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N° 1907

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 novembre 2023.

 

 

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION DE LOI visant à indexer les salaires sur l’inflation,

 

 

 

 

Par Mme Alma DUFOUR,

Députée.

 

——

 

 

 

 

Voir le numéro : 1774 (rect.).

 

 

 


  1  —

SOMMAIRE

___

Pages

Introduction

I. La baisse des salaires réels dans le contexte inflationniste en l’absence d’indexation

A. Des salaires réels en diminution compte tenu d’une indexation limitée au seul smic

1. L’inflation diminue le pouvoir d’achat des salariés dans un contexte de déséquilibre du partage de la valeur

a. Le retour d’une inflation soutenue avec des perspectives incertaines

b. Une baisse des salaires réels d’une ampleur inédite

c. Une baisse encore plus conséquente en fonction des indicateurs de l’inflation utilisés

d. Un partage de la valeur ajoutée au détriment des salaires

2. Le Smic, garantie du pouvoir d’achat des salariés les moins bien rémunérés

a. La nécessaire indexation du Smic sur l’évolution des prix et des salaires

b. Les trois mécanismes de revalorisation du Smic

B. L’insuffisance de la négociation collective et des mesures gouvernementales en période d’inflation

1. L’interdiction de l’indexation automatique au profit d’une négociation collective insuffisante

a. La désindexation des salaires au profit de la négociation collective

b. L’indexation du Smic, principal moteur de la négociation collective sur les salaires

2. Une action limitée du Gouvernement qui contourne la question des salaires

a. Le rejet de véritables mesures en faveur des salaires au profit de la mise en place de primes

b. Une perte importante de pouvoir d’achat des fonctionnaires

II. La nécessaire indexation des rémunérations

Commentaire des articles

Article 1er Indexation des salaires sur l’inflation jusqu’à deux fois le salaire médian

Article 2 Indexation du traitement des agents publics sur l’inflation jusqu’à deux fois le salaire médian

Article 3 Instauration d’une caisse de péréquation entre grandes entreprises et TPEPME

Travaux de la commission

ANNEXE  1 : Liste des personnes auditionnÉes par la rapporteure

ANNEXE N° 2 : Liste des contributions Écrites adressÉes À la rapporteure

ANNEXE  3 : Textes susceptibles d’Être modifiÉs À l’occasion de l’examen DE LA PROPOSITION DE LOI


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   Introduction

Depuis deux ans, les salariés français voient leur pouvoir d’achat reculer sous l’effet d’une inflation inégalée depuis trente ans.

Tous les acteurs que nous avons auditionnés, y compris l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), s’entendent sur ce point : le salaire mensuel de base réel diminue depuis 2021, les données du troisième trimestre 2023 n’indiquant pas de changement.

L’analyse des causes de l’inflation est également partagée par tous. Il s’agit d’un choc d’offre, provoqué par le renchérissement des prix des énergies fossiles et de certaines matières premières au niveau mondial, consécutif aux bouleversements qui ont secoué l’économie mondiale : crise liée à la pandémie de covid‑19 et reprise économique qui l’a suivie, impact du changement climatique provoquant une baisse des rendements agricoles et invasion de l’Ukraine par la Russie. Les prix n’augmentent donc pas en raison de facteurs propres à l’économie française ou à son modèle social mais bien à cause du contexte international, comme lors des chocs pétroliers des années 1970.

Cependant, dans ce contexte macroéconomique de crise, un constat s’impose : ce sont les salariés et les agents publics qui en ont subi le coût pour l’économie française tandis que les entreprises ont maintenu leurs marges à un taux historiquement élevé. Leur niveau est, en effet, en hausse – même si les grands groupes réalisent des marges supérieures à celles des petites et moyennes entreprises (PME) – tout comme le montant des dividendes versés, qui a dépassé des records historiques en France en 2021 comme en 2022. En 2023, un nouveau record est en passe d’être battu au regard du montant des dividendes versés au premier semestre, de 13 % supérieur à celui de l’année précédente au cours de la même période.

Le Gouvernement a, pour sa part, soutenu cette dynamique en diminuant de 2,4 points le poids des cotisations sociales dans la valeur ajoutée des entreprises depuis 2018 sans qu’aucune contrepartie ne soit exigée.

Cette situation d’inflation est amenée à durer. D’une part, son ralentissement ne signifie pas une baisse des prix : ceux-ci ne retrouveront pas leur niveau d’avant crise sans intervention de l’État. Ensuite, l’inflation pourrait repartir à la hausse si la guerre au Proche‑Orient s’intensifiait : s’ensuivraient des difficultés majeures pour les ménages précaires et les salariés situés en bas et au milieu des grilles de rémunération qui ne pourraient plus assurer leurs besoins essentiels.

Face à ce constat, notre économie doit se doter d’un mécanisme à même de maintenir le pouvoir d’achat de nos concitoyens en temps de crise inflationniste.

Le Gouvernement s’est contenté d’appels à la bonne volonté des entreprises et de la mise en œuvre de primes exonérées de cotisations sociales et d’impôts qui, à la fois, concernent moins d’un quart des salariés et se substituent à de véritables augmentations des salaires.

L’indexation du Smic sur la hausse des prix a permis de limiter la perte de pouvoir d’achat des salariés les plus précaires même si son niveau demeure largement insuffisant. Quant au mécanisme de la négociation collective, censé permettre une revalorisation des salaires, force est de constater qu’il a eu pour résultat la baisse des salaires réels de 1,3 % de en 2021 et de 1 % en 2022. Pire encore, sa dynamique est essentiellement liée à l’augmentation du Smic qui pousse les bas de grilles de rémunération vers le haut, laissant de côté les salariés avec plus d’ancienneté et de qualification.

Il est temps de mettre un terme à cette situation qui a conduit à ce que le taux de pauvreté atteigne un niveau record depuis 30 ans. Un tiers de nos concitoyens avouent ainsi sauter un repas au moins une fois par jour.

La présente proposition de loi propose une réponse simple et éprouvée, consistant à réintroduire un système qui a existé durant des décennies en France, qui existe toujours chez nos voisins belges et luxembourgeois et qui est soutenu par 87 % des salariés : l’échelle mobile des salaires indexée sur l’inflation.

 


  1  —

I.   La baisse des salaires réels dans le contexte inflationniste en l’absence d’indexation

Le retour de l’inflation depuis la fin de l’année 2021 a fortement réduit le pouvoir d’achat de l’ensemble des Français dans un contexte où les salaires, à l’exception du salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic), n’ont pas bénéficié d’une revalorisation suffisante.

L’action du Gouvernement s’est limitée à l’incitation des branches à négocier et à la mise en œuvre de primes exonérées d’impôts et de cotisations sociales. Le résultat de ces politiques est malheureusement une baisse inédite du salaire réel des Français depuis deux ans.

A.   Des salaires réels en diminution compte tenu d’une indexation limitée au seul smic

1.   L’inflation diminue le pouvoir d’achat des salariés dans un contexte de déséquilibre du partage de la valeur

a.   Le retour d’une inflation soutenue avec des perspectives incertaines

● Après plusieurs décennies d’augmentation modérée du niveau des prix ([1]), la fin de l’année 2021 a marqué le retour d’une période de forte inflation au sortir de la crise sanitaire dont la dynamique a été accentuée par la crise énergétique au début de la guerre en Ukraine.

Cette inflation n’est pas provoquée par une demande excessive mais bien par une réduction de l’offre de matières premières et d’énergie.

Ainsi que l’a notamment rappelé l’économiste Virginie Monvoisin, les besoins d’accélérer l’activité pour rattraper les conséquences de la crise sanitaire dans l’ensemble des pays, couplés à la baisse de production de certaines matières premières agricoles due au changement climatique et enfin aux tensions géopolitiques fortes à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ont provoqué une très forte augmentation des prix, notamment dans l’énergie et l’alimentaire.

Indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) et IPCH hors énergie et alimentation

(glissement annuel de séries trimestrielles, en %)

https://publications.banque-france.fr/sites/default/files/823084bmpe09-2023frgra01web.png

Note : IPCH, indice des prix à la consommation harmonisé.

Source : Banque de France, d’après les données de l’Insee jusqu’au deuxième trimestre 2023, projections Banque de France sur fond bleuté.

Décomposition de l’IPCH

(croissance annuelle en %, contributions en point de pourcentage)

 

https://publications.banque-france.fr/sites/default/files/823084bmpe09-2023frgra02web.png

Source : Banque de France, d’après les données de l’Insee jusqu’au deuxième trimestre 2023, projections Banque de France sur fond bleuté.

L’ensemble des acteurs auditionnés sur le sujet s’entendent pour qualifier cet épisode inflationniste comme provenant d’un choc de l’offre, similaire à ce que les économies occidentales ont connu lors des chocs pétroliers. Ce sont les importations qui sont fortement pénalisées – avec une détérioration de près de 60 milliards d’euros de la balance commerciale française ([2]).

Il est également important de souligner, comme l’a rappelé l’économiste Henri Sterdyniak, que tous les continents ne subissent pas l’inflation de la même manière et que la dépendance des pays européens aux énergies fossiles importées les rend particulièrement vulnérables.

D’après les projections macroéconomiques de la Banque de France ([3]), on constate un recul de l’inflation en 2023, passant de 7 % au premier trimestre à 4,5 % au dernier trimestre, décrue qui devrait se confirmer en 2024 jusqu’à un retour de l’indice sous le seuil des 2 % en 2025. Cette situation résulterait du double effet « de la poursuite de la normalisation des prix des matières premières (énergétiques et alimentaires), mais aussi de l’impact progressif du resserrement passé de la politique monétaire sur l’inflation sous-jacente » ([4]). Néanmoins, ce constat doit être nuancé à plusieurs titres.

Tout d’abord le ralentissement de l’inflation n’est pas une baisse des prix. Les prix continueront à augmenter, mais moins vite, et ne retrouveront pas leur niveau d’avant crise, d’après les projections. La question de la perte structurelle de pouvoir d’achat des salariés reste donc entière.

Le contexte international bousculé par la crise au Proche‑Orient fait, en outre, craindre une inflexion dans ces prévisions optimistes fondées sur l’hypothèse d’une modération des prix de l’énergie.

Plusieurs institutions, à commencer par le Fonds monétaire international (FMI), évoquent ainsi un risque relatif à la maîtrise des prix de l’énergie qui pourrait survenir brutalement en cas d’emballement du conflit ([5]).

La Banque mondiale alerte, pour sa part, sur un double choc sur les marchés mondiaux des produits de base en cas de survenue d’un scénario défavorable ([6]).

En conséquence, malgré le ralentissement annoncé, il convient de tirer des conclusions sur la période passée et d’adapter le cadre législatif pour aborder la suite.

b.   Une baisse des salaires réels d’une ampleur inédite

● La hausse brutale du niveau des prix constitue une menace pour le pouvoir d’achat dès lors que les salaires nominaux, correspondant à la quantité de monnaie perçue au titre du salaire, ne suivent pas la même progression. Les salaires réels, c’est-à-dire le pouvoir d’achat des salaires nominaux, diminuent en période d’inflation en l’absence de revalorisation suffisante.

Évolution de l’indice des prix à la consommation (IPC), du SMIC, du salaire moyen par tête (SMPT) et du salaire mensuel de base (SMB)

(glissement annuel en %)

Source : Dares, Acemo pour le SMB ; Insee, Indice des prix et comptes trimestriels.

Les données fournies par la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) à la rapporteure confirment les effets de l’inflation sur le pouvoir d’achat des Français. Les salaires ont certes augmenté en termes nominaux depuis 2021, mais on constate, à compter de 2022, une diminution de leur valeur réelle. Cette baisse est spectaculaire et inédite.

Rémunération des salariés : contour des indicateurs conjoncturels de salaires

https://blog.insee.fr/wp-content/uploads/2023/10/blogInsee_2023_10-les_indicateurs_stats_pour_mesurer_les_salaires_a_court_terme-fig2.png

Source : Insee.

Note : les primes incluses dans l’ICT et le SMPT calculés par l’Insee comprennent notamment la prime de treizième mois et la prime de partage de la valeur. Ne sont pas incluses dans le salaire les indemnités de chômage partiel ou les aides directes aux salariés telles que les chèques vacances ou les titres-restaurants.

Au demeurant, on observe un écart entre le salaire moyen par tête (SMPT) et le salaire mensuel de base (SMB) en termes réels qui s’explique, selon l’analyse de la Banque de France ([7]), par la prise en compte de certaines primes, en particulier la prime de partage de la valeur (PPV) ([8]), dans le calcul du SMPT. L’audition de l’Insee a permis de confirmer cette tendance des employeurs à compenser la perte de pouvoir d’achat par l’attribution de primes plutôt que par l’augmentation des salaires. La rapporteure reviendra ultérieurement sur la question des primes qui se substituent aux augmentations de salaires sans offrir les mêmes garanties en termes de protection sociale, de retraite et de sécurité financière pour ceux qui en bénéficient.

● La diminution constatée des salaires réels en 2022 et 2023 masque des inégalités importantes entre secteurs et en fonction du niveau de rémunération.

Les salariés de la grande majorité des secteurs de l’économie sont concernés par une baisse du pouvoir d’achat dès lors que la hausse du SMTP est inférieure à la hausse des prix mesurée entre la fin 2019 et le milieu de l’année 2023. Dans certains secteurs, comme les services immobiliers ainsi que la cokéfaction et le raffinage, la perte de pouvoir d’achat apparaît ainsi particulièrement forte.

évolution du SMPT et des prix entre le quatrième trimestre 2019 et le deuxième trimestre 2023 PAR SECTEUR

Source : Dares, données Insee.

Des inégalités existent également entre les salariés en fonction de leur niveau de rémunération. Les données de la Dares permettent de dresser un constat simple : seuls les salariés rémunérés au Smic n’ont pas vu leur pouvoir d’achat diminuer sur la période considérée grâce à son indexation sur l’inflation. Si le niveau du Smic est aujourd’hui insuffisant, sa réévaluation a toutefois évité une dégradation. En revanche, il apparaît que l’absence d’indexation du reste des salaires a conduit à une perte de pouvoir d’achat d’autant plus prononcée que l’on gravit la hiérarchie des salaires.

Évolution du salaire mensuel de base par

catégorie socioprofessionnelle

(base 100 au 1er trimestre 2021)

Source : Dares, Acemo ; Insee, Indice des prix hors tabac.

c.   Une baisse encore plus conséquente en fonction des indicateurs de l’inflation utilisés

La baisse des salaires réels constatée en comparant l’augmentation des salaires nominaux et celle de l’indice des prix à la consommation (IPC) est plus importante encore lorsque l’on n’utilise plus l’IPC mais d’autres indices mesurant l’inflation. La comparaison des salaires nominaux avec le déflateur de la consommation des ménages ([9]) utilisé dans la comptabilité nationale relève une baisse supérieure de 1 %.

Les deux économistes auditionnés par la rapporteure, M. Henri Sterdyniak et Mme Virginie Monvoisin, ainsi que les représentants des organisations syndicales de salariés françaises, de la Confédération générale du travail (CGT) et de Force ouvrière (FO), et belge, la Confédération des syndicats chrétiens (CSC), se sont montrés critiques quant à l’utilisation de l’IPC et de l’indice « santé » belge pour refléter fidèlement l’inflation ressentie par les ménages des premiers déciles pour différentes raisons :

– l’indice « santé » belge exclut le prix des carburants, ce qui pose un problème majeur quand l’inflation est tirée par les prix de l’énergie depuis 2022 ;

– l’IPC ne tient pas compte du caractère contraint ou non des dépenses. L’Insee confirme qu’un groupe de travail a tenté d’établir un indicateur reflétant plus fidèlement l’incompressibilité de certaines dépenses mais que ce groupe a échoué à élaborer une méthodologie pour aboutir à une évaluation suffisamment objective ;

– l’IPC n’intègre pas non plus les remboursements de crédits immobiliers, considérés comme des investissements – ce qu’ils sont, mais ils représentent également une amputation conséquente du revenu disponible des ménages.

Les sous-catégories de l’IPC calculées par l’Insee sont riches d’enseignements. Elles montrent des sensibilités différentes à l’inflation en fonction des déciles mais aussi de certains critères comme l’âge ou le lieu de résidence.

Il faut souligner que l’indice utilisé pour indexer le Smic n’est pas l’IPC, mais l’IPC pour le premier quintile de revenus, qui représente plus fidèlement l’impact de l’inflation sur les bas revenus. S’agissant des prestations sociales, en particulier le revenu de solidarité active (RSA), le coefficient pris en compte est l’évolution de la moyenne annuelle des prix à la consommation, hors tabac, calculée sur les douze derniers indices mensuels de ces prix publiés par l’Institut national de la statistique et des études économiques l’avant-dernier mois qui précède la date de revalorisation des prestations concernées ([10]).

Le choix de l’un ou l’autre des indices a son importance puisqu’on constate en octobre 2023, par exemple, une différence d’un point entre l’IPC et l’IPC du premier quintile de la distribution des niveaux de vie ([11]).

Pour l’économiste Virginie Monvoisin, si l’utilisation de l’IPC du premier quintile de la distribution des niveaux de vie corrige les effets minimisant de l’IPC, il faudrait construire un autre indice pour arriver à mesure réellement l’inflation. En effet, l’inflation énergétique et alimentaire spectaculaire depuis deux ans s’ajoute à l’augmentation des prix du logement constatée depuis vingt ans, au travers des loyers comme des remboursements de crédits, et participe à une perte de pouvoir d’achat structurelle des salariés depuis le milieu des années 2000. Cela se traduit par un décrochage des revenus issus du travail dans le maintien du pouvoir d’achat des Français en comparaison de la part des revenus issus de la détention de capital financier ou immobilier.

