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N° 1837

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 novembre 2023.

 

 

 

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION, SUR LA PROPOSITION de loi, ADOPTÉE PAR LE SÉNAT APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE,

 

 

relative à la restitution des restes humains appartenant
aux collections publiques,

 

 

 

Par M. Christophe MARION,

 

 

Député.

 

——

 

 

 

Voir les numéros :

Sénat :  551, 715, 716 et T.A. 131 (20222023).

Assemblée nationale : 1347.

 


—  1  —

SOMMAIRE

___

Pages

avant-propos

I. un impÉratif Éthique pour les collections françaises

A. une réponse aujourd’hui encore insatisfaisante à La question de la restitution des restes humains

1. Des difficultés juridiques ajoutées au caractère particulier des biens réclamés

a. L’obstacle de l’inaliénabilité des collections publiques

b. La question de la dignité et les contours de la patrimonialité des restes humains

c. L’intérêt scientifique persistant des restes humains

2. Valoriser la coopération avec les États demandeurs

B. une nouvelle pierre à l’Édifice législatif des restitutions

1. Une proposition de loi nécessaire qui s’appuie sur un travail de longue date

a. Une proposition de loi préparée par un long travail d’étude ayant contribué à une évolution des positions en présence

b. Un dispositif proposant une dérogation administrative circonscrite à l’inaliénabilité

c. Des garanties de transparence et de scientificité indispensables

2. Un travail à poursuivre sur plusieurs sujets que ne règle pas la proposition de loi

a. Le sort des restes humains ultramarins

b. Le statut des restes humains dans le contexte de la recherche archéologique

c. La mobilisation indispensable de moyens budgétaires et humains suffisants

II. principaux apports du sénat

III. principaux apports de la commission

commentaire des articles

Article 1er Création d’une procédure administrative pour la restitution des restes humains appartenant à des collections publiques

Article 2  Demande de rapport au Gouvernement pour la création d’une procédure applicable aux Outre-mer

Travaux de la commission

ANNEXE  1 : Liste des personnes entendues par le rapporteur

Annexe  2 : textes susceptibles d’être abrogés ou modifiés à l’occasion de l’examen de la proposition de loi

 


 

 

 


—  1  —

   avant-propos

La question de la restitution des restes humains fait l’objet de réflexions depuis de nombreuses années, sans avoir jusqu’à présent trouvé de réponse pleinement satisfaisante. En bute au principe d’inaliénabilité des collections publiques et sans doute teinté d’un rapport encore difficile à notre propre histoire, l’enjeu de ces restitutions très particulières a ainsi souvent été traité par le biais de dispositifs d’espèce qui, s’ils permettent dans les faits de répondre à des exigences diplomatiques, constituent souvent des contournements de la loi et bien souvent, des pis-aller.

Le rapporteur partage le constat fait par l’ensemble des chercheurs auditionnés lors de ses travaux : bien que le dispositif proposé puisse encore être amélioré, et que sa correcte application sera conditionnée aux moyens mis à disposition des établissements et musées pour les recherches de provenance, la proposition de loi constitue un pas décisif dans la direction d’une gestion des collections publiques plus conforme à l’éthique. Il faut nous en féliciter, et mettre au crédit de la sénatrice Mme Catherine Morin-Desailly et du Gouvernement actuel d’avoir fait preuve d’une réelle volonté de franchir un cap sur cette question.

Le nombre des restes humains contenus dans les collections publiques demeure difficile à estimer : le Musée de l’homme, à lui seul, compte ainsi dans sa collection de restes humains modernes environ 1 000 squelettes, dont 360 articulés, et près de 18 000 crânes ([1]). La collection ostéologique constituée est encore le support d’études scientifiques dans de nombreux domaines : anthropologie, médecine, stomatologie dentaire, paléontologie humaine et génétique des populations. Ces restes humains ne sont donc pas des trophées ou seulement les vestiges des cabinets de curiosité d’antan, mais bien le support de recherches scientifiques actives et utiles pour les progrès dans notre compréhension de l’humanité.

Au sein de cette masse de restes patrimonialisés ([2]), une certaine proportion (que l’historien Michel Van Praët estime à 7 %) provient de pays étrangers et pourrait à ce titre faire l’objet de demandes de restitution. Il apparaît donc utile et bienvenu d’établir un cadre objectif posant les conditions de possibilité de leur restitution, afin que celle-ci puisse s’effectuer sur des bases scientifiques et ouvrir la voie à de nouvelles coopérations culturelles avec les États demandeurs.

La proposition de loi accomplit un progrès qui semblait difficilement atteignable il y a encore quelques années. Pour autant, elle invite également à poursuivre une réflexion indispensable sur d’autres chantiers.

Tout d’abord, il est d’une urgence absolue d’apporter une réponse aux demandes de restitution qui pourraient émaner des territoires ultramarins. Cette réponse doit s’inscrire dans le cadre indivisible de notre République et ne saurait, à ce titre, être traitée par une loi créant un nouveau mode de coopération avec des États étrangers. La question est désormais posée, et il reviendra au Gouvernement de proposer des solutions praticables dans l’année qui suivra l’adoption de la loi.

Ensuite, il nous faudra à terme repenser de façon plus globale le statut des restes humains dans le contexte historique et archéologique, afin de pouvoir offrir à ces « vestiges anthropobiologiques » un cadre juridique unifié et de proposer aux chercheurs un environnement législatif stable et sécurisé pour la manipulation des restes humains.

Enfin, la loi-cadre sur les restitutions de restes humains constitue le second volet d’un triptyque annoncé dès son arrivée par la ministre de la Culture Mme Rima Abdul-Malak. Cet ensemble ne saurait être complet sans une loi-cadre facilitant la restitution de biens culturels étrangers. Comme pour la restitution des restes humains, cette initiative législative nécessitera que nous portions un regard dépassionné sur notre passé, sans anathème rétrospectif, en évitant de succomber à l’anachronisme ou à l’ethnocentrisme, au profit d’une gestion plus éthique de nos collections.


I.   un impÉratif Éthique pour les collections françaises

A.   une réponse aujourd’hui encore insatisfaisante à La question de la restitution des restes humains

1.   Des difficultés juridiques ajoutées au caractère particulier des biens réclamés

a.   L’obstacle de l’inaliénabilité des collections publiques

Les biens culturels dont sont propriétaires les personnes publiques sont soumis au régime de la domanialité publique, qui leur confère une triple protection (inaliénabilité, imprescriptibilité, insaisissabilité).

Au titre de l’article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, « les biens des personnes publiques mentionnées à l’article L. 1 [du même code, soit l’État, les collectivités territoriales et leurs groupements, ainsi que les établissements publics], qui relèvent du domaine public, sont inaliénables et imprescriptibles ».

L’article L. 2311-1 du code général de la propriété des personnes publiques indique par ailleurs que « les biens de l’État, des collectivités territoriales et de leurs groupements, ainsi que des établissements publics [qui incluent donc les biens des musées de France relevant des personnes publiques] sont insaisissables ».

Les biens des collections publiques au sein des collections des musées de France appartenant à une personne publique voient cette protection encore renforcée par des articles spécifiques du code du patrimoine.

Ils sont en effet :

– inaliénables, en application de l’article L. 451-5 du code du patrimoine : comme l’indique le Conseil constitutionnel ([3]) « l’inaliénabilité […] a pour conséquence d’interdire de se défaire d’un bien du domaine public, de manière volontaire ou non, à titre onéreux ou gratuit » et s’oppose ainsi à ce que la propriété des œuvres des collections publiques, qui appartiennent au domaine public, puisse être transférée ;

– imprescriptibles, au titre de l’article L. 451-3 du code du patrimoine ([4]) : selon la décision précitée du Conseil constitutionnel, « l’imprescriptibilité fait obstacle […] à ce qu’une personne publique puisse être dépossédée d’un bien de son domaine public du seul fait de sa détention prolongée par un tiers ». Dans son commentaire, le Conseil constitutionnel précise : « l’imprescriptibilité des biens relevant du domaine public […] permet aux personnes publiques d’exercer de façon perpétuelle l’action en revendication de biens irrégulièrement aliénés [notamment par un vol]. D’autre part, l’imprescriptibilité interdit qu’une personne privée puisse se prévaloir de la possession prolongée d’un bien, soit pour en revendiquer la propriété, soit pour obtenir une indemnisation en cas de dépossession […]. »

Ainsi, en dépit des avancées intervenues dans le débat public sur la question des restitutions de restes humains, les possibilités juridiques de sortie des collections publiques de ces restes demeurent limitées. La procédure de déclassement administratif des biens du domaine public prévue par l’article L. 2141-1 du code général de la propriété des personnes publiques apparaît en effet difficilement applicable, dès lors que l’article prévoit qu’« un bien d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 ([5]), qui n’est plus affecté à un service public ou à l’usage direct du public, ne fait plus partie du domaine public à compter de l’intervention de l’acte administratif constatant son déclassement », mais que l’article L. 2112-1 du même code définit comme critère d’appartenance au champ du domaine public mobilier celui de « l’intérêt public du point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie, de la science ou de la technique ».

Pour pouvoir faire l’objet d’un déclassement administratif, le bien culturel devrait donc avoir perdu cet intérêt ([6]), ce qui n’est pas le cas pour les échantillons de restes humains, qui conservent indéniablement un intérêt scientifique pour la compréhension de l’histoire de l’humanité. Les restes humains conservés voient a priori leur valeur scientifique perdurer (de nouvelles modalités d’analyse étant toujours susceptibles d’être développées), et l’intérêt du public peut même être accru par l’exposition médiatique d’un cas particulier ([7]).

La seule procédure de restitution définitive des restes humains appartenant aux collections publiques (une manière de faire « respirer les collections » pour reprendre l’expression de Jacques Rigaud) se fonde donc sur une mesure d’ordre législatif. En effet, le principe d’inaliénabilité ne revêt pas une valeur constitutionnelle, ainsi que l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 86-217 DC du 18 septembre 1986. Dès lors, le législateur peut autoriser la sortie des collections publiques et le transfert de propriété de ces restes par une loi d’espèce.

 

Des lois d’espèce ont ainsi été adoptées à plusieurs reprises pour traiter au cas par cas des demandes de restitutions de restes humains adressées à la France par des États étrangers. Il s’agit de la loi n° 2002-203 du 6 mars 2002 relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman à l’Afrique du Sud et de la loi n° 2010-501 du 18 mai 2010 visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande.

b.   La question de la dignité et les contours de la patrimonialité des restes humains

Au problème de l’inaliénabilité des biens du domaine public, qui se pose dans tous les cas de projet de restitution de biens culturels appartenant aux collections publiques, vient s’ajouter le statut juridique particulier des restes humains. Ceux-ci constituent en effet un objet juridique à la croisée de plusieurs cadres normatifs, ce qui ne manque pas de créer un certain flou, comme ont pu le montrer les arguments juridiques invoqués durant le débat sur la restitution des têtes maories conservées en France.

Rendue possible par la loi du n° 2010-501 du 18 mai 2010 visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande et relative à la gestion des collections, cette initiative législative a été la première permettant la restitution d’une catégorie entière de documents archéologiques contenus dans les collections publiques, en autorisant une forme de « déclassement groupé ». Le premier article de la loi disposait en effet qu’à « compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi, les têtes maories conservées par des musées de France cessent de faire partie de leurs collections pour être remises à la Nouvelle-Zélande ». Il convient toutefois de rappeler que l’initiative de cette loi avait été prise en réponse à la censure par le tribunal administratif de Rouen de la décision de la commune de Rouen, qui, par une délibération du conseil municipal du 19 octobre 2007, avait décidé la restitution à la Nouvelle-Zélande de la tête maorie conservée en son musée.

Le conseil municipal faisait reposer sa décision sur l’idée que le corps humain ne pouvait faire l’objet d’une patrimonialisation (conformément à son interprétation de l’article 16-1 du code civil ([8]) tel que créé par première « loi bioéthique » ([9])), estimant au soutien de sa démarche « qu’en application de l’article 16-1 du code civil, des restes humains, dont le retour est réclamé pour être inhumés, ne peuvent en aucune manière être considérés comme susceptibles d’appropriation privée comme publique ». Cette impossibilité d’exercer une propriété sur des restes humains aurait fait échec à l’application des règles de domanialité publique, et le non-respect des règles du déclassement n’aurait pu être invoqué pour empêcher la restitution.

La ministre de la Culture de l’époque, Mme Christine Albanel, s’appuyant notamment sur l’absence de consultation de la commission scientifique prévue à l’article 11 de la loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France ([10]), a rapidement déféré la décision du conseil municipal rouennais au tribunal administratif de Rouen afin que ne soit pas créé un précédent d’entorse à l’inaliénabilité des collections publiques.

Le juge n’a pas suivi l’argument de la municipalité de Rouen et a considéré que l’article 16-1 du code civil n’a « ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à l’exercice d’un régime de domanialité publique sur un reste humain » en application des dispositions du code du patrimoine. Autrement dit, l’article 16-1 du code civil, qui exclut la patrimonialité du corps humain, ne fait pas obstacle à l’application à un vestige humain figurant dans une collection d’un musée national de l’article L. 451-5 du code du patrimoine, qui dispose que les biens constituant les collections des musées de France font partie du domaine public et sont inaliénables, sauf procédure de déclassement ([11]). La juridiction administrative a donc, par son jugement du 27 décembre 2007, annulé la décision de la municipalité de Rouen de restituer la tête maorie, rendant indispensable une loi ad hoc pour la sortie du domaine public des têtes maories.

Comme le confirme Mme Marie Cornu, juriste spécialiste des biens culturels et directrice de recherche au CNRS ([12]), « La prohibition de tout droit patrimonial introduite dans le code civil par les lois dites de bioéthique en 1994 avait simplement pour objet d’interdire tout commerce lucratif […] Il s’agissait là d’instituer une forme d’extracommercialité du corps humain, non d’en déclarer l’extrapatrimonialité. » Les restes humains peuvent donc faire l’objet d’une propriété, mais non d’un commerce, les établissements publics les possédant ne peuvent ainsi ni les vendre, ni en acquérir de nouveaux : la plupart des restes humains des collections publiques y sont d’ailleurs entrés par dons et legs.

La reconnaissance de la nature particulière de ces biens est confirmée par la présente proposition de loi, qui vise à en organiser le retour dans les communautés de provenance dans le but de mieux respecter la dignité attachée aux restes humains. Il s’agit également de reconnaître pleinement la valeur culturelle et cultuelle que leur accordent les descendants réclamant le retour des restes humains : comme le mentionnait l’historienne Mme Klara Boyer-Rossol lors de son audition, l’absence des restes ancestraux constitue dans certaines communautés malgaches une réelle blessure identitaire, et la privation de certains crânes royaux entraîne l’impossibilité de constituer des reliques essentielles à l’accomplissement de rites indispensables au maintien des traditions. Or, loin de n’être qu’une rémanence passéiste, ces traditions contribuent souvent à maintenir une cohésion dans les communautés concernées et à créer un pont entre les générations.

Lors des débats parlementaires menés à l’occasion de l’examen de la loi rendant possible la sortie du domaine public des têtes maories, le gouvernement a précisé ne pas s’opposer par principe à leur retour dans leur territoire d’origine, mais vouloir asseoir ce retour sur des bases légales solides, sans mettre en cause de façon inadaptée l’inaliénabilité.

c.   L’intérêt scientifique persistant des restes humains

Dès 2010, le Comité consultatif national d’éthique soulignait déjà, sans la résoudre, la tension posée par la problématique des restitutions de restes humains : « L’argument historique – la nécessité de préserver des traces et des vestiges d’un passé révolu – vaut d’être mis en balance avec d’autres valeurs telles que le respect de chaque civilisation et l’amitié entre les peuples. Rejeter une pratique ne doit pas nécessairement conduire à détruire les témoignages passés de son existence. Il est au contraire essentiel de se souvenir de ce qui a eu lieu dans les siècles antérieurs. Pour autant, la conservation de vestiges humains ne saurait constituer un but en soi, a fortiori lorsqu’elle blesse l’identité des peuples dont ils sont issus. C’est donc aussi dans l’horizon d’un travail de mémoire entre tous les peuples qu’elle doit être envisagée. » ([13])

Il est intéressant de constater que l’équilibre entre le nécessaire respect de la dignité de la personne humaine et l’intérêt scientifique de la conservation de restes humains demeure, près de quinze ans après la restitution des têtes maories, l’un des enjeux principaux de cette question, comme l’ont relevé plusieurs interlocuteurs entendus lors des auditions. L’un des motifs rendant a priori impossible le déclassement des restes humains est la persistance de leur intérêt scientifique en tant que témoignage de l’histoire de l’humanité.

Concilier intérêt scientifique et respect de la dignité humaine :
les moulages de la collection de Froberville

Le château de Blois abrite dans ses réserves un ensemble de 49 bustes ethnographiques, issus de l’enquête ethnologique conduite aux îles Maurice et Bourbon entre 1845 et 1847 par Eugène de Froberville. Intellectuel français proche de la Société anthropologique de Paris, ethnographe, linguiste, spécialiste de Madagascar, Froberville a réalisé de nombreux entretiens avec 300 ex-captifs africains en 1846, recueillant de nombreuses données culturelles et anthropologiques.

Après l’acquisition de 62 bustes réalisés par moulage sur les personnes interrogées par de Froberville par le Muséum d’Histoire Naturelle de Blois en 1935, lors de la mise en vente du domaine familial, les bustes vont finalement être transférés au château de Blois en 1940 pour mise à l’abri durant la seconde guerre mondiale. Ils ont été conservés dans ses réserves et il n’en reste aujourd’hui que 49, représentant 45 individus.

L’intérêt scientifique de ces bustes, qui ne sont pas à proprement parler des restes humains mais peuvent contenir des traces humaines (cheveux, résidus d’ADN transférés lors des moulages, voire restes de peau des modèles), n’apparaît pas avoir disparu aujourd’hui. En effet, ils présentent à la fois un intérêt épistémologique, en nous renseignant sur les méthodes ethnographiques du XIXe siècle, et constituent une représentation anatomique toujours susceptible d’étude.

La présentation de ces moulages n’apparaît pas incompatible avec le respect de la dignité humaine, dès lors que la médiation opérée contribue à réhumaniser la représentation de ces personnes, souvent réduites à l’état de biens mobiliers par l’esclavage dont elles étaient victimes.

Le projet d’exposition conduit en partenariat entre le château de Blois et le Musée intercontinental de l’esclavage de Port-Louis (Île Maurice), en présentant les bustes aux cotés des archives privées d’Eugène de Froberville (carnets, dessins) et de récits retranscrits à écouter, de musiques et de chant recomposés à partir des témoignages recueillis par l’anthropologue du XIXe siècle, permet d’opérer cette conciliation nécessaire entre intérêt scientifique et respect de la dignité humaine.

Le commissariat scientifique de l’exposition, qui se tiendra à Blois à partir de septembre 2024, devrait être assuré par Mme Klara Boyel-Rossol. Il s’appuiera sur un travail mené depuis plusieurs années par l’historienne, spécialiste de l’Afrique, et qui a permis d’identifier la quasi-totalité des personnes représentées par les bustes de la collection de Froberville. 

Aujourd’hui encore, cet intérêt scientifique peut expliquer certaines réticences à procéder à des restitutions, dès lors que celles-ci mettent en cause de potentielles recherches scientifiques, qui auraient été rendues possibles par de futurs développements des techniques. Toutefois, le travail qui sera effectué conjointement avec les États demandeurs, en amont des restitutions, pourrait permettre de garder une trace matérielle ou numérique des restes humains en vue de la poursuite des recherches scientifiques. La constitution de relevés numérique en trois dimensions, ou d’infimes prélèvements réalisés en vue de l’identification – sous réserve de l’autorisation des groupes humains demandeurs – pourraient mener à la constitution d’un matériau de recherche de substitution à l’intégralité des restes humains qui seront rendus aux communautés de provenance.

