N° 1943

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 2 décembre 2023.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE,
SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE,

 

pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration

PAR M. Florent BOUDIÉ, Mme Élodie JACQUIER-LAFORGE,
MM. Ludovic MENDES, Philippe PRADAL, Olivier SERVA

Députés

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AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

PAR M. Benjamin HADDAD

Député

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TOME III

COMPTES RENDUS DE LA COMMISSION DES LOIS (SUITE)
COMPTES RENDUS DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

 

 Voir les numéros :

 Sénat :  304, 433, 434 rect. (2022-2023) et T.A. 19 (20232024).

 Assemblée nationale :  1855.


 


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SOMMAIRE

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Pages

travaux de la commission des Lois (suite)

Première réunion du jeudi 30 novembre 2023 à 9 heures

Deuxième réunion du jeudi 30 novembre 2023 à 14 heures 30

Première réunion du vendredi 1er décembre 2023 à 9 heures

Deuxième réunion du vendredi 1er décembre 2023 à 14 heures 30

Troisième réunion du vendredi 1er décembre 2023 à 21 heures 30

Travaux de la commission des Affaires étrangères

Réunion du mardi 21 novembre 2023 à 21 heures 30

Réunion du mercredi 22 novembre 2023 à 9 heures

 


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   travaux de la commission des Lois (suite)

Première réunion du jeudi 30 novembre 2023 à 9 heures

Lien vidéo : https://assnat.fr/ITBIu5

Présidence de M. Sacha Houlié, président.

Chapitre II

Favoriser le travail comme facteur d’intégration

Article 3 (supprimé) (art. L. 421-4-1 [nouveau] du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Création, à titre expérimental, d’une carte de séjour temporaire portant la mention « travail dans des métiers en tension »

Amendement CL635 de M. Michel Castellani, amendements CL887, CL889 et CL890 de M. Boris Vallaud, amendement CL724 de Mme Danièle Obono, amendements identiques CL1444 de Mme Stella Dupont, CL888 de M. Boris Vallaud et CL1247 de M. Jean-Louis Bricout, amendements identiques CL1095 de M. Philippe Brun, CL1404 de M. Benjamin Saint-Huile et CL1429 de Mme Stella Dupont, amendement CL638 de M. Christophe Naegelen (discussion commune)

M. Christophe Naegelen (LIOT). Avec les articles 3 et 4 bis, nous abordons une partie essentielle du projet de loi, qui nous invite à faire part de notre vision de l’immigration. Le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT) défend un durcissement de la loi contre ceux qui ne respectent pas l’ordre public et les principes républicains, mais souhaite ne pas occulter la situation des travailleurs en situation irrégulière ni certains besoins du marché du travail.

L’amendement vise à rétablir l’article 3, dans une version modifiée par rapport à celle du projet de loi initial déposé par le Gouvernement. Nous posons comme critères de la régularisation l’obligation d’avoir exercé pendant douze mois au cours des deux dernières années – et pas seulement huit mois comme dans le texte du Gouvernement – et l’établissement à l’échelle départementale de la liste des métiers en tension – la région est un espace trop grand.

M. Boris Vallaud (SOC). L’amendement CL887 tend à rétablir l’article 3, qui n’a pas été rédigé par le groupe Socialistes et apparentés mais par le Gouvernement, lequel présentait ce dispositif comme l’un des éléments d’équilibre du texte. Il était central à nos yeux, même si le ministre de l’intérieur et des outre-mer avait affirmé qu’il ne méritait ni les bravos de ceux qui le considéraient comme l’alpha et l’oméga du texte, ni les hennissements de ceux qui l’estimaient affreux. Sans doute, mais il présentait, du point de vue des associations et du nôtre, quelques vertus, notamment celle de supprimer l’action préalable de l’employeur.

Nous connaissons les limites du dispositif : il est réservé aux métiers en tension, avec les aléas, la bureaucratie et l’injustice que cela peut comporter ; les travailleurs des plateformes et les indépendants ne sont pas concernés ; enfin, il ne s’agit que d’une expérimentation. Cependant, comme certains ont pu le dire, c’est mieux que rien ; le Sénat ayant proposé à peu près rien, nous souhaitons rétablir ce que vous avez plébiscité pendant des semaines voire des mois.

Avec l’amendement CL889 nous défendons l’idée que le travail donne droit au séjour. Il faut sortir de l’hypocrisie considérable qui consiste à accepter que des secteurs entiers de l’économie fonctionnent grâce à des travailleurs étrangers, dont beaucoup sont en situation irrégulière : ces personnes paient des impôts et des cotisations sociales mais ils sont maintenus dans une zone de non-droit. Le système pousse parfois l’absurdité jusqu’à laisser des travailleurs étrangers se trouvant en situation régulière et possédant une autorisation de travail perdre leur droit à travailler à cause des délais de traitement de leur dossier par les préfectures. Un titulaire d’un CDI ou d’un CDD depuis six mois doit pouvoir obtenir une carte de séjour, pluriannuelle pour le premier, temporaire pour le second, qu’il exerce un métier en tension ou non – je rappelle que l’hôtellerie-restauration ne fait pas partie de la liste de ces métiers.

L’amendement CL890 réintroduit l’article 3 sans en limiter le champ aux métiers en tension. J’insiste sur la puissance d’intégration du travail ; j’entends les nombreux zélateurs de la valeur travail exclure de ses bienfaits des personnes qui occupent un poste dans l’hôtellerie-restauration, la propreté, les travaux publics, le bâtiment et l’aide à la personne. Il y a quelques jours, le ministre délégué chargé de l’industrie a affirmé que l’économie française allait avoir besoin, dans les dix ans à venir, de 100 000 à 150 000 travailleurs dans les secteurs en tension. Nous devons défendre la base industrielle française et lutter contre la désindustrialisation, sans confondre ce combat avec une quelconque défense du productivisme. Dans les secteurs du soin à la personne et de l’aide à domicile, les besoins sont également nombreux : dans le seul département des Landes, il manque 500 aides à domicile. Nous nous battrons pour améliorer les conditions de travail, la formation, la reconnaissance de l’utilité sociale et la rémunération de ces métiers.

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). L’amendement vise à élargir le périmètre de l’article 3 du projet de loi initial. Il faut régulariser l’ensemble des travailleurs sans-papiers présents dans le territoire national, dont le nombre est estimé à 800 000. Ces gens ont contribué à maintenir le pays debout durant la crise sanitaire, mais ils travaillent dans la peur et sous la pression : ils méritent d’être régularisés. Il convient de sortir de la vision utilitariste qui, s’agissant des populations, fait le tri entre l’essentiel et le superflu.

Nous souhaitons élargir la régularisation aux étudiants étrangers présents dans le pays en leur octroyant un titre de plein droit. Il est inutile de demander chaque année à ces étudiants de renouveler leur titre de séjour alors que l’administration est engorgée : cette pression nuit à la sérénité de leurs études.

Enfin, nous voulons étendre la régularisation aux parents étrangers d’enfants français qui n’obtiennent pas de titre de plein droit alors qu’ils vivent en France aux côtés de leurs enfants : il y a lieu de mettre un terme à cette injustice absolue.

Mme Stella Dupont (RE). La régularisation des personnes sans-papiers travaillant dans les métiers en tension constitue l’un des points importants du projet de loi.

L’amendement que je défends et que nous avons été plusieurs à signer vise à réintroduire la régularisation des travailleurs sans-papiers de plein droit dans les métiers et les zones géographiques en tension. Le Sénat a supprimé cette mesure qui figurait dans le texte déposé par le Gouvernement et l’a remplacée par un dispositif de régularisation minimal, dont certains aspects sont même moins avantageux que le droit actuel.

La régularisation répond pourtant aux besoins de recrutement des entreprises dans nos territoires, tout en permettant aux personnes étrangères concernées de subvenir à leurs besoins. Elle constitue un moyen efficace de lutter contre la propagation de l’économie souterraine, dont on parle peu dans nos débats. Nous sommes très attachés à cette mesure importante d’assainissement de notre économie.

Mme Marietta Karamanli (SOC). Notre amendement, identique au précédent, est de repli. Le travail doit devenir le vecteur de la régularisation, afin d’éviter les situations d’exploitation, de clandestinité, de précarité et d’illégalité. Le sujet des métiers en tension est revenu à plusieurs reprises dans les discussions de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires et européennes de l’Union européenne (Cosac), qui a réuni, au début de la semaine, des représentants de l’ensemble des parlements des États membres pour évoquer la question migratoire.

Plusieurs métiers ne sont pas considérés comme étant en tension, justement parce qu’ils emploient des travailleurs étrangers ; néanmoins, ils pourraient, eux aussi, entrer dans cette catégorie dans un avenir plus ou moins proche. L’exclusion des étudiants, des travailleurs saisonniers et des demandeurs d’asile du champ du dispositif vide le sens du principe de régularisation par le travail.

M. Benjamin Saint-Huile (LIOT). À tort ou à raison, ce texte sera qualifié d’équilibré selon les résultats de nos discussions sur l’aide médicale de l’État (AME) et sur la régularisation des travailleurs sans-papiers exerçant un métier en tension. La discussion peut être longue sur le volume de régularisations, le temps de travail, les zones géographiques et l’intensité de la tension. Nous avons déposé un amendement que je pourrais qualifier, de manière un peu pompeuse, de transpartisan et nous nous réjouissons que d’autres aient repris cette proposition, fondée sur cette bonne base de travail qu’est la rédaction initiale du Gouvernement.

M. Hervé Saulignac (SOC). Le Sénat a supprimé l’article 3, que nous souhaitons réintroduire dans le texte. Dans ce pays, on peut cotiser sans en tirer le moindre droit : le Président de la République rappelle très souvent que les droits appellent les devoirs mais, en l’occurrence, les devoirs des cotisations sociales ne donnent ici aucun droit ; bien que ces personnes aient perdu leur titre de séjour, on peut les considérer comme en règle à l’égard de la République, cette dernière ne l’étant pas avec elles. Il faut rééquilibrer cette relation en octroyant des droits, et pas seulement des devoirs, à ceux qui contribuent à l’économie et à la vie sociale du pays.

M. Benjamin Saint-Huile (LIOT). L’amendement CL1404 tend à élargir le champ de l’article 3, orientation que certains ne manqueront pas de qualifier d’appel d’air, pour reprendre une expression à la mode. Il vise en effet à supprimer la durée de validité d’un an de la carte de séjour délivrée à la personne exerçant un travail dans les métiers en tension. La suppression de cette limite temporelle inquiétera ceux qui voient dans le dispositif un danger potentiel, mais l’amendement étend le champ de la discussion.

Mme Stella Dupont (RE). Les travailleurs sans-papiers, dont le nombre est compris entre 600 000 et 800 000, contribuent à l’économie et à la vie sociale de notre pays ; s’ils cessaient leur activité, des secteurs entiers devraient s’arrêter, comme on l’a vu il y a quelque temps à l’occasion d’une mobilisation dans le bâtiment et les travaux publics (BTP) en Île-de-France.

Des règles rigides en apparence masquent un profond déséquilibre dans notre système économique, qui s’appuie sur un marché du travail dans lequel l’application des normes se révèle totalement inégale et sur l’exploitation d’une main-d’œuvre qui ne bénéficie d’aucune protection.

Cet amendement transpartisan, issu d’un travail favorisant les convergences, vise à porter l’exigence de régularisation des travailleurs sans-papiers exerçant un métier en tension. Nous souhaitons aller aussi loin que possible dans l’intérêt des personnes concernées et des entreprises.

M. Christophe Naegelen (LIOT). Nous avons besoin de critères objectifs pour définir les métiers en tension, évaluer la durée d’exercice dans le poste dont est capable la personne et attribuer la carte de séjour.

L’amendement durcit légèrement la rédaction du Gouvernement : il exige une période de douze mois d’exercice du métier et confère au préfet un droit général d’opposition à la régularisation. Le préfet, représentant de l’État dans le département, est le plus à même de disposer d’informations précises pouvant l’inciter à refuser une régularisation que la loi autoriserait : l’objectif de l’amendement est de lui permettre de le faire.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure pour le titre Ier. Des sans-papiers travaillent dans des métiers en tension ; leurs perspectives de régularisation, actuellement limitées, dépendent uniquement de la procédure dite de l’admission exceptionnelle au séjour, dont le fondement juridique est une circulaire du 28 novembre 2012, dite circulaire Valls.

Cette situation présente trois difficultés majeures : les décisions préfectorales sont discrétionnaires, elles n’intègrent pas la tension qui peut exister dans certaines professions et elles dépendent d’une action de l’employeur, qui doit obligatoirement participer à la demande de régularisation – si celui-ci ne coopère pas, le dossier n’existe pas. Voilà pourquoi l’article 3 du projet de loi initial visait à lancer une expérimentation temporaire, dont les résultats devaient être évalués au bout d’un certain temps et qui consistait à délivrer une carte de séjour de plein droit aux personnes présentes en France depuis plus de trois ans et pouvant justifier d’une activité professionnelle salariée dans un métier et une zone géographique caractérisés par des difficultés de recrutement depuis au moins huit mois, consécutifs ou non, au cours des deux dernières années.

Le projet de loi initial du Gouvernement réservait le lancement de la procédure à la seule initiative du demandeur. Le Sénat a remplacé l’article 3 par l’article 4 bis, qui réduit la portée du dispositif. La Haute Assemblée a en effet créé un article additionnel dans le chapitre du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) relatif à l’admission exceptionnelle au séjour, qui dispose que la délivrance de la carte de séjour temporaire portant la mention « travailleur temporaire ou salarié » n’intervient qu’à titre exceptionnel. En outre, les difficultés de recrutement doivent avoir duré au moins un an lors des deux dernières années et non plus seulement huit mois. L’article précise également que l’autorité compétente prend en compte l’insertion sociale et familiale de l’étranger, son respect de l’ordre public et son intégration dans la société française : les obligations que doit remplir le travailleur étranger pour obtenir la carte sont donc plus fortes. Le dispositif sénatorial prévoit enfin que l’autorisation de travail peut être accordée après vérification auprès de l’employeur de la réalité de l’activité alléguée, là où le texte initial donnait à la carte de séjour la valeur d’une autorisation de travail.

Le rapporteur général a déposé, à l’article 4 bis, un amendement proposant un dispositif d’équilibre : il reprend l’idée sénatoriale du maintien de la délivrance d’une carte de séjour temporaire, qui porte la mention « travailleur temporaire ou salarié », mais également les réserves indiquant que la carte de séjour est délivrée sauf si le représentant de l’État s’y oppose pour l’une des raisons énumérées, par exemple l’existence d’une menace contre l’ordre public. Dès lors que l’étranger remplit la totalité des conditions et qu’il ne tombe pas dans l’une des exceptions, il obtient une carte de séjour.

Il s’agit donc d’un dispositif d’équilibre : la procédure n’est pas discrétionnaire, mais il n’y a pas de droit automatique à la régularisation. Je donne donc un avis défavorable aux amendements qui viennent d’être présentés, au profit de celui du rapporteur général à l’article 4 bis.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Le sujet a fait beaucoup parler ces dernières semaines et ces derniers mois. Il est profondément hypocrite de considérer à la fois que nous avons des besoins économiques et qu’il est acceptable de maintenir des personnes dans une précarité totale. Le Gouvernement avait proposé, dans le projet de loi initial, une procédure ciblée de régularisation. Il y a des phénomènes d’exploitation et d’esclavagisme contemporain d’une part, et des filières économiques dans lesquelles des métiers se trouvent en tension, d’autre part. Certaines personnes exercent ces métiers depuis longtemps, paient leurs cotisations sociales et leurs impôts, possèdent un contrat de travail ; elles peuvent être des piliers de l’activité économique d’une entreprise, d’une PME, d’un hôtel ou d’un restaurant. Il nous apparaît indispensable de créer une procédure ad hoc de régularisation, ciblée sur ces métiers en tension.

Certains arguments manquent de pertinence. Prenons celui de l’appel d’air : le dispositif du Gouvernement comme celui que je vous présenterai à l’article 4 bis ne peuvent pas provoquer d’appel d’air ; il faut remplir une condition de résidence de trois ans et l’expérimentation prendra fin le 31 décembre 2026 – date que nous souhaitons repousser car le projet de loi a été examiné en Conseil des ministres en février dernier. Ces deux critères font qu’aucune personne vivant actuellement hors de France ne pourra bénéficier du processus de régularisation. Après avoir largement communiqué sur le caractère inacceptable d’une politique ciblée de régularisation – j’ai même entendu le slogan « Zéro régularisation ! » –, la majorité sénatoriale a reconnu la nécessité d’un tel processus. Elle a élaboré une procédure plus ciblée que celle du Gouvernement : je vous proposerai certains aménagements afin de la faire converger vers celle que nous souhaitons déployer.

Le Sénat a remis en cause deux points qui me paraissent fondamentaux.

Le premier, clef de l’article 3 initial que je souhaite réintégrer dans le texte, est l’autonomie de la demande de régularisation par rapport à l’employeur. Comme le dit souvent le ministre de l’intérieur et des outre-mer, il faut couper l’écosystème d’exploitation et de subordination – nous le ferons d’ailleurs dans d’autres domaines, en prévoyant des sanctions administratives contre les employeurs malveillants et en luttant contre les marchands de sommeil qui font commerce de logements indécents. L’article 4 bis du Sénat remet l’employeur au cœur du dispositif : dans la version actuelle du texte, rien ne peut se faire sans l’employeur.

Le second tient à la place du préfet : la Haute Assemblée a remis dans les mains du représentant de l’État dans le département l’appréciation de toutes les situations. Le préfet est doté, aux termes de l’article 4 bis actuel, d’un pouvoir absolu, général et discrétionnaire, semblable à celui que la circulaire Valls lui conférait. Or nous voulons créer une procédure ad hoc, destinée à répondre à des situations spécifiques. Nous sommes en accord avec le Sénat sur la nécessité d’élaborer une procédure ciblée de régularisation, mais nous divergeons sur la place du préfet dans le dispositif. En effet, conférer un pouvoir discrétionnaire au préfet entraînerait de très fortes inégalités territoriales dans l’application de la procédure : des injustices et une casuistique ne manqueraient pas d’apparaître et de heurter le principe d’égalité.

Je donnerai un avis défavorable aux amendements à l’article 3 et vous proposerai d’apporter plusieurs aménagements à l’article 4 bis. Le premier de ceux-ci est de supprimer la dépendance vis-à-vis de l’employeur, celui-ci pouvant subir, le cas échéant, des contrôles : la personne en situation irrégulière est-elle la seule dans ce cas à travailler dans l’entreprise ? Quelle rémunération perçoit-elle ? Quelles sont les conditions de travail ? Je le redis, l’autonomie de la demande de régularisation est indispensable. Ensuite, la régularisation ne doit pas être automatique, contrairement à ce que prévoyait la rédaction initiale de l’article 3. Pas d’automaticité, mais pas de pouvoir discrétionnaire du préfet non plus. Ce dernier doit néanmoins pouvoir interrompre à tout moment la procédure de régularisation ou retirer le titre de séjour pour des raisons qui devraient nous rassembler : polygamie – qui empêche déjà toute délivrance d’un titre de séjour –, menace contre l’ordre public – qui pourrait comprendre qu’une personne ayant bénéficié d’un titre de séjour puisse conserver celui-ci si elle menace l’ordre public ? –, comportement et agissements contraires aux valeurs de la République – à la condition que celles-ci soient précisément définies. Voilà les modifications de l’article 4 bis que nous vous proposerons.

Ce dispositif est efficace et il répond à des besoins économiques ; en outre, il romprait certains liens de subordination qui s’apparentent à de la maltraitance à l’égard de ressortissants de nationalité étrangère en situation irrégulière, lesquels n’ont pas toujours voulu se trouver dans l’illégalité car celle-ci résulte parfois de la complexité de procédures administratives que nous souhaitons simplifier. Ce dispositif est également juste car il repose sur l’autonomie de la présentation de la demande de régularisation par rapport à l’employeur et sur la possibilité pour le préfet de refuser la délivrance du titre de séjour en cas de menaces contre l’ordre public et d’agissements contraires aux principes de la République.

Monsieur Naegelen, la question de la meilleure adaptation possible de la liste des métiers en tension aux réalités locales est essentielle. Nous rencontrons quelques obstacles non pas politiques mais techniques, car il n’existe pas de données agrégées à l’échelle départementale sur l’évolution du marché de l’emploi par métier : ni Pôle emploi ni l’Insee ne sont organisés pour produire des données départementalisées et pour les actualiser. Je m’engage – M. le ministre nous le confirmera – à trouver un dispositif d’identification hyperterritoriale des métiers en tension d’ici à la séance publique. Je proposerai, ou votre groupe le fera, un dispositif qui s’appuie sur les données régionales dont nous disposons mais qui les décline aussi localement que possible. Pour ce faire, il conviendrait d’associer, comme en Suisse, les partenaires sociaux, les acteurs consulaires et peut-être d’autres institutions, afin de nous appuyer sur une connaissance précise et concrète, pas uniquement statistique, des réalités de terrain.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). « On vit ici, on bosse ici, on reste ici » : voilà le slogan scandé depuis des années par de très nombreux travailleurs sans-papiers : je partage ce mot d’ordre car ces milliers d’hommes et de femmes travaillent dans des secteurs divers et utiles à la société, mais ils subissent un système totalement hypocrite puisqu’ils n’ont pas le droit de travailler mais ont besoin de fiches de paie pour être régularisés. Il faut mettre fin à cette situation et octroyer des droits à ces travailleurs, qui sont exploités car ils forment une main-d’œuvre malléable pour les employeurs.

L’une de ces personnes m’expliquait récemment qu’un individu muni de papiers ne pouvait travailler que trois heures par jour sur un marteau-piqueur quand elle restait huit heures par jour sur son outil : huit heures par jour sur un marteau-piqueur ! Leur régularisation vise à mettre un terme à ces situations d’exploitation et de grande vulnérabilité.

La régularisation des travailleurs sans-papiers est une mesure urgente et juste que nous défendrons ici jusqu’au bout. Nous soutenons évidemment l’autonomie du salarié dans la procédure de régularisation : il ne doit pas dépendre de l’employeur pour lancer cette démarche. En outre, le salarié doit obtenir un titre de plein droit. Enfin, dernier aspect essentiel, la limitation de la régularisation aux métiers en tension est à la fois trop restrictive et trop utilitariste.

Mme Marie Guévenoux (RE). Le groupe Renaissance soutient la rédaction initiale de l’article 3, celle du Gouvernement que différents groupes souhaitent réintroduire par voie d’amendement. Comme l’a rappelé le rapporteur général, le projet de loi créait un dispositif ciblé, qui prévoyait qu’un étranger exerçant, pendant au moins huit mois sur les deux dernières années, une activité salariée figurant sur la liste des métiers et des zones géographiques en tension et vivant de manière ininterrompue en France depuis trois ans pouvait obtenir une carte de séjour temporaire.

Nous étions d’autant plus attachés à cette rédaction que le salarié étranger ne peut pas dépendre de son employeur pour être régularisé. Plusieurs témoignages ont été portés à notre connaissance, dans le cadre d’auditions ou de rencontres sur le terrain, sur le fait que des personnes se retrouvent dans les mains d’employeurs indélicats, qui ne souhaitent pas les accompagner dans une procédure de régularisation. Nous sommes extrêmement attentifs à cette question.

Nous voterons néanmoins contre les amendements car les débats au Sénat ont imposé la recherche d’un compromis entre le Gouvernement et la majorité sénatoriale et les groupes Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI) et Les Indépendants – République et Territoires du Sénat. Nous reparlerons à l’article 4 bis de la proposition du rapporteur général, car la rédaction du Sénat ne nous donne pas entière satisfaction.

M. Laurent Marcangeli (HOR). Le débat parlementaire au Sénat a pris comme point de départ le projet de loi initial déposé par le Gouvernement, dont l’article 3 partait du droit existant, à savoir la circulaire Valls. La rédaction adoptée au Sénat nous convient davantage que le texte adopté en Conseil des ministres.

La rédaction initiale de l’article 3 créait un nouveau titre dans le Ceseda, alors que le projet de loi tente d’opérer une simplification du droit. L’article 4 bis n’instaure pas de nouveau titre : la proposition du rapporteur général reprend ce choix que nous soutenons. Ensuite, les partisans de l’article 3 ne souhaitent pas de personnalisation de la régularisation, ils défendent une procédure de plein droit. Nous sommes opposés à une telle orientation, car la réalité des activités, le mode de vie, le comportement et l’adhésion aux valeurs de la République du demandeur doivent être pris en compte. Le groupe Horizons et apparentés votera contre l’adoption des amendements tendant à rétablir l’article 3 ; nous discuterons de la proposition du rapporteur général lorsque nous en viendrons à l’examen de l’article 4 bis.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Nous avons débattu ici depuis des mois, à l’occasion de l’examen de divers textes, d’une prétendue valeur travail. Nous considérons qu’il convient désormais d’accorder de la valeur aux travailleurs et de donner des droits à ceux qui travaillent : ce n’est pas un cadeau, mais une reconnaissance de leur rôle dans la société, même si les nouveaux arrivants ne sauraient constituer des variables d’ajustement économique, ni dépendre du bon vouloir de listes parcellaires de métiers en tension et de zones géographiques déterminées. L’article 3 initial était mieux que rien, mais il n’était presque rien : il représentait une maigre contrepartie de bon sens économique et d’humanisme au rabais, en un mot, un alibi.

Depuis le début de l’examen du projet de loi par notre commission, plusieurs orateurs d’extrême droite et de droite radicalisée ont mis en avant différents sondages montrant une prétendue adhésion des Français à une politique de fermeté ; figurez-vous, chers collègues, qu’une écrasante majorité de nos concitoyens est favorable à la régularisation des travailleurs sans-papiers – n’oublions pas que presque tous les Français ont applaudi les travailleurs de la première ligne pendant la crise sanitaire du covid. Il nous appartient maintenant de leur donner à tous des droits.

Enfin, certains d’entre vous vont entonner le refrain de l’appel d’air : j’attends de ceux qui s’y livreront qu’ils nous fournissent une étude statistique, une réalité historique, un fait ou un chiffre qui démontre la survenue d’un appel d’air lorsque des politiques d’inclusion et de régularisation sont conduites : je suis impatient de les découvrir.

Mme Annie Genevard (LR). Ce que je vais dire ne vous surprendra pas : nous sommes frontalement opposés aux amendements qui viennent d’être présentés. Ils partent en effet du principe que le travail donne droit, d’une façon inconditionnelle, au séjour. Cela conduira à des excès, à un appel d’air et à des régularisations massives alors même que les Français disent, sondage après sondage, qu’ils veulent une réduction de l’immigration dans notre pays, parce que nous ne pouvons plus intégrer, ce qui pose énormément de problèmes. Vous ne pouvez pas nier que les Français sont totalement opposés, y compris au sein de votre électorat, à toute mesure qui viserait à augmenter massivement le nombre d’étrangers.

Ces amendements sont catastrophiques car ils ouvrent la porte à des régularisations extrêmement importantes. Je rappelle que le nombre d’étrangers en situation irrégulière est compris entre 700 000 et 900 000 dans notre pays. Vous aviez, au fond, préparé les choses puisque vous avez supprimé le délit de séjour irrégulier. Il est donc possible, désormais, de venir en France sans autorisation et de n’être pas inquiété. Vous avez également supprimé l’AMU – aide médicale urgente –, si bien qu’on pourra accéder à un panier de soins complets et gratuits. Tout cela va dans le sens d’une ouverture sans frein pour les personnes qui se trouvent déjà en situation irrégulière et à tous ceux qui voudraient venir dans notre pays dans l’espoir d’être régularisés et de disposer de l’ensemble des droits.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Nous ne pensons pas que l’article adopté par le Sénat soit un compromis. Le texte a au contraire été durci. Par ailleurs, il faudrait arrêter avec l’hypocrisie : les 800 000 travailleurs sans papiers font vivre le pays, ils participent à l’économie. Il faut les régulariser, toutes et tous, et donner un titre de séjour pluriannuel à tous les étudiants et à tous les parents d’enfants scolarisés. On doit donner ces possibilités aux étrangers si on veut qu’ils s’installent dans notre pays – je n’emploie pas, pour ma part, le terme d’intégration et encore moins celui d’assimilation.

Au-delà de la vision très raciste et très xénophobe qui prévaut en général, vous êtes inspirés par une vision utilitariste qui, elle aussi, a toujours existé. J’ai en tête les paroles d’une chanson de François Béranger : « On a pressé le citron / On peut jeter la peau ». C’est exactement ce qui va se passer dans les métiers dits en tension : une fois qu’ils ne le seront plus, on enverra ailleurs les travailleurs ou on les renverra dans leur pays, alors qu’ils auront contribué à notre économie.

M. le président Sacha Houlié. C’est inexact. Au terme de la carte de séjour temporaire ou de l’admission exceptionnelle au séjour dont bénéficiera un étranger travaillant dans un métier en tension, une carte de séjour pluriannuelle pourra être sollicitée – la rédaction initiale du Gouvernement et l’amendement de compromis du rapporteur général le prévoient.

Mme Edwige Diaz (RN). Nous sommes arrivés à l’un des pivots du texte, à savoir le travail. Je regrette d’ailleurs l’absence continue, lors de nos débats, du ministre chargé de cette politique.

La volonté de rétablir l’article 3 symbolise l’espèce d’union sacrée qui existe entre une partie de la Macronie et la NUPES, dont l’idéologie immigrationniste est totalement assumée : vous signez ensemble des tribunes dans Libération.

Nous avons entendu des propos contestables, comme l’idée selon laquelle le travail irrégulier contribue à l’économie – oui, incontestablement, mais c’est de l’économie souterraine qu’il s’agit – ou bien l’argument selon lequel les travailleurs irréguliers répondent à un besoin de main-d’œuvre. Je trouve que c’est assez méprisant à l’égard des Français, que vous soupçonnez d’être trop faignants pour accepter certains métiers, et particulièrement malhonnête. Les chefs d’entreprise vous ont dit qu’ils ne demandaient pas la régularisation de ces travailleurs et, plus encore, qu’ils ne souhaitaient pas être instrumentalisés dans les débats.

Le Rassemblement national réitère sa ferme opposition à la création d’une filière d’immigration supplémentaire et lance une alerte sur les risques de dérive liés à cet article. Vous nous expliquez que tout sera encadré, sauf que, sous la pression des associations immigrationnistes et de l’extrême gauche, la liste des métiers en tension sera allongée, les zones concernées seront élargies et les bénéficiaires seront plus nombreux. Les régularisations seront notamment étendues aux conjoints. Cet article pourrait, par ailleurs, exercer une pression à la baisse sur les salaires.

Nous ne souhaitons pas, je le répète, créer une filière d’immigration supplémentaire. Vous dites que vous allez réguler l’immigration avec ce texte, mais vous ne voulez ni expulser ni dissuader de venir : vous voulez juste régulariser les clandestins.

M. Arthur Delaporte (SOC). Il faudrait peut-être, après les diatribes et les fantasmes de l’extrême droite, revenir à la réalité à laquelle nous sommes toutes et tous confrontés, chaque jour, dans nos circonscriptions. Elle est marquée par une grande hypocrisie et une grande injustice.

Les travailleurs qui viennent nous voir nous disent qu’ils vivent en France, qu’ils sont carreleurs, maçons ou aides à domicile, ou qu’ils travaillent à l’hôpital, et que leurs enfants vont à l’école, mais que leur situation est intenable, car ils sont en situation irrégulière.

L’article 3 se proposait d’atténuer légèrement l’hypocrisie et l’injustice de la situation actuelle en prévoyant un socle minimal, mais vous êtes en train de renier l’esprit qui inspirait cette disposition, puisque vous avez dit, monsieur le rapporteur général, que l’automaticité initialement prévue par l’article 3 ne serait pas préservée.

Si je parle de socle minimal, c’est parce qu’il était question des métiers en tension, alors qu’on sait très bien que le travail irrégulier ne concerne pas forcément des métiers reconnus comme tels par Pôle emploi. Ce n’est pas toujours le cas, par exemple, dans la restauration ou le bâtiment, car on peut trouver des gens pour travailler.

La Défenseure des droits a pointé une autre hypocrisie, qui consiste à poser une condition de durée du séjour de trois ans. En faisant cela, vous encouragez le travail illégal, le séjour irrégulier et la précarité. Cette borne temporelle ne nous paraît pas acceptable.

Ne soumettons pas le droit opposable que nous souhaitions à l’arbitraire et au non-droit.

M. Christophe Naegelen (LIOT). Nous ne pratiquons pas la numérologie : qu’il s’agisse de l’article 3 ou de l’article 4 bis nous est complètement égal. C’est le contenu de l’article qui nous importe.

Monsieur le rapporteur général, la départementalisation de la liste des métiers en tension est pour nous une question extrêmement importante. Vous nous dites qu’on n’a pas d’informations, ce que je ne comprends pas : Pôle emploi m’envoie régulièrement des chiffres précis par bassin de vie – en l’occurrence, celui de Remiremont et celui de Gérardmer, dans les Vosges. De nombreuses administrations arrivent à faire de même par circonscription. On pourrait donc travailler sur quelque chose d’encore beaucoup plus précis que le département, même si nous trouvons que c’est l’échelon le plus intéressant. Dans la région Grand Est, par exemple, Strasbourg et Le Thillot n’ont pas les mêmes problématiques : si on veut être capable de prendre des décisions qui collent le plus possible aux préoccupations des habitants, on doit aller jusqu’à ce niveau de précision.

Il faudra aussi, comme vous l’avez dit, que les décisions ne soient pas uniquement prises par les préfets. Nous avons ainsi déposé un amendement visant à réunir autour de la même table les représentants des chambres consulaires, des administrations, du conseil départemental et du conseil régional ainsi que les parlementaires, afin que les acteurs les plus proches des réalités du terrain puissent discuter ensemble de la question des métiers en tension.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Rétablir cet article qui vise à régulariser les clandestins travaillant dans des métiers en tension est une fausse bonne idée.

Je rappelle, d’abord, que les régularisations n’ont jamais cessé depuis l’époque de François Mitterrand : il y a eu la circulaire Sarkozy de 2008, qui a créé une liste de trente métiers en tension et permis l’embauche de travailleurs étrangers pourvus d’un certificat de travail, puis la circulaire Valls de 2012, qui a régularisé les étrangers en situation irrégulière vivant en France depuis au moins cinq ans et ayant un contrat de travail ou une promesse d’embauche. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ces régularisations sont loin d’avoir réglé le problème qui nous occupe.

L’article 3 tend à octroyer une carte de séjour de plein droit à des clandestins présents en France depuis plus de trois ans et ayant exercé un métier en tension durant huit mois au cours des deux années précédentes. Le Sénat a souhaité prendre en compte des critères relatifs au comportement, à l’adhésion à nos modes de vie et tout simplement à l’insertion, et il a allongé la durée de travail nécessaire, ce qui me paraît le minimum.

Ce qui me gêne dans vos arguments, c’est votre petite musique de défiance envers les préfets, dont les décisions seraient discrétionnaires – en gros, certains seraient des méchants qui ne régulariseraient personne. Si tel est le cas, pourquoi ne pas appliquer la même défiance dans d’autres domaines et donc réduire drastiquement les prérogatives de ces serviteurs de l’État ? De la même façon, les employeurs seraient forcément de vilains patrons désireux de profiter de la précarité de leurs employés en ne les faisant pas régulariser.

Enfin, vous prétendez que l’argument de l’appel d’air est faux. Mais croyez-vous vraiment que les passeurs qui organisent les filières vont s’embarrasser de détails et expliquer les conditions nécessaires pour obtenir, éventuellement, un titre de séjour ? Ils diront tout simplement aux gens qu’ils n’ont qu’à se prétendre maçons, serveurs ou livreurs pour être régularisés et ils les inciteront ainsi à venir en France.

Voilà pourquoi je suis totalement opposée aux amendements visant à rétablir l’article 3.

M. Gérald Darmanin, ministre. Nous arrivons effectivement à un moment important – même si les articles 3 et 4 ne constituent pas l’essentiel du texte, ils sont cohérents avec le reste.

De qui parle-t-on ? Malgré des semaines voire des mois de débats au Parlement et dans les médias, on continue, parfois, à ne pas parler de ce qui figure dans le texte, mais de choses qui auraient pu s’y trouver ou qui n’ont pas d’autre existence que médiatique. Il est question, en réalité, de travailleurs en situation irrégulière du point de vue du droit du séjour, mais régulière sur le plan du droit du travail – telle est la difficulté. Ces gens sont déjà sur le sol national et ils ont des fiches de paie, voire des contrats de travail. Ils font donc partie de l’énorme masse de personnes qu’on appelle les « ni-ni » – ni expulsables ni régularisables, parce qu’arrivées depuis déjà très longtemps sur le territoire national. Il n’est pas question, comme l’a dit le rapporteur général, de personnes se trouvant hors de France, mais de gens qui ont des fiches de paie, qui s’acquittent de leurs impôts, dans le cadre du prélèvement à la source, et qui paient des cotisations même s’ils ne bénéficient pas des droits reconnus aux travailleurs. Deux solutions peuvent dès lors être envisagées : soit on expulse ces personnes, après avoir condamné les entreprises qui les embauchent, soit on procède à des régularisations, pour tout ou partie. Le problème est que notre droit ne permet aujourd’hui aucune de ces solutions.

Le projet de loi résoudra la difficulté. D’abord, et c’était la mesure la plus importante de l’article 3, le texte permettra au salarié d’être régularisé sans son employeur. Aujourd’hui, une régularisation n’est pas possible si l’employeur ne signe pas le formulaire Cerfa. Pourquoi ne le voudrait-il pas ? Il devrait, d’abord, payer une contribution à l’Ofii, l’Office français de l’immigration et de l’intégration, ce dont il n’a sans doute aucune envie, et il sait très bien, par ailleurs, qu’il ferait ainsi la démonstration qu’il n’aurait pas dû employer la personne concernée, c’est-à-dire qu’il est, en grande partie, un patron voyou. L’article 8 permettra de libérer le salarié du joug de l’employeur et de savoir qui embauche des personnes sans papiers, en leur délivrant de vrais faux documents. Cela permettra des poursuites pénales, lesquelles sont malheureusement peu nombreuses à l’heure actuelle – moins de 500 sont exercées par an, alors que le ministère de l’intérieur et l’inspection du travail en engagent 15 000. Surtout, le texte donnera aux préfets la possibilité de prononcer des fermetures administratives et d’infliger des amendes extrêmement fortes afin d’arrêter le flux continu des embauches au moyen de vrais faux contrats de travail ou bulletins de salaire. Il faut regarder le texte dans sa globalité.

En refusant ces dispositions, non seulement vous ne réglerez pas le problème du lien entre l’employé et l’employeur – je m’adresse en particulier à la partie gauche de la salle – , mais en plus vous ne tarirez pas le flux des personnes irrégulières, puisque vous laisserez hypocritement les patrons continuer à embaucher irrégulièrement des gens sans jamais être condamnés. Et si vous ne libérez pas l’employé de l’employeur, en ce qui concerne la demande de régularisation, vous ne connaîtrez pas le continent caché que forment tous ceux qui exploitent, dans des conditions souvent indignes, des personnes en situation irrégulière.

Autre élément, le texte concerne les métiers en tension, lesquels ne sont pas si nombreux que cela. Il arrive souvent que les exemples cités ne correspondent pas à la réalité. Ainsi, alors que la restauration n’est pas aujourd’hui un métier en tension, il a encore été question, tout à l’heure, des serveurs. Le texte s’applique, ensuite, à des zones géographiques où il existe des difficultés d’embauche. Les dispositions envisagées dans le cadre de la rédaction initiale de l’article 3, des modifications apportées par le Sénat et des propositions faites par le rapporteur général lient ces deux questions, celle des métiers en tension et celle des zones géographiques dans lesquelles le marché du travail est tendu. Dans les endroits où le taux de chômage est de 12 ou 13 %, par exemple dans les Hauts-de-France, des régularisations ne sont pas prévues. En Bretagne, où le taux de chômage est très peu élevé et où on a besoin de personnes dans l’agriculture ou les travaux publics, par exemple, le texte s’appliquera au contraire. Il est donc tout à fait faux de dire qu’il y aura une régularisation nationale, massive et ne tenant pas compte de la question du chômage.

J’ajoute que l’hypocrisie règne partout. C’est notamment vrai du côté des employeurs qui ont recours à une main-d’œuvre étrangère non déclarée, payée moins cher et privée de droits syndicaux et de protection sociale. Il ne faut pas se plaindre que davantage de monde dépende de l’AME lorsque des gens qui paient des cotisations ne peuvent pas bénéficier de la sécurité sociale – il faudrait être un peu cohérent. Il y a aussi de l’hypocrisie, permettez-moi de le dire, sur le plan législatif, car nous procédons par circulaires. J’entends les arguments de la gauche, mais elle ne fait pas ce qu’elle demande une fois qu’elle est dans la majorité. Je pense à la circulaire Valls, qui a été prise durant la présidence de François Hollande : le gouvernement socialiste de l’époque a préféré l’hypocrisie. Nous aurions pu agir aussi par circulaire et donc continuer à régulariser des gens sans le dire sur le plan législatif. Procédons-nous aujourd’hui à des régularisations, notamment au titre du travail ? La réponse est oui. D’ailleurs, tous les groupes politiques m’écrivent pour demander des régularisations. C’est normal, mais tout cela se fait sans rien dire au Parlement et aux Français : on s’y prend en cachette. On envoie des courriers, les gens ont rendez-vous à la préfecture, puis des régularisations ont lieu ou non, et c’est tout.

Le Gouvernement vous demande aujourd’hui de fixer des critères dans la loi. Certains veulent qu’on précise dans le projet de loi que c’est le niveau A2 qui est visé en matière de compétences linguistiques, alors que la question relève clairement du domaine réglementaire – ces parlementaires voudraient même savoir comment se passera l’examen de français, et peut-être à quelle heure les gens seront convoqués – mais quand on vous demande de prévoir des critères en matière de régularisation, que vous pourriez souhaiter plus larges ou au contraire plus restreints que ce que nous proposons, vous refusez de le faire.

Nous pourrions discuter des critères si vous trouvez qu’ils ne conviennent pas. Vous pourriez préférer une durée de cinq ou sept ans de séjour au lieu de trois ou bien une période de douze ou quatorze mois de travail au lieu de huit. Vous pourriez également nous demander pourquoi nous visons les métiers en tension et pas d’autres, ou pourquoi nous procédons par zones géographiques. À cet égard, monsieur Naegelen, je pense que nous pourrons trouver, dans l’hémicycle, un moyen de répondre à votre demande, mais il faudra le faire en lien avec le ministère du travail – je ne veux pas vous faire une promesse sans lendemain. Le principe même de la réforme est de prendre en considération des zones géographiques particulières : nous avons ainsi ouvert la voie à une forme de départementalisation et à un travail avec les branches professionnelles.

En réalité, deux positions différentes sont exprimées. Certains disent qu’il ne faut pas de critères parce qu’ils veulent régulariser tout le monde, ce qui n’est évidemment ni possible ni acceptable. D’autres préféreraient qu’on ne parle même pas de cette question. Ils nous demandent donc de continuer à faire preuve d’hypocrisie : selon eux, une simple circulaire suffirait. Néanmoins, après avoir entendu ces différents arguments, le Sénat a souhaité qu’on inscrive dans la loi un certain nombre de critères. J’imagine que si M. Retailleau a voté de telles dispositions, certes modifiées, c’est qu’elles correspondaient bien pour lui à une réalité.

En refusant par principe les dispositions que nous vous proposons, vous encouragez – je le dis notamment au groupe LR – le contraire de ce que vous voulez. Prenons le cas d’une dame qui travaille dans un secteur en tension. Si son employeur ne veut pas signer le document Cerfa nécessaire, cette personne ne pourra pas être régularisée, même si le parlementaire qui m’a écrit le souhaite et même si le préfet, ou le ministre, le voulait : c’est une disposition législative qui s’applique. Comment la dame en question pourra-t-elle donc être régularisée ? C’est possible, dans le cadre de la circulaire Valls, si elle fait un enfant. Pensez-vous que c’est une manière intelligente de traiter la question ? C’est absurde, surtout que le titre de séjour temporaire, pour un an, qui serait alors délivré n’ouvrirait pas droit au regroupement familial.

Nous avons proposé, à l’article 1er, de conditionner la délivrance d’un titre pluriannuel à la réussite d’un examen de français. Par ailleurs, nous ne tirerons pas les salaires vers le bas, pour reprendre l’expression utilisée par la France insoumise. L’article 2, que vous avez adopté à l’unanimité, prévoit que les cours de français proposés auront lieu pendant les heures de travail. Quant à l’article 8, il permettra de sanctionner très fortement l’employeur et de fermer l’entreprise.

Je précise aussi que les régularisations au titre du travail dans le cadre de la circulaire Valls concernent 7 000 personnes par an, sur environ 12 000 ou 13 000 dossiers. Je ne sais donc pas d’où sortent les chiffres évoquant des centaines de milliers de personnes, mais rien ne vous empêche de prévoir des quotas, comme l’a demandé l’excellent sénateur Szpiner, qui n’appartient pas à la majorité parlementaire et qui a été maire du 16e°arrondissement de Paris – on ne peut donc pas dire que c’est absolument un gauchiste. Puisqu’on peut considérer qu’il s’agit de cas particuliers, fixez des quotas, de 5 000, 8 000 ou 10 000 personnes par an, si vous avez peur d’un appel d’air.

Certaines modifications apportées par le Sénat sont tout à fait heureuses. J’accepte ainsi bien volontiers qu’on regarde si les gens n’ont pas de casier judiciaire et si la manière dont ils vivent est conforme aux valeurs de la République. C’était déjà prévu dans le texte déposé par le Gouvernement, à l’article 13, et il n’y a aucune raison de ne pas inscrire des dispositions similaires à l’article 3 ou à l’article 4 bis.

Certains disent – je pense aux membres du groupe Socialistes – qu’ils auraient vraiment aimé voter le texte, l’article 3 n’étant pas mal, mais ils nous reprochent de reculer. Soyons clairs : ce groupe a dit, avant même qu’on puisse dire un mot du texte, qu’il voterait contre. J’observe que les autres groupes politiques, à l’exception de La France insoumise, n’ont pas agi de la même façon. Vous pariez peut-être sur la bêtise du Gouvernement, en vous disant qu’il n’a qu’une majorité relative et que la droite déclare ne pas vouloir de régularisations de plein droit. Vous déclarez, en tout cas, que vous voulez l’article 3, mais que vous voterez à la fin contre le texte, c’est-à-dire aussi contre cet article. Cela s’appelle de l’hypocrisie. Vous n’avez pas fait lorsque vous étiez aux responsabilités ce que vous demandez maintenant que vous êtes dans l’opposition, et vous poussez pour une régularisation tout en n’en voulant pas, puisque vous voterez contre le texte. Personne n’y comprend rien : on se croirait dans un congrès du parti socialiste. Arrêtez, s’il vous plaît, de faire preuve d’hypocrisie.

L’amendement CL1665 du rapporteur général mérite peut-être quelques modifications, notamment dans le sens de la territorialisation évoquée par M. Naegelen. Néanmoins, l’idée que Mme Jacquier-Laforge a exposée – il ne s’agirait ni d’une régularisation de plein droit ni d’un droit premier et unique du préfet – me paraît constituer un compromis assez ingénieux. Par ailleurs, j’ai eu l’occasion de dire à M. le rapporteur général que nous n’avions rien à cacher aux branches professionnelles ou aux parlementaires : comme ils interviennent beaucoup pour soutenir les demandes de tel ou tel travailleur, qu’ils connaissent mieux que nous, on pourrait imaginer de les associer aux décisions prises, dans le cadre de commissions départementales ad hoc.

Je suis sensible aux arguments de ceux qui disent que leur préfet est très fermé dans ce domaine ou au contraire très ouvert, et je pense qu’on peut rendre encore meilleur l’amendement CL1665, qui pourrait être adopté finalement, mais je tiens à souligner que ce projet de loi fera preuve d’une fermeté absolue contre les étrangers délinquants, ce qu’on ne faisait pas auparavant – nous réparons donc des erreurs – tout en mettant fin à l’hypocrisie qui prévalait, parce que c’est aussi ce que demandent nos concitoyens.

Pour toutes ces raisons, je vous invite à rejeter les amendements visant à rétablir l’article 3 et j’apporte mon soutien à l’amendement de compromis proposé par Mme la rapporteure et M. le rapporteur général.

M. Boris Vallaud (SOC). Je voudrais répondre au ministre. J’ai effectivement dit, lorsqu’il est entré dans des discussions exclusives avec M. Ciotti, que s’il voulait obtenir notre soutien à un texte coécrit avec la droite, c’était mal barré. Il y a manifestement deux ministres de l’intérieur – au moins : celui qui siège au Sénat et qui dit une chose, et ce que les Allemands appellent un Doppelgänger, qui siège à l’Assemblée nationale et dit autre chose. Pour notre part, nous avons continuellement joué le jeu du parlementarisme. Chaque fois que nous pouvons remporter des victoires pour les Français et les Françaises, nous le faisons. Nous avons déjà soutenu, après les avoir amendés, des textes déposés par le Gouvernement.

Qu’il faudrait aller au-delà de la circulaire Valls, j’en suis aujourd’hui convaincu, et j’ajoute que c’est en tant que parlementaire, ce que je n’étais pas auparavant, pas plus que ministre, que j’exprime une position dont le parti socialiste a délibéré en toute clarté. L’absence de clarté et l’hypocrisie, pardon de le dire, monsieur le ministre, sont du côté des positions que vous prenez avec duplicité tantôt au Sénat et tantôt à l’Assemblée.

La commission rejette successivement les amendements.

Après l’article 3

Amendements CL1489, CL1490 et CL1491 de M. Aurélien Taché

M. Aurélien Taché (Écolo-NUPES). Ces amendements abordent un sujet extrêmement important, qui est l’autorisation de travail des demandeurs d’asile : ils ne peuvent l’obtenir qu’avec l’accord du préfet six mois après le dépôt de leur demande. Nous proposons, par l’amendement CL1489, un dispositif beaucoup plus ouvert et plus aligné sur ce qu’on fait un peu partout en Europe, qui consiste à ouvrir le marché du travail aux demandeurs d’asile un mois après le dépôt de leur demande, dans les mêmes conditions que pour les réfugiés. Puisqu’il est question d’intégration par le travail, dans votre bouche, monsieur le ministre, et dans celles de parlementaires de la majorité, il faudrait avancer réellement dans ce domaine. Le fait que les demandeurs d’asile ne puissent pas travailler est une anomalie complète sur le plan européen et c’est un vrai frein pour leur intégration future.

Les amendements de repli CL1490 et CL1491 portent respectivement le délai à deux et trois mois.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Avis défavorable. Je partage la conviction qu’il faut permettre aux demandeurs d’asile d’accéder au travail, mais je vous proposerai plutôt de rétablir les dispositions prévues à l’article 4, qui me paraissent équilibrées : un demandeur d’asile pourra, selon sa nationalité et le taux de protection associé, accéder au travail dès le dépôt de sa demande. Nous aurons l’occasion d’y revenir lorsque nous examinerons cet article.

M. Gérald Darmanin, ministre. Avis défavorable, même si je comprends votre demande, monsieur Taché. Je militerai, comme je l’ai fait au Sénat, pour les dispositions de l’article 4, qui permettront de donner une autorisation de travail aux gens dont on sait qu’ils ont une très grande chance, compte tenu des taux constatés, de bénéficier d’une protection au titre de l’asile. Ce n’est pas le cas, vous le savez, pour toutes les nationalités : certaines des personnes qui viennent en France, soit par l’intermédiaire de passeurs soit toutes seules, détournent la procédure d’asile, puisqu’il s’agit en réalité d’une immigration de travail.

Le rétablissement de l’article 4 serait en soi une très bonne chose, mais on pourrait reparler du taux de protection. Nous avions envisagé un seuil de 50 % en dessous duquel on n’accorderait pas d’autorisation de travail avant six mois. Notre proposition était de fixer ce seuil par voie réglementaire, mais je suis prêt à discuter aussi bien de son niveau que de son éventuelle inscription dans la loi.

Il me semble par ailleurs qu’un délai d’un ou deux mois serait un peu court – même les associations qui accompagnent les demandeurs d’asile disent que ces derniers ne peuvent pas travailler tout de suite après leur arrivée en France, en raison de leur parcours, qui a été très difficile. Il faudrait que nous regardions ensemble la question, mais je ne rejette pas par principe votre demande.

J’en profite pour signaler, car je sais que vous êtes également attentif à ce sujet, que nous prévoyons une mesure de simplification concernant non pas les demandeurs d’asile mais les travailleurs étrangers. Alors que l’autorisation de travail est normalement distincte du titre de séjour délivré par la préfecture, le rapporteur général propose, après des discussions avec le Sénat, que le titre de séjour puisse valoir autorisation de travail pour les métiers en tension, ce qui simplifierait grandement la vie de tout le monde, y compris l’administration. La fusion du titre de séjour et de l’autorisation de travail permettrait de gagner beaucoup de temps, dans le respect des travailleurs et de la demande sur le marché du travail.

M. Aurélien Taché (Écolo-NUPES). J’ai effectivement déposé des amendements allant dans le sens d’une fusion entre le titre de séjour et l’autorisation de travail. J’espère donc que nous pourrons les adopter.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements CL1485 et CL1487 de M. Aurélien Taché

M. Aurélien Taché (Écolo-NUPES). Ces amendements visent à mettre fin à la taxe que doivent payer les employeurs recrutant un travailleur étranger. Je considère, contrairement à ce que l’on entend souvent dire du côté de l’extrême droite, que la préférence nationale existe déjà en France. Quand on veut employer un travailleur étranger en situation régulière, il faut payer une taxe extrêmement importante, ce que je ne comprends pas : si un chef d’entreprise veut recruter un travailleur parce qu’il l’estime plus compétent que d’autres, quelles que soient les nationalités considérées, il doit pouvoir le faire sans subir ce type de frein. Je propose de mettre un terme dans ce domaine à l’application de la préférence nationale, principe que je combats.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Avis défavorable, pour des raisons que j’ai déjà évoquées.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL1053 de M. Benjamin Lucas

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Nous entendons protéger l’étranger salarié sans titre qui demanderait à être régularisé pour motif professionnel contre d’éventuelles mesures de rétorsion de la part de son employeur. Il arrive en effet qu’il soit indélicat – c’est le terme très pudique qui a été employé tout à l’heure. On ne peut pas écarter l’hypothèse dans laquelle un employeur qui prendrait connaissance de la démarche de régularisation engagée par son salarié procéderait à son licenciement, par crainte d’une sanction prononcée par l’administration.

Afin d’éviter un tel effet pervers, je propose d’assimiler les intéressés à des salariés protégés au sens du code du travail, le temps de la procédure de régularisation : le licenciement ou la rupture du contrat de travail seraient soumis à l’autorisation de l’inspection du travail, qui déterminera s’il existe un autre motif que la démarche de régularisation.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Je comprends votre préoccupation mais, dans la rédaction que vous en avez proposée, cet amendement ne me paraît ni opérationnel ni opportun. J’émettrai donc un avis défavorable.

S’agissant de l’opérationnalité, l’amendement est discordant avec son exposé sommaire. Vous dites souhaiter une protection par l’inspection du travail dans le cas d’une rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur consécutivement à une demande de régularisation présentée par un salarié étranger sans titre, mais il n’y a pas de référence à l’engagement d’une démarche de régularisation dans le dispositif proposé. Si on votait votre amendement en l’état, l’étranger en situation irrégulière qui serait licencié par son employeur bénéficierait donc, quel que soit le motif du licenciement, d’une protection comparable à celle accordée aux délégués syndicaux.

D’autre part, votre amendement ne semble pas opportun. En vertu de l’article L. 8252-1 du code du travail, un travailleur en situation irrégulière est autorisé à saisir le conseil des prud’hommes pour contester la rupture du contrat de travail. Il bénéficie donc déjà d’un recours. La meilleure réponse à votre préoccupation n’est pas de placer l’étranger sous la protection de l’inspection du travail mais de lui permettre d’engager une procédure de régularisation pour motif professionnel, ce que prévoit le projet de loi. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CL1486 et CL1502 de M. Aurélien Taché.

M. Aurélien Taché (Écolo-NUPES). Outre la taxe qu’ils doivent acquitter, les employeurs désireux de recruter un travailleur étranger doivent prouver qu’ils n’ont trouvé aucun travailleur de nationalité française pour occuper le poste – si ce n’est pas de la préférence nationale, je ne sais pas ce que c’est !

Quant aux autorisations de travail, le ministre a fait allusion à la possibilité de les fusionner avec les titres de séjour pour s’épargner une double instruction mais aussi pour éviter les cas dans lesquels le titre est accordé mais pas l’autorisation de travail. Il vous est proposé ici de supprimer l’autorisation de travail. Laissons les chefs d’entreprise choisir les travailleurs qu’ils veulent embaucher en fonction de leurs compétences et non de leur nationalité. Cela n’a aucun sens.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Avis défavorable. Bien que je partage votre préoccupation s’agissant des autorisations de travail, celles-ci peuvent avoir un intérêt dans certains cas – je pense à la visite médicale à laquelle doivent se soumettre les saisonniers.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je suis prêt à avancer sur les autorisations de travail dans trois directions. Premièrement, bien que cela relève du domaine réglementaire, je suis disposé à prendre l’engagement formel d’aboutir à une fusion entre titre de séjour et autorisation de travail qui simplifiera la vie de tout le monde. Il faut que la rédaction ménage une certaine souplesse pour éviter que nous ayons à recourir à la loi à la moindre modification.

Deuxièmement, nous pouvons travailler sur la mansuétude dont devraient bénéficier les travailleurs étrangers qui basculent dans l’irrégularité du fait de l’incurie administrative. Je pense à une personne, entrée régulièrement sur le territoire national et travaillant tout à fait convenablement, qui n’obtient pas à temps la réponse de la préfecture à sa demande de titre de séjour et se retrouve donc en situation irrégulière. Soit la personne perd son travail, soit l’employeur endosse l’irrégularité par solidarité avec son salarié, qui peut être sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). C’est totalement absurde. J’ai eu vent récemment de problèmes de cette nature pour des ingénieurs donc cela ne concerne pas que les métiers en tension.

En attendant la réforme des préfectures que j’ai évoquée à plusieurs reprises, je propose de trouver une solution, sur le modèle de la « tolérance » qui existe en Allemagne, pour que des personnes, titulaires d’un contrat de travail, arrivées régulièrement sur le territoire national et devenues irrégulières du fait de l’incurie de l’administration, ne connaissent ni les OQTF ni l’incertitude dans leur vie professionnelle.

Troisièmement, la vérification de la véracité du travail, qui est à l’origine de la création de l’autorisation de travail, doit rester un objectif mais elle peut s’opérer autrement que par une double démarche administrative. Elle peut l’être par la présentation d’un engagement de l’employeur dès le début du titre de séjour.

Enfin, lorsque les travailleurs changent d’employeur, ils sont tenus aujourd’hui de demander une nouvelle autorisation de travail. C’est absurde. Je suis prêt à travailler avant la séance pour faire en sorte que l’autorisation de travail, couplée au titre de séjour, soit valable pour l’ensemble des employeurs dès lors que les conditions liées aux besoins de main-d’œuvre, à la maîtrise de la langue et aux valeurs de la République sont remplies. La situation actuelle est kafkaïenne pour la personne étrangère comme pour l’administration française.

Nous pourrions donc travailler, sous l’autorité de la rapporteure et avec les députés intéressés, sur un amendement global sur les autorisations de travail reprenant ces différents points. Celui-ci fixerait les principes et renverrait pour le reste au pouvoir réglementaire dans le but de simplifier les procédures sans perdre de vue la vérification de la réalité du travail.

J’ai bien compris que vous ne proposiez pas un détournement mais une simplification. Je suis néanmoins défavorable à vos amendements tout en vous encourageant à travailler en vue de la séance publique.

M. Aurélien Taché (Écolo-NUPES). Je maintiens les amendements, mais j’entends l’ouverture que vous faites, monsieur le ministre. S’il est possible d’adopter un amendement global sur les autorisations de travail, je suis disponible pour y travailler.

Vous avez évoqué la continuité des droits. J’avais déposé hier un amendement visant à instituer une présomption de continuité afin d’éviter la rupture des droits consécutive à l’incurie administrative des préfectures – je reprends vos termes. La continuité devrait s’appliquer, au-delà des autorisations de travail, à l’ensemble des droits. Certaines personnes, à cause du non-renouvellement d’un titre de séjour dans les temps, perdent leur logement social, leur formation professionnelle, des droits sociaux, etc. Je proposerai en séance des amendements sur ce point.

Mme Annie Genevard (LR). Si préférence il y a, elle doit aller aux étrangers en situation régulière qui vivent dans notre pays et qui peuvent se trouver sans emploi. Notre pays compte près de six millions de demandeurs d’emploi dont trois millions en catégorie A. C’est dans ce vivier qu’il faut puiser pour combler les besoins dans les métiers et les régions en tension.

M. le président Sacha Houlié. Monsieur Taché, j’ai déposé, après l’article 4 bis, un amendement CL1645 en vertu duquel le titre de séjour vaut autorisation de travail. De même, en vertu de l’amendement CL1646, identique à ceux de Mmes Buffet et Pochon, la carte de séjour « travailleur saisonnier » vaudra autorisation de travail, quel que soit l’employeur. La carte ne pourrait ainsi pas être retirée en cas de changement d’employeur.

La commission rejette successivement les amendements.

Article 4 (supprimé) (art. L. 554-1-1 [nouveau] du CESEDA) : Accélérer l’accès au marché du travail des demandeurs d’asile ressortissants de pays bénéficiant d’un taux de protection internationale élevé en France

Amendements CL1083 de Mme Caroline Abadie, CL1096 de M. Philippe Brun et CL733 de Mme Danièle Obono, amendements identiques CL1703 de Mme Élodie Jacquier-Laforge, CL259 de la commission des affaires étrangères, CL1630 de M. Sacha Houlié, CL640 de M. Christophe Naegelen, CL1262 de M. Jean-Louis Bricout, CL1299 de M. Emmanuel Mandon, CL1445 de Mme Stella Dupont et CL1558 de Mme Marie Guévenoux (discussion commune).

Mme Caroline Abadie (RE). L’amendement CL1083 a été travaillé avec l’Association pour le droit à l’initiative économique (Adie), spécialiste de l’accompagnement de l’entrepreneuriat, notamment des personnes les plus précaires. Selon elle, 85 % des entreprises dont les créateurs sont accompagnés passent le cap des trois ans et 16 % d’entre eux sont des ressortissants étrangers. La création d’entreprise est un fort levier d’intégration au même titre que l’activité salariée.

L’amendement vise à rétablir l’article 4, supprimé par le Sénat, en ajoutant l’entrepreneuriat aux activités que le demandeur d’asile peut exercer dès l’introduction de sa demande, sous certaines conditions. Si l’objectif de l’article 4 est de permettre aux demandeurs d’asile de s’assumer financièrement le plus vite possible, l’amendement va dans le même sens. Plus les demandeurs d’asile travailleront, plus ils s’intégreront et moins ils seront dépendants de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA).

M. Arthur Delaporte (SOC). Il s’agit de mettre fin à une injustice qui est souvent vécue par les demandeurs d’asile comme une marque d’hostilité de la France à leur égard. Cette injustice consiste à les priver du droit de travailler, donc de s’engager dans un parcours d’intégration plein et entier.

Pour répondre à nos collègues de l’extrême droite, qui mettent en avant le coût faramineux de l’immigration pour les finances publiques, si un demandeur d’asile pouvait travailler, il n’aurait pas à vivre de la solidarité nationale. Non seulement l’État pourrait faire des économies mais surtout cela favoriserait la cohésion nationale et l’intégration de ceux qui ont fui leur pays, la guerre, les violences, et les persécutions. C’est aussi leur permettre de s’engager dans une reconstruction.

Mme Danièle Obono (LFI-NUPES). Nous souhaitons que tous les demandeurs et demandeuses d’asile puissent travailler dès l’introduction de leur demande auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Le projet de loi limite ce droit aux personnes originaires d’un pays inscrit sur une liste fixée annuellement par l’autorité administrative, introduisant ainsi une inégalité de traitement injustifiée. Pour nous, c’est la dignité de la personne, consacrée par la jurisprudence constitutionnelle, qui doit être respectée. Je rappelle que l’ADA s’élève aujourd’hui à 14 euros par jour. Il est impossible de vivre dignement avec un tel revenu. C’est l’une des raisons pour lesquelles nombre de demandeurs d’asile se retrouvent à la rue. Voilà pourquoi il faut leur permettre de travailler dès le premier jour.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. L’amendement vise à rétablir l’article 4 et je me réjouis que de nombreux collègues aient déposé des identiques.

En l’état du droit, le demandeur d’asile peut accéder au marché du travail six mois après l’introduction de sa demande lorsque l’Ofpra n’a pas statué dans ce délai.

De nombreux rapports parlementaires se sont intéressés au sujet. Je pense notamment au rapport d’information de 2020 de nos collègues de la commission des finances, Stella Dupont et Jean-Noël Barrot, relatif à l’intégration professionnelle des demandeurs d’asile et des réfugiés.

L’amendement vise à autoriser l’accès au marché du travail dès l’introduction de la demande d’asile dès lors que le demandeur est originaire d’un pays pour lequel le taux de protection internationale accordée en France est supérieur à un seuil fixé par décret et figurant sur une liste fixée annuellement par l’autorité administrative.

Le nouvel article ouvre la possibilité aux mêmes demandeurs d’asile de suivre certaines formations, linguistiques et professionnelles.

Les objectifs recherchés sont, d’une part, l’accélération du parcours d’intégration des étrangers dont il est le plus probable qu’ils vont rester sur le territoire et, d’autre part, la lutte contre l’emploi illégal des étrangers.

S’agissant du taux de protection internationale qui sera retenu, j’imagine que le ministre apportera des précisions.

Convaincue que l’équilibre trouvé est satisfaisant, je serai défavorable à l’ensemble des autres amendements de la discussion commune.

Mme Olga Givernet (RE). La suppression par le Sénat de l’article 4 nuit à l’équilibre du texte en restreignant l’accès des travailleurs étrangers au marché du travail français alors que les demandes sont fortes dans les métiers dits en tension.

L’article 4 instaurait un dispositif d’accès au marché du travail sans délai pour les demandeurs d’asile dont il est fortement probable au regard de leur nationalité qu’ils obtiendront une protection internationale en France. Le groupe Renaissance de la commission des affaires étrangères tient à le rétablir.

M. le président Sacha Houlié. J’ai également déposé un amendement de rétablissement de l’article 4.

Si nous souhaitons faciliter l’accès au marché du travail des personnes qui ont le plus de chance d’obtenir l’asile, c’est d’abord parce que nous avons inversé l’ordre d’examen des demandes d’asile.

Avant 2019, étaient examinées prioritairement les demandes d’asile émanant des personnes qui avaient le plus de chances d’être protégées – les Syriens ou les Afghans. Les demandeurs qui avaient le moins de chances d’être éligibles – les Albanais et les Géorgiens, notamment – devaient patienter six, sept, huit mois avant de voir leur dossier examiné. Ce choix créait une trappe à l’irrégularité.

Depuis 2019, l’ordre de priorité est inversé : sont d’abord examinées les demandes des personnes qui ont le moins de chances d’être protégées en raison de leur nationalité, de sorte qu’elles puissent rapidement être reconduites si elles ne sollicitent pas un titre de séjour. En revanche, les Syriens ou les Afghans restent sur le territoire pendant plusieurs mois, avec de grandes chances d’être protégés, donc ayant vocation à rester, mais sans pouvoir travailler. Ils sont condamnés à bénéficier de l’ADA. C’est à la fois une hérésie économique et un obstacle à l’intégration. L’article 4 proposé initialement par le Gouvernement est donc pleinement justifié.

M. Christophe Naegelen (LIOT). Cet amendement du groupe LIOT part d’un constat pragmatique : il est préférable de permettre à la personne qui est accueillie sur notre sol et a vocation à y rester – la liste des pays d’origine des demandeurs d’asile concernés sera évolutive – de travailler tout de suite. De nombreux groupes l’ont dit, le demandeur d’asile perçoit aujourd’hui l’ADA et vit dans des locaux qui ne sont pas toujours adaptés. S’il peut travailler, il crée de la valeur, il paie éventuellement des impôts, il n’est plus dépendant de la solidarité nationale. Puisqu’il a vocation à rester et à travailler, autant qu’il le fasse tout de suite.

Mme Stella Dupont (RE). Je tiens particulièrement à cet amendement identique à celui de la rapporteure. En tant que rapporteure spéciale de la commission des finances, je travaille, depuis de nombreuses années, sur le travail des demandeurs d’asile et leur intégration, notamment avec Jean-Noël Barrot. Les rapports parlementaires ne sont pas faits uniquement pour caler les armoires, ils servent aussi à éclairer nos débats et à nourrir nos propositions pour faire évoluer la loi. Il me semble nécessaire de faciliter et d’accélérer l’accès au travail de tous les demandeurs d’asile, pas seulement les plus protégés comme le propose l’article 4. Nous devons donc continuer à avancer sur ce sujet.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Notre groupe est très attaché à l’intégration. Il est favorable au rétablissement de l’article qui témoigne d’une approche équilibrée.

Mme Marie Guévenoux (RE). Il s’agit de rétablir l’article 4 du projet de loi initial.

Le président de la commission l’a rappelé, depuis la loi Collomb, nous avons inversé l’ordre d’instruction des demandes d’asile pour faire en sorte que ceux qui ne relèvent pas du droit d’asile puissent être éloignés du territoire national. Nous avons également raccourci les délais d’instruction. Compte tenu de ces évolutions, il nous semble important que les personnes les plus susceptibles de bénéficier de la protection internationale puissent entrer de manière accélérée sur le marché du travail, de façon à pouvoir s’intégrer le plus vite possible et à ne plus vivre des aides mais bien du travail.

M. Yoann Gillet (RN). Par cet article, vous voudriez donc permettre aux demandeurs d’asile de travailler sans condition, au mépris des cinq millions de Français sans emploi.

Vous encouragez ainsi le dévoiement du droit d’asile. « Dans tous nos pays, nous assistons à un dévoiement du droit d’asile par les trafiquants, par des réseaux ou des personnes venant de pays qui ne sont pas en guerre », ce sont les paroles non pas de Yoann Gillet ou de Marine Le Pen, mais d’Emmanuel Macron lui-même le 10 novembre 2020.

Par cette mesure, vous encouragez également une immigration massive. Vous incitez à l’irrégularité pour in fine aboutir à la régularisation massive que vous être nombreux ici à appeler de vos vœux. Je m’explique : un demandeur d’asile arrive en France, il entre donc illégalement sur le territoire national, il peut travailler. Lorsqu’il est débouté de sa demande d’asile, une OQTF lui est délivrée que le ministère de l’intérieur est incapable de faire exécuter. Il se trouve dès lors en situation irrégulière, tout en continuant à travailler. Grâce à l’article 4 bis, il sera régularisé.

Cet article confirme votre volonté d’accentuer l’immigration et de faire subir aux Français l’immigration massive dont ils ne veulent plus.

M. le président Sacha Houlié. Je relève beaucoup d’erreurs dans une seule intervention mais je laisserai le ministre de l’intérieur rectifier vos nombreuses inexactitudes.

Mme Annie Genevard (LR). Nous sommes absolument opposés à l’idée d’autoriser un demandeur d’asile à accéder au travail avant même que sa situation n’ait été examinée et qu’il n’ait reçu une réponse. En cas d’acceptation de sa demande, il bénéficie d’un titre de séjour et de tous les droits qui y sont attachés, parmi lesquels le droit de travailler.

Tant qu’il n’a pas été statué sur la demande d’asile, nous sommes résolument opposés à l’octroi d’un droit au travail. C’est ouvrir la voie à tous les trafics qui s’empareront inévitablement de cette possibilité. Il faut toujours envisager l’utilisation frauduleuse des facilités que nous accordons.

M. Arthur Delaporte (SOC). Sous couvert d’une prétendue générosité, l’article 4 que vous voulez rétablir introduit une nouvelle forme d’arbitraire. En effet, il est écrit : « l’accès au marché du travail peut être autorisé ». Autrement dit, l’administration a la faculté de le refuser ; ce n’est pas une autorisation de plein droit.

En ce qui concerne la liste des pays sûrs, on ne sait pas quels pays ouvriront droit au travail – sans doute la Syrie, l’Érythrée, l’Afghanistan. Mais que direz-vous aux Guinéennes qui fuient l’excision ? Que direz-vous à toutes celles et tous ceux qui seront exclus ? Les critères de détermination des pays éligibles – non sûrs – restent très flous et ne prennent pas en considération les situations individuelles et leur précarité.

Enfin, il y a à Ouistreham des Soudanais et à Caen des Afghans ; la moitié d’entre eux ont déposé une demande d’asile. Rares sont pourtant ceux qui bénéficient de l’ADA. Cela montre les difficultés d’accès au droit pour les demandeurs d’asile, ne serait-ce que pour avoir le minimum vital.

M. le président Sacha Houlié. Il y a au moins trois inexactitudes dans votre propos que je ne peux pas laisser passer : d’abord, l’accès au marché du travail est bien un droit. Ensuite, il n’est pas question d’une liste des pays sûrs mais d’une liste établie selon le degré de protection des nationalités, qui peut évoluer chaque année. Aujourd’hui, les Afghans sont protégés quasiment à 93 % parce que c’est un pays en guerre et dirigé par les talibans. La liste est susceptible d’évoluer plus rapidement que la liste des pays sûrs. Enfin, quant aux Guinéennes qui fuiraient l’excision, une protection leur est déjà octroyée au titre de la loi Collomb.

M. Louis Boyard (LFI-NUPES). La loi Collomb est totalement inopérante en l’espèce. J’entends les députés de la droite et de l’extrême droite, que je peine désormais à distinguer, énoncer des principes qui ne s’appliqueront pas à eux. Ce projet de loi ne changera rien pour eux.

Nous parlons de personnes qui, elles, n’ont pas la chance de pouvoir décider de leur sort, nous parlons de vies humaines – j’ai l’impression que vous avez tendance à l’oublier.

Vos principes procèdent tous d’une idée assez simple : l’anti-immigration. Il y a partout une suspicion et un mépris, encore plus caractérisé dès lors qu’il s’agit d’immigration africaine ou du Moyen-Orient. Or il faut toujours confronter ses principes à la réalité. Quelle est-elle ? Il est question de personnes qui vivent avec 14 euros par jour pendant huit mois : ce n’est pas un inconfort, c’est dangereux. Comment faites-vous, avec 14 euros par jour, pour payer le loyer, pour vous nourrir, pour vous soigner ? Ce sont des difficultés concrètes qui contredisent vos principes.

J’aimerais vous rappeler d’autres principes : liberté, égalité, fraternité. Au milieu de la cour d’honneur de l’Assemblée nationale, se trouve une boule qui est censée symboliser l’universalité des droits. Pourquoi ne voulez-vous pas donner à tous l’accès au marché du travail ? Pourquoi ceux qui ne sont pas originaires des pays inscrits sur la liste devraient-ils vivre avec 14 euros par jour ? Au-delà de l’intégration, c’est une question de survie. Aucun Français n’accepte de voir des personnes vivre à la rue, dans la détresse et la misère, parce qu’elles doivent vivre avec 14 euros par jour. L’amendement de Mme Obono me paraît être le plus juste et le plus efficace.

Mme Stella Dupont (RE). Je suis toujours étonnée d’entendre parler de dévoiement de l’asile. Il me semble que le problème tient plutôt au manque de voies d’immigration régulière. Certaines personnes déposent une demande d’asile alors que ce n’était pas leur objectif premier. Les voies d’immigration économique régulière sont si étroites que les candidats se détournent vers l’asile et causent l’encombrent que nous connaissons.

Il me semble utile de le rappeler surtout à l’extrême droite qui pointe en permanence l’asile et les réfugiés dans notre pays.

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). Le projet de loi accepte d’octroyer des droits aux seules personnes qui travaillent dans les métiers en tension. Les salariés qui acceptent des conditions de travail difficiles et qui servent le PIB français peuvent bénéficier d’une régularisation, mais pas les autres.

Les amendements visent à étendre la possibilité d’accéder à un emploi. Leurs bienfaits sont doubles : non seulement ils facilitent l’intégration dans notre pays, et non l’assimilation comme on l’a entendu hier, mais ils permettent aussi de lutter contre des employeurs et des logeurs peu scrupuleux. Tant que les personnes n’ont pas accès au travail, elles sont entre les mains de marchands de sommeil et d’employeurs indélicats qui les font travailler huit heures sur des marteaux-piqueurs comme l’expliquait Mme Faucillon.

Il faut absolument ouvrir des droits à ces personnes pour les aider à s’intégrer. Loin d’encourager une immigration qui menacerait les emplois français, nous assurerions le respect de droits humains essentiels que nous devons aux personnes qui arrivent dans notre pays.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je soutiens évidemment le rétablissement de l’article 4.

Pour répondre au représentant du Rassemblement national, les demandeurs d’asile ne sont pas des personnes irrégulières tant que leur demande n’a pas été rejetée. Ils ne sont pas entrés irrégulièrement sur le territoire puisque le droit français – en l’occurrence, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et le préambule de la Constitution de 1946, et si vous vouliez les contester, vous avez deux siècles et demi de retard, il fallait être là en 1789 –, impose à ceux qui veulent demander l’asile de le faire sur le territoire de la République. Quand quelqu’un se présente à nos frontières pour demander l’asile, il n’est pas irrégulier jusqu’au jour où on lui dit non. Tant que sa demande d’asile n’a pas été examinée, il a droit à la protection de la nation. C’est la raison pour laquelle nous lui versons une prestation sociale.

Des amendements ont été adoptés au Sénat afin de lutter contre les détournements du droit d’asile. Les personnes qui arrivent irrégulièrement et demandent l’asile uniquement lorsqu’ils sont arrêtés par la police essayent de contourner le droit d’asile, j’en conviens. Pour y remédier, une nouvelle disposition prévoit que, dans ce cas, la demande d’asile doit être étudiée mais sans laisser au requérant la liberté sur le sol national.

Le demandeur d’asile n’est pas considéré comme irrégulier, monsieur le député. C’est très important de le savoir sinon on ne comprend pas ce qu’est la demande d’asile en France. La même règle vaut dans tous les pays du monde qui ont un minimum de vie démocratique et qui acceptent l’asile.

On ne parle pas assez de l’arrêt de la Cour suprême du Royaume-Uni. Vous avez soutenu à l’envi le Brexit dont l’un des objectifs était de reprendre le contrôle de l’immigration. Je ne vous cache pas que les immigrés clandestins n’ont jamais été aussi nombreux au Royaume-Uni que depuis qu’il a quitté l’Union européenne. La Cour suprême estime que, quand bien même le Royaume-Uni dénoncerait la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), il ne pourrait pas mettre en place la demande d’asile hors des frontières, comme il l’avait proposé avec le Rwanda. Aucun pays n’a instauré un tel système. Cela n’a rien à voir avec les traités européens ou la CEDH, c’est une question de démocratie.

Reste la question centrale à laquelle cherchent à répondre les titres II, IV et V du projet de loi : que fait-on une fois qu’on a dit non, une fois que l’étranger est devenu irrégulier ?

Dans le système allemand, mis en place par Mme Merkel et son parti, la CDU, une personne déboutée n’est pas expulsée mais bénéficie d’une tolérance – le Duldung – qui lui permet de travailler sans pour autant être régularisée.

Nous proposons un tout autre système. Il s’agit d’abord d’appliquer deux directives européennes – celle relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier de 2008 et celle relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale de 2013. Madame Genevard, vous êtes peut-être opposée à cette mesure mais, par deux fois, le groupe du parti populaire européen (PPE), auquel appartiennent les élus Les Républicains, a soutenu l’adoption de la directive par le Parlement européen.

Depuis 2018, les demandeurs d’asile disposent en France d’une autorisation éventuelle de travail six mois après le dépôt de leur demande, comme dans tous les pays de l’Union européenne. Ils ne peuvent toutefois pas se prévaloir de cette autorisation pour justifier d’une vie privée et familiale en cas de recours postérieur au rejet de leur demande d’asile. Il est faux de dire qu’un étranger peut se prévaloir de l’autorisation de travail pour obtenir sa régularisation. Les tribunaux disent le contraire.

Ceux qui ne travaillent pas – à cet égard, je dois avouer que les arguments Mme Rousseau et de M. Boyard sont justes et devraient tous nous toucher – perçoivent l’ADA – moins de 300 euros par mois. Il est difficile d’obliger des personnes, qui pourraient travailler, à vivre avec 300 euros par mois et à recourir à l’hébergement d’urgence, que vous décriez par ailleurs, parce qu’on leur refuse le droit de travailler.

Ce sont des cas très concrets. Parmi les Afghans que nous avons évacués et qui nous avaient aidés pendant des années en combattant les talibans, il y avait des interprètes, dont nous avons bien besoin sur le sol national, des médecins, des avocats Quelle situation ridicule que de les accueillir sur notre sol et de pas leur permettre de travailler et d’apporter à la France tout ce qu’ils ont à lui apporter alors qu’ils obtiendront, avec une quasi-certitude, l’asile !

Monsieur Delaporte, je ne suis pas d’accord avec vous sur le choix des pays concernés. Pour la première fois, un gouvernement ne vous propose pas de changer la liste des pays sûrs. D’abord, nous le savons tous, cela n’a pas de sens puisqu’in fine, c’est l’Ofpra qui décide – et ce n’est pas un mal. Ensuite, la liste des pays sûrs a finalement peu d’intérêt puisqu’il faut désormais compter avec la jurisprudence notamment sur l’orientation sexuelle ou la religion.

La politique du Gouvernement en la matière repose sur la rapidité des procédures ainsi que sur le taux de protection. On peut toujours discuter de ce taux dont je rappelle qu’il est réglementaire. Nous l’avons fixé à 50 %. Ce taux permet d’inclure ceux dont on sait qu’ils obtiendront l’asile, sans faire le jeu de ceux qui détournent ce droit pour venir dans notre pays. Par exemple les Sénégalais, les Ivoiriens ou les Marocains n’ont, à quelques exceptions près, aucune raison de demander l’asile. Ils ne méritent pas, me semble-t-il, le même taux de protection que les femmes afghanes. Le critère du taux de protection, qui n’a rien à voir avec la liste des pays sûrs, me semble assez cohérent est démocratique.

Monsieur Delaporte, l’autorisation de travail, sur laquelle j’ai fait une ouverture en direction de M. Taché tout à l’heure, concerne moins l’étranger que l’entreprise. Il s’agit de vérifier que l’entreprise fonctionne bien et est en bonne santé financière et sociale – on ne donne pas une autorisation à une société en redressement. Celle-ci ne peut pas embaucher des personnes étrangères parfois en situation de vulnérabilité si elles ne respectent déjà pas le droit du travail pour ses salariés.

Finalement, de qui parle-t-on ? Comme pour les métiers en tension – je ne crois pas que cela méritait de faire autant la une des journaux –, on parle de quelques milliers de personnes. Cela concerne 20 % des 130 000 à 150 000 demandes d’asile. Si le nombre de demandes en France a augmenté d’environ 20 % depuis cinq ans, personne ne dit jamais que celui-ci est passé en Allemagne de 150 000 à 270 000 en trois ans.

Dans toute l’Union européenne, la France est le pays où la progression des demandes d’asile est la moins forte et celui qui en accepte le moins. Je tiens à rappeler ce constat à l’intention de ceux qui affirment que le système de l’asile fait l’objet de détournements de procédure massifs. Ce n’est pas vrai. Les demandes d’asile, qui reflètent les difficultés du monde, ont progressé de 10 % en France, alors qu’elles ont augmenté de plus 60 % dans l’Union européenne et même doublé en Allemagne en trois ans. Ce n’est pas seulement lié à des évolutions législatives puisque les juges de la CNDA sont indépendants du pouvoir politique et qu’ils appliquent les critères de la CEDH. Il est donc totalement faux de dire que la France est le pays qui accorde le plus le droit d’asile. En revanche, comme d’autres pays, nous avons du mal à renvoyer les personnes déboutées, ce qui fait l’objet des titres III, IV et V du projet de loi. Ne confondons pas les débats.

Nous discutons donc ici de 20 % des 130 000 demandeurs, ceux qui sont à peu près certains d’obtenir l’asile. Ce très bon article 4 ne mérite donc pas toutes les attaques dont il fait l’objet car il aide à lutter contre les passeurs, les trafics et les marchands de sommeil, en permettant aux gens de vivre de fruit du fruit de leur travail. Nous assumons d’y avoir posé une limite, soulignée par M. Delaporte : le préfet peut s’opposer à la demande de travail quand il l’estime manifestement détournée – il ne s’agit pas d’une autorisation de travail de plein droit.

Cette disposition est conforme au droit européen et aux pratiques de nos voisins européens. Elle est aussi cohérente avec l’issue de la procédure : ces personnes obtiendront l’asile, mais si par extraordinaire ce n’était pas le cas, l’autorisation de travail ne pourrait être considérée comme un droit à régularisation. Rappelons que le demandeur d’asile n’est pas une personne en situation irrégulière mais sous protection tant qu’elle n’est pas définitivement déboutée. Si elle reste après avoir été définitivement déboutée et invitée à quitter le territoire, elle se retrouve en situation irrégulière. Nous devons rester dans la ligne de ce qu’ont imaginé les révolutionnaires de 1789.

La commission rejette successivement les amendements CL1083, CL1096 et CL733.

Elle adopte les amendements identiques.

En conséquence, l’article 4 est ainsi rétabli.

Après l’article 4

Amendements CL1488 de M. Aurélien Taché, CL1704 de Mme Élodie Jacquier-Laforge, CL1170 de Mme Elsa Faucillon, CL506 de M. Julien Bayou, CL164 et CL165 de M. Éric Pauget, CL1252 de Mme Clara Chassaniol et CL730 de M. Andy Kerbrat (discussion commune)

M. Aurélien Taché (Écolo-NUPES). Nous proposons qu’un étranger devienne titulaire d’un document provisoire lui permettant d’exercer une activité professionnelle dès le dépôt de sa demande d’asile. L’autorisation de travailler serait ainsi liée à la condition de demandeur d’asile. Comme vient de le rappeler le ministre, un demandeur d’asile n’est pas un immigré en situation irrégulière : il est en situation régulière le temps de l’examen de sa demande. S’il est en situation régulière, il doit être autorisé à travailler.

L’article 4, qui vient d’être rétabli, permettra à ceux qui bénéficient d’un taux de protection élevé de travailler. Il ne manque pas d’arguments convaincants, notamment ceux qui ont été avancés par notre collègue Delaporte, pour justifier que bien d’autres devraient pouvoir le faire, même s’ils viennent de pays pour lesquels le taux de protection est moins élevé.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Notre amendement vise à modifier l’article L.554-1 du Ceseda, afin d’étendre l’accès au marché du travail aux demandeurs d’asile faisant l’objet d’une décision de transfert en application du règlement n° 604/2013, lorsque la décision n’a pas été exécutée dans le délai de six mois à compter de sa notification, et, en tout état de cause, dans un délai de neuf mois à compter de l’enregistrement de sa demande.

Il s’agit de mettre notre législation en conformité avec les dispositions de la directive 2013/33/UE qui prévoit que les États membres veillent à ce que les demandeurs aient accès au marché du travail dans un délai maximal de neuf mois à compter de la date d’introduction de la demande de protection.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Je me réjouis du rétablissement de l’article 4, mais nous souhaitons aller plus loin en ouvrant le droit au travail à tous les demandeurs d’asile.

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Nous voulons aussi ouvrir d’emblée un plein droit au travail pour les demandeurs d’asile, afin de faciliter leur inclusion ultérieure.

M. Éric Pauget (LR). Pour notre part, nous ne voulons pas que le demandeur puisse accéder au marché du travail avant que l’Ofpra ait statué. Il s’agit de ne pas créer des situations où l’état de fait devient plus fort que l’état de droit. Le message est important. Imaginons que l’on autorise l’accès au travail à une personne qui vient de déposer sa demande d’asile. Si l’Ofpra lui accorde ce statut par la suite, il n’y a pas de problème. Dans le cas contraire, elle ne sera plus en situation régulière mais la décision de l’Ofpra sera plus difficile à appliquer. Comme on l’aura admise sur le marché du travail, on se dote des outils pour que la situation de fait prime sur le droit, comme nous le verrons lors de l’examen de l’article 4 bis, ce qui suscite de la défiance dans notre pays. D’une manière générale, l’état de droit s’adapte trop souvent aux situations de fait, ce qui alimente un système dont nous n’arrivons pas à sortir.

L’amendement CL164 propose qu’il n’y ait pas d’accès au marché du travail tant que l’Ofpra n’a pas statué. L’amendement CL165, de repli, tient compte de la directive européenne dont vient de parler la rapporteure : si l’Ofpra n’a pas pris de décision dans un délai de neuf mois, le demandeur peut accéder au marché du travail.

Mme Clara Chassaniol (RE). Mon amendement CL1252 est satisfait puisqu’il est similaire à ceux que nous venons d’adopter.

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Nous voulons que l’attestation de dépôt d’une demande d’asile vaille autorisation de travail pour tous les demandeurs d’asile, sans aucune discrimination. Monsieur le ministre, vous parlez pourcentages, chiffres, flux et volumes, mais c’est une question de droits humains et de dignité. Il faut que ces gens-là puissent travailler immédiatement car, comme l’a rappelé mon collègue Boyard, ils ne peuvent pas vivre décemment avec 14 euros par jour.

L’extrême droite oppose les Français aux étrangers, reprochant aux seconds de prendre le travail des premiers. Vous n’avez rien inventé. En 1978, les affiches de Jean-Marie Le Pen clamaient déjà : « 1 million de chômeurs, c’est 1 million d’immigrés de trop ! La France et les Français d’abord ! » Ces slogans, nous les entendons dans les manifestations néonazies qui se tiennent dans le pays. Vous êtes vraiment la branche politique de ces gens-là, des racistes qui sèment la terreur dans le pays.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Je suis défavorable aux autres amendements que le mien.

M. Gérald Darmanin, ministre. Pour répondre à M. Pauget, j’aimerais revenir sur le profil des personnes concernées, en insistant sur les taux de protection. En 2021, ce taux était de 92 % pour les Afghans – en l’occurrence, il s’agit plutôt d’Afghanes puisqu’elles représentent 70 % des demandes. Cela signifie que la personne se verra accorder l’asile dans 92 % des cas. « Il s’agit de ne pas créer des situations où l’état de fait devient plus fort que l’état de droit », dites-vous à juste titre. Discutons alors du taux de protection plutôt que de la durée de six ou neuf mois ouvrant l’accès au marché du travail – ce qui revient à reculer pour mieux sauter. L’idée est de ne pas ouvrir la possibilité aux ressortissants de pays dont le taux de protection est très faible : 16 % pour le Nigeria, 15 % pour l’Albanie, 7 % pour la Géorgie et pour les Comores.

Dans ces cas, ne soyons pas hypocrites en accordant la possibilité de travailler à des gens qui n’ont quasiment aucune chance d’obtenir l’asile. Ce n’est d’ailleurs pas ce que nous proposons ici. Nous proposons de donner l’autorisation de travailler à des gens à qui nous accordons l’asile dans 92 % des cas. Il s’agit de leur éviter de vivre avec 300 euros par mois dans des logements d’urgence, en étant obligés de travailler illégalement et exposés aux risques inhérents à ce type de situation – prostitution, trafic de drogue et autres. Nous pouvons toujours discuter du taux de protection, mais votre argument ne me paraît pas recevable car nous ne proposons pas de donner des autorisations de travail à tout le monde.

Votre raisonnement vaudrait si nous n’adoptions pas les titres III, IV et V, directement inspirés des travaux du Sénat à partir du rapport Buffet. Quelle est la cause de l’immigration irrégulière ou du détournement du droit d’asile en France ? Ce ne sont pas les décisions des juges, qui sont les plus sévères d’Europe. Ce n’est pas davantage la maîtrise de nos frontières : en regardant autour de nous, nous ne pouvons pas considérer que nous sommes les plus laxistes. Ce ne sont pas non plus nos réglementations : dans un monde difficile, nous parvenons à mieux contenir la situation que nos voisins. La raison réside dans la longueur de nos délais de réponse.

Nous mettons environ trois ans à apporter une réponse définitive négative à un demandeur d’asile qui a détourné la procédure – nous pouvons parfois mettre autant de temps à répondre de manière positive. La loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, dite loi Collomb, a permis de faire passer de neuf à cinq mois, en moyenne, les délais d’examen du dossier par l’Ofpra. Le demandeur débouté fait appel devant la CNDA, qui mettra entre un an et un an et demi à se prononcer. Le refus de la demande n’entraînant pas systématiquement une OQTF – ce que nous voulons changer avec le présent texte –, nous lui notifions qu’il doit quitter le territoire. Il fait un recours, à caractère suspensif, ce qui se traduit par un nouveau délai de neuf mois à un an. Face à un nouveau refus, il saisit la cour administrative d’appel puis le Conseil d’État. Trois ans se sont écoulés. À ce stade, le problème n’est pas tant qu’il ait travaillé régulièrement ou non, mais qu’il se soit marié et ait fait des enfants : dès lors, sa vie privée et familiale est en France. Le juge nous dit que nous avions eu raison de lui opposer un refus, mais qu’il est là et que sa situation a évolué. Le pays d’origine va faire valoir qu’il est chez nous depuis trois ou quatre ans, et la situation se complique encore s’il s’est radicalisé ou qu’il a commis des actes de délinquance dans l’intervalle.

Il faut voir le projet de loi dans sa globalité. À ceux dont on est à peu près certains d’accorder le droit d’asile, nous permettons de travailler de manière anticipée sur autorisation du préfet, ce qui n’est tout de même pas faire preuve d’un grand laxisme. À tous les autres, on indique que leur cas sera tranché définitivement dans un délai maximum de neuf mois. Les titres III, IV et V permettront en effet d’améliorer encore les délais de l’Ofpra, d’obliger la CNDA à se prononcer plus rapidement, de faire en sorte qu’un refus de la CNDA vaille OQTF, et de réduire à trois, voire à deux, le nombre de recours possibles. Une fois ce texte adopté, le demandeur aura donc une réponse en moins d’un an, qu’elle soit positive ou négative. Ne faites pas comme si les titres III, IV et V n’existaient pas.

À ce stade de nos débats, il s’agit d’autoriser à travailler les gens quasiment assurés d’obtenir le droit d’asile, afin qu’ils ne vivent pas avec la seule ADA de 300 euros par mois. Sinon, vous viendrez vous plaindre que l’ADA augmente, que les demandeurs d’asile prennent des places dans les logements d’urgence, qu’ils sont dans des réseaux de trafiquants – ce qui peut se comprendre, quand on a 300 euros par mois, même si cela ne se justifie pas. Ceux qui n’auront pas l’autorisation de travailler auront l’assurance d’obtenir une réponse rapide. Nous gagnerons un an et demi de procédure, du seul fait que le refus d’asile vaudra OQTF, comme proposé par le sénateur Buffet. Battons-nous éventuellement sur les taux de protection, si vous estimez que le taux de 50 % est trop bas, mais il ne me semble pas judicieux de débattre sur des durées de six ou neuf mois.

Quant à vous, monsieur Taché, reconnaissez qu’il ne serait pas très juste de donner cette autorisation de travail à des ressortissants des Comores ou de Géorgie, qui ont 7 % de chance de se voir accorder le droit d’asile. Leur cas relève des procédures d’immigration de travail classiques.

M. Philippe Gosselin (LR). Monsieur le ministre, nous ne nions pas que le texte va dans le bon sens en ce qui concerne le raccourcissement de la durée des procédures. Ces situations d’incertitude sont mauvaises pour tout le monde, que ce soit sur le plan juridique ou sur le plan humain, et nous ne voulons pas tout interdire. Cela étant, nous créons aussi des situations inextricables, en donnant à certains le signal que tout est acquis d’avance, alors qu’il y a parfois des décisions contraires. Si 92 % des Afghans obtiennent l’asile, cela veut dire que 8 % d’entre eux ne l’obtiennent pas, ce qui n’est pas rien. Et le pourcentage de déboutés peut être plus élevé pour d’autres nationalités. En écho à notre collègue Pauget, je dirai que l’état de droit court après l’état de fait, ce qui ne nous paraît pas acceptable.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). L’idée de donner la possibilité de travailler à tous les demandeurs d’asile est profondément républicaine puisqu’elle évite les discriminations en matière d’accès au marché du travail en raison de la nationalité. Vous avez eu l’amabilité, monsieur le ministre, de reprendre plusieurs fois mes citations de principes fondamentaux de notre République. Je vais donc vous citer deux articles de la Constitution de 1793, celle de la première République, qui peuvent éclairer nos débats du jour. L’article 120 disposait : « Le peuple français donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le refuse aux tyrans. » L’article 4 définissait pour la première fois la notion de citoyenneté, indiquant globalement qu’elle pouvait être accordée à tout étranger ayant travaillé un an sur le territoire.

Notre position s’inscrit donc dans une tradition profondément républicaine, datant de deux siècles. Nous sommes carrément dans le thème.

M. Yoann Gillet (RN). Chers collègues, j’aimerais rappeler quelques vérités. Théoriquement de six mois, l’instruction par l’Ofpra dure en réalité huit mois et vingt et un jours en moyenne. Je me fonde sur le rapport de l’Ofpra, monsieur le ministre, je n’ai pas inventé les chiffres. Rappelons que le dévoiement du droit d’asile est vecteur d’irrégularités puis de régularisations. J’ai déjà décrit le processus : vous demandez l’asile ; vous allez travailler puisque vous y êtes autorisé ; vous êtes débouté ; on vous délivre une OQTF, vous restez sur le territoire national en situation irrégulière ; in fine, vous êtes régularisé grâce aux dernières mesures. Rappelons aussi que le dévoiement du droit d’asile n’est pas sans conséquences sur la sécurité des Français. À cet égard, je citerai la décapitation de Samuel Paty par un réfugié tchétchène, l’incendie de la cathédrale de Nantes, puis le meurtre d’un prêtre par un débouté rwandais du droit d’asile, le meurtre de trois étudiants par un demandeur soudanais…

Mme Stella Dupont (RE). Le Rassemblement national est obsédé par le dévoiement du droit d’asile et stigmatise les demandeurs d’asile de façon permanente. Les chiffres de demandes d’asile en France et en Allemagne, cités par M. le ministre, montrent que notre pays n’est pas le plus généreux, comme d’aucuns le prétendent, mais qu’il est plutôt moins attractif que d’autres. Il faut arrêter de surfer sur des idées reçues qui sont sans fondement. Nombre d’étrangers ne choisissent plus la France. L’image et le rayonnement de notre pays sont abîmés par notre façon d’accueillir, par le parcours d’obstacles que représentent les procédures et par la stigmatisation des étrangers dans les discours politiques, en particulier dans ceux de l’extrême droite. La dignité nous impose d’avoir des politiques à la hauteur de la patrie des droits de l’homme.

M. Boris Vallaud (SOC). Ce projet de loi n’a tiré quasiment aucun enseignement de l’excellent rapport d’information relatif à l’intégration professionnelle des demandeurs d’asile et des réfugiés, dont Stella Dupont était corapporteure avec Jean-Noël Barrot. C’est un rapport où l’on apprend notamment qu’autoriser les demandeurs d’asile à travailler dès le dépôt de leur demande permet de réduire la dépense publique et de favoriser l’intégration des réfugiés une fois qu’ils ont obtenu le statut.

S’agissant de la formation en langue, il s’écoule environ seize mois entre le moment où ils déposent leur demande et le moment où ils accèdent à une formation en langue. Je voudrais aussi reprendre à mon compte les résultats de certaines études réalisées en Allemagne, montrant que les étrangers ayant pu accéder à l’emploi dès leur arrivée sur le territoire allemand s’inscrivent durablement dans l’emploi et s’y maintiennent. Certains pays européens tels que l’Autriche, l’Espagne, le Portugal et la Suède autorisent l’accès immédiat des demandeurs d’asile au marché du travail. Le Portugal et la Suède, par exemple, n’exigent pas d’autorisation administrative spécifique. Voilà pourquoi nous défendons l’accès au marché du travail pour tous les demandeurs d’asile.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Vos propos, monsieur Gillet, qui consistent à mettre un signe égal entre la demande d’asile et la décapitation sont dégueulasses, immondes, honteux. Je regrette qu’ils puissent être prononcés, y compris à l’Assemblée nationale. S’y ajoutent les mensonges que vous proférez systématiquement sur la durée de traitement des demandes d’asile par l’Ofpra, par exemple. Cessez de parler aux instincts les plus bas. Vous êtes – et vos propos l’ont été – repoussant.

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Gillet, vous pouvez vous reporter à la page 68 du rapport 2022 de l’Ofpra, au chapitre « Les dossiers en instance et les délais de traitement ». Vous pourrez y lire : « Le délai de traitement, qui s’était maintenu à un niveau élevé en 2021 et n’avait amorcé sa décrue qu’à partir du mois de septembre 2021, a considérablement diminué. Ainsi, le délai moyen de traitement, qui avait atteint 261 jours en 2021, a été amené en 2022 à 159 jours (5,2 mois), soit un niveau comparable à celui de l’année 2019 (161 jours). »

Monsieur Gillet, vous racontez n’importe quoi en donnant des sources fausses. Le délai de traitement de l’Ofpra est donc de cinq mois, ce dont nous devrions nous réjouir. Tant qu’à faire, monsieur Gillet, étayez au moins vos thèses sur un semblant de vérité.

Successivement, la commission rejette l’amendement CL1488 et adopte l’amendement CL1704. L’article 4 bis A est ainsi rédigé.

En conséquence, les autres amendements tombent.

La réunion est suspendue de onze heures trente-cinq à onze heures cinquante-cinq.

Article 4 bis (nouveau) (art. L. 435-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Procédure d’admission exceptionnelle au séjour pour les travailleurs sans papiers exerçant dans des métiers en tension

Amendement de suppression CL431 de Mme Edwige Diaz

Mme Edwige Diaz (RN). Le Rassemblement national a bel et bien raison : ce texte vise à créer une énième filière d’immigration, même si vous semblez prendre nombre de précautions. Vous dites que ces régularisations se feront à titre expérimental, mais nous savons très bien que les expériences finissent par être pérennisées. Vous dites retenir une liste de métiers en tension, mais, sous la pression des associations immigrationnistes et de l’extrême gauche, cette liste risque de s’élargir. Vous dites que ce sera limité à des zones géographiques tendues, mais, au vu de certains amendements, la France entière risque d’entrer dans le périmètre. Vous dites qu’une période de résidence de trois ans sera exigée, mais nous savons d’expérience qu’elle se réduira à deux ans, un an, puis six mois avant de disparaître. Il y aurait urgence à régulariser dans certains métiers comme ceux du secteur du BTP. Il y a quelques jours, j’ai été invitée par la Fédération française du bâtiment (FFB) de la région Nouvelle-Aquitaine où les professionnels m’ont expliqué qu’ils redoutaient d’avoir à licencier 100 000 personnes d’ici à 2025 en raison de la crise du logement.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la commission rejette l’amendement.

Amendement CL1665 de M. Florent Boudié, sous-amendements CL1744 de Mme Caroline Abadie, CL1743 de M. Christophe Naegelen, CL1759 de M. Boris Vallaud, CL1742 de M. Christophe Naegelen, CL1760 de M. Boris Vallaud, CL1757 de M. Emmanuel Mandon, sous-amendements identiques CL1740 de M. Sacha Houlié, CL1755 de M. Benjamin Saint-Huile et CL1761 de M. Boris Vallaud, sous-amendements CL1756 de Mme Stella Dupont, CL1762 de M. Christophe Naegelen et CL1739 de M. Benjamin Saint-Huile, sous-amendements identiques CL1741 de M. Sacha Houlié et CL1758 de M. Boris Vallaud, sous-amendement CL1737 de M. Benjamin Saint-Huile, amendement CL645 de M. Christophe Naegelen (discussion commune)

M. Florent Boudié, rapporteur général. Il s’agit de l’amendement, annoncé à plusieurs reprises, concernant les améliorations que nous souhaitons apporter au dispositif sénatorial.

En lieu et place de l’automaticité générale et absolue de toute régularisation dans les métiers en tension, nous souhaitons que le préfet ait son mot à dire. En revanche, contrairement au Sénat, nous ne voulons pas que le préfet dispose d’un pouvoir discrétionnaire. Nous réintroduisons l’autonomie de la demande de régularisation par rapport à l’employeur, car nous n’ignorons pas qu’il peut exister des liens de subordination, voire d’exploitation. Contrairement à ce que vous prétendez, madame Diaz, c’est précisément en régularisant que l’on évite les pressions aux bas salaires. Nous voulons aussi faire en sorte qu’à tout moment au cours de la procédure de demande de régularisation, le préfet puisse s’y opposer si l’étranger représente une menace pour l’ordre public ou contrevient par ses agissements aux principes et valeurs de la République définis à l’article 13 du projet de loi.

Avec ces aménagements, il me semble que nous atteignons notre objectif. C’est un dispositif de régularisation resserré, qui correspond à des besoins économiques tout en permettant de sortir certaines personnes de l’illégalité, voire de conditions inacceptables de maltraitance. Il exige du demandeur une résidence régulière sur le territoire français de trois ans, et il est limité dans le temps – la borne, fixée au 31 décembre 2026, devrait être repoussée pour tenir compte du fait que le projet de loi a été présenté en conseil des ministres il y a près de onze mois, ce qui ne changera rien à l’efficacité du dispositif.

Mme Caroline Abadie (RE). Le sous-amendement CL1744 vise à s’assurer que l’apprentissage sera bien pris en compte dans le calcul de la durée de travail effectué dans un métier en tension. En effet, il arrive parfois, de façon disparate, que l’apprentissage soit considéré comme un contrat aidé et non pas comme une activité salariée. Il vaut mieux clarifier ce point qui peut faire l’objet d’interprétations variables.

M. Christophe Naegelen (LIOT). Nous proposons d’établir la liste des métiers en tension à l’échelle du département plutôt qu’à celle de la région, en réunissant les acteurs clés du département autour du préfet.

M. Arthur Delaporte (SOC). Nous proposons d’étendre l’expérimentation à toutes les activités professionnelles salariées, sans limitation liée à la notion de métier en tension. Si vous considérez que les métiers de la restauration ne font pas partie des métiers en tension, monsieur le ministre, c’est parce que le secteur emploie des travailleurs en situation irrégulière qui ne sont pas comptabilisés comme tels. Il y a là une grande injustice. Si vous commencez à territorialiser, vous allez créer une énorme usine à gaz, mais aussi des inégalités importantes entre les différents départements ou même entre les différents bassins d’emploi.

M. Christophe Naegelen (LIOT). Nous voulons porter la durée minimale de travail dans un métier en tension de huit à douze mois au cours des vingt-quatre derniers mois, comme proposé par le Sénat. Il nous semble que le minimum est de demander à la personne d’avoir travaillé la moitié du temps au cours des deux dernières années.

M. Arthur Delaporte (SOC). Nous demandons de supprimer la faculté accordée au préfet de s’opposer à la délivrance du titre pour les motifs énumérés à l’alinéa 3 de l’amendement du rapporteur général. Dans la version initiale du projet de loi, il n’y avait pas cette intervention du représentant de l’État, une restriction qui nous éloigne du droit opposable.

Mme Blandine Brocard (Dem). Pour le groupe Démocrate, cet article 4 bis et l’amendement du rapporteur général revêtent une grande importance car ils favorisent une intégration poussée des personnes en situation irrégulière qui manifestent leur bonne volonté et qui ont un contrat de travail régulier. Or une bonne intégration passe notamment par le travail.

Nous voulons préciser l’amendement du rapporteur général, un peu dans le même esprit que Mme Abadie : outre les travailleurs salariés, il faut prendre en compte ceux qui sont en apprentissage et même tous les travailleurs indépendants. Mon groupe souhaite d’ailleurs aller au-delà des seuls métiers en tension et fera des propositions en ce sens lors des débats en séance.

M. le président Sacha Houlié. D’emblée, je tiens à dire que l’amendement du rapporteur général n’est pas la version idéale que j’aurais souhaitée, mais le résultat d’un compromis. Il témoigne de notre volonté de faire aboutir ce texte non pas pour nous, parlementaires, mais pour les personnes concernées par les régularisations. Pour elles, nous devons dépasser le jeu politique car elles méritent d’accéder à ce droit aménagé : il reste opposable dans certaines circonstances, mais il ne l’est plus si l’étranger représente une menace pour l’ordre public, contrevient par ses agissements aux principes et valeurs de la République ou qu’il vit en France en état de polygamie.

Dans le texte initial du Gouvernement, il y a des éléments que je souhaite modifier. Je pense qu’il faut ainsi tenir compte des périodes travaillées sous le statut de saisonnier, d’étudiant ou de demandeur d’asile. Il faut unifier le régime pour que toutes ces périodes puissent entrer dans le décompte des huit mois de travail effectués durant les deux dernières années. Je propose aussi de retarder la fin de l’expérimentation de deux ans, c’est-à-dire de la reporter du 31 décembre 2026 au 31 décembre 2028, pour tenir compte du fait que l’examen du projet de loi a été maintes fois décalé. À tous ceux qui s’inquiéteraient d’un appel d’air, je précise que nous comptons les étrangers qui, à la date d’adoption du texte, pourront justifier de trois ans de présence et de huit mois de travail sur le territoire.

M. Michel Castellani (LIOT). Le sous-amendement de notre collègue Saint-Huile vise à permettre d’inclure, pour le décompte des périodes d’activité professionnelle dans les métiers en tension ouvrant droit à un titre de séjour, les périodes de travail exercées sous le statut de demandeur d’asile, de saisonnier et d’étudiant.

M. Arthur Delaporte (SOC). Comme vous-même, monsieur le président, nous demandons que toutes les périodes d’activité soient comptabilisées, y compris celles effectués sous statut de demandeur d’asile, de saisonnier ou d’étudiant. C’est un minimum.

Mme Stella Dupont (RE). L’amendement du rapporteur général propose une véritable avancée en matière de régularisation des travailleurs sans-papiers dans les métiers en tension. Toutefois, le texte initial prévoyait la possibilité de délivrance d’une carte de séjour pluriannuelle à l’expiration de la carte de séjour temporaire portant la mention « travailleur temporaire » ou « salarié » d’une durée d’un an, dans le cas où la personne est titulaire d’un CDI. Cette précision n’apparaissant pas dans l’amendement du rapporteur général, il me semble utile de l’ajouter explicitement. C’est un point de vigilance : il ne faut pas se contenter d’une année, en particulier quand il y a un CDI à la clef.

M. Christophe Naegelen (LIOT). Le sous-amendement CL1762 vise à limiter ce dispositif aux personnes déjà présentes sur notre territoire à la date d’entrée en vigueur de la loi. Notre groupe estime nécessaire d’être clair sur ce point afin de ne pas créer un appel d’air qui favoriserait l’arrivée illégale de travailleurs étrangers.

M. Michel Castellani (LIOT). Le rétablissement d’une carte de séjour temporaire est une mesure importante pour l’économie mais la date limite d’application au 31 décembre 2026 est trop restrictive pour rendre le dispositif pleinement effectif. Le sous-amendement CL1739 tend donc à fixer la durée de cette disposition à trois ans à compter de la promulgation de la loi.

M. Arthur Delaporte (SOC). Il s’agit d’étendre la durée de l’expérimentation de trois à cinq ans et d’en fixer le terme à 2028 au lieu de 2026. On peut regretter qu’il ne s’agisse que d’une expérimentation, mais c’est mieux que rien.

M. Michel Castellani (LIOT). Le sous-amendement CL1737, toujours selon la même logique, vise à fixer la date de fin de l’expérimentation au 31 décembre 2027.

M. Christophe Naegelen (LIOT). L’amendement CL645 tend à réécrire l’article 4 bis, en reprenant les différents arguments que j’ai eu l’occasion de présenter – définition de la liste des métiers en tension au niveau départemental, condition de douze mois d’activité sur les deux dernières années. C’est un résumé de mes trois précédents sous-amendements.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. J’émets un avis favorable au sous-amendement CL1744, relatif à l’extension du dispositif au contrat d’apprentissage, ainsi qu’au sous-amendement CL1743, qui vise à établir la liste des métiers en tension à l’échelon départemental.

Avis défavorable en revanche au sous-amendement CL1742, qui étend de huit à douze mois la durée minimale de travail dans un métier en tension, ainsi qu’au sous-amendement CL1760.

Avis favorable au sous-amendement CL1757, qui concerne également le contrat d’apprentissage, ainsi qu’au sous-amendement CL1740, qui vise à inclure dans le dispositif les périodes d’activité professionnelle des saisonniers, des étudiants et des demandeurs d’asile.

Le sous-amendement CL1756 étant satisfait, je souhaite son retrait ; à défaut, l’avis sera défavorable.

Je ne vois pas concrètement à quoi renvoie le sous-amendement CL1762, qui a pour objet de limiter le bénéfice de la mesure aux personnes présentes sur le territoire au moment de l’entrée en vigueur de la loi, car à mon sens cela est déjà couvert. Nous pourrons en rediscuter.

Enfin, concernant les sous-amendements relatifs à la durée du dispositif, nous pouvons tenter de trouver une position commune afin que l’expérimentation soit suffisamment longue pour être pertinente.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je souhaite apporter quelques éclaircissements supplémentaires. Concernant la condition de durée – huit ou douze mois d’activité dans un métier en tension –, nous aurons probablement l’occasion d’en rediscuter avec le Sénat en commission mixte paritaire. Il en ira de même, sans doute, du décalage de deux ans du terme de l’expérimentation car nous devons tenir compte du temps qui s’est écoulé depuis la présentation du texte en Conseil des ministres. Il est important de se donner cette souplesse compte tenu des délais de promulgation de la loi et de parution des décrets d’application, que nous ne connaissons pas à ce stade.

Pour répondre à Stella Dupont sur la possibilité d’accorder une carte de séjour pluriannuelle, il était indispensable de formaliser ce point lorsque l’article 3 prévoyait la création d’un titre spécifique. Or, en l’occurrence, nous renvoyons à des catégories de titres existantes – salarié, travailleur temporaire –, qui relèvent par conséquent du droit commun. Nous souhaitons sortir de l’illégalité les ressortissants remplissant les conditions que nous avons explicitées afin qu’ils puissent assumer un parcours d’intégration. À terme, la logique est que ces personnes, si elles respectent les conditions de droit commun, bénéficient d’une carte de séjour pluriannuelle.

Les sous-amendements défendus par nos collègues du groupe LIOT sont contradictoires : le sous-amendement CL1762 de M. Naegelen impose que la personne soit déjà présente sur le territoire national au moment de la promulgation du texte, tandis que celui défendu ensuite par M. Castellani impose une présence de trois ans à partir de la promulgation de l’expérimentation. Ces deux conditions sont antinomiques mais nous pourrons retravailler ce sujet en vue de la séance publique.

Concernant le sous-amendement CL1740 du président de la commission, il faut que nous y réfléchissions plus longuement d’ici à la séance publique. Le titre de séjour « saisonnier » pourrait, si ce sous-amendement était adopté, servir de motif de régularisation. Or le statut de saisonnier est, par définition, limité à un objectif très précis – je suis issu d’un territoire viticole où il est très utilisé – et le risque est que, après deux ou trois titres de séjour, l’on soit dans une logique de régularisation qui ne correspond pas au motif initial. Travail saisonnier et travail temporaire ne sont pas équivalents. Je souhaiterais que l’on réfléchisse à ce sujet.

Il en va de même pour les visas étudiants. Les étudiants étrangers peuvent travailler dans la limite de 60 % de la durée légale du travail. Toutefois ce sont les études, et non le travail, qui justifient leur venue sur le territoire national. Or vous proposez de les régulariser au titre du travail. Nous devons y réfléchir de façon plus précise. Enfin, je vois mal comment nous pourrions créer une forme d’automaticité dans la régularisation d’une personne déboutée du droit d’asile et qui n’aurait pas respecté les décisions d’éloignement. Je souhaiterais donc, monsieur le président, que vous retiriez ce sous-amendement.

En revanche, les sous-amendements relatifs au contrat d’apprentissage me semblent parfaitement fondés. Nous savons tous que le passage de la minorité à la majorité entraîne des ruptures dans la régularité du séjour. Cet angle mort crée des situations d’insécurité. Il me semble donc tout à fait justifié de tenir compte de la durée de contrat d’apprentissage dans la possibilité de régularisation du séjour.

M. le président Sacha Houlié. Je comprends vos arguments et j’accepte d’étudier pour la séance les différents publics concernés et la prise en compte des périodes de travail, notamment celles faisant l’objet de délivrance pour des périodes spécifiques – saisonniers, étudiants. Je retire donc le sous-amendement CL1740.

M. Gérald Darmanin, ministre. J’émets également un avis favorable aux sous-amendements portant sur le contrat d’apprentissage. En revanche, concernant les indépendants, et même si je peux comprendre la question posée par les représentants du groupe Démocrate, il faut considérer le texte dans sa globalité. Le statut de salarié et celui d’auto-entrepreneur ne répondent pas aux mêmes ressorts. Dans le premier cas, le salarié en situation irrégulière est exploité par un patron voyou qui utilise le sans-papiers dans des conditions de travail déplorables – pression sur le droit syndical, salaires tirés vers le bas. On peut considérer que le salarié subit plutôt qu’il n’organise le trafic, exploité par quelqu’un qui a le pouvoir capitalistique. Il est donc normal de le protéger en le libérant de la tutelle de l’employeur, laquelle n’est autre que du servage moderne ; c’est une question d’humanité. En outre, l’article 8 prévoit des sanctions administratives très fortes contre l’employeur qui embauche des personnes en situation irrégulière. Ce texte vise donc à lutter contre l’hypocrisie, à mettre fin à des flux et à étudier le stock pour savoir qui exploite qui et comment combattre ce phénomène. C’est la fin d’un écosystème.

Le statut d’auto-entrepreneur pose un problème différent puisqu’il repose sur une faille de l’administration française, qui ne vérifie pas la régularité du séjour. Nous savons tous que même lorsqu’il devient son propre patron, un auto-entrepreneur peut être exploité. Notre objectif étant de mettre fin aux flux, nous vous proposerons à l’article 5 de supprimer la possibilité pour une personne en situation irrégulière de créer une auto-entreprise. C’est une disposition très importante.

Je ne suis pas favorable à ce que l’article 4 bis traite d’autre chose que des salariés, car cela reviendrait à légaliser une activité conçue en détournant notre droit. Il est vrai, cependant, que certaines personnes, exploitées sous le statut d’auto-entrepreneur, peuvent être assimilées à des salariés. Je propose donc, avec l’engagement de le faire sous trois mois, la création d’un groupe de travail avec le ministère de l’économie et des finances et avec le ministère du travail pour distinguer la fraude au droit des étrangers de ce qui relève de la philosophie de l’article 4 bis. Je souhaite donc le retrait de ce sous-amendement, avec un engagement très fort de ma part sur la question des indépendants.

Avis défavorable sur les autres sous-amendements, même si M. Naegelen a compris que nous retravaillerons en séance, avec le ministre du travail, la question de la territorialisation départementale.

Mme Blandine Brocard (Dem). Je remercie le ministre pour l’engagement qu’il vient de prendre et je retire le sous-amendement CL1757 au profit du CL1744 de Mme Abadie, qui se limite à l’apprentissage.

