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N°1862

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 novembre 2023.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION tendant à la création
d’une commission d’enquête sur le modèle économique des entreprises
de crèches et la qualité de l’accueil des jeunes enfants
au sein de leurs établissements,

 

 

 

 

Par M. William MARTINET,

 

Député.

 

——

 

 

 

Voir le numéro : 1110.


 

 

 

 


1 –

 

SOMMAIRE

___

Pages

introduction

I. Une proposition de rÉsolution respectant les critÈres de recevabilitÉ fixÉs par le rÈglement de l’AssemblÉe nationale

II. Une commission d’enquÊte nÉcessaire au regard de la gravitÉ des dÉrives dÉcoulant de la FINANCIARISATION du secteur de la petite enfance

TRAVAUX DE LA COMMISSION

 


1 –

 

   introduction

Le 24 avril 2023, M. William Martinet et plusieurs de ses collègues ont déposé une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur le modèle économique des entreprises de crèches et la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements (n° 1110).

L’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et les articles 137 à 144-2 du Règlement de l’Assemblée nationale fixent le régime de la création et du fonctionnement d’une commission d’enquête parlementaire.

L’article 140 dispose ainsi que « les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont renvoyées à la commission permanente compétente ». La présente proposition de résolution a par conséquent été renvoyée à la commission des affaires sociales.

Dans le cadre de la procédure de droit commun, la commission saisie au fond doit, d’une part, vérifier si les conditions requises pour la création d’une commission d’enquête sont réunies et, d’autre part, se prononcer sur son opportunité. Dans l’hypothèse où la commission conclut positivement sur ces deux points, la création résulte dans un dernier temps du vote par l’Assemblée de la proposition de résolution déposée à cet effet.


I.   Une proposition de rÉsolution respectant les critÈres de recevabilitÉ fixÉs par le rÈglement de l’AssemblÉe nationale

Les articles 137 à 139 du Règlement fixent les conditions de recevabilité des propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête.

 L’article 137 du Règlement prévoit que les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête « doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ». Cette disposition est directement inspirée par l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 précitée.

En l’espèce, l’article unique de la proposition de résolution vise à créer une commission d’enquête chargée d’investiguer le modèle économique et financier des entreprises de crèches, leur utilisation des fonds publics et les conséquences de la recherche de profit sur les conditions de travail des professionnels de la petite enfance et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants.

Cet article précise qu’elle devra notamment analyser et évaluer :

– « les informations financières des entreprises de crèches pour mesurer leur taux de profitabilité, la contribution des financeurs publics à cette profitabilité, la constitution de capitaux personnels ou professionnels qui en découlent » ;

– « les montages financiers soupçonnés de donner lieu à des malversations et les failles de la réglementation permettant leur existence » ;

– « les stratégies de lobbying des entreprises de crèches et leur impact sur les pouvoirs publics, ainsi que les éventuels conflits d’intérêt au sein des instances de gouvernance des organismes financeurs » ;

– « les conditions d’accueil des jeunes enfants et de travail des professionnels dans ces établissements, ainsi que les conséquences de la recherche de rentabilité sur ces conditions d’accueil et de travail » ;

– « d’éventuels abus dans la relation commerciale entre les entreprises de crèches et les parents. »

Par conséquent, la résolution doit donc être regardée comme définissant précisément le périmètre d’investigation de la commission d’enquête, au sens de l’article 137 du Règlement.

● L’article 138 du Règlement prévoit par ailleurs l’irrecevabilité de « toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 1451 ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre ».

Dans le cas présent, aucune commission d’enquête ni aucune mission d’information à laquelle ont été conférées les prérogatives attribuées à une commission d’enquête n’a été créée sur ce sujet au cours des années précédentes.

● Enfin, l’article 139 du Règlement précise qu’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête parlementaire portant sur des faits donnant lieu à des poursuites judiciaires ne peut être discutée. Cette disposition est également inspirée de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 précitée.

À cet effet, le dépôt de la proposition de résolution doit être notifié par le Président de l’Assemblée au garde des Sceaux, ministre de la justice.

En l’espère, interrogé par la Présidente de l’Assemblée nationale, M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice, lui a fait savoir par courrier en date du 31 mai 2023 qu’il n’avait « pas connaissance de poursuites judiciaires en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ».

En conséquence, le rapporteur estime que la proposition de résolution répond aux conditions fixées par l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 précitée et par les articles 137 à 139 du Règlement de l’Assemblée nationale.

Aucun obstacle ne s’oppose donc à la création de la commission d’enquête.

II.   Une commission d’enquÊte nÉcessaire au regard de la gravitÉ des dÉrives dÉcoulant de la FINANCIARISATION du secteur de la petite enfance

● L’année 2023 a été marquée par la publication successive d’un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), commandité à la suite du décès d’une fillette de 11 mois empoisonnée dans une entreprise de crèche appartenant au groupe People & Baby en 2022, et de deux ouvrages dénonçant des maltraitances subies par les enfants accueillis dans des crèches du secteur privé lucratif.

Dans son rapport intitulé « Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches » ([1]), l’Igas a relaté des faits de maltraitance, d’origine individuelle ou institutionnelle, constatés lors de visites de d’établissement, d’auditions de professionnels de la petite enfance, et de questionnaires envoyés aux services de la protection maternelle et infantile (PMI) et aux professionnels.

À titre d’illustration, le rapport cite des exemples caractéristiques :

– de négligence et de travail à la chaîne : « des bains donnés en 2 min car plus le temps, des enfants oubliés sur les toilettes » ;

– d’absence de réponse aux pleurs des enfants : « des enfants laissés en pleurs jusqu’à ce qu’ils s’endorment d’épuisement » ;

– de manque de respect du rythme de l’enfant : « accueil des enfants en plein milieu de leur heure de sieste pour faire du remplissage et boucher les trous » ;

– de manque de soin apporté aux enfants : « laisser un enfant avec une couche souillée car ce n’est pas le moment des changes » ;

– de jugement et d’humiliation : « humilier les enfants qui ont eu un accident durant l’acquisition de la propreté » ;

– de punitions humiliantes : « enfermer un enfant seul dans un dortoir parce qu’il ne voulait pas manger dans son assiette » ;

– de forçage alimentaire : « le forcer à manger en tenant sa mâchoire » ;

– de violence physique : « s’asseoir sur un enfant pour qu’il reste dans son lit au sol » ([2]).

L’Igas considère que ces constats ne sont pas représentatifs de l’ensemble des établissements d’accueil de jeunes enfants (EAJE) et que la qualité d’accueil doit être considérée comme « particulièrement hétérogène ». Entre autres facteurs de risque à l’origine de maltraitance institutionnelle, l’inspection pointe « la régulation insuffisante du secteur marchand [pouvant] laisser prospérer des stratégies économiques préjudiciables à la qualité d’accueil » ([3]).

Ces constats sont également partagés par les journalistes Bérangère Lepetit et Elsa Marnette dans leur ouvrage Babyzness ([4]), de même que par les journalistes Daphné Gastaldi et Mathieu Périsse dans leur ouvrage Le Prix du berceau. Ce que la privatisation des crèches fait aux enfants ([5]). Ils y révèlent des pratiques contestables dans le secteur privé lucratif : rationnement des repas et des couches, équipes réduites et poussées à bout par le manque d’effectifs, professionnels non qualifiés pour le travail auprès de jeunes enfants, etc. Les journalistes ont tous souligné que ces maltraitances organisationnelles et économiques découlaient de la recherche de rentabilité propre au secteur privé lucratif.

Plusieurs parents dont l’enfant a été victime de violence au sein de crèches privées lucratives se sont eux‑mêmes emparés de la question en déposant plainte auprès des juridictions compétentes. Cependant, les requérants se heurtent à la difficulté de mettre en cause la maltraitance institutionnelle à travers une procédure judiciaire. Ceux qui ont pris la parole dans l’espace public considèrent avoir subi des pressions importantes de la part des entreprises concernées par la voix de leur service juridique.

● Le développement des entreprises de crèches est le fruit de décisions politiques prises il y a près de vingt ans. En 2004, un tournant décisif s’opère, sous l’impulsion de Christian Jacob, alors ministre délégué chargé de la famille : l’accueil des enfants en crèches s’ouvre au secteur privé marchand, soutenu par des subventions publiques, et encouragé par le mécanisme de la délégation de service public. L’instauration du crédit d’impôt famille (Cifam), accordé aux entreprises qui financent la réservation de berceaux en crèches pour leurs salariés, a également contribué à l’essor des entreprises de crèches.

Ce cadre particulièrement avantageux pour les entreprises de crèches, conjugué à un manque de places dans les crèches du secteur public et du secteur privé associatif, a permis à des acteurs privés lucratifs de s’approprier une part du marché de plus en plus importante.

Par ailleurs, en 2010, la transposition en droit français de la directive européenne sur les service dite « Bolkestein » ([6]) a constitué une occasion manquée pour les pouvoirs publics de limiter la marchandisation du secteur de la petite enfance. Il aurait alors été possible de considérer l’accueil du jeune enfant comme un service d’intérêt général, afin de l’exclure du champ d’application de cette directive qui organise la concurrence entre les services marchands. Ce choix n’a pas été retenu, confirmant la libéralisation du secteur.

