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N° 1928

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 novembre 2023.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES SUR LA PROPOSITION DE LOI
visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif en zone tendue (n° 1176)

PAR M. Inaki Echaniz et Mme Annaïg Le Meur

Députés

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 Voir le numéro : 1176.


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SOMMAIRE

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Pages

Avant-Propos de M. Inaki Echaniz, rapporteur

avant-propos de MME annaÏg le meur, rapporteure

INTRODUCTION

I. La croissance excessive de l’immobilier touristique a eu des incidences nuisibles que n’ont pas permis d’enrayer les rÉgulations adoptÉes À ce jour

A. L’explosion de l’immobilier touristique a suscitÉ une attrition du logement disponible dans les zones tendues

1. L’essor incontestable de l’immobilier de tourisme depuis 2008, particulièrement prononcé dans les zones les plus tendues

a. Les locaux meublés peuvent avoir des effets bénéfiques ciblés

b. Une tension sociale alimentée par une guérilla juridique et contentieuse

2. L’avantage compétitif du local touristique par rapport au logement résulte en partie d’avantages réglementaires

a. L’avantage réglementaire

b. L’avantage fiscal

3. Une attrition résultante de l’offre de logement

4. L’attrition du logement a un impact récessif sur l’économie locale

B. un effort de rÉgulation concentrÉ dans certaines zones et aux effets largement insuffisants

1. Des outils ont été créés, à la main des territoires

a. La déclaration préalable en mairie

b. La réglementation du changement d’usage

c. Le régime de l’enregistrement

i. La déclaration préalable soumise à enregistrement

ii. La faculté des communes de demander des informations aux plateformes

iii. La création de l’interface « API meublés »

iv. La réglementation européenne en cours d’élaboration

v. Les dispositions du projet de loi SREN en cours de navette

d. Le plafonnement du nombre de nuitées en résidence principale

2. Les outils déployés présentent des faiblesses, qui empêchent leur plein effet

3. Les résultats, insuffisants, justifient un nouvel effort législatif

4. De nouveaux outils sont possibles

a. La généralisation de l’enregistrement

b. La mise en place de quotas

c. La mobilisation d’une servitude d’urbanisme

d. Le rééquilibrage ou l’inversion des dispositions fiscales

II. Les dispositions du texte

COMMENTAIRES Des ARTICLES

Article 1er A (nouveau) (article L. 324-1-1 du code du tourisme)  Généralisation du numéro de déclaration des meublés de tourisme

Article 1er (articles L. 631-10 [nouveau] et L. 651-2 du code de la construction et de l’habitation)  Application des obligations de diagnostic de performance énergétique et de décence énergétique aux locaux meublés de tourisme

Article 1er bis (nouveau) (article L. 324-1-1 du code du tourisme)  Faculté de la commune d’abaisser le plafond annuel de jours de mise en location des résidences principales et amendes en cas de fausses déclarations

Article 2 (articles L. 631-7, L. 631-7-1 A, L. 631-9, L. 651-2 et L. 651-2-1 [nouveau] du code de la construction et de l’habitation ; articles L. 151-14-1 [nouveau], L. 153-31, L. 153-45 et L. 4814 [nouveau] du code de l’urbanisme ; article 7 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 ; article L. 4424-11 du code général des collectivités territoriales) Extension du champ d’application du régime de changement d’usage et création de servitudes d’usage d’habitation dans les programmes de logement

Article 3 (articles 50-0 et 151-0 du code général des impôts) Modifications de la fiscalité des locaux meublés de tourisme

Article 4 (nouveau) (article 151 septies du code général des impôts)  Suppression de la double déduction des amortissements dans l’imposition des revenus de la location des meublés

Article 5 (nouveau) (article 9-2 [nouveau] de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965)  Information obligatoire du syndic de copropriété en cas d’autorisation de changement d’usage d’un des lots et point d’ordre du jour

Titre

EXAMEN EN COMMISSION

1. Réunion du mardi 28 novembre 2023 à 16 heures 30

2. Réunion du mardi 28 novembre 2023 à 21 heures 30

Liste des personnes auditionnÉes À Paris

Liste des personnes auditionnÉes À ajaccio

 


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   Avant-Propos
de M. Inaki Echaniz, rapporteur

Le logement, à bien des égards, est devenu un outil d’optimisation fiscale et de rendement permettant une exonération exagérée de l’impôt.

Dans les zones les plus tendues, de nombreux travailleurs ne peuvent plus vivre sur le lieu de leur travail, et des entreprises déménagent par manque de logements pour leurs salariés. Des soignants, des employés territoriaux sont contraints de dormir dans leurs voitures ou au camping en été tandis que l’appartement qu’ils louaient se retrouve au même moment sur un site de location de vacances.

Des locataires, en règle, sont exclus de leurs logements pour que ces derniers soient transformés en meublés de tourisme. Des familles ne sont plus en capacité de vivre dans le lieu où ils ont grandi car la spéculation immobilière a fait exploser les prix et transforme nos villes et villages en résidences de vacances.

Dans des villes universitaires, le manque de logements pour les étudiants est inversement proportionnel à l’augmentation du nombre de meublés de tourisme et 12 % de ces jeunes abandonnent leurs études sans solutions de locations.

Les appels à l’aide des élus locaux se multiplient face au nombre croissant de sollicitations qu’ils reçoivent concernant l’accès au logement. Or, force est de constater que l’État encourage ce déséquilibre délétère, et ainsi la crise du logement, par des avantages fiscaux injustifiés et une absence de réglementation efficace.

Par le biais de cette proposition de loi transpartisane, nous avons tenté d’apporter une réponse à ces problématiques. Du Sud-Ouest à la Bretagne, du littoral à la montagne, des villes aux villages, ce texte porte un objectif commun : encadrer les meublés de tourisme et favoriser le logement permanent. C’est un enjeu de justice sociale, de justice fiscale et de cohésion des territoires.

Car ce phénomène ne touche pas seulement Biarritz ou Saint Malo, Marseille ou Paris mais se propage partout, jusqu’à Bourges, Orléans ou Caen, ce type d’opération est très lucratif. Durant nos auditions, nous avons entendu le cri d’alarme de nombreux élus locaux, de toute tendances politiques et de tous les territoires. Nous devons agir.

Au lendemain du congrès des maires, ce texte entend leur permettre de pouvoir mettre en œuvre une politique du logement juste et équilibrée, au plus près des besoins de leur population et de leur territoire.

Si louer un meublé de tourisme permet un complément de revenu pour certains, il participe surtout à l’augmentation du prix des loyers, l’impossibilité d’acheter pour les ménages de classes moyennes, l’accroissement du mallogement et la précarisation des plus fragiles. En somme, le régime actuel crée beaucoup de perdants et chacun peut comprendre qu’avec un plafond d’abattement fiscal allant jusqu’à 77 700 euros, nous nous trouvons assez loin d’un simple complément de revenus.

