N° 2012

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 décembre 2023

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE
relative à l’identification des défaillances de fonctionnement
au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des
organismes de gouvernance du monde sportif en tant qu’elles ont
délégation de service public

 

 

 

Présidente

Mme Béatrice BELLAMY

 

Rapporteure

Mme Sabrina SEBAIHI

Députées

 

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TOME II

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

(du 20 juillet au 24 octobre 2023)

 

 Voir les numéros : 1319 et 1355


La commission relative à l’identification des défaillances de fonctionnement
au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des
organismes de gouvernance du monde sportif en tant qu’elles ont
délégation de service public, est composée de : Mme Béatrice Bellamy, présidente ; Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure ; M. Quentin Bataillon ; M. Belkhir Belhaddad ; Mme Soumya Bourouaha ; M. Stéphane Buchou ; M. Frédéric Cabrolier ; Mme Céline Calvez ; M. Roger Chudeau ; Mme Fabienne Colboc ; M. Laurent Croizier ; M. Sébastien Delogu ; M. Pierre-Henri Dumont ; M. Hadrien Ghomi ; M. Jérôme Guedj ; M. Pierre Henriet ; M. Andy Kerbrat ; M. Stéphane Lenormand ; Mme Pascale Martin ; M. Stéphane Mazars ; Mme Sophie Mette ; M. Maxime Minot ; M. Julien Odoul ; M. François Piquemal ; Mme Claudia Rouaux ; M. Emeric Salmon ; M. Bertrand Sorre ; M. Michaël Taverne ; M. Stéphane Viry ; M. Frédéric Zgainski.

 

 


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SOMMAIRE

 

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Pages

Comptes rendus des auditions menées par la commission d’enquête

1. Audition, ouverte à la presse, de Mme Fabienne Bourdais, directrice des sports au ministère des sports et des jeux olympiques et paralympiques (20 juillet 2023)

2. Audition, ouverte à la presse, de Mme Béatrice Barbusse, auteure du livre Du sexisme dans le sport (20 juillet 2023)

3. Audition, ouverte à la presse, de M. Marc Sauvourel, réalisateur du film Je ne suis pas un singe – Le racisme dans le football (2019) (20 juillet 2023)

4. Audition, ouverte à la presse, de M. Romain Molina, journaliste, et de M. Sébastien Boueilh, directeur de l’Association Colosse aux pieds d’argile (20 juillet 2023)

5. La commission auditionne M. Sébastien Boueilh, directeur de l’association Colosse aux pieds d’argile.

6. Audition, à huis clos, de Mme Meriem Salmi, psychologue du sport (5 septembre 2023)

7. Audition, ouverte à la presse, de M. Lionel Dangoumau, directeur de la rédaction de l’Équipe, et de Mme Angélique Cauchy, ancienne joueuse de tennis (5 septembre 2023)

8. Audition, ouverte à la presse, de Mme Claire Palou, et de Mme Emma Oudiou, championnes d’athlétisme (5 septembre 2023)

9. Audition, ouverte à la presse, de Mme Sarah Abitbol, ancienne patineuse artistique professionnelle (5 septembre 2023)

10. Audition, ouverte à la presse, de M. Patrick Roux, co-auteur du livre Le revers de nos médailles : Des clubs au haut niveau, en finir avec la violence dans le sport (2023), accompagné de plusieurs contributeurs (6 septembre 2023)

11. Table ronde, ouverte à la presse, réunissant les associations luttant contre les violences sur mineurs : Mme Mélanie Dupont, présidente de l’association Contre les Violences sur Mineurs (CVM) ; Mme Isabelle Debré, présidente, et Mme Laura Morin, directrice de l’association L’Enfant Bleu ; Mme Martine Brousse, présidente de l’association La Voix De l’Enfant ; M. Laurent Boyet, président de l’association Les Papillons (13 septembre 2023)

12. Audition, ouverte à la presse, de M. Fabrice Arfi et M. Michaël Hajdenberg, journalistes à Mediapart (13 septembre 2023)

13. Audition, à huis clos, de M. Patrick Vieira, ancien footballeur international, actuellement entraîneur du Racing club Strasbourg Alsace (13 septembre 2023)

14. Audition, ouverte à la presse, de M. Laurent Blanc, ancien footballeur international et entraîneur, ancien sélectionneur de l’équipe de France de football (13 septembre 2023)

15. Audition, ouverte à la presse, de Mme Caroline Pascal, cheffe de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR), et de M. Patrick Lavaure, inspecteur général et responsable du collège « jeunesse, sports et vie associative » (JSVA) (13 septembre 2023)

16. Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Jacques Lozach, sénateur, président de la mission d’information sur le fonctionnement et l’organisation des fédérations sportives et M. Alain Fouché, ancien sénateur, rapporteur de la mission (28 septembre 2023)

17. Audition, ouverte à la presse, de M. Denis Masseglia, ancien président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) (28 septembre 2023)

18. Audition, ouverte à la presse, de M. Jérôme Rouillaux, directeur général du Centre de ressources, d’expertise et de performance sportive (CREPS) Sud - Provence-Alpes-Côte d’Azur (28 septembre 2023)

19. Audition, ouverte à la presse, de Mme Catherine Petit, cheffe du service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes, service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes à la direction générale de la cohésion sociale, ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations (28 septembre 2023)

20. Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Cadot, président de l’Agence nationale du sport (ANS), délégué interministériel aux jeux Olympiques et Paralympiques 2024 et délégué interministériel aux grands événements sportifs, M. Frédéric Sanaur, directeur général de l’ANS, M. Thierry Maudet, conseiller sport du délégué interministériel et Mme Agathe Barbieux, directrice du service du développement des pratiques au sein de l’ANS (28 septembre 2023)

21. Audition, ouverte à la presse, de M. Alexandre Calvez, administrateur d’Anticor, responsable de la commission sport (28 septembre 2023)

22. Audition, ouverte à la presse, de M. Fabien Canu, directeur général de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (INSEP), Mme Anne Barrois-Chombart, directrice générale adjointe en charge de la politique sportive, M. Patrick Roult, chef du pôle haut-niveau, et M. Sébastien Le Garrec, chef du pôle médical (5 octobre 2023)

23. Audition, ouverte à la presse, de M. David Lappartient, président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) (5 octobre 2023)

24. Audition, ouverte à la presse, de Mme Marie-Amélie Le Fur, présidente du Comité paralympique et sportif français et M. Elie Patrigeon, directeur général (5 octobre 2023)

25. Audition, ouverte à la presse, de Mme Brigitte Henriques, ancienne présidente du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) (5 octobre 2023)

26. Audition, ouverte à la presse, de Mme Catherine Moyon de Baecque, présidente de la Commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) et ambassadrice des valeurs de l’olympisme pour la France (5 octobre 2023)

27. Audition, ouverte à la presse, de M. Hermann Ebongué, secrétaire général de SOS Racisme et président-fondateur de Sportitude-France (12 octobre 2023)

28. Audition, ouverte à la presse, de M. Olivier Klein, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH) (12 octobre 2023)

29. Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des associations luttant contre les violences sexuelles : M. Yoann Lemaire, président de l’association Foot Ensemble Mme Marielle Vicet, présidente de l’association Stop aux violences sexuelles (SVS), Mme Marie Laurendeau-Petit, vice-présidente, et M. Boris Sanson, membre du conseil d’administration (12 octobre 2023)

30. Table ronde, ouverte à la presse, sur la lutte contre la haine anti-LGBT : M. Éric Arassus, président de la fédération sportive LGBT+ M. Alban Vandekerkove, président du club de rugby Les Coqs festifs, M. Vincent Etienne, M. Rayhanne Abderrahim Amghar et Mme Inês Lafaurie, joueurs et M. Ouissem Belgacem, ancien footballeur et écrivain (12 octobre 2023)

31. Audition, ouverte à la presse, de M. Patrick Karam, vice-président du Conseil régional d’Île-de-France, chargé des sports, des Jeux olympiques et paralympiques, des loisirs, de la jeunesse, de la citoyenneté, de la politique de la ville et de la vie associative, et Mme Magali Lacroze, journaliste, co-auteurs de Le Livre noir du sport – Violences sexuelles, homophobie, paris truqués, racisme, radicalisation, … Tout ce qu’on ne dit jamais (2020) (12 octobre 2023)

32. Audition, ouverte à la presse de M. Jean Zoungrana, président de la commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) et président de la Fédération française de canoë kayak et sports de pagaie (13 octobre 2023)

33. Audition, à huis clos, de Mme Isabelle Jégouzo, directrice de l’Agence française anticorruption (AFA), et Mme Stéphanie Bigas-Reboul, sous-directrice du contrôle (13 octobre 2023)

34. Audition, ouverte à la presse, de Mme Mathilde Mandelli, M. Pierre Barthélemy, M. Tom Dufieu, M. Ronan Evain et M. Kilian Valentin, membres du Bureau de l’Association nationale des supporters (ANS) (13 octobre 2023)

35. Audition, ouverte à la presse, de M. Patrick Appéré, président de l’Association nationale des élus en charge du sport (ANDES) (13 octobre 2023)

36. Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre-Alain Raphan et M. Cédric Roussel anciens députés, rapporteurs de la proposition de loi visant à démocratiser le sport en France (17 octobre 2023)

37. Audition, ouverte à la presse, de M. Ludovic Royé, président de l’Association des Directeurs et Directrices Techniques Nationaux (AsDTN) (17 octobre 2023)

38. Audition, ouverte à la presse, de M. Édouard Durand, président de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (la Ciivise) (18 octobre 2023)

39. Audition, ouverte à la presse, de M. Fodil Dehiba, ancien entraîneur de haut niveau en athlétisme (18 octobre 2023)

40. Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Astruc, procureur de la République de Rennes (18 octobre 2023)

41. Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Rousselot, président de section à la 3e chambre, M. Dominique Lefebvre, M. Laurent Le Mercier et Mme Lise Fechner, magistrats à la Cour des comptes (19 octobre 2023)

42. Audition, ouverte à la presse, de M. Ghani Yalouz, ancien directeur général de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), Mme Audrey Peyrusin, ancienne directrice générale adjointe en charge de la politique sportive, et M. Denis Avdibegovic, ancien directeur général adjoint en charge de l’administration (19 octobre 2023)

43. Audition, ouverte à la presse, de Mme Roxana Maracineanu, secrétaire générale de la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof), ancienne ministre déléguée chargée des sports et ancienne sportive de haut niveau, et de Mme Cécile Mantel, ancienne conseillère de la ministre en charge de l’éthique, de l’intégrité et des relations internationales (19 octobre 2023)

44. Audition, ouverte à la presse, de M. Jean Luc Rougé, directeur du développement international de la Fédération internationale de judo et ancien président de la Fédération française de judo, jujitsu et disciplines associées (FFJDA) (19 octobre 2023)

45. Audition, ouverte à la presse, de M. Claude Onesta, manager général de la haute performance à l’Agence nationale du sport, ancien joueur et ancien sélectionneur et entraîneur de l’équipe de France de handball (24 octobre 2023)

 


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   Comptes rendus des auditions
menées par la commission d’enquête

 

 

 


Les auditions sont présentées dans l’ordre chronologique des séances tenues par la commission d’enquête.

Les enregistrements vidéo des auditions ouvertes à la presse sont disponibles en ligne à l’adresse suivante : https://videos.assemblee-nationale.fr/commissions.federations-sportives-ce

 

 


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1.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Fabienne Bourdais, directrice des sports au ministère des sports et des jeux olympiques et paralympiques (20 juillet 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Madame la directrice des sports, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de vous être rendue disponible rapidement pour répondre à nos questions. Nous avons l’honneur d’entamer avec vous les travaux de notre commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif.

Vous le savez, à la suite de très nombreuses révélations de sportifs et de divers scandales judiciaires, l’Assemblée nationale a choisi de créer cette commission d’enquête dont les travaux vont se décliner autour de trois axes :

Dans ce contexte, il nous a paru essentiel de vous auditionner, en tant que directrice des sports et déléguée ministérielle à la lutte contre les violences dans le sport. Dans un premier temps, nous souhaiterions que vous puissiez nous exposer brièvement un panorama de la gouvernance dans le monde du sport et le rôle de la direction des sports par rapport à l’Agence nationale du sport, vis-à-vis des fédérations sportives et des autres organismes de gouvernance du monde sportif. Dans un second temps, la rapporteure, mes collègues et moi-même aurons des questions relatives à la lutte contre les violences et les discriminations dans le sport, ainsi qu’à l’éthique et la sécurité des sportifs amateurs et professionnels.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.

Avant de vous laisser la parole et d’entamer nos échanges pendant environ une heure, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. », après avoir activé votre micro.

(Mme Fabienne Bourdais prête serment).

Mme Fabienne Bourdais, directrice des sports au ministère des sports et des jeux olympiques et paralympiques. Je vais vous présenter l’organisation du sport en France, sous le prisme de la relation qu’entretient l’État avec les fédérations sportives, en me concentrant notamment sur les fédérations délégataires. Le code du sport prévoit que le développement des activités physiques et sportives incombe à l’État et au mouvement sportif, avec le concours de l’ensemble des acteurs, puisqu’il s’agit d’un champ de compétences partagé avec les collectivités locales et les acteurs économiques.

L’organisation du sport en France repose encore beaucoup aujourd’hui sur le modèle associatif. Les fédérations sportives sont avant tout des associations et relèvent donc du principe de libre association, à valeur constitutionnelle. La question de la relation de l’État avec des fédérations s’inscrit dans ce contexte. Le sujet de l’autonomie des fédérations nous est souvent rappelé, notamment sur le plan international. Cependant, le cadre législatif et réglementaire crée une relation singulière avec ces associations particulières, par la procédure de l’agrément et de la délégation.

Le monde de la gouvernance du sport a été marqué par des évolutions législatives assez sensibles ces dernières années. Ainsi, la loi du 1er mars 2017 visait à préserver l’éthique du sport, à renforcer la régulation et la transparence du sport professionnel et à améliorer la compétitivité des clubs. La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a, quant à elle, introduit le contrat d’engagement républicain, mais aussi le contrat de délégation, ce dernier étant une première dans l’édifice juridique applicable au monde du sport. Enfin, la loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France a introduit des dispositions qui sont en cours de mise en œuvre aujourd’hui, puisque les fédérations sont tenues de mettre à jour leurs statuts au regard de ces dispositions.

Les fédérations sportives peuvent être agréées par l’État, même si toutes ne le sont pas, lorsqu’elles remplissent un certain nombre de conditions :

À ce titre, leurs statuts doivent comporter des dispositions qui renvoient à leur pouvoir réglementaire, notamment à l’aune de leur règlement disciplinaire. Elles doivent également s’engager dans le contrat d’engagement républicain, justifier d’une existence d’au moins trois ans et montrer qu’elles sont en mesure de participer à la mise en œuvre des missions de service public relatives au développement et à la démocratisation des activités physiques et sportives. Il y a là une exigence de rayonnement national et elles doivent aussi montrer qu’elles présentent des garanties en matière de sécurité des pratiquants, et en particulier des mineurs. La loi du 2 mars 2022 précise que la délivrance ou le renouvellement de l’agrément renvoie à la capacité des fédérations à participer à la mise en œuvre des politiques publiques du sport, qui est appréciée discrétionnairement par le ministère des sports et des jeux olympiques et paralympiques.

Le cadre législatif et réglementaire a renforcé les exigences attendues de la part des fédérations sportives. Les travaux préparatoires de la loi du 24 août 2021 indiquent bien que la tutelle de l’État sur les fédérations sportives a été remplacée par un contrôle renforcé de l’État et des obligations qui pèsent sur les fédérations sportives. Le dispositif d’agrément n’est donc plus délivré ad vitam aeternam, mais pour une durée maximale de huit ans. Tout agrément accordé à une fédération sportive avant la publication de la même loi cesse de produire ses effets le 31 décembre 2024. Ainsi, toutes les fédérations vont devoir solliciter un nouvel agrément à l’aune des dispositions que je viens d’exposer.

Aujourd’hui, l’organisation prévoit que l’affiliation d’un club à une fédération sportive vaut agrément. De facto, cela fait peser sur la fédération une responsabilité quant aux exigences en matière d’agrément. Cependant, le préfet conserve la compétence pour retirer cet agrément si les conditions requises ne sont plus remplies. Historiquement, trois situations ont justifié le retrait de l’agrément à une fédération sportive par l’État. En 1998, la ministre a retiré son agrément à la fédération d’haltérophilie en raison de dysfonctionnements liés à une mauvaise application de ses propres statuts, du manquement au fonctionnement démocratique et d’une situation financière très dégradée. Dans le contrôle opéré par l’État sur les fédérations, il s’assure en effet que la fédération respecte les propres règlements dont elle s’est dotée.

En 2005, la fédération d’équitation s’est vue retirer son agrément en raison de la non-conformité de ses statuts et de son règlement en matière de lutte contre le dopage. En 2014, l’agrément de la fédération française de full-contact a été retiré en raison de la méconnaissance de règles de sécurité lors des manifestations publiques. Le ministre a ainsi considéré que les faits reprochés nuisaient à l’intérêt général qui s’attache au développement et à la promotion des activités pugilistiques dans le respect de la sécurité des pratiquants.

Les évolutions statutaires requises en application de la loi du 2 mars 2022 concernent différents éléments. Les dispositions doivent désormais être inscrites dans les statuts des fédérations s’agissant des indemnités du président, des obligations de parité dans les instances dirigeantes, du renforcement du vote direct des clubs aux élections fédérales. En effet, certains reprochaient au mouvement sportif de privilégier le scrutin indirect, donnant insuffisamment la parole aux clubs « de base ». Il convient également de mentionner la limitation à trois du nombre de mandats des présidents des fédérations et une représentation plus affirmée des organismes affiliés ou agréés.

Selon les statuts des fédérations, les clubs peuvent être affiliés ou agréés, mais également des organismes sous statut commercial participant au développement des pratiques sportives. Il s’agit par exemple des centres équestres au sein de la fédération d’équitation. Parmi les dispositions introduites dans les statuts figure également une représentation désormais systématique des sportifs de haut niveau, des entraîneurs et des arbitres. Enfin, des éléments relèvent de la transparence et de l’éthique, avec l’extension aux vice-présidents, trésoriers et secrétaires généraux des fédérations des obligations de déclaration auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et un renforcement du rôle du comité d’éthique des fédérations sportives s’agissant des personnes soumises aux obligations de déclaration.

Il s’agit ainsi de s’assurer que toutes les fédérations sportives intègrent dans leur statut ces modifications législatives. La direction des sports effectue un travail d’accompagnement des fédérations sportives, mais elle ne peut pas être prescriptive quant à la déclinaison des principes posés dans la loi. Aujourd’hui, plus de la moitié des fédérations ont fait valider leurs statuts par les instances dirigeantes ou sont en contact avec nous. L’objectif consiste à faire en sorte qu’à la fin 2024, toutes les fédérations aient modifié leurs statuts. En effet, les élections post-Jeux olympiques se dérouleront selon les nouvelles modalités.

Le deuxième acte juridique important concerne la délégation. Toutes les fédérations agréées ne sont pas délégataires mais toutes les fédérations délégataires sont agréées. La délégation est l’acte par lequel l’État confie à des fédérations l’organisation des compétitions sportives et des sélections menant à des compétitions conduisant à la délivrance des titres nationaux et internationaux. C’est aussi une compétence des fédérations sportives en matière de définition des règles techniques liées à chacune des disciplines déléguées : une même fédération peut être délégataire pour plusieurs disciplines. Il arrive en effet qu’une même discipline soit revendiquée par plusieurs fédérations.

La délégation est délivrée pour quatre ans et remise en question à la même échéance, par arrêté du ministre chargé des sports. Cette délégation est désormais soumise à la signature d’un contrat de délégation entre l’État et la fédération. Les critères historiques de la délégation sont les suivantes :

Le nouveau cadre législatif posé par la loi du 24 août 2021 et le décret du 24 février 2022 établit des engagements nouveaux pour les fédérations dans le cadre du contrat de délégation. Alors que le champ de la délégation renvoyait strictement au sujet sportif, les obligations de la fédération délégataire sont élargies sur les plans de l’éthique, de la vie démocratique et de la protection de l’intégrité des pratiquants, dans un cadre contractuel.

Ce contrat est ensuite validé par arrêté ministériel. Il engage les fédérations à déployer des stratégies sur cinq items :

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pouvez-vous revenir sur l’organisation et les perspectives de la direction des sports depuis son repositionnement sur les missions régaliennes, intervenu dans le contexte de la création de l’Agence nationale du sport (ANS) ?

En particulier, comment avez-vous accueilli et pris en compte les réserves de la Cour des comptes sur l’articulation des missions de la direction des sports et de l’Agence nationale du sport, ainsi que sa recommandation relative à la réaffirmation de la tutelle stratégique du ministère sur l’Agence ? Comment qualifieriez-vous aujourd’hui les relations de travail entre l’ANS et la direction des sports ?

Mme Fabienne Bourdais. La création de l’ANS en 2019 a eu un impact sensible sur les missions de la direction des sports et ses relations avec le mouvement sportif et notamment les fédérations sportives. L’ANS détient désormais la compétence de la mise en œuvre de la politique sportive de la performance et le développement des pratiques sportives, activité qui relevait antérieurement de la compétence de la direction des sports.

L’État consacre des moyens humains au mouvement sportif, puisque la direction des sports mobilise un peu plus de 1 450 de ses agents qui exercent leur mission auprès des fédérations sportives, comme les directeurs techniques nationaux, les conseillers techniques régionaux mais aussi des entraîneurs. La relation au mouvement sportif est donc aujourd’hui essentiellement régalienne, dans le cadre de l’agrément et de la délégation via le contrat de la délégation.

Le rapport de la Cour des comptes met en lumière la difficulté à apprécier le rôle des uns et des autres dans ce nouvel écosystème. Le 18 juillet 2022, la ministre a réuni l’ensemble des acteurs du sport pour repréciser le rôle attendu de chacun, et en particulier de la direction des sports. À cette occasion, la ministre a indiqué que la direction d’administration centrale devait être une « direction d’état-major » et qu’il lui revenait de s’assurer que l’ensemble des opérateurs contribuant à la politique sportive respectent leurs obligations. Elle a également indiqué que l’ANS devait aussi faire l’objet d’un suivi dans le cadre d’une convention d’objectifs et de moyens, et donc d’un contrôle de la mise en œuvre des orientations politiques déclinées au sein du conseil d’administration de ladite Agence.

Le 18 juillet 2022, la ministre a également demandé que le dispositif législatif et réglementaire qui préside à cette organisation soit complété par des actes qui ont été depuis finalisés. Ainsi, une convention et un protocole précisant le rôle de la direction des sports, de l’ANS et l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (INSEP) ont été signés. Les différents acteurs sont aujourd’hui positionnés et le sujet a été clarifié.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pourrez-vous nous transmettre ces documents ?

Mme Fabienne Bourdais. Oui, bien sûr.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le choix de Paris comme ville hôte des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 a bouleversé la gouvernance du sport français. L’organisation du sport en France est considérée par beaucoup comme un mille-feuille institutionnel, avec des prérogatives éparpillées et des compétences parfois doublonnées. Elle a été complétée par deux nouveaux acteurs : le Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (COJOP) et l’ANS.

Le modèle français repose beaucoup sur les associations à but non lucratif, y compris les fédérations sportives et les bénévoles. Depuis plusieurs années, le monde sportif est entaché de manière régulière par des affaires (violences sexuelles, racisme, homophobie, détournements financiers, abus de confiance, management brutal), dans un climat où l’omerta semble régner dans des fédérations et des clubs. De l’extérieur, la visibilité sur ce qui se passe à l’intérieur des fédérations est donc faible.

Vous êtes directrice des sports depuis un an et vous exercez deux fonctions difficilement cumulables selon moi : celle de directrice des sports et de déléguée ministérielle à la lutte contre les violences dans le sport. Compte tenu des enjeux auxquels le monde sportif français fait face, comment assurez-vous ces deux missions ? À quel moment peut-il y avoir confusion entre elles ?

Mme Fabienne Bourdais. Avant d’être directrice des sports, j’exerçais la fonction de déléguée ministérielle à la lutte contre les violences, placée auprès de la ministre des sports à partir de juin 2020. À cette époque, la question de la création d’une délégation ministérielle, c’est-à-dire une équipe autour de la déléguée, avait été envisagée avant d’être abandonnée. Le sujet de la lutte contre les violences renvoie à la responsabilité de l’État et donc de la direction des sports. C’est la raison pour laquelle, dans ma responsabilité de déléguée ministérielle à la lutte contre les violences, le traitement du sujet des violences s’est effectué dans l’objectif de renforcer la direction des sports sur cette fonction. Il m’aurait paru dangereux de créer une organisation parallèle à la direction des sports, alors même que le sujet de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles croise d’autres sujets et d’autres dérives, qu’il s’agisse de la discrimination ou des violences psychologiques, notamment.

J’ai acquis la conviction que s’il fallait traiter de manière explicite le sujet des violences sexistes et sexuelles dans le sport, il fallait se garder de trop segmenter les différents sujets et adopter une approche globale sur la question de l’intégrité et du respect de l’intégrité des pratiquants, a fortiori quand ils sont mineurs.

Quand j’ai été nommée directrice des sports, j’ai considéré que l’organisation qui avait été mise en place était suffisamment mûre au sein de la direction des sports pour pouvoir poursuivre la même activité, alors que l’organisation structurelle de la gestion de la lutte contre les violences était déjà établie. En effet, au sein de la direction des sports, le traitement des signalements, à travers la création d’une cellule dédiée aux signalements de violences, et la démarche de prévention, qui trouve sa place dans les contrats de délégation, avaient été établis.

Dans mon quotidien de directrice des sports, il n’y a pas une journée sans que le sujet de la lutte contre les violences ne soit porté à ma connaissance, soit par un signalement transmis à la direction des sports, soit dans la relation avec les fédérations, notamment en matière de prévention et « d’irrigation » vers le niveau de proximité qu’est le club.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Comment se déroule la procédure de signalement ?

Mme Fabienne Bourdais. Les violences sexistes et sexuelles sont le plus souvent susceptibles de constituer une infraction, voire un crime et donc de relever d’une procédure judiciaire. Le code du sport prévoit que lorsqu’une personne a commis des faits susceptibles d’avoir mis en cause la sécurité des pratiquants, au-delà des procédures judiciaires, l’administration du ministère des sports et des jeux olympiques et paralympiques a compétence pour mener des enquêtes administratives. Celles-ci ont pour objectif de protéger le public, notamment à travers des mesures d’éloignement.

Cette compétence en matière administrative est juridiquement assurée par nos services départementaux, sous l’autorité des préfets de département, puisqu’il s’agit de mesures de police administrative. Dans le champ du sport, les fédérations sportives ont aussi une compétence en matière disciplinaire. Lorsqu’une personne licenciée d’une fédération est mise en cause pour des faits de violence, cela peut justifier que ladite fédération mette en œuvre une procédure interne. Trois types de procédures existent pour les mêmes faits : une procédure judiciaire, une procédure administrative relevant de la responsabilité du ministère et de ses services, et une procédure disciplinaire, qui est de la compétence des fédérations.

Depuis trois ans et demi, nous avons recueilli plus de 1 000 signalements pour des faits de violences à caractère sexiste ou sexuel. Le rôle de la cellule est de recueillir ces signalements, dont l’origine est variée. Ils peuvent émaner des victimes, des proches, et de plus en plus des associations d’accompagnement des victimes, mais surtout des fédérations sportives elles-mêmes. Lorsque le signalement arrive à la cellule dédiée du ministère des sports et des jeux olympiques et paralympiques, après une première instruction sur son contenu, il est transmis à notre service départemental pour traitement.

Au niveau départemental, le rôle de la cellule est multiple. Il consiste à s’assurer qu’à chaque signalement, les procédures soient bien mises en œuvre (traçabilité du signalement). Il faut également s’assurer que lorsqu’une décision de police administrative est prise, la fédération soit informée pour qu’elle puisse prendre elle-même les actes relevant de sa responsabilité. La direction des sports assure également la coordination entre les services dans des affaires qui sont souvent complexes. En effet, elles peuvent nécessiter l’intervention de plusieurs départements sur une même affaire.

Le cas échéant, se pose également la question des relations avec les autorités pénales. Ainsi, nous pouvons être conduits à tirer les enseignements de sanctions pénales. En effet, certaines condamnations pénales sont incapacitantes : elles justifient de notifier à la personne son incapacité à poursuivre son activité. La direction des sports s’assure donc que l’ensemble des procédures soient assurées dans le respect des responsabilités des uns et des autres.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Entre le moment où le signalement arrive à la cellule et le temps de l’enquête, comment se concrétisent les procédures d’éloignement ? Des signalements auprès du procureur de la République sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale sont-ils systématiquement déclenchés, notamment lorsqu’il est question de violences sexuelles ?

Dans certaines fédérations, des entraîneurs ont été déplacés dans d’autres clubs mais ont reproduit les mêmes comportements. Comment l’expliquer ? Pensez-vous que les fédérations sportives sont bien dimensionnées pour concourir efficacement à la lutte contre toutes les formes de violences dans le sport ?

Mme Fabienne Bourdais. Les procédures administratives sont de deux ordres : des procédures pouvant justifier de mesures en urgence et des procédures classiques, qui peuvent conduire à une interdiction à l’issue d’une enquête administrative. Je rappelle que les procédures sont indépendantes : l’administration est fondée à prendre une mesure administrative en urgence si elle considère que les faits sont suffisamment graves et concordants pour menacer la sécurité des pratiquants, particulièrement les mineurs. Le préfet de département a ainsi la possibilité de prendre une mesure d’interdiction en urgence dans les 24 ou 48 heures. Cette mesure en urgence a une durée de validité limitée à six mois. Au cours des six mois, les services ont l’obligation de conduire l’enquête administrative, qui va permettre de soumettre le dossier à une commission départementale, laquelle propose au préfet de confirmer ou d’infirmer la mesure d’interdiction. Cette enquête administrative départementale est conduite par nos services départementaux.

Plus de 400 mesures d’interdiction d’exercer ont été prises par les préfets de département depuis la création de la cellule. Votre question m’invite à souligner que nous nous heurtons fréquemment à une difficulté : certains auteurs d’infractions, que l’on peut qualifier de « prédateurs », sont particulièrement mobiles. Finalement, une personne peut être écartée d’un club mais on peut la retrouver ailleurs dans un autre club, pas nécessairement de la même discipline.

Il existe malgré tout des dispositions permettant de limiter ce risque. Lorsque l’éducateur sportif incriminé a fait l’objet d’une mesure d’interdiction d’exercer prise par le préfet, il figure sur une liste nationale des cadres interdits. Cette liste, qui a fait l’objet d’une validation législative et réglementaire après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, permet de ne plus délivrer de carte professionnelle à l’éducateur sportif qui la solliciterait. En effet, il s’agit d’une profession réglementée : pour être éducateur sportif rémunéré, il faut avoir une carte professionnelle, qui est délivrée à l’issue d’une double vérification sur la qualification et l’honorabilité. Cette honorabilité est vérifiée grâce au croisement de trois fichiers : le fichier du casier judiciaire b2, le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles et violentes (FIJAIS) et le fichier des interdits administratifs, qui relève de la responsabilité du ministère des sports et des jeux olympiques et paralympiques. Si Monsieur X a fait l’objet d’une interdiction d’exercer dans un département et qu’il demande une carte professionnelle dans un autre département, le dispositif bloque la demande et la carte professionnelle ne lui est pas délivrée.

Au-delà des professionnels, nous avons été confrontés au sujet des bénévoles. En effet, l’organisation du sport repose beaucoup sur le bénévolat et l’on estime à 2 millions le nombre de personnes intervenant auprès d’un public dans les fédérations sportives. Nous avons donc travaillé à la mise en place d’un dispositif de contrôle de l’honorabilité des bénévoles du monde sportif.

Des dispositions législatives ont été nécessaires pour en définir le périmètre, qui a été récemment élargi. Au départ, il ne concernait que les dirigeants et les éducateurs mais il concerne également aujourd’hui les arbitres, toutes les personnes exerçant auprès des mineurs et les surveillants de baignade. Ce périmètre a permis de travailler avec le mouvement sportif. Nous avons créé une plateforme dématérialisée et il appartient désormais aux fédérations de procéder par extraction des fichiers de leurs licenciés pour ne soumettre aux fichiers que les personnes qui relèvent du périmètre précisé par la loi. Ce fichier est déposé par les fédérations sportives et il est croisé avec le FIJAIS et le fichier des interdits administratifs. Plus d’un million de bénévoles ont ainsi fait l’objet d’un contrôle d’honorabilité par le ministère des sports et des jeux olympiques et paralympiques.

Nous butons aujourd’hui sur une disposition particulière : un acte administratif constituant une décision d’interdiction d’exercer est un acte administratif individuel, qui ne peut pas être publié ni diffusé à l’ensemble des fédérations sportives. Cependant, nous avons travaillé ce sujet. Par exemple, une interdiction d’exercice au sein de la Fédération française de gymnastique à l’encontre d’une personne donne lieu à une notification par la direction des sports au sein de la fédération, mais aussi à toutes les fédérations dans lesquelles la gymnastique est proposée.

M. Roger Chudeau (RN). Votre direction a la charge de l’essentiel, c’est-à-dire qu’elle est régalienne. Je souhaite évoquer une violence faite à la République, les atteintes à la laïcité. Récemment, une affaire a fait grand bruit et a concerné la Fédération française de football et le port du hijab. Le Conseil d’État a donné raison à la fédération dans sa volonté d’interdire les signes extérieurs de prosélytisme religieux ou politiques. Je souhaite donc savoir ce que votre direction recueille comme information et entreprend pour défendre la laïcité dans le sport.

Nous savons également que des clubs sont utilisés à des fins de prosélytisme religieux dans certains quartiers. Disposez-vous d’indicateurs pour suivre ce phénomène ? Comment considérez-vous la chose ? Quelles mesures prenez-vous pour sanctionner les atteintes à la dignité de la nation, par exemple quand des spectateurs brûlent ou piétinent le drapeau français, ou sifflent la Marseillaise ?

M. Jérôme Guedj (SOC). Nous avons eu connaissance, à travers la lecture de la presse ces derniers mois et dernières années, de missions que le ministère des sports et des jeux olympiques et paralympiques a diligentées via l’inspection générale. Pouvez-vous communiquer aux membres de la commission la liste de toutes les missions d’inspection qui ont été menées dans des fédérations sportives ? Pouvez-vous nous indiquer quels rapports ont été rendus publics et ceux qui ne l’ont pas été ? Puisque cette commission d’enquête dispose de cette prérogative, pouvez-vous nous transmettre l’ensemble des rapports rédigés lors des trois à cinq dernières années ?

En effet, en tant qu’inspecteur général d’une autre inspection générale, j’imagine que la direction des sports réalise un suivi des préconisations. Ces inspections ont été saisies sur des cas particuliers mais ont sans doute formulé des propositions systémiques, dont certaines ont pu être reprises dans des textes législatifs ultérieurs. Il serait en effet utile de pouvoir prendre connaissance de l’ensemble de ces rapports. Il s’agit en quelque sorte de comprendre la doctrine en l’espèce. Nous avons bien compris que ces derniers mois, sous la pression médiatique, la réponse du ministère a été de signaler que des inspections étaient réalisées et qu’il s’en remettait à l’activation de l’article 40 du code de procédure pénale que les inspecteurs peuvent être conduits à réaliser. À cet égard, il serait également intéressant de connaître le nombre de ces signalements effectués par vos inspecteurs, à la suite de ces inspections.

Ensuite, je tiens à évoquer la question de l’éthique et de la déontologie dans le mouvement sportif français. Le code du sport prévoit que le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) veille au respect de l’éthique et de la déontologie du sport, définis dans une charte, que chaque fédération est chargée de décliner. À ma connaissance, les textes qui sont intervenus n’ont pas mis en place de dispositifs de contrôle du respect de cette éthique et de cette déontologie, y compris la capacité d’interpellation. Quelle est votre lecture de cet aspect ? Un administrateur d’une fédération sportive peut-il effectuer un signalement auprès du procureur de la République sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale ? Est-il considéré comme dépositaire d’une mission de service public ? Est-il protégé en tant que lanceur d’alerte au titre d’un signalement fondé sur l’article 40 du même code?

M. Bertrand Sorre (RE). Je vous remercie pour le travail que la direction des sports effectue au niveau national et dans nos territoires, grâce aux services déconcentrés. Cela me permet également de mettre en valeur le travail réalisé par les bénévoles. Je ne voudrais pas que cette commission d’enquête n’en dresse qu’un tableau négatif, alors que près de 2 millions de nos concitoyens s’engagent auprès des associations sportives et sont totalement vertueux.

Lors de votre propos liminaire, vous avez indiqué que certaines fédérations sportives n’étaient pas agréées par l’État. Je ne le savais pas. Pouvez-vous les mentionner et nous dire pourquoi ? Cela signifie-t-il qu’elles échappent à tout contrôle de la part de la direction des sports ? Cela signifie-t-il qu’il peut y avoir un risque supplémentaire de non-respect des règles éthiques ? Quelles incitations mettez-vous en place pour conduire ces fédérations à demander cet agrément et avoir délégation ?

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Mme Bourdais, je vous laisse répondre, en sachant que vous pourrez nous adresser par écrit des éléments complémentaires.

Mme Fabienne Bourdais. Dans le cadre interministériel qui préside au traitement de ce sujet, et notamment la lutte contre la radicalisation, la direction des sports assume pleinement les fonctions qui sont les siennes sur un sujet qui est effectivement parfois difficile à appréhender. Le sujet de l’atteinte à la laïcité renvoie à des modalités de contrôle qui relèvent davantage de compétences liées à la sécurité que de compétences sportives stricto sensu.

Cependant, nous sommes organisés pour traiter de ce sujet au sein de la direction des sports. Notre organisation nous permet de bénéficier d’un officier de liaison de la gendarmerie nationale, qui assure le lien avec nos services déconcentrés et les préfets de département, qui ont la responsabilité du traitement de ce sujet. Nos services participent effectivement aux commissions qui sont des lieux de partage de l’information et de coordination de l’action à conduire lorsqu’il y a un repérage de situations pouvant potentiellement justifier un retrait d’agrément.

Cette organisation s’appuie également sur un réseau de référents dans chacun de nos services départementaux formés par la direction de sports. Ces moyens ont été renforcés, puisque la ministre a souhaité en 2023 la création de vingt postes dédiés exclusivement au sujet de la lutte contre les violences et la radicalisation, pour renforcer nos modalités de contrôle. Vingt postes supplémentaires seront également créés en 2024.

Dans certains clubs sportifs, il existe effectivement des dérives potentiellement répréhensibles. Lorsqu’elles sont constatées, elles donnent lieu à un traitement au sein de la commission placée auprès du préfet. D’autres questions sont traitées dans le cadre de l’instance nationale du supportérisme, au sein de laquelle siègent les représentants du ministère de l’intérieur, mais aussi les représentants des supporters. Cette instance a produit un travail assez conséquent, dont une partie a nourri des travaux législatifs et réglementaires. Nous pourrons naturellement vous diffuser si vous le souhaitez tout le travail qui a été réalisé en accompagnement des fédérations sportives et des ligues professionnelles.

Ensuite, il existe effectivement deux types de missions d’inspection. Il y a d’abord celles qui relèvent de la revue permanente des fédérations. À échéances régulières, les fédérations font l’objet d’une mission d’inspection générale sans forcément qu’une situation particulière ait été signalée. Ensuite, des missions d’inspection sont liées à des éléments déclencheurs justifiant que la ministre les sollicite.

Tous les contrôles réalisés dans le cadre de la revue permanente ont donné lieu à la publication des rapports. En revanche, les inspections réalisées dans le cadre d’un contrôle spécifique ne le sont pas toujours. Il revient à la ministre de décider de la publication ou non-publication de ces rapports, même si des règles sont prévues au titre de la relation entre le public et la ministre, qui renvoient parfois à la saisine de la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) et qui conduisent à transmettre les rapports d’inspection générale, parfois occultés pour ne pas porter préjudice aux personnes qui ont été citées. Parmi ces rapports d’inspection générale, certains ont donné lieu à une saisine du procureur de la République. Des procédures sont en cours et empêchent donc une transmission. Nous regarderons ce qu’il est possible de vous transmettre, mais cela ne relève pas de la direction des sports. Ce sujet relève de l’inspection générale.

M. Jérôme Guedj (SOC). Pouvez-vous malgré tout relayer nos demandes ? Il y a en outre un enjeu de délai, puisqu’il faudrait que nous puissions les lire avant la fin de la commission d’enquête.

Mme Fabienne Bourdais. Bien entendu.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous formulerons effectivement une demande écrite. Par ailleurs, n’hésitez pas à étoffer vos différentes réponses par écrit.

Mme Fabienne Bourdais. Vous avez également évoqué le sujet de l’éthique et de la déontologie. Depuis la loi du 1er mars 2017, le CNOSF s’est doté d’une charte éthique. Toutes les fédérations ont l’obligation de décliner cette charte et de mettre en place un comité d’éthique. Fin 2020, nous avons procédé à un bilan qui montrait que la très grande majorité des fédérations s’étaient dotées de comités d’éthique. Cependant, cela ne constitue une garantie de bon fonctionnement du comité, ni qu’il remplisse correctement la mission qui lui a été assignée.

C’est la raison pour laquelle il est prévu qu’à l’appui du bilan des contrats de délégation signés en mars 2022 avec les fédérations soit joint le bilan des comités d’éthique de chacune des fédérations. Cela nous permettra de disposer d’une vision exhaustive du fonctionnement de ces comités d’éthique. Nous avons ainsi demandé à toutes les fédérations de nous produire un bilan écrit. D’ici la fin de l’année 2023, un temps d’échange sera organisé avec chaque président de fédération sur le contrat de délégation, et notamment sur ces sujets spécifiques de gouvernance.

Enfin, les fédérations sportives non agréées sont peu nombreuses. Certains opposants de fédérations sportives agréées voire délégataires constituent des fédérations parallèles et sollicitent le ministère pour pouvoir bénéficier de l’agrément. La doctrine de la direction de sports est de considérer qu’il n’est pas de bonne administration de multiplier les fédérations qui prétendent organiser les mêmes disciplines sportives. Notre travail consiste donc à regrouper les initiatives et faire en sorte de pouvoir les retrouver au sein de la même fédération.

Certains exercices ont mieux réussi que d’autres, pour des raisons qui appartiennent à chacune des fédérations concernées. Cependant, ce n’est pas parce qu’une fédération sportive n’est pas agréée qu’elle échappe à tout contrôle de l’État. En effet, toute structure qui organise une activité physique et sportive relève de la réglementation sur les établissements d’activité physique et sportive et elle est donc à ce titre soumise au contrôle de l’administration.

M. Jérôme Guedj (SOC). Un administrateur peut-il saisir le procureur de la République au titre de l’article 40 du code de procédure pénale ?

Mme Fabienne Bourdais. Non. Cependant, s’il écrit au ministre, en application du code de procédure pénale, si la victime présumée est un mineur, il y a obligation, comme pour tout citoyen, de transmettre au procureur de la République, sans forcément être obligé de faire référence à l’article 40 du code de procédure pénale.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Différents scandales ont mis en cause la gouvernance financière de certaines fédérations sportives, comme les fédérations de football et de rugby. Un audit aurait ainsi été lancé par la direction des sports. Pouvez-vous nous le confirmer ? Si tel est le cas, cet audit est-il achevé ? Disposez-vous de premiers éléments ? Pouvez-vous nous les transmettre ?

Mme Fabienne Bourdais. Il ne s’agissait pas d’un audit mais d’une mission de contrôle demandée par la ministre à l’inspection générale.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Disposez-vous d’éléments sur cette inspection ? Un rapport a-t-il été rédigé ? Pourrons-nous y avoir accès ?

Mme Fabienne Bourdais. Cela rejoint ma réponse à la question précédente.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous vous remercions. Nous ne manquerons pas de vous solliciter à nouveau au sein de cette commission d’enquête pour des informations supplémentaires, si le besoin s’en fait sentir.

Mme Fabienne Bourdais. Nous sommes à votre disposition.

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2.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Béatrice Barbusse, auteure du livre Du sexisme dans le sport (20 juillet 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Madame Béatrice Barbusse, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de vous être rendue disponible rapidement pour répondre à nos questions en visioconférence. Nous avons entamé ce matin les travaux de notre commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif.

Vous le savez, à la suite de très nombreuses révélations de sportifs et de divers scandales judiciaires, l’Assemblée nationale a choisi de créer cette commission d’enquête dont les travaux vont se décliner autour de trois axes :

Nous avons souhaité vous auditionner pour connaître votre perception sur ces trois thématiques, et plus particulièrement sur l’évolution du sexisme dans le sport, compte tenu de votre implication sur ce sujet au regard de votre expérience d’ancienne sportive professionnelle, de première femme présidente d’un club sportif professionnel, d’ancienne directrice du Centre national de développement du sport, devenu l’Agence nationale du sport, et de vos diverses responsabilités au sein de la Fédération française de handball.

Dans un premier temps, nous souhaiterions que vous puissiez nous exposer brièvement le bilan que vous tirez de la progression de la place des femmes dans le sport français depuis la première édition de votre ouvrage intitulé Du sexisme dans le sport en 2016. Dans un second temps, la rapporteure, mes collègues et moi-même aurons des questions relatives à la lutte contre les violences et les discriminations dans le sport notamment.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.

Avant de vous laisser la parole et d’entamer nos échanges pendant environ une heure, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. », après avoir activé votre micro.

(Mme Béatrice Barbusse prête serment).

Mme Béatrice Barbusse, auteure. J’ai réactualisé l’année dernière les données qui avaient servi pour mon livre en 2016. Sur certains points, la situation s’est objectivement améliorée : la place des femmes dans le sport s’est améliorée depuis quelques années, surtout sur le plan du nombre, grâce notamment à la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, dont un volet concernait le sport.

La chercheuse en sociologie, Mme Annabelle Caprais, a rédigé une thèse sur les effets produits par la loi de 2014 et a constaté qu’il y a en effet plus de femmes au sein des instances de gouvernance des fédérations sportives. La loi imposait 40 % de femmes au moins lorsqu’il y a 25 % de licenciées au sein des fédérations. Toutes les fédérations n’ont pas nécessairement joué le jeu, mais un saut quantitatif est intervenu : on a aujourd’hui dépassé le seuil des 34 % au sein des conseils d’administration des fédérations.

Cependant, certaines fédérations ont mis en place des stratégies de contournement : elles respectent le taux de 40 % de femmes au sein de leur conseil fédéral, mais elles ont transféré le pouvoir de décision mensuel à d’autres instances de direction qui n’ont pas été nommées dans la loi. Il s’agit là d’un problème important : quand la loi établit des quotas au sein des instances de décision, elle précise rarement les organes de décision concernés. Mme Annabelle Caprais cite dans son travail les fédérations qui ont précisément mis en place de telles stratégies de contournement.

La loi du 2 mars 2022 a introduit le fameux taux de 50 % de femmes au sein des conseils d’administration et des organes de décision des fédérations, du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) et des ligues professionnelles. Le CNOSF, qui représente le mouvement sportif, est monté au créneau afin que cette décision ne soit pas mise en place, car certaines fédérations n’étaient pas prêtes, puisqu’elles ne s’étaient pas préparées depuis 2015. C’est la raison pour laquelle la loi a reculé la date de 2024 à 2028 pour les instances régionales et le CNOSF a mis en place le fameux programme de « 300 femmes dirigeantes », en partenariat avec le Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 (COJOP). Je ne suis pas certaine qu’il faille obligatoirement former 300 femmes. Lorsque les hommes arrivent au pouvoir au sein des instances de décision sportive, personne ne considère qu’ils ont besoin d’être formés.

Ensuite, les femmes sont bien présentes mais souvent invisibles dans le milieu sportif. Quand je suis devenue présidente du club de l’US Ivry Handball, il y avait une bénévole « d’exécution » qui tenait la buvette. En parlant avec elle, je me suis aperçue qu’elle dirigeait un restaurant dont elle était propriétaire, qu’elle parlait couramment anglais pour avoir été professeure et qu’elle était en plus comptable. Je l’ai nommée vice-présidente. Les femmes sont bien présentes mais on ne les voit pas, on passe à côté d’elles sans jamais discuter d’elles, comme si les affaires sportives ne les intéressaient pas et qu’elles n’y connaissaient rien.

En résumé, du chemin a été parcouru sur le plan numérique, mais la route est encore longue. La preuve en est, le véritable front d’opposition de mars 2022 en faveur du report des 50 %, particulièrement dans certaines fédérations, mais aussi du report de la limitation du nombre de mandats de deux à trois. En effet, la plupart des fédérations ne se sont pas préparées à faire de la place aux femmes au sein de leur gouvernance sportive.

Sous bien d’autres aspects, la situation a très peu évolué. Je pense notamment à la médiatisation du sport féminin. Les derniers rapports de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) sont assez éloquents à ce sujet. Le premier indique que le sport féminin représente moins de 5 % du sport télévisé. La ministre elle-même a reconnu que cette situation était inacceptable dans un pays comme la France. Le deuxième rapport s’est intéressé à la coupe du monde de football féminine et au Tour de France féminin. Ils ont mesuré l’intérêt des Français à la médiatisation du sport féminin et il apparaît qu’une majorité de Français, y compris les plus jeunes, ont déjà regardé du sport féminin et sont intéressés à le suivre, à condition qu’il soit médiatisé.

J’imagine que vous avez suivi les débats qui ont eu lieu ces derniers mois concernant la retransmission de la coupe du monde féminine de football, à laquelle participe notre équipe de France. Le sujet de la médiatisation est essentiel, car cette visibilité permet au sport féminin d’attirer des sponsors et donc engendrer des retours sur investissement pour les entreprises qui s’impliquent, et de structurer davantage le sport de haut niveau mais aussi la base. Surtout, cela permet à des petites filles et des jeunes femmes de s’identifier à ces sportives de haut niveau, qui leur donnent envie de pratiquer du sport. Cela leur montre que l’accessibilité à tous les sports est envisageable.

La médiatisation est ainsi loin d’être anodine, car il s’agit du nerf de la guerre en matière financière. Malheureusement, la ministre est encore obligée d’intervenir à ce sujet. Les droits de télévision liés au sport féminin sont sans commune mesure avec ceux du sport masculin, qui a cinquante ans, voire un siècle d’avance. Plus généralement, il existe une véritable dette d’opportunité du sport masculin à l’égard du sport féminin. Le sport masculin a pu profiter pendant quasiment un siècle d’un monopole de visibilité et a pu attirer des sources de financement qui sont prises aujourd’hui et ne vont pas vers le sport féminin.

S’agissant encore une fois de l’aspect numérique, il faut également aller au-delà des fonctions de dirigeantes, pour observer la représentation des femmes chez les arbitres ou entraîneuses. À ce titre, certains disent « entraîneures », mais je préfère employer celui « d’entraîneuses » car il est plus sonore. Or les petites filles ont besoin d’entendre qu’elles peuvent aussi devenir entraîneuses. De plus, le terme « entraîneuses » n’est pas connoté négativement chez les plus jeunes. Pendant cinq ans d’affilée, j’ai demandé à mes étudiants, soit environ 200 à 300 personnes de 22 à 23 ans, ce qu’ils entendaient par « entraîneuse » et ils m’ont tous répondu qu’il s’agit d’une femme entraînant des sportifs.

Plus on monte vers le haut niveau, plus le nombre de femmes qui entraînent diminue. Et quand celles-ci entraînent, comme vous pouvez vous en doutez, il s’agit de filles ou d’équipes féminines : il est très rare qu’elles entraînent des hommes. Lorsque c’est le cas, ce n’est généralement pas au plus haut niveau, en France. Une des rares exceptions est constituée par l’exemple de Mme Corinne Diacre, qui avait entraîné l’équipe de Clermont Foot en Ligue 2.

Dans ce domaine, nous sommes confrontés à quelque chose de plus puissant qu’un simple plafond de verre. En réalité, deux phénomènes se cumulent. Le premier phénomène est le suivant : dans toutes les sphères de l’activité humaine, on constate que plus l’activité est technique, moins on trouve de femmes. Le cas des matières scientifiques est aujourd’hui bien documenté. Or il s’avère que le métier d’entraîneur est souvent associé à sa composante technique, alors qu’aujourd’hui, l’aspect managérial et humain prend une part très importante.

Ensuite, plus on s’approche du haut niveau et du pouvoir de décision, moins on trouve de femmes. Enfin, dans le domaine sportif, plus on se rapproche du terrain et de la production de la performance, qui est sacralisée dans le sport, plus le nombre de femmes diminue. En résumé, ces trois effets cumulés conduisent à recenser très peu de femmes dans des postes d’entraîneurs. De manière générale, on dénombre environ 25 % de femmes entraîneuses aujourd’hui.

Le même phénomène se retrouve également dans le domaine de l’arbitrage. En outre, les arbitres féminines subissent encore plus que les femmes qui entraînent des insultes sexistes, de manière assez courante. En tant que vice-présidente déléguée de la Fédération française de handball (FFH), j’ai reçu au mois de juin deux signalements de la part d’arbitres femmes qui ont été insultées de manière sexiste par le coach adverse, par les spectateurs, ou par les joueurs. Ce problème est particulièrement pesant : quand elles arrivent pour exercer leur rôle de juge, elles sont bien souvent accueillies avec mépris. Elles font ainsi l’objet de remarques profondément blessantes. La répétition de ces épisodes finit par écorner fortement l’estime de soi.

Enfin, il faut mentionner les joueuses. En France, environ 37 % de femmes sont licenciées. D’un point de vue sociologique, la pratique sportive évolue beaucoup plus vite en dehors des fédérations qu’au sein des clubs fédérés. En effet, en dehors des fédérations, les femmes sont libres de pratiquer la discipline sportive de leur choix aux horaires qui leur conviennent. De plus, un grand nombre d’évènements sportifs sont organisés exclusivement pour les femmes. Je pense par exemple à des courses comme Odysséa ou La Parisienne, qui ont su créer des environnements sécurisants pour les femmes.

En effet, j’entends souvent dire « Il faut oser », « Allez les femmes, osez », « Pourquoi n’allez-vous pas dans le sport ? » Mais il faut avoir une sacrée force de caractère, une certaine santé mentale et physique pour le faire, car il ne s’agit pas d’un milieu sécurisant pour les femmes. Toutes les semaines, nous avons affaire ainsi à des remarques, des actions et décisions plus ou moins sexistes, ce qui suppose d’être toujours vigilantes. Mais au bout d’un moment, cette situation suscite de la fatigue.

Je comprends donc que certaines femmes préfèrent abandonner, mais je comprends aussi que certaines femmes qui n’ont pas ces ressources culturelles, sociales, mentales ou physiques ne veulent pas venir dans cet univers, qui est quand même extrêmement dur. J’en ai fait et j’en fais toujours l’expérience, avec mes amies. Heureusement, depuis que la loi a été votée et qu’il y a plus de dirigeantes qu’auparavant, nous avons su créer des réseaux et des liens informels entre nous, sportives, arbitres, entraîneuses et dirigeantes. Ces liens nous permettent de nous soutenir mutuellement quand nous sommes confrontées à des actes sexistes qui font profondément mal, surtout lorsqu’ils se répètent régulièrement.

Je ne vous citerai pas de noms, mais toutes les semaines, une sportive, une entraîneuse ou une dirigeante m’envoie un sms ou m’appelle pour signaler un fait ou tout simplement parler. J’aimerais que tout le monde comprenne qu’il n’est pas facile de prendre la parole pour signaler un comportement ou dénoncer le caractère inégalitaire d’une décision : vous finissez par passer, comme c’est hélas mon cas, pour une féministe enragée, extrémiste et radicale, pour ne pas dire un gros mot.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je tiens à vous dire que dans le cadre de cette commission d’enquête, vous pouvez vous exprimer librement et citer des noms. Vous pouvez également nous proposer des noms de femmes à auditionner, notamment celles qui se plaignent ou vous rapportent des témoignages insupportables. Nous sommes là pour vous écouter, les hommes comme les femmes, en totale transparence.

Mme Béatrice Barbusse. Je vous enverrai une série de noms par courrier électronique. Vous verrez qu’elles sont nombreuses. Les évènements qui se sont déroulés au CNOSF ces derniers mois ont révélé des attitudes anormales. Il serait bien que vous auditionniez certaines femmes, dont Mme Brigitte Henriques. Par ailleurs, il n’est pas toujours facile de s’exprimer publiquement, car vous courez le risque d’être marginalisée, voire exclue de fait. Or nous ne le voulons pas, tant le milieu sportif nous tient à cœur ; nous avons envie de le faire évoluer de l’intérieur.

Je peux d’ailleurs vous relater une anecdote me concernant. Il y a quelques mois, le président d’une fédération est venu voir le président de la FFH en lui disant « Tu peux dire à ta vice-présidente Béatrice Barbusse de se calmer, parce que sinon, ça ne va pas aller. » Mon cas personnel a été ainsi mis à l’ordre du jour d’un bureau directeur d’une grande fédération française parce que j’avais posté un tweet qui n’avait pas plu à cette fédération, alors qu’il ne s’agissait que d’une défense tout à fait légitime de la cause des femmes. Malheureusement, je pourrai vous citer de très nombreux exemples de ce type, que j’évoque dans la deuxième version de mon livre.

D’un point de vue qualitatif, la situation n’a pas beaucoup évolué dans le bon sens. Pendant six mois, de janvier à juillet 2021, j’ai mesuré les temps de parole des femmes et des hommes lors des réunions auxquelles j’assistais, au sein de ma fédération ou du CNOSF notamment. Les résultats sont implacables : quel que soit le nombre de femmes relatif et absolu au sein d’une réunion, la parole est prise à 75 % par les hommes.

Pendant cette période-là, j’ai assisté à une réunion du CNOSF. Il s’agissait d’un groupe de travail sur les sports féminins collectifs professionnels, pour essayer de les faire émerger un peu plus. Tous les sports collectifs féminins s’étaient ainsi associés. Ce jour-là, il y avait huit participants à la réunion, dont six femmes et deux hommes. Ces deux hommes, qui présidaient la réunion, l’ont ouverte en disant : « Il va falloir faire attention à ce que l’on dit, parce que nous sommes en minorité aujourd’hui. » Je n’ai pas émis de commentaire mais il ne me viendrait jamais à l’esprit d’entamer une réunion en tenant les mêmes propos inversés. À l’issue de cette réunion au cours de laquelle j’avais mesuré les temps de parole, j’ai dit aux deux représentants masculins qu’ils n’avaient pas à s’inquiéter : bien que minoritaires, ils avaient parlé pendant une heure, alors que les femmes n’avaient pris la parole que pendant quinze minutes.

Beaucoup de progrès demeurent donc à réaliser, sans parler des attitudes et des comportements à l’égard des femmes au sein du milieu sportif, qui est souvent très paternaliste. Il peut s’agir de gestes anodins dont certains diront peut-être qu’il s’agit de détails. Mais au bout d’un moment, ces détails font mal. Je pense par exemple à un président de fédération qui vient vous voir et vous prend la tête de manière paternaliste pour vous dire « Alors, comment vas-tu aujourd’hui ? » À chaque fois, j’ai envie de leur dire que je ne suis ni leur mère, ni leur femme, ni leur copine, ni leur sœur. Je ne me permettrais pas de demander à un président de fédération comment il va en lui caressant les cheveux.

Dans le même registre, une autre anecdote mérite d’être mentionnée. Au sein de ma fédération, tous les hommes sont habillés par Eden Park, sans aucun souci. Mais nous les femmes, en dix ans, nous n’avons pas réussi à avoir une tenue qui nous aille. Cet équipementier nous fournit en effet des costumes taillés pour les hommes. Nous avons fini par abandonner et nous nous habillons comme nous voulons désormais.

Ces exemples montrent que nous devons être en veille permanente, pour être sûres de ne pas être oubliées. Je pense vous avoir dressé un résumé le plus exhaustif possible, même si j’ai certainement oublié des éléments.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vous remercie pour vos propos liminaires, qui confortent l’image que nous avions déjà. Nous avons le sentiment que le sport est éclaboussé par différentes affaires, qu’elles concernent les finances, les violences sexistes et sexuelles, les discriminations. Mais malgré la multiplication des affaires médiatiques, le problème de l’omerta revient fréquemment et donne le sentiment que l’on ne peut pas vraiment s’exprimer, au risque d’être marginalisé au sein des fédérations, comme vous l’avez déjà souligné.

La Fédération française de handball n’a pas été épargnée par certaines affaires. Je pense notamment à l’affaire de pédopornographie impliquant M. Bruno Martini, mais également certains signalements concernant des harcèlements. En tant que vice-présidente déléguée, pouvez-vous nous dire quelles mesures ont été mises en place ? Comment favorisez-vous la libération de la parole ? Quelle formation assurez-vous pour les encadrants ? Quelle « boîte à outils » avez-vous promue pour les clubs ? En tant que dirigeants de cette fédération, que faites-vous pour répondre à ces problématiques et quel bilan en tirez-vous aujourd’hui ?

Mme Béatrice Barbusse. À la Fédération française de handball, j’espère qu’il y a de moins en moins d’omerta sur ces questions. Quelques indicateurs tendent à montrer que l’on arrive à bousculer les choses. L’affaire Martini concerne la Ligue nationale de handball (LNH), même s’il était licencié fédéral. Je rappelle que M. Bruno Martini a l’un des plus beaux palmarès du handball français, au sein duquel il était extrêmement important.

Nous n’avons pas traîné : cette affaire a été traitée en une journée. Nous avons appris la nouvelle à 7 heures du matin à la radio et il nous a fallu une à deux heures pour reprendre nos esprits. C’est toujours compliqué quand vous connaissez quelqu’un très bien, qu’il est devenu pour certaines et certains un ami en lequel vous avez entièrement confiance. Je n’avais jamais entendu quelqu’un dire du mal de M. Bruno Martini au préalable, il m’a même soutenu quand j’étais présidente de l’US Ivry.

Il faut un moment pour digérer ce genre de nouvelles. Tout le monde a été éclaboussé, d’une manière ou d’une autre, du moins sur le plan affectif. Nous avons fait en sorte que les choses soient réglées le plus rapidement possible, sans états d’âme. Avec le président et en lien avec la LNH, nous avons fait en sorte qu’il démissionne dans la journée, ce qu’il a fait d’ailleurs sans poser de problème. Nous avons convoqué immédiatement un bureau directeur pour saisir la commission de discipline, qui, on l’espère, radiera à vie M. Bruno Martini de notre fédération. En effet, nos statuts nous permettent de prononcer des sanctions à vie, ce qui a déjà été le cas pour quatre ou cinq personnes.

Comment sommes-nous parvenus à casser cette omerta qui existait aussi dans notre fédération ? J’ai moi-même vécu cette omerta, que j’ai combattue de l’intérieur avec d’autres femmes et le président actuel. Le livre de Mme Sarah Abitbol nous a aidés, de même que la première convention mise en place par l’ancienne ministre des sports, Mme Roxana Maracineanu. Quand le contexte social fait pression pour que des affaires de violences sexuelles éclatent au grand jour, nous sommes aidés. Je tiens d’ailleurs à remercier les médias à ce sujet car ils ont contribué à casser l’omerta, notamment au sein de ma fédération.

Nous avons traité une affaire en 2018-2019, différente de celle de M. Bruno Martini, qui dérangeait un certain nombre de personnes. Il s’avère que j’avais joué au handball avec la mère d’un des enfants qui avait été victime de violences sexuelles. Une fois que nous avons été élus avec M. Philippe Bana, nous avons mis en place ce que nous souhaitions. Il s’agit notamment d’une cellule de signalement composée aujourd’hui de quatre personnes, dont deux juristes, une secrétaire et une personne membre de la direction technique nationale, qui avait auparavant traité de dossiers de violences sexuelles au sein d’une délégation régionale académique à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (Drajes). Cette cellule sera d’ailleurs élargie. Ces quatre personnes ont été formées au traitement des violences sexuelles par l’association Colosse aux pieds d’argile.

Par ailleurs, nous avons décidé que toutes les questions de violences sexuelles seraient traitées par la commission nationale, donc fédérale, de discipline et non par les commissions territoriales. En effet, nous ne savons que trop bien que les proximités affinitaires au niveau local empêchent parfois certains de parler. Tous les membres de la commission de discipline fédérale ont également été formés par Colosse aux pieds d’argile. Nous avons en outre mis en place deux grandes campagnes de communication pour lutter contre toutes les formes de violences (violences sexuelles, discriminations raciales, homophobie, cyber harcèlement) en nous appuyant sur les internationaux et les internationales qui ont tout de suite accepté de jouer le jeu.

Nous avons aussi établi une plateforme, que le ministère a également reprise après nous. Elle servira à signaler, de manière anonyme ou non, toute forme de violence. Nous communiquons beaucoup auprès des ligues et des comités pour que cette information redescende auprès des clubs. Enfin, nous avons mis en place sur tous les territoires une vingtaine de référents intégrité, également formés. Un séminaire est en outre organisé chaque année, le premier ayant eu lieu l’année dernière. Pendant deux jours, en présentiel et avec nos partenaires, nous continuons la formation, partageons les bonnes pratiques et les problématiques. Il faut également soulager les personnes qui gèrent les dossiers et ces séminaires permettent d’échanger.

Telles sont les actions que nous avons mises en œuvre. Le nombre de signalements concernant les violences sexuelles commence à diminuer. À 95 %, les mis en cause sont des hommes, à 80 % les victimes sont des femmes et 50 % des victimes sont mineures, autant de filles que de garçons. La FFH est par ailleurs consciente que son point faible porte sur les bizutages, qui sont encore présents malgré les campagnes menées.

Il nous reste maintenant à établir des modules obligatoires pour tous les cadres techniques, entraîneurs et dirigeants qui suivent une formation. En compagnie de Mme Nodjialem Myaro, présidente de la Ligue nationale de handball et de Mme Sylvie Pascal-Lagarrigue, directrice technique nationale adjointe, nous nous sommes particulièrement impliquées dans ces questions. Nous nous sommes aperçues que le contenu de la formation était très insuffisant. J’en ai d’ailleurs informé la ministre : la formation en soi ne suffit pas, tout dépend du contenu de la formation et des formateurs. Ce dossier m’occupera tout particulièrement à la rentrée.

Nous avons préparé la « demande politique » de ce que l’on souhaiterait voir figurer dans ces formations. Celles-ci doivent par exemple comporter un volet spécifique sur la physiologie féminine pour tous les entraîneurs : on n’entraîne pas de la même manière les femmes que les hommes. Par exemple, on ne leur fait pas faire les mêmes exercices abdominaux si on ne veut pas qu’elles aient des problèmes à la quarantaine ou à la cinquantaine.

Ensuite, le deuxième volet concerne la lutte contre le sexisme. En la matière, je me suis appuyée sur une thèse qui a été réalisée il y a peu par une sociologue. Celle-ci comporte notamment des verbatims sur le handball. Quand je lis les propos de certains présidents, joueurs et joueuses, entraîneurs et entraîneuses, je me dis que le handball doit encore beaucoup progresser pour lutter contre le sexisme de manière qualitative. À la rentrée, je vais chercher à mettre en place un partenariat pour ces formations courtes, afin que le contenu corresponde à la demande.

Des indicateurs nous permettent de dire que la parole est en train de se libérer à la FFH et la LNH. Désormais, l’écoute doit être libérée chez nous : nous sensibilisons les présidents de ligues et de comités (90 % d’hommes). Il y a à peu près un mois, un président de ligue m’a appelé, paniqué, un lundi matin car un de ses formateurs envoyait des messages à connotation sexuelle à une jeune qu’il était en train de former. Pourtant, nous répétons depuis trois ans ce qu’il faut faire, nous envoyons des communications écrites et le site de la fédération traite également de ce sujet.

Les dossiers de signalement sont tous traités de manière anonyme : seules les personnes de la cellule connaissent les noms, les prénoms, les régions où ont lieu ces affaires. Moi-même, je ne suis pas au courant, sauf cas exceptionnel. Il m’est arrivé par exemple de recevoir ou de converser avec des femmes qui ont été victimes de violences sexuelles. En tant que sociologue, je sais mener ce type d’entretiens. Il m’arrive de recevoir leur parole, parce que cela importe. Nous devons d’ailleurs progresser en la matière, dans notre plan de RSE. Nous avons érigé en priorité le suivi des victimes. De fait, les fédérations sont complètement nulles sur cet aspect-là. Nous nous sommes dit que nous devions rappeler les victimes après le signalement des faits, pour prendre de leurs nouvelles, ce qui n’était pas fait chez nous.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous avez évoqué la cellule de signalement mise en place par le ministère. Pouvez-vous nous faire part de vos commentaires ?

Mme Béatrice Barbusse. Non, je n’ai parlé que de la cellule de la fédération.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Les dispositifs mis en place par le ministère, notamment la cellule de signalement des violences et le contrôle d’honorabilité des encadrants sportifs, fonctionnent-ils bien ? Des mesures complémentaires sont-elles à vos yeux nécessaires ?

Mme Béatrice Barbusse. Je pense que cette cellule fonctionne aujourd’hui très bien, ce qui n’était pas forcément le cas initialement. La collaboration entre notre cellule de signalement et celle du ministère est parfaite : elles travaillent en toute transparence.

Je fais partie du comité pour l’éthique et la vie démocratique du sport présidé par Mme Marie-George Buffet et M. Stéphane Diagana. Personnellement, je pense qu’il faut établir une commission indépendante du milieu sportif. Aujourd’hui, dans le milieu sportif, comme dans tous les environnements, il y a trop de proximités affinitaires entre les individus. Un entre-soi masculin ultra-dominant empêche la parole de se libérer dans la quasi-majorité de toutes les fédérations, consciemment ou inconsciemment.

À la FFH, il nous semble que la situation s’améliore, parce que nous sommes plus de 33 % de femmes dirigeantes, à des postes stratégiquement importants. Nous n’avons pas notre langue dans notre poche, les gens savent qu’ils peuvent parler et qu’il ne leur arrivera rien. Il est donc bien nécessaire de mettre en place un climat de confiance et je ne pensais pas que cela prendrait si longtemps. Chez nous, cela a pris des années.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez évoqué l’entre-soi, qui fragilise la liberté de parole. Je pense que la barrière est mince en réalité entre limiter la libération de la parole et couvrir des agissements quand on en a connaissance. Quel est votre regard à ce sujet ?

Mme Béatrice Barbusse. La limite est effectivement mince, le fait de couvrir les agissements va à contre-courant de la libération de la parole. Vous devez aussi tenir compte de l’existence d’un décalage entre ce que l’on exprime et ce que l’on fait. Aujourd’hui, au sein du milieu sportif, tout le monde soutiendra que tout est fait pour lutter les violences sexuelles et les discriminations, de genre, raciales ou homophobes. Mais dans les comportements, ce ne se vérifie pas toujours. Ce décalage est souvent dû à des mécanismes inconscients. Quand nous avons commencé à vouloir traiter des dossiers signalés de violences sexuelles, j’ai été obligée d’être mise au courant. En effet, nous sentions bien que certains présidents ou présidentes de club ou de ligue ne voulaient pas ébruiter les affaires, pour ne pas créer de scandale. Il faut expliquer aux gens qu’au contraire, ce sont les clubs, les ligues, les comités et les fédérations qui ne disent rien qui sont suspects. Il ne faut pas avoir peur.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Des actions ont-elles été menées, des sanctions ont-elles été prononcées contre ces présidents de ligue qui ne disaient rien ? Ne pensez-vous pas que des mesures devraient sanctionner ces personnes qui n’ont pas agi ?

Mme Béatrice Barbusse. Les sanctions, jusqu’aux plus fortes, doivent bien sûr exister.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Oui mais il n’y en a pas eu jusqu’à présent.

Mme Béatrice Barbusse. Cela dépend des fédérations. Chez nous, des radiations à vie sont intervenues, comme dans d’autres fédérations malgré tout. Parfois, les règlements ne le prévoient pas : par exemple, il me semble me souvenir que la fédération française de judo ne peut pas radier plus de trois ans. En effet, cette fédération avait pris une mesure de ce type contre une personne qui avait finalement été innocentée après procès. Elle avait ensuite porté plainte contre la fédération.

Il faut éclaircir les liens entre les procédures administratives, les procédures judiciaires et les procédures disciplinaires. À la FFH, nous sommes conscients que nous prenons des risques lorsque nous édictons une sanction, en tant que fédération. En notre âme et conscience, nous avons fait le choix de prendre ces risques et nous les assumerons même si un jour quelqu’un se retourne contre nous. En effet, la priorité porte sur la protection des licenciés. Malheureusement, un certain nombre de dirigeants l’ont oublié. Certaines fédérations craignent que les personnes se retournent contre elles, de même que la vox populi, dont la puissance est décuplée par les réseaux sociaux.

Lorsque les preuves sont indéniables, il n’y a pas de problème, mais de fait, dans ce genre d’affaires, c’est souvent « parole contre parole ». Dans ce dernier cas, prendre des sanctions dures comme des radiations à vie peut être difficile pour une fédération qui n’y est pas habituée.

Aujourd’hui, dans le milieu sportif, tout doit être transformé : les fédérations doivent rentrer dans le XXIe siècle. Car il ne s’agit pas uniquement de violences sexuelles, mais aussi de violences morales. Je pense notamment aux jeunes sportifs qui subissent des maltraitances morales, par exemple lors des entraînements. J’ai arrêté ma carrière de handballeuse de haut niveau à 30 ans, car je n’en pouvais plus de la manière dont on me hurlait dessus, dont on me rabaissait en tant que femme. En effet, il y avait une trop grande différence entre les études que je suivais à Normale Sup et ce que je vivais sur le terrain.

Le milieu sportif doit effectuer une véritable révolution culturelle, sur tous les sujets que vous avez abordés. Je suis très contente que les commissions parlementaires s’occupent de plus en plus du sport. En effet, nous en sommes aussi là parce que, hier comme aujourd’hui, les gouvernants que vous êtes ont oublié de s’intéresser au milieu sportif. Je fréquente ce milieu depuis les années soixante-dix et pendant très longtemps, ce milieu faisait ce qu’il voulait, dans des espaces de non-droit.

Pendant longtemps, il n’y avait pas de convention collective – elle n’a été créée qu’en 2006 – parce qu’un ministre du travail l’a demandée. Pendant longtemps, les sportifs ont été payés en liquide, sans fiche de paie. C’est encore parfois le cas chez les filles. Pendant longtemps, personne ne s’est intéressé à nous, le milieu sportif a fait ce qu’il voulait et les présidents ont pris de très mauvaises habitudes.

M. Stéphane Mazars (RE). Vous dites que le fonctionnement n’est plus adapté au XXIe siècle et donnez l’exemple de la manière dont on parle aux jeunes athlètes ou plus globalement l’éducation des enfants dans les clubs sportifs. Ne pensez-vous pas qu’il existe aussi une difficulté entre, d’une part, le statut de bénévole des dirigeants et entraîneurs de club et, d’autre part, la montée en compétences qui est exigée d’eux sur un certain nombre de sujets ? Ne faut-il pas justement travailler sur cette montée en compétences, cette capacité à être éclairé sur un certain nombre de sujets qui rencontrent la préoccupation de nos concitoyens ?

Ensuite, ne pensez-vous pas qu’il faille travailler sur la mixité dans les équipes, et notamment les équipes de jeunes, pour lutter contre les discriminations, notamment sexistes ? Je sais que cela se pratique par exemple dans le football, particulièrement parce qu’il manque parfois de filles pour constituer des équipes entières.

Vous avez aussi évoqué la cohabitation entre deux grands principes : celui des règles de droit, comme la présomption d’innocence, mais aussi l’alerte des dénonciations et de la prise en compte de la parole. Comment pourrions-nous organiser la cohabitation entre ces deux grands principes ? Quand une personne est radiée à vie mais fait par la suite l’objet d’un non-lieu ou d’un acquittement, on peut ressentir un sentiment de gâchis, non seulement pour la personne, mais aussi pour la fédération. Ne faut-il pas travailler sur une règle s’imposant à toutes les fédérations et tous les secteurs ? Il s’agit de mettre à l’abri les dirigeants de décisions trop hâtives, en prenant en compte la libération de la parole mais aussi en préservant les droits de la personne pointée du doigt.

Mme Béatrice Barbusse. Vous avez raison : les compétences des dirigeants bénévoles doivent être améliorées et renouvelées. À cet égard, je vous recommande d’auditionner M. Lionel Maltese, maître de conférences en gestion à l’université de Marseille et à la Kage Business School Marseille, et ancien dirigeant de la Fédération française de tennis lors de la précédente mandature. Il travaille précisément sur la question de la compétence des bénévoles et prépare un article.

Comment y parvenir ? Afin de former ces bénévoles et accroître leurs compétences, il faut qu’ils puissent dégager plus de disponibilités calendaires. Il faut arrêter de tergiverser : l’indemnisation des bénévoles dirigeants me semble donc absolument indispensable. À la FFH, les dirigeants ne sont pas indemnisés et l’on voit bien que cela n’est pas tenable. Notre sport a longtemps rejeté l’argent, au même titre que l’athlétisme. L’année dernière, en assemblée générale, nous avons proposé une motion visant à indemniser certains dirigeants de la fédération et des ligues régionales. Une majorité a plus de 70 % en a accepté l’idée.

Aujourd’hui, je pense que le milieu sportif est suffisamment mature pour accepter une indemnisation systématique. Mais encore faudrait-il qu’il existe une grille d’indemnisation commune, en fonction du nombre de licenciés : présider la FFF n’est pas semblable à la présidence d’une fédération qui ne regroupe que 50 000 licenciés. Il s’agit de permettre aux dirigeants, et notamment les nouveaux dirigeants, de suivre certaines formations, afin de disposer de compétences dignes du XXIe siècle, notamment sur ces questions sociétales ou extra-sportives, fortement méconnues.

Ensuite, dans tous les sports collectifs, les équipes sont mixtes en deçà de 12 ans. Mais la réalité est différente : quand on se rend sur le terrain, on constate que bien souvent, les petits garçons ne passent pas la balle aux petites filles. Parfois, les éducateurs finissent par monter des équipes selon les sexes. La mixité est en fait superficielle et les éducateurs ne sont pas formés pour apprendre aux garçons à faire la passe aux filles.

Il y a deux mois, un club de handball m’a écrit pour me dire que depuis qu’il avait créé des équipes non mixtes, les inscriptions de petites filles avaient très nettement augmenté, jusqu’à atteindre un niveau historique. En effet, elles se sentent en sécurité et sont sûres de jouer, entre elles, entre copines. Dans d’autres cas, la mixité se déroule très bien, notamment parce que les éducateurs y ont été suffisamment formés. Il n’y a donc pas de règle, il faut s’adapter en fonction de la situation locale. Je ne prône pas nécessairement la mixité, surtout dans certains sports où les petits garçons n’ont pas été habitués à côtoyer des filles et où les éducateurs n’ont pas été habitués à gérer la mixité.

Je vous suggère d’ailleurs d’auditionner M. Philippe Deu, un professeur d’EPS qui travaillait au sein de l’académie de Créteil et qui a été ambassadeur sur toutes ces questions de mixité. Il vous expliquera par exemple comment il apprend le rugby en mixité aux garçons et filles et comment à la fin du cycle, les uns et les autres ont une autre idée du rugby, mais aussi de l’autre sexe. Ce dispositif fonctionne très bien et cela permet aux enfants d’apprendre à vivre ensemble, de manière harmonieuse. En résumé, la mixité n’est pas toujours la meilleure solution partout. Il faut savoir d’adapter.

Enfin, je ne me sens pas suffisamment qualifiée pour répondre à la troisième question de M. Mazars. Je pense que des juristes seraient plus qualifiés.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Au-delà des violences sexistes et sexuelles, il convient de parler d’éthique. Vous êtes professionnellement fonctionnaire et relevez de la fonction publique d’État. Vous savez donc que les fonctionnaires sont soumis à des obligations déontologiques en lien avec le statut de fonctionnaire. Vous êtes également membre du conseil national de l’éthique et vice-présidente déléguée de la FFH. Au regard de ces éléments, cette dernière fonction auprès d’un président qui n’a pas suivi les obligations déontologiques attachées à son statut – notamment le respect du délai de viduité de trois ans entre ses fonctions de DTN et la possibilité de se présenter à la présidence de la fédération de laquelle il était DTN – vous semble-t-elle conforme à l’éthique ?

Mme Béatrice Barbusse. Je ne suis pas membre de la commission d’éthique de la fédération. J’ai accepté de faire partie de la commission nationale de l’éthique après m’être assurée que j’en avais le droit, en tant que fonctionnaire. Je suis très précautionneuse en la matière. Ma faculté pourrait vous dire que je les sollicite très souvent pour obtenir des autorisations.

Quand nous nous sommes présentés sur la liste de M. Philippe Bana, un autre candidat, M. Olivier Girault, a porté cette affaire, d’abord devant la commission d’éthique de l’époque, mise en place par l’ancien président. Elle était présidée par l’ancienne ministre des sports, Mme Valérie Fourneyron. Cette commission avait montré qu’il n’y avait pas d’entorse à la règle. Dans un deuxième temps, l’affaire a été soulevée devant le CNOSF puis la commission d’éthique de la fonction publique, qui l’ont instruite pour conclure de la même manière. J’avais attendu les conclusions de ces commissions avant de m’engager dans la campagne fédérale. J’aurais pu envisager de conduire cette liste à sa place, mais M. Philippe Bana me semblait être le plus à même de le faire, compte tenu de sa connaissance du milieu du handball aux niveaux national, européen et international.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Si je peux me permettre, cette règle existe bien pourtant. Soit on estime qu’elle n’a pas de raison d’être et on l’efface ; soit il faut la respecter. Il me semble difficile d’outrepasser la règle.

Mme Béatrice Barbusse. Je n’ai pas outrepassé la règle : trois commissions légitimes successives ont décidé qu’il n’y avait pas d’entorse à la règle. Je pense donc que la règle doit effectivement être réécrite.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. L’autre solution consiste à appliquer la règle.

Mme Béatrice Barbusse. En effet, mais en l’espèce, personne n’a indiqué qu’il existait un problème d’ordre éthique. À partir du moment où la personne n’est plus fonctionnaire et postule à un poste de président de fédération, je ne vois pas pourquoi cette règle devrait le concerner. Il n’était plus DTN au moment où il s’est présenté. En revanche, il y a un problème lorsqu’un DTN est également directeur général, comme c’est le cas dans certaines fédérations.

M. Laurent Croizier (Dem). Vous avez dit précédemment que vous deviez souvent traiter de cas où la parole de l’un s’oppose à la parole de l’autre. Il y a là une ligne de crête qui me semble effectivement très difficile à gérer. Vous avez ajouté que vous preniez vos responsabilités. Concrètement, dans les travaux des cellules de signalement ou des commissions de la FFH, comment gérez-vous cette ligne de crête très étroite ?

Mme Béatrice Barbusse. Je vous propose d’auditionner la responsable de notre cellule de signalement, qui est également juriste, Mme Gwenhaël Samper. Elle vous expliquera bien mieux que moi comment nous gérons cette ligne de crête effectivement étroite. Comme je vous l’ai déjà indiqué, je ne suis pas au courant du détail des dossiers car je n’ai pas à l’être : je veux rester en dehors.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Madame Barbusse, je vous remercie pour l’ensemble des informations que vous nous avez apportées. Nous ne manquerons pas de vous solliciter si nous avons des questions complémentaires au cours de nos futurs travaux.

Mme Béatrice Barbusse. Veillez à ne pas généraliser à partir des fédérations de football et de rugby : toutes les fédérations n’ont pas nécessairement les moyens de mettre en place des cellules de signalement. Les défaillances existent, mais des actions sont mises en œuvre, notamment grâce aux nouvelles générations.

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3.   Audition, ouverte à la presse, de M. Marc Sauvourel, réalisateur du film Je ne suis pas un singe – Le racisme dans le football (2019) (20 juillet 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. M. Sauvourel, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de vous être rendu disponible rapidement pour répondre à nos questions. Nous avons entamé ce matin les travaux de notre commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif.

Vous le savez, à la suite de très nombreuses révélations de sportifs et de divers scandales judiciaires, l’Assemblée nationale a choisi de créer cette commission d’enquête dont les travaux vont se décliner autour de trois axes :

Nous avons souhaité vous auditionner pour connaître votre perception sur ces trois thématiques, et plus particulièrement sur les problématiques de racisme dans le sport, notamment dans le football, compte tenu de votre implication sur ce sujet ayant donné lieu à la réalisation du film documentaire Je ne suis pas un singe – Le racisme dans le football, avec votre collègue M. Olivier Dacourt, ancien footballeur professionnel.

Dans un premier temps, nous souhaiterions que vous puissiez nous exposer brièvement votre documentaire et le bilan que vous tirez de l’évolution du racisme dans le sport en France, par rapport à d’autres pays le cas échéant. Dans un second temps, la rapporteure, mes collègues et moi-même aurons certainement des questions complémentaires sur cette problématique et plus généralement sur les violences et les discriminations dans le sport.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.

Avant de vous laisser la parole et d’entamer nos échanges pendant environ une heure, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. », après avoir activé votre micro.

(M. Marc Sauvourel prête serment).

M. Marc Sauvourel, réalisateur. Comme vous l’avez indiqué, nous avons mené ce projet avec M. Olivier Dacourt, un ancien joueur de football, ex international français, qui a joué huit années en Italie, un pays gangréné par le racisme dans ses stades de football. En 2019, nous avons souhaité réaliser ce documentaire sur le racisme dans le football, après le signalement d’une insulte raciste dans un stade italien par le joueur français M. Blaise Matuidi, qui jouait alors à la Juventus de Turin.

J’ai discuté avec Olivier de son expérience professionnelle et j’ai trouvé curieux qu’il me dise ne pas avoir ressenti le racisme dans les stades italiens, malgré ses huit années passées en Italie. Je pense qu’Olivier a une force de caractère et une force mentale qui lui permettaient de se focaliser uniquement sur le match, mais ce n’est pas le cas de tous les joueurs. Tous les joueurs, et nous l’avons encore vu il y a deux mois avec le joueur brésilien du Real Madrid, Vinícius Junior, n’ont pas la capacité d’être absorbé de cette manière par la rencontre.

Cela donne lieu à des débordements : les supporters se servent de ces actes racistes pour déstabiliser les équipes. Bien souvent, ils s’abritent derrière le supportérisme pour soutenir qu’il ne s’agit que d’une manière d’affaiblir l’équipe adverse. De leur côté, les fédérations disent agir, mènent des campagnes contre les discriminations, qui bien souvent se résument à des banderoles « Non au racisme » déployées avant les matchs.

Certes, il existe bien un arsenal de sanctions et une évolution a vu le jour après notre documentaire. Pourtant, j’ai pu constater que les joueurs sont livrés à eux-mêmes vis-à-vis des insultes qu’ils peuvent recevoir. Bien que des soutiens officiels existent, aucune action n’est véritablement conduite pour les protéger. Par ailleurs, les préjugés racistes perdurent : même sans vouloir être consciemment racistes, nous le sommes souvent.

La deuxième partie du documentaire se penche d’ailleurs sur la représentation des entraîneurs noirs ou arabes en France. Si les joueurs de couleur composent à 50 % les effectifs, il n’y a que 5 % d’entraîneurs ou de dirigeants. Nous en concluons que les préjugés ont la vie dure. Il y a quelques années, Mediapart avait ainsi révélé une affaire de quotas de joueurs de couleur dans les centres de formation. À l’époque, les préjugés voulaient que les joueurs noirs soient athlétiques et puissants et les joueurs blancs intelligents. Les joueurs noirs auraient donc vocation à jouer en défense et les blancs au milieu de terrain, dans des postes de meneurs-organisateurs du jeu. Au sein de l’équipe championne du monde en 1998, on a souvent vanté la puissance de joueurs comme MM. Lilian Thuram et Marcel Dessailly et la vision du jeu de M. Didier Deschamps.

Naturellement, les hommes noirs peuvent passer leurs diplômes d’entraîneur comme les hommes blancs, mais les préjugés demeurent. Notre documentaire donne d’abord la parole aux joueurs, à des arbitres, à des entraîneurs et des dirigeants, pour exposer les actes discriminatoires et racistes dans le stade. Il s’agissait donc d’exposer des faits et de donner la parole à ceux qui les subissaient. Ensuite, une fois que l’on avait exposé ces éléments, il s’agissait de voir comment les fédérations et les acteurs agissaient, par exemple l’éventail des possibilités pour un arbitre d’intervenir quand un acte raciste survient dans un stade. Nous nous sommes également penchés sur les règlements mis en place par les fédérations pour lutter contre le racisme.

En résumé, nos premières conclusions indiquent que le joueur est livré à lui-même et que les sanctions, bien qu’elles existent, ne sont quasiment jamais appliquées derrière les discours de façade. Il n’existe pas de sanctions proportionnées face aux déstabilisations que subissent les joueurs. Cependant, depuis 2019, nous estimons que la situation a évolué positivement.

En revanche, la représentation des entraîneurs noirs ou arabes dans les effectifs au plus haut niveau ne s’est pas améliorée. À l’époque de notre documentaire, il y avait trois entraîneurs de couleur en Ligue 1 : MM. Patrick Vieira, Sabri Lamouchi et Antoine Kambouaré, qui est néo-calédonien. Ce dernier n’avait pas souhaité figurer dans le documentaire, mais MM. Patrick Vieira et Sabri Lamouchi nous avaient parlé. Ils faisaient le même constat d’un manque de représentation mais ils ignoraient les raisons véritables même s’ils s’accordent pour constater que les préjugés sont bien ancrés. Cette année, M. Patrick Vieira est le seul entraîneur de couleur en Ligue 1. Chez nos voisins européens, le constat est identique : dans le championnat anglais de première division, 55 % des joueurs sont noirs en 2023 mais on y croise seulement 5 % d’entraîneurs noirs. L’Espagne connaît aussi des problèmes de racisme dans les stades mais les sanctions ne sont pas prononcées.

La Fédération internationale de football, la FIFA, a mis en place en 2017, juste avant la coupe du monde en Russie, un protocole pour lutter contre les actes racistes : quand un problème de racisme survient dans un stade, l’arbitre interrompt la rencontre. Un message est ensuite transmis par le speaker pour demander au public de cesser les agissements racistes. Le troisième échelon concerne le retour au vestiaire des joueurs et l’arrêt définitif des rencontres. Il n’est arrivé qu’une seule fois que le protocole aille jusqu’au bout, à Paris. En l’espèce, l’arbitre lui-même s’était rendu auteur d’un acte raciste lors d’un match opposant le PSG au club turc Basaksehir Instambul, en Ligue des champions. L’arbitre roumain avait ainsi dit « negru » à M. Pierre Achille Webo, l’entraîneur adjoint camerounais du Basaksehir Istanbul. Il s’était défendu en disant qu’en roumain, on dit « negru » pour « noir ». Cet argument était plutôt léger. Les joueurs avaient décidé de ne pas reprendre la rencontre et l’arbitre avait été plus tard suspendu.

Cependant, ce protocole ne s’accomplit jamais jusqu’au bout. Les arbitres s’abritent derrière ce protocole et parfois se trompent d’attitude. Nous l’avions montré dans notre documentaire et la situation demeure. Comme je vous le disais plus tôt, le brésilien du Real Madrid, M. Vinícius Junior, a pris un carton rouge parce qu’il voulait arrêter de jouer après avoir été victime d’insultes racistes.

En résumé, notre documentaire visait à exposer les faits, ce qui nous a conduits à mettre en lumière le racisme qui s’exprimait dans les stades, mais aussi un autre, plus sournois, vis-à-vis des entraîneurs.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous avez déjà répondu à un certain nombre de questions que nous souhaitions vous poser, notamment sur l’évolution de la situation depuis 2019, année au cours de laquelle ce documentaire a été diffusé, et la prégnance du racisme qui reste dans le football. Mais pourquoi en est-il ainsi ?

M. Marc Sauvourel. Les stades sont le reflet de la société. Lors de notre documentaire, nous avons interrogé le directeur de l’ONG anglaise Football against racism in Europe (Fare). Ayant étudié les raisons de la poussée du racisme dans les stades, ils ont établi une corrélation avec la montée des nationalismes dans les sociétés. Plus l’extrême droite progresse dans la société, plus les nationalismes augmentent et plus les comportements extrêmes discriminatoires sont désinhibés dans les stades.

Des actes racistes ont eu lieu cette année dans les stades en Espagne, mais aussi à Lyon, lors du match entre Lyon et Marseille, à l’extérieur du stade, entre supporters. Si le racisme existera toujours, la manière dont on peut gérer le problème peut être modifiée. Mais le problème ne sera pas éradiqué. En Italie, un très grand nombre de débordements racistes ont eu lieu cette année, alors que l’extrême droite est au pouvoir. Des débordements sont également intervenus en Espagne et en Angleterre. En France, les règlements de compte ont surtout lieu en dehors des stades.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Existe-t-il un organisme qui recense tous ces cas avérés de racisme ?

M. Marc Sauvourel. Je ne crois pas. De notre côté, nous nous étions adressés aux joueurs. Le règlement indique que si un évènement raciste intervient dans un stade, l’arbitre doit le signaler dans son rapport. Malheureusement, bien souvent, les joueurs victimes de racisme ne veulent pas créer de polémique, en pensant à leur carrière et à leurs clubs. Ils finissent donc par minimiser ce qui leur arrive ou ce qui peut arriver à leurs collègues. Dans notre documentaire, nous avons interrogé le joueur camerounais, M. Samuel Eto’o, qui avait été pris à partie par le public de Saragosse lorsqu’il jouait pour le FC Barcelone. Ses coéquipiers, dont certains étaient noirs, lui disaient de ne pas quitter le terrain car son équipe allait perdre le match.

Nous avons également donné la parole à M. Samuel Umtiti, champion du monde avec l’équipe de France en 2018. Après la victoire des Bleus, il a subi un torrent de commentaires racistes, notamment anonymes, sur les réseaux sociaux, que les joueurs utilisent par ailleurs fréquemment. Parmi les commentaires, on pouvait lire que « ce n’est pas l’équipe de France qui a gagné la Coupe du monde, c’est l’équipe d’Afrique ». Quand on a rapporté cela au joueur, il ne voulait pas forcément revenir sur cet épisode. Il avait d’ailleurs hésité à nous accorder une interview, car selon ses propres termes « il ne voulait pas passer pour une victime ».

J’écoutais les propos de Mme Béatrice Barbusse, qui a été auditionnée avant moi. Il y a sans doute une éducation à mener en amont sur ce sujet, sur la manière dont on se comporte quand on éduque les enfants dans les fédérations sportives. Le sportif de haut niveau ne doit pas montrer de faiblesse et, pour certains, dire qu’il a été touché par une insulte ou une discrimination revient à accepter le statut de victime. Il arrive très souvent qu’un joueur soit victime de racisme sur le terrain mais qu’il ne le signale pas. L’arbitre dira alors qu’en l’absence de ce signalement, il n’a rien à indiquer dans son rapport.

Les joueurs doivent donc être conscients de la nécessité de rapporter de telles situations. Les joueurs doivent être convaincus que reconnaître que l’on a été victime de racisme et que cela les a touchés ne constitue pas une faiblesse. Certains le font, mais c’est souvent compliqué. Un joueur de basket du championnat de France a été touché par une insulte raciste et l’a signalé. Un jugement interviendra d’ailleurs au mois d’août. L’accusé est un septuagénaire, qui s’est excusé mais assume d’avoir insulté le joueur de basket, lequel a ensuite été victime d’une dépression.

Mme Sophie Mette (Dem). Constate-t-on autant de problèmes dans d’autres sports ? Qu’en est-il au basket, au rugby ? On en entend moins parler.

M. Marc Sauvourel. Mon documentaire s’est concentré sur le football, qui est le sport le plus médiatique. Les actes y sont donc plus visibles. Je suis moins connaisseur du rugby, mais j’ai suivi cette année le joueur de basket, M. Victor Wembanyama, pour réaliser un documentaire qui sortira dans quelques mois. J’ai donc assisté toute la saison à des matchs de basket et je n’y ai pas vu de tels comportements. Je n’ai vu aucun acte raciste à ces différentes occasions. Au football, c’est différent. Comment l’expliquer ? Je ne sais pas. Pardonnez-moi l’expression, mais le football rend peut-être « un peu con », même si c’est un sport que j’adore. J’ai l’impression qu’il y a moins de haine dans les autres sports, qui drainent moins d’argent et sont moins médiatisés.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Dans votre documentaire, plusieurs éléments m’ont interpellé. Tout d’abord, je pense à la violence subie par les sportifs. On a le sentiment que pour certains, puisque le football est un sport « privilégié », les joueurs seraient moins légitimes pour s’exprimer.

Le président de la FIFA, que vous avez interviewé, renvoie la gestion du racisme aux clubs et aux fédérations. Vous différenciez en effet les actes racistes commis dans les enceintes sportives et le racisme régnant au sein des fédérations ou des clubs. Mais comment un club ou une fédération qui connaît lui-même du racisme en son sein peut-il gérer les problèmes de racisme ? Quelle est votre opinion ? Se sont-ils emparés de ce sujet désormais, au-delà des banderoles que vous avez évoquées ?

Le racisme est un délit puni par la loi. Lorsque des personnes tiennent des propos racistes lors des matchs, comment se fait-il que des plaintes ne soient pas déposées ou que des signalements systématiques ne soient pas effectués par les clubs ou les fédérations ?

M. Marc Sauvourel. La FIFA édicte les règles que les fédérations nationales doivent appliquer. Elle a mis en place ce fameux protocole en demandant aux fédérations de l’appliquer, mais les fédérations ne le font pas. Le président de la FIFA, M. Gianni Infantino, s’abrite derrière ce règlement en pointant la responsabilité des fédérations, mais je trouve qu’il s’agit là d’une manière assez étonnante de se décharger de sa propre responsabilité.

Lorsque nous avons tourné notre documentaire, les fédérations n’avaient pas vraiment pris conscience du problème. Nous avons interviewé le président de la FFF de l’époque, M. Noël Le Graët. Nous l’avons interrogé sur le faible nombre d’entraîneurs de couleur et il nous a répondu que c’était leur faute, car il n’y avait pas de racisme dans le racisme français. Il nous a dit qu’il avait appelé M. Sabri Lamouchi pour lui proposer un poste d’entraîneur, mais que celui-ci avait refusé. Il fait donc d’un cas personnel une généralité.

Ce type de minimisation des évènements empêche naturellement de prendre des mesures. Chaque acteur, à chaque niveau, n’assume pas ses responsabilités. C’est la raison pour laquelle la situation ne s’améliore pas. Une prise conscience doit donc intervenir, pour oser utiliser l’arsenal des sanctions. Les joueurs eux-mêmes n’aident pas en ne voulant pas passer pour des « victimes » et les arbitres ne veulent pas passer pour celui qui a interrompu un match attendu par tant de gens. Finalement, le système est sclérosé et on ne va pas jusqu’au dépôt de plainte.

Le seul déclenchement intervient quand un joueur de renom indique qu’il arrête le match et évoque le problème sur les réseaux sociaux. À ce moment-là, tout le monde indique le soutenir. Mais à part cela, que se passe-t-il ? Aujourd’hui, une personne qui se rend coupable d’actes racistes est pourtant passible d’un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Mais cela n’est jamais appliqué.

Désormais, il est possible de surveiller les stades grâce à la vidéo. Peut-être devrait-on décharger le joueur de la responsabilité de signaler les actes racistes, comme l’a fait le joueur Vinícius Junior en décidant de quitter le stade. Un tollé s’en est ensuivi et une loi portant son nom a même été votée au Brésil pour augmenter la durée d’interdiction de stade. Nous sommes là pour protéger le joueur, qui n’a pas à agir pour faire bouger les choses.

L’arbitre doit prendre conscience de la gravité de l’acte, ceux qui gèrent la vidéo doivent identifier les auteurs, qui doivent être expulsés des stades et poursuivis, sans forcément que le club ou la fédération soient impliqués, puisque cela ne marche pas. Il revient sans doute aux autorités d’effectuer leur travail une fois que les personnes coupables d’actes racistes sont identifiées.

M. Stéphane Mazars (RE). : Le football est effectivement marqué par le phénomène des ultras, ces groupes de supporters qui peuvent être très politisés. Les actes que vous avez relevés sont-ils isolés ou sont-ils le fait de groupes de supporters ultras ?

Ensuite, le joueur éprouve parfois des difficultés à se positionner en tant que victime. Mais les clubs sont des organisateurs de spectacle et, à ce titre, doivent garantir le respect de la loi. Avez-vous pu toucher du doigt cet élément dans le cadre de vos interviews ? Enfin, on peut relever le racisme dont les joueurs peuvent être victimes de la part des supporters, mais avez-vous aussi mis en avant le racisme dans l’aire de jeu entre les joueurs ?

M. Marc Sauvourel. Des cas isolés existent, comme nous avons pu le constater dans le basket avec l’épisode que je vous ai précédemment exposé, mais l’on retrouve généralement des actes racistes en provenance des ultras regroupés dans certains virages dans les stades. Des groupes sont dissous, mais ils se reconstituent de manière différente. C’était le cas par exemple des Ultra Sur à Madrid. Nous avons pu l’observer lors de notre travail, qui a duré plusieurs années.

Le phénomène ultra fait partie du football, mais il ne faut pas non plus négliger l’effet de groupe, qui peut pousser certains à commettre des erreurs. Je ne pense pas qu’on puisse véritablement expurger le phénomène ultra, qui est en quelque sorte partie intégrante du football. Il faut surtout nouer un véritable dialogue. Dans certains clubs, des personnes sont chargées de la médiation avec les groupes de supporters. Peut-être faut-il généraliser cette pratique ? Si les clubs, qui sont effectivement censés garantir le respect de la loi, arrivent à dialoguer avec leurs supporters sur la question des discriminations, la situation pourra peut-être évoluer. Mais par définition, le groupe va absorber l’individu et le conduire à des actions répréhensibles. Pour prendre l’exemple récent de Valence en Espagne, je ne pense pas que 30 000 personnes racistes se soient réunies pour décider d’insulter un joueur et le traiter de « singe ». Certains peuvent être aspirés par ce phénomène, en considérant qu’il s’agit simplement de folklore et d’une manière de déstabiliser l’adversaire.

Au-delà, la question concerne aussi ce que nous voulons faire de nos stades. À l’époque des problèmes entre supporters du virage d’Auteuil et ceux du virage de Boulogne au Parc des Princes, le président du PSG de l’époque, M. Robin Leproux, a dissous certaines associations qui pouvaient poser problème. Aujourd’hui, il existe aussi une critique assez vive du Parc des Princes, qui serait devenu un Disneyland aseptisé, où la place vaut 500 euros.

Enfin, lors de notre documentaire, nous n’avons pas constaté de racisme entre les joueurs. Ceux-ci peuvent s’insulter, employer le trash talking, mais il n’y a pas véritablement d’insultes racistes. Il est certes arrivé que des joueurs se fassent insulter pour leur couleur de peau, mais en règle générale, des discussions interviennent et la situation rentre dans l’ordre. Aucun joueur n’a porté plainte contre un autre pour insultes racistes.

M. Laurent Croizier (Dem). Vous avez cité le mot « folklore ». Je me demande si pendant longtemps, la société dans son ensemble n’a pas considéré que l’insulte était un folklore, particulièrement dans le stade. Pour ma part, je suis outré d’y entendre le célèbre « Ho ! Hisse ! Enculé ! » dans les stades quand le gardien effectue un dégagement. Il ne s’agit pas d’un cri d’encouragement, mais d’une insulte.

Au basket-ball, quand on conteste une décision auprès de l’arbitre, on écope la plupart du temps d’une faute technique, qui, si elle est répétée, entraîne l’exclusion de la rencontre. L’attitude qui est dictée par les ligues nationales est donc extrêmement importante. Avez-vous interrogé les supporters qui profèrent des insultes racistes et homophobes dans les stades ? J’imagine que pour nombre d’entre eux, ils n’agiraient pas de la même manière à l’extérieur du stade. Enfin, je m’interroge sur les ravages de ces attitudes et comportements dans le sport amateur.

M. Stéphane Buchou (RE). Je souhaite revenir également sur la question de supporters. Je suis un peu surpris des propos que vous avez tenus, quand vous dites qu’on ne peut pas lutter contre les groupes de supporters. Avez-vous enquêté parmi les supporters lors de la réalisation de votre documentaire ? Vous avez évoqué les épisodes de déstabilisation et avez évité de qualifier le racisme de « structurel ». Le racisme est-il institué comme une forme de déstabilisation institutionnelle lors des matchs ? Ne peut-on pas malgré tout mieux agir pour lutter contre les actes racistes ? Vous aviez parlé des caméras notamment.

Pour ma part, je ne souscris pas à une forme de fatalisme en la matière. Je fréquente les stades de football, mais je ne considère pas que l’ambiance consiste à laisser propager un certain nombre d’actes et de paroles racistes. Comment les clubs, les fédérations, la ligue peuvent-ils agir pour diminuer le nombre de ces actes ? Comment peut-on les sanctionner plus durement ?

Enfin, s’agissant des entraîneurs, disposez-vous d’une statistique concernant des entraîneurs diplômés qui n’auraient pas accès à des clubs professionnels en raison de leur couleur de peau ?

M. Marc Sauvourel. Pour beaucoup de supporters, les insultes que vous avez mentionnées font effectivement partie du « folklore » footballistique. Pendant des années, les propos homophobes et discriminatoires ont été monnaie courante et faisaient rire tout un stade. J’ai vu tout un virage sauter à Marseille en traitant les Parisiens de « pédés », y compris des enfants et des femmes.

Si les clubs, qui doivent faire respecter la loi, dialoguaient avec les supporters, en rappelant notamment l’existence de sanctions, parfois lourdes, la situation pourrait peut-être s’améliorer. Mais je ne crois pas qu’il existe un racisme organisé. Certains le font par conviction, sans nécessairement déployer une organisation particulière. En revanche, certains assument leurs idées d’extrême droite.

Dans le cadre de notre documentaire, nous avons organisé une rencontre entre M. Olivier Dacourt et un supporter ouvertement fasciste, qui arborait notamment un tatouage de Mussolini. Il était supporter du club de la Lazio de Rome, le grand rival de l’AS Rome, club dans lequel Olivier avait joué. Ce supporter se justifiait devant lui qu’il n’aimait pas les noirs et revendiquait ses insultes dans le stade. La situation était totalement absurde : quand l’interview s’est achevée, ce supporter a voulu prendre des photos avec Olivier et appeler en vidéo d’autres supporters de la Lazio. Ces supporters étaient contents de le voir. Cette situation était assez déstabilisante.

Je ne sais pas comment il est possible d’agir dans ce domaine. Je ne pense pas qu’il faille lutter contre les associations de supporters. Il doit y avoir de l’ambiance dans les stades et les supporters doivent avoir voix au chapitre. Mais on minimise l’insulte homophobe ou raciste, d’une part en raison de l’absence de sanctions et d’autre part de dialogue, ni d’éducation. Simultanément, il ne faut pas hésiter à écarter les meneurs tendancieux, que les clubs connaissent. Selon moi, le vrai danger est la rupture entre les clubs et leurs supporters.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je souhaite revenir sur la question du racisme au sein des clubs ou des fédérations. Vous avez rapidement mentionné « l’affaire des quotas ». Je suis frappée par l’omerta et le silence des joueurs, qui ne veulent pas briser leur carrière, ni l’écosystème qui les fait vivre. Pensez-vous que les expériences de racisme que subissent les joueurs sont sous-évaluées dans les clubs et les fédérations ?

M. Marc Sauvourel. Oui. Dans cette salle, nous sommes tous blancs par exemple. Malheureusement, nous ne mesurons pas l’impact que peut avoir chez un joueur noir une insulte le qualifiant de « singe ». Dans les fédérations, les dirigeants sont comme nous, des blancs, et ne se rendent pas compte de l’impact destructeur d’une insulte raciste. Dans notre documentaire, nous avons voulu justement donner la parole à des joueurs qui subissaient de tels phénomènes.

En résumé, les fédérations minimisent les actes racistes et discriminatoires. À ce sujet, les insultes homophobes ont été tellement pratiquées dans les stades qu’il n’y a pas aujourd’hui de joueurs se déclarant ouvertement homosexuels. Un très bon documentaire, Faut qu’on parle, a justement été réalisé à ce sujet. Il donne la parole à des sportifs et sportives de haut niveau homosexuels qui s’expriment pour la première fois. Ils témoignent de la véritable difficulté à en parler au sein de leur pratique du sport de haut niveau. Quelqu’un révélant son homosexualité est ainsi en marge au sein d’un vestiaire, qui fonctionne beaucoup sur la « masculinité ». Dire que l’on est victime ou que l’on souffre d’une situation est perçu comme une faiblesse. Tout le système fait en sorte de ne jamais évoquer le problème.

M. Stéphane Buchou (RE). Je souhaite revenir sur les supporters. Nous partageons le constat d’actes répréhensibles, qu’il s’agisse d’actes racistes ou homophobes, mais les clubs et fédérations éprouvent des difficultés à aller au bout de la démarche. Les clubs ont besoin des associations de supporters et inversement. Un dialogue permanent est aujourd’hui engagé entre les deux entités. Ne peut-on pas imaginer que ce dialogue, parfois fructueux, puisse évoquer les actes délictuels ? Si les messages sont transmis et que l’on rappelle que la règle ne peut être transigée, je pense que l’on peut malgré tout améliorer la situation.

M. Marc Sauvourel. Je partage votre avis. Le dialogue existe, même s’il peut être rompu. Il faut sensibiliser les meneurs, les « capos », qui tiennent les mégaphones dans les stades sur ces questions. Cela pourrait même devenir une obligation. En cas de débordements, le club pourrait tenir responsables les organisateurs des animations.

Aux États-Unis, la Ligue de basket nationale (NBA) connaissait le même problème de la faible représentation des entraîneurs de couleur. Il y avait ainsi seulement sept entraîneurs noirs sur les trente franchises il y a encore trois ou quatre ans. Le nombre a été doublé depuis, pour atteindre le chiffre de quinze. D’une part, l’entraîneur noir, M.  Tyronn Lue, a rencontré un grand succès avec le club de Cleveland. D’autre part, la NBA a mis en place un programme d’ateliers de coaching dans les clubs, pour montrer que le métier d’entraîneur était ouvert à tous. Si l’on faisait la même chose en France dans le football, cela permettrait à de jeunes joueurs d’être sensibilisés, d’avoir le sentiment d’être légitimes et d’augmenter la proportion d’entraîneurs issus de la diversité.

Enfin, je ne dispose pas de statistiques précises. Lorsque nous avions réalisé notre documentaire, il y avait cinq ou six candidats de couleur sur trente à passer le diplôme d’entraîneur. En revanche, je suis plus pessimiste en ce qui concerne les sanctions. Elles existent mais tout le monde se renvoie la balle.

M. Stéphane Buchou (RE). Avez-vous connaissance, lorsque l’on intègre une association de supporters, de la signature d’un document pointant les droits et les devoirs et les sanctions passibles en cas d’insultes racistes et homophobes ?

M. Marc Sauvourel. Un code de bonne conduite est notifié, mais il ne rappelle pas les sanctions. En outre, il n’est forcément lu par les supporters. Des messages ont été transmis lors de campagnes, mais ils n’ont pas eu d’effets dissuasifs.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le devoir des clubs n’est-il pas de protéger les joueurs et donc de faire en sorte qu’il ne leur arrive rien ? Le joueur devrait être déchargé du dépôt de la plainte, qui devrait être confié au club ou à la fédération ?

M. Marc Sauvourel. Le club doit effectivement protéger le joueur, mais en réalité, il n’est pas forcément soutenu comme il devrait l’être. Lorsque M. Vinícius Junior s’est plaint, le Real Madrid s’est contenté de publier un communiqué de soutien et de l’inviter en loge à assister un match à côté du président du club. Mais le club n’a pas déposé plainte jusqu’à présent. Le club n’a pas plus protégé le joueur.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous remercie. N’hésitez pas à nous transmettre des documents complémentaires ou une liste de noms de personnes que nous serions susceptibles d’auditionner. En tant que journaliste, vous devez avoir de nombreuses sources.

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*     *

4.   Audition, ouverte à la presse, de M. Romain Molina, journaliste, et de M. Sébastien Boueilh, directeur de l’Association Colosse aux pieds d’argile (20 juillet 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Monsieur Molina, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de vous être rendu disponible rapidement pour répondre à nos questions. Nous avons entamé ce matin les travaux de notre commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif.

Vous le savez, à la suite de très nombreuses révélations de sportifs et de divers scandales judiciaires, l’Assemblée nationale a choisi de créer cette commission d’enquête dont les travaux vont se décliner autour de trois axes :

Nous avons souhaité vous auditionner en tant qu’expert de l’investigation sur ces trois sujets. Dans un premier temps, nous souhaiterions que vous puissiez nous exposer brièvement les résultats de vos investigations à l’encontre des fédérations françaises de football et de rugby sur lesquelles vous avez publié de nombreux articles. Dans un second temps, la rapporteure, mes collègues et moi-même aurons certainement des questions complémentaires pour connaître votre appréciation des mesures prises en France pour lutter contre les violences et les discriminations dans le sport.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(M. Romain Molina prête serment).

M. Romain Molina, journaliste. Je tiens à remercier toutes les personnes à l’initiative de cette commission d’enquête parlementaire. Bien souvent, dans la vie politique française, si dense, le monde du sport passe au second plan par rapport à d’autres sujets, ce qui permet à beaucoup de dirigeants et de fédérations sportives d’évoluer « tranquillement ». Mais, quand on y réfléchit, il s’agit là d’une industrie qui fait rêver des millions de Français et des milliards de personnes dans le monde.

Quand j’étais jeune enfant en Isère, je m’imaginais un jour être au milieu des plus grands basketteurs. Ce rêve d’enfant m’a conduit à arpenter depuis maintenant plus de dix ans les dédales malheureusement assez obscurs du sport. Au début, j’abordais ce milieu avec naïveté et candeur, car le sport représentait pour moi des valeurs que j’entendais répéter ici et là.

J’exerce mon métier de journaliste d’investigation depuis plus de dix ans désormais. J’ai publié des articles pour le New York Times, The Guardian, la BBC, CNN, Blast, et j’ai également publié sept livres, principalement autour des coulisses du sport, essentiellement du football et du basket-ball. Je publierai bientôt sur les sports de combat, domaine où chaque jour je prends davantage peur devant l’ampleur des dégâts.

Mes enquêtes, menées principalement au niveau international, ont permis qu’une vingtaine de dirigeants sportifs soient bannis ou arrêtés. Il y a eu des cas en Haïti, jusqu’à l’ancien ministre des sports, M. Evans Lescouflai, qui a été arrêté par Interpol pour pédocriminalité. Au Gabon, le président de la République a réagi dès le lendemain de la publication de mes articles dans The Guardian, qui ont permis l’arrestation de cinq personnes dans les milieux du taekwondo, du tennis et du football, également pour des actes de pédocriminalité. Il en a été de même en Côte d’Ivoire, au Mali, au Zimbabwe, en Zambie et en Mongolie. D’autres enquêtes sont en cours, notamment au Salvador, au Costa Rica et en Colombie.

Si je ne suis pas présent physiquement parmi vous aujourd’hui, c’est parce que des menaces pèsent sur moi. Certaines personnes bénéficient en effet d’une grande impunité dans le sport. J’ai beaucoup publié au sujet de la fédération française de football (FFF), depuis plusieurs années, principalement dans le New York Times, où j’ai relaté la culture toxique en place à la fédération. Quelle ne fut pas ma surprise de constater l’omerta incroyable dès que l’on touche à la FFF ! Personne ne voulait me parler pendant des années, d’autres personnes se rétractaient. Or, sans témoignage ou sans base suffisamment solide au niveau légal, il n’est pas possible de publier, ce qui conduit à ronger son frein. Il en va de même pour d’autres fédérations, notamment dans le basket et les sports de combat.

Certes, des évènements sont intervenus ces derniers mois, dont un rapport d’audit commandé par le ministère des sports. Nous pourrons en reparler, puisque ce rapport est tout de même assez biaisé dès le début. Cela m’a beaucoup peiné que l’on ne veuille pas, à cette occasion, aller au fond des choses. En France, on s’est toujours attaqué à une personne en particulier, souvent les présidents de fédérations : M. Laporte dans le rugby et M. Le Graët dans le football. Mais à aucun moment on ne s’attaque au système, comme si une seule personne était responsable de toute la mélasse, de toute la crasse. Soit on prend les gens pour des imbéciles, soit il s’agit d’un manque de connaissance, mais dans les deux cas, cela ne réglera pas les problèmes. On a sauvegardé des systèmes déficitaires, qui ont fermé les yeux sur des actes abominables, sans jamais s’attaquer au fond du problème.

À titre d’exemple concret, de nombreux jeunes Gabonais rêveraient de jouer en France, qui est la vitrine d’une excellence sportive, qu’il s’agisse du handball, du volley-ball ou du football, pour ne citer que ces disciplines. Cette vitrine sert notamment à rassurer les politiques grâce aux titres glanés, avec le sous-entendu que « ça travaille bien » dans les fédérations. Une histoire absolument terrible montre à quel point la politique de l’autruche peut être pratiquée dans ce milieu. Les mots que je vais employer seront assez forts, mais je suis obligé de le faire. Il existe en France un célèbre tournoi de jeunes footballeurs organisé en Vendée, à Montaigu, qui est internationalement connu et dont la FFF fait la promotion sur son site internet à l’occasion du cinquantenaire de cet évènement. Le « Mondial de Montaigu » est une référence au niveau international.

Il y a une quinzaine d’années, de jeunes Gabonais sont allés à Montaigu en rêvant d’être repérés et de jouer en France. Des personnes de leur équipe technique abusaient d’eux, dans des proportions inimaginables, à la fois sur le sol gabonais et sur le sol français. Sur un groupe de vingt joueurs, au moins 80 % ont reçu la « présence d’esprit », terme par lequel le coach, M. Patrick Assoumou Eyi, aujourd’hui incarcéré à Libreville à la suite de nos enquêtes, désignait le fait de sodomiser ces jeunes enfants au « jardin d’Eden », le surnom de sa maison. Il était aidé en cela par un agent franco-gabonais, M. Guy Mandarano, qui faisait des fellations aux jeunes joueurs et gardait leur sperme dans des bocaux.

Ces actes ont aussi été commis sur le territoire français, à Montaigu. Je me rappelle une discussion avec un des « rescapés » de Montaigu qui rêvait d’aller en France. On parle d’un homme, aujourd’hui père de famille, dont la vie a été brisée à un point dont vous n’avez pas idée. Or, il y a quelques mois, alors que la presse internationale avait fait déclencher des enquêtes par la Fédération internationale de football (FIFA) et la justice civile gabonaise, les organisateurs du tournoi ont fièrement annoncé avoir réinvité l’équipe du Gabon, avec la même équipe dirigeante – dont le président de la fédération, M. Pierre-Alain Mounguengui, accusé d’avoir couvert un réseau pédocriminel, qui se trouvait en prison. Ce dernier est actuellement en liberté conditionnelle dans l’attente de son procès à Libreville.

La victime qui m’a écrit, et dont je tairai le nom par mesure de sécurité, m’a dit : « C’est comme si on me violait une deuxième fois ». J’ai essayé de contacter les autorités pour comprendre s’il était possible de savoir comment un scandale aussi énorme, s’étant en partie déroulé le territoire français, ne connaisse pas de suites judiciaires chez nous. La justice sportive existe pourtant, mais ferme toujours les yeux. Il est plus que jamais temps que la justice civile et la justice sportive s’allient et disent non à l’impunité.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous remercie pour votre témoignage, qui est particulièrement déstabilisant. Il l’est encore plus pour moi dans la mesure où je suis élue de la Vendée.

M. Romain Molina. Je précise que j’ai tous les éléments en main et que la justice gabonaise a agi. Théoriquement, il existe également des accords de coopération entre la France et le Gabon. Malheureusement, lorsque j’ai contacté les autorités pour évoquer le sujet, j’ai reçu une fin de non-recevoir. Cela est à la fois troublant et problématique, dans la mesure où ce n’est pas la première fois que je rapporte des faits liés au football, et notamment des viols sur mineurs. J’avais déjà dénoncé les viols commis par M. Yves Jeanbart, l’ancien président de la fédération haïtienne de football, lors de la coupe du monde féminine 2018 qui s’était déroulée en France. On m’avait rétorqué : « Ce n’est pas notre boulot ».

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Qui vous a tenu ces propos ?

M. Romain Molina. Des policiers. Ils m’avaient appelé, parce que M. Jeanbart m’avait attaqué pour diffamation à la suite des articles que nous avions publiés dans The Guardian. Lors de cette conversation, je leur avais indiqué que je souhaitais les mettre en contact avec les personnes concernées. Quand j’ai réessayé, notamment auprès de la juge, j’ai reçu une fin de non-recevoir. Peut-être aurais-je dû effectuer un signalement auprès du procureur de la République sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale. Mais je vis dans un milieu tellement criminalisé que je devrais « faire » des articles 40 tous les jours. Si cette commission peut aider dans ce domaine, vous n’imaginez pas combien serait élevée la gratitude de tous ceux qui ont souffert par la faute de dirigeants sportifs.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vous remercie pour votre témoignage. Il recoupe un grand nombre d’éléments qui nous ont été rapportés sur l’omerta qui peut régner et sur le fait que très peu de personnes osent briser la loi du silence, qu’il s’agisse des victimes ou des personnes qui ont connaissance des faits et ne les rapportent pas, par peur des représailles ou pour d’autres raisons.

Vous intervenez de manière prédominante dans le monde du football, mais pas seulement. Comment qualifieriez-vous la situation du football français sur les questions qui nous regardent, à savoir les violences dans le sport, le racisme et l’éthique financière ?

Vous avez également évoqué des menaces qui pèsent sur vous et qui vous empêchent d’être sur le territoire français aujourd’hui, si j’ai bien compris. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous avez également dit que « beaucoup de grands journaux pourraient faire sauter la FFF demain ».

M. Romain Molina. C’est exact. L’Équipe en premier lieu. Il y a des gens très bien à L’Équipe, mais d’autres protègent telle ou telle source au profit de règlements de compte. Il s’agit là d’un véritable problème. Un très grand quotidien français avait aussi bloqué des publications liées à M. Al-Khelaïfi. Or il s’avère que la personne qui a bloqué la publication dispose notamment d’une loge au carré VIP du Parc des Princes.

Dans notre milieu, il y a de moins en moins de journalistes, mais de plus en plus de communication – et de règlements de compte. Les agences de communication ou certaines sociétés d’intelligence économique aident à la rédaction de certains papiers. En effet, nous sommes dans un milieu où « la soupe est tellement bonne » que des personnes ne veulent surtout pas quitter leur piédestal. Un grand nombre ont un bilan catastrophique, mais ils sont relativement protégés par la presse du fait qu’ils « balancent » ici et là.

Parfois, des journalistes arrivent à produire de grandes enquêtes. France Télévisions a par exemple réalisé un travail remarquable sur la fédération française de gymnastique. On peut également citer Mediapart à propos du tennis, ainsi que la rubrique rugby de L’Équipe. Cela permet aux politiques de se rendre compte qu’il existe un problème. J’ai oublié de citer les scandales déjà dénoncés il y a quelques années concernant l’équitation et les sports de glace. Je vous parlerai ensuite des fédérations de sport de combat. Ce qui s’y passe est tellement grave que je ne sais par où commencer. J’ai même contacté le conseiller sport de M. Macron tant je me sentais dépassé.

Dans le milieu du football, il y a énormément d’enjeux d’argent et de pouvoir politique, que ce soit dans les petits ou les grands clubs. Des élus s’associent personnellement à la réussite des clubs de football et y consacrent de nombreuses subventions. Officiellement, ces subventions sont accordées « pour les jeunes » mais en réalité tout est orienté vers l’équipe première. La ville de Chartres, par exemple, accorde plus de 1,2 million d’euros de subventions au club de football, mais cette subvention sert surtout à verser des salaires aux joueurs professionnels du club, qui dispute la quatrième division française, dans l’espoir que le club monte. Ce double discours, accompagné d’une « folie des grandeurs », est toujours présent.

L’état du football français est abyssal. Un exemple est, à ce titre, très illustratif ; je l’avais d’ailleurs donné aux inspecteurs du ministère des sports et il pourra vous être confirmé par des témoins à la FFF. Une personne de la fédération se chargeait de ramener des prostituées à des cadres de la FFF. Cette personne a été exfiltrée du Brésil lors de la coupe du monde 2014 car certains joueurs s’étaient rendu compte qu’elle avait escroqué leurs familles dans le cadre de locations saisonnières. Cette personne les aidait à avoir un appartement, mais en doublait le prix. Une enquête a supposément été lancée en interne, qui n’a jamais réellement eu lieu, et cet homme a finalement bénéficié d’une promotion. Il a notamment travaillé sur la coupe du monde féminine en 2019. N’est-ce pas ironique ?

Ce cynisme est ambiant ; je pourrais vous citer de bien nombreux exemples. Le racisme est également un problème qui dépasse le football français. Lorsque M. Gianni Infantino est arrivé à la tête de la Fédération Internationale de Football Association (FIFA), sa première mesure a consisté à supprimer la task force de la fédération dédiée au racisme.

En matière de violences sexuelles, on touche le fond. Les publications le dénoncent depuis 2020 dans le New York Times. Lorsque la FFF a été éclaboussée, elle a immédiatement sollicité des cabinets de conseil de crise pour faire établir soi-disant un rapport d’audit qu’elle n’a jamais révélé. Selon les documents que nous avons obtenus et qui ont été publiés dans la presse, Mme Roujas, une des responsables du pôle féminin à Clairefontaine a été licenciée, car la fédération lui reprochait d’entretenir des relations intimes, notamment avec une mineure. Elle n’a pas contesté son licenciement à l’époque. M. San José, responsable éducatif à Clairefontaine, a été licencié en catimini pour avoir adressé des textos inappropriés à un jeune de 13 ans, de ce genre : « Je t’aime, tu me manques mon bello, je t’aime, je t’aime, je t’aime ».

Mme Gaëlle Dumas a été condamnée récemment en première instance pour harcèlement moral au pôle Espoirs de Blagnac, qui appartient à la FFF. Dans les années 1980, l’ancien sélectionneur de l’équipe de France féminine, M. Coché, désormais décédé, avait été « dégagé » en catimini, car les joueuses devaient coucher avec lui pour pouvoir jouer. Mme Loisel vient de quitter la FFF. Son avocat dit qu’elle n’a rien fait, mais nous avons publié un procès-verbal de M. Gérard Prêcheur dans lequel il expliquait à la police que Mme Loisel faisait ses choix selon l’orientation sexuelle des joueuses. M. Prêcheur prétend aujourd’hui ne plus s’en souvenir.

Dans le domaine de l’arbitrage, M. Galletti envoyait des messages – notamment sur Facebook – en disant qu’il pouvait faire des fellations à des jeunes et à des adultes en échange de promotions dans l’arbitrage. L’ancien arbitre, M. Nicolas Pottier, a également fait des révélations dans So Foot récemment.

Toutes ces personnes qui ont été écartées de la FFF – qui estiment qu’elles sont un danger – ont néanmoins conservé leurs diplômes et leurs licences, alors que selon les statuts de la FFF, ceux-ci peuvent leur être enlevés. Aujourd’hui, le rapport de l’inspection générale du ministère des sports constate « un lourd passif en matière de violences sexuelles ». Comment expliquer qu’aucune sanction n’ait été prise et que les poursuites se soient heurtées à des prescriptions ? Comment expliquer que ces personnes demeurent dans le milieu du football, conservent leurs diplômes, et que la seule personne qui est actuellement en danger, à la suite de trois plaintes, est celle qui a dénoncé les faits, c’est-à-dire moi ?

Dans le Larousse, il est indiqué que la mafia est « un groupe occulte de personnes qui se soutiennent dans leurs intérêts par toutes sortes de moyens ». Nous avons sous nos yeux la définition d’une entreprise mafieuse.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. À votre connaissance, toutes les personnes que vous venez de citer ne font pas l’objet d’interdiction d’exercer auprès de mineurs ?

M. Romain Molina. Non. Un président de ligue – dont je retrouverai le nom – a demandé à la fédération si les diplômes pouvaient leur être retirés, puisque les statuts prévoient cette possibilité lorsqu’il y a atteinte à la morale, mais le directeur juridique de la FFF, M. Lapeyre, a refusé. Il faut savoir que M. Lapeyre supervisait en 2017 des élections à la ligue de La Réunion où, parmi les votants, figuraient des gens pourtant suspendus. Lorsqu’on en vient à truquer des élections pour faire gagner « les copains », à couvrir des affaires pendant des années, ne s’agit-il pas plutôt d’une fédération française du crime ? Cette question mérite d’être posée, de même que celle qui consiste à savoir si cette fédération devrait être considérée comme une organisation de type mafieux.

À la Réunion, le président de la ligue depuis quarante ans, M. Ethève, a dit qu’il n’y avait « que des salopes à la fédération ». Les inspecteurs du ministère des sports ont les documents entre leurs mains, qu’ils jugent d’ailleurs « terribles » ou « affligeants ». Mais aucune mesure n’a été prise contre la ligue de la Réunion, dont le directeur technique est également incarcéré pour violences sexuelles.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je me suis permis de vous le faire préciser car je trouve extrêmement grave que des personnes ayant été remerciés pour des faits d’une telle gravité soient aujourd’hui au contact d’enfants dans d’autres clubs ou fédérations.

M. Romain Molina. Je dispose des documents ; je peux vous les envoyer.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous sommes preneurs de tous les documents que vous pouvez transmettre. Par ailleurs, vous avez révélé de nombreux scandales sexuels et de pédocriminalité dans le football. Selon vous, les organes de gouvernance mondiale (FIFA) et nationale (FFF) de ce sport sont-ils coupables de négligence ? Ferment-elles volontairement les yeux ?

M. Romain Molina. La France n’est pas le seul pays concerné. Au Canada, de nombreuses enquêtes sont menées actuellement dans différents sports, notamment sur les violences sexuelles exercées sur des jeunes. En Islande, quand il a été avéré qu’un viol avait été couvert par la fédération, l’intégralité du comité de direction avait démissionné. En France, personne n’a démissionné pour ces faits, et je suis la seule personne incriminée.

La Fifa souhaite développer depuis deux ans, avec l’ONU, un centre international contre les abus, en se fondant notamment sur les enquêtes que différents journalistes comme Suzy Wrackou, Ed Aarons ou moi-même avions menées pour The Guardian. Je tiens à aider les athlètes haïtiens ou gabonais qui font preuve d’un courage incroyable, et permettre de libérer la parole ; mais de son côté, la FIFA n’a toujours pas réalisé ce centre. Le projet tarde.

J’ai témoigné devant le tribunal arbitral du sport. À chaque fois, une ingérence politique intervient, car chaque fédération représente une voix à la Fifa. Dans le cadre de cette terrible affaire haïtienne dans un centre FIFA, j’ai révélé que l’ancien président de la FIFA, M. Joseph Blatter, avait reçu un cadeau sexuel en arrivant en Haïti : une employée de la fédération avait été forcée de coucher avec lui. M. Blatter ne m’a jamais attaqué et la FIFA n’a déclenché aucune procédure. Plusieurs victimes leur ont pourtant rapporté que le vice-président de la fédération haïtienne « donnait » des prostituées à des officiels de la FIFA et de la Confédération de football d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale et des Caraïbes (Concacaf).

L’omerta est internationale, car beaucoup en ont bénéficié. Le niveau de dépravation est absolument incroyable. Je tiens à signaler – et je peux vous transmettre les documents – que la Fifa m’avait contacté pour me demander des informations liées à deux personnes de la FFF soupçonnées d’abus sexuels.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous pouvez naturellement nous envoyer tous les documents en votre possession, si vous le souhaitez.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez cosigné il y a deux ans une enquête dans le New York Times sur la FFF évoquant des accusations de responsables, encore en poste ou en poste par le passé, « de comportements inappropriés à l’égard du personnel féminin, de harcèlement de la part de la directrice générale de l’organisation, et de l’existence d’une culture toxique entretenue par des hommes qui emploieraient systématiquement un langage ouvertement sexiste ». Quelles ont été les conséquences de cette enquête ? Les récents changements à la tête de la FFF sont-ils selon vous de nature à corriger ces graves dysfonctionnements ?

Dans une autre enquête, publiée par le New York Times, vous évoquez le cas d’un ancien encadrant de la FFF, M. David San José, démis de ses fonctions à plusieurs reprises pour comportements problématiques à l’égard d’enfants (pesées sans sous-vêtements, SMS inappropriés, invitation à passer la nuit chez lui) mais qui n’a jamais été interdit d’exercer. Dans votre enquête publiée en septembre dernier, vous dénonciez l’inertie de la FFF qui aurait couvert des cas d’abus sexuels sur des enfants depuis les années 1980.

Enfin, dans une enquête publiée par Josimar intitulée « 40 ans de silence », vous pointez du doigt la responsabilité de cadres de la FFF dans la non-dénonciation d’agressions sexuelles et d’abus sur mineurs. M. Noël le Graët, mais aussi l’ensemble du Comex et les directeurs généraux ou simples de directeurs de cette fédération, que nous auditionnerons, semblent avoir été au contact de ces informations. Pensez-vous que le ministère des sports, averti à chaque fois de ces cas, a joué son rôle de contrôle ?

M. Romain Molina. Je vais vous adresser les lettres de licenciement et les constats. M. Le Graët avait soulevé un article 40 à l’encontre de Mme Roujas, qui n’avait pas été finalement été condamnée car son cas relevait de la prescription. Une autre affaire doit être mentionnée : l’affaire Fortépaule. M. Jacky Fortépaule, ancien président de la Ligue du Centre de football, a été condamné en appel pour harcèlement moral et sexuel. Quand des plaintes ont eu lieu à son égard, la FFF s’est empressée de produire des attestations qui lui étaient favorables.

Parmi les attestations figurait celle de Mme Régine Henriques, alors responsable du développement du football féminin de la FFF, dont elle est devenue ensuite la vice-présidente, avant de présider le comité national olympique sportif français (CNOSF). Un procès-verbal de gendarmerie porte sur l’audition de Mme Henriques qui prétend n’avoir jamais été alertée des potentielles agressions commises par M. Fortépaule. Le journal L’Equipe a pourtant révélé que Mme Henriques avait été avertie au moins deux fois. Elle l’a pourtant nié devant les gendarmes et dit aujourd’hui ne plus se souvenir avoir été contactée. Pourtant, selon l’un des procès-verbaux de gendarmerie, l’une des victimes l’avait alertée et Mme Henriques lui avait répondu qu’elle ne pouvait rien faire car une enquête était alors en cours. S’ils ne sont pas avertis, comment les clubs amateurs peuvent-ils savoir que cette personne a été licenciée de Clairefontaine pour comportements inappropriés à l’égard de mineurs ? Nous sommes au-delà de la négligence ! La responsabilité de la FFF est engagée, alors que tous ces gens seraient tenus de saisir le procureur de la République sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale.

De son côté, que fait le ministère des sports lorsqu’il reçoit des signalements ? J’ai donné aux inspecteurs du ministère des sports les contacts de certaines victimes, mais – je le dis haut et fort – celles-ci n’ont pas été contactées. Lorsque j’ai été interrogé par les inspecteurs du ministère, M. Bruno Béthune et son équipe, on m’a dit : « Monsieur Molina, on ne peut pas sanctionner tout le monde ». Finalement, personne au ministère n’a réalisé un signalement auprès du procureur de la République sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale. À la Ligue de la Réunion, des employées se font traiter de « salopes », mais rien ne se passe non plus. Comme je vous le disais plus tôt, je peux envoyer les documents prouvant que les élections à cette ligue ont été truquées et que le directeur juridique de la FFF les avait malgré tout validées.

Dans le football, les organes de contrôle ne sont pas indépendants. Je pourrais également vous parler de la Ligue de football et la direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) du football.

Le 27 mai 2015, Mme Loretta Lynch, ministre américaine de la justice, avait effectué une conférence de presse expliquant la corruption endémique, systémique et profondément enracinée dans le football, à l’étranger et aux États-Unis, notamment en lien avec les droits de télévision. Plus d’une cinquantaine de personnes ont été mises en examen aux États-Unis et dans une vingtaine de pays différents.

En France, aucune commission ne vérifie les deux principales sources d’argent dans le football : à savoir les transferts et les droits de télévision, qui génèrent des centaines et des centaines de millions d’euros. L’impunité est donc générale. Le club de Sochaux, institution du football, est en train de mourir parce que des dirigeants ont profité d’un train de vie délirant sans que les instances ne réagissent. La même mésaventure est intervenue à Sedan et à Cherbourg. Nous assistons aujourd’hui à la faillite du football français.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pourrez-vous nous transmettre les différents éléments dont vous nous avez parlé ?

M. Romain Molina. Je vous transmettrai non seulement les documents, mais également les numéros des personnes en question. Une lettre manuscrite avait été rédigée il y a dix ou quinze ans par des anciens responsables de Tracfin. Cette lettre expliquait qu’ils n’avaient pas été saisis par le ministre des finances, mais qu’ils s’étaient rendu compte que les rétrocommissions et surfacturations étaient devenues un modèle économique, et qu’un tiers des présidents des clubs de Ligue 1 pourraient « terminer derrière les barreaux » si on les laissait travailler. De mémoire, cette lettre avait été, me semble-t-il, été envoyée à M. Michel Platini. La situation est identique aujourd’hui, mais à une échelle encore plus importante, compte tenu des sommes plus élevées qu’à l’époque. Il suffit de voir le nombre d’affaires de racket, de tentatives de meurtre ou d’extorsion. Un pugilat se prépare et les instances ferment les yeux.

Sur les quarante clubs professionnels en France, trente-huit sont en déficit structurel avant les transferts. Les pertes s’élevaient à plus de 600 millions d’euros l’année dernière, en dépit des aides exceptionnelles de l’État. Il n’existe pas une autre industrie qui perde autant d’argent, qui bénéficie d’autant d’aides, qui refuse de modifier son modèle économique et qui soit à peine contrôlée. Dans un an, le football français va entrer en faillite absolue et les présidents de clubs iront frapper à la porte des autorités publiques. Il est temps que tout le monde rende des comptes, notamment les organes de contrôle. Les bilans ne sont pas transparents et posent beaucoup de questions. La situation est encore pire dans les petits clubs.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous nous indiquez avoir transmis les noms de victimes aux inspecteurs généraux du ministère des sports. Dans quels domaines ?

M. Romain Molina. Dans le domaine de l’arbitrage.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez fait émerger un scandale autour de M. Christophe Galtier, l’ex-entraîneur du Paris Saint-Germain (PSG), qui lui vaut d’être convoqué devant le tribunal correctionnel de Nice, le 15 décembre 2023. Il y sera jugé des chefs d’inculpation de harcèlement moral et discrimination à raison de l’appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race ou religion déterminée. Que pouvez-vous nous dire de cette affaire ? Est-elle représentative du football français ?

Dans un portrait publié par Libération l’année dernière, vous déclariez : « Beaucoup de grands journaux pourraient faire sauter la FFF demain, avec les infos qu’ils ont. Je ne comprends pas pourquoi ils ne les sortent pas, alors qu’on parle de dossiers liés à la protection de l’enfance. Un jour, je balancerai tous ceux qui ont couvert ». Auriez-vous aujourd’hui des éléments précis à nous communiquer ?

M. Romain Molina. Je vais vous envoyer en privé les informations dont dispose L’Equipe sur certains dossiers. Les informations sont précises ; ce ne sont pas des on-dit. Les pages n’ont jamais été publiées. Il est temps de parler.

Par ailleurs, toute la profession est au courant qu’un entraîneur français, qui était consultant pour BeIN Sports, a été licencié manu miltari mais très discrètement lors d’une coupe d’Afrique des nations. Il avait en effet été accusé par un prêtre d’avoir eu des relations sexuelles avec deux très jeunes Gabonaises, au diocèse d’Oyem. J’ai pu retrouver le prêtre, dont le témoignage est accablant. Toute la profession est au courant, notamment M. Jacques Vendroux, dont le fils était sur place. Pourtant, personne n’a dénoncé cet homme. Ce manque de courage abominable de la profession me sidère.

Certains journalistes font très bien leur travail, comme MM. Alban Traquet, Antoine Bourlon ou Rémi Dupré, mais j’ignore s’ils ont la liberté d’aller jusqu’au bout.

Le racisme est omniprésent dans le football. J’ai déjà entendu gens dire : « On va recruter du noir, le noir ça se vend bien. ». Un club de quatrième division française a l’habitude d’employer des joueurs sans papiers et prétend vouloir les aider. Quand le joueur ne marque plus de buts, il ne le paye plus, en menaçant de le dénoncer.

Le racisme est ambiant dans le football, mais tout le monde se tait, y compris les joueurs. Un joueur a été traité de « terroriste » parce qu’il avait fait sa prière. Le racisme est aussi débridé à la FFF, où certains patriarches se permettaient des commentaires incroyables. Il en va de même pour le sexisme. En plein comex ou comité de direction de la FFF, on a dit « Toi, ta gueule » à Mme Laura Georges, parce qu’elle avait osé parler. Plusieurs personnes du comité de direction de la FFF m’ont avoué que dans cette fédération, il faut avoir un dossier sur l’un et sur l’autre pour être tranquille. Si vous auditionniez certaines personnes, vous tomberiez de votre chaise.

Le sexisme est institutionnalisé. Bien souvent, dans ce milieu, pour une femme, c’est « Sois belle et ferme-la ». Le pire est qu’il n’existe pas de solidarité féminine. À la FFF, les femmes se sont fait la guerre pour des enjeux de pouvoir. Celles qui aiment le football ou sont présentes pour bien agir se font « éjecter ». Il existe une ambiance clanique, sexiste et délétère, sans que rien ne se passe. Seuls M. Le Graët et Mme Hardouin ont démissionné. Tous les autres, qui ont permis à ce système de fonctionner, sont toujours en poste.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Dans votre courriel de réponse à cette invitation, vous avez mentionné une enquête à paraître dans le secteur des sports de combat et disciplines associées. Vous indiquez que les faits et allégations sont « tellement graves » et concernent un « système de prostitution implantée auprès des mamans des jeunes combattants ». Pourriez-vous nous en dire davantage aujourd’hui ?

M. Romain Molina. Il s’agit de la fédération française de kick boxing, muaythaï et disciplines associées (FFKMDA), dont le président, M. Nadir Allouache, est membre du comité de direction du CNOSF. Dans cette fédération, les méfaits sont très nombreux. Je ne parlerai pas de tous les gens fichés au grand banditisme qui appartiennent à cette fédération. Ces curriculum vitae sont utilisés pour impressionner les potentiels opposants.

S’agissant du système de prostitution, cela se passe à Aulnay-sous-Bois. Il existe un tableau Excel – que je peux vous envoyer - qui associe des noms à des fellations : ceux des mères des jeunes combattantes ou jeunes combattants, qui doivent faire des fellations aux responsables. Le tableau Excel comporte même des appréciations : « Doit faire ses preuves », « Favorable », et indique le nombre de fellations encore à réaliser pour que les enfants aillent au gala ou intègrent l’équipe de France. Le mail qui avait été adressé à cet homme l’a été par une femme qui, en réalité, sondait les mères pour voir si elles étaient disponibles. Le mail dit notamment ceci : « Ci-joint le tableau amélioré, avec avis de madame et planning à la semaine. Crois-moi, avec ça, elles vont te la gérer comme personne, ta petite bite ». Je n’avais jamais vu cela de ma vie. Le pire est que ces gens s’en vantent ! Ils sont fiers d’eux.

Les faits sont tellement graves ! Cette fédération compte parmi ses licenciés un certain nombre de personnes issues des autorités, notamment M. Serge Castello, l’ancien patron de la direction territoriale de la sécurité publique de Seine-Saint-Denis. M. Castello, vice-président référent honorabilité, m’a juré qu’il n’avait jamais outrepassé ses fonctions. Pourtant, certaines informations sont assez troublantes. Toute la fédération se vante quand M. Castello a « passé un coup de téléphone ». Un licencié de la fédération a été arrêté pour vols de parfums, puis libéré à l’issue d’une garde à vue sans se voir confisquer le produit de son vol. Par ailleurs, la fédération a récupéré des papiers provenant de la préfecture de Nanterre pour l’un de ses licenciés, alors que ce dernier n’est pas de nationalité française. J’ai d’ailleurs transmis le document à M. Cyril Mourin, le conseiller sport d’Emmanuel Macron, et Mme Bourdais, directrice des sports au ministère des sports. Ce genre de document est en vente à la fédération. La fédération est également secouée par des affaires de harcèlement et de chantage sexuel qu’elle a couvertes. Elle a également institutionnalisé un système de rétrocommissions. De nombreuses démissions interviennent actuellement car les gens n’en peuvent plus.

Le 26 février 2023, à l’occasion du championnat de France K1 au Palais des Sports de Bondy, M. Sofiane Allouche, le frère du président de la FFKMDA, responsable des équipes de France, a agressé physiquement un homme, dans le dos, à l’aide d’un étranglement de mixed martial arts (MMA), en présence de son père – le président – et d’autres personnes. Cet homme a ensuite été roué de coups et menacé. Dimanche 22 janvier 2023, un homme âgé qui prenait des photos a été violenté physiquement au centre omnisports de Beauchamp devant les yeux du président de la FFKMDA, qui n’a rien dit. En juin 2023, après la finale du championnat de France de K1, M. Gérard Bonio du SBC Sarcelles a porté plainte pour propos injurieux, calomnies, menaces de mort et menaces contre sa famille contre M. Nadir Allouache qui lui aurait dit « Je vais te tuer, toi et ta famille » devant de nombreux témoins.

En interne, une autre histoire secoue la fédération. Des directeurs techniques nationaux (DTN), des cadres fédéraux, ont passé des soirées en Thaïlande avec des prostituées. Certaines photos ont été prises, qui ont ensuite permis de les faire chanter. Selon de multiples sources, un membre du ministère des sports est ainsi « tenu » car des dirigeants de la fédération détiennent une vidéo le montrant en compagnie de très jeunes femmes en Thaïlande. Lundi dernier, cette personne a d’ailleurs eu un rendez-vous secret avec le président de la fédération, à la suite des questions que nous lui avons posées.

D’autres signalements – que je peux vous adresser – établissent un lien avec du trafic d’armes, du trafic de drogue et des détournements d’argent. Deux autres DTN de la fédération sont recherchés en Chine pour viol. Mais aucune suite n’a eu lieu. Que fait le ministère des sports, d’autant plus que les problèmes dépassent la FFKMDA pour concerner également le taekwondo, le karaté et le MMA ?

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pouvez-vous nous transmettre vos échanges avec le conseiller sports et la ministre des sports ? Avez-vous eu des retours ?

M. Romain Molina. Je peux vous transmettre un grand nombre de noms, notamment de personnes qui ont le courage de se porter partie civile. Je n’ai pas eu de retour. Une personne a demandé depuis le mois de mars à avoir un entretien physique avec Mme Bourdais, sans l’obtenir. J’ai été opportunément contacté hier, la veille de mon passage devant votre commission.

Dans cette fédération, les docteurs sont payés en liquide, car ils doivent rétrocéder une partie des sommes au président. J’ajoute qu’une personne victime d’un arrêt cardiaque lors d’un gala est morte, faute de soins médicaux. Par ailleurs, la fédération a embauché une personne, M. Stambouli, pour « gérer » mon cas. Le droit de cuissage a par ailleurs été institutionnalisé à la fédération, sans parler des orgies sexuelles ou des soirées organisées pour les dirigeants avec des prostituées en Algérie, en Azerbaïdjan et en Thaïlande. Ils ont même envoyé des photos compromettantes à la femme de l’un de leurs hommes de main en Thaïlande.

À la fédération, ils me disent ne pas être au courant de ces faits, qui auraient eu lieu sous l’ancienne direction. Pour autant, rien n’est fait. Sur les réseaux sociaux de la fédération, il avait ainsi été demandé aux licenciés de la FFKMDA de soutenir la candidature de Mme Pécresse, alors que la fédération est censée rester apolitique. Le président de la fédération appelait lui-même certaines personnes pour leur demander d’assister à des meetings.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous avez également travaillé sur les paris truqués. Selon vous, la commission devrait-elle s’emparer de ce sujet ?

M. Romain Molina. Oui. L’association Global Lottery Monitoring System (GLMS), basée à Copenhague il me semble, se charge de suivre les paris sportifs. Cette instance est, comme d’autres organismes de contrôle, employée par différentes fédérations. Il y a quelques années, elle avait émis une « alerte rouge » (match truqué, d’après la détection par ses algorithmes) au sujet d’un match de Ligue 1. Par ailleurs, M. Le Graët avait été appelé il y a quelques années pour un match truqué en troisième division française, mais il n’avait rien fait.

Je signale que M. Segalen, le directeur intégrité de l’Autorité nationale des jeux, fait de son mieux pour lutter contre les matchs truqués, et que la France a été pionnière dans certains de ces aspects. Néanmoins, je déplore une complaisance et un manque d’envie des institutions internationales à poursuivre les responsables des matchs truqués, dont certains peuvent se dérouler sur le sol français. De façon générale, les fédérations sportives agissent peu contre les matchs truqués.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Où êtes-vous ? Êtes-vous caché quelque part ?

M. Romain Molina. Je ne suis pas caché, je vis en Andalousie. Mon avocat soulèvera bientôt les menaces de mort et les tentatives d’atteinte à ma vie dont j’ai fait l’objet, en particulier par l’un des dirigeants du football français. Certaines autorités françaises ont ces éléments en main, puisqu’il s’agit d’éléments écrits. De mémoire, cette personne était prête à payer un million de dollars pour que je sois éliminé. Certaines autorités françaises et services le savaient, mais ils ne m’avaient pas averti.

Je n’en suis pas totalement surpris, compte tenu de la compromission de certains services des autorités avec les dirigeants de sport, notamment du football. S’agissant du Paris Saint-Germain, on peut prendre peur vis-à-vis de la compromission de certains services du ministère de l’intérieur. Je pense notamment à la brigade de répression du banditisme (BRB) de Versailles, à la brigade des stupéfiants, à la police aux frontières et à la police judiciaire (PJ) du 36. En échange de cartes de séjour, de points de permis ou d’escortes policières, certains policiers obtiennent des places de matchs, des tickets VIP ou des maillots. On peut parler, me semble-t-il, en ce cas, de trafic d’influence.

Certaines affaires ne sortent jamais, mais je pourrai vous transmettre les documents. M. Nasser al-Khelaïfi, président du PSG, est propriétaire avec son frère de la société qatarie Oryx, qui a passé un accord avec la société Sphinx Group Manpower Provider, Inc, basée aux Philippines. Je pourrai d’ailleurs vous envoyer le contrat. Par l’intermédiaire d’Oryx, des domestiques philippins sont disséminés dans les pays du Golfe. M. Nasser al-Khelaïfi a également des domestiques de maison dans ses propriétés en Angleterre et en France. Ces domestiques viennent sur la base de visas touristiques d’une durée de trois mois. Leurs passeports sont immédiatement placés dans un coffre de l’hôtel Intercontinental par un des intendants de M. Al-Khelaïfi. Ces femmes se trouvent en France, mais elles vivent donc sans papier. Elles vivent dans des conditions qui dépassent l’entendement, ayant droit à un appel par semaine et à une bouteille de shampoing par mois. Certaines ont été battues ou violentées sexuellement par des membres de la famille, au point de fuir la maison.

Les autorités françaises ont entre leurs mains les messages depuis deux ans, mais n’ont pas ouvert d’enquêtes. J’ai donc alerté personnellement une ancienne membre du département de justice américain, qui travaille à Human Rights Watch, ainsi que la division Trafic humain du département de la justice américain. Quel est le destin de ces femmes, qui ont été maltraitées et qui ont dû fuir, terrorisées ? C’est la raison pour laquelle je parle de compromission de certains services du ministère de l’intérieur.

Un procès-verbal comporte ainsi la photo d’une femme philippine ensanglantée, mais là aussi, aucune enquête n’a été diligentée. M. Al-Khelaïfi et toute la voyoucratie qui l’entoure doivent faire la lumière sur le sort de ces personnes. Plus vous êtes importants dans le milieu du sport, plus vous bénéficiez d’accès – d’ordre politique, médiatique ou autre. Il est plus que temps de dire stop à cette impunité. En disant cela, je m’expose à beaucoup d’ennuis. Mais j’ai juré de dire la vérité à votre commission, et il est de notre devoir aujourd’hui de protéger la dignité humaine.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Selon vous, le ministère des sports et celui de l’intérieur sont-ils informés des liens entre les clubs professionnels, dont le PSG, et certains policiers, qui leur rendent des services officieux ? Et ont-ils sévi ?

M. Romain Molina. Il y a deux ans et demi, à l’occasion de la publication d’un livre d’Alex Jordanov sur la DGSI, des perquisitions ont eu lieu. Certaines d’entre elles ont permis de récupérer des données liées au PSG, dans le cadre des accusations d’enlèvement, de séquestration et de torture au Qatar de M. Tayeb Benabderrahmane, qui visent notamment le patron du PSG, Nasser al-Khelaïfi. Le téléphone de M. Jean-Martial Ribes, l’ancien directeur de la communication du PSG, a également été saisi, et l’extraction de ces données a fait l’objet de procès-verbaux que vous pourrez, je pense, consulter. Ces phénomènes « d’affaires qui ne sortent pas », bien qu’entièrement documentées, se produisent aussi dans d’autres clubs moins prestigieux.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je suis étonnée que le ministère des sports ne se soit pas saisi de ces informations, qui étaient sorties par ailleurs dans la presse, notamment dans Mediapart.

M. Romain Molina. On s’attaque à chaque fois à une personne en particulier. Au ministère des sports, on raconte l’histoire d’un président de fédération, membre du CNOSF, qui est interdit de territoire au Maroc pour une affaire de viol ; mais nous ne parvenons pas à avoir le papier. Madame la ministre, pour qui j’ai beaucoup de respect par ailleurs, mène un combat contre les violences féminines, mais elle a accueilli au ministère M. Fernand Lopez, l’autoproclamé patron du MMA français, condamné pour avoir étranglé la mère de sa femme, et pour l’avoir battue au visage.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je suis assez sidérée. La tâche semble colossale. De quelle manière faudrait-il procéder selon vous ? Par quel bout ? Pour qu’il y ait des déclenchements d’article 40, que des plaintes soient menées jusqu’à terme, et que les auteurs de crimes et toutes les personnes susceptibles de nuire au milieu sportif soient écartés ?

M. Romain Molina. Votre commission constitue déjà un très bon début. Il faudrait ensuite disposer de commissions réellement indépendantes. Les DNCG, notamment au basket, ne font pas correctement leur travail, notamment vis-à-vis des abus du droit à l’image, utilisé pour payer des joueurs dans des structures à l’étranger et d’échapper en partie au système fiscal français.

Au niveau européen, il faudra se poser la question de savoir comment ces fédérations ont été criminalisées. Europol et Interpol ont conduit des opérations en République tchèque et à Chypre, en lien avec des matchs truqués par des groupes mafieux. Il faudrait également mettre en place des commissions pour étudier les rachats de clubs professionnels. Je rappelle que le rachat avorté du club de Béziers, dans le rugby, a provoqué la mort, par suicide, de M. Christophe Dominici. On parle ici de vies humaines.

La justice américaine enquête par exemple actuellement sur un trafic de drogue dont serait responsable un groupe, qui détient aujourd’hui un club de football en France. L’ancien juge, M. Éric Halphen avait indiqué en 2016 que les filières bancaires et les paradis fiscaux utilisés pour la corruption dans le secteur du bâtiment et travaux publics (BTP), le trafic d’armes ou de stupéfiants, étaient également utilisés dans bon nombre de transferts sportifs.

Il faut sans doute aussi réformer le rôle du ministère des sports et, au-delà, dire non à l’impunité. Aujourd’hui, le système est trop laxiste. Les juges doivent pouvoir juger à partir de vrais dossiers.

Mme Fabienne Colboc (RE). Les modalités d’élection des présidents de fédération ont changé récemment. Cela peut-il être une solution pour sortir de l’entre-soi et donner la parole aux clubs ?

M. Romain Molina. Vous avez raison de souligner la notion d’entre-soi. À la FFF, ceux qui votaient pour le président étaient de tous les voyages quand l’équipe de France se déplaçait. Normalement, le ministère est censé contrôler cela. Le train de vie de la Ligue de football professionnel pose aussi question. Un immeuble a été racheté pour un montant de 140 millions d’euros alors qu’il valait 50 millions trois ans auparavant.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je tiens à vous remercier pour votre témoignage et le travail que vous avez réalisé depuis plusieurs années, malgré l’omerta qui règne dans le monde sportif. Nous aurons peut-être l’occasion de vous solliciter pour une deuxième audition.

M. Romain Molina. Je vais vous ennoyer les documents et les contacts dont je dispose. Je sais qu’en parlant comme je l’ai fait aujourd’hui, je m’expose, ainsi que mes proches ; mais il est nécessaire d’agir avec courage aujourd’hui. J’ai enquêté dans de nombreux pays, mais je n’ai jamais autant rencontré autant d’omerta qu’en France. Votre commission d’enquête est en quelque sorte la récompense de dix ans de travail et constitue un message d’espoir pour toutes ces petites voix qui m’ont parlé. Je garde la foi.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Les prochaines auditions seront publiques et vous pourrez donc les suivre. De notre côté, nous attendons vos retours et les détails dont vous nous avez parlé. N’hésitez pas à revenir vers nous.

M. Romain Molina. Je reviendrai vers vous dans la journée.

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5.   La commission auditionne M. Sébastien Boueilh, directeur de l’association Colosse aux pieds d’argile.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de vous être rendu disponible rapidement pour répondre à nos questions. Nous avons entamé ce matin les travaux de notre commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif.

Vous le savez, à la suite de très nombreuses révélations de sportifs et de divers scandales judiciaires, l’Assemblée nationale a choisi de créer cette commission d’enquête dont les travaux vont se décliner autour de trois axes :

Nous avons souhaité vous auditionner en tant qu’ancien rugbyman de haut niveau, victime de violences, et fondateur en 2013 de l’association Colosse aux pieds d’argile. Reconnue d’utilité publique, l’association œuvre en faveur de la prévention aux risques de violences sexuelles, de bizutage et de harcèlement en milieu sportif, ainsi qu’en faveur de la formation des professionnels ainsi que de l’accompagnement et de l’aide aux victimes.

Dans un premier temps, nous souhaiterions donc que vous puissiez nous faire part de votre témoignage concernant les violences dans le milieu sportif que vous avez subies et que vous présentiez les actions engagées par votre association, et leurs résultats depuis dix ans. Dans un second temps, la rapporteure, mes collègues et moi-même aurons certainement des questions complémentaires à vous soumettre pour connaître votre appréciation des mesures prises en France pour lutter contre les violences et les discriminations dans le sport.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Sébastien Boueilh prête serment).

M. Sébastien Boueilh, directeur de l’association Colosse aux pieds d’argile. Je suis très honoré de pouvoir contribuer à vos travaux. S’agissant de mon expérience personnelle, j’ai été violé de l’âge de 11 à 16 ans, mais je n’ai pu en parler que dix-huit ans plus tard, en discutant avec un copain d’enfance, qui jouait au rugby avec moi dans les Landes. Cet ami avait suivi une hypnose partielle qui avait permis de révéler qu’il avait subi des viols les mercredis après-midi pendant un été entier. Le lendemain, je l’ai rappelé pour lui dire que j’avais été violé par la même personne pendant quatre ans, laquelle a aussi abusé de mon cousin. J’ai ensuite porté plainte.

Avant de s’en prendre à nous, ce prédateur avait gagné la confiance de mes parents, qui me confiaient à lui pour revenir des entraînements ou des répétitions de musique. Le procès a eu lieu à Mont-de-Marsan, condamnant l’agresseur à dix ans de prison. Il en a purgé quatre ans et sept mois. Je suis inquiet, car à l’issue de sa libération, il est parti travailler dans un camping.

À l’issue de ce procès, j’ai décidé de créer Colosse aux pieds d’argile pour lutter contre les violences sexuelles, le bizutage et le harcèlement en milieu sportif. Peu à peu, mon combat a pris de l’ampleur. Je suis une victime atypique dans le sens où lorsque l’on parle de victime, on se représente souvent une personne fragile. Pour ma part, je mesure 1,82 mètre et pèse 100 kg. Mes premières actions ont été suivies par les médias, notamment TF1, qui a effectué un reportage sur mon association six mois après sa création. Ce reportage a été diffusé dans le journal de Claire Chazal, touchant 6 millions de téléspectateurs. Mon combat a très vite dépassé le cadre de la côte basque et des Landes pour s’élargir à tout le territoire, tant les témoignages de victimes affluaient.

En 2016, j’ai décidé de professionnaliser notre action. L’association compte aujourd’hui 40 salariés sur la France métropolitaine et La Réunion. Nous sommes quotidiennement sur le terrain, ce qui nous permet de formuler des propositions pragmatiques auprès des ministres. L’année dernière, nous avons réalisé 1 700 interventions, qui ont touché 70 000 bénéficiaires, répartis à égalité entre majeurs et mineurs. Depuis le début de l’année 2023, nous avons conduit 1 700 interventions. Nous finirons vraisemblablement l’année à 3 000 interventions, qui auront concerné 100 000 personnes.

Aujourd’hui, nous travaillons avec 50 fédérations et six ministères. Nous avons une antenne en Argentine et en Espagne. Nous formons également les professionnels qui encadrent les enfants, notamment pour détecter les victimes. Nous nous servons du sport comme d’un levier libérateur et nous intervenons dans les écoles et les lycées. Nous avons aussi fait le choix d’intervenir face aux auteurs de violences sexuelles, qu’ils soient majeurs ou mineurs, notamment en lien avec la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Ce travail cherche ainsi à éviter la récidive. Aujourd’hui, nous élargissons nos actions.

Mme la présidente Béatrice Bellamy doit quitter la séance, elle est remplacée par Mme Sophie Mette, vice-présidente.

Mme la présidente Sophie Mette. Je vous informe de l’arrivée en visioconférence de M. Simon Latournerie, directeur adjoint de Colosse aux pieds d’argile.

Monsieur Latournerie, je vous souhaite la bienvenue et vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ». Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. ».

(M. Simon Latournerie prête serment).

M. Sébastien Boueilh. L’association Colosse aux pieds d’argile agit aujourd’hui dans le domaine de la prévention des violences en milieu sportif et éducatif, et dans le domaine de l’accompagnement des victimes et des victimes collatérales. L’année de dernière, nous avons investi 200 000 euros dans ces actions d’accompagnement, qui sont proposées gratuitement aux mineurs et aux majeurs. Nous avons également mis en place des programmes de résilience à travers le sport dans lesquels nous accueillons des victimes, notamment mineures. Le prochain objectif consiste à ouvrir une maison d’accueil et de résidence par le sport. Nous avons également mis en place des groupes de parole, pour les différents types de victimes.

En compagnie de l’association Contre les violences sur les mineurs (CVM), nous avons élargi notre champ de compétences afin de lutter contre l’exploitation sexuelle des mineurs. Désormais, nos intervenants régionaux ont été également formés pour intervenir auprès du public en situation de handicap. Seuls des salariés interviennent : l’association n’a pas de bénévoles.

Depuis dix ans que j’interviens sur le terrain, à chaque réunion, je rencontre des victimes. Nous sommes formés à l’accueil de la parole de la victime dans un premier temps, mais nous menons également bien évidemment ensuite un travail d’accompagnement de la structure, de la famille et de la victime.

Mme la présidente Sophie Mette. Pouvez-vous dresser un état des lieux ? Dans quels départements intervenez-vous ?

M. Sébastien Boueilh. Nous sommes présents sur tout le territoire. Chaque région est dotée d’au minimum deux salariés (appelés les « colosses »), ce chiffre pouvant aller jusqu’à quatre pour la région Île-de-France. Il y a deux salariés à La Réunion et à Mayotte. Dans les autres outre-mer, nous menons des missions de dix jours pour multiplier les actions. En janvier, nous nous trouvions en Guyane, où nous avons effectué soixante interventions en neuf jours. Nous menons également un travail avec les collectivités locales et les agents de l’État, qui montent en compétence en suivant nos formations. Nous intervenons auprès du plus grand nombre de mineurs possible. Enfin, notre conseil d’administration est composé de vingt professionnels, et chaque commission est pilotée par des spécialistes de chaque métier.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vous remercie de partager avec nous ce témoignage. Cela n’est jamais facile, quand on connaît l’omerta qui peut régner dans les fédérations et clubs en matière de violences sexuelles. Je vous remercie également du travail conduit avec votre association depuis dix ans. Lorsque j’ai entendu votre témoignage, j’ai pensé au témoignage de Sarah Abitbol, à qui il a aussi fallu plusieurs années pour témoigner de son viol. Quelle préconisation formulez-vous pour permettre de raccourcir ce délai de libération de la parole ? Dans son livre, Sarah Abitbol indique que tout le monde était visiblement au courant, y compris le ministère des sports. De votre côté, avez-vous constaté que des personnes informées de ces pratiques n’ont pas signalé des cas ?