2.   Valoriser la coopération avec les États demandeurs

La proposition de loi adoptée par le Sénat introduit un cadre objectif organisant les possibilités de restitutions des restes humains sur des bases objectives et scientifiques, dans le cadre d’un travail de collaboration entre États. Cette démarche d’objectivisation de la procédure devrait permettre d’éviter les contournements du droit des prêts et dépôts constituant des restitutions déguisées, d’accroître la transparence et de poser les bases, dans le respect des pratiques culturelles des pays demandeurs, d’une coopération scientifique pérenne. Il est à l’inverse regrettable que la demande de restitution des crânes algériens ait donné lieu à un prêt temporaire, presque immédiatement suivi de l’inhumation de ces crânes après leur arrivée à Alger. Il y a eu là une occasion manquée d’approfondir le travail de collaboration universitaire initié par le comité scientifique constitué en amont du prêt (dont le rapport n’a jamais été rendu public) et d’entreprendre ensuite un véritable travail de mémoire commun aux deux pays.

La procédure que conduirait à instaurer la proposition de loi permettrait de disposer d’un cadre clarifié en direction des pays demandeurs, et d’assurer la transparence indispensable au travail scientifique qui devra être mené pour l’identification de la provenance des restes humains réclamés. À cet égard, on ne peut que saluer l’ajout réalisé en commission au Sénat, qui rend obligatoire l’achèvement et la transmission du rapport du comité scientifique avant que l’autorité politique puisse prononcer la décision de restitution. Afin d’accroître encore la transparence de la procédure de restitution, le rapporteur soutiendra un amendement rendant public le rapport scientifique produit par la commission conjointe, sous réserve de l’accord des deux États.

B.   une nouvelle pierre à l’Édifice législatif des restitutions

1.   Une proposition de loi nécessaire qui s’appuie sur un travail de longue date

a.   Une proposition de loi préparée par un long travail d’étude ayant contribué à une évolution des positions en présence

Le rapporteur souhaite tout d’abord mentionner que l’ensemble des scientifiques (historiens, archéologues et conservateurs) auditionnés ont insisté sur l’évolution intervenue dans le débat public et au sein même de leur discipline sur la question de la restitution des restes humains. Longtemps restée, au mieux un impensé, mais le plus souvent l’objet de grandes réticences, la question de la restitution des restes humains a fini par s’imposer comme l’un des corollaires incontournables d’un dialogue plus poussé et plus respectueux entre les cultures. Il est désormais communément admis que les exigences scientifiques de la recherche doivent pleinement intégrer cet impératif éthique comme un prérequis à leur travail.

 

Depuis la loi du 18 mai 2010 relative à la restitution des têtes maories, la réflexion sur la restitution des restes humains a considérablement progressé dans la communauté historienne, notamment grâce au travail amorcé dans le cadre de la Commission scientifique nationale des collections et poursuivi par le groupe de travail pluridisciplinaire mis en place conjointement par le ministère de la Culture et le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche. Ce groupe pluridisciplinaire, animé par M. Michel Van Praët, a donné lieu à la publication en 2019 d’un vademecum ([14]) pour la gestion des restes humains dans les collections publiques qui a influencé la position des responsables de collections, sans toutefois immédiatement impulser une transformation profonde dans les politiques publiques.

À la suite de ce travail scientifique, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat a consacré une mission d’information au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques aux pays d’origine en 2020 ([15]), dont les rapporteurs étaient les sénateurs MM. Max Brisson et Pierre Ouzoulias, Une partie des quinze recommandations du rapport de cette mission portaient sur la question des restes humains, et ont fait l’objet d’une première proposition de loi présentée par Mme Catherine Morin-Desailly et MM. Max Brisson, Pierre Ouzoulias. Cette proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques a été adoptée à la chambre haute le 10 janvier 2022, mais n’a pas été inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. La nouvelle proposition de loi présentée par Mme Morin-Desailly se concentre sur la question des restitutions des restes humains et a été adoptée unanimement au Sénat le 13 juin 2023.

Lors des auditions, de nombreux historiens interrogés par le rapporteur ont souligné le caractère positif de l’évolution des positions sur la question de la restitution des restes humains. Le professeur Michel Van Praët a ainsi confirmé au rapporteur que « le texte adopté par le Sénat répond positivement à une demande, que ce soit des professionnels du patrimoine en vue d’une gestion éthique des collections et de tierces parties souhaitant la remise d’un ou plusieurs restes humains présents dans des établissements publics, du fait d’une atteinte aux principes de dignité humaine ».

Le président de l’Institut national de recherche en archéologie préventive (Inrap), M. Dominique Garcia, a souligné le fait que de tels débats ne se posaient pas lors de la formation de nombreux responsables actuels d’établissements culturels, et qu’ils apparaissaient bienvenus.

Parmi les éléments appréciables soulignés par M. Michel Van Praët lors de son audition figure la mention à l’alinéa 9 indiquant que, « par dérogation à l’article L. 451-7 », la proposition de loi a vocation à s’appliquer aux collections des musées de France acquises « par dons et legs ». Selon l’historien, le texte permet ainsi de surmonter un obstacle majeur issu de la loi sur les musées de France de 2002, qui avait précisé à l’article L. 451-7 du code du patrimoine que l’inaliénabilité des collections publiques s’étendait aux objets acquis par dons et legs. Beaucoup de restes humains étant entrés par cette voie dans les collections publiques, cette précision rendait depuis lors nécessaires des procédures déclassement pour les en faire sortir. M. Van Praët note ainsi que « l’adoption du texte permettra d’éviter qu’au fil des cas, les critères soient divers. Il permettra ainsi une gestion claire des restes humains par les professionnels et évitera de surcharger par la discussion de lois de circonstance le travail des élus de la Nation. »

b.   Un dispositif proposant une dérogation administrative circonscrite à l’inaliénabilité

Le dispositif de la proposition de loi revient à conditionner l’autorisation de sortie des collections publiques, prononcée par le Premier ministre par un décret pris en Conseil d’État, à un certain nombre de critères concernant la demande, et à un travail scientifique préalable d’identification des restes humains concernés.

La demande de restitution doit avoir été introduite par un État, agissant le cas échéant au nom d’un groupe humain présent sur son territoire. La restitution doit avoir des fins funéraires, ce que l’on pourra entendre de la façon la plus large. Il ne s’agit pas, en effet, de restituer les restes humains uniquement en vue d’une inhumation ou d’une crémation, mais de permettre un retour de ces vestiges au sein des communautés dont ils sont originaires afin que puissent leur être rendus les hommages et cultes propres aux usages et coutumes de ces groupes.

Ces pratiques peuvent donc comprendre un ensevelissement, mais pas nécessairement : certaines pratiques cultuelles de groupes humains demandant des restitutions conduisent à utiliser ces restes humains périodiquement, lors de cérémonies qui s’inscrivent dans la commémoration des liens entre les vivants et les morts. L’exemple cité par l’historienne Mme Klara Boyer-Rossol du « Bain des reliques » par la communauté sakalava vivant sur la côte ouest de Madagascar implique ainsi une exposition publique à échéances régulières des restes humains lors de cérémonies festives. Comme l’explique l’anthropologue Thomas Mouzard, le fitampoha (cérémonie religieuse durant laquelle a lieu le Bain des reliques) « est aussi un grand rassemblement et une grande fête de célébration avec ses chants, ses danses, sa musique, ses jeux, ses rires et ses transes, ses dons de toutes sortes » ([16]).

 

Si l’objectif de la proposition de loi est de permettre les restitutions de restes humains au nom du respect de la dignité humaine, il faut aussi, par respect pour les cultures d’origine des groupes de provenance de ces restes, accepter d’entendre ces fins funéraires de façon suffisamment larges pour qu’elles intègrent des pratiques qui apparaissent absolument étrangères aux cultures occidentales. Afin de garantir toute la latitude nécessaire aux États demandeurs dans l’usage respectueux de la dignité humaine qui sera fait des restes humains restitués, le rapporteur proposera d’ajouter à cette finalité funéraire l’idée que la restitution puisse également intervenir à des fins mémorielles.

c.   Des garanties de transparence et de scientificité indispensables

La proposition de loi prévoit un travail scientifique conjoint entre des chercheurs représentant à la fois les institutions de conservation françaises et l’État demandeur de la restitution. Il est important que les comités scientifiques visant à élucider la provenance des restes humains réclamés puissent être constitués de façon concertée et mener un travail conjoint, sur la base de méthodes et de principes librement établis par les deux parties et respectant en tout point la déontologie de la recherche scientifique.

Ce travail conjoint devra mener à la rédaction d’un rapport retraçant les travaux conduits et établissant la liste des restes humains dont l’origine a pu être établie. C’est ce travail qui sera la base de la saisine ministérielle pour la décision en Conseil d’État. Le rapporteur estime que ces travaux scientifiques doivent pouvoir être rendus publics, quel que soit le sens de la décision politique qui en découlera.

2.   Un travail à poursuivre sur plusieurs sujets que ne règle pas la proposition de loi

a.   Le sort des restes humains ultramarins

L’examen de la proposition de loi au Sénat a fait apparaître la nécessité urgente de disposer d’un dispositif adapté permettant de prendre en compte certaines revendications de restitutions de restes humains provenant des territoires ultramarins et ne pouvant être satisfaites par le dispositif de la proposition de loi, qui ne concerne que les demandes provenant d’États étrangers. C’est pourquoi un second article a été ajouté à la proposition de loi au Sénat lors du passage en commission de la culture, de l’éducation et de la communication.

Le rapport désormais prévu à l’article 2 dispose que le Gouvernement remettra, dans l’année de la promulgation de la loi sur la restitution des restes humains, un rapport présentant des solutions possibles pour mettre en place les procédures nécessaires. En effet, là où l’État étranger joue le rôle d’autorité écran entre la France et le groupe humain demandeur de la restitution, il apparaît délicat d’identifier à ce stade, dans le cadre national, quelles seront les autorités ou personnes légitimes à soumettre une telle demande. Même dans le cas de restes humains parfaitement identifiés et dont les descendants seraient connus, il convient d’établir des procédures déterminant le degré de parenté au-delà duquel les demandes des restitutions seraient jugées irrecevables, ainsi que les voies permettant d’éviter toute contestation ou de les régler au cas où, par exemple, les descendants seraient en désaccord sur le sort à réserver aux restes concernés ([17]).

Par ailleurs, la constitution de monuments mémoriaux publics garantissant aux groupes humains de provenance des restes humains un accès à ceux-ci pour procéder à certaines cérémonies pourrait peut-être, du moins dans certains cas, constituer une solution adéquate ne nécessitant pas de restitution ou de transfert de propriété (voir infra). Afin d’apporter une solution pérenne et adaptée aux différents cas de figure qui pourraient exister outre-mer, le rapporteur n’estime pas injustifié de prendre le temps d’une réflexion plus approfondie en concertation avec les communautés concernées. En revanche, il estime nécessaire que le rapport prévu à l’article 2 de la proposition de loi puisse déterminer les moyens budgétaires et humains qui devront être engagés pour l’effort de restitutions des restes humains ultramarins.

b.   Le statut des restes humains dans le contexte de la recherche archéologique

Les auditions menées par le rapporteur ont permis aux chercheurs interrogés (historiens et archéologues) de soulever la complexité des rapports entre les divers statuts juridiques des restes humains et les difficultés qui peuvent en découler pour la recherche archéologique.

Aujourd’hui, les restes humains trouvés lors des fouilles sont considérés comme des « vestiges anthropobiologiques », appartenant en tant que traces de l’humanité au patrimoine archéologique tel que défini dans l’article L510-1 du code du patrimoine ([18]). La définition plus précise de ces vestiges est récente et donnée par le III de l’article 1er de l’arrêté du 7 février 2022 portant définition des données scientifiques de l’archéologie et de leurs conditions de bonne conservation : « Les vestiges anthropobiologiques sont des restes humains mis au jour lors d’une opération archéologique prescrite ou autorisée par l’État, ou encore découverts fortuitement, et ayant fait l’objet d’une déclaration au service régional de l’archéologie ou au département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines dans le cadre de l’application du livre V du code du patrimoine. Ils sont composés d’ossements humains isolés ou en connexion issus de structures funéraires, de couches sédimentaires, de remblais et ce, quel que soit le traitement funéraire rencontré ou le traitement des restes osseux ; de tissus éventuellement momifiés, ainsi que les phanères résiduels et les calcifications. Sont aussi considérés comme des vestiges anthropobiologiques, les prélèvements réalisés sur les restes osseux, les ʺvestiges para-ostéologiquesʺ, éléments prélevés obligatoirement en même temps que les ossements, ainsi que les prélèvements de sédiment réalisés autour des ossements. »

Il convient de souligner que cette définition n’est pas reprise par la proposition de loi, qui introduit la notion de restes humains sans en donner une définition très précise ([19]), ce qui devrait laisser une certaine marge de manœuvre aux comités scientifiques paritaires binationaux dans la qualification des vestiges étudiés dans le cadre des demandes de restitution.

Comme éléments du patrimoine archéologique, les vestiges anthropobiologiques font l’objet de recherches et d’un classement dans les collections publiques conduisant à leur patrimonialisation. Depuis la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine (dite loi « LCAP »), tout mobilier archéologique mis au jour appartient en effet à l’État. Ce statut doit être concilié avec les exigences de l’article 16-1-1 du code civil, qui dispose depuis la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire que « le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort ». Selon l’alinéa 2 du même article « les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence ».

Comme souligné supra, l’article 16-1 du code civil définit par ailleurs strictement l’étendue de la patrimonialisation possible de ces vestiges humains, qui ne peuvent faire l’objet d’une appropriation privée. Enfin, comme le souligne l’archéologue Anne Lehoërff : les archéologues « relèvent également du droit funéraire (code général des collectivités territoriales) pour tous les aspects de manipulation et de transport [des restes humains], très réglementés. Les contradictions des textes rendent donc délicate la pratique archéologique : dans une application stricte du droit français, ce sont les pompes funèbres qui sont habilitées à intervenir sur les défunts, dans le respect du code civil, mais seuls les archéologues sont autorisés à pratiquer des fouilles archéologiques sur des sites où se trouvent, éventuellement, ces restes. Sans compter des situations plurielles, tel un reliquaire qui peut réunir des restes anthropobiologiques et un vestige mobilier et relève donc de deux législations différentes… » ([20])

Dans le cadre d’un chantier archéologique, les chercheurs disposent de deux ans pour remettre leur rapport de fouilles : les vestiges peuvent durant cette période être stockés sans réelle séparation entre les différentes catégories du mobilier archéologique. À l’issue de ces deux ans, les restes anthropobiologiques sont conservés à part, « dans le meilleur des cas dans une ostéothèque », comme l’indiquait au rapporteur le président de l’Inrap, M. Dominique Garcia. En cas d’identification certaine de restes humains, une fois le travail scientifique opéré, la famille de la personne identifiée est contactée afin de pouvoir disposer de la dépouille. Elle peut alors choisir de l’inhumer à nouveau, comme ce fut le cas pour la famille bretonne de la « dame de Quengo ([21]) ». La plupart des restes humains aujourd’hui conservés dans les établissements publics relèvent toutefois de la domanialité publique, ce qui empêche leur restitution aux familles, même s’ils étaient identifiés de façon certaine, à défaut d’un déclassement.

On notera que certains restes humains présents dans les collections publiques le sont à titre de dépôt pour d’autres institutions : dès lors que celles-ci sont des organismes privés, la restitution pourra être opérée sans nécessité d’une procédure législative, comme ce fut le cas pour les crânes d’Ataï, chef d’un grand clan kanak et de son guérisseur, dit le « Méche », tous deux tués lors de l’insurrection de 1878 menée par les indigènes kanaks contre la colonisation française. Propriétés privées de la Société anthropologique de Paris, conservés dans un dépôt du Musée de l’homme après plusieurs déplacements, les crânes ont pu être restitués en 2014 au clan Kawa sans déclassement préalable. Preuve du caractère très sensible des restitutions de restes humains dans des contextes mémoriels souvent complexes, leur inhumation n’a pu intervenir que sept ans plus tard, en 2021.

Au regard des questions éthiques soulevées et de l’attention grandissante portée au respect de la dignité humaine, une clarification du statut juridique des vestiges anthropobiologiques apparaît souhaitable au rapporteur afin de prévenir les difficultés potentielles que pourraient occasionner les découvertes, qui s’avèrent de plus en plus nombreuses, de vestiges humains. Le président de l’Inrap a en effet insisté lors de son audition sur la multiplication des chantiers de fouilles aux abords de monuments (églises, couvents, hospices…) dont la destination première permet d’anticiper la découverte de sépultures plus ou moins anciennes dans leur vicinité. Or, à défaut d’un statut unifié des restes humains dans un contexte archéologique, des oppositions de nature morale ou religieuse peuvent parfois venir mettre en cause le déroulement des travaux scientifiques, comme en ont témoigné les archéologues auditionnés lors des travaux du rapporteur.

Le détour par la recherche archéologique et les interrogations sur la pertinence d’un statut unifié des restes humains dès leur « découverte » ne conduit pas, selon le rapporteur, à sortir du sujet de leur restitution. Outre qu’elle permettrait de prévenir certaines difficultés déjà constatées lors de chantiers de fouilles, la définition d’un statut unifié des restes humains pourrait en effet contribuer également à clarifier, pour le futur, les procédures d’accès aux vestiges humains présents dans les collections publiques patrimoniales, procédures qui sont beaucoup moins encadrées (et donc aussi, plus aléatoires pour la recherche historique) que les procédures d’accès aux corps humains relevant du champ médical. Une réflexion approfondie sur ce sujet semble d’autant plus pertinente qu’il pourrait être opportun de développer les possibilités d’accès aux restes humains pour des motifs autres que scientifiques (notamment pour permettre l’accomplissement de cérémonies).

c.   La mobilisation indispensable de moyens budgétaires et humains suffisants

Plusieurs demandes de restitution de restes humains ont actuellement été portées à la connaissance des autorités françaises, le travail de coopération ayant parfois déjà débuté avec les pays concernés.

Il s’agit notamment :

– de l’Australie : un travail scientifique conjoint a débuté en mai 2023 sur une cinquantaine d’éléments, principalement au Musée national d’histoire naturelle. Un recensement est actuellement opéré pour d’autres items présumés d’origine australienne qui pourraient être conservés dans des musées de France territoriaux et dans des universités. L’ambassadrice de l’Australie à Paris, Son Excellence Madame Gillian Bird, a confirmé au rapporteur l’importance des restitutions des restes humains pour les politiques mémorielles menées par l’Australie envers les Aborigènes et les différents peuples autochtones et sa confiance dans la qualité du processus entrepris avec la France ;

– de Madagascar : trois crânes sakalavas sont réclamés, qui seraient conservés au Muséum national d’histoire naturelle, dont peut-être celui du roi Toera. Un comité bilatéral est en cours de constitution et pourrait être prochainement installé. Sur ce sujet, l’historienne Klara Boyer-Rossol a précisé lors de son audition qu’en cas de retour dans l’Ouest malgache, le crâne du roi Toera pourrait être utilisé pour constituer une relique et compléter ainsi une série dont il est la seule pièce manquante. Or, ces reliques sont régulièrement utilisées pour des cérémonies de cultes dynastiques qui dépassent le cadre d’un simple hommage funéraire : cet exemple justifie selon le rapporteur, d’élargir quelque peu la notion de « fins funéraires » conditionnant les restitutions pour y adjoindre ;

– de l’Argentine : trois éléments de restes humains sont réclamés, dont un seul à ce jour apparaît identifié sans ambiguïté et pourrait constituer l’un des premiers dossiers traités dans le cadre de la loi si elle venait à être adoptée. Les recherches sont en cours pour les deux autres éléments.

