N° 1905

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 novembre 2023.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES SUR LA PROPOSITION DE LOI
visant à lutter contre l’inflation par l’encadrement des marges des industries agroalimentaires, du raffinage et de la grande distribution et établissant un prix d’achat plancher des matières premières agricoles (n° 1776)

PAR M. Manuel BOMPARD

Député

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 Voir le numéro : 1776.

 


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SOMMAIRE

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Pages

avant-propos

Commentaires d’articles

Article 1er (article L. 631-27-1 du code rural et de la pêche maritime)  Fixer collectivement un prix d’achat plancher des matières premières agricoles, de façon à garantir le revenu des agriculteurs et la pérennité de leur activité

Article 2 (article L. 410-2-1 [nouveau] du code de commerce)  Encadrer le taux de marge des entreprises de l’industrie agroalimentaire en période d’inflation

Article 3 (article L. 410-2-2 [nouveau] du code de commerce)  Instaurer un coefficient multiplicateur maximum permettant d’encadrer la marge brute bénéficiant aux activités de raffinage

Article 4 (article L. 410-2-3 [nouveau] du code de commerce) Instaurer un coefficient multiplicateur pour le prix de vente des denrées alimentaires et supprimer le SRP + 10

EXAMEN EN COMMISSION

Liste des personnes auditionnÉes

 


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  avant-propos

L’inflation sur les produits alimentaires s’élevait à + 9,6 % au mois de septembre 2023 sur un an. Entre les mois d’août 2021 et d’août 2023, les prix alimentaires ont augmenté de 20 %. Cette hausse est l’un des principaux moteurs de l’inflation globale depuis l’été 2021. Et alors que le ministre de l’économie déclarait que « la crise inflationniste est derrière nous » ([1]) le 7 novembre dernier, l’inflation sur les produits alimentaires était encore de 7,8 % sur un an au mois d’octobre.

Les conséquences de cette inflation sont, et seront encore longtemps, durement ressenties par les Français qui n’ont pas vu leurs salaires augmenter au même rythme que les prix. Il en résulte une baisse inéluctable du pouvoir d’achat, notamment pour les bas salaires situés juste au-dessus du SMIC.

Ainsi, dans une étude publiée en février 2023, la DARES explique que « le rythme et l’ampleur des hausses du Smic en 2021 et 2022 ne se répercutent que partiellement sur la distribution des salaires de base : entre les 3e trimestres 2021 et 2022, ces derniers progressent de 3,7 %. Sur une période comparable, entre octobre 2021 et août 2022, le SMIC augmente de 5,6 %, soit près de 2 points de plus. L’inflation atteint également 5,4 % sur la même période. Ainsi, le salaire mensuel de base en termes réels recule sur la période, alors que le SMIC réel ne diminue pas grâce aux mécanismes de revalorisation automatique qui assurent le pouvoir d’achat des personnes rémunérées au SMIC » ([2]).

Au-delà des chiffres, les conséquences pour nos concitoyens sont très concrètes. Ils ont réduit leurs achats alimentaires, sautent des repas, recourent plus massivement à l’aide alimentaire, se rabattent sur des produits de moindre qualité le cas échéant au détriment de leur santé.

Entre les mois de janvier 2022 et d’avril 2023, la consommation alimentaire des ménages a diminué de 12 % ([3]). Une étude du Crédoc a montré qu’en novembre 2022, 16 % de la population était en situation de précarité alimentaire, déclarant n’avoir pas toujours assez à manger (contre 12 % en juillet 2022 et 9 % en 2016) ([4]). Selon le 17e baromètre de la pauvreté et de la précarité du Secours populaire publié en septembre 2023, 52 % des sondés déclaraient ne parfois plus faire trois repas par jour ces deux dernières années, dont 15 % régulièrement, pour de strictes raisons financières.

Le recours à l’aide alimentaire est au plus haut, comme en témoignent les chiffres des banques alimentaires, des Restos du Cœur, ou du Secours catholique. L’étude bisannuelle des banques alimentaires du 27 février 2023 montre ainsi que 2,4 millions de personnes ont été accueillies par des banques alimentaires en 2022 : ce nombre a triplé en 10 ans, avec une hausse de 10 % pour la seule année 2022. Au cours de l’hiver 2022‑2023, les Restos du Cœur ont accueilli 22 % de personnes supplémentaires par rapport à l’hiver 2021‑2022, soit la hausse la plus massive et la plus rapide à laquelle l’association doit faire face depuis sa création, il y a près de quarante ans ! Cette hausse, couplée à une augmentation des coûts de fonctionnement liée à l’inflation, a conduit les Restos du Cœur à annoncer début septembre 2023 une réduction du nombre de bénéficiaires pouvant être accueillis et des portions distribuées. Si le Gouvernement a annoncé le déblocage d’une aide supplémentaire de 5 millions d’euros, venant s’ajouter aux 10 millions déjà programmés, sa décision de ne pas revaloriser les minima sociaux à hauteur de l’inflation revient à accepter un appauvrissement des Français les plus démunis. Selon une note rédigée par Noam Leandri, président du collectif ALERTE, et Pierre Madec, économiste à l’OFCE, « la perte de pouvoir d’achat des allocataires de minima sociaux pourrait faire basculer 200 000 personnes dans la pauvreté jusqu’à la revalorisation d’avril 2024 » ([5]).

Un autre poste de dépense incontournable pour les ménages connaît une forte inflation depuis de nombreuses années : l’essence. Peu importe aux yeux des Français les causes de cette hausse tarifaire (le déséquilibre entre l’offre et la demande, les marges réalisées par les industriels, le poids des taxes…) ; ce qui compte pour eux c’est le niveau atteint aujourd’hui, le litre d’essence essayant tant bien que mal de ne pas dépasser les deux euros par litre. Si le prix du litre aussi bien de gazole que de super est aujourd’hui d’environ 1,80 euro, il ne faut pas oublier qu’il y a quelques semaines encore, il était d’1,94 euro. Cette dépense incompressible pour nombre de ménages (84 % de nos concitoyens possèdent aujourd’hui une voiture individuelle) fait également partie de celles, avec les prix alimentaires, mais aussi les prix de l’énergie de manière générale (gaz, électricité…), qui pèsent le plus lourdement dans leur budget.

Face à ce constat de l’inflation et de ses conséquences dramatiques, un autre constat interpelle et révolte les Français : les marges dans le secteur agroalimentaire battent des records.

Dans son propos introductif de la table ronde sur les négociations commerciales organisée le 20 septembre 2023 par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, Thierry Cotillard, président-directeur général du groupe Les Mousquetaires, affirmait au sujet des négociations commerciales entamées au début de l’année 2023 que « sur les 9 % de hausse de tarif que nous avons concédés à nos industriels au 1er mars, la moitié est liée au potentiel de surcoût des matières premières industrielles, c’est-à-dire 4 à 5 %. Et la réalité c’est que nous n’aurions dû concéder simplement que 2 à 3 % au vu de l’évolution réelle que nous connaissons actuellement. Donc on parle de baisses logiques à répercuter aux Français de l’ordre de 2 à 3 %. Si on additionne les matières premières industrielles et les matières premières agricoles, on serait en mesure de demander aux grands groupes des baisses de 2 à 5 % ».

Lors de la même table ronde, le président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France affirmait que « Les PME et ETI ont absorbé l’inflation en diminuant leurs résultats parce qu’elles n’ont pas réussi à répercuter toutes les hausses sur les intrants ».

Ainsi, dans le débat sur les causes de l’inflation, les distributeurs laissent entendre qu’une partie de celle-ci a alimenté les profits réalisés par les grands groupes industriels alors que les industriels affirment au contraire ne pas avoir reporté toutes les hausses qu’ils ont subies sur leurs consommations intermédiaires.

Les auditions menées par le rapporteur dans le cadre des travaux sur la présente proposition de loi ont permis de constater que ces acteurs restaient campés sur ces positions et que les négociations commerciales en cours laissaient augurer des nouvelles hausses des tarifs des industriels. En outre, votre rapporteur ne peut que constater les arguments souvent de bonne foi avancés par les uns et les autres, le manque de transparence dans la formation des prix et des marges ne permettant pas de déceler où se trouve la vérité sur les déséquilibres ainsi constatés.

Les industriels comme les distributeurs sont suspectés d’avoir augmenté leurs marges au détriment du consommateur pendant la période d’inflation. Cette suspicion tend à être corroborée par les chiffres s’agissant de l’industrie agroalimentaire.

Entre le dernier trimestre 2021 et le deuxième trimestre 2023, le taux de marge des industries agroalimentaires est passé de 28 % à 48,5 %, soit une augmentation de 71 % du taux de marge en un an et demi ([6]). Certes ces marges ont été comprimées en 2021. Mais le rétablissement en 2022 est plus que spectaculaire et vient établir le taux de marge des industries agroalimentaires à des niveaux jamais atteints en plein cœur de la crise inflationniste qui vient d’être décrite.

Outre qu’elle est choquante, cette situation pose la question des causes de l’inflation. Si l’augmentation des coûts des matières premières et du transport a déclenché la crise inflationniste en 2021, l’augmentation des taux de marge a très certainement entretenu l’inflation en 2022 et 2023. Si les industries agroalimentaires n’avaient pas augmenté leurs marges, alors les prix de production agroalimentaires auraient augmenté moins rapidement et l’inflation aurait été moins importante. Le phénomène d’une inflation alimentée par les marges des entreprises semble relever d’une tendance commune aux économies européennes si l’on suit une note d’économistes de la BCE de mars 2023 ([7]), et une étude d’économistes du FMI de juin 2023 ([8]). Selon cette dernière, « les profits représentent 45 % de la hausse des prix depuis début 2022 » au sein de la zone euro.

L’industrie agroalimentaire n’est pas seule en cause. Contrairement à ses affirmations, la grande distribution n’a pas « tout fait pour lutter contre l’inflation ». Pour les distributeurs, le taux de marge est structurellement plus faible. Mais l’enjeu pour la grande distribution est de gagner des parts de marché pour appliquer ce taux de marge faible à un volume d’affaire important. La grande distribution pratique un taux de marge brute moyen de l’ordre de 25 % qui cache de grandes disparités entre les produits d’appel sur lesquels elle sera réduite au minimum, soit 10 % en vertu du seuil de revente à perte et d’autres produits sur lesquels cette marge brute pourra être portée à des niveaux très élevés.

Au-delà de ces chiffres, la difficulté est d’identifier précisément les filières, les maillons, les catégories d’entreprises qui ont particulièrement profité de la crise inflationniste pour améliorer leurs résultats. Les distributeurs reconnaissent eux‑mêmes que les grands groupes et les PME de l’agroalimentaire ne sont certainement pas dans une situation identique, le rapport de force dans la négociation étant bénéfique aux grands groupes dont les marques sont incontournables.

Du reste, et comme cela a déjà été signalé, s’il existe un sujet de consensus entre tous les acteurs, de la production agricole au consommateur en passant par les industriels et les distributeurs, c’est celui d’un besoin accru de transparence sur la formation des prix. L’existence de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM) prévu à l’article L. 682-1 du code rural et de la pêche maritime est louée. Mais, à plusieurs reprises lors des auditions, est revenu le constat de l’insuffisance tant de ses moyens que des données permettant d’établir un diagnostic précis des causes de la persistance de l’inflation. Il s’agit d’un point sur lequel la proposition de loi pourra sans nul doute être enrichie lors du débat parlementaire.

Une chose est certaine, depuis le mois de juin 2022, le prix des productions agricoles est orienté à la baisse alors que l’indice des prix à la consommation des produits alimentaires continue à augmenter :

C’est précisément cette situation d’inflation persistante sur l’alimentation depuis juin 2022, alors même que les prix des matières premières agricoles ont diminué sur la même période, qui est inacceptable pour les Français. Il en va également pour les marges des raffineurs qui ont très fortement augmenté depuis le mois de janvier 2023 alors que les cours du baril de pétrole étaient sur une tendance baissière. C’est à cet ensemble de préoccupations qu’entend répondre la présente proposition de loi.

Dans ce contexte, la lutte contre l’inflation ne doit pas se faire au détriment de la protection du revenu des producteurs agricoles. La progression de ces revenus n’a pas couvert la progression des coûts de production en agriculture depuis le début de la crise, en particulier dans certaines filières dont l’agriculture biologique. Le revenu des agriculteurs reste trop faible et fragile pour que ces derniers puissent faire face aux défis de l’adaptation aux changements climatiques, de la transition agroécologique, d’une meilleure prise en compte du bien-être animal et du renouvellement des générations.

L’apport des lois dites Egalim à la protection du revenu agricole ne fait pas consensus, mais elles sont en tout état de cause jugées insuffisantes par l’ensemble de la profession. Or, la protection robuste de ce revenu agricole est la condition nécessaire pour pouvoir lutter, à l’autre bout de la chaîne contre l’inflation alimentaire. Le revenu des producteurs agricoles et le pouvoir d’achat des Français ne doivent plus être des variables d’ajustement.

La présente proposition de loi entend donc conduire l’ensemble des parties prenantes à s’entendre sur la définition d’un prix plancher de la matière première agricole. Il s’agit d’une question qui dépasse de loin le cadre d’une négociation commerciale et qui engage la société dans son ensemble. Derrière le revenu agricole c’est la souveraineté alimentaire du pays et la protection de notre environnement qui sont en jeu.

Là aussi les auditions conduiront le rapporteur de la proposition de loi à compléter son dispositif en faveur de la protection du revenu agricole.

Dans ces conditions, l’abrogation du SRP + 10 issu de la loi « Egalim 1 » de 2018, mesure par nature inflationniste, peut être envisagée en s’assurant que la suppression de cette manne pour la grande distribution ne conduise cette dernière à opérer davantage de marges sur un certain nombre de produits au détriment du prix versé aux producteurs au début de la chaîne.

La discussion de cette proposition de loi n’est pas un simple appel ou une énième position de principe : son adoption est aux yeux de votre rapporteur et de tous ceux qui la soutiennent une absolue nécessité pour répondre à l’urgence sociale qu’a provoquée la crise inflationniste en cours depuis plus de deux ans. Il s’agit d’un texte équilibré qui envisage le fonctionnement des filières dans leur ensemble, des producteurs aux consommateurs. Le texte propose des encadrements ponctuels et adaptés des comportements des acteurs qui devront être activés chaque fois que la situation macro-économique l’exigera. Il convient donc de la considérer davantage comme un point de départ dont le Parlement doit s’emparer dans les meilleurs délais que comme un simple ajustement aux dispositions déjà en vigueur : la crise est là, les Français la ressentent souvent vivement, il faut agir !

 

 

 


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   Commentaires d’articles

Article 1er
(article L. 631-27-1 du code rural et de la pêche maritime)
Fixer collectivement un prix d’achat plancher des matières premières agricoles, de façon à garantir le revenu des agriculteurs et la pérennité de leur activité

Le présent article a pour objet de prévoir que chaque filière fixe chaque année un prix plancher d’achat des produits agricoles. La négociation de ce prix plancher devra avoir lieu dans le cadre de la conférence publique de filière, dont la composition doit être élargie. Elle sera menée sous l’égide du médiateur des relations commerciales agricoles.

 

I.   l’État du droit : Un Dispositif inabouti de protection du prix dans les contrats de vente de produits agricoles

A.   La question du prix dans les contrats de vente de produits agricoles

1.   Le droit européen

Le contrat de vente de produits agricoles conclu entre un producteur et son premier acheteur est régi par les articles 148, concernant le secteur du lait, et 168, relatif aux secteurs agricoles autres que le lait et le sucre, du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles. Ces dispositions prévoient notamment les conditions dans lesquelles les États membres peuvent intervenir pour réguler ces relations contractuelles structurellement déséquilibrées.

Au point 7 de son avis sur le projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable rendu le 25 janvier 2018, le Conseil d’État considère « qu’il ressort de ces dispositions, éclairées par les considérants 127 et 138 du règlement du 17 décembre 2013, d’une part, que celui-ci n’a pas entendu régir de façon exhaustive les contrats de vente de produits agricoles, mais fixer des normes minimales qui s’imposent aux États membres dans la rédaction du droit national applicable aux contrats de vente de produits agricoles par le producteur à son premier acheteur et, d’autre part, que le droit national peut compléter la liste des éléments qui doivent figurer dans le contrat, ou préciser ces éléments, sous réserve que leur contenu soit laissé à la libre négociation des parties. Dans ce cadre, (…) il estime que la règle selon laquelle les critères et modalités de détermination du prix figurant dans le contrat, à défaut ou en complément de prix fixe, doivent prendre en compte notamment un ou plusieurs indicateurs relatifs aux coûts de production en agriculture ou à l’évolution de ces coûts et un ou plusieurs indicateurs relatifs aux prix des produits agricoles et alimentaires constatés sur les marchés sur lesquels opère l’acheteur, ne méconnaît pas le principe de libre négociation fixé par le règlement, dans la mesure où les opérateurs restent libres, tant du choix ou de la création des indicateurs, que de la façon de les prendre en compte ».

Le législateur dispose donc de marges de manœuvre, dont il a déjà fait usage à de multiples reprises, pour encadrer les conditions de négociation et de conclusion des contrats de vente de produits agricoles, notamment s’agissant de leur prix.

2.   Le droit français

Les contrats de vente de produits agricoles sont régis par section 2 du chapitre Ier du titre III du livre VI du code rural et de la pêche maritime (CRPM). L’article L. 631‑24 du CRPM relatif aux contrats de vente de produits agricoles a été créé par la loi n° 2010‑874 du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche. Il a été modifié à de nombreuses reprises depuis, notamment par les lois dites « Egalim ».

En dernier lieu, la loi n° 2021‑1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs, dite loi « Egalim 2 », a apporté à l’article L. 631‑24 du CRPM une modification importante puisque désormais la conclusion d’un contrat écrit entre le producteur d’un produit agricole et son premier acheteur est le principe.

Tout contrat écrit portant sur la première vente d’un produit agricole doit respecter les dispositions de cet article L. 631‑24 du CRPM et, s’agissant plus particulièrement du prix, le 1° du III de cet article prévoit que le contrat comporte « a minima les clauses relatives (…) au prix et aux modalités de révision automatique, à la hausse ou à la baisse, de ce prix, selon une formule librement déterminée par les parties, ou aux critères et modalités de détermination du prix, parmi lesquels la pondération des indicateurs mentionnés au quinzième alinéa du présent III ».

Le quinzième alinéa du III dispose que : « La proposition de contrat ou daccord-cadre constitue le socle de la négociation entre les parties. Au titre des critères et modalités de révision ou de détermination du prix mentionnés au 1° du présent III, elle prend en compte un ou plusieurs indicateurs relatifs aux coûts pertinents de production en agriculture et à lévolution de ces coûts. Dans le contrat ou dans laccord-cadre, les parties définissent librement ces critères et ces modalités de révision ou de détermination du prix en y intégrant, outre le ou les indicateurs issus du socle de la proposition, un ou plusieurs indicateurs relatifs aux prix des produits agricoles et alimentaires constatés sur le ou les marchés sur lesquels opère lacheteur et à lévolution de ces prix ainsi quun ou plusieurs indicateurs relatifs aux quantités, à la composition, à la qualité, à lorigine et à la traçabilité des produits ou au respect d’un cahier des charges. Dans le cadre de leurs missions et conformément au règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 précité, les organisations interprofessionnelles élaborent et publient des indicateurs, qui servent d’indicateurs de référence. Elles peuvent, le cas échéant, sappuyer sur lobservatoire mentionné à l’article L. 682-1 ou sur létablissement mentionné à l’article L. 621-1. À défaut de publication, par une organisation interprofessionnelle, des indicateurs de référence dans les quatre mois suivant la promulgation de la loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs, les instituts techniques agricoles les élaborent et les publient dans les deux mois suivant la réception dune telle demande formulée par un membre de lorganisation interprofessionnelle ».

Le législateur est allé encore plus loin à l’article 2 de la loi Egalim 2 en prévoyant une expérimentation de l’utilisation obligatoire d’une clause de tunnel de prix, c’est-à-dire la définition par les parties de bornes minimales et maximales entre lesquelles les critères et les modalités de détermination ou de révision du prix, intégrant notamment un ou plusieurs indicateurs relatifs aux coûts pertinents de production en agriculture, produisent leurs effets. Le décret n° 2021‑1415 du 29 octobre 2021 fixe les conditions d’une telle expérimentation en ce qui concerne la viande bovine. Celle-ci est en cours jusqu’au 31 décembre 2026 et n’a donc pas encore fait l’objet d’une évaluation.

B.   L’absence d’application de l’article L. 631-27-1 du CRPM relatif aux conférences publiques de filière

1.   L’article L. 631-27-1 du CRPM

L’article L. 631‑27‑1 du CRPM a été créé par l’article 104 de la loi n° 2016‑1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Il prévoit que « pour chacune des filières agricoles, une conférence publique de filière est réunie chaque année avant le 31 décembre, sous l’égide de lÉtablissement national des produits de lagriculture et de la mer mentionné à l’article L. 621-1. »

Réunissant les représentants des producteurs, des organisations de producteurs, des entreprises et des coopératives de transformation industrielle des produits concernés, de la distribution et de la restauration hors domicile, la conférence de filière est censée examiner « la situation et les perspectives dévolution des marchés agricoles et agroalimentaires » et proposer « une estimation des coûts de production en agriculture et de leur évolution pour lannée à venir, en tenant compte de la diversité des bassins et des systèmes de production ».