Sachant que vous intervenez depuis une dizaine d’années, avez-vous constaté que les phénomènes de violences sexuelles seraient davantage présents dans certaines fédérations que dans d’autres ? Enfin, vous nous avez dit qu’à chaque fois que vous interveniez, vous aviez face à vous une victime. Vous nous avez indiqué avoir effectué des signalements. Qu’ont-ils donné ? Continuez-vous à suivre les victimes qui vous sollicitent ?

M. Sébastien Boueilh. Les enjeux de la prévention sont immenses. Plus tôt nous intervenons sur un public jeune, plus tôt nous lui apprenons à se protéger des prédateurs et des prédatrices, mais aussi des violences de leurs pairs, car dans le sport, de nombreuses violences sont aussi commises par des mineurs sur des mineurs. En intervenant dès le plus jeune âge, nous permettons qu’un traumatisme ne s’enfouisse pas chez une victime, pour libérer sa parole. Surtout, libérer la parole rapidement permet d’éviter que la victime ne devienne prédateur ou prédatrice à son tour. Il faut souligner que 30 % des hommes pédocriminels ont eux-mêmes été victimes dans leur enfance. Chez les femmes, ce taux est de 90 %.

D’autres enjeux existent en matière de formation. Nous intervenons auprès des encadrants pour les aider à détecter des signaux faibles et forts chez les victimes.

Mme la présidente Sophie Mette. À partir de quel âge intervenez-vous chez les jeunes ?

M. Sébastien Boueilh. Nous intervenons à partir de l’âge de cinq ans et nous travaillons pour établir des modules dès la maternelle. Les clubs accueillent en effet désormais du public à partir de trois ans avec les sections « babies ».

Simon Latournerie, directeur adjoint de l’association Colosse aux pieds d’argile. Il est nécessaire de s’adresser aux jeunes, aux adultes, mais aussi de travailler sur le taux de récidive, qui est très élevé (30 à 40 %) chez les auteurs. Il faut donc aller au bout des enquêtes administratives et judiciaires, pour lever l’omerta. Il faut également renforcer l’interdiction d’exercer auprès des mineurs lorsque les auteurs sont condamnés, au sein de leur propre fédération, mais aussi au sein de fédérations voisines ou toute structure en lien avec la jeunesse, comme l’animation. Le code du sport pourrait ainsi peut-être s’inspirer de celui de l’action sociale et des familles, dont les dispositifs sont parfois plus protecteurs et culturellement bien suivis. Le tissu associatif doit également être soutenu sur l’ensemble du territoire, tant il est nécessaire pour protéger et accompagner les victimes de ces situations.

M. Sébastien Boueilh. Le mouvement sportif a pris un virage en 2018, grâce à la ministre Roxana Maracineanu. Elle a ainsi repris l’idée d’un contrôle d’honorabilité des bénévoles, dont nous lui avions parlé, qui a d’abord été expérimenté en Val de Loire. Désormais, trois millions de bénévoles doivent être filtrés.

Fin 2018, l’enquête du média Disclose a révélé des dysfonctionnements dans les fédérations qui enterraient les affaires « pour ne pas salir » leur image. Une prise de conscience a vu le jour par la suite et des actions ont été mises en place. Beaucoup reste à faire, mais nous partions de loin. On peut souligner le continuum de l’action du gouvernement puisqu’au-delà du contrôle d’honorabilité, ont été mis en place les éléments suivants :

Aujourd’hui, nous sommes confrontés à des victimes qui veulent intervenir au sein de notre association, mais sont encore en colère et n’ont pas tout réglé. Elles sont dans une démarche de « chasse à la sorcière », dans un combat souvent genré. Cela ne nous convient pas : nous menons un combat qui dérange, mais qui ne devrait pas être genré. Je suis en quelque sorte un porte-parole des victimes masculines : malheureusement, dans le modèle patriarcal d’éducation que nous recevons, un homme disparaît du champ des victimes quand il devient majeur. Pourtant, le soir même de la diffusion sur TF1 du téléfilm qui retrace mon histoire, plus de 500 hommes nous ont sollicités. Le numéro 119 a aussi connu une hausse de 20 % de ses appels.

Il convient donc d’être vigilants. Les fédérations mettent en place des postes de référents aux violences sexuelles, mais les postulants sont souvent des victimes qui n’ont pas encore tout réglé. Les fédérations prennent malgré tout conscience des problèmes. Nous avons par exemple signé une convention avec la Ligue de football professionnel : nous formerons et sensibiliserons tous les joueurs et les top managers de Ligue 1 et de Ligue 2 aux violences sexuelles, mais aussi au sexisme. Fait exceptionnel, nous interviendrons également auprès des kops de supporters.

De nombreux signalements émanent de la fédération de handball, non pas parce qu’il y aurait plus d’affaires que dans d’autres sports, mais parce qu’elle communique plus que les autres. Cet engagement doit être salué.

La coordination avec l’administration et la justice en matière d’enquêtes est importante. Certaines fédérations ont également modifié leurs statuts pour pouvoir se porter partie civile, en soutien des victimes. Nous le faisons également, de notre côté.

Des points d’amélioration demeurent, naturellement. Certaines disciplines permettent la mixité jusqu’à 14 ans. Nous aimerions abaisser ce seuil à dix ans, pour protéger les jeunes filles. Nous aimerions également que les photographes soient accrédités lors des compétitions. Aujourd’hui, des photographes rôdent autour des gymnases, des stades et des piscines, pour prendre en photo des mineurs. Nous proposons également le filtrage des bénévoles lors des grands évènements. Le filtrage des mineurs à partir de 13 ans constitue également un chantier important, à partir du fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles et violentes (FIJAIS). Un des derniers points d’amélioration concerne le filtrage des familles d’accueil.

Des opérations « coups de poing » ont eu lieu, mais certaines fédérations reviennent à une autogestion des affaires dès que le bruit médiatique diminue. Lors de notre entretien avec M. Simon, il nous a indiqué que sa fédération souhaitait avoir accès à tous les signalements « afin de protéger l’institution ». De notre côté, nous effectuons des signalements auprès du procureur de la République, qui peut éventuellement nous autoriser à partager ce signalement avec la fédération. Certaines fédérations voudraient avoir accès à l’intégralité de nos signalements. Nous nous y opposons naturellement, pour des raisons évidentes de confidentialité.

Mme la présidente Sophie Mette. Pourrez-vous nous transmettre les informations relatives aux fédérations en question, par courrier électronique ?

M. Sébastien Boueilh. Je pourrai vous adresser un courriel, en toute confidentialité.

Mme la présidente Sophie Mette. Vous avez évoqué également le filtrage des jeunes, en laissant entendre qu’il y avait beaucoup de violences sexuelles entre mineurs. Disposez-vous de chiffres ?

M. Sébastien Boueilh. Nous pourrons vous transmettre nos chiffres, notamment après la tournée effectuée à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep). Nous y menons depuis quatre ans un plan de lutte, notamment contre le bizutage, qui est à 90 % à connotation sexuelle. Je parle bien ici de violences sexuelles commises par des mineurs sur d’autres mineurs.

Parmi les points de vigilance, nous relevons le manque de compétences dans certaines commissions disciplinaires. Par exemple, certaines fédérations ne sont pas équipées de juristes parce qu’elles n’en ont pas les moyens. Une institution comme le comité national olympique et français (CNOSF) devrait se saisir de cette question des commissions disciplinaires, selon moi. Nous allons également proposer une grille de sanctions socio-éducatives, notamment pour les mineurs, aux fédérations ayant signé une convention avec nous. Aujourd’hui, une ligue ou un district peuvent émettre une sanction, mais qui sera peut-être annulée par la fédération. Nous voulons harmoniser les sanctions et surtout faire en sorte qu’elles soient socio-éducatives.

Il se passe malheureusement beaucoup de choses à l’Insep depuis des années. Je l’ai indiqué aux deux dernières ministres des sports, mais aussi lors de mon audition devant une commission sénatoriale. Lors de nos interventions, de nombreux sportifs de haut niveau nous parlent de l’Insep. Malheureusement, l’omerta semble y régner. Pourtant, lors de ma dernière audition, un ancien directeur de l’Insep a confirmé mes dires. Il s’agit là d’un sujet que le ministère des sports doit prendre à bras-le-corps. En dix ans d’intervention, la seule fois où je n’ai eu aucun public devant moi, c’était à l’Insep. On peut donc se poser des questions.

Nous allons enfin renforcer notre action vis-à-vis du public vulnérable, proie facile pour des agresseurs. La fédération française de judo émet un certain nombre de signalements, mais cela est lié au fait qu’elle communique sur le sujet, au même titre que celle de handball dont je vous ai parlé précédemment. De manière générale, plus l’enfant sera dénudé lors de l’activité sportive, plus il attirera des prédateurs et prédatrices. Cela peut concerner plus particulièrement des sports comme la natation, la gymnastique ou l’athlétisme.

Aujourd’hui, nous disposons d’un pôle dédié à l’accompagnement des victimes, sur les plans juridiques et psychologiques. Notre responsable de pôle est une ancienne gendarme. Nous entretenons également un rapport assez étroit et confidentiel avec la cellule Signal-sports et le ministère de la justice. Nous pouvons ainsi informer la victime de l’avancée de l’enquête. Aujourd’hui, nos actions portent leurs fruits puisque notre prévention aboutit parfois à la tenue de procès d’assises. Aujourd’hui, les victimes sont reconnues en tant que telles par la justice.

Mme la présidente Sophie Mette. Comment votre association est-elle financée ?

M. Sébastien Boueilh. Notre modèle économique est assumé : pour rendre pérenne notre combat, il nous faut nous professionnaliser. Toutes nos interventions en matière de prévention sont tarifées, à un prix unique, tandis que l’accompagnement est gratuit. Nous recevons également des subventions étatiques pour aide à l’emploi, et une subvention départementale à hauteur de 10 000 euros par an, sur trois ans. Nous ne disposons pas d’aides de fonctionnement, mais nous répondons à des appels à projets : 45 % de notre budget provient de l’État au titre des actions que nous mettons en place sur le terrain, en métropole et en outre-mer. Par exemple, nous menons environ 100 actions pour le compte du ministère des sports cette année. Enfin, quelques donateurs nous soutiennent également.

M. Simon Latournerie. Nous facturons effectivement nos interventions effectuées au titre de la prévention, mais l’accompagnement des victimes est gratuit, et précisément financé grâce aux formations à la prévention des violences. Une victime, ou une victime collatérale, des formateurs ou une structure peuvent être accompagnés sur les plans juridiques et psychologiques, sans limite de fréquence, ni de temps. Le parcours judiciaire d’une victime peut en effet s’étaler sur plusieurs années et nous sommes présents tout du long, notamment pour la préparation aux auditions ou aux procès à venir.

M. Stéphane Mazars (RE). Jusqu’où allez-vous dans l’accompagnement des victimes ? Votre association se constitue-t-elle aussi partie civile ? Êtes-vous habilités pour accompagner un mineur et être désignés administrateurs ad hoc ?

M. Sébastien Boueilh. Nous nous portons partie civile en tant qu’association reconnue d’utilité publique. La première affaire concernait 22 victimes dans le milieu du football à Toulouse. Nous ne sommes pas habilités pour être désignés administrateurs ad hoc, mais peut-être y penserons-nous à l’avenir. Aujourd’hui, notre réseau important d’avocats nous permet d’orienter les victimes, si nous ne pouvons pas intervenir. Nous travaillons également avec d’autres associations, comme France Victimes. Enfin, nous sommes également en relation avec la police, la gendarmerie et la justice. Cela rassure les victimes.

M. Simon Latournerie. Nous sommes présents sur l’ensemble du territoire national et en rapport avec les différentes brigades, notamment la brigade des mineurs ou les maisons de protection des familles qui conduisent des enquêtes. Lorsque nous recevons des signalements ou des alertes, nous faisons le lien avec ces autorités et ces enquêteurs.

Cela permet d’une part à la victime d’être le mieux reçue possible par les services enquêteurs et cela permet d’autre part à l’officier de police judiciaire de mieux se préparer à cet entretien et de rendre cette situation plus favorable pour faire émerger la vérité. Par tous ces moyens, nous espérons obtenir une meilleure satisfaction des plaignants et des services enquêteurs.

M. Sébastien Boueilh. À titre d’exemple, le procureur général de Pau nous a rencontrés pour connaître notre approche vis-à-vis de la justice. Ce maillage territorial permet de mieux nous connaître et de travailler en confiance.

Mme la présidente Sophie Mette. Travaillez-vous en collaboration avec d’autres associations qui traitent du même sujet ?

M. Sébastien Boueilh. Oui. Nous travaillons avec d’autres associations, comme Contre les violences sur les mineurs (CVM), France Victimes, L’enfant bleu. Nous travaillons avec les associations qui ont la même approche que nous. Par exemple, nous avons choisi d’être favorables aux délais de prescription. Nous parlons de toutes les victimes sans distinction de genre ou d’âge. Depuis deux ans, je confirme l’existence d’avancées colossales en matière de protection de l’enfance et de la Justice, qui agit avec ses moyens.

J’ai l’honneur d’intervenir à Paris lors de la formation continue des magistrats de l’École nationale de magistrature. Dans mon parcours de victime, j’ai eu la chance de n’avoir eu affaire qu’à des personnes compétentes, voire très compétentes. Toutes les victimes devraient bénéficier du même accueil dans les services administratifs et judiciaires. Pour moi, ce qui m’est arrivé est devenu anecdotique. C’est sans doute pour cela que j’ai pu élargir mon champ de vision et dépasser ma colère.

M. Stéphane Mazars (RE). La révélation entraîne souvent, pour le ou la jeune athlète, une mise à l’écart sur le plan sportif, notamment en haut niveau. Une association comme la vôtre doit nous permettre de mieux appréhender ce type de sujet. Des jeunes sportifs ou sportives qui libèrent leur parole sont-ils assurés de pouvoir poursuivre leur passion ?

M. Sébastien Boueilh. Il y a cinq ans, j’aurais conseillé à une victime de changer de club, de région, de discipline, mais aujourd’hui, le mouvement sportif est de plus en plus conscient, et les victimes ont souvent l’appui des médias. Aujourd’hui, il serait plus que malvenu qu’un club conserve un agresseur tout en excluant une victime ; il pourrait subir des sanctions. Il y a quelque temps, un président la fédération d’haltérophilie avait pourtant fait l’inverse. Or si l’on ne signale pas une agression, on est condamnable.

La situation a évolué. Lorsque les clubs nous sollicitent, nous les accompagnons pour leur communication interne, mais aussi externe. Des maladresses ont certainement été commises, mais une fois encore, la situation a changé. Il y a certes des réticences, surtout chez les plus anciens dirigeants, mais d’autres prennent souvent conscience du problème lorsqu’ils assistent à nos actions. En outre, la gouvernance du sport se rajeunit, les mentalités ont changé. Je dois cependant vous indiquer que nous craignons qu’à un an des Jeux olympiques de Paris 2024 et à l’approche des sélections, certains athlètes subissent un chantage sexuel.

M. Simon Latournerie. Nous connaissons bien les sportifs, car nous le sommes également et nous disposons aussi de divers brevets et diplômes d’État. J’ajoute par ailleurs que le traumatisme d’une victime n’est pas toujours lié à la gravité des faits. Notre compétence nous permet d’accompagner des jeunes et leurs familles. Il peut s’agir notamment de sportifs de haut niveau, par exemple originaires d’outre-mer et venant en métropole pour poursuivre leur carrière.

Nous essayons également d’intervenir indirectement, avec les encadrants, sur la juste posture vis-à-vis de l’athlète. Elle permet à l’athlète de choisir son parcours, d’être partie prenante de son projet, et pas uniquement d’un objectif qui serait seulement fixé par son entraîneur. Notre vision assez fine issue de notre expérience nous apporte une plus-value qui est désormais reconnue par les intéressés. Le groupe de parole dédié aux sportifs de haut niveau y contribue. Il nous permet de renforcer notre compétence et notre action à destination de ces acteurs.

M. Sébastien Boueilh. Nous avons accompagné une athlète qui a été championne olympique. Nous sommes naturellement très fiers de sa réussite.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez indiqué avoir effectué 1 500 interventions et à chaque fois avoir fait face à une victime. Cela ferait donc 1 500 victimes pour l’année qui vient de s’écouler. Est-ce bien cela ?

Je souhaite par ailleurs revenir sur les signalements, qui peuvent entraîner des sanctions administratives, notamment quand il s’agit de récidives. Les mesures d’éloignement peuvent aller jusqu’à six mois, me semble-t-il. À votre connaissance, lorsque vous avez procédé à des signalements de prédateurs ou de récidivistes, des sanctions administratives ont-elles été prises ?

Enfin, depuis ce matin, le terme omerta a beaucoup été employé. Ce silence partagé intervient quand certains redoutent d’être marginalisés s’ils témoignent, y compris les sportifs eux-mêmes. Estimez-vous que certains clubs et certaines fédérations ont fait preuve de négligence en ne signalant pas des affaires, notamment de violences sexistes ou sexuelles ?

M. Sébastien Boueilh. Je me trouve tous les jours sur le terrain, et il ne me semble plus possible de parler d’omerta dans le sport.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Selon vous, toutes les affaires sont aujourd’hui signalées ?

M. Sébastien Boueilh. Depuis cinq ans, aucune victime des cinquante fédérations avec lesquelles nous travaillons ne nous a indiqué avoir vu son affaire étouffée par sa fédération. En étant tous les jours sur le terrain, notre vision diffère souvent de celles d’autres associations.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je ne pensais pas aux associations, mais à des responsables dans des fédérations qui nous ont dit ne pas vouloir s’exprimer par crainte d’être marginalisées au sein de leur fédération.

M. Sébastien Boueilh. Si nous avions fait face à de tels agissements dans une fédération, nous l’aurions signalé. Mais nous ne sommes pas confrontés à cette omerta. Je n’ai pas souvenir d’avoir reçu le témoignage d’un signalement non effectué, même si j’imagine que des défaillances ont pu intervenir.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il n’y a pas si longtemps, à la fédération française de football, un entraîneur a reproduit des agressions dans différents clubs. Savez-vous si, à la suite de signalements, des personnes ont été mises à l’écart ou sanctionnées administrativement ?

M. Sébastien Boueilh. J’ai connu le cas similaire d’un entraîneur de basket récidiviste, qui avait été poursuivi dans le nord de la France, avant de commettre de nouveaux méfaits dans les Landes. Aujourd’hui, des prédateurs mis en cause dans une affaire changent de discipline et de région, et peuvent récidiver. Le contrôle d’honorabilité connaît un retard, car pour être contrôlé, il faut avoir été condamné. Mais encore une fois, nous n’avons pas été confrontés à de telles affaires ces cinq dernières années.

M. Simon Latournerie. De notre point de vue, des mesures sont malgré tout prises, même si l’on peut toujours estimer qu’il faut aller plus loin. Par ailleurs, il est possible qu’un certain nombre d’affaires soient antérieures à la coopération avec Colosse aux pieds d’argile. Lors de la mise en place de notre coopération avec une fédération, nous nous attachons à obtenir toutes les informations et nous nous montrons vigilants.

Les sanctions administratives ou fédérales sont éminemment complémentaires ; la transversalité est essentielle. Si une interdiction administrative est prononcée, telle qu’une interdiction d’exercer à titre professionnel ou bénévole auprès de mineurs, elle doit concerner tous les champs : ceux du sport, mais aussi de la jeunesse ou de la culture. Certains éducateurs interdits dans le champ du sport migrent parfois vers la culture, comme les arts du cirque ou de la danse, qui sont rattachés à un autre ministère. Face à de telles situations, les services déconcentrés des ministères sont impuissants. Les outils juridiques ne leur permettent pas d’agir aujourd’hui pour mieux protéger les jeunes.

Le code du sport indique par ailleurs que les fédérations doivent intervenir en premier, dans un délai contraint (dix semaines) pour instruire un dossier, avec un réel pouvoir d’investigation, mais sans toujours disposer des compétences nécessaires. Or si les commissions disciplinaires ou les commissions d’éthique des fédérations ne sont pas compétentes, elles peuvent, elles aussi, devenir des victimes collatérales de certaines situations. Il importe donc de faire monter en compétence ces acteurs de prise en charge, qui reçoivent et instruisent ces signalements.

M. Sébastien Boueilh. Certaines victimes ont le sentiment que leurs dossiers ne connaissent pas de suites. Lorsque nous orientons les victimes, nous leur expliquons que les procédures prennent souvent beaucoup de temps. Quand nous recevons un témoignage, nous le signalons systématiquement à la cellule Signal-sports, en toute transparence.

M. Stéphane Mazars (RE). Deux principes doivent cohabiter. D’un côté, il est essentiel de prendre en considération la parole d’une victime et lui permettre de la relayer auprès des autorités compétentes. D’un autre côté, le principe de la présomption d’innocence est tout autant fondamental. Certaines personnes mises en cause peuvent ainsi se trouver privées de leur emploi du jour au lendemain. Pensez-vous que la procédure est suffisamment claire et précise pour préserver les intérêts de la victime qui attend les résultats de l’enquête, mais aussi le respect de la présomption d’innocence ? Ne manque-t-on pas d’une procédure claire dans ce domaine ?

M. Sébastien Boueilh. Comme je vous l’ai indiqué, nos formations visent à la protection de l’enfant, mais également de l’éducateur. Cela consiste par exemple à éviter de se trouver dans des situations qui pourraient être mal interprétées. Les défaillances auxquelles nous sommes parfois confrontés portent sur l’incompétence d’enquêteurs administratifs, qui peuvent commettre de grosses erreurs, comme dévoiler le nom de la victime. Mais cela est heureusement marginal.

M. Simon Latournerie. Nous nous attachons à respecter simultanément la présomption d’innocence et la présomption de vérité, notamment quand elle émane d’un enfant. Le code du sport permet aux services administratifs de prendre des mesures conservatoires. Ces dernières ne condamnent pas, mais permettent de prendre les dispositions nécessaires pour auditionner et examiner une situation, en entendant les différentes parties et les témoins. Sur le principe, cette mesure d’urgence est prise par le préfet de département, qui a huit jours pour agir, soit un délai très bref. En tout état de cause, la présomption d’innocence est censée être préservée.

Une autre difficulté nous est également signalée. Elle concerne l’articulation de la bonne relation entre un club employeur d’un éducateur mis en cause et sa fédération. Les clubs aimeraient être aidés par leurs fédérations. Ils souhaiteraient qu’elles prennent les bonnes dispositions pour les aider à ne pas supporter cette situation délicate, en tant qu’employeur.

Les enjeux de prévention consistent donc notamment à éviter la survenue de telles situations. Enfin, je m’adresse aux femmes et aux hommes de loi que vous êtes : il faut faire en sorte que les lois et règlements permettent de protéger les situations – sachant que chez Colosse aux pieds d’argile, nous préférons parler de « situations » plutôt que d’auteurs et de victimes.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Tout en étant naturellement attachée à la présomption d’innocence, j’estime qu’il faut également faire confiance à la victime. Les mensonges sont très rares quand on vient signaler des faits aussi graves. Les signalements peuvent automatiquement entraîner des mesures conservatoires, mais cela n’est pas toujours le cas, pour différentes raisons. Le temps judiciaire peut également être très long. Auprès de qui effectuez-vous vos signalements ? S’agit-il de la cellule Signal-sports ? Des clubs ou dirigeants des fédérations ? Vous est-il déjà arrivé de saisir le procureur de la République pour un signalement en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale ?

M. Sébastien Boueilh. Lorsque nous effectuons un signalement à la cellule
Signal-sports, le procureur de la République est généralement en copie. Les fédérations ne sont pas systématiquement mises au courant, pour protéger l’enquête. Tout dépend des mis en cause. Nous respectons les ordres et recommandations de la justice.

M. Simon Latournerie. Nous réalisons effectivement de tels signalements auprès des procureurs. Il peut nous arriver également d’échanger avec les fédérations, dans le respect de décisions judiciaires. Lorsque nous évoquons une situation avec les fédérations, les contenus des informations transmises ne sont pas forcément complets ou exhaustifs. Enfin, nous ne stigmatisons pas le sport comme un lieu de destruction ; nous l’envisageons comme un facteur d’épanouissement. Simplement, il abrite en son sein, comme tout autre secteur, des personnes malveillantes.

M. Sébastien Boueilh. Nous avons effectué 160 signalements depuis janvier 2023.

Mme la présidente Sophie Mette. Nous avons épuisé nos questions. Je vous remercie pour vos propos enrichissants. N’hésitez pas à nous faire parvenir des éléments complémentaires, pour pouvoir alimenter notre rapport. Je pense notamment aux conventions avec les fédérations les plus importantes.

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6.   Audition, à huis clos, de Mme Meriem Salmi, psychologue du sport (5 septembre 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous avons entamé le 20 juillet 2023 les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif.

À la suite de très nombreuses révélations de sportifs et de plusieurs affaires judiciaires, l’Assemblée nationale a choisi de créer cette commission d’enquête dont les travaux se déclinent autour de trois axes : l’identification des violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ; l’identification des discriminations sexuelles et raciales dans le sport ; et l’identification des problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

Nous avons souhaité vous auditionner en raison de votre grande expérience de psychologue auprès de nombreux champions français, dont certains ont été victimes de violences physiques, psychologiques ou sexuelles.

Dans plusieurs interviews, vous avez insisté sur l’importance de la psychologie pour le développement de la performance et du bien-être des athlètes, regrettant que cette discipline soit insuffisamment considérée par les entraîneurs sportifs. En 2021, vous déploriez que l’on considère qu’« aller voir un psychologue, c’est être faible ».

Une certaine violence règne dans le sport professionnel, environnement dur pour le corps mais aussi pour l’esprit : les athlètes doivent toujours faire mieux, aller plus loin, être toujours plus performants. Cela peut conduire à des dérives, avec des violences physiques et psychologiques majeures. Confirmez-vous l’existence de cette culture de la douleur dans le sport ? Quelles sont ses conséquences pour les sportifs de haut niveau ? La situation a-t-elle évolué depuis les nombreux témoignages parus depuis 2020 ?

Par-delà les violences physiques et psychologiques, certains sportifs subissent des violences sexuelles. Vous avez pris en charge le suivi psychologique de Mme Sarah Abitbol à la fin de sa carrière de patineuse artistique. Nous l’auditionnerons cet après-midi. Publié en 2020 dans son livre Un si long silence, son témoignage sur les viols qu’elle a subi régulièrement entre quinze et dix-sept ans de la part de son entraîneur, M. Gilles Beyer, a permis une libération de la parole sans précédent dans cette discipline – et même au-delà. Ce récit a également montré l’importance de « l’amnésie traumatique », qui conduit la victime à oublier – parfois pendant de nombreuses années – ce qui lui est arrivé avant que le souvenir resurgisse et la fasse souffrir de nouveau. Pouvez-vous nous expliquer ce mécanisme de défense du cerveau ? Comment concilier cette situation et l’importance pour les victimes de pouvoir agir en justice contre leur agresseur, malgré le risque de prescription ?

Le témoignage de Mme Abitbol souligne également l’omerta qui régnait dans certaines fédérations et l’absence de soutien des victimes, lorsqu’elles s’exprimaient, par les dirigeants des ligues et fédérations, voire par les ministres. De votre point de vue, cette situation a-t-elle évolué ? Comment éviter que cela se reproduise ?

Nous avons accepté que cette audition se tienne à huis clos pour vous permettre de parler aussi librement que possible – bien entendu dans le respect du secret médical.

Je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Meriem Salmi prête serment.)

Mme Meriem Salmi, psychologue spécialisée dans le sport de haut niveau. Je vous remercie de m’entendre, au nom de toutes les victimes que je ne représente pas mais que j’ai entendues au cours de quarante années d’exercice professionnel.

Même si cela ne répare pas les traumatismes, pour un praticien de terrain c’est un soulagement de constater qu’aujourd’hui enfin quelque chose est en train de se passer. On a vu qu’un électrochoc s’était vraiment produit. Il est triste de constater que les choses ne peuvent avancer que de cette manière s’agissant de questions humaines aussi graves – qui ne concernent pas seulement la France – et pour lesquelles nous n’avons eu que peu de considération jusqu’à présent.

Pour comprendre le monde de l’excellence sportive, il faut adopter une approche systémique et sortir d’une vision simpliste – qui n’est pas la vôtre – opposant les bons et les méchants. Comme tous les mondes d’élite, il comprend des spécificités psychologiques. Il se trouve que je ne reçois pas seulement des sportifs de haut niveau. Je m’occupe d’autres gens qui évoluent dans des milieux d’élite, notamment des étudiants de grandes écoles et des hommes et femmes politiques. Ce sont des milieux très particuliers, anxiogènes mais aussi de passion. On a affaire à des gens passionnés. Il peut sembler paradoxal de parler d’histoires d’amour, mais c’est vraiment de cela qu’il s’agit notamment pour les sportifs de haut niveau. Tous les sportifs que j’accompagne ne gagnent pas leur vie. Certains payent même pour être sportif de haut niveau.

Il faut comprendre la psychologie de ces jeunes enfants qui arrivent avec des rêves et qui vont entrer par passion dans un monde particulier où ils vont être très tôt amenés à devoir s’engager sur un chemin extrêmement complexe du point de vue physique comme psychologique. Il est bien de rappeler aussi que ce monde permet aussi des opportunités d’apprentissage, de découvertes, de développement de compétences lorsque ces enfants sont bien accompagnés.

Tous les mondes d’excellence sont nécessairement très fermés, et pas seulement le monde sportif. Il y a beaucoup de consanguinité dans ces univers, car les gens se cooptent. Cette fermeture ne résulte pas d’une volonté, mais du fait que pour y entrer il faut tout de même avoir une certaine configuration cérébrale et des prédispositions. Encore une fois, il faut une approche systémique, c’est-à-dire à la fois biologique, psychologique, familiale, contextuelle et environnementale. Très souvent, les athlètes sont issus de familles où le sport constitue une véritable culture et est une source de plaisir importante dans leur vie. Cela construit aussi le cerveau d’un enfant.

J’ai aussi été bénévole notamment dans le sport. J’ai, entre autres, présidé un club de basket et monté un centre de préformation de football avec des amis. C’est ainsi que j’ai commencé à avoir une lecture et à me pencher sur la question de la psychologie dans le monde sportif.

J’ai également fait de la gymnastique et du basket. À la fin des années 1990, il était pratiquement impossible d’aller à l’école lorsque l’on pratiquait au haut niveau. À cet égard, il y a quand même eu une évolution. Voilà trente ans, lorsque je suis arrivée dans le milieu du football et que je parlais d’école, les gens riaient. Et vous imaginez quel accueil pouvait être réservé à mes propositions d’accompagnement psychologique lorsque l’on voit déjà quelles sont les réactions dans la population générale ! Dans ce domaine aussi, il faut être passionné pour tenir, et surtout ne pas avoir de pathologie narcissique.

Le système fondé sur la précocité fait que les enfants vont être très rapidement éloignés de leur famille, non par volonté de les éloigner ou de leur nuire, mais pour obéir à la réalité des filières d’accès au haut niveau – dont je ne partage pas totalement l’approche qui consiste à faire entrer dans des logiques de performance et d’excellence dès huit ou neuf ans et à abandonner la partie ludique de l’activité. Ce système, qui ne concerne pas que la France, est international, que ce soit pour la natation, la gymnastique, la gymnastique rythmique ou encore la nation synchronisée. La même dérive est intervenue dans le tennis. On fait parfois s’entraîner pratiquement comme des adultes ces « pépites » à trois ou quatre ans. Le problème est que les enfants eux-mêmes le réclament – et c’est là que les choses se complexifient si l’on ne veut pas tomber dans la caricature. On accuse les parents et les entraîneurs, mais les enfants ne veulent pas quitter leur raquette ! L’encadrement doit être formé parce que, même si cela fait plaisir à l’enfant de jouer, l’éducation consiste à intervenir à un moment donné comme on doit intervenir lorsqu’un enfant veut manger trop de bonbons. La volonté de l’enfant est à prendre en compte évidemment sauf s’il se met en danger, sauf s’il n’est pas à même de discerner les graves problèmes auxquels il risque de s’exposer à court et long terme. Il est vraiment important de comprendre cela.

J’ai observé de nombreuses fois combien les parents sont désarmés. Il n’y a pas de formation pour eux et ils se débrouillent seuls. On dit souvent que les parents « poussent ». Oui, effectivement, cela peut être le cas, mais dans la majorité des cas ils font surtout ce qu’ils peuvent. Accompagner un enfant sur ce parcours de l’excellence est très difficile En dehors de quelques familles pathogènes il y a beaucoup de familles qui cherchent à donner le meilleur pour leur enfant sans formation.

Il y a surtout des parents qui n’ont pas de connaissances sur ces sujets, et pour la plus grande majorité ne demandent qu’à apprendre c’est donc à nous de les aider. Et effectivement cette méconnaissance peut amener des dysfonctionnements, voire des souffrances. Je suis psychologue, je ne suis pas là pour juger. Je suis là pour les aider à mieux comprendre et à expliquer afin qu’ils puissent accompagner leur enfant dans les meilleures conditions. C’est plus efficace que de s’en tenir aux clichés selon lesquels les parents et les entraîneurs sont nécessairement malveillants.

La précocité oblige à acquérir une maturité hors norme. Cela représente un effort énorme sur le plan psychologique. Les parents n’ont pas le choix et doivent aussi s’impliquer. Beaucoup finissent par bien comprendre le sport ; certains peuvent parfois dériver. De telles familles existent mais sont plutôt rares. Il faut donc certes cibler les parents qui maltraitent leur enfant, mais il faut surtout s’occuper de la grande majorité des familles qui ne savent pas comment faire et qui sont souvent perdues.

Je reçois beaucoup de familles et quand les sportifs sont tout jeunes je préfère même travailler avec les parents, parce qu’ils sont quotidiennement avec les enfants. Il faut certes souligner un biais d’échantillonnage car ceux qui viennent me voir sont convaincus qu’ils ont quelque chose à apprendre. Ils connaissent leurs limites et ont envie qu’on les aide. Il serait vraiment important de préconiser cette sensibilisation des parents.

Certains enfants sont séparés très tôt de leurs parents et vivent dans des familles d’accueil. C’est notamment le cas des gymnastes, qui intègrent les filières de haut niveau vers une dizaine d’années. Si l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep) dispose d’un internat, ce n’est pas nécessairement le cas de tous les pôles. Il faut mesurer l’intelligence de ces athlètes qui savent faire preuve d’une faculté d’adaptation exceptionnelle. Mais ils ont aussi peur de décevoir leurs parents. Parler et dire que l’on ne va pas bien est aussi très compliqué eu égard à l’investissement consacré à leur parcours par leurs parents. Nous sommes nombreux à avoir des difficultés à mettre en mots notre mal-être. Imaginez ce que cela représente à cet âge-là, face à des parents qui vous voient réussir ! Car on peut réussir et être dans un profond mal-être.

Ces sportifs ont une structuration particulière et des capacités hors norme, faute de quoi ils ne pourraient pas supporter ce monde si particulier. Ils vont devenir simultanément de plus en plus fragiles et de plus en plus forts, parce qu’ils sont obligés d’aller dans des zones à risques pour être performants. Cela implique le développement de compétences mais aussi de fragilités. La question de l’équilibre est fondamentale : c’est le déséquilibre qui va créer ces moments propices à la blessure physique, mais aussi psychologique.

Dans ce monde-là, le corps est très valorisé. Comme nous sommes habitués à nous attacher à ce que nous voyons, il est difficile de contester une blessure physique. En revanche, la blessure psychologique n’est pas facile à démontrer. Nous avons toujours considéré – et cela constitue un écueil pour faire passer des messages dans le monde du sport de haut niveau – que ce que nous ne voyions pas n’existait pas. C’est à proprement parler antiscientifique, parce que la science naît de l’intuition. Elle part de ce que l’on ne voit pas et essaie de l’expliquer. C’est un obstacle sur la voie de l’amélioration du bien-être et de l’épanouissement des athlètes mais pas seulement on peut l’appliquer à la population générale.

J’en viens à l’encadrement. L’entraîneur est selon moi une personne très – et parfois peut-être même trop – importante. Les entraîneurs sont souvent isolés – à l’Insep et dans les structures de très haut niveau, c’est un peu différent car les staffs sont étoffés de plusieurs personnes, mais même dans cette situation il nous faut rester vigilant. Or l’isolement est un facteur qui favorise l’émergence de dysfonctionnements. Quand vous êtes seul, vous avez tout pouvoir. Je ne parle pas seulement de la perversité de ceux qui sont conscients de faire du mal, des monstres qui commettent des faits irréparables – ils existent et pas seulement dans le monde sportif. Il y a aussi tous ceux qui ne sont pas conscients de l’impact négatif de leur comportement ou de leurs propos. C’est aussi sur ces situations que nous devons travailler.

J’adore cette phrase d’Einstein : « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire. » Pour moi, ces derniers sont les pires. Il faut agir sur l’ensemble du système en expliquant et en les formant.

Et puis, dans le monde sportif, il y a cette culture du « No pain, no gain » qui n’est pas spécifiquement française. Pour réussir on doit travailler dur, et si l’on a mal c’est normal. On doit avoir mal ou alors c’est que l’on ne s’est pas bien entraîné, ou qu’on n’y arrivera pas Évidemment, si l’on veut obtenir des résultats d’exception il faut travailler. Mais de mon point de vue, il est plus important de travailler intelligemment et de façon pertinente que de beaucoup et mal travailler. Il faut sortir de ces logiques, qui relèvent de pratiques culturelles anciennes. Elles ne concernent pas seulement le monde sportif et imprègnent de manière générale les univers d’élite.

L’encadrement, la passion, la précocité et la culture d’excellence, sont les quatre éléments essentiels de mon propos. Ils sont source de dégâts importants et doivent faire l’objet de préconisations. J’ai vu des entraîneurs pleurer devant moi lorsqu’ils prenaient conscience de l’impact de leurs propos ou de leur comportement. J’ai vu des gens remarquables, et j’ai vu aussi des monstres, même s’ils étaient moins nombreux.

Par respect pour les entraîneurs qui fournissent des efforts pour essayer de comprendre leurs athlètes, j’aimerais qu’ils ne soient pas tous mis dans le même panier. Je sais que telle n’est pas votre intention, mais il est important pour moi de le souligner. Ceux qui font des efforts pour travailler sur le plan psychologique et essaient de faire avancer les choses sont encore très peu nombreux mais leur nombre progresse. Ce n’est évidemment pas suffisant.

S’agissant des préconisations, il faut former l’encadrement mais aussi les sportifs de haut niveau. Il faut prévenir, et donc les informer et les former très tôt.

J’ai dirigé trois centres de soins en addictologie à Paris et j’ai travaillé notamment dans la rue en Seine-Saint-Denis pendant plus de quinze ans. Il fallait prévenir le sida et les violences. Il y a des gens remarquables qui font ce travail sur le terrain. En France, nous avons des gens compétents. C’est donc, non pas une affaire de moyens – excuse derrière laquelle on se réfugie souvent – mais de volonté et de politique. Il y a des gens exceptionnels qui font un travail d’exception dans ces milieux-là. Il faut les valoriser et reconnaître leur rôle.

Il faut renforcer l’encadrement dans les sports à maturité précoce, avec un encadrement formé – et pas uniquement techniquement. J’ai effectué beaucoup de formations pour des coachs dans des salles de cours mais ce n’est pas suffisant, il faut compléter par des formations réalisées sur le terrain et nous obtiendrons des résultats de qualité. Il ne s’agit pas pour autant de mettre un psy chaque jour derrière chaque entraîneur. J’ai vu des résultats remarquables. Nous sommes capables et avons ces compétences en France.

Il faut éviter la spécialisation précoce d’athlètes de très haut niveau, engagés à sept ou huit ans dans des filières qui suivent des logiques d’adultes et sont très peu adaptées à cet âge-là.

Par ailleurs, il faut souligner que la performance en soi n’est pas un problème. C’est sur la manière dont on amène les gens à la performance qui peut poser problème. Nous devons donc être vigilants et exigeants sur les méthodes.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Merci beaucoup pour cette introduction et pour les éléments que vous apportez. Il est en effet très important de bien distinguer ce qui se passe dans le mouvement sportif et de ne pas tout mettre dans le même panier s’agissant des dysfonctionnements que l’on peut constater.

Vous avez insisté sur le fait, qui nous avait déjà été rapporté, qu’il s’agit d’un milieu en vase clos, où tout le monde se connaît et se coopte, ce qui ne permet pas forcément la libération de la parole des victimes. On nous a beaucoup parlé de personnes qui, lorsqu’elles osent s’exprimer, sont mises à l’écart voire parfois sanctionnées durement, puisque leur carrière de sportif est alors brisée.

En tant que responsable du suivi psychologique des athlètes à l’Insep, avez-vous été témoin de violences physiques ou psychologiques au sein cet institut ? Comment cela a-t-il été pris en charge ?

On parle beaucoup de Sarah Abitbol, qui a eu le courage de témoigner. Est-ce que les choses ont évolué depuis lors ?

Mme Meriem Salmi. Je n’exerce plus de responsabilités au sein de l’Insep, dont je suis partie en 2013 – même si l’on m’a rappelée en 2017 pour les Jeux olympiques. J’ai témoigné de tout cela dans différentes instances et dans les médias, avec évidemment les limites liées au secret professionnel.

Le monde sportif n’était pas prêt à entendre au début de ma pratique. Il s’est longtemps tu, comme le monde entier, sur ces questions de violence.

On en revient aux choses que l’on ne voit pas. J’insiste sur ce point : il faut pouvoir faire la démonstration des blessures psychologiques. Comment expliquer aux gens les amnésies traumatiques par exemple ? Par ailleurs, être psychologue, c’est un adjectif. On a fait d’une qualité humaine une profession. Donc tout le monde estime pouvoir être psychologue. Selon la définition du Littré, un psychologue est une personne qui sait écouter. Mais la psychologie, ce n’est pas ça. D’autant plus qu’elle a évolué. On se heurte beaucoup à l’idée selon laquelle ce que l’on ne voit pas n’existe pas.

Mon travail a donc consisté entre autres à amener les gens à comprendre, à travailler sur les représentations, à transmettre des connaissances sur le fonctionnement humain…

J’aime le sport de haut niveau et la performance, mais pas à n’importe quel prix. À chaque fois que j’évoquais ces questions relatives à la psychologie, cela semblait antinomique. Dans un reportage, j’ai même été qualifiée de « nounou » des sportifs ! Je serais une maman, mais pas une psychologue professionnelle. Comme je suis psychologue et de plus une femme, je suis nécessairement présentée comme une maman pour les athlètes. Eh bien non : je suis la mère de mes trois enfants, mais je ne suis pas la leur !

Je suis là pour souligner que performance ne doit pas rimer avec malveillance mais avec bienveillance. C’est un monde exigeant, par conséquent on doit être encore plus soutenant, plus rassurant, plus réconfortant. Plus c’est difficile et plus on doit être prévenant et à leurs côtés j’en suis absolument convaincue alors que l’on considère que c’est paradoxal dans le monde des champions. La performance implique exigence, humanité et intelligence.

Comment cela a-t-il été accueilli ? Au début très mal. Par ailleurs, je n’ai jamais été sportive de haut niveau. On considérait donc, dans ce monde très fermé, que je n’y comprenais rien.

Je suis aussi préparatrice mentale, mais je ne souhaitais pas m’occuper uniquement de préparation mentale. Je voulais promouvoir un accompagnement psychologique au sens large du terme Tel a été mon combat pendant toutes ces années.

L’accompagnement psychologique n’intéressait donc pas au départ. Mais nous avons travaillé et, même s’il a fallu énormément de temps, les choses ont progressé, ce qui est rassurant. Moi qui suis sur le terrain et qui observe les souffrances, j’aimerais que cela aille beaucoup plus vite. Cela ne se dit pas dans mon milieu mais, de très nombreuses fois, j’aurais voulu trahir le secret professionnel. On a beau être professionnelle, on est aussi un humain. Entendre que des petits bouts de chou se font maltraiter est insupportable. Il m’est arrivé de craquer avec des entraîneurs et de leur dire : « Tu es un assassin. Si c’était ta fille, agirais-tu ainsi ? » Évidemment je ne peux pas avancer comme ça. Je ne peux pas passer mon temps à être violente avec les gens que j’accompagne. Mon rôle est de les former. Il a donc fallu que je fasse preuve de patience, et certains ont aussi fait preuve de beaucoup d’intelligence et ont écouté. Ils étaient très peu au départ.

Quand on m’a demandé de venir à l’Insep alors que j’évoluais dans les milieux du football, du basket, certains m’ont dit : « Personne ne viendra te voir. Il faut que tu te caches. » Pour faire avancer les choses, avec Éric Jousselin, chef du service médical à l’époque, nous avons décidé que je m’installerais au service médical. J’ai refusé de me cacher, de même que les gens qui viendraient me voir n’auraient pas à venir avec une casquette, une capuche et des lunettes noires. C’était un défi et si cela n’avait pas marché je serais partie. Il faut avancer dans la lumière. À l’époque, préparatrice mentale, cela pouvait encore s’entendre. Mais psychologue, et en plus dans un service médical, c’était inenvisageable parce que cela renvoie à la fragilité et la faiblesse et qu’on touche au mythe du champion invincible. Pourtant progressivement les sportifs sont venus et j’ai rapidement été dépassée par les demandes.

Vous avez parlé d’évolution. Oui, on a avancé. Pas suffisamment pour moi qui suis sur le terrain. Mais si je prends de la distance, je suis obligée de reconnaître qu’on a avancé depuis que j’ai démarré dans ce milieu-là, il y a trente ans. Certains s’amusaient et se moquaient de m’entendre parler d’accompagnement psychologique et certains disaient que si les sportifs ne résistaient pas, c’est qu’ils n’étaient pas faits pour être champions.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pour aller plus loin, quel est le niveau de suivi psychologique des athlètes dans le sport professionnel français ? Les fédérations sont-elles suffisamment impliquées sur ce sujet ? Perçoivent-elles l’importance de l’accompagnement psychologique pour ceux qui vont peut-être devenir des athlètes, mais qui sont avant tout des enfants de huit ou quinze ans ? Cet accompagnement est-il suffisamment présent selon vous ?

Mme Meriem Salmi. Je le répète, pas suffisamment. Je ne peux pas dire autre chose. Mais je suis obligée de constater que les choses ont quand même évolué.

Il y avait des préparateurs mentaux à l’Insep, mais j’étais à l’époque la seule psychologue. Ils doivent aujourd’hui être presque dix, je pense. À ma connaissance, des fédérations ont joué un rôle précurseur. Je ne serai certainement pas exhaustive en citant certaines fédérations mais, par exemple, la Fédération française de gymnastique avait recruté un psychologue – qui travaillait certes surtout sur la préparation mentale – de même que la Fédération française de golf et certainement d’autres encore. Je constate que de plus en plus de fédérations s’intéressent au sujet, même si, de mon point de vue, on parle encore trop de préparation mentale plutôt que d’accompagnement psychologique au sens large.

Certains me répondront que ce n’est pas si mal et qu’il y a de plus en plus de préparateurs mentaux dans les fédérations. Oui, mais selon moi la préparation mentale n’est pas suffisante. Elle cible la performance ce qui effectivement est intéressant mais on a affaire à des humains, et parfois à des enfants de huit ou dix ans. On doit donc s’assurer aussi de leur santé mentale. On a besoin de spécialistes du milieu sportif qui soient aussi spécialisés en psychologie clinique et pas seulement en psychologie du sport.

Dans ce monde-là, la psychologie clinique renvoie à la pathologie. Le fait est qu’il existe des troubles psychopathologiques dans ce milieu. Lorsque j’ai voulu mettre en place des stratégies de prévention, je me suis attachée aux types de pathologies des sportifs. Il n’y avait pas d’articles sur le sujet et très peu de chiffres sur les sportifs de haut niveau français. Nous avons donc conduit une étude qui a donné lieu à une publication scientifique. Nos résultats montraient que les troubles anxieux occupaient la première place chez les sportifs de haut niveau. Cela a suscité des polémiques, cela a été vécu comme une attaque et non une avancée dans le domaine de la santé mentale. Or les troubles anxieux sont l’une des caractéristiques des mondes d’élite. Quand vous ne devez pas seulement être bon mais être le meilleur, vous pouvez développer à certains moments des troubles anxieux et subir des épisodes dépressifs. Notre rôle est bien de prévenir de ces troubles et de les soigner.

On retrouve d’ailleurs les mêmes troubles dans tous les milieux d’élite

Je disais qu’il fallait s’occuper de ces troubles anxieux et que l’on était en mesure de faire de la prévention pour les corriger de manière précoce, de façon à éviter le développement de troubles psychopathologiques. Répertorier les troubles des sportifs permettait selon moi de former l’encadrement, non pas pour qu’ils les prennent en charge mais pour qu’ils les orientent vers le personnel compétent.

L’accompagnement des jeunes de huit à dix ans n’est pas suffisant actuellement, selon moi.

Mais on avance… lentement.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Vous avez dit que les formations collectives globales donnaient des résultats limités et qu’il valait mieux suivre les entraîneurs à l’occasion de leur pratique régulière.

Quel organisme est capable d’assurer leur accompagnement par des psychologues, à partir d’un certain niveau de performance des jeunes sportifs ?

Mme Meriem Salmi. Par exemple, l’Insep, qui dépend du ministère des sports et des Jeux olympiques et paralympiques, s’est appuyé sur le réseau grand Insep afin d’identifier l’ensemble des collègues accrédités qui sont tout à fait à même d’intervenir.

À l’Insep, des professionnels forment et reçoivent. J’ai toujours reçu des entraîneurs, l’encadrement et même des directeurs techniques nationaux (DTN). Il faut développer ces pratiques.

Pour cela, il faut faire prendre conscience aux fédérations que c’est incontournable. Il faudrait au minimum un psychologue par équipe de France. Je ne vois pas ce qu’il y a d’aberrant à dire ça. On n’est pas choqué qu’il y ait un médecin et un kinésithérapeute dans une équipe de France. Il est évident qu’il faut être attentif au corps des athlètes ; je ne vois pas ce qu’il y a d’aberrant à l’être aussi à leur tête. On ne peut pas considérer qu’ils sont seulement des corps. Ils raisonnent et sont avant tout des êtres humains.

En outre, la parole est très peu présente dans ce monde de l’action. Les athlètes sont donc des personnes qui parlent peu. C’est l’une de leurs spécificités.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Parmi les sportifs qui ont souffert, avez-vous constaté des différences systémiques liées au genre ou au fait que certains soient racisés ? Y a-t-il des traitements particuliers selon l’appartenance de genre des jeunes ou leur origine présupposée ?

Mme Meriem Salmi. Je ne sais pas comment répondre à ces questions parce que je n’ai pas étudié ces points de manière précise et statistique.

Lorsque vous dites « racisés », je suppose que vous faites référence au racisme. Des témoignages parus sur ce sujet dans les médias sont incontestables. Le racisme ne va pas s’arrêter aux portes des clubs et des institutions sportives. Est-ce qu’il y en a plus qu’ailleurs ? Il faudrait disposer de chiffres car il faut être sérieux s’agissant d’accusations aussi graves. Je ne crois pas qu’il y ait davantage de racisme dans le sport qu’ailleurs mais j’ai en effet déjà constaté ce genre de choses.

Pourriez-vous préciser votre question sur les violences ?

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Les maltraitances sont-elles les mêmes pour les jeunes garçons et pour les jeunes filles ? Des attentes différentes en matière de performance sont-elles mises en avant pour justifier des maltraitances particulières en fonction du genre ?

Mme Meriem Salmi. Je n’ai pas de chiffres non plus sur cette question. Je m’en tiendrai donc à ma pratique : j’ai vu plus de jeunes filles affectées que de jeunes hommes, mais je ne sais pas si ce constat reflète la réalité. S’agissant des troubles alimentaires, j’étais convaincue qu’ils frappaient plus les filles que les garçons, or mes chiffres ont montré que c’était la même chose proportionnellement. Il nous faudrait des recherches épidémiologiques sérieuses qui puissent nous apporter ces réponses.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Avez-vous observé une réaction des parents face aux exigences de certains entraîneurs ou ferment-ils les yeux ? Je vais me faire l’avocat du diable, mais ne pensez-vous pas que le sport de haut niveau exige un minimum d’autorité – accompagnée, bien sûr, de bienveillance ? La baisse notable des performances françaises, notamment dans les sports individuels, est-elle liée à l’évolution de la formation des entraîneurs, ainsi que des professionnels exerçant au sein des fédérations ? J’ai connu par le passé des entraîneurs qui venaient de l’armée.

Mme Meriem Salmi. Dans ma génération – j’ai soixante et un ans –, ce sont des militaires qui nous entraînaient en gymnastique. J’aime la performance et, bien sûr, la performance exige un engagement considérable. Ce n’est pas ce qui est en question : c’est la manière dont on amène à la performance, qui doit être revue. De nombreux pays européens se sont engagés dans des changements drastiques dans les années 2000. Il serait temps que nous le fassions également, à tous les niveaux. Un jour, un entraîneur en stage a attiré mon attention sur le fait qu’il était tout seul quand l’équipe de Grande-Bretagne comptait plus d’une dizaine de personnes dans l’équipe, notamment des psychologues. On ne peut pas continuer à travailler comme cela. Je suis Française et j’en suis à la préparation pour les athlètes de mes sixièmes JO. J’ai envie moi aussi que les Français gagnent, mais pas avec des méthodes qui entraînent des dysfonctionnements et des souffrances. Sur le plan de la psychologie, nous sommes très en retard, comme en témoignent mes échanges avec mes collègues étrangers Il y a peut-être aussi une arrogance qui nous caractérise, nous Français.

L’enseignement du sport implique fréquemment un contact physique. Dans le cadre sportif, le corps n’est pas sexué mais un corps au service de la performance Il est nécessaire de toucher pour enseigner, expliquer, montrer un mouvement, accompagner, rassurer, soigner… mais mettre une main aux fesses avec une intention sexuelle est interdit. C’est à l’intention qu’il faut être vigilant. Certains entraîneurs qui ont été sensibilisés à ces questions ont peur, désormais, de ce contact physique. Je connais des collègues médecins ou des entraîneurs qui n’osent plus effectuer aucun contact physique et se prémunissent en n’étant jamais seuls. Il faut peut-être en passer par là pour faire avancer les choses, et l’on finira par trouver un juste milieu.

Un athlète trouve son équilibre s’il se sent bien entouré, en sécurité. Il peut alors supporter la pression. Mais il peut aussi se trouver en présence d’un entraîneur tout-puissant, qui abuse de son pouvoir. Des athlètes n’osent parfois pas dire qu’ils ont mal, continuant à s’entraîner malgré des fractures de fatigue et autres blessures. Il arrive aussi que ces sportifs aux capacités physiques et psychologiques hors norme, cachent leurs blessures. C’est alors à nous de les arrêter.

La plupart des parents se débrouillent comme ils peuvent. Accompagner un athlète est une tâche difficile. Exceptionnellement, des dérives peuvent se produire, et il faut s’en occuper. Lorsque j’explique à des parents qu’ils doivent modifier leur comportement, ils le font dans la plus grande majorité des cas. La psychologie ne s’improvise pas, contrairement à ce que l’on pense ; il faut se former. Souvent, les familles veulent bien faire mais ne se rendent pas compte à quel point elles mettent la pression sur leurs enfants. Les parents ont besoin d’acquérir des compétences et sont souvent isolés et seuls. Certains dérivent mais ce sont finalement des cas pathologiques assez rares.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Quels pays et, éventuellement, quelles fédérations françaises sont en avance ?

Mme Meriem Salmi. Là encore je ne dispose pas de chiffres suffisamment précis pour vous répondre. On peut citer, entre autres, les États-Unis, la Chine, le Canada, l’Allemagne, l’Angleterre.

Les dérives de certains entraîneurs et de certaines familles ne doivent pas masquer le travail à accomplir. Des entraîneurs, des DTN et des athlètes avaient demandé ma présence lors des Jeux olympiques de Pékin, en 2008 ; j’ai été la première psychologue à accompagner la délégation française. En revanche, à Londres, puis à Rio, je me suis déplacée à titre privé avec certains athlètes. En 2021, j’étais à nouveau la seule psychologue au sein de la délégation – et encore, il a fallu des interventions successives de différentes personnes ou instances pour faire reconnaître l’importance de la présence d’un psychologue. Depuis, il y a eu deux psychologues dans la délégation française aux JO d’hiver de Pékin en 2022. Dans les délégations de certains pays, on compte cinq ou six psychologues.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. À votre connaissance, les fédérations sportives ont‑elles institué des dispositifs de suivi et d’accompagnement systématiques des victimes de violences sexuelles ? Le cas échéant, quels progrès pourraient être réalisés en la matière ?

Mme Meriem Salmi. Il y a eu une évolution dans l’accompagnement. Jean-François Lamour, alors ministre des sports, avait institué un bilan psychologique destiné à détecter les troubles psychopathologiques. Un arrêté de 2006 oblige tous les sportifs de haut niveau à le réaliser, une fois par an pour les majeurs et deux fois par an pour les mineurs. Il s’agissait de renforcer l’encadrement des plus jeunes. Malheureusement, toutes les institutions ne disposent pas d’un psychologue. En dehors de l’Insep ou de certains Creps (centres de ressources, d’expertise et de performance sportive), souvent ce sont les médecins qui se débrouillent comme ils peuvent sans avoir vraiment ni les moyens ni toutes les connaissances. Parfois, même le bilan psychologique se résume à un questionnaire – il s’agit parfois de quelques cases à cocher à la va-vite dans le couloir... On pâtit de l’absence de volonté politique et de l’insuffisance de moyens. Il faut évidemment faire progresser la mise en œuvre sur le terrain. Je salue néanmoins cette avancée majeure à l’initiative de Jean-François Lamour. Alors que ces sujets n’étaient pas dans l’air du temps, il a été le premier à parler de bilan psychologique axé sur la santé !

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La libération de la parole a-t-elle permis une évolution des pratiques et une diminution du nombre de victimes, toutes violences confondues ? Quel regard portez-vous sur la cellule nationale de traitement des signalements de violences dans le sport et sur le contrôle de l’honorabilité des encadrants sportifs institué par le ministère des sports ?

Mme Meriem Salmi. Il était temps que l’on contrôle les personnes qui encadrent nos enfants ! Avant MeToo, quelques rares sportifs qui ont subi des violences atroces, telle Catherine Moyon de Baecque, ont osé parler, sans être entendus. MeToo a libéré la parole. Les gens ont plus de facilités et en parlent plus tôt et davantage aujourd’hui, mais, pour ce qui me concerne, je n’observe pas une augmentation importante de témoignages de violences.

En tout état de cause, les victimes ne souhaitent plus se laisser faire. Il faut promouvoir la notion de respect dans ce milieu, car le respect est ce qui anéantit la violence. C’est fondamental car l’irrespect est une forme de violence

J’ai peu d’informations sur la cellule nationale. Je sais que ce sont des gens qui travaillent bien et qu’elle recueille beaucoup de témoignages, ce qui montre qu’elle fonctionne. Par le passé, des services comme SOS écoute ont très peu fonctionné parce que les gens n’osaient pas appeler Cette cellule n’est pas plus compétente que les autres mais aujourd’hui on sent qu’un mouvement est lancé. Les témoignages de Catherine Moyon de Baecque et de Sarah Abitbol n’ont pas eu les mêmes effets. C’était une autre époque. Si on en parle aujourd’hui c’est que les choses avancent.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Les auteurs des actes commis contre Catherine Moyon de Baecque ont récidivé et sont toujours actifs dans le milieu sportif.

Mme Pascale Martin (LFI-NUPES). Votre introduction a fait écho, dans mon esprit, aux travaux que nous avons menés sur la santé mentale des femmes dans le cadre de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale. Ce qui touche à la psychologie est encore assez tabou dans notre pays, ce qui appelle un changement systémique.

Sur quels critères les certificats d’honorabilité sont-ils délivrés ?

Mme Meriem Salmi. Je connais peu cette question mais il me semble qu’on examine le casier judiciaire. Je ne sais pas quels autres éléments factuels sont pris en compte.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous eu le sentiment d’être entendue ? Des suites ont-elles été données à vos alertes ?

Mme Meriem Salmi. Au tout début de ma carrière, pratiquement pas ; on me disait : « C’est comme ça. » Puis, progressivement, j’ai vu certaines situations s’améliorer – pas suffisamment, encore une fois, selon mon point de vue.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Quelle est la formation d’un préparateur mental ? Le cursus du psychologue fait-il une place à l’accompagnement du sportif ? Assure-t-on les conditions d’une présence plus forte et plus nombreuse de ces professionnels au sein des fédérations ?

Mme Meriem Salmi. Il existe une spécialité dénommée psychologie du sport. Pour moi, la formation devrait porter tant sur le domaine clinique que sportif. Il faudrait aussi prévoir une spécialisation dans le domaine de la clinique du sportif de haut niveau.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Quid du préparateur mental ?

Mme Meriem Salmi. À ma connaissance, il ne dispose pas d’un titre reconnu et protégé. Cependant, je sais qu’il existe aussi des formations sérieuses dans le domaine de la préparation mentale. La préparation mentale est un entraînement mental qui permet de développer différentes habiletés (concentration, gestion du stress…) à partir de méthodes comme la visualisation, la relaxation, la concentration… Mais nous avons aussi des « coachs » mentaux, dénomination « tendance » dont je suis incapable de vous dire de quelle formation elle relève

Mme Claudia Rouaux (SOC). Des kinésithérapeutes suivent parfois des formations pour dispenser une aide mentale.

Mme Meriem Salmi. Je n’ai pas connaissance de cela, mais il est vrai que leur pratique les incline à l’écoute et les sportifs apprécient. Toutefois, le travail du psychologue ne se réduit pas à l’écoute. Cela fait du bien d’être écouté, mais cela ne répare pas. C’est l’écueil auquel on est toujours confronté. Dans le cadre de mes attributions à l’Insep j’intervenais dans la formation du diplôme universitaire de médecine du sport et dans les formations de kinésithérapie du sport. Cela me semble très important

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pensez-vous nous avoir tout dit ?

Mme Meriem Salmi. Sûrement pas, car il est difficile de résumer aussi vite trente ans de pratique, mais j’ai dit l’essentiel. En tout cas, je n’ai pas cherché à cacher quoi que ce soit.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Si vous souhaitez apporter des informations complémentaires à la commission, écrites ou orales, n’hésitez pas à nous recontacter.

Nous vous remercions de votre sincérité et de votre disponibilité.

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7.   Audition, ouverte à la presse, de M. Lionel Dangoumau, directeur de la rédaction de l’Équipe, et de Mme Angélique Cauchy, ancienne joueuse de tennis (5 septembre 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Monsieur Dangoumau, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de vous être rendu disponible pour répondre à nos questions. Nous avons entamé les travaux de notre commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet 2023.

Vous le savez, à la suite de très nombreuses révélations de sportifs et de divers scandales judiciaires, l’Assemblée nationale a choisi de créer cette commission d’enquête dont les travaux se déclinent autour de trois axes : l’identification des violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ; l’identification des discriminations sexuelles et raciales dans le sport ; et l’identification des problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

Le journal L’Équipe étant la référence nationale de la presse sportive française généraliste, il nous est apparu indispensable de vous auditionner. Votre journal a, en effet, beaucoup contribué à la médiatisation des défaillances dans le monde du sport et à la prise de conscience collective des dérives dénoncées par de courageuses victimes. À cet égard, nous souhaiterions savoir si votre journal a déjà reçu directement des signalements de faits de violences et de discriminations dans le monde du sport et, le cas échéant, la manière dont vous les traitez et y donnez suite. Auriez-vous des exemples précis ?

Lors de son audition, M. Romain Molina a souligné le rôle important joué par L’Équipe pour dénoncer des défaillances dans le monde du sport, notamment dans le rugby, tout en indiquant que, concernant le football : « Beaucoup de grands journaux pourraient faire sauter la FFF demain, L’Équipe en premier lieu. Il y a des gens très bien à L’Équipe, mais d’autres protègent telle ou telle source au profit de règlements de compte. Il s’agit là d’un véritable problème. » Vous avez été rédacteur en chef football de L’Équipe pendant plus de sept ans. Quelle est votre réaction sur ce sujet ? Quels sont les principes déontologiques gouvernant la rédaction de votre journal ? Avez-vous déjà subi des menaces en raison des articles que vous avez publiés concernant des faits de violence, de discrimination ou de corruption ?

Sur un autre plan, M. Marc Sauvourel, réalisateur d’un documentaire sur le racisme dans le football, auditionné par la commission d’enquête en juillet, a jugé cette discipline gangrenée par le racisme. Il en est de même des actes sexistes comme le montre l’affaire Jennifer Hermoso, la championne du monde espagnole embrassée de force par le président de la Fédération ibérique, Luis Rubiales, après la finale du Mondial, le 20 août dernier.

Les actes racistes ou sexistes, notamment en marge ou au cours des compétitions, apparaissent insuffisamment réprimés. Êtes-vous favorable à l’interruption systématique des matchs lors de la survenue de tels comportements, que ceux-ci soient le fait de supporters, d’arbitres, d’entraîneurs ou de joueurs ? Quelles seraient les mesures à prendre pour changer les mentalités et disposer de sanctions efficaces ?

Pour mieux lutter contre le sexisme et les violences faites aux femmes dans le sport, la médiatisation du sport féminin apparaît indispensable, comme l’a souligné Mme Béatrice Barbusse lors de son audition devant la commission. Sur l’ensemble des chaînes de télévision, le sport masculin a représenté en 2021, selon l’Arcom, 74,2 % du volume horaire des retransmissions sportives en 2021, contre 4,8 % pour le sport féminin. Quelles sont les statistiques de L’Équipe ? Avez-vous envisagé des changements au sein du journal pour mieux médiatiser le sport féminin ? Craignez-vous une baisse des ventes ?

Cette audition, ouverte à la presse, est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(M. Lionel Dangoumau prête serment.)

M. Lionel Dangoumau, directeur de la rédaction de L’Équipe. Je ne sais trop par où commencer à vous répondre. Il arrive assez fréquemment que nos journalistes reçoivent des informations pouvant faire état de violences sexuelles ou de harcèlement, notamment dans le domaine du football. Le travail de journaliste commence à ce moment-là : notre objectif est de recouper ces informations, de nous assurer qu’elles sont fiables et que nous avons suffisamment d’éléments concrets et circonstanciés pour les publier. Là est toute la difficulté, surtout dans ces affaires où, comme vous le savez, les témoignages interviennent très souvent plusieurs années voire plusieurs décennies après que les faits ont été commis. C’est un travail difficile, dans lequel il n’est pas possible de s’engager avec légèreté, que ce soit vis-à-vis des victimes présumées ou des personnes mises en cause. Cela ne nous a malgré tout pas empêchés de publier toute une série d’articles, sur la FFF mais aussi sur la gymnastique ou les sports de glace. Le travail des journalistes est particulièrement difficile. Il demande du temps, de l’argent, de l’énergie. Parfois, nous obtenons des informations qui nous semblent plausibles mais que nous ne pouvons pas publier, faute d’éléments circonstanciés et de témoignages établis.

Pour revenir sur les propos de M. Molina, il est possible que l’on ait reçu des informations que l’on n’a pas pu publier. Ce choix n’a jamais été dicté par le souci de protéger untel ou untel mais uniquement par des préoccupations journalistiques et déontologiques. Nous n’avons jusqu’à présent jamais été pris en défaut sur ces affaires-là. Notre travail est un travail sérieux – et je le dis d’autant plus facilement que ces travaux, ces articles, ont été publiés sous la direction de mon prédécesseur.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lorsque vous recevez des informations concernant des victimes potentielles, même si vous manquez d’éléments pour publier, faites‑vous des signalements à la justice ?

M. Lionel Dangoumau. Un tel cas ne s’est pas présenté. Je n’ai pas connaissance de faits suffisamment caractérisés qui auraient pu conduire à un signalement, si tant est que cela relève de notre rôle.

M. Julien Odoul (RN). Pour compléter votre propos liminaire que j’ai trouvé très bref, je m’interroge sur le traitement du racisme par votre journal, le traitement de tous les racismes. Je lis L’Équipe depuis de nombreuses années. S’il y a de nombreuses pages sur des faits de racisme inadmissibles dans les stades et à leurs abords, par des joueurs ou des supporters, pas une seule ligne en revanche sur le racisme anti-blanc ! En voici une preuve récente. En août dernier, la coureuse américaine Sha’Carri Richardson a été sacrée championne du monde du 100 mètres à Budapest. Après sa performance, on l’a vue, sur les réseaux sociaux où son attitude a légitimement beaucoup choqué, refuser ostensiblement de répondre aux journalistes blancs avant de s’arrêter pour répondre aux questions d’un journaliste noir. Le 28 août, lorsque vous faites le bilan des performances, cette séquence inadmissible et choquante est intégrée dans la catégorie « On a aimé », ce qui est ahurissant. Vous avez qualifié ce comportement raciste de « clivant ». Or, si une athlète blanche avait refusé de s’adresser à des journalistes noirs, je ne suis pas sûr que le traitement de l’épisode aurait été le même.

Ma question est simple : y a-t-il une différence de traitement pour vous entre les racismes ? Les racismes sont-ils différents dans le sport ? Le racisme anti-blanc y est-il une réalité, particulièrement dans le football, amateur et professionnel, comme cela avait été mentionné par Pierre Ménès ?

M. Lionel Dangoumau. Tous les racismes sont condamnables. Je vous laisse néanmoins les termes de racisme anti-blanc, une expression très connotée, avec laquelle je ne suis pas forcément très à l’aide. S’agissant du cas particulier que vous évoquez, je pense que nous n’avions pas suffisamment d’éléments pour aller dans la direction que vous auriez souhaitée, comme pour d’autres affaires de racisme d’ailleurs. D’autres médias ont pensé qu’ils avaient les éléments pour le traiter et ils l’ont fait. Si nous avons des éléments probants, circonstanciés, recoupés, nous publions, si nous n’en avons pas suffisamment, nous ne publions pas, quelle que soit la discrimination ou le racisme en question.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Comment qualifieriez-vous le rôle de L’Équipe dans le mouvement de libération de la parole engagé depuis 2020 à la suite de la publication du témoignage de l’ancienne patineuse Mme Sarah Abitbol ?

M. Lionel Dangoumau. L’Équipe n’est évidemment pas le seul média à avoir travaillé sur ces sujets. Il n’est pas le seul à avoir sorti des informations ou traité ces affaires. En revanche, nous sommes en pointe sur ces questions dans le sport, pour lequel nous sommes un média de référence. Dès 2013, sur la chaîne L’Équipe, nous avions diffusé un documentaire sur les violences sexuelles : « En finir avec un tabou, les violences sexuelles dans le sport ». Depuis trois ou quatre ans, ces sujets sont devenus plus prégnants, du fait sans doute de la prise de parole d’anciennes victimes. Dans le domaine des sports de glace, quelques jours avant la sortie du livre de Mme Abitbol, nous avions publié une grande enquête sur plusieurs entraîneurs de patinage artistique soupçonnés d’agressions sexuelles et de viols sur d’anciennes patineuses mineures à l’époque des faits. Nous avions été les premiers à sortir ces informations. Aujourd’hui, ce sont des sujets que nous traitons régulièrement et sur lesquels nous avons publié beaucoup d’articles. C’est aussi notre rôle. Il y a quatre ans, L’Équipe s’est dotée d’une cellule enquête. Elle ne travaille pas que sur cette thématique des violences sexuelles, qui représente néanmoins une bonne part de son activité. C’est un champ que nous avons investi et sur lequel nous estimons que nous devons de l’information à nos lecteurs, l’information la plus fiable possible sur des sujets souvent très sensibles.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Combien de personnes composent cette cellule d’enquête ?

M. Lionel Dangoumau. Cinq.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Comment les signalements concernant les violences et les discriminations sont-ils traités par vos équipes ? Donnent-ils systématiquement lieu à des enquêtes ? Faites-vous des signalements auprès de la cellule Signal‑sports du ministère des sports ?

M. Lionel Dangoumau. Je n’ai pas eu connaissance de ce genre de signalements, mais je viens d’entrer en fonction il y a quelques jours. Notre travail consiste à informer nos lecteurs, avec une information la plus précise possible. Quand ce type de fait nous est remonté – ce qui n’arrive pas tous les jours, heureusement – notre travail est un travail de vérification, de recoupement, de recueil de témoignages.

Mme Sabrina Sebaih, rapporteure. Une fois vos recherches terminées, lorsque vous êtes sur le point de publier une affaire, faites-vous ou non un signalement à la justice ou à la cellule du ministère des sports ?

M. Lionel Dangoumau. Non. La publication sert aussi à alerter les autorités compétentes. Certaines de nos investigations ont d’ailleurs débouché sur des enquêtes judiciaires. Concernant la FFF, en décembre 2020, nous avons révélé coup sur coup deux affaires qui faisaient état de comportements déviants sur mineurs de la part de deux éducateurs qui avaient travaillé à l’Institut national du football de Clairefontaine. L’un de ces papiers a conduit à une enquête du ministère des sports. Nous l’avons aussi fait pour le groupement d’intérêt public France 2023, chargé d’organiser la Coupe du monde de rugby.

Mme Pascale Martin (LFI-NUPES). J’ai, au sein de ma cellule familiale, un grand lecteur de L’Équipe, qui me fait remarquer régulièrement que vous relayez de plus en plus d’affaires, ce dont je vous remercie en tant que membre de la délégation aux droits des femmes, attentive à ces questions de violences sexistes et sexuelles. En revanche, je suis assez surprise, pour ne pas dire choquée – mais j’entends que vous venez de prendre vos fonctions – de voir que vous ne signalez pas les faits qui vous sont révélés. Tout citoyen informé de l’existence de faits pouvant constituer une infraction doit les signaler au parquet, comme le dispose l’article 40 du code de procédure pénale. En tant que nouveau directeur, pensez-vous vous engager à signaler de manière plus systématique les faits qui vous sont rapportés, notamment à la plateforme du ministère dont la rapporteure vient de m’apprendre l’existence ? Il me semble important de s’engager dans ce domaine. Comme cela a été dit à l’audition précédente, c’est tout un système qui est à l’œuvre. Si #MeToo a permis de libérer la parole, il faut continuer en ce sens afin d’endiguer les violences sexistes et sexuelles dans notre société.

M. Lionel Dangoumau. Vous connaissez sans doute mieux la loi que moi, mais je ne crois pas qu’en tant que média nous ayons cette obligation. De la même façon, je ne pense pas que nous ayons vocation à faire des signalements tous azimuts. Notre travail est d’informer nos lecteurs du mieux possible et de produire des enquêtes fiables et non des alertes systématiques au moindre bruit à droite ou à gauche. Jusqu’à présent je ne crois pas que nous ayons été confrontés à ce genre de situation. Nous arrivons souvent longtemps après que les informations sont remontées auprès d’éducateurs ou de dirigeants de fédérations, lesquels sont davantage habilités à faire ce genre de signalements. C’est d’ailleurs l’un des problèmes mis au jour par la multiplication des affaires ces dernières années : bien souvent, les faits que nous révélons plusieurs années après ont été tus et dissimulés dans les structures où ils ont eu lieu.

Mme Pascale Martin (LFI-NUPES). Pour changer le système, il faut que chacun s’implique. J’entends qu’en tant qu’organe de presse vous n’ayez peut-être pas à tenir ce rôle, mais si, en tant que citoyen, on ne se saisit pas tous de cette question, nous ne pourrons plus progresser.

M. Lionel Dangoumau. Je pense que chacun dans son rôle peut apporter sa pierre à l’édifice. Notre mission est d’informer. Le rôle que vous voulez nous confier relève davantage des fédérations ou des personnes qui ont une autorité dans le milieu sportif.

M. Jérôme Guedj (SOC). Je confirme que les journalistes n’ont pas l’obligation de faire un signalement s’ils ont connaissance de faits de nature délictuelle. L’article 40 ne s’applique ni aux citoyens ni aux journalistes mais uniquement aux dépositaires de l’autorité publique, fonctionnaires ou élus. En revanche, dès l’instant où des journalistes de Mediapart, de Libération, de la cellule d’investigation de Radio France ou d’ailleurs révèlent des faits, c’est nous tous, dépositaires de l’autorité publique, qui devons nous en saisir. Votre responsabilité est d’écrire des articles à même de susciter une mobilisation citoyenne et juridique.

Or – parlons franchement – les lecteurs attentifs de L’Équipe que nous sommes ont parfois le sentiment que la manière dont les faits sont évoqués ne permet pas de véritablement ouvrir le chemin à ce travail-là. Un exemple : je considère que vous avez traité ce qui se passait à la fédération des sports de glace d’une façon un peu endogame. Même si les faits étaient évoqués, la tonalité, le bruit de fond, dirais-je, ne permettaient pas d’ouvrir la porte ni à la libération de la parole citoyenne ni à une saisine.

Comment un journal comme le vôtre qui, par définition, travaille avec les fédérations et est en contact avec elles réussit-il à opérer un arbitrage terrible entre ces fédérations et les sportifs qui les composent ? C’est toute la responsabilité déontologique, journalistique, éthique qui s’impose à vous. Les affaires ont été évoquées, mais, sans parler d’omerta, en les évoquant, c’était une manière de les contenir dans un certain espace de débat. Je pense notamment au droit de suite : j’ai souvent été frustré de ne pas en avoir sur un certain nombre de ces affaires – mais, pour être juste, il faudrait presque mener une exégèse article par article. Il y a pour moi un problème de tonalité et donc de responsabilité.

M. Lionel Dangoumau. Dans certains cas, il est possible que nous n’ayons pas toujours eu le bon positionnement, d’autant que ces matières sont délicates. En revanche, je suis un peu surpris par votre exemple, car nous avons été, en même temps que Mme Abitbol, à l’origine de la démission de M. Gailhaguet. Au reste, si vous interrogez ce dernier sur la manière dont nous avons traité la fédération qu’il présidait à cette époque-là, je ne pense pas qu’il sera de votre avis... L’enquête que nous avons publiée quelques jours avant la sortie de la biographie de Sarah Abitbol a participé à la fragilisation du président de la fédération de l’époque, à la pression qu’il a subie de la part de la ministre des sports, Mme Maracineanu. Concernant cette affaire particulière, nous avons vraiment joué notre rôle et il n’y a pas du tout eu le moindre début de connivence avec les dirigeants fédéraux. Ce que vous évoquez, c’est le rapport classique entre un journaliste et ses éventuelles sources, ses contacts et ses relations. Mais ce mode de fonctionnement ne nous empêche pas de traiter les affaires qui se présentent. Nous avons également beaucoup travaillé sur la fédération française de rugby, avec des conséquences pour ses dirigeants. On peut parfois manquer de clairvoyance ou être un peu en retard, mais notre rapport à tel ou tel dirigeant n’est jamais un critère pour publier ou non, enquêter ou non.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Romain Molina nous a parlé des défaillances dans le monde du sport, particulièrement dans le rugby. Mais il a également dit, ainsi que je l’évoquais dans mon introduction : « Beaucoup de grands journaux pourraient faire sauter la FFF demain, L’Équipe en premier lieu. Il y a des gens très bien à L’Équipe, mais d’autres protègent telle ou telle source au profit de règlements de compte. Il s’agit là d’un véritable problème. » Comment réagissez-vous face à de telles affirmations ? Avez-vous subi, vous-même ou votre prédécesseur, des menaces ?

M. Lionel Dangoumau. Je n’ai pas l’intention de m’appesantir sur les déclarations de M. Molina. Je crois qu’il vous avait dit qu’il vous enverrait des documents écrits concernant L’Équipe. Je serais curieux de les voir si jamais vous les receviez… Je ne sais pas ce que veut dire « faire sauter la FFF ». Nous ne sommes pas là pour faire sauter telle fédération ou tel dirigeant. En revanche, quand il y a une affaire, on la traite. Nous avons traité celles concernant la Fédération française de football, notamment en décembre 2020. En septembre 2022, nous avons mené une enquête sur la manière dont la FFF traitait les questions de violences sexuelles, soit bien avant l’affaire Le Graët, qui a conduit à son départ de la fédération. Nous avons publié en exclusivité l’interview d’une agente de joueurs, Sonia Souid, qui mettait en cause le comportement de M. Le Graët, au tout début de l’affaire. Encore une fois, dès lors que nous avons des éléments, y compris sur la FFF, nous travaillons dessus. L’accusation de M. Molina me semble faite à l’emporte‑pièce. Il n’y a aucune circonstance, il n’y a pas de nom. Je peux aussi vous dire qu’il se passe telle ou telle chose à l’Assemblée sans donner ni fait ni nom ni date. C’est très facile. Nous avons travaillé sur la FFF, et nous ne sommes bien évidemment pas les seuls – M. Molina lui-même travaille sur ces sujets. Je ne pense pas que nous ayons à rougir de la façon dont nous avons traité les affaires de la FFF, en particulier le cas de M. Le Graët.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Et pour ce qui est des menaces ?

M. Lionel Dangoumau. Cela peut arriver, dans ces affaires comme dans d’autres, surtout lorsque l’on met en cause des personnes. Mais je n’ai pas d’exemple en tête. Un journaliste qui enquête peut être confronté à des menaces verbales ou écrites. Des procédures judiciaires sont parfois ouvertes également afin d’entraver le travail journalistique – des plaintes en diffamation qui ne sont pas forcément fondées et qui visent à impressionner les journalistes et à faire reculer leur travail.

Mme Fabienne Colboc (RE). Si c’est, comme vous le disiez, par le biais de la gouvernance des fédérations que l’on peut améliorer la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, en tant qu’expert du sport, quel serait, selon vous, le modèle idéal d’une fédération sportive ?

M. Lionel Dangoumau. Définir un modèle idéal est un peu ambitieux. Je voulais dire que le point commun entre toutes ces affaires de violences sexuelles c’est que ce sont souvent des affaires dont des personnes ont eu connaissance à l’époque des faits, de manière plus ou moins parcellaire, sans que cela débouche au sein des fédérations ou des structures concernées sur une véritable enquête avec un recueil de témoignages. C’est pourquoi ces affaires restent parfois enfouies des années voire des dizaines d’années, ce qui est particulièrement douloureux pour les victimes. Je pense que la gouvernance et la manière dont les fédérations ou les structures en leur sein sont organisées ont une incidence sur le recueil des témoignages et la capacité à faire émerger et, partant, à faire cesser des conduites déviantes, délictueuses voire criminelles.

L’organisation parfaite n’existe pas, mais après avoir réuni, au mois de février, plusieurs personnalités du monde du sport sur cette question de la gouvernance, nous avons dégagé quatre pistes de réflexion.

La première porte sur la question de la rémunération des dirigeants, dans la mesure où diriger une fédération constitue parfois un métier à plein temps et demande un engagement et une implication semblables à ceux d’un vrai travail. La rémunération peut éviter certains risques ou écueils.

La deuxième piste porte sur une réforme des modes de scrutin, puisque dans certaines fédérations, comme celle de football, le scrutin, qui a été validé par le ministère des sports, ne prévoit pas d’opposition au sein du comité exécutif, qui est le Gouvernement de la fédération. C’est l’un des problèmes qu’a connus la FFF : aucune opposition n’a pu s’exprimer en interne ou en externe, ce qui a pu donner lieu aux dérives et aux affaires dont nous avons eu connaissance.

La troisième piste serait la création d’une autorité administrative indépendante. De même qu’il y a une Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), on pourrait imaginer une agence travaillant sur les questions d’éthique et de gouvernance, dotée, comme l’AFLD, d’un pouvoir disciplinaire et qui pourrait être alertée ou se saisir de cas. Une fédération peut avoir du mal à traiter des sujets de dopage ou de violences sexuelles, compte tenu des enjeux en termes d’image et des enjeux financiers. Une affaire de dopage ou de violence sexuelle n’est objectivement pas bonne pour l’image d’une fédération. Cela peut parfois compter, à l’heure de mesurer l’énergie et les moyens qu’on va mettre pour mener une enquête sur des faits ou des soupçons. La ministre des sports a créé, en mars, un comité national pour renforcer l’éthique et la vie démocratique dans le sport, coprésidé par Mme Buffet et Stéphane Diagana, qui doit remettre ses propositions à l’automne. Peut-être y aura-t-il parmi celles-ci la création d’une agence indépendante ou d’une structure qui permettrait de traiter ces problèmes à un niveau supérieur au niveau fédéral, qui – on l’a vu ces dernières années – n’est pas suffisant pour traiter les dossiers de manière efficace et transparente.

Enfin, la dernière proposition concerne la manière dont l’État finance les fédérations. Certaines, comme les fédérations de football, de tennis ou de rugby, sont très riches, du fait notamment des droits télévisés. L’aide de l’État pourrait être redirigée vers des fédérations qui en auraient davantage besoin.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Dans le domaine du sport, votre journal est une référence en France, probablement aussi en Europe. Toutes les fédérations sportives, quelle que soit leur taille, peuvent être concernées par des comportements déviants. Notre pays compte plus d’une centaine de fédérations et je suppose que vous n’avez pas affecté un journaliste au suivi de chaque fédération. Comment organisez-vous les investigations, notamment lorsqu’est en cause une petite fédération dont on peut supposer que peu de journalistes suivent son actualité ? Comment comprendre rapidement les enjeux au sein de la fédération ? Comment vous assurez-vous que le journaliste en charge de ces petites fédérations ne sera pas tenté de minimiser l’affaire ou de griller des sources, s’il entretient des liens privilégiés avec les décideurs de la fédération ? Autrement dit, comment la rédaction décide-t-elle de s’emparer d’un sujet dont un journaliste avait la charge ? Quelles mesures prenez-vous pour accélérer les investigations ?

M. Lionel Dangoumau. Nous ne disposons pas de suffisamment de journalistes pour en affecter un à chaque fédération mais nous les suivons toutes, quitte à ce que des journalistes s’occupent de plusieurs d’entre elles. Les journalistes ont un réseau, des contacts et il leur arrive de recevoir des informations qu’ils jugeront dignes d’être traitées ou non. Concernant les risques que vous pointez, nous avons en partie créé la cellule dédiée à l’investigation pour nous en protéger. Elle est amenée à traiter toutes les affaires qui pourraient toucher n’importe quelle fédération. Par exemple, l’un des journalistes de cette cellule a récemment publié une enquête sur un club assez réputé de la Fédération française de gymnastique. Nous pouvons traiter de différentes manières les faits dont nous avons connaissance. Nous ne pouvons pas nous permettre la moindre indulgence à l’égard de ces affaires au prétexte que nous connaîtrions les personnes en cause. À titre personnel, je n’ai jamais eu vent de ce type d’attitude au sein de la rédaction.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous êtes une équipe de journalistes à qui il arrive de mener des enquêtes mais vous n’êtes pas des policiers. Admettons que des faits soient portés à votre connaissance mais que les conclusions que vous tirez de vos investigations ne vous permettent pas de publier un article : ne vous semblerait-il pas judicieux de signaler ces faits à la police ou à la justice, qui auront davantage de moyens pour mener l’enquête ?

De nombreux sportifs et dirigeants sportifs ont été mis en cause dans vos colonnes. Certains ont été blanchis, d’autres n’ont pas été poursuivis faute d’éléments suffisants. Pourquoi n’avez-vous pas prévu de droit de réponse qui leur permettrait de se défendre dans vos colonnes ? Ce serait une bonne chose de pouvoir traiter une affaire jusqu’au bout, y compris lorsque les personnes en cause sont blanchies.

Enfin, votre journal a titré, il y a quelques années, à propos de l’ancien champion olympique Djamel Bouras, « Leader plutôt que dealer », comme si ses origines le prédisposaient à cet état alors que, à ma connaissance, son casier judiciaire est vierge. Pire, vous évoquez « l’argent du Beur » à propos de sa médaille d’argent. J’aimerais comprendre comment votre rédaction a pu en arriver à publier de telles unes. Je sais que vous n’occupiez pas encore votre poste actuel à l’époque mais trouvez-vous cela normal ?

M. Lionel Dangoumau. L’un des principes déontologiques majeurs du journalisme est le secret des sources. Lorsqu’un journaliste est informé de faits par un tiers, il lui doit le secret, sauf si ce dernier lui donne l’autorisation de divulguer son nom. Dans ce cas, il pourrait fort bien signaler les faits lui-même. Notre travail est d’informer.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Si je puis me permettre, vous n’êtes pas obligé de citer la source. Surtout, vous oubliez le devoir qui pèse sur vous de protéger les victimes dès lors que vous recevez de telles informations. Si j’ai bien compris vos propos, vous n’estimez pas nécessaire de porter à la connaissance de la police ou de la justice les faits qui vous ont été rapportés mais que vous ne pouvez publier, faute d’avoir pu faire aboutir vos investigations ?

M. Lionel Dangoumau. Vous me posez une question délicate. Si j’ai bonne mémoire, il ne me semble pas que nous ayons été confrontés à une telle situation ces dernières années. En effet, les faits qui sont portés à notre connaissance ont souvent été commis de nombreuses années auparavant. Votre remarque est pertinente mais je ne sais que vous répondre. Je ne suis pas certain que notre rôle soit de signaler ce type de faits à la police ou à la justice, si nous ne disposons pas d’éléments suffisamment probants. Les choses évolueront peut-être.

Concernant le droit de réponse, je vous citerai l’affaire Benjamin Mendy, que nous avons largement couverte. Lorsqu’il a été acquitté, nous avons consacré notre une à cette décision de justice, afin de lui accorder la même attention que celle que nous avions consacrée au procès. D’une manière générale, nous serons toujours d’accord pour donner la parole à quelqu’un qui aurait été innocenté après avoir été mis en cause et voudrait s’exprimer.

Quant aux titres, je reconnais qu’ils sont plus que maladroits. L’affaire date de près de trente ans.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Si je puis me permettre, ces titres sont beaucoup plus que maladroits…

M. Lionel Dangoumau. Je suis d’accord avec vous au moins sur le deuxième. L’époque était différente mais, je suis d’accord avec vous, cela n’excuse pas un tel choix. Nous n’aurions pas dû choisir de tels titres à l’époque.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Les attentes en termes d’exemplarité des fédérations sportives sont beaucoup plus importantes aujourd’hui qu’avant. Il en va de même pour le principal journal sportif de notre pays, L’Équipe. Compte tenu des nombreuses affaires qui ont éclaté dans le passé, dont certaines ont été révélées par votre rédaction, avez-vous pensé à mettre en valeur les bonnes pratiques que des fédérations pourraient instaurer pour lutter contre le racisme ou les violences sexistes et sexuelles, en leur consacrant par exemple des rubriques spéciales ? Nous ne devons pas nous contenter de révéler des faits, nous devons aussi réfléchir aux moyens de faire du sport français un modèle d’exemplarité. Notre pays n’est pas le seul à vouloir s’améliorer, nos voisins européens ont les mêmes aspirations, comme en témoigne la réaction de l’équipe masculine de football en Espagne, qui a pris fait et cause pour l’équipe féminine à la suite du comportement du président de la Fédération espagnole de football.

M. Julien Odoul (RN). Vous avez dit que tous les racismes étaient condamnables mais que vous n’étiez pas à l’aise avec le racisme anti-blanc, qui serait connoté. Pourquoi ?

Je reviens à l’affaire de la sprinteuse américaine qui a refusé de répondre aux journalistes blancs. Vous dites que vous manquez d’éléments pour vous forger une opinion. Pourtant, vous avez publié ce fait raciste dans la rubrique « On a aimé ».

Enfin, si une athlète blanche avait refusé de s’exprimer et de répondre aux questions de journalistes noirs, en auriez-vous également parlé dans la rubrique intitulée « On a aimé » ?

M. Lionel Dangoumau. C’est avec l’expression « racisme anti-blanc », que je ne suis pas à l’aise parce que je la trouve connotée. Je ne nie pas que des personnes blanches puissent être victimes de racisme. Si nous avons la preuve qu’une personne a refusé de s’adresser à une autre en raison de la couleur de sa peau ou de son appartenance ethnique, nous en parlerons comme il se doit. Encore faut-il l’établir avec certitude.

Pour ce qui est de la mise en valeur des bonnes pratiques, nous pouvons en effet publier un article sur les initiatives que certaines fédérations prennent. Malheureusement, ces dernières années, nous avons davantage eu l’occasion de parler des dysfonctionnements. La situation s’améliorera peut-être.

En revanche, nous ne manquons pas de présenter les associations qui œuvrent dans ce domaine, comme Colosse aux pieds d’argile, à laquelle nous avons consacré un article lors de sa création.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Selon l’Arcom, la part de sport féminin représente 4,8 % de la totalité des diffusions sportive sur l’ensemble du média télévision. Quelles sont les statistiques pour la chaîne L’Équipe ?

M. Lionel Dangoumau. Je ne suis pas le directeur de la chaîne mais je peux tout de même vous donner une idée de l’évolution de l’image du sport féminin. Lorsque je suis arrivé dans cette rédaction, en 2002, c’était par des brèves d’une dizaine de lignes que l’on rendait compte des matchs de l’équipe de France féminine de football. La manière dont ce sport est considéré aujourd’hui n’a plus rien à voir. Les avancées sont spectaculaires. Très régulièrement, nous consacrons la une à l’équipe de France féminine de football ou à d’autres équipes féminines. Je n’irai pas jusqu’à dire que nous traitons de la même façon les compétitions masculines que féminines mais nous les envisageons comme des compétitions à part entière, soumises aux mêmes enjeux et aux mêmes problématiques. Bien sûr, il est toujours possible de faire mieux mais L’Équipe fait son travail et médiatise les compétitions féminines comme les sportives. Cela étant, les médias ne peuvent pas tout. La responsabilité de mettre en valeur et de promouvoir le sport féminin revient avant tout aux fédérations, nationales ou internationales, à leurs dirigeants, aux acteurs économiques, au monde sportif lui-même. La télévision et la chaîne L’Équipe en particulier, ont un rôle à jouer, c’est vrai, même si nous ne sommes pas un acteur majeur en termes d’acquisition des droits sportifs, d’autres acteurs ayant des moyens bien plus importants que les nôtres. Nous pouvons être proactifs et prescriptifs sur ces sujets et nous le sommes en de nombreuses circonstances mais nous reflétons aussi le sport tel qu’il est. Même si nous pouvons infléchir la tendance pour tenter de montrer le sport tel qu’on voudrait qu’il soit, nous ne pouvons pas transformer la réalité auprès de nos lecteurs.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. En tant que journal de référence, vous participez à l’éducation de vos lecteurs et vous suscitez sans doute l’intérêt de vos lecteurs masculins pour le sport féminin.

M. Lionel Dangoumau. Il n’y a pas que le public masculin. Les femmes aussi doivent s’intéresser au sport féminin.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous avez tout à fait raison de préciser ce point.

M. Lionel Dangoumau. Dans les prochaines années, nous ferons en sorte de nous adresser davantage à nos lectrices. Beaucoup reste à faire mais regardez tout le chemin parcouru ! Je note que des progrès beaucoup plus nets ont été enregistrés dans la médiatisation de leur discipline que dans la reconnaissance financière des sportives.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Je vous félicite car vous avez réussi à promouvoir les compétitions de biathlon, masculines comme féminines. Si nous sommes tous devenus fous de cette discipline, en France, c’est bien grâce à votre chaîne !

Formez-vous tous les journalistes de votre rédaction, au-delà de ceux qui travaillent au sein de la cellule dédiée aux investigations, au traitement des faits de violence, de racisme ou autre ?

M. Lionel Dangoumau. Les journalistes n’ont pas besoin d’être spécifiquement formés à ce type de faits. Ceux qui travaillent au sein de la cellule dédiée à l’investigation sont habitués à traiter ces affaires et savent comment chercher les informations qui leur sont nécessaires pour s’assurer de leur véracité. Nous proposons régulièrement des formations juridiques à ces journalistes. En conférence de rédaction, la hiérarchie a pour rôle de favoriser ce travail. Mon prédécesseur s’est ainsi attaché à inciter les journalistes à mener ce genre d’enquête, en valorisant leurs publications. Si leurs articles avaient été publiés en bas de page, ils auraient été découragés de poursuivre dans cette voie.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez été rédacteur en chef. Que pensez-vous de l’interruption systématique des matchs lorsque des propos racistes sont tenus ?

M. Lionel Dangoumau. On peut trouver des arguments pour et contre. Je m’exprimerai à titre personnel, sans engager la rédaction qui ne s’est pas prononcée à ce sujet. Il est possible que l’interruption systématique des matchs décourage les fautifs de récidiver et qu’à terme, on n’ait plus à déplorer ces comportements mais nous n’en sommes pas certains. L’interruption, à l’initiative des joueurs, d’un match entre le Paris-Saint-Germain et un club turc a marqué les esprits en France et à l’étranger. Je ne serais pas opposé à une telle pratique, ne serait-ce qu’à titre expérimental. Restons humbles, cependant. Au-delà des actes racistes, de nombreux comportements répréhensibles sont à déplorer dans les stades et personne n’a réussi, jusqu’à présent, à y mettre fin. Il ne suffira sans doute pas d’interrompre les matchs.

En revanche, il faudrait revoir le traitement que la justice réserve à ces actes. Les dirigeants sportifs ont un rôle à jouer pour prévenir de tels faits mais leur pouvoir s’arrête à la sortie du stade. C’est alors que la justice intervient, ne serait-ce que pour interdire de stade ces individus, durant un certain temps. Cela étant, la justice n’a pas que cela à faire et le traitement de ces faits n’est pas leur priorité, ce qui est logique. Il peut y avoir un fossé entre la médiatisation de ces affaires – elles sont souvent très médiatisées – et le sort qui leur est réservé par la justice, laquelle fait ce qu’elle peut avec les moyens dont elle dispose.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). Vous semblez déterminé à mettre en avant le sport féminin afin de susciter l’intérêt de la société pour lui. Votre journal est avant-gardiste en ce domaine, comme en témoigne le nombre de unes consacrées à la Coupe du monde féminine – malheureusement, il a été difficile de trouver des diffuseurs pour les matchs. Disposez-vous de statistiques qui témoigneraient de l’évolution du lectorat féminin, notamment suite à l’inflexion que vous avez donnée à votre ligne éditoriale ? D’autre part, constatez-vous une différence du nombre de lecteurs selon que les articles sont consacrés à des disciplines féminines ou masculines, pour des compétitions d’envergure équivalente ?

M. Lionel Dangoumau. Je n’ai pas de données chiffrées sous les yeux mais il me semble que la part du lectorat féminin progresse, modestement toutefois. D’autre part, à compétition égale, les articles consacrés au sport masculin sont davantage lus. Cela étant, il est délicat de répondre à votre question car tout dépend de la discipline. Ainsi, un article sur le football féminin pourra être bien davantage lu qu’un autre écrit sur un sportif masculin dans une discipline moins courue.

Les problèmes rencontrés pour trouver des diffuseurs pour la Coupe du monde féminine, cet été, témoignent de la difficulté des diffuseurs à commercialiser de tels événements aussi bien que les compétitions masculines.

M. Jérôme Guedj (SOC). Tout le monde se connaît, dans le milieu sportif : comment gérez-vous d’éventuels conflits d’intérêts entre des journalistes et des dirigeants de fédération ? Avez-vous une charte de déontologie ?

M. Lionel Dangoumau. Nous n’avons pas prévu de charte spécifique au sein de notre rédaction mais nous sommes soumis à la charte d’éthique professionnelle des journalistes, comme tous les autres. Dans certaines affaires sensibles, il nous appartient de prendre des mesures et d’alerter pour éviter toute distorsion dans le traitement d’une information.

Nos journalistes sont conscients des risques et connaissent les principes à respecter. Nous n’avons jamais connu le cas d’un journaliste qui aurait volontairement minimisé les faits dont il aurait eu connaissance.

Mme Fabienne Colboc (RE). Les journalistes qui ont subi des menaces ont-ils porté plainte ? Ce serait sans doute une solution pour y mettre fin.

M. Lionel Dangoumau. En cas de menace circonstanciée, on peut porter plainte, en effet. Heureusement, c’est rarement arrivé. La plupart du temps, les journalistes sont plutôt confrontés à des réactions hostiles, pour des sujets qui vous sembleraient de peu d’importance par rapport aux violences sexistes ou sexuelles ou aux actes racistes.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Des dispositifs ont été mis en place par le ministère des sports pour renforcer l’éthique dans le sport et prévenir les violences. Quel bilan en dressez-vous ? Le Gouvernement souhaite renforcer l’articulation entre les procédures pénales, administratives et disciplinaires. Pensez-vous, vous aussi, que la situation peut être améliorée ?

Nous nous permettrons de vous poser à nouveau la question à l’écrit pour que vous puissiez compléter votre réponse, le cas échéant.

M. Lionel Dangoumau. Je vous répondrai par écrit de manière plus précise mais il est évident que la situation peut être améliorée. Nous verrons quelles propositions formulera le comité national pour renforcer l’éthique et la vie démocratique dans le sport, crée par le ministère des sports. Il est évident que le milieu sportif doit améliorer son traitement des dérives auxquelles il est confronté. Celles-ci ne sont ni moins ni plus fréquentes dans le monde du sport que dans d’autres domaines de la société, même si ce milieu est un peu plus exposé aux violences sexuelles que d’autres pour diverses raisons. Il a commencé à s’emparer du sujet mais n’est sans doute pas allé au bout. Les mesures que vous avez évoquées vont dans le bon sens. D’autres pourraient également être retenues comme la création d’un organe indépendant, doté de véritables pouvoirs. La création d’un tel organe permettrait de traiter ces sujets au niveau « macro » en évitant de déléguer leur traitement aux fédérations, dont l’action peut être limitée ou soumise à des dilemmes du fait de la faiblesse de leurs moyens ou de leur mode de fonctionnement.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous quelques mots à ajouter ?

M. Lionel Dangoumau. Je voudrais simplement insister sur le travail que nous avons réalisé pour améliorer la gouvernance de la Fédération française de rugby, en révélant l’affaire Altrad-Laporte ou en transmettant des faits de harcèlement au GIP (groupement d’intérêt public) France 2023. C’est ce modèle que nous devons suivre. Notre objectif n’est pas de faire tomber les dirigeants ou les fédérations mais de mener notre travail d’investigation, pour nos lecteurs mais aussi pour la société dans son ensemble.

La commission auditionne Mme Angélique Cauchy, ancienne joueuse de tennis.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je souhaite la bienvenue à Mme Angélique Cauchy.

L’Assemblée nationale a choisi de créer cette commission d’enquête à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportifs, dont les vôtres, et de divers scandales judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations. Nous avons commencé nos travaux le 20 juillet dernier. Ils se déclinent autour de trois axes : l’identification des violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ; l’identification des discriminations sexuelles et raciales dans le sport et, enfin, l’identification des problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

Nous vous sommes très reconnaissants d’avoir accepté de nous faire part de votre expérience compte tenu du courage que cela requiert.

Vous avez dénoncé des faits de violences de la part de votre entraîneur de tennis, M. Andrew Geddes, qui s’est avéré être un prédateur sexuel et un manipulateur. Vous avez ainsi été humiliée et violée près de quatre cents fois lorsque vous aviez entre 12 et 14 ans et vous avez dénoncé le règne de l’omerta de la part de votre entourage dans le monde du tennis. Presque quinze ans plus tard, avec d’autres victimes du même prédateur sexuel, vous avez réussi à dénoncer ces viols qui ont conduit à sa réclusion criminelle pour une durée de dix-huit ans. Vous avez ensuite créé l’association Rebond afin de mener des interventions de prévention et de sensibilisation auprès de clubs et de ligues, mais aussi des opérations de formation et d’aide aux victimes.

Pouvez-vous nous expliquer le calvaire qui a été le vôtre, le cheminement que vous avez suivi jusqu’à votre plainte et les conséquences de ces violences sur votre santé physique et mentale ? Pouvez-vous également présenter votre association et nous indiquer les mesures qui, selon vous, devraient être prises pour lutter contre de telles pratiques ?

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.

Avant de vous laisser la parole et de commencer nos échanges pendant environ une heure, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(Mme Angélique Cauchy prête serment).

Mme Angélique Cauchy, ancienne joueuse de tennis. Je vous remercie d’avoir créé cette commission d’enquête et de vous soucier de ce fléau qui touche le monde du sport, mais pas seulement.

J’ai 36 ans, j’habite à Bayonne et je suis désormais professeur d’éducation physique et sportive (EPS). J’ai commencé le tennis à l’âge de 4 ans. Ma mère, d’origine espagnole, sait ce que sont les violences sexuelles puisque sa propre mère s’est fait violer devant elle, comme elle me l’a confié lorsque j’étais encore une enfant. D’une certaine façon, j’ai été la « mère de ma mère », une mère fragile et traumatisée. Mon père, originaire du nord de la France, parle peu, n’est pas très démonstratif et ne disait jamais « Je t’aime » alors qu’enfant, j’avais un grand besoin de reconnaissance. Déclarée haut potentiel intellectuel (HPI) et émotionnel (HPE), j’étais en avance à l’école et j’essayais d’être la petite fille parfaite.

J’ai commencé le tennis en Espagne, en vacances, où un professeur de tennis avait confié à mes parents que j’étais très douée. Rapidement, j’ai joué avec des garçons de 12 ans, faute de filles à mon niveau au sein de mon club. À l’âge de 7 ans, j’ai été recrutée par la ligue du Val-d’Oise, grâce à laquelle j’ai pu m’entraîner plus intensément et bénéficier d’une bourse – ma famille n’était pas particulièrement aisée puisque ma mère était femme au foyer et mon père fonctionnaire de police. J’ai continué à jouer dans ce club jusqu’à l’âge de 12 ans. J’ai eu ensuite le choix entre deux clubs, Eaubonne et Sarcelles. J’ai choisi le second car mes « rivales » s’entraînaient dans le premier ; le tennis est un sport individuel où l’on nous « monte » très rapidement les uns contre les autres.

Je devais d’abord m’entraîner avec Patrick Bouteiller, le directeur sportif mais, suite à une promotion, il est devenu entraîneur fédéral à la ligue de Seine-Saint-Denis. J’ai donc été entraînée par Andrew Geddes. Au début, il était très gentil. Il jouait un peu le rôle du copain ou du grand frère. Je souffrais de ne pas beaucoup sortir, de ne pas aller au cinéma, dans les musées, aux concerts. Mes parents n’étaient pas très curieux, ils n’avaient pas fait d’études et je cherchais à découvrir le monde. Il m’a offert un atlas, que je passais mes soirées à feuilleter. J’apprenais par cœur les densités de population des pays et leur superficie ! Il m’a aussi emmenée voir des matchs du Paris Saint-Germain (PSG), dont j’étais fan. Je n’étais jamais allée au Parc des Princes. Mon père me disait que lorsqu’il y était affecté, en tant que CRS, il passait son temps face aux tribunes sans pouvoir regarder le match. J’aurais tant voulu y aller ! Lorsque l’entraîneur a proposé à mes parents de m’y emmener, ils ont vu dans mes yeux tellement d’envie qu’ils m’y ont autorisée. La première fois, tout s’est bien passé.

Après, il a dit que je devais m’entraîner davantage et intégrer un club près de chez lui. Puis il a dit à mes parents que ce serait plus pratique que je dorme chez lui au lieu d’avoir à me ramener chez moi. Ils lui ont fait confiance. La première fois, il m’a laissé sa chambre et a dormi dans le salon. Peu à peu, un rituel s’est installé : après les entraînements un peu tardifs dans son deuxième club ou après les matchs de foot, je restais dormir chez lui. Puis il s’est chargé intégralement de la programmation des tournois. Je faisais cent vingt-cinq matchs par an, soit un match tous les trois jours. Ma mère ne conduisait pas et, pour mon père, la gestion de mes entraînements, de mes matchs et de ceux de ma petite sœur était une tâche considérable. Ma famille a donc été soulagée lorsqu’il a proposé de m’inscrire aux tournois et de m’y emmener.

Un soir, il m’a demandé s’il pouvait me raconter une histoire. J’ai trouvé que c’était un peu bizarre mais comme il n’avait pas d’enfant, j’ai pensé qu’il avait peut-être besoin d’affection et qu’il voulait que je sois un peu comme sa fille. La fois suivante, il est resté un peu plus longtemps, puis il m’a ensuite demandé si je pouvais lui caresser le dos. Il me prenait aussi dans ses bras. Je savais que tout cela n’était pas normal mais il a procédé progressivement. J’étais très mal à l’aise, je rejetais de tels comportements mais je ne savais pas à quel moment je devais dire « stop ». J’étais seule, à 30 kilomètres de chez moi. À 12 ans, on n’est pas capable de s’opposer physiquement et psychologiquement à un adulte, d’autant plus lorsqu’on le respecte et l’admire, lorsque l’on pense qu’il nous permettra peut-être d’accéder à notre rêve.

Lorsque je suis arrivée au club de Sarcelles, à 12 ans, je n’avais pas du tout envie d’être joueuse professionnelle : je voulais intégrer Sciences Po et l’École nationale d’administration (ENA) ! Je comptais certes parmi les trois ou quatre meilleures joueuses françaises mais lui est parvenu à me convaincre que j’avais le potentiel pour devenir joueuse professionnelle, que je pouvais largement figurer parmi les dix meilleures joueuses mondiales seniors, que j’avais du talent, que j’étais plus intelligente que la moyenne sur un terrain de tennis, etc. L’intensité des entraînements fait que, peu à peu, on ne mène plus la vie d’un adolescent « classique ». Lorsque j’étais au collège, j’étais un peu perdue. Je ne connaissais pas la série Friends ! Je n’avais rien en commun avec mes camarades de classe, d’autant plus que j’étais en avance et que j’étais plus jeune qu’eux. Là aussi, j’ai été également très vite seule. Un tel isolement contribue à expliquer les violences que des jeunes subissent dans les milieux sportifs. Lorsqu’il est isolé, un enfant devient beaucoup plus facilement une proie.

Il a donc vu que j’étais une proie « facile » en raison d’un manque de reconnaissance, d’un besoin de découvrir le monde, d’un désir de perfection. Une telle exigence s’est d’ailleurs retournée contre moi car si je n’avais pas accepté et « encaissé » qu’il me pousse aussi loin physiquement et psychologiquement, peut-être aurait-il choisi quelqu’un d’autre.

Un jour, après deux ou trois mois, il m’a plaquée contre le mur face à sa salle de bains et il m’a embrassée sur la bouche. Un tel choc m’a sidérée. Je lui ai dit qu’il ne fallait pas, que ce n’était pas bien, que je ne voulais pas, mais il m’a expliqué que les relations entre entraîneurs et entraînées étaient fréquentes, qu’elles étaient normales tant ils passent du temps ensemble. Ma seule expérience amoureuse, l’été précédent, avait consisté à prendre la main du grand frère d’Adrian Mannarino, Morgan, après trois semaines passées ensemble !

J’étais tétanisée. Dix minutes après, dans l’ascenseur, il m’a embrassée à nouveau et je ne m’y suis pas opposée physiquement. J’ai su, alors, qu’il serait difficile de m’en sortir. Je n’ai jamais rien dit à mes parents quoiqu’à ce moment-là, cela aurait encore été possible. Mon père répétait que si quelqu’un nous faisait du mal, il n’attendrait pas que la justice soit rendue et qu’il lui mettrait une balle entre les deux yeux, quitte à prendre vingt ans de taule. J’en ai été marquée. Je savais où il rangeait son arme de service, avec laquelle il aurait pu passer à l’acte. Je ne pouvais pas risquer que mon père aille en prison, que ma mère, déjà fragile, soit internée en hôpital psychiatrique et que ma petite sœur et moi soyons placées dans un foyer. Je devais donc m’en sortir seule. Deux ans ont été nécessaires.

Avant mes 13 ans, il m’avait violée digitalement et avec son sexe. Comme je l’ai dit lors du procès, si curieux que cela paraisse, je préférais les fellations, qui ne me faisaient pas mal. Si c’était possible, je faisais une fellation. Si c’était dans un lieu où il risquait de se faire prendre, je faisais en sorte de perdre du temps pour qu’elles n’aient pas lieu. Si c’était chez lui ou dans un lieu clos, je les faisais le plus rapidement possible, pour en finir vite.

Je ne me rendais pas compte des répercussions que tout cela pouvait avoir sur ma vie, sur ma construction. Je voulais d’abord survivre. Dans mon carnet d’autographes des joueurs du PSG, j’écrivais que je n’en pouvais plus, que cela devait cesser, que j’allais faire en sorte que tout s’arrête. J’ai si souvent pensé à me suicider… Chaque fois, j’arrachais les feuilles pour que ma mère, qui fouillait notre chambre toutes les deux secondes, ne puisse pas les lire. Je les déchirais et j’en jetais les morceaux dans les poubelles qui étaient sur le chemin du collège, dont me séparaient 867 pas. J’ai en effet développé un toc de comptage. Pour me rassurer, je compte tout, tout le temps. Je compte le nombre de coups de raclettes que je passe dans la douche – neuf –, les dix-sept expirations sur 100 mètres de footing… Je me suis ainsi raccrochée à ce que je pouvais maîtriser, ne maîtrisant rien d’autre.

Au mois de juillet, je suis partie à La Baule, d’où il est originaire. Lors du procès, j’ai appris qu’il y emmenait systématiquement ses victimes afin qu’elles soient loin de chez elles et de pouvoir passer à des « stades supérieurs ». Ce furent les quinze pires jours de ma vie. Il m’a violée trois fois par jour. Le premier soir, il m’a demandé de venir dans sa chambre, ce que je n’ai pas fait. Il est donc venu dans la mienne et ce fut pire. J’étais prisonnière, contrainte de rester dans ces lieux où je me sentais tellement sale. Les soirs suivants, si fou que cela paraisse, je suis allée de moi-même dans sa chambre pour me faire violer, en franchissant les treize pas qui m’en séparaient. C’était l’année où le Concorde s’est écrasé. Je me disais que, moi aussi, j’étais en train de m’écraser.

J’ai eu mes règles le 5 août suivant, en vacances en Espagne. Pour ne pas me laisser respirer, il est venu avec sa petite copine de son âge. Ma mère, innocemment, lui a dit que j’avais eu mes règles. Quelques jours plus tard, dans l’eau, il m’a dit que c’était bien, qu’il pourrait faire plus de choses mais qu’il devrait faire gaffe désormais. Je me suis demandé ce qu’il voulait faire de plus. Il a fait tellement pire avec les autres. En un sens, j’ai eu de la chance : il ne m’a pas sodomisée, il ne m’a pas mis de cuillère en bois dans le vagin, il ne m’a pas laissée nue dans la forêt pendant plusieurs heures.

Psychologiquement, j’ai été détruite, qui plus est lorsqu’il m’a dit qu’il m’avait transmis le sida. Entre 13 et 18 ans, j’ai donc cru être malade. Après l’obtention de mon permis de conduire, je suis allée seule chez le médecin pour la première fois. Fatiguée par le sport et les études, je lui ai demandé s’il pouvait me prescrire des analyses et s’il pouvait rajouter la sérologie du HIV. J’étais persuadée d’être positive. Je me souviendrai toujours du moment où j’ai appris que j’étais négative, devant cette pancarte « Parking réservé à la clientèle », dans la SEAT Ibiza que mes grands-parents m’avaient offerte. Il a fait croire à chacune de ses victimes qu’il l’avait alors que ce n’était pas le cas.

Il disait qu’il allait tuer mes parents pour être tranquille avec moi. Il me demandait ce que je ferais s’il me restait une seule semaine à vivre. Lui disait qu’il achèterait une arme pour tirer au hasard. Que de violences… Sur l’A86, dans un bouchon, il est sorti de la voiture avec une batte de baseball et il a dit à un chauffeur de poids lourd qu’il allait lui casser la gueule pour avoir regardé mes jambes alors que tel n’avait pas été le cas. Il conduisait avec les genoux, il allait acheter sa drogue à la cité Pablo-Picasso pendant que je restais dans la voiture, l’œil sur les rétroviseurs, terrifiée à l’idée d’être kidnappée.

La deuxième année, j’ai essayé de me rendre le moins souvent possible chez lui. J’ai demandé à mon père de m’inscrire dans des tournois proches de chez nous et à m’entraîner plus souvent à la ligue. À la longue, je suis parvenue à sortir un peu de son emprise. Je m’habillais comme lui, il m’achetait les mêmes vêtements ou me donnait les siens, trois fois trop grands pour moi ; j’étais son « mini-lui », je mettais ma casquette à l’envers, comme lui, je mangeais ma pizza, comme lui, en laissant le bord alors que j’adorais la croûte. J’étais devenue une marionnette et son esclave sexuelle. Il faisait ce qu’il voulait de moi. J’avais la peur au ventre, me disant que je pouvais mourir dans l’heure. Je ne vais mieux que depuis le mois de janvier, où j’ai décidé d’aller voir un psychiatre.

Le jour de mes 14 ans, ma mère m’a offert un téléphone, un 3310 bleu ciel Nokia avec le jeu du serpent. Je me suis promis de ne jamais répondre à son numéro de téléphone, le 06 09 40 11 88. Je m’en souviendrai jusqu’à la tombe. Parfois, il m’arrive de donner ce numéro à la place du mien. Pendant quinze jours, il a essayé de m’appeler et quand il a constaté que je ne répondais plus, il est passé à autre chose en choisissant sous mes yeux une autre victime, Astrid, que je connaissais.

Le plus dur, pour moi, c’est de me dire que je n’ai pas sauvé ses autres victimes. À 12 ans, j’ai choisi de sauver ma famille mais, si j’avais parlé, il n’y en aurait pas eu d’autres. Elles me répètent qu’à 12 ans, je ne pouvais pas faire autrement. Aujourd’hui, j’essaie de faire le bien autour de moi, d’aider mes élèves à s’élever sans manipulation ni emprise. J’espère mourir en ayant cette satisfaction, qui me soulagera un peu.

Tous les jours, en me levant, je remercie la petite fille que j’étais d’avoir choisi la vie, de m’avoir permis de pouvoir rencontrer ma femme et d’avoir un fils. Je suis un peu morte à 12 ans mais c’est aussi grâce à la grande force qu’avait cette petite fille que je suis encore là.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous remercie pour ce témoignage si bouleversant, qui ne peut que nous motiver à poursuivre nos travaux et à faire en sorte que cela ne se reproduise plus jamais. La petite fille que vous étiez avait droit à une autre enfance…

Mme Angélique Cauchy. Il m’a fallu beaucoup de temps pour parler. Peut-être ne l’aurais-je jamais fait si Astrid ne m’avait pas appelée, à quatre jours de la prescription des viols dont elle-même avait été victime. Avec une autre d’entre elles, elle pensait que j’en faisais partie et m’a demandé si tel était effectivement le cas. J’avais 27 ans. Atteinte d’un vaginisme sévère, je ne supporte pas la pénétration, je ne peux pas subir un frottis. À mes petites amies, je disais que je m’étais fait agresser dans ma jeunesse. Je n’arrivais pas même à parler de viol.

Je ne savais pas si j’étais prête, si je pouvais le dire à mes parents. J’ai réfléchi pendant trois mois et j’ai finalement pensé qu’en étant au côté des autres victimes, elles auraient plus de chances d’être entendues. Elles avaient alors entre 15 et 18 ans. Je craignais qu’elles soient considérées comme consentantes. Le milieu du tennis savait qu’il n’était pas correct avec les jeunes filles. On savait qu’il « sortait » avec telle ou telle mais, à 38 ans, on ne « sort » pas avec une jeune de 15 ans, encore moins lorsqu’on l’entraîne et que l’on a autorité sur elle. Le milieu du sport a laissé se déployer des choses qui seraient jugées impossibles dans d’autres milieux. Jamais on ne constaterait banalement que telle jeune fille « sort » avec son professeur de mathématiques. Or, la situation est identique et même pire puisque la personne dépositaire de l’autorité est perçue comme extérieure à un cadre institutionnel dans lequel, par exemple, l’enseignant est vouvoyé et où l’on n’est pratiquement jamais seul avec lui. Lorsque l’on est seul avec l’entraîneur, que l’on partage notre vie quotidienne, nos doutes et nos histoires, les frontières peuvent rapidement se brouiller pour un jeune mais ce n’est pas à lui de les tracer.

Lorsque j’ai parlé, mes parents ont beaucoup souffert. Ma mère est tombée en dépression et a été internée en hôpital psychiatrique. Ils n’ont pas pu être là pour moi mais j’ai essayé d’être présente pour eux pendant deux ans. J’ai dû toutefois arrêter de les voir et de leur parler pendant plus de deux ans, c’était trop dur.

D’une certaine façon, on m’a volé des pans entiers de mon existence, dont la carrière que j’aurais pu avoir. En effet, j’ai par la suite fait des choix qui ont été déterminés par ma volonté de ne jamais être seule avec un adulte ayant une autorité sur moi. À 14 ans, j’ai ainsi refusé d’intégrer le centre national d’entraînement de Roland-Garros. J’ai obtenu mon bac à 16 ans, mention très bien. On m’a proposé d’aller dans les meilleures universités américaines mais j’ai refusé, craignant l’éloignement. Je suis donc allée à l’université Paris-V, porte de Versailles. J’ai obtenu trois masters et, en même temps, j’ai passé mes BE 1 et 2. Lui me disait que je ferai Sciences Po mais je n’ai pas voulu faire ce qu’il voulait pour moi, à la différence des trois autres victimes, qui elles ont intégré l’Institut d’études politiques de Paris. D’une certaine façon, ce fut un deuil pour moi car aujourd’hui, sur un plan intellectuel, je ne m’épanouis pas professionnellement. Heureusement que les enfants sont là mais je souffre d’un manque d’activité intellectuelle.

Du jour au lendemain, lorsque j’ai déposé plainte, mes règles ont disparu. J’ai perdu 25 kilos, j’en ai repris 30. J’en ai reperdu 20 et en ai repris 35…J’ai eu des crises de boulimie terribles mais je ne me faisais jamais vomir car c’est une pour moi une phobie. Dans une phase différente, où je voulais tout contrôler, je retirai une pâte crue de la balance pour atteindre l’objectif de 60 grammes que je m’étais fixé. Je courais deux heures par jour, je faisais 150 kilomètres par semaine, peut-être pour fuir mon passé ou me précipiter vers mon avenir.

La première fois que j’ai été confrontée avec lui, chez le juge d’instruction, j’ai développé un zona. Pendant les procès, je saignais du nez dix fois par jour. L’instruction paraît certes trop longue mais ce temps est nécessaire. J’ai déposé plainte en 2014. Si le procès avait eu lieu six mois plus tard, j’aurais été incapable d’être aussi claire. Il faut ce temps, le temps de la justice, pour que la famille, les amis, la société « digèrent » tous ces événements. J’ai dû assumer le changement de mon image, de la joueuse avec son entraîneur de tennis à la fille qui s’est fait violer, même si je ne m’y réduis pas. Je fréquentais encore le milieu du tennis, à la différence des trois autres victimes, ce qui explique peut-être que je n’ai pas été la première à parler. En 2014, l’omerta régnait encore sur ces questions-là. On savait que de nombreux entraîneurs avaient eu des relations sexuelles non consenties avec des mineures mais on fermait les yeux, considérant que ce n’était pas à nous de régler le problème.

Pendant ma semaine de stage en entreprise, en classe de troisième, il m’a demandé une fellation dans le local de balles, au sous-sol du club, où nous étions enfermés. Le barman est descendu à ce moment-là et, n’ayant pas réussi à ouvrir la porte, il a demandé s’il y avait quelqu’un. Andrew Geddes m’a mis la main sur la bouche. Le barman est remonté, suivi, quinze minutes plus tard, par mon entraîneur et par moi, les yeux rougis, cinq minutes après. Le barman ne m’a posé aucune question, alors que nous étions seulement trois au club. Il est inconcevable qu’un adulte ne prenne pas la responsabilité d’alerter le président du club, la ligue et même le procureur de la République ! On préférait alors fermer les yeux, mais les enfants ne peuvent pas se sauver seuls. Je me disais que les gens fermaient les yeux parce que, peut-être, de telles situations étaient considérées comme normales. Mais qui pose la norme et les valeurs, sinon les adultes ?

D’autres choses auraient dû être prises en compte et signalées. Un entraîneur n’insulte pas ses élèves. Or, il le faisait chaque jour. Il disait à un gamin de 10 ans : « T’es qu’un pédé, une tapette, tu vas pas t’en sortir… » ; « J’ai une bite tellement longue qu’on pourrait m’en faire une écharpe… ». Tel était notre quotidien. Imaginez qu’il en soit de même dans d’autres milieux ! La tolérance est bien plus grande pour le milieu sportif alors qu’il ne devrait pas en être ainsi. On ne saurait admettre nulle part l’insulte et l’humiliation d’un enfant ! Un vaste travail d’éducation doit être entrepris partout, à destination des jeunes et des adultes. De surcroît, de telles pratiques sont contre-productives et n’ont jamais rendu quiconque plus performant.

Une autre fois, il a rasé un élève de 14 ans dans le club-house sans que personne ne dise quoi que ce soit. Il m’a aussi fait boire de l’alcool. Je pense avoir été détruite par ce genre de comportement plus encore que par les violences sexuelles. Il a brouillé mes valeurs en me faisant tricher, ce qui me rendait folle. Si je refusais, il m’abandonnait sur le terrain, au fin fond des Yvelines. Je l’attendais sur un parking, la nuit, où il revenait trente minutes plus tard. La fois suivante, si la balle était sur la ligne et qu’il me regardait méchamment, je disais qu’elle était dehors. J’ai mis des années à me racheter auprès des autres joueuses. Cela a aussi contribué à ma solitude. Certaines d’entre elles ne voulaient d’ailleurs plus me parler faute d’un bon comportement sur le court, où je m’énervais beaucoup. De tels signes et symptômes, nombreux, n’ont jamais alerté la fédération, les entraîneurs ou les présidents. Je surinvestissais l’école, j’étais totalement esseulée, je pleurais sans arrêt sur le court !

Aujourd’hui, je ne joue plus au tennis. Lorsque je parviendrai à revenir une heure sur un court en m’amusant, sans penser à cette période, j’aurai beaucoup progressé. Je joue en revanche au paddle-tennis. Le petit terrain en moquette, sous vitre, me rappelle un peu le tennis mais comme je n’y ai pas de mauvais souvenirs, le passé ne ressurgit pas. Selon l’expert psychiatre, je souffre de séquelles à hauteur de 35 %, c’est-à-dire que 35 % de ma vie est dictée par ce qui m’est arrivé, ce qui correspond à huit heures par jour.

J’ai souffert d’insomnie, je continue à faire beaucoup de cauchemars, je suis hyper-vigilante, ne dormant que d’un œil. J’entends mon fils lorsqu’il se retourne dans son lit, dans la chambre d’à-côté. J’ai toujours besoin de savoir où se trouve une éventuelle issue par où je pourrais m’échapper. J’ai des troubles de l’alimentations mais ça va mieux.

J’ai également des problèmes dans ma vie sexuelle. Je ne supporte pas la pénétration et ne prends pas d’initiative, craignant de contraindre mes partenaires, alors qu’elles sont consentantes. Je n’ai jamais eu de relations sexuelles avec un homme. J’ignore si c’est en raison des viols que j’ai subis ou si j’aurais été homosexuelle – selon le psychiatre, cela n’aurait pas été le cas puisque j’ai eu des petits copains. Sans doute aurais-je été bisexuelle car c’est une personne, avant tout, que je peux aimer. Jusqu’à il y a peu, j’avais peur des hommes. Je ne crains pas de parler devant vous mais si je suis seule dans un ascenseur avec un homme, je ne suis pas très à l’aise.

Je ne supporte pas l’abandon. Là encore, jusqu’à il y a peu, je ne pouvais pas rester seule ou avec mon fils, chez moi. Depuis que je vois un psychiatre, la situation s’améliore.

Dans mes rêves, il me pourchasse et je ne parviens pas à m’enfuir, comme si j’étais dans un escalator qui reculerait. Il finit par me rattraper mais je lui fais face et je le tue, ou je me demande où se trouve ma sœur, qui a disparu. Je craignais pour elle, car il l’entraînait également. Inconsciemment, si je suis restée dans la position de la victime si longtemps c’est aussi parce que je ne voulais pas qu’elle en soit une à son tour. J’aurais aimé qu’elle me comprenne mais cela a été trop dur et elle a préféré s’éloigner. La semaine dernière, elle m’a dit qu’elle avait perdu sa sœur à 10 ans. C’est très dur car nous avions une belle relation complice. À 12 ans, je n’ai plus parlé à personne, je suis resté cloîtrée dans ma chambre. Je devais écrire à cet homme un texto chaque soir et chaque matin ! J’étais dans une situation de possession mentale sans un centimètre de liberté. Ma sœur a beaucoup souffert de cette situation, croyant que je l’avais abandonnée. J’ai quitté le domicile familial à 16 ans notamment pour fuir le lieu où tout cela s’était passé ; j’ai essayé d’avancer mais, en voulant la protéger, je l’ai en quelque sorte abandonnée, ce qu’elle a très mal vécu.

Une fois, alors que ma sœur et moi étions chez lui, il m’a dit : « Tu viens ? On va chercher un McDo. » Moi, je ne voulais pas y aller car je savais ce qui allait se passer. Alors il a dit, en regardant ma petite sœur : « Steph, tu viens avec moi ? ». J’ai eu tellement peur en voyant son regard que je me suis écriée : « Non, j’y vais. » Ce jour-là, il m’a demandé une fellation. D’une certaine façon, je me suis sacrifiée pour ma sœur.

Elle me dit que sa dette envers moi est trop énorme et qu’elle n’arrive à passer au-delà. Nous ne parvenons pas à conserver des relations, alors qu’elle est prof d’EPS et fait du tennis comme moi. Nous pourrions être tellement proches… Tout cela nous a complètement séparées.

Je suis partie vivre dans le Sud-Ouest car je ne supportais plus l’Île-de-France : il y avait trop de gens que j’avais connus à ce moment-là, trop de lieux que j’avais fréquentés et, avant que je dépose plainte, je continuais à le croiser régulièrement, même si, à chaque fois, il baissait les yeux – il a toujours eu peur de moi après cela, ce qui n’était pas le cas avec les autres. C’était encore le cas en cour d’assises, pendant le procès : il avait vraiment peur de moi, mais pas des autres. Je pense que c’était lié à l’âge que j’avais au moment où cela s’est passé. Son avocat lui-même a dit : « Ce n’est pas défendable : elle avait 12 ans, elle ne demandait pas ça. Elle était comme un petit garçon. » Je portais la casquette à l’envers ; je n’étais pas du tout féminine.

Je ne lui en veux plus aujourd’hui. C’est déjà un énorme pas. J’espère seulement que toutes les années qu’il passera en prison lui permettront de prendre conscience de ce qu’il a fait. Je sais que dix-huit années de prison, c’est une peine très sévère, et que nous avons eu de la chance d’obtenir cette condamnation, car il est vraiment rare que des personnes mineures au moment des faits soient reconnues comme victimes, mais je continue à avoir peur, car juste avant le verdict, il a dit : « De toute façon, je sais que je vais retourner en prison, et pour longtemps. Quand je sortirai, je partirai en Australie et j’entraînerai là-bas ». Autrement dit, entre 2014 et 2020, il n’avait toujours pas pris de recul…

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Après ce témoignage d’une telle sincérité, je laisse la parole à Mme la rapporteure.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je m’associe entièrement à Mme la présidente pour saluer le courage dont vous avez fait preuve durant ce témoignage – et j’imagine ce que vous avez dû vivre aussi au moment du procès. Merci beaucoup.

L’objectif de cette commission d’enquête est de déterminer les dysfonctionnements ou les défaillances au sein des fédérations, notamment en matière de violences sexistes et sexuelles (VSS), mais il peut s’agir d’autres faits de violence, comme ceux que vous avez mentionnés : des paroles, des violences physiques ou des discriminations. Dans tous les témoignages de victimes que nous avons entendus depuis le début de nos travaux, nous avons retrouvé un schéma assez similaire : le jeune est isolé, il ne voit que son entraîneur, avec lequel il entretient une relation très poussée. Par ailleurs, une responsabilité pèse très tôt sur les jeunes sportifs, vis-à-vis de leur famille, de leur entraîneur et de leur club : ils doivent accomplir des performances. Même si l’omerta a été un peu levée, on a le sentiment que la situation perdure au sein des clubs et des fédérations. D’ailleurs, plusieurs personnes appartenant à l’écosystème – sportifs, dirigeants ou entraîneurs – nous ont dit qu’elles avaient peur de témoigner ou même de parler car elles risquaient d’être mises à l’écart et sanctionnées, par exemple en se voyant interdire de participer à des compétitions.

La Fédération française de tennis (FFT) s’est constituée partie civile dans le cadre du procès contre votre ancien entraîneur. Le premier dysfonctionnement concerne votre ancien club, où régnait l’omerta, comme vous l’avez dit à demi-mot : de nombreuses personnes semblaient avoir des soupçons, ou en tout cas savoir que l’entraîneur avait un comportement inapproprié, mais les bonnes performances du club pourraient avoir poussé certains à fermer les yeux. Est-ce que vous nous le confirmez ?

Mme Angélique Cauchy. Oui. Au cours du procès, l’enquêtrice a révélé qu’une seule femme était allée voir le président du club pour lui dire que cet entraîneur avait un comportement inapproprié avec les jeunes : violences verbales et physiques, attitude ambiguë envers certaines joueuses. Le président lui avait répondu : « Oui, mais il nous ramène des titres. » Cela me rappelle ce qu’a dit Mme Oudéa-Castéra lors du colloque sur « L’enfant face aux violences dans le sport » : aucune médaille ne vaut un tel sacrifice.

S’il peut arriver que de très bons entraîneurs soient des pédocriminels, en l’occurrence, ce n’était pas un bon entraîneur. Il s’occupait des meilleurs joueurs, donc il était logique qu’il remporte des titres. En revanche, il y consacrait énormément de temps, ce qui est très important pour un jeune sportif, compte tenu de l’engagement que cela suppose pour les familles, y compris sur le plan financier. Un entraîneur qui est disponible le soir et les week-ends, qui ne compte pas ses heures, qui assure des entraînements « gratuitement », forcément, cela aide à obtenir des résultats, mais non, ce n’était pas un bon entraîneur. Les gens disaient que c’était sa méthode, qu’il était dur mais poussait les jeunes à faire du mieux possible. Or on peut aider les jeunes à tirer le meilleur d’eux-mêmes sans pour autant les forcer à faire des choses qu’ils ne sont pas prêts à accepter.

Il est vrai qu’il est parfois difficile de tracer la frontière. C’est pour cela que les éducateurs et entraîneurs doivent être formés. Désormais, leur cursus comprend des unités d’enseignement consacrées à ces questions. Il me semble que c’est la base : avant d’être un entraîneur de tennis, on est un éducateur, ce qui suppose de savoir quelles valeurs on doit respecter et de connaître la psychologie de l’enfant et les méthodes pédagogiques adaptées. Cela me paraît beaucoup plus important que de savoir comment on fait un coup droit. Quand on laisse son enfant dans un club de tennis, ou tout autre club sportif, la première des choses que l’on attend, c’est que son intégrité physique et morale soit garantie, comme à l’école. Si ce n’est pas le cas, je préfère que mon enfant reste nul au tennis mais qu’il ne lui arrive jamais rien…

Depuis notre affaire, la Fédération française de tennis fait beaucoup dans ce domaine. Elle est partenaire de notre association. Nous faisons de la sensibilisation auprès des présidents de ligue et des comités départementaux, des équipes techniques régionales et des entraîneurs. Dans les tournois nationaux pour les jeunes, je sensibilise à ce qui est interdit, à ce qu’est une relation saine.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je me permets de vous interrompre pour préciser que vous avez créé, en collaboration avec d’autres victimes de votre bourreau, l’association Rebond, qui œuvre à prévenir tout type de violences auprès de mineurs. Où est-elle domiciliée ? Comment est-elle organisée sur le terrain ? J’imagine que vous avez des bénévoles, mais peut-être employez-vous aussi des salariés ? Il serait intéressant que vous nous la présentiez.

Mme Angélique Cauchy. Nous n’avons pas assez de subventions pour avoir des salariés, justement !

Notre objectif est le même que celui de l’association Colosse aux pieds d’argile, sauf que nous n’en sommes qu’au début. Il y a un volet de prévention et de sensibilisation auprès des dirigeants, des entraîneurs, des parents et des enfants, dans toutes les strates de la Fédération, du CNE – le Centre national d’entraînement – jusqu’aux tout petits clubs dans les campagnes. Nous apportons également de l’aide aux victimes. Plusieurs personnes membres de notre association ont été médiatisées l’an dernier. Nous les accompagnons dans le long chemin que représente la procédure – car, quand on s’y engage, on n’a pas du tout idée de ce que cela va représenter, sur différents plans. Par exemple, je ne pensais pas que notre affaire serait médiatisée ; au début, je n’y étais pas du tout prête. Je venais également d’acheter un appartement et je ne m’attendais pas à devoir payer 600 euros de frais d’avocat chaque mois. Heureusement, la Fédération française de tennis nous a accordé des subventions, ce qui nous a aidées à régler les honoraires. Au total, j’en ai eu pour 60 000 euros, alors que je gagnais 1 800 euros par mois en tant que prof.

Toutes les fédérations ne se portent pas partie civile. Notre affaire était d’ailleurs la première pour laquelle la Fédération française de tennis le faisait. Je parle très régulièrement avec la déléguée juridique de la fédération, dans le cadre des actions judiciaires dans lesquelles j’interviens. Je lui ai dit qu’il ne fallait pas faire machine arrière : la fédération doit désormais se porter systématiquement partie civile. Il est vrai que cela coûte cher, car cela suppose de prendre un avocat. La FFT a donc décidé de faire appel à un assureur : moyennant une légère augmentation du prix de la licence – de l’ordre de 2 euros, je crois –, les frais d’avocat des victimes sont pris en charge à hauteur de 20 000 euros. Toutefois, il faut que la personne ait été licenciée au moment des faits, qu’elle le soit toujours lors du dépôt de plainte et que celui-ci intervienne dans les cinq ans. C’est mieux que rien, même si, en général, les victimes parlent beaucoup plus longtemps après. Quoi qu’il en soit, l’assurance constitue une avancée formidable. J’espère que la fédération pourra porter à dix ans après les faits le délai de prise en charge. Selima Sfar, qui a désormais 46 ans, a parlé seulement la semaine dernière de ce qui lui était arrivé.

Cela m’amène à la question de la prescription. Certes, le délai a été allongé, et il était vraiment essentiel de le faire, à mon sens, mais dans certains pays il n’y a pas de prescription pour les crimes de violences sexuelles sur mineurs. C’est le cas au Luxembourg, au Danemark, aux Pays-Bas et en Suisse. Les répercussions de telles violences se font sentir pendant toute une vie. Certains en sont victimes à l’âge de 10 ans puis oublient pendant trente ou quarante ans, du fait d’une amnésie traumatique. D’autres s’enferment dans le déni, persistant à se dire que ce n’était pas du viol. D’autres encore savent que c’en était mais préfèrent ne pas en parler parce qu’il y a trop d’enjeux. La prise de parole suppose donc forcément un délai qui, à mon avis, est bien plus long que celui qui est prévu pour la prescription.

En France, seul le crime contre l’humanité ne connaît pas la prescription. Prévoir la même chose pour les violences sexuelles sur mineurs, ce serait envoyer un beau message aux victimes et reviendrait à faire peser au-dessus de la tête des coupables une épée de Damoclès qui ne disparaîtra jamais.

Dans notre affaire, certains faits étaient prescrits. Si Astrid ne s’était pas manifestée quatre jours avant l’expiration du délai, cela aurait été le cas pour elle aussi. Peut-être, alors, qu’aucune d’entre nous n’aurait parlé et que tout cela ne se serait jamais su.

En ce qui concerne l’après, j’ai conscience qu’à partir du moment où une personne a purgé sa peine, il est logique qu’elle retrouve sa liberté. C’est tout l’enjeu de la justice. Toutefois, dans certains pays, comme l’Australie, il est possible d’inscrire sur le passeport d’une personne qu’il s’agit d’un criminel prédateur d’enfants. Un autre pays peut alors refuser de la recevoir. Il est même possible d’interdire à ces personnes de quitter le territoire, pour protéger les enfants du monde entier. Je sais que de telles règles posent question. Moi-même, je me demande s’il faut en arriver là, mais cela ne serait-il pas une protection supplémentaire pour les enfants, alors que, par ailleurs, 37 % des prédateurs sexuels de mineurs commettent de nouveau une infraction après avoir purgé leur peine ? Ce chiffre, révélé par une commission de l’Assemblée nationale, ne concerne que les cas dans lesquels les nouvelles victimes ont parlé ; combien ne l’ont pas fait ? Dans notre affaire, nous étions quatre parties civiles, mais il y avait sans doute plus de vingt victimes : quatre ou cinq personnes ont témoigné tout en refusant de porter plainte, alors qu’elles avaient subi des viols ; pour d’autres, il y avait prescription ; certaines avaient réussi à échapper à l’agresseur ; enfin, plusieurs victimes potentielles n’ont pas été retrouvées par les enquêteurs. Nous avons obtenu justice pour toutes ces personnes aussi.

Pour en revenir à l’association, nous avons pour principal partenaire la Fédération française de tennis. J’aimerais obtenir l’agrément de l’éducation nationale pour pouvoir mener des sensibilisations dans les collèges et les lycées, comme le fait Colosse aux pieds d’argile. Certes, nous le faisons déjà, mais cela n’a rien d’automatique et il n’est pas possible de demander que notre association intervienne dans le cadre d’un parcours de formation.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez dit que les agissements de l’entraîneur avaient été rapportés au président du club. Or celui-ci n’est pas intervenu ; il n’a fait aucun signalement à l’échelon supérieur. A-t-il été inquiété par la justice ?

Mme Angélique Cauchy. Il est décédé avant notre dépôt de plainte. On ne saura donc jamais ce qui se serait passé.

Plusieurs personnes ont été très mal à l’aise lorsqu’elles ont été appelées à la barre et qu’on leur a demandé pourquoi elles n’avaient rien dit alors qu’elles savaient des choses. L’une d’entre elles, notamment, une prof d’EPS, avait 27 ans au moment d’un déplacement pour un tournoi par équipes, à l’époque où Astrid et Mathilde se faisaient agresser. Il avait demandé à dormir dans la même chambre qu’Astrid, et Mathilde devait dormir avec un autre accompagnant, un adulte de 45 ans. Outre cet homme et cette femme de 27 ans, il y avait d’autres adultes dans l’équipe, mais personne n’a rien dit.

Personne d’autre que lui n’a été inquiété par la justice dans notre affaire. Il y avait pourtant eu beaucoup de manquements. Comment peut-on permettre à des jeunes de 14 ou 15 ans de dormir avec l’entraîneur au motif que celui-ci l’a demandé ? En tant qu’enseignante, si je me trouvais dans une telle situation, ce ne serait pas possible. Je trouve cela fou qu’à l’époque personne n’ait réagi… C’est dû à l’emprise qu’il avait, pas seulement sur nous, mais sur le club tout entier : les gens avaient peur de lui car c’était quelqu’un de violent. Il avait assis son autorité sur tout le monde. Il était omnipotent dans le club, il décidait de tout et on lui passait tout. C’était un terrain favorable pour les violences que nous avons subies.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Plus de 60 % des signalements à travers la cellule Signal-sports, créée par le ministère, concernent des éducateurs sportifs bénévoles ou professionnels. Ce matin, Mme Meriem Salmi, psychologue du sport, que nous auditionnions, a souligné, comme vous, la nécessité de ne pas laisser des mineurs seuls avec leur entraîneur, car ils sont particulièrement vulnérables du fait de leur âge et de la relation particulière qu’ils entretiennent avec lui. Une véritable prise de conscience a-t-elle émergé au sein de la Fédération française de tennis ? À votre connaissance, les éducateurs et entraîneurs sont-ils davantage contrôlés ? Selon vous, le dispositif de contrôle de l’honorabilité des éducateurs sportifs fonctionne-il ?

Mme Angélique Cauchy. À mon époque, par exemple, la carte professionnelle n’était jamais affichée dans les clubs. On ne demandait même pas vraiment leurs diplômes aux entraîneurs. Quand l’un d’entre eux changeait de club, notamment, on ne les lui redemandait pas. Ainsi, le mien avait menti : il avait dit qu’il avait le brevet d’État d’éducateur sportif deuxième degré (BE2), alors qu’il avait juste celui de premier degré. Certes, le BE1 lui permettait d’entraîner, mais le BE2 donne accès à certains postes qui n’auraient pas dû lui être ouverts, comme celui de directeur sportif dans un gros club.

Désormais, la Fédération française de tennis fait beaucoup plus de contrôles. Moi-même, j’ai reçu un mail m’informant que je devais mettre à jour ma carte professionnelle… La FFT demande que cette carte soit affichée et contrôlée. Il existe également des partages d’informations entre le ministère de la justice et celui des sports, ce qui n’était pas le cas à mon époque. C’est une très bonne chose. Contrairement à ce qui se passait avant, la FFT demande aussi que, lors des déplacements – qui sont très fréquents au tennis, car on joue beaucoup de tournois –, un entraîneur ne dorme pas avec son joueur ou sa joueuse. Je ne sais pas si, dans les faits, la consigne est toujours respectée, car cela représente un coût : il faut prendre deux chambres au lieu d’une.

Pour ma part, je trouve qu’il n’y a pas encore assez de femmes entraîneurs. J’en parle souvent avec la fédération. Cela ne veut pas dire que des femmes ne peuvent pas être des prédateurs sexuels – c’est déjà arrivé –, mais, selon la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), 98 % sont des hommes. Je préférerais que l’on mette en place des pôles d’entraînement composés de deux entraîneurs et quatre joueurs : au-delà des « dérapages » potentiels, c’est une bonne chose d’avoir deux entraîneurs. Personne ne sait tout. Même un très bon entraîneur ne peut pas tout apporter. En EPS, j’aime bien travailler avec ma collègue : étant très différente de moi, elle apporte d’autres choses à mes élèves. Au-delà des valeurs communes, proposer aux jeunes deux cadres, deux façons de penser, cela les enrichit.

Organiser des entraînements par petits groupes favoriserait aussi l’émulation entre jeunes du même âge. Quand on a 12 ans et qu’on cesse tout d’un coup de fréquenter d’autres enfants de son âge, c’est problématique pour la construction de la personnalité. Avant d’être un joueur de tennis ou de foot, on reste un jeune, et il est plus important de se construire avec les autres que de le faire uniquement autour de son sport. D’une part, on n’est jamais sûr de devenir sportif de haut niveau. D’autre part, même quand on le devient, il y a un après. Or on connaît le nombre important de dépressions chez les sportifs de haut niveau quand tout s’arrête brutalement : ils ont l’impression de perdre leur vie parce que le sport était leur unique repère.

Les jeunes sportifs doivent garder le plus longtemps possible des repères classiques. S’ils peuvent rester à l’école et dans leur famille, c’est mieux. Tout le monde n’est pas d’accord avec moi, même au sein de la Fédération française de tennis, mais, pour ma part, je préfère que les enfants s’entraînent près de chez eux le plus longtemps possible, plutôt qu’ils partent à 12 ans au pôle France de Poitiers. Il vaut mieux qu’ils soient entraînés dans leur région jusqu’à 16 ans.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Qu’en est-il du contrôle de l’honorabilité des éducateurs ?

Mme Angélique Cauchy. La FFT est en train de mettre en place un référent dans chaque comité départemental : c’est une sorte de personne-ressource que l’on peut aller voir en cas de suspicion. Ils n’ont pas tous été formés. Il faudrait aussi que, dans chaque club, une personne soit sensibilisée et formée à la prise en charge des violences, connue de tous – adhérents, parents, jeunes et éducateurs – comme étant chargée de faire remonter les problèmes à Signal-sports et d’être en liaison avec différentes associations.

En matière de contrôle d’honorabilité, je ne sais pas exactement où en est la FFT, si ce n’est que, maintenant, le contrôle des cartes professionnelles est plus systématique. J’avais demandé à Fabienne Bourdais si l’on avait un moyen de savoir si un entraîneur étranger avait été condamné dans son pays. Elle m’avait répondu que c’était très difficile. En France, il n’est déjà pas si simple d’établir un lien entre les différents fichiers, de manière à savoir si une personne condamnée pour violences continue à enseigner. Certains pays ne donnent pas d’informations. D’autres sont très en retard et ne rassemblent pas ce genre de données. En plus, dans le monde du sport, on bouge beaucoup, y compris les entraîneurs : il y a beaucoup de Canadiens, de Belges, de Suisses et de Luxembourgeois. Si une personne quitte son pays pour recommencer ailleurs sans qu’on en ait de trace, cela pose problème.

M. Jérôme Guedj (SOC). Je ne reviendrai pas sur votre témoignage et son intensité, même si, de fait, il appelle aussi beaucoup de questions. Ainsi, et au-delà du cas du milieu sportif, le moment où une personne qui a été victime d’abus sexuels quand elle était mineure décide de prendre la parole est toujours décisif.

Avec Rebond, vous faites de la sensibilisation, de la prévention et de l’information. Quels messages arrivez-vous à faire passer ? Pour prendre un exemple précis, la règle selon laquelle un adulte ne peut pas être seul avec un jeune est-elle clairement défendue et transmise par la FFT ? La même question se pose s’agissant de l’aide à la libération de la parole : dans les écoles de tennis et dans les clubs, est-ce que l’on dit aux enfants que de telles choses peuvent arriver avec leurs entraîneurs ou avec les bénévoles, qu’il est normal de les signaler et même qu’ils doivent le faire ?

Au-delà des formations que vous assurez, quels sont les supports permettant de systématiser la démarche, de faire comprendre, dans le milieu du sport, qu’il faut parler quand il se passe quelque chose, à l’image de ce qui existe dans d’autres milieux où des adultes sont au contact des enfants ? Existe-t-il un livret ? Un document est-il fourni avec la licence ? Y a-t-il une newsletter ? Ces messages sont-ils assumés, ou bien préfère-t-on ne pas parler de cela par refus de montrer que certaines choses ne vont pas ?

Mme Angélique Cauchy. La Fédération française de tennis a développé une plateforme de formation en ligne, qui s’appelle Lift – L’Institut de formation du tennis. On y trouve un module consacré aux violences sexuelles, où il est expliqué, par exemple, qu’il ne faut pas se trouver seul avec un jeune dans une voiture. Mais il n’y a pas encore assez de connaissances sur le sujet, à tous les niveaux. Il suffit d’aller dans n’importe quel club de France pour s’apercevoir qu’il n’est pas évident pour tout le monde que le fait de se trouver seul avec un jeune pose problème. Les terrains de tennis couverts se trouvent souvent sous des bulles : si les parents ne viennent pas sur le terrain, personne ne voit ce qui s’y passe. C’est un milieu où l’on est facilement isolé. Certes, cela demande un budget énorme, mais il faut aussi, à long terme, rendre les infrastructures plus visibles, même si les violences ne se produisent pas seulement sur les lieux d’entraînement – il y a beaucoup d’autres possibilités.

J’ai l’impression que les gens continuent à percevoir le milieu sportif comme un monde différent, où l’on pourrait se permettre plus de choses au motif que l’on attend une performance. Or la musique aussi suppose une performance. La notion de dépassement physique conduit à accepter les violences physiques et certains comportements que l’on observe plus souvent dans le sport qu’ailleurs.

Il y a encore beaucoup de travail à faire, dans les fédérations, pour que tout le monde, des bénévoles aux parents, prenne conscience, par exemple, du fait qu’il n’est pas plus acceptable dans le milieu sportif qu’à l’école de parler mal à un enfant. Souvent, dans les formations, je propose aux parents un parallèle. Si on dit à leur enfant : « Tu es nul, tu n’avances pas, tu cours à deux à l’heure », beaucoup d’entre eux cautionnent ces propos, d’une certaine façon. En revanche, si on lui dit, en cours de maths : « Tu réfléchis à deux à l’heure, tu ne sais pas additionner, tu es vraiment un naze », les parents s’offusquent. Or, pour l’enfant, c’est exactement la même chose. Il faut que les mentalités changent. Cela passe par de nombreux exemples. Les témoignages sont également importants : ils permettent aux gens de prendre conscience du fait que de telles choses peuvent arriver à tout le monde. Nous, par exemple, nous n’étions pas complètement abandonnées par nos familles. Souvent, on entend dire : « Cela ne pourrait pas m’arriver à moi ». Or personne n’est à l’abri, quels que soient le milieu socioprofessionnel, l’âge ou le sexe.

Quand je fais cours, je prends une nouvelle classe toutes les deux heures. Chaque fois, je me dis que j’ai devant moi au moins trois élèves ayant vécu des violences sexuelles. Les enseignants le savent très peu, car à ce moment de leur vie les enfants n’en ont pas encore parlé, mais les chiffres sont là : comme l’a rappelé Amélie Oudéa-Castéra, un enfant sur sept subit des violences sexuelles dans le milieu sportif avant sa majorité. Cela n’arrive pas une fois sur 10 000, ce qui serait déjà trop : dans chaque groupe de tennis, il y a un enfant qui, avant ses 18 ans, aura subi des violences sexuelles.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Je vous remercie à mon tour pour votre témoignage. Même pour nous, vous entendre a été éprouvant.

Des passerelles existent-elles entre l’éducation nationale et les clubs sportifs ? Les enseignants d’EPS, notamment, pourraient dispenser aux enfants une forme d’instruction destinée à les protéger, par exemple en leur disant qu’ils ne doivent pas accepter qu’on les insulte. Certes, nous le faisons le plus souvent avec nos propres enfants ou petits-enfants, mais certaines familles ne sont pas forcément au fait de ces choses. Vous avez raison : on ne doit pas dire à un enfant qu’il est nul, car il finira par se le dire à lui-même. Il est toujours possible d’être positif à l’égard d’un enfant : on peut lui dire qu’il est moins bon qu’un autre, ou encore qu’il a d’autres qualités.

Avant de recruter un enseignant, on est obligé de consulter le fichier des auteurs d’infractions sexuelles. Toutefois, l’ensemble du personnel travaillant dans les lycées n’est pas soumis à cette règle ; je le sais car je suis conseillère régionale. Une personne ayant commis un viol peut donc travailler au contact d’enfants, ce qui est un vrai problème. En tant que législateur, nous devrons sans doute nous pencher un jour sur cette question. Quoi qu’il en soit, est-il possible pour la fédération, quand on recrute un entraîneur, de mener une enquête pour savoir s’il a déjà commis des agressions ?

Mme Angélique Cauchy. Votre remarque me rappelle un épisode durant l’instruction. Pour sortir de détention préventive, mon ancien entraîneur devait justifier d’un travail qui ne soit pas au contact de jeunes en milieu éducatif. Or il avait trouvé un emploi dans une auto-école… Avant que je fasse observer que cela posait problème, car il verrait nécessairement des mineurs, cela n’avait paru choquer personne. Cela montre la tendance que nous avons encore à cloisonner les domaines. En dehors du sport, de très nombreux milieux permettent de croiser des jeunes : c’est le cas dans les écoles, y compris les unités localisées pour l’inclusion scolaire (Ulis), ou encore à l’hôpital. Vous avez raison : il faudrait légiférer.

Créer des passerelles, c’est justement ce que je souhaiterais proposer à M. Attal et à Mme Oudéa-Castéra – c’est la rentrée, ils sont justement ensemble, à Orthez, pour parler d’EPS… Je voudrais, notamment, que l’on forme tous les enseignants d’EPS à la prévention des violences à l’occasion des réunions de l’Union nationale du sport scolaire (UNSS), qui ont lieu au début de chaque année scolaire. Ils pourraient ensuite, au sein de leur établissement, former les élèves, en commençant par ceux qui sont affiliés à l’UNSS – qui est d’ailleurs la plus grosse fédération sportive du pays –, puis étendre la démarche à tous les enseignants et à l’ensemble du personnel. Vous avez raison : une personne travaillant à la cantine ou un agent d’entretien évoluent avec des jeunes tous les jours. C’est pour cette raison que je ne m’arrête pas à la communauté éducative. D’ailleurs, non seulement ces personnes sont en contact avec des jeunes, mais elles sont aussi des parents, des grands-parents ou des oncles, et c’est une parole qui doit être diffusée dans toute la société. Comme vous l’avez dit, nous, nous en parlons à nos enfants et petits-enfants, mais ce n’est pas toujours le cas. Il y a de nombreux milieux où l’on ne parle pas du tout de ces choses-là. Il est question des fédérations sportives, mais la famille est le principal lieu où sont commises les violences sexuelles. L’école sert aussi à sensibiliser. Il faudrait donc, effectivement, établir plus de passerelles.

Cela suppose d’avoir des formateurs. Si j’ai l’occasion de voir prochainement les deux ministres, je me proposerai : je suis professeure d’EPS dans un collège, mais si l’on me demandait d’effectuer une autre mission au sein de l’éducation nationale en rapport avec cette question, j’accepterais avec entrain.

Je souhaiterais qu’il y ait un référent dans chaque établissement : cette personne, formée, serait chargée de relayer les cas, un peu comme on l’a fait avec le programme de lutte contre le harcèlement à l’école (Phare). Il s’agirait de traiter des violences sexuelles au sens large, et même des violences tout court, car les élèves peuvent aussi subir des violences physiques ou verbales.

C’est ce qui s’est produit dans mon collège. L’an dernier, j’étais professeure principale d’une classe de 4e. Un groupe d’élèves, dans lequel il y avait plein de garçons, est venu me voir. Ils voulaient me dire qu’ils arrêtaient la section foot. Cela m’a étonnée, car ils venaient à chacune de mes séances de foot, le midi, dans le cadre de l’UNSS, et je les voyais tout le temps jouer sur les terrains municipaux quand il n’y avait pas école – car j’habite dans la ville où j’enseigne –, et ils faisaient des tournois. Je leur ai donc demandé pourquoi. « Parce que l’entraîneur nous parle mal » – c’était l’entraîneur du club de la ville qui assurait les cours de la section sportive, pas le prof d’EPS. Il leur lançait sans arrêt des phrases dans ce genre : « Vous êtes des petites tafioles. Vous allez vous prendre une branlée ce week-end » – c’est-à-dire des remarques homophobes et sexistes et des insultes. Mon chef d’établissement, quand je lui en ai parlé, m’a dit : « Ah ? Tu es sûre ? Cela m’étonne, parce que, quand même, c’est quelqu’un de bien. » Peut-être du fait de mon passé, j’ai considéré que s’il disait ce genre de choses, ce n’était pas quelqu’un de bien. Et puis, pourquoi des enfants viendraient-ils me raconter cela ? C’est tellement difficile de parler quand on est jeune, si en plus, les rares fois où ils arrivent à prendre la parole, on leur dit que ce n’est pas possible, que l’entraîneur est quelqu’un de bien, on ne peut pas s’en sortir. J’ai demandé que l’on organise une réunion avec ce fameux entraîneur. Celui-ci a d’ailleurs quitté son club. Cela dit, il exerce dans la ville d’à côté, donc cela ne change strictement rien, si ce n’est que mes anciens élèves de 4e vivent dans leur section sportive plus sereinement…

On se dit que les enseignants réfléchissent un peu, ne serait-ce que parce qu’ils ont fait un master. Or, quand j’ai évoqué le problème en salle des profs, une enseignante de français a commenté : « Oh, mais c’est comme ça, c’est le sport. » Je lui ai répondu : « Oui, c’est sûr, toi, je t’entends hyper souvent, dans ta salle, dire : “Tu as fait cinq fautes de français, tu es vraiment une brêle !” » Comme elle me regardait un peu interloquée, je lui ai fait observer que c’était exactement la même chose. Les gens ne transposent pas du tout dans d’autres domaines ce qui se passe dans le milieu sportif.

C’est là où l’EPS a un rôle très important à jouer. Certes, nous avons toujours une position un peu bancale dans l’éducation nationale – en salle des profs, nous ne sommes pas pris pour de vrais enseignants… En tout cas, nous devons arriver à faire le lien entre l’école et le milieu sportif. Bien sûr, l’EPS appartient vraiment au champ de l’école, mais nous intervenons dans un domaine où, selon l’image qu’en ont les gens, on peut avoir des comportements qui ne seraient pas tolérés dans d’autres disciplines. Nous avons aussi la chance d’être la seule matière où les élèves ne sont pas assis et dans un univers clos. C’est d’ailleurs ce qui explique que mes collègues, en réalité, ne connaissent pas les élèves. On le voit clairement en conseil de classe : ils ne savent pas qui se fait harceler, qui vit mal l’échec, qui a des problèmes à la maison. Ils les ont en face d’eux, assis, par groupes de trente. Il faut dire qu’il est déjà compliqué de faire cours à trente personnes en même temps, sachant qu’il y a des dyslexiques, des autistes, des élèves intellectuellement précoces, etc. L’école inclusive, c’est génial, mais il faudrait vraiment que nous ayons les moyens… Mais c’est un autre sujet. Quoi qu’il en soit, en tant que profs d’EPS, nous voyons les élèves bouger, nous observons leurs interactions et ils viennent plus facilement nous parler. Nous avons souvent une relation un peu différente avec eux. Il faut donc vraiment faire en sorte qu’un prof d’EPS soit le référent dans l’établissement pour les questions de violences, qu’il montre aux élèves que la norme n’est pas de se faire insulter et qu’il assure une formation.

Je dis toujours à mes élèves : « Personne ne doit jamais essayer de briser vos rêves, de vous dire que ce n’est pas possible, que vous êtes mauvais, que vous ne pouvez pas y arriver. » Pour moi, la bienveillance devrait être la première qualité d’un enseignant. Ce n’est pas toujours le cas. Avant d’apprendre une matière, l’élève doit se construire en tant que futur citoyen. Or comment pourrait-il le faire s’il ne sait pas se comporter avec son voisin ? De la même manière qu’on lui parle mal, il parle mal à ses camarades. Le fait est que les élèves ne se parlent pas souvent très bien entre eux – mais la question est de savoir pourquoi : il faut trouver l’origine du problème.

Comme je le disais, il faudrait que des enseignants d’EPS soient formés pendant les créneaux de l’UNSS, en début d’année. Ensuite, ils en feraient profiter l’ensemble de la communauté éducative et du personnel de l’établissement. Le nombre d’élèves est énorme. Comme nous sommes à un an des Jeux olympiques, j’avais pensé commencer par les établissements labellisés « Génération 2024 ». Leurs élèves sont en section sportive, ils bénéficient d’horaires aménagés et ont donc plus de sport dans leur emploi du temps que la moyenne : il me paraît absolument indispensable qu’ils aient accès à cette formation.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous remercie du fond du cœur.

Si vous avez des compléments d’information à nous fournir ou si vous souhaitez nous solliciter à nouveau, à l’écrit ou à l’oral, n’hésitez pas ; ce sera un grand plaisir. Nous sommes quelques-uns à faire partie également de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Nous ne manquerons donc pas de revenir vers vous pour que vous nous fassiez des propositions concrètes.

Longue vie à Rebond ! Bien sûr, je préférais que l’on n’ait plus jamais besoin d’une association comme la vôtre, mais le message positif qu’elle adresse aux collectivités et au sein des clubs et fédérations est nécessaire. Nous traitions du sport, mais, comme vous l’avez dit, l’éducation sur ce point est nécessaire dans tous les domaines d’activité.

J’espère également que votre témoignage si sincère sur votre parcours personnel permettra d’éviter d’autres situations critiques, de manière à ce que nos enfants puissent pratiquer le sport dans de bonnes conditions.

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8.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Claire Palou, et de Mme Emma Oudiou, championnes d’athlétisme (5 septembre 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Mesdames Oudiou et Palou, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie vivement de vous être rendues disponibles pour cette audition. Comme vous le savez, l’Assemblée nationale a créé une commission d’enquête à la suite de très nombreuses révélations publiques, dont les vôtres, et de divers scandales judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations sportives. Nous avons entamé les travaux de notre commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet dernier.