Cités dans l’ouvrage Babyzness, les propos tenus par Édouard Carle, cofondateur du groupe Babilou, dans l’émission « Le Talk Décideurs », sur le site du Figaro, le 7 janvier 2019, laissent penser que la dérégulation du marché des crèches a été décidée sous l’influence des entreprises du secteur : « Il y a quinze ans, les textes de loi qui permettaient à une collectivité de faire appel à une entreprise n’existaient pas. On a ouvert ce marché, on a, avec les politiques de l’époque, rédigé les textes de loi pour qu’une collectivité puisse faire appel à nous et on a créé les premiers partenariats public/privé. »

Ainsi, depuis 2004, le secteur de l’accueil des jeunes enfants a fait l’objet d’une marchandisation croissante. Au cours des dix dernières années, 80 % des nouvelles places en crèches créées l’ont été par des entreprises du secteur privé lucratif. En 2023, 18 % des enfants de moins de 3 ans sont accueillis au sein d’un établissement d’accueil du jeune enfant. Parmi ces enfants, 58 % sont accueillis en crèche publique, 22 % en crèche associative, et 20 % en crèche privée ([7]). Au total, les entreprises privées proposent ainsi 90 000 places en crèches.

Aujourd’hui, la structure du marché des entreprises de crèches traduit une importante concentration des acteurs : quatre grands groupes – Babilou, Les Petits Chaperons Rouges, People & Baby, et La Maison Bleue – représentent 80 % du nombre total de berceaux proposés par le secteur privé lucratif ([8]). Certains de ces groupes sont adossés à des fonds d’investissement : c’est le cas de Babilou, racheté en 2020 par Antin Infrastructure Partners, et de Grandir, propriétaire des crèches Les Petits Chaperons Rouges, en partie détenu par Infravia Capital Partners.

L’intérêt porté par les fonds d’investissement aux entreprises de crèches suggère qu’elles autorisent un haut niveau de rentabilité. Ce point est confirmé par l’Igas : « Environ 25 % des entreprises de crèches ont un taux de profitabilité supérieur à 14 % et en particulier quelque 5 % d’entreprises de crèches ont un taux de profitabilité supérieur à 25 %. » ([9]) Dans ce même rapport, l’inspection suggère que « la profitabilité des établissements appartenant à des groupes de taille importante pourrait être bien supérieure aux chiffres moyens ».

Ces éléments tendent à prouver que l’accueil de jeunes enfants s’avère être une activité particulièrement lucrative, ce qui questionne d’autant plus qu’elle est essentiellement financée par de l’argent public. Dès 2017, l’Igas et l’Inspection générale des finances (IGF) avaient pu noter un « sur-calibrage des financements publics, particulièrement pour les structures faisant appel à des entreprises réservataires » ([10]). En 2023, l’Igas a souligné l’existence d’une « zone de risque importante quant à la bonne orientation des financements publics » ([11]).

Parmi les risques identifiés, une politique de compression de la masse salariale avec pour objectif de réorienter les fonds publics destinés à la rémunération des personnels vers un accroissement des marges des entreprises de crèches. En 2023, l’Igas note que dans les crèches privées lucratives financées par la prestation de service unique (PSU), « on constate une progression anormalement faible des frais de personnel à la place entre 2012 et 2021 : ces frais diminuent de 2 %, et marquent un décrochage vis-à-vis de l’évolution générale des salaires et des prix, tandis qu’ils augmentent de 18,5 % dans les établissements en gestion communale, et de 11,4 % dans les établissements en gestion associative. Cet écart ne peut s’expliquer ni par une hausse de l’externalisation des fonctions, ni par une progression des taux d’occupation. » ([12])

Par ailleurs, des représentants syndicaux du personnel des caisses d’allocations familiales (CAF) alertent sur la mauvaise utilisation des subventions d’investissement allouées par les CAF : « nous avons été confrontés depuis quelques années à des montages d’opérateurs individuels privés qui maximisent leur patrimoine privé à l’aide généreuse des subventions de la CAF ». Ils expliquent ainsi que lorsqu’un projet de création de crèche est présenté, deux sociétés sont systématiquement constituées, dont l’une sous forme de société civile immobilière, pour acheter les murs de l’établissement, lorsque l’autre gère la structure. De fait, selon eux, « ce montage permet à travers la SCI d’augmenter le patrimoine personnel de l’opérateur aux dépens de la structure de gestion de la crèche » ([13]).

Cette situation interroge à la fois le modèle économique et financier des entreprises de crèches, soutenues par des financements publics, et plus largement la marchandisation du secteur de la petite enfance, qui se voit ainsi imposer une logique de rentabilité difficilement conciliable avec le temps et les soins qu’exige l’accueil de jeunes enfants en crèche.

C’est ce que relève l’Igas, faisant le lien avec le scandale Orpea ayant touché le secteur des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ([14]) : « Les leçons tirées en 2022 des rapports entre la puissance publique et les gestionnaires privés d’Ehpad peuvent à ce titre être très largement appliquées au secteur des crèches. Le secteur des crèches est marqué par la domination de grands groupes engagés dans des stratégies de croissance ambitieuses, par une entrée des fonds de capital-investissement dans l’actionnariat du secteur. Cette dynamique doit susciter la vigilance de l’État, tant pour les risques de coûts financiers que représente cette dynamique, que pour les exigences de rentabilité qui peuvent lui être associées. » ([15])

● En effet, comme les personnes âgées en perte d’autonomie, les jeunes enfants doivent être considérés comme des personnes vulnérables. Cette vulnérabilité constitue un facteur de risque sur lequel nous devons être collectivement vigilants, quel que soit le statut de l’établissement – public, associatif ou commercial.

Toutefois, la prise en charge de ces personnes vulnérables par des établissements privés lucratif engendre un second facteur de risque : les entreprises, par définition animées par la recherche de profit, tendent à optimiser leurs marges, parfois au détriment des personnes qui leur sont confiées. Dès lors, si des maltraitances peuvent toujours être constatées dans le secteur public ou le secteur associatif, il existe un plus grand risque qu’elles se produisent dans le secteur marchand.

La place accordée aux acteurs privés lucratifs pour l’accueil des jeunes enfants interroge les acteurs de la petite enfance dans leur diversité. Ainsi, l’Union nationale des associations familiales (Unaf), évoquant les crèches privées lucratives, nous alerte sur « les dérives d’un système débridé » synonyme de « coût exorbitant pour les familles » et de « logique de rentabilité au détriment de la qualité » ([16]).

La commission d’enquête envisagée par la présente proposition de résolution a précisément pour objet d’investiguer la manière dont le modèle économique et financier des entreprises privées, soutenu par des financements publics, peut conduire aux dérives constatées par le rapport de l’Igas, par les journalistes Bérangère Lepetit, Elsa Marnette, Daphné Gastaldi et Mathieu Périsse, par les professionnels du secteur et par les parents des jeunes enfants qui en sont les victimes.

Cette commission d’enquête parlementaire est donc nécessaire, afin d’analyser les liens qui existent entre les entreprises de crèches, leurs représentants d’intérêts, et les pouvoirs publics ; d’évaluer le coût, pour la collectivité, de ce modèle économique et financier ; et de mesurer son impact sur les conditions de travail des professionnels du secteur et sur la qualité de l’accueil proposé aux enfants et aux parents.

 


1 –

 

   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Lors de sa réunion du mercredi 15 novembre 2023, la commission examine la proposition de résolution tendant à tendant à la création d’une commission d’enquête sur le modèle économique des entreprises de crèches et la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements (n° 1110) (M. William Martinet, rapporteur) ([17]).

M. Paul Christophe, président. La Conférence des présidents de mercredi dernier a inscrit à l’ordre du jour de la séance publique de l’après-midi du 28 novembre prochain la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur le modèle économique des entreprises de crèches et la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements.

Nous examinons donc aujourd’hui cette proposition de résolution.

M. William Martinet, rapporteur. Quel est le point commun entre des pipelines en mer du Nord, la fibre optique aux Pays-Bas, les chemins de fer en Italie et les crèches en France ? Un fonds d’investissement, Antin Infrastructure Partners, coté en Bourse, capitalisé à hauteur de plusieurs milliards d’euros, spécialisé dans les transports, la communication et l’énergie. Dans son portefeuille, on trouve l’entreprise Babilou, numéro deux des crèches privées en France, avec 13 540 berceaux.

Cet exemple est représentatif du secteur des crèches privées lucratives dans notre pays : hyperconcentré – quatre grands groupes se partagent les trois quarts des berceaux – et hyperfinanciarisé – ces groupes sont liés, directement ou indirectement, à des fonds d’investissement.

Cette réalité est peu connue des parents des 90 000 enfants accueillis dans les crèches privées lucratives. Rien d’étonnant à cela : c’est la conséquence de stratégies marketing bien rodées. Les parents réservent des berceaux dans des crèches appelées Les Clochettes, La Maison des kangourous, Lapins et compagnie, etc. ; ils ne se doutent pas qu’ils confient leurs enfants à des entreprises dirigées par des fonds d’investissement.

Ce sont pourtant bien ces derniers qui tirent les ficelles. Le haut niveau de rentabilité qu’ils exigent des entreprises de crèches produit, dans certains cas, une maltraitance économique dont sont victimes les jeunes enfants. Je parle de repas rationnés, d’économies sur les produits d’hygiène, de professionnelles épuisées car en sous-effectif et insuffisamment qualifiées, d’inscription de bébés en surnombre dans les établissements.

Ces faits sont malheureusement documentés très clairement par deux enquêtes journalistiques publiées en septembre 2023 : Le Prix du berceau, de Daphné Gastaldi et Mathieu Périsse, et Babyzness, de Bérangère Lepetit et Elsa Marnette. Si nous discutons de l’opportunité d’une commission d’enquête parlementaire à ce sujet, c’est bien que le vernis est en train de craquer et qu’une prise de conscience se fait quant aux dérives du système des crèches privées lucratives.