2.   Des dispositions jamais mises en œuvre

Le décret d’application de l’article L. 631-27-1 du CRPM n’a jamais été pris et les conférences publiques de filière n’ont jamais été réunies depuis leur création par la loi en 2016.

Par conséquent, il n’existe à ce jour aucun échange formalisé au niveau des filières sur l’évolution des coûts de production en agriculture d’année en année.

L’article L. 621‑3 du CRPM confie à l’Établissement national des produits de l’agriculture et de la mer (FranceAgriMer) notamment les missions suivantes :

« 1°Assurer la connaissance des marchés ;

« 2°Améliorer le fonctionnement des marchés de façon à assurer, en conformité avec les intérêts des consommateurs, une juste rémunération du travail des professionnels et des conditions normales dactivité aux différents opérateurs des filières ; à cette fin, létablissement :-favorise lorganisation des producteurs ainsi que lorganisation des relations entre les diverses professions de chaque filière ;-encourage lorganisation de la mise en marché au niveau national et international et participe à lélaboration et à la mise en œuvre des mesures relatives à lamélioration des conditions de concurrence et à la protection et à l’information des consommateurs ; 

« 9°Mettre à la disposition des organisations interprofessionnelles reconnues, des instituts et centres techniques et des établissements publics intervenant dans le domaine de lagriculture, de la pêche et de laquaculture les données relatives aux filières, aux marchés et à la mise en œuvre des politiques publiques ».

Le troisième alinéa de l’article L. 621-5 du CRPM prévoit que « Les conseils spécialisés [de FranceAgriMer] sont composés en majorité de représentants de la production, de la transformation et de la commercialisation. LÉtat, le cas échéant ses établissements publics, les régions, les salariés de la filière et les consommateurs y sont également représentés. » L’article D. 621‑7‑2 du CRPM prévoit ainsi l’existence de sept conseils spécialisés respectivement compétents sur les « grandes cultures », les « viandes blanches », les « fruits et légumes », les « productions végétales spéciales », les « ruminants », les « produits de la pêche et aquaculture » et les « vin et cidre ».

Ainsi, il semble que le Gouvernement considère que FranceAgriMer, notamment les conseils spécialisés par filière constitués en son sein, assure les missions que l’article L. 631-27-1 du CRPM confie aux conférences de filière.

 

II.   LE DISPOSITIF PROPOSÉ

L’article 1er de la présente proposition de loi complète le dispositif des conférences publiques de filière et leur confie une mission précise justifiant la mise en place effective de ces instances. Elles seront des lieux de partage et d’analyse des données économiques en vue de déterminer le socle de la négociation des contrats de vente de produits agricoles entre les parties.

Les conférences publiques de filière doivent être un lieu de délibération collective associant les représentants des producteurs agricoles, des organisations de producteurs, des entreprises et des coopératives, de la distribution et de la restauration hors domicile, mais également des consommateurs et des associations de protection de l’environnement.

La mission qui leur est assignée doit dépasser l’analyse des perspectives d’évolution des marchés agricoles et agroalimentaires et l’estimation des coûts de production en agriculture. Elles doivent s’appuyer sur ces travaux, notamment à partir de la matière qui leur est fournie par les conseils spécialisés de FranceAgriMer ou de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires prévu à l’article L. 682-1 du CRPM, pour définir, par filière, un prix plancher de la matière première agricole.

La réalisation de cette mission est la condition sine qua none d’une réelle sanctuarisation du prix des produits agricoles dans la suite du processus de négociation à chaque maillon de la chaîne. Il s’agit d’une étape indispensable pour que la protection du revenu des agriculteurs, objectif revendiqué par les lois Egalim, ne soit plus une simple incantation et devienne une réalité.

Cette mission de détermination collective par les acteurs de chaque filière du prix plancher de la matière première agricole justifie que les conférences publiques de filière se tiennent chaque année sous l’égide du médiateur des relations commerciales agricoles. En effet cette mission est complémentaire des missions de ce médiateur prévues à l’article L. 631-27 du CRPM, notamment celle de connaître des litiges relatifs à la conclusion ou à l’exécution des contrats ayant pour objet la vente ou la livraison de produits agricoles, celle de rendre des avis ou recommandations sur les indicateurs de coût de production en agriculture, ou celle d’émettre des recommandations sur les modalités de partage équitable de la valeur ajoutée entre les étapes de production, de transformation, de commercialisation et de distribution des produits agricoles et alimentaires.

Au demeurant, les conférences publiques de filière, bien que placées sous l’égide de FranceAgriMer dans le droit en vigueur, sont déjà prévues par un article placé dans la section 3 du chapitre Ier du titre III du livre VI du CRPM portant sur le médiateur des relations commerciales agricoles.

III.   La position de votre commission

Votre commission a supprimé cet article.

 

 

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Article 2
(article L. 410-2-1 [nouveau] du code de commerce)
Encadrer le taux de marge des entreprises de l’industrie agroalimentaire en période d’inflation

Article modifié par la commission

 

Le présent article instaure, pour l’année 2024, un coefficient multiplicateur maximum entre, d’une part, le prix des consommations intermédiaires supporté par les fournisseurs de produits alimentaires et, d’autre part, le prix de vente de leurs produits aux distributeurs.

Il prévoit également que le pouvoir réglementaire devra instaurer un tel coefficient multiplicateur maximum dès lors qu’il sera constaté que les fournisseurs de produits alimentaires réalisent des bénéfices excessifs.

I.   l’État du droit

Le premier alinéa de l’article L. 410‑2 du code de commerce consacre en ces termes le principe de la libre détermination des prix : « Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les prix des biens, produits et services relevant antérieurement au 1er janvier 1987 de l’ordonnance n° 451483 du 30 juin 1945 sont librement déterminés par le jeu de la concurrence ».

Les deuxième et troisième alinéas de cet article disposent que : « Toutefois, dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopole ou de difficultés durables d’approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires, un décret en Conseil d’État peut réglementer les prix après consultation de l’Autorité de la concurrence.

« Les dispositions des deux premiers alinéas ne font pas obstacle à ce que le Gouvernement arrête, par décret en Conseil d’État, contre des hausses ou des baisses excessives de prix, des mesures temporaires motivées par une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé […] ».

C’est sur le fondement de ces dispositions que sont par exemple réglementés les tarifs du gaz naturel, de l’électricité ou des courses de taxi ou qu’ont pu l’être ceux des gels hydro-alcooliques.

Si les exemples de prix réglementés ou d’encadrement de la marge commerciale des commerçants sont nombreux, aucune disposition législative n’encadre le taux de marge dans l’industrie.

La liberté d’entreprendre admet des limitations liées à d’autres exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi. Les objectifs de préservation de l’ordre public économique qu’il poursuit autorisent le législateur à opérer une conciliation entre le principe de la liberté d’entreprendre et l’intérêt général tiré de la nécessité de maintenir un équilibre dans les relations commerciales ([9]).

Au titre de la proportionnalité des atteintes portées à la liberté d’entreprendre, le juge constitutionnel veille à leur caractère non absolu ([10]).

II.   LE DISPOSITIF PROPOSÉ

L’article 2 prévoit d’abord que, pour l’année 2024, les entreprises de l’industrie agroalimentaire devront respecter un coefficient multiplicateur maximum entre, d’une part, le prix d’achat des matières premières agricoles et alimentaires et des produits agricoles et alimentaires, de l’énergie, du transport et des matériaux entrant dans la composition des emballages des produits concernés et, d’autre part, leur prix de vente au distributeur.

La crise inflationniste qui est en cours depuis l’été 2021, particulièrement marquée s’agissant des produits alimentaires, est alimentée par une augmentation du taux de marge dans le secteur agroalimentaire (cf. supra). En effet, dans ce secteur, la part de l’excédent brut d’exploitation (EBE) dans la valeur ajoutée était, fin 2022, selon l’Insee, 5 points de pourcentage au-dessus de son niveau de début 2018 ([11]).

L’augmentation des profits de l’industrie agroalimentaire en période d’inflation marquée se fait au détriment des consommateurs auxquels il est urgent de restituer le pouvoir d’achat qu’ils ont perdu. Cela passe par un encadrement du taux de marge de ces industriels pour l’année 2024, le temps d’une normalisation du niveau des prix des produits alimentaires.

L’article 2 prévoit ensuite un mécanisme pérenne d’encadrement du taux de marge dans l’industrie agroalimentaire, qui devra être activé par le pouvoir réglementaire dès lors qu’il aura été constaté la survenance de profits anormaux dans ce secteur d’activité.

Le rapporteur proposera des ajustements techniques à ce dispositif lors de la discussion pour tenir compte des auditions qu’il a menées.

III.   La position de votre commission

Votre commission a adopté un amendement de réécriture globale de cet article.

Le dispositif d’encadrement du taux de marge dans l’industrie agroalimentaire a été supprimé au profit de dispositions dont la portée normative est très faible. En effet, l’article 2 réécrit se contente de préciser que l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires peut effectuer des contrôles réguliers des marges réalisées par les acteurs impliqués dans les relations commerciales et qu’il peut publier des rapports sur ce sujet.

 

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Article 3
(article L. 410-2-2 [nouveau] du code de commerce)
Instaurer un coefficient multiplicateur maximum permettant d’encadrer la marge brute bénéficiant aux activités de raffinage

Article supprimé par la commission

Le présent article vise à instaurer un coefficient multiplicateur maximal entre le prix d’achat de la tonne de pétrole brut et le prix de vente au distributeur de la tonne de matière transformée.

À l’instar de l’article 2, le présent article prévoit de mettre en place, d’une part, un mécanisme exceptionnel permettant d’appliquer ce coefficient multiplicateur dès
le 1er janvier 2024 pour une durée d’un an afin de faire face à la hausse importante de la marge brute des raffineurs que nous connaissons actuellement et, d’autre part, de mettre en place un dispositif de coefficient multiplicateur qui soit pérenne et qui puisse être ainsi actionné par le pouvoir réglementaire dès que les conditions de sa mise en œuvre seront réunies.

 

I.   l’État du droit : une hausse de la marge brute des raffineurs sans contrepoids efficace

A.   L’augmentation de la marge brute de raffinage : un constat aux causes multiples

1.   Le prix des carburants : un sujet aux déterminants nombreux

Le prix du carburant est une question des plus délicates en France.

Tout d’abord, il faut noter que la hausse du prix des carburants a souvent servi d’étincelle à des mouvements sociaux qui ont secoué notre pays dans lequel 84 % de nos concitoyens possèdent une voiture, un sur deux habitant dans une commune mal ou non desservie par les transports en commun. Ainsi, souvenons‑nous du mouvement des « Gilets jaunes » qui a débuté au mois de novembre 2018 avec une manifestation ayant rassemblé plus de 280 000 personnes à travers toute la France pour protester en premier lieu contre la hausse du prix des carburants, hausse due principalement à un accroissement de la fiscalité écologique décidée par le Gouvernement d’Édouard Philippe pour lutter contre le réchauffement climatique ; si le mouvement a ensuite pris davantage d’ampleur dans ses revendications (lutte en faveur du pouvoir d’achat, contestation de la fiscalité de manière générale et du poids de la norme dans notre pays), la question du prix des carburants a véritablement joué le rôle d’étincelle. On rappellera également que, de façon assez régulière, les transporteurs routiers manifestent pour demander une diminution du poids des taxes sur l’essence, qui portent atteinte à leur compétitivité dans un secteur fortement concurrentiel au niveau européen.

Ensuite, la question du prix des carburants s’avère être d’une très grande complexité tant les éléments déterminant le prix à la pompe sont nombreux.

Le premier facteur tient évidemment à la confrontation entre l’offre et la demande. La récente décision prise le 4 octobre 2023 par l’Arabie Saoudite et la Russie, tous deux pays membres de l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) ([12]), de volontairement réduire leurs quotas de production de pétrole jusqu’à la fin de l’année, voire au-delà pour soutenir les cours du brut, devrait mécaniquement, à demande égale, provoquer une hausse des prix, à tout le moins leur stagnation.

Le deuxième facteur est constitué par le montant de la marge brute de raffinage sur laquelle nous allons revenir plus longuement.

Le troisième facteur est constitué par les coûts de transport et de distribution (pipeline, bateau, camion…) qui permettent d’acheminer les produits raffinés du lieu de production jusqu’aux stations-services mais qui prennent en compte de nombreux autres dépenses intermédiaires (mentionnons par exemple la taxe incitative relative à l’utilisation d’énergies renouvelables dans les transports ou TIRUERT ([13]), qui vise à principalement inciter les dépôts pétroliers à recourir à des modes de transports utilisant davantage d’énergies renouvelables).

Le quatrième facteur, sans doute le plus emblématique aux yeux de nos concitoyens, est constitué par la fiscalité sur les carburants, principalement la taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques (TICPE) et la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), la part des taxes augmentant mécaniquement lorsque le cours du pétrole baisse, et inversement (compte tenu du montant fixé par litre de la TICPE).

À tout cela, il convient d’ajouter d’autres éléments tels que la parité euro / dollar, qui a un impact direct sur le prix d’achat du pétrole brut sur les marchés internationaux. Le prix du pétrole brut y étant libellé en dollars, une appréciation de l’euro par rapport à la monnaie américaine aura mécaniquement pour effet de diminuer le prix du baril au bénéfice des pays européens. À l’inverse, une appréciation du dollar par rapport à l’euro pourra augmenter le prix du baril. Il faut également tenir compte des coûts liés à la prospection pour trouver de nouveaux gisements, qui s’impactera tôt ou tard sur le prix du pétrole brut, et des événements de natures diverses qui peuvent également influer sur le prix du pétrole. Comme on l’a vu au cours des années récentes, la crise de la covid, la guerre en Ukraine ou l’actuel conflit au Proche-Orient ont pu, ou pourront à terme, influer durablement sur le cours du pétrole, lequel se répercutera inévitablement à la pompe.

Si l’on prend des données récentes, voici concrètement comment se décompose le prix des carburants en France aujourd’hui ([14]) :

2.   La part prise par le coût du raffinage

Comme on l’a précédemment indiqué, un des éléments concourant à la formation du prix des carburants est la marge brute de raffinage.

Le raffinage est une activité essentielle dans le processus de production des carburants puisqu’il consiste à transformer le pétrole brut (composé notamment de divers hydrocarbures, de soufre et autres éléments… et récupéré dans un état qui peut être pour partie liquide, pour partie gazeux voire visqueux) en une matière utilisable qu’il faut épurer, filtrer et transformer pour le rendre utilisable. On distingue traditionnellement quatre phases dans le raffinage qui sont la distillation (qui consiste à fractionner le pétrole brut en plusieurs produits), la transformation (qui consiste notamment à fractionner des cellules pour en obtenir des plus légères), l’épuration (qui consiste à éliminer tout produit indésirable) et l’assemblage (qui permet de mélanger divers produits en vue de l’obtention de produits directement utilisables).

Le coût du raffinage se matérialise par un indicateur précis, la « marge brute de raffinage sur Brent », calculé notamment par le ministère de la transition écologique (plus spécifiquement par la DGEC, direction générale de l’énergie et du climat). Cette marge correspond à la différence entre le prix de vente des produits finis (prix tel que fixé sur les marchés de référence, notamment celui de Rotterdam) et le prix d’achat du pétrole brut livré en raffinerie (qui fait l’objet d’une cotation mondiale via le baril de Brent). Quant à la marge nette du raffineur, elle résulte de la différence entre la marge brute et divers frais intermédiaires (principalement les frais fixes et les frais variables : salaires des personnels, coût de maintenance et d’entretien des raffineries, coût de l’énergie nécessaire au fonctionnement des centrales…).

Or, cette marge brute a considérablement augmenté au fil des dernières années comme en témoigne le graphique ci-dessous :

Aujourd’hui, le coût du raffinage d’un litre d’essence est environ de 25 centimes alors que, pendant une très longue période, il a oscillé entre seulement 3 et 5 centimes par litre. Concrètement, la marge brute par tonne de pétrole qui s’élevait à 14 euros en 2021 a grimpé à 101 euros en 2022 ; après une indéniable décrue (la marge était d’environ 25 euros la tonne en avril 2023), les marges sont reparties à la hausse pour atteindre 114 euros la tonne au mois de septembre dernier. Si l’on prend en considération les frais auxquels les raffineurs doivent par ailleurs faire face (salaires des employés, coûts de maintenance et d’entretien des raffineries, coût des consommations intermédiaires comme l’électricité ou le gaz qui ont fortement augmenté au cours des années récentes…), la marge nette des raffineurs « ne s’élève » aujourd’hui qu’à 70 euros la tonne environ.

Les causes de cette hausse sont relativement connues. Outre une demande en produits pétroliers finis à la hausse (le monde consomme environ 103 millions de barils par jour), la France souffre d’un faible nombre de raffineries sur son sol : seules les sept raffineries de Gonfreville L’Orcher, de Port-Jérôme-Gravenchon, de Donges, de Lavéra, de Fos-sur-Mer, de Feyzin et du Lamentin (en Martinique) fonctionnent aujourd’hui contre vingt-cinq raffineries qui étaient en service dans les années 1970. Rappelons que la raffinerie de Flandres (près de Dunkerque, exploitée par Total) a cessé son activité en 2009 et définitivement fermé en janvier 2023, que la raffinerie Petroplus de Reichstett a cessé son activité en juin 2011 de même que la raffinerie de Berre-l’Étang (Bouches-du-Rhône), qui a fermé en septembre 2011, et le site de raffinage Petroplus de Petit-Couronne près de Rouen (Seine-Maritime), qui a cessé son activité en avril 2013. La France doit donc massivement importer (la France importe 99 % du pétrole brut qu’elle consomme), ses capacités de raffinage permettant quant à elles de faire face à la demande. Il faut ajouter au plan national un déséquilibre diesel/essence (plus de 60 % des véhicules immatriculés en France roulent au diesel contre 36 % à l’essence, notre pays devant donc importer plus de 50 % de sa consommation de diesel notamment d’Europe, de Russie et d’Asie) que la France ne peut compenser en produisant davantage de gazole (ce qui entraînerait à la fois une hausse de nos importations de pétrole brut et un accroissement de volume des distillats légers sur lesquels nous sommes déjà fortement excédentaires). Ajoutons à cela la fermeture de plusieurs raffineries dans le monde (environ 15 % des raffineries ont disparu au cours des dix dernières années à l’échelle mondiale), le statu quo concernant le démarrage de la raffinerie Dangote au Nigéria, les tensions existant sur les marchés à l’occasion du passage de plusieurs ouragans sur le Golfe du Mexique (qui n’ont certes pas touché certaines raffineries américaines situées au Texas, en Alabama ou au Mississipi mais qui menaçaient simplement de le faire ce qui a entraîné une certaine fébrilité sur les marchés…) et la décision de la Russie d’arrêter d’exporter des produits finis à la suite de l’entrée en guerre contre l’Ukraine.

Autant de raisons pour lesquelles l’offre a eu du mal à répondre à la demande ce qui, conjugué à une hausse du prix du pétrole, a entraîné une augmentation des prix pour le consommateur et donc des marges pour les raffineurs. Après, il est vrai, des années pendant lesquelles ces dernières se sont fortement amoindries (la marge brute ayant atteint un plancher de 14 euros la tonne en 2011, le niveau ayant doucement remonté pour atteindre 28 euros la tonne à la fin du mois de novembre 2019, les années 2020 et 2021 ayant été marquées par une forte baisse due à l’épidémie de covid et au ralentissement économique qui s’en est suivi), les raffineurs justifient principalement l’actuelle hausse par la nécessité d’effectuer des investissements importants afin d’assurer les coûts de maintenance des raffineries existantes et pour en transformer certaines, comme l’a par exemple fait Total en transformant les sites de La Mede et de Grandpuits, en bioraffineries.

B.   La nÉcessitÉ d’agir de maniÈre volontariste sur le coÛt du raffinage en france

1.   Des initiatives ont été prises en 2022 mais demeurent trop limitées dans leurs effets

Face à une inflation galopante qui a touché l’ensemble des pays du monde, l’Union européenne a pris une initiative opportune en adoptant, le 6 octobre 2022, le règlement (UE) 2022/1854 du Conseil sur une intervention d’urgence pour faire face aux prix élevés de l’énergie. Son article 14 a ainsi autorisé les États membres de l’Union à instaurer une mesure de « soutien aux clients finals d’énergie au moyen d’une contribution de solidarité temporaire », le Conseil instaurant le principe suivant lequel « Les bénéfices excédentaires obtenus par les entreprises et les établissements stables de l’Union exerçant des activités dans les secteurs du pétrole brut, du gaz naturel, du charbon et du raffinage font l’objet d’une contribution de solidarité temporaire obligatoire, à moins que les États membres n’aient adopté des mesures nationales équivalentes ». Même si le Gouvernement s’en est défendu, il s’agissait là, au nom d’une évidente équité fiscale, de taxer les « superprofits » réalisés par les énergéticiens, notamment au titre de leur activité de raffinage. En application de cette disposition, le Parlement a ainsi adopté, dans le cadre de la loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023, un article 40 instaurant « au titre du premier exercice ouvert à compter du 1er janvier 2022, une contribution temporaire de solidarité » à la charge des énergéticiens.

