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N° 1694

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 octobre 2023.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION SUR LA PROPOSITION de loi portant interdiction de l’écriture dite « inclusive » dans les éditions, productions et publications scolaires et universitaires ainsi que dans les actes civils, administratifs et commerciaux,

 

 

 

Par M. HervÉ de LÉpinau,

 

 

Député.

 

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Voir le numéro : 777.

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

Avant-propos : dÉfense et illustration de la langue française

I. La progression de l’écriture inclusive : extension du domaine de la lutte idéologique

II. une entreprise idéologique de complexification de la langue et excluante par nature

III. L’écriture inclusive est un obscurantisme : le contre-sens grammatical et historique des inclusivistes

Commentaire de l’article

Article unique Interdiction de l’écriture inclusive au sein du service public scolaire et du service public de l’enseignement supérieur, dans les actes d’état civil, les actes administratifs et les contrats

TRAVAUX DE LA COMMISSION

ANNEXE N° 1 : Liste des personnes entendues par le rapporteur

Annexe n° 2 : textes susceptibles d’être abrogés ou modifiés à l’occasion de l’examen de la proposition de loi

 


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   Avant-propos : dÉfense et illustration de la langue française

On nous change notre langue. Des militants, animés d’intentions parfois louables mais aux conséquences ô combien funestes, entendent purger la langue française de la domination masculine qu’elle consacrerait, qu’elle promouvrait, qui s’y cacherait. Le sexisme présumé de la langue française serait le fruit d’une « masculinisation » entreprise au cours des XVIe et XVIIe siècles, qui ont vu le français se standardiser progressivement, aboutissant à celui que nous connaissons et pratiquons. Des grammairiens auraient, délibérément, décidé de « façonner les langues à l’avantage de leur sexe » ([1]), en « invisibilisant » le féminin au profit du masculin. L’utilisation de l’écriture inclusive viserait ainsi, selon ses promoteurs, à réparer une injustice historique et linguistique, et à promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes en « rendant visibles » ces dernières.

Celui qui voudra bien faire l’effort de considérer l’évolution diachronique ([2]) de la langue française comprendra sans trop de difficulté que cette thèse, purement idéologique et s’inscrivant dans une lecture victimaire des rapports entre les hommes et les femmes, n’a aucun fondement scientifique sérieux : elle est une vue de l’esprit.

C’est qu’une langue, loin d’être un « levier d’égalité entre hommes et femmes », comme l’affirme M. Raphaël Haddad, fondateur et directeur associé de l’agence Mots-Clés ([3]), est d’abord un outil de communication, et non un instrument de transformation du monde. Mme Yana Grinshpun et MM. Jean Szlamowicz et François Rastier l’ont brillamment démontré dans un document de vulgarisation scientifique proposant une critique linguistique de l’imposture intellectuelle que constitue l’écriture inclusive : « la revendication de "visibiliser les femmes" est une métaphore qui n’a aucun sens pour la grammaire : la langue ne "visibilise" rien du tout et ne constitue pas un instrument de promotion identitaire. La langue est un outil communicationnel et cognitif qui ne relève pas d’une logique quantitative ni d’une représentation sociale. À cet égard, la prétention du Manuel d’écriture inclusive ("Faites avancer l’égalité femmes-hommes par votre manière d’écrire") relève du charlatanisme et non d’une relation avérée entre langue et organisation sociale. La langue évolue dans ses formes, de même que la société évolue dans son organisation, mais il n’existe pas de lien de causalité entre les formes de la langue et la hiérarchisation sociale. » ([4])

Le rapporteur souhaite le préciser d’emblée et, ce faisant, réfuter d’avance l’argument d’autorité que pourraient lui opposer certains collègues, en le taxant d’antiféminisme : les membres du groupe Rassemblement national ont tous en commun l’idéal de l’égalité entre les femmes et les hommes. S’opposer à la progression de l’écriture inclusive à l’école, dans l’enseignement supérieur et la recherche, dans les délibérations des collectivités territoriales, etc., ne relève en rien d’une attitude antiféministe. Le rapporteur est convaincu du contraire : l’écriture inclusive, réécriture douteuse des Précieuses ridicules, n’est que le dernier avatar du dévoiement d’un mouvement historique légitime, poursuivant des objectifs nobles, au premier rang desquels la lutte contre les violences sexistes et sexuelles que subissent les femmes et les inégalités salariales. Le fait de favoriser par la loi « l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales », est inscrit à l’article premier de notre loi fondamentale ; le rapporteur partage cet objectif.

De même, il ne s’oppose nullement à la féminisation des noms, en particulier de ceux désignant des fonctions, qui, contrairement à une opinion bien ancrée dans le débat public, ne relève pas de l’écriture inclusive ([5]). Dans un article publié en 2021 ([6]) dans la revue Cités, Danièle Manesse, professeure émérite de sciences du langage, distinguait clairement ces deux notions, qui « sont de nature linguistique différente, même si elles se réclament de la même finalité, "assurer la visibilité des femmes dans la langue" ». Selon elle, la féminisation des noms « n’est autre qu’une mise à jour lexicale de la langue, comme les changements sociaux, scientifiques, etc., en imposent ».

La présente proposition de loi n’a pas pour objet d’interdire la féminisation des noms – serait-ce d’ailleurs le rôle du législateur ? –, qui ne porte pas atteinte aux règles orthographiques et typographiques en vigueur de la langue française. Pour sa part, le rapporteur, sur cette question comme sur tant d’autres, est favorable à la liberté de tous. Ce débat est d’ailleurs assez largement dépassé, l’Académie française ayant jugé, en 2019, que s’agissant des noms de métiers, « toutes les évolutions visant à faire reconnaître dans la langue la place aujourd’hui reconnue aux femmes dans la société peuvent être envisagées, pour peu qu’elles ne contreviennent pas aux règles élémentaires et fondamentales de la langue, en particulier aux règles morphologiques qui président à la création des formes féminines dérivées des substantifs masculins. » ([7])

La féminisation des noms de métiers et de fonctions

La féminisation des noms de métiers et de fonctions doit être distinguée du changement de genre. Les partisans de l’écriture inclusive ont une lecture complotiste de ce second fait linguistique, qui résulte en réalité de phénomènes formels voire d’accidents linguistiques, mais en rien d’une volonté délibérée de grammariens masculinistes. Mme Éliane Viennot ne traite dans son ouvrage (1) que des changements de genre du féminin vers le masculin, produit d’une « une entreprise de masculinisation ». Elle oublie ainsi délibérément que de nombreux mots sont passés du masculin au féminin dans l’histoire de la langue française (2) : un dent est devenu une dent, un affaire est devenu une affaire, un date est devenu une date, etc. Qui penserait un seul instant à dénoncer « une entreprise de féminisation » de la langue ?

La féminisation des noms de métiers revêt, comme le relevait l’Académie française en 2019, une multiplicité de formes : « maintien de la forme au masculin avec l’article masculin, ajout de l’article féminin à un substantif masculin, concurrence entre les diverses formes féminisées et, par ailleurs, variation des accords de genre entre le substantif féminisé ou non et les verbes, pronoms, adjectifs le concernant dans la suite de la phrase ».

Elle est encouragée par les pouvoirs publics depuis la circulaire du 11 mars 1986 relative à la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre, qui a posé un certain nombre de règles visant à traduire dans le vocabulaire « l’accession des femmes, de plus en plus nombreuses à des fonctions de plus en plus diverses ». La circulaire du 21 novembre 2017, qui établit une distinction très nette entre la féminisation de l’intitulé des fonctions et l’écriture inclusive, prescrit cette féminisation suivant les règles énoncées par le guide d’aide à la féminisation des noms de métiers, titres, grades et fonctions élaboré par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et l’Institut national de la langue française (Inalf), intitulé « Femme, j’écris ton nom » et publié en 1999.

(1)    Op. cit.

(2)    Ferdinant Brunot, Histoire de la langue française des origines à nos jours, Paris, Armand-Colin, tome II, chapitre II.

L’écriture inclusive, en revanche, du fait du contre-sens grammatical et historique dont elle découle (cf. infra), ne sert en aucune façon la cause des femmes. Pire, par ses demandes excessives et le sentiment d’insécurité linguistique qu’elle distille chez les locuteurs désemparés, elle la dessert. Dans leur lettre ouverte sur l’écriture inclusive en date du 7 mai 2021, M. Marc Lambron, académicien, et Hélène Carrère d’Encausse, regretté secrétaire perpétuel ([8]) de l’Académie française, ont très justement souligné qu’« au moment où la lutte contre les discriminations sexistes implique des combats portant notamment sur les violences conjugales, les disparités salariales et les phénomènes de harcèlement, l’écriture inclusive, si elle semble participer de ce mouvement, est non seulement contre-productive pour cette cause même, mais nuisible à la pratique et à l’intelligibilité de la langue française ».

La confusion fréquemment opérée entre l’écriture inclusive et la féminisation des noms illustre la difficulté à définir cet objet aux contours mouvants. Le manuel d’écriture inclusive édité en 2016 par l’agence Mots-Clés, qui s’est inspiré des travaux de Mme Éliane Viennot ([9]), professeure émérite de littérature française à l’Université Jean-Monnet-Saint-Étienne, historienne, définit l’écriture inclusive comme un « ensemble d’attentions graphiques et syntaxiques permettant d’assurer une égalité des représentations entre les femmes et les hommes ». Le manque de rigueur, sur le plan linguistique, de cette définition, apparaît dans la description des trois conventions d’écriture inclusive adoptées par cette agence, dont la première préconise d’« accorder en genre les noms de fonctions, grades, métiers et titres » (cf. supra).

Mme Yana Grinshpun dénonce très justement cette confusion : « dans l’usage commun et dans l’usage des promoteurs de l’inclusivisme linguistique, l’expression "écriture inclusive" ne renvoie pas seulement à un type d’écriture, mais à un ensemble de phénomènes de différents ordres. L’expression "écriture inclusive" suscite la confusion car elle englobe le lexique (la féminisation des noms de métiers), l’orthographe (la préconisation d’utiliser des marques du féminin chaque fois qu’une forme de masculin est utilisée à l’écrit), le phénomène morphosyntaxique des accords adjectivaux concernant des mots de genres différents au sein du même groupe nominal. Ces trois domaines sont considérés comme vecteurs de l’injustice discriminante qui "invisibiliserait" les femmes. » ([10])

Au cours de ses échanges avec le rapporteur, Mme Éliane Viennot a défini l’écriture inclusive comme le « volet écrit du langage égalitaire », bien que l’on peine à appréhender la notion de « langage égalitaire », concept flou sur le plan linguistique.

Enfin, l’écriture inclusive a fait son apparition en droit dans une circulaire du 21 novembre 2017 relative aux règles de féminisation et de rédaction des textes publiés au Journal officiel de la République française. Le Premier ministre y définit l’écriture inclusive comme « les pratiques rédactionnelles et typographique visant à substituer à l’emploi du masculin, lorsqu’il est utilisé dans un sens générique, une graphie faisant ressortir l’existence d’une forme féminine ». Cette définition renvoie à la technique du point médian ou milieu ainsi qu’à des néologismes tels que le pronom « iel ».

I.   La progression de l’écriture inclusive : extension du domaine de la lutte idéologique

Nul n’échappe plus aux réjouissances typographiques de l’écriture inclusive. Bannie des administrations de l’État depuis la publication au Journal officiel de la circulaire du 21 novembre 2017 précitée, elle n’a cessé depuis de progresser dans tous les champs de la vie sociale.

Dans la vie politique, nationale et locale, l’utilisation de la double flexion est de plus en plus courante, d’abord dans le langage oral. Le Président de la République, notamment, y a de plus en plus en souvent recours, s’adressant à « celles et ceux », « chacune et chacun d’entre nous », etc. Des ministres en font régulièrement l’éloge.

Des institutions publiques sont également concernées, notamment le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) ([11]), instance consultative placée auprès du Premier ministre qui prône activement « l’utilisation d’une communication inclusive à l’écrit comme à l’oral », afin que « les femmes comme les hommes soient inclu·es dans l’ensemble des signaux de communication, se sentent pris·es en compte et puissent s’identifier aux fonctions qu’elles et ils exercent » ([12]). Ce guide recommande ainsi l’utilisation du point médian, des doubles flexions et le recours, autant que possible, aux termes épicènes.

La pression croissante des inclusivistes sur l’institution scolaire a conduit M. Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports à adresser aux personnels du ministère une circulaire ([13]) rappelant utilement que « notre langue est un trésor précieux que nous avons vocation à faire partager à tous nos élèves, dans sa beauté et sa fluidité, sans querelle et sans instrumentalisation ». Rappelant que l’apprentissage et la maîtrise de la langue française « ne doivent pas être pénalisés par le recours à l’écriture dite "inclusive" dont la complexité et l’instabilité constituent autant d’obstacles à l’acquisition de la langue comme de la lecture », le ministre rappelle les règles posées par la circulaire du Premier ministre du 21 novembre 2017 et demande aux personnels sous son autorité « de proscrire le recours à l’écriture dite "inclusive", qui utilise notamment le point médian pour faire apparaître simultanément les formes féminines et masculines d’un mot employé au masculin lorsque celui-ci est utilisé dans un sens générique ».