Mme Edwige Diaz (RN). Il est affligeant de constater que vous ignorez les 65 % de Français qui considèrent que notre pays compte déjà beaucoup d’étrangers et qu’accueillir des immigrés supplémentaires n’est pas souhaitable. Avec cet article et ces amendements, vous créez un appel d’air sans précédent et, croyez-moi, il sera entendu par les passeurs. Je vous ai indiqué mes craintes il y a quelques instants sur le risque de pérennisation de ce dispositif présenté comme expérimental : vous venez de passer un premier palier en le prolongeant jusqu’en 2028. Je vous ai alertés sur le risque d’élargissement des catégories éligibles à la carte de séjour « travailleur » : avec vos sous-amendements, elles seront élargies aux saisonniers, puis aux étudiants, puis aux apprentis, puis à ceux qui sont en formation, puis aux auto-entrepreneurs, etc. Ce faisant, vous ouvrez la voie à la régularisation des 600 000 à 900 000 clandestins présents dans notre pays. Il faut que les Français sachent que votre texte a vocation à créer une nouvelle filière d’immigration particulièrement dangereuse.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Tout d’abord, je tiens à vous faire part de mon amertume car je n’ai pu défendre notre amendement de suppression de l’article 4 bis, les conditions d’examen des textes de la niche LFI et en commission rendant cela difficile – vous ne m’empêcherez pas de penser que cela vous arrange un peu, monsieur le président. Nous souhaitions supprimer l’article 4 bis parce qu’il constitue une régression non seulement par rapport au texte initial, déjà peu ambitieux, mais aussi par rapport à l’existant. Il nous est impossible de valider cette démarche.

Ensuite, s’agissant de vos amendements, que vous qualifiez de compromis, ils visent tous à répondre à l’idée, défendue par la droite et l’extrême droite, qu’il y aurait un appel d’air – comme si les vagues de régularisations, même quand elles ont été massives, avaient créé un quelconque appel d’air ! Cela suffit ! L’appel d’air n’existe pas, c’est un mythe qui ne repose sur aucun élément rationnel. Arrêtez de défendre des amendements qui donnent l’impression qu’en accordant un titre de séjour à 1 000 travailleurs de plus – car il ne s’agit que de quelques petits milliers –, on va créer une bombe politique. Il faut revenir à la réalité, à savoir que des milliers de travailleurs sont exploités : voilà ce à quoi il faut mettre fin.

M. le président Sacha Houlié. Concernant votre amendement de suppression, j’ai demandé à vos collègues de la commission, lors de la reprise, si j’attendais votre retour pour reprendre nos travaux ou s’ils souhaitaient commencer : tous ont demandé que les débats reprennent. J’en suis désolé mais il n’y avait pas malice de ma part, madame Faucillon.

M. Laurent Marcangeli (HOR). Le texte adopté par le Sénat, déjà issu d’un compromis, nous convenait parfaitement. Je salue l’effort accompli par le rapporteur général pour essayer, à l’Assemblée, de trouver également une voie de compromis, notamment sur l’opposabilité du droit avec un passage sur un veto préfectoral en maintenant un certain nombre d’éléments faisant l’objet de l’examen du dossier. La présentation de la carte de séjour constitue selon moi un progrès. Je voterai favorablement le sous-amendement de notre collègue Naegelen sur les délais car il me semble qu’un an vaut mieux que huit mois. L’amendement proposé par le rapporteur général va globalement dans le bon sens : nous le voterons également.

Concernant les sous-amendements, je salue le retrait de celui du président dans l’optique d’en discuter en séance dans quelques jours. Nous ne voterons pas les autres sous-amendements, à l’exception de celui sur la départementalisation souhaitée par le député Naegelen.

Mme Annie Genevard (LR). Un petit bilan d’étape à ce stade de l’examen du texte : vous avez supprimé les quotas, vous avez rétabli l’AME, vous avez supprimé le délit de séjour irrégulier et, avec cet article 4 bis, vous consacrez un droit de régularisation pour les personnes en situation irrégulière dans les métiers en tension, droit opposable qui sera probablement une source infinie de contentieux. Pour nous, il s’agit d’une quatrième ligne rouge. Nous sommes frontalement opposés à cette disposition. Le pouvoir de veto du préfet sera très encadré et donc très difficile à exercer. C’est l’expression d’une méfiance à l’égard des préfets et de leur pouvoir discrétionnaire en la matière.

Enfin, je reprendrai le propos de Pierre Brochand, ex-directeur général de la sécurité extérieure (DGSE), qui sait de quoi il parle : selon lui, « régulariser les clandestins dans les métiers en tension, c’est amorcer une pompe inépuisable ». Nous le pensons également. C’est la raison pour laquelle nous sommes résolument opposés aux dispositions de l’article 4 bis.

Mme Marie Guévenoux (RE). Ni amorce d’une pompe inépuisable, ni appel d’air : l’article 4 bis, qui est très ciblé puisqu’il concerne des étrangers qui séjournent sur le territoire depuis déjà trois ans et qui exercent une activité salariée dans des métiers ou des zones en tension. Cela concerne tout au plus 7 000 personnes.

Nous apportons notre soutien à l’amendement du rapporteur général, qui permet de mettre un terme à une procédure discrétionnaire tout en permettant au préfet de mettre son veto en cas de menace à l’ordre public ou de non-respect des principes de la République. Ce n’est pas pour autant un droit automatique à la régularisation, qui placerait l’étranger dans les seules mains de son employeur. Le groupe Renaissance sera également sensible aux sous-amendements déposés par nos collègues Abadie et Houlié, qui ont reçu un avis favorable des rapporteurs et du Gouvernement, sur l’apprentissage. Nous apportons enfin notre soutien à la territorialisation des données proposée par M. Naegelen.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Vous avez des méthodes un peu particulières, monsieur le président : vous suspendez la séance quand ça vous arrange, et vous la reprenez quand ça vous arrange aussi. Nous n’avons donc pas pu défendre nos amendements de suppression mais nous avons gagné dans l’hémicycle le rétablissement d’un article majeur qui confortera le pouvoir d’achat des Françaises et des Français.

Nous étions pour la suppression de l’article 4 bis car il repose sur une vision utilitariste de l’immigration, dont nous ne voulons pas. Ce n’est pas un article de compromis car plusieurs problèmes demeurent : les huit mois d’exercice de l’activité dans les métiers en tension au cours des vingt-quatre derniers mois – on a besoin des étrangers, on les garde ; on n’en a pas besoin, on les renvoie chez eux – ; la résidence ininterrompue de trois ans, qui est reprise de la formulation la plus stricte adoptée par le Sénat ; l’opposition du préfet, qui reste possible. Pour toutes ces raisons, nous voulions supprimer l’article 4 bis. La bataille n’est pas finie : cela se jouera en séance et j’espère que nous parviendrons à nos fins.

M. Boris Vallaud (SOC). L’article fait partie de la collection des régressions dont le Sénat s’est rendu coupable. Il est au fond le refus de regarder la réalité en face, de régulariser des travailleurs qui, par ailleurs, paient des impôts et des cotisations sociales mais ne peuvent pas payer leur loyer parce qu’ils ne sont pas en mesure de produire un titre de séjour. Nous avons tout à l’heure défendu l’article 3 originel proposé par le Gouvernement et défendu avec vigueur par la majorité. Vous n’avez pas vous-même soutenu le projet initial du Gouvernement.

Nous avons déposé plusieurs sous-amendements pour que cette réécriture apporte un véritable progrès, et non un simple changement cosmétique. Le ministre nous a dit que l’article 3 représentait 7 000 cas par an, ce qui correspond à peu près à ce qui se fait déjà sur la base de la circulaire Valls. Ce ne sera donc vraiment pas un droit supplémentaire.

Nous voulions un titre de plein droit, avec un élargissement aux étudiants et aux saisonniers ; nous aurions souhaité que les indépendants et les travailleurs des plateformes puissent être pris en considération. Ce n’est pas le cas. C’est toujours mieux que ce qu’a fait le Sénat mais, franchement, convenez que nous sommes loin du compte et qu’il y a encore du travail à faire en séance pour répondre aux demandes non seulement du secteur économique mais des Françaises et des Français dans leur très grande majorité.

M. Christophe Naegelen (LIOT). Si l’on veut pouvoir mieux gérer l’immigration et améliorer l’intégration, il faut commencer par régler la situation des personnes qui sont déjà présentes dans le pays. Pour ce faire, il convient d’agir au plus près des réalités du territoire. Tel est l’objectif de notre amendement visant à établir la liste des métiers en tension au niveau départemental, et cela continuera avec la décentralisation de l’Ofpra et de l’Ofii. Nous devons aussi définir des critères beaucoup plus stricts concernant la notion de présence dans ces métiers en tension, raison pour laquelle nous avions déposé un sous-amendement visant à imposer une durée d’activité de douze mois au cours des vingt-quatre derniers mois.

Nous devons cependant veiller à ne pas créer un biais qui pourrait demain entraîner une immigration que l’on ne saurait ni contrôler ni accueillir. C’est pourquoi je tiens particulièrement à la règle des douze mois. Nous devrons déterminer à partir de quand un étranger ne pourrait bénéficier du titre « métier en tension ». Nous devons en rediscuter en séance, en déposant un amendement qui encadre mieux que celui présenté aujourd’hui.

Mme Stella Dupont (RE). Je remercie M. le rapporteur général et Mme la rapporteure pour leur réponse concernant la précarité des travailleurs sans-papiers, dont on améliore la situation avec votre amendement. Mais il ne faut pas oublier que les difficultés suscitées par l’embolisation des services des préfectures se trouvent au cœur de notre sujet. Réintroduire l’annualité des titres « métiers en tension » poserait problème aux préfectures elles-mêmes et bien sûr aux étrangers concernés. Le caractère pluriannuel doit être favorisé et faire l’objet d’une incitation forte du ministre auprès de l’ensemble de ses services. Ayant entendu les arguments présentés, je retire le sous-amendement CL1756 mais je reparlerai de ce sujet en séance.

M. Yoann Gillet (RN). Il faut rappeler ce qu’est l’article 4 bis. Initialement, les sénateurs avaient adopté un article 3 en commission des lois puis, quand ils se sont rendu compte que l’opinion publique était défavorable, ils ont conclu un petit compromis avec la majorité, avec la gauche, avec tout le monde, et pondu l’article 4 bis en espérant que cela passerait inaperçu aux yeux du grand public. Mais en quoi consiste cet article ? Nous maintenons qu’il créera un appel d’air et, plus grave encore, vous êtes en train de prévoir la régularisation de personnes qui n’ont pas respecté les lois de la République, donnant ainsi une prime à la clandestinité, à des gens qui sont entrés illégalement sur le territoire et qui travaillent illégalement. Voilà ce qu’il faut dire aux Français !

M. Florent Boudié, rapporteur général. Monsieur Naegelen, nous allons émettre un avis favorable à votre amendement relatif à la départementalisation même si, en l’état, cet amendement ne fonctionne pas, afin de vous montrer que notre volonté sur ce point est très forte.

Les sous-amendements CL1757, CL1740 et CL1756 sont retirés.

Successivement, la commission adopte les sous-amendements CL1744 et CL1743, rejette les sous-amendements CL1759, CL1742, CL1760, CL1755, CL1761, CL1762 et CL1739, et adopte les sous-amendements CL1741 et CL1758.

En conséquence, le sous-amendement CL1737 tombe.

La commission adopte l’amendement CL1665 sous-amendé et l’article 4 bis est ainsi rédigé.

En conséquence, l’amendement CL645 tombe. De même, les autres amendements sur l’article tombent.

M. Gérald Darmanin, ministre. Madame Genevard, pour répondre à votre intervention sur l’article 4 bis, je souhaite vous faire part du cas de deux personnes dont la régularisation a été demandée au ministre de l’intérieur par des élus. Dans le premier exemple, une dame est arrivée en France en 2011. Veuve, elle assume seule la charge de ses deux enfants scolarisés. Elle est agente de propreté depuis 2019, avec des horaires de travail qui lui font quitter son domicile à cinq heures du matin pour un retour à vingt-deux heures ; elle est rémunérée entre 600 et 1 100 euros par mois, pour un travail effectif supérieur à quarante heures par semaine sur quatre chantiers, à Vitry, Livry-Gargan, au Blanc-Mesnil et à dans le 16e arrondissement de Paris. L’employeur n’a jamais voulu signer le Cerfa de régularisation. Cette dame est donc toujours en situation irrégulière sur le territoire national et je cherche toujours une solution pour la régulariser en dépit du refus de son employeur. Ce cas illustre les difficultés persistantes pour appliquer la loi.

Le deuxième exemple concerne une dame arrivée en France en 2010, qui cumule cinquante-six bulletins de salaire dans la branche du nettoyage. La préfecture a été informée de ses conditions de vie dramatiques et de la grande précarité dans laquelle elle se trouve. Elle n’a pas d’enfant et, ces deux dernières années, a dormi dans une cage d’escalier. À plusieurs reprises, on lui a proposé des logements d’urgence et, à ce jour, elle vit dans un logement insalubre – nous l’aidons d’ailleurs dans la procédure qu’elle a intentée contre son marchand de sommeil. Elle n’est pas régularisable non plus parce qu’une très grande entreprise française refuse de signer son Cerfa et de reconnaître qu’elle l’a embauchée de manière irrégulière.

Par ailleurs, madame Genevard, vous avez cité M. Brochand. Il s’agit d’un homme respectable, personne n’en disconvient, mais quel est le rapport entre l’ancien patron de la DGSE puis ambassadeur et les métiers en tension ? M. Brochand n’a jamais eu à gérer une préfecture ni à s’occuper de métiers en tension. La DGSE est composée de gens formidables, les diplomates le sont également, mais quel rapport avec les métiers en tension ? Ils s’occupent de la menace pour notre territoire : en quoi ces dames constituent-elles une menace pour notre territoire ? Il ne me paraît pas nécessaire d’évoquer la DGSE, d’autant que le texte contient plusieurs dispositions, notamment aux articles 9, 10 et 13, qui apporteront une réponse à votre préoccupation.

Permettez-moi, madame Genevard, de dresser quant à moi la liste des dispositions qui ont été retenues depuis le début de l’examen du texte à l’Assemblée : le débat annuel au Parlement, avec la définition d’objectifs chiffrés ; l’exigence d’une couverture par l’assurance maladie et de ressources régulières, stables et suffisantes pour demander un regroupement familial ; l’exigence de l’apprentissage du français, qui s’accompagnera de dispositions similaires à celles de la loi de 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile – adoptée sous Nicolas Sarkozy –, aux termes de laquelle l’apprentissage de la langue française débute avant le regroupement familial ; le pouvoir conféré aux maires en matière de regroupement familial.

Le retrait du titre de séjour pour toute personne menaçant ou portant atteinte à des élus a été retenu également, comme l’ont été le conditionnement plus strict du titre de séjour « étranger malade », instauré par le Sénat ; le contrôle du caractère réel et sérieux du cursus suivi ouvrant droit à la carte pluriannuelle pour les étudiants ; la suppression de la réduction tarifaire dans les transports en commun pour les étrangers en situation irrégulière ; l’instruction des demandes à « 360 degrés », enfin, proposée par le sénateur Buffet afin d’accélérer les retours et à réduire les délais de réponse.

L’article 1er, qui prévoit un examen de langue pour l’obtention d’un titre pluriannuel, a été adopté ; il ne concernera pas moins de 370 000 titres par an. L’article 2, qui oblige les étrangers à suivre des cours de français sur leur temps de travail – ce qui les rendra sans doute moins compétitifs que leurs collègues français – a été retenu lui aussi.

Il faut donc se garder de toute caricature, même s’il est vrai que l’Assemblée n’est pas le Sénat. Vous pouvez vous opposer, madame Genevard, à un texte qui conditionne l’obtention d’un titre pluriannuel à un examen de français, mais vous aurez beaucoup de mal à expliquer que les Français s’y opposent également.

Après l’article 4 bis

Amendement CL500 de M. Julien Bayou, amendements CL793, CL1058 et CL1172 de Mme Elsa Faucillon (discussion commune)

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). L’amendement CL500 vise à faciliter et à organiser la régularisation des travailleurs sans papiers. Il s’agit de mettre fin à ce que M. le ministre a qualifié d’incurie administrative des préfectures, malheureusement transformées en machines à fabriquer des sans-papiers. De très nombreuses personnes qui travaillent en France, payent leurs impôts et ne demandent qu’à s’intégrer basculent dans l’irrégularité administrative du jour au lendemain, plaçant leurs employeurs devant un dilemme. Pour faciliter leur régularisation, nous proposons d’affranchir la délivrance de la carte de l’aval de l’employeur et de réduire le champ discrétionnaire du préfet.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). L’amendement CL793 vise à étendre la régularisation des travailleurs sans-papiers – une disposition initialement prévue par l’article 3 – à ceux qui n’exercent pas un métier en tension. Travaillant majoritairement dans les secteurs du bâtiment, du nettoyage, du soin et du lien ou encore de la sécurité, ils ont été en première ligne pendant la crise du covid. Alors que la plupart d’entre eux effectuent des missions très utiles à la société, ils sont invisibilisés par une clandestinité forcée. Nous devons les protéger de l’exploitation qu’en font nombre de leurs employeurs.

L’un d’entre eux déclare ainsi : « Tout le monde sait que nous n’avons pas de papiers : l’agence d’intérim, les chefs… Ils nous traitent d’emblée différemment : on est insulté, sous pression. À croire qu’un chef qui ne crie pas, qui n’insulte pas, n’est pas un chef. Si on se défend, on nous répond “fin de mission”. » Et d’ajouter : « Le travail est obligatoire pour gagner sa vie. Tout le monde le sait ici, tout le monde le fait. Le problème, ce n’est pas le travail, c’est de ne plus être un esclave. » Voilà la situation à laquelle nous devons apporter une réponse aujourd’hui en régularisant les travailleurs sans-papiers.

J’aurai ainsi défendu également l’amendement CL1058.

Quant à l’amendement CL1172, cosigné par des commissaires aux lois des groupes Écologiste, Socialistes, Insoumis et GDR, il reprend telle quelle la disposition initiale de l’article 3 en supprimant simplement la mention « métiers en tension » afin de pouvoir régulariser toutes celles et tous ceux qui travaillent en France. Contrairement à ce que disent nos collègues de l’extrême droite depuis tout à l’heure, cette mesure donnerait un pouvoir de négociation plus important à l’ensemble des salariés et permettrait d’élever les normes salariales.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Pour les raisons évoquées précédemment, j’émets un avis défavorable à ces quatre amendements.

M. Gérald Darmanin, ministre. J’entends les arguments avancés au sujet des autorisations de séjour et de l’incurie administrative que j’ai moi-même dénoncée. Mais votre amendement, monsieur Bayou, propose de régulariser tous les travailleurs, et non pas seulement ceux qui exercent des métiers en tension. C’est un choc de simplification qui ressemble plutôt à un choc politique !

Si je m’oppose à votre amendement, je suis néanmoins prêt à travailler, en séance publique, sur la validation directe des autorisations de travail après la délivrance du titre de séjour, s’agissant notamment des cartes pluriannuelles. Toutefois, cela ne concernerait que les personnes auxquelles la législation actuelle et le présent texte autoriseront la délivrance d’un titre de séjour – il faut bien que nous vous laissions un peu de travail pour le moment où vous arriverez aux responsabilités !

Avec son amendement CL1645 le président Houlié proposera de dispenser d’une autorisation de travail les détenteurs d’une carte de séjour portant la mention « salarié », tout comme Mme la rapporteure avec son amendement CL1687, auquel je donnerai un avis favorable. Je propose donc que nous en adoptions un – ce qui répondrait en partie à votre demande, monsieur Bayou – et que nous rejetions les quatre amendements qui viennent d’être défendus. Nous pourrons, dans l’hémicycle, retravailler avec M. Taché et avec d’autres de vos collègues sur l’autorisation de travail – sujet sur lequel nous pouvons, je crois, dépasser les clivages.

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). Quand des étudiants français partent étudier dans d’autres pays, ou quand des salariés français s’établissent à l’étranger pour travailler, nous ne nous posons pas de questions. Nous n’avons pas l’impression qu’ils sont d’horribles profiteurs – au contraire, nous avons même l’impression qu’ils participent au rayonnement de la France ! C’est notre privilège : nous pouvons partir n’importe où dans le monde et nous sommes globalement bien accueillis.

Les amendements dont nous discutons visent à accorder des papiers à tous les travailleurs, en sortant de la logique qui consiste à réserver ce droit à ceux qui exercent des métiers en tension. Au-delà du choc de simplification, il s’agit surtout d’octroyer les mêmes droits à toutes les personnes qui viennent travailler en France, quelle que soit leur nationalité. Le fait de les régulariser nous permettrait de les regarder droit dans les yeux et de les remercier de venir participer à l’économie française.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Les Républicains voteront évidemment contre ces amendements qui visent à augmenter massivement le nombre de régularisations. M. Bayou et M. le rapporteur général refusent tous les deux que le préfet ait un pouvoir discrétionnaire, mais c’est une folie ! Il faut évidemment que le préfet conserve ce pouvoir.

De deux choses l’une, en effet : soit il sera très strict dans ses décisions, ce qui conduira à un encombrement des juridictions mais aussi de ses propres services, qui ne pourront plus s’acquitter d’autres tâches – délivrer des OQTF, par exemple ; soit il accordera directement l’ensemble des régularisations pour éviter d’être soumis à un contentieux qu’il risquerait de perdre. Les amendements en discussion auraient le même effet que celui qu’aura l’article 4 bis revisité : les préfets vont massivement régulariser car ils n’auront pas d’autre choix.

Mme Edwige Diaz (RN). Avec ces amendements, chers collègues, vous travestissez la réalité – pire, vous l’instrumentalisez. Si vous contactez les chefs d’entreprise du secteur du bâtiment, vous verrez qu’ils ne demandent pas la régularisation des travailleurs clandestins ! Leurs problèmes, aujourd’hui, ce sont la crise du logement, l’inflation normative et l’inflation du prix des matériaux.

Le Gouvernement ayant été incapable de les protéger, les entreprises du secteur risquent de perdre 100 000 emplois d’ici à 2025. Quant aux restaurateurs, s’ils peinent à recruter dans les villes touristiques, c’est simplement parce que les travailleurs n’ont pas les moyens de s’y loger – parce que vous avez refusé les augmentations de salaire que Marine Le Pen avait proposées et que vous n’apportez pas de réponse à la crise du logement et de l’hébergement saisonnier. Le groupe RN votera contre ces amendements qui visent à favoriser les étrangers au détriment des salariés français.

La commission rejette successivement les amendements.

Deuxième réunion du jeudi 30 novembre 2023 à 14 heures 30

Lien vidéo : https://assnat.fr/azVAZ8

Présidence de M. Sacha Houlié, président.

Après l’article 4 bis (suite)

Amendements CL1645 de M. Sacha Houlié et CL1687 de Mme Élodie Jacquier-Laforge (discussion commune)

M. le président Sacha Houlié. L’amendement CL1645 vise à prévoir que la carte de séjour temporaire portant la mention « salarié » ou la carte de séjour pluriannuelle portant la même mention vaut autorisation de travail.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure du titre Ier. Cela représente une évolution importante et souhaitable dans l’accès des étrangers au travail. Demande de retrait au profit de mon amendement, qui restreint le dispositif à la carte de séjour pluriannuelle.

L’amendement CL1645 est retiré.

La commission adopte l’amendement CL1687. L’article 4 ter A est ainsi rédigé.

Amendement CL1000 de M. Benjamin Lucas

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Pour donner plus de liberté aux étrangers salariés en cours de régularisation, nous proposons qu’ils puissent changer d’employeur sans que cela remette en cause l’examen de leur demande de titre de séjour, afin de prendre en compte les cas de travail temporaire forcé.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. La formulation de votre dispositif me semble curieuse. Rien n’interdit en l’état à l’étranger de changer d’employeur, auquel cas sa demande devra se faire sur la base du nouveau contrat. Par ailleurs, contrairement à ce que votre exposé sommaire indique, vous ne visez pas uniquement les cas de régularisation. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL1340 de Mme Maud Gatel

Mme Maud Gatel (Dem). Environ 70 % des livreurs indépendants seraient en situation irrégulière, alors qu’ils remplissent un rôle essentiel, notamment depuis le covid. Ils ne sont pas salariés mais peuvent être exploités par des filières qui leur sous-louent un compte, par des marchands de sommeil et, plus globalement, par nous‑mêmes. Ils sont piégés dans une trappe à précarité, sans la moindre perspective, dans la mesure où la circulaire Valls ne concerne pas les travailleurs indépendants. L’objectif de l’amendement est de leur permettre de prétendre à la régularisation.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Nous abordons une série d’amendements visant à créer une nouvelle voie de régularisation pour les étrangers exerçant en tant qu’indépendants. À titre personnel, je n’y vois aucune opposition. Néanmoins, je pense que nous devons réfléchir collectivement pour trouver un dispositif opérationnel. Demande de retrait, afin de nous laisser un peu de temps.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer. Même si je me suis déjà exprimé sur cette question ce matin, je veux bien me répéter. Ces gens bénéficient d’un statut d’autoentrepreneur que la législation leur a permis de créer sans vérifier la régularité de leur séjour. Ce sont donc des travailleurs réguliers présents irrégulièrement. Tous les autoentrepreneurs n’ont pas créé leur autoentreprise pour profiter du système et être régularisés. Si certains l’ont sans doute fait parce que l’administration a laissé faire, d’autres le font parce qu’on les y a obligés et qu’ils sont, en réalité, les salariés déguisés des plateformes ou du BTP. Ils subissent, à ce titre, une forme de rapport de force capitalistique, à l’image des salariés de l’article 4 bis.

Mais comparer les statuts de salarié et d’indépendant n’est pas facile. J’ai proposé ce matin que, dès le début du mois de décembre, un groupe de travail soit créé avec le ministère de l’économie et celui du travail. Si vous adoptez l’article 5, il ne sera en effet plus possible aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d’un statut d’autoentrepreneur. Il faudrait donc examiner les cas des indépendants qui sont en réalité des salariés de force et rédiger une circulaire, en étudiant la nature de leur activité, le temps depuis lequel ils sont présents, leur pays d’origine, afin d’exclure ceux qui ont détourné le statut d’autoentrepreneur. Je m’engage à accorder, à la suite de ces travaux, des régularisations au cas par cas.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Les Républicains sont contre cet amendement, très révélateur de la vision utilitariste de la gauche et de la majorité. L’immigration est là pour faire les métiers que les étrangers en situation régulière ou les Français ne veulent pas faire. Un récent sondage prouve que les plus grands utilisateurs de ces plateformes de livraison, du type Uber Eats, se situent très à gauche et vivent dans les grandes métropoles, soit le cœur de l’électorat de la Nupes et de la majorité présidentielle – un tiers des électeurs exactement. À cette vision utilitariste d’une immigration sous-qualifiée et exploitée, nous préférons une immigration choisie et surqualifiée, qui permette de créer de l’emploi pour les Français et les étrangers en situation régulière, au lieu de les concurrencer en tirant les salaires de ces emplois sous-qualifiés vers le bas et en ne permettant pas d’améliorer les conditions de travail.

Mme Marietta Karamanli (SOC). Serait-il possible d’avoir une évaluation chiffrée de l’application de la circulaire Valls, monsieur le ministre ? Il aurait sans doute été plus simple de l’adapter.

M. Gérald Darmanin, ministre. On sait qu’elle concerne grosso modo 30 000 personnes par an – environ 8 000 sont régularisées par le travail et 22 000 par la famille. Mais ce n’est pas vraiment le sujet. Le Conseil d’État a reconnu que le droit n’était en aucun cas opposable. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles nous avons proposé la disposition qui est devenue l’article 4 bis. Il y avait également des dispositions législatives et pas seulement réglementaires à prendre, ce qui explique pourquoi nous n’avons pas pu modifier la circulaire Valls.

On pourrait imaginer un travail transpartisan sur son application, qui intégrerait la question des indépendants. Je m’engage à proposer à la Première ministre de créer une mission de parlementaires auprès des ministères du travail, de l’économie et de l’intérieur pour évaluer les moyens de régularisation, leurs abus, leurs avantages et leurs faiblesses.

Mme Maud Gatel (Dem). Je retire mon amendement. Monsieur Dumont, le but est d’offrir des perspectives à ces personnes. Les livreurs sans-papiers sous-louent un compte à de véritables esclavagistes pour 150 euros par semaine ! L’objectif est de les faire sortir de ces trappes à la pauvreté.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). En ce cas, c’est le système qu’il faut changer et pas les individus !

L’amendement est retiré.

Amendement CL1339 de Mme Maud Gatel

Mme Maud Gatel (Dem). Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre ouverture sur cette question importante. Il faut regarder, évaluer. L’amendement fait plusieurs propositions sur la définition des critères de régularisation : « une activité régulière durant au moins douze mois au cours des vingt-quatre derniers mois » et « une période de résidence ininterrompue d’au moins trois années en France ». Ces livreurs peuvent justifier de facturations tous les mois. Mais en tant que non-salariés, ils ne sont pas éligibles à la circulaire Valls. Avançons, travaillons ensemble.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Même avis que précédemment. Je me réjouis de cette volonté de travailler ensemble sur le sujet. Demande de retrait dans la perspective de ce qui a été annoncé par M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre. Le Rassemblement national a dit que la disposition allait contribuer à augmenter les flux : elle les tarit, puisqu’on met fin au système d’embauche de personnes sans-papiers. Au Sénat, M. Brossat a fait une proposition pour lutter contre les marchands de sommeil : un titre de séjour temporaire est octroyé pour tout dépôt de plainte contre son marchand de sommeil. C’est la même disposition que celle qui avait été instaurée sous M. Hollande contre le proxénétisme ou que celle de l’amendement qu’avait fait adopter Marie-George Buffet contre les violences intrafamiliales. Il faut faire pareil avec les travailleurs indépendants, afin de les inciter à dénoncer ceux qui les embauchent en les faisant passer pour des indépendants alors qu’ils les exploitent. Plusieurs éléments seront à réviser, car lorsque M. Valls a pris sa circulaire les autoentreprises n’existaient pas sous cette forme et à ce point. Le Gouvernement n’avait pas choisi de les exclure ; c’était un autre monde.

M. Erwan Balanant (Dem). Je voulais saluer le travail de Maud Gatel sur cet angle mort. Un indépendant ne peut pas dépendre d’un seul client ; or c’est ce qui se passe avec ces opérateurs. Les gens se retrouvent dans des situations proches de l’esclavage. Regardez le surcoût d’un plat livré par rapport au temps que met le livreur. Je ne sais pas comment ils arrivent à se dégager un salaire qui leur permette de vivre. Au-delà de la question de la régularisation, il faut continuer à réfléchir au modèle économique de ces plateformes.

M. Boris Vallaud (SOC). Nous avons déjà eu ce débat dans l’hémicycle, lorsque la question s’était posée de savoir si nous faisions droit à la présomption de salariat pour les travailleurs des plateformes. Nous avions dénoncé la construction d’un tiers statut qui consacre, en réalité, l’ubérisation croissante d’un certain nombre de métiers qui n’ont rien d’indépendants, compte tenu, pour reprendre l’expression du ministre, de la domination capitalistique des donneurs d’ordres.

Si nous avions admis la présomption de salariat, les travailleurs des plateformes pourraient désormais bénéficier de la régularisation au titre du travail salarié. Mais vous l’avez refusée à l’Assemblée nationale et combattue au plan européen. Ne venez pas expliquer qu’on a un problème de modèle économique après avoir refusé d’en débattre dans l’hémicycle il y a quelques mois.

M. Gérald Darmanin, ministre. On est plus lents que vous !

M. Thomas Ménagé (RN). Après quatre jours de débat, je souhaitais faire un bilan, pour que les Français qui nous écoutent comprennent ce qui se passe. Les petites avancées vers la fermeté, qui avaient été obtenues de manière intelligente au Sénat, ont totalement disparu : la restriction des conditions du regroupement familial, le remplacement de l’aide médicale de l’État (AME) au profit de l’aide médicale urgente (AMU), le rétablissement du délit de séjour irrégulier, les conditions de résidence de cinq ans pour bénéficier des aides personnalisées au logement (APL) et des allocations familiales, les restrictions en matière de droit du sol ou la suppression de l’article 3, qui organisait une régularisation massive des clandestins. Il faut être honnête : les Français n’arriveront pas à obtenir la fermeté qu’ils souhaitent depuis un grand nombre d’années en matière d’immigration. La seule solution sera de changer cette majorité et le Gouvernement le plus vite possible.

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Ménagé, vous n’avez peut-être pas passé un bon déjeuner, mais nous travaillons à peu près tous correctement depuis lundi et nous allons encore passer peu ou prou trois semaines ensemble. Il serait bienvenu d’éviter les moments « capsule internet », à laquelle vous aurez, j’espère, l’honnêteté d’intégrer ma réponse.

Ce qui est certain, c’est que nous ne sommes pas esbaudis par vos propositions ! On aimerait bien connaître le projet alternatif du Rassemblement national. Pour l’instant, vous nous avez proposé l’amendement de Mme Diaz, qui n’avait peut-être pas tout à fait vu l’objet du texte, qui supprimait l’article 2. Le Rassemblement national voulait donc permettre aux entrepreneurs embauchant des personnes irrégulières, qui devaient apprendre le français, de se passer de l’obligation de les intégrer, alors que notre disposition permettait, d’une part, de mieux les intégrer pour qu’ils parlent français et, d’autre part, que ces entrepreneurs soient moins aidés que ceux qui embauchent des Français et des étrangers en situation régulière. Puis vous vous êtes aperçue que vous aviez fait une bêtise et l’avez retiré après des circonvolutions.

Mme Edwige Diaz (RN). Tout va bien, madame la marquise !

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer. Deuxièmement, quand on voit que vous considérez qu’un demandeur d’asile est un irrégulier, on comprend mieux vos chiffres sur l’immigration irrégulière. Ce faisant, vous contredisez non seulement la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) ou d’autres constitutions, mais la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen tout court. Aucun pays au monde n’organise la vie comme vous l’imaginez. Votre amie, Mme Meloni, est obligée d’appeler la Commission européenne à la rescousse pour régler ses problèmes de sécurité – je me réjouis de découvrir son intérêt pour l’Europe ! Quant à vos amis conservateurs britanniques, c’est le troisième ministre de l’intérieur que je rencontre en trois ans ! Leur problème, c’est qu’ils ont promis qu’en sortant de l’Europe, ils feraient baisser l’immigration irrégulière ; or elle n’a jamais autant augmenté ! Demandez à M. Dumont, qui en subit les conséquences ! Il a d’ailleurs dû voir ce matin qu’une grande opération de police avait été une nouvelle fois montée par le ministère de l’intérieur pour régler l’incurie et les mensonges du Brexit.

Vous protestez, mais souffrez que je réponde à vos inepties quand vous prenez la parole pour faire de la politique politicienne ! Comment pouviez-vous croire un seul instant qu’alors que vous preniez la parole sur un sujet qui n’avait rien à voir avec le texte, nous allions sagement vous écouter, en imaginant vos 3 millions de vues sur Twitter ? Arrêtons la démagogie ! Déposez des amendements constructifs ! Êtes-vous pour ou contre le fait que l’on demande un examen de français pour obtenir un titre de séjour ? Il faudra bien que le Rassemblement national se positionne sur ce texte. Ce sont 400 000 personnes qui sont concernées par an. Vous parlez, vous, de regroupement familial, soit de 12 000 personnes par an. Qui plus est, ce que vous avez dit est faux, puisque nous avons conservé des restrictions au regroupement familial. Arrêtez de dire n’importe quoi !

Ce qui est sûr, c’est que vous êtes gênés aux entournures, parce que vous n’avez pas travaillé ce texte. Le fait même que vous criiez que vous ne l’êtes pas montre que vous l’êtes… Ni Mme Meloni, ni les conservateurs britanniques n’arrivent à démontrer ce que vous démontrez. Vous vivez dans un monde parallèle, une partie du cyberespace sans doute. Si dans le cyberespace ça marche peut‑être, ce n’est pas le cas dans la politique réelle. D’ailleurs, vous le savez très bien, et vous seriez les premiers, si malheureusement vous arriviez au pouvoir, à vous adapter à la réalité. Quand on demande aux élus du Rassemblement national de nous aider, en acceptant, par exemple, d’installer un centre de rétention administrative (CRA), pas un de vos maires ne répond oui. Les CRA, c’est bien, mais chez les autres.

L’amendement est retiré.

Amendements CL1646 de M. Sacha Houlié, CL98 de Mme Françoise Buffet et CL1580 de Mme Marie Pochon (discussion commune)

M. le président Sacha Houlié. Par mon amendement, le titulaire d’une carte de séjour pluriannuelle portant la mention « travailleur saisonnier » pourrait exercer son activité auprès de plusieurs employeurs sans être contraint de solliciter une nouvelle autorisation de travail à chaque changement d’employeur.

Mme Françoise Buffet (RE). L’amendement CL98 tend à permettre à un travailleur saisonnier d’occuper plus simplement plusieurs emplois. La situation des titulaires d’une carte de séjour « travailleur saisonnier » est problématique puisqu’ils sont liés à leur employeur, ce qui entraîne deux conséquences préjudiciables : le travailleur est dans une situation de dépendance et de lien exclusif avec son employeur, ce qui peut le conduire à renoncer à ses droits sociaux par crainte de se voir retirer sa carte de séjour ; il ne peut pas exercer plusieurs activités saisonnières successivement, un cas pourtant très fréquent dans l’agriculture.

Mme Marie Pochon (Écolo-NUPES). L’amendement CL1580 permettrait d’éliminer le lien de subordination entre le premier employeur, qui fait la demande d’autorisation de travail, et le travailleur saisonnier. Cet été, dans plusieurs départements, des cas de maltraitance, d’hébergement dans des logements insalubres ou de conditions de travail indignes, voire de traite d’êtres humains ont été révélés, notamment dans le secteur agricole. Ces situations sont inacceptables et doivent absolument être évitées. Or, à l’heure actuelle, un travailleur saisonnier qui subit ces conditions indignes ne peut pas changer d’employeur sans perdre la validité de sa carte de séjour. L’amendement vise à éviter ces drames, en améliorant les droits des travailleurs saisonniers, qui ne seront plus obligés de travailler exclusivement pour leur premier employeur. Le travailleur pourra également changer de travail, ce qui semble une évidence, puisque le travail saisonnier est une variation d’activités en fonction du rythme des saisons.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Lors des auditions de la commission des lois, notre attention avait été appelée sur ce sujet. Avis favorable à l’amendement CL1646 ; demande de retrait pour les deux autres. Les titulaires de la carte pourront ainsi changer d’employeur s’ils conservent une activité saisonnière.

M. Gérald Darmanin, ministre. Un problème se pose tout de même : qu’est-ce vous définissez comme un travail saisonnier ? Un saisonnier, dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), c’est quelqu’un qui vient faire la saison. Certaines personnes viennent quelques mois, dans le cadre d’un échange international négocié par les branches professionnelles avec leur pays, pour les vendanges ou les récoltes, et repartent. Il y a aussi des étrangers qui travaillent en tant que saisonniers, mais qui restent sur le territoire national, en dehors de tout échange. Il faudrait distinguer juridiquement ces deux types de personnes.

Par ailleurs, il existe bien des cas de maltraitance : logement insalubre, hypertravail, racisme ou xénophobie. Même s’ils ne sont pas la majorité, ces cas sont aussi dérangeants que condamnables. C’est pourquoi les moyens alloués au contrôle ont été renforcés dans le dernier budget que vous avez voté. Les branches professionnelles de l’agriculture dénoncent ces abus, qui représentent une concurrence déloyale. Je ne crois pas qu’il y ait de complicité de la part de quelque branche que ce soit.

Mais ce n’est pas la même chose de donner un titre sur le saisonnier. Encore une fois, le saisonnier, c’est quelqu’un qui vient quelques semaines ou quelques mois et repart dans son pays, comme les Marocains qui viennent pour les récoltes et les vendanges. Nous pourrons en reparler dans l’hémicycle et distinguer les différents cas. « Saisonnier » est, à mon avis, un terme impropre pour ce que vous souhaitez faire.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Tout d’abord, excusez-nous de ne pas être plus nombreux : nous naviguons entre la commission et « la niche » dans l’hémicycle. Cette organisation en parallèle m’étonnera toujours…

Un flou entoure tout ce qui concerne le salariat et, plus généralement, le travail des étrangers et des réfugiés. Une entrée par les métiers en tension, par exemple, n’est pas opérante, parce qu’elle ne couvre pas les travailleurs indépendants, les intérimaires ou les saisonniers.

Mme Stella Dupont (RE). C’est méconnu, mais le Maine-et-Loire est le département qui compte le plus de salariés agricoles de France, avec de très nombreux secteurs d’activité dans le végétal spécialisé : viticulture, arboriculture, maraîchage, culture des petits fruits rouges, des plantes médicinales, rosiculture… En définitive, tout au long de l’année, il y a du travail saisonnier mais dans des secteurs différents. Il faut vraiment sécuriser le statut des travailleurs saisonniers, français et étrangers. La proposition est peut-être à affiner, mais nous avons besoin d’un outil pour faciliter la vie de nos exploitants agricoles employeurs de main-d’œuvre.

M. Gérald Darmanin, ministre. À l’article 15 bis, l’amendement de M. Brossat prévoit l’octroi d’un titre de séjour temporaire en cas de logement insalubre. Cela vaut aussi pour les saisonniers. Nous aurons donc l’occasion d’y revenir.

La commission adopte l’amendement CL1646. L’article 4 ter B est ainsi rédigé.

En conséquence, les amendements CL98, CL1580 tombent ainsi que l’amendement CL1314 de Mme Maud Gatel.

Article 4 ter (nouveau) (art. L. 414-13 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Révision annuelle de la liste des métiers et des zones géographiques caractérisés par des difficultés de recrutement

Amendements de suppression CL184 de M. Yoann Gillet, CL1173 de M. Davy Rimane et CL1632 de M. Sacha Houlié

M. Yoann Gillet (RN). L’article 4 ter, qui est le prolongement de l’article 4 bis, que Les Républicains se sont réjouis d’avoir adopté au Sénat, ouvre une nouvelle voie de régularisation massive des étrangers. C’est la même prime à la clandestinité dans les métiers et zones géographiques en tension. La seule différence est que cette régularisation n’intervient plus de plein droit mais après instruction des dossiers par les préfets et à partir de critères favorables. Un dispositif proche de celui de la circulaire Valls de 2012 est ainsi inscrit dans la loi. Par cet appel d’air, vous dites clairement aux immigrés clandestins : « Venez en France illégalement, travaillez et vous serez régularisés. »

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Nous souhaitons également la suppression de cet article pour des raisons totalement différentes. Nous considérons que les travailleurs immigrés ne peuvent pas être la variable d’ajustement du marché du travail. On ne peut pas appeler les gens uniquement quand on a besoin d’eux. En aucun cas, nous ne craignons quelque appel d’air que ce soit. Nous sommes pour une vision humaniste du droit à l’immigration, en aucun cas utilitariste.

M. le président Sacha Houlié. L’amendement CL1632 vise également à supprimer l’article, pour une troisième raison : son adoption neutraliserait en partie l’article 4 bis.

Les membres du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires sont attachés à l’actualisation de la liste et à la territorialisation de la mesure. Je retirerai peut-être mon amendement à l’issue de la discussion.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Avis défavorable. Il est utile de prévoir une fréquence de révision de la liste des métiers et des zones géographiques qui peinent à recruter, pour rendre le dispositif plus lisible.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je comprends l’argument du groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES, moins celui du groupe Rassemblement national : l’article 4 bis ayant été adopté, la suppression de l’article 4 ter figerait la liste, alors que l’objectif est d’adapter le dispositif au taux de chômage de chaque département, avec le concours des représentants des branches et des élus.

Monsieur le président, votre amendement est contradictoire avec le sous-amendement CL1743, précédemment adopté afin de passer de l’échelon régional à l’échelon départemental.

La liste des métiers en tension relève du domaine réglementaire. Inscrire la liste dans la loi obligerait à réviser celle-ci pour chaque modification. Le Sénat a donc introduit le présent article afin de prévoir une actualisation annuelle de la liste. Il est vrai qu’elle n’est pas mise à jour assez souvent, car la remontée des informations est compliquée. Par exemple, la restauration n’apparaît pas dans la liste en vigueur, ce qui est absurde. Par ailleurs, avec la territorialisation, la mesure ne s’appliquerait que dans les endroits où le chômage est inférieur à la moyenne nationale.

L’article 4 ter est indispensable, mais peut-être faut-il débattre de la fréquence de la révision.

M. Christophe Naegelen (LIOT). Une révision annuelle est nécessaire. Le monde économique est mouvant, on ne peut figer la liste dans le marbre.

Je défendrai deux amendements pour élargir la composition de la commission chargée de l’actualisation, afin d’avoir une vision du terrain.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). C’est une question de cohérence. Monsieur le président, cet article a été introduit dans le texte par l’adoption d’un amendement de vos collègues du groupe RDPI du Sénat Olivier Bitz et François Patriat.

Quant aux membres du groupe Rassemblement national, puisqu’ils n’ont pas réussi à supprimer l’article 4 bis, ils devraient chercher à en limiter les effets. En restant proche des réalités du terrain, on évite d’ouvrir une trop large voie à l’immigration régulière et à la régularisation. Vous devriez donc soutenir une révision annuelle et précise, même si elle est fastidieuse.

En fait, le groupe Rassemblement national retrouve sa vieille tendance à jouer la politique du pire : cet amendement de suppression vise à faire entrer le plus d’immigrés possible, parce que vous croyez que cela augmentera le nombre de vos électeurs.

M. le président Sacha Houlié. Vous voyez bien, monsieur Dumont, pourquoi j’avais déposé un amendement de suppression : il visait à éviter l’enfermement dans un système qui, faute de révision, paralyserait le dispositif prévu à l’article 4 bis !

L’amendement CL1632 est retiré.

La commission rejette les amendements CL184 et CL1173.

Amendements CL656 et CL660 de M. Christophe Naegelen, CL743 de Mme Danièle Obono et CL1431 de Mme Stella Dupont (discussion commune)

M. Christophe Naegelen (LIOT). Maintenant que nous avons décidé de réactualiser chaque année la liste des métiers en tension, nous devons la sécuriser. Je propose d’établir une commission placée sous l’égide du préfet et composée de représentants des chambres consulaires et des collectivités territoriales pour établir la liste. Étant les plus proches du terrain, ils en ont la connaissance la plus fine. L’amendement CL656 vise à prévoir que la décision du préfet sera soumise à l’avis conforme de ladite commission, tandis que l’amendement CL660, de repli, ne vise qu’à demander un avis consultatif.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Nous mettons en cause la référence aux métiers en tension. Cette notion recouvre des réalités mouvantes et nous dénonçons le caractère subjectif, voire arbitraire, de la mesure.

Les gens qui travaillent participent à la richesse du pays ; leur travail est, par définition, utile. Nous demandons donc la régularisation de tous les travailleurs sans papiers. De surcroît, cela simplifiera tout et évitera la création d’usines à gaz.

Mme Stella Dupont (RE). La définition et l’actualisation de la liste sont des éléments essentiels du débat. La liste en vigueur me met en colère : comment comprendre que les secteurs de l’hôtellerie, de la restauration et de la propreté en soient exclus ? On peut imaginer toutes les réunions possibles, on n’arrivera à rien sans objectiver des critères d’inscription précis. L’absence de la propreté permet à de grandes entreprises d’exploiter l’immigration irrégulière : il faut que cela cesse. Le texte vise l’efficacité. Le présent amendement tend donc à prendre en compte le taux de poste non pourvus, le taux de postes vacants et le taux d’étrangers en emploi dans le secteur donné, pour avoir une vue d’ensemble.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Nous avons déjà adopté l’échelon départemental. Nous devrons donc effectuer un travail supplémentaire en vue de la séance, car nous aurons besoin de statistiques départementales et nous devons trouver le dispositif le plus pertinent, en lien avec les bassins de vie. Personnellement, je ne crois pas utile de créer une commission ad hoc ; mieux vaut s’appuyer sur l’existant. Les maisons de l’emploi, Pôle emploi et les intercommunalités ont déjà une vision très fine de la situation. Demande de retrait ou avis défavorable sur les amendements CL656 et CL660.

L’exposé sommaire de l’amendement CL743 n’est pas cohérent avec son dispositif. Selon le premier, vous voulez supprimer la référence aux métiers en tension dans le cadre de la délivrance des titres de séjour et régulariser tous les sans-papiers. Or le dispositif vise à abroger l’article L. 414‑13 du Ceseda, qui dispose : « Lorsque la délivrance du titre de séjour est subordonnée à la détention préalable de l’autorisation de travail prévue à l’article L. 5221-2 du code du travail, la situation du marché de l’emploi est opposable au demandeur sauf lorsque le présent code en dispose autrement, et notamment lorsque la demande de l’étranger concerne un métier et une zone géographique caractérisée par des difficultés de recrutement. » Avis défavorable.

S’agissant de la méthode de révision de la liste, je suis prête à y travailler. Effectivement, il est important d’objectiver les critères. Avis favorable sur l’amendement CL1431.

M. Gérald Darmanin, ministre. Mêmes avis que Mme la rapporteure. Monsieur Naegelen, votre proposition n’est pas conforme à l’esprit du texte, mais nous allons retravailler sur le sujet, en fonction des articles 4 bis et 4 ter, tels qu’ils seront adoptés.

Madame Dupont, je partage votre courroux et votre intention.

Mme Annie Genevard (LR). M. Naegelen propose d’instaurer une commission qui participerait à élaborer la liste des métiers en tension. Elle serait composée d’un grand nombre de responsables politiques. Or la politique de régularisation suscite des opinions contradictoires : nos collègues de gauche, par exemple, réclament une régularisation massive. Je tremble à l’idée qu’ils siègent dans ladite commission, fût-elle consultative, et pèsent de leur poids institutionnel sur les décisions des préfets, des chambres consulaires et des représentants de filières. C’est très risqué ; j’invite à observer une grande prudence.

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). Je regrette que les amendements de suppression aient été rejetés ; la vision de l’autorisation de séjour reste très utilitariste.

Les métiers en tension sont ceux qui ne parviennent pas à embaucher, parce que les conditions de travail et les rémunérations ne sont pas assez bonnes pour attirer des candidats. Une théorie économique de base veut que l’augmentation des salaires et l’amélioration des conditions de travail fassent venir les volontaires. Il faudrait objectiver la définition.

L’emploi en sous-qualification des personnes migrantes pose également un problème. On cantonne des personnes diplômées dans des métiers en tension, quand ils pourraient enrichir bien davantage le pays en occupant d’autres emplois.

Mme Caroline Abadie (RE). Je défendrai dans un instant l’amendement CL1569, qui vise également à territorialiser le dispositif, en établissant la liste des métiers par département. Certains départements sont ultraspécialisés dans un secteur d’activité ; dans l’Isère, c’est la logistique, qui connaît une grande pénurie de main-d’œuvre. Nous ne voulons pas non plus créer une usine à gaz, nous avons donc calqué un dispositif existant. Pôle emploi, les directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets) et les chambres consulaires connaissent très bien les territoires et peuvent délivrer les informations nécessaires.

M. Erwan Balanant (Dem). La notion de métier en tension laisse le groupe Démocrate dubitatif. La réalité désignée est difficile à définir, varie selon les territoires. L’amendement de Mme Stella Dupont est donc opportun.

Faut-il conserver ce critère ? Quand quelqu’un est là, travaille, paie ses impôts et cotisations, n’est-ce pas suffisant pour le régulariser ? J’entends déjà crier à l’appel d’air ; en réalité, les gens concernés sont déjà là, et nous les plaçons dans une situation qui les empêche de s’intégrer. Quand vous ne pouvez pas vous déplacer seul dans la rue par crainte d’un contrôle de police, il est difficile de se fondre dans la communauté nationale.

M. Christophe Naegelen (LIOT). Quelle que soit leur sensibilité politique, des parlementaires ont demandé des dérogations pour obtenir des régularisations dans leur circonscription. Il faut faire confiance aux élus et aux représentants des instances syndicales et des chambres consulaires : ce sont eux qui connaissent le mieux nos territoires. Je suis désolé de faire trembler Mme Genevard mais il s’agit de laisser décider des acteurs engagés plutôt que des données statistiques et les représentants de l’État.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Mme Genevard craint une commission représentative de notre assemblée, c’est-à-dire, finalement, le vote des Français. Vous pourrez opérer un tri avec la référence aux métiers en tension mais, sur le plan démocratique, il sera plus difficile de maîtriser cet aspect.

Nous craignons plutôt l’usine à gaz. Mieux vaut donner des papiers aux personnes qui occupent déjà un emploi, afin de reconnaître leur contribution et simplifier leur vie. S’ils ont du travail, c’est que nous avons besoin d’eux. Les personnes ne sont pas des objets ; ne les instrumentalisons pas.

Mme Béatrice Roullaud (RN). Depuis tout à l’heure, la gauche et l’extrême gauche réclament la régularisation des travailleurs sans papiers, au seul motif qu’ils sont à plaindre. Une fois que vous leur aurez donné un titre de séjour, la protection que confère le droit du travail et un meilleur salaire, croyez-vous que les employeurs se satisferont de la situation, sans faire appel à d’autres étrangers, venus d’autres pays ? Régulariser les employés des métiers en tension ne constitue pas une solution.

La commission rejette successivement les amendements CL656, CL660 et CL743.

Elle adopte l’amendement CL1431 et l’article 4 ter est ainsi rédigé.

En conséquence, les amendements CL82 de Mme Emmanuelle Ménard, CL1101 de M. Gilles Le Gendre, CL658 de M. Christophe Naegelen et CL661 de M. Michel Castellani tombent.

Après l’article 4 ter

Amendement CL97 de Mme Françoise Buffet.

Mme Françoise Buffet (RE). En vertu de l’article 4 bis tel que nous l’avons adopté, une nouvelle autorisation de travail sera nécessaire à chaque changement d’employeur. Le présent amendement vise à éviter de multiplier les démarches des salariés étrangers, en les dispensant de solliciter une nouvelle autorisation de travail à chaque changement de contrat, que ce soit dans le cadre de la procédure d’obtention d’un premier titre de séjour ou dans celui d’une demande de titre de séjour pluriannuelle. Cette simplification servira également l’employeur et rendra la relation de travail plus fluide ; enfin, elle participera à désengorger les services d’instruction.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Il est satisfait par l’adoption de l’amendement CL1687. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

L’amendement est retiré.

Amendement CL1569 de Mme Caroline Abadie

Mme Caroline Abadie (RE). Nous en avons débattu. Il est inspiré de l’article L. 414-13 du Ceseda, qui mentionne déjà la liste des métiers et zones géographiques caractérisés par des difficultés de recrutement, et vise à territorialiser la liste. Puisque cet aspect doit faire l’objet d’un travail supplémentaire en vue de l’examen en séance, je vais le retirer. Le groupe Renaissance sera heureux d’être associé à ce travail.

M. le président Sacha Houlié. Il est satisfait par la nouvelle rédaction de l’article 4 bis, notamment grâce à l’adoption du sous-amendement CL1743.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Je le confirme !

L’amendement est retiré.

Article 5 (art. L. 526-22 du code de commerce) : Conditionnement de l’accès au statut d’entrepreneur à la régularité du séjour

Amendements de suppression CL507 de M. Julien Bayou, CL741 de M. Andy Kerbrat, CL897 de M. Boris Vallaud et CL1174 de Mme K/Bidi

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). L’article prévoit d’assujettir le statut d’autoentrepreneur à la régularité du séjour ; nous y sommes opposés.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Si un exilé sans papiers parvient à développer une activité en autoentrepreneur, c’est qu’il répond à un besoin. Personne ne se lancerait dans une activité inutile. Votre vision des travailleurs sans papiers est utilitariste. Dans le cas de l’autoentreprenariat, l’utilité est manifeste.

M. Boris Vallaud (SOC). Le présent amendement tend à supprimer l’article 5, qui prévoit de conditionner le statut d’autoentrepreneur à la preuve de la régularité du séjour. Il s’inscrit dans la même logique que nos précédents amendements visant à élargir le champ de la régularisation au-delà des salariés.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). J’ajoute que le Conseil d’État a jugé la mesure inutile et l’a déconseillée.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. L’article 5 prévoit de préciser dans le code du commerce que les étrangers ressortissants de pays non-membres de l’Union européenne (UE), d’un autre État partie à l’espace économique européen ou de la Confédération suisse ne peuvent accéder au statut d’autoentrepreneur s’ils ne disposent pas d’un titre de séjour les autorisant à exercer sous ce statut. La mesure est nécessaire. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Cet article est capital. On peut se déclarer autoentrepreneur en étant en situation irrégulière. Depuis 2008, date de la création du statut, les gouvernements successifs ont permis qu’il en soit ainsi, sans doute par ignorance du problème. Or on estime que, sur 100 000 autoentreprises créées chaque année, entre 50 000 et 60 000 le sont par des personnes en situation irrégulière. Le phénomène a pris beaucoup d’ampleur avec l’essor des plateformes. Depuis trois jours, vous parlez de masse, or, je le répète, le regroupement familial ne concerne que 12 000 à 14 000 personnes par an. L’État, peut-être sans le savoir, a ainsi organisé une filière d’immigration irrégulière.

Le Conseil d’État n’a pas déclaré la mesure inutile ; il a souligné qu’elle relevait du domaine réglementaire. Nous souhaitons l’inscrire dans la loi parce que, malgré plusieurs tentatives d’accord avec les plateformes, celles-ci refusent de réguler elles-mêmes la situation en demandant aux personnes concernées leur titre de séjour, avant la création du statut d’autoentrepreneur. À la demande d’Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein-emploi et de l’insertion, la plateforme Uber Eats a récemment désactivé 2 500 comptes et envisage d’en supprimer 7 000 autres, à l’issue d’une campagne de vérification que nous lui avons imposée, mais d’autres plateformes n’obtempèrent pas.

Le meilleur moyen d’assécher ce flux d’immigration irrégulière, c’est d’exiger que les déclarants aient le droit de travailler, comme c’est le cas pour n’importe quelle activité professionnelle.

La suppression de l’article maintiendrait les personnes concernées dans l’hypervulnérabilité. Les plateformes opposent aux demandeurs d’emploi en situation irrégulière les risques que leur embauche leur ferait courir et leur proposent de créer leur microentreprise : elles-mêmes ne prennent aucun risque et peuvent exploiter les personnes ainsi privées de la protection du droit du travail. C’est vrai pour la distribution de repas et le transport, mais aussi dans le bâtiment, dans la restauration en restaurant où dans le nettoyage. C’est de la maltraitance sociale : les personnes restent deux, trois, cinq ans dans cette situation, paient des impôts et des cotisations sociales, ne bénéficient de rien, et ne peuvent demander leur régularisation, parce que la circulaire Valls ne prévoit pas leur cas. Les patrons continuent à profiter de ces salariés déguisés, et l’État est complice.

M. Jordan Guitton (RN). Vous nous apprenez qu’un autoentrepreneur sur deux est en situation irrégulière – c’est très grave ! Nous voterons contre les amendements de suppression : il va de soi qu’on ne peut pas travailler en France sans papiers, et nous voulons renforcer le contrôle. Il faut d’ailleurs sanctionner ces personnes. En fait, la gauche propose d’encourager la fraude au travail.

La France est le pays d’Europe qui a le taux de prélèvements sociaux le plus élevés ; les artisans-commerçants traditionnels croulent sous les charges et sous les taxes, or une partie de l’hémicycle veut autoriser les travailleurs illégaux à poursuivre leur activité – c’est ahurissant !

M. Éric Pauget (LR). L’article 5 constitue un des aspects les plus importants du texte pour réguler l’immigration. La création du statut d’autoentrepreneur, qui a participé à libéraliser l’économie, est une bonne chose ; elle a permis à beaucoup de jeunes Français d’exercer une activité. Cependant, je le constate tous les jours dans les Alpes-Maritimes, de nombreux étrangers en situation irrégulière s’engouffrent dans la brèche. Nous nous opposerons donc aux amendements de suppression.

Mme Marie Guévenoux (RE). Les membres du groupe Renaissance voteront contre ces amendements de suppression. Le présent article est essentiel. Nous avons longuement débattu de l’article 4 bis, qui concernait 7 000 personnes ; il est ici question de dizaines de milliers de personnes. Il s’agit d’un outil de lutte contre l’immigration illégale, ainsi que contre des plateformes plus qu’indélicates, qui profitent du lien de subordination caché.

M. Boris Vallaud (SOC). Je maintiens l’amendement mais nous le retravaillerons en vue de la séance, pour prendre en considération les éclairages apportés.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Pour éviter la maltraitance que vous évoquiez, monsieur le ministre, il serait bien plus simple de régulariser les travailleurs.

J’aimerais être certaine de vous avoir bien compris. Vous avez dit que le fait que certaines plateformes, en France, n’exigent pas de titre de séjour de la part de ceux qui s’inscrivent comme autoentrepreneurs auprès d’elles crée un flux d’immigration, c’est bien cela ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Non, vous ne m’avez pas bien compris, ou alors je me suis très mal exprimé.

J’ai dit que sur 100 000 créations d’autoentreprises par an, nous considérions – sur la base de contrôles et compte tenu des difficultés à évaluer exactement, par définition, les phénomènes de fraude – qu’à peu près la moitié émane de personnes en situation irrégulière. Cela crée a posteriori une situation où ces personnes ont un statut validé par Bercy, paient des impôts et des cotisations, et, indépendamment de leur vulnérabilité capitalistique, viennent trouver l’État au bout de trois ou quatre ans pour demander à être régularisées sur le fondement de ce statut. D’un côté, le ministère des finances leur donne un statut fiscal ; de l’autre, le ministère de l’intérieur leur demande de partir en prononçant une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Incontestablement, cela entraîne des régularisations de fait, d’ailleurs impossibles pour une partie d’entre elles, la circulaire Valls ne prévoyant pas la régularisation de ces personnes ; ainsi, cela crée des « ni-ni ».

Nous avons vu dans quelques enquêtes judiciaires que des passeurs disaient aux personnes qu’ils faisaient passer qu’en France, on leur présenterait quelqu’un – il s’agit d’un employeur véreux qui ne les embauche pas, mais leur dit qu’il faut créer leur autoentreprise parce que c’est comme ça qu’ils y arriveront. Le premier responsable de cette situation, madame la députée, c’est l’État. Voilà pourquoi nous corrigeons ce point. Nous avons voulu le faire dès que je suis arrivé au ministère, en 2020, mais, au bout de deux ans de discussions avec les plateformes, certaines jouent le jeu, d’autres non.

Les sénateurs avaient supprimé cet article en commission, non parce qu’ils y étaient opposés, mais parce qu’ils considéraient qu’il relevait du domaine réglementaire. J’ai bien lu l’avis du Conseil d’État sur ce point. Je souhaite que la disposition soit de niveau législatif, pour pouvoir forcer les plateformes à accepter que l’État demande la preuve de la régularité du séjour à ceux qui veulent créer une autoentreprise.

M. le président Sacha Houlié. Les sénateurs avaient peut-être aussi été sollicités par des employeurs… mais ils ont montré, en rétablissant l’article en séance, qu’ils avaient compris qu’il était dans l’intérêt de l’État de pouvoir interdire ce recrutement frauduleux.

La commission rejette les amendements.

Elle adopte l’article 5 non modifié.

Après l’article 5

Amendement CL1327 de Mme Maud Gatel

Mme Maud Gatel (Dem). Je me réjouis de l’adoption de l’article 5, qui empêchera que de trop nombreuses personnes soient maintenues dans la précarité et soumises au bon vouloir de certaines plateformes et de certains employeurs.

On a vu apparaître de faux indépendants et certains indépendants pourraient être requalifiés – je ne parle pas seulement des plateformes. Cela nécessitera de traiter les questions de l’exploitation des personnes, du travail illégal et, plus globalement, de la juste rémunération.

Pour améliorer les contrôles et professionnaliser cette activité, nous proposons la création d’une carte professionnelle pour les livreurs indépendants, à l’image de ce qui s’est fait pour les conducteurs de véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC).

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Il me semble que l’article 5 correspond très précisément à ce que vous souhaitez, mais je laisserai le ministre répondre.

M. Gérald Darmanin, ministre. Le raisonnement me paraît de bon sens, mais il s’agit clairement d’un cavalier législatif : la disposition n’a rien à voir avec le code des étrangers. Le sujet pourra être évoqué dans le cadre du groupe de travail avec les ministères de l’économie et du travail dont nous avons parlé. Le mieux serait de retirer l’amendement.

L’amendement est retiré.

Article 6 (Partie législative du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, art. L. 421‑8, L. 421-16, L. 421-17 et L. 421-18 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Remplacement de la dénomination de la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « passeport talent » par la mention « talent », et fusion de trois de ces titres

Amendement CL1402 de M. Christopher Weissberg

M. Christopher Weissberg (RE). L’article 6 vise à transformer le passeport talent, qui concerne la partie la plus qualifiée et importante de notre immigration économique – 7 000 à 10 000 personnes par an : investisseurs, chercheurs, créateurs d’entreprise très qualifiés. Le Gouvernement a proposé de le simplifier à la suite du rapport Hermelin.

Notre amendement vise à aller un peu plus loin en créant, dans le cadre de notre compétition avec les autres grandes économies, un système de points comme celui qui existe au Canada et a été repris en Allemagne, à la place des critères qui figurent dans l’article.

Député des Français de l’étranger, je travaille beaucoup avec nos consuls sur l’attractivité. Le dispositif actuel n’attire guère. En objectivant chaque critère par des points selon une formule à élaborer avec le Gouvernement, le système que nous proposons permettrait de développer cette immigration.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. La modification que vous proposez est considérable. Si le système du passeport talent peut encore gagner en clarté et en lisibilité – c’est tout le sens de l’article 6 –, cette refonte totale à ce stade me semble excessive et nous n’en voyons pas tous les effets de bord. Je propose que nous validions déjà l’article 6 avant de retravailler plus largement sur le sujet si certains le souhaitent. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. L’article 6 vise à simplifier le passeport talent, inventé en 2016 par Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’intérieur. Le dispositif fonctionne notamment, mais pas seulement, dans les nouvelles technologies. L’article fusionne les dix titres de séjour qui existent à ce titre ; cela concourt à la diminution attendue du nombre de titres de séjour.

Monsieur le député, je salue le travail que vous avez conduit avec M. Ferracci et je comprends votre intention. Vous proposez une révision très profonde de la façon dont l’immigration économique est conçue. Pourquoi pas ? Mais elle ne semble pas faire l’unanimité parmi les acteurs économiques. J’ai ainsi reçu une lettre de France digitale, première association de start-up en Europe – vous avez reçu, j’imagine, une lettre similaire. Elle craint une complexification du passeport talent, lequel a montré son efficacité notamment dans le secteur de la French Tech, et préférerait que l’on en reste à l’article 6 proposé par le Gouvernement. Elle aimerait aborder la question en lien avec le travail et non avec l’immigration.

Peut-être est-ce avec le ministre du travail qu’il vous faudrait y réfléchir. Sur le principe, le système à points ne pose pas de problème. Il existe dans d’autres pays. Pourquoi, d’ailleurs, ne pas attribuer des points positifs et des points négatifs, parmi lesquels le trouble à l’ordre public, en lien avec le ministère de l’intérieur ? Créer ce régime ainsi, au détour d’un article, sans avoir échangé avec l’écosystème, me paraît prématuré. Mais une action collective d’ici à quelques mois ou années, avec les ministères du travail et de l’économie, semble envisageable.

Demande de retrait, sinon avis défavorable.

M. Christopher Weissberg (RE). C’est en effet une réforme profonde que je propose. Le système à points est plus dynamique et cumulatif – on peut ajouter d’autres critères, comme la maîtrise de la langue française. J’ai reçu, moi aussi, le courrier de France digitale et je ne suis pas sûr qu’ils aient parfaitement compris ce système : ils ont l’impression qu’il remettrait en cause le dispositif actuel alors que l’idée est de procéder de la même façon en affectant un nombre de points donné à tel ou tel des critères qui figurent dans la loi.

De nombreuses personnes ne comprennent pas notre système. Beaucoup d’Américains me disent avoir choisi un autre pays que la France parce que nos critères leur échappent. Le texte tente de les rendre plus efficaces, mais j’ai peur que nous n’y arrivions pas. Quand ce type de profil s’expatrie, il cherche à être rassuré sur les conditions de son arrivée et de l’obtention du titre.

Il faudrait que nous œuvrions ensemble, avec le ministère du travail, pour quantifier ces points, ce qui, sans vous enlever vos prérogatives gouvernementales, vous donnerait plus d’éléments pour développer un tel système. Le nombre de personnes concernées est trop faible ; nous avons besoin de beaucoup plus de monde. Le système à points rendrait le dispositif plus visible par les publics que nous voulons attirer.

Je retire volontiers mon amendement, en souhaitant que nous y réfléchissions d’ici à la séance.

L’amendement est retiré.

La réunion est suspendue de seize heures à seize heures trente.

Amendement CL746 de Mme Danièle Obono

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). D’un côté, on juge nécessaire une carte talent ; de l’autre, on limite sa durée de validité à une année. Cela revient à surexploiter les talents en question – qui manquent peut-être ailleurs – sans leur offrir aucune stabilité. Nous souhaitons porter à au moins quatre ans la durée maximale de validité du passeport talent.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Le critère de rémunération me semble tout à fait pertinent pour obtenir ce type de titre ; rien ne justifie de le supprimer. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL744 de Mme Danièle Obono

M. Louis Boyard (LFI-NUPES). Nous souhaitons supprimer la durée maximale de quatre ans des titres de séjour talent et talent-porteur de projet.

Ces deux types de titre sont attribués, pour le premier, aux étrangers exerçant des activités professionnelles hautement qualifiées, titulaires majoritairement de diplômes français de grade élevé, et, pour le second, aux étrangers porteurs d’un projet économique ou réalisant un investissement économique en France. Il s’agit donc de professionnels très qualifiés qui participent au rayonnement de l’économie française et qui ont besoin de sécurité administrative afin de se projeter et d’évoluer professionnellement et personnellement. Le délai maximal de quatre ans est insuffisant et peut les décourager au bénéfice d’États plus accueillants.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Il n’est pas possible d’octroyer un titre de séjour sans durée maximale. Avis défavorable.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Nous soutenons l’amendement.

On entend souvent dire que le passeport talent sert à alimenter des filières hautement qualifiées dans lesquelles on peine à recruter en France comme à l’étranger. Évidemment, toutes les améliorations qui pourront simplifier la vie de personnes cherchant à être régularisées seront bienvenues. Mais ne croyez pas une seconde que c’est ainsi que nous attirerons plus de personnes hautement qualifiées. Pour elles non plus, il n’y a pas d’appel d’air ! Ce qu’il faut pour cela, c’est travailler au développement de la recherche, à son financement et à la reconnaissance des diplômes.

Louis Boyard (LFI-NUPES). Si le passeport talent produisait vraiment un appel d’air, vous auriez intérêt à voter l’amendement : il permettrait de faire venir des personnes hautement qualifiées à des fonctions auxquelles nous avons du mal à recruter en France même. Vous avez décelé notre piège, madame la rapporteure : nous souhaitons que des personnes hautement qualifiées, ayant travaillé pendant quatre ans au service de notre pays, s’étant intégrées à la communauté nationale, n’aient pas à pointer en préfecture et à subir ce genre de galères ; c’était donc bien, à nouveau, une tentative pour régulariser les travailleurs sans papiers.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL804 de Mme Annie Genevard

Mme Annie Genevard (LR). Les conditions d’obtention du passeport talent-salarié qualifié sont détaillées aux alinéas 6, 7 et 8. À l’alinéa 6, il est question d’activité professionnelle résultant d’une formation dans un établissement d’enseignement supérieur. À l’alinéa 7, d’« exercer des fonctions en lien avec le projet de recherche et de développement ». À l’alinéa 8, en revanche, il ne s’agit que « d’une mission entre établissements d’une même entreprise ou entre entreprises d’un même groupe ». Il me semble qu’il manque une précision. Je suggère d’ajouter « de recherche et de développement » après « mission ».

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. L’alinéa 7 est plus large que ce que vous voulez préciser dans l’alinéa 8. Ce à quoi vous songez est bien couvert par l’alinéa 7. Demande de retrait ; sinon, avis défavorable.

Mme Annie Genevard (LR). Je me suis peut-être mal exprimée. Prenons l’exemple d’une entreprise de production basique qui a une antenne en Tunisie et qui voudrait faire venir des salariés de ce pays – au sein du même groupe, donc – pour combler des besoins en main-d’œuvre en France. Ils ont assurément un certain talent – il y a des talents à tous les niveaux professionnels dans une entreprise. Cet exemple correspond à l’alinéa 8. Or votre optique est plutôt de favoriser les établissements d’enseignement supérieur et les projets de recherche et développement. L’alinéa 8, lui, est très large : il couvre toutes les entreprises voulant faire venir des salariés de l’étranger pour tout type de fonction.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL292 de M. Stéphane Rambaud

M. Stéphane Rambaud (RN). Pour la sécurité de l’étranger et celle de la société, il nous est apparu opportun d’assortir d’une condition de ressources personnelles suffisantes la délivrance d’une carte de séjour pluriannuelle portant la mention « talent-porteur de projet ». Cela garantirait qu’à son arrivée en France, l’étranger ait les moyens de subvenir à ses besoins, indépendamment du projet économique ou de l’investissement qui justifie sa demande.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Les trois critères visés à partir de l’alinéa 20 ne contiennent aucune condition de rémunération, contrairement à ce qui est prévu pour d’autres motifs de délivrance. Rien ne justifie de l’instaurer pour les étrangers qui viennent créer ou investir sur notre sol. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL1560 de Mme Caroline Abadie

Mme Caroline Abadie (RE). L’article 6 vise à accroître la lisibilité et la cohérence des titres de séjour dits passeport talent, d’un côté, et des titres délivrés pour création de projet économique innovant, de l’autre, en fusionnant les deux. Ce sont 72 titres qui ont été délivrés pour création d’entreprise en 2022, plus 128 renouvellements la même année.

Notre amendement, travaillé avec l’Adie, l’Association pour le droit à l’initiative économique, vise à favoriser l’entrepreneuriat. Il est exigé ici cinq ans d’expérience professionnelle cumulés à un master, soit un total de dix ans : de quoi décourager certains jeunes talents. Une expérience professionnelle de trois ans serait largement suffisante. La valeur d’un projet d’entreprise n’attend pas le nombre des années ! Steve Jobs et Mark Zuckerberg avaient respectivement 19 et 21 ans quand ils ont créé Apple et Facebook.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Je vous propose de retirer votre amendement pour y travailler d’ici à la séance.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je suis d’accord pour que la délivrance du titre ne dépende pas de critères étrangers à la création d’entreprise ou au talent : il faut viser le talent indépendamment de l’expérience professionnelle et éviter que les talents nous échappent. Mais il convient de garantir la lisibilité en matière de droit au séjour et de critères de durée, et le but est de vérifier que le projet est durable.

Nous pourrions en reparler dans l’hémicycle, ce qui nous laissera le temps d’établir une comparaison avec les pays voisins. À cette fin, je suggère le retrait pour que nous y travaillions avec la rapporteure et vous-même.

L’amendement est retiré.

Amendement CL485 de M. Frédéric Falcon

M. Stéphane Rambaud (RN). Pour ne pas concurrencer des entrepreneurs français, mais aussi pour combler certains manques, cet amendement prévoit que le ministre de l’économie dresse une liste de secteurs dans lesquels la France souhaite que des étrangers viennent investir.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. En l’état du texte, la personne étrangère doit justifier d’un projet économique innovant, reconnu par un organisme public. Ce dernier critère me semble suffisant. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 6 non modifié.

Après l’article 6

Amendements CL421 et CL1562 de M. Guillaume Vuilletet

M. Guillaume Vuilletet (RE). En 2005, j’avais fait un rapport pour le Conseil économique et social sur la mobilité internationale des étudiants. Beaucoup d’étudiants arrivés en fin d’études ne pouvaient pas repartir porter un projet dans leur pays d’origine, notamment parce qu’ils manquaient d’expérience : il leur fallait une expérience supplémentaire.

Il y avait à l’époque, rue de Fleurus, une officine nord-américaine qui recrutait des étudiants que nous avions formés et leur permettait d’être employés directement dans l’industrie aux États-Unis. Je trouvais un peu bête que nous subventionnions l’industrie américaine à hauteur de 60 000 euros par an.

L’idée est de permettre à ces étudiants de rester chez nous dès lors qu’ils ont un projet et peuvent l’assumer et le financer, dans les mêmes conditions que pour le passeport talent, mais en leur évitant un aller-retour dans leur pays d’origine pour déposer leur demande.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. En réalité, votre dispositif durcit les conditions d’accès à la carte passeport talent mention « création d’entreprise », car il ajoute le critère de présence sur le territoire français depuis au moins cinq ans, qui ne figure par exemple pas à l’article L. 421-16 du Ceseda à propos du projet économique réel et sérieux.

Je vous propose de retirer vos amendements et de les retravailler en vue de la séance pour les faire correspondre à votre objectif.

Les amendements sont retirés.

Amendement CL1112 de Mme Violette Spillebout

Mme Violette Spillebout (RE). Il vise à créer une passerelle entre le statut d’apprenti et celui de travailleur, afin que l’étudiant majeur ayant fait son apprentissage dans une entreprise, diplômé et titulaire d’une promesse d’embauche dans la même entreprise puisse bénéficier d’un titre de séjour de travailleur.

Il s’agit de répondre aux besoins des entreprises qui s’investissent dans la formation de ces jeunes en leur évitant le délai et la complexité d’un nouveau dossier et d’une nouvelle publication de l’offre auprès de Pôle emploi. Il s’agit aussi de permettre au travailleur de ne pas repartir de zéro dans la constitution de son dossier d’autorisation de séjour en préfecture. Enfin, cela désengorgera les services administratifs.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Cette passerelle serait vraiment intéressante. Je vous demande cependant de retirer votre amendement pour que nous puissions affiner le dispositif en vue de la séance.

L’amendement est retiré.

Article 7 (art. L. 421-13-1 [nouveau] du code de l’entrée et du séjour des étrangers, art. L. 4111‑2‑1 [nouveau], L. 4221-12-1 [nouveau], L. 4111-2 et L. 4221-12 du code de la santé publique) : Création d’une carte de séjour pluriannuelle « talent-professions médicales et de la pharmacie » et modification du régime juridique relatif aux praticiens de santé à diplôme hors Union européenne (Padhue)

Amendement CL706 de Mme Edwige Diaz

Mme Edwige Diaz (RN). Il s’agit de tenter de remédier à la diversification médicale, très grave dans notre pays : 30 % des Français vivent dans un désert médical. Ma circonscription est particulièrement concernée.

Vous proposez de faire venir des médecins étrangers quand nous préférons l’arrêt du numerus clausus. L’accès aux soins de nos compatriotes étant une urgence absolue, nous souhaitons assortir votre dispositif de plusieurs conditions : qu’il soit limité à cinq ans et que les professionnels de santé aient été formés en France et aient pratiqué le français, pour bien comprendre le patient.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Une proposition de loi sur le même sujet est en cours d’examen et il faut une cohérence d’ensemble.

L’amendement CL1636 du président Sacha Houlié a été retiré avant la réunion au profit de l’amendement CL1242, qui rétablit la carte de treize mois pour les praticiens non encore lauréats des épreuves de vérification des connaissances (EVC). Mon avis sur les autres amendements sera défavorable afin que, dans le cadre du présent texte, nous nous calions sur le dispositif à venir.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Cet amendement témoigne de l’incohérence du Rassemblement national. Il dit qu’il faut supprimer le numerus clausus, mais c’est déjà fait – on manque simplement de places dans les universités. Il dit qu’il faut former les praticiens en France, mais défend d’autres amendements pour interdire aux gens de venir y étudier.

Si on vous suivait, les déserts médicaux deviendraient encore plus désertiques. Par pure xénophobie, vous ne voulez pas dans nos hôpitaux de médecins de nationalité étrangère. Nous préférons nous préoccuper de la santé de tout le monde, et s’il faut pour cela que nous embauchions des médecins et des soignants qui n’ont pas la nationalité française, c’est très bien.

Nous voterons évidemment contre l’amendement.

Mme Edwige Diaz (RN). On voit à nouveau la mauvaise foi de nos collègues de la Nupes. Le numerus clausus a été remplacé par un numerus apertus et nous ne souhaitons pas faire venir de nouveaux médecins, de nouvelles personnes étrangères. Voilà pourquoi nous proposons de limiter le dispositif à cinq ans. Notre position s’explique par notre vision humaniste : nous ne voulons pas vider des pays défavorisés de leurs élites médicales.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CL1177 et CL1176 de Mme Emeline K/Bidi

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Par l’amendement CL1177, nous proposons d’abaisser à trois mois la durée d’occupation d’un emploi dans un établissement public ou privé à but non lucratif de santé, social ou médico-social requise pour bénéficier de la carte pluriannuelle mention « talent-profession médicale et de la pharmacie ».

Ce titre relève d’une logique libérale d’utilisation du personnel hospitalier : les professionnels à diplôme étranger sont considérés comme une variable d’ajustement dans le mauvais fonctionnement de notre système hospitalier et placés dans une situation précaire. Nous voulons leur apporter plus de sécurité.

L’amendement CL1176 s’oppose à la limitation de la rémunération des personnels de santé titulaires de la même carte qui travaillent au sein du système hospitalier français.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Le premier des deux amendements aurait pour effet de supprimer les critères de la décision d’affectation, de l’attestation permettant un exercice temporaire ou de l’autorisation d’exercer pour l’octroi de la carte de quatre ans. De plus, l’accès à l’exercice d’une profession médicale serait trop assoupli, ce qui comporterait des risques. Je peine enfin à voir en quoi l’amendement concourt à « une véritable revalorisation des Padhue », qu’il s’agisse du statut, de la rémunération ou de l’affectation.

En ce qui concerne l’amendement suivant, je suis favorable au maintien du critère de rémunération. Il est évident que le décret en Conseil d’État fixera un niveau de rémunération inférieur à celui des praticiens nationaux, mais il importe de maintenir un seuil pour s’assurer de la qualité des praticiens qui viendront exercer dans nos établissements.

Avis défavorable aux deux amendements.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements identiques CL1705 de Mme Élodie Jacquier-Laforge et CL1175 de M. Davy Rimane

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Il s’agit de supprimer l’ajout sénatorial en vertu duquel la carte serait délivrée « sous réserve de la signature de la charte des valeurs de la République et du principe de laïcité ».

Cette mention est superflue : comme l’ensemble des étrangers sollicitant un document de séjour, les praticiens étrangers des professions médicales et de la pharmacie qui demandent une carte de séjour talent créée par le présent article auront à souscrire au contrat d’engagement prévu par l’article 13.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Déjà, on les fait venir dans un système hospitalier dont vous peinez à atténuer les dysfonctionnements, et en plus, il faudrait qu’ils signent une charte spéciale. Cela fait beaucoup de suspicion pour des gens que l’on envoie au charbon.

La commission adopte les amendements.

Amendement CL748 de Mme Danièle Obono

Mme Danièle Obono (LFI-NUPES). Nous souhaitons inclure dans la liste des praticiens et praticiennes étrangères pouvant bénéficier d’une carte pluriannuelle portant la mention « talent‑profession médicale et de la pharmacie » celles et ceux qui exercent sous les fallacieuses fonctions de « faisant fonction d’interne », « praticiens attachés » ou « praticiens attachés associés ». Cette demande émane des associations et syndicats de Padhue. La satisfaire ne serait que justice.

Les Padhue ont tenu l’hôpital public français à bout de bras pendant la pandémie. Environ 5 000 exercent dans nos hôpitaux. Ils ont les mêmes fonctions et les mêmes responsabilités que leurs collègues français, mais leurs titres et rémunérations sont souvent bien inférieurs. Le parcours pour l’obtention de l’autorisation d’exercer, long et complexe, passe obligatoirement par la réussite aux épreuves de vérification des connaissances, difficiles pour ces praticiens et praticiennes.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Je propose que nous adoptions déjà le dispositif prévu par le texte, afin de pouvoir faire un point d’étape et voir comment il est appliqué, avant d’envisager de l’étendre. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL1242 de M. Laurent Marcangeli

M. Laurent Marcangeli (HOR). Cet amendement vise à rétablir l’autorisation temporaire d’exercice à destination des professionnels médicaux et de la pharmacie diplômés de pays situés hors de l’Union Européenne. Nous sommes attachés à l’accès aux soins dans l’ensemble du territoire. Dans un contexte de pénurie croissante de professionnels de santé, ne nous privons pas des talents et des compétences dont nous manquons cruellement.

La rédaction proposée est consensuelle puisqu’elle a recueilli l’assentiment du Sénat lors de l’examen de la proposition de loi de notre collègue Frédéric Valletoux.

M. le président Sacha Houlié. J’avais déposé un amendement sur cet article, mais je l’ai retiré au profit du vôtre.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, je suis favorable à cet amendement.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’article 7 modifié.

Après l’article 7

Amendements CL520, CL522 et CL524 de Mme Sarah Tanzilli

Mme Sarah Tanzilli (RE). Ces amendements visent à apporter une réponse à l’embolie des services des étrangers dans les préfectures.

Le premier permet à l’étranger de justifier de la régularité de son séjour pendant une durée de six mois à l’expiration de son titre de séjour, plutôt que de trois mois. Cela offre une meilleure sécurité juridique au demandeur qui, compte tenu des délais de traitement des demandes, peut se trouver temporairement en situation irrégulière, avec de lourdes conséquences, car il peut perdre son activité professionnelle et ses droits sociaux.

L’amendement CL522 propose un régime de renouvellement tacite des titres de séjour pluriannuels et des cartes de résident dans les six mois suivant la demande. Ce délai offre le temps nécessaire à l’administration pour refuser le renouvellement en cas de nécessité, respecte le délai de réponse de six mois exigé de l’administration depuis 2018 et sécurise le parcours du demandeur, notamment s’agissant de son travail.

Un effort significatif a été consenti pour augmenter le nombre de personnels disponibles en préfecture pour gérer les demandes. Il convient maintenant de chercher de nouvelles solutions à cette embolie. Le renouvellement tacite dans le silence de l’administration limiterait ce problème.

J’appelle enfin votre attention sur le fait que le titre II du présent projet de loi prévoit la possibilité de retirer un titre de séjour en cas de non-respect de nos valeurs ou de trouble à l’ordre public. La période de renouvellement du titre ne sera donc plus le seul moment où un étranger qui pose problème pourra se voir retirer son droit au séjour.

Je retire l’amendement CL524 qui présente une erreur de rédaction.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. En ce qui concerne l’amendement CL520, l’article L. 433‑3 du Ceseda dispose que « lorsque l’étranger titulaire d’une carte de séjour pluriannuelle d’une durée de quatre ans, d’une carte de résident ou d’un titre de séjour d’une durée supérieure à un an prévu par une stipulation internationale en demande le renouvellement, il peut justifier de la régularité de son séjour entre la date d’expiration de ce document et la décision prise par l’autorité administrative sur sa demande par la présentation de la carte ou du titre expiré, dans la limite de trois mois à compter de cette date d’expiration ». Pendant cette période, « l’étranger conserve l’intégralité de ses droits sociaux ainsi que son droit d’exercer une activité professionnelle ».

Je n’ai pas d’opposition de principe à l’allongement du délai à six mois, mais l’amendement impliquerait aussi que l’étranger conserverait ses droits sociaux pendant six mois après l’expiration de son titre de séjour. Ce serait à mon sens trop long.

Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

En ce qui concerne l’amendement CL522, je juge utile que l’autorité administrative vérifie à chaque renouvellement si l’étranger remplit toujours les conditions nécessaires pour obtenir un titre de séjour. Le ministre nous a indiqué que les dispositifs seraient revus et certainement allégés. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

Mme Sarah Tanzilli (RE). Je maintiens les deux amendements CL520 et CL522.

Dans mon expérience, il est rare que l’administration réponde dans les trois mois. Cela pose de vrais problèmes, je le constate sur le terrain. L’allongement du délai me paraît tout à fait raisonnable. Par ailleurs, nous n’avons pas beaucoup d’informations sur ce qu’entend faire le ministre pour simplifier le renouvellement des titres pluriannuels et des cartes de résident.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Le problème est bien réel, nous le savons tous : l’embolie des services des étrangers crée des clandestins malgré eux. Mais, avec le dispositif que vous prévoyez pour la régularisation de clandestins dans les métiers en tension, vous allez demander aux préfets de justifier toute démarche contraire à la régularisation. Le corps préfectoral, que vous mettez sous la coupe du juge administratif, devra justifier encore davantage ses décisions. L’embolie va donc s’aggraver ; il y aura de moins en moins de rendez-vous, de moins en moins de dossiers traités.

La proposition de notre collègue n’est pas, je crois, la bonne solution ; mais il y a là un vrai problème. Il ne faut pas alourdir la charge des préfets.

L’amendement CL524 est retiré.

La commission rejette successivement les amendements CL520 et CL522.

Amendement CL1317 de M. Mathieu Lefèvre

M. Mathieu Lefèvre (RE). Cet amendement vise à étendre aux bénéficiaires de la protection temporaire dont bénéficient les déplacés d’Ukraine les procédures d’autorisation d’exercice médical existant en faveur des autres bénéficiaires de la protection temporaire internationale, par exemple les réfugiés.

Suivant la logique d’intégration par le travail qui sous-tend l’ensemble de ce texte, cet amendement permettrait d’apporter des solutions à la désertification médicale.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Votre proposition supprime la condition de réciprocité mais maintient la reconnaissance du diplôme par le ministre de la santé. Or, s’agissant des infirmiers, les conditions de formation sont hétérogènes : en Ukraine, elle dure deux ans contre trois en France. Demande de retrait.

M. Mathieu Lefèvre (RE). J’entends votre argument concernant les infirmiers. Je retire l’amendement afin que nous puissions le retravailler en vue de la séance.

L’amendement est retiré.

Article 7 bis (nouveau) (art. 175‑2 du code civil) : Extension du sursis à la célébration de mariage prononcé par le procureur de la République en cas de suspicion de mariage frauduleux

Amendements de suppression CL751 de Mme Andrée Taurinya et CL1178 de M. Davy Rimane

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Nous proposons de supprimer cet article qui vise à étendre le sursis à la célébration du mariage, qui passerait de quinze jours à deux mois renouvelables. Une telle disposition montre, une fois de plus, une méfiance systématique vis-à-vis des étrangers qui s’immisce dans tous les espaces de la vie privée. Elle porte ainsi atteinte au droit à la vie privée et au droit à mener une vie familiale normale, garantis par la Constitution à tous, sans considération de nationalité.

Nous rappelons que nous sommes favorables au rétablissement d’un titre de séjour de dix ans comme titre de référence pour les étrangers respectant le droit au regroupement familial, et à la régularisation automatique de tout conjoint marié ou pacsé. Ces mesures sont prévues par notre programme « L’Avenir en commun ».

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Avis défavorable. Je vous invite à vous rallier à mon amendement CL1763, qui supprime les alinéas 2 et 3 de cet article.

M. Yoann Gillet (RN). Nous ne voterons pas ces amendements de suppression, car l’article 7 bis améliore le dispositif existant. Le préfet aura davantage de temps pour diligenter une enquête lorsqu’il est saisi par l’officier d’état civil qui a un doute sur la sincérité d’au moins un des mariés.

Je regrette que nos amendements visant à interdire le mariage aux personnes en situation irrégulière aient été déclarés irrecevables. Il est ahurissant que nous ne puissions pas débattre de ce sujet. Des maires sont attaqués en justice parce qu’ils refusent, légitimement, de marier des gens en situation irrégulière. C’est arrivé à Béziers, où le maire a à juste titre refusé de marier quelqu’un qui était sous OQTF. Les Français ne comprendraient pas que nous ne nous saisissions pas de ce sujet majeur !

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). On entend parfois des commentaires sur le vote des différents groupes… Je n’aurai pas l’outrecuidance de souligner que certaines des positions de la minorité présidentielle sont manifestement soutenues par le Rassemblement national.

On retrouve ici la suspicion systématique à l’égard des étrangers, qui ne nous paraît pas justifiée. Par ailleurs, ce qui s’est passé à Béziers n’était pas légal.

La commission rejette les amendements.

Amendements CL158 et CL159 de M. Éric Pauget

M. Éric Pauget (LR). Ces deux amendements – le second est un amendement de repli – reprennent des propositions formulées au Sénat. Le Gouvernement s’était alors dit favorable au travail sur une nouvelle rédaction.

Un officier d’état civil peut saisir le procureur s’il a un doute sur le consentement d’un des mariés, mais pas si ce doute porte sur la finalité du mariage ; il peut notamment craindre de se trouver face à un mariage frauduleux conclu uniquement pour obtenir la nationalité, un titre de séjour ou des protections particulières.

Je vous propose de permettre à l’officier d’état civil de saisir le procureur dès lors qu’il nourrit un doute.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Avis défavorable.

La liberté de mariage est garantie par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et par l’article 12 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il convient donc d’agir avec la plus extrême précaution.

L’article 175‑2 du code civil s’applique aux situations que vous décrivez, c’est-à-dire celles où il n’existe pas de véritable intention matrimoniale. En outre, l’article L. 823‑11 du Ceseda punit de cinq ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende « le fait, pour toute personne, de contracter un mariage […] aux seules fins d’obtenir, ou de faire obtenir, un titre de séjour ou le bénéfice d’une protection contre l’éloignement ou aux seules fins d’acquérir, ou de faire acquérir, la nationalité française ». Le droit actuel me paraît donc suffisant.

M. Éric Pauget (LR). Vous n’avez pas bien saisi ce que je propose, madame la rapporteure. L’officier d’état civil, et donc les services de la mairie qui instruisent le dossier de mariage, ne peuvent aujourd’hui saisir le procureur que s’ils doutent du consentement d’un des mariés ; je propose qu’ils puissent également le faire en cas de doute sur la finalité du mariage, c’est-à-dire s’ils pensent que le mariage est destiné à faire obtenir un titre de séjour, une protection… Le procureur pourra alors appliquer le texte que vous citez.

Cette question a été débattue au Sénat. C’est une réalité que vivent les maires.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je m’excuse d’arriver avec retard dans votre conversation.

Au Sénat, la discussion, notamment avec Mme la sénatrice Valérie Boyer, a porté sur les difficultés rencontrées par les maires pour obtenir des réponses du parquet. Beaucoup de maires reçoivent les futurs mariés pour vérifier que leur consentement est éclairé – ce que je faisais moi-même quand j’étais maire. Quand il y a un doute, ils le signalent, mais souvent, le parquet ne répond pas ou indique qu’il faut procéder tout de même au mariage. Le maire se trouve alors dans une situation délicate.

Vous insistez sur le fait qu’au-delà du défaut de consentement, il arrive de s’interroger sur la nature du lien, de se demander si les mariés veulent vraiment une vie commune au sens du code civil et si le mariage n’est pas seulement organisé pour obtenir des papiers. Cela arrive, je peux en témoigner.

C’est un sujet qui doit être travaillé avec les services du garde des Sceaux : le maire agit en l’occurrence en tant qu’agent de l’État. Je ne peux donc pas m’avancer, même si je ne vois pas d’obstacle à vous donner satisfaction.

Les parquets ne sont pas organisés pour répondre aux signalements de plus en plus nombreux des officiers d’état civil. Il faut trouver le meilleur délai et se demander quelle doit être la règle si le parquet ne répond pas : il ne faudrait pas que les maires soient à nouveau en difficulté.

Je vous propose d’en reparler lors de l’examen en séance publique, après un travail avec la Chancellerie et avec Mme la rapporteure.

M. Éric Pauget (LR). Vous avez bien compris le sujet, monsieur le ministre. Donnons la capacité à l’officier d’état civil de faire connaître ses doutes au procureur ; celui-ci mènera l’enquête. C’est un sujet que l’on rencontre de plus en plus dans nos mairies et qu’il faut traiter.

Je prends acte de votre proposition de retravailler l’amendement en vue de la séance.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Cet amendement est très intéressant. Il existe une contradiction entre deux droits : la liberté de fonder une famille et l’obligation de lutter contre les mariages blancs.

L’été dernier, à Béziers, on a dit au maire qu’il avait l’obligation de marier quelqu’un qui faisait l’objet d’une OQTF. Pour un maire qui veut faire respecter dans sa commune les obligations légales concernant le séjour des étrangers, devoir marier un clandestin est un crève-cœur. Profitons de ce projet de loi pour régler ce problème, comme vous vous y étiez engagé, monsieur le ministre.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL1763 de Mme Élodie Jacquier-Laforge

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Les modifications prévues par l’article 7 bis entraîneraient un surcroît d’activité important pour les parquets, tenus de rendre une décision d’injonction de procéder au mariage même dans des situations qui ne posent pas de difficulté particulière. Le sursis à la célébration ne serait pas motivé par la nécessité de procéder à une enquête, mais par l’impossibilité pour le parquet de délivrer des injonctions de procéder au mariage dans le délai prévu par la loi. Le sursis ne présenterait, par ailleurs, aucune plus-value puisqu’en l’absence de difficulté particulière, le procureur de la République ne diligentera aucune enquête.

Il apparaît, en revanche, opportun de conserver l’allongement de la durée du sursis à deux mois prévu par le Sénat.

Mme Annie Genevard (LR). S’agissant des amendements de M. Pauget, je voudrais dire que l’intérêt de permettre à l’officier d’état civil d’effectuer cette démarche, c’est qu’il connaît très bien la population. Cette compétence est très précieuse.

S’agissant de l’amendement de Mme la rapporteure, vous supprimez la mention de l’enquête à laquelle doit procéder le procureur ainsi que le fait que l’avis soit réputé favorable au sursis en l’absence de réponse. Je le regrette. M. le ministre vient de le dire, ce dont les maires se plaignent, c’est l’absence de réponse du parquet. Votre amendement ne répond pas à ce problème.

M. Yoann Gillet (RN). Puisque les maires se plaignent, à juste titre, de ne pas obtenir de réponse du parquet, la proposition de M. Pauget est tout à fait pertinente puisqu’il permet de suspendre les mariages en attendant qu’une enquête soit réalisée.

Il ne faut pas fermer les yeux : la fraude existe. Il y a des gens qui se marient, non par amour, mais pour obtenir des papiers, tous les maires vous le diront. Il y a aussi des femmes qui sont contraintes de contracter un mariage. Des personnes importent parfois d’ailleurs des cultures où la femme n’a pas son mot à dire. Nous pensons à ces femmes malheureusement trop soumises à l’homme et contraintes de se marier. Oui, ça existe, allez voir dans les quartiers de vos circonscriptions, allez rencontrer les associations de femmes qui se battent !

M. Gérald Darmanin, ministre. Madame Ménard, vous posez une question un peu différente de celle de M. Pauget : vous souhaiteriez que le maire puisse s’opposer à un mariage si l’une des personnes est en situation irrégulière. Le Sénat a essayé de travailler cette question et n’a finalement pas retenu cette proposition.

Le fait de marier quelqu’un sur le territoire national n’empêche aucunement de l’expulser – ce qui s’est passé à Béziers, ce que vous auriez pu dire. Je peux comprendre que l’élu ne veuille pas procéder à la cérémonie parce qu’il pense que celle-ci ne sert qu’à récupérer des papiers ; mais on ne peut pas exclure que ce mariage soit le résultat de l’amour de deux personnes et destiné à fonder une famille. Il n’est pas toujours facile de le savoir.

Le législateur s’est depuis longtemps penché sur cette question. Je vous renvoie à une question écrite posée au Gouvernement par M. Gaymard en 2010. Le Gouvernement avait alors répondu qu’interdire le mariage d’une personne clandestine ne serait pas constitutionnel, en renvoyant à deux décisions du Conseil constitutionnel de 1993 et 2003, qui s’appuient sur les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et affirment le principe de la liberté de fonder une famille. Une circulaire du 2 mai 2005 précise qu’« en aucun cas, l’officier de l’état civil ne peut refuser de célébrer le mariage d’une personne au seul motif qu’elle est en situation irrégulière ». C’était sous la présidence de Jacques Chirac, mais la règle a été confirmée sous celle de Nicolas Sarkozy. Comme vous le voyez, il n’est pas facile de résoudre cette difficulté, sauf si – et nous rejoignons là la question de M. Pauget – le mariage ne se fait pas par amour mais pour récupérer des papiers. Je redis aussi que le mariage n’empêche pas l’expulsion.

La question posée par M. Pauget et Mme Genevard n’est pas idéologique, mais pratique. Lorsqu’il célèbre un mariage, le maire agit au nom de l’État. Il peut, à ce titre, mener lui-même une enquête administrative, recevoir les gens, voire refuser de célébrer le mariage s’il constate un défaut de consentement ou la vulnérabilité de quelqu’un – ce qui concerne singulièrement, mais pas uniquement, des femmes. Mme Genevard a raison de dire que le maire est le mieux placé pour constater la réalité de la situation, et j’imagine qu’on ne refuse jamais un mariage de gaieté de cœur ; mais il peut aussi y avoir des situations militantes : le maire ne doit pas pouvoir décider de tout tout seul.

Le procureur de la République peut lui enjoindre de procéder au mariage : dans ce cas-là, le maire doit bien accepter qu’il exerce cette fonction sous l’autorité du procureur.

Le problème survient lorsque le procureur ne répond pas. Or je ne crois pas que les parquets soient à même de répondre, même avec un délai allongé. Je soutiens donc la position de la rapporteure, ce qui ne veut pas dire que nous ne pouvons pas en reparler en séance publique. Nous devons travailler avec le garde des Sceaux.

Et si nous permettons aux maires d’intervenir davantage, ou même si nous l’exigeons d’eux, cette règle sera-t-elle applicable partout ? On voit ce genre de mariages dans les communes les plus rurales, dont les maires ont très peu de services.

Encore une fois, nous devons chercher l’efficacité. Je vous engage à reposer la question en séance. Je m’engage, d’ici là, peut-être avec Mme la rapporteure si elle le souhaite, à rencontrer les services du garde des Sceaux pour voir comment améliorer les choses. Ces interrogations sont de plus en plus nombreuses et il faut y répondre.

L’idée de Mme Boyer, sur laquelle elle a d’ailleurs été battue dans l’hémicycle du Sénat, c’était que si le procureur de la République exige que le mariage soit célébré, il n’a qu’à procéder lui-même à la cérémonie. Cela ne me paraît pas acceptable.

Encore une fois, ce n’est pas une question idéologique, mais pratique. Votre amendement pose une bonne question mais il ne me semble pas que la réponse qu’il apporte améliore la situation pour les maires, puisque le parquet ne verra pas ses moyens augmenter et ne répondra pas plus. La solution du Sénat ne me paraît pas adaptée non plus. Bref, travaillons cette question en vue de la séance pour aboutir à un compromis.

M. Éric Pauget (LR). Je proposais, non seulement un délai supplémentaire, mais aussi la création des actes de nullité, qui n’existent pas aujourd’hui. Le parquet disposerait ainsi des outils pour répondre au maire. On ne peut pas justifier par une insuffisance des moyens de la justice le fait de ne pas répondre à ce que vivent nos communes, à ce que vit notre pays.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’article 7 bis modifié.

Article 7 ter (nouveau) (art. L. 423‑22 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Durcissement des conditions d’attribution du titre de séjour pour les jeunes majeurs qui ont été pris en charge par l’aide sociale à l’enfance avant l’âge de 16 ans

Amendements de suppression CL1706 de Mme Élodie Jacquier-Laforge, CL1634 de M. Sacha Houlié, CL752 de Mme Élisa Martin, CL902 de M. Boris Vallaud, CL1179 de Mme Elsa Faucillon, CL1303 de M. Jean-Claude Raux, CL1328 de Mme Blandine Brocard et CL1563 de Mme Marie Guévenoux

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. L’article 7 ter, introduit par le Sénat, durcit les conditions d’attribution de la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » aux jeunes majeurs ayant été confiés au service de l’aide sociale à l’enfance (ASE) au plus tard le jour de leurs 16 ans, en disposant que l’étranger ne doit plus n’avoir aucun lien avec sa famille restée dans son pays d’origine.

La rédaction actuelle de l’article L. 423‑22 du Ceseda me paraît plus pertinente, car elle permet une analyse individuelle de la situation du jeune majeur concerné : un étranger confié à l’ASE ou à un tiers digne de confiance au plus tard le jour de ses 16 ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » d’une durée d’un an, sous réserve notamment de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d’origine. Je propose de conserver cette disposition, donc de supprimer l’article 7 ter.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Nous souhaitons aussi supprimer l’article, qui laisse entendre que ces jeunes chercheront à bénéficier d’une carte de séjour alors qu’ils sont encore en contact avec leur famille restée dans le pays d’origine. Cela n’a aucun sens. La vraie difficulté à laquelle ils sont confrontés est d’avoir une prise en charge sociale et éducative, qui leur permette de construire leur chemin parmi nous, hors de logiques xénophobes et suspicieuses. Il est vrai que cela empêche l’individualisation de la mesure, un principe qui nous est cher.

M. Boris Vallaud (SOC). C’est une mesure supplémentaire pour pourrir la vie de jeunes pris en charge par l’ASE, dont le parcours de migration n’a pas été parsemé de pétales de roses. Les arguments sont vains face à l’imbécillité.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). L’article vise à stigmatiser encore plus les jeunes majeurs qui, pour reconstituer leur état civil, sont parfois obligés de contacter une famille sur place. Il y a une différence entre « existence de liens » ou « nature des liens » avec une famille restée dans le pays d’origine. Nous sommes tous capables de le comprendre.

En matière de protection de l’enfance, parmi tous les autres chantiers de l’ASE, il est impératif de former les agents afin que les mineurs non accompagnés (MNA) soient accompagnés dans leur procédure de régularisation.

M. Jean-Claude Raux (Écolo-NUPES). Demander à un jeune de couper toute relation avec sa famille dans son pays d’origine est une aberration. Cette condition est néfaste pour son bien-être et disproportionnée pour l’obtention d’un titre de séjour d’une année. Nous parlons ici de jeunes majeurs intégrés, précédemment pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, qui doivent avoir le droit de poursuivre leur parcours en France. Aucune condition de cette sorte ne devrait être nécessaire ; un mineur arrivé en France a droit, une fois majeur, à voir sa situation régularisée. Ce critère ouvre également la voie à l’arbitraire sur l’existence ou l’absence de liens avec sa famille : c’est la porte ouverte à la loterie du traitement des situations individuelles.

M. Erwan Balanant (Dem). Tel qu’il est rédigé, l’article L. 423-22 prévoit déjà des conditions drastiques, qui semblent suffisantes. Ces enfants qui deviennent adultes ont reçu une éducation dans notre pays et sont souvent intégrés ; en tout cas, ils en ont la volonté forte. Il n’est pas concevable de dire à un enfant, qui est arrivé en France à 14 ans et qui a eu la chance d’aller à l’école de la République pendant quatre ans, qu’à 18 ans, il doit retourner dans son pays – d’autant que s’il était arrivé seul, c’était sans doute pour de bonnes raisons. C’est pourquoi nous voulons supprimer l’article.

Mme Marie Guévenoux (RE). Les conditions sont déjà drastiques dans le droit existant. Elles semblent suffisantes pour donner une chance à ces jeunes dont l’éducation et la formation ont été prises en charge par l’État français pendant plusieurs années. Pour cette raison, nous souhaitons supprimer l’article.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Avis évidemment favorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. L’article est superfétatoire car, depuis 2021, par l’instruction que j’ai donnée aux préfets, tous les MNA bénéficient d’un examen anticipé du droit au séjour, ce qui évite les difficultés évoquées : 93 % des demandes traitées ne sont pas contestées ; elles sont soit acceptées, soit refusées par de jeunes majeurs qui retournent dans leur pays.

L’article 7 ter s’adresse aux 7 % des demandes qui font l’objet de contestations, toujours de la part de l’administration, parce qu’elle a constaté des fraudes à l’état civil manifestes. Nous avons réglé cette question à l’article 1er ter, lequel prévoit la légalisation des actes d’état civil, qui manque cruellement aux services des préfectures, pour effectuer des vérifications.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Votre explication est kafkaïenne : les mineurs non accompagnés, pris en charge par l’ASE, sont censés ne pas avoir de parents. Quand on demande à s’en assurer, on dit que cela n’est pas possible. Par vos amendements de suppression, vous êtes en train de valider une filière d’immigration par laquelle des enfants mineurs de pays en voie de développement sont envoyés en France pour être pris en charge par l’ASE dans les départements en tant que MNA, et, au final, recevoir un titre de séjour.

Mme Edwige Diaz (RN). Comme d’habitude, par ces amendements, vous détricotez les dispositions que le Sénat avait durcies. En l’occurrence, il s’agit des conditions d’attribution de titres de séjour pour les jeunes majeurs pris en charge par l’ASE avant 16 ans. Ce statut n’est pas marginal : notre pays comptait 16 000 MNA en 2019, contre 5 000 en 2014. Surtout, il est entouré d’une suspicion de fraude. Selon différents interlocuteurs, 60 % à 90 % des mineurs non accompagnés déclarés seraient majeurs.

Dans votre exposé sommaire, vous dites que « ces enfants placés donnent le meilleur d’eux-mêmes pour réussir leurs études ». Je ne peux me satisfaire de ce présent valant vérité générale : c’est peut-être le cas de certains mais, à Paris, les MNA représentent 75 % des mineurs déférés devant le parquet. En 2020, en Gironde, 42 % de la délinquance des mineurs étaient le fait de MNA.

M. Louis Boyard (LFI-NUPES). Vous êtes immonde ! On parle de gosses qui galèrent, qui sont seuls, à qui il arrive des folies dans la rue, qui vont d’hôtel en hôtel. Les départements ont du mal à s’en occuper, car les MNA sont souvent la variable d’ajustement des budgets. Ils doivent enchaîner les formations courtes pour être rapidement employables, dans un pays qu’ils ne connaissent pas, où ils sont seuls. Vous voulez faire de la démagogie sur leur dos, pour essayer de montrer une prétendue fermeté. Enfin, vous avez des enfants ! Vous êtes en train de raconter que des parents enverraient leurs gosses dans un pays pour optimiser la loi et obtenir un titre de séjour.

On ne fait pas de la politique uniquement pour récupérer des points dans les sondages sur la part de xénophobie qui peut exister en France. Des gens paient les conséquences de ce que nous votons. Là, vous votez contre des gosses qui vivent le pire de ce que peuvent vivre les gosses dans le monde !

M. Erwan Balanant (Dem). M. Boyard a dit les choses justement : ce sont des enfants, qui ne sont pas systématiquement arrivés par des filières illégales.

Mme Edwige Diaz (RN). Prenez votre carte à la Nupes !

M. Erwan Balanant (Dem). Non, madame Diaz, je reste au Mouvement démocrate, un parti qui met l’homme au centre de ses préoccupations, quand vous n’arrivez même pas à y mettre les enfants. Pour vous, ces enfants-là sont des délinquants, ils n’obtiennent pas de bons résultats à l’école. Mais comme nos propres enfants, qui peuvent y échouer ou être parfois turbulents ! Parce que ce sont des enfants étrangers, on devrait être impitoyable avec eux. J’aime que ce texte révèle ce que vous êtes : le parti de la haine, de la xénophobie, du rejet de l’autre.

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). Une chose est sûre, ces enfants ont été accueillis par l’ASE parce qu’ils sont mineurs – au moindre doute sur leur minorité, ils en sont sortis. Ces enfants n’arrivent pas dans les meilleures conditions en France. Ils ont vécu des parcours de migration traumatisants puis l’accueil de l’ASE qui, dans la plupart des départements, les place à l’hôtel. Souvent, les jeunes filles se prostituent pour s’y maintenir. Lorsqu’ils atteignent 18 ans, ils ont des droits, que cela ne vous plaise ou non. Ce n’est pas parce qu’ils ont la peau noire que l’on doit leur dénier tous les droits humains. Nous avons une responsabilité dans cette assemblée !

M. Gérald Darmanin, ministre. J’ai du mal à suivre nos débats tant ils s’éloignent parfois du texte.

Le Sénat a modifié le second alinéa de l’article L. 423-22 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile de sorte à vérifier, pour la délivrance de la carte de séjour, entre autres conditions, l’absence avérée de liens familiaux du mineur étranger dans son pays d’origine, plutôt que la nature de ces liens. Il n’y a pas là de quoi créer une nouvelle filière d’immigration : les dispositions sont déjà en vigueur. Restons calmes sur cette mesure ! J’ai expliqué que la difficulté était réglée pour les 7 % de demandes contestées en raison de fraudes documentaires.

En tout cas, la rédaction du Sénat ne règle rien puisque le mineur devrait prouver l’absence avérée de liens avec sa famille d’origine. Actuellement, il justifie de la nature de ses liens, à charge pour le préfet d’évaluer leur intensité. La disposition proposée semble donc moins efficace que le droit en vigueur, y compris pour refuser un titre de séjour à un mineur devenu majeur.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article 7 ter est supprimé et les amendements identiques CL1070 de M. Boris Vallaud et CL1304 de M. Jean-Claude Raux tombent.

Après l’article 7 ter

Amendement CL664 de M. Bertrand Pancher

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. L’amendement est satisfait par la décision du 3 juin 2022 du Conseil d’État, qui précise le cadre juridique du recours obligatoire à un téléservice. S’agissant plus spécifiquement des demandes de titres de séjour, le Conseil d’État a posé l’obligation de prévoir une solution de substitution à l’usage d’un téléservice, afin de s’adapter aux besoins des demandeurs. Demande de retrait.

L’amendement est retiré.

Article 8 (art. L. 8253-1, L. 8254-2, L. 8254-2-1, L. 8254-4, L. 8256-2, L. 8271-17, L. 5221-7, et L. 8272‑6 [nouveau] du code du travail, section II du chapitre II du titre II du livre VIII du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Instauration d’une nouvelle amende administrative sanctionnant les employeurs d’étrangers ne détenant pas un titre les autorisant à travailler

Amendement CL755 de Mme Danièle Obono

M. Louis Boyard (LFI-NUPES). Je ne crois pas que les Français sont contre l’immigration : ils sont contre le bordel. Et la façon dont vous organisez l’immigration met le bordel. Quand vous interdisez à des personnes de travailler, comment peuvent-elles survivre, payer leur loyer, manger ?

Depuis des décennies, vous faites des lois répressives sur l’immigration et le chaos continue. Là, vous allez continuer la répression – il faut bien sûr faire semblant d’arranger la situation – et ce sera encore plus le bordel.

Nous proposons que les personnes puissent travailler pour payer leur loyer, leurs soins, avoir le minimum pour vivre. Malheureusement, vous les en empêchez. C’est pourquoi nous demandons la suppression de l’article 8.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement.

Amendement CL1707 de Mme Élodie Jacquier-Laforge

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Dans sa rédaction actuelle, l’article 8 a pour objet de supprimer la solidarité financière pour l’amende administrative entre l’employeur et son cocontractant, ce qui est non conforme à la directive 2009/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009 prévoyant des normes minimales concernant les sanctions et les mesures à l’encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. Le présent amendement vise à rétablir cette solidarité financière pour le cocontractant.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). J’ai entendu des cris quand mon collègue Boyard a dit que les Français n’aimaient pas le bazar. Mais qui est au pouvoir, qui est responsable de cette situation qui ne convient pas à nos compatriotes ? Certainement pas nous !

Par notre programme et nos amendements, nous proposons des solutions de bon sens. Nous disons qu’accueillir avec efficacité les gens qui viennent dans notre pays évite qu’il y ait du bazar, de la misère, de la pauvreté.

Mais il y a un corollaire, que vous oubliez toujours : c’est la question du partage de la richesse. Nous avons un programme global de partage de la richesse, pour faire en sorte que personne dans notre pays ne soit dans une situation difficile, y compris les personnes étrangères en situation régulière, et même celles en situation irrégulière.

M. Gérald Darmanin, ministre. L’article 8 fonctionne avec les articles 2 et 5 pour compléter l’article 3 du projet de loi initial, devenu l’article 4 bis. Il s’agit de sanctionner efficacement les employeurs indélicats, pour ne pas dire voyous, qui organisent des filières d’immigration irrégulière.

L’autorisation de régulariser les salariés sans-papiers embauchés prévue à l’article 3 devenu 4 bis ne permet pas de connaître le nombre d’entreprises qui embauchent des sans-papiers de façon organisée, à des fins de maltraitance ou pour renforcer leur compétitivité. Malgré les très nombreuses enquêtes des ministères du travail et de l’intérieur, seules 500 condamnations judiciaires sont prononcées par an, alors que l’on sait que plus de la moitié de ces employeurs sont eux-mêmes des étrangers. La difficulté relève donc parfois de la filière d’immigration illégale.

Il n’y aurait pas tant de personnes à régulariser dans cet article si l’on avait été très dur contre les employeurs voyous ailleurs – c’est le parallèle que l’État fait avec lui-même dans l’article 5 sur les autoentrepreneurs. L’article donne donc au préfet le pouvoir administratif de prononcer des sanctions pécuniaires, si bien que les patrons n’ont pas intérêt à embaucher un sans-papiers : ils risquent non seulement une sanction pénale, mais aussi de très fortes amendes. En cas de récidive, une fermeture administrative de l’entreprise peut être prononcée. Ces dispositions, qui ont été validées par le Conseil d’État, sont de nature à lutter très fortement contre l’immigration irrégulière.

M. le président Sacha Houlié. L’article avait été supprimé en commission par le Sénat. Il a été rétabli après qu’a été démontré l’intérêt de supprimer le pouvoir abusif que détenaient les employeurs sur les salariés précarisés par leur situation au regard de l’état civil.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’amendement CL667 de M. Jean-Louis Bricout tombe.

Amendement CL245 de M. Yoann Gillet

M. Yoann Gillet (RN). Il vise à renforcer les sanctions contre les employeurs qui embauchent des clandestins parce qu’ils acceptent des salaires plus bas que les Français. Ces patrons ferment aussi les yeux sur le fait que les contrats sont signés par d’autres personnes que celles qui travaillent pour eux. C’est notamment le cas chez Amazon, selon un salarié que j’ai rencontré avec Edwige Diaz. Cette situation existe au détriment des 5 millions de nos compatriotes qui cherchent un emploi. Il est donc nécessaire de sanctionner fortement ces employeurs qui ne respectent pas la loi.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Avis défavorable. L’article 8 augmente déjà le plafond de l’amende pénale de 15 000 à 30 000 euros, et de 100 000 à 200 000 euros lorsque l’infraction est commise en bande organisée.

M. Gérald Darmanin, ministre. J’entends cet amendement comme un soutien à l’article 8 – ce dont je me réjouis –, mais par le renforcement de sanctions pénales. Je ne suis pas contre le principe d’allonger les peines de prison, mais la rapporteure a raison de rappeler les montants des sanctions financières, notamment lorsque l’infraction est commise en bande organisée. Surtout, les sanctions pénales ne sont pas prononcées par la justice, ou elles le sont très peu.

Mieux vaut conserver la rédaction actuelle, afin de ne pas fragiliser l’article 8 pour des raisons constitutionnelles de proportionnalité, notamment le principe de droit en vertu duquel on ne condamne pas deux fois une personne pour une même infraction. Il semble plus utile de renforcer le pouvoir de sanction du préfet, par la sanction administrative – au moins sera-t-elle à la main de l’État plutôt que de la justice.

Si vous tenez à conserver l’article 8, soutenant la lutte contre l’immigration irrégulière, je vous recommande de retirer l’amendement. Je ne veux pas croire que vous jouiez de la politique du pire pour conduire à sa censure par le Conseil constitutionnel.

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Les députés du Rassemblement national pratiquent la préférence nationale même quand il s’agit de l’exploitation des salariés. Les premières victimes de l’exploitation, ce sont les travailleurs sans papiers : ils subissent des conditions dégradées parce qu’ils sont embauchés par des patrons voyous.

Vous les opposez aux travailleurs français, alors qu’il y a une offre d’emploi disponible pour dix-huit personnes qui cherchent du travail. Votre slogan, le même que celui de Jean-Marie Le Pen dans les années 1980, ne marche pas : il ne vise qu’à opposer les citoyens entre eux. Vous êtes véritablement le parti de la division.

Mme Marie Guévenoux (RE). Je ne comprends pas pourquoi les collègues de la Nupes ont appelé à supprimer cet article qui vise à sanctionner plus lourdement les employeurs d’étrangers en situation irrégulière, se livrant à une forme d’exploitation. Le groupe Renaissance soutient l’article, qui double les montants de la sanction financière et prévoit une fermeture administrative pour la société qui se livrerait à ce trafic. Je vous remercie pour cet article important du projet de loi.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 8 modifié.