Les travaux d’identification de la provenance des restes humains réclamés nécessiteront de réels moyens pour être menés à bien, comme l’ont rappelé unanimement les historiens et conservateurs auditionnés par le rapporteur. Mme Christine Lefèvre, directrice générale adjointe déléguée aux collections et directrice des collections naturalistes du Muséum national d’histoire naturelle a ainsi pu indiquer au rapporteur dans sa réponse écrite que « les moyens sont très insuffisants compte tenu de l’ampleur du besoin en personnel et analyses nécessaires à la recherche de provenance ». En outre, « le Muséum ne relève pas du ministère de la Culture mais du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, et le renforcement des moyens annoncé pour le budget de la culture ne bénéficiera pas forcément au Muséum ». Or, toujours selon Mme Lefèvre, « si des moyens conséquents ne sont pas fléchés sur la recherche de provenance des restes humains, le Muséum ne pourra pas répondre correctement aux demandes de restitutions attendues, et le travail scientifique des comités paritaires ne pourra être mené à bien. »

II.   principaux apports du sénat

L’examen de la proposition de loi au Sénat en commission a abouti à l’adoption d’un premier amendement de la rapporteure ([22]), visant à sécuriser davantage l’instruction scientifique des demandes de restitution. Il a pour objet d’empêcher que la sortie de restes humains des collections ne puisse être décidée avant que le comité scientifique mixte ait formellement rendu son rapport au Gouvernement et à l’État demandeur. L’amendement adopté conduit donc à ce que la saisine du Conseil d’État par le ministre de la Culture prenne nécessairement en compte les conclusions du comité scientifique lorsqu’un tel comité est mis en place, afin de garantir la remise formelle des conclusions avant toute décision du pouvoir exécutif

Le second amendement ([23]) adopté octroie au Gouvernement un délai d’un an à compter de la promulgation de la loi pour remettre au Parlement un rapport identifiant les solutions possibles pour mettre en place une procédure pérenne de restitution des restes humains provenant du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution, et de la Nouvelle-Calédonie, conservés dans les collections publiques.

La Conférence des présidents du Sénat a accepté que ce texte soit examiné selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre XIV bis du règlement du Sénat. En vertu de cette procédure, le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement sur le texte concerné ne s’exerce qu’en commission, il n’y a donc pas eu d’amendement en séance publique, où le texte a été adopté, comme en commission, de façon unanime.

III.   principaux apports de la commission

L’examen du texte en commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale a conduit à préciser certaines dispositions de la proposition de loi, et d’y apporter plusieurs modifications.

Un amendement du rapporteur à l’article 1er a étendu les finalités possibles de la restitution des restes humains à des États étrangers demandeurs aux fins « mémorielles ». De plus, il a été précisé par un amendement du rapporteur que le rapport scientifique établi par le comité conjoint mentionné à l’article L. 115‑4 sera public, sous réserve de l’accord de l’État étranger.

L’examen en commission a permis de préciser et modifier légèrement l’article L. 115-4 : le comité scientifique conjoint avec l’État demandeur d’une restitution de restes humains devra représenter les deux États de manière équilibrée, mais pas forcément paritaire afin de ne pas empêcher la constitution de tels comités dans les cas où une strictement parité nationale ne pourrait être atteinte. Le comité devra en outre « tenter de préciser » l’identification, formulation moins définitive que la rédaction initiale « permet de préciser ». L’amendement du rapporteur a permis d’ajouter aux attributions du comité scientifique la mission d’établir que le document archéologique qui lui est soumis peut recevoir la qualification de « restes humains », le cas n’étant pas toujours clair concernant certains artefacts mélangeant les matériaux ([24]).

En conséquence de l’adoption d’un amendement du rapporteur, la remise du rapport annuel du gouvernement au Parlement sur les restitutions de restes humains ne sera pas inscrite dans le code du patrimoine, les rapports de ce type n’ayant pas à y figurer.

La commission a également adopté un amendement du rapporteur permettant de préciser que les tests génétiques d’identification des restes humains prévus par l’article L. 115-4 ne pourront être réalisés sans l’accord de l’État demandeur.

Enfin, un amendement du rapporteur substitue au seuil d’ancienneté glissant du texte initial (la demande de restitution ne pouvait concerner que les restes humains de personnes décédées moins de cinq cents ans après le dépôt de la demande), une borne temporelle fixe : la date de 1500. Ainsi, seront restituables les restes humains d’individus décédés après 1500, quel que soit le moment de dépôt de la demande de l’État étranger.


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   commentaire des articles

Article 1er
Création d’une procédure administrative pour la restitution des restes humains appartenant à des collections publiques

Adopté par la commission avec modifications

Le présent article vise à créer une procédure administrative dérogatoire au principe d’inaliénabilité afin de faciliter la restitution aux États étrangers demandeurs des restes humains contenus dans les collections publiques françaises.

La rédaction issue de la commission complète les finalités funéraires des restitutions par des finalités mémorielles et clarifie le bornage temporel des restes humains restituables. Elle prévoit la publicité du rapport rendu par le comité scientifique conjoint avec l’État étranger demandeur, sous réserve de l’approbation de ce dernier. La composition de ce comité est modifiée pour la rendre équilibrée et non plus paritaire, afin d’éviter toute difficulté dans sa mise en place.  

I.   l’État du droit

A.   l’inaliÉnabilitÉ des biens du domaine public

Les biens culturels appartenant aux personnes publiques sont soumis au régime de la domanialité publique, qui leur confère une triple protection (inaliénabilité, imprescriptibilité, insaisissabilité).

En effet, au titre de l’article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, « les biens des personnes publiques mentionnées à l’article L. 1 [du même code, soit l’État, les collectivités territoriales et leurs groupements, ainsi que les établissements publics], qui relèvent du domaine public, sont inaliénables et imprescriptibles. » L’article L. 2311-1 du code général de la propriété des personnes publiques indique par ailleurs que « les biens de l’État, des collectivités territoriales et de leurs groupements, ainsi que des établissements publics – qui incluent donc les biens des musées de France relevant des personnes publiques – sont insaisissables ».

Des dispositions spécifiques du code du patrimoine s’appliquent aux biens des collections publiques des musées de France appartenant à une personne publique, qui font « partie de leur domaine public et sont, à ce titre, inaliénables » (article L. 451-5 du code du patrimoine).

 

Le Conseil constitutionnel a rappelé en 2018 que « l’inaliénabilité […] a pour conséquence d’interdire de se défaire d’un bien du domaine public, de manière volontaire ou non, à titre onéreux ou gratuit » ([25]). Ainsi, en application du principe d’inaliénabilité des biens publics, la personne publique ne peut transférer la propriété des œuvres des collections publiques.

Les restes humains conservés au sein des établissements publics qui sont la propriété de l’État ou des collectivités territoriales sont considérés comme des biens culturels appartenant au domaine public et sont touchés par le principe d’inaliénabilité des biens publics.

En outre, les restes humains font partie de collections dites « sensibles », justifiant une attention particulière. En effet, le code civil prévoit que le « respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort ». C’est pourquoi les « restes des personnes décédées […] doivent être traités avec respect, dignité et décence » (article 16-1-1 du code civil). Le code civil impose donc un traitement respectueux, digne et décent des restes humains.

B.   La procÉdure de DÉCLASSEMENT DU DOMAINE PUBLIC apparaÎt très difficile à mettre en Œuvre

Ainsi que le rapporteur l’a détaillé supra, la restitution aux États étrangers des restes humains réclamés implique de sortir ces vestiges du domaine public afin de permettre leur transfert de propriété ([26]), ce qui nécessite au préalable une procédure de déclassement très difficile à mettre en œuvre.

L’article L. 2141-1 du code général de la propriété des personnes publiques autorise en effet le déclassement d’un bien d’une personne publique par l’intervention d’un acte administratif ([27]) à condition que le bien ne soit « plus affecté à un service public ou à l’usage direct du public » ([28]). Pour les biens relevant des collections des musées de France appartenant à une personne publique, l’article 451-24-1 du code du patrimoine restreint en outre cette procédure aux « seuls biens culturels qui ont perdu leur intérêt public du point de vue de l’histoire, de l’art, de la science ou de la technique ». Or, les restes humains conservent un fort intérêt public, en tant que vestiges de l’histoire de l’humanité et pour leur valeur scientifique présente et future. Pour les musées de France, toute décision de déclassement ne peut être prise qu’après avis conforme ([29]) du Haut Conseil des musées de France ([30]), qui dispose d’un délai de six mois pour rendre son avis. À l’expiration de ce délai, l’avis du Haut Conseil des musées de France est réputé favorable au déclassement et la personne publique propriétaire doit s’y conformer en procédant au déclassement du bien.

En outre, l’article 451-7 du code du patrimoine empêche le déclassement de biens culturels entrés dans les collections publiques par don ou legs, cas très fréquent pour les restes humains.

Le principe d’inaliénabilité ne revêtant pas une valeur constitutionnelle ([31]), une loi permet toutefois le surmonter. Alors qu’au Royaume-Uni, le Human Tissue Act autorise depuis 2004 neuf musées britanniques à déclasser des restes humains datant de moins de mille ans, en France, la seule possibilité de restitution définitive des restes humains appartenant aux collections publiques se fonde donc sur une mesure d’ordre législatif.

Seules deux lois ont été votées par le Parlement afin d’organiser la restitution de restes humains : la loi relative à la restitution de la dépouille de Saartjie Baartman à l’Afrique du Sud en 2002 ([32]) et la loi autorisant la restitution des têtes maoris à la Nouvelle Zélande en 2010 ([33]). L’historien Michel Van Praët, à la tête du groupe de travail pluridisciplinaire sur les restes humains dans les collections publiques mis en place après la loi de restitution des têtes maories ([34]), estime que cette « lourde démarche législative » imposée « éloigne les professionnels des patrimoines de l’analyse des dossiers alors qu’ils devraient tous être traités de manière particulière, mais selon une norme commune basée sur la dignité due à l’ensemble de l’humanité » ([35]).

La commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat a consacré une mission d’information aux restitutions des biens culturels appartenant aux collections publiques en 2020 ([36]), qui a mené au dépôt d’une proposition de loi n° 41 relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques ([37]) par les sénateurs Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Max Brisson et Pierre, adoptée en première lecture au Sénat mais dont l’examen n’a jamais été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

La présente proposition de loi a pour ambition d’élaborer une loi-cadre qui fixera les règles pour l’ensemble des restitutions de restes humains.

II.   LE DISPOSITIF PROPOSÉ : UNE PROCÉDURE DE restitution DES RESTES HUMAINS fondÉe sur un travail scientifique conjoint avec l’État demandeur

L’article 1er de la présente proposition de loi créé une procédure spécifique de sortie des restes humains appartenant aux collections publiques, sans nécessité de recourir à une loi d’espèce pour chaque cas de restitution.

Au sein du chapitre V du titre Ier du livre Ier du code du patrimoine consacré au déclassement des biens culturels appartenant aux personnes publiques, l’article 1er insère une nouvelle section intitulée « Restes humains appartenant aux collections publiques » et composée de six articles.

L’article L. 115-2 prévoit une dérogation au principe d’inaliénabilité des biens publics et introduit la possibilité de faire sortir du domaine public des restes humains afin de permettre leur restitution à un État exclusivement à des fins funéraires. L’expression « fins funéraires » s’entend dans son acception la plus étendue et comprend tout rite permettant de rendre hommage aux morts, dans le respect des croyances et coutumes du pays d’origine. Il peut s’agir, à titre d’exemple, de la constitution d’un mémorial dans l’État d’origine.

L’article autorise aussi, par dérogation au code du patrimoine, la restitution des restes humains qui ont été intégrés aux collections des musées de France par dons ou legs.

Selon le premier alinéa de l’article L. 115-2, la procédure s’applique à des restes humains qu’il s’agisse d’un corps complet ou d’un élément de corps relevant de l’article L. 2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. Celui-ci doit être identifié et issu d’un territoire d’un État étranger (article L. 115‑3). La notion d’identification doit ici être entendue au sens large : il ne peut s’agir de parvenir systématiquement à établir l’identité nominative de la personne dont sont conservés les vestiges corporels, mais bien d’être en mesure de déterminer avec un niveau de certitude suffisant son lien avec le groupe humain demandant la restitution de ses restes.

L’article L. 115-3 précise les conditions de la procédure de restitution des restes humains :

– la demande de restitution doit être formulée par un État, qui peut toutefois agir pour un « groupe humain » résidant sur son territoire et dont la culture et les traditions restent actives (article L. 115-3, alinéa 1) ;

– les restes humains doivent dater de moins de cinq cents ans au moment du dépôt de la demande de la restitution (article L. 115-3, alinéa 2). Cette date se fonde sur des considérations scientifiques de traçabilité de l’origine des restes humains et sur la difficulté à rassembler une documentation archivistique suffisante au-delà de cette échelle temporelle ;

– les conditions de la collecte des restes humains doivent avoir porté atteinte au principe de dignité de la personne humaine ou leur conservation dans les collections doit contrevenir au respect de la culture et des traditions du groupe humain d’origine (article L. 115-3, alinéa 3).

En cas de doute sur l’identification, il est prévu qu’un comité d’experts scientifiques représentant les deux États de façon paritaire soit constitué afin de procéder conjointement à un travail de vérification scientifique de l’origine des restes humains (article L. 115-4), avec pour mission de préciser l’identification du reste humain en cause ou de permettre de le relier avec le groupe humain dont il est supposé être issu.

La possibilité de réaliser des tests génétiques est explicitement prévue par la proposition de loi. De nombreux examens scientifiques permettent d’atteindre un degré de certitude suffisant dans l’identification des restes humains : l’imagerie médicale (scanner surfacique, tomographique), la prise de mesures (craniométrie), les prélèvements pour des études de l’ADN ou de chimie isotopique. Toutefois, certains peuples autochtones s’opposent au recours à des techniques jugées trop invasives et contraires à leurs croyances ([38]). En prévoyant explicitement les tests génétiques, la proposition de loi affirme avec clarté qu’il peut être recouru à cette option si les autres moyens de recherche ne suffisent pas. Cela ne signifie nullement que ces examens pourraient être réalisés en l’absence d’accord de la partie demanderesse, mais cela implique toutefois que l’État demandeur doit prendre conscience en retour qu’un refus de ce type d’analyse pourrait mécaniquement conduire à une réduction du périmètre des restes humains restituables.

La mention spécifique des dispositions relatives aux analyses génétiques s’avère en outre nécessaire pour les autoriser, aucune des dispositions de droit commun prévues dans le code civil n’étant applicable à l’objet de la présente proposition de loi. En effet :

– l’article 16-10 du code civil vise l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne vivante à des fins médicales ou de recherche scientifique sous réserve de consentement de la personne concernée ;

– l’article 16-11 du code civil vise bien à établir l’identité d’une personne décédée mais les recherches entreprises dans le cadre d’une demande de restitution de restes humains auront pour but de déterminer si les restes d’un individu inconnu peuvent être reliés sur un plan génétique à un groupe humain vivant (peuple, communauté…) dont il est présumé issu, et non de prouver une identité individuelle.

Dans un souci de transparence, l’alinéa 3 de l’article L. 115-4 impose au comité paritaire de rédiger un rapport qui doit être remis au Gouvernement et à l’État demandeur afin de détailler ses travaux et d’établir une liste des restes humains identifiés.

Toute restitution impliquant une sortie du domaine public doit être autorisée par un décret en Conseil d’État, sur la saisine du ministre de la Culture et, le cas échéant, conjointement avec le ministre de tutelle de l’établissement public national auquel le reste humain est affecté (article L. 115-5). Cette saisine devra s’appuyer sur les conclusions du comité scientifique conjoint formé pour le processus de restitution.

Par ailleurs, dans le cas où les restes humains appartiennent à une collectivité territoriale, toute restitution nécessite l’accord préalable de son organe délibérant (article L. 115-5 alinéa 2). À titre d’exemple, lors de la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande, la sortie de la tête maorie de la collection du Muséum de Rouen avait été autorisée par le conseil municipal de Rouen.

Dans le cadre de sa mission de contrôle de l’action du Gouvernement, le Parlement doit être tenu informé des procédures de restitution des restes humains issus des collections publiques. En ce sens, l’article L. 115-6 prévoit que le Gouvernement doit transmettre chaque année un rapport présentant :

– les demandes de restitution de restes humains adressés par des États étrangers ;

– les décisions de sortie du domaine public prises lors de l’année écoulée ainsi que les rapports et avis rédigés à ce titre ;

– les restitutions de restes humains intervenues au cours de l’année écoulée.

Enfin, l’article L. 115-7 renvoie à un décret en Conseil d’État afin de préciser les modalités de mise en œuvre de la procédure. Ce décret fixera les conditions de l’identification des restes humains ainsi que les modalités et délais de restitution des restes humains à l’État demandeur.

III.   Les modifications introduites par le sÉnat

L’article 1er de la proposition de loi a été adopté avec des modifications par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat.

Un amendement ([39]) a été adopté en commission afin de sécuriser davantage la prise en compte de l’expertise scientifique dans l’examen des demandes de restitutions.

Le texte initial prévoyait que la décision de sortie du domaine public est prononcée par décret en Conseil d’État, pris sur le rapport du ministre de la Culture, et le cas échéant avec le ministre de tutelle de l’établissement public accueillant le reste humain. L’amendement complète l’article en précisant que ce « rapport est établi sur la base du rapport du comité conjoint et paritaire mentionné à l’article L. 115-4 lorsqu’un tel comité est mis en place ».

Cette nouvelle rédaction vise à empêcher toute décision de restitution de restes humains avant que le comité de scientifiques paritaire ne rédige son rapport et le transmette au Gouvernement et à l’État demandeur. Cela fait écho au cas des crânes algériens, renvoyés en Algérie avant que le comité scientifique n’ait remis son rapport et finalisé ses travaux d’examen des crânes en cause. Ainsi, la saisine du Conseil d’État par le ministère de la Culture devra être établie sur la base du rapport du comité scientifique paritaire, si ce comité est mis en place.

L’article 1er ainsi amendé en commission a été adopté en séance.

IV.   la position DU rapporteur

Le rapporteur se réjouit de la mise en place d’une procédure spécifique qui permettra d’offrir une possibilité facilitée de restitution des restes humains, fondée sur une coopération scientifique avec les pays demandeurs. Il souscrit à l’objectif de fonder ces restitutions sur des analyses historiques et archéologiques documentées permettant d’établir la provenance des restes humains et d’assurer leur restitution dans les meilleures conditions.

Le rapporteur craint que les fins funéraires évoquées dans l’article L. 115‑2, même entendues dans leur sens le plus large, pourraient ne pas inclure certaines cérémonies ou rites ancestraux justifiant les demandes de restitution des restes humains. Aussi le rapporteur proposera-t-il d’adjoindre le qualificatif « mémorielles » aux fins permettant les restitutions de restes humains aux États étrangers en faisant la demande, considérant que cet ajout ne conduit pas à une extension irraisonnée du champ des demandes de restitution et du périmètre d’application de la loi ([40]).

Concernant la limite des cinq cents ans d’ancienneté des restes humains pouvant faire l’objet d’une demande de restitution, le rapporteur convient qu’il pourrait être délicat au-delà de cette échelle temporelle d’établir avec une certitude nécessaire la provenance des restes humains ou leur lien de parenté avec des groupes humains actuels. Toutefois, le rapporteur demeure embarrassé quant à l’application d’une date couperet qui pourrait paraître quelque peu aléatoire (Jean-Luc Martinez évoquait dans son rapport Patrimoine partagé : universalité, restitutions et circulations des œuvres d’art une autre borne temporelle qui a également du sens : « les restes humains concernés sont ceux de personnes mortes après l’an 1500 »). Pour autant, le rapporteur ne souhaitait pas aller jusqu’à vouloir modifier cette borne temporelle. En effet, une observation réaliste de la pratique des restitutions de restes humains chez certains de nos voisins européens ne l’y encourage pas réellement : les institutions britanniques soumises au Human Tissue Act fixant la limite de « restituabilité » à mille ans restituent dans les faits peu de restes humains datant de plus de trois cents ans.

Le rapporteur partage l’intention de la rapporteure du Sénat de conditionner la saisine du Conseil d’État (afin qu’une décision de restitution soit prononcée ou non par le Premier ministre) au rendu des conclusions du comité scientifique. Il s’interroge néanmoins sur la formulation choisie par l’amendement adopté au Sénat, qui pourrait laisser entendre que le ministère de la Culture produira un second rapport à partir de celui produit par le comité scientifique, alors qu’il ne s’agira que d’une saisine formelle du Conseil d’État.

V.   Les modifications introduites par la commission

Outre des amendements rédactionnels, la commission a adopté plusieurs amendements de fond à l’article premier.

Tout d’abord, un amendement du rapporteur étend les finalités de la restitution des restes humains aux fins « mémorielles », reprenant en partie une proposition de la députée Mme Mereana Reid Arbelot (qui souhaitait un élargissement aux fins « mémorielles et muséales »). Cela permet d’envisager une plus grande pluralité des usages qui seront faits des restes humains restitués.