Si le principe est louable, les résultats ont été des plus décevants. Comme l’a indiqué Jean-René Cazeneuve, rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale, « Initialement, il était prévu que la contribution sur les énergéticiens rapporte 11 milliards en 2023 ; l’estimation a été ramenée à 4 milliards ; il est probable que le résultat soit plus près de 2, parce que le prix de l’électricité a fortement baissé. Celle sur les producteurs d’énergies fossiles devrait rapporter quelque 100 à 200 millions en 2023. Pour 2024, l’incertitude est plus forte encore »  ([15])… Autant dire que cette contribution n’a aucun effet tangible sur les grandes entreprises du secteur, à commencer par TotalEnergies dont on rappellera qu’elle a annoncé avoir réalisé un bénéfice net de 20,5 milliards de dollars sur l’ensemble de l’année 2022 (soit une hausse de 28 % par rapport à 2021) et qu’elle anticipe des bénéfices de l’ordre de 16 à 18 milliards pour l’année 2023 (pour l’instant, ces bénéfices sont respectivement de 5,6 milliards au premier trimestre et de 4,9 au deuxième).

2.   Prendre des décisions de manière volontariste à l’égard des raffineurs : une impérieuse nécessité

Compte tenu de la hausse des marges des raffineurs au cours de l’année 2023, la prolongation de la contribution temporaire de solidarité est apparue nécessaire à beaucoup. Et c’est d’ailleurs à ce titre que, dans le cadre des débats sur le projet de loi de finances pour 2024, la commission des finances a adopté, à l’initiative du rapporteur général Jean-René Cazeneuve, trois amendements identiques nos I-CF2566, I-CF2786 et I-CF2854 prorogeant le dispositif en 2024, prorogation qui ne figurait pas dans le projet de loi de finances initial ([16]).

Or, la majorité a dû reculer à la demande du Gouvernement.

En effet, lors d’un récent déplacement à Lyon où il a inauguré une station‑service électrique, le PDG de TotalÉnergies, Patrick Pouyanné, a clairement indiqué que son groupe ne continuerait de plafonner le prix de l’essence à 1,99 euro le litre que si le Gouvernement s’engageait à ne pas davantage taxer les groupes pétroliers, notamment au titre des activités de raffinage : « [en ce qui concerne le prix d’1,99 euros le litre], je l’ai dit pour l’année 2023, le Gouvernement demande à prolonger. Mais s’il veut aussi mettre des taxes sur le raffinage, je ne sais pas si on le prolongera », ajoutant par la suite que « Si l’État nous ajoute des taxes, on reconsidérera la mesure [de plafonnement] » ([17]). Le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique Bruno Le Maire a donc pris acte de cette menace, voire de ce chantage et, dès le 9 octobre, dans un entretien à Sud Radio, a dit qu’il faisait « confiance à TotalÉnergies pour maintenir cette opération exemplaire [de plafonnement]. La taxe sur le raffinage ? On verra le débat parlementaire, mais moi, en règle générale, je n’aime pas trop les taxes ». Il est dès lors facile de comprendre les raisons pour lesquelles le rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée a dû opérer un total revirement en ayant finalement admis que la prolongation d’un an du dispositif n’était pas souhaitable et qu’il convenait de s’en tenir aux promesses du groupe TotalÉnergies : « L’essentiel, ce n’est pas d’aller chercher 200 millions d’euros par une taxe, c’est que les Français paient l’essence le moins cher possible » ([18]). Et le fait est que le projet de loi de finances pour 2024 tel que transmis au Sénat après que le Gouvernement a engagé sa responsabilité sur la première partie en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, ne comporte plus la disposition adoptée en commission des finances sur la prolongation d’un an de l’imposition de la contribution temporaire de solidarité.

Ce revirement est d’autant plus regrettable aux yeux de votre rapporteur qu’il conduit le Gouvernement à devoir reculer face à une entreprise qui ne cesse d’accroître ses profits comme on l’a vu, essentiellement au bénéfice de ses actionnaires, pour qui le montant de la contribution temporaire de solidarité ne représente finalement pas grand-chose au regard du bénéfice pour l’ensemble de nos concitoyens et qui n’a par ailleurs donné aucune assurance quant au maintien durable d’un prix de l’essence inférieur à deux euros le litre. Il est également contestable dans la mesure où, pour de nombreux observateurs avertis du secteur de l’énergie, ce sont bel et bien les activités de raffinage qui, ces derniers temps, ont bénéficié des marges les plus importantes, rappelant à cette occasion que « la marge brute des raffineurs s’est hissée à 101 euros par tonne en moyenne en 2022, contre 14 euros en 2021 » ([19]). Certains économistes pensent certes que le maintien d’une taxe sur les activités de raffinage serait inefficace, voire contreproductive. Ainsi, dans un récent éditorial ([20]), Philippe Chalmin, ancien président de l’Observatoire de formation des prix et des marges des produits alimentaires, a estimé que « le marché du raffinage est mondial et au moins continental. Faire pression sur les seules raffineries françaises n’aurait guère de sens si ce n’est éventuellement d’accélérer leur fermeture. La volatilité des marges de raffinage fait partie des contraintes d’un marché des carburants qui s’imposent à tous les acteurs et même le volontarisme public n’y peut rien changer ». Tout en admettant certaines de ces observations, d’ailleurs corroborées par Olivier Gantois, président de l’UFIP Énergies et Mobilités ([21]), votre rapporteur ne peut évidemment pas se satisfaire d’une telle conclusion, rappelant au passage que l’imposition d’une contribution spécifique à l’égard des énergéticiens est autorisée par l’Union européenne et peut donc se faire à tout le moins à l’échelle de l’ensemble du continent, si tant est que la volonté politique soit là.

On aurait pu le penser puisque le Président de la République a lui-même insisté, lors d’un entretien télévisé le 24 septembre dernier, sur la nécessité de lutter contre les marges abusives réalisées sur les activités de raffinage, leur formation manquant au surplus d’une évidente transparence : « Il y a une chose sur laquelle on peut agir, c’est d’essayer [d’éviter] qu’il y ait des marges abusives qui se fassent sur le raffinage. (…) La première ministre va rassembler tous les acteurs de la filière cette semaine, et on va leur demander de faire à prix coûtant » a-t-il ainsi avancé. Le lendemain, la Première ministre Élisabeth Borne a reçu les acteurs de la filière du carburant (notamment les raffineurs) en vue à la fois de « faire la transparence sur leurs marges et demander leur réduction ». Mais sans succès à ce jour, face à la franche opposition des intéressés…

II.   LE DISPOSITIF PROPOSÉ

Dès lors, il convient d’être volontariste et de ne pas se contenter à faire appel au bon vouloir des raffineurs : c’est ce à quoi s’emploie l’article 3 de la présente proposition de loi, qui vise, par la création d’un nouvel article L. 410-2-2 au sein du code de commerce, à l’instauration de deux mécanismes permettant d’encadrer les marges réalisées au titre des activités de raffinage. Votre rapporteur est conscient de l’évolution de la marge brute des raffineurs ces dernières années qui, comme on l’a vu, a connu des hauts et des bas importants : pour autant, la préservation du pouvoir d’achat des automobilistes nécessite de proposer un dispositif permettant de limiter sa hausse.

L’alinéa 2 de l’article 3 demande ainsi au pouvoir réglementaire d’instaurer, avec effet immédiat à compter du 1er janvier 2024 et ce pour une durée d’un an, un coefficient multiplicateur maximal d’une valeur de 1,63 entre le montant de la tonne de pétrole brut achetée et le montant des produits finis issus de ce même volume après raffinage.

L’alinéa 3 de l’article 3 propose pour sa part un mécanisme pérenne cette fois-ci, qui permettra au pouvoir réglementaire, dès qu’il constate une hausse anormale du taux de marge (dont la proportion est alors fixée à un taux supérieur ou égal à la moyenne des trois exercices précédents), de mettre en place un coefficient multiplicateur maximum d’une valeur de 1,63 là encore, entre le montant de la tonne de pétrole brut achetée et le montant des produits finis issus de ce même volume après raffinage. Cette mesure, qui doit être décidée en un temps record afin de préserver dans la mesure du possible le pouvoir d’achat des Français, pourrait être mise en œuvre dans le délai d’un mois et pour une durée d’un mois.

Votre rapporteur estime que cette solution est sur le principe des plus opérationnelles. Il ne s’agit pas d’aller jusqu’à un blocage des prix, option envisageable que certains États de l’Union européenne ont mis en œuvre, la Hongrie ayant même décidé en mai 2022 d’appliquer des tarifs préférentiels au bénéfice de ses seuls nationaux qui pouvaient acheter leur essence à des prix réglementés (les étrangers devant en revanche payer leur essence au prix du marché), ou que notre pays a déjà pratiqué. Rappelons par exemple qu’au mois de juin 2020, le préfet de La Réunion a pris un nouvel arrêté ([22]) déterminant un prix de vente maximal de certains hydrocarbures liquides et du gaz domestique, en application des articles R. 671-14 et suivants du code de l’énergie. Rappelons également que le Gouvernement a tenté, avec le succès que l’on connaît, d’autoriser les distributeurs à vendre l’essence à perte (avec un système de compensation notamment pour les plus petites stations) ce qui, dans les faits, revenait également à plafonner le prix de vente de l’essence par la suppression même de la notion même de marge commerciale.

Ici, il ne s’agit pas d’interdire les marges : il s’agit seulement de les encadrer afin de ne pas permettre aux raffineurs de réaliser des marges sans commune mesure (+ 514 % entre 2021 et septembre 2023 !) avec leurs véritables frais, et ce au détriment du pouvoir d’achat des Français.

À la suite notamment de l’audition des responsables de l’UFIP Énergies et Mobilités, votre rapporteur a souhaité affiner le dispositif initialement proposé dans la proposition de loi, tout en en conservant la logique générale. Votre rapporteur vous propose ainsi d’en préciser la rédaction en faisant référence aux « activités de cokéfaction et de raffinage » (reprenant ainsi l’intitulé figurant à la division 9 de la section C de la nomenclature des activités et des produits français établie par l’Insee), en clarifiant les données préalables à la mise en œuvre du mécanisme de coefficient multiplicateur. Il s’agit, par ce dispositif, de corriger une évolution qui verrait le taux de marge brute des raffineurs évoluer en sens inverse de celui du cours officiel du baril de pétrole brut, ce qui sous-entendrait un accroissement des marges à la seule main des raffineurs et non comme n’étant, pour partie du moins, que la répercussion d’une hausse du cours de la matière première, le prix de l’essence à la pompe n’ayant pas vocation à absorber ce type de marges. Votre rapporteur propose également de fixer la valeur du coefficient multiplicateur à 1,41, ce qui correspond à la moyenne du taux de marge brute de raffinage sur Brent constaté par la DGEC  sur la période 2017-2023) ([23]).

III.   La position de votre commission

Votre commission a supprimé cet article.

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Article 4
(article L. 410-2-3 [nouveau] du code de commerce)
Instaurer un coefficient multiplicateur pour le prix de vente des denrées alimentaires et supprimer le SRP + 10

Article supprimé par la commission

 

Le présent article a deux objets :

Le premier (I) consiste tout d’abord à instaurer, à compter du 1er janvier 2024 et pour une durée d’un an, un coefficient multiplicateur maximum entre le prix d’achat effectif des produits alimentaires par les distributeurs et le prix de revente au consommateur. Ce I vise ensuite à créer un mécanisme pérenne de coefficient multiplicateur maximum, que le pouvoir réglementaire devra activer dès qu’il apparaîtra que le bénéfice des distributeurs de produits alimentaires est supérieur ou égal à 1,20 fois la moyenne des trois exercices précédents.

Le second (II) a pour objet de supprimer le seuil de revente à perte + 10 (mécanisme dit de « SRP+10 »).

I.   l’instauration d’un coefficient multiplicateur maximal pour les denrÉes alimentaires

A.   L’État du droit : un envol non maÎtrisÉ du montant des marges dans le secteur des denrÉes alimentaires

1.   L’accroissement du prix des denrées alimentaires impacte durablement le pouvoir d’achat des Français

La hausse du prix des denrées alimentaires est certainement un des indices les plus visibles de l’inflation qui frappe nos concitoyens depuis plusieurs années. On se souvient des altercations que les promotions décidées par Intermarché sur les pots de Nutella (en les vendant à – 70 %) avaient provoquées au mois de janvier 2018, ayant même parfois nécessité l’intervention des forces de l’ordre. Au‑delà de l’aspect strictement commercial, voire sociologique, de cet épisode, cette ruée sur un produit de grande consommation témoignait surtout du véritable état de détresse dans lequel des milliers de nos concitoyens se trouvent encore aujourd’hui face à un pouvoir d’achat qui ne cesse de diminuer.

 

 

 

 

Le prix des denrées alimentaires, qui désignent « toute substance ou produit, transformé, partiellement transformé ou non transformé, destiné à être ingéré ou raisonnablement susceptible d’être ingéré par l’être humain » ([24]), a connu des hausses vertigineuses depuis de nombreuses années comme en témoigne le graphique ci-dessous ([25]) :

 

Si les pouvoirs publics sont optimistes (le Gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, a récemment estimé « que nous avançons résolument sur le chemin d’une inflation ramenée vers 2 % d’ici à 2025 » ([26])), le ralentissement de l’inflation depuis cet automne ne doit leurrer personne. D’abord, il ne s’agit que d’un ralentissement, et non d’une baisse des prix : de fait, le pouvoir d’achat des consommateurs continue d’être impacté. Ensuite, le prix des produits alimentaires reste à un niveau très élevé : le ralentissement actuel n’efface en rien l’explosion des prix qui l’a précédé.

À la sempiternelle question « À qui profite cette hausse ? », la réponse est loin d’être simple tant les niveaux à considérer au fil du circuit de vente sont nombreux (producteurs, transformateurs, grossistes, distributeurs…), lesquels connaissent en outre divers types d’organisation, ce qui peut évidemment avoir un impact sur les prix pratiqués à tel ou tel stade, les causes de la hausse de certains prix étant par ailleurs multiples et, pour certaines, sans grande possibilité de maîtrise (impact du prix de l’énergie, à la hausse comme à la baisse, guerre en Ukraine, impact de certains phénomènes météorologiques…).

Si l’on se réfère au dernier rapport de l’Observatoire de formation des prix et des marges alimentaires (OFPM) remis au Parlement au mois de juin 2023 ([27]), cette diversité de causes est manifeste, sachant au surplus que les hausses et les baisses de prix de vente aux consommateurs n’affectent pas de la même manière toutes les productions, la viande bovine ayant par exemple vu ses prix stagner contrairement à la viande porcine (en hausse de 30 % au mois de mars 2023 par rapport à la moyenne de l’année 2022), le lait ayant également connu une forte augmentation (hausse de 11,5 % en février 2023), rattrapant il est vrai des périodes passées plus difficiles.

Si l’on regarde dans le détail les études les plus récentes, et notamment les éléments qui ressortent du rapport de l’OFPM portant sur 21 produits alimentaires « de base », la marge brute des industries agroalimentaires (IAA) a augmenté de 4 % sur l’année 2022, celle de la grande distribution (GD) n’ayant augmenté pour sa part que de 0,4 % ([28]). Il est même récemment arrivé que le niveau très maîtrisé des marges pratiquées par la GD ait eu un effet contra-cyclique au bénéfice des consommateurs ; comme l’a démontré l’OFPM pour le jambon par exemple, produit pour lequel, les marges des IAA n’ayant baissé que de 0,4 %, c’est de la baisse des marges de la GD de 18,4 % qu’est résultée la maîtrise des prix de vente au consommateur avec une hausse de seulement 1,7 %.

De manière assez générale sur l’année 2022, l’OFPM a d’ailleurs souligné que « Le principe d’amortissement des chocs de prix agricoles par l’aval s’est traduit par un gel en moyenne de la marge aval pendant l’année d’inflation forte que constitue 2022 (…) il semble qu’en 2022 ce soit d’abord la grande distribution qui contribue le plus à l’amortissement des chocs de prix amont » ([29]).

2.   Le niveau des marges réalisées par les distributeurs reste néanmoins un sujet de préoccupation pour nos concitoyens

Même si le niveau global des marges pratiquées aujourd’hui par les acteurs de la GD s’est donc quelque peu amoindri ([30]) (notamment sous le coup de la hausse des coûts de distribution de l’ordre de 20 à 25 %), surtout si on le compare aux années 2000 qui furent particulièrement florissantes pour les acteurs du marché, il n’en demeure pas moins préoccupant et responsable pour une bonne part de la hausse des prix à la vente qui s’impose ensuite aux consommateurs.

Le dernier rapport de l’OFPM a montré que, en 2022, pour un panier standard de 21 produits, la marge brute de la grande distribution représentait 29 % du prix de vente au détail pour le consommateur (contre 46 % pour les producteurs et 25 % pour ce qui est de la marge des IAA), contre 32 % en 2021. Si la GD se targue aujourd’hui de ne faire qu’1 à 2 % de marge nette, ce chiffre global mérite d’être fortement relativisé. D’une part parce qu’il ne s’applique pas aux seules denrées alimentaires mais à l’ensemble d’un magasin dont il faut rappeler que le chiffre d’affaires annuel moyen est d’environ 60 millions d’euros par an. D’autre part parce qu’il masque une diversité de pratiques. Ainsi, les marges pratiquées sont presque nulles pour plusieurs produits d’appel emblématiques tels que certains sodas ou certaines pâtes à tartiner, ce qui permet d’attirer les clients qui, ainsi « captifs », feront ensuite le reste de leurs courses dans le même magasin où, en revanche, de nombreux autres produits seront fortement « margés », soit qu’il s’agisse de produits pour lesquels il existe une gamme de choix très large (les pâtes, le café), soit qu’il s’agisse de produits peu fréquemment achetés et pour lesquels le consommateur ne fait guère attention au prix d’achat (moutardes ou certains condiments).

En pratique, la GD opère surtout de fortes marges sur les produits bio (un marché de près de 13 milliards d’euros en 2020 auprès des ménages français) avec un montant de marge brute globale de près de 75 % par rapport aux mêmes produits non bio, accentuant de fait un ralentissement de la consommation de ce type de produits perceptible depuis 2021 en raison principalement d’une remontée de l’inflation et d’une baisse parallèle du pouvoir d’achat qui invite à davantage se tourner vers les produits plus standardisés. Ainsi après des années de croissance qui s’est certes ralentie (+ 16 % en 2018, + 13 % en 2019, + 12 % en 2020), l’achat de produits issus de l’agriculture biologique ne cessant depuis de marquer le pas : - 3,9 % en valeur en 2022 par rapport à 2021 (soit une baisse de 7,8 % en volume), - 2,6 % au premier trimestre 2023 (équivalent à une baisse de 9,6 % en volume) ([31]). La GD « marge » également fortement sur les fruits et légumes frais (la marge brute sur les tomates en grappe d’origine française s’élevait ainsi à 1,82 euro lors de la dernière semaine du mois de mars 2023, soit 84 % de taux de marge (contre 28 % en moyenne sur les trois dernières années), ainsi que sur les produits MDD (marques de distributeurs).

Outre que ce type de comportements commerciaux pénalise fortement nos agriculteurs (qui doivent faire face à une concurrence étrangère moins disante), le fait de très peu « marger » les produits d’appel au détriment notamment des fruits et légumes qui, par définition, ne subissent pourtant aucune transformation entre la production et la vente, conduit également les consommateurs à adopter des comportements alimentaires peu vertueux, les prix bas étant souvent accolés aux produits à forte teneur en sucre et en produits artificiels. Au-delà de l’aspect commercial, la différenciation des marges recouvre donc un enjeu de santé publique dont il importe d’avoir conscience !

  1.   Le I de l’article 4 de la proposition de loi

La rédaction initiale du I de l’article 4 a pour objet d’insérer dans le code de commerce un nouvel article L. 410-2-3 prévoyant tout d’abord, comme pour les articles 2 et 3, un dispositif temporaire, mis en place de façon exceptionnelle à compter du 1er janvier 2024 et pour une durée d’un an. Il consiste à demander au pouvoir réglementaire d’imposer un coefficient multiplicateur d’une valeur maximale d’1,26 (soit, sur la période 2009-2019, le ratio moyen ventes/achats effectués par les entreprises de la GD, au sens où l’entend la nomenclature de l’Insee, la GD correspondant au secteur d’activité 471) entre le prix d’achat effectif des produits alimentaires par la GD et le prix de vente de ces mêmes produits au consommateur.

Ensuite, le second alinéa du I de l’article L. 410-2-3 nouveau prévoit d’instaurer de façon pérenne un dispositif permettant au pouvoir réglementaire d’actionner un coefficient multiplicateur de 1,26 entre les mêmes éléments au cas où il constaterait que le bénéfice réalisé par les entreprises de la GD s’avère supérieur ou égal à 1,20 fois la moyenne des trois précédents exercices. Comme pour les précédents mécanismes décrits aux articles 2 et 3, ce dispositif, qui a vocation à être mis en œuvre rapidement afin que nos concitoyens en ressentent rapidement les effets, aurait vocation à être activé dans le délai d’un mois et pour une durée à la discrétion du Gouvernement suivant la situation économique constatée.

Pour tenir compte de certaines informations délivrées lors des auditions réalisées sur cette proposition de loi, le rapporteur proposera des ajustements techniques lors de la discussion.