Après l’article 8

Amendement CL1403 de M. Hervé de Lépinau

M. Jordan Guitton (RN). La lutte contre le travail dissimulé d’étrangers en situation irrégulière est évidemment une bonne chose. La responsabilisation du donneur d’ordre en est un des leviers. Néanmoins, certains viticulteurs ou agriculteurs sont parfois obligés de recruter des personnes hors de France, notamment pour les vendanges, et n’ont pas toujours la possibilité de vérifier l’état civil de leurs salariés. L’amendement de mon collègue Hervé de Lépinau vise donc à ce que l’obligation faite au donneur d’ordre de vérifier si les personnes employées par son prestataire sont en règle au regard des lois sur l’immigration ne s’applique pas pour les entreprises de moins de 11 salariés.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Il ne me semble pas opportun d’écarter de cette obligation prévue par l’article L. 8222-1 du code du travail les entreprises de moins de 11 salariés – cela reviendrait à exclure plus de 96 % des entreprises françaises, qui emploient 2,3 millions de salariés.

M. Gérald Darmanin, ministre. Cet amendement est intéressant : j’entends que, dans votre circonscription, faute de trouver des travailleurs français, des entreprises viticoles embauchent des étrangers, parfois irréguliers, et que mieux vaudrait en faire porter la responsabilité à d’autres sociétés. Le raisonnement me paraît un peu bizarre pour un député du Rassemblement national. Au bout de trois jours de débat, vous reconnaissez qu’on a peut-être besoin de main-d’œuvre étrangère dans les secteurs agricole et viticole. En général, vous êtes contre, mais, apparemment, des entreprises de votre circonscription vous ont demandé d’intervenir. C’est un premier pas vers la reconnaissance : merci de ce bel aveu.

C’est surtout particulièrement hypocrite. Voyant que nous renforçons le pouvoir de sanction des préfets et de la justice à l’encontre des employeurs de personnes en situation irrégulière – alors que votre collègue cherchait à l’instant à augmenter les peines de prison –, vous demandez que les chefs d’entreprise de votre circonscription soient exemptés de leurs obligations. Cela est bien dommage, car The Huffington Post a récemment révélé l’ouverture d’enquêtes pour traite d’êtres humains dans le cadre des vendanges en Champagne, certains viticulteurs ayant proposé des conditions indignes de travail et de logement à des étrangers.

En quelques instants, nous avons appris que vous êtes pour la main-d’œuvre étrangère ; que vous laissez embaucher des irréguliers dans les entreprises de votre circonscription ; que vous ne souhaitez pas faire assumer ces actes par les patrons pour ne pas les sanctionner. Voilà qui est très intéressant. Cet amendement du Rassemblement national mériterait sans doute un scrutin public. Celui-là, je ne suis pas certain que vous le publierez sur Twitter, monsieur Guitton.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Cet amendement pourrait s’appeler l’amendement de Fournas, du nom du député du Rassemblement national qui a été épinglé pour avoir embauché des travailleurs étrangers dans son vignoble. Quand il s’agit de défendre des intérêts, contrairement à ce qu’il affirme, le RN suit plutôt l’intérêt patronal que l’intérêt national.

Petite coquetterie, le vin, qui fait la fierté et le rayonnement de notre pays, a été importé, selon les historiens, d’Iran par les Grecs. Si l’on parle de l’immigration, on doit aussi parler de ses apports positifs.

M. Jordan Guitton (RN). Vous essayez de détourner le sujet. Vous voulez régulariser durablement des milliers de clandestins sur le territoire français. L’amendement vise des travailleurs temporaires, bien souvent de l’Union européenne, qui viennent travailler pour quelques jours dans notre pays, pendant les vendanges ou les récoltes. Il tend à rendre les prestataires de services responsables des vérifications nécessaires, car ceux-ci peuvent abuser de la naïveté des viticulteurs ou des agriculteurs. J’entends vos arguments, mais assumez que vous voulez régulariser des clandestins et arrêtez de divertir les gens dès que l’on vous reproche quelque chose. Ce ne sont là que des paroles, toujours des paroles.

M. le président Sacha Houlié. Nous assumons parfaitement de vouloir régulariser les travailleurs dans les métiers en tension ; nous l’avons dit partout. Pour votre part, non seulement vous ne voulez pas les régulariser, mais vous refusez même de sanctionner les patrons qui abusent d’eux. Là est la différence entre nous.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je vois votre énervement et la gêne de vos collègues – il n’est d’ailleurs pas certain qu’ils voteront votre amendement.

Assumez, madame Diaz, que vous allez voter un amendement qui prévoit de soustraire les entreprises de moins de 11 salariés de l’obligation de vigilance en matière de formalités liées au travail dissimulé, sous prétexte que ces sociétés sont nombreuses dans votre circonscription. Alors que vous expliquez depuis des semaines, des mois, des années qu’il faut faire travailler les Français, vous convenez que, parfois, dans votre circonscription, dans les milieux agricoles, des chefs d’entreprise ont peut-être besoin de main-d’œuvre étrangère. Vous êtes pour la régularisation des travailleurs sans papiers, assumez-le ! Ce n’est pas grave.

Vous présentez un amendement qui vise à ne pas sanctionner les patrons qui embauchent des travailleurs irréguliers, qui n’ont ni les moyens ni le temps pour vérifier les déclarations fournies. Soit vous avez copié-collé un amendement que vous avez reçu, ce qui n’est pas bien. Soit vous souhaitez faire un coming out politique car vous n’êtes finalement pas bien au Rassemblement national. Soit vous vous êtes aperçu que des étrangers, et même des irréguliers, travaillaient dans votre circonscription, et vous avez peur que les sanctions fortes que nous adoptons contre les entrepreneurs voyous soient prononcées contre certains de vos amis – je parle de manière générale, sans viser la situation particulière de M. de Fournas, que M. Léaument a rappelée. Assumez !

J’ai toujours dit que je voulais que les étrangers délinquants s’en aillent et que ceux qui travaillent et sont honnêtes vis-à-vis de la République soient régularisés. Je ne suis pas hypocrite, monsieur le député. Vous, vous l’êtes, et vous tenez des discours différents. J’espère que la presse qui nous suit, qui a tendance à penser que vous êtes normalisés, s’aperçoit de votre hypocrisie. Tenant compte du fait que des travailleurs irréguliers travaillent dans votre circonscription, vous voulez exonérer les employeurs de leur responsabilité au regard de l’insalubrité ou des conditions de travail. Et puis des membres de votre groupe m’écriront pour demander la régularisation – il y en aura, comme partout. Je n’ai même pas besoin de dire qui le fera, car, par cet amendement, vous le dites, vous souhaitez la présence de travailleurs irréguliers dans votre circonscription.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL1564 de M. Ludovic Mendes

M. Ludovic Mendes (RE). En complément de l’article 8, il vise à rendre presque obligatoire la fermeture administrative en cas de récidive dans les cinq ans et à assurer la judiciarisation de ces dossiers. En effet, l’exploitation des travailleurs sans-papiers est trop rarement judiciarisée, avec 500 cas par an remontés ces derniers temps. À l’inverse de La France insoumise, qui ne cesse de dire qu’elle veut lutter contre le travail dissimulé, l’exploitation humaine et l’esclavage moderne, mais qui a refusé cet article 8, nous voulons être encore plus durs envers les employeurs qui trichent et, à l’inverse du Rassemblement national qui affirme qu’il préfère les protéger, mais pas dans les entreprises de moins de onze salariés, nous voulons lutter contre toute forme de détournement au détriment de ces personnes qui, parce qu’elles n’ont pas de papiers, sont exploitées volontairement, ne sont pas rémunérées comme les autres et n’ont pas les mêmes horaires de travail. C’est de l’esclavagisme moderne. Pour lutter contre la traite humaine, il faut faire en sorte que les employeurs qui ont déjà fait l’objet d’une mesure administrative d’amende, puissent être sanctionnés par la fermeture administrative temporaire de l’entreprise, car c’est un coup qui fait très mal.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. La sanction administrative ne peut pas être automatique. Avis défavorable.

Mme Annie Genevard (LR). Il faut naturellement sanctionner les employeurs qui ont recours à une main-d’œuvre irrégulière. Une fermeture administrative comporte toutefois des risques pour une entreprise qui n’emploie peut-être pas seulement des travailleurs en situation irrégulière. Cette mesure pourrait en effet mettre en difficulté l’ensemble des salariés, voire l’entreprise elle-même. Il faut donc y regarder de plus près.

M. Gérald Darmanin, ministre. Madame Genevard, je partage votre opinion, mais la fermeture administrative dont il est question n’interviendra pas à la première infraction – ce qui, du reste, n’aurait pas été validé par le Conseil constitutionnel –, mais seulement en cas de récidive après une première occurrence de travail dissimulé sanctionnée par une amende forte. Perseverare diabolicum ! Un contradictoire sera alors organisé, évidemment susceptible de recours auprès du tribunal administratif, après quoi, si la bonne foi de l’entreprise n’est pas démontrée, pourra intervenir la fermeture administrative, afin d’interrompre le flux. Par ailleurs, je le répète, plus de 50 % des entreprises confondues par des poursuites pénales sont détenues par des étrangers, dans les secteurs du BTP ou de l’agriculture, où elles faussent ainsi la concurrence.

J’invite donc M. Mendes à travailler avec Mme la rapporteure en vue de l’examen du texte en séance publique. En effet, certains aspects de l’amendement mériteraient sans doute d’être améliorés pour passer le contrôle de constitutionnalité en permettant un contradictoire.

M. Ludovic Mendes (RE). Le caractère obligatoire de la mesure pose en effet problème et nous retravaillerons ce point pour la séance.

Madame Genevard, je tiens à vous rassurer : les personnes visées sont des patrons de mauvaise foi, qui ont déjà été condamnés une première fois à une amende administrative. Il s’agit, en cas de récidive, de démontrer la mauvaise foi de l’employeur. La mesure a effectivement un impact, afin de lutter contre la traite humaine. Les situations sont beaucoup trop complexes et pas assez judiciarisées : c’est ce à quoi l’amendement vise à remédier en permettant à la fois la fermeture administrative et la judiciarisation automatique du chef d’entreprise qui triche et sait qu’il emploie volontairement des personnes sans-papiers pour les exploiter.

L’amendement est retiré.

Chapitre IV (nouveau)
Distinguer les parcours d’intégration réussis

Article 8 bis (nouveau) : Création d’un diplôme de l’intégration

Amendements identiques de suppression CL373 de Mme Edwige Diaz, CL670 de M. Michel Castellani, CL760 Mme Danièle Obono, CL1180 de Mme Elsa Faucillon et CLA1331 de M. Emmanuel Mandon

Mme Edwige Diaz (RN). Nous souhaitons supprimer cet article, car la nationalité française n’est pas un diplôme qui mérite la délivrance d’une note. Il est réducteur d’octroyer des bons points ou des distinctions méritoires, car la nationalité ne peut pas être une récompense. Il n’y a pas lieu d’établir une distinction entre les Français, quelle que soit la manière dont ils ont acquis la nationalité française.

M. Michel Castellani (LIOT). Les dispositions de l’article contreviennent au principe d’égalité, qui est une base du fonctionnement de la démocratie.

M. Louis Boyard (LFI-NUPES). Cet article est une aberration. Il n’y a pas lieu de regarder les parcours de vie des citoyennes et des citoyens français, et encore moins pour décerner un diplôme qui différencierait certains Français au motif qu’ils auraient acquis la nationalité française d’une manière qui mériterait plus de respect ou d’honneur. Il n’y a que des citoyennes et des citoyens français, et cet article n’a pas lieu d’être.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Quand le Rassemblement national est confronté à la réalité, qui est loin de ses fantasmes xénophobes, ses contradictions se révèlent. Ce nouveau diplôme ou cette médaille n’a aucun sens et devrait être supprimé. Cela relève d’une vision simpliste et manichéenne – même si le ministre a ouvert la voie en la matière en opposant, d’une manière assez simpliste, les gentils et les méchants. Jusqu’à quand faudra-t-il que ceux qui sont nés sur un autre sol fassent leurs preuves et disent à quel point ils veulent vivre dans ce pays ? La demande de naturalisation ou de titre de séjour qu’ils déposent révèle une volonté d’intégration dans la société française. Ils travaillent, scolarisent leurs enfants et apprennent la langue : quels papiers faudra-t-il encore qu’ils signent pour prouver qu’ils veulent s’intégrer ? Ça suffit !

M. Erwan Balanant (Dem). Je souscris aux idées qui viennent d’être exposées, et mon amendement est défendu.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure. Rien ne justifie que l’on fasse une différence entre Français de naissance et Français par acquisition. De surcroît, il existe de nombreuses médailles pour récompenser tous les Français. Avis favorable aux amendements de suppression de l’article.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je suis moi aussi favorable à la suppression de cet article. Dans les débats au Sénat, la création d’une médaille de l’intégration a été proposée par Mme Valérie Boyer et M. Olivier Paccaud, mais cela s’est révélé impossible pour de nombreuses raisons, notamment faute de levée du gage. Quant à la création d’un diplôme d’intégration pour distinguer les citoyens ayant acquis la nationalité française, l’idée est assez étonnante. Je dois avouer que cette mesure a été adoptée par le Sénat à quelques voix près, à une heure assez avancée, où nous avions tous envie d’en finir, et je ne crois pas trahir des débats internes en disant que le président de la commission des lois et moi-même pensions alors que cet article n’était peut-être pas le plus intelligent du texte.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Après l’amendement de M. de Fournas, qui montre les incohérences du Rassemblement national, en voilà une autre : alors que ce parti ne cesse de nous répéter depuis toujours que la nationalité française s’hérite ou se mérite, il nous dit maintenant que la nationalité ne peut pas être une récompense. Cela signifie donc qu’elle ne se mérite plus, et ne peut donc que s’hériter. Le Rassemblement national a donc la volonté xénophobe de supprimer le droit du sol et d’instaurer une nationalité qui ne s’acquerrait que par les liens du sang. Dans notre pays, seul le régime de Vichy a fait cela ! Le Rassemblement national n’a pas changé et sa logique est toujours celle de Vichy, mais il y aura toujours face à lui des républicains pour l’empêcher d’arriver au pouvoir et, heureusement, le camp républicain est assez large.

M. Christophe Naegelen (LIOT). J’ai été rassuré par l’avis de la rapporteure et du ministre. On ne peut pas vouloir à la fois intégrer – voire « assimiler » – une partie de la population et instaurer une différenciation par l’octroi d’un diplôme aux personnes qui ont acquis la nationalité française. Cela revient à recréer une inégalité après nous être efforcés de créer l’égalité. Sur ce principe, nous souhaitons la suppression de cet article.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Bien que n’étant pas une fan absolue de ce diplôme de l’intégration, j’en ai une vision légèrement différente. D’abord, il ne s’agit pas d’une condition à l’acquisition de la nationalité, puisqu’il vient après, pour récompenser une intégration exemplaire. J’ajoute que, si cet article était maintenu – ce que je ne crois pas, et d’ailleurs je ne le voterais pas –, il faudrait ajouter aux conditions d’obtention de ce diplôme le service rendu par des personnes capables d’héroïsme, de bravoure ou de courage pour protéger notre nation.

M. Yoann Gillet (RN). Monsieur Léaument, je vous confirme qu’être français, cela s’hérite ou se mérite. Depuis lundi, où nous avons commencé l’examen de ce texte en commission, les députés de la NUPES et le ministre, qui semblent tous bien fébriles, nous donnent un spectacle caricatural de mauvaise foi. On comprend pourquoi : en 2012, Marine Le Pen obtenait un résultat de 18 % à la présidentielle. En 2017, ce score atteignait 34 %, puis 42 % en 2022. En 2027, vous le savez, Marine Le Pen remportera l’élection présidentielle, car elle a les solutions en matière d’immigration, de sécurité, de pouvoir d’achat, de souveraineté, d’éducation, de santé et d’écologie. Vous le savez et cela vous fait trembler, mais les Français l’attendent.

M. le président Sacha Houlié. Monsieur Gillet, beaucoup ont annoncé des victoires autoproclamées, mais cela s’est généralement mal terminé aux élections présidentielles.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article 8 bis est supprimé et l’amendement CL85 de Mme Emmanuelle Ménard tombe.

Titre II

Améliorer le dispositif d’éloignement des étrangers représentant une menace grave pour l’ordre public

Chapitre Ier
Rendre possible l’éloignement d’étrangers constituant une menace grave pour l’ordre public

Avant l’article 9

Amendement CL424 de Mme Edwige Diaz

Mme Edwige Diaz (RN). Au Rassemblement national, nous considérons que tout étranger qui constitue une menace pour l’ordre public doit être expulsé du territoire national, car notre priorité est de protéger les Français. Nous assumons le fait de dire qu’il existe un lien entre l’immigration et l’insécurité – les chiffres parlent d’eux-mêmes. Je suis désolée, monsieur Darmanin, de devoir exposer votre bilan piteux, mais les chiffres valent le détour : les étrangers représentent 24 % des personnes détenues en France, 48 % des personnes interpellées à Paris, 55 % des personnes interpellées à Marseille, 93 % des individus mis en cause pour des vols sans violence dans les transports en communs franciliens et 63 % des mis en cause pour les agressions sexuelles dans les transports en commun d’Île-de-France. Si donc votre priorité est d’avoir la mauvaise foi d’attaquer le Rassemblement national, la nôtre est de travailler pour protéger les Français, qui en ont bien besoin.

M. Philippe Pradal, rapporteur pour les titres II et II bis. Cette présentation n’a pas grand-chose à voir avec l’amendement, qui vise à retirer le mot « grave » du titre II. Avis défavorable, car je ne vois pas ce que le retrait de cet adjectif apporte ou enlève à un texte intéressant, dont j’espère que nous pourrons parler en détail.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Monsieur le ministre, pourriez-vous nous communiquer le nombre d’étrangers mis en cause pour fraude et évasion fiscales et des montants en jeu ? La question est certes un peu piquante, car il ne peut pas y en avoir, étant donné que pour être redevable de l’impôt sur le revenu, il faut déjà y être assujetti …

M. Gérald Darmanin, ministre. Et alors ? On peut être étranger et payer l’impôt sur le revenu !

M. le président Sacha Houlié. C’est même l’un des éléments justifiant la régularisation !

M. Christophe Naegelen (LIOT). L’amendement porte en effet sur le titre seulement, mais il est néanmoins intéressant de savoir ce que peut signifier « grave » et comment améliorer le dispositif d’éloignement des étrangers représentant une menace grave pour l’ordre public. De fait, tout au long du titre II, nous jugerons quels étrangers doivent être éloignés, et comment. Il serait donc intéressant qu’en préambule, le rapporteur et le ministre nous expliquent où ils placent le curseur.

M. Gérald Darmanin, ministre. Le titre II est très important car il vise à obtenir du Parlement les moyens d’expulser ou d’éloigner du territoire national – car ce sont deux choses différentes – des étrangers délinquants. Pour résumer les choses à gros traits, en 2022, j’ai fait expulser 2 500 étrangers en raison des actes délinquants ou criminels qu’ils ont commis, tandis que 4 000 autres, qui auraient pu être expulsés ou éloignés pour les mêmes faits, ne l’ont pas été parce que la loi les protège au titre de « réserves d’ordre public », par suite de la suppression, sous le mandat de M. Chirac, de la « double peine », c’est-à-dire du cumul de l’expulsion et/ou de l’éloignement avec une peine de prison accomplie par une personne condamnée par la justice.

C’est, comme le dit le Conseil d’État lui-même, la loi française, sans que l’adhésion de la France à la Convention européenne des droits de l’homme ni la Constitution y aient à voir, qui empêche le ministre de l’intérieur et ses services d’expulser des personnes qui seraient pourtant aussi redevables d’expulsion, par principe d’égalité, que d’autres étrangers, la différence étant que ces derniers ne sont pas arrivés avant l’âge de 13 ans sur le territoire national, ne sont pas mariés ou n’ont pas eu d’enfants en France – autant de motifs qui relèvent des réserves réserve d’ordre public que le Gouvernement propose précisément de lever, compte tenu de la gravité des infractions considérées.

Ce mécanisme existe déjà pour les personnes qui menacent les intérêts fondamentaux de la nation, c’est-à-dire qui commettent des actes de terrorisme. Nous ne demandons pas, toutefois, la levée de la réserve pour les mineurs qui ont commis des actes graves pendant leur minorité, car la France est signataire de la Convention européenne des droits de l’enfant et, par ailleurs, ces expulsions relèvent du juge judiciaire, et en aucun cas le juge administratif.

Les articles 9, 10 et 13, qui se complètent, sont très importants. L’article 9 vise les arrêtés ministériels d’expulsion (AME) et l’article 10 l’application des OQTF dans les cas d’éloignement. Le Conseil d’État nous a en effet rappelé à plusieurs reprises qu’il s’agissait de deux régimes différents, même si le législateur et la jurisprudence les ont progressivement rapprochés, et qu’ils ne correspondent pas à la même unité d’action, apportant des garanties et une efficacité différentes. En cas de confusion, si l’éloignement était trop rapproché de l’expulsion, le risque serait donc assez fort d’une censure du dispositif par le juge constitutionnel.

L’article 9 vise à permettre au ministre de l’intérieur de prendre des arrêtés ministériels d’expulsion à l’encontre d’étrangers réguliers sur le territoire national si ces personnes ont commis des actes graves, notamment des crimes ou des délits encourant une peine de cinq ou dix ans ou en récidive. L’arrêté ministériel d’expulsion ainsi conçu est plus efficace pour le ministre de l’intérieur, en ce qu’il suppose beaucoup moins de difficultés administratives, de recours et de possibilités pour le pays d’origine de s’y opposer. La contrepartie est un plus grand encadrement, notamment par une commission qui n’est certes que consultative, mais qui fait parfois un peu traîner les choses. Un régime d’expulsion est donc bien prévu pour les personnes régulières qui commettent des crimes ou des délits, le débat portant alors sur la peine encourue justifiant ce dispositif.

L’article 10, quant à lui, porte sur l’éloignement des personnes irrégulières faisant l’objet d’une OQTF mais relevant des réserves de protection liées à la fin de la double peine, qui rendent systématiquement cette sanction inopérante. Ainsi, je ne peux pas signifier une OQTF à une personne de 19 ans qui aurait, par exemple, tué quelqu’un si cette personne est arrivée sur le territoire national avant l’âge de 13 ans – si je le faisais, cette mesure serait cassée par le tribunal administratif. Je pourrais, en revanche, l’expulser pour le même acte si elle était arrivée à 13 ans et demi.

Nous relevons donc les réserves d’ordre public pour les personnes ayant commis des crimes ou des délits graves pour l’ordre public, notamment le fait de s’être attaqué à des policiers, à des élus ou à des personnes dépositaires de l’autorité publique – ce qui n’est actuellement pas le cas –, des crimes, quels qu’ils soient, des tentatives d’homicide, le trafic de stupéfiants ou la fraude fiscale, ainsi que les violences conjugales. Aujourd’hui, quelqu’un qui frappe sa mère et qui est arrivé avant l’âge de 13 ans sur le territoire national ne peut pas être expulsé : c’est le cas du tueur d’Arras, connu par les services de police, mais sans casier judiciaire, qui avait été mis en garde à vue pour avoir frappé sa mère, mais auquel nous n’avons pas pu signifier d’OQTF parce qu’il était arrivé avant l’âge de 13 ans sur le territoire national.

Avec ces nouvelles dispositions, le ministère de l’intérieur pourra procéder à l’éloignement de 4 000 étrangers délinquants par an, ce qui permettrait de multiplier par trois le nombre d’expulsions et d’éloignements.

Ces mesures sont complétées par l’article 13, qui prévoit la possibilité de retirer son titre de séjour à toute personne adhérant à une idéologie radicale. Nous pourrons évidemment en discuter. Le rapporteur général et le rapporteur ont précisé le dispositif en procédant par copier-coller des formules que nous avons adoptées dans la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, dite loi séparatisme, validée par le Conseil constitutionnel.

Les trois articles que je viens d’évoquer manquaient au ministre de l’intérieur, qui pourra désormais, si vous les votez, prendre un arrêté ministériel d’expulsion en vertu de l’article 9 ou, avec l’article 10, signifier une OQTF et, avec l’article 13, dégrader le titre de séjour d’une personne condamnée pour trouble à l’ordre public ou adhérant à une idéologie radicale. Si on constate à l’occasion d’une perquisition qu’un étranger a dans son téléphone portable cent photos de décapitations – ce qui n’est pas bon signe –, on peut le poursuivre pénalement, mais je ne peux actuellement pas l’expulser en lui retirant son titre de séjour. Si donc, avec l’article 13, on lui retire son titre de séjour, cette personne tombera sous le coup de l’article 10 et je pourrai procéder à son éloignement.

Ces trois articles consistent donc, je le répète, à retirer toutes les réserves d’ordre public – à l’exception des actes commis par un mineur, qui relèvent du juge judiciaire, et non du juge administratif –, à procéder à l’expulsion de personnes régulières par AME ou à l’éloignement de personnes irrégulière par OQTF, et à permettre que des personnes soient jugées non pas parce qu’étrangères, mais parce qu’ayant commis des actes contraires à ce que suppose l’accueil sur le sol républicain.

Ces dispositions ont toutes été validées par le Conseil d’État, qui n’y a rien vu à redire en termes de constitutionnalité et de conventionalité. J’ajoute que le Conseil d’État a jugé ce texte constitutionnel et conventionnel dans la mesure où le Gouvernement s’y attache aux crimes ou aux délits graves – de fait, il ne serait pas constitutionnel d’expulser des gens condamnés à de la prison avec sursis pour le vol de pommes ou d’une mobylette.

Je remercie le Sénat d’avoir, à une exception près, eu la sagesse nécessaire pour éviter la non-constitutionnalité qui aurait frappé ces dispositions si les protections avaient été trop réduites. De fait, si tous les délits devaient être susceptibles d’expulsion, tous ceux qui commettent des excès de vitesse seraient menacés d’être expulsés, ce qui serait évidemment disproportionné et ferait censurer le dispositif que nous proposons.

Ces articles sont très importants et je suis donc défavorable à l’amendement de Mme Diaz.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL396 de Mme Marie-France Lorho

Mme Marie-France Lorho (RN). L’intitulé du chapitre Ier a suscité mon interrogation. L’éloignement des étrangers constituant une menace grave pour l’ordre public est une mesure déjà satisfaite, à quelques dérogations près, par l’article L. 631-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui dispose que « l’autorité administrative peut décider d’expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l’ordre public, sous réserve des conditions propres aux étrangers mentionnés aux articles L. 631-2 et L. 631-3. »

Pourquoi, alors, supposer qu’il n’est pas possible, comme le laisse entendre la rédaction du chapitre Ier, d’appliquer la loi ? Le taux d’application des OQTF, qui n’était, de l’aveu de l’Élysée, que de 15 % en 2021, révèle que d’énormes progrès sont encore à faire. Cet amendement rédactionnel entend donc reformuler l’objet du présent chapitre en proposant l’élargissement des mesures d’éloignement, plutôt que leur applicabilité.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Je m’appuie sur les propos que vient de tenir le ministre pour émettre un avis défavorable. En effet, il s’agit bien de rendre possible le dispositif cumulé des articles 9, 10 et 13 qui, à partir du droit existant, rend possible l’exécution des mesures. Il ne s’agit donc pas d’un élargissement de ces mesures.

M. Gérald Darmanin, ministre. Ces dispositions n’élargissent rien du tout, mais elles permettent au ministre de l’intérieur, que la loi française empêche actuellement de le faire, de procéder à certaines expulsions. Par facétie, je me demande si M. Mariani, que vous connaissez sans doute au niveau territorial dans le Sud et qui était rapporteur du texte qui a mis fin à la double peine, n’a pas fait une erreur. À l’époque, c’étaient MM. Ciotti, et Estrosi qui étaient au banc pour porter ce texte. Au début des années 2000, on applaudissait cette mesure, qu’on qualifiait alors d’humaniste, mais c’était une erreur, et la société a changé.

Madame Lorho, lorsque des députés de votre groupe – ou d’autres groupes – s’étonnent que telle personne, récidiviste, n’ait pas été expulsée, c’est parce que je ne peux pas le faire. Il ne s’agit donc pas d’élargir les conditions mais bien de rendre possible les expulsions et les éloignements.

La commission rejette l’amendement.

Article 9 (art. L. 252-2, L. 631-2, L. 631-3, L. 641-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, art.131-30, 131-30-1, 131-30-2, 435-14, 441-11, 444-8 du code pénal, art. 41 du code de procédure pénale) : Assouplir les régimes de protection bénéficiant à certaines catégories de ressortissants étrangers pour faciliter les décisions d’expulsion et le prononcé de la peine d’interdiction du territoire

Amendement de suppression CL905 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud (SOC). Il n’est, tout d’abord, pas certain ni démontré qu’un régime exceptionnel de restriction des droits des étrangers soit nécessaire et justifié pour garantir l’objectif de protection de l’ordre public. Rien, en tout cas, dans l’étude d’impact, ne permet de le démontrer.

En second lieu, il faut se garder du mélange des genres qui consiste à utiliser le droit des étrangers pour sanctionner les troubles à l’ordre public et à mobiliser le droit pénal pour sanctionner le droit des étrangers. Ce mélange entretient en effet une confusion entre étrangers et délinquants. Il n’existe pas d’étrangers absolument inexpulsables, car ils ne peuvent pas être expulsés à n’importe quel prix et de n’importe quelle manière. C’est l’équilibre qu’avait trouvé Nicolas Sarkozy en mettant fin à la double peine.

Votre proposition entraîne un risque d’atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale, à l’intérêt supérieur de l’enfant et à l’individualisation des peines, consacrée par le Conseil constitutionnel, ainsi qu’un risque de justice automatique.

Il y a une confusion très grave entre la peine encourue et la peine effectivement prononcée, ce qui est d’autant plus grave que l’écart est considérable entre les deux.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Avis défavorable. Le point important que vous avez évoqué n’est pas visé par l’article 9. Vous reprochez en effet au texte d’établir une sorte de confusion entre l’étranger et le délinquant, or l’article 9 vise seulement l’étranger délinquant, sans confusion entre un étranger qui serait délinquant ou ne le serait pas, ou qui serait supposé tel. Il traite expressément de l’étranger qui a rompu une partie du pacte social qu’il a conclu en venant sur notre territoire et qui suppose d’en respecter les lois. Ne les ayant pas respectées, il encourt des sanctions qui entraînent, comme l’expliquait M. le ministre, et toujours sous le contrôle du juge, notamment administratif pour tout ce qui concerne l’expulsion, des mesures administratives qui peuvent conduire à son expulsion ou à son éloignement.

L’article 9 tend à assouplir les protections dont peuvent bénéficier les étrangers dans ce cas, et aucunement à créer de nouveaux cas. Il ne s’agit aucunement de supprimer des garanties, mais de parvenir à une construction équilibrée, sans nouvelles définitions, mais en se référant, au contraire, à des jurisprudences constantes ou à des articles du code pénal relatifs aux peines encourues, afin de déterminer dans quel cadre un comportement peut conduire l’État, par le biais du préfet ou du ministre de l’intérieur, à prononcer une mesure administrative conduisant un étranger à quitter le territoire. L’équilibre de l’article 9 est donc nécessaire pour l’ensemble des mesures.

Cet article 9 est cohérent non seulement avec les autres articles du titre II, et en particulier les articles 10 et 13, mais également avec l’ensemble du texte, dont il est l’un des éléments cardinaux, qui contribuent à son équilibre.

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Vallaud, vous avez dit deux inexactitudes. La première est que l’étude d’impact ne donnerait pas les raisons justifiant ces articles. Or, aux pages 146 et 147, on lit :

« Ainsi, en l’état actuel du droit, un étranger bénéficiant de la protection dite “quasi absolue” prévue à cet article ne peut être expulsé alors même que son comportement mettrait en évidence une particulière dangerosité à raison de condamnations pour des crimes ou délits touchant à l’intégrité des personnes et des biens, dès lors que ces agissements ne sont pas rattachables à l’un des trois types de comportements visés de façon exhaustive au premier alinéa de l’article. Cela a pour conséquence de maintenir sur le territoire français, une fois leur peine d’emprisonnement purgée, des ressortissants étrangers qui continuent de représenter une menace particulièrement grave pour l’ordre et la sécurité publics. Ce peut être le cas notamment de violeurs présentant un risque de récidive, de trafiquants de stupéfiants, d’auteurs de vol à main armée, ou encore d’assassins. Plusieurs exemples concrets permettent d’illustrer cette situation. » Je n’en citerai que trois :

Étranger entré en France à l’âge de 1 an et y résidant habituellement depuis plus de vingt ans, ayant commis treize faits de viol avec actes de torture et de barbarie, enlèvement et séquestration, pour lesquels il a été condamné à une peine de vingt ans de réclusion criminelle, dont l’évaluation met en évidence une absence de prise en compte de la gravité des faits et un nouveau passage à l’acte. Impossibilité de procéder à son expulsion.

Étranger résidant régulièrement en France depuis plus de vingt ans et ayant, dans une période de vingt ans, commis trente-huit viols et agressions sexuelles sur sa propre fille et les filles de ses compagnes successives, âgées de 3 à 11 ans au moment des faits. Ont en outre été découvertes sur son ordinateur plusieurs centaines d’images et vidéos mettant en scène des enfants dans des situations à caractère pédopornographie téléchargées par des logiciels. L’intéressé a été condamné à une peine de treize ans d’emprisonnement, assortie de mesures de suivi socio-judiciaire de cinq ans, l’évaluation post-peine ayant abouti à un risque de réitération. Cette personne ne peut être expulsée du territoire national.

Étranger résidant habituellement en France depuis l’âge de 13 ans, auteur, sur une période de plus de vingt ans, notamment de faits de violences volontaires trente-trois fois, avec ou sans la menace d’une arme, sans incapacité, vol et tentative de vol avec violence, violences volontaires sur agent des forces publiques, agressions sexuelles, menaces de mort, meurtre ayant pour objet la préparation d’un délit ou l’impunité de son auteur, vol aggravé par deux circonstances. Son quantum de peine s’élève à vingt-six ans. Impossibilité de procéder à son expulsion.

Je vous ai également fait parvenir quelques cas très concrets fournis par les préfets et dans lesquels le ministre de l’intérieur ne peut procéder à des expulsions, du fait de la loi.

La décision qu’il pourra désormais prendre ne sera toutefois pas sans recours et je prendrai mes responsabilités comme je le ferais dans le cas d’un étranger qui n’est pas arrivé avant l’âge de 13 ans. À l’heure actuelle, pour les mêmes faits, je peux l’expulser s’il est arrivé à 13 ans et demi, mais pas s’il est arrivé à moins de 13 ans, ce que personne ne comprend. Le juge jugera au nom du droit à la vie privée et familiale et mettra en balance, comme il le fait en matière de terrorisme, la dangerosité de la personne et sa vie privée et familiale. Au demeurant, pour une personne qui viole plusieurs fois sa propre fille et celles de ses compagnes successives, la notion de vie privée et familiale est un argument fragile. En tout cas, ça se plaide devant le juge.

M. Boris Vallaud (SOC). Dans certains des cas que vous venez de citer, monsieur le ministre, la loi permettait l’expulsion de l’étranger, tout comme dans le cas d’Arras. Je mesure la difficulté à trouver un équilibre juridique dans de tels cas.

Je comprends la nécessité de répondre à des situations qui pourraient être considérées en l’état du droit comme des situations orphelines, mais je ne suis pas sûr que certaines dispositions du texte soient équilibrées. Je pense aux nouvelles exceptions à l’impossibilité de prononcer une mesure d’expulsion fondées sur le critère de la peine encourue plutôt que celui de la peine prononcée, car de nombreux cas – comme celui d’une condamnation à une peine de prison avec sursis pour prise illégale d’intérêt – seraient alors concernés. Je pense également à la possibilité pour le préfet de prendre une mesure d’expulsion systématique alors que la juridiction répressive saisie des mêmes faits n’aura pas prononcé de peine complémentaire d’ITF. Je pense enfin à la suppression de l’exigence de motivation spéciale au prononcé d’une peine d’ITF dans le cas d’un étranger déclaré coupable d’un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement. Ces dispositions portent une atteinte excessive à certains droits. Elles doivent être retravaillées.

Mme Béatrice Roullaud (RN). Les Français ne comprennent pas que les personnes étrangères ayant commis des crimes ou des violences sur notre sol ne puissent pas être expulsées. La semaine dernière, en audition, les professionnels soulignaient la difficulté d'éloigner des personnes dangereuses, comme celle citée par M. le ministre, qui a été condamnée à plus de vingt ans de prison pour violences et viols. Je vous invite à vous reporter aux auditions.

Les Français, quelle que soit leur origine, attendent des mesures fortes en la matière. Il est donc capital de maintenir l'article 9 permettant d'éloigner des criminels et des délinquants reconnus coupables d’une infraction passible d'une peine de prison de cinq ans au moins. Il faudrait peut-être même aller encore plus loin.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Je soutiens les dispositions de l’article 9. À Mayotte, qui connaît un phénomène d'immigration hors du commun, des milliers d’enfants et de jeunes abandonnés se constituent depuis plusieurs années en bandes extrêmement violentes. Les mesures prévues seraient particulièrement bienvenues à Mayotte. D’abord parce que les tribunaux se retrouvent impuissants face à des adolescents, qui avec l’âge deviennent plus musclés et plus violents, se sachant non expulsables. Ensuite parce que, du fait de l’insularité, les victimes sont contraintes de côtoyer leurs bourreaux, ce qui leur est insupportable. De façon plus générale, la société ne peut comprendre que des individus dont elle connaît la violence et le passif pénal soient maintenus sur le territoire national.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je ne peux pas laisser dire M. Vallaud que, dans les cas que j’ai cités, les étrangers incriminés étaient expulsables et c’est justement l’objet de l’article 9 de le permettre. Le juge s’appuie sur la loi pour prononcer la peine complémentaire d’expulsion et la loi prévoit l'interdiction du prononcé de cette peine pour les personnes arrivées sur notre territoire avant l’âge de 13 ans. Je souhaitais apporter cette précision pour rétablir la vérité des faits.

Dans le cas d’Arras, je rappelle que la famille de l’assassin est arrivée en France alors que celui-ci avait moins de 13 ans. Leur demande d’asile ayant été refusée, une OQTF a été prononcée et il aurait pu être procédé à l'éloignement de cette famille, quand bien même rien de pénalement répréhensible ne pouvait lui être reproché. Après des interventions politiques et une mobilisation citoyenne, le gouvernement de M. Hollande n’est pas passé à l’acte. La famille n’est finalement pas montée dans l’avion à la sortie du centre de rétention du Mesnil-Amelot.

Quelques mois avant l’assassinat du professeur d’Arras, le futur terroriste, qui n’a pas de casier judiciaire, tape sur sa mère, ce qui constitue un délit. Le préfet du Pas-de-Calais saisit alors la justice afin de pouvoir l’expulser, mais l’intéressé étant arrivé en France avant l’âge de 13 ans, l’expulsion est refusée. Bien qu’étant majeur, se trouvant en situation irrégulière et ayant commis un délit grave puisqu’il a tapé sur sa maman – il aurait pu taper sur sa compagne, c’est exactement la même chose –, il n’était plus éloignable. Il était certes inscrit sur le fichier S, mais cette inscription est une preuve non pas de culpabilité mais de suivi. On ne peut donc s’appuyer sur le fichier S pour procéder à une expulsion, d’autant que dans le cas d’Arras rien ne laissait prévoir de façon concrète qu’il pouvait passer à l’acte. Aujourd’hui, nous pouvons l’éloigner du territoire car il a commis un acte terroriste et a atteint aux intérêts fondamentaux de l’État. Nous n'avons donc pas pu éloigner cet individu au titre de son agression contre sa maman parce que la loi protège des mesures d’éloignement les personnes arrivées en France avant l’âge de 13 ans.

De très nombreux cas relèvent aujourd’hui de la protection de la loi alors qu’ils concernent des actes extrêmement graves. J’ai ainsi à ma disposition une liste de 500 de ces cas, remontés par les préfets, dont certains sont cités dans l’étude d’impact. C’est bien la loi ordinaire, et non la Constitution ou la Convention européenne des droits de l’homme – je le précise à l’attention des groupes qui pensent qu’un changement de ces textes est nécessaire –, qui interdit l’expulsion ou l’éloignement dans ces cas. Aucun autre pays en Europe n’a adopté une telle législation protectrice. Je le répète : la loi interdit l’éloignement d’un étranger ayant commis un crime ou un délit ne relevant pas du terrorisme et, s’il commet un acte terroriste, c’est hélas trop tard.

M. Boris Vallaud (SOC). Je mesure la gravité des situations que vous évoquez mais je ne suis pas sûr que nous ayons trouvé l’équilibre.

Vous admettez que l’expulsion est possible en cas de comportement de nature à porte atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État ou lié à des activités à caractère terroriste. Il s’agit donc bien du comportement et non de la commission d’un acte. Les personnes inscrites au fichier S ou sur d’autres fichiers de renseignement le sont au titre de leur comportement. A-t-on, oui ou non, procédé à des expulsions sur cette base ?

M. le président Sacha Houlié. On n’expulse pas les fichés S. Suivre les fichés S permet de remonter les filières afin d’empêcher la commission d’attentats. Les personnes font l’objet le plus souvent de notes blanches, qui ne peuvent constituer un élément probant pour la justice. Cela ne suffit pas non plus administrativement pour fonder un arrêté d’éloignement ou pour prendre une mesure d’expulsion.

M. Boris Vallaud (SOC). La loi actuelle autorise l’expulsion sur le fondement d’une appréciation du comportement.

M. Gérald Darmanin, ministre. J’ai essayé de procéder à l’expulsion et à l'éloignement de personnes arrivées en France avant l’âge de 13 ans inscrites dans le fichier de renseignement de la radicalisation. La radicalisation ne suffit pas à caractériser une atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État. La pratique extrêmement rigoureuse d’une religion, quelle qu’elle soit, est permise dans notre pays et n’est pas forcément le signe d’un passage à l’acte terroriste. Les juges ont systématiquement refusé l’expulsion de personnes radicalisées, alors qu’elles fréquentaient des mosquées pour y écouter des prêches violents ou qu’elles affichaient un drapeau de Daech chez elles, au motif de leur arrivée en France avant l’âge de 13 ans. Taper sur sa mère ou sa compagne est quelque chose de terrible, mais cela ne porte pas atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État, pas plus que de s’en prendre à un policier ou à un gendarme – je regrette d’ailleurs que les députés du groupe Les Républicains ne soient pas présents, car nous avions eu une discussion à ce sujet à propos d’un amendement.

Je propose donc dans l’article 9 que les personnes protégées puissent faire l’objet d’une mesure d’expulsion si elles ont été reconnues coupables de crime ou de délit graves passibles de cinq ans de prison. L’appréciation de la proportionnalité de cette disposition est une question d'opinion et je respecte la vôtre, monsieur Vallaud. L’article 10 propose que les étrangers protégés puissent faire l’objet d’un éloignement – qui offre davantage de garanties à l’étranger – si leur comportement « constitue une menace grave pour l’ordre public ».

M. Philippe Pradal, rapporteur. La sanction judiciaire de l'ITF et l'acte administratif d'expulsion sont deux sujets distincts. L’ITF est une peine complémentaire qui peut être prononcée par le juge pour sanctionner des faits précis dont il est saisi dans le cadre du jugement. La décision d’expulsion prise par le préfet ne peut se fonder exclusivement sur une procédure judiciaire en cours. Il doit justifier sa décision, sous le contrôle du juge administratif, à partir d’autres éléments.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CL1047 de M. Benjamin Lucas et CL671 de M. Michel Castellani (discussion commune)

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Mon amendement tend à supprimer plusieurs alinéas de l’article 9. Il offre donc une session de rattrapage à celles et ceux qui auraient une révélation subite d’amour de l’État de droit ou qui seraient sensibles aux paroles de la Défenseure des droits qui considère que ces dispositions concourent « à bouleverser l’équilibre actuellement ménagé par la loi entre […] l’objectif de préservation de l’ordre public et […] le respect des droits fondamentaux des étrangers » et des engagements internationaux.

La substitution du critère de la peine prononcée par celui de la peine encourue constitue une folle dérive, que l’on constate d’ailleurs depuis le début de l’examen du texte. Il est temps de revenir à la raison et au respect des principes fondant l’État de droit.

M. Michel Castellani (LIOT). Il est inutile de voter pour un dispositif d’éloignement qui risque d’être censuré par le Conseil constitutionnel. En effet, le dispositif voté au Sénat abaisse de manière disproportionnée le quantum de peines permettant l’éloignement et conduit au prononcé de peines automatiques d’interdiction du territoire, ce qui est contraire à notre Constitution.

Nous proposons donc par cet amendement, lorsque l'étranger dispose d'une protection absolue, de permettre de prononcer à son encontre une expulsion ou une peine d'interdiction du territoire français en cas de condamnation à un crime ou délit passible de dix ans de prison et, lorsqu'il dispose d'une protection relative, de permettre l'expulsion en cas de condamnation d'un crime ou délit passible de cinq ans de prison.

La mesure proposée est plus stricte que le droit en vigueur tout en restant dans les limites du cadre constitutionnel.

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Lucas, je me permets de vous lire le considérant 26 de l’avis que le Conseil d’État, qui est le garant de l’État de droit, a rendu sur ce projet de loi : « Le Conseil d’État considère que le fait d’excepter des protections prévues aux articles L. 631-2 et L. 631-3 l’étranger qui, d’une part, a été condamné à une peine, quel qu’en soit le quantum, pour des faits pour lesquels la peine maximale encourue est, selon les cas, de cinq ans d’emprisonnement ou plus ou de dix ans d’emprisonnement ou plus et, d’autre part, continue de menacer gravement l’ordre public ne se heurte à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel dès lors que les décisions d’expulsion sont soumises au respect du principe de nécessité et de proportionnalité et de l’article 8 de la CEDH, et qu’elles sont placées sous le contrôle du juge. » Vous avez évoqué les propos de la Défenseure des droits et l’amour de l’État de droit : le Conseil d’État a précisément considéré que ces dispositions sont constitutionnelles, conventionnelles et proportionnées.

La législation actuelle, inventée par le ministre de l’intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, n’a pas d’équivalent en Europe. Certes, le recours au juge est toujours possible, mais il faut utiliser le moment de l’expulsion ou de l’éloignement et ne pas s’autocensurer en anticipant la décision du juge. C’est ainsi que nous avons pu expulser M. Iquioussen. Le Conseil d’État a d’ailleurs jugé que, dans le cas de son expulsion, l’intérêt de la nation justifiait l’atteinte au respect de sa vie privée et familiale.

Monsieur Lucas, le critère de l’exception à la protection de l’étranger n’est pas la peine encourue. Le texte de l’article 9 est clair : « Par dérogation au présent article, peut faire l’objet d’une décision d’expulsion en application de l’article L. 631‑1, l’étranger mentionné aux 1° à 4° du présent article lorsqu’il a déjà fait l’objet d’une condamnation définitive pour des crimes ou des délits punis de trois ans ou plus d’emprisonnement. » Il s’agit donc bien, comme le dit le Conseil d’État, de faits pour lesquels la peine maximale encourue est, selon les cas, de trois à cinq ans. La personne a donc eu un procès et elle a bien été reconnue coupable. Vos propos sur le critère de la peine encourue pourraient laisser penser que le projet de loi permet d’expulser quelqu’un qui est simplement soupçonné d’un crime, sans qu’il soit passé devant un tribunal.

Vous me dites que je n’aime pas l’État de droit, cela me choque, car, en tant que ministre de l’intérieur, je suis ministre des libertés publiques. Je respecte donc à ce titre la Convention européenne des droits de l’homme. Nous pourrons poursuivre cette discussion sur l’État de droit plus tard.

Je le répète : le texte ne permet pas l’expulsion d’un étranger simplement soupçonné par les services de police. Cette personne doit avoir été condamnée, en première instance ou en appel, pour des faits sanctionnés par une peine de prison d’au moins cinq ans pour pouvoir être expulsée. Elle pourra l’être même si, en raison de circonstances atténuantes par exemple, elle n’a pas été effectivement condamnée à la peine maximale. Cet article est dur, mais il est juste. Je pense que personne ne contestera que l’expulsion est méritée pour les cas que j’ai cités tout à l’heure.

Monsieur Lucas, vous devez accepter l’idée que l'état de droit consiste aussi à protéger les victimes et, précisément, ces dispositions sont nécessaires à la sécurité de nos concitoyens.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Le ministre des libertés publiques que vous êtes devrait se soucier des condamnations de la France par plusieurs instances internationales et européennes.

Il est plaisant de débattre avec un ministre qui en a le goût, ce qui est rare dans ce gouvernement, mais vous avez la fâcheuse habitude de répondre à des questions que personne n’a posées et d’avancer des contre-arguments à des arguments que personne n’a exposés. Notre débat mérite mieux que cela.

Je n’ai pas dit que cet article était contraire à la Constitution et je ne remets pas en cause l’avis du Conseil d’État – je vous invite d’ailleurs à respecter scrupuleusement ses avis, car vous avez déjà eu des petites difficultés pour certaines de vos décisions : je me suis contenté de souligner la remise en cause par ce texte de l’équilibre actuel de notre droit, souligné par la Défenseure des droits.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Au-delà des considérations juridiques évoquées par mes collègues, je voudrais rappeler le sens, à la fois politique et social, de la protection des étrangers arrivés en France avant l’âge de 13 ans. Imaginons le cas d’un étranger arrivé bébé en France et qui y a vécu jusqu’à sa condamnation à l’âge de 25 ans. Cette personne aura vécu toute sa vie au sein de la société française, qui l’a intégrée, notamment par l’éducation – il faut d’ailleurs se demander si la société n’a pas failli. Elle n’a donc aucune attache avec son pays d’origine.

Mme Laure Miller (RE). Lors de la discussion des articles du titre Ier, la gauche nous avait accusés d’empêcher les familles de se rejoindre et de ne pas respecter l’amour. Elle nous accuse maintenant de ne pas respecter l’état de droit. J’invite chacun à être raisonnable dans ses prises de parole : les articles 9, 10 et 13 respectent l’État de droit et ont été validés par le Conseil d’État.

La plupart des immigrés qui sont présents sur notre sol, comme la plupart des Français, n'aspirent qu'à la tranquillité. C'est pourquoi il faut être ferme à l'encontre de la minorité qui trouble l'ordre public. C’est le sens de l’article 9. Les arguments de la gauche me semblent difficiles à justifier auprès des victimes d’étrangers ayant commis des faits graves.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Nous devons envoyer un message fort à l’attention d’étrangers, arrivés très jeunes sur le territoire national et qui se savent non expulsables à ce titre. Ils ont un sentiment d’impunité. Nous l’observons tous les jours dans le seul tribunal de Mayotte. Ce message fort aura un effet préventif non négligeable puisqu’il sera répercuté dans l’entourage qui mettra en garde les intéressés.

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Castellani, je pense vous avoir rassuré en précisant que l’exception à la protection de certains étrangers contre une mesure d’expulsion dépendait d’une condamnation définitive. Je vous propose donc de retirer votre amendement.

Madame Faucillon, j’entends vos arguments sur la situation d’un étranger supposé ne posséder aucune attache avec son pays d’origine. Prenons le cas de M. Iquioussen, qui a été expulsé pour atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, et non au titre d’une condamnation pénale. C’est en raison de son comportement – pour reprendre l’expression de M. Vallaud – que le Conseil d’État nous a finalement donné raison. Ses quatre enfants sont nés en France, il parle très correctement le français, il est propriétaire de biens situés en France et il s’est marié en France. Tous ces éléments ont conduit le tribunal administratif de Paris à invalider la décision d’expulsion. L’avocat avait également plaidé l’absence de lien avec le Maroc, le pays d’origine de M. Iquioussen, mais nous avons pu prouver qu’il possédait une propriété au Maroc et qu’il y retournait très régulièrement. Que faire face à un imam radicalisé qui prêche la violence ou à l’auteur d’un grave délit dont on veut obtenir l’expulsion ? Faut-il se fier simplement à ses déclarations ?

La protection contre l’expulsion ne concerne pas seulement les personnes arrivées en France avant l’âge de 13 ans, mais également les parents d’un enfant mineur résidant en France, un étranger marié depuis au moins trois ans avec un conjoint de nationalité française ou un étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans. Le respect de la vie privée et familiale doit-il s’appliquer à un pédophile qui violente ses propres enfants ou à un criminel récidiviste ?

M. Olivier Marleix (LR). Il revient au juge d’en décider.

M. Gérald Darmanin. On peut aussi supprimer les juges, mais c’est un autre débat, monsieur Marleix. Dans 70 % des cas, le juge donne raison au ministère de l’intérieur, mais, aujourd’hui, j’ai 4 000 cas pour lesquels la loi m’empêche de prendre une mesure d’expulsion. La question est donc de savoir si vous souhaitez m’autoriser à expulser 70 % de ces 4 000 cas ou si vous préférez qu’on ne les expulse pas. M. Retailleau ainsi que l’ensemble des membres du groupe Les Républicains au Sénat ont choisi : ils ont voté cet article.

Je rappelle que les réserves ne concernent pas que les personnes arrivées en France alors qu’elles étaient un bébé. Elle concerne également l’étranger titulaire d'une rente d'accident du travail ou de maladie professionnelle et dont le taux d'incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 %, l’étranger qui réside en France depuis plus de vingt ans, l’étranger dont le conjoint est français, l’étranger parent d’un enfant français de moins de 16 ans et l’étranger dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale.

Aujourd’hui, 2 500 personnes sont expulsées ou éloignées par an après avoir transité par un centre (CRA) ou un local (LRA) de rétention administrative. Il s’agit d’étrangers auteurs de graves troubles à l’ordre public (TOP). Leurs dossiers complets sont à votre disposition. Mais il existe 4 000 personnes que je ne peux ni expulser ni éloigner – une OQTF serait immédiatement invalidée – en raison d’une loi votée au début des années 2000. La question qui se pose est à présent de savoir si on prend ses responsabilités ou pas.

L’amendement CL671 est retiré.

La commission rejette l’amendement CL1047.

Amendement CL383 de M. Yoann Gillet

M. Yoann Gillet (RN). En France, on aime parfois compliquer les choses et le droit de l’expulsion n’y échappe pas.

L’article 9 va dans le bon sens et nous proposons par cet amendement d’aller plus loin en imposant à l’autorité administrative l'obligation d’expulser tout étranger dont la présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public. Les menaces graves sont constituées lorsque l'étranger a fait l'objet d'une condamnation définitive pour un crime ou un délit puni d'une peine d'au moins trois d'emprisonnement. Cet amendement supprime ainsi le statut protecteur pour certains étrangers.

Nous avons visité il y a quelques jours, avec ma collègue Edwige Diaz, le CRA de Vincennes où nous avons pu constater que 65 % des TOP ne sont pas expulsés. Il existe pourtant des moyens d’action. Nous réclamons des sanctions contre les pays qui refusent de délivrer des laissez-passer consulaires.

M. Philippe Pradal, rapporteur. La mesure proposée par cet amendement pose trois difficultés : le caractère automatique de la sanction viole le principe de proportionnalité ; une mesure d’expulsion ne peut se fonder uniquement sur une condamnation pénale ; son application à des mineurs de 16 ans est contraire à nos engagements internationaux. J’ajoute que ceux-ci, comme la Convention des droits de l’enfant, ne sont pas un carcan, mais des principes généraux du droit que nous devrions tous avoir à cœur d’appliquer.

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Gillet, la situation que vous avez constatée au CRA de Vincennes ne s’explique pas par un refus de délivrance de laissez-passer mais par une libération prononcée par le juge des libertés et de la détention (JLD) avant le délai maximal de rétention de trois mois. Le projet de loi propose en son article 24, qui a été voté par le Sénat, une réforme du régime du JLD.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CL822 de Mme Edwige Diaz, CL1335 de M. Emmanuel Mandon, amendements identiques CL1637 de M. Sacha Houlié et CL1682 de M. Philippe Pradal, amendements CL99 de Mme Françoise Buffet et CL472 de M. Éric Ciotti (discussion commune)

M. Emmanuel Mandon (Dem). L’amendement CL1335 répond à notre volonté de bien équilibrer le dispositif.

Le Sénat a remplacé, pour la définition des exceptions aux protections créées par l’article 9, la référence à la peine effectivement prononcée en raison de la commission d’un crime ou d’un délit par la référence à la peine fixée par la loi pour réprimer ce crime ou ce délit. Une telle substitution fait peu de cas de l’appréciation portée par le juge pénal sur la situation individuelle de l’étranger condamné. Elle peut donc aboutir à une expulsion qui serait fondée sur des faits d’une gravité limitée, ce qui caractériserait une sanction disproportionnée.

M. le président Sacha Houlié. Je laisse M. le rapporteur présenter son amendement CL1682, identique à celui que j’ai déposé.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Le Sénat a modifié le seuil des peines encourues pour définir les exceptions aux protections contre l’expulsion en le portant à trois ans, ce qui nous semble excessif et fait courir un risque d’inconstitutionnalité. Nous proposons par cet amendement de revenir à la version initiale du projet de loi, qui prévoyait un seuil de cinq ans.

Avis favorable aux amendements identiques et défavorables aux autres amendements de cette discussion commune.

Mme Annie Genevard (LR). L’amendement CL472 propose de renforcer l’article 9 et d'abaisser les seuils permettant de lever les protections quasi absolues et relatives pour l'expulsion d'un étranger constituant une menace grave à l'ordre public, en les fixant à une condamnation définitive pour des crimes ou des délits punis d'un an ou plus d'emprisonnement pour les protections relatives et à une condamnation définitive pour des crimes ou délits punis de trois ans ou plus d'emprisonnement pour une protection quasi absolue.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je rappelle que c’est la peine encourue et non pas prononcée qui est prise en compte. Les délits passibles d’une peine d’un an à trois d’emprisonnement sanctionnent des faits très divers – délit routier, vol à l’étalage. Or tous ne justifient pas une expulsion, qui concerne, je le répète, un étranger en situation régulière. Sans compter que si nous retenions ce critère, la disposition serait déclarée inconstitutionnelle. Nous avions, dans une première version du texte, établi les seuils d’exception pour condamnation pénale à un et trois ans, mais le Conseil d’État a considéré que ces seuils n’étaient pas acceptables.

Certes, il existe des délits passibles de trois ans d'emprisonnement qui pourraient justifier une expulsion, mais le critère est celui du seuil et non d’une liste de délits spécifiques. Nous avons donc retenu le seuil de cinq ans, qui reste proportionnel et n’est donc pas inconstitutionnel. Nous n’avons pas opté pour le critère de la peine effectivement prononcée, car les tribunaux ne condamnent pratiquement jamais à la peine maximale encourue. Le dispositif retenu englobe donc plus de gens.

Je comprends les raisons de cet amendement, car certains délits passibles d’un ou trois d’emprisonnement sont suffisamment graves pour justifier une expulsion, mais, pour toutes les raisons que j’ai évoquées, le seuil de cinq ans me semble préférable.

M. Olivier Marleix (LR). Je regrette ce petit détricotage supplémentaire.

Mais je voudrais surtout revenir sur l’un des principaux arguments de vente de votre projet : l’expulsion que permettra ce texte de 4 000 délinquants étrangers qui disposent actuellement de protections légales.

Depuis l’assassinat de Dominique Bernard, chaque jour ou presque vous communiquez sur les expulsions que vous décidez en publiant un tweet. Notons au passage que vous y arrivez parce qu’en réalité celles-ci se font à dose assez homéopathique ; si elles étaient massives, vous auriez plus de mal à le faire.

J’aimerais que vous précisiez vos chiffres : en 2021, et alors que vous exerciez déjà vos fonctions, il y a eu 344 expulsions pour motif d’ordre public, dont 292 à l’initiative des préfets et 52 à celle du ministre de l’intérieur. On est loin des 2 500 que vous évoquez.

Vous dites donc que, grâce à ce projet de loi, vous expulserez 4 000 personnes supplémentaires, mais les arrêtés d’expulsion que vous prendrez pourront être cassés par le juge, puisque vous refusez la modification de la Constitution que nous proposons. Celle-ci aurait pourtant permis d’empêcher au juge d’écarter l’application de la loi au nom de son interprétation de la proportionnalité de la mesure avec le respect dû à la vie privée et familiale. En réalité, ce texte ne garantit pas que vous pourrez expulser ces 4 000 étrangers délinquants.

M. le président Sacha Houlié. Je crois que M. Marleix confond les mesures d’expulsion et celles d’éloignement.

M. Gérald Darmanin, ministre. En effet, vous confondez deux choses, monsieur Marleix : l’éloignement et l’expulsion.

J’ai pris bien soin de distinguer les deux régimes lorsque nous avons abordé l’examen des articles 9, 10 et 13.

L’expulsion suppose que le préfet ou le ministre prenne un arrêté. C’est une procédure qui reste exceptionnelle, puisqu’on en compte en moyenne moins de 500 par an. Cela concerne des personnes en situation régulière sur le territoire national et qui ont commis des crimes ou des délits graves. Cette procédure représente une petite partie du total des expulsions et des éloignements – ces derniers, qui concernent les personnes en situation irrégulière, faisant l’objet de l’article 10.

Comment procédons-nous actuellement ? Nous retirons le titre de séjour des personnes qui commettent des actes graves. Cela peut être par exemple le cas d’une personne en situation régulière qui sortirait de prison. Dès lors qu’on lui a retiré son titre de séjour, on peut la placer dans un centre de rétention administrative (CRA) et délivrer une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Il est beaucoup plus simple de procéder ainsi et d’éloigner la personne une fois qu’elle est en CRA.

En 2022, il y a eu environ 400 arrêtés ministériels d’expulsion (AME) et autour de 2 200 OQTF, ces dernières étant appliquées à des individus dits TOP (trouble à l’ordre public) qui sont retenus dans les CRA. Les personnes visées par les AME sont par définition en situation régulière et elles sont assignées à résidence – à moins que l’on puisse retirer leur titre de séjour, auquel cas elles peuvent être placées en CRA.

Vous confondez donc deux régimes différents, monsieur Marleix.

M. Olivier Marleix (LR). Vous unifiez les deux régimes dans ce projet de loi.

M. Gérald Darmanin, ministre. Non, ce n’est pas vrai. Le projet comporte deux articles bien distincts, l’article 9 et l’article 10 – et nous avons discuté de ces dispositifs pendant près d’une heure et demie.

L’article 9 traite bien du régime d’expulsion et des arrêtés ministériels pris à cet effet. Vous avez parfaitement compris que l’objectif est d’en augmenter le nombre, car actuellement je ne peux pas prendre un certain nombre d’AME en raison de réserves d’ordre public.

L’article 10 porte quant à lui sur les OQTF. Je répète qu’on en comptait environ 2 500 par an et qu’il devrait y en avoir plus de 3 000 cette année en raison de la politique menée dans les CRA – nous reviendrons plus en détail sur cette question lorsque nous aborderons le rôle du juge des libertés et de la détention (JLD).

Je confirme donc le chiffre de 2 500 personnes que j’ai donné précédemment, avec grosso modo un quart d’AME et trois quarts d’OQTF.

Je le répète, la France est le seul pays en Europe à avoir imaginé des réserves d’ordre public. Cela a été fait lorsque l’on a supprimé la double peine. Ce dispositif n’est ni constitutionnel ni conventionnel. Dans un grand nombre de cas, il a pour effet d’empêcher le ministre de l’intérieur de procéder à des expulsions. Le régime de l’éloignement étant plus simple – puisqu’il concerne des personnes en situation irrégulière –, nous sommes actuellement amenés à retirer d’abord le titre de séjour d’un étranger qui a commis un crime ou un délit pour pouvoir ensuite lui appliquer le régime de l’éloignement.

Mais comme la décision de retrait du titre de séjour est susceptible de recours, je perds du temps. En outre, et vous le savez, il n’est pas si facile que cela de retirer un tel titre. Lorsque la personne est titulaire d’une carte de résident de dix ans, il est seulement possible de la dégrader en ramenant la durée de son titre de séjour à un an. C’était auparavant le cas pour les citoyens algériens et c’est désormais le droit commun – par pudeur, je ne rappellerai pas le nom de celui qui a prévu cette mesure pour les ressortissants d’autres pays que l’Algérie.

La décision de retrait d’un titre de séjour étant susceptible de recours, parfois je gagne, parfois je perds. En tout cas, c’est lorsque le titre de séjour est définitivement retiré et que la personne se retrouve en situation irrégulière, que je peux appliquer le régime de l’éloignement et non plus celui de l’expulsion.

Avec ce texte, je propose d’aller beaucoup plus vite et de considérer que les personnes en situation régulière qui ont commis des crimes et des délits passibles d’une peine de cinq ans peuvent directement faire l’objet d’un AME. Le fait de ne pas avoir à retirer préalablement le titre de séjour supprime une étape de recours juridictionnel – et même deux si l’on prend en compte l’appel.

Actuellement, j’éloigne une personne parce qu’elle est en situation irrégulière et non pas parce qu’elle a commis un délit. Avec l’article 9, je pourrais le faire parce qu’elle a commis un délit. Cela change tout.

Monsieur Marleix, même avec votre réforme constitutionnelle, le juge pourra encore intervenir. Vous ne proposez pas de supprimer l’état de droit, n’est-ce pas ? Je précise au passage que je n’ai jamais dit que j’étais défavorable à une réforme constitutionnelle ; il faut qu’elle soit bien faite. En l’occurrence, je pense que celle que vous proposez, et dont nous débattrons en séance le 7 décembre, comporte des inexactitudes.

Il est quand même très étonnant de ne pas vouloir supprimer les réserves d’ordre public qui figurent dans la loi ordinaire, dont la famille politique à laquelle nous avons appartenu est à l’initiative. Il est vrai qu’à l’époque je n’avais pas encore le bac… En tout cas, la question peut être réglée au niveau de la loi ordinaire : pour éloigner ou expulser les étrangers délinquants, il suffit de voter ce texte. Il faut en revanche une réforme constitutionnelle pour prévoir des quotas prescriptifs.

On peut toujours souhaiter que 100 % des décisions prises par le ministre de l’intérieur soient suivies d’effet – ce n’est pas moi qui vais dire le contraire –, mais ces décisions s’inscrivent dans un ordonnancement juridique où le juge joue son rôle. De ce point de vue, votre réforme constitutionnelle ne réglera pas mieux le problème que ne le fait mon projet, puisque vous ne proposez de modifier ni le Préambule de la Constitution de 1946 ni la Déclaration de droits de l’homme et du citoyen. On pourrait imaginer de s’affranchir des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme – encore que la question ne soit pas vraiment tranchée. Comme je l’ai déjà mentionné, la Cour suprême britannique a en effet estimé que, même dans ce cas, un certain nombre de principes relatifs à la vie privée et familiale continueraient à s’appliquer.

En revanche, vous avez parfaitement raison sur un point : je ne parviendrai pas à expulser ou à éloigner l’ensemble des 4 000 personnes qui sont actuellement protégées par les réserves d’ordre public qui ont été inscrites dans la loi – et non dans la Constitution – il y a vingt ans. Mais, dans 75 % des cas, le juge me donne raison. Nous n’y serions pas arrivés si j’avais écouté ceux qui me disaient que le juge s’y opposerait de toute manière. Il est en effet difficile d’exercer des responsabilités. Je n’aurais pas non plus réussi à expulser M. Iquioussen si j’avais écouté tous ceux qui disaient que ce ne serait pas possible du fait du droit à la vie privée et familiale. Le fait est qu’il vivait en France depuis trente ans et que personne ne l’avait expulsé. Nous y sommes parvenus, parce qu’un préfet courageux me l’a proposé et que nous avons été persévérants.

Heureusement que nous n’attendons pas ad vitam æternam qu’il n’y ait plus de juge pour procéder à ces expulsions.

M. Philippe Latombe (Dem). La disposition introduite par le Sénat est innovante et correspond à un besoin, mais elle présente un risque d’inconstitutionnalité car le quantum de peine encourue est trop bas. Il est impératif d’augmenter ce dernier.

La rédaction proposée par le rapporteur avec l’amendement CL1682 préserve l’intention du Sénat, écarte le risque d’inconstitutionnalité et permet de préparer une éventuelle commission mixte paritaire (CMP) dans de bonnes conditions.

Je suggère donc à mes collègues du groupe Démocrate qui ont signé l’amendement CL1335 de se rallier à la proposition du rapporteur.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Beaucoup d’arguments ont déjà été donnés, notamment par Elsa Faucillon, pour démontrer que la mesure proposée par cet article n’est pas pertinente.

J’en ajoute un : la tendance très prononcée, depuis le début de cette législature, à augmenter les peines encourues. J’appelle votre attention sur le fait que cela va conduire à augmenter le nombre de cas où un étranger, alors qu’il a purgé sa peine – laquelle est normalement destinée à la réparation, même si cela ne correspond pas tout à fait à ce qui se passe dans nos prisons –, risque d’être renvoyé dans un autre pays, peut-être le sien – on ne sait pas bien en l’occurrence ce que ce pronom possessif veut dire.

La commission rejette successivement les amendements CL822 et CL1335.

Elle adopte les amendements CL1637 et CL1682.

En conséquence, les amendements CL99 et CL472 tombent, ainsi que les amendements CL278 de M. Yoann Gillet, CL769 de Mme Élisa Martin, CL1667 de M. Éric Ciotti et CL289 de M. Fabien Di Filippo.

Amendement CL514 de Mme Emmanuelle Ménard

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Si l’on peut saluer la nouvelle rédaction de l’alinéa 2 de cet article, il n’en reste pas moins qu’il serait opportun de maintenir la possibilité d’expulser quiconque porte ou risque de porter préjudice à la sûreté de l’État ou à la sécurité publique.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Avis défavorable. Ce que vous proposez est déjà prévu par l’article L. 252-2 du Ceseda.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je suis d’accord avec votre amendement, mais il est déjà satisfait par l’article L. 631-2 de ce code, qui mentionne bien les motifs de sûreté de l’État et de sécurité publique, et par l’article L. 631-3 qui ne fait pas obstacle à une telle expulsion.

Mme Annie Genevard (LR). Je reviens sur le débat sur le quantum de peine, car certains faits qui sont punis par un an de prison ne sont pas anodins.

Parmi eux figure celui de procéder à un examen visant à attester la virginité d’une femme, l’introduction sans autorisation sur un terrain affecté à l’autorité militaire ou le fait de participer sciemment à un groupement formé en vue de la préparation de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens. C’est aussi le cas du bizutage sur des personnes particulièrement vulnérables.

J’entends ce que vous me dites à propos du fort risque d’inconstitutionnalité. Mais alors, il faut changer la Constitution. C’est ce que nous proposons dans l’article 7 de notre proposition de loi constitutionnelle.

M. Gérald Darmanin, ministre. J’ai dit que certains des faits punis par trois ans de prison, voire par un an, pouvaient légitimement justifier une expulsion. Mais j’ai également indiqué que cet ensemble d’infractions comporte aussi, par exemple, le fait de refuser de donner le code d’accès de son téléphone en garde à vue ou le harcèlement scolaire pendant moins de huit jours, pour lesquels on peut s’interroger sur la proportionnalité d’une mesure d’expulsion.

J’ai aussi dit que j’étais disposé à examiner un amendement qui permette de compléter l’article par une liste d’infractions. Mais vous voyez bien que cette démarche est très difficile car on peut aussi en oublier certaines. S’agissant du délit de délivrance d’un certificat de virginité, l’expulsion est possible grâce à la loi confortant le respect des principes de la République. Mais vous avez parfaitement raison en ce qui concerne l’introduction sans autorisation sur un terrain militaire ou la participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences volontaires. On pourrait aussi penser à l’abus de faiblesse, qui est puni d’une peine de trois ans de prison.

Mme Annie Genevard (LR). On pourrait aussi relever le quantum de peine pour ces infractions.

M. Gérald Darmanin, ministre. Il faut que le quantum de peine retenu dans l’article 9 soit conforme au principe de proportionnalité. J’imagine que vous ne souhaitez que le bien et la sécurité des Français, madame Genevard. Nous serions tous bien avancés si le Conseil constitutionnel censurait ces dispositions…

Je vous propose de conserver le quantum de cinq ans de prison, pour s’assurer de la constitutionnalité de la mesure – je vous accorde que tout cela est subjectif et nous verrons bien ce que décide le juge constitutionnel, mais l’enjeu est important. Vous pouvez proposer en séance publique un amendement prévoyant une liste d’infractions punies d’une peine moindre et qui pourraient néanmoins autoriser une expulsion, compte tenu de leur gravité. Les infractions punies de trois ans d’emprisonnement visent des faits très différents. J’estime qu’il serait un peu disproportionné d’expulser une personne en situation régulière parce qu’elle refuse de donner son code de téléphone ou pour faux et usage de faux.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL398 de Mme Marie-France Lorho

Mme Marie-France Lorho (RN). Selon l’Observatoire international des prisons (OIP), au 1er janvier 2021 les détenus exécutant une peine comprise entre deux ans et cinq ans inclus constituaient la part principale de la population carcérale, soit 24,1 %. La part des détenus ayant effectué de deux à trente ans inclus s’élève quant à elle à 52 %, voire à 53 % si l’on ajoute ceux condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité.

Eu égard à la part importante d’étrangers en prison, qui atteignait 25 % au 1er juillet 2022, il apparaît très probable que la part d’étrangers ayant déjà été punis de trois ans ou plus d’emprisonnement soit extrêmement élevée.

Il est donc anormal que le législateur ne prévoit pas l’expulsion systématique d’un étranger lorsqu’il s’est rendu coupable de tels crimes ou délits. C’est le sens de cet amendement, qui prévoit de généraliser l’expulsion des étrangers ayant déjà exécuté une peine de trois ans d’emprisonnement ou plus.

De cette mesure dépendent non seulement le respect de l’ordre en France, mais aussi la réduction de la surpopulation carcérale.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Avis défavorable, car ce que vous proposez ne respecte pas le principe de proportionnalité.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL1071 de M. Boris Vallaud

M. Boris Vallaud (SOC). Cet amendement, ainsi que l’amendement CL1072 qui suit, ont été suggérés par Unicef France. Ils visent à mieux prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant en levant les dérogations à la protection des parents d’enfants français contre l’expulsion.

M. Philippe Pradal, rapporteur. La situation de l’étranger parent d’un enfant mineur doit être prise en considération.

Doit-elle pour autant priver l’autorité administrative de la possibilité d’agir lorsque le comportement de l’étranger est manifestement incompatible avec le respect de nos valeurs et qu’il présente une menace grave pour l’ordre public ?

Dans ce cas, il faut pouvoir lever les régimes de protection, comme le propose cet article. C’est la raison pour laquelle je suis défavorable à votre amendement et que je le serai pour tous les amendements qui écartent de manière systématique la levée de ces protections. Il faut préserver la marge d’appréciation et l’autonomie d’action de l’autorité administrative.

Je suis défavorable aux protections automatiques, comme je le suis aux peines automatiques.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CL1072 de M. Boris Vallaud.

Amendements identiques CL1736 de M. Sacha Houlié et CL1686 de M. Philippe Pradal

M. Philippe Pradal, rapporteur. Cet amendement rétablit le critère relatif à l’appréciation de l’actualité de la menace que représente le comportement de l’étranger et qui permettra de lever les protections dont il bénéficie. Cette mesure figurait dans le texte initial du Gouvernement et n’avait pas été modifiée lors de son examen en commission au Sénat. Ce critère est nécessaire pour préserver le caractère constitutionnel de l’article.

Il ne faut pas trop s’éloigner de ce qui a été pesé au trébuchet tant par les services du ministère de l’intérieur que par le Conseil d’État.

M. Olivier Marleix (LR). Je souhaite prendre la défense du ministre contre les attaques qui viennent de sa gauche.

Alors que le projet essaye de donner davantage de pouvoir au ministre de l’intérieur pour lui permettre d’expulser les étrangers délinquants, le président de la commission des lois nous explique que, finalement, un délit ne suffira pas. Il faudra en outre que l’étranger délinquant continue à représenter une menace actuelle pour l’ordre public – dont on ne sait absolument pas comment elle sera caractérisée et dont, une fois encore, l’appréciation sera laissée au seul juge.

On est en train d’ôter une grande partie de sa portée à cet article 9, qui est le principal argument de vente de M. Darmanin.

M. le président Sacha Houlié. En fait, je souhaite protéger cette mesure contre une censure par le Conseil constitutionnel, monsieur Marleix.

Le Conseil d’État nous a avertis qu’il y avait un grand risque sur ce point. Il serait tout de même dommage de voter un texte qui soit ensuite déclaré inconstitutionnel. Je sais que telle est la nature de beaucoup de vos propositions, mais, nous, nous souhaitons adopter des mesures efficaces pour protéger les Français.

M. Gérald Darmanin, ministre. J’espère que l’obsession de M. Marleix contre ma personne ne le conduira pas à renoncer à protéger les Français.

Si je comprends bien, vous avez l’intention de voter contre cet article – et peut-être contre l’ensemble de ce projet – alors que cela permettrait d’expulser plus de 4 000 délinquants et criminels tout simplement parce que vous n’avez pas envie que le Gouvernement réussisse à faire voter ce texte.

Faites un peu de droit, monsieur Marleix. Confondre expulsion et éloignement est un peu fort de café !

Vous ne me protégez pas contre ma gauche. Ne vous inquiétez pas, je le fais très bien moi-même. Et si c’est à M. Pradal que vous faites allusion, on devrait pouvoir s’en sortir… Vous l’avez très bien connu également et votre attaque contre lui ne me paraît pas très justifiée.

Je vous rappelle que ces amendements proposent de revenir à la rédaction initiale du Gouvernement.

Je n’ai pas compris votre démonstration, monsieur Marleix. Encore une fois, nous parlons du régime de l’expulsion, et pas de celui de l’éloignement. Cet article concerne des personnes qui sont en situation régulière et qui font l’objet d’un AME – et non pas des personnes en situation irrégulière à qui l’on délivre une OQTF. Ces personnes en situation régulière peuvent vivre en France depuis quinze ou vingt ans et elles bénéficient de garanties supérieures à celles accordées aux personnes en situation irrégulière – ce qui est bien normal.

Pour que l’on comprenne mieux ce que prévoient les amendements du président et du rapporteur, je reviens sur le cas de l’assassin de Dominique Bernard à Arras.

En l’occurrence, il était en situation irrégulière et il relevait du régime de l’OQTF.

Mais, s’il avait été en situation régulière, faute de mention dans la loi sur la nécessité du caractère actuel de la menace, nous n’aurions pas pu procéder à son expulsion. Il avait été placé en garde à vue pour avoir frappé sa mère, mais celle-ci n’avait pas porté plainte. Je le répète, le préfet du Pas-de-Calais a fait son travail dans cette affaire.

Ne faites pas comme s’il y avait des difficultés là où il n’y en a pas, monsieur Marleix. Au fond c’est assez simple : soit vous permettez aux policiers, aux gendarmes et aux préfets d’expulser ces personnes, soit vous ne le permettez pas.

La commission adopte les amendements.

Amendement CL1089 de Mme Estelle Youssouffa

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Cet amendement propose de lever certaines protections absolues et relatives qui concernent les mesures d’expulsion pour les étrangers condamnés en première instance pour des faits de violence, de viol et d’agression sexuelle.

Je rappelle que le Sénat avait proposé de lever ces protections en cas de condamnation définitive pour des crimes ou délits passibles d’une peine de trois ans de prison ou plus.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Avis défavorable. Il me semble difficile de fonder la décision d’expulsion sur un jugement de première instance, lequel peut faire l’objet d’un appel aboutissant à une relaxe.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Nous ne pouvons pas poursuivre nos travaux.

En tant que président de la commission des lois, vous devez interrompre immédiatement cette réunion afin que nous puissions participer à la discussion en séance publique d’une proposition déposée par notre groupe et dont notre commission a été saisie au fond. C’est une question de respect démocratique et républicain – je ne vais évidemment pas parler avec vous de courtoisie.

Si vous ne suspendez pas je vous garantis que nous demanderons un vote par scrutin pour tous les amendements. Absolument tous ! (Exclamations.)

M. le président Sacha Houlié. Le principe selon lequel nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude s’applique ici comme ailleurs.

Il était prévu de suspendre nos travaux à vingt et une heures trente pour pouvoir examiner en séance la proposition de loi de Mme Danièle Obono tendant à la réouverture des accueils physiques dans les services publics. Afin d’accélérer son examen, vous avez retiré votre proposition de loi précédente avant que la discussion arrive à son terme en séance. La discussion générale sur la proposition de Mme Obono vient de commencer et nous pourrons tous participer à l’examen des amendements tout à l’heure.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). On poursuit nos travaux alors qu’un texte sur lequel la commission des lois est saisie au fond est examiné dans l’hémicycle ! Qu’est-ce que c’est que ces méthodes ?

M. le président Sacha Houlié. Ça suffit, monsieur Bernalicis. Vous vous comportez comme un enfant ! Cela n’est pas acceptable et nous allons poursuivre nos travaux.

La commission rejette l’amendement.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Je souhaitais défendre l’amendement CL765 de M. Thomas Portes.

M. le président Sacha Houlié. Cet amendement est tombé en raison de l’adoption d’un amendement précédent.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Les commissaires aux lois doivent être présents dans l’hémicycle !

M. le président Sacha Houlié. Ça suffit.

L’amendement CL767 de Mme Andrée Taurinya est-il défendu ?

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Vous devez mettre un terme à cette réunion !

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). La démocratie l’exige !

M. le président Sacha Houlié. Monsieur Bernalicis, cessez de faire l’enfant capricieux. Écoutez la vice-présidente.

Mme Naïma Moutchou (HOR). J’étais présente en conférence des présidents lorsque la question de la surcharge de travail de la commission des lois a été évoquée. Le président Houlié avait alors souligné qu’un trop grand nombre de textes devaient être examinés. Et il a demandé que l’agenda soit revu, précisément pour nous permettre de participer aux travaux aussi bien en commission qu’en séance publique.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). C’est impossible !

Mme Naïma Moutchou (HOR). Le président de notre commission a fait état des difficultés entraînées par l’ordre du jour, car nous ne pouvons effectivement pas nous dédoubler. Aucun des présidents de groupe présents lors de cette conférence – dont la présidente du groupe LFI – ne s’est exprimé sur le sujet.

Je constate les faits de manière objective et je déplore autant que vous cette situation. La conférence des présidents a décidé de ne pas modifier l’agenda. Il faudra aborder cette question lors de sa prochaine réunion.

Amendements CL1093 et CL1100 de Mme Estelle Youssouffa, amendement CL1683 de M. Philippe Pradal (discussion commune)

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). L’amendement…

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Nous sommes des insoumis !

M. le président Sacha Houlié. Et je suis insoumis aux insoumis !

Prenez garde, car ceux qui créent des troubles au sein de l’Assemblée risquent des sanctions.

(La discussion se poursuit dans le brouhaha.)

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). L’amendement CL1093 propose de lever certaines protections absolues et relatives qui concernent les mesures d’expulsion pour les étrangers condamnés en première instance pour des faits de violence, de viol et d’agression sexuelle.

L’amendement de repli CL1100 propose de lever ces protections pour les étrangers condamnés définitivement pour les mêmes faits.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Suspendez, comme on l’a toujours fait ! Sur tous les textes, en tout temps, jamais la commission des lois ne s’est réunie alors qu’un texte dont elle est saisie au fond est discuté dans l’hémicycle !

M. le président Sacha Houlié. Dehors ! Ça suffit !

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Il faudra recourir à la force physique pour me mettre dehors !

M. le président Sacha Houlié. Arrêtez de vous comporter comme un gamin turbulent.

Lorsque nous avons examiné en séance publique la proposition de résolution visant à faire respecter le droit international dans le secours des migrants en mer Méditerranée, notre commission s’est réunie alors que la discussion générale avait lieu, et cela ne vous a posé aucun problème car ce texte avait été proposé par un autre groupe. Il y en a assez de votre indignation à géométrie variable. Vous n’avez pas raison, donc vous arrêtez votre cinéma.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Ce n’est pas du cinéma, c’est la démocratie ! Que faut-il dire pour que cela monte jusqu’à votre cerveau ?

M. Rémy Rebeyrotte (RE). C’est une insulte au président !

(La discussion se poursuit dans le brouhaha.)

M. Philippe Pradal, rapporteur. Avis défavorable aux amendements CL1093 et CL1100. En effet, le champ des infractions concernées est plus large que les exemples que vous avez donnés. Il comprend aussi par exemple les appels téléphoniques malveillants et les menaces. Vous allez trop loin dans la levée des protections.

M. Gérald Darmanin, ministre. Comme je l’ai dit précédemment à Mme Genevard, on peut toujours envisager de modifier le quantum de peine mais je suis disposé à ce que nous travaillions d’ici à la séance pour définir une liste précise de délits qui entraîneraient la levée des protections.

Comme il y a beaucoup de bruit, j’espère que vous avez entendu ma réponse – et j’espère aussi que ceux qui nous écoutent comprennent ce qui est en train de se passer.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Suspendez les travaux ! Vous ne réunirez pas cette commission alors même que nous devons discuter d’une proposition en séance ! Nous nous y opposerons !

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Je voudrais dire avec calme et gravité que la journée d’initiative réservée à chaque groupe d’opposition est un droit essentiel pour assurer la pluralité démocratique – ce que chacun ici reconnaît.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Président Maillard, vous n’intervenez pas ? Vous laissez faire ?

M. Sylvain Maillard (RE). La discussion générale vient à peine de commencer dans l’hémicycle.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Et tout le monde se fiche de la discussion générale ?

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Un texte extrêmement important – et même s’il ne l’était pas cela ne changerait rien – est discuté en séance publique. Il concerne tous les membres de cette commission. Nous n’en sommes peut-être qu’à la discussion générale, monsieur le président Maillard, mais celle-ci éclaire le débat. Il n’y a pas que les votes qui importent. La démocratie, c’est aussi la discussion.

Monsieur le président, dans un souci d’apaisement et alors que nos travaux ont très bien avancé cet après-midi, je vous demande au nom de mon groupe d’interrompre cette réunion, afin que nous puissions aller en séance participer à l’examen de la proposition de loi de Mme Obono et faire ainsi notre travail de législateur dans de bonnes conditions.

Nous serons à vos côtés pour souligner devant la conférence des présidents la surcharge de travail de notre commission et les conditions dramatiques dans lesquelles on contraint les députés à faire la loi.

M. le président Sacha Houlié. J’aurais aimé que vous soyez à mes côtés lorsque je suis intervenu lors de la conférence des présidents il y a deux semaines. Tel n’a pas été le cas malheureusement !

Je répète que lorsqu’il s’est agi de l’examen en séance de la proposition de résolution de résolution européenne de M. Dumont visant à faire respecter le droit international dans le secours des migrants en mer Méditerranée, cela ne vous a posé aucun problème !

Nous ne reprendrons donc pas nos travaux à vingt et une heures trente, comme prévu.

La commission rejette successivement les amendements CL1093 et CL1100.

Elle adopte l’amendement CL1683.

En conséquence, les amendements CL100, CL1601, CL1074, CL825, CL473, CL389, CL807, CL417 et CL517 tombent.

Amendement CL672 de M. Christophe Naegelen

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Il est hors de question que cette commission continue de se réunir !

M. le président Sacha Houlié. Monsieur Bernalicis, vous n’avez aucune autorité ici. Ce n’est pas vous qui décidez.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Nous ne pouvons pas travailler en même temps en commission et dans l’hémicycle. C’est du bon sens. Il faut appliquer le règlement. Nous avons toujours suspendu nos travaux lorsqu’une proposition était examinée dans l’hémicycle !

M. Christophe Naegelen (LIOT). Cessez de chercher à m’intimider !

(La discussion se poursuit dans le brouhaha.)

Cet amendement vise à lever un obstacle à l’expulsion de certains étrangers présentant une menace grave pour l’ordre public en supprimant l’une des catégories de protection prévues à l’article L. 631-3 du Ceseda.

Cela permettra d’aller plus loin, en permettant d’expulser un étranger résidant habituellement en France depuis l’âge de 13 ans en cas de menace grave à l’ordre public.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES).  Je le répète : il est hors de question de continuer ainsi ! Je m’y opposerai !

M. Philippe Pradal, rapporteur. Avis défavorable.

Retirer la protection dont bénéficient les mineurs qui résident en France depuis l’âge de 13 ans me paraît excessif.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Jamais vous n’aviez été aussi loin ! Jamais !

Tout cela pourquoi ? Pour respecter l’agenda du ministre Darmanin, qui souhaite que ce texte soit voté avant Noël ?

Suspendez cette réunion !

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Il y a eu plusieurs problèmes au cours de cette réunion – des députés du Rassemblement national se sont notamment mis à fumer en pleine réunion, ce qui montre que certains d’entre eux sont en train de craquer.

Si nous voulons continuer à débattre sereinement, il serait bon de suspendre nos travaux. Si tel n’est pas le cas, je suis au regret de vous prévenir que nous demanderons des scrutins publics non seulement jusqu’à la fin de cette réunion, mais aussi sur l’ensemble des amendements qui restent à discuter.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Suspendez cette réunion !

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Je tiens à faire part de mon soutien au président Naegelen qui a essayé de défendre son amendement malgré le bruit, le chaos et les menaces.

Je répète donc que son amendement vise à lever un obstacle à l’expulsion de certains étrangers qui présentent une menace grave pour l’ordre public en supprimant l’une des catégories de protection.

Vous pouvez continuer à vociférer mais, avec le groupe LIOT, je continuerai à travailler car notre rôle est de débattre. Votre mise en scène ne servira à rien, monsieur Bernalicis.

Je vous invite à vous comporter avec moi comme vous l’avez fait avec le président Naegelen, c’est-à-dire vous interposer physiquement en haussant la voix. Continuez ! Venez menacer une femme, j’ai hâte de voir ça !

Vous donnez un spectacle lamentable de la démocratie ! Vous mettez en scène votre nullité !

(La discussion se poursuit dans le brouhaha.)

M. Yoann Gillet (RN). Les menaces envers Mme Youssouffa ne sont pas acceptables. Les révolutionnaires en carton que vous êtes pourraient-ils enfin se taire ?

Chacun fera part de ce sujet au bureau et à la conférence des présidents, qui décideront de ce qu’ils ont à faire. Mais en attendant, arrêtez de vous comporter de cette manière. Nous ne sommes ni dans un cirque ni dans l’une de vos manifestations.

La commission rejette l’amendement.

M. le président Sacha Houlié. Les amendements sur lesquels vous avez demandé des scrutins ne sont pas défendus…

M. Gérald Darmanin, ministre. Je voudrais revenir sur l’amendement CL672.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Non parce que nous ne pouvons pas remplir notre rôle de parlementaire !

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Bernalicis, depuis que je suis ministre je suis présent lors de tous les débats législatifs qui me concernent au sein de cette commission – même si je n’y suis pas obligé – et je ne vous ai pas beaucoup vu sur ses bancs. Vous n’avez manifestement pas envie d’étudier ce texte. C’est votre problème, mais vous n’avez pas à menacer une parlementaire comme vous l’avez fait.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Nous voulons bien faire notre travail !

M. Gérald Darmanin, ministre. Personnellement je n’ai crié sur personne.

Quant à mon agenda, je serai présent ici samedi, dimanche, lundi et jusqu’à Noël si vous le souhaitez. Encore une fois, j’ai assisté à toutes les réunions de la commission sur ce texte, ce qui n’est pas votre cas. Vous pouvez donc garder pour vous vos leçons de maintien.

Tout le monde n’a pas le bonheur de vous avoir comme voisin de circonscription, monsieur Bernalicis. Ceux qui connaissent vos habitudes dans le Nord ne sont pas surpris par votre comportement.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Ce n’est pourtant pas compliqué de suspendre cette réunion !

M. Gérald Darmanin, ministre. Je ne préside pas cette commission. Je ne me mêle pas de vos relations avec vos collègues et ne participe pas à votre cirque. Je vous réponds simplement, puisque vous m’avez attaqué sur mon agenda, que je suis à la disposition totale du Parlement.

Reprenons dans le calme.

Je voudrais dire à Mme Youssouffa et à M. Naegelen que si je peux comprendre la proposition qu’ils font à travers l’amendement CL672, le dispositif présente une sérieuse difficulté juridique. Je ne sais plus très bien quel a été le résultat du vote en raison de la confusion qui règne – cela commence donc à poser un problème…

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Le plus jeune président de l’histoire de cette commission ne se donne pas la peine d’appliquer le règlement !

M. Gérald Darmanin, ministre. Vous ne vous comportez pas comme un parlementaire de la nation, monsieur Bernalicis. Chacun le constate.

Ugo n’est manifestement pas prêt pour Beauvau. Il va falloir mûrir un petit peu. Vous êtes éventuellement prêt pour une assemblée générale d’étudiants, mais pas pour le ministère de l’intérieur. Certes, il vous reste encore au moins quatre ans à attendre…

M. le président Sacha Houlié. Cet amendement a bien été rejeté, monsieur le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre. Eh bien nous aurons l’occasion d’en reparler dans l’hémicycle.

Amendement CL1077 de M. Boris Vallaud

M. Boris Vallaud (SOC). Les conditions ne sont pas réunies pour un examen serein.

M. le président Sacha Houlié. Je suis désolé mais je n’en suis pas responsable.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NUPES). Suspendez cette réunion. Un peu de décence démocratique !

M. Philippe Pradal, rapporteur. Avis défavorable.

M. Arthur Delaporte (SOC). Monsieur le président, cela fait un quart d’heure que l’on n’arrive pas à s’entendre. Cela s’explique, car nos collègues demandent à pouvoir aller en séance pour la discussion d’une proposition de loi.

M. le président Sacha Houlié. Manifestement ils n’y sont pas…

M. Arthur Delaporte (SOC). Ce problème aurait pu être anticipé. Je ne comprends plus rien à cette discussion et je ne peux plus faire mon travail de parlementaire de manière sereine, alors même que nous débattons de choses importantes – l’amendement CL1077 a été suggéré par l’Unicef et concerne des enfants.

Le niveau sonore est insupportable et porte atteinte à la qualité du débat parlementaire.

Il est vingt heures et je vous demande de mettre un terme à cette réunion.

M. le président Sacha Houlié. J’avais constaté que la discussion générale de la proposition de loi avait commencé en séance publique, dans la plus grande indifférence du groupe LFI. Au bout de quarante minutes, M. Bernalicis est venu mettre un bazar incroyable en commission.

Je saisirai la présidente de l’Assemblée au sujet des troubles graves qu’il a causés et je demanderai des sanctions.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Il faudra tous nous sanctionner !

La commission rejette l’amendement.

M. le président Sacha Houlié. La commission reprendra ses travaux demain matin à neuf heures, puisque nous serons en séance publique ce soir, comme vous le savez.

Première réunion du vendredi 1er décembre 2023 à 9 heures

Lien vidéo : https://assnat.fr/kYjfHH

Présidence de M.Sacha Houlié, président.

Article 9 (art. L. 252-2, L. 631-2, L. 631-3, L. 641-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, art. 131-30, 131-30-1, 131-30-2, 435-14, 441-11, 444-8 du code pénal, art. 41 du code de procédure pénale) : Assouplir les régimes de protection bénéficiant à certaines catégories de ressortissants étrangers pour faciliter les décisions d’expulsion et le prononcé de la peine d’interdiction du territoire (suite)

Amendements CL821 de Mme Élisa Martin et CL1076 de M. Boris Vallaud (discussion commune)

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Il s’agit de supprimer les alinéas 20 à 28 de l’article 9. Nous sommes contre l’inflation pénale ; nous préférons réduire le quantum de peine encouru. L’inflation pénale empêche la régulation carcérale. Or, la surpopulation en prison est un vrai problème.

M. Boris Vallaud (SOC). Notre amendement, qui nous a été suggéré par Unicef France, vise à supprimer les alinéas 20 et 29 de cet article, afin de réintroduire l’exigence de motivation particulière des décisions d’ITF (interdiction du territoire français) en matière correctionnelle pour les étrangers protégés, en tenant compte de la gravité de l’infraction et de la situation personnelle et familiale.

M. Philippe Pradal, rapporteur pour les titres II et II bis. Le Sénat a supprimé le régime dit de protection prévu à l’article 131-30-1 du code pénal. Cela dit, le Conseil d’État indique, dans son avis, que les dispositions générales du droit apportent une sécurité suffisante du fait de l’article 132-1 de ce code, qui prévoit déjà une telle motivation. Les dispositions du projet de loi étaient donc superfétatoires.

En ce qui concerne les ITF, il y a une difficulté à régler. Je vous propose donc, monsieur Vallaud, de retirer votre amendement au profit de l’amendement CL1680 du président Houlié.

M. Boris Vallaud (SOC). La confiance n’exclut pas le maintien de mon amendement. Du point de vue de l’intention du législateur, vu que vous acceptez le texte du Sénat alors que les intentions des sénateurs n’étaient pas très bienveillantes, je préfère la sécurité supplémentaire que représente la suppression de ces deux alinéas.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL1680 de M. Sacha Houlié

M. le président Sacha Houlié. Il vise à rétablir la version du Gouvernement concernant le quantum de peine permettant de décider d’une ITF dans le cadre de la double peine : dix ans pour les étrangers commettant leur première infraction, cinq ans en état de récidive. Il s’agit aussi de protéger la mesure d’une éventuelle censure par le Conseil constitutionnel au nom de la proportionnalité des peines.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Avis favorable, pour la raison que je viens d’exposer.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, les amendements CL271 de M. Yoann Gillet et CL515 de Mme Emmanuelle Ménard tombent.

Amendement CL1728 de M. Sacha Houlié

M. le président Sacha Houlié. Il tire les conséquences de l’amendement que nous venons d’adopter, en revenant sur les modifications apportées par le Sénat aux régimes de protection contre le prononcé de la peine complémentaire d’ITF, qui seraient susceptibles de recours avant même d’être appliquées si nous les adoptions en l’état.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Avis favorable : l’amendement est nécessaire pour rétablir l’équilibre du dispositif et nous prémunir contre le risque de contestation constitutionnelle.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL1681 de M. Sacha Houlié

M. le président Sacha Houlié. C’est l’amendement miroir du CL1680.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Favorable à cet amendement de cohérence.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’article 9 modifié.

Après l’article 9

Amendement CL130 de M. Éric Pauget

M. Éric Pauget (LR). Il précise que la demande de réexamen d’une interdiction administrative sur le territoire français ne peut intervenir avant dix années – contre cinq actuellement – lorsque l’interdiction a été prononcée en raison d’une infraction à caractère terroriste ou d’une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Avis défavorable. La périodicité actuelle de l’examen, prévue à l’article L. 632-6 du Ceseda (code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile), est suffisante pour permettre à l’autorité administrative d’apprécier la situation de l’étranger et l’éventuelle abrogation de la décision d’expulsion dans les situations graves que vous mentionnez.

M. Éric Pauget (LR). Pour des faits de terrorisme, que nous connaissons bien dans les Alpes-Maritimes, porter à dix ans le délai applicable relève du bon sens.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL1524 de M. Patrick Hetzel

Mme Annie Genevard (LR). Cet amendement du groupe Les Républicains vise à rendre son sens à l’effectivité de la peine prononcée par le juge du fond et à lutter contre l’immigration des individus qui ne respectent pas les lois de la République.

Il apparaît totalement anormal qu’une décision judiciaire définitive d’interdiction du territoire français pour un criminel ou un délinquant étranger puisse être annulée par un juge d’application des peines dans le cadre d’une libération conditionnelle ou qu’un aménagement de peine vienne à l’encontre des décisions d’interdiction du territoire ou d’obligation de quitter le territoire français (OQTF).

M. Philippe Pradal, rapporteur. Par cet amendement comme par d’autres, vous souhaitez empêcher systématiquement le juge – ici, le juge des libertés et de la détention (JLD) – de prononcer quelque aménagement de peine que ce soit, à l’exception de la libération conditionnelle-expulsion. Ce n’est pas conforme à l’état de notre droit. Dans sa décision n° 2019-799/800 QPC du 6 septembre 2019, le Conseil constitutionnel prévoit expressément ce cas.

Je précise pour la suite que même une modification de la Constitution n’abolirait pas l’ensemble des décisions du Conseil constitutionnel. Ainsi, cette décision est notamment fondée sur des principes généraux du droit qui vont bien au-delà du texte de la Constitution de 1958, notamment la proportionnalité, en lien avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

En raison du fort risque d’inconstitutionnalité de la disposition proposée, avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer. Madame Genevard, nous nous sommes posé la même question que vous et nous y avons répondu de la même manière que le rapporteur. Du coup, nous avons procédé différemment s’agissant des deux points que vous mentionnez.

Concernant la libération conditionnelle ou l’aménagement de peine, ils ne sont possibles que pour les Français sortant de prison et devant se réintégrer à la société française. L’étranger, lui, a vocation à quitter le territoire national s’il a commis un crime ou un délit relevant de l’article 9 ou de l’article 10. Avec le Sénat, sur proposition du Gouvernement, nous avons donc créé l’article 9 bis relatif à la libération sous contrainte. Celle-ci correspond exactement au principe de la liberté conditionnelle quand il s’agit de s’insérer ; mais dans le cas de l’étranger délinquant, s’il a commis un acte assez grave pour avoir été condamné à de la prison ferme, la condition n’est pas la réinsertion, mais le départ vers le CRA (centre de rétention administrative), puis la sortie du territoire. Ainsi, l’article 9 bis satisfait une grande partie de votre amendement.

Concernant le régime du JLD, la Constitution prévoit expressément son intervention. En outre, comme l’a très bien dit le rapporteur, quand bien même on la modifierait sur ce point, incontestablement, votre proposition pourrait être jugée inconstitutionnelle sur le fondement de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et du préambule de la Constitution de 1946.

Cependant, nous avons proposé des modifications du régime du JLD, qui devraient faire l’objet de longs débats avec la gauche de l’hémicycle. Il s’agit que ce juge ne s’intéresse plus seulement à la procédure, mais prenne aussi en compte dans sa décision la dangerosité des personnes, en l’occurrence des étrangers délinquants, comme vous le souhaitez. Ainsi, même en cas de nullité de procédure – parce que la police aux frontières aurait oublié un cachet ou à cause de difficultés liées au pays d’origine –, le JLD ne pourra pas libérer la personne. C’est aujourd’hui notre problème principal : les étrangers restent en moyenne 34 jours en CRA alors qu’on pourrait les y garder jusqu’à trois mois, parce qu’ils sont libérés par le JLD, notamment au tout début de la procédure. Ces nouvelles dispositions satisfont ainsi une autre partie de votre amendement.

Il est vrai que nous ne répondons pas entièrement à votre demande, pour des raisons constitutionnelles. Mais l’article 9 bis remédie pleinement au problème de l’étranger qui bénéficie d’un aménagement de peine – ce que je trouve scandaleux tout comme vous, raison pour laquelle nous changeons la loi de la République. Sur ce point, le compromis trouvé avec le Sénat nous paraît tout à fait constitutionnel. En ce qui concerne le JLD, nous faisons le maximum possible, mais je ne suis pas tout à fait certain que nous ayons dans la Constitution toutes les armes pour le faire. Nous aurons l’occasion d’en reparler dans le cadre de la proposition de loi constitutionnelle de votre groupe : il s’agit de déterminer comment, tout en gardant la possibilité d’un juge indépendant et en respectant la séparation des pouvoirs, intégrer le critère de dangerosité dans la décision du JLD – sachant que le CRA n’est pas un lieu de punition en attendant une décision, mais un lieu de rétention en attendant une expulsion.

Avis défavorable, mais, sur le fond, votre amendement est très largement satisfait.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Dans les faits, presque 90 % des étrangers pour lesquels un aménagement de peine est demandé ne l’obtiennent pas. Ceux qui l’obtiennent sont ceux qui ont le plus de chances d’être régularisés.

Quasiment 30 % des personnes retenues en CRA sortent de prison. La demande de laissez-passer consulaire n’intervient pas pendant qu’elles sont en prison, mais seulement une fois qu’elles sont en CRA. On leur refuse la libération sous contrainte dans le but d’engager tout de suite leur expulsion, ce qui ne se produit pas ; de ce fait, on les prive d’une LSC tout en les laissant plus longtemps en CRA alors que, vous venez de le dire, ce n’est pas censé être un lieu de punition, même si, dans les faits, c’en est souvent un.

M. Gérald Darmanin, ministre. Ce que vous dites, madame la députée, est beaucoup moins vrai depuis 2021. C’est à cette époque qu’a eu lieu l’affaire du photographe molesté à Reims par une personne sortant de prison et dont on ne connaissait pas l’identité parce qu’elle était en situation irrégulière. J’avais alors pris une instruction commune avec le garde des sceaux pour que la demande de laissez-passer consulaire soit formulée six mois avant la libération d’un étranger incarcéré. Bien sûr, tout cela n’est pas parfait, car un juge peut toujours autoriser une libération anticipée.

Par ailleurs, la libération sous contrainte dans le cadre de l’article 9 bis répond exactement à votre question : il s’agit de ne pas libérer la personne de manière anticipée si on ne dispose pas du laissez-passer consulaire. Est-on d’accord ou non pour que les étrangers qui ont purgé une peine de prison soient expulsés, c’est un autre débat politique.

Enfin, depuis l’arrivée au ministère de l’intérieur de l’équipe du Président de la République, les personnes retenues en CRA sont à 97 % – sauf à Mayotte – des personnes radicalisées ou condamnées par la justice. Seuls 3 % n’ont pas de casier judiciaire. Il n’y a presque plus d’enfants dans les CRA – nous reparlerons des dispositions qui feront de cet état de fait la loi de la République. Le modèle a changé : si les CRA ne sont pas des lieux de détention supplémentaires, ce sont des lieux de rétention de personnes dangereuses.

La commission rejette l’amendement.

Article 9 bis (nouveau) (art. 720 du code de procédure pénale) : Subordonner l’application de la libération sous contrainte de plein droit à l’exécution de la mesure d’éloignement dont la personne condamnée détenue a fait l’objet

Amendements de suppression CL774 de Mme Andrée Taurinya, CL906 de M. Boris Vallaud et CL1182 de M. Davy Rimane

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Cet article ajouté par le Sénat durcit encore le texte initial et le rend encore plus raciste : il vise à ne pas accorder les mêmes droits aux détenus français et aux justiciables étrangers.

La sanction pénale a pour but de réhabiliter l’auteur d’une infraction et de lui permettre de s’insérer dans la société, qu’il s’agisse d’un citoyen français ou d’un étranger. Nous nous opposons à la vision raciste de l’exécutif, qui part du principe qu’un étranger condamné ayant purgé sa peine constitue une menace à l’ordre public et un danger pour la société.

M. Boris Vallaud (SOC). Cet article, issu d’un amendement du Gouvernement adopté par le Sénat, n’a donc pas été soumis au Conseil d’État et n’a pas fait l’objet d’une étude d’impact. Il ignore l’objet de la libération sous contrainte, qui est un instrument de lutte contre la récidive. Hier, nous avons évoqué les cas de récidive multiple auquel se heurte le ministère de l’intérieur dans l’exécution des mesures d’expulsion. Il s’agit ici du détournement d’un objet de politique pénale à mauvais escient.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). En effet, il s’agit du détournement d’un dispositif pénal à des fins de contrôle migratoire.

En outre, on se prive d’un élément de dispositif pénal qui permet de viser une meilleure réinsertion et, ainsi, de lutter contre la récidive, sans avoir la moindre assurance du fait que la personne sera expulsée. Vous condamnez tout étranger qui sort de prison à la libération sous contrainte, au stade où les CPIP (conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation) interviennent le plus auprès des personnes concernées. Vous prenez ainsi le risque de laisser sur le territoire quelqu’un qui n’a pas bénéficié de la phase la plus intense de lutte contre la récidive. Au-delà de l’opposition idéologique, je n’en vois pas l’intérêt du point de vue de la sécurité intérieure.

M. Philippe Pradal, rapporteur. On parle de personnes en situation irrégulière qui n’ont pas vocation à rester sur le territoire et qui pourraient bénéficier du régime de la libération sous contrainte en application de la loi du 22 décembre 2021. L’article 9 bis vise à établir que la libération sous contrainte ne peut être mise en œuvre que pour permettre l’expulsion ; c’est une mesure utile.

Avis défavorable.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Mme Taurinya et, parfois, M. Lucas parlent de racisme : c’est l’argument ultime. Madame Taurinya, vous n’avez pas compris les dispositions dont nous parlons.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Si, je comprends très bien.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je vais vous expliquer quand même, parce que je ne suis pas sûr que vous ayez bien compris.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Si, simplement nous ne sommes pas du même avis.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Alors ne me traitez pas de raciste.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Je ne vous ai pas traité de raciste.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Si ! Il faut se respecter mutuellement. Vous traitez le ministre et la majorité présidentielle de racistes, et quand je vous dis que vous n’avez pas compris, vous trouvez cela irrespectueux ? Vous plaisantez ?

Je vous explique l’article 9 bis.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). C’est méprisant, ce que vous avez dit.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Et accuser quelqu’un de racisme, ce n’est pas méprisant ? Ce n’est pas une insulte ?

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). C’est le texte qui est raciste !

M. Florent Boudié, rapporteur général. Laissez-moi parler.

Le droit commun actuel prévoit la libération sous contrainte pour les nationaux, comme vous l’avez dit, mais aussi pour les personnes étrangères en situation régulière. En revanche, rien n’est prévu pour les étrangers en situation irrégulière. Il n’y a dans l’article aucun racisme, aucune distinction entre les nationaux et les non-nationaux ; c’est le contraire : on applique le droit commun à tout le monde, afin, comme l’a dit le rapporteur, de permettre l’exécution de la mesure d’éloignement.

Les interdictions de territoire ou de séjour correspondent à des faits qui ont été commis, et pas n’importe lesquels – je vous renvoie aux dispositions du code pénal qui s’y réfèrent.

M. le président Sacha Houlié. Le texte reprend dans la loi ce qui figurait jusqu’à présent dans une instruction commune du ministre de la justice et du ministre de l’intérieur.

M. Gérald Darmanin, ministre. Cet article est important. La loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire permet aux détenus de bénéficier de plein droit d’une libération anticipée sous contrainte lorsque le reliquat de leur peine est de trois mois. Cela s’applique aux Français ou aux étrangers en situation régulière qui ne tomberaient pas sous le coup de l’article 9 ou de l’article 10 du projet de loi, par exemple ceux qui ont été condamnés à des peines de moins de deux ans de prison. Mais cela ne vaut pas pour des étrangers en situation irrégulière.

La libération sous contrainte pour réinsertion concerne ceux qui ont intérêt à se réinsérer dans la société, mais ce n’est pas le cas des étrangers irréguliers, surtout quand ils ont été condamnés de façon définitive à des peines de prison. À moins que l’on ne parte du principe qu’il faut insérer des personnes irrégulières condamnées de façon définitive et ayant fait de la prison.

Monsieur Vallaud, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État reconnaissent que le droit au séjour n’est pas un droit général et absolu – fort heureusement – et qu’une différence de traitement proportionnée est possible, dans un but d’intérêt général, entre deux personnes qui sont dans des situations différentes. C’est le cas ici : l’une est irrégulière, l’autre est régulière ou française ; quant au but d’intérêt général, c’est l’éloignement d’un criminel ou d’un délinquant.

Si nous proposons cet article, c’est que, depuis le 1er janvier, la loi précitée pose des difficultés aux services pénitentiaires et à la police aux frontières. Des libérations anticipées imprévues viennent contrarier l’instruction que nous avons prise. Dans un petit département comme la Dordogne, cette année, sur 88 étrangers éloignables, 27 font partie du public de l’administration pénitentiaire, ont commis des crimes ou des délits, et sont éligibles de plein droit à l’expulsion dans un pays qui accepte ses ressortissants. 27 sur 88, c’est beaucoup. La Seine-Maritime ou la Seine-Saint-Denis sont également concernées.

L’article est essentiel pour éviter les sorties sèches de détenus irréguliers qu’on ne pourrait pas envoyer en CRA et reconduire dans leur pays : il permet d’établir un lien direct entre étrangers irréguliers condamnés en prison, CRA et retour dans le pays d’origine – je le répète, ils n’ont pas vocation à s’intégrer dans la société française ; par leur séjour irrégulier et leur condamnation, ils ont montré qu’ils ne le voulaient pas.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Le rapporteur général m’a mis en cause de façon gratuite. J’ai toujours su prendre mes responsabilités. D’ailleurs, j’avais appelé à voter aux élections régionales dans les Hauts-de-France pour la liste de M. Bertrand, sur laquelle figurait le ministre de l’intérieur, face à Marine Le Pen, afin de faire barrage à l’extrême droite raciste, justement. Je défends toujours le barrage républicain.

Je dénonce en revanche un racisme d’atmosphère, dont j’estime que vous l’entretenez par ce texte, qui amène à engloutir le débat public sous les thèmes et les termes de l’extrême droite. Or, c’est mortifère pour notre démocratie.

Je n’ai jamais dit que le rapporteur, le ministre ou le Gouvernement étaient racistes. J’assume en revanche de dire que le débat public tel qu’il est organisé – il suffit d’aller sur les réseaux sociaux ou d’allumer la télévision pour le voir – contribue à ce racisme d’atmosphère très dommageable pour la démocratie et pour les principes républicains, dont j’espère qu’ils peuvent nous rassembler.

La commission rejette les amendements.

Elle adopte l’article 9 bis non modifié.

Article 10 (art. L. 611-3, L. 613-1 et L. 251-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Réduction du champ des protections existant contre les décisions d’obligation de quitter le territoire français (OQTF)

Amendements de suppression CL776 de M. Thomas Portes, CL907 de M. Boris Vallaud et CL1183 de Mme Emeline K/Bidi

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Je répète qu’on peut avoir un avis différent, sans se mettre à expliquer à celui qui n’a pas le même avis que vous qu’il ne comprend pas.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Alors ne nous insultez pas, madame !

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Je comprends très bien, et c’est pour cela que je m’oppose fermement à ce texte et que je demande la suppression de son article 10, qui réduit la protection des étrangers contre les décisions d’OQTF.

C’est l’esprit de tout le texte, qui amalgame immigration et délinquance. C’est pour cela que je dis que ce texte est raciste, et je ne suis pas la seule à le dire : c’est aussi le cas de toutes les associations qui soutiennent ces personnes ayant connu des parcours tragiques pour survivre en quittant leur pays.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Vous vous enfermez, madame.

M. Boris Vallaud (SOC). Hier, nous avons eu une discussion que nous poursuivrons certainement dans l’hémicycle de façon plus construite et approfondie. Il y a, à mon sens, un problème d’équilibre général dans le dispositif proposé par le Gouvernement.

Parmi les facteurs de déséquilibre figure la dangereuse confusion entre les mesures d’expulsion et les mesures d’éloignement. Sont introduites les notions de motif grave de sécurité publique, de nécessité impérieuse pour la sûreté de l’État ou la sécurité publique, dont les contours sont difficiles à appréhender. Elles présentent le risque – ou l’avantage, c’est selon – de permettre de contourner les garanties procédurales liées à l’expulsion. Par ailleurs, rien n’indique que le nombre de laissez-passer consulaires, donc le taux de reconduite ou d’expulsion, en sera augmenté.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Nous ne souhaitons pas que le système de protection générale et objective devienne un système partial, soumis à une appréciation subjective et au cas par cas de la part de l’administration. Cela créerait un grand risque d’arbitraire et d’atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale ainsi qu’à l’intérêt supérieur de l’enfant. Le risque serait aussi d’accroître le contentieux administratif : les personnes étrangères faisant l’objet d’une OQTF pourraient s’opposer à ces mesures sur le fondement du respect des engagements internationaux de la France. Que se passera-t-il quand on éloignera des parents ayant des enfants en France pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE) ?

M. Philippe Pradal, rapporteur. Avis défavorable.

L’article 10, qui atténue les protections dont bénéficie l’étranger en matière d’OQTF, est nécessaire à l’équilibre général du projet de loi. Même modifié par le Sénat, il demeure équilibré grâce au maintien de son alinéa 5, qui dispose que l’autorité administrative doit veiller à l’équilibre entre l’impératif d’une mesure d’éloignement et la nécessité de tenir compte de la situation personnelle de l’étranger concerné, le tout sous le contrôle du juge.

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). La question est l’appréciation qui est faite de la situation de chaque mineur. Ici comme ailleurs, le texte fait plus de place à l’arbitraire au détriment des lignes de droit qui simplifient l’application de la loi et les recours. Pour cette raison, nous soutiendrons les amendements de suppression : quand il s’agit de mineurs, nous devons être encore plus stricts que pour les adultes.

M. Gérald Darmanin, ministre. Madame Rousseau, l’article 10 ne concerne pas les mineurs, mais les majeurs.

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). Et s’ils ont des enfants ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Les articles 9 et 10 concernent les majeurs. La seule réserve d’ordre public que nous conservons intéresse justement les mineurs qui commettraient des délits ou des crimes pendant qu’ils sont mineurs. Les personnes arrivées mineures sur le territoire national et commettant des crimes ou des délits une fois qu’ils sont majeurs relèvent du régime de la majorité, non de celui de la minorité. Pour les mineurs, c’est d’ailleurs le juge, et non le pouvoir administratif, qui décide de l’expulsion.

L’article 10 est, avec l’article 9, l’un des plus importants du projet de loi. Il vise à permettre d’appliquer beaucoup mieux les arrêtés de reconduite à la frontière eu égard aux protections que la loi, et non la Constitution ou les conventions, nous impose. L’article 9 visait les étrangers réguliers pouvant être expulsés du territoire national en raison d’une menace à l’ordre public. L’article 10 concerne les étrangers irréguliers qui, malgré la menace qu’ils représentent, ne peuvent être éloignés du territoire national en raison de réserves d’ordre public : c’est la fin de la fin de la double peine. Ces réserves s’appliquent à tout étranger résidant en France depuis l’âge de 13 ans, résidant en France régulièrement depuis vingt ans, résidant en France régulièrement depuis dix ans s’il est parent d’un enfant français et peut prouver qu’il contribue à son entretien et à son éducation ou s’il est conjoint de Français, titulaire d’une rente consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, résidant habituellement en France et dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences.

Nous proposons que les OQTF puissent concerner toutes ces personnes, si et seulement si elles ont commis un acte illégal sur le territoire national. Le texte ne prévoit pas d’éloigner un étranger  qui est arrivé en France avant l’âge de 13 ans et qui est en situation irrégulière à 19 ans ; il permet d’éloigner un étranger arrivé avant l’âge de 13 ans et qui commet un crime à 19 ans. C’est le comportement de la personne qui compte. Voilà pourquoi ce texte n’est fondamentalement pas raciste : il s’intéresse aux comportements, non aux personnes ; à ce qu’elles font, non à ce qu’elles sont. Heureusement, on juge les gens pour ce qu’ils font – c’est la démocratie – et non pour ce qu’ils sont – c’est l’essentialisme. Vous, vous êtes essentialiste, madame Taurinya, quand vous dites que, par nature, nous sommes racistes, alors que je vous dis que c’est le comportement qui compte. C’est peut-être une différence d’appréciation de ce qu’est l’homme.

Le débat sur les OQTF est un peu fou : on demande au ministre de l’intérieur de les appliquer, mais plus de la moitié de ces OQTF fait l’objet de recours, donc sont inapplicables, et la loi votée au début des années 2000 m’empêche d’appliquer l’autre moitié !

Parmi de nombreux exemples, je citerai la lettre que m’a envoyée le préfet de Côte-d’Or le 15 novembre, à propos d’un étranger sous le coup d’une OQTF qui, à 29 ans, fait l’objet de plus de 100 condamnations judiciaires ; le cumul des peines prononcées atteint 31 ans. Arrivé à 12 ans sur le territoire national, il ne peut pas être éloigné, alors qu’il est irrégulier et que sa famille habite dans son pays d’origine. Je vous renvoie à l’étude d’impact du projet de loi pour la liste des éléments qui montrent la nécessité de la mesure que nous prenons.