D’après l’Insee, l’évolution du pouvoir d’achat masque des inégalités dans les sources de revenus. Une partie du maintien du pouvoir d’achat depuis le début de l’année 2023 est ainsi imputable à la croissance des revenus du capital alors qu’une grande majorité des citoyens perçoit, pour l’essentiel, des revenus du travail. Ceux‑ci se sont, par conséquent, appauvris.

d.   Un partage de la valeur ajoutée au détriment des salaires

Au-delà de la question de l’indexation, le juste niveau de rémunération des salariés pose nécessairement la question de la répartition de la valeur ajoutée produite au sein des entreprises.

Part de la rémunération des salariées dans la valeur ajoutée brute
aux coûts des facteurs au sein des sociétés non financières

Source : Dares (Comptes nationaux, Insee ; calculs Dares).

Champ : entreprises non financières hors entreprises individuelles.

Du point de vue historique, l’économiste Henri Sterdyniak tout comme les représentants de l’Insee auditionnés ont rappelé que l’évolution du taux de marge des entreprises avait connu une période de baisse durant les années 1970, notamment à la suite des chocs pétroliers. Cette baisse des marges s’est accompagnée d’une poursuite de l’augmentation des salaires et donc d’une captation historiquement haute de la valeur ajoutée par les salariés, pour atteindre son plus haut historique à 73 % en 1982.

Cette répartition de la valeur ajoutée favorable au salariat est stoppée par le tournant de la rigueur en 1983, qui marque le début de la modération salariale et notamment la fin de l’indexation des salaires. Pour Henri Sterdyniak, le Gouvernement avait alors deux options :

– stimuler la production et la consommation françaises pour pallier la perte de compétitivité des industries françaises par rapport aux importations, en somme un contrat social impliquant salarié et consommateurs ;

– bloquer les salaires pour réduire l’inflation et limiter la perte de compétitivité des entreprises françaises.

Le choix s’est porté sur la seconde option, notamment pour poursuivre l’intégration européenne.

Aujourd’hui, l’augmentation des marges des entreprises est telle qu’elles retrouvent leur niveau de l’immédiat après-guerre. Mais les entreprises n’utilisent pas ces marges supplémentaires pour augmenter la richesse captée par leurs salariés. La part qu’ils perçoivent stagne à un niveau relativement bas, à 65,5 %. En parallèle les cotisations patronales se maintiennent à un niveau très bas. Elles ont baissé de 2,4 points dans la valeur ajoutée. Le reste est donc utilisé par les entreprises pour se désendetter, pour investir mais surtout pour verser des dividendes et effectuer des rachats d’action. Le versement de dividendes, qui a bénéficié d’une augmentation de 1 point dans le partage de la valeur ajoutée, a atteint un record historique en France en 2022 avec 206 milliards d’euros de dividendes et rachats d’actions.

Compte tenu des données dont l’Insee dispose, il est difficile d’estimer si la valeur ajoutée produite par les entreprises en France ainsi que celle de la productivité du travail qui en découle est tronquée par les mécanismes d’évasion fiscale, tant l’optimisation que la fraude. Selon Henri Sterdyniak, 3 points de la valeur ajoutée sont ainsi tronqués par l’évasion fiscale et 5 points par les salaires exorbitants de certains dirigeants. Au total, 7 points supplémentaires de valeur ajoutée ne bénéficieraient donc pas à la rémunération des salariés non dirigeants ([12]).

De même, il est difficile de tirer des conclusions sur l’existence d’une différence quant à la capacité d’augmenter les marges entre les grands groupes, les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les très petites entreprises (TPE) et petites et moyennes entreprises (PME). Les données fournies par l’Insee tendent à montrer que les grands groupes s’approprient davantage de valeur ajoutée produite dans l’économie. En 2020, les 257 plus grandes entreprises captaient 31 % de la valeur ajoutée soit plus que les 5 700 ETI qui en captaient 26 %, et que les 148 000 PME qui en captaient 23 %.

Cette différence est encore plus marquée en valeur relative. En moyenne, un grand groupe générait 1,4 milliard d’euros de valeur ajoutée, une ETI 53 millions d’euros et une PME 2 millions d’euros alors que chacune des trois catégories d’entreprises emploie un nombre équivalent de salariés. Les données présentées par l’Insee lors de l’audition montrent qu’effectivement les marges des PME sont plus faibles que celles des grands groupes. Néanmoins, l’Insee reconnaît que la comptabilité nationale manque d’outils d’analyse des effets d’échelle des entreprises dans l’économie et, à ce stade, n’est pas en mesure de dire s’il s’agit simplement de la différence de marge existant entre les branches de l’économie ou d’une différence liée à la taille des entreprises.

En tout état de cause, la part allouée aux salaires dans le partage de la valeur apparaît faible en comparaison des superprofits et des rémunérations exceptionnelles de certains dirigeants.

Compte tenu des données dont l’Insee dispose, il est difficile d’estimer la réalité du taux de marge des entreprises au regard, par exemple, des pratiques d’optimisation fiscale développées par certaines afin de minorer leurs profits. De même, il est difficile de tirer des conclusions quant aux taux de marge des entreprises en fonction de leur taille au regard des disparités très fortes qui existent entre les secteurs industriels, dont les facteurs de production reposent essentiellement sur le capital, et le secteur des services, davantage consommateur de main-d’œuvre. En tout état de cause, la part allouée aux salaires dans le partage de la valeur apparaît faible en comparaison des superprofits et des rémunérations exceptionnelles de certains dirigeants.

2.   Le Smic, garantie du pouvoir d’achat des salariés les moins bien rémunérés

a.   La nécessaire indexation du Smic sur l’évolution des prix et des salaires

 Depuis la loi du 11 février 1950 ([13]), un salaire minimum légal, d’abord sous la forme du salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig), s’impose à l’ensemble des branches d’activités afin de stimuler la consommation et lutter contre la pauvreté, en particulier là où il n’existe pas de représentation syndicale suffisante.

La détermination du Smig se fait par référence à l’évolution d’un indice des prix ([14]) selon une périodicité concomitante au franchissement d’un seuil déterminé par la loi ([15]). Cependant, l’évolution du Smig est insuffisante au regard de l’évolution du salaire moyen qui croît fortement, sous l’effet des gains de productivité. C’est pourquoi est introduit par la loi du 2 janvier 1970 ([16]) le salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic) dont la revalorisation est désormais indexée sur l’évolution des prix mais aussi sur la progression du salaire moyen des ouvriers et des employés.

● Le Smic permet de maintenir le pouvoir d’achat des salariés qui en bénéficient. Introduit par la loi précitée du 2 janvier 1970, l’article L. 3231‑2 du code du travail assure, au travers du Smic, « la participation au développement économique de la nation » des salariés dont les rémunérations sont les plus faibles et garantit leur pouvoir d’achat.

Comme le Smig avant lui, le Smic s’impose à l’ensemble des salariés de droit privé quelles que soient les stipulations de la convention de branche ou d’entreprise concernée ([17]). La jurisprudence a également consacré l’application du Smic aux agents publics comme principe général du droit ([18]).

b.   Les trois mécanismes de revalorisation du Smic

● Trois mécanismes de revalorisation du Smic permettent d’assurer aux salariés les moins bien rémunérés cette double garantie. Ils figurent à la section 3 du chapitre Ier du titre III du livre II de la troisième partie de la partie législative du code du travail.

Les indices de référence dans la fixation du Smic

1° L’indice national des prix à la consommation retenu est l’indice mensuel des prix à la consommation hors tabac des ménages du premier quintile de la distribution des niveaux de vie (1) ;

2° L’indice mesurant l’augmentation du pouvoir d’achat des salaires horaires moyens retenu est constitué du rapport de l’indice de référence mesurant l’évolution du salaire horaire de base des ouvriers et employés (SHBOE) à l’indice des prix mentionné au 1° (2).

(1) Article R*3231‑2 du code du travail.

(2) Article R*3231‑2‑1 du code du travail.

En premier lieu, la participation des salariés au développement économique de la nation est assurée par la fixation du Smic au 1er janvier ([19]) de chaque année, par décret en Conseil d’État pris en Conseil des ministres ([20]), après saisine de la commission nationale de la négociation collective, de l’emploi et de la formation professionnelle ([21]).

Le relèvement annuel du Smic doit tendre à éliminer toute distorsion durable entre sa progression et l’évolution des conditions économiques générales et des revenus ([22]). L’accroissement annuel du pouvoir d’achat du Smic ne peut être inférieur à la moitié de l’augmentation du pouvoir d’achat évolution du salaire moyen ([23]).

En deuxième lieu, la garantie du pouvoir d’achat des salariés ([24]) est assurée par l’indexation du Smic sur l’évolution de l’indice national des prix à la consommation ([25]).

Lorsque celui-ci progresse d’au moins 2 % par rapport à l’indice constaté lors de l’établissement du salaire minimum de croissance immédiatement antérieur, le Smic est relevé dans les mêmes proportions à compter du premier jour du mois suivant la publication de l’indice.

En dernier lieu, en cours d’année, le Gouvernement peut également porter le Smic à un niveau supérieur à celui résultant du mécanisme d’indexation ([26]).

Il s’agit du mécanisme dit du « coup de pouce » au Smic. Lorsqu’il en est fait application, la revalorisation est prise en compte dans la fixation du Smic au 1er janvier qui suit ([27]).

● Même si le Smic apparaît comme une rémunération insuffisante au regard du niveau des prix, celui-ci a fait l’objet de nombreux relèvements depuis le retour de l’inflation à la fin de l’année 2021.

Évolution du Smic depuis 2020

Année

Smic horaire brut (en euros)

Smic mensuel brut pour 151,67 heures de travail (en euros)

Date d’entrée en vigueur

Évolution du Smic à chaque revalorisation

Évolution annuelle du Smic

Évolution du Smic depuis 2021

2023

11,52

1 747,20

01/05/2023

+ 2,22 %

+ 4,07 %

+ 13,50 %

2023

11,27

1 709,28

01/01/2023

+ 1,81 %

2022

11,07

1 678,95

01/08/2022

+ 2,03 %

+ 5,63 %

2022

10,85

1 645,58

01/05/2022

+ 2,65 %

2022

10,57

1 603,12

01/01/2022

+ 0,86 %

2021

10,48

1 589,47

01/10/2021

+ 2,24 %

+ 3,25 %

2021

10,25

1 554,58

01/01/2021

+ 0,99 %

2020

10,15

1 539,42

01/01/2020

+ 1,20 %

 

 

Source : commission des affaires sociales, données de l’Insee.

Néanmoins, cette augmentation de 13,5 % depuis janvier 2021 procède de la stricte application des mécanismes prévus par le code du travail et non d’une volonté du Gouvernement de faire progresser le salaire minimum.

Au contraire, le Gouvernement a refusé de mettre en œuvre un « coup de pouce » qui semble pourtant nécessaire puisque 77 % des Français sont favorables au relèvement du Smic à 1 600 euros net ([28]).

L’urgence d’une revalorisation du Smic s’est accentuée au cours des derniers mois mais elle résulte d’une absence de revalorisation sensible depuis les années 1980. Le Gouvernement Mauroy, en 1981, constitue le dernier exemple d’un relèvement important du Smic, de 10 %. Les « coups de pouce » mis en œuvre par les Gouvernements Juppé puis Jospin (2,2 % en 1995 puis 2,3 % en 1997) furent de moindre ampleur, comme la revalorisation successive à l’élection présidentielle de 2012 de 0,6 %.

De l’avis de l’ensemble des personnes auditionnées par la rapporteure, l’indexation du Smic a bien eu pour effet de freiner la baisse des salaires réels des Français. Les salariés qui en bénéficient sont les seuls dont le salaire réel n’a pas baissé, ce qui a permis d’entraîner légèrement les coefficients des grilles situés juste au‑dessus.

B.   L’insuffisance de la négociation collective et des mesures gouvernementales en période d’inflation

1.   L’interdiction de l’indexation automatique au profit d’une négociation collective insuffisante

a.   La désindexation des salaires au profit de la négociation collective

● Abandonnée dans la pratique depuis 1980, l’indexation automatique des salaires sur l’inflation est en réalité proscrite ([29]) depuis l’ordonnance du 30 décembre 1958 ([30]) et fait l’objet d’une interdiction par le code du travail depuis la loi du 2 janvier 1970.

Plus largement, l’indexation des contrats est réservée à certains champs définis par la loi, telles que les loyers ou certains livrets d’épargne ([31]).

Les salaires font par conséquent l’objet d’une négociation entre représentants des employeurs et des salariés au niveau de la branche et au niveau de l’entreprise afin de prendre en compte les gains de productivité du travail et la hausse des prix.

Les organisations syndicales de salariés et professionnelles d’employeur représentatives au niveau de chaque branche négocient sur les salaires ([32]), en particulier les salaires minima ([33]). Ces négociations sont engagées au moins tous les quatre ans, en fonction de la périodicité fixée par un accord de méthode au niveau de la branche ([34]) ou, à défaut, tous les ans ([35]).

Les salaires minima s’imposent à l’ensemble des entreprises couvertes par l’accord et, en cas d’extension, à l’ensemble des entreprises de la branche. Ils associent un salaire minimum à chaque catégorie d’emploi, niveau de qualification et ancienneté.

Les salaires sont également négociés au niveau de l’entreprise entre l’employeur et les délégués syndicaux. Dans les entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales d’organisations représentatives, l’employeur engage au moins une fois tous les quatre ans une négociation sur la rémunération, notamment les salaires effectifs et le partage de la valeur ajoutée dans l’entreprise ([36]), en fonction de la périodicité fixée par un accord de méthode au niveau de l’entreprise ([37]) ou, à défaut, tous les ans ([38]).

Les salaires négociés au niveau de l’entreprise doivent être conformes aux salaires minima définis au niveau de branche ([39]) et s’appliquent aux contrats de travail conclus avec l’employeur, sauf stipulations plus favorables ([40]).

b.   L’indexation du Smic, principal moteur de la négociation collective sur les salaires

● Les organisations syndicales auditionnées par la rapporteure ont toutes partagé le constat que la négociation collective en période d’inflation consistait uniquement à rattraper une partie de l’inflation afin d’amoindrir la baisse de pouvoir d’achat et de mettre en conformité l’échelle des salaires de chaque branche avec le Smic.

L’économiste Henri Sterdyniak a rappelé qu’en l’absence de mesure d’indexation, la négociation collective était nécessairement réduite à portion congrue. Il ajoute que les salariés les plus pénalisés se situaient au milieu de la distribution des salaires, le premier quintile étant protégé par le Smic et le dernier non concerné par les minima de branche dans leur négociation salariale.

La rapporteure souligne que, si au niveau statistique les bas salaires au‑dessus du Smic semblent avoir « bénéficié » d’un effet d’entraînement lié à l’indexation de celui‑ci, elle a pu observer, dans plusieurs secteurs, en tant que co‑gestionnaire de la caisse de la France Insoumise, des salaires à peine au-dessus du Smic qui n’ont pas été revalorisés au niveau de l’inflation. Des salariés ont dû se mettre en grève pendant plusieurs semaines pour obtenir des revalorisations, qui sont restées en dessous de l’inflation. Ce fut le cas sur le site du groupe logistique Geodis à Gennevilliers ou pour les salariés de l’entreprise de confection de produits textiles Vertbaudet à Tourcoing. Pour les négociations salariales de fin 2023, c’est désormais le cas des salariés de l’entreprise Stef dans le Val-de-Marne, exerçant dans le secteur de la logistique des produits alimentaires, ou des salariés d’ONET dans le secteur du nettoyage, à Montpellier.

● Le relèvement du Smic entraîne mécaniquement une négociation sur les salaires dans les branches. En effet, à chaque hausse du Smic, les premiers échelons des minima de branche se retrouvent en dessous de son nouveau taux. Dès lors que le Smic relève de l’ordre public social ([41]), il prévaut sur les stipulations conventionnelles et les minima hiérarchiques qui lui sont inférieurs se trouvent écartés au profit de celui-ci.

Si ce mécanisme permet de sauvegarder le pouvoir d’achat des salariés les moins bien rémunérés, qui reçoivent bien une rémunération au moins égale au Smic quel que soit le salaire minimum de leur branche, il a pour conséquence de comprimer le début des grilles de rémunération dont les premiers échelons, censés traduire une progression de carrière, se retrouvent tous alignés sur le Smic.

Une négociation est par conséquent nécessaire à la suite de chaque hausse du Smic dans un délai fixé par le code du travail à quarante‑cinq jours ([42]).

Nombre de branches professionnelles non conformes au SMIC entre décembre 2021 et septembre 2023

Source : direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, accords et recommandations déposés auprès de la Direction générale du travail.

Ce phénomène de « plancher collant » ([43]) conduit, dans l’attente d’un nouvel accord de branche, à rémunérer de la même façon des salariés sans qualification tout juste recrutés et des salariés ayant progressé dans l’entreprise ou ayant acquis une qualification supplémentaire.

La hausse du Smic garantit donc le pouvoir d’achat des 14,5 % de salariés qui en bénéficient ([44]) mais elle a pour conséquence, en l’absence d’indexation des salaires qui lui sont immédiatement supérieurs, de tasser les grilles salariales. Au demeurant, la diffusion de cette hausse s’amoindrit à mesure que l’on progresse dans la grille salariale et la négociation reste limitée à la seule mise en conformité des minima avec le Smic.

2.   Une action limitée du Gouvernement qui contourne la question des salaires

a.   Le rejet de véritables mesures en faveur des salaires au profit de la mise en place de primes

● Alors que la loi du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat ([45]) et le projet de loi portant transposition de l’accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise auraient pu apporter des réponses à la perte de pouvoir d’achat inédite des salaires, le Gouvernement a limité son action à des mesures d’accompagnement du dialogue social qui ne répondent pas à la situation d’urgence actuelle.