 

La commission a également adopté un amendement du rapporteur permettant d’assurer la publicité du rapport scientifique établi par le comité conjoint mentionné à l’article L. 115‑4, sous réserve que l’État étranger ayant introduit la demande de restitution approuve cette publicité. En effet, il apparaît important que les travaux conduits par le comité scientifique réuni pour l’identification des restes humains, en cas de doute sur celle-ci, puissent être rendus publics. Cette publicité garantira plus de transparence à la procédure de restitution et présente un intérêt scientifique, aussi bien méthodologique que sur le fond, pour les travaux concernant des recherches de provenance.

Un amendement du rapporteur a été adopté afin que la remise du rapport du Gouvernement au Parlement ne soit pas inscrite dans le code du patrimoine, les rapports de ce type n’ayant pas nécessairement à y figurer.

L’adoption d’un autre amendement du rapporteur permet une réécriture de l’article L. 115-4 en y apportant plusieurs modifications. En premier lieu, il précise que le comité scientifique qui pourra être créé conjointement avec l’État demandeur d’une restitution de restes humains devra représenter les deux États de manière équilibrée. Cette précision vise à ce que l’impossibilité de réunir un nombre strictement paritaire de membres entre les deux pays ne puisse pas empêcher la constitution de tels comités. Selon l’amendement adopté, ce comité pourra « tenter de préciser » l’identification (entendue au sens large comme qualification de la provenance ou du lien avec un groupe humain d’origine), là où le texte initial avait une formulation plus définitive (« permet de préciser »). Enfin, l’amendement ajoute aux attributions du comité scientifique prévu à l’article L. 115-4, la mission d’établir que le document archéologique qui lui est soumis peut recevoir la qualification de « restes humains ». Cette qualification n'est pas toujours claire, et il devrait revenir aux scientifiques de la déterminer.

La commission a également adopté un amendement du rapporteur permettant de préciser que les tests génétiques d’identification des restes humains prévus par l’article L. 115-4 ne pourront être réalisés sans l’accord de l’État demandeur.

Enfin, un amendement du rapporteur substitue au seuil d’ancienneté glissant du texte initial (la demande de restitution ne pouvait concerner que les restes humains de personnes décédées moins de cinq cents ans après le dépôt de la demande), une borne temporelle fixe en la date de 1500. Ainsi, seront restituables les restes humains d’individus décédés après 1500, quel que soit le moment de dépôt de la demande de l’État étranger. Cette date fixe permet, selon le rapporteur, une application plus juste de la loi dans la durée, un seuil glissant ayant l’inconvénient de réserver un traitement différent aux demandes selon leur date de dépôt. En effet, selon la date du texte avant adoption de l’amendement, dans l’hypothèse d’une personne décédée en 1523, la restitution de ses restes aurait été possible en 2023, mais plus l’année suivante, ce qui apparaissait problématique.

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Article 2
Demande de rapport au Gouvernement pour la création d’une procédure applicable aux Outre-mer

Adopté par la commission sans modification

Le présent article vise à demander au Gouvernement la remise d’un rapport dans l’année suivant la promulgation de la loi proposant une solution pérenne applicable aux restitutions à des collectivités ultramarines.

I.   Les modifications introduites par le Sénat

L’article 2 de la proposition de loi, introduit lors de l’examen en commission, vise à demander au Gouvernement de remettre dans un délai d’un an au Parlement un rapport présentant des solutions possibles de restitution des restes humains en cas de demandes provenant de territoires ultramarins.

II.   la position DU rapporteur

Le rapporteur est favorable à cet article et considère qu’un temps de réflexion doit être réservé à la recherche des solutions les plus adaptées aux différentes situations que peut recouvrir la réalité ultramarine.

En effet, la situation des outre-mer et leur relation avec le territoire métropolitain ne sauraient être mises sur le même plan que les relations diplomatiques qui formeront le cadre des restitutions des restes humains à des États étrangers. En aucun cas, et le rapporteur souhaite le souligner avec force, il ne s’agit ici de donner la priorité à ces relations diplomatiques sur la considération due aux territoires ultramarins. Le rapporteur considère en revanche qu’un texte de loi traitant de procédures mises en place avec des États étrangers ne saurait être le cadre adéquat pour traiter des restitutions des restes humains qui pourraient intervenir ultérieurement au sein de la République française. Si l’examen de la proposition de loi sur la restitution des restes humains présente l’avantage de souligner la nécessité pressante de prendre en compte les situations ultramarines, cela ne doit pas empêcher, selon le rapporteur, de prendre le temps nécessaire de la concertation et du travail commun pour proposer les solutions les plus justes et les plus opérationnelles pour nos concitoyens ultramarins.

III.   Les modifications introduites par la commission

L’article 2 de la proposition de loi a été adopté sans modification par la commission.


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   Travaux de la commission

Lors de sa réunion du mardi 7 novembre 2023 ([41]), la commission procède à l’examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques (n° 1347) (M. Christophe Marion, rapporteur).

Mme la présidente Isabelle Rauch. L’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques, dont M. Christophe Marion a été désigné rapporteur. Comme le règlement de notre assemblée le permet, Mme Rima Abdul‑Malak, ministre de la Culture, s’est jointe à nous pour le début de cette réunion et participera à la discussion générale sur la proposition de loi.

M. Christophe Marion, rapporteur. Après l’adoption à l’unanimité, en juillet dernier, de la loi sur la restitution des biens culturels juifs spoliés, cette proposition ouvre un nouveau chapitre quant aux restitutions de biens culturels, en se concentrant cette fois sur la problématique des restes humains détenus dans nos collections. Adoptée en première lecture par le Sénat à l’unanimité, le 13 juin dernier, elle est le résultat d’un long travail parlementaire. Je tiens à saluer la ténacité de la sénatrice Mme Catherine Morin-Desailly, qui a fait de ces enjeux de restitution l’un des grands combats de son engagement politique.

La proposition de loi répond à une attente réelle exprimée par plusieurs États étrangers qui réclament, parfois depuis de nombreuses années, la restitution de restes humains appartenant à nos collections publiques. Il s’agit donc de satisfaire ces demandes et de renforcer les partenariats culturels et scientifiques en cours. Mais il s’agit aussi de procéder, tout en prenant garde aux anathèmes rétrospectifs, à un acte mémoriel de reconnaissance du droit des peuples à construire leur souveraineté ; reconnaissance aussi d’une forme de violence, parfois, de notre histoire scientifique ou coloniale.

Selon le conservateur du patrimoine Michel Van Praët, plusieurs centaines de milliers de restes humains figurent à l’inventaire de nombreux musées, universités ou autres établissements publics. Il peut s’agir de squelettes entiers articulés, d’ossements, de spécimens de cheveux ou de peau ou encore de restes humains en fluides, dans des bocaux. Parmi eux, quelques milliers seraient d’origine étrangère. Insistons sur le caractère parcellaire de ces évaluations. Souvent collectés au cours d’expéditions ou de conquêtes coloniales du XVIIIe ou du XIXe siècle, les restes humains souffrent d’une documentation scientifique lacunaire, parfois erronée, et de déplacements erratiques entre différents lieux de conservation qui ont bien souvent brouillé les pistes quant à leur origine.

Leur présence dans nos collections publiques soulève, depuis plusieurs années, de façon croissante, la question du respect de la dignité humaine des individus dont ils proviennent et du soin apporté aux conditions de leur conservation. Celles-ci se sont améliorées, après avoir été longtemps déplorables, comme le relevait l’historienne Laure Cadot dans une étude, dès 2007. Pourtant ces restes, dépositaires d’un fragment de l’espèce humaine, sont aussi des témoins de son histoire. En cela, ils sont le patrimoine de notre humanité et méritent à ce titre le plus grand respect.

Cette question nous mène plus largement à interroger le statut de ce que la recherche historique et archéologique nomme les vestiges anthropobiologiques. Éclaté entre plusieurs codes – code civil, code du patrimoine, code funéraire –, le statut des restes humains mériterait d’être unifié et clarifié. Cela permettrait de faciliter le travail des professionnels qui les manipulent et de les protéger contre toute immixtion, notamment de la sphère religieuse. Cela autoriserait également les descendants des personnes à qui ont autrefois appartenu ces restes à y avoir un certain accès de façon encadrée – cette question pourrait se poser dans le cas des restes ultramarins.

La proposition de loi se compose de deux articles. Le premier établit une procédure permettant de déroger à l’inaliénabilité des biens appartenant aux collections publiques, afin de répondre aux demandes étrangères de restitution. Le texte se concentre en effet sur les demandes émanant d’États étrangers, qui pourront agir au nom d’un groupe humain présent sur leur territoire et dont la culture ou les traditions sont toujours actives.

Ces demandes doivent avoir des fins funéraires. La loi vise à autoriser la sortie des collections publiques des restes humains en vue de l’accomplissement d’un hommage ou d’un culte rendu aux morts par les communautés d’origine. Je tiens à insister particulièrement ici sur le sens très large que recouvre la notion de fins funéraires : il ne s’agit pas seulement d’une perspective d’inhumation ou de crémation, mais bien de toute cérémonie visant à célébrer les personnes dont sont issus les restes ou à perpétuer le lien entre les vivants et les morts.

Afin de nous assurer d’un plein respect des cultures des peuples concernés, dans toutes leurs manifestations, et sans préjuger du résultat des débats qui peuvent animer les communautés elles-mêmes quant au sort à réserver aux restes de leurs ancêtres, il me semble pertinent d’adjoindre à ces fins funéraires les fins mémorielles. Nous aurions alors la garantie de couvrir tous les cas de figure, tout en nous assurant que les usages contraires au respect de la dignité humaine continueraient d’être proscrits. C’est pourquoi je proposerai un amendement en ce sens.

Dans le texte, les restitutions sont encadrées par plusieurs conditions cumulatives. Elles concernent des restes humains à l’ancienneté inférieure à 500 ans. Cette expression pose selon moi deux problèmes : d’une part, c’est un seuil glissant lié à l’année de la demande de restitution ; d’autre part, cette borne peut apparaître trop limitée. Mais l’expérience étrangère a montré que les restitutions concernent rarement des cas antérieurs à 300 ans, même quand la limite inscrite dans les textes est supérieure, comme c’est le cas au Royaume-Uni, où elle est de 1 000 ans. Pour ces raisons, je proposerai par amendement de reprendre une expression issue du rapport de Jean-Luc Martinez qui me semble moins problématique : « Les restes humains concernés sont ceux de personnes mortes après l’an 1500. »

Autre condition : la collecte des restes a été contraire au principe de dignité humaine ou leur conservation porte atteinte au respect de la culture du groupe d’origine auquel les restes humains peuvent être reliés.

L’article 1er ne fait pas qu’énoncer les conditions de possibilité des restitutions : il prévoit également une procédure visant à établir l’identification des restes humains ou leur lien avec le groupe humain demandeur. Il faut s’arrêter un instant sur l’idée d’identification. Il ne saurait être question de parvenir à obtenir l’identité exacte ou nominative de l’individu dont proviennent les restes. La notion d’identification est ici entendue de manière bien plus large, comme un lien suffisamment probant avec un groupe humain défini. Un travail scientifique pour l’établir est prévu par la proposition de loi. Il devra être conduit par un comité d’experts composé de façon concertée avec l’État demandeur, afin d’établir une filiation entre les restes humains et le groupe humain dont il est présumé provenir. Ce travail conjoint sera la base de la décision de restitution qui sera rendue par le Premier ministre par un décret en Conseil d’État.

Le caractère très solennel de cette décision, ainsi que la scientificité des bases qui l’auront motivée, suffiront, à mon avis, à assurer que l’inaliénabilité des collections publiques ne soit surmontée qu’avec les plus hautes garanties. Ce principe est en effet fondamental pour la conservation de nos collections. Il ne s’agit pas de renier ce caractère essentiel mais bien de lui donner une exception limitée par l’exigence de respect de la dignité humaine. Il s’agit simplement ici de « faire respirer [les] collections », pour reprendre l’expression de Jacques Rigaud.

La transparence entourant la procédure sera assurée par la remise d’un rapport annuel du Gouvernement au Parlement, faisant l’état des lieux des restitutions demandées et opérées.

L’objet de l’article 2, la restitution des restes ultramarins, mérite à lui seul un second texte législatif. C’est pourquoi l’article prévoit que le Gouvernement présente sous un an des solutions spécifiques et adaptées. Je partage l’opinion selon laquelle une proposition de loi créant une procédure interétatique ne saurait être le cadre de résolution adéquat pour un sujet touchant notre communauté nationale. Cela ne signifie pas, j’y insiste, que celui-ci soit de moindre importance ou d’une priorité inférieure, mais précisément qu’il justifie que lui soit accordée toute l’attention qu’il mérite.

La restitution des restes ultramarins aux groupes humains d’origine doit avoir lieu. Que cela passe par un véhicule législatif ou d’autres moyens, c’est une question de reconnaissance importante pour la cohésion nationale, qui participe d’un travail de mémoire commun indispensable. Je connais l’engagement de la ministre de la Culture et du ministre délégué chargé des outre-mer sur ce sujet, et leur volonté d’avancer. Cet article 2 ne constitue qu’un premier pas nécessaire, qui devra mener à une résolution propre. J’y serai personnellement très attentif.

Je terminerai en rappelant la lente évolution des mentalités sur ces questions, et le chemin parcouru depuis la restitution des restes de Saartjie Baartman à l’Afrique du Sud en 2002. Toutes les personnes auditionnées ont partagé leur satisfaction quant au progrès que le texte constitue. Si la recherche scientifique est indispensable et doit pouvoir se faire, elle doit nécessairement aller de pair avec le respect de la dignité humaine. Dès lors qu’il sera accompagné des moyens nécessaires à de réelles recherches de provenance, ce texte contribuera, j’en suis convaincu, à faire un pas de plus en direction d’une conservation plus conforme à l’éthique de nos collections publiques.

Je veux conclure en vous disant, chers collègues, que derrière les restes humains dont nous parlons aujourd’hui se cachent des hommes et des femmes : des hommes et des femmes qui ont souvent connu des destins tragiques, qui sont pour certains morts loin de leur terre et de leur communauté, qui pour d’autres ont été profanés par le scalpel des anatomistes ou des explorateurs. L’espace d’un instant, identifions-nous à eux, vibrons des mêmes sentiments moraux que ceux qui les assaillirent, du même désespoir, de la même humiliation parfois ; souffrons avec eux. Et ce faisant, d’une certaine manière, mesurons l’importance de cette loi. Nous rendons leur dignité à des femmes et des hommes ; nous les rendons à leur terre ; nous les rendons aux leurs. Pour certaines cultures, grâce aux rites ancestraux qui n’ont pu être accomplis jusqu’alors, nous leur redonnerons même vie.

Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la Culture. Après le projet de loi sur les biens culturels spoliés dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945, adopté à l’unanimité après de riches échanges, je suis très heureuse de vous retrouver pour ce texte qui concerne un autre sujet de restitution très important et sensible : les restes humains. Ce sujet vient à son tour contribuer au travail d’apaisement des mémoires que j’ai inscrit au cœur de mes priorités lors de ma nomination. La proposition de loi a été défendue au Sénat par Catherine Morin-Desailly, Max Brisson et Pierre Ouzoulias. Je veux profiter de cette occasion pour saluer leur travail et leur ténacité qui a permis au texte d’arriver sur le bureau de votre commission. Je veux aussi remercier chaleureusement Christophe Marion pour le travail approfondi qu’il a mené de manière très précise, subtile et délicate, travail qui l’a conduit à faire de nombreuses consultations et à proposer quelques ajustements.

Comme j’ai eu l’occasion de le dire au Sénat, cette loi peut sembler technique mais elle est en fait assez philosophique, en ce qu’elle touche au plus profond de notre humanité, à notre rapport à la mort, à la fraternité. Elle nous permet d’affirmer la valeur universelle de la dignité de la personne. C’est une loi qui touche autant à l’intime qu’au collectif. Par le passé, des restes humains sont entrés dans nos collections publiques, après avoir été acquis de manière illégitime voire violente. Que l’intention fût à l’époque de recueillir des trophées ou de constituer des collections, dont on croyait qu’elles pouvaient dire quelque chose des différences entre les hommes, le résultat est le même : par ces actes, l’humanité a été blessée, des peuples ont été lésés.

Cette proposition de loi-cadre nous donne l’occasion d’avancer collectivement sur le chemin des restitutions. Je voulais vous citer la conclusion de l’avis n° 111 du Comité consultatif national d’éthique qui soulignait déjà en 2010 : « L’argument historique – la nécessité de préserver des traces et des vestiges d’un passé révolu – vaut d’être mis en balance avec d’autres valeurs telles que le respect de chaque civilisation et l’amitié entre les peuples. » On parle bien de cela aujourd’hui : le respect de chaque civilisation mais aussi l’amitié entre les peuples. Cette loi, si elle est adoptée, fixera un cadre pour faciliter le traitement des dossiers de restitution de restes humains, ce qui est éminemment souhaitable et attendu.

Les restes humains ne peuvent pas, pour l’instant, être restitués sans passer par la loi, laquelle consacre l’inaliénabilité des collections, un principe hérité du domaine royal qui a été réaffirmé par la République. Il n’est pas question de remettre en cause ce principe protecteur qui garantit la transmission du patrimoine de la nation. Toujours est-il que, jusqu’à présent, seules deux lois d’exception ont permis d’aller au bout d’une démarche de restitution de restes humains, pour l’Afrique du Sud et la Nouvelle-Zélande. Ces deux lois ont été l’occasion de débats nourris et passionnants dans nos assemblées. Elles ont aussi facilité, je pense, l’émergence de ces sujets dans l’opinion publique. Mais elles ne concernent que des cas particuliers et n’ont pas permis de dégager de principes généraux.

C’est pourquoi la proposition de loi est très bienvenue pour répondre à ce manque. Elle pose un cadre pleinement applicable aux demandes adressées à la France par des États étrangers. Elle permettra de conduire de manière méthodique et raisonnée, avec toute la rigueur scientifique requise, un processus de restitution sans pour autant porter une atteinte excessive à l’intégrité des collections publiques. Il y aura, à chaque fois, un comité scientifique bilatéral qui travaillera sur l’identification des restes humains. Cela a déjà été fait avec l’Algérie et avec l’Australie, et le sera prochainement avec Madagascar. Il ne sera pas toujours nécessaire de constituer ce comité bilatéral. Par exemple, pour le squelette du fils d’un chef amérindien de la communauté Liempichún, qui a fait l’objet d’une demande de restitution de l’Argentine, les conditions d’appropriation par pillage de la sépulture, par l’équipage du comte Henry de La Vaulx, entre 1896 et 1897, ont été très bien documentées. L’identification des restes de la dépouille a donc été parfaitement établie.

Le texte a pour objectif de sécuriser le processus de sortie des collections publiques du point de vue scientifique, pour éclairer la décision politique qui suivra, après l’étape du contrôle rigoureux par le Conseil d’État du respect du cadre législatif applicable. La proposition de loi permet de trouver un point d’équilibre entre le respect du principe protecteur de l’inaliénabilité des collections et la juste réponse à apporter à des demandes légitimes de la part de populations dont la conservation en collection des restes humains de leurs aïeux heurte la sensibilité et ne permet pas d’accomplir les coutumes funéraires.

J’ai bien conscience que plusieurs préoccupations sont apparues au cours du débat parlementaire, sur trois points en particulier. Le premier porte sur ce que l’on entend par la finalité funéraire assignée après la restitution. Christophe Marion a été très clair dans la définition qu’il vient d’en donner. Il y a plusieurs manières d’envisager ce mot. Dans le rapport remis par Jean-Luc Martinez, ainsi que dans les débats qui ont émergé au Sénat, il y avait une unanimité autour du fait que ces restitutions ne pouvaient pas mener à une exposition. En effet, si pour respecter la dignité humaine, nous considérons que des restes humains identifiés ne doivent pas être exposés dans un musée français, si nous considérons légitimes des demandes de leurs descendants de leur rendre hommage, il serait illogique de déroger au respect universel dû au corps du défunt pour l’exposer dans un musée étranger. Il ne faut pas non plus prendre les mots « fins funéraires » dans un sens trop restrictif, comme si nous voulions imposer nos façons de traiter les morts, alors que ce terme inclut beaucoup plus de pratiques et de rites que ce que certains peuvent entendre. Peut-être que pour éviter des interprétations trop limitatives l’expression pourrait intégrer une dimension mémorielle.