Une prise de conscience qui trouve sans doute son point de départ dans un événement dramatique : la mort d’une fillette des suites d’un empoisonnement dans une crèche du groupe People & Baby, à Lyon, en juin 2022. À partir de cette date, la parole s’est libérée et les témoignages se sont accumulés concernant des actes de maltraitance de divers niveaux de gravité.

Le corollaire de cette prise de conscience est l’inquiétude grandissante des parents. Prenons quelques minutes pour nous mettre à leur place. Ils savent que le système dysfonctionne et qu’il existe un risque pour leur enfant. Ce climat anxiogène les pousse à se poser des questions auxquelles aucun parent ne devrait être confronté.

Quand, à la sortie de la crèche, un enfant a très faim et qu’il demande plusieurs goûters, et que cela se produit plusieurs jours d’affilée, les parents s’interrogent : la nourriture est-elle en quantité suffisante, ou la crèche rationne-t-elle pour faire des économies ? Les professionnelles sont-elles assez nombreuses pour accompagner tous les enfants lors du repas ou des enfants sont-ils laissés de côté par manque de temps ?

Lorsqu’un enfant rentre chez lui avec une ecchymose ou une blessure plus grave et que les parents n’ont pas d’explication, ou que les explications sont fluctuantes et contradictoires, un doute s’installe : la crèche essaie-t-elle de cacher un événement grave ? Une professionnelle, peut-être surmenée, peut-être au bord du burn-out, a-t-elle eu un geste violent à l’égard de l’enfant ?

Lorsque l’enfant, après quelques jours ou semaines d’accueil au sein d’une crèche, régresse dans ses apprentissages – il n’est plus propre, il ne s’exprime plus –, est-ce dû à un événement traumatique ? Les conditions d’accueil sont-elles si dégradées qu’il en est perturbé psychologiquement ?

Pour obtenir des réponses à ces questions particulièrement angoissantes, des parents ont le courage de demander des comptes aux grands groupes de crèches. Ils interpellent la direction, questionnent les autres parents ; parfois, ils engagent des procédures judiciaires. Malheureusement, ils sont isolés, en position de faiblesse, et subissent des pressions de la part des services juridiques des entreprises de crèches. J’ai recueilli les témoignages de plusieurs d’entre eux qui, après avoir osé parler, se sont soudain vu annoncer la rupture de leur contrat, se sont retrouvés sans mode d’accueil pour leur enfant et ont été contraints d’arrêter de travailler.

Ces parents ont besoin de notre aide. Lancer cette commission d’enquête parlementaire, c’est leur envoyer un message fort : la représentation nationale sera à leurs côtés et utilisera les moyens légaux à sa disposition pour faire toute la lumière sur les maltraitances dans les crèches privées lucratives.

Parmi ceux qui espèrent cette commission d’enquête, il y a aussi les professionnelles qui travaillent au sein de ces crèches. Elles exercent un métier difficile dans des conditions dégradées et n’acceptent pas que la maltraitance soit réduite à une série d’actes individuels. La commission d’enquête aura pour objectif de dévoiler le caractère institutionnel de la maltraitance et le système économique où celle-ci trouve son origine : la pression exercée par la recherche de profits, inhérente à toute entreprise et décuplée lorsque des fonds d’investissement sont actionnaires.

Ne nous trompons pas : pour l’essentiel, ces professionnelles cherchent à préserver les enfants de la pression financière, parfois au détriment de leur propre santé mentale ou physique. Elles font tout pour créer une bulle protectrice où la bienveillance règne. Dans certains groupes, des directrices d’établissement tiennent tête à leur directeur régional en refusant de réaliser des économies sur les repas, de laisser un poste vacant ou de procéder à des réductions budgétaires, car cela va à l’encontre de l’intérêt des enfants.

Lancer cette commission d’enquête, c’est envoyer un message de soutien à ces professionnelles, leur dire qu’elles ont raison de placer l’intérêt de l’enfant au-dessus des intérêts financiers, que nous sommes à leurs côtés pour changer le système dans lequel elles exercent leur métier, que nous voulons les aider à rendre possible ce qui leur tient à cœur : prendre soin des enfants.

Ouvrir les yeux sur la marchandisation de la petite enfance peut provoquer un choc. Ces dix dernières années, 80 % des berceaux ont été ouverts par des entreprises de crèches, pour l’essentiel adossées à des fonds d’investissement. Qui a décidé d’une telle privatisation du secteur de la petite enfance ? À quel moment la représentation nationale s’est-elle prononcée sur cet objectif ? En réalité, nous nous contentons de subir les conséquences de décisions politiques prises il y a vingt ans. À l’époque, le choix a été fait non seulement d’ouvrir le secteur de la petite enfance aux acteurs privés lucratifs, mais de leur dérouler un véritable tapis rouge : accès aux subventions de fonctionnement et d’investissement de la caisse d’allocations familiales (CAF), délégation de service public (DSP), création d’un crédit d’impôt dédié.

Si cet environnement est aussi favorable aux acteurs privés, s’il leur permet de bénéficier de larges subventions publiques – certains parlent d’un business « biberonné » à l’argent public –, c’est parce que les investisseurs ont tenu le stylo pour rédiger la loi. Ce sera d’ailleurs l’un des objectifs de la commission d’enquête que d’évaluer dans quelle mesure le lobbying des entreprises de crèches a détourné les politiques publiques de l’intérêt général.

Mes critiques sévères du modèle économique des entreprises de crèches, qui justifient de mon point de vue cette commission d’enquête, ne tombent pas du ciel. Elles s’appuient sur le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) demandé par le ministre des solidarités à la suite du décès dramatique dont j’ai parlé et publié en avril 2023. L’Igas nous apprend que l’arrivée des fonds d’investissement au capital des entreprises de crèches coïncide avec une politique de compression de la masse salariale. Elle « constate une progression anormalement faible des frais de personnel [...] entre 2012 et 2021 : ces frais diminuent de 2 % [dans le secteur privé lucratif], tandis qu’ils augmentent de 18,5 % dans les établissements en gestion communale, et de 11,4 % dans les établissements en gestion associative ». On comprend très bien la logique économique qui se cache derrière ces chiffres : les entreprises de crèches ont utilisé une partie des fonds publics normalement destinés à la rémunération des personnels pour accroître leurs marges.

Cet exemple montre que les décisions prises par les acteurs financiers surdéterminent les conditions de travail des professionnelles, donc d’accueil des jeunes enfants. Ainsi, nous ne pouvons nous préoccuper du sort des enfants accueillis dans les crèches sans enquêter sur ceux qui tiennent les cordons de la bourse : ces fameux fonds d’investissement. C’est un autre objectif de la commission d’enquête que je vous propose de lancer.

J’insisterai enfin sur le caractère transpartisan de cette dernière. S’inquiéter des dérives du secteur privé lucratif n’est pas une affaire de bord politique. Pour le prouver, je citerai l’Union nationale des associations familiales, vénérable association qu’on ne saurait considérer comme partisane, et qui nous alerte en ces termes : « Voyant rouge sur le modèle économique des crèches privées lucratives ». Elle déplore « les dérives d’un système débridé », synonyme de « coûts exorbitants pour les familles » et de « logique de rentabilité au détriment de la qualité » de l’accueil des jeunes enfants. Personne ici ne peut ignorer cette alerte.

La commission d’enquête aura aussi un caractère transpartisan parce que son objectif principal est la transparence. Le législateur ne peut décider à l’aveugle. Or le secteur privé est opaque, y compris pour les inspections et les ministères. Seule une commission d’enquête parlementaire, disposant de pouvoirs spécifiques, peut ouvrir la boîte noire.

Un dernier argument : le système que je décris, et qui n’est rien d’autre que la financiarisation du médico-social, doit rappeler à certains d’entre vous les graves dérives qu’a connues le secteur du grand âge, illustrées par le scandale des établissements pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) privés du groupe Orpea. Je vous le confirme : il se passe le même processus dans le secteur de la petite enfance, et cela doit nous inciter à agir au plus vite. N’attendons pas un Orpea de la petite enfance !

M. Paul Christophe, président. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Michèle Peyron (RE). À la suite de dysfonctionnements et de la mort dramatique d’un bébé en 2022, l’Igas a remis son rapport en avril dernier. Dès ce même mois, la délégation aux droits des enfants entamait un cycle d’auditions. Face aux nouveaux témoignages reçus cet été, elle a décidé la création d’une mission « flash », dont Isabelle Santiago et moi-même étions corapporteures et qui a rendu son rapport mercredi dernier. Nous avons émis une cinquantaine de recommandations ; vous m’avez dit ce jour-là, monsieur le rapporteur, que vous étiez d’accord avec la majorité d’entre elles.

Notre postulat de départ était de placer l’enfant au cœur des politiques qui le concernent. L’un des principaux reproches que je pourrais faire à votre proposition de résolution est précisément que son enjeu n’est pas le bien-être de l’enfant et son développement, mais des intérêts financiers. Je reste persuadée que la priorité est d’agir en urgence sur le plan législatif pour améliorer la qualité des structures, mais aussi pour les professionnelles du secteur, dont la crise s’aggrave. La commission d’enquête proposée ne constitue pas une réponse satisfaisante à ce besoin. Dans notre rapport, nous proposons une solution concrète et efficace : freiner le « toujours plus » en mettant fin au remplissage et à la dérégulation entamerait largement les logiques de rentabilité que vous dénoncez.

Mon groupe s’opposera à la création de cette commission d’enquête.

M. Serge Muller (RN). De la crèche à l’Ehpad, aucun accueil correct n’est garanti aux Français. Le rapport de l’Igas témoigne d’une absence de volonté politique de la part d’Emmanuel Macron. La maltraitance institutionnelle est un problème systémique dont les effets délétères ne devraient laisser personne indifférent. Il faut agir, mais aucune réponse satisfaisante n’a été apportée depuis 2017. Le rapport dresse le constat de dérives inacceptables sous l’effet de logiques uniquement financières.