Nos travaux se déclinent autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public. Vous êtes toutes les deux concernées au premier titre, puisque vous êtes championnes d’athlétisme et que vous avez dénoncé des faits de violences sexuelles commis à votre encontre.

Pouvez-vous nous faire part de votre témoignage concernant les sévices que vous avez subis ? Pouvez-vous nous indiquer si vous avez été soutenues, au sein de votre fédération ou dans votre entourage, pour dénoncer ces faits ? Avez-vous été, au contraire, confrontées à un phénomène d’omerta et avez-vous subi des représailles ? Pouvez-vous également nous dire quelles suites ont été données à vos dénonciations et présenter votre situation actuelle ainsi que vos démarches en cours pour sensibiliser les sportives contre les violences sexuelles dans l’athlétisme ?

Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et entamer nos échanges, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mmes Emma Oudiou et Claire Palou prêtent successivement serment.)

Mme Claire Palou, championne d’athlétisme. Dès l’âge de 14 ans, j’ai été victime de plusieurs agressions sexuelles dans le cadre de ma pratique sportive. J’ai commencé l’athlétisme vers 12 ou 13 ans et je me suis rapidement orientée vers un lycée me permettant d’allier le sport et les études. Je n’ai été destinataire d’aucune action de prévention sur les violences sexuelles ni d’aucune sensibilisation à la notion de consentement. Je n’avais jamais pris conscience des problèmes que j’avais rencontrés jusqu’à l’année dernière, moment où je suis tombée en dépression : j’ai été hospitalisée deux mois et je sors tout juste de cette maladie qui a duré un peu plus d’un an et m’a contrainte à interrompre le sport de haut niveau et les études, que j’essaie de reprendre en ce moment.

Au lycée, un athlète qui s’entraînait avec moi m’a violée lors de festivités qui ne se déroulaient pas pendant le temps scolaire, comme toutes les agressions que j’ai subies. La Fédération française d’athlétisme (FFA) m’a dit qu’elle ne pouvait rien faire puisque les agressions n’avaient pas eu lieu dans le cadre fédéral. Les trois athlètes que j’ai dénoncés à la FFA – deux pour agressions sexuelles et un pour harcèlement sexuel – sont des sportifs de haut niveau, régulièrement sélectionnés en équipe de France et très médiatisés car performants.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pouvez-vous dérouler la chronologie des faits ?

Mme Claire Palou. En 2016, j’ai subi un viol à l’âge de 14 ans au lycée : l’auteur des faits était un athlète amateur, qui s’entraînait avec moi. Trois ans plus tard, à 17 ans, j’ai été agressée juste après l’obtention de mon baccalauréat et avant mon entrée à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), où j’ai subi un harcèlement, qui a donné lieu à l’ouverture d’une enquête disciplinaire à la FFA. La fédération a refermé l’enquête sans qu’aucune sanction ait été prise, par manque de preuve ; en effet, la personne qui avait accepté de témoigner en ma faveur s’est rétractée au dernier moment. La fédération n’a pas pu utiliser son témoignage anonyme. Il n’y a donc eu aucune suite à mes trois dénonciations. On verra ce qu’il adviendra au plan judiciaire puisque j’ai porté plainte. Je n’ai reçu aucun soutien particulier de ma fédération, dans laquelle j’ai senti le poids très lourd de l’omerta. Le dernier athlète que j’ai dénoncé est très médiatisé et très protégé par son niveau.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. J’imagine que vous citez les noms de ces athlètes dans vos témoignages.

Mme Claire Palou. Je ne les ai pas cités publiquement, je ne les ai donnés qu’à la gendarmerie. J’ai peur d’être éventuellement attaquée en diffamation.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous pourrez, pendant toute la durée des travaux de la commission d’enquête, compléter, à l’oral ou par écrit, vos propos.

Mme Claire Palou. Je pourrai notamment vous transmettre mes dépôts de plainte.

Mme Emma Oudiou, championne d’athlétisme. Je remercie Claire pour son témoignage, qui me touche particulièrement parce que nous nous sommes entraînées plusieurs mois ensemble à l’Insep. Je n’avais aucune idée de ce qu’elle avait vécu et je suis bouleversée par son témoignage.

En 2014, j’ai subi des agressions sexuelles de la part d’un entraîneur fédéral de l’équipe de France lors des championnats du monde juniors – pour les athlètes de moins de 20 ans – qui se sont tenus aux États-Unis. Je n’en ai fait part qu’en 2018 car on parlait encore très peu des violences sexistes et sexuelles (VSS) en 2014. Je savais que c’était grave, que cet entraîneur ne s’était pas comporté de manière normale et appropriée avec une athlète de 19 ans, mais je ne m’étais pas rendu compte que ses agissements constituaient des violences sexuelles. Ce n’est qu’après le lancement du mouvement #MeToo que j’ai pris conscience de ce qui s’était produit. J’en ai parlé à la FFA et j’ai déposé une plainte, qui a été classée sans suite en 2020. En 2014, j’avais évoqué les faits auprès de mon entraîneur de pôle, qui n’avait pas du tout été sensibilisé aux violences sexuelles et qui a très peu réagi. J’ai continué de côtoyer l’auteur des faits entre 2014 et 2018 lors des grands championnats et des stages, même si j’essayais de l’éviter le plus possible.

En 2018, à la suite de mon dépôt de plainte, la FFA et la direction des sports du ministère ont réuni des commissions disciplinaires : la fédération a sanctionné l’entraîneur d’une suspension de six mois avec sursis, qui a finalement été levée après l’appel formé par cet homme, qui n’entraîne plus en équipe de France après que certains responsables ont décidé de l’écarter ; en revanche, il me semble qu’il entraîne toujours en club et en pôle.

Lors de mon passage à l’Insep entre 2018 et 2020, j’ai subi un harcèlement sexuel de la part d’un sportif. J’en ai pris conscience après en avoir parlé avec d’autres sportives qui souffraient des mêmes agissements de la part de cette personne. La police m’a demandé si je voulais déposer plainte, mais je m’y suis refusée car j’en connaissais le coût et la durée. À cette époque, je ne savais plus si je voulais continuer le haut niveau ; finalement, j’ai décidé, contrairement à Claire, de mettre un terme à ma carrière de sportive de haut niveau parce que les violences étaient trop présentes. Il ne faut en effet pas circonscrire ces dernières aux violences sexuelles car il existe d’autres types de violences, qui facilitent la survenue des agressions sexuelles en donnant à leurs auteurs le sentiment d’être tout-puissants, qui nourrissent le sentiment d’exclusion des victimes et qui les poussent vers la sortie. Il me tient à cœur d’évoquer aussi ces autres formes de violence au cours de la présente audition.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Claire, si je peux me permettre de vous appeler par votre prénom, vous avez parlé de viol, n’est-ce pas ?

Mme Claire Palou. Oui.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Emma, vous avez évoqué des violences sexuelles : pouvez-vous nous en dire davantage ?

Mme Emma Oudiou. J’ai subi des agressions sexuelles et du harcèlement sexuel ; je n’ai pas été victime de viol dans le cadre de ma pratique sportive.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Estimez-vous qu’il est actuellement compliqué de témoigner, d’expliquer, et de briser l’omerta ? Vous êtes toutes les deux très jeunes : confirmez-vous l’impression selon laquelle la situation s’améliore d’année en année ? Je me pose la question car vos propos ne semblent pas corroborer ce sentiment. Comme vous êtes encore présentes dans ce monde-là, j’imagine que vous recueillez des témoignages d’autres sportives ayant subi des viols ou du harcèlement, mais vous semblez dire qu’il n’est toujours pas possible de parler, n’est-ce pas ?

Mme Claire Palou. Il est possible de parler puisque nous l’avons fait, mais je ne m’étais pas rendu compte des conséquences que cela aurait. Il me tenait à cœur d’expliquer ce qu’il m’était arrivé car j’avais disparu du monde sportif du jour au lendemain – on pensait que j’étais blessée ; cela m’a fait du bien de dire la vérité, mais je comprends pourquoi beaucoup de victimes, hommes ou femmes, ne veulent pas porter plainte ou en parler publiquement : l’omerta est trop forte, et je m’interroge sur mes capacités à continuer d’évoluer dans le monde du sport de haut niveau. J’entends, en effet, beaucoup de commentaires négatifs à propos de nos témoignages : nous ne sommes pas prises au sérieux et nous nous trouvons accusées de chercher la lumière, alors que nous parlons avant tout pour aider les autres et faire avancer la prévention.

J’ai d’ailleurs reçu beaucoup de témoignages de filles ayant vécu des événements comparables, alors que je pensais être seule au monde. Les messages sont tellement nombreux qu’ils me paraissent maintenant presque banals. Plus nous serons nombreuses à nous exprimer publiquement et plus les choses pourront changer : j’incite toujours mes interlocutrices à parler, mais je comprends que cela soit très difficile ; énormément de plaintes sont classées sans suite car il est presque impossible d’apporter des preuves et la fédération n’agit pas. Les victimes sont très démunies et deviennent la cible des sportifs de haut niveau qui les accablent.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pensez-vous que c’est lié à l’athlétisme ? Avez-vous des amies dans d’autres sports qui sont concernées ?

Mme Claire Palou. D’autres sports sont touchés et je reçois des messages de sportives pratiquant d’autres disciplines, même si je suis surtout contactée par des athlètes.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Je suis députée d’Ille-et-Vilaine, en Bretagne, et je suis l’auteure d’un rapport sur les crédits de la mission budgétaire Sport, jeunesse et vie associative, dans le cadre duquel je me suis rendue à l’Insep. Son directeur, Fabien Canu, a-t-il été informé officiellement, vous a-t-il rencontrées et quelle est sa position ?

Connaissez-vous Catherine Moyon de Baecque, coprésidente de la Commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations au sein du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) ?

Avez-vous songé à vous liguer en rassemblant tous vos témoignages ? Si vous parliez toutes ensemble dans les médias, les choses pourraient bouger, et nous serions à vos côtés pour vous aider.

Mme Emma Oudiou. J’aimerais pouvoir vous dire qu’une telle action groupée entraînerait des avancées, mais je n’en suis pas du tout certaine. En effet, dans le monde très peu politisé du sport, on n’apprend pas à avoir des revendications ; les athlètes de haut niveau doivent écouter, obéir et se concentrer sur l’objectif ultime que sont les Jeux olympiques. Claire sera sûrement d’accord avec moi pour dire qu’on nous demande depuis de longues années de nous focaliser sur Paris 2024 : tout ce qui pourrait nous freiner doit disparaître. Dans ce contexte, il est très difficile de créer un collectif pour lutter ensemble contre les violences. Une jeune femme était prête à témoigner en faveur de Claire, mais elle s’est rétractée pour de nombreuses raisons, au premier rang desquelles figure la pression qui s’exerce sur les athlètes de haut niveau.

Fabien Canu, que j’ai rencontré, semble vouloir agir, mais l’athlète auquel j’ai fait allusion a été plus ou moins réintégré à l’Insep après en avoir été écarté. Deux affaires concernent Wilfried Happio, mais il s’entraîne toujours à l’Insep alors que la sportive qui a porté plainte contre lui – plainte qui a évidemment été classée sans suite –a dû partir. Que va devenir sa carrière ? L’histoire se répète inlassablement.

Comme Claire l’a dit, il est possible de parler : de plus en plus de sportives le font car elles n’en peuvent plus et elles ont entendu Catherine Moyon de Baecque et Sarah Abitbol, qui ont eu le courage de s’exprimer publiquement. Elles se disent qu’elles ont aussi le droit de le faire. J’ai réalisé en 2022 un documentaire dans lequel témoignent cinq femmes, toutes victimes d’emprise dans des milieux sportifs marqués par une grande omerta. Toutes les plaintes sont cependant classées sans suite et les victimes doivent quitter leur lieu d’entraînement. La situation est décourageante car les interventions publiques de ces femmes ne sont suivies d’aucune décision. Nous avons parlé dans des commissions disciplinaires, dans des procédures judiciaires, dans nos familles, dans des médias, dans des podcasts et sur les réseaux sociaux, mais il ne se passe jamais rien, donc à quoi bon parler ? Voilà la question que nous sommes conduites à nous poser.

Il est important pour Claire et pour moi d’intervenir devant vous, car nous souhaitons que toutes les sportives qui nous contactent sur Instagram pour nous faire part de leur désespoir soient entendues. Elles n’osent pas parler à leur fédération, à l’Insep ou à leur pôle. La situation en France, en 2023, à un an des Jeux olympiques, n’est plus acceptable.

Mme Claire Palou. Je voulais publier mon intervention dans de grands médias et donner des noms, mais j’ai rapidement été confrontée à la réticence des journalistes, qui préféraient tous que quelqu’un d’autre sorte l’histoire avant eux. Ils souhaitaient également attendre que les procédures judiciaires avancent alors qu’elles sont très lentes. Par ailleurs, des associations comme Colosse aux pieds d’argile m’ont conseillé de ne pas citer les noms des personnes incriminées. Je n’ai pas changé d’intention, mais c’est un travail très compliqué et qui prend du temps.

Nous préparons actuellement un article avec le journal L’Équipe, qui tente de rassembler de nombreux témoignages : quel impact aura cette enquête ? Nous l’ignorons. La fédération a affirmé, dans Athlétisme magazine, qu’elle soutenait les victimes de violences sexistes et sexuelles, mais elle n’agit pas. Nous continuons le combat, mais il est difficile.

Mme Emma Oudiou. La Fédération française d’athlétisme m’a demandé de faire, avec Catherine Moyon de Baecque, la couverture de ce mensuel pour promouvoir la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. C’est symboliquement très bien, mais où sont les actes ensuite ? Le président de la fédération prend position dans un éditorial, mais nous ignorons si des actions ont été engagées.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Le ministère des sports a mis en place une cellule, qui se nomme Signal-sports : la connaissez-vous ?

Mme Claire Palou. Non.

Mme Emma Oudiou. Je la connais, mais je ne l’ai pas sollicitée.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. L’encadrement de l’Insep affirme que des psychologues peuvent vous écouter et vous accompagner.

Mme Claire Palou. J’avais rencontré Fabien Canu pour lui raconter ce que j’avais vécu, mais je n’ai jamais eu de nouvelles de l’Insep – j’imagine que la FFA a pris le relais.

Mme Claudia Rouaux (SOC). On s’interroge sur la responsabilité de l’Insep, structure dans laquelle des athlètes dorment et vivent : il ne faut pas tout rejeter sur les fédérations sportives.

Mme Claire Palou. Mon histoire avec les psychologues est très compliquée. Il y en a très peu à l’Insep. De nombreux athlètes n’ont pas envie d’aller les voir car ils les estiment insuffisamment compétentes et leur reprochent de ne pas respecter la confidentialité des entretiens et d’aller évoquer leur contenu auprès des entraîneurs. J’ai choisi une psychologue de renom, qui consulte à l’extérieur de l’Insep et qui suit beaucoup de sportifs de haut niveau. Malheureusement, cela ne s’est pas très bien passé avec elle.

Lorsque j’ai commencé à ne pas aller bien du tout, j’ai été très mal prise en charge par ma psychologue et par le médecin du sport de l’Insep vers lequel m’avait dirigée l’Insep. Personne ne m’avait dit qu’il y a un psychiatre à l’Insep. Très peu le savent. Ce médecin m’a prescrit des antidépresseurs comme on donne du Doliprane, sans explication : il ne m’a pas prévenue des idées suicidaires qui peuvent augmenter au début du traitement ; en outre, il m’a demandé de prendre des anxiolytiques toutes les quatre heures, sans m’informer du risque d’addiction. Dès que j’ai commencé à prendre ces médicaments, je me suis retrouvée aux urgences psychiatriques pour tentative de suicide ; mes difficultés n’ont cessé que lorsqu’un médecin m’a enlevé les anxiolytiques, mais j’ai été à nouveau hospitalisée dans la foulée. La psychologue voulait continuer les séances à l’hôpital, mais mes parents ont insisté pour que je cesse de la voir. Je n’étais plus moi-même à cette période et j’ai mis du temps à retrouver de la stabilité. J’ai été très mal prise en charge.

On ne cessait de me dire que le plus important était le sport et la performance et qu’il fallait que je me remette vite d’aplomb pour les prochaines compétitions, alors que j’étais à bout. Je voulais parler à ma psychologue des choses anormales que j’avais vécues avec des hommes, mais elle refusait d’évoquer ce sujet – elle me disait que ce n’était pas l’objet de la séance et qu’on en parlerait plus tard. Cela m’a confortée dans le déni, en me faisant penser que ce que j’avais vécu n’était pas très important. Ensuite, tout a pris trop d’ampleur.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Je vous remercie pour vos témoignages. Vous avez été victimes d’agression sexuelle et de viol, mais vous n’avez trouvé personne pour vous écouter à l’Insep ou à la fédération. Si vous étiez à la tête de ces deux instances, que mettriez-vous en place pour agir au-delà des déclarations d’intention et aider véritablement les victimes de violences sexistes et sexuelles ?

Mme Emma Oudiou. Il y a beaucoup à faire. Tout d’abord, il faut que les personnes-ressources soient clairement identifiées. Il y a une très bonne infirmière à l’Insep, Isabelle, qui a été formée pour recueillir la parole de potentielles victimes, mais très peu d’athlètes connaissent son existence.

Un travail de fond doit être conduit à l’Insep sur la culture très sexiste qui y règne. Beaucoup d’athlètes masculins commentent les tenues un peu courtes, font des remarques sur la vie sexuelle ou l’absence de vie sexuelle des filles et comparent le nombre de sportives qu’ils ont draguées ou avec lesquelles ils ont couché. Cet environnement est propice à l’épanouissement des VSS.

Il convient aussi de mettre à l’écart, de façon claire et nette, les sportifs, les entraîneurs et les encadrants mis en cause par des victimes. En effet, dans le milieu du sport, les carrières, qui s’arrêtent entre 30 et 35 ans, sont courtes ; elles sont rythmées par les championnats d’Europe et du monde, qui se tiennent tous les ans ou tous les deux ans, et par les Jeux olympiques, qui ont lieu tous les quatre ans. Pour pouvoir mener sa carrière et vivre de son sport, une athlète ne peut pas se permettre de continuer à fréquenter, à l’entraînement et dans sa vie quotidienne, son agresseur. L’Insep n’était pas seulement notre cadre professionnel, c’était toute notre vie : nous y mangions, nous y dormions et nos amis y étaient également. À la fin de ma carrière, en 2020, j’ai eu d’importants désaccords avec mon entraîneur, qui m’a demandé de quitter le groupe d’entraînement, donc de tout abandonner – mon toit, ma carrière et mes moyens de subsistance. L’Insep doit prendre conscience de ses responsabilités vis-à-vis des sportives et du fait que la culture qui y domine ne fait qu’alimenter les violences sexistes et sexuelles

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vous remercie toutes les deux pour votre présence aujourd’hui et pour vos témoignages.

J’aimerais approfondir le rôle de l’Insep et de la fédération dans le suivi des plaintes que vous avez déposées : l’un des objectifs de cette commission d’enquête est en effet d’étudier les défaillances du mouvement sportif, lesquelles conduisent à ce que le système actuel perdure. Lors des premières auditions que nous avons menées, nous avons souvent entendu dire que beaucoup de choses avaient changé et qu’il y aurait peut-être moins de victimes. Depuis que la parole s’est libérée, avez-vous le sentiment que les agressions diminuent au sein du mouvement sportif ? Considérez-vous que les signalements et les plaintes sont mieux pris en compte ? Je pensais que tous les sportifs connaissaient l’existence de la cellule Signal-sports : le fait que cela ne soit pas le cas constitue une piste de réflexion pour la suite de nos travaux.

La Fédération française d’athlétisme s’est-elle montrée défaillante dans l’accompagnement des victimes, notamment dans les procédures disciplinaires et judiciaires ?

Certes, la parole se libère, mais la crainte des athlètes d’être mises à l’écart et de ne plus avoir de carrière subsiste et incite certaines d’entre elles à se taire. Comment pourrait-on sécuriser le parcours des sportifs, ainsi que celui des personnes qui travaillent dans les fédérations, qui peuvent savoir ce qu’il s’y passe mais n’osent rien dire ?

Mme Emma Oudiou. Je ne pense pas qu’il y ait moins de victimes qu’il y a quelques années, en tout cas dans le milieu de l’athlétisme : elles sont encore très nombreuses, bien plus qu’on ne le pense.

On ne peut pas nier que la fédération ait mis en place certaines choses, mais cela reste très ponctuel et surtout très dépendant de la volonté de certains individus dans les fédérations, qui peuvent être, à titre personnel, particulièrement sensibles à la question. Je pense à un conseiller technique sportif, prénommé Guillaume – son nom de famille ne me revient pas –, qui fait un très bon travail. C’est à lui que je fais remonter les témoignages que je reçois, afin que des rapports soient établis au niveau de la fédération, que des commissions d’enquête se réunissent et que des décisions soient prises. Le problème est que, très souvent, il ne se passe pas grand-chose. Comme l’a très bien dit Claire, il est extrêmement difficile d’apporter des preuves en matière de violences sexistes et sexuelles.

Je rejoins complètement l’idée qu’une libération de la parole a lieu, mais elle reste timide. Il est très difficile de parler dans ces milieux, notamment parce que beaucoup de dirigeants au niveau fédéral sont des hommes. Ces derniers sont nombreux dans les commissions disciplinaires – ils doivent représenter 75 % de leurs membres. Cela influence, malgré tout, les décisions prises. Pour des athlètes féminines, il est beaucoup plus facile de dénoncer des violences auprès d’autres femmes qu’auprès d’hommes. Dans une grande majorité de cas, les victimes sont des femmes et les agresseurs des hommes. Tous ces éléments devraient être pris en compte.

On ne peut pas dire qu’il n’y a eu aucune évolution, mais il faudrait que celle-ci soit beaucoup plus générale, et peut-être politisée, pour qu’on aboutisse à des résultats effectifs.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous avez parlé tout à l’heure de violences sexuelles, tout en soulignant qu’il n’y avait pas qu’elles. Pouvez-vous préciser à quelles autres violences vous faisiez allusion ? Vous avez dit qu’elles étaient multiples.

Mme Claire Palou. Emma voulait sans doute parler des violences psychologiques.

Le statut de sportif de haut niveau est une source de pression, sur le plan de l’alimentation – les troubles sont fréquents dans ce domaine –, mais aussi du côté des sponsors et de la fédération. Quand on s’entraîne à l’Insep, la pression est permanente : quelqu’un de la fédération a toujours un œil sur vous. Dès que j’avais un petit signe de blessure ou de maladie physique, je savais que c’était toujours un peu catastrophique, parce qu’il faut tout le temps être au top niveau, à 100 % de ses capacités.

Par ailleurs, comme on a du mal à trouver des soutiens financiers, on ne sait plus trop où donner de la tête et, entre les études et les performances, on a énormément de préoccupations. Quand j’étais à l’Insep, j’ai complètement délaissé mes études. Puis, lorsque j’ai cessé d’avoir le sport dans ma vie, je me suis rendu compte que je n’avais plus rien. Malgré mon très bon niveau de l’époque, j’étais encore jeune et je ne pouvais pas en vivre.

La fédération fait beaucoup plus de choses, ce qui est très bien, mais on manque encore de moyens. Il est très compliqué, au total, et sans compter les problèmes de violence sexuelle, de s’en sortir en tant que sportive de haut niveau.

Mme Emma Oudiou. Dès qu’on est tout petit, on est habitué à accepter la douleur et une forme de maltraitance, de violence. La limite entre ce qu’on accepte de faire subir à son corps, parce qu’on a appris que c’est comme cela qu’on performera, et la maltraitance d’un entraîneur à qui on fait confiance depuis des années pour atteindre les plus hautes sphères du sport, mais qui se montre violent, est très difficile à définir.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Votre histoire, Claire, me rappelle celle de Catherine Moyon de Baecque. S’il y a eu une omerta sur les viols qu’elle a subis – elle a dû attendre dix ans pour qu’ils soient reconnus –, c’est parce que cela concernait l’élite des lanceurs de marteau en France. Est-ce la pression exercée par notre pays pour avoir des résultats en athlétisme – nous n’avons eu qu’une médaille à Budapest… – qui fait qu’on ferme les yeux ?

Nous avons obtenu la parité en politique. On doit pouvoir y arriver aussi dans les fédérations, mais cette remarque concerne plutôt les législateurs que nous sommes.

Mme Claire Palou. Le niveau actuel doit effectivement pousser la fédération à protéger ses athlètes. Plusieurs d’entre eux au sein de l’équipe de France ont des comportements qui sont interdits. Il doit y avoir une sorte d’envie de garder une bonne image, en ce qui concerne chaque athlète et l’équipe de France. Ils ne veulent pas que ces affaires fuitent dans la presse. On m’a dit très clairement à l’Insep que c’était mieux pour tout le monde si cela ne sortait pas dans la presse. Les choses sont donc difficiles à entendre.

Je me dis que si on avait mis plus de moyens pour aider les victimes, j’aurais peut-être pu continuer ma carrière normalement, comme d’autres femmes, et contribuer à faire rayonner l’équipe de France. C’est quand même dommage…

Les athlètes masculins sont peut-être plus performants que les femmes à l’heure actuelle, mais c’est plus profond que cela : tout un système devrait changer. Beaucoup de dirigeants de la fédération sont des hommes, et on ne sait même pas quelle est leur position à l’égard de ces questions.

Le problème est très complexe, mais je pense que la volonté de protéger à tout prix les athlètes qui performent a une part de responsabilité dans la situation.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Ma question s’adresse à vous deux : quelle est désormais votre vie quotidienne ?

Mme Emma Oudiou. Je crée du contenu sur les réseaux sociaux pour sensibiliser aux violences dans le milieu sportif et j’ai de plus en plus de demandes d’intervention, dans ce milieu mais aussi dans les milieux scolaires et universitaires. La question reste très taboue, mais elle intéresse de plus en plus, car on se rend compte de façon croissante que cela dessert tout le monde, les femmes qui sont violentées, le milieu sportif et la performance. Si on avait donné à Claire Palou, qui avait 19 ou 20 ans juste avant les Jeux olympiques, toutes les chances d’aller jusqu’au bout, elle aurait été extrêmement performante. Je pense qu’il en aurait été de même pour moi, mais on nous a coupées dans notre élan.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Agissez-vous dans le cadre d’une association ?

Mme Emma Oudiou. Je suis en train d’en créer une. J’interviens actuellement en tant qu’autoentrepreneure.

Ce qui est très encourageant, c’est que les demandes qui me sont adressées interviennent un an avant les Jeux olympiques : on parle des Jeux, du sport de haut niveau, des paillettes, de la gloire et des médailles, mais de plus en plus de personnes se rendent également compte de ce qu’est l’envers de ces médailles.

Mme Claire Palou. Je suis en train de me reconstruire, à la suite de ma dépression. J’ai pour projet de reprendre mes études, dès la semaine prochaine, et j’ai dû changer de ville : je ne suis plus à Paris, à l’Insep, mais à Montpellier. Je vais essayer de reprendre le sport de haut niveau, je l’espère comme avant, mais ma vision de ce monde-là a beaucoup changé, de même que mon rapport au sport. Je verrai comment cela se passe. Pour l’instant, j’essaie de reprendre une vie normale.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pouvez-vous revenir sur ce qui s’est passé lorsque vous avez fait des signalements, auprès de l’Insep ou d’autres interlocuteurs ? Quel type de processus a été mis en place ? Vous avez rapidement évoqué une enquête administrative, qui a donné lieu à une sanction, annulée à la suite d’un appel. Nous nous intéressons à ce qui dysfonctionne actuellement, à ce qui fait qu’un système d’impunité perdure dans le mouvement sportif et que des victimes continuent à ne pas pouvoir s’exprimer, ainsi qu’aux propositions que vous pourriez faire pour que, en cas de signalement, l’auteur des faits soit mis à l’écart, étant entendu que d’autres difficultés se posent, puisque cette personne peut ensuite aller dans d’autres clubs, pour entraîner d’autres sportifs et donc recommencer.

Mme Emma Oudiou. J’ai subi des violences en 2014 de la part de l’entraîneur national, et j’ai décidé d’en parler à mon entraîneur de pôle. Cette personne a choisi de téléphoner à l’entraîneur national pour essayer de savoir un peu ce qui se passait. Un règlement est plus ou moins intervenu entre eux, mais cela n’est pas remonté au niveau de la fédération. La volonté de gérer l’affaire en famille, entre soi, pour que cela ne s’ébruite pas trop, a constitué une sorte de premier plafond.

J’ai de nouveau été confrontée, lors d’un stage fédéral, au même entraîneur national. J’ai un peu explosé à ce moment-là et j’ai décidé d’en parler à un responsable de la fédération en qui j’avais confiance, à juste titre. C’est lui qui, ensuite, a décidé d’écarter l’entraîneur national des équipes de France jeunes. Cela s’est vraiment fait au feeling, d’une façon très interpersonnelle : j’ai senti que je pouvais avoir confiance en cet homme-là, qui a pris ses responsabilités, alors qu’il n’était pas identifié par la fédération comme une personne-ressource.

Par ailleurs, la fédération demande beaucoup d’éléments dans le cadre des enquêtes administratives. Je m’exprime en mon nom, mais plusieurs autres personnes m’en ont parlé. C’est très dur, car on demande aux victimes de se rendre disponibles dans des délais extrêmement courts et de raconter encore et encore ce qui leur est arrivé – et ce qui est bien souvent très traumatisant pour elles. Il faut être prêt à répéter son histoire et à faire face aux décisions qui sont prises. On reçoit alors un courrier ou un mail de la fédération, d’une manière très officielle et presque très froide. Je peux le comprendre, car tout le monde n’est pas forcément là pour faire quelque chose d’un peu plus bienveillant ou de l’accompagnement, mais je trouve qu’il est dommage qu’il n’y ait pas un petit mot du président et du directeur technique national (DTN) et qu’on ne nous propose pas un accompagnement juridique et psychologique, alors que les violences ont été vécues dans le cadre de notre pratique sportive et que les mêmes fédérations sont très contentes de nous trouver quand il faut les faire briller en rapportant des médailles. Il existe de vraies lacunes en matière d’accompagnement.

Ce que je vais dire est peut-être un peu cynique et je force le trait, mais quand on ne sert plus à grand-chose du point de vue de la fédération, j’ai le sentiment qu’on nous lâche un peu et que des personnes qui sont médaillables aux Jeux olympiques, mais qui se trouvent être des agresseurs, sont protégées parce qu’elles présentent toujours un intérêt pour le milieu sportif.

Mme Claire Palou. Quand j’ai décidé d’en parler à la fédération, j’ai été reçue à l’Insep, en présence du DTN. J’étais très contente de cette réunion : je me suis sentie soutenue. J’ai évoqué le fait que j’avais peur de parler, parce que je craignais les réactions de certaines personnes, mais on m’a dit qu’on me croyait et qu’on allait me soutenir.

J’ai ensuite fait une déclaration auprès de l’infirmière de l’Insep qu’Emma a évoquée, mais je n’ai pas eu de nouvelles pendant un certain temps. J’ai finalement reçu, le soir précédant la réunion, un mail me prévenant qu’une personne allait être auditionnée par une commission d’enquête. Mon avocat m’avait dit que cela pouvait être bien que je sois présente pour voir comment cela se passait et pour apporter encore mon témoignage – je ne l’avais fait que par écrit. La chargée d’enquête, que j’ai appelée, m’a dit que je pouvais me rendre sur place, à Paris, le lendemain à neuf heures trente, mais je me trouvais chez mes parents, en Savoie, et je devais me faire opérer ce jour-là. Je me suis donc sentie un peu écartée par la commission d’enquête. On m’a dit que je pouvais toujours participer en visioconférence, mais ce n’était pas possible pour moi.

J’ai aussi appris que cette personne avait été interrogée en visioconférence, depuis l’endroit où elle participait à une compétition, alors que la fédération m’avait dit que ce serait très sérieux et que, en gros, on lui remonterait les bretelles. J’ai su qu’il ne s’était passé qu’un petit truc et que l’intéressé n’avait finalement rien eu. Je ne sais pas ce qui s’est dit, mais, comme il est assez proche de la fédération, cela n’a pas servi à grand-chose à mon avis.

S’agissant des deux autres personnes, contre lesquelles j’ai déposé plainte – en ce qui concerne la première personne dont je viens de parler, j’ai déclaré des faits de harcèlement sexuel auprès de la gendarmerie –, on m’a dit qu’on ne pouvait rien faire, parce que cela s’était passé en dehors du cadre de la fédération et que ce n’était donc pas de son ressort.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous avez parlé tout à l’heure de viol. Êtes-vous allée voir un médecin pour qu’un constat soit fait ?

Mme Claire Palou. On m’a proposé de le faire quand je suis allée à la gendarmerie, mais cela n’aurait servi à rien : cela remontait à mes 14 ans.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous avez dit que vous aviez pris un avocat. Qui paie les frais de justice ?

Mme Claire Palou. Oui, j’ai pris un avocat dans le cadre des plaintes que j’ai déposées. Je n’ai pas eu besoin de le rémunérer pour le moment, car cela n’a pas beaucoup avancé sur le plan juridique, mais je pense que ce sera à mes parents et moi de régler les frais.

Mme Emma Oudiou. J’ai également fait appel à une avocate, pour les réunions des commissions fédérales, à ma charge et à celle de mes parents.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Dans le cadre de l’enquête de la fédération, n’avez-vous eu connaissance que du témoignage, en visioconférence, de l’auteur présumé ? D’autres personnes, qui pouvaient notamment faire partie de votre entourage, ont-elles été contactées ? Était-ce seulement un témoignage contre un autre ?

Mme Claire Palou. Oui, c’était seulement mon témoignage contre le sien, et je n’ai été mise au courant de rien d’autre : je ne sais pas si d’autres personnes ont été interrogées. Dans mon témoignage, j’avais mentionné mon coach et des partenaires d’entraînement. La seule personne qui voulait témoigner en ma faveur – elle s’entraînait avec moi – s’est rétractée au dernier moment. Son témoignage a été pris, mais la chargée d’enquête m’a dit qu’il ne pourrait pas être utilisé. Je n’ai même pas eu connaissance du témoignage de l’accusé.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Les instances d’une fédération ne sont pas un tribunal. Vous a-t-on aussitôt conseillé de porter plainte ?

Mme Claire Palou. On ne m’a jamais conseillé de le faire – c’était plutôt le contraire –, et on m’a bien précisé qu’on ne voulait pas que cela sorte dans la presse.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Puisque ces acteurs ne vous ont pas conseillé de porter plainte, je suppose qu’ils n’ont pas fait de signalement en vue de l’engagement d’une procédure.

Mme Claire Palou. Je ne suis pas au courant, mais je pense que non, en effet.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Votre avocat ne vous a pas conseillé de porter plainte ?

Mme Claire Palou. Si, et je m’étais dit que je le ferais avant l’été, mais comme la fédération m’a répondu qu’elle avait relaxé la personne en cause, j’ai un peu abandonné – je n’avais pas envie de recevoir encore une mauvaise nouvelle, cette fois de la part de la justice. Je ne sais toujours pas si je vais déposer plainte.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pensez-vous que le faire pourrait nuire à votre carrière, d’autant que vous restez à l’Insep ?

Mme Claire Palou. Non, j’ai décidé de partir de l’Insep, à cause de la personne en question, et d’autres. Je n’ai pas grand-chose à perdre, et j’espère que parler pourra faire évoluer la situation. Je ne me vois pas forcément continuer le sport de haut niveau comme avant, mais on verra comment la fédération réagit. Si elle le fait mal, elle se mettra elle-même en défaut.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Nous avons reçu une athlète qui a été violée par son entraîneur. Le plus dur à vivre, nous a-t-elle dit, était d’avoir déposé plainte vingt ans après les faits, alors que trois autres jeunes femmes avaient subi les mêmes choses entre-temps. Elle avait donc des regrets.

Je suis une personne qui a subi de telles violences : je l’ai accompagnée à la gendarmerie et j’ai vu que ce n’était pas si simple – j’ai pu constater les dysfonctionnements qui existent –, même si être avec une députée aide un peu pour être reçu par les gradés.

Du côté de la gendarmerie – mais je pense que cela existe aussi dans les secteurs relevant de la police –, il existe des sortes d’assistantes sociales qui savent recueillir la parole des gens et les conseiller. On n’est pas obligé de déposer directement plainte : on peut prendre rendez-vous avec ces personnes, dont le travail permet de libérer la parole des femmes, car c’est de femmes qu’il s’agit la plupart du temps, et qui donnent des conseils en matière de procédure.

Si on apprend ensuite que d’autres personnes ont été victimes des mêmes faits, cela peut constituer un poids qu’on ne mérite pas de subir, en plus de tout le reste.

En tout cas, bravo à toutes les deux pour votre courage.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous des propositions à nous faire, par exemple en ce qui concerne la vie à l’Insep et en dehors de l’Insep ? Dans le monde du sport, vous l’avez dit, on vit dans une sorte de bulle.

Mme Emma Oudiou. On pourrait faire de la prévention et de la sensibilisation à tous les niveaux, auprès des sportifs et des sportives pour expliquer ce que sont les violences, le consentement, ce qu’on a le droit de faire et ce qu’on ne doit pas faire, mais aussi auprès des entraîneurs, en ce qui concerne les bonnes pratiques contre les violences sexistes et sexuelles et la nécessité de mettre réellement l’athlète au centre de son projet – il faut accepter qu’il ait le droit de dire oui ou non et de fixer certaines limites. Un gros travail doit être fait en la matière.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avant de devenir un athlète, on est un adolescent ou un enfant. Vos parents ont-ils bénéficié d’une sensibilisation ? Y a-t-il eu un échange avec le monde sportif au moment où vous êtes sorties de la bulle familiale, pour aller à la découverte d’un autre univers ?

Mme Emma Oudiou. Mes parents ne viennent pas du tout du monde sportif. Quand ils m’ont laissée l’intégrer, ils l’ont fait en toute confiance, car ce milieu avait jusque-là une bonne réputation. Quand on inscrit son enfant dans un club, on se dit qu’il aura une licence et qu’il va s’éclater avec ses copains et ses copines, mais le niveau peut augmenter rapidement et très peu d’échanges ont lieu entre l’entraîneur et les parents. Il y a vraiment quelque chose à faire de ce côté-là. Les parents doivent avoir une vision d’ensemble de ce qui se passe pour leurs enfants, et ils doivent continuer à s’investir réellement lorsque ces derniers deviennent majeurs. Sinon, cela revient à laisser les pleins pouvoirs à des entraîneurs qui peuvent exercer des pressions, mettre des athlètes sous leur emprise et leur faire subir beaucoup de choses, s’ils sont malhonnêtes.

Mme Claire Palou. Mes parents ont été très impliqués, tout au début, dans ma pratique sportive, mais ils n’ont jamais bénéficié d’une prévention sur ces questions, de la part de la fédération, des clubs ou des entraîneurs. Plus mon niveau sportif augmentait, moins ils étaient impliqués, mais ils avaient toujours une relation particulière avec mes entraîneurs.

Quand j’ai commencé à aller mal, ma mère l’a vu, mais elle n’arrivait pas à identifier mon mal-être et à faire qu’il s’arrête. Elle en a beaucoup parlé à mon ancien entraîneur, mais il lui a fait comprendre que tout allait bien. Il ne pouvait pas le savoir, et il n’a pas vraiment pris en compte les avertissements : il me disait souvent que si ma mère était inquiète, c’était normal puisque c’était ma mère. Elle avait raison en fait, mais personne ne l’a jamais vraiment écoutée.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous également des propositions à nous faire ?

Mme Claire Palou. Le plus important serait de faire de la prévention à l’Insep. Il faudrait vraiment qu’il y en ait beaucoup, et de manière régulière, afin que tout le monde soit contraint d’entendre parler de ces questions.

Il faudrait peut-être aussi qu’il y ait une cellule ou un endroit à l’Insep où on pourrait se réfugier en cas de problème, un peu comme les safe zones dans certains festivals. On s’y rendrait en cas de problème, pour pouvoir en parler tout de suite. Quand des choses se passent, en général on les garde pour soi, parce qu’on ne sait pas à qui en parler, ni où aller. S’il y avait un endroit vraiment visible, pas loin des zones d’entraînement ou du self, cela pourrait être bien. Ce serait aussi une manière de montrer aux agresseurs qu’une action est menée dans le cadre de l’Insep. Ils auraient peut-être davantage peur et cela pourrait les conduire à y réfléchir à deux fois avant d’agir.

Il y a beaucoup à faire, mais le plus important est sans doute de parler partout de ces questions, pour qu’elles ne restent pas taboues.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vos agresseurs ont-ils cherché à prendre contact avec vous et ont-ils conscience de ce qu’ils ont fait ?

Mme Claire Palou. Je les ai bloqués partout, et je ne sais donc pas s’ils ont voulu entrer en contact avec moi. Comme je me suis exprimée publiquement, je pense qu’ils savent ce que je leur reproche.

D’après ce que j’ai entendu dire, la plupart d’entre eux ne se rendent pas compte de ce qu’ils ont fait. C’est un problème de prévention et d’éducation : ces personnes ne se rendent pas compte du mal qu’elles font, et on ne se rend pas compte de ce qu’on subit, en tant que victime, au moment où on le vit. Surtout, on ne mesure pas les conséquences au niveau psychologique.

Plus on en parlera, moins cela sera tabou et mieux ce sera pour tout le monde.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il a beaucoup été question de l’Insep, puisque c’est là-bas que vous vous entraîniez. Au-delà de l’enquête qui a été menée, qu’aurait pu faire, selon vous, la Fédération française d’athlétisme pour vous soutenir ? Qu’attendiez-vous d’elle après ce qui vous est arrivé ?

Mme Emma Oudiou. La fédération a un devoir de protection envers ses athlètes. S’agissant de l’entraîneur contre lequel j’ai porté plainte en 2018, l’une des premières choses qu’on m’a dites quand je suis arrivée en équipe de France, c’était qu’il était un peu tactile et qu’il fallait faire attention à ne pas trop s’approcher de lui. Et une fois que j’ai décidé de parler, d’autres ont décidé de le faire aussi. Cet entraîneur était connu comme étant tactile, trop proche des athlètes. La fédération a pour devoir d’écarter des personnes qui peuvent mal se comporter, agresser et violenter les sportives.

Il faudrait aussi une meilleure communication avec les victimes qui parlent. On se sent très peu considéré quand on le fait : soit on n’a pas de réponse, soit il n’y a pas de suivi. Je comprends que c’est très compliqué, mais nous sommes quand même très peu ou mal prises en considération. La fédération a fait appel à moi pour la couverture d’Athlétisme Magazine, elle cite mon nom le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, ce qui est très bien, mais derrière cela, je n’ai pas particulièrement ressenti de soutien de sa part dans des affaires précises, qui m’ont touchée à titre personnel.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous nous avez dit que vous receviez des témoignages sur Instagram. Y a-t-il encore – je ne vous demande pas forcément de citer des noms – des cas tels que le vôtre, dans lesquels des entraîneurs n’ont pas été mis à l’écart alors qu’ils ont des comportements inappropriés, voire plus, vis-à-vis de certaines athlètes ?

Mme Emma Oudiou. Les retours que j’ai sont vraiment très inquiétants. Je pourrai vous donner des noms en off si vous le voulez. Beaucoup d’athlètes sont en souffrance à cause d’entraîneurs qui font partie de l’équipe de France et d’autres athlètes qui en font aussi partie. Des femmes décident de parler, mais la fédération, l’Insep et l’appareil judiciaire éprouvent des difficultés à prendre des décisions.

C’est comme pour les enfants, si on n’arrête pas de dire aux gens que ce n’est pas bien ce qu’ils ont fait mais qu’il n’y a jamais de sanction, pourquoi arrêteraient-ils ? Pourquoi des athlètes qui ont participé aux derniers championnats du monde, qui sont très présents et encensés sur les réseaux sociaux, qui ont de nombreux sponsors, arrêteraient-ils ? Par ailleurs, la culture du sport met beaucoup en avant les valeurs de force et de gloire, et nous sommes à un an des Jeux olympiques. Ces athlètes seront des superstars : rien ne va les arrêter. Cela peut même aller de pire en pire, puisqu’ils auront un sentiment d’impunité et de toute-puissance.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Et la justice dans tout cela ?

Mme Emma Oudiou. Elle prononce des classements sans suite.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Les choses peuvent changer.

Mme Emma Oudiou. J’ose l’espérer.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La fédération est-elle au courant des faits que vous évoquez ? Décide-t-elle sciemment de fermer les yeux parce qu’il faut décrocher des médailles aux Jeux olympiques ?

Mme Emma Oudiou. Je pense que la fédération est au courant de ces histoires. J’essaie de les faire remonter au maximum. Au risque de déplaire, je crois que les noms ne sortiront pas et que les personnes concernées ne seront pas sanctionnées à un an des Jeux olympiques. Ce serait trop dangereux, surtout après la débâcle subie lors des derniers championnats du monde : nous n’avons obtenu qu’une seule médaille, ce qui était assez alarmant. La priorité de la fédération sera de sauver les apparences dans un an et certainement pas de protéger les victimes, car avoir à mettre de côté de potentiels médaillés et leurs entraîneurs serait catastrophique pour l’image de la Fédération française d’athlétisme.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Si vous souhaitez nous apporter des informations complémentaires, vous pourrez le faire par mail ou par téléphone, et nous pourrons poursuivre l’échange en off si vous le souhaitez. Nous sommes également là pour vous accompagner : si vous avez besoin d’aide, nous serons là. Claudia Rouaux a dit tout à l’heure que les choses sont parfois plus simples grâce à un député. En tout cas, nous sommes aux côtés des sportifs de haut niveau.

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9.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Sarah Abitbol, ancienne patineuse artistique professionnelle (5 septembre 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Madame Abitbol, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie vivement de vous être rendue disponible pour cette audition.

Vous êtes, d’une certaine manière, à l’origine de la création de cette commission d’enquête car votre témoignage, en 2020, dans votre livre Un si long silence, a été le point de départ d’une immense vague de dénonciations de violences en tout genre subies par des jeunes sportifs dans de nombreuses fédérations.

Comme vous le savez, l’Assemblée nationale a choisi de créer cette commission d’enquête à la suite de ces très nombreuses révélations publiques et de divers scandales judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nous avons entamé le 20 juillet 2023 nos travaux sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif.

Ces travaux s’articulent autour de trois axes : l’identification des violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ; l’identification des discriminations sexuelles et raciales dans le sport ; et l’identification des problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

Vous êtes, bien évidemment, concernée au premier titre puisque vous êtes la première grande championne internationale à avoir dénoncé des faits de viol, attouchements et harcèlement moral de la part de votre entraîneur, M. Gilles Beyer, lorsque vous aviez entre 15 et 17 ans.

Dans votre livre, vous avez expliqué dans le détail la manière dont ces faits se sont produits, votre incapacité à verbaliser ces horreurs à l’époque et l’amnésie traumatique dont vous avez été victime pendant de nombreuses années. Votre témoignage est très poignant, non seulement du fait de la gravité des sévices auxquels vous avez été soumise, mais également parce qu’il montre la solitude dans laquelle vous vous êtes trouvée à l’époque, malgré des parents et amis très proches. L’irresponsabilité dont a bénéficié votre agresseur du fait de son aura dans la sphère du patinage artistique et de l’omerta entourant son comportement vicieux envers les jeunes patineuses, manifestement bien connu, sont également très choquantes. Enfin, l’absence de soutien, de la part de la fédération comme au plus haut niveau de l’État à l’époque des faits, est très grave. Pouvez-vous nous en reparler aujourd’hui ? Les réformes entreprises au ministère des sports comme au sein de la fédération depuis votre témoignage vous paraissent-elles adaptées à la situation ?

Vous plaidez aujourd’hui pour l’imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineurs et la reconnaissance de l’amnésie traumatique, et vous avez créé voilà environ un an une association, La voix de Sarah, pour poursuivre votre combat contre les violences sexuelles. Pouvez-vous nous expliquer votre démarche ?

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Sarah Abitbol prête serment.)

Mme Sarah Abitbol, ancienne patineuse artistique professionnelle. Merci d’avoir pris l’initiative de cette enquête et de m’accueillir aujourd’hui.

Il m’a en effet fallu trente ans pour parler et pouvoir prononcer le mot de « viol », si difficile à dire. J’ai enfin réussi à le faire, après de nombreuses séances avec la psychologue Meriem Salmi, avec qui j’ai commencé une thérapie en 2004. Comme vous l’avez également souligné, j’ai subi une amnésie traumatique qui a duré de nombreuses années. Si j’ai pu parler en 2019, c’est grâce au travail que j’ai poursuivi avec ma psychologue et à la pratique de la méditation et de la sophrologie.

J’avais essayé de parler à plusieurs reprises, mais sans être entendue. Ma dernière chance de le faire était, en 2019, d’écrire ce livre et de mener une enquête avec Emmanuelle Anizon, journaliste à L’Obs, pour trouver d’autres femmes qui auraient subi la même chose que moi. Je ne pouvais plus supporter l’idée que mon agresseur soit encore dans un club de patinage artistique et puisse reproduire ce qu’il m’avait fait. Il m’a fallu beaucoup de temps pour trouver le courage de parler, mais en voyant aujourd’hui le résultat, je suis heureuse de l’avoir fait. Je m’efforce de faire de ce malheur une force et de continuer le combat sur le terrain au moyen de l’association La voix de Sarah, en sensibilisant et en exposant ma propre histoire dans le but de favoriser la détection de comportements inadaptés et d’inviter certaines victimes à venir me parler – et il y a malheureusement toujours des victimes pour le faire.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Merci d’avoir accepté de répondre à cette commission d’enquête. Votre témoignage est très important car votre livre a été un élément déclencheur, dans l’ensemble du mouvement sportif, pour libérer la parole – même si nous constatons, au fil de nos travaux, qu’il reste encore beaucoup de chemin à faire.

Votre livre est un témoignage très fort. J’ai été très impressionnée par le cheminement qui vous a été nécessaire pour pouvoir écrire ce que vous aviez vécu dans votre parcours de sportive, et aussi par le fait que de nombreuses personnes savaient ce qui se passait. Votre agresseur était connu comme un prédateur. Vous racontez même qu’un professeur, père d’une autre sportive, ne laissait pas sa fille dormir dans le dortoir, car il savait ce qu’il en était.

Je souhaiterais que vous évoquiez cette partie de votre témoignage, car notre commission d’enquête a précisément pour objet d’examiner les défaillances au sein des fédérations ou des clubs afin de briser l’omerta et de mettre fin à l’impunité, de telle sorte que chacun puisse témoigner de ces faits qui ne devraient pas se produire.

Mme Sarah Abitbol. J’avais signalé la situation au président de la section artistique de mon club, me rendant chez lui avec mon oncle afin de ne pas être seule pour parler de ces choses horribles. Malheureusement, je n’ai pas été entendue : c’était comme si j’évoquais une simple douleur au genou. Il m’a dit d’aller déposer plainte, et que nous en reparlerions ensuite. En un mot, il me remerciait gentiment, alors que je venais de dire ce qui m’était arrivé à l’âge de 15 ans et de demander qu’on éloigne du club cet entraîneur dangereux. J’ai également signalé les faits au ministère, où l’on m’a dit qu’il existait un dossier, mais qu’il valait mieux fermer les yeux.

Quelques années plus tard, j’ai également appris qu’en effet, le père d’une élève, qui était professeur et connaissait très bien mon agresseur, savait aussi qu’il était dangereux et gardait sa fille avec lui pour ne pas la laisser dormir dans les dortoirs. Cette personne était donc complice de ce système.

Pour ma part, comme je le dis dans le livre, je ne parvenais pas à porter plainte – je suis allée jusqu’à la police, mais j’ai rebroussé chemin. Ainsi, tant qu’il n’y avait pas de procédure judiciaire, tout le monde se serrait les coudes pour éviter que les choses se sachent et pour que chacun puisse continuer à mener tranquillement sa petite vie, au sein de la fédération comme dans certains clubs.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous pu en savoir plus sur le dossier dont on vous a dit que le ministère disposait et sur les éléments qu’il pouvait contenir ?

Par ailleurs, à la suite de vos révélations, les personnes qui étaient informées et qui n’ont pas réagi ou pas déclenché d’enquête, et qui ne vous ont pas accompagnée, ont-elles été inquiétées par la justice ou ont-elles fait l’objet d’une procédure administrative au sein de la fédération ?

Mme Sarah Abitbol. Pour ce qui est du dossier, je n’ai su que plusieurs années plus tard ce qu’il en était. Marie-George Buffet avait éloigné Gilles Beyer de la fédération et l’avait suspendu pendant six mois. Il a ensuite été réintégré grâce à la fédération française des sports de glace, s’occupant notamment des compétitions internationales junior. Je n’ai jamais pu avoir ce dossier dans les mains, mais je sais aujourd’hui, grâce à l’enquête menée par Emmanuelle Anizon, que tout y figure et que, désormais il peut au moins être lu.

Les personnes concernées n’ont pas été inquiétées à l’époque. J’ignore si elles ont fait l’objet d’une enquête administrative. Je sais que la personne qui m’a reçue, M. Stéphane Clout, ancien président de la section artistique du club, est à nouveau présent au club des Français volants, peut-être même à la présidence – je n’ai pas vérifié. Quant au professeur que j’ai cité, et qui se trouvait au sein des Français volants, j’ignore s’il a été entendu sur ces questions.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous dites que, lorsque vous avez voulu parler, au sein de la fédération ou au ministère, vous avez trouvé porte close, qu’on vous a demandé de ne pas trop évoquer cette affaire, et que votre livre était votre dernière chance de vous exprimer. Considérez-vous que la situation a changé et que les victimes peuvent davantage s’exprimer aujourd’hui ? Sont-elles assez entendues, que ce soit au sein de la fédération française des sports de glace ou dans d’autres ? J’imagine en effet que vous côtoyez toujours des sportifs de haut niveau, qui savent que vous êtes à l’écoute.

Mme Sarah Abitbol. Nous avons trente ans de retard. Je suis très proche du ministère des sports et de Mme la ministre. Mon site internet, La voix de Sarah, propose un accès direct vers la cellule Signal-sports du gouvernement qui permet de dénoncer des agressions. Je suis de près tous les sportifs qui auraient dénoncé de tels faits – on en compte aujourd’hui plus de 900. À la suite de mon livre et de mon témoignage, certains se disent que, si Sarah Abitbol a été capable de parler, eux aussi en sont capables.

Les choses ont heureusement été reprises en main et je remercie Roxana Maracineanu, l’ancienne ministre, qui a pris le problème à bras-le-corps et a eu la force et l’audace de me suivre à 100 %, ce qui n’avait malheureusement pas été le cas auparavant. Aujourd’hui, Mme la ministre Amélie Oudéa-Castéra suit également de très près la situation avec la cellule que je viens d’évoquer et elle est très présente pour lutter contre les violences sexuelles dans le sport. Un code d’honorabilité a également été édicté. Nous avançons donc : les victimes osent davantage parler et les agresseurs se sentent moins en sécurité.

Il faut toutefois poursuivre le combat et la sensibilisation, et se rendre sur le terrain. Nous avons donc organisé, avec La voix de Sarah, de nombreuses conférences. Nous sommes allés au-devant des mouvements sportifs avec une exposition de photographies originales intitulée « Cri d’alerte », qui vise à sensibiliser autrement, d’une façon poétique et artistique. Nous sommes très présents sur le terrain et souhaiterions l’être plus encore, mais il manque de l’argent – des salaires, qui nous permettraient d’être multitâches. Je ne peux pas me couper en deux mais je m’efforce, avec la directrice de La voix de Sarah, d’être aussi présente que possible pour assurer cette sensibilisation. Je me bats au quotidien et Mme la ministre des sports et moi-même ne lâcherons rien, afin que les victimes n’aient plus peur de parler.

J’ai également beaucoup travaillé avec le Sénat sur une loi Sarah Abitbol : c’est la proposition de loi visant à renforcer la protection des mineurs et l’honorabilité dans le sport, qui a été adoptée le 15 juin à l’unanimité et qui, je l’espère, sera présentée à l’Assemblée nationale d’ici à quelques mois. Elle prévoit l’application du code d’honorabilité dans les clubs, dont nous avons constaté qu’ils ne faisaient pas remonter l’information relative aux casiers judiciaires : les présidents de club devront désormais transmettre ces informations à chaque fédération et encourront des poursuites pénales s’ils y manquent.

Aujourd’hui, je fais d’un malheur une force, pour aider le sport, et plus particulièrement celui que j’aime tant. Je suis entraîneur de patinage artistique, titulaire de la carte professionnelle et du brevet d’État premier degré et, alors que je n’y croyais plus, la présidente et le directeur technique national de la fédération de patinage artistique m’ont demandé au mois de juin de travailler avec eux, au sein du comité d’éthique, pour poursuivre mon combat en examinant les dossiers et en me rendant sur le terrain au titre de la fédération – laquelle a donc pris les choses en main, même si ce n’est que très récemment, en juin dernier.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Permettez-moi de renouveler ma question : recevez-vous ou avez-vous reçu, au cours des dernières semaines ou des derniers mois, des témoignages ou des appels au secours de sportifs agressés dans leur centre, à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep) ou ailleurs ? En effet, puisque vous avez brisé l’omerta, peut-être a-t-on tendance à vous contacter, notamment par le biais de votre association.

Mme Sarah Abitbol. Bien sûr, j’en reçois toujours, et pas seulement dans le domaine du sport. Voilà quelques jours encore, j’ai pris en main le dossier d’une patineuse et l’ai fait remonter au comité d’éthique de la fédération française des sports de glace : nous allons nous en occuper. Bien que plutôt tournée vers le sport, je ne refuse jamais d’entendre une victime désireuse de me parler. En effet, le fait d’avoir été victime permet sans doute de recevoir d’une façon différente la parole des autres victimes et permet que la confiance s’instaure. De nombreuses personnes parviennent ainsi à me parler alors qu’elles ne l’ont jamais fait.

J’ai aidé un grand nombre de personnes durant une tournée de Holiday on Ice où je proposais un message d’espoir pour toutes les victimes. Je présentais une figure où je tentais de sortir d’une toile faite d’élastiques et dans laquelle j’étais bloquée. À la pause, durant une séance de dédicaces devant des panneaux de mon association La voix de Sarah, de nombreuses victimes sont venues me dire que, grâce à moi, elles avaient rompu le silence, s’étaient rendues au commissariat ou avaient parlé à leur mari. Le nombre de personnes que j’ai pu aider grâce à ce spectacle montre qu’on peut aussi sensibiliser le public d’une autre façon – dans ce cas, à raison de 2 000 personnes par spectacle et de deux représentations par jour, pour un total de 84, ce sont 200 000 personnes qui ont été sensibilisées.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Dans quel contexte recevez-vous des témoignages ? Que vous expriment les sportifs concernés ? S’agit-il d’hommes ou de femmes ? Dans quel contexte l’agression se produit-elle ?

Mme Sarah Abitbol. L’un des derniers messages que j’ai reçus faisait état de violences psychologiques sur la glace. La jeune femme qui m’a écrit n’est pas encore entrée dans les détails, car elle n’était pas encore prête, mais elle m’a fait part de plusieurs éléments et souhaite me rencontrer pour parler. Hier soir encore, j’ai reçu d’elle un texto et nous devons bientôt nous entretenir de vive voix. Elle fait état de violences psychologiques exercées par des entraîneurs qui, me semble-t-il, n’étaient pas titulaires du brevet d’État et qui n’auraient pas dû se trouver sur la glace. Il s’agit également de choses plus graves, que ma correspondante n’a pas encore pu décrire et que je devrai élucider directement avec elle.

Les violences dont il est question sont en général psychologiques, mais elles peuvent aussi être plus graves, du même ordre que celles que j’ai moi-même subies. Souvent, les victimes me communiquent d’abord des éléments plus légers et n’entrent que plus tard dans les détails, lorsque nous nous rencontrons. Il est en effet toujours difficile de mettre d’emblée des mots sur les faits.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. S’agit-il de sportifs de haut niveau, ou pratiquant dans un club ou une association ?

Mme Sarah Abitbol. En général, les sportifs de haut niveau signalent directement les faits au ministère par le biais de Signal-sports, et citent souvent mon nom.

Les dernières victimes qui ont eu recours au site La voix de Sarah étaient le plus souvent des pratiquantes de mon sport. Il arrive également que le ministère me transmette des dossiers pour que j’aille parler directement aux victimes, car une ancienne athlète et victime peut plus facilement libérer la parole d’une autre. Du reste, plusieurs associations travaillent dans ce domaine et la nôtre n’est pas encore très connue : j’imagine que Colosse aux pieds d’argile, présente depuis plus longtemps, doit recevoir un plus grand nombre de témoignages de sportifs.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Au sein de votre association, êtes-vous accompagnés par une psychologue ?

Mme Sarah Abitbol. Nous disposons en effet d’une psychiatre, mais nous ne sommes pas assez nombreux. Une autre association, qui travaille depuis quelque temps maintenant avec des victimes, va nous aider : deux personnes, qui sont mari et femme, nous rejoindront prochainement.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons auditionné tout à l’heure des championnes d’athlétisme qui nous ont indiqué qu’elles recevaient elles aussi nombre de témoignages de victimes issues de l’Insep ou de la Fédération française d’athlétisme. D’après ces témoignages, les fédérations sont informées des faits, mais elles ne brisent pas le silence, ou du moins n’y a-t-il ni remontées ni enquêtes administratives de la part de la cellule du ministère car, à moins d’un an des Jeux olympiques, les médailles comptent plus que tout.

Il semble donc qu’on ait pris conscience de ce qui n’allait pas, mais pensez-vous que, dans les faits, les progrès soient suffisants pour que de telles situations disparaissent ? Les avancées opérées au sein de la fédération d’athlétisme, bien que réelles, ne sont peut-être pas si grandes. Quant à la fédération que vous connaissez, vous avez dit que les choses allaient dans le bon sens, mais estimez-vous qu’il reste encore beaucoup à faire ?

Mme Sarah Abitbol. Au sein de ma fédération, nous avançons, mais il reste en effet beaucoup à faire. Quant aux autres, je ne puis guère en parler, n’y ayant pas eu affaire, sinon à la fédération française de tennis, dont j’ai rencontré le président à l’occasion d’un colloque avec l’association Rebond. Isabelle Demongeot, dont je suis maintenant assez proche, et lui m’avaient félicitée d’avoir brisé le silence et assurée que la fédération était déterminée à poursuivre ses efforts pour éviter que de tels faits se reproduisent jamais, et qu’elle serait très vigilante à l’égard des entraîneurs et des modes d’entraînement. Je peux donc dire qu’avec l’association d’Isabelle Demongeot, la fédération française de tennis avance dans le bon sens.

Pour ce qui est des autres fédérations, je crains que persiste une certaine omerta et qu’on soit encore loin d’un résultat et d’un travail en profondeur, car les clubs et les athlètes sont très nombreux. Il faudrait démultiplier les associations de telle sorte qu’il y ait au sein de chaque fédération une association affiliée, qui agisse sur le terrain, ce qui n’est aujourd’hui le cas que pour le tennis, où intervient Isabelle Demongeot, ou pour le patinage artistique avec Sarah Abitbol et La voix de Sarah – puisque notre association sera désormais affiliée à la fédération et se rendra sur le terrain. Chaque association, dans chaque fédération, devrait s’y engager davantage. Nous ne sommes pas assez nombreux, mais c’est un bon démarrage.

Il me semble qu’à la suite de tout ce qui s’est dit depuis 2019 et la sortie de mon livre, les fédérations ont peur et sont plus vigilantes. Cependant, à moins d’un an des Jeux olympiques, certains faits ont pu être passés sous silence au nom des résultats sportifs, ce qui est inadmissible.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Dans votre livre, vous dites que vous étiez très proche de vos parents, en particulier de votre maman, mais qu’ils n’ont rien vu. Souvent, les victimes évoquent à la fois une méconnaissance et un manque de communication entre les dirigeants sportifs et les parents. Comment l’expliquez-vous ?

Mme Sarah Abitbol. Je décris très bien dans le livre ce qui s’est passé. Mon entraîneur a, pour ainsi dire, acheté mes parents. Il les a mis en confiance, il venait dîner à la maison : dans une telle situation, des parents ne peuvent pas penser au pire. Ils voient leur fille s’entraîner, ils pensent que l’entraîneur prend son travail à cœur, il la garde un peu plus longtemps sur la glace, il vient à la maison parler de ses futures compétitions. Mon entraîneur a mis mes parents dans sa poche, ils le vénéraient, ce qui rendait plus facile pour lui d’attraper sa proie et encore plus difficile pour moi de parler de ce qui m’arrivait. Il faisait, par ailleurs, la pluie et le beau temps dans le club, il avait les clés de toutes les portes. Il entraînait, dirigeait, manageait, et était au mieux avec l’ancienne fédération française des sports de glace. Je suis persuadée qu’il calculait tout ce qu’il faisait, et nous savons aujourd’hui que je n’étais pas sa seule victime. C’était sa méthode, se rapprocher des parents, les acheter, faire partie de la famille.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous auditionnions ce matin Angélique Cauchy, sportive de la fédération française de tennis, qui a témoigné du même engrenage. Connaissant de l’intérieur le contexte de ces situations, pouvez-vous nous en indiquer les raisons et nous faire des propositions pour en sortir ?

Mme Sarah Abitbol. L’idée qu’émettent Mme Salmi, ma psychologue, et plusieurs sportifs, parmi lesquels Mme Cauchy, que j’ai également écoutée quelques minutes ce matin, est qu’il faudrait éviter qu’un sportif soit isolé avec un entraîneur et recourir systématiquement à un double entraîneur – un homme et une femme. Cette mesure suppose certes plus d’argent et un plus grand nombre d’entraîneurs, mais elle protégerait les sportifs, que ce soit en compétition, en réunion ou en déplacement, en dissuadant les prédateurs.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Nous venons d’auditionner deux jeunes athlètes de la fédération d’athlétisme qui ont longtemps été à l’Insep et qui ne connaissaient pas Signal-sports. Il semblerait que l’Insep n’en fasse pas du tout la promotion, ce qui est très étonnant, puisque ce sont les athlètes de haut niveau qui sont le plus exposés aux violences. Que dites-vous de cela ?

La multiplication des associations – Rebond, La voix de Sarah, etc. – ne risque-t-elle pas de diluer les remontées du terrain et de nous faire passer à côté de faits graves au sein des fédérations ?

Enfin, que faudrait-il modifier dans l’organisation des fédérations pour que les sportifs puissent s’exprimer ? Faire pression sur elles pour qu’elles proposent aux athlètes violés de porter plainte, c’est le minimum, mais voyez-vous aussi des choses à changer dans la constitution même des fédérations ? Il y a sûrement quelque chose à faire : ce que l’on entend depuis ce matin n’est pas très glorieux…

Mme Sarah Abitbol. Sur l’une des photographies que j’ai exposées à l’Insep, on voit le numéro d’urgence 119, mais j’ignorais qu’on n’y parlait pas de Signal-sports. Je peux me charger de demander à la direction de le faire : c’est essentiel.

La cellule Signal-sports n’est peut-être pas assez connue, mais ce n’est pas à cause du ministère : sur le site de celui-ci, une page entière y est dédiée, avec un lien pour dénoncer des faits d’agressions psychologiques ou sexuelles. C’est aux fédérations et aux clubs de faire connaître Signal-sports, sur leur site internet ou directement auprès des athlètes, en organisant des réunions : il faut que cela devienne automatique.

Toutes les associations ne proposent pas la même chose. Rebond se consacre surtout à la réparation. Colosse aux pieds d’argile existe depuis des années, ses quarante salariés font un travail considérable sur le terrain, qui est même reconnu au niveau international. Avec La voix de Sarah, nous avons monté une exposition photographique et nous allons sur le terrain : dans les institutions sportives, mais aussi les hôpitaux, les territoires ultramarins, les municipalités... Il y a vraiment du travail pour tout le monde et je ne crois pas qu’il y ait trop d’associations. Leur nombre, pour moi, est plutôt un point positif.

Pour ce qui est de l’organisation, il me semblerait important que chaque club ait un référent éthique qui remonte les informations au niveau de la fédération. Le président du club aussi a un rôle essentiel à jouer : le texte qui a été adopté au Sénat en juin lui impose de consulter le casier judiciaire des bénévoles et éducateurs de son club, et il devra communiquer sur le fameux code d’honorabilité. Les entraîneurs qui n’ont pas un comportement adapté et ceux qui les défendent doivent savoir que, désormais, la fédération en sera immédiatement informée. Il faut que l’information remonte des clubs à la fédération et de la fédération au ministère. Dans cette chaîne, les présidents de club ont un rôle essentiel : s’ils ne font pas leur travail, on risque de passer à côté de faits graves.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. On parle beaucoup depuis ce matin des clubs, des fédérations et de leurs dirigeants, mais tout cela se fait dans le cadre d’une délégation de service public. Dans ce cadre donc, des agents du ministère sont mis à la disposition des fédérations : je pense en particulier aux directeurs techniques nationaux. Or il n’en a pas encore été question depuis le début de nos auditions, comme s’ils n’existaient pas, ou n’avaient aucun rôle à jouer. Ne pensez-vous pas que le ministère des sports pourrait s’appuyer sur les personnes qu’il met à la disposition des fédérations pour lutter contre les défaillances que nous constatons ?

Mme Sarah Abitbol. Cela échappe au champ de mon association, mais si le ministère peut le faire, ce sera une bonne chose, même si ce ne sera peut-être pas suffisant.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous avez vécu récemment aux États-Unis : y avez-vous découvert de bonnes pratiques dont nous pourrions nous inspirer ?

Mme Sarah Abitbol. Une association a établi là-bas une convention d’une trentaine ou quarantaine de pages, que j’ai traduite en français. Elle expose précisément ce qu’un entraîneur a, ou non, le droit de faire. Par exemple, un entraîneur n’a pas le droit de prendre la route avec un mineur. Cette règle n’existe pas en France : à l’époque, je prenais la voiture avec mon entraîneur et il se passait ce qui se passait. Aux États-Unis, dès qu’un entraîneur est vu en voiture avec un mineur, l’information remonte à l’association qui a établi la convention, qui la transmet à la fédération américaine. Celle-ci émet alors un blâme et, au bout de deux blâmes, l’entraîneur n’entraîne plus : il n’y a pas de demi-mesure. Je crois que l’on devrait reprendre cette convention en France et la faire signer aux fédérations : en cas de non-respect, des sanctions s’appliqueraient.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. S’agit-il d’une convention fédérale ? Qui l’a signée ? Pouvez-vous nous donner des précisions ?

Mme Sarah Abitbol. Je ne me souviens plus des détails, mais je vous la transmettrai. Ce que je peux vous dire, c’est qu’elle est automatiquement signée par la fédération. Chaque club doit la signer et veiller à son application.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous remercie de nous la faire parvenir.

Vous plaidez pour l’imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineurs et la reconnaissance de l’amnésie traumatique, cette perte de mémoire que subissent certaines victimes du fait de la violence des faits. Vous défendez la combinaison de ces deux mesures parce que, dites-vous, on ne se souvient pas toujours de ce qui s’est passé et, quand on s’en souvient, il est parfois trop tard. Pourriez-vous, s’il vous plaît, développer ce point ?

Mme Sarah Abitbol. Comme de très nombreuses victimes, j’ai oublié ce qui s’est passé quand j’avais 15 ans et je n’ai pas compris ce qui m’arrivait quand les faits me sont revenus en mémoire, près de trente ans plus tard : il a fallu qu’on me l’explique. J’avais l’impression d’avoir fait un cauchemar, je ne savais pas si c’était vrai ou non. Les psychologues et les psychiatres expliquent que l’amnésie traumatique est un moyen utilisé par le cerveau pour protéger l’enfant : les faits trop graves et douloureux sont pour ainsi dire mis de côté.

L’amnésie traumatique est de moins en moins mal connue du grand public mais, pour les gens qui ignorent ce phénomène, il est difficile de comprendre pourquoi une victime se met à parler trente ans après les faits, et ils ont tendance à ne pas la croire. La reconnaissance de l’amnésie traumatique dans la loi contribuerait à ce que les victimes soient crues. En effet, quand plusieurs victimes dénoncent le même prédateur, on a tendance à les écouter, mais lorsqu’une victime parle seule et qu’il n’y a plus de preuves – allez en trouver, trente ans après les faits ! – c’est beaucoup plus compliqué. Les souvenirs peuvent revenir à l’occasion d’un deuil, d’un mariage, d’une grossesse, de la naissance d’en enfant… Cela revient comme une bombe atomique et c’est terrible.

Quant aux délais de prescription, ils ont déjà été allongés et les victimes ont plus de temps, mais je me bats pour que les crimes sexuels sur mineurs deviennent imprescriptibles. Ainsi, les victimes n’auraient pas de date limite pour parler, elles pourraient le faire même quarante ans après les faits et porter plainte si elles le souhaitent. Il est souvent plus facile de se reconstruire lorsqu’on a porté plainte, que l’on est cru et qu’il peut y avoir un procès.

Je sais bien que même si une telle loi est votée, elle ne sera pas rétroactive et ne changera rien pour moi ni pour nombre de victimes, mais elle protégera les jeunes, nos enfants et nos petits-enfants. Ce serait un grand pas. Au Luxembourg, en Californie, de telles lois existent.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Un rapport de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche de juin 2023 portant sur la fédération française des sports de glace pointe des pratiques très contestables, un fonctionnement fédéral marqué par l’omniprésence d’anciens dirigeants, ou encore des élections influencées. Quel regard portez-vous sur les changements entamés depuis la publication de ce rapport – certes très récent ? Quels sont, selon vous, les points sur lesquels il convient d’être particulièrement vigilant, s’agissant de la direction de cette fédération ?

Mme Sarah Abitbol. La publication de mon témoignage, en 2019, a beaucoup terni l’image de la fédération française des sports de glace. Pour moi, ç’a été la double peine, puisque de nombreuses portes se sont alors fermées devant moi : certains clubs ne voulaient pas entendre parler de moi, parce que j’avais dit la vérité et que je représentais un danger.

Depuis que la nouvelle présidente a pris ses fonctions, de nombreuses personnes au comportement douteux ou malveillant ont été écartées. Il reste beaucoup à faire, mais la fédération essaie d’être à la hauteur des attentes du ministère, qui a vraiment mis un coup de pression il y a trois ans.

Il faut rester très vigilant. Le comité éthique, où j’ai été élue au mois de juin, a évidemment un rôle important à jouer. Il faut contrôler ce qui se passe sur le terrain et je compte bien continuer à me rendre dans les clubs pour détecter les cas de violences psychologiques, qui sont encore très fréquents, et de violences sexuelles.

La fédération est en pleine restructuration et elle a trente ans de retard à rattraper : cela ne peut pas se faire en quelques mois.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. N’hésitez pas, si vous le souhaitez, à compléter, oralement ou par écrit, les informations que vous nous avez données. Pensez-vous nous avoir tout dit ?

Mme Sarah Abitbol. Je crois avoir répondu à toutes vos questions avec franchise et honnêteté. Si un point me revient à l’esprit, je vous en informerai. Les choses avancent, mais il faut rester très vigilant. Maintenant que je suis membre du comité éthique, je peux suivre de très près les dossiers en cours, ce qui n’était pas le cas auparavant. Mais ce qui me paraît le plus important, en tant qu’ancienne athlète et ancienne victime, c’est d’aller sur le terrain, sur la glace, pour détecter les problèmes et recueillir la parole des victimes. C’est mon combat.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pensez-vous à un thème que nous aurions oublié d’aborder ?

Mme Sarah Abitbol. Nous avons évoqué tous les sujets que j’avais identifiés en préparant cette audition. S’agissant du contrôle d’honorabilité des éducateurs et des bénévoles, et des sanctions qu’encourent les dirigeants qui n’agissent pas, j’espère que la proposition de loi adoptée au Sénat sera votée à l’Assemblée nationale d’ici à quelques mois.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pouvez-vous nous dire un mot des signaux qui traduisent le malaise ou le mal-être d’un enfant et que les parents pourraient détecter ?

Mme Sarah Abitbol. Si un enfant se retrouve soudain en échec scolaire ou ne gagne plus aucune compétition, cela doit alerter ses parents. Son mal-être peut aussi s’exprimer par l’anorexie ou la boulimie. Dans mon cas, au bout de deux ou trois mois, j’ai commencé à faire quatre chutes par programme en compétition, ce qui ne m’était jamais arrivé auparavant. C’était un appel au secours, le signe que je ne tenais plus debout. Autour de moi, j’ai aussi vu des jeunes qui ne supportaient plus que leurs parents leur disent quoi que ce soit : c’était une autre forme d’appel au secours. Tout changement de comportement doit alerter les parents.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Vous êtes une femme de terrain. Vous est-il déjà arrivé d’inviter une victime à porter plainte contre son club, sa fédération ou une personne, voire de l’accompagner auprès de la police ou de la gendarmerie pour l’aider dans cette démarche ?

Mme Sarah Abitbol. Une victime qui avait vécu la même chose que moi, dans le même sport et juste avant, est allée porter plainte. Je lui ai proposé de l’accompagner mais elle m’a dit qu’il était important pour elle de passer cette étape seule. Il faut tenir compte de ce que ressent chaque victime. Mon rôle est de les orienter, par exemple vers un psychologue ou un psychiatre : je propose un panel de solutions, mais il ne m’est encore jamais arrivé d’accompagner quelqu’un au commissariat ou chez un psychologue.

Je m’informe des suites qui sont données aux dossiers et les gens, souvent, me remercient. La victime qui a porté plainte m’a dit que sans moi, sans mon combat et ma force, elle n’y serait jamais arrivée. Voir des gens que j’ai aidés aller au bout de leur démarche, c’est une victoire pour moi.

Pour certaines victimes, il est très important de porter plainte pour aller mieux, mais ce n’est pas toujours le cas : la situation familiale de la personne, le temps qui s’est écoulé depuis son agression et de nombreux autres paramètres sont à prendre en compte lorsqu’on reçoit la parole de quelqu’un.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. M. Didier Gailhaguet a été écarté. Vous attendiez-vous à cela ? Êtes-vous déçue et attendiez-vous autre chose ?

Mme Sarah Abitbol. Je ne m’attendais absolument pas à cela. Mon livre, je l’ai dit, était ma dernière chance d’être entendue, mais je ne m’attendais pas à ce qu’il ait un tel écho médiatique, ni à ce que le ministère intervienne – je ne m’attendais pas à un tel chamboulement.

C’est une bonne chose qu’il ait été écarté et que la ministre des sports ait pris les choses en main. En revanche, il a démissionné : il n’a pas été congédié. La nouvelle fédération doit se restructurer, après trente ans de dysfonctionnements terribles. Il faut remettre les choses à plat et recommencer à zéro. Il faut absolument maintenir éloignée de notre fédération cette personne qui y était encore omniprésente il y a seulement quelques mois.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Est-ce que cela vous suffit ?

Mme Sarah Abitbol. Qu’il ait été écarté est une bonne chose, mais il ne faudrait pas, maintenant qu’il est sorti par la porte, qu’il revienne par la fenêtre. Il faut absolument le tenir à distance et éviter que ses amis et les personnes qui l’ont soutenu conservent une place au sein de la fédération. Il faut un renouveau total.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. L’entre-soi et le non-renouvellement des équipes sont un problème qui a été évoqué à plusieurs reprises et qui traverse l’ensemble des fédérations et du mouvement sportif.

On a beaucoup parlé de l’accompagnement des victimes, mais nous aimerions aussi pouvoir éviter que ces victimes existent, autrement dit avoir des propositions pour mettre fin aux agressions qui se produisent au sein des fédérations, mouvements et clubs sportifs.

Ce matin, nous avons appris qu’au sein de la Fédération française de tennis, il semblait normal, jusque très récemment, qu’un entraîneur prenne une chambre d’hôtel avec une jeune sportive lors d’une compétition. La fédération souhaite mettre fin à cette pratique, en prenant désormais deux chambres au lieu d’une – ce qui a un coût. Avez-vous d’autres propositions à faire, générales ou spécifiques à la fédération de patinage ?

Mme Sarah Abitbol. Il paraît évident qu’un jeune athlète ne doit pas dormir dans la même chambre d’hôtel que son entraîneur. J’ai déjà suggéré l’idée que le sportif ait deux entraîneurs, un homme et une femme, et que tous deux soient toujours auprès de lui, sur le terrain comme lors des déplacements ou compétitions. Même si elle représente un très gros investissement, je pense qu’une telle mesure sauverait vraiment des athlètes. Je rappelle à ce propos que les agresseurs ne sont pas tous des hommes, même si le pourcentage de femmes est minime.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. On nous a beaucoup dit que même lorsque des enquêtes administratives ont lieu, y compris avec l’appui de la cellule du ministère, la personne mise en cause n’est pas forcément éloignée de la victime, ni même écartée du club où elle entraîne. Auriez-vous une préconisation à faire à ce sujet, même si le respect de la présomption d’innocence limite les possibilités d’action ? Laisser des mineurs en contact avec un entraîneur ou un coach qui est mis en cause dans une affaire est tout de même problématique.

Mme Sarah Abitbol. C’est une très bonne question et elle est très complexe. Dans ma discipline, il est malheureusement arrivé que des entraîneurs retrouvent leur place après avoir été écartés pendant six mois, faute de preuves. Du fait de la prescription et de l’absence de preuves, c’est la parole de l’un contre celle de l’autre. Que doit faire le président de club s’il n’y a aucune preuve contre l’entraîneur, aucune condamnation pénale ? Ce sont des situations très délicates à gérer : soit il le réintègre, soit il trouve un moyen de l’écarter du club, au risque que l’entraîneur aille proposer ses services dans un autre club où il sera tout aussi dangereux. Je ne saurais pas répondre à votre question, mais elle est très importante et il faut y réfléchir.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous remercie beaucoup de vous être rendue disponible pour cette audition et de vous être livrée, en nous donnant un peu de vous et de votre vécu : c’est ce que nous attendions et c’est ce qui doit nous aider à faire des propositions pour protéger nos jeunes sportifs et leur permettre d’évoluer dans un univers serein.

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10.   Audition, ouverte à la presse, de M. Patrick Roux, co-auteur du livre Le revers de nos médailles : Des clubs au haut niveau, en finir avec la violence dans le sport (2023), accompagné de plusieurs contributeurs (6 septembre 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Mes chers collègues, nous accueillons M. Patrick Roux, champion de judo et entraîneur de l’équipe de France de judo, auteur du livre Le revers de nos médailles – Des clubs au haut niveau, en finir avec les violences dans le sport.

Monsieur Roux, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie vivement de vous être rendu disponible pour cette audition. À votre demande, vous êtes accompagné de plusieurs professionnels – psychologues, kinésithérapeutes, professeurs de judo ou d’éducation physique et sportive (EPS), présidents de club – et de nombreuses victimes de violences dans le sport, qui sont dans la salle ou en visioconférence et qui pourront témoigner ou répondre aux questions des membres de la commission.

L’Assemblée nationale a choisi de créer cette commission d’enquête à la suite de nombreuses révélations publiques relatives à des violences et discriminations dans le milieu du sport et à divers scandales judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations. Nous avons entamé nos travaux, le 20 juillet 2023, avec l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et de ses organismes de gouvernance. Ils se déclinent autour de trois axes : l’identification des violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ; l’identification des discriminations sexuelles et raciales dans le sport ; l’identification des problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

Dans votre livre, vous dénoncez les violences physiques, le harcèlement ou encore les insultes que subissent les jeunes sportifs dans certains pôles d’entraînement de judo. En vous appuyant sur de très nombreux témoignages, vous décrivez les méthodes violentes utilisées dans les dojos sous prétexte de mener les espoirs du judo au sommet.

Par ailleurs, les témoignages transmis par certaines personnes en visioconférence mettent également en évidence des problèmes de gouvernance, tant au sein de la Fédération française de judo, jujitsu, kendo et disciplines associées qu’au sein de certains clubs.

Compte tenu du nombre d’intervenants, cette audition sera organisée autour de cinq thématiques. Le premier thème sera consacré à l’identification des victimes et aux difficultés qu’elles rencontrent encore aujourd’hui. Après une courte introduction de M. Roux, j’invite donc les victimes en visioconférence à nous faire part de leurs témoignages.

Le deuxième thème sera consacré à la clarification de la nature des faits et à leurs conséquences post-traumatiques. Il s’agit de lever toute confusion entre des techniques d’entraînement, parfois dures, et des violences sur mineurs ou autres exactions inacceptables.

Le troisième thème concernera le régime de l’omerta qui a longtemps régné et qui demeure encore parfois, pour comprendre ses éléments constitutifs, ses origines et son développement.

Le quatrième thème abordera les incohérences de certaines enquêtes administratives, les difficultés rencontrées dans le recueil de la parole des victimes et le respect de la confidentialité des échanges.

Enfin, le dernier thème sera l’occasion d’apprécier si les récentes réformes mises en œuvre par le ministère des sports, comme la création de la cellule Signal-sports, sont efficaces et ont permis d’améliorer la situation.

En conclusion, nous demanderons à M. Roux de nous faire part de ses recommandations pour l’avenir et nous pourrons évoquer avec Mmes Leseur, Capron et Perrus, qui travaillent au pôle formation de l’Insep (Institut national du sport, de l’expertise et de la performance), les actions à mener pour améliorer la lutte contre les violences dans le sport.

Afin que tous ceux qui le souhaitent puissent s’exprimer ce matin et répondre à nos questions, et bien que cela puisse être difficile, en particulier pour les victimes, je vous invite à rester précis et concis dans vos propos.

Je vous rappelle par ailleurs que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.

Enfin, l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

J’invite donc toutes les personnes qui seront amenées à prendre la parole au fur et à mesure de l’audition, à se présenter puis à lever la main droite et dire : « Je jure de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. »

(M. Patrick Roux prête serment.)

M. Patrick Roux, auteur du livre Le revers de nos médailles – Des clubs au haut niveau, en finir avec les violences dans le sport. Je tiens à remercier toutes les personnes présentes ce matin, notamment mes collègues de l’Insep ainsi que les témoins, victimes et contributeurs qui nous accompagnent en visioconférence.

Je souhaite tout d’abord vous dire en quelques mots comment j’en arrive devant vous. Des femmes comme Mmes Catherine Moyon de Baecque, Isabelle Demongeot et Sarah Abitbol sont passées par des épreuves de manière bien plus intense que moi : si nous sommes là, c’est avant tout grâce à des personnes comme elles.

Pour nous, il y a un avant et un après janvier 2020. Quand le livre de Sarah Abitbol Un si long silence et les articles de presse qui lui ont été consacrés ont été publiés, j’étais en mission à l’étranger. La parution de ces articles a permis à beaucoup de personnes dans le monde du judo de réaliser que les expériences qu’ils avaient vécues étaient similaires : même si les détails des faits ne l’étaient pas forcément, le livre de Sarah Abitbol racontait exactement ce qu’elles avaient subi. Dans leur cas, cela prenait la forme de harcèlement et de violences physiques sur mineurs mais le mécanisme de l’omerta, lorsqu’ils ont voulu alerter les instances, était identique.

À l’époque, tout le monde avait très peur. Les personnes dont je parle travaillent aujourd’hui dans la fonction publique, dans des clubs de judo, comme professeur d’éducation physique et sportive, ou dans le secteur de la petite enfance par exemple. Chacun souhaitait parler mais redoutait d’avoir de très gros problèmes si la fédération l’apprenait, de perdre son emploi et de se retrouver dans une situation très difficile. En dépit de ces craintes, un petit groupe citoyen s’est très rapidement développé : au début du printemps 2020, en quelques semaines, nous sommes passés de trois ou quatre personnes à cinquante.

En l’espace de deux ans et demi, nous avons mené des entretiens, environ 150 heures en tout, avec une cinquantaine de personnes. Nous avons adressé entre trente et quarante signalements à la cellule Signal-sports. Quand cela a commencé à se savoir, nous avons eu droit à toutes sortes de réactions. Nous avons ainsi été accusés de vouloir influencer les élections à la fédération de judo de novembre 2020, de faire cela pour que l’on parle de nous, ou encore pour régler des comptes après avoir été virés de la Fédération, par esprit de revanche. Mais ce n’est pas vrai. Les élections ont eu lieu et, comme vous le voyez, cela ne nous a pas intéressés. On m’avait également accusé de faire cela pour obtenir « un poste à la fédé » mais non, je ne travaille pas à la fédé, même si on m’avait fait des appels du pied lorsque je suis revenu de ma mission à l’étranger. Aujourd’hui, les manipulations contre nous sont un peu différentes : on prétend qu’il ne s’agissait pas de violences mais de techniques dures d’entraînement, que nous aurions réinterprétées ou surinterprétées – je détaillerai un peu plus tard le contenu des signalements.

Dans ces signalements, et même s’il faut se garder de généraliser car tous les clubs ne pratiquent pas ainsi, nous avons recensé des viols, des agressions sexuelles, des abus et des violences sur mineurs, du harcèlement, des phénomènes d’emprise, du bizutage, le visionnement de films pornographiques en présence de mineurs, l’exhibition de parties génitales, des jeux à caractère sexuel, ainsi que des moqueries, surnoms, brimades, insultes, humiliations publiques et coups – bref, toute la panoplie de l’horreur. Quand un agresseur est pointé du doigt, il nie évidemment avoir commis ces actes. Pourtant, quand on met tous ces signalements sur la table, c’est tout cela qu’on récolte.

Il existe des liens évidents entre tous ces cas, le premier d’entre eux étant l’omerta. Il y a dans ces affaires des personnes dont il est impossible qu’elles n’aient pas été au courant, certaines étant mêmes envoyées par la fédération, avant 2020, en tant que conciliateurs. J’ai travaillé seize ans à la fédération, je sais comment cela se passe : dès lors que l’on envoie un cadre national comme conciliateur dans une réunion, il est absolument impossible que toute la hiérarchie ne soit pas mise au courant des faits. De même, on ne peut pas nommer un cadre sur une mission nationale sans que toute la hiérarchie en soit informée.

Avant d’en venir au premier thème, j’aimerais dire une dernière chose : pour nous, ce qui se passe ici est formidable. Je remercie vraiment les députés qui ont pris l’initiative de la création de cette commission d’enquête, ainsi que les quelque trente ou quarante personnes qui sont connectées en visioconférence. Il faut en effet comprendre que nous n’avançons que grâce au courage et à la parole des victimes ; or personne ne veut les recevoir. Je suis allé voir les instances nouvellement élues de la fédération pour leur demander de prendre le taureau par les cornes et d’inviter ces gens pour écouter ce qu’ils ont à dire – je tiens tout le dossier à leur disposition. Je ne m’explique pas pourquoi cela n’a pas été possible. Vous êtes les premiers à le faire et, pour nous, c’est très important.

J’en viens maintenant à la première thématique, consacrée à l’identification des victimes et aux difficultés auxquelles elles sont confrontées une fois qu’elles se sont dévoilées. Par le passé, quand une victime se faisait connaître, tout l’environnement sportif lui tombait dessus. Souvent, le président départemental ou le président de la ligue, parfois le conseiller technique régional (CTR), allaient la voir pour la dissuader de porter plainte en lui conseillant de bien réfléchir à la suite : faire du haut niveau, s’entraîner au pôle, être sélectionné, cela ne serait plus possible ; et puis il fallait penser au club, c’est un jury de la fédération qui fait passer les grades, cela mettrait en difficulté ses camarades. Plusieurs témoins parlent même de « terreur administrative » pour décrire les instances de leur région. Souvent, cela fonctionnait : des personnes ayant subi des exactions, des faits graves, renonçaient à témoigner ou retiraient leur plainte sous la pression.

Au bout de quelques années, cette pratique devient une sorte de modus vivendi : quand il y a un problème, avant quelque action que ce soit, des proches de la victime lui conseillent de ne rien faire parce que cela va se retourner contre elle et contre le club. Parfois, même l’entraîneur ou l’éducateur sportif, qui souhaite pourtant l’accompagner, lui conseille de ne rien faire. Nous avons également des cas de jeunes qui, dans les pôles Espoirs, vivent des choses abominables – ils se font lyncher sur le tatami, des choses qui n’ont rien à voir avec des techniques dures d’entraînement – et qui supplient leurs parents, qui, eux, sont furieux, de ne pas porter plainte, parce qu’ils craignent que tout soit fini pour eux ensuite. Nous avons des kilomètres de tels témoignages.

Aujourd’hui, la situation a un peu évolué. Depuis les révélations de Sarah Abitbol et la création du dispositif Signal-sports, ce sont les pouvoirs publics qui se tournent vers toute la communauté sportive et demandent aux victimes d’avoir le courage de parler. En tant qu’associatifs, nous appuyons cette démarche du ministère et encourageons les victimes à parler, car elles sont parfois réticentes. Sauf que, du fait de l’omerta que j’ai décrite, les faits que l’on nous signale sont la plupart du temps prescrits. Résultat : il ne se passe rien, en dehors de quelques enquêtes administratives. Les victimes continuent de croiser leur agresseur « présumé », qui parfois n’hésite pas à les narguer, voire les menaces d’une plainte en diffamation.

Il y a là un paradoxe. Les pouvoirs publics demandent aux victimes de témoigner alors que celles-ci sont déjà en situation de vulnérabilité et éprouvent de grandes difficultés à reparler de ce qui s’est passé ; mais quand elles prennent leur courage à deux mains et témoignent, il ne se passe rien. C’est un deuxième préjudice pour elles, qui se demandent à quoi cela a servi puisque, un an ou deux après, l’agresseur est non seulement toujours là, mais soutenu par de nombreuses personnes – des cadres, des conseillers techniques sportifs (CTS) – qui envoient des lettres de soutien sans leur avoir jamais demandé, à elles, ce qui s’était passé.

Et il y a un troisième préjudice, quand une commission de discipline de la fédération déclare que les faits sont prescrits. De plus en plus, les personnes accusées d’agression, avec le soutien de certaines instances régionales, annoncent qu’elles vont attaquer la victime en diffamation. Je soulève ce point parce que c’est une difficulté majeure. Nous respectons évidemment le principe de la prescription, mais nous constatons que la justice ne fonctionne pas. Je ne vois pas comment nous pourrons avancer si nous ne trouvons pas une solution pour rééquilibrer la situation.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vous remercie d’avoir accepté de témoigner devant cette commission d’enquête. Je souhaiterais que vous précisiez deux points. Tout d’abord, vous avez indiqué avoir transmis entre trente et quarante signalements à la cellule du ministère des sports : pouvez-vous nous dire quelles suites leur ont été données ? Y a-t-il eu une instruction ?

Par ailleurs, vous avez évoqué la présence de conciliateurs pour régler certaines affaires. Je suppose, compte tenu de la manière dont vous le dites, que le but est d’éviter le dépôt de plaintes et d’échapper à une instruction. Vous avez parlé de cadres nationaux : de quels cadres s’agit-il ? Viennent-ils du ministère des sports ou de la fédération ?

M. Patrick Roux. Dans les signalements et aussi parfois les comptes rendus d’auditions que nous avons pu consulter, nous avons relevé la présence de cadres faisant partie de la direction technique nationale de la gouvernance précédente, celle de la fédération d’avant les élections de novembre 2020. Ces cadres techniques nationaux ont été envoyés dans différentes régions de France – leurs noms apparaissent à plusieurs reprises – à l’évidence pour éteindre l’incendie. Ils jouent un rôle de « conciliateur », mais je vous invite à lire en détail les signalements et à vérifier ce qui s’est passé ensuite… Deux choses me surprennent : le fait que certaines personnes sont envoyées de manière récurrente et le fait que, dans au moins un ou deux cas, les personnes envoyées sont elles-mêmes signalées dans d’autres dossiers et ont des « casseroles ».

Concernant les signalements, nous en avons envoyé beaucoup et je sais que cela a, dans un premier temps, déclenché des enquêtes administratives. J’ai moi-même été auditionné par les DRAJES (délégations régionales académiques à la jeunesse, à l’engagement et aux sports) de Paris et du Val-de-Marne et par le SDJES (service départemental à la jeunesse, à l’engagement et aux sports) de l’Hérault. Dans les deux premiers cas, j’ai trouvé les enquêteurs très sérieux et professionnels ; j’étais très satisfait de l’entretien. Dans le troisième, j’ai été choqué par le rapport qui a été rédigé, avec un contresens à chaque paragraphe et dénaturant complètement mes propos. Karine Repérant, qui a également été auditionnée, a fait le même constat. Je ne veux pas faire un procès d’intention à qui que ce soit, mais cela amène à s’interroger.

Un bémol cependant : en deux ans, la cellule Signal-sports a reçu un tsunami de signalements qu’elle n’était pas préparée à gérer et qu’elle a redirigés sur les SDJES, au niveau départemental, voire sur les DRAJES. Or, les cadres administratifs de ces structures ont d’autres tâches à effectuer, et ne sont pas du tout formés dans ce domaine. Je suis allé les voir : l’inspectrice avec qui j’avais rendez-vous m’a posé un lapin et la personne qui m’a reçu s’est avérée calamiteuse. Un tel fonctionnement entrave véritablement l’efficacité des enquêtes.

Par ailleurs, il y a des hypothèses qu’on ne peut pas ne pas faire. Dans le monde du sport, tout le monde se connaît. Certains entraîneurs de haut niveau deviennent, quelques années plus tard, un de ces conseillers administratifs de DRAJES dans les mains desquels passent les dossiers. Ils peuvent connaître la personne mise en cause, voire avoir travaillé à ses côtés. Je me contente de décrire la situation, sans faire de procès d’intention, mais nous avons connaissance de cas où la personne responsable de la lutte contre les violences sur son territoire est citée dans trois ou quatre dossiers par des victimes ou des témoins. Cela évolue sans doute, au fur et à mesure que les choses se mettent en place, mais quand on regarde le tableau d’ensemble, l’existence de collusions et d’arrangements ne fait aucun doute. Les personnes du secteur associatif en sont conscientes : pourquoi cela n’est-il pas le cas de celles chargées des enquêtes ?

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous souhaiterions que vous nous fassiez parvenir par la suite le nom des administratifs et conciliateurs concernés, afin de pouvoir également les entendre. Par ailleurs, avez-vous reçu de nouveaux témoignages, ou des menaces, depuis la publication de votre livre, ou même depuis 2020 ?

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Depuis les élections de 2020, les choses ont-elles changé ?

M. Patrick Roux. Depuis la parution du livre, à chaque article ou enquête publiés dans les journaux – Mediapart, L’Équipe, Le Monde –, nous recevons un ou deux nouveaux témoignages. Cela ne rate jamais.

Au printemps 2022, j’ai reçu un témoignage concernant des faits importants de violences et de harcèlement sur mineur, datant de 2021. Comme d’habitude la victime, voulant poursuivre son parcours à haut niveau, ne voulait pas parler par peur de représailles. J’ai tout de même dirigé cet homme vers la personne responsable du SDJES concerné : celle-ci l’a appelé à deux reprises, alors qu’il n’était pas disponible ; il a sollicité un rendez-vous en visioconférence mais, à ma connaissance, n’a jamais été rappelé. Il s’agit d’agissements préoccupants, au sein d’un pôle Espoirs où plus de vingt signalements ont été recueillis, et que j’analyse comme la répétition, par la génération suivante d’entraîneurs, des comportements violents qu’ils ont eux-mêmes subis. Karine Repérant pourra vous expliquer que ce mécanisme psychologique est quasiment inévitable.

Quant à d’éventuelles menaces, j’ai plutôt fait l’objet de tentatives de découragement ou de manipulation. Au printemps, juste après la parution du livre, un personnage un peu fantasque a produit une vidéo sur YouTube, dans laquelle il m’accusait d’abord d’avoir été moi-même un entraîneur violent. Ces accusations ridicules ne m’atteignent pas beaucoup, dans la mesure où les gens me connaissent bien, dans le milieu – alors que j’étais entraîneur, j’essayais déjà de favoriser la préparation mentale, justement parce que j’estimais que la dimension humaine était négligée. Cet homme m’accusait aussi d’avoir abusé sexuellement de l’une des athlètes que j’entraînais. Cette femme – désormais policière – a témoigné en ma faveur et j’ai porté plainte. Il est à noter que ce monsieur se dit très ami avec l’un des entraîneurs qui a fait l’objet d’une enquête après le dépôt de plainte de plusieurs femmes – mais les faits sont prescrits.

Car il y a des gens qui collectionnent les affaires. Dans un cas, après un premier témoignage terrible qui date de 2002 – un jeune âgé de quinze ans qui s’était fait broyer les vertèbres –, d’autres se succèdent quasiment jusqu’à aujourd’hui. Et, entre l’omerta et la prescription, ces gens se sentent autorisés à intimider, à contre-attaquer en nous accusant de diffamation, à réclamer aux clubs des listes de soutien à notre encontre. Certes, cela n’est pas très agréable, mais personne ne m’a encore cassé la figure, pour l’instant.

(Mme Marie David prête serment.)

Mme Marie David, professeure de judo. J’ai été victime de violences psychologiques et sexuelles à l’âge de dix-huit ans, alors que j’étais judokate au sein d’un pôle Espoirs. Pendant deux ans je n’ai rien dit, parce que j’avais peur et que je pensais que personne ne me croirait. Lorsque j’en ai parlé, à vingt ans, j’ai été exclue de ce pôle Espoirs où je m’entraînais. À l’époque, très peu de gens m’ont crue et j’ai été traitée en paria dont il fallait se débarrasser. Pardon pour ma voix qui tremble : on dit souvent que la peur doit changer de camp, mais pour l’instant, elle est toujours de mon côté.

Pendant les dix-huit années suivantes, je n’ai plus rien dit, pensant que c’était inutile. Je suis tout de même devenue professeure de judo, notamment pour protéger mes élèves. Je n’y suis pas totalement parvenue, puisque l’un de mes élèves a subi une agression sexuelle de la part d’un professeur de judo.

Suite aux révélations de Sarah Abitbol et à ce qu’elles ont déclenché, j’ai décidé de témoigner. En mars 2020, j’ai adressé mon témoignage à la cellule Signal-sports, ainsi qu’à la fédération de judo, qui venait d’ouvrir un onglet dédié pour recueillir des témoignages. L’ancienne gouvernance de la fédération a considéré qu’il ne lui appartenait pas de traiter du cas des trois entraîneurs dont je dénonçais le comportement, ceux-ci étant cadres d’État. Du côté de la cellule Signal-sports, j’ai d’abord été entendue à la DDJS (direction départementale de la jeunesse et des sports), qui a classé mon dossier sans suite, puis à la DRAJES, où j’ai dû à nouveau tout raconter, durant plus d’une heure, à deux hommes. On m’avait indiqué que, quelle que soit la décision qui serait prise, j’aurais des explications : au bout d’un ou deux mois, c’est une décision de ne pas donner suite qui a été rendue, fondée sur l’« intime conviction » de ces deux hommes, sans davantage de précisions. J’ai donc demandé des explications à la cellule, sans remettre en cause la décision mais pour la comprendre : puisque les victimes sont invitées à parler et qu’il est éprouvant d’être entendue plusieurs fois, la seule mention d’une « intime conviction » ne me paraît pas suffisante pour pouvoir aller de l’avant. Je n’ai jamais obtenu de réponse.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pouvez-vous revenir sur la nature des événements ?

Mme Marie David. Un premier entraîneur est venu dormir dans mon lit, en présence de témoins, lors d’un stage de judo, alors que j’étais âgée de dix-huit ans. Un deuxième, cadre d’État sur un autre pôle, m’a agressée sexuellement pendant une nuit : il m’aurait sans doute violée si une amie n’était pas entrée dans la pièce. Un troisième entraîneur, n’ignorant aucun de ces faits, n’a eu aucune autre réaction que de m’exclure du pôle lorsque j’ai parlé.

En novembre 2020, j’ai témoigné dans Le Parisien, qui publiait un article sur les dérives dans le judo. À la suite de ce témoignage, l’ancienne gouvernance de la fédération de judo a quand même ouvert une enquête, portant sur un seul des trois entraîneurs. Une commission de discipline s’est tenue, sous l’égide de la nouvelle gouvernance : la décision qui a été prise étant confidentielle, je ne peux pas en parler. S’agissant de l’entraîneur qui m’avait agressée sexuellement, on m’a indiqué qu’il n’était pas possible d’entreprendre quoi que ce soit car il n’était plus sur le sol français. Mais j’ai appris qu’il est revenu en France. J’ai été accusée de dénonciation calomnieuse. J’ai été entendue à la gendarmerie, ce qui a été une épreuve terrible : la société nous invite à parler, mais ensuite, on est toute seule… J’ai donc été entendue à la gendarmerie, à trois reprises : on a pris des photos de moi, de face et de côté, ainsi que mes empreintes digitales, de chaque doigt ; je me suis sentie comme une criminelle, terriblement seule, c’était horrible. La plainte a été classée sans suite, mais cela a été très éprouvant.

Il y a deux ans, j’ai porté plainte pour l’agression sexuelle d’un entraîneur. Il me semble que cet entraîneur n’a toujours pas été entendu, malgré son retour sur le sol français. Je sais qu’il est sur les tatamis et remet des diplômes de grade. J’ai à nouveau témoigné cette année, dans un article de Mediapart. À ce jour, aucune suite n’a été donnée par la gendarmerie, qui m’a indiqué avoir perdu mon dossier en raison d’un problème numérique. Je n’ai pas de nouvelles non plus de la fédération de judo. Pour avancer, j’ai sollicité un dialogue avec un élu sur ces questions, mais je n’ai aucun retour, ni de la fédération, ni de la gendarmerie, ni du procureur.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous vous remercions beaucoup pour votre témoignage, car nous savons que cela n’est pas facile. Si vous le souhaitez, vous pourrez nous communiquer par écrit le nom des personnes que vous mettez en cause, afin que nous les entendions.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Hier, nous avons auditionné d’autres victimes, en ayant ce même sentiment que parler se retournait contre elles, comme cela a d’ailleurs été longtemps le cas pour les femmes battues. Pour ces dernières, on a un peu progressé, mais dans le domaine sportif non. Ce que je ne comprends pas, c’est que pour des violences sexuelles, la justice habituellement va très vite. Les délais que vous décrivez sont incompréhensibles. Avez-vous des explications sur ce point ?

Par ailleurs, l’une des deux victimes auditionnées hier ne connaissait pas la cellule Signal-sports alors qu’elle était membre de l’Insep. On a le sentiment que les paroles recueillies sont diluées dans une multitude d’associations, sans qu’au bout du compte, rien ne bouge. Quels sont les chiffres ? Combien de personnes ont donné l’alerte, pour combien de condamnations ? Quel est le nombre de plaintes déposées ? En vous entendant, madame David, on mesure à quel point votre démarche demande du courage, et il n’y a rien de pire que l’injustice. Les procédures entamées par les personnes auditionnées hier avaient toutes été classées sans suite : qu’en est-il pour vous, madame David ?

Mme Marie David. Pour le moment, je n’ai aucune nouvelle. J’ajouterai qu’il est également éprouvant de devoir rappeler sans cesse la gendarmerie ou le tribunal judiciaire pour savoir où on en est.

Pendant un temps, ce dernier me disait n’avoir reçu aucun dossier alors que la gendarmerie affirmait l’avoir transmis. Au final, il y a six mois, le tribunal m’a indiqué que mon dossier avait été égaré suite à une erreur numérique et qu’il allait être relancé. Voilà ce qui s’est passé en un an et demi. Mon amie, témoin de l’agression, a été entendue dans un poste de gendarmerie il y a un an, mais depuis, je ne saurais vous dire si l’affaire est classée ni si la personne mise en cause a été entendue.

M. Patrick Roux. J’ai écouté l’audition des deux athlètes, hier, et beaucoup de parallèles peuvent être faits. Je précise toutefois qu’il ne faut pas se focaliser sur les violences sexuelles : Mme Repérant évoquera aussi le harcèlement et les violences sur mineur qu’ont vécus une dizaine des personnes qui sont connectées aujourd’hui. La violence sur mineur, dans le cadre d’un sport de combat, cela veut dire qu’on camoufle dans de fausses techniques de judo des coups, des étouffements, des étranglements – en réalité des actes inacceptables, destinés à faire souffrir. Les signalements nous ont montré que certaines des personnes qui ont subi cela à l’âge de quinze ans ou de seize ans, dans une atmosphère coercitive où on leur répétait en boucle qu’elles étaient nulles, incapables et ne seraient jamais des champions, ont complètement dévissé : certaines d’entre elles se sont retrouvées à seize ans en suivi psychiatrique, ou ont développé des addictions. Il s’agit donc potentiellement d’un problème de santé publique, qui concerne énormément de sportifs et pas seulement des judokas. Nous ne connaissons pour l’instant que la partie émergée de l’iceberg.

(Mme Myriam Wendling prête serment.)

Mme Myriam Wendling, ancienne conseillère technique de gymnastique artistique, cadre d’État à la DRAJES Grand Est. J’ai été conseillère technique sportive (CTS) de gymnastique durant plus de trente ans et je travaille actuellement à la DRAJES de la région Grand Est. J’ai quitté la Fédération française de gymnastique, n’en partageant plus les valeurs. Je souhaite revenir sur l’omerta et sur la difficulté à effectuer des signalements qu’a évoqués Patrick Roux, qui existent aussi dans le milieu de la gymnastique. À la sortie de son livre, j’ai réalisé que nous vivions exactement la même chose. J’insisterai sur le harcèlement moral et les violences psychologiques et physiques, qui sont différentes de celles ayant cours dans le judo, qui est un sport de combat.

En tant que CTS, j’ai travaillé dans la filière d’accession au haut niveau et j’ai observé ou eu connaissance de cas de harcèlement moral sur des gymnastes. Puis ma fille a eu la chance d’intégrer une structure de haut niveau, ce qui était son rêve. Mais, alors que j’appréciais l’entraîneur, que je l’avais même félicité pour sa bienveillance, l’envers du décor s’est avéré bien différent une fois les portes closes, avec des pratiques d’un autre temps, des humiliations, de l’abaissement, des entraînements allant au-delà du raisonnable, y compris en cas de douleurs liées à des pathologies de croissance. Ma fille a pu entendre, quand une athlète était blessée, « ce n’est pas grave s’il y a de la casse, du moment qu’il en reste une à la fin » et autres réflexions de ce genre, régulièrement. Il y avait aussi de fortes pressions sur l’esthétique et sur le poids, et beaucoup d’humiliations, tout cela dans un cadre de silence imposé et d’incitation au mensonge, car ce qui se passe dans le gymnase ne doit pas en sortir.

Il y a eu une montée en puissance et, après un événement particulier qui ne la concernait pas directement, en décembre 2020, j’ai décidé de parler. Ma fille m’a suppliée de ne rien dire, sachant que ce serait la fin de sa carrière dans une structure de haut niveau ; et c’est ce qui s’est passé. Mais en tant que maman et cadre d’État, considérant que les sportives étaient en danger, je me devais de donner l’alerte. J’ai souhaité avoir un échange avec la structure d’entraînement afin de tout mettre à plat, de faire prendre conscience des souffrances psychologiques et des conséquences engendrées par ce type d’entraînement sur des jeunes gymnastes, âgées de douze ans à seize ans, et de provoquer un changement de méthodes. L’entraîneur a directement contacté les responsables nationaux, qui m’ont avisé, deux jours plus tard, que ma fille ne resterait pas dans cette structure de haut niveau. Début janvier 2021, il m’a été signifié que je ne participerais plus aux stages des équipes de France, où j’étais systématiquement convoquée, étant aussi juge internationale. Dès lors, j’ai été écartée de toutes les sélections des équipes de France et de toutes les compétitions internationales, au motif que ma présence perturberait les gymnastes de la structure concernée. Ma fille, qui avait été transférée, devait quant à elle subir la présence de celui qui lui a fait du mal, ce qui a été extrêmement difficile à vivre.

Au début du mois de janvier s’est tenue une réunion de conciliation avec les responsables nationaux. Pour ma part, j’ai trouvé leur positionnement insuffisamment ferme, sans réelle écoute des victimes, dont ma fille. J’ai contacté l’association Colosse aux pieds d’argile, qui a signalé les faits auprès de la fédération ; une réunion s’est tenue avec les responsables nationaux ; c’est le DTN qui a alors déposé le dossier auprès de la cellule Signal-sports. Une enquête administrative a été engagée, ainsi qu’une enquête judiciaire à l’initiative des inspecteurs du SDJES concerné.

Malgré cela, et malgré des courriers de plusieurs parents relatant des faits graves, la commission disciplinaire de la fédération n’a pas sanctionné l’entraîneur, qui a pu revenir dans le gymnase, en faisant appel de l’interdiction en urgence dont il avait fait l’objet par le SDJES. Tout au long des dix ou onze mois de l’enquête judiciaire, cet entraîneur était présent tout à fait normalement sur les plateaux et les victimes devaient supporter d’être à son contact. Au final, nous avons été cinq parents à porter plainte contre cet entraîneur. J’étais la seule dont la fille faisait encore de la gymnastique, toutes les autres, qui ont décidé de porter plainte, étant parties dans les mois précédents, pour les mêmes raisons ; elles avaient fait des signalements à la fédération, sans avoir de retour.

De telles maltraitances ont des conséquences post-traumatiques effroyables sur les athlètes. Je connais des gymnastes qui sont encore hospitalisées aujourd’hui pour des rechutes de dépression, alors qu’elles ont arrêté de pratiquer depuis cinq ou six ans. L’une d’entre elles est en affection de longue durée. On ne peut plus accepter que des enfants subissent cela et que des jeunes femmes continuent, après la fin de leur carrière, à souffrir de ce qu’elles ont vécu dans les gymnases.

Tous les entraîneurs ne sont pas maltraitants et tous les gymnases ne sont pas le lieu de violences, mais les pratiques, notamment dans la gymnastique, sont rudes – comme si on ne pouvait pas atteindre la performance sans humilier, rabaisser, négliger les blessures et les maladies de croissance.

Je porte la parole de toutes les gymnastes qui ont témoigné lors du procès qui a eu lieu deux ans après le signalement – dès lors qu’on se décide à parler, on part pour un long combat ! Les filles ont été traitées de menteuses sur les réseaux sociaux, et moi, de folle. Au cours de ce long parcours judiciaire, j’ai eu la chance, contrairement à Marie David, d’être informée, même s’il a fallu que j’en prenne l’initiative ; mais à force de renvois, la procédure a duré deux ans avant que nous puissions nous expliquer à la barre. L’entraîneur a été condamné à six mois de prison avec sursis et 10 000 euros d’amende.

À la suite d’un reportage diffusé dans « Stade 2 » en mai, la ministre des sports a prononcé à son encontre une interdiction d’exercer. C’est aux médias que nous devons cette avancée. Et si la position de la fédération a évolué et qu’elle s’est progressivement placée aux côtés des victimes, c’est bien aussi grâce aux articles de presse – L’Équipe a publié un article en août, puis six pages ont été consacrées au sujet dans L’Équipe magazine, en donnant la parole aux victimes. Les réactions sont rudes pour les gymnastes et leurs parents car l’omerta demeure – il ne faut pas casser l’image de la gymnastique.

La gymnastique est un sport exceptionnel, mais il faut que les choses avancent. La volonté des cinq gymnastes qui ont porté plainte, c’est que ce qu’elles ont vécu n’arrive plus à d’autres petites filles dans aucun gymnase.

 

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous allons aborder la deuxième thématique de cette audition, avec d’abord Mme Karine Repérant, psychologue indépendante et co-auteure du Revers de nos médailles, qui va clarifier la nature des faits et leurs conséquences post-traumatiques, et lever toute confusion entre techniques d’entraînement à la dure et violences sur mineurs ou autres exactions.

(Mme Karine Repérant prête serment.)

Mme Karine Repérant, psychologue indépendante, co-auteure du livre Le revers de nos médailles. Permettez-moi d’abord de remercier toutes les personnes qui ont accepté de témoigner car, vous l’avez constaté, ce n’est pas facile. Certaines d’entre elles le font pourtant pour la énième fois.

Je suis diplômée de psychologie du sport, avec une spécialisation dans la victimologie, matière dans laquelle on travaille aussi bien avec les victimes qu’avec les agresseurs.

J’ai commencé ma carrière dans le domaine de la prévention du harcèlement ainsi que des violences sexuelles et sexistes dans le sport, ce qui correspondait à la volonté ministérielle de l’époque. Nous avons créé des groupes de parole pour permettre aux sportifs des pôles Espoirs et des pôles France de s’exprimer. L’un des objectifs était de clarifier la limite, qui n’est pas toujours reconnue, entre les concessions nécessaires pour devenir un sportif de haut niveau et la souffrance.

J’ai été missionnée par la DRDJS (direction régionale et départementale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale) de l’Hérault pour animer des groupes de parole dans des petits clubs de natation synchronisée et de judo. S’agissant du judo, j’ai noté des pratiques choquantes. On m’a alors expliqué que je n’y connaissais rien, puisque j’étais issue de la natation. J’ai donc beaucoup écouté, et recueilli des témoignages de jeunes judokates et judokas – car les victimes ne sont pas seulement des adolescentes, tout comme les entraîneurs maltraitants ne sont pas toujours des hommes. Ils m’ont rapporté des maltraitances au cours de stages des pôles Espoirs dans les régions Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca) et montpelliéraine.

J’ai remis un rapport faisant état d’une suspicion de maltraitance à la DRDJS – devenue la DRAJES – qui m’a répondu qu’elle ne pouvait pas faire grand-chose et que je devais déposer plainte en mon nom, ce que j’ai fait dans les deux régions. J’ai été entendue par la brigade des mineurs pendant une éternité. Et voilà. Il ne s’est rien passé d’autre sur le plan judiciaire. Une enquête administrative a été diligentée par la fédération de la région Paca. Elle a conclu à l’absence d’omerta. Les entraîneurs ont nié la maltraitance, justifiant l’utilisation de certains objets par exemple par la volonté de faire peur et non de faire souffrir. L’histoire s’est arrêtée là. C’était en 2011. Depuis cette date, les entraîneurs ont continué à exercer leur activité et les victimes à subir.

Pour ma part, pour répondre à votre question de tout à l’heure, je n’ai pas été menacée. On m’a juste demandé – on m’a appelée pour me poser la question – si je n’avais pas eu des relations sexuelles avec la moitié des membres de la fédé de judo.

Par la suite, on m’a complimentée pour mon action en faveur de la prévention des violences sexuelles, tout en m’expliquant qu’il était tout de même un peu malvenu de faire remonter autant de choses et qu’il serait préférable que j’aille travailler ailleurs. Après deux ans, j’ai donc changé de métier – car j’en avais la possibilité. Un sportif n’a pas cette chance. Pour un sportif qui fait partie d’un pôle Espoirs, dénoncer quelqu’un, cela signifie arrêter sa carrière et renoncer à son rêve olympique. C’est déjà difficile de ne pas croire en son entraîneur, mais l’accuser de maltraitance, c’est ruiner sa propre carrière. L’omerta commence là, quand la victime se retient de dénoncer celui qui peut lui permettre d’atteindre son objectif.

Vous avez remarqué que Marie David a encore la voix qui tremble aujourd’hui, en parlant de faits qui remontent à plusieurs années, même si elle est dans son bon droit et que tout le monde le sait. Un abus sexuel, qu’il ait été commis dans le cadre du sport ou pas, est un traumatisme à vie. Mais dans le microcosme sportif, il y a encore une autre dimension : le corps est un outil de performance. Certes, votre corps vous appartient, vous le savez bien, mais vous le laissez aussi aux autres : vous êtes pesé, étiré ; votre alimentation est contrôlée ; votre corps est touché par votre kiné, votre médecin, votre entraîneur. En fait, le sportif ne le maîtrise pas entièrement. Il est donc compliqué de connaître les limites, et un enfant de quinze ans ne peut tout simplement pas savoir quand dire « stop », ce n’est pas possible.

J’ai été entendue récemment par la DRAJES de l’Hérault sur des faits prescrits, s’agissant notamment d’un entraîneur qui aurait eu des relations dites consenties avec une mineure de seize ans. Le monsieur qui m’interrogeait m’a demandé si « la demoiselle était fière de sortir avec son entraîneur ». Je crois que cela résume tout ce que l’on peut répondre lorsque vous demandez ce qu’il advient des plaintes… Puisqu’on en arrive à poser des questions pareilles à des psychologues, il faut que je le dise clairement : un entraîneur n’a pas à sortir avec une gamine de seize ans, un point c’est tout. Il est très choquant de constater que la parole est encore mise en doute.

Lorsqu’un entraîneur est condamné par la justice à une peine avec sursis, il faut que la ministre prononce une interdiction d’exercer pour qu’il cesse enfin d’entraîner. Certains continuent à travailler avec des mineurs malgré des dossiers judiciaires bien remplis. Ils peuvent avoir été condamnés, les fédérations ne font rien. Les mécanismes de pouvoir permettent de maintenir l’omerta : personne ne jouera sa place au sein de la fédération pour sauver des victimes ; et dans les petits clubs, dans lesquels la gagne est moins cruciale, j’ai entendu des parents et des responsables m’expliquer que l’entraîneur travaillait à la mairie et qu’on ne pouvait donc rien dire ! C’est sidérant. Il faut que des journalistes publient les faits pour qu’enfin les victimes soient entendues. C’est d’ailleurs le principe de base de l’omerta : il ne faut rien rendre public, pour ne pas dévaloriser le sport. Le judo et la gym sont de super sports ; les entraîneurs, dans leur grande majorité je l’espère, sont de super entraîneurs. Mais, par crainte de se voir coller une mauvaise étiquette, on cache les dérives, on les autorise.

Certains sportifs ayant obtenu des résultats corrects ont connu des entraîneurs qui les ont tabassés, maltraités. Dans des sports de combat comme le judo, des filles m’ont dit que quand elles tenaient tête à l’entraîneur, elles recevaient des coups ; quand elles s’ouvraient la lèvre, des entraîneurs venaient la leur lécher. Ce n’est pas une agression sexuelle, on est loin du viol, mais c’est humiliant. Ces gamines ne se sentiront jamais autorisées à exister – on leur a léché le sang ! Vous vous rendez compte à quel point cela peut bousiller quelqu’un pour toute sa vie. Ces jeunes filles seront dépressives chroniques ; si elles parviennent à être mères, elles vivront difficilement leur maternité ; leur rapport aux hommes sera complexe. Bref, toute une vie compliquée pour des jeunes filles qui voulaient juste faire du sport. Et pour ceux qui ont laissé faire sans rien dire, c’est horrible.

Certains, pour pouvoir continuer à vivre correctement, vont reproduire ce qu’ils ont vécu. Des entraîneurs maltraitent leurs sportifs parce qu’eux-mêmes ont été maltraités, pour pouvoir accepter ce qu’ils ont subi. La maltraitance devient légitime. Si on ne casse pas ce cercle vicieux, cela continuera. Certes, il y a des entraîneurs pervers, des gens qui commettent des agressions sexuelles, qui travaillent avec des mineurs parce qu’ils ont une perversion au départ. Mais certains développent une déviance parce qu’ils ne sont pas assez stables psychologiquement par exemple pour travailler avec des adolescents. Ils sont dans une boucle qu’il faut casser. Il faut faire cesser ces pratiques, il faut juger et condamner ceux qui ont commis des actes répréhensibles, mais il faut aussi faire disparaître cette boucle. Il ne faut pas avoir peur du monde sportif.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je précise que le fait que vous avez rapporté constitue bien une agression sexuelle.

Avez-vous une suggestion, pour mettre fin à ce processus ? Par ailleurs, quel regard portez-vous sur la présence des psychologues au sein de l’Insep et des fédérations sportives ? Vous citez dans le livre des exemples étrangers – de mémoire, le Japon et la Chine. Quelles leçons pouvons-nous en tirer ?

Mme Karine Repérant. Je ne suis pas sûre d’avoir une solution miracle. Toutefois, il est clair qu’il faut compléter la formation des entraîneurs. À aucun moment les déviances potentielles ne sont abordées. Or il y a une proximité physique qui peut être problématique entre un jeune entraîneur et son élève adolescent. Par exemple, pour le tennis, il faut beaucoup travailler sa posture : le corps-à-corps est inévitable. Entre un entraîneur de vingt-cinq ans et une gamine de seize ans, cela peut devenir compliqué pour l’un et pour l’autre. Or les entraîneurs ne sont pas préparés : on ne leur dit pas que la proximité peut provoquer quelque chose, qu’il leur appartient de gérer. On ne leur explique pas que même chez eux, cela peut faire naître une attirance, qui n’est pas perverse mais que c’est à l’adulte de gérer, et non à la gamine qui vit sa vie d’adolescente. Il faut donner aux entraîneurs des outils pour arriver à reconnaître une pulsion et à la maîtriser.

Ensuite, il faut mettre à disposition des sportifs un lieu où ils peuvent venir poser des questions pour savoir de quel côté de la limite ils sont, avec des interlocuteurs qui doivent absolument être extérieurs au sport. N’oublions pas qu’un préparateur mental dans un club a pour seul but de faire gagner le sportif. Il ne fera rien qui aille à l’encontre de cet objectif. Il faut donc une instance hors sport, une commission multidisciplinaire avec les points de vue de juristes, de conseillers d’orientation, de psychologues, de médecins du sport, pour apporter au sportif un accompagnement global dont l’objectif ne serait pas d’aller chercher des médailles. Pour l’instant, les victimes se font balader, alors qu’elles jouent leur vie !

Les psychologues jouent un rôle crucial dans le monde sportif, parallèlement aux préparateurs mentaux. Bien souvent, on confond préparation mentale et suivi psychologique.

Enfin, il faut continuer à recenser toutes les victimes, parce qu’elles ont aujourd’hui des vies très compliquées.

Pour la petite histoire, je ne travaille plus dans le monde du sport mais j’ai reçu la semaine dernière une adolescente de dix-sept ans qui a dû abandonner le handball professionnel à cause du harcèlement qu’elle connaissait de la part de son entraîneur – avec entre autres un chantage aux relations sexuelles pour faire partie de l’équipe ou être plus valorisée. Oui, cela existe encore.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le nombre de psychologues au sein de l’Insep et des fédérations sportives vous semble-t-il suffisant ?

Comment assurer la confidentialité des échanges ? Les deux athlètes que nous avons auditionnées hier ont refusé de solliciter les psychologues de l’Insep, sachant qu’à plusieurs reprises des informations recueillies lors des consultations avec les psychologues avaient été transmises aux entraîneurs.

Mme Karine Repérant. Rares sont les psychologues à travailler pour des fédérations. Ils font des interventions ponctuelles, selon le budget que le ministère des sports leur alloue. C’est plutôt le ministère qui les envoie, en gros pour assurer un suivi psychologique annuel. Les sportifs n’ont donc pas accès aux psychologues quand et comme ils veulent.

En tant que psychologues, mais aussi en tant que citoyens, nous sommes tenus de faire un signalement lorsque nous considérons qu’une personne est en danger ou met quelqu’un en danger. Or un psychologue qui travaille pour un club aura probablement pour premier réflexe d’essayer de trouver une solution avec l’entraîneur. Il sera plus facile à un psychologue indépendant, qui n’a aucun compte à rendre à la structure concernée, de faire un signalement – lequel doit être fait à la justice, pas à la fédération qui ne le traitera pas comme il le faudrait. Un viol est un viol. La fédération ne peut rien faire, c’est à la justice de s’en saisir. Si l’on travaille pour l’Insep ou pour une fédération, on aura plutôt tendance à envoyer un médiateur en cas de problème. Sauf que pour un viol, la médiation n’a pas lieu d’être. Pour une agression sexuelle, pour un entraîneur qui bousille le corps des gamins, il n’y a pas de médiation. Cela relève du pénal.

Donc non, il n’y a pas assez de psychologues, mais ceux auxquels il faudra faire appel ne doivent pas appartenir aux fédérations.

Mme Claudia Rouaux (SOC). J’ai toujours évolué dans le monde du sport, mais plutôt dans le secteur associatif, au niveau local. J’avais l’impression qu’en professionnalisant les entraîneurs, en les formant au sein des fédérations et en exigeant qu’ils obtiennent un brevet, nous les avions mieux sensibilisés à la prévention de tous les types de violences, notamment du harcèlement moral. Or, à vous entendre, on a le sentiment que rien n’a changé. C’est très inquiétant.

Dans la ville où je résidais il y a trente ans, on pouvait devenir entraîneur de judo avec une ceinture noire, sans suivre une formation spécifique. Aujourd’hui, les clubs de judo sont gérés par des sociétés privées, qui dispensent une initiation à des gamins dès l’âge de trois ou quatre ans, ce qui m’a toujours dérangée – ne peut-on pas faire de mal à un gamin de quatre ans qui pratique le judo ? Pensez-vous que nous n’avons pas pris la bonne direction pour améliorer l’éducation dispensée à ces enfants ? Sinon, quand on a acquis des valeurs tout petit dans un club, on devrait les garder quand on intègre un pôle !

M. Patrick Roux. C’est une question très importante, mais ne mélangeons pas tous les sujets, faute de quoi nous ne pourrons pas aller au fond des thématiques, à commencer par celle dont nous parlons sur l’identification des victimes.

(M. Yacine Ghediri prête serment.)

M. Yacine Ghediri, professeur de judo, entrepreneur. Il m’est difficile de parler aujourd’hui. Avant de le faire, je souhaite remercier Marie David pour son témoignage, ainsi que les filles qui ont été auditionnées hier. Elles ont évoqué des violences tout à fait différentes de celles que j’ai subies.

J’ai eu la chance de suivre des études fabuleuses à Marseille, dans l’un des meilleurs pôles France. Ma carrière de haut niveau a été tourmentée. Elle a démarré lorsque j’étais cadet, donc très jeune, dans un lycée où nous avions de très bons entraîneurs. Ce sont en réalité les entraîneurs d’autres sections, qui entretenaient une pseudo-rivalité, qui nous ont fait du mal. Lors de regroupements de structures, nous étions très souvent pris en charge par eux.

Je vous parlerai d’un stage que j’ai suivi dans les années 2000, auquel mes responsables de section n’ont pas participé ; l’un de nos entraîneurs était présent. Imaginez un gymnase classique dont la moitié de la surface est constituée d’un tatami. On vous met sur le bord de cette surface pour combattre quinze minutes avec un colosse, qui vous fait tomber un coup sur le tapis, un coup en dehors. Arrive un moment où vous vous demandez quand cela va se terminer.

Je suis toujours en colère. Grâce à ce qui se passe actuellement, l’individu qui m’a fait du mal a été un peu écarté, mais je crains qu’il ne revienne. C’est pour éviter son retour que je témoigne aujourd’hui. Si mes fils, en bas âge, ont un jour envie de suivre le même parcours que moi, je ne veux pas qu’ils soient confrontés à ce genre de personnage.

Lorsque j’ai commencé à témoigner, un certain nombre de judokas, notamment des enseignants, m’ont félicité. D’autres n’osent même plus me regarder. Mais même si le regard des gens est un peu difficile à supporter, je me dois de témoigner. Parce qu’à force de tomber un coup dedans, un coup dehors, il y a eu de la casse. Mon épaule s’en souvient encore – je ne peux plus faire certains mouvements. Mais la casse physique n’est pas la pire : la casse morale est plus grave. Lorsque j’ai eu mal, lorsque j’ai entendu le craquement, l’entraîneur, qui me regardait dans les yeux, m’a dit : « Tu aurais été dans mon pôle, tu n’aurais pas fait cinq minutes chez moi. » Cela résume bien le personnage.

Je ne veux pas être cet entraîneur-là. J’ai donc fait, comme Marie, le choix d’enseigner afin d’éviter que des enfants ou des jeunes sportifs vivent pareille situation.

Il y a deux ou trois ans, on m’a dit que mon témoignage ne servirait à rien. Mais je précise qu’à l’époque, ma mère était allée voir le président de la ligue : encore aujourd’hui, nous attendons de ses nouvelles.

(Mme Marie-Laurence Urvoy prête serment.)

Mme Marie-Laurence Urvoy, ancienne athlète du Dojo nantais. Je connais certaines des victimes présentes aujourd’hui. Je remercie Marie David : lorsqu’elle a commencé à témoigner de ce qu’elle a vécu, ce n’était pas vraiment le moment pour moi et je n’ai pas voulu parler. Mais par la suite, cela m’a beaucoup travaillée et j’ai craint que mon silence cause d’autres victimes. Avant de témoigner, j’ai échangé par téléphone avec plusieurs personnes, notamment avec Patrick Roux.

Ce que beaucoup décrivent, je l’ai vu sans forcément l’avoir vécu. J’ai moi-même quitté le domicile de mes parents parce que j’y subissais de la violence psychologique – de l’inceste, notamment. J’ai ainsi vu en mon entraîneur une autre figure paternelle. J’étais contente de sortir de chez moi. Si on m’a orientée vers le judo, c’est parce que je devenais très violente et que je gardais de la colère en moi. J’ai obtenu de bons résultats et, très rapidement, j’ai été admise au pôle Espoirs de Nantes. Cependant, il était difficile de s’épanouir du fait de la dualité entre le club et le pôle, qui a été évoquée.

J’ai essayé plusieurs fois de parler de ce que j’ai vécu. Cela paraîtra peut-être un peu violent à certains, mais je suis obligée de dire que parmi les personnes participant à cette table ronde se trouve l’un de mes agresseurs, qui m’a empêchée de parler. Témoigner reste très compliqué pour moi. Je reconnais qu’un agresseur a pu être une victime, mais il est aussi de ceux qui ont fait de moi une victime. J’ai beaucoup souffert, puisqu’il s’agissait de harcèlement sexuel. J’étais alors mineure. Il ne se passait pas grand-chose de vraiment sexuel au sein du club, mais une nuit par exemple, on m’a harcelée pour que j’aille coucher avec la personne qui assiste à cette réunion. Les souvenirs que je garde sont tout simplement horribles. J’avais connu la violence chez moi et voilà que je la retrouvais dans le sport, un lieu qui était censé me permettre de respirer.

Ces moments ont été à l’origine de nombreux traumatismes, car mes relations avec les hommes ont ensuite été désastreuses : je ne connaissais que la violence, les coups, les humiliations. Ainsi, ce que j’ai vécu dans le sport a eu des conséquences sur ma vie entière. Quant à la justice, elle a été totalement défaillante, considérant la victime comme quelqu’un qui simule et exagère. La plainte que j’ai déposée et les actions en justice que j’ai introduites pour obtenir réparation se sont avérées infructueuses. C’est pourquoi je ne vis plus en France aujourd’hui.

Il était important pour moi de venir témoigner aujourd’hui. Je viens aussi soutenir certaines personnes qui ont été victimes des mêmes bourreaux, qui ont subi les mêmes supplices que moi.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Merci à tous les deux pour vos témoignages. Nous avons choisi d’élargir le périmètre des faits concernés pour aborder aussi la question des violences physiques, nombreuses dans certaines disciplines.

Monsieur Ghediri, on comprend dans le livre que d’autres personnes ont subi des violences de la part du même entraîneur que vous. Au moment de ces entraînements, la fédération était-elle au courant ? Des adultes étaient-ils informés de ces pratiques au sein du club, qui se seraient abstenus d’alerter les parents, les familles, les athlètes ? Vous avez également indiqué qu’une procédure avait été engagée par votre mère, qui n’a pas eu de suite. S’est-il passé quelque chose depuis ? Vous avez dit que cet entraîneur n’était plus au contact d’athlètes aujourd’hui mais, au-delà des deux témoignages contenus dans le livre, lui connaissez-vous d’autres victimes ?

M. Yacine Ghediri. Au sein du pôle France où j’évoluais, il y a effectivement eu d’autres victimes : l’un de mes copains a eu un problème à la colonne vertébrale à la suite d’un combat du même genre. Dans mon cas, c’est l’articulation acromio-claviculaire qui a été touchée. Je parle au conditionnel, mais cet entraîneur a probablement causé d’autres blessures physiques – je n’ai pas suivi tous ses combats, je n’étais même pas dans sa section – et, encore une fois, le pire a vraiment été la phrase qu’il m’a dite, à la fin.

Si cet entraîneur n’est plus en fonction, c’est parce qu’il y a eu des procédures. J’ai été interrogé l’année dernière par le SDJES du Val-de-Marne, mais sans suites puisque les faits sont désormais prescrits.

J’aimerais rebondir sur des propos qui ont été tenus. Nous n’avons pas de formation ni de connaissances sur les procédures susceptibles d’être engagées. À l’époque, ma mère et moi étions commissaires sportifs : nous intervenions en tant que bénévoles lors de compétitions régionales ou locales. Après ma blessure, j’ai consulté mon médecin de famille et ma mère est allée voir directement le président de la ligue. Comme rien n’a été fait, il est clair que les faits ont été passés sous silence. Lorsque j’ai commencé à témoigner, l’entraîneur en cause a tout simplement déclaré qu’il n’avait pas participé au stage… Quelque chose s’est donc tramé pour éviter qu’il ne soit écarté.

S’agit-il d’un excellent entraîneur ? Je ne sais pas. Doit-il continuer à enseigner ? Ce n’est pas à moi de l’en empêcher. Je témoigne simplement de ce que j’ai vécu à l’âge de quinze ans. Encore aujourd’hui, à trente-sept ans, c’est difficile d’en parler. En tant que sportifs de haut niveau, nous sommes habitués à la douleur physique constante, aux petits bobos, au dépassement de soi. Mais un enfant qui n’est pas encore formé ne sait pas faire la différence entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. Quant à la douleur causée par la phrase prononcée par cet entraîneur, elle reste présente.

À mon sens, les structures n’informent pas assez leurs sportifs. Je ne savais pas que l’on pouvait porter plainte pour des violences ou saisir un organisme fédéral afin que l’entraîneur en cause soit interpellé, écarté, sanctionné.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez indiqué qu’une plainte avait été déposée au niveau de la fédération. Confirmez-vous que cette dernière n’a jamais effectué de signalement ou transmis à la justice d’éléments émanant de votre plainte ?

M. Yacine Ghediri. Nous sommes allés auprès de la ligue, plus précisément auprès du président de l’époque.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pourrez-vous nous communiquer le nom de l’entraîneur en question ?

M. Yacine Ghediri. Je le ferai par écrit.

M. Patrick Roux. Le président de la ligue de cette époque est cité à l’occasion d’au moins cinq ou six signalements, pour des faits tout aussi graves – des enfants de quinze ou seize ans ayant subi un important traumatisme, tel qu’une fracture de vertèbres laissant des séquelles quasi définitives.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pourrez-vous nous donner le nom de cette personne ?

M. Patrick Roux. Je vous le communiquerai.

M. Ghediri a évoqué un autre jeune blessé encore plus gravement que lui, aux vertèbres. Il n’existe aucun rapport sur le stage en question, alors que trois entraîneurs de la fédération se trouvaient sur le tatami – je parle d’entraîneurs officiels, exerçant dans des structures officielles de la fédération. Après un tel accident, que font-ils, ils vont boire des bières ? La personne qui accueillait le stage est aujourd’hui chargée du sport de haut niveau à la DRAJES de Corse : elle est donc aussi cadre de l’État. Il est possible – je parle au conditionnel – qu’un élu membre d’un comité départemental ait aussi été présent.

Le président de la ligue de la région Paca, que vient d’évoquer M. Ghediri et qui est mentionné dans au moins cinq ou six signalements, a disparu du jour au lendemain, en 2016 ou 2017 si je me souviens bien, à l’issue d’une réunion assez nébuleuse à laquelle le président de la fédération aurait participé. On n’a jamais su ce qui s’était passé, mais le président de la ligue a démissionné de toutes ses fonctions. Si je ne me trompe pas, il était également vice-président de la fédération, membre du comité directeur et responsable national de l’arbitrage – des postes importants. Depuis, il n’apparaît plus. Certains le croisent de temps en temps. De notre côté, nous nous sommes interrogés, considérant que ce monsieur avait forcément entendu parler de Sarah Abitbol et de tout ce qui se passe en ce moment, et qu’il dispose sûrement d’informations très intéressantes. Mais il n’a pour l’instant fait aucune contribution.

 

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Monsieur Ghediri, madame Urvoy, vous avez tous deux subi des faits de violences, dans le cadre de votre pratique sportive ou à caractère sexiste et sexuel. Avec le recul, considérez-vous que certaines procédures, personnes ou institutions auraient pu vous « sauver » ? À qui un athlète pourrait-il parler afin d’éviter que les choses ne dégénèrent ?

Madame Urvoy, vous avez indiqué que vous ne viviez plus en France. Avez-vous pu comparer le fonctionnement du système sportif français avec celui d’autres systèmes à l’étranger ?

Mme Marie-Laurence Urvoy. En effet, je vis désormais en Espagne. J’ai pu discuter avec certains responsables de ce pays et donc comparer les deux systèmes. Malgré les événements qui secouent actuellement le football espagnol, il y a ici une écoute et un traitement différent des violences sexuelles – en tout cas, le système judiciaire a priorisé les affaires de violences sexuelles et de violences faites aux femmes. La parole des victimes est beaucoup plus écoutée. Dans une autre affaire, j’ai été entendue dans les quarante-huit heures par des juges, dans un tribunal, en bénéficiant d’un traducteur afin d’expliquer au mieux ma situation. Il y a aussi un vrai suivi.

En France, dans les années 2000, les choses auraient pu être différentes. On nous accuse aujourd’hui de mensonge mais au sein du système dans lequel nous évoluions, dans la fédération, tout le monde savait. Les violences physiques – je ne parle pas des violences sexuelles – se voyaient. Notre club était très visible, et les violences que nous subissions pouvaient se deviner dans notre attitude. Mais nous n’avions pas le droit de parler – au sein même du club, nous étions menacés par d’autres athlètes. Il y avait une véritable omerta. Notre structure était comparable à une mafia ou à un gang. Une fois que vous intégriez le club, vous ne pouviez plus en sortir – ou alors, vous ne seriez jamais bon au judo, ou vous seriez grillé. Si vous vouliez continuer le judo, vous n’aviez pas le choix.

Au pôle Espoirs de Nantes, tout le monde savait et personne ne nous posait de questions. Nous étions mineurs. Je n’accuse pas les entraîneurs, car la situation était tout aussi compliquée pour eux, mais notre club était mis à l’écart, ce qui nous protégeait de l’extérieur mais absolument pas des dangers à l’intérieur – j’ai également vécu au pôle France de Rennes, où j’étais protégée par mon club s’il m’arrivait quoi que ce soit. La seule solution était de partir. J’ai essayé de le faire, mais je n’ai pas pu et j’ai dû arrêter le judo.

Je le répète, les principes de fonctionnement sont ceux d’un gang. Tout le monde sait et personne ne fait rien. Il suffit de penser au nombre de personnes qui ont pu voir, entendre ou vivre des choses – toutes les histoires se rejoignent… J’espère que cela changera mais pour l’instant, c’est bien ce que l’on constate. Aujourd’hui, il y a donc un président du monde du judo qui, à peine condamné, est protégé par de nombreuses instances. Je crois qu’il n’entraîne plus, mais il l’a fait jusqu’à l’année dernière, censément avec des méthodes différentes – mais il me semble qu’un agresseur ne peut pas changer sans un suivi et un travail sur lui-même. Il a formé des lieutenants qui ont pu être tout aussi violents, y compris en son absence, voire pires, plus vicieux, et qui ont aussi maltraité des personnes d’autres clubs, qui ont dû arrêter le judo. Tout cela se passait au sein de la section sport-études et tout le monde savait.

Je peux tout à fait entendre que des agresseurs étaient des victimes, mais n’oublions pas qu’ils ont été des agresseurs. Les faits se sont répétés. Il y a encore une génération d’agresseurs dehors, et ils sont profs de judo.

(Mme Léonore Perrus prête serment.)

Mme Léonore Perrus, ancienne escrimeuse de haut niveau (championne du monde par équipe), adjointe administrative au pôle formation de l’Insep. Je m’exprime en tant qu’ancienne sportive de haut niveau : j’ai été membre de l’équipe de France d’escrime entre 2000, dans la catégorie cadettes, et 2012, dans la catégorie seniors. À différents moments de ma carrière, j’ai vécu ou été témoin de faits qui me laissent à penser que le système dans lequel évoluent les athlètes, notamment de haut niveau, les empêche de s’identifier comme victimes ou de témoigner de dérives comportementales. Ils ont été, d’une certaine manière, habitués à voir se répéter un certain nombre de pratiques.

Lors de mes premiers championnats du monde cadets, j’avais quinze ans et je découvrais l’escrime de haut niveau, puisque ma famille n’évoluait pas dans ce milieu. J’ai vu un parent d’athlète mimer un acte sexuel avec un entraîneur – en rigolant : ils blaguaient, mais venant de personnes qu’on ne connaît pas, on s’interroge. Par la suite, encore junior et alors que j’arrivais en équipe de France senior pour un stage de préparation, j’ai appris que j’avais été notée, au même titre que les autres athlètes féminines. J’ai également vu des athlètes expérimentés cherchant de manière répétée à obtenir, disons, certaines choses, ou encore un arbitre international faisant pression pour avoir une relation sexuelle avec une athlète – face à son refus, il l’a sanctionnée. J’ai parlé de ces choses avec mes coéquipières, mais je ne les ai pas fait remonter. Ayant observé certains comportements lors de moments festifs avec d’autres athlètes, je connaissais certains profils et j’ai tenté d’en protéger les plus jeunes.

Nous faisons partie de ce système. On parle à juste titre des entraîneurs, mais les membres du staff paramédical, les arbitres, les élus, les parents doivent aussi être formés. Cette omerta résulte du fait que nous sommes en quelque sorte conditionnés pour vivre ces choses inacceptables. On ne s’en rend compte que plus tard – sur le coup, on ne comprend pas pourquoi on est déstabilisé face à certains comportements. En disant cela, je n’apporte pas de solution, mais il convient de bien resituer les choses : il y a des actes dramatiques, ponctuels, perpétrés par une personne, mais il y a aussi un système qui est dysfonctionnel. Il faut pouvoir s’identifier comme victime, parler, faire remonter les faits, alors qu’on est pris dans cette omerta devant certains comportements qui se répètent, auxquels on s’habitue et dont on ne perçoit plus la gravité ou l’inadéquation.

(M. Hervé Gianesello prête serment.)

M. Hervé Gianesello, professeur spécialiste des sports de combat, UFR Staps à luniversité Rennes 2. Je suis professeur à luniversité Rennes 2 en sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps), professeur de judo et jai été le professeur de Marie David, qui a témoigné tout à lheure.

Je vais commencer par le cas de Marie – puisque cest ce quil y a de plus important. Jessaie toujours de me mettre à la place des victimes et de les soutenir. À l’époque, la personne qui a agressé Marie ma attaqué en justice pour propos diffamatoires. J’étais professeur stagiaire dEPS dans un lycée, responsable des sections sport-études de judo et de football. Jai laissé un témoignage oral sur la messagerie de ma tutrice professionnelle, qui connaissait bien à l’époque le cadre d’État. Il a transmis à son collègue qui venait darriver dans la région Bretagne et il a porté plainte contre moi auprès de la fédération pour diffamation.

Je me suis retrouvé devant la commission de discipline. Rien dextraordinaire : cest une table ronde, qui ne rend pas la justice traditionnelle. Bien quil ait été reconnu que ce quavait fait lentraîneur vis-à-vis de Marie ne devait pas se faire, jai été condamné à un avertissement, qui a été publié dans le journal Judo magazine. Avec le père de Marie, nous avons fait appel de cette décision. Nous nous sommes présentés avec un avocat en appel. Il a de nouveau été dit que lentraîneur naurait pas dû agir comme il lavait fait. Pour autant, ma condamnation a été maintenue.

Vingt ans ont passé. Laffaire Abitbol est sortie dans un livre. Jai alors envoyé un message à Marie. Sa réaction a été de dire que cela faisait longtemps quelle attendait cela. Les choses ont été relancées. La nouvelle gouvernance de la fédération a envoyé un courriel à ma ligue pour annoncer que je devais être considéré comme un professeur de judo normal, qui avait dénoncé des faits qui nauraient jamais dû avoir lieu.

Pendant vingt ans, jai été le professeur de judo quil fallait éviter. Sept procédures ont été lancées par le comité départemental ou la ligue contre moi-même, mes athlètes ou mon club, pour tenter de nous radier ou ne pas reconnaître la qualification de nos athlètes – qui lavaient pourtant méritée sur le tapis. Malgré tout le temps qui est passé, on sent encore une certaine tension et une animosité à mon égard.

Ce qui ma vraiment sauvé, cest davoir obtenu un poste stable en Staps à luniversité Rennes 2 en 2003. Cela ma permis de m’évader un peu. Quand Marie a décidé de relancer un dépôt de plainte, le club de l’époque la soutenue – et je lai soutenue aussi, bien sûr, à titre personnel.

Je rejoins ce qui a été dit sur de nombreux points.

Dans la formation des professeurs, rien nest prévu sur les violences et sur lattitude que doit avoir un professeur digne de ce nom. À luniversité, tous mes étudiants ont cette information sur les violences.

Il ne mest pas facile de parler de ce sujet, car mon propre fils, qui a intégré le pôle France de gymnastique, a été victime de violences physiques. Il a eu un gros accident – une rupture du tendon subscapulaire – dû à un manque de suivi. Il était déshydraté et sous-alimenté. Il a pu continuer à pratiquer, après un important suivi chirurgical et médical.

Voilà mon témoignage de professeur de sport, de parent et denseignant à luniversité. Chaque fois que j’évoque ce sujet en cours, des étudiants témoignent de ce quils ont subi dans leur petit club ou dans le cadre dune formation de haut niveau.

Vous avez évoqué la gouvernance du sport. Les problèmes ne datent pas daujourdhui. Médéric Chapitaux a publié en 2016 le livre Le sport, une faille dans la sécurité de l’État, que je fais lire à tous mes étudiants. En fait, les choses se savent depuis très longtemps, mais rien nest fait. Sans véritable décision politique, cela ne changera pas.

Il y a 5 500 clubs de judo en France et environ 600 000 licenciés – et je ne parle même pas du nombre de pratiquants. Un certain nombre de jeunes entrent dans des pôles ou des structures de formation. Je trouve que laccompagnement nest effectivement pas suffisant.

Quand il y a des problèmes, il faut quils soient gérés en dehors des fédérations. La psychologue Karine Repérant a raison de dire que si des choses se passent, elles doivent être réglées hors du milieu du sport. On peut envisager de confier un rôle à des associations. Nous-mêmes avons fait intervenir lassociation Colosse aux pieds dargile au sein de notre dojo.

Cest très compliqué parce quil faut aussi que la présomption dinnocence soit respectée.

Je viens dapprendre quun athlète de seize ans de mon club a été exclu de son établissement scolaire lannée dernière pour agression sexuelle. Il a demandé à rentrer au pôle, ce qui forcément nest pas possible. Jai appris la semaine dernière que les faits seraient beaucoup plus graves que ce que je pensais. Une enquête importante est en cours et nous allons forcément être entendus. Quand jen parle à mes présidents, on me dit que cela reste une affaire privée et que lon ne doit pas trop sen mêler. Mais cet athlète est tout de même licencié depuis dix ans dans le club. Cela pose un problème. Les enquêteurs vont sans doute nous interroger pour savoir si nous avons vu quelque chose au sein du club.

En fait, personne nest épargné. Il est très compliqué daider les victimes. On fait ce quon peut, mais la justice est très lente. Comme le soulignait Patrick Roux, on se retrouve avec des problèmes de délais qui rendent la suite un peu difficile.

Je pense beaucoup aux victimes et à leurs familles.

(M. Alexandre Vel prête serment.)

M. Alexandre Vel, professeur de judo, ancien athlète du Dojo nantais. Je voulais revenir sur ce que Karine Repérant a évoqué à propos de la psychologie post-traumatique et des conséquences sur la santé. Je vais parler de ce que j’ai vécu et de ce que j’ai pu voir.

J’ai quarante et un ans. Je me suis fait opérer de l’épaule et du dos – une arthrodèse L4-L5. Je suis en arrêt de travail assez fréquemment, pour des soucis de dépression et de gestion d’événements qui me reviennent assez souvent.

Je vais préciser le contexte de ce qui m’est arrivé. J’avais entre seize et vingt ans et j’étais à Nantes. Cela avait essentiellement lieu en club. Il est important de souligner que quand on est jeune athlète, on est la plupart du temps éloigné de ses parents. On n’a pas de cadre pour parler ou contrebalancer ce que l’on vit. La dépendance physique et psychologique vis-à-vis de l’entraîneur est immense : c’est lui qui représente le cadre.

J’ai vécu des violences physiques, psychologiques et à caractère sexuel.

J’ai été témoin d’une scène, sur le tapis, dans le cadre d’un entraînement au sol d’élèves mineurs. Alors que l’un d’eux était pris en immobilisation, pour faire lâcher, l’entraîneur lui dit : « Mets-lui un doigt dans les fesses. » Comme l’élève ne s’est pas exécuté, c’est l’entraîneur qui a introduit son doigt dans les fesses de l’autre mineur pour le faire lâcher, et il a dit : « Tu vois, ça marche. »

En ce qui me concerne, lors d’une séance de musculation, que nous étions incités à faire torse nu, l’entraîneur vient nous donner le programme. Il prend un marqueur indélébile et commence à dessiner des positions sexuelles sur mon dos et partout sur mon corps. Il dessine des sexes masculins et féminins et écrit aussi des grossièretés. Ensuite, il m’oblige à m’exhiber comme cela dans la salle et dans les différents étages – c’était un grand complexe – devant les parents et d’autres jeunes enfants. Ce jour-là, j’étais sa chose, je n’étais plus une personne. J’ai ressenti une immense colère et ce fait restera gravé pour toujours. Il est encore compliqué pour moi d’en parler.

J’ai vécu d’autres violences physiques, des coups, des humiliations. Dans ce club, la violence venait rarement de cet entraîneur. Mais il incitait les élèves à s’en prendre les uns aux autres. Cela conduit à un effet pervers dans le groupe. De ce fait, j’ai une relation aux amis qui est très compliquée. Les conséquences psychologiques sont énormes. Comme je l’ai dit, je suis assez souvent en arrêt de travail. C’est donc vraiment un problème de santé publique.

Il est difficile de parler au moment des faits quand on est concerné. Je suis parti de ce club. Je me suis coupé de l’ensemble du monde du judo car, à ce moment, la seule solution pour moi a été d’arrêter complètement. On se retrouve donc isolé, parce que l’on n’a plus sa passion ni ses amis. On est vraiment complètement seul. Il est difficile d’en parler à ses parents parce que c’est humiliant. Il n’y a pas de structure pour nous accueillir facilement – en tout cas au moment des faits je n’avais pas d’information, je ne savais pas vers qui me tourner. Je me suis adressé à la ligue, mais n’ai pas pu avoir le président ni le conseiller technique régional au téléphone. La réponse de la personne à qui j’ai parlé a été : « Alexandre, laisse tomber. On ne va pas pouvoir. »

J’avais vingt ans et je peux vous assurer que votre foi dans le monde sportif s’écroule. J’ai arrêté le sport et le judo pendant quelques années, avant de pouvoir repartir. J’ai cependant obtenu une licence de Staps éducation et motricité, ainsi qu’un brevet d’État en judo. Mais, à ce moment-là, je n’avais plus foi dans mon sport. La ligue – qui représente la fédération – ne vous écoute pas. Il est très compliqué pour un jeune de savoir comment faire.

En ce qui concerne les suites, un peu plus de vingt ans plus tard, cet entraîneur est revenu dans la région – il avait été muté ailleurs. C’est aussi un problème : lorsque des choses sortent, une simple mutation géographique et hop ! on repart presque de zéro et rien ne peut plus se passer. Cette personne revient donc dans notre région. La sortie de livres et le changement des mœurs font que nous sommes plusieurs à nous regrouper. Nous essayons de contacter la DDJS pour que quelque chose soit fait. C’est compliqué.

Après de nombreuses péripéties, cet entraîneur a fait l’objet d’une sanction administrative à titre provisoire, qui a ensuite été confirmée par la fédération. Il ne peut plus participer à des compétitions officielles, mais il peut en fait continuer à entraîner parce qu’un président de club l’a embauché et que cela ne dépend pas directement de la fédération. Il peut donc être en contact avec des jeunes. C’est un réel problème, car une sanction définitive est prise mais cela n’a pas de conséquences.

C’est difficile pour les victimes. Les faits ont déjà été compliqués à vivre, mais qu’une sanction n’ait pas d’effet constitue une injustice énorme. On se dit qu’on a essayé de protéger mais que cela ne marche pas.

Marie-Laurence Urvoy a qualifié de gang la structure de son club. Je l’associe plutôt à une secte. C’est très pernicieux. Beaucoup de personnes qui étaient au bord du tapis ont vu ce qui se passait et n’ont pas réagi. Pour un enfant, voir que les adultes ne réagissent pas est profondément injuste, et cela normalise les faits. Il y a vraiment un gros travail à faire sur l’ensemble des intervenants, pour que les personnes arrêtent de détourner la tête et que chacun fasse son devoir civique. C’est ainsi que les auteurs seront pointés du doigt, et non plus les victimes.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Merci pour ce témoignage très glaçant.

Mme Pascale Martin (LFI-NUPES). Les témoignages fournis à notre commission depuis hier sont en effet assez terrifiants.

Nous avons une importante responsabilité en tant que législateurs. Les conséquences des agissements en matière de santé publique ont été relevées à plusieurs reprises. On peut aussi souligner que les victimes le sont une deuxième fois lorsqu’elles sont poursuivies pour diffamation parce qu’elles ont dénoncé des faits aussi graves.

Hier encore, une victime nous a dit que lorsqu’elle se trouvait face à une classe, elle savait qu’il y avait au moins trois victimes parmi les élèves. Notre pays doit se saisir de ce problème. Mme Urvoy a indiqué qu’elle avait quitté la France et vivait désormais en Espagne. J’y étais la semaine dernière et j’ai rencontré la ministre de l’égalité. Les Espagnols ont d’autres méthodes, dont on ferait bien de s’inspirer. Rien n’est jamais parfait, mais il y a quand même des pays qui arrivent à se saisir d’une autre manière que la France de la question des violences en tout genre, et notamment des violences sexistes et sexuelles. Je le répète avec beaucoup de solennité.

Je vous remercie tous pour votre courage, ayant moi-même été victime.

M. Gianesello a indiqué qu’il sensibilisait ses étudiants aux questions de violence dans le monde sportif. S’agit-il d’une initiative personnelle, liée au fait qu’il a été confronté à ces situations, ou est-ce prévu dans le programme ?

Il serait intéressant que cela figure bien au programme, car il a été dit à plusieurs reprises qu’il fallait sensibiliser et former tous les acteurs qui peuvent être en contact avec les mineurs, dans le domaine du sport comme dans les autres – par exemple, la musique. Le fléau dont nous parlons touche l’ensemble des secteurs et notre pays sortirait grandi s’il pouvait, enfin, donner une réponse aux victimes. Ne pas avoir de réponse aggrave les faits.

M. Hervé Gianesello. C’est une initiative personnelle. Depuis que je suis enseignant, je m’intéresse à l’athlète en général, c’est-à-dire à son désir de réussir dans sa pratique mais aussi à la personne qu’il est. J’ai étudié les aspects sociologiques et psychologiques au cours de mes études, donc c’était assez facile.

Un de mes cours est forcément consacré exclusivement aux violences, à chacun des niveaux où j’enseigne, de L1 à L3. Il s’agit vraiment d’une initiative personnelle, car cela ne fait pas partie de la formation proprement dite. Les étudiants sont assez sensibilisés, dans la mesure où le bureau des élèves a également fait intervenir deux fois l’association Colosse aux pieds d’argile. C’était à distance, car cela a été fait pendant le covid, mais peu importe : des actions sont menées. Cependant, il n’est pas prévu dans la maquette du programme d’organiser un cours sur les violences dans le sport.

Et encore une fois, comme Patrick Roux, je parle des violences en général. J’ai du mal à m’en tenir aux seules violences sexuelles car, même si elles sont extrêmement importantes, elles sont toujours liées à des violences psychologiques – dont le harcèlement – et physiques.

Les lignes ont un peu bougé en ce qui concerne la formation des éducateurs sportifs. Quelques heures sont consacrées à la question des violences, mais il s’agit seulement d’un survol.

Mme Myriam Wendling. Comme Yacine Ghediri, j’ai été amenée à utiliser la cellule Signal-sports pour signaler des violences. C’est assez difficile et cela peut être délicat pour les victimes, parce qu’on se retrouve face à une simple adresse courriel et à une page blanche. Il faudrait les aider.

Cette cellule est, en outre, présentée comme destinée à lutter contre les violences sexuelles. Or nous sommes aussi confrontés à d’autres formes de violence, comme le harcèlement moral ou physique, qui sont à l’origine de séquelles vraiment importantes. Il faudrait faire en sorte que la victime qui veut signaler quelque chose ne pense pas qu’elle est à la mauvaise adresse. Il faut faire évoluer la démarche de Signal-sports pour montrer que l’on est vraiment à l’écoute et qu’aucune forme de violence n’est tolérée.

Des affaires sont sorties et des enquêtes judiciaires ont abouti en matière de harcèlement moral. Il faut que les victimes de ces agissements puissent les signaler aisément.

Je partage tout ce qui a été dit sur la notion de gang. Le monde du sport constitue un terreau propice aux violences, du fait de son autarcie et de l’omerta. En outre, les enfants ont été éduqués à accepter toutes les violences – notamment physiques – et à les taire. Ils sont souvent loin des parents et, de ce fait, acceptent tout. Ils se sentent redevables envers leurs familles, qui investissent beaucoup financièrement.

Il faut donc travailler sur l’ensemble de ce milieu, parce qu’il est bien imprégné par la culture de la violence.

M. Patrick Roux. Je souhaite apporter quelques informations factuelles, dans le prolongement de ce qu’a dit M. Vel – dont je n’avais jamais entendu le témoignage. Je connaissais son existence parce que d’autres victimes du même entraîneur m’avaient parlé de lui à l’occasion du signalement qu’ils avaient fait.

C’est une affaire lourde. Je pense qu’une procédure judiciaire est en cours. À ma connaissance, il y a plus de dix témoignages. Une phrase m’a frappé, qui revient souvent dans les signalements : « Cet entraîneur est très protégé. » Je voudrais savoir ce que cela veut dire.

Parmi les gens qui le soutiennent – puisqu’apparemment il a eu de nombreuses lettres de soutien –, je peux me tromper mais je pense qu’il y a de nombreux CTS, cadres d’État. Ce n’est pas un jugement de ma part, car je suis un simple observateur, mais compte tenu de ce que je lis dans les signalements et de ce que j’entends, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas dans l’équation.

Les témoins ont expliqué mieux que moi le deuxième thème, consacré à la clarification de la nature des faits – ce qui va nous faire gagner du temps et permettre de passer plus vite au thème du régime de l’omerta.

Si j’avais proposé ce deuxième thème, c’est parce que j’étais inquiet. Nous faisons face à des forces contraires et la manipulation par la communication consiste à dire qu’il s’agit seulement de techniques dures d’entraînement, mais pas de violences. Je pense que vous avez bien compris de quoi il s’agit et que je n’ai pas besoin de développer. On n’est pas du tout dans le cadre sportif. La déontologie sportive et celle de l’entraîneur ne sont plus du tout respectées. Il s’agit d’exactions, de violences et de harcèlement sur mineurs – et je ne parle même pas du reste.

La psychologue Karine Repérant a expliqué quelles sont les conséquences post-traumatiques, que l’on subit toute la vie, et des témoins en ont parlé.

Pour résumer ce deuxième thème, le summum de la violence est atteint, selon moi, quand l’entraîneur arrive à exercer une telle emprise sur son groupe qu’il fait commettre les actes de violence par les athlètes eux-mêmes, entre eux – ce qui est le cas dans trois ou quatre dossiers. C’est ce qui ressort très nettement des signalements et de ce qu’ont dit un ou deux témoins.

C’est un système très complexe. L’entraîneur identifie d’abord les personnes qu’il va pouvoir dominer. Il commence à les maltraiter, mais progressivement. Et si cela marche, ils sont pris dans ses filets. Très vite, apparaît une stratégie où l’entraîneur, en utilisant des surnoms ou des moqueries, n’a plus qu’à désigner les souffre-douleur à une partie du groupe – les privilégiés, qui sont souvent ceux qui sont un peu plus forts ou mûrs. Vous comprenez ce qui se passe par la suite. On arrive à un climat où l’on entend quotidiennement des choses absolument inacceptables pour des gamins de quinze ou seize ans. C’est irracontable. Il faut que vous lisiez les récits des témoins, quand c’est possible. On comprend tout de suite que l’entraîneur a organisé un environnement pervers.