Le deuxième sujet de préoccupation concerne le critère de restituabilité sur l’ancienneté des restes humains. Si la loi propose 500 ans, c’est après mûre réflexion et la consultation de divers scientifiques. C’est aussi en raison, tout simplement, de la difficulté d’établir des filiations, de démontrer une continuité généalogique, culturelle, spirituelle, ethnique au-delà de cette durée et de rattacher étroitement des vestiges humains plus anciens aux populations qui les demandent. Préciser « après l’an 1500 » me semble pertinent.

Le troisième sujet de préoccupation, que j’ai tout à fait entendu, c’est le sort des restes humains ultramarins. Je suis évidemment sensible à la demande des descendants de ces Guyanais, qui ont été honteusement exhibés dans l’un de ces zoos humains organisé en 1892 au Jardin d’acclimatation. Au Sénat, le choix qui a été fait était de ne pas retarder cette proposition de loi, très attendue par un certain nombre de partenaires étrangers pour apporter une solution à des dossiers en attente depuis des années. Le sujet des restes ultramarins nécessite un travail complémentaire pour identifier le bon véhicule législatif, dans la mesure où il ne concerne que la France. Il s’agit d’accepter de déroger à l’inaliénabilité des collections. Mon cabinet a engagé un dialogue très constructif avec l’association Moliko Alet + Po, qui soutient une demande de restitution en lien avec les autorités coutumières de la collectivité territoriale de Guyane.

Enfin, je pense que vous allez m’interroger sur les moyens d’accompagner les recherches de provenance et, plus largement, sur la manière de traiter concrètement les demandes de restitution. Nous allons y travailler. J’ai déjà renforcé l’équipe du ministère de la Culture au service des musées de France. Mais il ne s’agit pas non plus de procéder à une identification générale de tous les restes humains des collections publiques, ce qui serait disproportionné. On répond à des demandes ciblées. On mobilisera tous les moyens nécessaires : recherche, billets d’avion, technologies et autres nécessités scientifiques pour faire avancer les recherches de provenance chaque fois que nécessaire. Il n’y a pas que le ministère de la Culture qui est concerné, puisque certaines collections relèvent du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche. Le ministère des Affaires étrangères peut aussi être impliqué. Les futures commissions scientifiques bilatérales feront des propositions et les moyens de recherche s’adapteront aux besoins exprimés – analyses génétiques, déplacements, bourses de recherche.

Christophe Marion a tout dit avec beaucoup de souffle dans son texte. Cette proposition de loi, c’est un texte de reconnaissance, un texte de dignité, un texte de justice. On ne peut pas réparer les actions du passé mais il est de notre devoir de créer les conditions d’un dialogue serein au présent, ce que va permettre la proposition de loi.

Mme la présidente Isabelle Rauch. Nous passons aux orateurs des groupes.

M. Bertrand Sorre (RE). La proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant à des collections publiques pose les bases d’une meilleure gestion de ces restitutions. En effet, cette loi‑cadre vise à instaurer une procédure spécifique qui permettra de mettre fin aux lois de circonstance, lorsqu’un État fait une demande de restitution. Actuellement, ces restitutions de restes humains sont extrêmement limitées. La procédure est difficile à mettre en œuvre et il est nécessaire de recourir à des lois d’espèce au cas par cas, ce qui n’est pas satisfaisant. Le Parlement s’est d’ailleurs prononcé sur deux lois en faveur de restitutions. La première, votée en 2002, concernait la restitution à l’Afrique du Sud de la dépouille de Saartjie Baartman ; quant à la seconde, elle a été adoptée en 2010, pour restituer vingt têtes maories à la Nouvelle-Zélande.

Cette proposition de loi a donc comme objectif de mettre fin à ces lois de circonstance et d’offrir un cadre juridique clair permettant de répondre aux demandes de restitution. Il est à préciser que les restes humains de nos collections publiques ont bien souvent été acquis de manière illégitime voire violente. Ces biens sont arrivés dans des conditions suspectes et des peuples ont très clairement été lésés. Le texte n’est donc pas seulement technique mais prend aussi en compte ces spoliations. Ces collections sont particulièrement sensibles car elles sont constituées de corps humains ou d’éléments du corps humain. Il est nécessaire de leur offrir un traitement respectueux, digne et décent. Les restes humains ont un statut juridique particulier. Actuellement, le principe d’inaliénabilité fait obstacle à leur restitution. Afin de préserver la dignité humaine, le texte ouvre les restitutions à des fins funéraires, de manière large, en créant une procédure spécifique qui offrira aux États demandeurs un cadre juridique strict. Il permet de déroger au principe d’inaliénabilité des restes humains, tout en garantissant un traitement respectueux et digne de ceux-ci.

L’Australie, Madagascar et l’Argentine ont fait des demandes de restitution, dont la majorité à des fins funéraires. Si la proposition de loi venait à être adoptée, elle pourrait leur profiter. Le texte permettra également une meilleure reconnaissance de la nature particulière de ces biens et une reconnaissance de leur valeur culturelle et cultuelle. Le retour de ces restes humains à des fins funéraires permettra aussi de maintenir la cohésion dans certaines communautés. Les groupes d’humains issus des États demandeurs pourront enfin rendre hommage à leurs défunts et accomplir des cérémonies ou des cultes dans le respect de leurs croyances et de leur culture d’origine.

La restitution des restes humains s’impose comme un dialogue plus poussé et plus respectueux entre les cultures. Cette démarche permettra également à la France d’ouvrir de nouvelles coopérations culturelles et scientifiques. En effet, l’État possède de nombreux restes humains étudiés par la communauté scientifique. Une proportion significative de ces ossements pourrait d’ailleurs faire l’objet de demandes de restitution. Pour finir, cette loi permettra également d’exiger une transparence indispensable du travail scientifique effectué. Pour toutes ces raisons, notre groupe votera en faveur de cette loi‑cadre.

Mme Caroline Parmentier (RN). Cette proposition de loi est une juste réponse de la France au regard du respect dû à tout être humain. Elle constitue également une forme de réparation. Les restes humains ont un statut flou, parfois qualifiés de biens culturels, parfois de sujets humains. Cette avancée tire les leçons d’une réflexion éthique sur le statut des corps humains post mortem et sur le respect de leur dignité. Les restes humains ne sont pas des biens culturels comme les autres, et il était indispensable de leur réserver un traitement particulier. Jusqu’alors, les restitutions étaient organisées au cas par cas, et c’était souvent le fait du prince. La procédure prévue par la proposition de loi, avec la création d’un comité compétent et la possibilité de mener des analyses scientifiques lorsqu’un doute demeure sur l’identification du reste humain, est plus qu’indispensable, elle est primordiale. Comment la réaliser concrètement ? On se souvient de l’affaire désastreuse de la restitution par Emmanuel Macron des crânes des résistants algériens qui n’étaient pas tous les bons – un nouvel épisode venu contrarier l’idylle franco-algérienne voulue par le Président de la République qui aurait souhaité en tirer un avantage diplomatique. Pouvez-vous nous dire un mot de ce fait humiliant pour la France ? Où en est-on ?

Le Rassemblement national soutiendra la proposition de loi. Mais nous appelons votre attention sur les points et les questions qui ne sont toujours pas réglés. Selon cette loi‑cadre, la sortie des collections des restes humains serait exclusivement réservée à leur restitution à un État étranger à des fins funéraires. Mais quelle garantie aura-t-on que ce sera bien le cas ? L’ancienneté des restes pose aussi question. N’est-elle pas arbitraire ? L’approche britannique, à cet égard, est différente. Par ailleurs, peu d’États réclament aujourd’hui à la France des restitutions de ce type. Que conclure lorsque la communauté bénéficiaire ne veut pas récupérer le corps de ses ancêtres, comme c’est le cas pour la communauté de Wamba en République démocratique du Congo qui refuse le rapatriement de ces « fantômes » ?

Les enjeux scientifiques, culturels, éthiques sont en effet complexes, et l’on commettrait une nouvelle erreur en appliquant systématiquement nos schémas de pensée et nos grilles de lecture occidentales. Nous réclamons que soit réellement mise en place – je sais qu’elle est prévue – une information régulière du Parlement avec un rapport annuel présentant les demandes de restitution pendantes, les décisions de sortie des collections prises au cours de l’année écoulée et les travaux préparatoires y ayant conduit, ainsi que les restitutions effectives et les conditions dans lesquelles elles sont intervenues.

Enfin, comme cela a déjà été évoqué, les demandes de restitution devant émaner d’un État, celles en provenance des outre-mer sont exclues par définition. Il n’y a pas de cadre spécifique pour la question des restes humains ultramarins. C’est une anomalie de taille. Le texte exclut de fait, par exemple, la demande guyanaise concernant les Kali’nas. Si j’ai bien compris ce que vous disiez, monsieur le rapporteur, madame la ministre, rien n’est encore définitif à ce stade et l’on comprend l’émoi de nos compatriotes ultramarins. Nous porterons une attention particulière aux réponses apportées à ce sujet.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Nous sommes à 3 000 mètres d’altitude. Nous sommes dans le désert d’Atacama, au Chili. Trois femmes creusent le sol. Elles sont à la recherche des restes de leur frère, de leur sœur, de leurs enfants. C’est ici que Pinochet et son régime d’extrême droite ont enterré les corps des milliers d’opposants politiques qu’ils ont assassinés. Nous sommes en 2010 et le réalisateur Patricio Guzmán filme ces femmes qui, dans un geste désespéré, cherchent des débris d’ossements qui leur ramèneraient des fragments du corps de leur proche. À quelques pas de leurs mains qui creusent sont érigés des télescopes dirigés vers le ciel. Le désert d’Atacama accueille en effet le plus grand observatoire mondial d’astronomie. Des chercheuses et des chercheurs y explorent l’immensité de l’univers, et nos origines. Plus que nul autre, elles et ils savent, comme l’a si bien expliqué en son temps Hubert Reeves, que notre planète et tous les êtres vivants qui y vivent sont composés de milliards d’atomes qui proviennent d’étoiles bien antérieures à la formation du système solaire, il y a environ 5 milliards d’années. Notre corps est constitué à 97 % de ces substances provenant des corps célestes. Peut-être peut-on imaginer que les 3 % restants sont faits de mémoire et de culture, de ce qui nous lie à celles et à ceux passés avant nous, qui ont tracé les pas derrière nous et nous permettent de mieux savoir où poser les nôtres.

Restituer des restes humains, c’est restituer un passé souvent douloureux à ceux à qui il manque. Ceux qui ont une mémoire peuvent vivre dans le fragile temps présent ; ceux qui n’en ont pas ne vivent nulle part.

Ce texte va dans le bon sens, puisqu’il simplifie la procédure de restitution des restes humains présents dans nos collections publiques, dont certains proviennent d’anciennes colonies. Nous sommes d’accord avec le principe de la restitution des restes humains, comme en témoigne la proposition de loi déposée par notre collègue Carlos Martens Bilongo. Nous sommes aussi de fervents défenseurs de la dignité humaine, de l’éthique et du devoir de mémoire, qui fondent le processus de restitution. Nous avons toutefois, vis-à-vis de ce texte, des réserves d’ordre juridique et éthique.

La proposition de loi dispose que la restitution est faite à des fins exclusivement funéraires. Il paraît contradictoire de restituer des restes humains à un pays tout en lui dictant ce qu’il doit en faire. Quel droit voulons-nous concéder aux États qui formulent une demande de restitution ? Acceptons-nous l’idée d’une forme de propriété culturelle ? Qu’en est-il des collections privées, absentes du texte ? Quels moyens supplémentaires consacre-t-on à la formation à la recherche pour authentifier les restes humains ? Quid des territoires ultramarins ? L’Unesco et la déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones imposent de prendre en compte les représentations culturelles des pays d’où proviennent les restes humains : cela doit nous servir de boussole.

Je conclurai en citant l’une des femmes qui creusent le sol du désert d’Atacama, à côté des télescopes tournés vers l’espace : « J’aimerais que ces télescopes ne regardent pas que vers le ciel, mais aussi à travers la terre pour pouvoir les retrouver. » La restitution est aussi une réparation.

Mme Annie Genevard (LR). Cette proposition de loi sénatoriale déposée par Catherine Morin-Desailly, Max Brisson et Pierre Ouzoulias s’inspire d’une mission d’information sur le retour des biens culturels aux pays d’origine présidée par Mme Morin-Desailly. Elle vise à faciliter la restitution à leurs pays d’origine des restes humains présents dans les collections relevant de l’État ou des collectivités territoriales. L’immense majorité des 23 665 restes humains conservés au Muséum national d’histoire naturelle sont d’origine française ; 700 ont été collectés à l’étranger et sont donc susceptibles d’être réclamés par leur pays d’origine et 100 cas sont particulièrement sensibles.

La spécificité de ces biens culturels est évidente et consacrée en droit, puisque le code civil dispose que le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes humains de nos collections publiques sont, j’en suis certaine, conservés avec le soin, le respect, la dignité et la décence qu’exige la loi et qui anime le monde de la conservation française. Ces collections sont le fruit d’histoires diverses et il importe de se pencher sur les conditions de leur constitution. Restituer ces biens, quand le pays d’origine le demande, permet de reconnaître et de dénoncer les conditions dans lesquelles certains d’entre eux ont été collectés. On songe aux massacres perpétrés par les troupes impériales allemandes ou encore à la pratique très choquante des zoos humains. Dans ce cas, la restitution a du sens, puisqu’il s’agit de redonner à ces restes humains la dignité qu’on leur avait niée de leur vivant.

Mais tous les restes humains ne sont pas nécessairement liés à de tels épisodes, éminemment et évidemment condamnables. Certains d’entre eux ont été collectés lors de grandes expéditions naturalistes ou à l’occasion de fouilles archéologiques ; ils constituent une archive formidable qui documente les modes de vie, l’état de santé, les migrations d’une population donnée. Gardons-nous donc, sur cette question, d’une vision univoque dictée par la seule émotion. Il est essentiel de concilier intérêt scientifique et considérations éthiques.

Il est ici proposé, pour contrer « la lourdeur et la complexité de la procédure législative », d’adopter une dérogation de portée générale. Les restitutions seraient désormais décidées par décret en Conseil d’État, après instruction scientifique, sans qu’il soit nécessaire de recourir à une loi spécifique. Toute mesure privant le législateur de son pouvoir de décision doit être prise avec d’infinies précautions. Aujourd’hui, seule une intervention du législateur permet de déroger au principe d’inaliénabilité du domaine public. Rien, demain, n’empêchera d’ouvrir la restitution à d’autres biens culturels pour d’autres motifs. On ne saurait passer ce risque sous silence, et c’est pourquoi je suis résolument opposée à l’alinéa 17 de l’article 1er.

La mission d’information de Catherine Morin-Desailly posait le principe de la restitution des biens culturels, sans plus de précision. La restitution des biens spoliés aux familles juives durant la seconde guerre mondiale ne faisait pas débat, pas plus que celle des restes humains, mais pouvez-vous prendre l’engagement, madame la ministre, vous qui êtes garante des collections publiques, que nous n’irons pas au-delà ?

Mme Géraldine Bannier (Dem). Je tiens à saluer notre collègue Catherine Morin-Desailly qui, au cours des dernières années, a fait évoluer de manière significative l’action des pouvoirs publics en matière de restitution de biens conservés dans nos collections muséales. J’ai également une pensée pour notre collègue du Mouvement démocrate, Nicolas About, qui, grâce à une autre proposition de loi sénatoriale, a ouvert la voie en 2002 à l’une des premières restitutions de restes humains, celle qui permit le retour dans son pays d’origine de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman, surnommée la Vénus hottentote.

Rappelons que cette femme sud-africaine fut réduite en esclavage puis exhibée comme phénomène de foire au Royaume-Uni, en Hollande et en France, avant de susciter la curiosité de nos scientifiques, à commencer par Cuvier, et que son squelette et le moulage de son corps furent exposés au musée de l’Homme jusqu’en 1974. Grâce à la loi de 2002, et à la demande de son pays d’origine qui réclamait sa dépouille depuis les années 1940, Saartjie Baartman a pu être inhumée dignement par les descendants des membres de sa tribu près de son village natal. Ce droit à reposer en paix auprès des siens, il fallut plusieurs décennies et une loi spéciale pour le lui donner. En effet, pour empêcher les restitutions de ce type, le principe de l’inaliénabilité du domaine public, théorisé par l’un de nos grands légistes, Michel de L’Hospital, a toujours été avancé.

Sans méconnaître ce principe protecteur qui régit nos collections muséales, ni la valeur des collections et expositions ethnographiques et ethnologiques, il convient d’opérer une distinction claire entre la mise en valeur d’objets caractéristiques de civilisations extra-européennes, d’une part, et l’exhibition ou le quasi-recel de restes humains, d’autre part. Ce texte nous y invite, en fixant un cadre dérogatoire clair au principe d’inaliénabilité.

Les restes humains conservés dans nos collections publiques ont souvent été acquis de manière douteuse. De surcroît, nombre d’entre eux ont été conservés pour des raisons pseudo-scientifiques comme la phrénologie et la craniologie, des sciences sans conscience très en vogue aux XIXe et XXe siècles. Comme vous l’avez dit au Sénat, madame la ministre, quand ces restes humains sont arrivés dans des conditions suspectes et quand leur conservation dans un musée heurte le principe de la dignité humaine, nous devons nous interroger sur la légitimité de leur présence dans nos collections publiques.

Ce texte permettra, par le consensus et l’étude historique et scientifique, d’extraire de nos collections publiques des restes humains qui n’auraient pas dû y entrer. Il sera suivi, après la remise d’un rapport demandé au Gouvernement, de l’examen d’un autre texte de loi portant spécifiquement sur les restitutions aux territoires ultramarins. Il permettra surtout, et c’est là l’essentiel, aux communautés d’origine d’honorer la mémoire des leurs, dans le respect de leurs rites funéraires. Nous venons de rendre hommage à nos morts. Qui pourrait interdire à ceux qui le souhaitent d’honorer la mémoire des leurs ?

M. Inaki Echaniz (SOC). Cette proposition de loi, qui s’inscrit dans le prolongement d’autres textes relatifs à la restitution de biens culturels, vise à faciliter la restitution à des États étrangers de restes humains appartenant à nos collections publiques : momies de l’Égypte antique ou d’Amérique précolombienne, crânes de combattants s’étant opposés à la colonisation de leur pays par la France, squelettes de personnes que l’anthropologie naissante entendait classer en catégories raciales.

Le texte introduit une dérogation générale au principe d’inaliénabilité, rendant possible sous certaines conditions la sortie de restes humains du domaine public, sans autorisation préalable du Parlement. L’inscription de ce dispositif-cadre dans le code du patrimoine offre une solution globale et transparente pour la restitution des restes humains. Nous ne serons plus confrontés à des décisions au cas par cas et notre pays pourra gérer efficacement de futurs cas de déclassement et de restitution, tout en préservant la dignité humaine de chaque individu concerné.

Le groupe Socialistes et apparentés votera en faveur de cette proposition de loi et nous espérons qu’elle sera adoptée à l’unanimité.

Mme Sophie Taillé-Polian (Écolo-NUPES). Pour construire l’avenir de notre nation, nous devons faire face à notre passé, le connaître et le comprendre. La restitution des biens spoliés durant la seconde guerre mondiale a été un premier pas ; celle des restes humains appartenant aux collections publiques en est un deuxième, qui en appellera d’autres.

Plusieurs centaines d’établissements publics français comptent des restes humains dans leurs collections. Une partie d’entre eux sont d’origine étrangère et certains sont directement issus d’anciennes colonies. Il est temps de reconnaître que le musée n’est pas un espace neutre qui relèverait seulement de l’esthétisme ou de la science et que nos collections publiques sont le résultat d’une histoire, parfois violente, faite de domination et de colonisation. Les collections de nos musées se sont souvent constituées grâce à une politique de saisie et de pillage des biens, mais aussi des corps colonisés, qui est incompatible avec le principe de respect de la dignité de la personne. C’est le cas des restes humains issus des exhibitions coloniales parisiennes, comme les zoos humains.