Dans l’enseignement supérieur et la recherche, l’écriture inclusive gagne incontestablement du terrain, dans la communication institutionnelle des établissements comme dans les contenus pédagogiques et les sujets d’examen, ce qu’illustre un fait récent. En mai 2022, des étudiants en droit de l’Université Lyon 2 ont été confrontés à un sujet d’examen de droit de la famille d’une limpidité sémantique et d’une clarté grammaticale parfaites : « Arti est une personne non binaire, en mariage depuis 2018 avec une autre personne non-binaire, Maki. Touz deux sont de nationalité allemande, avec à l’état civil un marqueur de "sexe" indiquant la mention "divers" […] Als vivent en France et ont des gamètes différents, leur permettant en principe de procréer. »

Dans un communiqué de presse du 14 mai 2023 ([14]), l’Université Lyon 2, arguant du « principe de liberté pédagogique des enseignants-chercheurs et enseignantes-chercheuses », a affirmé que la rédaction de l’épreuve en écriture inclusive était sans préjudice de « l’entière liberté aux étudiants et étudiantes de répondre en écriture inclusive ou non » et qu’elle invitait les étudiants « à réfléchir aux normes linguistiques et à la manière dont elles façonnent les représentations sociales des liens d’alliance et de parenté ».

Outre que le lien de cause à effet entre les propriétés morphologiques de la langue et l’organisation sociale n’a pas de réalité scientifiquement démontrable autrement que par l’invocation d’un hypothétique « ressenti personnel », l’affirmation selon laquelle les étudiants seraient entièrement libres de répondre au sujet d’examen en écriture inclusive ou non est quelque peu hypocrite. De plus, il est regrettable que l’Université Lyon 2, qui met en avant le principe de valeur constitutionnelle d’indépendance des enseignants-chercheurs, ne prenne pas en considération le droit pour les étudiants de mener une scolarité sans contrainte idéologique. Nul ne pourra forcer un étudiant, au nom de sa liberté d’opinion, à adhérer à une association recourant à l’écriture inclusive ; le même étudiant pourra-t-il, en revanche, refuser de participer à un examen l’invitant, au moins implicitement, à rédiger sa copie en écriture inclusive ?

Mme Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, interrogée sur les modalités de cet examen, a distingué « le fonctionnement des établissements et le contenu pédagogique des cours » ([15]). S’agissant de l’utilisation du point médian, la ministre a courageusement répondu qu’« il y a aujourd’hui tout un tas d’utilisations de la langue française. Il faut apprendre à s’en servir à bon escient », ajoutant que ses « encouragements » à « lutter contre les biais d’expression » – c’est-à-dire, vraisemblablement, l’écriture dans un français intègre ou « non inclusif » – sont « clairs ». « La guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force » ([16]).

De plus en plus de collectivités territoriales militent en faveur de l’écriture inclusive, donnant naissance à un type nouveau de contentieux administratif. Dans une récente affaire, le tribunal administratif de Paris ([17]) a été appelé à se prononcer sur la demande de retrait, formulée par l’association « Francophonie avenir » (Afrav), de deux plaques commémoratives apposées dans l’enceinte de l’Hôtel de Ville et gravées en écriture inclusive. Considérant qu’il « ne résulte pas des dispositions précitées ([18]), ni d’aucun texte ou principe que la graphie appelée "écriture inclusive", consistant à faire apparaître, autour d’un point médian, l’existence des formes masculine et féminine d’un mot ne relève pas de la langue française », le tribunal administratif a décidé de rejeter la requête de l’Afrav.

Enfin, que dire de la colonisation de l’espace public par l’écriture inclusive, notamment par une publicité opportuniste, soucieuse d’être bien vue par un « esprit Rive gauche » souhaitant asseoir son hégémonie culturelle sur les consciences ? Cette obséquiosité commerciale constitue la manifestation d’un phénomène identifié par M. Franck Neveu, professeur de linguistique à Sorbonne-Université, dans la contribution écrite qu’il a aimablement adressée au rapporteur : « Il est un point rarement souligné. L’extension de fait de l’écriture "inclusive" est en train de se transformer en application de droit. Il n’est pas besoin de loi lorsque l’on a réussi l’immixtion mentale de l’autocensure : "pour qui est-ce que je vais passer si ne je fais pas l’effort de l’inclusivisme linguistique". Car contrairement à ce que semblent croire nombre de Français l’écriture "inclusive" n’a pas vocation à rester une option. Elle n’est pas qu’une volonté d’ajustement linguistique aux évolutions de la société. Ce n’est pas un problème "technique", c’est la manifestation langagière d’une idéologie qui prétend étendre sa suprématie et son contrôle à tous les niveaux. »

Campagne publicitaire Klarna, ville de Paris, juillet 2022

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II.   une entreprise idéologique de complexification de la langue et excluante par nature

La langue française est particulièrement complexe et les difficultés des jeunes Français dans l’acquisition d’une expression écrite et orale correcte en témoignent. Si la baisse de niveau des écoliers français au cours des dernières décennies n’est pas toujours aisée à mesurer, il n’en demeure pas moins qu’elle est une réalité. Les enquêtes Pisa ([19]), menées en France par la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (Depp) du ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse, mettent en évidence les difficultés croissantes des élèves en matière de compréhension écrite.

Répartition des élèves aux bas et hauts niveaux de compétences en compréhension de l’écrit selon le sexe en France en 2000, 2009 et 2018 (en %)

Source : Depp

Dans ce contexte, la diffusion de l’écriture inclusive risque d’amplifier la baisse tendancielle du niveau de français des écoliers. C’est ce que soulignait l’Académie française dans sa déclaration sur l’écriture dite « inclusive », adoptée à l’unanimité de ses membres le 26 octobre 2017 ([20]) : « La multiplication des marques orthographiques et syntaxiques qu’elle induit aboutit à une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité. On voit mal quel est l’objectif poursuivi et comment il pourrait surmonter les obstacles pratiques d’écriture, de lecture – visuelle ou à voix haute – et de prononciation. Cela alourdirait la tâche des pédagogues. Cela compliquerait plus encore celle des lecteurs. […] Il est déjà difficile d’acquérir une langue, qu’en sera-t-il si l’usage y ajoute des formes secondes et altérées ? Comment les générations à venir pourront-elles grandir en intimité avec notre patrimoine écrit ? »

Au cours de son audition par le rapporteur, M. Xavier Darcos, chancelier de l’Institut de France, a insisté sur l’« inutile complexité » de l’écriture inclusive. Il est rejoint en ce sens par trente-deux linguistes, signataires d’une tribune publiée dans l’hebdomadaire Marianne le 18 septembre 2020 : « En français, l’orthographe est d’une grande complexité, avec ses digraphes (eu, ain, an), ses homophones (eau, au, o), ses lettres muettes, etc. Mais des normes permettent l’apprentissage en combinant phonétique et morphologie. Or, les pratiques inclusives ne tiennent pas compte de la construction des mots : tou.t.e.s travailleu.r.se.s créent des racines qui n’existent pas (tou-, travailleu-).Ces formes fabriquées ne relèvent d’aucune logique étymologique et posent des problèmes considérables de découpages et d’accords. » ([21])

De plus, cette écriture qui se veut « inclusive » exclut paradoxalement tous ceux qui souffrent de troubles du langage ou de l’apprentissage, tout particulièrement les dysphasiques, les dyslexiques, les dyspraxiques. En réalité, l’écriture inclusive est excluante. Mme Sandrine Bodin, sous-directrice de l’innovation, de la formation et des ressources à la direction générale de l’enseignement scolaire (Dgesco), a évoqué le cas spécifique de ces élèves pour justifier l’édiction de la circulaire du ministre de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports du 5 mai 2021, laquelle constate que « ces écueils artificiels [de l’écriture inclusive] sont d’autant plus inopportuns lorsqu’ils viennent entraver les efforts des élèves présentant des troubles d’apprentissage accueillis dans le cadre du service public de l’École inclusive ».

Les personnes souffrant de difficultés spécifiques dans l’acquisition du langage doivent être prises en considération et, pour ce faire, il faut d’abord, pour reprendre les mots de M. Franck Neveu, protéger « l’intégrité de la morphologie de la langue française, afin de ne pas laisser se diffuser, avec l’assentiment ravi d’une bureaucratie déculturée, les paralogismes grammaticaux dont les conséquences sont dévastatrices sur les apprentissages linguistiques ».

III.   L’écriture inclusive est un obscurantisme : le contre-sens grammatical et historique des inclusivistes

L’écriture inclusive, qui prétend rétablir l’égalité entre les femmes et les hommes dans la langue, est le fruit d’un contre-sens radical sur l’histoire de la langue française et la fonction de ses propriétés morphologiques : le français n’accorde nullement de « privilège linguistique » aux hommes. L’écriture inclusive procède d’une « vision non rigoureuse de la langue, présentée comme un artefact que l’on pourrait ou devrait faire plier à ses désirs » ([22]).

Pour le comprendre, il faut lire et écouter les linguistes. En français, le genre des mots, masculin ou féminin, est un genre grammatical et n’a rien à voir avec l’acception sociale des termes : la grammaire et le langage commun ne fonctionnent pas de la même façon. Selon Mme Yana Grinshpun, les partisans de l’écriture inclusive établissent « un déterminisme entre les propriétés morphologiques des signes linguistiques et l’organisation sociale, renversant radicalement la fonction dénotative pour lui conférer un pouvoir social créationniste. Elle [Mme Éliane Viennot] introduit en outre une modalité déontique (doit) qui ne relève pas de la description mais de la prescription. […] Viennot prend donc les signes de la langue pour des propriétés inaliénables des êtres réels et fait comme si les mots étaient les substituts, au sens de délégués, des sexes biologiques. Elle commet ainsi la même erreur que Cratyle en pensant que le nom est une imitation de la chose et en prétendant ignorer l’arbitraire du signe et le métalangage linguistique. Elle le fait en se fondant sur une autre catégorie, celle de "respect" qui ne relève pas du fonctionnement de la langue. Elle pose ainsi une équation entre sexe des personnes et genre des mots (ce qui lui permet, ailleurs, de dire que "les mots changent de sexe"). »

Confrontons maintenant ce raisonnement rigoureux, adossé à une démarche scientifique, à un extrait du guide pour une communication publique sans stéréotypes de sexe édité par le HCE (cf. supra) : « aucun nom de la langue française n’est de genre neutre. Les mots que nous employons pour décrire notre environnement sont révélateurs de notre rapport au monde. Ainsi, l’utilisation de la forme grammaticale masculine dite générique ou neutre traduit une perception du monde androcentrée. Décrire le monde à travers le prisme masculin conduit à des représentations mentales biaisées, favorables aux hommes. »

Contrairement à ce qu’affirment les rédacteurs de ce guide ([23]), il existe des noms neutres en français, notamment les pronoms personnels « je », « tu », « nous », « vous ». Surtout, le neutre morphologique doit être distingué du neutre sémantique ou référentiel, rôle que joue en français le masculin. Les inclusivistes refusent ce constat, découlant d’une observation pourtant simple de la langue et que Mme Yana Grinshpun résume en ces termes : « ce rôle de neutre sémantique et/ou référentiel que joue le masculin morphologique est, au demeurant, disponible dans une grande variété de langues. Il s’agit là de faits de langue sans rapport avec des décisions morales, sociales ou philosophiques. Or, la vulgate inclusiviste récuse l’idée d’un neutre en français, sémantique ou morphologique : cela revient bel et bien à ne pas considérer la différence sémantique et morphologie et à assigner aux mots des propriétés uniquement réalistes. »

La langue française n’est donc pas sexiste et l’affirmation selon laquelle « le masculin l’emporte sur le féminin » n’a pas de sens sur le plan linguistique ; il s’agit d’un slogan, non d’une description rigoureuse de la réalité.

La présente proposition de loi n’entend pas imposer aux Français une langue officielle, tout citoyen pouvant, aux termes de l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, « parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi ».

La proposition de loi vise seulement à proscrire l’utilisation de l’écriture inclusive dans le service public scolaire et le service public de l’enseignement supérieur, dans les actes d’état civil, les actes administratifs, ainsi que dans les contrats, afin de protéger ces espaces, somme toute restreints au sein de la société, d’une idéologie séparatiste et agressive. Pour le reste, le rapporteur n’est pas partisan d’une langue figée et muséifiée ; nul texte de loi ne pourra d’ailleurs contrecarrer l’évolution des usages, dont les Français, tous les Français, sont les seuls maîtres.


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   Commentaire de l’article

Article unique
Interdiction de l’écriture inclusive au sein du service public scolaire et du service public de l’enseignement supérieur, dans les actes d’état civil, les actes administratifs et les contrats

Supprimé par la Commission

Le présent article insère un nouvel article dans la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française afin d’interdire le recours à l’écriture inclusive au sein des établissements scolaires et des établissements universitaires, dans les actes d’état civil, les actes administratifs et les contrats.

  1.   le droit existant
    1.   L’intervention du législateur dans le domaine de la langue est admise mais est strictement encadrée par le Conseil constitutionnel

L’intervention du législateur sur le plan linguistique est possible sur le fondement de l’article 34, alinéa 2, de la Constitution, qui lui donne compétence pour fixer les règles concernant « les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques », ainsi que sur le fondement de l’article 2, alinéa premier, de la Constitution, qui dispose que « la langue de la République est le français ».

Dans la mesure où, dans ce domaine, le législateur édicte des règles concernant les conditions d’exercice d’une liberté fondamentale – le droit de libre communication et la liberté de parler, d’écrire et d’imprimer –, son action est particulièrement encadrée par le Conseil constitutionnel.

Celui-ci a ainsi rappelé dans une décision récente ([24]) que « la liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés. Il s’ensuit que les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi ». Dès lors, le Conseil soumet ces atteintes au « degré de contrôle le plus exigeant qui soit, celui du contrôle entier de proportionnalité » ([25]).

