.

([31]) Crim, 11 décembre 2019, n° 18-84.938.

([32]) Civ., 1ère, 3 octobre 2018, n° 18-19.442.

([33]) Ibid.

([34]) Civ., 19 septembre 2019, n° 19-15.976.

([35]) Rapport n° 3989 visant à mieux lutter contre la fraude à l’identité dans le cadre des mineurs non accompagnés, Agnès Thill, Assemblée nationale, XVème législature, 17 mars 2021.

([36]) En application du 3° de l’article 375-3 du code civil, des articles 375-5, 377, 377-1, 380, et 411 du même code ou de l’article L. 323-1 du code de la justice pénale des mineurs.