Il fait également état d’une pénurie de professionnels, facteur aggravant autant que symptôme. Les faibles niveaux de rémunération, la piètre qualité de vie au travail, le sentiment de ne pas avoir accordé à l’enfant le temps dont il a besoin ne permettent pas d’attirer ni de fidéliser le personnel ; au contraire, ils le font fuir.

Pour remédier à ces graves problèmes, nous proposons des mesures de bon sens dont le bien-fondé sera certainement mis en lumière par la commission d’enquête. Il s’agit notamment d’inscrire dans la convention d’objectifs et de gestion de la branche famille une trajectoire permettant de se rapprocher d’un taux d’encadrement moyen d’un adulte pour trois enfants, d’empêcher que l’effectif du personnel présent auprès des enfants accueillis ne soit inférieur à deux, quelle que soit la taille de l’établissement, ou d’instaurer une fréquence minimale obligatoire des visites de contrôle des équipes accueillant de jeunes enfants, en imposant une nouvelle visite dans les six mois en cas d’anomalie importante.

Une commission d’enquête sur le sujet me paraît plus que nécessaire. Nous voterons donc en faveur de cette proposition de résolution.

Mme Caroline Fiat (LFI - NUPES). Je vous propose de jouer au jeu des sept différences entre la maltraitance en Ehpad et la maltraitance en crèche. Manque de formation des personnels, idem ; conditions de travail très dégradées, idem ; minutage des soins et rationnement, idem ; ratios non respectés, idem ; recherche de responsabilités individuelles, idem ; pratiques trompeuses, idem ; prix élevés, idem. J’ai même trouvé une huitième erreur : l’hypocrisie – idem.

Depuis le moment où nous avions rendu avec Monique Iborra notre rapport d’information sur les Ehpad, il y a six ans, le Gouvernement n’a cessé de nous dire qu’il lui fallait une enquête supplémentaire, qu’il était d’accord avec notre rapport mais qu’il lui manquait des informations. Et là, parce qu’une ligne ou deux vous déplaisent dans la proposition de résolution, vous annoncez que vous ne la voterez pas ! Je vais vous faire découvrir quelque chose : le droit d’amendement. Vous pouvez amender le texte pour changer les phrases qui vous déplaisent. Mais supprimer le droit d’enquête du parlementaire, après dix-sept 49.3 ! Où va-t-on ?

En Conférence des présidents, tous les groupes étaient d’accord pour que ce sujet soit mis sur la table. Jusqu’où irez-vous dans l’hypocrisie ? Les seuls amendements déposés sur le texte viennent du groupe Les Républicains ! Soit quelques phrases vous dérangent et vous amendez, soit vous vous abstenez en commission et vous amenderez en séance. Aucune objection n’est audible quand on parle de maltraitance envers les personnes âgées ou les enfants.

Mme Isabelle Valentin (LR). Le 22 juin 2022, un bébé de 11 mois est décédé au sein d’une crèche. Plus jamais ça !

Depuis février 2021, nous sonnons l’alarme, mais rien ne se passe, faute de décision politique forte. Crèches publiques, associatives, privées, toutes connaissent la même problématique : la pénurie de professionnels formés et le manque de moyens financiers. Sur le premier point, le secteur de la petite enfance a besoin de professionnels qualifiés ; sur le second, ces structures ont besoin de moyens parce qu’elles ne sont pas des garderies, mais ont pour mission le développement de l’enfant par un projet pédagogique mettant l’accent sur ses premiers apprentissages et sur les actions d’éveil pour son bien-être.

Le rapport de l’Igas de 2022 a mis en lumière le fait que l’accueil au sein des structures reste très peu pris en compte dans la construction des politiques publiques d’accueil du jeune enfant. Les pouvoirs publics n’ont jamais instauré de dispositif d’évaluation des bonnes pratiques pour le développement de l’enfant. En outre, les moyens alloués aux éducateurs sont souvent détournés vers des tâches administratives selon des logiques purement gestionnaires.

Vous demandez une commission d’enquête sur les seules crèches privées, mais il aurait été bien plus pertinent de travailler sur le fond, car le problème des crèches est global. Nous nous abstiendrons ou nous voterons contre le texte, qui ne traite pas de la question de fond – le développement de l’enfant.

M. Nicolas Turquois (Dem). À première vue, la proposition de résolution semble intéressante : il y a beaucoup de sujets à traiter dans cette affaire. Nous l’avons donc étudiée sans parti pris, même si elle intervient en dehors du droit de tirage par session dont bénéficie chaque groupe d’opposition.

Concernant l’accueil en crèche, nous ne devons avoir qu’une boussole : l’intérêt des jeunes enfants accueillis. Or, à la lecture des six alinéas de la proposition de résolution, on se rend très vite compte qu’en aucun cas, il ne s’agit de la situation des enfants : nulle part n’est mentionnée la volonté d’améliorer la qualité de l’accueil, le taux d’encadrement, la surface par enfant ; nulle part leur bien-être n’apparaît comme un objectif. Nous avons là un réquisitoire contre les crèches privées, voire une remise en cause, sur le principe, du fait qu’une entreprise privée puisse intervenir dans le domaine social. On pourrait même, avec un peu de mauvais esprit, y voir une critique de la notion même d’entreprise – mais nous n’irons pas jusque-là.

Ainsi, dès le 2° de l’article unique, il s’agit d’« identifier les montages financiers soupçonnés de donner lieu à des malversations ». Mieux encore, la phrase suivante propose de « dévoiler [...] les éventuels conflits d’intérêts au sein des instances de gouvernance des organismes financeurs » ; et on termine par la prise de connaissance « d’éventuels abus dans la relation commerciale entre les entreprises de crèches et les parents ». Avant même que l’enquête ait commencé, les crèches privées sont donc coupables aux yeux des inquisiteurs de la NUPES. Ce ne sont pas des manières d’agir pour l’intérêt général ou pour celui des enfants accueillis en crèche.

Le groupe Démocrate s’opposera à cette proposition de résolution.

M. Joël Aviragnet (SOC). Début septembre, deux ouvrages sont parus qui alertaient sur les dérives de certaines crèches privées à but lucratif. Ces révélations ont choqué l’opinion publique, comme l’affaire Orpea concernant nos anciens. De fait, on ne peut qu’être très en colère contre cette société où certains s’enrichissent du malheur des personnes âgées comme des plus jeunes.

Il est vrai que le secteur de la petite enfance n’existerait presque plus sans les crèches privées. Mais des règles strictes doivent s’y appliquer. Les premières années de la vie sont essentielles pour la construction de l’enfant : un environnement sain, adapté et épanouissant est pour lui vital. C’est pourquoi, comme ma collègue Isabelle Santiago dans son rapport, j’appelle à renforcer les contrôles dont les crèches privées font l’objet et à repenser leur financement.

Même s’il ne traite pas directement de ces sujets, le texte qui nous est soumis a le mérite de proposer d’enquêter sur les dérives existantes. Nous demandons cependant un travail de fond sur les causes profondes des pénuries de personnel que connaît le secteur de la petite enfance, des niveaux de rémunération bien trop faibles à la perte du sens du travail pour les professionnelles. La commission d’enquête permettrait également au législateur de constater à quel point les crèches privées à but lucratif privilégient leurs profits financiers au détriment des enfants et des conditions de travail des personnels. Nous refusons que son champ soit étendu à toutes les crèches, car cela risquerait de masquer les dérives des crèches privées à but lucratif.

Bien que le sujet soit trop précisément ciblé, ce qui rend l’approche réductrice, les députés socialistes soutiennent cette proposition de résolution.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). Vous avez aimé le scandale des Ehpad, voici celui des crèches !

Mercredi 22 juin 2022, une fillette âgée de 11 mois est morte empoisonnée dans une crèche privée du 3e arrondissement de Lyon. Ce n’était pas la première fois que l’entreprise People & Baby était mentionnée à propos de soupçons de maltraitance : en décembre 2021, une famille avait porté plainte pour coups et blessures sur une fillette de 4 mois ; en février dernier, des salariés d’une autre crèche appartenant au même réseau, à Dijon cette fois, se sont mises en grève pour dénoncer les conditions d’accueil des enfants de leur structure – températures glaciales faute de chauffage, machines défectueuses, matelas arrachés...

De quoi susciter l’inquiétude de parents déjà stressés par le simple fait de confier leur enfant et de trouver un mode de garde. Car en France, aujourd’hui, c’est encore la croix et la bannière pour dénicher une place. Dans certains endroits, on s’inscrit au sixième mois de grossesse, et on est parfois incité à donner une photo de soi ou à écrire une lettre pour appuyer son dossier.

Dans son rapport d’avril dernier, l’Igas s’alarme d’une qualité d’accueil très disparate. Aux côtés de crèches de grande qualité, animées par une réflexion pédagogique approfondie, on trouve des établissements de qualité très dégradée, ce qui peut entraîner des carences dans la sécurisation affective et dans l’éveil des tout-petits. Certains faits relatés lors de l’enquête sont extrêmement graves : enfants oubliés sur les toilettes, privés de sieste faute de lits en nombre suffisant ou laissés en pleurs jusqu’à ce qu’ils s’endorment. D’autres témoignages parlent d’enfants à qui on ne donne pas à boire pour changer moins souvent leurs couches, qu’on laisse trop longtemps dans leur couche mouillée, que l’on humilie ou insulte, que l’on nourrit de force. C’est catastrophique.