Ainsi, si le législateur est compétent pour « édicter des règles concernant l’exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, d’écrire et d’imprimer, il ne saurait le faire […] qu’en vue d’en rendre l’exercice plus effectif ou de le concilier avec d’autres règles ou principes de valeur constitutionnelle » ([26]).

Au nombre de ces règles, figure celle posée par l’article 2, alinéa premier, de la Constitution, qui doit donc être conciliée avec la liberté d’expression et de communication. En particulier, le Conseil a jugé que cette dernière liberté « implique le droit pour chacun de choisir les termes jugés par lui les mieux appropriés à l’expression de sa pensée ; que la langue française évolue, comme toute langue vivante, en intégrant dans le vocabulaire usuel des termes de diverses sources, qu’il s’agisse d’expressions issues de langues régionales, de vocables dits populaires, ou de mots étrangers ».

Le Conseil constitutionnel a ainsi admis que le législateur consacre la langue française comme langue de l’enseignement, du travail, des échanges et des services publics ([27]).

De même, il a admis que le législateur, à l’article 2 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, impose l’emploi de cette dernière dans la désignation, l’offre, la présentation, le mode d’emploi ou d’utilisation, la description de l’étendue et des conditions de garantie d’un bien, d’un produit ou d’un service, ainsi que dans les factures et quittances.

L’article 3, alinéa premier, de cette loi, dispose que « toute inscription ou annonce apposée ou faite sur la voie publique, dans un lieu ouvert au public ou dans un moyen de transport en commun et destinée à l’information du public doit être formulée en langue française ». Cette obligation ne vise cependant que les personnes morales de droit public et les personnes privées exécutant une mission de service public ([28]).

  1.   Définir l’écriture inclusive

L’écriture inclusive relève-t-elle de la langue française ? Cette interrogation, qui peut sembler triviale de prime abord, est déterminante. En effet, si tel n’était pas le cas, l’article unique de la proposition de loi serait sans objet, puisque, en application de l’article premier de la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, celle-ci est la langue « de l’enseignement, du travail, des échanges et des services publics ».

Mme Yana Grinshpun et MM. Jean Szlamowicz et François Rastier ont qualifié l’écriture inclusive de « dialecte, c’est-à-dire un type d’expression pratiquée par une minorité. Comme pratique idéologique et graphique, l’écriture inclusive est pratiquée à la place du français standard par de nombreuses administrations » ([29]). Si l’écriture inclusive ne relève pas d’un français standard, ses utilisateurs ne s’expriment pour autant pas moins en français.

Sur le plan juridique, le rapporteur a déjà mentionné la décision du 14 mars 2023 du tribunal administratif de Paris, qui a jugé qu’aucun texte en vigueur dans le droit français ne permettait de considérer l’écriture inclusive, en l’espèce le point médian, comme ne relevant pas de la langue française.

Au cours de leurs échanges avec le rapporteur, Mme Claire Landais, secrétaire générale du Gouvernement, et Me Louis Le Foyer de Costil, avocat au barreau de Paris, ont tous deux considéré cette décision de justice comme de bon sens.

Il n’apparaît donc pas au rapporteur que l’écriture inclusive puisse être considérée comme ne relevant pas de la langue française. Dès lors, son interdiction dans certains lieux, actes ou situations appelle l’intervention du législateur.

La seule définition de l’écriture inclusive disponible en droit français a été posée par le Premier ministre dans la circulaire du 21 novembre 2017 relative aux règles de féminisation et de rédaction des textes publiés au Journal officiel de la République française : « les pratiques rédactionnelles et typographique visant à substituer à l’emploi du masculin, lorsqu’il est utilisé dans un sens générique, une graphie faisant ressortir l’existence d’une forme féminine ». Comme le rapporteur l’a relevé dans l’avant-propos du présent rapport, cette définition renvoie à l’utilisation du point médian ou à certains néologismes, tels que le pronom personnel de la troisième personne du singulier « iel ».

Cette définition lui semble convenable, en ce qu’elle invite les destinataires de la circulaire à « se conformer aux règles grammaticales et syntaxiques, notamment pour des raisons d’intelligibilité et de clarté et de la norme ». Cet objectif est pleinement partagé par le rapporteur. À son sens, le recours à la double flexion et à la substitution de termes épicènes à des mots de genre masculin et féminin alourdit souvent, voire, osons le mot, enlaidit la langue, mais ne porte pas atteinte à son intégrité morphologique ; l’interdiction de ces deux procédés serait donc excessive et porterait une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression.

  1.   L’interdiction de l’écriture inclusive au sein des administrations de l’État et dans le cadre scolaire

La circulaire du 21 novembre 2017 interdit l’usage de l’écriture inclusive dans les actes administratifs de l’État, « en particulier pour les textes destinés à être publiés au Journal officiel de la République française ». Mme Claire Landais, secrétaire générale du Gouvernement, a confirmé au rapporteur que cette circulaire ne s’imposait pas à l’ensemble des administrations publiques. Édictée sur le fondement du pouvoir réglementaire que détient le Premier ministre au titre de l’article 21, alinéa premier, de la Constitution ([30]), la circulaire a pour seuls destinataires les administrations de l’État, ce que le Conseil d’État, dans une décision du 28 février 2019 ([31]), a souligné : elle « n’a d’autres destinataires que les membres du Gouvernement et les services placés sous leur autorité ».

Rendue dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir formulé par une association, la haute juridiction administrative a refusé d’annuler cette circulaire au motif que le Premier ministre aurait méconnu le principe de séparation des pouvoirs garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Il a également rejeté le moyen tiré de la méconnaissance de l’égalité entre les femmes et les hommes, en relevant qu’en « prescrivant d’utiliser le masculin comme forme neutre pour les termes susceptibles, au sein des textes réglementaires, de s’appliquer aussi bien aux femmes qu’aux hommes et de ne pas faire usage de l’écriture dite inclusive, la circulaire attaquée s’est bornée à donner instruction aux administrations de respecter, dans la rédaction des actes administratifs, les règles grammaticales et syntaxiques en vigueur » ([32]).

Enfin, le Conseil d’État a jugé qu’il ne pouvait être « sérieusement soutenu » que la circulaire attaquée, « en précisant les règles grammaticales et syntaxiques applicables à la rédaction des actes administratifs, en particulier de ceux destinés à être publiés au Journal officiel de la République française », aurait porté atteinte à la liberté d’expression des agents chargés de cette rédaction.

Dans le cadre scolaire, une deuxième circulaire, prise par le ministre de l’Éducation nationale et de la jeunesse, proscrit l’écriture inclusive dans les actes administratifs du ministère et dans les pratiques d’enseignement. Mme Sandrine Bodin, sous-directrice de l’innovation, de la formation et des ressources à la direction générale de l’enseignement scolaire (Dgesco), n’a pas fait part au rapporteur de difficultés d’application particulières dans les écoles et les établissements publics locaux d’enseignement (EPLE).

  1.   LES DISPOSITIONS DE LA PROPOSITION DE LOI

La présente proposition de loi insère, après l’article 2 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, un article 2-1. Le premier alinéa interdit l’usage de l’écriture dite inclusive au sein du service public scolaire et au sein des universités, sauf à des fins d’analyse et de recherche. Le second alinéa dispose que les actes d’état civil, les actes administratifs de toute nature et les contrats de tous ordres exécutés sur le territoire national et rédigés selon cette forme spécifique d’écriture sont nuls de plein droit.

  1.   L’interdiction de l’écriture inclusive au sein du service public scolaire et du service public de l’enseignement supérieur

Bien que l’écriture inclusive soit déjà proscrite du cadre scolaire depuis la publication de la circulaire du 5 mai 2021, le rapporteur estime utile l’intervention du législateur. En effet, si l’application de cette circulaire n’est pas sérieusement remise en question à ce jour, il pourrait en aller différemment dans les années à venir. Ainsi, l’article unique de la présente proposition de loi permettra de sécuriser l’interdiction de l’écriture inclusive dans les pratiques d’enseignement scolaire. Par ailleurs, le rapporteur rejette par avance les arguments qui pourraient lui être opposés sur le fondement de la compétence du législateur. Rien n’interdit à ce dernier de réglementer l’usage de la langue dans le service public, comme l’a jugé le Conseil constitutionnel : « s’agissant du contenu de la langue, il lui était également loisible de prescrire, ainsi qu’il l’a fait, aux personnes morales de droit public comme aux personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public l’usage obligatoire d’une terminologie officielle » ([33]).

Si le code de l’éducation dispose que la liberté pédagogique des professeurs des écoles et des enseignants du second degré « s’exerce dans le respect des programmes et des instructions du ministre chargé de l’éducation nationale » ([34]) –  ce qui a permis à ce dernier d’interdire l’utilisation de l’écriture inclusive par voie de circulaire, sans que l’intervention du législateur soit nécessaire –, il n’en va pas de même dans l’enseignement supérieur, où la liberté d’expression des personnels est garantie par la loi.

Article L. 952-2 du code de l’éducation

Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d’objectivité.

Les libertés académiques sont le gage de l’excellence de l’enseignement supérieur et de la recherche français. Elles s’exercent conformément au principe à caractère constitutionnel d’indépendance des enseignants-chercheurs.

Le principe de valeur constitutionnelle d’indépendance des enseignants-chercheurs a été consacré par le Conseil constitutionnel dans une décision de 1984 ([35]). Si le législateur doit veiller à ne pas porter atteinte à ce principe, il lui revient en revanche de le concilier avec les autres droits et principes et valeur constitutionnelle ([36]). Saisi de la loi relative à l’emploi de la langue française, le Conseil constitutionnel a admis que le législateur impose pour certaines publications, revues et communications, un résumé en français des textes rédigés en langue étrangère ([37]). Il a en revanche censuré une disposition subordonnant l’octroi par une personne publique de toute aide à des travaux d’enseignement supérieur ou de recherche à l’engagement pris par les bénéficiaires d’assurer une publication ou une diffusion en français de leurs travaux ou d’effectuer une traduction en français des publications en langue étrangère auxquelles ils donnent lieu, sauf dérogation accordée par le ministre chargé de la recherche. En l’espèce, le Conseil a jugé que le législateur avait imposé aux enseignants et aux chercheurs « des contraintes de nature à porter atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication dans l’enseignement et la recherche ».

La marge de manœuvre du législateur est donc étroite et celui-ci doit, en tout état de cause, veiller à poursuivre, de manière proportionnée, le respect d’une autre règle ou d’un autre principe à caractère constitutionnel.

Si le rapporteur n’ignore pas le risque de censure de l’interdiction de l’écriture inclusive dans l’enseignement supérieur, dans l’hypothèse où le Conseil constitutionnel serait saisi de la proposition de loi, cette interdiction ne lui semble pas porter une atteinte disproportionnée à la liberté académique, pour deux raisons.

En premier lieu, la présente proposition de loi n’a pas d’autre objet que de prescrire le respect des règles grammaticales et syntaxiques en vigueur dans la langue française. Il s’agit d’une réglementation formelle, non substantielle, de la langue, qui n’empêchera pas, notamment, les personnels de l’enseignement supérieur de recourir à la féminisation des noms ou à l’emploi de termes épicènes. De plus, le rapporteur rappelle que la langue ne détermine pas la pensée : l’interdiction du recours à l’écriture inclusive ne peut en elle-même réellement porter atteinte à la liberté d’expression. Le penser reviendrait à « confondre la langue en tant que système de signes avec le discours – l’usage de ce système en situation – qui dépend de l’intention du locuteur » ([38]).

En second lieu, l’interdiction de l’écriture inclusive dans l’enseignement supérieur vise à assurer le respect du principe d’égalité et de son corollaire, le principe de neutralité du service public ([39]). À l’école comme dans l’enseignement supérieur, l’usage de l’écriture inclusive crée des difficultés supplémentaires pour les élèves ou les étudiants présentant des troubles d’apprentissage particuliers ; il en résulte une rupture d’égalité. C’est ce qu’a relevé M. Barthélémy Cayre-Bideau, responsable de l’Union nationale interuniversitaire (UNI) Lyon, en s’exprimant sur le sujet d’examen de droit de la famille mentionné par le rapporteur dans l’avant-propos : « Il n’y a pas plus exclusif que l’écriture inclusive, les dyslexiques sont totalement désavantagés » ([40]). Au-delà du cas particulier des étudiants présentant des difficultés spécifiques, l’écriture inclusive induit un autre risque de discrimination, pour l’ensemble des étudiants, identifié par Mme Yana Grinshpun et MM. Jean Szlamowicz et François Rastier : « En instaurant une norme floue, mais émanant d’autorités comme les universités ou certaines administrations, l’écriture inclusive impose un signe ambigu envers les usagers : sont-ils censés se plier à cette norme ou pas ? Il en résulte des ambiguïtés portant atteinte à la transparence de certaines pratiques, potentiellement discriminatoires : l’écriture inclusive peut devenir un signe de reconnaissance à destination d’un recruteur ou d’un jury de nature à contourner l’anonymat d’un document (comme des copies d’examens) » ([41]). Le rapporteur ajoute qu’un étudiant ne souhaitant pas, face à un sujet d’examen rédigé en écriture inclusive, utiliser cette dernière dans la rédaction de sa copie, pourrait légitimement craindre d’être pénalisé dans la notation.

  1.   L’interdiction de l’écriture inclusive dans les actes d’état civil, les actes administratifs et les contrats

L’alinéa 3 de la présente proposition de loi interdit le recours à l’écriture inclusive pour la rédaction des cinq actes d’état civil recensés par l’article 34 et l’article 79-1 du code civil :

– les actes de naissance ;

– les actes de reconnaissance ;

– les actes de mariage ;

– les actes de décès ;

– les actes d’enfant sans vie.