Par ailleurs, n’oublions pas que la location longue durée permet, elle aussi, un complément de revenu, et possède des garanties mises en place par le législateur, comme le service gratuit contre les loyers impayés, dit « Visale ».

Cette proposition de loi n’a pas pour visée d’interdire les locations de type « Airbnb », ou de mettre en œuvre une règlementation drastique comme dans certains pays pourtant très libéraux comme récemment à New York, par exemple, mais bien de trouver l’équilibre entre « activité touristique saisonnière » et « vie du territoire le reste de l’année ».

N’oublions pas que le caractère culturel exceptionnel de nos territoires est le fruit de plusieurs générations d’hommes et de femmes qui l’ont façonné et valorisé. Voir les habitants d’une commune s’en aller, c’est voir disparaitre une partie de sa mémoire vivante et de son identité. C’est aussi ces mêmes habitants permanents qui permettent la présence de services publics ou de commerces de proximité aujourd’hui menacés.

Dans certains quartiers, nous constatons pourtant leur évincement par la montée des prix mais aussi par le développement de pratiques illégales. En effet, l’intérêt économique des meublés de tourisme est un terreau qui insécurise gravement les locataires : baux mobilité abusifs visant à générer un double revenu issu de la location saisonnière et longue durée, faux congés pour vente ou pour reprise. À titre d’exemple, 302 procédures pour congés ont été comptabilisées au tribunal de Bayonne, c’est plus qu’à Marseille, Lyon, Toulouse, Nice et Nantes réunis.

Sur une thématique si importante que celle de l’habitat, il est indispensable que des mesures préventives priment sur des mesures curatives. Le logement n’est pas une marchandise comme une autre et ne doit pas être traité comme tel.

C’est avec cette conviction que j’avais porté dès le mois de février, avec mon groupe, une proposition de loi en ce sens. Je me réjouis aujourd’hui que nous puissions travailler ensemble avec ma corapporteure Annaïg Le Meur autour d’un texte commun qui, même s’il ne peut résoudre à lui seul l’ampleur de la crise en cours, est une première initiative pour permettre concrètement et rapidement aux français de se loger.

 


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   avant-propos
de MME annaÏg le meur, rapporteure

Notre pays connaît actuellement une crise du logement sans précédent.

Pour nos concitoyens, la croissance exponentielle du nombre de meublés de tourisme et du poids des plateformes numériques en est probablement le symptôme le plus visible. En quelques années, près d’un million de meublés de tourisme se sont substitués à des logements « classiques » destinés à l’habitat permanant.

Cette réalité n’épargne aucun territoire. Nous la constatons quotidiennement en tant qu’élus. Les zones périphériques, périurbaines et rurales sont désormais autant concernées par ce phénomène que les métropoles, les zones touristiques, littorales, insulaires et de montagne.

Les études et les rapports qui s’accumulent, y compris provenant de la part d’organes gouvernementaux, attestent et étayent ce phénomène d’attrition du logement. J’ai moi-même eu l’occasion de travailler sous cette législature sur deux rapports, dont l’un sur les moyens de faire baisser les prix du logement en zones tendues (hors Île-de-France), qui confirment ce phénomène.

Les 800 000 meublés de tourisme sur le territoire constituent une réserve locative indéniable et se concentrent particulièrement dans les zones qui connaissent des tensions locatives à l’année. En outre, elles créent une tension supplémentaire, qui nuit aux capacités de recrutement de nos entreprises et donc à la dynamique de réindustrialisation en cours.

L’objectif de de ce texte n’est pas d’interdire l’usage des plateformes ni des meublés de tourisme. Nous avons besoin d’avoir une offre de tourisme adaptée et attractive sur l’ensemble de notre territoire, mais celle-ci ne doit pas se faire au détriment d’une offre de location à l’année. Dans ma circonscription, des villages entiers se vident sous le poids des meublés de tourisme et se transforment en villages vacances. Ce n’est pas ma conception du vivre-ensemble.

Les locations de courte durée ont permis de renforcer une offre touristique parfois insuffisante ou inexistante, et continuerons de le faire là où nous en avons le plus besoin. Cependant, la proportion des meublés de tourisme est telle dans certains territoires qu’elle déséquilibre en profondeur nos villes, assèche considérablement l’offre locative résidentielle et modifie durablement les équilibres économiques et sociaux de nos cœurs de villes. Tout est une question d’équilibre.

Les locations de courte durée ne sont pas soumises aux mêmes réglementations environnementales, énergétiques et de sécurité que les locations de longue durée, ce qui engendre un effet d’éviction qu’il convient de corriger d’urgence avant qu’il ne soit trop tard. Les règles doivent être les mêmes pour tous.

Avec ce texte, nous proposons plusieurs dispositions dans une optique de décentralisation concrète : la majorité des instruments proposés reposent sur une mise en œuvre à la main des élus locaux, qui sont les mieux placés pour connaître les difficultés de logement propres à leurs territoires. C’est notamment le sens de la « boîte à outils » que nous mettons à disposition dans l’article 2 avec différents dispositifs renforcés pour agir au plus près du terrain.

Je me réjouis que ces dispositions aient été nettement musclées et enrichies lors de l’examen du texte par la commission des affaires économiques.

Au-delà de ces aspects, ce texte traite également de la fiscalité spécifique des meublés de tourisme, dont les dispositions ont pendant trop longtemps laissé survivre des abattements avantageux qui s’ajoutent au profil de rentabilité déjà élevé du marché touristique.

C’est pourquoi nous proposons de rééquilibrer la fiscalité de location touristique pour aboutir à une solution de compromis et d’équilibre budgétaire. La mission sur la refonte de la fiscalité locative que la Première ministre m’a confiée, avec ma collègue Marina Ferrari, « pour favoriser les locations de longue durée », rendra ses conclusions au cours de la navette parlementaire et permettra, si besoin, d’affiner la proposition retenue en proposant éventuellement un dispositif complémentaire pour favoriser la location de longue durée.

Car je ne sais pas expliquer à nos concitoyens, aux travailleurs et aux étudiants, que nous continuons à encourager les locations de courte durée alors qu’ils n’arrivent plus à se loger.

Je ne sais pas non plus expliquer aux entreprises, dont plus d’un quart rencontrent des difficultés de recrutement liées au manque de logement, que nous préférons favoriser l’économie saisonnière à l’économie productive, au risque de sacrifier l’élan de réindustrialisation voulu par notre majorité.

Enfin, je ne sais pas expliquer aux élus locaux qui nous alertent depuis des mois, voire des années, que nous ne sommes pas en capacité de mobiliser, au niveau national, le levier fiscal pour répondre à leurs attentes.

Je sais en revanche expliquer au Gouvernement, à mes collègues et à nos concitoyens, que le temps est enfin venu de rééquilibrer le marché locatif en faveur de la longue durée.