L’article 7 de la loi du 16 août 2022 a ainsi ramené de trois mois à quarante-cinq jours le délai dans lequel doivent s’ouvrir les négociations relatives aux minima de branche non conformes au Smic à la suite du relèvement de celui-ci. Comme le montrent les données transmises par la Dares, cette mesure semble n’avoir eu aucun impact sur la dynamique de ces négociations, pas plus que la menace d’une fusion de branches dont les minima seraient durablement inférieurs au Smic.

Le projet de loi relatif au partage de la valeur était l’occasion de s’interroger sur la juste répartition entre excédent brut d’exploitation et rémunération des salariés au sein des entreprises. La question des salaires n’est cependant présente qu’au travers d’une obligation d’ouvrir dans chaque branche une négociation sur les classifications, aux fondements des grilles salariales.

● Opposé à une mesure générale de hausse des salaires, le Gouvernement a privilégié depuis 2017 et, en particulier dans le contexte d’inflation, la distribution de primes dans des conditions fiscales et sociales avantageuses.

La loi du 16 août 2022 a ainsi pérennisé la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (PEPA) ou « prime Macron » en la transformant en prime de partage de la valeur (PPV). Celle‑ci est exonérée, dans la limite de 3 000 euros ou de 6 000 euros dans les entreprises ayant mis en place un accord d’intéressement ou de participation volontaire, de cotisations sociales à la charge de l’employeur et du salarié et, pour les salariés percevant une rémunération inférieure à trois fois le Smic et pour une durée limitée, de la fiscalité sur les revenus.

Cependant, l’attribution d’une prime ne saurait remplir les mêmes objectifs qu’une hausse de salaire. Celle-ci demeure un outil discrétionnaire, à la main des employeurs, et ne permet pas une hausse durable du pouvoir d’achat. Elle n’a d’ailleurs été attribuée qu’à 5,5 millions de salariés pour un montant moyen de 789 euros en 2022 ([46]). Son exemption de l’assiette des cotisations sociales prive par ailleurs son bénéficiaire d’un salaire différé auquel donne droit une hausse de salaire.

Enfin, l’attribution de la PPV présente un risque de substitution à une hausse de salaire. L’Insee mesure ainsi ce phénomène à un niveau compris entre 15 % et 40 % pour la PEPA ([47]) et de 30 % pour la PPV ([48]).

● À plusieurs reprises, la Première ministre, Mme Élisabeth Borne, et le ministre de l’économie, M. Bruno Le Maire, ont invité les entreprises « qui le pouvaient à augmenter les salaires » ([49]). Dans le même temps, le soutien de l’État aux entreprises s’élève à 156,88 milliards d’euros ([50]) dont 73,6 milliards d’euros d’allègements de cotisations sociales en 2022 ([51]).

Selon Urssaf Caisse nationale, le montant de ces exonérations a progressé de 13,1 % en 2022 sous l’effet de la hausse des salaires et en particulier des salaires inférieurs à 1,6 fois le Smic, qui bénéficient du plus fort taux d’exonération.

Or, à la question de la conditionnalité des aides aux entreprises, en particulier celles qui ont bénéficié de superprofits, le Gouvernement a systématiquement répondu par la négative.

b.   Une perte importante de pouvoir d’achat des fonctionnaires

Issu d’une réforme du 10 juillet 1948 ([52]), le système de rémunération de fonctionnaires figure dans le décret du 24 octobre 1985 ([53]).

Il s’applique « aux magistrats, militaires, fonctionnaires et agents de la fonction publique de l’État, de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière, à l’exclusion du personnel rétribué sur la base des salaires pratiqués dans le commerce et l’industrie » ([54]).

Il porte application du principe selon lequel le « montant du traitement est fixé en fonction du grade du fonctionnaire et de l’échelon auquel il est parvenu, ou de l’emploi auquel il a été nommé » ([55]).

Le traitement des fonctionnaires est défini par référence à la valeur annuelle du traitement afférant à l’indice 100 majoré et soumis aux retenues pour pension et fixée, à compter du 1er juillet 2023 ([56]) à 5 907,34 euros.

Chaque fonctionnaire se voit ainsi attribuer un indice brut auquel correspond un indice majoré qui permet de calculer son traitement « en multipliant le centième de la valeur du traitement [afférent à l’indice 100 majoré et soumis aux retenues pour pension] par l’indice majoré correspondant à leur grade ou emploi et échelon » ([57]).

Fixée par voie réglementaire, la valeur du point d’indice, qui correspond au centième de la valeur de l’indice 100 majoré, ne répond à aucune règle d’indexation automatique permettant de sauvegarder le pouvoir d’achat des agents publics au regard de l’inflation. Une faible augmentation ou le gel de la valeur du point d’indice permet, au contraire, à l’État de contenir la dépense publique en période d’inflation modérée au détriment du pouvoir d’achat des agents.

La revalorisation du traitement des agents publics n’est heureusement pas figée en cas de stagnation de la valeur du point d’indice puisque, par les mécanismes de relèvement du Smic, les traitements les plus faibles progressent également ([58]). S’en suit par conséquent un phénomène de tassement comparable à ce qui se produit dans les branches non conformes au Smic dès lors que l’ensemble des rémunérations n’est pas revalorisé.

Concrètement, la mise en conformité des grilles de la fonction publique au Smic revient à attribuer un indice majoré minimal, correspondant à un traitement au moins égal au Smic, à l’ensemble des agents situés en dessous ou au niveau de l’indice brut correspondant. L’article 8 du décret du 24 octobre 1985 précise ainsi que les agents publics « occupant à temps complet un emploi doté d’un indice inférieur à l’indice majoré 361 perçoivent néanmoins le traitement afférent à l’indice majoré 361 (indice brut 367) ».

évolution de la valeur du point d’indice, de l’indice de traitement brut et de l’ipc

(base 100 en 2000)

Source : commission des affaires sociales, données Insee.

Note : l’indice de traitement brut, calculé par le service statistique de la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), mesure l’évolution du traitement brut des agents de la fonction publique d’État et évolue sous l’effet de l’évolution de la valeur du point d’indice, de la revalorisation du minimum de traitement et des mesures générales et des réformes catégorielles qui modifient la grille indiciaire.

Ainsi que le souligne le professeur Antony Taillefait, « les revalorisations accordées aux plus faibles rémunérations de la fonction publique ne sont pas sans conséquence sur la motivation des agents parce qu’elles provoquent une réduction de l’espace indiciaire qui sépare les échelles du bas de la grille et offrent peu d’espoir de progression de rémunération pour les agents concernés. En haut de l’échelle, l’écrêtement quasi continu des rémunérations des cadres les met en situation défavorable par rapport aux rémunérations des cadres dans les secteurs privés et parapublics » ([59]).

● Alors que la valeur du point d’indice n’a progressé entre 2010 et 2022 que sous l’effet d’une hausse de 0,6 % au 1er juillet 2016 et de 0,60 % en février 2017 ([60]), la reprise de l’inflation à compter de la fin 2021 a contraint le Gouvernement à mettre en œuvre des mesures en faveur du pouvoir d’achat des agents publics.

Ainsi, deux hausses de la valeur du point d’indice sont intervenues en juillet 2022, à hauteur de 3,5 % ([61]), et en juillet 2023, à hauteur de 1,5 % ([62]). Ces niveaux restent cependant très inférieurs à l’évolution de l’IPC, qui a augmenté de 5,2 % en 2022 et devrait atteindre 5 % en 2023, et ne permettent donc pas un maintien du pouvoir d’achat des agents publics.

Outre l’augmentation du point d’indice, le Gouvernement a attribué jusqu’à 9 points d’indice majoré supplémentaires pour revaloriser les agents situés en bas des grilles de rémunération mais au-dessus du salaire minimum, soit les agents occupant un emploi doté d’un indice brut compris entre les indices 367 et 418, tandis que l’ensemble des agents recevront 5 points d’indice majoré à compter du 1er janvier 2024.

● Les mesures en faveur du pouvoir d’achat des agents publics sont nécessaires mais insuffisantes. Elles témoignent de la difficulté pour le Gouvernement de sauvegarder le traitement réel des agents par des mesures ponctuelles et discrétionnaires alors qu’elles devraient être automatiques et faire l’objet, pour leur application, d’une discussion avec les organisations syndicales.

Sur une période longue, le décrochage de la valeur du point d’indice par rapport à l’inflation serait à l’origine d’une perte de 25 % de pouvoir d’achat selon l’Unsa ([63]) avec des conséquences directes sur l’attractivité des métiers de la fonction publique. Selon la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), « un niveau de salaire attractif fait partie des motivations d’un tiers des candidats aux concours de la fonction publique » ([64]).

II.   La nécessaire indexation des rémunérations

● La présente proposition de loi a pour objet de redonner aux salariés la capacité de négocier de véritables hausses de pouvoir d’achat en leur garantissant une évolution de leur salaire au moins égale à l’inflation.

Cette idée n’est pas neuve puisqu’elle a prévalu jusque dans les années 1980 en France et qu’elle continue de s’appliquer chez certains de nos voisins, notamment en Belgique.

L’indexation des salaires sur l’inflation en Belgique

Le mécanisme d’indexation des salaires sur l’inflation en Belgique se caractérise par une grande diversité de régimes fixés par des conventions collectives pour chaque branche. Il existe ainsi autant de régimes d’indexation que de commissions ou sous-commissions paritaires, soit environ deux cents.

Deux modes majeurs d’indexation se dégagent : d’une part, l’indexation à intervalles réguliers, dont la périodicité est généralement annuelle, concerne environ 50 % des salariés et, d’autre part, l’indexation en cas de dépassement par l’indice des prix d’un « indice pivot », communément fixé à 2 %, concerne environ 44 % des salariés ainsi que les fonctionnaires. Une minorité de salariés (1,8 %) n’est pas couverte par une convention collective prévoyant un mécanisme d’indexation des salaires.

Malgré des tentatives de remise en cause de ce système, la rapporteure a pu constater lors d’un déplacement son efficacité dans la protection du pouvoir d’achat des salariés. Les salaires ont, en effet, augmenté de 11,6 % sur l’année 2022, sans entraîner de hausse significative des faillites, d’après la Confédération des syndicats chrétiens (CSC), le syndicat majoritaire belge auditionné par la rapporteure.

Le salaire mensuel médian belge s’établit en outre à 3 507 euros brut, soit un niveau permettant à une majorité de salariés belges d’être mieux rémunérés que les Français.

Au travers de ses auditions de salariés belges relevant des secteurs du nettoyage et du gardiennage, peu rémunérateurs en France ; la rapporteure a certes constaté la stagnation de leur pouvoir d’achat mais pas la diminution de celui‑ci, grâce notamment à un salaire minimum horaire net à environ14 euros, contre 9,12 euros pour le Smic en France.

Source : Auditions de la rapporteure et MM. Bernard Conter et Jean Faniel. « Belgique. Hausse des salaires nominaux, aides publiques ponctuelles et perte de pouvoir d’achat », Chronique Internationale de l’IRES, vol. 180, no. 4, 2022, pp. 123-138.

● L’article 1er de la présente proposition de loi rétablit une échelle mobile des salaires en prévoyant une augmentation deux fois par an des salaires du secteur privé au minimum de l’inflation. Celle‑ci est mesurée au travers d’un indice déterminé par une commission composée d’universitaires et des partenaires sociaux.

Conformément aux recommandations des économistes auditionnés, l’indexation se limite aux salariés percevant une rémunération inférieure à deux fois le salaire médian, soit 4 182 euros en 2022, représentant les neuf premiers déciles de revenus. L’indexation a lieu aux 1er mars et 1er septembre sur la base de la moyenne des six indices précédents.

Distribution des salaires mensuels nets
en équivalent temps plein (eqtp) en 2022

Source : commission des affaires sociales, données Insee.

● Parce qu’il n’est pas normal que la sauvegarde du pouvoir d’achat des agents publics résulte de mesures discrétionnaires prises par le Gouvernement, l’article 2 prévoit un dispositif identique à celui de l’article 1er applicable tant aux fonctionnaires qu’aux contractuels de droit public.

● Enfin, l’article 3 propose la mise en place d’une caisse privée de péréquation inter‑entreprises, financée par une cotisation volontaire obligatoire progressive calculée d’après le résultat net des entreprises dont le chiffre d’affaires constaté au dernier exercice comptable est supérieur à 750 millions d’euros. Cette caisse permettra aux très petites entreprises (TPE) et petites et moyennes entreprises (PME) ainsi qu’aux associations employeuses de supporter, en période de forte inflation, une mesure d’indexation automatique. Les grandes entreprises financeront, en fonction de leurs résultats et selon un barème fixé par décret, cette caisse de péréquation.

La condition de mise en œuvre de l’indexation des salaires est de s’assurer de la soutenabilité de la mesure pour l’ensemble des employeurs. Les économistes auditionnés par la rapporteure, en particulier Henri Sterdyniak, considèrent que les marges existent dans l’économie pour financer ces hausses de salaires. En 2022, selon les calculs de ce dernier, 13 milliards d’euros de superprofits ont été dégagés par les entreprises. La condition de succès de l’indexation des salaires réside dans la capacité de l’État à contraindre les entreprises à augmenter les salaires d’un montant comparable, ce qui se traduirait par une hausse globale de 1,4 %. La caisse de péréquation pourrait agir comme une taxe sur les superprofits directement reversée à l’ensemble des salariés. Au demeurant, cette hausse des salaires d’au moins 13 milliards d’euros fournira à l’État les ressources nécessaires au financement de l’indexation de la valeur du point d’indice.

En ce qui concerne l’effet sur l’économie d’une telle mesure d’indexation, elle nécessite la prise en compte de nombreux paramètres qui pourront être retenus dans les modalités d’application réglementaire des trois articles de la proposition de loi. Lors de son audition, l’Insee a néanmoins indiqué à la rapporteure que le modèle de prévision Mésange estimait à terme une hausse de 0,2 % des coûts de production consécutive à une augmentation de 1 % des salaires. Cette estimation semble écarte tout risque de boucle inflationniste dont les fondements théoriques ont, par ailleurs, été fortement ébranlés par une récente étude publiée par le Fonds monétaire international ([65]).

 


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   Commentaire des articles

Article 1er
Indexation des salaires sur l’inflation jusqu’à deux fois le salaire médian

Supprimé par la commission

L’article 1er introduit dans le code du travail un mécanisme d’échelle mobile des salaires en prévoyant leur augmentation deux fois par an d’un taux au moins égal à un indice d’inflation. L’indice est déterminé par une commission dans laquelle siègent les partenaires sociaux ainsi que des experts.

Une caisse de péréquation assure la soutenabilité de la mesure pour toutes les entreprises.

1.   Le droit en vigueur : la négociation des salaires conduit, à défaut d’indexation, à une perte de pouvoir d’achat en période d’inflation

a.   La fin de l’indexation des salaires à l’exception du Smic

● Depuis l’ordonnance 30 décembre 1958 ([66]), les clauses d’indexation ([67]) sont proscrites dans l’ensemble des contrats à l’exception de celles prévues par la loi, notamment en matière de contrats de location de biens immobiliers ou de livrets d’épargne mais aussi en matière de revalorisation du salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig).

Cette interdiction figure dans le code du travail depuis la loi du 2 janvier 1970 ([68]), qui y a introduit le salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic), et trouve désormais place à l’article L. 3231-3 du code du travail. Celui-ci prévoit que, « dans les dispositions statutaires ou conventionnelles, est interdite toute clause prévoyant des indexations fondées sur le salaire minimum de croissance, sur le niveau général des prix ou des salaires ou sur les prix des biens, produits ou services n’ayant pas de relation directe avec l’objet du statut ou de la convention ou avec l’activité de l’une des parties ».

● Jusqu’en 1983, des clauses d’indexation automatique, permettant une échelle mobile des salaires, étaient encore en vigueur malgré l’interdiction légale. Cette tolérance a pris fin avec le tournant de la rigueur.

Aujourd’hui, les dispositions de l’ordonnance du 30 décembre 1958 figurent à l’article L. 112-2 du code monétaire et financier tandis que l’article L. 112-4 du même code prévoit une exception pour l’indexation du Smic.

● Succédant au Smig, le Smic est instauré par la loi du 2 janvier 1970 avec pour objectif de mieux garantir le pouvoir d’achat des salariés les moins qualifiés. Aux termes de l’article L. 3231-4 du code du travail, « la garantie du pouvoir d’achat des salariés (…) est assurée par l’indexation du salaire minimum de croissance sur l’évolution de l’indice national des prix à la consommation institué comme référence par voie réglementaire » ([69]). Le Smic est également partiellement indexé sur l’évolution des salaires réels puisque l’accroissement annuel de son pouvoir d’achat ne peut être inférieur à la moitié de l’augmentation du pouvoir d’achat évolution du salaire moyen ([70]).

b.   Les limites de la négociation collective et la baisse du salaire réel

● Les salaires supérieurs au Smic ne sont pas indexés sur l’inflation et font l’objet de négociations collectives de branche et d’entreprise pour leur revalorisation.

● Au niveau de la branche, les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d’employeurs représentatives négocient chaque année sur les salaires ([71]), sauf accord de méthode prévoyant une autre périodicité ([72]) dans la limite de quatre ans ([73]).

L’objectif de ces négociations est, notamment, de définir les salaires minima hiérarchiques ([74]) qui constituent le niveau minimal de rémunération s’imposant aux entreprises de la branche pour chaque catégorie d’emploi.

● Au niveau de l’entreprise, l’employeur et les délégués syndicaux engagent une négociation sur les salaires tous les ans ([75]) ou selon une périodicité fixée par un accord de méthode ([76]) dans la limite de quatre ans ([77]).