II.   la suppression du seuil de revente À perte + 10

A.   L’État du droit : le mÉcanisme du srp + 10

Au titre des pratiques commerciales interdites car portant atteinte à une libre et parfaite concurrence figure l’interdiction de revente à perte. Définie au I de l’article L. 442-5 du code de commerce, ce comportement permet à « tout commerçant, de revendre ou d’annoncer la revente d’un produit en l’état à un prix inférieur à son prix d’achat effectif », le prix effectif étant défini à l’alinéa 2 du même article comme étant « le prix unitaire net figurant sur la facture d’achat, minoré du montant de l’ensemble des autres avantages financiers consentis par le vendeur exprimé en pourcentage du prix unitaire net du produit et majoré des taxes sur le chiffre d’affaires, des taxes spécifiques afférentes à cette revente et du prix du transport ». Rappelons immédiatement qu’il existe quelques exceptions à cette interdiction générale, énoncées au II du même article (il est donc possible de revendre un bien en-deçà de son prix d’achat effectif quand sa date de péremption expire sous peu, quand il s’agit d’un produit technique obsolète ou démodé, en période de soldes…). L’interdiction de revente à perte, introduite dans notre droit en 1963, avait alors pour but de protéger les petits commerces face aux grandes surfaces naissantes, lesquelles s’autorisaient à revendre des produits à très bas prix, entraînant de fait la disparition de nombre de petits commerces qui ne pouvaient suivre.

C’est la loi « Egalim 1 » (loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous) qui a mis en place le SRP + 10, qui a consisté à relever de 10 % le seuil de revente à perte, le taux de 10 % ainsi retenu correspondant aux coûts logistiques des distributeurs qui n’étaient jusqu’alors pas compris dans le seuil de revente à perte. En pratique, si un distributeur achète un produit X à un fournisseur au prix de 100 euros, il ne peut le revendre à moins de 100 + (100 x 10 %) soit 110 euros. On peut s’étonner de cette mesure qui, a priori, ne semble pouvoir profiter qu’aux acteurs de la grande distribution. Pourtant, l’objectif affiché était bien différent puisqu’il s’agissait de favoriser la situation des agriculteurs grâce à cette nouvelle marge dont le produit, plutôt que d’enrichir le distributeur, allait lui permettre de mieux rémunérer les agriculteurs par une sorte de « ruissellement vertueux ». Ainsi, lors de la présentation du projet de loi devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, le ministre de l’agriculture et de l’alimentation Stéphane Travert avait dit aux membres de la commission : « la hausse du seuil de revente à perte et la fin des promotions excessives va induire pour lui, dans un premier temps, une hausse de marge et de chiffre d’affaires. Eh bien, il n’y a aucune fatalité à ce que ces hausses se traduisent par une augmentation globale des prix pour le consommateur. Il n’y a aucune fatalité à ce qu’il conserve cette nouvelle marge. Il peut faire d’autres choix » ([32]). Certes, tous les acteurs n’étaient pas convaincus du succès de cette entreprise, le rapporteur Jean-Baptiste Moreau ayant par exemple signalé dans ce même rapport : « Votre rapporteur reconnaît qu’il ne dispose d’aucune garantie sur le fait que la marge dégagée sera reversée aux producteurs. Mais au vu des déclarations des distributeurs qui se veulent vertueux, aucune raison d’en douter ! Pour cette raison, le dispositif est proposé à titre expérimental pour une durée de deux ans. Ces dispositions ne seront codifiées qui si leur efficience, à l’issue de ce délai, est démontrée » ([33]).

Prise sur le fondement de l’article 15 de la loi « Egalim 1 », l’ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018 relative au relèvement du seuil de revente à perte et à l’encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires a ainsi affecté d’un coefficient de 1,1 le prix d’achat effectif des denrées alimentaires et des produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie revendus en l’état au consommateur. L’expérimentation ainsi autorisée a ensuite été ratifiée par le I de l’article 125 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique (« loi ASAP »). Initialement prévu pour aller jusqu’au 15 avril 2023, le dispositif du SRP + 10 fut récemment prolongé d’une nouvelle durée de trois ans par l’article 2 de la loi n° 2023-221 du 30 mars 2023 tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs.

  1.   Le II de l’article 4 de la proposition de loi

Même si les intentions étaient louables, force est de constater que les résultats du SRP + 10 n’ont pas été à la hauteur des attentes. Ainsi, un récent rapport de la sénatrice Anne-Catherine Loisier ne mâchait pas ses mots à cet égard : « Quatre ans après, le constat ne fait aucun doute, et ces craintes se sont concrétisées : le SRP + 10 s’est révélé être un chèque en blanc de 600 millions d’euros par an offert à la grande distribution, et un chèque en bois aux agriculteurs. Absolument aucun acteur entendu par la rapporteure, pas même le ministère de l’agriculture, n’a pu affirmer (et encore moins prouver) que cette ponction d’un demi-milliard d’euros dans les poches des consommateurs avait permis d’augmenter le revenu agricole » ([34]).

Au fil des diverses auditions que votre rapporteur a pu réaliser dans le cadre de l’examen de la présente proposition de loi, peu d’acteurs ont défendu le dispositif du SRP + 10 qui, outre qu’il n’a pas permis d’accroître le revenu des agriculteurs, a eu au contraire comme effet délétère de causer une réelle poussée inflationniste. Bien que minimisée par le Gouvernement, l’inflation consécutive à la mise en place du SRP + 10 a été assez rapide, l’Insee ayant ainsi pointé dès sa note de conjoncture de mars 2019 que celui-ci avait à lui seul contribué à une augmentation des prix des produits alimentaires, hors produits frais, de 0,4 %. Cet impact sur l’inflation a été tel que trois associations de consommateurs, l’UFC-Que Choisir, Familles Rurales et Consommation Logement Cadre de Vie (CLCV), ont écrit une lettre ouverte à la Première ministre Elisabeth Borne, au mois de mars 2023, pour demander la fin du SRP + 10, mais sans succès.

Compte tenu de tous ces éléments, votre rapporteur vous propose aujourd’hui de mettre fin au dispositif du SRP + 10 : tel est l’objet du II de l’article 4.

Certes, quelques acteurs nous ont indiqué que la suppression du SRP + 10 allait inévitablement conduire la GD à déplacer ses marges, la disparition prévue du + 10 allant inévitablement la conduire à « marger » davantage sur d’autres produits, notamment au détriment des producteurs qui allaient peut-être devoir davantage encore tirer leurs prix vers le bas. Ce raisonnement, qui n’est pas faux dans l’absolu, ne peut néanmoins être suivi ici dans la mesure où cette proposition de loi doit être lue et appréhendée dans son ensemble. De fait, l’article 1er instaurant le principe d’un prix plancher des matières premières agricoles (ajouté au principe désormais acquis d’une non-négociabilité des matières premières agricoles), la GD ne pourra pas accroître ses marges au détriment des producteurs de premier rang, c’est-à-dire notamment des agriculteurs. Il est éventuellement possible que la GD cherche alors à accroître ses marges au détriment des IAA qui, au-delà de certains grands groupes mondiaux ou nationaux, sont également constituées par des petites et moyennes entreprises, parfois accolées à des structures de production qui diversifient leur activité en transformant leurs propres produits. Pour autant, votre rapporteur estime que ce risque est moindre et que la suppression du SRP + 10 permettrait sans nul doute de protéger les maillons les plus fragiles de la chaîne, à savoir les producteurs et les consommateurs.

III.   La position de votre commission

Votre commission a supprimé cet article.

 

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   EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires économiques a examiné la proposition de loi visant à lutter contre l’inflation par l’encadrement des marges des industries agroalimentaires, du raffinage et de la grande distribution et établissant un prix d’achat plancher des matières premières agricoles (n° 1776) (M. Manuel Bompard, rapporteur)

M. le président Guillaume Kasbarian. Mes chers collègues, cette proposition de loi est inscrite par le groupe LFI-NUPES en deuxième position dans sa journée réservée du jeudi 30 novembre. Elle a fait l’objet de quarante et un amendements, dont quatre ont été considérés comme des cavaliers législatifs et deux retirés. Il nous reste donc trente-cinq amendements à examiner.

M. Manuel Bompard, rapporteur. Monsieur le président, chers collègues, je vous remercie de m’accueillir dans votre commission pour l’examen de cette proposition de loi qui vise principalement à préserver le pouvoir d’achat de nos concitoyens dans un contexte de forte inflation.

L’inflation a battu des records dans notre pays depuis l’après-covid. La hausse des prix à la consommation a été particulièrement forte depuis la fin de 2021 et a atteint 6,2 % en France en octobre 2022, selon l’indice des prix à la consommation mesuré par l’Insee. Un tel niveau d’inflation n’avait pas été observé depuis les années 1980 en France.

Cette situation a des conséquences concrètes. Nos concitoyens ne parviennent plus à se nourrir, à se loger, à se chauffer ou à se déplacer. Ils sont obligés de se priver et sacrifient de petits bonheurs de la vie quotidienne, comme l’atteste la baisse de la consommation des ménages depuis plusieurs mois. Ils sont de plus en plus nombreux à s’enfoncer dans la pauvreté : plus de 2,4 millions de personnes ont eu recours aux banques alimentaires en 2022, soit trois fois plus qu’en 2011, et 400 000 personnes de plus qu’en 2020.

De nombreux organismes ont pointé le rôle majeur qu’a joué la progression des marges des entreprises dans cette hausse vertigineuse des prix. Selon le Fonds monétaire international, l’augmentation des profits est la première cause de l’inflation en 2022 et au cours du premier semestre de l’année 2023.

Alors que les prix des produits alimentaires ont augmenté de plus de 20 % en deux ans, les marges de l’industrie agroalimentaire ont bondi de 70 % dans la même période. De même, alors que le prix du carburant tourne depuis plusieurs mois autour de 2 euros le litre, les marges des raffineurs ont été multipliées par cinq entre le printemps et l’automne de l’année 2023.

Pour résumer, pendant que de plus en plus de Français se serrent la ceinture, une petite minorité profite de la situation pour s’enrichir sur leur dos. Cette situation est inacceptable et doit cesser.

Face à cette urgence sociale et à cette injustice profonde, le Gouvernement multiplie les déclarations d’intention et les opérations de communication sans effet. Bruno Le Maire suggère, Bruno Le Maire demande, Bruno Le Maire espère, Bruno Le Maire souhaite, Bruno Le Maire supplie, mais Bruno Le Maire refuse de faire ce que l’on attend d’un gouvernement : agir enfin par la loi pour protéger le pouvoir d’achat des Français et rendre leur vie moins difficile.

Avec cette proposition de loi, je vous propose donc que le Parlement fasse enfin aujourd’hui ce que le Gouvernement refuse de faire depuis des mois. Avec mes collègues de la France insoumise, nous proposons cinq mesures spécifiques afin de faire baisser concrètement le prix des produits alimentaires et du carburant tout en garantissant une meilleure rémunération des agriculteurs, qui sont bien souvent également victimes des stratégies d’accumulation de quelques acteurs économiques.

La première mesure, à l’article 1er du texte, renforce le rôle des conférences publiques de filière en leur confiant la tâche de déterminer, pour chaque filière, un prix plancher de la matière première agricole sous l’égide du médiateur des relations commerciales agricoles. Par ailleurs, pour éviter les stratégies de blocage de certains industriels ou de certains acteurs de la grande distribution, je vous propose de confier aux ministres compétents la tâche d’arrêter un niveau plancher de prix d’achat de tout ou partie des matières premières agricoles concernées en cas d’échec des négociations. Toujours dans le sens d’une meilleure protection du revenu des agriculteurs, je vous proposerai par amendement une mesure complémentaire visant à conforter la place des indicateurs de coût de production dans les contrats de vente des produits agricoles.

La deuxième mesure, qui se décline à l’article 2 pour ce qui est des relations entre producteurs et distributeurs et à l’article 4 s’agissant des relations entre les distributeurs et le consommateur final, vise, d’une part, à instaurer un coefficient multiplicateur maximum, applicable dès le 1er janvier 2024 et pour une durée d’un an et, d’autre part, à permettre au pouvoir réglementaire d’en fixer un autre dès lors que l’on constate que, sur une période de six mois consécutifs, l’indice des prix à la consommation des produits alimentaires augmente davantage que l’indice des prix des produits agricoles à la production. Cette mesure a pour objet d’encadrer par la loi les marges faites à chaque stade de la chaîne de commercialisation. Ce dispositif s’appliquerait aux industries de l’agroalimentaire comme de la grande distribution afin que des marges indues ne soient pas réalisées au détriment des producteurs et des consommateurs.

La troisième mesure, à l’article 3, porte spécifiquement sur le prix de l’essence, sujet de préoccupation majeur pour nos concitoyens. Il s’agit là aussi d’instaurer un coefficient multiplicateur pour éviter que la marge brute de raffinage n’atteigne des sommets sans commune mesure avec l’évolution constatée du cours du pétrole.

La quatrième mesure consiste, à l’article 4, à supprimer la majoration de 10 % du seuil de revente à perte, dit mécanisme du « SRP+10 », dont on souhaitait initialement qu’elle bénéficie aux producteurs par une sorte de ruissellement vertueux. En vérité, ce dispositif n’a bénéficié ni aux producteurs, ni aux consommateurs, mais essentiellement aux distributeurs qui se sont emparés de cette manne alors qu’ils n’en demandaient pas tant, comme l’a démontré un rapport du Sénat publié en 2019. Plusieurs acteurs que j’ai auditionnés dans le cadre de la préparation de cette proposition de loi se sont montrés favorables à cette suppression. D’autres étaient plus réticents, craignant qu’elle ne soit répercutée au final sur les producteurs. Je tiens à les rassurer : l’article 1er, qui garantit un prix plancher d’achat des matières premières, permet d’éviter que cette suppression se fasse au détriment des agriculteurs.

La cinquième et dernière mesure que je propose figure dans un amendement portant création d’un article 1er bis, qui tend à renforcer le rôle de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM) en lui accordant davantage de pouvoirs d’enquête et de sanction pour renforcer la transparence sur les mécanismes de construction des prix.

Certains d’entre vous m’objecteront peut-être que l’inflation semble moins forte depuis quelques semaines, grâce notamment à un net ralentissement sur un an de la hausse des prix de l’énergie. La note de conjoncture de l’Insee publiée le 15 novembre montre que l’inflation a légèrement baissé au mois d’octobre, pour s’établir à 4 % sur un an. Rappelons toutefois qu’un ralentissement de l’inflation ne signifie pas la fin de la hausse des prix et, donc, des difficultés des Français. Les prix continueront à progresser, même s’ils l’ont fait moins rapidement au mois d’octobre. En outre, rien dans le contexte national ou international ne permet de garantir la pérennité de cette évolution à la baisse. L’instabilité au niveau mondial demeure extrêmement forte, et nous n’avons pas encore ressenti les éventuels effets du conflit au Proche-Orient sur le prix du pétrole. Cela nous interdit toute confiance excessive quant à l’évolution de la situation dans les mois et années à venir.

C’est la raison pour laquelle il est nécessaire de mettre en place, outre des mesures d’effet immédiat, des mécanismes pérennes qui devront être activés dès lors que des conditions économiques particulières seront réunies. Cela permettra de répondre immédiatement et de manière efficace aux éventuelles poussées inflationnistes.

Comme vous le voyez, cette proposition de loi se veut concrète et utile. Elle contient des mesures de justice élémentaire qui devraient faire l’unanimité sur ces bancs. Je note d’ailleurs que le ministre de l’économie, la Première ministre, le Président de la République, et peut-être le président de cette commission qui sourit à mes propos, ont eux‑mêmes pointé en septembre dernier les marges excessives dans l’agroalimentaire comme dans le raffinage.

Je rappelle à ceux qui l’auraient oublié qu’en 2011, M. Christian Estrosi avait déposé une proposition de loi visant à limiter les marges de la grande distribution, cosignée notamment par nos collègues Thierry Benoit, Éric Ciotti, Marie-Christine Dalloz, Marc Le Fur ou encore par le député devenu ministre Philippe Vigier. La même année, le président Chassaigne en déposait une visant à encadrer les prix des produits alimentaires. L’ensemble de ces dispositions devraient donc faire consensus parmi les groupes. J’espère que la discussion permettra de le démontrer.

Les nombreuses propositions présentées et les nombreuses interventions, y compris présidentielles et ministérielles, faites en ce sens n’ont pour l’instant pas été suivies d’effet. Il est temps de passer des paroles aux actes. C’est ce que je vous propose avec cette proposition de loi.

M. le président Guillaume Kasbarian. Nous en venons aux orateurs des groupes.

M. Alexis Izard (RE). Je commencerai en saluant le travail du rapporteur, qui a réussi quelque chose d’exceptionnel avec ce texte. En effet, quiconque aura suivi les travaux successifs sur les lois Egalim 1 et Egalim 2, la loi Descrozaille et plus récemment la loi sur les négociations commerciales, aura constaté qu’il existe en France deux types d’acteurs irréconciliables : la grande distribution et les industriels. Généralement, quand l’un dit blanc, l’autre dit noir et quand l’un dit oui, l’autre dit non. Et là où nous pensions la cause perdue, Manuel Bompard a réussi l’exploit de les faire tomber d’accord : cette fois, tout le monde dit non ! C’est tellement rare que cela mérite d’être souligné.

J’ai suivi l’ensemble des auditions que vous avez menées, Monsieur le rapporteur, et vous l’avez entendu comme moi : la solution que vous proposez n’est pas la bonne. Qu’il s’agisse des industriels, de la grande distribution, des agriculteurs, voire des associations de consommateurs, tous nous expliquent que, derrière ces marges que vous brandissez en étendard de votre prétendu combat pour le pouvoir d’achat, il y a des salaires en hausse, des embauches et des investissements dans la transition écologique.

Nous avons pourtant essayé de faire droit à votre texte, mais il est très difficile de comprendre comment vous établissez vos coefficients multiplicateurs. Or avec un coefficient établi de manière aléatoire, vous aurez nécessairement des marges trop étroites sur certains produits et trop larges sur d’autres. Les conséquences pour le consommateur final seront, au mieux, inexistantes. Là encore, ce n’est pas moi qui le dis, mais les acteurs que vous avez rencontrés.

Pour ma part, je soutiendrai une plus grande transparence sur les marges et sur la formation du prix. Il paraît nécessaire que les choses soient plus claires, tant pour informer le consommateur que pour éviter l’écueil des marges excessives. Mais le texte qui nous est soumis ressemble davantage à un projet idéologique, qui limitera le développement économique, l’emploi et l’investissement sans nullement soutenir le pouvoir d’achat des consommateurs. Le groupe Renaissance votera contre ce texte qui ne trouvera aucun soutien, à part peut-être au Rassemblement national.

M. Manuel Bompard, rapporteur. Vous pointez deux acteurs : la grande distribution et l’industrie agroalimentaire. Vous oubliez les producteurs et les consommateurs. En tant que législateur, notre responsabilité est de légiférer pour éviter que certains acteurs – ceux que vous avez cités – profitent de la situation pendant que d’autres acteurs – ceux que vous avez oubliés – en pâtissent.

M. Alexis Izard (RE). Bien au contraire, j’ai cité notamment les consommateurs. D’ailleurs, lors de leur audition, les représentants d’UFC-Que choisir vous ont dit que vos propositions n’étaient pas les bonnes.

M. Grégoire de Fournas (RN). Tout de même, ce qui est fascinant chez Renaissance, c’est d’avoir échoué sur l’enjeu de la rémunération des agriculteurs et d’être encore capable de donner des leçons. Depuis sept ans que vous êtes au pouvoir, vous rejetez les propositions avec le même sourire ironique assez déplaisant. Celles-ci pourraient pourtant vous paraître intéressantes puisque le Président de la République lui-même a annoncé vouloir un pacte de modération des marges, dont nous n’avons certes pas très bien compris le contour – encore un dispositif vaporeux ! – mais qui en tout cas rejoint la philosophie de ce texte.

Pour notre part, nous voyons un certain intérêt à cette proposition de loi, sans œillères idéologiques – car il y a beaucoup d’idéologie ici, de la part de la France insoumise mais aussi de la majorité qui, par principe, refuse systématiquement des propositions alternatives aux siennes. Je rappelle que, malgré trois versions du texte, les lois Egalim n’ont pas réussi à garantir un prix rémunérateur pour les agriculteurs : ils l’ont souligné lors des auditions. En revanche, elles ont été un formidable booster de l’inflation alimentaire. Vous avez donc à nouveau raté votre cible et aggravé la situation des Français.

Je préciserai toutefois que si, dans un esprit d’ouverture, nous avons accueilli avec intérêt cette proposition de loi, nous proposons de l’amender largement. La majorité ne l’a pas fait, ce qui est une façon de faire assez surprenante. Pour notre part, bien que nous soyons en désaccord sur de nombreux textes de la majorité, nous nous attachons toujours à les amender pour tenter de les améliorer. Mais, Monsieur Bompard, vous avez totalement réécrit votre texte hier soir. Ce n’est pas très honnête à l’égard de ceux qui ont fait l’effort de proposer des amendements. J’ai donc passé une partie de la nuit à réécrire des sous-amendements. Vous avez également repris des propositions que j’avais faites par amendement, sur les critères de différenciation ou l’affichage du prix du carburant. Ce n’est pas très honnête non plus de votre part : vous auriez pu simplement donner un avis favorable à mes amendements. J’espère que votre avis sera favorable aux sous-amendements que j’ai déposés, dont ceux visant à corriger quelques fautes d’orthographe dans votre texte.

M. Manuel Bompard, rapporteur. Lorsqu’on dépose une proposition de loi et qu’on organise des auditions, il me semble tout à fait normal de tenir compte ensuite de ce qui en ressort. J’ai donc formulé, en tant que rapporteur, des amendements qui permettent de préciser les modalités d’application du dispositif et d’introduire une forme de différenciation afin que les mesures d’encadrement des marges s’appliquent aux grands groupes industriels et à la grande industrie, et pas aux TPE (très petites entreprises) ou aux PME ; bref, je n’ai fait qu’apporter des modifications résultant des auditions. C’est un processus normal de construction législative.Il est vrai que mes propositions correspondent donc parfois à celles que vous avez faites par amendement, puisque vous avez assisté aux mêmes auditions que moi. J’en suis très content, et c’est logique.