 


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   INTRODUCTION

I.   La croissance excessive de l’immobilier touristique a eu des incidences nuisibles que n’ont pas permis d’enrayer les rÉgulations adoptÉes À ce jour

Face aux carences en logement suscitées notamment par l’essor de la transformation d’une partie du parc en biens à vocation touristique, l’État et les collectivités les plus affectées ont pris des mesures de régulation qui n’ont toutefois pas permis d’inverser les tendances constatées.

A.   L’explosion de l’immobilier touristique a suscitÉ une attrition du logement disponible dans les zones tendues

Le pays se trouve actuellement dans une situation critique en matière de logement, avec un problème récurrent de carence de l’offre face à une demande dynamique, qui résulte notamment du développement de l’immobilier de tourisme, et pèse à son tour sur l’économie des territoires affectés.

1.   L’essor incontestable de l’immobilier de tourisme depuis 2008, particulièrement prononcé dans les zones les plus tendues

Apparu dans la deuxième moitié de la décennie 2000, le marché des hébergements saisonniers proposés par des particuliers via des plateformes n’a cessé de se développer et de se structurer, pour devenir un acteur incontournable du secteur de l’hébergement touristique. Actuellement, près de 20 % des nuitées saisonnières réalisées en France le sont dans un meublé de tourisme mis à la location par un particulier. L’évolution rapide de ces nouveaux modes d’hébergement peut s’expliquer, selon la direction générale des entreprises (DGE) dans une note sur ce sujet, par des changements dans les comportements touristiques et de nouvelles attentes des clients, en quête d’un voyage plus autonome et indépendant ([1]).

Les évolutions des technologies numériques dans les années 2000 ont permis la montée en puissance de nouveaux acteurs de l’offre saisonnière. Ces années ont vu naître une multitude de plateformes proposant aux particuliers et aux professionnels de réserver en ligne les différentes composantes de leur voyage, en particulier l’hébergement. Les plateformes de location saisonnière entre particuliers sont devenues des acteurs majeurs du marché français de la location saisonnière, désormais dominé par un petit nombre d’entreprises : Airbnb, Leboncoin, Booking, Tripadvisor et Expedia Group. Pour la plupart, ces plateformes étaient initialement ancrées dans l’ « économie collaborative », et certaines études parlent encore, de ce fait, du secteur collaboratif ou non marchand, par opposition au secteur touristique traditionnel, professionnel ou marchand.

Selon la note de la DGE citée plus haut, qui est basée sur les données du tableau de bord de la plateforme InsideAirbnb, Airbnb est la principale plateforme de locations saisonnières en France, avec plus de 600 000 annonces à son actif, dont près de 60 000 annonces pour le seul marché parisien (voir illustration), ce qui la classe très nettement devant Abritel et Cybevasion, éditeur du comparateur gite.fr, qui rassemblent environ 130 000 annonces chacun.

Prenant acte de cet essor, le pouvoir réglementaire a défini pour la première fois les meublés de tourisme en 2006. Selon le code du tourisme, « les meublés de tourisme sont des villas, appartements, ou studios meublés, à l’usage exclusif du locataire, offerts à la location à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile et qui y effectue un séjour caractérisé par une location à la journée, à la semaine ou au mois » ([2]). Ces locations dites de « courte durée » (LCD) sont à distinguer des locations de longue durée (LLD), conclues avec une finalité résidentielle, et qui relèvent le plus souvent du régime du bail locatif défini par la loi du 6 juillet 1989. Ne sont donc pas considérés comme des meublés de tourisme les logements faisant l’objet d’un bail d’habitation, même si celui-ci est un bail meublé ou un bail mobilité. Ne rentrent pas non plus dans cette définition les chambres chez l’habitant, qui ne sont pas à la disposition exclusive du locataire. Les meublés de tourisme se distinguent également des hôtels, des résidences de tourisme et des chambres d’hôtes, en ce qu’ils ne comportent ni accueil, ni hall de réception, ni services et équipements communs.

Bien que l’Union nationale pour la promotion et le développement de la location de vacances (UNPLV) ([3]), qui représente le secteur, ait fait valoir lors de son audition par vos rapporteurs que de tels dispositifs ont toujours existé, rapprochant notamment les meublés touristiques d’aujourd’hui des hôtels garnis du XXe siècle, un consensus existe sur leur explosion quantitative au cours des deux dernières décennies. Du reste, l’analogie avec les garnis, aussi appelés hôtels meublés ou hôtel préfecture, n’est pas probante : ces hôtels, qui n’assuraient pas de services ou de prestations, se caractérisaient par une location au mois, et les chambres étaient souvent occupées à demeure, pendant plusieurs mois, voire années, par des personnes y ayant leur domicile effectif.

 

marchÉ parisien des locations Airbnb en novembre 2023 (inside airbnb)

Source : Inside Airbnb pour Paris, consulté le 25 novembre 2023.

L’Insee, qui compte les logements de tourisme proposés par des particuliers à travers les principales plateformes, a ainsi noté, à titre d’illustration, une croissance de fréquentation, en nuits x logements, de 25 % en 2016, de 19 % en 2017 et de 15 % en 2018 ([4]). En 2018, les hébergements touristiques proposés par des particuliers via des plateformes internet représentaient 14 % de la fréquentation des hébergements touristiques marchands en matière de logements mesurée en nuits x logements. En 2015, ils n’en représentaient que 9 %.

Les statistiques expérimentales sur les hébergements de courte durée proposées par Eurostat permettent d’étayer ce constat en mesurant le nombre de nuitées enregistrées sur ces plateformes : en 2019, ce sont 109 millions de nuitées qui ont été enregistrées en France, soit un cinquième du nombre total de nuitées enregistrées dans l’Union européenne (554 millions de nuitées) ([5]) et l’équivalent, en ordre de grandeur, de 25 % des nuitées enregistrées au total en France en hébergement collectif touristique au cours de la même année (442 millions de nuitées) ([6]), représentant donc un cinquième du total de nuitées enregistrées en cumulant les secteurs « professionnel » et « collaboratif ». La cartographie des nuitées enregistrées dans les meublés de tourisme donne à voir l’ampleur de ce phénomène, notamment dans les départements littoraux et de montagne (voir carte).

nuitÉes passÉes dans les hÉbergements de courte durÉe proposÉs par des particuliers via des plateformes en ligne en 2019, par dÉpartement

Source : données Eurostat, cartographie direction générale des entreprises.

Les dynamiques locales continuent d’être très importantes. À Ajaccio, où vos rapporteurs se sont rendus 2 787 annonces actives ont été recensées en 2022 sur les plateformes locatives, soit une augmentation de 18 % par rapport à 2021 ([7]). M. Jean-René Etchegaray, maire de Bayonne et président de la communauté d’agglomération du Pays basque, auditionné par vos rapporteurs, a rapporté une évolution du nombre de meublés de tourisme entre 2016 et 2020 de + 160 %. M. Patrick Amico, adjoint au maire de Marseille, a mentionné un taux de 10 % de meublés de tourisme dans le parc résidentiel du deuxième arrondissement. Dans le quartier du Panier, M. Anthony Krehmeier, maire des deuxième et troisième arrondissements, a confirmé que ce taux peut s’élever à 30 % ou 40 % du parc.