À partir de là, tout peut se passer. Le processus d’escalade peut mener jusqu’aux choses les plus abominables – et elles ont eu lieu. Vous n’avez qu’à demander aux personnes que vous avez entendues ce matin et qui n’ont pas tout dit.

Mais l’entraîneur ne se salit pas les mains ; il manage la violence. Et quand quelqu’un ose parler ou porter plainte, c’est magique : il fait faire une liste de soutien et il obtient celui d’environ 80 % de son entourage. En général, cela met complètement l’enquête à plat et il ne se passe plus rien.

Cette stratégie a également été utilisée pour des cadres nationaux de la fédération à la suite d’incidents. Je peux me tromper, mais je pense que le service juridique ou l’ancienne fédération avait dit aux entraîneurs en difficulté de recourir à la liste de soutien. C’est ainsi que des cadres nationaux, voire des membres de la direction technique, écrivent parfois une lettre de soutien en faveur de l’agresseur présumé sans même avoir pris le temps de se renseigner sur le contenu du dossier. C’est un point qu’il faut signaler en ce qui concerne la clarification de la nature des faits.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous des affaires en tête ?

M. Patrick Roux. Je pourrai vous transmettre les informations, mais il faut tenir compte du fait que certaines procédures judiciaires sont en cours.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous propose de regrouper les thématiques 3 et 4, qui concernent, d’une part, l’omerta et, d’autre part, les incohérences des enquêtes administratives, le recueil de la parole des victimes et la confidentialité.

Je souhaiterais que nous puissions entendre le témoignage de parents, mais il semble que nous n’ayons pas de liaison avec M. et Mme Jégo.

M. Patrick Roux. Ce que nous a raconté tout à l’heure Karine Repérant illustre comment l’omerta peut apparaître. À cet égard, le monde sportif dans son ensemble – et pas seulement les fédérations – a de quoi faire son introspection. À la suite du groupe de parole que Mme Repérant a organisé, la DRAJES de Paca a mené, en 2011 et en 2012, une enquête qui a révélé des faits, dont certains que je ne connaissais pas, tels que lécher une lèvre qui saigne après avoir provoqué le saignement. Toutefois, il semble que les informations fournies reposent uniquement sur les dires des entraîneurs, présumés de bonne foi. Je ne pense pas que les victimes aient été auditionnées. Je m’interroge même fortement sur une personne qui prend la parole dans ce rapport : demander à quelqu’un qui traîne des casseroles de témoigner ou d’être conciliateur me paraît totalement incohérent !

Un ex-membre du comité directeur de la fédération entre 1992 et 2000 – peut-être est-il en ligne ? – m’a dit qu’il y a eu des affaires de pédophilie à toutes les époques. Quand cela se produisait, il m’a dit que seules deux ou trois personnes étaient au courant qui réglaient l’affaire entre elles et le comité directeur apprenait simplement que l’affaire avait été réglée ; cela faisait l’objet d’une ligne au procès-verbal. J’en ai déduit que, pour trouver les sources de l’omerta, il faut remonter aux années 1970. Dans le Landerneau, on a entendu des choses absolument sidérantes.

C’est un problème aux racines profondes qui ne peut pas être résolu par les petites mains du sport, éducateurs ou conseillers techniques sportifs, ni même les élus dirigeants ; seul l’État le peut. C’est un peu comme un millefeuille : certaines affaires ont eu lieu il y a quarante ou cinquante ans mais sont toujours prégnantes ; les gens le savent, les hauts dirigeants en connaissent l’existence, et on peut supposer qu’ils n’interviennent pas sur des affaires récentes parce que les agresseurs présumés pourraient détenir des dossiers susceptibles de les inquiéter. Les instances sont parfois en place depuis fort longtemps. Dans certaines fédérations, comme le judo et les sports de glace, certains présidents restent aux manettes trente ans après avoir été DTN (directeur technique national) pendant une dizaine d’années ; ils tiennent la fédération pendant quelque quarante ans.

Le millefeuille, c’est l’accumulation de choses incroyables et de mauvaises habitudes prises depuis des décennies. On passe l’éponge sur de petites choses, puis, lorsque surviennent des faits beaucoup plus graves, on ne peut plus rien dire : si on tire un fil, toute la pelote va venir. Là, on vous balance tout : « attention à l’image de la fédération », « il ne faut pas cracher dans la soupe », « attention à ne pas nuire à l’économie des licences, qui représentent 70 % du budget », la primauté des Jeux olympiques et des médailles. Ces éléments de langage n’ont pas changé. Tout cela engendre l’omerta.

Les victimes réagissent mal, généralement ; elles ne suivent pas la bonne procédure. Très souvent, leur première réaction, c’est de porter plainte auprès de la ligue – comme si Sarah Abitbol, à l’époque où elle était agressée sexuellement, avait couru dire au président de sa fédération qu’il y avait peut-être des agressions sexuelles dans le patinage. J’ai fait la même chose pour le judo : lorsque j’ai eu connaissance des premières informations, je suis allé voir la direction de la fédération. J’étais complètement naïf ; je ne pensais pas une seconde que cela allait se retourner contre moi. D’où ma sidération.

Aujourd’hui, c’est différent, mais l’autre problème, il y a quinze ou vingt ans, c’était que les signalements et témoignages adressés aux services déconcentrés du ministère des sports – à l’époque, les DRDJSCS, devenues les DRAJES –, donnaient lieu à nombre d’irrégularités. D’une part, le passé d’entraîneur de nombreux conseillers d’animation ou d’administration sportive qui pose question quant à l’objectivité des enquêtes et la circulation de l’information. D’autre part, parce qu’une fois les informations délivrées à la DRAJES, il ne se passait pas grand-chose, au point qu’avec le recul, on peut vraiment s’interroger sur l’indépendance des enquêtes. Un collègue me confiait récemment que pour une histoire d’attribution de salle, un président de club avait un courrier de la mairie puis, après un coup de téléphone, la salle a été donnée à une autre association. C’est bien qu’il n’y ait pas d’étanchéité entre les instances départementales du ministère des sports et le monde politique. Nous recevons beaucoup d’éléments qui signalent cela.

Je suis allé voir des députés, dans différentes régions. Plusieurs m’ont dit être très au courant de ce qui se passait – l’un d’eux avait peut-être plus d’informations que moi sur un dossier. Que vont-ils faire ? Vont-ils apporter leur contribution ? Trois ans après que l’affaire Sarah Abitbol a éclaté, j’espère que tout le monde a entendu que ce dont nous parlons là est potentiellement un sacré scandale. On a l’impression qu’on joue avec le temps pour lisser le scandale, le laisser s’étioler jusqu’à ce que les gens soient fatigués – ceux qui témoignent ce matin racontent ces histoires depuis dix ou vingt ans ; cette audition est un peu celle de la dernière chance. Notre association s’efforce de rester en contact avec les victimes et les témoins pour entretenir l’espoir que les procédures vont aboutir.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pour répondre à votre question, les députés travaillent dans le cadre de cette commission d’enquête. Ils sont trente à s’y être inscrits, et si nous ne sommes pas très nombreux dans cette salle, c’est que la rentrée parlementaire n’aura lieu que le 25 septembre, ce qui ne les empêche pas de suivre à distance nos réunions.

(M. Cédric Hilarion prête serment.)

M. Cédric Hilarion, ancien judoka du Dojo nantais, professeur de judo. Je reviens sur le mécanisme qui a été évoqué, consistant pour les entraîneurs à utiliser des élèves afin qu’ils exercent sur d’autres une influence ou fassent preuve de maltraitance et de violence contre eux. Il m’est difficile de prendre la parole, car je fais partie des personnes qui ont été à la fois victimes et bourreaux par le biais de ce mécanisme pervers. L’entraîneur responsable de cette pratique a déjà été cité ici par trois personnes. Je l’ai rencontré alors qu’il était entraîneur de la section sportive régionale de Nantes – aujourd’hui, le pôle Espoirs Pays de la Loire. Je quittais un milieu familial compliqué, sans véritable repère paternel, et cet entraîneur m’a immédiatement subjugué. J’ai été sous son emprise dès que je l’ai vu et jusqu’à ce que j’entame, il y a huit ans, une psychothérapie pour identifier certaines déviances dans lesquelles je suis tombé et mettre de la distance avec cette personne très nuisible et très dangereuse. Cet entraîneur nous instrumentalisait. Il demandait aux fortes personnalités du club, qui, bien que ne faisant plus partie du pôle Espoirs, participaient aux entraînements en tant qu’athlètes de haut niveau, d’être très dures avec les athlètes du pôle, de les marquer psychologiquement pour faire naître chez eux un sentiment de crainte à l’égard du club.

J’ai entendu beaucoup de témoignages concernant des jeunes filles, des jeunes femmes ou des athlètes masculins mineurs, mais j’ai moi-même été victime d’une agression sexuelle alors que j’étais majeur, à vingt-deux ans, et que j’avais la réputation d’avoir un fort caractère et de ne pas me laisser faire. Lors d’un déplacement pour une compétition, alors que j’étais très fatigué, étant au régime car devant perdre du poids pour le lendemain, je me suis battu pendant plus d’une heure avec ce même entraîneur pour l’empêcher de m’introduire une fève de cacao dans l’anus. Au cours de cette bagarre, il m’a mordu le sexe à trois reprises. Cela a été d’une violence extrême mais le plus terrible, c’est que la semaine suivante, cette histoire avait fait le tour des vestiaires et avait été reléguée au rang de blague, une anecdote de vestiaire sur un moyen d’endurcir une personne et de renforcer la cohésion du groupe. On nous faisait croire que c’était normal, que, pour être fort au judo, il fallait un mental d’acier, solide à toute épreuve ; que, si on faisait corps, rien ne pouvait nous arriver. En revanche, si on arrêtait, on était seul. Parce que nous étions victimes de mécanismes d’isolement. L’entraîneur était un prédateur. Il savait quelles personnes il pouvait manipuler et abuser, par exemple les jeunes adultes ou les adolescents dont les parents étaient éloignés ou qui avaient des repères familiaux fragiles.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Merci beaucoup pour ce témoignage important. Les victimes que nous avons entendues étaient souvent, à l’époque des faits, des jeunes filles mineures. Les faits que vous relatez montrent que le phénomène est beaucoup plus large. Alors que beaucoup d’adultes, entraîneurs et personnes travaillant au sein de votre club, ont eu connaissance de votre agression, vous nous confirmez qu’il n’y a eu aucun signalement, que ce soit auprès du club, de la fédération ou de la justice ?

M. Cédric Hilarion. En effet. Dans la mesure où j’étais majeur, c’était à moi de le faire. Ce qui rendait mon cas complexe, c’est que j’ai été le « capo », l’exécutant de l’entraîneur, et très proche de lui pendant longtemps. Et même après l’épisode de la fève de cacao dans l’anus, d’autres faits beaucoup plus graves ont certainement été sus et tus.

Mme Marie-Laurence Urvoy. J’étais présente lorsque les faits décrits par Alexandre Vel ont été commis – il s’agissait d’une personne très timide. J’étais dans le même club qu’Alexandre et le précédent intervenant, et la réalité n’était pas celle que celui-ci a donnée. Le club s’apparentait effectivement à une secte – on devait appeler l’entraîneur « Dieu ». Il n’y avait que des adolescents, et ce qui se passait entre nous était à la limite du concevable et de la légalité. Mais lorsque des personnes, connues pour avoir commis des actes de maltraitance, sont arrivées dans le club, des faits de bizutage et des agressions sexuelles se sont produits – un élève a quitté l’école après avoir subi l’introduction d’une brosse à dents dans les fesses. Il a été confirmé que des personnes de l’extérieur sont venues dans ce club en raison de ces « qualités » et non pour leur judo, et la situation a empiré. Je veux bien entendre que certains aient été sous emprise, mais d’autres étaient majeurs et parfaitement conscients. On l’est quand on passe toute la nuit à dire à une jeune fille de seize ans « viens dans mon lit, sinon tu vas voir ce qu’il va t’arriver », et qu’on choisit de le faire en l’absence de l’entraîneur ou de sa propre petite amie. Les victimes n’ont pas pu être entendues parce qu’il y a eu trop de choses comme cela.

Le club a basculé à partir de 2001, lorsque ces personnes, avec des talents d’agresseur, sont arrivées. C’est alors que j’ai été victime d’agressions sexuelles. Je n’ai pas pu en parler à mon entraîneur – qui figure parmi vos témoins –, bien que j’aie voulu le faire des milliards de fois, parce que ces personnes m’ont menacée, ont appelé l’entraîneur et m’ont fait vivre un calvaire. Je veux bien entendre le mea culpa des agresseurs, mais parfois ils étaient pires que le bourreau initial.

Si on veut lutter contre cela, il faut écouter.

Les auteurs de tout cela étaient bien des membres du club, mais pas des athlètes performants. Ceux qui performaient ont dû arrêter le judo, car ils étaient constamment agressés par les autres. On m’a tapé dessus pendant des heures pour avoir mal répondu ; j’ai été punie pendant des semaines parce que j’avais pris du poids – on m’appelait « la grosse », « la truie ». J’ai vécu les mêmes choses qu’Alexandre Vel : on me faisait tomber en dehors du tapis, on me mordait… Avant que les personnes les plus dangereuses entrent au club, on pratiquait les « salades » : des chatouilles ou des moqueries. Les agresseurs, eux, mordaient les organes sexuels. J’ai vu Alexandre se prendre une « béquille » et être bloqué à ne plus pouvoir faire de judo pendant trois semaines.

Je ne prendrai pas la défense de mon entraîneur, mais je ne veux pas que la pierre soit jetée seulement sur lui : il s’agit d’un mécanisme d’ensemble. Des gens, qui étaient aux commandes de la fédération ou des instances régionales, étaient présents et m’ont punie. On était frappé à l’occasion des compétitions officielles. Je me suis pris des gifles devant témoins. Cette violence était donc visible, et elle était alimentée et parfois amplifiée par des membres du club. Je sais bien qu’avant de l’être soi-même, un agresseur a été victime, mais je n’accepterai pas que l’un de mes agresseurs parle uniquement de mon entraîneur.

(Mme Alexandra Soriano prête serment.)

Mme Alexandra Soriano, ancienne judoka, éducatrice spécialisée dans l’aide sociale à l’enfance, membre de l’association Artemis Sport. J’ai été victime, témoin et lanceuse d’alerte. Je suis actuellement élue au sein de la Fédération française de judo. Je suis professeure de judo et éducatrice spécialisée à l’aide sociale à l’enfance. Sans connaître tous les intervenants, j’ai reconnu tous les entraîneurs qu’ils ont cités dans leurs témoignages. C’est bien que ces histoires sont de notoriété publique dans le monde du judo, mais que, pour autant, il ne s’est pas passé grand-chose jusqu’à aujourd’hui.

S’agissant de l’omerta, je ne peux pas entendre que les dirigeants nationaux n’étaient pas informés. À l’occasion d’un stage national de professeurs de judo, en 2006, j’ai eu un entretien avec le président de la Fédération, qui m’a reçue dans sa chambre ! Les choses se sont passées correctement mais il fallait que la discussion ait lieu à l’écart de tous. Il n’était pas aisé, dans ce contexte, d’évoquer les violences et les faits dont j’avais été témoin adolescente. L’entretien, d’une durée de deux heures, a été biaisé du début à la fin. Je n’ai pas pu m’exprimer. Le président me posait des questions très précises sur des affaires qui, soit ne concernaient pas ma structure, soit ne se sont pas produites au moment où j’y étais. Lorsque j’ai voulu parler des humiliations publiques, des violences physiques, du harcèlement, du bizutage, il a rapidement coupé court. Selon lui, j’étais trop jeune pour comprendre que certains actes étaient accomplis pour forger un mental. Il a conclu en disant qu’on n’en parlerait plus et que ça s’arrêterait là.

S’agissant des incohérences, j’en vois plusieurs, certainement en raison de ma profession. La première est de confier ce type d’enquête aux directions régionales (DR). C’est rester dans le milieu du sport, où tout le monde se connaît. Plusieurs cadres techniques mis en cause ont même été reclassés dans ces directions régionales. Autant dire que cela reviendrait à dénoncer des faits auprès des bourreaux ou de personnes qui ont cautionné leurs agissements ou participé à l’omerta.

Une deuxième incohérence réside dans le délai de prescription. La loi est ainsi faite, et c’est à ce niveau qu’il faut intervenir. En revanche, on a vu des évolutions pour ce qui relève du viol, pour lequel les délais ont été étendus à trente ans après la majorité de la victime.

Les jeunes entrent dans les pôles Espoirs à quinze ans, parfois même à treize ou quatorze ans. Il ne leur est pas toujours facile de dénoncer des adultes qui ont un ascendant, voire une emprise sur eux, des gens qu’ils respectent parce qu’ils ont un grade – notion très importante dans le judo. Je me demande donc pourquoi le délai de prescription court à partir de la date des faits, et non de la majorité du jeune. Il est très court : non seulement les violences physiques ou psychologiques, comme l’humiliation, sont difficiles à prouver, mais elles demandent du recul et, surtout, d’être sorti des griffes de l’agresseur.

Autre incohérence, le ministère a créé une cellule spécifique pour les signalements de violences dans le sport. Je ne dis pas qu’il ne fallait pas le faire, mais je m’interroge sur les raisons pour lesquelles on traiterait celles-ci différemment des violences commises ailleurs dans la société. ss veut signaler un enfant victime de violences dans le cadre intrafamilial contacte le 119 ; les évaluations sont menées par des travailleurs sociaux ou, en fonction des faits, le dossier est transmis directement au procureur de la République. J’ai l’impression que cette cellule supplémentaire participe à diluer la masse des signalements, d’autant que les personnes qui les traitent ne sont pas nécessairement formées. Surtout, tout le monde se connaît, et avoir à parler à un collègue de travail, finalement, de ce qui leur est arrivé peut constituer un frein pour les victimes.

Je constate une dernière incohérence, cette fois en tant que membre de la commission Violences de la Fédération française de judo : certains signalements que nous recevons sont traités dans le cadre administratif et d’autres, dans le cadre fédéral, par l’intermédiaire de nos commissions de discipline, qui sont indépendantes. Celles-ci demandent des témoignages écrits ou invitent les personnes à se présenter ; c’est parole contre parole. Sous couvert de la présomption d’innocence, finalement, c’est à la victime d’apporter des preuves. Or ce n’est pas si simple. Les violences, y compris sexuelles, sont difficiles à prouver – comment le faire s’agissant d’une fellation imposée ? Souvent, un non-lieu est prononcé, car les éléments de preuve sont insuffisants. Nous les transmettons évidemment à la justice mais, au niveau fédéral, il ne se passe rien. La commission de discipline est souvent incompétente pour traiter ces questions, d’autant qu’elle ne réalise pas d’évaluation élargie.

Dans le judo, les mêmes noms reviennent souvent. Si on élargissait les évaluations, lorsqu’une même personne est citée vingt fois, dans des régions différentes, pour des faits similaires, plutôt que de s’interroger sur la véracité de ces faits, on devrait se demander s’il ne conviendrait pas d’agir. Trop souvent, on est contraint par les services juridiques, qui appliquent des lois mais ne réalisent pas une évaluation globale, systémique, des situations.

Il faut réfléchir à ces incohérences. Il y a des choses à faire, parfois toutes simples, pour éviter des dérives. Par exemple, lever le huis clos dans lequel se déroulent de nombreux entraînements et stages pour les sportifs de haut niveau : la présence d’un public est dissuasive.

Trop souvent, les parents et les enseignants des clubs sont totalement écartés de la vie du sportif dès que celui-ci entre dans des structures de haut niveau. Il faut changer cela, car ce sont des garde-fous que l’on perd.

La situation dérape souvent au cours des stages. L’entraîneur est omniprésent, vingt-quatre heures sur vingt-quatre : il est avec vous à l’entraînement, il mange avec vous, il dort avec vous, parfois dans la chambre de certains sportifs. C’est toute une équipe d’encadrement qu’il faudrait, une équipe mixte, de sorte que si l’un de ses membres commence à dériver, ses collègues puissent le rappeler à l’ordre. Outre qu’on n’a pas besoin d’un diplôme d’État supérieur (DES) pour surveiller les dortoirs, le fait que l’entraîneur travaille vingt-quatre heures sur vingt-quatre soulève un autre problème au regard de l’encadrement de mineurs.

On n’arrivera pas à éradiquer les violences si l’on reste dans le huis clos et l’entre-soi. Confier les enquêtes administratives aux directions régionales n’est pas une bonne idée, à moins de créer des cellules spécifiques, avec des équipes pluridisciplinaires comprenant des travailleurs sociaux, des psychologues, etc.

De ce que j’ai vécu et de tous les témoignages que nous avons recueillis, je retire que la faute n’est pas seulement celle des agresseurs, mais aussi celle des autres éducateurs sportifs et de tous les adultes qui étaient présents. Lorsque des agressions se produisaient devant tout le monde, ces personnes-là étaient les premières à en rire. Celles qui voulaient les dénoncer étaient évincées ; il valait donc mieux faire alliance avec les agresseurs. Je considère ces personnes comme des complices de toutes les violences que nous avons subies.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Merci pour votre témoignage et vos propositions, que je partage totalement puisque nous travaillons sur les défaillances qui conduisent à la pérennisation de ce système. Nous avons demandé à plusieurs reprises si les dirigeants avaient effectué des signalements ou remonté des faits à la justice : quand on n’agit pas face à des violences ou des agressions sexuelles, on devient complice.

Selon vous, existait-il des critères pour déterminer quels signalements seraient traités par les services administratifs ou par les cadres de la fédération ?

Mme Alexandra Soriano. Je ne peux pas répondre pour la période pendant laquelle j’étais athlète. La certitude, c’est que les gens se connaissaient : ils savaient de qui on parlait.

Au sein de la fédération, une commission a été récemment créée pour réfléchir à cette question. La fédération de judo envoie systématiquement une copie de tous les signalements au ministère, par l’intermédiaire de Signal-sports, ou au tribunal compétent pour des faits graves, comme des agressions sexuelles. Je ne suis pas certaine qu’elle le faisait auparavant, car la plupart des personnes qui avaient déposé une plainte auprès de la gendarmerie ou des instances fédérales n’ont jamais eu de retour. Pour les rares qui ont pu rencontrer quelqu’un, il s’agissait de personnes qui connaissaient l’entraîneur. Dans le milieu du sport, tout le monde se connaît. Même si la personne n’est pas issue de la discipline concernée, les CTS sont des cadres d’État, collègues de travail des membres des DR.

M. Yacine Ghediri. Mme Soriano a évoqué la pression concernant les grades. Je suis ceinture noire, quatrième dan, et mon souhait était d’aller le plus loin possible dans les grades ainsi que dans l’arbitrage – j’ai été arbitre national et commissaire sportif national. On nous fait clairement comprendre que selon qu’on intervient ou pas à propos de ce qui se fait, le chemin peut être long et difficile. Une vie de sportif de haut niveau l’est déjà ; elle peut être raccourcie par des blessures ou par des personnes qui nous veulent du mal, ayant peut-être quelqu’un à faire passer devant nous. Vous devez entendre, et la Fédération française de judo aussi, qu’il faudra faire le tri, car ces personnes sont encore là.

En intervenant aujourd’hui, je fais peut-être une croix sur un, deux ou trois grades, comme j’ai déjà fait une croix sur ma carrière d’arbitre international et sur une sélection aux Jeux olympiques. Je n’avais pas le mental nécessaire, car j’ai été cassé dès ma jeunesse. Actuellement, je fais une croix sur beaucoup de choses pour mes élèves, dont je suis le premier contact avant la compétition.

Il faut que l’on arrive à faire un tri avec tous ces présumés innocents. Lorsque l’on a cinq, six, dix ou vingt dossiers sur une personne et que celle-ci est toujours présente au niveau national, clairement, il faut faire le nécessaire pour protéger nos gamins et les collègues de travail de ces personnes.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous sommes d’accord avec vous, monsieur Ghediri, mais j’ai l’impression que vous n’avez pas tout dit. Pour vous écouter, vous entendre et vous accompagner, nous avons besoin d’éléments concrets. Je vous propose de nous transmettre par écrit les noms et coordonnées de ces personnes, pour apporter votre témoignage jusqu’au bout.

M. Yacine Ghediri. Je le ferai.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous prolongeons l’audition au-delà des trois heures initialement prévues et abordons le cinquième thème : les choses ont-elles changé depuis la création du dispositif Signal-sports et comment évolue la situation ?

M. Patrick Roux. Je pourrai vous transmettre dix noms de cadres – entraîneurs, kinésithérapeutes, psychologues, et même un dirigeant élu – qui ont perdu leur place parce qu’ils avaient eu le courage de refuser de cautionner ces choses-là. Ce choix n’a pas été sans conséquence : certains ont fait des dépressions car, à trente ou quarante ans, ils étaient en pleine ascension professionnelle et vivaient leur passion.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Citons les noms des victimes, mais aussi ceux des bourreaux.

M. Patrick Roux. Vous aurez tout.

S’agissant du cinquième point, j’ai le sentiment que, dans la foulée des révélations de Sarah Abitbol, des efforts importants ont été consentis par le ministère, avec notamment la création de Signal-sports. Une vraie dynamique s’est engagée et de nombreuses victimes se sont senties encouragées à parler. Cela n’est certes pas négligeable, mais, à titre personnel, cela ne me satisfait pas.

En effet, l’année 2020, c’est le moment où sortent les révélations de Sarah Abitbol et où nous recueillons un grand nombre de témoignages et de signalements. C’est aussi l’année de l’arrivée d’un nouveau président à la tête de la fédération. Dès son élection, je suis allé le voir pour lui donner mon dossier, le convaincre qu’il s’agissait de la priorité des priorités, l’inciter à prendre le taureau par les cornes et toutes les initiatives – interroger les gens, organiser des réunions, faire de l’analyse de pratiques, faire venir les victimes, bref, ce que nous faisons aujourd’hui.

C’était à l’Insep, le nouveau directeur général (DG) de la fédération était aussi présent. Il m’a fallu cinq minutes pour comprendre que cela ne se passerait pas ainsi. La fédération s’est mise à la remorque du ministère : ils ont créé une commission ; un système pour recueillir les signalements – une sorte de Signal-sports au niveau fédéral ; un comité d’éthique ; une commission de lutte contre les violences qui, pendant deux ans, a essentiellement fait des posters. Et nous étions là, avec tous nos dossiers et les témoignages des victimes : nous ne pouvions qu’approuver les rappels à la morale, à la déontologie, à l’éthique, mais ce n’était pas ce qui résoudrait les problèmes. Les gens continueraient d’être au contact de leurs agresseurs présumés et les choses abominables continueraient de se passer. Très engagé, j’ai insisté : j’ai rencontré les membres du comité exécutif, je leur ai écrit, j’ai maintenu la pression.

Au ministère des sports, il nous a fallu un an et demi à deux ans pour faire comprendre ce que nous avons dit ce matin. Au départ, nos interlocuteurs semblaient n’entendre que les violences et les agressions sexuelles. Nous avons dû préciser que 80 % à 90 % des violences signalées étaient d’une autre nature, mais qu’elles causaient des dégâts post-traumatiques aussi importants. Il a fallu presque deux ans pour que le ministère commence à reprendre nos éléments de langage. Récemment, en entendant certains discours, nous avons compris qu’ils avaient acté la nécessité de s’occuper de toutes les violences. C’était une bataille importante à mener.

À partir de ce moment, le ministère semble avoir accentué la pression sur les fédérations, avec davantage de contrôles, et l’attitude de la fédération de judo a changé à notre égard. Nous reconnaissons le travail de prévention qu’elle réalise, notamment des actions d’information et de sensibilisation de leurs cadres, mais beaucoup de choses devraient être faites, qui ne le sont pas. Nous avons toujours droit aux mêmes éléments de langage : on ne va pas poursuivre des gens qui sont proches de la retraite ; on ne peut pas regarder le passé avec les yeux d’aujourd’hui ; il ne faut pas nuire à l’image du judo à l’approche des Jeux olympiques ni abîmer l’économie de la licence. Cela ne me satisfait pas du tout. On parle d’exactions très graves sur des enfants mineurs. L’intensité de la réponse n’est pas encore là.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Madame Capron, pouvez-vous présenter vos propositions ? Le dispositif Signal-sports fonctionne-t-il ?

(Mme Anne Capron prête serment.)

Mme Anne Capron, ancienne entraîneuse nationale de natation synchronisée, cheffe de projet formation des cadres à l’Insep. Je ne dispose pas des informations permettant d’affirmer que le dispositif fonctionne. J’ai de nombreux échanges avec Patrick Roux sur la cellule Signal-sports. J’ai moi-même invité des collègues menacées à effectuer des signalements – elles ne l’ont pas fait parce qu’elles étaient terrorisées.

Mon champ d’intervention est la formation, qui paraîtra peut-être une goutte d’eau compte tenu de l’ampleur des exactions signalées. Elle nécessiterait un important travail pluridisciplinaire avec le mouvement sportif, les services de la protection de l’enfance, de la santé, de l’éducation et les associations.

Les actions de prévention auprès des athlètes, des entraîneurs, des parents, des directions techniques nationales et des élus ne font que commencer. Elles devraient être obligatoires pour les majeurs, comme elles le sont, à l’Insep, pour les mineurs. Il s’agit de créer des groupes de parole, afin de mieux outiller les athlètes, et ce, dès l’enfance.

Les diplômes jeunesse et sport, notamment la formation initiale des brevets professionnels, présentent des manques importants dans les contenus, s’agissant notamment des stades de développement psychomoteur de l’enfant. En tant qu’ancienne certificatrice de ces diplômes, je peux affirmer que, souvent, ces contenus sont acquis de manière superficielle. Certaines fédérations ont fait un gros travail sur ces sujets, mais je ne sais pas si tous les animateurs sportifs sont concernés.

Le diplôme d’État (DE) et le diplôme d’État supérieur (DES), dont les titulaires interviennent dans les pôles espoirs et dans toutes les structures permettant d’accéder au haut niveau, abordent le sujet des violences dans le sport de manière balbutiante : nous préconisons de le rendre obligatoire.

On l’a bien vu ce matin, il y a un choc de cultures : d’un côté, un gros chêne, enraciné dans la dureté, l’intransigeance, l’éducation à l’obéissance, à l’abnégation et à la soumission ; de l’autre, une forêt naissante, où de nombreux acteurs travaillent sur un autre modèle de performance, fondé sur le bien-être, l’épanouissement et la pédagogie des apprentissages. Ce travail avance mais, selon un collègue, beaucoup estiment que la bienveillance ne suffit pas pour atteindre la performance. Les entraîneurs ne sont reconnus que pour leurs compétences techniques et leurs résultats, non parce qu’ils sont de bons pédagogues, qui privilégient l’épanouissement des enfants et des jeunes.

De même, l’attribution des subventions aux fédérations ne dépend que des résultats sportifs. On pourrait imaginer qu’elles soient conditionnées aux compétences de pédagogie et de valorisation du bien-être des enfants. Un tel changement serait d’ordre culturel et nécessiterait de faire évoluer une culture très ancienne.

Cette culture ne connaît pas non plus la notion de recyclage comme elle existe au Canada, en particulier. Parmi les éducateurs en poste depuis de nombreuses années, il y en a d’excellents, mais des mises à jour devraient être obligatoires pour tous ceux qui ont obtenu leurs diplômes il y a longtemps.

Pour toutes les raisons qui ont été évoquées, l’atteinte de la performance est à risque. Elle devrait être encadrée rigoureusement et associée aux notions d’épanouissement, de bien-être, de respect de l’intégrité physique et morale des jeunes, qui doivent être soutenues par la direction technique et par le président. Pour que cela fonctionne, c’est toute l’échelle hiérarchique qui doit s’impliquer, pas seulement quelques individus. Depuis 2009, l’Insep a instauré des programmes de formation continue portant sur la pédagogie, l’écoute, la déconstruction des représentations ou l’accès à la connaissance de son fonctionnement. Les personnes qui les suivent n’y sont pas contraintes. Il n’y a pas suffisamment de relais au niveau des directions techniques pour imposer un système de formation.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous dites avoir incité certaines de vos collègues à prendre la parole et à dénoncer des faits. De quels collègues parlez-vous précisément ? Vous avez dit aussi qu’elles étaient terrorisées : par qui ?

Mme Anne Capron. Je ne citerai évidemment pas de noms.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous pouvez nous les transmettre par écrit.

Mme Anne Capron. Oui. Elles étaient terrorisées par les personnes de leur fédération, qui les avaient déjà évincées du système.

(Mme Véronique Leseur prête serment.)

Mme Véronique Leseur, directrice du pôle formation de l’Insep. Je suis la responsable du pôle Formation continue à l’Insep. Sur la question de la performance et de sa dimension humaine, les choses ont commencé à bouger en 2009. C’était une volonté ministérielle et la direction générale de l’Insep s’est aussitôt emparée de cette question en créant des formations certificatives : il lui importait d’être un maillon de la chaîne et de contribuer au changement.

J’ai la chance d’avoir comme collaborateurs Patrick Roux, Anne Capron et Léonore Perrus et d’autres formateurs issus du sport de haut niveau. Parce qu’ils ont conscience de tout ce qui peut se passer dans l’entraînement et la performance de haut niveau, ils contribuent à faire évoluer les choses depuis des années, en matière de formation continue. Le problème, c’est que notre périmètre d’intervention, celui de la performance et du haut niveau, est très limité. Nous ne touchons pas les autres acteurs du sport, notamment les entraîneurs qui sont en club.

En outre, la formation est un droit et non une obligation, si bien que l’on ne touche même pas l’intégralité de notre public, déjà très restreint. Le volontariat, c’est la garantie d’avoir des gens motivés et pleins d’entrain, et c’est formidable. Si l’on crée une obligation, on change forcément de registre. Il me semble néanmoins que rendre la formation obligatoire permettrait une prise de conscience beaucoup plus massive.

L’Agence nationale du sport, dans le cadre du plan Coachs 2024, a obligé les entraîneurs olympiques à assister à des séminaires de formation. Cette obligation a eu des effets positifs puisque certains d’entre eux ont envie de poursuivre l’aventure et d’être accompagnés pour être plus performants – au sens de la performance humaine. Une contrainte peut donc avoir de bons effets dans la durée.

À l’Insep, nous continuons d’avancer sur ces questions. Nous avons créé, au sein de notre pôle, un groupe de travail sur les violences dans le sport, afin de faire évoluer les formations initiale et continue. Pour l’instant, nous n’avons vraiment de prise que sur les formations dispensées à l’Insep, mais nous essayons d’élargir notre influence. L’école des cadres du sport a vu le jour il y a deux ans et lorsque nous travaillons avec sa direction au ministère, nous sommes une vraie force de proposition, puisque l’offre de formation de l’Insep au programme national de formation est très importante. Ce qu’il faudrait, c’est que cette offre, qui ne concerne pour l’heure que le haut niveau, soit déclinée à l’échelle territoriale par d’autres opérateurs publics pour toucher tous les entraîneurs.

Nous ne sommes qu’un maillon de la chaîne. Or ce qu’il faut, c’est une révolution systémique, qui ne concerne pas que les entraîneurs, mais l’ensemble de l’encadrement, le staff, les élus et les parents. Il faut faire un travail d’acculturation auprès des parents : il faut qu’ils comprennent qu’ils ont leur place dans ce système et un rôle à jouer auprès de leur enfant. Pour qu’un sportif devienne un athlète de haut niveau, il doit être soutenu par ses parents. Je n’ai pas de proposition précise à vous faire, mais une révolution systémique s’impose. Cibler les entraîneurs ne suffira pas.

Mme Myriam Wendling. De mon point de vue, ce type d’enseignement devrait avoir un caractère obligatoire, en formation initiale comme en formation continue. Un gros travail de formation et de sensibilisation des entraîneurs doit être fait. Il faut leur rappeler les limites de la loi et leur faire comprendre les risques administratifs et pénaux qu’ils prennent en employant des méthodes inacceptables, mais aussi leur donner un guide des bonnes pratiques pour les aider à adopter de bons comportements.

Il faut également sensibiliser les athlètes aux différentes formes de violence et leur dire ce qu’ils peuvent, ou non, accepter. Il faut enfin, cela a été dit, former et sensibiliser les parents, pour qu’ils comprennent ce qui peut se passer dans le monde du sport et qu’ils soient à l’écoute. Aujourd’hui encore, c’est le règne de l’omerta et j’ai constaté, en tant que mère, que les parents n’ont pas le droit d’intervenir. Le projet de haut niveau est défini par l’athlète et l’entraîneur, et les parents ne sont pas consultés. S’ils interviennent, cela a des conséquences sur l’athlète.

S’agissant, enfin, des enquêtes administratives, j’ai eu la chance de tomber sur une personne qui avait été sensibilisée aux violences psychologiques et qui m’a aidée à aller au bout de la procédure, mais tout le monde n’est pas aussi bien formé. Tout le monde ne se sent pas forcément capable de mener des enquêtes administratives pouvant aboutir à des décisions très lourdes. Il faut former les gens qui vont être amenés à réaliser ces enquêtes pour qu’ils aient les compétences nécessaires et qu’ils soient capables d’écouter les victimes et les personnes mises en cause.

M. Patrick Roux. Pour conclure, je dirais que le sujet mériterait au moins trois heures de plus…

Notre métier, c’est la formation des entraîneurs : nous sommes dans le disque dur. Les codes de morale, les chartes éthiques, c’est utile, mais ce qui est absolument essentiel, c’est d’investir dans la formation des entraîneurs en amont de tout cela.

La plupart du temps, quand une fédération n’a plus d’entraîneur dans une structure du type pôle Espoirs, elle prend le premier qui se présente et, dans bien des cas, cette personne n’a pas été formée pour s’occuper de jeunes de cette tranche d’âge – celle, précisément, qui est la plus touchée par les violences.

Il faut réfléchir à la manière d’articuler beaucoup plus étroitement, comme c’est le cas dans les pays anglo-saxons, les lois relatives à la protection de l’enfance et celles relatives au sport. En Angleterre, où j’ai vécu, je suis arrivé avec mon comportement d’entraîneur français : il m’est arrivé de plaisanter ou de bousculer un peu un athlète. À chaque fois, quelqu’un m’a attrapé par le kimono pour me dire qu’en Angleterre, ça ne se fait pas. Là-bas, il est impossible de toucher un sportif ou de mimer certains gestes, même pour rire.

Dans la législation sur le sport, il y a le projet de performance fédérale, mais pas l’équivalent du Long Term Athlete Development (LTAD), cet outil créé par les Canadiens dans les années 1990 qui balise, étape par étape, le parcours de formation des jeunes athlètes, depuis le club jusqu’au très haut niveau, et au-delà. Il ne s’agit pas de formater, mais de donner des recommandations d’usage, étayées par des connaissances en physiologie, en psychopédagogie et dans toutes les disciplines qu’Anne Capron vient d’évoquer. On sait, par exemple, que mettre trop de pression à des enfants avant le pic pubertaire ne sert à rien et risque même d’entraîner un burn-out. Il faudrait intégrer toutes ces données dans la législation relative au sport, ce qui suppose un travail de fond et la consultation des spécialistes de la question : je pense au chercheur Sébastien Ratel, qui a travaillé sur les étapes de la formation sportive, en lien avec la croissance de l’enfant.

Il est également essentiel de fixer des règles. On l’a dit toute la matinée, dans le sport, il y a des lignes jaunes et de lignes rouges, mais on ne les distingue pas toujours très bien. Il faut repenser l’ensemble du système, en articulant les lois relatives à la protection de l’enfance et la définition précise d’un parcours du jeune sportif, fondée sur des recommandations techniques, physiologiques et psychopédagogiques. Il faut que la législation sur le sport oblige les fédérations à définir ce parcours et qu’il ne s’agisse pas d’une simple formalité administrative, mais que ce document soit le fruit d’un vrai travail, réalisé avec des éducateurs et des entraîneurs professionnels. Ensuite, il faut exiger des fédérations qu’à moyen et long termes, tous les entraîneurs passent par une formation à ces questions. De cette manière, lorsqu’on aura besoin d’un entraîneur dans une structure, on pourra compter sur un personnel déjà formé.

Les jeunes entraîneurs, quand ils commencent, sont pleins d’entrain et ont envie de très bien faire, mais ils font un copier-coller des techniques qu’ils ont connues quand ils étaient à un très haut niveau, parce qu’ils pensent que c’est ce qu’il faut faire, et cela crée des tas de problèmes.

Il faut absolument travailler sur nos croyances : c’est un enjeu essentiel. Les pays anglo-saxons et les pays émergents comme l’Australie ou la Nouvelle-Zélande, qui nous taillent désormais des croupières aux Jeux olympiques, sont sortis de la vision de l’athlète robot et forment des athlètes qui ont des facultés d’adaptation et de la créativité. Le rôle de l’entraîneur moderne, c’est, avec l’appui des sciences du sport, de créer un environnement favorable à l’émergence de ce type d’athlète. Il faut absolument s’appuyer sur les théories cognitivo-comportementales. Or la France est en retard dans ce domaine par rapport à des pays comme le Japon ou le Canada, qui forment les athlètes depuis le plus jeune âge en essayant de créer l’environnement le plus favorable, de façon à ce qu’ils restent motivés et désireux d’apprendre très longtemps. Il faut tenir compte de l’équilibre de vie de l’athlète, faire en sorte qu’il ait de bonnes sensations, plutôt que de lui donner des petites tapes chaque jour pour qu’il avance. Ce changement de paradigme suppose que la loi impose aux fédérations de produire un vrai travail de définition du parcours de formation des jeunes athlètes.

Pour conclure de manière plus personnelle, je veux d’abord vous remercier infiniment ; je ne suis que le messager de toutes les personnes qui ont pris la parole ce matin. Je suis absolument convaincu que le sport peut véhiculer des valeurs, notamment les valeurs républicaines et de citoyenneté, mais cela repose avant tout sur les parents et les acteurs responsables de l’environnement dans lequel on le déploie. J’ai travaillé dans des pays très différents et je me suis aperçu qu’il ne suffit pas de pratiquer un sport pour que se développent les valeurs que vous souhaitez promouvoir. Le sport permet de développer un tas de qualités, comme l’adaptation, la créativité, le traitement de l’information, l’intuition, la persévérance, l’engagement, et j’en passe. Mais pour que le sport soit le vecteur des valeurs républicaines, il faut que les formateurs et les parents en soient porteurs et sachent les transmettre.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Merci à toutes et tous. Cette audition a duré près de quatre heures et je dois maintenant y mettre fin. Si certains d’entre vous n’ont pas pu s’exprimer, j’en suis désolée et je les invite à nous faire parvenir leur témoignage, par écrit ou oralement.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Merci à toutes et tous pour vos témoignages et pour vos propositions. Derrière les récits glaçants que nous avons entendus, on voit malgré tout l’attachement de chacun d’entre vous au mouvement sportif et à sa propre discipline sportive. Nous espérons que vos témoignages vont contribuer à libérer la parole des autres victimes et à briser l’omerta. Mais ce qui nous importe surtout, c’est de faire en sorte que cela ne se reproduise plus et que le mouvement sportif retrouve ce pour quoi il devrait exister. J’espère que nous aboutirons à des propositions très concrètes pour faire en sorte que le sport reste quelque chose de très positif, loin de ce qui nous a été décrit depuis le début de ces auditions.

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11.   Table ronde, ouverte à la presse, réunissant les associations luttant contre les violences sur mineurs : Mme Mélanie Dupont, présidente de l’association Contre les Violences sur Mineurs (CVM) ; Mme Isabelle Debré, présidente, et Mme Laura Morin, directrice de l’association L’Enfant Bleu ; Mme Martine Brousse, présidente de l’association La Voix De l’Enfant ; M. Laurent Boyet, président de l’association Les Papillons (13 septembre 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Mes chers collègues, nous accueillons plusieurs associations luttant contre les violences sur mineurs qui ont noué un partenariat avec le ministère des sports depuis 2021, dans le cadre d’un appel à manifestation d’intérêt intitulé « Éthique et intégrité dans le sport ». Je salue Mme Mélanie Dupont, présidente de l’association Contre les Violences sur Mineurs (CVM), Mme Isabelle Debré, présidente de l’association L’Enfant Bleu, Mme Martine Brousse, présidente de l’association La Voix de l’Enfant, et, en visioconférence, M. Laurent Boyet, président de l’association Les Papillons.

Nous avons entamé les travaux de notre commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet dernier. L’Assemblée nationale a choisi de créer cette commission d’enquête à la suite de très nombreuses révélations de sportifs et sportives, et de divers scandales judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux se déclinent autour de trois axes : l’identification des violences sexuelles, physiques ou psychologiques dans le sport ; l’identification des discriminations sexuelles et raciales dans le sport, et l’identification des problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

Nous avons entendu de nombreuses victimes la semaine dernière : sportifs de très haut niveau ou non, hommes ou femmes, intervenant dans des disciplines différentes, comme le tennis, les sports de glace, le judo, la gymnastique, le basket, l’athlétisme. Ils nous ont tous décrit leur calvaire et les violences qu’ils ont subies, principalement lorsqu’ils étaient mineurs, généralement de la part de leur entraîneur ou d’autres sportifs manipulés par ce dernier. Ils ont également insisté sur l’omerta généralisée qui règne dans chaque discipline, où tout le monde sait, mais personne ne dit rien. Bien souvent en revanche, les parents ne sont pas au courant et font largement confiance au club et à l’entraîneur, alors que leur enfant est incapable de s’exprimer, en raison de la honte ou de la peur qui le submerge.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mmes Dupont, Brousse et Debré et M. Boyet prêtent serment).

Mme Mélanie Dupont, présidente de l’association Contre les Violences sur Mineurs (CVM). Je suis psychologue au sein de l’unité médico-judiciaire de l’Hôtel-Dieu et présidente de l’association Contre les Violences sur Mineurs. Créée en 2008, elle est issue de la volonté de professionnels de l’enfance de se réunir pour aider autrement les victimes rencontrées en consultation. L’association réunit ainsi une trentaine de professionnels de l’enfance.

Vous avez évoqué l’omerta et le tabou qui entourent les violences sexuelles. Une première étape me semble franchie, celle de la libération de la parole ; mais encore faut-il que les adultes l’entendent et agissent pour protéger les mineurs. C’est la mission que s’est donnée le CVM. Nous sommes tous concernés de près ou de loin, et l’enjeu est celui de la responsabilité citoyenne. Le CVM se veut donc une boîte à outils de référence pour agir contre les violences sur mineurs.

Notre objectif – peut-être vous paraîtra-t-il utopique – est que les mineurs victimes de violences soient écoutés, protégés et accompagnés, et que les adultes témoins puissent être acteurs de cette protection des enfants. Les expériences dont vous ont fait part les victimes auditionnées la semaine dernière vous ont montré que les témoins de ces violences n’ont pas pu – ou pas su – protéger ces mineurs. Enfin, nous souhaiterions que tous les citoyens soient sensibilisés et vigilants face à cet enjeu sociétal.

Notre action est principalement centrée sur la transmission de l’information, que nous voulons claire, simple, non passionnelle, appuyée sur la recherche scientifique, non culpabilisante et enfin gratuite. Tous nos outils sont disponibles sur internet. Il s’agit d’informer les citoyens et de leur donner les moyens d’agir. Nous sommes donc complémentaires des autres associations présentes, qui sont, elles, actives sur le terrain.

Notre principal outil est notre site internet, où nous référençons des ressources numériques disponibles et diffusons celles que nous créons. Sur notre chaîne YouTube, vous trouverez une série de tutoriels d’information sur les violences sexuelles : « c’est quoi le viol ? » – qui a enregistré plus de 800 000 vues –, « c’est quoi la pédopornographie ? », « c’est quoi le harcèlement sexuel ? », « c’est quoi l’inceste ? ». Plus récemment, nous avons réalisé une recherche-action sur la prostitution des mineurs et avons publié une mallette pédagogique de sensibilisation. Nous travaillons sur ces thématiques avec l’association Colosse aux pieds d’argile, dont vous avez auditionné le directeur et le directeur adjoint, MM. Sébastien Boueilh et Simon Latournerie, et qui diffuse nos outils lors de ses interventions.

Nous sommes en lien avec le ministère des sports depuis fin 2019. Nous avions participé à la première Convention nationale de prévention des violences sexuelles dans le sport. Je tiens à souligner les efforts de ce ministère, initiés notamment par Mme Roxana Maracineanu. Nous étions également présents à la quatrième et dernière Convention en juillet, avec Mme Oudéa-Castéra.

Nous sommes conventionnés pour participer à la création d’une boîte à outils de prévention. Nous avons participé à l’élaboration d’un guide d’audition en enquête administrative, afin de simplifier l’information. Avec l’association L’Enfant Bleu, nous avons réalisé un tutoriel – qui existe également au format papier – « Enfants, ados, adultes victimes de violences dans le sport : des professionnels peuvent aider » afin de clarifier le rôle de chacun dans ces procédures et de rappeler les aides disponibles. Cette année, nous souhaiterions étoffer cette boîte à outils par des vidéos de témoignages.

Nous travaillons étroitement avec M. Laurent Bonvallet, chargé de mission Éthique du sport, prévention des violences et déploiement territorial, et Mme Fabienne Bourdais, déléguée ministérielle à la lutte contre les violences dans le sport, dont je tiens à souligner le travail remarquable – bien qu’une réflexion sur les moyens à leur disposition me paraisse nécessaire. En effet, si cette boîte à outils a été transmise à tous les services départementaux à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (SDJES), il conviendrait désormais de la soutenir avec des moyens humains afin que chacun puisse se l’approprier et la diffuser sur son territoire.

Mme Martine Brousse, présidente de l’association La Voix De l’Enfant. Depuis sa création il y a quarante-trois ans, La Voix de l’Enfant est engagée dans la défense de l’enfance. Nous sommes partie civile dans plus de soixante dossiers, dont certains concernent des animateurs dans des clubs sportifs.

La Voix de l’Enfant est une fédération de soixante-quinze associations qui interviennent en France et dans le monde, et, pour certaines, dans le domaine de la prévention.

L’un des axes prioritaires de La Voix de l’Enfant est la création des unités d’accueil pédiatrique des enfants en danger (UAPED). Par ce dispositif, nous avons instauré en pédiatrie des salles d’audition où l’ensemble des professionnels concernés – magistrats, enquêteurs, pédiatres, psychologues – travaillent en pluridisciplinarité. En effet, sans lieux ni professionnels pour recueillir la parole des enfants, les campagnes d’information et les diverses annonces ne servent à rien.

Depuis plus de trois ans, nous collaborons étroitement avec le ministère des sports – à la fois avec les ministres, mais aussi avec M. Bonvallet et Mme Bourdais – pour travailler auprès des fédérations et des clubs sportifs. Nous sommes ainsi un fil conducteur dans les signalements : dès que nous sommes informés d’une situation, nous entrons en contact avec la cellule Signal-sports du ministère. Ces contacts sont réguliers, à hauteur de deux à trois fois par mois. L’éducation nationale devrait d’ailleurs se doter de ce modèle unique, qu’il faut désormais renforcer en lui donnant davantage de moyens. En effet, les clubs sportifs comptent des milliers d’enfants, mais aussi de bénévoles – au-delà des seuls entraîneurs –, qui peuvent être victimes ou auteurs de violences.

Certes, le ministère a ouvert l’accès au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS), mais sa consultation reste un véritable parcours du combattant pour les plus petites associations sportives ; lorsqu’elles se tournent vers les mairies, ces dernières ignorent souvent la marche à suivre. Là encore, il faut simplifier les démarches afin qu’au moment de recruter un bénévole, un animateur ou un éducateur sportif, les associations puissent savoir si cette personne a été condamnée pour violence, sans avoir à en connaître la nature précise – physique, sexuelle ou psychologique.

Il est important que l’encadrement dans les clubs sportifs soit informé, car il ne lui est pas demandé de recueillir la parole de l’enfant – ce rôle est celui des professionnels, des psychologues et des pédopsychiatres, dans un lieu donné. Le ministère des sports a édité et diffuse un guide sur les bonnes pratiques et les démarches à entreprendre, qui comporte une « fiche réflexe » sur la réaction à adopter face à des révélations. Elle est adaptée aux différents publics, mais le fond reste le même. L’ensemble des professionnels – bénévoles, salariés – doivent être informés de ce qu’ils peuvent faire ou non, car ils l’ignorent trop souvent et appellent nos associations ou le 119. C’est ce type d’actions que nous devons démultiplier en France.

À la demande du ministère, La Voix de l’Enfant assure également des formations dans les centres de ressources, d’expertise et de performance sportive (Creps) ainsi que dans les fédérations. Nous avons ainsi récemment été contactés par la fédération de volley, et sommes intervenus auprès des fédérations de football et d’escrime.

La parole des victimes se libère, certes ; mais faisons en sorte que les professionnels qui les accompagnent puissent recevoir cette parole et les orienter vers les personnes et les services compétents. Ce n’est pas aux animateurs de jouer aux magistrats, aux psychologues ou aux policiers. Trop souvent, les enquêteurs, et notamment les gendarmes, constatent que lorsqu’un jeune vient témoigner auprès d’eux, il sait déjà ce qu’il doit dire, tant il a déjà été entendu – jusqu’à onze fois, pour l’un de ceux que nous accompagnons.

Mme Isabelle Debré, présidente de l’association L’Enfant Bleu. L’association L’Enfant Bleu est une association de terrain dont je suis membre depuis plus de trente ans et présidente depuis cinq ans.

L’Enfant Bleu a pour mission l’accompagnement psychologique et juridique des victimes, qu’il s’agisse d’enfants ou d’adultes ayant été victimes dans leur enfance. Nous organisons dans ce cadre des groupes de parole, pour lesquels la liste d’attente est malheureusement souvent longue.

Nous faisons beaucoup de prévention dans les écoles. Nous avons d’ailleurs reçu l’agrément national l’année dernière : il nous est particulièrement précieux, puisqu’en nous dispensant de demander l’autorisation de l’académie à chaque intervention, il représente un gain de temps important. Nous menons également des actions de plaidoyer, en nous constituant partie civile de façon à repérer les différents dysfonctionnements et proposer à nos parlementaires des mesures pour améliorer la protection de l’enfant. Ainsi, la prescription, qui était de dix ans, est passée à vingt ans grâce à Me Yves Crespin, qui a beaucoup œuvré au sein de notre association, et à trente ans – renforcée par la prescription glissante – grâce à toutes les associations du secteur et aux victimes qui ont témoigné ; ces dernières ont su démontrer qu’il était impossible de se réparer en tant qu’êtres humains sans avoir été reconnues victimes.

Avec la cellule nationale de traitement des signalements de violences dans le sport, nous avons travaillé aux côtés d’autres associations sur le guide de l’audition, qui sera à disposition de chaque victime.

Nous avons des propositions à vous faire concernant la coordination entre l’administration et la justice, qui n’est pas toujours très satisfaisante, la formation du personnel et l’accès au FIJAIS : en effet, dès lors qu’une association embauche une personne qui travaillera auprès d’enfants, elle doit avoir accès à ce fichier afin de prendre connaissance d’éventuels antécédents.

M. Laurent Boyet, président de l’association Les Papillons. J’ai créé l’association Les Papillons en octobre 2018, car j’ai moi-même été victime de viol entre mes six et neuf ans, de la part de mon frère qui en avait dix de plus que moi. Il m’a fallu trente ans pour trouver la force et le courage de libérer ma parole – ce qui m’a aidé, enfin, à aller mieux. L’association, avec ses « boîtes aux lettres Papillons », a justement pour objectif de permettre de libérer la parole des enfants le plus rapidement possible, afin qu’ils soient accompagnés par les professionnels compétents.

L’association Les Papillons déploie ainsi des boîtes aux lettres dans les écoles, dans le cadre du temps périscolaire, et dans les clubs de sport. Notre demande d’agrément national a été examinée le 27 juin en commission ; nous en attendons le résultat. En attendant, nous signons des conventions avec les municipalités qui installent ces boîtes aux lettres dans les écoles, tandis que nous présentons le dispositif aux enfants sur le temps périscolaire. Nous formons une personne-ressource désignée par la municipalité à notre dispositif, pour qu’elle puisse l’expliquer aux enfants, en s’appuyant sur une courte vidéo construite avec nos psychologues. Nous formons également ce référent à la détection des signaux de maltraitance et au recueil de la parole – comment réagir si, pendant la présentation du dispositif, un enfant venait à dévoiler quelque chose. Cette personne-ressource est issue de la structure – l’école ou le club de sport. Un policier municipal ou un agent de surveillance de la voie publique relève deux fois par semaine le courrier dans la boîte aux lettres.

Nous sommes liés par une convention avec le ministère des sports depuis 2019. Nous avons également participé à la première Convention nationale de prévention des violences sexuelles dans le sport. Je dois souligner l’exceptionnelle volonté de ce ministère, et notamment de Mme Roxana Maracineanu, pour agir et mettre fin à ces situations. Dans ce cadre, M. Laurent Bonvallet est l’interlocuteur privilégié des associations pour définir les actions que chacune doit mettre en place. Ainsi, la convention que nous avons signée mentionne l’obligation d’installer les boîtes aux lettres Papillons.

L’année dernière, nous avons mené des actions de sensibilisation dans 215 clubs sportifs et avons établi 115 boîtes aux lettres Papillons dans une centaine d’établissements, dont la plupart sont des structures sportives appartenant aux municipalités, certaines accueillant plusieurs clubs. Ainsi, 15 000 enfants ont été informés de notre dispositif et ont eu accès à nos boîtes aux lettres l’année dernière.

Les mots qu’ils déposent dans nos boîtes aux lettres sont quotidiennement analysés par les psychologues salariés de l’association, qui les transforment, s’il y a lieu, en informations préoccupantes transmises à la cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes (Crip) du département concerné ou en signalements au procureur de la République du département. Tous les mots déposés par les enfants qui concernent le milieu sportif font l’objet d’un signalement à la cellule Signal-sports – qui, comme l’a dit Mme Brousse, mériterait en effet d’être élargie au champ de l’éducation nationale, car sa complémentarité avec les actions menées est très efficace. La cellule prend alors le relais, de manière exemplaire.

Les fédérations font aussi preuve de volonté. Nous avons signé des conventions avec la fédération française de judo, d’escrime – qui met en place de nombreux outils pour aider les enfants victimes à reprendre confiance en eux –, de natation et de volley.

Nous cherchons à permettre la libération de la parole pour toutes les violences dont les enfants sont victimes. Les violences sexuelles représentent 7 % à 8 % des lettres déposées. La plupart sont des violences sexuelles intrafamiliales. La première problématique pour laquelle les enfants déposent des mots – y compris dans les boîtes installées dans les structures sportives – est le harcèlement scolaire.

La volonté dont font preuve le ministère et les fédérations doit encore être déclinée au niveau des clubs et des comités, ce qui est beaucoup plus difficile – par manque de moyens humains, et par peur, sans doute. C’est là que j’identifie de potentielles défaillances.

Mme Isabelle Debré. La passation de pouvoir entre Mmes Maracineanu et Oudéa-Castéra est l’une des plus faciles à laquelle j’aie assisté ; il est rare que toutes les associations soient entendues, respectées et écoutées.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il est important pour nous d’entendre des associations qui travaillent au contact du public, parfois très jeune, concerné par cette problématique. À ce stade de nos travaux, nous constatons que les mineurs sont nombreux parmi les personnes concernées, et qu’il faut également prendre en compte la temporalité de la libération de la parole.

Les témoignages que nous avons recueillis ont fait apparaître le peu de connaissance des sportifs de la cellule Signal-sports. C’est notamment le cas des athlètes de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), ce qui m’étonne particulièrement. Comment mieux informer les sportifs de son existence ?

Par ailleurs, certains sportifs nous ont fait part d’un manque de confiance vis-à-vis de cette cellule, du fait qu’elle est interne au ministère des sports et que les enquêtes sont confiées à des directions régionales ; or dans un milieu en vase clos, où tout le monde se connaît, il est difficile pour les victimes de s’exprimer auprès de cette cellule, car elles craignent un manque de transparence au moment de l’enquête.

Le bilan de la cellule Signal-sports fait apparaître un taux de victimes mineures au moment des faits de 82 % ; plus précisément, 41 % des faits dénoncés concernent des victimes âgées de moins de quinze ans. Plus de 60 % des signalements concernent des éducateurs sportifs, des bénévoles ou professionnels. Les éducateurs ont un statut particulier vis-à-vis des mineurs : la proximité physique et le caractère inéluctablement déséquilibré de la relation sont autant de facteurs de risques. Quel est votre regard sur la relation entre l’entraîneur et le mineur ? Selon vous, quelles mesures nouvelles permettraient de limiter les abus et les violences physiques, sexuelles et psychologiques dans le mouvement sportif ?

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Mme Laura Morin, directrice de l’association L’Enfant Bleu, nous a rejoints.

(Mme Laura Morin prête serment).

Mme Mélanie Dupont. La cellule Signal-sports était en effet très peu connue à ses débuts : il a d’abord fallu travailler à la rendre visible. La création de notre boîte à outils contribue à cette clarification. L’enjeu est aussi la transmission de l’information auprès de l’ensemble des SDJES, qui affichent d’ailleurs une réaction variable : certains en sont très satisfaits, tandis que d’autres ne répondent pas ou n’en comprennent pas l’utilité.

Par ailleurs, cette information se fait uniquement par courrier : il faut désormais aller au contact de ces services pour leur présenter les outils. Or la cellule Signal-sports compte très peu de membres ; il est difficile de leur demander de traiter les signalements tout en assurant des opérations de communication – alors que ces dernières sont nécessaires. La question est donc celle des moyens humains.

Vous évoquez un manque de confiance envers la cellule : après une omerta qui a duré des années, c’est un constat réel. Lorsqu’un enfant a tenté de s’exprimer et qu’il n’a pas été entendu, il n’a plus aucune confiance dans les adultes. La cellule doit donc insister sur sa neutralité, tout en se montrant courageuse dans ses décisions.

S’agissant de la relation entre entraîneur et entraîné, vous avez auditionné de nombreux sportifs de haut niveau ; mais n’oublions pas les pratiquants de sports de loisir, où ces enjeux ne sont pas absents, parfois simplement parce que les parents expriment de fortes attentes envers leurs enfants. Ce système qui emprisonne et isole le mineur se met en place très facilement : des garde-fous solides sont nécessaires.

Mme Martine Brousse. Combien de parents refusent de voir les signaux d’alarme, parce qu’ils veulent que leur enfant devienne un champion ? Nous avons vu de nombreux cas de parents – souvent des pères – qui avaient connaissance de mauvais traitements physiques, comme des régimes draconiens, et qui l’acceptaient, quand bien même l’entourage les alertait sur l’état de leur enfant – manque de sommeil, décrochage scolaire.

Nos actions de sensibilisation doivent donc aussi viser les parents, parce qu’en dehors des athlètes de haut niveau, ce sont des milliers d’enfants qui pratiquent en club sportif. Il n’est pas rare que nous interpellions les parents dans notre travail quotidien. Pour l’heure, il semble que le ministère n’ait pas les moyens d’agir à ce niveau.

La cellule manque de moyens. Par ailleurs, la question de la confiance que vous évoquez se pose aussi. Il faut cependant avoir conscience que la cellule a été créée récemment. Régulièrement, la cellule nous envoie des victimes ou des parents afin que nous les accompagnions dans une démarche auprès de la justice. Le problème, c’est qu’après un signalement, même si la présomption d’innocence prévaut, le ministère est forcé de prendre des mesures administratives. Il y a une forme d’ambiguïté : si le ministère prend des mesures d’éloignement, l’administration est forcée d’entendre la victime, qui doit également être auditionnée par les enquêteurs. Or nous préférerions ne pas faire répéter l’enfant, qui doit en outre être entendu par des professionnels formés au protocole du National Institute of Child Health and Human Development (NICHD). Cependant, nous comprenons que les clubs et les fédérations tiennent à prendre des mesures immédiates pour écarter la personne mise en cause.

Mme Laura Morin, directrice de l’association L’Enfant Bleu. Cette coordination entre l’administration et la justice est en effet un véritable problème. Le temps de la justice et celui de l’administration sont en outre longs.

La communication est un enjeu crucial pour la cellule. Cette dernière est un nouvel espoir pour les victimes, pour qui elle représente une procédure supplémentaire pour parler de ce qu’elles ont vécu et une chance de protéger les enfants qui sont encore en présence de l’agresseur. M. Bonvallet doit prochainement intervenir pour présenter la cellule auprès du public que nous accompagnons. Au-delà, elle doit être connue par tous les citoyens susceptibles d’être concernés. L’Enfant Bleu est souvent un point de contact pour les victimes. Nous les accompagnons sur le plan juridique et psychologique, et dans le signalement auprès de la cellule.

Il faut renforcer les possibilités de vérification de toutes les personnes qui gravitent auprès des enfants dans ce milieu, qui ne résument pas aux seuls éducateurs : je pense par exemple aux photographes lors des compétitions.

L’entraîneur et l’entraîné évoluent souvent dans une forme de huis clos : l’entraîneur peut parfois appeler l’enfant trois fois par jour sans que le parent s’en rende compte. C’est la raison pour laquelle nous rencontrons toujours les parents avant les enfants lors de nos actions de prévention dans les écoles. Il faut leur expliquer qu’ils ne peuvent pas faire entièrement confiance à un adulte laissé seul avec leur enfant, et leur indiquer vers qui se tourner en cas de doute.

M. Laurent Boyet. La cellule Signal-sports est un outil récent : il est peu étonnant qu’elle soit encore insuffisamment connue.

La question de la confiance se pose en effet dans un milieu où tout le monde se connaît : la victime craint qu’une fois libérée, sa parole soit entendue par tous. Plus encore, au-delà de la seule cellule, une fois que l’enfant a été victime d’un adulte, sa confiance envers les autres adultes se perd. Pourtant, la libération de la parole est cruciale pour donner confiance aux autres victimes et les inciter à se rapprocher de cette cellule.

Pour casser l’emprise de l’entraîneur sur l’entraîné, la seule solution est de réintroduire d’autres adultes au sein de ce binôme. L’une des ambassadrices de notre association, la footballeuse Alice Benoît, me confiait qu’elle voyait son entraîneur comme un père de substitution. L’entraîneur devient le seul adulte de référence.

Le problème vient aussi de là : certains parents sont prêts à tout pour que leur enfant devienne un champion. Pour casser l’emprise, il faudrait peut-être redéfinir la notion de champion, qui repose avant tout sur la performance – et trop souvent sur l’écrasement de l’autre, coûte que coûte.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vos associations accompagnent des victimes ; mais en amont, quelles sont vos propositions pour mieux prévenir ces situations ?

Mme Isabelle Debré. Les actions de prévention que nous menons dans les écoles suivent trois étapes : nous rencontrons le personnel enseignant – qui est aussi à même de percevoir des signes de malaise –, les parents, puis les enfants. C’est l’occasion de sensibiliser les parents dont les enfants sont de potentiels futurs sportifs de haut niveau. Nous montrons également aux enfants qu’ils peuvent réagir face à certains comportements. L’agrément national que nous avons obtenu facilite cette prévention dans les écoles.

Mme Laura Morin. Nous sommes sollicités pour adapter nos protocoles en périscolaire et dans le milieu du sport. Nous cherchons à travailler avec les enfants dès la dernière année de maternelle pour qu’ils développent des compétences positives : il s’agit de leur apprendre à faire confiance à leur ressenti et aborder leur rapport à l’adulte autrement que comme une obéissance inconditionnelle. Nous expliquons à ces enfants que l’adulte n’est pas tout-puissant, qu’ils ont des droits liés à la Convention internationale des droits de l’enfant, et que leur corps est un sanctuaire.

Nous les aidons à identifier une personne de confiance en cas de danger dans la relation entre entraîneur et entraîné, par exemple. Avec les plus petits, cet apprentissage passe par le jeu ; pour les plus grands, les explications sont plus concrètes. Les jeux de rôle sont aussi efficaces.

Mme Martine Brousse. M. Boyet a raison : il ne faut plus qu’un adulte soit seul avec un enfant. Même si les enfants sont sensibilisés à ces enjeux, on ne peut pas leur demander d’avoir la force de résister à certains prédateurs – ou prédatrices, car il peut aussi s’agir de femmes, qui jouent sur la dimension maternelle et affective.

C’est un changement de mentalité qu’il faut entamer : l’entraînement ne peut plus être assuré par une seule personne. Certes, cela nécessitera des moyens. On demande aux médecins de ne pas recevoir un enfant seul dans leur cabinet : pourquoi, dans le monde sportif et enseignant, ce droit persisterait-il ?

Mme Laura Morin. En dehors du seul moment de l’entraînement, il faut énoncer certaines règles simples : nous expliquons par exemple aux enfants que lorsqu’ils se rendent à une compétition, ils ne doivent pas partager la même chambre ou le même lit que l’entraîneur.

Mme Mélanie Dupont. Il faut un changement de mentalité. La proximité qu’induit la relation entre l’entraîneur et l’entraîné semble naturelle, alors qu’elle doit être discutée. Avant même de parler de violence, il faut en revenir aux principes primaires, comme le rapport au corps, à la nudité.

M. Laurent Boyet. Nos associations mènent des actions de sensibilisation et de prévention. Nous avons par exemple créé un « Memory des émotions » pour les enfants dès la maternelle. Cependant, au-delà de l’éducation des enfants, nous devons rééduquer les adultes. On dit que la parole des enfants doit se libérer ; mais la plupart du temps, ils parlent – plus ou moins explicitement. Ce sont les adultes qui ne voient pas ces signaux et qui ne comprennent pas pourquoi certains comportements sont problématiques. Les enfants, dès lors qu’on se met à leur hauteur, comprennent parfaitement ce qu’on leur dit.

Mme Claudia Rouaux (SOC). J’ai le sentiment que la discussion dérive du sujet principal de notre commission d’enquête, à savoir le rôle des fédérations sportives. Votre engagement est primordial ; mais depuis l’affaire Catherine Moyon de Baecque, rien n’a changé. Alors qu’une jeune femme accuse quatre compétiteurs de viol, la fédération ferme les yeux, pour la simple raison qu’ils sont susceptibles d’obtenir une médaille. Les témoignages que nous avons recueillis la semaine dernière étaient très difficiles à entendre.

Monsieur Boyet, si l’on prend le cas de Sarah Abitbol, ses parents étaient très présents. On a affaire à des prédateurs, face auxquels la meilleure prévention ne suffit pas. Revenons au cœur du sujet : quelles actions entamez-vous contre ces fédérations en cas de plainte pour viol, par exemple ? Pourquoi un entraîneur accusé de harcèlement ou de viol peut-il continuer à exercer son activité auprès d’enfants ? Quand un enseignant est reconnu coupable de pédophilie, il ne peut plus être recruté.

Mme Pascale Martin (LFI-NUPES). Venant du monde associatif, je sais combien votre rôle est important. Or parfois, les moyens humains manquent.

Dans ma circonscription, une mère m’a expliqué que sa fille, qui devait témoigner, n’a pas pu être auditionnée dans un lieu sûr, comme les salles Mélanie, mais au commissariat. Pour une victime mineure, c’est un traumatisme supplémentaire. Vous avez évoqué le cas d’un enfant qui a dû raconter onze fois son histoire : vous l’avez dit, M. Boyet, l’enfant finit par se taire, et il ne parlera parfois que des dizaines d’années plus tard. Combien existe-t-il de salles adaptées au recueil de la parole de l’enfant ?

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pour répondre au manque de confiance envers la cellule Signal-sports, il a été proposé de créer une cellule extérieure. Pour ma part, je trouve inquiétant que la justice intervienne aussi tard dans l’affaire : la victime parle d’abord à son cercle proche, puis l’information remonte au niveau départemental et régional, puis à la cellule. Comment réduire ce processus ? En instaurant un temps d’enquête supplémentaire, cette cellule ne crée-t-elle pas plus de tort que de bien aux victimes ?

Constatez-vous une prise de conscience de la part des fédérations ? Des outils existent-ils ? Pour ma part, je considère que les adultes témoins de faits de violences qui ne réagissent pas font preuve d’une forme de complicité.

Mme Martine Brousse. Il me semble que les conditions de recueil de la parole de l’enfant ont évolué depuis vingt-cinq ans, grâce à la loi du 17 juin 1998 dite loi Guigou. Dans son prolongement, M. Dominique Perben, ministre de la justice, a également œuvré pour la protection de l’enfant. La loi Guigou a permis d’ouvrir les premières salles d’audition – qui avaient alors été très mal accueillies : on estimait que les policiers devaient rester dans leur commissariat. Il a fallu vingt-cinq ans pour que la situation évolue, et elle reste remise en cause : le combat est permanent. Or les Français ne descendent pas manifester dans la rue pour l’enfant. On parle du nombre de féminicides, mais pas d’infanticides – et cette dénomination ne correspond désormais plus à une infraction pénale. Il faut replacer l’enfant au centre, et se mettre à sa hauteur. Sans cela, nous ne pourrons entendre sa parole ni reconnaître les signes de sa souffrance.

Il n’y a aucune culture de l’enfant dans les fédérations : nous devons donc intervenir au sein de ces fédérations, dont certaines nous sollicitent afin de signer des conventions. Nous sommes soutenus par la ministre des sports, mais il faut encore faire évoluer les mentalités. C’est aussi un enjeu de remontée de l’information : parfois, les fédérations ne sont pas informées des faits de violence dans un club et l’apprennent par la presse. Bien entendu, cette communication doit respecter la présomption d’innocence et permettre à la procédure de la victime d’aboutir.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Si ces informations ne sont pas remontées à la fédération, est-ce pour protéger la présomption d’innocence ou pour protéger le club ?

Mme Martine Brousse. Pour protéger l’entraîneur, l’image du club, et même parfois la ville et les élus. C’est la raison pour laquelle il faut remettre l’enfant au centre : à partir du moment où il est victime, peu importe qui est l’agresseur et qui était au courant.

En tant qu’association, nous ne nous arrêtons pas à être partie civile auprès d’un mineur victime, mais nous faisons en sorte que tout l’entourage qui pouvait être informé puisse être mis en examen pour non-assistance à personne en danger. Nous aimerions que les fédérations se constituent partie civile à nos côtés – mais cela ne s’est jamais vu, sauf pour se protéger !

Nous devons interroger le statut des fédérations dans l’accompagnement des victimes, peut-être en faire une obligation. Il est temps que les fédérations soient placées face à leurs responsabilités et qu’elles rendent compte à la justice. Et s’il ne faut pas traiter ces affaires avec précipitation, celles qui impliquent des enfants doivent être prioritaires.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Les deux personnes qui ont témoigné la semaine dernière ont en effet indiqué que les fédérations se protégeaient et ne soutenaient aucunement la victime.

Mme Isabelle Debré. Il est épouvantable pour un enfant de devoir passer la porte d’un commissariat : il se retrouve face à des personnes qui ne sont souvent pas assez formées, qui portent un uniforme. Certes, des mesures ont été prises, et d’autres devraient suivre – puisque le Gouvernement s’est engagé à créer une UAPED par département. L’enfant peut s’exprimer beaucoup plus facilement dans ces unités et y être mieux pris en charge. J’espère que cet engagement sera suivi d’effets.

Pour rebondir sur les propos de Mme Brousse sur les féminicides, il est vrai que derrière une femme battue, il y a souvent des enfants : c’est un traumatisme psychologique très important – je prends l’exemple du journaliste Mohamed Bouhafsi. Par ailleurs, comment une femme battue pourrait-elle venir en aide à son enfant, même s’il est destiné à devenir un grand sportif ?

Les fédérations sont très – trop – puissantes, et n’accompagnent pas l’enfant lorsqu’il parle. Or un enfant qui ne parle pas ne peut pas être sauvé.

Mme Martine Brousse. Les UAPED ont été créées il y a vingt-cinq ans par la loi Guigou. Le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, Adrien Taquet, s’était engagé en 2021 à créer une unité par département ; depuis, la justice a statué sur une UAPED par juridiction. Mais les dysfonctionnements sont majeurs : si on se félicite que l’État ait repris la main, on ne peut que déplorer l’absence de coordination. Le dispositif a été confié aux agences régionales de santé (ARS), qui distribuent de l’argent aux hôpitaux pour ouvrir des salles d’audition alors qu’aucun projet préalable n’a été discuté avec le procureur.

L’UAPED se veut un lieu unique pour accueillir les révélations de l’enfant, qui réunisse diverses compétences – la psychologie, la pédiatrie. Les enquêteurs, formés au protocole NICHD, viennent au chevet de l’enfant. Les regards sont croisés. Si nécessaire, une expertise médicale ou psychologique est menée. L’ensemble est envoyé auprès du procureur, qui peut ensuite ouvrir une instruction. En une demi-journée, l’enfant peut être pris en charge. Les auditions en UAPED durent vingt minutes à une heure, contre une heure au minimum et jusqu’à cinq heures en commissariat de police. Récemment, un jeune autiste qui souhaitait témoigner d’un viol a été entendu au commissariat de police alors qu’il existait une unité d’accueil à l’hôpital ; l’inspectrice lui a demandé s’il aimait les hommes.

L’engagement du ministère des sports sur ce sujet remonte à deux ministres et à quatre ans : ce n’est rien. L’enjeu est de travailler avec les fédérations et les clubs sportifs pour les associer aux unités d’accueil lors de leur ouverture. Pour la Voix de l’Enfant, il convient désormais de mettre l’accent sur la justice : combien de révélations émises par des enfants ne sont-elles pas prises en compte ? Les affaires durent parfois jusqu’à dix ans, contraignant les enfants à répéter – et, ce faisant, à revivre chaque fois – leur histoire ; en effet, ces prédateurs ont généralement de bons avocats, tout comme les fédérations, lorsqu’elles les soutiennent.

Nous devons agir contre les fédérations qui auraient caché des révélations. Le ministère doit aussi protéger les éducateurs et bénévoles mis à mal au sein de la fédération parce qu’ils ont pris la parole.

Mme Laura Morin. Il faudrait aussi obliger les fédérations à vérifier les antécédents des personnes qui travaillent au sein du sport, comme c’est le cas pour les enseignants. Nous avons réfléchi à la nomination d’un référent FIJAIS national, vers lequel les fédérations pourraient se tourner dès qu’un salarié ou un bénévole est recruté. En effet, ces prédateurs ont souvent commis d’autres crimes par le passé, et choisissent leur lieu de travail ou de loisir par appétence pour le jeune public.

Mme Isabelle Debré. J’avais proposé un référent FIJAIS par département, mais la délégation aux droits de l’enfant de l’Assemblée nationale m’avait répondu que cela serait impossible, et qu’il valait mieux demander un référent national. Dans tous les cas, il serait très utile que nous puissions avoir accès à un référent unique. C’est à vous d’instaurer cette mesure, par ailleurs peu complexe et peu coûteuse.

M. Stéphane Buchou (RE). J’ai le sentiment d’une forme de paradoxe. Notre commission d’enquête s’intéresse aux défaillances des fédérations sportives, dont l’une est la présence de prédateurs dans de nombreuses fédérations – vous avez en effet souligné une forme de complicité. Cependant, pour mettre hors d’état de nuire ces prédateurs, vous suggérez de continuer à travailler avec les fédérations, pour faire changer les choses à force de pédagogie. Or vous estimez que les fédérations n’ont pas la culture de l’enfant – c’est une accusation terrible, à même de dissuader les parents d’inscrire leurs enfants dans un club de sport.

Ainsi, comment mettre ces prédateurs hors d’état de nuire sans jeter l’opprobre général sur l’ensemble des fédérations et des clubs sportifs ?

Comment faire, concrètement, pour qu’un adulte ne se retrouve pas seul avec un enfant ? S’il est évident qu’un enfant ne doit pas partager le lit de son entraîneur, certains sports nécessitent un échange individuel. Il ne faudrait pas considérer que chaque adulte exerçant dans un club sportif ou une fédération sportive est un prédateur pour un enfant.

En tant que législateurs, comment pouvons-nous aider à mettre ces prédateurs hors d’état de nuire ?

Mme Laura Morin. La vérification des antécédents grâce au référent FIJAIS, d’abord, est très importante.

Par ailleurs, si nos propos peuvent vous paraître durs, c’est que nous travaillons auprès des victimes : nous sommes donc confrontés à ces cas spécifiques. Bien entendu, toute personne travaillant dans un club n’est pas un prédateur et toutes les fédérations ne les couvrent pas. En revanche, nous voudrions que la situation évolue afin que les prédateurs qui exercent dans ce milieu cessent de pouvoir agir en toute impunité.

L’idée n’est pas de travailler contre les fédérations, mais avec elles – certaines font preuve de beaucoup de volonté en la matière. Il nous faut en même temps rester très vigilants, dans l’intérêt des victimes.

Mme Mélanie Dupont. Vos propos renvoient à l’idée de responsabilité collective : c’est là aussi qu’il y a une profonde défaillance. Nous devons tous être responsables, tant sur le plan de la loi qu’en matière d’éthique et de moralité.

J’ai longtemps pensé que la pédagogie serait suffisante ; mais il me semble désormais que des obligations seraient parfois bienvenues – et notamment celle d’outiller les fédérations.

Par ailleurs, il ne faut pas confondre l’enquête administrative et l’enquête pénale, qui sont deux instructions différentes, complémentaires, à mener ensemble – aucune n’est préliminaire à l’autre. S’il importe en premier lieu de poursuivre pénalement l’auteur des faits, il faut aussi l’empêcher d’intervenir auprès des jeunes.

Mme Martine Brousse. Au-delà de la nomination d’un référent, nous devrions avoir accès au FIJAIS, sans avoir à passer par la mairie.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Qui devrait avoir accès au FIJAIS ?

Mme Isabelle Debré. Toute personne souhaitant embaucher un bénévole ou un salarié pourra saisir le référent qui jugera s’il peut donner ou non les informations – car tout le monde ne peut pas y avoir accès – et ce, rapidement.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Faut-il donner accès au FIJAIS à l’association, au club d’une collectivité ?

Mme Martine Brousse. Nous avions travaillé avec Adrien Taquet sur l’accès au FIJAIS : pour nous, une association reconnue comme ayant des activités sportives devrait pouvoir avoir accès au FIJAIS dès lors qu’elle embauche une personne, afin de prendre connaissance d’éventuels antécédents, sans que leur nature soit précisée.

L’association, dès lors, sera responsable de sa décision : si jamais elle embauche une personne qui a des antécédents, sa responsabilité sera engagée. Il faut avant tout simplifier les choses.

Mme Claudia Rouaux (SOC). La commune a accès au FIJAIS, mais pas le département ni la région. Lorsqu’une personne intervient auprès d’enfants dans un collège ou un lycée, cet accès n’est pas garanti. Nous devrions légiférer pour lever cette difficulté.

Mme Martine Brousse. L’accès au FIJAIS apparaissait dans le projet de loi relatif à la protection des enfants, dit « projet de loi Taquet » : nous avions alors demandé une extension à tout le secteur intervenant dans le champ de l’enfance.

Mme Laura Morin. C’est pour cette raison que nous souhaiterions pouvoir nous adresser à un guichet unique.

Mme Martine Brousse. Monsieur le député Buchou, vous soulevez une vraie question. La majorité des intervenants dans un club sportif ne sont pas des prédateurs. En revanche, vous devriez nous interroger sur la prise en charge politique des auteurs de violences sexuelles, physiques ou psychologiques en France. En tant qu’association, nous peinons à apporter une réponse aux victimes, parce que cette prise en charge n’existe pas réellement.

M. Laurent Boyet. Les associations qui signent une convention avec le ministère des sports doivent chaque année rendre compte de leur action passée et à venir pour prétendre à une nouvelle subvention. Or comment les fédérations rendent-elles compte de leur travail pour lutter contre ces problématiques ? Ces fédérations sont largement financées par l’État et les collectivités ; pour autant, si ce travail est estimé défaillant, la fédération n’est pas sanctionnée. C’est là toute l’hypocrisie du système. Certes, après la Convention signée en 2019, les fédérations ont souhaité signer des conventions avec les associations ; mais ensuite, c’est à nous de nous battre pour démarcher les clubs. La fédération ne s’en préoccupe pas. Devant les ministres, les fédérations acquiescent et font le dos rond ; mais c’est aux associations de lutter pour mettre en œuvre ce que nous demande le ministère.

Les défaillances viennent surtout de la toute-puissance de ces fédérations. Lorsqu’un président est suspecté de quelque chose, lui seul peut décider de partir. Il faut donc envisager certaines obligations.

Pour lutter contre les violences faites aux enfants, la ville de Lyon a prévu que les fédérations et associations sportives qui n’engageraient pas d’actions de formation de leurs éducateurs ne recevraient plus d’argent de la part de la municipalité. Les Papillons et Colosse aux pieds d’argile ont été sollicités pour assurer cette formation au mois de février.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avec la création de la cellule, les victimes doivent témoigner à plusieurs reprises. En voulant bien faire, n’avons-nous pas rendu plus difficile ce témoignage ? En dehors du mouvement sportif, une victime se rend au commissariat ou à la justice, alors que dans le cadre du mouvement sportif, une nouvelle instance existe, avec pour objectif de mener une enquête administrative. Ainsi, pensez-vous que les fédérations jouent leur rôle en aiguillant les victimes, quand elles témoignent, vers la justice et non seulement vers la cellule ?

Mme Martine Brousse. Il convient peut-être de renforcer et d’améliorer le dispositif, mais la cellule oriente les familles vers la démarche en justice.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Dans ma circonscription, qui est en zone gendarmerie, les établissements publics de coopération intercommunale ont financé des intervenants sociaux, ce qui est très positif.

La semaine dernière, nous avons entendu plusieurs témoignages. Or dans de nombreux cas, la plainte n’a pas été systématique ; et à aucun moment, la fédération n’a incité la victime à déposer une plainte.

Monsieur Boyet, j’ai été interpellée sur le cas des conseillers techniques sportifs (CTS). Lorsque le comportement d’un CTS ou d’un entraîneur est jugé problématique, un mouvement de soutien se crée, avec l’envoi de courriers qui remontent à la fédération. La formation des CTS est donc primordiale.

Mme Mélanie Dupont. La plainte doit être systématique, et le signalement au procureur de la République est une obligation légale – la loi est claire là-dessus. Sans doute est-ce, à nouveau, une question de communication, de connaissance et d’outillage sur la manière de procéder. Une personne qui ne remplit pas cette obligation pénale peut être poursuivie.

M. Stéphane Buchou (RE). Le recrutement par un club de sport d’une personne qui apparaît dans le FIJAIS est-il automatiquement bloqué ? Si tel n’est pas le cas, il en va de la responsabilité individuelle et collective.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le problème est aussi que certaines personnes sont encore en activité alors qu’elles ne devraient plus l’être. Comment se fait-il que leur carte professionnelle soit toujours active et qu’elles puissent être recrutées ?

Mme Martine Brousse. Si un entraîneur est condamné, désormais, la justice doit transmettre immédiatement au FIJAIS la condamnation. Il est répertorié comme auteur de tel crime ou délit. Son éventuel recrutement relève ensuite de la responsabilité de la fédération, du directeur ou du club sportif. Il n’est pas interdit de se présenter à un poste. Mais si cela se sait, il faut immédiatement déclencher le processus administratif – et non plus judiciaire, puisqu’il a déjà été condamné. C’est là où la cellule peut intervenir et accompagner l’association qui viendrait d’embaucher cette personne.

M. Laurent Boyet. C’est une question de responsabilité : on ne peut interdire à un président de club ou à une association d’embaucher d’un entraîneur inscrit au FIJAIS. Cependant, en cas de passage à l’acte d’une personne inscrite au FIJAIS embauchée en toute connaissance de cause, la question de complicité se pose.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pourquoi ne peut-on pas l’interdire ? On ne peut réagir que trop tard, une fois que le mal est fait ?

M. Laurent Boyet. On peut l’interdire si la personne inscrite au FIJAIS fait l’objet d’une peine complémentaire qui lui interdit d’exercer une activité à proximité d’enfants. Mais sans cette peine complémentaire, la simple inscription au FIJAIS ne peut légitimer une interdiction.

Mme Martine Brousse. L’interdiction ne peut être prononcée que par la justice au moment de la condamnation. En tant que partie civile, nous la demandons systématiquement. Il s’agit parfois d’une simple suspension, pour une durée déterminée. Nous obtenons parfois cette interdiction, mais cette pratique n’est pas dans la culture du magistrat. Il reste beaucoup de travail à faire dans le domaine, qui reste sensible au vu de la très forte aura qu’il conserve dans notre pays.

Mme Isabelle Debré. On peut très bien interdire le recrutement en retirant l’agrément à la personne concernée, comme c’est le cas pour les assistantes maternelles – mais généralement pour une durée limitée. Je suis d’accord avec vous, madame la présidente : il faudrait aller vers une interdiction plus systématique en cas de condamnation.

Mme Laura Morin. Madame la rapporteure, la création de la cellule Signal-sports reste très importante. Nous conseillons aux victimes d’engager les procédures judiciaire et administrative en même temps, en travaillant avec elles sur le dépôt de plainte et sur un signalement auprès de Signal-sports.

Pour certaines victimes, la possibilité de faire suspendre l’auteur des violences compte beaucoup. Les services de la cellule ont travaillé dans une dynamique intéressante : nous avons participé au groupe de travail sur le guide d’audition afin de recueillir la parole au mieux. J’y vois donc une mesure supplémentaire à disposition des victimes, et non quelque chose de négatif.

Mme Pascale Martin (LFI-NUPES). Il y a un décalage important entre vos propos positifs sur Signal-sports et ce que nous en ont dit les victimes la semaine dernière ; elles ont notamment souligné des délais de réponse importants. Avez-vous eu écho de ces difficultés ? Vous avez en effet évoqué un possible manque de moyens humains. Si cette cellule devient plus connue, elle sera rapidement débordée – cela semble déjà le cas.

Mme Laura Morin. La cellule n’est pas encore parfaite. Le temps de la procédure et la communication doivent encore être améliorés, mais elle reste importante pour les victimes – dont certains dossiers ont abouti.

Mme Martine Brousse. C’est une instance très positive. On peut la comparer avec le 119, que l’on accuse régulièrement de ne pas décrocher assez vite : la cellule est très récente. Il faut lui donner davantage de moyens humains.

Nous portons un regard positif sur cette cellule, parce qu’elle a un rôle important à jouer. Nous demandons donc davantage de moyens, avec des personnes formées.

M. Laurent Boyet. Les victimes voudraient toujours que les choses aillent plus vite : c’est bien normal. C’est l’intérêt pour vous d’entendre à la fois leur point de vue et celui des associations. J’aimerais aussi que les procédures soient plus rapides, mais cette cellule est un outil qui va dans le bon sens.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous remercie.

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12.   Audition, ouverte à la presse, de M. Fabrice Arfi et M. Michaël Hajdenberg, journalistes à Mediapart (13 septembre 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous accueillons deux journalistes d’investigation travaillant pour Mediapart, M. Fabrice Arfi et M. Michaël Hajdenberg.

Messieurs, je vous souhaite la bienvenue à l’Assemblée nationale et vous remercie vivement de votre disponibilité pour répondre à nos questions.

Nous avons entamé les travaux de notre commission d’enquête relative à l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet dernier. L’Assemblée nationale a choisi de créer cette commission d’enquête à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et de sportifs et de divers scandales judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations, dont les médias, comme Mediapart, se sont fait l’écho.

Nos travaux se déclinent autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales qui y ont cours, et enfin les problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

Mediapart a révélé plusieurs affaires de violences sexuelles dans le sport depuis 2019, notamment au sein d’un club de natation de Clamart où était licenciée l’ancienne ministre des sports Roxana Maracineanu, et à Lyon, où un entraîneur a admis partiellement avoir commis des faits à l’égard de jeunes garçons avant d’être réemployé en Bretagne, en tant que dirigeant d’un club de tennis de table, peu après une condamnation à cinq ans de prison. Ce ne sont que des exemples parmi d’autres.

Vos articles, comme nos auditions de nombreuses victimes la semaine dernière, semblent démontrer l’existence d’un système, dans le milieu du sport, où les entraîneurs et les éducateurs peuvent violenter physiquement, psychologiquement et sexuellement des jeunes femmes ou des jeunes hommes pendant de très nombreuses années avant d’être dénoncés et, si les faits ne sont pas prescrits, sanctionnés.

De quelle manière, selon vous, les médias peuvent-ils contribuer à libérer la parole ? Pouvez-vous nous indiquer quelles démarches vous entreprenez lorsque vous apprenez, par le biais de lanceurs d’alerte, de telles violences ? Quelles suites y donnez-vous ?

La presse s’est également fait l’écho de scandales liés à la gouvernance dans plusieurs fédérations, par exemple celles de rugby et de football. En 2018, Mediapart a notamment participé aux révélations liées à l’enquête Football Leaks. Pouvez-vous résumer cette affaire ? D’après vous, les choses ont-elles évolué dans le bon sens depuis cette époque, tant au niveau des suites judiciaires qu’au niveau de la gouvernance du football ?

Avant de vous laisser la parole, je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Fabrice Arfi et Michaël Hajdenberg prêtent successivement serment.)

M. Fabrice Arfi, journaliste à Mediapart. Merci infiniment et sincèrement de votre invitation. Depuis quinze ans qu’existe le journal Mediapart, nous avons été convoqués un certain nombre de fois au sein de l’Assemblée nationale ou du Sénat, et c’est toujours un grand honneur de déférer à ces convocations qui nous conduisent, dans le cadre du drôle de métier que nous exerçons, de petit artisan du réel, à participer à la conversation publique et au débat parlementaire.

Vous avez évoqué un certain nombre d’affaires révélées par Mediapart, et nous répondrons bien sûr à vos questions. Mais en préparant cette audition, Michaël Hajdenberg et moi, qui codirigeons le service dit des enquêtes de Mediapart, avons voulu vous parler en particulier d’une affaire qui, si elle est ancienne, puisqu’elle date de 2011, reste d’une brûlante actualité pour les questions que vous vous posez. Le champ de vos investigations comprenant les discriminations, y compris raciales ou ethniques par exemple, nous souhaitons vous raconter un peu la coulisse de cette affaire, ce qui répondra à une partie de vos questions sur les lanceurs d’alerte et le départ des affaires, sur ce que peut le journalisme et ce qu’il ne peut pas – ce qui est parfois aussi bien – et sur les conséquences de nos révélations.

Cette affaire nous tient très à cœur et elle peut apporter, je crois, un éclairage utile à votre commission, parce qu’elle est au croisement d’un tabou et d’une croyance. Un tabou, parce que certains, consciemment ou non, peuvent se faire les instruments de différentes discriminations, et une croyance, parce que l’amour d’un sport, quel qu’il soit, en l’occurrence le football, peut tourner à la passion et que celle-ci, comme toute passion, brouille parfois la raison. C’est de l’affaire des quotas discriminatoires envisagés par la Fédération française de football (FFF) que nous voulons vous parler, un projet occulte mais bien réel, qui a été conçu au sein de la plus grande, de la plus puissante et de la plus riche fédération sportive du pays.

Tout est parti d’une réunion officielle de la direction technique nationale (DTN), la plus grande direction, le vaisseau amiral de la FFF, le 8 novembre 2010. L’objectif était de trouver des moyens discrets – forcément – pour limiter le nombre de joueurs français de type africain et nord-africain. Ce dont il est question dans cette affaire, c’est d’enfants de 12 ans susceptibles d’être sélectionnés dans les centres de formation de la Fédération française de football.

Nous avons eu connaissance de cette réunion dans les moindres détails puisqu’elle a été enregistrée par ce qu’on peut appeler un lanceur d’alerte, qui était depuis plusieurs mois le témoin d’une dérive discriminatoire au sein de la fédération.

Il s’agissait donc d’une réunion parfaitement officielle de la plus importante direction de la plus grande fédération sportive de France. Je le souligne, car quand nous avons fait ces révélations, on a rétorqué, comme si c’était le café du commerce, que les gens avaient bien le droit de penser ce qu’ils veulent et d’en parler entre eux. Or c’était une réunion officielle, à l’image de celles qui ont lieu ici, à l’Assemblée nationale.

Dans cette affaire, nous avons découvert une sorte de trio moteur. D’abord, le patron de la direction technique nationale, François Blaquart, lance une discussion sur le recrutement des enfants dans les centres de formation et sur ce qu’il appelle l’« approche de populations ». L’élément sous-jacent est que, dans les centres de formation français de football, pour tout un ensemble de raisons, il y a peut-être une surreprésentation d’un certain type ethnique et une sous-représentation d’autres types, la discussion portant notamment sur les capacités physiques et intellectuelles qui seraient celles de telle ou telle race.

Le second membre du trio est Erick Mombaerts, à l’époque sélectionneur de l’équipe de France espoirs, qui demande s’il faut qu’on « limite l’entrée du nombre de gamins qui peuvent changer de nationalité ? Oui ? Non ? » avant d’ajouter : « auquel cas, on est obligé de le faire sous le coude ». Le caractère occulte du projet est donc clair.

Le troisième membre du trio est une personnalité très connue : c’est le sélectionneur de l’équipe de France, Laurent Blanc, qui répond qu’il est « tout à fait favorable » à cette proposition et ajoute : « Sincèrement, ça me dérange beaucoup. Ce qui se passe dans le football actuellement, ça me dérange beaucoup. À mon avis, il faut essayer de l’éradiquer ». Et de préciser : « Et ça n’a aucune connotation raciste ou quoi que ce soit ». Laurent Blanc se plaint que des joueurs formés en France mais non retenus dans des formations françaises de football partent jouer dans des équipes nord-africaines et africaines – il ne parle pas de la Suède ! – et propose d’en « limiter » le nombre – étant entendu, je le répète, qu’il s’agit d’enfants de 12 ans, qui sont français. Erick Mombaerts propose alors un quota de 30 %, et François Blaquart répond qu’il veut moins, mais « pas officiellement ».

Pendant la discussion, un homme se lève pour s’opposer au projet terrible qui est en train de se dessiner. Il s’appelle Francis Smerecki, mais il n’est plus là pour témoigner, puisqu’il est décédé il y a quelques années. Il lâche le mot : « c’est discriminatoire ». À l’initiative de Laurent Blanc, pourtant, la réunion se poursuit et dérive même sur des liens entre types raciaux et capacités physiques et intellectuelles. Les Noirs seraient ainsi, je cite Laurent Blanc, « grands, costauds, puissants ». On doit comprendre que les Blancs, la balle au pied, seraient plus habiles et plus malins. Laurent Blanc s’étonne de la surreprésentation de joueurs de type africain – pardonnez-moi cette expression – en France. « Les Espagnols, ils m’ont dit : "Nous, on n’a pas de problème. Nous, des Blacks, on n’en a pas" », déclare-t-il. Erick Mombaerts renchérit : « le jeu, c’est l’intelligence, donc c’est d’autres types de joueurs. Tout est lié ».

Nous sommes au cœur de la Fédération française de football et ceux qui parlent sont les personnes qui décident de la politique sportive et sociale, d’intégration, de ce qui est un des plus puissants miroirs de la société française. M. Blaquart, le DTN, ajoute qu’une consigne a déjà été donnée au directeur de l’Institut national du football, à Clairefontaine, qui était alors Gérard Prêcheur – il ne s’agissait donc pas que d’un projet, Dix ans après nos révélations, alors qu’il n’avait pas voulu témoigner publiquement à l’époque du scandale, ce dernier a confirmé à Mediapart, dans une vidéo, que des consignes lui avaient été données. On lui avait demandé de « prendre au moins 50 % de vrais Français » parmi des enfants qui, tous, étaient français. On a compris, a-t-il ajouté, qu’il fallait se baser sur la couleur de peau. Car comment devine-t-on qu’un Français peut être binational, sinon par sa couleur de peau, par la consonance de son nom, ou éventuellement par sa religion ?

Dans le cadre de cette enquête, André Merelle, ancien directeur de l’Institut national du football, a confirmé qu’il avait senti à la DTN pendant cette période « des relents racistes ». Ce terme est le sien ; nous n’avons jamais parlé de racisme dans nos colonnes, préférant parler de quotas discriminatoires.

Que se serait-il passé si des lanceurs d’alerte, des sources dont la loi nous autorise à protéger le secret, ne nous avaient pas alertés pour mettre fin à ce qui était en train de se préparer ? Deux enfants de 12 ans, rêvant de devenir footballeurs, ayant les mêmes qualités et étant également français, n’auraient pas eu les mêmes chances d’intégrer un centre de formation, au motif d’une hypothétique double allégeance : on aurait considéré celui dont on imagine qu’il a un ascendant né à l’étranger, du fait de sa couleur de peau, de la religion qu’il pratique ou de la consonance de son nom, comme un potentiel traître au maillot. Le privilège des Français, en politique, porte un nom : c’est la préférence nationale, ici appliquée au sport.

Quelle a été la réaction de Laurent Blanc, le sélectionneur de l’équipe de France, quand il a été pris dans la tourmente médiatique de cette histoire ? Par respect du contradictoire, comme la loi de 1881 nous l’impose, nous avons tenté de le joindre avant la publication de notre enquête, pour qu’il puisse commenter et réagir. Il n’a pas souhaité le faire, mais il m’a appelé le soir de la publication pour me dire qu’il n’avait pas participé à cette réunion. Je vous le dis parce que ce n’est pas sans intérêt, me semble-t-il, du point de vue de la fabrique de l’information et des conséquences au sein de la fédération. Je lui ai indiqué qu’il existait une photo attestant sa présence à cette réunion, et qu’elle se trouvait même sur le site de la FFF. « Ah non ! » a-t-il réagi. Mais Laurent Blanc a répondu ensuite qu’il n’avait jamais tenu les propos qu’on lui prêtait. Nous lui avons dit que nous en détenions la preuve, ce à quoi il a répliqué : « Ah, si vous avez la preuve, je suis prêt à discuter ».

Pour ma part, j’adore discuter, mais cette discussion n’a jamais eu lieu. Pire, le lendemain, Laurent Blanc a tenu une conférence de presse, à Bordeaux, durant laquelle il a affirmé « Je n’ai jamais entendu parler de quotas ». Puis : « Pour moi, il n’y a pas de projet de quotas, c’est faux. Et c’est un mensonge de dire que le sélectionneur y a participé » – comme Alain Delon, il parle de lui à la troisième personne. Il a également dit ceci : « Si certains ont cautionné un projet avec des quotas, il faut les punir ».

Le lendemain de cette déclaration, Mediapart a décidé de publier le verbatim intégral de ce qui avait été dit pendant la réunion du 8 novembre 2010. Laurent Blanc finira par s’excuser, quelques jours plus tard, au journal de vingt heures de TF1, de propos qu’il démentait avoir tenus quelques jours auparavant.

Que s’est-il passé au sein de la FFF ? Une commission, présidée par le député Patrick Braouezec et le magistrat Laurent Davenas, a été créée à la FFF pour investiguer sur les faits. Elle a intégralement confirmé ce que nous avions publié. Il est même écrit dans le rapport que la portée des propos tenus le 8 novembre 2010 « pourrait être telle que des enfants de douze ans, français, se verraient refuser l’entrée aux pôles de formation nationaux sur un double critère de discrimination (origine et apparence physique) ». Le rapport préconisait d’« abandonner toute réflexion sur la nationalité sportive […], faux débat pouvant rapidement engendrer des pratiques discriminatoires moralement inacceptables, pénalement répréhensibles et médiatiquement catastrophiques ».

Michaël vous dira quelles conséquences ont été tirées par la suite. Je conclus pour ma part en citant les propos tenus par un historien dans une tribune qu’il a confiée, à l’époque, à Mediapart : « Opposer le physique au technique et racialiser l’un et l’autre est une absurdité sportive et une faute morale ». Cet historien a été ministre de l’éducation nationale jusque très récemment : il s’agit de Pap Ndiaye.

M. Michaël Hajdenberg, journaliste à Mediapart. Ce qui nous semble intéressant dans cette histoire, que nous avions trouvée terrifiante, ce sont les conséquences, la manière dont la fédération a géré l’affaire. Dans toute société, dans toute communauté, des dérives individuelles peuvent se produire, on le sait bien. Ce qui nous intéresse, journalistiquement, ce n’est pas de pointer la responsabilité de X ou de Y en disant qu’il est très méchant, mais de voir comment réagit, autour de lui, une institution.

Quand nous avons révélé les faits, ils ont suscité la stupéfaction. La ministre des sports, Chantal Jouanno, a tout de suite pris la mesure de nos révélations. Elle a dit que c’était incroyable et que si c’était avéré, des sanctions seraient prises contre le directeur technique national. Elle a même menacé de couper les financements de la fédération. La ministre des sports a donc pris ses responsabilités et évoqué des sanctions très fortes. Mais au bout de deux ou trois semaines, alors que les faits ont été reconnus et ont fait l’objet d’excuses publiques, rien n’a suivi. Le directeur technique national, François Blaquart, a reçu un avertissement et Laurent Blanc a été confirmé à son poste.

Comment un projet reconnu comme discriminatoire, pénalement répréhensible et déontologiquement inadmissible a-t-il pu avoir aussi peu de conséquences ? Le seul qui en a souffert, c’est celui qui avait enregistré la réunion, Mohamed Belkacemi. Cet homme courageux avait d’abord transmis le document à la Fédération française de football – il ne s’est pas adressé à la presse, mais au président de la fédération, se disant que lui et son entourage ne savaient peut-être pas ce qui se passait. Il a donc confié la bande à l’adjoint du président de la FFF. Mais rien ne s’est passé au sein de la FFF, cela n’a choqué personne.

Mohamed Belkacemi n’a pas directement servi de lien avec les médias, mais on pourrait le qualifier, comme Fabrice l’a fait, de lanceur d’alerte. C’est lui qui, au sein de la fédération, alors que beaucoup de gens avaient connaissance du projet, a osé dire que cela posait un problème. Et, alors que toute la France, jusqu’aux plus hauts responsables, avait jugé que le projet était discriminatoire, il est le seul pour qui l’affaire a eu des conséquences : il est au chômage, la fédération refuse de lui donner un nouvel emploi.

Que s’est-il passé entre le moment où l’on s’est dit que si l’affaire était vraie, elle était inadmissible, et le moment où elle a fini par être admissible – puisqu’elle n’y a pas eu de sanction ? Des choses ont été révélées au fil des années, notamment par Chantal Jouanno. Elle a expliqué les pressions politiques exercées sur elle par le président de la République de l’époque, Nicolas Sarkozy, et par le Premier ministre, François Fillon. Elle a raconté dans des interviews que vous pourrez retrouver qu’ils lui ont demandé de quoi elle se mêlait. Autre aspect, plus irrationnel et difficile à développer, parce que peut-être plus philosophique : on ne touche pas aux sportifs.

Ce que nous voulions, c’est un débat de société sur la discrimination. Mais pendant deux semaines, le seul débat a été : Laurent Blanc est-il raciste ? C’est une question que nous n’avons jamais posée, et qui ne peut pas se poser : on ne peut pas qualifier quelqu’un ainsi car personne ne se dit raciste, même à l’extrême droite, pas plus qu’on ne se revendique antisémite. Ce qu’on peut faire journalistiquement, en revanche, c’est documenter des préjugés, des faits, des politiques menées. Mais tout ce qu’on a entendu, c’est que Laurent Blanc n’était pas raciste puisqu’il avait joué avec des footballeurs noirs, et que c’était un bon gars. « Le DTN » nous a-t-on dit, « a même œuvré pour des associations d’aide aux immigrés ». On s’est égaré dans de faux débats – on a noyé le vrai – et on n’a pas apporté de réponses, malgré les rapports officiels. La ministre avait ainsi demandé un rapport d’inspection qui devait être rendu public, mais il ne l’a jamais été ; douze ans plus tard, personne ne l’a entre les mains. En fait, on a étouffé l’affaire.

Pourquoi ? Parce que le sport surpasse tout. Nous avons rencontré le même phénomène lors des Football Leaks. Lorsqu’on s’en prend à Laurent Blanc, à Cristiano Ronaldo, à Lionel Messi ou à n’importe quelle star du ballon rond, même s’il s’agit d’évasion fiscale, de discrimination ou de violences, les affaires ne sont pas réellement traitées, en raison de la réaction, réelle ou anticipée, de ce qu’on appelle l’opinion publique, qui adore ces stars et leur pardonne tout. On dit que c’est la faute de leur entourage, qu’ils ne sont pas racistes, ou que c’est leur agent qui a voulu planquer l’argent à l’étranger etc.

Il y a toujours une bonne excuse et les conséquences sont quasi nulles, même en cas de condamnation, comme on l’a vu lors des Football Leaks : les tribunaux espagnols ont condamné des joueurs pour fraude fiscale, mais le seul qui ait fait de la prison dans cette histoire, c’est le lanceur d’alerte, Rui Pinto. Ce dernier, qui a révélé un nombre incroyable de délits – fraude fiscale, évasion fiscale, dopage… –  a été condamné hier à une peine de prison avec sursis, mais après avoir fait un an de détention provisoire. Dans les deux cas, celui de Mohamed Belkacemi et celui de Rui Pinto, les seuls qui ont eu à subir les conséquences des faits terribles qu’ils ont révélés, ce sont ceux qui les ont dénoncés, ceux qui ont voulu qu’ils soient connus. Sans être pour la répression à tout prix, on ne peut que s’interroger sur le type de pression qui existe.

Lorsque les responsabilités et la gravité des faits ne sont pas reconnues, les situations se reproduisent : c’est ce qui s’est passé depuis douze ans. Je vais m’éloigner un peu de la fédération, tout en restant dans le monde du football, car je pense que cela peut être intéressant pour vos travaux.

Depuis 2011, une série d’affaires de discriminations s’est déroulée. On a voulu nous faire croire – mais c’était un alibi, comme l’a dit Lilian Thuram – qu’un problème de binationalité se posait, c’est-à-dire qu’un joueur ayant un grand-père d’une autre nationalité pourrait un jour choisir de jouer sous un autre maillot. C’était du bidon, d’une part parce qu’aucun grand joueur français n’a opté pour une autre sélection, jamais, d’autre part parce que, si la fédération est dans son rôle lorsqu’elle cherche à résoudre un problème, elle ne l’est pas quand elle s’y prend de manière discriminatoire, et enfin parce que quand l’éducation nationale forme des ingénieurs ou commerciaux qui vont ensuite travailler à Londres, à la City, y faire fortune et y payer leurs impôts, personne ne se demande si ces personnes ont trahi la France. Dès lors, pourquoi la question se poserait-elle si un footballeur formé en France jouait pour la sélection d’un autre pays ? Pourquoi, subitement, serait-il un traître à la patrie ?

Nous avons découvert une multitude d’histoires. La plus connue, et l’une des plus récentes, touche le plus grand club français actuel, le Paris Saint-Germain (PSG), qui a jugé qu’il y avait trop de joueurs noirs dans ses centres de formation. Nous avons publié, grâce au Football Leaks, toutes les preuves. Il était écrit noir sur blanc qu’on trouvait qu’il avait trop de Noirs et qu’il fallait donc en refuser. Il y avait même un cas concret, celui d’un jeune de 12 ans, qui jouait à l’époque en Normandie. Des recruteurs le trouvaient formidable et voulaient le prendre au Paris Saint-Germain, mais la direction du club s’y est refusée, estimant qu’il y avait trop de Noirs dans les équipes.

Cette affaire nous a causé beaucoup de regrets, parce que nous n’avons pas réussi à en faire comprendre la gravité. Quand vous exposez ce type de situation, on vous dit que ce n’est pas possible, qu’il n’y a que des Noirs dans le football, que c’est le domaine par excellence où il n’y a pas de racisme. Or c’est l’inverse : des gens trouvent qu’il y a déjà tellement de Noirs qu’il faut des politiques pour en limiter le nombre ou, au moins, introduire quelques Blancs parmi tous ces Noirs, comme ils disent.

On nous dit qu’il y a des Noirs partout dans le football et qu’on ne peut pas dire qu’il y a du racisme. Il y a peut-être des Noirs partout dans le football, mais, comme l’a souligné un autre historien, pas dans les instances représentatives. Si des populations très diverses se mêlent dans le football, socialement et du point de vue de leurs origines, les bureaux des fédérations restent très hermétiques : y règnent des personnes très âgées, de plus de 60 ou 70 ans, voire près de 80, qui ne connaissent pas ces questions et n’y sont pas sensibles. L’absence de mixité dans ces instances contribue certainement au manque de compréhension du problème.

S’agissant du PSG, la question de la binationalité et du risque de voir un joueur se tourner vers une autre sélection ne pouvait pas être un argument : un club est une entreprise privée dont le seul but est d’avoir les joueurs les plus compétents, qu’ils soient noirs ou blancs. Mais non, c’est tout de même la couleur de peau qui a été mise en avant, sans aucune excuse – on trouvait simplement qu’il y avait trop de Noirs. Et pourtant, l’affaire n’a suscité aucune réaction. Dans un premier temps, tout le monde s’est écrié que c’était fou et incroyable mais une semaine plus tard, tant la maire de Paris, Anne Hidalgo, que les membres du gouvernement trouvaient que ce n’était pas si grave, qu’on était bien content d’avoir un grand club à Paris et qu’on n’allait pas l’embêter. Quant à l’enquête judiciaire, elle a à peine été menée – nous l’avons documenté dans Mediapart –, comme si le rayonnement du sport, la nécessité de ne pas toucher aux sportifs, aux grands clubs, s’étendait jusqu’à la justice. Le parquet a mené une non-enquête, sans perquisitions ni auditions des personnes mises en cause. Il a fallu que des associations se constituent parties civiles pour qu’une instruction soit conduite. Nous avons publié tous les documents, et nous verrons bien ce qu’en disent les magistrats.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous avons demandé la semaine dernière à M. Lionel Dangoumau, directeur de la rédaction de L’Équipe, quelle suite était donnée par son journal lorsqu’il recevait un signalement concernant des violences ou des discriminations. Comment cela se passe-t-il à Mediapart ? Vous tournez-vous systématiquement vers la cellule Signal-sports du ministère, même si vous manquez d’éléments probants ?

M. Fabrice Arfi. Je vais vous faire une réponse générale qui vaudra pour le cas particulier que vous évoquez, car votre question peut s’appliquer à tous les domaines sur lesquels nous sommes susceptibles d’écrire.

Dans une démocratie, un journal a un rôle social particulier : il n’est pas l’auxiliaire d’une administration, d’un État ou d’un groupe privé. Selon la Constitution française, la magnifique loi de juillet 1881 sur la liberté de la presse et les grands textes internationaux, notre métier consiste à rendre les informations vérifiées d’intérêt public à celles et ceux à qui elles appartiennent, c’est-à-dire aux citoyens. C’est un métier étrange que le nôtre : sur un sujet donné, nous ne sommes au courant de rien, nous apprenons des choses, nous les vérifions et nous les transmettons.

Ce n’est pas parce que quelqu’un nous alerte sur un sujet que nous allons publier un article, faire une enquête, transmettre quoi que ce soit. Notre travail consiste à examiner la nature de l’information qui nous est délivrée, si tant est que ce soit une information – c’en est une quand nous l’avons vérifiée – et à voir si elle est d’intérêt général et si elle ne tangente pas certains secrets parfaitement légitimes en démocratie, comme le secret de la vie privée ou le secret médical, entre autres.

C’est dans cette géographie bizarre que se situe le journaliste, qui a pour rôle d’obtenir des informations auprès de gens qui ne sont pas censés les lui donner, voire qui violent un règlement ou la loi pour le faire. Ce que je vous dis a été consolidé par la jurisprudence en droit interne français et devant la Cour européenne des droits de l’homme. Le secret des sources est essentiel, parce que c’est à nous d’assumer la responsabilité de ce que nous publions, y compris devant les tribunaux. D’une certaine façon, les juges sont les premiers déontologues de la bonne pratique du journalisme et nous ne sommes pas de ceux qui plaident pour une irresponsabilité du journalisme vis-à-vis du juge, comme c’est le cas aux États-Unis par exemple avec le premier amendement. Nous avons évidemment à répondre de ce que nous faisons devant les tribunaux. À Mediapart, nous le faisons régulièrement – et nous gagnons nos procès.

Notre façon d’alerter, c’est de publier des informations, pas de nous transformer en auxiliaires d’une plateforme d’alerte – dont je ne remets en cause ni la légitimité, ni l’utilité. Si des gens choisissent de nous parler, à nous plutôt qu’à ladite plateforme ou à la justice, cette décision leur appartient. Nous passons beaucoup de temps dans notre service, avec Michaël et les dix personnes qui le composent, à essayer de comprendre l’intérêt des gens qui nous parlent. Certains sont habités par une idée du bien commun, d’autres bien sûr sont mus par une forme d’intérêt. Cela vous surprendra peut-être, mais nous ne nous bouchons pas le nez par principe car ce qui nous importe, c’est d’avoir des informations vraies et d’intérêt général.

Si les informations qu’on nous apporte sont vérifiables et d’intérêt général, nous devons les publier ; une fois qu’elles sont sur la place publique, elles appartiennent à tout le monde. Nous, nous levons un lièvre, et c’est à la société civile – dans laquelle j’inclus la société politique – de s’en emparer. Sur des faits de discrimination, d’atteinte à la probité, de fraude fiscale, il peut nous arriver de publier des informations tirées de documents que la justice ne connaît pas. Il est fréquemment arrivé que Mediapart soit destinataire d’une réquisition judiciaire, émise par le service enquêteur ou par les magistrats, nous demandant si nous serions disposés à fournir un document utile pour une enquête. Pour l’anecdote, il nous est aussi arrivé une fois d’être visés par une perquisition, dans le cadre de l’affaire Benalla : les choses ne se sont pas très bien passées et se sont même terminées par la condamnation de l’État pour atteinte à la liberté d’informer.

Pour ce qui est des réquisitions judiciaires donc, et contrairement à d’autres journaux – chacun pour de bonnes raisons – nous acceptons de transmettre des documents. C’est une philosophie que nous avons élaborée au sein de Mediapart depuis le départ, il y a quinze ans. Nous considérons que nous n’avons aucune raison objective d’empêcher la marche d’une administration ou de la justice, si tant est que deux conditions cumulatives sont remplies. La première, c’est que les informations issues des documents recherchés soient déjà connues de nos lecteurs et lectrices. Sinon, nous nous transformerions en auxiliaires de justice : socialement et déontologiquement, nous ne le pouvons pas. La deuxième condition, c’est que la transmission ne puisse en aucune manière, ni directement, ni indirectement, porter atteinte au secret des sources. Ainsi, il arrive que très peu de gens aient eu entre les mains les documents que nous révélons, ou que ces documents soient piégés, par exemple en ne mettant pas la même ponctuation dans tous les exemplaires distribués lors d’un conseil d’administration, ou en introduisant des traces numériques. Or notre trésor à nous, ce sont nos sources. Si nous perdons nos sources, nous perdons tout – car nous ne faisons pas du journalisme de commentaire, mais nous produisons l’information.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lorsque nous avons réfléchi au périmètre de cette commission d’enquête, il nous a paru évident d’y inclure la question du racisme et des discriminations. L’affaire dite des quotas, dont vous avez fait un exposé très intéressant, remonte à 2010, mais on s’aperçoit que ces pratiques perdurent au sein de la Fédération française de football. Pensez-vous qu’elles soient circonscrites au monde du football, ou bien qu’elles touchent aussi d’autres fédérations ?

Pensez-vous que la structuration et l’organisation de la FFF favorisent l’absence de prise de responsabilité au sein de sa direction ? Après l’affaire des quotas, il n’y a eu aucune analyse de la chaîne des responsabilités et aucune sanction, alors que le racisme est un délit. Or, ne pas sanctionner, c’est cautionner. Mediapart a révélé un autre scandale, au sein de la Fédération française de tennis : avec la FFF, c’est la fédération qui a le plus de moyens. Quels sont, selon vous, les mécanismes qui favorisent l’opacité au plus haut niveau dans ces grandes fédérations ? Est-ce une spécificité française ?

Enfin, je rappelle que l’État met des agents à la disposition du mouvement sportif, car il s’agit d’une délégation de service public. Dans vos échanges avec l’État, avez-vous eu l’impression que le problème était pris en compte à sa juste mesure ? Ou bien diriez-vous, comme vous l’avez suggéré à propos de Fillon et Sarkozy, que le sport, c’est « pas touche » ?

M. Michaël Hajdenberg. J’ai peur de vous décevoir : la vérité, c’est que nous ne sommes pas des experts du sport français. Le sport n’est pas notre domaine d’enquête. Nous nous y penchons quand nous sommes informés d’histoires qui nous paraissent d’intérêt général et qui soulèvent des questions de société, mais il n’est pas facile de monter en généralité.

Il nous a semblé que l’histoire dite des quotas permettait de mettre en lumière des dysfonctionnements, c’est pour cela que nous l’avons choisie, mais je serais bien incapable de vous dire si c’est propre au monde du football. On peut supposer que ce type de situation se retrouve dans d’autres fédérations, comme dans des entreprises. Ce qui importe, c’est la manière dont ces affaires sont traitées, sur le moment, par les responsables. Le décalage est particulièrement violent dans le sport parce que c’est un milieu qui, a priori, semble très ouvert, un milieu où l’on est censé pouvoir s’épanouir. L’idée qui vient spontanément, c’est que si les jeunes des cités peuvent réussir quelque part, c’est dans le foot ou le hip-hop. Quand on montre que, même dans le foot, il y a des obstacles, cela surprend.

En revanche, à force d’accumuler les histoires sur les fédérations, on a effectivement l’impression d’un dysfonctionnement dans la tutelle. Car quels contrôles sont opérés ? Quels comptes doivent être rendus ? Je ne suis pas en mesure de faire des comparaisons avec l’étranger mais j’ai vu, comme vous tous, ce qui s’est passé en Espagne : le président de la fédération fait n’importe quoi, tout le monde veut qu’il démissionne, et il s’accroche à son poste. Cela rappelle évidemment ce qui s’est passé en France avec Noël Le Graët – qui n’était pas encore président de la FFF au moment de l’affaire des quotas, mais m’avait déclaré au téléphone « s’en battre les couilles ». Par la suite, il a été plus réactif sur ces questions mais, en dépit des nombreux témoignages qui l’accusaient de violences sexistes et sexuelles, il s’est accroché à son poste.

À l’époque de l’affaire des quotas, la ministre Chantal Jouanno, malgré toute sa volonté du départ, s’est heurtée non seulement à une pression politique, mais aussi à une forme d’autonomie de la fédération : c’est un bastion, suffisamment puissant pour faire face à une ministre qui vient se mêler de ce qui ne la regarde pas.

M. Fabrice Arfi. Je ne prétends pas davantage être un expert dans ces domaines mais l’expérience journalistique peut, en creux, donner un début de réponse à votre question.

Il semble effectivement que certaines fédérations fonctionnent comme des baronnies, avec des potentats, a fortiori quand le poids de l’argent y est très important – ce qui implique médiatisation, télévision, droits de retransmission, etc. C’est comme si elles bénéficiaient d’une sorte d’extraterritorialité, qu’elles étaient hors du contrat social. Au niveau du football, cela s’est très bien vu avec les affaires de corruption touchant la Fédération internationale de football, une fédération dont le budget est supérieur à celui de certains États et dont la puissance politique et corruptrice a été documentée par de nombreuses justices internationales sans que cela ait de grandes conséquences dans le débat public et dans la prise de conscience collective des fléaux que cela peut représenter.

Si je parle d’expérience journalistique, c’est que les histoires, nous ne les inventons pas. Si nous avons des informations, c’est que d’autres gens les détiennent. Ces gens peuvent être à la Cour des comptes – qui effectue des contrôles –, dans des inspections générales, dans des ministères et, évidemment, dans des fédérations. Les journalistes sont parfois la dernière chance de personnes qui ont essayé d’alerter l’opinion, qui ont essayé de faire leur travail et qui, pour toutes les raisons que nous avons indiquées, n’ont pas pu le faire. Dans ces cas-là, le journaliste peut être une roue de secours. Mais, je le répète, les informations sont là, les faits sont connus. Je forme le vœu que vos travaux contribuent à une prise de conscience.

En Espagne, il y a eu de grandes manifestations, des milliers de personnes sont descendues dans la rue et le monde politique s’est emparé du sujet : le président de la fédération a fini par démissionner. Le monde politique français doit lui aussi prendre ses responsabilités – au-delà de la question de la tutelle administrative – et susciter un débat public, au plus beau sens du terme. La société civile également doit prendre ses responsabilités. En Espagne, les choses bougent. En France, on a parfois l’impression, du fait de tabous, de croyances, de crispations, de se heurter à une société molle ; on ressent une forme d’apathie face à ces questions, comme si c’était de la nitroglycérine dont il ne faudrait pas trop s’approcher. Du coup, on ferme les yeux, on met tout sous le tapis et on laisse les problèmes perdurer. Or j’ai tendance à penser que c’est comme en mathématiques à l’école : on avance en réglant des problèmes.

Notre travail consiste, pour reprendre la très belle expression de Walter Benjamin, à être des avertisseurs d’incendie. Nous mettons des faits sur la table, en espérant qu’ils vont alimenter le débat public. Mais il arrive que notre signal ne produise que du bruit, du scandale, qui s’évapore aussi rapidement que l’écume de la mer, et qu’on n’en tire aucune espèce de conséquence. C’était le cas pour l’histoire des quotas : en quinze ans, je ne crois pas avoir vécu à Mediapart une telle intensité dans la polémique. Nous avons tous vu des dimanches en famille ou des mariages où les tablées se déchiraient ; nous avons tous entendu que Mediapart disait n’importe quoi et que Laurent Blanc n’était pas raciste. Il y a eu beaucoup de bruit et on en a oublié le signal.

Les médias ont aussi leur part de responsabilité. Je ne veux pas jeter l’opprobre sur L’Équipe, qui a suivi l’histoire des quotas avec beaucoup de diligence, mais j’ai le souvenir d’un éditorial, au début de l’affaire, où son directeur disait que si Laurent Blanc avait bien tenu ces propos, il ne pouvait pas rester sélectionneur. Or, au lendemain du jour où il a fait ses excuses, L’Équipe a dit qu’il devait rester sélectionneur. Tout le monde a le droit de changer d’avis, mais je trouve que c’est intéressant. Il y a des gens qui savent, des gens qui parlent, les informations sont là ; cela ne veut pas dire qu’elles entrent dans des procédures de contrôle effectif et qu’on en débat publiquement. Ne pas être d’accord, ce n’est pas grave. Le taire, c’est pire.

M. Michaël Hajdenberg. C’est peut-être en matière de réception des informations que le sport présente une spécificité. L’affaire des quotas a déclenché un « pas touche à Laurent Blanc », parce qu’on allait mettre en danger l’équipe de France, qui était en période de qualification pour je ne sais plus quelle compétition. C’était très important, c’était au-dessus de tout : il ne fallait pas déstabiliser l’équipe de France. C’est souvent à cela qu’on se heurte, comme si le sport était tellement important qu’il ne fallait jamais y toucher.

Je pense que toute une partie de la France ne s’est pas remise de l’affaire OM-Valenciennes et considère que la révélation de cette histoire de corruption a été une énorme bêtise, qu’on a cassé un très grand club français, qu’on a cassé du rêve. C’est à cela qu’on se heurte à chaque fois : à une forme de croyance dans l’intérêt supérieur de la patrie – c’est très puissant, même si cela peut prêter à sourire. Journalistiquement, c’est très clair : nous n’avons pas de succès avec ces articles, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer. Ils ne plaisent à personne : ceux qui aiment le sport ne sont pas contents parce qu’on casse leur rêve, et ceux qui n’aiment pas le sport n’en ont rien à faire. C’est comme les amateurs de cyclisme qui ne veulent pas qu’on leur parle de dopage. Ces articles ne trouvent pas de public. Peut-être que les fédérations et les politiques le ressentent et se disent que, si ça ne choque personne, mieux vaut ne pas insister. Eux non plus n’ont pas envie d’en subir les conséquences.

Nous avons la chance de travailler dans un journal indépendant et de ne pas traiter spécialement du sport. C’est parfois difficile pour un journal comme L’Équipe, qui a pourtant fait des articles remarquables sur les discriminations ou les violences sexuelles : en effet, ceux sur qui ils enquêtent sont aussi leurs sources. Lorsque L’Équipe a consacré sa une aux problèmes financiers du Paris Saint-Germain, expliquant que le club ne pourrait pas conserver dans son effectif à la fois Neymar et Mbappé, le PSG s’est fâché et a interdit pendant des mois à ses journalistes d’assister aux entraînements et aux conférences de presse du club. Il a aussi interdit à ses joueurs d’accorder des interviews à L’Équipe. Imaginez ce que cela signifie pour ce journal de ne plus pouvoir transmettre quotidiennement à ses lecteurs des informations essentielles, de ne plus pouvoir recueillir les propos des joueurs, qui nourrissent ses colonnes à longueur d’années ! Cela n’encourage pas les journalistes sportifs à révéler des scandales : ils savent qu’ils vont se mettre à dos des sources, et des gens qui, de toute façon, vont rester en place. Si le journal L’Équipe s’était fâché avec Laurent Blanc, ç’aurait été une catastrophe : il aurait accordé ses interviews à d’autres et les ventes auraient chuté. Tout ça pour que tout le monde reste en place.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Je partage votre point de vue : parce que les événements sportifs doivent continuer à faire rêver et que des intérêts politiques sont en jeu, il ne faut rien dire. Mais il faut voir sur quoi les rêves se bâtissent : derrière, il y a des victimes – athlètes, amateurs de sport, bénévoles – qui subissent des pratiques discriminatoires en tout genre et des comportements qui, éthiquement, n’ont pas leur place dans le sport.

Dans l’affaire des quotas, la réunion que vous avez évoquée a eu lieu en novembre 2010, juste après le fiasco de Knysna. Le football français était alors au plus mal. Vous avez rapporté une vision racialiste des choses : les joueurs seraient plus ou moins athlétiques ou dotés d’une bonne intelligence du jeu selon leur couleur de peau. Selon vous, quelle était l’ampleur, à l’époque et dans les années qui ont suivi, de ces préjugés au sein de la FFF et, au-delà, dans les autres fédérations sportives ? Avez-vous d’autres exemples ?

S’agissant des joueurs binationaux, je note qu’on ne traite pas la question de la même façon dans le monde du rugby. Dans le foot, les jeunes joueurs prometteurs deviennent très vite un enjeu pour les pays alors que, depuis des années, des binationaux sud-africains ou fidjiens sont présents dans l’équipe de France de rugby et lui apportent beaucoup. Comment expliquer ce paradoxe ?

M. Michaël Hajdenberg. Il est vrai qu’il y a un paradoxe, mais on n’a même pas besoin de prendre des exemples en dehors du football. L’équipe de France a cherché à séduire David Trezeguet, qui était franco-argentin et qui se destinait plutôt à jouer en Argentine ; elle a aussi tenté, en vain, de séduire Gonzalo Higuaín, qui était argentin et n’avait aucun lien avec la France, si ce n’est qu’il était né à Brest parce que son père y avait joué. On n’a jamais eu de scrupules à aller chercher ailleurs ceux qui pouvaient faire la gloire de la France. On ne compte pas les athlètes russes à qui l’on a accordé la nationalité française pour avoir une médaille de plus aux Jeux olympiques.

C’est donc qu’autre chose se joue derrière, que l’enjeu n’est pas là. Il y a certainement des préjugés qui concernent les qualités footballistiques, qui reprennent de vieux schémas morphologiques que l’on pensait dépassés depuis les années 1930, ou des éléments d’ambiance comme l’image de la racaille : on estime que certains types de populations vont mettre une mauvaise ambiance dans le vestiaire, ou trop protester. Pour moi, ce sont ces préjugés, conscients ou inconscients, qui font que l’on en vient à envisager ce type de politique discriminatoire.

Que peut une fédération ? En France, c’est la Ligue de football professionnel qui organise le championnat, mais on pourrait imaginer que la FFF, voire le ministère, ait un droit de regard sur ce qui s’y passe. Vous me demandez si j’ai d’autres exemples : pas besoin d’aller jusqu’au niveau de l’équipe de France pour en trouver. En 2012, nous avions documenté la situation du Paris Football Club (Paris FC), qui évoluait en troisième division. Le président de l’époque, Pierre Ferracci, est toujours en fonction. Il est très connu, président du groupe Alpha, proche de la CGT – plutôt l’image d’un homme de gauche. Or nous avions eu des échos sur une politique de quotas dans son club. Nous sommes allés le voir et il nous a dit la chose suivante : « Bien sûr, il y a des caractéristiques positives ou négatives, qu’on retrouve chez les uns ou chez les autres. Tout le monde vous dira que les Blacks, certains Blacks, sont doués techniquement, très forts physiquement, parfois un peu décontractés, un peu indolents, et que ça peut être préjudiciable en termes de concentration. »

À l’époque, le Paris FC avait une double présidence. Nous sommes donc allés voir l’autre président, Guy Cotret, pensant qu’il aurait une réaction très critique parce qu’il se battait pour prendre la tête. Guy Cotret était membre du directoire de la Caisse nationale des caisses d’épargne, président du Crédit foncier de France. Il est ensuite devenu président de l’AJ Auxerre, puis patron des présidents de clubs français – tout cela pour dire que son avancée n’a pas vraiment été contrariée par la suite. Il avait pourtant répondu : « Quand on a une composition d’équipe avec seulement des joueurs africains, en termes de mobilisation, d’esprit de révolte, ce n’est pas toujours facile à animer. Ils ont un caractère qui engendre un certain laxisme. À chaque fois qu’on a été mené au score, on n’est jamais revenu, on ne l’a jamais emporté. C’est la race, pas la race, je n’en sais rien. »

Ce type de propos, tenus par des dirigeants de club et relayés par des médias, ne suscitent aucune réaction, ni dans le monde du football, ni au ministère, ni à la fédération. Le journaliste Daniel Riolo, dans Racaille Football Club, indiquait qu’un certain nombre de clubs limitaient le nombre de musulmans dans leurs effectifs. Le président du syndicat des clubs professionnels, qu’il citait dans ce livre, revendiquait cette existence de quotas. Il disait : « Si vous avez 60 %, voire 80 %, de joueurs d’origine africaine dans un club […] la vie sociale du club n’est plus la même ». « Il y a par exemple des joueurs qui viennent de tribus dominantes et, du coup, ce sont toujours eux qui décident et pas les autres. » Et il ajoutait : « Et qu’on ne me dise pas que je suis raciste, ma belle-fille est camerounaise. » Cela n’avait suscité aucune réaction, pas même une demande de démission de ce patron des clubs français.

Autre exemple, Willy Sagnol, ancien joueur de l’équipe de France, a tenu des propos assez proches de ceux de Laurent Blanc, et il y en a bien d’autres.

Il n’y a donc pas eu de prise de conscience à l’époque, malgré notre travail – peut-être nous y sommes-nous mal pris. Il n’y a eu aucune conséquence alors que ces pratiques existaient dans certains clubs, comme cela a été prouvé plus tard au PSG. On peut soupçonner qu’elles perdurent, puisqu’elles sont assumées par un certain nombre d’acteurs du football. Je ne sais pas ce qu’il en est dans d’autres sports.

M. Fabrice Arfi. Lorsque cette réunion s’est déroulée, cela faisait des mois, pour ne pas dire des années, que l’on entendait dans l’air ambiant parler de communautarisme, de traîtres à la patrie, de gens qui ne se sentent pas vraiment français… Il s’agissait de chercher des boucs émissaires, comme on le voit dans l’ensemble de la société. Des intellectuels participaient à ce mouvement, comme Alain Finkielkraut, qui évoquait une équipe de France « black black black ». Erick Mombaerts, lui, affirmait en 2010 : « L’équipe de France est beur black blanc, et j’insiste sur l’ordre. Il va falloir y remédier. »

Il existait donc des signaux faibles. Ce qui m’intéresse, c’est comment ce genre d’atmosphère peut, sans qu’on s’en rende compte, jusqu’à ce que le journalisme le documente, orienter une politique publique – comment des gens aussi cortiqués, à des places aussi puissantes, peuvent transformer des propos de café du commerce en éléments concrets de politique publique. C’est un enseignement très actuel. C’est parce que des gens en interne ont compris ce qui se passait qu’ils ont essayé de mettre fin au projet, en recourant à des journalistes.

Nous avons été sidérés à l’écoute des propos tenus lors de cette réunion, qui nous replongeaient dans des théories racialistes dignes de Gobineau. Ces thèses sont absurdes, mais elles ont été le moteur d’un projet de politique publique. C’est sur cette base que l’homme le plus puissant dans ce domaine, le sélectionneur de l’équipe de France, a pu dire : « Les Espagnols, ils m’ont dit : "Nous, on n’a pas de problème. Nous, des Blacks, on n’en a pas". »

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. L’affaire Galtier, qui est en cours, présente des similitudes avec celle que nous évoquons. Nous verrons quelles suites lui seront données. Il est choquant qu’il y ait eu aussi peu de changements au sein de la FFF depuis 2011, et il importe que la justice sanctionne les auteurs de ces actes.

En juillet, votre confrère Romain Molina nous avait confié que des journalistes étaient au courant d’un certain nombre d’affaires qu’ils ne publiaient pas, parce qu’ils subissaient des pressions ou ne souhaitaient pas être mis en difficulté. Confirmez-vous ces pratiques ?

M. Fabrice Arfi. Je ne peux pas répondre car je ne dispose pas d’exemples concrets, précis et documentés. Ce serait du simple commentaire.

M. Michaël Hajdenberg. Ces journalistes disposent-ils de véritables informations, recoupées, publiables ? Nous ne nous interdisons pas de travailler sur des cas de censure, mais nous n’avons pas documenté de cas de ce type. En tout cas, il n’y a pas de spécificité sportive en ce domaine. Ainsi, des dirigeants de partis ne parlent plus à certains de nos collègues journalistes politiques qui ont révélé tel ou tel fait concernant leur mouvement ou leur entourage ! Les journalistes perdent alors leurs sources et n’ont plus accès à certaines informations.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Comment expliquez-vous l’absence d’évolution, au sein de la FFF, sur la question du racisme et des discriminations ? Est-ce pour protéger le sport à tout prix, comme on l’entend beaucoup dans l’athlétisme ? Est-ce dû à l’absence de sanctions ? Au fait que le politique ne s’en empare pas ?

Mediapart a publié plusieurs articles sur la sélection en équipe nationale de rugby de Bastien Chalureau. Condamné en première instance, il continue à nier les accusations de racisme et a fait appel. Le Président de la République a estimé dans une interview à L’Équipe qu’il serait préférable que le joueur ne soit plus sélectionné si la condamnation était confirmée en appel. Quel équilibre trouver entre le respect de la présomption d’innocence et la lutte contre le racisme ?

M. Fabrice Arfi. Ce dernier point excède le champ du sport. La question de la présomption d’innocence et de la valeur de la condamnation est épineuse, et fondamentale.

La présomption d’innocence interdit d’affirmer que quelqu’un est coupable d’une infraction pénale tant qu’il n’a pas été condamné définitivement pour cela – ce qui n’empêche pas, en attendant, de discuter des faits. Dans le monde politique, on a assisté à une évolution des pratiques sur ce sujet. Selon la jurisprudence Balladur, un ministre mis en examen devait démissionner. Il s’agissait d’éviter que le soupçon visant l’intéressé ne s’étende à l’institution, et de faire en sorte que chaque membre du gouvernement se consacre pleinement à sa tâche. Les choses ont beaucoup changé, y compris dans l’esprit du président Macron. En mars 2017, alors candidat, ce dernier affirmait que, bien évidemment, un ministre mis en examen devrait démissionner. Pourtant, deux ministres en fonction vont être jugés d’ici à la fin de l’année : Olivier Dussopt pour favoritisme, et Éric Dupond-Moretti pour prise illégale d’intérêts. Un secrétaire d’État était précédemment resté au gouvernement jusqu’à sa condamnation.

Chacun peut avoir son avis en la matière mais, en tout état de cause, il y a eu une évolution. À la lumière de ce qui se passe dans le rugby, on découvre que, pour le Président de la République, le critère est désormais la condamnation en appel – bien que celle-ci ne soit pas non plus définitive, puisqu’on peut toujours se pourvoir en cassation. Alors, faut-il attendre l’arrêt de la Cour de cassation, voire la décision de la Cour européenne des droits de l’homme dix, quinze ou vingt ans après les faits, pour réagir ? La situation judiciaire empêche-t-elle politiquement de le faire ?

À la suite de nos révélations sur le chantage à la sextape que Gaël Perdriau, maire de Saint-Étienne, est accusé d’avoir monté contre son premier adjoint, et avant même sa mise en examen, Les Républicains – je précise que d’autres partis politiques agissent de même – ont décidé de l’exclure de leurs rangs. C’est une décision politique qui n’est pas systématiquement prise dans d’autres cas, même à l’égard de personnes condamnées définitivement.

Il ne me paraît donc pas justifié de conditionner la réaction politique, administrative, citoyenne à la décision judiciaire. La justice, dans une affaire pénale, se prononce uniquement sur le caractère pénalement répréhensible d’un acte.

Pour en revenir à votre première question, l’absence d’évolution est selon moi la marque d’une faillite générale, de la lâcheté politique, de la passion sportive et de liens d’intérêts. Comment est-il possible que ce que nous avons raconté n’ait pas fait débat ? Je pense que c’est comme un muscle, ça se travaille. S’agissant de la lâcheté politique, je pense que certains responsables considèrent qu’ils n’ont pas grand-chose à gagner à aller sur ce terrain et à se mettre à dos des millions de passionnés. Cela étant, mettre des mots sur l’affaire des quotas ne signifie pas ne pas aimer le football ! Et j’inclus les médias dans cette faillite générale.

M. Stéphane Buchou (RE). Depuis le début de nos auditions, nous constatons que peu de progrès ont été accomplis au cours des dernières années. Nous avons le sentiment qu’il y a toujours un point de blocage. On ne touche pas à la statue du commandeur. Le PSG, par exemple, est un peu le gagne-pain de L’Équipe ; le quotidien ne publie pas l’intégralité des informations qu’il détient sur le club. Cela renvoie à la question de la déontologie journalistique. Nous cherchons les moyens d’éviter que les dysfonctionnements que nous identifions se reproduisent à l’avenir. Or je ressens souvent une forme de fatalisme de la part des personnes que nous auditionnons. Il ne semble pas y avoir de solution. Le sport, en l’occurrence le football, paraît au-dessus de tout. Le sélectionneur de l’équipe de France que vous évoquiez, par la suite, est devenu entraîneur de clubs prestigieux et consultant de médias importants. Que pourrait-on faire pour que la société reconnaisse les faits commis et pour que ceux-ci soient sanctionnés ?

M. Michaël Hajdenberg. Le journaliste est plus habitué à exposer les problèmes qu’à réfléchir aux solutions, mais la FFF me donne l’impression d’être un petit milieu. À l’époque des faits que nous avons évoqués, le président de la Ligue de football professionnel, Frédéric Thiriez, avait appelé dans une tribune à la fin des polémiques – son propos ne portait pas sur la fin des discriminations. On parle parfois de la famille du football. Ce sont des gens qui se fréquentent et travaillent ensemble depuis des années, parfois des décennies. Ils statuent entre eux, se rendent des services. Lorsque l’un des leurs est mis en cause, ils font bloc, comme cela peut se produire n’importe où ailleurs. Il manque peut-être un regard extérieur, ce qui est une nécessité pour toute institution. On pourrait envisager qu’une autorité de tutelle, une Cour des comptes, examine les questions éthiques. À l’heure actuelle, il existe certes des plateformes, mais des blocages empêchent la remontée de l’information.

Quelques semaines après nos révélations sur le scandale des quotas, en mai 2011, a eu lieu la journée de détection de Clairefontaine – celle pour laquelle on avait demandé à Gérard Prêcheur de prendre des « vrais Français ». Dans tous ceux qui se sont présentés figurait un joueur français aux origines algériennes et camerounaises : Kylian Mbappé. Si les quotas envisagés un mois auparavant avaient été appliqués, peut-être la FFF ne l’aurait-elle pas sélectionné, de crainte qu’il ne joue un jour pour l’Algérie ou le Cameroun ! On ne peut pas dire que ces gens soient guidés par l’intérêt du football français, puisqu’ils prennent le risque de passer à côté de talents exceptionnels. D’ailleurs, dans l’équipe qui a emmené la France en finale de Coupe du monde, il y a dix Noirs sur onze joueurs. Mais même un argument aussi rationnel que celui-là est difficile à faire entendre.

M. Fabrice Arfi. Le principal invariant que je perçois dans toutes les affaires politico-financières sur lesquelles j’ai travaillé, affaire des quotas comprise, est le sentiment d’impunité – plus que l’argent par exemple. L’absence de sanction vaut approbation : c’est ainsi que se sédimente l’impunité. Or on sait que la sanction la plus efficace est celle qui vient de son milieu, plus que la sanction judiciaire, administrative ou politique, même si elle ne les exclut évidemment pas. Il faut avoir le courage de constater les choses et de décider en conséquence, chacun à sa place.

Le corollaire de ce sentiment d’impunité très présent dans ces baronnies est la fatigue démocratique. Dans des périodes de crise, beaucoup souhaitent que l’on n’égratigne pas la petite part de rêve qui reste. Pour ma part, il me semble que la petite part de rêve doit être exemplaire.

Ce qui me mène à une troisième remarque : on touche là un peu au sacré. Devrions-nous aller vers une loi de séparation de l’État et… du sport ? Plaisanterie à part, il faut être capable de raisonner contre ses propres passions, ce qui est très difficile.

M. Michaël Hajdenberg. L’argent constitue aussi un facteur essentiel. Le PSG représente un enjeu financier majeur. Je pense que les journalistes auront du mal à publier des informations sur les prochains Jeux olympiques car tout le monde a intérêt à ce qu’on ne gâche pas ce moment, qu’on ne salisse pas l’image de la France. Un journaliste qui aura vent d’un marché truqué, d’un retard, d’une pollution peinera à trouver des sources car il fera face aux intérêts conjugués du sport, de la politique et de l’argent. Ce n’est pas nouveau : le drame du Heysel nous rappelle que l’on a déjà joué dans un stade en présence de morts – le spectacle devait continuer, quoi qu’il arrive. Tout le monde a trouvé cela normal, à l’époque. On a très peu évolué. Le sport, surtout le foot, mondialement partagé, surpasse tout.

M. Fabrice Arfi. N’oublions pas que le sport, c’est de la politique. Le PSG est la propriété d’un État, et ce n’est pas une exception. Il ne s’agit donc pas que de sport. Des États poursuivent leurs intérêts avec le sport, parfois au détriment de la passion de millions de personnes. Ils utilisent ces véhicules qui ont une dimension diplomatique, financière, politique. Ils sont parfois impliqués dans des procédures judiciaires, comme le Qatar pour l’attribution de l’organisation de la Coupe du monde de football en 2022.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Messieurs, merci de votre présence ce matin. Si vous souhaitez nous faire parvenir d’autres informations ultérieurement, vous pourrez le faire par écrit.

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13.   Audition, à huis clos, de M. Patrick Vieira, ancien footballeur international, actuellement entraîneur du Racing club Strasbourg Alsace (13 septembre 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous avons le plaisir et l’honneur d’accueillir M. Patrick Vieira, à qui je souhaite la bienvenue et que je remercie de s’être rendu disponible pour répondre à nos questions.

C’est à la suite de nombreuses révélations de sportifs et de plusieurs affaires judiciaires que l’Assemblée nationale a choisi de créer cette commission d’enquête, dont les travaux, entamés le 20 juillet dernier, suivent trois axes : l’identification des violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ; l’identification des discriminations sexuelles et raciales dans le sport ; l’identification des problèmes liés à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

Si le football français fait rêver et peut être un formidable facteur d’émancipation et de cohésion sociale, notamment grâce à ses champions du monde, dont vous faites partie, son écosystème pose certains problèmes que vous avez eu l’occasion de dénoncer. En particulier, en 2020, vous avez publié dans L’Équipe une tribune dans laquelle vous dénonciez le racisme, ce « virus qui nous ravage depuis tant de siècles et semble encore plus incurable que les autres ». Vous y évoquiez « les injustices » qui « se multiplient sur tous les terrains », « les chants racistes dans les stades et la xénophobie banalisée ». En 2021, dans un entretien accordé au même journal, vous déclariez : « Sur le racisme, ce qui me fait réfléchir le plus, dernièrement, c’est qu’on est passé de cris venant des tribunes à des agissements de joueurs, voire d’arbitres. C’est en train de se dégrader. »

Deux ans après, quel constat dressez-vous ? Confirmez-vous cette tendance ? La situation est-elle différente à l’étranger ? Y avez-vous observé des pratiques dont nous pourrions nous inspirer ?

Vous regrettez régulièrement qu’il y ait encore trop peu d’entraîneurs noirs et de personnes noires aux postes de direction des clubs et au sein des instances des fédérations. Quelle réponse apporter face à cette situation ? Faut-il instaurer des quotas ?

En 2014, vous aviez décidé d’arrêter un match après des propos racistes à l’encontre d’un joueur. Estimez-vous que cela devrait être systématique en pareille situation ? Quelles seraient les autres sanctions possibles ?

Vous avez souvent interpellé l’ancien président de la Fédération française de football (FFF), M. Noël Le Graët, au sujet du racisme dans le football. Comptez-vous sensibiliser également les nouvelles instances, ou l’avez-vous déjà fait ? Avez-vous l’impression d’avoir été entendu ?

Nous serions également intéressés de vous entendre au sujet des autres formes de discrimination qui touchent le monde du football et de la situation du football féminin.

Vous avez été un observateur privilégié de la Fédération française de football ; que pensez-vous du scandale qui l’a traversée ces derniers mois ? Ces dysfonctionnements étaient-ils connus de tous ? Si oui, pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps avant que le scandale n’éclate ?

Lors de son audition, le journaliste Romain Molina a estimé, à propos de l’éviction de M. Noël Le Graët, qu’en France on s’attaque à une personne, généralement au président, alors que ce sont les systèmes qui sont déficients. Selon lui, ce serait tout l’écosystème du football, en particulier au sein de la FFF, mais aussi, plus largement, au niveau de la Fifa, qui favoriserait ce type de défaillances. Qu’en pensez-vous ?

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(M. Patrick Vieira prête serment.)

M. Patrick Vieira, ancien footballeur international, entraîneur du Racing club Strasbourg Alsace. Cela fait beaucoup de questions en même temps, madame la présidente. Mais d’abord, je voulais vous faire part de ce que je ressens. Je vous le dis avec beaucoup d’humilité et de respect : je me trouve en face de vous malgré moi. Je peux comprendre votre démarche et les résultats que vous en attendez, mais, personnellement, je ne souhaite pas faire partie du panel ni faire part de mon expérience dans le foot. Même si ce n’est pas mon rôle de dire si c’est utile ou non, je n’en vois pas l’utilité. Je suis devant vous du fait de ma responsabilité en tant que citoyen, parce que j’ai été convoqué. Quant aux questions que vous m’avez posées, je ne souhaite pas développer ni entrer dans ces sujets, car j’ai du mal à comprendre l’objectif visé et ce à quoi cela va servir.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Comme je vous l’expliquais au téléphone, le but de la commission d’enquête est que les affaires cessent, mais aussi et surtout d’apporter des solutions concrètes et de construire avec le mouvement sportif un collectif d’idées et de propositions. Pour cela, nous avons besoin de chacun de vous, qui avez connu et connaissez les différents interlocuteurs. Vos histoires personnelles sont intéressantes. Nous avons reçu la semaine dernière des victimes de violences, notamment sexuelles. Ce matin, nous avons entendu les représentants de quatre associations accompagnant de jeunes victimes. Au sein du mouvement sportif, nous recevons les fédérations et les différents cadres qui, de près ou de loin, contribuent peut-être à l’omerta. Ce que nous souhaitons avant tout, c’est que l’on puisse parler librement, confier nos enfants à un club de sport sans appréhension et construire le noble tissu sportif aux quatre coins de France, dans toutes les fédérations sportives. Les témoignages sont nombreux ; nous en recevons par téléphone, par courrier, par mail ; nous sommes contactées, madame la rapporteure et moi-même. Nous voulons apporter de la clarté et faire des propositions à la ministre des sports pour que les choses cessent.

M. Patrick Vieira. Chacun est libre de s’exprimer et de livrer son expérience. Ceux qui se sont exprimés l’ont choisi. J’aimerais bien que vous respectiez mon choix de ne pas m’exprimer devant la commission.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous souhaitions avant tout vous interroger sur des propos que vous avez cités, sur votre histoire, que vous avez racontée, et sur les différentes vidéos dans lesquelles vous étiez présent et avez témoigné. Nous voulons simplement discuter, communiquer avec vous. Vous avez souhaité que cette audition soit à huis clos ; elle l’est. Il s’agit d’un échange constructif, absolument pas d’un tribunal. Nous sommes tous là pour faire grandir le mouvement sportif.

M. Patrick Vieira. On sait très bien que rien n’est jamais à huis clos.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’ai été à l’initiative de cette commission d’enquête. Pour tout vous dire, je suis très extérieure au mouvement sportif ; je le connais de très loin. Vous demandez pourquoi cette commission d’enquête. Elle est née parce que des parents étaient inquiets à force de lire ce que dit la presse à propos du mouvement sportif ; il ne s’agit pas seulement de la Fédération française de football, mais, malheureusement, d’énormément de fédérations, touchées par toutes les formes de violence, de racisme, de harcèlement. Ces inquiétudes sont légitimes : ces parents vont confier leurs enfants à des structures, des entraîneurs, des coachs sportifs – au-delà du haut niveau, que vous représentez, le sport, ce sont 16 millions de licenciés en France.

L’objectif de la commission est de lever l’omerta : un propos récurrent des victimes est qu’elles ne peuvent pas s’exprimer et que, quand elles s’expriment, on ne les entend pas et que les affaires ne sont pas traitées. Surtout, nous voulons proposer des modifications du fonctionnement du mouvement sportif pour que ces faits n’arrivent plus. Il s’agit de redonner au sport son sens premier : l’émancipation et bien d’autres belles valeurs.

Je comprends tout à fait vos réticences. Nous sommes à huis clos : rien de ce qui se dit ici n’est ouvert à la presse. Si vous ne souhaitez pas faire part de votre expérience personnelle, peut-être pouvons-nous échanger au sujet de la Fédération française de football ; et peut-être avez-vous des propositions à faire pour que le monde du foot évolue et que des phénomènes qui existent encore aujourd’hui – nous avons par exemple évoqué ce matin l’affaire des quotas – ne puissent plus se produire.

M. Patrick Vieira. Je ne suis pas la personne idéale à interroger au sujet des quotas. Ce qu’il faut faire, c’est aller voir les personnes qui étaient présentes à la réunion en question : elles vous donneront des informations beaucoup plus concrètes que moi, qui n’y étais pas. La personne que vous avez devant vous ne peut pas parler des histoires de quotas. J’en sais autant que vous : je sais ce que j’ai lu dans les journaux.

Le sport, que je respecte et que j’aime beaucoup, a fait mon éducation. Le sport, notamment le football, m’a permis de voyager et de rencontrer des personnes importantes. Je comprends que je puisse être un exemple pour la future génération. Mais vous êtes en face de la mauvaise personne. Vous savez autant que moi ce qui se passe réellement dans le sport en général. Ce n’est pas ce que je vais vous dire ou non qui va changer les choses. Ce qui fera changer les choses, c’est d’aller voir les fédérations, les bénévoles ; ce sont eux, et non le milieu professionnel, qui vont régler le problème qui se pose en ce moment. Je ne suis pas la personne adéquate pour vous faire avancer.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Je veux d’abord vous féliciter pour votre excellente carrière. J’ai fait du football féminin il y a quelques années, je suis passionnée de foot, j’étais et je reste passionnée par le personnage que vous êtes et votre attitude sur le terrain. Vous êtes entraîneur d’une équipe. Vous avez forcément, au cours de votre carrière, vécu des choses qui ont pu vous interpeller. Votre formation vous a-t-elle sensibilisé aux violences que l’on rencontre dans le sport et au racisme qu’on observe malheureusement parfois dans le foot ? Avez-vous une formation en lien avec ces sujets ? La Fédération – avec laquelle vous avez forcément un lien – vous y sensibilise-t-elle ?

M. Patrick Vieira. Ma formation ? Je ne comprends pas bien la première partie de la question.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Je suppose qu’étant entraîneur, vous avez reçu une formation. L’enjeu est là. Nous souhaitons améliorer les choses et cela passe souvent par la formation. Vous devez être hautement diplômé pour être entraîneur d’une équipe de ce niveau. Dans ce cadre, avez-vous été sensibilisé, formé ? Vous pourriez être à court de réponses face aux alertes de vos joueurs.

M. Patrick Vieira. J’ai passé mes diplômes d’entraîneur à l’étranger, notamment au Pays de Galles. Ce domaine était couvert.

M. Julien Odoul (RN). Je tiens moi aussi à exprimer mon admiration pour votre belle carrière et ce que vous avez apporté à l’équipe de France. Ancien supporter inconditionnel d’Arsenal, je vous place dans mon panthéon personnel de joueurs et j’ai suivi assidûment votre parcours et la succession de vos trophées.

Vous avez témoigné de réalités insupportables, en particulier toutes les formes de racisme. De votre carrière de joueur à votre position actuelle d’entraîneur, sur dix ou quinze ans, avez-vous vu la situation se dégrader, alors même que l’on parle de plus en plus – et c’est une bonne chose – de la lutte contre le racisme, la violence et l’intolérance ? Les dispositifs, les campagnes, les labels, les slogans ont-ils amélioré les choses ou ces phénomènes intolérables se sont-ils au contraire banalisés ? Vous avez évoqué des cris de supporters que l’on a entendus notamment, mais pas seulement, dans le championnat italien. La situation s’est-elle détériorée ou la prise de conscience permet-elle des évolutions positives ?

M. Patrick Vieira. Merci beaucoup de vos éloges. Comme on dit, « once a Gunner, always a Gunner » !

Vous qui êtes de l’extérieur, qu’en pensez-vous ?

M. Julien Odoul (RN). De l’extérieur et de l’intérieur, car j’ai pratiqué le football étant jeune et j’ai été témoin de certains phénomènes. Mais je n’ai pas votre expérience – vous avez été entraîneur de plusieurs clubs, à l’étranger et en France – et je ne suis pas en contact avec le milieu professionnel. Ce que je vois comme élu et comme passionné de football, c’est que la situation ne s’est pas améliorée.

M. Patrick Vieira. Voilà : vous avez tout dit. Vous avez la même compréhension des choses qu’une personne de l’intérieur : il n’y a pas d’amélioration. On peut porter des t-shirts contre le racisme ou contre toute sorte de violence, cela reste de la politique ; c’est ce que je condamne et c’est pour cela que je suis contre ce type de commission. C’est de la politique, c’est – excusez-moi du terme – du bla-bla ; à l’arrivée, il n’y a rien de concret. Et ça fait des années que ça dure.

À mon niveau, je vais faire ce que je peux, avec les moyens que j’ai, pour essayer de me battre contre toute forme de discrimination ; mais ce que vous ressentez depuis l’extérieur est vrai. Cette commission est une commission de plus.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je crois que c’est la première fois qu’une commission d’enquête, avec les pouvoirs étendus qui la caractérisent, porte sur le mouvement sportif. Cela montre à quel point le sujet est pris au sérieux.

Je vous entends ; on entend d’ailleurs beaucoup ce que vous dites : que c’est ainsi depuis des années et que rien ne change – c’est en tout cas le sentiment que l’on a. Les associations nous disent qu’elles essayent de faire bouger les choses depuis quasiment vingt ans et que cela prend beaucoup de temps.

Nous partageons ce sentiment. Si nous sommes là, c’est parce que nous voulons faire bouger les choses. La commission d’enquête, ce n’est pas du tout du bla-bla ; d’ailleurs, nous sommes à huis clos. L’idée est au contraire de faire des propositions très concrètes au terme de nos travaux, qui ne dureront que six mois. Toutes les personnes que vous avez évoquées – les responsables de fédérations, les personnes impliquées par l’affaire des quotas – seront entendues et devront répondre à nos questions : pourquoi, comment, que fait-on pour que cela change ?

Vous nous dites que cela n’aboutira peut-être à rien, que rien ne changera. Nous avons justement besoin d’entendre les gens qui sont de l’intérieur et qui connaissent le milieu sportif pour déterminer quelles propositions mettre en œuvre, que cela passe par la loi, le règlement ou encore d’autres dispositifs. Des propositions ont d’ailleurs émergé depuis le début des auditions. En ce qui concerne le racisme, par exemple, on a évoqué l’idée d’arrêter systématiquement les matchs en présence de tels faits. Est-ce une option envisageable ou non ? Est-ce quelque chose que l’on peut rendre obligatoire ?

C’est pour cela que nous avons besoin de votre éclairage, pas pour nous vanter dans cinq mois d’avoir fait des auditions avec des stars du football ou d’autres disciplines, sans pour autant bouger d’un iota. Nous ne voulons surtout pas donner le sentiment de faire beaucoup de bruit pour pas grand-chose.

M. Patrick Vieira. Je comprends très bien mais, ces dernières années, j’ai malheureusement entendu beaucoup de bruit pour pas grand-chose. De même, aucune suite n’a été donnée au rapport remis en 2008 par la commission Grands Stades Euro 2016 présidée par M. Philippe Séguin. Je ne suis donc pas convaincu de l’utilité de mon témoignage.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Peut-être avez-vous des propositions à formuler, notamment si vous avez observé des bonnes pratiques dans des pays voisins ?

M. Patrick Vieira. Non, je n’en ai pas.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Je comprends tout à fait votre position. Vous estimez que rien n’a changé et que, de vos débuts dans le foot comme joueur à votre carrière actuelle d’entraîneur, le racisme s’est même accentué. Il est vrai que, d’un point de vue extérieur, notre commission d’enquête peut sembler participer du grand bla-bla auquel les politiques nous ont habitués. Cependant, le chemin est long et il faut avancer pas à pas.

Il est une question à laquelle je suis incapable de répondre, même en allant rencontrer tous les clubs de foot amateur de ma circonscription toulousaine, mais sur laquelle vous pouvez m’éclairer : les mécanismes conduisant au racisme, même insidieux, ont-ils évolué ? En tant qu’entraîneur de joueurs professionnels, de haut niveau, avez-vous perçu des changements, au niveau de la fédération, au sein de certains clubs ou plus généralement dans le milieu du football ?

M. Patrick Vieira. Je ne comprends pas bien votre question.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Quand un joueur se fait traiter de « sale noir » sur un terrain, personne ne conteste qu’il est victime de racisme. Mais quand on sélectionne des joueurs en supposant que les noirs sont plus athlétiques mais n’ont pas l’intelligence des blancs – mon exemple est caricatural mais ce sont des choses que l’on a entendues –, il s’agit d’un racisme plus insidieux, qui ne dit pas son nom. Avez-vous pu observer cette forme de racisme dans certains centres de formation, dans les clubs que vous avez fréquentés, ou avez-vous entendu parler de tels comportements ailleurs ?

M. Patrick Vieira. Où avez-vous entendu l’exemple que vous venez de donner ?

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Je faisais allusion au verbatim de la fameuse réunion de la FFF de novembre 2010, à laquelle participait le directeur technique national. Mais vous n’y étiez pas.

M. Patrick Vieira. Une commission d’enquête s’est déjà penchée sur cette réunion.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Au Sénat, effectivement.

M. Patrick Vieira. Une conclusion a-t-elle été tirée ?

M. François Piquemal (LFI-NUPES). La commission d’enquête a rendu son rapport mais, vous avez raison, il n’y a pas eu de conclusion politique.

M. Patrick Vieira. Une commission a été mise en place, elle a fait son travail et en a tiré une conclusion – peu importe qu’elle soit politique ou non. Quelle était-elle ?

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Tout le monde s’est accordé à dire que ces quotas étaient discriminatoires.

M. Patrick Vieira. C’est en effet ce qui est ressorti de la commission. Qu’a-t-il été décidé ensuite ?

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Rien, et c’est bien le problème !

M. Patrick Vieira. La personne qui a rapporté ces faits est en souffrance : elle n’exerce plus dans le milieu du football car elle est boycottée par tout le monde. Voilà le fond du problème ! Vous êtes en train de m’auditionner tout en sachant que d’autres commissions ont déjà effectué le même travail, rendu des conclusions mais que rien n’a été fait par la suite. De même, le rapport que vous allez produire sera mis sous la table et tout le monde passera à autre chose. Comment voulez-vous que les choses changent ? C’est impossible.