Ce qui me ramène à l’intervention du porte‑parole de Renaissance : c’est justement parce que certains acteurs auditionnés ont exprimé des demandes de précision sur des modalités du dispositif que j’ai proposé ces amendements. Si vous n’étiez pas en train de mener une guerre idéologique, vous constateriez que ces précisions sont de nature à améliorer la situation. J’ai été surpris du ton de votre intervention, en rupture avec les propos du Président de la République sur ce sujet.

Mme Aurélie Trouvé (LFI-NUPES). Présenter cette proposition de loi dans notre niche parlementaire nous a paru essentiel parce qu’il y a urgence : notre pays a faim ! D’après le Credoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie), en six ans de présidence Macron, nous sommes passés de 6 à 11 millions de personnes qui déclarent avoir faim. Cinq millions de personnes supplémentaires, et une situation d’autant plus alarmante que les prix sont littéralement en train d’exploser. Le rapporteur parlait d’une hausse de 20 % dans l’alimentation, mais elle atteint 30 % pour les produits laitiers, le poisson, la viande, et 15 % pour l’essence. Les ménages aux revenus les plus modestes sont les plus touchés, et la crise inflationniste est loin d’être finie : contrairement à ce qu’affirme le ministre de l’économie, les prix continuent d’augmenter.

Nous devons agir, et pour cela affaiblir la principale source de cette inflation, à savoir les marges des multinationales de la transformation et, dans une moindre mesure, de la distribution. C’est ce que montrent désormais les études de l’Insee, mais également du Fonds monétaire international et de la Banque centrale européenne. Même le ministre de l’économie et le Président de la République l’ont reconnu dernièrement.

Le problème est que, pour l’instant, le Gouvernement ne s’est pas attaqué à cette source d’inflation, si ce n’est en priant les multinationales et leurs actionnaires de consentir quelques efforts. Nous attendons toujours le fameux accord de modération des marges dont le président Macron nous a parlé en septembre car, apparemment, les prières et les promesses ne marchent pas – et pour cause : les actionnaires tiennent à leurs dividendes, et donc aux marges !

Pire, le Gouvernement a même renoncé à la taxation sur les superprofits des multinationales de l’énergie pour l’année prochaine. Il a multiplié les chèques provisoires et insuffisants, les lois inutiles et inefficaces, les mesures incompréhensibles comme l’avancement de quinze jours des dates de négociations commerciales, dont tout le monde sait, aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au Sénat – j’ai assisté à la CMP – ou dans les organisations professionnelles agricoles, qu’elles n’auront aucun effet sur la situation de nos concitoyens. Tous les acteurs de la production et de la distribution alimentaire soutiennent en revanche l’idée d’un chèque alimentaire pour des produits locaux et de qualité, mais là non plus, nous ne voyons rien venir en dépit des annonces.

Il faut des politiques plus fortes. L’État doit retrouver sa puissance en matière économique, ne pas renoncer face au pouvoir exorbitant des multinationales, qui s’exerce au détriment des consommateurs et des petits producteurs. Nous voulons un État qui encadre réellement les prix et les marges des multinationales. Ce texte de loi permet de protéger les consommateurs face à la flambée des prix, et cela à la faveur des producteurs agricoles puisque l’article 1er fixe des prix plancher.

Vous voyez, il est possible d’agir, à condition de sortir de l’idéologie ultralibérale !

M. Julien Dive (LR). Monsieur le rapporteur, détrompez-moi si je fais fausse route : si je comprends bien l’objet et l’esprit de votre proposition de loi, il s’agit de s’attaquer aux profiteurs de crise, à ceux qui ont, dans le cadre de l’inflation que nous connaissons, réalisé des marges plus importantes au cours des années 2022 et 2023. Ces acteurs qui ont un comportement de sagouin sont mineurs : dans le monde de l’économie, de tels comportements ne sont pas majoritaires. Ils peuvent être la marque de quelques individus, quelques entreprises que nous connaissons bien et dont le siège social n’est pas en France, mais ces comportements sont loin d’être ceux de la majorité des entreprises de France.

Je rappelle également que les nombreuses entreprises qui sont installées dans nos territoires y créent de l’emploi et contribuent, par ce biais, à lutter contre la précarité.

Avec cette proposition de loi, j’ai le sentiment, Monsieur le rapporteur, que vous voulez tuer un moustique avec un bazooka. Le résultat, quand on fait cela, est qu’on détruit la maison. Vous allez détruire la maison de l’économie française parce que l’encadrement des marges assez large que vous prévoyez envoie un message négatif à nos entreprises, une image péjorative du fonctionnement de l’économie française, au moment même où nous voulons tous, quelles que soient nos idéologies politiques et nos responsabilités au sein de nos territoires – communes, agglomérations, régions, État – attirer des investisseurs en France, voire lutter contre ceux qui délocalisent, notamment dans les pays de l’Est où les coûts sociaux sont bien moindres qu’en France – ce qui est un autre défi.

Un exemple concret, dans ma circonscription : en 2020, dans le petit village de Jussy, l’usine Lu-Mondelez a subi un incendie. La moitié de l’usine est partie en fumée, entraînant son arrêt, le chômage partiel, etc. Or le siège de Mondelez est à Chicago : pour eux, Jussy, avec ses 1 200 habitants, c’est Pétaouchnok ! Si nous ne nous battons pas pour montrer aux décideurs de Chicago qu’investir en France est vertueux, jamais ils ne réinvestiront 50 millions d’euros sur notre territoire, jamais ils ne préserveront ces 200 emplois qui font vivre autant de foyers, voire plus en prenant en compte les sous-traitants.

Je suis d’accord avec vous, il faut améliorer la transparence sur les marges, et j’ai déposé un amendement en ce sens à l’article 2. Mais en voulant absolument restreindre, contenir au maximum les marges de nos entreprises, le risque est d’envoyer un message extrêmement négatif pour l’économie française.

M. Manuel Bompard, rapporteur. Cher collègue, merci d’entrer dans le cœur du texte et de soulever des thèmes importants. J’aimerais vous rassurer : le dispositif tel qu’il est conçu cible précisément les entreprises de l’industrie alimentaire et de la grande distribution qui réalisent des marges excessives. Les autres, celles qui ne profitent pas de la situation, ne sont pas concernées par ce mécanisme qui ne sera actionné que pour celles qui dépasseront les indicateurs prévus, concernant par exemple le niveau des marges. Et, précisément afin de pas donner le sentiment que vous évoquez, j’ai déposé des amendements pour renforcer cette différenciation. J’espère que vous les adopterez.

Mme Anne-Laure Babault (Dem). Cette proposition de loi de nos collègues de la France insoumise vise à encadrer les marges de différentes filières en instaurant une quasi-administration des prix. Elle pose en substance la question fondamentale du partage de la valeur tout au long de la chaîne agroalimentaire. Au sein du groupe Démocrate, nous sommes particulièrement attachés à cette notion d’un juste partage de la valeur ; nous sommes attachés au juste prix payé à l’agriculteur, à la préservation des intérêts des TPE et PME qui maillent nos territoires, notamment dans les zones rurales, et à une alimentation de qualité accessible à toutes les Françaises et tous les Français.

Si nous partageons l’objectif donc, vous ne serez pas surpris que nous ne partagions pas les moyens pour l’atteindre. En effet, ces coefficients multiplicateurs seraient une véritable usine à gaz pour nos TPE et PME sans que rien changer aux prix, car s’il y a un problème de marges dans l’industrie agroalimentaire, ce ne sont pas ces entreprises de nos territoires qui sont en cause, elles qui connaissent souvent des situations économiques extrêmement difficiles. De plus, c’est une mesure dont le contrôle de l’application représenterait une tâche pharaonique pour la DGCCRF (direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes).

Outre la philosophie générale, le dispositif que vous proposez est inopérant. En effet, vous ne prenez en compte que les coûts de production pour déterminer le prix de vente, en évacuant totalement les questions de gestion des salaires, de coûts fixes liés aux investissements divers ou de trésorerie. En outre, votre texte arrive alors que l’inflation ralentit et que certains prix, notamment ceux de l’énergie, retrouvent des niveaux acceptables.

En résumé, le groupe Démocrate s’associe au constat, mais rejette les conséquences que vous en tirez. L’enjeu serait d’abord d’établir clairement l’état du partage de la valeur avant de recourir à un outil aussi compliqué et brutal que l’encadrement des marges.

M. Manuel Bompard, rapporteur. Vous redoutez que ce dispositif frappe nos petites entreprises, qui ne sont pas responsables de la situation. Vous verrez que certains de mes amendements visent à exclure du dispositif par exemple les entreprises de l’industrie alimentaire dont le chiffre d’affaires est inférieur à 350 millions d’euros. Votre inquiétude me semble donc dissipée.

De même, je précise dans l’un de mes amendements la définition de la marge afin d’éviter de peser à la baisse sur les salaires.

Puisque vous partagez l’objectif, j’espère que le travail que nous allons réaliser sur les amendements nous permettra de partager les moyens. En effet, avoir des inquiétudes ou des interrogations sur les moyens ne saurait conduire à l’inaction, comme c’est malheureusement le cas depuis maintenant plusieurs mois.

Mme Anne-Laure Babault (Dem). C’est vrai, nous partageons l’objectif, mais pas du tout les moyens. Votre proposition est brutale. Il faut prendre le temps de dresser un bilan pour proposer un texte plus large et plus cohérent.

M. Dominique Potier (SOC). Je salue l’initiative du groupe La France insoumise. Cette proposition de loi est stimulante sur le plan intellectuel et pertinente sur le fond.

Le fait que des millions de Français doivent aujourd’hui arbitrer entre le logement, les soins et l’alimentation est un échec collectif. Nous saluons tous ceux qui sont en première ligne et qui lancent des alertes, comme le Secours catholique et le Secours populaire la semaine dernière. Tout converge pour dire que l’on assiste à une augmentation de la pauvreté, ce qui est un scandale dans notre pays, l’une des premières puissances mondiales, où les inégalités n’ont cessé de se creuser. La question de l’accès à l’alimentation et de son coût est cruciale. Je ne développerai pas les catégories particulièrement concernées, nous les avons tous dans notre cœur, mais j’insiste : en aucun cas, la charité ne peut remplacer la justice ; il y a là un combat qui relève de la régulation de la puissance publique.

La position des socialistes s’est toujours fondée sur des contrats tripartites pluriannuels garantissant aux producteurs, aux transformateurs et aux distributeurs une juste rémunération de tous ceux qui travaillent dans la chaîne agroalimentaire. Cet indice de partage de la valeur pourrait être aujourd’hui reconnu et labellisé dans une logique proche des principes du commerce équitable qui pourraient devenir une norme pour le commerce à l’échelle de l’Union européenne mais également les échanges internationaux. Ce sont ces principes que nous devrions chérir, tant pour les normes environnementales que sociales.

Plus pragmatiquement, nous invitons à ce que l’indice de révision du prix de l’énergie et des matières premières soit intégré dans les contrats. Avec un tel dispositif, nous n’aurions pas eu besoin de prendre cette mesurette sur le raccourcissement des délais de trois semaines, puisque nous aurions eu une révision en continu tenant compte de l’inflation de certaines matières premières.

Ces positions historiques rappelées, le groupe Socialiste regarde avec bienveillance cette proposition audacieuse. Je formulerai toutefois trois remarques.

La première touche à la temporalité. S’agissant de choses aussi systémiques, nous préférerions l’esprit d’une expérimentation susceptible d’être approfondie et prolongée au bout d’un an plutôt qu’un dispositif pluriannuel. L’idée d’une situation de crise qui justifierait le déclenchement de ces mesures exceptionnelles que nous pourrions évaluer et pérenniser nous paraîtrait plus adaptée.

Par ailleurs, fixer par la loi des normes sur les taux de marge indécents nous paraît risqué. Vous proposez de vous en remettre plutôt à des décrets qui pourront prendre en compte les références historiques. Cela nous paraît extrêmement sage.

Enfin, il faut préciser la cible pour lever les obstacles pointés par Julien Dive.

À ces réserves près, nous sommes disposés à accompagner cette proposition de loi. Dans ce contexte de crise, il faut sortir de l’ornière. Les marges indécentes ne sont absolument pas justifiables à l’heure où certains de nos concitoyens doivent arbitrer entre leur alimentation et leur santé. Il est urgent de mettre fin à ces pratiques pour le moins obscures, car nous savons que, dans la grande distribution et dans les multinationales de l’agroalimentaire, l’optimisation fiscale sur l’immobilier et les transferts de coûts est une marge majeure de bénéfices.

M. Manuel Bompard, rapporteur. Je partage l’essentiel de vos remarques. Les deux derniers points sont satisfaits, je pense, par mes amendements. Par ailleurs, il y aurait de toute façon un risque de constitutionnalité à vouloir instituer un dispositif pérenne. Ce n’est donc pas ce que je propose de faire. Ce qui est prévu, c’est un dispositif qui fonctionne pour l’année 2024, puis des indicateurs qui permettraient de le déclencher en situation exceptionnelle.

M. Thierry Benoit (HOR). Monsieur le rapporteur, vous abordez un sujet qui me tient à cœur. Vous avez fait référence, ce qui montre que vous avez travaillé votre sujet, à la proposition de loi de M. Estrosi de 2011, dont je me souviens parfaitement pour l’avoir cosignée. Depuis, j’ai présidé une commission d’enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs, qui a abouti à la proposition de loi de Grégory Besson-Moreau devenue la loi du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs, dite Egalim 2. Cette loi traite notamment de la non-négociabilité des matières premières agricoles. Si elle était correctement appliquée, elle apporterait une réponse à l’article 1er de votre proposition de loi.

Vous m’avez trouvé, vous et votre groupe politique, à vos côtés lorsqu’il s’est agi de taxer les superprofits. J’avais d’ailleurs déposé à l’été 2022 le même amendement que vous, car je considère que certains profits et superdividendes sont de véritables anomalies. Il faut que le Gouvernement réalise qu’on ne va pas suffisamment chercher l’argent là où il est.

Lorsque la rémunération du PDG d’un groupe de la grande distribution se monte à 9 millions d’euros pour l’année 2022, cela m’interpelle. Lorsque j’apprends, en audition la semaine dernière, que la présidente de l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse), rémunérée avec de l’argent public, perçoit pratiquement 200 000 euros par an, cela m’interpelle. Et lorsqu’en commission d’enquête, une ministre des sports nous explique qu’en tant que présidente d’une fédération française de sport, elle était rémunérée 500 000 euros par an, cela m’interpelle.

Je vous rejoins sur le rôle de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires. Je ne pense pas que nous pourrons régler la question aujourd’hui, mais j’observe qu’il ne compte que trois personnes : si nous voulons approfondir la question de la transparence, il faudra redéfinir sa mission et lui octroyer de nouveaux moyens, notamment humains.

J’appelle enfin votre attention sur l’importance de travailler à un cadre européen en la matière. En France, les services fiscaux disposent de toutes les données sur la création de richesse, les bénéfices, les marges réalisées par les multinationales et groupes de la grande distribution. Il faut agir au niveau européen, notamment auprès de l’autorité de la concurrence européenne, pour être en mesure de corriger les anomalies et les excès des mauvaises négociations commerciales et du mauvais partage de la valeur.

M. Manuel Bompard, rapporteur. Notre objectif n’est pas d’aller à l’encontre des progrès apportés par la loi Egalim 2, mais plutôt d’en combler certaines imperfections. La non-négociabilité de la matière agricole a été une belle avancée mais, selon les acteurs, la référence aux indices de coût de production pose question. Je pense qu’il est possible d’améliorer les choses.

En défendant cette proposition de loi, nous ne voulons pas mener une bataille idéologique mais construire un dispositif sérieux, raisonnable et crédible, qui, indépendamment des désaccords que nous pouvons avoir sur les solutions à mettre en place, permette de soulager immédiatement les difficultés des Français. C’est dans cet état d’esprit que je vous appelle à nous rejoindre.

Mme Sophie Taillé-Polian (Écolo-NUPES). Pour notre part, ce n’est pas cette proposition de loi que nous considérons comme d’une brutalité inouïe, mais la situation économique et sociale dans laquelle sont plongées tant de personnes dans notre pays. Nous assistons à une baisse des achats alimentaires et nombre de Françaises et de Français ne mangent plus à leur faim. Voilà un constat d’une brutalité incroyable, auquel le Gouvernement ne répond pas.

La situation est plus qu’alarmante, cela a été ressenti avec beaucoup d’acuité lorsque le président des Restos du Cœur a lancé son cri d’alarme. Mais quelles politiques structurelles avez-vous engagées pour résoudre ce problème ? Celles que mène le Gouvernement fabriquent, au contraire, de la pauvreté – je pense à l’assurance chômage et aux grandes difficultés faites aux personnes privées d’emploi dans notre pays. Il faut une tout autre politique sociale. Il faut aussi cibler les causes de l’inflation sur lesquelles nous pouvons agir, à commencer par le fait que certaines entreprises, personne ici le nie, profitent outrageusement de la situation. Oui, il faut limiter les marges des entreprises lorsqu’elles se gavent.

Les groupes de la majorité n’apportent pas de réponses, juste une litanie d’invectives contre cette proposition de loi. Où sont les propositions concrètes de la majorité pour résoudre le problème majeur auquel notre société est aujourd’hui confrontée ? Notre collègue des Républicains trouve que limiter les marges n’est pas raisonnable, mais est-il raisonnable de voir le président de Carrefour se verser un salaire de 9 millions alors que le nombre d’expulsions augmente dans notre pays et que de plus en plus de gens peinent à remplir leur frigo ?

Je remercie La France insoumise de présenter cette proposition de loi, qualifiée par M. Bompard de raisonnable, crédible et concrète. Je regrette que les groupes de la majorité ne cherchent pas à la faire prospérer et à trouver des mesures pour améliorer concrètement et immédiatement la situation des Françaises et des Français.

M. le président Guillaume Kasbarian. Les groupes ont encore le droit d’être pour ou contre des mesures, nous ne sommes pas obligés de nous mettre tous d’accord. Je suis garant de la liberté de chacun des groupes à adhérer ou pas aux propositions faites.

M. Manuel Bompard, rapporteur. Vous avez raison, Monsieur le président, je rassure tout le monde : nous n’avons pas le pouvoir d’utiliser le 49.3 sur ce texte !

M. le président Guillaume Kasbarian. Nous non plus…

M. Manuel Bompard, rapporteur. Pas directement, en effet !

Pour le reste, je partage les propos de notre collègue. Je peux toujours entendre les réserves formulées sur tel ou tel dispositif. Ce qui m’est plus difficile, c’est de les entendre tous refuser à tour de rôle sans jamais faire en retour aucune proposition pour résoudre concrètement le problème. Nous avons le mérite de poser sur la table une proposition. Il serait raisonnable que tout le monde s’en empare et fasse des propositions pour la modifier si nécessaire, comme certains l’ont fait, afin de mettre enfin un terme à une situation d’injustice inacceptable.

M. le président Guillaume Kasbarian. Je signalais simplement que tout le monde n’est pas forcément favorable à un encadrement des prix et des marges ou à un prix plancher, et que cela fait partie de la liberté dans notre commission de pouvoir en débattre.

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). Nous examinons cette proposition de loi alors que la loi portant mesures d'urgence pour lutter contre l'inflation concernant les produits de grande consommation – ou censées le faire – vient à peine d’être adoptée. Cette loi d’initiative gouvernementale sera sans effet sur l’inflation, et cela d’abord parce qu’elle est dénuée de tout outil d’intervention publique sur la formation des prix et sur l’encadrement des marges des industriels et de la distribution.

Fort heureusement, la philosophie du texte qui nous est soumis est bien différente. Il reprend deux outils politiques que les parlementaires communistes défendent depuis longtemps. Le premier est, à l’article 1er, les conférences publiques de filière permettant de définir des prix plancher des productions agricoles ; le second, l’application d’un coefficient multiplicateur entre prix d’achat et prix de vente, pour les industriels avec l’article 2 et pour les distributeurs avec l’article 4.

En 2009, en 2011 et en 2016 sous forme de propositions de loi, et sur quasiment tous les textes touchant à l’agriculture ou aux négociations commerciales sous forme d’amendements, je défends, en vieux soldat de la régulation et de l’interventionnisme, l’instauration de ces outils fondamentaux. Je me félicite donc de leur reprise aujourd’hui : quand les idées sont bonnes, il faut qu’elles soient partagées librement et sans droits d’auteur.

D’ailleurs, le coefficient multiplicateur est depuis longtemps un logiciel libre. L’exégèse de sa longue histoire politique serait particulièrement instructive pour tous les libéraux qui le vilipendent comme un horrible principe d’économie administrée. Instauré à la Libération pour lutter contre la spéculation des années 1930, supprimé en 1986 sous la pression des distributeurs par le gouvernement Chirac, il a été réintroduit partiellement en 2005 par la majorité de droite dans la loi sur les territoires ruraux, puis modifié en loi de finances rectificative fin 2011. Objet de longs débats qui ont rappelé son utilité en cas de crise ou élargi ses possibilités d’application, le coefficient multiplicateur est bien cet outil central dont notre pays a besoin pour calmer les appétits financiers des industriels et de la distribution.