Comme le note la DGE, les plateformes de location saisonnière ont des modèles de rémunération variés, regroupant généralement le prélèvement d’une commission sur les réservations ou « frais de service », souvent compris entre 5 à 20 % du prix hors taxe de la nuitée, selon les opérateurs.

Selon ADN Tourisme, qui publie annuellement un état des lieux du parc de meublés de tourisme classés, 186 000 meublés classés étaient comptabilisés au 31 décembre 2022, ce qui constitue une progression de 11 % sur une année. Ces unités, avec une capacité moyenne de 4,9 personnes par meublé, représentent 910 400 lits ([8]). Les départements les plus concernés sont, selon ADN Tourisme, deux départements de montagne : la Savoie, avec 16 500 unités, et la Haute-Savoie, avec 11 400 unités. Suivent trois départements littoraux : le Var, avec 9 300 unités, la Charente-Maritime, avec 8 200 unités, et les Landes, avec 7 300 unités.

Les meublés de tourisme classés

Afin d’offrir à la clientèle un certain nombre de garanties en matière d’accueil et de confort, il est possible de demander le classement de son meublé de tourisme, procédure qui résulte de l’article L. 324-1 du code du tourisme.

Le classement n’est pas obligatoire. Il s’agit d’un label de qualité, allant de 1 à 5 étoiles, avec une validité de cinq ans, période à l’issue de laquelle le loueur doit effectuer une nouvelle demande de classement s’il souhaite que son hébergement continue de bénéficier d’un classement. La décision de classement relève d’un organisme homologué auprès du ministère chargé du tourisme. Pour la visite de son logement, le loueur du meublé (ou son mandataire) s’adresse à l’organisme de son choix parmi ceux figurant sur la liste des organismes accrédités ou agréés.

Dans le mois suivant la visite du meublé, l’organisme transmet au loueur (ou à son mandataire) un certificat de visite comportant trois documents dont les modèles sont fixés par un arrêté du 8 mai 2012 :

– le rapport de contrôle ;

– la grille de contrôle dûment remplie par l’organisme évaluateur ;

– une proposition de décision de classement.

Le loueur (ou son mandataire) dispose d’un délai de quinze jours pour refuser la proposition de classement. Passé ce délai, le classement est acquis.

Les décisions de classement sont transmises par les organismes chargés des visites de contrôle à l’organisme départemental du tourisme concerné, qui met à disposition et tient à jour la liste des meublés classés dans le département.

La grille de classement contient 133 critères répartis en trois grands chapitres : équipements, services au client, accessibilité et développement durable.

L’agence de développement touristique de la France dénommée « Atout France » publie chaque année un recensement des meublés classés.

Les données d’Eurostat permettent de constater que l’essor de ces plateformes, au niveau européen et notamment en France (voir carte), se poursuit même depuis la crise sanitaire de 2020. La plupart des pays d’Europe sont en effet confrontés à ce phénomène. Au Royaume-Uni, en 2020, les meublés de tourisme constituaient, dans certaines zones, jusqu’au quart du parc résidentiel ([9]).

nuitÉes enregistrÉes dans un meublÉ de tourisme AIRBNB, BOOKING,
EXPEDIA, ou TRIPADVISOR : Évolution par rÉgion entre 2019 et 2022

Source : Eurostat, données expérimentales sur les séjours de courte durée via des plateformes numériques collaboratives (pour les régions de niveau NUTS-2, soit les anciennes régions pour le cas de la France), juin 2023.

Le recensement d’ADN Tourisme ne concernant que les seuls meublés classés, les données concernant l’ensemble du parc des meublés de tourisme sont peu disponibles. Une réponse écrite de la ministre chargée du tourisme à une question du Sénat fait état d’une estimation de plus de 800 000 meublés de tourisme, sans étayer les sources de cette estimation ([10]). En réponse à vos rapporteurs, le ministère a partagé les éléments suivants sur ce qui a guidé cette estimation (cf. encadré).

Fondements de l’estimation de 800 000 meublés de tourisme

Estimation des acteurs :

– UNPLV: 700 000 meublés en France en 2019 (évolution du marché depuis).

– Géoconfluences ENS Lyon, via du moissonage de données, établit le chiffre de 600 000 pour la seule plateforme Airbnb (données moisonnées, donc fiables).

Estimation historique DGE (utilisation de proxy) :

Il existe près de 3,33 millions de résidences secondaires en France. En faisant l’hypothèse que seule 1 résidence secondaire sur 4 fait l’objet de location saisonnière, on estime le nombre de meublés à près de 740 000 à l’échelle nationale.

Données expérimentales (proxy, part de marché Airbnb) :

Des données (expérimentales) produites par Eurostat renseignent sur le volume de nuitées réalisées dans un meublé mis à la location sur chacune des quatre plateformes dominantes (Airbnb, Expedia, Booking, Tripadvisor) et donc sur la part de marché de Airbnb, près de 80 % en moyenne. Cette part de marché est combinée avec les données de moissonage Airbnb. Via cette méthode, le nombre de meublés en France s’élève à :

Nombre meublés Airbnb x [1-PdM Airbnb] + Nombre de meublés Airbnb = 600 000 x [0,20] + 600 000 = 720 000.

Enfin, on compte près de 190 000 meublés classés (source ADN tourisme), dont une partie n’est pas mis à la location sur les sites type Airbnb.(hypothèse raisonnable: la moitié des meublés classés ne sont pas mis à la location sur les sites de réservation type Airbnb, soit 95 000).

Ainsi, ces quelques méthodes d’estimation (acteurs du secteur, utilisation de proxy, données expérimentales, combinaison avec meublés classés) évaluent le marché à près de 800 000 meublés.

Source : ministère chargé du tourisme.

rÉpartition des meublÉs de tourisme classÉs par dÉpartement en 2022

Source : données plateforme CLASS, cartographie ADN Tourisme.