Ce sont 80 % des nouvelles places de crèche qui appartiennent au privé lucratif, un secteur en plein boom. Je remercie William Martinet de nous permettre de faire la lumière sur ce système opaque et sur la privatisation d’un service public – une fois de plus. Nous soutenons évidemment sa demande de commission d’enquête. Bien sûr, la maltraitance n’est pas l’apanage des crèches privées : partout, des conditions de travail dégradées peuvent y conduire.

Enfin, l’Igas rappelle que, pour un bébé de moins de 1 an, passer 40 heures par semaine en crèche, avec ce que cela implique de bruit, d’agitation, de surstimulation, n’est de toute façon pas la solution la plus adaptée à ses besoins. Elle appelle par conséquent à « revoir la durée et les règles de rémunération des congés maternel, paternel et parentaux ». Nous restons à la disposition de la majorité pour travailler sur ces dispositifs.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Les dérives mises au jour au sein des crèches privées à but lucratif ont largement suscité l’émotion sur les bancs de notre assemblée, et nous avons été un certain nombre à souhaiter que celle-ci s’empare du sujet. Je remercie nos collègues de la délégation aux droits des enfants de l’avoir fait. Mais vous devriez, ma chère collègue, saluer la possibilité qui nous est offerte de produire d’autres travaux que le rapport de votre mission « flash », car c’est nécessaire pour prendre les bonnes décisions : la question est trop sensible pour que nous nous arrêtions là. Il n’y a pas d’opposition entre les deux. D’ailleurs, les critiques de l’angle choisi par notre collègue Martinet devraient être prises comme un enrichissement bienvenu de la réflexion.

Dans la période d’abaissement du Parlement que nous connaissons, envoyer le signal que nous nous donnons les moyens d’enquêter montrerait notre volonté de jouer pleinement notre rôle. Que craignez-vous ? Il y aura une pluralité de membres au sein de la commission d’enquête.

M. Laurent Panifous (LIOT). Nous soutenons la proposition de résolution.

Nous sommes tous sensibilisés aux dysfonctionnements, voire aux scandales qui ont été mis en lumière au sein de certains établissements. Des travaux ont été menés – le rapport de l’Igas, celui de la mission « flash » de nos collègues Peyron et Santiago –, mais le sujet est suffisamment important pour que nous les approfondissions ; d’autant que les premières évolutions législatives, que nous saluons, ont été adoptées dans le cadre du projet de loi pour le plein emploi adopté hier, un véhicule législatif peu adapté, ce qui nous a empêché d’aller plus loin et d’aborder davantage de sujets – le mode de financement, le reste à charge, la rémunération, la formation des professionnels, mais aussi et peut-être surtout le taux d’encadrement.

Il reste beaucoup à faire pour créer un vrai service public de la petite enfance. Sans jeter l’opprobre sur le privé, qui, dans beaucoup de territoires, pallie l’insuffisance des pouvoirs publics en la matière, il nous paraît sain de nous pencher sur la financiarisation du secteur. Je ne peux m’empêcher de faire le parallèle avec les Ehpad : dans les deux cas, le secteur manque de financements pour accueillir dignement des populations fragiles et souffre d’une pénurie de professionnels et de dérives liées à une rentabilisation poussée à son paroxysme. C’est insupportable. Il est de notre responsabilité de garantir à ces populations les meilleures conditions d’accueil possibles.

Nous considérons cependant que le sujet dépasse le seul secteur privé et qu’il serait pertinent d’étendre le périmètre de la commission d’enquête à l’ensemble des établissements, quel que soit leur statut. Le mode de financement est également à interroger en ce qui concerne les collectivités publiques, frileuses quand il s’agit de développer une offre d’accueil essentielle, mais aux coûts de fonctionnement parfois écrasants pour leur budget.

M. Frédéric Valletoux (HOR). Le sujet est important. Mais le choix de se focaliser sur l’offre privée jette le doute, sinon l’opprobre, sur ce mode de gestion d’une mission d’intérêt général, comme s’il était par nature inadapté aux besoins. Les travaux menés ces derniers mois, qu’il s’agisse des ouvrages et de la mission « flash » déjà cités, du rapport que le Gouvernement a demandé à l’Igas ou de la création du service public de la petite enfance dans le cadre du projet de loi pour le plein emploi, montrent par ailleurs que les choses sont en train de bouger, pour les acteurs privés comme publics.

Compte tenu de ces éléments, le groupe Horizons s’opposera à la création de la commission d’enquête.

M. Paul Christophe, président. Nous en venons aux questions des autres députés.

M. Thibault Bazin (LR). L’idée qu’il existerait une maltraitance institutionnalisée, systémique, au sein des crèches privées me semble exagérée – sans nier les dysfonctionnements dans les crèches, quel que soit leur statut – mais la généralisation du propos m’interpelle. J’ai une pensée pour les professionnels de ces crèches, dévoués et impliqués, qui ne se reconnaissent pas dans cette description, et pour les parents qui, avec raison, font confiance à ces établissements. À lire et à entendre cette caricature, on en oublierait presque que c’est la protection maternelle et infantile qui délivre les agréments, que la CAF intervient, que les collectivités accordent les DSP et assurent un suivi attentif.

Monsieur le rapporteur, combien de places ont été créées ces dernières années par ces crèches et bien gérées selon ce modèle ? Niez-vous qu’elles aient permis une amélioration de la qualité de l’accueil, par exemple grâce à des établissements bilingues et ouverts sur le monde ?

Mme Farida Amrani (LFI - NUPES). Alors que les crèches privées à but lucratif bénéficient largement des fonds publics – 75 % de leurs financements émanent de la Caisse nationale des allocations familiales et des crédits d’impôt de l’État –, avons-nous des statistiques concernant le nombre de dossiers acceptés quand ils sont déposés par des familles non accompagnées par des entreprises ? Au sein de ces crèches, quelle proportion de places financées par des entreprises est accordée ? Quels sont les critères ? Pourquoi le secteur privé lucratif est-il sous perfusion d’aides publiques ?

Il me semble, chers collègues, que vous avez tenu au sujet des Ehpad les mêmes propos qu’aujourd’hui à propos des crèches. Ne faisons pas la même erreur. Personne ici ne souhaite laisser ses enfants ou ses petits-enfants dans ces structures sans qu’elles fassent l’objet de contrôles. En tant que parlementaires, nous devons obtenir ces contrôles, pour l’épanouissement de nos enfants.

Mme Karen Erodi (LFI - NUPES). « Le but est de vendre du temps de garde, pas de garder les enfants. » C’est le terrible témoignage de Frédéric Groux, psychologue pour nos tout-petits, qui dénonce les dérives des crèches privées, dans l’enquête Le Prix du berceau. Or le recours à ces crèches ne cesse de croître – le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge estime qu’il faudra 200 000 places supplémentaires en 2027.

Sans le savoir, les parents confient leurs enfants à des structures qui ont pour seule boussole le profit – si vous ne comprenez pas ce mot : le pognon, la thune, le fric, le blé, le flouze, l’oseille, bref, la maille. Une directrice de crèche témoigne dans cette même enquête : « À la fin, bêtement, je voyais des dollars au-dessus de la tête des enfants. » Résultat : au nom de la recherche du profit, les enfants subissent violences, maltraitance, privations. Les coûts doivent être optimisés même si les décisions qui en résultent vont à rebours de l’intérêt des enfants.

Parce que je ne me résous pas à vivre dans un pays qui délaisse ses enfants comme ses aînés, je soutiens pleinement l’initiative de mon collègue insoumis. Si sa proposition de résolution n’était pas adoptée, quelles seraient les propositions du Gouvernement pour mettre fin à ces dérives ? La création d’un véritable service public de la petite enfance, doté de vrais moyens et de compétences, comme le propose notre groupe ?

M. Philippe Juvin (LR). Il n’y a pas dans cette salle des gentils qui défendraient la bientraitance dans les crèches et des méchants qui prôneraient la maltraitance ! L’enjeu est de savoir si c’est un modèle économique particulier qui entraîne la maltraitance.

Je suis surpris de la vision très partielle et partiale qui nous a été exposée. La question de la bientraitance se pose dans toutes les crèches, quel que soit le statut du prestataire de service public. Le vrai sujet est la qualité du service. L’idée d’une commission d’enquête était intéressante, mais le fait de se concentrer sur les crèches privées à but lucratif lui donne une coloration très idéologique. Si la question se pose vraiment, alors il faut la poser de manière globale.

Les deux vraies raisons qui empêchent le développement des crèches dans nos communes sont la prestation de service unique, mal conçue, inadaptée et dont tout le monde se plaint, et la formation du personnel – toutes les crèches le disent.

Je voterai contre la création de cette commission d’enquête.

Mme Caroline Janvier (RE). Je suis moi aussi défavorable à cette proposition de résolution. Avec votre formulation, la messe est dite : vous considérez a priori qu’un organisme à but lucratif fait ontologiquement primer le profit sur la qualité d’accompagnement. Une approche aussi marquée idéologiquement n’est pas un signe d’ouverture sur un sujet qui, pourtant, le mérite.

Quant au réflexe pavlovien consistant à créer davantage de contrôle, de procédures, de surveillance dans l’espoir de résoudre les problèmes, je sais, pour avoir travaillé dans le secteur médico-social, que c’est bien souvent l’inverse qui se produit : on préempte des moyens humains et financiers au service de ces usines à gaz – certes nées d’une bonne intention – et on détourne les professionnels de leur engagement premier, l’accompagnement.

Mme Josiane Corneloup (LR). Le secteur de la petite enfance souffre de problèmes de recrutement et de formation. Il est essentiel que nous nous saisissions pleinement de ce sujet.