Malgré tout le respect que j’ai pour votre commission d’enquête et pour l’ensemble des députés qui la composent, vos travaux ne servent à rien et je refuse d’y participer. J’aimerais que vous respectiez ma décision.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Nous sommes habitués à faire de la politique et nous savons que le temps de la politique n’est pas celui des citoyens. Nous évoquons aujourd’hui le racisme dans le sport, mais nous avons aussi entendu parler de viols commis sur des enfants et d’entraîneurs léchant les lèvres de petites filles parce qu’elles saignaient. Pouvons-nous continuer de fermer les yeux et de ne rien faire, sous prétexte que nous ne servirions à rien ? Si nous passons tant de temps à assister à toutes ces auditions sans être nécessairement préparés à entendre de telles horreurs, c’est parce que nous voulons faire bouger les choses, notamment au niveau législatif. Certes, nous ne pourrons pas tout changer, du fait de l’omerta évoquée à chaque audition, mais nous considérons par exemple qu’il ne devrait pas être possible de recruter un entraîneur déjà condamné pour des infractions sexuelles. Cela dit, nous respectons votre point de vue, que vos derniers propos nous permettent de mieux comprendre.

M. Patrick Vieira. Je vous remercie de comprendre ma position.

M. Stéphane Buchou (RE). Je salue la carrière du joueur que vous avez été. Je vous félicite pour tous vos succès footballistiques et vous remercie chaleureusement pour tout ce que vous avez apporté à notre pays.

Malgré tout le respect que j’ai pour vous, je suis un peu surpris par les propos que vous avez tenus à l’encontre de notre commission d’enquête. Je reconnais que se sont succédé un certain nombre de rapports qui n’ont pas eu beaucoup d’effets. Le fait que nous soyons réunis aujourd’hui pour vous entendre est la preuve que beaucoup de chemin reste à parcourir. Néanmoins, alors que nous menons depuis plusieurs semaines des auditions sur le racisme et les violences faites aux enfants, la parole semble s’être libérée. Les nombreux témoignages que nous avons recueillis ne resteront pas sans réponse. Je vous lance un cri du cœur : nous avons besoin de vous ! Vous êtes auditionné à huis clos.

Vous n’avez pas dit que le politique ne servait à rien, mais qu’il ne ressortirait rien de notre commission d’enquête. Je peux vous assurer que nous ne sommes pas réunis aujourd’hui pour qu’il ne se passe rien. Nous avons entendu des témoignages édifiants qui nous poussent à l’action. Évidemment, ce n’est pas simple, du fait de l’omerta. Lors d’une audition ce matin, on nous a démontré que tout avait été organisé pour que les affaires ne sortent pas. Cependant, plus vous serez nombreux à témoigner et à vous confier, plus nous ferons œuvre utile. Nous avons besoin de votre témoignage, de votre aide pour libérer la parole, et le cas échéant de vos propositions. C’est ainsi que nous pourrons agir et empêcher que les choses restent telles quelles, comme vous l’avez dénoncé – ce n’est ni ce que vous voulez, ni ce que nous voulons. Nous avons besoin de cette solidarité entre ceux qui ont constaté des faits devant être dénoncés et nous qui, nous le croyons, avons les moyens de faire en sorte que cela change.

M. Patrick Vieira. Je vous remercie de vos éloges concernant ma carrière. Je comprends votre déception devant ma décision de ne pas participer aux travaux de votre commission. J’espère que, dans quelques mois ou quelques années, je regretterai mon choix : cela voudra dire que vous aurez fait avancer les choses.

M. Stéphane Buchou (RE). C’est un peu le serpent qui se mord la queue. Je crains que nous ne puissions pas vraiment faire avancer les choses si nous ne nous appuyons pas sur un certain nombre de témoignages. Vous êtes auditionné à huis clos.

Vous parliez tout à l’heure du port de t-shirts contre le racisme, mais c’est de la communication ! M. Piquemal a évoqué une réunion de novembre 2010 en présence du directeur technique national et du sélectionneur de l’équipe de France que, je crois, vous connaissez bien également. On sent bien qu’il existe une omerta.

M. Patrick Vieira. Il n’y a pas d’omerta. Une commission a été créée pour aller au fond de cette histoire. Alors qu’elle a rendu son verdict, rien n’a été fait, rien n’a été dit. La personne qui a été punie est celle qui a témoigné. Ma participation à vos travaux est donc inutile.

Je ferai ce que je dois faire au vu de mon expérience et de ma capacité à faire changer les choses. Je suis membre d’une commission au niveau de l’Union des associations européennes de football (UEFA). Je travaille avec des gens, dans le football et en dehors du football, pour essayer de faire passer des messages. Il ne servirait pas à grand-chose de raconter mon histoire à votre commission.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. L’affaire des quotas date de 2011 ; or nous sommes en 2023 et les choses n’ont pas changé. Nous évoquions encore ce matin l’affaire Galtier qui frappe l’OGC Nice : on y retrouve les mêmes mécanismes menant à la discrimination et au racisme. Quand on a une carrière dans le football aussi longue et riche que la vôtre, je comprends que l’on soit choqué !

Nous ne sommes qu’au tout début des travaux de notre commission – nous n’avons encore entendu que des victimes et des associations –, mais quelques pistes ont déjà été formulées. On nous a indiqué que les arbitres avaient l’obligation d’inscrire sur un procès-verbal ou un document de ce genre les propos racistes entendus au cours d’un match. Quel est votre regard d’entraîneur sur cette pratique ? Est-elle obligatoire, systématique ? On a aussi proposé que la justice puisse être saisie de certains faits de racisme visibles de tous et que les sportifs aient la possibilité d’être accompagnés lorsqu’ils déposent une plainte, alors qu’ils sont aujourd’hui livrés à eux-mêmes. De votre point de vue d’entraîneur, ce type de dispositif peut-il fonctionner ? Cela peut-il être une solution ?

M. Patrick Vieira. Oui, cela peut être une solution.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Les propos racistes entendus au cours d’un match sont-ils systématiquement inscrits au procès-verbal ?

M. Patrick Vieira. Je ne peux pas vous le confirmer.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je peux comprendre que vous soyez entraîneur à Strasbourg et que vous souhaitiez confirmer l’omerta qui règne dans le mouvement sportif.

M. Patrick Vieira. Je ne l’ai pas confirmée.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je déplore que vous n’ayez pas fait preuve de transparence en répondant à nos questions et que vous n’ayez pas eu la générosité de nous faire part de votre expérience personnelle, qui aurait certainement contribué à faire émerger des propositions dans le rapport que nous remettrons en décembre.

M. Patrick Vieira. Nous aurions tout à fait pu échanger, vous et moi, dans le cadre d’une conversation en face à face.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Ce format d’échange n’est pas recevable devant une commission d’enquête. Comme nous sommes à huis clos, vous pouvez aussi considérer que nous sommes tous les deux en face à face, auquel cas vous pouvez répondre à mes questions.

Il sera inscrit au compte rendu que vous ne souhaitez pas répondre davantage aux questions ni vous impliquer dans les travaux de notre commission.

M. Patrick Vieira. J’ai répondu présent à la convocation qui m’a été soumise : c’est pourquoi je me trouve face à vous.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. « En tant que citoyen », comme vous nous l’avez dit en préambule.

Pour notre part, nous avons fait preuve de transparence en vous envoyant des questions en amont de cette audition. Vous les avez encore entre vos mains. Si vous souhaitez y répondre, en quelques mots, afin de participer aux travaux de notre commission, vous pouvez aussi le faire par mail, en prenant votre temps – huit jours, quinze jours…

M. Patrick Vieira. Est-ce une obligation ?

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Non, c’est une proposition.

J’allais vous demander si vous pensiez nous avoir tout dit. Vous avez prêté serment…

M. Patrick Vieira. J’ai répondu aux questions que vous m’avez posées.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous avez le numéro de téléphone du secrétariat de la commission d’enquête, ainsi que le mien. N’hésitez pas à nous recontacter, si vous le souhaitez.

*

*     *

14.   Audition, ouverte à la presse, de M. Laurent Blanc, ancien footballeur international et entraîneur, ancien sélectionneur de l’équipe de France de football (13 septembre 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Mes chers collègues, nous avons l’honneur d’accueillir aujourd’hui M. Laurent Blanc, dont la renommée est connue de chacun d’entre vous en raison de ses différents succès en tant que footballeur et entraîneur après près de quarante ans de carrière.

Monsieur Blanc, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie vivement de votre disponibilité pour répondre à nos questions.

Nous avons entamé les travaux de notre commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet 2023.

L’Assemblée nationale a choisi de créer cette commission d’enquête à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs et de divers scandales judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations, comme celle du football. Nos travaux se déclinent donc autour de trois axes : l’identification des violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ; l’identification des discriminations sexuelles et raciales dans le sport ; l’identification des problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

Si le football français fait rêver la France grâce à ses champions du monde dont vous faites partie, l’écosystème du football pose, en revanche, des problèmes.

Il a en effet été traversé à plusieurs reprises par des défaillances parfois majeures concernant les trois problématiques qui nous occupent. On peut notamment citer le scandale « Football Leaks » en 2016 relatif aux pratiques d’évasion fiscale de la part de certains footballeurs étrangers ou, plus récemment, l’éviction du président de la Fédération française de football (FFF), M. Noël Le Graët, liée à ses propos polémiques envers Zinédine Zidane, couplés aux accablantes accusations de harcèlement moral et sexuel de la part de plusieurs femmes travaillant à ses côtés, et le management contesté de sa directrice générale, Mme Florence Hardouin.

Lors de son audition, le journaliste Romain Molina a estimé, à propos de l’éviction de Noël Le Graët à la tête de la FFF, qu’« en France, on s’attaque à une personne, généralement les présidents, mais ce sont les systèmes qui sont déficitaires ». Selon lui, ce serait tout l’écosystème du football, en particulier au sein de la FFF, mais plus largement au niveau de la FIFA, qui favoriserait ce type de défaillances systémiques.

Vous-même, vous avez déclaré en 2020 dans l’émission Téléfoot, que le football était « en train de prendre une direction qui ne [vous] plaît pas », en raison notamment de la spéculation que les clubs réalisent sur les joueurs. Je vous cite : « On demande aux entraîneurs de faire prendre de la valeur aux joueurs. On les achète 10 pour les revendre 30 ou 40. »

Quel bilan tirez-vous de vos observations du milieu du football depuis près de quarante ans ? Diriez-vous que la situation a empiré ou s’est au contraire améliorée concernant les situations de violences, de discriminations et l’évolution de la gouvernance des instances nationales et internationales ? Quelles seraient vos recommandations, auprès des politiques que nous sommes, pour faire évoluer positivement les choses ?

Je vous remercie d’avance de la qualité de vos réponses et vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.

Avant de vous laisser la parole et d’entamer nos échanges pendant environ une heure trente, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. », après avoir activé votre micro.

(M. Laurent Blanc prête serment).

M. Laurent Blanc, footballeur international. Bonjour à toutes et à tous, je vous ai écoutés avec attention et j’espère que notre dialogue sera constitué de questions et de réponses, car les sujets que vous venez d’évoquer sont très larges. Ils suscitent de nombreux avis et j’ai certainement le mien, mais je préfère que nous ayons un dialogue, ce qui sera plus constructif.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Très bien. Nous allons donc vous poser des questions et vous aurez la possibilité de répondre à chacune d’entre elles.

M. Laurent Blanc. Effectivement, car les sujets évoqués sont tellement nombreux qu’on ne sait pas par où commencer.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Monsieur Blanc, je vous remercie de vous être rendu disponible dans le cadre des travaux de cette commission. Celle-ci travaille donc sur les défaillances, qui peuvent être d’ordres différents, au sein des fédérations. En tant que champion du monde puis sélectionneur de l’équipe de France, vous avez eu à connaître de près le fonctionnement de la FFF. Dès lors, en tant que sélectionneur, pouvez-vous nous relater les relations que vous avez pu avoir avec la fédération ? Quelles sont les relations du sélectionneur avec les équipes de la fédération ? Avec qui travailliez-vous – direction technique nationale (DTN), Clairefontaine, membres du Comex ?

M. Laurent Blanc. Le sélectionneur n’est pas la personne qui a le plus de contact avec la fédération, ce qui peut paraître paradoxal. Un sélectionneur est certes en contact avec des gens qui travaillent à la fédération ou à la DTN, mais il est en voyage ou en repérage une grande partie de l’année. Pendant les matchs qualificatifs ou amicaux, il se retrouve en contact avec des membres de la DTN, qui est basée à Clairefontaine. Le sélectionneur va participer à quelques réunions à la FFF, les échanges existent, mais ce n’est pas un lieu où le sélectionneur a l’habitude de séjourner. Ce n’est donc pas un sélectionneur qui pourrait vous raconter le mieux la vie de la FFF. Certaines personnes y travaillent, notamment dans des services marketing ou évènementiel, et elles seraient davantage à même de parler de la vie de tous les jours à la FFF.

À propos de la première question – « avez-vous vu le football français changer au cours de toutes ces années sur les questions qui nous intéressent aujourd’hui ? », j’ai envie de vous dire qu’il n’a pas changé en lui-même, mais qu’il a évolué comme la société et comme plein d’autres choses. Le football est un sport très populaire et, même si nous discutons des déficiences de gestion ou de gouvernance, je pense que le sport en général, et le football en particulier, est bon pour nos jeunes. Ce dernier permet de prendre conscience que le sport est utile dans la vie et qu’il peut devenir un métier. Beaucoup de jeunes ont envie de faire du sport leur métier. Le football suit l’évolution de la société et ne se situe pas en dehors de celle-ci. Si la société évolue dans une certaine direction, le football ira également dans ce sens : le football résume l’évolution de notre société.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ce qui m’intéresse n’est pas forcément la vie de la FFF, mais celle du sélectionneur et de ses attributions vis-à-vis de la DTN et de la présidence. Quelles sont ses relations ?

M. Laurent Blanc. Je n’avais pas forcément compris cela. L’échange avec la DTN est très important et le sélectionneur entretient une relation beaucoup plus étroite avec la DTN qu’avec la fédération en elle-même. Effectivement, on peut avoir des échanges avec son président, le service commercial ou marketing, mais la DTN est très importante et les échanges avec celle-ci sont assez permanents.

J’avais une très bonne relation avec le directeur technique national de l’époque et nous échangions beaucoup sur le mode de détection et de sélection des jeunes. Il n’empêche que, pendant deux ans, je n’ai assisté qu’à une seule réunion de la DTN. Celle-ci avait eu lieu dans les locaux de la FFF et, d’ailleurs, elle s’était très mal passée, car à la suite de cette réunion, il y avait eu cette polémique sur les binationaux qui m’avait plutôt porté préjudice.

Un sélectionneur échange avec son directeur technique national et avec sa direction, mais il est tout de même assez seul. Il compose lui-même sa sélection et fait ses choix. Il m’est toutefois arrivé de discuter avec M. François Blaquart, qui était directeur technique national, et avec M. Le Graët, qui était président de la FFF. Nous discutions de nos choix, mais le sélectionneur a, heureusement, un pouvoir de sélection très individuel. Il y a donc des échanges. Nous pouvons discuter du mode de gouvernance de la FFF, car tout le monde peut avoir son avis.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous n’avez pas répondu sur le Comex. Avez-vous été amené à participer à des Comex ?

M. Laurent Blanc. Jamais. Ma réponse est très claire.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Un sujet nous préoccupe, notamment dans le football : êtes-vous favorable à l’arrêt des matchs en cas de propos racistes ?

M. Laurent Blanc. Oui.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Est-ce que cela vous est déjà arrivé ?

M. Laurent Blanc. Je reconnais que nous sommes dans une période où l’intérêt pour ces questions est grand et je suis le premier convaincu qu’il faut arrêter cela par tous les moyens. C’est pour cela que je vous réponds, sans aucune hésitation, oui.

Précédemment, nous avions eu, avec Lyon, une réunion sur les sujets tels que le racisme ou l’homophobie. Je m’étais permis d’indiquer que le football n’était pas parfait – loin de là –, mais qu’il évoluait dans le bon sens. Vous allez peut-être être surpris de mes propos, mais je suis allé voir des matchs de football avec mon grand-père et avec mon père lorsque j’étais jeune. Certaines choses m’ont marqué. À cette époque-là – qui n’est pas si lointaine –, il y avait des choses à éliminer lors de tous les matchs. Je pense que, vingt-cinq ou trente ans plus tard, même si tout n’est pas parfait – surtout dans une enceinte telle qu’un stade football, qui est très grand et où l’on dispose d’une liberté d’expression particulièrement large –, on évolue dans la bonne direction. Cela existe encore, mais par rapport à ce qui faisait avant, il y a beaucoup d’améliorations. Cet avis n’engage que moi.

Si des propos racistes sont échangés entre joueurs, il faut arrêter le match directement. Si des propos sont entendus dans l’enceinte du stade, il faudrait faire la même chose et nous avons maintenant des moyens colossaux pour entendre, visualiser et localiser. Ce serait très bien pour le football professionnel. Toutefois, il m’arrive encore d’aller voir des matchs de football amateur et d’entendre des choses ingrates. Il est encore nécessaire de progresser sur l’éducation, mais je pense que des améliorations ont été enregistrées lors des vingt ou vingt-cinq dernières années.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous entendons ce que vous dites sur le football qui irait dans le bon sens, mais cela vient à l’encontre des propos tenus par Patrick Vieira sur le racisme : « ce qui me fait réfléchir le plus dernièrement, c’est qu’on est passé des cris venus des tribunes à des agissements de joueurs, voire d’arbitres. C’est en train de se dégrader ». On voit bien qu’il existe des avis et des points de vue très différents.

M. Laurent Blanc. Je trouve qu’il y a une amélioration : quand vous entendez ces propos parmi les joueurs ou les arbitres, vous pouvez les visualisez et intervenir. Avant, ils étaient issus d’une foule de 20 000, 30 000 ou 40 000 spectateurs. Comment pouvez-vous infliger une punition à 40 000 spectateurs ? Désormais, il peut y avoir une visualisation et une correction. Vingt-cinq ans auparavant dans le football, il y avait des cris, des gestes, des objets et de tout. À mon avis, nous évoluons dans le bon sens, même si tout n’est pas parfait. Aujourd’hui, le stade de football est un lieu avec beaucoup de liberté d’expression, mais il y avait auparavant une liberté d’expression et d’agir qui menait à des choses inacceptables du début à la fin.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Peut-être le voyons-nous plus désormais et je ne sais pas si cela va dans le bon sens. Ce qui est certain, c’est que très peu de sanctions sont prises et que les sportifs sont peu accompagnés lorsqu’ils sont victimes de propos ou de faits racistes. En réalité, même si c’est visible, cela ne veut pas dire qu’on a mis en place des outils ou des solutions pour que ces agissements ne se reproduisent plus. Il s’agit d’une des difficultés et des failles que nous avons pu identifier.

L’an passé, la FFF a reçu de nouvelles accusations, notamment sur des abus à l’Institut national du football (INF) de Clairefontaine. Dans une enquête publiée sur le site Josimar, reprise par le New York Times et intitulée « 40 ans de silence », on apprend que, pendant des années, Noël Le Graët et d’autres hauts responsables de la fédération ont dissimulé de multiples cas d’abus sexuels, y compris des abus sur des joueurs mineurs. Comment avez-vous appris ces faits ? Qu’en avez-vous pensé à l’époque en tant que sélectionneur ? Par exemple, je rappelle qu’un des cas impliquait un responsable pédagogique qui a été démis de son poste à l’INF après avoir envoyé des dizaines de SMS affectueux, voire dérangeants, à un garçon de 13 ans, un comportement inapproprié de l’encadrant qui aurait été suivi d’une invitation à déjeuner pour l’anniversaire du mineur alors que celui-ci était censé se restaurer à la cantine de son collège. La FFF a toléré que cet ancien employé passe tranquillement d’un poste à l’autre et conserve ses diplômes qui lui facilitent l’accès à différents emplois au sein de ce sport. J’aimerais vraiment vous entendre là-dessus.

M. Laurent Blanc. Je suis comme vous : je suis horrifié par cela. Mais, messieurs les politiques, la Fédération est sous ordre politique et il faut agir pour que ces problèmes soient moins fréquents et pour qu’ils soient connus. Les choses commencent à se savoir alors qu’avant, peut-être qu’elles ne se savaient pas ou qu’on ne voulait pas les connaître. Je ne dis pas que les progrès sont spectaculaires, mais il y a tout de même des choses dont nous sommes informés aujourd’hui. Quand vous me demandez ce que j’en pense, j’aimerais plutôt vous demander à vous ce que vous en pensez. Vous êtes certainement horrifiée comme moi.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Bien évidemment. C’est d’ailleurs l’objet de cette commission d’enquête.

M. Laurent Blanc. La FFF est tout de même sous tutelle de l’État et il faut essayer de trouver des solutions, qui passent par la gouvernance et les hommes, pour que ce qui a pu se passer il y a quelques années ne se reproduise plus, que ce soit à la FFF ou dans le sport en général. J’ai notamment entendu une jeune fille qui a été auditionnée par votre commission et la réalité correspond à son discours. Ce discours a touché énormément de monde et je ne sais pas si cela aurait pu être le cas quelques années auparavant. Il s’avère qu’à l’heure actuelle, nous sommes au courant des choses et nous devons essayer, vous comme moi, de corriger la situation.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous connaissance de la cellule du ministère des sports Signal-sports ?

M. Laurent Blanc. Non. C’est la première fois que j’en entends parler et je devine quelle est sa fonction. C’est une bonne chose. Plus les choses se sauront et plus on aura tendance à les corriger. Je pense que certaines choses se sont passées et se passeront encore, car nous n’arriverons pas à régler tous les problèmes du jour au lendemain. Essayons néanmoins de faire preuve de vigilance et de mettre en place des moyens pour prévenir ces situations.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous l’impression que la parole se libère davantage ?

M. Laurent Blanc. Oui, c’est une certitude selon moi. Je reconnais que c’est une difficulté, car j’ai vu la personne parler seule devant cette commission et revivre certains évènements était certainement très douloureux pour elle. Cela m’a touché et c’est une épreuve. En même temps, comme elle l’a dit, c’est une délivrance. Il faudrait que des mesures de prévention existent pour éviter ces situations. Il ne faut en outre pas se focaliser uniquement sur le sport, car cela se passe malheureusement partout.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous l’impression que cette parole est entendue, notamment au plus haut niveau ?

M. Laurent Blanc. Quand vous entendez une victime, son témoignage est toujours bouleversant, mais je ne sais pas. Ce n’est pas à moi de décider des endroits à risque. Dans le sport, les entraînements des adolescents et adolescentes induisent la présence des entraîneurs et des éducateurs qui les entraînent, les éduquent et les amènent au meilleur niveau pour représenter notre pays. Ces échanges existeront toujours, mais il faudrait avoir des avertisseurs. Lorsqu’il y a des relations entre adolescents et adultes, nous savons malheureusement que nous ne sommes pas à l’abri de ce genre de choses.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Je vous remercie de votre participation à cette audition et de vos réponses. J’aimerais revenir sur la réunion qui s’est tenue à la FFF en novembre 2010, qui avait fait grand bruit et qu’on avait appelée la « réunion des quotas ». Lors de cette réunion, des propos ont blessé un certain nombre de personnes, car il y avait une discussion sur la sélection des jeunes joueurs, et sont arrivés au cours de celle-ci des préjugés ou des caractéristiques attribués aux joueurs selon leur couleur de peau. De manière synthétique, il fallait davantage, selon ce qu’avait dit M. Mombaerts, sélectionner des joueurs petits, techniques, intelligents dans le jeu et – il le disait – blancs, au contraire des joueurs noirs à propos desquels il était dit qu’ils étaient athlétiques, mais, de manière sous-entendue, « dénués d’intelligence dans le jeu ». Ces propos qui prêtaient des caractéristiques selon la couleur de peau ont pu être vécus comme racistes ou considérés comme une volonté de mettre en place des quotas discriminatoires. Des joueurs s’en étaient émus autant que des personnalités diverses et variées. Francis Smerecki, qui avait assisté à la réunion, avait alerté sur le fait que de telles pratiques étaient discriminatoires.

Avec le recul de plus d’une dizaine d’années, quel bilan dressez-vous ? Vous souvenez-vous du contexte de cette réunion ? Comment cette discussion est-elle arrivée ? Regrettez-vous d’être entré dans ce type de considérations ? Comment expliquez-vous qu’on ait pu arriver à avoir ce genre de réflexions qui, si elles ne caractérisent pas du racisme direct et profond, peuvent être perçues comme telles ?

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous cherchons également à faire la lumière sur ce qui a pu mener à ces réflexions. Il y a quelque mois, une autre affaire de ce type s’est produite dans un autre club de football. Nous voyons donc bien que, depuis 2011, la situation n’a pas vraiment évolué et que ces pratiques ont toujours lieu dans certains clubs. Pourriez-vous nous expliquer le contexte de cette réunion ? Est-il courant que le sélectionneur national s’implique dans les questions de formation des jeunes ? Il m’avait semblé qu’elles ne faisaient pas partie de ses attributions.

M. Laurent Blanc. Non, pas du tout. Cela ne me fait pas plaisir d’éclaircir cette affaire, mais le fait de n’en reparler que douze ans après me désole. J’ai l’impression qu’il y a eu cette réunion, que des amalgames ont été faits, que certains mots ont été dits et qu’on n’a pas voulu en reparler. Nous l’évoquons douze ans après, mais pendant tout ce temps, il ne s’est pas passé grand-chose. Participer aux réunions de la DTN ne faisait pas partie de mes attributions. On m’avait invité à cette réunion, car je pense que des gens avaient déjà de mauvaises intentions. J’avais répondu présent, car j’estimais que les échanges avec les entraîneurs nationaux pouvaient être intéressants. Je pensais que nous allions vraiment parler de football et de développement. Il s’avère que la réunion a duré une heure et demie et pendant quatre-vingt-cinq minutes, nous avons parlé de sélection.

MM. Smerecki et Mombaerts, lors de la dernière question, ont dit qu’ils avaient effectué quelques recherches et qu’ils étaient assez contents, car ils arrivaient à sortir un pourcentage très élevé d’internationaux sur l’ensemble des joueurs qui provenaient de la DTN. Nous avons poussé plus loin l’analyse en disant qu’il y avait un pourcentage très élevé d’internationaux étrangers. J’étais intervenu pour parler des binationaux. La question est d’ailleurs encore à l’ordre du jour aujourd’hui. Nous en avons débattu et la personne en question a mis son dictaphone en marche pour nous enregistrer. Cette réunion est ainsi devenue le sujet d’information principal pendant quinze jours.

En ce qui me concerne, je suis resté deux ans sélectionneur et j’ai répondu une fois présent à une réunion de la DTN et celle-ci a été très mal vécue sur une question finale. Cette affaire a donné lieu à des accusations et des amalgames et la situation a été assez insupportable après cette réunion. Depuis 2011 et quand je regarde la situation, je me dis que rien n’a été fait. En termes d’actions et de discussions à la suite de cette réunion, qui malheureusement est restée très célèbre, rien n’a été fait au niveau sportif ou politique. Le sujet est toujours présent et aucune réponse n’est apportée. J’ai mon opinion en tant que citoyen, mais je pense qu’il n’y a que la volonté politique qui permettra de trouver des solutions à ces problèmes.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Selon moi, il ne s’agit pas d’une question d’interprétation. Quand on entend parler de joueurs « blacks », on se situe bien au-delà de la question de la binationalité, c’est-à-dire sur des critères de couleur de peau. La commission d’enquête travaille là-dessus et je suis triste d’entendre que rien n’a changé depuis ce moment. L’affaire Galtier, qui est survenue il y a un an, était à peu près similaire : on voit bien que les choses n’ont pas forcément changé. On parle ici d’une réunion évoquant une limitation du nombre de joueurs d’apparence ou d’origine noire ou arabe. J’aimerais savoir si vous comprenez l’émoi suscité par cette affaire, car on ne peut guère avoir de doute sur l’interprétation qu’il faut donner à de tels propos.

M. Laurent Blanc. Je suis d’accord avec vous, mais le sujet qui m’avait intéressé initialement était celui des binationaux. La question des quotas de joueurs avait été développée par la DTN parce qu’elle avait mené des enquêtes au niveau de la formation, notamment dans la ligue de Paris, et était parvenue à certaines conclusions. Le sélectionneur que j’étais à l’époque était intervenu sur les binationaux et le sujet est d’ailleurs encore très présent aujourd’hui. Je suis entraîneur, je suis dans la rue, dans les vestiaires et je peux vous dire qu’il y a des mots qui y fusent. Parmi ceux-ci, qui proviennent des joueurs eux-mêmes, vous retrouveriez les termes que vous venez d’employer, car on les entend à longueur de journée.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Je pense qu’on rejoint votre constat sur le fait que cette réunion a eu lieu il y a plus de dix ans et qu’on a la sensation que rien n’a été fait. On peut certes entendre des mots dans des vestiaires, mais nous parlons d’une réunion de la FFF qui réunissait ses principaux représentants ou dirigeants, ce pour quoi elle avait créé de l’émoi. Je ne vais pas rejouer le match de cette réunion, même s’il est regrettable que cette affaire n’ait pas été suivie de conséquences. Au cours de cette réunion, Éric Mombaert a dit que les quotas existaient déjà dans les clubs. Nous avons donc un exemple de la manière dont une politique discriminatoire insidieuse peut être mise en place officiellement ou officieusement. Je voulais savoir si, en tant qu’entraîneur, vous aviez eu connaissance ou été témoin de discriminations qui se mettaient en place de manière insidieuse dans le milieu professionnel de très haut niveau.

M. Laurent Blanc. Sincèrement, non. L’arrêt Bosman a révolutionné le football en termes financiers et, aujourd’hui, les règles sont très claires : vous avez le droit d’avoir autant d’Européens que vous voulez, mais uniquement cinq extracommunautaires. Comment appelez-vous cela ?

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lorsqu’on parle d’extracommunautaires, on ne parle pas de Français alors que les binationaux sont quant à eux Français. Ce n’est donc pas tout à fait la même chose. Quand la FFF décide d’instaurer ce quota, il concerne bien une discrimination vis-à-vis de Français, qui sont binationaux ou non. Selon vous, la question de la fuite des binationaux s’est-elle aggravée depuis ce moment ?

M. Laurent Blanc. Ce n’est pas à moi de le dire. Un membre de la DTN serait beaucoup plus précis sur le sujet. Nous savons que celui-ci existe et, à un moment donné, il y a des choix à faire, que ce soit pour sa nationalité ou sa nationalité sportive. Il faudrait aider les jeunes, qui ont souvent 18, 19 ou 20 ans, à opérer un choix. Ceux-ci sont en effet souvent soumis à des pressions pour choisir leur nationalité sportive. Je trouve que nous devrions donc plutôt les aider à faire un choix, qui serait leur propre choix. Nous ferions évoluer les choses. Actuellement, nous sommes dans la même configuration qu’il y a quinze, vingt ou vingt-cinq ans et rien n’a changé selon moi.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quand j’ai dit que les fédérations étaient informées de certains faits de violence, vous avez demandé ce qu’avait fait l’instance supérieure, car il est vrai que les fédérations fonctionnent avec une délégation de service public et des subventions publiques. J’aimerais que vous précisiez de qui vous parlez exactement. Est-ce du ministère des sports, du monde politique, etc. ?

M. Laurent Blanc. Vous venez de dire qu’une fédération est d’utilité publique et surveillée ou chaperonnée – je ne sais pas si c’est le bon terme – par le ministère des sports puisqu’elle bénéficie d’une délégation de service public. Vous me demandez en outre comment faire pour améliorer les choses. En tant que simple citoyen, je n’ai pas la réponse. J’ai quelques idées, comme tous les citoyens, mais pour essayer de trouver des réponses, il faudrait être conscient du problème et vouloir améliorer la situation.

M. Stéphane Buchou (RE). Vous faites le constat, comme d’autres que depuis 2010 rien n’a changé. Lors de la réunion que nous évoquons, la question des binationaux a été abordée, de même que celles des quotas sur des critères physiques liés à la couleur de peau, à la race.

M. Laurent Blanc. Je précise que c’était une enquête que la DTN avait réalisée. Avait-elle été missionnée pour le faire ? Je n’en sais rien.

M. Stéphane Buchou (RE). Ce n’est pas le sens de ma question. Des propos ont donc été tenus et, par la suite, documentés. Je voudrais savoir si, en tant que sélectionneur et en tant que citoyen, les propos tenus à l’époque vous ont choqués.

De plus, nous faisons tous le constat que rien n’a changé depuis douze ans. Ne pensez-vous pas justement qu’une des raisons pour lesquelles rien ne change est le fait que, à la suite de ces propos choquants, l’affaire a été plus ou moins étouffée ? N’y a-t-il pas une forme d’institutionnalisation de propos que l’on peut qualifier de racistes ?

Vous disiez que vous n’aviez que peu de solutions à proposer pour que les choses évoluent. Avez-vous pu constater des dysfonctionnements au sein de la fédération qui font que ce genre d’affaires n’entraîne aucune conséquence ? Douze ans après, nous reparlons de cette fameuse réunion de 2010, mais nous avons le sentiment que ce n’était pas si grave, que cela pourrait se produire aujourd’hui et que personne n’en a tiré les conséquences. Nous sommes au sein d’une commission d’enquête et je ne fais de procès à personne, mais son but est tout de même de mettre fin à des faits de violence sur les enfants ainsi qu’à des propos discriminants et, souvent, racistes. Si chacun dit que ces faits ont lieu et qu’il n’est possible de rien faire, la situation est totalement désespérante. Le politique peut beaucoup, mais le politique ne peut pas seul. Nous avons besoin de gens qui ont vécu des choses, notamment avec votre carrière et votre notoriété, pour évoquer les solutions possibles. Par ailleurs, je ne pense pas que les propos tenus dans un vestiaire et des propos tenus lors d’une réunion de la FFF avec les plus hautes instances soient à mettre sur un même plan.

M. Laurent Blanc. Votre discours est tout à fait positif et acceptable, mais vous dites que, sans les hommes de terrain, on n’y arrivera pas. Je dis quant à moi que, sans l’autorité que vous pouvez représenter, on n’y arrivera pas. Les deux parties ont des choses à améliorer, mais permettez-moi de penser qu’en termes de capacité ou d’efficacité, le ministère ou les pouvoirs publics ont le droit et le devoir de vérifier certaines choses dans le fonctionnement d’une fédération, la manière de présider de son président etc. Vous avez un pouvoir que les personnes de terrain n’ont pas.

Vous me demandez pourquoi il ne s’est rien passé pendant douze ans, mais c’est la première fois en douze ans que je suis appelé à parler devant une commission – et je le fais avec grand plaisir. J’ai seulement été convoqué deux fois par le ministère pour des entretiens privés. Les hommes de terrain n’en font certainement pas assez, mais je pense que les personnes qui ont la capacité de faire changer les choses n’en font pas suffisamment non plus.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je suis questionnée par le fait que les propos qui ont été tenus lors de cette réunion n’ont pas choqué les personnes qui étaient autour de la table. Il a en effet fallu que ceux-ci sortent dans un média, qu’ils choquent l’opinion publique et qu’une enquête soit mise en place, laquelle n’a donné lieu à aucune sanction. Ne pensez-vous pas que l’absence de sanction favorise le fait que rien ne change depuis douze ans ? Selon vous, la fédération elle-même n’aurait-elle pas pu prononcer des sanctions envers les personnes qui ont tenu ces propos légalement répréhensibles ?

M. Laurent Blanc. Vous oubliez de dire que cette réunion a été rendue publique parce qu’une personne a placé un dictaphone sous un livre. Lors des réunions privées de tous les secteurs d’activité industriels ou sportifs, je pense qu’il doit se tenir des propos qui nous choqueraient vous et moi. Les échanges ont donc été rendus publics par un geste qui n’est pas à encourager selon moi. Après que le problème a été connu de tous, la FFF, voire le ministère, aurait dû prendre une décision et essayer d’améliorer les choses.

M. Stéphane Buchou (RE). J’entends qu’il faille que l’autorité publique intervienne. Qu’est-ce que l’autorité aurait dû faire à l’issue de cette réunion pour que les choses puissent changer ? Nous avons en effet besoin d’avancer et, au sein du rapport qui sera remis à la fin de l’année, de formuler des propositions très concrètes pour ne plus entendre que beaucoup de réunions donnent lieu à des échanges qui choqueraient tout le monde. Nous avons besoin d’outils efficaces.

M. Laurent Blanc. C’est vous qui les avez. Qui représente l’autorité dans le fonctionnement de la FFF ?

M. Stéphane Buchou (RE). Je pense que, dans un premier temps, le président de la FFF, constatant un certain nombre de dérives au sein de sa propre fédération, devrait prendre des mesures a minima correctives.

M. Laurent Blanc. Je suis entièrement d’accord avec vous. Il existe des dysfonctionnements et tout n’est pas parfait.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Vous avez récemment déclaré que le football prenait une direction qui ne vous plaisait pas, avec notamment beaucoup de spéculation. Je pense que la puissance publique peut aussi avoir son mot à dire à ce sujet. Vous dites – et je le partage totalement – qu’on valorise des joueurs, non par rapport à ce qu’ils font sur le terrain, mais en fonction de ce qu’ils génèrent comme valeur financière. On les achète, par exemple, 10 millions d’euros pour les revendre environ trois à quatre fois plus cher. Nous avons vu que les modèles économiques de certains clubs étaient uniquement basés sur ce principe. Ce modèle pousse au maximum la logique du joueur de football comme produit financier avant de le considérer comme un athlète et comme un humain comme un autre.

Comment avez-vous perçu cette évolution dans le football ? Quand vous jouiez, vous êtes parti en Italie pour aller jouer à Naples, avant de revenir à l’Inter Milan, et ces premiers effets du « foot business », avec Bernard Tapie ou Silvio Berlusconi, se faisaient alors déjà ressentir. Toutefois, la logique consistait plutôt à obtenir les meilleurs joueurs en y mettant le prix nécessaire pour gagner les compétitions. La logique est désormais purement une logique de spéculation sur la revente des joueurs avec également la question de la multipropriété des clubs. Comment avez-vous vu ce tournant s’opérer ? A-t-il été progressif ? A-t-il existé un moment marquant ? Y a-t-il eu des réflexions au sein de la fédération sur la manière dont elle peut mettre le holà ?

M. Laurent Blanc. J’ai vu et vécu l’évolution du football, car j’ai commencé à y jouer dans les années 1980, lorsqu’il n’y avait pas ou peu d’argent. Le marketing et la télévision ont fait en sorte que l’argent devienne très important dans le milieu du sport, et notamment du football. Je disais très récemment que la direction que prenait le football ne me plaisait pas, car nous nous dirigeons vers le « football business ». Nous y sommes totalement aujourd’hui. Je dois dire que les Français sont encore plus forts que les autres. Étant donné que nous avons une très bonne formation française, nous formons les jeunes, ce pour quoi ils ne nous coûtent presque rien, et nous les revendons de 30 à 80 millions d’euros. Beaucoup de personnes sont intéressées par le trading et la valeur de certains joueurs a décuplé d’une année à l’autre.

Évidemment, l’argent a attiré beaucoup de personnes intéressées et je pense que la fédération n’a aucun pouvoir sur le sujet. Elle subit, selon moi, cette situation. Elle peut avoir son avis, mais elle n’a pas de pouvoir d’intervention ou de capacité à changer de direction. De plus, certains pays et certaines régions s’intéressent de plus en plus au football parce que ce sport est universel. Dès lors, l’argent est roi et les joueurs de football en profitent. La FFF n’y peut rien. La Fédération internationale de football (FIFA) peut essayer, grâce à son grand pouvoir, de tempérer ce phénomène, mais il est très difficile de freiner le pouvoir financier. Mais actuellement je pense que personne ne freine personne…

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je suis très surprise de vous entendre dire que les fédérations n’ont pas de pouvoir, car nous menons des auditions depuis plusieurs semaines et nous entendons l’exact inverse, c’est-à-dire qu’elles sont toutes puissantes et qu’elles font la pluie et le beau temps sur plein de sujets. Si les conseils d’administration de fédérations ne peuvent rien faire, à qui revient-il de changer les personnels de direction dans les postes ? Dans tous les témoignages que nous avons reçus, la FFF est apparue comme l’une des fédérations les plus puissantes de notre pays.

M. Laurent Blanc. Elle gère le football français, mais pas le football mondial.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Mais nous parlons du football français.

M. Laurent Blanc. Le football mondial est en train de prendre une direction et, si la FFF n’est pas d’accord avec celle-ci, il lui sera très difficile, voire impossible, de changer quoi que ce soit.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Plusieurs affaires ont eu lieu et la FFF en a été informée. On a cependant laissé des entraîneurs changer de clubs malgré leurs agissements auprès de jeunes mineurs – je parle notamment de violences sexuelles. Que pensez-vous, en tant qu’ancien joueur, sélectionneur et coach, des mécanismes pour protéger les jeunes à Clairefontaine et dans les clubs ? Ce sujet revenait-il régulièrement au sein des fédérations ? Les témoignages disent que de nombreux adultes étaient au courant de ces violences, mais n’ont rien dit. En aviez-vous entendu parler ?

M. Laurent Blanc. Honnêtement, ce sujet n’est jamais venu dans une conversation pendant les deux années au cours desquelles j’ai été sélectionneur. Nous ne l’avons donc jamais évoqué et ce sujet était certainement tabou. Pendant les deux ans que j’ai passés à la DTN, comme sélectionneur national, je n’ai jamais entendu parler de quoi que ce soit qui pouvait laisser penser que de telles choses se passaient. Je ne peux pas vous répondre sur ce problème. Le fonctionnement d’une fédération, peu importe la discipline, induit l’encadrement de jeunes sportifs par des adultes – qu’il s’agisse d’hommes ou de femmes. Il faut donc mettre en place des avertisseurs, car les entraînements se dérouleront toujours entre des jeunes et un éducateur ou un entraîneur. Certaines choses se sont produites et on aimerait les éliminer. Dès lors, le mode de fonctionnement des fédérations devrait peut-être se modifier, car celui qui est en place depuis des dizaines d’années trouve ses limites.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous avez réalisé une partie de votre carrière à l’étranger. Avez-vous connaissance de bonnes pratiques à partager dont nous pourrions nous inspirer en France ?

M. Laurent Blanc. On peut toujours regarder comment les autres fonctionnent, mais j’ai joué en Italie, en Espagne et en Angleterre et ces pays rencontrent également ce type de problèmes. Plus précisément, j’ai joué dans le sud de l’Italie et nous étions confrontés au racisme. Le football anglais a quant à lui été victime de hooliganisme et les Anglais sont parvenus à réduire ce phénomène, même s’il y a toujours quelques petits problèmes. S’il faut faire évoluer le mode de gouvernance ou les responsabilités, il est d’abord nécessaire de prendre la mesure du problème. On sait ce qu’il se passe et on ne peut pas changer radicalement le mode de fonctionnement, car un athlète aura toujours besoin d’un entraîneur et de conseils. Il faut d’abord être attentif et je crois que les gens commencent à parler, ce qui est une bonne chose. Il faudrait échanger avec beaucoup de personnes pour trouver des solutions et régler ce problème ou, du moins, le corriger.

M. Stéphane Buchou (RE). J’entends malheureusement dans vos propos une forme de fatalisme.

M. Laurent Blanc. Je trouve qu’il y a eu des améliorations, notamment en termes d’éducation et de comportement du public dans un stade, même si ce dernier n’est pas encore irréprochable. Je ne sais pas si vous aimez le sport, mais on entendait beaucoup plus de choses dans les stades dix, vingt ou trente ans auparavant.

M. Stéphane Buchou (RE). Non seulement j’adore le sport, mais également le football, et je suis particulièrement honoré d’échanger avec vous aujourd’hui. Laurent Blanc m’a fait rêver comme tous les joueurs de l’équipe de France en 1998. Il n’en demeure pas moins que nous parlons de sujets sérieux et je crois vraiment que les fédérations ont un véritable rôle à jouer, et en particulier la FFF. Si demain Laurent Blanc était élu à la présidence de la FFF, que ferait-il très concrètement ?

M. Laurent Blanc. Il ne peut pas être élu. C’est aussi ça le problème !

M. Stéphane Buchou (RE). Faisons un peu de science-fiction et imaginons-le. Que feriez-vous pour diminuer drastiquement les violences faites aux enfants et les propos discriminatoires ? Peut-être s’agit-il d’avoir de meilleures relations avec le ministère de tutelle ?

M. Laurent Blanc. Forcément, mais il m’est impossible d’être élu à la présidence de la FFF, car le système électoral ne permet pas à une personne qui a de bonnes intentions d’être élue. Il y a des choses à dire sur le mode d’élection à cette présidence.

M. Stéphane Buchou (RE). Mais que feriez-vous, avec votre expérience, votre carrière et votre notoriété pour faire changer les choses ?

J’ai en outre un désaccord avec vous sur le constat d’une situation qui s’améliore. Vous dites qu’on entendait auparavant des cris et des propos dans les tribunes et que ceux-ci proviennent maintenant des arbitres et des joueurs. Je fréquente régulièrement un stade et je trouve assez inquiétant qu’on n’ait pas suffisamment su faire œuvre de pédagogie pour que les arbitres et les joueurs ne tiennent pas ce type de propos.

M. Laurent Blanc. Lorsque ces agissements concernent des arbitres et des joueurs, nous en avons connaissance. Toutefois, un stade de football ne comporte pas qu’un terrain et le public est difficile à éduquer sur cette question. Il me semble toutefois qu’une amélioration a marqué le comportement du public au cours de ces trente dernières années.

M. Stéphane Buchou (RE). L’amélioration tient donc à une capacité renforcée à identifier ces agissements et à les sanctionner.

M. Laurent Blanc. Lorsqu’un joueur ou un arbitre tient des propos racistes, on le sait systématiquement maintenant. Il faut d’ailleurs arrêter immédiatement le match dans un tel cas, qu’il s’agisse d’un arbitre, d’un joueur ou du public.

Quand vous me demandez de m’imaginer président de la fédération, je vous réponds que c’est impossible, car le système électoral est très particulier. Il doit cependant être très difficile d’être président d’une fédération sportive, car il porte de très lourdes responsabilités. Toutefois, il me semble que, dans beaucoup de fédérations, le président est omnipotent. Que devrais-je faire en tant que président de la FFF ? Je n’ose l’imaginer, car c’est impossible et c’est une grande responsabilité.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Vous soulevez un problème important : les critiques sont très nombreuses sur la gouvernance et le mode de désignation des dirigeants de la FFF. Auriez-vous des suggestions pour définir un mode de désignation plus valorisant, notamment pour les clubs amateurs, ce qui permettrait d’éviter les systèmes sclérosés que vous décrivez ?

M. Laurent Blanc. À nouveau, on peut toujours discuter et avoir des avis qui divergent. Je trouve que le poste de président de la fédération est très complexe, car il doit concilier les exigences du football amateur, sous la tutelle du ministère, du football professionnel, de l’équipe de France.

En termes de gouvernance, les mandats en politique ou ailleurs sont généralement limités. Cependant, je pense que les mandats des présidents de fédération ne sont pas limités. Un président peut donc enchaîner les mandats et occuper son poste pendant vingt ou trente ans, ce qui le rend omnipotent. Est-ce le meilleur système ? Je ne sais pas, mais il faut en discuter en étant conscient de ces problèmes et introduire des mécanismes d’alerte et d’avertissement dans l’éducation des jeunes.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je regrette d’avoir, à travers vos réponses, le sentiment que nous sommes passés à côté du vrai sujet : sous couvert de la question des binationaux, on a tenté d’écarter de jeunes Français du fait de leur origine supposée ou réelle. Ce ne sont pas des propos de vestiaires, mais ceux de responsables sportifs de la plus grande fédération.

M. Laurent Blanc. Vous soulevez le problème des binationaux et il faut l’attaquer.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Les binationaux sont Français. Lors de l’audition des journalistes de Mediapart ce matin, ceux-ci nous ont indiqué que, si cette sélection et ces quotas avaient été mis en place, Kylian Mbappé ne jouerait peut-être pas dans l’équipe de France aujourd’hui. Ce n’est donc pas anodin.

Par ailleurs, quand j’entends dire que personne n’aurait su ce qui avait été dit lors de cette réunion si personne ne l’avait enregistrée, ou pire encore, quand je constate que la seule personne qui a été sanctionnée a été celle qui a dénoncé les faits, effectivement en enregistrant, je me pose la question de la responsabilité collective. La publication de l’enregistrement a choqué, mais on se dit que d’autres réunions ont dû accueillir d’autres propos racistes ou discriminatoires. Cependant, nous ne l’avons jamais su et il n’y a pas eu de sanctions. Il ne fallait pas attendre que ces propos soient rendus publics pour les condamner : tout propos raciste ou discriminant se doit d’être condamné.

M. Laurent Blanc. Je suis d’accord avec vous.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Monsieur Blanc, pensez-vous nous avoir tout dit au cours de cette audition ?

M. Laurent Blanc. Je vous ai tout dit par rapport aux questions qui ont été posées. J’aurais aimé avoir un peu plus d’échanges sur les problèmes qui existent encore aujourd’hui et que cette fameuse réunion avait soulevés il y a dix ans. Mme la rapporteure vient de me parler des binationaux. Je ne suis pas obsédé par ce sujet mais nous devons régler cette question de choix, car il y aura toujours des binationaux. À mon époque, le choix de la nationalité sportive devait être opéré à 21 ans et la situation n’a pas changé.

Dix ans après cette réunion, en dehors votre invitation à venir échanger aujourd’hui, personne n’a souhaité discuter avec moi de ce sujet. Pendant dix ans, on a mis ces dossiers à l’écart et ce n’est pas le meilleur moyen de faire évoluer les choses.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous avez les questions entre les mains et vous pouvez compléter vos propos, comme vous pouvez formuler vos propositions et vos réflexions par écrit. Nous comptons sur vous pour compléter ces informations si vous avez oublié certains éléments.

M. Laurent Blanc. Une question portait sur le football féminin, ce qui est également intéressant.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous n’avons pas voulu omettre la question, mais une autre audition débute à dix-sept heures.

M. Laurent Blanc. Ce fut très intéressant et je vous remercie de m’avoir convoqué.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous vous remercions, monsieur Laurent Blanc, et n’hésitez pas à revenir vers nous.

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*     *

15.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Caroline Pascal, cheffe de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR), et de M. Patrick Lavaure, inspecteur général et responsable du collège « jeunesse, sports et vie associative » (JSVA) (13 septembre 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Mes chers collègues, nous accueillons aujourd’hui Mme Caroline Pascal, cheffe de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR), et M. Patrick Lavaure, inspecteur général et responsable du collège « jeunesse, sports et vie associative ».

Je vous souhaite la bienvenue à l’Assemblée nationale et vous remercie vivement de votre disponibilité pour répondre à nos questions.

Nous avons entamé les travaux de notre commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet 2023.

L’Assemblée nationale a choisi de créer cette commission d’enquête à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs et de divers scandales judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations, dont les médias se sont fait l’écho, comme Mediapart.

Nos travaux se déclinent donc autour de trois axes :

-            L’identification des violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ;

-            L’identification des discriminations sexuelles et raciales dans le sport ;

-            L’identification des problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

Nous avons entendu de nombreuses victimes la semaine dernière, sportifs de très haut niveau ou non, hommes ou femmes, intervenant dans des disciplines différentes comme le tennis, les sports de glace, le judo, la gymnastique, le basket, l’athlétisme, etc. Ils nous ont tous décrit leur calvaire et les violences qu’ils ont subies, principalement lorsqu’ils étaient mineurs, essentiellement du fait de leur entraîneur ou de la part d’autres sportifs manipulés par leur entraîneur.

Ils ont également insisté sur l’omerta généralisée qui règne dans chaque discipline où « tout le monde sait mais personne ne dit rien… ». Bien souvent, les parents ne sont pas au courant et font largement confiance au club et à l’entraîneur, alors que leur enfant est incapable de s’exprimer en raison de la honte ou de la peur qui les accompagnent.

Au-delà de ces formes de violences qui semblent particulièrement répandues, s’ajoutent des actes de discriminations fondés sur le sexe ou sur la race, qui contribuent également au mal-être des joueurs et conduit à des dérives.

Enfin, nous avons auditionné des journalistes d’investigation qui ont dénoncé plusieurs scandales financiers dans le milieu du sport, en particulier dans le football et le rugby.

Tous ces faits, la plupart illégaux, vous sont connus en tant qu’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche. Vous nous avez transmis une vingtaine de rapports qui présentent de nombreuses défaillances graves dans le milieu sportif et qui formulent d’importantes recommandations.

Les principales questions que je souhaite vous poser sont les suivantes :

- Pourquoi, avec tous les signalements recueillis depuis 2020 et vos enquêtes approfondies, les mesures ne sont pas encore prises pour éradiquer ces pratiques illégales, protéger les jeunes sportifs et sportives, contrôler efficacement les fédérations et les clubs et sanctionner les auteurs de violences en tous genres ou les malfaiteurs ?

- Que vous manque-t-il pour être entendu ? Que faut-il faire pour changer profondément les choses ?

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.

Avant de vous laisser la parole et d’entamer nos échanges pendant environ une heure et demie, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Je vous invite donc à lever la main droite et à dire, chacun à votre tour, « Je le jure », après avoir activé votre micro.

Mme Caroline Pascal et M. Patrick Lavaure prêtent serment.

Mme Caroline Pascal, cheffe de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR). Merci Madame la présidente. Je note que vous avez pris connaissance de l’ensemble des rapports qui vous ont été envoyés. Ils ont été à l’origine de dix signalements de l’Inspection générale depuis 2020 en application de l’article 40 du code de procédure pénale.

L’IGESR a été créée en 2019 avec la fusion de quatre inspections générales, deux portant sur l’enseignement scolaire et l’enseignement universitaire, une qui avait pour vocation de contrôler les bibliothèques et enfin l’inspection générale de la jeunesse et des sports (IGJS), qui contrôlait les fédérations sportives. Ces compétences ont été réaffirmées en 2021.

Nous menons deux types d’enquêtes sur les fédérations : d’une part des missions de contrôle, qui sont des missions de conformité, où nous regardons le fonctionnement général, structurel de chacune des fédérations, dans une situation qui n’est pas dysfonctionnelle, d’autre part des missions liées à un dysfonctionnement. Lors d’une mission de contrôle, il arrive que nous découvrions un certain nombre de dysfonctionnements. Nous passons dans un autre mode d’enquête, qui vient confirmer ou infirmer des faits précis de dysfonctionnement, qui peuvent être d’ordre différent, notamment ceux que vous avez mentionnés, comme des violences sexuelles et sexistes, que nous appelons VSS, des dysfonctionnements financiers ou tout autre type de dysfonctionnement.

Dans le cadre de nos missions de contrôle, nous nous étions fixé comme objectif en 2014 d’avoir vu l’ensemble des fédérations sportives avant 2024. Nous l’atteindrons juste avant l’ouverture des Jeux olympiques et paralympiques. Parallèlement, la part d’enquêtes administratives a considérablement augmenté, notamment sous l’impulsion des ministres, Madame Roxana Maracineanu puis Madame Amélie Oudéa-Castéra, qui nous ont saisis de manière beaucoup plus fréquente que nous ne l’étions auparavant, notamment depuis 2020, sur des cas de dysfonctionnement, signalés soit par des remontées directes, soit par une interpellation des médias.

L’inspection générale intervient dans un dans un écosystème qui dispose de ses autorités de régulation ou de contrôle, notamment la Cour des comptes, qui contrôle les fédérations et avec laquelle nous sommes en lien étroit, pour éviter de superposer des contrôles et pour partager les informations. Nous travaillons également avec l’Agence française anticorruption, qui suit son propre programme de contrôle de la probité économique et financière des fédérations, et avec laquelle la collaboration reste à approfondir. Vous nous interrogez, Madame la présidente, sur l’efficacité de nos contrôles et de nos enquêtes. Plus la collaboration avec les autres autorités est étroite, plus nos contrôles sont efficaces.

Depuis 2020, l’Inspection générale porte un regard particulier sur les questions de gouvernance, de violences sexuelles et sexistes et enfin sur les dysfonctionnements financiers. Ces trois axes correspondent à ceux de votre commission d’enquête. Ils sont rapidement apparus comme regroupant les dysfonctionnements majeurs, avec un impact humain et social important. Par ailleurs, ce sont aussi les axes politiques sur lesquels les ministres nous ont saisis et pour lesquels une politique publique de zéro tolérance a été mise en place.

Sur les aspects de gouvernance, nous avons soulevé, comme vous le retrouverez dans un certain nombre de nos rapports, la question de la démocratie au sein des fédérations. La répartition des sièges à la suite des élections, pour laquelle il existe plusieurs modèles et sur laquelle la loi de 2022 est revenue, a montré des failles, notamment une concentration des pouvoirs pour la liste gagnante, qui ne nous paraît pas de bon augure pour permettre l’expression démocratique d’une opposition, ou même simplement, au sein des instances, d’une discussion permettant d’éviter des dérives. En absence de l’expression d’une opposition forte, ces dérives sont en effet plus faciles.

Nous sommes néanmoins tout à fait conscients qu’il est nécessaire qu’une équipe puisse mener une politique et donc qu’il y ait une prime au gagnant. Dans les modèles qu’elle propose, l’Inspection générale prévoit une répartition proportionnelle assez classique, comme il en existe dans les collectivités territoriales, avec une équipe majoritaire qui porte un projet tout en préservant la capacité pour l’opposition de se faire entendre.

Plusieurs rapports ont mis en lumière ce problème à l’occasion de l’apparition de dysfonctionnements. En 2022, le rapport sur la fédération française de football qui a fait du bruit évoquait aussi cette question de la place de l’opposition dans la gouvernance de la structure.

Sur les VSS, je laisserai Patrick Lavaure s’exprimer sur les contrôles réalisés avant 2019 par l’IGJS, puisque je n’ai pris la tête de l’IGESR qu’au moment de sa création.

La question de la discrimination raciale n’a pas fait l’objet de travaux récents et l’IGESR n’a pas reçu d’alerte significative récente.

En revanche, les violences et sexistes ont été au cœur d’un certain nombre d’enquêtes sur les fédérations. Ces enquêtes ont mis en lumière des pratiques sur de jeunes sportifs qui ne sont évidemment pas tolérables et dont certaines sont passibles de poursuites pénales. C’est dans ce cadre que nous avons fait un certain nombre de signalements au procureur, pour lesquels des enquêtes ont été menées et des sanctions prononcées. Des suites ont donc été données à nos rapports.

Par ailleurs, nos rapports ont proposé des éléments plus structurants, vis-à-vis de la direction des sports comme des fédérations et de leur comité d’éthique, de manière que ces questions, remontent jusqu’à la présidence des fédérations et à l’autorité ministérielle et ainsi éviter toute forme d’omerta, comme vous l’avez évoqué.

La direction des sports a également mis en place la Cellule Signal-sports. C’est un outil qui n’est sans doute pas encore suffisamment performant mais qui a permis de faire remonter un certain nombre de signalements, qui jusque-là ne remontaient pas, qui ont été pris en compte et sur lesquels l’Inspection générale a enquêté. Parallèlement, les services départementaux ou les directions régionales peuvent aussi être amenés à conduire des enquêtes sur la base des signalements qui parviennent à la direction des sports.

Nous devons encore collectivement travailler, notamment à cause du déficit de formation d’un certain nombre de dirigeants de fédérations et de clubs, sur la clarification des périmètres des enquêtes judiciaires et des enquêtes administratives. Pendant longtemps, on considérait que si une enquête judiciaire était en cours, l’autorité administrative n’avait aucune raison de mener sa propre enquête. Aujourd’hui, il devient de plus en plus clair pour toutes les parties prenantes que les enquêtes judiciaires ont pour rôle de qualifier les faits et éventuellement d’engager des poursuites pénales, alors que les enquêtes administratives permettent de mettre en évidence des manquements déontologiques, de retirer des licences, etc. Les deux enquêtes peuvent donc être menées en parallèle.

Enfin, les dysfonctionnements financiers, notamment en matière d’appels d’offres, de marchés publics, etc. sont assez récurrents. Ils ont donné lieu à des rapports importants sur des fédérations ou sur des groupements d’intérêt public dont le parquet national financier (PNF) s’est saisi et ont donc débouché sur des enquêtes. Ces enquêtes n’ont pas encore abouti, sauf pour la fédération française de rugby, pour laquelle des condamnations ont été prononcées. Les signalements sont donc suivis d’effets ! Cependant, il n’est pas toujours très clair pour les fédérations de savoir si elles sont soumises à la nécessité de passer par une procédure d’appel d’offres. Compte tenu de leur statut, elles n’ont pas de pouvoirs adjudicateurs et il est un peu complexe de distinguer entre ce qui relève de leur délégation de service public et ce qui relève d’éléments plus commerciaux. Patrick Lavaure pourra revenir sur ce point car il a participé à des missions au cours desquelles cette problématique a été relevée.

Les rapports de l’Inspection générale ont permis de faire avancer un certain nombre de sujets. La loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport prévoit déjà un certain nombre de mesures destinées à améliorer la démocratie au sein des fédérations. Nous sommes très attentifs à la façon dont les fédérations se sont emparées de ces dispositions. Certaines n’ont pas encore tiré les conséquences de cette loi mais le mouvement est en marche pour améliorer la représentation des oppositions au sein des fédérations. L’organisation territoriale de certaines fédérations manque encore aussi de maturité. Elle est en train de se mettre en place, comme les obligations en matière de parité entre les femmes et les hommes qui figurent dans la loi mais ne sont pas encore parfaitement appliquées.

Par ailleurs, la responsabilité et le pouvoir du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) en matière d’éthique ont été renforcés. Il doit jouer un vrai rôle d’impulsion qui doit encore être renforcé.

Sur les VSS, la création de la Cellule Signal-sports a contribué à renforcer la formation et le signalement autour des services académiques jeunesse et sports. Ils sont beaucoup plus réactifs au moment des signalements. La question des règlements disciplinaires de fédération est une question également ouverte. Il est sans doute nécessaire de renforcer l’automaticité des mesures de suspension dès lors qu’il y a signalement sur un licencié, dirigeant ou non. Enfin, la question de l’honorabilité des encadrants a été confortée et renforcée au cours des dernières années et il y a dans ce domaine une dynamique tout à fait positive.

L’Inspection générale a régulièrement souligné l’ambiguïté qui peut exister entre le rôle du directeur technique national (DTN), qui est un agent de l’État, et le directeur général des services (DGS) ou directeur général (DG) des fédérations. Ces deux fonctions sont parfois occupées par la même personne mais nous considérons que ce n’est pas souhaitable. Il est en effet important que le DTN conserve un regard, qui est celui de l’État, avec une fonction interne presque de contrôle, alors que le DGS ou le DG sont plus impliqués dans la politique menée par la fédération.

Certaines de nos propositions vont plus loin que celles qui sont mises en œuvre aujourd’hui, notamment dans le cas de situations fortement dysfonctionnelles. Nous préconisons un certain nombre de mesures qui permettraient au ministre ou à la ministre de prendre des dispositions que la législation actuelle ne permet pas d’envisager. Ils ne peuvent que retirer l’agrément ou la délégation, qui sont des mesures fortes, très déstabilisantes pour une fédération, et ne disposent pas de mesures graduées, moins lourdes de conséquences, qui permettraient néanmoins de mettre un point d’arrêt à certains dysfonctionnements.

En termes de transparence financière, la mise en place d’un cadre juridique permettant de définir les conditions d’application des règles de transparence et de publicité pour les fédérations sportives nous semble pertinente, de manière à distinguer leurs activités commerciales de leur délégation de service public. Nous pourrions envisager des règles différentes selon la nature de l’activité, qui serait ainsi soumise ou pas à la commande publique.

Nous réfléchissons aussi à la possibilité d’inscrire dans les statuts fédéraux la possibilité de mise en retrait d’un dirigeant en cas d’appel à la suite d’une condamnation pénale. Vous saisissez sans doute le cas auquel je fais allusion. Cette mise en retrait qui, aujourd’hui, ne peut être que demandée par la ministre puisqu’elle ne figure pas dans les statuts fédéraux, pourrait constituer une solution intéressante dans certains cas de condamnation pénale et d’appel.

Quant au rôle de l’Inspection générale, je serai extrêmement attentive à ce que nous puissions conforter cette revue permanente des fédérations, au-delà des jeux olympiques et paralympiques qui nous ont permis d’en voir trois ou quatre par an. C’est un moyen de regarder régulièrement leur fonctionnement et d’en tirer un certain nombre de préconisations plus générales et plus structurelles. Cela suppose que le traitement des urgences ne vienne pas impacter directement notre programme de travail. Depuis 2020, des saisines très importantes nous ont beaucoup occupés et ont parfois perturbé le rythme de revue permanente que nous avions mis en place. J’espère qu’un certain nombre de situations dysfonctionnelles vont avoir tendance à s’atténuer, voire à disparaître, compte tenu des politiques menées et de la fermeté des réponses qui ont été apportées dans les quelques cas médiatiquement connus. Les fédérations se saisissent ainsi plus rapidement des signalements qui leur remontent.

Nous devons aussi conforter et renouveler l’expertise administrative des cadres de l’Inspection générale dans le cadre de la fonctionnalisation. Vous savez que nous avons changé de modèle, il est donc important que nous soyons en mesure de renouveler cette expertise.

Enfin, nous sommes très attentifs à améliorer le suivi de nos recommandations, qui n’ont pas le même statut qu’un certain nombre de revues d’audit. Elles doivent en effet être suivies par la direction des sports et par les fédérations.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure de la commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif en tant qu’elles ont délégation de service public. Je vous remercie pour l’éclairage que vous nous apportez à la suite des auditions que nous avons menées au cours des dernières semaines. Avant de vous interroger précisément sur les rapports que nous avons pu consulter, je souhaite revenir sur la Cellule Signal-sports. Nous avons en effet auditionné de nombreux sportifs qui ont indiqué qu’ils ne connaissaient pas cette cellule, ce qui pose la question de l’information sur son existence, y compris pour les sportifs qui sont à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep). Monsieur Laurent Blanc, que nous avons entendu avant vous, ne connaissait pas non plus cette cellule qui a pourtant été mise en place il y a deux ans. Par ailleurs, certains sportifs nous ont indiqué qu’ils n’avaient pas forcément confiance dans les dispositifs internes au ministère des sports, puisque les personnes qui mènent les enquêtes, notamment au niveau régional, ont des liens très forts avec leur club ou avec leur fédération. Ils craignent notamment un manque de transparence.

Mme Caroline Pascal. La cellule Signal-sports a été mise en place à un moment compliqué pour les fédérations et pour les clubs sportifs, en sortie de Covid, où l’information était peut-être moins fluide. Pour autant, cette cellule a reçu 850 signalements l’année dernière. Si elle n’est pas encore aussi performante qu’on le souhaiterait, elle est active et elle commence à être connue. La direction des sports est consciente de la nécessité de mieux communiquer sur cette possibilité de signalement et sur la protection accordée à ceux qui les font, je pense que Fabienne Bourdais vous l’a dit. Nous devons néanmoins encore tenir compte d’une forme d’autocensure, de crainte, notamment chez les très jeunes sportifs, qui, en raison du lien très fort qu’ils entretiennent avec leur entraîneur, peuvent ne pas oser signaler des comportements anormaux. C’est une nouvelle culture que nous devons mettre en place, dans chaque club, au plus près des très jeunes sportifs, et leur apporter des réponses.

Sur votre seconde question, je ne viens pas du monde du sport, et j’ai été frappée, quand j’ai pris mes fonctions en 2019, par l’entre-soi d’un milieu relativement restreint, où la crainte d’une forme d’omerta peut être tout à fait justifiée. La volonté de sortir de cet entre-soi est à l’origine même de la création de l’IGESR et nous conduit à envoyer systématiquement des équipes mixtes en mission, des équipes qui sont composées d’anciens cadres du monde sportif, mais aussi du monde éducatif et du monde universitaire. Ces derniers portent un regard pas nécessairement différent, mais avec une culture différente sur les situations auxquelles ils sont confrontés. Sur une fédération très connue, au sein de laquelle nous avons ainsi envoyé une équipe mixte, l’inspecteur général qui n’appartenait pas au monde sportif, a été très frappé que les autres inspecteurs puissent s’adresser au président de la fédération en l’appelant « Président » alors qu’il était lui-même attentif à l’appeler « Monsieur ». Cette différence n’avait pas d’impact sur la mission, les inspecteurs venant du monde sportif avaient la même impartialité, la même objectivité que lui mais ce décalage montre cette volonté de sortir de l’entre-soi. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles l’Inspection générale est saisie, afin de dépayser le dossier et d’éloigner le contrôleur du monde sportif. Néanmoins, je crois qu’il faut combattre cette idée. Les cadres administratifs et sportifs bénéficient désormais d’une véritable formation dispensée au niveau départemental et régional, qui permet de créer cette distance et d’évacuer ce risque ou cette suspicion de partialité ou de subjectivité dans le traitement des cas.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Depuis le début de nos auditions, nous entendons parler du contrôle d’honorabilité et nous avons beaucoup de mal à comprendre comment il fonctionne. Pouvez-vous nous l’expliquer ?

M. Patrick Lavaure, inspecteur général et responsable du collège « jeunesse, sports et vie associative » (JSVA). C’est une disposition introduite par la loi, qui prévoit que tout éducateur sportif exerçant à titre professionnel, c’est-à-dire dans une fonction rémunérée, et tout bénévole encadrant une activité, y compris les juges et les arbitres, que ce soit en club ou dans le cadre de championnats fédéraux, départementaux, régionaux ou nationaux, est soumis à une obligation de déclaration auprès du préfet de département. La loi prévoit que ces informations soient normalement transférées aux fédérations, à l’aide d’une plateforme, pour que celles-ci puissent confirmer que les encadrants sont bien licenciés au sein des fédérations. Parallèlement, ce fichier fait l’objet d’un double contrôle, d’une part du fichier des casiers judiciaires B2, qui comprend les infractions les plus graves, d’autre part du fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS). Ce contrôle réalisé par un agent habilité des services départementaux permet d’identifier des encadrants qui ont fait l’objet d’une mesure pénale ou, depuis peu dans le cadre du FIJAIS, d’une enquête ouverte par le parquet. Cette identification enclenche une enquête administrative diligentée par le préfet de département, qui demande à l’inspecteur d’académie, directeur des services de l’éducation nationale au niveau départemental, de procéder, selon des modalités fixées par voie réglementaire, à l’audition des éventuelles victimes, si elles sont identifiables, et du potentiel coupable. Elle conduit à une décision administrative d’interdiction d’exercer, qui était autrefois une mesure uniquement prévue pour les encadrants à titre professionnel et qui a été étendue aux bénévoles, aux juges et aux arbitres. Cette mesure, prononcée par le préfet, est prise soit en urgence si les faits l’exigent, soit après avis du Conseil départemental de la jeunesse, des sports et de la vie associative (CDJSVA). Elle doit être accompagnée d’une suspension ou du retrait de la licence par la fédération. Il existe donc un lien entre les mesures pénales, les mesures administratives prises par les préfets de départements et les mesures disciplinaires prises par les fédérations. Il faut conforter la mise en œuvre systématique de ce lien puisqu’elle est prévue par la loi.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le déclenchement d’une enquête bloque-t-il le recrutement ou la personne est-elle en activité au sein du club dans l’attente des résultats de l’enquête ? Par ailleurs, vous avez utilisé le terme « normalement ». La procédure est-elle correctement appliquée aujourd’hui ?

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Est-elle systématiquement appliquée ?

M. Patrick Lavaure. Le dispositif a connu une montée en puissance très nette depuis le début de l’année 2022. Je pense que la directrice des sports pourrait vous en parler mieux que nous mais en un an et demi, la situation a considérablement changé. L’Inspection générale reprend toutes les affaires remontées par la cellule Signal-sports pour examiner les conditions dans lesquelles elles ont été traitées, dans le cadre d’un contrôle de deuxième niveau. Depuis un an et demi, je constate une réelle différence. Nous ne rencontrons plus les difficultés auxquelles nous étions confrontés en 2020 et en 2021, notamment sur le lien entre la remontée d’information par le canal des services jeunesse et sport et le traitement de ces informations par la fédération concernée. Aujourd’hui, le lien fonctionne.

Je ne peux néanmoins pas garantir que l’identité d’un bénévole qui arrive dans un club, qui dispose des compétences nécessaires, par exemple un diplôme fédéral, pour s’impliquer dans une fonction d’encadrement, est immédiatement transmise au niveau fédéral pour faire l’objet d’un contrôle FIJAIS par le département. La presse se fait parfois l’écho de personnes qui ont été intégrées aux équipes d’encadrement dans un club et pour lesquelles le contrôle FIJAIS / B2 est intervenu plusieurs semaines après leur arrivée. Il faudrait comprendre pourquoi les vérifications n’ont pas été effectuées plus tôt. Dans les contrôles que nous avons opérés au cours des deux dernières années, nous n’avons pas été confrontés à des situations de ce type mais elles peuvent potentiellement arriver. Je pense que la loi doit prévoir les moyens de s’assurer de l’automaticité du contrôle à l’entrée en fonction, contrôle qui devrait être une condition.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je comprends que le contrôle à l’entrée n’est aujourd’hui pas automatique.

M. Patrick Lavaure. Normalement, dès qu’un cadre intervient dans un club, il prend ou renouvelle une licence qui est délivrée par la fédération. Celle-ci remonte par le canal fédéral et déclenche automatiquement un contrôle FIJAIS / B2 par les services départementaux.

Il se peut néanmoins que certaines fédérations délivrent des licences postérieurement à la prise de fonction d’un encadrant. Il appartient aux fédérations de faire preuve de la plus grande vigilance pour qu’aucun bénévole, quelles que soient sa passion et son envie, n’intervienne dans un club tant que le processus de contrôle n’a pas été mené à son terme.

Mme Caroline Pascal. Le processus est automatique mais il n’est pas toujours enclenché avant l’entrée en fonction. Je rappelle qu’aucun rapport récent de l’Inspection générale n’a relevé ce type de problème.

La présidence de la séance est assurée par M. Stéphane Buchou, vice-président de la commission d’enquête, à partir de dix-sept heures cinquante-cinq.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons pu consulter différents rapports de contrôle, à commencer par celui portant sur la Fédération des sports de glace publié en juin 2023. Vous décrivez une fédération qui s’affranchit historiquement des orientations ministérielles pourtant prioritaires. Le rapport indique que cette fédération a pris des engagements sur plusieurs volets et qu’ils n’ont pas forcément été respectés. Comment cela est-il possible ? Par ailleurs, j’observe qu’une fédération qui ne respecte pas ses engagements n’est pas sanctionnée par l’État.

M. Patrick Lavaure. Si une fédération bénéficie d’une subvention dédiée à l’achat d’un équipement et à la mise en œuvre d’un projet territorial, il faut une opération de contrôle pour se rendre compte que l’équipement n’a pas été acheté ou que le projet n’a pas été mis en œuvre. Cette opération de contrôle a eu lieu. Elle s’est traduite par deux signalements, le premier à la direction des sports, pour qu’elle examine, en liaison avec l’agence nationale du sport, les suites à donner s’agissant de la subvention, puisque, comme vous le savez une subvention peut être annulée, le deuxième au parquet national financier au titre de l’article 40.

Vous nous demandez comment une telle situation peut arriver. Je suis dans l’incapacité de répondre précisément à cette question, elle tient sans doute à la vision que certains dirigeants de fédérations sportives se font de la subvention publique. Ils sont heureusement très peu nombreux mais certains oublient qu’une subvention publique est assortie d’engagements et d’obligations.

Mme Caroline Pascal. C’est tout l’objet des contrôles réguliers. La direction des sports attribue des subventions pour des projets et attend qu’ils soient mis en œuvre et que les engagements des fédérations soient tenus. Ce sont les contrôles qui permettent de mettre au jour les dysfonctionnements et c’est ce qui s’est passé au mois de juin. Nous avons mené une mission de revue permanente de la fédération des sports de glace qui avait fait l’objet auparavant d’une enquête sur des faits de violences sexuelles et sexistes. C’est ce contrôle qui a permis de mettre au jour que la fédération n’avait pas tenu son engagement et a conduit aux signalements mentionnés par Patrick Lavaure.

M. Patrick Lavaure. J’ajoute que c’est son caractère délibéré et volontaire qui fonde le caractère délictuel de la faute commise par la fédération des sports de glace. Une fédération ou un club peuvent ne pas réussir à mettre en œuvre un projet pour lequel ils ont reçu une subvention. Ils doivent alors se tourner vers l’autorité publique qui l’a délivrée pour s’en expliquer. Il est aussi possible que des projets fédéraux n’atteignent pas les objectifs fixés au moment du versement d’une subvention.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez publié un rapport sur la fédération des sports de glace en juillet 2020 sur des faits de violence sexuelle. Vous décrivez des problématiques récurrentes de violences, d’agressions sexuelles et d’alcoolisme et un fonctionnement fédéral controversé marqué par une concentration des pouvoirs. Trois ans après, la situation a-t-elle évolué dans cette fédération ?

M. Patrick Lavaure. Je peux attester que la situation a franchement évolué. Nous avons peu l’occasion à l’Inspection générale, dans le cadre de notre droit de suite, de valoriser le travail réalisé dans le cadre de nos missions de contrôle. Nous sommes satisfaits du travail que nous avons accompli. Nous le devons principalement aux dirigeants de cette fédération qui ont considérablement transformé leur approche de ces sujets. Il reste encore beaucoup de travail, rien n’est acquis dans ce domaine.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. C’est peut-être la première bonne nouvelle depuis que cette commission d’enquête a commencé ses auditions. Il est donc possible, quand tous les acteurs se mobilisent, de faire bouger les choses dans certaines disciplines.

Dans un rapport de contrôle de la fédération française de tennis (FFT) publié en février 2022, vous constatez que l’attribution, l’achat et la revente de billets du tournoi de Roland-Garros donnent lieu à des soupçons et à des contentieux récurrents depuis de nombreuses années. Face à ce constat, si vous reconnaissez que la FFT a pris certaines mesures, vous estimez qu’elle n’a pas adopté des règles claires et incontestables, notamment au niveau du siège, des ligues et des comités. Pouvez-vous développer ce constat ? Les éditions 2022 et 2023 du tournoi ont-elles donné lieu à des changements ?

M. Patrick Lavaure. Il existait auparavant un système qu’il serait intéressant que le président de la fédération vous présente. C’était un système de rétribution des instances déconcentrées de la fédération, ligues, comités départementaux, leur attribuant, dans le cadre de leurs relations institutionnelles avec leurs partenaires, un volant de places pour le tournoi de Roland-Garros. Dans chaque instance, le président et le comité directeur disposaient d’un volume très significatif de places.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Qu’entendez-vous par volume significatif ? Pouvez-vous nous donner un chiffre ?

M. Patrick Lavaure. Plusieurs centaines de places étaient mises à la disposition des instances déconcentrées de la fédération pour que les enfants des écoles de tennis, les présidents de club, les élus locaux, les partenaires institutionnels et les entreprises locales qui aidaient les clubs puissent être invités à Roland-Garros. Ce système a été arrêté. Aujourd’hui, les droits commerciaux de ce grand événement sportif ont été revisités et recadrés sur le plan juridique. Ce sont désormais les principaux sponsors du tournoi qui disposent de ces places et qui en font bénéficier leurs salariés et leurs partenaires. La fédération dispose toujours de places, dans des proportions bien moins importantes, pour inviter ses présidents de clubs, de ligues ou de comités départementaux. Fort heureusement car ce sont des bénévoles qui sont pleinement engagés pour faire vivre les clubs et il est normal qu’ils puissent assister à quelques matches de ce grand événement. Le règlement fédéral prévoit que ces places doivent être utilisées à des fins fédérales, de manière transparente et éthique. Par conséquent, un président peut inviter des partenaires, en toute transparence, dans des proportions raisonnables et ne peut en aucun cas revendre des places. La fédération et les ligues régionales sont très attentives au principe de non-revente des places dédiées au cadre fédéral. La presse s’est fait l’écho de situations qui ont pu concerner certaines ligues régionales il y a quelques années, au moment où le nouveau président de la fédération, Gilles Moretton, prenait ses fonctions.

Nous avons donc observé au cours de notre inspection qu’il existait désormais un dispositif totalement transparent dans le règlement fédéral. Quand nous avons restitué notre rapport au président Moretton, nous avons insisté pour que la fédération se donne les moyens de contrôler l’utilisation des quarante à cinquante billets, ce qui est très peu, mis chaque année à la disposition des ligues régionale, conformément à son règlement. Indépendamment de l’affaire évoquée dans la presse, les dirigeants de la fédération sont très attentifs à l’application du règlement fédéral. Enfin, j’ajoute qu’aucune poursuite n’a été engagée à la suite de ces révélations.

M. Stéphane Buchou, président. Près de la moitié des recommandations de votre rapport de contrôle du pilotage de la fédération française de football (FFF) publié en février 2023 ont trait à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Ces violences représentent-elles un vrai fléau au sein de cette fédération ?

M. Patrick Lavaure. La fédération française de football est l’une des premières fédérations à avoir mis en place, avant 2020, c’est le syndrome du cyclisme et du dopage, un dispositif de remontée d’information sur les violences sexistes et sexuelles. Mais ce n’est pas forcément ceux qui anticipent qui s’en sortent le mieux. Tout d’abord parce que la FFF est la première fédération en termes de licences, avec deux millions de pratiquants, qui sont plus difficiles à contrôler que dans une fédération regroupant 60 000 licenciés. Il est plus difficile de faire remonter les informations, le contrôle de conformité est plus complexe à réaliser. Nous avons relevé au centre national de Clairefontaine, dans certaines ligues régionales et dans le milieu de l’arbitrage de graves faits de violences à caractère sexiste et sexuel, qui ont fait l’objet d’articles de presse et, pour la plupart, de poursuites judiciaires. Les cas que nous avons identifiés ont été remontés par Signal-sports ou ont fait l’objet d’articles de presse. Nous avons auditionné les victimes systématiquement et nous espérons que ce sont les seuls cas au sein de cette fédération.

M. Stéphane Buchou, président. L’expression que vous employez, « nous espérons », peut nous laisser penser que ce ne sont pas les seuls.

M. Patrick Lavaure. Il y a toujours un risque que des violences à caractère sexiste et sexuel soient commises. C’est aussi le cas dans notre société, indépendamment de ce qui peut se passer dans le milieu du football.

Mme Caroline Pascal. L’enquête menée par l’Inspection générale sur cette fédération a permis de confirmer un certain nombre de signalements remontés par la cellule Signal-sports ou évoqués publiquement dans les médias. Nous avons pu faire toute la lumière sur certains de ces cas et le signalement au procureur comme le prévoit l’article 40 a vocation à couvrir l’ensemble des sujets que nous avons remontés. Pour autant, cette enquête est limitée dans le temps, ce qui ne permet sans doute pas de voir tout ce qui aurait pu être découvert. Je ne dis pas que nous renonçons à traiter certains sujets mais que l’enquête judiciaire, plus longue et plus complète, qui dispose de pouvoirs de police que nous n’avons pas, permet de creuser et peut-être de découvrir des éléments qui n’étaient pas remontés jusqu’à nous. Je pense que Patrick Lavaure veut dire que, quand nous terminons une enquête, nous espérons toujours avoir été exhaustifs, mais nous savons aussi que l’enquête judiciaire peut découvrir des éléments que l’enquête administrative n’a pas eu le temps de voir.

M. Stéphane Buchou, président. Ma dernière question est liée à ce que nous avons entendu tout au long de la journée. Pensez-vous, au regard des enquêtes que vous avez menées, qu’il existe une omerta sur ces sujets au sein de cette fédération ? En effet, au fil de nos auditions, nous avons l’impression que si certains cas ont été identifiés, on « noie un peu le poisson » et on reporte la faute sur le ministère ou au sein même de la fédération, alors qu’on a connaissance de cas graves et qu’on n’agit pas.

M. Patrick Lavaure. Lors des auditions que la mission a conduites, nous avons identifié des victimes qui n’avaient jamais parlé. Elles ont été informées de l’existence de cette mission et ont décidé de contacter les inspecteurs et les inspectrices et de témoigner. La mission les a conseillées sur les suites à donner à titre personnel. C’est un élément de satisfaction, si vous permettez que j’emploie ce terme dans un contexte si sensible.

Nous ne sommes jamais sûrs de la portée d’un rapport d’inspection générale mais ici, nous sommes certains que la mission a permis à certaines victimes de se manifester. Je ne sais pas s’il existe une forme d’omerta. Je suis incapable de répondre à cette question car une mission ce sont des investigations, sur des pièces, des contrôles sur place, des auditions de victimes, des vérifications, des croisements d’informations, puis la rédaction d’un rapport contradictoire. Notre travail s’arrête au moment où notre rapport définitif est remis à la ministre. Depuis trois ans, j’ai le sentiment que chaque fois que nous achevons une mission de ce type, qui est douloureuse et sensible pour tout le monde, y compris pour les dirigeants fédéraux, que les choses changent, les situations évoluent. Le regard porté au sein de la fédération sur ces événements change. Je ne peux absolument pas garantir qu’il change définitivement mais de profonds traumatismes sont gérés dans le cadre de ces missions et toutes les informations dont nous disposons sont transmises aux procureurs dans le cadre de l’article 40. Cette démarche marque les dirigeants et change leur attitude sur tous ces sujets.

Mme Caroline Pascal. Je partage les propos de Patrick Lavaure. J’ajoute que le retour très fort que nous avons de ces enquêtes, quelles que soient les fédérations qui ont été concernées par des faits de cette nature, montre une réelle libération de la parole. Nous ne pouvons pas assurer qu’elle est complète pour toutes les raisons que nous avons évoquées. Patrick Lavaure vous a indiqué que des victimes avaient parlé pour la première fois, d’autres ont fini par parler au cours de leur audition. L’assurance qui est donnée par les inspecteurs généraux sur la protection accordée à leur témoignage est souvent un élément déclencheur. Par ailleurs, dans le cadre de ces missions, les inspecteurs généraux définissent un certain nombre d’auditions à mener et ouvrent la possibilité de témoignages spontanés. Dans un certain nombre de cas, ce sont ces témoignages spontanés qui ont apporté des éléments significatifs nouveaux qui n’avaient pas été relevés.

Mme Pascale Martin (LFI-NUPES). Nous avons auditionné ce matin des associations qui accompagnent les enfants sur les questions de violences sexistes et sexuelles. L’une d’entre elles nous a alertés sur les auditions des mineurs qui sont contraints de répéter les situations auxquelles ils ont été confrontés. Une victime a ainsi dû répéter son histoire onze fois. C’est un problème que nous devrons prendre en compte et je pense que notre commission fera des recommandations sur ce point. Nous savons aussi, comme nous l’a confirmé une des associations que nous avons entendues, que répéter l’histoire ne serait-ce que deux fois modifie le témoignage. Ce n’est pour moi pas le rôle de l’enquête administrative de recueillir le premier témoignage de la victime, qu’elle soit mineure ou majeure.

Par ailleurs, j’ai lu dans un des rapports que vous nous avez communiqués que Signal-sports occupait trois personnes pour environ neuf cents cas signalés. Je pense qu’il est compliqué pour ces trois personnes de gérer autant de signalements et je m’interroge sur les moyens humains alloués à cette cellule.

Envisagez-vous de demander plus de moyens ?

Mme Caroline Pascal. Votre première remarque ne concerne pas que le sport. L’IGESR a été régulièrement amenée, j’en suis attristée, à traiter de cas de violences sexuelles et sexistes à l’école, dans les collèges, les lycées et à l’université. Le témoignage des mineurs est un sujet que les autorités judiciaires et administratives ont bien en tête. Des réflexions sur la manière de permettre à un mineur de ne pas répéter un témoignage sont en cours pour éviter le traumatisme que représente la prise de parole. Nous évoquions avec Patrick Lavaure des témoignages d’adultes et la première des prises de parole. Nous devons tous réfléchir, les propositions de la commission sur ce point seront précieuses sur la manière dont nous pouvons utiliser ces témoignages dans un autre cadre, de manière à éviter leur répétition, tout en restant dans la fiabilité de ces témoignages. Nous sommes toujours sur une ligne de crête, entre la nécessité de disposer du témoignage original et celle de ne pas faire répéter des mineurs sur des éléments traumatisants.

Sur votre seconde question, nous ne décidons pas des moyens qui sont alloués à la cellule Signal-sports. Trois personnes pour 900 cas peut en effet paraître très insuffisant mais elles assurent le tri des témoignages avant de les transmettre aux nombreux agents qui les traitent, en ouvrant des enquêtes ou en reprenant contact avec des signalants et les fédérations ou les clubs impliqués. C’est presque une gare de triage, si je puis me permettre.

Mme Pascale Martin (LFI-NUPES). Quelle est la formation des personnes traitant les témoignages ?

M. Patrick Lavaure. Elles suivent une formation spécifique. Par ailleurs, la direction des sports a diffusé des outils détaillant les conditions dans lesquelles les auditions doivent être conduites dans le cadre des enquêtes administratives et la manière de fiabiliser sur le plan juridique les modalités de rédaction des rapports d’enquête administrative. Tous les agents qui interviennent sur ces sujets ont bénéficié d’un important dispositif de formation depuis le début 2021, que ce soit dans les services départementaux, les délégations régionales académiques à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (Drajes) ou au niveau central. L’Inspection générale a apporté sa contribution à ces formations en termes méthodologique et de procédures à travers son pôle contrôle et activités juridiques. Nous sommes nous-mêmes formés à conduire des auditions, à rédiger des comptes rendus d’auditions signés dès la fin de l’audition, à poser des questions dans un souci de protection des victimes, à ne pas interpréter les propos et à les rapporter tels qu’ils ont été exprimés, à ne pas faire preuve de subjectivité, etc.

Mme Caroline Pascal. Tout cela est vrai dans le domaine du sport comme à l’université et dans l’éducation nationale. Nous disposons d’une méthodologie bien construite, puisque malheureusement les faits nous y ont obligés. Il y a des référents sur ces enquêtes administratives et notamment sur les questions de violences sexuelles et sexistes qui ont vocation à délivrer des formations dans toutes les académies. Aujourd’hui, les services départementaux de la jeunesse et des sports et les directions régionales font partie des agents des académies. À ma connaissance, plus de la moitié des académies ont reçu cette formation, y compris les agents des Drajes et des services départementaux à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (SDJES). Pour autant, une formation ne suffit pas pour être pertinent et nous proposons une forme d’accompagnement aux enquêtes administratives dès que nous sommes saisis. Dès qu’un SDJES ou qu’une académie, dans son versant éducation nationale ou enseignement supérieur et recherche (ESR) sont saisis, nous vérifions qu’ils ont bénéficié de la formation et nous accompagnons les équipes afin d’avoir une forme de contrôle de conformité sur la manière dont l’enquête est menée. Cette méthode ne permet pas d’éviter toutes les difficultés pouvant survenir au cours des entretiens mais nous disposons d’un guide de l’entretien, nous animons des formations sur la conduite d’entretien.

Vous disiez que c’étaient peut-être les seules bonnes nouvelles de votre journée. C’est un sujet émergent depuis deux ou trois ans. Les ministères, les services déconcentrés, les fédérations et les clubs sont conscients de la situation et nous observons un changement de mentalités sur ces sujets. Vous avez évoqué la question de l’omerta mais je crois qu’aujourd’hui tous les acteurs sont très en alerte sur ces sujets et que la formation comme la culture sont en train de se mettre en place pour éviter les dérives que nos rapports ont mises en lumière sur des pratiques passées. Nous sommes néanmoins conscients que ce processus prend du temps et que nous avons tous, collectivement, à progresser sur ces sujets.

M. Stéphane Buchou, président. Je me réjouis des propos que vous tenez et de la prise de conscience des différents acteurs. Nous espérons qu’elle évolue encore plus vite. Depuis de nombreuses années, beaucoup de rapports sur ces questions ont été publiés et nous notons une forme de lassitude chez certaines personnes, qui considèrent que la situation n’a pas assez évolué. C’est un point d’alerte important et le rapport s’attachera à trouver les bons outils et les bons leviers pour que cessent tous ces agissements. Pour le dire de manière brutale, il va falloir faire pas mal de ménage au sein des fédérations !

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons auditionné des personnes qui ont un autre point de vue en tant que sportives et parfois victimes. Nous avons entendu des personnes qui étaient presque désespérées, car la situation n’a pas vraiment évolué malgré la publication de nombreux rapports. Je m’interroge sur les sanctions. Des rapports ont évoqué des faits graves comme du racisme ou de la discrimination, mais aucune sanction n’a été prise. Le fait que les sanctions ne soient pas connues, même si elles sont prononcées, participe au maintien d’un sentiment d’impunité au sein des fédérations. Il me semble important de montrer que les actes répréhensibles sont sanctionnés pour dissuader d’autres personnes d’adopter les mêmes comportements. Quand j’entends que dans l’affaire dite des quotas, ce ne sont pas les propos qui ont été tenus qui posent un problème mais le fait qu’ils aient été enregistrés et publiés, je m’interroge. Quand j’entends que de tels propos sont régulièrement tenus, je m’interroge. Quand j’entends des sportifs nous expliquer que la situation ne s’est pas améliorée sur le racisme et les discriminations mais qu’elle s’est aggravée puisqu’elle a touché d’autres milieux comme les arbitres ou les joueurs eux-mêmes au-delà des gradins et des supporters, je m’interroge. Est-ce que c’est l’image du sport que nous voulons véhiculer ? Je pense qu’il faut repenser les sanctions. Enfin, nous parlons beaucoup des enquêtes qui sont menées à la suite de signalements mais je pense qu’il faut mener un travail de fond sur la prévention pour éviter que les actes soient commis. Quelles sont vos propositions sur la prévention ? Nous avons l’impression que les mécanismes qui mènent à des violences sexuelles ou sexistes ou à des faits de discrimination ou de racisme sont toujours les mêmes, quelles que soient les fédérations.

Mme Caroline Pascal. La question que vous soulevez sur la connaissance des sanctions est un vrai sujet. J’ai demandé que l’Inspection générale s’en saisisse. Diffuser à ceux qui ont fait des signalements ou qui ont porté plainte la sanction infligée à celui qui a été mis en cause est une vraie question. Nous avons commencé à travailler sur ce sujet avec les autres inspections générales pour envisager la possibilité de faire un retour aux victimes ou aux porteurs de signalement. Aujourd’hui, l’Inspection générale ne communique pas sur les suites données aux témoignages, ni publiquement, ni auprès des victimes. C’est pour moi un problème sur lequel je travaille avec mes équipes. Je serais favorable, sous réserve que la législation le permette, à ce que nous puissions faire un retour aux victimes qui se sont signalées ou que nous avons auditionnées.

Par ailleurs, depuis 2020, nous n’avons rien caché, nous n’avons jamais participé à un quelconque « pas de vague », nous n’avons jamais « mis la poussière sous le tapis » et mes félicitations s’adressent particulièrement au collège JSVA dont Patrick Lavaure est responsable. Depuis 2020, nous avons conduit toutes nos missions avec une totale liberté de nos ministres et nous avons dit exactement ce que nous avons vu et ce qui nous a été rapporté, ce qui a conduit à un certain nombre de signalements au titre de l’article 40. Le fait de montrer qu’un président n’est pas intouchable et que les travaux de l’Inspection générale ont été en mesure de caractériser un certain nombre de faits qui peuvent être ensuite qualifiés pénalement constitue un signal social important.

Enfin, il y a trois aspects, le retour aux victimes, sur lequel nous avons encore à travailler, l’effet modélisant de ne pas épargner des autorités reconnues dans leur milieu et bien évidemment la prévention, avec une information forte auprès des fédérations, notamment dans le cadre de la haute performance. L’enjeu est en effet tel pour le jeune sportif, qu’il y a une forme d’acceptation de pratiques, de propos ou de gestes qui ne sont pas tolérables même s’ils ne vont pas jusqu’à des actes pénalement répréhensibles. La prévention est assez présente dans la politique ministérielle et relève de la direction des sports. C’est pour nous le troisième volet de ce qui doit être mis en place pour faire véritablement évoluer la situation.

Patrick Lavaure. Nous espérons que dans chaque club, à chaque rentrée, les jeunes qui intègrent une discipline sportive pour la pratiquer avec passion reçoivent une formation sur ces sujets-là, par des cadres formés, en capacité de développer un discours cohérent, juste, qui leur disent qu’ils seront à leur écoute en cas de difficulté et qu’ils sauront y donner les suites appropriées. De nombreuses fédérations sportives, dans le cadre de leur contrat d’objectifs avec le ministère, ont pris l’engagement et ont mobilisé des ressources internes ou demandé des subventions pour agir en ce sens. Vous avez auditionné des associations qui ont développé des dispositifs de prévention et de formation qui sont à la disposition des fédérations et de leurs clubs. Il faut renforcer les efforts de tous les acteurs pour que tous les jeunes soient sensibilisés sur ces sujets.

M. Stéphane Buchou, président. Nous vous remercions pour votre disponibilité et pour les réponses que vous nous avez apportées.

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16.   Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Jacques Lozach, sénateur, président de la mission d’information sur le fonctionnement et l’organisation des fédérations sportives et M. Alain Fouché, ancien sénateur, rapporteur de la mission (28 septembre 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Mes chers collègues, nous accueillons MM. Jean-Jacques Lozach et Alain Fouché, respectivement sénateur et ancien sénateur, président et rapporteur de la mission d’information sur le fonctionnement et l’organisation des fédérations sportives. Messieurs, je vous souhaite la bienvenue à l’Assemblée nationale et je vous remercie vivement de votre disponibilité.

Nous avons entamé les travaux de notre commission d’enquête le 20 juillet dernier. Pour rappel, sa création a été décidée par l’Assemblée nationale à la suite de nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs et de diverses affaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations. Nos travaux se déclinent autour de trois axes :

– l’identification des violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ;

– l’identification des discriminations sexuelles et raciales dans le sport ;

– l’identification des problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

Messieurs, il nous a semblé important de vous entendre, compte tenu des travaux que vous avez conduits sur le monde sportif, en particulier sur le fonctionnement et l’organisation des fédérations sportives.

En septembre 2020, le rapport de la mission d’information dont vous avez été rapporteur et président faisait état d’une « attente forte et partagée en termes de rénovation du fonctionnement des fédérations sportives ». Pourriez-vous nous préciser dans quel contexte vous avez conduit ces travaux, et les raisons qui vous ont poussés à le faire ? Pourriez-vous nous en présenter les principaux constats et les principales recommandations, en lien avec le champ de cette commission d’enquête ?

La loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France est venue mettre en œuvre, au moins partiellement, plusieurs de vos recommandations. Je pense notamment à la composition du corps électoral lors des élections fédérales du renouvellement ou à la féminisation des instances dirigeantes. Quel regard portez-vous sur les évolutions apportées par ce texte et leur mise en œuvre ? Quelles sont les recommandations de ce rapport qui sont restées lettre morte et sur lesquelles il vous semble particulièrement important d’avancer ?

Monsieur le sénateur Lozach, vous êtes par ailleurs cosignataire et rapporteur d’une proposition de loi adoptée par le Sénat le 15 juin 2023 visant à renforcer la protection des mineurs et l’honorabilité dans le sport. Pouvez-vous nous présenter les dispositions de cette proposition de loi et expliquer à notre commission pour quelles raisons vous considérez que le rôle et le contrôle d’honorabilité existants ne sont pas satisfaisants ? Quels sont les facteurs rendant compte de sa lente montée en puissance, selon votre rapport ?

Je précise que cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Je vous rappelle également que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête parlementaire de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(MM. Jean-Jacques Lozach et Alain Fouché prêtent serment.)

M. Roger Chudeau (RN). Madame la présidente, les députés du groupe Rassemblement national (RN) membres de la commission d’enquête vous ont adressé à deux reprises un courriel dans lequel ils demandaient que soit examinée également, dans le cadre de cette commission, la question assez brûlante des menées islamistes radicales dans le monde du sport – qu’il s’agisse des petits ou des grands clubs, des stades ou des déclarations publiques. À ma grande surprise, vous n’avez pas même accusé réception de mes mails, ce qui me surprend au regard des convenances. J’ai bien l’impression que cela s’apparente à une fin de non-recevoir. Si vous confirmez cette fin de non-recevoir, nous serons probablement amenés, aujourd’hui même, à prendre un certain nombre de décisions. Je cède la parole à mon collègue, qui vous exposera les raisons de notre intervention liminaire.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Il ne vous appartient pas de donner la parole. Ce rôle échoit à la présidente. Je vous remercie d’être bref, car nous devons respecter les horaires.

M. Julien Odoul (RN). Merci, madame la présidente. Après plusieurs auditions, nous constatons en effet que cette commission d’enquête entend occulter délibérément certains sujets, pourtant majeurs dans le monde du sport : l’islamisme dans certains clubs, le communautarisme, qui pèse sur l’encadrement sportif et l’organisation de compétitions, ou encore certaines formes de racisme.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous remercie, messieurs, mais nous allons mettre fin à votre intervention. Vos propos ne relèvent pas du cadre de notre commission d’enquête.

M. Julien Odoul (RN). Le cadre est pleinement respecté. Nous considérons que cette commission d’enquête est totalement vide de sens, qu’elle n’atteindra pas ses objectifs, compte tenu de l’orientation prise. Nous n’y siégerons plus.

Le micro de l’intervenant est coupé. MM. Odoul et Chudeau quittent la séance.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous prenons bonne note de vos déclarations. Je laisse à présent la parole à MM. Lozach et Fouché.

M. Alain Fouché, ancien sénateur, rapporteur de la mission d’information sur le fonctionnement et l’organisation des fédérations sportives. Je précise que mon collègue Jean-Jacques Lozach est le grand spécialiste du sport au Sénat. Dans le cadre de ce rapport, je souhaitais en effet lancer un travail sur le fonctionnement de certaines fédérations sportives. Ayant été élu pendant 52 ans, j’ai exercé des fonctions diverses. Mon expérience de terrain m’a amené à découvrir la réalité des petits clubs de sport et à prendre connaissance de certaines informations. Ces petits clubs m’ont fait part de leurs difficultés financières et de leur sentiment d’être abandonnés au niveau national. Les bénévoles intervenant dans les petits clubs n’ont pas de moyens par rapport aux grandes structures. Ils doivent aussi supporter des coûts d’arbitrage élevés et s’adapter à des normes nombreuses et en évolution constante. Pour ne prendre qu’un exemple de norme complètement déphasée, l’aménagement de vestiaires destinés aux arbitres de football handicapés est une disposition inopérante, puisqu’un arbitre de football ne peut être une personne handicapée.

Ayant relevé diverses dérives, nous avons travaillé sur plusieurs aspects tels que la démocratie et la gouvernance, ou encore la transparence financière. Nous ne nous sommes pas penchés sur les problèmes de violence. Pour ma part, je n’ai pas suivi les travaux relatifs à la proposition de loi visant à démocratiser le sport puisque j’ai quitté volontairement le Sénat en 2020.

Nous avons observé un manque de démocratie lié à l’absence de représentation des petits clubs au niveau national. Il faut savoir qu’il existe plus de 2 millions de joueurs de football en France et 15 000 clubs. Or le président de la Fédération française de football est élu avec 216 voix. Il nous est apparu important de revoir ce fonctionnement. Les nouveaux textes ont d’ailleurs apporté des changements concrets sur ce point, comme sur la limitation des mandats et sur la féminisation des instances dirigeantes. Nous avons demandé que les clubs puissent prendre part au vote.

En matière de transparence financière, il est apparu que certaines fédérations menaient un train de vie bien différent de celui des structures locales. Nous avons recommandé de soutenir davantage les petits clubs et d’accroître la part des commandes publiques. Nous avons travaillé sur les quatre axes suivants : réaffirmer la nécessité d’une politique nationale du sport fondée sur une délégation de service public aux fédérations sportives ; accompagner le développement des fédérations en renforçant la capacité d’initiative ; démocratiser le fonctionnement des fédérations sportives afin d’associer plus largement tous les acteurs ; accroître les exigences de transparence financière et reconnaître l’autonomie financière du mouvement sportif.

Lorsque j’ai envisagé la rédaction de ce rapport, j’ai demandé à la présidence du Sénat de désigner Jean-Jacques Lozach président de la mission d’information. J’ai jugé important de pouvoir travailler aux côtés de cet élu issu du monde rural, qui est aussi le meilleur spécialiste du sport au Sénat.

M. Jean-Jacques Lozach, sénateur, président de la mission d’information sur le fonctionnement et l’organisation des fédérations sportives. Comme vous l’avez rappelé, nous avons piloté la mission d’information sur le fonctionnement et l’organisation des fédérations sportives, qui a rendu ses conclusions en septembre 2020. À l’issue de ce travail, nous avons formulé 22 préconisations. Depuis lors, plusieurs évolutions sont intervenues. La loi du 24 août 2021 visait ainsi à conforter les principes de la République, grâce notamment au contrat d’engagement républicain. Elle a été suivie de la loi du 2 mars 2022, destinée à démocratiser le sport. Enfin, une proposition de loi visant à renforcer la protection des mineurs et le contrôle d’honorabilité dans le sport a été adoptée le 15 juin 2023 par le Sénat. Nous attendons avec impatience son passage à l’Assemblée nationale, et je crois que la ministre des sports et des Jeux olympiques et paralympiques est attachée à l’inscription de ce texte à l’agenda parlementaire avant la fin de l’année.

Parmi les 22 propositions résumées par mon collègue, une dizaine d’entre elles se sont d’ores et déjà concrétisées. Une partie des recommandations qui ne sont pas encore entrées en application pourraient, en effet, être reprises par votre commission d’enquête.

Le champ de votre travail me semble très large et hétérogène, puisqu’il englobe des thématiques aussi variées que les violences sexuelles et sexistes, la pédocriminalité, le harcèlement, le dopage, la corruption, la manipulation des compétitions sportives, la situation très particulière des agents sportifs, la nature très incertaine des flux financiers qui circulent dans le monde sportif. Autant de sujets relevant de ce que j’appellerai « les avatars du sport ». Chacun de ces avatars pourrait constituer une problématique à part entière et faire l’objet d’une commission d’enquête.

Je me limiterai pour ma part à quelques généralités sur la gouvernance du milieu sportif, et notamment des fédérations. Au demeurant, ces problèmes ne concernent pas exclusivement la France. Le Conseil de l’Europe réfléchit d’ailleurs à l’établissement d’une certification ISO sur la gouvernance des organisations sportives. Il est certain que des affaires retentissantes ont marqué l’actualité des dernières années. Des présidents de fédération ou de comités olympiques ont ainsi démissionné en cours de mandat, ce qui est un fait rarissime dans l’histoire du sport français.

J’ajoute que les sportifs de haut niveau ont un devoir d’exemplarité, d’autant plus que bon nombre de jeunes s’identifient à eux. Mais ce rôle d’exemplarité doit s’étendre aux dirigeants de fédérations sportives. Au cours des dernières décennies, trop d’affaires ont été étouffées, au point que certains ont pu parler d’omerta. Certains ministres ont aussi eu des mots très maladroits sur ce sujet. Je pense en particulier aux propos de l’ancienne ministre Laura Flessel-Colovic, qui avait affirmé que tous ces problèmes ne concernaient pas la sphère sportive. Ses déclarations avaient été rapidement démenties par les faits.

En revanche, Roxana Maracineanu s’était emparée à bras-le-corps des faits de violence dans le sport, et la ministre actuelle des sports est déterminée à poursuivre ce combat.

Je voudrais souligner que les solutions à apporter à ces dérives et dérapages concernent tous les acteurs du sport, privés autant que publics. Il faut interroger le rôle tenu par le ministère des sports, et en particulier par l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche, mais aussi par le ministère de l’éducation nationale et par le ministère de la justice. L’ensemble de l’écosystème sportif est concerné, notamment les fédérations nationales et internationales, ces dernières ayant aussi un rôle d’exemplarité à jouer. Le rôle de la presse mérite également d’être souligné, plusieurs affaires ayant été révélées par des journalistes d’investigation.

Les dirigeants de fédération portent une double responsabilité, car leur fonction repose sur une double légitimité. D’une part, ils remplissent une mission de service public confiée par l’État. D’autre part, ils sont investis par le vote des licenciés. Cette double légitimité et cette mission de service public imposent aux dirigeants de fédérations de rendre des comptes à l’État et aux licenciés, et plus largement à l’opinion publique.

Si la loi du 2 mars 2022 n’est pas encore complètement applicable puisque des dispositifs ne s’appliqueront qu’à la fin de l’année 2024 au moment du renouvellement des instances fédérales, la loi Braillard de 2017 avait déjà entraîné des évolutions en matière de contre-pouvoirs. Il n’en reste pas moins que ces derniers demeurent trop faibles, et c’est pourquoi je recommande de procéder à un véritable état des lieux des contre-pouvoirs dans le mouvement sportif, en dressant le bilan de leur composition, leur mode de désignation et leur fonctionnement. Nous avons besoin d’une photographie de la réalité car tout ceci reste un peu méconnu, pour ne pas dire opaque.

Les rôles respectifs du ministère des sports et de l’Agence nationale du sport ont été clarifiés. Le sport a été déclaré grande cause nationale pour 2024, grâce aux Jeux olympiques. Dans ce contexte, et compte tenu des affaires survenues ces derniers mois, il paraît indispensable de construire après les Jeux olympiques un nouveau texte législatif permettant d’aller au-delà des mesures introduites par les deux lois précédentes. Je crois que la ministre des sports y est prête. Il serait incompréhensible qu’aucune réforme de la gouvernance ne soit adoptée avant la fin de l’année 2024. De fait, les affaires récentes sont pour partie dues à des causes systémiques liées au fonctionnement du monde sportif, et pas seulement à des défaillances individuelles. En tant que parlementaires, nous nous devons d’améliorer le système en créant des conditions de fonctionnement plus responsables, transparentes et éthiques.

Une autre de nos propositions consiste à instaurer un contrôle de probité et d’honorabilité des dirigeants fédéraux identique à celui applicable aux élus et membres du gouvernement, en amont de leur nomination. Ce point relève de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Il ne s’agit pas de prévoir un contrôle d’honorabilité de tous les membres des conseils d’administration, voire du comité exécutif, mais à tout le moins du triptyque président, trésorier et secrétaire général. Ce contrôle doit être effectué avant la prise de fonctions et en fin de mandature, pour s’assurer de l’absence d’enrichissement personnel illicite.

S’agissant du contrôle financier des instances sportives, il convient d’établir la grille financière des rémunérations, tant pour les fédérations que pour les comités d’organisation des grands événements sportifs internationaux (Gesi). Il faut également rendre publics les rémunérations, les organigrammes et les postes vacants. Nous recommandons aussi de constituer des jurys de recrutement aussi diversifiés que possible, notamment pour les hauts postes de l’encadrement fédéral (directeur technique national, directeur général, etc.), à l’instar des pratiques ayant cours dans le milieu culturel où des collèges sont chargés du recrutement des dirigeants dans certains établissements.

En ce qui concerne le modèle économique, je tiens à préciser que je suis un défenseur acharné du modèle associatif. Toutefois, le contexte et l’évolution de la société nous incitent à nous rapprocher d’un modèle plus entrepreneurial, et par conséquent moins associatif. Eu égard aux masses financières en jeu, à la multiplication des normes, à la complexité administrative et à la pression médiatique quotidienne exercée sur les dirigeants de fédérations, l’enjeu consiste à trouver le bon équilibre entre le professionnalisme et le bénévolat. En tout état de cause, il est impossible de s’appuyer uniquement sur le bénévolat pour animer des structures aussi compliquées.

Sur ce point, la loi du 2 mars 2022 a d’ailleurs introduit une nouveauté permettant de limiter l’entre-soi qui peut conduire à des dérapages, à savoir la mise en place des sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC). Cette disposition ne concerne que les clubs sportifs. Si elle devait être élargie aux fédérations elles-mêmes, c’est tout le modèle du sport français qui s’en trouverait transformé. Cela mérite donc réflexion. Il est encore trop tôt pour dresser le bilan de leur mise en place. On se réfère en général au modèle du SC Bastia qui est unique. Les SCIC sont un modèle auquel il faut vraiment s’intéresser car il permet de diversifier les organigrammes, de territorialiser et d’ancrer localement les clubs sportifs. Nous constatons en effet que dans certains sports, en particulier les sports professionnels et collectifs, les clubs tendent à se concentrer dans les grandes métropoles, au risque de créer des « déserts sportifs » dans certains territoires. Il est donc essentiel de trouver un modèle de gestion à même de préserver l’équilibre territorial de l’implantation des clubs.

Pour ce qui est de la gouvernance des fédérations, il convient de trouver un équilibre entre ce qui relève de la formation et ce qui relève du contrôle. En matière de contrôle, un effort particulier est très clairement mis en œuvre avec l’intervention de diverses instances, que l’on n’avait pas trop l’habitude de voir intervenir dans le milieu sportif : le parquet national financier (PNF), l’Agence française anticorruption (AFA), la HATVP, les directions nationales du contrôle de gestion (DNCG), les brigades financières ou encore les comités d’éthique. En face de ces contrôles, il est important de prévoir des actions de formation pour les dirigeants, en particulier au plus haut niveau. Il ne paraît pas déshonorant de se former lorsque l’on prend la tête d’une fédération, ni d’être plus solidement conseillé et encadré. Je pense en particulier aux fédérations de taille plus modeste, où les recrutements frôlent parfois le copinage. Je n’affirme pas que le copinage exclut forcément la compétence ou l’expertise, mais il faut veiller à limiter l’entre-soi.

Je peine à croire que la majorité des exécutifs fédéraux sont volontairement malveillants ou malintentionnés. Je n’oublie pas non plus que bon nombre d’entre eux, pour ne pas dire la totalité, ont été préalablement bénévoles pendant des décennies. Il est important de garder à l’esprit ces faits.

Les formations des dirigeants peuvent concerner des sujets tels que les règles de contractualisation, la passation de marchés publics, le droit du sport ou bien la déontologie. En résumé, il existe un déséquilibre entre les actions de contrôle et les actions de formation.

Une autre problématique, en cours de résolution avec la loi du 2 mars 2023, tient au mode de scrutin. Je défends le mode de scrutin retenu pour les élections municipales, car ce dernier permet d’obtenir des majorités claires et stables tout en assurant la représentation de la minorité. De ce fait, le droit d’expression de l’opposition est garanti. Je suis convaincu que ce mode de scrutin doit s’appliquer aux élections fédérales, de manière uniforme. Il faudra sans doute examiner le déroulement des campagnes électorales, car le principe d’égalité des chances entre les candidats sortants et les autres n’est manifestement pas respecté. À ce stade, je ne suis pas en mesure de savoir s’il est judicieux de prévoir un vote de tous les clubs. Dans un premier temps, il conviendra de dresser le bilan de l’élargissement du corps électoral, puisque 50 % des clubs prendront part au vote d’ici fin 2024.

Je suis préoccupé par l’arrivée d’acteurs supranationaux tels que les fonds d’investissement et les Gafan, qualifiés par certains de « maîtres du monde ». Leur pouvoir se manifeste à travers l’acquisition de droits télévisuels, de droits sportifs et de clubs, comme en témoigne par exemple le service Amazon Prime Video. Ces acteurs remettent en cause le modèle économique habituel de l’équilibre budgétaire et nous font basculer dans une nouvelle ère, avec des clubs qui, à l’instar du PSG, fonctionnent à guichets ouverts. Le football professionnel français accuse un déficit structurel de 600 à 700 millions d’euros. Les clubs sont renfloués par des fonds d’investissement privés ou souverains, souvent étrangers, qui en font un simple objet de spéculation.

En tant que rapporteur pour avis du budget des sports au Sénat, je me prépare aux éternels débats sur les dotations dédiées, la loi Buffet, la taxe sur les droits télévisuels ou sur les paris gérés par La Française des jeux. Une fois encore, nous tâcherons de solliciter davantage les paris sportifs en ligne, qui connaissent une nouvelle envolée du fait de la Coupe du monde de rugby. Il me paraît donc important d’augmenter leur contribution, car les paris sportifs n’existeraient pas sans le sport et sans les bénévoles.

Je suis également d’avis que le moment est venu de réfléchir à un statut du bénévole. Cette proposition est soulevée depuis une trentaine d’années. J’appelle donc au lancement d’états généraux ou d’assises nationales consacrées au bénévolat sportif.

Nous avons d’autant plus besoin de gouvernance apaisée et transparente que le mouvement sportif est traversé, depuis quelques années, par un foisonnement d’initiatives dans la santé, l’éducation ou le sport en entreprise. Devant ces avancées, il est bon de répondre par la stabilité et la responsabilité de la gouvernance sportive. Étant très attaché à la notion de service public du sport de la République, je ne peux que plaider pour une gouvernance sportive plus sereine dans notre pays.

M. Alain Fouché. Il est certain que nous avons besoin d’une gouvernance plus démocratique, notamment dans les élections. Nous constatons par exemple une alternance des mêmes dirigeants aux postes les plus importants. Ainsi, une même personne peut être tour à tour président, vice-président puis trésorier. Il paraît nécessaire de prévenir cette dérive dans les fédérations.

J’ajoute que le candidat sortant dispose de moyens financiers bien plus importants que ses concurrents, de sorte qu’il peut par exemple inviter facilement des clubs. Il convient de fixer ces règles pour éviter de telles pratiques.

Pour ce qui est du bénévolat, de nombreux petits clubs en territoire rural sont contraints de fermer par manque de moyens ou du fait de la concurrence d’autres associations. Il faut impérativement améliorer la situation de ces bénévoles.

M. Jean-Jacques Lozach. J’ai oublié d’aborder la proposition de loi destinée à renforcer la protection des mineurs. Il s’agissait d’approfondir les dispositions de la loi du 24 août 2021 en s’alignant sur le cadre juridique de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants. Je rappelle que la proposition de loi s’applique aux seuls bénévoles, puisque les 250 000 professionnels sont déjà soumis à un contrôle d’honorabilité. Nous nous sommes appuyés sur un contexte de libération de la parole des victimes et sur une certaine dynamique des contrôles et signalements.

Il faut savoir qu’à ce jour, près de 1 000 signalements ont d’ores et déjà été transmis à la cellule Signal-sports du ministère. En juin dernier, lors du vote de la loi, 442 interdictions d’exercer avaient été prononcées. Ce service est donc en train de porter ses fruits. La loi du 24 août 2021 a également eu un effet positif puisqu’elle a abouti à un million de contrôles mais sur 2 millions de contrôles potentiels – il y a donc une vraie marge de progression. Sur l’ensemble de ces contrôles, 150 incapacités ont été décidées.

Il nous a semblé nécessaire d’apporter des précisions sur la régularité des contrôles, car les textes précédents prévoyaient un contrôle annuel, voire au moment de la prise de fonctions. Un autre aspect à mettre en exergue tient aux faits non connus du ministère des sports, tels que décrits par l’article 40 : dès l’instant où une atteinte à l’ordre public ou aux libertés est constatée, un signalement doit être effectué auprès du parquet, et non auprès de l’autorité administrative – en l’occurrence, la préfecture. Compte tenu des délais très longs des instructions judiciaires, nous avons souhaité ajouter au texte de loi une double obligation, avec une intervention auprès de l’autorité administrative. De fait, le préfet a le pouvoir d’agir très rapidement sur la base des faits rapportés et de retirer de l’encadrement des clubs des dirigeants susceptibles de porter atteinte à la dignité de certaines personnes.

Il reste beaucoup à faire dans ce domaine, mais des progrès ont été accomplis ces dernières années.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je voudrais commencer par préciser le champ de cette commission d’enquête. Comme vous l’avez précisé, plusieurs thématiques sont effectivement abordées dans cette commission d’enquête. Si nous avons tenu à traiter ici les questions des violences sexistes et sexuelles (VSS), du racisme et des discriminations, et enfin des aspects financiers, c’est parce qu’il nous est apparu que ces trois types de dérive étaient permis par le système actuel des fédérations sportives et participaient d’un même mécanisme. Les auditions ont confirmé cette analyse. Le terme « omerta » revient de manière récurrente, et les victimes ou témoins ont parfois du mal à trouver des instances ou des interlocuteurs pour relater leur expérience. Nous découvrons aussi que des personnes ont pu être sanctionnées pour avoir tenté de dénoncer des agissements dans le mouvement sportif.

Dans votre rapport, vous recommandez la création d’une Haute Autorité du sport « chargée de réguler les relations entre les différents acteurs ». Or, le mouvement sportif se compose d’un empilement de structures rendant parfois illisibles les compétences et champs d’action des différents organismes. Pour ne prendre qu’un exemple, l’Agence nationale du sport (ANS) est chargée d’attribuer l’intégralité des subventions aux fédérations mais les contrôles sont opérés par le ministère des sports. Pensez-vous qu’il soit judicieux de séparer ainsi l’entité en charge de l’octroi des subventions et la structure responsable des contrôles ? Alors que la gouvernance du mouvement sportif est déjà très complexe, est-il opportun de créer une nouvelle entité ?

Je voudrais ensuite connaître votre avis sur les interdictions d’exercer. Lors des auditions, nous avons noté que de nombreux sportifs ignoraient l’existence de la cellule Signal-sports, ce qui a sans doute freiné les signalements. Nous pensons qu’il faut améliorer la communication, l’information et la prévention au sein du mouvement sportif afin de faire connaître les dispositifs existants. Nous avons aussi le sentiment que la création de la cellule Signal-sports tend à dédouaner les fédérations de leur devoir de prévention et d’information auprès de leurs adhérents, en considérant que les victimes ou témoins doivent s’adresser à cette cellule.

Par ailleurs, il nous a été rapporté que des personnes ayant reçu une interdiction d’exercer seraient toujours en poste, par manque de contrôles. Des moyens ne doivent-ils pas être mis en œuvre pour contrôler l’effectivité de l’interdiction d’exercer, afin que des personnes condamnées pour des faits graves ne puissent pas rester en contact avec un public jeune ?

Nous avons écouté avec grand intérêt vos explications sur le contrôle d’honorabilité. Cependant, plusieurs dirigeants de clubs ou fédérations nous ont indiqué que ce contrôle était difficile et long à mettre en place. Plusieurs mois sont nécessaires pour obtenir les résultats ou pour la réalisation effective du contrôle. Dans l’intervalle, des personnes indésirables continuent à travailler à proximité d’un public jeune. En outre, il semblerait que les signalements ne soient pas transmis systématiquement à l’ensemble des fédérations, de sorte que l’auteur de faits graves peut recommencer sa carrière au sein d’un autre club. Le ministère a reconnu cette difficulté. Quelles sont vos réflexions sur ce point ?

M. Alain Fouché. Je voudrais évoquer le récent match de football entaché par une scène d’homophobie très forte. Une enquête est en cours à ce sujet, mais la réponse à cet incident n’est pas évidente. D’aucuns proposent de retirer des points au club, mais je ne vois pas comment mettre en œuvre une telle mesure, sans compter que les clubs ne maîtrisent pas les supporters. Il faut donc engager un travail de fond pour trouver une solution à ce problème, car nous ne pouvons pas nous permettre de laisser se renouveler cet épisode.

M. Jean-Jacques Lozach. Nous avions conscience que notre proposition de loi entraînerait une lourdeur administrative supplémentaire pour les clubs sportifs. Nous nous étions interrogés sur l’étendue du contrôle d’honorabilité, dont la mise en pratique s’avère difficile pour les clubs. De fait, la perspective de soumettre à des contrôles des personnes connues de longue date, bénévoles depuis des décennies, est très inconfortable. Nous avons toutefois considéré que la gravité de la problématique justifiait de bousculer les pratiques existantes des clubs et de les amener à se poser ce type de questions.

Il est évident qu’il reste beaucoup à faire en matière d’information et de pédagogie. J’avais d’ailleurs fait le même constat en tant que président de la commission d’enquête parlementaire sur le dopage. C’est pourquoi j’ai insisté sur l’implication de plusieurs ministères, au-delà du ministère des sports.

Concernant l’éthique du sport, l’héritage olympique a été redéfini en profondeur en l’espace de trois ans. Alors qu’il consistait autrefois à gagner le maximum de médailles et à développer le nombre de pratiquants, il est désormais formalisé par une grille d’analyse n’incluant pas moins de 170 objectifs stratégiques. Il convient de mettre à profit le contexte de 2024, voire de 2025, pour reconsidérer la question de l’éthique. Celle-ci est d’ailleurs traitée au travers de divers objectifs stratégiques tels que l’égalité hommes/femmes, la lutte contre les discriminations ou le dopage, l’intégrité, la lutte contre les violences, l’éthique des grands événements sportifs internationaux, etc. Les effets de l’hypermondialisation, notamment les ligues fermées doivent également être analysés. Ces phénomènes ont des impacts sur la solidarité entre sport amateur et sport professionnel. Dans un système aussi compact, la moindre décision a des répercussions sur le terrain.

Je ne suis pas favorable à l’empilement des structures. Je pense qu’il faut avancer fédération par fédération. La loi Braillard de 2017 prévoit l’instauration d’un comité d’éthique dans chaque fédération sportive, mais il y a quelques mois encore, une vingtaine de fédérations ne remplissaient pas cette obligation. De mon point de vue, la priorité consiste à faire appliquer les dispositions légales existantes, sans chercher à les complexifier.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Durant les auditions, plusieurs personnes ont suggéré de créer une instance extérieure chargée du traitement des signalements. Cet organe serait indépendant du ministère des sports, et des régions. Avez-vous eu l’occasion d’étudier cette proposition ?

M. Jean-Jacques Lozach. Nous n’avons pas vraiment examiné ce sujet, mais il faut effectivement éviter autant que possible les conflits d’intérêts, le mélange des genres, le « juge et partie ». Cependant, l’initiative publique est peut-être inévitable, dans un premier temps, pour donner corps à ce type de démarche. Au fil des années, les acteurs publics devront toutefois se désengager de ces instances. Néanmoins, il faut éviter de multiplier les contraintes, sous peine de dissuader les bénévoles. Il s’agit, au contraire, de redonner de la motivation à ces derniers. Malheureusement, l’âge des bénévoles sur le terrain tend à augmenter. De plus, nous n’avons pas encore mesuré l’impact regrettable de la disparition de nombreux emplois jeunes et emplois aidés. Or plusieurs disciplines ont été très fragilisées par la suppression de ces contrats. Elles reposaient parfois sur une seule personne, en emploi aidé. Il en résulte un maillage territorial difficile pour certaines pratiques sportives.

M. Alain Fouché. Il pourrait être opportun de réfléchir à la mise en place de déductions fiscales au profit des bénévoles très impliqués.

Par ailleurs, si les procédures judiciaires sont longues, le parquet réagit très rapidement. L’inconvénient réside dans le fait que ces affaires sont très médiatisées.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Merci à vous. Je conclus que nous partageons plusieurs constats. Des propositions sur le bénévolat sont en cours d’élaboration avec Prisca Thévenot.

M. Jean-Jacques Lozach. Permettez-moi une dernière observation. Les fédérations à mission sont une voie intéressante à explorer, et la nouvelle présidence de la fédération de rugby mène actuellement un travail sur ce sujet. Il me semble que les clubs de sport ont vocation à devenir des clubs à mission, en s’impliquant dans les domaines économique et social.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous remercie.

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17.   Audition, ouverte à la presse, de M. Denis Masseglia, ancien président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) (28 septembre 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Mes chers collègues, nous accueillons à présent M. Denis Masseglia, ancien président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) de 2009 à 2021. Monsieur, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions.

Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet 2023.

L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux se déclinent donc autour de trois axes :

 l’identification des violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ;

– l’identification des discriminations sexuelles et raciales dans le sport ;

– l’identification des problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

Depuis de nombreuses années, vous évoluez au sein des plus hautes instances du sport français. Si cette commission d’enquête existe aujourd’hui, c’est parce qu’au sein de ces instances, des défaillances de toute sorte ont été mises à jour et perdurent.

Pourriez-vous nous dire quelles sont les défaillances dans le champ de notre commission d’enquête dont vous avez eu connaissance dans les différentes fonctions que vous avez exercées, et notamment en tant que président du CNOSF ? Comment en avez-vous eu connaissance et quelles suites y ont été données le cas échéant ?

En application du code du sport, le CNOSF est chargé de veiller au respect de l’éthique et de la déontologie du sport. Pouvez-vous nous indiquer précisément comment le CNOSF exerce cette mission ?

Le CNOSF a mis en place, sous la présidence de votre successeur, madame Brigitte Henriques, une commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport. Que pensez-vous de cette initiative et de l’action de cette commission ? Aviez-vous envisagé l’instauration d’une telle commission ? Comment ces sujets étaient-ils traités lorsque vous étiez président du CNOSF ? Ce traitement vous a-t-il semblé satisfaisant ?

Vous étiez président du CNOSF lorsque le mouvement MeToo a éclaté dans le monde du sport, sous l’effet notamment des révélations de Sarah Abitbol. Avez-vous pris des dispositions particulières pour répondre à ce mouvement de libération de la parole ?

En janvier 2020, vous aviez dressé le constat suivant : le sport français traverse « une crise grave, voire gravissime ». Vous aviez ajouté : « S’il n’y a pas une coopération étroite entre le pouvoir politique, la justice, l’intérieur et le monde associatif, on n’y arrivera pas. […] Il y a trois sujets : les victimes, les prédateurs à éliminer et la confiance à redresser, pour que les parents ne se détournent pas des clubs. » Les mesures nécessaires ont-elles été prises depuis lors ?

Dans un entretien au journal Le Monde daté de 2020, vous reveniez sur les propos de Noël Le Graët, alors président de la Fédération française de football (FFF). D’après ce dernier, « le phénomène raciste dans le sport, et dans le football en particulier, n’existe pas ou peu ». En réaction à ces déclarations, vous affirmiez : « Je dirais qu’il existe très, très, très, très peu. » Pourriez-vous revenir sur ce constat ?

Enfin, nous aimerions plus généralement connaître votre appréciation personnelle sur la gouvernance du sport et les évolutions qui vous paraîtraient souhaitables.

Je précise que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Je vous rappelle également que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête parlementaire de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Denis Masseglia prête serment.)

M. Denis Masseglia, ancien président du Comité national olympique et sportif français. Durant mon mandat de président fédéral, entre 1989 et 2001, je n’ai connu presque aucune affaire ou difficulté de ce type. Les difficultés ont émergé à partir du mouvement MeToo. Nous avons tous été frappés de plein fouet par ces révélations, qui nous ont obligés à analyser la situation et à essayer de prendre rapidement des mesures. Je constate que la pression n’a cessé de s’intensifier entre 2018 et 2021.

Le plus préoccupant de mon point de vue est que toute crise traversée par un sport ou une institution rejaillit sur l’ensemble du monde sportif. Or, la priorité consiste, d’après moi, à ne pas détourner les enfants et les parents du cœur de l’activité sportive, à savoir le club. À titre personnel, je n’aurais jamais connu ce parcours sans mon club. Le club permet d’acquérir des valeurs de respect de soi, des autres et de la règle, de grandir et de devenir homme et citoyen.

Ces valeurs sont véhiculées non par le sport lui-même, mais par un club ayant un encadrement, une structure et des règles, ainsi qu’un apprentissage de la compétition. Il est essentiel de faire comprendre à tous que la pratique du sport en solitaire ne permettra jamais à un individu de se construire. Le contact avec les autres est nécessaire pour tisser des relations, trouver des repères et se forger des valeurs. Il faut donc impérativement conduire l’ensemble du dispositif sportif à être le plus exemplaire possible, pour éviter la généralisation à tous des comportements de quelques-uns.

J’ajoute qu’il est extrêmement compliqué de distinguer les différentes formes de violence. Il est certain que les violences sur mineurs sont les plus répréhensibles de mon point de vue, puisque le club remplit une mission éducative avant tout. Il faut aussi comprendre les difficultés à agir. Il peut arriver que la fédération ne soit pas au courant de certains agissements. Lorsque les difficultés sont révélées, on demande à la fédération d’agir mais comme elle n’a pas été informée, elle a du mal à justifier ce qu’on peut qualifier d’inertie.

Il arrive aussi que des individus, pris sur le fait alors qu’ils commettaient des actions répréhensibles dans une pratique sportive ou un club, reprennent des fonctions dans un autre club ou sport sans avoir subi de condamnation. Le temps de la justice et le temps du monde associatif sont très différents l’un de l’autre. Il est essentiel de porter une vue d’ensemble sur la situation pour espérer résoudre les problèmes, sous peine de rester dans l’incantation.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je rappelle qu’en application du code du sport, le CNOSF veille au respect de l’éthique et de la déontologie du sport, définies par une charte établie par lui. Comment le CNOSF remplit-il précisément cette mission ? Par ailleurs, la charte qui doit être transposée par les fédérations datait de 2012 et n’a été rénovée qu’en 2022 : pourquoi ?

M. Denis Masseglia. Le CNOSF est en effet à l’initiative de la charte de déontologie, qui est transposable à toutes les fédérations. La rédaction d’une telle charte prend beaucoup de temps. Pour veiller au respect de l’éthique, les prérogatives du CNOSF sont limitées : tout au plus peut-il adresser des rappels fermes sur les principes éthiques et déontologiques. Il ne possède aucun pouvoir de sanction sur les contrevenants.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Monsieur Masseglia, vous êtes le « dirigeant type » du sport français. Vous avez été président de club, président de la Fédération française d’aviron, et vous avez dirigé le mouvement sportif en tant que président du CNOSF pendant 12 ans – l’équivalent de trois olympiades. À ce titre, quelles ont été vos actions en faveur de la bonne gouvernance des fédérations sportives ?

M. Denis Masseglia. Je suis passionné par ces questions de gouvernance. J’ai milité pour fixer une limitation d’âge à la présidence du CNOSF, et j’ai d’ailleurs été personnellement touché par cette mesure. C’est important de montrer l’exemple. Je considère qu’au-delà d’un certain âge, il faut savoir laisser sa place. Il y a notamment un enjeu d’image.

Au cours de mon deuxième mandat, aux alentours de 2013, j’ai tenu à ce que l’on présente des propositions pour mettre en place une nouvelle gouvernance des fédérations. À l’époque, David Lappartient, l’actuel président du CNOSF, avait été chargé de rédiger ces propositions. Je regrette que les fédérations n’aient pas pris conscience, à l’époque, qu’il aurait été préférable qu’elles renforcent elles-mêmes leurs règles statutaires au lieu d’y être contraintes par la loi. Au niveau international, les fédérations olympiques se sont dotées elles-mêmes de règles contraignantes sur la parité, la limitation du nombre de mandats etc. Il est évident que les fédérations auraient été beaucoup plus fortes et auraient gagné à créer les conditions du renouvellement de leurs règles statutaires plutôt que de se les voir imposer par la loi. Cet exemple est assez révélateur d’un modèle français qui attend tout de l’État et qui est assez peu imité à l’étranger.

En résumé, nous avons avancé des propositions qui n’ont pas été suivies par les fédérations.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je comprends qu’en douze ans de mandat, vous n’avez par exemple pas engagé d’actions contre les violences sexuelles et sexistes. Que pensez-vous des affaires traversant les fédérations aujourd’hui : les malversations financières, les abus de confiance ou encore les situations financières dégradées ? Pour prendre un autre exemple, je rappellerai que des affaires ont éclaté durant votre présidence du CNOSF. À cette époque, les faits n’avaient pas forcément été signalés, mais certaines victimes soutiennent avoir alerté dès le départ leur fédération ou leur club. Je pense notamment aux témoignages de Sarah Abitbol ou de Catherine Moyon de Baecque. J’ajoute que Najat Vallaud-Belkacem avait suggéré de créer un observatoire sur les violences faites aux sportives, mais vous n’avez pas donné suite à cette proposition. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

M. Denis Masseglia. Je vous rappelle que Najat Vallaud-Belkacem n’a été ministre des sports que trois ou quatre mois. Il faut comprendre que le dialogue entre le ministère des sports et le Comité olympique nécessite du temps, surtout lorsqu’il est question de nouvelles actions.

Par ailleurs, je voudrais souligner que les fédérations n’ont pas été les seuls acteurs dans les affaires que vous évoquez. En ce qui concerne le cas de Sarah Abitbol, le principal coupable est Gilles Beyer, cadre technique d’État. Il serait un peu simple de résumer les responsabilités en disant : « la faute à la fédé ! »

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Selon vous, quelle est la chaîne de responsabilités ayant conduit à cette affaire, ou à d’autres ? Plusieurs victimes auditionnées dans cette commission d’enquête ont déclaré qu’elles avaient signalé des faits pendant plusieurs années sans qu’aucune action soit mise en œuvre.

M. Denis Masseglia. Je ne suis pas en mesure de vous apporter des précisions sur la chaîne de responsabilités. Comme vous l’avez vous-même expliqué, nous n’avons pas eu d’éclairage complet sur ces situations pendant plusieurs années. Ce que je peux dire, c’est que ces affaires illustrent toute la complexité de notre modèle sportif. Celui-ci implique de nombreux acteurs, et il faut veiller à bien identifier le donneur d’ordres. Cette réalité est à l’origine de multiples difficultés.

Roxana Maracineanu, ministre des sports de l’époque, a souhaité que Didier Gailhaguet, le président de la fédération de patinage de l’époque, assume l’échec ou les difficultés relatives à ces affaires. Je ne défends pas particulièrement Didier Gailhaguet mais je veux seulement relever que ce dernier a quitté son poste avant d’intenter un procès contre le ministère des sports, dont il est sorti gagnant. Il faut accepter l’idée que la situation est compliquée.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez précisé que Najat Vallaud-Belkacem n’avait été ministre des sports que quelques mois. Pour autant, la question des violences dans le monde sportif ne justifiait-elle pas, par son importance, de commencer à travailler à la mise en place d’un observatoire sur les violences, ou d’autres dispositifs de prévention ? Ce sujet ne méritait-il pas à tout le moins qu’on y travaille ?

M. Denis Masseglia. Je ne prétends pas le contraire, mais le fait est que ce travail nécessite de prendre des contacts avec tous les acteurs concernés. C’est à ce moment qu’ont débuté les prises de contact avec des associations telles que Colosse aux pieds d’argile. Encore une fois, il faut analyser la situation de manière pondérée. Il était impossible de trouver en quelques mois les solutions à un problème qui vous éclate en pleine figure mais dont vous n’avez jamais entendu parler jusqu’alors.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je ne vous cache pas que j’éprouve une certaine inquiétude en écoutant vos propos. Si vous-mêmes, en tant que président de fédération et président du CNOSF, n’êtes pas en mesure de traiter ce sujet jugé trop complexe, qui d’autre peut le faire ? Qui est habilité à créer des dispositifs pour protéger les victimes et faire cesser les malversations ? Ce rôle incombe-t-il aux fédérations, au ministère, au CNOSF ou encore à l’Agence nationale du sport (ANS) ?

M. Denis Masseglia. Je viens de dire que nous devons composer avec un système complexe. Sachez que j’ai connu 13 ministres en tant que président du CNOSF. La plupart d’entre eux vantaient le modèle français, prétendument envié du monde entier. J’ai systématiquement précisé que nul n’avait jamais imité ce système complexe.

Permettez-moi d’évoquer une anecdote éclairante sur ce point. J’ai assisté à la finale des championnats d’Europe de volley-ball, qui s’est déroulée dans l’arena de Rome qui est géré par le Comité olympique italien, qui gère également le stade de Rome et le Foro Italico (accueillant les tournois internationaux de tennis). Vous paraît-il concevable que le CNOSF administre le Stade de France, voire d’autres installations sportives ?

Nous sommes dans un système dans lequel il est compliqué d’accepter l’idée de faire confiance aux acteurs du monde du sport.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je comprends de vos propos que le mouvement sportif, en raison de son organisation trop complexe, ne peut pas entreprendre d’actions concrètes dans ce domaine. Nous ne savons pas vraiment qui prend les décisions. Considérez-vous que le ministère des sports et l’État ne jouent pas leur rôle de contrôle ?

M. Denis Masseglia. Je n’ai pas tenu précisément ces propos. J’ai affirmé que tous les acteurs se servent d’une certaine complexité. Pour revenir à l’affaire Sarah Abitbol, le principal accusé se nomme Gilles Beyer. C’est un cadre technique d’État mis à disposition de la fédération. Nous avons assisté à une partie de ping-pong dans l’établissement de la responsabilité. Son employeur est en réalité le ministère des sports, même s’il travaille au quotidien pour la fédération. Dans ces conditions, qui est son véritable patron : la structure qui le rémunère, ou bien celle qui lui donne des directives ?

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Dès l’instant où un président de fédération ou de club est averti de faits très graves, ne pensez-vous pas qu’il lui incombe de se saisir de l’article 40 et de signaler les faits à la justice, ou à la police, au ministère et à l’État ? Je vous repose la question : qui fait quoi ?

M. Denis Masseglia. Vous avez tout à fait raison sur le fait qu’il appartient au président de fédération ou de club, ou à d’autres acteurs, de déclencher l’article 40 lorsqu’ils ont connaissance de ce type d’agissements. Mais il serait intéressant aussi de connaître le nombre de déclenchements de l’article 40 par des présidents de fédération ou de club qui n’ont débouché sur rien. J’ai reçu plusieurs témoignages en ce sens, qui montrent que le monde sportif est un peu démuni.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Au cours des auditions de victimes tenues dans cette commission d’enquête, il nous a été rapporté qu’au sein de la délégation française, un seul psychologue était présent pour accompagner les sportifs de haut niveau durant la dernière édition des Jeux olympiques. Parfois, cet accompagnement s’effectuait à titre privé, à la demande des athlètes. Cela vous paraît-il normal ? Comment s’exprimer et signaler des gestes inappropriés dans ces conditions ?

M. Denis Masseglia. Vous faites sans doute allusion à la dernière délégation aux Jeux olympiques de Tokyo. Je suis personnellement intervenu pour nommer une psychologue supplémentaire, à la demande des athlètes et de Teddy Riner en particulier. Ce problème s’explique par le nombre limité d’accréditations aux Jeux olympiques, qui nous oblige à opérer un choix entre les entraîneurs et les autres personnalités exerçant un rôle important.

Il faut savoir que les athlètes peuvent être marqués par diverses choses. Vous avez vous-même été frappée par l’insuffisance de telle ou telle fédération. En retour, je voudrais vous faire part d’un événement qui m’a beaucoup marqué. Daniel Jérent, champion olympique d’escrime en 2016, a été victime d’un accident de la route en novembre 2020. Il a reçu une transfusion, mais le sang du donneur contenait une substance interdite. Il a donc été testé positif. En juin 2021, deux mois avant les Jeux olympiques, j’ai appelé l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), stupéfait de constater que nous n’avions pas reçu de décision à propos de cet athlète. Huit mois n’ont donc pas suffi pour réunir les éléments permettant d’établir la culpabilité ou l’innocence de Daniel Jérent. Après les Jeux olympiques, il lui a été indiqué qu’il ne subirait pas de sanction s’il acceptait de reconnaître sa culpabilité. Il a refusé cette demande, et a été formellement innocenté quelques mois plus tard. Cet incident, entièrement indépendant de la fédération, a ruiné la carrière de l’athlète. Il faut donc se garder de tout raccourci hâtif. Toutes les affaires sont compliquées.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Soyez rassuré, nous ne faisons pas de raccourci. Depuis plusieurs mois, nous auditionnons de nombreuses personnes du mouvement sportif, dont de nombreuses victimes malheureusement.

Vous avez déclaré que de nombreux présidents de fédération ont recours à l’article 40, mais que ces procédures restent sans suite. Avez-vous déjà déclenché cet article et, le cas échéant, sur quel sujet ?

M. Denis Masseglia. Je n’ai jamais eu l’occasion de le faire. En revanche, j’ai récemment déposé une plainte contre X auprès du parquet national financier à propos de la gestion du CNOSF. J’ai pris mes responsabilités, en fonction du contexte.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’en conclus que pendant toute la période où vous avez été président de fédération ou président du CNOSF, vous n’avez jamais eu connaissance de faits justifiant le recours à l’article 40.

M. Denis Masseglia. En effet mais c’est que je n’ai jamais été véritablement sollicité par quiconque pour déclencher cet article. On peut me reprocher de ne pas avoir créé l’observatoire demandé par Najat Valaud-Belkacem. À l’époque, tout relevait de la relation entre les fédérations et le ministère des sports. Aujourd’hui, on demande au CNOSF d’avoir une action un peu plus élaborée en matière déontologie ou d’éthique, mais à l’époque, la réalité était très différente. Je répète que je n’ai jamais été sollicité officiellement par quiconque.

J’ai eu à cœur de traiter tous les sujets dont j’ai été saisi. Je n’ai jamais abandonné quiconque lorsqu’il sollicitait une aide.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous été informé officieusement de certains faits, y compris lorsque vous étiez président de la fédération d’aviron, qui auraient pu entraîner le déclenchement de l’article 40 ?

M. Denis Masseglia. Je dois avouer que lorsque j’étais président de la fédération, j’ignorais l’existence de l’article 40. À cette époque, j’ai effectivement dû instruire le cas d’une athlète qui prétendait avoir été dopée à son insu. Mais cette affaire, qui a été traitée en justice, ne relève pas de votre commission d’enquête.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. En résumé, vous n’avez jamais connu d’affaire nécessitant un signalement en 25 ans de présidence de la fédération puis du CNOSF.

M. Denis Masseglia. Je n’ai jamais recouru à l’article 40 à titre personnel.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ce n’est pas exactement le sens de ma question. Avez-vous été informé, au cours de ces 25 ans, de faits susceptibles de justifier un recours à l’article 40 ?

M. Denis Masseglia. La réponse est négative. Si j’avais eu le sentiment qu’une action aurait pu permettre de sauver un athlète, une fédération ou toute autre personne, j’aurais utilisé l’article 40. Cela ne m’a pas empêché d’intervenir dans différentes situations, en tant qu’intermédiaire, pour tenter de pacifier des relations. Mais ces actions étaient indépendantes de l’article 40.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Plusieurs personnes auditionnées ont mentionné le rôle des conciliateurs entre les victimes et les auteurs, dans certaines fédérations. J’aimerais savoir sur quels dossiers vous êtes intervenu en tant que conciliateur, sans recourir à l’article 40, au sein de la fédération ou du CNOSF.

M. Denis Masseglia. Il s’agit essentiellement de dossiers de sélections, notamment olympiques, dans lesquels il s’agit de rapprocher les points de vue. Le dernier en date concerne la sélection d’une jeune athlète de skateboard, Madeleine Larcheron. Dans ce cadre, je suis intervenu pour faciliter le dialogue entre les parents et la fédération, qui ne souhaitait pas que ces derniers accompagnent leur fille aux Jeux olympiques de Tokyo. Cette athlète étant âgée de 14 ans, il ne fallait évidemment pas la laisser seule, et j’ai obtenu qu’elle puisse être accompagnée par ses parents.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Au cours des auditions précédentes, nous avons souvent entendu dénoncer l’omerta généralisée qui régnerait dans chaque discipline sportive : « On peut dire que tout le monde sait, mais personne ne dit rien. » Qu’en pensez-vous ?

M. Denis Masseglia. Je ne partage pas ce sentiment. Il me paraît dangereux de généraliser une situation qui ne touche que quelques personnes.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Notre propos n’est pas de généraliser. Je me contente de vous rapporter les propos entendus lors des auditions et de vous demander votre avis.

M. Denis Masseglia. J’ignore qui a tenu ces propos. Il est vrai qu’il existe une omerta dans certaines fédérations ou pratiques sportives. C’est une réalité indéniable, mais elle ne concerne pas la majorité des fédérations. Là où elle existe, il faut la faire cesser. Le plus grand danger à l’avenir réside dans l’éloignement du sport organisé et fédéré. La pratique du sport en solitaire ne permettra jamais d’inculquer à un individu des repères et des valeurs. La fréquentation d’un club est indispensable pour les acquérir. Les discours généralisant les dérives relevées dans certains clubs risquent de causer de sérieux dégâts à la société, et beaucoup de tort aux millions de bénévoles dont le seul objectif est de faire grandir des jeunes et de les préparer à leur avenir.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous confirmez-vous ne jamais avoir constaté d’omerta durant votre présidence au CNOSF ?

M. Denis Masseglia. Je vous le confirme.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous affirmez donc n’avoir eu connaissance d’aucune situation d’homophobie, de harcèlement ni d’agression au cours des 25 ans passés en tant que président du CNOSF ou de fédération. Depuis l’ouverture de la cellule Signal-sports, près de 1 000 signalements ont été enregistrés en deux ans. Pouvez-vous nous confirmer que vous n’avez eu connaissance d’aucun fait, en 25 ans, susceptible de donner lieu à un signalement à cette cellule ?

Par ailleurs, vous venez de déclarer qu’il existe une omerta dans certaines fédérations. Cela signifie que des agissements graves y sont commis sans être signalés. Pouvez-vous nous dire à quelles fédérations vous faites référence ? Devons-nous comprendre que certains faits sont connus, mais non signalés ?

M. Denis Masseglia. Dès l’instant où il existe une suspicion d’omerta ou de difficulté, la personne qui envisage de dénoncer les faits doit détenir un nombre suffisant d’éléments pour ne pas risquer d’être attaquée en retour. En ce qui me concerne, j’ai eu connaissance de violences – pas seulement sexuelles – subies par les athlètes, mais uniquement au cours des dernières années. Je tiens à remettre en perspective mes 25 ans en tant que président de fédération et du CNOSF : il ne faut pas oublier que la succession d’affaires que vous évoquez date de quatre ou cinq ans seulement. J’ajoute que durant cette période, le CNOSF était aussi chargé d’un dossier de candidature aux Jeux olympiques, d’une réforme de la gouvernance des sports et d’autres projets. Les journées ne durent que 24 heures, et j’ai pourtant une certaine puissance de travail.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. De nombreux sportifs ont effectivement estimé qu’on semblait prêt à sacrifier à peu près tout pour ces Jeux olympiques, y compris le sort des victimes de violences sexuelles très graves dans certains clubs. Mais cette candidature ne vous exonérait pas de vos responsabilités en tant que président du CNOSF ou de fédération : vous étiez tenu de signaler les faits portés à votre connaissance. Je m’efforce de comprendre pour quelles raisons ces signalements n’ont pas été effectués. Craigniez-vous des attaques pour diffamation, par manque d’éléments probants, ou considériez-vous que le mouvement sportif et les Jeux olympiques devaient être protégés envers et contre tout ?

M. Denis Masseglia. Je n’ai eu aucune de ces deux réactions. Je répète que je n’ai jamais été saisi à titre personnel de faits de violence. Mes propos précédents étaient relatifs à des engagements sur certaines sollicitations. Je tiens à préciser que je ne minimise en aucune façon les difficultés engendrées par les différentes formes de violence sur la vie des athlètes, et que la candidature aux Jeux olympiques ne justifie évidemment pas de passer sous silence ces agissements. Ces violences sont contraires aux valeurs du sport.

Je voudrais aussi rappeler que si la France a été choisie pour accueillir les Jeux olympiques en 2024, c’est parce que le CNOSF s’est engagé en 2011 à remporter l’organisation de ces jeux. Toutefois, cette démarche n’était pas motivée simplement par la volonté de démontrer notre capacité d’organisation d’un événement qui va toucher des millions de téléspectateurs. Il s’agissait avant tout de faire de la France une grande nation sportive. Encore faut-il se mettre d’accord sur ce qu’on entend par « grande nation sportive » et nous ne sommes pas tous d’accord sur ce point.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Face à une affaire de violence sexuelle, de discrimination, de racisme ou de corruption financière, il n’est pas nécessaire que le dirigeant d’un organe tel qu’une fédération ou le CNOSF soit saisi pour agir. Il suffit qu’il soit témoin des faits, ou même informé ou alerté par des tiers, pour déposer un signalement. Si la situation s’est présentée, vous auriez dû intervenir.

M. Denis Masseglia. Je suis d’accord avec vous, mais lorsque j’ai été informé de certaines affaires, elles étaient déjà devenues publiques. Je pense notamment au cas de Sarah Abitbol ou de Catherine Moyon de Baecque. Je n’avais pas été saisi directement de ces problèmes.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lorsque vous étiez à la tête du CNOSF, les présidents de fédération alors bénévoles ont pu être rémunérés. Selon quelle logique, d’après vous, un bénévole peut-il être rémunéré pour un mandat d’élu fédéral ? Cette décision vise-t-elle à limiter les abus liés au remboursement de frais ? Pourriez-vous nous expliquer comment vos frais étaient remboursés en tant que président de fédération puis du CNOSF ?

M. Denis Masseglia. Je souhaiterais commencer par rectifier un point. La possibilité de rémunérer les dirigeants de fédération a été obtenue sous la présidence d’Henri Sérandour, avec ma participation, avant 2009.

La logique à laquelle je souscris à titre personnel est la suivante : un dirigeant de fédération ne doit pas perdre d’argent du fait de ses fonctions, mais ne pas en gagner pour autant. À titre personnel, j’ai toujours exercé mes mandats de manière bénévole, jusqu’en 2009, date de mon élection à la présidence du CNOSF. J’avais décidé que je demanderais à être indemnisé de la perte financière subie si j’étais élu, et que dans le cas contraire, je ferais valoir mes droits à la retraite, quitte à perdre la moitié de mon salaire. Une fois élu, j’ai demandé une indemnité d’environ 3 000 euros par mois correspondant à l’euro près à mon salaire de professeur en classe préparatoire aux grandes écoles. Pour mon troisième mandat, je n’étais plus en âge d’exercer une activité professionnelle. J’ai donc demandé à être entièrement bénévole.

Vous ne pouvez savoir combien j’ai été affecté par l’article du Monde m’accusant d’avoir cherché à dissimuler des frais de mission au CNOSF. J’habitais alors dans un studio appartenant au CNOSF, je faisais mes courses à Franprix et je n’ai jamais pris un seul repas sur le compte du CNOSF. Quant à mes frais de déplacement, je prenais essentiellement l’avion. Je reconnais que ce mode de transport n’est pas idéal dans le contexte actuel, mais il me permettait de gagner du temps. Je suis blessé quand on me parle de ce sujet. Le fait est que je me suis appauvri financièrement en étant dirigeant du CNOSF, mais enrichi intellectuellement.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous faites référence à l’article du Monde qui faisait état de 30 000 euros de frais de mission.

M. Denis Masseglia. J’ai tenu à ne pas bénéficier de frais de mission au CNOSF et à payer moi-même les dépenses qui auraient pu être considérées comme telles. Je ne voulais pas être le président du CNOSF ayant les notes de frais les plus élevées.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il a manifestement été proposé de diviser le montant de ces frais en deux parties, la première étant facturée sur une société vous appartenant et la seconde partie au CNOSF. La modification a posteriori de la ligne de facturation est-elle une pratique courante de remboursement de frais ?

M. Denis Masseglia. Le remboursement de frais nécessite une lettre de mission clairement définie. Ce document n’a jamais été établi, ce qui pouvait entraîner des difficultés de justification de certains frais. Ma seule préoccupation a été de limiter autant que possible les montants à me rembourser par le CNOSF. Il ne faudrait pas déformer mes propos.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je ne déforme pas vos propos, je me réfère simplement à des informations écrites. Jugez-vous correct, sur le plan éthique, d’engager 30 000 euros de frais et de les facturer a posteriori pour partie sur une société, pour partie sur le CNOSF ? Dans mon souvenir, les avocats avaient estimé que ce montage financier n’était pas autorisé.

M. Denis Masseglia. Non ce n’est pas ce qu’ils ont répondu puisqu’en tant que président honoraire, je n’étais pas soumis aux mêmes obligations qu’un membre du conseil d’administration ou toute autre partie prenante. Vous en faites une question d’éthique ce qui est encore plus blessant pour moi.

Sous ma présidence, le CNOSF a fait l’objet d’enquêtes de la Cour des comptes. À l’époque, j’avais pris l’habitude de me déplacer dans une voiture avec chauffeur, comme le faisait mon prédécesseur. Après le décès du chauffeur, j’ai pris la décision de ne pas renouveler ce contrat. Je conduisais donc mon véhicule ou je prenais des taxis. Mes frais de transport ont augmenté de près de 10 000 euros. Dans le même temps, une économie d’environ 45 000 euros a été réalisée en supprimant le poste de chauffeur. La Cour des comptes m’a répondu qu’il n’existait pas de lien entre ces deux lignes budgétaires. Cet épisode m’a traumatisé, et c’est la raison pour laquelle j’ai voulu limiter autant que possible mes frais de mission. Je préférais donc travailler et donner des conférences pour pouvoir me déplacer et être hébergé sans que cela n’entraîne aucun coût pour le CNOSF. De mon point de vue, je n’ai commis aucun manquement à l’éthique. Les faits étaient entièrement transparents.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pourriez-vous revenir sur la crise de gouvernance traversée par le CNOSF et sur les tensions qui vous ont opposé à Brigitte Henriques ?

M. Denis Masseglia. J’ai écrit aux présidents de fédération pour leur expliquer ma décision de déposer plainte contre X. Il y a 7 à 8 chefs d’accusation qui ont fait que je n’avais pour seule solution que de porter plainte auprès du parquet national financier.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez soutenu la candidature de Mme Henriques pour vous succéder à la tête du CNOSF. En quoi, selon vous, incarnait-elle les valeurs du mouvement sportif alors qu’elle était issue de la FFF – une fédération bien connue pour ses scandales, notamment financiers et en matière de violences sexuelles et sexistes ? Quelles raisons ont motivé votre choix ?

M. Denis Masseglia. En tant que président en exercice, il était légitime que je me préoccupe de ma succession. À l’époque, le candidat naturel était Michel Vion, président de la Fédération française de ski. Il m’a prévenu en décembre 2020 qu’il ne serait finalement pas candidat. Plusieurs collègues m’ayant recommandé de choisir une candidate, le nom de Brigitte Henriques, vice-présidente, a été évoqué. Elle s’occupait du football féminin qui n’a pas la même image que le football masculin. Après m’être renseigné auprès de différents contacts à la Fédération Française de football, j’ai soutenu sa candidature. Par la suite, j’ai déclaré m’être trompé et avoir été trompé dans ce choix. Plusieurs événements ont rendu le départ de la nouvelle présidente inéluctable. Je regrette d’avoir dû déposer une plainte, la seule de ma vie, contre X sur la gestion du CNOSF.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lorsque vous avez soutenu la candidature de Brigitte Henriques, saviez-vous qu’elle était visée pour des faits de harcèlement ?

M. Denis Masseglia. Je l’ignorais. J’ai découvert l’affaire Jacky Fortepaule a posteriori, en prenant connaissance du dossier complet qui m’avait été envoyé. Avec les attendus du jugement et les propos qui avaient été tenus, il y avait de quoi être assez horrifié. J’ai moi-même appelé l’une des victimes, qui m’a confié être prête à s’exprimer. Elle m’a parlé et j’ai vu dans quelles difficultés elle était. J’ai écrit au trésorier et à la secrétaire générale du CNOSF, soutiens de Brigitte Henriques, pour les informer de l’affaire.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. En dehors de vos échanges avec l’une des victimes, avez-vous déposé un signalement à ce moment ?

M. Denis Masseglia. Je ne l’ai pas fait, puisque le procès avait déjà eu lieu. Je me suis appuyé sur les attendus du jugement en première instance et en appel du dossier Jacky Fortepaule. Brigitte Henriques avait déclaré, lors de son témoignage, qu’elle n’avait pas connaissance des faits, mais ces affirmations ne m’ont pas semblé logiques. Or au moins entre la première instance et le jugement en appel, elle avait forcément été informée de certains faits figurant dans le jugement. Une autre personne a indiqué qu’il aurait mieux valu qu’elle reconnaisse qu’elle était au courant. J’espère m’être bien fait comprendre.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je crains que non. Pensez-vous nous avoir tout dit au cours de cette audition ?

M. Denis Masseglia. Oui.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous pouvez nous recontacter si vous souhaitez nous transmettre des informations complémentaires. Je vous remercie.

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18.   Audition, ouverte à la presse, de M. Jérôme Rouillaux, directeur général du Centre de ressources, d’expertise et de performance sportive (CREPS) Sud - Provence-Alpes-Côte d’Azur (28 septembre 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Mes chers collègues, nous accueillons M. Jérôme Rouillaux, directeur général du centre de ressources, d’expertise et de performance sportive (Creps) Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Monsieur le directeur général, je vous souhaite la bienvenue à l’Assemblée nationale et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions. Nous avons entamé les travaux de notre commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet 2023.

L’Assemblée nationale a choisi de créer cette commission d’enquête à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux se déclinent donc autour de trois axes : l’identification des violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ; l’identification des discriminations sexuelles et raciales dans le sport et l’identification des problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

Nous avons entendu de nombreuses victimes, sportifs de haut niveau ou non, hommes ou femmes, intervenant dans des disciplines différentes. Elles nous ont décrit les violences qu’ils ont subies principalement lorsqu’elles étaient mineures, essentiellement du fait de leur entraîneur ou de la part d’autres sportifs manipulés par leur entraîneur. À ces violences, qui semblent particulièrement répandues, s’ajoutent des actes de discrimination fondés sur le sexe ou sur la race. Nous avons aussi auditionné des journalistes d’investigation qui ont dénoncé plusieurs scandales financiers dans le milieu du sport, en particulier dans le football et le rugby.

Pouvez-vous nous indiquer le nombre et la nature des signalements dont le Creps que vous dirigez a eu connaissance au cours des dernières années sur le sujet des violences sexuelles et sexistes et des discriminations ? Quelles suites ont été données à ces signalements ? Pourriez-vous partager avec nous les initiatives prises au sein de votre Creps en matière d’identification des violences sexuelles, physiques ou psychologiques et des discriminations sexuelles et raciales ?

Nous avons recueilli de nombreux témoignages qui font état d’un besoin criant de formation des encadrants, des sportifs et des parents à ces enjeux. Qu’en pensez-vous ? Les formations que vous proposez contiennent-elles systématiquement des modules pédagogiques spécifiquement dédiés aux questions des violences dans le sport et aux discriminations ? Quelle appréciation portez-vous sur l’adéquation de ces formations aux enjeux qui nous intéressent ?

Enfin, du haut de votre expérience de près de vingt ans dans le domaine du sport, quelle appréciation portez-vous sur la gouvernance du sport et son évolution récente ? Sur les sujets qui intéressent notre commission d’enquête, auriez-vous des recommandations à formuler ?

Je précise que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Jérôme Rouillaux prête serment.)

M. Jérôme Rouillaux, directeur général du Creps Provence-Alpes Côte d’Azur. En préambule, je souhaiterais vous apporter quelques précisions sur l’origine et le fonctionnement des Creps. Ces derniers sont souvent comparés à des établissements scolaires du second degré, mais leur organisation est en réalité très différente de ce modèle. Je voudrais aussi vous faire part de nos principales missions, qui peuvent présenter des risques en rapport avec l’objet de votre commission d’enquête. J’exposerai ensuite quelques exemples illustrant nos relations avec les fédérations sportives. Je pourrai également aborder certains dossiers de harcèlement, violences sexistes ou sexuelles que j’ai été amené à traiter, avec l’ensemble de mes collaborateurs. Enfin, je me tiendrai à votre entière disposition pour répondre à l’ensemble des questions.

Il faut savoir que les centres de ressources, d’expertise et de performance sportive existent depuis 1945. Ils ont remplacé les centres régionaux d’éducation générale et sportive (Cregs), créés sous le gouvernement de Vichy. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les autorités entendent former des éducateurs sportifs pour reconstruire la nation et redonner de la fierté à la jeunesse française.

En 1984, les Creps cessent de former les professeurs d’éducation physique et sportive (EPS) intervenant dans les établissements scolaires. Les Creps engagent alors un travail de reconstruction de leurs missions. Dans ce cadre, un nouveau corps de fonctionnaires du ministère de la jeunesse et des sports est créé, celui des professeurs de sport. Il s’agit principalement des cadres techniques placés dans les fédérations sportives.

Jusqu’en 1986, la dénomination Creps signifie « centre régional d’éducation physique et sportive ». Avec le décret publié cette même année, les Creps deviennent des « centres d’éducation populaire et de sport ». Ils acquièrent la personnalité morale et sont placés sous la tutelle du ministère de la jeunesse et des sports. Des agents publics et acteurs associatifs sont alors formés dans tous les secteurs (sport, jeunesse et éducation populaire). Progressivement, des sportifs de haut niveau font leur entrée dans des structures, nommées tour à tour « centres permanents d’entraînement et de formation » ou « centres régionaux ». Les Creps remplissent aussi une mission d’animation sportive régionale, conduisant des actions d’étude et de recherche.