Nous nous devons de dénoncer ce qui, dans un contexte colonial, était considéré comme une richesse ; nous ne sommes pas les gardiens légitimes de ce que nos aïeux considéraient comme des trophées exotiques. Je pense, comme mes collègues, à Saartjie Baartman, exhibée en Europe jusqu’à sa mort, puis disséquée par les zoologues, qui en ont fait un argument fallacieux de l’inégalité des races, et dont la dépouille n’a été restituée à l’Afrique du Sud qu’en 2002. Il est essentiel de regarder notre passé en face ; cette partie de notre histoire reste une plaie ouverte au cœur de notre République, particulièrement pour ceux de ses enfants qui descendent de peuples colonisés. Les grandes déclarations d’intention ne suffisent plus ; il faut des actes forts.

Grâce à cette loi-cadre, des restes humains pourront être restitués à leur pays d’origine. Il faudra la compléter par un texte relatif aux territoires ultramarins. Je plaide par ailleurs pour la création d’un musée national de l’histoire de la colonisation : il est essentiel d’avoir un lieu qui favorise à la fois la pédagogie et le débat sur ces questions et où l’on puisse travailler à la décolonisation des imaginaires de l’histoire officielle.

Le groupe Écologiste votera cette proposition de loi, comme il a voté celle relative à la restitution des biens spoliés durant la seconde guerre mondiale. Il demande que le Gouvernement s’engage à consacrer des moyens suffisants à la recherche, pour que les identifications nécessaires aux restitutions puissent être faites.

Mme Mereana Reid Arbelot (GDR-NUPES). S’il faut saluer l’engagement du Gouvernement sur la question des restitutions, le texte qui nous est soumis présente d’importantes lacunes et ne permettra pas de guérir les maux de la période coloniale. Il vise à sortir du domaine public français des restes humains, afin de les restituer à leur communauté d’origine. L’idée n’est pas de les faire passer d’un musée de l’Hexagone à un autre musée, mais de les restituer à leur communauté. Pourquoi, alors, en exclure les communautés ultramarines ? On voit bien que l’obstacle n’est pas juridique, mais politique.

Prenons l’exemple très douloureux des Kali’nas. Ces personnes ont été arrachées de chez elles par la force ou la tromperie, elles ont été exhibées comme des curiosités et sont décédées en Europe, loin des leurs. Le territoire des Kali’nas s’étend géographiquement des deux côtés du fleuve Maroni, source de vie. Il est scindé en deux par ce même fleuve, devenu frontière coloniale entre le Suriname et la Guyane au XVIIe siècle. Selon le texte que vous nous soumettez, seuls les Kali’nas du Suriname pourront légitimement formuler une demande de restitution à la France, en passant par l’État du Suriname. Deuxième exemple : l’université de Strasbourg a voulu engager cette année la restitution d’une trentaine de crânes à la Namibie et à la Tanzanie. La demande ayant été formulée par une province et une fondation, et non par ces États eux-mêmes, cette restitution n’entrerait pas dans le cadre de cette loi. Or il conviendrait que les communautés, qui sont souvent des minorités, puissent demander une restitution sans passer par un État.

Il importe également de réfléchir au statut juridique des restes humains en droit français. Que penser, par exemple, du statut des objets funéraires entreposés près des défunts ou sur leur corps, ou des moules réalisées sur les corps Kali’nas ? Il faut pouvoir répondre à ces questions et à celles qui ne manqueront pas de se poser à l’avenir. L’idée selon laquelle les restes humains doivent être restitués à un groupe humain « dont la culture et les traditions restent actives » me paraît également problématique, car cela relève d’une interprétation subjective. En Polynésie, l’association Te Tupuna, Te Tura a déjà procédé au rapatriement de 350 kilogrammes d’ivi, ou ossements, dont certains étaient accompagnés de leurs objets funéraires. Lorsque le muséum d’histoire naturelle de Stockholm a procédé à la restitution des restes marquisiens, il a pris en charge leur transport, ainsi que l’assurance, et le directeur des douanes en Polynésie a accepté d’exonérer de taxe leur rapatriement. Qui paiera les frais de transport des restes qui seront restitués après l’adoption de cette loi ?

Ce texte crée un comité dont le rôle est essentiel et dont la compétence devrait selon moi être élargie au récolement et à la recherche de provenance. Au lieu de se réunir uniquement en cas de doute sur l’identification, il devrait avoir une activité pérenne, au vu de son rôle fondamental dans la recherche de la vérité et la guérison des blessures du passé. Je forme le vœu que les peuples ultramarins ne fassent pas l’objet de lois d’espèce mais qu’ils soient intégrés dans cette loi-cadre.

Malgré toutes les réserves que j’ai formulées, je salue à nouveau le fait que la question des restitutions fasse l’objet d’une proposition de loi. Mon groupe la votera.

Mme Béatrice Descamps (LIOT). De la même manière que notre groupe avait soutenu l’avènement d’une loi-cadre pour accompagner le mouvement de restitution des biens culturels spoliés lors des persécutions antisémites, nous nous satisfaisons de voir advenir un cadre général pour la restitution des restes humains présents dans les collections publiques. Nous saluons notre collègue Catherine Morin-Desailly pour son engagement, qui a permis l’adoption de cette proposition de loi transpartisane au Sénat.

Ce texte vise d’abord à garantir le respect de la dignité humaine en nous assurant que les restes humains feront l’objet de rites funéraires correspondant à leur culture d’origine. Leur collecte s’est souvent faite dans des conditions intolérables : captation patrimoniale dans le cadre du système colonial ; constitution en trophée de guerre ; vol, pillage ou profanation de sépultures. Leur présence au sein des collections publiques ne suffit pas à en faire des biens culturels comme les autres ; ils ne peuvent être perçus et traités comme de simples objets.

L’épisode de la restitution des têtes maories à la Nouvelle-Zélande en 2012 a illustré le caractère parfois sordide de la présence de ces restes humains dans nos collections. Certains ont été prélevés en toute illégalité à l’étranger, à des fins de recherche et de documentation scientifique. Questionner leur origine et engager un travail de restitution aux pays concernés est un élément essentiel du travail de mémoire, de justice et de réparation auquel nous sommes tous attachés. C’est aussi une façon de construire des relations internationales de confiance et de respect. C’est un devoir qui est à la fois éthique et diplomatique.

Plutôt que de ne pas répondre aux demandes formulées ou d’engager des procédures détournées, il convenait d’adopter une loi-cadre, afin d’accompagner ce mouvement de restitution dans des conditions transparentes. Notre groupe se satisfait donc de ce texte équilibré.

Le texte ne dit pas ce qui se passera en cas de refus de restitution. Un recours sera-t-il possible ? Nous proposerons, afin de garantir la transparence de la procédure, que les rapports et avis sur les demandes de restitution soient systématiquement publiés. Nous regrettons également que le texte se limite aux demandes formulées par les pays étrangers et qu’il fasse l’impasse sur les restes humains ultramarins. Nous déplorons que ce problème, qui a bien été identifié par les sénateurs, ne fasse l’objet que d’une demande de rapport, et non d’une procédure ad hoc. Enfin, il importe d’accentuer l’effort de recherche sur la provenance de ces restes humains, ce qui implique des moyens financiers et humains supplémentaires.

Mme Béatrice Bellamy (HOR). On ne peut traiter d’un tel sujet sans émotion, car les collections de restes humains ne sont pas des collections comme les autres. On ne peut traiter d’un tel sujet sans gravité, parce qu’il touche à l’éthique, au sensible et à la dignité et qu’il pose la question de la transformation de restes humains en objets de collection. On ne peut traiter d’un tel sujet sans prudence, enfin, car l’inaliénabilité est au fondement de nos collections publiques et de la constitution de notre patrimoine.

Le groupe Horizons et apparentés est profondément attaché à ce principe, parce qu’il protège notre bien commun et qu’il est un bouclier pour nos institutions culturelles. Toute la force de cette proposition de loi transpartisane est d’avoir trouvé un équilibre entre la dignité du corps humain et l’attachement à l’intégrité des collections publiques. Je me réjouis, madame la ministre, que vous ayez soutenu cette proposition de loi. Nous nous sommes heurtés à plusieurs reprises à la complexité de la procédure législative permettant la restitution. Notre intervention en qualité de législateur et donc indispensable pour définir la procédure et les conditions de la dérogation à l’inaliénabilité. Cette proposition de loi constitue une avancée majeure : la France disposera désormais d’un cadre pour traiter de façon claire et transparente les demandes de restitution de restes humains formulées par des États étrangers.

Le texte simplifie les démarches, clarifie la législation et met fin à certaines polémiques. Il prévoit la création d’une procédure administrative permettant à l’État ou aux collectivités territoriales, sous certaines conditions, de faire sortir de leurs collections des restes humains afin de les restituer à un État étranger, sans recourir à une loi spécifique. Le texte précise clairement les conditions qui seront requises et apporte un certain nombre de garanties, comme la création d’un comité d’experts scientifiques en cas de doute sur l’identification des restes humains ou la nécessité que la collectivité concernée par cette restitution donne son accord. Nous saluons la compétence donnée au Premier ministre d’autoriser la sortie des collections publiques par la voie d’un décret en Conseil d’État. Cette décision sera prise sur la base d’un rapport établi par le ministre de la Culture, qui permettra de s’assurer que les différentes conditions prévues par la présente proposition de loi auront été respectées.

D’autre part, nous saluons la remise au Parlement d’un rapport identifiant les solutions possibles pour introduire une procédure pérenne de restitution des restes humains originaires d’un territoire d’outre-mer et de la Nouvelle-Calédonie. Monsieur le rapporteur, vous pouvez compter sur le plein soutien du groupe Horizons et apparentés pour faciliter les restitutions et développer des coopérations culturelles et scientifiques avec les États demandeurs.

Mme la présidente Isabelle Rauch. Nous en venons aux questions des autres députés.

Mme Fabienne Colboc (RE). Plusieurs centaines d’établissements publics français comptent des restes humains dans leurs collections. S’ils émanent très majoritairement de France, une partie d’entre eux sont d’origine étrangère et proviennent, pour certains, d’anciennes colonies. Pour restituer ces restes humains, il est nécessaire d’obtenir l’approbation préalable du législateur, comme c’était le cas pour les biens culturels spoliés aux familles juives pendant la période nazie, avant la promulgation de la loi-cadre votée sous votre impulsion, madame la ministre. Cela explique en partie que seules deux restitutions par voie législative aient eu lieu jusqu’ici. Quels sont les moyens mis en œuvre pour anticiper les demandes de restitution à venir, c’est-à-dire pour mieux connaître l’état de nos collections, faire de la recherche de provenance et inciter les chercheurs à s’y intéresser ?

Mme Sophie Blanc (RN). Il faut évidemment rendre à leurs pays d’origine les restes humains qui sont exposés dans nos musées et qui ont leur place dans des cimetières. Il y va du respect de la personne. Au-delà de l’aspect humain, il y a aussi un aspect diplomatique, qui ne me semble pas être traité dans cette proposition de loi. Comment la République française peut-elle être sûre que les restes en question seront traités dignement, qu’ils ne seront pas exposés dans des musées locaux et ne seront pas utilisés par le pouvoir à des fins de politique intérieure ?

M. Carlos Martens Bilongo (LFI-NUPES). Le 2 novembre 2022, j’ai déposé une proposition de loi visant à autoriser la restitution par la France des crânes algériens. Une partie de ces crânes appartenaient à des résistants algériens ayant combattu la colonisation française au XIXe siècle. Ces hommes ont été décapités, leurs crânes sont devenus des trophées de guerre et ils ont été conservés au Muséum national d’histoire naturelle. J’ai rencontré de grandes difficultés à identifier nombre de crânes conservés dans ces collections, d’autant qu’une partie d’entre eux avaient déjà été restitués en 2020, sans passer par le Parlement. Je reviendrai, au cours du débat, sur ces difficultés.

Mme Emmanuelle Anthoine (LR). L’article 1er prévoit que la sortie du domaine public de restes humains peut être prononcée si, « du point de vue du groupe humain d’origine, sa conservation dans les collections contrevient au respect de sa culture et de ses traditions ». Avec une condition aussi extensible, la recherche en anthropologie pourrait être privée d’un matériau de recherche essentiel, car nous pouvons nous attendre à ce que nombre de cultures ne se satisfassent pas de la conservation de restes humains dans des collections publiques. Les anthropologues ne pourraient plus étudier des restes humains provenant de pans entiers de l’humanité, alors que leur discipline scientifique s’enrichit par l’étude du genre humain dans toute sa diversité. Le Comité consultatif national d’éthique évoque la nécessité de prendre en compte l’intérêt scientifique de la conservation des restes humains. Comment concilier au mieux la condition précitée avec cet intérêt scientifique ?

Mme Frédérique Meunier (LR). C’est une bonne chose de doter la France d’un mécanisme clair et transparent, s’agissant de la restitution de restes humains appartenant à des collections publiques. La première tentative, en janvier 2022, n’avait pas suscité un vif intérêt chez Mme Bachelot, alors ministre de la Culture – qui craignait peut-être d’ouvrir la boîte de Pandore –, si bien que le texte voté par le Sénat n’avait pas été examiné par l’Assemblée nationale. Ce nouveau texte est proche du premier, même s’il ne prévoit plus la création d’un conseil scientifique chargé de donner son avis sur les demandes de restitution. Je tenais à vous remercier, madame la ministre, d’avoir sollicité nos collègues sénateurs pour le préparer. Je pense cependant qu’il aurait été préférable que le Parlement dans son ensemble soit impliqué, et que les modalités d’application du texte ne reposent pas uniquement sur un décret en Conseil d’État. Le rapport de Jean-Luc Martinez prévoit d’inscrire dans le décret d’application de la loi que les frais d’analyse et de rapatriement des restes humains seront à la charge du pays demandeur. Qu’a-t-il été décidé sur ce point ?

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Merci à tous pour ce débat serein et approfondi sur un sujet éminent important. S’agissant des restes humains algériens, au sujet desquels plusieurs d’entre vous m’ont interrogée, je voudrais d’abord souligner qu’une commission bilatérale ayant accompli un travail scientifique rigoureux est parvenue à un consensus, validant l’identification de vingt-quatre crânes reconnus comme algériens. En l’absence de loi, ce n’est pas une restitution au sens juridique du terme qui s’est ensuivie, mais un dépôt. C’est le récit qui a en a été fait en Algérie qui a suscité la polémique et la confusion, notamment en raison de l’emploi du terme « martyre ». La commission scientifique avait bien confirmé, quoi qu’il en soit, qu’il s’agissait de crânes algériens – ce qui démontre l’importance des commissions bilatérales. Ni le ministre de la Culture, ni ses équipes, ni les parlementaires n’ont les compétences pour identifier les restes humains et pour s’assurer du respect du cadre de restitution prévu par la présente proposition de loi. Il faut faire confiance à ces commissions scientifiques, dont la composition doit être spécifique et réunir les spécialistes de chaque contexte – qu’il s’agisse d’anthropologues, de juristes, d’historiens, de conservateurs de musées ou de représentants autochtones.

L’information régulière du Parlement, essentielle, est gravée dans le marbre des alinéas 19 à 21 de l’article 1er : « Chaque année, le Gouvernement transmet au Parlement un rapport présentant […] les demandes de restitution de restes humains adressées par des États étrangers [et les] décisions de sortie du domaine public […] assorties des rapports et des avis correspondants […]. » Nous nous y conformerons, bien entendu.

S’agissant des collections privées, dont nous avons déjà débattu à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945, il n’est pas possible de légiférer. Il convient néanmoins d’avoir à l’esprit, concernant le cas spécifique des restes humains, que le code civil interdit le commerce du corps humain et que la justice peut, de ce fait, être saisie – ce qui, à ma connaissance, n’est jamais arrivé. S’il est important de poser la question des collections privées, la réponse ne peut passer par le présent texte.

Vous avez été plusieurs à souligner qu’il était important que la recherche scientifique puisse se poursuivre. Je voudrais souligner à cet égard que les restitutions seront très peu nombreuses eu égard au volume de restes humains sur lequel les scientifiques peuvent travailler, et que la recherche ne s’en trouvera pas restreinte. Sachez par exemple qu’il y a pas moins de 30 000 crânes au Muséum national d’histoire naturelle. Je rappelle aussi que les restitutions n’interviendront que sur demande, si elles sont légitimes et après validation d’une commission bilatérale.

J’en viens à la demande concernant les Kali’nas de Guyane, que nous ne laisserons pas sans réponse. Cette demande a pour finalité l’inhumation des restes humains ; un projet de mémorial a d’ailleurs été lancé. Je propose, en attendant que la dérogation au principe d’inaliénabilité des collections autorise l’inhumation, d’effectuer un transfert des restes humains. Cela permettrait de satisfaire la demande de retour sur le sol guyanais et pourrait se faire assez rapidement. La Guyane étant le seul territoire ultramarin à avoir émis une telle demande, nous pourrions ensuite envisager un projet de loi d’espèce : ce pourrait être un bon vecteur pour commencer, permettant de préparer le terrain et de voir arriver d’éventuelles autres demandes. Les premières restitutions de biens spoliés et de restes humains avaient d’abord fait l’objet de lois d’espèce. Mais nous pourrions tout aussi bien travailler ensemble directement à un projet de loi-cadre relatif aux restes humains conservés dans les collections publiques françaises et venant des territoires de notre pays. Je suis ouverte à toutes les options. S’agissant de la Guyane, en tout cas, les travaux scientifiques sont engagés et vont se poursuivre.

Vous m’avez également interrogée sur l’utilisation du terme « groupe humain » – qui a fait l’objet de débats avec les sénateurs et avec le rapporteur. Cette expression est en fait la meilleure alternative au mot « communauté », qui n’a pas de réalité juridique en droit français. Comme nous avons pu le vérifier en consultant le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, elle est régulièrement employée dans les textes de l’ONU notamment dans les conventions de l’Unesco. Il s’agit de l’expression la plus neutre et la plus englobante pour désigner un ensemble de personnes partageant des enjeux communs, culturels ou spirituels par exemple.

J’en viens à votre question, madame Genevard, à laquelle je m’attendais. Vous me demandez de prendre l’engagement qu’il n’y aura pas d’autre projet de loi relatif à d’autres champs de restitutions ; je prends au contraire l’engagement que nous ayons au moins un débat sur la restitution des biens culturels usurpés. Je m’y suis engagée depuis le début, en vous présentant une démarche en trois étapes. Le rapport de Jean-Luc Martinez doit évidemment faire l’objet de discussions avec vous et avec les sénateurs ; de nombreux échanges et consultations seront nécessaires. Quoi qu’il en soit, je ne désespère pas de vous convaincre et j’espère que nous pourrons avoir un débat de la même qualité que celui que nous avons aujourd’hui. Je rappelle qu’une loi relative à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal, proposée par ma prédécesseure Roselyne Bachelot, a été adoptée à l’unanimité. Cela prouve qu’il est possible d’avancer sur ce chemin. Il faut cadrer les choses, bien sûr, et c’est justement le principe d’une loi-cadre : elle permet d’informer les pays demandeurs du cadre – critères, méthode – dans lequel la France envisage les restitutions, et ainsi d’éviter les demandes que l’on pourrait qualifier de farfelues. Je crois à une telle démarche et j’espère que nous aurons d’autres occasions d’en discuter.

M. Christophe Marion, rapporteur. L’intérêt scientifique de ces restes humains doit être mis en balance avec la question du respect dû à la civilisation dont ils sont issus. Je suis plutôt favorable sur ce sujet à la réponse qu’a faite le groupe de travail du Sénat : il a écarté le critère de perte d’intérêt scientifique des restes humains considérés dans la mesure où cet intérêt aurait systématiquement fait obstacle aux restitutions. Les restes humains conservent en effet leur valeur scientifique. En outre, les évolutions de la science permettront peut-être d’ici quelques années d’en tirer des renseignements complémentaires, comme ce fut le cas avec le développement de la recherche sur l’ADN. Ce débat rejoint la question à laquelle les scientifiques sont toujours confrontés : le lancement de fouilles préventives archéologiques implique de détruire le chantier où elles seront menées et soulève le risque de perdre des informations qui auraient pu être découvertes cinquante ou soixante années plus tard.

J’ajoute que le travail mené par les commissions scientifiques bipartites sera l’occasion de documenter le plus possible les informations scientifiques susceptibles d’être obtenues, à un moment donné, à partir des restes humains concernés.