Ces actes sont établis par les officiers d’état civil, soit le maire et ses adjoints ([42]). En application de la loi n° 118 du 2 Thermidor an II (20 juillet 1794), « nul acte public ne [peut], dans quelque partie que ce soit du territoire français, être écrit qu’en langue française ».

En application de la circulaire du 21 novembre 2017, l’utilisation de l’écriture inclusive est interdite dans les seuls actes administratifs des autorités de l’État (cf. supra). La présente proposition de loi étend cette interdiction aux actes administratifs de toute nature, décisoires (actes réglementaires, actes individuels, autres actes décisoires non réglementaires) et non décisoires, pris par l’ensemble des administrations.

Enfin, la proposition de loi proscrit le recours à l’écriture inclusive dans les contrats de tous ordres.

  1.   LA POSITION DU RAPPORTEUR

Le rapporteur juge nécessaire de préciser la définition de l’écriture inclusive proposée par l’article unique de la proposition de loi. En effet, si le point médian et les néologismes, notamment pronominaux tels que le pronom « iel », portent atteinte à l’intégrité morphologique de la langue française, tel n’est pas le cas des doubles flexions et du recours à des termes épicènes en substitution du masculin générique. Dès lors, il propose de transposer dans la loi la définition de l’écriture inclusive proposée par la circulaire du 21 novembre 2017 relative aux règles de féminisation et de rédaction des textes publiés au Journal officiel de la République française, soit « les pratiques rédactionnelles et typographiques visant à substituer à l’emploi du masculin, lorsqu’il est utilisé dans un sens générique, une graphie faisant ressortir l’existence d’une forme féminine ».

Par ailleurs, le rapporteur proposera de circonscrire l’interdiction du recours à l’écriture inclusive aux seuls contrats administratifs. Interdire l’usage de l’écriture inclusive pour l’ensemble des contrats conclus sur le territoire national semble en effet peu conciliable avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui a considéré que le législateur ne pouvait « sans méconnaître l’article 11 précité de la Déclaration de 1789 imposer à des personnes privées, hors l’exercice d’une mission de service public, l’obligation d’user, sous peine de sanctions, de certains mots ou expressions définis par voie réglementaire sous forme d’une terminologie officielle » ([43]).

  1.   La position de la commission

Contre l’avis du rapporteur, la commission a adopté quatre amendements identiques de suppression de l’article unique, présentés par M. Léo Walter (LFI-NUPES), Mme Sophie Taillé-Polian (Écolo-NUPES), Mme Anne Brugnera (RE) et M. Inaki Echaniz (SOC).

En conséquence, l’article unique étant supprimé, la proposition de loi est considérée comme ayant été rejetée par la commission.


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Lors de sa réunion du mercredi 4 octobre 2023 ([44]), la commission procède à l’examen de la proposition de loi portant interdiction de l’écriture dite « inclusive » dans les éditions, productions et publications scolaires et universitaires ainsi que dans les actes civils, administratifs et commerciaux (n° 777) (M. Hervé de Lépinau, rapporteur).

M. Hervé de Lépinau, rapporteur. Je vous remercie de m’accueillir dans votre commission pour me permettre de présenter la proposition de loi de notre collègue Roger Chudeau visant à interdire l’utilisation de l’écriture inclusive dans les éditions, productions et publications scolaires et universitaires ainsi que dans les actes civils, administratifs et commerciaux.

À titre liminaire, je rappellerai le cadre de notre discussion. Nous ne sommes pas sous la Coupole. Nous ne sommes pas un aréopage d’éminents linguistes ou de grammairiens. Nous sommes des députés : le débat est donc exclusivement politique. L’écriture inclusive découle en effet d’une volonté politique représentée par une partie de notre hémicycle qui souhaite, dans une entreprise de déconstruction de notre société, s’attaquer à la langue après s’être attaquée à d’autres institutions. Simone de Beauvoir n’aurait jamais imaginé écrire Le Deuxième Sexe en écriture inclusive. L’idéologie de déconstruction défendue par certains conduit à des situations paradoxales, pour ne pas dire absurdes, puisqu’elle considère que la langue serait le support d’une oppression patriarcale, alors qu’elle n’est qu’un vecteur de pensée. La langue française est suffisamment riche pour permettre l’expression des idées, et celui qui vous parle est un farouche partisan de la liberté d’expression et de pensée.

L’autre travers que nous devons éviter, c’est de considérer que cette proposition de loi serait dirigée contre les femmes et n’entrerait pas dans une volonté d’égalité entre hommes et femmes. Le féminisme a pu développer ses idées dans un français classique. Les combats légitimes qui ont été menés, comme la reconnaissance du droit de vote pour les femmes, n’ont pas eu besoin d’une écriture particulière pour rappeler l’égalité entre hommes et femmes.

J’assistais hier, dans la cour d’honneur des Invalides, à l’hommage national rendu à Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuel de l’Académie française, qui avait rappelé que l’écriture inclusive plaçait le français en danger de mort.

La proposition de loi est sérieuse. Une minorité ne peut s’arroger le bien commun qu’est la langue. Or le mouvement qui défend l’écriture inclusive est ultra-minoritaire. Les professeurs de français sont majoritairement inquiets de l’utilisation de l’écriture inclusive. En effet, certains élèves éprouvent déjà des difficultés d’apprentissage liées à des problèmes de dyslexie, et en ajouter une autre les laissera sur le bord de la route. Ce n’est donc plus une écriture inclusive, mais une écriture exclusive.

L’intérêt des auditions, quand on les mène sérieusement, est de constater que l’approche d’un problème peut évoluer. J’ai ainsi déposé un amendement modifiant la présentation de l’écriture inclusive concernant la double flexion et les termes épicènes. Ils ont été rendus célèbres par le général de Gaulle et son « Françaises, Français », que Desproges a repris à son compte avec « Belges, Belges ». Cela permet de souligner le caractère parfois ridicule de ceux qui voient du patriarcat partout, en particulier dans la langue française, et qui suivent l’approche délirante d’une féminisation à outrance. Il arrive ainsi d’entendre, dans l’hémicycle, « chers et chères collègues » – je ne vois pas l’intérêt de cette double flexion –, voire « collègues, collègues », qui montre que lorsque l’idéologie vous tient, le bon sens s’en va. Il m’a donc semblé nécessaire de ne pas interdire les termes épicènes et la double flexion, parce qu’ils contribuent à la richesse et à l’évolution de la langue française.

Je reviens sur le mauvais procès qui est fait à ce texte concernant le combat féministe et la volonté légitime de placer les femmes sur un plan d’égalité dans les fonctions, les métiers et les titres. Laissons à l’Académie française le soin de féminiser les termes. Les immortels sont à notre disposition pour nous aider à avancer dans la féminisation. C’est l’Académie qui indiquera s’il faut parler d’une « professeure » ou d’une « professeuse ». La féminisation d’une profession ou d’un titre ne participe en aucune manière de l’écriture inclusive.

Les deux points essentiels de cette approche idéologique de la langue concernent le point médian et certains néologismes. Je pense au pronom « iel » qui tente de faire son apparition dans les manuels scolaires, mais que l’Académie française n’est pas disposée à reconnaître puisqu’il est d’usage dans notre langue que le neutre soit masculin dans la mesure du possible, sans que cela constitue une volonté d’invisibilité des femmes.

Les débats seront nourris. Plusieurs amendements sont destinés à rejeter ce texte, dont l’un émanant du groupe Renaissance qui s’étonne de la définition de l’écriture inclusive. Dans mon amendement de réécriture, j’ai repris la définition de la circulaire du Premier ministre, M. Édouard Philippe, de novembre 2017, laquelle devrait emporter votre approbation. Ce qui m’inquiète, c’est la position doctrinale, pour ne pas dire doctrinaire, prise par votre groupe de voter systématiquement contre les textes que nous pourrions présenter. Je fais appel à vos intelligences et à votre souci d’ouverture. Ce n’est pas vous faire offense puisque, sauf erreur de ma part, votre groupe envisageait une proposition de loi de la même nature. L’occasion nous est donnée de transformer l’essai.

Mme la présidente Isabelle Rauch. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Anne Brugnera (RE). Cette proposition de loi vise prétendument à interdire l’écriture inclusive. Mais en la lisant avec attention, on constate qu’il s’agit en fait de revenir en arrière et de gommer les femmes de la langue française.

Pour la plupart des gens, l’écriture inclusive se confond avec l’usage du point médian ou du tiret médian suivi d’un e, comme dans « habitant.e ». On voit bien ici la divergence entre la forme écrite et la forme orale et la difficulté à lire ce mode d’écriture – mode d’écriture qui pose des problèmes d’apprentissage de la lecture et de compréhension, en particulier pour les personnes atteintes de troubles dys. C’est pour cette raison qu’une circulaire du Premier ministre Édouard Philippe en proscrit l’usage dans les textes officiels et actes administratifs depuis novembre 2017, et qu’une circulaire du ministre de l’Éducation nationale en fait de même dans les pratiques d’enseignement depuis 2021.

Si ce sujet reste problématique dans le champ universitaire, comme l’a montré l’énoncé d’un examen soumis à des étudiants de Lyon 2, si caricatural qu’il en était illisible, la liberté académique reconnue par le Conseil constitutionnel empêche d’aller plus loin. Quoi qu’il en soit, cette proposition de loi ne concerne pas uniquement ce sujet, mais l’usage de termes épicènes et de la double flexion.

Concernant la double flexion, vous avez oublié d’appliquer vos propres préconisations, puisque la proposition de loi commence par « Mesdames, messieurs ». Par ailleurs, comment appliquerez-vous l’interdiction d’utiliser des épicènes ? Faut-il interdire l’usage de mots comme athlète, diplomate, parent ou parlementaire, car ils seraient suspects d’écriture inclusive ? En fait, vous ne cherchez pas à interdire l’usage d’une graphie qui pose des problèmes de lisibilité : vous voulez combattre une idéologie que vous nommez wokisme et qui chercherait à « rendre visibles toutes les minorités, notamment les femmes ». Permettez-moi de vous rappeler qu’un humain sur deux est une femme : nous ne constituons pas une minorité.

Ce que vous combattez, dites-vous, est une forme d’américanisation. Pourtant, vous l’encouragez quand vous défendez l’uniforme à l’école, étranger à la culture française. À vous croire, la féminisation des noms, des métiers et des fonctions serait à l’origine de ce processus que vous dénoncez et qui fait pourtant consensus, comme le rappelle le rapport de l’Académie française de 2019.

Vous prétendez vous appuyer sur la grammaire pour défendre votre vision du monde. Nous n’allons pas avoir un débat de linguistes, je n’ai pas cette prétention. Mais tous les linguistes ne partagent pas les propos que vous nous assénez sous forme de vérité. La dimension sexiste de la langue existe bel et bien. La langue est le reflet d’une société et elle évolue avec elle, ne vous en déplaise. La dénonciation de la dimension sexiste de notre langue est aussi ancienne que le féminisme. Un texte de 1792, la « Requête des dames, à l’Assemblée nationale », demandait que le genre masculin ne soit plus regardé, même dans la grammaire, comme le genre le plus noble. C’est dingue, le wokisme était déjà à l’œuvre en France au lendemain de la Révolution !

Si l’écriture inclusive, au sens d’un mode d’expression permettant d’assurer une égalité des représentations entre les hommes et les femmes, vous dérange, c’est parce que l’égalité entre les femmes et les hommes, le féminisme et la féminisation de notre langue vous dérangent.

Le Front national a beau avoir changé de nom et mis une femme à sa tête, il ne change pas. Il reste un parti machiste et misogyne. Il suffit d’écouter vos interventions dans l’hémicycle sur la place des femmes, qui devraient rester à la maison, pour s’en persuader. Cette proposition de loi n’est pas rédigée pour résoudre les problèmes posés par l’écriture inclusive, ce que nous avons déjà fait, ne vous en déplaise, mais pour réaffirmer des valeurs que nous ne partageons pas. Le groupe Renaissance n’est pas dupe, pas plus qu’il ne l’est de votre amendement de réécriture. Nous proposerons un amendement de suppression de l’article unique de cette proposition de loi.

M. Roger Chudeau (RN). L’écriture dite inclusive s’est répandue de manière virale dans la société française, à l’université et dans certaines administrations publiques. Le propos de ce texte n’est pas d’ouvrir un débat entre grammairiens ou d’instituer on ne sait quelle police de la langue. La représentation nationale n’a ni ce type de compétence ni cette prétention. Notre propos est de défendre la langue de la nation, une langue parlée, chantée, écrite, qui est un bien commun également partagé par tous les citoyens français et par 500 millions de francophones.

Les fondements de l’écriture inclusive ne relèvent pas, comme voudraient nous le faire croire ses partisans les plus habiles, d’une entreprise de modernisation, d’évolution ou d’adaptation de la langue française, mais sont une démarche idéologique, une entreprise politique concertée et méthodique de déconstruction de notre langue. Cette entreprise repose sur un confusionnisme linguistique qui croit naïvement que le langage doit refléter ce qu’il désigne et sur une vision dévoyée de l’égalité entre les hommes et les femmes, ainsi que sur un communautarisme rampant, ou clairement proclamé, qui ramène chacun à sa communauté d’appartenance – en l’occurrence, le sexe – au lieu de viser le sentiment d’appartenance à une humanité commune. En ce sens, l’écriture inclusive est un défi aux universaux de la République française.