Les acteurs auditionnés ont tous souligné l’ampleur du phénomène. France urbaine, par exemple, en insistant sur le caractère massif de l’essor de cette classe d’actifs, a rapporté une rapide augmentation du nombre de ses adhérents concernés au fil des années, cette thématique impliquant aujourd’hui des territoires qui n’y auraient pas pensé il y a quelques années. Il s’agit donc non seulement d’une augmentation au sein des communes historiquement touristiques, mais aussi d’une croissance du nombre de communes concernées. À Bourges, qui a enregistré 500 nouveaux meublés de tourisme en un semestre, occasionnant un déséquilibre locatif sur son centre-ville, à Saint-Nazaire, à Saint-Ouen, à Caen, à Rennes, les élus interpellent désormais régulièrement l’association sur les « vagues de meublés qui déferlent dans les territoires ».

a.   Les locaux meublés peuvent avoir des effets bénéfiques ciblés

Vos rapporteurs ne contestent pas que certaines locations meublées de courte durée puissent avoir un sens, notamment quand elles concernent des résidences principales. De façon générale, et contrairement aux caricatures, les personnes auditionnées ont tenu des propos mesurés. France urbaine a ainsi rappelé que les territoires concernés vivent des situations contrastées : bien qu’un grand nombre de territoires souffrent de situations excessives, certaines villes peuvent se satisfaire d’un développement de l’offre d’immobilier touristique, tant que celle-ci reste modérée, puisqu’elle permet d’amener une nouvelle clientèle, plus jeune et qui passe uniquement par ces plateformes.

L’UNPLV, quant à elle, fait valoir les retombées économiques positives pour les territoires, en soulignant notamment que la création d’une offre de meublés touristiques permet d’élargir la saison d’usage pour les résidences secondaires, notamment « en aile de saison », ce qui peut emporter des impacts économiques bénéfiques pour le tissu commercial local.

Mme Pascale Bicchieray, secrétaire générale adjointe de l’Umih de Corse, a insisté sur le rôle crucial joué par les plateformes dans la redynamisation des campagnes, du fait de la meilleure agilité de l’offre d’immobilier touristique par rapport à l’offre hôtelière traditionnelle, dans la mesure où, hors-saison, l’ouverture d’une offre de locaux touristiques peut avoir un sens tandis que l’hôtel n’est pas rentable.

Comme l’avait observé la mission d’information sur les coûts du logement en zone tendue, dont votre rapporteure était co-rapporteure, l’arrivée de ces acteurs sur les marchés locaux du logement a également été de pair avec un enrichissement de l’offre d’hébergement touristique, une montée en gamme de la qualité des hébergements proposés et, enfin, une collecte de la taxe de séjour assurée dans des conditions de transparence plus grande favorisant, en un sens, une attrition du marché de la location touristique parallèle. Plusieurs acteurs ont soulevé à cet égard le risque de favoriser à nouveau l’émergence d’une offre moins régulée, pointant notamment l’émergence d’un phénomène, encore réduit, de mise sur le marché irrégulier, « au noir », via des plateformes moins réglementées que les majors.

L’effet concurrentiel de l’arrivée des plateformes sur le secteur touristique traditionnel est, selon un rapport d’information de la commission des affaires économiques du Sénat réalisé à ce sujet en 2018, « peu documenté », la direction générale des entreprises ayant estimé à entre 2 et 3 % le transfert de clientèle en faveur du secteur dit « non marchand » ([11]). La Confédération des acteurs du tourisme (CAT) a insisté sur l’importance, pour l’attractivité d’un territoire touristique, d’assurer une « offre importante dans sa quantité, sa qualité et sa diversité ». Elle conclut donc à l’importance, pour certains territoires, de préserver l’offre existante de meublés touristiques, tout en s’assurant de sa qualité.

Dans le même sens, DSF a souligné que, dans les stations de sports d’hiver, 50 % des hébergements sont des « lits froids », fermés la plupart de l’année, et qu’il est nécessaire d’inciter les propriétaires à aller vers une mise en marché du bien.

Lors des auditions menées sur ce sujet dans le cadre des travaux de la mission, avec des élus locaux notamment, il est apparu que ces acteurs jouent un rôle important en matière d’attractivité touristique pour certains territoires, en plus d’offrir des solutions complémentaires à l’hébergement classique.

L’un des arguments les plus régulièrement mis en avant, notamment par les parties prenantes du secteur, consiste à voir dans la location, entre particuliers, de logements de courte durée via des plateformes électroniques, un gain de pouvoir d’achat, qui pourrait s’apparenter par exemple à une forme de « treizième mois ». Selon le président de l’UNPLV, une telle rentabilisation de la résidence principale par le « partage » est un facteur, devenu important pour les ménages, dans une période inflationniste, d’amélioration des conditions de vie. D’après les calculs du cabinet d’études Asterès, mandaté par Airbnb pour estimer les gains de pouvoir d’achat des loueurs de meublés, dits « hôtes », ceux-ci ont dégagé un revenu médian de 3 916 euros brut en 2022, soit 3 086 euros après impôts et prélèvements sociaux ([12]), une augmentation moyenne de 6 % du pouvoir d’achat.

b.   Une tension sociale alimentée par une guérilla juridique et contentieuse

Les élus interrogés évoquent tous une tension croissante sur ces sujets dans les territoires. Les populations qui ont de moins en moins la possibilité d’accéder au logement – étudiants, personnes âgées, personnes sans emploi ou en contrat précaire, familles monoparentales – ressentent de plus en plus vivement l’attrition du logement sous la pression de l’offre touristique. Comme l’a remarqué le président de la CAT, le sujet du taux d’acceptabilité de l’activité touristique sur un territoire devient plus prégnant à mesure que la crise du logement se creuse et attise un ressentiment des populations à l’égard des touristes.

Les tensions sociales sont récurrentes sur ce sujet. Comme l’a fait remarquer M. Anthony Krehmeier, maire des deuxième et troisième arrondissements de Marseille, le phénomène engendre des nuisances, notamment sonores, qui gênent les travailleurs qui doivent se lever tôt, notamment dans les quartiers populaires. Il modifie l’offre commerciale : cordonniers, pressings, boulangers, sont remplacés par des boutiques de souvenirs. Une confrontation larvée peut s’installer entre habitants et touristes, alimentée aussi par la coexistence, côte à côte, de l’habitat indigne et des meublés de tourisme. De nombreux élus décrivent des velléités croissantes de la part d’organisations locales en vue de « squatter les Airbnb » ou encore de « casser les boîtes à clefs ».

France urbaine décrit ainsi une « ambiance de tension, de pression, d’agression sur les élus, de chantage, de guérilla juridique », en particulier en ce qui concerne le régime du changement d’usage et les contentieux autour des mesures de compensation de la transformation d’un logement en local de tourisme. C’est un phénomène qui « oblige les collectivités à s’équiper en observatoire et en personnel pour essayer de réguler et de contrôler le phénomène ». L’association insiste encore sur une situation, qui va en s’aggravant, où « les particuliers, les professionnels du tourisme, les restaurateurs ont de grandes difficultés à loger leurs salariés : face à eux, des associations d’hôtes, outillées juridiquement par les plateformes ».