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Il m’a également été demandé comment l’on pouvait s’assurer du respect de la finalité funéraire, une fois la restitution actée. Les restitutions intervenues dans le cadre des lois d’espèce que nous avons déjà mentionnées – la proposition de loi visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories et celle relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman à l’Afrique du Sud – ont toutes abouti à des inhumations. Il n’y a aucune raison de penser qu’un État faisant une demande de restitution à cette fin, pour éviter justement que les restes ne soient considérés comme des pièces de musée, agisse ensuite en contradiction avec ses intentions affichées. Le cas échéant, des conventions de coopération bilatérales signées par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères et par nos ambassadeurs peuvent constituer des garde-fous. Mais elles ne me semblent pas nécessaires, la motivation première des États demandeurs consistant à pouvoir inhumer des restes humains qu’ils ne souhaitent pas voir exposés.

*

Article 1er : Création d’une procédure administrative pour la restitution des restes humains appartenant à des collections publiques

Amendement AC15 de M. Christophe Marion

M. Christophe Marion, rapporteur. Cet amendement rédactionnel vise à supprimer les alinéas 2 et 3, en cohérence avec loi n° 2023‑650 du 22 juillet 2023 relative à la restitution des biens culturels ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AC16 de M. Christophe Marion

M. Christophe Marion, rapporteur. Ce deuxième amendement rédactionnel vise à substituer aux mots : « il peut être décidé de », à l’alinéa 7, les mots : « peut être prononcée ».

La commission adopte l’amendement.

Amendement AC17 de M. Christophe Marion

M. Christophe Marion, rapporteur. Il s’agit de nouveau d’un amendement rédactionnel, visant à remplacer le singulier « reste humain » par le pluriel « restes humains ».

Mme Annie Genevard (LR). Pourquoi ? Le singulier a valeur générale.

M. Christophe Marion, rapporteur. C’est une expression consacrée par les communautés scientifiques : on parle manifestement de « restes humains », au pluriel.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel AC18 du rapporteur.

Amendements AC8 de M. Stéphane Lenormand et AC2 de Mme Mereana Reid Arbelot (discussion commune)

Mme Béatrice Descamps (LIOT). Je serai brève, car nous avons déjà longuement évoqué le sujet. L’amendement AC8 vise à étendre la procédure de restitution de restes humains, prévue pour les seuls États étrangers, aux territoires ultramarins.

M. Christophe Marion, rapporteur. Je comprends votre souci de prendre en compte la question de la restitution des restes humains ultramarins. Il est important de comprendre que celle-ci n’est pas secondaire : bien au contraire, elle est même prioritaire. J’ai d’ailleurs échangé, à l’occasion des auditions que j’ai menées, avec notre collègue Davy Rimane, président de la délégation aux outre-mer. Nous avons également entendu le Grand Conseil coutumier des populations amérindiennes et bushinengués pour évoquer le cas guyanais. Enfin, les historiens consultés – Pascal Blanchard notamment, spécialiste de la question des zoos humains – ont tous signalé l’importance de cette question.

Je suis toutefois aujourd’hui opposé à l’extension du premier article du présent texte aux restes humains provenant des territoires ultramarins pour plusieurs raisons. D’abord, ce texte instaure un cadre de travail binational, interétatique, et organise les relations de la France avec les États étrangers qui pourraient demander la restitution de restes humains. Il s’agit donc d’un texte à visée internationale, dont le cadre n’est pas nécessairement adapté aux réalités ultramarines. Le texte dispose ainsi que c’est un État qui sera habilité à exprimer la demande auprès des autorités françaises – le cas échéant, au nom d’un groupe humain de son territoire. S’il venait à s’appliquer aux territoires ultramarins, qui serait dépositaire d’un tel droit ? La famille liée à l’individu dont proviennent les restes humains ? Dans ce cas, jusqu’à quel degré de parenté ? Comment établir a priori cette filiation ? Que faire si certains membres de la même famille s’opposent à la restitution ? Une association peut-elle exprimer la demande, comme c’est le cas aujourd’hui s’agissant de la Guyane ? Le Grand Conseil coutumier serait-il habilité à la formuler ? Quid des collectivités territoriales ultramarines ? Je considère, s’agissant de ces dernières, que nous n’avons pas eu suffisamment d’échanges avec elles pour leur donner cette nouvelle compétence que, jusqu’à maintenant, elles n’ont pas clairement demandée.

Une loi-cadre ou d’espèce ne sera pas forcément nécessaire pour les territoires ultramarins. Il me semble important de nous laisser le temps de la réflexion, afin de pouvoir imaginer les bons véhicules législatifs et de répondre aux questions que je viens d’évoquer. L’article 2, introduit par le Sénat et prévoyant un délai relativement court d’un an pour envisager les différentes options possibles, me semble répondre à la préoccupation exprimée.

M. Quentin Bataillon (RE). Je pense que nous sommes tous d’accord pour que les restitutions vers les territoires ultramarins soient accélérées ; c’est un sujet très important, que les sénateurs ont d’ailleurs abordé. J’ai bien entendu les souhaits spécifiques émis par des communautés non reconnues ou des groupes humains, mais il y a quelque chose qui me dérange dans ces amendements : les territoires ultramarins faisant partie du territoire national, il est déjà possible, au travers des dépôts et des expositions, d’accélérer les restitutions qui leur sont destinées. Même si une accélération est sans doute nécessaire, un texte législatif ne l’est pas forcément. Il me semble enfin choquant qu’au lendemain des échanges sur le budget de la mission Outre-mer, les territoires ultramarins soient considérés comme des pays étrangers avec lesquels il faudrait négocier.

Mme Ségolène Amiot (LFI-NUPES). Nous touchons là les différentes limites de ce texte, déjà soulevées par plusieurs groupes. Le fait que la demande de restitution ne puisse être formulée que par des États soulève de nombreuses questions, notamment lorsque cohabitent – pas toujours en bons termes – plusieurs groupes humains ou ethnies au sein du même État. S’agissant plus précisément des territoires ultramarins, il me semble que les amendements qui nous sont proposés n’ont pas pour objet de les mettre au même niveau que les pays étrangers mais de reconnaître qu’à une certaine époque la France s’est mal comportée, agissant en pays colonisateur. Je trouve incroyable que l’on ne réponde pas favorablement à la demande de peuples français réclamant la restitution de restes humains.

Mme Mereana Reid Arbelot (GDR-NUPES). Nous n’avons pas l’intention de nous comparer à des États étrangers : nous visons des communautés, des personnes qui souhaitent simplement faire leur deuil et récupérer des corps qui sont souvent ceux de leurs ancêtres. Je pense en particulier à la Polynésie, mais l’ensemble des territoires ultramarins ont connu des faits historiques similaires, liés aux erreurs commises durant la colonisation. C’est notre histoire commune. Nous souhaitons faire reconnaître notre droit à récupérer les corps de nos ancêtres.

Mme Béatrice Descamps (LIOT). Les députés ultramarins expriment cette demande, non pas parce qu’ils ne se sentent pas français – bien au contraire –, mais parce que, dans sa rédaction actuelle, le texte n’accorde pas de place particulière aux territoires d’outre-mer.

M. Guillaume Vuilletet (RE). Cette demande me paraît tout à fait légitime, mais la proposition de loi, qui a trait aux rapports entre États, ne constitue pas le cadre adapté pour lui apporter une réponse. C’est pourquoi les sénateurs ont demandé ce rapport, auquel il nous appartiendra de donner rapidement une traduction. Nous sommes tous désireux de trouver des solutions et d’améliorer les procédures.

Mme Annie Genevard (LR). Ce débat montre que la loi d’espèce est plus adaptée que la loi-cadre, laquelle ne prend pas en considération un grand nombre de situations.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement AC1 de Mme Mereana Reid Arbelot

Mme Mereana Reid Arbelot (GDR-NUPES). Dans la mesure où nous ne souhaitons pas imposer à l’État demandeur des conditions à la restitution, nous proposons de supprimer les mots : « à des fins funéraires ».

M. Christophe Marion, rapporteur. Je partage en grande partie votre analyse : il appartiendra aux communautés de provenance de statuer sur la destination des restes humains restitués, dans le respect du principe de la dignité humaine. Toutefois, rappelons que nous touchons à un principe très ancien puisque l’inaliénabilité du domaine public s’imposait déjà, sous l’Ancien Régime, au roi de France. Les exceptions qui lui sont portées doivent donc être bornées. La notion de « fins funéraires » me semblant problématique, je vous proposerai l’ajout d’un deuxième motif de restitution. Avis défavorable.

Mme Ségolène Amiot (LFI-NUPES). La ministre a rappelé qu’il ne fallait pas « occidentalo-centrer » la loi et imposer au demandeur l’usage qu’il devra faire des restes humains restitués. Or c’est bien ce que l’on fait en précisant que la restitution devra se faire « à des fins funéraires ».

M. Christophe Marion, rapporteur. Je partage votre point de vue ; c’est pourquoi je proposerai de compléter les dispositions de l’alinéa 8. Toutefois, comme je l’ai dit, on ne peut pas déroger aux règles de la domanialité publique sans prévoir des garde-fous.

Mme Annie Genevard (LR). Je suis très opposée à cet amendement. À mes yeux, il faut absolument conserver la mention « à des fins funéraires », même si elle ne garantit pas de tout. La ministre a évoqué la restitution des crânes algériens. Bien que cette opération ait été menée pour un motif funéraire et que les crânes aient été effectivement inhumés, on n’a pas pu empêcher le « narratif » de l’Algérie, pour reprendre le terme de Mme Abdul-Malak. Ce pays a fait de la restitution un hommage rendu à des martyrs, lui conférant ainsi une finalité politique. Si on supprimait la condition tenant aux fins funéraires, on ouvrirait la porte à toutes les intentions, y compris celles dont on ne veut pas. Il ne me paraît pas injustifié, tant s’en faut, que nous fixions des conditions au dessaisissement de notre patrimoine.

La commission rejette l’amendement.

Amendements AC3 de Mme Mereana Reid Arbelot et AC20 de M. Christophe Marion (discussion commune)

Mme Mereana Reid Arbelot (GDR-NUPES). L’amendement AC3 vise à prévoir d’autres motifs de restitution et à laisser le choix au demandeur. Par le passé, la France a commis des erreurs, à l’instar d’autres États coloniaux. Elle doit éviter de continuer à donner des leçons.

M. Christophe Marion, rapporteur. L’amendement AC20 apporte à mon sens une réponse à cette préoccupation. Avis défavorable sur l’amendement AC3.

M. Quentin Bataillon (RE). La demande de notre collègue Reid Arbelot me paraît très juste. Monsieur le rapporteur, pouvez-vous nous confirmer que, dans votre amendement, le terme « mémorielles » inclut la finalité muséale ?

Mme Annie Genevard (LR). Je suis défavorable à ces amendements. Certains de nos collègues de La France insoumise ont évoqué, parmi les finalités de la restitution, la réparation d’un comportement de colonisateur. On voit bien qu’il s’agit d’un motif totalement différent de celui qui est prévu par le texte. Ce serait faire mémoire d’un passé dont nous ne sommes pas particulièrement fiers et que nous ne revendiquons pas, mais qui n’en demeure pas moins le passé de la France. Affirmer la vocation mémorielle de la restitution des restes humains, c’est s’exposer à une exploitation politique telle que celle qui a été faite par les Algériens au sujet des crânes.

Mme Mereana Reid Arbelot (GDR-NUPES). Si je comprends bien, il faut enterrer l’histoire et ne plus en parler.

Mme Annie Genevard (LR). L’histoire est connue !

Mme Mereana Reid Arbelot (GDR-NUPES). Laissez-nous donc le droit d’en parler sereinement !

M. Christophe Marion, rapporteur. Klara Boyer-Rossol, historienne spécialiste de Madagascar, nous dit : « Les usages funéraires, cultuels et sociaux sont infinis. Les communautés devraient avoir le droit de choisir. » L’ajout des mots « et mémorielles » me semble utile pour plusieurs raisons. Certaines coutumes ou certains rites peuvent présenter des dimensions funéraires mêlées à d’autres visées : ainsi, le bain des reliques de la communauté sakalava de l’Ouest malgache consiste à ressortir les reliques royales pour réaffirmer le pouvoir sacré du souverain. Cette cérémonie a donc un but funéraire, car un hommage est rendu aux rois morts, mais elle présente également une utilité sociale en ce qu’elle vise à souder la communauté autour de ses chefs. La mention des fins mémorielles répond à la volonté de n’ignorer aucune des coutumes au sein desquelles les restes humains occupent une place.

Par ailleurs, il me semble que le débat n’est pas toujours tranché, au sein des communautés, concernant les commémorations auxquelles les restes humains doivent être destinés. Le qualificatif « mémorielles » permettrait d’inclure, par exemple, la constitution d’un mémorial et ouvrirait le champ des pratiques considérées.

L’Allemagne a rendu des restes humains à la Namibie, il y a quelques années. Il s’agit, dans ce pays, d’une cérémonie très solennelle qui a pour objet la réhumanisation et la réconciliation. Les restes humains doivent s’intégrer au processus qui vise à guérir les blessures du passé et à discréditer ou faire cesser les idéologies racistes persistantes. Il n’est pas aisé de déterminer s’il s’agit d’un rite funéraire ou d’une cérémonie d’un autre ordre.

Aux États-Unis, des tribus amérindiennes, tels les Spiro Mounds, en Oklahoma, ou des communautés comme les Native Hawaiians sont divisées sur le traitement à réserver aux objets funéraires et aux restes humains. Certains veulent les retirer de la vue des profanes et les ré-inhumer au nom des valeurs ancestrales, tandis que d’autres entendent les préserver pour les générations futures au nom de leur éducation à leur culture d’origine. La notion de « fins funéraires » peut donc paraître assez restrictive en présence de rites ancestraux et de mémoire.

Dans nos civilisations occidentales, lorsqu’on montrait les reliques d’un saint, par exemple pour empêcher l’entrée de la peste dans une ville, il ne s’agissait pas d’un rite funéraire, mais cultuel. En février 2023, lorsqu’on a montré, à Bordeaux, le crâne de saint Thomas d’Aquin pour la première fois depuis le Moyen Âge, ce n’était pas davantage un rite funéraire.

Dès lors, au nom de quoi interdirait-on à des communautés d’exposer les restes d’un roi défunt pour actualiser sa présence ou sa protection ? La notion de « fins mémorielles » me semble ouvrir la voie à des rites ancestraux situés à la frontière entre les rites funéraires et les rites sociaux, cultuels ou historiques.

Mme Sophie Taillé-Polian (Écolo-NUPES). Nous ne pouvons pas être trop prescriptifs à l’égard des États qui souhaitent récupérer des restes humains. Nous devons arrêter d’expliquer aux autres pays ce qu’ils doivent faire et comment ils doivent le faire. La seule chose à laquelle nous devons veiller, conformément à l’esprit du texte, c’est que les restes humains restitués ne fassent pas l’objet d’atteintes à la dignité humaine. Ce principe mis à part, qui sommes-nous pour expliquer ce qu’il faut faire de ces restes humains ? Peut-on interdire l’édification de monuments en hommage à nos anciens combattants – comme nous en avons chez nous – ou d’autres lieux de mémoire, au motif qu’il ne s’agit pas de sépultures au sens strict du terme ? La restitution des restes humains a partie liée, qu’on le veuille ou non, à un travail de mémoire, que nous devrions aussi accomplir, de manière urgente, dans notre pays.

Mme Mereana Reid Arbelot (GDR-NUPES). Il faudrait préciser les termes « restes humains ». On a parfois volé ou pris à des peuples autochtones des objets tels que des lances faites avec des cheveux ou des poils, des tambours comportant des peaux humaines. Je ne pense pas que l’on puisse interdire aux peuples qui vont récupérer ces objets de les exposer à des fins d’éducation des générations à venir. C’est pourquoi je propose, par mon amendement, d’ajouter les mots : « ou muséales ».

M. Christophe Marion, rapporteur. Vous soulevez la question de savoir si les restes humains doivent être entendus stricto sensu ou si cette notion s’étend, par exemple, à des moulages réalisés à partir de corps morts et contenant des cheveux, des poils ou des restes d’ADN. De fait, nous détenons des biens culturels composés pour partie de restes humains, tels des tambours comportant de la peau humaine. Je ne suis pas sûr qu’il nous appartienne de trancher cette question aujourd’hui. J’ai déposé un amendement visant à ce que le comité scientifique, qui sera réuni pour statuer sur l’identification des restes humains et leur restitution, se prononce aussi sur leur qualité. Autrement dit, je souhaite qu’il indique si les objets culturels précités sont des restes humains – la question s’était posée, à l’époque, pour le moulage de Saartjie Baartman.

Successivement, la commission rejette l’amendement AC3 et adopte l’amendement AC20.

Elle adopte l’amendement rédactionnel AC19 du rapporteur.

Amendement AC29 de M. Christophe Marion

M. Christophe Marion, rapporteur. Le texte s’applique aux restes humains vieux de 500 ans au plus, ce qui soulève deux questions. Premièrement, il s’agit d’une barrière mobile, car cet âge s’apprécie à la date de la demande, ce qui peut se révéler problématique. Aussi, je propose de reprendre une proposition faite par Jean-Luc Martinez dans le rapport sur les restitutions qu’il avait remis au Président de la République, à savoir que les restes humains concernés soient ceux de personnes mortes après l’an 1500. Cela permettrait de poser une barrière fixe.

Deuxièmement, plusieurs d’entre vous proposent de repousser la borne à 700 ou à 1 000 ans, en se fondant sur le fait que le Royaume-Uni a fixé la limite à 1 000 ans dans la loi qu’il a adoptée en 2004. Or les Britanniques indiquent qu’il n’y a eu quasiment aucune restitution de restes humains d’une ancienneté supérieure à 300 ans, et pas une seule de plus de 500 ans. En effet, à partir d’une certaine date, il est très difficile d’établir scientifiquement le lien avec une communauté humaine. À un tel degré d’ancienneté, il n’y a plus vraiment de documentation archivistique permettant l’identification précise des restes. Même les analyses ADN n’ont plus guère de sens compte tenu de l’ampleur des mélanges qui ont eu lieu. Il me paraît donc souhaitable de mettre à profit ces enseignements. J’aurai donc un avis défavorable sur les amendements qui tendent à repousser la limite à 700 ou à 1 000 ans.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, les amendements AC4 et AC6 de Mme Mereana Reid Arbelot tombent.

Amendement AC11 de Mme Caroline Parmentier

Mme Caroline Parmentier (RN). Cet amendement d’appel vise à proposer la restitution du reste humain au-delà de 500 ans lorsqu’il est identifié avec certitude et présente un lien géographique, religieux, spirituel et culturel étroit et continu avec le groupe humain. Il semble souhaitable de prévoir cette exception – en nous inspirant de la loi britannique – dans ce cas de figure précis.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel AC21 de M. Christophe Marion, rapporteur.

Amendement AC22 de M. Christophe Marion

M. Christophe Marion, rapporteur. L’amendement vise à réécrire l’alinéa 14 en y apportant plusieurs modifications. D’abord, il précise que le comité scientifique qui sera créé de façon concertée avec l’État demandeur et qui sera saisi d’une demande de restitution de restes humains devra représenter les deux États de manière « équilibrée » afin de ne pas empêcher sa constitution dans les cas où un nombre strictement paritaire de membres entre les deux pays ne pourrait être réuni.

Ensuite, il indique que le comité mène un travail pour « tenter de préciser » l’identification – entendue au sens large comme la qualification de la provenance ou du lien avec un groupe humain d’origine –, alors que la rédaction actuelle prévoit que le travail de vérification scientifique « permet de préciser » l’identification.

Enfin, l’amendement ajoute aux missions du comité celle d’établir que le document archéologique qui lui est soumis peut recevoir la qualification de « restes humains ». Cette qualification n’est pas toujours claire, et il devrait revenir aux scientifiques de la déterminer.

Mme Annie Genevard (LR). Monsieur le rapporteur, avez-vous imaginé, au cours de vos travaux, que des parlementaires puissent faire partie du comité scientifique ?