Ce constat a conduit Hélène Carrère d’Encausse à considérer que l’écriture inclusive était un péril mortel pour la langue française. Dans l’hommage solennel que la nation lui a rendu hier, le Président de la République a insisté sur ce que notre langue devait à l’académicienne pour sa défense et son illustration.

L’Académie française, dans sa lettre ouverte sur l’écriture inclusive du 7 mai 2021, écrit : « Une langue procède d’une combinaison séculaire de l’histoire et de la pratique, ce que Lévi-Strauss et Dumézil définissaient comme un “équilibre subtil de l’usage”. » Elle appelle « aberration linguistique » une écriture qui ne peut être ni lue ni dictée, une écriture qui maltraite les règles élémentaires de la syntaxe et malmène notre corpus nominal – il y a « inspectrice, inspecteur », mais il y a aussi « sapeur-pompier, sapeuse-pompière », particulièrement élégant ! –, une écriture qu’aucun francophone d’Afrique ne veut ni ne peut adopter du point de vue culturel, une écriture que nul élève éprouvant ne serait-ce qu’une légère difficulté à lire ou à écrire ne saurait comprendre. Loin d’être inclusive, cette écriture est exclusive et excluante.

C’est pourquoi de nombreux parlementaires venus d’horizons politiques différents – LaREM sous la précédente législature, LR, RN – ont estimé ces dernières années que la promotion d’une langue juste, neutre et stable, n’est pas une obsession réactionnaire ou rétrograde, mais relève de la défense d’un bien commun dont nous ne sommes pas les propriétaires. Nous ne sommes pas les propriétaires de la langue française, mais nous en sommes les légataires, les dépositaires, et nous avons le devoir sacré de la protéger et de la transmettre.

Cette proposition de loi vise à mettre un terme à ce qui, selon l’Académie française, offusque la démocratie du langage, et à une aberration linguistique.

Porteur initial de cette proposition de loi, j’estime que le projet idéologique de l’écriture inclusive n’est pas égalitaire mais diversitaire, c’est-à-dire communautaire, séparatiste dirait le Président de la République. Les promoteurs de l’aberration inclusive considèrent que le français serait une langue viriliste, androcentrée, patriarcale et blanche. Ils entendent visibiliser, dans la langue, le féminin, le non genré, le fluide, le queer, le non blanc. À l’énoncé de ces prétentions, on mesure le degré d’absurdité, le caractère abscons de cette novlangue pseudo-académique.

L’écriture inclusive n’est qu’un des aspects de l’entreprise wokiste, qui entend effacer, au bénéfice de communautés supposément opprimées, ce qui constitue la communauté française, cette expression ayant une valeur légale. À cette entreprise, j’estime qu’il est de notre devoir de représentants du peuple français de nous opposer.

M. Léo Walter (LFI-NUPES). Mesdames, messieurs, je salue le sens des priorités des députées du Rassemblement national. Alors que la réforme des retraites, dont elles étaient, disaient-elles, des opposantes convaincues, force les Françaises à travailler deux ans de plus, alors que l’inflation galopante et la stagnation des salaires jettent chaque jour un peu plus de nos concitoyennes dans la pauvreté, alors que les files d’étudiantes s’allongent à nouveau devant les distributions alimentaires, on eût pu penser qu’elles consacreraient leur niche à des propositions sociales, utiles aux classes populaires qu’elles prétendent défendre. Or elles ont préféré s’attaquer à un sujet autrement plus urgent : l’entreprise de déconstruction de la nation – excusez du peu ! – que constituerait l’utilisation de l’écriture inclusive. Ce qui les terrifie, c’est ce qu’elles appellent l’affirmation agressive d’identités communautaires, y compris féministe. Disons-le plus simplement : ce qui les terrifie, c’est le féminisme, qu’elles considèrent comme un communautarisme.

En utilisant les exemples de formes inclusives préconisées par le Haut Conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes (HCE), elles nous proposent d’interdire la double flexion, le point médian et les termes épicènes. Quelle panique, quelle angoisse pour ce point posé un millimètre plus haut en arial corps 12, pour cette double flexion qui permet de reconnaître dès les premiers mots un discours du général de Gaulle et pour ces formes épicènes que nous utilisons toutes quotidiennement ! La double flexion, c’est l’expression « Mesdames, messieurs » par laquelle j’ai commencé mon intervention et qui ouvre également leur exposé des motifs. Les termes épicènes sont, entre autres, « collègues », « parlementaires », « membres ». On en compte vingt-quatre dans ce texte de loi. Mais, miracle, monsieur la rapporteure, vos auditions et en particulier celles de la linguiste Éliane Viennot, vous ont amené à comprendre l’absurdité de votre texte et à déposer un amendement de réécriture ! Cet amendement se replie sur la formulation de la circulaire publiée par Édouard Philippe en 2017 et rend caduque votre proposition de loi, puisqu’il confirme que vous vous attaquez à un péril qui n’existe pas : personne n’oblige personne à utiliser le point médian ; les actes d’état civil en sont dépourvus ; aucune institutrice ne l’utilise. C’est tellement vrai que la seule photographie d’illustration de votre rapport est celle d’une campagne publicitaire pas concernée par votre proposition de loi !

Dans votre rapport, que j’ai lu attentivement, il est cocasse de noter que les quatre seuls noms « neutres » que vous avez trouvés pour contrer les arguments du HCE – « je », « tu », « nous » et « vous » – sont des pronoms personnels qui n’ont rien de neutre puisqu’ils changent de genre en fonction de la personne qu’ils désignent.

Cocasse, également, votre citation de George Orwell, dont le roman est une démonstration de la façon dont la langue façonne la pensée et le monde, soit la thèse exactement inverse de la vôtre.

Cocasse, enfin, que vous citiez l’Académie française pour tenter de prouver que ces grammairiens n’auraient pas façonné la langue à l’avantage de leur sexe. Je vous renvoie à ce qu’en disait, à la fin du XVIIe siècle, l’académicien François-Eudes de Mézeray, chargé d’en établir les règles. Il indiquait préférer l’ancienne orthographe, qui « distingue les gens de lettres d’avec les ignorants et les simples femmes ». Nous direz-vous encore qu’il n’y a aucun lien de causalité entre les formes de la langue et la hiérarchisation sociale ? Je vous conseille de lire son introduction au premier dictionnaire de l’Académie, en 1694, pour constater à quel point cette langue, qu’il était censé fixer de manière définitive, a évolué depuis.

Nul texte de loi ne pourra contrecarrer l’évolution des usages dont les Françaises, toutes les Françaises, sont les seules maîtresses. Notre langue évoluera donc malgré vous et nous allons jeter votre texte inexact, inepte et inutile dans la corbeille à papier de l’histoire.

Je signale à MM. Chudeau et de Lépinau que si mon intervention leur a parfois écorché les oreilles et s’ils se sont sentis exclus à plusieurs moments, c’est qu’elle est intégralement écrite au féminin générique – une petite expérience immersive pour découvrir ce que vit la moitié de la population française quand on utilise le masculin générique.

M. Maxime Minot (LR). Le français, langue officielle de notre nation, constitue un précieux témoignage de plusieurs siècles d’histoire. Généralisé dans les actes administratifs dès 1539, c’est un pilier de notre République. Son importance a été renforcée par la révision constitutionnelle de 1992 conférant une valeur constitutionnelle à la langue française. La loi de 1994 relative à l’emploi de la langue française dispose que cette dernière est un élément fondamental de la personnalité et du patrimoine de la France. Une langue est donc le ciment d’un peuple.

Le français du XXIe siècle n’est pas celui du XVIIe. Ses évolutions sont intervenues dans le temps long, pour apporter clarté et simplicité. Récemment, des idées militantes issues du wokisme souhaitent faire évoluer la langue française au travers de l’écriture inclusive. L’émergence de ce mode d’écriture découle d’une volonté louable de promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes par l’orthographe et la grammaire. Pourtant, son adoption complexifie notre langue, la rendant illisible. La discordance entre la prononciation et l’écrit s’accentue particulièrement lors de l’utilisation du pluriel. Cette complexité se traduit par des difficultés de compréhension, notamment pour les personnes atteintes de dyslexie, de dyspraxie ou de dysphasie, et pour de nombreux linguistes en cours d’apprentissage. Imaginez nos discours prononcés en écriture inclusive ! L’écriture inclusive introduit des incohérences et ajoute une complication supplémentaire pour les élèves en phase d’apprentissage. L’ex-ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, avait souligné ce problème dans une circulaire ministérielle du 6 mai 2021. Chers collègues de la majorité, il serait bon que vous la relisiez. Elle indique que l’usage de l’écriture inclusive constitue une entrave à la lecture et à la compréhension de l’écrit.

Les préoccupations s’étendent également au niveau institutionnel. En 2017, l’Académie française s’est prononcée à l’unanimité contre l’adoption de l’écriture inclusive et a émis plusieurs mises en garde quant à son inadéquation et à sa complexité. L’usage de cette forme d’écriture conduit à une langue peu lisible et met en lumière un péril mortel pour l’avenir de la langue française.

Notre langue est assez riche pour mettre le genre féminin et le genre masculin à égalité lorsque l’intention d’expression l’exige. Il n’est nul besoin de l’écriture dite inclusive, qui est en réalité militante. Le groupe Les Républicains a constamment exprimé son opposition à sa généralisation. Cette position découle de notre attachement à la préservation de la langue française dans sa forme traditionnelle.

Nous avons manifesté notre engagement en ce sens au travers de plusieurs initiatives législatives : proposition de loi du 23 mars 2021 visant à interdire et à pénaliser l’usage de l’écriture inclusive dans les administrations publiques et les organismes en charge d’un service public ou bénéficiant de subventions publiques ; proposition de loi du 11 octobre 2022 visant à sauvegarder la langue française et à réaffirmer la place fondamentale de l’Académie française ; proposition de loi du 14 février 2023 visant à interdire l’usage de l’écriture inclusive par les administrations publiques, les personnes morales en charge d’une mission de service public et les bénéficiaires de subventions publiques. En outre, nous réaffirmons notre engagement envers les principes républicains inhérents à la langue française, qui constitue le fondement de notre identité nationale.

Pour ces motifs, le groupe Les Républicains – qui n’a pas attendu le Rassemblement national pour s’attaquer à ce sujet – votera en faveur de ce texte.

M. Laurent Esquenet-Goxes (Dem). Voici donc le nouveau combat de l’extrême droite pour sauver la France : l’interdiction, dans la première version du texte, de l’expression « bonjour à toutes et à tous » et de la féminisation des fonctions. Les propos de votre collègue en séance lors de l’examen du projet de loi « plein emploi » nous avaient déjà mis la puce à l’oreille : ils nous ont rappelé l’importance que certains chez vous accordent au maintien, voire au retour d’une société patriarcale.

Notre majorité a établi des règles claires pour l’utilisation de diverses méthodes inclusives. Une circulaire de novembre 2017 « invite, en particulier pour les textes destinés à être publiés au Journal officiel de la République française, à ne pas faire usage de l’écriture inclusive », ajoutant que « les administrations relevant de l’État doivent se conformer aux règles grammaticales et syntaxiques ». Votre demande est donc déjà satisfaite et ne fait qu’enfoncer des portes ouvertes.

Cette règle claire, inchangée depuis, était bienvenue. La diffusion dans l’administration de l’utilisation du point médian portait en effet atteinte à l’intelligibilité de la loi et à l’accessibilité de notre langue. Au-delà de son utilisation par les agents publics, la langue française doit être la plus simple possible pour assurer la transmission à l’école. La circulaire du ministre de l’Éducation nationale de 2021 indique ainsi qu’il convient « de proscrire le recours à l’écriture dite inclusive, qui utilise notamment le point médian [en ce qu’il] constitue un obstacle à la lecture et à la compréhension de l’écrit [pour les enfants] confrontés à certains handicaps ou troubles des apprentissages ». Vous revendiquez l’interdiction pour l’administration d’utiliser le point médian : elle est satisfaite depuis six ans.

Vous souhaitez également interdire l’utilisation de la double inflexion et de la féminisation des noms. Ces éléments d’inclusion sont pourtant nécessaires pour rendre visibles plus de 50 % de la population souffrant d’un cruel manque de représentation dans nos mots. Pour rappel, l’Académie française approuve depuis 2017 la féminisation des noms et des fonctions.

La langue française est imbriquée dans son époque. L’évolution d’une société patriarcale vers une société paritaire entraîne des polémiques, des questionnements et, parfois, des égarements. Ceux-ci ne sont toutefois pas des erreurs. Au contraire, ils nous amènent à nous interroger sur le sens de notre langue et sur les voies pragmatiques de son évolution. Je ne suis pas un amoureux du « iel » et des points au milieu des mots. Mais ces pratiques m’ont amené à réfléchir et à accorder plus d’importance à la féminisation des mots et des paroles. Laissons vivre le débat pour que vive notre langue. La langue est d’abord une question d’usage, difficile à régir par la loi. C’est cela qui la fera évoluer, et non des mots couchés sur le papier et des propositions inutiles, à contre-courant de l’histoire et de l’évolution positive de notre société.

Sur le fond, à quoi sert votre proposition, sinon à exacerber les tensions sur les enjeux de parité et à nous monter les uns contre les autres, les unes contre les autres ? La division est la marque de fabrique de votre mouvement.

Parce que la première moitié de votre proposition de loi est déjà satisfaite depuis six ans, nous voterons contre ce texte.

M. Inaki Echaniz (SOC). Si le mot député est inscrit dans le dictionnaire comme un nom masculin, plusieurs femmes de votre groupe se présentent comme députées. L’usage de l’écriture inclusive n’est donc pas l’apanage des communautaristes ou des wokistes.