Il pourrait être un levier puissant, une pièce maîtresse d’un contrôle des marges efficace – un levier à mettre à la disposition d’un Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires réformé, renforcé, voire transformé en une véritable régie publique d’intervention pour une répartition équilibrée de la valeur ajoutée dans les chaînes de valeur des produits alimentaires. Nous y travaillerons, et c’est d’ailleurs l’objet d’un article additionnel.

Cette proposition de loi fait, aujourd’hui encore, l’objet d’un pilonnage essentiellement idéologique. J’espère, comme l’a demandé notre rapporteur, que nous pourrons en débattre sereinement, propositions à la clé.

M. Manuel Bompard, rapporteur. Je remercie le président Chassaigne d’avoir rappelé l’histoire de ces dispositifs et montré que ceux-ci ont été utilisés quelles que soient les étiquettes politiques. Ils existent d’ailleurs à l’étranger, bien loin des caricatures que certains essaient d’en faire sur ces bancs. Il faut aller au-delà des caricatures pour l’inscrire dans la loi.

M. David Taupiac (LIOT). Alors que l’inflation tutoie les 10 % et que les Français peinent à remplir leurs caddies, il est légitime de s’interroger sur les causes de la hausse des prix. Personne ne peut nier le rôle de l’énergie dans cette inflation galopante – on sait que l’augmentation drastique de ses coûts au lendemain de la guerre en Ukraine a eu des répercussions durables sur l’ensemble des chaînes de valeur – mais ce n’est pas le seul facteur explicatif. Selon les deux dernières notes de conjoncture de l’Insee, de mars et juin 2023, l’augmentation des marges des entreprises participe également à cette dynamique.

Limiter les marches des entreprises limiterait donc l’inflation. Jusque-là, nous sommes d’accord avec le postulat de cette proposition de loi. Nous divergeons cependant sur la méthode, que nous jugeons trop drastique, peu opérationnelle et porteuse d’effets de bord. Tout d’abord, nous considérons que toute marge n’est pas mauvaise par essence et qu’il est difficile de faire la différence entre une entreprise qui marge pour assurer l’augmentation des salaires et pour investir, une qui marge pour se reconstituer après des années difficiles et une qui marge pour rémunérer des actionnaires.

Ensuite, en appliquant l’encadrement des marges à chaque maillon de la chaîne alimentaire, vous instaurez de fait un contrôle des prix. Cette économie administrée aurait de lourdes conséquences sur les acteurs économiques concernés, qui subiraient une perte de compétitivité vis-à-vis de leurs concurrents européens et internationaux et donc un déclin de leur rentabilité. Ce n’est pas grave en soi, me répondrez‑vous, si ce n’est qu’à terme, l’emploi des Français s’en trouverait menacé, sans parler du risque de pénurie de certains produits.

Le Président de la République avait évoqué un instrument moins coercitif : la mise en place d’accords de modération des marges. Nous appelons la majorité à se saisir de cette opportunité en votant notre amendement.

Rappelons pour finir que, dans une économie de marché, l’instrument principal pour corriger les marges est l’impôt sur les bénéfices des entreprises, que le Président de la République n’a cessé de baisser depuis qu’il est arrivé aux responsabilités.

M. Manuel Bompard, rapporteur. Toute marge n’est pas mauvaise, disiez‑vous. C’est pourquoi cette proposition ne vise pas à supprimer les marges mais seulement à les encadrer, afin d’éviter qu’elles ne soient excessives. Il ne s’agit pas d’empêcher toutes les sortes de marges, y compris celles que vous avez évoquées, mais de considérer qu’il existe une référence de marge raisonnable et que, dans une situation exceptionnelle, cette référence ne peut pas être dépassée.

Pour le reste, nous aurons l’occasion de discuter du dispositif que vous proposez par amendement. Je ne suis pas opposé aux dispositifs volontaires ; je dis seulement que lorsque ceux-ci ne sont pas suivis d’effet, il est bien que la loi soit là, comme une épée de Damoclès.

M. le président Guillaume Kasbarian. Nous en venons aux questions individuelles des députés.

M. Grégoire de Fournas (RN). Monsieur le président, vous dites être contre le blocage des prix et l’encadrement des marges. Pouvez-vous m’expliquer alors pourquoi le prix du gel hydroalcoolique ou celui des bouteilles d’eau à Mayotte a été bloqué, et pourquoi vous avez encadré les marges sur les lunettes ?

M. Jean-Pierre Vigier (LR). Monsieur le rapporteur, je ne partage pas vos propositions. Plutôt que d’encadrer les marges et d’instaurer un prix minimum pour l’achat de matières premières agricoles, ne serait-il pas plus judicieux d’imposer à tous les maillons de la filière agroalimentaire une totale transparence des marges, et d’obliger ainsi à la juste redistribution de ces dernières, notamment au bénéfice de nos agriculteurs qui en ont bien besoin ? Certains industriels, on le sait, refusent de publier leurs résultats et leurs marges, et de payer des pénalités. Quant au prix des carburants, la solution est de baisser les taxes, puisqu’elles constituent 60 % du prix du carburant.

M. Richard Ramos (Dem). Étant un homme de droite, je ne suis pas favorable à l’économie administrée mais il est vrai qu’il est primordial que nous connaissions précisément les marges réalisées dans l’entreprise. Et puis, cette proposition de loi le montre, il est peut-être des moments dans l’histoire où les prix doivent être encadrés. Dès lors que l’économie se resserre et que les gens sont à 10 euros près à la fin du mois, il faut sans doute, comme cela se pratique outre‑mer, encadrer les prix dans certains secteurs afin d’éviter qu’ils ne flambent.

Il faudra également réfléchir à un système où le prix conseillé serait mentionné sur les emballages. Aujourd’hui, les prix de certains produits sont fixés par l’industriel. Obliger à ce que le prix conseillé soit aussi établi par l’agriculteur et le transformateur éviterait que certains ne puissent se goinfrer.

M. Yannick Monnet (GDR-NUPES). Permettez-moi de dénoncer l’insuffisance de l’analyse et de la prise en compte par le pouvoir des effets de l’inflation sur la qualité de l’alimentation des Français. Nous vivons une crise alimentaire sans précédent dans l’histoire récente de notre pays et de l’Union européenne. Je le dis solennellement aux membres de la majorité, faire croire que nous y ferons face par un simple renforcement du droit des négociations commerciales et en quémandant une modération volontaire des appétits financiers de l’agroalimentaire et de la distribution est révoltant et indigne des souffrances vécues par des millions de nos concitoyens.

Ce choc intervient dans une France qui compte 10 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, où un enfant sur cinq vit dans une famille pauvre et où 7 millions de personnes au moins font régulièrement appel à l’aide alimentaire. Pour les ménages les plus pauvres, l’alimentation constitue une variable de survie du budget familial, le contenu de l’assiette étant ajusté au fil du mois. Cela appelle des réponses politiques fortes. Commençons donc ce travail dès aujourd’hui avec les outils qui nous sont présentés, notamment ce texte.

M. Romain Daubié (Dem). Un certain nombre de petites entreprises ont des produits à la fois en marque propre et en marque de distributeur (MDD) : une trop bonne information sur leurs marges peut les mettre en difficulté lors des négociations. Il faut vraiment y être vigilant, et ne pas se laisser tenter par les fausses bonnes idées.

Dans le même esprit, toutes les entreprises qui enregistrent de bons résultats ne sont pas dans la même situation. Certaines peuvent avoir des licences de marque avec des sociétés à l’étranger, avec un montage classique au Luxembourg ou en Irlande. Un ratio ne permet pas forcément de savoir si les marges sont anormales ou pas.

Mme Aurélie Trouvé (LFI-NUPES). Comme l’a dit Thierry Benoit, la loi Egalim 2 n’est pas pleinement appliquée : parfois, il n’y a pas de contrat, parfois les clauses de révision des prix ne sont pas appliquées. Mais cette loi présente aussi de grosses failles, auxquelles le texte qui nous est soumis permet de répondre de manière efficace. Ainsi, il accorde au médiateur des relations commerciales un pouvoir coercitif supplémentaire. Surtout, sachant que les indicateurs de prix bénéficient en fait aux multinationales – je pourrais vous parler des pratiques de Lactalis et autres – il s’appuie sur des prix planchers et non sur des indicateurs de production.

M. Manuel Bompard, rapporteur. Je suis d’accord avec l’objectif de transparence que vous affichez, Monsieur Vigier. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai proposé d’introduire un article 1er bis qui renforce les pouvoirs de sanction lorsque les informations ne sont pas transmises à l’OFPM.

Mais le sujet a déjà fait l’objet d’études. Deux rapports de l’Insee notamment montrent que, de manière générale, les marges de l’industrie agroalimentaire ont connu de très fortes hausses ces derniers mois. Il ne suffit donc pas de dire que l’on manque d’informations, même si c’est vrai, il faut aussi empêcher que cela permette à certains de devenir des profiteurs de crise. Je n’affirme pas que c’est le cas de l’ensemble des entreprises mais il y en a, et il faut faire en sorte que cela cesse. C’est le sens de cette proposition de loi.

S’agissant du carburant, j’entends souvent opposer la baisse des taxes et la baisse des prix. Sauf que si l’on baisse les prix, on baisse les taxes. Si le prix du litre de carburant est de 2 euros, avec 50 % de taxes, on a 1 euro en taxes et 1 euro dans la chaîne. Si, par l’encadrement des marges, on ramène le prix à 1,5 euro, on n’a plus que 75 centimes de taxes : la moitié de l’effort, soit 25 centimes, est prise en charge par l’État et l’autre moitié par la filière. Cette proposition permet de partager l’effort, car il n’est pas envisageable non plus que l’État et les deniers publics soient les seuls à alimenter les marges des profiteurs de crise.

Pour ce qui est des produits sans marque propre et des marques de distributeurs, dès lors qu’on introduit une forme de différenciation dans la proposition de loi, en reprenant d’ailleurs le seuil de 350 millions d’euros figurant dans la loi sur l’avancée des dates des négociations commerciales – j’espère que vous appréciez notre ouverture d’esprit – ces produits ne seront pas concernés par le dispositif. Il me semble que c’est de nature à lever votre inquiétude légitime.

Pour le reste, je remercie les collègues qui ont exprimé des points d’accord avec le dispositif proposé.

M. le président Guillaume Kasbarian. M. Grégoire de Fournas, du Rassemblement national, m’ayant interpellé directement sur la question du blocage des prix, je ne veux pas le laisser sans réponse. Chacun connaît ma position, puisque je me suis exprimé à de nombreuses reprises pour exprimer mon doute sur les mécanismes interventionnistes de fixation des prix ou des marges.

On a encore le droit, dans notre pays, de savoir où l’on habite, idéologiquement. On peut avoir une colonne vertébrale en matière économique et politique. J’ai toujours été de philosophie libérale. Je ne veux pas sortir de l’économie de marché et je ne suis pas favorable au contrôle étatique des prix ni des marges. J’estime que les 195 pays du monde ont fourni suffisamment d’exemples depuis des centaines d’années pour montrer que les modèles dirigistes et étatistes, d’un point de vue économique, ne fonctionnent pas.

J’ai le droit, monsieur de Fournas, de constater que, dans tous les pays, que ce soit des économies de marché ou des économies dirigées, les mécanismes de blocage des prix ont toujours conduit aux mêmes effets : une démobilisation des producteurs qui, au prix fixé par l’État, préfèrent s’arrêter ; des mécanismes de pénurie dans les supermarchés, parce qu’ils ne peuvent pas répondre au prix administrativement fixé ; des mécanismes de vente sous le manteau, au black, d’un certain nombre de produits ; et à la fin des fins un rattrapage des prix, parce qu’on finit toujours par lever les blocages. C’est ce qui s’est passé partout, au Venezuela, en Argentine, en France lorsque cela a été expérimenté, aux États-Unis, sur tous les marchés économiques.

Permettez-moi donc de ne pas fixer mon idéologie en fonction des sondages et de ne pas être un jour libéral et le lendemain dirigiste – un jour contre le nucléaire, le lendemain pour le nucléaire. Je suis désolé, monsieur de Fournas, j’ai un corpus, je sais où j’habite. Vous êtes libre de suivre les sondages. J’ai, pour ma part, un sous-jacent idéologique.

L’idéologie n’est pas un gros mot, nous avons tous le droit d’avoir des références économiques et politiques. Mais au-delà, je suis sensible à l’argument de M. Izard selon lequel pas un seul acteur interrogé n’a considéré que c’était une bonne idée. On a donc le droit de s’interroger : s’agissant d’une proposition censément modérée, raisonnable et gentille, il est tout de même curieux que pas un seul acteur économique ne nous ait demandé de la voter !

Nous en venons aux amendements.

 

Avant l’article 1er

 

Amendement CE32 de M. Manuel Bompard

M. Manuel Bompard, rapporteur. Je n’ai rien contre l’idéologie, sauf quand elle devient un aveuglement face à la situation que nous connaissons.

Un certain nombre des acteurs que nous avons auditionnés considèrent qu’une des difficultés de la loi Egalim 2 tient au fait que les indicateurs relatifs aux coûts pertinents de production en agriculture ne sont pas respectés dans les négociations ou que l’on tente parfois de leur substituer d’autres indices. Cet amendement vise à faire en sorte que les indicateurs soient pris en compte dans la fixation d’un prix minimal pour les produits agricoles.

M. Alexis Izard (RE). Pour reprendre les propos des agriculteurs lors des auditions, l’encre de la loi Descrozaille n’est pas encore sèche que vous voulez déjà leur imposer de nouvelles contraintes administratives, les plaçant ainsi dans l’insécurité juridique. Avec ce type de grands principes qui peuvent paraître sensés, ce ne sont pas les marges de la grande distribution ou de l’industrie agroalimentaire que vous ferez baisser, mais celles des avocats que vous allez augmenter.

Mme Aurélie Trouvé (LFI-NUPES). Il s’agit juste de réintroduire dans notre économie le mécanisme des prix plancher que nous avons connu jusqu’à récemment. Jusque dans les années 1990-2000, il y avait des prix minimums européens garantis pour le lait, le sucre, les grandes cultures, la viande bovine. Ils ont malheureusement été supprimés progressivement, avec la dérégulation des marchés agricoles, mais jusqu’en 2008 encore, l’interprofession laitière fixait des prix minimums en France sur le lait.

Contrairement à ce que vous dites, il ne s’agit pas d’une économie dirigée mais d’une économie de marché régulée. Ce mécanisme existe dans de nombreux pays, par exemple au Canada avec les marketing boards laitiers, aux États-Unis, ou au Royaume-Uni jusque dans les années 1980. La norme, dans l’histoire et dans le monde, est plutôt d’avoir des prix planchers agricoles, l’exception étant l’Europe, et particulièrement la France. Soyons donc raisonnables, revenons à ce qui se pratique ailleurs dans le monde et qui protégera réellement les producteurs agricoles.

M. Manuel Bompard, rapporteur. Cher collègue Izard, vous n’avez pas dû assister aux mêmes auditions que moi, car cette proposition a été formulée par la FNSEA. Il faut sortir des fiches qui vous ont été préparées, parce que votre argumentation ne tient pas. Cet amendement vise à renforcer la prise en compte des indicateurs de coûts de production dans les négociations, ce qui est précisément l’une des limites du dispositif Egalim 2, pointée par l’ensemble des syndicats agricoles.

La commission rejette l’amendement.

 

 

Article 1er (article L.631-27-1 du code rural et de la pêche maritime) : Fixer collectivement un prix d’achat plancher des matières premières agricoles, de façon à garantir le revenu des agriculteurs et la pérennité de leur activité

 

Amendement CE33 de M. Manuel Bompard et sous-amendements CE36, CE37, CE38 et CE39 de M. Grégoire de Fournas

M. Manuel Bompard, rapporteur. Cet amendement de rédaction globale a pour objet de placer les conférences publiques de filière sous l’égide du médiateur des relations commerciales agricoles alors que les dispositions en vigueur les placent sous l’égide de FranceAgriMer. Définir des niveaux de prix planchers des produits agricoles deviendra la principale mission des conférences publiques de filière. FranceAgriMer, les instituts techniques agricoles ou l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires éclaireront la négociation avec les données qu’ils recueillent ou qu’ils produisent, mais le médiateur est le mieux placé, au regard de ses autres missions, pour conduire une négociation entre des partenaires commerciaux dans le secteur agroalimentaire.

L’amendement complète également le dispositif de l’article 1er en envisageant l’hypothèse d’un échec des négociations interprofessionnelles pour fixer certains niveaux de prix plancher. Là encore, une demande des acteurs était de prévoir l’intervention d’une tierce personne. Dans ce cas, nous proposons donc que le médiateur remette aux ministres chargés de l’économie et de l’agriculture un compte rendu de la négociation sur lequel ces derniers pourront s’appuyer pour fixer par arrêté les niveaux de prix plancher.

M. Grégoire de Fournas (RN). Le sous-amendement CE36 fera, je pense, consensus contre La France insoumise. Il s’agit de ne pas inclure les associations de protection de l’environnement dans les conférences publiques de filière, comme vous souhaitez le faire. Il est totalement inenvisageable que Greenpeace ou Les Soulèvements de la Terre donnent leur avis sur la répartition des marges au sein des filières.

Le deuxième sous-amendement, CE37, introduit un point que vous n’abordez pas dans votre texte, à savoir la question de la concurrence étrangère. Il est bien évident qu’il faut graver dans le marbre le principe de privilégier les productions françaises avant toute importation.

Les sous-amendements CE38 et CE39 reviennent sur la demande qui vient d’être rejetée dans l’amendement précédent bien qu’elle ait été formulée par la FNSEA lors des auditions – je le précise à nos collègues LR et à M. Izard. En effet, la loi Egalim 2 est sans doute excellente, mais elle ne fait aucune référence aux coûts de production. La moindre des choses est que les prix couvrent les coûts de production. Je vous propose donc un nouveau vote sur ce point.

M. Manuel Bompard, rapporteur. Je suis défavorable à l’exclusion des associations de protection de l’environnement des conférences de filière. Elles ne fixeront pas les marges, bien évidemment, mais il me semble normal que la négociation soit éclairée par différents points de vue. Outre les autres organismes, les associations de l’environnement offrent un avis utile dans la discussion.

Quant à vos sous-amendements sur les indicateurs de coût de production, il me semble que ma rédaction était plus complète parce qu’elle ne faisait pas seulement référence à ceux établis par FranceAgriMer. Votre amendement ne reprend le mien que de manière partielle. Je vous propose de retirer le vôtre et que nous retravaillions le mien, complété ou précisé au besoin, afin qu’il puisse être adopté en séance.

M. Grégoire de Fournas (RN). Monsieur le rapporteur, votre amendement a été rejeté. Vous considérez que le mien est plus faible, mais il ne nous reste que cela pour que cette notion importante soit inscrite dans le texte. Je vous prie de revenir sur votre décision qui n’est pas compréhensible.

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). Le deuxième sous-amendement aborde la question de la protection des productions françaises. À mon avis, le coefficient multiplicateur protège les productions françaises. Imaginons un produit acheté 1 euro à l’étranger et 2 euros en France. Si vous appliquez un coefficient de 2, le produit acheté à l’étranger se vendra 2 euros, soit 1 euro de marge pour la filière, et celui acheté en France se vendra 4 euros, soit 2 euros pour la filière. Le coefficient multiplicateur protège donc les productions françaises, et pénalise les achats au plus bas prix faits à l’étranger.

M. Thierry Benoit (HOR). Pour ma part, je pense qu’il faut appliquer stricto sensu la loi Egalim 2 renforcée par la loi Descrozaille qui vient d’être votée, et s’en tenir à cela. Les indicateurs de coûts de production et les conférences de filières ne sont pas le travail du médiateur des relations commerciales agricoles. Par définition, il ne faut faire appel à lui que lorsque les parties n’arrivent pas à se comprendre. Sinon, tout est dans tout et l’on finira par remettre en cause le médiateur.

Dans un autre article, vous proposez de redéfinir, après dix ans de fonctionnement, le rôle et la mission de l’Observatoire de la formation des prix et des marges alimentaires, et peut-être de le doter de nouveaux moyens si on lui confie de nouvelles missions. Je n’y suis pas opposé, mais soyons pragmatiques : commençons par appliquer de manière ferme les lois Egalim 2 et Decrozaille, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle nous ne voterons pas l’article 1er.

M. Manuel Bompard, rapporteur. Je voudrais préciser ma réponse à propos des indicateurs. Votre sous-amendement prévoit que FranceAgriMer établisse les indicateurs de coûts de production. Ce n’est pas ce qui est prévu par la loi en vigueur : les données fournies par FranceAgriMer sont en fait utilisées pour établir des indicateurs de coûts de production. Donc, techniquement, ce sous-amendement ne fonctionne pas. En revanche, l’amendement que j’avais déposé initialement restait dans le cadre du rôle de chacun.

Quant au sous-amendement visant à ce que les conférences publiques de filière définissent comme prioritaires les débouchés des matières premières agricoles de production française, je partage l’objectif, mais ce n’est pas aux conférences publiques de filière qu’il revient de déterminer quelles sont les importations autorisées et celles qui ne le sont pas. C’est à la loi, à nous, d’en décider. Voilà les raisons pour lesquelles j’ai donné un avis défavorable.

La commission rejette successivement les sous-amendements et l’amendement.

 

Amendements CE7 de M. Grégoire de Fournas et CE21 de M. Nicolas Meizonnet (discussion commune)

M. Grégoire de Fournas (RN). Ils sont défendus tous les deux, Monsieur le président. Mais je note que sur l’amendement « Greenpeace », vous n’avez pas voté avec le RN : c’est regrettable.