M. Christophe Marion, rapporteur. Non. La composition du comité n’a d’ailleurs pas été définie. Elle devrait varier au cas par cas, selon les demandes qui sont faites.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AC23 de M. Christophe Marion

M. Christophe Marion, rapporteur. Cet amendement vise à préciser la rédaction de l’alinéa 15, en prévoyant notamment que les tests génétiques ne pourront être réalisés sans l’accord de l’État demandeur. En effet, un certain nombre de communautés s’opposent formellement à ce que des traitements invasifs soient effectués sur des restes humains. Cela pourra empêcher l’identification précise des restes et, éventuellement, remettre en cause la restitution, mais c’est un choix que nous devons respecter.

La commission adopte l’amendement.

Amendements AC13 de M. Carlos Martens Bilongo, AC9 de Mme Béatrice Descamps et AC31 de M. Christophe Marion (discussion commune)

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Par l’amendement AC13, nous demandons que les rapports du comité scientifique et du ministre de la Culture soient rendus publics dès leur finalisation. L’article 1er prévoit qu’en cas de doute sur l’identification du reste humain faisant l’objet d’une demande de restitution, « un travail de vérification scientifique de son origine » soit conduit par ledit comité. Dans une proposition de loi de novembre 2022, Carlos Martens Bilongo affirmait la nécessité de restituer officiellement et intégralement les vingt-quatre crânes que la France a remis à la République d’Algérie pour une période de cinq ans, dans le cadre d’une convention de dépôt, hors de tout cadre légal. Rendre publics les résultats des expertises préalables à la restitution des restes humains, c’est faire de la culture l’affaire de tous et instaurer un contrôle citoyen sur les restitutions.

Mme Béatrice Descamps (LIOT). L’amendement AC9 vise à renforcer la transparence de la procédure de restitution des restes humains, en garantissant la publication systématique des rapports sur la base desquels les restitutions ont lieu.

L’État et les collectivités territoriales pourront faire sortir de leur domaine public, par décret en Conseil d’État, des restes humains sur la base d’un rapport établi par le ou les ministères de tutelle des établissements concernés. L’amendement prévoit de rendre public ce rapport.

La publicité concernerait également le rapport du comité scientifique chargé de vérifier l’identification des restes humains en cas de doute sur celle-ci. Ce document, qui détaille les travaux conduits et fixe la liste des restes humains dont l’origine a pu être établie, est remis au Gouvernement et à l’État demandeur.

L’alinéa 19 prévoit certes la remise annuelle au Parlement d’un rapport présentant notamment les demandes de restitution et les décisions de sortie, assorties des rapports et des avis. Néanmoins une telle rédaction paraît restrictive : elle ne porte par exemple que sur les décisions ayant abouti à une sortie du domaine public.

M. Christophe Marion, rapporteur. Je propose, par l’amendement AC31, de compléter l’alinéa 16 par la phrase suivante : « Il est rendu public, sous réserve de l’approbation de l’État étranger demandeur. »

Je précise qu’il n’y aura pas deux rapports distincts : le comité scientifique remettra son rapport au ministère de la Culture, lequel rédigera le projet de décret sur cette base et le transmettra au Conseil d’État.

Mme Ségolène Amiot (LFI-NUPES). La publication d’un rapport établissant que des restes humains ne proviennent pas de l’État demandeur serait précieuse pour l’État dont ces restes sont originaires, car ce dernier pourrait s’en saisir pour former, à son tour, une demande.

Mme Béatrice Descamps (LIOT). Monsieur le rapporteur, l’ambiguïté du texte peut être source d’incompréhension.

M. Christophe Marion, rapporteur. En effet. C’est pourquoi je propose, par l’amendement AC32, une réécriture de l’alinéa 17 afin de préciser les choses.

Madame Amiot, votre demande est satisfaite car le rapport scientifique sera rendu public – à la condition, toutefois, que l’État demandeur y consente.

La commission rejette successivement les amendements AC13 et AC9.

Elle adopte l’amendement AC31.

Amendement AC32 de M. Christophe Marion

M. Christophe Marion, rapporteur. Comme je l’indiquais, cet amendement vise à clarifier la rédaction de l’alinéa 17.

Mme Annie Genevard (LR). La grande réserve que m’inspire la proposition de loi provient principalement de cet alinéa. Je suis favorable au principe de la restitution des restes humains demandée par les pays d’origine, car elle me paraît légitime. En revanche, je m’oppose à la procédure retenue. L’exposé des motifs indique que le choix de la loi-cadre vise avant tout à éviter une excessive lenteur. Or, lorsque nous nous sommes prononcés sur la restitution des biens spoliés à des familles juives, nous avons mené un travail législatif rapide et efficace. Le seul argument de plus de rapidité me semble très mince et prive le Parlement de son pouvoir de légiférer. On ne peut pas supprimer le caractère inaliénable d’un bien public, qui est une sorte de totem protégeant nos collections, par une loi-cadre qui ouvre la voie à la sortie de nombreux objets du domaine public. La ministre a d’ailleurs reconnu que des procédures étaient en cours pour d’autres biens.

Mme Sophie Taillé-Polian (Écolo-NUPES). Je considère au contraire que le temps législatif est un temps long, ponctué d’une série d’étapes, à commencer par l’inscription à l’ordre du jour. Une loi-cadre permet non seulement d’assouplir les procédures mais aussi et surtout d’affirmer le principe de la restitution, au-delà des cas particuliers.

Mme Géraldine Bannier (Dem). Le rapporteur a parlé d’un seul rapport ; or, dans l’amendement, il est question de deux rapports. Qu’en est-il vraiment ?

M. Christophe Marion, rapporteur. Il n’y aura bien qu’un rapport. Ce point sera clarifié en séance.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel AC27 du rapporteur.

Amendement AC30 de M. Christophe Marion

M. Christophe Marion, rapporteur. L’amendement vise à faire sortir du code du patrimoine une demande de rapport qui n’a pas à y figurer, son inscription dans le présent texte suffisant, et à apporter des modifications rédactionnelles.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AC5 de Mme Mereana Reid Arbelot

Mme Mereana Reid Arbelot (GDR-NUPES). L’amendement est en cohérence avec notre volonté d’intégrer les territoires ultramarins dans le dispositif de restitution des restes humains.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel AC28 du rapporteur.

Elle adopte l’article 1er modifié.

Après l’article 1er

Amendement AC14 de M. François Piquemal

M. Carlos Martens Bilongo (LFI-NUPES). Nous proposons d’inclure dans la liste des missions permanentes des musées de France des cycles de formations scientifiques, afin d’apprendre à identifier et à rattacher à un groupe humain des restes humains conservés dans les collections publiques.

La question des moyens et des formations n’est pas abordée par le texte. En avril dernier, Natacha Pernac, maîtresse de conférences en histoire de l’art moderne, et Aurore Chaigneau, professeure de droit spécialiste des questions de propriété, se sont interrogées dans Libération sur les moyens consacrés à la recherche de provenance des œuvres dans les collections publiques et les compétences nécessaires pour ce faire.

Mme la ministre a rappelé la présence de 30 000 crânes dans les musées nationaux d’histoire naturelle. Il faut former au maximum pour que ces musées puissent trouver la provenance des restes humains en leur possession.

M. Christophe Marion, rapporteur. Les musées de France sont des institutions très diverses par leur taille. Certains n’ont pas plus de deux employés permanents. Ils font de la pédagogie, de la médiation culturelle mais pas de formation professionnelle. Si je comprends l’intention de votre amendement, il serait toutefois compliqué de l’imposer à tous les musées de France, notamment aux plus petits qui n’en auraient pas les moyens. En revanche, il est intéressant d’encourager les formations disponibles en recherche de provenance, comme cela se fait dans le diplôme proposé par l’université de Nanterre, qui permet aux professionnels de se former pendant six mois intégralement en ligne.

Mme Ségolène Amiot (LFI-NUPES). Lors du débat sur les biens spoliés pendant la seconde guerre mondiale, nous avions déjà insisté sur la nécessité de former le plus de personnes possible à la recherche de provenance. La ministre s’était d’ailleurs engagée à soutenir notre demande. S’il n’y avait que 30 000 crânes à identifier dans nos musées ! Il faudrait au moins identifier les origines des restes humains, auxquels est parfois attachée toute une histoire qu’il faut pouvoir retracer.

M. Christophe Marion, rapporteur. La restitution des restes humains, tout comme celle des biens juifs spoliés, nécessite clairement des moyens. Tous les scientifiques que nous avons reçus dans le cadre des auditions ont insisté sur ce point : ce ne pourra pas être un doctorant qui résoudra en trois ans toutes les questions sur les restes humains dans nos collections publiques. Mais je ne suis pas sûr que cela soit l’objet de ce texte ou que nous soyons dans la bonne commission pour en discuter.

Mme Mereana Reid Arbelot (GDR-NUPES). La question de la formation me semble vraiment cruciale.

La commission rejette l’amendement.

Article 2 : Demande de rapport au Gouvernement pour la création d’une procédure applicable aux Outre-mer

La commission adopte l’article 2 non modifié.

Après l’article 2

Amendement AC12 de Mme Caroline Parmentier

Mme Caroline Parmentier (RN). Cet amendement formule une demande de rapport sur le nombre de restes humains étrangers de plus de 500 ans potentiellement sensibles, étant donné qu’ils sont exclus du champ de la proposition de loi.

M. Christophe Marion, rapporteur. Ce pourrait être le rêve de tout conservateur français ! Mais j’ai bien peur que votre demande ne soit irréalisable dans l’année qui vient. Peut‑être la priorité doit-elle se fixer sur l’identification des restes humains postérieurs à l’an 1500, afin de susciter des demandes de pays étrangers qui n’ont pas forcément connaissance de la présence de restes humains dans nos collections publiques. Je souhaiterais aussi qu’une priorité soit accordée aux restes humains ultramarins, de manière à apporter la réponse la plus rapide possible à nos concitoyens outre-mer. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Titre

Amendement AC10 de Mme Caroline Parmentier

Mme Caroline Parmentier (RN). L’alinéa 8 de l’article 1er du texte prévoit la restitution à des États de restes humains appartenant aux collections publiques à des fins funéraires. Aussi, dans un souci de précision, il convient de compléter le titre par les mots : « à des fins funéraires ».

M. Christophe Marion, rapporteur. Je ne pense pas utile d’allonger le titre, d’autant que nous avons inclus une dimension mémorielle à la restitution. Avis défavorable.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

*

*     *

En conséquence, la commission des Affaires culturelles et de l’éducation demande à l’Assemblée nationale d’adopter la présente proposition de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

 

 Texte adopté par la commission : https://assnat.fr/DWYGub

 Texte comparatif : https://assnat.fr/IB10NR

 

 

 


–– 1 ––

 

ANNEXE  1 :
Liste des personnes entendues par le rapporteur

(Par ordre chronologique)

       Cabinet de Mme la ministre de la Culture – M. Sylvain Amic, conseiller en charge des musées, des métiers d’art, du design et de la mode, M. Mathieu Fournet, conseiller en charge du cinéma et des affaires européennes et internationales, et Mme Lauren Gindre, conseillère chargée des relations avec le Parlement et les élus

       Secrétariat général - Service des affaires juridiques et internationales MM. Yannick Faure, chef du service des affaires juridiques et internationales, et Hugues Ghenassia de Ferran, sous-directeur des affaires juridiques

       Direction générale des patrimoines, Service des musées de France  Mme Claire Chastanier, adjointe au sous-directeur des collections

       Professeur Anne Lehoërff, Chaire Inex CY Cergy Paris université, « Archéologie et patrimoine », vice-présidente du Conseil National de la Recherche Archéologique, vice-présidente du Conseil Scientifique de la FMSH, Institut Universitaire de France

       Table-ronde « Universitaires » :

 M. Michel Van Praët, rapporteur du groupe de travail interministériel sur la gestion des restes humains patrimonialisés dans les collections publiques

 Mme Laure Cadot, conservatrice-restauratrice spécialisée dans le traitement des matériaux organiques et des restes humains 

 M. Vincent Negri, chercheur à l’Institut des Sciences sociales du Politique (ENS Paris-Saclay), directeur-adjoint chargé des relations extérieures, Graduate School Humanités-Sciences du Patrimoine (Université Paris-Saclay)

       Son excellence Mme Gillian Bird, ambassadrice d’Australie, Mme Natalie Ross-Lapointe, deuxième secrétaire

     Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) – M. Dominique Garcia, président

       M. Davy Rimane, président de la délégation aux outre-mer

       Museum national d’histoire naturelle et Musée de l’Homme Mme Christine Lefèvre, directrice des collections naturalistes e

       M. Pascal Blanchard, historien, chercheur associé au CNRS, co-président du groupe de recherche Association pour la connaissance de l’histoire de l’Afrique coloniale (ACHAC)

       M. Jean-Philippe Chambrier, secrétaire général du Grand Conseil coutumier amérindien et bushinengué, Mme Bénédicte Fjeke cheffe coutumière du village de Terre Rouge et présidente des chefs coutumiers de Guyane, et Mme Anne-Marie Chambrier, chargée de mission en langues et autochtonie à la Collectivité Territoriale de Guyane

       Mme Klara Boyer-Rossol, historienne, chercheuse et curatrice, membre permanent du Centre international de recherche sur les esclavages et post-esclavages 

       Établissement public du musée du quai Branly  M. Emmanuel Kasarhérou, président

 

 

 

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.


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Annexe  2 :
textes susceptibles d’être abrogés ou modifiés à l’occasion de l’examen de la proposition de loi

Proposition de loi

Dispositions en vigueur modifiées

Article

Codes et lois

Numéros d’articles

1er

Code du patrimoine

Section 3 du chapitre V du titre Ier du livre Ier (nouvelle) –articles L. 115-5 à L. 115-10

 


([1]) Source : Muséum national d’histoire naturelle : https://www.mnhn.fr/fr/collection-osteologique-de-restes-humains

([2]) Soit des restes qui appartiennent au patrimoine du domaine public.

([3]) Dans sa décision n° 2018-743 QPC du 26 octobre 2018, Société Brimo de Laroussilhe.

([4]) Cet article dispose que : « Les collections des musées de France sont imprescriptibles ».

([5]) Soit l’État, les collectivités territoriales, leurs groupements et les établissements publics.

([6]) Comme l’indique le Conseil d’État dans son avis rendu sur le projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal n° 3221 : « Il résulte de la combinaison de cet article L. 451-5 du code du patrimoine et de l’article L. 2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques qu’un déclassement par la voie administrative n’est possible que lorsqu’un bien a perdu tout intérêt public du point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie, de la science ou de la technique ». https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/restitution_biens_culturels_Benin_Senegal?etape=15-AN1-DEPOT

([7]) Le cas de Saartjie Baartman jeune femme d’ethnie khoisan originaire de la colonie du Cap (aujourd’hui province de l’Afrique du Sud) exhibée en Europe de 1810 à sa mort en 1815, à Paris, a ainsi donné lieu à une œuvre cinématographique après la restitution de ses restes à l’Afrique du Sud en 2010.

([8]) L’article dispose que « le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial »

([9])  Soit la loi 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain.

([10])  L’article 11 de la loi du 4 janvier 2002 disposait ainsi dans sa version initiale, en son II : « Les biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont, à ce titre, inaliénables. Toute décision de déclassement d’un de ces biens ne peut être prise qu’après avis conforme d’une commission scientifique dont la composition et les modalités de fonctionnement sont fixées par décret. » Pour l’application de cet article, le décret n° 2002-628 du 25 avril 2002 en son article 16 une Commission scientifique nationale des collections des musées de France, qui a été supprimée en 2016.

([11])  TA Rouen, 27 décembre 2007, n° 70773, confirmé par CAA Douai, 24 juillet 2008.

([12])  Les restes humains « patrimonialisés » et la loi, Marie Cornu, Technè, 44, 2016.

([13]) Avis n° 111 du Comité consultatif national d’éthique sur les problèmes éthiques posés par l’utilisation des cadavres à des fins de conservation ou d’exposition muséale, 2010.

([14]) Michel Van Praët, Claire Chastanier – Groupe de travail sur la problématique des restes humains dans les collections publiques, Les restes humains dans les collections publiques, OCIM, janvier 2019.

([15]) Voir le rapport d’information sur les restitutions des biens culturels appartenant aux collections publiques de MM. Max Brisson et Pierre Ouzoulias, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, 16 décembre 2020, Sénat, n °239 (2020-2021), https://www.senat.fr/rap/r20-239/r20-239.html

([16])  Voir l’article en ligne : https://blogterrain.hypotheses.org/15649

([17]) Ces désaccords existent aux États-Unis par exemple, où les Native Hawaiians tout comme les Amérindiens de Spiro Mounds en Oklahoma se déchirent sur le traitement adéquat des restes funéraires.

([18]) L’article dispose, depuis la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine : « Constituent des éléments du patrimoine archéologique tous les vestiges, biens et autres traces de l’existence de l’humanité, y compris le contexte dans lequel ils s’inscrivent, dont la sauvegarde et l’étude, notamment par des fouilles ou des découvertes, permettent de retracer le développement de l’histoire de l’humanité et de sa relation avec l’environnement naturel. »

([19]) La proposition de loi définit les restes humains comme « un corps complet » ou « un élément de corps humain »

([20]) Anne Lehoërff, « Rencontre avec nous-même. Les restes humains en contexte archéologique », Revue Esprit, septembre 2019.

([21]) La dépouille de Louise De Quengo membre de la noblesse bretonne du XVIIe siècle, a été découverte à l’occasion d’un chantier de fouilles préventives dans le couvent des Jacobins à Rennes en 2014.

([22]) Amendement de Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure (Les Républicains).

([23]) Amendement de Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure (Les Républicains).

([24]) On pense, par exemple, aux tambours tendus de peaux humaines.  

([25]) Décision n° 2018-743 QPC du 26 octobre 2018, Société Brimo de Laroussilhe.

([26]) Un transfert qu’empêche l’inaliénabilité liée à leur appartenance au domaine public.

([27]) Article L. 2141-1 du code général de la propriété des personnes publiques : « Un bien d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1, qui n’est plus affecté à un service public ou à l’usage direct du public, ne fait plus partie du domaine public à compter de l’intervention de l’acte administratif constatant son déclassement. »

([28]) Ibid.

([29])  Selon l’article L. 451-5 du code du patrimoine

([30]) Anciennement, cette mission incombait à la Commission scientifique nationale des collections (CSNC), supprimée par la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique (dite « loi ASAP »).

([31]) Ainsi que l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 86-217 DC du 18 septembre 1986, qui précise que ce principe « s’oppose seulement à ce que des biens qui constituent ce domaine soient aliénés sans qu’ils aient été au préalable déclassés ».

([32]) Loi n° 2002-203 du 6 mars 2002 relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman à l’Afrique du Sud.

([33]) Loi n° 2010-501 du 18 mai 2010 visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande.

([34]) Après la loi autorisant la restitution des têtes maories par la France, un groupe de travail pluridisciplinaire a été mis en place par le ministère de la Culture et le ministère de la Recherche et de l’innovation, présidé par M. Michel Van Praët, professeur émérite au Muséum national d’histoire naturelle, afin d’approfondir le travail amorcé par la Commission scientifique nationale des collections.

([35]) Michel Van Praët, « Les restes humains à la croisée de plusieurs questions sensibles », La Lettre de l’Ocim, n° 183, mai-juin 2019.

([36]) Rapport d’information sur les restitutions des biens culturels appartenant aux collections publiques de MM. Max Brisson et Pierre Ouzoulias, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, 16 décembre 2020, Sénat, n °239 (2020-2021)

([37]) Proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques de Mme Catherine Morin-Desailly et MM. Max Brisson et Pierre Ouzoulias, 12 octobre 2021, Sénat, n° 41 (2021-2022).

([38]) Cela était le cas des Maoris en 2010 et cela est aussi la position des Aborigènes australiens.

([39]) Amendement de Mme Morin-Desailly.

([40]) L’Allemagne a procédé à la restitution de nombreux restes humains namibiens. Ils sont actuellement conservés au Musée national de Namibie, dans des lieux inaccessibles au public. Les communautés ne sont pas toujours d’accord sur le traitement de ces restes humains : doivent-ils être enterrés ou exposés comme preuves du génocide ou des atrocités passées ? https://www.museumsbund.de/wp-content/uploads/2021/07/dmb-leitfaden-umgang-menschl-ueberr-fr-final.pdf  

([41])  https://assnat.fr/LoBztX