Nul besoin de réformer la Constitution, de revenir sur la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) ou sur d’autres engagements internationaux de la France. Seule la France a ces dispositifs qui l’empêchent d’éloigner des étrangers déjà irréguliers.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). En ce qui concerne les OQTF, nous devons veiller à l’équilibre et vérifier que l’État de droit est une réalité. Depuis 1995, il y a des lois immigration tous les dix-huit mois en moyenne, qui mettent tour de vis sur tour de vis ; chaque fois, l’équilibre est brisé. Cela nous conduit à penser qu’il faut absolument changer de stratégie, d’abord – tout le monde l’a compris – en travaillant sur l’organisation de l’accueil à l’échelle de l’Europe et du pays, mais aussi en réfléchissant au problème des OQTF, inopérantes et incapables de rétablir l’ordre – si les personnes visées sont bien à l’origine du désordre.

Mme Annie Genevard (LR). Les articles 9 et 10 sont très importants. Ils permettent l’éloignement des personnes en situation régulière ou irrégulière ayant commis des délits ou des crimes graves. J’appelle votre attention, monsieur le ministre, sur le fait que l’article 4 bis permet, dans les métiers en tension, de régulariser des personnes en situation irrégulière même si elles ont commis des infractions pénales. Ce n’est pas cohérent.

M. Gérald Darmanin, ministre. L’article 10, modifié par le Sénat sur proposition du Gouvernement, n’a pas été modifié à nouveau par l’Assemblée nationale ; c’est donc la rédaction du Sénat que nous vous reproposons, comme l’a dit le rapporteur.

Je regrette que vous n’ayez pas déposé d’amendement sur l’article 4 bis pour le coconstruire comme l’a fait le Sénat ; nous aurions très bien pu accepter un tel amendement. Si l’article 4 bis prévoit déjà la compatibilité de la régularisation avec l’ordre public, il n’y est pas écrit expressis verbis que ceux qui ont un casier judiciaire ne peuvent pas être régularisés ; c’est quelque chose que l’on pourrait ajouter en séance, évidemment en tenant compte de la nature des infractions – un délit routier, comme un excès de vitesse, ne devrait pas empêcher la régularisation ; un refus d’obtempérer, si.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Dans le débat, on donne l’impression que les protections ne sont que des obstacles et que la fin justifierait tous les moyens. Heureusement, il subsiste encore quelques protections, et nous allons tenter de les défendre. J’ai vu récemment, en visitant un centre de rétention, des personnes d’origine afghane qui n’avaient pas obtenu l’asile – toutes les personnes afghanes ne l’obtiennent pas. À mes yeux, le fait qu’elles se retrouvent en CRA n’a aucun sens. Mais il est heureux qu’il existe des protections qui empêchent de renvoyer les gens dans certains pays, même s’ils ont commis un trouble à l’ordre public. Et, dans ces cas, nous avons quand même pour mission d’éviter leur récidive et de veiller à leur insertion dans la société.

Mme Caroline Yadan (RE). Je voulais rassurer nos collègues quant à la protection de notre État de droit. L’article vise simplement à tenir compte du comportement récent de la personne : en cas de menace grave à l’ordre public – notion juridique bien établie et très ferme –les protections contre l’édiction de la décision d’OQTF, dont bénéficient certaines catégories d’étrangers que vous avez mentionnées, monsieur le ministre, s’effacent, sauf pour les mineurs.

Le dispositif que nous envisageons ne rend pas automatique l’éloignement d’une personne représentant une menace grave, parce que l’impératif de sauvegarde de l’ordre public est toujours mis en balance avec la situation personnelle de l’étranger.

La commission rejette les amendements.

Amendement CL1078 de M. Philippe Brun

Mme Marietta Karamanli (SOC). Suggéré par Unicef France, l’amendement tend à inscrire dans la loi le fait qu’une décision d’OQTF visant une personne protégée doit prendre en compte, de manière proportionnée par rapport à la menace représentée par l’étranger, les circonstances relatives à sa vie privée et familiale, ainsi que l’intérêt supérieur de ses enfants mineurs.

Le Sénat a adopté une version plus sévère du dispositif, mais il en a exclu les mineurs. Il reviendra à l’administration d’apprécier au cas par cas les éventuelles atteintes à la vie privée. Nous appelons votre attention sur la nécessité de préciser la rédaction afin d’éviter toute dérive.

M. Philippe Pradal, rapporteur. L’avis est défavorable.

Sur le fond, l’amendement est satisfait, car la notion de proportionnalité est déjà inscrite, et je me suis opposé à des amendements visant à réduire l’obligation d’examen en application du principe de proportionnalité, notamment pour les sanctions automatiques.

En outre, l’article L. 251-2 du Ceseda vise spécifiquement les ressortissants de l’Union européenne, qui jouissent d’une protection absolue : « Ne peuvent faire l’objet d’une décision portant obligation de quitter le territoire français […] les citoyens de l’Union européenne ainsi que les membres de leur famille qui bénéficient du droit au séjour permanent prévu à l’article L. 234-1. » L’adoption de l’amendement amoindrirait cette protection.

M. Gérald Darmanin, ministre. Nous souhaitons supprimer la contrainte qui pèse sur le ministère de l’intérieur : la loi empêche actuellement le ministre d’ordonner l’éloignement des étrangers ayant commis des faits constituant une menace grave pour l’ordre public et contre lesquels une décision d’OQTF a été prise. Madame Karamanli, le juge ne disparaît pas du dispositif que nous proposons : il continuera d’apprécier, sur le fondement du préambule de la Constitution de 1946, de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), la situation personnelle et la vie familiale de l’étranger, comme il le fait en matière terroriste. Nous ne souhaitons pas éloigner toutes les personnes, mais nous voulons pouvoir appliquer les décisions d’OQTF, ce qui n’est pas le cas aujourd'hui.

Si nous ne prenions en compte que l’intérêt de l’enfant, nous ne mettrions plus aucun parent en prison, donc votre argument ne me semble pas convaincant. En outre, personne n’empêche la famille de suivre l’étranger qu’on éloigne. Il est vrai que, dans certains cas très précis, le juge peut considérer que l’intérêt de l’enfant réside dans le maintien de l’adulte dans le territoire national, mais la loi dispose que celui-ci doit contribuer au bien-être matériel de sa famille et à l’éducation de l’enfant : n’oublions pas que nous parlons ici de personnes condamnées à des peines d’emprisonnement pour avoir commis des délits ou des crimes graves, agissements qui ne contribuent pas à l’éducation des enfants. Nous souhaitons lever ces protections qui n’existent qu’en France, permettre au ministère de l’intérieur de faire son travail et laisser le juge se prononcer sur la proportionnalité des décisions : rien n’est contraire à l’État de droit dans cela.

Mme Annie Genevard (LR). M. Pauget a déposé un amendement qu’il ne pourra pas défendre, dans lequel il souhaitait qu’une personne s’étant dérobée à une première OQTF ne bénéficie plus d’aucun délai pour quitter volontairement le territoire.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL827 de M. Yoann Gillet

M. Yoann Gillet (RN). Expulser ceux qui représentent une menace grave pour l’ordre public est du bon sens : plus de 80 % des Français attendent cette politique de fermeté. À l’heure où les mineurs âgés de 13 à 17 ans concentrent 20 % de l’ensemble des mises en cause pour trafics, 46 % des violences sexuelles sur mineurs, 40 % des vols violents et 30 % des coups et blessures volontaires sur les moins de 15 ans, il est urgent d’agir. Il serait irresponsable d’ignorer cette réalité et de ne rien faire.

Les émeutes de juin dernier ont montré ce que l’inaction de l’État fait encourir à nos villes et aux Français ; elles ont mis en lumière l’excès de laxisme de notre pays : près de 30 % des interpellés étaient des mineurs, dont beaucoup issus de l’immigration.

Bien que la question des sanctions contre les jeunes soit vaste, il convient de l’aborder dans le cadre de ce projet de loi. Notre amendement vise à ce que les parents étrangers d’un mineur étranger condamné pour des faits graves puissent être expulsés à l’issue de l’exécution par le mineur de sa peine d’enfermement.

M. Philippe Pradal, rapporteur. L’avis est défavorable. L’amendement propose d’expulser, par le biais d’une OQTF, des parents d’une personne reconnue coupable d’actes répréhensibles : une telle mesure frapperait des personnes en situation régulière dont le seul tort serait un lien de parenté et elle créerait une difficulté importante pour les autres enfants de la fratrie.

M. Gérald Darmanin, ministre. L’amendement illustre la différence importante qui nous sépare du Rassemblement national. Il propose d’éloigner – et non « expulser », monsieur le député, puisqu’il s’agit d’une OQTF – un étranger dont l’un des enfants aurait commis un crime ou un délit. Le droit français protège le mineur de ses parents, là vous exposez le parent à cause du comportement de l’enfant. Comme l’a très bien dit le rapporteur, il y a souvent plus d’un enfant dans la fratrie, donc que faites-vous des deux enfants qui se comportent bien quand le troisième commet un délit ? Vous expulsez un parent sur deux ? J’imagine que vous ne considérez pas que votre amendement est sérieux et que vous l’avez déposé pour ouvrir une discussion.

Il ne peut y avoir de solidarité entre parents et enfants pour l’éloignement, l’expulsion et la peine de prison. Condamnerait-on un adulte français à une peine de prison si l’un de ses enfants avait commis un crime ? C’est un raisonnement bizarre. La question, controversée, de la responsabilité financière a émergé dans le débat public, parce que les aides sociales sont données aux parents pour qu’ils éduquent leurs enfants et qu’il y a un lien entre une aide donnée pour contribuer à une éducation, mais il ne peut pas y avoir de solidarité dans le régime des expulsions, des éloignements et des peines de justice entre enfants et parents.

Votre amendement n’est ni proportionnel, ni constitutionnel, ni conventionnel et il ne respecte en aucun cas l’État de droit : j’imagine que vous l’avez déposé par provocation.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). La tradition juridique française distingue les actes des mineurs de la situation des parents et de l’éventuelle fratrie. L’amendement ne respecte pas, entre autres, le principe d’individualisation des peines.

Je ne sais pas d’où provient votre estimation du pourcentage de jeunes gens issus de l’immigration parmi ceux qui ont commis des délits lors des révoltes urbaines. En France, on ne peut fort heureusement pas produire de telles statistiques, et je vous rappelle que ces jeunes gens sont français ; parmi nous et même parmi vous, un tiers des Français comptent un grand-parent qui n’est pas né en France.

M. Yoann Gillet (RN). Monsieur le ministre, je vous remercie de votre aveu : votre vision, celle du Gouvernement, et la nôtre, celle des Français, sont en effet très différentes. Nous défendons une grande fermeté, voulue par nos compatriotes, alors que vous choisissez le laxisme et le laisser-faire, qui ne cessent d’aggraver la situation dans notre pays.

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est vous qui incarnez le laxisme, quand vous souhaitez supprimer toute responsabilité des patrons qui embauchent des personnes en situation irrégulière dans les circonscriptions viticoles : rappelons l’amendement que vous avez défendu hier à ce sujet ! C’est vous qui incarnez le laxisme, quand vous refusez que les patrons donnent aux étrangers les moyens d’apprendre le français, puisque vous ne faites aucune différence entre les personnes en situation irrégulière et celles en situation régulière dans les contrats d’entreprise – vous avez peut-être, en la matière, des intérêts particuliers à défendre, puisque vous avez dit que vous embauchiez des étrangers en situation irrégulière dans les entreprises de votre circonscription. Vous pouvez donc garder vos leçons de laxisme ; privilégiez plutôt le dépôt d’amendements plus réfléchis.

La différence entre vous et nous porte sur le sérieux. Votre amendement vise à éloigner les parents étrangers d’un enfant ayant commis un crime ou un délit ; imaginons une famille de deux parents et de deux enfants : l’un des parents est étranger, l’autre est français, l’un des enfants a commis un fait grave, l’autre non. Votre dispositif ne peut trouver aucune application : vous n’allez pas éloigner l’un des deux parents et l’un des deux enfants. Vous proposez n’importe quoi, donc gardez vos leçons politiques et juridiques. Vous n’êtes de toute évidence pas prêts à exercer le pouvoir, vous êtes tout juste prêts à faire un tract.

Nous verrons bien votre vote sur les articles 9 et 10 : êtes-vous d’accord pour que la loi française, indépendamment de la réforme de la Constitution et de la CEDH, permette d’éloigner des étrangers délinquants ? Le Rassemblement national pratique la politique du pire : vous n’avez jamais soutenu les textes européens visant à lutter contre les étrangers terroristes, pas plus que la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République ou les autres textes de fermeté que propose le Gouvernement de la République, car vous ne souhaitez pas que nous apportions des solutions aux problèmes qui nourrissent le Rassemblement national. Voilà où réside la différence entre nous ! Vous en restez à l’incantation, vous n’êtes manifestement pas prêts à exercer le pouvoir – ce qui est une bonne nouvelle pour la République – et vous vous opposez par principe à toutes nos propositions.

Les articles 9 et 10 comportent des dispositions concrètes, fermes et difficiles, quand vous proposez des mesures venues du cyberespace juridique, impossibles à déployer. Faites attention : regardez ce qui est arrivé aux conservateurs britanniques qui ont promis le Brexit, à Mme Giorgia Meloni lorsqu’elle a dit qu’elle n’avait pas besoin de l’Europe et qu’elle allait imposer un blocus naval, et à vos amis polonais qui voulaient sortir des traités européens avant d’effectuer une piteuse marche arrière et de perdre les élections : quand votre famille politique arrive aux responsabilités, elle fait n’importe quoi.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL1432 de Mme Stella Dupont

Mme Stella Dupont (RE). Ce texte cherche à sortir de l’hypocrisie et à adopter des mesures efficaces pour simplifier les procédures, faire preuve de fermeté en matière d’expulsions et régulariser les sans-papiers exerçant un métier en tension.

L’amendement vise à mieux cibler la délivrance, actuellement très large, des OQTF, afin de les rendre plus effectives. Je propose de ne plus délivrer d’OQTF à l’encontre des étrangers pour lesquels il n’existe aucune perspective réelle d’éloignement du fait de leur situation personnelle et familiale ou du contexte diplomatique et géopolitique de leur pays d’origine : ces décisions d’OQTF les placent dans une situation très instable, dans laquelle ils ne sont ni régularisables, ni expulsables.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Je comprends votre intention, qui vise à protéger l’étranger pour lequel il n’existe aucune perspective réelle d’éloignement du fait de sa situation personnelle et familiale ou du contexte diplomatique et géopolitique.

La rédaction de l’alinéa 5 de l’article exclut déjà les décisions d’OQTF pour les étrangers que l’on n’éloigne pas en raison de leur vie privée. Cet alinéa participe fortement à l’équilibre de l’article. S’agissant de la seconde raison justifiant l’absence d’éloignement, je ne partage pas l’idée de protéger des OQTF les étrangers venant d’un pays qui délivre trop peu de laissez-passer consulaires : cela créerait une inégalité d’appréciation liée au comportement diplomatique d’un pays étranger, alors que l’appréciation doit se faire au cas par cas. L’exécution constitue un autre sujet sur lequel le ministère de l’intérieur et celui des affaires étrangères travaillent en profondeur pour obtenir, dans le cadre des bonnes relations que nous entretenons avec l’ensemble des pays, des laissez-passer consulaires suffisants. En revanche, protéger les étrangers en ne prononçant pas à leur encontre des décisions d’OQTF parce que leur pays d’origine refuse de se montrer coopératif instaurerait une inégalité de traitement.

J’émets un avis défavorable à l’adoption de l’amendement.

Mme Stella Dupont (RE). Si la requête d’un demandeur d’asile afghan est déboutée, le contexte particulier de son pays rend pratiquement impossible son expulsion : ce sont ces cas-là que l’amendement vise ; nous n’avons aucun intérêt à favoriser les détournements de notre politique et les refus de laissez-passer consulaires. Je souhaite simplement que nous ciblions davantage la délivrance des OQTF, car des personnes se trouvent réellement dans une situation où elles ne sont ni expulsables, ni régularisables. Il convient de sortir de ce no man’s land administratif, et je propose un moyen d’avancer dans cette voie.

M. Gérald Darmanin, ministre. Nous ne pratiquons pas la politique de tolérance envers les personnes ni expulsables, ni régularisables ; en Allemagne, cette politique, la Duldung, autorise les personnes à travailler même si elles sont en situation irrégulière lorsqu’elles ne sont pas expulsables – ce qui permet notamment de vérifier leur identité. Peut-être qu’une telle disposition manque dans le droit français. L’OQTF peut remplir néanmoins le même rôle : ne soyons pas hypocrites, nous savons que des décisions d’éloignement sont prononcées pour vérifier l’identité d’une personne sans savoir si celle-ci pourra retourner dans son pays – en effet, il se peut que la France n’ait plus de relations diplomatiques avec celui-ci, ce qui est le cas avec la Syrie et l’Afghanistan. Cette tolérance, qui existe dans de nombreux pays voisins, consiste à n’éloigner l’étranger que lorsque les relations diplomatiques sont rétablies avec son pays d’origine. Nous appelons cela une assignation au report, que nous traduisons par une décision d’OQTF, quand nos voisins appellent ce mécanisme la tolérance. Nous avons décidé de ne pas introduire un tel dispositif dans le texte, parce que les Allemands songent à l’abandonner car il pose des problèmes complexes et parce que certains auraient dit qu’il visait à cacher la vérité en cassant le thermomètre.

Là où je suis moins d’accord avec vous, madame Dupont, c’est qu’un Afghan enfermé dans une prison ou dans un centre de rétention administrative (CRA) peut retourner dans son pays. Il y a quelques semaines, un Afghan, partisan des talibans et condamné pour terrorisme, a quitté de lui-même la France pour repartir en avion en Afghanistan – s’il n’est plus possible de l’enfermer, je préfère qu’un individu comme lui retourne dans son pays. En outre, laissez l’administration et le juge se prononcer : la première n’est ni bête, ni méchante, et le second statue, en cas de recours, en appréciant la vie privée et familiale de la personne, les possibilités diplomatiques de son éloignement et, évidemment, sa dangerosité. Le droit actuel empêche tout recours du ministère devant le juge pour éloigner l’étranger ; tout le monde me disait que nous ne pouvions pas expulser Hassan Iquioussen, mais nous y sommes parvenus car nous avons réussi à prouver qu’il avait des liens de vie avec le Maroc.

Je comprends votre préoccupation, que nous ne pouvons néanmoins pas traduire dans le texte pour les raisons que je viens d’exposer.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL826 de Mme Edwige Diaz

Mme Edwige Diaz (RN). Nous contestons une disposition de l’article offrant la possibilité de limiter l’expulsion d’étrangers ayant fait l’objet d’une OQTF. Nous ne pouvons pas nous permettre, dans le contexte actuel, de restreindre l’exécution des OQTF. Un livret de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) de cette année, intitulé « Immigration : comment font les États européens ? », contient une partie dont le titre est « Les obligations de quitter le territoire : un échec français » – j’aurais plutôt écrit « un échec des différents ministres de l’intérieur ». Les chiffres sont éloquents : entre 2015 et 2021, la France s’est montrée le cancre du classement européen, en exécutant seulement 12 % des décisions d’OQTF. Vous passez votre temps à nous donner des leçons, monsieur Darmanin, quand nous souhaitons humblement vous rappeler à votre bilan.

M. Philippe Pradal, rapporteur. L’avis est défavorable : l’amendement vise à supprimer l’alinéa 5, qui fait l’équilibre de l’article.

Mme Laure Miller (RE). Le groupe Renaissance est très attaché aux articles 9 et 10, qui sont particulièrement importants. Les gouvernements successifs ont organisé une forme d’impuissance depuis quelques décennies, en introduisant un nombre considérable de protections qui empêchent même de se poser la question de l’exécution de l’OQTF. Ces deux articles visent donc à lever ces protections sans déséquilibrer l’ordre des choses : l’État de droit, dont parle constamment la gauche transformée en Conseil constitutionnel, est parfaitement respecté, puisqu’un équilibre est ménagé entre le respect de la vie privée et familiale et la nécessité de sauvegarder l’ordre public. Le débat ne porte pas sur les OQTF, mais sur l’éloignement des délinquants étrangers.

M. Gérald Darmanin, ministre. Madame Diaz, vous souhaitez supprimer l’alinéa 5 de l’article 10 car vous êtes gênée que nous obtenions l’expulsion et l’éloignement des étrangers délinquants ; vous voulez déséquilibrer le dispositif afin que le Conseil constitutionnel le censure et que vous puissiez dire que le Gouvernement est incapable d’éloigner cette population. Comme je viens de le dire à Mme Dupont, faites confiance à l’administration, aux préfets, aux fonctionnaires de la République, aux policiers et aux gendarmes – je sais que c’est difficile pour vous. Les fonctionnaires apprécient les situations au cas par cas. Un juge ne fera évidemment pas procéder à l’éloignement d’une personne arrivée à l’âge de 6 mois sur le territoire national, qui commet un crime ou un délit à 75 ans – cela se produit, notamment dans le domaine des violences intrafamiliales –, dont les enfants sont français et dont toute la vie s’est déroulée ici : autant ne pas encombrer les tribunaux, la préfecture ne prendra pas de décision d’OQTF. Voilà ce qu’implique l’alinéa 5.

Cessez de caricaturer le texte et répondez à la question fondamentale qu’il pose : souhaitez-vous résoudre une partie des difficultés que crée la loi française ? Soit vous choisissez la politique du pire et vous votez contre le projet de loi, soit vous acceptez de faire un pas très important pour la sécurité de nos concitoyens, dans le respect des étrangers qui suivent les lois et les valeurs de la République, et vous votez pour le texte, qui se conforme à l’État de droit et qui déploie une politique de fermeté. Vous pouvez privilégier la déstabilisation du texte pour que le Conseil constitutionnel le censure, mais je constate que vous n’avancez aucune proposition alternative : le Rassemblement national ne propose rien, il se contente de déposer des amendements de suppression d’alinéa ou d’article – votre seule idée est de protéger les patrons qui embauchent des étrangers en situation irrégulière dans vos circonscriptions.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 10 non modifié.

En conséquence, l’amendement CL1141 de M. Sébastien Peytavie tombe.

Article 10 bis (nouveau) (art. L. 612‑6‑ et L. 613‑9 [nouveau] du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Augmentation à dix ans de la durée maximale d’une interdiction de retour en cas de menace grave pour l’ordre public

Amendements de suppression CL1714 de M. Philippe Pradal, CL908 de M. Boris Vallaud et CL1184 de M. Davy Rimane

M. Philippe Pradal, rapporteur. Nous souhaitons supprimer l’article 10 bis, car il est mal positionné dans le texte ; son dispositif sera repris par l’excellent rapporteur Ludovic Mendes à l’article 18.

Mme Marietta Karamanli (SOC). Cet article, qui résulte d’un amendement du Gouvernement adopté par le Sénat, pose de nombreux problèmes : il tend à aggraver la situation des étrangers sous le coup d’une OQTF et il augmente la durée de l’interdiction de retour sur le territoire français. En outre, il place sur le même plan l’étranger qui présente une menace pour l’ordre public et celui qui peut se soustraire à l’exécution de la décision d’éloignement. Nous craignons une généralisation de cette mesure. Voilà pourquoi nous souhaitons supprimer l’article 10 bis.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Je donne un avis favorable à l’amendement de suppression que vient de présenter Mme Karamanli, puisqu’il est identique au mien.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Je souscris aux propos de ma collègue Karamanli. Mme Miller a affirmé que les députés de la NUPES aimaient rappeler les exigences de l’État de droit : en effet ! J’avoue être surpris par la teneur de cette intervention, prononcée sur le ton d’un quasi-reproche ; nous devrions tous être préoccupés par le respect de l’État de droit et de la Constitution. Nous considérons qu’une loi ne doit être ni un texte inutilement bavard, ni un tract destiné à contenter la droite radicalisée et l’extrême droite, mais qu’il doit au contraire s’attacher à respecter les principes précieux qui fondent notre République : s’il faut continuer à les défendre envers et contre vous, nous le ferons.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Depuis 1995, le Parlement vote des lois qui serrent la vis, durcissent le droit des exilés et des immigrés qui se trouvent dans notre pays : leurs droits reculent et leur expulsion est facilitée, mais rien ne change. En effet, l’exécution des OQTF rencontre de grands obstacles. C’est comme la surenchère pénale : la loi est de plus en plus sévère, mais cette politique ne fonctionne pas ; elle est en revanche poursuivie par pure démagogie.

Mme Laure Miller (RE). Monsieur Lucas, nous sommes effectivement très attachés à l’État de droit ; le ministre de l’intérieur le rappelle d’ailleurs souvent, notamment lorsqu’il répond aux députés du Rassemblement national qui, pour le coup, traitent notre État de droit comme un paillasson. En revanche, le respecter ne signifie pas se substituer au Conseil constitutionnel et au Conseil d’État : ce dernier a estimé que les articles 9 et 10 du projet de loi étaient parfaitement conformes au bloc de constitutionnalité.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article 10 bis est supprimé et les autres amendements se rapportant à l’article tombent.

Article 11 (art. L. 331‑2 et L. 813‑10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Relevé des empreintes digitales et prise de photographie
d’un étranger sans son consentement

Amendements de suppression CL778 de Mme Élisa Martin, CL909 de M. Boris Vallaud, CL1043 de M. Benjamin Lucas et CL1185 de Mme Emeline K/Bidi

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). L’article 11 a pour objet d’autoriser le recours à la coercition pour le relevé des empreintes digitales et la prise de photographie des étrangers en séjour irrégulier ou contrôlés à l’occasion de leur franchissement de la frontière, alors qu’ils ne satisfont pas aux conditions d’entrée sur le territoire. La logique est de réduire les droits de ces personnes. Le dispositif peut sembler anodin, mais il ne l’est pas, car il est inédit. Cet article criminalise la présence des réfugiés et des exilés et abaisse leurs droits, démontrant ainsi le caractère nettement xénophobe du projet de loi.

Mme Marietta Karamanli (SOC). Nous souhaitons supprimer l’article, car il autorise le relevé des empreintes d’un étranger en situation irrégulière sans le consentement de celui-ci. Vulnérables, ces personnes ignorent très souvent leurs droits et risquent de souffrir d’abus massifs sans l’assistance d’une association ou d’un avocat – le texte devrait prévoir leur présence et préciser la possibilité pour les individus de contester la mesure qui leur est imposée.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Mes collègues Martin et Karamanli ont, comme à leur habitude, parfaitement dit les choses.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Au fur et à mesure de ces textes, des caps sont franchis, ici dans la coercition : il faut faire obstacle à cette évolution. L’article vise à criminaliser les étrangers. Sa rédaction précise que le recours à la contrainte ne peut concerner qu’un étranger « manifestement âgé d’au moins dix-huit ans » : elle pose un problème d’atteinte à la liberté des enfants, car elle renforce le pouvoir des policiers qui auront à juger de la minorité ou de la majorité de l’étranger ; des enfants – potentiellement – seront contraints, sans contrôle préalable du juge, d’être photographiés et de se soumettre au relevé de leurs empreintes digitales. Je lance une alerte rouge sur cet article.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Le dispositif de l’article 11 est utile et nécessaire. Il convient de ne pas lui attribuer des intentions, une portée et des mots qui ne sont pas les siens. Le Conseil d’État n’a formulé aucune observation sur cet article, ce qui signifie que sa rédaction initiale ne soulevait aucune difficulté juridique ou d’opportunité. Le recours à la contrainte pour relever des empreintes en cas de refus est nécessaire pour s’assurer de l’identité de la personne et de sa nationalité : sans cela, nous privons les agents de police, qui portent la voix de la République dans ces situations, d’éléments permettant de vérifier les affirmations des étrangers et d’établir la vérité. Je suis de toute façon un peu gêné d’entendre que la clandestinité devrait être entourée de droits protecteurs supérieurs à ceux d’une situation officielle.

Avec Florent Boudié, rapporteur général, nous avons déposé plusieurs amendements visant à modifier l’encadrement du dispositif et à apporter des garanties procédurales à son bon fonctionnement.

Je rappelle enfin que c’est le droit de l’Union européenne, auquel on attribue de nombreux maux, qui a mis en place cette mesure.

M. le président Sacha Houlié. L’article vise à transposer, avant son adoption, le pacte européen sur la migration et l’asile, voté par le Parlement européen à une très large majorité, composée des groupes Renaissance – Renew Europe –, Parti populaire européen (PPE), mais également Alliance progressiste des socialistes et démocrates. Ce pacte prévoit la prise des empreintes de toute personne pénétrant dans le territoire de l’Union européenne.

M. Gérald Darmanin, ministre. L’article 11 prévoit d’autoriser le recours à la coercition pour prélever les empreintes d’une personne, afin de connaître son identité – c’est indispensable pour lutter contre l’immigration irrégulière. Il s’agit de donner aux policiers les moyens de faire leur travail.

Refuser de se soumettre au relevé d’empreintes constitue un délit, passible de poursuites pénales. En 2021, 1 872 condamnations ont ainsi été prononcées pour maintien irrégulier sur le territoire et soustraction au relevé d’empreintes. La situation en devient kafkaïenne : la plupart des étrangers concernés souhaitent en effet demander l’asile, ce qui leur imposera de fournir leur identité.

Le groupe de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen a voté le texte relatif au filtrage ; le gouvernement social-démocrate de M. Olaf Scholtz et des Verts l’a fait entrer en vigueur, comme l’Italie, dès avant l’arrivée au pouvoir de Mme Giorgia Meloni, et comme les Pays-Bas, la Grèce, la Norvège et l’Estonie. Il est important que les services de police puissent accomplir ce travail.

Mme Karamanli dénonce l’absence de recours. Le Sénat a imposé plusieurs mesures de protection, notamment l’autorisation préalable du procureur de la République. En outre, ce sont des policiers et des gendarmes qui relèvent les empreintes, pas des délinquants ; ils sont formés et agissent sous l’autorité des magistrats.

La commission rejette les amendements.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l'amendement CL1590 de M. Philippe Brun.

Amendements CL1243 de M. Laurent Marcangeli et CL453 de M. Laurent Jacobelli (discussion commune)

M. Henri Alfandari (HOR). L’amendement CL1243 vise à rétablir la rédaction initiale de l’article 11 telle que présentée par le Gouvernement. Il s’agit de prendre les empreintes des personnes. Nous sommes quand même en droit de savoir qui se trouve sur le territoire, et nous devons avoir les moyens d’assurer un suivi. Il ne sert à rien d’alourdir la procédure.

M. Laurent Jacobelli (RN). Nous sommes confrontés à une vague migratoire, or notre droit n’est pas adapté. Nous devons identifier celles et ceux qui traversent nos frontières – c’est une question de sécurité. Pour cela, il faut que les forces de l’ordre puissent procéder aux contrôles nécessaires, donc prendre les empreintes digitales et des photographies d’identité. L’article prévoit qu’en cas de refus de l’étranger, le policier devra demander l’autorisation du procureur de la République pour l’y contraindre, et qu’on ne peut forcer un mineur. Ces garanties sont suffisantes. La présence de l’avocat rend une procédure banale démesurément compliquée. Ne perdons pas de vue la seule priorité pertinente : protéger la France et les Français.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Avis favorable à l’amendement CL1243. Je suggère le retrait de l’amendement CL453, qui vise le même objectif ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Pour protéger le France et les Français, il faut faire respecter le droit, préserver l’égalité en droit.

L’article 11 joue déjà avec le principe de la présomption d’innocence ; vous voulez supprimer le recours à l’avocat, qui constitue un droit essentiel. C’est bien la preuve qu’au Rassemblement national, on ne protège que soi-même.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je suis favorable à l’amendement CL1243, qui vise à simplifier la procédure. Je précise à ceux qui dénoncent l’obligation d’obtenir l’autorisation du procureur et la présence de l’avocat, que ces éléments ont été ajoutés par le Sénat. De fait, il serait compliqué qu’un avocat assiste à chaque contrôle d’identité.

La commission adopte l’amendement CL1243.

En conséquence, l’amendement CL453 tombe.

Amendement CL1045 de M. Benjamin Lucas

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Si j’ai bien entendu, le rapporteur vient de nous expliquer que les amendements du groupe Horizons et apparentés visaient les mêmes objectifs que ceux du groupe Rassemblement national : c’est instructif. La majorité avait promis un texte équilibré, faisant preuve à la fois d’humanité et de fermeté. En réalité, elle s’aligne trop souvent sur la droite radicalisée, qui elle-même s’aligne sur l’extrême droite. C’est inquiétant, pour la démocratie et pour les valeurs de la République.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Avis défavorable.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avant l’examen en séance, je préciserai combien d’amendements identiques à des amendements du groupe Rassemblement national votre groupe aura déposés au total. Leur nombre est important.

M. le président Sacha Houlié. Je le confirme, et je le déplore.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Vous pouvez tenter toutes les manœuvres et tous les coups de communication que vous voudrez. Je n’ai jamais eu le moindre objectif en commun avec l’extrême droite – au contraire. La question des migrations est particulièrement sensible ; elle est inscrite dans l’ADN de l’extrême droite de ce pays, or ce n’est pas moi qui partage avec cette dernière des propositions dans ce domaine. Vous avez raison, les Françaises et les Français pourront le constater lors de l’examen en séance.

Monsieur le rapporteur, j’invite seulement à ne pas dire que vous partagez les mêmes objectifs que le Rassemblement national – surtout, à ne pas agir en ce sens. Le Président de la République a été élu et réélu pour faire barrage à Mme Le Pen.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Vous êtes trop fin et trop avisé pour ne pas saisir la distinction : j’ai dit que l’amendement de M. Jacobelli visait le même objectif que l’amendement de M. Marcangeli. Cela n’implique pas que les signataires des amendements partagent la même idéologie.

Nous avons adopté à l’instant des amendements de suppression de l’article 10 bis, que nous avons soutenus ensemble : nous visions le même objectif, mais certainement pas parce que nous partageons la même idéologie. Sur des motions de censure en particulier, il est arrivé que se mêlent des voix de députés qui ne partageaient pas les mêmes objectifs.

M. le président Sacha Houlié. J’irai plus loin. Vous affirmez, monsieur Lucas, n’avoir jamais partagé d’objectif avec le Rassemblement national, or il en existe au moins un : faire tomber le Gouvernement. Vous l’avez d’ailleurs assumé plusieurs fois.

La commission rejette l'amendement.

Amendement CL1337 de M. Emmanuel Mandon

M. Erwan Balanant (Dem). Nous estimons que les garanties sont suffisantes. Néanmoins, pour protéger les personnes, ainsi que pour assurer un suivi de la santé de ceux qui entrent dans notre territoire, et parfois ainsi gagner du temps, nous proposons que l’étranger concerné puisse être examiné par un médecin, à sa demande ou à celle de son avocat. Cette mesure permettrait d’établir un bilan médical et de dispenser immédiatement les soins nécessaires. Dans le domaine de la santé, la prévention permet souvent de faire des économies.

M. Philippe Pradal, rapporteur.  L’article L. 813-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) prévoit déjà la présence d’un médecin.  Il ne nous semble pas utile de l’ajouter à l’article L.813-10, qui porte sur une opération brève et peu contraignante. Je vous invite donc à retirer votre amendement.

M. Erwan Balanant (Dem). Cela signifie que le dispositif prend place dans une procédure globale qui assure déjà les mesures de protection nécessaires.

L’amendement est retiré.

Amendements CL1064 de Mme Francesca Pasquini et CL779 de Mme Danièle Obono (discussion commune)

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). L’article 11 autorise le recours à la coercition pour relever les empreintes des personnes en situation irrégulière ou qui franchiraient la frontière, et pour prendre leur photographie. Or, cette mesure porte atteinte à plusieurs droits fondamentaux : l’inviolabilité du corps humain, la liberté individuelle, la dignité de la personne, les droits de la défense.

Afin d’exclure les mineurs, le Sénat a précisé que le recours à la contrainte « ne peut concerner qu’un étranger manifestement âgé d’au moins dix-huit ans ». Or, cette garantie est très insuffisante, car elle prévoit une appréciation subjective de la minorité, permettant aux officiers de police judiciaire (OPJ) de se prononcer de manière hâtive et arbitraire. La Défenseure des droits l’a expliqué, il serait impossible d’assurer que la mesure ne concernera pas des personnes se disant mineurs non accompagnés (MNA), donc de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant.

À défaut de supprimer l’article 11, assurons-nous d’empêcher le recours à la coercition sur les mineurs.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Nous nous opposons au recours à la coercition pour relever les empreintes digitales et prendre des photographies, en particulier pour les mineurs. Le présent amendement tend donc à supprimer le mot « manifestement », pour retirer toute latitude éventuelle dans l’appréciation de la minorité. Nous le répétons, ce texte ne va pas dans le bon sens ; il exprime une suspicion généralisée envers les étrangers, qui touche même les enfants. La Macronie, la droite et l’extrême droite s’associent contre l’État de droit : elles ont voté main dans la main un amendement visant à priver les étrangers de la présence d’un avocat.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Le projet de loi ratifiant l’ordonnance du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs, dont M. Jean Terlier était le rapporteur, a déjà introduit ce dispositif, à l’article L. 413-17 dudit code. Il s’applique dans des circonstances comparables. Il n’y a aucune violation de l’État de droit.

M. Erwan Balanant (Dem). Lorsque j’ai défendu un amendement visant à prévoir un examen médical, le rapporteur m’a montré que le texte respectait les principes de notre droit. Il est inutile d’agiter des chiffons rouges : toutes les garanties habituelles en cas d’exercice d’une contrainte sont prévues. Si tel n’était pas le cas, le Conseil constitutionnel censurerait, à coup sûr, le texte.

Les Français ne sont pas inquiets parce qu’il y aurait trop d’étrangers ; ils veulent seulement des procédures justes, humaines et efficaces.

M. Florent Boudié, rapporteur général. On ne peut pas complètement travestir la réalité, Monsieur Lucas. Vous vous contentez de reprendre l’argument du Syndicat de la magistrature (SM), qui défend des opinions particulières. Le Conseil d’État, qui est lui impartial et indépendant, a visé ces dispositions, au regard des exigences de l’État de droit et de la Constitution. Il n’a rien trouvé à y redire. Je vous renvoie à son avis : nous ne trahissons aucunement les libertés publiques.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Ce texte ne respecte pas vraiment l’État de droit. Lorsque vous avez défendu l’amendement 1337, monsieur Balanant, vous avez évoqué l’avocat de la personne concernée. Or, la présence d’un avocat venait d’être supprimée par la Macronie, la droite et l’extrême droite. Vous n’aviez donc pas suivi la discussion, et le rapporteur ne vous a pas repris. Votre amendement ne mentionnait pas l’avocat, mais vous l’avez évoqué, parce que instinctivement, vous estimiez que sa présence était nécessaire.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). On peut être en désaccord avec vous, monsieur le rapporteur général, sans travestir la réalité. Depuis lundi, le ministre et vous-mêmes répondez à des questions que nous n’avons pas posées et objectez à des arguments que nous n’avons pas avancés. Personne n’a dit que ce texte mettait en cause tous les principes de l’État de droit – même s’il en attaque beaucoup. Les principes comptent, comme les symboles et l’État de droit. Il était particulièrement déplacé de vous en prendre au Syndicat de la magistrature. Oui, nous respectons la parole des organisations syndicales, comme on a pu le constater pendant la réforme du système des retraites, car nous croyons que les corps intermédiaires contribuent au bon exercice de la démocratie. Je ne suis ni constitutionnaliste, ni juriste ; j’écoute les professionnels du droit et je suis fier d’exprimer ici certaines de leurs revendications.

Mme Marie Guévenoux (RE). Les amendements en discussion tendent à garantir la vérification de la majorité de personnes qui n’ont pas de documents d’identité : c’est absurde. Adopter ces amendements irait à l’encontre de l’objectif recherché, puisque cela supprimerait la mesure de protection des mineurs. « Manifestement », signifie « à l’évidence ».

M. Gérald Darmanin, ministre. Il est évident que la rédaction protège les mineurs. Comme je l’ai expliqué, nous réfléchissons avec le garde des sceaux, sous l’autorité des magistrats, à créer des procès-verbaux (PV) de constatation de majorité ou de minorité. L’expérience est menée à Bordeaux. Il est facile de reconnaître un majeur quand on est devant une personne qui mesure 1,90 mètre et porte une grande barbe, et qui a déjà été interpellée plusieurs fois, notamment trois ou quatre ans auparavant, avec le même signalement. Dans ce cas, le policier ou le gendarme établit un PV de constatation, le soumet au procureur de la République, qui le soumet au juge, qui constate que la personne est majeure, ou mineure. Il faut faire confiance aux policiers et aux gendarmes, qui agissent toujours sous l’autorité d’un magistrat. Bien entendu, il est possible de contester devant le juge.

La mesure ne contredit en rien l’État de droit. Il faut combattre les abus, et vous ne servez pas la cause des mineurs en vous y refusant.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL1715 de M. Philippe Pradal

M. Philippe Pradal, rapporteur. Il vise à préciser qu’est établi un procès-verbal du relevé d’empreintes sans consentement.

La commission adopte l’amendement.

La commission adopte l’article 11 modifié.

Après l’article 11

Amendement CL961 de M. Andy Kerbrat

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Il vise à revenir au droit en vigueur avant la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, qui a porté à vingt-quatre heures la durée pendant laquelle on peut retenir un étranger pour vérifier son droit de séjour. C’est une atteinte à la liberté.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Avis défavorable. Le Conseil constitutionnel a jugé que la mesure était équilibrée.

La commission rejette l'amendement.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement CL959 de Mme Danièle Obono.

Article 11 bis (Article nouveau-supprimé non transmis par le Sénat)

Amendement CL509 de M. Sébastien Chenu

M. Jordan Guitton (RN). Monsieur le ministre, vous nous accusez de ne pas avoir de propositions : en voilà une. Et puisque vous prônez la fermeté, vous devriez y être favorable.

Le présent amendement vise à rétablir l’article 11 bis, donc à doubler les peines qu’encourt toute personne suspectée d’avoir commis une infraction qui refuse de se soumettre à des prélèvements, au relevé d’empreintes digitales ou à la prise de photographies autorisés par le procureur de la République ou par le juge d’instruction. Il faut faciliter le travail des forces de l’ordre. Surtout, nous devons nous montrer fermes.

Je vous invite à lire le livret Contrôler l’immigration de Marine Le Pen, bien plus complet que votre énième texte sur l’immigration, qui ne servira à rien. Depuis que vous êtes ministre de l’intérieur, 500 000 personnes environ entrent chaque année dans notre pays. Vous n’avez pas de leçons à nous donner dans ce domaine – d’ailleurs, les Français nous font plus confiance qu’à vous pour nous en occuper.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Avis défavorable. Doubler les peines les porterait au même niveau que celles prévues pour dissimulation forcée du visage d’un mineur ou pour proposition sexuelle sur internet à un mineur : il faut conserver l’équilibre.

M. Gérald Darmanin, ministre. Avis défavorable. L’amendement tend à rétablir l’article 11 bis, introduit par la commission des lois du Sénat, mais que le Sénat lui-même n’a pas voté lors de son examen en séance publique. En effet, l’article 11 introduisant une coercition, il n’est plus nécessaire de prévoir des peines.

Vous prétendez que le texte ne servira à rien, mais les membres de votre groupe défendent des amendements visant à le renforcer, ce qui vous contredit.

La commission rejette l'amendement.

Article 11 ter (nouveau) (art. L. 142‑3‑1 [nouveau] du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Création d’un fichier relatif aux personnes se déclarant mineures impliquées dans des infractions à la loi pénale

Amendements de suppression CL1716 de M. Philippe Pradal, CL782 de M. Thomas Portes, CL911 de M. Boris Vallaud, CL1039 de M. Benjamin Lucas, CL1186 de Mme Elsa Faucillon, CL1329 de M. Erwan Balanant et CL1565 de Mme Laure Miller

M. Philippe Pradal, rapporteur. L’article 11 ter prévoit la création d’un fichier spécifique pour les MNA délinquants. Le rapporteur général et moi-même vous proposons de le supprimer. En effet, le fichier d’appui à l’évaluation de la minorité (AEM) contient déjà les informations qui les concernent, et il n’existe pas de condition d’âge à l’inscription au fichier de traitement d’antécédents judiciaires (TAJ).

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Créer un fichier spécifique aux mineurs, contenant photographies et empreintes, relève encore une fois de la surveillance généralisée.

S’agissant de complaisance avec l’extrême droite, je rappelle que ce ne sont pas les députés de la NUPES qui ont élu deux vice-présidents d’extrême droite. Et c’est vous, monsieur le ministre, dans la déclaration du Gouvernement relative à la politique de l’immigration, qui avez cité à la tribune Jacques Bainville, historien de l’Action française, mouvement antisémite – le compte rendu le prouve.

M. Gérald Darmanin, ministre. Il n’était pas de l’Action française !

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Si, absolument !

M. Gérald Darmanin, ministre. J’ai aussi cité Aragon !

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). La question des fichiers est sensible. Il existe déjà des fichiers, qui rendent cette disposition inutile, à moins qu’il ne s’agisse d’établir une liste des jeunes hommes mesurant 1,90 mètre et portant une barbe, pour abonder les nouvelles vidéosurveillances par intelligence artificielle (IA), dont l’intelligence, toute relative, est nourrie par des stéréotypes.

La Défenseure des droits souligne que le présent article porte une atteinte majeure et disproportionnée au respect de la vie privée et qu’il stigmatise injustement des mineurs.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Quand on s’appelle Elsa, on ne peut laisser placer Bainville à égalité avec Aragon – ils n’ont pas laissé le même héritage.

L’amendement CL1186 vise à supprimer l’article 11 ter, qui concourt à jeter la suspicion sur les mineurs non accompagnés, plutôt qu’à se précipiter pour les protéger. Je profite de l’occasion pour vous interpeller sur la manière dont ces jeunes sont trop souvent traités.

M. Erwan Balanant (Dem). Nous demandons la suppression de cet article, gênant dans sa rédaction. Il évoque les mineurs « à l’encontre desquels il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’ils aient pu participer, comme auteurs ou complices, à des infractions à la loi pénale » : on est à la limite de la présomption de culpabilité. En outre, le TAJ existe déjà.

Mme Laure Miller (RE). Pas grand-chose ne va dans cet article. Il ne précise pas qu’il vise les mineurs étrangers : on se demande pourquoi l’insérer dans le Ceseda. On ne sait pas davantage ce qu’il vient faire dans ce projet de loi. De toute évidence, il s’agit d’un cavalier législatif. Enfin, il existe le fichier TAJ. Nous demandons donc la suppression de l’article.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Avis favorable.

Mme Edwige Diaz (RN). Cet article n’introduit ni discrimination, ni surveillance généralisée. Il vise à protéger les Français. En voyant que les macronistes et la NUPES ont déposé des amendements de suppression, ces derniers pourront se dire qu’il est heureux que le Rassemblement national pense à leur sécurité. Selon les sondages, 60 % des Français se sentent en insécurité et 80 % ont peur pour la sécurité de leurs enfants – mais vous en faites peu de cas. De plus, une large suspicion de fraude entoure le statut des MNA. En 2020, ils ont commis 30 % des cambriolages : nous considérons qu’il faut maintenir cet article.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Il faut garder raison. Personne ne dit que tous les MNA sont des délinquants, mais il est évident qu’ils sont surreprésentés parmi les auteurs d’actes de délinquance. En 2020, selon la justice, ils étaient responsables de 30 % des cambriolages à Paris, de 44 % des vols à la tire, de 32 % des vols avec violence. Enfin, 80 % des mineurs déférés étaient non accompagnés. Il existe donc un vrai problème. Le fichier introduit par nos collègues sénateurs a l’avantage de permettre à l’aide sociale à l’enfance (ASE) de savoir avec qui les mineurs placés sous leur protection pourraient se retrouver dans les structures d’accueil. J’appelle votre attention sur cette question, puisque nous risquons de ne pas discuter l’amendement CL480 de M. Pauget.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). J’entends les chiffres de la surreprésentation des MNA parmi les délinquants répétés ad nauseam. En exclusivité : c’est dans les populations pauvres qu’on arrête le plus ! Si nous voulions changer les choses, et les chiffres, l’accompagnement des mineurs concernés pourrait constituer une solution. J’ajoute que les pauvres ne sont pas seuls à commettre des actes de délinquance. Ainsi, un grand parti politique a détourné 6 millions d’euros d’argent public, des ministres ont fourni des emplois fictifs, et trop d’accusations pèsent sur les membres du Gouvernement pour toutes les citer.

En se limitant aux chiffres de la petite délinquance, on peut certes diffuser des préjugés et faire monter la xénophobie, et toujours stigmatiser, sans jamais s’attaquer aux véritables problèmes de la France.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Pour nous, l’enjeu n’est pas la protection des Français : nous ne pratiquons pas cette fausse préférence nationale.

C’est notre organisation de l’accueil qui ne fonctionne pas s’agissant de jeunes gens qui arrivent en France par leurs propres moyens, dans des conditions très difficiles, voire traumatisantes. On a confié aux départements la protection de l’enfance ; peut-être faut-il leur accorder les moyens nécessaires pour agir correctement. Mais, bien sûr, ce n’est pas d’actualité, puisque nous suivons une logique d’austérité…

M. Erwan Balanant (Dem). Quand des jeunes sont laissés à la rue, seuls, sans aide, sans moyens de subsistance, il est logique que certains deviennent de petits malfrats, pour survivre. Je ne le pardonne pas, mais notre responsabilité est d’organiser l’action publique pour que cette situation n’existe plus. Contrôler et être efficace, de façon juste et équitable : tel est précisément l’enjeu du texte.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article 11 ter est supprimé et les autres amendements portant sur l’article tombent.

Avant l’article 12

Amendement CL831 de M. Julien Bayou

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Il vise à abroger le titre IV du livre VII du Ceseda, relatif à la rétention administrative. Les visites de centres de rétention administrative (CRA) montrent que les tentatives de suicide, les actes d’automutilation, les humiliations et les violences physiques y sont légion, sans parler des mauvaises conditions sanitaires, notamment en période d’épidémie. C’est indigne.

L’enfermement dans ces centres constitue une privation de liberté, ce qui soulève un problème de droit. La directive « retour » précisait que la rétention administrative ne pouvait être qu’exceptionnelle ; l’administration en a presque fait une étape obligatoire du parcours d’éloignement. On pourrait imaginer des assignations à résidence ou des centres ouverts, sur le modèle des maisons de retour belges. De fait, la durée de rétention a quadruplé depuis 1981 : il est temps de mettre fin à ce régime.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Avis défavorable. Les centres et les lieux de rétention administrative sont nécessaires à la politique migratoire que nous voulons conduire. L’article 12 prévoit des aménagements, mais il est impossible de les supprimer.

Mme Edwige Diaz (RN). C’est lunaire ! On nous propose de supprimer les CRA, qui seraient une généralité. Notre pays compte entre 600 000 et 900 000 clandestins, pour moins de 2 000 places disponibles. L’exception, c’est plutôt l’enfermement ! En début de semaine, j’ai visité avec M. Yoann Gillet le CRA de Vincennes, de 200 places environ. Les forces de l’ordre nous ont expliqué que faute de places, seuls des clandestins délinquants y étaient enfermés, et non des personnes ayant fait l’objet d’une décision d’OQTF.

Votre proposition est irresponsable. Vous voulez que l’enfermement soit l’exception, mais vos amis de la Macronie s’y emploient déjà !

M. le président Sacha Houlié. Il est normal de ne trouver que des délinquants au CRA de Vincennes : le Gouvernement a pour politique de n’enfermer que des délinquants, avant de les expulser, et de ne pas enfermer des familles.

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Je vois que Mme Diaz est très à l’aise avec l’idée d’enfermer des innocents. Si vous voulez avoir moins de personnes en situation irrégulière sur le territoire national, votez les amendements de régularisation que nous défendons. Cela concourra à augmenter les salaires de l’ensemble de la population, comme ce fut le cas en 1981. Mais j’observe que vous votez contre toutes les mesures à même de rehausser les salaires des Français.

M. Gérald Darmanin, ministre. La rétention administrative n’a rien de déshonorant. Elle a été instituée par l’ordonnance du 2 novembre 1945, prise par le Gouvernement provisoire de la République française, où siégeaient des communistes. Le CRA en tant que tel a été inventé par un gouvernement de gauche, en 1984, sous la présidence de François Mitterrand. Il fait partie des politiques migratoires de tous les gouvernements. En effet, il est nécessaire de garder sous la main les personnes qui veulent se soustraire aux décisions de reconduite à la frontière.

En revanche, on n’y envoie pas tous les étrangers. Il est d’ailleurs heureux qu’on ne crée pas des places pour 600 000 personnes – aucun pays au monde ne le fait !

Nous ne plaçons en CRA que les gens qui veulent se soustraire à la reconduite à la frontière, sachant que l’essentiel des OQTF se conclut par des départs volontaires. Le passage dans un CRA n’est jamais un moment plaisant dans l’existence, vous avez parfaitement raison sur ce point, monsieur Bayou. Nul ne conteste que ce sont des lieux de privation de liberté, où les personnes doivent rester le moins longtemps possible. Je demande aux préfets de n’y placer désormais que des personnes qui présentent une dangerosité dans l’espace public. Alors qu’il est souvent question de délinquance dans nos débats, un chiffre est beaucoup trop peu cité : la délinquance imputable aux étrangers a baissé de 5 à 6 points depuis deux ans, c’est-à-dire depuis que nous mettons dans les CRA des personnes dangereuses que nous parvenons davantage à expulser. Le taux d’expulsion ou d’éloignement se situe à environ 40 % pour les personnes placées en CRA, contre moins de 15 % pour les autres. Il est donc important d’établir des priorités en ce qui concerne les placements dans ces centres. Ce passage n’est pas un moment sympathique dans la vie de ces personnes, c’est le moins que l’on puisse dire, je vous l’accorde. C’est pourquoi je vais vous proposer, quand nous allons en venir à l’article 12, d’inscrire dans la loi l’impossibilité de placer des mineurs en CRA – mais je rappelle que ces centres ont été imaginés il y a longtemps par la gauche.

La commission rejette l’amendement.

Article 12 (art. L. 741-1, L. 741-5, L. 742-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Interdiction de la présence en centre de rétention administrative des mineurs de seize ans

Amendement de suppression CL1506 de Mme Annie Genevard

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Il est primordial de supprimer l’article 12 si nous voulons que les étrangers en situation irrégulière, qui risquent de se soustraire à une mesure d’éloignement, restent sous la main des autorités de notre pays en attendant que l’on puisse les expulser. Cet article tend à interdire le placement en CRA des mineurs de moins de 16 ans, mais également celui de leur famille. Le risque est donc que nous ne puissions plus y placer un individu à la situation personnelle compliquée et que nous voudrions absolument expulser, au motif qu’il y aurait un mineur de 15 ans dans sa famille. Or, de tels cas induisent un problème de sécurité pour nos compatriotes. Signalons qu’à Mayotte, où les mineurs sont très nombreux dans le CRA, une telle interdiction nuirait beaucoup à notre efficacité dans les renvois vers les Comores.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Le régime du placement en centre de rétention des mineurs et de leur famille doit être adapté pour deux raisons. D’une part, la pratique administrative fait que les familles ne sont déjà plus envoyées dans les CRA – elles représentaient moins de 1,1 % des placements en 2019. D’autre part, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a régulièrement dénoncé les insuffisances de la France en matière d’accompagnement des familles de mineurs. Comme nous avons des solutions alternatives nous permettant d’obtenir les mêmes résultats, nous proposons, dans cet article 12, d’aménager le régime du CRA pour les mineurs et les familles avec mineurs. J’émets donc un avis défavorable à cet amendement de suppression.

M. Gérald Darmanin, ministre. Cet article très important traduit en droit ce qui existe dans les faits. Depuis que j’ai l’honneur de présider aux destinées du ministère de l’intérieur, on ne place plus de mineurs dans les CRA, à quelques rares exceptions près, et on y ferme les espaces dédiés aux familles. Nous considérons que les CRA doivent recevoir les personnes qui présentent une particulière dangerosité, ce que ne sont pas les mineurs. L’expulsion des mineurs ne relève d’ailleurs pas des préfets ou du ministère de l’intérieur : elle passe par une décision de justice et mobilise des structures différentes des CRA.

Cette mesure forte et humaniste, c’est notre Gouvernement qui l’aura prise. À la faveur d’autres amendements, nous allons d’ailleurs évoquer aussi les mineurs de 16 à 18 ans et les locaux de rétention administrative (LRA). Et je reviendrai sur le cas particulier de Mayotte.

Nous ne renonçons pas pour autant à éloigner des familles, comme le montrent les statistiques : le nombre d’éloignements, y compris de familles, va progresser d’environ 6 à 8 % cette année, alors que nous avons rencontré des difficultés avec certains pays. Quand nous avons une famille à éloigner, je demande aux services de police de bien préparer tous les documents, et, la veille ou l’avant-veille de l’expulsion, de l’assigner à résidence au domicile ou dans un hôtel situé de préférence près de l’aéroport, en prévoyant une garde. On peut donc procéder avec humanité, en évitant de mettre des enfants ou des adolescents dans un lieu carcéral, tout en poursuivant notre politique d’éloignement.

À Mayotte, la situation est différente, parce que le CRA n’accueille pas seulement des gens qui ont commis des actes de délinquance – ce qui s’explique par la proximité immédiate des Comores, d’où arrive un énorme flux de personnes en situation irrégulière. Dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), vous avez voté pour un doublement des places afin d’atteindre un objectif de 3 000 places à l’horizon 2027, ce qui va notamment permettre la création d’un deuxième CRA à Mayotte. Cette création va permettre de résoudre à la fois des problèmes de capacité et de transport : le nouveau centre sera situé sur l’île de Grande-Terre, alors que le centre actuel se trouve sur Petite-Terre ; l’un accueillera des délinquants et l’autre des personnes faisant seulement l’objet d’une OQTF. Nous avons prévu de ne pas appliquer le présent texte à Mayotte avant le 1er janvier 2027, afin d’avoir le temps de créer ce nouveau centre et de procéder par assignations à résidence, ce qui n’existe pas actuellement. L’article 27 de ce projet de loi indique ainsi que l’article 12 n’entrera en vigueur à Mayotte que le 1er janvier 2027, ce qui laissera largement le temps de s’adapter et de tenir compte de travaux déjà réalisés et de textes à venir : le rapport sur la lutte contre les violences faites aux mineurs en outre-mer des députés Lebon, Dunoyer et Serva ; la loi Mayotte et, je l’espère, un texte constitutionnel permettant de modifier la réglementation et la législation sur ce territoire.

On entend beaucoup de discours humanistes mais, j’y insiste, nous sommes les premiers à rendre concrète cette interdiction de placement de mineurs dans les CRA. Nous la pratiquons déjà, tout en étant plus efficaces dans l’éloignement et en respectant les personnes. J’en appelle d’ailleurs au Rassemblement national, dont les maires n’ont pas répondu positivement à ma demande de créer des CRA sur leur territoire. À la lecture de la presse, j’ai cru comprendre que la commune de Fréjus avait pourtant quelques moyens. M. Rachline m’a envoyé une lettre de trois pages, que je tiens à votre disposition, pour critiquer les CRA. Le Rassemblement national devrait mettre en cohérence ses idées et ses actions. Sur les étrangers ou la rétention, ses membres sont croyants mais pas pratiquants.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je voudrais que l’on prenne la mesure de la décision historique que l’on s’apprête à prendre ce matin ici, en commission des lois, et plus tard en séance. Je le dis à toutes celles et ceux qui, depuis plusieurs jours, font des leçons de morale en permanence. L’interdiction de la rétention des familles dans les CRA intervient au bout d’un long processus, auquel j’ai moi-même participé par le biais d’une proposition de loi déposée au cours de la précédente législature, qui ne visait d’ailleurs pas à interdire ces placements, mais à en restreindre l’utilisation. Je suis très heureux que l’on puisse les bannir aujourd’hui de façon beaucoup plus définitive. J’espère que le texte sera renforcé encore par l’adoption de deux amendements. Le premier vise à étendre l’interdiction aux mineurs de 16 à 18 ans, une mesure à laquelle vous vous êtes montré favorable, monsieur le ministre, y compris au Sénat où elle a été rejetée – les amendements en ce sens venaient plutôt de la gauche sénatoriale. Le deuxième vise à étendre l’interdiction à tous les LRA.

L’avancée majeure qui nous est proposée aujourd’hui est le fruit de longues réflexions : il fallait concilier les impératifs de fermeté absolue – ce texte, notamment les articles 9 et 10, témoigne de cette volonté – et le développement de solutions alternatives aux CRA pour les mineurs accompagnés impliqués dans une procédure d’éloignement justifiée. À la lumière de cette disposition, j’espère que l’on mesure aussi à quel point le texte ne mérite pas les tombereaux d’insanités que nous avons parfois pu entendre depuis lundi – je pense en particulier aux accusations de racisme venant des bancs de LFI. Cet article nous permet de prendre la mesure du texte dans sa globalité, et j’espère que les structures associatives sauront le juger à cette hauteur.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Il va quand même falloir clarifier la situation des 16-18 ans.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je viens de le dire !

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). En France, tant qu’on n’a pas 18 ans, on est mineur. Autre angle mort : l’absence de respect de la dignité humaine et de la vie privée dans les CRA, dont chacun de nous a pu faire le constat en allant visiter ce genre de structures, et qui nous a valu de nombreuses condamnations par la CEDH. Enfin, qu’en est-il de ces lieux de mise à l’abri, que l’on trouve par exemple à la frontière franco-italienne, dans lesquels sont enfermées des familles avec des tout petits enfants ? Non seulement ces familles sont enfermées avec des petits enfants, mais elles le sont hors de tout cadre réglementaire.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Vous pourriez simplement dire merci, ce ne serait pas mal !

Mme Edwige Diaz (RN). Nous ne sommes pas dupes des tentatives de diversion de M. le ministre de l'intérieur, dont le bilan devrait le faire rougir. Qu’il s’attaque de cette manière à Fréjus, ce n’est pas au niveau, mais les Fréjusiens sauront en juger. Il en est de même lorsqu’il répète en boucle que les maires du Rassemblement national ne souhaiteraient pas accueillir quelques CRA. Ce n’est pas aux dix mairies RN de compenser l’incurie de votre Gouvernement. Vous êtes en panique parce que, lors de l’adoption de la Lopmi, vous avez promis qu’il y aurait 3 000 places en CRA en 2027. Demandez à vos amis des mairies macronistes ! Même si vous atteignez l’objectif fixé en 2027, il faut mettre ce chiffre en rapport avec les 600 000 à 900 000 clandestins que compte notre pays. Pourquoi y a-t-il tant de personnes en situation irrégulière et qu’il faut expulser ? C’est parce que vous êtes incapable de faire votre travail, de contrôler les frontières. Ce texte en est la preuve matérielle.

M. Gérald Darmanin, ministre. Madame la députée, nous ne savons toujours pas si vous êtes pour l’interdiction du placement de mineurs dans les CRA, et si vous avez compris qu’il faut plutôt y placer des personnes dangereuses. Quant aux 3 000 places de CRA, elles sont trouvées. Heureusement, le maire de Béziers et des maires LR, macronistes, socialistes ou communistes nous ont proposé des terrains. J’ai déjà annoncé la liste des villes, telles que Nantes, Béziers, Dunkerque, Goussainville, Mérignac ou Olivet, où nous allons construire ces nouvelles places de CRA. Nous allons le faire sans vous. J’ai écrit à tous les maires, pas seulement à ceux du Rassemblement national. Le seul maire de votre parti qui m’ait répondu, en expliquant que ces CRA ne fonctionnaient pas, c’est celui de Fréjus. Comme on dit à Fréjus, ce n’est pas l’heure de se fâcher, madame.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CL490 de M. Julien Bayou et CL913 de M. Boris Vallaud (discussion commune)

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Il s’agit de mettre fin à l’enfermement des mineurs et des femmes enceintes dans les LRA. Contrairement à ce que prétend le rapporteur général, la mesure proposée dans cet article 12 n’est pas une décision historique qui devrait vous valoir des remerciements, mais une disposition qui va seulement nous mettre en conformité avec le droit européen. C’est une position de repli par rapport à la demande écologiste : l’abrogation complète du régime de rétention administrative.

Le passage dans un CRA n’est pas, comme l’a reconnu le ministre, un moment amusant dans l’existence. De fait, la France a été condamnée douze fois pour traitement inhumain et dégradant – et pas amusant, mais ce n’était pas précisé car cela va de soi –, y compris à une date récente, alors que vous étiez déjà ministre de l’intérieur, monsieur Darmanin. La France a été condamnée, par exemple, pour une rétention en janvier 2021 : une mère et son fils âgé de 7 mois étaient retenus dans le Bas-Rhin dans l’attente d’une expulsion vers l’Espagne. Vous avez dit que vous demandiez aux préfets de n’envoyer en CRA que des personnes dangereuses. Pouvez-vous nous dire quel danger représentait cette femme et son bébé de 7 mois ? Vous avez dit également qu’il était important d’établir des priorités pour l’occupation de ces places en CRA. Est-ce qu’une femme enceinte de sept mois est un cas prioritaire ?

M. Philippe Pradal, rapporteur. En ce qui concerne les mineurs de 16 à 18 ans, le ministre a déjà répondu et nous aurons à y revenir au cours de nos débats, lors de l’examen d’un amendement du groupe LIOT. Quant aux femmes enceintes, nous aurons aussi à en parler à l’occasion de l’examen d’amendements abordant plus généralement le cas des personnes qui présentent une situation de vulnérabilité.

L'article L.741-4 du Ceseda impose déjà à l’autorité administrative, avant toute décision de placement en rétention, la prise en compte de l’état de vulnérabilité et de tout handicap de l’étranger – le terme de vulnérabilité est beaucoup plus large qu’une définition stricte du handicap ou de la situation de grossesse. Cette appréciation de la vulnérabilité est placée sous le contrôle du juge.

Des dispositions réglementaires organisent également la prise en compte de cet état de vulnérabilité, notamment pour le placement en rétention des demandeurs d’asile, prévoyant ainsi qu’indépendamment de l'examen de son état de vulnérabilité par l’autorité administrative lors de son placement en rétention, l’étranger peut faire l’objet, à sa demande, d’une évaluation par l’Ofii et, en tant que de besoin, par un médecin de l’unité médicale du CRA.

Peut-être est-il possible d’améliorer ces dispositions, qui sont en partie réglementaires. L’amendement est donc largement satisfait en ce qui concerne les femmes enceintes, et il devrait l’être par l’adoption de l’amendement du groupe LIOT en ce qui concerne les mineurs de 16 à 18 ans. À défaut d’un retrait, j’émettrai donc un avis défavorable.

S’agissant de l'amendement CL913, j’en demande de retrait au vu des précisions apportées concernant les amendements à venir.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Monsieur Bayou, c’est une décision historique. Vous pourriez vous en réjouir, tout simplement.

Lors de l’examen, au cours de la précédente législature, de la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, dite loi Collomb, combien de fois cette mesure a-t-elle été réclamée par des membres de l’opposition mais aussi de la majorité, comme Erwan Balanant ou Stella Dupont ? C’est une décision historique !

Au lieu de vous en réjouir, vous rappelez même la jurisprudence de la CEDH en mentant. Vous mentez même doublement. D’une part, la directive « retour » autorise la rétention, y compris d’enfants, pendant une durée qui peut atteindre dix-huit mois. Or, la loi Collomb a permis d’étendre la durée de rétention, mais pas jusqu’à dix-huit mois et encore moins pour les enfants. Comme l’a indiqué M. le ministre, il n’y a plus de mineurs en CRA.

D’autre part, nous n’avons-nous pas été condamnés par la CEDH pour la rétention de mineurs. La dernière condamnation date de 2016, pendant la présidence de François Hollande. L’État français a été condamné non pas pour la rétention de mineurs, mais parce que les conditions de leur rétention n’étaient pas acceptables. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous étions si nombreux à défendre une proposition de loi plus limitée que le présent article 12. Que cela vous plaise ou non, le ministre qui aura interdit la rétention des mineurs, y compris ceux âgés de 16 à 18 ans, dans les CRA aussi bien que dans les LRA, c’est l’actuel ministre de l’intérieur.

M. Gérald Darmanin, ministre. Après le rapporteur général et le rapporteur, je tiens à souligner l’importance de la décision que nous prenons, notamment sur le plan symbolique. À l’exception de l’Irlande, aucun autre pays européen n’a adopté une telle mesure. Nous ne sommes pas contraints à le faire, mais nous le faisons de notre plein gré, notamment parce que c’est une manière plus efficace et moins traumatisante pour les enfants de procéder à des éloignements.

Monsieur Bayou, vous savez très bien que l’interdiction de placer des mineurs dans les CRA a été prise en août 2022, sans attendre le vote d’une loi. Il nous a fallu le temps de trouver des moyens pour que les milliers d’enfants et leur famille qui passaient jusqu’alors par les CRA soient plutôt assignés à résidence à leur domicile ou à l’hôtel. Oui, j’ai mis un an et demi à trouver ces milliers de places d’hôtel. Je ne suis pas David Copperfield, même si vous semblez me prêter ses pouvoirs. S’agissant des mineurs de 16 à 18 ans, nous allons en effet prendre la même mesure d’interdiction de placement en rétention à leur égard, comme je l’ai déjà mentionné.

Je vous signale, à vous comme à M. Dumont, que le Sénat a adopté cet article à l’unanimité, y compris deux des sénateurs du Rassemblement national et M. Ravier. Les sénateurs ont été convaincus par nos solutions alternatives au CRA. Il ne s’agit pas mettre fin à l’éloignement des familles, mais au CRA pour les familles. C’est très différent.

S’agissant des mineurs de 16 à 18 ans, j’avais effectivement proposé, comme plusieurs groupes centristes et de gauche du Sénat, de les inclure dans le dispositif. Cette proposition n’a pas été retenue. Je serai favorable aux amendements en ce sens, ainsi qu’à ceux qui proposent de mettre fin à la présence des mineurs de moins 18 ans dans les fameux LRA, imaginés sous le gouvernement de Lionel Jospin. Que les choses soient claires : ces personnes seront assignées à résidence à leur domicile ou à l’hôtel dans l’attente de leur éloignement, c’est-à-dire dans un cadre qui n’a pas le caractère carcéral d’un CRA.

N’y voyez aucun réflexe partisan mais, en ce qui concerne l’interdiction de placement de tous les mineurs en LRA, je préfère la rédaction de l’amendement CL683 de M. Pancher. L’amendement de M. Vallaud est intéressant, mais il écrase le juge des libertés et de la détention (JLD), si j’ose dire, en ne lui permettant pas de jouer son rôle comme il le devrait.

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Le rapporteur général m’ayant traité de menteur, je vais lui répondre et lui demander des excuses.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je maintiens !

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Votre accusation, monsieur le rapporteur général, me pose un problème mais elle témoigne aussi d’un manque de respect à l’égard de la commission des lois. Lisons ensemble cette directive « retour », dont vous affirmez qu’elle autorise la rétention de mineurs : elle n’envisage la rétention que comme ultime moyen, contrairement à l’usage qui en est fait en France, selon le constat effectué dans un rapport du Sénat. Je vous demande donc de retirer votre premier propos mensonger.

Ensuite, vous avez affirmé que la France n'avait pas été condamnée récemment, alors que je vous ai cité une condamnation par la CEDH datant de mai 2023, relative à une rétention de mai 2021. M. le ministre vient d’ailleurs de vous contredire, expliquant qu’il y avait eu des cas depuis sa nomination et depuis 2022. Vous ne pouvez pas contredire le ministre et nier les faits. Vous vous ridiculisez, et je vous demande de retirer ces accusations.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Nous allons évidemment continuer à nous battre pour que cette interdiction soit complète, c'est-à-dire qu’elle soit appliquée aussi à Mayotte. C’est au terme d’une bataille de très longue haleine, que le ministre et le rapporteur finissent par accepter que des enfants et leur famille ne soient plus enfermés en centre de rétention. En 2018, je m’étais battue pour cette interdiction avec Danièle Obono, Marietta Karamanli et d’autres, y compris au sein de de la majorité. À l’époque, monsieur Boudié, nous nous faisions face. Je préfère que les choses changent en ce sens, mais cet article 12 n’efface pas toutes les autres dispositions contenues dans ce texte de loi.

M. Erwan Balanant (Dem). Réjouissons-nous de ce moment, aboutissement d’un combat que, pour ma part, j’ai mené depuis mon élection en 2017. Je m’étais même abstenu lors du vote sur le texte du regretté Gérard Collomb, estimant que nous n’avions pas assez avancé sur ce sujet. C’est donc une vraie satisfaction. Dès votre arrivée, monsieur le ministre, vous avez fait des efforts pour qu’il n’y ait plus d’enfants dans les CRA. C’est désormais le cas. Vous vous engagez aujourd’hui à faire en sorte qu’il n’y en ait plus dans les LRA – je sais que c’est compliqué et je mesure la force de cet engagement. Quelles que soient nos différences et divergences politiques, nous devrions tous admettre qu’il s’agit d’un vrai progrès pour les droits des enfants dans ce pays. C’est avec une grande satisfaction que je voterai pour les amendements annoncés, en regrettant d’avoir été trop timide dans la rédaction des miens.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je confirme, monsieur Bayou, que vous avez menti, et vous avez même persisté à le faire dans votre réponse. Dans le droit français, le principe est l’assignation, la rétention n’étant utilisée – et de manière très restrictive –, que pour l’éloignement. C’est pour cela qu’il n’y a que 1 500 places de rétention administrative, un nombre qui sera porté à 3 000 en 2027, et non pas des dizaines de milliers.

Vous avez aussi travesti la réalité, si vous préférez cette expression, en prétendant que la CEDH avait condamné la France sur le principe de la rétention des enfants. Ce n’est pas le cas : elle l’a toujours condamnée sur les conditions d’accueil dans les centres de rétention. La décision de 2022 à laquelle vous faites référence ne porte d’ailleurs même pas sur le principe ou les conditions de la rétention, mais sur sa durée. Ce n’est d’ailleurs pas plus acceptable.

Il faut connaître le sujet – et nous sommes quelques-uns à nous y intéresser depuis très longtemps –, pour savoir à quel point est historique cette décision d’interdire la présence de mineur de 18 ans dans les CRA et les LRA. Vous devriez vous en réjouir.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements identiques CL400 de M. Aurélien Lopez-Liguori et CL989 de M. Pierre-Henri Dumont, amendement CL683 de M. Bertrand Pancher, amendements identiques CL914 de M. Philippe Brun et CL1038 de M. Benjamin Lucas, amendement CL1336 de M. Erwan Balanant, amendements identiques CL475 de M. Éric Ciotti et CL805 de Mme Annie Genevard, amendement CL1338 de M. Erwan Balanant (discussion commune)

M. Yoann Gillet (RN). L’article 12, pris en ses alinéas 3 à 6, vise à faire en sorte qu’un étranger accompagnant un mineur de 16 ans ne puisse être placé en rétention administrative. Cette règle ne se justifie pas, alors qu’elle empêche un réel contrôle de l’immigration et que le placement en rétention, si les centres sont correctement aménagés, n’est pas incompatible avec la présence de mineurs de 16 ans et des personnes les accompagnant.

Dans nos circonscriptions, on ouvre tous les journaux locaux. On y lit tous les jours que des mamies se font agresser par des jeunes de 16 à 18 ans étrangers clandestins, que des jeunes filles se font violer, que des magasins sont braqués. La rubrique des faits divers de la presse montre très clairement l’existence d’une délinquance importante due aux clandestins étrangers. Quant à l’assignation à résidence, monsieur le ministre, c’est un échec.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Pour le Gouvernement, cet article 12 est un biscuit donné à l’aile gauche de la majorité, afin de la faire voter pour le texte. En décidant de réaliser cette surtransposition d’une directive européenne, vous faites le lit du Rassemblement national, qui fera campagne sur le thème « l’Europe nous empêche de faire ceci et cela ». Vous allez aussi amoindrir les capacités de la France à exécuter les mesures d’éloignement, la question n’étant pas tant d’éloigner les mineurs que leurs familles. L’assignation à résidence n'est pas une rétention habituelle dans un CRA. Cette surtransposition risque de produire deux conséquences malheureuses : envoyer un mauvais signal qui, à la veille des élections européennes, fera le lit du populisme d’extrême droite ; limiter nos capacités de renvoi.

M. Olivier Serva (LIOT). L’amendement du président Pancher est un marqueur important de notre groupe, après la départementalisation des mesures pour les métiers en tension. Chers collègues, j’ai une fille de 17 ans, a priori française, mais vous imaginez les amalgames qui peuvent être faits parfois, vu qu’elle a la même couleur de peau que moi. Prenons la définition de MNA, terminologie que je trouve très laide : enfant de moins de 18 ans, de nationalité étrangère, qui n’est pas accompagné d’un adulte. Au groupe LIOT, nous voulons une loi équilibrée : ni laxiste, ni monstrueuse. Cet amendement vise donc à dire qu’aucun enfant ne doit être mis en rétention du seul fait qu'il est étranger.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je n’approuve pas votre propos, monsieur Dumont, malgré l’estime et l’amitié que je vous porte pour des raisons qui n’ont pas seulement à voir avec notre terre d’élection. Vous pourriez me faire crédit qu’il m’arrive de penser et de proposer des choses, indépendamment d’un texte de loi. C’est tellement vrai que, comme l’a rappelé M. Balanant, je me suis exprimé sur la rétention des mineurs dès mon arrivée au ministère de l’intérieur, en 2020. Bien avant le dépôt de ce projet de loi au Conseil d’État, j’avais pris une instruction ministérielle sur le sujet. N’essayez donc pas de faire croire que cet article n’est motivé que par la recherche d’un équilibre politique – et il m’arrive évidemment d’agir dans ce but – parce que ce n’est pas le cas.

Si vous visitez beaucoup de CRA, je pense que mes fonctions de ministre de l’intérieur m’ont amené à les visiter quasiment tous. Après mes très nombreux déplacements à Mayotte, je peux vous dire que le CRA de Pamandzi en Petite-Terre n’est pas comparable à ceux du Mesnil-Amelot, de Lesquin ou de Vincennes. Il n’est jamais facile de passer quelques jours dans un CRA, mais celui de Mayotte est objectivement très différent des autres, ce n’est pas un lieu carcéral comme il en existe sur le territoire hexagonal.

Je ne crois pas que ce soit un service à rendre aux futurs adultes que sont des enfants de 3, 4, 5 ou 6 ans, en pleine construction psychologique et mentale, de les laisser pendant des jours, des semaines, voire des mois dans des CRA qui ont changé de nature. Actuellement, les personnes qui se retrouvent dans les CRA de l’hexagone sont des hommes dans 99 % des cas, fichés pour radicalisation, condamnés pour terrorisme ou pour des actes délictuels ou criminels. On risque d’en faire des bombes humaines si nous laissons ces enfants dans des CRA où ils peuvent subir des attouchements ou des viols. Ne parlons pas des cris et des actes de violence, notamment à l’égard des personnes dépositaires de l’autorité publique, agents de la police aux frontières (PAF) ou gendarmes dans le cas du centre de Lyon, qu’il faut honorer de faire ce travail très difficile.

Étant donné le changement de nature des CRA depuis quelques années, je ne crois pas qu’il soit judicieux d’y placer des enfants de 3, 4, 5 ou 6 ans. C’est aussi le jeune père de famille qui vous parle, mais je pense que l’Assemblée nationale ne peut pas à la fois dire que les 1 000 premiers jours sont très importants dans la vie d’un enfant, et envisager d’enfermer certains enfants dans un CRA avec des fichés S. Cela me paraît incompatible. Même s’ils ne deviennent pas tous des bombes humaines, ils subiront des traumatismes évidents. Quels adolescents et adultes deviendront-ils ?

En outre, monsieur Dumont, cette mesure n’est pas un frein à l’éloignement. Les mesures d’éloignement de familles ont progressé de 5 à 10 % cette année, alors que nous n’y plaçons plus d’enfants, sauf exception. Cette année, dans l’hexagone, nous avons encore placé une cinquantaine de mineurs en CRA pour quelques heures ou quelques jours : dans certains cas, les préfets ou policiers n’avaient pas appliqué ad litteram l’instruction ministérielle ; dans d’autres, il n’y avait pas de place en hôtel.

Nous assignons ces personnes à résidence au domicile ou à l’hôtel, sous surveillance policière, jusqu’au départ de l’avion. Nous ne sommes pas naïfs, et l’idée n’est pas que des gens puissent utiliser des mineurs pour éviter un éloignement. Il ne s’agit pas de renoncer à éloigner les familles avec enfant, mais de le faire dans des conditions qui ne soient pas traumatisantes. La preuve de l’existence du pudding, c’est qu’on le mange. De même, la preuve qu’il n’est pas nécessaire de placer des enfants en CRA pour parvenir à améliorer nos taux d’éloignement de familles, c’est que nous le faisons. Les enfants ne sont en rien responsables du comportement de leurs parents. Évitons de les placer en position d’être profondément marqués par un séjour en CRA, où ils risquent d’être atteints sur le plan mental et psychologique, voire physique.

Cela étant, c’est une décision politique qui n’était pas nécessairement soutenue par les services du ministère de l’intérieur, qui ont leurs réflexes et habitudes. Lors de mes visites en CRA, j’ai vu des enfants de 3 ou 4 ans à côté de personnes radicalisées en train de crier, de les agresser, eux ou leur mère. Quand on est un homme ou une femme digne de ce nom, qui aime la République, on ne peut pas laisser cela perdurer. Cela ne nous empêche pas de montrer une grande fermeté à l’égard des délinquants étrangers. Ce n’est pas faire du « en même temps ». Le fait d’être dur envers les étrangers délinquants n’empêche pas de comprendre que l’on ne peut pas mettre des enfants de 3 ans dans des CRA où se trouvent de nombreux radicalisés. Cela me paraît assez évident. Si j’étais cynique, je vous dirais que ça libère des places : moins on y enferme des femmes accompagnées de leurs enfants, plus on peut y placer des délinquants étrangers, essentiellement des hommes, qui sont ainsi écartés de l’espace public, ce qui fait baisser la délinquance.

Mme Marietta Karamanli (SOC). L’interdiction du placement en rétention des mineurs de 16 ans est très positive, mais en retenant ce seuil, le Gouvernement reste au milieu du chemin. C’est pour cela que nous vous proposons d’étendre le champ d’application de l’article 12 aux mineurs de plus de 16 ans. De surcroît, la mesure ne serait pas limitée aux seuls locaux des centres de rétention administrative.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). La persévérance paie, puisqu’il est enfin possible d’envisager que les mineurs de moins de 16 ans ne soient plus placés en rétention. Notre amendement vise à clarifier la rédaction de l’article. Et si la nouvelle majorité est à 16 ans, avançons aussi l’âge du droit de vote !

M. Erwan Balanant (Dem). Notre amendement était presque trop timide ! Je pensais que nous allions gagner – excusez le terme sportif – sur les CRA, mais pas sur les LRA. Quel bonheur, après un combat de six ans ! Je suis presque ému ! Évidemment, ça fait ricaner le Front national, amoureux de la haine… Mais les enfants seront mieux protégés. Merci à M. Boudié, au ministre, à Mme Faucillon et à M. Pradal !

Mme Annie Genevard (LR). L’article 12 met fin à la présence de mineurs de moins de 16 ans dans les centres de rétention administrative. Notre amendement refuse de conférer une immunité aux étrangers adultes en situation irrégulière au seul motif qu’ils seraient accompagnés d’un mineur. J’ai entendu, monsieur le ministre, vos réserves sur les dangers des placements des enfants dans les CRA. Mais tous les mineurs ne sont pas des enfants !

M. Erwan Balanant (Dem). Madame Genevard, je vous le dis en toute amitié, l’adulte a une mission dans notre société, c’est de protéger les enfants. Or, la fin de l’enfance a été fixée d’un point de vue juridique à dix-huit ans.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Dans la vie du législateur, il y a des moments qui sont rendus importants par l’adoption de textes, d’autres par les justifications données aux décisions que nous prenons. Je voulais remercier le ministre de l’intérieur pour son explication, qui éclaire, rend plus efficace et surtout plus digne un article qui aurait pu passer pour technique.

Avis défavorable sur les amendements CL400 et CL989, parce que je suis convaincu qu’il faut procéder à une réforme du placement en CRA des mineurs. Ralliement annoncé à l’amendement CL683, qui, par sa rédaction, permet d’englober les deux dimensions que nous souhaitons. Demande de retrait pour les amendements CL914, CL1038, CL1336 et CL1338. Avis défavorable sur les amendements CL475 et CL805.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Le CRA de Mayotte est effectivement le plus grand de France, avec un quartier réservé aux familles. Compte tenu du caractère spécifique de l’immigration à Mayotte, si l’on ne permet pas d’expulser les enfants avec leurs parents, ces enfants sont abandonnés. Ce n’est pas de la fiction, c’est la réalité à Mayotte depuis une dizaine d’années. Ces jeunes, plongés dans une immense détresse, se regroupent en bandes. Ne mettez pas fin à cette exception à Mayotte, sans quoi il y aura encore plus de mineurs abandonnés et encore plus de dangerosité pour eux comme pour la population.

Mme Danièle Obono (LFI-NUPES). Le centre de gravité politique du pays a tellement dérivé vers l’extrême droite – et pas à l’insu du plein gré des forces politiques – que l’on en arrive à exiger de nous qu’on remercie de respecter les droits fondamentaux des enfants.

M. Rémy Rebeyrotte (RE). Qui fait monter l’extrême droite, madame Obono ?

Mme Danièle Obono (LFI-NUPES). Non, ce n’est pas une grande victoire de revenir à ce qui devrait être les fondamentaux de notre République. Je crois à ce que vous dites, collègue Balanant, qu’il y a une droite humaniste sincèrement révoltée par l’enfermement.

M. Florent Boudié, rapporteur général. C’est lamentable ce que vous faites, madame Obono !

Mme Danièle Obono (LFI-NUPES). Mais je ne crois pas que l’on doive se réjouir de cette décision et distribuer des médailles pour avoir respecté les droits fondamentaux de ces enfants, dont une partie de l’enfance est à jamais gâchée, déchirée et traumatisée.

M. Yoann Gillet (RN). Rappelons que les assignations à résidence en lieu et place de la rétention en CRA ne fonctionnent pas. La dernière fois que je suis allé au CRA de Nîmes, il y avait une personne sous OQTF, qui en était à son quatre-vingt-septième jour et donc libérable trois jours plus tard, qui était une personne dangereuse, présumée fortement islamiste. Cet homme n’a pas été expulsé mais a été assigné à résidence ; trois jours après, plus personne ne savait où il était.

Deuxièmement, il n’y aurait pas besoin de placements en CRA si les expulsions étaient menées efficacement. Nous vous proposerons des amendements en ce sens, notamment des sanctions pour les pays ne délivrant pas les laissez-passer consulaires.

M. Michel Castellani (LIOT). Je voudrais remercier les rapporteurs et préciser l’esprit qui préside à la rédaction de notre amendement. Ce n’est pas de l’angélisme, car nous connaissons les difficultés des choses et la variété des situations, mais les mineurs sont des personnes fragiles. Le sort qui leur est réservé engage leur vie future. Notre devoir est de les préserver du mieux possible, de limiter leurs traumatismes, de les engager autant que possible dans une voie de vie positive. C’est une question très délicate sur les plans technique, matériel et humain. Mais ce qui doit dicter avant tout notre avancée, c’est cette dimension humaine.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Le ministre de l’intérieur a raisonné par l’absurde. On peut entendre la question des 3, 4, 6 ans, pour reprendre son expression, mais la volonté de la majorité et du Gouvernement, c’est d’interdire à des individus de 16 à 18 ans d’être en CRA. Un individu de 16 ans est beaucoup plus proche d’un jeune majeur que d’un enfant ou d’un bébé de 3 ans. Le raisonnement du ministre contredit la volonté de la majorité d’étendre le dispositif à l’ensemble des mineurs.

Un autre problème : les CRA ne servent plus à préparer l’expulsion mais à enfermer les étrangers en situation irrégulière qui troublent à l’ordre public, alors même que les agents de la PAF ne sont pas formés pour les gérer ; si bien qu’on ne peut plus y mettre en rétention des gens qui ne demandent rien à personne, mais que l’on doit renvoyer seulement parce qu’ils sont en situation irrégulière. Il serait utile de mener une réflexion plus large, afin d’envisager la création d’un deuxième type de CRA réservé aux profils liés à des troubles à l’ordre public.

Mme Stella Dupont (RE). Je regrette que Mme Obono refuse de saluer la décision d’interdire la rétention aux enfants et aux mineurs de moins de 18 ans. Elle est le fruit d’une action parlementaire transpartisane, menée avec ténacité depuis cinq ans et soutenue aujourd’hui par le ministre de l’intérieur. Contrairement aux collègues des Républicains ou du Rassemblement national, je suis fière d’avoir su mener et gagner cette bataille humaniste. Bravo à tous !

Les amendements CL1336 et CL1338 sont retirés.

La commission rejette les amendements CL400 et CL989.

La commission adopte l’amendement CL683.

En conséquence, les amendements CL914, CL1038, CL475 et CL805 tombent, de même que tous les autres amendements relatifs à article 12 à l’exception de l’amendement CL1187 de Mme Emeline K/Bidi.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement CL1187.

Elle adopte l’article 12 modifié.

Après l’article 12

Amendement CL1006 de M. Benjamin Lucas

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Nous souhaitons que soit considéré comme lieu de rétention administrative tout lieu dans lequel un primo-arrivant est maintenu en rétention. Cela vise à limiter les atteintes portées au droit des primo-arrivants, notamment en matière de rétention, parfois arbitraire et en dehors de tout cadre légal.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendements identiques CL1114 de Mme Sandrine Rousseau et CL916 de M. Boris Vallaud et amendement CL1136 de M. Sébastien Peytavie (discussion commune)

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). L’amendement vise à interdire le placement en rétention des étrangers en situation de handicap.

Mme Marietta Karamanli (SOC). Les handicapés n’ont pas leur place dans ces lieux de rétention.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). L’amendement vise à interdire le placement en rétention pour les personnes dont l’état de santé est particulièrement incompatible avec une telle mesure. C’est notamment le cas des personnes en situation de handicap, enceintes ou atteintes de maladies chroniques. La rétention est, par essence, contraire à la préservation de la santé, aussi bien physique que psychologique. Et c’est d’autant plus le cas lorsque les conditions de vie, ou plutôt de survie, y sont manifestement indignes. La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté a ainsi constaté des problèmes généralisés de chauffage, de sanitaires insalubres, des difficultés d’accès aux soins et même un manque de nourriture. La Cimade a elle-même recensé des cas de rétention intolérables : une ressortissante chinoise très âgée et handicapée, un homme incapable d’utiliser les toilettes en raison d’un handicap ou une femme enceinte de huit mois. La rétention des personnes avec des troubles psychiques issus de multiples traumatismes est encore plus compliquée, si bien que lorsque la situation n’est plus tenable, la personne est soit hospitalisée, soit transférée ailleurs, soit remise en liberté par le juge, la rétention n’étant manifestement pas adaptée. Comment en sommes-nous arrivés à traiter des êtres humains d’une telle façon ?

M. Philippe Pradal, rapporteur. Comme je l’ai déjà dit, la situation des personnes porteuses de handicap renvoie plutôt à la question de la compatibilité de leur état de vulnérabilité avec le placement en lieu ou en centre de rétention. Bien que les dispositions du Ceseda permettent de régler un certain nombre de situations, il y a peut-être des évolutions à prévoir. Je vous propose que nous continuions à travailler d’ici à la séance avec les services du ministre sur ce sujet pour proposer une rédaction plus rassurante. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Votre réponse est très inquiétante, en renvoyant à la vulnérabilité des personnes. Dans les lieux de mise à l’abri, on enferme des mineurs, des petits, des grands, des isolés, des pas isolés, des femmes enceintes ! Quand j’ai visité le CRA 2 de Lyon Saint-Exupéry, j’ai pu voir que la réponse à la vulnérabilité psychique, c’était de cachetonner les gens à fond les ballons.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Monsieur le rapporteur, je n’ai pas compris ce que vous ne trouviez pas clair dans notre rédaction, mais j’ai bien compris votre main tendue : vous vous engagez à une réécriture collégiale, afin que les personnes en situation de handicap visible ou invisible soient intégrées de façon formelle dans le texte.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL492 de M. Julien Bayou

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Cet amendement d’appel – parce que nous sommes opposés au principe même de la rétention – vise à revenir sur l’allongement considérable de la durée en rétention prévu en 2018 par la loi « asile et immigration », qui porte mal son nom. Si vous gardez aussi longtemps les gens parce que vous ne pouvez pas les expulser, faute de laissez-passer consulaires, on ne s’en sortira jamais. Autant revenir à des durées plus raisonnables.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Je vous invite à retirer votre amendement, d’autant que sa rédaction n’est pas correcte d’un point de vue légistique.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CL917 de M. Boris Vallaud et CL919 de M. Arthur Delaporte (discussion commune)

Mme Marietta Karamanli (SOC). Il s’agit notamment de préciser que le placement d’un étranger dans un local de rétention administrative ne peut avoir qu’un caractère exceptionnel et qu’un étranger ne peut être maintenu dans un local de rétention si le juge décide de la prolongation de sa rétention. Nous demandons également de garantir la publicité de ces lieux. Le préfet devra communiquer sans délai au procureur de la République et au Contrôleur général des lieux de privation de liberté l’arrêté portant création de ce local de rétention et informer également les parlementaires du département, de sorte qu’ils puissent exercer leur droit de visite. Enfin, il s’agit de garantir que les droits de l’étranger retenu dans un local de rétention administrative ne soient pas inférieurs à ceux dont il bénéficie dans un centre de rétention administrative.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Avis défavorable sur l’amendement CL917, puisque la définition et l’organisation relèvent du pouvoir réglementaire – et vous savez à quel point il est risqué que la loi s’en mêle –, ainsi que sur l’amendement CL919, que ses lacunes rendraient inopérant.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL1443 de Mme Stella Dupont

Mme Stella Dupont (RE). L’amendement prévoit d’élargir l’interdiction de placement des étrangers accompagnés de mineurs de moins de dix-huit ans aux zones d’attente.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Le maintien en zone d’attente est une mesure administrative différente du placement en rétention administrative. Ce placement résulte du contrôle aux frontières et s’applique à l’étranger qui a fait l’objet d’une décision de refus d’entrée en France. Il n’est pas ordonné pour exécuter une mesure d’éloignement, comme c’est le cas pour la rétention administrative. Les zones d’attente sont situées à proximité du lieu de débarquement en France et l’étranger ne peut y être maintenu que pour une durée strictement nécessaire à son départ. Elle est limitée à quatre jours, et peut être prolongée, dans certains cas, pour huit jours supplémentaires, hors prolongation exceptionnelle. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Article 12 bis A (nouveau) (art. L. 521-14, L. 523-1, L. 523-2, L. 523-3, L. 523-4, L. 523-5, L. 523-6, L. 523-7, L. 531-24 du CESEDA) : Possibilité d’assigner à résidence ou de placer en rétention le demandeur d’asile présentant une menace à l’ordre public ou un risque de fuite

Amendements de suppression CL920 de M. Boris Vallaud, CL1189 de M. Davy Rimane et CL1395 de Mme Sabrina Sebaihi

Mme Marietta Karamanli (SOC). L’article 12 bis crée un nouveau régime d’assignation à résidence ou de placement en rétention pour les demandeurs d’asile qui présentent une menace pour l’ordre public ou un risque de fuite. Mais ce risque n’est pas défini et peut être estimé de manière très large, si bien que ces centres pourraient être très vite surpeuplés. Nous trouvons regrettable que le Gouvernement échappe à son obligation de produire des études d’impact en passant par de tels amendements, qui ne sont pas précis et engagent fortement les droits fondamentaux.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Recourir de cette façon aux amendements est en effet une manière d’éviter à la fois l’étude d’impact et l’avis du Conseil d’État, d’autant que ce nouveau régime porte potentiellement atteinte au droit d’asile, qu’il faut absolument protéger.

Mme Sabrina Sebaihi (Écolo-NUPES). L’article signifie que l’étranger en situation irrégulière présentant une demande d’asile à une autorité non compétente pour l’enregistrer pourra être placé en rétention s’il présente un risque de fuite, dont la définition reste très floue. Il faudrait s’interroger sur les objectifs d’une telle disposition. Si c’est de mettre en rétention un très grand nombre de demandeurs d’asile pour le plaisir du chiffre, c’est réussi. Si c’est pour réserver la rétention aux situations nécessaires, par exemple, lorsque d’autres mesures moins coercitives ne suffisent pas, dans une démarche de proportionnalité telle que prévue par le droit européen, c’est tout à fait raté, puisque cette disposition détourne complètement la rétention de son objectif initial, qui est de permettre à l’administration d’organiser le départ forcé d’une personne sous mesure d’éloignement. Avec cet article, la rétention pourra être utilisée de manière arbitraire pour des étrangers qui ne font même pas l’objet de mesures d’éloignement, ce qui est contraire au droit international.

M. Philippe Pradal, rapporteur. L’article concerne deux catégories de personnes : l’étranger en situation irrégulière qui manifeste sa volonté de demander l’asile à l’occasion d’une interpellation ; l’étranger en situation irrégulière dont la demande d’asile est présentée à une autre autorité administrative que celle normalement prévue et qui présente un risque de fuite. S’il s’agit, comme vous l’avez dit, d’un amendement du Gouvernement adopté au Sénat, il s’agit surtout de la transposition de l’article 8 de la directive « procédures » adoptée le 26 juin 2013. Avis défavorable.

La commission rejette les amendements.

Amendement CL688 de M. Michel Castellani

M. Michel Castellani (LIOT). L’amendement vise à supprimer l’ajout du Sénat conduisant à placer d’office des demandeurs d’asile en rétention administrative ou à les assigner à résidence le temps de présenter leur demande. On sait très bien que les CRA servent à organiser et à exécuter l’éloignement. Or, cette disposition les détourne de leur finalité, en prévoyant de priver de liberté des personnes en demande d’asile dès le début de leur procédure, avant même l’examen de leur demande.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Avis défavorable pour les raisons expliquées. La disposition ne s’applique qu’aux personnes qui présentent un risque de fuite, lequel est caractérisé.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL399 de Mme Marie-France Lorho

Mme Pascale Bordes (RN). L’alinéa 7 de l’article prévoit que le placement en rétention d’un étranger en situation irrégulière ne peut être justifié que lorsqu’il présente un risque de fuite, et les alinéas 9 à 13 décrivent des cas suffisamment graves pour retenir automatiquement ce risque. L’amendement vise à retenir systématiquement le risque de fuite dans les cas visés par ces alinéas.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Avis défavorable. Rendre automatique la caractérisation du risque de fuite n’est pas conforme aux principes généraux de notre droit, qui prévoient, tout comme l’article 8 de la directive, que l’appréciation au cas par cas doit rester la règle.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Preuve est faite que le Rassemblement national n’aime pas le droit, ni l’État de droit !

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CL439 de M. Laurent Jacobelli.

Elle adopte l’article 12 bis A non modifié.

Article 12 bis B (nouveau) (art. L. 732-4 et L. 732-5 du CESEDA) : Allongement de la durée de l’assignation à résidence en cas d’impossibilité de quitter le territoire français

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette les amendements de suppression CL921 de M. Boris Vallaud et CL1190 de Mme Elsa Faucillon.

Amendement CL846 de M. Andy Kerbrat

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). L’amendement vise à ajouter un article modifiant les durées d’assignation à résidence administrative prévues pour les personnes faisant l’objet d’une OQTF. Le fait de soumettre une personne faisant l’objet d’une OQTF à une assignation à résidence s’inscrit dans la tendance des politiques migratoires de ces vingt dernières années à assimiler immigration et délinquance. La non-régularité de la présence sur le territoire ne peut être assimilée à de la délinquance et ne doit pas faire l’objet d’une peine, qui plus est administrative, de restriction des libertés individuelles. L’assignation à résidence devrait être imposée dans le cadre d’une procédure pénale, comme c’est le cas pour tout justiciable, sous contrôle d’un juge des libertés et de la détention. Ce continuum de l’enfermement doit cesser. La durée de quarante-cinq jours, prévue à l’article L.732‑3, est suffisamment importante et attentatoire aux libertés pour ne pas être renouvelable. Enfin, la durée de six mois, prévue à l’article L.732‑4, est inadmissible et ne devrait pas exister dans un État de droit.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Le Conseil constitutionnel, saisi de ce sujet, a fait clairement exprimer, le 30 novembre 2017, le principe qu’il était possible d’éviter que puisse librement circuler sur le territoire national une personne dépourvue de droit au séjour. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 12 bis B non modifié.

Après l’article 12 bis B

Amendement CL1319 de M. Mathieu Lefèvre

Mme Constance Le Grip (RE). L’amendement vise à préciser que les étrangers reconnus coupables de provocation directe à des actes de terrorisme ou à leur apologie peuvent être retenus en centre de rétention administrative jusqu’à 210 jours, tel que le prévoit l’article L.742-7 du Ceseda.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Cette précision paraît opportune. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement. L’article 12 bis CA est ainsi rédigé.

Article 12 bis C (nouveau) (art. L. 741-7 du CESEDA) : Réduction du délai minimum entre deux mesures de placement en rétention administrative consécutives en cas de circonstance nouvelle de fait ou de droit

Amendements de suppression CL838 de M. Thomas Portes, CL922 de M. Boris Vallaud et CL1191 de Mme Emeline K/Bidi

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). L’amendement vise à supprimer l’article 12 bis C introduit par le Gouvernement au Sénat, qui réduit le délai entre deux placements en rétention de sept jours à quarante-huit heures. L’article L.741-7 du Ceseda prévoit l’obligation pour l’autorité administrative de respecter un délai de sept jours entre deux décisions de placement en rétention. Cette nouvelle disposition n’est pas digne d’un État de droit – mais il est vrai que certains s’essuient les pieds dessus…

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Nous voulons supprimer cet article, qui favorise les mesures d’enfermement au mépris de la préservation des droits fondamentaux des personnes, en les gardant enfermées de façon quasi continue. Nous jugeons ce dispositif disproportionné. Une personne libérée par un juge pourrait se retrouver de nouveau enfermée en CRA, alors même qu’une juridiction aurait constaté quelques jours plus tôt la violation de ses droits. De même, une personne enfermée en CRA pendant une longue durée pourrait se retrouver de nouveau en rétention deux jours plus tard, alors même qu’il n’aurait pas été possible pour l’administration de l’éloigner dans les délais impartis. Quand je dis disproportionné, c’est encore faible.

M. Philippe Pradal, rapporteur. C’est au contraire strictement proportionné, puisque l’article prévoit de réduire le délai quand de nouvelles circonstances de fait ou de droit justifient que la personne soit à nouveau placée en rétention. À ce titre, ce dispositif existe déjà dans l’article L.741-7 du Ceseda. Avis défavorable.

La commission rejette les amendements.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CL829 de M. Yoann Gillet.

Elle adopte l’article 12 bis C non modifié.

Article 12 bis (nouveau) (art. L. 222-5 code de l’action sociale et des familles) : Possibilité de refuser l’octroi d’un contrat jeune majeur à l’étranger faisant l’objet d’une décision portant OQTF

Amendements de suppression CL1669 de M. Philippe Pradal, CL837 de Mme Andrée Taurinya, CL839 de Mme Élisa Martin, CL923 de M. Boris Vallaud, CL1067 de Mme Francesca Pasquini, CL1192 de M. Davy Rimane, CL1342 de M. Emmanuel Mandon et CL1567 de Mme Laure Miller

M. Philippe Pradal, rapporteur. Cet article introduit par le Sénat prévoit d’exclure les jeunes majeurs faisant l’objet d’une décision d’OQTF de l’obligation de prise en charge s’appliquant à tous majeurs âgés de moins de vingt et un ans lorsqu’ils ont été confiés à l’ASE (aide sociale à l’enfance) avant leur majorité. Or, il paraît aller au-delà de l’objectif visé par la protection des mineurs pris en charge par l’ASE. Il convient de maintenir l’accompagnement jusqu’à vingt et un ans.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES).  Nous nous opposons à cet article qui a été rajouté par le Gouvernement au Sénat. Tout le texte montre que la macronie court après le Rassemblement national, et vice versa !

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Il s’agit de maintenir la protection que nous devons aux jeunes pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE). Sachant que le problème financier que j'évoquais précédemment pourrait être résolu au moyen de dotations particulières, il y n’a pas de raison de les laisser tomber même si on a décidé de les expulser du pays.

Moins on se préoccupe des personnes, plus on les livre à elles-mêmes, plus on les met en danger, plus on les place en situation de commettre des délits. Chacun est capable de le comprendre. Les conditions de vie qu’on organise pour elles sont un terreau pour la délinquance. Il ne faut pas s’en étonner ensuite.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). L’article 12 bis a pour objet de retirer la protection de l’ASE et de refuser l’octroi d’un contrat jeune majeur à tout jeune majeur ayant fait l’objet d’une OQTF.

Les mesures relatives à la prise en charge des mineurs et des jeunes majeurs par l’ASE relèvent de la protection de l’enfance et n’ont donc rien à faire dans un texte relatif à l’immigration.

La protection des mineurs de l’ASE jusqu’à leurs 21 ans vise à prévenir les ruptures sèches et le basculement vers la pauvreté des jeunes majeurs qui ne sont pas accompagnés par leurs proches.

Le contrat jeune majeur permet d’assurer la continuité de l’accompagnement de l’ASE, afin d’offrir à ces jeunes une autonomie et une insertion professionnelle. Refuser cet accompagnement à ceux faisant l’objet d’une OQTF – quand on sait le nombre d’entre elles annulées par les juridictions administratives – est un non-sens politique et moral.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Il faut d’abord souligner l’importance des contrats jeune majeur. Il est difficile pour un jeune de sortir de la protection de l’ASE à 18 ans, après des parcours souvent très traumatiques. À cet âge, on n’a pas résolu tous ses problèmes et les contrats jeune majeur apportent une aide bienvenue.

Ensuite, je peux vous citer d’innombrables cas, dans le département dans lequel je suis élue, d’OQTF délivrées à l’encontre de jeunes majeurs signataires d’un contrat, assidus, en formation ou ayant un emploi. C’est incompréhensible. Le refus de leur octroyer la protection de l’ASE n’a aucun sens pour des jeunes qui veulent apprendre la langue, travailler, être utiles au pays. Arrêtons de les stigmatiser.

M. Erwan Balanant (Dem). Les arguments ont été présentés en faveur de la suppression d’une disposition malvenue. Contrairement à ce qui a été dit, l’article n’est pas issu d’un amendement du Gouvernement, mais des rapporteurs du Sénat.

Mme Annie Genevard (LR). Je veux me faire l’écho des immenses difficultés que connaissent aujourd’hui les conseils départementaux pour financer la prise en charge des mineurs non accompagnés (MNA) – je regrette, à cet égard, la suppression du fichier recensant les MNA délinquants. Les conseils départementaux sont l’objet d’injonctions contradictoires : d’un côté, ils sont tenus par la loi de 2022 de maintenir jusqu’à 21 ans la prise en charge par l’ASE ; de l’autre, lorsqu’ils suspendent les contrats jeune majeur parce qu’un jeune majeur est sous le coup d’une OQTF, leur décision est suspendue. Comment comptez-vous résoudre cette difficulté ?

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). C’est vrai, l’État doit être plus présent aux côtés des départements pour la prise en charge des enfants placés sous la protection de l’ASE. Il y a beaucoup de choses à revoir, et pas seulement sur le plan financier.

Pour autant, on ne peut pas continuer à expliquer que les départements sont en faillite à cause des MNA. On constate aujourd’hui un afflux plus important d’enfants, de manière générale, auprès des services de la protection de l’enfance : il y a plus de bébés parce que les cas de maltraitance sont plus nombreux et mieux pris en charge ; il y aussi plus d’adolescents qui souffrent d’affections de santé mentale. En résumé, il y a plein d’enfants dans notre pays qui vont mal, qu’ils aient une carte d’identité française ou pas. Doit-on renoncer à s’en occuper ? Doit-on faire le tri entre les étrangers et les Français ? Il faut plus de moyens dédiés la protection de l’enfance. L’État doit être au rendez-vous. Si on exclut les MNA aujourd’hui, que fera-t-on demain ? On exclura les adolescents parce qu’ils sont trop vieux ?

Mme Annie Genevard (LR). Est-ce que nous avons dit cela ? C’est malhonnête.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Je souscris entièrement aux propos d’Elsa Faucillon.

Je m’adresse à nos collègues qui s’interrogent sur la charge que représenteraient les MNA pour l’ASE. Si tous les étrangers mineurs de ce pays ne se voyaient pas délivrer une OQTF dès leur majorité, cela irait peut-être mieux. Nous avons tous dans nos circonscriptions des cas complètement absurdes : un étudiant en BTS comptabilité qui fait l’objet d’une OQTF dès qu’il atteint 18 ans ; un jeune poète nantais, Falmarès, publié chez Gallimard. Au lieu d’adopter des articles ridicules comme celui-ci, peut-être faudrait-il envisager une présomption de titre de séjour.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article 12 bis est supprimé et les autres amendements portant sur l’article tombent.

Article 12 ter (nouveau) (art. L. 221-2-4 du code de l’action sociale et des familles) : Création d’un cahier des charges national pour l’évaluation de la minorité des mineurs non accompagnés

Amendements de suppression CL1670 de M. Philippe Pradal, CL926 de M. Boris Vallaud, CL1343 de M. Emmanuel Mandon et CL1568 de Mme Laure Miller.

M. Philippe Pradal, rapporteur. L'article 12 ter prévoit la création d’un cahier des charges national sur la base duquel est réalisée l’évaluation de la minorité des mineurs non accompagnés. Je propose de le supprimer, car il est déjà satisfait.

Les articles R. 221-11 et suivants du code de l’action sociale et des familles et l’arrêté du 20 novembre 2019 relatif aux modalités de l’évaluation des personnes se présentant comme mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille, fixent déjà un référentiel national d’évaluation de la minorité. Un guide de bonnes pratiques en matière d’évaluation de la minorité et de l’isolement a également été élaboré de manière interministérielle.

Je réponds à Mme Genevard. La problématique de l’accompagnement des jeunes de l’ASE de 18 à 21 ans dépasse l’injonction contradictoire que vous avez soulignée. La secrétaire d’État chargée de l’enfance, Mme Caubel, a d’ailleurs appelé à repenser les relations entre l’État et les conseils départementaux en matière d’accompagnement des mineurs.

Il ne me semble pas pertinent de traiter le sujet de manière isolée, même si je reconnais les difficultés. Sans vouloir à tout prix concilier tous les points de vue, la dégradation de la santé mentale des jeunes adultes, des enfants et des adolescents doit nous amener à envisager un accompagnement modulable, peut-être moins lourd que l’ASE. La réflexion sur la protection de l’enfance doit être globale et associer les départements, qui ont reçu cette compétence, et l’État, qui ne peut s’en désintéresser.

M. Boris Vallaud (SOC). Il s’agit de supprimer un article qui relève d’autres ministères et d’autres codes que ceux concernés par le projet de loi.

Mme Laure Miller (RE). L’article est déjà satisfait et ne relève pas du domaine de la loi.

S’agissant des MNA, loin de nous l’idée de mettre la poussière sous le tapis et de nier l’importance du sujet, mais ce n’est pas l’objet du projet de loi. Parlons-en dans un autre cadre.

Mme Annie Genevard (LR). L’État ne prend pas suffisamment en compte les immenses difficultés des départements. Le président de Départements de France, qui n’est pas un dangereux radicalisé pour reprendre les termes de certains, a alerté sur le caractère difficilement supportable des dépenses qui sont engagées pour un nombre sans cesse croissant de MNA. Ces derniers sont sous contrat jeune majeur jusqu’à 21 ans et sous OQTF à partir de 18 ans. Il faudrait indiquer la marche à suivre aux départements.

Un amendement des Républicains, qui a été déclaré irrecevable, préconisait que l’État reprenne la main sur la gestion des MNA. Quelle est la position du Gouvernement à ce sujet ?

Mme Edwige Diaz (RN). L’idée de créer un cahier des charges national nous paraît une peu fumeuse, même si cela va dans le bon sens.

Les amendements de suppression, en revanche, sont déplorables puisqu’ils actent le désengagement de l’État. Or vous n’ignorez pas les suspicions de fraude massive sur le statut des mineurs non accompagnés ; certains professionnels estiment que jusqu’à 80 % des personnes qui se déclarent mineurs ne le sont pas. Je regrette profondément que vous n’ayez pas voté par sectarisme la proposition de loi d’Alexandra Masson visant à renforcer le contrôle des déclarations de minorité, qui suggérait notamment d’instituer un examen radiologique osseux aux fins de détermination de l’âge.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article 12 ter est supprimé et les amendements CL587 de Mme Elsa Faucillon et CL1119 de M. Lionel Tivoli tombent.

Chapitre II

Mieux tirer les conséquences des actes des étrangers en matière de droit au séjour

Article 13 (art. L. 411‑5, L. 412‑7 à L. 412‑10 [nouveaux], L. 413‑2, L. 413‑7, L. 424‑6, L. 424‑15, L. 432‑2, L. 432‑3, L. 432‑4, L. 432‑12, L. 432‑13, L. 433‑1, L. 433‑2, L. 433‑3‑1 [nouveau] et L. 433‑4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Introduction de nouveaux critères encadrant les titres de séjour fondés sur le respect des principes de la République, l’absence de menace grave à l’ordre public et la résidence habituelle en France

Amendements de suppression CL238 de Mme Cyrielle Chatelain, CL840 de M. Andy Kerbrat, CL927 de M. Boris Vallaud, CL1035 de M. Benjamin Lucas et CL1193 de Mme Emeline K/Bidi.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Le contrat d’engagement républicain (CER), issu de la loi confortant le respect des principes de la République, a déjà été censuré, car jugé trop imprécis, par le Conseil constitutionnel – n’en déplaise à la collègue qui nous en faisait le reproche tout à l’heure, nous aimons le Conseil constitutionnel. Le contrat d’engagement au respect des valeurs de le République, qui est une extension du CER, est un énième levier pour refuser des titres de séjour pour des motifs particulièrement vagues, comme le respect des symboles de la République ou de sa devise. Je considère ainsi que les interventions du Rassemblement national contreviennent gravement à la devise républicaine et aux symboles de notre République.

Aucun bilan du contrat d’engagement républicain n’a été établi. Ce contrat est toutefois déjà soupçonné d’être instrumentalisé par certaines préfectures pour contraindre l’expression d’associations écologistes ou féministes. Nous demandons donc la suppression de cet article qui ajouterait à l’arbitraire du contrat d’engagement républicain sans aucune base légale tangible.

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). L’article introduit de nouveaux critères liés au respect des principes de la République pour accorder les titres de séjour.

Lorsque vous avez tenté, dans la loi « séparatisme », d’introduire une disposition similaire, vous avez été rappelé à l’ordre par le Conseil constitutionnel.

Le respect des principes de la République n’a pas de portée juridique. Derrière ces nouveaux critères se cache une chasse organisée contre les étrangers. C’est aussi une manière d’entretenir le racisme d’atmosphère cher au ministre de l’intérieur.

Nous nous opposons au retour d’une disposition déjà sanctionnée par le Conseil constitutionnel, inutile, dangereuse et attentatoires aux libertés. La loi « séparatisme » vous a déjà permis de remettre en cause la liberté d’association.

M. Boris Vallaud (SOC). L’article 13 créé un nouveau motif d’expulsion des étrangers protégés ou de refus de renouvellement de titres pour non-respect du contrat d’engagement et de certaines valeurs de la République. Ces valeurs, bien que précisées pour complaire au Conseil constitutionnel, ne nous paraissent pas – pas plus d’ailleurs qu’à la Défenseure des droits – suffisamment claires pour échapper à une censure constitutionnelle fondée sur l’accessibilité et l’intelligibilité de la loi. Ainsi, siffler la Marseillaise ou ne pas la chanter serait-il un motif d’interdiction de séjour ?

Par ailleurs, le critère de la menace grave à l’ordre public sera pris en en compte de façon aléatoire et discrétionnaire.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Nous demandons la suppression de l’article, car nous nous refusons à inscrire dans la loi des dispositions ayant un très fort potentiel de discrimination.

Le but est bien de fragiliser le droit au séjour, par des mesures discrétionnaires fondées sur un flou juridique, mais surtout de nourrir le soupçon à l’égard des étrangers sur notre sol, qui seraient incapables de se conformer aux valeurs républicaines.

J’invite nos collègues à interroger les personnes sur les raisons qui les ont conduites à venir en France. C’est parfois étonnant pour nous qui déplorons des entorses répétées à notre devise républicaine, mais ils sont heureux de venir dans un pays qui défend les droits de l’homme. Il faut arrêter de suspecter les étrangers de ne pas pouvoir adhérer aux valeurs républicaines.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Vous souhaitez supprimer l’article 13, au motif que le droit existant est satisfaisant et que le dispositif proposé induirait un risque de discrimination.

À titre liminaire, certains exposés sommaires ne concernent que le volet relatif au respect des principes de la République. Or l’article 13 est bien plus large, puisqu’il comprend aussi un volet relatif aux menaces graves pour l’ordre public ; un volet subordonnant le renouvellement de titres longs à une résidence habituelle en France. La suppression de ces mesures serait en quelque sorte un dommage collatéral. Je ne peux y être favorable.

En ce qui concerne les principes de la République, vous avez raison de mentionner le contrat d’intégration républicaine, et le fait que le respect des principes de la République est déjà exigé. Mais cette présentation est incomplète : tous les titres et toutes les situations ne sont pas soumis à cette exigence en l’état du droit ; le refus de signer l’engagement à respecter les principes ne suffit pas à lui seul aujourd’hui pour refuser un titre – il ne s’agit pas d’un motif substantiel de fond, mais d’un élément à l’appui d’un dossier incomplet.

L’article 13 étend l’exigence du respect des principes de la République et en renforce la portée. Il me semble que sur ce sujet, nous devrions tous nous retrouver.

Car de quoi parle-t-on ? De faire prévaloir sa religion sur les règles communes et les principes qui fondent notre société, comme l’égalité entre les femmes et les hommes ; ou encore de contester des enseignements au motif que cela ne convient pas à ses convictions personnelles. Bref, l’article cible le refus de vivre en société, de partager des valeurs universelles ; il lutte ainsi contre le séparatisme, parfois insidieux, mais toujours délétère pour nos valeurs et notre démocratie.

Sous l’angle constitutionnel, il appartiendra au Conseil de se prononcer, mais le dispositif est bien plus précis que celui envisagé en 2021 ; ici les éléments sont clairement définis. Le Conseil d’État a d’ailleurs validé le dispositif, jugeant qu’il ne se heurtait à aucune disposition constitutionnelle.

Enfin, je ne vois pas de discrimination, dans la mesure où le dispositif s’applique à tous et est de nature à améliorer l’intégration des étrangers en France.

M. Éric Poulliat (RE). Le contrat d’engagement républicain n’est absolument pas attentatoire à la liberté d’association, contrairement à ce qui a été dit. Il repose sur un seul principe : la République n’a pas à financer ceux qui la combattent.

Quant au respect des principes républicains par les étrangers, moi aussi je discute avec des personnes que nous avons accueillies, et elles souscrivent tout à fait à l’idée selon laquelle il faut respecter les principes du pays qui vous accueille. Ceux à qui cela pose problème, je ne vois pas pourquoi nous devrions continuer à les accueillir.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Quelle hypocrisie ! Quelle hypocrisie de demander aux étrangers de respecter les principes de la République alors que ce texte les abîme, les détruit ! Quelle hypocrisie de la part d’un gouvernement qui ne respecte ni la liberté, ni l’égalité, ni la fraternité !

La liberté n’est pas respectée quand le droit de manifester est bafoué. L’égalité n'est pas respectée quand certaines écoles n’ont plus de remplaçants là où d’autres n’ont jamais de problème. Quant à la fraternité, le texte la renie.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Quelle hypocrisie de votre part, ma chère collègue, quand vous caricaturez à ce point le texte !