L’année 1995 marque un autre tournant dans l’histoire des Creps. Dans le cadre du parcours d’accession et de préparation au sport de haut niveau, le ministère des sports met en place les « filières du haut niveau ». Celles-ci ont vocation à accompagner un jeune sportif jusqu’au podium des grandes compétitions. Les Creps accueillent alors des « pôles » destinés aux sportifs détectés par les fédérations. En parallèle, ils assurent une mission de formation professionnelle aux métiers du sport et de l’animation.

En 2009, le nombre de Creps passe de 24 à 17, suite à la suppression d’établissements, auxquels il faut ajouter les écoles nationales de voile, montagne, d’équitation et l’Insep. Depuis lors, ce nombre est resté constant, avec 17 Creps répartis sur l’hexagone et en Outre-mer où il existe un centre à la Réunion et un centre en Guadeloupe. En 2011, tout en conservant leur acronyme, les Creps deviennent des « centres de ressources, d’expertise et de performance sportive », leur intitulé actuel. En 2016, en application de la loi du 7 août 2015 sur la nouvelle organisation territoriale de l’État (loi NOTRe), la décentralisation partielle des Creps est actée. Jusqu’alors établissements nationaux, ils deviennent des établissements locaux de formation dans les domaines du sport, de la jeunesse et de l’éducation populaire. Leur gouvernance est partagée par l’État et la région.

En 2019, la nouvelle Agence nationale du sport (ANS) prévoit l’accueil, par les Creps, des Maisons régionales de la performance (MRP). Celles-ci sont le bras armé de l’Agence au niveau territorial pour préparer au mieux les sportifs aux grandes échéances sportives. Le responsable de la MRP est placé sous l’autorité hiérarchique du directeur du Creps. En 2022, enfin, un décret sur les Creps vient entériner des dispositions législatives et réglementaires, en particulier la création des comités sociaux d’établissement (CSE) et l’arrivée des MRP.

Ayant eu la chance de diriger un autre Creps pendant huit ans, je peux affirmer que ces établissements font partie intégrante de la vie locale, territoriale. Le grand public connaît le Creps, qui fait office de pilier avec près de 80 ans d’existence.

L’établissement que je dirige est le plus important après l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep). Il est réparti sur trois sites : Aix-en-Provence, Boulouris/Saint-Raphaël et Antibes. Un directeur adjoint est présent sur chaque implantation. Nous disposons d’un budget de plus de 15 millions d’euros et 38 % de ressources propres. La masse salariale représente 10 millions d’euros, dont 8 millions d’euros pour les agents de l’État et 2 millions d’euros pour les agents de la région – lesquels sont financés par la collectivité. Au total, ce Creps présente un effectif d’environ 188 agents répartis sur les trois sites.

Contrairement aux établissements scolaires, les Creps fonctionnent pratiquement 362 jours par an. Les périodes de vacances scolaires sont pour nous des périodes pleines, avec de nombreux accueils et stages.

Nos missions et notre activité sont déterminées par le décret : accueil des sportifs de haut niveau ; formation professionnelle aux métiers du sport et le sport de haut niveau ; accueil de stages et de regroupements.

S’agissant du sport de haut niveau, il revient aux fédérations sportives, après obtention de l’accord de l’ANS, de valider un projet de performance fédérale. Les pôles sont constitués à partir de ce projet, et les sportifs sont sélectionnés par la fédération, avec l’accord final du chef d’établissement. Une commission de sélection étudie les compétences scolaires et sportives du jeune accueilli.

Les Creps regroupent environ un tiers des pôles, les autres dépendant de structures privées. Au sein de notre Creps, nous suivons 450 sportifs par an dont l’effectif est renouvelé de près de 25 % tous les ans. Nous disposons de 38 structures, avec 250 internes. La moitié des sportifs accueillis sont mineurs dont 60 % sont des garçons et 40 % des filles. La part des filles est d’ailleurs en légère progression cette année.

Notre mission consiste à animer un double projet au profit des jeunes : d’une part le suivi scolaire ou universitaire, et d’autre part, le suivi sportif. S’y ajoute aussi l’accompagnement des sportifs dans leur vie de futur citoyen. Pour ce faire, notre établissement a constitué un écosystème centré sur les jeunes, que nous tâchons d’améliorer au fil des ans. Nous disposons d’un département du sport de haut niveau sur chaque site, mais aussi d’assistants d’éducation, de médecins, de kinésithérapeutes et de psychologues. Nous constatons, en effet, que ces jeunes ont de plus en plus besoin d’encadrement et d’aide. Nous observons aussi que leur condition physique a changé depuis dix ou vingt ans. Certains passent d’un entraînement deux fois par semaine à un entraînement quotidien, ce qui accroît les risques de blessures durant le premier trimestre. Nous nous efforçons donc de préserver leur intégrité physique et psychologique.

Les pôles sont encadrés par des cadres techniques sportifs des fédérations. La plupart d’entre eux sont des agents de l’État, mais certains sont des cadres techniques de droit privé, employés par les organes décentralisés des fédérations (ligues, comités). Conformément au contrat d’engagement républicain demandé aux fédérations, tous les cadres ont dû faire l’objet d’un contrôle d’honorabilité. Nous ne sommes pas systématiquement informés. Nous souhaitons inscrire cela dans les conventions qui nous lient avec les fédérations. Ces cadres d’État travaillent sous l’autorité hiérarchique du délégué régional à l’animation, la jeunesse, l’engagement et le sport (Drajes) et sous l’autorité fonctionnelle du directeur technique national (DTN). Pour ma part, je n’ai aucun lien hiérarchique ou fonctionnel avec ces cadres techniques. Nous nous efforçons donc de travailler en bonne entente, ce qui n’est pas toujours facile. Je pense qu’il serait judicieux de prévoir la possibilité que le Creps participe à l’évaluation annuelle du cadre technique, puisque ce dernier travaille toute l’année dans le pôle.

La MRP installée en septembre 2021 au sein de notre établissement compte sept personnes. Elle a vocation à suivre tous les sportifs inscrits sur la liste ministérielle, les médaillables aux Jeux olympiques et paralympiques, sélectionnables, sur tout le périmètre régional. La MRP participe donc au rayonnement du Creps auprès de l’ensemble des partenaires.

En région Paca, ce sont environ 1 700 sportifs qui sont suivis, dont une quarantaine de médaillables, en relation étroite avec les fédérations et les entraîneurs, à qui nous apportons la petite touche, le petit « plus » nécessaire, selon la volonté de Claude Onesta. La MRP s’occupe aussi des questions d’ordre médical (soin, santé, performance), de la montée en compétences de l’encadrement, du suivi socioprofessionnel, et enfin de la préparation physique et de la réathlétisation après blessure.

Le Creps assure aussi des actions de formation professionnelle aux métiers du sport, destinée aux futurs entraîneurs. Dans ce cadre, plusieurs modules portent sur la lutte contre les violences et le harcèlement. Un autre module est consacré à l’enseignement des valeurs de la République, et nous nous efforçons de l’intégrer systématiquement à l’ensemble des formations proposées. Nous touchons près de 2 500 stagiaires par an, dont 80 % sont issus de la région Paca. Nous offrons 45 cursus diplômants et dispensons 150 sessions de formation. Nous sommes donc un gros organisme de formation, dans le champ concurrentiel certes mais avec une force de frappe importante puisque notre Creps peut compter sur des encadrants de qualité. Nous avons une spécificité qui est d’encadrer toutes les spécialités liées aux activités en environnement spécifique, un sujet qui requiert une vigilance particulière.

Le Creps est également investi d’une mission d’accueil, particulièrement active en période de vacances scolaires. Nos trois sites sont d’ailleurs presque toujours pleins, a fortiori dans le contexte de préparation des Jeux olympiques et paralympiques. De nombreuses équipes apprécient l’encadrement et le cadre de vie que nous leur offrons.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Parmi les formations enseignées dans votre établissement, existe-t-il un module dédié aux violences sexuelles et sexistes et aux discriminations ?

M. Jérôme Rouillaux. Ces modules sont mis en place de manière progressive. Certains sont déjà en place depuis deux ou trois ans. Nous avons organisé les formations « valeurs de la République » et avons élargi le champ. Ces formations sont dispensées en interne, auprès du personnel du Creps et des jeunes des pôles.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Quel est le pourcentage de formations concernant la thématique des violences sexuelles et sexistes et les discriminations ?

M. Jérôme Rouillaux. Je ne pourrai pas vous indiquer précisément la part de ces formations en durée, car celle-ci dépend des formateurs. Nous mettons à leur disposition une panoplie d’outils qu’ils peuvent choisir en fonction de la formation coordonnée. À titre d’exemple, nous accueillons beaucoup de jeunes ou très jeunes gens sortant de Parcoursup. Cette population est beaucoup plus difficile à encadrer que des jeunes plus âgés, qui ont réellement choisi leur formation. Il nous faut donc adapter notre offre d’enseignement pour qu’elle porte ses fruits auprès de ce public.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Quel est le pourcentage de jeunes suivant ces modules de formation ? Ces derniers sont-ils facultatifs ? Enfin, sont-ils intégrés au parcours de formation des encadrants ?

M. Jérôme Rouillaux. Ces modules de formation sont bien évidemment inclus dans le parcours destiné aux encadrants. Si vous le souhaitez, je pourrai vous adresser les rubans pédagogiques précisant de quelle manière ces modules sont introduits.

Pour terminer, je voudrais m’arrêter sur deux sujets auxquels notre établissement accorde une attention particulière.

D’une part, la qualité de vie au travail et les risques psychosociaux ont fait l’objet d’un long travail, qui a débuté avant ma prise de fonctions en 2019. Pour nous accompagner dans cette démarche, nous nous appuyons sur un conseiller de prévention, secondé par un assistant de prévention sur chaque site. Un plan d’action a été mis en place. Il est régulièrement présenté en comité social d’établissement (CSE). Suite à la décentralisation, nous poursuivons cette action en collaboration avec la région Paca. Dans ce cadre, un cahier de signalements a été mis en place qui peut être rempli de manière confidentielle. Il a fait l’objet d’une information auprès de l’ensemble des agents du Creps. Le conseiller de prévention nous relaie les signalements qui peuvent porter sur du harcèlement psychologique, sexuel etc.

D’autre part, la ministre chargée des sports a demandé en 2020 à tous les établissements de se doter d’un plan « éthique et intégrité ». Celui-ci regroupe de nombreux sujets, dont certains traités depuis longtemps tels que la lutte contre le dopage ou le bizutage, l’addiction aux paris, les harcèlements. Notre conseil d’administration a voté un plan éthique et intégrité le 29 novembre 2022, après une présentation en CSE. Le document a été élaboré avec les organisations syndicales.

Par ailleurs, notre établissement a constitué trois groupes qui doivent se réunir en séance plénière une fois par an : un groupe « éthique », un groupe « intégrité » et un groupe « égalité ». Chaque groupe travaille séparément, et apporte sa contribution au plan d’action, qui est révisé tout au long de l’année. Ce plan s’adresse à tous les usagers, qu’il s’agisse des sportifs de haut niveau, des stagiaires de la formation professionnelle, des autres utilisateurs du Creps et, plus largement, de tous les personnels. Je perçois d’ailleurs une dynamique très positive dans ces groupes de travail, qui nous permet de lancer de nombreuses actions.

Nous sollicitons des associations pour des interventions, à la rentrée, sur des thématiques telles que le harcèlement ou le dopage. Nous avons fait intervenir Colosse aux pieds d’argile ou encore les services de la gendarmerie. Nous nous attachons à sensibiliser les jeunes, en veillant à étaler ces enseignements pour ne pas les submerger d’informations. L’établissement est donc entièrement mobilisé sur ces questions, et déploie des sentinelles pour l’aider dans ce rôle. J’ajoute que notre Creps est déterminé à redoubler de vigilance et d’efficacité dans la prévention des problématiques psychologiques. Nous faisons tout notre possible pour traiter au mieux les cas dont nous avons connaissance, et je veux croire que nous y sommes parvenus jusqu’à présent.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Depuis le début de cette commission d’enquête, nous avons auditionné de nombreuses personnes, dont de jeunes athlètes de l’Insep. J’ai noté que votre établissement a engagé un travail sur la prévention des violences sexuelles et sexistes, avec la mise en place de modules de formation sur cette thématique. Nous constatons néanmoins qu’il reste un long chemin à parcourir pour parvenir à réduire drastiquement le nombre de victimes. Pouvez-vous nous expliquer la procédure appliquée dans votre Creps pour traiter ce type de dossiers ?

Lors des auditions, plusieurs sportifs ont évoqué le climat d’omerta régnant dans certains clubs sportifs ou fédérations, mais aussi dans des établissements tels que l’Insep. Avez-vous eu l’occasion de constater cette omerta, cette difficulté pour les victimes à s’exprimer ? Certaines personnes nous ont aussi fait part de leurs craintes de témoigner auprès des interlocuteurs désignés dans les fédérations ou les clubs après avoir constaté que les propos privés tenus à un psychologue avaient été rapportés à leur entraîneur ou leur coach. De telles pratiques entretiennent chez les victimes une défiance envers l’institution, qui les dissuade de déposer un signalement sur Signal-sports ou sur d’autres dispositifs.

Par ailleurs, comment diffusez-vous l’information sur la cellule Signal-sports ? Des sportifs de l’Insep nous ont indiqué ne pas avoir connaissance de l’existence de ce service. D’après eux, aucun affichage ni information ne sont effectués sur ce sujet. Laurent Blanc lui-même avait déclaré qu’il ignorait l’existence de cette cellule du ministère.

M. Jérôme Rouillaux. Ancien sportif de haut niveau, j’ai étudié à l’Insep de nombreuses années. Avant cette problématique, le monde sportif était confronté à une autre réalité catastrophique : le dopage. J’ai découvert cette pratique au bataillon de Joinville. Je n’aurais jamais imaginé l’étendue du problème. J’idéalise sans doute le monde sportif, et c’est pourquoi le dopage, le harcèlement ou les paris truqués me paraissent inconcevables. J’ai eu la chance d’avoir été en contact avec des formateurs qui m’ont conforté dans cette vision. Je me réjouis de pouvoir continuer à travailler dans le domaine sportif, qui est ma passion, et d’y véhiculer des valeurs.

Depuis mon arrivée à la direction du Creps Paca, j’ai tout mis en œuvre pour éviter le moindre soupçon d’omerta. Lorsque je suis arrivé au Creps de Bordeaux, j’ai été confronté à des faits de bizutage, qu’on pourrait requalifier en faits de harcèlement psychologique, dans un pôle de football. Trois mois après ma prise de fonctions, j’ai exclu définitivement quatre sportifs, eu égard à la gravité des faits.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Si je comprends bien, ces faits étaient antérieurs à votre arrivée. Faut-il en conclure que vos prédécesseurs ne sont pas intervenus ?

M. Jérôme Rouillaux. La particularité de notre discipline tient au fait que chaque année, une catégorie d’âge sort tandis qu’une nouvelle promotion fait son entrée. Les nouveaux arrivants font l’objet de bizutage ou de harcèlement, et reproduisent ces actions l’année suivante. Je précise que sur les huit ans passés à Bordeaux, je n’ai presque jamais eu affaire à des agissements de ce type. Ce problème a été réglé en relation étroite avec le directeur technique national, que je connaissais bien pour avoir travaillé longtemps dans le mouvement sportif. Dans les commissions de discipline, j’ai surtout rencontré des difficultés avec les parents : ma décision d’exclure leur enfant m’a presque valu des insultes de leur part.

Dans le Creps Paca, j’ai été informé de plusieurs cas. Certains concernaient des sportifs mineurs et avaient été découverts par les assistants d’éducation ou par les médecins de haut niveau ou souvent par le médecin du Creps. Celle-ci dans la minute m’appelait et elle déposait immédiatement un signalement auprès du Bureau du procureur pour la protection des mineurs. Simultanément, nous adoptions une mesure conservatoire pour mettre à l’écart le jeune de l’internat et des entraînements, tout en le laissant poursuivre son cursus scolaire. Le dossier était ensuite instruit par la fédération. Une des difficultés tient à l’existence de plusieurs procédures : procédure judicaire, procédure mise en place par la fédération et procédure mise en œuvre par notre établissement qui décide systématiquement d’une mesure conservatoire pour écarter les personnes.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Votre mesure conservatoire s’applique-t-elle à la victime ou à l’auteur ?

M. Jérôme Rouillaux. C’est bien l’auteur qui est écarté de l’internat et des entraînements. Dans le même temps, nous accompagnons de près les victimes. Certaines décident de rentrer chez leur famille pendant plusieurs semaines ou mois, voire de quitter définitivement le pôle.

Il faut savoir que les Creps sont de petites structures à dimension humaine, qui créent une forte proximité entre les sportifs et les agents techniques.

Il nous faut avoir un détecteur car il peut arriver qu’on ne l’ait pas. Peu avant mon arrivée au Creps Paca, des sportifs avaient enfreint les règles de l’établissement en se rendant à une soirée. L’entraîneur, qui était présent à l’événement, avait décidé de les exclure du pôle. En tant que direction du Creps, il nous appartient de sensibiliser les entraîneurs à ces problématiques. Ils travaillent dans notre structure tout au long de l’année, et n’ont donc pas toujours la possibilité de suivre des formations dans leur fédération ou à la direction régionale.

Un autre dossier, survenu en 2022, porte sur l’un des formateurs de notre établissement. Ce dernier a fait l’objet d’un signalement de la part d’une stagiaire de formation professionnelle adulte. En présence des formateurs et du groupe, elle a pris la parole pour rapporter les faits subis. L’agresseur présumé était lui-même présent à cette occasion. En entendant la stagiaire, d’autres sportives ont fondu en larmes. On a compris qu’il y avait eu d’autres agissements sur ces jeunes femmes.

Avec mon adjointe et en relation étroite avec la direction des sports, nous avons mis en œuvre tous les moyens à notre disposition. J’ai averti immédiatement ma supérieure hiérarchique, Fabienne Bourdais. Notre première préoccupation était d’éviter absolument un vice de procédure. Comme je le disais, l’une des difficultés dans ce genre de situation est qu’il y a trois procédures quasiment en parallèle. Bien entendu j’ai alerté le procureur de la République, et j’ai découvert qu’il avait lancé une enquête. En outre, j’ai lancé une procédure par le biais du service départemental à la jeunesse, l’engagement et au sport pour vérifier que la personne mise en cause dispose d’une carte professionnelle et stopper le processus si c’est en cours.

Enfin, il m’a fallu diligenter une enquête administrative interne. Il s’agit d’un travail très lourd, à la fois chronophage et psychologiquement éprouvant. J’ai eu à cœur de mener cette démarche de la manière la plus juste possible, en veillant à préserver l’agresseur présumé. Nous avons tenu 35 auditions dans ce cadre et rédigé un rapport, qui a été transmis à la direction des ressources humaines du ministère de l’éducation nationale.

Un conseil de discipline a été convoqué, et une sanction exemplaire de 18 mois de suspension, dont 12 mois avec sursis, a été prononcée.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le temps de la justice est parfois bien plus long que celui des enquêtes administratives internes. Je retiens de vos propos que l’agresseur pourrait bientôt reprendre son poste.

M. Jérôme Rouillaux. Il sera effectivement autorisé à réintégrer son poste dans 6 mois. Mais il est bien évident que ses faits et gestes seront suivis de près. La moindre erreur lui serait extrêmement préjudiciable.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Cette question demeure tout de même très préoccupante, d’autant que la suspension est limitée à six mois. Quels moyens peut-on mettre en œuvre pour écarter l’agresseur de potentielles victimes ?

Il nous a aussi été rapporté que les sanctions prononcées pouvaient être annulées pour des vices de forme, en cas de recours. Les personnels du Creps sont-ils formés aux procédures disciplinaires internes, pour éviter autant que possible ce risque ?

M. Jérôme Rouillaux. Nous ne recevons pas de formation spécifique sur ce point. Cependant, depuis la création de la plateforme Signal-sports, de nombreuses actions ont été déployées – au point qu’il était parfois difficile de s’orienter. Nous étions un peu perdus. Depuis, l’information est beaucoup plus claire. En novembre 2022, le ministère a publié un guide de l’audition en enquête administrative pour des faits de violence sexuelle et sexiste dans le champ du sport. En février 2023, un vade-mecum Mieux repérer et réagir face aux violences à caractère sexuel dans le champ du sport a été diffusé. De plus, nous avons accès à différents modules dans le cadre de la formation professionnelle continue.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous connaissance du nombre de personnes ayant sollicité ces formations ?

Pourriez-vous également nous préciser les faits qui se sont déroulés dans votre établissement ? Pouvez-vous nous en dire plus ? Combien de temps ont-ils duré ?

M. Jérôme Rouillaux. En ce qui concerne les jeunes sportifs, le problème a été rapidement dévoilé dès le premier passage à l’acte. Une sportive va dans sa chambre chercher quelque chose, elle se trouve enfermée puis… En revanche, dans l’affaire impliquant un formateur, plusieurs épisodes se sont succédé. Il s’agissait de harcèlement à caractère sexiste, et non sexuel. Fort heureusement, la jeune stagiaire a eu le courage de prendre la parole, ce qui a incité d’autres victimes à s’exprimer. L’une d’entre elles nous a expliqué qu’elle craignait de dénoncer les faits, de peur de ne pas trouver de travail. Avec mon adjointe, nous sommes parvenus à la convaincre de témoigner, et ses déclarations ont eu un rôle important sur le jugement.

Il y a quelques années, nous avons déposé un signalement à l’encontre d’un entraîneur pour harcèlement psychologique. À l’époque, les sportives avaient refusé de s’exprimer tant que la sélection aux Jeux olympiques de Tokyo n’était pas décidée. Les sportifs de haut niveau sont parfois prêts à tolérer des rapports inhabituels avec leur entraîneur pour réussir. Je me suis moi-même révolté intérieurement, mais il était très difficile de faire plus, par crainte de se trouver relégué. Fort heureusement, la situation a évolué depuis.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Voulez-vous dire que vous avez été vous-même victime de violences ?

M. Jérôme Rouillaux. Il ne s’agissait pas à proprement parler de violences, mais plutôt d’une manière de s’adresser à nous. Il m’est aussi arrivé, ayant demandé pour quelles raisons je n’avais pas été sélectionné, de m’entendre répondre : « Ça ne te regarde pas ! »

En tant qu’entraîneur, j’ai toujours veillé à ne pas adopter ce comportement. J’ai eu aussi la chance d’être bien formé à l’Insep, dans mon cursus de professeur d’EPS. Dans mon club, j’ai été en contact avec des entraîneurs extraordinaires, qui m’ont toujours soutenu dans les difficultés. Ces personnalités m’ont forgé et m’ont transmis certaines valeurs que j’ai à cœur de porter à mon tour, en tant que directeur de Creps.

Je souhaite aussi vous faire part d’un autre cas pour illustrer certaines difficultés. Un stagiaire de la formation professionnelle a fait l’objet d’un signalement de la part du président d’un club où il effectuait son stage. Nous avons pris une mesure conservatoire et écarté le stagiaire, mais le dossier a été classé sans suite par le procureur. Cela s’est retourné contre nous. Le stagiaire a décidé de porter plainte contre le Creps mais le plaignant a été débouté. Le Creps n’a pas eu à s’acquitter de dommages et intérêts puisqu’il avait appliqué strictement la procédure.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ce risque d’attaque en justice freine-t-il les signalements, d’après vous ? Plusieurs victimes nous ont informées qu’elles avaient été attaquées en justice pour diffamation, suite à leurs plaintes. Elles ont très mal vécu leur convocation au commissariat.

M. Jérôme Rouillaux. En tout état de cause, mon équipe de direction et moi-même ne reculerons pas devant ce risque. Nous ne pouvons céder à des intimidations.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Merci, monsieur Rouillaux. N’hésitez pas à revenir vers nous si vous souhaitez nous faire part d’autres informations susceptibles d’intéresser cette commission d’enquête.

M. Jérôme Rouillaux. Je me permettrai de vous adresser le plan stratégique de respect de l’éthique et de l’intégrité dans le sport, que nous avons conçu. Sans être parfait, ce support est un exemple des actions que nous menons. Je vous transmettrai également le descriptif des modules de formation.

Je voudrais tout de même aborder un autre point important. Nous recrutons des assistants d’éducation, mais nous ne disposons pas d’un accès direct au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV). Nous avons accès au bulletin n° 2 du casier judiciaire mais pas au FIJAISV. Nous sommes donc contraints de saisir les services départementaux à la jeunesse, à l’engagement et aux sports pour obtenir ces informations. Cela me paraît dommageable, d’autant plus que tout accès au document est identifié.

Enfin, je suis d’avis que nous devrions avoir de plus grandes responsabilités à l’égard des cadres techniques des fédérations travaillant au quotidien dans nos établissements. Ce lien pourrait se matérialiser sous forme d’entretien annuel ou d’évaluation. Le fait est qu’en l’état, ces cadres n’ont pas vraiment de comptes à nous rendre.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ce sujet a aussi été soulevé à propos des fédérations. En effet, il n’existe pas de lien hiérarchique entre la fédération et le DTN mis à sa disposition.

Pouvez-vous nous préciser sous quels délais vous obtenez les informations relatives au FIJAISV auprès des services départementaux ? Vous arrive-t-il de procéder à des recrutements alors que les informations sollicitées ne vous ont pas encore été communiquées ?

M. Jérôme Rouillaux. Je vous avoue que cette année, nous n’avons pas saisi les services départementaux sur les recrutements, en raison de la lenteur du processus.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je comprends que les personnes recrutées cette année par le Creps Paca n’ont pas fait l’objet de contrôles préalables.

M. Jérôme Rouillaux. Je ne crois pas. Il est heureux que nous ayons accès au bulletin n° 2 du casier judiciaire des candidats. De fait, nous avons déjà été amenés à annuler un recrutement à la lumière des informations contenues dans ce bulletin.

Au Creps de Bordeaux, qui est implanté dans un campus universitaire, de nombreux assistants d’éducation étaient de jeunes étudiants, âgés de 20 à 25 ans. Au Creps Paca, en revanche, certains assistants d’éducation ont 35 ans ou plus.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La consultation du FIJAISV n’est donc pas une obligation préalable au recrutement ?

M. Jérôme Rouillaux. Elle ne constitue pas une obligation, mais il serait souhaitable qu’elle soit systématique.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Merci de nous avoir aidé à identifier certaines failles. Je pense que le sport a d’abord vocation à véhiculer des valeurs. Il est important de le rappeler.

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19.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Catherine Petit, cheffe du service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes, service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes à la direction générale de la cohésion sociale, ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations (28 septembre 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous accueillons à présent madame Catherine Petit, cheffe du service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes à la Direction générale de la cohésion sociale du ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. Je vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions, madame.

Nous avons entamé le 20 juillet dernier les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et de ses organismes de gouvernance. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux se déclinent autour de trois axes : l’identification des violences physiques, sexuelles et psychologiques dans le sport ; l’identification des discriminations sexuelles et raciales dans le sport ; et l’identification des problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

Notre commission a entendu de nombreuses victimes, parmi lesquelles on trouve beaucoup de femmes, mais pas uniquement. Qu’il s’agisse de sportifs de très haut niveau ou non, ils interviennent dans des disciplines différentes. Ces femmes et ces hommes nous ont décrit les violences qu’ils ont subies, principalement parce qu’ils étaient mineurs, essentiellement du fait de leur entraîneur ou de la part d’autres sportifs manipulés par leur entraîneur.

Ils ont également insisté sur l’omerta qui règne dans un milieu fermé où « tout le monde sait, mais personne ne dit rien ». La parole s’est beaucoup libérée à la suite des réévaluations de Sarah Abitbol, mais il reste beaucoup à faire pour briser l’omerta. À ces violences s’ajoutent des actes de discrimination fondés sur le sexe ou la race. Ils contribuent également au mal-être des joueurs et conduisent à des dérives.

Le service que vous dirigez impulse, coordonne et anime l’action ministérielle relative aux droits des femmes et à l’égalité entre les femmes et les hommes. Pourriez-vous nous présenter plus en détail l’action de ce service dans le domaine qui nous intéresse et la manière dont cette action s’articule avec celle des autres instances de la gouvernance du sport, en particulier la direction des sports ?

Comment le secteur du sport se situe-t-il par rapport à d’autres secteurs sur ces enjeux alors qu’on ne comptait récemment que 38 % de femmes parmi les licenciés de l’ensemble des fédérations sportives, 19 présidentes pour 115 fédérations, 11 femmes sur 70 directeurs techniques nationaux et alors que le sport féminin est encore seize fois moins diffusé à la télévision que le sport masculin ?

Quelle appréciation portez-vous sur les mesures mises en place au cours des années récentes afin de mieux lutter contre les violences sexuelles et sexistes et les discriminations dans le secteur du sport ? Je pense notamment à l’objectif de parité dans les instances dirigeantes, à la création de la cellule Signal-sports, à la formation des éducateurs sportifs ou encore au contrôle de l’honorabilité. Leur mise en œuvre vous paraît-elle satisfaisante ou faut-il aller plus loin ? La place des femmes dans le sport français est-elle meilleure ou pire que dans d’autres pays ? Y a-t-il à l’étranger de bonnes pratiques dont notre pays pourrait s’inspirer ? Que faudrait-il faire pour changer les choses profondément ?

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Avant de vous laisser la parole et d’entamer nos échanges, je vous rappelle que vous devez prêter serment.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main et à dire : « Je le jure ».

(Mme Catherine Petit prête serment.)

Mme Catherine Petit, cheffe du service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes à la Direction générale de la cohésion sociale. Je vais commencer par vous présenter le service que je dirige ainsi que son périmètre d’action, en particulier dans le domaine du sport. Ce service est placé sous l’autorité de la ministre déléguée auprès de la Première ministre en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes et la lutte contre les discriminations. Il s’agit d’un petit service composé de 25 personnes au niveau central et donc d’une toute petite administration pour faire vivre la grande cause du quinquennat. Il dispose également d’un réseau déconcentré, à la fois régional et départemental, d’environ 130 personnes.

Sa mission est de contribuer à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques d’égalité dans une approche dite intégrée. Nous agissons de manière transversale sur les enjeux de l’égalité dans toutes les politiques publiques. Nous agissons également en proposant des mesures spécifiques, qu’elles soient positives ou correctives, en faveur des femmes et de la promotion de leurs droits.

Très concrètement, cette animation de l’action interministérielle nous conduit à piloter en propre très peu de dispositifs et de politiques publiques. Nous apportons essentiellement une contribution à l’élaboration, à la mise en œuvre et à l’évaluation de toutes les politiques qui contribuent à la promotion de l’égalité dans l’ensemble des champs de l’action publique et en étroite relation avec les ministères concernés.

Pour ce faire, nous mettons à disposition de nos partenaires en interministériel une expertise dans le champ de l’égalité nourrie par la production et la diffusion de données, d’analyses et de travaux de recherche en matière d’égalité entre les femmes et les hommes, et ce, dans toutes les politiques sectorielles. Nous participons aussi en tant qu’experts aux travaux du Haut conseil à l’égalité ainsi qu’à ceux de la mission interministérielle pour la protection des femmes.

Dans ce cadre, nous collaborons étroitement avec le ministère des sports. Nous venons en appui dans l’élaboration de ses dispositifs de promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes, et tout particulièrement de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, en sachant qu’elles relèvent de sa compétence, et non de celle du ministère de l’égalité. Je tiens à préciser que le ministère de l’égalité entre les femmes et les hommes ainsi que son administration ne sont évidemment pas en lien direct avec les fédérations sportives.

Pour autant, il reste encore beaucoup à faire pour promouvoir la place des femmes dans le secteur du sport. Nous agissons en étroite collaboration avec le ministère des sports afin d’y contribuer. On sait que le sport a été longtemps un bastion masculin, voire un bastion de construction de la virilité. Même si les femmes sont parvenues à s’y intégrer, il y a encore de nombreux domaines dans lesquels il faut agir pour promouvoir leur place et réduire les inégalités qui persistent, à la fois dans la pratique sportive amateur ou de haut niveau et dans l’accès aux fonctions d’encadrement dans les métiers du sport. C’est la question du niveau de rémunération des sportifs de haut niveau.

D’une manière plus générale, c’est la culture de l’égalité que nous promouvons puisqu’elle constitue la pierre angulaire de l’évolution en profondeur des mentalités, sur lesquelles il faut agir. Et ce, partant de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Pour résumer, nous avons auprès du ministère des sports un rôle d’impulsion et d’aiguillon que nous jouons en mobilisant notre expertise et notre réseau d’acteurs, en collaborant à la production d’outils de sensibilisation ou de formation et, bien évidemment, en soutenant les acteurs du secteur sportif qui sont engagés dans des actions de promotion de l’égalité.

Nous menons ces actions autour de quatre grands objectifs partagés avec le ministère des sports : promouvoir l’égalité et la mixité dans les pratiques sportives et les métiers du sport, faciliter l’accès des femmes à des postes à responsabilité dans les instances dirigeantes, rendre visibles et valoriser les femmes dans le sport via leur médiatisation, prévenir les violences sexistes et sexuelles et sensibiliser à l’égalité entre les femmes et les hommes.

Sur ce dernier point, nous menons des actions au niveau national. À titre d’exemple, j’en citerai deux qui couvrent les quatre champs que je viens d’indiquer. Nous apportons un soutien à la Fédération nationale profession sport et loisirs, qui porte un projet intitulé « Métiers Pluri’Elles » visant à faciliter l’accès des femmes aux métiers du sport. Nous l’avons soutenu à hauteur de 25 000 euros en 2023.

Nous travaillons également avec le collectif Femmes journalistes de sport pour favoriser toutes les actions permettant aux femmes d’être à la fois mieux représentées dans les médias sportifs, plus protégées et plus valorisées. À ce titre, en 2022, nous avons financé une enquête scientifique sur la place des femmes journalistes de sport dans les rédactions. Ces travaux ont donné lieu à la rédaction d’une charte pour une plus grande égalité dans les rédactions sportives. Cette charte a été présentée en juin dernier et a recueilli 48 signatures au sein des rédactions sportives. Ce projet fait partie du plan interministériel pour l’égalité entre les femmes et les hommes sur la période 2023-2027, qui a été présenté par la Première ministre le 8 mars dernier.

Nous contribuons également à soutenir un grand nombre d’actions au niveau local et ce, en lien avec le réseau local, les référents sport des Délégations régionales académiques à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (Drajes), les clubs sportifs et les services sport des différentes collectivités sur la thématique globale « femmes et sport ». Je pourrai vous adresser la liste exhaustive des projets que nous soutenons au niveau local. Pour vous citer deux exemples parmi tant d’autres, il y a la Corse et le partenariat que nous avons sur ce territoire avec l’association Colosse aux pieds d’argile quant à des interventions auprès des fédérations sportives régionales sur la problématique des violences sexuelles dans le sport.

Je citerai également l’action que notre directrice régionale aux droits des femmes et à l’égalité en Occitanie a organisée en 2021. Ça a donné lieu au premier séminaire de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans le sport. Il vise à sensibiliser les acteurs de la jeunesse et du sport pour les aider à prévenir et signaler les situations de dérive. Il s’agit également de mieux les accompagner lorsque la parole a été libérée. Nous avons également en Bretagne une opération intitulée « Zéro violence dans le sport », qui est menée en partenariat avec le CDOS (Comité départemental olympique et sportif) et le CIDFF (centre d’information sur les droits des femmes). C’est également mené en partenariat avec Colosse aux pieds d’argile afin de sensibiliser le monde sportif aux violences sexuelles et sexistes.

Au-delà du secteur sportif, nous agissons de manière plus globale et de manière transversale sur l’ensemble des politiques publiques afin de diffuser la culture de l’égalité et la promouvoir dès le plus jeune âge. Nous considérons que cette culture de l’égalité doit participer à la prévention des violences sexistes et sexuelles, notamment dans le sport. L’éradication de ces violences passe bien évidemment par la lutte contre les stéréotypes de genre.

C’est l’un des principaux objectifs de l’éducation à la vie affective et sexuelle, qui est une obligation dans les établissements scolaires depuis 2001. Nous œuvrons en lien avec l’Éducation nationale pour que les trois séances annuelles obligatoires puissent se développer. C’est là encore une mesure du plan égalité. Nous participons plus particulièrement au groupe de travail qui permettra de consolider les données statistiques pour ce suivi.

Hors milieu scolaire, le ministère de l’égalité finance aussi les espaces de vie affective, relationnelle et sexuelle, où cette éducation à la sexualité et tout autre sujet relatif à l’égalité, aux violences et aux questions de santé sexuelle, d’accès à la contraception et d’identité de genre peuvent se discuter. On recense 150 structures sur le territoire et 10 autres sont en cours de préfiguration. Nous les finançons en lien avec d’autres ministères.

Ces actions peuvent paraître éloignées du sujet. Pour autant, il nous semble que c’est au cœur de la problématique compte tenu de la spécificité des violences sexistes et sexuelles dans le sport. Il nous semble que des caractéristiques particulières doivent être prises en compte et qu’elles tiennent à l’organisation de ce secteur et à la pratique, notamment pour les jeunes. Vous avez rappelé que les violences sexistes et sexuelles concernent une majorité de mineurs, qui peuvent être amenés à quitter le milieu familial très tôt. Et ce, afin d’intégrer des centres sportifs en développant des relations particulières avec leur entraîneur.

Ces relations, qui peuvent être fusionnelles, sont faites à la fois d’autorité et d’affect. Il y a bien évidemment un rapport particulier au corps dans la pratique sportive puisque le corps est un instrument au service de la performance, qui justifie qu’on repousse certaines limites. On accepte que le corps puisse être manipulé. Je pense en l’occurrence aux corrections des gestes et des postures. On accepte aussi que le corps puisse souffrir au nom de la performance et pour l’atteinte des objectifs.

On accepte également qu’il soit exposé par la proximité et la nudité dans les vestiaires. Pour les filles, il y a aussi toute la problématique des tenues vestimentaires, qui peuvent être sexualisées dans certaines pratiques sportives. Ces spécificités peuvent contribuer à rendre un peu plus floue la limite entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. Il nous semble donc primordial que les jeunes sportifs aient accès à cette éducation à la vie affective et sexuelle afin de pouvoir clairement distinguer les propos, les comportements et les situations de nature illégale, les situations abusives ainsi que les violences. Il s’agit d’être en mesure de mieux identifier là où se trouve la limite.

En lien avec le ministère des sports, nous mobilisons également nos associations partenaires, qui sont en première ligne pour soutenir et accompagner les victimes de violences sexistes et sexuelles. Je pense en particulier à nos grandes associations têtes de réseau, dont la Fédération nationale solidarité femmes, qui gère le 39-19 : le numéro d’orientation et d’accompagnement des femmes victimes de violences. Nous soutenons aussi le Collectif féministe de lutte contre le viol, l’association En avant toutes, dont l’action est plus spécifiquement dirigée vers les jeunes, et l’association de luttes contre les violences faites au travail. Tout ce réseau, tout cet écosystème, est bien évidemment mis à disposition des acteurs du secteur sportif. Ce sont des structures à mobiliser dans tous les secteurs, et notamment dans le secteur sportif.

Il y a par ailleurs un sujet sur lequel nous travaillons de longue date avec le ministère des sports. Nous agissons sur toutes les actions visant à la reconstruction par le sport, qui permettent aux femmes qui ont été victimes de violences de se reconnecter à leur corps et de regagner confiance en elles. Plusieurs associations ont mis en place des ateliers de reconstruction par le sport, qui peuvent d’ailleurs s’inscrire dans des parcours de soins.

J’en citerai une avec laquelle nous travaillons depuis plusieurs années. Il s’agit de Fight for dignity, qui a été créée en 2017 par la championne de karaté Laurence Fischer. Son objectif est d’utiliser le sport de manière thérapeutique. Nous accompagnons le développement de ces ateliers dans les lieux médicalisés. Nous avons également financé en lien avec cette association une recherche-action qui a été réalisée par l’université de Strasbourg sur la reconstruction des femmes ayant vécu des violences. Et ce, via la pratique du karaté.

Il est ressorti de cette étude que l’anxiété a significativement diminué chez les femmes intégrées dans ce programme. L’intensité de l’état de stress post-traumatique a été réduite et l’estime de soi s’est améliorée. Ça conforte donc la méthode, ce qui nous enjoint à poursuivre ce partenariat. Je pourrai là encore vous adresser ultérieurement la liste de l’ensemble des actions que nous pouvons mener sur ce sujet, la plupart d’entre elles se déroulant au niveau local.

J’ai cité tout à l’heure le plan interministériel pour l’égalité entre les femmes et les hommes sur la période 2023-2027. Plusieurs sujets sont en lien avec celui qui nous occupe. Je voudrais signaler le projet consistant à lancer une mission sur la prévention, la détection et l’accompagnement des victimes de violences sexuelles et sexistes commises par une personne abusant de sa position d’autorité ou de pouvoir. C’est évidemment une mission à laquelle le ministère des sports sera associé. Il s’agit d’un projet. Je ne peux pas vous en dire davantage à ce stade puisqu’elle n’a pas encore débuté. Néanmoins, elle figure dans ce plan ministériel.

Pour progresser dans la prévention, l’accompagnement et la prise en charge des victimes de violences, nous pourrons aussi nous appuyer d’ici la fin de l’année sur les conclusions du rapport sur lequel le Haut conseil à l’égalité est en train de travailler. Ce dernier a reçu la mission de formuler des propositions pour améliorer le traitement des victimes de violences.

Je conclurai mon propos en évoquant un projet qui vient d’être lancé. Ce projet est le fruit d’un travail que nous avons conduit en collaboration avec le ministère des sports pendant trois ans. Il s’inscrit dans le cadre du plan héritage. Il s’agit de la création d’un label destiné aux organisateurs de grands événements sportifs internationaux. Ce label d’État s’intitule « Terrain d’égalité ». Il a pour objectif de valoriser les grands événements sportifs internationaux sur le territoire français, de nature ponctuelle ou récurrente, qui s’engagent pour l’égalité entre les femmes et les hommes et contre toutes les formes de discrimination et de violences sexistes et sexuelles.

C’est une démarche volontaire de labellisation de la part des organisateurs. Nous pensons qu’elle s’inscrit dans une dynamique vertueuse de changement et d’exemplarité. L’obtention de ce label est conditionnée au respect d’un cahier des charges avec une vingtaine de critères. Parmi ces critères, on trouve la mise en place d’une cellule d’écoute et de signalement à destination des salariés et des spectateurs de ces grands événements.

La Coupe du monde de rugby est le premier événement labellisé, ce label ayant été obtenu en juillet. Le comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques Paris 2024 a également déposé un dossier de candidature qui sera examiné à la fin de l’année. Sur la base de cette première expérience que constitue la Coupe du monde de rugby, nous procéderons ensuite à une évaluation qui permettra de garantir l’effectivité des mesures et l’amélioration des candidatures. Il s’agit d’aider les futurs candidats à proposer leur candidature dans les années à venir.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous remercie de cette présentation des différents services et de vos missions. Je vais laisser la parole à madame la rapporteure.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je voudrais revenir sur certains points que vous avez évoqués lors de votre présentation. Vous avez parlé d’une petite administration de 25 personnes pour la grande cause du quinquennat, ce qui est très révélateur. Lors de notre audition des responsables de la cellule Signal-sports, ces derniers nous ont indiqué que quatre personnes géraient aujourd’hui cette cellule au sein du ministère des sports.

Il nous semble que les moyens sont très limités, que ce soit dans vos services ou au sein de cette cellule. Ma première question porte donc sur les moyens. Quels seraient aujourd’hui les moyens nécessaires pour traiter cette grande cause du quinquennat et y répondre correctement ? En sachant qu’environ 1 000 cas ont malheureusement déjà dû être traités dans le cadre de cette cellule.

Ensuite, vous avez évoqué le fait que l’organisation et la pratique sont une spécificité du monde du sport expliquant ces phénomènes de violences sexuelles et sexistes. Dans le cadre de cette commission, nous travaillons également sur le racisme, la discrimination, l’homophobie et tout le volet financier, y compris la question de la corruption financière. Vous avez bien détaillé la partie pratique, mais j’aimerais néanmoins quelques précisions sur la partie organisationnelle. Qu’est-ce qui explique selon vous que l’organisation de ce mouvement sportif permette ces dysfonctionnements graves qui engendrent autant de victimes ?

Enfin, j’aimerais avoir votre regard sur la cellule Signal-sports. Nous avons eu l’occasion d’auditionner des victimes lors de cette commission d’enquête. Nombre d’entre elles nous ont indiqué qu’elles n’en connaissaient pas l’existence. Quel bilan tirez-vous aujourd’hui de son fonctionnement, en sachant que vous êtes en relation directe avec le ministère ? Ne faudrait-il pas que vous puissiez aussi travailler directement avec les fédérations sur des sujets de cette importance ? Nous constatons le peu de féminisation qui existe aujourd’hui au sein de ce mouvement sportif, notamment dans les directions et au niveau des fédérations.

Vous avez mentionné la création de ce fameux label « Terrain d’égalité » sur les grands événements sportifs. La Coupe du monde de rugby est le premier événement labellisé. Je m’interroge sur le fait que cette Coupe du monde ait commencé par une polémique concernant un joueur condamné sur des faits dont on connaît à peu près tous l’existence aujourd’hui. N’est-ce finalement pas en contradiction avec ce label « Terrain d’égalité », qui promeut justement l’égalité, la non-discrimination et le non-racisme ?

Mme Catherine Petit. En ce qui concerne les moyens, le ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes dispose d’un budget lié au programme 137. Ce budget a doublé depuis 2017 et il s’élève à un peu moins de 60 millions d’euros en 2023. Il permet de financer une action sur un positionnement d’impulsion et de soutien aux actions, ce qui permet d’avoir un effet levier. Ce n’est évidemment pas l’ensemble des crédits dédiés à la grande cause du quinquennat.

Pour ce faire, il faut envisager l’ensemble des contributions de tous les ministères qui mènent des actions en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes et qui sont impliqués dans la mise en œuvre de certaines politiques. Je pense tout particulièrement à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. L’ensemble de ces contributions, qui sont résumées dans le document de politique transversal annexé chaque année au PLF, atteint 2,4 milliards d’euros en 2023. Par conséquent, le ministère de l’égalité entre les femmes et les hommes ne dispose pas d’un budget dont les crédits serviraient à couvrir la grande cause du quinquennat. De nombreux ministères contribuent bien évidemment à cette politique.

En ce qui concerne les moyens humains, notre service apporte une plus-value parce qu’il dispose d’une expertise. Nous agissons à la fois en appui et en accompagnement avec ce rôle d’aiguillon. Nous mettons à disposition une expertise et nous nous assurons également de la cohérence de l’ensemble des actions pouvant être menées dans chacun des ministères et ce, au regard des grandes priorités qui sont celles du ministère de l’égalité. Pour ce faire, nous travaillons en transversalité, en interministérialité et avec beaucoup d’agilité. C’est donc davantage une question de positionnement que de moyens strictement quantitatifs.

Vous m’avez ensuite interrogée sur l’organisation du mouvement sportif, qui permettrait plus facilement ces dysfonctionnements. Tout d’abord, je ne suis pas spécialiste du mouvement sportif, mais de l’égalité entre les femmes et les hommes. Il est donc tout à fait pertinent que le ministère des sports soit pleinement compétent sur ce champ de l’organisation du mouvement sportif. Le ministère de l’égalité n’a donc pas compétence en la matière. Vous me demandiez s’il serait opportun que nous travaillions directement avec les fédérations. Je ne le crois pas. Au contraire, notre action est plus efficace si chacun reste à sa place et joue son rôle dans le périmètre de compétence qui est le sien.

L’omerta que vous évoquiez pour qualifier les violences révélées et médiatisées dans le mouvement sportif ne caractérise pas que ce milieu-là. Il y a malheureusement beaucoup d’autres secteurs dans lesquels la loi du silence s’est imposée pendant longtemps. Un secteur tout à fait emblématique est notamment celui de la culture. D’ailleurs, c’est plus particulièrement dans le secteur cinématographique qu’émerge le mouvement Me Too.

Ce poids du silence est malheureusement très fortement lié, voire consubstantiel, à ces violences. Quel que soit le domaine dans lequel évolue chaque victime, on rencontre cette question du silence et de la difficulté à libérer la parole. Je ne pense pas que cette omerta soit plus forte dans le mouvement sportif puisqu’elle est malheureusement générale. À ce titre, je note qu’il y a des similitudes assez fortes avec le secteur culturel.

La problématique du rapport au corps que j’évoquais tout à l’heure existe également dans le secteur cinématographique. Dès lors que le corps est un instrument, dès lors qu’on est placé dans la situation d’agir au nom d’un objectif ou d’un idéal qui nous dépasse ou nous transcende, l’acte de création dans la culture ou la performance sportive, on retrouve effectivement cette zone grise, qui est peut-être un peu plus dense que dans d’autres milieux. Je ne pense pas que cette difficulté soit exclusivement circonscrite au secteur sportif. L’omerta règne malheureusement dans bien d’autres secteurs.

Vous m’interrogiez également sur la cellule Signal-sports. Le ministère de l’égalité n’est pas en charge de l’administration de cette cellule de signalement. Pour autant, il est pertinent que le ministère des sports dispose d’un outil permettant d’objectiver la réalité de la survenance des violences, des situations de harcèlement ou d’agissements sexistes. Sur la base des données récoltées, cet outil permet également d’améliorer les actions menées. Il me semble qu’il y a eu plus de 1 000 signalements entre sa création et aujourd’hui. Il répond donc à une nécessité.

De toute façon, dans le domaine de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, au-delà du domaine sportif, il y a évidemment encore beaucoup à faire. Tous les outils pouvant être mis en place doivent faire l’objet d’une évaluation de manière constante afin de vérifier leur efficacité, les améliorer et les mettre en adéquation avec les objectifs que nous poursuivons.

Je comprends votre question sur le label « Terrain d’égalité ». En l’occurrence, il a été décerné préalablement à la Coupe du monde, et plus précisément au mois de juillet. Vous évoquiez la condamnation d’un joueur, mais il me semble qu’il y a eu appel. Je n’ai pas de jugement à porter sur une affaire en cours. Quoi qu’il en soit, ce label fait bien évidemment l’objet d’une évaluation avec les organisateurs des événements et ce, à différents moments.

Une évaluation est conduite en amont par l’Afnor, qui est l’opérateur de ce label. Une évaluation est également conduite par la Commission nationale de labellisation, qui est composée de représentants de l’État : le ministère des sports, le ministère de l’égalité et la Dilcrah -, sur les questions relatives aux discriminations raciales. Elle se compose également de quelques personnalités qualifiées. Il y a actuellement une évaluation de l’Afnor sur le déroulement même de la Coupe du monde. Des personnes sont sur le terrain pour assister aux matchs. À l’issue de la Coupe du monde, nous ferons bien évidemment un bilan. Si le sujet de la participation du joueur en question est abordé, il sera donc traité à ce moment-là.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. On sort un peu du domaine de l’égalité et des violences sexistes et sexuelles. Un sentiment d’impunité règne depuis de nombreuses années et perdure aujourd’hui. Il y a eu de nouveau des insultes homophobes lors du match disputé hier à Lille. On entend également des cris de singe dans certains stades, en présence de joueurs noirs. Pour autant, les matchs ne sont pas interrompus et il n’y a pas de condamnations.

En l’occurrence, un label a été attribué en lien avec des valeurs d’égalité et de non-discrimination. Et ce, dans le cadre d’une Coupe du monde et avant la sélection des joueurs. Certes, ce joueur a fait appel, mais il a été condamné. Il s’agirait d’envoyer un signal fort pour montrer que tout ce qui a trait au racisme est inacceptable. A-t-il été envisagé de retirer ce label pour donner l’exemple ? Ce sentiment d’impunité qui perdure fait qu’on ne parvient pas à endiguer ce phénomène de racisme et de discrimination dans le monde sportif.

Mme Catherine Petit. L’attribution, comme l’éventuel retrait du label, relève des prérogatives de la Commission nationale de labellisation, qui se réunira à l’issue de la Coupe du monde. Cette commission est présidée par le ministère et la directrice des sports. Loin de moi l’idée de me défausser. Je tiens simplement à vous préciser le cadre institutionnel de fonctionnement. Étant donné qu’il s’agit d’une première, chacun des acteurs expérimente. Il est de toute façon prévu de faire un bilan à l’issue de cet événement.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je reviens à ma question liée au secteur du sport. Il y a 38 % de femmes parmi les licenciés, 19 présidentes pour 115 fédérations sportives et 11 femmes sur 70 directeurs techniques nationaux. Est-ce spécifique au milieu sportif ou retrouve-t-on cette même inégalité entre les femmes et les hommes dans d’autres univers ? Pour reprendre votre exemple, est-ce aussi flagrant dans la culture que dans le sport ? Quelles solutions pourrait-on apporter afin d’y remédier ?

Mme Catherine Petit. Il s’agit d’un combat culturel. Il est nécessaire de faire évoluer les mentalités. Il faut notamment déconstruire les stéréotypes dès le plus jeune âge. Il faut agir pour promouvoir une culture de l’égalité. La société a beaucoup évolué au cours des dernières années, en particulier après l’émergence du mouvement Me Too. Il y a aujourd’hui une attente sociétale très forte dans la prise en compte de ces violences. Pour autant, ce combat sera encore long à mener.

Le droit a beaucoup évolué. Je fais référence aux instances dirigeantes et aux fédérations sportives. La parité, fixée à 40 % en 2014, devrait devenir intégrale au niveau national en 2024 et au niveau régional en 2028. Nous progressons de la même manière en ce qui concerne le contrôle de l’honorabilité. Les évolutions législatives survenues ces dernières années ont permis d’étendre le périmètre des personnes concernées par ce contrôle.

C’est effectivement un combat culturel à mener en s’appuyant sur la parole des victimes, qui a mis beaucoup de temps à se libérer, et pas uniquement dans le sport. On peut retrouver les chiffres sans trop de difficultés. Dans le domaine culturel, le nombre de femmes qui dirigent des établissements culturels labellisés progresse, mais encore trop faiblement. Le nombre d’hommes en situation d’exercer des responsabilités et des fonctions de direction reste très important.

À ce stade, le point qui me paraît le plus important est celui de la difficulté à lier ces questions et les traiter de manière globale. Le fait d’agir en incitant les femmes à occuper des fonctions de direction et des responsabilités a un impact sur la prévention et le recul des violences sexistes et sexuelles. Plus les femmes seront amenées à exercer des responsabilités, plus nous nous y habituerons et moins les hommes se sentiront autorisés à commettre des agissements sexistes, voire des violences ou des agressions.

Vous évoquiez la sanction, mais comme chacun le sait, il y a tout de même un sentiment d’impunité intellectuelle et psychologique qui est assez lié à l’exercice du pouvoir. Cela explique l’emprise constatée sur les victimes d’agressions ou de violences sexuelles. C’est l’une des explications du long silence dans lequel elles peuvent être murées et de la difficulté d’en sortir.

Mme Nadège Abomangoli (LFI-NUPES). J’aurais une question en lien avec l’impunité, qui permet à un certain nombre d’oppressions racistes et sexistes de perdurer. Nous avons pu suivre l’affaire Rubiales en Espagne : ce président de fédération qui a commis une agression sexuelle devant les caméras. Nous avons assisté à la mobilisation de l’équipe de football féminine et d’un certain nombre de soutiens, y compris politiques. Ça s’est soldé par une victoire des joueuses de la sélection espagnole. Je pense que leur statut de championnes du monde y a contribué.

En France, le président tout-puissant de la Fédération française de football, Noël Le Graët, qui a officié très longtemps, a également été accusé de harcèlement moral, de harcèlement sexuel ainsi que de violences sexistes et sexuelles. L’issue n’a finalement pas été la même. En Espagne, l’affaire a fait grand bruit ; en France, tout cela s’est réglé un peu en catimini puisque Noël Le Graët a bénéficié d’une espèce de placard doré. D’après vos connaissances de l’évolution législative sur les questions tenant aux droits des femmes en France et en Espagne ainsi que des différentes mentalités sur le sujet dans les sociétés européennes, qu’est-ce qui explique selon vous la différence de traitement entre l’affaire espagnole et l’affaire française ?

Mme Catherine Petit. C’est selon moi une question de temporalité. L’Espagne a longtemps été confrontée au fléau des violences conjugales, qui était extrêmement important. Elle a réagi il y a une vingtaine d’années avec l’élaboration d’une grande loi-cadre en constituant un arsenal qui a progressivement permis d’agir à la fois sur la prévention, l’accompagnement des victimes et la répression. De fait, lorsque la loi évolue, les mentalités sont également amenées à changer. On constate une prise de conscience significative depuis ces vingt dernières années.

Nous sommes peut-être un peu en retard. C’est pour nous une source d’inspiration. Je pense notamment au Téléphone grave danger, qui a été généralisé après une première expérimentation en Seine-Saint-Denis. En fait, c’est directement inspiré d’un dispositif qui existait en Espagne. Cette bonne pratique espagnole, dont nous nous sommes inspirés, s’inscrivait dans le cadre de cette grande démarche de prise en compte des violences machistes et de lutte contre ces dernières.

Même si nous sommes sans doute en retard, nous progressons en la matière. L’arsenal législatif s’est significativement amélioré depuis dix ans, et tout particulièrement ces cinq dernières années. Je pense notamment à la loi du 3 août 2018 visant à renforcer la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, mais je pourrais également citer la loi qui a permis d’établir un seuil d’âge définissant le consentement à un acte sexuel pour un mineur à 15 ans. En sachant que les mentalités évoluent de manière concomitante avec l’amélioration de l’arsenal législatif.

Il y a certes un petit décalage avec l’Espagne, qui a pris un peu d’avance sur nous. Pour autant, c’est une source d’inspiration et nous avons beaucoup d’objectifs en commun. Je pense notamment à la manière dont l’affaire Rubiales a été traitée cet été, même si on a pu constater une certaine forme de résistance lors des premières semaines. Ça me paraît assez emblématique de l’évolution des consciences en Espagne, qui gagne aussi la France. En sachant que si une affaire similaire au cas Rubiales devait se produire dans deux ou trois ans en France, elle serait sans doute traitée de la même manière. En tout cas, nous l’espérons et il y a véritablement un engagement très fort de l’État ainsi que de tous les acteurs institutionnels et associatifs, qui sont extrêmement mobilisés pour faire bouger les choses.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La notion de formation est beaucoup ressortie lors des auditions. Il est question de la formation des sportifs, des cadres, des bénévoles, des familles, etc. On retrouve beaucoup de schémas dans le vécu des victimes, et en particulier l’isolement par rapport à la famille et l’emprise dans la relation entraîneur-entraîné. Ça a été très bien expliqué par certaines victimes. Une loi a prévu des formations mais seules quelques heures sont consacrées à la question de la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Ce sujet était donc survolé. Quel bilan tirez-vous de ce texte ? Y a-t-il aujourd’hui des villes qui conditionnent les aides aux clubs sportifs à l’existence de modules de formation sur la question des violences sexistes et sexuelles ? Ne faudrait-il pas aller plus loin sur ce sujet ?

Mme Catherine Petit. Je crois comprendre que vous faites référence à la loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France. Compte tenu de la date de sa promulgation, nous n’avons pas encore un recul suffisant pour en dresser le bilan. Pour autant, je voudrais tout de même signaler que le ministère des sports travaille actuellement sur le recensement des actions permettant d’attester de la mise en œuvre de cette obligation. Et ce, auprès des fédérations et des centres de formation. C’est la responsabilité du ministère des sports. Ce recensement n’incombe pas au ministère de l’égalité et à son administration. En tout état de cause, un an et demi après la promulgation de cette loi, un travail est déjà initié par le ministère des sports afin d’effectuer une première évaluation de sa mise en œuvre.

De notre côté, nous intervenons beaucoup plus modestement. Vous avez souligné la double nécessité d’une meilleure information et d’une meilleure formation. Nous apportons notre expertise au ministère des sports lorsqu’il nous sollicite pour participer à l’élaboration d’outils d’information et de sensibilisation.

Je pense notamment à Réglo’sport, qui a été créé en 2022. Il s’agit d’une adaptation du violentomètre des violences conjugales. Cet outil permet aux sportifs et à leur entourage de mesurer sur une échelle la nature des comportements. On peut ainsi savoir si un comportement est normal, si on entre dans une zone grise, s’il y a matière à s’inquiéter, si on atteint la fameuse limite que j’évoquais tout à l’heure et s’il s’agit d’une infraction caractérisée.

Nous contribuons à l’élaboration de ce type d’outils dans le cadre du périmètre qui est le nôtre et que j’ai rappelé. En août 2020, nous avions été associés à une campagne de prévention des violences dans le sport auprès du mouvement sportif et des collectivités. Elle avait été initiée par le ministère des sports.

Nous travaillerons très certainement avec le ministère des sports sur les campagnes de prévention et de sensibilisation sur la prostitution en lien avec les grands événements sportifs internationaux, et tout particulièrement dans le cadre des Jeux olympiques de 2024. Il s’agit de sensibiliser au respect de la loi du 13 avril 2016 puisque la prostitution est considérée comme une violence. Nous venons donc en appui sur l’information, la formation des acteurs et l’accompagnement des personnes, qui constituent des objectifs fondamentaux.

Nous nous plaçons toujours dans une position d’amélioration des dispositifs, des projets et des mesures mis en œuvre. À cette fin, je voudrais signaler que j’ai créé cet été, au sein de mon service et par redéploiement de moyens en interne, un poste qui sera spécifiquement dédié à la structuration d’une stratégie de lutte contre les violences sexistes et surtout sexuelles. Nous travaillerons tout particulièrement à l’élaboration de cette stratégie avec les ministères de la culture et du sport. Il s’agit d’améliorer le pilotage interministériel sur cette problématique de la lutte contre les violences sexuelles. L’agent en question a pris son poste le 1er août.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous vous remercions, Madame Petit. Je voudrais simplement revenir sur les effectifs que vous avez cités au début. Vous avez également mentionné 130 personnes en région, c’est-à-dire sur le terrain. À quel niveau interviennent-elles ?

Mme Catherine Petit. Il s’agit des services territoriaux de l’État. Ce sont les services déconcentrés du service des droits des femmes. Il s’agit des directrices régionales aux droits des femmes et à l’égalité ainsi que des délégués départementaux. On trouve un délégué départemental dans chaque département et trois personnes dans chaque région. Et ce, à la fois dans les territoires métropolitain et ultramarin, bien sûr.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. À quelle adresse siègent-ils ?

Mme Catherine Petit. Au niveau régional, ces agents sont placés en Sgar, c’est-à-dire au niveau du préfet. Au niveau départemental, il y a deux cas de figure. Les délégués sont placés soit en DDETS (direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités), soit auprès du préfet. C’est une décision du préfet de département.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. On les retrouve donc dans les services de la préfecture.

Mme Catherine Petit. Tout à fait.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous n’avions pas cette information-là.

Mme Catherine Petit. Je pourrai vous adresser des éléments complémentaires qui vous permettront de mieux identifier cette organisation.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous remercie.

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20.   Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Cadot, président de l’Agence nationale du sport (ANS), délégué interministériel aux jeux Olympiques et Paralympiques 2024 et délégué interministériel aux grands événements sportifs, M. Frédéric Sanaur, directeur général de l’ANS, M. Thierry Maudet, conseiller sport du délégué interministériel et Mme Agathe Barbieux, directrice du service du développement des pratiques au sein de l’ANS (28 septembre 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Mes chers collègues, nous accueillons M. Michel Cadot, président de l’Agence nationale du sport (ANS), délégué interministériel aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024 et délégué interministériel aux grands événements sportifs, qui est accompagné de M. Frédéric Sanaur, directeur général de l’ANS, de M. Thierry Maudet, conseiller sport du délégué interministériel, et de Mme Agathe Barbieux, directrice du service du développement des pratiques au sein de l’ANS.

Madame, Messieurs, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie vivement de votre disponibilité.

Nous avons entamé le 20 juillet 2023 les travaux de cette commission d’enquête relative à l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux se déclinent autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ; les discriminations sexuelles et raciales dans le sport ; les problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

Pourriez-vous revenir brièvement sur les missions de l’ANS et leur articulation avec celles du ministère des sports et des autres acteurs qui interviennent en matière de gouvernance ?

Pourriez-vous préciser le rôle de l’ANS s’agissant de la lutte contre les défaillances qui entrent dans le champ d’investigation de notre commission ? De quels leviers l’Agence dispose-t-elle et comment son action s’articule-t-elle avec les missions de la direction des sports ?

L’Agence peut-elle moduler l’octroi de ses crédits d’intervention pour tenir compte de la volonté des fédérations d’agir en faveur de l’éthique du sport ?

Plus généralement, quelle appréciation portez-vous sur les évolutions récemment décidées pour remédier aux défaillances auxquelles la commission d’enquête s’intéresse et que pensez-vous de la mise en œuvre de ces mesures ?

Enfin, avez-vous des recommandations à adresser à notre commission ?

Avant de vous laisser la parole, je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Michel Cadot, M. Frédéric Sanaur, M. Thierry Maudet et Mme Agathe Barbieux prêtent successivement serment.)

M. Michel Cadot, président de l’Agence nationale du sport, délégué interministériel aux Jeux olympiques et paralympiques 2024 et délégué interministériel aux grands événements sportifs. Je me présente devant vous dans ma triple qualité de délégué interministériel aux Jeux olympiques et paralympiques, de délégué interministériel aux grands événements sportifs, fonctions dans lesquelles j’ai été nommé en juillet 2020, et de président du conseil d’administration de l’Agence nationale du sport. J’exerce cette présidence, non exécutive, depuis septembre 2020. L’assemblée générale de l’ANS m’a reconduit à l’unanimité, il y a une quinzaine de jours, sur proposition de la ministre des sports et des Jeux olympiques et paralympiques.

La délégation interministérielle aux Jeux olympiques et paralympiques (Dijop), dont la direction constitue, en vérité, l’essentiel de ma tâche, est une petite structure, qui a longtemps compté moins d’une dizaine de personnes. Ses effectifs – des conseillers de haut niveau dans les différents secteurs – sont actuellement au nombre de vingt. Cette structure, rattachée à la Première ministre, est éphémère, puisqu’elle disparaîtra après la livraison des Jeux : il est prévu que sa quadruple mission se termine en mars 2025.

Tout d’abord, la Dijop est chargée de coordonner les acteurs pour garantir la bonne livraison des Jeux olympiques et paralympiques, qui est un défi très complexe, particulièrement en Île-de-France, où se concentrent 85 % des épreuves. Il s’agit de coordonner l’ensemble des ministères, des établissements publics et des actions menées par l’État, qu’il s’agisse de la sécurité, des conditions de transport, de la communication sur le sens des Jeux ou du respect des principes posés sur le plan environnemental et social, en matière d’éthique et en ce qui concerne les valeurs du sport, sujets qui mobilisent votre commission.

Par ailleurs, nous veillons à la bonne réalisation des équipements. L’État ne les livre pas, mais il garantit l’organisation. En effet, certains ouvrages sont construits par des collectivités, en tant que maîtres d’ouvrage, e des promoteurs privés, le tout étant placé sous la supervision ou la maîtrise d’ouvrage directe d’un établissement public d’aménagement, la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo). Celle-ci disparaîtra également à la fin des Jeux, selon un modèle tout à fait nouveau et assez rare dans l’administration française.

Cet établissement public aura rempli sa mission dans les délais et à l’intérieur du budget qui lui a été assigné. Les deux tiers des fonds publics, qui représentent eux-mêmes un tiers du total, relèvent de l’État. Un tiers des fonds publics est apporté les collectivités, et le reste des financements vient des promoteurs privés. Veiller à la réalisation des équipements revient ainsi à mener un travail de suivi opérationnel d’un grand projet d’aménagement et de construction en relation avec les collectivités locales.

La troisième mission de la Dijop concerne la relation avec le Cojo, le Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques. Le Cojo, qui est une association « loi 1901 » et a donc un statut privé, est financé à 97 % par des fonds privés, venant des sponsors internationaux ou nationaux, des droits télévisés ou encore de la billetterie. Les 3 à 4 % restants correspondent essentiellement à des fonctions de service public dans le cadre des Jeux paralympiques.

Nous travaillons non seulement avec les collectivités locales, je l’ai dit, mais aussi avec le Cojo. Il dépend du Comité international olympique, le CIO, qui est une organisation de droit suisse basée à Lausanne et ayant ses propres règles. La France et la ville hôte, Paris, ont donc signé une convention internationale avec le CIO.

La quatrième mission de la Dijop est de participer à la valorisation des effets des Jeux et de leur héritage, pour leur donner toute leur force. Il s’agit de ma responsabilité principale, compte tenu de l’enjeu, lequel oriente aussi, à certains égards, les travaux de la délégation interministérielle aux grands événements sportifs (Diges). C’est également sous cet angle que le rôle de l’ANS sera en grande partie jugé, puisque l’Agence a notamment été créée dans la perspective de l’actuelle phase préparatoire et dans celle de la haute performance.

Le Gouvernement a tenu à fixer un certain nombre de principes lors de la constitution du Cojo, dans le cadre de la loi dite olympique du 26 mars 2018.

Tout d’abord, des mesures générales ont été prévues en matière de déontologie et de transparence non seulement pour les responsables du Cojo, dont je rappelle que Tony Estanguet préside le conseil d’administration, mais aussi pour tous les hauts responsables du monde sportif, suivant une approche large : cela concerne les présidents des fédérations olympiques et paralympiques, les présidents des comités nationaux olympiques (CNO) et du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) ou encore les représentants légaux des organismes chargés des grands événements sportifs. Ces dispositions, adoptées à l’occasion des Jeux, constituent désormais un socle qui s’applique aux principaux responsables des grandes fédérations qui interviennent dans les Jeux olympiques ou dans les grands événements sportifs.

Le Gouvernement a également voulu instaurer, dans le cadre de cette loi, des mesures en matière de transparence, de partage de l’information et de surveillance de la bonne application des règles d’éthique. Un comité d’éthique, présidé par Jean-Marc Sauvé et composé de très hautes personnalités d’une grande rectitude morale, a ainsi été créé, de même qu’un comité d’audit, qui est présidé par le préfet Jacques Lambert, lequel a beaucoup œuvré pour de précédents Jeux olympiques, et auquel participe notamment la direction du budget. Il existe aussi un comité des rémunérations, présidé par Jean-Paul Bailly, et un contrôleur économique et financier. Pour veiller au respect des valeurs d’éthique, ces comités sont constitués d’un grand nombre de personnalités, et chacun d’entre eux compte un député et un sénateur.

Par ailleurs, tant la Solideo, ce qui est normal pour un établissement public industriel et commercial de l’État (Epic), que le Cojo, association de droit privé, laquelle fait donc l’objet d’une dérogation, sont soumis au contrôle de la Cour des comptes et de l’Agence française anticorruption. Il s’agit, là aussi, de veiller à un contrôle complet en matière de bonnes pratiques.

La loi a en outre prévu, d’une manière dérogatoire, dans une logique de précaution en matière de gouvernance, afin d’assurer une relation saine avec le monde du sport, que les règles de la commande publique devaient être respectées dans le cadre des marchés du Cojo. Ces derniers, s’agissant d’un organisme privé, devraient être des marchés privés, mais ils rentrent dans le cadre de la commande publique, sauf exceptions prévues par le droit européen.

Vous savez, par ailleurs, que les collectivités locales sont fortement représentées au sein des différentes instances, la maire de Paris étant elle-même la présidente de la Solideo.

Cette société est dotée d’exactement les mêmes organismes, selon le schéma très normé des établissements publics d’aménagement.

Comme pour le Cojo, par ailleurs, des mesures de vigilance ont été adoptées. Une plateforme de signalement est ainsi à disposition des collaborateurs pour tout type de violence ou de comportement inadapté. Il existe également une équipe « conformité » au sein du Cojo, et des mécanismes d’alerte ont été prévus aussi bien au niveau du CIO, pour les athlètes en particulier, qu’au niveau du Cojo. De plus, nous sommes en train de vérifier la question de l’implantation, lors du déroulement des Jeux, d’une permanence dans le village olympique où logeront les athlètes. Nous avons demandé au CIO, ce qui est nouveau par rapport aux précédentes olympiades, que tout fait signalé donne lieu non seulement à une évacuation de l’athlète impliqué, à un retrait de son accréditation, mais aussi à des suites judiciaires dans notre pays.

Enfin, tous les partenaires feront l’objet d’un contrôle d’honorabilité, y compris les volontaires – 45 000 personnes contribueront ainsi sans rémunération au déroulement des Jeux – et le Cojo est candidat à l’attribution du label Terrain d’égalité qui a été créé par la ministre.

J’en viens à la Diges. C’est aussi une petite structure, dont les effectifs ont varié entre six et huit personnes. D’abord rattachée à la ministre des sports, elle l’est, depuis 2022, à la ministre des sports et des Jeux. Cet organisme accompagne, par un suivi organisationnel, la tenue de grands événements, qui sont parfois de petite taille pour notre pays mais qui ont une envergure internationale. Nous aurons accompagné à la fin de l’année trente-quatre événements de ce type. Là aussi, des mesures sont exigées en matière de lutte contre les violences sexistes. Des cellules d’écoute ont ainsi été mises en place auprès du ministère – elles sont hébergées du côté de la direction des sports.

S’agissant de la Coupe du monde de rugby, je précise qu’un groupement d’intérêt public (GIP) a été créé en mars 2018 à la suite d’un rapport de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche, de façon à exercer un meilleur contrôle. Ce GIP, composé du CNOSF, de l’État et de la Fédération française de rugby, est doté de tous les organes de contrôle habituels, notamment un comité d’audit et un comité d’éthique. Les mauvaises conditions de travail qui ont été signalées par la presse en juin 2022 ont conduit à des réactions immédiates de la part de l’État dans le cadre de sa fonction de suivi du GIP. L’inspection du travail, à laquelle aucune plainte n’avait été signalée, non plus qu’au comité d’éthique, pour être tout à fait clair, a été saisie, puis le directeur général a été suspendu très rapidement, au bout de deux ou trois mois, avant d’être révoqué pour faute. Ont également suivi un changement complet de l’équipe de direction et un renforcement des pouvoirs du président du conseil d’administration, M. Rivoal. L’État s’est très fortement impliqué dans ce dossier.

Vous avez demandé quelles suggestions nous pouvions faire. Sur ce dossier, à l’évidence, l’absence de contrôle externe, comme celui qui est réalisé par la Cour des comptes et l’Agence française anticorruption dans le cadre des Jeux, par exemple, est certainement un point de faiblesse. Quand le directeur général est suffisamment puissant pour bloquer la remontée de signalements ou, en tout cas, lorsque ces derniers ne remontent pas vers les instances prévues à cet effet, on se heurte à ce problème.

S’agissant de l’ANS, ma responsabilité, en tant que président, est de veiller à la bonne montée en charge de cette agence qui a été créée par une loi de 2019. Les décrets sont sortis en 2020 et 2021, et nous avons accéléré la mise en place de toutes les instances. Toutes les conférences territoriales ont été mises en place, de même que les conférences des financeurs, et des stratégies ont été définies, aussi bien pour le développement des pratiques que pour la haute performance. Par ailleurs, les crédits des programmes ont fortement augmenté dans la perspective des Jeux : le budget de l’ANS est ainsi passé à près de 400 millions d’euros. Il est très bien géré par les équipes de l’ANS sous le contrôle de la Cour des comptes et de l’Agence française anticorruption. Enfin, toutes les instances de suivi des règles de déontologie ont été créées. Le directeur général pourra vous les présenter.

Je suis un peu moins précis, compte tenu de mes fonctions, sur les questions qui sont plus directement les vôtres, mais je tenais à vous montrer la volonté du Gouvernement et des hauts fonctionnaires qui exécutent les orientations gouvernementales d’appliquer au maximum les outils de contrôle pour se prémunir contre les violences inacceptables sur lesquelles vous travaillez.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quel héritage les grands événements sportifs dont vous êtes chargé, comme la Coupe du monde de rugby et les Jeux olympiques de 2024 à Paris, laisseront à la France en ce qui concerne la féminisation du sport et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) ?

M. Michel Cadot. En matière de féminisation, les résultats sont d’ores et déjà acquis pour les Jeux, puisque chacune des équipes olympiques en compétition sera totalement paritaire. S’agissant de la Coupe du monde de rugby, la situation n’est pas la même : on suit la tradition du rugby. Il existe ainsi une Coupe du monde féminine et une Coupe du monde de rugby fauteuil mais le schéma n’est pas le même.

Pour ce qui est de la lutte contre les violences, l’exigence est très forte dans le cadre des Jeux : elle guide toutes les décisions qui sont prises. Des dispositifs de contrôle avérés ont donc été mis en place. Je crois que la notoriété des Jeux et leur dimension immédiatement nationale et internationale conduiront, par ailleurs, à accélérer la prise de conscience de ces questions qui, longtemps, n’ont sans doute pas été suffisamment mises en avant, ce qui, dans certains cas, n’a pas permis de corriger certaines situations, certains comportements ou certaines habitudes. Depuis la montée en charge de l’organisation des Jeux, début 2022, mais aussi dans le cadre d’autres événements, le Gouvernement a été d’une très grande rigueur quant au maintien en poste des personnes concernées chaque fois que des faits ont été signalés.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons auditionné deux sportives qui nous ont indiqué qu’elles avaient signalé des faits d’agression sexuelle impliquant des athlètes qui nous représenteront l’année prochaine aux Jeux olympiques. Elles nous ont dit avoir alerté la fédération : celle-ci aurait donc été informée, mais elle aurait choisi de ne rien faire pour le moment, parce qu’il faudrait protéger des athlètes médaillables l’année prochaine. C’est pour cette raison que je vous demandais quel serait l’héritage des JO sur le plan de la lutte contre les VSS.

M. Michel Cadot. La gestion des athlètes relève de l’ANS, au titre de la haute performance, pour les équipes de France, et du Cojo, qui a aussi un rôle dans ce domaine et qui est parfaitement sensibilisé en la matière. Je pense que cela ne doit pas rester exclusivement dans le seul cercle fédéral. Il est souhaitable que les situations de ce type soient signalées : des plateformes permettent parfaitement de faire remonter des messages, y compris de façon anonyme, au niveau du Cojo, du CIO ou du comité d’éthique de la structure concernée dans le cadre des JO.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. L’ANS est un acteur central, puisque les financements du mouvement sportif passent par elle. Je reviens toutefois sur la question de l’héritage des Jeux, parce qu’elle me semble vraiment très importante : quel héritage restera-t-il du côté des clubs et des fédérations en matière de féminisation ? Seules 19 fédérations, sur 115, sont présidées par des femmes. C’est une question qui est du ressort de l’ANS.

M. Frédéric Sanaur, directeur général de l’ANS. Il serait peut-être utile, pour répondre précisément à votre question, que je rappelle le contexte.

L’Agence nationale du sport dispose, pour déployer son action, d’un budget de près de 450 millions d’euros, qui est administré au niveau national par 70 équivalents temps plein (ETP), avec l’appui et le concours des services déconcentrés chargés du sport au niveau régional et au niveau départemental et des établissements sportifs pour le haut niveau, les Creps, les centres de ressources, d’expertise et de performance sportive, et les maisons régionales de la performance.

S’agissant de l’accompagnement du mouvement sportif, près de 800 millions d’euros ont été orientés depuis 2020 vers les fédérations, les ligues régionales, les comités départementaux et les clubs sportifs. Dans ce cadre, notre intervention en faveur du développement de la pratique sportive représente à partir de 2023 un budget annuel de plus de 300 millions d’euros, qui est orienté selon trois axes fondamentaux : soutenir, structurer et accompagner les clubs sportifs, le tissu associatif sportif ; professionnaliser celui-ci, par la création ou la pérennisation d’emplois d’éducateurs et d’éducatrices ou de développeurs d’associations dans tous les territoires ; enfin, développer les équipements sportifs.

Dans ces différents champs d’intervention, nous insufflons, nous incitons, voire nous prescrivons des orientations beaucoup plus fortes pour favoriser, dans l’ensemble des territoires, le développement d’une pratique sportive équilibrée, entre filles et garçons et femmes et hommes ainsi que sur le plan intergénérationnel, en utilisant des leviers qui permettent d’œuvrer pour toutes les formes de pratique sportive – cela peut concerner, par exemple, les vestiaires ou la manière dont les agrès sont adaptés à une pratique plurielle, d’une façon non genrée ou plus inclusive, la mise en accessibilité des équipements sportifs étant un aspect très important.

Par ailleurs, si on veut développer davantage de sections féminines et parasport dans les clubs, on doit professionnaliser les structures de manière à diversifier l’offre de pratiques et à accueillir le plus grand nombre possible d’acteurs et d’actrices, de pratiquantes et de pratiquants dans nos clubs Concrètement, nos interventions comprennent depuis 2019 un soutien à l’emploi sportif : en moyenne, 5 000 emplois sont cofinancés chaque année. Ce nombre a un peu augmenté ces deux dernières années, puisque l’action « 1 jeune, 1 solution », menée dans le cadre du plan de relance, a permis d’accompagner davantage d’emplois, notamment d’éducateurs et d’éducatrices, pour favoriser le développement de la pratique sportive féminine.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’entends ce que vous dites au sujet de la pratique sportive et de la féminisation. Pouvez-vous nous apporter plus de précisions sur ce qui a été mis en place en ce qui concerne les VSS ?

M. Frédéric Sanaur. Bien sûr. Vous avez posé tout à l’heure la question de l’articulation des compétences et des missions entre la direction des sports et l’Agence nationale du sport. Selon la convention d’objectifs et de moyens qui a été conclue, la direction des sports a compétence pour les missions régaliennes en matière d’éthique, de lutte contre les violences et toutes les formes de discriminations dans le sport, de dopage et d’animation des contrats de délégation qui régissent la mise en œuvre de la délégation de service public donnée aux fédérations. L’agence, en tant qu’opérateur de l’État, intervient en ce qui concerne les dispositifs opérationnels d’accompagnement et de soutien en matière de haute performance, de développement des pratiques sportives et d’accompagnement de la gouvernance, aussi bien nationale que territoriale, du sport.

Nous intervenons ainsi sur la question des violences sexistes et sexuelles, notamment en soutenant des structures associatives qui font de la sensibilisation et de la prévention, comme Colosse aux pieds d’argile, que nous accompagnons dans la création d’emplois, ce qui entre bien dans le cadre de nos prérogatives. Près de quinze emplois ont ainsi fait l’objet d’un accompagnement ces quatre dernières années pour la création d’antennes territoriales de Colosse aux pieds d’argile. Par ailleurs, des crédits sont territorialisés sous le contrôle des préfets de région, délégués territoriaux de l’Agence, en lien avec les Drajes, les délégations régionales académiques à la jeunesse, à l’engagement et aux sports, outre les crédits prévus en matière d’emploi ou d’équipement. Nous avons fléché au moins 50 000 euros par région, chaque année, pour accompagner des actions de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Depuis 2012, les crédits mobilisés pour la lutte contre toute forme de discrimination dans le sport ont augmenté de 477 %.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quelles sont concrètement, dans le cadre des plans de développement fédéraux, les actions financées pour lutter contre les VSS ?

M. Frédéric Sanaur. L’enveloppe globale, pour l’ensemble des projets sportifs fédéraux (PSF), est de 75 millions d’euros. À peu près 110 fédérations sont concernées, et environ 16 000 structures associatives, clubs, comités et ligues, sont soutenus. Des dizaines de milliers d’actions sont ainsi accompagnées. Il est un peu compliqué de vous donner tout de suite des exemples très précis, mais nous pourrons le faire par la suite. De manière générale, des plans de prévention sont mis en place, en faisant appel, notamment, à des associations expertes en la matière – j’en ai cité une –, ce qui conduit ensuite à des campagnes de prévention, de sensibilisation et d’accompagnement des clubs.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. L’Agence peut-elle décider de moduler l’octroi de ses crédits aux fédérations en tenant compte de leur volonté d’agir dans ce domaine ?

M. Frédéric Sanaur. C’est le sens des travaux que nous sommes en train de mener conjointement avec la direction des sports : dans le cadre des contrats de délégation conclus entre le ministère des sports et les fédérations, nous sommes systématiquement associés par la direction des sports aux rencontres qui se déroulent afin de bien clarifier les contreparties de la délégation de service public et de nous permettre d’aligner nos accompagnements sur les objectifs prioritaires fixés par l’État dans le cadre de cette délégation de service public. Théoriquement, ce que vous dites est bien entendu possible si le conseil d’administration le décide, en lien avec les priorités de développement que porte la fédération. Une des promesses lors de la création de l’Agence était, en effet, de responsabiliser le mouvement sportif et de l’autonomiser.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Quelles sont concrètement, en matière de lutte contre les VSS, les contreparties ?

M. Frédéric Sanaur. Nous avons cité quelques exemples : il s’agit d’actions de sensibilisation, de prévention et de formation pour les intervenants, les éducatrices et les éducateurs, les dirigeants…

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Ces actions sont-elles obligatoires ?

M. Frédéric Sanaur. Elles ne le sont pas aujourd’hui : cela dépend un peu de l’orientation donnée par la fédération, mais je pense que cela va s’organiser progressivement de manière plus formelle et plus prescriptive, notamment une fois que l’ensemble des contrats de délégation seront conclus.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Comment évaluez-vous les dispositifs de prévention que vous financez ? Quels sont les indicateurs ?

M. Frédéric Sanaur. Nous demandons, lors du dépôt des dossiers, un descriptif des actions et des objectifs, et des bilans des actions menées sont ensuite réalisés. Nous pouvons faire du monitoring par l’intermédiaire, notamment, de plateformes, d’outils informatiques et de systèmes d’information. Nous avons également décidé, au sein de l’Agence, de mener un certain nombre d’audits sur des fédérations, notamment en ce qui concerne les contrats de développement, pour voir dans quelle mesure les actions sont bel et bien réalisées. Nous l’avons fait l’année dernière pour vingt fédérations. S’agissant de 2023, notre objectif est non seulement de suivre au niveau national les actions engagées par les fédérations mais aussi d’aller plus loin dans le cadre des projets sportifs fédéraux en suivant plus précisément des clubs, des comités, des ligues et des structures qui bénéficient de crédits pour l’accession au sport de haut niveau. Nous regardons la réalisation des actions et nous faisons des comptes rendus d’audit très précis.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je reviens un peu en arrière : si des actions, par exemple de formation et de prévention au sujet des VSS, ne sont pas obligatoires, il ne peut pas y avoir de conditionnement des financements aux fédérations.

Par ailleurs, comment choisissez-vous les actions que vous décidez de financer en lien avec les fédérations ? Y a-t-il des appels à projets ? Un comité décide-t-il avec quelles associations le travail est mené et quel type d’actions est à mettre en place ? Ou bien est-ce que les fédérations vous sollicitent elles-mêmes pour certaines actions ?

M. Frédéric Sanaur. Nous avons une comitologie propre à l’ANS – cela faisait partie des fondamentaux requis lors de la création de l’Agence. Pour chacune des thématiques que j’ai évoquées, notamment l’emploi et les équipements, en lien avec la déclinaison territoriale – les conférences régionales du sport et les conférences des financeurs –, des comités réunissent les quatre collèges de l’Agence, à savoir l’État, représenté par le ministère des sports et des Jeux olympiques et paralympiques, le mouvement sportif, olympique et paralympique, les représentants des collectivités territoriales, principalement des élus, et les représentants du monde économique. Des commissions, à vocation consultative, traitent et évaluent l’ensemble des questions.

Nos soutiens aux fédérations reposent sur plusieurs dispositifs : des contrats de développement et des contrats de performance qui accompagnent, au niveau national, le développement du sport sous toutes ses formes, y compris le sport de haut niveau, et différents appels à projets qui nous permettent d’accompagner de manière assez spécifique la médiatisation du sport féminin et du parasport, la transformation numérique des fédérations ou encore le savoir-nager et l’aisance aquatique – il existe une dizaine de dispositifs de ce type afin de compléter les orientations données dans le cadre de la politique publique du sport.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous n’avez pas réellement répondu à ma question sur les critères. Quels sont ceux que vous utilisez ? Vous parlez de la pratique sportive, mais très peu de la lutte contre le racisme, les discriminations, l’homophobie ou les VSS. Avez‑vous été amenés à arrêter certaines actions sur la base des évaluations que vous conduisez ?

M. Frédéric Sanaur. Il y a plusieurs orientations. Dans les notes de service que nous diffusons pour cadrer les projets sportifs fédéraux ainsi que les contrats de développement, nous demandons qu’un certain nombre de projets – ce sont des éléments très précis dans la convention entre l’État et l’Agence – soient menés en faveur du développement du sport féminin, de la prise en compte des notions d’éthique, de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles et contre les discriminations – homophobie, racisme. Le budget correspondant a augmenté, je l’ai dit, de 477 % en dix ans.

Nous partons bien souvent des propositions d’action du mouvement sportif lui-même. Alors que le CNDS, le Centre national pour le développement du sport, qui existait jusqu’en 2019, fixait trois à quatre grandes priorités annuelles, nous avons décidé, à l’ANS, de donner un cap global tout en laissant chaque fédération proposer sa stratégie de développement de la pratique, afin d’atteindre l’objectif de 3 millions de licenciés et pratiquants supplémentaires d’ici à 2024. Nous partons de l’identification des besoins territoriaux et nationaux des fédérations. Nous disposons aussi d’une batterie de critères qui nous permettent d’évaluer la performance à la fois sociale et sportive de nos partenaires et des associations sportives autour des licences féminines, des licences parasport, des ouvertures de clubs et des interventions dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et en zone de revitalisation rurale (ZRR).

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quelles procédures appliquez-vous à l’ANS pour garantir la bonne utilisation des fonds en direction des fédérations ou des athlètes ?

M. Frédéric Sanaur. Parmi les sept commissions inscrites dans notre convention constitutive, se trouve un comité d’audit, d’éthique, de déontologie et des rémunérations, présidé par Philippe Lamblin, qui se réunit plusieurs fois par an pour évoquer des questions internes ponctuelles mais qui, surtout, suit au long cours la cartographie et la maîtrise des risques internes à l’Agence.

À la suite des préconisations faites par l’Agence française anticorruption (AFA), nous avons appliqué plusieurs mesures. Au sein de notre gouvernance, les membres de l’assemblée générale et du conseil d’administration ainsi que l’ensemble des collaboratrices et collaborateurs de l’Agence sont soumis à une déclaration d’intérêts. De la même façon, le président, le directeur général et le responsable de la haute performance font une déclaration à la HATVP, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Nous appliquons aussi des procédures assez classiques – des déports systématiques en cas de risque de conflit d’intérêts et des formations délivrées par l’AFA – ou plus spécifiques en fonction des dispositifs, notamment en ce qui concerne les projets sportifs fédéraux auxquels sont alloués une enveloppe de 75 millions d’euros.

Les fédérations interviennent très fortement dans la mise en œuvre de ce dernier dispositif, dont bénéficient 16 000 structures.  Un conseiller ou une conseillère de l’ANS suit en observateur les commissions tripartites qui sont chargées d’instruire les projets soumis par les clubs, les comités ou les ligues et qui sont composées de représentants des élus fédéraux, de cadres de l’État, lorsque c’est possible, et de cadres fédéraux. Les réunions de ces commissions donnent lieu à des procès-verbaux qui nous permettent de suivre l’instruction des dossiers des associations sportives pour lesquels la fédération sollicite un versement de l’Agence. Tous ces process sont très importants pour nous.

Dans le cadre des PSF, les présidents, directeurs généraux, directrices et directeurs techniques nationaux des fédérations doivent également nous adresser une déclaration d’intérêts, en l’absence de laquelle les paiements ne peuvent être engagés. Nous avons contractualisé avec un peu plus de cent fédérations dans le cadre de ces PSF.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Une fédération qui n’a pas de comité d’éthique peut-elle toucher des subventions ?

M. Frédéric Sanaur. Nous demandons qu’il y ait, dans les commissions relatives aux PSF, le président ou un représentant de la commission d’éthique de la fédération. Lorsqu’elle n’existe pas, sa création est fortement préconisée mais il me semble que l’installation d’un référent éthique ou d’une commission d’éthique ne relève pas forcément de l’autorité de l’Agence.

M. Michel Cadot. Nous sommes en train de finaliser la rédaction d’un cahier des charges rendant obligatoire l’obtention du label Terrain d’égalité, qui comprend des éléments précis en matière d’écoresponsabilité et des mesures de lutte contre les discriminations et les violences sexistes ou sexuelles, pour bénéficier des financements liés à l’organisation des grands événements sportifs.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous m’avez un peu perdue, avec toutes ces commissions, ces comités, tout cet empilement. Quand on se penche sur le monde du sport, on a l’impression qu’il y a plein d’agences, de structures. J’avoue que je ne comprends pas très bien comment tout cela est mis bout à bout. J’ai le sentiment, d’une part, s’agissant de la prévention et des financements, que les fédérations sont juges et parties puisqu’elles proposent et prennent les crédits sans réelles conditions et que, d’autre part, vous avez délégué la responsabilité de choisir les actions et les clubs à soutenir. Quelle est la responsabilité de l’ANS dans les instances dont vous avez parlé ? Nous avons l’impression que les décisions sont prises par plein de comités empilés les uns sur les autres. Quelle est la méthodologie ?

M. Frédéric Sanaur. Je pensais avoir essayé de l’expliquer, mais je vais tenter de faire mieux. À la création de l’Agence, l’un des souhaits était de réorienter ce que l’on appelait la part territoriale du CNDS, qui était pilotée par les directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale en lien avec les DDCS, les directions départementales de la cohésion sociale. Plutôt que de faire piloter le développement des pratiques sportives par le biais de structures nationales, notamment le CNDS, il a été convenu qu’il était préférable de confier cette question aux fédérations, parce que le développement de la pratique ne repose pas sur les mêmes leviers pour le judo que pour l’athlétisme, le handball ou le basket-ball.

À partir de 2019, il a été demandé à chaque fédération d’écrire son projet et sa stratégie en matière de développement des pratiques – stratégies disponibles sur le site internet de l’Agence nationale du sport. Ensuite, on a demandé aux fédérations de définir une méthodologie, encadrée par nos soins puisque nous restons le payeur in fine de l’ensemble des financements, afin qu’elles nous expliquent les priorités qu’elles soumettent à leurs clubs pour développer la pratique sportive. On retrouve très souvent le développement de la pratique pour les jeunes et pour les femmes, ainsi que d’autres leviers qui appartiennent à un tronc commun des politiques sportives, qu’elles soient territoriales, fédérales ou nationales.

En revanche, la méthodologie et l’instruction des dossiers sur le fond, c’est-à-dire la pertinence des actions menées par les clubs, ont été déléguées aux fédérations, parce que ce sont elles qui sont les plus à même de juger si, dans leurs clubs, leurs comités, leurs ligues, les leviers de développement sont bien mis en œuvre. C’est un parti pris à la création de l’Agence, qui allait de pair avec l’autonomisation des fédérations mais aussi leur responsabilisation, dans la mesure où elles sont co‑instructrices des dossiers de leurs clubs. Toutefois, dans le cadre des projets sportifs fédéraux, ce ne sont pas les fédérations qui perçoivent les financements en tant qu’entités associatives nationales, mais les clubs, les comités et les ligues régionales.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. C’est bien pour cela que je disais que nous avions le sentiment que la fédération était un peu juge et partie, puisqu’elle travaille avec ses clubs, qu’elle les évalue et qu’eux-mêmes font des propositions pour recevoir des financements. Exception faite de l’attribution des fonds, à quel moment intervenez-vous ? Les projets financés sont-ils ensuite évalués selon des critères précis ?

M. Frédéric Sanaur. Nous avons une équipe de huit personnes en charge du développement des pratiques sportives, qui suivent entre quinze et vingt fédérations en moyenne et sont responsables du suivi de l’instruction des dossiers.

Le respect des process est très important pour nous, puisque, quand on suit 26 000 actions par l’intermédiaire de huit personnes, on ne les connaît pas parfaitement chacune. Il faut donc des process solides permettant de garantir à la fois une bonne déontologie en matière d’instruction et un sérieux dans l’accompagnement.

Ensuite, c’est nous qui analysons les cahiers des charges donnés par les fédérations, les orientations proposées en matière de politique fédérale, puis qui mettons ou non en paiement les propositions des fédérations. Il peut nous arriver de ne pas valider un projet sportif fédéral ou des demandes de ventilation budgétaire si nous estimons que des questionnements demeurent ou qu’il y a un parti pris dans les projets.

Depuis 2022, par ailleurs, chaque association sportive ou club percevant un financement de l’Agence doit signer la charte de déontologie que nous avons instaurée, notamment sur le respect des principes de la République et de la laïcité.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. L’ANS a des prérogatives à la fois quant au choix des athlètes qui figurent dans le cercle de la haute performance et quant aux subventions individuelles fléchées pour ces athlètes. Selon quels critères procédez-vous à la sélection ?

M. Frédéric Sanaur. Selon des critères très objectifs : résultats sportifs dans les grandes compétitions internationales – championnats du monde, championnats d’Europe, Jeux olympiques et paralympiques – ou ranking international, c’est-à-dire le classement dans les différentes disciplines. C’est cela qui nous permet de déterminer les quelque 500 ou 600 sportives et sportifs de haut niveau qui émargent à ce cercle de la haute performance. Ce sont vraiment les résultats sportifs qui permettent de faire partie du cercle ou non. D’ailleurs, une fois que l’on y est, on peut tout à fait en sortir, pour des problèmes de dopage ou à cause de moindres performances. Pour nous, l’échéance suprême à court terme, ce sont les Jeux olympiques et paralympiques de 2024, mais ceux de 2026 et de 2028 viendront ensuite très vite.

Pour ces sportifs, nous nous sommes engagés à garantir un revenu minimum de 40 000 euros par an. Un peu plus de 2 000 athlètes, identifiés grâce à des cellules de performance en interaction avec les fédérations sportives et les directions techniques nationales, bénéficient également d’un accompagnement plus précis et sur-mesure, dans l’espoir qu’ils puissent un jour rejoindre le cercle de la haute performance.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous disiez que vous vouliez développer le sport féminin. Nous constatons que les victimes de VSS sont à plus de 90 % des femmes. Or, d’après votre bilan pour 2022, les moyens financiers de l’ANS consacrés à la pratique du sport chez les jeunes filles et les femmes sont passés de 9,6 % à 9,3 %. Comment l’expliquez‑vous ?

M. Frédéric Sanaur. Dans le cadre des analyses menées sur les actions que nous accompagnons, il n’est pas toujours simple de faire la part entre une action tournée spécifiquement vers les sportives et une action mixte avec nos associations sportives. Néanmoins, vous soulevez un point que nous avons identifié et que le commissaire du gouvernement auprès de l’Agence avait également relevé. Nous avons à cœur de nous améliorer sur ce sujet, en augmentant le nombre des licences féminines et en définissant une structuration qui doit permettre d’accompagner l’ensemble des pratiques.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez évoqué les athlètes qui sortent du cercle. Quelles en sont les conséquences concrètes, notamment matérielles et financières ?

M. Frédéric Sanaur. De manière générale, le cercle offre un suivi un peu plus précis en lien avec les conseillères et les conseillers haute performance de l’Agence et avec les maisons régionales de la performance. Notre objectif est de maintenir les athlètes qui sont dans ce cercle et de l’élargir encore, ce qui signifierait un renforcement de notre potentiel de médailles aux Jeux olympiques et paralympiques.

On peut sortir du cercle parce qu’on arrête sa carrière ou qu’une blessure éloigne trop un sportif des échéances identifiées. La conséquence est assez réduite, au sens où près de 2 000 sportives et sportifs de haut niveau bénéficient des aides personnalisées de l’Agence, au-delà du cercle de la haute performance. Ces aides personnalisées, que nous ventilons en interaction avec les coachs et les directions techniques nationales, perdurent. Nous sommes bien conscients qu’une blessure, une contre-performance ou des faits externes à la performance pure peuvent un peu éloigner les athlètes des terrains, des stades ou des piscines, sans remettre en cause pour autant l’échéance de 2024. De plus, on ne sort pas du cercle de la haute performance parce que l’on met un enfant au monde. Un accompagnement spécifique est prévu dans ce cas. Ces derniers mois d’ailleurs, nous avons, sous l’impulsion de notre ministre, alloué des financements dédiés à l’aide à la parentalité pour les sportives et les sportifs de haut niveau.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quelle est la moyenne des financements mensuels ? Quel est le montant maximum que les sportifs peuvent percevoir ? S’ils sortent du cercle, je suppose qu’ils ne sont plus financés.

M. Frédéric Sanaur. Les 40 000 euros annuels sont composés de plusieurs sources de revenus, qui peuvent être perçus dans le cadre de partenariats privés, de mécénats ou de relations avec des collectivités territoriales.

Le dispositif des aides personnalisées permet de moduler notre accompagnement. Si l’athlète perçoit déjà 80 000 euros, on n’apporte pas de complément. L’argent public est, à ce moment-là, fléché vers des athlètes qui sont plus éloignés de ce seuil de revenus. En revanche, on continue à assurer un accompagnement pour la participation à des stages ou à des compétitions internationales et pour la rémunération des préparateurs physiques ou mentaux, des kinés, des masseurs... L’accompagnement existe toujours par le biais de la fédération, mais les aides personnalisées sont modulées en fonction des revenus des athlètes.

Quand bien même on sort du cercle, il y a toujours des aides personnalisées. La moyenne de ces aides est d’environ 10 000 euros par an. Ces dernières années, nous nous sommes efforcés d’offrir aux athlètes paralympiques le même niveau d’aides personnalisées qu’aux athlètes olympiques, alors que le décalage était assez important.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quelles sont les autres aides personnalisées qui existent quand on sort du cercle ?

Vous avez évoqué la question des médaillables aux Jeux olympiques. Comment expliquez-vous que les critères de la haute performance ne permettent pas d’identifier tous les sportifs médaillés ? Ne faudrait-il pas des critères plus qualitatifs ?

M. Frédéric Sanaur. Le travail fait par notre pôle haute performance pour l’identification des médaillables laisse assez peu de place au doute. La maturation d’une médaille d’or olympique, c’est en moyenne six ans, et celle d’une médaille d’or paralympique, deux ans. À six mois ou à un an des Jeux, il est assez rare voire quasiment impossible qu’un athlète n’ait pas été identifié et qu’il ne fasse pas partie soit du cercle de la haute performance soit des 2 000 sportifs soutenus dans le cadre des aides personnalisées.

Il y a, en revanche, de nombreux athlètes – et c’est souvent relayé par les médias – qui souhaitent participer aux Jeux olympiques, qui s’entraînent très dur pour cela et participent à des test events, à des compétitions de référence, à de grands meetings ou à des championnats, pour lesquels ils peuvent percevoir des aides personnalisées, si la fédération identifie leur potentiel. Mais quand on est trentième, quarantième ou quatre-vingtième mondial, même s’il peut se passer beaucoup de choses dans le sport, il y a très peu de chances qu’en six mois on devienne numéro un olympique. C’est pourquoi il existe parfois un écart entre ce que l’on entend dire et notre identification, que l’on veut la plus objective possible.

M. Michel Cadot. Il est quasiment impossible d’imaginer qu’émerge tout à coup une personnalité qui n’aurait pas été identifiée dans les six mois ou les deux ans précédents. En revanche, il y a des aléas dans cette compétition de très haut niveau, dans ce concours d’une exigence exceptionnelle que sont les Jeux olympiques et paralympiques. Aussi, pour estimer la qualité de la préparation et la façon dont l’argent public a été employé, que ce soit pour les rémunérations des athlètes ou pour toutes les dépenses qui correspondent à la branche haute performance de l’Agence nationale du sport, nous avons prévu, et cela a été acté par une décision de Matignon, une évaluation de l’impact des financements octroyés au département de la haute performance après 2024, pour mesurer si l’emploi des fonds a été efficace du point de vue de la sélection et de la performance, si les choix ont été bons, si les financements versés à l’athlétisme, à la natation, au cyclisme ont correspondu à des actions valorisées par les résultats. Nul ne doute que cette évaluation extérieure, ainsi que l’évaluation interne que fera le ministère des sports en 2025, contribueront fortement à orienter la suite du dispositif instauré en 2019 pour le volet haute performance en vue des Jeux. Une évaluation sera faite de manière très sérieuse sur un travail déjà largement engagé selon des critères définis dès le départ.

M. Frédéric Sanaur. Il existe des aides financières directes dont le montant total est supérieur à 10 millions d’euros par an pour à peu près 2 000 sportifs. En complément, nous actionnons plusieurs dispositifs, notamment des contrats d’insertion professionnelle, pour des athlètes en reconversion ou encore engagés dans leur carrière, ainsi qu’un pacte de performance en partenariat avec la Fondation du sport français. Tout cela est animé soit par notre cellule de suivi socioprofessionnel, au niveau national, soit par les maisons régionales de la performance, pour les sportives et les sportifs de haut niveau qui sont dans les Creps, en internat, dans les pôles France et Espoirs ou en dehors des structures et établissements publics, pour leur apporter un accompagnement, des revenus et un lien avec le monde professionnel.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il me semblait qu’à Tokyo dix médaillés n’avaient pas été identifiés dans le cercle de la haute performance.

Combien de sportives et de sportifs ont bénéficié de l’accompagnement à la parentalité ? Par ailleurs, quel est le revenu à partir duquel vous jugez qu’il n’est plus nécessaire de verser une aide personnalisée ?

M. Michel Cadot. Les Jeux de Tokyo ont eu lieu un an et demi après la création juridique de l’Agence, qui n’était pas encore complètement constituée. Or il faut du temps pour avoir des certitudes. Après Tokyo, des leçons ont été tirées du premier tri fait pour constituer le cercle de la haute performance, afin de l’ajuster de manière plus satisfaisante. Il sera intéressant de regarder le bilan des tests de qualification déjà réalisés cet été et qui vont continuer jusqu’à la fin de l’année : on verra si beaucoup de ceux qu’on imagine pouvoir arriver à la sélection ont été qualifiés. Il y a quelques mauvaises surprises, qui feront l’objet d’une analyse détaillée.

M. Frédéric Sanaur. Le fait que des sportifs ne soient pas identifiés dans le cadre du cercle de la haute performance ne veut pas dire qu’ils ne sont pas identifiés du tout. Ils bénéficient d’un accompagnement grâce aux aides personnalisées. Ils font partie des programmes des fédérations, mais en vertu des contrats de performance conclus entre elles et l’Agence, ces sportifs ne sont pas intégrés parmi ceux qu’on prépare lors des stages, qu’on emmène à des compétitions et qui ont un staff technique autour d’eux. L’intégration dans le cercle haute performance se fait sur la base de résultats sportifs en amont de la compétition et en lien étroit avec les directions techniques nationales, qui connaissent le mieux les fédérations.

Je ne sais pas combien d’athlètes ont bénéficié de l’accompagnement à la parentalité. C’est un dispositif assez récent. Jusque-là on traitait certaines situations particulières dans le cadre des contrats de performance. C’est ce qui s’est fait dans la fédération de judo – on en a d’ailleurs beaucoup entendu parler. On pourra très facilement vous faire passer les chiffres concernant cette nouvelle mesure, prise par la ministre des sports.

S’agissant des aides personnalisées, on estime qu’à partir de 40 000 euros de revenus annuels on peut se concentrer sur sa pratique sportive et que l’on n’est pas forcément obligé de multiplier les emplois et les sources de revenu. Dans le cadre du contrat de performance, néanmoins, la fédération prend en charge un certain nombre de déplacements pour des compétitions. C’est la fédération qui identifie les athlètes qu’elle accompagne, prend en charge, emmène en stage et soutient pour les grandes compétitions.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Si je vous ai bien écoutés, les Jeux de Paris en 2024 réserveront donc beaucoup moins de surprises sur l’identité des sportifs médaillés ?

M. Michel Cadot. Si le système fonctionne, effectivement ; ce sera même un critère d’efficacité. Nul ne peut écrire l’avenir, parce qu’il dépend des hommes, mais les athlètes ont en principe été accompagnés dans des conditions adaptées à l’échantillon de haut niveau qu’est le cercle de la haute performance.

M. Thierry Maudet, conseiller sport du délégué interministériel. Nous procédons au lancement de treize études relatives à l’impact des Jeux olympiques et paralympiques, dont l’une porte sur l’évaluation de la stratégie Ambition bleue de l’Agence, qui ne s’autoévaluera pas. Le travail est réalisé en deux temps : un rapport méthodologique a d’abord été rédigé à la fin de l’année 2022, puis aura lieu l’évaluation proprement dite, en parfaite indépendance, au cours de l’année 2024, sur la base de ce premier rapport et suivant environ soixante-dix critères d’évaluation de la pertinence et de l’efficience de la stratégie, en amont, pendant et après les Jeux. Nous vous enverrons le rapport méthodologique.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pourriez-vous aussi nous faire parvenir par mail des propositions visant à permettre aux parents de confier leurs enfants en toute tranquillité au monde sportif ?

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21.   Audition, ouverte à la presse, de M. Alexandre Calvez, administrateur d’Anticor, responsable de la commission sport (28 septembre 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous accueillons à présent M. Alexandre Calvez, administrateur d’Anticor et responsable de la commission sport.

Monsieur, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions. Nous avons entamé les travaux de notre commission d’enquête le 20 juillet 2023. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs, et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux portent sur trois thèmes : l’identification des violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ; l’identification des discriminations sexuelles et raciales dans le sport ; l’identification des problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public. Cette audition sera l’occasion d’approfondir ce troisième thème.

Vous pourriez, dans un propos liminaire, présenter à la commission d’enquête les règles auxquelles les fédérations sportives sont soumises sur les plans financier et comptable, ainsi que les mécanismes de contrôle de leurs comptes et les règles visant à garantir l’exemplarité et la transparence de leur gestion. Ces règles sont-elles bien appliquées ? Selon vous, devraient-elles être renforcées ?

Lors de l’université annuelle d’Anticor, vous avez évoqué des scandales à répétition au sein du monde du sport. Pouvez-vous présenter à la commission d’enquête les différents manquements dont vous avez eu connaissance ? Vous avez notamment ciblé des fédérations sportives internationales. Qu’en est-il pour les fédérations sportives françaises ?

Cette audition, ouverte à la presse, est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.

Avant de vous donner la parole, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qui impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, je vous invite à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(M. Alexandre Calvez prête serment.)

M. Alexandre Calvez, administrateur d’Anticor, responsable de la commission sport. Nous sommes très heureux, chez Anticor, d’avoir l’occasion de participer aux travaux de cette commission d’enquête : lorsque la représentation nationale s’approprie ce genre de sujet, il devient, en général, de premier plan.

Ce n’est évidemment pas la première fois que l’Assemblée nationale se penche sur les sujets de gouvernance dans les fédérations sportives ; plusieurs textes portés par des parlementaires ont déjà été adoptés, comme la loi du 1er mars 2017 qui impose la création d’un comité d’éthique dans chaque fédération, et la loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France, dont les travaux préliminaires avaient témoigné d’une très grande ambition. Toutefois, nous avons le sentiment que nous sommes arrêtés au milieu du gué : depuis 2017, les progrès sur les aspects de gouvernance ont été relativement mineurs.

Je vous présenterai une nomenclature des risques auxquels s’expose une fédération sportive, en essayant de les illustrer par des cas concrets récents, qu’il s’agisse d’une affaire judiciaire ayant fait couler beaucoup d’encre ou d’un dysfonctionnement moins documenté mais, à mon sens, très éclairant pour les travaux de votre commission d’enquête.

En vertu de l’article L. 131-9 du code du sport, « les fédérations sportives agréées participent à la mise en œuvre des missions de service public relatives au développement et à la démocratisation des activités physiques et sportives ». Anticor, qui s’intéresse à la probité et à la lutte contre la corruption dans le domaine public, a jugé important de se pencher sur ces fédérations dans la mesure où des financements publics sont souvent mobilisés pour la pratique du sport ou dans le budget des fédérations. Historiquement, notre association a un ancrage plutôt territorial, par départements, et s’intéresse au fonctionnement des institutions politiques ou des administrations. Il y a quelques années, elle a inscrit parmi ses orientations stratégiques de former des militants et des bénévoles davantage spécialisés dans certaines thématiques. C’est ainsi qu’est née la commission dédiée aux questions de gouvernance dans le sport – nous en avons également consacré une aux questions d’éthique, de probité et de lutte contre la corruption dans le secteur de la santé, et nous réfléchissons à en créer d’autres pour des domaines dans lesquels nous identifions des risques importants, par exemple la gestion portuaire. Le mouvement sportif brasse de plus en plus d’argent et joue un rôle politique accru, y compris géopolitique. Nous avons donc considéré que ce sujet entrait désormais dans l’objet social de notre association.

La lutte contre la corruption et la promotion de l’éthique participent d’une certaine vision de l’égalité de tous devant la loi. Pour une association comme la nôtre, il s’agit de lutter contre les abus de pouvoir. Dans la mesure où les fédérations sportives concentrent de plus en plus de pouvoirs, économiques et politiques, nous renforcer sur ces sujets-là devient une évidence.

Le corpus juridique, législatif et réglementaire, bien que relativement robuste, ne protège pas de tous les dysfonctionnements, qui sont de natures assez différentes. Certains peuvent être aisément qualifiés pénalement par le juge. C’est le cas de la corruption, active et passive, qui est un délit. Un exemple récent en est fourni par la condamnation en première instance du président de la Fédération française de rugby (FFR) – celui-ci ayant interjeté appel, il bénéficie toujours de la présomption d’innocence. Anticor s’est constituée partie civile dans cette affaire.

D’autres situations ne sont pas nécessairement interdites mais soulèvent, de notre point de vue, des interrogations : les conflits d’intérêts. En soi, le conflit d’intérêts n’est pas une infraction ; c’est la prise illégale d’intérêts qui en est la traduction pénale et peut être prononcée par le juge. Notre association peut seulement faire état de soupçons. Le conflit d’intérêts se transforme en prise illégale d’intérêts si des mesures correctives ne sont pas prises. Nous avons identifié certaines fédérations dans lesquelles nous avons le sentiment que les mesures correctives n’ont pas été prises, ce qui justifierait probablement une analyse plus poussée et une appropriation par la justice. Je reviendrai sur le rôle que nous pouvons jouer en tant qu’association et sur les conséquences de la perte de notre agrément en juin dernier.

Les dysfonctionnements peuvent encore prendre la forme de pratiques relevant du clientélisme, notamment lors du renouvellement des instances dirigeantes dans les fédérations, qui touchent aux modes de scrutin ou au comportement des dirigeants en campagne, confondant parfois les outils de la fédération avec ceux servant leur candidature. D’autres sujets, plus spécifiques au domaine sportif, constituent aussi des points de vulnérabilité, tels les cadeaux, la billetterie et l’hospitalité, mais aussi l’organisation de grands événements sportifs internationaux en partenariat financier avec de grandes entreprises, dont nous nous interrogeons sur les contreparties qu’ils impliquent.

Après ces éléments de nomenclature, je reviens sur les tout derniers développements de l’affaire concernant la Fédération française de rugby.

Cette affaire porte sur la relation contractuelle qu’avait nouée, juste avant son élection à la présidence de la fédération, Bernard Laporte via sa société BL Communication, avec Mohed Altrad, PDG de Altrad Investment Authority (AIA), holding du groupe Altrad, et par ailleurs président du club de rugby de Montpellier. Le parquet national financier (PNF) a rapproché ce contrat de 180 000 euros TTC du contrat conclu entre la Fédération française de rugby et le groupe Altrad, par lequel, pour la première fois, un sponsor allait apparaître sur le maillot de l’équipe de France de rugby – sauf pendant la coupe du monde, le règlement de cette compétition l’interdisant. Le contrat portait au début sur huit matchs de l’équipe de France, mais étonnamment, son montant représentait dix fois celui du contrat avec BL Communication. Entre autres éléments, les juges ont considéré en première instance que Bernard Laporte avait utilisé son pouvoir de président de la fédération pour servir les intérêts de Mohed Altrad, de son club et de sa société, et non ceux de la fédération. Le 13 décembre 2022, ils l’ont condamné, en première instance, pour ce qui a été considéré comme une dérive en tant que président, en considérant tout de même que la fédération ne s’était pas appauvrie.

Dès lors, la question de la gouvernance de la fédération se posait. L’avocat de M. Laporte a immédiatement annoncé que son client ferait appel et que, bénéficiant toujours de la présomption d’innocence, il n’avait aucune raison de démissionner. Ce discours était assez paradoxal car, au même moment, Bernard Laporte annonçait sa démission des instances internationales du rugby et de la vice-présidence de World Rugby. Une zone d’ombre s’agissant des conséquences sur la gouvernance d’une condamnation pénale suivie d’un appel a ainsi été révélée, qui a suscité plusieurs réactions. La première fut celle de la ministre des sports, qui a indiqué clairement que la situation n’était pas tenable. Puis le comité d’éthique de la Fédération française de rugby a appelé à la démission, contrairement au bureau fédéral pour lequel il était hors de question de déstabiliser la fédération à neuf mois de la Coupe du monde. Sous pression, Bernard Laporte a finalement décidé de se mettre en retrait. Après une période d’intérim, une nouvelle équipe a été élue à la tête de la fédération.

Le sujet est-il clos ? Ce n’est pas à moi de le dire. Signalons toutefois qu’un nouveau contrat a été signé avec la société de Mohed Altrad pour que le sponsor puisse apparaître sur les maillots de l’équipe de France dans les années à venir. Ce contrat laisse Anticor et plusieurs acteurs du rugby dubitatifs. Mohed Altrad, convaincu en première instance de corruption active, se retrouve à nouveau sponsor principal du maillot du XV de France parce que la santé financière de la fédération est fragile. Doit-on vraiment redonner un contrat à une entreprise dont le principal actionnaire est condamné en première instance pour corruption ? On ne peut pas se contenter d’attendre le jugement en appel, voire en cassation. Ce sont des questions auxquelles nous devons réfléchir aujourd’hui.

Concernant le procès en lui-même, très peu de parties civiles étaient représentées, l’une d’entre elles étant la Fédération française de rugby, toujours dirigée par Bernard Laporte, le principal mis en cause. L’ubuesque de la situation n’aura échappé à personne et montre combien il est utile que des associations comme la nôtre puissent se constituer partie civile, comme nous l’avons fait dans cette affaire afin de contrebalancer une partie civile que je n’aurai pas de difficulté à qualifier de factice. Anticor ayant perdu son agrément, qui plus est avec effet rétroactif, notre association ne peut plus se lancer dans de nouvelles affaires. Or, dans ce procès, sans la participation de notre association, il n’y aurait eu aucune partie civile sérieuse. Ce mélange des genres et ce conflit d’intérêts devrait vous interpeller.

La corruption touche également les procédures d’attribution des grandes compétitions internationales, pour lesquelles on apprend parfois vingt ans après que des pots-de-vin ont été versés. Les risques sont donc importants, mais cela sort du périmètre de vos travaux puisque cela concerne des institutions internationales, dont la plupart ont leur siège en Suisse.

Les conflits d’intérêts, je ne crains pas de le dire, minent le sport français. Toutes les fédérations et tous les dirigeants ne sont pas concernés, mais des cas emblématiques montrent que des progrès restent à accomplir – j’évoquerai un peu plus loin les pistes d’amélioration envisageables. Les comités d’éthique, qui ne sont pas encore suffisamment robustes dans certaines fédérations, ont un vrai rôle à jouer.

Je peux citer une affaire récente sur ce sujet. En 2018, la France accueille la Ryder Cup, une grande compétition de golf, à Saint-Quentin-en-Yvelines. La mission d’organisation en est confiée à Pascal Grizot, par ailleurs vice-président de la Fédération française de golf. Comme n’importe quelle compétition sportive internationale, la Ryder Cup requiert une sécurisation importante des sites, assurée par des sociétés de sécurité privée. Des appels d’offres sont lancés, non pas par l’organisation française en charge de la compétition, mais par Ryder Cup Europe. Or Pascal Grizot est également à la tête du fonds d’investissement Alyan Group, alors propriétaire de 87 % de l’entreprise Continentale Protection Services (CPS), qui travaille dans la sécurité privée. CPS remporte un lot ou deux sur les cinq que comporte l’appel d’offres pour la sécurisation de la Ryder Cup 2018. Cette information, bien que révélée par la presse, est passée entre les mailles du filet. Voilà donc l’organisateur en chef de la compétition, par ailleurs vice-président de la fédération française du sport concerné, qui remporte un appel d’offres relatif à la compétition qu’il est chargé d’organiser avec une entreprise lui appartenant. Le conflit d’intérêts est manifeste mais aucune suite pénale n’a jamais été donnée à cette affaire.

Pascal Grizot a réfuté l’existence d’un conflit d’intérêts au motif que c’est Ryder Cup Europe, et non la société publique qu’il dirigeait au titre de l’organisation de l’événement, qui était en charge des appels d’offres. De plus, ses missions dans le cadre de la Fédération française de golf ne nécessitaient pas, selon lui, qu’il se mette en retrait de toutes ses affaires. Chez Anticor, nous avons évidemment une vision très différente : dans ce genre de situation, le minimum est de se déporter complètement ou, à tout le moins, de s’interdire de candidater à de tels appels d’offres.

À l’époque, les comités d’éthique, créés par la loi de 2017, se mettent en place progressivement – cela ne se fait pas du jour au lendemain. Celui de la Fédération française de golf s’est exprimé plusieurs mois après l’attribution des marchés, observant de façon intéressante que les appels d’offres étant lancés par Ryder Cup Europe, il n’y avait pas d’objection à ce que les entreprises d’Alyan Group participent, à condition que l’organisateur en chef, Pascal Grizot, se mette en retrait de ses affaires. Mais personne ne lâche tout son portefeuille d’activités pour répondre à quelques appels d’offres !

Depuis, M. Grizot a encore pris du galon et est devenu le président de la fédération. Nous allons suivre de très près l’attribution des marchés de sécurisation des Jeux olympiques qui auront lieu l’année prochaine. Nous espérons que les dysfonctionnements qui ont été identifiés et qui n’ont pas donné lieu à des poursuites ne se reproduiront pas, parce que nous trouvons ces conflits d’intérêts gravissimes. J’aurais pu vous citer, mais je vous les épargnerai, d’autres affaires dans le cadre de la Ryder Cup, concernant par exemple les équipementiers officiels.

On retrouve ce type de dossier dans une autre affaire qui a fait couler un peu d’encre, celle du Mulhouse Olympic Natation, géré par la famille Horter, qui pèse dans la natation française. L’un des frères était le distributeur officiel de l’équipementier Tyr, lui-même équipementier officiel de la Fédération française de natation, tandis qu’un autre était directeur technique national de la fédération.

Il serait utile que les comités d’éthique aient leur mot à dire dans les procédures d’attribution des marchés pour assurer un peu plus de transparence et dissuader certaines pratiques. Le problème, en cette matière, c’est que l’on nous oppose systématiquement la loi sur le secret des affaires, qui empêche de connaître les conditions dans lesquelles ces marchés sont attribués.

Toujours en matière de conflits d’intérêts, je ne peux pas éluder un autre cas, certes moins grave en ce sens qu’il ne mêle pas immédiatement des intérêts économiques, encore que... Le 29 juin dernier, le sport français a connu un événement important avec l’élection de M. David Lappartient à la présidence du Comité national olympique et sportif français (CNOSF). Chacun savait qu’il serait candidat à la succession de Brigitte Henriques mais il s’est déclaré officiellement relativement tard dans la campagne. Or M. Lappartient est par ailleurs à la tête de l’Union cycliste internationale (UCI) et du département du Morbihan, sans compter d’autres mandats locaux dont il avait indiqué, lors de sa campagne, qu’il se mettrait sans doute en retrait.

Je ne sais pas ce qu’il en est aujourd’hui mais le conflit d’intérêts est évident lorsqu’une personnalité s’exprime publiquement sur des sujets relatifs au cyclisme sans que l’on sache à quel titre il le fait – président de l’Union cycliste internationale, membre des instances dirigeantes du CIO (Comité international olympique) ? Pourquoi ce point n’a-t-il pas été réglé en amont ? Pourquoi des règles de déport n’ont-elles pas été clairement définies avant l’élection ? Il est regrettable qu’il se soit manifesté assez tardivement dans cette campagne, car le comité d’éthique du CNOSF rend un avis lors d’une élection à sa présidence. Je plaide pour que cet avis soit rendu public car une transparence accrue est nécessaire, comme c’est le cas pour les responsables politiques.

Le cas de David Lappartient soulève également la question du cumul des mandats. Étant parlementaires, vous savez très bien que c’est un engagement considérable, qui vous occupe beaucoup au quotidien. Affirmer dans la presse, comme l’a fait M. Lappartient, qu’on peut assumer toutes ces fonctions de manière sérieuse, c’est vraiment prendre la population et les membres du CNOSF pour des gens extrêmement crédules. Il n’est pas possible d’occuper pleinement trois fonctions de cette nature. Quand on est président de l’UCI, on se balade partout sur la planète, en permanence. Il suffit pour s’en convaincre de regarder le fil Twitter de David Lappartient : il était au Japon et en Chine ces tout derniers jours, et en Suisse, où se trouve le siège de l’UCI, la semaine dernière. En revanche, on ne voit plus grand-chose sur son activité dans le Morbihan.

En 2014, vous avez adopté une nouvelle législation visant justement à encadrer le cumul des mandats. Je sais qu’elle fait actuellement l’objet d’un débat mais, à l’époque, le législateur, dans le contexte de moralisation de la vie publique consécutif à l’affaire Cahuzac, avait justifié cette réforme en expliquant qu’il était difficile de mener plusieurs mandats concomitamment. Dans le cas que j’évoque, il s’agit de trois, quatre, voire dix missions si l’on ajoute les mandats locaux ! Ce n’est vraiment pas sérieux. Il sera sans doute très difficile d’adopter une nouvelle loi en la matière mais je pense que le législateur de 2014 n’avait pas pu imaginer un tel cas de figure, où l’on est à la tête tout à la fois d’un exécutif local important et d’une fédération internationale.

Nous aurions aimé un peu plus de déport. Je crois savoir que les fonctions exercées par David Lappartient à l’UCI sont assez intéressantes sur le plan lucratif. Par ailleurs, des articles de presse publiés en juin, peu de temps avant l’élection, faisaient état de relations étonnantes avec des oligarques russes et de décisions de l’UCI pour le moins surprenantes.

Pourquoi les Mondiaux de cyclisme sur route ont-ils été attribués – ils n’ont pas eu lieu en raison du covid – à Achkhabad, dont nul n’ignore qu’elle n’est pas un haut lieu du cyclisme ? Y a-t-il un lien entre l’attribution de la compétition à cette ville et les 2 millions d’euros que verse chaque année le groupe Makarov à l’UCI ? La question mérite d’être posée. Certes, elle n’entre pas dans le périmètre de la présente commission d’enquête, mais une association comme la nôtre ne peut pas ne pas la poser.

Au demeurant, nous avons publié un communiqué juste avant l’élection, non pour faire obstacle à la candidature, certainement légitime, de M. Lappartient, mais pour indiquer que des zones d’ombre subsistent et que des questions se posent, sur lesquelles il est nécessaire de s’exprimer avant le cycle électoral pour que le corps électoral du CNOSF s’exprime en conscience. Rien de tel n’a eu lieu.

Le moins que l’on puisse attendre, s’agissant d’une telle aventure électorale et sportive, est d’avoir la possibilité de s’exprimer en amont et d’obtenir des réponses aux questions qui restent en suspens. Par ailleurs, une évolution peut être réalisée sans complications : assurer la transparence et la publicité des avis du comité d’éthique du CNOSF, sur les candidatures. Tel devrait être le cas pour chaque fédération.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. L’audition de l’Agence nationale du sport (ANS) nous a appris que toutes les fédérations ne disposent pas d’un comité d’éthique, ce qui ne simplifie pas les choses en la matière pour celles qui n’en ont pas. Comment ces fédérations assurent-elles la transparence des subventions qui leur sont versées ? Le versement de fonds sans conditions nous intrigue.

David Lappartient, que nous auditionnerons, nous a adressé un courrier rédigé sur un papier à en-tête du CNOSF et signé en qualité de membre du CIO, ce qui montre qu’il peut s’exprimer avec ses différentes casquettes dans un unique document. Pour nous, le problème est réglé.

Nous nous interrogeons sur les marchés, notamment dans le cadre des Jeux olympiques. Des perquisitions ont eu lieu avant l’été, notamment au Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojop) Paris 2024. Nous aimerions vous entendre à ce sujet.

Plus généralement, considérez-vous que le traitement des comportements problématiques par les pouvoirs publics et les acteurs de la gouvernance du sport est à la hauteur ?

M. Alexandre Calvez. En 2021, soixante-deux des soixante-quinze fédérations olympiques s’étaient dotées d’un comité d’éthique. Il faudrait se pencher sur le détail de celles qui n’en ont pas. Il s’agit peut-être des plus petites, dont les services administratifs sont les moins bien dotés. Toutefois, rien ne justifie que l’on ne respecte pas la loi.

Il faut sans doute conférer un rôle accru au comité d’éthique du CNOSF, lequel a la responsabilité particulière de faire respecter l’éthique et la probité au sein du mouvement sportif français. Par ailleurs, s’agissant des nominations comme du fonctionnement, son comité d’éthique est plus abouti que beaucoup d’autres. Celui de la Fédération française de rugby se distingue également.

L’intérêt du comité d’éthique du CNOSF est double.

D’abord, les compétences y sont réparties entre ses membres. Certains sont spécialistes des aspects juridiques, d’autres des questions techniques ou médicales, d’autres encore, spécialistes du sport lui-même, contribuent à son rayonnement. Il s’agit d’un panel de personnalités dont les compétences ne peuvent pas être discutées. Ce modèle a plus de pertinence que celui dans lequel les postes au sein du comité d’éthique sont honorifiques et attribués par copinage. Il doit faire tache d’huile et essaimer – il a été reproduit par la FFR.

Ensuite, le renouvellement de ses membres n’intervient pas au même moment pour tous, un peu comme celui des membres du Conseil constitutionnel, renouvelé par tiers tous les trois ans. Cela évite aux équipes d’être monochromes ou d’être très, voire trop liées aux dirigeants du moment.

Il faut envisager de délier complètement le calendrier électoral des instances exécutives de chaque fédération des procédures de nomination au sein de son comité d’éthique, et d’instaurer des renouvellements partiels à fréquence régulière. Par ailleurs, confier au CNOSF une mission d’accompagnement des fédérations dont le comité d’éthique est dysfonctionnel ou inexistant n’est clairement pas un objectif hors de portée.

S’agissant des compétences des comités d’éthique, dont il faut rappeler qu’ils sont récents, elles sont fonction de l’actualité des fédérations ou des scandales qui l’ont émaillé au cours des dernières années. Il en résulte un tropisme pour tel champ d’expertise ou d’activité. Certains sont solides sur les violences à caractère sexiste et sexuel, d’autres sur les discriminations.

Il serait pertinent de clarifier les missions qu’un comité éthique doit remplir, afin qu’elles ne dépendent pas des centres d’intérêt de leurs membres ou de l’actualité de la fédération. Chacun doit savoir que plusieurs sujets sont à couvrir et non un seul au motif qu’un article est paru dans L’Équipe ou qu’un scandale a éclaté il y a trois ans.

Les subventions attribuées aux fédérations me font penser à la réserve parlementaire. Il y a des enveloppes et on les verse, parce qu’on juge que tel projet est intéressant, parce qu’il y a un besoin particulier dans tel département ou parce qu’on veut s’assurer du vote du récipiendaire départemental ou régional votera à la prochaine consultation. Je ne dis pas que les subventions sont toutes dépensées n’importe comment. La transparence et les contre-pouvoirs internes aux fédérations sont manifestement insuffisants, s’agissant d’argent le plus souvent public, au moins en partie, pour en assurer une dépense pertinente.

Or les outils ne manquent pas. Quiconque est amené à dépenser de l’argent public, dans quelque secteur d’activité que ce soit, sait ce que sont un appel à projets et un comité d’analyse qui l’expertise selon des critères clairs. Doter les fédérations sportives d’instances de ce type est assez facile. Cela permettrait d’assurer l’opportunité des dépenses et de faire en sorte qu’elles ne soient pas le fait du prince ou destinées à satisfaire telle antenne départementale de telle fédération. Il faut s’inspirer des mécanismes utilisés à tous les échelons territoriaux, des communes aux administrations centrales en passant par les départements à savoir des appels à projet avec un jury compétent pour identifier les projets les plus convaincants.

L’Agence française anticorruption (AFA) a audité huit fédérations sportives ainsi que le Cojop Paris 2024 et la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo). Certaines subventions ont fait l’objet d’un signalement au PNF. L’AFA a publié un guide visant à limiter les risques que courent les fédérations sportives sur les sujets de probité et de corruption. Le chapitre relatif aux subventions est assez dense.

Assainir, à tout le moins éviter que ne surgissent les soupçons, n’a rien d’un objectif hors de portée, d’autant que l’existence d’un contre-pouvoir protège les exécutifs des dégâts du soupçon. Notre association est bien placée pour le savoir : partout où il existe un outil institutionnel permettant d’éviter que des soupçons ne naissent, la dépense est assainie et le clientélisme recule. De surcroît, les dirigeants de fédération ne sont pas tous de grands professionnels de la gestion associative et administrative. Souvent, ce sont des bénévoles qui n’ont pas toutes les compétences pour exercer sereinement leurs fonctions au quotidien sans prendre des risques inconsidérés ou faire l’objet d’une accusation de détournement de fonds publics cinq ans après les avoir quittées, à la suite de révélations de presse.

Le CNOSF peut sans doute jouer un rôle dans la formation des dirigeants et la diffusion des bonnes pratiques. L’AFA le fait déjà. Les outils existent, aux fédérations de se les approprier. Éviter les mécanismes précités n’est pas très compliqué, il suffit d’en avoir la volonté – peut-être n’est-ce pas le cas partout.

S’agissant des fédérations qui ne se sont pas encore dotées d’un comité d’éthique ou d’une charte d’éthique, s’il s’avère que le manque de compétences et de capacités internes n’est pas en cause, le ministère peut prendre ses responsabilités et les menacer d’un retrait de délégation. Cet outil n’a jamais été utilisé, mais il existe.

Par ailleurs, de nombreux agents de l’État sont mis à la disposition des fédérations, notamment les conseillers techniques et sportifs (CTS) et les directeurs techniques nationaux (DTN). Tous sont tenus, en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale, de signaler au procureur de la République tout crime ou délit, par exemple un détournement de fonds publics, dont ils ont connaissance. Le non-respect de cette obligation est peu sanctionné au sein de l’administration en général.

Une autre responsabilité incombe au ministère des sports, celle de vérifier que ses agents mis à disposition des fédérations se livrant à des activités annexes lucratives ont obtenu une autorisation de cumul d’activités auprès de leur administration d’origine. Certaines affaires que j’ai citées en introduction ont montré que le ministère met peu le nez là-dedans. L’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) a aussi un rôle à jouer.

Certes, le ministère des sports ne dispose pas d’une administration très étoffée mais on ne peut considérer que les enjeux que l’on évoque ne sont pas tout le temps pris au sérieux. Il ne faut pas sous-estimer qu’il est difficile de suivre quotidiennement les activités des fédérations et les quelque 4 000 agents mis à leur disposition.

De manière générale, nous constatons que les sujets d’éthique et de probité, que nous sommes bien placés pour observer, font l’objet d’une prise en compte accrue de la population comme des responsables politiques et administratifs. Certaines pratiques, telles que la débrouille, le système D et le « je m’en mets un peu dans les poches », font l’objet d’une tolérance amoindrie, voire nulle. J’en veux pour preuve un sondage réalisé avant l’élection présidentielle de 2022 par Make.org et France 3, non pas auprès de 900 personnes appelées au téléphone, mais auprès de 1 million de personnes consultées. La priorité absolue pour la France d’après les élections n’est ni l’insécurité ni l’immigration, mais l’exemplarité des élus. Il y a une demande sociale d’exemplarité des élus, qui va croissant et fait tache d’huile jusque dans le sport. Combien de licenciés de la FFR ont été dégoûtés par l’affaire Laporte-Altrad ?

Par ailleurs, de plus en plus de gens, au sein des fédérations, sont sensibilisés aux questions de probité. On est loin de pouvoir prétendre que les phénomènes de corruption et d’infraction à la probité appartiennent au passé, mais la tolérance baisse, ce qui impose aux institutionnels de tenir compte de la demande sociale croissante d’éthique et d’intégrité.

J’ai tendance à penser que ceux qui ne sont pas encore convaincus finiront par devoir l’être. Au demeurant, les programmes électoraux au sein des fédérations, y compris celui de David Lappartient, accordent une place centrale à la gouvernance. Il est devenu difficile de faire campagne sans en parler. Il y a une volonté, au moins dans le discours ; dans les faits, les choses ne sont pas parfaites, mais des progrès ont été réalisés. Tant mieux ! Pourvu que ça dure !

Du côté du ministère des sports, la ministre a pris des positions assez fortes. Même si des articles de presse indiquent qu’elle aurait, dans de précédentes fonctions, validé des décisions contestables sur le plan de l’éthique au sein de la Fédération française de tennis (FFT), il faut reconnaître que les messages qu’elle a fait passer sur la FFR sont forts.

S’agissant du Cojop et de la Solideo, ils connaissent d’énormes conflits d’intérêts. L’événementiel sportif, comme l’événementiel en général, est un petit milieu. Il est une composante d’un secteur d’activité plus vaste organisé en oligopole. En France, le marché est dominé par RnK, Keneo et GL events. Seule cette dernière entreprise est partenaire officiel des Jeux olympiques. Elle apparaît dans toutes les campagnes électorales un peu sulfureuses. Son nom finit toujours par apparaître dans des articles de presse pour avoir accordé des ristournes susceptibles d’être considérées, d’après certains commentateurs, comme un financement illégal de campagne électorale.

L’événementiel est un secteur dangereux en matière de probité, car il réunit très peu d’acteurs. La défense de ceux qui, tels le Cojop, y font appel est la suivante : « Compte tenu de l’ampleur et de la complexité de la tâche, nous piochons parmi ceux qui savent faire ». Or « ceux qui savent faire » avaient des entreprises privées dans ce domaine auparavant. Il faut donc introduire des règles de déport très strictes s’agissant des cibles et du choix des prestataires. Je suis très reconnaissant à l’AFA d’avoir transmis un signalement au PNF.

En revanche, je suis surpris par celui qu’a transmis le ministère de l’économie et des finances il y a quelques semaines au sujet d’un ancien contrôleur général économique et financier des opérations liées aux Jeux olympiques, au motif qu’il a loué à la Solideo, pour un séminaire, des chalets appartenant à sa famille. Il s’agit clairement d’une faute individuelle.

Les comités d’éthique internes à ces structures sont solides mais, en l’absence d’une vigilance de tous les instants et de règles de déport très strictes, ils n’empêchent pas les dysfonctionnements. La probabilité que ceux-ci surviennent augmente à mesure que l’échéance approche. Tout le monde est dans l’urgence, il faut boucler les chantiers : la prise de décision est donc plus rapide, et l’erreur, qui peut amener à commettre des faits passibles d’une qualification pénale, davantage à craindre.

La vigilance et la transparence sont donc indispensables. Si des gens observent de très près, ils peuvent transmettre en interne le message qu’il ne faut pas se louper, sachant qu’aucun de ceux qui sont aux manettes n’a envie d’être traduit devant les tribunaux. Renforcer la transparence ne fait pas de mal, au contraire, cela augmente la capacité de dissuasion.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Toute proposition supplémentaire visant à améliorer la transparence au sein du mouvement sportif nous sera très utile en vue de la rédaction du rapport d’enquête.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. N’hésitez pas à revenir vers nous si vous avez d’autres informations à nous transmettre. Nous ferons de même.

Au nom de la commission d’enquête, je vous remercie.

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22.   Audition, ouverte à la presse, de M. Fabien Canu, directeur général de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (INSEP), Mme Anne Barrois-Chombart, directrice générale adjointe en charge de la politique sportive, M. Patrick Roult, chef du pôle haut-niveau, et M. Sébastien Le Garrec, chef du pôle médical (5 octobre 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous allons pouvoir commencer. Merci, chers collègues rapporteurs, nous accueillons à présent Monsieur Fabien Canu, directeur général de l’institut national du sport, de l’expertise et de la performance (INSEP), Madame Anne Barrois-Chambard, directrice générale adjointe en charge de la performance sportive, Monsieur Patrick Roult, chef du pôle haut niveau, et Monsieur Sébastien Le Garrec, chef du pôle médical.

Mesdames et Messieurs, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions. Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet dernier. L’Assemblée Nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs, et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux se déclinent donc autour de trois axes : l’identification des violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ; l’identification des discriminations sexuelles et raciales dans le sport ; l’identification des problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

L’INSEP, établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel sous tutelle du ministère des sports, est un acteur majeur du sport de haut niveau en France. L’INSEP est également le centre d’entraînement et de préparation olympique et paralympique, de référence pour les équipes de France.

Son cœur de métier est donc l’accompagnement des sportifs haut niveau et leur encadrement. 50 % des médailles olympiques sont issues directement des sportives et sportifs qui s’entraînent à l’INSEP. En tant que cadre d’entraînement et de vie exigeant où de jeunes sportifs s’entraînent, dorment, mangent, vivent, créent un cercle social, se donnent corps et âme pour leurs rêves olympiques, l’INSEP est un lieu où peuvent évidemment survenir des violences sexuelles et sexistes, ou encore des violences psychologiques ou physiques. L’INSEP a donc aussi la lourde responsabilité d’agir pour prévenir ces actes et apporter des réponses adaptées lorsqu’ils surviennent.

Notre commission souhaite comprendre comment l’INSEP s’acquitte de cette mission, en lien le cas échéant avec son ministère de tutelle, les fédérations et les autres acteurs du milieu sportif. Quels sont les faits et signalements dans le champ de notre commission d’enquête dont vous avez eu connaissance ? Comment ont-ils évolué le cas échéant ? Comment l’INSEP est-il organisé et quels sont les moyens qui sont mis en œuvre pour prévenir et traiter ces problématiques ? Quelles sont précisément les procédures applicables ? L’action et l’organisation de l’INSEP dans ce domaine ont-elles évolué pour accompagner le mouvement de la libération de la parole qui a suivi les révélations de Sarah Abitbol ?

La commission d’enquête a à cet égard recueilli le témoignage public de deux athlètes sur des violences subies à l’INSEP. Nous aurons l’occasion d’y revenir en détail dans le courant de votre audition. Monsieur le Directeur général, vous avez également été nommé en 2019 inspecteur général de la jeunesse et des sports, après avoir exercé les fonctions de directeur technique national à la Fédération française de Judo, sport qui a également été marqué par de nombreuses dénonciations.

Votre audition sera également l’occasion de revenir sur les faits dont vous avez pu avoir connaissance dans ces fonctions importantes et les suites qui leur ont été données à l’époque. Nous aimerions plus généralement connaître votre appréciation sur les évolutions qui vous paraîtraient souhaitables. Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée Nationale.

Avant de vous laisser la parole et d’entamer nos échanges, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite à tour de rôle et à dire « Je le jure ».

M. Fabien Canu, Mme Anne Barrois-Chambard, M. Patrick Roult et M. Sébastien Le Garrec prêtent serment.

M. Fabien Canu, directeur général de l’institut national du sport, de l’expertise et de la performance (INSEP). Tout d’abord, merci de nous permettre d’être auditionnés aujourd’hui dans le cadre de vos travaux. Je vais donner des éléments de contexte concernant les enjeux de sécurité au sein de l’INSEP, avant de céder la parole à ma collègue Anne Barrois-Chambard.

Il est important de préciser que le site de l’INSEP est fréquenté par 800 sportifs, 315 agents de l’INSEP et une centaine d’agents travaillant pour des prestataires de services, soit un total de 1 000 à 1 500 personnes. Les enjeux de sécurité concernent bien évidemment l’ensemble des individus qui fréquentent le site, ce qui représente une responsabilité considérable. S’y ajoutent les personnels des fédérations sportives, à savoir l’encadrement ainsi que des kinésithérapeutes et médecins. Il convient de noter que nous sommes des prestataires de services pour les fédérations qui couvrent 27 disciplines sportives. Elles ont la charge des entraînements et nous leur proposons divers services qu’elles peuvent prendre ou pas, ce qui peut parfois poser des questions en termes d’autorité et de responsabilité. En effet, dans le cadre des activités sportives, nous n’avons pas toujours la possibilité de voir tout ce qu’il peut se passer concrètement dans la relation entraîneur-entraîné, ce qui ne nous empêche pas de mettre en place des actions. Pour autant, c’est une difficulté à avoir à l’esprit. Je ne m’étendrai pas davantage sur le sujet.

Les prestations et services que nous proposons sont variés. Ils concernent notamment le domaine médical. Le docteur Sébastien Le Garrec ici présent dirige un très grand centre médical. En termes de formation, nous avons le fameux « double projet », qui est un marqueur du système français. Nos prestations couvrent aussi les domaines de l’accompagnement à la performance, de la préparation mentale ou de la nutrition entre autres. Nous mettons également à la disposition des fédérations des installations sportives haut de gamme.

Nous défendons le principe selon lequel le sport de haut niveau doit rester un soutien éducatif pour les jeunes, qu’ils perdent ou qu’ils gagnent. L’objectif de notre établissement est de former des jeunes pour leur avenir. Ainsi, ils apprennent à se prendre en main, à se gérer, à gagner, à vivre ensemble. La lutte contre les violences sexuelles fait partie de cette dimension éducative, comme nous aurons l’occasion d’y revenir.

Je vais maintenant laisser la parole à Anne Barrois-Chambard pour qu’elle vous explique comment l’INSEP est organisé.

Mme Anne Barrois-Chambard, directrice générale adjointe de l’INSEP en charge de la performance sportive. Comme vous l’avez indiqué Madame la présidente, les sportifs vivent sur le site. Ils sont un nombre conséquent d’internes, et ils peuvent être mineurs ou majeurs. À notre niveau, l’objectif est avant tout de travailler autour des valeurs du respect de soi et du respect des autres. C’est ce sur quoi nous nous sommes engagés et à ce titre, nous mettons en place un certain nombre de dispositifs de prévention. Ils peuvent être permanents, mis en œuvre au quotidien, mais il peut s’agir aussi d’actions plus ponctuelles principalement à destination de nos sportifs, mais pas seulement. Ceux-ci représentent évidemment la cible privilégiée, mais les actions peuvent aussi viser les agents de l’établissement dont les personnels d’encadrement comme les surveillants d’internat ou d’externat. Elles peuvent aussi concerner les entraîneurs, même s’ils ne sont pas des agents de l’établissement. Ce sont des cadres d’État ou des cadres fédéraux qui viennent au quotidien sur les entraînements. L’idée est que collectivement nous travaillions sur ces valeurs, et nous le faisons notamment en appui et en soutien d’associations qui nous sont proposées et recommandées par le Ministère des Sports, des Jeux Olympiques et Paralympiques. Les interventions peuvent se faire directement auprès de nos sportifs ou au travers de supports divers et variés comme des films avec des temps d’échange ou des scènes de théâtre pour mettre en situation ces notions de respect de soi et des autres.

Ces actions ne sont pas nouvelles, elles s’inscrivent dans le cadre d’un plan « éthique et intégrité » sur lequel nous travaillons chaque année et qui est proposé au directeur général. Ces dispositifs dans les domaines de l’éthique et de l’intégrité ont eu des noms différents dans les années précédentes, mais nous avons en tout cas une feuille de route chaque année qui comporte différentes actions de prévention, mises en œuvre en direction des sportifs majeurs et mineurs, des agents de l’INSEP et des personnes avec lesquelles les sportifs sont en contact directement. Nous avons un public de sportifs qui est captif, dans le sens où beaucoup dorment sur place. Pour autant, le temps d’un sportif de haut niveau est très contraint en termes de disponibilité. Nous essayons donc de mobiliser les sportifs sur des temps où ils sont disponibles, soit en début d’année, au moment de la rentrée scolaire, soit certains soirs. C’est évidemment plus facile avec des sportifs mineurs, puisque nous pouvons plus facilement les mobiliser. C’est moins le cas pour ceux qui sont majeurs, puisque nous ne pouvons pas les contraindre. De plus, certains sont effectivement internes à l’INSEP mais d’autres sont externes. Nous sommes donc sur des temporalités un peu différentes, ce qui fait que les sportifs majeurs peuvent être plus compliqués à mobiliser. Il est clair que nous souhaiterions que les sportifs majeurs répondent davantage à ce type de sollicitations ou de sensibilisations. Nous travaillons aussi avec les entraîneurs. Pas plus tard qu’il y a quelques semaines lors d’un séminaire de rentrée, Fabien Canu est intervenu auprès des entraîneurs sur le thème du bien-vivre ensemble et du respect des uns et des autres. À ce titre, nous avons d’ailleurs fait intervenir une association sur cette relation entraîneur-entraîné. Là aussi, nous aimerions cependant qu’il y ait plus de mobilisation de la part des entraîneurs qui sont présents à l’INSEP, mais – comme le précisait Monsieur Canu – nous intervenons en tant que prestataire. C’est notre rôle d’accompagner et il faut en retour un peu de mobilisation.

Au-delà de toutes les actions mises en œuvre, qu’elles soient ponctuelles ou plus régulières, nous avons un dispositif d’information des sportifs et de tous les agents sur le site sur les différentes procédures qui existent en interne, sur les personnes ou dispositifs ressources, ou encore sur les numéros de téléphone qui peuvent être appelés par les personnes qui souhaiteraient s’exprimer sur toute situation de violence sexuelle ou d’autre type qu’elles pourraient avoir subie ou dont elles pourraient avoir été témoin au sein de l’établissement. Nous diffusons ces informations principalement sous la forme d’affichages qui sont visibles dans tous les bâtiments de l’INSEP et qui permettent donc d’identifier les personnes-ressources au sein de l’établissement si des personnes souhaitent évoquer des problématiques particulières au sein de l’institut.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez indiqué que l’INSEP était prestataire de services. J’aimerais que nous revenions un peu sur cette notion et sur le fait qu’un établissement public puisse être prestataire de services.

Ensuite, vous avez souligné que le site de l’INSEP est un lieu où se croisent plus de 1 000 personnes par jour, parmi lesquelles des mineurs, des adultes, des agents de prestations, ou encore des entraîneurs. Est-ce que vous pourriez partager avec nous les mesures ou dispositifs spécifiques qui sont mis en place par les équipes de l’INSEP sur les sujets qui nous intéressent, à savoir les violences sexuelles et sexistes (VSS), les discriminations, le racisme, les violences physiques en dehors des partenariats que vous avez pu engager avec des associations comme Colosse aux pieds d’argile, Stop aux violences sexuelles ou Fight for Dignity ? En effet, nous connaissons maintenant plutôt bien ces associations et nous souhaiterions donc savoir quelles sont les actions précises que vous vous mettez en place de votre côté.

Au regard du fait que le site de l’INSEP rassemble des jeunes athlètes qui vivent sur le campus et sont susceptibles d’être victimes ou cibles d’agressions, comment garantissez-vous leur sécurité ? Sachant que les entraînements peuvent se terminer tard le soir ou avoir lieu les week-ends, est-ce que vous avez des dispositifs spécifiques à ce titre ? De manière plus générale, quelle est votre stratégie de lutte contre les VSS ? De quel pouvoir réel est-ce que vous disposez pour travailler et pour mettre en place des actions en lien avec les fédérations, qui sont des locataires de l’INSEP et pas forcément dans une relation de prestation de service ?

M. Fabien Canu. Oui, ce sont des locataires et nous leur offrons un certain nombre de services, y compris d’accompagnement dans la performance. Pour autant, les fédérations ne sont pas obligées de faire appel à un nutritionniste ou à un préparateur mental par exemple. Ce sont elles qui décident de recourir aux services que nous leur proposons en termes d’accompagnement à la performance. Nous avons des fédérations qui utilisent tous nos services, et d’autres pour lesquelles c’est un peu moins le cas. Notre souhait est qu’ils soient utilisés au maximum étant donné les moyens mis en œuvre. Pour être bien clair, nous n’avons pas d’autorité sur ce qu’il se passe dans le cadre des entraînements et sur les plans de préparation qui sont construits. La responsabilité du résultat sportif incombe aux fédérations, et ce sont elles qui seront jugées sur ce plan lors des Jeux olympiques l’année prochaine. Certes, l’INSEP sera en partie concernée, mais son avis n’est pas sollicité au moment où des changements d’encadrement ou d’entraîneurs sont envisagés et nous apprenons souvent les informations par la presse. Lorsque des fédérations ont des difficultés, nous sommes un peu spectateurs. Tous ces éléments visaient à expliquer les liens que nous avons avec les fédérations. Pour autant, nous travaillons avec elles et elles ont toutes un responsable de Pôle France qui est notre courroie de transmission sur tous les sujets. Ce sont nos correspondants permanents et c’est souvent par leur intermédiaire que nous faisons passer des messages aux fédérations. Charge à eux ensuite de les diffuser auprès de leurs sportifs.

Pour ce qui est du dispositif de prévention, nous avons deux cas de figure. En ce qui concerne les mineurs, ils vivent dans un internat qui est un bâtiment dédié et qui est très encadré. Tous les soirs, des ateliers divers et variés sont proposés pour leur apprendre à vivre ensemble ou pour les sensibiliser sur des sujets comme le dopage. Sur ce plan, le fonctionnement est assez fluide. En revanche, nous avons certainement des efforts à faire dans l’information à l’égard des sportifs majeurs. Il y a un déficit d’information auprès des sportifs majeurs comme nous avons pu l’identifier suite à des échanges avec Emma Oudiou, que vous avez d’ailleurs auditionnée. Nous avons plus de mal à les capter parce qu’ils sont plus libres que les mineurs. Chez les majeurs, les procédures de signalement ne sont par exemple pas toujours connues. Il y a deux ans lorsque je suis arrivé, l’établissement a mis en place une procédure de signalement avec des affiches collées partout dans les bâtiments. Cette procédure s’adresse aux agents de l’INSEP, aux sportifs et à toutes les personnes qui fréquentent le site. Comme Emma Oudiou l’a mis en avant, les sportifs majeurs ne lisent pas forcément les affiches ou les mails, et nous avons un vrai enjeu d’information à leur égard.

La procédure va être dissociée et nous allons distinguer les agents publics (pour lesquels un texte a été publié récemment) et les sportifs. Nous allons vraiment différencier les modalités d’information par rapport au dispositif entre les deux populations. Toutefois, nous avons déjà mis en place une réunion pour les nouveaux majeurs accueillis à la rentrée. Isabelle Dounias (qui est une infirmière de l’INSEP en charge de recueillir les propos lorsque des situations se présentent) est venue se présenter auprès de ces nouveaux majeurs afin qu’ils connaissent son visage et qu’ils puissent aussi identifier le dispositif qui leur est proposé dans le cas de violences notamment. Par ailleurs, nous allons mettre en place très prochainement une application – car c’est un support privilégié pour les jeunes – afin de délivrer aux sportifs un certain nombre d’informations sur la vie de l’INSEP. Elles concerneront des sujets comme la restauration mais aussi ce dispositif de signalement que nous avons dans l’établissement. Emma Oudiou avait en tout cas raison sur le fait que nous devons davantage informer les sportifs majeurs et que le relais que nous pouvons avoir avec les fédérations n’est pas suffisant.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous parliez tout à l’heure de la responsabilité du prestataire que vous êtes, mais est-ce que vous avez une charte ou un autre document qui vous lie aux fédérations ?

M. Fabien Canu. Nous signons des conventions avec elles.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Est-ce qu’elles listent toutes les responsabilités des différentes parties ?

M. Fabien Canu. Patrick Roult sera plus à même de vous répondre sur le sujet.

M. Patrick Roult, chef du pôle haut niveau de l’INSEP. Nous signons avec chaque fédération une convention pluriannuelle de Pôle France dans laquelle nous listons à la fois les prestations et les responsabilités sur lesquelles nous nous engageons respectivement. Nous pourrons vous en envoyer un exemplaire pour que vous en ayez une meilleure visibilité.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous nous avez indiqué que des ateliers étaient organisés à l’attention des mineurs pour communiquer avec eux sur différents sujets. Au-delà de ces ateliers, est-ce qu’il existe des dispositifs qui sont mis en place pour les protéger d’un point de vue sécuritaire, notamment pour qu’ils ne se retrouvent pas seuls avec des adultes sans que vous puissiez en avoir connaissance par exemple ? Vous avez évoqué aussi la question d’une infirmière qui est en charge de recueillir les propos de victimes ou de témoins de violences. Est-ce à dire que vous ne disposez que d’une personne en charge de cela pour les 800 sportifs accueillis à l’INSEP ?

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous allons peut-être demander à Monsieur Le Garrec d’intervenir sur les aspects médicaux.

M. Sébastien Le Garrec, chef du pôle médical de l’INSEP. Pour répondre à la question sur les personnes-ressources, elles sont deux à être identifiées pour recueillir la parole. J’en profite pour donner des précisions sur les grandes missions du pôle médical de l’établissement, qui sont au nombre de trois. La première et la prioritaire consiste à préserver la santé mentale et physique des athlètes. Sur ce sujet, nous nous appuyons essentiellement sur la surveillance médicale réglementaire, telle que définie par l’arrêté du 13 juin 2016 relatif à la surveillance médicale des sportifs de haut niveau, des espoirs et des collectifs nationaux. La deuxième mission est de soigner les sportifs, car les athlètes de haut niveau peuvent être soumis à des blessures. La troisième mission est de participer à la récupération des sportifs au vu des charges d’entraînement importantes qui sont les leurs.

Le pôle médical de l’INSEP représente à peu près 80 personnes et environ 45 ETP, avec des métiers très variés : des médecins évidemment, avec différentes spécialités, des kinésithérapeutes, des infirmières, quatre psychologues cliniciennes (dont le rôle est de surveiller l’état mental de nos athlètes), des podologues, des dentistes, des radiologues. Nous avons donc une équipe extrêmement complète.

La surveillance médicale réglementaire est vraiment quelque chose d’important pour nous. Nous disposons d’une secrétaire qui est dédiée à temps plein pour planifier les rendez-vous en lien avec cette surveillance. C’est malheureusement une charge qui n’est pas simple à gérer parce que nous avons parfois des difficultés à faire venir nos athlètes pour assurer cette surveillance médicale réglementaire. Il y a là un vrai sujet. Pour vous citer l’exemple du bilan psychologique, qui est obligatoire et fait partie de la surveillance médicale réglementaire, moins de 10 % des sportifs de certains pôles l’ont réalisé en 2021. Je pense que c’est lié à la mauvaise image qu’ont les psychologues, alors que c’est vraiment important. La surveillance médicale réglementaire a été mise en place pour préserver nos athlètes, elle a tout son sens et il faut vraiment faire en sorte qu’elle soit appliquée pleinement. Dans ce domaine, la responsabilité revient avant tout aux fédérations. Nous sentons bien que certaines fédérations ont pris le sujet à bras le corps avec des secrétaires qui sont très prégnantes et des médecins qui assurent particulièrement bien le suivi de leurs athlètes. Dans d’autres fédérations, c’est un peu plus aléatoire et nous avons un vrai sujet à traiter.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vais vous demander – les uns et les autres – d’être un peu plus précis dans vos réponses. En effet, certaines notions employées comme les fédérations, les valeurs, les associations ne le sont pas suffisamment. Pour nous éclaircir pendant cette commission d’enquête, il faut que nous puissions avoir davantage d’explications.

Je voudrais aussi revenir sur un élément. Lors de son audition, Madame Palou a évoqué le médecin du sport de l’INSEP. Elle a évoqué le fait qu’il lui aurait prescrit un antidépresseur comme un Doliprane et sans la prévenir des idées suicidaires qui peuvent survenir en début de traitement. Il lui aurait également prescrit des anxiolytiques sans l’informer du risque d’addiction. Docteur Le Garrec, avez-vous été destinataire ou étiez-vous vous-même le prescripteur de cette ordonnance ?

M. Sébastien Le Garrec. Oui tout à fait, c’est de moi qu’il est question. J’ai effectivement entendu les propos de Claire Palou et ils m’ont un peu choqué, je vous le dis très sincèrement.

Avant tout, je tiens à préciser que bien avant de rejoindre l’INSEP en 2014, j’ai exercé pendant 20 ans en tant que médecin généraliste. J’ai rencontré de nombreuses personnes en détresse au fil des années. J’ai écouté leurs souffrances, prescrit des médicaments, y compris des antidépresseurs et d’autres psychotropes. Je pense donc être légitime sur la prescription de ces traitements.

Le traitement que j’ai prescrit a été établi après un entretien lors duquel j’ai jugé nécessaire de le mettre en place. Le traitement a été basé sur des molécules qui sont vraiment celles qui sont classiquement prescrites dans ce type de situation. En ce qui concerne les effets secondaires, je ne suis pas d’accord avec ce qui a été mentionné. J’ai clairement informé l’athlète des possibles effets secondaires. D’ailleurs, je l’ai revue trois jours après la prescription, même si je l’avais déjà contactée entre-temps. Je voulais m’assurer que le traitement était bien toléré. Je crois avoir bien mis en place le traitement. Peut-être qu’elle ne l’a pas ressenti de cette manière, ce que je peux comprendre. Cependant, de mon côté, j’ai la conviction d’avoir bien fait mon travail. Si je devais refaire le traitement, je prescrirais exactement les mêmes molécules. Je tiens à le souligner.

Par ailleurs, en ce qui concerne l’affaire de Claire Palou, je pourrai peut-être aborder les détails plus tard. Lorsque je l’ai vue pour la première fois en état de détresse, j’ai un peu été pris au dépourvu. Je l’avais rencontrée huit jours auparavant pour un tout autre sujet, et elle ne m’avait pas parlé de son état de détresse à ce moment-là. Quand j’ai eu connaissance de sa situation, j’ai immédiatement planifié son hospitalisation en centre psychiatrique, dans les six jours qui ont suivi notre rencontre. Croyez-moi, ce n’est pas une décision qui se prend à la légère. Ma parole a autant de valeur que la sienne, mais je peux vous assurer que je n’ai pas pour habitude de prescrire des psychotropes de la même manière que l’on prescrit un simple Doliprane. Je préviens toujours les personnes des effets possibles.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Merci pour votre réponse.

M. Fabien Canu. Pour répondre à votre question concernant le dispositif de surveillance, nous avons seize assistants d’éducation qui sont directement en contact avec les sportifs. Souvent, ce sont souvent ces assistants qui remontent les informations concernant les sportifs en situation de détresse, que ce soit pour des problèmes personnels ou d’autre nature. Ils jouent un rôle essentiel dans notre dispositif, car une certaine confiance s’établit entre les sportifs et eux. C’est donc souvent par leur intermédiaire que nous sommes informés des difficultés rencontrées par les athlètes, quelles qu’elles soient.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’entends ce que vous expliquez mais ce qui nous intéresse vraiment au niveau de cette commission, c’est d’identifier les dysfonctionnements ou les failles dans notre système. Nous cherchons à comprendre pourquoi des événements de type VSS se produisent et comment ils sont traités ou malheureusement pas parfois. Notre préoccupation aujourd’hui est avant tout de savoir ce qui est fait en amont et notamment quels dispositifs sont en place pour sécuriser le site de l’INSEP afin d’éviter toute forme d’agression, de racisme ou de discrimination.

M. Patrick Roult. Il existe plusieurs niveaux de sécurité sur le site de l’INSEP. Tout d’abord, le site est sécurisé, seules les personnes identifiées peuvent y entrer. Le personnel de l’INSEP, les membres des fédérations ou les partenaires dans le cadre du partenariat public-privé possèdent tous un badge individuel. Ainsi, nous avons un contrôle sur chaque personne qui franchit une porte et nous savons à quelle heure elle le fait.

Concernant les bâtiments d’hébergement, il y en a un pour les mineurs et un pour les majeurs. Le bâtiment d’hébergement des mineurs est fermé et son accès est limité à un nombre restreint de personnes qui ont un badge. Il est géré par une responsable, assistée par une adjointe et dix surmédiants. Nous les appelons ainsi car ce sont des assistants d’éducation qui assument à la fois un rôle de surveillance et de médiation.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quel est leur profil ?