2.   L’avantage compétitif du local touristique par rapport au logement résulte en partie d’avantages réglementaires

L’essor de la mise en location pour des courtes durées des biens à vocation de logement peut s’expliquer en partie par des facteurs de marché, qui dotent ce secteur doté d’avantages compétitifs par rapport au secteur de la location résidentielle de longue durée :

– un avantage d’ordre financier, lié à la rentabilité locative brute de l’activité d’hébergement de courte durée, qui est généralement nettement plus élevée que celle du logement de longue durée ;

– des avantages en termes de sécurisation des transactions, notamment le système de facturation préalable, qui prémunit le loueur contre le défaut de paiement, aléa très présent sur le marché locatif sous la forme de l’impayé de loyer, et celui de la cotation des demandeurs, qui permet de se prémunir, en principe, contre les dégradations locatives.

Toutefois, au-delà de ces avantages de marché, le secteur jouit également d’avantages qui sont moins liés à son propre modèle ou à sa propre performance mais résultent plutôt de dispositions réglementaires ou législatives.

a.   L’avantage réglementaire

Depuis l’adoption de la loi Climat et résilience en 2021 ([13]), l’ensemble du parc locatif est concerné par un calendrier de rénovation énergétique obligatoire des logements, qui organise l’interdiction successive à la location, respectivement aux 1er janvier 2023, 2025, 2028 et 2034, des logements des classes énergétique G +, G, F et E (voir commentaire de l’article 2). Ces interdictions font peser sur les propriétaires bailleurs, particulièrement ceux dont les biens sont des « passoires énergétiques » au sens de la loi, une obligation de rénovation rapide des biens, dans un contexte également marqué par l’inflation, la hausse des coûts des matériaux de construction, et une demande croissante de travaux de rénovation qui occasionne une hausse de leur coût.

Face à ce défi, et prenant en compte le gel des loyers des « passoires énergétiques » depuis le 22 août 2022 en application de la même loi, de nombreux propriétaires peuvent se trouver tentés de retirer leur bien du marché locatif résidentiel pour le positionner plutôt, via une plateforme, sur le marché de la location de courte durée, sur lequel les obligations ne s’appliquent pas. Cette distinction a été retenue par le législateur en 2021, celui-ci ayant alors estimé que le poids de la facture énergétique ne repose pas sur l’occupant du meublé de tourisme de la même façon que sur le locataire d’un logement.

Or il s’avère aujourd’hui que le risque de déport d’une partie du marché locatif vers la location touristique de courte durée est très réel et ne fait que s’accentuer à mesure que les premières interdictions massives de louer s’approchent – celle qui s’applique déjà, adoptée dans la loi Énergie-climat ([14]) concernant les logements qui consomme plus de 450 kwh.m².an, ne touche qu’un nombre relativement faible de logements.

b.   L’avantage fiscal

Le développement des hébergements touristiques procède notamment d’un cadre fiscal avantageux défini par la loi. La fiscalité locative repose sur une dichotomie entre le régime foncier applicable à la location nue et le régime des bénéfices industriels et commerciaux (BIC), applicable à la location meublée. Les locations de meublés de tourisme peuvent être soumises au régime spécifique dit du « micro-BIC », régi par l’article 50-0 du code général des impôts.

Le régime du micro-BIC comprend une valorisation fiscale majeure, ouvrant droit à un abattement fiscal de 50 % des revenus annuels tirés de la location de locaux meublés non classés, dont le plafond est fixé à 77 700 euros. S’agissant des meublés de tourisme classés au titre du code du tourisme (voir supra), ils bénéficient d’un abattement de 71 % et d’un plafond de 188 700 euros de recettes tirées de la location des biens. Il est donc particulièrement avantageux pour le propriétaire de classer son meublé afin de bénéficier d’un abattement supérieur, d’autant plus que le classement est relativement peu contraignant pour les propriétaires.

Il faut comparer ce régime avec celui de la location de logements nus, qui relève du régime foncier, et accorde un avantage fiscal moindre. Si les revenus locatifs annuels sont supérieurs à 15 000 euros, le régime réel s’applique : celui-ci permet de déduire des revenus fonciers les charges et les frais liés au bien. Si les revenus locatifs annuels sont inférieurs à 15 000 euros, le régime micro (dit aussi régime forfaitaire) s’applique et permet un abattement fiscal de 30 % des revenus.

Les propriétaires sont donc incités à mettre leur logement en location meublée, plutôt qu’en location nue, afin de bénéficier d’un abattement fiscal plus élevé, et donc de maximiser leurs revenus. La rentabilité après impôt de la location meublée est ainsi généralement supérieure à celle de la location nue d’un même bien. Selon une simulation de rendement locatif réalisée par l’inspection générale des finances et le conseil général de l’environnement et du développement durable en 2016, en régime réel, l’écart de taux de rentabilité interne au profit de la location meublée était compris en 0,6 et 2,1 points de pourcentage ([15]).

En outre, les seuils du régime micro-BIC applicables aux locations meublées ont fait l’objet de revalorisations fréquentes, renforçant l’attractivité fiscale de ce régime. La loi de finances pour 2018 portait notamment un doublement des seuils du régime micro-BIC, passant de 82 800 euros à 170 000 euros pour les locations meublées classées, et de 33 200 euros à 70 000 euros pour les locations meublées non classées.

Certaines personnes auditionnées attirent l’attention sur les risques d’une baisse trop forte des abattements sur les meublés, en particulier classés : ainsi, selon l’Unem, la baisse de l’incitation à faire classer ses meublés amènerait une baisse du nombre de classés, et donc à un risque de perte du classement de station de tourisme de montagne, qui engendrerait la perte des recettes fiscales associées et de la possibilité d’ouvrir un office du tourisme, entre autres effets négatifs. Domaines skiables de France a estimé que le taux différencié se justifiait initialement, à sa création, par une surcharge de fonctionnement occasionnée par le caractère saisonnier de l’activité et les conditions spécifiques des stations de ski, et était destiné à des stations de vacances balnéaires ou de montagne, les plateformes ayant ensuite « surfé sur cette possibilité pour une ouverture à tout le territoire ».

Le classement des communes touristiques

Les premières stations classées de tourisme sont apparues dès 1912 et correspondaient à l’émergence du développement touristique dans des villes d’eaux. La loi du 24 septembre 1919 a donné un cadre juridique à la station classée et a défini six catégories possibles de commune en station classée balnéaire, hydrominérale (thermale), climatique, uvale (pour les cures à base de raisin), de tourisme ou de sports d’hiver et d’alpinisme. Après plusieurs rapports en ce sens, la loi n° 2006-437 du 14 avril 2006 portant diverses dispositions relatives au tourisme a réformé les textes relatifs à la procédure de classement en station classée de tourisme. Le dispositif mis en place repose sur deux échelons de qualité :

– la « commune touristique » ([16]) est l’échelon de base, qui reconnaît le caractère touristique de la commune ; elle est attribuée par arrêté préfectoral pour une durée de cinq ans aux communes qui « mettent en oeuvre une politique du tourisme et qui offrent des capacités d’hébergement pour l’accueil d’une population non résidente » ainsi qu’à celles qui perçoivent la dotation particulière, au titre de la part forfaitaire de la dotation globale de fonctionnement (DGF), prévue au deuxième alinéa du II de l’article L. 2334-7 du code général des collectivités territoriales ;

– la « station classée de tourisme » ([17]) traduit la reconnaissance par l’État des efforts accomplis par les communes concernées pour structurer une offre touristique d’excellence. Elle est attribuée pour une durée de douze ans aux communes ayant préalablement obtenu la dénomination de commune touristique, à condition qu’elles « mettent en oeuvre une politique active d’accueil, d’information et de promotion touristiques tendant, d’une part, à assurer la fréquentation plurisaisonnière de leurs territoires, d’autre part, à mettre en valeur leurs ressources naturelles, patrimoniales ou celles qu’elles mobilisent en matière de créations et d’animations culturelles et d’activités physiques et sportives ». Les stations classées bénéficient de majoration d’indemnités de fonction pour les élus locaux.