Le résultat de ces négociations salariales s’impose aux contrats de travail conclus avec l’employeur, sauf stipulations plus favorables ([78]).

● Les syndicats comme un certain nombre d’experts auditionnés par la rapporteure ont indiqué que les négociations sur les salaires, particulièrement en période d’inflation, consistaient, au mieux, à réduire la perte de pouvoir d’achat et ne permettaient ni de maintenir l’évolution des salaires au niveau de l’inflation ni de générer des hausses de pouvoir d’achat.

En outre, le phénomène du « plancher collant » ([79]) conduit, en période de forte inflation, à un alignement des premiers échelons des grilles sur le Smic et ne permet pas aux salariés de bénéficier d’une revalorisation salariale en fonction de leur ancienneté et de leur niveau de qualification.

● Les résultats de la négociation collective apparaissent particulièrement insuffisants en période d’inflation.

D’après les données de l’Insee ([80]) relatives à l’année 2022, « en euros constants, le salaire net moyen a diminué pour toutes les catégories socioprofessionnelles, un peu moins cependant pour les ouvriers, les employés et les professions intermédiaires (– 0,9 %) que pour les cadres (– 1,2 %). En effet les cadres sont davantage représentés dans la moitié haute de l’échelle salariale, où le décrochage des salaires vis‑à‑vis de l’inflation est le plus marqué ».

Face à ces difficultés, le Gouvernement a fait le choix de ne pas prendre de mesure en faveur des salaires, en dehors d’un simple rappel à l’ordre législatif aux branches dont l’activité conventionnelle était jugée trop réduite, mais de promouvoir les primes défiscalisées. Sans revenir dans le détail de l’ensemble des difficultés posées par cette politique, la rapporteure rappelle son opposition de principe à des primes qui se substituent en partie aux salaires tout en ne permettant pas d’améliorer durablement le pouvoir d’achat des Français.

2.   Le dispositif proposé : une indexation des salaires sur l’inflation pour tous les salariés rémunérés moins de deux fois le salaire médian

● Le I du présent article introduit, au sein du titre III du livre II de la troisième partie du code du travail, un chapitre III intitulé « Échelle mobile des salaires » comprenant un unique article L. 3239‑10. Celui‑ci crée un mécanisme d’indexation de l’ensemble des salaires du secteur privé.

L’augmentation des salaires intervient deux fois par an, aux 1er mars et 1er septembre, au minimum d’un indice de l’inflation. L’indexation ne se substitue par conséquent pas à la négociation collective ; elle constitue un plancher de négociation à partir duquel les partenaires sociaux seront en mesure de négocier des hausses de salaires afin d’améliorer le pouvoir d’achat des salariés.

La question de l’indice est toujours source de débats et doit pouvoir faire l’objet d’une discussion critique afin de prendre au mieux en compte l’inflation réelle comme celle ressentie par l’ensemble des salariés. Une commission, composée de représentants du monde académique, des représentants des organisations syndicales de salariés et des organisations représentatives des employeurs est ainsi chargée de déterminer l’indice qui sera institué par voie réglementaire.

Les syndicats auditionnés par la rapporteure l’ont invitée à préciser la composition de cette commission. Afin de garantir une représentation équilibrée des différents courants de pensée au sein de la commission, il est proposé par voie d’amendement que les représentants du monde académique soient nommés sur proposition des organisations syndicales, d’une part, et des organisations patronales, d’autre part.

Un décret fixe les modalités d’application de l’article après négociation entre organisations syndicales de salariés et organisations professionnelles d’employeurs.

● Le II du présent article prévoit un mécanisme de soutenabilité de la mesure pour les associations employeuses, les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME) fondé sur une caisse privée financée par la taxation des profits des grandes entreprises instituée par l’article 3 de la présente proposition de loi.

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*     *

Article 2
Indexation du traitement des agents publics sur l’inflation
jusqu’à deux fois le salaire médian

Supprimé par la commission

L’article 2 transpose le mécanisme d’indexation des salaires prévu à l’article 1er aux agents titulaires et contractuels de la fonction publique selon les mêmes modalités.

1.   Le droit en vigueur : la revalorisation du traitement des agents publics résulte de décisions discrétionnaires et insuffisantes du Gouvernement

● Héritières d’un système introduit par un décret du 10 juillet 1948 ([81]), les grilles de rémunération de fonctionnaires figurent dans le décret du 24 octobre 1985 ([82]) et s’appliquent « aux magistrats, militaires, fonctionnaires et agents de la fonction publique de l’État, de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière, à l’exclusion du personnel rétribué sur la base des salaires pratiqués dans le commerce et l’industrie » ([83]).

Chaque agent public se voit attribuer un indice brut, correspondant à son grade ou échelon et son emploi auquel correspond un indice majoré qui permet de calculer son traitement « en multipliant le centième de la valeur du traitement [afférent à l’indice 100 majoré et soumis aux retenues pour pension] par l’indice majoré correspondant à leur grade ou emploi et échelon » ([84]). La valeur annuelle du traitement afférent à l’indice 100 majoré et soumis aux retenues pour pension est fixé, à compter du 1er juillet 2023 ([85]), à 5 907,34 euros.

● Déterminée par voie réglementaire, la valeur du point d’indice, qui correspond au centième de la valeur de l’indice 100 majoré, ne répond à aucune règle d’indexation automatique permettant de sauvegarder le pouvoir d’achat des agents publics au regard de l’inflation.

De même que pour les salaires du secteur privé, les rémunérations les plus faibles des agents publics évoluent sous l’effet des mécanismes de relèvement du Smic en application de la jurisprudence du Conseil d’État ([86]) qui le rend applicable. Un phénomène de tassement de la rémunération comparable à ce qui se produit dans les branches non conformes au Smic se produit dès lors que l’ensemble des grilles ne sont pas revalorisées.

● Après douze ans de quasi-stagnation de la valeur du point d’indice, deux hausses sont intervenues en juillet 2022, à hauteur de 3,5 % ([87]), et en juillet 2023, à hauteur de 1,5 % ([88]). Ces niveaux restent cependant très inférieurs à l’évolution de l’IPC, qui a augmenté de 5,2 % en 2022 et devrait atteindre 5 % en 2023. Ils ne permettent donc pas un maintien du pouvoir d’achat des agents publics.

2.   Le droit proposé : un mécanisme d’indexation du traitement identique à celui prévu pour les salariés de droit privé

● Le  du présent article introduit, au sein du titre Ier du livre VII du code général de la fonction publique, après l’article L. 712‑1, un article L. 712‑1‑1 visant à appliquer aux agents titulaires de la fonction publique un dispositif identique à celui prévu par l’article 1er.

● Le  insère, après l’article L. 713‑1 du même code, un article L. 713‑1‑1 transposant ce mécanisme pour les agents contractuels de la fonction publique.

● Pour des raisons de recevabilité financière de la proposition de loi, il est nécessaire d’appliquer strictement le même mécanisme aux agents publics et aux salariés de droit privé, ce qui explique la présence des organisations patronales notamment dans le comité chargé de définir l’indice d’inflation des fonctionnaires et des contractuels. Cependant, leur présence ne se justifie pas dès lors que l’employeur relève de l’une des trois fonctions publiques comme l’ont justement fait remarquer les organisations syndicales auditionnées.

Au demeurant, la question de la prise en charge par l’État des dépenses liées à la revalorisation du point d’indice devra être inscrite dans le projet de loi de finances.

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Article 3
Instauration d’une caisse de péréquation
entre grandes entreprises et TPEPME

Supprimé par la commission

L’article 3 crée une caisse de péréquation visant à soutenir les très petites entreprises et petites et moyennes entreprises ainsi que les associations employeuses grâce à un financement assis sur les résultats des grandes entreprises.

Le présent article instaure une caisse privée de péréquation inter‑entreprises, financée par une cotisation volontaire obligatoire progressive calculée d’après le résultat net réalisé par les entreprises dont le chiffre d’affaires constaté au dernier exercice comptable est supérieur à 750 millions d’euros.

Cette caisse vise à mieux répartir le coût de la mesure d’indexation des salaires entre les entreprises qui en ont la capacité, c’est-à-dire les grandes entreprises les plus profitables, et les employeurs pour qui cela constitue un effort plus important au regard de leurs marges, en particulier les associations employeuses, les très petites entreprises et les petites et moyennes entreprises.

Le barème et les modalités de contrôle et de recouvrement de la contribution destinée à son financement sont fixés par voie réglementaire.

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   Travaux de la commission

Au cours de sa première réunion du mercredi 22 novembre 2023, la commission procède à l’examen de la proposition de loi visant à indexer les salaires sur l’inflation (n° 1774 rectifiée) (Mme Alma Dufour, rapporteure) ([89]).

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Mes chers collègues, avant de commencer notre réunion, j’exprime une pensée amicale et affectueuse à l’égard de notre collègue Sandrine Josso. J’espère qu’elle reviendra bientôt siéger à nos côtés.

Nous examinons ce matin les deux propositions de loi renvoyées à notre commission dont le groupe La France insoumise a demandé l’inscription à l’ordre du jour des séances publiques qui lui seront réservées le jeudi 30 novembre prochain. Nous commençons par la proposition de loi visant à indexer les salaires sur l’inflation.

Mme Alma Dufour, rapporteure. Depuis deux ans, les salariés français voient leur pouvoir d’achat reculer sous l’effet d’une inflation inégalée depuis trente ans. Tous les acteurs que nous avons auditionnés, y compris l’Insee et la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), concordent sur ce point : le salaire mensuel de base réel diminue depuis 2021. Les données du troisième trimestre 2023 ne montrent pas de changement.

Tous les acteurs auditionnés convergent également sur l’explication des causes de l’inflation. Il s’agit d’un choc de l’offre, provoqué par le renchérissement des prix des énergies fossiles et de certaines matières premières, dû aux bouleversements successifs qui secouent l’économie mondiale : la pandémie de covid‑19 et la reprise économique qui a suivi, l’impact du changement climatique provoquant une baisse des rendements agricoles et bien évidemment l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Autrement dit, les prix n’augmentent pas à cause d’un problème propre à l’économie française, ou de salaires et de minima sociaux trop élevés, mais bien en raison du contexte international, de façon similaire à ce qui s’est produit lors des chocs pétroliers des années 1970.

L’ensemble des personnes auditionnées s’accordent enfin pour dire qu’au niveau macroéconomique, ce coût supplémentaire pour l’économie française a été supporté par les salariés. En effet, les marges des entreprises se trouvent à un niveau historique très élevé alors que les cotisations patronales ont chuté de 2,4 points de PIB depuis 2018, à la suite des politiques menées par Emmanuel Macron. On observe des différences du taux de marge en fonction de la taille des entreprises – les grands groupes réalisant des marges supérieures à celles des PME –, mais globalement elles sont en augmentation dans l’économie, tout comme le versement de dividendes. Nous avons ainsi battu deux fois de suite, en 2021 puis en 2022, le record de versement de dividendes en France. En 2023, nous nous apprêtons à établir un nouveau plus haut historique puisque les dividendes versés au titre du premier semestre sont 13 % plus élevés, en comparaison à l’année dernière. C’est supérieur à la moyenne mondiale, qui est de 5 %.

L’inflation portant principalement sur l’alimentation et l’énergie, sa structure affecte sévèrement les ménages précaires et les salariés en bas et au milieu de l’échelle des revenus. Cette situation est malheureusement appelée à durer : la Banque de France ne prévoit un retour de l’inflation à un niveau proche des 2 % qu’au deuxième semestre 2025, soit dans deux ans. Surtout, la réduction de l’inflation et la baisse des prix ne sont pas la même chose : la réduction de l’inflation ne signifie pas que les prix baissent, mais seulement qu’ils augmentent plus lentement.

Il faut avoir conscience que, sans intervention du Gouvernement, les prix ne reviendront pas à leur niveau antérieur à la crise. Les Français doivent le savoir. Pire encore, le conflit au Proche-Orient pourrait bouleverser ces prévisions : la Banque mondiale alerte sur un risque de reprise de l’inflation s’il venait à s’enliser. Selon les scénarios les plus pessimistes, cela conduirait à un choc important sur le marché du pétrole. Le baril pourrait atteindre un niveau historique de cent cinquante dollars. Ceci plongerait des centaines de milliers de personnes dans la famine à travers le monde.

Après deux ans de crise sévère, nos économies ne sont toujours pas en mesure de faire face à de tels chocs extérieurs. Il faut que notre système soit mieux préparé à l’avenir. L’indexation des salaires sur l’inflation est un filet de sécurité essentiel : elle est indolore quand l’inflation est basse et elle permet d’éviter l’explosion de la pauvreté quand elle est haute.

L’ensemble des acteurs auditionnés constatent que la seule chose qui permet au pouvoir d’achat des salariés en France de ne pas s’effondrer totalement, c’est qu’un salaire au moins est indexé sur l’inflation : le Smic, perçu par 15 % des Français et revalorisé dès que l’inflation dépasse 2 %. Cela a permis d’entraîner à la hausse les salaires légèrement au-dessus du Smic, mais ils restent revalorisés en dessous de l’inflation en moyenne.

Certes, le Smic est aujourd’hui insuffisant pour vivre dignement. Nous souhaitons d’ailleurs, conformément à la volonté de 77 % des Français, son augmentation à 1 600 euros net. Mais supprimer son indexation sur l’inflation, comme le suggèrent les membres du Groupe d’experts sur le Smic, serait suicidaire. Toutes les personnes que nous avons auditionnées s’accordent sur ce point : c’est parce que le Smic était indexé sur l’inflation que la casse en matière de pouvoir d’achat des salariés a été limitée.

Non seulement ce mécanisme permet une véritable indexation des salaires des plus modestes, mais il se fonde sur une mesure de l’inflation calculée d’après leur panier de consommation. Ce n’est pas l’IPC, l’indice des prix à la consommation, qui est utilisé, mais un sous-indice de celui-ci, qui correspond au niveau de vie de ces salariés.

Qu’advient-il du reste des rémunérations ? C’est la chute libre : la baisse de pouvoir d’achat concerne l’intégralité des salariés au-dessus du Smic, soit plus de 85 % d’entre eux, et elle s’accroît avec la hiérarchie des salaires. Elles diminuent face à l’inflation depuis qu’en 1983 le Gouvernement a interdit l’échelle mobile des salaires. C’est à la négociation collective que revient la prise en compte de l’inflation dans les hausses de salaire, au niveau non seulement des branches, par la fixation des minima conventionnels, mais aussi des entreprises, dans le cadre des négociations annuelles obligatoires (NAO).

Force est de constater que le mécanisme de la négociation a échoué : les salariés ont perdu 1,3 % de pouvoir d’achat en 2021 et 1 % en 2022, alors que les taux de marge des entreprises sont à leur plus haut niveau dans un grand nombre de secteurs.

Quelle a été la réponse du Gouvernement ? Un simple appel à la bonne volonté des entreprises et la mise en œuvre de primes exonérées de cotisations sociales et d’impôts. Encore une fois, ce sont les salariés et les contribuables qui payent le prix de l’inflation à la place des entreprises. En effet, les études démontrent qu’un tiers des primes de partage de la valeur (PPV), dites « prime Macron », se substituent à des augmentations de salaire. Outre leur effet sur l’appauvrissement de notre régime de protection sociale, les primes n’offrent pas les mêmes garanties qu’une hausse de salaire à ceux qui en bénéficient. Surtout, seul un quart des salariés du privé ont touché la « prime Macron », pour un montant annuel moyen de 789 euros, soit 65 euros par mois.

Dans le même temps, les entreprises bénéficient de taux de marge qui permettraient, pour une partie d’entre elles, de revaloriser les salaires – en particulier dans certains secteurs qui ont connu plus de 65 milliards d’euros de superprofits cumulés en 2022.

Il est temps que nous, législateurs, mettions un terme à cette situation. Le taux de pauvreté atteint un niveau record depuis trente ans, vient de nous apprendre l’Insee, tant sur le nombre de personnes touchées par ce phénomène que sur l’aggravation de son intensité. C’est le principal bilan économique qui devrait nous concerner. Un tiers de nos concitoyens avouent sauter des repas au moins une fois par jour. Les actions prises ont été plus qu’inefficaces. Une partie de plus en plus importante des Français a faim. Cet hiver, ils auront froid. Et ils ont peur de l’avenir.

La proposition de loi que je vous présente est simple. Il s’agit de revenir à un système qui a existé durant des décennies en France, qui est toujours en vigueur chez nos voisins belges et luxembourgeois et qui est soutenue par 92 % des salariés, sympathisants de tous les partis politiques ici présents : l’échelle mobile des salaires indexée sur l’inflation. Nous avons rencontré le principal syndicat de Belgique : les salaires y ont augmenté de 11,6 % sur l’année 2022, suivant les prix, sans entrainer une augmentation significative du nombre de faillites. Résultat : les travailleurs en Belgique ne se sentent pas plus riches, mais ils n’ont pas non plus le sentiment d’être plus pauvres – contrairement aux travailleurs français. Le salaire médian belge est à 3 500 euros net et le Smic horaire pour les métiers pénibles, comme le nettoyage, à quatorze euros de l’heure. Réalisons-le : la France est devenue un pays socialement violent. Il faut retrouver la raison.

L’article 1er prévoit que les salaires du secteur privé augmentent deux fois par an, au 1er mars et au 1er septembre, selon un indice déterminé par une commission composée des partenaires sociaux et de représentants du monde académique.

L’article 2 permet d’indexer la rémunération des fonctionnaires sur l’inflation, par le point d’indice.

L’article 3 prévoit la création d’une caisse de péréquation des cotisations patronales, pour alléger le poids d’une telle proposition de loi pour les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME). On sait que, pour ces acteurs économiques, augmenter les salaires est plus compliqué que pour les établissements de taille intermédiaire (ETI) et les grands groupes.