M. Manuel Bompard, rapporteur. Ces amendements correspondant aux sous‑amendements défendus précédemment, mon avis reste défavorable.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendement CE9 de M. Grégoire de Fournas

M. Grégoire de Fournas (RN). Puisque l’amendement de rédaction globale du rapporteur n’a pas été adopté tout à l’heure, nous en revenons à la version initiale du texte. Revoilà donc l’amendement « Greenpeace » qui propose d’exclure les organisations environnementales des conférences publiques de filières.

M. Manuel Bompard, rapporteur. Même avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement CE28 de M. Dominique Potier

M. Dominique Potier (SOC). Vous n’avez pas, Monsieur le président, le monopole de la colonne vertébrale idéologique. Entre l’économie administrée et l’économie de la jungle, il existe la social-démocratie, ou l’économie sociale de marché. C’est dans cet esprit que je propose de prendre comme référence de la fixation des prix plancher les principes du commerce équitable, tels que définis dans les lois de 2005 et renforcés dans la loi Pacte (loi relative à la croissance et la transformation des entreprises) que vous connaissez bien, puisqu’elle date de la précédente législature.

Ces principes garantissent à chaque personne concernée le paiement par l’acheteur d’un prix rémunérateur pour les travailleurs, établi sur la base d’une identification des coûts de production, en impliquant tous les maillons de la chaîne de production, du fournisseur au distributeur. Ce qui est aujourd’hui une niche, le commerce équitable, doit devenir une norme. Ces principes fondamentaux sont ceux d’une économie sociale, qui n’est pas une économie administrée mais le libre choix de fixer des marges décentes à chaque étape, autrement dit des marges qui permettent de rémunérer tous les travailleurs dignement, où qu’ils soient.

C’est ce principe que nous défendons dans cet amendement. Nous l’avions inclus dans la loi Descrozaille. En l’adoptant, nous ferions un geste politique pour montrer qu’entre la suradministration et l’indécence des marges, il y a une voie médiane : celle du commerce équitable.

M. le président Guillaume Kasbarian. Je vous rassure, je ne revendique aucun monopole. En bon libéral, c’est la concurrence que j’aime.

M. Manuel Bompard, rapporteur. Ces principes du commerce équitable ont fait leurs preuves, notamment dans les échanges internationaux. Je suis favorable à ce qu’ils soient intégrés dans les négociations pour déterminer les prix minimums d’achat des matières premières.

M. Pascal Lavergne (RE). Mon collègue girondin Grégoire de Fournas se demandait tout à l’heure pourquoi nous ne votions pas son amendement « Greenpeace ». En réalité, je ne voterai aucun amendement concernant ce texte, pas plus que je ne voterai le texte. Mes collègues de la majorité en feront autant, tout simplement parce que nous ne votons pas des lois populistes qui donnent l’occasion à l’extrême gauche et l’extrême droite de s’allier pour faire n’importe quoi. (Exclamations.)

Laissez-moi utiliser mon temps de parole comme je le souhaite, certains ici le font assez souvent. Si c’était aussi simple que ce que vous dites, on citerait l’exemple des vins de Bordeaux dont le prix est aujourd’hui bloqué à la moitié de son coût de production. S’il suffisait de bloquer des prix pour attirer les gens dans les étals ou les commerces, Bordeaux s’en porterait mieux !

M. Richard Ramos (Dem). Nous ne sommes pas là pour savoir qui est de gauche ou de droite, mais pour savoir si cette proposition de loi est utile aux Français et à l’économie. L’amendement de notre collègue Potier avait déjà été adopté sur différents bancs. Il est équilibré et cherche à redonner de la valeur à l’ensemble de la chaîne, comme cela se fait dans le commerce équitable. On peut voter comme on pense, mais pas pour des calculs politiques !

M. Manuel Bompard, rapporteur. Que ce soit bien clair : vous dites que quel que soit l’amendement, quel que soit son contenu, par principe vous voterez contre parce que la proposition de loi ne vous convient pas. C’est stupéfiant. Cela en dit long sur votre méthode de coconstruction législative. Nous avons le mérite de faire une proposition : elle peut ne pas totalement vous convenir mais, dans ce cas, présentez des modifications ! Vous donnez l’impression de n’avoir rien à faire d’un sujet aussi important.

Par ailleurs, Monsieur Lavergne, vous déplorez que les prix des vins de Bordeaux soient bloqués à la moitié des coûts de production. En votant pour l’amendement que vous avez rejeté, vous auriez empêché cela, car c’était précisément son sens. Il faut essayer d’être un peu cohérent, c’est tout de même plus facile pour être convaincant.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendements CE8 et CE6 de M. Grégoire de Fournas

M. Grégoire de Fournas (RN). Ainsi, les prix des vins de Bordeaux seraient bloqués ? S’il s’agit du blocage dont nous parlons depuis le début de cette réunion, à savoir une décision de l’État, vous m’apprenez quelque chose !

Comme le rapporteur, je regrette sincèrement que vous ayez décidé de refuser tous les amendements par principe. Bien que de nombreux textes ne recueillent pas son accord, le groupe Rassemblement national a toujours présenté des amendements et toujours voté ceux qui allaient dans le bon sens.

Je précise à M. le rapporteur qu’il peut se garder sa petite leçon sur le sectarisme, parce que La France insoumise a également systématiquement voté contre les amendements du groupe Rassemblement national, y compris ceux qui allaient dans le sens des positions qu’elle défendait. Vous fustigez le sectarisme, mais vous êtes le premier à le pratiquer.

L’amendement CE8 vise à faire intervenir le pouvoir réglementaire en cas de désaccord au sein de la conférence publique de filière. Vous aviez, Monsieur le rapporteur, inscrit ce principe dans votre amendement de réécriture qui a été rejeté. Si vous voulez que ce principe indispensable soit adopté, il faut voter cet amendement.

Quant à l’amendement CE6, il est défendu.

M. Manuel Bompard, rapporteur. L’amendement CE8 soulève la même difficulté que tout à l’heure, car ce n’est pas FranceAgriMer qui définit les indicateurs. Peut-être considérerez-vous que c’est une preuve de sectarisme, monsieur de Fournas, mais je m’efforce simplement de ne donner un avis favorable qu’aux amendements sérieux et conformes à la réalité. Comme je partage néanmoins l’objectif de votre amendement, je vous propose de le retirer et d’en déposer un similaire pour la séance publique, qui évite de faire référence à des indicateurs définis par FranceAgriMer.

S’agissant de l’amendement CE6, je suis favorable à l’idée de favoriser les matières premières agricoles françaises disponibles, mais il n’appartient pas aux conférences publiques de filières de déterminer les importations à autoriser, autrement dit de pratiquer une forme de protectionnisme. J’y suis favorable sur le principe, mais cette proposition de loi n’est pas le bon véhicule.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendement CE27 de M. Dominique Potier

M. Dominique Potier (SOC). Le groupe Socialistes dépose de façon récurrente des amendements tels que celui-ci, qui précise que dans certains secteurs, dont la liste est définie par décret, les conditions générales de vente (CGV) présentent les bornes minimales et maximales entre lesquelles le prix de la matière première agricole a été fixé. C’est important notamment dans le secteur de la viande, où un tel dispositif a déjà été expérimenté. Ce secteur connaît en effet une décapitalisation massive, supérieure à la baisse de la consommation de viande, tandis que nous importons des produits dont la sécurité sanitaire est incertaine et dont nous ne connaissons pas les conditions de travail des producteurs ; c’est encore ce qui est envisagé dans le cadre du projet d’accord de libre-échange entre l’Europe et le Marché commun du Sud (Mercosur). Il est important également d’instaurer ce dispositif dans le secteur du lait, où commence à planer une incertitude sur l’autonomie de la France à l’horizon 2030, ou encore dans le secteur stratégique des fruits et légumes. L’encadrement des prix apporterait une garantie de sérénité aux producteurs et aux filières dont les difficultés fragilisent notre souveraineté nationale.

M. Manuel Bompard, rapporteur. Vous souhaitez rendre obligatoire l'indication dans les conditions générales de vente des bornes du tunnel de prix du contrat d'approvisionnement en matières premières agricoles, lorsqu'un tel tunnel de prix doit être prévu dans le contrat amont. La loi Egalim 2 prévoit que dans la clause de prix des contrats de vente de produits agricoles, les parties peuvent convenir de bornes minimales et maximales entre lesquelles les critères et les modalités de détermination ou de révision du prix produisent leurs effets. Cette clause dite de « tunnel de prix » peut être rendue obligatoire par décret pour certains produits agricoles – c’est le cas pour la viande bovine depuis le décret du 29 octobre 2021. Vous souhaitez que ces bornes se retrouvent dans les CGV des industriels, afin de renforcer la sanctuarisation du prix de la matière première agricole dans les négociations commerciales. Je trouve cette idée tout à fait pertinente et suis donc favorable à votre amendement.

Mme Aurélie Trouvé (LFI-NUPES). J’apporte mon soutien à cet amendement. On nous parle d’économie ultra-dirigée ou ultra-administrée, mais sachez que le tunnel de prix figure déjà dans la loi, à titre d'expérimentation ! Malheureusement, celle-ci n’a pas été mise en œuvre. Le présent amendement vise simplement l’instauration d’un tunnel de prix non pas seulement dans le secteur de la viande bovine mais dans l’ensemble des secteurs stratégiques.

Je voudrais également appuyer les propos de Dominique Potier au sujet du lait. Selon les chiffres de l’OFPM, entre 2020 et 2022, la part du prix du lait revenant aux producteurs agricoles a été ramenée de 38 % à 29 %, alors que celle des industriels agroalimentaires passait de 32 % à 42 %. Le transfert qui s’opère ainsi des producteurs vers les industriels est manifeste ; il démontre que la loi actuelle ne fonctionne pas.

La commission adopte l’amendement.

 

Elle rejette l’article 1er.

 

 

Après l’article 1er

 

Amendement CE34 de M. Manuel Bompard et sous-amendements CE42 et CE43 de M. Grégoire de Fournas

M. Manuel Bompard, rapporteur. Mon amendement vise à améliorer la transparence dans la construction des prix à chaque maillon de la filière agroalimentaire – ce que plusieurs d’entre vous, tous bancs confondus, ont estimé nécessaire. Il s’agit pour cela de préciser les missions de l’Observatoire de formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM) et de renforcer ses moyens d’action. L’observatoire est déjà chargé par la loi d’éclairer les acteurs économiques et les pouvoirs publics sur la formation des prix et des marges au cours des transactions au sein de la chaîne de commercialisation des produits alimentaires. L’amendement précise que son action porte sur l’appréciation et sur l’évolution des taux de valeur ajoutée et de marge de l’ensemble des entreprises intervenant dans la production et la distribution de produits alimentaires. Il vise surtout à renforcer les moyens de l’observatoire, en lui permettant notamment de faire appel aux services de la DGCCRF. Il prévoit enfin des sanctions à l’encontre des entreprises qui feraient obstacle à la bonne réalisation de ses missions. Je donne un avis favorable aux sous-amendements.

La commission adopte successivement les sous-amendements.

Elle rejette l’amendement.

 

Amendement CE29 de M. Dominique Potier

M. Dominique Potier (SOC). Encore un amendement récurrent, qui vise à rééquilibrer le rapport de force entre la grande distribution – où quatre centrales d’achat représentent 80 % du marché – et des organisations de producteurs et coopératives trop dispersées. L’idéal serait que des associations de producteurs fixent le niveau minimal de coûts à la production à l'échelle des grands bassins de production, en fonction des conditions pédoclimatiques et des infrastructures logistiques et de transformation. L’émergence de ces associations peut être encouragée par le plan stratégique national. Ce fut le cas dans le secteur ovin mais le dispositif a globalement été trop peu mobilisé. Nous en avons fait le reproche à plusieurs ministres de l’agriculture successifs, et souhaitons y remédier par le présent amendement.

M. Manuel Bompard, rapporteur. Vous souhaitez que le Gouvernement remette un rapport relatif à la structuration des organisations de producteurs et aux moyens à mettre en œuvre pour les développer dans le cadre du plan stratégique national. La structuration du maillon amont est en effet nécessaire pour rééquilibrer le rapport de force dans les négociations des contrats de vente de produits agricoles, et donc pour défendre la rémunération des agriculteurs. Avis favorable.

Mme Aurélie Trouvé (LFI-NUPES). Je soutiens particulièrement cet amendement, même s’il ne s’agit que d’une demande de rapport. La structuration des filières de production pose en effet un vrai problème. On pensait avoir trouvé la solution et les 80 000 producteurs laitiers étaient censés s’organiser face à Lactalis, Danone ou Savencia. Mais ils n’y arrivent pas, si bien qu’il y a aujourd’hui une multitude d’organisations de producteurs, parfois mises en concurrence, face à des multinationales qui sont de véritables mastodontes – Lactalis réalise un quart de la collecte laitière en France ! Le système ne fonctionne pas. La seule solution qui serait efficace est une réelle régulation des marges dans l’industrie agroalimentaire.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement CE20 de M. Grégoire de Fournas

M. Grégoire de Fournas (RN). Il vise à demander un rapport sur l’impact des importations alimentaires sur les prix payés aux producteurs français pour l’achat des matières premières agricoles. Dans la mesure où le rapporteur partage cette intention, je ne doute pas qu’il émettra un avis favorable.

M. Manuel Bompard, rapporteur. Je suis navré de vous décevoir, monsieur de Fournas, mais je pense que vous avez déjà une idée de la réponse : le jeu de l'offre et de la demande tire les prix vers le bas, d'autant plus si les produits importés viennent de pays dans lesquels les producteurs ne sont pas soumis aux mêmes contraintes qu’en France. C'est précisément cet aspect qui mériterait d’être évalué et de faire l’objet d’un rapport du Gouvernement. Je suis donc défavorable à votre amendement.

La commission rejette l’amendement.

 

 

Article 2 (article L. 410-2-1 [nouveau] du code du commerce) : Encadrer le taux de marge des entreprises de l’industrie agroalimentaire en période d’inflation

 

Amendement CE35 de M. Manuel Bompard, sous-amendements CE40 et CE44 de M. Grégoire de Fournas, amendement CE2 de M. Julien Dive (discussion commune)

M. Manuel Bompard, rapporteur. Je propose ici une nouvelle rédaction de l’article 2, issue des auditions que nous avons menées, dans le but d’en préciser le dispositif.

Cet article prévoit deux dispositifs d’encadrement des marges, l’un exceptionnel et l’autre pérenne. Nous proposons que ce dernier s’active si l’indice des prix à la consommation des produits alimentaires augmente davantage que l’indice des prix des produits agricoles à la production pendant une période de six mois consécutifs. Nous proposons également d’opérer une différenciation des entreprises, afin que l’encadrement des marges ne s’applique pas à celles dont le chiffre d’affaires annuel hors taxes réalisé au cours du dernier exercice clos est inférieur à 350 millions d’euros. Telles sont les principales modifications que nous proposons.

M. Grégoire de Fournas (RN). Le sous-amendement CE40 précise que seules les entreprises dont le siège social est situé en France peuvent être exclues du dispositif d’encadrement des marges. Les industriels nous ont en effet expliqué que ces nouvelles dispositions nécessiteraient une gestion administrative fastidieuse. Le sous-amendement permettrait à celles qui sont françaises de retrouver un avantage compétitif par rapport aux autres. Quant au sous-amendement CE44, il est rédactionnel et vise à rétablir une référence correcte au code du commerce.

M. Manuel Bompard, rapporteur. Avis favorable au deuxième sous-amendement, qui apporte une précision nécessaire. Quant au premier, il aboutirait à exclure du dispositif les entreprises réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 350 millions d’euros, dès lors que leur siège social serait situé en France. Si c’est bien l'objectif de votre sous-amendement, j’y suis défavorable. L’idée est d’exonérer les petites et moyennes entreprises du dispositif : les grands groupes doivent y être astreints, que leur siège social soit situé en France ou non.

M. Grégoire de Fournas (RN). Vous faites une mauvaise lecture du sous-amendement CE40, Monsieur le rapporteur : les conditions de seuil de chiffre d’affaires et de siège social situé en France seraient cumulatives.

M. Manuel Bompard, rapporteur. Merci de cette précision. Votre rédaction aboutirait néanmoins à ce que les petites entreprises n’ayant pas leur siège social en France soient astreintes au dispositif. Je ne suis pas opposé à l’introduction d’un critère de domiciliation du siège social mais je ne dispose pas de suffisamment d’informations sur le nombre d’entreprises qui pourraient être concernées. Je vous propose donc de retirer votre sous-amendement et d’y réfléchir d’ici l’examen du texte en séance.

M. Julien Dive (LR). Plusieurs de mes collègues ont souligné la nécessité de renforcer l’OFPM, après dix années d’existence. C’est pourquoi nous proposons, avec l’amendement CE2, que l’observatoire soit mandaté pour opérer des contrôles visant à garantir la transparence et l'équité dans les négociations commerciales, ainsi qu'à prévenir les pratiques abusives ou discriminatoires qui pourraient affecter les marges des parties prenantes. Les contrôles réalisés par l'OFPM incluraient ainsi l’analyse des marges brutes et nettes réalisées par chaque acteur tout au long de la chaîne d'approvisionnement et l’identification d’éventuelles pratiques contraires aux objectifs de la loi, telles que des pressions injustifiées sur les prix ou des délais de paiement non conformes – en cohérence avec les objectifs de la loi sur les négociations commerciales adoptées récemment. Le Parlement serait évidemment tenu informé des contrôles effectués par l'Observatoire.

M. Manuel Bompard, rapporteur. Pour le dire clairement, Monsieur Dive, vous proposez de renforcer les pouvoirs de l’OFPM non pas en plus, mais en lieu et place de l’article 2 et du dispositif d’encadrement des marges. Si je suis favorable à une plus grande transparence – j’ai d’ailleurs proposé à cet effet un article additionnel, que vous avez rejeté – je ne suis pas favorable en revanche à ce que la transparence se substitue au dispositif d'encadrement des marges. Avis défavorable.

M. Grégoire de Fournas (RN). J’ai du mal à comprendre, Monsieur le rapporteur, que vous ne vous soyez pas penché sur la question de la localisation du siège social des entreprises, alors que j'avais déposé mon sous-amendement sur la version initiale de l’article 2.

M. Alexis Izard (RE). Vous n’avez pas simplement modifié quelques points de votre texte, Monsieur le rapporteur, mais réécrit l’intégralité des articles. Vous peinez à nous expliquer clairement vos propositions car vous les avez rédigées au tout dernier moment. Vous conviendrez qu’il est difficile pour votre opposition de se prononcer dans ces conditions. Mes collègues et moi-même trouvons la proposition de M. Dive plutôt intéressante, même si elle nécessite encore du travail – vous nous l’avez démontré Monsieur le rapporteur, ce type de proposition ne s’improvise pas au dernier moment. Nous soutiendrons donc l’amendement CE2.

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). Cette proposition de loi est un outil. Si l’amendement de M. Dive est adopté, cet outil deviendra un couteau sans lame ayant perdu son manche !

M. Thierry Benoit (HOR). Nous sommes au cœur de cette proposition de loi. Je suis pour ma part défavorable à l’article 2. Quant à l’amendement de M. Dive, je considère qu’il serait inopérant.

Le fait que le rapporteur ait dû réécrire l’article démontre la difficulté à agir sur l’encadrement des marges. Je ne pense d’ailleurs pas que ce soit par le biais d’une proposition de loi que l’on puisse aborder ce sujet. Seul un projet de loi, accompagné d’une étude d'impact, nous permettrait de mesurer les conséquences des dispositifs proposés.

S’agissant de l’amendement de M. Dive, en tant que représentant de l’Assemblée nationale à l’OFPM, je témoigne du fait que l’observatoire ne fait que regarder dans le rétroviseur une situation passée et qu’il ne dispose pas de moyens de contrôle. Il a eu bien du mal, par exemple, à obtenir de la part des laiteries la transparence sur leurs marges.

Mme Aurélie Trouvé (LFI-NUPES). Il me semble que le fait d’apporter des modifications à un texte après avoir mené des auditions est plutôt un gage d’ouverture et de sérieux. Notre groupe est évidemment favorable à une plus grande transparence et à un renforcement des moyens de l’OFPM : c’était justement l’objet de l’article additionnel proposé par le rapporteur après l’article 1er, quel dommage que vous ne l’ayez pas voté ! Quoi qu’il en soit, le renforcement des contrôles de l’observatoire ne peut pas se substituer à la proposition que nous faisons. C’est la transparence qui permettra de mieux encadrer les marges.

Mme Anne-Laure Babault (Dem). Le texte, dans sa version actuelle, est incohérent et inopérant. Votons l’amendement de M. Dive dans un premier temps et travaillons ensuite sur un projet de loi plus large, comme l’a suggéré M. Benoit.

M. Jean-Pierre Vigier (LR). L’amendement de Julien Dive est au cœur du sujet. La chaîne alimentaire est constituée de différents maillons dont certains réalisent des marges considérables, en totale opacité : certains industriels préfèrent payer des pénalités plutôt que de publier leurs résultats et leurs marges ! L’amendement CE2 est essentiel car en rendant transparentes l’ensemble des marges, il nous permettrait d’en redistribuer une partie vers les agriculteurs et les producteurs, qui en ont bien besoin.

M. Manuel Bompard, rapporteur. Certains ayant estimé que la présentation du dispositif n’était pas très claire, je vais la préciser, afin que chacun puisse voter en connaissance de cause.