Est-ce inacceptable de lutter contre les passeurs et les marchands de sommeil ? Est-ce inacceptable de lutter contre les employeurs voyous ? Est-ce inacceptable de régulariser un certain nombre d’étrangers pour répondre à des besoins économiques et de protection les concernant ? Est-ce inacceptable d’interdire la rétention des mineurs dans les centres et locaux de rétention administrative (CRA et LRA) ainsi que d’envisager de faire de la vulnérabilité un critère supplémentaire ?

Le contrat d’engagement républicain, qui avait été imposé par le Sénat, vient répondre à la question : de quels principes parlons-nous ? Vous reprochez le flou du dispositif et c’est ce qu’avait dit le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 août 2021 – cela ne m’avait pas échappé, j’étais rapporteur général du texte. Nous avions à l’époque souligné certaines faiblesses.

Dans sa décision, le Conseil constitutionnel ne relevait ni discrimination, ni atteinte aux libertés publiques ou aux droits fondamentaux. Il pointait simplement un problème d’accessibilité et d’intelligibilité du droit. Lisez l’alinéa 7 de l’article 13, tout y est très bien défini.

Ce texte devrait nous rassembler. Respecter la liberté personnelle, madame Taurinya, vous êtes contre ?

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). C’est vous qui êtes contre !

M. Florent Boudié, rapporteur général.  Respecter la liberté d’expression et de conscience, vous êtes contre ? Respecter l’égalité entre les hommes et les femmes, vous êtes contre ? Respecter la dignité de la personne humaine, vous êtes contre ? Respecter la devise et les symboles de la République, vous êtes contre ?

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Parce que vous la respectez ? Parlons-en !

M. Florent Boudié, rapporteur général. Voilà ce que nous estimons nécessaire d’imposer à toute personne qui demande une carte de résident et une carte de séjour pluriannuelle.

Madame, vous ajoutez à vos mensonges quotidiens l’inexactitude et l’inélégance de vos arguments.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). La suspicion permanente de non-adhésion aux principes républicains de la part des étrangers contribue au racisme d’atmosphère que nous décrivons depuis lundi.

Je ne suis pas sûr que nous passerions tous avec succès les tests sur les valeurs de la République. Ainsi, on peut être monarchiste – donc ne pas adhérer aux principes républicains – tout en vivant parfaitement en France et en concourant à la démocratie. Avec votre conception de la Ve République et de l’absolutisme présidentiel, vous êtes d’ailleurs un peu monarchistes vous-mêmes.

Autre exemple, on peut détourner La Marseillaise, Serge Gainsbourg l’a fait et notre collègue Ruffin également, je crois ; et ils sont pourtant français, sans avoir eu à passer de test.

Monsieur le rapporteur, vous parliez de vivre en société et d’adhérer aux valeurs universelles. Je considère que le fait de payer sa juste part d’impôt est une preuve que l’on veut vivre en société. À cette enseigne, M. Cahuzac devrait se voir déchu de sa nationalité. Vous suivez une logique très partiale et focalisée sur les étrangers.

Mme Edwige Diaz (RN). Nous voterons contre les amendements de suppression.

Laissez-moi néanmoins vous dire notre scepticisme à l’égard de cet article qui « requiert la souscription par tout étranger qui sollicite un document de séjour à un contrat d’engagement au respect des principes de la République ». Nous avons déjà entendu cela en 2021 lorsque vous avez essayé de nous faire croire que vos feriez preuve de fermeté à l’encontre de ceux qui veulent déstabiliser notre société. Or, nous avons constaté l’échec : les atteintes à la laïcité ont explosé, que ce soit dans l’espace public, à l’école, au travail, dans les collectivités territoriales, dans les associations et même sur les listes communautaristes aux élections.

L’article ne changera pas grand-chose à la situation tant elle est grave. Ce n’est pas lui qui fera trembler ni les délinquants, ni les islamistes.

M. Boris Vallaud (SOC). Nous nous interrogeons sur ces notions qui laissent tant de place à l’interprétation. Nous sommes, depuis quelques années, dans un halo permanent de remise en cause des libertés fondamentales et des droits élémentaires.

Nous devons avoir conscience du fait que nous sommes peut-être surveillés par des régimes qui seraient moins attachés aux valeurs de la République que nous-mêmes.

Il y a dans notre rapport aux valeurs de la République, dont nous souhaitons, parce qu’elles sont nos règles de vie en commun, qu’elles soient enseignées à ceux qui désirent habiter notre pays, une forme de catéchisme. Autrement dit, on pourrait perdre la foi. Je suis partisan d’une pédagogie de la laïcité et des valeurs de la République.

Je ne peux pas m’empêcher de me dire que tout cela est contingent et peut être instrumentalisé. Songez au poème pacifiste de Jean Zay sur le drapeau : il lui a été reproché jusqu’à son assassinat et même jusqu’à sa panthéonisation par l’extrême droite, dont il faut se garder car elle est en embuscade. Je veux alerter sur ces dispositions qui nous exposent à cette menace.

Comme républicains, nous devons affirmer clairement que seule l’expérience dans une République conduit à l’universalisme. C’est en trouvant la République partout et pour tous que nous fabriquons des citoyens. Ce n’est pas ce que propose ni cet article, ni le texte dans son ensemble, qui est bien faible sur l’intégration.

La commission rejette les amendements.

Amendements CL629 de M. Mansour Kamardine et CL1107 de Mme Estelle Youssouffa (discussion commune).

M. Pierre-Henri Dumont (LR). L’amendement vise à faire respecter par les étrangers sollicitant un titre de séjour l’intégrité territoriale de la République. Il fait écho à la situation à Mayotte, où des ressortissants des Comores, tels des agents de l’extérieur, demandent un titre de séjour alors qu’ils ne respectent pas l’intégrité territoriale de notre pays et font de la propagande sur l’île en faveur des Comores et contre la France. C’est une situation à laquelle notre collègue Kamardine veut mettre fin par cet amendement.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). L’immigration à Mayotte est liée à la contestation de nos frontières par notre voisin, les Comores. Je vous rappelle que l’Union européenne et l’Otan qualifient l’instrumentalisation des flux migratoires de menace hybride. Ils y voient une déstabilisation : on utilise nos propres lois contre nous pour déstabiliser le territoire. C’est précisément ce qui se passe à Mayotte.

L’amendement vise à refuser la régularisation aux Comoriens qui viennent à Mayotte spécifiquement pour contester Mayotte française. Ils viennent organiser des meetings mais aussi des contre-putschs vers les Comores, qui sont ensuite utilisés à Moroni pour dire que Mayotte est bien comorienne.

Nous avons besoin du soutien de l’ensemble de la représentation nationale pour réaffirmer que Mayotte est française et éviter l’instrumentalisation des flux migratoires.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Les deux amendements posent une question importante.

Dans la rédaction actuelle de l’article 13, c’est la référence au trouble à l’ordre public qui peut permettre, lorsqu’il y a contestation des principes de la République, de refuser un titre de séjour. Les amendements ont pour objet de faire de l’intégrité du territoire de la République un motif supplémentaire de refus.

Ce qui se passe à nos marges doit nous interroger, parce que ce qui se passe aux marges finit toujours par se passer ailleurs.

J’aurais une préférence pour l’amendement présenté par Mme Youssouffa, dans lequel l’intégrité territoriale fait partie des principes de la République, tandis que celui de M. Kamardine met au même niveau principes de la République et intégrité territoriale. Je demande donc le retrait de l’amendement CL629 au profit de l’amendement CL1107.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Vous dites que ce qui se passe aux marges finit toujours par se passer ailleurs, mais les outre-mer ne sont pas les marges justement. C’est le fait de les considérer comme telles et de ne pas y appliquer certaines règles en matière d’égalité et de fraternité qui pose problème.

Ces amendements, comme l’article, sont déclaratifs : vous faites confiance aux gens, ils signent un papier et puis c’est tout. Surtout, qu’il s’agisse de l’amour de la République, du respect des valeurs républicaines ou du respect de l’intégrité territoriale, cela ne se décrète pas, cela se conquiert. Il ne suffit pas que quelqu’un signe un papier. Le respect se construit et – la formule est bonne – pour être respecté, il faut se rendre respectable.

M. Olivier Serva (LIOT). Je soutiens l’amendement de la collègue Youssouffa, ainsi que celui de M. Kamardine, moins bien écrit.

Cher collègue, il faut faire attention à ne pas parler à la place de ceux qui connaissent mieux que vous la situation et ne pas en appeler à des grands principes qui ne s’appliquent pas au cas de Mayotte.

Mme Youssouffa vous explique, avec pédagogie et clarté, que certains Comoriens – il faut connaître l’histoire pour en parler – remettent en cause le fait que Mayotte soit française. Ce n’est pas acceptable dans notre République.

Il est plus prudent, chers collègue, de vous concentrer sur ce que vous connaissez et de laisser ceux qui maîtrisent parfaitement les sujets s’exprimer en toute clarté, objectivité et pédagogie.

L’amendement CL629 ayant été retiré, la commission adopte l’amendement CL1107.

Deuxième réunion du vendredi 1er décembre 2023 à 14 heures 30

Lien vidéo : https://assnat.fr/9F9UF0

Présidence de M. Sacha Houlié, président.

Article 13 (Suite) (art. L. 411‑5, L. 412‑7 à L. 412‑10 [nouveaux], L. 413‑2, L. 413‑7, L. 424‑6, L. 424‑15, L. 432‑2, L. 432‑3, L. 432‑4, L. 432‑12, L. 432‑13, L. 433‑1, L. 433‑2, L. 433‑3‑1 [nouveau] et L. 433‑4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Introduction de nouveaux critères encadrant les titres de séjour fondés sur le respect des principes de la République, l’absence de menace grave à l’ordre public et la résidence habituelle en France

Amendement CL1717 de M. Philippe Pradal

M. Philippe Pradal, rapporteur pour les titres II et II bis. Cet amendement vise à élargir l’égalité entre les femmes et les hommes, principe de la République que les étrangers doivent respecter, à toutes les égalités que nous devons respecter collectivement – l’égalité selon la religion, l’origine, l’orientation sexuelle ou l’égalité sociale, notamment contre les castes. Cette précision paraît importante pour oublier le moins d’aspects possible.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL128 de M. Éric Pauget

M. Philippe Pradal, rapporteur. L’objet de l’amendement est inclus dans la rédaction actuelle. Demande de retrait.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL1718 de M. Philippe Pradal

M. Philippe Pradal, rapporteur. Le présent amendement revient sur les modifications apportées en séance par le Sénat, consistant à lier la compétence du préfet. Il importe de maintenir la capacité d’appréciation de celui-ci et de limiter la compétence liée, de façon à respecter le principe de l’appréciation in concreto de chaque situation.

Mme Annie Genevard (LR). La question fait aussi l’objet de mon amendement CL976 et des amendements CL471 et CL1056 de M. Ciotti. Nous considérons que le mot « peut » que vous voulez introduire prive le préfet d’un pouvoir de décision, ce qui est regrettable : le représentant de l’État doit pouvoir retirer une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle, dès lors que l’étranger constitue une menace à l’ordre public.

Dès lors que, dans le texte, il est spécifié que l’avis du préfet doit être fondé sur une décision motivée, il ne s’agit pas d’un pouvoir discrétionnaire affranchi de tout, et l’on peut tout de même faire confiance au préfet pour respecter le droit. Une formule plus affirmative est donc préférable : « La carte de séjour temporaire ou pluriannuelle est, par une décision motivée, retirée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l’ordre public. »

M. Philippe Pradal, rapporteur. Vous posez bien les termes du débat, mais l’amendement vise à rétablir la capacité d’appréciation du préfet, un pouvoir qui n’est ni discrétionnaire ni automatique. La rédaction donne la possibilité au préfet d’apprécier les circonstances qui lui permettront de justifier, sous le contrôle du juge, l’attribution ou non du titre. La rédaction issue des travaux du Sénat, qui n’était pas celle du projet de loi initial, crée une compétence automatique : le pouvoir d’appréciation du préfet ne pourrait pas s’appliquer, hormis sur le contenu des circonstances. Il me paraît plus robuste, juridiquement et constitutionnellement, de recréer ce pouvoir entre les mains du préfet.

Mme Annie Genevard (LR). Votre exposé sommaire insiste sur la nécessité que le préfet dispose d’une « pleine capacité d’appréciation de chaque situation ». Mais cette dernière est garantie dès lors qu’il y a une décision motivée. Le mot « peut » dégrade ses marges de manœuvre, quand le texte entend lui en redonner contre ceux qui menacent l’ordre public. Votre exposé sommaire sert donc plus ma vision qu’il ne défend la vôtre.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’amendement CL1376 de M. Emmanuel Mandon tombe.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement CL374 de Mme Edwige Diaz.

Amendement CL1719 de M. Philippe Pradal

M. Philippe Pradal, rapporteur. Cet amendement supprime le caractère facultatif de l’existence d’un trouble à l’ordre public pour caractériser l’atteinte aux principes de la République, que le Sénat avait introduit en séance. C’est sur la base de ce trouble que le préfet pourra exercer pleinement ses droits dans le cadre du pouvoir discrétionnaire que nous venons de rétablir.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL436 de M. Laurent Jacobelli

M. Yoann Gillet (RN). Les principes édictés à l’article L. 412-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) relèvent du bon sens et leur non-respect par l’étranger signifie que celui-ci ne doit pas se maintenir sur notre territoire. Le projet de loi, en permettant à l’autorité administrative de nier la condition de gravité d’une atteinte caractérisée à l’exercice d’un de ces droits et libertés, ouvre donc une brèche qui risque de rendre cet article inopérant.

Par ailleurs, cet article ne résout nullement la problématique des étrangers rejetant nos valeurs et les droits et libertés fondamentales de la nation. Pour ces deux raisons, cet amendement propose d’écarter l’autorité administrative de l’appréciation de la condition de gravité, mais également d’étendre la présomption de gravité aux appels à porter atteinte aux principes édictés au premier alinéa de l’article L. 412-8.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Avis défavorable car les situations visées sont déjà traitées par les textes. En supprimant la capacité d’appréciation, on fragilise le dispositif.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL1367 de Mme Marjolaine Meynier-Millefert

Mme Stella Dupont (RE). Cet amendement, travaillé avec la Fédération des acteurs de la solidarité, tend à supprimer les alinéas 17 et 18 introduisant la possibilité de retirer un titre de séjour à un réfugié résidant régulièrement en France depuis plus de cinq ans lorsqu’il est volontairement retourné dans son pays d’origine.

M. Philippe Pradal, rapporteur. En supprimant ces alinéas, vous ôtez la possibilité de retirer leur carte de résident non seulement aux personnes qui ont perdu leur statut de réfugié, mais aussi à celles qui sont retournées volontairement dans leur pays ou à celles qui demeurent présentes et qui constituent une menace pour l’ordre public. Cette rédaction fragilisant l’article, je vous demande de retirer l’amendement.

Mme Stella Dupont (RE). Je proposerai à ma collègue d’ajuster la rédaction.

L’amendement est retiré.

Amendement CL429 de Mme Edwige Diaz

M. Yoann Gillet (RN). Dans un entretien au Journal du Dimanche en août 2022, le ministre de l’intérieur et des outre-mer Gérald Darmanin a affirmé qu’« un étranger qui commet un acte de délinquance grave doit être expulsé très vite, parce qu’il crache sur le sol qui l’accueille ». Dans la continuité de ces propos, le Rassemblement national considère que tout étranger qui constitue une menace pour l’ordre public doit être expulsé du territoire national, parce que la France subit assez de délinquance et de criminalité pour endosser celles d’une population étrangère. Les Français sont à 88 % favorables à ce que l’on facilite l’expulsion des étrangers en situation irrégulière en cas de non-respect des principes de la République. Il est donc temps de permettre l’éloignement des étrangers qui constituent une menace pour l’ordre public : c’est ce que prévoit l’amendement.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Avis défavorable. La condition de gravité de la menace pour l’ordre public est nécessaire, comme le Conseil constitutionnel l’a jugé de façon constante depuis 1997. Il s’agit là d’un point d’équilibre que nous devons conserver.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL471 de M. Éric Ciotti

Mme Annie Genevard (LR). L’alinéa 23 dispose que « le renouvellement d’une carte de séjour pluriannuelle peut, par une décision motivée, être refusé si l’étranger ne peut prouver qu’il a établi en France sa résidence habituelle ».

Dès lors que la décision du préfet est motivée et que l’étranger ne peut pas prouver qu’il a établi sa résidence habituelle en France, pourquoi utiliser le mot « peut » ? Quel problème y aurait-il à utiliser une tournure plus affirmative, disant que le renouvellement « est » refusé ? Je ne comprends pas votre réticence – j’irai même jusqu’à parler de frilosité – à accepter que les choses soient dites clairement et que les préfets aient tous les moyens pour agir comme il se doit.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Je regrette de ne pouvoir présenter d’argument plus convaincant que celui que j’ai déjà exposé : le mot « peut » permet de préserver le pouvoir discrétionnaire du préfet.

En légistique, lorsque l’on rédige un article au présent et que l’on indique par ailleurs que la décision est motivée, la motivation ne peut porter que sur la décision à compétence liée, non sur l’opportunité de prendre la décision. Si l’on veut que la motivation permettre de connaître les raisons de la décision, il vaut mieux que cette compétence soit laissée au préfet.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CL1056 de M. Éric Ciotti.

Amendement CL976 de Mme Annie Genevard

M. Philippe Pradal, rapporteur. Défavorable, parce que j’ai confiance dans les préfets.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL1720 de M. Philippe Pradal

M. Philippe Pradal, rapporteur. C’est un amendement de cohérence, puisque les titulaires de la carte de séjour pluriannuelle « passeport talent » n’ont pas à être soumis à la condition de résidence habituelle en France. Cela n’aurait pas de sens car ils ont vocation à être mobiles. C’est aussi un enjeu d’attractivité pour notre pays.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL1121 de Mme Estelle Youssouffa

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Il vise à considérer comme résidant en France de manière habituelle l’étranger qui y séjourne pendant neuf mois, et non plus six, comme proposé dans le projet de loi.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Ce délai de six mois est habituel, notamment pour la notion de résidence retenue par le fisc ou le code de la sécurité sociale. Il est opportun de le conserver.

La commission rejette l’amendement.

Amendements identiques CL129 de M. Éric Pauget et CL461 de M. Michel Guiniot

Mme Annie Genevard (LR). Il s’agit de rétablir la possibilité de refuser de délivrer une carte de séjour pluriannuelle à un étranger en situation régulière en France si ce dernier a manifesté le rejet des valeurs essentielles de la société française et de la République.

M. Philippe Pradal, rapporteur. L’alinéa 49 que vous voulez supprimer n’a pas pour objet d’empêcher le refus de délivrance d’une carte de séjour pluriannuelle en cas de rejet des principes de la République : il s’agit plutôt d’une mesure de coordination rédactionnelle, de façon à éviter que le Ceseda ne retienne des formules différentes pour ce qui est des principes de la République et parce que la mention paraissait redondante avec le reste de l’article 13. Des suppressions similaires ont d’ailleurs été prévues aux alinéas 15 et 16. Mais je vous rassure, le refus de délivrer et de renouveler une carte de séjour pluriannuelle dans ce cas, et son retrait, sont prévus dans le nouvel article L. 412-7 et suivants du Ceseda. C’est pourquoi je vous suggère de retirer les amendements.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Cela démontre bien, en en creux, qu’il faut être prudent face à ce genre de formules vagues. Imaginez un ministre aux fonctions importantes, qui soit blanchi : on pourrait interpréter cela comme un non-respect des principes de la République ! La part d’interprétation joue, et cela ouvre la porte à l’arbitraire.

La commission rejette les amendements.

Elle adopte l’article 13 modifié.

Après l’article 13

Amendement CL1244 de M. Laurent Marcangeli et sous-amendements CL1748 et CL1768 de M. Philippe Pradal

M. Laurent Marcangeli (HOR). L’amendement vise à refuser l’octroi de visas court ou long séjour aux personnes qui n’ont pas soldé leurs dettes fiscales, sociales ou contraventionnelles en France. C’est simple justice. Mon groupe connaît l’engagement des agents des services diplomatiques et consulaires : il faut leur donner accès à ces informations afin qu’ils puissent refuser l’octroi d’un visa tant que les demandeurs ont de telles dettes.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Vous prévoyez une compétence liée des autorités amenées à délivrer le visa : mon sous-amendement CL1748 la transforme en possibilité. Le CL1768 précise de quelles dettes il s’agit.

La commission adopte successivement les sous-amendements et l’amendement sous-amendé. L’article 13 bis A est ainsi rédigé.

Amendements CL681 de M. Mansour Kamardine

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Dans la même veine que l’amendement CL1107 que nous avons adopté ce matin, il est proposé que tout étranger sollicitant la délivrance d’un visa à destination de toute partie du territoire national s’engage sur l’honneur à respecter l’intégrité territoriale de la République. Cela fait écho, vous l’avez compris, à la situation de Mayotte.

M. Philippe Pradal, rapporteur. J’avais donné un avis favorable à cet amendement de Mme Youssouffa ainsi qu’au CL629 de M. Kamardine qui portait sur le même sujet. Je pense que la rédaction modifiée de l’article 13 répond à la question. Votre amendement inclut en outre les demandes de visas de très courte durée, ce qui peut créer une difficulté.

La commission rejette l’amendement.

Article 13 bis (nouveau) (art. L. 441‑4‑ et L. 441‑7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Augmentation de la durée de contribution effective à l’entretien et à l’éducation d’un enfant français en Guyane et à Mayotte
pour l’octroi d’une carte de séjour temporaire

Amendements de suppression CL1721 de M. Philippe Pradal, CL928 de M. Boris Vallaud et CL1066 de Mme Francesca Pasquini

M. Philippe Pradal, rapporteur. Les dispositions de cet article, qui concernent les outre-mer, ont davantage leur place au sein du titre VI du projet de loi.

La commission adopte les amendement et l’article 13 bis est supprimé.

En conséquence, les amendements CL388 et CL1085 de M. Fabien Di Filippo tombent.

Après l’article 13 bis

Amendement CL727 de Mme Élisa Martin

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). La sélection par l’argent à l’entrée en France ne nous paraît pas une bonne chose. On ajoute encore une condition restrictive, cette fois en demandant à un parent d’enfant français d’apporter la preuve de sa contribution financière. Or cette preuve a un caractère relatif et est difficile à apporter. C’est la raison pour laquelle nous nous opposons à cet obstacle supplémentaire à la régularisation.

M. Philippe Pradal, rapporteur. L’entretien de l’enfant est une condition nécessaire et indissociable de celle tenant à l’éducation et à l’accompagnement de l’enfant : c’est le devoir qu’exerce tout parent, prévu à l’article 371-2 du code civil. Cette obligation relevant de l’autorité parentale, la supprimer pour l’un ou l’autre parent paraît difficile. L’autorité parentale et le devoir que nous avons à l’égard des enfants, comme la République, ne se divisent pas.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Nous en sommes d’accord. C’est la raison pour laquelle la mesure semble superflue. La contribution est parfois difficile à identifier, surtout s’il est question d’une contribution financière isolable. Si l’on en vient à chercher dans les factures de cantine…

La commission rejette l’amendement.

TITRE II BIS (NOUVEAU)

AGIR POUR LA MISE EN ŒUVRE EFFECTIVE DES DÉCISIONS D’ÉLOIGNEMENT

Article 14 A (nouveau) (art. L. 312‑3‑1 (nouveau) du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et art. L. 515‑13 du code monétaire et financier) : Restrictions à la délivrance de visas de longue durée et conditionnalité de l’aide au développement envers les États délivrant un nombre particulièrement faible de laissez-passer consulaires

Amendements de suppression CL48 de M. Benjamin Lucas, CL841 de M. Andy Kerbrat, CL929 de M. Boris Vallaud, CL1433 de Mme Stella Dupont et CL1577 de Mme Nadia Hai

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Il s’agit de supprimer l’article 14 A, qui prévoit un net durcissement de la délivrance de visas, ainsi qu’une restriction de l’aide au développement envers les États peu coopératifs en matière migratoire. Augmenter les montants d’aide si le pays collabore pour ce qui est de la réadmission ou du contrôle des frontières reviendrait à détourner l’aide de son objectif initial de réduction de la pauvreté, en vertu de l’article 208 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Poser comme condition à l’aide publique au développement (APD) la coopération migratoire des pays tiers va à l’encontre des principes d’efficacité de l’aide, consignés dans la Déclaration de Paris, le Programme d’action d’Accra, le Partenariat de Busan et celui de Nairobi, dont la France est signataire. Or cette signature l’engage.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). L’article 14 A, ajouté par le Sénat, entend conditionner l’aide au développement de la France à la coopération des États en matière de lutte contre l’immigration irrégulière. Pour le dire poliment, il est étrange de penser que l’aide au développement, grâce à laquelle la France permet à des citoyens de vivre et de travailler dans leur pays, sera subordonnée au fait que ces pays luttent contre l’immigration irrégulière. Cela ne prend pas en compte la situation de ces États, ni la question des échanges commerciaux que nous pouvons avoir avec eux. Si vous voulez parlez d’immigration, il faudra bien un jour que vous vous posiez la question du capitalisme et de la manière dont nous participons à l’épuisement des matières premières de certains pays.

Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). Cet article subordonne la délivrance de visas à une condition insupportable : celle que le pays concerné délivre des laissez-passer consulaires, ceux qui permettent le retour dans son pays d’un sans-papiers délinquant. C’est un chantage odieux. Il serait bien plus utile de refuser d’accorder des visas aux seuls dirigeants de ces pays ! Nous demandons la suppression de l’article.

Mme Stella Dupont (RE). Conditionner la délivrance de visas ou l’aide publique au développement à la coopération en matière de délivrance de laissez-passer consulaires constitue un non-sens. Cela affecte les personnes souhaitant voyager, étudier ou travailler en France sans peser de manière concrète sur les relations diplomatiques que nous avons avec le pays concerné. Comme l’a dit ma collègue, il serait plus pertinent de cibler les responsables du pays d’origine, qui s’opposent à la délivrance de ces laissez-passer. Il convient donc de supprimer l’article.

Mme Nadia Hai (RE). L’article, introduit par les sénateurs Les Républicains, révèle une incohérence de leur part. Les sénateurs et députés LR ont en effet sillonné l’ensemble des ambassades pour critiquer les mesures prises en 2020 – M. Ciotti par exemple est allé critiquer au Maroc les mesures du ministre de l’intérieur. Font-ils partie du personnel diplomatique ou de l’Assemblée nationale ? J’espère qu’ils adopteront ces amendements de suppression car les visas et l’aide au développement sont des éléments de rayonnement de la France, qui sont essentiels aux relations diplomatiques. Il ne paraît pas opportun de les inclure dans une conditionnalité de la politique migratoire.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Je suis défavorable à ces amendements de suppression.

Cette conditionnalité, ou du moins ce lien entre les laissez-passer consulaires et les visas, est une pratique dont la diplomatie et la politique migratoire françaises ont besoin. Dans la lecture que j’ai des institutions de la Ve République, la politique diplomatique de notre pays n’est pas conduite par le Parlement, même si elle y est débattue. Il n’en demeure pas moins que nous devons apporter des signaux de soutien.

Cet article qui lie la délivrance des visas à la coopération en matière de laissez-passer consulaire en est un élément important. Nous avons vu dans le passé que cet outil permet d’amener à la coopération certains États. Je ne souscris pas au terme de chantage, qui laisse croire à une force, à un tribunal de l’opinion publique. Reste que, dans une relation diplomatique, un État a parfois besoin d’exprimer fortement sa position afin que l’autre l’entende et la prenne en compte. La diplomatie est aussi une question de rapport de force.

Je rappelle que 53,7 % des laissez-passer consulaires ont été obtenus dans un délai utile pour permettre l’exécution des mesures : augmenter cette proportion permettrait certainement d’avoir un meilleur taux d’exécution.

Selon Christophe Léonzi, l’ambassadeur chargé des migrations, l’aide publique au développement est une donnée impérative pour soutenir les pays d’origine des migrants. Il importe que cet objectif soit partagé par le Parlement. Il s’agit donc non pas d’un chantage mais de réaffirmer que l’aide publique doit avoir pour objet de permettre aux populations de vivre, travailler, se développer dans leurs pays plutôt que de les quitter pour gagner le nôtre.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer. Je suis également défavorable à ces amendements de suppression, sur la base à la fois de l’utilité de l’article et de ce que font nos voisins européens.

L’article ne prévoit pas que l’État ne donne pas de visa si des laissez-passer consulaires ne sont pas délivrés : c’est une possibilité, non une obligation ou une injonction au Gouvernement.

Lorsque l’on négocie avec des États étrangers le retour de leurs compatriotes, notamment ceux qui doivent être expulsés pour des raisons d’ordre public, ils répondent qu’ils appliquent les règles d’un État souverain, et que rien dans le droit français ne permet de diminuer le nombre de visas en échange de la reprise des négociations consulaires, comme le Président de la République l’a fait. C’est une mesure qui marche avec de nombreux pays d’Afrique – les Comores, par exemple – ou d’Asie.

On peut comprendre la réticence des pays à récupérer certains de leurs ressortissants. Je mets moi-même plus de temps à accepter qu’un État étranger, souvent d’Asie ou d’Amérique, nous renvoie un tueur ou un pédophile : je demande s’il est bien Français, j’examine la situation, et surtout j’essaye de négocier quelque chose en échange. Les relations entre États sont faites d’intérêts et pas seulement de grandeur d’âme et de bienséance. La relation consulaire entre dans le cadre d’un ensemble de relations diplomatiques. À certains moments, on peut comprendre que, malgré des difficultés consulaires, on continue des relations diplomatiques, par exemple pour des raisons qui relèvent de la lutte contre le terrorisme ou de la puissance économique ou culturelle. À d’autres moments, on peut mettre cette menace dans la balance.

Supprimer l’article 14 A affaiblirait donc la position de la France et du ministère de l’intérieur dans ces négociations.

Par ailleurs, l’union européenne elle-même utilise cette arme vis-à-vis de pays comme la Gambie ou l’Irak, pour lesquels la délivrance de visas est conditionnée par l'obtention des laissez-passer consulaires. Il serait donc étonnant que la France s’en prive.

La commission des affaires étrangères a posé une question importante, celle des passeports diplomatiques. Je donnerai d'ailleurs un avis favorable aux amendements qu’elle a déposés sur ce sujet. Mais se pencher sur la question des passeports diplomatiques et donc des dirigeants ne doit pas nous conduire à omettre celle de la population, car c’est souvent elle qui fait pression sur les dirigeants.

Cela a été dit et redit par les représentants de nombreux groupes : sans relations diplomatiques et sans rapport de force avec les pays concernés, nous ne pourrons pas réaliser les reconduites à la frontière. Comment leur renvoyer leurs ressortissants, s’ils refusent de laisser atterrir l’avion ? Aucun pays ne se réjouit de reprendre ses ressortissants délinquants ou criminels. Ce rapport de force est donc nécessaire pour concrétiser les obligations de quitter le territoire français (OQTF).

Rappelons également que les pays visés sont, outre ceux qui délivrent un nombre particulièrement faible de laissez‑passer consulaires, ceux qui ne respectent pas un accord bilatéral qu’ils ont signé – je pense aux traités avec les pays du Maghreb. Les États doivent respecter la parole qu’ils ont donnée.

Au-delà des visas, l’article 14 A mentionne aussi l’aide publique au développement. Là encore, il n’y a rien d’automatique : l’article donne simplement à la France la possibilité d’agir au cas où un État ne respecterait pas un accord bilatéral ou multilatéral. Cela ne semble pas délirant non plus. Je rappelle à cet égard que lorsque le conseil de défense a entériné l'augmentation considérable qu’a connue l’APD récemment, en la portant à 0,55 % du PIB, il a posé comme condition l’existence de relations diplomatiques ou consulaires.

L’article 14 A est tout à fait nécessaire à la mise en application de notre politique en matière de reconduites à la frontière. Ne nous privons pas de cette arme.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Cet été, lors de l’opération Wuambushu, les autorités comoriennes ont non seulement dénoncé l’accord qu'elles avaient signé en 2019 avec la France, suspendant le retour de leurs ressortissants en situation irrégulière présents à Mayotte, mais elles ont également encouragé les Comoriens à s’y rendre par bateau. La seule chose qui a fait plier le président Azali Assoumani, c’est la menace d’un arrêt de la délivrance des visas. Il me semble important, dans un contexte de menace et de chantage migratoire, de donner à l’État tous les moyens légaux qui lui permettront d’y faire face.

M. Yoann Gillet (RN). Il faut que les Français comprennent que l’immigration massive est liée non seulement à l'absence de maîtrise de nos frontières, qui sont grand ouvertes, mais aussi au problème du retour au pays des personnes qui n'ont pas vocation à être sur le sol national. Il est vrai que l’impossibilité de les expulser tient principalement au refus des pays d’origine de reprendre leurs ressortissants et de délivrer à la France les laissez-passer consulaires. Avec Marine Le Pen, nous proposons depuis longtemps de rendre systématique dans ce cas l’arrêt de la délivrance des visas ainsi que la suspension de l’aide au développement et de l’ensemble des autres aides internationales indirectes.

Cette situation n’est pas acceptable. Si la France ne tape pas du poing sur la table, elle ne se fera pas respecter. Je voudrais quant à moi que nous allions plus loin que ce que propose M. le ministre et que ces sanctions soient généralisées au-delà des seuls pays avec lesquels nous avons signé des accords.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). L’approche incitative implique une relation inégale entre les pays, qui s’oppose à une démarche partenariale et renforce des rapports de domination préexistants. Cette vision peut avoir des effets contre-productifs sur les déplacements de population et nourrir le ressentiment des habitants de ces pays à l’égard des États européens et de la France.

Une politique restrictive en matière de visas a pour objectif de « punir » un État tiers dont la coopération diplomatique dans un domaine n’a pas été appréciée. Pourtant, c’est la population elle-même qui est la première à en pâtir. Dans certains pays, cela provoque le départ par des voies irrégulières, potentiellement dangereuses, de personnes qui avaient vocation à emprunter des voies sûres et légales. La politique restrictive en matière d’octroi de visas peut donc avoir pour conséquence de renforcer les filières d’arnaque aux visas ou de traite des êtres humains. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire de supprimer cet article.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Les Républicains estiment que la France a besoin de moyens de pression pour exécuter les OQTF et obtenir les laissez-passer consulaires, par deux biais : la restriction des visas, en particulier pour les dirigeants, et la limitation des aides publiques au développement. Il y va du respect du contribuable français, alors que l’aide publique au développement s’est accrue.

Alors que l’Agence française pour le développement (AFD) intervient en Albanie depuis 2019, 1 882 OQTF seulement ont été exécutées à destination de ce pays en 2022, sur 6 833 prononcées, et 5 660 Albanais ont demandé l'asile en France. Alors que l’AFD a engagé 3 milliards d’euros en Côte d’Ivoire, 126 OQTF ont été exécutés en 2022 sur 4 629 prononcées, et 5 800 Ivoiriens ont demandé l’asile. Pour le Bangladesh, qui a reçu 1,14 milliard d’euros d’aides depuis 2013, 45 OQTF ont été exécutées sur les 5 720 prononcées.

Mme Hai nous a accusés de tous les maux s’agissant de la restriction des visas aux ressortissants de pays du Maghreb. Or ce que nous dénoncions avant toute chose, c’est que le Maroc et l’Algérie soient mis dans le même sac alors que le premier délivre deux fois plus de laissez-passer consulaires que la seconde !

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. Cet article propose simplement de mieux articuler nos objectifs migratoires et nos outils de politique étrangère – ce que fait déjà très bien l’Union européenne. Le Gouvernement français a déjà utilisé le levier des visas en 2022 à l’égard des pays d’Afrique du Nord, avec un certain succès. Déterminer des objectifs de politique migratoire dans le cadre de l’aide au développement, c’est aussi un moyen d’aider nos partenaires en matière de contrôle de leurs frontières, de politique d’état civil et d’accueil des réfugiés, comme ils nous le demandent. Cet article mérite donc d’être débattu.

Il convient cependant de faire en sorte que ces leviers soient davantage utilisés à l’encontre des États et des décideurs qu’à l’encontre des populations et des sociétés civiles. C’est le sens des amendements qu’a déposés la commission des affaires étrangères.

M. Carlos Martens Bilongo (LFI-NUPES). L’aide publique au développement est essentiellement constituée de prêts. Elle ne doit pas être liée à la délivrance de laissez-passer consulaires. En 2021, monsieur le ministre, vous avez voulu instaurer un chantage de ce type vis-à-vis des pays du Maghreb : cela a nui à la qualité de nos relations diplomatiques avec eux. En outre, l’action de l’AFD contribue au rayonnement de la France dans des pays où sont présents des entrepreneurs français qui utilisent les ressources locales, notamment le pétrole. Au Mozambique, Total contribue, par l’expropriation de terres, au déplacement des populations vers le Nord – et l’on se demande ensuite pourquoi celles-ci fuient vers l’Europe !

Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). Vous avez raison, monsieur le ministre : ce chantage se pratique dans les relations entre États. Doit-il pour autant être gravé dans la loi ? Vous allez dégrader les relations entre la France et les pays en voie de développement, auxquelles contribue justement l’aide publique au développement. Quant à la délivrance des visas, l’exemple de l’Algérie prouve que cet outil ne fonctionne pas : le nombre de laissez-passer consulaires a largement baissé. Si de telles mesures peuvent être utilisées, je l’admets, il me semble néfaste de les graver dans la loi.

Mme Marie Guévenoux (RE). Le groupe Renaissance rejettera les amendements de suppression. Pour nous, l’article 14 A est en effet un outil indispensable pour pouvoir éloigner les étrangers qui doivent être renvoyés dans leur pays d’origine. Pour cela, nous avons besoin de pouvoir établir, si nécessaire, un rapport de force au travers des leviers que sont les visas et l’aide publique au développement.

Les amendements déposés par Benjamin Haddad, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, permettront d’ajuster la rédaction de l’article s'agissant notamment des passeports diplomatiques ou des passeports de service, mais aussi d’exclure les étudiants de son application. Nous les voterons volontiers.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). La question du rapport de force, en matière diplomatique, peut se poser. Mais jusqu’où aller, et à quel prix ? J’ai pu constater que l’Algérie avait cessé pendant un temps de délivrer des laissez-passer consulaires, à tel point qu’on pouvait se demander pourquoi continuer d’envoyer des Algériens dans les centres de rétention administrative (CRA). Votre objectif, dans ce rapport de force, monsieur le ministre, est d’accroître le nombre d’expulsions. Mais que devient notre relation avec l’Algérie sur tous les autres sujets ? Ce seul objectif justifie-t-il d’empêcher des Algériens d’assister à des enterrements ou des mariages en France ? Nos rapports avec ce pays comme avec d’autres sont très dégradés, il serait temps de chercher à les améliorer.

Mme Nadia Hai (RE). Je ne pense pas que le rapport de force soit de nature à améliorer la collaboration entre les États. La décision que vous avez prise de réduire le nombre de visas délivrés aux ressortissants des pays du Maghreb, monsieur le ministre, relevait davantage de l’invitation à dialoguer que de la sanction. Je sais en effet que vous ne considérez pas ces pays comme des adversaires mais comme des partenaires qui peuvent nous aider à améliorer le taux de reconduites à la frontière. Le recours à une sanction inscrite dans la loi serait totalement contre-productif et nuirait à nos relations bilatérales. Vous auriez plutôt intérêt à discuter dans le cadre de conventions bilatérales.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je veux d’abord redire que l’article 14 A ne contraindrait pas l’État à stopper la délivrance de visas mais lui donnerait la possibilité de le faire. Aucun pays ne serait visé en particulier : l’ensemble de ceux qui ont signé un accord bilatéral ou multilatéral avec la France pourraient l’être. Vous savez d’ailleurs, madame Hai, que nous n’avons pas arrêté de délivrer des visas pour les ressortissants algériens ou marocains mais divisé leur nombre par deux. Peut-être cette décision a-t-elle rendu plus difficiles les déplacements, mais l’objectif est aussi, précisément, que la population fasse pression sur ses dirigeants.

Quel intérêt aurions-nous, madame Faucillon, à garder sur notre sol des délinquants multirécidivistes qui ne sont pas français et que leurs propres pays refusent ? Personne ne pourrait l'expliquer à la population ! Lorsqu’on est aux responsabilités, il faut savoir prendre des décisions, fussent-elles difficiles aux yeux de certains. C’est tellement vrai que Jean-Pierre Brard, vingt ans député du parti communiste, m’a écrit pour apporter son soutien au conditionnement de la délivrance de visas et de l’aide publique au développement.

J’ai également entendu une contre-vérité s’agissant de l'efficacité de ces mesures. Je vous renvoie sur le sujet, monsieur Bilongo, au rapport de M. Le Fur, rapporteur spécial de la commission des finances pour la mission budgétaire Aide publique au développement – et député de l’opposition. Sur la base des chiffres que lui ont transmis le ministère de l'intérieur et des outre-mer et le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, il établit que le taux de délivrance de laissez-passer consulaires est passé, entre 2021 et 2022, de 6 % à 46 % pour l’Algérie, de 43 % à 54 % pour le Maroc et de 41 % à 44 % pour la Tunisie. Ce sont des évolutions significatives, dont nous pourrions nous réjouir et remercier ces États. Chacun sait en effet que c’est avec les pays du Maghreb que nous rencontrons des difficultés : en 2022 en effet, le taux de délivrance de laissez-passer consulaires s’est établi à 96 % pour la Côte d’Ivoire, à 93 % pour la Guinée et à 75 % pour le Sénégal. Des taux de 46 % ou 44 % ne sont certes pas suffisants, ce qui justifie les dispositions de l’article 14 A, mais ils sont en forte progression.

Vous ne pouvez pas me reprocher de ne pas appliquer les OQTF ou d’envoyer du monde en CRA si vous refusez de donner au ministère de l’intérieur les moyens d'améliorer la situation – à moins que vous ne défendiez, comme le font certains groupes politiques, la régularisation de tous les sans-papiers, y compris des délinquants. C’est une position tout à fait respectable, mais c’est un autre sujet. (Plusieurs députés du groupe LFI-NUPES s’exclament.) Vous avez tout de même voté contre les articles 9 et 10, vous voulez supprimer la rétention administrative et vous avez défendu un amendement de régularisation de tous les sans-papiers !

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Non, des travailleurs sans papiers !

M. Gérald Darmanin, ministre. Le conditionnement est un outil essentiel, qui a montré son efficacité.

La commission rejette les amendements.

Amendements identiques CL267 de la commission des affaires étrangères, CL1245 de M. Laurent Marcangeli et CL1346 de Mme Maud Gatel

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Cet amendement propose d’ajouter à la liste des visas dont la délivrance pourrait être refusée les visas de court séjour sollicités par les titulaires de passeports diplomatiques ou de service, ressortissants d’États délivrant un nombre particulièrement faible de laissez-passer consulaires ou ne respectant pas un accord bilatéral ou multilatéral de gestion des flux migratoires. Il s’agit de cibler, autant que possible, les décideurs, les dignitaires et les gouvernements de pays non coopératifs plutôt que les populations.

M. Laurent Marcangeli (HOR). Il nous semble que le fait de viser les titulaires de visas diplomatiques serait un bon moyen d’inciter les États peu coopératifs à coopérer davantage, et qu’il est plus juste d’influer sur les décideurs que de pénaliser la population.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Même si des évolutions rédactionnelles me semblent nécessaires d’ici l’examen du texte en séance, j’ai plaisir à émettre un avis favorable à ces amendements.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Le groupe Les Républicains votera ces amendements, estimant qu’il peut être utile de viser les dirigeants des pays. Par ailleurs, il y a peut-être eu 46 % de laissez-passer consulaires délivrés par l’Algérie en 2022, monsieur le ministre, mais seulement 962 OQTF appliquées sur 26 147 ! La réalité, c’est que la France demande très peu de laissez-passer consulaires à l’Algérie – à peine 10 % de nombre d’OQTF délivrés à l’encontre de ressortissants algériens. Comparons ce qui est comparable.

La commission adopte les amendements.

Présidence de Mme Caroline Abadie, vice-présidente de la commission.

Amendement CL510 de M. Sébastien Chenu

M. Yoann Gillet (RN). En contrepartie d’un effort financier considérable de la part des Français, il est légitime de demander aux pays aidés de s’engager à reprendre l’ensemble de leurs ressortissants résidant illégalement en France. Un amendement déposé à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2024 proposait la création, pour chaque pays recevant une aide économique ou financière française, d’un indicateur relatif au taux de reprise des ressortissants expulsés de France ; il a été rejeté.

S’agissant des montants de l’aide française au développement, le Gouvernement avait annoncé qu’il s’efforcerait d’atteindre 0,7 % du revenu national brut en 2025, et 22 milliards d’euros par an. Pour rappel, les recettes de la taxe d’habitation ont rapporté 24,3 milliards en 2020. Au premier trimestre 2022, seulement 6,9 % des OQTF étaient exécutées, en partie du fait du refus de certains pays de délivrer les laissez-passer consulaires.

Le présent amendement vise donc à établir les bases d’une relation de confiance avec les États soutenus par l’argent des Français. À force de ne plus rien exiger, la France n’est plus respectée.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Avis défavorable. La rédaction actuelle du texte vise les États délivrant un nombre « particulièrement faible » de laissez-passer consulaires, et non pas seulement « faible », comme le propose l’amendement. Plus précise et plus équilibrée, elle donnera la possibilité à l’État de mener une action ciblée et efficace plutôt qu’une action générale, moins efficace.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Notre groupe s’oppose au dispositif que le Rassemblement national propose de durcir, et qui revient à pénaliser des individus en raison du comportement de l’État dont ils sont ressortissants. C’est une idée un peu étrange, qui témoigne d'une vision particulière de la liberté.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL1588 de Mme Nadia Hai

Mme Nadia Hai (RE). Faisant suite au rejet des amendements de suppression de l’article, cet amendement de repli vise à supprimer les alinéas 1 à 4, afin que la délivrance des visas ne soit pas conditionnée par celle des laissez-passer consulaires. Les visas sont déjà des titres de séjour accordés de façon totalement subjective. Nul besoin d’inscrire dans la loi une politique de sanction en la matière.

L’amendement prévoit néanmoins de conserver les alinéas 5 et 6, qui disposent que l’AFD peut prendre en compte la qualité de la coopération des États en matière de lutte contre l’immigration irrégulière dans la répartition des concours qu’elle attribue.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Avis défavorable pour les raisons exposées précédemment.

M. Gérald Darmanin, ministre. Mme Hai minimise la portée qu’aurait son amendement : les quatre premiers alinéas sont en effet ceux qui donneront le plus de pouvoir au Gouvernement – dans le cas, je le répète, où un État ne respecterait pas un accord qu’il aurait signé librement.

Mme Nadia Hai (RE). Nous aurons de nouveau ce débat en séance, car je reste convaincue que cette mesure ne permettra pas d’obtenir davantage de laissez-passer consulaires. J’invite mes collègues à bien réfléchir d’ici là, car Les Républicains nous tendent un piège : les propos qu’ils tiennent à l’Assemblée et dans les ambassades portent atteinte au rayonnement et aux intérêts de la France. Ils contribuent à la montée du sentiment antifrançais au Maghreb et en Afrique.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). L’heure est grave, quand Mme Hai et les Insoumis se retrouvent du même côté ! Comme elle l’a dit très justement, comme Carlos Martens Bilongo, ce qui est en cause, c’est l’image de notre pays à l’étranger. Mais allons plus loin : certains migrants quittent leur pays pour des raisons économiques ; or la France participe parfois elle-même à affaiblir économiquement ces pays ! L’APD, sur laquelle il y aurait sans doute beaucoup de choses à redire, a au moins le mérite d’améliorer les choses.

Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). Vous êtes en train de dire aux habitants de certains pays que nous subordonnons notre aide publique au développement à un chantage infâme au retour des délinquants sans papiers. Ce faisant, d’une part vous abandonnez à leur sort les populations les plus fragiles, d’autre part vous nourrissez une détestation de la France. Nos relations internationales en sortiront abîmées.

M. Yoann Gillet (RN). Il n’est pas acceptable d’entendre que le fait de sanctionner des pays qui ne délivrent pas assez de laissez-passer consulaires nuirait à l’image de la France. Aujourd’hui, l’image de la France est celle d’un pays laxiste qui se fait marcher dessus – un peu le paillasson du monde ! Il est important de réaffirmer que nous ne nous laisserons pas faire et que nous pouvons sortir les gros bras.

Mme Laure Miller (RE). Les députés du Rassemblement national nous expliquent depuis lundi qu’ils ne soutiennent pas Giorgia Meloni mais Matteo Salvini. Rappelons à ceux qui ne le connaissent pas que ce charmant monsieur un peu particulier – c’est un nostalgique de M. Mussolini – a un bilan en tant que ministre de l’intérieur : sur les 100 000 expulsions qu’il avait promises, il n’en a réalisé qu’un peu plus de 7 000.

M. Gérald Darmanin. Je rappelle aussi que M. Salvini fait partie du gouvernement de Mme Meloni…

Contrairement à ce qu’affirment M. Léaument et Mme Keloua Hachi, la France ne va pas sanctionner les pays qui ont besoin d’elle en matière d’aide au développement, mais ceux qui ont signé un accord avec elle. Ces pays se sont engagés librement pour demander à la France une aide qu’elle leur apporte bien volontiers – en matière d’aide publique au développement, de développement économique, de politique migratoire ou encore d’accueil d’étudiants. Comme pour tout accord – un accord international n’est jamais unilatéral, ce n’est pas un contrat léonin – ils l’ont fait en échange de contreparties, dont des conditions de retour au pays de leurs ressortissants, que la France inclut désormais dans tous les accords qu’elle signe. Voilà tout l’objet de cet article : il ne s’agit pas d’une action unilatérale ciblant une population, il s’agit de faire respecter les termes d’un accord signé librement par un pays souverain.

Dans le domaine diplomatique, les engagements sont souvent réciproques. Les États-Unis et la Chine pratiquent cette réciprocité dans le cadre des accords économiques. C’est le cas aussi par exemple de l’Algérie : un Français ne peut pas y créer une entreprise sans s’associer à un Algérien. C’est normal, cela relève de la souveraineté des États. Tous les gouvernements, y compris les gouvernements socialistes, adoptent certaines exigences dans le cadre des accords multilatéraux ou bilatéraux qu’ils signent.

Nous avons besoin de cet article 14 A pour appliquer notre politique migratoire. Il ne dévalorise pas la France : au contraire, il lui fournit une arme qui renforce son pouvoir diplomatique.

La commission rejette l’amendement.

Amendements identiques CL265 de la commission des affaires étrangères et CL1348 de Mme Maud Gatel

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. La commission des affaires étrangères propose d’exclure les étudiants des mesures de restriction de délivrance de visas prises en cas de non-coopération de leur État d’origine en matière de politique migratoire. Ils participent au rayonnement de nos universités et de notre recherche et contribuent à notre économie.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Avis favorable sur le fond. La forme demande sans doute d’être retravaillée, ce que je vous propose de faire d’ici à la séance.

Mme Annie Genevard (LR). Vous souhaitez retirer les visas étudiant des rapports de force avec les pays réticents à délivrer des laissez-passer consulaires : très bien, mais il faut se garder d’une vision un peu lénifiante. Certes, les étudiants étrangers contribuent au rayonnement de la France – avec 100 000 visas étudiant délivrés chaque année, notre pays ne semble d’ailleurs pas être en perte de vitesse. Mais, parmi ces étudiants, tous ne sont pas assidus. C’est la raison pour laquelle nous avons voté la condition du caractère réel et sérieux des études pour la délivrance de visa.

Prévoir cette exception dans la loi risque de nous priver de la possibilité de restreindre un jour la délivrance de visas étudiant, alors que rien ne nous empêche, si ce n’est pas inscrit dans la loi, d’accepter toutes les demandes qui sont faites.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Je suis heureuse de voir que l’accueil d’étudiants étrangers nous tient à cœur. Leur présence est importante pour notre pays ainsi que pour leur pays d’origine, pour plusieurs raisons – on a évoqué notamment le classement de Shangaï. Il n’est donc pas très cohérent de l’avoir oublié au moment d’exiger une caution spécifique et de majorer les droits d’inscription, et nous regrettons de ne pas avoir été entendus sur ces sujets.

La commission adopte les amendements.

Amendements identiques CL269 de la commission des affaires étrangères et CL1350 de M. Erwan Balanant

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Cet amendement, qui s’inspire de l’instrument européen de coopération, propose de se donner l’objectif de consacrer 10 % de notre aide au développement à l’augmentation des capacités migratoires de nos partenaires. Il s’agit, hors de toute conditionnalité, de les aider à mieux maîtriser leurs frontières, à mieux accueillir les réfugiés, à développer leur état civil par exemple. Ainsi, la Tunisie n’a pas de politique d’asile ni de maîtrise de ses frontières.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Avis favorable.

M. Carlos Martens Bilongo (LFI-NUPES). Voulez-vous vraiment utiliser l’APD pour financer les garde-côtes de Tunisie, sachant toutes les exactions, les violences, y compris les viols, qu’ils commettent ? Je vous invite vraiment à vous documenter sur la question. L’aide au développement doit servir à la santé, à l’assainissement, pas à garder les frontières.

La commission adopte les amendements.

Amendements identiques CL261 de la commission des affaires étrangères et CL1355 de M. Bruno Fuchs

M. Philippe Pradal, rapporteur. Avis favorable à ces amendements qui suppriment des alinéas prévoyant une contrainte supplémentaire.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’amendement CL394 de M. Fabien di Filippo tombe.

Amendement CL474 de M. Éric Ciotti

Mme Annie Genevard (LR). Il s’agit de pouvoir réduire notre aide au développement à destination des États qui délivrent un nombre particulièrement faible de laissez-passer consulaires. Lier l’APD à la bonne volonté des États est une demande que nous formulons depuis des années. Les dispositions des articles 9 et 10, qui facilitent l’éloignement de certains étrangers protégés, seront en effet inutiles si le pays d’origine de la personne que nous voulons expulser refuse de le reprendre. Nous sommes donc très favorables à l’article 14 A et à l’extension de ses dispositions aux visas sollicités par les détenteurs d’un passeport diplomatique, car ils sont des leaders d’opinion et peuvent faire bouger les lignes. Je trouve également intéressante la disposition introduite au Sénat par les centristes et prévoyant la prise en compte des efforts déployés par les États pour lutter contre l’immigration irrégulière.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Demande de retrait ou avis défavorable car cet amendement est satisfait par l’alinéa 4 dans sa rédaction issue du Sénat, que nous n’avons pas modifiée.

M. Gérald Darmanin, ministre. Madame Genevard, vous avez souligné l’importance des articles 9 et 10 pour l'expulsion et l’éloignement des étrangers délinquants, auxquels vous auriez pu ajouter l’article 13. Aujourd’hui, si nous éloignons 2 500 étrangers délinquants par an, il en reste 4 000 que nous ne pouvons pas expulser en raison de réserves d’ordre public que nous impose la loi française elle-même. Celles-ci ont été levées par les articles 9 et 10. Ces articles conduiront donc à une augmentation des expulsions et des éloignements, quand bien même l’article 14 A ne serait pas adopté. Bien sûr, ce dernier nous permettra d’aller beaucoup plus loin et de nous armer dans la bataille avec les autres États, j’entends le lien que vous faites à ce propos, mais il n’est pas raisonnable de dire que les articles sur la levée des réserves d’ordre public seraient vains s’il n’est pas adopté.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Il faut également se demander à quoi peut servir l’aide publique au développement. Il peut être utile par exemple d’inciter les États partenaires à développer leur état civil, en particulier biométrique – nous pourrions y travailler en séance. Cette question a été abordée lors de la discussion sur la grande loi votée lors du précédent quinquennat. Cela permettrait d'avoir beaucoup plus de retours positifs sur les demandes de laissez-passer consulaires. L’APD serait alors un bon moyen d’améliorer l’exécution des OQTF, mais sans qu’il y ait besoin de la réduire.

M. Gérald Darmanin, ministre. Pour ce qui est du ministère de l’intérieur, nous le faisons déjà. La loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) contient des dispositions concernant une aide budgétaire internationale, qui n’est pas une aide au développement et qui finance, notamment par l’intermédiaire de Civipol, des améliorations de l’état civil – les États sont demandeurs – ou l’équipement de la police aux frontières. Nous aidons par exemple les Comores à acheter et faire fonctionner les bateaux de leurs garde-côtes, ou encore la Tunisie. Nous pourrons y travailler avec les rapporteurs, si vous le souhaitez.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 14 A modifié.

Article 14 B (nouveau) (article L. 414‑1-1 (nouveau) du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Information des organismes de sécurité sociale et de Pôle emploi des décisions d'OQTF et obligation de radiation une fois la décision devenue définitive

Amendements de suppression CL50 de M. Benjamin Lucas, CL842 de M. Thomas Portes, CL931 de M. Boris Vallaud et CL1439 de Mme Stella Dupont

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Nous proposons de supprimer cette disposition ajoutée par le Sénat prévoyant la suppression des allocations chômage en cas de refus de titre de séjour. Le droit au chômage indemnisé est en effet attaché à la personne. Certains individus peuvent avoir travaillé et cotisé pendant plusieurs années. Ils ont, à ce titre, participé au financement de la sécurité sociale et ont des droits au chômage. Nous nous opposons à votre vision utilitariste. Vous qui nous faites depuis ce matin des leçons de respect des valeurs de la République, commencez par respecter les droits de ceux qui ont travaillé et cotisé.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Cet article introduit une mesure de bon sens en prévoyant l’information des organismes concernés d’une décision du préfet confirmant la situation irrégulière d’un étranger. La rédaction pourra sans doute en être améliorée en séance, mais je suis défavorable à sa suppression.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Ce projet de loi est décidément à sens unique : il crée toujours plus de devoirs pour les personnes étrangères tout en leur donnant toujours moins de droits.

La délinquance, dont le Rassemblement national s’émeut, risque d’être favorisée par cette disposition qui va enfoncer encore plus dans la précarité des gens en les privant de leurs droits au chômage. Arrive un moment où, quand on n’a plus de ressources, on est amené à commettre un larcin ici ou là, pour des raisons de survie ! Ce texte dépouille ces gens de tellement de droits et de moyens pour vivre dignement qu’il les pousse à cela.

Mme Edwige Diaz (RN). Une fois de plus, une partie de la majorité s’allie à la NUPES pour assouplir le texte. Ils refusent que le préfet, après une décision de refus ou retrait d’un titre de séjour ou encore d’expulsion, en informe les organismes de sécurité sociale, les caisses d’allocations familiales et Pôle emploi afin que ceux-ci puissent radier la personne. C’est pourtant la moindre des choses ! Il s’agit d’une personne qui n’a pas de raison de se maintenir sur le territoire.

Plutôt que d’augmenter continuellement les impôts des Français, vous devriez explorer les pistes d’économie liées aux aides versées aux étrangers, qui, selon l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), s’établissent à 9 milliards pour les allocations familiales, 5 milliards pour les aides au logement et 6 milliards pour le RSA. Les Français pourraient ainsi récupérer un peu de leur argent.

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). L’indemnisation du chômage, ce n’est pas de l’argent des Français qui va aux étrangers : elle est due à toute personne, française ou étrangère, en situation régulière ou irrégulière, qui a cotisé. La philosophie de notre système social est celle de l’assurance, pas de la charité. Les droits au chômage sont un droit acquis au titre d’un travail, ils ne peuvent être liés à un papier ou à une nationalité. Nous ne pouvons pas priver ces personnes d’un droit qu’elles ont largement gagné.

M. Florent Boudié, rapporteur général et rapporteur du titre Ier A. Madame Diaz, vous n’avez pas bien suivi les débats : le rapporteur a donné un avis défavorable aux amendements de suppression déposés par la NUPES. De quelle alliance parlez-vous ?

Pour le reste, il est tout à fait normal qu’une personne n’ayant plus le droit de séjourner en France ne puisse avoir les mêmes droits que si elle était en situation régulière – et pas seulement pour les prestations chômage, mais pour toutes les prestations des organismes de sécurité sociale ; nous l’assumons. Mais nous prévoyons un délai de carence de trois mois qui permettra d’assurer, le cas échéant, la continuité des soins – sachant qui plus est que nous avons rétabli l’aide médicale de l’État.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je comprends que vous ayez pris l’exemple des prestations chômage, car il pourrait paraître comme étant le plus scandaleux. Mais l’article ne concerne pas que les prestations chômage, qui sont une prestation contributive financée par les Français comme par les étrangers en situation régulière, mais l’ensemble des prestations, contributives ou non. J’ajoute que ces prestations ne sont pas retirées automatiquement à tout étranger en situation irrégulière, mais seulement lorsque la personne doit quitter le territoire national pour cause de désordre public, au titre de la police du séjour et de l’article 13 du projet de loi. Personne ne comprendrait, par exemple, que les prestations sociales de la personne qui a assassiné la petite Lola continuent à être versées. J’avais donc pris le 17 novembre 2022, à la demande du Président de la République, une instruction visant à la suspension du versement, qui a d’ailleurs été intégralement validée par le Conseil d’État.

M. Dumont a évoqué nos relations avec ce grand pays ami qu’est l’Algérie. Selon les derniers chiffres dont je dispose, qui remontent au premier semestre 2023, 13 260 OQTF ont été prononcées à l’encontre de citoyens algériens, dont 6 122 exigeaient un laissez-passer consulaire puisqu’elles n’étaient pas exécutées de façon volontaire dans le délai imparti – nous aurons d’ailleurs l’occasion de nous interroger plus loin dans le texte sur le taux d’exécution volontaire des OQTF. Nous avons demandé à ce titre au gouvernement algérien 2 808 laissez-passer consulaires. Plus de 900 de ces demandes ont été acceptées – j’en remercie le gouvernement algérien –, mais n’oublions pas que le délai moyen est de trois mois. Ces chiffres ne sont pas extraordinaires, mais ils montrent une amélioration ainsi que la continuité du travail diplomatique avec l’Algérie. L’ensemble des documents concernant ce travail ont été transmis à Mme Stella Dupont et M. Mathieu Lefèvre dans le cadre de leurs travaux d’évaluation de la mission Immigration, asile et intégration.

La commission rejette les amendements.

Amendement CL1134 de Mme Estelle Youssouffa

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Cet amendement tend à ce que la décision de refus ou de retrait d’un titre de séjour ou d’expulsion soit également communiquée automatiquement aux centres communaux d'action sociale, aux organismes chargés de la gestion des logements sociaux et à l’ensemble des mairies du département. Nous constatons en effet que certains étrangers se contentent, après la décision, de changer de commune, profitant du manque de coordination des différents acteurs publics. À Mayotte, certaines familles font ainsi le tour de l’île. Quand un droit est retiré, les autorités doivent pouvoir prendre les mesures adéquates.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Je suis sensible à la logique de votre amendement. Toutefois, il se heurterait aux limites des capacités opérationnelles de communication des préfectures et de traitement des communes. Je vous demande de le retirer afin de le retravailler ; à défaut, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Présidence de M. le président Sacha Houlié.

Amendement CL867 de M. Yoann Gillet

M. Yoann Gillet (RN). Chers collègues bien-pensants de gauche, la France n’a pas vocation à être un guichet social pour clandestins. Nous proposons par cet amendement de réduire le délai de carence prévu par l’article 14 B pour radier les clandestins, qui est de trois mois. Le limiter à l’expiration du mois en cours serait plus raisonnable. Cela permettrait d’assurer une radiation rapide et effective afin d’éviter qu’un clandestin puisse tirer profit des prestations sociales.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Avis défavorable : un tel délai est opérationnellement intenable et remettrait en cause l’équilibre de l’article.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 14 B non modifié.

Article 14 C (nouveau) (articles L. 732-2 et L. 732-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Extension de la durée maximale d’assignation à résidence d’un étranger faisant l’objet d’une OQTF

Amendements de suppression CL51 de M. Benjamin Lucas, CL843 de Mme Élisa Martin, CL932 de M. Boris Vallaud et CL1356 de M. Emmanuel Mandon

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). Je m’interroge sur la psychologie des sénateurs : comment ont-ils pu penser à faire payer leur assignation à résidence aux personnes concernées ? Pourquoi pas leur faire payer le stylo du juge ! Je ne comprends vraiment pas comment cette disposition a pu devenir un article dans un projet de loi.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Encore une disposition pensée pour rendre la vie des étrangers encore plus infernale et pour rogner sur leurs droits ! Cet article porte une atteinte disproportionnée au droit fondamental d’aller et venir en permettant de prolonger l’assignation à résidence jusqu’à deux fois une période de quarante-cinq jours, soit un total de cent trente-cinq jours. Et, comme toutes les autres dispositions de ce projet de loi, cela ne résoudra rien : au bout des cent trente-cinq jour, rien n’aura changé.

Mme Marietta Karamanli (SOC). Le droit actuel suffit déjà amplement au respect des assignations à résidence. La sévérité des mesures prévues par l’article 14 C est donc du pur affichage, d’autant que l’État aurait les plus grandes peines à les appliquer.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Avis défavorable à la suppression de cet article bien que sa rédaction puisse être améliorée sur deux points, d’une part en prenant en compte l’insolvabilité des intéressés, d’autre part en exigeant une motivation spéciale pour le dernier renouvellement de quarante-cinq jours. J’ai déposé deux amendements en ce sens.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je soutiendrai ces amendements du rapporteur. En effet, le Sénat n’a pas entendu les arguments du Gouvernement sur l’insolvabilité de certains assignés à résidence, alors que le coût d’une assignation à résidence en hôtel peut être très élevé. En revanche, je dois dire à Mmes Rousseau et Martin que des personnes très riches peuvent être assignées à résidence, notamment dans des cas d’expulsion pour fraude fiscale ou pour intelligence avec l’ennemi. Je ne tiens pas à ce que nous payions leurs nuits d’hôtel. J’en profite pour saluer la cohésion des arguments et la solidarité de groupe de la NUPES, avec M. Mélenchon premier ministre à sa tête.

Je ne vois rien de scandaleux à demander à des personnes de payer leur assignation à résidence si elles ont un revenu ou du capital. Je rappelle que ce n’est pas de la rétention : la plupart des personnes concernées travaillent, même si elles doivent passer la nuit dans le lieu prévu et éventuellement pointer au commissariat. Ces personnes doivent être éloignées pour des raisons d’ordre public mais c’est l’État qui paye non seulement leurs nuits d’hôtel, mais les policiers affectés à leur surveillance. Ce peuvent être par exemple des personnes condamnées pour terrorisme et assignées à résidence par décision de justice à l’issue de leur peine d’emprisonnement dans l’attente du rétablissement de relations diplomatiques avec leur pays d’origine.

M. Mansour Kamardine (LR). Madame Rousseau, évitons de nous insulter entre parlementaires, tout le monde s’en trouvera mieux. Il est possible que les sénateurs s’interrogent eux aussi sur votre façon de penser.

Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). Cet article n'aura en réalité pour conséquence que de renforcer l'exclusion et la précarisation des personnes assignées à résidence. Celles-ci se trouvent d’ailleurs dans une sorte de limbes : elles ne peuvent être ni régularisées, ni expulsées. Elles sont maintenues sur le territoire français tout en étant exclues de l'ensemble de leurs droits. L’assignation à résidence est une privation de liberté demandée par l'État français et il ne revient pas à la personne concernée d’en assumer la charge financière.

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Demander aux personnes concernées de payer leur assignation à résidence est totalement irresponsable quand on sait que certaines sont obligées de fuir leur pays, ravagé par la guerre ou par le capitalisme.

Cet article illustre bien la philosophie du texte, inspirée par le Danemark, érigé en modèle pour les questions migratoires par le porte-parole du Gouvernement M. Véran. Je vous mets en garde : ce pays, qui a repris des idées à l’extrême droite, a adopté une loi permettant la saisie d’une partie des biens dont disposent les gens lors de leur arrivée sur son territoire national. Une telle mesure a été prise dans notre pays lors d’années bien sombres de notre histoire.

La commission rejette les amendements.

Amendement CL1592 de M. Philippe Pradal

M. Philippe Pradal, rapporteur. Il s’agit de l’amendement qui précise que les frais liés à l’assignation à résidence sont pris en charge par l’État si la personne est insolvable.

Je rappelle que l’objectif de la mesure d’assignation à résidence d’une personne qui fait l’objet d’une OQTF est bien de l’inciter à partir d’elle-même : il ne s’agit pas de créer un statut supplémentaire.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL1602 de M. Andy Kerbrat

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Nous n’avons pas réussi à faire supprimer cet article profondément abject. Nous vous demandons donc d’essayer au moins de limiter la casse en matière de respect du droit.

Dans une logique de fausse efficacité, vous prévoyez la possibilité de prolonger de quarante-cinq jours l’assignation à résidence, par deux fois, soit une durée totale de cent trente-cinq jours. Comme lorsqu’il s’est agi d’augmenter la durée de la rétention en CRA, vous prétendez que cela permettra d’expulser plus facilement les gens.

J’observe d’ailleurs que dès que l’on parle des CRA, le ministre quitte la salle. C’est bien pratique.

Toujours est-il que ce type de prolongation ne fonctionne pas, puisqu’il faut obtenir un laissez-passer consulaire et que des recours sont intentés – car, oui, les étrangers ont des droits. Même si le Sénat a essayé de le rétablir, le délit de séjour irrégulier – qui a conduit Mme Genevard à dire qu’une ligne rouge avait été franchie – ne figure plus dans ce texte.

Je pense sincèrement que vous êtes en train de criminaliser excessivement le traitement des étrangers en France et que vous supprimez leurs possibilités de recours. C’est l’objectif de l’assignation à résidence : les empêcher de se défendre.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendement CL1593 de M. Philippe Pradal

M. Philippe Pradal, rapporteur. L’amendement prévoit que la troisième période de quarante-cinq jours d’assignation à résidence fait l’objet d’une décision spécialement motivée de l’administration, puisqu’il s’agit d’une durée particulièrement longue – en espérant que la personne concernée sera partie avant.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’article 14 C modifié.

Article 14 D (nouveau) (art. L. 711-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Unicité de l’attribution de l’aide au retour

Amendements de suppression CL52 de M. Benjamin Lucas, CL848 de Mme Andrée Taurinya et CL1358 de M. Emmanuel Mandon

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Nous souhaitons supprimer cet article qui, une fois de plus, stigmatise les personnes étrangères en amalgamant délinquance et immigration.

On veut faire croire que les personnes utiliseraient de manière malhonnête l’aide au retour dont elles doivent bénéficier dans le cadre d’une OQTF. On alimente ainsi le fantasme selon lequel les étrangers viendraient chez nous pour profiter de toutes les aides sociales, y compris l’aide au retour, forcément pour rester clandestinement, et forcément pour perpétrer des crimes et des délits.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Cet article a simplement pour but de donner une valeur législative à un dispositif qui a déjà été instauré par décret. Avis défavorable.

La commission rejette les amendements.

Elle adopte l’article 14 D non modifié.

Après l’article 14 D

Amendement CL1531 de Mme Annie Genevard

Mme Annie Genevard (LR). Cet amendement des députés Les Républicains prévoit que les transferts vers l’étranger de sommes touchées par les demandeurs d’asile au titre de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA) seront interdits et pénalement sanctionnés.

Même si l’ADA représente un budget de plus de 300 millions, il est vrai que les sommes versées par personne sont modestes. Mais cet amendement cible les fraudeurs, car certaines filières présumées d’immigration sont en réalité des filières de détournement d’allocations. En l’espèce, une filière clandestine ukrainienne et une autre moldave ont détourné plus de 560 000 euros à la fin de l’année 2022. C’est autant d’argent qui est pris aux demandeurs d’asile qui devraient pouvoir en bénéficier.

Il me paraît très sain de lutter contre la fraude.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Je comprends l’esprit de cette mesure, mais son application serait particulièrement délicate. Comme vous l’avez reconnu, les sommes en question sont modestes et si elles sont transférées à l’étranger, il sera très difficile d’établir qu’elles proviennent de l’ADA. Avis défavorable.

Mme Annie Genevard (LR). Nous ne sommes pas les seuls à alerter sur ce danger puisqu’en 2019, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides a mis en place pour l’ADA une carte de paiement sans possibilité de retrait d’espèces ni de paiement en ligne, ce qui permet de limiter les virements bancaires vers l’étranger. Le danger avait été identifié. Nous proposons simplement une mesure à caractère opérationnel.

Après tout, la France essaie depuis un moment de limiter la fraude sociale, qui, selon la Cour des comptes, a atteint 8,5 milliards. Voilà un exemple de fraude qui doit être sévèrement sanctionnée, par une sanction pénale. Surtout, il faut prendre les mesures nécessaires pour empêcher qu’elle perdure. Tout cela relève tout de même du bon sens.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Soyez un peu raisonnable, madame Genevard. Vous ne vous rendez pas compte de ce que vous dites. Alors que la fraude fiscale est évaluée à plus de 100 milliards en France, vous vous en prenez aux gens qui sont venus travailler tout seuls et qui envoient leur modeste écot à l’étranger, ce qui permet à leur famille de rester dans leur pays d’origine ! Mais si vous coupez ces flux financiers, vous risquez de créer un appel d’air, un véritable aspirateur même !

Plus sérieusement, on voit très bien quelles sont vos priorités. Ce n’est pas de lutter contre une fraude fiscale qui se mesure en dizaines de milliards, mais de vous focaliser sur les quelques dizaines de millions qui permettent d’alimenter des villages au fin fond de l’Afrique.

La commission rejette l’amendement.

Article 14 E (nouveau) (art. L. 751‑10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Extension des cas de placement en rétention des étrangers soumis au règlement « Dublin »

Amendements de suppression CL1594 de M. Philippe Pradal, CL850 de M. Thomas Portes, CL1034 de M. Benjamin Lucas, CL1361 de M. Emmanuel Mandon et CL1434 de Mme Stella Dupont

M. Philippe Pradal, rapporteur. L’article 14 E étend les cas de placement en rétention des étrangers soumis au règlement Dublin III.

Comme vous le savez, les négociations en cours avec nos partenaires européens sur le pacte sur la migration et l’asile sont très avancées. Cet article ne correspond pas à la position défendue par la France et pourrait affaiblir notre position dans ces négociations. Il faut donc le supprimer.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Nous ne sommes pas d’accord avec l’extension des possibilités de placement en rétention administrative des étrangers « dublinés ». Leurs parcours et leurs situations sont suffisamment complexes et douloureux pour ne pas en rajouter.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Une fois de plus, Élisa Martin a dit l’essentiel. Compte tenu de ce qu’ont enduré ces personnes pendant leur trajet, cette mesure constitue une sanction de plus, sans intérêt du point de vue de l’accueil et de l’inclusion. Nous sommes donc favorables à sa suppression.

Mme Stella Dupont (RE). Cet article vise à étendre les possibilités de placement en rétention administrative des personnes sous procédure Dublin. Je rappelle qu’un tel placement ne doit pas devenir la norme, mais bien demeurer une mesure de dernier recours.

Comme l’a indiqué le rapporteur, il est nécessaire d’attendre l’achèvement des négociations sur la refonte globale des textes européens relatifs aux migrations dans le cadre du pacte sur la migration et l’asile. Je pense donc qu’il faut supprimer cet article.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Nous nous opposerons évidemment à la suppression de cet article qui a été introduit par le Sénat.

C’est l’occasion d’attirer l’attention sur la question des « dublinés ». On sait qu’il s’agit d’un véritable problème et que le système actuel ne fonctionne pas. Un grand nombre de demandeurs d’asile relèvent potentiellement du règlement Dublin parce qu’ils ont déjà déposé une demande dans un autre pays de l’Union européenne. On compte ainsi 11 000 demandeurs d’asile en France qui ont déjà fait une telle demande en Autriche en 2022, et à peine 3 000 ont été renvoyés.

Cela souligne les difficultés d’application de ce règlement dans un espace Schengen où les frontières sont ouvertes – et c’est tant mieux. Cette proposition du Sénat permettrait d’appliquer plus efficacement le règlement Dublin.

La commission adopte les amendements et l’article 14 E est supprimé.

En conséquence, l’amendement CL286 de M. Yoann Gillet tombe.

Article 14 F (nouveau) (art. L. 824-4, L. 824-5, L. 824-6 et L. 824-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Renforcement des sanctions pénales en cas de non-respect des prescriptions de l’assignation à résidence

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement de suppression CL54 de M. Benjamin Lucas.

Amendement CL934 de Mme Élisa Martin

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). La tendance est d’ajouter sans cesse des sanctions, des contraintes et des privations de liberté supplémentaires – car le régime de l’assignation à résidence, dans certains cas, autorise certes à se rendre au travail pendant la journée, mais il s’agit tout de même d’une restriction à la liberté d’aller et venir. Nous ne souhaitons pas que l’assignation à résidence soit une tracasserie supplémentaire pour ceux que l’on voudrait renvoyer vers un improbable chez eux.

M. Philippe Pradal, rapporteur. Avis défavorable : la sanction fait partie des mesures parfois nécessaires pour rendre effectif le respect d’une règle.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 14 F non modifié.

Article 14 G (nouveau) (art. 78‑3 du code de procédure pénale) : Extension à la Guyane de la durée maximale dérogatoire de huit heures de la rétention aux fins de vérification d’identité

Amendements de suppression CL1722 de M. Philippe Pradal et CL55 de M. Benjamin Lucas

M. Philippe Pradal, rapporteur. Je propose de supprimer cet article pour pouvoir ensuite le replacer dans le titre VI, relatif aux outre-mer. Le rapporteur Olivier Serva présentera un amendement à cet effet.

La commission adopte les amendements l’article 14 G est supprimé.

En conséquence, l’amendement CL962 de Mme Andrée Taurinya tombe.

TITRE III
SANCTIONNER L’EXPLOITATION DES ÉTRANGERS ET CONTRÔLER LES FRONTIÈRES

Article 14 (art. L. 823‑3 et L. 823‑3‑1 [nouveau] du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et art. 706‑73 du code de procédure pénale) : Criminaliser la facilitation en bande organisée de l’entrée, de la circulation
et du séjour irréguliers d’étrangers

Amendement de suppression CL964 de M. Thomas Portes

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Nous nous opposons tous aux réseaux de passeurs qui profitent de la misère humaine pour se faire de l’argent sur le dos des personnes qui fuient leur pays – que ce soit en raison du climat, de la guerre ou des menaces qu’elles subissent. Mais il a été démontré dans le passé qu’augmenter le quantum de peine n’a pas d’effet sur cette délinquance.

Encore une fois, il faut avant tout se demander pourquoi les gens partent de chez eux. Personne ne décide spontanément de quitter sa maison pour traverser la Méditerranée en étant obligé de recourir à des réseaux de passeurs.

J’aurais aimé que des amendements s’intéressent à ceux qui font des profits dans les pays de départ. Vincent Bolloré, à travers le commerce du bois, a financé des guerres au Libéria et en Sierra Leone. C’est cela qui crée les réseaux de passeurs, car les gens sont obligés de fuir à cause des financiers français qui ont exploité leur pays.

M. le président Sacha Houlié. Je suis très surpris que vous proposiez de supprimer la criminalisation des réseaux de passeurs. En réalité, vous ne souhaitez pas que ces personnes soient durement condamnées à de lourdes peines de prison, afin de démanteler des filières qui organisent la traversée de la Méditerranée ou de la Manche.

M. Ludovic Mendes, rapporteur pour les titres III à V. Je suis moi aussi vraiment surpris par cet amendement du groupe LFI, qui propose de supprimer un article qui accroît les sanctions contre les réseaux de passeurs qui mettent en danger les migrants. Je pensais que cette mesure serait consensuelle !

Vous démontrez une nouvelle fois que votre seul objectif est d’être contre tout, pas de protéger les personnes. Avis défavorable.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Il est évidemment nécessaire de criminaliser les réseaux de passeurs.

Ceux qui organisent les traversées de la Manche et de la mer du Nord sont installés dans les pays voisins. Ils achètent des moteurs sur internet et envoient des malheureux en mer par tous les temps, sur des rafiots, parfois sans gilets de sauvetage. Ils font mourir des gens, et vous voudriez les exonérer de leurs responsabilités ? Bien sûr qu’il faut en faire un crime et qu’il faut les sanctionner, et ce pour une raison très simple : il ne faut plus qu’il y ait des morts dans la Manche. Cet article est un instrument absolument essentiel pour y parvenir, même si ce n’est pas le seul.

Cet amendement de suppression est une folie pure et simple.

M. Thomas Rudigoz (RE). Le groupe Renaissance s’opposera lui aussi à cet amendement totalement irresponsable. Il est incroyable que les représentants de La France insoumise refusent de sanctionner les réseaux criminels de passeurs. Je tiens à préciser d’une part que les citoyens qui s’engagent dans des ONG humanitaires ne sont absolument pas visés par cet article, et d’autre part que le Conseil d’État a été très clair : « les peines retenues par le projet ne sont pas manifestement disproportionnées à la gravité des agissements qu’il entend réprimer. »

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). J’ai entendu M. Dumont dire aux auteurs de l’amendement qu’ils étaient les amis des passeurs. Je vais vous dire quels sont leurs véritables agents, voire leurs banquiers : ce sont ceux qui, depuis quarante ans, considèrent qu’une législation brutale et répressive est nécessaire en matière d’immigration. En effet, plus on rend difficile la traversée de nos frontières, plus on dégrade les conditions d’accueil sur le territoire français, plus les passeurs augmentent leurs tarifs. En réalité, les trente lois sur l’immigration adoptées en quarante ans ont eu pour seul effet de mettre plus d’argent dans leurs poches.

Il est donc complètement hypocrite de bomber le torse en répétant que l’on va combattre les passeurs alors que l’on mène des politiques publiques qui les enrichissent. Quant aux associations, nous aurons l’occasion de dire qu’elles ne sont absolument pas protégées par ce dispositif alors qu’elles méritent de l’être.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Il y a beaucoup de mauvaise foi dans les réponses qui sont apportées à cet amendement.

Premièrement, il existe déjà des dispositions pour réprimer ceux qui pratiquent ce trafic d’êtres humains.

Deuxièmement, toutes les études montrent qu’aggraver les peines ne sert à rien pour lutter contre les comportements délinquants. Vous n’arrêtez pas d’augmenter les peines, tout en vous plaignant que la criminalité augmente : posez-vous des questions sur votre politique !

Troisièmement, cet article vise aussi les associations qui viennent en aide aux migrants et qui parfois, c’est vrai, les aident à franchir la frontière, simplement pour éviter qu’ils meurent. C’est bien de cela qu’il s’agit et c’est ce que vous voulez criminaliser.

Arrêtez d’être de mauvaise foi ! Tout le monde veut lutter contre la criminalité en bande organisée et contre le trafic d’êtres humains. Cela fait partie de nos convictions humanistes fondamentales ! Mais on ne lutte efficacement contre l’immigration, si tel est bien votre objectif, qu’en créant les conditions pour que les gens puissent rester chez eux – notamment en arrêtant de piller les pays d’émigration.

M. Gérald Darmanin, ministre. Cet article est extrêmement important. Nous avons décidé de le rédiger avec le garde des sceaux, que je remercie, à la suite du naufrage dramatique du 24 novembre 2021 dans la Manche.

Les peines qui sont prononcées contre les passeurs ne sont pas très importantes, non pas parce que les magistrats seraient laxistes, mais bien parce qu’ils appliquent la loi. En effet, être passeur, c’est-à-dire demander à des femmes, des enfants, des vieillards, de l’argent pour leur faire passer une frontière, n’est sanctionné par le code pénal que de cinq ans de prison et 30 000 euros d’amende. Vous conviendrez que ce n’est pas très dissuasif, pour une activité très lucrative. Comme l’ont montré la direction générale de la sécurité intérieure et celle de la sécurité extérieure, l’argent obtenu sert aussi à financer d’autres activités criminelles, telles que le trafic de stupéfiants, le proxénétisme ou le terrorisme. Les trafics se nourrissent entre eux.

Cet article prévoit donc de faire passer la qualification de délit à crime, en punissant les passeurs de quinze ans de prison, peine portée à vingt ans s’il y a eu un mort. C’est à la hauteur des drames qui se produisent. Supprimer cet article est absurde et il est incompréhensible que La France insoumise le propose.

Les associations ne sont absolument pas concernées – sauf si elles demandaient une rémunération aux gens pour leur faire passer une frontière, ce qu’elles ne font évidemment pas. La rémunération est bien l’un des éléments constitutifs de l’infraction. Les associations, qui doivent par ailleurs respecter la règle de droit, ne sont donc en aucun cas visées par ce texte. N’essayez pas de faire croire autre chose.

Enfin, j’indique à M. Lucas que le gouvernement de M. Scholz a également choisi de criminaliser les passeurs. Or les Verts allemands font partie de la coalition et participent au gouvernement. Mon homologue allemande – qui est membre du SPD et qui est une femme d’autorité et de bien – a souhaité que nous procédions en commun à la criminalisation des passeurs soutenue par la coalition. Je constate donc que lorsque les Verts exercent des responsabilités, ils veulent criminaliser les passeurs.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL1334 de M. Christophe Blanchet

Mme Mathilde Desjonquères (Dem). Cet amendement a pour objectif de lutter efficacement contre la traite d’êtres humains. Il convient de s’assurer que le crime ne paye pas.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Vous proposez d’ajouter la peine complémentaire de confiscation des avoirs criminels aux sanctions visant les passeurs.

Si votre objectif est de rendre obligatoire le prononcé de cette peine, je crains que cela ne présente un risque d’inconstitutionnalité. Mais votre amendement est satisfait, car le Ceseda prévoit que de telles peines peuvent être prononcées. Demande de retrait.

L’amendement est retiré.

Amendement CL933 de M. Boris Vallaud

Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). Cet amendement vise à supprimer la référence à une contrepartie directe ou indirecte, ce qui permettrait d’étendre l’immunité aux actes consistant à fournir des conseils ou de l’accompagnement juridique, linguistique ou social, ainsi qu’à toute autre aide apportée dans un but exclusivement humanitaire. Nous sommes résolument contre ceux qui monnaient le passage d’une frontière, ce qui est un crime. Mais l’aide humanitaire aux migrants illégaux doit être préservée.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Le champ de l’exemption humanitaire est clairement défini dans cet article. Le Conseil constitutionnel est vigilant, comme il l’a montré dans sa décision du 6 juillet 2018 à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Or, si l’on adoptait votre amendement, des entreprises pourraient accompagner des migrants contre rémunération.

Il n’y a aucune remise en question de l’exemption humanitaire dans ce texte, car l’aide humanitaire est par définition sans contrepartie. Votre amendement est satisfait. Demande de retrait ou avis défavorable.

Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). Je retire l’amendement, mais en soulignant qu’il demeure une incertitude juridique.

L’amendement est retiré.

Amendement CL243 Mme Cyrielle Chatelain

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). S’il y a beaucoup de raisons d’être fier d’être français, la principale d’entre elles est la devise Liberté, Égalité, Fraternité qui figure au fronton de nos mairies.

Cet amendement demande donc que le principe de fraternité soit reconnu. Or, lorsqu’on porte assistance à une personne qui a faim, qui est en danger, qui est blessée et a besoin d’être protégée, s’il s’agit d’un migrant, on risque jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende – seulement parce que l’on veut soulager un peu sa détresse.

Les écologistes s’opposeront sans cesse à la criminalisation de la fraternité. Reconnaître explicitement le principe de fraternité est le gage du respect des valeurs républicaines et de l’idéal d’universalité des droits de l’homme.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. C’est exactement le droit en vigueur. Dans la décision que j’ai précédemment évoquée, le Conseil constitutionnel a jugé que « Il découle du principe de fraternité la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national. » Et c’est exactement ce que prévoit l’article L. 823-9 du Ceseda.

L’amendement est donc pleinement satisfait. Demande de retrait ou avis défavorable.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Si tel était le cas, le code pénal ne comporterait pas certaines infractions et il n’y aurait pas eu de procès contre Cédric Herrou ; des dizaines, voire des centaines de militants qui cherchent à aider des personnes en danger ne se retrouveraient pas dans des situations difficiles. La réalité des faits contredit vos arguments.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. C’est précisément l’affaire Herrou qui a donné lieu à la QPC au cours de laquelle le Conseil constitutionnel s’est appuyé sur le principe de fraternité. L’amendement est satisfait.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL405 de M. Aurélien Lopez-Liguori

M. Yoann Gillet (RN). Si nous voulons être efficaces en matière de lutte contre l’immigration illégale, il faut évidemment réprimer davantage les passeurs et leurs éventuels complices. Mais il faut aussi évidemment avoir une politique globale et notamment couper les pompes aspirantes.

En la matière, Marine Le Pen est largement plébiscitée par les Français et elle a un programme clair. Si 80 % des Français réclament des décisions fermes en matière d’immigration, ce n’est pas sans raisons. Ils veulent que l’on agisse.

Avec cet amendement, nous proposons de limiter l’exonération de responsabilité pénale de ceux qui viennent en aide aux migrants. Afin qu’il n’y ait pas d’abus, cette exonération ne doit valoir que pour l’aide humanitaire consistant à remettre des biens propres à permettre la survie de l’étranger.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Une telle restriction me semble contraire à l’esprit de la mesure proposée par cet article, mais aussi à la jurisprudence dégagée par le Conseil constitutionnel sur le principe de fraternité. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL995 de M. Benjamin Lucas

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Nous voulons garantir que les associations humanitaires puissent sauver des vies. Elles font souvent un travail que les États devraient assurer.

À l’inverse de ce que vient de dire le représentant de l’extrême droite en voulant jeter la suspicion sur le travail des humanitaires, je veux faire part de notre admiration pour les ONG et pour tous les bénévoles qui, en Méditerranée et dans les Alpes, dans nos villes et nos villages, remplissent une mission d’humanité et font vivre les valeurs et la devise de la République bien mieux que certains qui sont ici. Cela nous donne un peu d’espoir, alors que l’on voit le débat public être englouti par les thèmes et les termes de l’extrême droite et d’une droite radicalisée face auxquelles le Gouvernement et la majorité ont choisi la reddition en rase campagne.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Comme je l’ai déjà indiqué à plusieurs reprises, les associations qui fournissent une aide humanitaire aux étrangers sont couvertes par l’exemption pénale prévue à l’article L. 823-9 du Ceseda. Votre amendement est satisfait, ce n’est pas la peine de réécrire le droit. La jurisprudence du Conseil constitutionnel garantit qu’il n’y a aucun risque pour ceux qui jouent un rôle humanitaire. Demande de retrait.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 14 non modifié.

Après l’article 14

Amendements identiques CL174 de M. Benjamin Lucas et CL893 de M. Philippe Brun

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Nous proposons d’instaurer un délit d’entrave au droit d’asile.

Il serait constitué lorsqu’un individu : perturbe l’accès au territoire français dans le but de faire obstacle à l’étranger qui demande à entrer en France au titre de l’asile ; perturbe l’accès aux établissements, administrations ou juridictions compétents en matière d’asile, la libre circulation des personnes à l’intérieur de ces locaux ou les conditions de travail des personnels ; communique à l’étranger ou diffuse, y compris par voie électronique ou en ligne, des allégations ou indications de nature à l’induire intentionnellement en erreur sur ces droits ; ou exerce des menaces ou tout acte d’intimidation.

Nous nous souvenons de ces milices fascisantes – les amis du Rassemblement national – qui étaient allées jouer à la police des frontières à Montgenèvre et au col de l’Échelle. Il serait d’ailleurs opportun de s’interroger sur la provenance des moyens qui leur ont permis de louer un hélicoptère pour aller faire étalage de leur racisme et de leur xénophobie. Il y a matière à enquêter sur leurs réseaux de financement.

Mme Marietta Karamanli (SOC). Il faut effectivement créer un délit d’entrave au droit d’asile, de manière à pouvoir sanctionner les individus qui commettent sciemment des actes de cette nature. Une telle incrimination mérite de figurer clairement dans ce texte.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Je comprends parfaitement vos propositions et l’enjeu est important. Mais il faut tout d’abord garantir que ce dispositif ne s’applique pas aux forces de l’ordre dans le cadre de leur légitime activité – seules ces dernières peuvent interdire à quelqu’un de rentrer sur le territoire national.

Ensuite, le droit en vigueur permet déjà de sanctionner ceux qui entravent, de façon scandaleuse, l’exercice du droit d’asile. Il est ainsi possible de dissoudre le groupe en question – ce qu’a fait le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin dans le cas de Génération identitaire. En outre, le fait de contrôler les frontières, d’édifier des obstacles ou de reconduire des migrants à la frontière tombe sous le coup du délit d’immixtion dans une fonction publique.

Des améliorations peuvent cependant être envisagées, et je laisse le soin au rapporteur général de vous les décrire. Avis défavorable.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Toutes les actions des groupes d’ultra droite qui empêchent d’accéder à des établissements, à des administrations ou à des juridictions qui veillent sur ce trésor conventionnel et républicain qu’est le droit d’asile méritent en effet de trouver une sanction.

Je vous propose de retirer vos amendements et de travailler ensemble sur la question en vue de la séance publique. À titre personnel – mais je crois que c’est partagé par un grand nombre de députés – je souhaite que ce texte introduise un délit d’entrave au droit d’asile. Ce serait une première : des outils juridiques existent déjà, qui sont efficaces, mais ils ne permettent pas de sanctionner spécifiquement une telle entrave.

M. Gérald Darmanin, ministre. Le Gouvernement est favorable à l’intégration d’un tel dispositif – à condition d’en exclure bien évidemment les forces de l’ordre – car les actions visées nourrissent aussi l’activité des passeurs. Dans les Hauts-de-France, notamment, certains d’entre eux entravent les dépôts de demandes d’asile pour que l’aventure rémunératrice puisse se poursuivre vers l’Angleterre. Un travail collectif s’impose, en effet, d’ici la séance publique.

Mme Marietta Karamanli (SOC). Je me réjouis que cette préoccupation soit partagée mais nous ne retirerons pas pour autant notre amendement, dont l’adoption permettra de disposer d’une base de travail commune.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Il n’y a effectivement pas de raison que nous le retirions pour que vous puissiez déposer le vôtre : autant effectivement que cet amendement soit adopté, quitte à ce qu’il soit modifié en séance publique. Vous avez déjà témoigné de votre volonté de coconstruction en acceptant des propositions LR, il serait dommage de faire autrement avec des propositions issues, cette fois, de la gauche. Poussé par la droite radicalisée, vous avez adopté des pans entiers du programme de Mme Le Pen. Sur cette question humanitaire et républicaine qui nous réunit tous, je vous demande une preuve d’amour, pas une déclaration !

M. Pierre-Henri Dumont (LR). L’adoption de ces amendements pourrait-elle pénaliser les associations No Border qui, dans la jungle de Calais – le plus grand bidonville d’Europe – créée par la gauche socialiste, passaient après les agents de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) pour inciter les migrants à ne surtout pas déposer de demande d’asile et à poursuivre vers le Royaume-Uni ? Qu’en pensent leurs auteurs ?

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je donne déjà beaucoup de preuves, sinon d’amour, du moins d’affection. Sur ce texte, elles sont quotidiennes. Songez, par exemple, à l’interdiction de la rétention des mineurs !

Votre rédaction soulève un certain nombre de difficultés qu’ont également soulignées le rapporteur, le ministre et M. Dumont, fût-ce sur un mode facétieux. Si je vous invite au retrait, c’est pour que nous travaillions ensemble à un amendement que nous pourrons soutenir, mais que nous n’endosserons pas : c’est vous qui le déposerez pour la séance.

M. Gérald Darmanin, ministre. Outre les difficultés évoquées s’agissant des forces de l’ordre, M. Dumont a eu raison de relever que des associations entreraient dans le périmètre de ces amendements.

La commission rejette les amendements.

La réunion est suspendue de dix-sept heures à dix-sept heures vingt.

Article 15 (art. L. 511‑22 et L. 521‑4 du code de la construction et de l’habitation) : Durcir les sanctions contre l’habitat indigne

Amendement CL787 de Mme Fatiha Keloua Hachi

Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). Cet amendement vise à étendre aux étudiants étrangers les dispositions de l’article 15 qui protège les personnes vulnérables de la mise à disposition de logements insalubres. Les étudiants, et encore plus les étudiants étrangers, sont aujourd’hui systématiquement la cible des marchands de sommeil.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. L’article 15 vise à accroître la répression des marchands de sommeil qui exploitent la vulnérabilité des occupants. Or, tous les étudiants étrangers ne sont pas forcément vulnérables. S’ils sont reconnus tels, ils entrent dans le champ du dispositif, comme un travailleur ou qui que ce soit. Votre amendement est donc satisfait. Retrait ou avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL808 de Mme Annie Genevard

Mme Annie Genevard (LR). Cet article procède à une modification d’ordre général du code de la construction et de l’habitation. Nous souscrivons à l’alourdissement des peines des marchands de sommeil, qui est légitime et souhaitable. En revanche, nous proposons de supprimer la fin des alinéas 4, 6, 8 et 10, où l’on ajoute, après avoir parlé des personnes vulnérables, « notamment un ressortissant étranger en situation irrégulière ». La vulnérabilité est une notion bien connue en droit, qui peut aussi bien concerner l’âge que la maladie, la grossesse, la déficience physique ou psychologique. Pourquoi une telle spécification ?

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Je ne suis pas sûr que la suppression de cette mention produise les effets que vous désirez : la Cour de cassation a déjà jugé qu’un étranger en situation irrégulière est une personne vulnérable, au sens de l’article du code pénal qui sanctionne l’exploitation de la vulnérabilité en soumettant les personnes à des conditions de vie indignes. Avis défavorable.

Mme Annie Genevard (LR). Une telle explication n’a aucun sens. Si vous commencez une liste, il faut la compléter : les handicapés, les jeunes en rupture sociale, les personnes démunies, les femmes en situation de grossesse… Les étrangers en situation irrégulière ne peuvent pas être les seules personnes vulnérables.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Une fois n’est pas coutume, nous sommes d’accord avec cet amendement des Républicains. Une telle spécification aurait été compréhensible dans le Ceseda, elle ne l’est pas dans celui de la construction et de l’habitation.

Il n’en demeure pas moins que la lutte contre les marchands de sommeil est essentielle. Je sais ce qu’il en est dans ma circonscription à Grigny, et en particulier à Grigny 2, qui est une immense copropriété. Il faut punir ceux qui ont ce type de comportement.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Ces dispositions s’appliqueront à toutes les personnes vulnérables, notamment aux ressortissants étrangers en situation irrégulière. Il s’agit d’un simple complément.

M. Gérald Darmanin, ministre. Cet article est très important. Lutter contre les marchands de sommeil, c’est lutter contre un écosystème maffieux qui fait beaucoup de victimes – il est évident que les étrangers en situation irrégulière ne sont pas les seules personnes vulnérables.

Cet article est issu de propositions du Gouvernement et des sénateurs François-Noël Buffet, LR, et Ian Brossat, du groupe communiste. S’il mentionne les étrangers en situation irrégulière, c’est parce que c’est d’eux qu’il s’agit dans le projet de loi. S’il est possible, d’ici à la séance publique, de le compléter en listant les personnes vulnérables, faisons-le, mais en l’état, la notion de vulnérabilité ne s’applique pas aux étrangers en situation irrégulière, qui sont pourtant dans une situation très fragile. Par exemple, comme ils ne peuvent pas percevoir d’aides au logement, ils sont contraints de recourir au parc informel. Ils sont aussi dans un écosystème où l’entrepreneur voyou qui les embauche est souvent de mèche avec des marchands de sommeil.

Quoi qu’il en soit, retravaillons la rédaction pour la séance, soit pour enlever cette précision, ce qui ne me semble pas opportun, soit pour la compléter. Mais il n’y a pas de mauvaise intention dans cet article.

M. Florent Boudié, rapporteur général. En l’état du droit, la notion de vulnérabilité ne peut pas être appliquée aux étrangers en situation irrégulière, comme l’a reconnu la Cour de cassation. Le Sénat a donc souhaité consolider l’existence d’une disposition législative permettant de les associer.

Il serait bon de clarifier ce point d’ici à la séance publique. Si nous supprimons cette précision, c’est l’interprétation de la Cour de cassation qui s’appliquera. Si nous dressons une liste exhaustive, nous ne manquerons pas de nous heurter aux difficultés habituelles en finissant par manquer la cible.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 15 non modifié.

Article 15 bis (nouveau) (art. L. 425‑11 [nouveau] du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Délivrance d’une carte de séjour temporaire lors du dépôt d’une plainte pour soumission à des conditions indignes d’hébergement

Amendements de suppression CL133 de M. Éric Pauget, CL495 de M. Antoine Villedieu et CL1505 de Mme Annie Genevard

Mme Edwige Diaz (RN). La lutte contre les marchands de sommeil est légitime, mais nous n’en sommes pas moins surpris par cet article prévoyant d’accorder un titre de séjour « vie privée et familiale » valable un an aux étrangers qui portent plainte contre les marchands de sommeil. Je ne vois pas en quoi la création d’une filière supplémentaire pour accorder des titres de séjour serait pertinente. Surtout, un tel mécanisme peut être contre-productif car il risque de faire exploser le nombre de dénonciations, y compris calomnieuses, qui contribueront à engorger les tribunaux.

Mme Annie Genevard (LR). Une telle disposition est absolument inacceptable car elle ouvre un droit automatique à la régularisation des étrangers, fussent-ils victimes de marchands de sommeil. Un principe juridique veut que nul ne puisse se prévaloir de sa propre turpitude : on ne peut pas, parce qu’on est en situation irrégulière, avoir droit à un titre qu’on ne pourrait pas obtenir de façon régulière ! Nous ne manquerions d’ailleurs pas de voir surgir très rapidement les conséquences de cette nouvelle filière, car les passeurs ont une parfaite connaissance des évolutions de notre droit. Chaque fois que nous ouvrons une faille, ils s’y engouffrent.

Je n’en ai pas moins voté l’article 15, car la lutte contre les marchands de sommeil est absolument fondamentale.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Il est très difficile de prouver que tel ou tel est un marchand de sommeil. Il en va de même pour les proxénètes – d’où la possibilité, pour une personne prostituée en situation irrégulière, de bénéficier d’un titre de séjour de six mois si elle dénonce son proxénète, afin que nous puissions vérifier si les faits sont avérés et qu’elle puisse être réaccompagnée dans un cadre légal. Ce dispositif est très efficace. D’abord, il ne débouche sur un véritable titre de séjour que dans moins de 500 cas par an : on est loin du raz de marée. Surtout, il nous permet de recueillir des témoignages permettant de constituer le délit ou le crime, et donc de condamner des coupables et de démanteler des filières.

Il y a des marchands de sommeil dans de nombreux quartiers un peu vieillissants, mais nous avons beaucoup de mal à constituer le délit. Cela relève des maires, qui sont démunis. C’est pour cette raison que cet article, voté à l’unanimité au Sénat, prévoit qu’une carte temporaire de séjour – qui n’ouvre pas droit au regroupement familial – puisse être accordée à un étranger en situation irrégulière qui dénoncerait un marchand de sommeil. Alors qu’il est généralement arrivé par une filière, il pourra sortir de ses griffes et être raccompagné avec le soutien de l’État – je songe aux aides au retour de l’Ofii – ou dans le cadre d’une OQTF volontaire.

J’aurais pu comprendre que vous proposiez que l’étranger « peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire », au lieu de « se voit délivrer ». Mais je ne comprends vraiment pas ces amendements de suppression. Outre l’exemple que j’ai déjà cité, il y a celui de la personne en situation irrégulière victime de violences conjugales, qui se voit délivrer un titre de séjour si elle porte plainte. Cette disposition a été introduite par un amendement de Mme Marie-George Buffet dans la loi confortant le respect des principes de la République, que vous avez voté : moins de 300 personnes ont été concernées depuis sa promulgation, mais des enquêtes et des gardes à vue ont été ainsi rendues possibles.

Cet article est conforme à l’esprit du texte. Il prend acte de ce qu’est un écosystème irrégulier, il met un terme à une hypocrisie et assèche les flux.

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). La suppression de cet article serait en effet insensée car il permet de lutter contre les marchands de sommeil, qui exploitent des personnes en grande précarité.

Je note combien les préjugés du Rassemblement national sont profonds : selon Mme Diaz, ces personnes qui sont aux mains des marchands de sommeil sont par principe des menteuses qui se livreront à des dénonciations calomnieuses ! C’est à rapprocher de l’amendement que vous avez défendu il y a quelques jours pour que les patrons de petites entreprises ne soient pas sanctionnés s’ils embauchent des travailleurs irréguliers. Vous êtes toujours du côté de ceux qui exploitent la misère du monde.

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). Lorsque j’avais des responsabilités à la tête d’une université, j’ai vu des étudiants vivre à huit dans des studios de 6 mètres carrés, dormant à tour de rôle par tranches de trois ou quatre heures. Nous nous en sommes aperçus lorsque la tuberculose a fait son apparition dans ces lieux insalubres. En situation de pénurie de logements, des propriétaires peu scrupuleux louent de tels logements à des prix exorbitants. Il est donc important de pouvoir les dénoncer, pour des raisons sanitaires aussi bien que de simple dignité humaine. Et je ne crois pas un instant à des dénonciations massives ou abusives, tant la crise du logement est profonde.

Mme Clara Chassaniol (RE). Nous ne voterons pas ces amendements.

Les personnes qui résident dans ces logements sont d’abord des victimes, lesquelles, de surcroît, disposent de peu de moyens pour dénoncer leurs conditions de vie. Si elles le font, elles s’exposent à être elles-mêmes dénoncées, puisqu’elles sont en situation irrégulière, et à tomber dans une précarité plus grande encore. Nous ne pouvons pas nous y résoudre.

Nous devons donc les protéger, et bien définir les conditions de cette protection. Nous venons de renforcer les sanctions contre les marchands de sommeil, mais cela ne suffirait pas si nous ne pouvions faire en sorte que des enquêtes et des poursuites soient engagées. Pour ce faire, le parquet a besoin du témoignage des victimes et les faire sortir de leur situation irrégulière libérera leur parole.

Mme Annie Genevard (LR). J’avais voté contre cet amendement de Mme Buffet sur les épouses de polygames car j’y voyais un aspect d’encouragement.

Le nombre de logements insalubres s’élève à 600 000 selon la Fondation Abbé Pierre et à 2,5 millions selon l’Insee. Imaginez le nombre de titres de séjour susceptibles d’être délivrés, fussent-ils d’un an ! Et au bout d’un an, que ferez-vous de ces personnes ?

M. Yoann Gillet (RN). Cette marchandisation de la dénonciation peut être dangereuse et donner lieu à de nombreux abus.

Il faut sanctionner plus durement encore les marchands de sommeil. Il faut aussi aider les collectivités à jouer leur rôle, qui est central, dans cette lutte. Il existe un dispositif, le permis de louer, qui est facultatif. De nombreux maires l’utilisent, mais ils font face à d’importantes difficultés financières puisqu’il est entièrement à la charge des collectivités. Les maires doivent avoir plus de moyens afin que ces permis puissent être généralisés. Il faut aussi que les sanctions, ensuite, soient appliquées.

Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). L’amendement de Mme Genevard me gêne profondément parce qu’il place sur le même plan la personne vulnérable en situation irrégulière et les filières organisées de marchands de sommeil. Une personne en situation irrégulière ne peut pas porter plainte. Voter cet amendement permettrait aux filières de marchands de sommeil de continuer à prospérer tranquillement.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Ce n’est pas seulement l’insalubrité des logements qui est en cause. Cet article précis et exigeant vise des « conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine » et impose le dépôt d’une plainte.

L’amendement de Mme Buffet n’a pas constitué le moindre encouragement à quoi que ce soit, puisque seulement 300 titres de séjour ont été accordés à ce titre.

Hier, le Rassemblement national s’est opposé à toute pénalisation des employeurs voyous faisant travailler des personnes en situation irrégulière. Vous vouliez même créer une dérogation pour ceux qui le font dans les entreprises de moins de onze salariés. Et aujourd’hui, vous vous opposez à une disposition pénalisant un hébergeur, un propriétaire, un bailleur qui profiteraient du trafic d’êtres humains ! On ne peut pas vous reprocher de manquer de cohérence, vous êtes contre tous les outils permettant de lutter contre cet écosystème irrégulier.

M. Gérald Darmanin, ministre. Le nombre de logements insalubres n’est pas un argument, madame Genevard, ce n’est pas cela que vise l’article. Il dispose que « L’étranger qui dépose plainte contre une personne qu’il accuse d’avoir commis à son encontre des faits constitutifs de l’infraction de soumission à des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine, mentionnée à l’article 225-14 du code pénal, se voit délivrer une carte de séjour temporaire ». Cet article du code pénal concerne quant à lui « Le fait de soumettre une personne, dont la vulnérabilité ou l’état de dépendance sont apparents ou connus de l’auteur, à des conditions de travail ou d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine ». La question de l’insalubrité est certes essentielle, elle permet de sanctionner des propriétaires qui ne font pas les travaux nécessaires, mais en l’espèce nous parlons d’atteinte à la dignité humaine.

Je ne sais pas exactement quel est le nombre de logements concernés mais il ne s’élève certainement pas à 2,5 millions : il faut que la personne soit en situation irrégulière, qu’elle occupe un logement non déclaré, que les conditions d’hébergement soient incompatibles avec la dignité humaine et que le loueur connaisse la vulnérabilité ou l’état de dépendance de la personne. Vous avez commencé à 600 000 logements, vous comptez maintenant en millions… L’inflation frappe aussi dans ce domaine !

Le problème, ce ne sont pas les personnes mais les filières d’immigration irrégulières. Madame Genevard, ne pas voter cet amendement, c’est empêcher que l’on mette au jour les filières d’immigration illégales !

Les membres du Rassemblement national, quant à eux, n’ont manifestement pas envie de lutter contre les flux d’immigration irrégulière organisés par les passeurs et les gens qui profitent pécuniairement de la situation. Le rapporteur général a justement souligné la cohérence entre leur défense des patrons qui embauchent des personnes en situation irrégulière et leur refus de s’en prendre à ceux qui louent des logements indignes à des personnes vulnérables. Voilà un faisceau d’indices qui les met du côté des passeurs et des irréguliers. On en vient à se demander s’ils ne sont pas contents qu’il y ait des irréguliers pour pouvoir les dénoncer ! Tout cela est assez incompréhensible.

Les arguments de Mme Genevard sont bien différents : elle craint que cette disposition ne pousse beaucoup de gens à déposer plainte pour obtenir un titre de séjour. Je crois pouvoir la rassurer. D’abord, déposer plainte n’est pas si simple, surtout pour des personnes en situation irrégulière, et est porteur de conséquences. Ensuite, la dernière phrase de l’article précise que la carte « est renouvelée pendant toute la durée de la procédure pénale, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d’être satisfaites. » Si la personne a menti, ce sera un fait aggravant pour ne pas la régulariser.

Les faits ont montré que l’amendement de Mme Buffet n’avait pas eu les conséquences redoutées. De mémoire, je crois que moins de 400 personnes ont bénéficié d’une carte de séjour pour avoir dénoncé des faits de polygamie et de violences intrafamiliales. À ce jour, quelque 500 procédures sont en cours et j’ai déchu y compris de leur carte de résident des personnes coupables de polygamie, grâce à la dénonciation de ces femmes. Objectivement, je pense que cet article va vraiment nous aider à lutter contre les flux irréguliers.

La commission rejette les amendements.

Amendements CL1642 de M. Sacha Houlié et CL1709 de M. Ludovic Mendes (discussion commune)

M. le président Sacha Houlié. Je propose une rédaction plus englobante du dispositif imaginé par Ian Brossat. Il s’agit d’étendre les dispositions de l’article L. 425‑1 du Ceseda, relatif à la traite des êtres humains et au proxénétisme, aux cas de soumission de personnes vulnérables à des conditions de travail ou d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine. La carte de séjour temporaire serait délivrée dès le dépôt de la plainte ou le témoignage dans une procédure pénale, comme c’est déjà prévu, mais aussi dès la saisine de l’inspection du travail. Cette logique est à l’exact inverse de celle du Rassemblement national, qui entendait couvrir les faits de traite humaine par des employeurs voyous.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Je précise qu’en modifiant l’article L. 425-1 plutôt qu’en en créant un nouveau, nous rendons applicables les autres dispositions en vigueur, parmi lesquelles la délivrance d’une carte de résident si la personne accusée est définitivement condamnée. Je retire mon amendement au profit de celui du président, qui me semble mieux rédigé.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Monsieur le ministre, vous reprochez à Mme Genevard une tendance inflationniste dans ses chiffres, mais c’est bien vous qui avez déclaré, en novembre 2021, qu’il y avait 600 000 ou 700 000 clandestins en France, puis en novembre 2023 qu’ils seraient 600 à 900 000 !

Ce qui nous gêne dans cette disposition, c’est qu’il suffira de déposer plainte pour se voir délivrer automatiquement une carte de séjour « vie privée et familiale » d’un an, même si la plainte est parfaitement infondée. Nous craignons des dépôts de plainte abusifs. Nous sommes contre cet article, dans sa version initiale comme dans cette nouvelle rédaction.

M. Guillaume Vuilletet (RE). J’ai rédigé un rapport sur l’habitat indigne en 2019. C’est la fondation Abbé Pierre qui estime à 600 000 le nombre de logements insalubres. La délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement en dénombre plutôt 400 000, dont la moitié sont occupés par leur propriétaire et ne sont donc pas concernés par cette disposition.

Ce sont les mêmes filières qui font venir les gens de façon clandestine et qui les logent de manière indigne. Pour combattre les logements insalubres, il faut combattre les filières qui vont avec : c’est l’objet de cet article.

L’amendement CL1709 est retiré.

La commission adopte l’amendement CL1642 et l’article 15 bis est ainsi rédigé.

En conséquence, les autres amendements sur l’article tombent, de même que les amendements CL797 de Mme Eva Sas et CL1392 de Mme Sabrina Sebaihi, après l’article 15 bis.

Après l’article 15 bis

Amendements identiques CL904 de M. Boris Vallaud et CL505 de M. Julien Bayou

M. Boris Vallaud (SOC). Cet amendement, suggéré par France terre d’asile, vise à reconnaître un droit au séjour aux victimes de conditions de travail indignes, de travail forcé ou de réduction en servitude ayant déposé plainte.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Ces amendements sont satisfaits par la réécriture de l’article 15 bis.

La commission rejette les amendements.

Amendement CL1322 de M. Mathieu Lefèvre

Mme Caroline Yadan (RE). Cet amendement vise à permettre la délivrance d’une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » d’une durée d’un an à un étranger déposant plainte ou témoignant contre un passeur dans une procédure pénale, sous réserve qu’il ait rompu tout lien avec cette personne. L’objectif est de faciliter la dénonciation des réseaux de passeurs.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Cet amendement est cohérent avec ceux que nous venons de voter et il est bienvenu sur le principe, mais sa rédaction me semble poser deux problèmes. D’une part, il ne donne pas les mêmes suites à la procédure, à savoir l’obtention d’un titre de séjour s’il y a condamnation pénale. D’autre part, le champ retenu me semble très large, puisqu’il y a plus de 2 000 victimes d’aide au séjour irrégulier chaque année. Je vous invite donc à le retirer et à le retravailler en vue de la séance.

L’amendement est retiré.

Amendement CL647 de Mme Andrée Taurinya

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Nous souhaitons réaffirmer que l’accès au titre de séjour de protection pour les personnes victimes des infractions de traite des êtres humains ou de proxénétisme doit être automatique, et non soumis à la condition de rupture avec la personne qui commet ces actes.

La notion d’emprise doit être rappelée ; elle engendre des mécanismes psychologiques qui peuvent empêcher la personne de couper avec l’environnement toxique et illégal dans lequel elle évolue. L'emprise peut s’exercer dans le cadre de la sphère privée et intime, mais également dans un cadre professionnel ou pseudo-professionnel.

Suivant l’avis de M. Ludovic Mendes, rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendements identiques CL1710 de M. Ludovic Mendes, CL862 de M. Boris Vallaud et CL1115 de Mme Sandrine Rousseau

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Il s’agit de mieux protéger les étrangers victimes de traite des êtres humains ou de proxénétisme qui se sont engagés dans un parcours de sortie de la prostitution – défini par la loi de 2016. Actuellement, ces étrangers, essentiellement des femmes, peuvent se voir délivrer une autorisation provisoire de séjour d'une durée minimale de six mois ; je propose de la porter à un an et de mieux les accompagner.

Il est très difficile de sortir de ces réseaux de proxénétisme, surtout quand ils sont organisés par les familles, comme c’est souvent le cas des filières nigérianes. Il faut du temps aux victimes pour se reconstruire et pour entamer un parcours adapté. Il en faut pour dénoncer son oncle ou sa tante, son cousin ou sa cousine devant un tribunal. C’est pourquoi je propose d’aller plus loin que ce que prévoit la loi de 2016.

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). Il faut effectivement porter à un an la durée du titre de séjour délivré aux personnes qui sont engagées dans un parcours de sortie de la prostitution. Quand on a vécu un parcours de migration et des expériences de prostitution particulièrement traumatisantes, sous la coupe d’un proxénète, il faut du temps pour se reconstruire et pour déposer plainte.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Monsieur le rapporteur, vous ne m’avez pas expliqué pourquoi vous étiez défavorable à mon amendement CL647. Insérer le mot « automatiquement » coûterait-il plus cher ?

La commission adopte les amendements. L’article 15 ter est ainsi rédigé.

Amendement CL759 de Mme Danièle Obono

Mme Danièle Obono (LFI-NUPES). Nous demandons que soit reconnue la qualité de victime au travailleur dont il est constaté qu’il exerce de façon dissimulée son emploi par la volonté de son employeur, et qu’il obtienne une régularisation de plein droit.

Cet amendement s’inscrit dans la logique des articles L. 425-1 et suivants du Ceseda, qui reconnaissent le statut de victime et accordent une régularisation aux personnes victimes de traite des êtres humains et de proxénétisme.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Votre amendement est satisfait par l’article 8 et le sera aussi si l’amendement CL1564, que j’avais déposé après l’article 8 et qui sera retravaillé en vue de la séance, est adopté. Je rappelle que le travail dissimulé est un délit et que si l’employeur qui s’en rend coupable est étranger, il perdra lui-même son titre de séjour. Nous disposons de tous les outils nécessaires, dans ce texte et ailleurs, pour répondre à votre préoccupation. Demande de retrait ou avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL641 de Mme Danièle Obono

Mme Danièle Obono (LFI-NUPES). Nous proposons que la délivrance d’un titre de séjour de protection soit automatique pour les personnes victimes de violences conjugales dont l’auteur est définitivement condamné. C’est une demande formulée par les associations d’aide aux femmes précaires et immigrées.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Avis défavorable. Le caractère automatique de la délivrance d’un titre est en totale contradiction avec l’examen que chaque situation requiert. Comme pour les victimes de proxénétisme ou de traite des êtres humains, la délivrance d’une carte de résident s’agissant des victimes de violences conjugales ne doit pas être automatique.

La commission rejette l’amendement.

Article 16 (art. L. 821‑6 et L. 821‑7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Extension de l’obligation de contrôle documentaire des transporteurs
à l’autorisation de voyage prévue par le règlement européen 2018/1240

Amendement de suppression CL966 de Mme Élisa Martin

Mme Danièle Obono (LFI-NUPES). Nous souhaitons supprimer l’article 16, qui étend l’obligation de contrôle documentaire des transporteurs.

Cet article dispose que les compagnies de transport de voyageurs interrogent le nouveau système informatique d’entrée/de sortie (EES) institué par la Commission européenne aux frontières de l’Union ainsi que le système européen d’information et d’autorisation concernant les voyages (Etias), tous deux étant censés entrer en vigueur d’ici à la fin de l’année. Cela implique qu’en plus du document de voyage et du visa si la nationalité l’exige, l’entreprise de transport devra contrôler l’autorisation de voyage Etias des passagers ressortissants de pays tiers non soumis à visa.