Avec l’interdiction de l’écriture inclusive, des millions de documents officiels devront être remplacés, notamment ceux avec la mention « né(e) ». L’écriture inclusive n’est pas un phénomène nouveau affectant la langue française à l’instar d’une maladie, comme vous l’écrivez dans votre exposé des motifs. La féminisation des noms de métiers existait déjà au Moyen Âge. Amin Maalouf, élu à la tête de l’Académie française, sans être favorable à l’écriture inclusive, reconnaît qu’elle met le doigt sur des difficultés, notamment celle selon laquelle des mots sont féminins ou masculins sans autre logique que leur héritage latin, et qu’il faut chercher des réponses. Or le Rassemblement national ne cherche aucune réponse à la féminisation du langage : il la combat.

La langue est le reflet de la société et de ses évolutions. Pas plus révolution que menace, l’écriture inclusive invite à repenser nos représentations. La seule chose qui s’en trouve mise en danger est la domination du masculin sur le féminin, de l’homme sur la femme. C’est sans doute cela qui vous effraie. Pour nous, socialistes, la parité linguistique, le féminin et le masculin pour toutes les dénominations humaines et la représentation effective des femmes dans le discours social sont des instruments essentiels dans la conquête d’une réelle égalité entre les femmes et les hommes. Vous ne voyez dans l’écriture inclusive qu’un obstacle à une communication fluide. J’y vois un outil d’égalité.

Comme le montre une étude conduite par l’institut Harris Interactive en 2017, les formulations inclusives ou épicènes suscitent jusqu’à deux fois plus de noms de femmes dans les représentations spontanées que les formulations qui invisibilisent les femmes. Cette proposition de loi est un pur message politique antiféministe, fidèle à la nature de votre parti. « […]  l’extrême droite a une constante : celle de nous combattre, de nous mépriser et de nous piétiner », dénonçaient dans une tribune les associations féministes lors des présidentielles de 2022. Marine Le Pen déclarait, en 2012, que « le progrès, c’est de permettre aux femmes de rester à la maison ». Loin d’une logique émancipatrice dans laquelle les femmes seraient libres de choisir leur destin, le discours du RN envers les femmes ne circule que dans un sens, celui qui mène au foyer dans lequel les femmes retrouvent leur rôle premier, maternel.

À l’Assemblée nationale comme au Parlement européen, le RN s’est opposé quasi unanimement et systématiquement aux textes qui promeuvent l’égalité entre les femmes et les hommes, l’égalité salariale, l’accès à la contraception et la lutte contre les violences faites aux femmes et contre les violences de genre. Le RN a toujours été l’un des principaux opposants à l’avortement, dénonçant régulièrement les prétendus IVG de confort et s’opposant fermement à l’allongement des délais de douze à quatorze semaines. Le RN s’oppose à l’éducation à la vie affective et sexuelle à l’école primaire, fondement de la prévention des violences auprès des plus jeunes. Ce texte est un exemple supplémentaire de votre position antiféministe.

Le groupe Socialistes votera contre cette proposition et défendra un amendement de suppression.

M. Jérémie Patrier-Leitus (HOR). « Ma patrie, c’est la langue française. » Ce mot d’Albert Camus aurait pu être celui d’Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuel de l’Académie française à laquelle la nation a rendu un dernier hommage hier après-midi. Elle rappelait à chacun de ses interlocuteurs que ce n’était pas elle qui était immortelle mais la langue française, dont elle avait fait le combat de sa vie. Nous souhaitions saluer sa mémoire.

Les députés du groupe Horizons accordent une grande importance au respect de la langue française et aux combats contre ses déformations militantes. Dès 2017, Édouard Philippe, alors Premier ministre, a publié la circulaire relative aux règles de féminisation et de rédaction des textes publiés au Journal officiel. Alors que les expérimentations liées à l’écriture inclusive n’en étaient qu’à leurs prémices et que son usage était limité, il a été le premier à imposer le respect des règles de grammaire et de typographie en vigueur dans les textes officiels, pour des raisons d’intelligibilité et de clarté de la norme.

Ce combat pour le maintien d’une langue écrite et parlée qui n’exclut pas une partie de la population avait ensuite été mené, en 2021, par mon collègue François Jolivet. Sa proposition de loi avait été cosignée par plus de 110 députés de divers bords politiques, dont près de 50 appartenant alors à La République en marche. Reprenant les termes de la circulaire d’Édouard Philippe, elle visait à exclure le point médian – et lui seul – des documents produits par les administrations, par les personnes et par les organismes chargés d’une mission de service public. Nous sommes toujours aussi déterminés à défendre la langue française, ce patrimoine immatériel que nous avons le devoir de transmettre à nos enfants, de génération en génération. La lutte contre les stéréotypes sexistes, pour légitime qu’elle soit, ne peut se faire au détriment de la lisibilité et de la beauté de la langue.

Si j’ai tenu à rappeler cette conviction des députés Horizons et cette lutte de longue date pour notre bien commun le plus précieux, c’est aussi pour souligner le fossé qui sépare notre démarche de la vôtre, monsieur le rapporteur. Car c’est une chose de promouvoir la beauté et la clarté de notre langue en luttant contre une écriture militante, artificielle et excluante ; c’en est une autre d’avoir voulu rendre illégales des écritures véritablement inclusives et qui ne posent aucun problème de compréhension, comme la double flexion et les termes épicènes.

En quoi la formule « mesdames les inspectrices et messieurs les inspecteurs » pose-t-elle problème au Rassemblement national ? En 2017, la circulaire d’Édouard Philippe préconisait de faire usage de cette double flexion dans certaines circonstances, notamment dans les offres de recrutement, pour ne pas marquer de préférence de genre.

Je ne comprends pas non plus votre opposition, même si vous venez de l’amender, aux termes épicènes, c’est-à-dire au choix d’employer un terme neutre plutôt qu’un mot exprimant le féminin et le masculin. Au prétexte de lutter contre l’idéologie wokiste, vous vous arc-boutez contre des avancées bienvenues et entrées dans l’usage courant, et ce, en vous fondant sur des arguments erronés : si la langue française n’est pas sexuée, comme l’affirme encore votre exposé des motifs, il existe des versions féminines pour plusieurs métiers. Pourquoi ne pas les utiliser ? L’Académie française elle-même, prenant acte d’un malaise dans la langue française, s’est prononcée en février 2019 en faveur de la féminisation des noms de métiers. Pourtant, on ne peut pas accuser nos immortels, gardiens de la langue française, d’un goût débridé pour les dernières innovations linguistiques.

En somme, en voulant combattre certains néologismes, vous inventez des problèmes qui n’existent pas, excepté dans de petits cercles qui ne représentent qu’eux-mêmes et n’ont en aucun cas la charge de rédiger et de publier des actes législatifs, civils ou administratifs.

En conclusion, monsieur le rapporteur, nous ne vous avons pas attendu. Je répète l’immense fierté que nous avons, au groupe Horizons, que le Premier ministre Édouard Philippe ait publié, dès 2017, cette circulaire en ligne avec les valeurs que nous portons. Elle permet d’imposer des règles claires, qui n’ont pas vocation à être fixées par les parlementaires. Il faut appliquer cette circulaire.

En l’état, les députés Horizons voteront contre cette proposition de loi, mais nous ne voterons pas les amendements de suppression.

Mme Sophie Taillé-Polian (Écolo-NUPES). Je rejoins mes camarades – vous noterez l’emploi de ce terme épicène – pour réaffirmer que le groupe Écologiste est favorable à l’écriture inclusive.

Je vous accorde une chose, monsieur de Lépinau : ce débat est profondément politique. L’écriture inclusive sert un projet politique, celui de l’égalité qui, je vous le rappelle, est inscrite au fronton de notre République. Vous cherchez à cacher votre projet rétrograde au nom de l’inclusion des personnes qui ont des difficultés à apprendre à lire. Promouvez plutôt une simplification massive de notre orthographe ! Voilà qui sera plus efficace.

Vous vous opposez à l’écriture inclusive parce que vous combattez l’égalité, parce que vous combattez la République. Vous entretenez, pour ce faire, une confusion entre égalité et uniformité. Votre combat contre l’écriture inclusive s’inscrit dans cette entreprise qui sert votre projet politique inégalitaire et antirépublicain.

L’égalité peut se conjuguer à la diversité. Contrairement à vous, nous défendons l’égalité et nous la promouvons, notamment à travers l’écriture inclusive. Plutôt que de polémiquer au sujet de votre tentative liberticide d’interdire ce qui vit et vivra, se développe et se développera, car c’est le sens de l’histoire, je vais faire une ode à l’écriture inclusive. Elle bouscule notre imaginaire collectif empreint depuis des siècles de domination masculine, qui s’impose à nous, malgré nous. Elle permet de diversifier nos représentations. Elle redonne du pouvoir à celles dont on nie une part d’existence depuis si longtemps. La langue est puissante lorsqu’elle permet à chacun et à chacune de se sentir exister à travers les mots. Le langage est le reflet des évolutions de notre société. Désormais, les femmes sont présentes partout. Les reconnaître par la langue est une aspiration à l’égalité. Vouloir figer la langue en dehors du réel langagier de notre époque et en dehors du champ social et politique relève soit d’une ignorance profonde, soit d’une visée réactionnaire. Notre langue française est belle lorsqu’elle est en mouvement, lorsqu’elle n’est plus figée et s’inscrit dans le sens du progrès, celui de l’égalité et du féminisme.

Défenseuses de l’écriture égalitaire, nous rendons un « femmage » à la langue française, en souhaitant participer à son développement dans tous nos espaces de vie, en réfléchissant à ses avancées techniques et à la façon dont elle évolue – que l’on peut d’ailleurs parfois remettre en question. Proposons des solutions ! L’analyse passionnée des linguistes est si précieuse et essentielle à nos débats. Puisons dans des termes oubliés du passé, puisqu’ils existent et que nous les utilisions jusqu’au XVIIe siècle. Notre matrimoine en regorge : autrice, médecine, archière, ferronne, mairesse, chevaleresse, chirurgienne, doctoresse et j’en passe.

Enrichir notre langue, la magnifier pour tendre vers l’égalité, voilà quelle devrait être notre aspiration collective. Nous nous réjouissons de voir tout un mouvement se la réapproprier, la repenser, la discuter. Observer la manière dont elle évolue dans le réel nous rend fières et heureuses. La langue appartient à toutes et à tous. Que vive notre langue, enrichie et renouvelée : sa vitalité est la puissance du mouvement féministe. Vive l’écriture égalitaire !

Nous voterons contre cette proposition de loi rétrograde.

Mme Martine Froger (LIOT). Notre groupe s’interroge sur les priorités du groupe RN en matière d’école et d’instruction, comme sur son souhait d’interdire l’écriture inclusive. De nombreux sujets méritaient pourtant l’attention des législateurs, si l’objectif affiché de garantir l’enseignement du français était réel. Les pistes d’amélioration de la politique scolaire ne manquent pas – le niveau des élèves, le recrutement des professeurs, la rémunération des enseignants et des personnels, l’inclusion des élèves en situation de handicap.

Notre groupe estime qu’il n’existe aucune justification sérieuse pour soutenir ce texte. Interdire l’écriture inclusive par le biais de la loi est inutile, les circulaires d’Édouard Philippe en 2017 et de Jean-Michel Blanquer en 2021 assurant déjà que le point médian ne peut être utilisé dans certains contextes et documents, notamment les documents officiels et dans l’enseignement scolaire.

De plus, le texte ne comporte aucune nuance et interdit aussi bien le point médian que les termes épicènes ou la double flexion, empêchant ainsi de faire figurer des expressions comme « toutes et tous », qui ne nuisent pourtant pas à la compréhension des phrases. Le rapporteur souhaite revoir la rédaction, mais la définition demeure large. Enfin, le texte comporte si peu de nuances que ses auteurs, aveugles aux enjeux d’égalité entre les hommes et les femmes, voient dans toutes les formes de l’écriture inclusive une atteinte à la langue française. Par ailleurs, le personnel des administrations et de l’enseignement scolaire et supérieur doit-il être instrumentalisé dans cette querelle qui repose sur une vision caricaturale de la langue et, plus largement, de la culture française ? Nous devons faire preuve de mesure.

En interdisant l’écriture inclusive dans le service public scolaire et dans celui de l’enseignement supérieur, dans les actes d’état civil, dans les actes administratifs et dans les contrats, le rapporteur souhaite protéger ces espaces d’une idéologie séparatiste et agressive. Cette vision disproportionnée et délétère, dans laquelle notre groupe ne se reconnaît pas, a pour unique but d’entretenir les peurs et les divisions au lieu de chercher à rassembler et à comprendre.

L’expression la plus contestée de l’écriture inclusive, le point médian, a fait l’objet de plusieurs circulaires qui en déconseillent ou en proscrivent l’usage. Était-il nécessaire d’aller plus loin ?

En outre, contrairement à ce que les auteurs du texte avancent, se questionner sur l’origine, la construction et les évolutions de la langue française ne signifie pas nécessairement remettre en cause cette dernière ou le contrat social. Cette proposition ne cherche qu’à interdire ce que les auteurs ne comprennent pas et ne cherchent pas à comprendre. Nous prônons une approche différente, plus nuancée et à l’écoute des évolutions de la langue et de la société.

Nous ne soutiendrons pas cette proposition de loi.

M. Hervé de Lépinau, rapporteur. On m’avait prévenu que ça allait secouer. Je ne suis pas déçu !

Madame Brugnera, vous n’avez de toute évidence pas lu mon rapport, qui montre qu’il est nécessaire de faire évoluer le texte initial de la proposition de loi. Cette évolution est le produit des auditions que j’ai menées, entre autres celle de Mme Éliane Viennot.