M. Marc Ferracci (RE). Protéger le pouvoir d’achat des Français est une impérieuse nécessité. Le Gouvernement et la majorité présidentielle l’ont fait, ces derniers mois et ces dernières années, avec des moyens inédits. La proposition que vous nous faites ne répond pas à cette exigence. Elle est anachronique, inefficace et dangereuse.

Elle est anachronique, car l’indexation des salaires a existé : introduite en 1952 par Antoine Pinay, elle a été, au tournant des années 1970, à l’origine de l’apparition du chômage de masse dans notre pays, en déconnectant le niveau des salaires de la productivité des entreprises. C’est pour cela qu’elle a été abandonnée en 1983.

Elle est inefficace au regard de son objectif consistant à maintenir le pouvoir d’achat. Concrètement, elle risque en effet d’avoir pour conséquence une spirale inflationniste : les prix augmentant, les revendications salariales croissent ; les salaires augmentant, les entreprises répercutent l’augmentation des coûts de production sur leurs prix. C’est documenté dans un certain nombre de pays.

Vous considérez le cas belge avec une focale très étroite car l’augmentation des salaires en Belgique est très récente. Si l’on élargit la focale, on constate qu’en réalité le pouvoir d’achat en France a davantage progressé ces vingt dernières années qu’en Belgique.

Enfin, cette proposition serait dangereuse car elle déconnecterait le niveau du coût du travail de la productivité des entreprises et détruirait beaucoup d’emplois.

Ce n’est pas une solution magique. La majorité préférera toujours la négociation et le dialogue social, dans les branches et dans les entreprises, afin de maintenir le pouvoir d’achat des Français. C’est la raison pour laquelle nous voterons contre cette proposition de loi.

M. Victor Catteau (RN). En ces temps de crise économique et sociale, le débat sur le pouvoir d’achat et l’inflation est plus que jamais d’actualité. La présente proposition de loi soulève des points cruciaux. Il est indéniable que les Français sont confrontés à une érosion sans précédent de leur pouvoir d’achat. C’est une réalité que les statistiques, notamment de la Dares, rendent évidente.

Nous reconnaissons le besoin impérieux de trouver des solutions. Cependant, le chemin que nous emprunterons est crucial. L’histoire nous a enseigné que les bonnes intentions ne garantissent pas les bons résultats. Ironiquement, il n’est pas inutile de rappeler que c’est sous un gouvernement de gauche, celui de Pierre Mauroy alors que François Mitterrand était Président de la République, que l’indexation des salaires sur l’inflation a été supprimée. Un exemple éloquent qui montre que les solutions d’hier ne sont pas toujours celles d’aujourd’hui.

La présente proposition de loi, bien qu’audacieuse, risque de nous entraîner dans un cycle perpétuel de hausse des salaires, de hausse des prix et d’inflation accélérée. Un cercle vicieux qui, loin de résoudre le problème, pourrait malheureusement l’exacerber.

Nous devons être vigilants pour éviter des mesures qui, malgré leur attrait évident, risqueraient d’aggraver la situation économique de notre pays. Le Rassemblement national propose une voie différente, axée sur des mesures concrètes et réfléchies. Nous prônons la suppression de la TVA sur les produits de première nécessité, une mesure directement bénéfique pour le pouvoir d’achat de chaque citoyen français. De plus, notre proposition de loi visant à exonérer de charges patronales les augmentations de salaires de 10 % offre une alternative viable pour améliorer la rémunération des travailleurs, sans alimenter la spirale inflationniste.

Bien que nous partagions ce constat général sur la nécessité d’agir sur le pouvoir d’achat, nous sommes convaincus que les solutions doivent être choisies avec discernement et avec beaucoup de prudence. Nous devons agir de manière responsable pour éviter les écueils du passé et garantir un avenir prospère à tous les Français.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Les Français, tous les habitants de ce pays, doivent bien vivre de leur travail, et pas seulement survivre. Vous parlez sans cesse de « valeur travail », mais depuis qu’Emmanuel Macron est arrivé au pouvoir, la valeur du travail ne cesse de baisser. Les graphiques montrent tous une diminution des revenus du travail depuis 2018.

Que demandons-nous avec ce texte ? Quelque chose de finalement modéré : qu’en période d’inflation, les salaires augmentent au minimum autant que l’inflation. En un an, les salariés français – qui travaillent dur, se lèvent tôt le matin pour aller au boulot – ont perdu en moyenne 2 % de salaire. En vérité, il est question de 3 % pour la France du milieu. La France d’en bas est heureusement sauvée par l’indexation du Smic sur l’inflation, tandis que la France d’en haut bénéficie de l’augmentation des revenus du capital et peut négocier à titre individuel. Il s’agit ici de protéger cette France du milieu, aujourd’hui obligée de se serrer la ceinture, en indexant les salaires sur l’inflation.

Nous aurions pu demander que les salaires soient indexés sur les dividendes – les salaires auraient alors progressé de 13 % cette année – ou sur le budget de l’Élysée, qui a augmenté de 6 %, soit un point de plus que l’inflation. Comme nous sommes modérés, nous demandons seulement de préserver le pouvoir d’achat des Français.

Aujourd’hui, il existe une boucle prix-profits : ce sont les profits qui tirent l’inflation. Mais cela ne vous pose aucun souci, alors que vous êtes très inquiets à l’idée de relever les salaires. Le minimum est pourtant de protéger les Français qui travaillent, cette France du milieu qui travaille, ce que vous ne faites pas depuis deux ans. Deux explications à cela : soit c’est de l’incompétence et de la nullité – j’ai d’abord pensé que vous vous y preniez mal, malgré votre bonne volonté – ; soit vous usez de l’inflation pour faire baisser le coût réel du travail. Votre obsession à vouloir faire baisser le coût réel est aujourd’hui une démarche volontaire !

M. Philippe Juvin (LR). Je partage la préoccupation de la rapporteure et de mes collègues sur le faible niveau des salaires et sur l’absolue nécessité de trouver des pistes pour les augmenter. Toutefois, dans les entreprises qui font peu de marges et qui n’ont pas la possibilité de répercuter la hausse des coûts de fabrication sur le consommateur, car c’est bien de cela qu’il s’agit, l’indexation sera certes favorable aux salariés mais risque aussi de les fragiliser. Cela déboucherait en effet probablement sur des licenciements partiels, voire la fermeture de l’entreprise. Bref, le remède, pire que le mal, pourrait avoir des conséquences négatives bien plus durables que l’épisode actuel d’inflation.

André Bergeron écrit au sujet de l’indexation, dans ses Mémoires : « Nous avons obtenu des résultats spectaculaires, mais qui ont pratiquement tué l’imprimerie à Belfort. Aujourd’hui, je n’agirais sans doute pas de la même façon, mais j’étais jeune. »

Il est vrai que la question ne se pose pas pour les entreprises qui ont les moyens d’assumer l’indexation en augmentant les prix pour le consommateur. Chez Apple, plus c’est cher et plus on achète. Or, l’économie française étant plutôt composée d’entreprises de première catégorie, dites « à faible marge », l’indexation générale des salaires sur l’inflation risque d’être un laminoir. Donc oui, il faut augmenter les salaires en France, mais probablement pas avec le mécanisme proposé par ce texte.

M. Laurent Leclercq (Dem). Nous examinons aujourd’hui une proposition de loi qui a tout de la fausse bonne idée et, s’il y en a de moins graves que d’autres, l’indexation des salaires sur l’inflation en est une particulièrement dangereuse.

En proposant de revenir à une politique économique digne des années 1960, nos collègues de La France insoumise semblent oublier plusieurs paramètres de l’économie dans laquelle nous évoluons aujourd’hui. Tout d’abord, nous ne sommes pas dans une économie administrée. Peut-être le regrettez-vous mais, en 2023, ce n’est pas l’État qui fixe les salaires. Ce sont les entreprises. La réaction de celles-ci à votre mesure entraînerait précisément une spirale inflationniste totalement incontrôlable. C’est pour cette raison que nous avons abandonné l’indexation des salaires sur les prix il y a quarante ans, comme d’ailleurs l’immense majorité des pays européens contrairement à la Belgique.

Vous prévoyez que les salaires du privé augmenteront deux fois par an suivant l’inflation. Mais que provoquera cette mesure automatique ? Dans un premier temps, les entreprises seront contraintes d’absorber l’augmentation des coûts salariaux dans leurs marges – lorsqu’elles le peuvent. Dans un second temps, elles n’auront d’autre choix que de répercuter la hausse des coûts sur leurs prix. La hausse des prix entraînera à son tour une augmentation des salaires, qui générera une nouvelle hausse des prix, et ainsi de suite.

N’oublions pas que la revalorisation du Smic agit comme un plancher et tire à la hausse l’ensemble des salaires lors des négociations salariales annuelles. Ces accords engendrent d’ailleurs une hausse plus importante pour les salariés les moins rémunérés.

La place des services étant en 2023 beaucoup plus grande dans notre économie que dans les années 1960 ou 1980, les effets de votre proposition seraient particulièrement dévastateurs. De plus, si nous étions le seul pays européen, ou presque, à indexer les salaires, la compétitivité des entreprises françaises serait durement dégradée avec des effets particulièrement dramatiques sur l’emploi.

Le groupe Démocrate votera donc contre cette proposition de loi.

M. Elie Califer (SOC). Je remercie La France insoumise pour cette proposition de loi qui permet de mettre en lumière les problèmes de niveau et d’évolution des salaires dans notre pays. Face à une fièvre inflationniste, qui profite pour moitié à la hausse des taux de marge des entreprises et que le Gouvernement peine à juguler, les familles françaises sont peu à peu asphyxiées financièrement. En Guadeloupe, cette inflation frappe des prix structurellement élevés. À cette crise conjoncturelle s’ajoute une crise structurelle : celle du niveau des prix dans certains territoires et du niveau global des salaires.

Dans ce contexte, notre groupe est convaincu que l’indexation des salaires sur l’inflation telle que vous la proposez est une des réponses cruciales à la perte de pouvoir d’achat des ménages causé par le pic inflationniste, observé depuis deux années. Elle est aussi un élément dans la lutte contre la précarité des ménages.

Le groupe Socialistes et apparentés votera donc pour cette proposition de loi, mais s’interroge néanmoins à propos de quelques points rédactionnels et techniques. Aux termes des articles 1er et 2, les salaires indexés augmenteraient deux fois par an. Mais comment faire en cas de déflation ? Pensez-vous que seul le critère de taille des entreprises est pertinent dans le fonctionnement de la caisse de péréquation mise en place pour absorber les coûts de l’indexation ? A-t-on pu mesurer l’impact qu’aurait l’indexation des agents de la fonction publique sur les finances des collectivités locales ? Pourquoi ne pas avoir prévu un principe compensatoire ?

M. François Gernigon (HOR). La proposition de loi, sous couvert de protection des salariés face à l’inflation, menace en fait l’équilibre précaire de notre économie et le tissu social qui unit les citoyens de notre pays. Le groupe Horizons prend fermement position contre ce texte car il est de notre responsabilité de préserver non seulement la prospérité présente, mais aussi l’avenir de notre économie.

L’indexation automatique des salaires sur l’inflation, séduisante en apparence, engendrerait une rigidité catastrophique pour nos entreprises. Cette mesure, en créant une spirale inflationniste, ne ferait qu’alimenter le feu qu’elle prétend éteindre.

La conflictualité sociale que cette mesure pourrait engendrer n’est pas souhaitable. En effet, envisager une commission mensuelle pour discuter de l’indice de référence n’est rien d’autre qu’une invitation ouverte à la discorde perpétuelle.

Sur le plan financier, cette proposition est un gouffre potentiel pour notre déficit public : augmenter massivement les salaires, après déjà d’importantes revalorisations, est une mesure que notre budget ne peut supporter. L’économie serait quant à elle assujettie à une hausse destructrice du coût du travail, entraînant chômage et perte de compétitivité.

En 1982‑1983, le gouvernement socialiste et communiste, pour faire face à une inflation comprise entre 13 % et 14 %, avait tout simplement bloqué les salaires. Nous sommes loin d’une telle mesure !

La création d’une caisse privée de péréquation interentreprises, prévue à l’article 3, est un modèle d’imprécision. Elle est aussi inacceptable. Ce n’est pas en imposant une usine à gaz bureaucratique que nous soutiendrons nos structures associatives et nos PME.

Enfin, notre système social, déjà robuste, assure une protection efficace des plus modestes. Le Smic et les protections sociales sont indexés sur l’inflation. Les nombreuses mesures gouvernementales prises depuis 2022 pour contrer la hausse des prix démontrent une gestion réfléchie et adaptée aux défis actuels.

Le groupe Horizons, en toute conscience, votera contre cette proposition de loi.

M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). La proposition de loi prévoit une indexation sur l’inflation des salaires du privé et du public inférieurs à deux fois le salaire médian. L’inflation a atteint 5,6 % sur un an en septembre 2022, avec des pics à 10 % pour l’alimentation et 18 % pour l’énergie. Les prix ne cessent d’augmenter et les salaires stagnent. 51 % de la population disent se priver, occasionnellement ou régulièrement, d’un repas et 10 % déclarent ne pas pouvoir payer à temps leurs loyers, abonnements ou factures. Parallèlement, les profits des entreprises du CAC40 n’ont jamais été aussi importants.

Que fait le Gouvernement face à cela ? Il distribue, au compte-gouttes, des chèques, alimentaire ou énergie, et il demande aux entreprises d’augmenter les salaires. Il espère qu’elles le feront. En même temps, il refuse toute indexation des salaires sur l’inflation, au prétexte qu’elle créerait une boucle inflationniste. Pourtant, l’indexation ne déclenche pas une hausse du salaire à proprement parler, puisqu’il s’agit en réalité d’une mesure défensive face aux effets de l’inflation.

Cessons de ne jamais rien imposer aux entreprises, ni contrepartie ni conditionnalité, et de faire simplement des demandes répétées, sans succès. On « oblige » les citoyens à travailler en contrepartie d’un RSA, mais on « demande » aux entreprises d’augmenter les bas salaires en contrepartie d’importantes exonérations de cotisations sociales, dont elles bénéficient au versement des salaires.

Le Smic est lui-même indexé sur l’inflation. Mais on se rend bien compte qu’il ne joue pas son rôle de locomotive et qu’il est en train de rattraper les bas salaires alors que ceux-ci pourraient bénéficier de nettes augmentations s’ils étaient aussi indexés sur l’inflation.

Oui, la France est un État social, qui doit donner les outils de l’émancipation, de la lutte contre la précarité et contre le creusement des inégalités. L’indexation des bas salaires en est un. C’est pour toutes ces raisons que nous voterons pour ce texte.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). La spirale inflationniste est déjà là et occasionne des dégâts dans notre pays. Certains voudraient laisser penser que l’origine du chômage de masse serait dans la rémunération correcte du travail. Je m’inscris évidemment en faux contre cette vision des choses, orientée par une posture libérale. Ce n’est pas la mienne.

Nous produisons beaucoup de richesses dans notre pays. Elles proviennent du travail, de l’augmentation continue de la productivité, mais aussi de celle de la précarisation du travail. Où vont ces richesses ? Il y a une captation monumentale et scandaleuse de richesse par la finance, les actionnaires et leurs dividendes. Ces derniers, qui battent des records, vont de pair avec des salaires en berne. C’est de là que vient tout cet argent.

Il y a en outre un tassement par le bas de l’échelle des salaires, lié à ce défaut d’évolution d’ensemble. Les mesures prises jusqu’à présent contournent systématiquement les salaires – nous en aurons un nouvel exemple cet après-midi dans l’hémicycle – et ne leur permettent pas de suivre l’augmentation du coût de la vie.

Nous sommes favorables à l’échelle mobile des salaires avec une péréquation entre les grandes structures et les petites entreprises. Nous pensons que le travail doit être reconnu et permettre de vivre dignement. Ce n’est pas au prix d’une dégradation des conditions de vie et de travail des salariés que peut s’imaginer l’avenir de notre économie. Nous remercions donc nos collègues de La France insoumise de porter ce texte. Nous avons nous-mêmes déposé une proposition de loi similaire sur le bureau de l’Assemblée nationale.

M. Paul-André Colombani (LIOT). Cette proposition de loi pose une question fondamentale, en particulier dans un contexte d’inflation élevée et durable qui nuit au pouvoir d’achat : celle de la juste rémunération du travail.

L’urgence, aujourd’hui, est de répondre à tous ces foyers modestes et à tous ceux qui ont le sentiment qu’il ne suffit plus de travailler pour vivre dignement. Notre groupe a défendu des dispositifs ciblés, tels que l’extension du chèque carburant et la mise en place des chèques alimentaires, mais la question des salaires est essentielle. Pour les travailleurs pauvres, cela va de soi, ainsi que pour la fonction publique, où le décrochage des rémunérations a été particulièrement important. Je pense à la santé ou à l’éducation nationale. Les augmentations récentes du Smic étaient nécessaires, mais elles ont conduit à un tassement des salaires. De plus, les branches aux minima sous le Smic sont encore trop nombreuses.

Pour éviter ce phénomène d’aplatissement, la proposition de loi n’est pas inintéressante. Mais elle doit être interrogée à l’aune des risques que son application pourrait faire peser sur l’ensemble de notre économie, notre compétitivité et l’emploi. L’absence de consensus ne peut malheureusement pas être écartée. Notre groupe privilégie d’abord le dialogue social. Mais lorsque celui-ci échoue, une action des pouvoirs publics doit être possible.

Nous continuons à appeler au conditionnement du bénéfice d’exonération des cotisations pour les entreprises à des minima de branches au niveau du Smic. La question de la répartition entre les revenus du travail et du capital doit être posée, jusqu’à envisager un meilleur encadrement du partage de la valeur et une plus grande conditionnalité des aides versées aux entreprises.