Ce projet dit e-Borders a suscité dès sa conception la méfiance des observateurs indépendants, tant il semble avoir résulté d’une intense campagne de lobbying des sociétés privées de contrôle des populations, Thalès en tête, sans réelle plus-value en matière de sécurité.

Suivant l’avis de M. Ludovic Mendes, rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 16 non modifié.

Article 16 bis A (nouveau) (art. L. 232‑1, L. 232‑4, L. 232‑5, L. 232‑7 et L. 232‑7‑1 du code de la sécurité intérieure) : Inclusion des données relatives aux équipages
dans le champ de collecte des données de voyage

Amendements de suppression CL56 de M. Benjamin Lucas et CL967 de Mme Danièle Obono

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Cet article vise à durcir encore le texte et à rendre l’immigration plus difficile en étendant le traitement de données de l’Agence nationale des données de voyage. À l’encontre d’une logique d’intégration, cet article témoigne d’une attitude purement répressive à l’égard des primo-arrivants.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Monsieur le rapporteur, nous aimerions que vous justifiiez vos avis défavorables, surtout lorsqu’on aborde, comme c’est le cas ici, de nouveaux sujets.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Avis défavorable. C’est mon droit que de ne pas répondre précisément sur chaque amendement quand j’ai déjà exprimé ma position de manière globale sur un sujet donné, d’autant que nous avons un peu toujours les mêmes débats.

Cet article, ajouté par le Sénat mais qui figurait dans la première version du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur de mars 2022, nous paraît tout à fait cohérent et adapté.

La commission rejette les amendements.

Elle adopte l’article 16 bis A non modifié.

Après l’article 16 bis A

La commission adopte l’amendement rédactionnel CL1711 de M. Ludovic Mendes, rapporteur. L’article 16 bis B est ainsi rédigé.

Article 16 bis (nouveau) (art. L. 332‑2, L. 333‑2, L. 352‑3 et L. 361‑4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Suppression du jour franc avant d’être réacheminé en cas de refus d’entrée sur le territoire

Amendements de suppression CL936 de M. Boris Vallaud et CL1033 de M. Benjamin Lucas

M. Boris Vallaud (SOC). Cet article supprime le jour franc avant l'expiration duquel un étranger ne peut être réacheminé, s'il en fait la demande, en cas de refus d'entrée sur le territoire. Nous demandons sa suppression.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Ce jour franc est essentiel. Il permet notamment aux étrangers de contacter des associations qui peuvent les aider à faire valoir leurs droits. Cet article est une entrave au droit d’asile.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. J’ai pu constater, en tant que rapporteur de la mission flash sur le bilan de la zone d’attente temporaire installée sur la presqu’île de Giens, que l’utilité du jour franc n’était pas évidente. Je rappelle que cette zone a accueilli de manière exceptionnelle, en novembre 2022, les migrants du navire Ocean Viking affrété par l’association civile européenne de sauvetage en mer SOS Méditerranée.

Ce jour franc conduit à ce que l’étranger soit placé en zone d’attente même quand une solution de réacheminement immédiate existe, ou même quand il y aurait d’autres solutions, ce qui en réalité peut le mettre en difficulté. Du reste, supprimer le jour franc ne ferait nullement obstacle à ce que l’étranger exprime sa volonté de demander l’asile à la frontière, ce qui suspendrait le réacheminement.

La suppression du jour franc ne changera donc rien aux droits des étrangers et elle permettra de mieux les accompagner à leur arrivée sur notre territoire. Avis défavorable.

La commission rejette les amendements.

Elle adopte l’article 16 bis non modifié.

Article 17 (art. L. 812‑3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Permettre l’inspection visuelle des véhicules particuliers par les officiers de police judiciaire en zone frontalière

Amendements de suppression CL282 de M. Benjamin Lucas et CL968 de M. Andy Kerbrat

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Nous voulons supprimer les dispositions liberticides prévues à l’article 17, qui ajoute une pierre de plus à l’édifice de la criminalisation des associations d’aide aux personnes migrantes.

Pour mémoire, le Conseil constitutionnel, dans ses décisions du 12 janvier 1977 et du 18 janvier 1995, a rappelé que la possibilité de procéder à la fouille de véhicules devait être entourée de garanties effectives, faute de quoi il serait porté atteinte à la liberté individuelle.

Par ailleurs, de nombreuses associations témoignent d’un harcèlement incessant de la part des autorités dans la perspective de les dissuader de porter assistance aux étrangers dans le besoin.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Vous voulez autoriser les douaniers à inspecter les voitures particulières susceptibles de transporter des migrants en zone frontalière, alors que ce n’est pas autorisé à ce jour. Cet article prouve une nouvelle fois que vous voulez faire des lois spéciales qui ne s’appliquent qu’aux étrangers et qui dérogent au droit commun.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Le code douanier a été modifié cet été à l’unanimité ; il permet désormais aux douaniers d’inspecter des véhicules légers, contenant jusqu’à neuf places.

La police peut contrôler les camions et les véhicules de tourisme. Comme les passeurs le savent, ils transportent désormais les migrants dans des véhicules légers. Supprimer cet article ne serait pas une bonne chose : cela retirerait à la police des moyens de lutter contre les filières de passeurs. Ce que nous voulons, c’est à la fois protéger les étrangers et lutter contre les passeurs. Les policiers pourront désormais, comme les douaniers, réaliser une visite sommaire pour s’assurer que le véhicule ne transporte pas de personne en situation irrégulière.

M. Thomas Rudigoz (RE). Comme sur l’article 14, on constate que nos collègues sont complètement déconnectés de la réalité et qu’ils n’ont aucune idée de ce que sont le crime organisé et ses réseaux. Cet article ne s’attaque pas aux personnes qui essaient d’entrer sur notre territoire de façon irrégulière, dont la situation est souvent dramatique, mais aux réseaux de passeurs. Ces derniers utilisent des véhicules légers parce qu’ils savent qu’ils ne seront pas contrôlés : à nous d’adapter la loi.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Cet article est très important pour mon territoire. Les migrants qui sont amenés par les passeurs pour tenter de traverser la Manche et la mer du Nord pendant la nuit ne sont pas ceux qui stagnent dans le Calaisis. Ils sont amenés depuis la Belgique, voire les Pays-Bas, quelques heures, voire quelques minutes avant d’embarquer sur un small boat et d’aller à la mort. Avec cet amendement de suppression, vous faites en sorte que le business des passeurs puisse continuer.

Il est essentiel que les forces de l’ordre puissent contrôler les véhicules pour sauver des vies. Monsieur le ministre, serait-il envisageable d’étendre cette disposition aux zones littorales ?

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Il importerait de faire une distinction entre les missions de la police aux frontières et celles de la douane. Les douaniers nous ont dit clairement qu’ils étaient opposés à se voir assigner une mission de police.

Mme Edwige Diaz (RN). Nous ne sommes pas du tout favorables à la suppression de cet article car nous faisons confiance aux forces de l’ordre, qui font un travail remarquable dans des conditions très difficiles, au même titre que les douaniers. Les uns et les autres ont vocation à protéger les Français. Nous sommes particulièrement gênés par les relents antiflics de l’amendement de M. Lucas, selon lequel les associations feraient l’objet d’un « harcèlement incessant » des forces de police. Une fois encore, c’est une façon de victimiser les associations immigrationnistes en criant à la criminalisation de leur action.

M. Gérald Darmanin, ministre. Cet article est très important pour lutter contre l’immigration irrégulière et les passeurs. Pour contourner les contrôles des policiers, des gendarmes, et même des douaniers – j’y reviendrai – les passeurs ont changé de stratégie : ils n’utilisent plus désormais des camions, mais des véhicules plus petits, de moins de neuf places, pour transporter des migrants. Ce que vous avez décrit est tout à fait exact, monsieur Dumont : dans le Nord, où il n’y a ni les Alpes, ni les Pyrénées à franchir, une partie des migrants passe la frontière quelques minutes seulement avant de s’embarquer sur des bateaux.

Cet article doit nous permettre de nous adapter à cette nouvelle stratégie en autorisant les policiers à contrôler les véhicules légers pour vérifier si des étrangers essaient d’entrer illégalement en France.

La mission des douaniers n’est pas de lutter contre l’immigration irrégulière, mais de contrôler les marchandises. Bien sûr, lorsqu’ils constatent une tentative d’immigration irrégulière et qu’ils trouvent des personnes dans un camion, ils les en font descendre. Les policiers, eux, ont vocation à contrôler les personnes. Or ils n’ont pas les moyens juridiques, en France, contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays européens, de procéder à ce contrôle. C’est pourquoi cet article 17 est très important.

Monsieur Dumont, il serait sans doute abusif d’étendre cette disposition à l’ensemble du littoral français : la façade atlantique, par exemple, n’est pas vraiment concernée. En revanche, il faut voir s’il serait possible qu’elle s’applique sur la bande littorale qui va, grosso modo, de Dunkerque aux îles anglo-normandes, ou sur la bande littorale de Mayotte. Si cela semble envisageable, on pourrait créer un nouvel article, avant ou après l’article 17 : je suis prêt à y travailler d’ici la séance.

La commission rejette les amendements.

Amendement CL1712 de M. Ludovic Mendes

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Je propose de supprimer les alinéas 3 et 4 de cet article, qui disposent que la visite sommaire d’une voiture particulière est possible lorsqu’il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner que celle‑ci transporte une personne ayant commis ou tenté de commettre une infraction relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France. Exiger des « raisons plausibles » risque de limiter considérablement l’effet de cette mesure. Cela conduirait aussi à basculer du champ administratif au champ judiciaire et aboutirait à des miroitements avec les dispositions du code de procédure pénale en matière de vérifications et de contrôles.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’amendement CL1032 de M. Benjamin Lucas tombe.

Amendement CL1226 de Mme Estelle Youssouffa

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Cet amendement vise à autoriser les inspections de véhicules maritimes au même titre que de véhicules terrestres. À Mayotte aussi, les réseaux de traite d’êtres humains s’adaptent constamment pour échapper aux contrôles de la gendarmerie et inventent de nouvelles méthodes. Désormais, ce sont les plaisanciers qui font passer les migrants.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Je suis plutôt séduit par votre proposition, mais je vous invite à retirer votre amendement pour le retravailler en vue de la séance. En effet, vous y reprenez l’expression de « raisons plausibles », que nous venons de supprimer. Vous ne prévoyez pas non plus le cadre procédural minimal.

M. Mansour Kamardine (LR). Cette proposition est excellente. De nombreux voiliers arrivent à Mayotte en provenance de Madagascar, notamment de Nosy Be. Des Français sont à bord, qui transportent des jeunes filles qui sont destinées à la prostitution. Cela a causé des troubles à l’ordre public à Mramadoudou il y a quelques jours. Il est essentiel de lutter contre ce fléau. Ce sont des Français qui ont pignon sur rue, des gens comme vous et moi qui tiennent ces réseaux et s’enrichissent sur le dos ces pauvres filles.

L’amendement est retiré.

Amendement CL258 de M. Yoann Gillet

M. Yoann Gillet (RN). En 2022, près de quatre-vingts migrants ont été interpellés par la police nationale à Mulhouse dans un train en provenance de Bâle. Avec l’ouverture totale des frontières, le train est devenu un moyen de circulation prisé des migrants pour se rendre en France. Si les officiers de police judiciaire (OPJ) de la police nationale ou de la gendarmerie peuvent procéder à des vérifications d’identité, rien n’est prévu pour les agents de la sécurité ferroviaire. Or, du fait de leurs nombreuses autres missions mais aussi du manque d’effectifs, les forces de l’ordre traditionnelles ne sont pas en mesure d’assurer la sécurité dans les transports ferroviaires – en 2021, 5 330 actes de violence verbale ou physique, soit 14 actes par jour, ont été commis contre les agents de la SNCF. Les agents de la sûreté ferroviaire de la SNCF (Suge) sont des acteurs essentiels de la sécurité dans les gares ; ils doivent avoir les capacités juridiques de procéder à ces contrôles. C’est ce que propose cet amendement.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 17 modifié.

Article 18 (art. L. 612‑6, L. 612‑7 et L. 612‑8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Encadrer le refus de visa aux étrangers ayant fait l’objet d’une OQTF au cours d’un séjour antérieur sur le territoire français

Amendements de suppression CL285 de M. Benjamin Lucas, CL937 de M. Boris Vallaud et CL969 de Mme Andrée Taurinya

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Une collègue du Rassemblement national a dénoncé un prétendu discours anti-flic de ma part et de celle de certains de mes collègues. Quand je dénonce du harcèlement organisé, je fais référence à des consignes qui obligent nos forces de police à accomplir des tâches inutiles, alors qu’elles seraient plus utiles ailleurs. Les agents de police sont également victimes de ces consignes de harcèlement permanent.

En déplacement à Briançon, il y a quelques semaines, j’ai rencontré un escadron de gendarmerie de Toulouse qu’on avait envoyé faire la course à des exilés dans des montagnes gelées dans le but d’arrêter des personnes qui, de toute façon, reviendront – on ne fait pas demi-tour si facilement quand on a traversé la moitié du globe pour venir ici. Cette absurdité pose un problème même à nos forces de l’ordre.

M. Boris Vallaud (SOC). Vous créez un motif de refus de visa pour les étrangers qui se sont vu délivrer une OQTF depuis moins de cinq ans et qui ne peuvent démontrer qu’ils ont quitté le territoire dans les délais impartis. La mesure nous paraît disproportionnée dans la mesure où elle est automatique et concernera des personnes dont le retard d’exécution n’est que très faible et motivé par de justes raisons. C’est pourquoi nous proposons la suppression de cet article.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Nous nous opposons à l’extension de la durée maximale pendant laquelle l’interdiction du retour sur le territoire produirait des effets. Le Sénat a proposé de la passer de trois ans initialement à cinq, et même exceptionnellement à dix. Nous voyons ici encore comment le ministère de l’intérieur instrumentalise le critère de la menace à l’ordre public et l’érige en doctrine du Gouvernement.

Nous rappelons aussi que les mesures d’éloignement doivent être entérinées par l’autorité administrative et tenir compte de la durée de la présence de l’étranger sur le territoire ainsi que de la nature et de l’ancienneté de ses liens avec la France. On en revient en quelque sorte à l’individualisation de la peine. Notre vision de la justice est donc à l’opposé de celle du ministre.

M. Florent Boudié, rapporteur général. L’avis du Conseil d’État est très net : l’article 18 ne pose aucune difficulté. Celui-ci ne porte que sur l’augmentation de la durée maximale de l’interdiction de retour, et non sur les motifs justifiant une telle décision.

M. Emmanuel Pellerin (RE). L’objectif de ce projet de loi est de rendre aux décisions d’OQTF leur pleine effectivité. Permettre à un étranger visé par une OQTF d’obtenir un visa seulement trois ans après son expulsion va à l’encontre de cet objectif qui est, par ailleurs, au cœur de la démarche de simplification prévue à l’article 21.

L’article 18 est équilibré : d’un côté, il favorise la lutte contre l’immigration illégale en assurant une meilleure effectivité des décisions d’OQTF et, de l’autre, il garantit une certaine équité en empêchant qu’une OQTF interdise définitivement à un étranger d’obtenir un visa pour la France. Porter la durée maximale d’interdiction de retour à cinq ans s’inscrit parfaitement dans cet équilibre. C’est pourquoi le groupe Renaissance votera contre les amendements de suppression.

La commission rejette les amendements.

Amendement CL1521 de Mme Annie Genevard

Mme Annie Genevard (LR). Nous proposons de supprimer tout délai maximum d’une interdiction de retour sur le territoire français, principalement concernant les personnes qui représenteraient une menace grave pour l’ordre public.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Supprimer toute limite maximale à l’interdiction de retour est contraire au droit européen. Avis défavorable.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Parmi cette litanie de propositions visant à s’affranchir du droit européen, on peut en comprendre certaines, mais c’est plus compliqué quand il s’agit de la Cour européenne des droits de l’homme.

Un autre élément retient notre attention : vous visez particulièrement les Algériens. Si nos liens avec ce peuple frère ont été très abîmés, je crains que cela ne soit le fait de la France. Votre volonté de présenter les Algériens comme une menace grave n’améliorera pas nos relations avec eux.

Mme Annie Genevard (LR). J’entends l’argument du rapporteur sur l’inconstitutionnalité de la mesure : c’est une façon de vous dire que, pour être efficace, il faut précisément réformer la Constitution.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL1713 de M. Ludovic Mendes

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Il s’agit de réécrire la fin de l’article 18 en y intégrant l’article 10 bis que nous avons supprimé un peu plus tôt à l’initiative du rapporteur Pradal. Cette disposition entend fixer à dix ans la durée maximale de l’interdiction de retour en cas de menace grave pour l’ordre public, comme le permet la directive « retour », avec un mécanisme de réexamen périodique, sur le modèle de ce qui existe en matière d’expulsion. Cela permettra de vérifier l’adéquation de la mesure à l’évaluation de la menace et de la situation personnelle de l’étranger.

Mme Stella Dupont (RE). Sauf erreur de ma part, l’avis du Conseil d’État est de ne pas retenir cette disposition parce que l’autorité consulaire peut déjà s’enquérir des conditions d’exécution d’une OQTF et en tenir compte pour accueillir ou rejeter une demande. Cette modification de l’article 18 risquerait de fragiliser le pouvoir discrétionnaire de l’autorité consulaire et d’entraîner de nouveaux contentieux. J’aimerais quelques explications sur ce point.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Pensez-vous vraiment que c’est de cette manière que l’on protégera le pays et que l’on dissuadera une personne qui a décidé de s’exiler de venir en France ? Ce que révèle, article après article, amendement après amendement, ce débat, c’est que nous sommes hors sujet. Pour bien le traiter, il faut l’aborder par l’accueil et par les raisons qui poussent les personnes à s’exiler – tout en rappelant que ce ne sont pas les pays du Nord qui reçoivent le plus de migrants.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Madame Dupont, vous parlez de l’article 18 initial, qui a été totalement réécrit. En l’état, il répond à vos attentes.

La commission adopte l’amendement.

Amendement C973 de M. Thomas Portes

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Mon amendement vise à imposer au préfet de motiver la durée d’interdiction de retour sur le territoire français et de tenir compte de la situation personnelle de l’intéressé.

Je saisis l’occasion pour répondre aux députés du Rassemblement national qui ont demandé que les cheminots pratiquent un contrôle dans les trains : dès 2017, les cheminots se sont opposés aux consignes de la direction allant en ce sens, considérant que leur mission de service public n’impliquait pas de pratiquer la délation ni de se livrer à la chasse aux migrants.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. L’amendement est satisfait. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 18 modifié.

Après l’article 18

Amendement CL1522 de Mme Annie Genevard et amendements identiques CL253 de M. Yoann Gillet et CL1318 de M. Mathieu Lefèvre (discussion commune)

Mme Annie Genevard (LR). Nous proposons que le délai de départ volontaire à compter de la notification d’une OQTF soit réduit à sept jours.

M. Yoann Gillet (RN). Notre pays compte plus de 700 000 personnes en situation irrégulière, et même plus de 1 million selon certaines études. Le taux d’exécution des OQTF est mauvais : 6,9 % seulement cette année, ce qui est proche du néant et fait de la France l’un des plus mauvais élèves d’Europe. Alors que les violences, les crimes et les délits commis par des étrangers explosent, un message clair et presque incitatif leur est ainsi envoyé : mettez un pied en France et vous aurez la quasi-certitude de pouvoir vous y installer définitivement. Trois mois après son départ de la préfecture de police de Paris, Didier Lallement dresse un constat sans appel : à Paris, un délit sur deux est commis par un étranger, souvent en situation irrégulière. Le lien entre immigration et insécurité ne peut plus être ignoré.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. L’administration peut refuser d’accorder un délai de départ volontaire, les OQTF devenant alors immédiatement exécutoires. Ce n’est pas en réduisant de moitié le délai que celles-ci seront davantage appliquées. Le 21 novembre dernier, le ministre Gérald Darmanin a expliqué devant nous les raisons de ce faible – en apparence – taux de retour, démontrant clairement que ce n’était pas un problème de délai. De plus, une telle disposition ferait courir un risque de perturbation des délais de recours. Avis totalement défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. En 2023, la part des étrangers mis en cause par la préfecture de police s’élève à 37 % : la délinquance étrangère à Paris a reculé de quatre points en un an, et de treize points depuis 2020. Qu’ils soient en situation régulière ou irrégulière, les étrangers participent donc pour un gros tiers à la délinquance à Paris et en petite couronne, laquelle représente elle-même 60 % de la délinquance générale. Plutôt que de nous lire votre note, qui a dû être rédigée en 2020, vous pourriez féliciter le Gouvernement, monsieur Gillet, pour cette baisse de treize points de la délinquance étrangère.

Je n’ai pas très bien compris d’où sortait votre chiffre de 1 million : quelle est votre source ? Chaque année, 110 000 à 120 000 mesures administratives sont prononcées, qui ne sont pas toutes des OQTF – il y a par exemple des interdictions de retour sur le territoire français (IRTF). Vous déplorez que 7 % seulement des OQTF soient exécutées, mettant dans le même panier les départs volontaires et forcés. Or les chiffres que nous fournissons à l’Assemblée nationale et au Sénat ne concernent que les départs forcés. Si vous additionnez tous les départs de l’espace Schengen – puisqu’ils ne sont pas comptabilisés à l’intérieur de cette zone –, cela représente 18 % à 20 % selon les années. Ce n’est pas beaucoup mais c’est le taux le plus important de l’Union européenne. Avec 20 000 reconduites à la frontière par an, nous faisons mieux que la Grande-Bretagne qui, lorsqu’elle était membre de l’Union européenne, en faisait 4 000 par an, et mieux que l’Italie de Mme Meloni, qui en fait beaucoup moins. En dépit des difficultés, et elles sont nombreuses, la France demeure donc le premier pays en la matière.

Enfin, vous faites semblant de croire que je pourrais exécuter toutes les OQTF. C’est totalement faux : plus de 60 % d’entre elles font l’objet d’un recours, lequel est suspensif. Ce n’est pas le délai d’exécution des OQTF qui doit être réduit, mais celui des recours – ce sera l’objet des prochains articles du présent texte –, car la procédure dure une à deux années. Les chiffres que vous avez indiqués sont donc totalement faux.

Nous sommes tous d’accord que des efforts sont nécessaires, et le présent texte est la démonstration que le Gouvernement en a pris conscience. Pour votre part, vous dites des inepties, des contre-vérités, sans jamais citer vos sources ; c’est bien dommage parce que le débat était intéressant.

M. Yoann Gillet (RN). Vous avez beau le nier, la surreprésentation des étrangers dans les violences, dans la délinquance et dans nos prisons est une réalité. Vous ne ferez pas croire le contraire aux Français. Nous attendrons les chiffres définitifs avant de nous réjouir d’une éventuelle amélioration ces derniers mois, car nous connaissons votre propension à la manipulation.

S’agissant des OQTF, vous êtes bien gentil de dire que ce sont les recours qui vous empêchent d’en faire davantage, mais vos prédécesseurs faisaient largement mieux que vous, alors que la législation n’a pas évolué en la matière. Il ne faut pas raconter tout et n’importe quoi. Vous nous accusiez un peu plus tôt de miser sur les problèmes pour gagner les élections : si c’est le cas, croyez bien que la nullité de votre bilan nous permettra de l’emporter en 2027 !

Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). Je suis choquée par la faiblesse des interventions des députés du Rassemblement national.

L’amendement de Mme Genevard coche toutes les cases d’un message politique qui ne trompe personne : stigmatisation des Algériens, OQTF, rétention, tous les termes visent à démontrer la fermeté des Républicains, qui ne sont pas au pouvoir. Délivrer des milliers d’OQTF, réduire les délais à sept jours – pourquoi pas trois jours ou vingt-quatre heures ? –, tout cela ne changera absolument rien au problème de l’exécution des OQTF ni à l’arrivée massive de migrants climatiques ou fuyant la pauvreté.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Monsieur le président, j’aimerais vous dire que nous sommes tous fatigués. Ce sujet, très grave, suscite chez nombre d’entre nous beaucoup d’émotions parce qu’il affecte de nombreuses personnes, que certains d’entre nous accompagnent dans leur circonscription – c’est mon cas. Nous sommes donc un peu à fleur de peau et je souhaite que vous en teniez compte dans l’organisation des débats.

L’amendement de nos collègues Républicains nous sidère par la phrase finale de son exposé sommaire, imprimée en gras : « Cette disposition est applicable aux ressortissants algériens. » En stigmatisant ainsi un pays, c’est vraiment le racisme qui s’exprime. C’est tellement grave que je vais publier cet amendement et le distribuer dans ma circonscription pour que les gens comprennent à quel point on a passé un cap dans le racisme. J’ai une pensée pour toutes les personnes issues de la communauté algérienne.

La commission rejette successivement les amendements.

Article 18 bis (nouveau) (art. L. 312‑1 A [nouveau] du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Refus de délivrance d’un visa à l’étranger ne pouvant justifier du respect des modalités d’exécution d’une OQTF prononcée depuis moins de cinq ans

Amendements de suppression CL57 de M. Benjamin Lucas, CL938 de M. Boris Vallaud, CL974 de Mme Élisa Martin, CL1204 de M. Davy Rimane et CL1364 de Mme Mathilde Desjonquères

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Je souhaite livrer à notre sagacité collective cette réflexion qui m’est venue en entendant le collègue du Rassemblement national affirmer qu’il y avait trop d’OQTF non exécutées : c’est peut-être tout simplement qu’on en délivre trop ! Cela démontre l’absurdité de la politique brutale et répressive de notre pays. Il faut être réaliste et pragmatique.

Je suis, moi aussi, particulièrement choqué que l’on stigmatise ainsi les Algériens et les Franco-Algériens qui vivent en France. Le débat politique, madame Genevard, n’autorise pas tout et mérite de la décence. Je regrette que les Républicains aient perdu leur boussole républicaine.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Parce qu’une personne n’a pas quitté le territoire français, elle ne pourra pas y revenir pendant un certain nombre d’années : je voulais appeler votre attention sur l’absurdité de cette disposition et sur l’engorgement supplémentaire des tribunaux qu’elle ne manquera pas de créer. Tout n’est que tracasserie, dans ce que vous proposez. Nous sommes bien plus réalistes que vous.

Mme Mathilde Desjonquères (Dem). Nous proposons la suppression de cet article, car l’autorité consulaire a d’ores et déjà la possibilité de s’enquérir des conditions d’exécution d’une OQTF et d’en tenir compte pour accéder ou non à la demande de visa.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette les amendements.

Elle adopte l’article 18 bis non modifié.

Après l’article 18 bis

Amendement CL975 de Mme Danièle Obono

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Certaines dispositions de ce texte relèvent du fichage et de la surveillance des étrangers. C’est la raison pour laquelle nous proposons un moratoire en la matière dans les départements frontaliers.

Par ailleurs, nous ne sommes pas complètement dupes : comme pour l’autorisation de la vidéosurveillance automatisée (VSA) dans la perspective des Jeux olympiques, nous savons que des intérêts financiers et industriels sont derrière tout cela.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Votre amendement vise les départements frontaliers mais quid des aéroports qui n’y sont pas situés, comme ceux de Roissy, Lyon-Saint-Exupéry ou Metz-Nancy-Lorraine ? Avis défavorable.

Mme Annie Genevard (LR). Un mot d’explication sur la référence à l’Algérie : personne n’ignore ici les relations particulières et exorbitantes du droit commun qui unissent la France et l’Algérie en matière d’accueil des ressortissants algériens. Il ne s’agit pas de stigmatiser mais de reconnaître un état de fait, tout simplement. Plusieurs groupes politiques considèrent qu’il faut revoir l’accord de 1968 ; Édouard Philippe lui-même s’est exprimé sur ce sujet, qui sera l’objet du premier texte de la niche des Républicains. La diabolisation et la stigmatisation de l’opinion d’autrui quand elle n’est pas la vôtre, voilà ce qui est insupportable.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Il n’y a aucune volonté de diaboliser le propos des Républicains. Nous souhaitons simplement souligner le caractère anticonventionnel de la mesure proposée et réagir à la référence très spécifique aux Algériens, qui constitue bien une stigmatisation – votre amendement ne visait pas à réviser l’accord de 1968.

Cela vous étonnera peut-être, madame Genevard, mais je pense, moi aussi, que l’on pourrait rouvrir le débat sur l’accord de 1968. En proposant de le dénoncer, entendez-vous revenir au dispositif qui était en vigueur avant cette date, à savoir la libre circulation entre les deux pays afin de permettre le retour de ceux qui le souhaitent en France ?

La commission rejette l’amendement.

TITRE IV
ENGAGER UNE RÉFORME STRUCTURELLE DU SYSTÈME DE L’ASILE

Article 19 (art. L. 521-6, L. 531-21 et L. 531-32 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Expérimentation de pôles territoriaux « France asile »

Amendements de suppression CL944 de M. Boris Vallaud, CL972 de M. Andy Kerbrat et CL1512 de Mme Annie Genevard

M. Boris Vallaud (SOC). D’une manière générale, nous avons une réflexion critique sur la création des pôles territoriaux France asile. Nous ne sommes évidemment pas opposés à la simplification ni au raccourcissement du parcours administratif des demandeurs d’asile. Toutefois, il peut y avoir une discordance entre le désir d’accélération de la procédure de reconduite de ceux qui ne seraient pas éligibles à l’asile et la nécessité de prendre connaissance de ce qui s’est effectivement passé et d’accompagner les récits de ces populations particulièrement vulnérables.

Certaines questions de fond, structurelles, se posent quant à la création des pôles France asile, dont le détail est mal assuré dans l’étude d’impact, qui ne dit pas grand-chose de cette expérimentation. Le statut de ces pôles, le lien hiérarchique entre leurs agents et ceux de la préfecture dès lors qu’ils seraient dans les mêmes locaux, les missions dévolues aux agents de même que leur statut mériteraient d’être précisés – ainsi, on me fait observer que l’enregistrement du formulaire de demande d’asile ne peut être fait par des agents de catégorie B.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Il nous paraît important de rappeler que le droit d’asile impose à la France de mettre sous protection, d’une façon inconditionnelle, des personnes qui sont en danger dans leur pays. L’évaluation de ce danger passe par le récit, ce qui implique de créer les conditions dans le temps, dans l’espace et dans l’organisation pour recueillir celui-ci. Le raccourcissement du délai ne doit pas être une entrave à la possibilité de connaître ses droits et de bénéficier d’un endroit privilégié où l’on pourra être entendu et déposer son récit. La confusion induite par ces pôles France asile nous inquiète, d’autant que le raccourcissement du délai ne paraît pas être au bénéfice des demandeurs d’asile.

Mme Annie Genevard (LR). Nous proposons de supprimer l’article 19, car la création des pôles territoriaux France asile peut mettre en difficulté les préfectures.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. L’article 19 a pour principal objectif d’améliorer la lisibilité de la procédure de demande d’asile pour les demandeurs eux-mêmes. Un agent de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) sera présent pour les aider à effectuer leur demande ; il sera mieux armé que ne le sont les agents de préfecture, notamment pour aider au choix de la langue dans laquelle se tiendra l’entretien individuel – l’interprétariat pose parfois un problème s’agissant de ressortissants de certaines régions ou de certains pays comme l’Afghanistan ou le Bangladesh.

Par ailleurs, un délai suffisant doit être maintenu entre l’introduction de la demande et l’entretien personnel du demandeur d’asile avec un agent de l’Ofpra. L’entretien en question se fera toujours à Montreuil.

L’Ofpra sera toujours indépendant, l’article L. 121-7 du Ceseda le garantit.

Monsieur Vallaud, un agent de l’Ofpra de catégorie B accompagnera le demandeur. Quelque 150 agents seront recrutés dans les territoires concernés. Ils auront pour tâche d’organiser l’enregistrement de la demande d’asile, assortie d’un récit sommaire.

Avis défavorable.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). L’article a pour objet de traiter tout plus vite, alors que l’on parle de personnes dont les demandes doivent être étudiées avec soin. Le dispositif nous apparaît à bien des égards dangereux, notamment parce qu’il remet en cause – nous persistons à le dire – l’indépendance de l’Ofpra vis-à-vis des préfectures. Ces derniers jours, les agents de l’Office ont fait grève pour réclamer la garantie de cette indépendance ; c’est bien que la question se pose. L’indépendance est une condition primordiale pour assurer une bonne instruction, individualisée, des dossiers. Nous soutenons les amendements de suppression de cet article, qui participe à la dégradation des garanties procédurales attachées à la demande d’asile.

Mme Edwige Diaz (RN). La NUPES refuse la création de pôles territoriaux France asile car ils seraient de nature à accélérer la procédure. Elle critique le principe que plus on juge vite, plus on expulse vite. Par cet amendement, elle fait la démonstration de son dégoûtant fonds de commerce, qui consiste à surfer sur la précarité et l’incertitude administrative.

La NUPES a bien compris que, plus longtemps les étrangers en situation irrégulière restent sur notre territoire, plus ils ont de chances de travailler et d’être régularisés. Ils ont plus de chances aussi d’y fonder une famille, ce qui rendra leur expulsion plus difficile. Ils peuvent vous dire merci pour la loi que vous êtes en train de faire passer. En l’absence de volonté du Gouvernement de réduire les filières d’immigration, la NUPES impose aux Français son idéologie, aussi funeste que coûteuse. Ce sera sans nous !

Mme Marie Guévenoux (RE). Nous nous opposerons à ces amendements. Aujourd’hui, un demandeur d’asile doit se présenter à une structure d’accueil gérée par des associations avant de faire sa demande auprès d’un guichet unique, à la préfecture ; il se voit ensuite délivrer des conditions matérielles par l’Ofii, après quoi sa demande est examinée par l’Ofpra. La multiplicité des interlocuteurs et des sites porte le délai moyen d’examen des demandes à 122 jours. Avec la création des pôles France asile et le regroupement des acteurs, le Gouvernement, soutenu par la majorité, propose de simplifier les démarches et de raccourcir les délais d’instruction de la demande d’asile, sans que la qualité de celle-ci en soit affectée.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je peine à comprendre les oppositions qui viennent d’être exprimées. Certes, cette mesure simplifiera la procédure – sachant que le Sénat a veillé à maintenir un délai de vingt et un jours entre l’introduction de la demande d’asile et l’entretien personnel – mais, surtout, contrairement à ce que vous avez dit, elle assurera une très grande protection. Dès l’enregistrement, un agent de l’Ofpra, de catégorie B – et non un agent de la préfecture – s’assurera d’un certain nombre d’éléments fondamentaux, nécessaires à l’élaboration du futur récit détaillé qui sera présenté lors de l’instruction de la demande, en région parisienne. Il vérifiera la situation de vulnérabilité et la langue – il est essentiel de le savoir dès le départ –, et recueillera les premiers éléments du récit sommaire.

Vraiment, on rapproche l’Ofpra du demandeur d’asile à la fois par la simplification, qui fera certes gagner du temps avant les vingt et un jours, mais surtout en plaçant immédiatement un agent de cette institution auprès du demandeur. Celui-ci pourra naturellement, par la suite, compléter son récit sommaire. Lors de l’instruction, il pourra livrer son récit détaillé et ajouter tout élément nouveau, éventuellement grâce à l’accompagnement dont il aura bénéficié.

Je n’ignore pas les craintes des agents de l’Ofpra. Les six sites qui seront choisis pour être pilotes seront des préfectures permettant d’installer immédiatement des locaux indépendants pour l’Office. Dans les autres préfectures, des aménagements capacitaires très importants devront être effectués pour garantir cette indépendance physique.

La commission rejette les amendements.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CL1507 de Mme Michèle Tabarot.

Amendement CL434 de Mme Edwige Diaz

Mme Edwige Diaz (RN). Si on veut lutter contre l’immigration, il faut commencer par arrêter de créer de nouveaux organismes de recours, car cela conduit à l’explosion du volume du contentieux des étrangers. En 2019, ce dernier représentait 20 % de l’ensemble des affaires enregistrées au Conseil d’État – contre 13 % en 2014 –, plus de 41 % du contentieux total des tribunaux administratifs en 2021 et 54 % de celui des cours administratives d’appel. Devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), on est passé de 29 000 à 59 000 affaires entre 2009 et 2019. Plutôt que de traiter les conséquences de votre politique en multipliant les expérimentations et les recours, concentrez-vous sur les causes du problème, en faisant procéder aux demandes d’asile auprès des autorités consulaires du pays d’origine, comme le demande le Rassemblement national.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendements CL1411 de M. Ludovic Mendes et CL1344 de M. Erwan Balanant (discussion commune)

M. Ludovic Mendes, rapporteur. L’amendement CL1411 a pour objet de revenir à la version initiale de l’article 19, qui vise à assurer un déploiement progressif des pôles territoriaux France asile, sans passer par l’expérimentation, les sites pilotes en tenant lieu. La création des trois premiers a été annoncée à Cergy, Toulouse et Metz. L’expérimentation renverrait à un cadre temporaire qui ne garantirait pas le recrutement des agents, leur déploiement sur les territoires et la mise en place des procédures. J’ai été convaincu par les explications des représentants du ministère sur les modalités de déploiement des guichets uniques ainsi que par nos échanges avec le directeur général de l’Ofpra. Une expérimentation de quatre ans ralentirait les choses alors que la réforme vise à faciliter et à accélérer l’introduction de la demande d’asile.

Placer des agents dans les trente-trois guichets uniques de demande d’asile (Guda), au plus près des territoires, permettra de mieux accompagner les ressortissants et rendra la procédure beaucoup plus rapide, non seulement pour nous, mais aussi pour eux. On parle, faut-il le rappeler, d’êtres humains qui attendent parfois bien trop longtemps avant de rencontrer un agent de l’Ofpra à Montreuil.

M. Erwan Balanant (Dem). J’ai du mal à comprendre les réticences exprimées par des gens qui connaissent bien la procédure, qui nous disent passer leur temps à accompagner les demandeurs d’asile. Pour l’avoir fait également, j’ai mesuré combien le parcours était complexe. Or la disposition proposée vise à simplifier et à améliorer la procédure. Je retire mon amendement au profit de celui du rapporteur.

Mme Stella Dupont (RE). Cette proximité me paraît également intéressante. Néanmoins, à la suite des auditions que j’ai menées au sujet de France asile, en tant que rapporteure spéciale sur la mission Immigration, asile et intégration, je continue à m’interroger. Je serais plutôt favorable à une expérimentation, car on ne connaît pas l’impact précis de cette mesure, qui entraînera une révolution administrative. Qui exercera l’autorité hiérarchique, fonctionnelle sur les deux agents de l’Ofpra détachés auprès de chaque Guda ? Je continue à me poser des questions sur le coût, l’efficacité et les modalités de gestion et d’organisation de ce service.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Les agents resteront sous la seule autorité du directeur général de l’Ofpra.

L’amendement CL1344 est retiré.

La commission adopte l’amendement CL1411.

En conséquence, l’amendement CL781 de Élisa Martin tombe.

Amendement CL1028 de M. Benjamin Lucas

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Cet amendement, proposé par le Comité contre l’esclavage moderne (CCEM), vise à ce que les agents de l’Ofii chargés d’évaluer la vulnérabilité des demandeurs d’asile suivent une formation actualisée sur le cadre légal de la lutte contre la traite des êtres humains à des fins d’exploitation par le travail et sur l’identification des victimes. Cet amendement est la traduction des observations faites par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) et par le Groupe d’experts du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (Greta).

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendement CL847 de Mme Élisa Martin

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). On nous dit que les agents de l’Ofpra disposeront de locaux indépendants au sein des préfectures, mais il faudra nous indiquer où se trouvent, dans le projet de loi de finances, les 10 à 12 millions nécessaires. Sans adhérer à la logique globale de France asile, nous demandons des garanties quant à la qualité de l’instruction de la demande et du récit, ce dernier occupant une place centrale. Nous souhaitons que le demandeur puisse être accompagné par un certain nombre de personnes, énumérées dans l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendement CL1369 de Mme Caroline Yadan

Mme Caroline Yadan (RE). Lors d’une visite en centre de rétention administrative (CRA), il y a quelques semaines, j’ai noté qu’une dizaine de personnes fichées S étaient répertoriées.  Ne pourrait-on pas allonger les délais, sans préjuger d’une mesure judiciaire, dans le cas où leur éloignement constituerait une perspective raisonnable ?

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Votre présentation ne correspond pas à l’amendement CL1369, auquel je suis favorable.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, les amendements CL978 et CL960 de Mme Élisa Martin tombent.

Amendements CL169 et CL170 de M. Éric Pauget

M. Mansour Kamardine (LR). Ces amendements visent à lutter contre le maintien illégal des clandestins déboutés du droit d’asile par la création d’un pôle international France asile. L’amendement CL169 rendrait celui-ci complémentaire des pôles nationaux ; le CL170, le substituerait à l’un d’entre eux. Il est préférable d’étudier les demandes d’asile depuis l’étranger plutôt que sur le sol national. À titre d’exemple, une personne désireuse de se rendre en France, en particulier à Mayotte, depuis Madagascar ou les Comores, déposerait sur place sa demande d’asile auprès des services consulaires français, ce qui éviterait d’avoir à la reconduire dans son pays d’origine en cas de décision défavorable.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Vous citez, dans votre exposé sommaire, l’exemple du Royaume-Uni dont l’ONU a dénoncé la loi adoptée en 2023, considérant qu’elle contrevenait au droit international en matière d’accueil des réfugiés. Cette seule raison rend vos amendements inacceptables. De surcroît, vous envisagez que l’entretien personnel ait lieu directement au sein de ce pôle international, sans aucune garantie, notamment quant au délai de préparation ouvert au demandeur. Sachant qu’il faut un certain temps pour établir son récit et exposer les raisons de la demande d’asile, il en résulterait une dégradation des conditions d’examen de la demande. Avis totalement défavorable.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). La loi britannique avait pour objet d’envoyer les déboutés du droit d’asile au Rwanda ; on parle ici du dépôt de la demande d’asile.

Ces amendements anticipent l’adoption très probable par le Parlement européen du règlement relatif à la gestion de l’asile et de la migration : le texte en cours de négociation prévoit que le plus grand nombre possible de demandes d’asile soient déposées aux frontières de l’Europe. Il faut s’inscrire dans ce cadre internationalisé et imaginer de nouveaux dispositifs, à l’image des camps installés dans les îles grecques pour mettre à l’abri les demandeurs d’asile, sous le regard de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et des États membres de l’Union. Le type de mécanisme qui est proposé permettrait d’assurer une meilleure gestion des demandes et de renvoyer plus facilement les personnes déboutées.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Nous voilà au cœur du sujet : comment assurer aux demandeurs d’asile que leurs demandes seront instruites dans les meilleures conditions possible ? De notre point de vue, la régionalisation introduite avec France asile ne garantit pas la présence d’associations qui, avant même la production du récit sommaire, puissent dire le droit – et vous refusez d’inscrire cette garantie dans la loi. Pour vous, elle constitue la procédure la plus facile et adéquate. Soit. Il faudra quand même nous dire où vous trouverez les 10 ou 12 millions nécessaires.

M. Florent Boudié, rapporteur général. L’instruction de la demande d’asile se fera dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui, à l’Ofpra, en région parisienne. Il est question ici de l’introduction de la demande. En même temps que l’un des trente-trois Guda actuellement répartis sur le territoire national s’occupera de la délivrance des conditions matérielles de séjour, dans les mêmes bâtiments mais dans des locaux séparés, il sera possible d’introduire la demande d’asile. À ce stade, il n’y a pas besoin d’avocat, puisqu’il ne s’agit que de fournir des informations sur son identité, sa langue, etc. Le droit à une assistance est garanti lors de l’instruction.

Dans la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) – que vous n’avez pas votée, madame Martin –, nous avons acté les moyens nécessaires à la déconcentration de l’Ofpra. En 2024, 5,3 millions d’euros alloués aux espaces France Services seront consacrés notamment aux aspects capacitaires sur les sites expérimentaux ; les montants passeront ensuite à 12,8 millions en 2025, 18,5 millions en 2026 et 19,4 millions en 2027. Ainsi sera doté l’ensemble des locaux spécifiques de l’Ofpra, dont les agents seront placés sous l’autorité hiérarchique du directeur général de l’Office – la distance ne fait rien à l’affaire. Entre 100 et 170 équivalents temps plein (ETP) devraient être créés spécifiquement pour assurer l’accueil de proximité lors de l’introduction des demandes. Vous voyez bien que le dispositif est protecteur sur le plan procédural et qu’il bénéficie de moyens substantiels, tant en emplois qu’en capacités immobilières, engagés par l’État sur la durée. J’ai obtenu sans difficulté toutes les précisions que j’ai demandées à ce sujet.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL276 de M. Yoann Gillet

M. Yoann Gillet (RN). Avec près de 131 000 demandes d’asile en 2022, la France est le deuxième pays d’accueil en Europe. La demande d’asile n’a jamais été aussi forte. Le droit d’asile est dévoyé et les premières victimes en sont les personnes qui peuvent réellement prétendre à l’asile. Le directeur général de l’Ofii, Didier Leschi, a confirmé que la France est l’un des pays les moins sévères dans l’examen des demandes d’asile. Des déboutés dans d’autres pays européens, comme l’Allemagne, la Suède, l’Autriche ou le Danemark, obtiennent souvent plus facilement en France le statut de réfugié, mais nombreux sont ceux qui tardent à demander l’asile en arrivant sur notre territoire. Aussi proposons-nous de réduire à quinze jours le délai dans lequel on peut déposer une demande d’asile.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Défavorable.

Mme Laure Miller (RE). Selon Jordan Bardella, les femmes afghanes ne sont pas une plus-value pour la France ; s’il avait été au pouvoir, il n’en aurait pas accueilli, a-t-il dit. Que nos collègues du Rassemblement national cessent donc de nous faire croire qu’ils défendent les droits des femmes et qu’ils la ramènent un peu moins sur le droit d’asile !

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Pourquoi quinze jours ? Pourquoi pas douze, sept ou un ? Pour déterminer ce délai, vous fondez-vous sur votre connaissance de la situation des gens lorsqu’ils arrivent en France pour demander l’asile ? Vous n’en avez aucune ! Votre unique obsession est de faire dégager le plus vite possible les étrangers originaires de pays extra-européens, car ce sont tous, à vos yeux, des criminels en germe.

M. Yoann Gillet (RN). De pareilles âneries sont hallucinantes. Madame Miller, je comprends que nous ne partageons pas les mêmes idées ; je peux comprendre aussi qu’on ne croie pas les sondages rendant compte de l’avis des Français sur l’immigration. Ne vous inquiétez pas, les Français vous rappelleront la réalité le 9 juin prochain.

En plus d’avoir été du petit nombre de députés qui ont participé aux auditions, nous avons rencontré un certain nombre de professionnels : tous estiment que le délai est trop long et que quinze jours suffisent. Oui, nous écoutons les professionnels du secteur, qui sont les premiers à pouvoir proposer des mesures bonnes pour la France et acceptables pour les demandeurs d’asile.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement CL1027 de M. Benjamin Lucas.

Amendement CL247 de Mme Cyrielle Chatelain

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). Les demandeurs d’asile sont en situation de grande vulnérabilité lors de leur arrivée en France, à plus forte raison lorsqu’ils sont transgenres ou intersexes. Ces derniers sont souvent originaires de pays où les personnes LGBTQIA+ sont persécutées et où il leur est impossible d’exprimer leur identité de genre ; ils ont besoin d’une procédure adaptée. C’est pourquoi nous souhaitons que leur demande soit enregistrée avec la mention du sexe correspondant à l’identité de genre ainsi que, le cas échéant, le prénom correspondant à cette identité.

L’amendement vise également à autoriser la modification de la mention du sexe par une déclaration de la personne ayant demandé la protection internationale dans les vingt et un jours qui suivent l’enregistrement de la demande. Aujourd’hui, la déclaration de l’identité de genre se fait sur la base de la perception des agents de l’Ofpra. C’est la responsabilité de la France que de permettre cela, et nous en sortirions grandis.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Je comprends votre point de vue mais il n’est déjà pas recevable par les règles générales de l’état civil. De plus, l’un des rôles de l’Ofpra lors de l’introduction de la demande est d’établir l’état civil du demandeur. Si, dès cette première étape, une distorsion est introduite entre l’état civil de naissance et celui qui figure dans le dossier, l’instruction de la demande risque de devenir complexe. Mais rien n’empêche, une fois obtenu l’asile, de faire changer son état civil. Demande de retrait ou avis défavorable.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Cet amendement met l’accent sur l’attention et le soin qu’il faut porter au demandeur d’asile et à la procédure qu’il doit suivre. J’en profite pour dire que la présence physique de l’interprète auprès du demandeur est indispensable et que nous refusons l’emploi de la vidéo pour la conduite des entretiens. Si le projet de loi offrait toutes les garanties procédurales, sur ces sujets comme sur d’autres, nous pourrions accepter la territorialisation, mais ce n’est pas le cas.

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). Les personnes qui fuient leur pays en raison de cette discrimination, en particulier les personnes transgenres, ont souvent connu un parcours très difficile. Arriver en France sous l’identité de genre initiale peut se révéler compliqué pour elles. Ce que nous proposons n’est rien d’autre qu’une mesure d’accueil qui permettrait de mettre en avant les valeurs de la France à l’étranger.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Je suis d’accord avec vous sur ce point, mais on a besoin de l’état civil du pays de naissance pour créer le dossier. En l’état, on ne peut pas faire autrement. Cela n’empêche pas de réfléchir à une évolution. En 2018, nous avons changé la loi pour protéger les personnes transgenres ou homosexuelles qui étaient maltraitées, emprisonnées ou chassées. C’est bien que nous cherchons à les protéger.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL945 de M. Hervé Saulignac

Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). Il vise à inscrire dans la loi une obligation de formation des agents de l’Ofii et de l’Ofpra relative à la traite des êtres humains à des fins d’exploitation par le travail et aux violences spécifiquement infligées aux femmes migrantes. La CNCDH considère que les mesures prises par la France en matière d’information, de sensibilisation et de formation des professionnels à ce sujet sont insuffisantes.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Avis défavorable.

M. Erwan Balanant (Dem). Depuis le début de nos débats, les collègues du Rassemblement national nous jettent à la figure des sondages. Il n’y a pas que les sondages, il y a aussi, il y a surtout les études. J’en citerai deux.

L’une, du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii), démontre que les étrangers ne sont pas surreprésentés parmi les délinquants. L’autre, une synthèse des études de l’évolution de l’indice de confiance des Français vis-à-vis de l’étranger depuis les années 1980, calculé à partir 98 questions et 1 016 données, démontre qu’il n’a jamais été aussi élevé.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL970 de Mme Andrée Taurinya

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Nous avons rencontré des personnes ayant vécu un parcours migratoire qui ont fait état de leur difficulté à comprendre les documents qui leur sont adressés. Les rédiger dans les quatre ou cinq langues véhiculaires est insuffisant. Il faut les rédiger dans la langue maternelle du requérant, à tout le moins dans une langue qu’il comprend.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Avis défavorable.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Voilà encore un problème soulevé par la territorialisation des demandes d’asile : les pôles territoriaux France asile devront disposer d’interprètes en nombre pour accompagner les demandeurs d’asile. La vidéo-audience, à nos yeux, n’est pas une solution, non seulement parce qu’elle est un ornement, mais aussi parce que le recueil du récit exige de la subtilité et ne peut s’embarrasser de l’interposition des écrans.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement CL981 de Mme Andrée Taurinya.

Amendements CL134 et CL163 de M. Éric Pauget

Mme Annie Genevard (LR). Tandis que nous achevons nos débats sur l’asile, j’aimerais rappeler quelques chiffres. En 2022, 43 % des 131 000 demandes d’asile ont fait l’objet d’un avis favorable de l’Ofpra. Plus de la moitié ne sont donc pas légitimes. C’est l’une des raisons qui motivent le souhait du groupe Les Républicains de procéder à l’instruction des demandes d’asile aux frontières du pays. Au demeurant, cette disposition figure dans la réforme constitutionnelle que nous appelons de nos vœux.

L’amendement CL134 vise à rendre irrecevable toute demande d’asile déposée par un étranger définitivement condamné à une peine de prison ferme par la justice française. L’amendement CL163 est un amendement de repli.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements.

Elle adopte l’article 19 modifié.

Après l’article 19

Amendement CL1446 de Mme Stella Dupont

Mme Stella Dupont (RE). Il vise à assurer une répartition territoriale géographique équilibrée des directions territoriales de l’Ofii. La répartition de ses trente et une directions territoriales n’est pas satisfaisante. Rapporteure spéciale des crédits de la mission Immigration, asile et intégration, j’ai constaté que les départements de l’Essonne et des Yvelines, pourtant confrontés à une forte demande, en sont dépourvus. Les treize départements de la région Occitanie relèvent de deux directions territoriales. L’introduction des pôles territoriaux France asile me semble offrir l’occasion de renforcer le maillage territorial de l’Ofii.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendements CL105 de M. Thibaut François, CL440 et CL441 de M. Yoann Gillet (discussion commune)

M. Yoann Gillet (RN). L’amendement CL105 permet de limiter le dévoiement du droit d’asile et de protéger les Français. Il prévoit la suppression du dépôt des demandes d’asile sur le sol métropolitain ou ultramarin. Limiter le traitement des demandes d’asile au réseau diplomatique et consulaire français permettrait d’aller en ce sens.

En 2022, pas moins de 330 000 franchissements irréguliers des frontières extérieures ont été dénombrés, soit une hausse de 64 % par rapport à 2021. Devenues de véritables passoires, nos frontières sont prises d’assaut. Elles sont soumises à une pression migratoire inédite qui ne cesse de s’intensifier.

Cette intensification massive a pour conséquence un détournement du droit d’asile. En 2012, 61 000 demandes d’asile ont été déposées ; leur nombre est passé à 156 000 en 2022, et devrait atteindre 200 000 en 2024. Ce que nous remettons en cause, ce n’est pas le droit d’asile mais son dévoiement.

Pour mettre un terme au dévoiement de la politique du droit d’asile, les amendements CL440 et CL441 visent à faire du retour dans le pays d’origine après obtention du statut de réfugié un motif de retrait de ce dernier. Comme sans doute chacun d’entre nous, je rencontre régulièrement des professionnels. Je suis de surcroît rapporteur pour avis des crédits de la mission Outre-mer. Certains réfugiés rentrent dans leur pays d’origine pour les fêtes de fin d’année ou pour la fête nationale, avant de revenir sur le territoire français, ce qui démontre qu’ils n’y sont pas en danger et que le droit d’asile, en l’espèce, est bel et bien dévoyé.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Avis défavorable.

L’amendement CL105 aurait pour effet de modifier en profondeur l’organisation des services consulaires et d’obliger à leur accorder des moyens supplémentaires significatifs. Il mettrait à mal le rôle de l’Ofpra, qui est indépendant de tous les ministères, conformément à nos engagements internationaux en matière d’asile. Le système en vigueur est le plus équilibré et le plus pertinent possible.

S’agissant des amendements CL440 et CL441, le site de l’Ofpra indique : « Dans certains cas de nécessité impérieuse, les personnes placées sous la protection de l’Office peuvent être amenées à retourner dans leur pays d’origine. Vous devez solliciter un sauf-conduit auprès de la préfecture de votre lieu de résidence ». Tout ressortissant étranger auquel a été accordé le bénéfice de l’asile peut donc perdre ses droits s’il ne respecte pas ses obligations.

Les dispositions proposées sont donc inutiles, en plus d’être contraires aux conventions de Genève, donc inconstitutionnelles. Le système en vigueur est bien pensé et fonctionne. L’article 19 permet de l’améliorer.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Cher collègue Gillet, vous semblez être passé à côté de l’examen de l’article 12 bis A ; peut-être même ne l’avez-vous pas voté. Or il prévoit le retrait du statut de réfugié d’une personne ayant indiqué avoir coupé ses liens avec son pays d’origine au motif qu’elle y était persécutée ou discriminée et qui s’y rend pour les vacances.

Par ailleurs, contrairement à ce que vous dites, vous remettez en cause le droit d’asile, dès lors que vous vous opposez au dépôt des demandes d’asile sur le territoire national. Pour faire adopter le pacte sur la migration et l’asile, il a fallu que les États membres de l’UE s’accordent sur une fiction juridique selon laquelle les ressortissants de pays tiers se présentant aux frontières de l’UE ne sont pas entrés dans l’UE. En contrepartie, chaque État s’est engagé à enregistrer tout demandeur d’asile – à l’heure actuelle, cette tâche incombe aux pays d’arrivée, au premier rang desquels l’Italie et la Grèce.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Le Rassemblement national est contre le droit d’asile selon la nationalité du demandeur – pour les Ukrainiens, oui, pour les Syriens, non ! Demander que les demandes d’asile soient demandées auprès du réseau consulaire et des ambassades, c’est ne rien comprendre à ce qu’est la demande d’asile. Comment les Syriens pourraient-ils demander l’asile en France alors que l’ambassade est fermée ? Monsieur Gillet, ce que vous proposez est absurde !

Vous dites avoir rencontré les personnels de l’Ofpra ; ils sont en grève contre l’introduction des pôles territoriaux France asile. Nous ne devons pas avoir rencontré les mêmes !

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Que nos collègues du Rassemblement national demandent l’examen des demandes d’asile hors de France ne manque pas d’intérêt. Cela revient à approuver la décision du Conseil européen relative au pacte sur la migration et l’asile, qui prévoit l’examen des demandes d’asile aux frontières de l’UE. Nous sommes heureux d’entendre que vous êtes, vous qui parlez sans cesse des élections du 9 juin prochain, favorables au pacte sur la migration et l’asile. Après l’euro et le « Frexit », nous ne sommes plus à un revirement près sur l’Europe avec le Rassemblement national !

M. le président Sacha Houlié. Si j’étais taquin, je rappellerais que les seuls membres du Parti populaire européen (PPE) ayant voté contre le pacte sur la migration et l’asile sont les Républicains, mais je m’abstiendrai.

M. Yoann Gillet (RN). Monsieur le président, vous vous abstiendrez d’autant plus que le pacte sur la migration et l’asile n’a pas encore été adopté par le Parlement européen.

Pour reprendre l’exemple de la Syrie précité, les migrants qui en viennent passent par la Turquie, où nous avons une ambassade. Plusieurs pays reçoivent les demandes dans leurs ambassades, ce qui montre que cela n’a rien d’impossible. En outre, cela permet de préserver le droit d’asile, pour en réserver le bénéfice à ceux qui en ont réellement besoin et lutter contre son dévoiement.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Ce dont vous parlez n’existe pas. Il n’existe aucune solution qui permette aux migrants de demander le droit d’asile hors de France, ni en Turquie ni ailleurs. La demande d’asile, par principe, ne peut être déposée que sur le territoire de la République. Les organismes consulaires peuvent délivrer un visa permettant de se rendre en France et d’y déposer une demande d’asile.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL1511 de Mme Annie Genevard

Mme Annie Genevard (LR). Il vise à rétablir les caractéristiques propres de la procédure accélérée dédiée aux demandes d’asile des ressortissants de pays considérés comme sûrs. Elle doit être nettement distincte de la procédure normale, dédiée aux ressortissants de pays considérés comme non sûrs et dont le taux de protection probable est élevé, ceux-là même auquel le présent texte prévoit de faciliter l’accès au travail.

Il est impératif de réduire l’attractivité de la demande d’asile auprès des personnes qui ne sont pas réellement menacées dans leur pays d’origine. Je rappelle que moins de la moitié des 131 000 demandeurs d’asile qui se sont présentés en 2022 bénéficient d’une protection au titre de l’asile.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Avis défavorable. Le placement systématique en CRA de demandeurs d’asile originaires de pays considérés comme sûrs porte une atteinte disproportionnée à leurs droits et constitue une rupture d’égalité flagrante avec les autres demandeurs d’asile.

Les ressortissants de pays considérés comme sûrs font d’ores et déjà l’objet d’une procédure accélérée. Au demeurant, certains d’entre eux, si peu nombreux soient-ils, obtiennent l’asile pour des raisons politiques. Comment imaginer que nous placions en rétention administrative un journaliste ou un opposant politique ressortissant d’un pays considéré comme sûr alors même qu’il nous demande une protection ?

La Russie a toujours été considérée comme pays sûr. Accepterions-nous de placer en CRA un journaliste ou un opposant politique russe ? Certes non. Tel serait pourtant l’effet de l’adoption de l’amendement.

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Chers collègues du groupe Les Républicains, allez au bout de votre logique ! Je ne veux pas vous faire un procès d’intention, mais il s’agit du troisième amendement issu de vos rangs dont l’exposé des motifs précise en gras « Cette disposition est applicable aux ressortissants algériens ». J’ignore quel problème vous avez avec les ressortissants algériens, mais cibler une nationalité pose problème. Ces amendements sont racistes.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Monsieur le rapporteur, la Russie n’est plus considérée comme un pays sûr au regard de l’asile.

La difficulté est évidente pour des pays tels que l’Albanie et la Géorgie, dont le nombre de demandeurs d’asile qui en sont originaires a augmenté respectivement de 21 % et de 104 % en trois ans. Ces deux pays font partie du top 10 des pays d’origine des demandeurs d’asile, alors même que leur taux de protection est à peine supérieur à 1 %.

Nous considérons qu’il faut garder sous la main leurs ressortissants, qu’il est difficile de retrouver et de renvoyer chez eux, Albanais mis à part. Outre le CRA, la résidence surveillée et l’assignation à résidence permettent de savoir où ils se trouvent. Le fait est que nous ne parvenons pas à juguler les demandes d’asile de ressortissants de pays considérés comme sûrs, dont le nombre augmente.

La commission rejette l’amendement.

Article 19 bis A (nouveau) (art. L. 531-36, L. 531-38 et L. 531-39 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Modalités de clôture du dossier de demande d’asile

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette les amendements de suppression CL58 de M. Benjamin Lucas, CL946 de M. Boris Vallaud, CL1206 de Mme Emeline K/Bidi et CL1393 de Mme Sabrina Sebaihi

Amendement CL770 de M. Andy Kerbrat

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Il vise à modifier l’article 19 bis A qui, sous couvert d’éviter les demandes d’asile abusives, vise à limiter les pouvoirs d’examen de l’Ofpra, conformément à la logique qui sous-tend la régionalisation de l’Ofpra, comme l’a démontré notre collègue Élisa Martin.

La modification de l’article L. 531-36 du Ceseda par la droite sénatoriale oblige l’Ofpra à clôturer la demande si le demandeur l’informe de son retrait. La régionalisation de l’Ofpra brise la possibilité des demandeurs d’asile de demander l’asile.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Avis défavorable. Vous n’avez, semble-t-il, pas compris l’article 19 bis A. Il paraît tout à fait légitime que l’Ofpra puisse clôturer, en appréciant chaque situation individuelle, les demandes d’asile dans les cas précis et en tenant compte des limitations énumérées à l’article L. 531-38 du Ceseda, que vous proposez de supprimer.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 19 bis A non modifié.

Article 19 bis B (nouveau) (art. L. 542‑4 et L. 542‑7 [nouveau] du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Systématisation du prononcé d’une OQTF et interruption de la prise en charge des soins au titre de la protection universelle maladie (PUMA) pour les déboutés du droit d’asile

Amendements de suppression CL1413 de M. Ludovic Mendes, CL59 de M. Benjamin Lucas, CL768 de Mme Andrée Taurinya, CL947 de M. Boris Vallaud, CL1345 de M. Erwan Balanant, CL1371 de Mme Marjolaine Meynier-Millefert, CL1440 de Mme Stella Dupont et CL1623 de M. Sacha Houlié

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). L’article 19 bis B prévoit que le rejet définitif d’une demande d’asile ait pour effet l’application d’une OQTF et l’interruption immédiate de la prise en charge des soins au titre de la protection universelle maladie (Puma). Or, d’après le rapport d’information sur la question migratoire du sénateur Buffet, le taux d’exécution des OQTF en 2021 est de 5,7 %. L’article 19 bis B vise donc à priver de soins des personnes dont la grande majorité restera sur le territoire français.

Les mots me manquent pour dire la mesquinerie et l’ignominie de cet article adopté au Sénat, qui présente un danger pour la santé des personnes concernées, pour la santé publique, pour la dignité des individus et pour l’honneur de notre République. Cet article doit être supprimé.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Cet article doit être supprimé. Chacun en a compris l’idée : comme nous sommes submergés, il faut immédiatement refouler tous les étrangers, qui vont nous envahir et nous remplacer ! Nous refusons l’application systématique d’une OQTF, assortie de la suspension des soins dispensés au titre de la Puma.

Depuis cinq jours que nous examinons le texte, nous n’avons toujours pas vraiment parlé d’accueil. Il n’est question que de mesures coercitives et répressives. Or il faut prendre soin des gens qui viennent chez nous.

Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). Il faut supprimer cet article. Le rejet définitif d’une demande d’asile ne doit pas emporter l’arrêt des soins. Il s’agit d’une mesure de protection publique et de protection de l’être humain qui est en toute personne.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Avis favorable. L’article 14 B, dont nous avons rejeté la suppression il y a quelques heures, garantit le maintien des droits au titre de la Puma pendant trois mois. De surcroît, l’article 19 bis B soulève des difficultés opérationnelles pour les préfectures et ne tient compte ni de la situation individuelle des demandeurs, ni de leur vulnérabilité.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Si cet article n’est pas supprimé, aucun recours auprès de la CNDA ne sera possible : si l’Ofpra refuse la demande d’asile, dehors !

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Je regrette, mais l’article 19 bis B est essentiel. Nous vivons dans une fiction : moins de la moitié des déboutés de leur demande d’asile font l’objet d’une OQTF – en 2022, ils étaient 36 980 sur 74 704 déboutés. Ces gens restent en France dans l’illégalité, et nous ne savons qu’en faire. Avec le présent projet de loi, l’alternative ne sera pas être protégé ou être expulsé, mais être protégé ou devenir clandestin. Cela ne fonctionne pas. Il faut rendre automatique la délivrance d’une OQTF en cas de refus définitif de la demande d’asile.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article 19 bis B est supprimé.

Troisième réunion du vendredi 1er décembre 2023 à 21 heures 30

Lien vidéo : https://assnat.fr/jKOSNe

Présidence de M. Sacha Houlié, président.

Article 19 bis C (nouveau) (art. L. 561-2, L. 561-3 et L. 561-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Resserrement des critères de réunification familiale

Amendements de suppression CL189 de M. Benjamin Lucas, CL764 de M. Thomas Portes, CL948 de M. Boris Vallaud, CL1208 de Mme Emeline K/Bidi et CL1435 de Mme Stella Dupont

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Nous nous opposons au durcissement des critères de réunification familiale : il s’agit là d’une nouvelle attaque contre le droit au respect de la vie familiale consacré par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Les dispositions de l’article 19 bis C, qui ne répondent à aucune nécessité, fragiliseraient encore davantage le droit des personnes étrangères dans notre pays.

M. Hervé Saulignac (SOC). Nous considérons également que cet article, qui supprime notamment les dispositions favorables aux frères et sœurs d’un réfugié, restreint sans utilité et par pure démagogie les possibilités de réunification familiale.

Mme Stella Dupont (RE). La réunification familiale constitue l’un des nombreux facteurs d’intégration, en particulier pour les bénéficiaires de la protection internationale, qui ont vocation à demeurer longtemps sur notre territoire. Un durcissement des conditions d’accès à cette procédure irait donc à l’encontre de l’intégration pleine et entière des personnes étrangères.

M. Ludovic Mendes, rapporteur pour les titres III, IV et V. La suppression pure et simple de cet article serait délétère : j’y suis donc défavorable. Cependant, je proposerai quelques modifications visant par exemple à maintenir la possibilité de réunification des fratries. Nous pourrons également rediscuter du délai de dix-huit ou vingt-quatre mois pour déposer une demande.

La commission rejette les amendements.

Amendements CL137 de M. Éric Pauget et CL320 de M. Philippe Schreck (discussion commune).

M. Mansour Kamardine (LR). Notre amendement CL137 vise à porter de 18 à 24 ans l’âge minimal des personnes étrangères susceptibles de demander une réunification familiale auprès de leur époux ou concubin ayant obtenu la protection au titre de l’asile. Il s’inspire d’avancées similaires obtenues par le Sénat.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CL293 de M. Philippe Schreck.

Amendements identiques CL1596 de M. Ludovic Mendes et CL1347 de Mme Maud Gatel

M. Ludovic Mendes, rapporteur. C’est un enjeu de cohérence, pour la majorité, que de maintenir la possibilité de préserver les fratries introduite par la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie. La limitation prévue à l’alinéa 6 placerait les parents d’un mineur réfugié dans une situation intenable puisqu’ils auraient à choisir entre leurs enfants mineurs, les uns étant réfugiés et les autres contraints de rester dans leur pays d’origine. Une telle disposition, introduite par le Sénat, nous paraît totalement inadaptée.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Les députés du groupe Démocrate s’élèvent également contre cette mesure tout à fait illogique et insensée.

La commission adopte les amendements.

Amendement CL467 de M. Éric Ciotti

Mme Annie Genevard (LR). Afin de compléter et de renforcer les dispositions de l’article 19 bis C, nous proposons de retenir la date à laquelle l’autorité compétente se prononce pour apprécier l’âge des enfants impliqués.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Avis défavorable. Les délais dans lesquels les autorités diplomatiques et consulaires se prononcent étant variables selon les pays, cette disposition créerait une rupture d’égalité entre les personnes demandant la réunification.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Quitte à créer une rupture d’égalité, pourquoi les députés du groupe Les Républicains n’ont-ils pas ajouté la phrase qu’ils affectionnent relative aux ressortissants algériens ?

M. Mansour Kamardine (LR). Ne nous enjoignez pas d’accomplir ce que vous pouvez faire vous-mêmes ! Si ce sujet vous intéresse, n’hésitez pas à ajouter dans le texte une telle mention.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL135 de M. Éric Pauget

M. Mansour Kamardine (LR). L’étranger protégé au titre de l’asile qui demande la réunification familiale en France n’est pas obligé d’être en situation régulière ou d’avoir des revenus ou un logement pour accueillir sa famille ; or l’absence de critères minimaux fait exploser les flux migratoires et condamne ces familles à une extrême pauvreté. Aussi proposons-nous d’imposer aux étrangers ayant obtenu l’asile qui demandent la réunification familiale des critères de régularité du séjour, de ressources et de logement, sur le modèle des conditions applicables au regroupement familial pour les personnes disposant d’un titre de séjour.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Vous voulez aligner les dispositions relatives à la réunification familiale sur celles qui s’appliquent au regroupement familial ; or il s’agit de deux procédures complètement différentes, qui ne peuvent être confondues. Avis défavorable.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Depuis le début de l’examen de ce projet de loi, on constate chez nos collègues du groupe Les Républicains une certaine obsession de la conditionnalité et de la réduction des possibilités offertes à tous les étrangers, quelle que soit leur situation, d’accéder à notre pays. Cette vision des choses, où la France apparaît comme une citadelle assiégée, est profondément xénophobe. L’asile n’est pas fondé sur une série de critères mais sur une nécessité de protection, en vertu de la convention de Genève. Allez donc au bout de votre démarche : en plus de dénoncer l’accord franco-algérien de 1968 et la Convention européenne des droits de l’homme, revenez sur la convention de Genève, notre Constitution et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ! Sortez intégralement de la République ! Vous n’avez de républicain que le nom.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 19 bis C modifié.

Article 19 bis (nouveau) (art. L. 531‑36, L. 531‑38 et L. 531‑39 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Situations dans lesquelles l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) est tenu de retirer ou de suspendre le bénéfice des conditions matérielles d’accueil

Amendements de suppression CL762 de Mme Élisa Martin, CL949 de M. Boris Vallaud, CL1209 de Mme Elsa Faucillon, CL1349 de M. Erwan Balanant et CL1391 de Mme Sabrina Sebaihi

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). L’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) doit garantir le bénéfice de conditions matérielles d’accueil (CMA) aux personnes dont la demande de protection est en cours d’instruction, autrement dit à ceux qui sont à la première étape de leur demande d’asile, après ou en même temps que leur passage devant le guichet unique de demande d’asile (Guda).

M. Hervé Saulignac (SOC). Il est utile de permettre à l’administration d’apprécier les situations au cas par cas. Or l’article 19 bis étend les circonstances dans lesquelles l’Ofii, qui ne se montre déjà pas particulièrement clément, est tenu de retirer ou de suspendre le bénéfice des conditions matérielles d’accueil. De telles décisions « couperets » confineraient au harcèlement pour les étrangers qui les subissent.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Cette disposition totalement disproportionnée s’inscrit une nouvelle fois dans une logique punitive, qui consiste à s’attaquer aux personnes les plus fragiles. En plus d’être cruelles, les mesures automatiques placent les gens dans de grandes difficultés, dans des situations de très grande vulnérabilité. Pour des raisons d’humanité, mais aussi de cohésion sociale – une notion que nous avons tous à cœur de renforcer –, nous devons y mettre un terme.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Le groupe Démocrate n’est pas favorable à ce principe d’automaticité, qui nous apparaît même inconventionnel.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Les CMA doivent permettre aux demandeurs d’asile, qui disposent en moyenne de 6,80 euros par jour pour vivre – ou plutôt pour essayer de survivre –, de subvenir à leurs besoins essentiels. Alors que la législation française actuelle n’est déjà pas conforme au droit de l’Union européenne, l’article 19 bis, qui rend automatique le retrait ou le refus des CMA dans les cas mentionnés aux articles L. 551-15 et L. 551-16 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), va totalement à l’encontre de la directive « accueil », laquelle prévoit que l’État ne peut limiter ou retirer totalement ce bénéfice que dans « des cas exceptionnels et dûment justifiés ». Cette mesure, qui précarisera toujours plus la situation des demandeurs d’asile, nous semble par ailleurs totalement contre-productive : en privant les demandeurs des moyens de subsistance et d’hébergement du dispositif national d’accueil, on saturera encore davantage les dispositifs d’hébergement d’urgence de droit commun. Il faut donc supprimer cet article.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Je suis défavorable à ces amendements de suppression mais je dois reconnaître que je considère, comme vous, que la suspension et le refus des conditions matérielles d’accueil doivent tenir compte, au cas par cas, de la situation des demandeurs et de leur vulnérabilité. C’est pourquoi j’ai déposé l’amendement CL1412, qui exige que de telles décisions respectent l’article 20 de la directive du 26 juin 2013, aux termes duquel « les États membres peuvent limiter ou, dans des cas exceptionnels et dûment justifiés, retirer le bénéfice des conditions matérielles d’accueil » en examinant la situation individuelle des demandeurs. Ainsi, je ne propose pas de supprimer purement et simplement l’article 19 bis, mais de réécrire ce dernier en tempérant très fortement les dispositions adoptées par le Sénat.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Cet article nous en dit long sur l’intention des sénateurs : après avoir réécrit le projet de loi en considérant que les exilés voulaient profiter du système français, voilà qu’ils adoptent un autre angle d’attaque en accusant l’État d’être institutionnellement trop généreux – ce qui n’est évidemment pas le cas. S’agissant de votre amendement CL1412, monsieur le rapporteur, nous prendrons le temps de regarder s’il est conforme à nos aspirations.

M. Arthur Delaporte (SOC). Monsieur le rapporteur, depuis quand faut-il préciser que la loi doit respecter le droit européen ? Quoi qu’il en soit, la directive européenne s’imposera. Votre amendement ne change rien au dispositif de l’article 19 bis, que nous entendons toujours supprimer. À moins que quelque chose m’échappe, vous voulez enfumer les députés.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Je ne cherche à enfumer ou à empapaouter personne : nous sommes ici pour débattre, pour échanger des arguments. Je vous ai expliqué pourquoi j’étais opposé à la suppression de l’article et je vous ai annoncé ce que je voulais faire. Lisez la directive européenne de 2013 : vous comprendrez que nous allons plutôt dans votre sens et que vos préoccupations sont entièrement satisfaites.

Supprimer cet article serait une erreur, mais nous convenons qu’il est impossible de l’adopter en l’état. Je vous propose donc une nouvelle rédaction, que vous n’êtes évidemment pas obligés d’accepter. Vous pouvez maintenir vos amendements de suppression, mais le fonctionnement démocratique doit aussi nous conduire à trouver des accords, à faire en sorte d’adopter un texte équilibré, apportant des réponses adaptées. Nous voulons prendre en compte la vulnérabilité des demandeurs et examiner leur situation au cas par cas, ce que ne permet pas la rédaction votée par le Sénat.

S’il vous plaît, évitez de dire que les rapporteurs essaient de vous enfumer ou de vous trahir ! Ce n’est vraiment pas le cas : nous sommes très honnêtes avec vous. À chaque fois que nous avons voulu tenter de trouver un accord, nous vous avons demandé de retirer vos amendements de suppression en faveur d’une réécriture des dispositions contestées. Un peu de respect ne ferait pas de mal.

M. Philippe Latombe (Dem). L’amendement de suppression déposé par mes collègues du groupe Démocrate visait à mettre en avant un problème de conventionnalité. Plutôt que de supprimer purement et simplement l’article 19 bis, il convient de le rendre conventionnel. Je soutiens donc la démarche du rapporteur et je vous invite à voter son amendement, qui renvoie ni plus ni moins à la directive européenne et s’inscrit ainsi dans un système de protection.

La commission rejette les amendements.

Amendement CL761 de Mme Danièle Obono

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Nous demandons la sanctuarisation de l’allocation octroyée par l’Ofii dans le cadre des conditions matérielles d’accueil, qui doit être décorrélée de l’acceptation par le demandeur d’asile de la proposition d’hébergement qui lui est faite.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendement CL1412 de M. Ludovic Mendes

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Je l’ai déjà dit en donnant mon avis sur les amendements de suppression, il est indispensable de s’assurer de la conformité de l’article 19 bis à la directive européenne de 2013 sur l’asile, dont l’article 20 dispose : « Les décisions portant limitation ou retrait du bénéfice des conditions matérielles d’accueil […] sont prises au cas par cas, objectivement et impartialement, et sont motivées. Elles sont fondées sur la situation particulière de la personne concernée […]. Les États membres assurent en toutes circonstances l’accès aux soins médicaux conformément à l’article 19 et garantissent un niveau de vie digne à tous les demandeurs. »

En introduisant à l’article 19 bis du présent projet de loi une mention à cet article de la directive, nous répondons à toutes les inquiétudes que vous exprimez depuis tout à l’heure. Si tel n’est pas le cas, c’est que vous voulez faire plus que ce qui est prévu.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’article 19 bis modifié.

Après l’article 19 bis

Amendement CL817 de M. Davy Rimane

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Nous souhaitons instituer davantage de collégialité dans la rédaction et la déclinaison des schémas régionaux des demandeurs d’asile afin de limiter le rôle prépondérant des préfets. Notre amendement CL817 prévoit ainsi que ce schéma sera élaboré conjointement avec la commission de concertation composée de représentants des collectivités territoriales, des services départementaux de l’éducation nationale, de gestionnaires de lieux d’hébergement pour demandeurs d’asile et d’associations de défense des droits de ces derniers.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Cet amendement est satisfait : l’article L. 551‑2 du Ceseda, que vous visez, prévoit déjà que « le schéma régional est établi par le représentant de l’État dans la région, après avis d’une commission de concertation composée de représentants des collectivités territoriales, des services départementaux de l’éducation nationale, de gestionnaires de lieux d’hébergement pour demandeurs d’asile et d’associations de défense des droits des demandeurs d’asile ». Demande de retrait ou avis défavorable.

M. Yoann Gillet (RN). Puisqu’il est déjà satisfait, peut-être cet amendement de notre collègue guyanais doit-il être considéré comme un amendement d’appel. En Guyane, en effet, les élus locaux aimeraient être davantage associés. Les maires, en particulier – j’en ai rencontrés un certain nombre début septembre –, sont tous opposés à l’immigration massive qui submerge leur territoire. Ils en ont assez : ils ne supportent plus une situation qu’ils ne peuvent plus assumer.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer. Avec M. Olivier Serva, rapporteur pour le titre VI, nous avons fait en sorte que le projet de loi prévoie directement certaines dispositions relatives aux collectivités d’outre-mer. C’est la première fois que nous ne renverrons pas ces mesures à une ordonnance.

M. Rimane, avec qui nous avons discuté, le sait très bien : nous proposons de laisser les ultramarins, et singulièrement les élus guyanais, nous dire ce qu’ils souhaitent. Je ne pense pas qu’ils vous aient choisi comme porte-parole, monsieur Gillet ! Nous débattrons donc de ce sujet tout à l’heure, territoire par territoire, lors de l’examen de l’article 27.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL1234 de Mme Marjolaine Meynier-Millefert

Mme Stella Dupont (RE). Alors que l’article L. 551-4 du Ceseda vise à favoriser l’expulsion des individus déboutés du droit d’asile de l’hébergement accordé au titre du dispositif national d’accueil (DNA), certaines personnes peuvent avoir beaucoup de mal à quitter un logement qu’elles occupent depuis plusieurs mois, notamment lorsqu’elles vivent en famille ou qu’elles n’ont pas identifié d’autre solution d’hébergement. Le droit positif permet déjà de graduer la réponse des pouvoirs publics en cas de maintien indu dans un dispositif d’hébergement ; cette réponse peut aller jusqu’au recours à la force publique, sur décision du préfet. Il convient de renoncer à tout durcissement inutile de ces mesures.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. A priori, votre amendement est satisfait. Cependant, la précision que vous entendez apporter peut être utile. Sagesse.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

La commission adopte l’amendement. L’article 19 ter AA est ainsi rédigé.

Amendement CL1528 de Mme Véronique Louwagie

Mme Annie Genevard (LR). Cet amendement vise à resserrer les conditions dans lesquelles un étranger en situation irrégulière peut bénéficier d’une prolongation du bénéfice de la protection universelle maladie (Puma) lorsqu’il ne respecte plus les conditions permettant, en principe, d’y être affilié. Il ne s’agit pas de remettre en cause le maintien des droits, mais d’en subordonner le bénéfice à une durée antérieure de résidence sur le territoire d’au moins six mois.

À l’heure actuelle, le bénéfice du maintien de droit est subordonné à une résidence stable et régulière en France, de manière ininterrompue depuis plus de trois mois. Un étranger ayant, par exemple, reçu un unique titre de séjour d’une durée de quatre mois, dont il ne sollicite pas le renouvellement, peut donc bénéficier d’une extension de sa couverture Puma pendant six mois. Cela n’est pas acceptable. Une présence régulière sur le territoire depuis au moins six mois doit être exigée.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. En principe, votre amendement est satisfait, mais comme je viens de le faire pour Mme Dupont, je m’en remets à la sagesse de la commission.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

La commission adopte l’amendement. L’article 19 ter AB est ainsi rédigé.

Article 19 ter A (nouveau) (art. L. 345-2-2 du code de l’action sociale et des familles) : Exclusion des étrangers en situation irrégulière du dispositif d’hébergement d’urgence sauf circonstances exceptionnelles

Amendements de suppression CL1414 de M. Ludovic Mendes, CL60 de M. Benjamin Lucas, CL758 de M. Andy Kerbrat, CL950 de M. Boris Vallaud, CL1210 de Mme Elsa Faucillon, CL1254 de Mme Clara Chassaniol, CL1351 de M. Erwan Balanant, CL1503 de Mme Laure Miller et CL1629 de M. Sacha Houlié

M. Ludovic Mendes, rapporteur. En France, l’hébergement d’urgence est un droit fondamental et inconditionnel. Je n’ai pas envie d’y revenir ; au vu du nombre d’amendements de suppression déposés, nous devrions être d’accord.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Nous demandons également la suppression de cet article issu du Sénat, qui prévoit l’exclusion des personnes faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) ou déboutées du droit d’asile du dispositif de garantie de l’hébergement d’urgence. Une nouvelle fois, nous pourrions qualifier cet article de scélérat ou de mesquin. Je n’ai pas besoin de rappeler combien il est nécessaire de retrouver un peu d’humanité et de dignité.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Nous demandons nous aussi la suppression de cet article prévoyant l’évincement des personnes faisant l’objet d’OQTF ou déboutées du droit d’asile de l’accès à un hébergement d’urgence. Je me réjouis que nous nous retrouvions sur la primauté du droit au logement : la mise à l’abri de toute personne se retrouvant à la rue, qu’elle soit française ou étrangère résidant en France, doit être considérée comme un impératif. Je regrette cependant que notre assemblée ait adopté une loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite, que vous qualifiez de « loi antisquat » et que l’on appelle communément « loi Kasbarian », qui donne, quant à elle, la primauté au droit à la propriété. Remettons donc un peu d’humanité dans le présent projet de loi, qui a été bien abîmé par le Sénat !

M. Hervé Saulignac (SOC). Pour nous, l’article 19 ter A est l’article du désordre. Il est totalement incompréhensible – à moins qu’il ne soit trop compréhensible… En décidant de faire dormir dans la rue les étrangers en situation irrégulière, exclus des garanties d’hébergement d’urgence, le Sénat institutionnalise le désordre et alimente les campements de fortune. Pour notre part, nous ne souhaitons pas maintenir des femmes et des hommes dans des conditions sanitaires absolument déplorables. L’hébergement d’urgence est un besoin vital pour les personnes qui en sont privées : nous demandons donc la suppression de cet article.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Il est évidemment nécessaire de supprimer cet article 19 ter A, qui est particulièrement indigne. Nous prônons l’inconditionnalité de l’accueil et de l’hébergement d’urgence : qu’il fasse froid ou chaud, quand une personne dort dehors, il faut la mettre à l’abri. Ce n’est pas plus compliqué que cela. Ce principe nous permet de tenir debout, de rester humains. Alors que près de 3 000 gamins dorment dans la rue, dans notre pays, comment certains peuvent-ils encore vouloir mettre des barrières ? Vraiment, ceux qui ont imaginé un tel dispositif sont indignes. On fait déjà du tri parmi les personnes dépourvues d’hébergement : en raison du manque de places, on élabore des critères de vulnérabilité. J’en ai honte. Je le répète : un homme, une femme, un enfant ne peut dormir dehors.

Mme Clara Chassaniol (RE). Je plaide moi aussi pour la suppression de cet article, qui exclut des étrangers de l’accueil en hébergement d’urgence. Établir une telle discrimination pour l’accès à un droit fondamental, qui doit être accordé à toute personne, sans distinction d’origine ou de statut administratif, présente un risque constitutionnel. Par ailleurs, je ne vois pas comment laisser ces personnes dans la rue résoudra les problèmes que l’on rencontre déjà, du fait de la saturation des hébergements d’urgence. Dans ma circonscription, cette situation est permanente : lorsque des familles sont hébergées, d’autres arrivent et, dans l’attente d’une solution, dorment dans la rue. Alors qu’il fait très froid, il y a à Paris des personnes en situation irrégulière qui sont sans abri ; je n’ai cependant pas l’impression que cette situation accélère leur retour dans leur pays d’origine.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Il n’est pas nécessaire d’ajouter des problèmes aux problèmes. L’exclusion systématique des étrangers en situation irrégulière d’un dispositif d’hébergement d’urgence n’est certainement pas une solution.

M. le président Sacha Houlié. J’ai également déposé un amendement visant à rétablir l’inconditionnalité de l’hébergement d’urgence pour les étrangers, quelle que soit leur situation administrative.

M. Yoann Gillet (RN). En 2023, il n’est effectivement pas acceptable de voir des gens dormir dehors dans notre pays. C’est une évidence. Mais combien compte-t-on de Français mal logés, de Français SDF, de retraités ayant bossé toute leur vie qui se retrouvent obligés d’aller vivre chez leurs enfants ou de dormir dans leur voiture ? Ce sont des situations que j’ai vues dans mon département. L’article 19 ter A concerne des individus faisant l’objet d’une OQTF, dont la demande d’asile a été définitivement rejetée et qui peuvent bénéficier d’une aide financière au retour dans leur pays d’origine : ils ont donc les moyens de retourner chez eux, leur trajet étant financé par l’État français.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Nous venons d’évoquer un droit inconditionnel. Dans un pays comme la France, ce n’est pas parce que vous êtes en situation irrégulière que l’on vous met à la rue, que l’on vous laisse mourir dans la rue. C’est pourtant bien ce que vous proposez. Cela, ce n’est pas la France. Nos valeurs nous poussent à accueillir les gens de façon inconditionnelle dans un hébergement d’urgence, et que la personne mise à l’abri soit en situation irrégulière ne change rien. Nous parlons d’êtres humains, pas de bouts de papier. Vous voulez établir des catégories d’humains, en distinguant ceux qui auraient le droit d’être hébergés, accompagnés, de dormir au chaud, et ceux qu’il faudrait laisser crever dans la rue. C’est inadmissible, abject.

M. Arthur Delaporte (SOC). Les propos de M. Gillet ont de quoi choquer. Cependant, ce point de vue est partagé au-delà du Rassemblent national, puisque l’article 19 ter A a été voté par le Sénat, donc par nos collègues sénateurs du groupe Les Républicains. Je les invite à se rendre, par exemple, à Ouistreham : pas très loin d’ici, à deux heures de train, 250 Soudanais essaient de dormir dehors, alors qu’il gèle, parce que le droit inconditionnel à l’hébergement ne se traduit pas en actes. Trop de personnes sont encore à la rue, dans l’attente de bénéficier de ce droit. Je pense aussi à tous les enfants qui subiraient une telle mesure parce que leurs parents feraient l’objet d’une OQTF. Qu’adviendrait-il des familles ? Je ne comprends pas que des parlementaires républicains aient pu voter un tel article digne du musée des horreurs du Rassemblement national.

M. Gérald Darmanin, ministre. Nous abordons ici un sujet très important. Nous devons évidemment rechercher la plus grande unanimité pour éviter que des personnes meurent de froid dans la rue, quels que soient leur nationalité, leur statut et leur âge – cette situation est particulièrement choquante lorsqu’il s’agit d’enfants, mais elle concerne tout le monde.

Il est dommage que l’article adopté par le Sénat ne distingue pas, d’une part, ce qui relève du DNA applicable aux demandeurs d’asile et aux étrangers en situation irrégulière, même à ceux faisant l’objet d’une OQTF mais ayant intenté un recours contre cette décision – on peut être sous OQTF mais rester deux ou trois ans sur le territoire national dans l’attente d’une réponse de la justice –, et, d’autre part, ce qui relève de l’hébergement d’urgence, lequel s’adresse normalement aux personnes, françaises ou étrangères en situation régulière, rencontrant de très grosses difficultés de logement et communément qualifiées de SDF. Il y a tellement de monde à gérer que les situations se confondent. Les crédits budgétaires augmentent chaque année, de manière automatique – personne ne peut en faire grief au Gouvernement –, du fait de la concomitance de la crise du logement, de la crise migratoire et des problèmes d’insalubrité. Ainsi, nous mettons dans l’hébergement d’urgence des personnes qui devraient relever d’autres dispositifs, d’autres programmes budgétaires, d’autres procédures.

Il ne fait aucun doute qu’il faut supprimer cet article 19 ter A. La difficulté, au-delà des moyens budgétaires, c’est que les personnes attendent plusieurs années une réponse de l’administration ou de la justice : elles forment de multiples recours – ce qui est tout à fait compréhensible – avant de voir, finalement, leur requête rejetée. Or les articles de simplification du présent projet de loi permettront de leur apporter une réponse définitive en un an plutôt que de les laisser trois ou quatre ans dans l’expectative, dans l’espoir d’obtenir des papiers mais dans l’impossibilité de travailler puisqu’elles sont en situation irrégulière. Dès lors, les difficultés de logement seront moindres et l’article 19 ter A n’aura pas lieu d’être.

Il ne s’agit évidemment pas de réduire les places de logement disponibles pour que les personnes en situation irrégulière restent dans le froid de la rue et préfèrent retourner dans leur pays. Ce n’est pas ainsi que cela se passe, et Ouistreham en est un bon exemple. Nous avons appelé M. le préfet pour régler le problème et trouver un logement à ces individus, même si une partie d’entre eux veulent passer en Angleterre. Je suis tout à fait d’accord avec vous : il n’est pas digne, pour la République, de les laisser dehors. Convenez cependant que plus les gens restent longtemps sur le territoire national, en attendant d’obtenir des réponses, plus la situation dans laquelle nous sommes s’aggrave.

Je crois que les sénateurs ont abordé le sujet du mauvais côté : le dispositif qu’ils ont proposé ne doit évidemment pas être adopté. Indépendamment de la question des moyens budgétaires, qui sont à la fois très importants et en hausse, il faut raccourcir les délais afin que le service public marche mieux dans ce domaine. Cela permettra de laisser des places d’hébergement d’urgence aux SDF et de faire le travail nécessaire dans le cadre du DNA.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). On peut se réjouir que l’Assemblée nationale ait adopté hier la proposition de loi de notre collègue Danièle Obono qui permettra d’améliorer les services publics d’une manière générale.

Pour ce qui est de l’hébergement d’urgence, la logique du Rassemblement national est celle de la gestion de la pénurie : comme il n’y a pas de logement pour tout le monde, il faut loger d’abord les Français et on verra ensuite pour les étrangers sous OQTF. Cela démontre bien la xénophobie de nos collègues. Quand on est humain, on n’a pas envie que des gens dorment dans la rue et on ne se soucie pas en premier lieu de leur nationalité. En ce moment, 3 000 enfants sont à la rue, dont 700 ont moins de trois ans.

De plus, le racisme rend bête : si on veut faire exécuter les OQTF, il vaut mieux savoir où se trouvent les gens, plutôt que de faire en sorte qu’ils soient perdus dans la nature. Même dans la logique qui est la vôtre, ce que vous défendez est stupide.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Notre collègue Delaporte s’est étonné à juste titre que le groupe nommé Les Républicains ait voté ce texte au Sénat : on a un peu de mal à le comprendre quand on sait ce qu’est la République. Je suis également surpris que les sénateurs et les sénatrices de la majorité présidentielle, emmenés par M. Patriat, aient voté un texte comportant un certain nombre de dispositions assez horribles, que vous voulez maintenant détricoter en partie. Cela établit l’existence d’une forme de duplicité ou d’amateurisme dans cette séquence et de légèreté sur des sujets qui sont sérieux et même graves.

Mme Annie Genevard (LR). Personne ne peut être insensible à la situation de ceux qui dorment dans la rue, particulièrement les enfants, mais on ne peut pas tout à la fois vouloir lever tous les freins en matière d’accueil et déplorer que nous n’ayons pas les capacités d’accueillir dignement : ce n’est pas possible. La répartition des étrangers sur l’ensemble du territoire national, selon une politique qu’ont voulue le Gouvernement et la majorité, n’a absolument rien résolu. La seule solution décente consiste à réguler les flux migratoires de façon à ne pas avoir à gérer de tels problèmes.

La France dépense 2 milliards d’euros pour les demandeurs d’asile et les personnes en situation irrégulière Vous ne pouvez donc pas dire que notre pays est insensible à la situation qui existe en matière d’hébergement. Seulement, les politiques publiques et les budgets actuels ne suffisent plus. Si nous ne régulons pas les flux, nous n’y arriverons pas, et vous continuerez de déplorer une situation dont vous refusez de traiter les causes.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article 19 ter A est supprimé.

Après l’article 19 ter

Amendement CL1496 de M. Aurélien Taché

M. Ludovic Mendes, rapporteur. L’article précédent ayant été supprimé, cet amendement est satisfait.

La commission rejette l’amendement.

Article 19 ter (nouveau) (article L. 302-5 du code de la construction et de l’habitation) : Intégration des centres provisoires d’hébergement (CPH), des centres d’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile (Huda) et des centres d’accueil et d’examen des situations administratives (Caes) dans le décompte des logements sociaux par commune prévu par la loi « SRU »

Amendements de suppression CL1417 de M. Ludovic Mendes, CL61 de M. Benjamin Lucas, CL754 de Mme Andrée Taurinya, CL951 de M. Boris Vallaud, CL1211 de Mme Elsa Faucillon, CL1352 de M. Erwan Balanant et CL1635 de M. Sacha Houlié

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Cet article paraît trahir totalement l’esprit de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), et c’est pourquoi je propose de le supprimer.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Nous allons, une fois de plus, supprimer ensemble ce que vos collègues du RDPI ont adopté. L’article 19 ter intègre les places des centres d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada), des centres provisoires d’hébergement, du dispositif d’hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile et des centres d’accueil et d’examen des situations dans le décompte du taux de logements sociaux imposé aux communes par la loi. Cette manœuvre, dont le lien avec le projet de loi est discutable au sens de l’article 45 de la Constitution et dont ce texte, qui est un tract de la droite radicalisée, comporte d’autres exemples, vise à permettre aux communes un moindre investissement dans les logements sociaux destinés aux habitants de notre pays les plus précaires, qui ont besoin de la solidarité publique.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Cet article tend à intégrer les places d’hébergement provisoire et d’urgence pour les demandeurs d’asile dans les 20 à 25 % de logements sociaux imposés aux communes. Il s’agit, en réalité, de trouver une solution pour les collectivités refusant de respecter les objectifs qui leur sont fixés en diluant un service public dans un autre. Nous avions déjà vu surgir ce type d’idée lors de l’examen du projet de LOPJ (loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice), puisqu’on nous avait proposé d’intégrer les places de prison supplémentaires dans le décompte des logements sociaux.

M. Arthur Delaporte (SOC). Cet article, lui aussi ajouté par les sénateurs LR, est mesquin et profondément indigne : il vise à remettre en cause la loi SRU, qui est la marotte de ce groupe. Encore faudrait-il, néanmoins, et je m’adresse une fois de plus à notre collègue Genevard, que les sénateurs LR soutiennent l’implantation de Cada dans leurs communes…

Cette volonté de tout mélanger remet en cause non seulement la loi SRU mais aussi le principe de l’asile. Notre collègue a dit que la France n’avait pas les moyens d’accueillir. Or ce n’est pas vrai. Nous accueillons, mais moins que les autres.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Le manque de places d’hébergement d’urgence est lié au problème des logements sociaux. Ceux qui proposent de remettre en cause l’inconditionnalité de l’accueil, dans cet article comme dans le précédent, sont les mêmes que ceux qui ne respectent pas la loi SRU. Je suis élue du 92 : les vingt-deux communes, sur trente-six, qui ne respectent pas cette loi dans mon département sont tenues par des maires Les Républicains. Construisez des logements sociaux, respectez la loi SRU et vous verrez que nous pourrons peut-être accueillir des gens dans le dispositif d’hébergement d’urgence.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Nous n’approuvons pas la démarche de la commission des lois du Sénat, qui a intégré les places destinées à l’accueil des demandeurs d’asile dans le décompte des 20 à 25 % de logements sociaux imposés aux communes depuis l’adoption de la loi SRU. Faire ainsi d’une pierre deux coups n’est pas du tout une bonne solution, et c’est pourquoi nous demandons également la suppression de cet article.

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Delaporte, je vous parle en tant qu’ancien maire d’une commune qui fait beaucoup plus que le pourcentage prévu par la loi SRU et qui accueille, sur son territoire, des Cada, contrairement à d’autres…

M. Arthur Delaporte (SOC). Il y avait un historique en la matière.

M. Gérald Darmanin, ministre. Effectivement : il n’y avait ni Cada ni accueil des gens du voyage et 90 % des logements sociaux étaient concentrés dans le même quartier, mais ne refaisons pas le débat des deux dernières élections municipales.

Vous avez dit à Mme Genevard, assez justement, qu’il faudrait que les sénateurs LR accueillent des Cada sur leur territoire, mais cela vaut pour tout le monde : je constate, en tant que ministre, que les préfets sont aussi obligés de forcer des communes socialistes.

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Il est indécent de vouloir intégrer ces places d’accueil dans les logements sociaux, alors que nous souffrons d’un manque en la matière. Nos collègues Les Républicains nous donnent des leçons sur le respect des lois de la République et sur les devoirs de tout le monde, mais la très grande majorité de leurs maires refusent d’appliquer la loi SRU : plutôt que construire des logements sociaux, ils préfèrent payer des amendes.

Mme Annie Genevard (LR). Je voudrais dire à mes aimables collègues que je ne représente pas les sénateurs : il serait sympathique de s’adresser à moi en tant que députée.

Vous êtes, par ailleurs, absolument incroyables : si vous pensez que les centres d’accueil pour demandeurs d’asile et les centres provisoires d’hébergement ne sont pas des logements à vocation sociale, c’est que vous avez, comme on dit chez moi – j’ai été maire de Morteau –, de la peau de saucisse devant les yeux.

Le ministre déplore que davantage de communes n’acceptent pas des Cada, mais si vous les intégriez dans le quota des logements sociaux, parce que cela correspond à leur vocation, les communes seraient peut-être plus enclines à avoir de telles structures.

Le procès permanent que vous faites est insupportable. Il est scandaleux de dire que la majorité des maires LR ne font pas de logement social. Je vous demande des statistiques. Vous considérez la question à l’aune de ce que vous voyez dans votre territoire : il existe peut-être des exemples, mais vous ne pouvez pas en tirer une conclusion générale, c’est intellectuellement malhonnête.

M. Yoann Gillet (RN). Quand des maires font l’effort d’accueillir ces structures, non seulement cela coûte de l’argent aux communes, mais ce n’est pas évident sur le plan des investissements au quotidien. Il faut toute une logistique, et les centres communaux d’action sociale sont mis à contribution.

L’amendement que j’ai déposé, mais qui risque de tomber, tend à inclure aussi dans le décompte réalisé au titre de la loi SRU les places en CRA (centres de rétention administrative). Si vous voulez rendre leur installation attractive pour les communes, il faut que les maires y trouvent un bénéfice.

M. le président Sacha Houlié. Je ne suis pas sûr que les CRA aient, de façon innée, une vocation sociale.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Je voudrais vous parler du stade de Cavani à Mamoudzou. Il est actuellement occupé par une soixantaine de migrants, tous demandeurs d’asile. Comme ils n’ont pas accès à des logements prévus pour leur situation et qu’il n’y a plus de places d’urgence, on ne peut pas les évacuer, les dégager du seul stade de la capitale administrative de Mayotte. Quand il n’existe pas de logement social, que les mairies n’ont pas les moyens d’en construire et que l’espace disponible est contraint, ajouter une obligation d’accueil en matière d’asile ne facilite pas les choses. C’est en train de créer un abcès de fixation à Mamoudzou, dans un lieu qui devient très insalubre et violent, ce que le voisinage vit mal.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article 19 ter est supprimé et l’amendement CL977 de M. Yoann Gillet tombe.

Article 19 quater (nouveau) (art. L. 551-12 et L. 552-15 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Impossibilité du maintien, sauf décision explicite de l’administration, des personnes déboutées du droit d’asile dans un hébergement accordé au titre du dispositif national d’accueil

Amendements de suppression CL62 de M. Benjamin Lucas, CL753 de M. Thomas Portes, CL952 de M. Boris Vallaud, CL1212 de Mme Emeline K/Bidi, CL1354 de M. Erwan Balanant et CL1441 de Mme Stella Dupont

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Chaque nuit, nous en avons déjà parlé, des dizaines ou des centaines de familles se trouvent sans solution d’hébergement et dorment donc dans la rue. Des enfants n’ont ainsi nulle part où aller après l’école. Dans chaque circonscription on refuse à des parents démunis et à des personnes isolées la plus élémentaire des dignités, qui est d’avoir un toit.

Nous demandons la suppression du présent article qui modifie le Ceseda pour faire en sorte que les déboutés du droit d’asile ne puissent plus se maintenir dans l’hébergement qui leur a été attribué au sein du dispositif national d’accueil, sauf avis contraire de l’administration, car cela fabriquera des sans-abri supplémentaires et permettra à des marchands de sommeil d’exploiter la précarité de davantage de personnes. Nous demandons que le droit inconditionnel à l’hébergement soit respecté.

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). La disposition adoptée par le Sénat vise à rendre impossible le maintien d’une personne déboutée du droit d’asile dans un hébergement accordé dans le cadre du dispositif national d’accueil. Cette personne pourra avoir droit à une régularisation à d’autres titres, mais on va encore accélérer sa précarisation et son exclusion en la jetant à la rue, on va la fragiliser alors qu’elle se trouve déjà dans une situation extrêmement compliquée. Il faudrait au contraire s’assurer, dans une logique humaniste, que tout le monde a un toit. La mesure votée par le Sénat est indigne – mais elle s’inscrit en cela dans la droite ligne de ce texte sordide.

M. Arthur Delaporte (SOC). J’ai l’impression, compte tenu de l’amendement déposé par le rapporteur, que vous ne nous suivrez pas sur ce point : vous souhaitez maintenir cette mesure visant à harceler les personnes les plus précaires, celles qui ont été déboutées du droit d’asile. Vous allez les priver de tout ce qui leur reste, c’est-à-dire un hébergement. Vous les mettrez à la rue : c’est ce qui va se produire en raison de cet article. Dire qu’on le fera sauf pour les personnes vulnérables est indigne. Il faudrait tout simplement supprimer cet article.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Nous avons été surpris de trouver une telle disposition dans le texte issu du Sénat. On rend les situations toujours plus compliquées alors qu’on n’a absolument pas intérêt à ajouter des problèmes aux problèmes. Là encore, nous estimons que la suppression des dispositions adoptées par le Sénat s’impose.

Mme Stella Dupont (RE). Nous prônons aussi, par notre amendement, la suppression pure et simple de cet article. Quitter un logement, qu’on occupe parfois depuis plusieurs mois, peut être particulièrement complexe, notamment lorsqu’une famille a été déboutée du droit d’asile : on n’a pas forcément tout de suite une autre solution d’hébergement. Le droit positif permet déjà de graduer la réponse en cas de maintien indu dans un dispositif d’hébergement – on peut aller jusqu’à demander au préfet le concours de la force publique. J’ai pu constater dans différents centres que les mesures prévues étaient mises en œuvre.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Avis défavorable. Il faut comprendre l’enjeu que représente l’engorgement des hébergements disponibles dans le cadre du dispositif d’accueil : c’est ce qui a conduit le Sénat à adopter cet article. Néanmoins, nous ne pouvons laisser la rédaction inchangée. Mon amendement, même si je sais qu’il ne conviendra pas à tout le monde, permettra de l’atténuer sur la base du principe de vulnérabilité, qui est important et que vous invoquez depuis tout à l’heure.

Il manque dans plusieurs départements, on peut le démontrer, 1 000 à 1 500 places d’hébergement pour les demandeurs d’asile. Nous allons réduire les délais pour mieux accompagner ces personnes, mieux répondre à leur demande et éviter qu’elles restent pendant deux ou trois ans dans les centres d’accueil, ce qui permettra déjà de libérer des places. Cela étant, une personne définitivement déboutée du droit d’asile n’a pas vocation à rester dans son hébergement, même si elle a engagé d’autres procédures.

Mme Edwige Diaz (RN). C’est précisément pour éviter des situations dramatiques de précarisation d’étrangers en situation irrégulière, de sans-abrisme et de mal-logement, que nous souhaitons que les demandes d’asile soient faites dans les pays d’origine ou les pays voisins sûrs, et c’est précisément parce que des déboutés du droit d’asile se maintiennent en nombre sur le territoire national, personne n’étant expulsé, que des personnes qui ont droit à un logement ne peuvent pas en bénéficier. Nous considérons que les déboutés du droit d’asile ne doivent pas occuper les logements accordés dans le cadre du dispositif national d’accueil et que ces personnes n’ont pas davantage vocation à rester en France.

M. Arthur Delaporte (SOC). Monsieur le rapporteur, vous nous proposez une garantie juridique en plastique. Ceux qui décideront de la vulnérabilité des personnes, ce sont les préfets, et le manque de places dans les Cada empêche de se tourner vers le logement social et l’hébergement d’urgence, où pourraient aller les personnes déboutées, parce que ces dispositifs sont également saturés. On n’est pas hébergé dans un Cada par plaisir. Les personnes que je croise disent qu’il y a des cafards et des rats. Quand on reste dans un Cada, c’est parce qu’on ne trouve pas d’autre solution et qu’on est dans une situation de vulnérabilité. Retirez donc votre amendement, monsieur le rapporteur, et soutenez ceux de suppression.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Je ne comprends pas très bien : ce qui est prévu dans cet article correspond à ce qui se produit déjà. Les personnes hébergées dans un Cada qui font l’objet d’une OQTF bénéficient de trois ou quatre nuits d’hôtel, puis elles se retrouvent à la rue. Ces derniers jours, il a ainsi fallu que je m’occupe d’une maman qui venait d’accoucher au CHU (centre hospitalier universitaire) de Saint-Étienne et qui se retrouvait à la rue, avec son nouveau-né, après avoir reçu une OQTF. Heureusement qu’elle a été prise en charge par une citoyenne qui n’a pas voulu la laisser, avec son enfant, dans des rues où il commence à faire froid et même à neiger ! On a besoin de places d’accueil. Dans ma circonscription, entre 100 et 150 familles sont prises en charge par des associations. Il y a des gens, y compris des électeurs du Rassemblement national, qui ne veulent pas laisser d’autres personnes mourir dans la rue.

M. Philippe Latombe (Dem). Je ne suis pas favorable à une suppression sèche de cet article. Il faut plutôt l’accompagner, grâce à l’adoption de l’amendement du rapporteur, qui permettra de trouver un équilibre.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). On sait déjà ce que donne l’application des critères dits de vulnérabilité : dans le cadre de l’hébergement d’urgence, cela dépend des places existantes et des besoins, et les critères peuvent être révisés selon les endroits. En 2018, face à une très forte montée des demandes, on a jugé non vulnérables les personnes qui n’avaient pas un enfant de moins de trois ans – et parfois on est même descendu à deux ans. De même, on n’était pas vulnérable quand on n’était pas enceinte ou handicapé. Une femme seule ayant trois enfants âgés de trois ans n’était pas considérée comme vulnérable… Ne nous racontez donc pas d’histoires : l’appréciation qui est faite permet juste de dire que certains sont plus vulnérables que d’autres. Les personnes ne sont pas jugées individuellement, en fonction de leur propre vulnérabilité, mais par rapport aux autres. Voilà pourquoi notre collègue Delaporte a raison de dire que vous proposez un critère en carton.

Mme Stella Dupont (RE). Selon le projet annuel de performances de la mission Immigration, asile et intégration, le taux de présence indue des bénéficiaires de la protection internationale s’établit à 12 % et celui des déboutés du droit d’asile à 7,5 %. Près de 20 % des places du DNA sont donc occupées par des personnes n’ayant plus vocation à y séjourner. C’est une réalité, mais j’insiste sur le fait que l’augmentation des chiffres est liée à l’occupation indue par des réfugiés, c’est-à-dire des gens qui ont obtenu le bénéfice de la protection internationale. Le problème de fluidité au sein du dispositif relève plus de freins en matière d’accès au logement que du maintien indu des déboutés du droit d’asile – il faut souvent du temps, bien sûr, à ces familles pour sortir du DNA. Je pense donc que nous n’avons pas besoin d’aller aussi loin que ce qui nous est proposé dans ce texte. D’où mon amendement de suppression de l’article 19 quater.

La commission rejette les amendements.

Amendement CL1418 de M. Ludovic Mendes

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Soyons clairs : la proposition que je vous fais n’est ni en plastique ni en carton. Quand on a reçu la notification qu’on a été débouté du droit d’asile ou qu’on fait l’objet d’une OQTF, on dispose d’un délai de trente jours pour quitter le territoire et il faut partir de son hébergement trente jours après la fin du mois – cela ne se fait donc pas du jour au lendemain.

J’ai été dérangé, monsieur Delaporte, par les doutes que vous avez exprimés au sujet du corps préfectoral, qui est quotidiennement confronté à ces problèmes. Vous savez très bien comment fonctionnent les préfectures dans notre pays. Je trouve qu’il est dommage d’attaquer les préfets et les sous-préfets de cette manière.

Nous proposons de garantir que les critères de vulnérabilité seront respectés. On ne mettra personne à la rue. On peut demander un hébergement spécifique pour préparer son voyage quand on est frappé par une OQTF et qu’on souhaite quitter le territoire – ce dispositif, qui a été mis en place par l’État, fonctionne.

Il ne s’agit pas de dire qu’on veut mettre tout le monde dehors – on a d’ailleurs interdit de sortir les gens des hébergements d’urgence – mais que, lorsqu’on est débouté du droit d’asile, de manière définitive, on n’a rien à faire dans un hébergement prévu pour les demandeurs d’asile. C’est tout ce qui est écrit dans le texte, et nous garantirons l’application de critères permettant de s’assurer qu’on ne pourra pas expulser du jour au lendemain une personne ultravulnérable.

Mme Annie Genevard (LR). Je suis un peu surprise par l’amendement de notre rapporteur. Il prévoit qu’on se fondera sur « l’appréciation de la vulnérabilité de la personne », ce qui semble signifier que des personnes seront considérées comme vulnérables et d’autres non. Je rappelle pourtant que vous avez attribué à chaque étranger, à l’article 15, la qualité de personne vulnérable.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Pas du tout, et il est ici question des déboutés du droit d’asile.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL423 de Mme Edwige Diaz

Mme Edwige Diaz (RN). Nous proposons, par cet amendement, de permettre l’évacuation de l’occupant d’un lieu d’hébergement pour demandeurs d’asile en cas de manquement au règlement de ce lieu. En clair, quand on est accueilli, il faut bien se tenir, respecter les lieux et le personnel. Si on décide de violer le règlement intérieur, on en assume les conséquences, à savoir le risque d’être expulsé.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Avis défavorable.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Je ne sais plus quoi dire – ce que vous proposez est tellement ignoble… Quel argument puis-je trouver pour réveiller ce qu’il pourrait rester d’humanité en vous ? Il est quand même question de demandeurs d’asile. Et de quoi parlez-vous exactement ? Si on met la musique trop fort, crac ? Vous n’avez qu’une idée, mettre les gens à la porte. Vous utilisez d’ailleurs des mots parlants – « s’en débarrasser », « les dégager »…

Mme Edwige Diaz (RN). Ce que nous proposons est un amendement de bon sens. Vous êtes hébergé dans un lieu qui a un règlement intérieur ; si vous décidez de le violer, il est normal que des sanctions soient prises. Je m’étonne que les macronistes le refusent, mais je ne suis pas surprise par la réaction de la NUPES – elle verse, comme d’habitude, dans la culture de l’excuse et essaie de trouver des raisons pour justifier le laxisme. La seule chose qui existe à la NUPES, c’est la culture de l’anarchie.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 19 quater modifié.

Article 20 (Art. L. 131-3, L. 131-4, L. 131-5 [nouveau], L. 131-6 [nouveau], L. 131-7 [nouveau], L. 131-8 [nouveau], L. 131-9 [nouveau], L. 532-6, L. 532-7 et L. 532-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : Réforme de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA)

Amendements de suppression CL750 de Mme Élisa Martin, CL953 de Mme Cécile Untermaier et CL1021 de M. Benjamin Lucas

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Les modifications prévues par l’article 20 peuvent paraître satisfaisantes, puisque la logique affichée est de rapprocher les demandeurs de protection internationale des instances qui pourraient leur permettre d’obtenir le statut, si particulier, de réfugié. Seulement, deux éléments nous semblent poser un problème du point de vue de la qualité de l’examen dont les demandes doivent faire l’objet. Le premier est la relocalisation ou la déconcentration – je ne sais pas comment le dire – de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) : cela supposerait qu’il y ait dans les territoires, comme on dit, des avocats spécialisés et des interprètes.

M. Arthur Delaporte (SOC). Cet article, important, a notamment été critiqué par la Défenseure des droits parce qu’il ferait de la collégialité l’exception, alors qu’elle devrait être la norme – « Le projet de loi constitue ainsi une étape supplémentaire dans l’approche comptable de la justice dédiée aux demandeurs d’asile. Or, étant susceptibles de priver les requérants des garanties processuelles fondamentales d’une justice équitable que sont l’indépendance et l’impartialité de la justice, les restrictions au principe de collégialité devraient être strictement limitées ». Ces dispositions font l’objet, à ce stade, d’une opposition extrêmement forte de la part de membres de juridictions, notamment la CNDA – nous sommes régulièrement saisis par des assesseurs, des juges et des avocats qui sont très inquiets. L’ensemble des parties vous demande de renoncer.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Mon groupe s’oppose également à la réforme de la CNDA. Les affaires que les juges ont à traiter sont très complexes. Elles nécessitent des échanges collégiaux et l’oralité des débats joue un rôle particulièrement important en la matière. La Défenseure des droits a souligné, par ailleurs, que sans moyens et sans accompagnement par des interprètes, des avocats et des associations, le droit au recours risquait d’être fragilisé. Le président de l’Association des rapporteurs et anciens rapporteurs de la CNDA a également été très dur à l’égard de cet article. Il a rappelé que la collégialité permettait d’assurer un débat utile à la prise de décision. L’Association Forum réfugiés estime, de même, que la collégialité est un élément clef d’une justice équitable. Quels que soient les points de vue, l’absence de collégialité, liée au juge unique, est considérée comme un souci pour le respect des droits. C’est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de cet article.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Avis défavorable. Je vais vous lire l’alinéa 19 : « À moins que, de sa propre initiative ou à la demande du requérant, le président de la Cour nationale du droit d’asile ou le président de formation de jugement désigné à cette fin ne décide, à tout moment de la procédure, d’inscrire l’affaire devant une formation collégiale [...], les décisions de la Cour nationale du droit d’asile sont rendues par le président de la formation de jugement statuant seul. » Le requérant lui-même pourra refuser le recours au juge unique.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). S’il est informé.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Chaque requérant est informé de ses droits, par le système associatif ou par son avocat. Vous ne pouvez pas dire que ce n’est pas le cas.

Nous allons créer des cours départementales. Il en découlera des besoins spécifiques et le HCR (Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés) ne sera pas présent partout. Il n’a pas dit, lors de son audition, qu’il était contre cet article, mais que le juge unique ne devait pas être un principe fondamental et qu’il fallait garantir une possibilité de collégialité, c’est-à-dire ce que propose le texte. Il n’y aura pas que le juge unique, même s’il deviendra la norme : la collégialité existera toujours, on pourra y avoir recours à n’importe quel moment si le juge décide que l’affaire est trop compliquée ou si le requérant ou son avocat le demande. Cet article étant équilibré du point de vue du respect des droits, demander sa suppression est une erreur fondamentale. Par conséquent, avis défavorable.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Il y a la question des ressources à l’échelle locale, que j’ai déjà évoquée, mais aussi celle que pose la généralisation du juge unique. On a déjà du recul en la matière : si le représentant du HCR saute, on perdra non seulement de la collégialité mais aussi de la compétence, car c’est du côté du HCR qu’il existe une connaissance précise de la situation dans les pays dont sont issus les demandeurs d’asile. Or on a besoin de cette connaissance.

Par ailleurs, et ce n’est pas la moindre des choses, cette affaire-là va coûter une petite fortune, alors même que l’instruction sera moins bonne et garantira moins le respect du droit, ce qui est quand même bien dommage. Foutons donc la paix à la Cour nationale du droit d’asile et laissons les demandeurs faire le chemin jusqu’à elle.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Ce que nous nous disons, monsieur le rapporteur, et vous n’avez pas répondu sur ce point, c’est que l’exception deviendra la règle en ce qui concerne le juge unique. Par ailleurs, tout reposera sur la bonne information du requérant. Or l’ensemble des études portant sur les justiciables français démontrent que ces derniers ont une connaissance partielle du droit, et pour cause : on ne l’enseigne pas à l’école, il faut faire des études supérieures spécifiques pour le connaître. Comment pouvez-vous le demander à des personnes qui arrivent en France et qui se trouvent dans une situation de fragilité ? Vous dites qu’elles sont accompagnées, mais pourquoi aucune ligne budgétaire ne renforce-t-elle leur accompagnement ? Ce texte ne prévoit pas de moyens supplémentaires. Si votre réponse est sincère, dites-nous à quel moment c’est prévu.

La commission rejette les amendements.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CL1436 de Mme Stella Dupont.

Amendements CL747 de Mme Élisa Martin, CL709 de M. Christophe Naegelen, CL1020 de M. Benjamin Lucas et CL707 de M. Christophe Naegelen (discussion commune)

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). À cause de la territorialisation, les demandeurs d’asile manqueront des interprètes et des avocats spécialisés nécessaires. Le développement de la vidéoconférence pose également un problème. Dans les cours de cette nature, le récit est essentiel pour la défense, car il faut répondre à des questions très précises. J’ai entendu un juge unique interroger un Afghan pour vérifier qu’il venait bien de tel village, en lui demandant si la maison à droite du chemin était bien bleue.