Plusieurs groupes font référence aux circulaires d’Édouard Philippe de 2017 et de Jean-Michel Blanquer de 2021. Je vous renvoie à la hiérarchie des normes. Une circulaire ne pèse pas grand-chose par rapport à un décret ou à une loi. Certains fonctionnaires ou agents investis d’une mission de service public s’assoient allègrement sur ces circulaires, la possibilité de les contraindre à les respecter étant limitée. Qui plus est, une circulaire émanant du Premier ministre n’est opposable qu’aux agents placés sous son autorité hiérarchique. Des pans entiers de l’administration ne sont donc pas concernés. L’observation vaut également pour la circulaire Blanquer. Le recours à la loi donnera une portée générale au texte d’Édouard Philippe, qui me paraît frappé au coin du bon sens, réglant ainsi le problème d’interprétation ou d’acceptation des termes de cette circulaire.

L’amendement de réécriture que je soutiendrai satisfait votre volonté de voir ce qu’a écrit très justement Édouard Philippe devenir la norme pour les actes administratifs. Je vous renvoie à l’ordonnance de Villers-Cotterêts, qui ne disait pas autre chose concernant l’utilisation du français. Une approche faussée de cette ordonnance prétendait qu’elle instituait le français comme langue officielle du royaume. En réalité, elle n’a pas mis un terme aux langues régionales. Elle ne concernait que les actes émanant de l’autorité royale, afin qu’ils soient compris partout et par tous. Ce rappel de la hiérarchie des normes est nécessaire pour dissiper quelques incompréhensions.

Vous avez également évoqué la liberté universitaire. Il n’est pas question de s’immiscer dans la liberté qu’ont les chercheurs-enseignants de présenter leurs travaux qui pourraient concerner l’évolution de la langue, en particulier celle dite inclusive. Le problème se pose lorsqu’une université utilise celle-ci dans la rédaction de ses actes, parmi lesquels les sujets d’examen. Un énoncé d’examen rédigé en écriture inclusive reflète un parti pris de l’équipe pédagogique, qui souhaite que la réponse le soit également. Celui qui ne le ferait pas prendrait donc le risque d’être sanctionné. Ce n’est pas une vue de l’esprit : des étudiants en droit ont été perturbés par un tel énoncé. Par l’écriture, on crée un traceur idéologique qui n’existait pas quand le français avait une vocation universelle. Une partie des étudiants français n’y sont pas favorables.

Par ailleurs, lorsqu’on est dyslexique un jour, on l’est généralement toujours – je sais de quoi je parle car je l’ai moi-même été. Les difficultés que rencontre une personne dyslexique à l’école ne disparaissent pas à l’université, qui nécessite en outre davantage d’agilité intellectuelle. Au lieu d’être inclusifs, vous serez éminemment exclusifs. Les travaux universitaires, indépendants, ne sont pas concernés par cette proposition de loi. En revanche, l’écriture est une norme qui doit être accessible. C’est la raison pour laquelle ce texte vise principalement les productions écrites de l’université, les notes réglementaires comme les copies d’examen.

Sous le premier mandat d’Emmanuel Macron, La République en marche, par l’intermédiaire de M. Jolivet, avait déposé une proposition de loi visant à interdire l’écriture inclusive dans les actes administratifs. Certains collègues appartenant aujourd’hui au groupe Renaissance avaient compris le danger que celle-ci faisait courir à l’universalité de la langue française, sinon ils n’auraient pas déposé un tel texte. J’en déduis que vous êtes dans la posture. J’ai lu les déclarations de Mme Borne et celle de votre président de groupe. Par dogmatisme, vous voterez contre tous les textes présentés dans le cadre de la niche du Rassemblement national. C’est votre droit le plus absolu mais ne placez pas cette décision doctrinaire et partisane sous le couvert d’une certaine humanité dans l’utilisation de la langue : personne ne sera dupe.

S’agissant de l’intervention de la France insoumise, monsieur Walter je vous remercie d’avoir lu avec précision le rapport. Il renvoie, par un effet miroir, à la thèse que vous soutenez : la langue peut devenir un vecteur de luttes sociales et de lutte pour l’égalité telle que vous la concevez dans votre prisme idéologique – ce que je respecte. Toutefois, sur le fond, votre première partie était hors sujet. Je conçois que vous n’aimiez pas le Rassemblement national – c’est votre droit – mais votre longue introduction a parlé de beaucoup de choses sauf de l’écriture inclusive.

L’hommage national rendu hier à Hélène Carrère d’Encausse montre que la défense de la langue française est une priorité. La République est faite de symboles, parmi lesquels la langue. Je suis passé par l’école publique et il me semble que les hussards de la République, ces passionnés de la langue française, ces pédagogues ayant le souci de transmettre ce trésor national, ne seraient pas les premiers partisans de l’écriture inclusive.

Vous avez voulu placer le féminin dans votre intervention en employant la formule « monsieur la rapporteure », donnant ainsi l’impression d’écrire un acte supplémentaire des Précieuses ridicules. Votre mode d’expression montre combien notre texte tape dans le mille. À vouloir tordre la langue, on en devient ridicule. Je vous remercie, toutefois, pour l’exercice que vous avez pratiqué.

Nous remercions les Républicains, auteurs de propositions similaires, de souscrire à notre texte : ils évitent ainsi le parjure et restent dans le droit fil de leur logique.

Pour répondre à l’intervention du groupe Démocrate, je vous renvoie à la hiérarchie des normes. L’intérêt de cette proposition de loi est d’inscrire dans le marbre de la loi les termes de la circulaire Philippe de 2017. L’avocat que je suis rappelle qu’un contentieux, administratif ou judiciaire, résulte souvent d’un texte insuffisamment précis. J’en veux pour preuve une décision rendue par le tribunal administratif de Grenoble au sujet d’une délibération rédigée par une université en écriture inclusive. À défaut d’un texte précis auquel se raccrocher, le tribunal s’est fondé sur des principes généraux, notamment l’intelligibilité de la norme. S’il avait existé un texte législatif clair, cette affaire ne serait pas venue au contentieux. Lorsque j’ai auditionné Mme la secrétaire générale du Gouvernement, par ailleurs magistrat au Conseil d’État, j’ai senti, dans ses observations, que si le Conseil d’État devait se saisir de cette difficulté, il serait ennuyé. De fait, il serait obligé de « légiférer » là où le législateur n’a pas voulu le faire. Je ne propose pas une révolution copernicienne mais d’assurer la stabilité de la norme, administrative ou judiciaire.

J’ai du mal à saisir le rapport entre le propos du groupe Socialistes et le contenu de la proposition de loi.

J’en arrive aux observations du groupe Horizons. J’évoquais le parjure, même si le terme est un peu fort. Nous proposons d’inscrire dans la loi l’excellente définition faite par un de vos membres – M. Jolivet – et par celui qui a été votre fer de lance politique, en la personne de notre ancien Premier ministre. Dès lors, je ne peux pas comprendre que vous ne votiez pas ce texte, sauf à vous inscrire dans une posture, ce qui est regrettable puisque vos interventions ont révélé que le fait de ne pas intervenir représenterait un danger pour la stabilité de la langue française. Aussi, je vous exhorte à réviser votre position. Nous avancerons en fermant définitivement la porte à l’écriture que je qualifierais d’exclusive. Ceux qui ont commis l’effort de lire le rapport savent que j’ai indiqué que les termes épicènes et la double flexion devaient être écartés de cette loi. Étant attaché à la liberté d’expression, je considère qu’il n’était pas nécessaire d’être aussi restrictif que l’auteur de la proposition de loi, même si je pense que c’est davantage une erreur de plume.

À vous entendre, on croirait qu’on a ressorti la hache de guerre d’une lutte sexiste qui n’existe pas ! Celui qui vous parle ne s’est jamais inscrit dans une approche patriarcale. J’ai des filles et une épouse ; celle-ci m’a entretenu alors qu’elle travaillait et que je terminais mes études. J’ai un respect absolu pour les femmes et je ne vois pas en quoi le point médian permettra d’améliorer la condition féminine. La richesse de la langue française est une caisse à outils suffisamment fournie pour vous permettre de mener vos combats. Ne sombrez donc pas dans le ridicule !

Quant aux écologistes, qui ont évoqué l’égalité, je les renvoie à la Révolution française : il ne me semble pas que celle-ci ait voulu tordre la langue pour faire avancer ses concepts. Les textes de l’époque montrent d’ailleurs que la Révolution était éminemment machiste. Il ne me semble pas que la langue française soit intrinsèquement inégalitaire. De plus, j’ai déposé un amendement visant à exclure de la proposition de loi les termes épicènes et la double flexion. Je ne peux pas être plus clair.

Pour répondre au groupe LIOT, je reviens à la hiérarchie des normes, en espérant que vous avez saisi l’intérêt de légiférer sur cette question.

Nous avons tous le souci de protéger les plus faibles ; c’est légitime. Quelques chiffres devraient ramener certains à la raison : 2,5 millions de personnes sont en situation d’illettrisme, soit 7 % des personnes âgées de 18 à 65 ans ayant été scolarisées en France. Ces chiffres, publiés sur le site de l’Éducation nationale, émanent de l’Insee. À l’entrée en sixième, 27 % des élèves n’ont pas le niveau attendu en français, à peine un élève sur deux sait lire un texte avec aisance et la dégradation de l’orthographe est devenue préoccupante. Les évaluations menées dans le cadre de la journée défense et citoyenneté montrent que 9,6 % des Français de 17 ans et plus sont en difficulté de lecture, dont 4,1 % sont en grande difficulté, 60 % sont des hommes et 50 % sont au chômage. Ces chiffres dramatiques devaient vous amener à considérer qu’il ne faut pas rendre encore plus compliqué l’apprentissage de la lecture et de l’écriture en créant une nouvelle façon d’écrire qui heurtera le bon sens. J’espère que nous aurons l’occasion de travailler ensemble sur des textes visant à lutter contre ce véritable fléau national.

Mme la présidente Isabelle Rauch. Nous en venons aux questions des autres députés.

Mme Cécile Rilhac (RE). Je vous remercie, monsieur le rapporteur, d’avoir déconstruit votre propre texte de loi en le réécrivant, montrant ainsi qu’il existait des incohérences. Ce texte est très bavard, comme vous l’êtes vous-même pour noyer le poisson. Vous parlez à la fois de grammaire française, en invoquant Simone de Beauvoir et nos académiciens, et de votre texte qui serait éminemment politique. Le choix que vous avez fait d’inscrire dans la liste de vos cosignataires d’abord vos collègues hommes et seulement après vos collègues femmes, répond-il à une volonté politique ?

Mme Annie Genevard (LR). Je déteste la tonalité de ces échanges. La question de l’écriture inclusive devrait nourrir un vrai et beau débat.

Le point médian est une horreur. L’Académie française a raison, quand elle parle de péril mortel – c’est le terme qui convient. Quant à la double flexion, même si elle a été retirée de votre texte, elle pose la question de la réécriture des œuvres pour obéir à sa systématisation. Des termes génériques ont pourtant donné lieu à des œuvres magnifiques, comme ces vers de François Villon dans Ballade des pendus, « Frères humains qui après nous vivez, n’ayez contre nous les cœurs endurcis ». Ce vers splendide parle à toute l’humanité, sans qu’on se pose la question du genre auquel il s’adresse.

Enfin, la féminisation des titres est certes importante. Mais quand elle donne lieu à des formes variables, la langue n’est plus le bien commun qu’elle doit être.

M. Hervé de Lépinau, rapporteur. Ma réponse sera brève, madame Rilhac, puisque vous considérez que j’ai trop parlé. Je ne suis pas responsable de l’impression des propositions de loi. Je n’en rejette pas la faute sur les services et je ne pense pas que cela traduise une intention maligne mais je vais me renseigner car je suis curieux de savoir pourquoi cela a été présenté ainsi. Quant à la longueur de mon propos, madame, c’est peut-être une seconde nature liée à ma profession. Dès lors que je suis la cible de nombreuses attaques, il me semble nécessaire de rééquilibrer le débat.

Madame Genevard, je comprends votre position classique, à laquelle je m’associe. Cependant, il ne me semble pas que la féminisation des titres et des fonctions participe nécessairement de l’écriture inclusive telle qu’elle est définie par ses idéologues. Nombre de femmes occupent désormais des métiers qui, jusqu’alors, ne l’étaient que par des hommes. Une majorité des avocats sont des femmes, et « avocate » est pratiquement entré dans le langage courant. Quand j’étais petit, j’appelais « maîtresse » mon maître femme. On avait naturellement féminisé le terme. Mais ce sera plus compliqué pour les sapeurs-pompiers. Dira-t-on « sapeuse-pompière » ? Qu’en sera-t-il pour les sages-femmes ou les conseillers des prud’hommes ? C’est à l’Académie française de fixer les garde-fous de la féminisation.

 

Article unique : Interdiction de l’écriture inclusive au sein du service public scolaire et du service public de l’enseignement supérieur, dans les actes d’état civil, les actes administratifs et les contrats

Amendements de suppression AC1 de M. Léo Walter, AC2 de Mme Sophie Taillé-Polian, AC3 de Mme Anne Brugnera et AC4 de M. Inaki Echaniz

Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Une fois de plus, le Rassemblement national se montre utile à la perpétuation du monde tel qu’il est. Vous auriez pu interdire les passoires thermiques ou les marges abusives. Avec vous, les propriétaires réactionnaires peuvent dormir sur leurs deux oreilles : vous vous contentez d’interdire l’écriture inclusive !