M. Louis Boyard (LFI - NUPES). Hier, Emmanuel Macron, s’adressant aux Français, aux TPE et aux PME, disait : « Réveillez-vous ! Réveillez-vous ! ». Je vous renvoie, à lui et à vous tous, l’interpellation : « Réveillez-vous ! ».

Le principal sujet autour de la question des salaires est celui du partage des richesses. En 2014, un dirigeant du CAC40 gagnait soixante-douze fois plus que ses salariés, contre quatre-vingt-neuf fois plus en 2022 ! Si des Français sont aujourd’hui à découvert dès le milieu du mois, ce n’est pas parce que le pays manque de richesses : c’est parce que celles-ci sont extrêmement mal partagées. Ce n’est pas par magie que les prix progressent plus vite que les salaires. C’est parce que des patrons s’augmentent avec les profits réalisés.

Vous nous prédisez un cataclysme économique si nous venions à indexer les salaires sur l’inflation, mais « Réveillez-vous ! » : tel n’a pas été le cas en Belgique. Si vous ne votez pas cette proposition de loi, qu’allez-vous faire pour sortir les gens de la galère ? L’hiver arrive et beaucoup de Français ne pourront pas se chauffer. Vous appelez ça du misérabilisme : non, c’est le quotidien de millions de personnes dans notre pays. Que faites-vous pour les gens qui ne peuvent pas se payer trois repas par jour ? À nouveau, ce n’est pas du misérabilisme, mais le quotidien de millions de Français.

Enfin, nous sommes encore dans une démocratie. Or, cette proposition de loi est soutenue par 92 % des Français. Êtes-vous plus intelligents qu’eux ? À moins que vous ayez tort et que vous défendiez des intérêts qui ne sont pas ceux du peuple ? En tout état de cause, il faut voter ce texte. C’est une mesure d’urgence pour répondre à une situation qui ne fera qu’empirer, à cause d’un partage des richesses que vous gérez mal

M. Nicolas Turquois (Dem). Y a-t-il de l’inflation en France ? Oui. Affecte-t-elle le pouvoir d’achat de nos concitoyens, notamment des salariés ? Oui. Jusque-là, nous sommes d’accord.

Pouvez-vous me citer un seul pays où l’inflation aurait amélioré durablement la situation économique générale du pays ou la situation particulière des salariés ? Non. L’inflation crée une incertitude constante en brouillant le signal des prix. Par conséquent, l’inflation entraîne l’inflation et affecte durement tous les pays qui y ont été confrontés. Il faut donc lutter contre l’inflation. Certaines mesures, tel le bouclier énergétique, ont limité ses effets, mais cela ne suffit pas. L’inflation ralentit de manière substantielle, mais reste trop élevée.

Que faut-il faire à moyen terme ? Il faut fournir des emplois avec davantage de valeur ajoutée. Depuis les années 1980, ce sont principalement des emplois dans le service, c’est-à-dire à faible valeur ajoutée, qui ont été créés. Il faut réindustrialiser notre pays. Certes, le chemin est long, mais des progrès ont déjà été accomplis. C’est ainsi que nous vaincrons l’inflation et que nous donnerons durablement du pouvoir d’achat à nos concitoyens.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). J’entends dire que les taux d’inflation européens sont bas. Mais comme je ne fais pas mes courses à Francfort, cela ne m’intéresse pas beaucoup.

Selon des amendements déposés par nos collègues de droite, l’inflation serait redescendue à 4 % et nous devrions nous en féliciter. Mais pour un salaire de 1 500 euros, cela représente une perte mensuelle de 60 euros. C’est énorme ! Ces pourcentages équivalent à des dizaines d’euros perdus tous les mois, tant que les salaires ne seront pas indexés sur l’inflation.

On nous renvoie à 1982. Que s’est-il passé quand l’indexation des salaires sur l’inflation a été supprimée en 1983 ? Entre 1982 et 1983, quand les salaires suivaient les prix, l’inflation a baissé de 2,2 points et l’année suivante, quand l’échelle mobile des salaires a été supprimée, elle a aussi baissé de 2,2 points. Il n’y a eu aucune évolution. La courbe de l’inflation est plate. Le cas français ne plaide donc pas en faveur de ce que vous prétendez.

Vous nous promettez l’effondrement, l’hiver nucléaire ou les pluies de sauterelles si nous indexons les salaires sur l’inflation Or, quelqu’un peut-il sérieusement affirmer que la Belgique et le Luxembourg sont dans un état avancé de tiers-mondisation et que les salariés de ces pays souffriraient du maintien de leur pouvoir d’achat ? Ce n’est pas sérieux ! J’espère que vous serez nombreux à voter ce texte important.

Mme Caroline Janvier (RE). Nous avons une opposition de fond sur ce sujet. Nous considérons que nous ne pouvons pas décréter la création de richesses puis imposer sa répartition. Depuis six ans, les chiffres sur l’attractivité de la France, sa réindustrialisation et la baisse du taux de chômage l’attestent : nous avons favorisé la création de richesses comme la création d’emplois. C’est ainsi que nous améliorons le niveau de vie de millions de Français.

En France, 99 % des entreprises sont des TPE et des PME. Elles emploient la moitié des Français. Il suffit de discuter avec un artisan pour comprendre que la question du salaire doit rester en son pouvoir et qu’elle pourrait même constituer un frein à l’embauche dans certains cas.

Une fois encore, vous vous targuez de vous appuyer sur de grands principes moraux et vous prétendez défendre le pouvoir d’achat des Français. Mais les solutions que vous proposez sont contre-productives et inefficaces. Elles priveraient d’emploi une majorité de nos concitoyens. Nous sommes donc évidemment contre cette proposition de loi.

Mme Clémentine Autain (LFI - NUPES). La hausse des prix touche massivement les Français. Pour nombre d’entre eux, il est de plus en plus difficile de profiter de la vie, voire de vivre dans la dignité. La hausse de l’inflation est de 4,9 % sur un an. Elle est même de 13 % pour l’alimentation. C’est énorme ! Or, les salaires ne suivent absolument pas ; ils stagnent tandis que les revenus des grands patrons et les dividendes explosent, à hauteur de 13 %. M. Bruno Le Maire se contente de demander aux chefs d’entreprise de bien vouloir augmenter les salaires. Il ne fait rien d’autre, comme si la loi et la puissance publique étaient incapables de réguler l’économie.

Pour notre part, nous proposons tout simplement d’indexer les salaires sur l’inflation. Vous prétendez que ce serait le chaos, en particulier pour les TPE et les PME. Mettez alors un terme à une fiscalité qui leur est profondément défavorable et alignez leur régime sur celui des grands groupes ! Cela permettrait de compenser facilement la hausse des salaires.

Surtout, que fait M. Le Maire pour les agents des services publics ? Pour ces cinq à sept millions de personnes travaillant dans la fonction publique et dont la puissance publique, État et collectivités territoriales, est précisément l’employeur ? On pourrait au moins indexer leurs salaires sur l’inflation. J’attends une réponse sur ce point.

Mme Sarah Legrain (LFI - NUPES). Comment justifierez-vous auprès des Français votre refus de voter cette proposition de loi ? Dites-vous à la Belgique, qui a adopté cette mesure, qu’elle va dans le mur ? C’est difficile, en tout cas, de prétendre qu’elle s’effondre. Dites-vous aux 92 % de Français favorables à cette indexation qu’ils n’ont rien compris ? Ils ont au contraire très bien compris. Tous les jours, ils constatent, d’une part, l’explosion des prix et des profits, et, d’autre part, la stagnation des salaires, qui entrave leur vie. Employant les grands mots, vous invoquez la « boucle inflationniste ». Mais comment expliquer alors que les profits augmentent autant si les salaires stagnent ? La boucle entre les prix et les profits est bien visible : chaque augmentation du prix du panier de courses s’accompagne d’une hausse des profits pour les actionnaires.

On connaît votre rhétorique. Vous prétendez protéger les PME et vous vous adressez aux petits patrons qui auront du mal à payer l’augmentation des salaires. La proposition de loi prévoit précisément une péréquation pour que les plus gros, les entreprises qui s’en mettent plein les poches, contribuent pour les plus petits.

Vous dites en permanence vouloir protéger les classes moyennes et vous parlez d’un État qui serait trop protecteur pour les plus précaires. Quelle injustice alors de ne pas indexer les salaires légèrement au-dessus du Smic !

Je ne vois vraiment pas comment, si ce n’est par ces rengaines qui n’ont rien donné de positif ces dernières années, vous allez réussir à convaincre ces 92 % des Français, qui ont compris qu’indexer leurs salaires sur l’inflation était la seule façon de mettre un coup d’arrêt à la spirale dans laquelle ils sont en train de sombrer.

Mme Rachel Keke (LFI - NUPES). L’heure est grave parce que les Français n’arrivent plus à se nourrir. Tout augmente sans que les salaires suivent. Nous sommes ici pour représenter les Français et nous connaissons la réalité de ceux qui touchent à peine 1 600 euros par mois, qui n’arrivent pas à payer leurs factures d’électricité, qui n’arrivent pas à boucler leurs fins de mois. Nous vous demandons de voter cette loi pour les Français !

Ne les endormez pas en leur disant que leur situation est causée par l’immigration. Ne leur racontez pas que les immigrés leur prennent leur boulot. Il est temps de voter ! Ce ne sont pas les immigrés qui votent, mais bien nous ! Or, 92 % des Français veulent que nous votions ce texte pour qu’ils puissent vivre dignement avec leurs enfants.

M. Fabien Di Filippo (LR). Il y a manifestement des logiques mathématiques et économiques qui échappent largement à l’extrême gauche. Elle essaie, tout du moins, de s’en affranchir sous couvert de bons sentiments. Toutefois, il y a une réalité qui finit toujours par s’imposer sur le long terme. Sinon les systèmes communistes et étatistes auraient réussi, en Union soviétique ou à Cuba. Il s’agit d’un problème de productivité. L’inflation est la conséquence de ces centaines de milliards d’euros déversés, cependant que la productivité baissait. C’est simple : depuis la crise du covid‑19, le PIB français a augmenté de 1,8 % tandis que le nombre d’emplois salariés a augmenté de 7 %. Il a fallu autant de créations d’emploi pour produire à peine 2 % de richesses supplémentaires.

Nous avons atteint un stade où la productivité de notre travail baisse. Dans une économie de marché, le pouvoir d’achat de salariés moins productifs baisse fatalement, que ce soit du fait des salaires ou de l’inflation. Il faut augmenter la productivité et travailler collectivement davantage pour moins charger le travail. Nous aurons ainsi une solution réelle et durable. Déverser à crédit de l’argent public pour régler le problème du pouvoir d’achat est une chimère, dont les premières victimes seront ceux que vous prétendez défendre, car ils subiront le plus l’inflation sur les postes de dépenses de base et alimentaires.

Mme Isabelle Valentin (LR). En effet, la France est confrontée à un taux d’inflation élevé et à des problèmes de pouvoir d’achat. Au premier abord, on pourrait penser qu’indexer les salaires sur l’inflation permettrait de régler une partie du problème. Ce n’est malheureusement pas si simple. Augmenter les salaires conduit en effet à augmenter les coûts de revient : c’est le serpent qui se mord la queue. Une telle solution serait contre-productive puisque nos entreprises ne seraient plus compétitives. On détruirait de l’emploi au lieu d’en créer.

Mme Caroline Fiat (LFI - NUPES). Un salarié qui est rémunéré dignement pourra s’acheter une baguette de pain et permettra à un boulanger de vivre de son travail. Ce sont des TPE sauvées, tout simplement. On pourrait effectivement faire de la macro-économie, mais il est question ici de personnes qui ne peuvent ni se chauffer ni payer leur loyer. Un salarié qui gagne correctement sa vie dépensera, paiera de la TVA et enrichira le pays.

Tel n’est pas votre souhait, apparemment, et c’est votre problème. Nous, nous avons envie que les salariés vivent correctement de leur travail et paie de la TVA – plein de TVA !

M. Jean-Hugues Ratenon (LFI - NUPES). Au début du mois du novembre, j’ai fait le tour des chambres consulaires de La Réunion. Le président de la chambre des métiers et de l’artisanat m’a expliqué qu’il fallait réfléchir à une augmentation des salaires, car il constatait un manque de salariés dans les métiers en tension ou présentant un manque d’attractivité. Ces entreprises de proximité, qui ne sont pas celles du CAC40, abordent la question du pouvoir d’achat sous cet angle.

Le niveau du Smic est tel qu’il ne suffit parfois plus pour se rendre à son travail. C’est encore plus vrai outre-mer à cause du coût de la vie : à Smic égal, nous avons un pouvoir d’achat moindre. Le Smic ne suffit plus à vivre aujourd’hui.

Que prévoit ce texte? Simplement et uniquement d’indexer les salaires sur l’inflation. Ce ne serait que justice pour la France, outre-mer et continentale, au regard d’une situation de plus en plus difficile. Cela permettrait non seulement d’augmenter le pouvoir d’achat, mais aussi de rendre des métiers plus attractifs.

Mme la rapporteure. Plusieurs d’entre vous ont fait allusion à l’existence d’une boucle prix/salaires et répété qu’indexer les salaires sur l’inflation ferait mécaniquement augmenter les prix. Non. Aucun des acteurs auditionnés n’a évoqué ce scénario, y compris la Dares et l’Insee. Une étude du Fonds monétaire international (FMI) démontre même que, contrairement à ce que vous dites depuis un an, la boucle prix/salaires n’existe pas, se fondant en cela sur l’analyse de soixante-dix ans de vie économique dans différents pays. Il n’y a quasiment jamais eu d’épisode de boucle prix/salaire dans le monde. C’est un mythe. Écoutez donc les experts et les économistes du FMI !

Par ailleurs, l’indexation n’a pas été supprimée en 1983 parce qu’elle aurait nourri l’inflation. Comme aujourd’hui, l’inflation à l’époque était provoquée par un choc de l’offre – notamment par l’augmentation extrêmement forte du prix du pétrole. En réalité, les marges des entreprises ont diminué et, comme les salaires étaient indexés sur l’inflation, leur part dans la répartition de la valeur ajoutée a augmenté par rapport à celle versée aux actionnaires et au patronat. Il s’agissait d’un conflit politique autour de la répartition de la valeur ajoutée produite par les entreprises, comme actuellement. Selon l’ensemble des acteurs auditionnés, seuls les salariés paient aujourd’hui le prix de l’inflation en France parce que les marges des entreprises augmentent en moyenne – y compris celles des TPE et PME, bien qu’elles restent inférieures à celles des grands groupes. Je rejoins à cet égard nombre des observations faites à leur sujet et c’est la raison pour laquelle notre proposition de loi prévoit une caisse de péréquation.

Vous dites qu’il faut lutter contre l’inflation et que nous ne proposons pas de solution. Soyons clairs : ce texte vise, non pas à lutter contre l’inflation, mais à corriger ses effets et à éviter que les gens sombrent dans la pauvreté. En effet, ce que vous avez mis en place ne fonctionne pas puisqu’au deuxième trimestre 2023, la consommation globale est en recul en France. Cela va finir par une récession. Vos coups de pouce ne suffisent pas. Il faut apporter une véritable correction et lutter contre les causes de l’inflation. D’abord, la crise énergétique, qui suppose que l’on accélère franchement la transition énergétique ce que, projet de loi de finances après projet de loi de finances, nous ne faisons pas. Puis, lutter contre les superprofits, car quasiment la moitié de l’augmentation des prix est due à la spéculation et à l’explosion des marges dans certains secteurs. Là encore, ce n’est pas La France insoumise qui le dit, mais le FMI !

Vous ne pouvez pas, d’un côté, appeler à la lutte contre l’inflation et, de l’autre, refuser toutes les mesures que nous avons proposées pour limiter la casse, qu’il s’agisse d’investissements supplémentaires ou du blocage des prix, notamment dans l’énergie.

Les TPE et les PME constituent effectivement un sujet et un problème. Mme Janvier objecte que 99 % des entreprises françaises sont des TPE et PME. Attention à l’effet d’optique ! Nous sommes dans une économie très concentrée : 257 grands groupes captent 31 % de la valeur ajoutée produite par l’économie française. La part du Smic et des bas salaires est plus importante parmi les salariés des TPE et PME que parmi ceux des grands groupes : elles sont de fait déjà affectées par l’indexation du Smic. C’est précisément pour cela que nous proposons une caisse de péréquation. Nous sommes en effet convaincus que la taille d’une entreprise participe grandement à sa capacité à s’en sortir dans l’économie nationale et mondialisée. L’Insee nous a d’ailleurs alertés sur le fait qu’il manquait de données pour analyser l’effet de la taille des entreprises sur les comportements économiques.

Je vous remercie pour vos interventions même si je suis navrée de toujours entendre les mêmes arguments éculés, alors que la situation empire et qu’un nouveau choc inflationniste nous attend peut-être.

Avant l’article 1er

Amendement AS6 de Mme Alma Dufour

Mme la rapporteure. À la demande des syndicats, cet amendement a pour objet d’abroger l’article du code du travail interdisant d’indexer les salaires sur l’inflation et de compléter un article du code monétaire et financier.

M. Thibault Bazin (LR). Confirmez-vous que tous les syndicats de notre pays, des entrepreneurs comme des salariés, soutiennent votre démarche ? Nous avons beaucoup avancé sur les questions du mérite et de la valorisation et nous sommes très attachés à la participation et à l’intéressement.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). L’amendement me semble de bon sens ; il répond de plus aux objections soulevées précédemment. Vous dites que ce n’est pas à l’État de fixer l’ensemble des rémunérations dans le secteur privé – c’est un sophisme, et personne n’a jamais dit qu’il souhaitait cela. Dont acte.