M. Patrick Roult. Leur profil est sensiblement le même pour ceux qui s’occupent des mineurs ou des majeurs. Ils sont recrutés sur des contrats d’assistant d’éducation et sont formés avant leur prise de fonction lors d’un séminaire qui se déroule en août. Leur contrat porte généralement sur une période d’un an renouvelable deux fois, parfois exceptionnellement une troisième fois. Ce sont pour partie d’anciens sportifs de haut niveau ayant une expérience du site et pour une autre partie des personnes extérieures qui viennent apporter un regard différent. À une certaine époque, nous avions par exemple recruté des jeunes femmes venant du secteur médical ou sociomédical, des élèves infirmières notamment. Les surmédiants sont souvent jeunes, entre 21 et 30 ans en règle générale, et poursuivent des études. Ils sont embauchés à mi-temps et travaillent principalement le soir et la nuit. Ils sont logés sur place dans des chambres de l’internat. Dans l’internat des mineurs, nous avons dix surmédiants assurant une rotation de service, garantissant ainsi une surveillance constante du bâtiment tant de jour que de nuit.

Pour ce qui est des bâtiments réservés aux majeurs, la surveillance est différente. Normalement, la règle ne prévoit pas qu’il y ait de surveillance puisque les personnes accueillies sont majeures. Cependant, nos prédécesseurs avaient obtenu – hors plafond d’emploi – l’embauche de six surmédiants, qui sont également des assistants d’éducation. Ces surmédiants surveillent la nuit les trois bâtiments où sont logés les majeurs. Ce système n’est pas simple, car les surmédiants ne sont pas présents chaque nuit du fait de leurs rotations. Nous avons mis en place un dispositif d’astreinte, avec un téléphone d’urgence affiché partout dans tous les bâtiments. Ce numéro est communiqué aux sportifs internes, tant aux mineurs qu’aux majeurs, afin qu’ils puissent appeler en cas de besoin.

Par ailleurs, le site est également surveillé par les équipes de sécurité qui contrôlent les entrées et effectuent des rondes régulières de jour comme de nuit, à la fois dans les bâtiments et dans les installations sportives. Le site est vaste puisqu’il s’étend sur 28 hectares, mais nous avons un nombre de personnels de sécurité assez important. Les rondes sont effectuées de manière aléatoire, ce qui empêche toute tentative d’intrusion entre deux rondes. Malgré ces précautions, nous sommes parfois confrontés à des incidents, comme des individus qui passent assez régulièrement au-dessus des clôtures pour voler des vélos. C’est assez régulier. Cependant, nous avons des agents de sécurité d’une société privée avec laquelle nous avons un contrat de marché public pour assurer cette surveillance. De plus, nous avons récemment installé un grand nombre de caméras de vidéosurveillance sur l’ensemble du site. Ces caméras couvrent le périmètre de l’INSEP et surveillent l’accès aux bâtiments d’hébergement. Chaque porte des bâtiments d’hébergement est surveillée par ces caméras.

Au-delà de ces mesures sécuritaires, il y a également un volet éducatif. À ce titre, nous mettons en place des formations très spécifiques pour nos surmédiants, car ce sont eux qui sont en contact quotidien le plus proche avec l’ensemble des sportifs. Nous insistons beaucoup sur la notion de distance appropriée. Quand tout va bien, nous maintenons une certaine distance pour ne pas oppresser les sportifs. Quand ils vont moins bien, le but est de se rapprocher d’eux. Cette approche subtile est un aspect essentiel du quotidien des surmédiants et de leur manière d’être. Nous les formons à reconnaître les situations délicates, qui ne sont pas toujours celles où les sportifs font le plus de bruit ou montrent le plus de difficultés. Nous sommes par exemple vigilants par rapport aux personnes habituellement souriantes qui soudainement s’effacent ou s’éteignent. Dans ces cas, nous faisons en sorte d’intervenir.

Nous formons aussi les jeunes sportifs qui entrent chaque année. Ils ont une semaine de formation dense avec des intervenants sur des questions de sécurité et sur la relation aux autres. Il y a aussi des formations sur ce que l’on appelle la vie sexuelle et affective, la prévention des conduites addictives, notamment le dopage, les jeux d’argent, les réseaux sociaux. On pourra vous fournir le tableau des modules de formation mis en place pour les sportifs et les surmédiants.

Nous proposons également des formations à tous les membres du personnel, et d’autres sont destinées aux entraîneurs et aux sportifs. Comme le mentionnait Fabien Canu plus tôt, notre principale difficulté concerne les sportifs majeurs, qu’ils vivent ou non sur le site, car contrairement aux mineurs, nous ne pouvons pas les obliger à assister à ces formations. Nous les invitons, mais ils ne sont pas toujours présents. Pour illustrer ce point, nous lancions hier soir une série de diffusion de films sur les Jeux olympiques. Hier soir, nous avons invité les sportifs à la diffusion d’un documentaire sur les Jeux olympiques de Barcelone et les majeurs ne sont pas venus. Étant donné que nous travaillons sur l’autonomie des sportifs mineurs, nous avons choisi de ne pas les contraindre non plus, et il s’avère qu’ils ne sont pas venus non plus à cette séance.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Merci. Je vais vous demander quelques clarifications rapidement. Si vous pouviez être un plus concis, ce serait bien car nous avons beaucoup de questions à aborder. Tout d’abord, pourriez-vous me donner le nombre précis d’agents de sécurité présents sur le site, notamment en soirée ? Estimez-vous que ce nombre est suffisant pour garantir la sécurité ?

En ce qui concerne la formation des surmédiants, vous avez mentionné qu’ils étaient formés pendant l’été juste avant leur prise de fonction. Sachant qu’ils viennent avec des expériences et des compétences variées, pensez-vous que cette diversité de profils est adaptée et que la durée de formation est suffisante pour ce poste de surmédiant ? De plus, pourriez-vous me donner des détails sur la durée et le contenu de la formation, notamment sur le temps consacré aux sujets sensibles tels que les VSS, le racisme et les discriminations ?

M. Fabien Canu. Je vais répondre sur l’aspect sécurité. Lorsque j’ai pris mes fonctions, j’ai identifié la sécurisation du site comme l’un des enjeux majeurs. Nous avons procédé à l’installation d’une quarantaine de caméras, ce qui nous offre une vue assez exceptionnelle sur l’ensemble du site. Nous travaillons avec un prestataire de services qui emploie au moins sept ou huit agents de sécurité en soirée et la nuit. En vue des Jeux olympiques, ce dispositif de sécurité va encore être renforcé car l’INSEP sera centre d’entraînement et car des équipes seront hébergées sur le site pendant les Jeux olympiques.

J’ai aussi nommé un responsable de la sécurité. Même si les actions déployées depuis quelque temps produisent des effets, la préservation de la sécurité est un combat permanent dans le sens où beaucoup de monde pénètre sur le site et où nous avons des risques d’intrusion.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Les mesures en place vous semblent-elles suffisantes ?

M. Fabien Canu. Sincèrement oui. Nous contrôlons même les véhicules qui sortent du site – hors les voitures individuelles – afin de prévenir des vols sur les installations sportives, ce qui était un autre problème important.

Nous avons reçu une visite des représentants de la préfecture de police dans le cadre de la Coupe du monde de rugby car nous sommes camp d’entraînement pendant celle-ci, et ils prévoient de revenir en vue des Jeux olympiques y compris pour traiter les enjeux liés à l’informatique. Nous travaillons en étroite collaboration avec les autorités pour améliorer constamment notre dispositif de sécurité. Pour l’instant, je suis convaincu que nos mesures de sécurité sont adéquates, mais je reste ouvert aux recommandations de la préfecture de police pour renforcer davantage la sécurité si nécessaire.

M. Patrick Roult. Pour compléter sur la présence notamment la nuit, nous avons pour l’internat des mineurs un surmédiant qui est d’astreinte et un surmédiant qui est de réserve en plus des autres qui vivent sur place et qui peuvent être sollicités en cas de besoin. Sur les internats majeurs, nous avons de la même façon un surmédiant qui est d’astreinte et un autre qui est de réserve, mais les hébergements sont répartis sur trois bâtiments.

Par ailleurs, un cadre de la direction générale est d’astreinte toutes les nuits. Concrètement, les cadres de la direction générale qui vivent sur le site opèrent une astreinte d’une semaine à tour de rôle. Nous disposons d’un téléphone d’astreinte et nous pouvons être appelés à toute heure du jour et de la nuit. Pour vous donner un exemple, il est assez fréquent que nous devions emmener un sportif aux urgences au milieu de la nuit parce qu’il est malade ou autre. Tout ce dispositif de sécurité me semble suffisant car il nous a permis de répondre à toutes les difficultés que nous avons eues à rencontrer, y compris dans une période récente où nous avons eu un empoisonnement de notre système d’eau qui a généré beaucoup de sollicitations sur plusieurs jours. Mon collègue responsable du service médical en garde un souvenir ému de même que nous tous, mais nous avons pu assurer la sécurité et la prise en charge des sportifs ou des sportifs qui tombaient malades d’une façon satisfaisante pendant cette période.

En ce qui concerne la formation des surmédiants, leur contrat d’un an est renouvelable deux fois, mais tous ne sont pas reconduits chaque année. Lorsque nous en avons un qui ne nous satisfait pas sur le plan de sa posture ou dans le cadre de l’exercice de ses missions, il n’est pas renouvelé mais c’est quelque chose d’assez rare. Dans nos recrutements pour ces postes de surmédiants, nous recrutons des individus ayant une expérience éducative dans des activités d’encadrement de vacances ou autres, ou au travers de leurs études. Un bon tiers de leur formation de trois jours est consacré à l’ensemble des questions de sécurité et à la prévention des divers problèmes qui peuvent être rencontrés sur le site.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pourrez-vous d’ailleurs nous transmettre des informations sur les différents profils de ces surmédiants et sur la manière dont se déroule une journée type pour eux (en incluant les gardes de nuit) ?

M. Patrick Roult. Bien sûr.

M. Fabien Canu. Je précise que nous interrogeons le casier judiciaire de ces personnes avant leur recrutement. C’est le B3 qui est demandé pour chaque candidature.

M. Patrick Roult. En revanche, nous n’avons pas accès au FIJAISV à notre niveau, ce qui est un sujet...

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Lorsque nous avons auditionné Mesdames Oudiou et Palou, cette dernière nous a affirmé que lors de son témoignage auprès d’une personne de l’INSEP, il lui avait très clairement été fait comprendre que ce serait mieux pour tout le monde si son histoire ne sortait pas dans la presse. Il s’agirait là de menaces. Avez-vous eu – les uns ou les autres – connaissance de telles menaces et savez-vous qui les a proférées ?

Par la même occasion, je voudrais savoir comment vous réagissez lorsque vous avez connaissance d’un signalement de la part de vos sportifs, qu’ils soient d’ailleurs mineurs ou majeurs. Quel est le processus que vous enclenchez dans ce type de cas ?

M. Fabien Canu. Nous avons découvert par voie de presse que des responsables de l’INSEP auraient tenu de tels propos, et je vous avoue que c’est l’incompréhension totale pour moi. Je ne vois pas qui aurait pu tenir ce type de propos, ni comment et à quel moment. Nous nous sommes interrogés parce que nous avions reçu Claire Palou avec ses parents au mois de juin de mémoire.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous interromps car en relisant mon document je m’aperçois bien qu’elle a déclaré vous avoir rencontré, Monsieur Canu.

M. Fabien Canu. Oui, c’est là où je comprends encore moins parce que nous avons effectivement vu Claire Palou avec ses parents. À cette période, les contacts ont assez réguliers avec elle par l’intermédiaire d’Anne Barrois pour l’INSEP, et la fédération était également dans la boucle avec son DTN.

Claire Palou souhaitait nous rencontrer et évoquer sa situation. Nous lui avons posé la question de savoir si elle souhaitait porter plainte. Elle nous a répondu qu’elle ne le souhaitait pas, parce qu’elle avait peur des effets médiatiques si l’affaire était portée sur la place publique. Ce sont ces propos. De mon côté, j’ai seulement confirmé que si c’était sur la place publique, cela aurait certainement des répercussions au niveau médiatique. Je tiens à souligner que dans toute ma carrière professionnelle, je n’ai jamais caché quoi que ce soit. Je ne comprends pas cette incompréhension... On pense qu’elle a fait référence à ce moment de l’échange.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lorsque vous l’avez reçue, elle vous a indiqué avoir peur que son histoire se retrouve sur la place publique selon ce que vous nous dites. À la suite de cet échange, avez-vous fait un signalement ou déclenché un article 40 ?

M. Fabien Canu. Oui. Nous nous sommes d’abord assurés de savoir où elle en était, parce qu’elle a été moralement atteinte par cette affaire. Je lui ai indiqué que je souhaitais qu’elle témoigne auprès de la personne référente au sein de l’INSEP, et que des suites seraient données à son témoignage. Un article 40 a bien été déclenché fin août ou début septembre.

Par rapport aux propos tenus ce jour-là, je ne comprends même pas comment elle peut faire état d’une volonté de notre part de cacher sa situation. Je m’étonne. Elle a en tout cas été entendue et la procédure est lancée.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pouvez-vous nous donner la date précise à laquelle l’article 40 a été déclenché ? Vous avez parlé de fin août ou début septembre, mais étant donné que nous l’avons auditionnée le 5 ou 6 septembre, il est important pour nous de savoir si c’était avant ou après.

M. Fabien Canu. C’était avant mais je ne suis pas sûr qu’elle ait eu l’information en revanche. Pour toutes les affaires de violences sexuelles, je déclenche automatiquement l’article 40 parce que ce sont des affaires complexes. Je tiens à souligner que nos pouvoirs d’investigation sont très limités dans ce type d’affaire, ce qui est un sujet.

Dans une affaire précédente qui a concerné l’établissement et qui impliquait d’ailleurs Emma Oudiou, une exclusion définitive d’un jeune athlète de l’INSEP a été prononcée mais la justice a ensuite classé le dossier. Dès lors, le jeune athlète et sa fédération ont demandé qu’il soit réintégré. L’établissement a également été attaqué pour le manque à gagner que cette personne aurait subi pendant sa période d’exclusion. À cette époque, nous l’avons réintégré avec tout de même la mise en place de mesures de contraintes : il ne pouvait venir que deux fois par semaine et il n’avait le droit d’aller qu’à la salle d’entraînement, sans pouvoir utiliser les services de l’INSEP. La personne qui avait porté le signalement a aussi été informée avec un dispositif associé, sachant que la salle d’entraînement où elle s’entraînait était située juste à côté de celle du sportif mis en cause.

Dans de telles affaires, c’est souvent parole contre parole et il nous est très difficile – au niveau de l’établissement – de porter des jugements. Le recours à l’article 40 nous permet de signifier que nous sommes dépassés par ces situations au regard des pouvoirs d’investigation qui sont les nôtres. D’où l’article 40.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je voudrais que nous refassions précisément la chronologie de l’affaire Claire Palou. J’ai compris que vous l’aviez reçue en juin mais il serait bien que nous sachions ce qui a été mis en œuvre entre juin et fin août – début septembre. Est-ce qu’une procédure administrative a été déclenchée par exemple ? S’agissant de l’article 40, nous souhaiterions savoir précisément la date à laquelle il a été déclenché. C’est une information importante pour nous. De même, quelles suites vont être données à ce déclenchement de l’article 40 ? Lors de son audition, Claire Palou nous a indiqué que sa fédération avait pris le relais.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pour ma part, je voudrais savoir ce qu’il s’est dit lors de votre rencontre en présence des parents de Claire Palou et pourquoi d’après vous cette dernière a manifesté de la peur à l’idée de déposer plainte. Par ailleurs, est-ce qu’elle vous a fait part de son appréhension par rapport au fait de revenir ensuite dans sa discipline sportive et aux possibles conséquences pour sa carrière sportive ?

Mme Anne Barrois-Chambard. J’ai pris mes fonctions le 1er mai 2022 et les faits dénoncés par Claire se sont produits vers la mi-mai 2022. À l’issue des rendez-vous que Sébastien Le Garrec a pu avoir avec elle à cette période, je me suis entretenue avec ses parents sachant que Claire a été longuement hospitalisée. Beaucoup de mois se sont ensuite écoulés et nous avons pu rencontrer Claire au mois de juin en présence de ses parents et du directeur technique national de la Fédération française d’athlétisme. Elle nous a fait part de l’état dans lequel elle se trouvait à ce moment-là et elle allait mieux par rapport aux mois précédents. Je ne crois pas qu’elle ait utilisé le terme de « peur » mais elle était effectivement inquiète des conséquences d’une plainte contre le sportif incriminé. Elle redoutait les réactions de l’environnement sportif et s’inquiétait de la manière dont une plainte serait perçue, puisque c’est un sportif connu qu’elle a accusé. Si la situation était médiatisée, elle se demandait quelle en serait l’incidence pour elle : est-ce que les gens allaient prendre parti pour lui plutôt que pour elle ou inversement ? Comment allait-elle se sentir dans sa pratique de l’athlétisme après, puisqu’elle n’avait pas prévu de mettre un terme à sa carrière ? Au contraire, elle avait d’autres projets, elle partait sur Montpellier et elle avait envie de continuer sa pratique sportive intensive voire de haut niveau. Dans ce contexte, elle avait peur d’être jugée par rapport à cette affaire si celle-ci était connue du grand public et donc par incidence dans le monde de l’athlétisme. C’est ce qu’elle a évoqué lorsque nous lui avons posé la question de savoir si elle prévoyait de porter plainte. C’est à ce moment-là que nous lui avons indiqué qu’à partir du moment où la situation serait rendue publique ce serait certainement plus difficile à gérer. Cependant, à aucun moment nous ne lui avons dit qu’il ne fallait pas porter plainte.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Comment vous réagissez-vous vous-même lorsque vous êtes face à un sportif ou une sportive qui – comme Claire Palou – manifeste une inquiétude et de l’appréhension par rapport aux conséquences de la médiatisation d’une affaire ? Quelle est votre position, quelle est celle du DTN, quelle est celle de la fédération concernée ? Comment est-ce que vous accompagnez cette victime ?

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pour aller un tout petit peu plus loin, nous avons compris de son témoignage qu’elle accusait un athlète qui serait célèbre et qui va sûrement participer aux Jeux olympiques l’année prochaine. Est-ce qu’il est mis à l’écart ou quelles sont les mesures mises en place au niveau de l’INSEP pour cet athlète pour lequel vous avez visiblement déclenché un article 40 suite au témoignage de Claire Palou ?

Mme Anne Barrois-Chambard. Une procédure établie a été suivie pour Claire. Elle a été reçue par l’infirmière qui fait partie des deux personnes spécifiquement formées pour recueillir ce type de témoignages à l’INSEP. Lors de l’entretien que nous avons eu au mois de juin avec Claire, Fabien Canu lui a demandé de rencontrer cette infirmière pour recueillir sa parole et avoir un écrit.

En parallèle, nous avons aussi des personnes qui sont clairement identifiées et qui sont chargées d’entendre les personnes qui sont incriminées (que ce soient des sportifs majeurs ou des entraîneurs). Dans ce type de cas, nous lançons une enquête administrative comme partout. Tous ces éléments recueillis sont remontés à Fabien Canu et il est amené à les partager avec les membres de la direction.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Où en êtes-vous de cette enquête administrative ?

M. Fabien Canu. Nous vous avons adressé hier des éléments à ce sujet. Vous pourrez les regarder et constater que la situation est franchement très compliquée à appréhender. Sur la base des éléments recueillis, je vois mal comment je peux convoquer un conseil de discipline. Dans ce type de cas, il faut aussi penser à celui qui est qui est incriminé. Nous avons eu un autre cas l’année dernière en athlétisme aussi, avec des faits relativement similaires qui ont conduits la justice à classer l’affaire. Nous sommes vraiment dans des cas où c’est parole contre parole. L’athlète qui a été incriminé l’année dernière a dû être accompagné psychologiquement.

Loin de moi l’idée de remettre en cause les témoignages des victimes, mais nous sommes obligés d’être prudents dans ce type de situations. Pour les faits dont il est question, il me semble préférable de s’en remettre à la justice car je vois mal comment nous pouvons prendre une décision disciplinaire sur la base de ce qui a été rapporté. J’insiste sur le fait que ce n’est pas pour protéger les sportifs incriminés, contrairement à ce qu’a pu laisser entendre Emma Oudiou. Je ne protège personne et il n’est pas question de le faire. J’estime cependant qu’il convient d’être prudents.

M. Stéphane Mazars (RE). Je souhaite revenir sur les points que vous venez de soulever, Monsieur Canu. Je comprends les difficultés auxquelles vous êtes confrontés et qui peuvent être partagées par de nombreuses institutions similaires aujourd’hui. Il est évident qu’il est crucial de prendre en considération les témoignages que vous recevez et de les traiter avec une attention toute particulière. Je suppose que vous êtes de plus en plus sensible à ce principe et que vous y prêtez une attention croissante. Cependant, il est aussi essentiel de respecter le principe de la présomption d’innocence.

Pensez-vous disposer à l’heure actuelle des moyens nécessaires pour accorder une importance particulière à ces témoignages tout en permettant à votre établissement de continuer à fonctionner et en préservant les positions de chacun ? Nous constatons qu’il existe actuellement une grande difficulté à cet égard, d’autant plus dans votre secteur où nous avons affaire à des athlètes de haut niveau qui considèrent l’INSEP comme le Graal. Ils ne veulent surtout pas y perdre leur place, car ils aspirent à participer aux plus grandes épreuves sportives demain.

Pouvez-vous nous expliquer si vous estimez disposer des éléments suffisants pour prendre en compte la parole qui se libère tout en préservant les grands principes tels que la présomption d’innocence et en permettant à chacun et chacune de garder sa place à l’INSEP le temps que la justice fasse son œuvre ? C’est vrai tant pour les victimes qui souhaitent rester à l’INSEP et continuer de s’entraîner que pour les personnes qui peuvent être mises en cause et qui sont présumées innocentes tant qu’elles n’ont pas été reconnues coupables ?

Je ne sais pas si j’ai été clair dans mes propos, mais il faut à mon sens chercher à concilier les grands principes de notre État de droit avec le fonctionnement d’un établissement comme le vôtre, sachant qu’une enquête peut prendre plusieurs mois voire plusieurs années pour aboutir.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je me permets d’intervenir dans la continuité des propos de mon collègue en vous posant une question assez simple : quand nous sommes dans une situation de « parole contre parole », ne pensez-vous pas que le bénéfice doit aller à la victime ?

M. Fabien Canu. Si vous regardez l’affaire que j’évoquais, qui a été jugée avant que je prenne mes fonctions, nous étions dans cette configuration et la justice l’a tout de même classée sans suite. C’est donc très délicat à appréhender.

Sur une affaire précédente que j’évoquais et qui date de l’année dernière, plusieurs témoignages contredisaient fortement ce que prétendait la supposée victime. Sur l’affaire Palou, vous avez le dossier et je vous invite à le lire. Vous avez entre autres les comptes rendus des auditions des entraîneurs. Sur cette base-là, il est assez difficile de prendre position. Ce qui est important pour moi, c’est de faire en sorte que les deux personnes ne se croisent pas. C’est la moindre des choses, le temps de la procédure. Il se trouve en l’espèce que Claire Palou n’était plus à INSEP et qu’elle est maintenant à Montpellier.

Il nous importe donc de protéger les personnes dans ce cadre. De là à aller plus loin en termes de sanctions disciplinaires, je ne vois pas comment je pouvais convoquer un conseil de discipline sur la base des éléments recueillis sur ce dossier.

Vous m’interrogiez sur ce qu’il nous manque sur des sujets comme ceux-là sur le plan des moyens d’investigation par exemple. Je ne sais pas trop vous répondre. J’ai pris conseil auprès du bureau des établissements de la direction des sports avec lequel nous sommes en contact étroit pour avoir un avis extérieur. Patrick souhaite peut-être compléter.

M. Patrick Roult. L’expérience de ces dernières années sur ce type d’affaires montre qu’à chaque fois que nous avons eu la sensation qu’il y avait vraiment un danger, une exclusion à titre conservatoire a été prononcée. Dans notre règlement intérieur, il y a des dispositions qui nous permettent de prononcer de telles exclusions à titre conservatoire, le temps de réaliser les enquêtes administratives et de convoquer ou non un conseil de discipline. Nous ne pouvons nous baser que sur notre règlement intérieur pour établir qu’un trouble est créé au sein de l’INSEP. Lorsqu’une jeune femme vient nous voir et nous dit qu’elle a un problème avec tel ou tel sportif, nous vérifions ce trouble et nous pouvons exclure la personne à titre conservatoire. Nous le faisons d’une façon assez systématique, je dirais même de manière systématique, et je pense donc que nous avons les outils administratifs au travers des dispositions de notre règlement intérieur, même s’il a été attaqué puisqu’un sportif a déposé plainte contre la décision d’exclusion temporaire qui avait été prise à son encontre. Je considère que nous avons un dispositif solide qui nous permet de travailler, de recueillir la parole et de protéger les victimes. Je vais vous donner rapidement quelques exemples que nous avons eu à traiter.

Il n’y a pas si longtemps, un agent de sécurité au niveau d’une porte a attrapé une jeune fille par le badge qu’elle avait autour du cou en lui disant « T’es mignonne, toi ! ». Elle a forcément été choquée et émue, et elle est venue nous rapporter la situation. Dans la demi-heure qui a suivi, cet agent de sécurité a été exclu du site.

Un autre exemple concerne une jeune femme qui en rentrant de stage a constaté que quelqu’un a essayé d’ouvrir l’appareil photo de sa tablette qui était restée sur son bureau dans sa chambre. Il se trouve que quand quelqu’un essaie à plusieurs reprises d’ouvrir l’album photo sur une tablette, celle-ci prend une photo. Nous avions donc le visage de la personne et nous sommes allés voir l’interlocuteur qui en était responsable dans le cadre du partenaire public privé pour lequel elle intervenait. Il s’agissait d’un électricien venu pour une opération de maintenance. Là encore, il a été exclu dans la demi-heure qui a suivi.

Sur la base de ces exemples, je pense que nous avons les dispositifs qui nous permettent de répondre administrativement. Nous pouvons être plus en difficulté dans d’autres situations qui peuvent nous concerner. J’ai en tête le cas d’une jeune femme et d’un jeune homme qui ont été dans une relation amoureuse qui était plus sexuelle que sentimentale et plus de type pornographique qu’érotique. À un moment donné, la jeune femme a rompu la relation parce que ce n’était pas ce qu’elle voulait. Le jeune homme a insisté. C’est très complexe à juger pour nous en tant qu’institution, au-delà de l’avis que nous pouvons avoir moralement ou individuellement. En l’espèce, les deux personnes étaient adultes. Nous n’avons pas eu d’affaires de ce type impliquant des mineurs. Lorsque la jeune femme est venue nous voir en disant « Je suis harcelée », nous avons lancé une enquête administrative et le directeur général a déclenché une procédure en application de l’article 40. La jeune femme n’a pas déposé plainte et c’est bien l’INSEP en tant qu’institution qui a déclenché un article 40.

Permettez-moi de partager un dernier exemple, qui remonte à une époque antérieure à la libération de la parole, ou du moins à ses débuts. Une jeune sportive était arrivée à l’INSEP en tant que brillante junior, mais il s’est avéré qu’elle était ensuite fréquemment blessée et terne. Un jour, elle a pris son courage à deux mains et est venue voir le directeur général de l’époque pour dénoncer le harcèlement dont elle était victime de la part d’un de ses entraîneurs. Dans la demi-heure qui a suivi, des courriels ont été envoyés à la direction des sports et au directeur technique national, et l’entraîneur en question a quitté le site de l’INSEP dans la journée. Depuis cet incident, cette jeune fille ne s’est plus blessée et elle est devenue l’une des meilleures du monde. Notre objectif est que de telles situations n’aient jamais lieu, y compris du point de vue de la performance des sportifs. La sérénité des jeunes hommes et des jeunes femmes qui sont sur le site est extrêmement importante pour la qualité de leurs performances sportives. À ma connaissance, chaque fois qu’un danger est signalé, la réaction est immédiate avec un traitement dans les 24 heures.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’ai plusieurs remarques suite à votre intervention. Tout d’abord, lorsque vous avez un entretien avec une personne se déclarant victime, vous enclenchez une procédure administrative. Pendant ce laps de temps, que se passe-t-il pour la personne mise en cause ? Est-ce qu’une mise à l’écart est étudiée en lien avec sa fédération d’appartenance ou non ? Je pose la question car je considère qu’il faut toujours croire parole des victimes afin notamment protéger d’autres éventuelles victimes sur le site.

Ensuite, vous avez évoqué le cas de cet agent de sécurité ou de cette personne qui était intervenue sur le site. Ce qui semble assez facile à faire pour des agents de sécurité ou d’autres personnes intervenant en tant que prestataires paraît plus complexe à mettre en œuvre lorsque ce sont des athlètes ou des entraîneurs qui sont incriminés. J’ai l’impression qu’il peut y avoir deux approches distinctes pour traiter ce type de situations, mais je vous laisserai apporter des précisions là-dessus si vous le souhaitez.

En troisième lieu, vous avez évoqué la question des relations entre sportifs. Dans ce cadre, il me semble que le paramètre essentiel à prendre en compte est le consentement. Nous ne sommes plus au XIXe siècle. Aujourd’hui, il paraît clairement établi que le consentement est la base de toute relation et il n’y a pas de débat à avoir à ce sujet. Si une personne estime avoir été lésée dans une relation sexuelle en raison de l’absence de consentement de sa part, c’est quelque chose qui doit à mon sens être pris en considération quelle que soit la nature de la relation des protagonistes.

Enfin, je souhaiterais savoir combien de mesures conservatoires ont été prises en 2022.

Mme Anne Barrois-Chambard. Comme l’a expliqué Monsieur Roult, nous prenons en considération la parole de la potentielle victime dès lors que nous avons connaissance d’une situation et la personne incriminée est exclue à titre conservatoire. Une telle mesure n’a pas été mise en œuvre dans la situation impliquant Claire Palou puisqu’elle n’était pas présente sur le site. Dans les autres cas, nous prenons des mesures conservatoires.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. En l’espèce, ma question était de savoir si des mesures conservatoires n’auraient pas pu être prises pour protéger d’autres potentielles victimes sur le site.

Mme Anne Barrois-Chambard. Nous avons eu une information qui ne concernait que Claire. Chaque fois qu’une situation nous a été remontée, nous avons pris les mesures conservatoires pour protéger les victimes potentielles, mais encore faut-il savoir qui elles sont.

Pour répondre à une autre de vos questions, le traitement des affaires est le même qu’elle concerne un prestataire de services, un agent de l’établissement, un sportif de haut niveau ou un entraîneur. Nous ne faisons pas de différence.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je tiens à rappeler qu’à partir de 2020, suite au témoignage de Sarah Abitbol, la ministre des Sports de l’époque, Roxana Maracineanu, a lancé la cellule Signal-sports, qui a été reprise par la ministre actuelle, Amélie Oudéa-Castéra. Cela a été érigé en priorité de son mandat : l’écoute de la victime. Cependant, les deux sportives de la FFA que nous avons auditionnées ont indiqué qu’elles n’avaient eu aucune connaissance de l’existence de Signal-sports à l’INSEP. Nous avons là une lacune flagrante. Je pense qu’il est impératif de mettre l’accent sur la communication autour de cette cellule Signal-sports, qui est destinée aux sportifs pour tout signalement. Il est crucial que cette ressource soit connue et accessible à tous les athlètes de l’INSEP afin de renforcer la prévention et l’accompagnement des victimes.

M. Fabien Canu. Lorsque je parlais de la nécessité de faire évoluer le dispositif, notamment pour les sportifs majeurs, car les mineurs sont encadrés et ont normalement connaissance de Signal-sports, je faisais référence aux ressources internes existantes pour recueillir la parole des victimes et à la possibilité d’intervenir auprès du ministère grâce à Signal-sports. Il est indéniable que nous devons progresser dans ce domaine. L’application que j’évoquais est l’un des moyens pour y parvenir et il faut que les sportifs sachent qu’ils peuvent utiliser cet outil en cas de besoin. Sur ce point, je suis entièrement d’accord, et je l’avais d’ailleurs indiqué à Emma Oudiou lorsque je l’ai rencontrée. Nous avons une marge de progrès dans ce domaine, et nous travaillons activement dans ce sens.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Combien de mesures conservatoires ont été prises en 2022 ?

M. Patrick Roult. Une fois sur les deux cas connus. Pour le second cas, je pense que les documents vous ont été envoyés, mais les éléments ne nous semblaient pas justifier une mesure d’exclusion conservatoire.

M. Fabien Canu. Ce qui est important dans ce type d’affaires, c’est de faire en sorte que le supposé agresseur et la victime ne se rencontrent pas, surtout dans les cas où il y a de notre point de vue un manque d’éléments. C’est ce qui a été appliqué pour le cas de Claire Palou et pour une autre situation qui concernait la fédération d’athlétisme l’année dernière.

Nous avons eu une autre affaire dans le domaine de la lutte. Elle concernait un entraîneur d’origine étrangère et nous avait été remontée par la fédération. Dès que nous avons eu l’information, le badge d’accès à l’INSEP de cet entraîneur a été désactivé. Depuis, il est parti à l’étranger et nous n’avons pas de nouvelles de lui, mais une mesure avait été prise tout de suite pour éviter que cet entraîneur puisse être sur le tapis de lutte avec l’athlète.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. L’idée de cette audition est d’entendre les propositions que vous pourriez avoir. À ce titre, nous pouvons constater qu’en plus d’une heure d’échanges vous n’avez pas mentionné l’existence de la cellule Signal-sports avant que la présidente ne le fasse. Pour moi, c’est caractéristique du fait que cette cellule – qui existe depuis plus de deux ans maintenant – est trop peu connue. C’est ce que montrent les témoignages des deux athlètes passées par l’INSEP et ceux d’autres sportifs que nous avons pu auditionner dans le cadre de cette commission d’enquête.

Dès lors, est-ce que vous avez mis en place des dispositifs pour mieux faire connaître cette plateforme au-delà des deux personnes qui sont aujourd’hui dédiées au recueil de la parole au sein de l’INSEP ?

Mme Anne Barrois-Chambard. La plateforme Signal-sports est déjà bien identifiée au sein de l’INSEP. J’en veux pour preuve le fait que l’agenda scolaire que nous remettons à tous les sportifs qui sont dans le secondaire contient une page qui parle spécifiquement de Signal-sports. Dans les affichages réalisés dans les bâtiments, il est bien question de Signal-sports, au même titre que du 119 ou d’autres dispositifs. Nous pouvons convenir du fait que l’information ne passe pas forcément bien, mais les sportifs l’ont, au moins en ce qui concerne ceux qui sont scolarisés dans le secondaire. Même si ce n’est certainement pas suffisant, l’information sur tous ces dispositifs existe bien.

M. Fabien Canu. Nous devrons certainement réaliser une communication directe auprès des sportifs au moyen de l’application qui va être mise en place. Il ne faudra pas le faire au travers de mails car nous savons que les sportifs ne les lisent pas. Il sera peut-être judicieux de passer par les réseaux sociaux. Vous avez totalement raison sur le fait que l’enjeu est de mieux communiquer sur les dispositifs existants.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Puisque vous avez évoqué à plusieurs reprises cette application, il serait intéressant pour nous de savoir quand elle sera mise en place.

Pour en revenir à Signal-sports, il apparaît clairement que l’information sur l’existence de cette plateforme ne passe pas et qu’il existe une vraie marge de progression en la matière.

Je me permets de revenir sur les situations qui ont concerné un agent de sécurité d’un côté et un sportif de l’autre. Dans un cas le traitement a été immédiat et dans l’autre une procédure s’est mise en place mais elle prend du temps et elle n’a pas forcément abouti à une mise à l’écart de l’athlète. Je souhaiterais donc que vous nous précisiez si la procédure mise en place pour l’agent de sécurité est la même que pour une situation où des athlètes auraient des relations non consenties.

M. Patrick Roult. Je vous ai expliqué ce qu’il s’est passé dans le cas de l’agent de sécurité. Le traitement a été exactement le même pour la situation impliquant un entraîneur. Pour un agent de sécurité ou un autre prestataire, c’est l’employeur qui décide de retirer la personne du site. Pour un entraîneur, la décision revient à la fédération qui l’emploie.

Lorsqu’il s’agit d’un problème entre sportifs, nous mettons en place un dispositif d’alerte et nous informons immédiatement la direction des sports et la fédération concernée. L’enquête administrative qui est ensuite lancée doit nous permettre d’y voir plus clair dans la situation en question, ce qui n’est pas forcément toujours évident comme nous l’avons déjà évoqué.

Pour ce qui est des personnels employés par des entreprises privées ou des entraîneurs sous l’autorité d’une fédération, nous expliquons bien à nos interlocuteurs que la confiance est rompue. Charge à eux de faire sortir les personnes du site car ce sont eux qui ont autorité sur ces personnes.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pour moi, déplacer les personnes ne permet pas de répondre complètement au problème car elles pourraient tout à fait aller sur d’autres sites et avoir exactement les mêmes pratiques. C’est ce qu’il s’est passé avec d’autres entraîneurs par le passé. La question est donc de savoir si vous avez fait un signalement et si une enquête judiciaire a été lancée pour la situation qui concernait une athlète et un entraîneur.

Dans la situation de Claire Palou ou une autre qui serait similaire, qu’est-ce qu’il se passe si la fédération concernée refuse de suspendre ou de mettre à l’écart la personne incriminée ?

M. Patrick Roult. Dans un cas où nous avons exclu un sportif à titre conservatoire, la fédération n’a pas été d’accord. Nous avons eu des demandes à la fois du président de cette fédération et de la direction technique nationale pour réintégrer immédiatement le sportif, mais nous avons refusé de le faire. À l’issue de l’enquête administrative, nous avons réuni un conseil de discipline et décidé de l’exclusion définitive de ce sportif. C’est après le classement sans suite par la justice et le dépôt de plainte de ce sportif contre l’INSEP que le directeur général a donné son accord pour le réintégrer, et ce dans des conditions très limitatives. En effet, il avait uniquement accès à la salle d’entraînement et pas aux autres services. De même, il n’était plus interne après sa réintégration alors qu’il l’était auparavant.

S’agissant des mesures d’exclusion immédiate prises à l’encontre d’un entraîneur et d’un agent d’une entreprise qui travaille sur le site de l’INSEP, nous n’avons pas procédé à des signalements. Le fait d’agripper une sportive par le badge et de lui dire « T’es mignonne, toi ! » constituait une agression à l’égard de celle-ci, mais nous ne sommes pas des juges. Nous avons signalé cette agression à l’employeur mais nous ne savons pas précisément ce qui a été mis en œuvre à la suite du signalement que nous avons fait auprès de l’employeur de cet agent.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je pense que nous avons un désaccord là-dessus, car les faits se sont déroulés sur le site de l’INSEP. Jusqu’à preuve du contraire, c’était une agression et vous auriez dès lors été tout à fait été légitimes pour effectuer un signalement suite à ces faits, y compris auprès de la justice. Charge ensuite à la justice de faire son travail et de qualifier précisément les faits. Par conséquent, je me demande pourquoi aucun signalement n’a été effectué dans ce cas précis.

Sur la question des exclusions, il me semble que le directeur général de l’INSEP peut s’appuyer sur le règlement intérieur de l’établissement pour exclure qui il veut à tout moment.

M. Fabien Canu. Oui tout à fait. Peut-être avons-nous mal apprécié les choses. Je peux interdire à tout moment l’accès à qui que ce soit au site. Sur l’affaire concernant l’agent de sécurité, il a été écarté tout de suite du site par son entreprise et j’avoue que nous n’avons pas pensé à aller plus loin et à faire un signalement de notre côté.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Dans mon propos liminaire, je vous ai posé la question du nombre et de la nature des signalements dont l’INSEP a eu connaissance au cours de ces dernières années sur les sujets de VSS et de discrimination.

M. Fabien Canu. Depuis que je suis en poste, nous en sommes à trois affaires de violences sexuelles. Deux sont encore en cours : celle de Claire Palou et une autre qui concerne la fédération de lutte. Une troisième – faisant suite à une plainte déposée l’année dernière et impliquant des sportifs de la fédération d’athlétisme – a été classée sans suite comme nous l’évoquions.

Le conseil de discipline s’est réuni cinq ou six fois depuis ma prise de fonctions pour d’autres aspects que des faits de violences sexuelles. Il s’agissait d’événements d’une autre nature disciplinaire, mais ils ont été traités parce que je ne veux rien laisser passer. Dès que des informations me remontent sur une dégradation d’une chambre ou d’autres faits, les personnes passent en conseil de discipline. Bien entendu, les sanctions qui sont prises peuvent avoir une vocation pédagogique en fonction de la nature des faits, mais je ne veux rien laisser passer encore une fois.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous nous avez parlé d’un dossier concernant la fédération de lutte. Est-ce que vous pouvez nous en dire davantage dessus ?

M. Fabien Canu. C’est un signalement qui a été fait il y a quelques mois par une sportive qui a écrit directement à la ministre d’ailleurs, en mettant sa fédération en copie. Celle-ci nous a alertés tout de suite pour nous dire qu’il y avait un sujet avec un entraîneur de lutte d’origine étrangère qui travaillait pour la Fédération française de lutte et une décision d’exclusion immédiate a été prise conjointement par la fédération et l’INSEP. L’entraîneur est parti je ne sais où à l’étranger et je ne pouvais pas convoquer de conseil de discipline parce que ce n’est pas quelqu’un qui était à l’INSEP, mais j’ai tout de même effectué un signalement.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. N’avez-vous pas interrogé la fédération pour savoir où il est parti ?

M. Fabien Canu. Ils ont été incapables de nous répondre. Nous souhaitions entendre cet entraîneur dans le cadre de notre enquête interne mais nous n’avons pas pu parce qu’il était soi-disant parti à l’étranger. Nous avions posé la question à la fédération de lutte car nous n’avions pas de contact direct avec lui. Nous n’avons pas pu l’entendre dans le cadre de l’enquête interne.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez évoqué tout à l’heure effectivement le travail avec les fédérations en indiquant qu’il se passait bien avec certaines et moins avec d’autres. Pouvez nous préciser de quelles fédérations vous parliez ?

M. Fabien Canu. Sur les dossiers dont il est question, la fédération d’athlétisme a mis du temps à réagir mais nous travaillons de concert désormais. Nos comptes rendus d’entretiens leur sont transmis, ce qui n’était pas le cas à mon arrivée. Ces affaires sont complexes ils avaient tendance à s’en remettre à la justice et j’ai échangé avec eux pour leur faire comprendre que certains aspects étaient également de leur ressort.

Mis à part les deux cas dont il a été question, nous n’avons pas eu d’autres dossiers disciplinaires à traiter en lien avec des fédérations sur des sujets de VSS. Sur les autres sujets qui ont donné lieu à des conseils de discipline, les fédérations ont suivi nos décisions et nous avons vraiment travaillé avec elles. Les décisions étaient d’ailleurs la plupart du temps prises en commun.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Tout à l’heure, la présidente a évoqué la fédération de judo, qui avait été particulièrement critiquée ces derniers mois notamment suite à la publication du livre de Patrick Roux, Le revers de nos médailles. Nous avons beaucoup parlé de VSS, mais d’autres faits peuvent aussi poser problème. Je pense notamment à la violence physique, aux discriminations, au racisme ou encore aux pratiques financières qui peuvent être problématiques. Je voulais savoir si vous avez été surpris par les révélations au grand public des violences au sein de la fédération de judo évoquées dans ce livre.

M. Fabien Canu. Totalement pour être franc, même si j’ai été DTN à la fédération de judo jusqu’en 2005. Lorsque j’ai lu le livre de Patrick Roux et les articles précédemment publiés dans la presse, j’ai effectivement été surpris mis à part pour une affaire que j’avais eu à gérer moi-même en interne à l’époque. Pour le reste, j’ai été fortement surpris.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Est-ce à dire que lorsque vous étiez DTN de cette fédération vous n’aviez pas eu connaissance de ces faits de violence et de tout ce qui a été rapporté dans le livre de Patrick Roux ?

M. Fabien Canu. Des faits de violence – notamment dans des clubs de judo – avaient été traités à l’époque par la fédération. Des problèmes de pédophilie avaient aussi malheureusement été remontés, et la fédération les avait traités. Sur d’autres affaires qui ont pu sortir, j’avoue ma très grande surprise. Jamais je n’ai eu à l’époque d’alertes sur ces sujets-là. Je n’ai d’ailleurs pas manqué de l’indiquer à Patrick Roux, que je connais bien parce qu’il a été à la direction technique nationale en même temps que moi. Je lui ai demandé s’il avait déjà eu vent des faits qu’il a rapportés à cette époque.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je voudrais juste vous rappeler à vous, Monsieur Canu, comme à Mesdames et Messieurs, que vous êtes sous serment.

M. Fabien Canu. Nous sommes bien d’accord.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je le souligne parce que l’audition portant spécifiquement sur le judo a duré près de quatre heures, et elle s’est tenue en présence de plus de 37 personnes. Lors de celle-ci, il a bien été souligné que des violences physiques étaient faites au vu et au su de tout le monde, et que des agressions sexuelles qui étaient plus de l’ordre de la torture et de la barbarie avaient été commises. Les personnes auditionnées ont indiqué avoir alerté les instances à ce moment-là. C’est pour cette raison que nous sommes interrogatifs sur le fait que vous n’ayez eu aucune connaissance de ces affaires alors que vous avez été DTN à la fédération de judo.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Il en a notamment été question avec la psychologue Karine Repérant, qui est d’ailleurs coautrice du livre Le revers de nos médailles.

M. Fabien Canu. Je ne la connais pas. À l’époque, j’avais uniquement été alerté sur des blessures au sein de l’équipe de France cadets. Pour autant, c’est quelque chose qui peut se produire lors de stages nationaux où les entraînements sont plus intensifs mais je n’avais pas eu d’alertes quant à de la maltraitance. Si j’en avais eu connaissance, j’aurais très certainement réagi.

J’ai eu à traiter un sujet de maltraitance à l’entraînement de la part d’un entraîneur national. Je l’ai peut-être traité à la manière de l’époque. Une réunion avait été organisée en présence des parents et du président de la fédération, et l’entraîneur en question avait présenté ses excuses. Le ministère avait été informé à l’époque, puisque je l’avais alerté. Peut-être qu’aujourd’hui on pourrait considérer que je ne suis pas allé assez loin, mais cela correspond à la façon de traiter ce type de cas à l’époque et nous n’avions plus entendu parler de l’histoire. Ce cas-là, j’ai effectivement eu à le traiter. En revanche, je perds peut-être la mémoire mais je n’avais pas connaissance d’autres affaires et je ne vois pas pourquoi je n’y aurais pas réagi si cela avait été le cas.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Cela amène deux questions. Nous pouvons premièrement interroger la relation entre le DTN et la fédération. Dans les affaires dont il est question, il semblerait en effet que de nombreuses personnes au sein de cette fédération étaient informées mais pas le DTN. C’est problématique puisque les cadres sont mis à disposition des fédérations pour travailler avec elles, dans le cadre d’une délégation de service public. Si vous avez des propositions à faire pour améliorer cette relation de travail et pour faire en sorte que les DTN soient informés ou en tout cas mis dans les boucles quand des faits extrêmement graves se produisent, n’hésitez pas en faire. Sauf erreur de ma part, les DTN ont le devoir de déclencher des articles 40 lorsqu’ils ont connaissance de faits graves comme ceux qui ont pu être rapportés concernant la fédération de judo.

Deuxièmement, il a été question de la mise en place de conciliations ou de médiations entre les victimes et les auteurs pour certaines affaires. Est-ce que vous-même, vous avez déjà eu l’occasion d’en voir ou est-ce que vous aviez connaissance de telles procédures dans le cadre de vos fonctions ?

M. Fabien Canu. Si vous me questionnez sur d’éventuelles médiations mises en œuvre lorsque j’étais DTN à la fédération de judo, c’est une époque qui commence à remonter et je ne le sais pas précisément.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Qu’en est-il de l’INSEP ?

M. Fabien Canu. Depuis que je suis à la tête de l’établissement, aucune médiation n’a été mise en œuvre. Les moindres faits qui nous sont remontés, nous les traitons.

Pour ce qui est de la fédération de judo, je n’ai pas de souvenir de médiations sincèrement. Une autre affaire était remontée et me revient maintenant, concernant un pôle en Bretagne. Elle était passée en conseil de discipline au niveau de la fédération, et le sujet avait été aussi traité du côté de l’État. Une enquête avait été faite. Ce sont donc deux affaires qui me reviennent et qui me concernaient en tant que DTN. Pour les autres, je n’en avais pas connaissance.

Le meilleur moyen d’améliorer les choses me semble être que la parole se libère, que ce soit chez les victimes ou les témoins. Je pense à titre personnel qu’il y a encore trop peu de témoins qui font des signalements alors qu’ils peuvent être au courant de fait. C’est aussi là-dessus qu’il faut faire en sorte que la parole se libère, parce que c’est de cette manière que davantage de faits pourront remonter.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous avez parlé tout à l’heure d’un cas de pédophilie. Est-ce que vous pouvez nous en dire davantage à ce sujet ?

M. Fabien Canu. C’est le cas d’un enseignant de judo. L’affaire avait été révélée par la justice et nous l’avions apprise bien après en tant que fédération. La personne est passée en conseil de discipline et a été condamnée à une très lourde peine. Nous avons eu d’autres affaires de ce type à cette époque-là. Je me souviens d’une autre affaire assez complexe d’un jeune qui avait été accusé de pédophilie. Il se trouve que la fédération s’était battue à son sujet parce qu’il avait été accepté pour suivre une formation aux métiers du sport alors que d’un autre côté il avait été sanctionné pour des faits de pédophilie.

En définitive, il n’est pas possible de dire que ces sujets-là n’étaient pas traités lorsque j’étais DTN. Jamais la fédération de judo n’a fait le choix de ne pas s’occuper des cas dont elle a eu connaissance. Ce n’était pas l’omerta. Ce n’est pas pour autant que nous n’avons pas eu des affaires qui ne sont pas remontées, nous avons pu le constater avec la libération de la parole.

Mme Anne Barrois-Chambard. Je me permets d’apporter un complément par rapport à des pistes d’amélioration. Comme nous pouvons le voir dans des fédérations comme celle d’athlétisme, le fait d’avoir un cadre d’État qui soit chargé justement de l’éthique et de recueillir potentiellement la parole des victimes est de nature à faciliter le travail et le lien entre les fédérations et un établissement comme le nôtre ou d’autres structures. C’est un vrai plus d’avoir un cadre d’État comme point d’entrée auprès d’une fédération, et c’est quelque chose qui pourrait gagner à être généralisé.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. C’est quelque chose qui n’existe pas dans toutes les fédérations n’est-ce pas ?

Mme Anne Barrois-Chambard. Je pense que les formats sont variables selon les fédérations. Je sais qu’elles disposent en règle générale d’un comité d’éthique composé d’élus de la fédération, mais je ne suis pas certaine qu’elles disposent toutes d’un cadre d’État en charge spécifiquement de ces sujets d’éthique.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Dans quelles fédérations avez-vous ce contact avec un cadre d’État ?

Mme Anne Barrois-Chambard. Nous pouvons citer la fédération d’athlétisme par exemple. Tout à l’heure, Fabien Canu évoquait certaines difficultés d’échange par le passé. Aujourd’hui, les relations sont meilleures notamment grâce à la présence – au sein de cette fédération – d’un cadre d’État qui fait office de référent en matière d’éthique et d’intégrité.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Est-ce le cas dans d’autres fédérations avec lesquelles vous travaillez ?

Mme Anne Barrois-Chambard. Depuis un an que je suis en poste, nous avons surtout eu à gérer des cas en lien avec la fédération d’athlétisme. Nous n’avons pas eu l’occasion d’interpeller d’autres fédérations sur des sujets de cet ordre et d’avoir affaire à ce type de référents.

M. Fabien Canu. Pour ce qui est de la fédération de lutte, c’était la DTN – qui est cadre d’État – qui avait pris les choses en main dans le cadre de la situation évoquée. Le fait d’avoir ces cadres d’État n’est peut-être pas une garantie à toute épreuve mais c’est une bonne chose. En tant que représentants de l’État, ils ont un rôle de signalement pour les situations qui le nécessitent.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. L’idée n’était pas de remettre en cause ces cadres d’État mais de faire en sorte que le fonctionnement entre ces derniers, l’INSEP et les fédérations soit plus fluide pour éviter des trous dans la raquette dans ce type de situation. Nous avons affaire à un écosystème qui n’est pas forcément simple à comprendre en réalité, et le fait d’avoir autant d’acteurs peut créer un effet de dilution des responsabilités des uns et des autres. Comme nous avons pu le voir dans le cas de l’agent de sécurité ou celui de l’entraîneur de lutte par exemple, le réflexe peut être de dire que c’est à l’employeur ou à la fédération de gérer les affaires, ou encore que c’est au ministère de prendre la main. Nous pouvons donc assister à une forme de dilution des responsabilités, ce qui fait qu’il peut être intéressant de muscler ce volet pour que les choses soient plus claires. Lorsqu’une telle affaire arrive, il est certainement nécessaire de savoir quelle procédure doit être enclenchée, comment l’auteur doit être mis à l’écart, ou comment il faut écouter et respecter la parole des victimes.

Nous entendons beaucoup d’éléments sur la manière dont sont traitées les affaires, mais en réalité très peu sur ce qui doit être fait pour éviter qu’elles n’arrivent. Les cas au sein de la fédération de judo en sont une illustration. Au-delà de la question des VSS s’est aussi posée celle des violences physiques qui ont eu lieu pendant de nombreuses années concernant des mineurs et des moins jeunes. Il faut se demander comment des dispositifs peuvent être mis en place par exemple du point de vue de l’État – puisque nous sommes dans le cadre de délégations de service public – pour faire en sorte que ce type de situations n’arrive pas.

M. Fabien Canu. Pour aller dans le sens de votre propos, nous voyons poindre un fort besoin de toucher les entraîneurs. Dans le cadre de la prévention des violences sexuelles à l’INSEP, nous avons organisé une projection du film Slalom. Pour une fois, beaucoup d’entraîneurs étaient présents. Lors de la discussion qui a suivi la projection, le sujet de la relation entraîneur-entraîné a été abordé. Dans le cadre de celle-ci, les violences dites morales sont de plus en plus pointées, et des sanctions ont été prononcées par la justice dans des cas de ce type. Il semble nécessaire de faire évoluer les méthodes d’entraînement, en particulier la relation aux sportifs.

L’année dernière, je suis allé en voyage aux États-Unis et au Canada. Pour entrer dans un centre d’entraînement américain, vous devez répondre à un questionnaire dont le remplissage dure 2 heures 30. Si vous ne répondez pas, vous n’entrez pas. C’est un bon moyen de sensibiliser aux bonnes pratiques et à la réglementation, et nous avons proposé à la direction des sports de mettre en place un système similaire en France à titre expérimental pour l’instant. Avant d’entrer dans l’établissement, chaque individu va devoir remplir un questionnaire composé d’une vingtaine de questions. Si le questionnaire n’est pas complété, l’accès à l’établissement est refusé. Cette initiative vise à assurer une sensibilisation continue car il semble nécessaire de répéter régulièrement ce type d’informations. Les entraîneurs sont d’ailleurs souvent demandeurs sur ces sujets, car ils se posent des questions sur les pratiques appropriées dans divers domaines, tels que les parades en gymnastique. La relation entre entraîneur et entraîné est en train de changer et il est essentiel de suivre ces changements. Dans ce contexte, nous avons identifié un défi majeur concernant la formation continue des entraîneurs. Actuellement, il est difficile de les faire participer aux formations car ils sont fortement occupés. Une solution potentielle serait de rendre obligatoires certains sujets de formation continue pour certaines professions, dont celle des entraîneurs. Cette mesure pourrait contribuer à améliorer la sensibilisation et les connaissances des professionnels impliqués dans le monde sportif.

En résumé, notre volonté est de favoriser une prise de conscience continue, tout en questionnant la nature de la relation entre les entraîneurs et les athlètes.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons beaucoup parlé des entraîneurs et de l’écosystème autour des athlètes, mais nous n’avons pas du tout évoqué les relations avec les familles et les parents. Sur ce volet, est-ce que des dispositifs sont à l’œuvre ? Avez-vous pu identifier des pistes d’amélioration pour former les parents et les familles de ces jeunes athlètes sur les risques dont il a été question et sur la manière dont ils peuvent être entourés et protégés ?

M. Patrick Roult. Notre relation avec les parents débute principalement à l’entrée à l’INSEP, surtout pour les sportifs mineurs. Pour ceux qui sont majeurs, notre interaction avec les parents est bien sûr très limitée. Nous organisons des réunions avec tous les parents à l’arrivée des sportifs et nous leur remettons un livret d’information détaillé. De plus, nous publions une newsletter envoyée à tous les sportifs et à leurs familles à chaque période de vacances scolaires. Dans cette newsletter, la référence à Signal-sports est désormais systématique. Nous pourrons vous fournir des numéros de cette newsletter ainsi que le livret d’information destiné aux parents.

La relation la plus significative avec les parents se construit lorsqu’ils viennent à l’INSEP. Ils sont accueillis individuellement le jour de l’arrivée de leur enfant, qui se fait un dimanche puisque la semaine de formation des sportifs commence le lundi. Ce jour-là, nous organisons généralement une session dans l’amphithéâtre avec tous les parents, où nous présentons les divers dispositifs, notre fonctionnement et la manière dont nous souhaitons établir la relation de suivi avec eux car c’est un point très important. Plus tard dans l’après-midi de ce dimanche de rentrée, nous faisons la même chose avec les jeunes sportifs une fois qu’ils sont installés dans leur chambre.

Les parents ont plusieurs canaux pour communiquer avec nous, notamment par l’intermédiaire du lieu de vie et des équipes de l’internat. De plus, nous entretenons une relation étroite avec les parents par le biais de l’école, car nous avons un lycée sur place. Les jeunes athlètes mineurs fréquentent le lycée à partir de la classe de troisième, et nous avons également une classe de BTS ainsi qu’une classe de filière professionnelle. Nous n’avons pas de dispositif de formation des parents à proprement parler, mais nous cherchons à établir des relations de communication et d’information solides avec eux. Notre principal point de contact est le responsable du pôle, qui est un fonctionnaire de l’État placé auprès de sa fédération de rattachement et qui est présent en permanence à l’INSEP. Notre circuit d’information passe notamment par ce responsable du pôle, qui entretient également une relation permanente avec les parents des sportifs mineurs.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Il semble que l’un des défis à l’INSEP soit l’identification des personnes-ressources. Vous avez mentionné tout à l’heure l’infirmière, qui est apparemment reconnue comme une personne compétente, mais que trop peu d’athlètes connaissent. De même, vous avez un psychiatre dont les sportifs ignorent l’existence, et il semble y avoir un nombre insuffisant de personnes de confiance. Dans le cas où un témoignage est exprimé, l’information serait transmise rapidement à l’entraîneur, ce qui peut avoir des conséquences néfastes pour le sportif par la suite.

Concernant Signals-sport, j’aimerais savoir si les entraîneurs connaissent son existence et s’ils peuvent également transmettre cette information aux sportifs.

M. Stéphane Peu (GDR-NUPES). Merci, Madame la Présidente. Ma question fait écho à ce que vous venez d’évoquer. La question de savoir comment diffuser plus efficacement l’information sur Signals-sport paraît cruciale. De ce point de vue, je me demande si cela ne pourrait pas faire partie des responsabilités de l’entraîneur, qui est en lien direct avec les athlètes, qui a une certaine autorité sur eux et qui établit un lien à long terme avec eux. Ne pourrait-il pas être responsable de diffuser cette information, ce qui aurait également l’avantage de le responsabiliser et de montrer aux athlètes qu’ils peuvent utiliser cette cellule, y compris contre lui-même si son comportement est questionnable ? Qu’en pensez-vous ?

M. Patrick Roult. La cellule Signals-sport est apparue dans notre paysage à la fin de l’année 2019. Le premier semestre de 2020 a été très perturbé, car nous avons fermé l’établissement. Lors des réunions des responsables de Pôle France, qui ont lieu toutes les sept semaines, nous échangeons beaucoup d’informations. Dès celles de la rentrée de septembre 2020, nous avons informé les responsables de Pôle France de l’existence de cette cellule Signals-sport. C’était une première étape et il leur appartenait de répercuter l’information. Cependant, c’est quelque chose qui est extrêmement compliqué à contrôler pour nous, car nous n’avons pas d’autorité sur les entraîneurs. Ils relèvent des fédérations et sont placés sous l’autorité de leur DTN. Cependant, il appartient aux responsables de Pôle France de faire circuler cette information. Nous constatons effectivement que parfois, l’information ne circule pas bien. Ce n’est pas nécessairement de la faute des responsables de Pôle France, car ils font leur travail consciencieusement. Cependant, il se peut que certains entraîneurs, tout comme certains sportifs, reçoivent l’information mais n’en tiennent pas nécessairement compte. C’est un vrai facteur de complexité.

L’idée de faire en sorte que les entraîneurs informent également les sportifs de ces dispositifs paraît intéressante, mais nous n’avons pas de cadre réglementaire pour les y obliger. Nous pourrions nous en charger dans le cadre des formations continues que nous organisons, mais elles sont basées sur le volontariat comme nous l’avons déjà mentionné. Hier encore, nous avons reçu une proposition de visioconférence sur les violences sexistes et sexuelles de la part de la DRAJES d’Île-de-France. Nous avons régulièrement des propositions de ce type, mais la participation reste soumise au volontariat.

Effectivement, un cadre réglementaire rendant obligatoire l’information régulière de tous les acteurs impliqués sur ces sujets pourrait être une proposition intéressante. Cependant, la mise en œuvre n’est pas aussi simple. Au travers de la proximité et du dialogue entre l’entraîneur et ses athlètes, des opportunités pourraient certainement être saisies.

En venant ici ce matin, nous évoquions la différence de comportement entre les entraîneurs américains et français. Ici, ils ont tendance à avoir une relation très proche, presque familiale voire affective avec les athlètes. Aux États-Unis, la relation est souvent plus professionnelle et ils appliquent les règles de manière très stricte. Peut-être que nous devrions envisager une évolution du cadre culturel et relationnel qui est le nôtre. Par conséquent, l’idée que vous soumettez me semble pleine de bon sens.

Mme Anne Barrois-Chambard. Peut-être que les sportifs que vous avez entendus ont-ils eu l’impression de ne pas trouver la bonne écoute ou les bonnes personnes au sein de l’établissement. Je ne sais pas s’il faut généraliser à partir de ces deux témoignages. Personnellement, en observant le pôle médical, les personnes qui y travaillent, leur expertise et leur bienveillance envers les sportifs qui fréquentent ce service, je pense que tous les sportifs de l’INSEP n’ont pas nécessairement le même avis que les deux sportives que vous avez entendues.

Je vais laisser la parole à Sébastien Le Garrec pour vous expliquer un peu comment cela fonctionne, notamment avec les psychologues.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je n’ai pas fait une généralité de mes propos. J’ai expliqué leur genèse et vous interroge sur ce que nous avons entendu.

M. Sébastien Le Garrec. Merci Anne, pour tes propos élogieux sur le pôle médical. Je tiens vraiment à rétablir une vérité qui me semble importante, qui est qu’il y a un vrai respect de la confidentialité par nos psychologues. La confidentialité est le fondement de la confiance et il est évident que nos psychologues ne divulguent rien, sauf si la situation est réellement préoccupante. Il est vraiment important de le rappeler.

Bien que nous soyons en contact quotidien avec les athlètes, les entraîneurs et les staffs techniques, cela ne signifie pas que nous partageons avec eux le contenu de nos échanges qui se tiennent dans un cadre confidentiel. J’en profite pour mettre en avant le travail exceptionnel mené par nos quatre psychologues cliniciens. Il faut vraiment le souligner.

J’ai entendu dans les témoignages d’Emma Oudiou et de Claire Palou qu’elles avaient choisi de voir une psychologue extérieure en raison de préoccupations concernant la confidentialité. Je ne suis pas certain que ce soit totalement exact. La psychologue extérieure qu’elles ont consultée était la même pour les deux. Elle est réputée pour travailler avec les meilleurs athlètes français. Je crois que c’est ce qui a influencé leur choix et je peux tout à fait le comprendre.

Néanmoins, cela pose le problème de la communication entre l’intervenant extérieur et le personnel qui s’occupe de l’athlète, en particulier dans le cas de Claire Palou. Comme je l’ai mentionné précédemment, nous sommes souvent alertés très tard et parfois trop tard, quand la situation est devenue critique. Je tiens également à souligner que dans les deux cas, la surveillance médicale réglementaire dont j’ai parlé précédemment n’avait pas été effectuée, ce qui pour nous est très préoccupant. Nous devons peut-être nous demander si les athlètes qui fréquentent le site ne devraient pas réaliser leur surveillance médicale réglementaire psychologique à l’INSEP, ce qui ne les empêcherait pas de consulter à l’extérieur s’ils le souhaitent.

En ce qui concerne le psychiatre dont vous avez parlé, il est possible que sa présence ne soit pas suffisamment connue. Il travaille en tant que vacataire chez nous. Il vient une fois par mois et exerce également en libéral. Lorsque nous avons besoin de lui, nous pouvons donc le contacter. Dans la très grande majorité des cas, les athlètes le consultent après avoir vu nos psychologues. Il est rare, voire inexistant, que les athlètes consultent directement le psychiatre. Cependant, c’est une option. Peut-être avez-vous raison sur le fait que nous devrions peut-être communiquer davantage sur la présence du Docteur Bricou chez nous. Sachez cependant que nous ne cachons pas cette information. Si nous ne la mettons pas en avant, c’est peut-être parce que presque tous les athlètes passent d’abord par nos psychologues avant de consulter le psychiatre.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Dans les entreprises, il existe des formations continues obligatoires sur la sécurité et sur d’autres sujets. Au vu de la sensibilité du sujet des VSS dans le sport, il serait tout à fait approprié pour l’INSEP de décider de mettre en place des formations obligatoires sans attendre un cadre légal contraignant. Ce serait de nature à renforcer la sensibilisation et la prévention au sein de l’établissement.

Vous avez – Monsieur Roult – utilisé une expression sur laquelle je souhaiterais revenir. Vous avez parlé de relations affectives entre les entraîneurs français et leurs sportifs, en comparant avec la situation différente des États-Unis en la matière. Pouvez-vous préciser ce que vous entendiez par « relations affectives » ?

Concernant le recueil de la parole et des témoignages, nous avons évoqué les différentes auditions que nous avons pu avoir dans le cadre de cette commission et les témoignages que nous avons reçus par d’autres biais. L’idée pour nous n’est pas de généraliser. En revanche, un élément qui revient assez régulièrement dans ces témoignages a trait au manque de confiance des sportifs dans le fait de pouvoir s’exprimer librement. Ils ont bien souvent la crainte que leur affaire ne soit pas traitée et que des fuites d’informations ne se produisent. En effet, ont beaucoup été évoqués cette notion de vase clos et le fait que tout le monde se connaît.

Quant à la question de savoir pourquoi certains athlètes choisissent de consulter des psychologues ou des psychiatres externes à l’INSEP ou à leur établissement, c’est peut-être dû au fait qu’ils se sentent plus à l’aise de parler à un professionnel en dehors de leur environnement habituel. Ils peuvent craindre des répercussions professionnelles ou sociales s’ils consultent à l’intérieur de l’établissement. Pour surmonter cet écueil, il est nécessaire de créer un climat de confiance au sein de l’INSEP, où les athlètes se sentent en sécurité pour chercher de l’aide à l’intérieur de l’établissement.

Enfin, je souhaiterais vraiment que la date à laquelle l’article 40 a été déclenché dans l’affaire Claire Palou nous soit transmise dès que vous aurez l’information.

M. Fabien Canu. Sur ce dernier point, vous avez copie de tous les documents dans le dossier qui vous a été transmis.

M. Sébastien Le Garrec. Lorsque vous avez demandé pourquoi les athlètes veulent aller voir des psychologues extérieurs, vous avez un peu répondu en mettant en avant le fait que nous sommes dans un environnement assez clos. La crainte – que nous pouvons entendre – est que la promiscuité nuit au respect du secret et de la confidentialité, mais c’est une idée contre laquelle il faut vraiment lutter. En témoigne le fait que pour assurer la confidentialité des séances, nos psychologues utilisent des outils papier pour le recueil des informations. Celles-ci ne sont donc pas enregistrées dans le logiciel médical de l’établissement. Ainsi, aucune donnée spécifique concernant les athlètes n’est conservée dans le système informatique. Dans l’agenda du logiciel médical, les informations se limitent à des indications générales telles que la discipline sportive (« lutteuse », ou « judoka » par exemple). De même, rien sur le contenu des consultations n’est entré dans le logiciel.

Bien que la crainte puisse exister en raison des interactions qu’ont les personnels médicaux et les staffs techniques, il est important de souligner que l’intégrité et la confidentialité sont des principes fondamentaux respectés rigoureusement par l’équipe médicale de l’INSEP. La confiance entre les athlètes et les psychologues est cruciale, et toute violation de cette confiance serait préjudiciable à l’efficacité des services fournis. En effet, il est clair que si la confiance est trahie nous ne pouvons plus travailler. Il faut vraiment lutter contre ces idées reçues pour ne pas dissuader ou perturber les sportifs qui viennent nous voir. Je crois que c’est important de bien le souligner.

M. Patrick Roult. Sur la question du caractère obligatoire de la formation, le filtre que nous avons proposé est la soumission d’un questionnaire avant de pouvoir entrer dans des établissements comme le nôtre. Nous sommes encore dans une réflexion sur le sujet. Se pose la question de savoir si ce filtre peut constituer un moyen d’informer et de faire des rappels sur les dispositifs en place au sein des établissements concernés. Il pourrait y avoir une forme de passage obligatoire si la réponse aux questions était indispensable pour entrer dans nos établissements. Pour le reste, je ne vois pas comment nous pourrions rendre obligatoire une formation ou autre chose dans le cadre réglementaire existant actuellement.

Lorsque mes collègues invitent les entraîneurs – ce qu’ils font de manière régulière, ces derniers n’ont aucune obligation de participer aux actions proposées. En revanche, le plan « Coachs 2024 » mis en place par l’Agence nationale du sport revêt un caractère obligatoire dans la mesure où la participation à ce dispositif est associée à une rémunération complémentaire pour les entraîneurs concernés.

Sur l’aspect affectif, il ne faut pas se méprendre sur mes propos. Je soulignais simplement que les entraîneurs et les sportifs vivent ensemble sur des temps longs. Ils peuvent avoir des relations d’amitié ou d’inimitié également, et l’utilisation du terme affectif n’allait pas plus loin.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. J’ai une question pour vous également, Docteur Le Garrec. Vous avez été me semble-t-il médecin de l’équipe de France de judo.

M. Sébastien Le Garrec. Non, je suis médecin de l’équipe de France de natation. Je n’ai jamais été médecin de l’équipe de France de judo. Je pense que cette erreur vient du fait que c’est ce qui est apparu un temps sur le site de l’AP-HP.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Merci pour la précision.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vais revenir sur la fédération de judo pour ma part. Dans son livre, Patrick Roux indique à un moment : « Fabien Canu, auquel nous avons donné connaissance des propos du livre le concernant, nous a indiqué : "Il est possible que j’aie appelé Jane Bridge n’ayant probablement pas, dans un premier temps, mesuré l’impact des faits sur la jeune judokate. Mais de là à dire que je lui interdisais d’exercer son métier d’entraîneur de club... Par la suite, j’ai adressé une très sévère réprimande orale à l’entraîneur en question, qui a présenté ses excuses à la jeune fille et aux parents, en présence de Paulette Fouillet (chargée du suivi socioprofessionnel à l’époque). Cette manière de traiter l’incident a été faite en accord avec la direction des sports, par l’intermédiaire de mon adjoint François Besson, en charge des CTS et des relations avec le ministère. Je n’ai pas défendu l’entraîneur" ».

Est-ce que vous pouvez nous en dire davantage sur cette affaire et sur la manière dont elle a été traitée ?

M. Fabien Canu. Lorsque l’affaire sort médiatiquement, plusieurs versions se confrontent : celle d’une témoin (Jane Bridge) et celles de personnes de la direction technique qui sont sur place, qui sont entraîneurs et qui ne me rapportent pas les mêmes faits que ce qui est indiqué dans la presse. Je reconnais que je les ai plus crus eux que Jane Bridge. C’est pour cette raison que je l’ai appelée sur le moment pour lui demander « Qu’est-ce qu’il se passe ? Je ne comprends pas. À quoi tu joues ? ». Par la suite, je me suis aperçu que les faits rapportés étaient sérieux. Je précise que Jane Bridge n’a jamais été interdite à l’INSEP et qu’elle a pu continuer son travail.

Pour ce qui est du traitement de ce sujet, j’ai effectué – comme expliqué dans le passage du livre – un sévère recadrage auprès de la personne en question et les parents de la jeune fille sont effectivement venus. Je sais que la manière dont a été traitée l’affaire peut susciter des interrogations aujourd’hui, mais c’était conforme à ce qu’il se faisait à l’époque (soit en 2005). Du côté du ministère, il ne m’avait pas été demandé d’appliquer une sanction. J’ai traité l’affaire conformément à la façon de faire de l’époque. Je ne sais pas si c’était véritablement suffisant mais j’ai réagi.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Merci à vous quatre. Si vous le souhaitez, vous pourrez bien sûr revenir vers nous par mail suite à cette audition, notamment pour fournir les informations dont il a été question précédemment. Si vous avez encore des éléments à partager sur un sujet que nous n’aurions pas abordé ensemble et qu’il vous semblerait important de faire part à cette commission d’enquête, n’hésitez pas à le faire. Merci à vous et bonne journée.

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23.   Audition, ouverte à la presse, de M. David Lappartient, président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) (5 octobre 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je souhaite la bienvenue à Monsieur David Lappartient, président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF).

Monsieur le président, vous êtes par ailleurs président du conseil département du Morbihan et président de l’Union cycliste internationale (UCI) depuis septembre 2017. Vous avez présidé la fédération française de cyclisme de 2009 à 2017 et l’Union européenne de cyclisme (UEC) de 2013 à 2017.

Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet dernier. L’Assemblée nationale a décidé de la création de cette commission à la suite de nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux portent donc sur trois axes : les violences physiques, sexuelles, ou psychologiques dans le sport ; les discriminations sexuelles et raciales dans le sport ; les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif.

Monsieur, vous n’avez pas encore été auditionné mais dans un courrier que vous nous avez adressé le 19 juillet 2023 et dont la presse s’est fait écho, vous formulez un certain nombre de constats et vous interrogez sur les objectifs de cette commission d’enquête et sur « son calendrier à moins de quatre cents jours de l’ouverture des Jeux olympiques de Paris ».

Je voudrais signaler qu’à la fin du courrier qui m’est destiné vous rajoutez : « Je ne vous cache pas que les motifs de la création de la commission d’enquête tels qu’exposé par votre collègue rapporteuse nous ont particulièrement blessés. Respectueusement. »

Je ne doute pas que vous aurez à cœur de revenir sur ce point. Ne pensez-vous pas que la perspective de ce grand événement sportif peut constituer au contraire une chance pour renforcer durablement l’éthique et la prévention de toutes les formes de dérives au sein du sport français ?

C’est d’ailleurs le sens des travaux du comité national pour renforcer l’éthique et la vie démocratique dans le sport coprésidé par Marie-George Buffet et Stéphane Diagana auxquels vous contribuez. Ce comité doit renforcer l’éthique, la démocratie, et la protection des pratiquants.

« Sans », je vous cite, « occulter les difficultés que traversent certaines fédérations », vous insistez sur le fait que le mouvement sportif « travaille dans une démarche collective à des améliorations continues ». Je m’en réjouis car c’est précisément dans cette perspective que nous devons nous inscrire.

Votre audition sera donc l’occasion de faire le point sur la situation, le bilan des évolutions intervenues dans les années récentes pour renforcer l’éthique du sport, le rôle du CNOSF, et les améliorations qui restent à apporter.

Votre courrier insiste sur les dispositions essentielles apportées par la loi du 2 mars 2022, notamment en matière de parité ou de limitation des mandats. Pouvez-vous revenir sur la position du CNOSF sur ces mesures ?

Vous insistez sur les nombreux contrôles qui s’exercent sur les fédérations de la part du ministère, de la Cour des comptes ou de l’Agence française anti-corruption. De nombreux intervenants ont pointé les faiblesses de la tutelle ou l’absence de regard extérieur indépendant sur les questions d’éthique. Qu’en pensez-vous ?

En tout état de cause votre prédécesseur, Monsieur Denis Masseglia, dans un courrier qu’il nous a adressé à la suite de son audition et dont vous êtes d’ailleurs en copie, insiste sur le fait que si le code du sport confie au CNOSF le soin d’être le garant de l’éthique et de la déontologie dans le sport, le texte n’est nullement accompagné par les moyens notamment juridiques et disciplinaires qui pourraient permettre au CNOSF d’agir. Une mission qui ne s’accompagne pas des moyens de l’exercer ne peut qu’interroger.

Partagez-vous ce constat ? Comment appréhendez-vous cette mission ?

Dans votre courrier toujours, vous mettez en avant le rôle des comités d’éthique indépendants. Nous souhaiterions revenir avec vous sur le fonctionnement de ces comités, leur composition, leur bilan, d’autant qu’il a été porté à notre connaissance que plusieurs fédérations ne disposent pas encore d’un tel comité. C’est étonnant s’agissant d’une obligation légale. Quels sont la position et les moyens d’action du CNOSF sur ce point ?

Vous indiquez dans votre courrier contribuer aux travaux du comité national pour renforcer l’éthique et la vie démocratique dans le sport. Vous indiquez que l’objectif partagé est que nous puissions aller encore plus loin et renforcer le cadre législatif, réglementaire et statutaire s’appliquant aux fédérations sportives. C’est précisément l’un des objectifs majeurs que poursuit cette commission. Nous serons donc particulièrement intéressés de vous entendre sur les recommandations formulées par le CNOSF sur ces sujets.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Je vous rappelle également que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire « je le jure ».

(Monsieur Lappartient prête serment)

M. David Lappartient, président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF). Je me réjouis que nos objectifs partagés soient les mêmes et que la représentation nationale s’empare d’un sujet aussi important pour le sport. Je me réjouis qu’il en soit ainsi car il en va aussi de sa gouvernance et de nos capacités à améliorer notre fonctionnement.

Dans un État démocratique, que le Parlement puisse contrôler le Gouvernement et mener les commissions d’enquête qu’il estime nécessaires paraît sain et logique. À cet égard, je salue cette volonté partagée tant nous devons encore améliorer les choses en ce qui concerne la gouvernance, l’ensemble des violences et sur les trois axes que vous avez mentionnés.

À titre personnel, ces sujets m’ont toujours beaucoup animé. En 2012, le CNOSF m’avait d’ailleurs désigné à la tête d’une commission chargée de faire des recommandations sur la gouvernance des fédérations. J’avais fait des recommandations – pas toujours soutenues par mes collègues – visant à limiter le nombre de mandats dans le temps et à améliorer grandement la transparence des fédérations nationales. Je m’étais imposé cette transparence, avec mes collègues, au sein de la Fédération française de cyclisme. Aujourd’hui, la fédération internationale que je préside et qui a défrayé la chronique il y a quelques années, est classée au deuxième rang des fédérations internationales en matière de transparence. On peut donc toujours améliorer les choses.

On se réjouit aussi de la contribution du mouvement sportif aux travaux du Parlement. J’en veux pour preuve ce qui a été fait par la loi du 2 mars dernier, qui vise à améliorer la gouvernance dans le sport. 70 % des propositions que nous avions eues à faire aux parlementaires ont été reprises ce dont je vous remercie.

Nous ne contestons absolument pas – et ce n’était pas le sens de mon courrier – le principe d’une commission d’enquête pour un sport toujours plus éthique, plus responsable, avec une gouvernance améliorée et avec des améliorations à porter dans le mouvement sportif dans son entier et dans nos fédérations nationales.

Ce qui nous a un peu blessés, ce sont les attendus de la commission d’enquête. Nous avions le sentiment, peut-être à tort, que les conclusions étaient déjà quasiment écrites dès le début. Quand vous évoquez par exemple des fédérations « abreuvées de subventions publiques », c’est assez blessant dans la mesure où les subventions publiques représentent 7,9 % du budget des fédérations membres du CNOSF.

Nous partageons le même objectif que vous mais nous ne voudrions pas que les conclusions soient dans les énoncés de la commission d’enquête. Nous essayons de travailler avec sérieux et je vais essayer de vous dire où nous en sommes et quelles propositions nous pouvons formuler. Comme vous l’avez pointé, il y a des dysfonctionnements, des choses à améliorer, et nous avons des propositions à formuler. Il n’est pas concevable que la situation reste en l’état car nous représentons 3,5 millions de bénévoles dont l’engagement est à saluer.

Le CNOSF n’est pas un organisme de tutelle des autres fédérations nationales. Les fédérations nationales reçoivent une délégation de l’État par le ministère de la jeunesse et des sports pour exercer au nom de l’État un certain nombre de prérogatives et de missions de service public.

Nous sommes l’organisme faîtier qui parle au nom de l’ensemble du mouvement olympique mais nous n’avons pas d’autorité de tutelle sur certaines fédérations. Nous parlons au nom de l’ensemble et notre voix peut et doit porter. Nous avons des propositions à formuler parce que ce qui affecte l’un d’entre nous affecte la communauté sportive tout entière. C’est fondamental et je le dis à mes collègues, nous devons tous être exemplaires.

On aimerait que le sport soit un îlot préservé des dérives sociétales et les valeurs qu’il véhicule font que naturellement, on attend qu’il en soit ainsi. Malheureusement, tel n’est pas le cas. Le sport est peut-être simplement le reflet de la société et nous devons travailler pour améliorer les choses.

Je suis président de conseil départemental et parmi nos compétences, il y a notamment celle de la protection de l’enfance. 1 800 enfants sont placés sous mon autorité et quand je vois les cas parfois terribles que nous recueillons dans les Cellules de recueil et de traitement des informations préoccupantes (Crip), il apparaît que le sport n’en est à certains égards qu’un reflet. Nous devons travailler pour améliorer les choses.

Nous avons fait des propositions pour corriger un certain nombre de dysfonctionnements. Ainsi, j’ai été auditionné le 6 septembre dernier dans le cadre de la commission coprésidée par Marie-George Buffet et Stéphane Diagana et vingt-deux propositions lui ont été transmises. Nous vous communiquerons le document si vous ne l’avez pas reçu.

Sur la gouvernance des fédérations, beaucoup de choses ont été améliorées notamment avec les déclarations auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Il y a aussi des révisions statutaires qui sont en cours dans nos fédérations pour transcrire la loi de mars dernier.

Nous nous sommes aussi donné pour mission de définir les grands principes fondamentaux qui doivent s’appliquer au bon déroulement des élections et garantir l’égalité entre les candidats. Tous les candidats ne sont pas toujours égaux devant une élection.

Vous êtes candidat dans des circonscriptions et vous êtes soumis à des règles de financement. Ces règles n’existent pas lors des élections dans les fédérations et donc, un président qui a des moyens peut plus facilement mener campagne qu’un candidat qui en a moins. Il y a beaucoup d’autres choses à améliorer pour s’assurer de l’égalité des candidats lors des campagnes, notamment entre le candidat sortant, qui peut mobiliser les moyens de la structure, et les autres candidats.

Il faut s’assurer que les fédérations ne soient pas dans l’entre-soi et que les différentes opinions puissent y être représentées. La diversité des opinions est fondamentale car elle permet une forme de contrôle et donc une forme d’exigence pour les responsables.

Nous avons aussi des propositions sur la rémunération des dirigeants fédéraux, qui doivent permettre de rajeunir et diversifier les profils. Aujourd’hui, pour être président de fédération, il faut y consacrer un temps nécessaire. Sauf à être à la retraite, il est compliqué de postuler à cette fonction. Je milite pour que l’indemnisation des présidents de fédération soit réelle mais il faut aussi s’assurer que les comités d’éthique fonctionnent. Ils sont souvent constitués puisque 83 % des fédérations disposent d’un comité d’éthique. Il est cependant inacceptable que 17 % des fédérations n’en aient pas alors qu’il s’agit d’une obligation légale. À cet égard, je trouve que les fédérations qui n’en ont pas devraient être mises en demeure sous peine de perdre leur délégation ou ne plus être éligibles aux financements publics. Il est quand même compliqué d’expliquer qu’on peut bénéficier de financements publics et conserver sa délégation quand on ne respecte pas la loi.

Ces comités d’éthiques ne doivent pas être des comités d’éthique alibis nommés par l’exécutif et ayant des liens forts avec ce dernier. Les comités doivent être de vrais comités crédibles et à cet égard, deux formules sont possibles : soit ils obtiennent un avis conforme du CNOSF, soit ils sont constitués de membres reconnus inscrits sur une liste du CNOSF. Cela permettrait d’avoir des comités d’éthique dignes de ce nom.

Je propose aussi que ces comités d’éthique, en particulier sur les sujets de harcèlement et de violences sexuelles, soient dotés d’un pouvoir disciplinaire. Les victimes qui racontent leur histoire devant un comité d’éthique sont souvent renvoyées devant une commission disciplinaire lorsque le comité d’éthique juge que les règles n’ont pas été respectées. Cette double procédure est douloureuse pour les victimes, longue, et je pense que doter les comités d’éthiques de pouvoirs disciplinaires serait de nature à accélérer le traitement des dossiers. C’est ce que j’ai fait à l’UCI, au regard des cas que nous avions eus. C’est une mesure concrète que nous pouvons déployer.

Il faut saluer les victimes qui ont accepté de parler. Je pense bien évidemment à Sarah Abitbol qui a eu le courage d’œuvrer à la libération de la parole. Je pense également à Angélique Cauchy qui a été interrogée sur France 5. Ce sont des athlètes qui ont parlé mais si la parole se libère, ce n’est pas encore suffisant à mon sens.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteur. Nous avons eu l’occasion d’auditionner Angélique Cauchy et son témoignage était accablant.

Vous abordez la question de la rémunération des dirigeants en suggérant que cette rémunération pourrait permettre de rajeunir les équipes parce que diriger une fédération demande du temps.

Vous êtes actuellement titulaire d’une dizaine de mandats et de fonctions, ce qui a pu d’ailleurs susciter quelques interrogations et critiques. Vous aviez indiqué au journal L’Équipe que vous alliez réfléchir à la meilleure organisation souhaitable. Je vous cite : « J’ai prévu soit de démissionner de certains mandats soit de changer un peu mon mode de fonctionnement parce qu’il y a des choses qui roulent tout à fait normalement. » Qu’en est-il depuis ? Vos différents mandats vous laissent-ils suffisamment de temps pour le sport français à l’heure où ce dernier connaît d’immenses défis, qu’il s’agisse de la libération de la parole des victimes ou de la tenue des Jeux olympiques et paralympiques en 2024 ?

Vous avez évoqué le calendrier de cette commission d’enquête et ce qui était indiqué dans l’exposé des motifs de la proposition de résolution tendant à sa création. Je tiens à rappeler que sur les deux ou trois dernières années, il y a eu plusieurs affaires dans plusieurs fédérations. S’il fallait en citer quelques-unes je nommerais le rugby, le football, le tennis, le CNOSF, le COJOP, les sports de glace, le handball, le judo, etc. Cette liste ne tient pas compte de tous les témoignages que nous recevons depuis la mise en place de cette commission d’enquête.

Je ne pense donc pas que l’exposé des motifs soit caricatural dans la description de ce qui va mal dans le mouvement sportif. Nous souhaitons travailler pour que cela ne se reproduise plus et pour dresser des remparts contre les VSS, le racisme, les discriminations et tout ce qui dysfonctionne mais la réalité, c’est qu’il n’est pas possible de faire comme si tout cela n’existait pas. Il y a des dysfonctionnements et vous l’avez reconnu. Il serait d’ailleurs intéressant que vous nous précisiez de quels dysfonctionnements vous parlez précisément.

Vous avez aussi dit qu’il n’y avait pas de tutelle du CNOSF sur certaines fédérations. Cela signifie-t-il qu’il y en a sur d’autres ou est-ce une erreur d’expression ?

M. David Lappartient. Très objectivement, je n’avais pas prévu d’être président du CNOSF. J’ai été administrateur du CNOSF de 2009 à 2017 et mon élection comme membre du Comité international olympique (CIO) m’a conféré le statut de membre de droit du CNOSF. J’ai assisté au conseil d’administration et face à la crise qu’il a traversée, un certain nombre de collègues m’ont demandé d’être candidat. Je n’avais absolument pas prévu d’être président du CNOSF. J’essaie d’y consacrer le temps et l’énergie nécessaires au prix de sacrifices personnels qui sont importants.

J’ai effectivement démissionné d’un certain nombre de mandats. J’étais président du Parc naturel régional du golfe du Morbihan, dossier qui m’a tenu à cœur et que j’ai porté sur les fonts baptismaux. J’ai démissionné de la présidence du Parc naturel régional.

J’ai démissionné également de mon mandat de conseiller communautaire début septembre. Par ailleurs, j’ai aussi réduit la voilure s’agissant de ma présence dans des conseils portuaires ou autres instances pour essayer de consacrer le temps nécessaire à l’ensemble de ces missions.

J’ai fait le choix d’être aussi un président bénévole parce que je suis correctement rémunéré par ailleurs et que je ne voulais pas donner le sentiment que j’étais candidat pour bénéficier d’une rémunération. Concernant la rémunération du président du CNOSF, j’ai souhaité lors de la dernière assemblée générale qu’il ne s’agisse pas d’une économie nette pour le CNOSF mais qu’un montant équivalent soit alloué à des causes et notamment à l’accompagnement des victimes de violences sexuelles ou d’autres sujets que notre conseil d’administration aura décidés.

Je suis pleinement engagé dans l’ensemble de ces missions mais au prix effectivement d’heures de travail qui sont très importantes tant il y a de défis à relever. L’art est aussi de bien s’entourer et de connaître les dossiers. C’est ce que je fais au quotidien.

Il y a naturellement d’immenses défis dans le sport. Vous m’avez demandé de préciser les dysfonctionnements. On a presque la réponse à votre question dans l’énoncé des fédérations que vous avez donné parce qu’en plus, ce sont souvent les plus emblématiques ou visibles d’entre elles qui ont fait l’objet d’un dysfonctionnement.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’ai cité des dysfonctionnements au sein de fédérations et des affaires dont on a eu connaissance.

M. David Lappartient. Pour moi, les dysfonctionnements résultent souvent de l’absence de contrôle.

Il ne peut pas ne pas y avoir de contrôle, et donc de contre-pouvoir. Vous pouvez contrôler le Gouvernement, c’est un contre-pouvoir à l’exécutif et c’est logique. La Constitution a été prévue ainsi.

Dans les fédérations, les choses évoluent, notamment sur les systèmes de grands électeurs. Le système des grands électeurs fonctionne au Sénat parce que le corps électoral est suffisamment large. En revanche, dans certaines fédérations, il y avait moins de quatre-vingt ou de cinquante grands électeurs. Ça tourne alors à l’entre-soi. Il est donc nécessaire de garantir un plus large échantillon de votants. Il est fondamental d’élargir le champ des personnes qui votent.

Il est aussi fondamental pour éviter les dysfonctionnements que l’on puisse garantir que tout le monde ne soit pas de la même majorité. Sinon, cela revient aussi à ce qu’on ne soit jamais challengé. Or il faut parfois être poussé, il faut qu’on sache qu’on est contrôlé pour pouvoir le faire. Pour moi, ce sont des points de dysfonctionnement majeurs.

L’absence de mise en place de comité d’éthique constitue également un dysfonctionnement. Comment une fédération délégataire peut-elle ne pas respecter les obligations légales ? Je l’ai répété à certains collègues : il n’y a pas d’excuses.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pouvez-vous nous indiquer quelles sont les fédérations qui n’ont pas de comité d’éthique ?

M. David Lappartient. 17 % des fédérations n’en ont pas. Nous pourrons vous transmettre la liste.

Je précise par ailleurs que nous n’avons pas de tutelle sur les fédérations nationales. Nous avons par contre quelques missions que la loi nous a confiées expressément et qui sont des missions de conciliation, sans cependant que les parties soient obligées de les accepter. Ce sont quand même 500 dossiers de conciliation qui seront traités en 2023, dont 70 % d’acceptation de la conciliation. Nos conciliateurs évitent ainsi 350 dossiers à la justice.

Cette mission de conciliation que la loi nous a donnée est transversale à l’ensemble des fédérations.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quand vous évoquez la conciliation, de quel type d’affaires parlez-vous ?

M. David Lappartient. Cela concerne plutôt des contestations de décisions administratives des fédérations nationales ou d’autres organes. 70 % de nos affaires concernent le football. Elles peuvent par exemple concerner un coureur ou un athlète qui est récusé dans une épreuve ou une contestation d’une sélection en équipe nationale.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. En tant que président du CNOSF, vous représentez le mouvement sportif français. Comment cette mission peut-elle s’articuler avec votre mandat à l’UCI, fédération internationale dont parfois peut-être les intérêts peuvent être divergents des intérêts français ?

M. David Lappartient. Je trouve qu’il y a plutôt des intérêts convergents à défendre le sport, à défendre le sport à l’international, à faire rayonner notre pays. Je suis fier d’être français et je suis fier d’une manière générale des valeurs que nous portons et de ce que nous apportons au mouvement olympique.

Nous n’avons pas dans le monde du sport un système de déport aussi formalisé que celui qui s’applique aux élus. Il faut se l’appliquer à soi-même et naturellement au CNOSF, nous avons des déclarations d’intérêts. En cas de conflit d’intérêts, nous nous déportons et ne participons ni au débat ni au vote.

Ce n’est pas votre question mais s’agissant du département, j’ai pris tous les arrêtés de déport nécessaires dès mes différentes élections. J’ai même interrogé la HATVP pour savoir si mon élection à la présidence du CNOSF entraînait le déport sur l’ensemble du sport et par exemple la subvention à un club de football local.

Le CNOSF a des missions strictement nationales. Il a aussi des missions qui sont celles des équipes de France, olympiques plus particulièrement. Les missions du CNOSF sont donc très peu en conflit avec celles de l’UCI. S’il devait y avoir conflit, on s’appliquerait des règles de déport.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). On ne peut pas mettre de côté l’article qui est sorti vous mentionnant dans Le Monde en mai dernier et dont le titre est, je cite « Les liens troubles de David Lappartient, poids lourd de la gouvernance du sport français ».

Vous avez parlé d’éthique, on a parlé de l’UCI, vous êtes un de nos représentants du sport français. Cet article mentionne les liens que vous auriez avec Monsieur Makarov qui est un oligarque russo-turkmène si je ne me trompe. Vous auriez eu avec lui des relations qui laissent planer un doute sur votre nomination à la tête de l’UCI.

Plusieurs faits sont rapportés qui, selon le journaliste, ressembleraient à des retours suite à cette nomination. Je citerai tout d’abord l’organisation des mondiaux de cyclisme sur piste 2021 accordée par l’UCI à Achgabat, ville natale de Monsieur Makarov et capitale du Turkménistan. J’évoquerai ensuite la remise de la médaille d’honneur de l’UCI à Monsieur Berdimoukhamedov, le président du Turkménistan souvent épinglé pour ses atteintes à la démocratie. Je mentionnerai enfin le fait que Monsieur Makarov soit toujours présent dans les instances de l’UCI alors que ses liens avec Vladimir Poutine sont assez avérés.

J’aimerais pouvoir recueillir votre expression sur ces éléments. Vous paraît-il inéluctable qu’il y ait de tels personnages qui, par leurs positions économiques, politique, ne peuvent que laisser planer le doute sur ce qui se passe au niveau des nominations dans les grandes instances internationales et notamment l’UCI ?

M. David Lappartient. Tout d’abord, je n’ai pas été nommé. J’ai été élu. J’ai été élu à plus de 82 % pour des raisons assez simples. Mon prédécesseur, qui était un homme honnête – je le suis aussi – avait oublié une règle de base à mon sens : les membres de l’UCI sont les fédérations nationales et il faut s’en occuper comme un maire doit s’occuper de ses électeurs.

J’ai fait ma campagne en respectant mes règles de morale et d’éthique. Je ne pense pas qu’on puisse être à moitié honnête. Soit on est honnête, soit on est malhonnête. Je suis assurément dans le camp de l’honnêteté.

Igor Makarov ne dispose plus de la nationalité russe. Il fait partie de ces personnes qui ont rendu leur passeport russe. Il est turkmène et chypriote.

Il a été champion de haut niveau en équipe de cyclisme sur piste à l’époque de l’URSS. Il est passionné de vélo et connaît le vélo, à la différence parfois d’un certain nombre d’acteurs dans le monde du sport qui peuvent être des gens aisés ou fortunés investis dans un sport sans l’avoir pratiqué à haut niveau.

Vous avez mentionné l’octroi en 2021 de l’organisation des championnats du monde de cyclisme sur piste à Achgabat, capitale du Turkménistan. Les discussions avaient été engagées par mon prédécesseur et j’ajoute que ces championnats du monde n’ont pas eu lieu à cause de la Covid. Nous ne les avons pas réattribués au Turkménistan, ce qui a d’ailleurs engendré un conflit entre l’UCI et le Turkménistan sur les causes majeures ou non et les conséquences financières de cette annulation et nous n’avons pas cédé.

Concernant la remise de la médaille d’honneur, elle a été remise au président de l’époque parce que le Turkménistan avait proposé aux Nations Unies que le 3 juin soit la journée mondiale du vélo. Cette résolution portée par le Turkménistan a été votée à l’unanimité, dont la France, aux Nations Unies. C’est à ce titre que cette médaille lui a été remise et pas pour son action sur le terrain des droits de l’homme. Lorsque j’ai rencontré le président dans son bureau, je lui ai d’ailleurs parlé de droits de l’homme. Je ne suis pas convaincu que beaucoup de personnes soient allées lui parler de droits de l’homme dans son bureau, fidèle aux valeurs qui sont les nôtres et en lui rappelant un certain nombre de principes qui devaient être respectés. On peut toujours penser que je n’aurais pas dû y aller. Je peux entendre les critiques sur ce point.

Monsieur Makarov est toujours membre du comité directeur de l’UCI. Il participe aux débats lorsqu’il y a des débats. Aujourd’hui Monsieur Makarov ne fait pas l’objet de sanctions américaines ou européennes. Je connais très bien les fonctions qui sont les siennes et à mon avis, il est faux de dire que c’est un proche de Vladimir Poutine.

Mme Virginie Duby-Muller (LR). Vous avez récemment pris vos fonctions dans un contexte de crise interne qui a duré plus de 18 mois. Cette situation exige une présence importante à moins d’un an de Paris 2024. Or vous cumulez plus de 10 mandats politiques et sportifs. Vous avez d’ailleurs sur ce point partiellement répondu à Madame la rapporteure.

Je ne vais pas non plus commenter la générosité de votre geste qui consiste à avoir refusé d’être indemnisé. Je ne dévoilerai pas ici le montant de votre indemnité en tant que président de l’UCI puisque celle-ci est publique sur le site de la HATVP.

Je voudrais quand même revenir sur la question du cyclisme français qui fait partie des sports les plus importants dans notre pays et que vous connaissez bien avec un événement mondialement reconnu, une fédération d’à peu près 110 000 licenciés qui ne fait pas partie du top 10 des fédérations françaises alors que la pratique du cyclisme n’a jamais été autant d’actualité. La moyenne des 10 plus grandes fédérations est aujourd’hui de 592 000 licenciés.

Sportivement, cette fédération n’a pas beaucoup de vision d’avenir avec un monde amateur en très grande difficulté, plusieurs clubs formateurs qui décident de cesser leurs activités, des médailles dans des disciplines spécifiques portées souvent par des structures où résident les sportifs qui sont souvent étrangères. En témoigne le fait que les dernières médailles en cyclisme sur route ont été remportées par des champions évoluant dans des structures étrangères. D’ailleurs depuis mardi 3 octobre, la France est rétrogradée dans le classement UCI. Cela aura des conséquences lourdes pour les JOP de Paris puisqu’elle ne pourra aligner que trois coureurs.

Je ne vais pas revenir non plus sur les discriminations ordinaires puisque par exemple, lors des mondiaux en Australie, dans l’avion, les hommes étaient en classe business et les femmes étaient en classe éco. Ce sont des stigmates du sexisme ordinaire.

Structurellement, cette fédération n’a pas réussi à optimiser ses acquis. Je ne vais pas revenir sur la redistribution des recettes du Tour de France ni sur la question du vélodrome national qui héberge une fédération qui a à peu près une dizaine d’années et qui n’a pas réussi à accueillir un grand événement d’ampleur important alors que cet outil a coûté 74 millions d’euros.

C’est bien sûr là-dessus que je voudrais revenir Monsieur le président, puisque vous savez que la Haute-Savoie a obtenu l’organisation des mondiaux de cyclisme en 2027, sans gloire puisque nous étions les seuls candidats. Je suis favorable à l’accueil de grands événements sportifs en Haute-Savoie – c’est une grande tradition – mais un certain nombre d’éléments nous ont été dissimulés. On nous a d’abord parlé de treize épreuves, elles sont 19 désormais. Nous avons également découvert que nous devions construire un Haute-Savoie Arena comprenant un vélodrome. Celui de Saint-Quentin-en-Yvelines a coûté 74 millions d’euros. En Haute-Savoie nous n’avons toujours pas le chiffre précis.

Ma question est simple. Pourquoi ne pas utiliser une infrastructure existante, en l’occurrence le vélodrome olympique ? Je rappelle que dans le cadre des JOP de Paris 2024, toutes les épreuves ne se dérouleront pas à Paris. C’est notamment le cas du surf qui aura lieu en Polynésie française et ce bien sûr dans un souci d’éviter le gaspillage d’argent public. Vous êtes vous-même président d’un conseil départemental Monsieur Lappartient, et je suis sûre que vous êtes attaché au bon usage des deniers publics.

Enfin une dernière question à laquelle j’associe mon collègue sénateur Loïc Hervé. S’agissant des grands événements sportifs, je souhaite qu’on ait une meilleure information des parlementaires. Sur l’organisation de ces mondiaux de cyclisme en Haute-Savoie, les parlementaires ont très peu d’informations. Or nous devrions y être associés dans le cadre de réunions en préfecture dans un esprit de transparence. Je rappelle que les parlementaires votent les budgets de l’État parmi lesquels ceux des collectivités et bien sûr la mission « sports, jeunesse et vie associative ».

M. David Lappartient. Je vous trouve bien dure à l’égard de la Fédération française de cyclisme que je ne préside plus mais que je soutiens. Je sais que le président Michel Callot et ses équipes sont totalement investis sur ces sujets. Comme on dit en Bretagne, c’est à la fin du marché qu’on fait les comptes et pour ma part, j’attendrai les jeux de 2024 avant d’être aussi direct sur les résultats de l’équipe de France.

Nous avons des athlètes et à Glasgow, nous avons réalisé un triplé dans une épreuve olympique en BMX par exemple. En VTT, nos filles ont fait première et deuxième. Concernant le cyclisme sur route, les filles françaises progressent comme on l’a vu lors du dernier Tour de France.

Je me réjouis plutôt de tout cela mais on pourrait débattre assez longuement. J’ai été président de club et j’étais encore il y a deux semaines bénévole dans une course, l’accès à la voie publique est une vraie difficulté pour nos clubs. Il y a plein de raisons qui pourraient être évoquées mais la Fédération française de cyclisme se développe. Il ne vous a pas échappé que si on ne fait pas de compétition, pour aller rouler le dimanche avec des amis, on n’a pas forcément besoin d’une licence.

Il y a beaucoup de pratiquants de vélo mais pas forcément beaucoup de licenciés. C’est néanmoins une fédération dynamique, l’une des plus dynamiques et dont je suis convaincu qu’elle continuera à se développer. Je salue à cet égard le travail que fait le président Callot dont l’intégrité et l’honnêteté intellectuelle méritent d’être soulignées. Ce n’est pas une fédération qui serait à ranger au rang des fédérations à dysfonctionnements. Je n’y suis plus et je peux donc d’autant plus facilement le dire. Il y a des élus qui sont vraiment engagés sur ces sujets.

Vous dites que le vélodrome national n’a pas accueilli de grands événements. Il a accueilli les championnats du monde 2015 et 2022 et il accueillera les jeux olympiques. Il a fallu huit ans de ma vie pour faire aboutir ce dossier et toutes les collectivités de toutes les sensibilités se sont unies à l’époque pour le faire aboutir. Je salue le fait que ce que le Général de Gaulle avait promis à Daniel Morelon à l’époque ait fini par aboutir avec la construction de ce vélodrome national.

Je suis effectivement très attentif à la dépense publique. Le département que je préside est à -21 % de dépenses de fonctionnement par rapport à la moyenne nationale en euros par habitant.

Le projet, qui me semble beaucoup plus large qu’un projet de vélodrome et vous le savez, est un projet qui vise à ce qu’on ait une Arena qui dispose de tout un tas d’équipements que la Haute-Savoie n’a pas. Je salue ce projet monté par le conseil départemental de la Haute-Savoie. Je sais que vous êtes aussi conseillère départementale et naturellement, il y a des débats sur ce sujet. Il y a aussi eu une volonté de ne pas artificialiser et de mettre ça sur le parking existant conformément aux objectifs du ZAN (zéro artificialisation nette) qui sont mis en place.

Concernant une éventuelle mutualisation avec Paris, dans l’absolu, on recherche toujours à optimiser ce qui pourrait être fait. Je me permets simplement de signaler que la région Auvergne-Rhône-Alpes, grande région en France, n’a pas de vélodrome couvert. C’est un manque dans cette région. On ne peut pas avoir une cathédrale sans avoir des églises et donc, il faut que nous ayons aussi des vélodromes couverts. Il y en a un à Roubaix, un à Bordeaux, un qui s’ouvre en Bretagne à Loudéac, mais on n’en a pas dans cette partie de la France. Je me réjouis que cette Arena le permette.

J’étais récemment au conseil départemental de la Haute-Savoie et j’ai d’ailleurs vu votre signature sur l’engagement à soutenir cet événement.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je voudrais quand même revenir sur les billets d’avion en classe business pour messieurs et en classe éco pour mesdames. On appréciera.

M. David Lappartient. Il faudrait poser la question à la fédération mais elle a des explications. Dans d’autres disciplines, notamment le VTT ou d’autres, où les femmes sont beaucoup plus performantes, cela a été l’inverse.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. C’est intéressant parce que vous nous avez dit que cette fédération ne connaissait pas de dysfonctionnements. Je trouve en l’occurrence que mettre les hommes en business et les femmes en classe éco, c’est un dysfonctionnement et cela reflète un certain sexisme. Cette commission d’enquête s’intéresse aux VSS, aux discriminations, au racisme et je trouve quand même qu’il y aurait peut-être des choses à dire là-dessus.

Je remarquerai par ailleurs qu’un vélodrome n’est pas tout à fait un équipement grand public, mais peut-être que je me trompe. En tout cas, je ne suis pas certaine qu’il faille un équipement de ce type dans toutes les régions mais nous sommes un peu en dehors du périmètre de cette commission.

Je voudrais qu’on revienne au CNOSF et à cette commission d’enquête. Au sein des fédérations, c’est justement parce qu’on a vu des défaillances de toutes sortes qui perdurent qu’on a mis en place cette commission. Nous aimerions donc connaître votre appréciation personnelle de l’évolution du sport français. Est-ce que vous considérez aujourd’hui que les défaillances sont moins nombreuses depuis « l’accélération de l’histoire » à laquelle nous assistons depuis 2020 ? Est-ce que le régime de l’omerta a disparu selon vous ? S’il est en train de disparaître, dans cette levée de l’omerta, quel rôle peut jouer le CNOSF en faveur des victimes de VSS alors même que ses membres, les fédérations, ont du mal à prendre le sujet à bras-le-corps ? En tout cas, c’est le sentiment qu’on a de l’extérieur et on pourrait même y ajouter l’Insep (Institut national du sport, de l’expertise et de la performance) qu’on a auditionné juste avant.

M. David Lappartient. Nous sommes sur le bon chemin mais il y a de la route à faire. D’une manière générale, les langues se délient et c’est tant mieux. Je ne reviendrai pas sur les polémiques sur les plateformes de signalement mais je milite vraiment pour qu’on ait une campagne pour mieux faire connaître la cellule officielle de l’État. Si elle doit changer de nom, qu’elle change de nom mais aujourd’hui la cellule officielle est Signal-sports. On a besoin de mieux la faire connaître pour que la parole continue de se libérer. C’est absolument fondamental.

Il y a sans doute des campagnes de « publicité » à mettre en place, peut-être même à la télévision, mais il faut aussi faire en sorte que cette cellule soit systématiquement indiquée dans les formations obligatoires que font un certain nombre de fédérations vis-à-vis de leurs clubs. Il faut aussi une obligation d’information de l’ensemble des athlètes dans les sélections, qu’elles soient au niveau départemental dans les équipes départementales, dans les équipes régionales, les organes déconcentrés des fédérations.

Un certain nombre le font. On a aujourd’hui clairement des délégués sur les violences sexuelles dans les fédérations. Tout cela est en train de se diffuser. Nous travaillons conjointement avec le ministère des sports sur ce sujet. On anime le réseau. Il y a eu trois réunions en 2023 avec nos fédérations. On leur demande aussi que cela irrigue jusqu’en bas mais l’information sur cette cellule doit être mieux connue et mieux diffusée par les fédérations, mieux diffusée encore par nous, avec sans doute une campagne grand public pour que nous ayons le plus de signalements possible et que la parole continue de se libérer.

Elle se libère et c’est tant mieux mais nous devons aussi mieux accompagner les victimes. Aujourd’hui, quand on a un signalement, on a besoin de mieux collaborer avec les autorités judiciaires. Lorsqu’une enquête judiciaire se met en place, il est parfois demandé aux fédérations de temporiser. La justice, pour les besoins d’une enquête qui doit se dérouler de manière discrète, peut appeler les fédérations à temporiser dans la mise en place de leurs propres actions.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Est-ce que la justice vous demande parfois de temporiser en ne mettant pas à l’écart de potentiels agresseurs ?

M. David Lappartient. Le président de Fédération française de volley-ball m’a fait part d’un témoignage en ce sens. Il y a sans doute des raisons à cela. Je ne connais pas le dossier en question. Le signalement était remonté par Signal-sports via le site de signalement de la fédération. Il n’y a pas eu de dysfonctionnement de signalement mais la justice enquête. Il y a sans doute des raisons mais cela peut effectivement être compliqué pour la victime.

Il peut y avoir une sanction pénale et éventuellement une sanction disciplinaire. Elles sont nécessaires pour la « réparation » mais ne sont pas suffisantes. La victime est souvent laissée un peu seule et l’accompagnement des victimes doit être renforcé. Je pense que c’est là que le CNOSF a un rôle à jouer pour renforcer l’accompagnement des victimes, à côté des fédérations, avec France victimes, avec Colosse aux pieds d’argile, avec d’autres acteurs. La reconstruction est très longue et très difficile et le manque d’accompagnement peut être une réalité.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous nous avez expliqué qu’il n’y avait pas de tutelle du CNOSF sur les fédérations. Quel pouvoir avez-vous pour imposer aux fédérations de prendre à bras-le-corps cette question des VSS ?

Nous avons beaucoup parlé de la cellule Signal-sports, même si différents athlètes nous on dit qu’ils n’en connaissaient pas l’existence. Cette cellule ne peut-elle pas conduire les fédérations à se défausser ? Désormais, quand il y a un problème, il suffit d’aller sur Signal-sports pour le régler. Par conséquent, les fédérations sont un peu dessaisies de ces dossiers alors qu’elles devraient mettre en place des dispositifs de prévention.

Vous avez évoqué la formation mais il nous a été dit que sur le volet des VSS, la formation est insuffisante. Comment travailler avec les fédérations pour que la lutte contre les VSS soit plus efficace ?

M. David Lappartient. Je reste persuadé qu’il faut des comités d’éthique au niveau des fédérations. Avoir un seul comité d’éthique au niveau du CNOSF poserait la question des moyens qui nous sont alloués et pourrait déresponsabiliser les fédérations. Or je souhaite que les fédérations soient responsabilisées par rapport à ce qui se passe en leur sein.

Nous n’avons pas de tutelle mais il y a une mutualisation des moyens. Il y a les fédérations riches qui sont capables de faire un certain nombre de choses mais n’oublions pas quand même que la plupart des fédérations disposent de peu de moyens et sont un peu dépourvues face à un certain nombre de dossiers.

Aujourd’hui, l’animation des réseaux, des référents en matière de violences sexuelles, c’est le CNOSF qui s’en charge avec le ministère. C’est pleinement notre rôle que d’animer le réseau. C’est sur ce terrain que nous pouvons renforcer nos missions parce que ce réseau est fondamental. L’échange des bonnes pratiques est fondamental. L’expérience mutualisée et les moyens mutualisés du CNOSF, à travers notamment les guides que nous pouvons mettre en place, sont fondamentaux. D’ailleurs dans la convention qui nous lie à l’État, en contrepartie des moyens qui nous viennent de l’État et qui ne sont pas négligeables, nous avons clairement ces missions d’animer le réseau au niveau des fédérations nationales au nom de l’État. Nous sommes aussi un service non pas de tutelle mais de mutualisation sur ce sujet, et c’est nécessaire.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Comment le CNOSF peut-il représenter le mouvement sportif et le réguler en même temps ?

M. David Lappartient. C’est le « en même temps » qui n’est jamais simple. Nous le représentons par nature, c’est notre mission, c’est dans nos statuts. Nous représentons le mouvement olympique, non seulement les fédérations olympiques mais aussi l’ensemble du mouvement sportif français : 110 membres, 17 millions de licenciés, 3,5 millions de bénévoles.

Nous parlons au nom de l’ensemble de nos membres mais nous n’avons pas forcément de pouvoir de régulation. Nous avons un pouvoir d’incitation et aussi un pouvoir de proposition. Par exemple, nous avons formulé des propositions dans le cadre de la loi du 2 mars dernier sur la gouvernance des fédérations. Vous en avez repris 70 %, nous vous en remercions.

Je le répète, ce qui affecte l’un d’entre nous affecte l’ensemble du mouvement olympique. C’est fondamental.

M. Stéphane Mazars (RE). Ne pensez-vous pas que la communication autour de Signal-sports pourrait être dévolue aux entraîneurs ? Ils sont au plus près des athlètes et des jeunes sportifs, ils les suivent, ils ont souvent une autorité vis-à-vis des jeunes athlètes. Ne pourrait-il pas entrer dans leurs missions de communiquer cette information sur Signal-sports ?

Cela aurait d’ailleurs aussi comme vertu de les responsabiliser sur ce sujet et de les obliger à être attentifs à tous les signaux faibles concernant les jeunes dans les clubs.

Plus généralement, la difficulté est que la parole se libère et qu’il faut y être très attentif. Il faut l’être, c’est important, et on l’est de plus en plus de manière générale dans notre société. À partir du moment où une parole se libère, il y a des procédures administratives et des procédures souvent judiciaires qui sont mises en œuvre. Pensez-vous qu’aujourd’hui, l’articulation entre la procédure administrative qui est mise en place, qui est nécessaire, qui doit se faire rapidement, et la procédure judiciaire, qui nécessite un temps plus long, est suffisamment claire et que toutes les fédérations se sont bien approprié le double mécanisme administratif et judiciaire ?

Derrière tout cela, il y a deux grands principes à faire cohabiter. Le recueil de la parole et l’attention que l’on doit y porter, mais aussi le respect de la présomption d’innocence qui fait que tant que notre système judiciaire n’a pas reconnu les faits comme étant établis, on a quand même des personnes qui sont présumées innocentes et qui doivent aussi faire l’objet d’une attention toute particulière.

M. David Lappartient. C’est naturellement aussi dans le rôle de l’entraîneur d’informer sur Signal-sports. En haut de la pyramide, le CNOSF doit animer le réseau dans chaque fédération qui elles-mêmes ont un rôle d’information et d’animation au niveau régional, départemental, dans les formations pour l’ensemble des entraîneurs. Il est évident que l’entraîneur a un rôle à jouer dans cette animation. C’est le cas également dans les équipes nationales avec les entraîneurs nationaux. Nous avons vu malheureusement aussi dans les cas qui nous sont remontés que c’est parfois par l’entraîneur qui est en cause dans un certain nombre de cas. Les entraîneurs jouent un rôle naturel dans la diffusion de l’information sur Signal-sports ou tout autre nom qui pourrait être un peu plus percutant.

Il y a en réalité trois procédures : une procédure disciplinaire qui relève de la fédération, une procédure administrative qui relève du ministère ou de la préfecture et une procédure judiciaire qui a son temps. S’agissant des fédérations, il est plutôt souhaitable qu’elles puissent se porter partie civile dans un certain nombre de dossiers. Je pense que cela permet aussi de porter la parole et d’avoir accès à un certain nombre de documents. Cela me paraît fondamental qu’elles le fassent plus souvent.

La procédure judiciaire a sa propre temporalité, et parfois un certain nombre de fédérations me disent qu’elles prennent des risques lorsqu’elles prennent des sanctions qui viennent avant une décision judiciaire, compte tenu de la nécessité de respecter la présomption d’innocence. C’est la difficulté à laquelle sont concrètement confrontées les fédérations. Je ne sais pas quelles recommandations faire pour que le temps judiciaire aille plus vite ou qu’on ait une concomitance des choses. Il n’y a rien de pire que de laisser pendant plusieurs années une personne qui sera condamnée pour un certain nombre de faits agir dans le milieu qui était le sien. Quelles mesures préventives d’éloignement, d’interdiction provisoire, de suspension, sont possibles à titre conservatoire sans méconnaître le droit de la présomption d’innocence ? Il y a sans doute quelque chose à imaginer.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je voudrais revenir sur la loi de mars 2022, qui modifie les règles en ce qui concerne la parité mais également le nombre de mandats renouvelables. Je voudrais que vous reveniez sur la position du CNOSF sur ces différentes mesures.

M. David Lappartient. La position du CNOSF, qui était celle que j’avais recommandée en 2012, c’était la limitation dans le temps du nombre de mandats de président de fédération. Je me réjouis que cette limitation se mette en place.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Quelle limitation de mandats préconisez-vous ?

M. David Lappartient. Trois mandats. Ce que vous n’avez pas fait en douze ans, vous ne le ferez pas forcément après. Je pense aussi qu’il faut que nos fédérations respirent. Il n’est pas rare que les grosses difficultés apparaissent dans des fédérations où un système a eu le temps de se mettre en place au fil du temps. La limitation du nombre de mandats me semble souhaitable.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Dans quelles fédérations un système a-t-il pu se mettre en place ?

M. David Lappartient. Il s’agit des fédérations qui à l’époque n’avaient pas de limitation du nombre de mandats, avaient un corps électoral faible, ce qui faisait que le système tournait tout seul. Ceux qui élisaient étaient ceux qui étaient élus et cela tournait à la cooptation.

Il y a heureusement eu beaucoup d’évolutions. Il y a eu la volonté d’élargir les collèges électoraux, c’est d’ailleurs ce que prévoit la loi.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Et la parité ?

M. David Lappartient. La parité est une bonne chose mais certaines fédérations ont 90 % de femmes dans leurs membres et d’autres, 90 % d’hommes. La parité aura au moins le mérite de permettre, que quel que soit le sexe minoritaire en nombre, une politique qui vise à diversifier la fédération. C’est une évolution que nous avons saluée, même si elle n’est pas parfois sans difficultés au niveau local. Nous saluons cette avancée qui a donné de très bons résultats au niveau des élections, notamment municipales.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je reviens sur la question des signalements et de leur prise en compte quand on est président du CNOSF. La semaine dernière, nous avons auditionné Monsieur Denis Masseglia qui était votre prédécesseur. Il nous a indiqué qu’il n’avait jamais été informé de faits illégaux susceptibles de déclencher de sa part un article 40 du code de procédure pénale. Qu’en pensez-vous, sachant qu’il a été président d’une fédération puis président du CNOSF pendant vingt-cinq ans ?

Avez-vous vous-même été mis au courant de faits illégaux en lien avec le périmètre d’investigation de cette commission dans l’une de vos fonctions ?

M. David Lappartient. L’article 40 n’entre pas totalement dans le champ par rapport à la personnalité morale du CNOSF mais nous avons une obligation morale de dénoncer les faits délictueux. Les modalités de l’article 40 trouvent quand même à s’appliquer chez nous. Les faits délictueux doivent être remontés.

Je n’ai pas d’élément pour juger et je connais l’intégrité de Denis Masseglia. S’il vous a dit sous serment qu’il n’a pas eu connaissance de faits, j’ai tendance à le croire. Cela ne veut pas dire qu’il n’y en a pas eu dans les fédérations.

Quand j’ai exercé mes fonctions à la Fédération française de cyclisme, je n’ai pas eu connaissance de faits qui auraient justifié que j’intervienne de cette manière.

En tant que président de l’UCI, c’est différent. J’ai travaillé avec la commission d’éthique sur un certain nombre de faits qui m’ont été remontés. Nous avons d’ailleurs créé un poste dédié référent sur ces sujets de déontologie et notamment chargé de l’écoute des victimes. Souvent, elles n’avaient pas confiance dans les institutions et donc elles craignaient de parler à l’institution et que l’affaire soit étouffée par l’exécutif, que ce soit au niveau national ou international. Il est fondamental que les victimes puissent être assurées qu’elles seront écoutées et qu’il y aura vraiment un suivi. À l’UCI, je ne sais comment on faisait avant la création de ce référent. Nous accompagnons les victimes dans leur plainte devant la commission d’éthique. Le vrai sujet que nous avons parfois, c’est qu’officiellement nous devons investiguer mais nous n’avons pas les moyens d’investigation de la gendarmerie, de la police. Au sein de l’UCI, il y a des dossiers qui nous ont coûté 100 000 euros d’investigation par des cabinets privés pour essayer d’établir les faits. On peut se le payer à l’UCI, ce n’est pas toujours possible à l’échelle nationale.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Au cours de plusieurs nos auditions, il nous a été signalé que certaines fédérations ne prendraient pas le risque de mettre en péril la participation d’athlètes français médaillables aux JO 2024 et donc étoufferaient certaines affaires. Est-ce que c’est vrai ?

M. David Lappartient. Je n’ai pas entendu parler d’une affaire pareille. Personne n’est au-dessus de la loi. Si des faits nous étaient remontés, il n’y aurait aucune complaisance. Il en va de notre responsabilité. L’équipe de France olympique est sous l’autorité du CNOSF. C’est à nous, à moi personnellement qu’incombe cette mission.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons auditionné l’Insep précédemment et c’est pourtant le cas. Un cas d’agression sexuelle a été remonté sur un athlète de la fédération d’athlétisme qui va participer au JO l’année prochaine. Pour l’instant, une enquête est en cours mais il n’y a pas de mesures qui ont été prises. Quel est votre avis à ce sujet ?

M. David Lappartient. Il est compliqué de s’exprimer sur un dossier en cours. Il faut un peu de mesure dans le traitement des dossiers et essayer d’analyser la totalité du dossier. Il faut aussi voir à quel niveau s’exerce la présomption d’innocence et si elle est conciliable ou non avec une sélection. C’est ce qu’il nous faut mesurer et c’est pour cela que je parlais précédemment de mesures à titre conservatoire lorsque les faits semblent avérés.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ne pensez-vous pas que quand une victime s’exprime, surtout quand on connaît la complexité de ces affaires et le fait que ce soit extrêmement difficile pour elle de prendre la parole, qu’il faut d’abord croire la victime ?

M. David Lappartient. Il n’y a pas de raison de ne pas croire la victime. Il doit ensuite y avoir une confrontation c’est le principe du contradictoire et du respect de la présomption d’innocence, mais notre rôle est avant tout de protéger les victimes. Je ne peux pas vous répondre précisément sur la mesure que nous adopterons parce que d’ici là, il y aura peut-être eu des décisions de justice, des évolutions, mais naturellement ce seront des cas qui seront examinés en interne y compris par notre comité de déontologie si nécessaire.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pour votre information, un article 40 a été déclenché par le directeur général de l’Insep sur cette affaire. Pour le moment, dans la mesure où la fédération d’athlétisme n’a pas pris de mesures, cet athlète participera aux JO 2024.

M. David Lappartient. Je répète que la sélection sera une sélection du CNOSF. Ce ne sera pas une sélection de la fédération. Certes, ce sera sur proposition et recommandation des fédérations mais elles proposent et nous décidons. Il y a quand même des critères de sélection et parmi ces critères, il y a bien sûr le résultat sportif et la qualification sportive mais il y a tout un tas d’autres éléments y compris des éléments comportementaux.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ne pensez-vous pas que le fait que toutes ces affaires soient en cours et que cela prenne du temps, ce n’est pas une manière de détourner le regard et de permettre à ces athlètes de participer aux JO malgré des plaintes ?

M. David Lappartient. En tout cas, pas à notre niveau. S’il y a un article 40 qui a été déclenché, s’agissant d’un athlète susceptible de participer aux JO, j’espère que le dossier sera traité avec la célérité nécessaire pour que des éléments fermes nous permettent de prendre une décision avant les jeux olympiques.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous disiez tout à l’heure que vous doutiez de l’efficacité des comités d’éthique au sein des fédérations.

M. David Lappartient. Je n’ai pas généralisé mon propos. J’ai dit que pour un certain nombre d’entre elles et c’est une majorité, on avait des comités qui fonctionnaient très bien. 17 % des fédérations n’ont pas de comité d’éthique et pour d’autres, le comité existe sur le papier mais ne dispose pas des moyens nécessaires pour fonctionner. Pour d’autres encore, les liens avec l’exécutif n’en garantissent pas l’impartialité et pourraient être revisités.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pourriez-vous préciser ?

M. David Lappartient. Je n’ai pas forcément les noms mais dans la réponse que nous vous ferons sur les fédérations qui n’ont pas de comité d’éthique, nous pourrons aussi vous indiquer les comités dont nous estimons que le fonctionnement peut être perfectible.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je reviens sur cette affaire d’article 40. Dans ce cas, à la suite du déclenchement de l’article 40, le CNOSF peut agir.

M. David Lappartient. L’article 40 est une saisine du procureur qui intervient lorsqu’un fonctionnaire public estime que les faits dont il a connaissance constituent une violation de la loi. L’Insep a donc le sentiment que les faits en question sont une violation de la loi et méritent une réponse pénale. Le dossier est transmis au procureur et nous attendons qu’il se prononce ou non sur l’ouverture d’une procédure.

Pour être très clair, nous ne protégerons jamais une personne auteure de violences pour garantir des médailles olympiques. L’intégrité et la moralité ne sont pas négociables pour des médailles olympiques.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je ne comprends pas qui fait quoi et qui prend les décisions. Si la fédération ne fait pas la sélection pour les JO, si l’Insep déclenche un article 40 mais n’a pas de leviers pour sanctionner le sportif, qui fait quoi ?

M. David Lappartient. L’Insep fait un article 40, le procureur est saisi et décidera ou non s’il y a lieu d’ouvrir une procédure.

La Fédération française d’athlétisme suit le processus de sélection et propose au comité national olympique les athlètes qui représenteront la France pour les jeux olympiques. La décision finale de composition de l’équipe de France olympique appartient au CNOSF et non à la fédération française d’athlétisme. C’est à nous qu’appartiendra la décision finale. Les éléments de qualification sportive ou de minima de temps notamment en athlétisme sont obligatoires mais ne sont pas la seule condition. Le comportement de l’athlète à tous égards est aussi un élément qui sera pris en compte. Naturellement, lorsque nous serons amenés à prendre la décision de sélection, nous regarderons l’ensemble de ces éléments.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Tant qu’il n’y a pas de décision de justice, il n’y a pas d’action du CNOSF.

M. David Lappartient. Ce n’est pas tout à fait ce que j’ai dit.

D’abord, ce n’est pas maintenant que nous devons divulguer la composition de l’équipe de France olympique. Nous le ferons en temps utile, à l’approche des jeux olympiques. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait une condamnation judiciaire pour écarter l’athlète. Nous regardons l’ensemble des éléments en connaissance de cause. Nous devrons forcément être justes et équilibrés mais nous prendrons la décision en connaissance de cause et nous en serons responsables.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Qui intervient pour sanctionner administrativement ou écarter un athlète quand il y a des plaintes ? Je parle d’agressions sexuelles, ce sont des faits assez graves.

M. David Lappartient. C’est la fédération.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quand ce n’est pas le cas, personne n’intervient ?

M. David Lappartient. Nous n’avons pas le pouvoir de nous substituer à une fédération. Il est prévu que le comité de déontologie du CNOSF puisse s’autosaisir d’un certain nombre de dossiers. C’est aussi ce qui paraîtrait important sur des sujets à l’avenir.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Seriez-vous favorable à l’intervention de sanctions administratives ou financières ? Qui selon vous pourrait porter ces sanctions ?

M. David Lappartient. S’il y a des sanctions administratives, elles ressortent du ministère. Il y a aussi des sanctions qui peuvent être financières vis-à-vis des fédérations qui ne respecteraient pas des obligations. Je l’ai dit dès le début, une absence de comité d’éthique devrait conduire à une absence de subventions. C’est de facto une sanction.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vais revenir sur le courrier qui nous a été adressé à la présidente et à moi-même. Vous vous êtes interrogé sur le calendrier de la création de la commission d’enquête à un an des jeux olympiques. Est-ce que vous pourriez préciser ce point ? Ne pensez-vous pas que la perspective de ce grand événement sportif constitue au contraire une chance pour renforcer durablement l’éthique et la prévention de toutes les formes de dérives de ce mouvement sportif ?

M. David Lappartient. C’est clairement notre ambition et je vois que c’est une ambition partagée. Je m’en réjouis.

Ce courrier, je l’ai signé au nom du mouvement olympique. Il avait d’ailleurs été préparé avant mon élection mais je l’ai signé et j’en assume la paternité.

Ce que nous voulons dire, c’est que les jeux olympiques sont un accélérateur à tous les niveaux pour le sport français. Si cela doit être un accélérateur pour le renforcement des mesures d’éthique et de la gouvernance, alors effectivement nous saluons l’ensemble de ces efforts.

Cependant, je ne vous cache pas que la manière dont est rédigé le texte qui a créé cette commission a créé un certain émoi. Nous y avons vu – peut-être à tort – une violente critique du sport français dans son ensemble. Les mots « abreuvées d’argent public » en ce qui concerne les fédérations, alors que des présidents de fédération ne savent pas comment boucler les fins de mois… Il y a de grosses fédérations comme le football, le tennis et le rugby, mais la plupart sont des petites fédérations.

Il y a eu une interrogation sur l’objectif de cette commission, une crainte qu’elle ne cherche peut-être à jeter l’opprobre sur le mouvement sportif. Je constate à la lumière des débats d’aujourd’hui et d’autres débats que j’ai pu voir que tel n’est pas le cas. Je m’en réjouis.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ce qui jette l’opprobre sur le mouvement sportif, ce sont plutôt toutes les affaires qui éclatent en son sein depuis maintenant plusieurs années. Il y a des cas de pédocriminalité, des faits de racisme et de discrimination, parfois de la corruption financière. Il y a quand même certaines instances qui ont été perquisitionnées cet été et qui sont en charge de l’organisation des jeux olympiques. Cela devrait d’ailleurs tous nous questionner.

L’objectif de cette commission est justement de pouvoir réaliser un état des lieux de ce qui se passe et de pouvoir proposer des pistes d’amélioration pour que cela ne se reproduise plus.

Les personnes que nous avons auditionnées ont beaucoup évoqué l’omerta et des phénomènes de vases clos dans un milieu où tout le monde se connaît. Est revenue plusieurs fois l’idée d’avoir une entité extérieure pour traiter et gérer les plaintes. Est-ce que vous avez un avis là-dessus ?

M. David Lappartient. Il est vrai qu’on crée sur tous les sujets tout un tas d’autorités indépendantes. Elles ont leur légitimité, elles ont leur efficacité, mais je ne voudrais pas que la création d’une autorité indépendante aboutisse à la déresponsabilisation des fédérations en tant que telles. Une telle réforme pourrait être un constat d’échec. Il est vrai que les comités d’éthique ne fonctionnent pas partout. Je suis favorable à un renforcement des comités d’éthique s’agissant de leurs moyens, des obligations, des personnes qui pourraient y être nommées. Je pense que cela permettrait d’atteindre l’objectif recherché sans forcément avoir une autorité indépendante.

De toutes les façons, on voit qu’on attend du sport qu’il soit à l’image des valeurs qu’il porte. Or on voit aujourd’hui qu’il n’est malheureusement pas préservé d’un certain nombre de dérives sociétales. C’est malheureux, nous en sommes tous malheureux parce que nous avons des millions de bénévoles, des millions de licenciés qui respectent les règles.

Pour faire nation, il y a quand même trois piliers : l’éducation qu’on a en famille, l’éducation nationale et le sport. Le sport est un outil d’éducation, c’est aussi un outil d’intégration dans un certain nombre de secteurs. Je pense qu’il faut aussi retenir ce sujet mais aussi balayer là où il le faut sans craindre de prendre un certain nombre de mesures, fussent-elles compliquées pour certains.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. On a tendance à parler du mouvement sportif mais de notre point de vue, c’est plutôt dans les fédérations qu’il y a des dysfonctionnements.

Des témoignages qui nous sont remontés sur des faits souvent très graves, il apparaît que beaucoup de personnes étaient informées et que parfois, le choix a été fait, sciemment ou non, de ne pas en parler qu’il s’agisse des témoins ou des victimes. Surtout, on a parfois demandé aux victimes de se taire pour ne pas salir l’image du club, de la fédération, de ce mouvement sportif. Je pense que c’est là qu’il y a un vrai souci et c’est la particularité de ce mouvement sportif.

La société est effectivement traversée par ces problématiques mais quand on a un argument d’autorité qui consiste à dire qu’il ne faut ni s’exprimer, ni porter plainte, ni en parler à l’extérieur parce que cela risque de nuire à l’image du club ou de la fédération, c’est là qu’il y a une particularité qu’il faut traiter à l’échelle des fédérations, peut-être du CNOSF, peut-être même d’ailleurs du ministère des sports.

Aujourd’hui, estimez-vous que le ministère est assez doté pour faire face à tout cela ? On a évoqué la cellule Signal-sports. Il y a quatre personnes dédiées à la cellule. Est-ce suffisant quand on voit qu’il y a quasiment 16 millions de licenciés et 3 millions de bénévoles en France déjà plus de 1 000 signalements sur cette plateforme ?

M. David Lappartient. La réponse est clairement non. Si on veut qu’il y ait une plateforme qui fonctionne, il faut y mettre les moyens. Il faut qu’il y ait plus de moyens sur cette cellule, sinon cela ne peut pas fonctionner. Nous avons dans chaque département des commissions de recueil des informations préoccupantes sur la protection des enfants. Elles donnent lieu à de nombreux signalements auxquels une suite est donnée avec des professionnels formés et nous y consacrons les moyens nécessaires. Ça marche ! Mais la plateforme Signal-sports ne dispose pas de moyens suffisants.

À mon avis, il faut clairement renforcer cette cellule et c’est pour cela que je milite pour qu’il n’y ait qu’une seule cellule, bien mieux connue et dotée de professionnels qui soient en mesure de faire ce qu’il faut.

Aujourd’hui, les langues se délient et on ne doit protéger personne. Ces comportements ont pu avoir lieu avant et je me demande d’ailleurs s’ils sont propres au sport ou s’ils existent dans le milieu de l’entreprise ou d’autres endroits. Je ne suis pas convaincu que nous soyons forcément différents – malheureusement – et que ce soit une spécificité du sport. En tout cas, cela ne doit plus fonctionner ainsi.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Comment faire pour que cela ne fonctionne plus ainsi ? Vous avez fait quelques propositions, notamment sur la question de la gouvernance qui est beaucoup revenue. Est-ce qu’il y a d’autres dispositifs ?

La cellule existe mais est-ce que vous ne pensez pas que les fédérations doivent avoir un rôle plus important à jouer pour éviter tout ce à quoi nous assistons aujourd’hui ?

M. David Lappartient. Bien sûr. Il faut faire connaître cette cellule et lui donner les moyens, qu’elle soit un fil rouge comme on a dans d’autres domaines où l’État a mis des moyens. Il faut beaucoup plus de moyens et il faut que nos comités de déontologie soient dotés du pouvoir disciplinaire, que ce soient de vrais comités qui puissent agir sur ces cas-là. Il faut voir aussi de quelle manière des dispositions transitoires de suspension à titre conservatoire peuvent intervenir lorsque des faits visiblement avérés sont révélés, sans pour autant porter atteinte à la présomption d’innocence. Cela permettrait de ne pas être dans des situations que vous avez décrites précédemment.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Le CNOSF a mis en place avant votre arrivée sous la présidence de Brigitte Henriques une commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport qui doit travailler à l’accompagnement des acteurs et du mouvement sportif. Qu’en pensez-vous ? N’avez-vous pas peur qu’elle fasse doublon avec la cellule Signal-sports ?

M. David Lappartient. Je me réjouis que cette commission ait été mise en place en 2021 avec deux co-présidents, Jean Zoungrana et Catherine Moyon de Baecque. Cette commission n’est pas un organe de signalement. Son objectif est de mettre en œuvre une politique transversale auprès de l’ensemble des fédérations et de recommander au conseil d’administration un certain nombre de mesures à mettre en place. Son travail est d’animer sur le contenu, de discuter de la meilleure manière de mettre en place les choses. Ce n’est pas auprès de la commission qu’on vient se signaler. Ce n’est pas un comité d’éthique, cette commission est plus de nature politique. Elle fait des propositions au conseil d’administration du CNOSF, des recommandations qui ensuite trouvent à être mises en place au niveau des fédérations.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Est-ce qu’il sera possible de recevoir le bilan d’activité ?

M. David Lappartient. Bien sûr. Nous vous enverrons les éléments.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Est-ce qu’il y a des sujets que nous n’avons pas abordés lors de cette audition ?

M. David Lappartient. Je pense que nous avons déjà abordé beaucoup de sujets. Je soulignerai encore une fois la détermination qui est la nôtre à faire avancer les choses. Si votre commission d’enquête peut faire des propositions concrètes qui visent à améliorer les choses – nous vous transmettrons les propositions que nous avons faites au comité national pour renforcer l’éthique et la vie démocratique dans le sport – qui pourraient alimenter un projet de loi, nous ne pourrons qu’en être satisfaits. L’objectif est partagé et vous pouvez compter sur la détermination du CNOSF à cet égard.

M. Stéphane Mazars (RE). Vous avez parlé de vos fonctions de président de l’UCI, dans le cadre desquelles vous avez été saisi de faits qui méritaient une réaction de l’UCI. Vous avez été obligé de solliciter des moyens d’investigation privés pour essayer de vous forger une conviction par rapport à une décision à prendre. Est-ce bien cela ?

Quand on le met en parallèle avec ce que vous avez dit sur des fédérations qui ont peu de moyens d’investigation pour prendre des décisions d’ordre disciplinaire, on voit bien ce qui fait défaut et ce qui peut être mis en place mais qui n’est pas toujours satisfaisant si on s’en remet « à des moyens d’investigation privés ».

M. David Lappartient. Les faits concernaient un pays étranger à la France. Le président de la commission d’éthique était d’ailleurs un conseiller d’État français qui avait été nommé avant mon élection, Monsieur Bernard Foucher.

Nous avons tiré beaucoup d’enseignements de ce cas. Nous avions une commission d’éthique et une commission disciplinaire, ce qui fait que cela a duré quatre ans et que la victime a été obligée d’expliquer deux fois son parcours. Nous avons fusionné les deux commissions et je pense que c’était utile. Le président de la commission d’éthique a également signalé qu’il manquait de moyens d’investigation. Nous avons pu lui apporter des moyens supplémentaires mais cela coûte relativement cher.

Pour autant, ce que l’UCI est capable de faire sur quelques cas particuliers ne pourrait être généralisé à une échelle mondiale. De plus, beaucoup de fédérations en France sont dans l’incapacité de mener de telles investigations et donc s’en remettent au temps judiciaire qui ne va pas aussi vite que les décisions disciplinaires attendues sur des faits de cette nature, qui souvent sont dans les médias avant qu’une décision n’intervienne.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Concernant l’affaire d’Angélique Cauchy, la Fédération française de tennis l’avait accompagnée dans sa plainte. On sait que cela représente un coût pour les victimes.

Il a été préconisé que les fédérations puissent systématiquement se mettre aux côtés des victimes. Y êtes-vous favorable ?

M. David Lappartient. Cela dépend de ce que l’on entend par « se mettre aux côtés des victimes ».

Je pense qu’il faut qu’il y ait dans les fédérations, au-delà des plateformes de signalement, des capacités d’accompagnement. Souvent, les victimes ne savent pas à qui s’adresser, ne serait-ce que pour porter plainte. Il y a clairement des besoins d’accompagnement. Est-ce qu’il faut y répondre au niveau de la fédération ou de manière mutualisée au niveau du CNOSF ? Cela peut être clairement discuté.

Quant à l’accompagnement financier, il sera possible pour les fédérations qui ont le plus de moyens mais les toutes petites fédérations en seront incapables. Par ailleurs, il faut parvenir à articuler l’accompagnement des victimes et la nécessaire neutralité dans l’exercice de la sanction disciplinaire.

Quoi qu’il en soit, l’accompagnement des victimes est nécessaire

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La neutralité a été évoquée. Certaines victimes ont parfois le sentiment qu’il est difficile de pouvoir compter sur une gestion par la fédération au regard du fait que tout le monde se connaît. Cela doit nous interroger.

Nous devons aussi nous questionner sur le fait qu’en 2023, nous soyons encore dans des situations où les victimes n’ont pas les informations nécessaires pour pouvoir engager des démarches et porter plainte. Il y a vraisemblablement une faille sur laquelle nous devons avancer assez rapidement pour que l’information arrive vraiment aux destinataires. On voit finalement le chemin qu’il reste à parcourir puisque vous l’avez évoqué tout à l’heure.

Avant de terminer, je signale que nous avons reçu plusieurs documents que vous nous avez transmis et notamment des comptes rendus. Il en manque quelques-uns, ceux qui concernent des réunions du conseil d’administration qui se sont tenues juste avant l’été. Vous avez évoqué la possibilité de nous les envoyer le 6 décembre, il faudrait que nous puissions les obtenir plus tôt.

M. David Lappartient. Nous vous les enverrons, à la précision près qu’ils n’ont pas encore été formellement approuvés.

Je pense quand même qu’il n’y aura pas de marche arrière sur la libération de la parole, et c’est tant mieux. Je viens d’un sport, le cyclisme, qui dans le domaine du dopage a été souvent sur le devant de la scène. Il y avait quand même une certaine omerta, il faut dire les choses telles qu’elles sont.

Nous sommes passés par la crise, notamment avec l’affaire Festina en 1998 et d’autres. La prise de conscience de la fédération internationale a abouti à ce que les choses ne soient plus exactement comme avant. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura plus jamais de dopage dans le sport et dans le cyclisme mais nous avons pris des mesures et la parole s’est libérée.

Je pense que dans ce domaine des violences faites aux femmes et du harcèlement de manière beaucoup plus générale, la parole se libère. Elle doit se libérer encore plus et il nous appartient d’en assurer la fluidité pour que les omertas éventuelles qui pourraient exister dans des fédérations puissent enfin disparaître.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Merci à vous.

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24.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Marie-Amélie Le Fur, présidente du Comité paralympique et sportif français et M. Elie Patrigeon, directeur général (5 octobre 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous accueillons à présent Mme Marie‑Amélie Le Fur, présidente du Comité paralympique et sportif français et M. Elie Patrigeon, directeur général de ce même comité. Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions. Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet dernier. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations. Nos travaux se déclinent donc autour de trois axes : l’identification des violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, l’identification des discriminations sexuelles et raciales dans le sport, et l’identification des problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

Le Comité paralympique et sportif français (CPSF) est l’instance du monde sportif qui représente, anime et coordonne l’ensemble des acteurs qui composent, en loisirs comme en compétition, une offre sportive à destination des personnes en situation de handicap. À ce jour, il compte quarante-cinq fédérations membres. Le CPSF est également chargé de la constitution et de la direction de l’équipe de France aux Jeux paralympiques.

Nous aimerions vous entendre sur l’action du CPSF dans le champ qui intéresse notre commission et sur les dysfonctionnements dont vous avez pu avoir connaissance. Nous souhaiterions aussi recueillir votre appréciation sur les dispositifs existants, l’action des différents acteurs et les évolutions récentes destinées à mieux répondre aux violences sexuelles et sexistes, aux discriminations et plus généralement, à renforcer l’éthique sportive. Nous aimerions plus généralement connaître votre appréciation sur les évolutions qui vous paraîtraient souhaitables. Existe-t-il des caractéristiques inhérentes au parasport dont nous devrions avoir connaissance sur les sujets qui nous intéressent, afin de mieux les prendre en compte ?

Paris 2024 approche et ces Jeux olympiques et paralympiques se veulent inclusifs, accessibles avec des conditions d’accès améliorées au parasport. Je rappelle que la France ne compte que 1,4 % de clubs proposant une offre sportive à destination des personnes en situation de handicap, et qu’il faut en moyenne à ces personnes, effectuer cinquante kilomètres pour trouver une structure accessible.

Votre audition sera aussi l’occasion de faire le point sur les moyens mis en œuvre et l’action conduite par le CPSF en lien avec les autres acteurs pour que les Jeux olympiques et plus particulièrement paralympiques contribuent à une plus grande visibilité et une plus grande accessibilité des personnes handicapées aux activités physiques et sportives en France.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Avant de vous laisser la parole et d’entamer nos échanges pendant environ une heure, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

Les personnes auditionnées prêtent serment.

Vous avez la parole pour environ cinq minutes afin de laisser le temps aux questions.

Mme Marie-Amélie Le Fur, présidente du Comité paralympique et sportif français. Merci de nous recevoir et de donner la parole au mouvement paralympique dans le cadre de cette enquête parlementaire. Je ne reviendrai pas sur les missions du CPSF, qui ont été décrites par la présidente. Je préciserai simplement que nous nous inscrivons dans un écosystème en grande évolution. Il y a quelques années, nous ne comptions qu’une dizaine de membres et ils sont aujourd’hui au nombre de quarante-cinq. Nous les animons donc en complémentarité avec le CNOSF (comité national olympique et sportif français) en prenant en compte la spécificité de l’accueil des personnes en situation de handicap.

Pour en revenir au sujet de l’enquête, nous considérons tout d’abord que le mouvement sportif se doit de lutter contre la discrimination envers les personnes en situation de handicap. Le sport est pour elles une pratique marginale et difficile, et le but premier du CNSF est de faire en sorte que les dispositifs de droit commun soient accessibles et mieux adaptés aux besoins des personnes en situation de handicap, et que les dispositifs spécifiques permettent d’accéder à une diversité de pratiques pour toutes les formes de handicap. Pour autant, depuis quelques années, nous élargissons nos actions à d’autres thématiques, et en premier lieu la féminisation des pratiques parasportives. Nous conduisons des actions particulières envers les femmes, dont la pratique parasportive est encore plus marginale que celle des hommes. J’en veux pour exemple la composition de l’équipe de France lors des derniers Jeux paralympiques d’été : les femmes ne représentaient que 25 % de notre délégation.

En termes de gouvernance, nous avons par ailleurs mis en application les nouvelles dispositions législatives en matière de diversité et de mixité au sein de notre organe exécutif, le conseil d’administration : sa composition est désormais paritaire et reflète la diversité des champs de handicap et des typologies de personnes.

Nous avons pleinement pris nos responsabilités en matière de violences sexuelles, dont le mouvement paralympique n’est malheureusement pas exempt. Nous avons centré notre action sur la libération de la parole des personnes en situation de handicap avec des ressources dédiées. Une personne est dédiée à ce champ de compétences au sein du CPSF. Sa mission consiste à rechercher, analyser et caractériser ces situations. Nous avons par ailleurs déployé un outil, le Réglo’Sport, qui vise à faciliter l’expression des personnes en situation de handicap. Certains comportements acceptés de tout le monde il y a dix ans ne sont plus acceptables désormais. Nous essayons d’accompagner l’ensemble des acteurs du mouvement parasportif dans cette direction : les entraîneurs, les éducateurs, les bénévoles et les sportifs. Notre but est d’améliorer la compréhension de ces comportements inacceptables.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Merci pour cette introduction. Vous êtes l’une des rares femmes à la tête d’un mouvement sportif. Vous étiez athlète de haut niveau – j’ignore si vous l’êtes encore – au moment de votre prise de fonctions. Quelle organisation particulière votre mission de présidente a-t-elle exigé, éventuellement en parallèle de votre carrière d’athlète ? Avez-vous dû surmonter des obstacles particuliers et si oui pouvez-vous nous les décrire ?

Mme Marie-Amélie Le Fur, présidente du Comité paralympique et sportif français. J’ai fait le choix de m’engager en tant que présidente du CPSF tout en poursuivant ma carrière sportive. Ma prédécesseuse m’avait suggéré de prendre sa succession. La Fédération française de handisport est également présidée par une femme. J’ai dû gérer deux obstacles principaux. Le premier était d’organiser mes temps de vie afin de concilier mon activité bénévole dans le mouvement et ma préparation aux compétitions – ce que j’ai pleinement assumé. Le second sur lequel nous devons collectivement agir était une forme d’autocensure que je me suis imposée. Lorsqu’on m’a proposé de présenter ma candidature à ce poste, j’ai eu tendance à ne pas me sentir à la hauteur en connaissance du système. J’ai eu la chance d’être soutenue par des personnalités du mouvement paralympique et du CPSF. Les instances devraient, je pense, s’efforcer de jouer davantage ce rôle d’accompagnement. Notre objectif est de faire naître un engagement durable de nos sportives de haut niveau au sein des instances. Nous pourrions mener des programmes dédiés. La création des commissions des athlètes en cours au sein des fédérations me semble aller dans ce sens. Le CPSF s’est lui aussi doté d’une commission des athlètes. Tout cela permet d’engager cette mutation et de tendre vers une meilleure représentation des femmes et de l’expression des usagers en situation de handicap.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Qu’en est-il du nombre et de la nature des signalements dont le CPSF a eu connaissance ces dernières années en matière de violences sexistes et sexuelles, de discrimination, etc. ? Quelles suites ont été données à ces signalements ? Quelles procédures appliquez-vous ?

M. Elie Patrigeon, directeur général du Comité paralympique et sportif français. J’aimerais tout d’abord souligner que nous avons très tôt pris nos responsabilités, par sensibilité, par connaissance des phénomènes. Nous ne sommes pas des opérateurs sportifs au quotidien, mais une tête de réseau. Nous sommes des opérateurs sportifs seulement lorsque nous conduisons les équipes de France aux Jeux paralympiques, une fois tous les deux ans. Nos capacités de leadership et d’action sont donc variables dans le temps.

Nous avons constaté que notre milieu était fortement touché par les violences à caractère sexuel et sexiste. Toutes les études épidémiologiques montrent en effet que les personnes en situation de handicap sont plus souvent victimes que le reste de la population, et ce quel que soit le degré de gravité de l’acte. Les femmes en situation de handicap sont encore plus vulnérables et a fortiori celles en situation de handicap mental. Connaissant la littérature disponible depuis une vingtaine d’années, nous avions conscience que nous avions besoin de nous positionner très tôt sur ce sujet au sein du CPSF. Dès 2019, nous avons souhaité mettre en place une stratégie – à l’époque parcellaire – qui a débouché sur la création d’une ligne d’écoute dédiée pendant les Jeux de Tokyo, afin de pouvoir accompagner les victimes et surtout de libérer leur parole. Il faut en effet souligner que les signalements dans le champ du parasport sont ultra-minoritaires, voire pratiquement marginaux : sur l’ensemble des cas signalés dans le cadre de Signal-sports, moins d’une dizaine concernait le parasport dont quatre ont été signalés par le CPSF. Pour de nombreuses raisons, la libération de la parole est difficile, mais sur les cas dont nous avons été saisis, nous nous sommes pleinement investis. Nous avons contribué à la formalisation de ces témoignages, le plus souvent par écrit et le cas échéant avec dépôt de plainte. Tous ces cas étaient difficiles. Quelle que soit la situation, vous vous heurtez toujours à des difficultés ou à une forme de résistance. Nous souhaiterions agir davantage mais il nous faut poursuivre notre travail de libération de la parole. Nous avons créé des outils spécifiques, dont le Réglo’Sport, à cet effet.

Les personnes en situation de handicap ont souvent besoin d’aide pour le transfert de leur fauteuil de vie à leur fauteuil de sport. Le contact physique que cela implique doit faire l’objet d’un consentement permanent, ce que nous essayons de rappeler au quotidien afin de combattre certaines « habitudes » qui n’étaient pas conformes à la liberté des individus.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Cette situation est assez contre-intuitive : les personnes en situation de handicap sont les plus exposées aux violences sexistes et sexuelles mais les signalements et les plaintes de leur part sont très rares. Sentez-vous que vos actions ont permis de davantage libérer la parole des victimes ? Des actions complémentaires vous paraissent-elles nécessaires ? L’un des objectifs de cette commission est d’élaborer des propositions concrètes qui puissent être mises en œuvre pour faciliter l’expression de la parole des victimes mais aussi et surtout pour prévenir de tels actes. Il semble que les efforts soient davantage portés sur l’aide aux victimes que sur la prévention. Des actions ont malgré tout été mises en place comme par exemple le contrôle d’honorabilité.

M. Elie Patrigeon, directeur général du Comité paralympique et sportif français. Un changement complet de paradigme doit être opéré. Cela prend nécessairement du temps. Vu le faible nombre de cas signalés, nous pensons qu’il existe un problème de libération de la parole et que ce sujet concerne l’environnement du pratiquant. Ce dernier doit trouver autour de lui des personnes qui soient a minima sensibilisées ou des outils pour régler une situation présente ou vécue dans le passé. Le déploiement de Réglo’Sport, soutenu par le ministère des Sports, dans l’ensemble des clubs fédérés du pays vise à permettre aux pratiquants concernés de prendre conscience d’une part que leur expérience personnelle porte atteinte à leur intégrité et d’autre part qu’ils peuvent se faire accompagner. Faire connaître les outils existants est donc fondamental et force est de constater que cette connaissance est insuffisante, aussi bien chez les pratiquants que chez leurs encadrants. De nombreux dispositifs ont été lancés ces dernières années et il faut les faire connaître le plus possible. Signal’Sport est bien maîtrisé à notre niveau désormais mais doit encore infuser dans l’ensemble des structures concernées. Tout cela requiert un énorme effort d’acculturation du milieu parasportif.

Il y a aussi un enjeu majeur de formation des acteurs. Certaines pratiques qui étaient acceptées – non pas qu’elles fussent acceptables – il y a une quinzaine d’années sont totalement prohibées aujourd’hui. Les acteurs doivent être formés de manière à pouvoir offrir un environnement bienveillant aux pratiquants.

Sans aller jusqu’à parler de présomption de culpabilité, la victime doit aussi avoir l’absolue certitude qu’elle sera toujours soutenue pour franchir les obstacles qui ne manqueront pas de se dresser devant elle. Certaines personnes accusées produiront des attestations pour nier les faits, des contre-témoignages d’autres femmes entraînées par le même homme, etc. Nous ne sommes pas des juges mais des accompagnateurs et nous voulons que la présumée victime ait la certitude qu’elle sera accompagnée jusqu’au bout. Malgré les déclarations de principe et les communications auprès des délégations, cela n’est pas suffisamment ancré dans l’état d’esprit des pratiquants.

Tous ces changements seront donc longs. Nous sommes malgré tout assez optimistes car nous avons observé une certaine mobilisation de la part des acteurs et notamment au cours des deux ou trois dernières années.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pourriez-vous nous présenter le dispositif Réglo’Sport ?

Mme Marie-Amélie Le Fur, présidente du Comité paralympique et sportif français. Le principe est très simple. Les personnes atteintes par un handicap, et qui ont besoin d’un accompagnement d’ordre médical, ont besoin de comprendre que certains gestes ne sont pas acceptables. Cet outil a été développé par le CPSF en collaboration avec Marie Rabatel, qui a joué un rôle primordial. Le Réglo’Sport se présente sous la forme d’une réglette, qui indique, pour une quinzaine de situations différentes, quels gestes sont considérés comme acceptables, lesquels sont susceptibles de donner lieu à une alerte et lesquels imposent le déclenchement d’un signalement. Ce système permet donc à la personne en situation de handicap de caractériser une situation dans laquelle elle n’est pas censée se trouver, sachant que la personne n’a pas forcément la capacité de le comprendre par elle-même. Le Réglo’Sport est donc un outil d’aide à la décision. D’ailleurs, s’il a été conçu à destination des personnes en situation de handicap, il a intéressé le CNOSF car il peut aussi être utile pour d’autres publics. Il peut notamment aider des enfants à comprendre quels gestes sont anormaux. Il peut les aider à confirmer leurs doutes quant à une situation donnée.

Dans le cadre des Jeux de Tokyo, nous avons souhaité que tous les cadres et les athlètes de notre délégation suivent une formation d’une heure sur les violences sexuelles.

Nous allons lancer des actes de recherche afin de comprendre en quoi ces violences peuvent constituer un frein à la pratique parasportive féminine.

La question des violences pourrait être traitée à l’instar du dopage, avec la constitution d’une entité indépendante qui serait chargée d’accompagner le mouvement sportif sans le déresponsabiliser pour autant. La création de l’Agence française de lutte contre le dopage n’a pas déresponsabilisé les fédérations auprès de leurs athlètes et leurs encadrants.

Notre écosystème prend la mesure de la difficulté mais se heurte aussi à des obstacles, et ce dispositif d’accompagnement, de conseil et d’appui voire de contrôle pourrait vraiment être un levier utile à notre mouvement.

M. Elie Patrigeon, directeur général du Comité paralympique et sportif français. Parfois, les enquêtes administratives ou pénales déclenchées par des signalements n’aboutissent pas voire disculpent la personne mise en cause. Nous ne sommes pas des juges et nous avons besoin d’un accompagnement à notre niveau. Nous avons besoin de ressources juridiques et de conseil pour pouvoir prendre les décisions idoines. Les dirigeants des structures ne sont pas nécessairement au fait de ces sujets et ils sont soumis à des contraintes très fortes à tout niveau. Ils doivent avoir un moyen de trouver les réponses aux nombreuses questions qui se posent lorsqu’un témoignage leur est soumis.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. De nombreuses autres personnes auditionnées par notre commission ont appelé à la création d’une entité extérieure. Le CNOSF, que nous avons auditionné ce matin, était pour sa part défavorable à une telle mesure. Vu de l’extérieur, votre milieu s’apparente à un empilement de structures (clubs, fédérations, CNOSF, ministère des Sports, ANS etc.) et il n’est pas toujours simple de distinguer le champ de responsabilités de chacune.

Votre propos sur le besoin de formation des dirigeants est intéressant. Vous avez évoqué la situation de dirigeants qui sont en difficulté pour gérer ces affaires mais nous avons également entendu parler de dirigeants qui ont tendance à vouloir les éteindre, notamment au moment des Jeux olympiques. Pourriez-vous nous en dire plus ? Avez-vous déjà eu affaire à ce genre de cas et cela peut-il encore se produire aujourd’hui ?

Mme Marie-Amélie Le Fur, présidente du Comité paralympique et sportif français. On ne va pas se cacher qu’une forme d’omerta peut exister. Il faut se dire clairement les choses. Cependant, à notre niveau, tous les faits dont nous avons été saisis ont donné lieu à un signalement, ou tout du moins lorsque la situation était suffisamment caractérisée pour que nous puissions donner suite. Lorsque ce n’était pas le cas, nous avons cherché à accompagner la victime auprès de sa fédération pour que sa situation se débloque. Une entité indépendante devrait être dans une posture d’accompagnement mais aussi de contrôle quand les choses ne bougent pas suffisamment.

Nous avons procédé à nos premières sélections paralympiques. Nous appliquons systématiquement une clause de réserve à l’ensemble des sélections : si un athlète que nous avons sélectionné enfreint notre charte éthique et paralympique, il est susceptible de voir sa sélection annulée. Cela peut se produire en cas de dopage mais aussi à la suite de comportements répréhensibles. L’intégrité de chaque individu du mouvement paralympique passera toujours à nos yeux avant la performance sportive.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous sommes relativement surpris car vous avez relevé quatre signalements alors que le CNOSF déclarait pour sa part ce matin qu’il n’en avait relevé aucun. Avez-vous une explication ?

M. Elie Patrigeon, directeur général du Comité paralympique et sportif français. Je ne saurais répondre complètement à votre question sauf à vous dire que nos modes de fonctionnement sont différents. Le milieu parasportif est de plus petite taille, tant et si bien que nos rapports avec les fédérations sont plus étroits. Le CNOSF dialogue aussi bien entendu avec ses fédérations mais ces dernières jouissent d’une très forte autonomie en son sein. Une seule de nos fédérations, la Fédération française handisport, regroupe 75 % des athlètes paralympiques.

Par ailleurs, le CPSF est très lié à la place du handicap dans notre société. Nous sommes donc naturellement sensibilisés à toutes les dynamiques telles que celles découlant de la loi de 2005. Nous sommes donc attentifs aux sujets liés à la sexualité des personnes en situation de handicap et des violences institutionnelles, physiques et psychiques qu’elles sont susceptibles de vivre dans l’espace public. Il s’agit là aussi d’une différence culturelle par rapport au CNOSF.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Un joueur de tennis handisport relève-t-il de la Fédération française handisport ou de la FFT ?

Mme Marie-Amélie Le Fur, présidente du Comité paralympique et sportif français. Tout dépend s’il participe à des compétitions mais globalement, la FFT a obtenu délégation en 2017 pour gérer le paratennis.

M. Elie Patrigeon, directeur général du Comité paralympique et sportif français. Nous sommes en situation de signaler seulement en bout de chaîne, sauf si la situation survient pendant les Jeux paralympiques. Le signalement est donc en premier lieu du ressort de l’entourage du pratiquant. Si la responsabilité pesait seulement sur la direction des comités et des fédérations, nous risquerions de manquer de nombreux cas.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons évoqué ce matin la question de la relation entre les comités (CPSF ou CNOSF) et leurs fédérations. Qu’advient-il lorsque ces dernières ne signalent pas une situation ? Reprenez-vous alors la main ? Si un cas est signalé mais qu’aucune enquête administrative n’est engagée, avez-vous le pouvoir d’en déclencher une ou cette décision est-elle du seul ressort de la fédération ? Je rappelle qu’un signalement auprès de Signal-sports peut donner lieu à deux types d’enquêtes différents (enquêtes administratives ou judiciaires) mais encore faut-il que la fédération décide de l’enquête administrative.

M. Elie Patrigeon, directeur général du Comité paralympique et sportif français. Nous n’avons pas de pouvoir d’enquête et nous n’en voulons pas car nous ne sommes pas des juges et n’avons pas les compétences requises. Par ailleurs, notre rôle est d’accompagner la victime potentielle, y compris d’ailleurs si les autorités administratives ou judiciaires ne la reconnaissent pas comme telle. C’est la meilleure façon de libérer la parole que d’assurer à la victime que nous serons à ses côtés. Nous intervenons in fine si aucun signalement n’est effectué à un niveau inférieur. Signal-sports déclenche alors une enquête administrative ou pénale. Si les faits sont suffisamment graves et caractérisés ou revêtent un caractère d’urgence, rien ne nous empêche de saisir le parquet directement. Nous ne l’avons encore jamais fait mais la question s’est posée une fois et la situation pourrait se reproduire et nous ne nous empêcherions pas de le faire.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Tout à l’heure, vous disiez que les femmes étaient peu nombreuses dans le parasport ou dans les délégations paralympiques…

Mme Marie-Amélie Le Fur, présidente du Comité paralympique et sportif français. Les deux.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Quels besoins les pratiquantes ont-elles exprimé sur les sujets qui nous intéressent et sur lesquels nous pourrions agir ?

Mme Marie-Amélie Le Fur, présidente du Comité paralympique et sportif français. Cette question est très intéressante mais complexe. Une femme en situation de handicap se heurte à trois types d’obstacles lorsqu’elle souhaite pratiquer un sport. La première catégorie correspond à la place des femmes dans le monde du sport de manière générale. Nous essayons de lever ces obstacles à travers la question du rôle modèle, le développement de pratiques plus adaptées aux besoins des femmes – qui sont singulièrement différents de ceux des hommes, ce que le mouvement sportif doit comprendre et intégrer. Dans le même ordre d’idée, les femmes sont sous-représentées parmi les encadrants et les éducateurs. C’est aussi un frein à la pratique féminine.