M. Christophe Naegelen (LIOT). Nous sommes favorables à la territorialisation. L’amendement CL709 vise à modifier l’alinéa 6 pour spécialiser les chambres par zone géographique. Une connaissance des conflits et des tensions politiques nationales est nécessaire pour évaluer le sérieux de la demande d’asile. En étant spécialisée, une chambre gagne en efficacité. L’alinéa 8 prévoit seulement que le président de la Cour peut décider de spécialiser les chambres.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). L’amendement CL1020, de repli, vise à s’assurer que la territorialisation ne sera pas, comme trop souvent, organisée au détriment des territoires ultramarins.

M. Christophe Naegelen (LIOT). L’amendement CL707 tend à garantir une véritable territorialisation de la CNDA, sur le modèle des chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC). Le texte ne précise pas quelle sera l’organisation dans l’Hexagone ni dans les territoires d’outre-mer. En l’état, la juridiction est tout entière à Montreuil ; il serait plus logique de prévoir une véritable répartition.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Avis défavorable sur l’amendement CL747. Le juge unique et la collégialité rendent des décisions équivalentes ; choisir le premier ne revient pas à réformer plus. La territorialisation constitue un avantage pour les demandeurs : depuis Tarbes, il est plus simple de se rendre à Bordeaux qu’à Montreuil.

S’agissant de l’amendement CL709, l’alinéa 8 prévoit déjà que le président de la Cour « peut […] spécialiser les chambres en fonction du pays d’origine et des langues utilisées ». Il ne nous appartient pas d’organiser la territorialisation dans la loi, au risque d’être trop contraignants. Mieux vaut laisser faire la CNDA : la cour d’appel de Nancy a peut-être besoin d’être plus spécialisée sur le cas des Afghans que celle de Bordeaux. Je vous propose de retirer l’amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

L’amendement CL1020 s’inscrit dans un débat intéressant. Cependant, il n’est pas possible d’installer une chambre territoriale dans chaque collectivité citée à l’alinéa 2 de l’article 72-3 de la Constitution. Les juges de la CNDA eux-mêmes nous ont conseillé de ne pas prévoir une chambre à Mayotte, dont la situation est très spécifique. Nous sommes prêts à en débattre en vue de l’examen en séance. Avis défavorable.

L’amendement CL707 n’apporte rien au texte. Les chambres territoriales pourront évidemment être placées auprès des cours administratives d’appel. Je vous suggère de le retirer, sinon l’avis sera défavorable.

M. Arthur Delaporte (SOC). Pourriez-vous nous éclairer davantage sur l’organisation territoriale ? Le Calvados dépend de la cour administrative d’appel de Nantes, moins facilement accessible de Caen que Montreuil. Le rattachement à Nantes obligerait les avocats à partir deux jours pour plaider, les demandeurs n’auraient plus d’avocats sur place – la situation serait plus compliquée.

Nous nous inquiétons également d’une moindre spécialisation des juges, susceptible de nuire à l’examen des situations individuelles.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). L’amendement CL1020 est clairement rédigé : il ne dresse pas une liste à la Prévert, mais vise à s’assurer que la réforme ne créera pas une inégalité territoriale. Vous répondez : « Circulez, y'a rien à voir », sans apporter aucune garantie.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). S’il s’agit de spécialiser la cour de Nancy dans les dossiers afghans, mieux vaut conserver une cour centrale à Montreuil. L’Afghan qui réside à Marseille et devra traverser la France pour se rendre à Nancy n’y gagnera rien. Et n’oubliez pas le problème des avocats et des interprètes !

M. Ludovic Mendes, rapporteur. L’amendement CL1020 vise à installer une cour dans chaque collectivité d’outre-mer. Madame Regol, je vous suggère de travailler avec M. Serva, qui formulera une proposition dans ce domaine. Des solutions sont possibles, mais cette rédaction ne nous convient pas.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Les auditions nous ont beaucoup éclairés. Je ne comprends pas les inquiétudes liées à la territorialisation, qui rapprochera la Cour du requérant. Un demandeur d’asile vulnérable, placé en Cada – centre d’accueil pour demandeurs d’asile – à Pau, en application de l’orientation directive, doit se rendre deux fois en région parisienne, à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et à la CNDA. Les autres États de l’Union subissent aussi des phénomènes migratoires, mais nous sommes le seul pays européen à disposer d’une justice centralisée et unique. Le rapprochement est protecteur.

Le rapporteur et moi-même avons souligné que le principe du juge unique n’excluait pas le recours à la collégialité. Les requérants eux-mêmes peuvent la demander. Ils sont accompagnés d’un avocat, et nous connaissons tous des associations qui les assistent très bien : elles sauront certainement que c’est possible. Cela se passe ainsi dans d’autres pays, comme l’Allemagne et la Belgique. Le HCR sera présent dans la collégialité ; en l’état, nous sommes le seul pays au monde à l’associer systématiquement. Est-il nécessaire de recourir à la collégialité pour examiner la situation d’un ressortissant afghan, alors que 92 % des demandeurs afghans obtiennent l’asile ? Il arrive également que la procédure soit détournée par des ressortissants de pays où il n’existe ni risque ni discrimination. Dans ce cas, la collégialité n’est pas davantage nécessaire.

M. Christophe Naegelen (LIOT). Nous trouvons l’amendement CL1020 intéressant.

Monsieur le rapporteur général, l’amendement CL709 vise précisément à spécialiser les cours selon l’origine des personnes.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Spécialiser chaque cour territoriale sur une zone géographique reviendrait à créer une nouvelle centralisation dans chaque territoire. En revanche, les nouvelles cours s’organiseront en fonction de leurs besoins spécifiques.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements CL64 et CL1024 de M. Benjamin Lucas

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Le juge unique pose un problème, comme l’illustre le cas de ce magistrat mis en cause pour ses positions xénophobes, LGBTQIphobes et islamophobes, révélé par la décision du Conseil d’État rendue le 31 octobre 2023. Seule la collégialité assure le respect des droits des requérants. L’amendement CL64 vise donc à préciser que le président veille « à ne pas affecter de membres dont les prises de position peuvent laisser supposer qu’ils ne sont pas impartiaux. »

L’amendement CL1024 tend à conserver la procédure en vigueur : le représentant du HCR nomme les assesseurs sur avis conforme du Conseil d’État.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Le président de la CNDA a pu mettre fin aux fonctions de la personne que vous évoquez en raison de doutes sur son impartialité envers les immigrés, les musulmans et la communauté LGBT+. Si des membres de la cour expriment des opinions hostiles, le président peut prendre les décisions qui s’imposent ; l’amendement CL1024 est satisfait. Avis défavorable.

La rédaction de l’amendement CL64 est trop risquée, notamment à cause du mot « impartiaux ». Avis défavorable également. Nous devons faire confiance aux magistrats.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Je vous propose de modifier la rédaction de l’amendement CL64, pour que nous puissions l’adopter.

Mme Edwige Diaz (RN). Décidément, la NUPES – Nouvelle Union populaire, écologique et sociale – alimente la suspicion envers nombre de fonctions et de professions. Après les maires, les chargés de travaux dirigés et les fonctionnaires, c’est le tour des juges, dont vous mettez en cause la partialité en instrumentalisant un fait divers. C’est une dérive inquiétante : en France, la classe politique ne choisit pas les juges en fonction de leurs affinités – heureusement, tous les juges n’appartiennent pas au Syndicat de la magistrature !

L’indépendance de la justice est une valeur éminemment républicaine, et nous y sommes très attachés.

La commission rejette successivement les amendements.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Monsieur le président, il reste 131 amendements à examiner, en moins d’une heure de réunion. Comment comptez-vous organiser la fin du débat ? Quand ils le veulent bien, les rapporteurs prennent le temps d’argumenter ; nous ne disposons que d’une minute par intervention, mais nous essayons vaillamment de défendre tous nos amendements. Il est question d’humanité : nous voulons travailler convenablement. Nous sommes prêts à revenir demain matin. Serez-vous raisonnable, et lèverez-vous la séance à minuit ?

M. le président Sacha Houlié. J’ai l’impression que les collègues veulent plutôt finir l’examen du texte ce soir. Avançons ; nous en discuterons à minuit.

Amendements CL65 de M. Benjamin Lucas, CL1213 de Mme Emeline K/Bidi et amendements identiques CL954 de M. Boris Vallaud et CL1437 de Mme Stella Dupont (discussion commune)

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Il s’agit d’une nouvelle tentative de convaincre le rapporteur de conserver la collégialité de la CNDA afin de garantir les droits des demandeurs.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Nous souhaitons supprimer le principe prévoyant qu’un juge unique statue sur les demandes adressées à la Cour.

Vous nous expliquez que cette réforme accélérera le rendu des décisions, mais les personnels de la CNDA ont dû vous expliquer que le nombre d’audiences n’allait pas augmenter. Outre le regard croisé et le contrôle professionnel qu’assure la formation collégiale de jugement, le passage à un juge unique ne fera pas croître le nombre d’audiences : vous le savez très bien, donc votre argument de l’efficacité ne tient pas.

M. Arthur Delaporte (SOC). Le passage au juge unique n’emporte nullement la contraction des délais de jugement. En effet, le nombre d’interprètes, de greffiers et de personnels reste limité.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer l’implantation géographique des futures chambres territoriales du droit d’asile ? Ce choix aura une influence sur la possibilité de réduire le stock des demandes.

Monsieur le rapporteur, lorsque de norme la collégialité devient l’exception, le recul des droits est incontestable, notamment celui à un procès équitable.

Mme Stella Dupont (RE). Au début de l’année 2019, j’ai assisté à plusieurs audiences de la CNDA, dont l’une avec la juge dont a parlé Mme Regol. J’ai constaté sa xénophobie, que j’ai signalée à la présidente de la Cour de l’époque : il a fallu beaucoup de temps avant que ce juge soit démis de ses fonctions.

Le passage à un juge unique m’inquiète donc quelque peu : je n’y suis pas fondamentalement opposée, mais j’aimerais obtenir une précision sur l’alinéa 19 de l’article. Le requérant peut demander que son dossier soit jugé par une formation collégiale, mais cette requête n’est pas de droit, la décision échoit au président de la Cour : il conviendrait de supprimer le véto du président de la CNDA.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. L’avis est défavorable sur ces amendements. Comme le dit le président de la CNDA, Mathieu Herondart, les taux de cassation et de protection accordée, à nationalité égale, sont sensiblement les mêmes pour les décisions prises par une formation collégiale ou par un juge unique.

Notre objectif est d’apporter une réponse plus rapide au requérant. Depuis cinq ans, le stock d’affaires à la CNDA tourne autour de 30 000 dossiers ! Ces personnes attendent une décision de la Cour : ces délais sont inhumains.

L’article 20 est équilibré et satisfait vos demandes. Les ajouts que vous proposez sont superfétatoires.

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Delaporte, les chambres territoriales seront implantées là où existent des cours administratives d’appel (CAA), à l’exception de l’Île-de-France où il y a déjà la CNDA à Montreuil. Quant à la Nouvelle-Calédonie, on a recensé uniquement trois demandes d’asile en un an, je doute qu’il y ait besoin d’ouvrir une chambre.

Il y aura plus d’audiences, car il sera plus facile d’en organiser et elles seront plus rapides. Comme l’a dit le rapporteur, le juge unique apporte le même taux de protection aux demandeurs que les formations collégiales : il n’y a donc pas de différence de traitement pour les mêmes nationalités.

Madame Dupont, c’est en effet le président de la Cour qui décide si une formation collégiale est nécessaire ou non pour se prononcer sur une affaire. Chacun sait que tout ce qui touche à la CNDA est très regardé par le Conseil d'État : les observations de celui-ci sur le texte étaient très cohérentes et ont donné lieu à un travail très approfondi entre nous. Il nous a seulement reproché d’insérer dans la loi des dispositions relevant du pouvoir réglementaire ; nous pensons qu’il est normal que le législateur décide du fonctionnement de la CNDA – le Conseil d'État, sans être juge et partie sur la question, étudiera avec une attention particulière les décrets d’organisation. Le Conseil n’a absolument pas remis en cause le principe du juge unique, il a plutôt défendu cette orientation, comme vos auditions ou le rapport de Stahl de mars 2020 l’ont montré.

Le représentant du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), que j’ai reçu à plusieurs reprises, le dit lui-même : des décisions doivent être collégiales car elles sont importantes pour fixer la jurisprudence – sur de nouveaux pays en conflit, sur des questions comme l’orientation sexuelle ou sur l’intensité d’une guerre, comme l’avait fait la décision dite Kaboul appréciant le niveau de violence généré par le conflit armé en Afghanistan avant le retour des talibans au pouvoir ; ensuite, même si les faits sont différents, des situations se répètent, ce qui permet à un juge unique de statuer. Entre 93 % et 94 % des Afghans obtiennent l’asile et 94 % des Comoriens sont déboutés : prévoir un jugement collégial pour ces cas représente une perte de temps, y compris pour les demandeurs.

M. Arthur Delaporte (SOC). Mon département du Calvados dépend de la CAA de Nantes : il faut cinq heures pour rejoindre Nantes depuis Caen, seulement deux heures pour Paris. J’imagine que la situation est la même dans d’autres départements : aller à Montreuil est plus simple, notamment pour des personnes vulnérables et pour les avocats de proximité.

Mme Stella Dupont (RE). Je vous remercie, monsieur le ministre, pour votre clarté. Je reste réservée sur le fait que la demande du requérant de bénéficier d’une formation collégiale ne soit pas de droit, quand bien même le choix du juge unique peut être utile dans certains cas.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL1248 de Mme Sandrine Rousseau

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). Il vise à garantir la présence de personnes qualifiées sur les migrations climatiques ou environnementales et sur les violences subies par les femmes migrantes dans les formations de jugement de la CNDA. C’est absolument indispensable, puisque neuf femmes migrantes sur dix ont subi des violences sexuelles et que plusieurs centaines de millions de personnes pourraient devenir des réfugiées climatiques dans les années à venir.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Je comprends votre engagement, mais la notion de réfugié climatique n’existe pas. Votre amendement pourrait se révéler contre-productif ; l’avis est défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendements identiques CL66 de M. Benjamin Lucas et CL742 de Mme Andrée Taurinya

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Nous cherchons à garantir la présence d’un assesseur nommé par le HCR : cette présence est pour nous fondamentale.

J’ai assisté à des audiences composées d’un juge unique ou de plusieurs magistrats : un juge a demandé à un Afghan s’il y avait bien une maison à la sortie droite de son village – j’ai raconté cette anecdote tout à l’heure. C’était bien un ressortissant d’un pays pour lequel les demandes d’asile sont presque toutes positives et c’était un juge unique qui statuait : l’important n’est pas là, monsieur le ministre. La collégialité répond à une tradition française, qui date de 1952, soit un an après la signature de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés. Il faut s’appuyer sur le HCR car ses membres connaissent bien les situations locales.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Les représentants du HCR n’ont pas demandé, lors de leur audition, de désigner directement un membre de la formation collégiale ; la nomination par le Conseil d'État sur proposition du HCR me paraît pertinente, d’autant que je ne doute pas que le Conseil suivra les propositions du HCR. L’avis est défavorable.

M. Arthur Delaporte (SOC). Des assesseurs représentant le HCR à la CNDA m’ont sollicité pour me dire que la nomination par le Conseil d'État constitue un véritable recul, car ces assesseurs sont indépendants et particulièrement sensibles au respect du droit international en matière d’asile.

La commission rejette les amendements.

Amendement CL1266 de Mme Sandrine Rousseau

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). Il vise à garantir la présence de personnes qualifiées sur les migrations climatiques, environnementales et sur les violences subies par les femmes migrantes dans les formations de jugement de la CNDA.

Il ne s’agit pas de donner un statut de réfugié climatique, mais de savoir dans quelles parties du monde la montée des eaux, la sécheresse et les événements climatiques extrêmes vont particulièrement s’amplifier.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Je comprends votre intention, mais l’avis est défavorable.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Nous avons adopté un amendement, déposé par le groupe Renaissance, demandant au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport sur les réfugiés climatiques. Ce n’est pas la CNDA qui va définir ce qu’est un réfugié climatique ; seule une démarche internationale, que la France peut impulser, peut y parvenir.

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). L’amendement ne vise pas à définir un statut de réfugié climatique, mais à évaluer la situation des demandeurs compte tenu de leur région d’origine.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CL739 de M. Thomas Portes, CL710 de M. Bertrand Pancher et CL982 de Mme Andrée Taurinya (discussion commune)

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Nous ne voulons pas que la décision de réserver une formation collégiale à une affaire soit à géométrie variable. Les règles que vous proposez suppriment toute garantie à obtenir une formation collégiale.

Le droit d’asile est très jurisprudentiel : plus les formations de jugement et la dimension géographique seront éclatées, plus il sera difficile de créer et d’appliquer un droit cohérent. Ce n’est pas un détail, car l’équité des jugements en dépend.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Les agents de la CNDA et des avocats parties à des dossiers que traite la Cour sont actuellement mobilisés contre leurs conditions de travail, mais également contre ce texte. M. le ministre vient de le confirmer, infirmant par là même vos propos, monsieur le rapporteur, le requérant ne pourra pas choisir une formation collégiale pour l’examen de sa requête, il pourra simplement en faire la demande, libre à la présidence de la CNDA de trancher. Pouvez-vous nous dire qui du ministre ou du rapporteur dit vrai ?

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements.

Amendements identiques CL1080 de M. Philippe Brun et CL1357 de M. Erwan Balanant, et amendement CL1022 de M. Benjamin Lucas (discussion commune)

M. Arthur Delaporte (SOC). Suggéré par Unicef France, l’amendement vise à conserver le principe de la formation collégiale pour les jugements concernant les mineurs non accompagnés et les mineurs accompagnants.

Les demandes des mineurs sont actuellement examinées par l’Ofpra, puis par la CNDA en cas de recours ; le personnel de l’Office qui traite les dossiers des mineurs est spécialisé et formé ; autre spécificité de la procédure pour les mineurs non accompagnés, un administrateur ad hoc est désigné. Les mineurs accompagnants peuvent être auditionnés par l’Ofpra lorsque leur discernement est suffisant et que l’Office estime que cette audition est complémentaire de celle de leurs représentants légaux et indispensable à l’instruction de la demande d’asile.

Comme pour les affaires présentant des difficultés sérieuses, la qualité de la justice exige la collégialité pour les affaires dans lesquelles un mineur est impliqué.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Notre groupe est très attaché au principe de la collégialité des formations de jugement ; à la CNDA, le collège des personnalités compétentes comprend aussi bien des experts juridiques que géopolitiques. Nous avons déposé un amendement, le CL1365, qui vise à permettre au président de la Cour de décider des types d’affaires dans lesquels le recours à une formation collégiale s’impose.

Nous proposons d’imposer la collégialité pour les personnes les plus vulnérables, à savoir les mineurs. Nous avons rédigé cet amendement avec Unicef France.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Je suis favorable aux deux amendements identiques, CL1080 et CL1357. Je demande le retrait du troisième, le CL1022.

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). Je retire l’amendement.

La commission adopte les amendements identiques.

L’amendement CL1022 est retiré.

Amendement CL1365 de M. Erwan Balanant

M. Emmanuel Mandon (Dem). Il vise à imposer une formation collégiale de jugement à la CNDA pour certaines catégories d’affaires, dont la liste serait définie par le président de la Cour.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendement CL1379 de Mme Sandrine Rousseau

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). Dans le même esprit que les précédents, l’amendement vise à garantir que la CNDA compte en son sein des personnes parfaitement qualifiées sur les violences sexistes et sexuelles subies par les femmes au cours de leur trajet migratoire.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendements identiques CL726 de M. Andy Kerbrat et CL985 de Mme Andrée Turinya

Mme Danièle Obono (LFI-NUPES). Nous souhaitons supprimer la visio-audience à la CNDA. Il est contradictoire de développer les moyens de communication audiovisuelle pour les procédures devant la Cour quand on affirme vouloir renforcer la proximité en créant des chambres territoriales.

Nous sommes opposés à la visio-audience en général, mais nous le sommes particulièrement pour les dossiers d’asile. L’importance du récit oral est fondamentale pour évaluer la situation des demandeurs, donc la présence physique est essentielle.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette les amendements.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement CL1023 de M. Benjamin Lucas.

Elle adopte l’article 20 modifié.

Après l’article 20

Amendement CL1535 de Mme Caroline Yadan

Mme Caroline Yadan (RE). Travaillé avec le Conseil national des barreaux (CNB), l’amendement vise à ce que le requérant soit informé qu’il peut, en toutes circonstances, choisir son avocat et communiquer son dossier avant tout recours effectif devant la CNDA à l’avocat choisi ou non.

Le libre choix de l’avocat est un principe à valeur constitutionnelle. Par ailleurs, les avocats choisis ne disposent du dossier du requérant qu’après le dépôt du recours devant la CNDA, alors que leurs confrères figurant sur la liste de l’aide juridictionnelle de la Cour peuvent le récupérer automatiquement.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendement CL980 de Mme Andrée Turinya

Mme Danièle Obono (LFI-NUPES). Nous souhaitons que l’État déploie un plan d’action, doté de moyens, destiné à augmenter l’offre de formation pour les agents de la CNDA.

Le manque d’accès à des formations spécifiques empêche les personnels de traiter certains dossiers de manière efficace et approfondie. La mise en place d’analyses pratiques permettrait de répondre à cette lacune ; d’autres formations pourraient porter sur les violences sexuelles, les troubles post-traumatiques, les problématiques rencontrées par les personnes LGBT.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Avis défavorable.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES.). Il ne faut pas négliger la souffrance au travail qu’ont exprimée à deux reprises les agents et les salariés de l’Ofpra et de la CNDA. Ils doivent travailler à un rythme qui confine à l’abattage et ils se sentent fort démunis.

En développant leur formation, on enverrait le signe d’un intérêt pour leur travail. Le turnover est très élevé à l’Office comme à la Cour : de nombreux jeunes gens y entrent, pleins d’enthousiasme, puis ils en sortent rapidement à cause de la montagne de dossiers qu’ils ont à traiter. Ils savent très bien que le choix du juge unique dégradera encore la situation : nous gagnerions à les entendre.

La commission rejette l’amendement.

Article 20 bis (nouveau) (art. L. 532-13 du code d’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Possibilité de suspendre la vidéo-audience à la Cour nationale du droit d’asile en cas de difficulté technique

Amendement CL1597 de M. Ludovic Mendes

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Il a pour objectif de rendre obligatoire la suspension de la visioconférence lorsque les conditions techniques ne sont pas réunies.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL712 de Mme Élisa Martin

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES.). Il vise à garantir la présence physique d’un interprète lors des audiences de la CNDA. Je vous parie que les visio-audiences seront de plus en plus nombreuses du fait de la création des chambres territoriales. Or la complexité des situations des demandeurs ainsi que celle des questions posées exige la présence physique des interprètes.

Votre refus de toutes nos propositions nous conduit à tirer la seule conclusion possible : votre texte ne vise qu’à diminuer le nombre de personnes auxquelles on accorde l’asile.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 20 bis modifié.

Après l’article 20 bis

Amendement CL715 de Mme Danièle Obono

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). La présence physique d’un interprète est loin d’être toujours assurée, alors qu’elle est indispensable. La population concernée par l’activité de la CNDA est composée de personnes ayant des parcours difficiles, souvent dramatiques. Elles doivent être en confiance pour raconter leur histoire et les traumatismes qu’elle a créés : cela prend du temps et nécessite un échange avec quelqu’un qui parle la même langue qu’elles.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

TITRE V

SIMPLIFIER LES RèGLES DU CONTENTIEUX RELATIF À L’ENTRÉE, AU SÉJOUR ET À L’ÉLOIGNEMENT DES ÉTRANGERS

CHAPITRE Ier

Contentieux administratif

Article 21 (art. L. 910-1, L. 910-2, L. 911-1, L. 921-1, L. 921-2, L. 921-3, L. 921-4, L. 921-5, L. 922-1, L. 922-2, L. 922-3, L. 251-7, L. 271-1, L. 352-4, L. 352-5, L. 352-6, L. 555-1, L. 572-4, L. 572-5, L. 572-6, L. 613-5-1, L. 614-1, L. 614-2, L. 614-3, L. 614-4, L. 614-19, L. 615-2, L. 623-1, L. 721-5, L. 731-1, L. 732-8, L. 752-6, L. 752-7, L. 752-8, L. 752-9, L. 752-10, L. 753-7, L. 753-8, L. 753-9, L. 754-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Réformer et simplifier le contentieux administratif des étrangers

Amendements de suppression CL702 de M. Andy Kerbrat et CL1214 de Mme Elsa Faucillon

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Nous souhaitons supprimer l’article, qui vise à diminuer le nombre de voies de recours du contentieux des étrangers de douze à quatre. Les délais prévus sont, en outre, beaucoup trop brefs. Il s’agit d’une nouvelle attaque contre des personnes qui rencontrent de très grandes difficultés. La réduction du nombre de voies de recours les fragilisera davantage.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Lorsque je lis le mot « simplification » dans un texte du Gouvernement, je me méfie et j’ai, hélas, souvent raison. Une fois de plus, il n’est pas question ici d’une quelconque simplification mais d’un abaissement des protections et des garanties procédurales afin d’accélérer le rythme des expulsions.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. L’avis est défavorable. En 2022, le contentieux des étrangers représentait 43,5 % de l’activité des tribunaux administratifs, 56,1 % de celle des cours administratives d’appel et 18,7 % de celle du Conseil d’État. En simplifiant les règles pour améliorer l'efficacité du traitement des requêtes, il s'agit de répondre à l'engorgement des tribunaux administratifs. Cet impératif de simplification part du constat de la très grande complexité de ce contentieux. Supprimer l’article ne constituerait pas une bonne réponse.

L’obligation de l’interprétariat est toujours respectée depuis l’Ofpra, où la demande se fait dans une langue choisie par le requérant, jusqu’à la CNDA.

La commission rejette les amendements.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements CL1215 de Mme Emeline K/Bidi et CL1514 de Mme Annie Genevard.

Amendement CL1019 de M. Benjamin Lucas

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Il vise à laisser la possibilité au requérant de solliciter l’aide juridictionnelle à tout moment de la procédure et non simplement au moment de l’introduction de son recours.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendement CL1640 de M. Sacha Houlié

M. le président Sacha Houlié. Il vise à simplifier encore plus drastiquement les procédures du contentieux des étrangers, en retenant deux voies de recours : l’une, fondée sur un délai de recours d’un mois et un délai de jugement de six mois, et l’autre, regroupant toutes les procédures d’urgence, reposant sur un délai de recours de soixante-douze heures et un délai de jugement de cent vingt heures.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. L’idée de simplification est bonne, mais nous proposons de passer de douze voies de recours à quatre – le Sénat n’en voulait que trois et vous deux, monsieur le président. Nous craignons qu’une réduction excessive du nombre de voies de recours complexifie le contentieux des affaires concernant les personnes présentant une menace à l’ordre public.

Les magistrats des tribunaux administratifs n’ont pas exactement les mêmes intérêts que les CAA, le Conseil d'État et le CNDA en la matière. Les évolutions touchant les voies de recours sont assez complexes : je transmettrai à tous les parlementaires un tableau les résumant ainsi qu’une petite note explicative rédigée avec le Conseil d'État, afin de préparer la séance publique pour laquelle je vous propose de réserver cette discussion.

Je comprends votre intention, monsieur le président, mais je ne voudrais pas que tous les excellents articles adoptés tombent sous la censure du Conseil constitutionnel pour excès de simplification.

M. le président Sacha Houlié. Je retire l’amendement, ainsi que le CL1641, qui devait arriver plus tard dans la discussion, et nous examinerons cette question dans l’hémicycle.

L’amendement est retiré.

Amendement CL687 de M. Andy Kerbrat

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Le Gouvernement propose une réduction disproportionnée des délais de saisine des juridictions administratives pour les recours contre les décisions administratives d’OQTF : l’amendement vise à supprimer ce dispositif.

La simplification des délais contentieux du droit des étrangers a fait l’objet d’un rapport, rédigé par le conseiller d’État Jacques-Henri Stahl, qui formulait de nombreuses préconisations, lesquelles n’ont pas été reprises par le projet de loi. En effet, celui-ci retient comme critère le délai de départ volontaire, totalement illisible et injuste pour l’étranger.

Encore une fois, le Gouvernement veut excessivement accélérer les procédures : c’est une mauvaise orientation, même de votre point de vue, car cet empressement multiplie les risques d’annulation pour irrégularité. Nous proposons, pour notre part, une simplification positive pour le droit des étrangers, en dégageant deux procédures distinctes en fonction du critère de privation de liberté : un délai de recours de soixante-douze heures et un délai de jugement de quatre-vingt-seize heures en cas de placement en rétention ; un délai de recours d’un mois et un délai de jugement de trois à six mois dans tous les autres cas.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. L’avis est défavorable. L’adoption de votre amendement aurait pour effet de créer une procédure unique de droit commun, reposant sur un délai de recours d'un mois et un jugement rendu en formation collégiale dans un délai de six mois. Cela ne m'apparaît pas raisonnable, il faut tenir compte du degré de contrainte susceptible d'être exercé sur l'étranger pour adapter les délais de recours et de jugement.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL1671 de M. Ludovic Mendes

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Je vous propose de revenir à l’architecture contentieuse conçue dans le projet de loi initial, à savoir une articulation autour de quatre procédures. La première, dite ordinaire, est applicable aux décisions portant obligation de quitter le territoire français assorties d'un délai de départ volontaire. La deuxième, dite prioritaire, que je souhaite rétablir par cet amendement, intéresse le contentieux des OQTF lorsqu’aucun délai de départ volontaire n’est accordé à l’étranger. La troisième, dite spéciale, concerne tout le contentieux des décisions liées à la procédure d'asile, y compris celles d’OQTF résultant d’un rejet de la demande d'asile. La quatrième, dite d'urgence, englobe tous les cas dans lesquels l'étranger est placé en rétention, avec un délai de recours de quarante-huit heures et un délai de jugement de quatre-vingt-seize heures.

La différence principale avec le texte adopté par le Sénat est le retour au principe de traitement différencié des recours contre les OQTF.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). M. le ministre nous a proposé de nous envoyer des documents destinés à éclairer la question ; en outre, le rapporteur, le président et le ministre proposent un nombre de procédures différent. Il serait donc sage de retirer l’amendement et de le redéposer pour la séance publique où nous pourrons avoir un débat informé.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je vous propose plutôt d’utiliser la semaine entre l’examen du texte en commission et celui en séance publique pour organiser une audition sur le sujet : nous y confronterons nos points de vue, éclairés par les éléments communiqués par le ministre. En attendant, nous pouvons adopter l’amendement.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL1396 de Mme Sabrina Sebaihi

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Nous essayons de faire les choses de façon posée, en nous reposant sur des éléments formels. Je trouve déplacé d’avoir fait passer l’amendement précédent en force.

L’article 21 prévoit une procédure contentieuse spécifique applicable à plusieurs décisions administratives susceptibles de viser les demandeurs d’asile : celles concernant les conditions matérielles d’accueil des demandeurs d’asile, les arrêtés d’assignation à résidence et les arrêtés de transferts dits « Dublin » qui visent les demandes d’asile dont la responsabilité incombe à un autre État européen. Or le délai de recours prévu est de sept jours, ce qui est beaucoup trop court pour permettre aux demandeurs d'asile, qui souffrent souvent de difficultés, de saisir un avocat et d'accéder ainsi au juge. Ces situations restent cependant des situations d'urgence qui nécessitent une réponse judiciaire rapide. Il semble donc plus juste et réaliste de prévoir un délai de quinze jours.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Le délai de sept jours a été proposé par le Conseil d’État. Le porter à quinze jours n’est pas justifié. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL1363 de M. Erwan Balanant

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Un amendement similaire du rapporteur sera retiré. Je vous propose de retirer cet amendement également.

L’amendement est retiré.

Amendement CL1081 de M. Philippe Brun

M. Hervé Saulignac (SOC). Une salle délocalisée à la place d’un tribunal et une caméra et un écran à la place d’un juge : avouez qu’il s’agit là d’une justice un peu particulière. Or il est prévu qu’elle s’applique à tous, y compris aux mineurs. Cet amendement propose d’interdire le recours aux vidéoaudiences devant le tribunal administratif pour les mineurs maintenus en zone d’attente. Le mineur doit en effet être en condition, plus que le majeur, de comprendre la procédure dont il est l’objet et il faut éviter qu’il ne se trouve déstabilisé par une caméra. Avoir affaire avec la justice est en soi une véritable épreuve, ne leur imposons pas en outre d’avoir affaire avec une justice déshumanisée.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. L’amendement est satisfait : nous avons voté l'interdiction de la rétention pour les mineurs.

M. Arthur Delaporte (SOC). Monsieur le rapporteur, cet amendement a pour objet l’audition de mineurs. Tous les protocoles qui y sont relatifs préconisent fortement de ne pas avoir recours à la visioconférence, qui altère la perception des échanges.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Votre amendement propose de modifier l’alinéa 29 relatif aux audiences d’étrangers placés en rétention ou en zone d’attente. Or nous avons voté l’interdiction de la rétention administrative des mineurs. Il est donc bel et bien satisfait. J’ajoute que j’ai déposé un amendement CL1672 pour renforcer les garanties en cas de vidéoaudience. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL1672 de M. Ludovic Mendes

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Cet amendement vise à préciser que la vidéoaudience ne peut être mise en place qu’afin de permettre à l’étranger de présenter ses explications – en cas d’impossibilité, la vidéoaudience doit être arrêtée – et d’assurer une bonne administration de la justice

M. Arthur Delaporte (SOC). Je ne vois pas en quoi votre amendement empêche les vidéoaudiences pour mineurs : l’alinéa que vous proposez de modifier parle de l’aménagement des salles d’audience et de vidéoaudience dans les zones d’attente.

La commission adopte l’amendement.

Amendements CL67 de M. Benjamin Lucas et CL1497 de M. Aurélien Taché (discussion commune)

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). L’article 21 n’ayant pas été supprimé, nous présentons cet amendement CL67 de repli qui propose de supprimer le recours à la visioconférence, qui dégrade, comme toutes les procédures dématérialisées, le service public – et en particulier les audiences de la CNDA, que ce soit pour les magistrats, les avocats ou les requérants – en enlevant de l’humain et en rajoutant de la distance.

L’amendement CL1497 propose lui aussi de supprimer le recours à la visioconférence pour le contentieux de l’asile afin de préserver les principes fondamentaux d'un procès équitable – qui implique l’accès au juge, la publicité de l'audience et l’égalité des armes– et d'une justice humaine. En outre, le contentieux de l'asile concerne souvent des personnes vulnérables et la visioconférence peut priver ces individus d'une défense effective. Enfin, la visioconférence ne répond pas à l'exigence de solennité et des difficultés pratiques et techniques peuvent porter atteinte au respect du contradictoire. En somme la visioconférence peut donner place à des pratiques potentiellement inhumaines et discriminatoires.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Nous sommes tous attachés aux garanties procédurales qui permettent à chacun de faire respecter ses droits. Toutefois, la suppression du recours à la vidéoaudience irait à l'encontre de l'objectif d'efficacité du traitement du contentieux administratif et constituerait une régression par rapport à l'état du droit.

Avis défavorable

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Il est minuit et il reste encore quatre-vingt-huit amendements à examiner. J’entends une députée des Républicains dire qu’il faut accélérer, mais je n’ai pas envie d’aller plus vite, car nous parlons d’humanité. Le sujet est grave, il faut prendre le temps nécessaire à la discussion. Nous sommes députés et recevons une indemnité pour faire ce travail. Nous pouvons revenir bosser demain.

M. le président Sacha Houlié. Les membres de la commission, à leur quasi-unanimité, sont d’accord pour que nous terminions l’examen du texte ce soir. Nous ne sommes pas contraints de terminer à minuit et, en commission, il n’y a pas de 49.3. Soyez donc rassurée, nous irons jusqu’au bout : nous pouvons examiner les amendements restants en quelques heures.

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). S’il le faut, nous travaillerons jusqu’à quatre heures du matin !

La commission rejette successivement les amendements.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement CL1375 de Mme Caroline Yadan.

L’amendement CL1673 de M. Ludovic Mendes est retiré.

La commission adopte l’amendement CL1674 de M. Ludovic Mendes. En conséquence, l’amendement CL1362 de M. Erwan Balanant tombe.

Amendement CL1587 de Mme Sandrine Rousseau

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Cet amendement propose de rétablir le caractère suspensif du recours devant la CNDA. La loi du 10 septembre 2018 porte atteinte à ce principe, qui est pourtant garanti par l'article 13 de la Convention européenne des droits de l'homme. Par ailleurs, le droit d'asile, principe de valeur constitutionnelle, implique que l'étranger qui l’invoque soit autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande. L’adoption de cet amendement permettrait au texte de garantir l'égalité de traitement des recours et d’être en conformité avec la Convention européenne des droits de l'homme ainsi qu’avec nos engagements auprès du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR)

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Avis défavorable, car son adoption entraînerait des difficultés de coordination des nouvelles procédures applicables.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Nous n’avons pas entendu les explications du rapporteur : il veut aller vite et parle donc trop vite.

Une fois de plus, la Macronie soutient des dispositions qui ne respectent pas certains principes du droit international. Cela ne nous étonne pas.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Je répète ce que je viens de dire : avis défavorable, car l’adoption de l’amendement entraînerait des difficultés de coordination des nouvelles procédures applicables.

Abstenez-vous de donner des leçons : en tant que représentants de la France insoumise, vous avez signé un courrier de pression adressé à un procureur de la République pour qu’il fasse appel d’une décision de la Cour de justice de la République.

La commission rejette l’amendement.

L’amendement CL1641 de M. Sacha Houlié est retiré.

Amendement CL1360 de M. Erwan Balanant

M. Emmanuel Mandon (Dem). Cet amendement vise à réduire de trois à deux ans le délai maximal d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) permettant l’assignation à résidence ou le placement en rétention administrative de la personne. Le délai de trois ans nous paraît en effet excessif.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’article 21 modifié.

Article 22 (art. L. 222-2-1 et L. 776-1 du code de justice administrative) : Coordinations légistiques dans le code de justice administrative pour tenir compte de la réforme du contentieux administratif des étrangers

Amendements de suppression CL685 de Mme Andrée Taurinya et CL1216 de Mme Elsa Faucillon

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). J’observe, monsieur le président, que vous m’avez fait remarquer que j’étais hors sujet en parlant d’humanité alors que je défendais ma position sur un amendement du Rassemblement national. Je vous invite à faire la même remarque à M. le rapporteur, qui vient de stigmatiser La France insoumise

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). La trop grande complexité du droit des étrangers est la source d’un excès de contentieux. De nombreuses organisations appellent d’ailleurs à sa simplification, mais vous préférez nous proposer une réduction des garanties et un affaiblissement du droit au recours des étrangers.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette les amendements.

Elle adopte l’article 22 non modifié.

Article 23 (art. 3, 9-4, 16 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridictionnelle, art. L. 773-11 du code de justice administrative) : Coordinations légistiques dans la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridictionnelle pour tenir compte de la réforme du contentieux administratif des étrangers et aménagement du principe de la contradiction pour le contentieux des décisions administratives fondées sur des motifs liés à la prévention du terrorisme

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement CL1217 de M. Davy Rimane.

Elle adopte l’article 23 non modifié.

Article 23 bis (nouveau) (art. L. 425-9-1, L. 733-7, L. 733-8, L. 733-11, L. 542-1, L. 733-10, L. 741-1, L. 741-2, L. 742-1, L. 742-3, L. 751-9, L. 734-4, L. 743-19, L. 743-22 du Ceseda) : Modifications procédurales visant à améliorer l’efficacité du contentieux administratif et judiciaire des étrangers

Amendements de suppression CL68 de M. Benjamin Lucas, CL682 de Mme Andrée Taurinya, CL955 de M. Boris Vallaud, CL1218 de Mme Emeline K/Bidi et CL1438 de Mme Stella Dupont

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). L’érosion majeure du secret médical que constitue la modification de l’instruction des litiges relatifs au refus de titres de séjour étranger malade, la possibilité d’édicter une décision d’éloignement dès la date de l’ordonnance rejetant le recours contre la décision de l’Ofpra, l’allongement de la durée de validité de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant la visite domiciliaire d’un étranger assigné à résidence : ces dispositions ne présentent pas d’intérêt en matière d’accueil ou d’intégration. Sous couvert de simplification administrative, cet article effectue un détricotage considérable des dispositifs d’accueil et d’intégration et attaque directement les droits des personnes primo-arrivantes. Nous proposons donc sa suppression.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Nous proposons de supprimer cet article afin de préserver le droit au secret médical des étrangers, car ce droit doit être le même pour tous. Le projet de loi consacre ici encore une atteinte aux libertés individuelles.

L’article 23 bis est en outre un affront aux médecins puisqu’il permet de vérifier la réalité du diagnostic

M. Arthur Delaporte (SOC). Nous croyions avoir tout vu, mais la fin du texte recèle encore des horreurs. L’article 23 bis contient ainsi plusieurs mesures restreignant les garanties applicables au droit des étrangers : levée du secret médical ; fixation à cent-quarante-quatre heures, au lieu de quatre-vingt-seize, de la durée de validité de l’ordonnance du JLD autorisant la visite domiciliaire d’un étranger assigné à résidence ; ajustement des délais dont dispose le JLD pour statuer afin d'assurer qu'il n’est jamais contraint de tenir deux audiences consécutives sur le placement en rétention et la prolongation de la rétention d'une même personne ; augmentation de quatre jours, au lieu de quarante-huit heures, de la durée de la première phase de rétention administrative ; desserrement du délai dans lequel le ministère public peut demander au premier président de la Cour d'appel ou à son délégué de décider que le recours est suspensif lorsqu'il apparaît que l'intéressé ne dispose pas de garanties de représentation effective.

Les amendements CL1218 et CL1438 sont défendus.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette les amendements.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement CL1359 de M. Erwan Balanant.

Amendement CL1675 de M. Ludovic Mendes

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Cet amendement vise rétablir la durée de validité de quatre-vingt-seize heures pendant laquelle l'ordonnance du JLD autorisant la visite domiciliaire en cas d’assignation à résidence de l'étranger est exécutoire.

M. Arthur Delaporte (SOC). C’est un minimum ! Quelle est votre position sur les autres horreurs dont je viens de dresser la liste ?

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Nous nous sommes fondés sur un rapport du Conseil d’État pour fixer ces délais.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL792 de Mme Éva Sas

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Cet amendement vise à garantir à un étranger placé en rétention administrative le droit de contester cette décision tout au long de la période de rétention. Actuellement, la loi autorise la préfecture à maintenir les individus en détention dans un centre de rétention pendant quarante-huit heures pour organiser leur départ, délai que le Sénat propose de porter à quatre jours.

Ce délai de quarante-huit heures semble particulièrement court pour garantir les droits de la défense de l’étranger en rétention administrative. Il ne permet pas à la personne détenue d’exercer un recours en prison, car il est pratiquement impossible pour elle de consulter un avocat dans un délai aussi restreint. En effet, bien souvent, le point d’accès au droit est informé tardivement et n’est plus en mesure d’intervenir en raison de l’expiration du délai de recours, en particulier pour des personnes qui, n’ayant pas été suivies par le point d’accès au droit ou par la Cimade auparavant, n’ont pas reçu d’explications en amont sur la procédure.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendement CL1676 de M. Ludovic Mendes

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Cet amendement vise à préciser le délai pendant lequel le procureur de la République peut demander au premier président de la cour d’appel de déclarer son recours suspensif lorsqu’il interjette appel d’une ordonnance JLD qui met fin à la rétention administrative de l’étranger. En effet, le texte, tel qu’il a été modifié par le Sénat, n’encadre par aucun délai l’exercice de cette voie de recours.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL1575 de Mme Sandrine Rousseau

Mme Sandrine Rousseau (Écolo-NUPES). Cet amendement vise à revenir sur des décennies de politique d'allongement des temps de durée de rétention. Chaque année, ce sont plus de 45 000 personnes qui sont enfermées dans des centres (CRA) et des locaux (LRA) de rétention administrative. Ces dernières années, les politiques de gestion migratoire ont évolué vers un recours de plus en plus systématique et étendu à la rétention administrative. Alors que la loi du 10 septembre 2018 a déjà allongé la durée de rétention de quarante-cinq à quatre-vingt-dix jours, le projet de loi propose encore de l'augmenter à cent-vingt jours. Nous proposons donc de raccourcir les délais de rétention administrative.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 23 bis modifié.

Avant l’article 24

Amendement CL673 de Mme Élisa Martin

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Cet amendement propose la fermeture des tribunaux sur place, installés à proximité des lieux de rétention. Nous pensons tout particulièrement à l'annexe du tribunal de Bobigny, installée sur le tarmac de l'aéroport de Roissy. Ces annexes sont le symbole d’une justice expéditive et sont l'objet de nombreuses critiques, particulièrement de la Défenseure des droits.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Avis défavorable. Le Conseil constitutionnel a validé la possibilité de délocaliser les audiences au sein de salles dédiées attribuées par le ministère de la justice.

La commission rejette l’amendement.

Chapitre II
Contentieux judiciaire

Article 24 (art. L. 342-6, L. 342-7, L. 342-15, L. 743-7, L. 743-8 du Ceseda) : Principe de la comparution des étrangers devant le juge des libertés et de la détention dans une salle d’audience aménagée à proximité immédiate de la zone d’attente ou du lieu de rétention et tenue des audiences en visioconférence

Amendement de suppression CL1219 de Mme Elsa Faucillon

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Cet article traduit la volonté d'étendre le recours à la vidéoaudience en centre de rétention et en zone d'attente, alors que seules des raisons logistiques et sécuritaires peuvent la justifier puisqu’elle ne permet certainement pas de mieux rendre la justice. Elle entrave le bon déroulement de l'audience et rend la compréhension de la procédure beaucoup plus difficile pour les personnes retenues. Le rapport En finir avec les audiences par visio de l'Observatoire de l'enfermement des étrangers souligne que l'utilisation de cette technologie porte atteinte aux droits de la défense et, plus largement, au droit à un procès équitable, en violation de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui dispose que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendement CL1677 de M. Ludovic Mendes

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Cet amendement précise que le recours à la vidéoaudience doit permettre d’assurer une bonne administration de la justice.

La commission adopte l’amendement. En conséquence, l’amendement CL678 de M. Thomas Portes tombe.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement CL1390 de Mme Caroline Yadan.

Elle adopte l’amendement CL1678 de M. Ludovic Mendes.

Amendement CL1498 de M. Aurélien Taché

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Avis défavorable. L’amendement n’est pas conforme à l’état du droit.

M. Arthur Delaporte (SOC). En proposant que l’audience ne puisse se tenir par télécommunication audiovisuelle sans le consentement exprès des parties, l’amendement instaure une garantie procédurale importante, qui préserverait cet article du risque d’inconstitutionnalité.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Le recours à la vidéoaudience, déjà permis devant le JLD dans le cadre du contentieux du maintien en zone d'attente ou en rétention administrative, est encadré par toutes les garanties nécessaires au respect des droits des parties. Le Conseil d'État, dans son avis sur le projet de loi, a estimé qu’il était accompagné de garanties suffisantes et n'a pas fait du consentement des parties une condition de validité de ces dispositions.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Vous devez recevoir régulièrement dans vos permanences des étrangers confrontés à des problèmes de régularisation de titres de séjour. Ils demandent simplement à ce que leurs droits soient respectés et à vivre dignement dans notre pays. Je remarque que leurs démarches à la préfecture ne peuvent être réalisées à distance par vidéo. Le recours à cette technologie ne sert qu’à industrialiser la répression et à déshumaniser la justice.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). L’Observatoire de l'enfermement des étrangers constate que l'usage de la visioconférence altère profondément le déroulement des audiences et compromet le droit à un procès équitable. Dans ces conditions, le consentement des personnes étrangères devient un rempart nécessaire pour garantir une justice respectueuse de leurs droits fondamentaux. La visioconférence, en éloignant physiquement les personnes étrangères, créé un déficit significatif de compréhension des enjeux de l'audience. La présence physique est cruciale pour permettre à la personne de suivre et comprendre les débats et renforce ainsi l'équité du procès.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 24 modifié.

Article 25 (art. L. 342-5, L. 342-7-1 du Ceseda) : Allonger le délai de jugement de la requête aux fins de maintien en zone d’attente en cas de placement simultané d’un grand nombre d’étrangers dans une même zone

Amendements de suppression CL669 de Mme Danièle Obono, CL956 de M. Boris Vallaud, CL1018 de M. Benjamin Lucas et CL1220 de Mme Elsa Faucillon

Mme Danièle Obono (LFI-NUPES). L’article 25 revient à faire peser sur les justiciables le manque de moyens de la justice. La privation de liberté ne doit pas excéder vingt-quatre heures, quelles que soient les circonstances et les éventuels dysfonctionnements de l’administration. Plutôt que d’allonger les délais de privation de liberté, il faut donner aux juges les moyens leur permettant de statuer plus rapidement.

Présidence de Mme Caroline Abadie, vice-présidente de la commission.

M. Arthur Delaporte (SOC). L’article 25 porte le délai de jugement de la requête aux fins de maintien en zone d'attente de vingt-quatre à quarante-huit heures en cas de placement simultané dans une même zone d'un nombre important d'étrangers. Face à des zones surchargées, le risque est de voir l’accélération des procédures conduire au non-respect des droits de la défense.

J’en profite pour évoquer un amendement déclaré irrecevable par le président de la commission au titre de l’article 45 de la Constitution, ce qui me semble injustifié. Il proposait notamment d’étendre le droit et les garanties procédurales des zones d'attente aux personnes placées plus de quatre heures dans des locaux de mise à l'abri ce qui, selon le Conseil d'État, est interdit. Cela arrive pourtant très souvent, à Menton et à Montgenèvre, où les droits des personnes qui y sont maintenues en zone de mise à l’abri ne sont pas respectés. Je me permets d’alerter le ministre à ce sujet.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Les zones d’attente constituent des lieux privatifs de liberté particulièrement anxiogènes, comme le soulignent les témoignages des associations comme des personnes retenues. Le Conseil constitutionnel rappelle dans sa décision du 25 février 1992 que « le maintien d'un étranger en zone de transit, en raison de l'effet conjugué du degré de contrainte qu'il revêt et de sa durée, a pour conséquence d'affecter la liberté individuelle de la personne qui en fait l'objet au sens de l'article 66 de la Constitution ». L'allongement du délai de jugement est une atteinte à la dignité comme au droit des personnes concernées.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). L’allongement du délai ne se justifie que par des raisons logistiques liées au manque de moyens humains et matériels et par l'absence de volonté de les augmenter alors que vous semblez anticiper de nouvelles arrivées. L’article 25 utilise d’ailleurs l’expression « un nombre important d’étrangers » sans que cette notion floue soit précisée.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Je vais apporter quelques explications à mon avis défavorable.

Je rappelle qu’une mission flash a été créée pour faire le bilan de la zone d'attente temporaire de la presqu'île de Giens à la suite de l’accueil de l’équipage de l’Ocean Viking. Pour y faire face, le procureur de la République avait demandé au JLD de prolonger le délai d’une journée, ce que les textes ne permettaient pas. Les dispositions de l’article 25 n’ont pas pour but de rallonger le délai de vingt-quatre heures dans le cas où une dizaine de personnes supplémentaires arriveraient à Roissy. L’expression « un nombre important » se réfère à un cas comme celui de l’Ocean Viking où les juges, prévenus à la dernière minute, ont dû faire face à un afflux de plus de 200 personnes dans un département qui n’était pas préparé. Un délai supplémentaire leur aurait permis de trouver des solutions aux situations très complexes qui se sont alors présentées à eux. Il faut tirer les leçons de cette affaire

M. Gérald Darmanin, ministre. L’article 25, qui concerne le régime juridique du JLD, est un article important. L’article 66 de la Constitution confère à l’autorité judiciaire le rôle de gardienne des libertés individuelles. Je rappelle qu’il n’impose pas qu’elle soit préalablement saisie de toute mesure privative de liberté, mais il prévoit qu’elle doit la contrôler tout au long de la privation de liberté et qu’elle doit pouvoir y mettre un terme à tout moment. Nous avons été très attentifs au respect de ces deux garanties.

Le projet de loi modifie le régime du JLD en son article 12, qui prévoit que le JLD doit tenir particulièrement compte de comportements menaçant l’ordre public, en son article 23, qui allonge de quarante-huit heures à quatre jours la durée de la première phase de la détention, et en son article 25, qui prévoit trois modifications : il revient sur la forme des nullités dans le cas d’un étranger dont le comportement serait jugé très dangereux ; il prévoit un effet suspensif à tout appel interjeté contre une décision du JLD mettant fin à la rétention, et pas seulement s'il l’a été par le parquet ; il donne au JLD la possibilité d'allonger le délai pour statuer sur les requêtes aux fins de maintien en zone d'attente lorsqu’un « nombre important » d’étrangers y est placé. M. le rapporteur a donné l’exemple de l’Ocean Viking, je le complète par celui de l’accueil à La Réunion de plus de deux cents immigrants du Sri Lanka arrivés le même jour par bateau en 2022. Madame Faucillon, j’ajoute que l’augmentation de ce délai ne se justifie pas par un manque de moyens, mais par des difficultés d’organisation : le délai actuel étant de vingt-quatre heures, il arrive que des audiences doivent s’interrompre à minuit alors que les juges disposent de tous les moyens nécessaires pour accomplir leur travail.

Je souligne enfin que le Conseil d’État, dans son avis sur le projet de loi, a considéré que « le délai de vingt-quatre heures laissé au juge des libertés et de la détention peut effectivement s’avérer trop bref lorsqu’il doit statuer sur un nombre important de requêtes simultanées » et que « l’atteinte portée […] à la liberté d’aller et de venir peut être regardée comme nécessaire, adaptée et proportionnée ».

Présidence de M. le président Sacha Houlié.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Quarante-huit heures au lieu de vingt-quatre en zone d’attente, ce n’est pas anodin.

Les personnes deviennent les variables d’ajustement. On ne peut pas écrire la loi avec des notions aussi vagues qu’un « nombre important ».

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Le nombre important d’étrangers s’apprécie « au regard des contraintes du service juridictionnel ». C’est bien la preuve que cette disposition est motivée par des préoccupations logistiques.

M. le ministre cite les 235 étrangers de l’Ocean Viking. Mais qu’est-ce qu’un nombre important ? Pour le Rassemblement national, dès qu’il y en a deux, c’est trop. Nous craignons que le service concerné fasse une interprétation extensive de l’article pour justifier un allongement du délai.

M. Arthur Delaporte (SOC). La Défenseure des droits est très inquiète en ce qui concerne les garanties procédurales. Le juge ne peut désormais statuer, lorsqu’il existe une demande de prolongation du maintien en zone d’attente au-delà de quatre jours, que sur l’exercice effectif des droits reconnus à l’étranger. Pour exercer ce contrôle, le juge tient compte du délai de notification de la décision de placement, une notification tardive nuisant à l’exercice des droits. L’article 25 réduit le champ du contrôle puisqu’une décision notifiée rapidement à l’intéressé ne porte pas atteinte à l’exercice effectif de ses droits.

Ensuite, vous n’avez pas répondu à ma question sur la retenue, dans les locaux de mise à l’abri à la frontière franco-italienne, sans aucune garantie procédurale pendant une durée bien supérieure à quatre heures – qui a pu atteindre quatre jours en début d’année.

La commission rejette les amendements.

Amendement CL1679 de M. Ludovic Mendes.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Il s’agit de revenir à la rédaction du projet de loi initial. La modification apportée par le Sénat ne répond pas à l’exigence d’efficacité.

La commission adopte l’amendement et l’article 25 est ainsi rédigé.

En conséquence, les amendements CL1055 et CL1094 de Mme Julie Lechanteux tombent.

Article 25 bis (nouveau) (art. L. 743-12 du Ceseda) : Encadrement du régime des nullités affectant la rétention administrative en les limitant aux cas d’atteinte substantielle aux droits des étrangers et d’absence de régularisation avant l’intervention de la décision du juge

Amendements de suppression CL69 de M. Benjamin Lucas, CL665 de M. Andy Kerbrat, CL957 de M. Boris Vallaud et CL1221 de Mme Emeline K/Bidi.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). L’article, lui aussi issu du musée des horreurs sénatoriales, limite le prononcé des nullités par le juge des libertés et de la détention. En restreignant le droit au recours effectif, il affaiblit les droits des étrangers.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Nous avons largement dénoncé le musée des horreurs imaginé par la droite sénatoriale. Mais il y a aussi des horreurs que nous devons au Gouvernement, et cet article en fait partie : pour obtenir la mainlevée de la rétention, l’atteinte aux droits de l’étranger doit désormais être substantielle.

Vous considérez qu’il est nécessaire d’adapter le régime des nullités et de prendre en considération la dangerosité du comportement l’étranger. Cette mesure, prétendument destinée à sécuriser la procédure, porte atteinte aux droits des étrangers.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. Avis défavorable. L’article 25 bis permet de limiter le prononcé des nullités susceptibles d’affecter la rétention administrative aux cas dans lesquels elles ont véritablement eu des conséquences pour l’intéressé.

L’article L. 743-12 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) restreint déjà le prononcé aux seuls cas : de la violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ; de l’inobservation des formalités substantielles ; et uniquement lorsque l’une d’elles a eu pour effet de porter atteinte aux droits de l’étranger.

La commission rejette les amendements.

Elle adopte l’article 25 bis non modifié.

Article 25 ter (nouveau) (art. L. 743-22 du Ceseda) : Prévoir le caractère suspensif de l’appel interjeté contre l’ordonnance du juge des libertés et de la détention mettant fin à la rétention lorsque le motif de la mesure est lié à des faits de terrorisme

Amendements de suppression CL662 de Mme Andrée Taurinya et CL1222 de M. Davy Rimane (GDR-NUPES). 

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Énième horreur ajoutée par le Gouvernement lors de l’examen au Sénat, l’article donne à l’autorité administrative les moyens d’éviter que les étrangers au comportement particulièrement dangereux puissent quitter le centre de rétention avant que la Cour d’appel ne se soit prononcée. C’est un nouveau désaveu de l’autorité judiciaire au profit de l’autorité administrative.

M. Ludovic Mendes, rapporteur. La possibilité ouverte par l’article est limitée à des cas particulièrement graves puisque sont visées les personnes condamnées « à une peine d’interdiction du territoire pour des actes de terrorisme ou [faisant] l’objet d’une mesure d’éloignement édictée pour un comportement lié à des activités à caractère terroriste ».

Comment pouvez-vous vos y opposer, madame Taurinya ?

Mme Andrée Taurinya (LFI-NUPES). Il appartient au juge de décider puisque nous sommes dans un état de droit. C’est la position que nous défendons depuis le début. Je vous renvoie le compliment, comment pouvez-vous ne pas le comprendre ?

M. Arthur Delaporte (SOC). En privant de la possibilité d’interjeter appel, vous limitez le droit constitutionnel au recours effectif.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Le rapporteur a été très clair : on parle de mesures d’éloignement motivées par des activités terroristes. Il n’est pas délirant de considérer qu’il faut, dans ces cas, mettre fin aux éventuels procédés dilatoires. C’est en quelque sorte une réserve d’ordre public.

La commission rejette les amendements.

Elle adopte l’article 25 ter non modifié.

Titre VI

Dispositions diverses et finales

Avant l’article 26

Amendement CL1274 de M. Olivier Serva.

M. Olivier Serva, rapporteur pour le titre VI. « Ce que vous faites pour moi sans moi, vous le faites contre moi » disait Nelson Mandela. Je voudrais saluer la démarche du ministre Darmanin, qui a donné une suite favorable à une demande récurrente des ultramarins de voir les dispositions les concernant inscrites dans le dur de la future loi et non renvoyées à des ordonnances. J’encourage la majorité et le Gouvernement à faire de même pour chacun des textes. Cela demande un peu de travail mais les outre-mer sont sensibles à cette démarche.

Quelle méthodologie avons-nous adoptée ? Dans le texte initial, tous les outre-mer étaient traités par ordonnances. À l’issue de l’examen au Sénat, les départements d’outre-mer – Guadeloupe, Martinique, Guyane, Mayotte, La Réunion – ainsi que Saint-Pierre-et-Miquelon peuvent faire l’objet de dispositions en dur. Nous nous sommes assurés que ceux qui continuaient à être soumis à des ordonnances souhaitaient le rester. Nous avons pris le temps de les auditionner, et il s’avère qu’ils ont tous – Nouvelle-Calédonie, Polynésie, Wallis-et-Futuna, Saint-Martin, Saint-Barthélemy – exprimé leur volonté de rester par ordonnance.

Dans cet esprit, l’amendement a simplement pour but de renommer le titre VI pour y réunir des dispositions éparses relatives à l’outre-mer.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL811 de M. Davy Rimane.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Conformément à la volonté des territoires cités par le rapporteur de bénéficier de mesures d’application directe, il est proposé d’intégrer les collectivités d’outre-mer dans l’élaboration du schéma national d’accueil des demandeurs d’asile et d’intégration des réfugiés.

M. Olivier Serva, rapporteur. Excellent amendement du président de la délégation aux outre-mer, qui répare une injustice : l’absence de schéma national d’accueil des demandeurs d’asile et d’intégration des réfugiés en outre-mer.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL812 de M. Davy Rimane.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Il s’agit d’étendre à l’outre-mer la déclinaison régionale du schéma d’accueil des demandeurs d’asile et d’intégration des réfugiés en outre-mer.

M. Olivier Serva, rapporteur. Amendement tout à fait justifié.

La commission adopte l’amendement.

L’article 26 A est ainsi rédigé.

Article 26 (art. L. 281-4, L. 281-5, L. 281-7, L. 361-2, L. 651-3, L. 651-4, L. 651-6 et L. 831-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Adaptation des dispositions du projet de loi à l’Outre-mer

Amendement CL657 de M. Thomas Portes.

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Nous nous opposons par principe au recours aux ordonnances. En dépit des spécificités de l’outre-mer, c’est à la représentation nationale de s’exprimer.

M. Olivier Serva, rapporteur. Monsieur Portes, vous avez raison, je l’ai dit en préambule : nous ne voulons plus – j’espère que la majorité et le Gouvernement l’entendent – que les outre-mer soient traités par ordonnance.

Je vous propose de retirer votre amendement car il est satisfait dans la mesure où les territoires qui le souhaitaient – les cinq départements et Saint-Pierre-et-Miquelon – peuvent bénéficier de dispositions dans le dur.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL1397 de Mme Sabrina Sebaihi.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). L’intérêt supérieur de l’enfant est-il un objectif de moindre importance dans les territoires d’outre-mer ? La rétention administrative des mineurs de moins de 16 ans y est-elle plus acceptable qu’en métropole ? La réponse est simple. C’est la raison pour laquelle l’amendement vise à étendre à l’ensemble du territoire national l’interdiction de placement en rétention administrative des mineurs de moins de 16 ans, prévue par l’article 12. L’enfermement des mineurs est intolérable, quel que soit le lieu où il se déroule. Nous ne devrions même pas avoir à le rappeler.

M. Olivier Serva, rapporteur. L’amendement fait référence aux ordonnances, ce qui n’est plus tout à fait juste, je viens de le rappeler.

Ensuite, il reste le cas des mineurs à Mayotte, pour lesquels, le ministre l’a déjà expliqué, on ne peut pas tout de suite supprimer la rétention sinon où iraient-ils ? Cela créerait plus de désordres que d’ordre. Pour ces deux raisons, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL1264 de Mme Estelle Youssouffa.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). L’amendement vise à supprimer une disposition dérogatoire, l’une de ces bizarreries dont Mayotte a le secret. Celle-ci permet au représentant de l’État de renouveler les cartes de séjour pour les étrangers polygames.

Depuis l’arrêt de la polygamie à Mayotte consécutif à la départementalisation, on ne comprendrait pas que les étrangers continuent à bénéficier d’une dérogation.

M. Olivier Serva, rapporteur. Avis favorable, il est normal que le droit commun s’applique à Mayotte.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Une femme peut avoir plusieurs maris au cours d’une vie mais jamais en même temps, ces messieurs sont plus ambitieux. La polygamie signifie l’égalité entre toutes les femmes, et c’est rarement le cas.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL1408 de Mme Estelle Youssouffa.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Il s’agit de priver de l’octroi de toute forme de titre de séjour l’étranger qui conteste l’intégrité territoriale de la République française ainsi définie par ses frontières nationales. Je fais évidemment référence au conflit avec les Comores qui contestent Mayotte française.

M. Olivier Serva, rapporteur. Sur le fond, je partage votre préoccupation. Sur la forme, je vous invite à le retirer puisqu’il est satisfait par l’adoption de votre amendement CL1107 à l’article 13.

L’amendement est retiré.

Amendement CL1116 de Mme Estelle Youssouffa.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). S’agissant du conflit avec les Comores, il me semble important d’enrichir le programme de formation civique, qui est dispensée à Mayotte dans le cadre du contrat d’engagement républicain, pour y inclure un volet dédié aux frontières de Mayotte et de la République française ainsi qu’à son appartenance.

Vous n’ignorez pas que Mayotte est française depuis 1841 grâce au sultan Andriantoly, et que lors des indépendances, les Mahorais, à l’inverse des autres habitants des îles de l’archipel des Comores, se sont battus pour rester français. Vous n’ignorez pas que je porte les couleurs de Zena M’Déré, qui est une des chatouilleuses, ces femmes qui se sont battues dans notre société matriarcale pour que Mayotte reste française. Ces éléments auraient leur place dans la formation que j’appelle de mes vœux.

M. Olivier Serva, rapporteur. Il est normal qu’un étranger désireux de s’installer en France partage les valeurs et principes de la République. Avis favorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Ce ne sont pas là des questions ésotériques. En effet, très récemment, un juge s’est opposé à la rétention d’un étranger à Mayotte au motif que le territoire n’était peut-être pas français, s’appuyant sur la contestation à l’ONU de l’appartenance de l’île à la France. Cette décision de justice a bien été prononcée, et j’espère qu’elle sera remise en cause en appel. Il est très important, pour nos amis mahorais qui ont choisi à de très nombreuses reprises et depuis très longtemps de rester français, que la représentation nationale réaffirme que Mayotte est un département français.

M. Mansour Kamardine (LR). Je suis heureux que le ministre de l’intérieur ait pris la peine de préciser ce point.

On apprend tous sur les bancs de la faculté que les décisions du Conseil constitutionnel sont opposables à toutes les institutions de la République. Par une décision du 30 décembre 1975, celui-ci a jugé que Mayotte était française et ne pouvait cesser d’appartenir à la France sans que sa population en exprime la volonté.

Comment un magistrat français qui rend sa décision au nom du peuple français peut-il écrire une chose pareille ? Soit il est magistrat français et la décision du Conseil constitutionnel s’impose à lui, soit il n’est pas magistrat français et il n’a pas sa place dans un tribunal.

M. Guillaume Vuilletet (RE). Il y a, en effet, quelques magistrats et juristes qui s’appuient sur les arguties développées devant l’ONU pour refuser aux Mahorais le droit de déterminer leur avenir et de vouloir rester dans la République. Ils font fi du choix que ces derniers ont exprimé par leur vote. Nos travaux participent à la réaffirmation du droit des Mahorais à rester dans la République s’ils le souhaitent.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL1330 de Mme Estelle Youssouffa.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Il s’agit là aussi de mettre fin à une dérogation et d’appliquer à Mayotte les critères de droit commun en matière de niveau de langue pour la délivrance d’un premier titre de séjour pluriannuel.

M. Olivier Serva, rapporteur. Le niveau de langue conditionne déjà l’octroi d’un titre de séjour en vertu de l’article 1er. En outre, la saisine pour avis du maire semble difficile à mettre en pratique.

M. Gérald Darmanin, ministre. Autant je suis prêt à travailler avec vous sur le niveau de langue exigé, autant il me semble un peu compliqué de solliciter l’avis du maire.

Les élus municipaux pourraient subir des pressions assez fortes, compte tenu parfois des liens familiaux – on l’a vu s’agissant des reconnaissances de paternité – pour donner un avis favorable sur les demandes de titre de séjour. Je ne suis pas certain que tous les maires pourraient résister, mais vous connaissez mieux votre département que moi. On pourrait imaginer que le maire dispose plutôt d’un droit de veto s’il repère un risque particulier, lié notamment à l’économie informelle. Rendre l’avis du maire obligatoire irait, me semble-t-il, à l’encontre de ce que vous souhaitez.

L’amendement est retiré.

Amendement CL1415 de Mme Estelle Youssouffa.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Il vise à ce que les collectivités territoriales de Mayotte soient consultées pour définir les métiers en tension sur leur territoire.

M. Olivier Serva, rapporteur. Nous reconnaissons bien là l’ADN du groupe auquel Mme Youssouffa appartient et pour lequel les territoires sont primordiaux. Je vous propose de retirer votre amendement au profit du mien qui englobera l’ensemble des territoires ultramarins.

L’amendement est retiré.

Amendements CL1372 et CL1383 de Mme Estelle Youssouffa.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). L’amendement a pour objet de lever certaines protections en matière de mesures d’expulsion pour les étrangers condamnés en première instance pour des faits de violences, viols et agressions sexuelles dans le département de Mayotte.

Compte tenu de la surpopulation dans le centre carcéral de Majicavo, dont le taux d’occupation atteint 250 %, les peines prononcées sont moins importantes. Nous nous retrouvons donc dans une situation particulière à Mayotte où nous devons vivre avec nos bourreaux.

M. Olivier Serva, rapporteur. L’amendement CL1372 est satisfait par l’article 9 qui prévoit la levée des protections dès lors que l’étranger a fait l’objet d’une condamnation à des peines dont le quantum est plus important que celui visé dans l’amendement. En outre, l’expulsion sur le fondement d’une condamnation de première instance, qui n’est pas définitive, est susceptible de poser un problème constitutionnel.

Je vous propose de le retirer au profit de l’amendement CL1383.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je suis très favorable à l’amendement CL1383. L’amendement CL1372 pose incontestablement une question eu égard à la Constitution. Compte tenu de la situation à Mayotte, on pourrait imaginer que le juge constitutionnel regarde une telle disposition avec un œil conciliant mais c’est un risque à prendre. Dans un souci de sécurité juridique, le CL1372 est préférable mais je m’en remets à votre choix, madame la députée.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Je suis vos recommandations et retire le CL1372.

L’amendement CL1372 ayant été retiré, la commission adopte l’amendement CL1383.

Elle adopte l’article 26 modifié.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je crois savoir que d’autres amendements qui concernent Mayotte seront certainement déposés, notamment par Mme Youssouffa et M. Kamardine, d’ici à la séance publique.

Après l’article 26

Amendement CL1725 de M. Olivier Serva et sous-amendement CL1769 de Mme Estelle Youssouffa.

M. Olivier Serva, rapporteur. Il s’agit d’un amendement technique qui rapatrie dans le titre VI l’ensemble des dispositions qui figuraient dans d’autres titres.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Le sous-amendement vise à modifier les conditions pour bénéficier du droit du sol à Mayotte. Il est proposé pour qu’un enfant né à Mayotte soit français, que les deux parents soient en situation régulière au moment de sa naissance, et ce depuis au moins un an.

M. Olivier Serva, rapporteur. Je rappelle, sous le contrôle des deux députés de l’île, que la population de Mayotte compte deux tiers d’étrangers, un tiers en situation irrégulière et un autre en situation régulière. Cette donne particulière explique les dispositions spécifiques qui seront prévues pour Mayotte. Avis favorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Il existe déjà un droit exorbitant à Mayotte sur de nombreux sujets.

En l’état actuel du droit, validé par le Conseil constitutionnel et adopté à l’initiative d’un gouvernement socialiste, pour être régularisé ou devenir français à Mayotte, il faut que l’un des deux parents soit français ou régulier et qu’il le soit depuis au moins trois mois avant la naissance de l’enfant. Cette disposition vise évidemment à lutter contre le phénomène des kwassa-kwassa mais aussi à protéger les parturientes. 950 naissances à Mayotte ont lieu hors de l’hôpital, dans les bangas ; le service départemental d’incendie et de secours (Sdis) de Mayotte est l’une des premières maternités de France.

Il y a à Mayotte une situation particulièrement explosive – en matière de santé publique, de logement, d’accès à l’eau, de sécurité – qui justifie mon soutien aux propositions des députés Youssouffa et Kamardine en matière de droit de la nationalité.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Mme Youssouffa a dit fort justement tout à l’heure que les principes de la République devraient être respectés à Mayotte. Or cette mesure constitue, à mes yeux, une atteinte fondamentale au droit du sol.

Au nom de la situation particulière de Mayotte, qui concerne la géographie et les relations internationales, mais aussi les services publics, vous en venez à remettre en cause des principes fondamentaux. C’est un aveu d’échec de ce qu’est la France.

Si on réaffirme l’appartenance de Mayotte au territoire de la République française, comme nous l’avons fait par amendement, on doit lui donner les moyens d’être entièrement française.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Il me semble important de rappeler que Mayotte est confrontée à une pression migratoire qui est organisée par un pays voisin. Ce pays instrumentalise sa population et utilise nos propres lois contre nous. Je ne l’invente pas, l’Union européenne et l’Otan qualifient ces agissements de menace hybride.

Ce que nous vous demandons, c’est de nous donner les moyens de faire face à cette opération qui instrumentalise les flux migratoires, recourt au trafic d’êtres humains, exploite la détresse de la population et utilise les enfants pour obtenir des papiers. La situation est tragique. Nous avons besoin de dispositions particulières, qui seront évidemment contrôlées par le Conseil constitutionnel, pour être à la hauteur des principes que vous affirmez et auxquels nous adhérons.

M. Gérald Darmanin, ministre. J’ai expliqué pourquoi les services publics connaissent de telles difficultés à Mayotte. Je voudrais aussi rappeler à M. Léaument que l’État fait des choses exorbitantes pour le service public de l’enfance sur ce territoire : nous y construisons plus de trente écoles par an. Or les enfants, qu’ils soient étrangers ou français, n’ont cours que la moitié de la journée. Les principes de la République ne sont déjà plus respectés à Mayotte.

La République, si elle est une et indivisible, permet une différenciation très forte dans les territoires ultramarins. En Nouvelle-Calédonie, il y a quand même la double citoyenneté. Il est normal d’adapter certains droits et je ne vois pas, dans les propos de Mme Youssouffa, de remise en cause du droit du sol ou du droit du sang. Elle ne dit pas qu’il faut supprimer le droit du sol à Mayotte, mais que pour qu’un enfant qui y naît bénéficie du droit du sol, il faut que ses deux parents soient en situation régulière. C’est une façon de s’assurer que cette naissance est le fruit de l’amour et que le projet du couple est de s’adapter aux règles françaises.

On ne peut pas ne pas tenir compte du fait que les étrangers représentent entre un tiers et 60 % de la population mahoraise : cela a des conséquences sur le quotidien de tout le monde. Si nous ne prenons pas nos responsabilités, nous allons vers une catastrophe humanitaire et sanitaire à Mayotte. Et là, monsieur Léaument, les principes de la République seront vraiment mis à mal.

M. Guillaume Vuilletet (RE). En faisant en sorte qu’il n’y ait plus d’ « intérêt » à arriver sur le territoire français pour accoucher, on protège les femmes enceintes, que les passeurs embarquaient sur des esquifs.

M. Mansour Kamardine (LR). Chers collègues, je vous ai invités à plusieurs reprises à visiter Mayotte et je renouvelle mon invitation. Venez et vous nous direz si la situation vous paraît normale. Sur les bancs de l’université, nous avons tous appris que la loi est une norme générale qui s’applique à une société donnée, sur un territoire donné et pendant un temps donné. Mais nous avons aussi admis, dans la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (3DS), qu’il pouvait y avoir des adaptations, et le Conseil constitutionnel a confirmé que, concernant Mayotte, le législateur pouvait faire des aménagements. Nous avons besoin de cette disposition, comme de celles qui vont suivre, pour permettre aux Mahorais de vivre enfin chez eux.

La commission adopte successivement le sous-amendement et l’amendement. L’article 26 bis et le 1° de l’article 26 ter sont ainsi rédigés.

Amendement CL815 de M. Davy Rimane

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Il s’agit se supprimer le dispositif dérogatoire au droit commun du contentieux des étrangers applicable en Guyane en matière d’obligations de quitter le territoire.

M. Olivier Serva, rapporteur. Je regrette que le président de la délégation aux outre-mer ne soit pas là pour défendre son amendement, car nous aurions pu en parler entre ultramarins. J’émettrai un avis défavorable, car l’immigration est également préoccupante en Guyane et je pense utile d’avoir des dispositions spécifiques pour garantir la célérité des procédures.

M. Gérald Darmanin, ministre. La situation de la Guyane est très particulière, elle aussi, du fait de son appartenance au continent sud-américain et de la nature de ses frontières – la forêt amazonienne au sud et deux grands fleuves.

Pour avoir un peu échangé avec M. Rimane et d’autres parlementaires guyanais, je pense qu’il doit être possible de trouver des adaptations pour la Guyane et je suis prêt à y travailler d’ici la séance publique. Mais ce ne sont pas les personnes étrangères faisant l’objet d’une OQTF qui y posent des problèmes. Le problème, ce sont les Marocains et les Afghans qui passent par le Brésil, où ils obtiennent un visa humanitaire, puis arrivent en Guyane pour y faire une demande d’asile et veulent ensuite se rendre dans l’Hexagone. Je ne suis pas opposé par principe à cet amendement, mais je ne pense pas que ce soit le point essentiel.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Davy Rimane estime qu’il est important que les étrangers présents en Guyane puissent contester la légalité de l’OQTF dont ils font l’objet. Je maintiens donc son amendement.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Les amendements CL815 et CL814 de M. Davy Rimane proposent de revenir sur des dérogations qui existent en Guyane. C’est un peu la logique inverse des amendements qui demandaient de nouvelles dérogations pour Mayotte.

M. Rimane a pris la parole au cours de nos débats pour dire que notre droit républicain doit s’appliquer partout dans les outre-mer. Or cela suppose des moyens. Il faut arrêter de traiter les outre-mer moins bien que les autres départements de la République française. La Guyane fait la taille du Portugal et a la plus longue frontière terrestre de la France, avec le Brésil. Il est évident que cela pose des problèmes spécifiques, mais on les traite mieux en étant des républicains convaincus.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL796 de Mme Estelle Youssouffa

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Nous proposons d’exclure du regroupement familial, pour le département de Mayotte, le membre de la famille qui ne reconnaît pas l’appartenance de Mayotte à la France.

M. Olivier Serva, rapporteur. Je suis favorable à cet amendement, mais je vous invite à le retirer et à la retravailler en vue de la séance, car nous avons identifié un risque d’inconstitutionnalité.

M. Gérald Darmanin, ministre. « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses », donc cet amendement est à coup sûr inconstitutionnel. Mais on peut être sanctionné si l’on crée un trouble à l’ordre public : il faudrait retravailler cet amendement en ce sens d’ici la séance.

L’amendement est retiré.

Amendement CL1765 de M. Olivier Serva

M. Olivier Serva, rapporteur. Il s’agit d’adapter aux particularités de Saint-Pierre-et-Miquelon le nouveau dispositif permettant la régularisation des travailleurs dans les métiers en tension. Compte tenu du fait que l’immigration y est très faible, mais que des travailleurs étrangers y sont nécessaires dans certains métiers, il est proposé que ceux qui ont obtenu une carte de séjour temporaire d’un an se voient remettre, au moment de son expiration, une carte de séjour pluriannuelle.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL1770 de M. Olivier Serva

M. Olivier Serva, rapporteur. Cet amendement répond à une demande formulée par l’ensemble des territoires ultramarins. Il est proposé que la liste des métiers en tension soit définie, dans chaque territoire, après consultation d’une commission réunissant les élus et les acteurs locaux, sous l’autorité du préfet. C’est une manière de territorialiser la disposition introduite part l’article 4 bis.

La commission adopte l’amendement.

Suivant l’avis de M. Olivier Serva, rapporteur, la commission adopte l’amendement CL814 de M. Davy Rimane. Le 2° de l’article 26 ter est ainsi rédigé.

Amendement CL813 de M. Mansour Kamardine

M. Mansour Kamardine (LR). Je propose d’étendre de deux à trois ans le délai au terme duquel une personne contribuant à l’entretien et à l’éducation d’un enfant français peut obtenir un titre de séjour « parent d’enfant français ». Certaines personnes se contentent de produire la facture d’achat de quelques fournitures scolaires et la préfecture, qui a peu de moyens de contrôle, renouvelle leur titre.

Suivant l’avis de M. Olivier Serva, rapporteur, la commission adopte l’amendement. Le b du 3° de l’article 26 ter est ainsi rédigé.

Amendement CL1727 d’Olivier Serva.

M. Olivier Serva, rapporteur. Il s’agit de déplacer au titre VI l’article 14 G, relatif à l’extension à la Guyane de la durée maximale dérogatoire de huit heures de la rétention aux fins de vérification d’identité.

La commission adopte l’amendement. L’article 26 quater est ainsi rédigé.

Amendement CL1766 de M. Olivier Serva

M. Olivier Serva, rapporteur. La Guadeloupe connaît une insécurité croissante, liée entre autres à l’immigration clandestine et à l’importation d’armes et de drogue. Par conséquent, nous demandons que le Gouvernement remette au Parlement un rapport présentant les moyens technologiques et humains supplémentaires nécessaires pour assurer le contrôle des côtes maritimes de l’archipel guadeloupéen afin de lutter contre l’immigration irrégulière.

M. Gérald Darmanin, ministre. Avis favorable. La Guadeloupe, comme la Martinique, connaît effectivement des problèmes d’insécurité, en partie liés à l’immigration. Tous les élus de ces territoires sont d’accord là-dessus. En Martinique, nous avons nommé un préfet délégué chargé de la sécurité, qui a fait des propositions intéressantes et je veux bien examiner les moyens susceptibles de lutter contre l’immigration irrégulière en Guadeloupe.

Je pense qu’il serait utile d’adopter une approche interministérielle : dans les Antilles, comme à Mayotte, l’armée peut aussi contribuer à la surveillance des côtes et des grands ports maritimes, avec ses radars et ses drones. Le secrétariat général de la mer, qui dépend directement de la Première ministre, pourrait également intervenir. Peut-être faudrait-il réécrire votre amendement en ce sens d’ici la séance.

La commission adopte l’amendement. L’article 26 quinquies est ainsi rédigé.

Amendement CL1771 de M. Olivier Serva

M. Olivier Serva, rapporteur. Ce projet de loi vise à la fois à contrôler l’immigration et à améliorer l’intégration. Or il n’a pas été beaucoup question d’intégration jusqu’ici.

Nous avons auditionné Théo Scubla, le fondateur d’Each One et j’ai été impressionné par sa capacité à favoriser l’intégration des étrangers par la formation. C’est une réponse à toutes celles et tous ceux qui voient dans l’étranger un être menaçant.

Je propose que le Gouvernement remette au Parlement un rapport présentant l’opportunité de permettre, en outre-mer, aux acteurs privés ou aux associations de la formation et de l’accompagnement des demandeurs d’emploi, d’organiser des formations afin de renforcer l’intégration des publics éloignés de l’emploi – étrangers ou non, car le chômage est trois fois plus élevé outre-mer que dans l’Hexagone et touche aussi les Français.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je suis ennuyé, parce que je ne suis pas favorable à la multiplication des rapports. En outre, celui-ci concerne plutôt le ministère du travail. Cela étant, je reconnais qu’il y a des difficultés spécifiques d’accès à l’emploi outre-mer. Je propose donc que vous adoptiez cet amendement et que les ministres concernés s’expriment sur cette question en séance publique.

La commission adopte l’amendement. L’article 26 sexies est ainsi rédigé.

Article 27 : Entrée en vigueur des dispositions du projet de loi

Amendement CL70 de M. Benjamin Lucas

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). La France a signé la Convention internationale des droits de l’enfant et le Comité des droits de l’enfant, chargé du contrôle de l’application de ce texte, a affirmé sans ambages que l’enfermement des enfants pour des raisons migratoires était contraire au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant. Il nous paraît totalement injustifié de reporter au 1er janvier 2025 l’application de l’article 12.

Cet amendement est proposé par France terre d’asile, la Fédération des acteurs de la solidarité et Forum réfugiés-Cosi. Il suit également les recommandations de l’Unicef.

M. Olivier Serva, rapporteur. Votre amendement ne supprime pas le bon alinéa, car il porte sur le texte initial du Gouvernement, et non sur le texte issu du Sénat.

Surtout, il faut avoir à l’esprit la situation spécifique des mineurs à Mayotte, qui interdit de mettre fin du jour au lendemain à leur enfermement en CRA. Où iraient-ils ? Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de revenir sur la décision historique d’interdire l’enfermement des mineurs dans des CRA, y compris à Mayotte, mais, dès le début, j’avais annoncé que le cas de Mayotte était particulier. Il faut avoir à l’esprit, monsieur Lucas, que plus de la moitié des reconduites à la frontière auxquelles nous procédons au niveau national ont lieu là-bas, et que cela concerne de nombreuses familles. En 2019, étaient enfermés à Mayotte : 663 hommes, 1651 femmes et 3 191 mineurs – soit sept fois plus de femmes et d’enfants que d’hommes. En 2022, on comptait 917 hommes, 1678 femmes et 3 443 mineurs. Il est donc impossible, à Mayotte, de cesser brutalement de placer les mineurs en CRA.

Ce que nous proposons, avec l’article 27, c’est de reporter la date d’entrée en vigueur de cette mesure à Mayotte, pas d’y renoncer. Nous allons d’abord construire un deuxième centre de rétention administrative sur Grande-Terre, qui accueillera les personnes les plus dangereuses et les plus radicalisées. Il faut par ailleurs transformer le CRA de Petite-Terre et trouver d’autres lieux de résidence, mais il y a peu d’hôtels à Mayotte. Tout cela ne peut pas se faire en quelques jours. Je rappelle enfin que le CRA de Mayotte, sans être un parc de loisir, ne correspond pas à l’univers carcéral que l’on connaît par exemple dans les CRA d’Île-de-France.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). La population de Mayotte n’est pas sans cœur et n’a pas de leçons à recevoir en matière d’accueil. Il se trouve que plus de la moitié des personnes présentes sur notre île sont étrangères. Des dizaines de milliers d’enfants vivent avec des adultes avec qui ils ont un lien de parenté plus que suspect. L’enfance à Mayotte est effectivement en danger et penser que la suppression des CRA va protéger les enfants est une fausse bonne idée, car cela va susciter nombre d’abandons. Ces enfants, qui sont déjà en grande difficulté et qui vivent dans des conditions d’insalubrité innommables, vont connaître de nouveaux déchirements familiaux. Comme mon collègue Mansour Kamardine, je vous invite à venir à Mayotte pour voir la réalité du terrain. Je crois que vous y apprendrez beaucoup sur les grands principes.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement CL1708 de Mme Élodie Jacquier-Laforge

Amendements identiques CL407 de Mme Emeline K/Bidi, CL654 de Mme Élisa Martin et CL1017 de M. Benjamin Lucas

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Nous sommes tous d’accord pour dire qu’il faut mieux protéger les enfants de Mayotte, même si j’entends que la solution n’est pas simple. Peut-être faut il préférer les structures d’accueil aux structures d’enfermement ; il doit y avoir d’autres façons de faire.

M. Olivier Serva, rapporteur. Pour les mêmes raisons, avis défavorable.

Mme Danièle Obono (LFI-NUPES). Chers collègues mahorais, nous ne doutons pas de vos témoignages. Depuis des années, des associations, des élus, des rapports divers nous alertent sur la situation de Mayotte. Ce que nous disons, c’est que la politique qui a consisté à instaurer des restrictions à Mayotte, puis à les renforcer continuellement, est contraire à nos principes républicains et n’a pas réglé le problème. Sous le précédent quinquennat, déjà, le choix a été fait de restreindre certains droits fondamentaux à Mayotte. Or cela n’a pas arrangé les choses.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). En l’occurrence, les exceptions touchant le droit du sol et l’enfermement sont très récentes. Notre problème, c’est que le droit commun donne de plus en plus de droits aux étrangers à Mayotte, mais que les moyens dont vous parlez sans cesse n’arrivent pas. Dans certaines zones, nous atteignons maintenant la densité de Hong Kong, mais notre territoire n’est pas extensible. Plutôt que de nous reprocher de limiter certains droits, il faudrait commencer par nous faire bénéficier de la solidarité nationale, par exemple en appliquant la circulaire Taubira.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Mettez-nous au pouvoir !

M. Mansour Kamardine (LR). Nous allons commencer par vous mettre au courant des réalités. Mayotte, ce sont 374 kilomètres carrés et 450 000 habitants, dont : un tiers de Français ; un tiers de réguliers ; un tiers de clandestins. Mayotte n’est donc déjà presque plus française du point de vue de sa population. C’est comme si, sur les 68 millions d’habitants de l’Hexagone, 40 millions étaient des étrangers : je ne suis pas certain que vous auriez tous le même sourire.

La commission rejette les amendements.

Elle adopte l’article 27 modifié.

Après l’article 27

Amendement CL732 de M. Mansour Kamardine

M. Mansour Kamardine (LR). Il s’agit d’encadrer le regroupement familial à Mayotte en le limitant à la famille nucléaire. Une personne admise à y séjourner ne pourrait demander à bénéficier de son droit à être rejointe, au titre du regroupement familial, que par son conjoint, si celui-ci est âgé d’au moins dix-huit ans, et par les enfants du couple.

M. Olivier Serva, rapporteur. La situation particulière de Mayotte et la forte proportion d’étrangers résidant sur son territoire me semblent justifier ces mesures dérogatoires. Avis favorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement. Le 4° de l’article 26 ter est ainsi rédigé.

Amendement CL1387 de M. Mansour Kamardine

M. Mansour Kamardine (LR). Nous proposons qu’un étranger puisse se voir refuser la délivrance ou le renouvellement d’une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle si son comportement manifeste une atteinte à l’intégrité du territoire de la République. Mayotte est française, par la volonté de ses habitants. Or certaines personnes s’installent à Mayotte, y travaillent, puis contestent la francité de Mayotte.

M. Olivier Serva, rapporteur. Sur le fond, je suis favorable à votre amendement, mais sa rédaction présente un risque d’inconstitutionnalité. Je vous invite donc à le retirer et à le redéposer en vue de la séance.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je ne sais pas pourquoi cet amendement n’a pas été examiné en même temps que celui de Mme Youssouffa qui portait sur le même sujet. Nous pourrons effectivement en reparler en séance.

L’amendement est retiré.

Amendement CL766 de M. Mansour Kamardine

M. Mansour Kamardine (LR). Il s’agit de lever, à Mayotte, les protections contre l’expulsion prévues à l’article L631-2 du Ceseda. En novembre 2022, j’ai défendu une proposition de loi visant à assouplir les conditions d’expulsion des étrangers constituant une menace grave pour l’ordre public. Il a été clairement établi que ces protections posent des problèmes, puisqu’elles nous empêchent d’expulser les gens.

À l’article L631-2 du Cesda, nous proposons d’ajouter un 5° ainsi rédigé : « 5° Les 2°, 3° et 4° du présent article ne sont pas applicables à Mayotte ».

M. Olivier Serva, rapporteur. Votre amendement est en grande partie satisfait par l’article 9, qui permet d’ores et déjà de lever des obstacles à l’expulsion des étrangers protégés dans certaines situations. Je vous invite donc à le retirer.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis puisque l’article 9 s’applique évidemment à Mayotte. Peut-être pourriez-vous retirer votre amendement et redéposer uniquement la troisième partie, relative au dispositif de reconduite d’office des pêcheurs illégaux, lequel n’est pas concerné par la levée des réserves d’ordre public ; le cas échéant, j’y donnerais un avis favorable en séance.

L’amendement est retiré.

Amendement CL729 de M. Mansour Kamardine

M. Mansour Kamardine (LR). Cet amendement vise à élargir les possibilités d’expulsion des étrangers qui constituent une menace pour l’ordre public.

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est de cet amendement que je voulais parler dans mon intervention précédente.

M. Mansour Kamardine (LR). Je veux bien le retravailler, à condition que l’on puisse s’attaquer aux complices et aux réseaux.

L’amendement est retiré.

Amendement CL757 de M. Mansour Kamardine

M. Mansour Kamardine (LR). Cet amendement vise à renforcer les sanctions relatives à l’entrée et au maintien des immigrés clandestins, ainsi qu’à l’encontre des personnes qui appuient l’immigration irrégulière, en particulier à Mayotte. Chaque jour, entre 150 et 200 migrants y posent le pied.

M. Olivier Serva, rapporteur. Avis de sagesse.

M. Gérald Darmanin, ministre. Vous proposez de doubler les peines sanctionnant le délit de séjour irrégulier – qui a depuis été supprimé –, d’augmenter les peines sanctionnant les mariages frauduleux et d’adapter les dispositions relatives à la vérification de l’authenticité des actes. Je vous invite à retravailler votre amendement. Je suis favorable au rétablissement du délit de séjour irrégulier à Mayotte, à condition que vous retiriez les dispositions concernant les peines de prison, qui se heurteraient à nos principes constitutionnels et à nos engagements conventionnels. On peut garder l’amende, non pas tant pour l’appliquer que pour donner à Mayotte les moyens de lutter contre l’immigration illégale. Je vous propose que l’on retravaille cet amendement avec les rapporteurs, en conservant les deuxième et troisième points.

M. Mansour Kamardine (LR). Notre prison est occupée à 250 % de ses capacités. Pour 80 % d’entre eux, les détenus purgent de longues peines. L’objet de l’amendement n’est donc pas tant d’envoyer les gens en prison que de trouver des moyens efficaces de lutte contre l’immigration clandestine.

L’amendement est retiré.

Amendement CL1388 de M. Mansour Kamardine

M. Mansour Kamardine (LR). Compte tenu des propos du ministre, je retire cet amendement, qui vise à rétablir le délit de séjour irrégulier à Mayotte.

L’amendement est retiré.

Amendement CL823 de M. Mansour Kamardine

M. Mansour Kamardine (LR). Cet amendement demande au Gouvernement un rapport sur les moyens d’accroître l’efficience de la lutte contre l’immigration irrégulière à Mayotte, notamment par un renforcement de l’architecture de l’administration déconcentrée de l’État. On pourrait, en particulier, envisager l’institution d’un préfet délégué. Plusieurs services sont chargés de la lutte contre l’immigration clandestine : la gendarmerie, la police, les services de la préfecture, sous l’autorité du secrétaire général, et le sous-préfet chargé de cette action. On pourrait placer l’ensemble de ces personnes sous une autorité commune, dépendant du préfet.

M. Olivier Serva, rapporteur. Indéniablement, Mayotte manque de moyens pour lutter contre l’immigration irrégulière. Ce rapport apporterait un éclairage utile. Avis favorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Favorable.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Comme toutes les études le montrent, l’augmentation des peines n’entraîne pas une diminution des actes délictuels. Par ailleurs, monsieur le ministre, vous avez affirmé qu’on allait instituer une amende à Mayotte « non pas tant pour l’appliquer que pour donner à Mayotte les moyens de lutter contre l’immigration illégale ». J’avoue être un peu surpris par votre formulation. Il est vrai qu’on aura du mal à faire payer une amende de 7 500 euros à des étrangers en situation irrégulière.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je vous invite à vous rendre à Mayotte : vous verrez ce qu’est l’immigration irrégulière.

La commission adopte l’amendement. L’article 26 septies est ainsi rédigé.

Amendement CL581 de M. Andy Kerbrat

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Nous demandons un rapport sur le contentieux de masse créé devant les tribunaux administratifs, notamment du fait de l’augmentation des OQTF, qui présentent pourtant un faible taux d’exécution.

M. Olivier Serva, rapporteur. Le seul rapport auquel je donnerai un avis favorable est celui que propose M. Portes dans l’amendement CL600, qui concerne les conditions d’accueil en outre-mer. Cette étude permettra de déterminer, par exemple, s’il faut des Cada (centres d’accueil pour demandeurs d’asile) ou davantage de Guda (guichets uniques de demande d’asile).

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL836 de M. Andy Kerbrat

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Cet amendement demande la remise d’un rapport sur les services de santé dans les CRA (centres de rétention administrative), qui devra notamment évaluer l’opportunité d’instaurer des contrôles sanitaires. Nous avons tous constaté, à l’occasion de visites dans ces centres, l’existence de difficultés sanitaires. Les personnes retenues comme les policiers dénoncent les conditions de rétention et les violences commises en ces lieux.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement CL173 de M. Éric Pauget.

Amendement CL592 de Mme Élisa Martin

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Nous demandons au Gouvernement la remise d’un rapport afin d’objectiver les raisons pour lesquelles l’Ofii refuse ou limite l’attribution des conditions matérielles d’accueil.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendement CL600 de M. Thomas Portes

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Cet amendement demande la remise d’un rapport sur les conditions d’accueil dans les outre-mer.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement. L’article 26 octies est ainsi rédigé.

Amendement CL588 de Mme Danièle Obono

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Nous demandons au Gouvernement la remise d’un rapport sur le coût humain et financier de l’enfermement tous azimuts en rétention administrative. Cinq associations de défense des droits humains ont relevé qu’en 2022, nos 25 CRA ont enfermé 15 922 personnes, dont moins de la moitié ont fait l’objet d’une mesure d’éloignement : c’est dire l’échec de cette politique. Or, le coût d’une rétention administrative est évalué entre 1 000 et 4 000 euros.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendement CL735 de Mme Raquel Garrido

Mme Danièle Obono (LFI-NUPES). Il s’agit d’une demande de rapport sur l’institution d’un dispositif d’information sociale au sein des préfectures concernant notamment le droit du travail. En effet, un certain nombre d’étrangers et d’étrangères sont l’objet d’une exploitation et voient leurs droits remis en cause par des employeurs peu scrupuleux. Ces personnes doivent pouvoir trouver les informations nécessaires en préfecture.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendement CL1453 de M. Aurélien Taché

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Nous voilà parvenus au terme d’une semaine d’examen du texte au cours de laquelle, monsieur le ministre, madame, messieurs les rapporteurs, vous avez cédé en rase campagne aux thèmes et aux termes de la droite radicalisée au Sénat, qui, elle-même, court après l’extrême droite. Hier, en fin de journée, des nazillons ont manifesté en criant des slogans contre les étrangers, réels ou supposés. Dans ce contexte, nous avons une grande responsabilité, qui est de ne pas entretenir un racisme d’atmosphère qui s’empare de notre pays, dans le cadre d’un débat public imprégné par les idées et les mots de l’extrême droite. Nous continuerons à combattre ce texte, quelle qu’en soit la version, car il participe d’une analyse qui donne le point à l’extrême droite sur sa vision complotiste de la submersion migratoire, au lieu de construire, comme nous l’appelons de nos vœux, une véritable politique de l’inclusion et de la fraternité.

M. Olivier Serva, rapporteur. Avis défavorable sur votre amendement.

M. Gérald Darmanin, ministre. Comme vous, j’ai été scandalisé par cette manifestation de l’ultradroite que le préfet de police, sur mon instruction, avait interdite – ce qu’il aurait été honnête de rappeler – et que la justice a autorisée.

La commission rejette l’amendement.

La commission adopte l’ensemble du projet de loi modifié.

*

*    *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration (n° 1855) (M. Florent Boudié, rapporteur général ; Mme Elodie Jacquier-Laforge, M. Ludovic Mendes, M. Philippe Pradal, M. Olivier Serva, rapporteurs) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.


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   Travaux de la commission des Affaires étrangères

Lors de ses réunions des mardi 21 et mercredi 22 novembre 2023, la commission procède à l’examen pour avis, ouvert à la presse, et au vote des articles 1er A, 1er BB, 4, 14 A, 14, 18, 18 bis, 19, 19 bis C et 20 du projet de loi, adopté par le Sénat, pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration (n° 1855) (M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis).

Réunion du mardi 21 novembre 2023 à 21 heures 30

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M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous procédons ce soir à la discussion générale sur le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, adopté en première lecture par le Sénat il y a exactement une semaine. Croyez bien que les circonstances exceptionnelles et contraintes dans lesquelles nous procédons à cet examen sont indépendantes de ma volonté. Elles se trouvent dictées par la nécessité, pour notre commission, d’achever ses travaux avant que ne débutent ceux de la commission des lois lundi prochain.

Composé initialement de vingt-sept articles, le projet de loi en comprend quatre‑vingt-dix-huit à l’issue de son examen par le Sénat. Il traite de nombreux sujets distincts, notamment la maîtrise des voies d’accès au séjour et la lutte contre l’immigration irrégulière – titre Ier A –, l’intégration des étrangers par le travail et la langue – titre Ier –, l’amélioration du dispositif d’éloignement des étrangers représentant une menace grave pour l’ordre public et la mise en œuvre des décisions d’éloignement – titres II et II bis –, la sanction de l’exploitation des migrants et le contrôle approfondi des frontières – titre III –, la réforme du droit d’asile, avec la création de pôles territoriaux « France asile » qui offriront aux demandeurs un parcours administratif simplifié et la réorganisation de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – titre IV –, et enfin la simplification des règles du contentieux relatif à l’entrée, au séjour et à l’éloignement des étrangers, suivant en cela les propositions formulées par le Conseil d’État – titre V.

La commission des affaires étrangères, dans les avis qu’elle a rendus sur les précédents projets de loi relatifs à l’immigration et l’asile, a toujours privilégié des saisines ciblées. Ainsi, conformément au champ de nos compétences prévues à l’article 36 du règlement de notre Assemblée, nous nous prononcerons sur les articles suivants : l’article 1er A, qui prévoit la tenue au Parlement d’un débat annuel à l’occasion duquel sera déterminé pour trois ans le nombre de personnes admises à séjourner sur le territoire par catégorie de titres ; l’article 1er BB, qui prévoit la remise au Parlement d’un rapport étudiant la possibilité de mettre en place des visas francophones « travailleur » et « entrepreneur » ; l’article 4, qui devait instaurer un dispositif d’accès au marché du travail sans délai pour les demandeurs d’asile les plus susceptibles d’obtenir une protection internationale en France, et que le Sénat a supprimé ; l’article 14 A, qui corrèle la lutte contre l’immigration irrégulière aux objectifs de l’aide publique au développement (APD) fixés par la loi de programmation du 4 août 2021 et permet de restreindre la délivrance de visas de long séjour aux ressortissants des États peu coopératifs en matière migratoire ; l’article 14, qui sanctionne plus durement les passeurs, pour mettre un terme aux drames liés aux tentatives de traversée par voie maritime ; les articles 18 et 18 bis, qui visent notamment à mieux tenir compte des infractions à la législation sur l’entrée et le séjour des étrangers en France s’agissant de la délivrance des visas ; l’article 19, qui crée les pôles territoriaux « France asile » pour offrir aux demandeurs d’asile un parcours administratif simplifié ; l’article 19 bis C, qui retouche les possibilités de réunification familiale pour les proches des réfugiés admis en France au titre de l’asile ; enfin, l’article 20, qui réforme la CNDA afin d’adapter son organisation à l’ampleur du contentieux et de renforcer son efficacité.

Comme vous le constatez, nous avons fait une sélection assez large, ce qui permet d’embrasser tout le champ de la politique d’immigration entrant dans la compétence de la commission des affaires étrangères.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Je me réjouis que la commission des affaires étrangères se soit saisie pour avis du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration. Les migrations sont un sujet de politique étrangère, si l’on veut comprendre leurs causes profondes – géopolitiques, économiques, climatiques – et les raisons de leur amplification récente, dans le but de formuler des réponses. Dans beaucoup de nos démocraties, l’immigration est devenue symptomatique d’un sentiment de perte de contrôle et d’impuissance des politiques publiques face aux grandes transformations du monde.

Sur la question migratoire, le repli nationaliste et la fermeture des frontières sont une illusion. Les exemples qui nous entourent, de l’Italie au Royaume-Uni, le montrent amplement. L’immigration est au cœur de l’articulation de nos souverainetés nationales et de la coopération européenne. La révolution du pacte européen sur la migration et l’asile, dans l’élaboration duquel la France a joué un rôle pilote, permettra notamment de mieux contrôler nos frontières extérieures, grâce au renforcement de Frontex – l’Agence européenne de garde‑frontières et de garde-côtes – et au premier examen des demandes d’asile à la frontière, grâce à la solidarité entre États membres pour aider les pays d’arrivée tels que l’Italie et grâce à la coopération avec les pays de départ et de transit, notamment par le biais de la politique d’aide au développement.

Une Europe politique qui s’assume doit être capable d’assurer sa sécurité, de défendre ses intérêts commerciaux et technologiques, de promouvoir ses normes dans le domaine environnemental ou numérique et, aussi, de maîtriser ses frontières. Tel est le sens de l’action de la France depuis dix ans. Le débat que nous aurons au cours des prochaines semaines s’inscrit dans ce contexte.

Le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration est le fruit d’un engagement fort du ministre de l’intérieur et des outre-mer, Gérald Darmanin. Au Sénat, le texte a été modifié et étoffé. Je remercie les sénateurs de leur travail : on nous prédisait des blocages et des postures, nous avons au contraire assisté à un travail constructif. J’espère que, toutes différences et tous désaccords assumés, l’Assemblée nationale s’engagera dans ce débat avec le même esprit.

Le projet de loi repose sur trois grands principes : la simplification des procédures, avec notamment la réduction du nombre de recours administratifs en cas de décision d’expulsion et la réforme du fonctionnement de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et de la CNDA ; le renforcement de l’intégration par le travail et la langue ; enfin, la fermeté, avec le rétablissement des critères de double peine, ce qui permettra d’expulser 4 000 étrangers délinquants présents sur notre sol.

Notre pays est accueillant pour ceux qui y viennent pour travailler et s’intégrer ; il doit être d’une fermeté absolue avec ceux qui ne respectent pas nos règles et n’ont pas vocation à rester sur notre territoire. Disons-le clairement : les Français ne comprennent pas que nous ne parvenions pas à expulser des délinquants multirécidivistes faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF).

Notre objectif est simple : être aussi efficaces que possible pour maîtriser l’immigration dans le respect de nos valeurs, de nos principes républicains et de notre histoire. La France est fière d’être un pays d’immigration ancienne, riche de ce que cette dernière lui a apporté. Face à l’accélération des flux migratoires en Europe, il est nécessaire de préparer notre pays aux défis qui l’attendent et de lui permettre d’assurer la maîtrise de ses frontières.

Celui qui le dit est le petit-fils d’Isaac, devenu Jacques, et de Nasria, devenue Roselyne, accueillis en France il y a soixante ans, comme tant d’autres, parce qu’ils fuyaient l’antisémitisme. La France leur a tout donné ; ils le lui ont bien rendu en s’assimilant par la langue française et par le travail, et en respectant ses traditions, son histoire et ses lois. Je ne serais pas devant vous aujourd’hui si la France n’avait pas été généreuse et ouverte avec ceux qui avaient besoin d’un refuge et si les générations qui m’ont précédé n’avaient pas travaillé dur pour être à la hauteur de cette générosité. C’est animé de cette double gratitude et de cette double dette que j’aborde les débats.

Les articles dont nous sommes saisis concernent au premier plan notre politique étrangère et notre diplomatie. L’article 1er A introduit par les sénateurs prévoit l’organisation d’un débat au Parlement sur les orientations pluriannuelles de notre politique d’immigration et d’intégration, accompagné d’un rapport. Je ne peux que me réjouir d’une amélioration de l’information de la représentation nationale, que je proposerai de compléter d’une information sur la dimension externe des migrations et leurs causes structurelles.

Le Sénat a également souhaité que le Parlement détermine par quotas le nombre d’étrangers admis à s’installer durablement en France. Sur le principe, ce débat est légitime et intéressant mais il soulève de vraies questions constitutionnelles, notamment d’égalité devant le droit. Je proposerai donc de remplacer ces quotas par la présentation d’objectifs chiffrés pluriannuels par le Gouvernement. Chaque année, le Gouvernement présentera devant la représentation nationale ses résultats et justifiera les écarts avec les objectifs prévus, au bénéfice de la transparence et de la démocratie.

S’agissant du renforcement de la fermeté envers ceux qui ne se conforment pas aux règles de la République, je me réjouis de l’allongement à cinq ans de la durée d’interdiction de retour dont le préfet peut assortir une OQTF, prévu à l’article 18 introduit par le Sénat.

L’article 18 bis, dont les dispositions figuraient à l’article 18 du texte initial, réécrit par le Sénat, instaure un motif de refus de visa opposable si l’étranger concerné ne peut pas démontrer avoir respecté les modalités d’exécution d’une OQTF prononcée depuis moins de cinq ans. Cette disposition est essentielle. Il ressort à notre souveraineté nationale d’accorder ou non une autorisation de visa et nous devons nous rendre à l’évidence : les étrangers en situation irrégulière sur le territoire national, qui ne respectent pas les obligations de quitter le territoire dont ils ont fait l’objet, ne doivent pas disposer du même droit au visa que les autres.

La fermeté s’exerce aussi envers les passeurs, qui sont des criminels, des entrepreneurs de la mort et du désespoir, dont l’activité finance le trafic de drogue, le terrorisme et la prostitution. Alors qu’ils ne peuvent à l’heure actuelle être poursuivis que pour des délits, le texte permet de renforcer considérablement notre réponse pénale et de l’aligner sur celle de nos voisins européens.

Les articles 19 et 20 visent à simplifier la procédure d’asile. La création des pôles territoriaux « France asile » et la présence d’agents de l’OFPRA en leur sein permettront d’améliorer les délais de procédure sans affecter les garanties offertes aux demandeurs d’asile. L’expérimentation prévue par le Sénat ne me semble pas nécessaire, dans la mesure où nos services sont prêts à entamer cette transformation dès à présent, progressivement, comme l’ont confirmé les responsables de l’OFPRA que j’ai auditionnés la semaine dernière.

La territorialisation de la CNDA et le recours au juge unique amélioreront le fonctionnement de la justice de proximité. Depuis 2018, nous avons réduit de moitié les délais de la CNDA, qui sont passés d’un an à cinq mois. Notre objectif est clair : offrir des réponses de proximité et aller plus vite, à taux de protection inchangé. Il y va de l’effectivité de ce droit fondamental qu’est l’asile, afin que ceux qui doivent en bénéficier y accèdent et s’intègrent rapidement et que ceux qui n’en remplissent pas les conditions quittent le territoire.

L’article 14 A instaure des mesures nécessaires à notre diplomatie. Car, si la délivrance des visas est, certes, un outil de gestion et de restriction des flux, elle est aussi un levier de politique étrangère. Il n’y a aucune raison pour que les États qui ne reprennent pas leurs ressortissants expulsés bénéficient du même traitement que les États coopératifs. Les Français ne comprennent pas qu’il en aille autrement.

Cet outil a déjà été utilisé par l’Exécutif avec les pays d’Afrique du Nord. Cette politique a porté ses fruits l’an dernier, le nombre de laissez-passer consulaires délivrés ayant sensiblement augmenté. Je proposerai de conserver le dispositif en ciblant plus spécifiquement les personnes concernées par cette politique de restriction, notamment en excluant les visas étudiants. Ces derniers sont essentiels pour l’attractivité de nos universités et de notre territoire ; tel est l’objectif du plan « Bienvenue en France » lancé par le président de la République.

Par ailleurs, je crois en la nécessité de viser et de pénaliser les États, les décideurs, et non les populations. Je proposerai donc de renforcer la proposition du Sénat en incluant dans le dispositif les visas sollicités par les titulaires de passeports diplomatiques ou de service.

Le Sénat a ajouté au texte la modulation de l’aide au développement vis-à-vis des États non coopératifs en matière migratoire et la prise en compte de leur degré de coopération dans les dotations de l’Agence française de développement (AFD). La politique de développement est un outil de nos politiques publiques extérieures. Elle doit donc s’inscrire aussi dans la défense de nos intérêts, de notre influence et de nos objectifs diplomatiques. Je ne suis pas opposé à la conditionnalité de l’aide au développement, à condition encore une fois de cibler les États et leurs responsables, et non les populations et la société civile. Je proposerai donc d’amender la disposition adoptée par le Sénat pour ne pas pénaliser des projets de développement multi-annuels bénéficiant directement aux populations.

L’immigration est un sujet passionné, passionnel, intime pour beaucoup. J’espère que nous aurons des débats constructifs, à la hauteur de ceux de la chambre haute. Je crois en notre capacité de travailler ensemble et d’assumer des désaccords mais aussi de trouver des convergences et des compromis.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Hadrien Ghomi (RE). Cinq ans après l’adoption de la dernière et seule loi du quinquennat précédent en matière d’immigration et d’asile, le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration est un texte très attendu par nos concitoyens.

Dans un environnement international pesant sur les flux migratoires, qui sont alimentés par les évolutions démographiques, par l’instabilité de plusieurs États et par les déplacements de populations provoqués par le changement climatique, il est impératif d’agir. La question de l’immigration constitue un enjeu géopolitique majeur, corrélé à notre politique étrangère par le biais de la coopération avec les pays de départ et de transit mais aussi par les réponses apportées aux causes profondes des migrations que sont les guerres, la pauvreté et le dérèglement climatique.

Les Français attendent des résultats sur un certain nombre de sujets entrant dans le champ des attributions de la commission des affaires étrangères, comme l’asile, les visas, la lutte contre les réseaux internationaux de passeurs et la définition de quotas d’étrangers admis au séjour en France. Face aux transformations du monde, l’immigration devient un totem politique conduisant, par son instrumentalisation, à la tentation d’un repli nationaliste ou d’une fermeture totale de nos frontières. Ces solutions qui n’en sont pas, dès lors qu’elles sont impossibles à mettre en œuvre, sont une illusion, comme le démontre l’exemple de nos voisins européens.

L’immigration est un enjeu au cœur de l’articulation de notre souveraineté nationale et de la coopération européenne. Ni catastrophisme, ni angélisme : face à l’accélération des flux migratoires en Europe, il est nécessaire de préparer notre pays, de façon pragmatique et non passionnée, aux défis qui l’attendent, afin que nous assurions la maîtrise de nos frontières.

Le projet de loi répond à cet enjeu par le biais d’une fermeté assumée face à l’immigration clandestine, tout en facilitant l’intégration, par la langue et le travail, des étrangers vivant sur notre sol. Il doit être perçu non comme une couche supplémentaire de sédimentation législative mais comme un outil indispensable, porteur de transformations fortes pour les acteurs de la politique publique de l’immigration, de l’asile et de l’intégration, ainsi que pour les étrangers.

Les réseaux de passeurs sont un véritable fléau, que nous devons combattre avec une efficacité accrue. L’article 14 le permet en partie. Monsieur le rapporteur, pouvez-vous donner des précisions à ce sujet ?

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. L’objectif de l’article 14 est de criminaliser les réseaux de passeurs, ce qui renforce notre réponse pénale. Comme l’ont montré les auditions, pour un même réseau commettant les mêmes crimes à travers l’Europe, la réponse pénale de certains de nos voisins, notamment la Belgique et l’Allemagne, est deux voire trois fois supérieure à la nôtre en matière de quantum de peine. Il s’agit de nous aligner sur eux.

Nous devrons même aller plus loin, dans le cadre d’un travail à mener tant à l’échelle européenne qu’au sein de notre commission. Certains de nos voisins en effet – en particulier l’Allemagne –, ne disposent pas dans leur droit d’une définition aussi stricte et aussi large que la nôtre de l’association de malfaiteurs. Je pense, par exemple, au cas de bateaux utilisés pour embarquer des migrants dans le Nord de la France et entreposés en Allemagne : s’ils l’étaient en France, nous pourrions facilement les saisir au motif qu’ils sont utilisés par des réseaux de passeurs, ce que la législation allemande ne permet pas.

À l’échelle nationale, nous devons opter pour la criminalisation de ces réseaux. Ces gens se livrent au trafic d’êtres humains. Ils sont liés à des réseaux de terrorisme, de drogue et de prostitution. À l’échelle européenne, nous devons accentuer nos efforts pour renforcer et harmoniser les législations, afin d’être aussi efficaces que possible en Europe et au-delà de nos frontières, notamment vis-à-vis des pays d’Afrique du Nord.

M. Sébastien Chenu (RN). L’absence de maîtrise de l’immigration depuis des décennies a eu pour effet de rendre impossible l’assimilation de trop nombreux étrangers présents sur le sol national. Elle a conduit, nous le voyons, au communautarisme et au séparatisme. De plus en plus de personnes résidant en France ne veulent pas vivre selon les mœurs françaises, ne reconnaissent pas la loi française et, trop souvent, veulent imposer leur mode de vie à leurs voisins, à l’école, au travail, dans les services publics et dans l’espace public en général.

L’immigration ne peut pas rester incontrôlée, faute de quoi la France renoncera à sa souveraineté et les Français seront contraints d’accepter ce qu’ils ne veulent pas : cohabiter avec des populations qui entendent demeurer étrangères en France. Toutes ne sont pas dans ce cas mais trop le sont.

En 2022, d’après l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), 10,3 % de notre population était étrangère et plus de 900 000 clandestins étaient présents sur notre sol. Ces chiffres sont en constante augmentation. Dans de telles proportions, il ne s’agit plus d’accueillir des individus mais des peuples. Or, si l’on peut intégrer et assimiler des individus, il n’est pas concevable d’assimiler des peuples entiers à notre République.

À force de répéter à l’envi notre attachement aux valeurs républicaines, nous avons oublié de rappeler notre histoire. Dès l’époque gauloise, les étrangers s’étonnaient que les femmes, dans notre pays, eussent plus de pouvoir que dans le monde gréco-romain. Ici, la religion se soumet aux impératifs de l’État dès 1302, lorsque les États-généraux, ancêtre de l’Assemblée nationale, affirment la volonté singulière de donner à la France la priorité sur le pouvoir des religieux. Ici, la laïcité garantit aux croyants et aux non-croyants le même droit à la liberté d’expression de leurs croyances et de leurs convictions. Nous sommes libres de croire, de ne pas croire, de changer de religion et de les critiquer.

Dans notre pays, une femme s’habille comme elle le souhaite. Elle est l’égal de l’homme. Elle doit toujours donner son consentement explicite avant une quelconque relation. En France, deux hommes ou deux femmes peuvent s’embrasser dans la rue et se marier : l’État est là pour condamner quiconque les insulte, les menace ou les agresse de ce fait.

Ici, nous avons le droit de ne pas être d’accord avec les opinions des autres. Nous privilégions toujours le dialogue sur la violence. Nous n’acceptons pas que plus de 120 attaques au couteau aient lieu chaque jour dans notre pays. À l’école, nous enseignons toutes les pages de notre histoire et un enseignant est libre de parler de religion sans craindre pour sa vie.

Depuis le décret de 1976 autorisant le regroupement familial, le cadre juridique permettant une immigration légale n’a cessé d’être de plus en plus favorable à une immigration incontrôlée. L’immigration à un seul intérêt : accueillir Léonard de Vinci ou Pablo Picasso, ce qui, de nos jours, est assez marginal au quotidien, convenons-en.

Mes chers collègues, je le dis avec gravité : si nous n’examinons pas le texte qui nous est soumis avec toute la responsabilité et l’exigence qui doivent guider nos choix, il y aura toujours un Hexagone dans cinquante ans mais il n’y aura probablement plus la France. On ne peut pas, dans un même texte, assouplir et durcir. Monsieur le rapporteur, comment comptez‑vous sortir de cet oxymore ?

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Puisque nous sommes à la commission des affaires étrangères, nous pouvons suivre Talleyrand et considérer que tout ce qui est excessif est insignifiant…

Après vous avoir écouté, je m’étonne, monsieur Chenu, de l’opposition au pacte européen sur la migration et l’asile des députés du Rassemblement national au Parlement européen, alors même que ce pacte permet de renforcer le contrôle de nos frontières avec Frontex, de traiter enfin les demandes d’asiles dans des hubs internationaux aux frontières et de renforcer la conditionnalité des instruments de l’aide au développement vis-à-vis des pays de départ et de transit.