Après une dizaine d’années de mise en application et l’extinction des anciens classements au 1er janvier 2018, le Conseil interministériel du tourisme du 19 juillet 2018 a décidé de procéder à une refonte des critères de classement en station de tourisme et de simplifier la procédure administrative. L’objectif de cette réforme est d’une part de rationaliser les critères de classement, en les simplifiant et en supprimant les moins pertinents, et d’autre part en prenant davantage en compte les besoins et les attentes des touristes, notamment en matière d’accès au numérique et à des services de proximité. La nouvelle grille de critères est ainsi fixée par l’arrêté du 16 avril 2019, entré en vigueur le 1er juillet 2019 et le décret du 27 avril 2020 a déconcentré la procédure qui est désormais entièrement du ressort des préfets de département.

Source : direction générale des entreprises, « Guide méthodologique des procédures relatives aux communes touristiques et aux stations classées de tourisme », septembre 2020.

Interrogée, la direction de la législation fiscale (DLF) a reconnu la « vétusté » des règles fiscales en matière de location touristique, et plus largement de location, qui a justifié que le Gouvernement confie le 16 novembre une mission sur le sujet à votre rapporteure Annaïg Le Meur et à la députée Marine Ferrari.

Le régime des loueurs en meublé, une « incongruité fiscale » dès 2008

Le régime des loueurs en meublé présente plusieurs spécificités dont la légitimité paraît d’autant plus fragile qu’aucune contrepartie n’est exigée des contribuables en bénéficiant.

Le dispositif est, en effet, ouvert non seulement à des logements neufs mais aussi à des logements anciens et, en tout état de cause, sans aucune condition quant aux modalités de la location. Le seul critère conditionnant le bénéfice du régime est, en effet, la présence de meubles dans le logement, présence dont on peine à voir pourquoi les pouvoirs publics l’encouragent. En particulier, on peut se demander pourquoi un logement ancien loué meublé aux conditions du marché peut, sans aucune condition, être intégralement amorti lorsque l’amortissement d’un logement loué nu constitue un avantage fiscal qui n’est ouvert que dans certains régimes spéciaux contraignants pour les propriétaires (…).

L’ensemble des avantages du régime des loueurs professionnels en meublé mérite donc d’être remis à plat. C’est manifestement le cas s’agissant des conditions particulières dans lesquelles cette activité peut être considérée comme professionnelle. Les deux critères imposés, l’inscription au registre du commerce et des sociétés, d’une part, et un montant annuel de recettes supérieur à 23 000 euros ou à 50 % du revenu total, d’autre part, ne garantissent en effet nullement la réalité de l’activité professionnelle et permettent au contraire à un pur investisseur d’être considéré comme un professionnel (…).

On ne peut dès lors que se demander si la vraie difficulté n’est pas plutôt, en amont, dans la soumission au régime des activités commerciales d’une activité qui est, en réalité, bien souvent, de nature foncière. Il convient donc de distinguer dans les activités de location en meublé celles d’entre elles qui présentent un certain caractère commercial (exploitation de chambres d’hôte, par exemple) et qui pourraient conserver le bénéfice du régime des bénéfices industriels et commerciaux des autres dont les revenus ont vocation à être imposés selon les modalités de droit commun applicables aux revenus fonciers.

Par ailleurs, même pour des locations présentant un caractère commercial marqué, le bénéfice de l’abattement prévu par le régime micro-BIC n’apparaît pas justifié et il conviendrait de prévoir l’application d’un abattement au même taux que celui prévu par le régime micro-foncier (soit 30 %).

Proposition n° 9 : Normaliser le régime des loueurs en meublé professionnels

9.1/ Réserver le bénéfice du dispositif aux revenus locatifs présentant un réel caractère commercial (exploitation de chambres d’hôte, par exemple) ou, éventuellement, un intérêt général particulier (notamment les résidences avec services dont le développement est prioritaire) ;

9.2/ Appliquer, dans les autres cas, le droit commun des revenus fonciers ;

9.3/ Ramener à 30 % le taux de l’abattement applicable dans le cadre du régime micro aux revenus locatifs imposés dans la catégorie des revenus industriels et commerciaux.

Source : Didier Migaud, Gilles Carrez, Jean-Pierre Brard, Jérôme Cahuzac, Charles de Courson, Gaël Yanno, rapport d’information sur les niches fiscales, juin 2008.

 

Les interrogations sur le régime très avantageux du meublé, et en particulier des meublés de tourisme, ne sont pas nouvelles. Un rapport parlementaire de Didier Migaud, président de la commission des finances et de Gilles Carrez, rapporteur général du budget, s’interrogeait dès 2008 sur la légitimité des disparités fiscales en la matière (voir encadré à la page suivante). La Fondation Abbé Pierre a considéré pour sa part que le statut fiscal des locaux de tourisme constitue « le nerf de la guerre » et que son traitement serait de nature à ralentir la croissance du parc d’hébergements touristiques. Toutefois, elle a insisté, comme d’autres personnes auditionnées, sur l’importance de s’attaquer au régime réel et non seulement au micro-BIC. Le Collectif national des habitants permanents (CNHP) a abondé dans ce sens, estimant qu’il y aurait un réel risque de déport des investisseurs sur le régime réel dans le cas où la loi ne modifierait que le régime micro-BIC.

3.   Une attrition résultante de l’offre de logement

L’intensification de l’activité de meublés de tourisme contribue, de l’avis de l’ensemble des observateurs du marché, à l’augmentation des prix de la location et de l’achat dans les zones tendues et génère des externalités négatives, notamment en termes de raréfaction de l’offre résidentielle, d’augmentation des loyers, de nuisances sonores, de congestion des services publics locaux, de dévitalisation des centres-villes, et de gentrification.