Pourquoi la proposition de résolution concerne-t-elle uniquement les crèches privées, qui ne représentent que 20 % des crèches en France ?

Nous défendons tous la bientraitance dans les crèches. Je regrette que l’on s’attache aux conséquences plutôt qu’aux causes. Il faut repenser l’attractivité de ces métiers, la formation, traiter le problème de l’accumulation des normes, s’appliquant notamment aux bâtiments, et prendre davantage en considération l’épanouissement de l’enfant ainsi que son accompagnement vers l’autonomie.

Pour toutes ces raisons, je voterai contre la création de la commission d’enquête.

Mme Christine Le Nabour (RE). Je regrette moi aussi que le secteur des crèches privées soit visé par des accusations a priori. Corapporteure du projet de loi pour le plein emploi, notamment de ses articles 10 et 10 bis, je rappelle que nous y créons le service public de la petite enfance, mais aussi, dans ce dernier article, un cadre qui permettra de renforcer le contrôle des crèches. Je ne vois donc pas l’utilité de cette commission d’enquête au lendemain du vote de ce texte.

M. Jérôme Guedj (SOC). Dès lors qu’il y a de premières alertes, le fait que les parlementaires s’emparent du sujet devrait être une évidence.

Madame Janvier, au lendemain de l’affaire Orpea, cette commission a lancé des auditions pour s’interroger sur les dérives d’un modèle et des mesures ont été adoptées dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) ou de la proposition de loi relative au bien‑vieillir, afin de tenir compte des spécificités du secteur privé lucratif. Ici même, le ministre de la santé, auditionné sur le PLFSS, s’est dit préoccupé par la financiarisation du secteur de la santé et du secteur médico-social. On ne va pas faire semblant de ne pas voir cette réalité.

Il ne s’agit pas de jeter l’opprobre sur des acteurs ; les crèches privées existent, c’est un fait, mais la régulation n’y est pas satisfaisante. On a vu dans le cas d’Orpea que la financiarisation se traduisait par une maltraitance systémique ; occupons-nous du sujet des crèches avant qu’il ne nous explose à la figure : on nous en voudrait d’attendre, pour le faire, un scandale comparable à celui d’Orpea. Nous serons parfaitement dans notre rôle en créant dès aujourd’hui cette commission d’enquête.

Mme Rachel Keke (LFI - NUPES). Il faut accepter les enquêtes dans toutes les crèches : la maltraitance est partout. Dans les Ehpad, les personnes âgées sont très souvent maltraitées. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas assez de personnel. Il y a des Ehpad où une seule personne s’occupe de douze personnes âgées ! Cela se reproduit dans les crèches. Ma sœur travaille en crèche ; elle s’occupe souvent de sept enfants. C’est déjà difficile de s’occuper d’un seul ! On le sait : nous sommes tous ici mère, père, grand-mère ou grand-père. Les gens sont surchargés et ne touchent pas assez d’argent pour faire leur travail correctement. Cette enquête est très importante pour que nos enfants ne subissent pas la même chose que les personnes âgées. Quand on va visiter les Ehpad, on nous fait croire que tout va bien, mais ce n’est pas vrai. C’est la même chose dans les crèches.

M. Paul Molac (LIOT). Il y a un problème, que nous avons identifié. Nous sommes dans notre rôle en créant une commission d’enquête. Nos collègues du groupe Les Républicains ont déposé des amendements qui permettent d’ouvrir son champ aux autres structures que les crèches privées à but lucratif : votons-les ! On entend dire que la loi qui vient d’être adoptée suffira, mais est-ce certain ? De plus, il y aura un rapporteur et un président, l’un de la minorité présidentielle, l’autre de La France insoumise : le sujet sera instruit à charge et à décharge. Nous avons tout intérêt à créer cette commission d’enquête.

Mme Monique Iborra (RE). Au sujet des Ehpad, je rappelle que tous les gouvernements ont demandé au secteur privé d’ouvrir des établissements et de prendre en charge les personnes âgées.

La proposition de résolution fait le procès et désigne les coupables avant d’enquêter. J’aurais préféré que vous formuliez des propositions pour changer le modèle, ce qu’il faut probablement faire, et qu’il y ait un rapport comparable à celui que j’avais rédigé avec Caroline Fiat sur les Ehpad, débouchant sur une loi d’envergure.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Tout le monde est d’accord pour dire que le cours des actions fait du mal à une bonne partie des enfants pris en charge dans des crèches, car le temps de travail, les moyens, l’effectif, les dotations ne dépendent pas des besoins des enfants, mais de la capacité à lever des fonds. Et, parfois, la seconde contredit les premiers. Cette commission d’enquête permettrait de savoir dans quels cas.

Nos collègues de la majorité présidentielle disent qu’il faut agir vite. Eh bien, allez-y ! Déposez demain un texte disant qu’il y aura un professionnel pour cinq enfants maximum, que les professionnels seront mieux rémunérés, que les qualifications seront améliorées ; nous le voterons sans problème. Vous pouvez même le faire pendant que la commission d’enquête conduit ses travaux, transpartisans et généraux, pour aller encore plus loin. Nous pouvons faire les deux en même temps.

Nos collègues Les Républicains se disent insatisfaits du périmètre proposé. Si nous acceptons vos amendements, chers collègues, vous nous suivrez ? Pas de problème, nous pouvons en prendre une bonne partie. Élargissons le périmètre, si c’est ce qui vous bloque.

M. le rapporteur. Si nous n’avons pas fait usage du droit de tirage pour créer cette commission d’enquête, c’est bien parce que nous nous inscrivons dans une démarche transpartisane.

Vous avez compris mon opinion et celle de mon groupe sur la marchandisation de la petite enfance. Ce secteur, comme le grand âge, l’éducation ou encore la santé, devrait être préservé des appétits lucratifs. De votre côté, vous avez le droit de penser qu’une marchandisation heureuse de la petite enfance est possible et qu’un fonds d’investissement peut prendre en considération l’intérêt général et s’autolimiter pour ne pas dégrader les conditions d’accueil dans les crèches. La commission d’enquête n’a pas vocation à trancher. Grâce aux moyens d’investigation dont elle dispose, elle nous permettra de confronter nos points de vue.

Oubliez l’avis du rapporteur et considérez la commission d’enquête pour ce qu’elle est : un outil à la disposition de la représentation nationale pour faire son travail. Alors que les pouvoirs des parlementaires sont malheureusement de plus en plus limités – il est devenu difficile d’amender la loi et de la voter –, essayons de conserver celui d’enquêter.

S’agissant du secteur privé lucratif, ce n’est pas stigmatiser que de s’interroger sur la cohabitation entre la recherche de lucrativité et la prise en charge de publics vulnérables.

Je fais référence aux établissements privés lucratifs car des éléments objectifs nous incitent à enquêter. « Nous avons été confrontés depuis quelques années à des montages d’opérateurs individuels privés maximisant leur patrimoine à l’aide des généreuses subventions de la CAF » : qui porte une telle accusation ? Le conseil d’administration de la CAF d’Ille-et-Vilaine. Il y a là matière à creuser, c’est ce que nous vous proposons.

Nous ne sommes pas responsables du manque de confiance à l’égard des gestionnaires privés de crèches. La confiance a été rompue à cause des maltraitances révélées. Le fait d’enterrer l’affaire en refusant de créer une commission d’enquête n’est pas de nature à la rétablir. En revanche, la transparence à laquelle la commission contribue est le meilleur moyen de le faire.

Madame Peyron, vous avez évoqué les propositions de la mission « flash ». J’en ai repris plusieurs sous forme d’amendements au projet de loi pour le plein emploi. La majorité les a rejetés. Je me réjouis d’un changement de position de sa part. Comme l’a dit Hadrien Clouet, qu’est‑ce qui empêche le Gouvernement de déposer demain un projet de loi pour mettre en place le plus vite possible ces mesures, qui s’adressent à toutes les crèches, quel qu’en soit le gestionnaire ? Rien. Lancez-vous et nous les soutiendrons. Mais cela ne résout aucunement les problèmes de l’opacité et de la financiarisation des crèches privées lucratives.

Depuis le rapport de l’Igas, nous connaissons la surface émergée de l’iceberg. Il nous manque encore la surface immergée. Or nous avons besoin de savoir pour instaurer une régulation efficace du secteur privé lucratif. Malheureusement, la mission « flash », aussi intéressante soit-elle, n’a pas permis, faute de temps et de moyens, d’ouvrir la boîte noire des grands groupes de crèches privées lucratives.

J’en reviens à mon point de départ. S’il faut accepter certaines propositions, notamment du groupe Les Républicains, en la personne de M. Bazin, pour que la proposition de résolution soit transpartisane comme nous le souhaitons, pourquoi pas ? Je serai ainsi favorable aux amendements visant à reformuler de manière plus équilibrée et moins accusatrice les missions de la commission d’enquête et à en élargir le périmètre. En revanche, je m’opposerai aux amendements susceptibles de limiter les capacités d’investigation de la commission sur des points sensibles.

J’espère que nous pourrons ainsi avancer et lancer cette commission d’enquête parlementaire.

Article unique

Amendement AS2 de M. Thibault Bazin et sous-amendement AS8 de M. William Martinet

M. Thibault Bazin (LR). Je regrette que l’exposé des motifs, sur lequel je n’ai pas pu déposer d’amendement, ne soit pas consensuel. En effet, il semble présenter les conclusions de l’enquête avant qu’elle ait été menée.

Le texte comporte par ailleurs deux écueils. D’une part, les dysfonctionnements ne sont pas l’apanage d’un modèle économique. C’est le secteur de la petite enfance dans son ensemble qui est en crise, notamment à cause d’une pénurie de personnels qui touche tous les services aux personnes et aux familles. D’autre part, les solutions doivent être élaborées en pensant aux enfants sans distinguer le statut juridique de la structure qui les accueille. L’exigence de qualité s’impose à toutes.