Je m’étonne aussi de votre opposition au projet de loi dont nous débattons, qui est le plus ferme depuis plusieurs décennies. Il prévoit notamment de réintroduire les critères de double peine, supprimés par la droite il y a quelques années. Il permettra d’expulser jusqu’à 4 000 délinquants étrangers. Il introduit des critères d’apprentissage de la langue, sanctionnés par des examens, pour les étrangers demandeurs d’un titre de séjour. Telles sont quelques‑unes des avancées concrètes du texte.

Si vous abandonnez la posture et cherchez des solutions, vous le soutiendrez, comme vous devriez soutenir le pacte sur la migration et l’asile au Parlement européen. Mais tel n’est pas votre objectif. Le nôtre est de trouver des solutions concrètes, pragmatiques et efficaces ; le vôtre est de vous y opposer pour continuer à faire prospérer la misère et en bénéficier politiquement.

Mme Nadège Abomangoli (LFI-NUPES). Cela fait des mois, voire des années, que les propos les plus indignes sont répétés sur les plateaux et dans l’hémicycle. Les immigrés et leurs enfants, français ou non, les exilés sont considérés comme la cause de tous les maux. Les musulmans sont désignés comme des ennemis de l’intérieur. Le racisme anti-arabe bat son plein. L’extrême-droitisation est en marche ! Chaque jour, nous assistons à des ratonnades médiatiques et politiques menées par la droite extrême et l’extrême-droite.

Les pires dérives sont permises par cet énième projet de loi Darmanin sur l’immigration. Le Sénat s’est bien illustré en supprimant l’aide médicale de l’État (AME), suppression à laquelle le corps médical est opposé : plutôt le racisme que l’efficacité sanitaire ! Face à ces surenchères de la droite, inspirées par le Rassemblement national, le Gouvernement a laissé faire en donnant des avis de sagesse. C’est plutôt de la déraison ! Les étrangers et les exilés seraient des fraudeurs sociaux en puissance, des menaces pour l’ordre public, des citoyens de seconde zone en sursis permanent !

L’immigration n’est jamais traitée au fond. Votre but est de fixer arbitrairement des quotas et d’expédier les décisions administratives et judiciaires. Le projet de loi combine politique du chiffre et fantasmes de submersion migratoire, sans aucune vision sociale. Dans cette optique utilitariste, les étrangers ne sont qu’une main-d’œuvre à la merci des patrons, que l’on peut renvoyer sans tenir compte de leur parcours de vie.

Dans le même temps, l’État refuse d’aborder la question des moyens, notamment ceux de l’OFPRA et de la CNDA, où les interprètes manquent en nombre. Les délais en préfecture sont interminables. À l’étranger, les demandes de visas alimentent désormais une économie parallèle.

La majorité et les droites refusent de comprendre les mouvements de population à l’échelle mondiale. Non, l’Europe n’est pas le réceptacle mondial de l’immigration ! Celle-ci se concentre avant tout en Afrique et en Asie. Son volume en Allemagne est deux fois supérieur à ce qu’il est en France. Par conséquent, conditionner l’APD à la coopération migratoire est un non-sens dramatique, qui ne fera qu’augmenter le nombre d’exilés.

Enfin, l’urgence climatique et les inégalités économiques à l’échelle mondiale sont complètement absentes du texte, qui ne traite pas les causes de l’immigration. Le constat est pourtant simple : dans trente ans, il y aura un milliard de réfugiés climatiques. Nous défendrons des amendements sur cette question. À nos yeux, la France, en raison de son passé colonial, a une responsabilité à l’égard du monde. Nous combattrons le texte, parce qu’il tourne le dos à notre inéluctable avenir en commun : la créolisation.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Les imprécisions sont nombreuses dans vos propos, au point que je me demande si vous avez lu le texte.

Je laisse de côté les articles que vous avez évoqués ne figurant pas dans le champ de notre saisine. Vous avez mentionné les patrons. Le projet de loi présenté par le Gouvernement renforce les sanctions contre les employeurs de travailleurs clandestins et offre à ces derniers, s’ils satisfont à certains critères définis dans le texte, de demander eux-mêmes leur régularisation, indépendamment de leur patron. Par ailleurs, il interdit aux travailleurs clandestins de se déclarer autoentrepreneurs, ce qui est un outil d’exploitation utilisé par les plateformes de livraison, comme l’ont démontré les travaux de la commission d’enquête relative aux révélations des Uber Files et à l’ubérisation, son lobbying et ses conséquences.

Sur l’AME, le ministre de l’intérieur et des outre‑mer a été très clair : le Gouvernement y est opposé. Par ailleurs, son insertion dans le texte constitue un cavalier législatif.

Si les causes profondes des migrations – géopolitiques et environnementales – sont absentes du texte, c’est parce que sa visée est essentiellement de politique intérieure. Elles sont traitées par le biais de l’APD et relèvent aussi de l’échelon européen, ainsi que de l’action internationale de la France menée par le président de la République.

Quant au délai moyen de délivrance des titres en préfecture, il est certes trop long mais la simplification des procédures – notamment la réduction du nombre de recours – prévue par le texte a précisément pour objet de les raccourcir. Il s’agit de simplifier la vie de ceux qui viennent travailler et s’intégrer et qui respectent les règles, et d’être plus fermes et plus efficaces avec les autres.

M. Meyer Habib (LR). Enfin, après plusieurs mois de débats, de tergiversations et reports, notre Assemblée se penche sur le texte relatif à l’immigration. Notre pays n’a jamais délivré autant de titres de séjour qu’en 2022, avec plus de 320 000 primo-délivrances. Les franchissements irréguliers aux frontières extérieures de l’Union européenne ont augmenté de 18 % sur les dix premiers mois de l’année 2023 par rapport à 2022. On dénombre 700 000 immigrés en situation irrégulière sur notre sol, peut-être même 900 000 d’après certains experts. De 2,5 millions, nous sommes passés à 5 millions d’étrangers en France en dix ans, dont 16 % de demandeurs d’emploi.

Notre commission est saisie de dix articles du projet de loi, qui en compte quatre‑vingt-dix-huit après son examen au Sénat. Je tiens à saluer le travail remarquable des sénateurs, qui ont enrichi, renforcé et amélioré le texte. Hélas, il sera détricoté par la majorité, écartelée dans le supplice du « en même temps ».

Cette loi relative à l’immigration est la trentième en cinquante ans, ce qui est la preuve de notre impuissance. Affadir le texte reviendrait à adopter une nouvelle loi pour rien. Pour le groupe Les Républicains, le constat est simple : l’application du « en même temps » à l’immigration, comme d’ailleurs à la politique étrangère, ne fonctionne pas. J’alerte la majorité relative : si la loi est tiède, elle sera totalement inefficace et nous ne la voterons pas.

Le projet de loi initial manquait d’ambition : rien sur les quotas, rien sur le regroupement familial, rien sur la procédure applicable aux étrangers malades, rien sur la restriction des visas. Notre commission doit en priorité formuler des solutions en matière d’expulsion des étrangers en situation irrégulière, notamment les plus dangereux.

C’est une faille diplomatique béante qu’il faut corriger, un dysfonctionnement abyssal qui incite des centaines de milliers de clandestins à se draper dans l’impunité la plus complète, persuadés de ne jamais être expulsés. Sans l’accord du pays d’origine, un étranger irrégulier ou dangereux est impossible à expulser. Ce chantage migratoire insupportable, la France doit en briser les chaînes. Stop à la servitude migratoire !

Régulièrement, certains pays, notamment nos amis du Maghreb, humilient la France en refusant de délivrer des laissez-passer consulaires pour des prédicateurs de haine ou des criminels fichés S. L’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 doit être abrogé. Comment vouloir accorder un traitement particulier à un pays qui ne cesse d’humilier la France ? Chers collègues de la majorité, accepterez-vous de rompre les chaînes de la servitude avec ce régime ?

Osons le rapport de force ! Les leviers sont nombreux, notamment les visas et l’aide au développement. Cessons d’être le paillasson de régimes qui jouent avec notre sécurité. À peine plus d’un laissez-passer consulaire sur deux a été délivré dans un délai utile par les autorités consulaires en 2021, ce qui est absolument inacceptable.

La majorité sénatoriale a heureusement durci le texte. Au nom du groupe Les Républicains, je rappelle notre attachement à ces avancées, qui sont pour nous de véritables lignes rouges. Je constate qu’elles sont remises en cause par la majorité relative. Par ailleurs, nous sommes favorables à une modification de la Constitution, qui nous semble fondamentale.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. La réponse à votre question interviendra au cours des trois semaines à venir : ce seront les débats eux-mêmes qui vous apporteront des éléments de réponse. Ne faites pas de procès d’intention à la majorité : j’ai salué le travail des sénateurs et, comme pour tout travail parlementaire, il y aura des désaccords avec eux mais aussi des compromis et des négociations. Le Sénat est à l’origine de plusieurs avancées, s’agissant par exemple des visas et de l’aide au développement modulés en contrepartie des laissez-passer consulaires. Ce sont des outils que la France a déjà utilisés ces dernières années et nous pouvons y travailler, même s’ils n’étaient pas dans le projet de loi initial, afin de les rendre le plus efficaces et ciblés possible pour produire un effet positif sur les gouvernements sans effet négatif sur les populations.

D’autres sujets que vous avez abordés relèvent plus de la politique européenne ou de l’Exécutif mais, pour ce qui est du travail législatif, il sera mené sur la base du texte du Sénat et avec les oppositions républicaines.

Mme Maud Gatel (Dem). Au nom du groupe Démocrate, j’adresse nos remerciements au rapporteur qui, en un temps contraint, a embrassé l’ensemble de ce projet de loi qui se trouve au carrefour des sujets sur lesquels notre commission travaille. Le texte arrivant du Sénat a été complexifié, avec un nombre d’articles multiplié par quatre. Notre groupe sera soucieux de revenir à l’équilibre initial : l’amélioration de l’intégration par la langue et par le travail – article 4 – et le renforcement de la lutte contre l’immigration irrégulière – articles 14 et 18.

Nos politiques migratoires doivent retrouver de l’efficacité, laquelle est aussi un gage d’humanité. Il est en effet très difficile pour les personnes qui n’ont pas vocation à rester sur notre territoire de repartir après des délais beaucoup trop longs. Nous devons simplifier, améliorer et renforcer nos politiques en la matière.

Face à l’accélération des flux migratoires, les leviers de la politique des visas et de l’aide publique au développement sont à manier avec précaution. Ils ne peuvent pas être utilisés aux dépens des populations. C’est pourquoi nous soutiendrons l’exclusion des étudiants, dont l’arrivée doit être encouragée, de ces dispositifs.

Enfin, dans quelle mesure les articles 19 et 20 permettront-ils d’améliorer nos procédures en matière de traitement de l’asile, lequel est peut-être un peu dévoyé aujourd’hui ?

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Nous parlerons demain des visas et de l’aide au développement, lors de l’examen des amendements, mais je suis d’accord avec vous.

Nous parlerons également demain de l’article 4, qui veut donner aux demandeurs d’asile ayant la plus forte probabilité d’obtenir le statut de réfugié la possibilité de bénéficier d’un titre de travail. L’un des objectifs de ce texte étant de favoriser l’intégration par le travail, nous sommes favorables au rétablissement de cet article supprimé au Sénat.

La territorialisation de l’OFPRA et de la CNDA vise à être plus réactifs, en étant au plus près du terrain. Rappelons que les taux de protection, qu’ils soient prononcés par un juge unique ou par une formation collégiale, sont sensiblement les mêmes. Il ne s’agit donc pas de revenir sur ces taux mais d’obtenir des réponses plus rapides. Cette transition se fera de façon progressive, en commençant par trois centres pour l’OFPRA, car il faudra notamment pouvoir trouver les interprètes et experts nécessaires.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. À votre avis, pourquoi le Sénat a-t-il supprimé l’article 4 ?

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Il a voulu, comme pour l’article 3, restreindre le plus possible les politiques favorisant les régularisations ou l’octroi de permis de travail. Je rappelle que l’article 4 concerne en réalité un nombre très réduit de personnes, entre 13 000 et 15 000, loin des caricatures qui en sont faites. Le Sénat a voulu éviter de provoquer cet « appel d’air » dont il est souvent question.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. L’encouragement à une présence chômée sur le territoire n’est pas tellement satisfaisant non plus, me semble-t-il.

M. Alain David (SOC). Merci, Monsieur le rapporteur, pour votre éclairage sur ce texte dont nous n’examinerons qu’une dizaine d’articles concernant l’asile, les visas, la lutte contre les réseaux mafieux de passeurs, le lien avec l’aide publique au développement et la définition des quotas d’étrangers admis au séjour. Je partirai du triste constat qu’il s’agit du vingt-neuvième texte sur l’asile et l’immigration depuis 1980 et qu’il n’échappe pas, surtout dans sa version issue du Sénat, à une part de démagogie et d’inefficacité. Les réformes se sont empilées et il ne va guère éclaircir le maquis normatif.

Mon président de groupe, Boris Vallaud, avait affirmé en décembre dernier que notre politique migratoire accueille mal, intègre mal, protège mal et reconduit mal. Avec mes collègues socialistes et apparentés, nous entrons dans cette discussion, désireux d’avoir un véritable débat, éclairé et constructif. Il convient d’ambitionner un débat honnête, qui s’appuie sur des données objectives et qui tienne compte des désordres géostratégiques, des guerres, du réchauffement climatique avec tous ses facteurs. Nous défendrons des amendements en commission et en séance, afin de ramener le texte à un équilibre plus sain sur un sujet polémique. En attendant, ayant trop de questions, je n’en poserai aucune en particulier au rapporteur.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Monsieur le rapporteur, entendez-vous répondre aux questions que ne vous a pas posées M. David ?

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Voilà qui rappelle une expression du général de Gaulle !

Je partage totalement ce que vous venez dire : on intègre mal, on accueille mal et on reconduit mal. L’objectif du texte est précisément d’intégrer mieux, d’accueillir mieux et de reconduire mieux.

Mme Stéphanie Kochert (HOR). Réfléchir à la politique de l’immigration en France implique de considérer plusieurs dimensions : la gestion des frontières, les procédures d’octroi de titre de séjour, l’intégration des titulaires d’un titre de séjour ou d’un statut de réfugié, ainsi que l’application de la loi vis-à-vis de ceux qui ne sont pas présents légitimement sur le territoire. Cette réflexion conduit à s’interroger tout autant sur la définition de notre identité nationale, forgée par une histoire de terre d’accueil, que sur les critères à définir pour réussir l’intégration.

La politique d’immigration est encadrée par une multitude de textes, communautaires et nationaux. Elle est conditionnée par nos engagements internationaux, la conjoncture géopolitique des conflits armés et les crises économiques, et le sera par les impacts du changement climatique. Face à des enjeux de plus en plus globaux, la réponse ne peut pas être seulement française : elle doit associer l’ensemble du continent européen. Heureusement, ce texte sera très bientôt complété par les actes du nouveau pacte européen sur la migration et l’asile, actuellement en négociation.

Le débat sur la politique migratoire est bien trop crucial et complexe pour se limiter à des expressions superficielles ou à des mesures restreintes. Près de trente lois ont été adoptées à l’Assemblée nationale sur ce sujet depuis 1986. Celle-ci changera-t-elle radicalement la donne ? Non car les solutions ne sont pas uniquement législatives. Mais ce texte est essentiel et représente une étape indispensable dans l’évolution de notre politique migratoire. C’est pourquoi le groupe Horizons et apparentés votera en sa faveur. Nous saluons le travail des sénateurs, qui a permis de renforcer considérablement notre arsenal législatif, en particulier grâce au rétablissement du délit de séjour irrégulier et au renforcement du pouvoir d’appréciation des préfets en matière de régularisation.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Les deux derniers points ne relèvent pas de l’avis de notre commission mais nous aurons l’occasion d’en débattre dans les prochaines semaines.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). La loi visant prétendument à contrôler l’immigration et à améliorer l’intégration est la preuve que la majorité relative a définitivement sombré dans la propagande stérile d’une extrême droite qui fantasme l’immigré comme source de tous les maux de la communauté nationale. Vous allez si loin que vous flirtez désormais avec l’illégalité en droit international. Or si notre commission s’est saisie pour avis de ce texte, c’est bien pour l’examiner sous l’angle international. Il est de notre devoir de le repousser sur cette base-là.

L’article 1er, qui supprime l’aide médicale de l’État, et l’article 19 bis B, qui limite l’accès aux soins de première nécessité des étrangers en situation irrégulière, entravent ce que le troisième paragraphe du préambule de la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé, que nous avons signée, dispose, à savoir : « La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale ». Les articles 1er B, C et D durcissent les conditions du regroupement familial, à l’encontre même du troisième paragraphe de l’article 16 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, que nous avons signée et dont nous célébrerons le soixante-quinzième anniversaire le 10 décembre prochain.

L’article 14 A, qui légalise la conditionnalité de l’aide publique au développement à la politique migratoire, va à l’encontre de votre propre politique, Monsieur le rapporteur. Le 19 février 2021, dans le cadre du débat sur le projet de loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, cinq amendements ont été déposés par la droite pour subordonner l’aide publique au développement à la délivrance de laissez-passer consulaires. Tous ont été rejetés, y compris par votre groupe, la non‑conditionnalité de l’aide au développement étant un principe fondamental de la solidarité internationale. Le rapporteur de l’époque, aujourd’hui ministre, et le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, l’avaient même dit dans cette salle. D’ailleurs, je note que vous êtes bien meilleurs pour conditionner les aides aux États pauvres que celles aux multinationales françaises : cela a le mérite de la clarté politique.

Pour ces raisons et pour autant d’autres que je n’ai pas le temps de développer, les députés de la gauche démocrate et républicaine vous disent que tout est à jeter dans ce texte. Nous nous y opposerons le plus fermement possible.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. J’espère que vous vous interrogerez sur l’opportunité de voter ce texte si l’Assemblée nationale rétablit l’AME. Sa suppression n’était pas envisagée dans le texte initial et n’a de toute façon pas vocation à y figurer : cette question relève plutôt du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Nous sommes opposés à une conditionnalité qui viendrait pénaliser les populations et mettre fin à des projets de développement. En revanche, il existe déjà une forme de conditionnalité au niveau européen. Une partie de l’aide au développement européenne est fléchée vers le développement de capacités migratoires chez nos partenaires, qu’il s’agisse de gestion des frontières, de politiques d’accueil des réfugiés ou du développement de politiques d’asile. Il existe aussi des formes de conditionnalité de la politique de développement avec des pays coopératifs sur les questions migratoires, dans une logique de « more for more ». Ce débat a également lieu en France. Cela n’est pas incompatible avec nos politiques de développement – nationale et européenne – et encore moins illégal. On peut discuter du périmètre ou de l’opportunité de ces mesures mais utiliser des arguments de droit international ne me paraît pas approprié ici.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Il faudrait peut-être que j’aille en commission du développement durable pour parler de droit international ?

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. C’est un débat qui intéresse notre commission, bien sûr, et beaucoup de nos partenaires européens l’ont aussi. Mais la question est plus celle des orientations à donner à nos outils diplomatiques et à notre aide au développement que celle des critères de droit international.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous en venons aux interventions des collègues à titre individuel.

M. Lionel Vuibert (RE). Les enjeux de ce texte dépassent le seul cadre national, puisqu’il aura des incidences sur nos relations avec certains de nos partenaires. Répondre à la pénurie de main‑d’œuvre dans des secteurs cruciaux nécessite des stratégies proactives et réfléchies.

La création d’une carte de séjour d’un an pour les travailleurs dans les métiers en tension constitue une initiative significative pour répondre au besoin urgent de main‑d’œuvre. Les échanges avec les pays d’envoi sont fondamentaux pour garantir la compréhension mutuelle des enjeux et des avantages potentiels, ainsi que faciliter la mobilité des travailleurs tout en respectant les intérêts des deux parties. Quel mécanisme est envisagé pour évaluer l’efficacité de cette carte ? Comment s’assurer qu’elle contribue réellement à résoudre la pénurie dans les secteurs concernés ?

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Je ne vais pas vous répondre très précisément, parce que nous nous éloignons des articles desquels la commission est saisie. L’objectif est de proposer, sous certaines conditions, une carte de séjour d’un an pour des secteurs en tension, du point de vue économique comme territorial. Si la validité du titre est limitée à un an, c’est pour pouvoir évaluer son efficacité et éviter les abus. Par ailleurs, les employeurs doivent s’engager à soutenir l’apprentissage du français par le porteur de la carte.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Je n’ai pas eu dans ma première intervention le temps de saluer le rapporteur pour son travail important et précis, même si je n’en partage pas les conclusions.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. C’est en effet un excellent rapport sur le plan technique.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Monsieur le rapporteur, comment gérer l’octroi de ces cartes de séjour en fonction de critères locaux ? Refait-on des frontières départementales, régionales ? Comment surveiller quelqu’un dans un espace géographique donné ? Avec de l’intelligence artificielle, un système de positionnement satellitaire de type GPS greffé, des balises ?

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Les régularisations seront effectuées par les préfets, ce qui permet bien de répondre à une logique territoriale. L’une des avancées du texte initial est de donner la possibilité au travailleur lui-même de demander la régularisation auprès des préfectures et de ne plus passer par l’employeur. C’est un gain d’autonomie et d’intégration.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Ces échanges me remémorent que, dans un village que je connais bien, le maire avait accueilli un Syrien, très sympathique d’ailleurs, qui était prêt à tout faire mais qui n’avait pas le droit de travailler ; les circonstances étaient très déplaisantes pour tout le monde. Il a fini par voir sa situation régularisée. Il est néanmoins paradoxal de devoir répondre à quelqu’un qui a des capacités évidentes et qui souhaite travailler que sa situation ne lui permet que de regarder les trains passer.

Nous avons achevé la discussion générale sur ce projet de loi. Nous nous retrouverons demain matin pour l’examen des amendements.

Réunion du mercredi 22 novembre 2023 à 9 heures

Lien vidéo : https://assnat.fr/kO8uyr

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Dans le prolongement de la discussion générale de très bonne qualité qui a eu lieu hier, notre ordre du jour appelle l’examen et le vote des articles du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, dont notre commission est saisie pour avis.

La commission des lois, saisie au fond, examinera ce projet à compter du lundi 27 novembre. En application de l’article 87 du règlement, il est impératif que nous ayons achevé nos travaux aujourd’hui, afin que soient pris en compte la position de notre commission et les amendements que nous adopterons.

Je remercie les groupes politiques et les collègues d’avoir opté pour le dépôt d’un nombre raisonnable d’amendements, ce qui nous permettra d’avoir un vrai débat sur ce texte important.

En effet, soixante-dix-neuf amendements ont été déposés. Sur ce total, cinq ont été déclarés irrecevables au titre de l’article 40 de la Constitution par le président de la commission des finances. Par ailleurs, six amendements étaient sans lien avec le champ de notre saisine. Ce dernier était peut-être un peu étroit mais j’estime que les commissions doivent se concentrer sur ce qui relève de leur compétence. Enfin, un dernier amendement ne modifiait pas le texte adopté par le Sénat et n’a pu à ce titre être considéré comme recevable. Il nous reste donc à débattre de soixante-sept amendements.

Article 1er A : Débat annuel au Parlement et détermination d’un nombre d’étrangers admis au séjour

Amendement de suppression AE63 de M. Jean-Paul Lecoq

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Depuis des dizaines d’années, la droite veut instaurer des quotas migratoires. Tel est l’objet de cet article, qui prévoit des quotas contraignants. Ils seront irréalisables ou sans intérêt, comme cela a été démontré en 2008 par le rapport de la commission présidée par Pierre Mazeaud, mise en place par Nicolas Sarkozy qui avait promis de durcir la politique migratoire.

Les quotas n’ont jamais été instaurés car chacun sait, au sein de notre commission, que de telles mesures sont inconstitutionnelles et inconventionnelles. On ne peut ignorer le droit international et ce que propose cet article est contraire notamment à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (UE).

L’immigration de travail est une politique utilitariste, que le groupe de la Gauche démocrate et républicaine réprouve. De plus, les immigrés sont déjà surreprésentés dans certains secteurs. Une telle politique ne ferait que renforcer cette tendance.

Comme si cela ne suffisait pas, ces mesures sont inefficaces et ne réduiraient en rien l’immigration régulière.

Nous demandons donc la suppression de cet article.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Je partage vos réserves sur le concept de quotas mais votre amendement propose de supprimer l’article. Or, celui-ci propose également la remise d’un rapport annuel destiné à informer le Parlement, dont le contenu fait l’objet d’amendements.

J’en ai moi-même déposé un qui propose de remplacer les quotas par la présentation d’objectifs chiffrés par le Gouvernement, lesquels feront l’objet d’un débat au Parlement.

Avis défavorable.

Mme Laurence Robert-Dehault (RN). L’immigration en France n’est pas un phénomène neutre. Au contraire, elle influence très concrètement les finances de l’État et le quotidien des Français.

Ces derniers ont le droit de savoir quel est le nombre de mineurs non accompagnés pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE) et quelles sont les conditions de cette prise en charge – dont le coût est assumé par les Français –, mais aussi quel est le nombre d’étrangers ayant effectivement été éloignés par rapport aux décisions prononcées, ou encore le nombre de procédures mises en œuvre pour lutter contre l’entrée et le séjour irrégulier des étrangers, ainsi que leur coût.

Au Rassemblement national, nous sommes opposés à l’instauration de quotas, notamment dans le domaine migratoire, et nous sommes donc favorables à la suppression de l’alinéa 28 de cet article. Mais il est inutile de supprimer l’ensemble de l’article car il comprend des dispositions qui permettront d’avoir une meilleure information sur l’état de la politique migratoire.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE25 de M. Thibaut François

M. Jérôme Buisson (RN). Cet amendement propose d’ajouter un indicateur dans le rapport du Gouvernement. En effet, il est essentiel que le Parlement dispose d’un rapport complet, afin d’évaluer au mieux les orientations pluriannuelles de la politique d’immigration et d’intégration lors du débat annuel.

L’ajout d’un indicateur sur le nombre de procédures de réunification familiale et de regroupement familial permettra de comprendre l’ampleur du phénomène, afin d’adapter le dispositif en cas de forte demande et de mettre en place les garde-fous nécessaires pour éviter tout abus.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Cet article prévoit un rapport annuel dont le contenu sera plus complet que ce qui est déjà prévu par L. 123-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).

Je rappelle que le rapport du Gouvernement présentera un grand nombre d’indicateurs : le nombre des titres de séjour et des visas de chaque type accordés durant l’année précédente ; les chiffres en matière de regroupement familial ; le nombre de mineurs non accompagnés pris en charge par l’ASE ; le nombre de mesures d’éloignement effectivement appliquées par rapport à celles qui ont été prononcées ; le nombre d’assignations à résidence et de placements en rétention ; les conditions démographiques, économiques, géopolitiques, sociales et culturelles dans lesquelles s’inscrit la politique nationale d’immigration et d’intégration ; les capacités d’accueil de la France. Je précise que l’ensemble de ces données seront fournies pour les dix années précédentes.

Je propose de ne pas alourdir davantage ce rapport, qui demandera un travail conséquent.

En outre, les données qui sont demandées par cet amendement – ainsi que par d’autres qui suivent – sont déjà disponibles dans d’autres rapports ou le seront dans le nouveau rapport.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE38 de Mme Andrée Taurinya

Mme Ersilia Soudais (LFI-NUPES). Cet amendement propose de faire figurer des éléments d’évaluation plus pertinents dans le rapport que le Gouvernement doit remettre au Parlement.

L’alinéa 7 est incomplet en ce qui concerne les mineurs étrangers enfermés. Il est nécessaire de savoir combien le sont, qu’ils soient non accompagnés ou dits accompagnés – par un de leurs parents, un membre de leur famille ou par tout représentant légal.

De même les données fournies doivent préciser le nombre de ces enfants tant dans l’Hexagone qu’outre-mer, où les exceptions au droit commun se multiplient encore, ce texte prévoyant par exemple de repousser l’entrée en vigueur de l’article 12 à janvier 2027 alors qu’il entrera en vigueur en janvier 2025 dans l’Hexagone.

Nous exprimons de nouveau notre opposition à la rétention de mineurs car il est primordial d’assurer leur protection plutôt que de la dégrader. Aujourd’hui, les mineurs non accompagnés représentent la moitié des personnes exilées dans le monde. Nous nous devons de les prendre en charge comme il se doit, comme nous nous devons de prendre en charge également les mineurs accompagnés et leurs familles. Ce recensement complet le permettra.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Avis défavorable, pour les mêmes raisons que celles évoquées précédemment. Il est inutile d’alourdir ce rapport déjà conséquent et dont il est déjà prévu qu’il fournira le nombre de mineurs non accompagnés pris en charge par l’ASE.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE8 de M. Michel Guiniot

M. Michel Guiniot (RN). Cet amendement propose que le rapport annuel remis par le Gouvernement précise le nombre d’étrangers ayant obtenu un visa de travail et bénéficiant actuellement de l’assurance chômage. Cela permettra de savoir si ces personnes exercent toujours une profession, conformément au motif qui justifie leur présence sur notre territoire, et dans quelle proportion.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Ces informations sont déjà disponibles dans le rapport que le Gouvernent remet chaque année. Le document « Les chiffres clés de l’immigration », paru en novembre 2022, indique ainsi que « près de sept primo-arrivants sur dix ayant obtenu leur premier titre de séjour en 2018 sont présents sur le marché du travail en 2019 (taux d’activité de 68 %), qu’ils soient en emploi (53 %) ou au chômage (15 %) ». Un an plus tard, leur taux d’activité a progressé de six points, ce qui porte leur taux d’emploi à 59,4 %, tandis que la part des chômeurs reste inchangée.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE30 de Mme Laurence Robert-Dehault

Mme Laurence Robert-Dehault (RN). L’article 1er A entend dresser un état des lieux de la situation de l’immigration et des immigrés en France. Nous soutenons cette initiative, qui permettra aux Français d’avoir des données chiffrées mettant en évidence les défaillances de la politique immigrationniste menée par les gouvernements successifs depuis quarante ans. Cela permettra aussi à la représentation nationale – ou du moins aux parlementaires lassés par la poursuite de cette politique de l’autruche – d’identifier les symptômes, de poser le diagnostic de la situation et de proposer des traitements efficaces.

Cet amendement propose de compléter les indicateurs figurant dans le rapport annuel remis au Parlement en y ajoutant le nombre des décisions d’éloignement non exécutées visant des étrangers condamnés définitivement pour des crimes ou délits commis sur le sol français.

Comme on le sait, seule une infime partie des obligations de quitter le territoire français (OQTF) sont exécutées, alors même qu’elles ne sont signifiées qu’à une petite partie des clandestins faisant l’objet d’une décision d’éloignement. En 2022, la non-exécution des OQTF a même battu un record, puisque seulement 6,9 % de celles qui ont été délivrées ont été exécutées. Ces étrangers en situation irrégulière restent en France et une part non négligeable d’entre eux est criminogène et représente un risque pour la sécurité des Français. L’amendement propose donc de mettre en exergue cette part criminogène qui réside illégalement sur notre territoire.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Même avis : il ne faut pas surcharger ce rapport.

L’un des objets principaux de ce projet de loi est précisément de renforcer les mesures d’éloignement pour les étrangers ayant fait l’objet d’une OQTF, et en particulier les délinquants, grâce au rétablissement de la double peine et de la levée des réserves d’ordre public, notamment pour permettre l’expulsion des individus arrivés avant l’âge de 13 ans.

Par ailleurs, la plupart des données demandées se trouvent déjà dans le rapport.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE14 de M. Michel Guiniot

M. Michel Guiniot (RN). Cet amendement prévoit que figure dans le rapport du Gouvernement le nombre d’étrangers ayant refusé de signer leur contrat d’intégration républicaine (CIR). Cela permettra de connaître la part des étrangers qui expriment dès leur arrivée leur volonté de ne pas s’intégrer à la République française.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Je n’ai pas connaissance d’un phénomène significatif de refus de signature du CIR. Sa signature conditionne la présence sur le territoire. Près de trois primo-arrivants sur quatre auraient souhaité que leur formation linguistique soit prolongée. Avis défavorable

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE70 de Mme Marine Hamelet

Mme Marine Hamelet (RN). Cet amendement propose d’insérer un alinéa prévoyant la publication du nombre de dispenses de la formation linguistique de quatre jours délivrées à la suite du test de français préalable à la signature d’un contrat d’intégration républicaine. Il s’agit de permettre au Parlement de disposer d’informations fiables sur les évolutions du niveau de français des étrangers admis au séjour, étant entendu que cela constitue un facteur clé pour leur intégration au peuple français.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Le projet de loi prévoit, notamment, d’augmenter les exigences d’apprentissage de la langue pour obtenir un titre de séjour.

Le document « Les chiffres clés de l’immigration », publié par la direction générale des étrangers en France (DGEF), retrace le nombre de signataires du CIR, celui des formations linguistiques prescrites et la proportion des signataires du CIR à qui ces formations sont prescrites. Ce document du ministère de l’intérieur répond déjà à votre demande.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE16 de M. Michel Guiniot

M. Michel Guiniot (RN). Cet amendement propose que le rapport annuel du Gouvernement présente le nombre d’étrangers inscrits au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Cela permettra d’établir s’il y a un lien objectif entre immigration et menace terroriste.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Même avis défavorable, afin de ne pas alourdir le rapport. Je tiens à signaler que l’information que vous demandez peut déjà être obtenue. Le ministère de l’intérieur l’a d’ailleurs rappelé le mois dernier. Le FSPRT est un fichier de renseignement judiciaire, qui comporte des fiches actives ou non actives.

Par-delà la volonté légitime de maîtriser l’immigration, je vois que beaucoup de ces amendements jettent l’opprobre sur tous les étrangers présents sur le territoire. Je mets en garde contre cette tendance.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE39 de Mme Danièle Obono

Mme Élise Leboucher (LFI-NUPES). Avec cet amendement, nous souhaitons que le rapport annuel du Gouvernement au Parlement comprenne des éléments d’évaluation plus pertinents : en l’occurrence, le nombre de personnes contraintes de dormir dans la rue et, parmi elles, la proportion d’enfants.

Dans un pays aussi riche que la France, il est impensable et indigne de laisser des enfants dormir dans la rue. Pourtant, en octobre dernier le Fonds des Nations Unies pour l’enfance  l’UNICEF – a dressé ce constat alarmant : ils étaient 2 822 à être sans solution d’hébergement. Et ce nombre ne tient pas compte des familles qui n’appellent plus le 115 ou n’arrivent pas à le joindre, ni des mineurs accompagnés, dont bon nombre restent dans la rue. « Au total, on décompte 8 351 demandes non pourvues au 115 le soir du 2 octobre, soit 2 500 personnes de plus qu’en juin dernier », expliquait alors l’UNICEF.

Avec le Collectif des associations unies, la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) ou encore Jamais sans toit, des associations ont lancé une tribune transpartisane, signée par une cinquantaine de parlementaires – y compris de la majorité –, pour demander l’augmentation de la capacité du parc d’hébergement et la mise en œuvre d’une programmation pluriannuelle pour le service public de la rue au logement. Ce texte lance aussi l’alerte sur l’insuffisance des moyens destinés à répondre à cette urgence sociale et il demande d’augmenter le nombre de places d’hébergement et de mettre en place une politique ambitieuse du logement.

Le bien-être et l’avenir de ces enfants doivent dépasser tous les clivages politiques. Notre amendement est une petite pierre à l’édifice, afin qu’il n’y ait plus d’enfants sans abri.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Je rappelle que le but de ce rapport et du débat annuel est avant tout de fixer des objectifs et d’étudier les résultats de la politique d’immigration. Cet amendement s’éloigne du sujet, même si la question des sans‑abri est fondamentale, en particulier quand ce sont des enfants. Il ne s’agit pas de constituer un fichier centralisé des étrangers qui résident dans le pays.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE15 de M. Michel Guiniot

M. Michel Guiniot (RN). Cet amendement prévoit que le rapport du Gouvernement fournit le nombre d’étrangers bénéficiant d’un titre de séjour qui sont logés dans le parc social locatif français. Cela permettra de mieux connaître la part des logements qu’ils occupent dans ce parc, dans un contexte de crise du logement.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Une fois encore : il ne faut pas surcharger ce rapport. Et l’information que vous demandez figure déjà dans le document du ministère de l’intérieur que j’ai mentionné précédemment, lequel précise notamment la part des primo-arrivants qui sont locataires d’un logement social.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE40 de M. Thomas Portes

Mme Nadège Abomangoli (LFI-NUPES). Notre amendement prévoit que le rapport du Gouvernement fournit une évaluation de la situation des réfugiés climatiques et, plus globalement, des répercussions du réchauffement climatique sur les migrations. Ce rapport doit en effet servir à autre chose qu’à une forme de chasse aux migrants.

Vous ne mentionnez jamais la question des réfugiés climatiques. Or, en 2022, leur nombre a atteint 33 millions, soit 40 % de plus que l’année précédente. Ce sont des chiffres frappants. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) estime qu’il y aura un milliard de réfugiés climatiques dans les trente prochaines années.

Le changement climatique est une réalité qui s’impose à nous. C’est la raison pour laquelle nous demandons que cette question soit abordée plus directement dans le rapport.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Le réchauffement climatique constitue en effet un facteur d’accélération des migrations et des déplacements de populations.

Le rapport annuel du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) fait état de la situation des réfugiés climatiques et des répercussions du dérèglement climatique sur les migrations. Des données précises sur les scénarios migratoires sont donc disponibles.

Je vous proposerai plus loin l’amendement AE78, qui prévoit que le rapport présente une évaluation de la dimension externe des migrations, laquelle comprend bien entendu les aspects climatiques mais également les questions sécuritaires et géopolitiques.

Mme Stéphanie Galzy (RN). L’immigration de masse que subit la France est un fléau pour les pays d’origine. En effet, ceux qui en partent sont souvent des personnes actives et ces départs contribuent à l’absence de développement économique de leur patrie.

Cette immigration clandestine n’est pas liée au réchauffement climatique, comme on aimerait nous le faire croire. Elle a pour principal motif le fait que les migrants peuvent bénéficier de nombreuses aides et prestations sociales. Il faut le dire clairement.

Alors que les Français ont du mal à boucler les fins de mois et que leur pouvoir d’achat diminue, il est de notre responsabilité de prendre les décisions fermes qui s’imposent et d’arrêter de trouver des excuses à ce fléau migratoire.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE44 de Mme Danièle Obono

Mme Ersilia Soudais (LFI-NUPES). Nous souhaitons que le rapport annuel du Gouvernement comprenne une évaluation de la situation démocratique et des caractéristiques propres à un État de droit dans les pays d’origine sûrs.

Le principe des pays sûrs est délétère pour le droit d’asile. Non seulement il prive les demandeurs d’asile d’une partie de leurs droits, en raison de délais de recours réduits, de l’absence de collégialité au sein de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) et de la possibilité d’expulsion pendant l’instruction du dossier, le recours devant cette cour n’étant pas suspensif, mais il porte aussi fondamentalement atteinte au principe de non-refoulement prévu par la convention de Genève.

La vie ou la liberté d’opposants politiques, de défenseurs des droits ou d’acteurs de la société civile ont été et sont menacées dans des pays dits sûrs. En Géorgie, la communauté LGBT subit des pressions et n’est pas protégée contre les attaques violentes de l’État. En Moldavie, les Roms sont exclus et discriminés.

Il aura fallu attendre une décision du Conseil d’État de juillet 2021 pour que soit annulée la décision du conseil d’administration de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) qui maintenait le Bénin et le Sénégal sur la liste des pays d’origine sûrs. On ne peut pourtant pas ignorer les manquements démocratiques, voire les dérives autocratiques, qui y ont lieu : oppositions politiques écartées, médias muselés et manifestations réprimées.

À défaut d’être supprimé, le principe des pays sûrs ne doit pas servir d’outil pour restreindre le droit d’asile, et encore moins de variable d’ajustement à une politique migratoire honteuse.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Le conseil d’administration de l’OFPRA fixe la liste des pays d’origine considérés comme sûrs en fonction des garanties que les autorités de ces pays offrent contre les persécutions et les mauvais traitements. Depuis la loi du 29 juillet 2015, ce conseil administration a pour mission de veiller à la pertinence de cette liste et à son actualisation régulière.

J’ajoute que l’asile peut être accordé à un demandeur même s’il vient d’un pays d’origine sûr. Pour reprendre votre exemple, cela peut être le cas pour un Géorgien qui serait persécuté en raison de son orientation sexuelle. Mais le dossier sera en effet examiné de manière plus rapide car le pays est considéré comme sûr.

La question de l’État de droit fait, quant à elle, partie de la dimension externe des migrations, que j’aborde avec mon amendement suivant. Elle mérite en effet d’avoir une place dans le rapport et dans le débat annuel.

M. Alexis Jolly (RN). Cet amendement vise à modifier des éléments de la procédure de régularisation des étrangers qui déposent une demande de séjour. Cette procédure permet aux personnes en provenance de pays réputés sûrs d’obtenir plus rapidement leur régularisation.

La politique d’immigration française doit être déterminée en tenant compte avant tout des intérêts des Français, qui ont le droit à la sécurité dans leur pays. Il me semble donc normal que les demandes des ressortissants issus des pays sûrs soient traitées plus rapidement que celles de personnes venant de pays à risque, puisque c’est de ces derniers que viennent la plupart des terroristes.

Nous nous opposerons bien sûr à cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE78 de M. Benjamin Haddad

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis.  Je propose d’intégrer dans le rapport annuel une information sur la dimension externe des migrations. Cela recouvre les causes géopolitiques profondes tout en permettant d’aborder la dimension sécuritaire, les aspects relatifs à l’État de droit et au climat, mais aussi les ingérences étrangères. On a en effet pu constater que les migrations pouvaient être instrumentalisées par des pays comme la Biélorussie ou la Turquie, par exemple.

Cela permettra d’en discuter lors du débat annuel mais aussi, le cas échéant, lors d’un débat au sein de notre commission.

Mme Nadège Abomangoli (LFI-NUPES). J’ai bien entendu que vous souhaitiez que la dimension climatique ainsi que les aspects géopolitiques soient pris en compte dans le rapport parmi les causes des migrations. Ce sont des sujets que nous mettons régulièrement en avant.

Il serait toutefois opportun de prendre l’engagement qu’à la suite du débat annuel, les critères d’évaluation en matière de droit d’asile puissent être réexaminés, et notamment le critère des pays d’origine sûrs. Je rappelle à nos collègues du Rassemblement national que cette notion de pays d’origine sûrs n’a pas de rapport avec la sécurité publique en France mais qu’elle concerne la sécurité des personnes qui souhaitent quitter un pays où elles se sentent menacées en raison de leur orientation sexuelle ou de leurs opinions politiques.

Notre groupe votera donc en faveur de cet amendement.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AE11 de M. Michel Guiniot.

M. Michel Guiniot (RN). Cet amendement a pour objet d’inclure parmi les annexes du rapport les observations du ministère du travail sur les taux d’emploi et de chômage des étrangers titulaires d’un titre de séjour.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Les données sur la part des étrangers dans les statistiques du chômage sont déjà publiées par le ministère de l’intérieur.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE12 de M. Michel Guiniot.

M. Michel Guiniot (RN). Il s’agit, ici, de joindre au rapport les observations du ministère de la justice indiquant la part de la population étrangère qui dispose d’un titre de séjour dans la population carcérale française. La représentation nationale sera ainsi parfaitement informée du taux d’incarcération des étrangers en France et pourra adapter, en conséquence, tant la politique d’immigration que la politique pénale.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Ces données sont déjà disponibles ; elles émanent de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et de la sous-direction de la statistique et des études du ministère de la justice. Il est inutile de surcharger le rapport, qui a vocation à renseigner sur la politique migratoire et non, une fois de plus, à stigmatiser les étrangers qui se trouvent sur notre sol.

M. Michel Herbillon (LR). Tous les amendements visant à compléter le rapport par des informations parfaitement nécessaires à la représentation nationale et aux citoyens sont repoussés au motif que les données sont disponibles par ailleurs. Dans le même temps, l’amendement du rapporteur pour avis, qui ajoute une évaluation sur la dimension externe des migrations, vient d’être adopté à l’unanimité. Les informations concernées mériteraient à tout le moins une présentation plus explicite. Le rapporteur pour avis devrait y veiller.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je vous invite à déposer un amendement en ce sens.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Au-delà du rapport, le grand mérite de l’article 1er A réside dans la tenue d’un débat annuel au Parlement sur la politique d’immigration et d’intégration. Le débat sera l’occasion de porter à la connaissance des parlementaires des statistiques qui abondent mais sont éparpillées et, si besoin, de pointer l’insuffisance de certaines informations. Le contenu du rapport me semble plutôt exhaustif et le sera plus encore si mon amendement, dans lequel je demande au Gouvernement de présenter des objectifs chiffrés et de justifier les résultats obtenus, est adopté.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE13 de M. Michel Guiniot.

M. Michel Guiniot (RN). Cet amendement vise à adjoindre au rapport les observations du ministère de l’intérieur sur la part de la population étrangère disposant d’un titre de séjour dans les statistiques de la délinquance et de la criminalité en France. Cette information permettra de documenter le lien entre insécurité et immigration.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Le bilan statistique « Insécurité et délinquance », établi par le service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI), comporte, depuis 2022, des éléments plus précis – âge, sexe et nationalité – sur les victimes et les mis en cause. Au risque de me répéter, les données sont déjà accessibles au grand public.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE33 de Mme Andrée Taurinya.

Mme Élise Leboucher (LFI-NUPES). Cet amendement a pour objet d’adjoindre au rapport les observations du Défenseur des droits. En 2022, près d’une réclamation sur quatre auprès de l’institution concernait le droit des étrangers. Les atteintes aux droits fondamentaux, qui sont le premier motif de saisine, ont augmenté de manière alarmante.

De nombreuses personnes ne parviennent pas à obtenir un rendez-vous pour demander ou renouveler leur titre de séjour, ce qui les expose à la précarité et à la clandestinité. Il est de notre devoir de veiller au respect des droits humains.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Le Défenseur des droits fait part de ses observations au grand public dans son rapport annuel, ainsi que par le biais de ses avis.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE34 de Mme Danièle Obono.

Mme Ersilia Soudais (LFI-NUPES). En 2022, 44 000 personnes, parmi lesquelles des enfants, ont été enfermées dans les vingt-cinq centres de rétention administrative (CRA) français.

Dans un rapport publié en juin 2023, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) dénonce des conditions de rétention gravement attentatoires à la dignité et aux droits fondamentaux. À ce qu’elle nomme la « carcéralisation » et des enfermements croissants, à l’augmentation du nombre et de la durée des mesures de rétention, ainsi qu’à la vétusté des CRA du Mesnil-Amelot, de Sète et de Metz, la seule réponse des autorités compétentes a été l’inertie.

Notre groupe souhaite que les observations de la CGLPL soient jointes au rapport annuel, afin de rendre compte des conditions dans lesquelles s’applique la politique nationale d’immigration et d’intégration. Tout être humain arrivant en France doit être accueilli dignement.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Même avis que précédemment. La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté rend des avis et émet des recommandations, y compris sur les CRA, qui sont publics.

L’une des avancées du texte est de mettre fin au placement en CRA des mineurs.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Les députés peuvent visiter les CRA. Pour le faire régulièrement, je peux vous assurer que des mineurs sont toujours présents dans les CRA, notamment en famille.

Si le texte interdit la rétention des mineurs – pas seulement isolés, j’espère –, cela vaudra pour les familles. Ce sera une grande avancée car les familles sont aujourd’hui retenues dans des conditions invivables du fait de la surpopulation.

J’invite mes collègues à aller voir comment les choses se passent dans les CRA. Cela changera votre regard sur la situation des étrangers dans notre pays.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE69 de Mme Marine Hamelet.

Mme Marine Hamelet (RN). Il s’agit, ici, de compléter le rapport par une évaluation de l’impact d’une augmentation du niveau de français exigé de la part des étrangers admis au séjour en France.

Selon l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), en 2022, 47,5 % des signataires du contrat d’intégration républicaine (CIR) sont orientés vers une formation linguistique. C’est trop peu. La mauvaise maîtrise de la langue, quand ce n’est pas l’absence, constitue un frein évident à l’intégration et à la recherche d’emploi.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Le texte prévoit de renforcer les exigences en matière d’apprentissage du français pour obtenir un titre de séjour.

Quant aux informations statistiques, elles sont nombreuses dans les données de l’OFII ainsi que dans le projet annuel de performances. En 2022, 67,1 % des signataires du CIR ont reçu une prescription de formation linguistique de niveau A1.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE37 de Mme Élisa Martin.

Mme Ersilia Soudais (LFI-NUPES). Nous nous opposons à une politique migratoire du chiffre que reflète l’instauration de quotas. À la table des Républicains, on commande un peu d’étrangers mais pas trop.

Cette politique est aux antipodes de nos valeurs et en parfaite inadéquation avec la réalité des mouvements migratoires. Quand cesserez-vous de craindre d’être « grand remplacés » ?

Voici quelques chiffres pour vous aider à vous libérer de vos fantasmes : dans le mouvement migratoire planétaire, notre pays occupe une position très modeste : le nombre d’immigrés a connu une hausse de 36 % en vingt ans, contre 67 % sur le continent européen ; en 2019, la France se classait au seizième rang des pays d’immigration de l’Union européenne ; selon un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) de 2023, elle comptait parmi les plus faibles taux d’entrée d’immigrés dits permanents en 2021 : 0,47 % de la population contre 0,89 % en Suède ou 0,77 % en Allemagne.

Si cela ne suffit pas à mettre fin à vos élucubrations, peut-être devriez-vous vous rappeler que le brassage culturel est indissociable de l’histoire de notre humanité ?

La France insoumise défend la position républicaine qui caractérise la France depuis 1848, quand les ouvriers étrangers qui participèrent à l’insurrection furent naturalisés. La France a, depuis, accueilli des citoyens qui se voyaient persécutés dans leurs pays d’origine ou qui cherchaient simplement de meilleures conditions de vie en France. Renier ces valeurs serait déshumanisant.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Avis défavorable. Je vous invite à vous rallier à mon amendement qui demande au Gouvernement de présenter ses objectifs et les résultats obtenus.

Le débat sur les quotas est légitime et intéressant. Dans notre pays, leur instauration poserait plusieurs problèmes : d’abord, cela crée une rupture d’égalité – un étranger se verrait accepté, un autre rejeté alors qu’ils ont tous deux les mêmes compétences – que le Conseil constitutionnel n’admettrait pas. Ensuite, cela pourrait s’avérer contre-productif : les partisans des quotas entendent privilégier l’immigration économique. Or les quotas s’appliqueraient précisément à ce type d’immigration, et non à l’asile ni au regroupement familial. Enfin, il ressort des auditions que personne ne sait comment les mettre en œuvre.

Je prends l’exemple d’un pays qui pratique les quotas, les États-Unis : Donald Trump s’était prononcé, lors de la campagne électorale, en faveur d’un mur avec le Mexique et de l’expulsion des clandestins. Il a été incapable de tenir sa promesse. Le seul levier dont il disposait consistait à plafonner le nombre de titulaires de visa de travail H1B, ce qui allait à l’encontre des intérêts économiques de son pays.

S’ils répondent à un objectif de contrôle démocratique de l’immigration légitime, les quotas s’avèrent contre-productifs.

Mme Laurence Robert-Dehault (RN). Non seulement les quotas varieraient en fonction de la composition du Parlement – la majorité présidentielle nous a démontré à plusieurs reprises, depuis 2017, qu’elle pouvait faire totalement fi de l’opinion majoritaire des Français –mais leur instauration serait irréalisable et sans intérêt tant la France échoue à juguler l’immigration clandestine qui, par définition, échapperait à ces quotas. Enfin, celle-ci pourrait constituer la première étape vers l’introduction dans notre droit de la discrimination positive, en totale contradiction avec l’idéal républicain. Nous ne prendrons donc pas part au vote.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE80 de M. Benjamin Haddad.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Il s’agit de demander au Gouvernement, d’une part, de présenter au Parlement des objectifs chiffrés concernant le nombre d’étrangers admis à séjourner ou à s’installer en France pour les trois années à venir, à l’exception de l’asile, et d’autre part, d’indiquer les raisons qui expliquent les écarts observés entre les objectifs fixés et les résultats réellement enregistrés. Ces exigences sont de nature à renforcer la transparence et notre rôle de contrôle de la politique migratoire.

M. Hadrien Ghomi (RE). L’idée des quotas peut paraître séduisante mais elle est inopérante tant les obstacles juridiques sont importants. Le texte adopté par le Sénat prévoit une exception pour l’asile mais oublie le regroupement familial, ce que ne manquera pas de sanctionner le juge constitutionnel. Je suis totalement favorable à l’amendement.

La commission adopte l’amendement.

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 1er A modifié.

Après l’article 1er A

Amendement AE45 de M. Thomas Portes

Mme Élise Leboucher (LFI-NUPES). L’amendement vise à inscrire dans la loi la responsabilité incombant aux pouvoirs publics d’offrir aux étrangers un accueil digne dès leur entrée sur le territoire français.

On ne quitte pas son pays natal pour le plaisir. Émigrer est toujours une double souffrance pour celui qui part : coupé de son pays d’origine, relégué dans son pays d’arrivée. Il est donc de notre devoir d’accueillir dignement.

Pour Filippo Grandi, Haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés : « Nous assistons à un changement de réalité où les déplacements forcés sont à la fois beaucoup plus fréquents et où le phénomène n’est plus à court terme et transitoire. On ne peut attendre des gens qu’ils vivent dans la tourmente pendant des années sans possibilité de rentrer chez eux ou de se bâtir un avenir là où ils se trouvent. Nous devons adopter une attitude fondamentalement novatrice et davantage accueillante à l’égard de ceux qui fuient, conjuguée à un effort résolu pour mettre fin aux conflits qui perdurent depuis des années et sont à l’origine même de ces intenses souffrances. ».

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Le principe de sauvegarde de la dignité humaine est déjà consacré par notre droit.

La disposition que vous proposez est à la fois trop contraignante et trop vague. Il ne suffit pas de créer un droit opposable dans un code pour qu’il soit automatiquement garanti. Il faut privilégier les dispositifs opérationnels.

Avis défavorable.

M. Kévin Pfeffer (RN). Nous partageons vos inquiétudes sur l’accueil des étrangers en situation régulière dans notre pays. Dans les conditions actuelles, si vous voulez accueillir mieux, il faut accueillir moins. Cela suppose d’étudier les demandes d’asile à partir des pays tiers et de prévenir fermement toute immigration irrégulière.

L’amendement n’a de sens que si l’immigration diminue significativement, ce qui ne sera manifestement pas le cas demain au vu des orientations du projet de loi, donc il convient de le rejeter.

Mme Nadège Abomangoli (LFI-NUPES). Je suis toujours étonnée d’entendre des groupes politiques qui s’érigent en gardiens de la souveraineté nationale souhaiter confier à des pays tiers le traitement des exilés. C’est complètement contradictoire et contre-productif.

La commission rejette l’amendement.

Article 1er BB : rapport du Gouvernement au Parlement envisageant la possibilité de mettre en place des visas francophones « travailleur » et « entrepreneur »

Amendements de suppression AE10 de M. Michel Guiniot et AE64 de M. Kévin Pfeffer.

M. Kévin Pfeffer (RN). Nous demandons la suppression de l’article car nous nous opposons à la création de visas de travail au bénéfice de pays membres de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF).

Malgré l’auto-satisfecit du président Macron, le taux de chômage augmente, atteignant 7,4 % au troisième trimestre en 2023 ; 71 % des Français estiment que l’immigration est trop importante en France.

La majorité des pays membres de l’OIF sont situés en Afrique, un continent qui reste économiquement fragile. L’immigration de masse que subit la France est aussi un fléau pour les pays en développement. Elle crée un cercle vicieux dans lequel le développement des pays d’origine est entravé par la fuite de ceux qui pourraient y contribuer le plus.

Par ailleurs, la baisse de l’immigration serait bénéfique pour l’emploi et les salaires en France, plusieurs études confirment cette analyse défendue depuis très longtemps par le Rassemblement national.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. L’article en question se borne à demander un rapport sur la mise en place de visas francophones « travailleur » et « entrepreneur », sans préjuger de ses conclusions. Le débat est intéressant car ces visas pourraient contribuer au rayonnement de notre pays dans la francophonie et à son attractivité, notamment sur le plan économique.

M. Bruno Fuchs (Dem). Je ne comprends pas les amendements puisque l’article a pour but d’enrichir le débat en mettant à notre disposition de nouvelles données et des pistes de réflexion.

On ne peut pas décemment parler d’immigration de masse en France. De plus, il y a une contradiction de la part du Rassemblement national à promouvoir la francophonie sans faciliter la mobilité au sein de l’espace francophone.

La commission rejette les amendements.

Amendement AE26 de M. Bruno Fuchs.

M. Bruno Fuchs (Dem). Il s’agit ici d’étendre le champ du rapport aux pays membres de l’Assemblée parlementaire de la francophonie (APF). En effet, certains d’entre eux ne sont pas membres de l’OIF : l’Angola, qui sera bientôt membre de l’APF, compte 13 % de francophones ainsi que des écoles françaises et francophones très efficaces. En outre, les propositions que fera l’APF à l’issue de son travail sur la mobilité internationale, notamment dans l’espace francophone, seront intéressantes.

Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Avis favorable. Tout ce qui permet d’enrichir le débat et de renforcer l’attractivité de la France au sein de la francophonie est bienvenu.

La commission adopte l’amendement.

Elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 1er BB modifié.

Article 4 (supprimé) : dispositif d’accès au marché du travail sans délai pour les demandeurs d’asile les plus susceptibles d’obtenir une protection internationale en France

Amendements AE1 de M. Hadrien Ghomi, AE35 de M. Thomas Portes et AE54 de Mme Danièle Obono soumis à une discussion commune.

M. Hadrien Ghomi (RE). L’article 4 a été supprimé par le Sénat. Notre amendement vise à le rétablir dans sa version initiale.

Il crée un dispositif d’accès au marché du travail sans délai pour les demandeurs d’asile dont il est fortement probable, au regard de leur nationalité, qu’ils obtiendront une protection internationale en France. Les demandeurs d’asile n’ont aujourd’hui accès au marché du travail qu’au bout d’un délai de six mois, sous réserve d’obtenir une autorisation préfectorale. Ces demandes d’autorisation de travail ne représentent que 2,3 % du total des demandeurs d’asile majeurs enregistrés au cours de l’année 2021. Nous sommes donc loin de créer un appel d’air à l’immigration incontrôlée, comme nous pouvons l’entendre. L’accélération de l’accès au marché du travail pour ces demandeurs d’asile se justifie par ailleurs par la lutte contre l’emploi illégal d’étrangers sans autorisation de travail. Ils bénéficieront également d’une formation linguistique et professionnelle visant à renforcer leur intégration. Enfin, avec la présente mesure, seuls les demandeurs d’asile ressortissants de pays dont le taux de protection excède un seuil élevé pourront accéder sans délai au marché du travail.

Le groupe Renaissance est attaché à l’équilibre global de ce projet de loi, entre fermeté sur l’immigration clandestine et intégration des étrangers travaillant sur notre sol. Or la suppression de cet article par le Sénat pourrait nuire à cet équilibre.

Mme Nadège Abomangoli (LFI-NUPES). L’amendement AE35 propose que les demandeurs d’asile puissent obtenir l’autorisation de travailler dès le dépôt de leur demande auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, au lieu de devoir attendre six mois. Ce délai est une incongruité qui participe à l’isolement des personnes et à leur précarisation alors qu’elles entament des démarches afin de rester en France.

L’article 4 du projet de loi prévoit que les demandeurs de certains pays sont exemptés de ce délai. Au nom du principe de dignité de la personne humaine, tout demandeur d’asile doit pouvoir accéder au travail dès le dépôt de sa demande, puisqu’on ne peut pas présager de l’issue de l’instruction.

Par ailleurs, l’amendement AE54 est défendu.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je précise que ces amendements sont en discussion commune car ils ont pour objet de rétablir l’article 4 mais dans une rédaction différente. J’ajoute que l’adoption de l’amendement AE1 ferait tomber les autres amendements.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. L’amendement AE1 vise à rétablir l’article 4 dans son écriture initiale. Cet article, dont l’objectif est d’assurer une meilleure insertion par le travail, prévoit un accès immédiat au marché du travail pour les demandeurs d’asile venant de pays dont le taux de protection constaté sur l’année civile précédente est de 50 % au moins – soit 14 500 personnes en 2022 –, laissant présupposer une forte probabilité d’obtenir une protection.

Les amendements AE35 et AE54 proposent de donner un accès au marché du travail à tous les demandeurs d’asile, ce qui entraînerait la délivrance de dix fois plus de titres de travail. Une telle mesure serait un appel d’air, sans compter qu’elle me semble très difficile à mettre en œuvre. Aucun de nos voisins n’est d’ailleurs aussi généreux.

Avis favorable à l’amendement AE1 et défavorable aux amendements AE35 et AE5.

Mme Laurence Robert-Dehault (RN). Le droit d’asile français est devenu une filière d’immigration parallèle et se trouvera davantage fragilisé par le rétablissement de l’article 4 prévoyant la délivrance d’un titre de séjour « travail dans des métiers en tension » dès le dépôt de la demande d’asile en France. Je rappelle que près de la moitié des demandes d’asile sont déboutées. Le risque est donc évident : un étranger souhaitant venir en France n’aura qu’à déposer une demande d’asile pour obtenir le droit de rester sur notre territoire grâce à ce titre de séjour, quand bien même sa situation ne serait pas celle d’un réfugié.

Le groupe Renaissance affirme vouloir, par cet amendement, rétablir l’équilibre de ce projet de loi, alors que 65 % des Français ne veulent pas accueillir d’immigrés supplémentaires. Le Rassemblement national s’oppose fermement à l’instauration d’une nouvelle filière d’immigration massive.

Plutôt que de faciliter l’arrivée d’étrangers et d’écraser les secteurs en tension, comme le bâtiment ou la restauration, sous les taxes et les contraintes réglementaires, nous préférons revaloriser ces métiers.

Mme Laurence Vichnievsky (Dem). Le critère du pays d’origine n’est peut-être pas le seul critère à retenir pour la délivrance immédiate d’un titre de séjour. En effet, la provenance d’un pays violant les droits de l’Homme ne garantit pas nécessairement que le demandeur d’asile ne présente aucun danger – le terme est sans doute un peu fort – pour le pays d’accueil

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Je soutiens les amendements déposés par le groupe La France insoumise. Tous ceux qui ont reçu des demandeurs d’asile savent qu’ils ne veulent pas profiter du pays : au contraire, leur souhait est de travailler le plus rapidement possible pour ne pas peser sur les finances de notre pays. Le respect de la dignité humaine demande de leur permettre de pouvoir subvenir à leurs besoins.

Madame Vichnievsky, je pense qu’il ne faut pas punir collectivement tous les demandeurs d’asile parce que quelques-uns pourraient poser problème.

Je me demande enfin à quels groupes politiques appartiennent les députés et les collaborateurs qui se font livrer leur repas par des travailleurs sans papiers à vélo car j’en vois très souvent.

M. Michel Herbillon (LR). Monsieur le rapporteur, dans quelle mesure la rédaction de l’article 4 que l’amendement AE1 propose de rétablir ne risque-t-elle pas de favoriser un appel d’air ?

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Madame Vichnievsky, le texte prévoit que tout demandeur d’asile présentant une possible menace pour l’ordre public ne pourra obtenir d’autorisation de travail. La procédure, inspirée de celle appliquée aux réfugiés ukrainiens, comporte donc des exceptions.

Monsieur Herbillon, je rappelle que l’obtention d’un titre de séjour ne préjuge en rien de la réponse que donnera l’OFPRA ou la Cour nationale du droit d’asile à leur demande de protection. Le texte ne change donc rien au droit de l’asile et ne pourra causer d’appel d’air.

La commission adopte l’amendement AE1 et donne ainsi un avis favorable au rétablissement de l’article 4.

En conséquence, les amendements AE35 et AE54 tombent.

Article 14 A : conditionnement de l’aide publique au développement envers les États peu coopératifs en matière de délivrance des laissez-passer consulaires indispensables aux procédures d’expulsion

Amendements de suppression AE6 de M. Alain David, AE41 de M. Andy Kerbrat et AE65 de M. Jean-Paul Lecoq

M. Alain David (SOC). Le groupe Socialistes et apparentés s’oppose fermement à cet article, qui prévoit le refus de visa long séjour à un étranger au motif que l’État dont il est le ressortissant n’est pas suffisamment coopératif pour admettre ceux de ses ressortissants faisant l’objet en France d’une mesure d’éloignement. Certains pays font certes des difficultés pour délivrer des laissez-passer consulaires mais celles-ci ne sauraient être réglées par un marchandage faisant dépendre la délivrance de visas à des personnes souhaitant se rendre légitimement dans notre pays du comportement de leur gouvernement.

Le Gouvernement a mis en place, en 2021, des restrictions à la délivrance de visas de l’ordre de 50 % pour le Maroc et l’Algérie et de 30 % pour la Tunisie. Cette politique, qui a finalement été abandonnée en 2022, a eu des effets délétères sur nos relations avec ces trois États, sans compter qu’elle a pris en otage les populations et alimenté leur sentiment d’injustice. Elle s’est donc avérée contre-productive et a porté atteinte à nos propres intérêts, notamment ceux liés à l’attractivité de notre pays.

Mme Élise Leboucher (LFI-NUPES). L’aide au développement, accordée par la France à travers l’Agence française de développement (AFD), contribue à des projets de développement dans plus de 150 pays dans le monde et participe à la mise en œuvre de la politique de solidarité internationale de notre pays. Nous sommes en désaccord avec l’organisation actuelle de l’aide au développement. Il nous semble préférable de transférer les moyens de coopération de l’AFD au ministère de l’Europe et des affaires étrangères car l’AFD agit avant tout comme une banque autonome.

L’article 14 A est une forme de chantage. La droite sénatoriale souhaite que la France exerce une pression sur les pays recevant notre aide au développement et qui sont des points de passage de migrants vers la France. Les sénateurs proposent que, pour continuer à recevoir les aides françaises, ces pays durcissent leurs contrôles migratoires, ce qui aurait pour conséquence de dégrader encore davantage les conditions de vie des migrants.

Nous refusons ce chantage car l’aide publique au développement doit être désintéressée et au service des populations qui en ont besoin. L’influence de la France et sa bonne image dans le monde en dépendent. En outre, il sera mal perçu par les populations des pays concernés, principalement ceux qui ont été colonisés par la France, qui pourront y voir une infantilisation de leur gouvernement et une tentative de contrôle de leurs institutions. Les migrants, qui cherchent un meilleur avenir en France, doivent être préservés des chantages mesquins de la droite sénatoriale et la réduction de l’aide au développement n’aura pas d’impact sur la coopération des États en matière migratoire.

L’aide au développement ne doit plus être un moyen de servir les intérêts des régimes oligarchiques et des multinationales : la coopération avec la société civile doit remplacer la dépendance néocoloniale.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). La migration est une richesse : elle permet le partage des cultures et participe aux échanges techniques et financiers. Conditionner l’aide au développement solidaire au nombre de laissez-passer consulaires qu’un pays accorde à la France serait une ahurissante régression de notre politique d’aide publique au développement. Dix-huit mois après avoir voté une loi d’orientation sur la politique de solidarité internationale et de développement relativement ambitieuse, le reniement serait de taille. Un très grand nombre d’organisations non gouvernementales (ONG) et d’organisations de la société civile se sont offusquées de cette idée abjecte. L’aide publique au développement n’est pas de la charité : elle permet d’atteindre collectivement les objectifs de développement durable des Nations Unies visant à rendre la vie sur terre meilleure dans le respect de l’environnement. Le dispositif proposé par le Sénat est dangereux car, en conditionnant l’aide publique, il ouvrirait une véritable boîte de Pandore.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Je précise que cet article n’était pas présent dans le texte initial et qu’il a été ajouté par la commission des lois du Sénat, à l’initiative des rapporteurs. Je ne suis pas favorable à sa suppression car il contient des leviers intéressants et je proposerai des amendements visant à garantir qu’ils ne pénalisent pas les populations et les sociétés civiles des pays concernés.

La France a déjà utilisé le levier des visas face aux pays peu coopératifs pour la délivrance de laissez-passer consulaires. Cet outil légitime doit être encadré, tout comme celui de l’aide au développement. Je ne suis pas favorable, à titre personnel, à mettre l’aide au développement sous tutelle du ministère de l’Europe et des affaires étrangères mais elle doit, en tant qu’outil de politique extérieure, être intégrée à la réflexion sur nos objectifs de politique étrangère concernant les migrations ou l’influence sur d’autres pays.

Avis défavorable.

Mme Maud Gatel (Dem). Les leviers d’action des visas et de l’aide au développement doivent être maniés avec une grande précaution. Ils sont intellectuellement séduisants mais leur application a eu des conséquences négatives pour l’image de notre pays. Toutefois, nous ne soutiendrons pas les amendements de suppression, afin de pouvoir débattre des amendements de M. le rapporteur pour avis qui proposent d’encadrer ces leviers afin qu’ils soient des outils effectifs vis‑à‑vis des dirigeants des pays concernés. J’ajoute que l’aide au développement est régie par des programmes pluriannuels qui ne peuvent être facilement suspendus.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Monsieur le rapporteur s’est dit défavorable au transfert de la compétence de l’aide au développement au ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Il me semble, à l’écouter parler, qu’il préférerait la transférer au ministère de l’intérieur, déjà compétent en matière de visas, afin que celui-ci ait la mainmise sur la politique migratoire.

La ministre de l’Europe et des affaires étrangères a fait une distinction nette entre l’aide publique au développement et l’aide humanitaire mais je n’ai pas entendu M. le rapporteur faire cette distinction. Il faut pourtant préciser les choses en distinguant l’aide allant aux États, qui doit être régulée, de celle allant aux ONG et aux associations qui dépendent de programmes pluriannuels d’aide pour pouvoir payer leurs personnels. Prenez garde à bien mesurer les conséquences de vos actions !

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Monsieur Lecoq, mon amendement AE82 vise précisément à exclure du champ de l’article l’aide versée aux partenaires de terrain et à cibler le soutien aux États, notamment par l’aide budgétaire. J’ajoute que je ne suis pas favorable à la mise sous tutelle du ministère de l’intérieur de l’aide publique au développement.

Le levier des visas doit obéir à la même logique, par exemple en excluant les visas étudiants. Ceci dit, il reste un outil aux mains de l’Exécutif, qui l’a déjà utilisé en 2022 avec succès puisqu’il a permis une augmentation assez sensible du nombre de délivrances de laissez-passer consulaires par les trois pays d’Afrique du Nord qui étaient concernés.

La commission rejette les amendements de suppression.

Amendement AE79 de M. Benjamin Haddad

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Cet amendement propose de cibler les visas court séjour sollicités par les titulaires d’un passeport diplomatique délivré par un pays peu coopératif en matière de laissez-passer consulaires. Il s’agit donc de cibler les responsables politiques plutôt que la population dans son ensemble.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AE74 de M. Sébastien Chenu

M. Jérôme Buisson (RN). La rédaction actuelle de l’article laisse une trop grande marge d’appréciation. Nous proposons donc d’en retirer le mot « particulièrement », afin de cibler les pays délivrant un nombre faible de laissez-passer consulaires. En 2022, seulement 6,9 % des obligations de quitter le territoire français ont été exécutées. À force de ne plus rien exiger, la France n’est plus respectée.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Il convient de maintenir une position nuancée et donc de ne pas supprimer cet article, ni de le durcir au point de rendre son application quasiment automatique. Sur ce point, la rédaction actuelle doit être maintenue afin de laisser une marge d’appréciation aux décideurs de l’Exécutif.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE76 de M. Benjamin Haddad

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Cet amendement propose d’exclure du champ de l’article les visas long séjour délivrés aux étudiants. Notre pays cherche à être le plus attractif possible pour les étudiants étrangers. C’est une priorité du président de la République et les étudiants avaient d’ailleurs été exclus des pressions faites auprès du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie en 2022.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Quelle définition est retenue de la condition d’étudiant pour la délivrance des visas ? Je vous pose la question car, lors de la visite d’une université à Dakar, qui est financée par la France, j’ai rencontré un étudiant en physique nucléaire qui n’avait pu effectuer son stage, obligatoire pour obtenir son diplôme, car le visa pour le faire en France – les organismes dans ce domaine ne sont pas nombreux au Sénégal et même en Afrique – lui avait été refusé. La France va-t-elle, avec cette loi, aller finalement au bout de l’idée de permettre aux étudiants d’obtenir un diplôme dans leur pays ?

M. Bruno Fuchs (Dem). Pourquoi n’exclure que les étudiants et pas les artistes ou les chefs d’entreprise ?

En plus de l’exemple donné par M. Lecoq, on pourrait en donner des centaines, comme celui de cet étudiant ayant suivi toute sa scolarité dans des institutions françaises en Côte d’Ivoire avant d’obtenir le bac avec mention très bien et qui s’est vu refuser un visa.

De façon plus générale, il faut revoir radicalement notre politique de visas, c’est d’ailleurs l’une des conclusions du rapport d’information sur les relations entre la France et l’Afrique, que j’ai rédigé avec Mme Michèle Tabarot.

M. Michel Herbillon (LR). Le texte du Sénat n’introduit aucune obligation : il dispose que le visa de long séjour « peut être refusé », et non qu’il sera automatiquement refusé. Je ne vois pas ce qu’apporte votre amendement, sauf s’il a pour effet, ce qui serait problématique, d’accorder automatiquement un visa de long séjour aux étudiants qui en font la demande.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je comprends votre crainte de l’automaticité mais ce que j’ai constaté, lors de mes déplacements en Afrique, c’est que les gens ont un profond sentiment d’arbitraire, s’agissant de l’octroi des visas ; ils ont l’impression que c’est la loterie. Or cette impression est très toxique pour l’image de notre pays.

Mme Eléonore Caroit (RE). Les étudiants africains ne sont pas les seuls à rencontrer des difficultés : on en constate dans nombre de lycées français à travers le monde. Étudier dans le réseau de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) représente un investissement financier pour les familles étrangères qui, en plaçant leurs enfants dans ces établissements, s’attendent à ce qu’ils puissent ensuite faire leurs études en France. Le sentiment d’arbitraire que vous décrivez tient aussi à la faiblesse des moyens dont disposent certains postes consulaires : il arrive parfois que le personnel n’ait tout simplement pas le temps de traiter des demandes. Je suis favorable à cet amendement, qu’il faudrait peut‑être sous-amender.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Nous pourrons débattre en séance publique de la définition du visa étudiant mais mon amendement ne la modifie en rien. M. Herbillon a raison d’insister sur la non-automaticité : la disposition relative aux restrictions de visas doit rester un levier aux mains de l’Exécutif. Il me paraît toutefois utile d’en préciser le cadre. Nous avons durci le texte du Sénat en ajoutant une disposition relative aux visas diplomatiques de court séjour mais il me paraît important, à l’inverse, d’exclure les étudiants du dispositif introduit par cet article.

M. Michel Herbillon (LR). Si l’enjeu est de trouver un équilibre entre l’automaticité et l’arbitraire, le texte du Sénat me semble meilleur.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Il ne s’agit pas de donner automatiquement des visas aux étudiants mais de dire que les visas étudiants seront exclus de la politique qui consiste à utiliser la délivrance de visas comme un levier sur la question des laissez-passer consulaires. Mon amendement, en réalité, vise à ne pas modifier les conditions actuelles d’obtention des visas étudiants.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AE82 de M. Benjamin Haddad

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Je propose que seules les aides directes aux États puissent faire l’objet de suppressions ou de restrictions d’APD, et pas celles qui financent des projets bénéficiant directement aux populations, qu’ils soient le fait d’ONG, d’associations, d’entreprises ou de la société civile. C’est une manière de nous aligner sur ce que fait l’Union européenne.

Mme Élise Leboucher (LFI-NUPES). La loi du 4 août 2021 rappelait que la solidarité internationale par l’APD est complémentaire de la diplomatie, et non corrélée à celle-ci. Lorsque j’ai interrogé la ministre de l’Europe et des affaires étrangères sur la suspension de l’APD au Sahel, notamment au Mali, au Burkina Faso et au Niger, elle m’a fait une réponse qui reprend la distinction que vous faites, puisqu’elle m’a dit que cela ne concernait pas l’humanitaire. Pourtant, les ONG et les associations sont impactées par cette décision et cela a des conséquences directes sur la vie des gens : au Sahel, des cours d’alphabétisation sont suspendus, des licenciements ont lieu.

Qu’entend-on exactement par humanitaire ? Est-ce que cela inclut l’accès à l’eau et l’agriculture, laquelle permet de lutter contre la faim et la pauvreté ? Je ne suis pas certaine que cet amendement permette d’atteindre l’objectif visé.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Monsieur Lecoq, je vois que vous demandez la parole mais je ne peux vous la donner que si vous êtes pour cet amendement, car je ne prends qu’un pour et un contre.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Je suis tout à fait pour cet amendement, à condition qu’il soit sous-amendé. Je propose que l’on écrive très précisément ce que vous venez de nous dire, monsieur le rapporteur pour avis, à savoir que cette disposition ne concerne pas les projets des ONG mais seulement les aides directes aux États. Il faudrait par ailleurs ajouter que l’on s’interdit aussi de vendre des armes à ces mêmes États.

Mme Mireille Clapot (RE). Je vais m’abstenir sur cet amendement, même si je salue le travail du rapporteur pour avis et si le groupe Renaissance, auquel j’appartiens, y est favorable. L’aide publique au développement doit venir en aide aux populations et je ne suis pas favorable à ce qu’elle soit utilisée comme un levier ou comme une arme pour jouer sur la « gestion des flux migratoires ». Du reste, l’article 14 A, dans son ensemble, me paraît complètement bancal.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Mon amendement ne concerne que les aides directement attribuées aux États mais je ne suis pas opposé à ce que cette rédaction soit précisée en séance publique. Madame Leboucher, les exemples que vous avez pris au Sahel ne seraient pas concernés par mon amendement.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE75 de M. Sébastien Chenu

M. Jérôme Buisson (RN). La rédaction actuelle de l’article laisse une trop grande marge d’appréciation : supprimer le mot « particulièrement » permettrait de cibler les pays délivrant un nombre faible de laissez-passer consulaires. Rejeter cet amendement, c’est se priver d’un levier d’action sur le contrôle de l’immigration qui, je le rappelle, est le fond de ce projet de loi.

Suivant l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

Amendement AE81 de M. Benjamin Haddad

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Je propose de nous aligner sur l’Union européenne en consacrant une part de notre aide publique au développement à la gestion des flux migratoires. Il s’agirait d’aider nos partenaires à renforcer leurs contrôles aux frontières, à moderniser leur état-civil ou à développer leur politique d’asile et d’accueil de réfugiés.

Prenons l’exemple de la Tunisie, d’où partent nombre de migrants. L’aide publique au développement française pourrait servir à rendre ses frontières avec la Libye et l’Algérie moins poreuses et à y créer une politique d’asile. Le directeur de l’AFD dit qu’il n’y a pas de raison de penser qu’un pays comme la Tunisie doit nécessairement être un pays de transit : il peut aussi accueillir dignement les réfugiés ou les migrants qui souhaitent s’y installer.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AE27 de M. Bruno Fuchs

M. Bruno Fuchs (Dem). Je suis d’accord avec Mireille Clapot : l’article 14 A est bancal et mal rédigé. L’alinéa 6 dispose que l’AFD « prend en compte » la coopération des États en matière de lutte contre l’immigration irrégulière : juridiquement, cette formule n’a pas beaucoup de valeur. Par ailleurs, la disposition proposée serait contre-productive : cesser de soutenir les politiques éducatives, culturelles et d’égalité entre les femmes et les hommes est le meilleur moyen de susciter des flux migratoires clandestins en provenance de ces pays.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Je ne suis pas favorable à la suppression des alinéas 5 et 6, que vous demandez. L’APD prend déjà en compte la qualité de la coopération des États en matière de lutte contre l’immigration irrégulière, comme l’a souhaité le président de la République. Cela correspond aussi à une réflexion menée, au sein de l’Union européenne, sur la manière d’articuler politique extérieure, politique de développement et politique migratoire. Il faut à la fois s’attaquer aux causes profondes des migrations – sécuritaires, économiques, climatiques –, et garantir une meilleure gestion des flux, en renforçant les capacités de nos partenaires.

M. Carlos Martens Bilongo (LFI-NUPES). Demander aux établissements de l’AFD d’intégrer à leurs missions la gestion de la question migratoire est un non-sens. Ce sera très mal perçu par les pays où ils sont implantés et cela aura des répercussions sur nos relations avec ces pays.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. En réalité, la question migratoire est déjà l’un des axes de notre politique de développement. Que l’on puisse améliorer la rédaction de l’article, je le conçois, mais je ne vois pas en quoi il dénaturerait, sur le fond, notre politique de développement.

La commission adopte l’amendement.

Elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 14 A modifié.

Article 14 : durcissement des sanctions à l’encontre des passeurs

Amendement de suppression AE42 de Mme Élisa Martin

Mme Ersilia Soudais (LFI-NUPES). Avec cet article, le Gouvernement s’attaque aux passeurs et renforce l’arsenal juridique en vigueur, qu’il ne trouve pas assez dissuasif pour décourager l’aide à l’entrée et au séjour irréguliers d’étrangers en bande organisée. Il entend criminaliser ces actes en aggravant les peines encourues.

Nous condamnons évidemment avec la plus grande fermeté la marchandisation de la misère humaine et des migrants, qui fuient souvent des pays en guerre, où ils risquent déjà leur vie au quotidien. Mais nous estimons que la surenchère pénale ne sera d’aucune utilité dans la lutte contre les réseaux de passeurs. Nous pensons au contraire que cela ne fera que les renforcer : en effet, plus les risques encourus seront importants, plus les sommes demandées aux personnes contraintes de migrer seront élevées. Et comme c’est une question de survie, ils paieront.

En outre, cet article risque d’atteindre par ricochet les associations humanitaires d’aide aux migrants, ainsi que les citoyens à qui il peut arriver de leur apporter un soutien. Le délit d’aide au séjour irrégulier date de 1938 et il est sanctionné de plus en plus sévèrement, en contradiction totale avec le principe de fraternité consacré par le Conseil constitutionnel en juillet 2018, tout au moins pour l’aide au séjour. Même si les organisations humanitaires sont explicitement exclues du champ de cet article, l’amalgame qui est entretenu implicitement contrevient d’évidence à nos principes républicains.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Avis défavorable. Cet article vise à criminaliser les réseaux de passeurs qui se rendent coupables de trafic d’êtres humains, de trafic de drogue et de prostitution, en renforçant les sanctions qui s’exercent sur eux. Il s’agit de nous aligner sur ce que font nos voisins européens.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Je suis plutôt favorable au maintien de cet article, même si l’amendement de notre collègue a le mérite d’appeler notre attention sur les amalgames qui pourraient être faits. Pour ma part, je pense qu’il importe de définir très précisément ce qu’est un passeur. Une personne qui, à l’époque de la jungle de Calais, a acheté un canoë ou un zodiac dans un magasin de sport et a embarqué ses copains n’était pas un passeur mais un migrant généreux. Il faut préciser cet article pour que ceux qui seront chargés de l’appliquer – les forces de police, la justice, etc. – fassent bien la différence entre un passeur et une personne solidaire – et c’est valable aussi pour les ONG.

M. Alexis Jolly (RN). Avec cet amendement, la gauche refuse la criminalisation des groupes sans scrupule qui organisent l’immigration illégale sur le territoire national, créent des troubles à l’ordre public et constituent une véritable mafia. On a bien compris que, pour nos collègues, l’immigration est un dogme, un article de foi, et qu’ils ne souhaitent que la continuation anarchique des flux migratoires et l’ouverture totale des frontières aux quatre vents. Pour notre part, nous voterons contre cet amendement.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Monsieur Lecoq, cela relève de la décision du juge. Le code des étrangers prévoit que ces peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende lorsque les faits : sont commis en bande organisée ; sont commis dans des circonstances qui exposent directement les étrangers à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente ; ont pour effet de soumettre les étrangers à des conditions de vie, de transport, de travail ou d’hébergement incompatibles avec la dignité de la personne humaine ; sont commis au moyen d’une habilitation ou d’un titre de circulation en zone réservée d’un aérodrome ou d’un port ; ont pour effet d’éloigner des mineurs étrangers de leur milieu familial ou de leur environnement traditionnel.

Tout cela figure déjà dans le droit. Avec cet article, nous nous alignons sur ce que font nos voisins, en criminalisant cette pratique. Pour les mêmes réseaux et les mêmes actes, les peines encourues sont beaucoup plus lourdes en Belgique et en Allemagne qu’en France.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE19 de Mme Yaël Menache

Mme Stéphanie Galzy (RN). Cet amendement vise à aggraver les peines pour les infractions suivantes : le fait, pour toute personne, de faciliter ou de tenter de faciliter, par aide directe ou indirecte, l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger en France ; le fait, pour toute personne, de faciliter ou de tenter de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger sur le territoire d’un autre État partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 ou sur le territoire d’un autre État partie au protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, signée à Palerme le 12 décembre 2000.

Suivant l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

Amendement AE66 de M. Michel Guiniot

M. Michel Guiniot (RN). Cet amendement vise à lutter contre le financement du trafic d’êtres humains en exposant ses auteurs aux sanctions prévues par le 12° de l’article 131‑39 du code pénal, qui prévoit l’interdiction, pour une durée de cinq ans au plus de percevoir toute aide publique attribuée par l’État, les collectivités territoriales, leurs établissements ou leurs groupements, ainsi que toute aide financière versée par une personne privée chargée d’une mission de service public.

Il paraît cohérent de donner la possibilité au magistrat d’utiliser toutes les outils à sa disposition pour lutter contre l’immigration illégale et le financement du trafic d’êtres humains, dans le cadre des peines complémentaires applicables aux personnes morales.

Suivant l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 14 non modifié.

Article 18 : allongement à cinq ans de la durée maximale de l’interdiction de retour sur le territoire français dont le préfet peut assortir une obligation de quitter le territoire français

Amendement de suppression AE67 de M. Jean-Paul Lecoq

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Avec cet article, vous proposez de porter à cinq ans la durée maximale de l’interdiction de retour sur le territoire français (IRTF), qui peut être décidée à la suite d’une obligation de quitter le territoire français.

Les personnes qui ne se voient pas renouveler leur visa sont automatiquement frappées d’une OQTF, alors même qu’elles ont vécu en France, y ont tissé des relations et même, parfois, construit une famille. Éloigner ces personnes de leurs proches pendant deux ou trois ans, c’était déjà très long ; mais cinq ans, c’est une éternité. Accepteriez-vous, chers collègues, d’être tenus éloignés de vos repères pendant cinq ans ? Ne décideriez-vous pas de revenir auprès de votre famille, quitte à être dans l’illégalité ?

Parce que cette mesure risque d’accroître le nombre de personnes en situation irrégulière et qu’elle renforce inutilement un dispositif déjà néfaste, nous demandons la suppression de cet article.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Cette disposition vise à signifier clairement que lorsqu’une personne ne respecte pas la loi, le préfet a autorité pour interdire son retour sur le territoire national pendant cinq ans.

Avis défavorable.

M. Alain David (SOC). J’aimerais illustrer l’aberration que représentent parfois les OQTF en évoquant la situation d’une jeune Ukrainienne, entrée en France en 2015 ou 2016, au moment de l’invasion de la Crimée. À son arrivée, elle a fait une demande d’asile, qui lui a été refusée. Elle est néanmoins restée en France, s’est mariée et a eu des enfants et on s’apprête aujourd’hui à exécuter son OQTF. Il est totalement absurde de renvoyer en Ukraine une mère et ses enfants, nés en France, alors que ce pays est en guerre. Mais toutes les administrations en font une question de principe.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Je note tout d’abord que la situation que vous décrivez ne relève pas de l’article que nous sommes en train d’examiner mais de celui qui traite des OQTF. Il se peut effectivement qu’il y ait des dysfonctionnements administratifs... Ce que vous dites me surprend car nous avons évoqué la situation des Ukrainiens lorsque nous avons auditionné les représentants de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et de la Cour nationale du droit d’asile. Or, on nous a indiqué qu’un Ukrainien dont la demande d’asile a été rejetée avant le 24 février 2022 peut en refaire une, dans la mesure où la situation géopolitique a changé.

Mme Laurence Robert-Dehault (RN). Je voudrais réagir aux propos de mon collègue Jean-Paul Lecoq : je ne comprends pas comment on peut accepter que des personnes ayant commis des délits sur notre territoire y reviennent et risquent d’en commettre à nouveau.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). On peut faire l’objet d’une OQTF sans avoir commis de délit : il suffit qu’un juge ait considéré que l’on n’avait rien à faire sur le territoire français.

On peut faire l’objet d’une OQTF tout en ayant vécu une vie tout à fait normale et il ne me paraît pas justifié que l’on soit interdit de retour pendant cinq ans alors qu’on a travaillé en France et qu’on y a une famille. Cela n’a rien à voir avec la délinquance.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE31 de Mme Laurence Robert-Dehault

Mme Laurence Robert-Dehault (RN). Notre droit prévoit qu’une interdiction de retour sur le territoire français est automatiquement prononcée à l’encontre d’un étranger faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire. Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit une durée maximale à la période d’interdiction de retour sur le territoire français : elle est fixée à trois ans et ce projet de loi propose de la porter à cinq ans.

Pourquoi, au fond, fixer un seuil d’années maximal à l’interdiction de retour des indésirables ? Pourquoi s’autolimiter en permettant à de potentiels multirécidivistes de revenir sur notre territoire après deux, trois ou cinq ans ? Ne faudrait-il pas, à l’inverse, fixer un seuil minimal d’années d’interdiction de retour sur notre sol, qui varierait en fonction de la dangerosité potentielle ou avérée de l’individu ?

Nous proposons, avec cet amendement, de supprimer le plafond de la durée maximale d’années d’interdiction de retour sur le territoire français.

Suivant l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

Amendement AE9 de M. Michel Guiniot

M. Michel Guiniot (RN). L’alinéa 5 de l’article 18 étend à cinq ans, contre trois actuellement, la durée maximale des effets de l’interdiction de retour sur le territoire français.

Nous proposons de maintenir cette obligation de bon sens, initialement proposée par le Gouvernement, et qui a eu l’approbation de la majorité sénatoriale, en commission comme dans l’hémicycle. Mais nous proposons d’ajouter une durée minimale d’interdiction de retour sur le territoire français, dans le cas où un étranger sommé de le quitter ne l’a pas fait. Il ne s’agit pas de juger d’une situation personnelle mais bien d’une volonté manifeste de ne pas respecter nos lois et nos décisions souveraines.

Il y va de l’ordre public et de la sécurité de nos concitoyens.

Suivant l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

Amendement AE36 de M. Andy Kerbrat

Mme Nadège Abomangoli (LFI-NUPES). Cet amendement vise à motiver les décisions d’IRTF.

Suivant l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

Elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 18 non modifié.

Article 18 bis : refus de visa opposable à l’étranger qui ne démontre pas avoir respecté les modalités d’exécution d’une obligation de quitter le territoire français prononcée depuis moins de cinq ans

Amendements de suppression AE43 de Mme Andrée Taurinya et AE68 de M. Jean-Paul Lecoq

Mme Nathalie Oziol (LFI-NUPES). Cet article dispose qu’un visa ne peut être accordé à un étranger qui a fait l’objet d’une OQTF depuis moins de cinq ans et qui n’apporte pas la preuve qu’il a bien quitté le territoire français dans le délai qui lui a été accordé.

Le Conseil d’État propose de ne pas retenir cette disposition : d’abord, parce qu’il sera difficile pour l’étranger de prouver qu’il a bien respecté l’OQTF dont il faisait l’objet ; ensuite, parce qu’une telle disposition est susceptible de faire naître un nouveau volet dans le contentieux des refus de visas, alors même que ce projet de loi prétend désengorger les tribunaux.

Le Conseil d’État note également qu’il est d’ores et déjà possible à l’autorité consulaire saisie d’une demande de visa de s’enquérir des conditions d’exécution d’une OQTF et d’en tenir compte pour accueillir ou rejeter la demande et que la création par la loi de cas où l’administration est tenue de refuser le visa est de nature à fragiliser le pouvoir discrétionnaire qui lui est depuis toujours reconnu dans cette matière.

Enfin, dans la mesure où les services préfectoraux mènent une politique de distribution à outrance des OQTF, en instrumentalisant la notion de « menace grave à l’ordre public », nous ne voyons pas pourquoi un étranger sous le coup d’une telle mesure d’éloignement perdrait, par principe, le droit de faire une demande de visa en bonne et due forme afin d’obtenir un titre lui permettant d’entrer sur le territoire.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Cet article conjugue l’allongement à cinq ans de la durée d’interdiction de retour et l’institution d’un nouveau motif de refus de visa, lorsque l’étranger ne démontre pas avoir respecté les modalités d’exécution d’une OQTF prononcée depuis moins de cinq ans.

Qu’est-ce qui sera considéré comme une preuve ? La présentation d’un titre de transport suffira-t-elle, quand on sait qu’à l’ère du numérique, les titres de transport sont très rarement oblitérés ? Conserver son titre de transport pendant plus de cinq ans peut s’avérer difficile, vu la précarité de l’archivage numérique dans certains pays. Les compagnies de transport seront-elles en mesure de confirmer qu’une personne aura bien effectué tel trajet à telle date ? Vous êtes-vous assuré, monsieur le rapporteur pour avis, que les compagnies coopéreront à ce genre de dispositif ? Y aura-t-il une procédure judiciaire pour les obliger à le faire ?

Nous demandons la suppression de cet article, à moins, monsieur le rapporteur pour avis, que vous ayez pris toutes les précautions nécessaires et que vous puissiez répondre à ces questions.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Je rappelle qu’une exception est prévue à ce principe, lorsque des circonstances humanitaires sont constatées par l’autorité chargée de délivrer le visa.

Un titre de transport prouvant le franchissement de la frontière avant la fin du délai de départ volontaire prévu par l’OQTF peut effectivement faire office de preuve. C’est aussi le cas de tout document attestant la réalisation de démarches en dehors du territoire français. Je signale que c’est un débat européen, puisque l’OQTF concerne en réalité l’ensemble de l’espace Schengen. C’est d’ailleurs l’objet du développement des fichiers Eurodac et de la coopération entre les pays européens pour avoir le plus de statistiques possible sur les entrées et les sorties.

La commission rejette les amendements.

Elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 18 bis non modifié.

Article 19 : création des pôles territoriaux « France Asile » pour simplifier le parcours administratif des demandeurs d’asile

Amendements de suppression AE46 de M. Andy Kerbrat et AE71 de M. Jean-Paul Lecoq

Mme Nathalie Oziol (LFI-NUPES). Nous sommes opposés à la régionalisation de l’OFPRA et à la création des pôles territoriaux « France asile », chargés de : l’enregistrement de la demande d’asile par l’autorité compétente ; l’octroi des conditions matérielles d’accueil du demandeur d’asile et l’évaluation de la vulnérabilité et des besoins du demandeur d’asile ; l’introduction de la demande d’asile auprès de l’OFPRA ; l’entretien personnel, enfin, lorsque cet entretien est mené dans le cadre d’une mission déconcentrée.

La régionalisation et la création des pôles territoriaux visent principalement à réduire les délais d’instruction et ne sont pas faites dans l’intérêt des demandeurs d’asile. L’article 19 ne définit pas le statut de la nouvelle entité « France asile », ce qui fait naître des craintes quant à l’indépendance et à l’autonomie de l’établissement public qu’est l’OFPRA. Son personnel serait en effet placé sous l’autorité des préfets.

En accélérant les procédures, l’objectif du Gouvernement est de juger de plus en plus vite, pour expulser de plus en plus vite ; les syndicats nous alertent sur ce danger. Une trop grande accélération des procédures n’est pas forcément bénéfique, ni pour les personnes qui demandent l’asile et qui seront privées du laps de temps nécessaire pour préparer leur demande, ni pour les services qui traitent ces demandes.

D’après l’étude d’impact, cette réforme devrait permettre de réduire les dépenses liées à l’allocation pour demandeur d’asile (ADA) de 18,1 millions d’euros par an. En parallèle, le coût de la création des pôles territoriaux « France asile », qui s’établirait entre 10 et 12 millions d’euros, semble largement sous-estimé. La création de ces pôles n’est qu’une fausse solution, qui marque un recul dans la vision de l’asile en France.

Pour toutes ces raisons, nous proposons la suppression de cet article.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Avis défavorable. La moitié des demandes d’asile se faisant en dehors de l’Île-de-France, il s’agit de rapprocher progressivement du terrain l’OFPRA et la CNDA, afin d’accélérer les délais.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Cette décentralisation pose la question des effectifs. Avons-nous la garantie qu’il y aura suffisamment d’avocats et d’interprètes disponibles dans les nouveaux sites ?

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Les ressources de l’OFPRA ont été renforcées pour pouvoir traiter plus de demandes : elle en juge 140 000 actuellement et pourra en juger 155 000 l’an prochain. L’aspect progressif de la décentralisation vise à faire en sorte qu’il y ait suffisamment d’avocats et d’interprètes sur le terrain. Le délai plancher incompressible de vingt et un jours permet aux demandeurs d’asile d’avoir le temps de préparer leur dossier avec les associations.

La commission rejette les amendements.

Amendement AE17 de Mme Michèle Tabarot

Mme Michèle Tabarot (LR). Les demandes d’asile doivent être traitées dans les pays d’origine, au sein de notre réseau diplomatique et consulaire. Le président de la République affirmait le 23 août 2023 que le droit d’asile était dévoyé par les réseaux de passeurs, ce que notre groupe affirme depuis des années, sans jamais avoir été entendu par la majorité gouvernementale. Le nombre de demandes d’asile ne fait que croître chaque année. En 2022, plus de 155 000 requêtes d’asile ont été formulées, selon le ministère de l’intérieur, soit une hausse de 28,3 % par rapport à 2021. Ces requêtes sont bien souvent rejetées par l’OFPRA ou la CNDA. Dans un référé sur la politique d’asile, la Cour des comptes a souligné que 96 % des personnes déboutées restaient en France, faisant autant d’immigrés en situation irrégulière. Il faut mettre fin au détournement du droit d’asile.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Je partage votre objectif. Néanmoins, votre proposition ne paraît ni faisable sur le plan pratique, ni constitutionnelle, au-delà même de nos obligations conventionnelles.

L’alinéa 4 du préambule de la Constitution de 1946 prévoit que les demandes d’asile se fassent sur le territoire français.

Sur le plan purement pratique, les pays qui se sont engagés dans cette voie n’y arrivent pas. Le Royaume-Uni et le Danemark ont signé des accords avec le Rwanda : il n’y a pas eu un seul demandeur d’asile sur le territoire rwandais. L’Italie a également signé un protocole d’accord, un peu différent, avec l’Albanie.

Votre proposition n’empêcherait pas les demandes d’asile sur le territoire français. Avis défavorable.

Mme Michèle Tabarot (LR). C’est très simple : il faut seulement une volonté politique qui mette les moyens nécessaires. Quant au volet constitutionnel, nous avons déposé une proposition de loi constitutionnelle qui devrait être examinée très prochainement. N’hésitez pas à nous donner la possibilité de mettre la Constitution en phase avec nos orientations politiques !

Mme Stéphanie Galzy (RN). Cet amendement est plus que nécessaire. Le droit d’asile est devenu l’une des voies principales de l’immigration illégale, puisque l’immense majorité des demandeurs sont déboutés mais demeurent en France. Notre pays doit reprendre le contrôle sur nos frontières qui sont devenues des passoires, comme le pense un grand nombre de nos concitoyens.

Je remarque également que la machine à photocopier LR fonctionne très bien : lors de la dernière campagne présidentielle, Marine Le Pen voulait imposer que les demandes d’asile soient déposées dans les services des ambassades et consulats français.

Mme Michèle Tabarot (LR). Cela fait tout de même des années que nous en parlons !

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Quand quelqu’un risque sa vie en restant dans son pays et cherche une protection – c’est le principe même du droit d’asile –, vous voudriez qu’il exprime dans son pays les raisons pour lesquelles il veut le quitter.

M. Kévin Pfeffer (RN). Dans une ambassade !

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Dès qu’il va y entrer, il sera affiché ! À moins que nos ambassades ne se transforment en centres d’hébergement et que l’on y garantisse la protection des demandeurs d’asile… Or ce n’est pas ce que vous prévoyez.

En gros, l’individu ressort de l’ambassade, se fait prendre par les services de renseignement de sa dictature et va devoir expliquer, parfois sous la torture, pourquoi il est entré dans l’ambassade de France. Il faut garder en tête ce que signifie le droit d’asile que des résidents de notre pays ont utilisé à certaines périodes de notre histoire.

Nous devons limiter ses dérives mais vos propositions ne sont pas les bonnes.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE32 de Mme Laurence Robert-Dehault

Mme Laurence Robert-Dehault (RN). Nous ne pouvons que constater le dévoiement du droit d’asile en France. En 2022, 137 505 premières demandes d’asile ont été enregistrées selon Eurostat. Ce nombre représente une hausse de 227 % par rapport à 2009. Le taux d’acceptation des demandes par l’OFPRA et la CNDA est d’environ 40 %. Parmi les déboutés, 96 % se maintiennent sur le territoire français, selon la Cour des comptes. La réforme du guichet unique ne permettra en aucune manière d’endiguer ce phénomène. Pis, le dispositif proposé fait courir le risque de mettre les préfectures en difficulté face à l’OFII et à l’OFPRA, qui sont trop souvent des soutiens actifs à l’immigration. Il faut redonner au droit d’asile sa juste application, afin qu’il ne soit plus une filière d’immigration mais un moyen de protéger les persécutés.

Nous proposons d’obliger les demandeurs d’asile à effectuer leur demande auprès du réseau consulaire français. Le bénéfice serait double : ne plus faire payer aux Français l’hébergement d’urgence inconditionnel, ainsi que l’allocation pour demandeur d’asile de dizaines de milliers d’étrangers déboutés chaque année ; ne pas garder sur notre territoire des étrangers déboutés, dangereux ou instables mentalement. Puisque la France est incapable de renvoyer les immigrés illégaux chez eux, autant traiter les demandes en amont.

Suivant l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

Amendement AE51 de M. Andy Kerbrat

Mme Nadège Abomangoli (LFI-NUPES). L’amendement vise à ce que les demandeurs d’asile puissent être accompagnés d’un avocat ou d’une association lors de l’enregistrement de leur demande au sein des pôles France asile.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Avis défavorable, dans la mesure où il ne s’agit que d’une étape administrative.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE52 de Mme Élisa Martin

Mme Ersilia Soudais (LFI-NUPES). L’amendement vise à supprimer la deuxième phrase de l’alinéa 4. Le Gouvernement souhaite que l’introduction de la demande auprès de l’OFPRA se fasse au même moment que l’enregistrement de la demande au sein des pôles « France asile », ce qui ajoute une embûche supplémentaire.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Avis défavorable.

M. Alexis Jolly (RN). La gauche ne veut pas d’une procédure qui permettrait d’apporter rapidement une réponse favorable à ceux qui doivent être admis dans notre pays et d’expulser rapidement ceux qui n’ont rien à y faire. Tout est bon pour faire pourrir la situation et favoriser l’immigration clandestine, que vous considérez comme un bienfait et un principe sacré.

La commission rejette l’amendement.

Elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 19 non modifié.

Après l’article 19

Amendement AE22 de M. Thibaut François

M. Kévin Pfeffer (RN). Ce dispositif, présenté par Marine Le Pen, aux deux dernières élections présidentielles, dans sa proposition de réforme constitutionnelle par référendum, vise à lutter contre le dévoiement du droit d’asile, qui est devenu l’une des voies principales de l’immigration illégale et est très coûteux.

Selon le ministère de l’intérieur, les demandes d’asile ont bondi de 30 % en 2022. Il faut envoyer un signal fort pour mettre fin à cette exploitation d’un droit légitime détourné de son objectif initial, surtout parce que plus de la moitié de ces demandes sont refusées et que 96 % des déboutés se maintiennent sur notre territoire, en raison d’une très faible exécution des OQTF ; encore une promesse non tenue de MM. Macron et Darmanin !

Le RN propose que les demandes d’asile soient faites auprès de notre réseau consulaire, et ce depuis n’importe quel pays du monde, monsieur Lecoq. Ce peut donc être dans un pays voisin du pays du demandeur. Nous savons en effet que, dans les régimes communistes, il était habituel de torturer les visiteurs des ambassades pour leur soutirer des informations. Demain, les demandes d’asile devront être déposées avant l’entrée sur le territoire. Aucune entrée ne pourrait donc se faire avant acceptation et aucune entrée clandestine ne pourrait donner lieu à une régularisation ultérieure. Il ne s’agit aucunement d’une perte de souveraineté mais d’un levier fort de maîtrise des entrées illégales, qui permettra, qui plus est, de réaliser des économies massives.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Avis défavorable, pour les raisons précédemment mentionnées.

M. Arnaud Le Gall (LFI-NUPES). Je ne prendrai qu’un exemple pour montrer tout le caractère grotesque de cette proposition. Les opposants russes à la guerre étaient poursuivis par le Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie (FSB). Si nous avions dû leur faire déposer leur demande d’asile avant de sortir du territoire russe, ils seraient en ce moment dans des geôles.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE50 de M. Thomas Portes

Mme Nadège Abomangoli (LFI-NUPES). Nous refusons le principe de la liste des pays d’origine prétendument sûrs, qui prive le demandeur d’asile d’un droit de séjour le temps que sa demande soit examinée et conduit à mener une procédure accélérée au cours de laquelle l’évaluation individuelle du demandeur est moins poussée, ce qui constitue une atteinte au principe d’égalité. La pertinence de cette liste peut être questionnée : la Serbie, le Monténégro et le Kosovo se voient régulièrement reprocher de violer la liberté d’expression et l’indépendance de la justice ; y figure également l’Inde, qui a été accusée par le Canada d’exécutions extrajudiciaires et extraterritoriales de militants sikhs et où se développent des discriminations et des violences contre les musulmans et les chrétiens.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Avis défavorable. L’inscription d’un pays sur cette liste n’a aucune incidence sur l’exigence d’un examen individuel approfondi par l’OFPRA. Les délais peuvent être accélérés mais cela ne préjuge en rien de la protection qui sera accordée. L’OFPRA peut décider de ne pas statuer en procédure accélérée et peut aussi avoir des raisons sérieuses de penser que, même si le ressortissant vient d’un pays sûr, sa situation personnelle peut relever d’une discrimination qui lui donnera accès à l’asile.

M. Jérôme Buisson (RN). Nous sommes contre cet amendement qui contrevient à la définition même du droit d’asile. Pour qu’il soit effectif, il faut qu’il soit délimité. Or vous souhaitez accueillir tout le monde indistinctement. Avec votre amendement, le droit d’asile ne sera plus seulement détourné, il deviendra un droit à s’installer dans notre pays, ce qui conduira à retirer la France même de la liste des pays sûrs.

Mme Nadège Abomangoli (LFI-NUPES). Monsieur le rapporteur, il ne faut pas oublier la réalité opérationnelle des officiers de protection. Pour l’avoir été à l’OFPRA, à la commission de recours des réfugiés, je sais que, face à une masse de dossiers à traiter, le critère du pays est le premier examiné. Le traitement est moins poussé pour les dossiers des ressortissants des pays classés comme sûrs.

La commission rejette l’amendement.

Article 19 bis C : ajustement des possibilités de réunification familiale pour les proches des réfugiés admis en France au titre de l’asile

Amendements identiques AE53 de Mme Andrée Taurinya et AE72 de M. Jean-Paul Lecoq

Mme Ersilia Soudais (LFI-NUPES). Par cet amendement de suppression, nous entendons dénoncer l’obsession de la droite et de l’extrême droite pour l’immigration familiale. En réalité, elle a reculé de 10 % depuis 2005 et ne représente que 4,5 % des motifs de délivrance des titres de séjour. Les seuls titres familiaux en augmentation sont ceux accordés aux conjoints et enfants de migrants hautement qualifiés ou à des citoyens de l’Union européenne. Nous sommes bien loin de vos fantasmes.

Cette obsession, qui a un impact sur l’opinion, est très dangereuse. Pour bénéficier du regroupement familial, les étrangers doivent remplir de nombreuses conditions : résidence régulière en France, surface minimale de logement, possession d’un titre de séjour depuis une certaine durée, justification des ressources minimales ou encore enfants âgés de moins de 18 ans. N’ajoutons pas davantage d’obstacles à ce parcours semé d’embûches.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. L’article a pour objet d’harmoniser les critères d’âge et de liens familiaux de la réunification familiale avec ceux du regroupement familial. Malgré le resserrement des critères, les dispositions demeurent conformes à la directive du 22 septembre 2003 sur le regroupement familial. Le droit à la réunification est évidemment préservé. Un amendement de Mme Gatel corrigera un ajout du Sénat.

Avis défavorable.

M. Michel Guiniot (RN). Je ne suis pas étonné de l’énergie que met La France insoumise à défendre les largesses de notre politique migratoire : c’est pour elle un moyen efficace d’importer de futurs électeurs. Cela étant, permettez-moi de réagir sur le fond car, en vous opposant à cet article, vous vous opposez au bon sens.

Il y a une différence entre réunification et regroupement familial, que vous semblez ignorer. Il paraît normal qu’on ne permette pas la réunification familiale pour un enfant adopté après la demande d’asile du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire, ce qui constituerait une voie d’abus de la réunification familiale. Il paraît aussi normal de contrôler l’effectivité de la vie familiale, avant d’accorder cette réunification. C’est une mesure de bon sens et de cohérence avec ce qu’est le mariage civil dans la République française : un cadre légal au sein duquel les époux s’engagent notamment à une communauté de vie.

Il me semble logique d’exiger les mêmes choses des bénéficiaires de la réunification familiale que des citoyens français mariés.

La commission rejette les amendements.

Amendement AE23 de M. Thibaut François

M. Jérôme Buisson (RN). Cet amendement vise à exclure du dispositif de réunification familiale les concubins, afin d’en limiter les abus. Le concubinage ne repose sur aucune reconnaissance officielle. En mars 2023, Gérald Darmanin s’était d’ailleurs dit favorable à une restriction du principe, en limitant la réunification à la stricte famille au sens français du terme.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Avis défavorable.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). J’ai été, pendant douze ans, le concubin d’une femme avec laquelle j’ai eu deux enfants. En droit français, nous formions une famille.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE24 de M. Thibaut François

M. Kévin Pfeffer (RN). L’amendement vise à restreindre le dispositif de réunification familiale pour un mineur bénéficiant d’un statut de réfugié ou de la protection subsidiaire. Le dispositif permet aux ascendants directs accompagnés de leurs enfants mineurs non mariés de rejoindre un mineur bénéficiant du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire. Accorder une carte de séjour à ces parents serait dangereux, en encourageant les familles souhaitant venir en France à envoyer leur enfant seul sur les routes très dangereuses de l’immigration.

Suivant l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

Amendement AE29 de Mme Maud Gatel

Mme Maud Gatel (Dem). Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 6, adopté au Sénat, qui revient sur la possibilité de réunification familiale pour les frères et sœurs mineurs du réfugié, ce qui va non seulement à l’encontre de notre tradition en la matière mais aussi du cadre juridique international, notamment de la directive 2003/86/CE et de la convention de Genève.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Avis favorable. Un mineur réfugié persécuté peut légitimement considérer que ses frères et sœurs sont exposés aux mêmes dangers. Précisons néanmoins que l’ajout du Sénat visait à lutter contre certains abus. La commission des lois se penchera sur la meilleure manière d’encadrer le principe de réunification.

La commission adopte l’amendement.

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 19 bis C modifié.

Article 20 : réforme de la Cour nationale du droit d’asile pour adapter son organisation à l’ampleur du contentieux et en renforcer l’efficacité

Amendements de suppression AE56 de M. Andy Kerbrat et AE73 de M. Jean-Paul Lecoq

Mme Ersilia Soudais (LFI-NUPES). Nous rejetons le principe de la délocalisation de la CNDA au sein de chambres territoriales, sous forme d’antennes générales, de la généralisation du juge unique et de la suppression d’un représentant du Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Les décisions prises en collégialité permettent un temps d’écoute plus long, où les personnes peuvent faire l’entier récit de leur vie. Un temps de parole court contraint à aller à l’essentiel, au risque de raccourcis simplistes, comme dans notre commission, et ne permet pas de laisser transparaître les réalités vécues. La collégialité est également un gage de justice. Les rappels au droit international, européen ou national sont indispensables. Elle est garante de l’objectivité et de la qualité de la justice française.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Avis défavorable. On constate que la différence principale entre la décision collégiale et celle du juge unique, qui existe déjà, c’est la rapidité du délai : cinq mois dans un cas et cinq semaines dans l’autre. Le taux de protection offert ne varie pas. Qui plus est, dans le cas de dossiers complexes nécessitant une expertise particulière, la collégialité demeure possible.

M. Michel Guiniot (RN). La situation migratoire est en pleine évolution. Le nombre de demandes d’asile est passé de 80 000, en 2015, à 130 000, en 2022, et le nombre de recours de 36 000 à 60 000. Nous devons rendre la CNDA plus efficace.

On ne devrait pas, comme vous le faites, balayer d’un revers de main un gain de deux mois dans le délai de traitement des dossiers. Je me permets de citer votre amendement : « […] les chiffres montrent que l’écart des délais entre une formation en collégiale ou à juge unique est très faible. En 2022, le délai en formation collégiale était en moyenne de 7 mois, et le délai en formation à juge unique de 5 mois. ». Cinq mois, c’est encore trop long mais, par rapport à sept mois, près d’un tiers du temps de traitement a été gagné. Je ne comprends donc pas trop votre démarche qui vise manifestement à stériliser une tentative, peut-être imparfaite certes, de gagner en efficacité dans le traitement des dossiers de la CNDA.

La commission rejette les amendements.

Amendement AE57 de Mme Élisa Martin

Mme Ersilia Soudais (LFI-NUPES). Cet amendement vise à supprimer la possibilité de mettre en place des chambres territoriales. La territorialisation est une fausse solution qui ne permettra pas d’atteindre les objectifs annoncés.

Le Gouvernement veut seulement accélérer l’instruction des recours en réduisant drastiquement les garanties offertes aux demandeurs d’asile.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Avis défavorable.

M. Michel Guiniot (RN). Cet amendement prend le sujet dans le mauvais sens : le nombre de demandeurs d’asile augmente et donc, également, celui des recours ; la CNDA est encore plus débordée. La création de chambres territoriales est une solution pour gagner en efficacité.

On peut trouver que cette mesure est imparfaite et que la rédaction n’offre pas suffisamment de garanties. Mais je ne pense pas que vous souhaitiez que la CNDA soit moins efficace et qu’elle examine moins de dossiers. Plutôt que de supprimer cette disposition, vous auriez dû chercher à l’améliorer : par exemple, en évoquant cette question dans le rapport prévu par l’article 1er A, afin de nourrir le débat au Parlement.

Vous auriez aussi pu utiliser votre droit d’amendement lors de l’examen du projet de loi de finances (PLF), en proposant d’augmenter les crédits affectés à la CNDA.

Je vous rassure à cet égard. Le Gouvernement actuel, avec ses 49.3, ne sera pas éternel. Quand nous serons au pouvoir, en 2027, vous pourrez faire valoir votre droit d’amendement lors du PLF, à condition bien sûr d’être réélus.

Nous voterons évidemment contre les inepties de cet amendement.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Et nous demanderons le droit d’asile…

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE28 de M. Bruno Fuchs

M. Bruno Fuchs (Dem). Cet amendement propose de supprimer la limite d’âge pour les membres de la CNDA, que rien ne justifie.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Avis favorable. La suppression de cette limite d’âge permettra aux juges qui le souhaitent de continuer à siéger, s’ils en sont capables bien entendu.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AE61 de M. Andy Kerbrat

Mme Ersilia Soudais (LFI-NUPES). Cet amendement propose de maintenir la présence d’un assesseur nommé par le Haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés au sein de la formation de jugement collégiale.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Avis défavorable, pour les mêmes raisons que celles indiquées précédemment au sujet du juge unique.

M. Michel Guiniot (RN). Cet amendement vise à maintenir la présence d’un assesseur nommé par le Haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés dans la formation de jugement collégial. C’est une blague !

Cet article ne remet pas en cause une tradition française en matière d’asile mais il met fin à une atteinte à notre souveraineté nationale. Nous ne pouvons pas accepter qu’une structure internationale comme le Haut-commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés puisse nommer un assesseur.

Nous voterons donc contre cette proposition de l’extrême gauche, qui porte atteinte à notre souveraineté.

M. Arnaud Le Gall (LFI-NUPES). Je suis très étonné par l’affirmation récurrente selon laquelle signer un traité international porterait atteinte à la souveraineté. Signer un traité constitue précisément une décision souveraine.

Votre propos est complètement décalé par rapport à ceux tenus hier par Mme Le Pen, lors du débat en séance publique sur les partenariats renouvelés entre la France et les pays africains. Elle est allée jusqu’à proposer d’attribuer un siège à l’Afrique au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies, alors qu’on a l’impression que vous considérez que l’Organisation des Nations Unies (ONU) écrase notre souveraineté. Vos expressions sont contradictoires.

M. Michel Guiniot (RN). Peut-être n’avez-vous pas compris.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. L’atteinte à la souveraineté ne résulte pas de la signature de traités mais de celle de traités asymétriques.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AE60 de M. Thomas Portes

Mme Élise Leboucher (LFI-NUPES). Cet amendement propose que les décisions de la CNDA soient systématiquement rendues par la formation collégiale de jugement.

L’article prévoit que l’audience à juge unique deviendrait la règle et le recours à la formation collégiale – composée d’un magistrat administratif, d’un assesseur nommé par le Haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés et d’un assesseur nommé par le Conseil d’État – l’exception.

Il s’agit d’un renversement du principe qui fonde la spécificité du système français du droit d’asile depuis 1952 et cela conduit à réduire drastiquement les garanties offertes aux demandeurs d’asile.

Suivant l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement.

Elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 20 modifié.

Après l’article 20

Amendement AE59 de Mme Danièle Obono

Mme Nadège Abomangoli (LFI-NUPES). Cet amendement demande à l’État d’établir un plan d’action pour l’offre de formation à destination des agents de la CNDA.

Le manque d’accès à des formations spécifiques ne permet pas aux agents et aux juges de pouvoir traiter certains dossiers de manière efficace et impartiale. Des formations internes à la CNDA, avec des travaux d’analyse pratique, permettraient d’appréhender les audiences de manière plus humaniste et avec les connaissances nécessaires pour mieux comprendre les dossiers.

Ces formations pourraient porter sur les violences sexuelles, sur les troubles post‑traumatiques et sur la communauté LGBT, afin de prendre en compte toutes les dimensions des persécutions.

M. Benjamin Haddad, rapporteur pour avis. Avis défavorable. Cela ne relève pas du domaine de la loi.

Un pôle chargé de la formation a été créé en 2016 au sein de la CNDA. Il propose des formations en concertation avec le centre de formation de la juridiction administrative, avec notamment des formations continues sur des thèmes géopolitiques ou juridiques. Des journées de rentrée des rapporteurs sont organisées depuis 2022 et elles portent aussi bien sur les bonnes pratiques des juridictions nationales et européennes que sur la situation géopolitique.

La commission rejette l’amendement.

Puis, elle émet un avis favorable à l’adoption de l’ensemble des dispositions dont elle est saisie, ainsi modifiées.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous sommes parvenus au terme de l’examen pour avis de ce projet de loi. Je vous remercie toutes et tous pour nos échanges et votre application à respecter les temps de parole. Je remercie plus particulièrement notre rapporteur pour avis, pour son travail et ses argumentaires particulièrement éclairants.