La Fondation Abbé Pierre (FAP) et la Fédération européenne des associations nationales travaillant avec les sans-abri (Feantsa) ont publié conjointement une étude à ce sujet en 2020 ([18]), sur la base de données fournies par InsideAirbnb et co-analysées avec The Guardian. À l’aide de plusieurs études empiriques réalisées dans des villes européennes dont Lisbonne, Madrid, Paris, Varsovie, Barcelone et Berlin, le rapport constate que « l’idée initiale du modèle de plateforme de location à court terme est basée sur le lien entre touristes et propriétaires privés locaux, qui loueraient de façon occasionnelle une chambre d’amis. La réalité est pourtant bien différente, et le développement du phénomène s’est accompagné d’une  professionnalisation ” des hôtes : une part importante des annonces concerne des logements entiers, et non plus une chambre chez l’habitant. Par ailleurs, plusieurs études universitaires et enquêtes d’investigations montrent qu’une part significative d’annonceurs ne sont pas des propriétaires individuels mais des entreprises possédant plusieurs biens ».

Cette professionnalisation des loueurs, notée dans de nombreuses études sur la plupart des grandes villes, suscite concrètement la transformation de logements en meublés touristiques. Dès lors, plusieurs études font le lien entre la transformation de logements à destination de location longue durée (LLD) en locations de courte durée (LCD), d’une part, et la diminution des logements disponibles pour les habitants. C’est le cas, par exemple, à Barcelone, où une étude établit la relation entre l’augmentation du nombre d’hébergements touristiques et la baisse du nombre de résidents permanents ([19]).

Face à ce problème d’offre, on serait naturellement tenté de proposer la création d’offre supplémentaire. Mais, dans un contexte marqué à la fois par la raréfaction foncière – particulièrement importante dans les communes littorales et de montagne du fait des sujétions spécifiques auxquelles elles sont soumises – et par la limitation normative croissante, à des fins écologiques, de la construction neuve, il n’est plus possible pour les marchés immobiliers locaux de s’équilibrer par les quantités de l’offre. La commission des affaires économiques, compétentes en matière de législation foncière et de lutte contre l’artificialisation des sols, a eu l’occasion de réaffirmer, dans la loi du 21 juillet 2023 visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols, son attachement à une meilleure régulation des usages fonciers à l’avenir. Dès lors, la conversion des locaux résidentiels en locaux touristiques entraîne une attrition irrémédiable de l’offre résidentielle, non compensée par de la production nouvelle, ce qui se traduit par une augmentation, parfois très sensible, des prix de marché de la location.

Dans les zones tendues concernées par la présente proposition de loi, qui connaissent des tensions élevées sur le marché de l’immobilier, le changement et la diversification des usages des meublés ont un effet inflationniste sur l’ensemble des prix résidentiels, et donc un effet d’éviction sur les habitants permanents. Le développement rapide des locations de meublés de tourisme au cœur des agglomérations attractives a ajouté une pression supplémentaire sur les marchés locaux du logement et sur la disponibilité de ces logements ([20]).

Parmi les causes de l’attrition du logement accessible, la « secondarisation » d’une partie du parc et sa substitution par l’offre touristique en sont les facteurs les plus clairement observés ces dernières années. Comme le relèvent les travaux de la récente mission interministérielle, « les études économiques démontrent que le développement rapide des locations de meublés de tourisme accentue les déséquilibres sur les marchés locaux du logement » ([21]). Globalement, cette tendance est due au déport vers le marché touristique d’une partie des biens précédemment destinés au logement. Le même rapport évoque « une réduction de l’offre de résidences principales en zones tendues » et « l’augmentation des prix de l’immobilier d’autant plus que l’offre de logement est par construction inélastique à court terme ».

Les personnes auditionnées concordent dans ce constat : selon le Collectif national des habitants permanents, le logement constitue la première externalité négative de l’essor des meublés de tourisme. L’Umih, pour sa part, évoque un « rôle important des locations de meublés touristiques dans la crise du logement », en soulignant que c’est un phénomène qui ne concerne plus exclusivement les communes littorales, citant notamment l’exemple du Haut-Doubs, où les entreprises n’arrivent plus à loger leurs salariés ni leurs saisonniers, du fait du double défi résultant des transfrontaliers et du tourisme, comme à Annemasse.

C’est pourquoi France urbaine demande à « revenir aux fondamentaux de la location de courte durée », en contrant la professionnalisation et la massification de cette pratique : « la possibilité pour un particulier de louer quelques jours par an son appartement, bien sûr. Mais ce n’est pas le cas dans les territoires urbains, avec des îlots entiers qui basculent dans ce statut locatif, avec des effets d’éviction sur les étudiants, les travailleurs précaires, les saisonniers, les familles monoparentales, qui amplifient la crise du logement ».

Comme le souligne le rapport interministériel consacré à l’attrition résidentielle, « l’attractivité touristique d’un territoire génère une tension, souvent concentrée dans le temps et dans l’espace, qui vient se cumuler avec des déséquilibres déjà préexistants sur l’ensemble de l’année pour des territoires attractifs (excédent migratoire, foncier en moyenne plus rare, plus cher et plus contraint qu’ailleurs) et qui a une incidence sur la capacité de logement de l’ensemble de la population permanente et non-permanente (résidents secondaires et touristes) » ([22]).

La mission ajoute que : « les communes touristiques peuvent devoir faire face, lors des pics saisonniers estivaux, à une multiplication par dix de leur population qui entraîne des tensions immobilières et peut donner lieu à des dilemmes pour les élus entre promotion du tourisme et développement d’une population de résidents à l’année. Ces tensions sont renforcées par le fait que l’offre touristique française et notamment hôtelière est parfois qualitativement insuffisante voire obsolète, alors que des capacités abondantes et attractives sont un élément de baisse de la pression immobilière dans les zones touristiques ».

Les zones tendues se caractérisent par des niveaux élevés des prix et des loyers, ainsi que par de moins bonnes conditions de logement (logements plus petits, fréquence plus importante de situations de mal-logement) qu’en zones non tendues. Ces situations sont généralement exacerbées dans les centres-villes des grandes agglomérations. De fait, certains ménages ne pouvant se loger où ils le souhaitent se retrouvent contraints à habiter à des distances importantes de leurs lieux de travail, et subissent alors de longs et parfois coûteux déplacements domicile-travail.

Cette situation est à mettre en regard de la situation plus générale du pays en matière de logement.

En France, le marché immobilier se caractérise par la présence de déséquilibres de long-terme sur les marchés et segments du logement. L’offre croissante (progression de 1,2 % du parc des résidences principales par an) mise sur le marché depuis cinquante ans n’arrive pas à satisfaire une demande elle-même croissante. Certes, le parc progresse 2,5 fois plus vite que la population (+ 0,5 % sur la même période) et est sensiblement plus important que dans les autres économies développées ([23]) : la France compte 590 logements pour 1 000 habitants en 2020 dans son territoire européen, contre 515 en 2011, ce qui la place en deuxième position au sein de l’OCDE (cf. graphique). Par contraste, les pays de l’OCDE comptent en moyenne environ 450 logements pour 1 000 habitants.

Nombre total de logements pour 1 000 habitants en 2011 et 2020