Par cet amendement, nous proposons d’autoriser le monde salarial et patronal à se mettre d’accord dans le cadre de ses négociations de branche régulières sur le fait que les salaires suivent l’inflation. Cela concernera donc les branches où un accord a été trouvé, c’est-à-dire tout le monde du travail capable de partager cette vision. Voulez-vous autoriser les gens à négocier quelque chose qui, aujourd’hui, est interdit à la négociation, à savoir maintenir la valeur de leur travail ? On peut faire de belles phrases sur la valeur travail mais, tous les ans, les salaires baissent. Si vous aimez vraiment la valeur travail, il faut adopter l’amendement.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet (RE). Je me demande également quels syndicats de salariés vous soutiennent.

Vous semblez ne pas connaître le fonctionnement des négociations annuelles obligatoires : si patronat et syndicats veulent négocier pour rapprocher le montant des salaires de l’évolution des prix, ils le font. En 2022, le niveau médian des revalorisations salariales proposées était d’ailleurs de près de 5 %, avec une plus forte augmentation pour les catégories modestes. Vous nous donnez toujours des leçons sur le code du travail. Mais revoyez comment fonctionnent les NAO et comment les décisions d’augmentation salariale se sont traduites au cours des deux dernières années, avec des efforts particuliers en faveur des salariés modestes !

L’amendement est inutile car le dialogue social nécessaire est déjà inscrit dans les dispositions relatives aux NAO dans le code du travail.

M. Paul Christophe (HOR). Je n’ai pas la même lecture que M. Clouet : aujourd’hui, rien n’empêche les branches de négocier et de revaloriser les salaires. Dans la proposition de loi, ce n’est pas la même chose : vous proposez de négocier sur la base d’une indexation sur l’inflation.

Par ailleurs, dans son rapport de l’année 2022, le FMI précise que le risque d’apparition d’une boucle prix-salaires persiste dans l’épisode actuel et qu’il reste contenu en moyenne, à supposer qu’il n’y ait pas de choc inflationniste plus soutenu ou de changement structurel dans les processus de fixation des salaires et des prix.

Mme la rapporteure. La version provisoire du rapport ne contient en effet pas la liste des syndicats entendus. Nous sommes parvenus à auditionner dans les délais impartis la Confédération générale du travail (CGT) et Force ouvrière. Nous attendons des réponses écrites de la Confédération française démocratique du travail (CFDT). Pour ce qui est des syndicats patronaux, auxquels je ne faisais pas référence, nous avons reçu ce matin des réponses de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CPME) et du Mouvement des entreprises de France (Medef).

En ce qui concerne les NAO, depuis le début de l’année 2021, les salaires ont augmenté de 10 % et les prix de 12 %. Il y a donc bien un écart : le salaire réel baisse. Selon les personnes auditionnées, l’augmentation des bas salaires n’est pas nécessairement l’effet des négociations. Elle résulte plutôt de l’indexation du Smic sur l’inflation : le Smic augmentant, les entreprises sont obligées de s’aligner et d’augmenter aussi les salaires immédiatement supérieurs. C’est bien l’indexation d’une partie des salaires sur l’inflation qui a permis de limiter la casse, ce que confirment toutes les personnes que nous avons entendues.

La commission rejette l’amendement.

Article 1er : Indexation des salaires sur l’inflation jusqu’à deux fois le salaire médian

Amendement de suppression AS1 de M. Philippe Juvin

M. Philippe Juvin (LR). L’inflation est une taxe ; l’indexation risque de tuer les entreprises les plus faibles et de détruire de l’emploi. Citant André Bergeron, j’ai rappelé qu’il n’y a pas pire ennemi des salariés que ce faux ami. Quant à la boucle prix-salaires, elle n’existait pas jusqu’au début de l’année 2022, date à laquelle les hausses de salaires se sont enchaînées alors que les augmentations des prix de l’énergie étaient moins fréquentes. La hausse des prix et celle des salaires se sont amplifiées depuis 2022.

Mme la rapporteure. Non, les prix des importations énergétiques n’ont pas reculé au deuxième trimestre 2023 et il y a eu un rattrapage. Aujourd’hui, c’est dans l’agroalimentaire que les prix augmentent. Les analyses ont établi que cette inflation était due, non pas à la hausse des salaires, mais à la spéculation des grands groupes. L’augmentation des salaires crée un effet de hausse des prix minime par rapport à l’augmentation des marges dans l’économie, qui est responsable de l’épisode inflationniste que nous vivons.

M. Nicolas Turquois (Dem). J’avais demandé à Mme la rapporteure de citer un pays dans lequel l’inflation, donc l’indexation, aurait pu améliorer durablement la situation économique et celle des salariés. Je me suis renseigné sur la Belgique : dans ce pays, il y a effectivement une indexation, mais elle ne tient pas compte des carburants, lesquels jouent un rôle majeur dans la spirale inflationniste. En revanche, le dispositif intègre l’évolution des salaires dans les pays voisins de la Belgique. Cela remet en question l’efficacité de l’indexation stricte des salaires sur l’inflation telle que vous la proposez. Je suis donc favorable à l’amendement de suppression.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). Réunis en séminaire en Finlande, les administrateurs de la Banque centrale européenne ont cherché pourquoi les prix augmentaient alors qu’il n’y avait pas d’augmentation des salaires. Ils sont arrivés à la conclusion que l’inflation était évidemment liée à la hausse des profits et aux dividendes. Ces mots, que vous ne prononcez pas et que vous ne voulez pas entendre, sont comme un point aveugle du débat. Le Rassemblement national, les Républicains et la Macronie convergent pour ne pas regarder les niveaux records qu’atteint le taux de marge des entreprises. Le journal Les Échos titrait encore récemment sur les dividendes records versés aux actionnaires cette année. Tout cela, vous ne le voyez pas.

En revanche, pour ce qui n’existe pas, c’est-à-dire une inflation tirée par les salaires, vous êtes très inquiets et vous refusez tout mécanisme qui protège les salariés. Certains collègues disent qu’il faut augmenter les salaires en France, mais pas avec ce mécanisme. Or, vous n’en proposez aucun autre. Si vous disiez que vous ne voulez pas de l’indexation parce qu’elle est dangereuse, mais que vous proposiez autre chose, on pourrait discuter. Mais ce que vous proposez depuis deux ans, ce sont des primes, des chèques, des aides : la prime Macron n’a pourtant été perçue que par un salarié sur cinq. En réalité, vous ne voulez aucun mécanisme car, depuis le milieu des années 1980, votre obsession, celle de la droite dans sa diversité, est de baisser le coût réel du travail. Finalement, vous usez aujourd’hui du masque de l’inflation à cette fin, en n’adaptant pas notre économie : cette inflation vous arrange.

M. Fabien Di Filippo (LR). Une augmentation des salaires artificielle, sans amélioration de la productivité du travail, conduit tôt ou tard à une hausse des prix encore plus significative. Si vous contraignez un chef d’entreprise à augmenter les salaires, il devra financer la hausse en faisant croître ses prix d’une somme au moins équivalente.

Vous auriez bien mieux agi pour le pouvoir d’achat de nos concitoyens si vous ne vous étiez pas prononcés pour la fermeture des centrales nucléaires – cela nous aurait permis de conserver une meilleure souveraineté énergétique –, ou si vous aviez milité pour que nous sortions du carcan des 35 heures. Vous auriez permis à nos concitoyens de travailler davantage, y compris de manière désocialisée ou défiscalisée, pour récompenser le travail. Cette solution aurait été bénéfique pour le pouvoir d’achat, tout en faisant avancer l’économie française.

Mme Annie Vidal (RE). Vous dites que toutes les organisations syndicales soutiennent votre proposition de loi. Pourtant, la CFDT ne semble pas être d’accord avec vous. Pouvez-vous préciser quelles organisations syndicales approuvent votre démarche ?

M. Philippe Juvin (LR). Il y a sans aucun doute une crise de crédibilité de la Banque centrale européenne. Les agents économiques ont cru que le maintien d’une inflation faible était possible uniquement grâce à son action : on voit les limites de l’exercice. L’apparition de la boucle prix-salaires dont vous niez l’existence pose un problème majeur car il sera très difficile de sortir de la situation d’inflation dans la mesure où la hausse des salaires et la hausse des prix s’auto-entretiennent. On ne va pas ajouter un trouble au trouble.

Mme la rapporteure. Vous n’ignorez pas que Christine Lagarde a elle-même reconnu il y a quelques mois que la BCE s’était trompée dans l’analyse des causes de l’inflation car elle collectait beaucoup de données sur les salaires et peu sur les marges des entreprises. Elle est donc revenue sur son interprétation des causes de l’inflation. Aujourd’hui, tous les grands acteurs financiers mondiaux sont alignés sur le fait qu’il existe une boucle prix-profits et que cet épisode inflationniste est dû à un choc de l’offre énergétique.

Monsieur Turquois, nous ne sommes pas pour l’inflation : nous sommes d’accord sur la nécessité de la combattre. La proposition de loi ne vise pourtant pas à lutter contre elle mais à en corriger les effets pour le salariat car il ne faut pas qu’elle pèse uniquement sur les salariés. C’est pourquoi nous vous demandons, depuis un an et demi voire deux ans, d’empêcher les superprofits, de les taxer, de limiter voire de bloquer les prix dans certains secteurs parce que l’inflation est causée par ces phénomènes. Il faut renégocier le partage de la valeur ajoutée des entreprises dans une période difficile, comme nous ne l’avons pas fait en 1983.

À cette époque, deux choix s’offraient à François Mitterrand et à Jacques Delors : préserver la compétitivité des entreprises en mettant fin à l’indexation ou opter pour davantage de protectionnisme et de relocalisation, c’est-à-dire établir un contrat social entre consommateurs et salariés pour consommer davantage français. Ce choix n’a pas été fait car la construction européenne débutait. On revient aujourd’hui sur des règles économiques auxquelles on a bêtement souscrit pendant cette période – on peut être pour l’Union européenne et contre les traités européens. Parmi les deux choix qui s’offraient, le gouvernement de l’époque n’a pas fait le bon. Il est temps de revenir à la table des négociations.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 1er est supprimé et l’amendement AS7 de Mme Alma Dufour tombe.

Article 2 : Indexation du traitement des agents publics sur l’inflation jusqu’à deux fois le salaire médian

Amendement de suppression AS2 de M. Philippe Juvin

M. Philippe Juvin (LR). Le présent amendement vise à supprimer l’article 2, qui tend à indexer le traitement des agents publics sur l’inflation. La vision est différente : il faut en effet laisser toute latitude aux exécutifs locaux, en particulier aux départements, régions et communes, de fixer leur propre politique salariale. Les collectivités territoriales sont confrontées à d’importantes difficultés financières : il n’est pas opportun d’ajouter une nouvelle contrainte. La question doit être traitée différemment. Si nous sommes persuadés qu’il faut augmenter les salaires des Français, votre disposition conduira les collectivités à compenser en embauchant moins de personnel là où cela est nécessaire.

Mme la rapporteure. Je suis défavorable à la suppression de l’article. Nous avons écrit une proposition de loi volontairement courte pour qu’elle soit examinée au cours de cette niche parlementaire, mais la question de la compensation aux collectivités locales d’une indexation du point d’indice sur l’inflation devra évidemment être posée. On ne peut pas leur laisser le soin de porter les décisions nationales comme cela a été le cas, par exemple, pour la prime Ségur ou d’autres revalorisations, qui ne sont pas compensées à l’euro près, notamment pour les départements. Il est indéniable que ces mesures ont coûté de l’argent public. Nous étions favorables à la demande de rapport de M. Juvin sur la question. Cependant, nous verrons si nous voterons l’amendement le moment venu car vous êtes en train de vider la proposition de loi de sa substance.

Il y a un décrochage net entre l’évolution des salaires dans le privé et dans le public : c’est ce qui commence à menacer l’attractivité de certains métiers lorsqu’ils sont en compétition avec le privé, notamment dans le domaine de la santé. On ne peut plus détourner les yeux de la stagnation et de la baisse du pouvoir d’achat réel des fonctionnaires depuis une vingtaine d’années.

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Cet article est absolument nécessaire voire impératif. Il est question de personnes qui travaillent pour l’intérêt général, font généralement des heures non rémunérées, dans des locaux exigus, où ils accueillent difficilement les usagers. À ces travailleurs qui donnent tant, on a retiré près de 10 % de pouvoir d’achat en une décennie, si bien qu’ils sont les plus pénalisés financièrement. Cela n’est pas normal. Il importe de leur garantir que leur pouvoir d’achat ne baissera pas à travail constant, ce que vise l’indexation.

Certains collègues avancent le bilan empirique : en France, l’inflation est de 6 % en un an contre 3,5 % au Luxembourg et 0,7 % en Belgique, alors que ces deux pays indexent les salaires sur l’inflation. Les logiques que vous imaginez concernant la bouche salaires-prix n’existent pas.

Notre collègue Paul Christophe a cité le rapport du FMI pour 2022. Pour être plus proche de l’actualité, on se reportera plutôt au rapport pour 2023, signé notamment par NielsJakob Hansen, Frederik Toscani et Jing Zhu, dont l’avant-propos, aux pages 14 et suivantes, réfute l’idée d’une boucle entre les salaires et les prix.

Mme Annie Vidal (RE). N’ayant pas reçu de réponse à ma question, je la repose : madame la rapporteure, quelles organisations syndicales soutiennent votre proposition de loi ?

M. Philippe Juvin (LR). Le pouvoir d’achat dans les fonctions publiques est un vrai enjeu. En tant qu’ancien maire et membre de la fonction publique hospitalière, je partage cette préoccupation. Cependant, une indexation générale risque de conduire à une diminution des embauches et à des effets pervers considérables. Dans des situations où nous avons un besoin criant de personnel, les arbitrages se feront au détriment de l’emploi. C’est pourquoi je propose de supprimer l’article.

Mme la rapporteure. Je le redis : nous sommes parvenus à auditionner les représentants de la CGT et de FO, qui soutiennent la proposition de loi ; nous attendons les retours écrits de la CFDT et de la CFTC. Là n’est pas vraiment le cœur du débat.

Monsieur Juvin, je me réjouis que nous partagions la même préoccupation. Le problème est que l’on ne trouve plus de candidats, lorsque des postes sont ouverts, non seulement dans les hôpitaux mais aussi dans certains établissements de santé. S’il ne faut pas diminuer le nombre de recrutements, le manque d’attractivité des postes et la concurrence salariale intense entre le privé et le public entraînent des difficultés de recrutement. Dans ma circonscription, des postes en Ehpad sont vacants depuis plusieurs mois. J’entends donc ce que vous dites. Mais il faut régler ce problème d’attractivité salariale, sans quoi la fuite de la main-d’œuvre de ces secteurs va persister.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 2 est supprimé et les amendements AS8 de Mme Alma Dufour et AS4 de M. Philippe Juvin tombent.

Article 3 : Instauration d’une caisse de péréquation entre grandes entreprises et TPE PME

Amendement de suppression AS3 de M. Philippe Juvin

Mme la rapporteure. Défavorable. Dès que nous évoquons des mesures de justice sociale, vous mentionnez les TPE PME. Ces deux dernières années, nous nous sommes battus notamment pour maintenir le tarif réglementé de vente de l’électricité pour ces entreprises. Vous n’adoptiez pas le même discours alors. Vous tenez un discours à géométrie variable, ce que je constate régulièrement, notamment avec les petits commerçants que vous prétendez protéger en permanence, sauf lorsqu’il s’agit de geler les loyers commerciaux qui, contrairement aux salaires, augmentent avec l’inflation – c’est une spécificité du système français. Il est insupportable que vous vous serviez des TPE et PME comme d’un bouclier, et que vous refusiez des solutions concrètes. Personne ne nie qu’il est plus difficile pour elles d’augmenter les salaires. C’est pourquoi nous avons travaillé à une caisse de péréquation.

Par ailleurs, les TPE et les PME ayant structurellement des salaires plus bas et des salariés souvent payés au Smic, elles augmentent déjà les salaires par rapport à l’inflation davantage que les ETI. Comparativement, la mesure ne les pénaliserait donc pas plus que les grands groupes et les ETI.

M. François Ruffin (LFI - NUPES). On doit lutter contre une économie à deux vitesses : ce risque est déjà une réalité. Quand on travaille dans un grand groupe comme Total, on a droit à un treizième mois, à un comité d’entreprise, à des salaires plus élevés, à une protection. Si on est salarié d’un franchisé de Total, tout cela disparaît et on perçoit un Smic amélioré. Nous devons veiller à garder une nation unie. Le mécanisme d’indexation des salaires sur l’inflation, valable dans toutes les entreprises, unifie.

Au terme de l’examen de cette proposition de loi visant à indexer les salaires sur l’inflation, je relève surtout le manque de contre-propositions. Vous dites non à tout ; vous évoquez des scénarios catastrophes, le chômage, mais vous n’avancez aucune autre proposition. Vous dites que vous êtes conscients des problèmes salariaux, tant dans le secteur public que privé, mais votre réponse semble teintée d’impuissance. Vous ne mettez rien sur la table. C’est un peu comme écouter Bruno Le Maire dire que les entreprises doivent augmenter les salaires mais qu’elles ne le font pas, ou qu’il faut lutter contre la smicardisation de la société sans rien proposer.

Ce qui me surprend, c’est non tant le rejet prévisible de cette proposition de loi que le manque de propositions de votre part. Depuis le début de cette crise inflationniste aiguë, la seule mesure proposée a été la prime Macron, touchée par un salarié sur cinq.