Je pensais que la proposition de résolution faisait consensus puisqu’elle a été inscrite à l’ordre du jour par la conférence des présidents. Il me semble souhaitable de reporter son examen compte tenu des inquiétudes que nous sommes nombreux à avoir exprimées.

L’amendement vise à élargir le périmètre à l’ensemble des structures, quel que soit leur statut juridique. Il est nécessaire que la représentation nationale dispose d’une photographie exhaustive des divers modèles.

M. le rapporteur. Conformément à ce que j’ai annoncé, je retire mes sous‑amendements.

Monsieur Bazin, j’entends que vous n’adhérez pas à l’exposé des motifs – je l’ai dit, nous divergeons sur l’opportunité de la marchandisation de la petite enfance – mais sachez qu’il n’a aucun impact sur le périmètre de la commission d’enquête. C’est le dispositif qui définit son périmètre et guide le travail de ses membres pendant six mois.

Dans un souci de compromis, je suis favorable à votre amendement : la commission devra s’intéresser à l’ensemble des modèles économiques des crèches.

M. Philippe Juvin (LR). Il est indispensable d’élargir le périmètre.

S’agissant de l’exposé des motifs, il est certes dépourvu de valeur juridique, mais il n’en reste pas moins très à charge, très idéologique – le privé, c’est le diable ; aucun service public ne peut être confié à une personne morale de droit privé. Vous allez très loin, à tel point que j’ai l’impression de lire Thomas Piketty – c’est sans doute un compliment pour vous, ce n’en est pas un de ma part.

Mme Caroline Fiat (LFI - NUPES). Depuis un an, vous vantez une nouvelle assemblée, propice au travail transpartisan.

Pourtant, quand le rapporteur vous tend la main en acceptant d’élargir le périmètre à toutes les crèches, comme vous le souhaitez, vous lui reprochez un exposé des motifs qui n’a aucune valeur juridique. Tous les prétextes sont bons pour justifier votre opposition à cette commission d’enquête.

Mme Peyron a mis en avant la mission « flash » – très bon rapport que je vous incite à lire, mais la mission n’a duré qu’un mois. Les travaux peuvent être complémentaires – sur les Ehpad et le grand âge, après le rapport Fiat-Iborra, vous avez commandé le rapport Libault, puis le rapport El Khomri. Ne vous inquiétez pas, soutenez la commission d’enquête !

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). J’incite amicalement M. Juvin à lire davantage Thomas Piketty et d’autres auteurs...

Une fois que nous aurons défini le périmètre de la commission d’enquête, ceux qui en seront membres choisiront la manière de conduire les travaux. William Martinet a été transparent : il a indiqué les raisons qui l’avaient amené à demander la création de la commission ; j’ai entendu d’autres points de vue. L’intérêt de ce travail est d’établir, à partir du réel, le diagnostic le plus partagé possible. Il y aura sans doute des désaccords mais le débat sera intéressant.

Il ne faut pas se tromper sur la nature de notre vote. C’est au pied du mur qu’on voit le maçon. J’espère que nous prendrons la décision de lancer un travail parlementaire.

M. le rapporteur. Non seulement le périmètre d’action de la commission d’enquête est défini par son dispositif, mais sa composition est déterminée à la proportionnelle – elle sera donc par définition équilibrée.

Évitons, chers collègues, de chercher des prétextes. Après le périmètre, vous me parlez de l’exposé des motifs. Si je pouvais modifier l’exposé des motifs, vous trouveriez sans doute un autre argument.

Je cite quelques extraits du rapport de l’Igas pour vous rappeler de quoi nous parlons : des bains donnés en 2 minutes car plus le temps ; des enfants oubliés sur les toilettes ; des enfants laissés en pleurs jusqu’à ce qu’ils s’endorment d’épuisement ; accueil des enfants en plein milieu de leurs heures de sieste pour faire du remplissage et boucher les trous ; laisser un enfant avec une couche souillée car ce n’est pas le moment des changes ; humilier les enfants qui ont eu un accident durant l’acquisition de la propreté ; enfermer un enfant seul dans un dortoir parce qu’il ne voudrait pas manger dans son assiette.

J’accepte d’étendre la commission d’enquête à l’ensemble des crèches. Arrêtons les discussions picrocholines et allons à l’essentiel pour améliorer la situation des enfants.

Les sous-amendements AS8, AS9, AS10 et AS11 de M. William Martinet sont retirés.

La commission adopte l’amendement.

La réunion est suspendue de seize heures dix à seize heures quinze.

Amendement AS3 de M. Thibault Bazin

M. Thibault Bazin (LR). L’exposé des motifs serait sans conséquence, dites-vous, mais vous continuez à dénoncer la marchandisation du service public de la petite enfance.

Les collectivités qui le délèguent à des entreprises ou à des associations à but non lucratif imposent toujours des critères qualitatifs et quantitatifs et organisent un suivi très attentif. Les élus sont très investis pour répondre aux besoins des familles.

De la même manière qu’il y a l’esprit de la loi, il ne faut pas négliger l’esprit de la commission d’enquête. À cet égard, plus je vous écoute, plus je suis inquiet. Je pense à tous ces professionnels dévoués et à tous ces parents qui font confiance à des structures qui répondent à leurs besoins, à toutes ces situations dans lesquelles il n’y a pas d’abus. Je réfute les termes de système et d’institutionnalisation que vous employez.

L’amendement vise de nouveau à élargir le périmètre à toutes les crèches.

M. le rapporteur. Mon avis sur l’amendement sera favorable.

La commission d’enquête devra s’intéresser aux DSP que vous évoquez. Le recours à la délégation à des acteurs privés associatifs ou lucratifs s’est fortement développé et il est parfois l’occasion de tirer les coûts vers le bas. Une fois de plus, je serai le porte-parole de l’Igas – toutes les critiques que j’émets sur le modèle économique des entreprises de crèches sont tirées du rapport – pour constater que les grands groupes candidatent aux marchés publics en proposant des tarifs entre 3 000 et 4 000 euros le berceau. Or, on le sait, cela ne permet pas d’accueillir dans de bonnes conditions les enfants.

Il faut sans doute revoir les critères d’attribution des marchés pour minimiser le rôle primordial du prix et éviter la course au moins-disant social. Voilà une partie du travail qui nous attend.

Mme Caroline Fiat (LFI - NUPES). Nous voterons en faveur de l’amendement.

Monsieur Bazin, j’ai entendu votre groupe tenir les mêmes propos lorsqu’en 2017, j’évoquais la maltraitance dans les Ephad : « je ne peux pas vous laisser dire que les personnes âgées sont maltraitées ; j’ai une pensée pour les personnels soignants que vous accusez de maltraiter, etc. ». Or le temps et les rapports nous ont donné raison. Plus personne n’ose dire que nous avons eu tort d’alerter.

Nous vous proposons une commission d’enquête qui vous permettra peut-être de démontrer que nous avions tort. Dès lors, pourquoi vous y opposer, d’autant que nous soutenons les amendements destinés à élargir son périmètre ? Acceptez sa création et ses conclusions diront si nous avions tort ou raison.

M. Philippe Juvin (LR). Monsieur le rapporteur, je ne vous fais aucun procès d’intention. Cependant, si la commission est créée, il est probable que vous en soyez le rapporteur. Or, chaque fois que vous prenez la parole, vous présentez ce qui pourrait être des conclusions et celles-ci vont toujours dans le même sens.

Comment pouvez-vous affirmer qu’un marché à 4 000 euros par berceau ne peut pas être synonyme de qualité ? J’ai été maire pendant vingt ans. Dans ma commune, certaines crèches étaient en régie, d’autres faisaient l’objet d’une DSP – avec des marchés à 4 000 euros, cela fonctionnait. Il n’y a pas d’automaticité, c’est bien plus complexe.

Selon vous, le drame des DSP, c’est qu’elles sont toujours accordées au moins-disant. Or, selon le code des marchés publics, c’est le mieux-disant qui doit être choisi. Je suis très embarrassé par votre présentation constamment accusatoire.

Mme Caroline Janvier (RE). Je regrette à mon tour votre présentation excessivement à charge sur un sujet qui aurait pu nous rassembler. On a l’impression que les conclusions sont déjà écrites et que l’échafaud est déjà prêt.

Une fois de plus, vous nous placez dans une situation impossible : pile, nous perdons ; face, nous perdons. Si nous refusons la commission, nous soutenons la maltraitance – qui peut penser ainsi à part l’extrême gauche ? Si nous l’approuvons, nous validons votre présentation des faits qui est très politique. Sur un sujet qui nous préoccupe tous, vous défendez un point de vue très marqué idéologiquement. Je déplore que votre approche clivante et radicale nous empêche de travailler ensemble.

M. Fabien Di Filippo (LR). La question est très complexe. Certains modèles de crèches privées fonctionnent très bien.

Nous devons être vigilants concernant l’effet de ciseau sur les coûts, comme pour les Ehpad qu’a évoqués Mme Fiat. Face à l’explosion des coûts – inflation salariale, énergétique et alimentaire –, il faut revoir les tarifs des services, sinon la qualité risque d’en pâtir.

La commission d’enquête doit prendre en considération ces paramètres. Quoi qu’on en dise, les crèches privées, qui peuvent très facilement adapter leurs tarifs, sont bien moins soumises aux fluctuations que certaines crèches publiques.