Dans la version initiale de l’article 2 étaient proposés deux dispositifs d'encadrement des marges. L’un concernait l’année 2024, l’autre aurait été activé en fonction d’un paramètre : le rapport existant entre le bénéfice d’une année et la moyenne des bénéfices réalisés au cours des trois exercices précédents.

Le problème n’est pas lié à la pertinence de cet indicateur mais au fait que, d’après l’Insee, il ne serait pas disponible avant la fin de l’exercice et que le dispositif s’activerait donc trop tardivement. C’est la raison pour laquelle nous proposons de fonder le déclenchement du dispositif sur un autre indicateur : les variations différentielles des indices de prix à la consommation et des indices de prix à la production qui, eux, sont fournis chaque mois. La comparaison de ces deux indices sur une période de six mois permet de déterminer si l’on se trouve, ou non, dans une situation inflationniste injustifiée.

Quant au dispositif en lui-même, il consiste à déterminer un taux de marge filière par filière, qui ne peut pas être supérieur au taux de marge moyen réalisé au cours des dix dernières années. La réécriture proposée intègre ainsi un indicateur dynamique, préférable à un indicateur fixe.

Enfin, la troisième modification importante opérée concerne la prise en compte de la masse salariale dans le calcul du taux de marge, de telle sorte qu’elle ne puisse être utilisée comme un élément différenciant.

Voici l’ensemble du dispositif. Si certains d’entre vous n’ont toujours pas compris, ce ne sera pas à cause du manque de clarté de mes explications !

M. le président Guillaume Kasbarian. J’avoue humblement que c’est mon cas. Peut-être l’examen du texte en séance sera-t-il plus éclairant ?

La commission rejette successivement les sous-amendements et l’amendement CE35.

Elle adopte l’amendement CE2 et l’article 2 est ainsi rédigé.

En conséquence, les amendements CE10 de M. Grégoire de Fournas, CE22 de M. Nicolas Meizonnet, et CE12 et CE11 de M. Grégoire de Fournas tombent.

 

M. Manuel Bompard, rapporteur. Pour que les choses soient claires, vous venez de supprimer le dispositif d'encadrement des marges de l’industrie agroalimentaire pour lui substituer un article rappelant simplement l’existence de l’OFPM.

 

 

Après l’article 2

 

Amendement CE24 de M. David Taupiac

M. David Taupiac (LIOT). Le 24 septembre dernier, le Président de la République annonçait sur France 2 et TF1 la signature avec les entreprises du secteur agroalimentaire d’un accord de modération des marges. Cette promesse ne s’est toujours pas concrétisée. Le présent amendement propose d’y remédier en ouvrant la voie à de tels accords.

M. Manuel Bompard, rapporteur. Votre amendement vise à permettre la conclusion, entre l’État et les entreprises du secteur alimentaire, d'accords de modération des marges de distribution des produits agroalimentaires. Comme vous, je m’interroge sur l’énigme que constitue encore à ce jour cette annonce du Président de la République puisque rien n'a été proposé ni fait depuis –  la présente proposition de loi entend d’ailleurs répondre à cette carence.

Le dispositif dont vous proposez l'extension existe aujourd'hui pour les fruits et légumes, filière par nature exposée à des crises conjoncturelles, notamment de surproduction. Il s'accompagne d'un avantage fiscal pour les distributeurs engagés dans la démarche, qui sont exonérés du paiement de la taxe additionnelle à la taxe sur les surfaces commerciales. J’attire votre attention sur le fait que cet avantage fiscal, au bénéfice des distributeurs, ne peut être utilisé pour une généralisation du dispositif à l'ensemble des produits alimentaires. Dès lors que vous n’envisagez pas d’incitation fiscale, néanmoins, je suis favorable à votre amendement.

La commission rejette l’amendement.

 

 

 

 

Article 3 (article L. 410-2-2 [nouveau] du code du commerce) : Instaurer un coefficient multiplicateur maximum permettant d’encadrer la marge brute bénéficiant aux activités de raffinage

 

Amendement CE30 de M. Manuel Bompard et sous-amendement CE41 de M. Grégoire de Fournas

M. Manuel Bompard, rapporteur. Je propose là encore de réécrire l’article, afin notamment de remplacer le coefficient multiplicateur par un coefficient maximum défini de façon dynamique, qui ne peut être supérieur à la moyenne des taux de marge brute des dix dernières années, entre le prix d’achat de la tonne de pétrole brut et le prix de vente au distributeur de la tonne de carburant qui en est issue.

Je rappelle qu’entre avril et septembre de cette année, les marges des raffineurs sont passées de 20 euros à 120 euros la tonne, alors que les cours du brut n’évoluaient pas dans la même proportion. C’est la raison pour laquelle l’article 3 propose d’introduire un dispositif d’encadrement des marges dans les activités de raffinage. Comme nous l’avons proposé pour le secteur alimentaire, ce dispositif serait déclenché par l’atteinte d’un seuil.

Le Président de la République a déclaré il y a quelques mois que les sur-marges observées dans le secteur du raffinage constituaient une difficulté. Je vous propose de la résoudre.

M. Grégoire de Fournas (RN). La majorité a voté tout à l’heure contre un sous-amendement rédactionnel qui visait simplement à corriger une référence au code de commerce. Cela montre le caractère sectaire de sa démarche. Ne nous reprochez pas de ne pas faire de propositions si vous les refusez par principe ! S’agissant de sectarisme, majorité et LFI, c’est même combat !

J’en viens au sous-amendement CE41. Vous reprenez, Monsieur le rapporteur, une de mes propositions qui consiste à afficher la composition du prix des carburants, afin que les consommateurs puissent constater le poids des taxes dans le prix du litre de carburant. Mais vous la reprenez mal puisque vous proposez un affichage sur le site internet du ministère chargé de l’environnement. Je propose, quant à moi, que l’affichage soit réalisé sur les pompes à essence, comme ce fut le cas pour les aides gouvernementales à l’achat de carburant.

M. Manuel Bompard, rapporteur. Je n’ai pas mal copié un de vos amendements, monsieur de Fournas. D’abord, je n’ai l'habitude de le faire. Ensuite, le dispositif que vous proposez me semble soulever des difficultés importantes. Ainsi, qui affichera le détail dans les stations-service ? Faudra-t-il le faire tous les jours, toutes les semaines, tous les mois ? Allez-vous demander aux gestionnaires de petites stations d’aller changer l’étiquette tous les matins ? Il me paraît plus efficace et plus simple de demander à la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) de publier régulièrement des informations sur la constitution du prix des carburants. Étant en désaccord avec l’amendement que vous proposez, monsieur de Fournas, je ne souhaite pas le copier mais proposer une solution alternative.

M. Grégoire de Fournas (RN). Vous avez dû mal lire votre amendement, Monsieur le rapporteur, car vous prévoyez une mise à jour tous les mois, et non tous les matins. Vous demandez qui réalisera l’affichage : je propose quant à moi que ce soit les stations-service, comme lorsqu’il s’agissait d’afficher les aides gouvernementales. Il n’y a là rien de nouveau, ni d’infaisable. Je mesure simplement votre capacité à trouver de bonnes excuses pour ne pas donner d’avis favorable aux amendements du Rassemblement national. Sans doute notre groupe aurait-il mieux fait de refuser en bloc votre texte, comme l’a fait la majorité. Vous n’êtes pas capable de concrétiser la coconstruction que vous appeliez de vos vœux au début de l'examen du texte.

M. Manuel Bompard, rapporteur. Il me semble avoir répondu de façon argumentée à chacun de vos amendements. Je n’ai aucun problème avec les amendements justes, précis et cohérents avec le dispositif que nous proposons. En l’occurrence, vos amendements ne le sont pas. C’est la raison pour laquelle mes avis sont défavorables.

La commission rejette successivement le sous-amendement et l’amendement.

 

Amendements CE13 et CE14 de M. Grégoire de Fournas

M. Manuel Bompard, rapporteur. Je suis favorable à un dispositif pérenne d’encadrement des marges, comme le propose l’amendement CE13. Je dois cependant souligner, en espérant que M. de Fournas n’y verra pas de sectarisme, qu’un tel dispositif présenterait un risque majeur d’inconstitutionnalité. Ce qui permet l’existence de dispositifs de blocage des prix dans le code du commerce, c’est le fait qu’ils soient circonscrits à des situations particulières, et temporaires. Avis défavorable aux deux amendements.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Elle rejette l’article 3.

 

 

Article 4 (article L. 410-2-3 [nouveau] du code de commerce) : Instaurer un coefficient multiplicateur pour le prix de vente des denrées alimentaires et supprimer le SRP + 10

 

Amendement de suppression CE4 de M. Julien Dive

M. Julien Dive (LR). Selon l’exposé des motifs de la proposition de loi, le taux de marge des industries agroalimentaires serait passé de 28 % à 48,5 % en un an. Vous vous fondez pour l’affirmer sur les chiffres de l’Institut La Boétie, dont je ne connais pas la qualité mais qui est présidé par un certain Jean-Luc Mélenchon… En revanche, je connais l’Insee, qui, pour la même année, estime que le taux de marge dans l’agroalimentaire est passé de 31 % à 32,3 %.

J’en viens à mon amendement de suppression. Deux choses me gênent dans l’article 4. Premièrement, il laisserait aux acteurs de la grande distribution la possibilité de gonfler artificiellement leurs coûts pour préserver ou étendre leurs marges. Deuxièmement, la suppression du SRP+10 ferait certainement plaisir à Michel-Édouard Leclerc, qui en a fait un chiffon rouge – et c’était peut-être votre intention – mais c’est un dispositif que nous avons prorogé il y a quelques mois. Il correspond à l’esprit d’Egalim 1, celui du partage de la valeur, et s’il n’est pas totalement efficace pour certains acteurs, il l’est pour d’autres.

M. Manuel Bompard, rapporteur. Selon la note récemment publiée par l’Insee, les marges des entreprises ont progressé, tous secteurs confondus, et cette progression est tirée par les marges très importantes des industries agroalimentaires. Cela dit, j’ai proposé un mécanisme de différenciation pour garantir que l’on ciblerait bien la grande distribution et non la petite épicerie du coin.

Votre amendement est surprenant, d’abord puisqu’il consiste à ne rien faire face à la situation, ensuite parce que des personnalités appartenant aujourd’hui à la majorité ou au groupe Les Républicains défendaient il y a une dizaine d’années un dispositif similaire à celui que je souhaite instaurer. Il est dommage de ne plus le faire aujourd’hui.

Mme Aurélie Trouvé (LFI-NUPES). Monsieur Dive, selon le dernier rapport de l’OFPM, la marge brute de la grande distribution représentait 29 %, certes contre 32 % en 2021. Il est donc vrai qu’elle n’est pas la première cause de l’inflation des prix alimentaires – mais cela a été le cas à d’autres périodes. De plus, il est juste que les marges soient régulées, dans la grande transformation comme dans la grande distribution – cela éviterait que chacun se renvoie la balle. Un tel dispositif d’encadrement des marges existe aux États-Unis dans de nombreuses filières alimentaires.

M. Grégoire de Fournas (RN). Monsieur Dive, il est complètement faux de dire que l’article pourrait inciter les distributeurs à augmenter artificiellement leurs coûts. Le texte prévoit un encadrement des marges entre le prix d’achat et le prix de revente au consommateur : ces coûts ne seraient donc pas pris en compte. Que tous les collègues qui s’apprêtent à voter cet amendement de suppression ne s’avisent pas, ensuite, de soutenir les agriculteurs qui se battent contre les marges abusives réalisées sur leur production !

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article est supprimé et les amendements CE15 de M. Grégoire de Fournas, CE31 de M. Manuel Bompard, et CE16 et CE17 de M. Grégoire de Fournas tombent.

 

 

Après l’article 4

 

Amendement CE18 de M. Grégoire de Fournas

M. Grégoire de Fournas (RN). C’est l’amendement Kasbarian : il reprend une proposition que vous aviez faite, Monsieur le président, dans le cadre de la loi Descrozaille et qui, très étonnamment, n’avait pas reçu un avis favorable du rapporteur. Il s’agit d’imposer la publication des marges de la grande distribution.

M. le président Guillaume Kasbarian. Je n’en ai aucun souvenir…

M. Manuel Bompard, rapporteur. J’ai déjà répondu. Avis défavorable.

M. Grégoire de Fournas (RN). Monsieur le rapporteur, vous ne voulez donc pas que la grande distribution publie ses marges. Cela va à l’encontre de ce que vous défendez par ailleurs. Mais j’ai bien compris qu’il s’agissait d’une position de principe qui concerne tous mes amendements. Je m’en remets à votre sectarisme.

M. Manuel Bompard, rapporteur. Je suis tellement opposé à ce que la grande distribution publie ses marges que j’ai proposé tout à l’heure, après l’article 1er, de renforcer les pouvoirs d’enquête et de sanction de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires…

La commission rejette l’amendement.

 

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CE23 de M. Nicolas Meizonnet.

 

M. Manuel Bompard, rapporteur. J’aimerais faire un bilan avant le vote : cela permettra de savoir qui vote sur quoi. Cela vous fait rire, mais je ne suis pas sûr que les gens qui viennent faire leurs courses au supermarché rient beaucoup, ni les agricultrices et agriculteurs qui galèrent pour obtenir des prix rémunérateurs. Et ça ne me fait pas rire non plus.

L’article 1er visait à introduire des prix planchers pour les productions agricoles ; il avait pour but de garantir des prix rémunérateurs aux agriculteurs. À cette fin, les négociations s’appuieraient davantage sur des indicateurs et le ministre pourrait fixer un prix plancher si elles n’aboutissaient pas. Cet article, vous l’avez rejeté.

L’article 2 tendait à introduire, pour 2024 puis dans les situations de surmarge, un mécanisme d’encadrement des marges des industries agroalimentaires. Vous l’avez remplacé par un article impraticable sur l’Observatoire de formation des prix et des marges des produits alimentaires. J’avais en outre proposé de renforcer les pouvoirs de sanction de ce dernier, ce que ne fait pas la nouvelle rédaction de M. Dive.

L’article 3 visait à encadrer les marges des raffineurs ; vous l’avez supprimé.

L’article 4 prévoyait l’encadrement des marges de la grande distribution ; vous l’avez également supprimé.

Il ne reste donc du texte que son article 2, mais sous la forme proposée par le groupe LR. Ce n’est plus une proposition de loi qui permet d’encadrer les marges, puisqu’il n’y a plus d’encadrement ! Je voterai donc contre.

 

La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

 

 

 

 


—  1  —

 

   Liste des personnes auditionnÉes

Par ordre chronologique

 

FranceAgriMer

Mme Christine Avelin, directrice générale

M. Pierre Claquin, directeur des marchés études et prospective

Institut national de la statistique et des études économiques (Insee)

M. Sylvain Moreau, directeur des statistiques d’entreprise (DSE)

M. Alain Jacquot, chef du département des statistiques de court terme au sein de la DSE

Union française des industries pétrolières Énergies et Mobilités (UFIP Énergies et Mobilités) *

M. Olivier Gantois, président

M. Bruno Ageorges, directeur des relations institutionnelles et des affaires juridiques

Table ronde « industriels agroalimentaires »

Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF) *

M. Léonard Prunier, président

Mme Diane Aubert, directrice des affaires publiques

Association nationale des industries alimentaires (ANIA) *

M. Jean-Philippe André, président

Mme Marie Buisson, directrice du pôle compétitivité

M. Simon Foucault, directeur affaires publiques

Association des entreprises de produits alimentaires élaborés (ADEPALE) *

M. Jérôme Foucault, président

M. Nicolas Penanhoat, directeur juridique

La Coopération agricole *

M. Dominique Chargé, président

M. Thibault Bussonnière, direction de la communication et des relations extérieures

Fédération du commerce et de la distribution (FCD) *

M. Jacques Davy, directeur des affaires juridiques et fiscales

Mme Isabelle Senand, directrice des études

Mme Layla Rahhou, directrice des affaires publiques

Audition commune :

UFC - Que choisir*

M. Olivier Andrault, chargé de mission alimentation et nutrition

Association pour l’information et la défense des consommateurs salariés (Indecosa CGT) *

M. Christian Khalifa, président

Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) *

M. Patrick Benezit, 2ème vice-président

M. Xavier Jamet, responsable des affaires publiques

M. Ali Karacoban, chef du service économie des filières

Coordination rurale *

Mme Véronique Le Floc’h, présidente

 

 

 

 

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire des représentants d’intérêts de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui vise à fournir une information aux citoyens sur les relations entre les représentants d’intérêts et les responsables publics lorsque sont prises des décisions publiques.

 

 


([1]) Interview dans « Le face à face » sur RMC le 7 novembre 2023.

([2]) DARES, Quel effet de l’inflation sur la progression actuelle des salaires ?, Carole Hentzge, Fanny Labau, Adrien Lagouge, Ismaël Ramajo, 2 février 2023.

([3]) Données INSEE

([4]) CREDOC, La débrouille des personnes qui ne mangent pas toujours à leur faim, Mathilde Gressier, Marianne Bléhaut (CREDOC), Antoine Bernard de Raymond (INRAE), Note de synthèse n° 36, septembre 2023.

([5]) Leandri, N., Madec, P., « Document de positionnement – Pour une revalorisation anticipée des minimas sociaux », Collectif ALERTE, 12 octobre 2023.

([6]) Données Insee

([7]) Banque centrale européenne, Arce, O., Hahn, E. and Koester, G. (2023), “How tit-for-tat inflation can make everyone poorer”, The ECB Blog, mars 2023.

([8]) Fonds monétaire international, Niels-Jakob Hansen, Frederik Toscani, Jing Zhou - Europe's inflation outlook depends on how corporate profits absorb wage gains, Chart of the Week, 26/06/2023.

([9]) Cons. Const., n° 2011-126 QPC du 13 mai 2011, Société Système U Centrale Nationale et autre.

([10]) Cons. Const., n° 2019-774 QPC du 12 avril 2019, paragr.13 à 21.

([11]) Voir la tribune d'Agnès Bénassy-Quéré, Seconde sous-gouverneure de la Banque de France, « Marges au pas de course », 23 juin 2023 [en ligne sur le site de la banque de France : https://www.banque-france.fr/fr/interventions-gouverneur/marges-au-pas-de-course].

([12]) Dans son rapport annuel publié le 9 octobre 2023 sur les perspectives de la demande pétrolière, l’OPEP anticipe une demande de 116 millions de barils par jour d’ici 2045, soit une hausse de 16,5 % par rapport à 2022. On rappellera ici qu’un baril (« bbl ») équivaut à 159 litres de pétrole, une tonne de pétrole équivalent pour sa part à environ 7,6 bbl soit 1 208 litres.

([13]) Article 266 quindecies du code des douanes.

([14]) https://www.energiesetmobilites.fr/actualites/decomposition-des-prix-des-carburants

([15]) Rapport fait au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2024 (n° 1680) – Tome II, examen de la première partie du projet de loi de finances (conditions générales de l’équilibre financier) – volume 3, p. 223 (réunion de la commission du 12 octobre 2023).

([16]) Ibid, p. 222

([17]) Entretien à ActuLyon du 6 octobre 2023 : https://actu.fr/economie/patrick-pouyanne-pdg-de-total-je-defends-une-taxe-flottante-sur-les carburants_60173486.html

([18]) Propos rapportés dans l’article de Sébastien Dumoulin : « La majorité renonce à taxer les raffineries », Les Échos, 17 octobre 2023, p. 2.

([19]) Cf par exemple les propos de Philippe Charlez, expert des questions énergétiques à l’Institut Sapiens, dans son entretien à La Dépêche du Midi du 23 août 2023 (https://www.ladepeche.fr/2023/08/23/decryptage-prix-de-lessence-les-prix-vont-se-maintenir-entre-19-et-2-euros-le-litre-aucun-indicateur-ne-montre-quils-vont-baisser-11409391.php)

([20]) « L’illusion du contrôle des prix », Les Échos, 9 octobre 2023, p. 10.

([21]) Auditionné par votre rapporteur le 15 novembre 2023.

([22]) https://www.reunion.gouv.fr/contenu/telechargement/22762/183859/file/arrete_signe-13.pdf

([23])  https://www.ecologie.gouv.fr/prix-des-produits-petroliers

([24]) Article 2 du règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l'Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires

([25]) https://www.insee.fr/fr/statistiques/serie/001759963#Graphique

([26]) Entretien sur France Info le 10 octobre 2023.

([27]) https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/290009.pdf

([28]) Ibid, pp. 59 s.

([29]) Ibid, p. 61.

([30]) C’est la conclusion (certes prudente) à laquelle parvient également l’Inspection générale des finances dans son rapport « L’inflation des produits alimentaires » (novembre 2022, p. 23) : « Combinés à la stagnation de l’excédent brut d’exploitation du commerce observée au niveau agrégé (cf. partie II), ces résultats suggèrent que la grande distribution ne contribue pas à renchérir les prix à la consommation des produits alimentaires. »

([31]) « L’évolution des achats de produits issus de l’agriculture biologique par les ménages français depuis 2015 », Les études de FranceAgriMer, mai 2023, p. 4.

([32]) Rapport n° 902 du 21 avril 2018 fait au nom de la commission des affaires économiques sur le projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable (n° 627), p. 36.

([33]) Ibid, p. 305.

([34]) Mme Anne-Catherine Loisier : Rapport n° 326 du 8 février 2023 fait au nom de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à sécuriser l’approvisionnement des Français en produits de grande consommation.