M. Thibault Bazin (LR). Je suis vraiment étonné par cet article 3 qui prévoit un système de péréquation fondé sur le résultat net des entreprises présentant un chiffre d’affaires élevé. Cependant, le chiffre d’affaires peut être considérable et le résultat faible voire négatif, ce qui est souvent le cas des entreprises de l’industrie, notamment chimique, en période de crise énergétique. Je ne suis donc pas convaincu que ce système de péréquation atteindra l’objectif que vous recherchez car les situations sont très variables. On peut rencontrer des TPE en difficulté ; d’autres qui ne le sont pas ; des entreprises – ETI, TPE, PME – qui présentent un chiffre d’affaires élevé sans être nécessairement du CAC40.

Nous disposons déjà d’outils de péréquation, tels que les impôts, qui financent des soutiens spécifiques. Un nouveau système ne semble donc pas opportun.

Pour ce qui est de l’augmentation des salaires, je ne suis pas d’accord avec l’idée selon laquelle rien n’est fait, tant pour les petites que pour les grandes entreprises. Sans dire que tout est idéal, ni défendre le Gouvernement, je constate simplement, lors de mes discussions avec des chefs d’entreprise de toute taille, qu’il existe une préoccupation commune pour améliorer les conditions.

L’inflation, et son probable maintien en 2024, est un enjeu de plus en plus présent mais je ne suis pas convaincu que les solutions que vous proposez soient les plus pertinentes.

M. Nicolas Turquois (Dem). L’article 3 est une usine à gaz. Il ne précise ni comment instituer la péréquation ni au profit de qui. Certaines entreprises se portent bien et d’autres, moins. Quant à l’idée d’une cotisation obligatoire volontaire, elle n’a aucun sens.

Notre collègue Ruffin prétend que nous n’avons rien fait. Vous, vous proposez des mesures symboliques très visuelles, des mesures médiatiques, dont tous les journaux parlent, mais qui auraient au final un effet délétère sur l’économie française.

La réalité est que la politique nécessite une approche à long terme, ce qui ne signifie pas que l’on n’apporte pas de réponse immédiate aux personnes en difficulté. Faire diminuer le chômage prend du temps. Actuellement, nous connaissons un plateau en raison de la situation économique internationale difficile. Il va falloir remettre l’ouvrage sur le métier, et réindustrialiser la France. Cela prend du temps : nous devons travailler dans la durée, en accompagnant les entreprises, pour que la France gagne en souveraineté.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet (RE). Il est réducteur de prétendre que rien n’a été fait. Nous constatons tout d’abord des efforts non négligeables au sein des entreprises, avec les négociations annuelles obligatoires. Mme la rapporteure en a cité des chiffres. Ces efforts bénéficient en outre de manière plus que proportionnelle aux salariés de condition modeste. S’y ajoutent des boucliers tarifaires, pour l’énergie notamment.

Le problème central demeure cependant la question des salaires et de la valorisation du travail. Il est étonnant à cet égard que l’on ne mentionne pas la conférence sociale sur les bas salaires d’octobre, qui a abouti à des conclusions intéressantes. Au-delà de la question du Smic, le véritable enjeu réside dans le tassement des grilles salariales. Par exemple, le gain brut mensuel d’une aide ménagère qui a suivi une formation pour devenir auxiliaire de vie sera de 7,55 euros. C’est le résultat direct de l’indexation des bas salaires.

Au cours des vingt dernières années, nous avons créé des trappes à bas salaires en encourageant les primes d’activité d’un côté et les exonérations patronales de l’autre. La conférence sociale conseille d’analyser la façon dont ces trappes se construisent pour les corriger. Elle recommande également d’examiner la conditionnalité des aides aux entreprises, notamment pour ce qui concerne les minima conventionnels. Il est crucial de traiter le problème des bas salaires et de ne pas rester enfermé dans cette situation pendant des années.

Je conteste donc fermement la conclusion selon laquelle rien n’est fait. Des mesures sont prises, de manière ponctuelle et structurelle, et les conclusions de la conférence sur les bas salaires contribuent à cette action.

Mme la rapporteure. Pour les TPE et PME, il se passe aujourd’hui l’inverse d’une péréquation : 60 % des crédits d’impôt sont captés par les grands groupes car les TPE et PME n’ont pas les moyens de monter des dossiers pour accéder aux aides et avantages fiscaux et sociaux. Le taux d’imposition sur les sociétés et les prélèvements obligatoires sur les TPE et, surtout, les PME, demeure plus élevé que celui appliqué aux grands groupes, en raison des mécanismes d’optimisation fiscale que ces derniers peuvent actionner. Rien n’est fait pour corriger ce déséquilibre des politiques publiques, beaucoup plus favorables aux grands groupes qu’aux TPE PME.

Notre proposition, certes, n’est pas parfaite. Mais il ne faudrait pas caricaturer l’article. Nous fondons bien la péréquation, non sur le chiffre d’affaires, mais sur le résultat net des entreprises réalisant un certain chiffre d’affaires. Nous prenons donc évidemment en compte la question des bénéfices réalisés par les entreprises concernées.

Je rejoins M. Ruffin : vous nous opposez sans cesse les défauts de nos propositions et vous les refusez toujours. Vous dites non à l’impôt différencié sur les sociétés en fonction du chiffre d’affaires, au retour au tarif réglementé de vente de l’électricité pour les PME, au plafonnement des loyers commerciaux des petits commerces. Et quand nous proposons d’indexer les salaires sur l’inflation, vous plaignez les TPE et PME. Ce discours est insupportable.

Les salaires belges ont augmenté de 11,6 % en 2022 : ce n’est pas une mesure visuelle. Les Belges n’ont pas perdu de pouvoir d’achat depuis deux ans. Tout salarié français vous dira au contraire qu’il se sent plus pauvre qu’il y a deux ans. C’est une certitude.

Oui, des choses ont été faites mais les chiffres concordent pour montrer que c’est insuffisant, d’où notre proposition.

Enfin, madame Panosyan-Bouvet, c’est bien l’indexation du Smic qui permet de limiter la casse. Indexer les salaires au-dessus du Smic éviterait le tassement des grilles salariales.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 3 est supprimé.

La commission ayant supprimé tous les articles de la proposition de loi, l’ensemble de celle-ci est rejeté.

*

*     *

L’ensemble des articles de la proposition de loi ayant été supprimés ou rejetés, le texte est considéré comme rejeté par la commission.

En conséquence, aux termes de l’article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique aura lieu sur le texte initial de cette proposition de loi.

 


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   ANNEXE N° 1 :
Liste des personnes auditionnÉes par la rapporteure

(Par ordre chronologique)

            Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares)MM. Michel Houdebine, directeur de la Dares, et Michaël Orand, chef de la mission analyse économique, et Mme Corinne Darmaillacq, cheffe du département salaires et conventions salariales

            Table ronde des organisations syndicales :

– Confédération générale du travail (CGT) – Mme Aurélie Mahout, conseillère confédérale et M. Thomas Vacheron, secrétaire fédéral

– Confédération générale du travail  Force ouvrière (CGTFO) – Mmes Hélène Fauvel, secrétaire confédérale en charge de l’économie et du service public, et Karen Gournay, secrétaire confédérale en charge de la négociation collective et de la représentativité

            M. Henri Sterdyniak, économiste

            Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) – MM. Vladimir Passeron, chef du département de l’emploi et des revenus d’activités, et Nicolas Carnot, directeur des études et synthèses économiques

            Mme Virginie Monvoisin, économiste, professeure associée à la Grenoble école de management

 


  1  —

ANNEXE N° 2 :
Liste des contributions Écrites adressÉes
À la rapporteure

            Organisations syndicales

– Confédération française de l’encadrement – Confédération générale des cadres (CFE-CGC)

– Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC)

            Organisations professionnelles d’employeurs

– Mouvement des entreprises de France (Medef)

– Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME)

 

 


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ANNEXE N° 3 :
Textes susceptibles d’Être modifiÉs À l’occasion de l’examen DE LA PROPOSITION DE LOI

Projet de loi

Dispositions en vigueur modifiées

Article

Codes et lois

Numéro d’article

1er

Code du travail

Chapitre III du titre III du livre II de la troisième partie [nouveau], L. 3239-10

2

Code général de la fonction publique

L. 712‑1‑1, L. 713‑1‑1

 


([1]) D’après les données de l’Insee, le taux d’inflation est resté inférieur à 2 % entre 2013 et 2021. Il avait atteint un maximum de 2,8 % en 2008 sur la période 1992‑2021.

([2]) Source : Insee.

([3]) Banque de France, Projections macroéconomiques, France, 18 septembre 2023.

([4]) Source: Banque de France.

([5]) « Pour la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, “nous avons trop longtemps insisté sur les bénéfices de la mondialisation” », Le Monde, 12 novembre 2023.

([6]) Banque mondiale, Le conflit au Moyen-Orient pourrait provoquer un double choc sur les marchés mondiaux des produits de base, communiqué de presse du 30 octobre 2023.

([7]) Banque de France, op. cit., 2023.

([8]) Loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat.

([9])  Le déflateur de la consommation des ménages mesure les variations de prix à la consommation en divisant la grandeur en valeur par cette même grandeur en volume. Contrairement à l’IPC, le déflateur de la consommation inclut notamment les loyers imputés ou encore les services d’intermédiation financière indirectement mesurés.

([10]) Article L. 161-25 du code de l’action sociale et des familles.

([11]) Avis relatif à l’indice des prix à la consommation, Journal officiel de la République française, 14 octobre 2023.

([12]) Cepii, « L’évitement fiscal des multinationales en France : combien et où ? », La lettre du Cepii, n° 400, juin 2019.

([13]) Loi n° 50-205 du 11 février 1950 relative aux conventions collectives et aux procédures de règlement des conflits collectifs de travail.

([14]) Il s’agit de l’« indice des 213 articles ». À l’origine, le montant du SMIG pouvait différer selon les régions : celui-ci était fixé par référence à la situation économique dans la région parisienne, divers abattements progressifs, allant jusqu’à 20 %, étaient appliqués pour obtenir une différenciation du SMIG dans dix zones. Cette régionalisation du SMIG est abandonnée en 1968 car perçue comme injuste et accusée de maintenir des écarts de rémunérations entre les salariés de province et ceux de la région parisienne.

([15]) La loi n° 52-834 du 18 juillet 1952 relative à la variation du salaire minimum national interprofessionnel garanti, en fonction du coût de la vie prévoit la réévaluation automatique du Smig lorsque l’inflation dépasse 5 %.

([16]) Loi n° 70-7 du 2 janvier 1970 portant réforme du salaire minimum garanti et création d’un salaire minimum de croissance.

([17]) Article L. 3231-1 du code du travail.

([18]) Conseil d’État, Ville de Toulouse c/ Aragnou, 23 avril 1982.

([19]) Article L. 3231-6 du code du travail.

([20]) Articles L. 3231-7 et R. 3231-1 du code du travail.

([21]) Article R*3231-7 du code du travail.

([22]) Article L. 3231-9 du code du travail.

([23]) Article L. 3231-8 du code du travail.

([24]) Article L. 3231-4 du code du travail.

([25]) L’article R*3231‑2 du code du travail précise que cette indexation est assurée au regard de l’évolution de l’indice mensuel des prix à la consommation hors tabac des ménages du premier quintile de la distribution des niveaux de vie.

([26]) Article L. 3231-10 du code du travail.

([27]) Article L. 3231-11 du code du travail.

([28]) Cluster17, Sondage réalisé pour La France Insoumise, 16 au 19 août 2023.

([29]) Article L. 3231-3 du code du travail.

([30]) Ordonnance n° 58-1374 du 30 décembre 1958 portant loi de finances pour 1959.

([31]) Article L. 112-2 du code monétaire et financier.

([32]) Article L. 2241-1 du code du travail.

([33]) Article L. 2253-1 du code du travail.

([34]) Article L. 2241-4 du code du travail.

([35]) Article L. 2241-8 du code du travail.

([36]) Article L. 2242-1 du code du travail.

([37]) Article L. 2242-11 du code du travail.

([38]) Article L. 2242-13 du code du travail.

([39]) Article L. 2253-3 du code du travail.

([40]) Article L. 2254-1 du code du travail.

([41]) Article L. 3211-1 du code du travail.

([42]) Article L. 2241-10 du code du travail.

([43]) Alexandre Durain, « Comment en finir avec les ‘smicards à vie’ », 2022 la grande conversation, Terra Nova.

([44]) Source : Dares.

([45])  Loi n° 2022‑1158 du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat.

([46]) Source : Urssaf Caisse nationale.

([47]) Insee, Prime exceptionnelle de pouvoir d’achat en 2019 : entre hausse des salaires et aubaine pour les entreprises, 2 juillet 2020.

([48]) Insee, La croissance résiste, l’inflation aussi, note de conjoncture, mars 2023.

([49]) Ces exhortations ont notamment été rappelées par Mme Élisabeth Borne au Sénat au cours de la séance du 12 octobre 2022 et M. Bruno Le Maire à l’Assemblée Nationale au cours de la séance du 22 juillet 2022.

([50]) IRES, Un capitalisme sous perfusion : Mesure, théories et effets macroéconomiques des aides publiques aux entreprises françaises, octobre 2022.

([51]) Urssaf Caisse nationale, Stat’UR n° 366, juillet 2023.

([52]) Décret n° 48-1108 du 10 juillet 1948 portant classement hiérarchique des grades et emplois des personnels civils et militaires de l’État relevant du régime général des retraites.

([53]) Décret n° 85-1148 du 24 octobre 1985 modifié relatif à la rémunération des personnels civils et militaires de l’État, des personnels des collectivités territoriales et des personnels des établissements publics d’hospitalisation.

([54]) Article 1er du décret du 24 octobre 1985 précité.

([55]) Article L. 712-2 du code général de la fonction publique.

([56]) Décret n° 2023-519 du 28 juin 2023 portant majoration de la rémunération des personnels civils et militaires de l’État, des personnels des collectivités territoriales et des établissements publics d’hospitalisation.

([57]) Article 2 du décret du 24 octobre 1985 précité.

([58]) Ce relèvement est fait en application de la jurisprudence du Conseil d’État, Ville de Toulouse c/ Aragnou, du 23 avril 1982.

([59]) Antony Taillefait, Droit de la fonction publique, « Précis Dalloz », 9e éd., 2022, p. 295.

([60]) Décret n° 2016-670 du 25 mai 2016 portant majoration de la rémunération des personnels civils et militaires de l’État, des personnels des collectivités territoriales et des établissements publics d’hospitalisation.

([61]) Décret n° 2022-994 du 7 juillet 2022 portant majoration de la rémunération des personnels civils et militaires de l’État, des personnels des collectivités territoriales et des établissements publics d’hospitalisation.

([62]) Décret n° 2023-519 du 28 juin 2023 portant majoration de la rémunération des personnels civils et militaires de l’État, des personnels des collectivités territoriales et des établissements publics d’hospitalisation.

([63]) https://www.unsa-fp.org/article/Anatomie-de-la-chute-de-pouvoir-dachat-des-agents-publics

([64]) Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), Attractivité de la fonction publique, 2020.

([65]) Niels-Jakob Hansen, Frederik Toscani, and Jing Zhou, Euro area inflation after the pandemic and energy shock : import prices, profits and wages, IMF Working Papers, 2023.

([66]) Article 79 de l’ordonnance n° 58-1374 du 30 décembre 1958 portant loi de finances pour 1959.

([67]) Pour une présentation détaillée des mécanismes d’indexation du Smic, voir le 2 du A du I du présent rapport.

([68]) Loi n° 70-7 du 2 janvier 1970 portant réforme du salaire minimum garanti et création d’un salaire minimum de croissance.

([69]) Il s’agit, aux termes de l’article article R*3231-2 du code du travail, de l’indice mensuel des prix la consommation hors tabac des ménages du premier quintile de la distribution des niveaux de vie.

([70]) Article L. 3231-8 du code du travail.

([71]) Article L. 2241-8 du code du travail.

([72]) Article L. 2241-4 du code du travail.

([73]) Article L. 2241-1 du code du travail.

([74]) Article L. 2253-1 du code du travail.

([75]) Article L. 2242-13 du code du travail.

([76]) Article L. 2242-11 du code du travail.

([77]) Article L. 2242-1 du code du travail.

([78]) Article L. 2254-1 du code du travail.

([79]) Le lien entre hausse du Smic et négociation collective est précisé au 1 du B du I du présent rapport.

([80]) Insee, Les salaires dans le secteur privé en 2022, novembre 2023.

([81]) Décret n° 48-1108 du 10 juillet 1948 portant classement hiérarchique des grades et emplois des personnels civils et militaires de l’État relevant du régime général des retraites.

([82]) Décret n° 85-1148 du 24 octobre 1985 modifié relatif à la rémunération des personnels civils et militaires de l’État, des personnels des collectivités territoriales et des personnels des établissements publics d’hospitalisation.

([83]) Article 1er du décret du 24 octobre 1985 précité.

([84]) Article 2 du décret n° 85-1148 du 24 octobre 1985 précité.

([85]) Décret n° 2023-519 du 28 juin 2023 portant majoration de la rémunération des personnels civils et militaires de l’État, des personnels des collectivités territoriales et des établissements publics d’hospitalisation.

([86]) Conseil d’État, Ville de Toulouse c/ Aragnou, 23 avril 1982.

([87]) Décret n° 2022-994 du 7 juillet 2022 portant majoration de la rémunération des personnels civils et militaires de l’État, des personnels des collectivités territoriales et des établissements publics d’hospitalisation.

([88]) Décret n° 2023-519 du 28 juin 2023 portant majoration de la rémunération des personnels civils et militaires de l’État, des personnels des collectivités territoriales et des établissements publics d’hospitalisation.

([89]) https://videos.assemblee-nationale.fr/video.14316752_655db9ea6bd78.commission-des-affaires-sociales--indexer-les-salaires-sur-l-inflation--deconjugaliser-l-allocatio-22-novembre-2023