Pour masquer la vacuité du projet, vous avez essayé de « faire genre » – c’est le cas de le dire – en partant d’une définition linguistique de l’écriture inclusive. Pas de chance, elle montre précisément que l’intention d’inclure les femmes n’est pas réductible au point médian ! Une seule audition avec une linguiste aura suffi pour vous faire réécrire une loi aussi ignare qu’inutile. Une audition de plus et vous l’auriez peut-être abandonnée ! Vous auriez pu entendre les personnes concernées par les troubles de l’apprentissage, à qui vous prêtez un combat qui n’est pas le leur. Vous auriez dû alors leur expliquer pourquoi vous vous évanouissez à la moindre mention d’une simplification de l’orthographe.

Vous êtes les chantres d’une langue française figée fantasmée, ou plutôt évoluant au gré de vos fantasmes, le seul néologisme que vous acceptez étant l’anglicisme wokisme. Ne vous cachez pas derrière votre petit point médian ! Votre problème, monsieur le rapporteur, c’est l’émancipation des femmes. Votre inconscient vous trahit quand vous citez en exemple la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, alors qu’elle excluait les femmes et les citoyennes – un inconscient moins refoulé quand vous compariez le droit des femmes à disposer de leur corps à un génocide ! Avouez qu’à ce moment-là, le masculin l’emportait vraiment sur le féminin dans votre esprit !

M. Jean-Claude Raux (Écolo-NUPES). J’ai une confession à vous faire : je me suis converti. Amoureux de la langue française, j’étais un professeur habitué à manier une langue que je considérais comme sacrée, figée. J’étais un peu rigoriste sur les bords, figé moi aussi. J’avais oublié que de nouveaux mots entrent tous les ans dans le dictionnaire, dont beaucoup sont étrangers. J’avais oublié que la langue d’oïl du XIIe siècle n’était pas le moyen français du XIVe, que l’imparfait du subjonctif que j’adore chez Balzac n’est plus qu’une affectation marquée au XXIe, que le passé simple s’écrit mais ne se dit pas ou, pour faire un parallèle, que la grammaire anglaise que j’ai enseignée n’est plus celle que l’on m’avait apprise. Mais, vous l’entendez, je continue de respecter les liaisons et les accords du participe passé. À force de ne m’adresser qu’à une partie de la population, j’ai compris que j’étais sclérosé ou, pour reprendre vos termes, « contaminé » par l’extension du domaine de la lutte contre les stéréotypes de genre.

Le groupe Écologiste entend supprimer l’article unique de cette proposition de loi qui s’inscrit dans un projet réactionnaire, allant à contresens du projet de société inclusive et féministe fondé sur l’émancipation que nous défendons.

Mme Anne Brugnera (RE). M. le rapporteur nous dit qu’il écoute les personnes auditionnées. Or celles-ci ont montré qu’il n’y avait pas de problème particulier dans l’application des circulaires du Premier ministre et du ministre de l’Éducation nationale. Vous nous dites donc n’importe quoi !

Cette proposition de loi n’est pas faite pour défendre la langue française, corriger des excès, éviter certains modes de rédaction excluants, à l’inverse de ce que nous faisons depuis plusieurs années. Elle n’est qu’un leurre pour faire croire que le RN partage les mêmes combats que d’autres partis, alors qu’il véhicule une misogynie clairement affichée dans son exposé des motifs, lequel n’est pas modifié par votre amendement.

L’écriture inclusive et ses usages ont été clairement encadrés par les circulaires de 2017 et 2021. La féminisation de notre langue a été encouragée. Nous refusons l’emploi d’une graphie difficile à lire et donc excluante, et nous nous battons pour l’égalité entre les femmes et les hommes – combat qui passe, ne vous en déplaise, par le langage. Voilà ce qui nous différencie.

M. Inaki Echaniz (SOC). Hubertine Auclert écrivait, en 1899 : « L’omission du féminin dans le dictionnaire contribue, plus qu’on ne croit, à l’omission du féminin dans le code. […] L’émancipation par le langage ne doit pas être dédaignée. N’est-ce pas à force de prononcer certains mots qu’on finit par en accepter le sens qui tout d’abord heurtait ? […] En mettant au point la langue, on rectifie les usages dans le sens de l’égalité des deux sexes. La féminisation initiale est celle de la langue, car le féminin non distinctement établi sera toujours absorbé par le masculin. » Je fais mienne cette déclaration. La parité linguiste, la nomination au féminin et au masculin pour toutes les nominations humaines et la représentation effective des femmes dans le discours social sont des instruments essentiels dans la conquête d’une réelle égalité entre les femmes et les hommes. J’aime bien le terme de sapeuses-pompiers ! Nous condamnons le message politique envoyé par cette proposition, que nous souhaitons supprimer.

M. Hervé de Lépinau, rapporteur. Le point médian n’a rien à voir avec l’évolution des mots. Or la proposition de loi concerne principalement le point médian dans la rédaction. Je partage votre volonté de voir la langue évoluer et intégrer de nouveaux mots. Si mon amendement de réécriture est retenu, la question ne se posera plus.

Concernant l’opposabilité des circulaires, je n’ai visiblement pas été compris : une circulaire établie par le Premier ministre n’est opposable qu’aux agents du Premier ministre, tout comme la circulaire Blanquer n’est opposable qu’aux agents de l’Éducation nationale. Nous allons plus loin, en couvrant les actes d’état civil et les contrats de droit public. L’idée est de rendre universelle à l’administration l’interdiction de l’utilisation du point médian.

Une demande de scrutin public est formulée, puis retirée, par M. Maxime Minot.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article unique est supprimé et l’ensemble de la proposition de loi est rejeté.

En application de l’article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique se déroulera sur la base du texte initial de la proposition de loi.

 

*

*     *

En conséquence, la commission des Affaires culturelles et de l’éducation demande à l’Assemblée nationale de rejeter la proposition de loi portant interdiction de l’écriture dite « inclusive » dans les éditions, productions et publications scolaires et universitaires ainsi que dans les actes civils, administratifs et commerciaux (n° 777).

 


—  1  —

ANNEXE N° 1 :
Liste des personnes entendues par le rapporteur

(Par ordre chronologique)

 

     M. Xavier Darcos, chancelier de l’Institut de France

     Mme Éliane Viennot, professeure émérite de littérature française à l’Université Jean-Monnet-Saint-Etienne, historienne

     M. Louis le Foyer de Costil, avocat au barreau de Paris

     Audition commune :

 Ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse  direction générale de l’enseignement scolaire (Dgesco)  Mme Sandrine Bodin, sous-directrice de l’innovation, de la formation et des ressources

 Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche  direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (Dgesip)  Mme Anne-Sophie Barthez, directrice générale

     Mme Claire Landais, secrétaire générale du Gouvernement

 


—  1  —

   Annexe n° 2 :
textes susceptibles d’être abrogés ou modifiés à l’occasion de l’examen de la proposition de loi

Proposition de loi

Dispositions en vigueur modifiées

Article

Codes et lois

Numéro d’article

Unique

Loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française

2 bis (nouveau)

 

 


([1]) Éliane Viennot, Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! : petite histoire des résistances de la langue française, éditons IXe, 2014. 

([2]) En linguistique, la diachronie désigne l’étude de l’évolution dans le temps des faits linguistiques.

([3]) Mots-Clés se présente comme une « agence de communication éditoriale et d’influence ». Elle est très engagée dans la promotion de l’écriture inclusive.

([4]https://perditions-ideologiques.com/2023/01/30/lecriture-inclusive-a-lepreuve-de-la-linguistique-document-de-synthese-pour-tous-les-gens-de-bonne-foi/

([5]) Danièle Manesse, Gilles Siouffi (dir.), Le féminin et le masculin dans la langue : l’écriture inclusive en questions, Paris, ESF, 2019.

([6]) Danièle Manesse, « Les grands écarts de l’écriture inclusive. Entre l’amour de la langue et l’amour de moi, moi, moi », Cités, 2021/2 (n° 86), p. 71-86.

([7]) Rapport du 28 février 2019 relatif à la féminisation des noms de métiers et de fonctions.

([8]) C’est au masculin qu’Hélène Carrère d’Encausse a accordé sa fonction.

([9]) Contrairement à ce qu’affirment plusieurs médias, Mme Viennot n’est pas linguiste de formation, ce rappel ne visant naturellement pas à lui dénier toute légitimité pour s’exprimer sur la langue française, celle-ci appartenant à tous.

([10]Yana Grinshpun, « L’écriture inclusive : une réforme inutile », Travail, genre et sociétés, vol. 47, n° 1, 2022, p. 173-177.

([11]) Le HCE a été créé par le décret n° 2013-8 du 3 janvier 2013 portant création du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Son statut a été consacré par la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté. Aux termes de l’article 9-1 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, le HCE est chargé « d’animer le débat public sur les grandes orientations de la politique des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes ». Il a notamment pour mission de formuler des recommandations et de proposer des réformes au Premier ministre. Il remet chaque année, au Premier ministre et au ministre chargé des droits des femmes, un rapport sur l’état du sexisme en France.

([12]) Guide pour une communication publique sans stéréotypes de sexe, version actualisée 2022.

([13]) Circulaire MENB2114203C du 5 mai 2021 relative aux règles de féminisation dans les actes administratifs du ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports et les pratiques d’enseignement, Bulletin officiel de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports n° 18 du 6 mai 2021.

([14]) https://www.univ-lyon2.fr/medias/fichier/230514-ecritureinclusive_1684144412788-pdf

([15]https://www.lefigaro.fr/langue-francaise/actu-des-mots/sylvie-retailleau-sur-l-ecriture-inclusive-nous-ne-remettrons-jamais-en-cause-la-liberte-academique-20230525

([16]) George Orwell, 1984.

([17]) Décision n° 2206681/2-1 du 14 mars 2023.

([18]) Les requérants avaient invoqué l’article 2, alinéa premier, de la Constitution (« La langue de la République est le français »), ainsi que l’article 3 de la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française (« Toute inscription ou annonce apposée ou faite sur la voie publique, dans un lieu ouvert au public ou dans un moyen de transport en commun et destinée à l’information du public doit être formulée en langue française. »).

([19]) Piloté par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa) est la plus grande étude internationale auprès d’élèves dans le domaine de l’éducation. Elle compare les performances des élèves dans différents domaines. L’enquête Pisa de 2022 a réuni 85 pays participants (335 établissements Pisa en France, pour 8 000 élèves).

([20]https://www.academie-francaise.fr/actualites/declaration-de-lacademie-francaise-sur-lecriture-dite-inclusive

([21]https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/une-ecriture-excluante-qui-s-impose-par-la-propagande-32-linguistes-listent-les

([22]) Yana Grinshpun, « La "masculinisation" du français a-t-elle eu lieu ? », Texto !, vol. 26, n° 2-4, 2021.

([23]) La section « remerciements » dudit guide indique que la présidente du HCE, Mme Sylvie Pierre-Brossolette, a contribué à sa rédaction. Diplômée de l’Institut d’études politiques de Paris, Mme Pierre-Brossolette ne dispose pas d’une formation de linguiste. Mme Éliane Viennot et M. Raphaël Haddad, remerciés dans cette section pour leur « expertise », ne sont pas linguistes non plus.

([24]) Décision n° 2022-1016 QPC du 21 octobre 2022.

([25]) Commentaire de la décision n° 2022-1016 QPC du 21 octobre 2022.

([26]) Décision n° 94-345 DC du 29 juillet 1994, considérant 5.

([27]) Article premier de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française.

([28]) Décision n° 94-345 DC du 29 juillet 1994, considérant 11.

([29]) Dans l’article de vulgarisation scientifique mentionné par le rapporteur dans l’avant-propos.

([30]) « Le Premier ministre dirige l’action du Gouvernement. Il est responsable de la défense nationale. Il assure l’exécution des lois. Sous réserve des dispositions de l’article 13, il exerce le pouvoir réglementaire et nomme aux emplois civils et militaires. »

([31]) Conseil d’État, 28 février 2019, « Groupement d’information et de soutien sur les questions sexuelles et sexuées », n° 417128.

([32]) Le rapporteur invite le lecteur à prendre connaissance des éclairantes conclusions de la rapporteure publique, Mme Sophie Roussel.

([33]) Décision n° 94-345 DC du 29 juillet 1994, considérant 8.

([34]) Article L. 912-1-1 du code de l’éducation.

([35]) Décision n° 83-165 DC du 20 janvier 1984, considérant 20.

([36]) Décision n° 94-345 DC du 29 juillet 1994, considérant 22.

([37]) Ibid., considérant 23.

([38]Yana Grinshpun, « L’écriture inclusive : une réforme inutile », Travail, genre et sociétés, vol. 47, n° 1, 2022, p. 173-177.

([39]) Voir la décision du Conseil constitutionnel n° 86-217 DC du 18 septembre 1986, considérant 15.

([40]https://www.bfmtv.com/lyon/als-touz-un-sujet-d-examen-de-lyon-2-redige-en-ecriture-inclusive-suscite-une-vive-polemique_AN-202305140287.html

([41]https://perditions-ideologiques.com/2023/01/30/lecriture-inclusive-a-lepreuve-de-la-linguistique-document-de-synthese-pour-tous-les-gens-de-bonne-foi/

([42]) Article L. 2122-32 du code général des collectivités territoriales.

([43]) Décision n° 94-345 DC du 29 juillet 1994, considérant 10.

([44])  https://assnat.fr/8PFlKI