Toutes les crèches doivent être contrôlées. Nous avons des exemples de défaillances très sérieuses dans les crèches privées mais elles emploient souvent des personnes passionnées par la petite enfance qui font un excellent travail. Il ne me paraît pas opportun d’utiliser cette commission d’enquête pour instruire le procès de l’économie de marché.

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). Je ne comprends pas vos réserves. La dimension transpartisane n’impose pas de faire abstraction des courants de pensée. Au contraire, il est intéressant pour les travaux de la commission d’enquête de pouvoir croiser les regards et d’avoir une vue d’ensemble.

Ensuite, tous les travaux de recherche s’appuient sur une hypothèse qui a vocation à être vérifiée. La corrélation entre le modèle économique et la maltraitance qu’établit le rapporteur en est une. Il appartiendra à la commission de la confirmer ou non. Je ne comprends pas vos réticences à moins que vous ne craigniez de découvrir des choses, ce que je ne crois pas. Peut-être la commission démontrera-t-elle l’inverse de ce que le rapporteur avait supposé.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). J’ai l’impression que vous reprochez à notre collègue d’être député. Il a des convictions sur la base desquelles il a d’ailleurs été élu. Il en fait état, c’est la moindre des choses.

Vous pointez un parti pris idéologique de sa part. Mais les arguments à décharge que vous lui avez opposés relèvent aussi de l’idéologie. Sauvez le rapporteur, montrez-lui qu’il a tort. Permettez à l’enquête de se dérouler et elle démontrera peut-être l’inverse de ce qu’il a pressenti.

C’est une bonne chose que nous définissions ensemble le périmètre de la commission d’enquête. Acceptez d’engager le travail sinon vous donnez le sentiment d’avoir quelque chose à protéger, ce qui ouvre un débat politique.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). À l’instar de mes collègues, il me semble qu’il y a un malentendu – je ne peux pas croire qu’il s’agisse de mauvaise foi.

D’abord, ce n’est pas la première fois que nous nous prononçons sur un texte sur la foi de son seul contenu. Nous le faisons tout le temps. Qu’il s’agisse de la proposition de loi de notre collègue Valletoux visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels ou hier encore de la proposition de loi visant à revaloriser le métier de secrétaire de mairie, nous ne sommes pas d’accord sur tout, encore moins sur votre vision du service public, mais nous sommes capables de voter un texte pour progresser ensemble.

Un tel sectarisme, cela m’échappe ! Vous refusez un texte car vous présumez de nos réponses. Pourtant, nous vous proposons un travail collectif. En fait, vous refusez d’apporter au débat vos analyses et vos réponses.

Vos arguments ne sont que des prétextes : aujourd’hui, c’est l’exposé des motifs, demain ce sera le poids excessif du papier, la température extérieure inadaptée ou la pluviométrie.

Nous nous trouvons dans une situation paradoxale où nous sommes les seuls à soutenir des amendements déposés par le groupe Les Républicains. Nous avons là l’occasion de nous mettre tous autour de la table et d’avancer.

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). La bientraitance des enfants au sein des établissements d’accueil de la petite enfance doit être au cœur de notre projet de société.

Il faut reconnaître que les crèches privées sont soumises à une contrainte financière que ne connaissent pas les crèches publiques. Il en résulte une pression supplémentaire sur les personnels qui y travaillent. En outre, les contrôles ne s’exercent pas de la même manière dans les crèches publiques et dans les crèches privées.

Cela n’empêche pas d’adopter l’amendement qui élargit l’objet de la commission aux crèches publiques. Alors que les soupçons de maltraitance dans certains établissements se confirment, il est inconcevable que vous refusiez la création d’une commission d’enquête d’utilité publique – la bientraitance des enfants de 0 à 3 ans me semble être le minimum que l’on peut attendre d’une société.

M. Paul Molac (LIOT). Il serait bon que nous dépassions l’exégèse sur les vertus comparées du public et du privé. Pour ma part, je crois à une chose : le contrôle. C’est la raison pour laquelle je voterai en faveur des amendements qui visent à l’élargir. Il peut y avoir des abus dans toutes les structures, Comme Deng Xiaoping, je dirai : « Peu importe que le chat soit blanc ou noir, pourvu qu’il attrape des souris. »

M. le rapporteur. On voit bien que le débat se déplace. Tout à l’heure, les collègues du groupe Les Républicains critiquaient le dispositif ; nous acceptons qu’il soit amendé. Ensuite, ils mettent en cause l’exposé des motifs ; nous leur expliquons que celui-ci n’a aucune incidence sur le périmètre. Et maintenant, c’est le point de vue trop engagé de votre serviteur qui pose problème.

Ma position sur le modèle économique des crèches en général, et des crèches privées en particulier, est le fruit d’un an de travail, de consultations d’organisations professionnelles, de syndicats et de représentants des parents. Je vous propose de poursuivre ce travail. Monsieur Juvin, nous sommes en désaccord sur les DSP. Je vous invite à rejoindre la commission pour que nous puissions ensemble auditionner, par exemple, l’Igas, qui pointe la zone de risque que représente le très faible niveau de prix dans certaines DSP. Nous pourrons aussi entendre la Fédération française des entreprises de crèches – le lobby des crèches privées, pour dire les choses simplement –, qui alerte sur la course au moins-disant et sur la baisse des prix. Nous pourrions avoir un débat constructif et équilibré dans lequel l’intérêt général sera défendu.

La commission adopte l’amendement.

Puis, suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement AS4 de M. Thibault Bazin.

Amendement AS5 de M. Thibault Bazin

M. le rapporteur. Mon avis sera cette fois défavorable car la rédaction que vous proposez n’est pas plus équilibrée que celle du texte initial. Au contraire, elle encourt le même reproche de parti pris que vous m’adressiez puisqu’elle écarte le risque de lobbying de la part des entreprises de crèches.

Je conteste cette opinion. Il appartiendra à la commission d’enquête de se prononcer sur ce point. On le sait, il y a vingt ans, lorsque les crèches ont été ouvertes au secteur privé lucratif, les entreprises ont trouvé chez les responsables politiques une oreille très attentive. On peut se demander si l’intérêt général était bien à l’époque la seule préoccupation de tous.

M. Thibault Bazin (LR). Si on élargit le périmètre, on le fait pour tous les items. Dans l’alinéa 4, vous voulez « dévoiler les stratégies de lobbying des entreprises de crèches et leur impact sur les pouvoirs publics, ainsi que les éventuels conflits d’intérêts au sein des instances de gouvernance des organismes financeurs ». Ceux qui connaissent le fonctionnement des crèches, quel que soit leur statut, sont au fait du mélange entre public et privé dans les financements, notamment par le biais de la CAF ou des DSP.

Il faut être cohérent tout au long d’un texte qui se veut consensuel. Une fois encore, vous êtes de parti pris. Cessez de vous servir de moi comme alibi et entendez les inquiétudes que vous suscitez, sans caricaturer.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS6 de M. Thibault Bazin

M. Thibault Bazin (LR). Je constate que nous ne sommes pas parvenus à un consensus total...

L’amendement vise à élargir le champ d’investigation de la commission aux moyens de contrôler et d’améliorer la qualité de manière renforcée.

M. le rapporteur. Le compromis ne consiste sans doute pas à adopter l’ensemble de vos propositions. Néanmoins, je partage l’objectif recherché dans cet amendement.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AS7 de M. Thibault Bazin

M. le rapporteur. La réécriture proposée rééquilibre le dispositif initial. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article unique modifié.

 

Titre

Amendement AS1 de M. Thibault Bazin

M. le rapporteur. Nous avons longuement évoqué le message politique qu’enverrait l’adoption de la proposition de résolution. Afin de traduire dans le titre l’élargissement du périmètre à toutes les crèches, vous souhaitez que le mot « entreprises » disparaisse. Dans le souci de compromis qui m’a animé depuis le début, j’émets un avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’ensemble de la proposition de résolution modifiée.

 

*

*     *

En conséquence, la commission des affaires sociales demande à l’Assemblée nationale d’adopter la proposition de résolution dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b1862_texte-adopte-commission

 

 


([1]) Igas, « Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches », mars 2023.

([2]) Ibid.

([3]) Igas, op. cit.

([4]) Bérangère Lepetit, Elsa Marnette, Babyzness, Robert Laffont, 2023.

([5]) Daphné Gastaldi, Mathieu Périsse, Le Prix du berceau. Ce que la privatisation des crèches fait aux enfants, Seuil, 2023.

([6]) Directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur.

([7]) Jean Spiri, « Le secteur privé et l’accueil collectif des jeunes enfants. Répondre aux besoins de l’enfant et du secteur de la petite enfance : analyses, enjeux et perspectives », Les Notes stratégiques, Institut Choiseul, novembre 2023.

([8]) Ibid.

([9]) Igas, op. cit.

([10]) Igas et IGF, « La politique d’accueil du jeune enfant. Revue de dépenses », juin 2017.

([11]) Igas, op. cit.

([12]) Ibid.

([13]) Motion du conseil d’administration de la CAF d’Ille-et-Vilaine du lundi 2 mai 2022 concernant le financement des crèches privées.

([14]) À ce sujet, voir notamment le rapport de la mission « flash » de Mme Caroline Janvier, Mme Jeanine Dubié et M. Pierre Dharréville relative à la gestion financière des Ehpad, mars 2022 (XVe législature, n° 5152).

([15]) Igas, op. cit.

([16]) Unaf, « Petite enfance : Voyant rouge sur le modèle économique des crèches privées lucratives », Communiqué de presse, 6 septembre 2023.

([17]) https://videos.assemblee-nationale.fr/video.14282930_6554cc5578535.commission-des-affaires-sociales--creation-d-une-commission-d-enquete-sur-le-modele-economique-des--15-novembre-2023