La deuxième catégorie d’obstacles est liée à la situation de handicap. Nous en avons largement parlé. Les freins à la pratique du sport sont nombreux pour les personnes en situation de handicap, et variables selon la nature du handicap : manque de formation au sein des clubs, accessibilité du matériel, autocensure, etc.

Une troisième catégorie concerne spécifiquement les femmes en situation de handicap. Les sports d’hiver sont typiquement très peu répandus chez les personnes en situation de handicap dans la mesure où les infrastructures sont inadaptées.

Pour mieux agir, nous nous efforçons de mieux comprendre la situation. Or il existe très peu de données sur le parasport en France. Nous nous sommes alors tournés vers la littérature scientifique afin d’élaborer des plans d’action appropriés. Des objectifs ambitieux nous ont d’ailleurs été fixés en concertation avec le ministère des Sports en ce qui concerne les délégations des prochains Jeux paralympiques.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pensez-vous que les travaux sur l’inclusivité des Jeux olympiques et paralympiques en cours au sein du CNOSF sont suffisants et quelles seraient les améliorations possibles selon vous ?

Mme Marie-Amélie Le Fur, présidente du Comité paralympique et sportif français. Pourriez-vous préciser la nature des travaux auxquels vous faites référence ?

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Il s’agit des démarches pour l’accompagnement du handisport et l’accessibilité des structures.

Mme Marie-Amélie Le Fur, présidente du Comité paralympique et sportif français. Nous poursuivons trois objectifs dans le cadre des Jeux olympiques et paralympiques. Tout d’abord, nous souhaitons que l’équipe de France ait les meilleurs résultats possibles. Nous accueillons les Jeux olympiques en France et il est primordial que notre équipe nationale paralympique montre un visage conquérant et remonte au classement des nations. Nous avions besoin, pour atteindre cet objectif, d’un effort d’investissement dans la préparation paralympique, qui a fait figure de « parent pauvre » du haut niveau pendant de nombreuses années. Les fédérations sont aujourd’hui bien mieux dotées pour accompagner leurs sportifs de haut niveau. Le monde économique a pris la mesure de la situation et fait en sorte de mieux accompagner et sécuriser la préparation des athlètes. Enfin, des recherches scientifiques portent sur l’amélioration des performances des sportifs de haut niveau. Je ne prétendrai pas que la situation soit idéale aujourd’hui mais elle a considérablement évolué grâce aux Jeux. Pour nous, une équipe de France paralympique qui rayonne à l’occasion des Jeux est une équipe qui devient visible et contribue à faire évoluer la perception du handicap dans notre société. Les Jeux paralympiques sont un très beau levier pour éduquer toute une société et une génération en lui ancrant des souvenirs très positifs, ce qui contribuera à faciliter l’inclusion des personnes en situation de handicap dans la société.

Notre deuxième levier vise à renforcer la pratique sportive des personnes en situation de handicap afin qu’elle ne soit plus marginale. Nous accompagnons et responsabilisons les fédérations à travers des programmes à leur niveau comme au nôtre (dans le cadre des Jeux paralympiques). Nous avons pour objectif de former trois mille nouveaux clubs à l’accueil des personnes en situation de handicap d’ici la fin de la saison 2024-2025. Nous cherchons aussi à faciliter la mise en relation des clubs et des établissements et services médico-sociaux. Divers autres outils visent à accompagner aussi bien les pratiquants dans le choix de sa pratique sportive que les collectivités qui restent les premières financeuses du sport en France. Les collectivités ont la volonté d’agir mais elles ont besoin d’être conseillées et accompagnées, ce que nous essayons de faire grâce aux ressources du Comité paralympique, au niveau national comme à travers notre réseau de référents territoriaux.

Enfin, le troisième levier est à mes yeux le moins abouti : nous souhaitons que les Jeux contribuent à faire changer durablement la place des personnes en situation de handicap dans la société. Je pense tout particulièrement à l’accessibilité. Les Jeux ont permis à énormément de Français de réaliser que les conditions d’accessibilité représentaient une restriction à la liberté des personnes en situation de handicap. Force est de constater que les opérateurs de l’accessibilité sont en mouvement, mais pas suffisamment. Il s’agit donc d’accélérer la démarche et ne pas la laisser s’essouffler après les Jeux. Nous avons laissé passer six ans et même si nous avons constaté une accélération au cours des derniers mois, nous avons un agenda de long terme ambitieux. L’objectif est d’aménager l’espace public (les transports en commun notamment) de telle sorte que les personnes en situation de handicap retrouvent de l’autonomie. Les Jeux paralympiques peuvent nous permettre, comme cela a été le cas pour d’autres pays hôtes, de changer durablement le quotidien des personnes en situation de handicap.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La question de l’accessibilité est ressortie comme un fort enjeu pour les Jeux de 2024. Nous avons des informations assez divergentes à ce sujet. L’accessibilité est-elle garantie pour nos athlètes et pour le public ?

Mme Marie-Amélie Le Fur, présidente du Comité paralympique et sportif français. Merci de me donner l’occasion de clarifier mon propos. Nous étions inquiets il y a quelques mois à propos de l’accessibilité des sites olympiques pour les personnes en situation de handicap, et notamment pendant les Jeux olympiques puisque c’est là que l’affluence devrait être la plus importante. Cette inquiétude s’est quelque peu dissipée ces derniers mois dans la mesure où de nombreux dispositifs ont été imaginés pour permettre l’accessibilité aux personnes en situation de handicap pendant la durée des Jeux : billetteries dédiées, navettes, parkings, etc. Cependant, ce sont des dispositifs éphémères, et nous ne sommes donc pas complètement satisfaits. Nous regrettons que des décisions avec des effets plus pérennes et notables n’aient pas été prises. Nous nous efforçons malgré tout de garder un regard positif, et nous considérons que même si nous avons perdu quelques années, nous avons encore de nombreuses années devant nous pour obtenir des améliorations durables. Cela nécessitera une prise de conscience collective et des engagements forts. Des victoires rapides sont possibles, à condition de mobiliser les opérateurs avant les Jeux de 2024. Nous n’obtiendrons donc pas l’accessibilité du réseau de métro historique d’ici 2024 mais une quinzaine d’actions coup de poing sont possibles, ce qui permettrait d’assurer une certaine fluidité avant les Jeux. Des engagements à dix ou quinze ans pourraient ensuite être pris afin d’améliorer durablement la situation.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pensez-vous que les engagements sur l’accessibilité seront tenus une fois les Jeux passés ?

Mme Marie-Amélie Le Fur, présidente du Comité paralympique et sportif français. J’attendrai de voir ce qu’il en est. Je n’ai pas d’indicateurs chiffrés. Il y a déjà un héritage qui est certain, c’est la place prise par le mouvement paralympique au sein de l’écosystème sportif français. Nous participons à sa gouvernance, ce qui n’était pas nécessairement le cas il y a quelques années. Nous sommes membres fondateurs de l’Agence nationale du sport. Nous pouvons nous exprimer au sein des conférences régionales du sport. La place du mouvement paralympique n’a jamais été aussi forte, ce qui démontre que notre singularité a vocation à être de mieux en mieux prise en compte. Nous avons réussi à mobiliser des acteurs dans le cadre d’actions ou de projets parce qu’ils ont compris le sens de leur action. L’idée n’est pas de forcer un acteur à s’engager contre sa volonté mais de lui montrer les implications positives pour le droit commun et pour le vivre ensemble. Nous avons mobilisé des acteurs du monde sportif, des collectivités, de l’Éducation nationale, de la santé, etc. Dès lors qu’ils auront été embarqués avec nous sur des projets concrets, je pense que notre relation perdurera car nos relations ne seront plus basées sur des hommes mais sur des enjeux concrets et partagés. Je suis donc optimiste mais il faudra aller encore plus loin si nous voulons obtenir une amélioration durable.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pensez-vous qu’une révolution idéologique soit encore nécessaire ?

Mme Marie-Amélie Le Fur, présidente du Comité paralympique et sportif français. Oui, de nombreuses mentalités doivent encore évoluer.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Auriez-vous quelques exemples ?

Mme Marie-Amélie Le Fur, présidente du Comité paralympique et sportif français. La formation des clubs. Notre programme de formation Club Inclusif implique trois mille nouveaux clubs mais notre pays en compte environ cent quatre-vingts mille ! Nous devons donc envisager un changement d’échelle. Il faudra également faire en sorte de lever les freins individuels à la pratique parasportive en termes de compensation ou de remboursement du parcours de vie de la personne en situation de handicap. De nombreuses actions sont également possibles pour améliorer la situation du sport à l’école pour les personnes en situation de handicap. En six ans, de nombreuses améliorations ont été constatées. Je salue d’ailleurs la feuille de route ambitieuse établie par la ministre des Sports. Cela va dans le bon sens mais ces actions devront perdurer au-delà de 2025 car d’ici-là, nous n’aurons pas levé tous les freins sur l’ensemble du territoire et pour tous les types de handicap.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il nous a été rapporté que les psychologues accompagnant les précédentes délégations olympiques étaient peu nombreux. Qu’en est-il pour les délégations paralympiques ? Quels seraient les leviers d’amélioration ?

Mme Marie-Amélie Le Fur, présidente du Comité paralympique et sportif français. Au sein même du CPSF, nous avons besoin de recruter dans cette spécialité médicale. L’inclusion de psychologues au sein de la délégation paralympique est toujours discutée. Cela étant, nous avons mis en place un partenariat avec l’association Colosse aux pieds d’argile qui a permis de créer une cellule d’écoute psychologique pour la période des Jeux. Cela permettait à une personne confrontée à une situation déstabilisante de trouver une écoute et un accompagnement. Ce n’est pas une prise en charge d’ordre médical mais un recueil de la parole effectif sur la durée des jeux.

M. Elie Patrigeon, directeur général du Comité paralympique et sportif français. Nous disposons de moins d’accréditations pour la délégation paralympique que la délégation olympique, et nous devons donc procéder à des choix encore plus drastiques en termes d’accompagnement. Nous n’avons droit qu’à un accompagnant pour trois athlètes contre un pour deux pour les Jeux olympiques. L’explication tient sommairement à des rapports de force financiers au niveau international. Nous nous retrouvons donc avec des contraintes accrues alors que les besoins d’accompagnement des athlètes sont plus importants.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. N’hésitez pas à nous transmettre tout document que vous jugerez utile à la suite de votre audition. Merci de vous être déplacés.

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25.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Brigitte Henriques, ancienne présidente du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) (5 octobre 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous accueillons à présent Mme Brigitte Henriques, ancienne présidente du Comité national olympique et sportif français (CNOSF). Je vous remercie de votre disponibilité.

Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet dernier. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations. Nos travaux se déclinent donc autour de trois axes : l’identification des violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, l’identification des discriminations sexuelles et raciales dans le sport, et l’identification des problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

Après avoir été joueuse professionnelle de football puis professeure agrégée d’EPS, vous avez été secrétaire générale puis vice-présidente de la Fédération française de football où vous avez notamment travaillé sur la féminisation de la discipline. En juin 2021, vous avez été élue présidente du CNOSF après en avoir assuré la vice-présidence. Vous avez démissionné de vos fonctions le 25 mai 2023 à l’issue d’une grave crise interne et de fortes tensions avec votre prédécesseur, Denis Masseglia, que nous avons d’ailleurs entendu la semaine dernière. Votre audition sera l’occasion de revenir sur votre action à la tête du CNOSF mais aussi sur les dysfonctionnements qui ont agité la plus haute instance du sport français pendant un an, en donnant à la commission d’enquête votre version des faits.

Dans un courrier qu’il m’a adressé, M. David Lappartient insiste sur les dispositions essentielles apportées par la loi du 2 mars 2022, notamment en matière de parité ou de limitation des mandats. Pouvez-vous revenir sur les positions du CNOSF sur ces différentes mesures ?

Dans son courrier, M. Lappartient insiste sur les nombreux contrôles qui s’exercent sur les fédérations de la part du ministère, de la Cour des comptes ou de l’Agence française anti-corruption. De nombreux intervenants ont, au contraire, pointé la faiblesse de la tutelle en l’absence de regards extérieurs indépendants sur les questions d’éthique. Qu’en pensez-vous ?

En tout état de cause, votre prédécesseur, M. Denis Masseglia, dans un courrier qu’il nous a adressé à suite de son audition, insiste sur le fait que si le code du sport confie au CNOSF le soin d’être le garant de l’éthique et de la déontologie dans le sport, le texte n’est nullement accompagné par les moyens, notamment juridiques et disciplinaires, qui pourraient permettre au CNOSF d’agir. Partagez-vous ce constat ?

Comment avez-vous appréhendé cette mission ? Pouvez-vous notamment revenir sur les travaux de rénovation de la charte de déontologie qui datait de 2012 et qui n’a été modifiée qu’en 2022 ?

Pouvez-vous également revenir sur le contexte et les objectifs de la mise en place, au sein du CNOSF, en janvier 2022, d’une commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans les sports ? Comment s’articule son action avec celle du ministère des Sports dans ce domaine ? Quel bilan tirez-vous de son action ? Comment ces sujets étaient-ils traités au sein du CNOSF avant la création de cette commission ?

Nous aimerions plus généralement connaître votre appréciation sur les dysfonctionnements que vous avez été amenée à connaître dans les différentes fonctions que vous avez exercées et les évolutions qui vous paraîtraient souhaitables.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Avant de vous laisser la parole et d’entamer nos échanges pendant environ une heure, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

La personne auditionnée prête serment.

Vous avez la parole.

Mme Brigitte Henriques, ancienne présidente du CNOSF. Je vous remercie de m’avoir conviée à cette audition. Je suis ravie de pouvoir y participer. J’aimerais tout d’abord revenir sur mon action au sein du CNOSF. Dans le projet politique qui était le mien qui avait été co-construit avec l’ensemble des présidents lors de la campagne, nous avons considéré que la priorité pour le mandat 2021-2025 serait de renforcer le rôle du CNOSF et la représentation des dix-sept millions de licenciés, des trois millions de bénévoles et du million d’éducateurs qui le composent ainsi que de ses cent neuf fédérations. Il s’agissait aussi de mettre le CNOSF au service de ses membres et des territoires. La particularité de ma vision politique était que les comités départementaux olympiques et sportifs (CDOS) et leurs équivalents régionaux (CROS) devaient bien évidemment mettre en place leurs propres projets locaux, riches de leur connaissance du terrain, mais aussi décliner les priorités de ce projet politique national. Cela représentait une évolution par rapport au mandat précédent compte tenu de l’absence de rapport hiérarchique avec ces instances territoriales, qui pourtant sont les plus proches des clubs et des licenciés.

À partir de ce projet politique sur la base duquel j’ai été élue avec 58 % des voix, j’ai souhaité en premier lieu mettre en place, au sein du CNOSF, les structures nécessaires au déploiement opérationnel du projet. Mon programme politique comportait six axes : la sortie de la crise du Covid ; mettre le CNOSF au service de ses membres et des fédérations ; les grandes causes nationales (incluant les thématiques de l’éthique et de la lutte contre les discriminations, la santé et l’éducation) et la lutte contre le dopage (avec la création d’un département dédié) ; la transformation économique des fédérations – afin qu’elles ne soient plus dépendantes des subventions étatiques et des licences ; les relations internationales ; la réussite des Jeux (performance, mobilisation du mouvement sportif et héritage des Jeux).

Autre changement en ce début de mandat, je souhaitais mettre en place une gouvernance partagée et donc faire en sorte que les vice-présidents soient investis d’une délégation – ce qui était une évolution – et travaillent en binôme avec les directeurs afin d’être parties prenantes du projet et surtout de challenger les propositions des différents services.

Ma première grande décision, en lien avec la loi du 2 mars 2022, a été de rendre la composition du bureau exécutif paritaire (six hommes et six femmes), avec une présidente, une secrétaire générale adjointe et d’autres femmes vice-présidentes, et bien sûr six hommes tous présidents de fédérations. J’ai également fait en sorte qu’il y ait autant de directrices que de directeurs et surtout – car certains postes étaient vacants – que les écarts de salaires entre les hommes et les femmes puissent être réduits à ces postes. J’ai aussi demandé que les recrutements des membres de commissions soient organisés de manière à atteindre la parité. Cet objectif n’étant pas simple à atteindre, j’ai consenti à ce qu’un seuil de 40 % de femmes soit mis en place pour la première année de mon mandat. Enfin, j’ai fait en sorte que toutes les commissions institutionnelles soient dirigées par un homme et une femme aux postes de président et de vice-président. J’ai donc souhaité que nous montrions l’exemple en matière de gouvernance.

Pour rappel, en 2017, j’étais à la fois vice-présidente du CNOSF et vice-présidente de la FFF. À cette époque, j’ai animé des débats au sein du CNOSF à la demande de M. Masseglia sur des sujets tels que la parité, le nombre de mandats et les droits de vote des clubs. En 2019, j’ai été fortement sollicitée pour l’organisation de la Coupe du monde 2019 féminine en France. Durant cette période, j’étais donc moins impliquée au sein du CNOSF mais en tant que présidente, j’ai pu reprendre mes positions.

Je suis donc bien évidemment engagée depuis très longtemps en faveur de la parité. C’est mon combat de vie. Pour rappel, à l’époque où j’ai voulu jouer au football, les clubs n’acceptaient pas les femmes. Quand je faisais partie de l’équipe de France de football, nous n’avions pas accès au stade et nous nous préparions dans des conditions minimales. Mon engagement vise donc à permettre aux femmes de faire du sport mais également de pouvoir devenir entraîneures, arbitres, dirigeantes, etc.

Ma position à propos de la loi du 2 mars 2022 n’était pas nécessairement partagée par l’ensemble du mouvement sportif, mais j’ai finalement réussi à convaincre mes interlocuteurs. Je considérais en premier lieu qu’il était primordial de savoir combien de femmes occupaient des postes de responsabilité dans les organes de gouvernance, car cette information n’était pas connue pour les cent neuf fédérations. Nous avons alors constaté qu’il manquait environ trois cents femmes sur ces postes. D’où la création du Club des 300 dont je vous dirai quelques mots ensuite. Nous avons effectué un autre décompte au niveau régional et nous avons constaté qu’il y manquait trois mille femmes. Durant mes trente-cinq années d’engagement, j’ai toujours entendu que les femmes, on ne les trouvait pas… Mais ce n’est pas vrai, nous avons simplement besoin de constituer un réservoir dans lequel on identifie ces femmes. Il faut aussi les accompagner et les valoriser. La parité, ça ne se décrète pas, ça se construit. J’ai toujours parlé de mixité avant que de parler de parité, parce que je pense qu’une fois qu’au fil du temps, il a été possible de construire ce réservoir, une première case peut être cochée. La deuxième case à cocher est de trouver des hommes qui s’engagent et qui soient convaincus que la parité est une plus-value pour n’importe quelle organisation. Cela a été prouvé dans le monde de l’entreprise mais ce n’était pas le cas pour le mouvement sportif. La parité n’est pas qu’une affaire de femmes, c’est une affaire d’hommes et de femmes. L’idée était donc que la constitution de binômes mixtes offrirait de nombreuses possibilités : un travail d’équipe différent, une productivité accrue, le partage de convictions complètement différentes, etc. Il était donc important d’avoir des hommes portant ces idées. C’est aussi pour cela qu’il était important d’avoir des hommes co-présidents, et un bureau exécutif paritaire. J’avais avec moi des présidents qui étaient engagés en faveur de la mixité. Nous avons enfin créé le club de la mixité au sein du CNOSF.

Il est important de préciser que ce sont les présidents de fédération qui devaient proposer des candidates au CNOSF pour rejoindre le Club des 300. J’avais mené une expérience similaire au niveau de la FFF. Une fois encore, si ce ne sont pas les présidents de fédération eux-mêmes qui proposent des candidates, ce n’est plus une affaire d’hommes et de femmes, et le projet n’est plus porté par l’institution toute entière. La volonté politique est indispensable à l’atteinte de la parité.

J’avais donc souhaité que l’objectif de parité soit reporté à 2028 pour les territoires car comme vous le savez certainement mieux que moi, et comme les auditions précédentes l’ont montré, des contournements sont toujours mis en place. Il était insupportable pour moi d’entendre qu’une fois que la loi serait mise en place au niveau national ou régional, des modes de contournement allaient apparaître : des sièges destinés à des femmes resteraient vides car les fédérations ne « réussiraient » pas à les trouver. J’étais pour la parité effective et j’ai donc formulé une demande de fixer l’échéance à 2028 pour les territoires. Les deux raisons à cela étaient que la parité nécessite un certain temps pour se construire, et que les bénévoles sont difficiles à trouver à tous les échelons dans certaines fédérations étant donné que ces derniers sont déjà fortement impliqués au niveau des clubs et au niveau national. Il est donc parfois difficile de les mobiliser au niveau régional ou départemental. Pour autant, je suis certaine qu’avec des démarches proactives et volontaristes – et des moyens bien entendu – nous y parviendrons.

Je parle ici de la parité en nombre. Mais le mouvement sportif est-il prêt à révolutionner sa gouvernance pour permettre aux femmes d’accéder aux postes à responsabilités ? Je suis la preuve réelle que ce n’est pas le cas. On accepte aujourd’hui de voir des femmes au sein des instances de gouvernance mais sont-elles acceptées à leur tête ? Il y avait trois femmes présidentes de fédération : une n’a pas été réélue, une autre n’a pas été réélue alors qu’elle faisait office d’intermédiaire… S’il s’agit simplement de faire participer les femmes à la gouvernance et de se donner bonne conscience, sans que les femmes puissent jamais briser le plafond de verre et accéder aux responsabilités suprêmes sans risquer de se faire « tuer » ensuite pour porter des idées jugées trop révolutionnaires… Force est de constater que celles qui deviennent numéro un ne le restent pas longtemps.

En ce qui concerne le nombre de mandats, un débat a eu lieu au sein du CNOSF. Il s’est même prolongé après la promulgation de la loi. Je suis très partagée. Il peut être difficile de « décrocher » d’une fonction de président de fédération. Pour autant, en ayant une vision pragmatique, le premier mandat sert à mettre en place les fondations d’une réforme, le deuxième à faire en sorte qu’elle fonctionne et le troisième à en récolter les fruits. Cela représente donc douze ans. Cependant, si cela ne fonctionne pas, le renouvellement avant le troisième mandat est parfois nécessaire. Cela étant, j’ai aussi beaucoup travaillé à l’international, à travers la FFF ou le CNOSF, et il est vrai que pour devenir président ou secrétaire général d’une fédération internationale, avoir accompli trois mandats apparaît comme une nécessité. Il ne s’agit donc pas seulement d’être membre mais d’être numéro un ou numéro deux. Lorsque la France n’est pas présente à ces postes de numéro un ou de numéro deux au niveau international, son influence sur des décisions parfois très importantes est insuffisante. C’est la raison pour laquelle, avec Mme Roxana Maracineanu, à l’époque où j’étais vice-présidente, nous avons fait en sorte de ne pas « tirer une balle dans le pied » aux présidents et présidentes qui souhaitaient pouvoir représenter le sport français à l’international.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’aimerais revenir sur votre utilisation du verbe « tuer » à propos des femmes qui réussissent à être élues à la tête d’une fédération. Pouvez-vous préciser votre propos ?

Mme Brigitte Henriques, ancienne présidente du CNOSF. Il s’agit bien sûr d’un meurtre symbolique lié à la fonction, même si les avis sont unanimes à propos de la violence dont j’ai été victime. Un système est en place. Une stratégie médiatique a été mise en place contre moi car, en apportant des idées nouvelles, je ne respectais pas certains codes, et il a été compliqué de me faire accepter. Je connaissais bien évidemment le mouvement sportif avant de me porter candidate. La fédération à laquelle j’appartenais m’avait déjà apporté une expérience politique conséquente par le nombre de clubs et de licenciés qu’elle comporte. C’était suffisant à mes yeux pour que je considère connaître suffisamment le mouvement sportif mais finalement, j’ai découvert un univers que je ne connaissais pas. Être numéro deux n’est pas la même chose qu’être numéro un, et mon poste était envié à trois ans des Jeux olympiques. On m’a très vite expliqué que je ne pourrais pas changer le système mais ce n’était pas mon intention. Je souhaitais faire bouger les lignes du sport et je considère très humblement que j’ai réussi à en faire bouger certaines et à mettre des pierres en place. Le verbe « tuer » me semble juste.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pensez-vous que vous avez été éjectée de ce poste parce que vous êtes une femme ou parce que vous avez voulu changer les choses au sein du CNOSF et du mouvement sportif ?

Mme Brigitte Henriques, ancienne présidente du CNOSF. Ma particularité est que j’ai attaché énormément d’importance à la réussite de mon projet. On m’a rapidement reproché de vouloir aller trop vite, d’être une sportive de haut niveau et de ne pas forcément embarquer les autres avec moi. Comme vous le savez, lors de la mise en place d’un projet politique, on peut avoir affaire à trois types de comportement : ceux qui adhéreront immédiatement au projet et y apporteront de la dynamique, ceux qui suivront et ceux qui voudraient prendre votre place pour appliquer leurs propres idées. Je pense que le changement était tel, à travers le déploiement de ce projet opérationnel dans lequel une de mes caractéristiques a été de ne pas partager toutes les décisions que je prenais, que cela en a dérangé certains. Par exemple, il m’avait été demandé de ne pas choisir, au sein du bureau exécutif, des présidents de fédération qui n’avaient qu’un mandat à leur actif. Or mon seul critère n’était pas l’ancienneté mais la compétence, et j’ai donc choisi beaucoup de présidents et de présidentes qui n’avaient qu’un seul mandat. Voilà qui est constitutif de ce que j’appelle un système. Dès lors que je n’appliquais pas les codes auxquels certains étaient accoutumés, j’ai commencé à en déranger certains. Dans la mesure où la réussite du projet m’importait, j’ai peut-être attaché moins d’importance à ce que l’ensemble de l’écosystème soit satisfait. Certains se sont retrouvés avec une seule représentation au CNOSF au lieu de cinquante auparavant. D’autres ont perdu un avantage en nature, soumis à un vote en assemblée générale. J’ai bien senti que je ne me faisais pas que des amis.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. À la suite de votre démission de la présidence du CNOSF, la ministre des Sports a appelé ce dernier à un « sursaut éthique et démocratique ». Selon vous, ce sursaut a-t-il eu lieu ?

J’aimerais que vous reveniez en toute transparence sur les dysfonctionnements qui ont agité la plus haute instance du sport pendant un an, et que vous livriez votre version des faits à la commission d’enquête. Et sans langue de bois…

Mme Brigitte Henriques, ancienne présidente du CNOSF. Bien entendu, sinon je ne serais pas venue ! Concernant l’expression de la ministre, le CNOSF exclut de son conseil d’administration les fédérations de handball, de tennis et de judo, qui sont des fédérations importantes. Les statuts prévoient que le président soit élu, puis les quarante-huit membres du conseil d’administration. On peut s’interroger sur le fonctionnement de la démocratie au sein d’une instance censée représenter le mouvement sportif qui n’a aucun représentant de ces fédérations à son conseil d’administration à quelques années de l’organisation des Jeux olympiques. J’aurais aimé que ces fédérations puissent intégrer le conseil d’administration en formant une opposition d’idée. Mais les statuts ne le permettent pas. On m’a demandé pourquoi je n’avais pas donné de consignes pour que ces présidents de fédération ne soient pas élus par leurs pairs. Mais vous pensez bien que lorsque des présidents de fédérations vous soutiennent pendant quatre mois et participent à tous les débats puis jouent leur place au conseil d’administration, ils ne vont pas la laisser à ceux qui ne vous soutenaient pas… Si j’étais restée un peu plus longtemps, j’aurais aimé pouvoir commencer à modifier les statuts du CNOSF pour permettre, comme dans un conseil municipal, que les fédérations « d’opposition » puissent être représentées.

S’agissant de l’éthique, le comité d’éthique du CNOSF, qui était présidé à mon arrivée par Bernard Stirn, a accompagné les fédérations dans le cadre de la mise en place de la nouvelle charte éthique. Un important travail de concertation avec les fédérations a été nécessaire.

Comme c’était le cas à la FFF, ce comité d’éthique n’a pas de pouvoir disciplinaire. Les informations importantes qui étaient communiquées lors des réunions du conseil d’administration étaient déjà reprises dans la presse avant même que les réunions ne se terminent ! Et pourtant, au début du mandat, chaque administrateur, en signant une charte, s’était engagé à la confidentialité. D’évidence, certains ne respectaient pas cette charte mais le comité d’éthique ne pouvait pas leur infliger de sanction.

Le « sursaut éthique » évoqué par la Ministre faisait écho, à mon sens, aux procédures administratives et judiciaires en cours. La priorité, dans les affaires de violences sexuelles, est de protéger les victimes et de les prendre en charge. Mais entre le tribunal médiatique et le tribunal judiciaire, c’est très compliqué tant que l’affaire n’a pas abouti. Ma conviction est que nous devons protéger les victimes. Nous avons besoin de mesures conservatoires pour protéger les victimes le temps de l’instruction. Il reste beaucoup à faire, non seulement en termes de formation des dirigeants, mais aussi pour faire en sorte de préserver les victimes à la suite d’un signalement ou d’une suspicion. Beaucoup de choses ont néanmoins déjà été faites. Nous avons travaillé main dans la main avec la ministre Roxana Maracineanu. Lorsque la parole des victimes a été libérée, un déclic considérable s’est produit au sein du mouvement sportif.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le terme « système » a été souvent utilisé au sein de cette commission d’enquête, l’idée étant que le système mis en place n’a pas permis de libérer la parole des victimes, les a empêchées d’être entendues correctement et n’a pas permis aux enquêtes de se dérouler correctement. L’idée que le monde sportif fonctionne en vase clos et que tous les intervenants se connaissent est fréquemment revenue. On a bien vu les difficultés à faire évoluer ce système.

J’aimerais revenir sur les mesures conservatoires que vous préconisez pour protéger les victimes. On nous expose toujours une difficulté liée à la présomption d’innocence. Comment se fait-il que nous ne parvenions pas, à l’occasion d’un signalement, à protéger la victime et les autres victimes potentielles ?

Mme Brigitte Henriques, ancienne présidente du CNOSF. Considérez par exemple mon cas personnel. Je considère avoir été victime de comportements inappropriés au bout de quatre mois de mon mandat. Je n’osais pas en parler. Je venais d’arriver et c’était donc très compliqué. J’étais déjà atteinte par les autres événements en cours. J’ai commencé à en parler en février. En septembre, j’ai réuni le bureau exécutif pour lui demander son avis sur ma décision de révoquer mon secrétaire général.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Que s’est-il passé au bout de quatre mois ?

Mme Brigitte Henriques, ancienne présidente du CNOSF. Une enquête préliminaire étant en cours, vous me permettrez de ne pas entrer dans les détails. Mon avocat est naturellement à votre disposition. En tout état de cause, j’ai organisé un vote démocratique au sein du conseil d’administration en vue de révoquer le secrétaire général. Après sa révocation, la crise que vous avez connue s’est déclenchée. Cela me permet donc de répondre à votre autre question. Il s’agissait d’une crise politique car d’aucuns ont dénoncé un conflit d’intérêts sur la base de relations personnelles, alors que ma décision était liée à un comportement inapproprié et destinée à me protéger personnellement ainsi que les salariés et l’institution. Je considérais que cette décision devait être prise, j’ai été suivie, et aujourd’hui je ne suis plus là.

J’ai dû être accompagnée avant mon élection, et avant même de déposer ma candidature, pour me sentir légitime à prétendre à cette fonction. Je viens du monde du football, un sport auquel les femmes n’étaient pas autorisées à jouer, et mon histoire a été un combat permanent. Je considère a posteriori que j’avais les compétences pour devenir – et pour redevenir un jour si j’en ai la possibilité – numéro un du CNOSF. Ce coup de pouce de quelques présidents et de mon prédécesseur m’a permis d’y croire. Le fait de me soutenir avant même que je ne sois candidate, et de m’entendre dire que je ferais une bonne présidente, a fait que j’étais redevable. En politique, cela fonctionne aussi ainsi : si quelqu’un vous soutient, vous pouvez vous inscrire dans la continuité d’un projet politique.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pouvez-vous nous dire qui vous a soutenue ?

Mme Brigitte Henriques, ancienne présidente du Comité national olympique et sportif français. Oui bien sûr. Le président Denis Masseglia m’a fait savoir que Michel Vion, le président de la Fédération française de ski, ne souhaitait pas devenir président, pas plus que Jean-Pierre Siutat. Denis Seminet, le président de la Fédération française de base-ball, a été le premier à m’appeler puis M. Masseglia m’a appelée à son tour. J’ai ensuite demandé à M. Siutat de me rejoindre et de me soutenir.

Cela ne me posait aucun problème d’être redevable dans le cadre d’une continuité d’idées et de projet. En revanche, à un moment donné, je n’ai pas souhaité m’associer à certaines idées. Le fait d’avoir eu le courage de dire « non » à certaines choses m’a coûté mon poste. C’est mon explication.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pourriez-vous nous donner plus de détails ? Apparemment, les personnes qui vous avaient soutenue attendaient peut-être des contreparties de votre part dans la mesure où vous leur étiez redevable. Quelles demandes de leur part avez-vous refusées ?

Mme Brigitte Henriques, ancienne présidente du Comité national olympique et sportif français. Je pense par exemple à la constitution du bureau exécutif paritaire avec des personnes que j’ai choisies. Certains ont forcément été déçus et frustrés que l’équipe en place ne corresponde pas à leurs attentes.

Ensuite, pour ce qui est du traitement des personnes, le fait de ne donner qu’une représentation à quelqu’un qui en avait cinquante auparavant n’en a pas fait un ami.

Six ou sept fédérations ont été aidées avec un contrat de relocalisation. Le contrat étant déjà engagé, nous étions forcés de le poursuivre mais je n’en avais pas nécessairement envie car je pensais que d’autres fédérations pouvaient légitimement prétendre à une aide similaire, ce que les ressources financières du CNOSF ne permettaient pas.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Certaines fédérations qui vous ont soutenue ont-elles demandé à être soutenues financièrement par la suite ? Est-ce ce que vous sous-entendez ?

Mme Brigitte Henriques, ancienne présidente du Comité national olympique et sportif français. Non. Le bureau exécutif a pris connaissance de cela a posteriori. Un débat a eu lieu et la conclusion était que dès lors que le contrat avait été conclu pour trois ans, nous ne pouvions pas revenir en arrière. Nous avons débattu quant au fait que ce mode de fonctionnement ne pouvait pas perdurer indéfiniment et qu’il convenait donc de demander aux fédérations de payer un loyer – ce qui n’était pas le cas auparavant – et de ne pas reconduire les contrats au terme des trois ans. Ce genre de décision n’était pas de nature à me garantir le soutien de toutes les fédérations puisqu’elle changeait la donne.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. M. Denis Masseglia a jugé, comme je vous le disais tout à l’heure, que le CNOSF n’avait pas les moyens juridiques ou disciplinaires qui lui permettaient d’agir dans le domaine de l’éthique du sport. Le CNOSF n’est doté d’aucun pouvoir de sanction vis-à-vis des fédérations. Le regrettez-vous et si oui pour quelles raisons ?

Mme Brigitte Henriques, ancienne présidente du Comité national olympique et sportif français. La conférence des conciliateurs fonctionne très bien au sein du CNOSF. Cette structure indépendante permet de traiter des contentieux avant qu’ils ne soient portés en justice. Lorsque par exemple un club a un contentieux avec un autre club, les deux parties sont reçues et une médiation est tentée. Si elle échoue, le dossier est transmis au comité exécutif de la fédération concernée. Cela permet d’éviter qu’un grand nombre de contentieux soient portés en justice.

L’activité du comité d’éthique est très conséquente. Nous avons dix-sept millions de licenciés et si le CNOSF devait traiter toutes ces affaires, il aurait besoin de moyens supplémentaires.

Le CNOSF étant le représentant de l’ensemble des fédérations, il risquerait de se retrouver en situation de juge et partie. Je serais donc plutôt favorable à la création d’une commission indépendante, de la même manière que je soutiendrais la création d’une commission indépendante pour la lutte contre les violences sexuelles, sur le même modèle que l’AFLD pour la lutte contre le dopage.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons demandé à M. Masseglia, lors de son audition, si pendant ses vingt-cinq ans de mandat en tant que président de fédération ou président du CNOSF, de telles affaires lui avaient été signalées et il nous a répondu que non, y compris d’ailleurs vous concernant. Il a déclaré qu’il n’avait été informé de rien. Il a ensuite indiqué qu’il avait reçu un dossier complet, qu’il était allé voir des victimes… Voudriez-vous revenir sur cette partie de cette audition ?

Mme Brigitte Henriques, ancienne présidente du Comité national olympique et sportif français. Les choses ont réellement commencé à se mettre en place à la suite de l’événement organisé par Roxana Maracineanu au CNOSF avec le gouvernement et l’ensemble des ministres parties prenantes. Cela a permis de déclencher une étincelle pour la lutte contre les violences sexuelles dans le mouvement sportif. Des référents ont été ensuite désignés au niveau des fédérations. C’était avant le début de mon mandat. L’animation de ces référents a été confiée au CNOSF. Il est vrai qu’il n’y avait pas de commission de lutte contre les violences sexuelles. J’ai nommé tout de suite Catherine Moyon de Baecque présidente de cette commission. C’est la première qui ait gagné son procès contre ses agresseurs, ce qui lui a valu d’être bannie du mouvement sportif.

J’ai été particulièrement touchée par cette prise de conscience très importante ce 21 janvier. Toute la salle était debout. Nous avons tous compris que nous ne pouvions plus rester inactifs et que nous devions tous prendre nos responsabilités. Dès lors qu’elle a été nommée au sein de cette commission, Catherine Moyen de Baecque m’a accompagnée sur l’ensemble des territoires lors de mes déplacements. Elle a parlé et fait lever des salles entières. Avec la commission, elle a dressé une feuille de route très précise – ce qui n’était pas le cas sous les mandatures précédentes. Avec elle, j’ai aussi reçu Isabelle Demongeot, qui est investie au sein de la FFT, ainsi que Sarah Abitbol, que nous avons accompagnée avec son association après que le gouvernement l’a fait. Je pense très sincèrement que Catherine Moyon de Baecque, tout comme Sarah Abitbol ou Isabelle Demongeot, faisaient partie des victimes qui auraient eu besoin de davantage de soutien. Isabelle Demongeot évoque des séquelles invisibles.

Je pense qu’il y a encore beaucoup à faire pour la prise en charge des victimes, par exemple avec le ministère de la Santé afin de faire en sorte qu’elles soient suivies sur le long terme, notamment par des psychologues. Sarah Abitbol a déclaré qu’elle devait payer encore aujourd’hui pour ces frais alors que cela remonte à des années. Nous avons travaillé en concertation avec le gouvernement, avec Fabienne Bourdais et Amélie Oudéa-Castéra, pour que les choses avancent.

Pour répondre précisément à votre question, je pense que le CNOSF et le mouvement sportif en général ont le devoir de réhabiliter Catherine Moyon de Baecque car elle a été privée d’une carrière de sportive de haut niveau. Elle a été privée d’une participation aux Jeux olympiques alors qu’elle avait gagné son procès ! C’était finalement elle la « pestiférée ». Ce n’est pas concevable. Nous avons encore le temps. Ce serait un acte très fort que de la réhabiliter, avec un mea culpa du mouvement sportif et de l’ensemble de ses acteurs. Je pense que nous le lui devons.

Avant de venir, je relisais le rapport Sauvé. N’avons-nous pas le devoir de recenser le nombre de victimes au sein du mouvement sportif et de voir comment nous pouvons contribuer à une réparation. Dans le cas de l’Église, si je ne m’abuse, 35 millions d’euros ont été prévus à cet effet. Nous devons y réfléchir si nous voulons enrayer ce fléau. Bien sûr, les actions menées précédemment n’étaient pas suffisantes, ni les mesures que j’ai mises en place. Ce fléau est tel que nous devons aller encore plus loin, même si je dois dire que les fédérations font un énorme effort pour dégager des moyens humains et financiers.

On parle des fédérations, mais savez-vous que sur les cent neuf fédérations, certaines n’ont pas de salariés ? Je pense par exemple à la Fédération de la balle au tambourin, qui représente tout de même quelque deux mille licenciés en Occitanie. On compte deux cents mille licenciés pour la pétanque mais cette fédération a-t-elle les ressources financières pour employer à temps plein une personne dédiée à la lutte contre les violences sexuelles parce que nous en aurions besoin ? Naturellement, nous en avons déjà discuté avec Mme la ministre. Ne doit-on pas aussi mettre en place des cadres d’État qui seraient chargés de cela, mais pas au détriment du développement ou de la performance ? Dès lors que les fédérations héritent de cette responsabilité, elles doivent disposer des moyens pour l’exercer. Je prendrai un dernier exemple : celui de la Fédération de roller, qui a été fortement concernée par la lutte contre les violences sexuelles il y a trois ou quatre ans. Des bénévoles ont dû instruire les dossiers pour la commission de discipline alors qu’ils n’avaient reçu aucune formation. Certains bénévoles ont démissionné parce que gérer ces dossiers est difficile psychologiquement et parce qu’ils n’ont pas les compétences. Le CNOSF a pris en charge la formation des référents.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le contexte d’impunité qui a prévalu pendant longtemps a peut-être dissuadé certaines victimes de témoigner. Certains ont été témoins mais n’ont jamais parlé, ce qui pose aussi la question de leur responsabilité. Des avancées ont eu lieu mais nous recevons encore des témoignages qui montrent que le processus est toujours en cours, et qu’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Le but de cette commission d’enquête est d’élaborer des propositions concrètes pour faire en sorte que ces phénomènes ne se reproduisent plus. Vous avez occupé des fonctions de haut niveau, à la FFF notamment. Vous étiez l’une des plus hautes responsables du football français. De nombreux scandales ont été révélés au sein de la FFF (racisme, harcèlement de salariés, soupçons de pédophilie à Clairefontaine, comportements problématiques de M. Le Graët envers les femmes, etc.) Avez-vous été alertée de ces dysfonctionnements au sein de la FFF ?

Mme Brigitte Henriques, ancienne présidente du Comité national olympique et sportif français. Il a été particulièrement difficile pour moi d’avoir été accusée publiquement, deux jours après mon élection, d’avoir couvert des abus sexuels sur mineurs et d’avoir valorisé M. Fortépaule. J’ai porté plainte pour cyberharcèlement contre M. Molina, tout simplement parce que c’était insupportable – et ça l’est toujours – d’avoir été mise en cause et en doute par rapport à cela. J’ai juré au début de l’audition et je le répète : je n’ai en aucun cas contribué à couvrir des abus sexuels sur mineurs et à valoriser une personne qui a été condamnée par la suite. L’attestation de moralité que j’ai rédigée, en aucun cas je ne l’aurais écrite si j’avais été en connaissance de cause.

Je vous livre ma vision des événements au sein de la FFF mais l’affaire est très complexe. Concernant l’affaire d’Angélique Roujas, les faits remontent à 2003 ou 2004. À l’époque, je n’étais pas à la FFF, je venais d’accoucher de ma deuxième fille. Les faits ont été révélés en 2013 lors d’un rassemblement de l’équipe de France. À l’époque, j’étais cheffe de délégation de l’équipe de France féminine. Je n’ai absolument pas été informée alors que j’étais cheffe de délégation. C’est un autre salarié qui a été informé ; il a fait son devoir en prévenant la direction générale et la direction des ressources humaines. Quelques jours plus tard, la directrice des ressources humaines me trouve dans mon bureau et me dit qu’étant donné que je connaissais les joueuses concernées – je connais Angélique Roujas, avec qui j’ai joué et avec qui j’ai passé mes diplômes – je devais rester complètement à l’écart de l’affaire. J’ai une attestation prouvant mes dires ; je l’ai utilisée dans le cadre des plaintes que j’ai déposées.

Concernant les victimes, il est bien évident qu’elles auraient dû être mieux prises en charge. Le signalement a été effectué. Je sais, par l’intermédiaire de l’avocat de la FFF, que dans certains cas cette dernière se porte aussi partie civile. La complexité de cette fédération, est que l’on retrouve en son sein la LFP – la LFP est autonome financièrement mais juridiquement, elle dépend de la FFF – et la LFA (Ligue du football amateur) qui traite de l’ensemble des quinze mille clubs. Cette dernière n’est pas indépendante financièrement, elle est donc hébergée par la FFF, mais elle est politiquement autonome. Lorsque les faits concernent le football amateur – et c’était le cas pour l’affaire Fortépaule, dans la mesure où il s’agissait d’une ligue régionale – ils sont du ressort de la LFA. Cette dernière pilote l’ensemble des démarches à mettre en place. Le comité exécutif, dont le rôle est de prendre les décisions finales, est informé lorsque tout est terminé.

Dans l’exemple de l’affaire Roujas, nous avons été simplement informés qu’un signalement avait eu lieu et qu’une enquête était en cours. Dans le cas de l’affaire Fortépaule, pour laquelle j’ai également été mise en cause, j’ai appris par la presse que ce monsieur avait été condamné.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous nous dites que vous avez été écartée au moment de l’affaire Roujas mais aviez-vous connaissance des faits qui étaient reprochés ? Nous avons appris par la suite que M. Le Graët lui avait adressé un courrier pour lui signifier son licenciement. Elle a pu aller dans un autre club et peut-être reproduire les mêmes actes. Cela pose une difficulté. Lorsqu’un responsable d’une fédération a connaissance de faits graves – en l’occurrence des abus sexuels sur mineurs – il se doit d’effectuer un signalement voire de déclencher une procédure article 40. Et surtout, il doit empêcher l’auteur de pouvoir continuer à agresser des victimes. Ce n’était visiblement pas le cas.

Mme Brigitte Henriques, ancienne présidente du Comité national olympique et sportif français. Vous avez raison. C’est ce qui m’a choquée dans le traitement de cette affaire. Angélique Roujas, salariée de la FFF, a été licenciée sur le tard. Nous n’avons pas eu connaissance – ou tout du moins pas moi – de la nature des accusations dont elle faisait l’objet. En revanche, pour ce qui est du retrait de la licence, ce n’était juridiquement pas possible d’après les informations que j’ai reçues. On en revient à la question : quelles mesures conservatoires peuvent être envisagées dans un cas où la présomption d’innocence prévaut et où les éléments ne sont pas suffisants pour permettre de retirer la licence ?

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Dans une affaire impliquant des mineurs, la priorité n’est-elle pas de protéger les victimes et donc de mettre la personne en cause à l’écart et de signaler automatiquement les faits ?

Mme Brigitte Henriques, ancienne présidente du Comité national olympique et sportif français. C’est ce que je vous disais tout à l’heure. Nous avons eu plusieurs fois le débat : si la personne mise en cause se retournait contre la fédération, nous aurions accusé quelqu’un à tort. J’ai toujours défendu la position selon laquelle nous devions mettre en place des mesures conservatoires pour protéger les victimes. Quand j’étais à la FFF, je n’avais pas suffisamment d’éléments. La complexité de notre organisation et le fait que nous recevions les informations en dernier recours m’ont probablement conduite à ne pas prendre les décisions que j’aurais dû prendre, en tant que femme et que secrétaire générale. Nous aurions dû prêter davantage attention aux victimes. Dès que je suis arrivée au CNOSF, et à partir du 21, j’ai compris que nous en étions au début des actions que nous pouvions envisager pour protéger l’ensemble de nos licenciés.

La complexité du mouvement sportif, des fédérations et des procédures fait que nous ne connaissons pas exactement les procédures que nous sommes censés appliquer. Il est urgent de formaliser des préconisations afin que les présidents de fédération sachent comment réagir dans une situation donnée. De même pour les membres du comité exécutif. Je vous donne un exemple. Je n’ai pas eu la chance d’être joueuse de football professionnelle et j’ai donc dû travailler en tant que professeure d’EPS tout en étant joueuse internationale. J’ai été confrontée à des révélations de la part d’une élève. Nous savions exactement que nous devions nous adresser directement au chef d’établissement, lequel effectuait le signalement et les gendarmes arrivaient quelques heures ou quelques jours plus tard. Nous n’avons pas de procédures aussi claires au sein des fédérations sportives.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’aimerais tout d’abord vous remercier, tout d’abord pour avoir eu le courage et l’honnêteté de dire que vous auriez pu mieux réagir. Au cours des différentes auditions, nous avons l’impression que la responsabilité est en quelque sorte diluée, eu égard notamment à la complexité d’organisation du mouvement sportif et des différents organismes qui le gouvernent.

J’ai deux questions. Tout d’abord, avez-vous été personnellement témoin des agissements qui ont été reprochés à M. Le Graët, notamment envers les femmes ?

Mme Brigitte Henriques, ancienne présidente du Comité national olympique et sportif français. Permettez-moi d’abord de vous dire que j’ai été la première femme secrétaire générale et la première femme vice-présidente parce que M. Le Graët m’a permis d’accéder à des postes aussi importants. La FFF a été créée en 1919 et avant moi, on peut seulement citer l’exemple de Marilou Duringer, qui a siégé pendant des années au conseil fédéral. C’était la seule femme sur vingt-huit membres. J’ai aussi pu permettre, avec bien sûr le concours de tous les acteurs du football français, que nous passions de cinquante mille à deux cent trente mille pratiquantes, et que nous ayons une directrice générale et une directrice générale adjointe. Ce président a permis à des femmes d’avoir du crédit au sein d’un milieu qui était peu propice à permettre à des femmes d’occuper des postes à responsabilités, ou plus simplement à leur permettre de jouer et avoir les mêmes droits que les garçons. Je n’ai jamais eu peur d’être seule dans un bureau avec Noël Le Graët. J’ai aussi dîné chez lui une ou deux fois pour discuter de la campagne et je n’ai eu peur à aucun moment non plus.

Je n’ai jamais vu M. Le Graët mettre la main sur une femme. Cela a éventuellement pu avoir lieu en dehors de ma présence mais je n’en ai jamais été témoin.

Je n’ai jamais caché par ailleurs que M. Le Graët a toujours fait des blagues graveleuses, comme c’était le cas d’autres personnes au sein de la FFF, au cours des réunions. J’ai toujours eu la même posture, consistant à dire sur le ton de l’humour : « C’est le moment de prendre tes cachets » car je n’acceptais pas qu’une personne, puis deux, puis trois, tiennent ce genre de propos lors de réunions. Nous n’étions déjà pas nombreuses et cela n’avait absolument pas sa place. Et cela passait. Effectivement, les blagues de M. Le Graët pouvaient parfois mettre mal à l’aise des femmes – ou toute personne qui ne le connaissait pas bien. J’ai parfois été conduite à lui dire qu’il allait un peu loin. Ce sont des blagues d’un autre temps qui n’ont plus leur place. Très gentiment, j’ai eu l’occasion de lui demander d’arrêter.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Dans un entretien au journal Le Monde daté de 2020, M. Denis Masseglia, ancien président du CNOSF, déclarait, en réaction aux propos de Noël Le Graët – alors président de la FFF – selon lesquels le phénomène raciste dans le sport et dans le football en particulier n’existait pas ou peu. Il renchérissait en disant qu’il existait très peu.

Vous avez exercé différentes responsabilités au sein de la FFF pendant de nombreuses années. Nous avons eu l’occasion d’auditionner Laurent Blanc à ce sujet – mais pas seulement. Quel est votre regard sur le racisme et les formes de discrimination au sein de cette discipline ?

Mme Brigitte Henriques, ancienne présidente du Comité national olympique et sportif français. Le racisme est présent dans le football. Il est présent dans la société et le football étant le sport le plus populaire, on peut voir dans les stades que nous n’avons pas affaire à un « microclimat ». Le racisme est bien présent dans le football. Qu’a fait la FFF sur ce sujet ? Une commission des actions citoyennes a été créée au sein de la LFA. De nombreuses actions sont conduites concernant les discriminations et je pense que pour le racisme, c’est beaucoup une affaire de communication. Nous aurions besoin d’aller encore plus loin et plus fort. Je suis heurtée lorsque je vois des joueurs professionnels comme amateurs être insultés. Nous devons inclure une sensibilisation à cette question dans la formation des éducateurs et des dirigeants et sensibiliser aussi les pratiquants dès leur plus jeune âge. Cela fait partie du programme éducatif fédéral que la FFF met en place pour environ huit cents mille enfants. Nous pouvons aller encore plus loin, comme nous le faisons pour l’environnement durable et la lutte contre les violences sexuelles. Nous inculquons ces notions aux joueurs dès le plus jeune âge et tout le long du parcours sportif.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pensez-vous justement qu’il soit possible de former et d’éduquer sur cette question lorsque le numéro un de la FFF nie l’existence du phénomène ?

Mme Brigitte Henriques, ancienne présidente du Comité national olympique et sportif français. Une nouvelle fois, je ne cherche nullement à défendre Noël Le Graët pour des propos inacceptables. Au cours des douze années que j’ai passées avec lui, je n’ai pas été témoin de comportements racistes de sa part. J’ai été heurtée par ses propos car une telle expression n’est pas entendable mais je n’irai pas jusqu’à en tirer des conclusions sur la considération qu’il peut avoir à l’égard des personnes de couleur ou d’autres ethnies. Cela étant, vous avez raison, une personne ayant des convictions racistes ne peut pas être à la tête d’une fédération.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Des propositions ont été formulées. Des sportifs ont rapporté que loin de diminuer, le phénomène du racisme s’était amplifié au sein du mouvement sportif, et notamment dans le football. Je fais référence aux cris dans les stades. J’ajouterai à cela les manifestations d’homophobie que nous avons pu observer ces dernières semaines lors de différents matches. Seriez-vous favorables à l’arrêt systématique des matches de football lorsque des propos racistes ou homophobes sont tenus ?

Mme Brigitte Henriques, ancienne présidente du Comité national olympique et sportif français. Je ne suis pas favorable aux sanctions collectives. Ma conviction est que nous devons apprendre à nous comporter en tant que supporters dès le plus jeune âge. C’est la même chose que lorsque l’on doit apprendre aux enfants comment se comporter dans un théâtre : on ne parle pas et on n’utilise pas son téléphone. C’est exactement la même chose dans les stades : les supporters ont des droits et des devoirs. Il y a des choses qu’ils ne peuvent pas faire. En inculquant ces notions dès le plus jeune âge, les jeunes supporters sont capables de se comporter de manière civile et respectable. Avec les technologies actuelles, il est possible d’identifier – et nous devrions l’être – les personnes responsables de ces cris homophobes ou racistes et de les interdire de stade, tout simplement. Je ne suis pas favorable à l’arrêt des matches. C’est très compliqué et je ne suis pas convaincue que cela permettrait d’enrayer le racisme. Par contre, que l’on puisse identifier les personnes et les exclure du stade et que le club soit en charge de mettre en place des actions pour éduquer les supporters – comme le font déjà certains clubs – me semblerait plus pertinent.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pourquoi ne le fait-on pas déjà ?

Mme Brigitte Henriques, ancienne présidente du Comité national olympique et sportif français. Vous avez vu combien de temps cela prend pour les fumigènes… Cela nécessite des moyens considérables. Les clubs professionnels de football et la LFP mènent des actions pour essayer d’enrayer ce phénomène. Des actions éducatives sont mises en place par la LFP. Malheureusement, nous avons aussi affaire à des maux de notre société que nous avons du mal à enrayer et nous avons aussi du mal à les combattre dans ce cadre. Lorsque quatrevingts mille personnes sont amassées dans un stade, il est difficile d’en former autant pendant des années pour qu’elles aient un comportement citoyen. En revanche, je vous rejoins sur le fait que les personnes qui tiennent des propos racistes doivent être exclues. Elles n’ont plus leur place. De même pour l’homophobie. Je fais référence aux actions mises en place au sein du CNOSF, avec le label FIER dont j’espère le déploiement avant la fin du mandat actuel et avec la conférence sur la lutte contre l’homophobie que nous avons organisée l’année dernière.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Merci. Si vous avez des compléments d’information, n’hésitez pas à nous les adresser.

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26.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Catherine Moyon de Baecque, présidente de la Commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) et ambassadrice des valeurs de l’olympisme pour la France (5 octobre 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous entamons l’audition de Mme Catherine Moyon de Baecque, présidente de la Commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport. Je vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions. Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet dernier. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations. Nos travaux se déclinent donc autour de trois axes : l’identification des violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, l’identification des discriminations sexuelles et raciales dans le sport, et l’identification des problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

Madame, votre témoignage est un moment important pour notre commission. Votre audition sera l’occasion de revenir sur votre parcours, les défaillances auxquelles vous avez été confrontée et les évolutions intervenues depuis. Vous avez été championne de France de lancer de marteau, victime de viol en 1991 pendant un stage de préparation de l’équipe de France d’athlétisme. Vous livrez votre témoignage dans un livre publié en 1997 : La Médaille et son Revers. Vous avez porté plainte contre quatre sportifs. L’un sera relaxé, les trois autres condamnés à des peines d’emprisonnement avec sursis. La Fédération française d’athlétisme, qui ne vous a apporté aucun soutien, vous a par la suite évincée de l’équipe de France d’athlétisme.

Vous avez ensuite exercé différentes fonctions, notamment au sein du ministère des Sports, et participé à la première convention nationale de prévention des violences sexuelles en 2020. La force de votre témoignage conduira Brigitte Henriques à vous nommer co-présidente de la commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport installée en janvier 2022 par le CNOSF.

Votre nom est revenu de manière récurrente au fil de nos auditions et votre témoignage est considéré comme fondateur dans l’histoire de la libération de la parole des sportives. Il faudra vingt-trois ans supplémentaires pour que l’omerta explose réellement, en 2020, lors de la parution du libre de Sarah Abitbol.

Votre audition nous permettra également de faire le point sur l’action de la commission que vous présidez et plus généralement sur ce qui a changé, de votre point de vue, depuis votre témoignage fondateur, et les améliorations qui restent à apporter.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Avant de vous laisser la parole et d’entamer nos échanges pendant environ une heure, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

La personne auditionnée prête serment.

Vous avez la parole.

Mme Catherine Moyon de Baecque, présidente de la Commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport. Merci pour votre invitation à m’exprimer devant votre commission d’enquête parlementaire. Je suis effectivement la première athlète de haut niveau à avoir brisé la loi du silence et à avoir mené un combat historique qui a ouvert la voie à d’autres. Mon affaire a fait jurisprudence.

En 1991, j’ai été effectivement victime d’agressions sexuelles aggravées de la part de membres de l’équipe de France qui avaient été encouragés par l’entraîneur national. Ma vie a soudain volé en éclat. Ma carrière sportive en pleine ascension a été pulvérisée. Mes études supérieures – je préparais l’agrégation – ont été stoppées net. J’ai vécu des problèmes familiaux au regard de cette situation, et également dans ma vie personnelle, parce que j’avais été élevée, dans mon enfance et mon adolescence, dans le respect des valeurs de la vie. À ce moment-là, tout était le néant, la mort, la brutalité, le silence, la désespérance. Si j’avais su le parcours du combattant qui m’attendait, je crois qu’à ce moment-là, j’aurais voulu mourir pour de vrai…

Pourtant, après avoir entendu : « Ma petite fille, vous êtes jeune et jolie, vous oublierez ! », j’ai compris que les faits étaient trop graves et que je devais parler. J’ai donc porté plainte. Mon affaire aurait dû passer devant les Assises, elle a été déqualifiée avec de très fortes pressions au plus haut niveau de l’État. Mais l’important est que mes agresseurs ont été condamnés, même si les peines sont dérisoires au regard du mal qui a été fait.

Les ministres qui se sont succédé ont privilégié la raison d’État au détriment de la justice et du droit individuel. Pour avoir dit la vérité et résisté, j’ai été bannie du sport français. J’ai connu des maltraitances et du harcèlement institutionnalisé. J’ai été victime de menaces, y compris de mort, de pressions, d’une mise à l’écart systématique et d’un discrédit qui perdure encore aujourd’hui.

Bien sûr, il y a eu une évolution et je ne suis plus la même car je me suis reconstruite grâce à quelques personnalités, en particulier des hommes, dont M. Maurice Herzog et son Altesse sérénissime Albert II de Monaco, qui m’ont consolée d’une désespérance que je croyais irrémédiable, qui m’ont permis de croire à nouveau dans les valeurs de l’olympisme, les principes éthiques, éducatifs, humanistes, environnementaux, qui sont le fondement même du sport et de la vie. Ils m’ont aussi permis de croire, avec d’autres amis, en la beauté de la vie, et de me rappeler combien la vie, au-delà du pire, peut s’avérer épanouissante, enrichissante et surprenante.

Et mon rôle, au-delà d’être la présidente de la commission de lutte contre les violences sexuelles dans le sport du CNOSF, est également d’être une ambassadrice. Je dois donner l’exemple, donner confiance, transmettre la bienveillance, l’espérance et cette exigence de vigilance, car quand il s’agit de la protection de l’intégrité physique et psychologique des enfants, des adolescents et des jeunes adultes, des hommes et des femmes également, il n’y a pas de questionnement : c’est une priorité qui est à la fois légale et vitale.

Je reviendrai aussi sur ma nomination, qui a été possible grâce à une femme, Mme Brigitte Henriques, élue présidente du CNOSF le 29 juin 2021. Lors d’une assemblée générale extraordinaire du CNOSF, j’ai été nommée présidente de la commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport avec un co-président car il fallait une parité. Brigitte Henriques m’a aidée à prendre ma place, à prendre confiance, à m’affirmer, et j’ai souhaité une commission restreinte, qui soit un peu une commission « commando », parce que je ne suis pas là pour faire de la figuration ou simplement pour le plaisir de dire que je fais partie du CNOSF. Le CNOSF est une institution olympique, sous l’autorité du comité international olympique (CIO), et je rappelle que dès 2008, le CIO a rédigé un document concernant le harcèlement et les abus sur les athlètes, en donnant des directives aux fédérations internationales et à tous les comités nationaux olympiques. Qu’a-t-on fait de ce document en France et surtout, quelles actions ont été mises en place ?

Puisque mon propos se doit d’être constructif, j’aimerais aussi dire que cette commission m’honore, m’oblige et simultanément, qu’elle n’est pas suffisante en l’état actuel pour répondre à l’ampleur des violences dans le sport. Soyons sérieux. Des initiatives sont prises à tous les niveaux (ministériel, olympique) et dans les autres structures. Elles ont le mérite d’exister, je les soutiens et je les encourage, mais pour réfléchir sur ce qui se passe et avoir une vision de ce qu’il faudrait faire, je suis désolée d’avoir à le dire car mon propos se veut constructif et objectif, mais nous ne sommes en France pas à la hauteur des enjeux, en particulier dans la perspective des Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Mais nous avons de bonnes raisons d’espérer.

J’aimerais dire aussi, pour terminer sur ce sujet, que j’ai vécu un système qui, lorsqu’il est confronté à une difficulté, s’organise pour broyer. Il nie, il rejette, il met hors d’état de nuire et il continue à discréditer si le problème ne disparaît pas de lui-même. Ce qui a été mon cas.

Je ne crois pas qu’en profondeur, le système ait évolué. Je crois que le milieu du sport français est incapable de se remettre en cause. Je crois que ce système, le milieu du sport français, n’a pas tiré les leçons pendant ces trois décennies, et pourtant Dieu sait si les affaires ont été nombreuses. Merci à #MeToo d’être passé par là et d’être arrivé en France – pas simplement dans le sport, mais dans l’ensemble de la société. Avec ses excès, il faut aussi le dire. Le but n’est pas de travailler en opposition les uns avec les autres mais de nous réunir, de nous rassembler, et dans la perspective des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, nous avons un devoir de résultat. Nous avons une chance historique. Nous avons une opportunité exceptionnelle de nous réunir, de montrer que le sport est en train de changer, qu’il est un levier pour la société, et qu’ensemble, nous pouvons à réenchanter le sport et la société. Avec beaucoup d’humilité, car en voyant ce qui se passe à l’international, je constate que la France est très en retard. La société a plus évolué que le sport français. En même temps, on voit des avancées dans le sport français. Tout n’est pas négatif. Mais sur la question de la lutte contre les violences sexuelles et les discriminations, la manière dont les victimes sont traitées… Notre priorité est aussi que les milliers d’athlètes, hommes et femmes, garçons et filles, ne soient jamais victimes de ces violences. D’ailleurs, en vous parlant, je pense à Alexandre, Emma, Angélique, Claire, Chloé, Eléa, Sarah, Sébastien, Camille, Hélène, Cécile, Florence, Adèle, Andréa et à ces milliers de victimes encore emprisonnées dans le silence, la violence et l’indifférence.

Nous avons une obligation de résultat mais ce n’est pas chacun et chacune dans notre coin, mais chacun et chacune à notre niveau de responsabilité et d’action, à notre juste place, que nous devons communiquer ensemble, ouvrir en transversalité, et agir en ayant pleinement conscience que ce problème est légal et vital et que nous n’avons plus le temps. Il s’agit de sauver, de préserver et de consoler des vies.

L’une des leçons que je tire de mon histoire, c’est que le système est incapable, s’il n’est pas aidé par l’extérieur, et notamment par la société, de se remettre en cause. C’est un système clanique, qui vit en vase clos, qui s’auto-congratule et élimine ceux qui ne sont pas d’accord avec les décisions prises. Ce qui me donne beaucoup d’espoir, c’est qu’il y a beaucoup de femmes et d’hommes, dans les fédérations et sur l’ensemble du territoire national, qui sont prêts et dans l’attente d’un signal fort. Ce signal ne peut venir que du plus haut niveau de l’État : le Président de la République française. Et je ne doute pas un seul instant que M. Emmanuel Macron, Mme Brigitte Macron – qui m’a reçue – et les membres du gouvernement – qui sont mobilisés sur tous les fronts – aient la volonté de s’engager. Simplement, ce n’est pas suffisant au regard de l’ampleur des violences qui doivent s’arrêter. C’est un problème de société qui ne touche naturellement pas que le sport mais il faut qu’au plus haut niveau de l’État, des mesures beaucoup plus ambitieuses soient prises.

Il faut que le monde sportif, qui fait partie de la société, se rende compte qu’il ne relève plus d’un système d’exception. C’est terminé. Le sport français doit respecter la loi ordinaire. Il doit se conformer à la loi, aux règles, comme n’importe quel citoyen.

Je ne voudrais pas être trop longue pour laisser le temps aux questions mais je pourrais décrire mon travail au sein de la commission.

J’ai été accusée d’avoir terni l’image du sport pour avoir dit la vérité et résisté. J’ai été considérée comme la mauvaise conscience du sport français mais aujourd’hui, je vois, partout sur le territoire et à la tête de certaines fédérations, que je suis capable de transmettre à travers le symbole que je suis, mon exemple et la confiance que j’essaie de renouer… Cette confiance est indispensable mais empêchée par le système. Au contraire, il faut que nous nous fassions confiance. J’ai donc pris la décision de prendre de la hauteur, de tendre la main, de ne pas trop me retourner sur le passé mais de m’engager au présent pour l’avenir. C’est le combat de toute une vie. Je n’ai pas traversé l’Enfer pendant toutes ces années pour abdiquer aujourd’hui. Mon engagement est à la hauteur des épreuves que j’ai traversées mais aussi de ce que vivent les victimes et de ce que ne doivent pas vivre les milliers d’athlètes. Quand je vois qu’ils m’entourent, sachant à quel point ils peuvent compter sur moi, j’ai de l’espoir.

Il y a beaucoup de défaillances et de problèmes et les affaires vont continuer à ressurgir mais je remarque que dans certaines fédérations, des présidents et présidentes ont pris conscience de l’importance et de l’urgence de la situation.

Je suis aujourd’hui encore discréditée. Mes actions et mes paroles sont systématiquement minimisées et occultées au nom d’autres personnes ou d’autres intérêts. Tout le monde a sa place mais je m’interroge : comment se fait-il que la première athlète de haut niveau qui s’est battue seule contre tous pendant vingt ans, qui a dit et fait tout avant tout le monde, voie sa parole occultée ? Pourquoi, encore aujourd’hui, des pressions sont-elles exercées et des freins sont actionnés pour faire en sorte que je ne puisse pas m’exprimer et rayonner comme je devrais le faire ? Bien sûr que je le fais, parce que de plus en plus de personnalités savent qui je suis et m’invitent. Vendredi dernier par exemple, j’ai été invitée par les États-majors et les équipes du ministère des Armées. J’ai été présentée comme la Marianne du sport. Vous ne pouvez pas imaginer que cela signifiait pour moi. La société commence à faire attention à moi et à me reconnaître. J’aimerais bien avoir une place qui soit la mienne, mais pas pour moi, parce que je suis au service des autres. Je rappelle que je suis bénévole, et je travaille vingt-six heures sur vingt-quatre car je veux trouver des solutions. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette situation car il y a des vies en jeu et car le sport se doit d’être exemplaire. Il doit être un levier pour la société et dans la perspective des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, nous devons être à la hauteur. Nous serons à la hauteur et nous avons un prix à gagner. Il me faut que cette médaille d’or olympique incrustée de diamants multicolores, nous la partagions tous ensemble pour aller toujours plus haut, plus fort, plus loin, pour la dignité humaine, pour cette humanité sans qui le sport ne pourrait pas avoir de sens !

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Merci à vous pour ces paroles magnifiques et puissantes dont nous sentons qu’elles viennent du fond du cœur. Nous allons avoir quelques questions à vous poser et nous allons devoir limiter la durée des questions et des réponses. Tout à l’heure, vous avez fait part d’une prise de conscience au sein de certaines fédérations. J’aimerais savoir lesquelles.

Mme Catherine Moyon de Baecque, présidente de la Commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport. Je pense en premier lieu à la FFF, qui reconnaît les défaillances et ne veut plus fermer les yeux. Elle est en train de mettre en place un plan national qui sera annoncé par le Président Philippe Diallo à l’automne. Je l’ai rencontré et j’ai vu un homme dont la volonté et l’engagement forcent l’admiration.

Je pense aussi à la Fédération française de gymnastique. Elle comprend et essaie d’avancer. Depuis 2013, presque tous les ans, elle essaie d’élargir le champ de mise en place d’un process pour lutter contre violences sous toutes leurs formes. Elle œuvre surtout pour que l’environnement soit bienveillant et protecteur pour les gymnastes.

Je citerai également la Fédération française de patinage. J’ai rencontré la nouvelle présidente, qui m’a fait part de son engagement et des difficultés auxquelles elle faisait face au sein de sa fédération. Ce qui importe, c’est que ces dirigeants aient pris conscience de la nécessité de réagir. Ces personnes me demandent mon avis et une relation de confiance s’est créée. J’espère que cette impulsion fera boule de neige auprès d’autres fédérations.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous avez dit tout à l’heure que certaines personnes de votre entourage ou le système vous empêchaient de parler. Qui exactement ?

Mme Catherine Moyon de Baecque, présidente de la Commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport. Prenons un exemple récent. Le 6 avril 2023, ma commission et le CNOSF ont organisé les premières assises internationales de lutte contre les violences sexuelles. J’ai dû me battre pour que cet événement soit international. Il me semblait important que le CIO, le Conseil de l’Europe, des ONG, la Principauté de Monaco et d’autres comités nationaux olympiques puissent apporter leurs idées. Certains pays sont d’ailleurs très en avance par rapport à la France. Je suis également allée voir des ministres, j’ai travaillé avec leurs cabinets, j’ai essayé de créer une dynamique pour que les équipes travaillent entre elles au niveau interministériel plutôt qu’en silos.

D’ailleurs, à cet égard, j’ai découvert l’existence de dispositifs interministériels qui sont certes insuffisants mais qui sont très inspirants. Ils pourraient aussi donner de l’élan à notre volonté de faire évoluer le sport français.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quels sont les freins et les pressions que vous avez subis ?

Mme Catherine Moyon de Baecque, présidente de la Commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport. Je devais commencer par vous expliquer le contexte. J’ai constaté – et je suis loin d’être la seule – que beaucoup ont tenté de faire comme si ces assises internationales n’avaient pas eu lieu alors qu’on m’en parle encore aujourd’hui. Il s’est passé quelque chose. Une dynamique a été enclenchée. Et surtout, nous avons montré au CNOSF qu’il y avait une ligne olympique éthique et politique et que nous sommes mobilisés et engagés. Mais pour cela, nous avons besoin de moyens et de leviers. Je donne une certaine impulsion au sein de ma commission mais je fais partie d’une institution olympique. Avec le respect que je lui dois, comment se fait-il qu’en dehors de certains médias qui se sont intéressés à l’événement, tout ait été fait pour essayer d’en minimiser l’importance ? Cet événement était bel et bien important. Il fait partie de l’héritage olympique. Une deuxième édition aura lieu.

Il est difficile pour moi de vous décrire ces freins en quelques minutes mais je les ai constatés et je ne suis pas la seule. Cela renvoie au discrédit me concernant : ce que j’incarne semble encore déranger. Mais peu importe ! Je suis au service des autres. Je suis là pour aider à transformer en profondeur le monde sportif, et nous en sortirons tous gagnants.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Êtes-vous libre de vous exprimer même si vous incarnez quelque chose qu’on ne voudrait pas forcément voir aujourd’hui ?

Mme Catherine Moyon de Baecque, présidente de la Commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport. Oui, je suis bien libre et indépendante, mais simplement, tout ce que je peux faire et dire n’est pas relayé. Cela peut s’avérer problématique car les effets ne seront pas les mêmes. Je me suis souvent rendue dans les territoires et la plupart du temps, mes interventions se terminent en standing ovation. Cela montre donc bien que les assemblées auxquelles je m’adresse sont touchées par mes paroles. Cela me donne aussi beaucoup d’espoir. Beaucoup d’hommes et de femmes, au plus haut des fédérations, n’attendent qu’un signal fort, qui ne peut venir que du sommet de l’État. Ce qui est prévu n’est pas suffisant et nous devons absolument montrer, avant les Jeux olympiques et paralympiques, que certes la France a pris du retard, mais qu’elle suit le mouvement de l’histoire. Nous devons être à la hauteur avant tout pour les athlètes et pour les victimes.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. L’objectif de cette commission est de dresser un constat et de formuler des propositions. Nous travaillons beaucoup sur le traitement des affaires mais notre objectif primordial est que les agressions prennent fin, de même que les discriminations ou le racisme.

Vous avez évoqué la façon dont les victimes sont traitées encore aujourd’hui ; pourriez-vous développer ? Quelles seraient par ailleurs les propositions qui pourraient émaner du sommet de l’État pour faire évoluer le mouvement sportif ? Enfin, comment pensez-vous que nous pourrions mettre fin à ce système clanique qui est évoqué systématiquement lors de nos auditions ?

Mme Catherine Moyon de Baecque, présidente de la Commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport. Pour ce qui est des messages venant du plus haut de l’État, je pense à la réaffirmation que les crimes et délits, dans le sport comme dans la société, n’ont pas leur place. Le fait d’exprimer cette idée et d’annoncer des mesures innovantes serait déjà un signal fort. L’incarnation de l’exemplarité deviendra impérative, et à tous les échelons de la hiérarchie, les acteurs comprendront que le principe du « pas vu pas pris », comme il a pu s’imposer dans le dopage, n’a plus lieu d’être. Il s’agit de respecter les règles, de respecter les autres, de respecter la loi et de se respecter soi-même. Ceux qui viendraient à enfreindre les règles devraient connaître à l’avance les sanctions auxquelles ils s’exposent.

Dans le cadre de la commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations, j’ai demandé un état des lieux, d’une part pour identifier les bonnes pratiques sur les territoires – et si nous avions trouvé des solutions, cela se saurait - et d’autre part et surtout pour identifier les freins pour pouvoir les transformer en force constructive pour l’avenir. Les freins, je les ai tous surmontés, et je sais donc parfaitement où ils se situent. Il faut s’abstenir de porter des jugements hâtifs, comprendre la situation et essayer d’avancer ensemble bien conscients des freins qui nous sont imposés par le cadre législatif. Le cadre législatif ne suffit pas. Chacun doit être engagé au quotidien. C’est le plus important.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Les freins que vous avez constatés existent-ils toujours aujourd’hui ?

Mme Catherine Moyon de Baecque, présidente de la Commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport. Oui.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pourriez-vous citer des exemples ?

Mme Catherine Moyon de Baecque, présidente de la Commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport. Tout d’abord, les moyens dédiés à la lutte contre les violences ne sont pas du tout à la hauteur de cette violence. Si le président d’une fédération affirme qu’il veut que certains comportements cessent, ils évolueront. On ne peut se contenter de nommer une femme comme référente pour les questions de violences sexuelles. D’abord un référent ou une référente doit être formé. Écouter la parole d’une victime n’est pas simple tandis que pour cette dernière, se confier est la première étape de la reconstruction. Une personne qui n’est pas interrogée correctement peut se bloquer. Tant que les présidents de fédération n’érigeront pas cette question au rang de priorité, et ne se montreront pas impliqués, nous n’y parviendrons pas. À chaque échelon de la hiérarchie fédérale, beaucoup d’acteurs sont conscients du problème et aimeraient que la situation évolue mais sans volonté incarnée à la tête de la structure, cette évolution est impossible. Cela me donne l’impression d’une mer agitée : si je regarde en dessous de la surface, elle semble sombre et immobile. Nous devons chercher des solutions en profondeur. Elles ne sont pas faciles à trouver mais nous nous pouvons exploiter les liens que nous avons établis à l’international. Si le CNOSF appliquait le texte élaboré par le CIO, nous n’en serions pas là. En lien avec le CIO, le mouvement Safe Sport International se développe partout dans le monde. Son objectif est d’offrir aux athlètes un environnement qui préserve leur intégrité physique et psychologique et favorise leur épanouissement et leur développement. Qu’avons-nous fait pendant trente ans en France dans ce domaine ?

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pourquoi ce texte n’a-t-il pas été appliqué ?

Mme Catherine Moyon de Baecque, présidente de la Commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport. Je l’ignore et même moi, j’ai du mal à obtenir les documents, mais je ne désespère pas ! Je vous les transmettrai, naturellement. Les bonnes initiatives sont nombreuses mais chacun a tendance à travailler dans son coin. Il faut donc communiquer avec le ministère des Sports et avec les autres ministères. Les échanges interministériels m’ont beaucoup appris. Nous devons apprendre les uns des autres.

Avec beaucoup d’humilité, lorsque je vois l’armée qui se trouve autour de nous, au plus haut niveau comme partout sur le territoire, je ne doute pas un seul instant que nous y arrivions.

Les freins se situent à tous les niveaux. Sans développer, ils représentent pour moi un combat quotidien. Alors que je devrais être aidée et soutenue, je me sens souvent très seule. Je ne me plains pas, je suis qui je suis, j’ai vécu ce que j’ai vécu et j’ai tout surmonté. Je veux transmettre cette force à tous les athlètes, à toutes les victimes. Les athlètes méritent de vivre dans un environnement protégé. Le sport, c’est la joie de vivre, la passion. Ce sont les émotions, les médailles, mais pas au détriment de la dignité humaine !

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous sommes tout à fait d’accord. Je vous proposerai de revenir vers nous plus tard, par écrit, pour détailler les freins que vous avez constatés et vos propositions pour les lever.

Nous sommes également intéressés par les bonnes pratiques que vous avez constatées à l’international. Nous aimerions avoir des exemples.

Mme Catherine Moyon de Baecque, présidente de la Commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport. Je pourrais en citer en Espagne par exemple.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous aurions besoin d’exemples concrets.

Mme Catherine Moyon de Baecque, présidente de la Commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport. Le travail que vous me demandez, je l’ai déjà fait. Je voulais me présenter devant vous sans papiers pour m’exprimer avec authenticité. Je vous transmettrai donc ce travail mais il existe tellement de niveaux qu’il est difficile pour moi de vous décrire sommairement ces freins. Les freins sont partout et à tous les niveaux. Je risquerais donc d’en oublier. D’ailleurs, dans le même temps, certaines situations sont en train de se débloquer.

Je pourrai vous citer des exemples au Canada. Je pense aussi à des initiatives du Conseil de l’Europe, qui est très actif. En Espagne par exemple, non seulement le gouvernement est très actif, mais le CNO local également. En Suisse également, ainsi que dans les pays nordiques, qui sont très en avance. Je vous transmettrai mes documents.

Le cabinet Mouvens est intervenu dans le cadre de notre état des lieux. Des préconisations ont été formulées – soixante puis quarante – dont certaines sont déjà déployées ou en cours. Je vous transmettrai également les documents.

Je ne désespère pas d’obtenir le document que je réclame depuis un certain temps. Je souhaite pouvoir vous transmettre des documents complets et circonstanciés.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous aussi, nous pouvons demander ces documents à travers cette commission d’enquête.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous pourriez ainsi nous préciser quels documents vous souhaitez obtenir afin que nous puissions les réclamer. Nous les obtiendrons peut-être plus facilement.

Vous vous êtes demandé à plusieurs reprises ce qu’avait fait le sport français pendant trente ans. Lorsque nous avons entamé nos travaux, nous avons entendu que des fédérations étaient mécontentes qu’un travail soit engagé sur les dysfonctionnements au sein du mouvement sportif. Pensez-vous que les fédérations, et plus largement le mouvement sportif français, soient prêts à faire évoluer leurs pratiques ? Comme vous l’avez dit, il ne sera pas en capacité de se réformer tout seul, mais pensez-vous qu’il est prêt ? Pensez-vous que le moment soit venu pour le mouvement sportif de se réformer et d’entrer dans le vingt-et-unième siècle ?

Mme la présidente Béatrice Bellamy. J’aimerais revenir sur la loi de mars 2022, qui constitue une étape très importante pour le mouvement sportif. J’aimerais savoir si les mesures en matière de mixité au sein des organes de gouvernance et la limitation à trois mandats pourraient contribuer à l’évolution du contexte que vous décrivez ?

Mme Catherine Moyon de Baecque, présidente de la Commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport. Ce sont effectivement des avancées constructives même si nous ne devons pas nous en contenter. Des avancées ont bien eu lieu, notamment sur le plan législatif, et c’est indispensable, mais la loi ne peut pas tout. J’aimerais revenir sur l’élection de Brigitte Henriques à la tête du CNOSF. Pendant ces deux ans, nous avons eu conscience que nous faisions un pas en avant vers l’ère olympique nouvelle. Son départ constitue quand même un séisme. Que va-t-il se passer après ?

Je tends la main, je souhaite travailler avec des personnes engagées et désireuses d’efficacité. La confiance fonctionne dans les deux sens. Je garde espoir.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pensez-vous que le départ de Mme Henriques pourrait se traduire par un recul par rapport aux actions mises en place pendant son mandat ?

Mme Catherine Moyon de Baecque, présidente de la Commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport. Son départ a des conséquences mais j’espère pouvoir m’entretenir avec le nouveau président du CNOSF car la situation du monde sportif français n’est pas satisfaisante.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. L’avez-vous rencontré à ce jour ?

Mme Catherine Moyon de Baecque, présidente de la Commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport. Non. J’ai fait trois demandes mais je ne l’ai pas encore rencontré. Je m’efforce de prendre de la hauteur et de tendre la main…

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le fait que vous ne l’ayez pas encore rencontré malgré vos trois demandes est important. Cela donne une indication sur l’importance qu’il accorde au sujet que vous traitez.

Mme Catherine Moyon de Baecque, présidente de la Commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport. Je ne veux pas porter de jugement avant de m’être entretenue avec lui. Je suis quelqu’un de loyal et je suis respectueuse de l’institution. S’il décide de me faire confiance, ce sera merveilleux parce que nous pourrons avancer en confiance ensemble. Cependant, vous avez pointé une réalité, et je ne suis responsable que d’une petite commission. Brigitte Henriques ne m’a pas nommée par hasard, et j’ai donné une dimension inédite à cette commission. J’ai fait exploser le plafond de verre mais j’ai conscience de la réalité et je sais que cela ne suffit pas. Si le président du CNOSF est désireux d’avancer, je serai naturellement à ses côtés. Je ne suis pas au cœur du système pour le critiquer mais parce que nous n’avons pas le choix : nous devons et nous allons gagner avant les Jeux de 2024. Le sport français est en retard mais il a une opportunité de rattraper son retard. Tout le monde peut comprendre que tous les problèmes ne peuvent être traités simultanément. Ce qui compte, c’est la volonté sur la durée. Les mots n’ont de sens que s’ils sont concrétisés sur la durée. Le public se lasse des effets d’annonce qui ne sont pas suivis d’effets. Je dis ce que je fais et je fais ce que je dis et c’est ce dont les gens ont besoin. Je suis aussi animée par la volonté de replacer l’humanité au cœur du système. Je suis bien consciente que les intérêts supérieurs de l’État, les principes de réalité et les exigences de haut niveau doivent être pris en compte, mais jamais au détriment de l’intégrité physique et psychologique des athlètes, des sportifs, des victimes.

La question n’est pas : le sport français peut-il se transformer ? Nous allons l’obliger à se transformer ! Ce n’est pas peut-être, ce n’est pas demain, c’est ici et maintenant ! Nous devons nous réveiller ! Nous devons absolument nous lever tous ensemble, et je ne parle pas là seulement du sport français mais de l’ensemble de la société. Nous devons dire que nous ne voulons plus des violences. Ce n’est pas aussi simple, j’en conviens, mais la volonté d’avancer doit être partagée. Nous devons aussi aider le Président et le gouvernement dans cette perspective plutôt que d’adopter une posture d’opposition systématique. Nous devons essayer de nous unir, chacun à notre place, dans cette course de relais. Au bout de cette course de relais, la victoire nous attend. La victoire de la France olympique et paralympique, du sport et de la culture !

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Merci pour cette très belle conclusion.

Mme Catherine Moyon de Baecque, présidente de la Commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport. Merci à vous de m’avoir écoutée. Je suis à votre disposition comme je suis au service du sport français et au service de la France, avec humilité.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. N’oubliez pas de nous envoyer vos propositions par mail, Elles nous intéressent.

Mme Catherine Moyon de Baecque, présidente de la Commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport. J’ai déjà fait le travail que vous m’avez demandé mais les freins sont nombreux et existent à différents niveaux, tant et si bien qu’il serait trop compliqué de vous les décrire en quelques minutes.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Bien sûr. N’hésitez pas à nous écrire à ce sujet. Nous sommes intéressés également par vos propositions et vos exemples de bonnes pratiques à l’international. Nous comptons sur votre contribution à cette commission d’enquête.

Mme Catherine Moyon de Baecque, présidente de la Commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport. J’aimerais vous remercier pour votre courage car ce n’est pas évident. Je suis interpellée par la manière dont le sport français cherche à se défendre plutôt que d’attaquer. Nous devons avancer tous ensemble dans la lutte contre les violences et les discriminations. J’ai bien compris que ceux qui ont voulu m’anéantir et me faire disparaître étaient toujours là mais seulement, la petite Catherine a grandi et mûri et aujourd’hui elle est conseillée, entourée et protégée. Je tenais à vous remercier pour cette commission d’enquête. Au lieu de la critiquer, il faudrait vous encourager et vous soutenir. Je sais que votre but n’est pas de détruire le sport français mais de trouver des solutions pour que nous l’assainissions et pour que ses valeurs fondatrices soient au cœur des préoccupations. Sans la dignité humaine, le sport ne peut pas avoir de fondement. Le sport fait aussi partie intégrante de la société. Il a des bienfaits innombrables sur la santé. Il peut permettre de se reconstruire, il favorise l’inclusion. Le sport français doit être valorisé comme il le mérite. Les champions et les championnes français aussi mais un champion doit être exemplaire. Tout comme un entraîneur ne doit pas seulement être un bon technicien. Il doit avant tout être un éducateur. Vous avez tout mon soutien. Merci beaucoup.

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27.   Audition, ouverte à la presse, de M. Hermann Ebongué, secrétaire général de SOS Racisme et président-fondateur de Sportitude-France (12 octobre 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je souhaite la bienvenue à monsieur Hermann Ebongué, secrétaire général de SOS Racisme et président fondateur de Sportitude France. Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet dernier. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations de sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux se déclinent autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public. Fondée en 1984 par Harlem Désir et Julien Dray, l’association SOS Racisme se fixe l’objectif de lutter contre le racisme, l’antisémitisme et, plus généralement, toutes les formes de discrimination et de promouvoir le vivre-ensemble.

Créée en septembre 2011, Sportitude a pour principale mission de mettre en avant les valeurs du sport par des actions de formation et de sensibilisation. Elle insiste sur la promotion de bonnes pratiques et du respect dans le sport. Une autre de ses missions est d’identifier et d’analyser, à l’occasion des manifestations sportives, notamment des matchs de football, tous les problèmes périsportifs – hooliganisme, violence, racisme, xénophobie, sexisme, homophobie, etc. – qui surgissent parfois aux abords et à l’intérieur des stades afin de proposer des réponses efficaces.

Nous souhaiterions tout d’abord recueillir votre analyse de l’ampleur des actes de racisme et des discriminations dans le milieu du sport en France ainsi que leur évolution. Disposez-vous d’éléments statistiques et de comparaisons internationales ? Pourriez-vous revenir sur les actions déployées par SOS Racisme et Sportitude France dans le champ qui nous intéresse, et notamment l’accompagnement financier de votre action par les pouvoirs publics ?

Pourriez-vous nous donner des exemples précis de cas de racisme ou de discrimination que vous avez rencontrés dans le champ du sport et les réponses qui y ont été apportées ? Quelles relations entretenez-vous avec les différents acteurs qui interviennent dans la lutte contre le racisme et les discriminations dans le sport : ministère des sports, fédérations sportives, Agence nationale du sport (ANS), délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah), commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), défenseur des droits, établissements d’enseignement et la justice ?

Quelle appréciation portez-vous sur l’action de ces différents acteurs dans le domaine qui nous intéresse ? Les responsabilités de chacun sont-elles suffisamment claires ? Plus généralement, quelle appréciation portez-vous sur le cadre existant pour prévenir, détecter sanctionner les actes de racisme et de discrimination dans le milieu sportif ? Ce cadre vous paraît-il adapté ou doit-il être renforcé ? Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Avant de vous laisser la parole et d’entamer nos échanges, je vous rappelle que vous devez prêter serment.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main et à dire : « Je le jure ».

(M. Hermann Ebongué prête serment.)

M. Hermann Ebongué, secrétaire général de SOS Racisme et président fondateur de Sportitude France. Je suis secrétaire général de SOS Racisme et président de Sportitude, structure qui travaille spécifiquement dans le domaine du sport et qui est très axée sur les problèmes périsportifs. Elle n’intervient pas dans la pratique du sport en tant que telle, mais sur toutes les problématiques périphériques au sport. Ce qui m’a amené à créer cette association est le constat que les problèmes périsportifs ne sont pas assez traités par les fédérations et les instances sportives, qui mettent davantage l’accent sur le champ sportif, dont l’organisation est leur mission première, que sur l’extra-sportif.

Le périsportif et l’extra-sportif sont généralement très peu traités par les fédérations et tous ceux qui ont la charge de gérer le sport. Je pense qu’il y a un défaut de perception et de conception du sport dans sa globalité. Certaines fédérations ou certains dirigeants considèrent seulement le sport en se focalisant sur sa pratique alors que le sport englobe aussi tout ce qui tourne autour du sport. C’est la raison pour laquelle on constate qu’il y a moins d’investissement dans le périsportif s’agissant des problèmes que vous venez d’énumérer.

Très peu de fédérations, de clubs et d’instances sportives investissent dans les moyens humains et matériels pour répondre à ces problématiques qui sont liées à la pratique du sport.

Il s’agit donc d’intégrer cette problématique de lutte contre les discriminations et le racisme dans le logiciel du sport, dans toutes les dimensions du sport, y compris dans l’enseignement, en particulier dans les écoles de formation. Certes, les choses commencent un peu à changer mais toujours en réaction à des drames ou des problèmes. Devant des faits, il y a parfois un semblant de prise de conscience. Quand un fait de racisme ou de discrimination survient, l’écosystème sportif réagit, s’exprime et fait semblant de prendre conscience du problème mais ensuite, ça retombe jusqu’au prochain acte ou épisode.

L’arrivée d’Internet et des réseaux sociaux a beaucoup changé la donne. Auparavant, il était plus difficile de dévoiler de tels faits et de les médiatiser. Aujourd’hui, on arrive plus facilement à rendre ces problématiques accessibles, ce qui permet de les prendre en compte. En ce qui concerne le bilan en tant que tel, d’après mon expérience, étant donné que je suis à l’origine de la réduction de ces problèmes au Paris Saint-Germain, qui a connu beaucoup de problèmes de violence, de hooliganisme et de racisme entre différentes tribunes, le résultat du PSG est aujourd’hui à l’image du résultat global en France. Si on se compare à d’autres pays, en particulier l’Italie, ces mêmes problématiques se posent là-bas, mais il n’y a pas de réponse apportée.

La leçon à tirer de l’expérience du PSG c’est qu’on peut régler et surmonter ces problèmes. C’est une question de volonté, et non de moyens. En l’occurrence, je pense qu’il y a une volonté, une vision et les moyens nécessaires à mettre en place. La situation actuelle du Paris Saint-Germain n’a plus rien à voir avec ce qu’elle était il y a encore quelques années. Je pourrai vous envoyer un bilan chiffré qui démontre qu’au cours des treize dernières années, pendant lesquelles j’ai travaillé avec eux, ces problématiques de racisme, d’antisémitisme et de violence ont baissé de 97 % au sein de ce club.

La volonté du club de régler ces problèmes a fait suite à un drame, qui est finalement devenu une opportunité de changer les choses. Je crains malheureusement qu’il faille des drames pour amener les instances du sport et l’écosystème sportif à travailler en la matière. Il est regrettable que les problèmes ne soient jamais traités en amont dans le cadre d’un travail serein avec ceux qui connaissent le sujet.

Je constate effectivement qu’il y a plus de dénonciations et de problèmes qui sont mis en évidence. Malgré une certaine prise de conscience, il reste beaucoup à faire, notamment en termes de moyens à mettre en œuvre pour lutter contre ces problèmes. La meilleure manière de les éviter, c’est la prévention. Or, c’est en particulier sur ce point qu’il y a beaucoup de défaillances.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je souhaitais revenir sur l’accompagnement financier de votre action par les pouvoirs publics.

M. Hermann Ebongué. C’est un problème qui concerne plus généralement toutes les associations, qu’il s’agisse de SOS Racisme ou de Sportitude. Il y a très peu de soutien public, ce qui témoigne du fait que ces problématiques sont insuffisamment prises en compte, notamment dans le sport.

Pour être concret, les actions de Sportitude et de SOS Racisme dans le champ du sport sont aujourd’hui uniquement soutenues par la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah). Il y a un accompagnement financier et humain avec la présence de différents délégués interministériels. Ils nous aident également dans la documentation, dans la recherche et dans la mise en œuvre des actions.

Seule la Dilcrah nous vient en aide. Ce n’est pas faute d’avoir sollicité d’autres instances sportives. Nous avons eu notamment maille à partir avec la Fédération française de football (FFF) car nous avons beaucoup dénoncé ce qu’il s’y passait. Je pense notamment aux déclarations de son ancien président : monsieur Le Graët, qui affirmait qu’il n’y avait pas de racisme dans le football. Cette phrase résume très bien l’esprit dans lequel cette fédération gère le sujet. Elle nous a répondu qu’elle travaillait déjà avec d’autres associations. Il n’y a pas non plus de soutien financier de la part du ministère des sports. Il en va de même de la Ligue de football professionnel (LFP), qui est délégataire d’une mission publique au même titre que la FFF. Je pense donc qu’il y a matière à travailler sur cet aspect-là.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous n’avez pas de contact avec l’ANS ou d’autres associations de lutte contre ces violences ?

M. Hermann Ebongué. Non. En fait, les relations se sont tendues très rapidement avec l’ANS. Je pense qu’il s’agit d’un problème de conception de ces problèmes.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je n’en comprends pas les raisons.

M. Hermann Ebongué. L’ANS intègre les associations de supporters. Elle voit les associations de lutte contre le racisme et les discriminations comme des acteurs qui les empêchent de faire évoluer le supporterisme dans le sens qu’ils souhaitent. Ils nous jugent très critiques sur ces problématiques. Je me souviens d’une première réunion que nous avions eue avec eux en présence du délégué interministériel. Nous y avions notamment dénoncé la question de l’homophobie. Il y avait une véritable différence de conception de ces problèmes. La présidente de la Ligue de football professionnelle avait d’ailleurs déclaré que les chants homophobes relevaient du folklore des stades. La conception de l’ANS n’était pas éloignée.

Tandis que nous nous étions saisis de cette question avec beaucoup de gravité. Pour l’ANS, ça relevait du domaine de la liberté d’expression. Bien que nous soyons attachés à la liberté d’expression, nous pensons qu’il y a des limites à ne pas franchir. On ne peut pas nous faire entendre que les chants homophobes ne sont pas graves et qu’ils ne font pas de victime car ils ne visent personne en particulier.

Les échanges étaient vraiment tendus parce que nous ne voyions pas du tout les choses de la même manière. Nous avons eu une réunion extrêmement houleuse au cours de laquelle le délégué interministériel s’était levé. Nous insistions pour mettre un nom sur les problèmes afin de pouvoir travailler dans le sens de leur résolution. Les relations se sont donc tendues dès la première rencontre. C’est sans doute la raison pour laquelle nous n’avons jamais été reconvoqués ; et ce, en dépit des recommandations de la Dilcrah qui avait recommandé que les associations telles que SOS Racisme et Sportitude soient intégrées à l’ANS en sachant que SOS Racisme et Sportitude ont beaucoup d’expérience en la matière et un bilan.

Je suis extrêmement sollicité car on considère que la France a un modèle qui est celui du PSG. Je pourrais revenir sur le modèle qui a été mis en place au PSG. Pour régler ces problèmes, il faut investir dans l’humain et se doter des moyens nécessaires. Il faut aussi pouvoir sanctionner. La législation actuelle nous permet de répondre sur les plans pénal et disciplinaire, mais il faut aboutir à des sanctions. On n’a pas suffisamment travaillé pour identifier les personnes qui posent problème et prononcer des sanctions individuelles, ce qui éviterait des sanctions collectives en sachant que les sanctions collectives créent souvent une fausse solidarité.

C’est la raison pour laquelle Sportitude a mis en place un dispositif qui permet d’aller vers l’individualisation des peines. Beaucoup de supporters, qui pensaient qu’on venait les gêner dans leur activité, ont eu du mal à le comprendre. L’ANS considérait que nous allions mettre fin à des pratiques qu’elle jugeait normales. Certains d’entre eux n’avaient pas conscience de la gravité des choses. Pour cela, il faut écouter et comprendre la souffrance des gens. Toujours est-il que l’ANS ne nous a pas intégrés ni convoqués à ses réunions.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Depuis cette première réunion, avez-vous recontacté l’ANS afin d’engager un travail avec eux ? Auriez-vous les comptes rendus des réunions auxquelles vous avez assisté et lors desquelles vous n’étiez pas d’accord ? À titre personnel, je pense qu’il y a bel et bien des victimes de l’homophobie. Le nier constitue un problème en soi. C’est la raison pour laquelle on a du mal à avancer aujourd’hui. Il est important de sanctionner, mais il y a encore un gros travail à faire en termes de prévention. S’il y a un désaccord sur la définition de l’homophobie et du racisme, il est difficile de travailler sur des actions de prévention.

M. Hermann Ebongué. Je pense pouvoir retrouver ces comptes rendus, notamment celui de cette réunion qui s’est tenue au ministère des sports.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pourriez-vous nous préciser la date de cette réunion-là ainsi que le positionnement et les propos des uns et des autres ?

M. Hermann Ebongué. Il me semble que c’était en 2017. C’était à la suite de chants homophobes lors d’un match PSG-OM. Ces chants ont redoublé et déferlé après les dénonciations de la ministre de l’époque, Roxana Maracineanu, parce que les supporters n’ont pas apprécié la réaction des pouvoirs publics. Il s’est créé un rapport de force, tel un défi lancé, lors des matchs qui ont suivi. C’est ce qui a amené à la tenue de cette réunion.

En ce qui concerne les positions de chacun, nous étions sur la même ligne que la Dilcrah. D’ailleurs, je me rappelle que Frédéric Potier s’était beaucoup énervé. L’ANS avait plutôt tendance à relativiser les faits. La principale opposition venait de SOS Racisme, Sportitude et la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra). La position du délégué interministériel était à la fois claire et ferme.

L’avocat des groupes de supporters, qui était également présent lors de cette réunion, défendait les chants sur le terrain juridique. Il était plutôt sur le terrain du droit avec une confusion entre la liberté d’expression et la qualification des termes utilisés. Il affirmait que certains mots n’étaient pas de nature à recevoir la qualification d’homophobe. On en est arrivé à ce type de débats, qui existent encore à ce jour. Nous considérons pour notre part que ces termes relèvent d’une homophobie caractérisée sans équivoque. Je pense donc qu’il est nécessaire de faire preuve de beaucoup de pédagogie.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous été recontactés depuis cette réunion de 2017 ?

M. Hermann Ebongué. Par l’ANS, non. Pourtant, j’ai connaissance de plusieurs réunions de l’ANS qui se tiennent.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Demandez-vous à être associés à ces réunions ?

M. Hermann Ebongué. Je vous avouerai que non. Par exemple, une réunion va se tenir dans quatre jours. D’ailleurs, je le sais par une personne active dans la lutte contre les discriminations qui doit intervenir ce jour-là. Elle m’a demandé de lui faire une note à ce sujet. Elle souhaite présenter le travail que j’ai effectué avec le Paris Saint-Germain.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Cette personne va-t-elle porter votre parole ?

M. Hermann Ebongué. Non. En fait, c’est une association qui est invitée, mais qui ne connaît pas forcément le sujet en profondeur.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. De quelle association s’agit-il ?

M. Hermann Ebongué. Il faudrait que je regarde. Toujours est-il qu’elle estime que je connais suffisamment le sujet compte tenu de l’expérience et du bilan dont je dispose. Tout le monde sait que je travaille avec le PSG. Les instances du football suivent ces questions-là. Pour autant, il n’y a aucune volonté d’associer SOS Racisme et Sportitude.

La différence, c’est que nous sommes assez clairs en termes de positionnement sur ce qu’il convient de faire. Au-delà de la sanction, nous sommes assez exigeants sur les solutions à mettre en place. Il s’agit de traiter ces questions, non pas sous un angle biaisé, mais avec toute la gravité qu’elles requièrent. C’est la raison pour laquelle j’insiste sur le fait qu’il y a une différence de conception de ces problématiques.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous évoquons un point très important. Il serait bien que nous ayons le procès-verbal de cette réunion, lors de laquelle on s’est interrogé sur le caractère raciste ou homophobe des termes employés. Ça nous permettrait de savoir qui prend la décision, notamment sur le caractère raciste ou homophobe de ces mots.

M. Hermann Ebongué. En fait, ce qui est dramatique, c’est que personne n’a pris de décision lors de cette réunion. C’est le ministère des sports qui gère l’ANS. Le Dilcrah a menacé de quitter la séance. C’était extrêmement houleux. À un moment donné, je me suis même demandé à quoi pourrait bien servir cette réunion. Pour ma part, je n’ai pas eu le sentiment qu’une décision ait été prise.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Savez-vous s’il y a eu une évolution en six ans ? Existe-t-il quelque part une liste de termes qui sont considérés comme racistes ou homophobes ?

M. Hermann Ebongué. Je pense qu’il y a des évolutions, notamment sur les questions liées au racisme. Je fais à nouveau référence au Paris Saint-Germain, qui était perçu comme le mouton noir et qui a beaucoup évolué. Beaucoup d’autres clubs ont suivi. Pour autant, il existe encore du racisme résiduel. En ce qui concerne l’homophobie, il y a un réel travail à accomplir. En sachant que ça tombe sous le coup de la loi. Certaines associations effectuent un travail pédagogique de sensibilisation. Je pense notamment à Yoann Lemaire et à Foot Ensemble. Il y a un début de prise de conscience de la part de certains supporters. Pour autant, le supporterisme en général a beaucoup de mal à évoluer sur la question.

Aujourd’hui, je pense qu’il est nécessaire d’investir massivement sur le volet de la conception, de la compréhension et de la conscientisation du public. L’Association nationale des supporters doit y travailler. Je crois qu’on peut y arriver. En revanche, ça requiert un travail sérieux, organisé, encadré et pédagogique. De toute façon, les choses vont obligatoirement évoluer. Il s’agit de sanctionner à titre individuel, et non à titre collectif. Les choses ont donc légèrement évolué depuis la réunion de 2017, mais il reste un gros travail à faire.

J’ai assisté à la dernière rencontre entre le PSG et l’OM il y a deux semaines. En fait, il y a eu un tsunami de chants. Ça a été repris par 20 000 spectateurs dans le stade ; et pas uniquement des ultras. Certains supporters, sous le coup de l’euphorie, ne se rendaient même pas compte de leur attitude. Je me suis interrogé sur ce dont j’ai été témoin. Les réactions se sont focalisées sur les groupes de supporters. Si on souhaite régler ce problème, il faut mobiliser l’ensemble des personnes qui constituent cet écosystème : les pouvoirs publics, le politique, les clubs, les fédérations, etc.

Dans un premier temps, je pense qu’il s’agit d’apporter des réponses pédagogiques. Il s’agit pour cela d’investir à court terme et à moyen termes. En réponse à cette difficulté de perception, de conception et de compréhension, il faut une campagne massive d’éducation et de sensibilisation. Aujourd’hui, la société ne tolère plus ce qui pouvait paraître acceptable il y a encore quelques années. Tout comme la société a évolué, le monde du sport et le supporterisme doivent le faire eux aussi.

Je pense que nous sommes tous d’accord pour faire évoluer les choses, mais c’est l’investissement en la matière qui fait défaut. Cet investissement doit être à la fois humain et matériel. Il faut notamment que des personnes en charge de ces sujets soient identifiées au sein des fédérations et des clubs. Il existe effectivement un référent des supporters, mais il ne s’agit pas d’un référent sur les problèmes de racisme, de hooliganisme, d’homophobie et des discriminations.

C’est la raison pour laquelle il faut chercher l’efficacité. Les instances sportives ne connaissent pas ces sujets. Ces questions ne peuvent pas être traitées par n’importe qui. En sachant que les origines ethniques ne dictent pas les connaissances en la matière. Il existe des associations qui connaissent profondément ce sujet. Il s’agit donc d’investir et d’interpeller tous les acteurs sur cette partie-là.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous avons évoqué le cas de l’US Orléans il y a quinze jours. Son entraîneur, Bernard Casoni, a été suspendu. Le sujet du club de basket-ball de Charleville-Mézières a également été soulevé au printemps dernier. Un joueur de Metz a été traité de « bonobo ». Dans l’actualité du jour, il en est encore question à Nancy. Savez-vous si ces cas sont plus fréquents dans certaines fédérations ? Pour mettre un peu d’optimisme dans tout ça, avez-vous connaissance de bonnes pratiques que vous auriez pu constater à l’international ?

M. Hermann Ebongué. L’expression de ces phénomènes touche effectivement davantage certaines disciplines sportives que d’autres. C’est notamment le cas dans le football. Je ne sais pas si c’est proportionnel au nombre d’adhérents et à la popularité de ce sport. Le football est aussi le sport le plus médiatisé. Je précise que c’est d’autant plus important dans le football amateur, qui est complètement délaissé. Je peux vous dire qu’il y a beaucoup de problèmes. Il suffit d’aller assister à un match le dimanche. Il faut absolument y apporter des réponses. Le football professionnel est un peu plus encadré. La manière dont les choses sont organisées nous permet de mettre en place des dispositifs pour lutter contre ces phénomènes.

En ce qui concerne les bonnes pratiques, je crois que nous avons déjà tout ici. Nous avons déjà des bonnes pratiques qui ont réussi. D’ailleurs, j’ai été sollicité par des clubs italiens et espagnols à la suite de la réussite du modèle mis en place au Paris Saint-Germain, dont le stade est aujourd’hui l’un des plus pacifiés d’Europe.

Ce modèle repose sur deux pieds. Le premier est la prévention. Elle est absolument nécessaire, tout comme la mise en avant des valeurs du sport. Au fond, il n’y a pas d’offre de modèles positifs sur la manière dont les supporters doivent se comporter. Au Paris Saint-Germain, il y a une campagne permanente sur les bonnes pratiques, les valeurs, etc. Ce n’est peut-être pas grand-chose, mais ça a son importance et son utilité.

Outre la sensibilisation et l’éducation, le deuxième élément du modèle mis en place est l’individualisation des sanctions. C’est un élément primordial. Aujourd’hui, j’ai mis en place un dispositif qui fait référence dans toute l’Europe. Il s’agit d’un dispositif d’identification des personnes qui posent problème dans un stade. Il faut les sanctionner dans une logique pédagogique. Le dispositif que j’ai mis en place permet aujourd’hui de rappeler à l’ordre toute personne commettant le moindre acte répréhensible au regard du règlement intérieur ou des conditions générales de vente.

Il s’agit aussi de favoriser une prise de conscience avant d’aller vers la sanction définitive, qui peut aller jusqu’à l’exclusion de l’individu. Il convient d’investir dans l’individualisation des sanctions. Il faut utiliser ce modèle à deux pieds. Je pourrais mettre à votre disposition de la documentation sur ce dispositif.

Nos militants sont formés et connaissent le sujet. Ils sont au milieu des supporters. C’est ce qu’on appelle « la commission d’observation et de surveillance des comportements dans le stade ». Une soixantaine de personnes se trouvent dans le stade, au milieu des supporters. Elles identifient les personnes qui peuvent poser problème et ce, afin d’éviter des sanctions collectives. Ça fonctionne très bien.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous allons devoir passer à l’audition suivante, monsieur Ebongué. Si vous vous souvenez d’autres sujets que vous auriez aimé évoquer, n’hésitez pas à revenir vers nous, notamment pour nous transmettre vos propositions. En sachant que la commission d’enquête restera à votre écoute. Nous vous remercions d’avoir accepté de remplacer votre collègue Dominique Sopo.

M. Hermann Ebongué. Je vais essayer de vous envoyer le compte-rendu de réunion que vous m’avez demandé. Je vais également solliciter l’ANS afin qu’elle nous reconvoque. Je tiens à remercier cette commission pour le travail qu’elle effectue. Il a une grande importance, mais il s’agira également de mesurer le résultat des actions qui seront mises en place pour tenter de régler ce problème, qui est global.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Merci à vous.

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28.   Audition, ouverte à la presse, de M. Olivier Klein, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH) (12 octobre 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous accueillons à présent monsieur Olivier Klein, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah). Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions, monsieur le ministre.

Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet dernier. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations de sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux se déclinent autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

La Dilcrah est un organisme interministériel institué en 2012 pour concevoir, coordonner et animer la politique de l’État en matière de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et, depuis 2016, la haine anti-LGBT. Elle est placée sous la tutelle de la Première ministre. Les activités de la Dilcrah comportent plusieurs axes majeurs : la conception de la lutte contre les discriminations, la coordination de l’action des différentes administrations dans ce domaine et le conseil auprès des ministères. Elle a vocation à être l’interlocutrice privilégiée des acteurs institutionnels et associatifs, de défense des droits de l’Homme et de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT.

Nous souhaiterions tout d’abord recueillir votre analyse de l’ampleur des actes de racisme et des discriminations dans le milieu du sport en France ainsi que leur évolution. Disposez-vous d’éléments statistiques et de comparaisons internationales ? Comment le milieu du sport se situe-t-il sur ce sujet en comparaison avec d’autres milieux ?

Pourriez-vous revenir sur les actions déployées par la Dilcrah dans le champ qui nous intéresse et en lien avec les autres acteurs qui interviennent dans la lutte contre le racisme et les discriminations dans le sport : le ministère des sports, les associations, les fédérations sportives, l’Agence nationale du sport (ANS), la commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), le défenseur des droits, les établissements d’enseignement et la justice ?

Quelle appréciation portez-vous sur l’action de ces différents acteurs ainsi que sur le cadre existant pour prévenir, détecter et sanctionner les actes de racisme et de discrimination dans le milieu sportif ? Ce cadre vous paraît-il adapté ou doit-il être renforcé ? Le gouvernement a fait de la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT une priorité, qui se traduit notamment par deux plans interministériels pluriannuels : le plan national de lutte contre le racisme et l’antisémitisme et le plan national d’action pour l’égalité des droits contre la haine et les discriminations anti-LGBT+. Quels volets de ces plans peuvent apporter des réponses dans le champ qui intéresse notre commission ?

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Avant de vous laisser la parole et d’entamer nos échanges, je vous rappelle que vous devez prêter serment.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main et à dire : « Je le jure ».

(M. Olivier Klein prête serment.)

M. Olivier Klein, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah). Vous permettrez au jeune délégué interministériel que je suis de ne pas avoir toutes les réponses. Nous n’avons malheureusement pas d’éléments statistiques tels qu’évoqués dans votre question. Il est vrai que nous avons une réelle difficulté dans notre pays à quantifier la discrimination, que ce soit dans l’accès à l’emploi, au logement ou dans le sport.

Vous avez rappelé que la Dilcrah a deux plans pour feuille de route : le plan national de lutte contre le racisme et l’antisémitisme et le plan national d’action pour l’égalité des droits contre la haine et les discriminations anti-LGBT+. La question du sport figure dans ces deux plans à différents titres. Il y a tout d’abord la question de la quantification, qui est mise en avant dans les deux plans. Il s’agit notamment de mesurer les phénomènes de racisme, d’antisémitisme et de discrimination, et ce dans tous les milieux.

Un premier objectif consiste à mieux s’investir dans le sport, qui devrait être un espace de bienveillance, de rencontre et de lutte contre les discriminations. Nous avons pu constater hier soir dans le match entre Nancy et le Red Star que des cris de singe sont descendus des tribunes. Nous avons également entendu, lors du match au Parc des Princes, des chants homophobes particulièrement virulents qui ont été repris par le stade de manière unanime et sans aucune réaction de l’arbitre et du délégué. Nous avons même constaté une forme d’indifférence. La Dilcrah et les ministres se sont saisis de cette affaire, mais on nous a expliqué que tout ça n’était que « du folklore et quelque chose d’anecdotique ».

C’est pourtant tout le contraire. Ça constitue un sujet majeur aujourd’hui. L’accès au sport, et notamment aux sports collectifs, est plus ou moins difficile pour les personnes en fonction de leur orientation sexuelle. Il y a une crainte de la réaction des coéquipiers et, lorsqu’on pratique le sport à un niveau plus important, des quolibets descendant des tribunes. Ce n’est donc pas qu’un effet d’image. Ça empêche un certain nombre de personnes de pratiquer le sport de leur choix.

C’est l’un des chantiers importants que la Dilcrah mène avec des partenaires. Il s’agit d’ouvrir le champ sportif en luttant contre les discriminations, et notamment celles qui sont liées à l’orientation sexuelle. Des fédérations se sont emparées de ce sujet-là, notamment la Fédération française de rugby (FFR), qui réunissait hier un symposium sur la question du genre et de l’orientation sexuelle dans le sport. Nous pouvons que constater que toutes les fédérations n’ont pas la même appréhension ni la même mobilisation sur ces phénomènes.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pensez-vous à certaines fédérations en particulier ?

M. Olivier Klein. La Fédération française de rugby intervient beaucoup sur ce sujet. Nous avons un partenariat avec la Fédération française de football (FFF) et la Ligue de football professionnel (LFP).

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Est-ce depuis que la Fédération française de rugby a un nouveau président ?

M. Olivier Klein. Non, c’était déjà le cas avant. Ils travaillent sur ce sujet-là depuis un certain nombre d’années. La Dilcrah soutient la Commission anti-discriminations et égalité de traitement (Cadet), qui travaille beaucoup sur ces questions d’orientation sexuelle dans le sport, et en particulier dans le rugby. Ce week-end, ils organisent un tournoi mixte à Marcoussis avec une remise des prix à La Concorde. Elle est assez exemplaire de la volonté de lutter contre le racisme et l’homophobie dans le sport.

Pour vous citer quelques chiffres, je ne sais pas si vous avez pris connaissance de ce sondage Ipsos sur la LGBT-phobie dans le sport. Un Français sur deux a été témoin d’une situation homophobe ou transphobe dans le milieu sportif. 77 % des Français perçoivent le milieu sportif professionnel comme étant homophobe. Ce chiffre est de 75 % pour le milieu amateur. Une personne LGBT sur deux dit avoir été victime d’une situation LGBT-phobe dans le milieu sportif. Il y a donc un chantier extrêmement important à mener sur ces questions.

M. Olivier Klein. J’ai pu rencontrer la Cadet. Il serait extrêmement utile d’avoir ce type de commission dans un maximum de fédérations. Ça démontrerait la prise en compte de ce sujet-là par le milieu sportif. Ça permettrait également de mettre en place un certain nombre d’actions, notamment en termes de formation et de sensibilisation.

La question des discriminations et des comportements racistes, sexistes et LGBT-phobes se pose bien évidemment dans le sport professionnel, mais aussi dans le sport amateur et à différents niveaux. On le voit notamment dans nos villes, quand on installe des équipements de street workout, dans la manière dont les garçons s’approprient ces espaces dont les filles sont trop souvent exclues. Il y a donc différents sujets d’accès au sport, qu’il soit de compétition ou de loisir, auxquels il convient d’être attentif.

Compte tenu de l’approche des Jeux olympiques et d’autres événements sportifs majeurs, nous avons une obligation. Comme vous le savez, la loi a été renforcée en mai dernier avec des sanctions plus importantes et des amendes pouvant aller jusqu’à 45 000 euros. Il y a notamment des suspensions et des interdictions de pénétrer dans les stades après des propos racistes, discriminants ou homophobes.

La Dilcrah est également partenaire d’une maison des fiertés pendant les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris 2024. Il s’agit de permettre la visibilité des athlètes LGBT pendant cette période-là et d’accompagner le changement d’état d’esprit. En 2025, les EuroGames vont se tenir dans notre pays, à Lyon. Ce sera également un événement important pour le sport, et notamment le sport LGBT. Là encore, c’est l’occasion de montrer que nous sommes attentifs et ouverts sur ce sujet.

Il ne faut pas oublier la question des personnes trans et de leur accès au milieu sportif. Elle se pose aussi à travers des questions que je pourrais qualifier de terre-à-terre, mais qui sont indispensables. Ça concerne notamment les vestiaires et d’autres sujets qui sont encore trop peu pris en compte à ce jour. C’est parfois complexe, mais si on souhaite que les personnes trans trouvent leur place dans le milieu sportif, un certain nombre de questions doivent être prises en compte assez rapidement dans les installations sportives de nos villes.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez évoqué l’absence de statistiques et d’éléments chiffrés sur lesquels se baser pour pouvoir travailler sérieusement sur la lutte contre les faits de racisme, d’antisémitisme ou d’homophobie dans le mouvement sportif. Néanmoins, pourriez-vous nous dire si certaines disciplines sportives sont plus touchées que d’autres ? Et ce, non pas au regard du nombre d’adhérents ou de la communication, mais plutôt en termes de faits qui passeraient sous les radars, que ce soit par manque de médiatisation ou par le faible nombre de plaintes déposées.

M. Olivier Klein. Vous avez raison. C’est ce que je qualifierais de « chiffres noirs ». Il existe une différence entre la réalité des faits et le nombre de plaintes. Nous le voyons notamment dans les comités opérationnels de lutte contre le racisme et l’antisémitisme (CORA) qui sont des lieux de travail sur les discriminations à l’échelle départementale. Nous n’avons donc pas de chiffres suffisamment clairs pour nous permettre d’affirmer que tel sport est plus touché que tel autre.

Au regard du nombre de licenciés et de spectateurs, il est certain que le football constitue un sujet. Sur la question du racisme descendant des tribunes, même si la soirée d’hier vient me contredire, les règles qui ont été appliquées par les délégués, la suspension du match, le message du speaker et si les faits se réitèrent, la possibilité d’arrêter le match définitivement ont eu un rôle utile. On le voit notamment en ce qui concerne les chants homophobes, même si ce sujet reste entier.

Nous le voyons également avec les opérations menées par la ligue. Je pense aux brassards arc-en-ciel. Un certain nombre de joueurs ont refusé de jouer ou ont « inventé » des blessures lors de ces soirées. La ligue souhaite poursuivre ces opérations, que je juge importantes. Un groupe de travail spécifique a été mis en place récemment avec le ministère des sports sur la question du football et de l’homophobie.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lors de son audition, SOS Racisme a évoqué un travail qui a été avorté avec l’ANS il y a quelques années. Et ce, en raison de nombreuses difficultés rencontrées lors de la première réunion. Avez-vous des partenariats de travail avec le ministère des sports, l’ANS, le Comité national olympique et sportif français (CNOSF), etc. ? Nous avons beaucoup évoqué la question des sanctions. Finalement, on pèche peut-être sur le volet préventif.

M. Olivier Klein. Tout à fait. L’enjeu est vraiment un travail de partenariat entre le ministère des sports, le ministère de l’égalité et des luttes contre les discriminations, la Dilcrah et les fédérations pour avancer sur la question de la prévention et de la formation. À la Dilcrah, nous travaillons sur des formations de gendarmes, de policiers et de magistrats. Nous devons pouvoir participer à des opérations de sensibilisation des dirigeants sportifs ; et ce, en partenariat avec les clubs. Il faut le faire à tous les échelons, et pas uniquement avec les grands clubs professionnels. Ces chantiers interministériels se mettent en place.

Dans le cadre du plan sur le racisme et l’antisémitisme, il est prévu que l’ensemble des sanctions soit publié chaque année afin d’avoir une meilleure connaissance des comportements de cette nature dans le sport. Le cabinet d’Amélie Oudéa-Castéra réunit avec nous les fédérations dans le cadre de ce plan. La Dilcrah a été intégrée dans le groupe de travail sur les discriminations que le ministère des sports a créé. Il y a également un travail qui est effectué avec les supporters. J’ai participé à une réunion avec les clubs de supporters, sous l’égide de la ministre, il y a quelques jours.

Nous croyons en la nécessité des role models, qu’il s’agisse de sportifs, d’arbitres, de journalistes sportifs, etc. D’ailleurs, c’est repris dans les deux plans. Pour paraphraser Daniel Riolo, un journaliste sportif bien connu, « c’est le moment de faire un reset sur ces sujets », notamment dans le football. Il s’agit de faire en sorte qu’il y ait une prise de conscience de la gravité de ce que certains perçoivent comme « du folklore ou quelque chose d’anecdotique ». C’est grave pour le sport et l’image du sport. C’est plus grave encore pour ceux qui perçoivent ces insultes au plus profond d’eux-mêmes.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je voudrais revenir sur la notion de chiffres noirs, notamment sur le racisme, les discriminations et l’homophobie. En fait, c’est un peu mitigé. Nous avons le sentiment qu’on en parle beaucoup plus. C’est notamment très visible dans le football, où chaque acte raciste ou homophobe dans les stades est médiatisé. Qu’est-ce qui explique selon vous qu’on ne parvienne pas à traiter l’ampleur de ce phénomène ? Les statistiques dont nous disposons aujourd’hui sont sous-estimées par rapport à la réalité des faits.

L’objectif de notre commission d’enquête est de travailler sur les failles et les dysfonctionnements qui expliquent qu’on n’ait pas réussi à traiter ces sujets depuis de nombreuses années. Vous avez notamment évoqué les sanctions, qui sont parfois très lourdes. Malgré cela, les actes de racisme et d’homophobie perdurent. N’a-t-on pas pris la mesure de l’ampleur de ce phénomène ? Le travail n’est-il pas assez poussé au niveau des fédérations ? Quelle est la faille et où se trouve-t-elle ?

M. Olivier Klein. Les failles sont multiples. Il y a tout d’abord beaucoup de non-dits des victimes. Certaines personnes préfèrent aussi se priver de pratique sportive plutôt que de prendre le risque d’être discriminées. La fédération sportive LGBT multiplie la création des clubs safe en son sein, ce qui démontre le besoin d’avoir ces lieux de neutralité et de tranquillité. Je pense qu’un gros travail de sensibilisation doit être mené et déployé à la fois sur le racisme, l’antisémitisme et la LGBT-phobie. Il faut mener des campagnes en la matière auprès des fédérations sportives, et pas uniquement des plus grandes.

Au-delà du sport professionnel, un travail doit être effectué très en amont, y compris dans le sport amateur et de loisir, à l’intérieur des collectivités locales avec l’accompagnement de ces clubs. Nous pensons que les fédérations devraient mettre en place des modules de sensibilisation et de formation de leurs dirigeants sur les questions liées aux discriminations. Même si certains clubs le font, ces sujets sont insuffisamment abordés dans le monde sportif.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. La cellule Signal-Sports, qui est issue du ministère des sports, permet d’effectuer des signalements liés aux violences sexistes et sexuelles (VSS). Disposez-vous d’une plate-forme de signalement ou est-il possible d’utiliser Signal-Sports ? Comment communiquez-vous en la matière ?

M. Olivier Klein. Nous pensons justement que la cellule Signal-Sports pourrait être étendue aux questions des discriminations et des actes homophobes. Au lieu de réinventer un dispositif, il serait plus simple d’utiliser celui qui existe déjà. Il s’agit de dépasser la question évidemment nécessaire des violences sexistes et sexuelles dans le sport en permettant à cette cellule de prendre en compte également les actes de haine, de racisme, d’antisémitisme et de LGBT-phobie. C’est plutôt notre position.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous mené des actions dans certains domaines qui seraient déclinables dans le sport ?

M. Olivier Klein. Je ne voudrais pas mettre trop en avant la Fédération française de rugby et l’organisation de la Coupe du monde, mais à travers la Cadet, ils disposent d’une commission qui est vraiment très utile et qui devrait se décliner dans d’autres instances sportives. Par ailleurs, la fédération de roller derby, qui est toute petite puisqu’elle compte à peine 400 membres, a mis en place un certain nombre d’actions. Leur exemplarité est assez intéressante. Leurs actions pourraient probablement être reproduites ailleurs.

Il a été dit hier en symposium qu’un certain nombre d’universités travaillent avec les étudiants en sciences et techniques des activités sportives et sportives (Staps) sur les questions de discrimination. Je pense que les professeurs d’EPS ont probablement une responsabilité éducative sur ces sujets-là. Leur travail peut aussi être utile dans le monde sportif hors milieu scolaire.

Madame Léovanie Das, chargée de mission Lutte contre la haine anti-LGBT + à la Dilcrah prêté serment.

Léovanie Das, chargée de mission Lutte contre la haine anti-LGBT + à la Dilcrah. En termes de bonnes pratiques, nous formons notamment les policiers et les gendarmes. Je pense qu’il y a avant tout un grand manque de formation des acteurs, des arbitres et des entraîneurs qui pourraient avoir un rôle très important. Dans le domaine de la culture, il existe des aides conditionnées à la parité, à la lutte contre les discriminations, etc. Dans le domaine du sport, on pourrait tout à fait conditionner des aides financières à la mise en place de formations, à la lutte contre les discriminations, etc. La formation est primordiale.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous disiez précédemment qu’il serait intéressant d’élargir la cellule Signal-Sports. Avez-vous évoqué cette suggestion auprès du ministère des sports ?

M. Olivier Klein. Ça fait partie des échanges que nous avons actuellement avec eux, mais je n’ai pas de réponse pour l’instant. En sachant que je ne suis là que depuis trois semaines. Quoi qu’il en soit, j’échange beaucoup sur l’actualité des chants homophobes avec Bérangère Couillard et Amélie Oudéa-Castéra. Elles ont la volonté de s’emparer de ces sujets et de trouver des moyens d’action. C’est la raison pour laquelle nous préconisons l’utilisation de ce dispositif, qui commence à bien fonctionner. Il s’agirait de lui donner plus de moyens afin de signaler les discriminations et les sanctionner.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Il serait intéressant d’avoir un suivi de cette demande ainsi que de la réponse du ministère. On saurait ainsi si les moyens sont donnés à la cellule Signal-Sports pour répondre aux attentes.

M. Olivier Klein. Nous continuerons à échanger avec vous.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je voudrais revenir sur la question de la prévention et de l’image véhiculée, y compris au niveau des fédérations. Vous avez beaucoup évoqué le travail qui est fait dans le rugby. Ne pensez-vous pas que la sélection d’un sportif - en l’occurrence, Bastien Chalureau - qui a été condamné pour violences racistes avant cette Coupe du monde vient mettre à mal tout le travail effectué et l’image que le sport peut renvoyer ?

M. Olivier Klein. C’est bien évidemment quelque chose qui interroge. Je vous ai dit tout à l’heure à quel point je croyais aux role models. Il est important qu’ils soient présents sur le terrain, dans les stades et parmi les dirigeants. Pour autant, étant donné qu’une procédure judiciaire est toujours en cours et que je ne suis ni juge ni sélectionneur, je ne pourrais pas vous en dire davantage. Laissons la présomption d’innocence courir jusqu’à son jugement.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Oui, mais il y a appel. Il a déjà été condamné. Peut-on encore parler de présomption d’innocence lorsqu’il y a eu une première condamnation ? Je crois au rôle prescripteur des sportifs de haut niveau parce qu’ils jouent un vrai rôle auprès de la jeunesse. Outre le fait qu’elle ait choqué beaucoup de monde, la sélection d’une personne condamnée pour des faits aussi graves n’alimente-t-elle pas le sentiment d’impunité ?

M. Olivier Klein. Je ne peux pas être en contradiction avec ce que je vous ai dit depuis le début. Comme tout un chacun, les sportifs ont effectivement une responsabilité dans la lutte contre les discriminations, le racisme, l’antisémitisme, la violence et la haine anti-LGBT. Pour autant, même si la procédure est en appel, je n’ai pas à me prononcer sur des faits qui font l’objet de procédures en cours. Chaque fédération doit montrer l’exemple dans ses actes.

Depuis que je suis délégué interministériel, j’ai le sentiment que la Fédération française de rugby prend ces sujets à bras le corps. J’ai pu constater une nouvelle fois hier que des sportifs, quelle que soit leur orientation sexuelle, évoluaient dans un cadre bienveillant, de réflexion et de progression de l’intégration et de l’inclusion dans le sport. Par conséquent, je continue à penser que la FFR est exemplaire ; en tout cas, dans sa volonté de prendre en compte ces questions-là sans tabou.

Nous avons notamment entendu hier les témoignages émouvants de personnes trans qui ont relaté leurs difficultés à entrer dans le monde sportif. Il y a des clubs de rugby inclusifs. Je crois qu’ils ont déjà abattu un certain nombre de tabous. Pour être un peu trivial, on ne peut pas jeter le bébé avec l’eau du bain parce qu’un joueur dont le jugement est en cours a été sélectionné.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Le mot « enculé » est-il selon vous un terme raciste et homophobe lorsqu’il est prononcé dans un stade de football ?

M. Olivier Klein. Oui. D’ailleurs, ça a fait l’objet d’une discussion assez byzantine sur la sémantique homophobe lors d’une rencontre avec les clubs de supporters.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous des contacts avec l’ANS ?

M. Olivier Klein. Oui, mais pas directement ces dernières semaines. Nous avons eu des contacts après les chants homophobes lors des matchs au Parc des Princes et à Lille. Nous avons activé l’article 40 à trois reprises puisque c’est une prérogative de la Dilcrah. Et ce, afin de mettre un coup d’arrêt à ce type de comportements.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous pose la question puisque monsieur Hermann Ebongué nous a fait état d’une réunion dont il serait ressorti que le terme « enculé » n’était pas considéré comme homophobe ; du moins, pour l’ANS.

M. Olivier Klein. Il me semble qu’il fait référence à une réunion qui s’est tenue il y a plusieurs années. Je pense qu’il n’y a aucun sens à regarder les mots pour les qualifier ou les disqualifier. Les chants que nous avons entendus descendre des tribunes sans aucun acte de rupture par le délégué, l’arbitre ou le speaker étaient homophobes. J’ajoute que le terme « enculé » fait selon moi partie du vocabulaire homophobe.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Existe-t-il un endroit où des décisions sont prises sur les termes qui peuvent être considérés comme racistes et homophobes ?

M. Olivier Klein. À ma connaissance, il n’y a pas de lieu où on listerait les termes qui sont acceptés ou acceptables. Notre responsabilité consiste à mettre un coup d’arrêt à ce type de comportements. Il s’agit d’instaurer un espace de bienveillance et de neutralité. Les supporters amènent aussi de la chaleur, de la couleur et de la bonne humeur dans un stade. Je fais allusion aux images du match de rugby Écosse-Irlande de samedi soir. On peut soutenir son équipe sans insulter l’autre ni le discriminer et sans blesser ceux qui écoutent. Au-delà de la bêtise de ces chants, ils sont blessants. Ils freinent notamment l’accès au sport de certaines personnes eu égard à leur orientation sexuelle.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Au-delà d’êtres blessants, pensez-vous que les propos racistes et homophobes constituent un délit ?

M. Olivier Klein. Oui, bien évidemment. C’est la raison pour laquelle la Dilcrah a activé l’article 40. Nous verrons ce que le procureur décide. Quoi qu’il en soit, les délits doivent être sanctionnés. Lorsque c’est tout un stade qui chante, il s’agit de définir la responsabilité. La tribune d’Auteuil, dont les chants homophobes entendus au Parc des Princes provenaient, a fait l’objet d’une interdiction pour un match et un match avec sursis.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous un travail commun et des échanges avec le CNOSF et sa commission chargée de lutter contre les discriminations ?

M. Olivier Klein. À ma connaissance, non. Dans le cadre de réunions pluridisciplinaires entre la Dilcrah et le ministère, je pense qu’il y aura des temps spécifiques avec le CNOSF.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Un travail a-t-il été réalisé précédemment avec le CNOSF ?

M. Olivier Klein. Non, je ne crois pas.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. N’hésitez pas à nous recontacter dans l’éventualité où vous souhaiteriez nous transmettre ultérieurement des informations en lien avec cette commission d’enquête.

M. Olivier Klein. Si tel est le cas, nous vous les ferons remonter très rapidement. Quelle est l’échéance de cette commission ?

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Les auditions se déroulent jusqu’à la mi-novembre.

M. Olivier Klein. Ça nous laisse donc encore un peu de temps pour le faire en cas d’oubli ou d’erreur. Merci.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Merci, monsieur le ministre.

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29.   Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des associations luttant contre les violences sexuelles : M. Yoann Lemaire, président de l’association Foot Ensemble Mme Marielle Vicet, présidente de l’association Stop aux violences sexuelles (SVS), Mme Marie Laurendeau-Petit, vice-présidente, et M. Boris Sanson, membre du conseil d’administration (12 octobre 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous accueillons à présent monsieur Yoann Lemaire, en visioconférence, président de l’association Foot Ensemble, ainsi que Mme Marielle Vicet et Mme Marie Laurendeau-Petit et M. Boris Sanson, respectivement présidente, vice-présidente et membre du conseil d’administration de l’association Stop aux violences sexuelles.

Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions. Le 20 juillet dernier, nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux se déclinent autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public. Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.

Aux termes de ces statuts, l’association Stop aux violences sexuelles, créée en 2013, a pour objet la mise au point d’une stratégie d’éradication des violences sexuelles assortie d’un plan d’action, d’outils d’information et de prévention, de création de partenariats, d’organisation de réunions, séminaires et conférences. Elle met en œuvre des programmes de formation variés faisant état de connaissances juridiques, sociologiques, scientifiques, de prévention en périnatalité, en psychiatrie, en sexologie, sur les violences sexuelles ainsi que sur ce même sujet dans le monde de l’entreprise.

Fondée en 2016, l’association Foot Ensemble a pour objet la lutte contre les discriminations dans le monde du football. Sur son site Internet, l’association juge les actions de prévention et de sensibilisation insuffisantes et ambitionne ainsi « de pallier ce manque en produisant un grand nombre d’outils - formations, sensibilisations, films, séquences vidéo, jeux interactifs, documents et actions pédagogiques - adaptés à tous les publics ». En 2017, M. Yoann Lemaire a réalisé un film documentaire intitulé « Footballeur et homo : au cœur du tabou », dans lequel il échange sur l’homophobie avec différents interlocuteurs.

Nous souhaiterions tout d’abord recueillir votre analyse de l’ampleur des violences et des discriminations dans le milieu du sport en France ainsi que leur évolution. Disposez-vous d’éléments statistiques et de comparaisons internationales ? Pourriez-vous revenir sur les actions déployées par vos associations dans le champ qui nous intéresse, et notamment l’accompagnement financier de votre action par les pouvoirs publics ? Pouvez-vous nous donner des exemples précis de cas que vous avez rencontrés dans le champ du sport et les réponses qui y ont été apportées ?

Quelles relations entretenez-vous avec les différents acteurs qui interviennent dans la lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport ? Je cite le ministère des sports, les fédérations sportives, l’Agence nationale du sport (ANS), la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT, le défenseur des droits, la commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), la délégation aux droits des femmes et à l’égalité entre les hommes et les femmes, la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, les établissements d’enseignement et la justice.

Quelle appréciation portez-vous sur l’action de ces différents acteurs dans le domaine qui nous intéresse ? Les responsabilités de chacun sont-elles suffisamment claires ? De manière générale, quelle appréciation portez-vous sur le cadre existant pour prévenir, détecter et sanctionner les violences sexuelles et les discriminations dans le milieu sportif ? Ce cadre vous paraît-il adapté ou doit-il être renforcé ? Avant de vous laisser la parole et d’entamer nos échanges, je vous rappelle que vous devez prêter serment.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main et à dire : « Je le jure ».

(M. Yoann Lemaire, Mme Marielle Vicet, Mme Marie Laurendeau-Petit et M. Boris Sanson prêtent serment.)

Mme Marielle Vicet, présidente de l’association Stop aux violences sexuelles (SVS). Je me présente devant vous en tant que professionnelle puisque je suis docteur en psychopathologie et en psychanalyse. Je suis formée en psycho-criminologie et en victimologie. Je suis consultante, superviseure et victimologue en cabinet. Je pourrai donc également parler à ce titre-là en ce qui concerne ma pratique. J’ai fait une thèse de doctorat sur la thématique des violences sexuelles en institution. En avril 2019, j’ai été auditionnée en tant que spécialiste de ces questions par la mission commune d’information du Sénat sur les politiques de lutte contre les infractions sexuelles sur les mineurs dans les institutions.

Nous sommes très honorés d’être auditionnés à l’Assemblée nationale dans le cadre de cette commission dont nous saluons la mise en place. L’association nationale Stop aux violences sexuelles (SVS) créée en 2013 porte un projet de santé publique qui se décline selon quatre modes opératoires : informer, former, prévenir et guérir.

Nous informons par voie de presse et par conférence. Nous formons tous les professionnels, les victimes et les proches. Nous préconisons un travail en réseau et la pratique de la pluridisciplinarité. Au sein du même dispositif SVS, nous formons des acteurs de structures juridiques et de signalement, des brigades de police et de gendarmerie, des acteurs de justice, des avocats, des médecins, des sages-femmes, des thérapeutes, du personnel de santé, du personnel éducatif, des assistants sociaux, des enseignants, etc.

Nous faisons de la prévention en milieu scolaire et en périnatalité afin de prévenir les enfants de l’existence de comportements anormaux de la part de certains adultes. Il s’agit de repérer tous modes d’action qui vont empêcher la survenue d’un comportement problématique. Et ce, afin de diminuer la réitération des faits. Enfin, nous cherchons à guérir les personnes victimes, mais aussi les auteurs de violences sexuelles afin de lutter contre ce fléau.

Il s’agit avant tout d’orienter les personnes qui en font la demande vers des conseils juridiques et des soins. Il s’agit de former les soignants et les professionnels à l’accompagnement des personnes victimes, mais aussi des auteurs de ces violences. L’ambition de notre association est de créer une plate-forme SVS dans chaque département. Environ 25 départements sont dotés de plates-formes aujourd’hui. Des médecins, des sages-femmes, des infirmières, des thérapeutes, des éducateurs, des avocats et d’anciens cadres de police s’impliquent bénévolement dans ce mouvement. Car il y a des milliers de victimes. SVS organise par ailleurs des assises internationales sur la question des violences sexuelles.

Je souhaiterais maintenant situer le cadre sociétal. Nous vivons dans une société qui est gangrenée par les violences sexuelles. Il y a tout un système qui favorise les violences sexuelles, qui pervertit et qui souille à tous les niveaux et dans tous les domaines au sein de la société. Lorsque la tête est malade, c’est toute l’institution qui en pâtit. La pédocriminalité et le trafic d’enfants sont le fait de réseaux internationaux avec des implications et des complicités au plus haut niveau, et en particulier au niveau politique et institutionnel. Le monde sportif n’en est bien évidemment pas épargné puisque c’est quelque chose de tentaculaire.

S’il y avait une véritable volonté politique, je pense que des mesures concrètes auraient été prises depuis longtemps pour supprimer l’accès aux films pornographiques pour les mineurs. En l’absence de lutte énergique, l’industrie du porno, le trafic d’enfants et les réseaux pédophiles se développent en toute impunité. L’impulsion doit bien évidemment venir de nos dirigeants au plus haut niveau.

Au sein de mon cabinet, j’accompagne des enfants, des adolescents et des adultes qui ont été exposés précocement à des films pornographiques, voire à des ébats de leurs parents ou d’autres adultes. On mesure insuffisamment les dégâts psychiques que ce type d’exposition entraîne chez les enfants. Il y a une véritable omerta qui s’explique par un système. Ce sont des processus complexes et systémiques. Cette problématique suinte de partout.

Les prédateurs savent repérer parmi leurs proies un enfant qui a parfois été victime de maltraitance et d’abus d’autorité dans le milieu familial ou de harcèlement scolaire. Ce dernier a honte et ne peut rien dire. En ce qui concerne le sport, les lieux des agressions se trouvent au niveau de l’Éducation nationale, mais aussi des sport-études, dans les clubs sportifs, les vestiaires. Dans les piscines, ce sont les bassins et les vestiaires. On le retrouve lors de séjours au ski ou à la campagne, lors de la pratique sportive ou scolaire, lors de déplacements ou rencontres interclubs avec l’animateur sportif ou l’entraîneur. On le retrouve dans toutes les pratiques sportives ou artistiques : la danse, la musique, etc.

Le problème, c’est que les recherches sur cette problématique sont encore beaucoup trop rares aujourd’hui. Dans la majorité des cas de viol et de pédophilie, il y a une absence de réponse judiciaire. La position de certains magistrats n’est pas à la hauteur. Par exemple, je cite : « Ce n’est pas parce que votre fille a été agressée sexuellement qu’elle doit aller voir un psy. Ma fille a été agressée, mais elle n’a pas consulté un psy ». Ce magistrat dénigrait la demande d’une mère quant à ses deux filles agressées sexuellement.

Ce sont des agressions des plus vulnérables, chez certains enfants qui sont le plus souvent physiquement et moralement incapables de poser des limites, incapables de se protéger des personnes dont les agissements sont pervers. Les enfants sont en quête de la reconnaissance de l’adulte, dont ils dépendent psychiquement. C’est ce dernier qui l’autorise à passer des étapes, l’évalue, analyse ses compétences, ses progrès et pointe ses limites. Néanmoins, la contrainte peut s’exercer bien au-delà des prérogatives de l’entraîneur.

Le prédateur va utiliser la pratique sportive pour arriver à ses fins. Cela passe par une emprise mentale et une emprise sur le corps par le biais du sport. Et ce, pour atteindre l’emprise sexuelle. En ayant autorité de droit ou de fait, l’adulte peut aisément exercer des pressions et soumettre l’enfant. Confrontés aux pédocriminels, ces mineurs sont victimes de chantage, de menaces ou de manipulation. Ils sont victimes d’atteintes psychiques et corporelles graves, qui vont jusqu’au viol.

Il est important de comprendre que les agressions sexuelles atteignent gravement le développement affectif, intellectuel et social de l’enfant. Elles détruisent son être. Une altération des facultés intellectuelles entraîne par exemple des capacités de discernement amoindries. Hautement manipulable lorsqu’il peut être menacé de mort, l’enfant vit un enfer psychique, se replie sur lui-même et développe nombre de symptômes. Il peut parfois y avoir également des menaces de mort sur les parents de l’enfant victime. Outre la personne victime, les violences sexuelles impactent également tous les membres de la famille, y compris l’entourage des auteurs.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous des cas précis à nous remonter ?

Mme Marielle Vicet. Oui. En termes d’exemple, un pédocriminel peut parfois agresser des enfants dans diverses institutions : les institutions sportives, les écoles, les centres de loisirs, l’entraîneur d’un club de football, l’animateur d’un camp de jeunes, etc. Et ce, sans éveiller le moindre soupçon. Ça représente une dizaine de structures spécialisées dans la prise en charge d’enfants. La personne dont il est question a été jugée et condamnée pour viols et agressions sexuelles sur 60 enfants âgés de 3 à 14 ans. Il a été condamné à 19 ans de réclusion criminelle. Un prédateur peut aussi nuire dans différentes structures et institutions.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Dans quelle structure sportive ce prédateur est-il entré ? Pourriez-vous nous en dire davantage ?

Mme Marielle Vicet. Il était entraîneur dans un club de football. Il travaillait en même temps dans un centre de loisirs et dans des écoles, c’est-à-dire dans différentes structures. En fait, il y a eu des victimes dans toutes les structures. Ça représente 60 enfants au total.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. L’objet de cette commission est d’identifier les failles et les dysfonctionnements qui font qu’il ait pu y avoir 60 victimes. Pourriez-vous nous préciser la temporalité des faits ? On constate souvent qu’un entraîneur a changé d’endroit et a réitéré les mêmes faits pendant plusieurs années. Dans d’autres cas, ça s’étend sur quelques mois. Lorsque ça dure plusieurs années, ça démontre une faille claire de la part des dirigeants, qui n’ont pas agi.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. En quelle année est-ce que ça s’est produit ?

Mme Marielle Vicet. Je n’ai plus les années en tête, mais je pourrai vous transmettre ces éléments. Ces agressions sexuelles et ces viols se sont effectivement déroulés sur plusieurs années et ce, sans éveiller le moindre soupçon.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lorsque cette affaire a été jugée, personne n’avait su ce qui se passait ?

Mme Marielle Vicet. Un enfant a commencé à parler. Ses parents se sont inquiétés. Ça a permis de remonter toute la chaîne. Beaucoup d’enfants ont été auditionnés. Ils se sont progressivement rendu compte que ça concernait un nombre d’enfants considérable.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Cet entraîneur a-t-il rejoint ce club local dans le cadre d’une première expérience ?

Mme Marielle Vicet. Je ne sais pas précisément où il a commencé. Il était à la fois dans les écoles, dans les centres de loisirs et dans les clubs sportifs. Il a également été animateur de camps de jeunes. Il a travaillé dans une dizaine de structures pendant une dizaine d’années.

Mme Marie Laurendeau-Petit, vice-présidente de l’association Stop aux violences sexuelles (SVS). Je suis médecin gynécologue et sexologue. Je suis à la retraite depuis 2018. J’ai fait mes études de médecine à une époque où on n’entendait absolument pas parler des violences sexuelles. J’ai découvert les violences sexuelles à travers la pratique gynécologique. C’était essentiellement chez des femmes, mais je voyais également des hommes dans le contexte de maladies sexuellement transmissibles ou de problèmes d’infertilité. Pour autant, il n’était pas encore question chez les hommes de personnes qui auraient eu à subir des violences sexuelles. C’était encore plus tabou chez les hommes que chez les femmes. J’ai enfin entendu parler de ce problème en suivant des études de sexologie.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. À quelle époque avez-vous fait vos études de sexologie ?

Mme Marie Laurendeau-Petit. C’était à la fin des années 1980 et au début des années 1990. J’ai rejoint l’association Stop aux violences sexuelles en 2017. Auparavant, j’allais au congrès international francophone sur l’agression sexuelle, qui se déroulait tantôt au Québec et tantôt en France depuis 2001. J’ai appris beaucoup de choses grâce aux Québécois, qui étaient beaucoup plus en avance que nous. Leur réseau comportait aussi bien les agents de probation que les magistrats, les avocats, les éducateurs, les médecins, les psychologues, etc.

J’ai également travaillé avec des personnes qui intervenaient dans le milieu carcéral auprès des auteurs de violences sexuelles. Je pense notamment à la regrettée Maryvonne Desbarats et au docteur Marie-Laure Gamet, qui a écrit un ouvrage sur les violences sexuelles chez les mineurs. J’ai travaillé au CHU d’Angers, dans le centre d’orthogénie, dans le service de gynécologie et en pédiatrie, en tant que médecin référent pour la Maison des adolescents du Maine-et-Loire.

C’est là que j’ai découvert les violences sexuelles subies par des adolescents, garçons ou filles, dont certaines étaient le fait d’auteurs mineurs. Ça concernait en particulier des garçons qui découvraient leur homosexualité. Ils étaient des victimes potentielles pour les prédateurs puisqu’ils trouvaient rarement des personnes de leur âge pour partenaires. Ils utilisaient des sites de rencontre par le biais desquels ils étaient très souvent victimes de prédateurs.

Parmi les effets des violences sexuelles sur la santé, même si c’est plus général que le milieu sportif, on peut constater de gros problèmes de santé qui se découvrent progressivement : des maladies auto-immunes, des troubles gynécologiques qui sont parfois la conséquence directe d’agressions sexuelles, des infections sexuellement transmissibles et des grossesses issues de viols. J’en ai vu un certain nombre au centre d’IVG d’Angers. Il y a également des pathologies relevant de grossesses qui n’allaient pas à terme, des pathologies diverses et variées, des pathologies intestinales, etc. Ce sont autant d’éléments qu’on pouvait remonter. Le docteur Violaine Guérin a notamment mené une étude sur ces pathologies.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons eu l’occasion d’auditionner des victimes. Ces dernières nous ont fait part d’un certain nombre de dysfonctionnements. Elles nous ont dit qu’il leur avait été difficile de parler dans un premier temps. Elles n’avaient pas forcément les personnes-ressources. En sachant que cette commission d’enquête devra aboutir à la formulation de propositions, aussi bien sur le volet préventif que sur celui des actions à mettre en œuvre en termes de sanctions.

Vous avez évoqué la question des psychologues. Selon vous, que serait une prise en charge à la hauteur pour les victimes de violences sexistes et sexuelles (VSS) ? Y a-t-il systématiquement une prise en charge psychologique de la victime aujourd’hui ? Est-ce que ça devrait devenir obligatoire ?

La semaine dernière, nous avons auditionné des structures qui accueillent des mineurs et de jeunes majeurs dans le cadre de la pratique sportive. Il nous a semblé que la notion de consentement n’était pas forcément claire pour certaines personnes. Pensez-vous qu’il y aurait des dispositifs à renforcer en matière de prévention et de formation, en particulier sur le consentement ? La situation des sportifs est très spécifique. Lorsqu’ils sont détachés de leur foyer et de leur famille, cette éducation sexuelle ne se fait pas. Ne serait-il pas utile de renforcer les dispositifs d’éducation au sein des structures sportives qui accueillent des mineurs ?

Mme Marie Laurendeau-Petit. L’éducation au consentement des personnes mineures, que ce soit vis-à-vis d’un adulte ou d’un autre mineur, est une préconisation qui me paraît essentielle. Une loi a été votée sur ce sujet en 2021. Pour autant, c’est un sujet complexe.

M. Boris Sanson, membre du conseil d’administration de l’association Stop aux violences sexuelles (SVS). Je suis kinésithérapeute et thérapeute manuel. J’ai été champion olympique à Pékin. J’ai fait partie de l’équipe de France pendant sept à huit ans. J’ai commencé l’escrime dans un petit club à Bordeaux, puis j’ai intégré l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), à Paris. Je me suis formé par la suite à la prise en charge thérapeutique. Pendant mon parcours, j’ai été approché par un médecin endocrinologue-gynécologue qui souhaitait travailler sur la réparation des victimes de violences sexuelles.

Pour ma part, je trouve aberrant que nous en soyons encore en 2023 à devoir traiter ce problème, qui me semble totalement sociétal. 20 % de la population est touchée par les violences sexuelles. Le monde du sport est en avance et même précurseur en la matière. Il y a un public d’enfants, d’adultes, d’agresseurs et d’agressés. En revanche, ça ne se résume pas au sport et je remercie le sport qui a le mérite de prendre en charge cette démarche-là. J’espère qu’elle va s’étendre à l’ensemble de la société.

Ce problème n’existe pas depuis les dernières années, mais depuis bien plus longtemps. Si la prise en charge avait été gérée de la même manière que pour la Covid, les choses auraient évolué beaucoup plus rapidement. Vous faites votre travail, mais je ne sais pas si cette commission va porter ses fruits. Certes, il y a des lacunes sur le retour d’informations et la libération de la parole, mais le monde du sport s’est inscrit dans cette démarche. Le CNOSF et les fédérations sont impliquées. Il y a des lacunes comme vous avez pu le constater.

En fait, les agresseurs ont un maillage qui leur permet de continuer à pratiquer leurs loisirs et détruire la vie d’enfants et de futurs adultes. Avec le médecin et un maître d’armes, nous avons créé des ateliers thérapeutiques. On considérait que l’approche psychologique était très intéressante, mais ils ont été agressés physiquement. Nous avons donc utilisé le monde du sport, et en particulier de l’escrime avec le sabre, parce qu’on a une protection, une tenue et une arme. C’est une approche de transversalité de l’agression. On peut donc se protéger et défendre. Il y a des outils qui permettent de se réparer dans le corps.

Dans les ateliers thérapeutiques, qui ont été créés en 2011, nous avons essayé d’apporter une sorte de cadre de réparation. Il existe des ateliers avec des thématiques différentes. SVS a essayé de travailler sur la réparation. En tant que maître d’armes et ancien champion, j’ai jugé la translation du monde de l’escrime sur la réparation très pertinente. Les ateliers se tiennent avec des thérapeutes certifiés et expérimentés dans la prise en charge des violences sexuelles.

Un homme sur six et une femme sur quatre ont été violentés sexuellement. Même si ça ne se voit pas forcément, ce sont tout de même des gens qui ont souffert. Par contre, on constate des traumatismes graves au niveau de la santé. Dans mon parcours, j’avais deux ateliers par mois. On parle souvent d’agressions faites par des hommes sur des enfants ou des femmes, mais il y a aussi des femmes qui agressent des enfants, qu’il s’agisse de garçons ou de filles. Ce n’est donc pas l’apanage des hommes. Il y a vraiment une prise en charge globale à mettre en œuvre au sein de la société.

Je me suis occupé de personnes qui ont été agressées et qui avaient des pulsions très fortes d’agression de leurs enfants. Dans le processus de réparation, on permet à ces personnes-là de traiter leurs traumatismes. Ils sont parfois en état de sidération ou de peur. En tant que sportif, il y a toujours l’enjeu de la performance et de l’épanouissement. Il y a aussi la volonté de gagner et de faire plaisir à son entraîneur. Il existe une forme de pression émotionnelle et psychologique qui peut être utilisée par les entraîneurs. Les enfants sont en construction et se développent par leurs acquis. Lorsqu’une agression fait partie de l’acquis, le futur est beaucoup plus compliqué.

L’idée de SVS était de randomiser les frais médicaux. Un patient qui aborde sa réparation est souvent allé consulter un très grand nombre de thérapeutes. À un moment donné, il se retrouve coincé. Sans pour autant avoir un effet magique, les ateliers thérapeutiques fonctionnent plutôt très bien. L’idée était de faire en sorte que les frais médicaux soient remboursés par la sécurité sociale car c’est d’utilité publique. Pour autant, c’est infime par rapport au nombre de personnes qui sont agressées.

Parfois, j’ai lu que des gens qui veulent témoigner se rendent à la gendarmerie, mais leurs propos ne sont pas toujours très bien entendus. Les victimes sont à nouveau victimes de ne pas pouvoir s’exprimer, étant rappelé que le pouvoir de l’agresseur est quelquefois plus important que celui de la victime. Dans ce cas, la victime se fait « violer » deux fois : dans son espace mental et dans sa relation à la société.

Dans le cadre de ces ateliers thérapeutiques, nous essayons d’amener les victimes à ne plus se sentir victimes, à se réparer et, pour certaines personnes, à ne pas transmettre la situation d’agression. Il y a notamment des ateliers en milieu carcéral avec des agresseurs. Ces derniers ont bien souvent été agressés eux-mêmes. En fait, si on coupait la situation d’agression, on couperait la situation d’agresseur et d’agressé. C’est la base.

Il y a notamment une personne qui m’a marqué très fortement. Lors d’une séance, il m’a révélé avoir violé ses deux enfants. Sa femme était également suivie dans un autre atelier thérapeutique. Il était complètement en souffrance, même si ça ne constitue pas une excuse. Je l’ai écouté en tant que thérapeute. Il a été agressé lorsqu’il était petit et son corps est resté marqué. Dans ses pulsions débordantes, il se retrouve à agresser, mais il n’est pas du tout dans la réalisation de quelque chose d’agréable pour lui. Il a fait preuve de franchise et je n’étais pas dans le jugement. Il s’est livré à la police, a été jugé et s’est engagé dans l’atelier thérapeutique. Il est en train de purger sa peine.

Un autre cas est intéressant. J’ai rencontré en prison un homme de 30 ans qui était papa d’une petite fille. Lors du braquage d’une banque, il a demandé une fellation. Or, il faut savoir que son grand-père l’avait forcé à lui faire une fellation et qu’il avait déjà vécu un braquage. Si ces choses-là avaient été réparées pendant sa jeunesse, il ne serait pas en prison et s’occuperait de sa fille aujourd’hui. Nous pouvons donc parler d’un système qui est complètement gangrené. S’il y avait vraiment une volonté réelle et forte de la part des pouvoirs publics, nous n’aurions pas à en discuter une nouvelle fois.

Pour moi, qui m’occupe des victimes, c’est difficile à la fois consciemment et inconsciemment. C’est vraiment un traumatisme et une souffrance totale. C’est une explosion des repères de confiance envers la société et l’humain car les victimes ne se sentent pas du tout soutenues. Il existe plusieurs associations et tout le monde essaie d’apporter sa pierre à l’édifice. Je suis notamment intervenu auprès du ministère des sports. C’est très compliqué. L’Éducation nationale devrait être un des éléments moteurs de la prise en charge des enfants.

Avant que les enfants découvrent la sexualité, il s’agit déjà d’apporter un cadre sain. C’est quelque chose de primordial puisque ce sont les générations qui vont construire notre futur. En sachant qu’il s’agit d’un problème tentaculaire. Un enfant agressé peut être un futur agresseur. Outre le manque de confiance, la culpabilisation est également un élément très fort. L’atelier thérapeutique permet donc de travailler sur la réparation non seulement auprès des enfants, mais également auprès des agresseurs. Nous obtenons de très bons résultats.

Je reviens sur les résultats de la randomisation souhaitée par le médecin qui a créé ces ateliers. Les frais médicaux sont très élevés parce que ces personnes essaient de s’en sortir. Cela coûte cher à la société. Après les ateliers, on constatait une réelle évolution et des frais médicaux beaucoup moins importants. Pourquoi ? Parce qu’ils étaient réparés et qu’ils prenaient beaucoup moins de médicaments, d’arrêts maladie, etc. Parmi les autres outils utilisés, on trouve également l’équithérapie. Ceci dit, c’est pour moi proprement incroyable qu’il faille encore faire un travail sur ce sujet en 2023 !

M. Yoann Lemaire, président de l’association Foot Ensemble. Notre association lutte contre les discriminations, et en particulier contre l’homophobie dans le milieu du sport et notamment du football car nous sommes tous footballeurs au sein de l’association. Nous nous inscrivons dans une démarche globale de citoyenneté. On parle des discriminations, du racisme, de l’homophobie et du sexisme. On prend également des cours avec des théologiens parce que les traditions, les cultures et les religions dans le sport amènent parfois beaucoup d’homophobie et de sexisme.

Nous sommes partenaires de la Ligue de football professionnel (LFP) et de la fédération française de football (FFF). Dans la mesure où c’est très compliqué et difficile avec la FFF, il me serait difficile de vous dire exactement où nous en sommes aujourd’hui. Nous essayons d’intervenir au sein des clubs professionnels, tant auprès des joueurs professionnels que des jeunes dans les centres de formation. Nous intervenons également dans le milieu amateur afin de parler de ces sujets avec les jeunes, les éducateurs et les dirigeants.

Il s’agit notamment de briser le tabou de l’homosexualité et de l’homophobie dans le sport. Si ce dernier est facteur d’inclusion, il génère aussi de l’exclusion sociale. Lorsqu’un homosexuel annonce son homosexualité, quelle que soit la taille du club, ça entraîne forcément des problèmes, que ce soit avec les adversaires, le public ou les coéquipiers. C’est donc un sujet très compliqué.

Ça fait plusieurs années que nous sommes une association experte sur l’homophobie auprès de la FFF. La Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) joue ce rôle pour tout ce qui est racisme. Nous essayons de faire des outils pédagogiques pour eux : des livrets à distribuer, des serious games, des formations pour les coachs et les éducateurs, des ateliers à distance, etc. Il s’agit de repérer l’homophobie et le harcèlement dans une équipe.

Malgré le nombre d’outils que nous pouvons leur fournir, on se rend compte qu’ils ne parviennent pas à les diffuser assez largement dans le milieu amateur. Ça signifie qu’un joueur, un coach ou un président de club au fin fond de la France sera difficilement informé de l’existence de ces outils pour essayer d’avancer sur ce sujet et d’en parler. Beaucoup d’éducateurs nous disent qu’ils ne sont pas aptes à parler d’homophobie. En sachant qu’il n’y a pas de formation pour les entraîneurs. Ça constitue un vrai problème.

Nous avons des retours sur des cas d’homophobie. Ça concerne surtout de jeunes homosexuels en difficulté et qui ne veulent pas que ça se sache. Pour autant, ils ne sont pas forcément nombreux. Ce serait un mensonge de dire que des milliers de jeunes nous contactent ou contactent les autres associations. Je précise que nous sommes en lien avec d’autres associations, qui disposent également de plates-formes. Soit les garçons et les filles arrêtent la pratique du sport, soit ils le cachent et en parleront beaucoup plus tard.

Dans un centre de formation, il se dit qu’un joueur est homosexuel car un entraîneur le sait et quelqu’un a vu des choses. Pourtant, lorsque j’ai fait un atelier avec son équipe pour évoquer la lutte contre l’homophobie, le garçon en question a tenu des propos homophobes. C’était sans doute pour lui une manière de prouver aux autres qu’il ne l’était pas.

En ce qui concerne la FFF, je pense que le départ de Noël Le Graët était sans doute la meilleure chose qui puisse se produire ; du moins, sur le sujet de la lutte contre l’homophobie et les discriminations. Il ne s’y intéressait absolument pas. Ses équipes devaient avoir de grandes difficultés à mettre en place des actions. Nous allons voir ce que le changement va apporter, même si ça me paraît un peu long. Leur plan sur la lutte contre les violences sexuelles et les discriminations devrait être présenté dans quelques jours. Quoi qu’il en soit, ils auraient tout à gagner en étant plus sérieux sur le sujet.

Nous travaillons davantage avec la LFP, auprès de laquelle nous menons un grand nombre d’actions. Nous intervenons notamment au sein des centres de formation dans le cadre de l’Open football club, le Fondaction du football, qui fait l’objet de nombreuses demandes depuis plusieurs années. Les clubs professionnels savent qu’il y a en particulier beaucoup de problèmes d’homophobie et de sexisme. Il nous est même compliqué de répondre à la demande. Il y a également une demande importante au niveau des joueurs professionnels. Nous parlons avec eux de la nécessité de lutter contre l’homophobie, des enjeux et des axes d’amélioration. Il n’y a qu’en France que ça existe.

Nous formons également le top management, c’est-à-dire la direction du club. Ils comprennent eux aussi qu’il y a des choses à faire sur ce sujet complexe. Il n’y a toujours pas de coming out dans le milieu du football professionnel. Il y en a très peu dans le milieu amateur. Toujours est-il que le milieu du football professionnel essaie de comprendre et nous ouvre les portes des clubs même s’il y a un déficit d’investissement notamment en personnes ressource dans les clubs pour gérer ces problématiques. Il faut beaucoup d’actions. Il faut une exemplarité du milieu professionnel.

Vous avez mentionné tout à l’heure le documentaire que j’ai pu réaliser avec Michel Royer. Nous avons souffert pour concrétiser ce projet. Personne ne souhaitait parler. C’était très tabou. Les clubs ne nous répondaient pas. On était alors en 2017-2018. Antoine Griezmann a finalement accepté, mais compte tenu de la difficulté pour des professionnels de parler de ce sujet, il a simplement dit que l’homophobie n’était pas bien et qu’il fallait être ouvert d’esprit.

J’ai été très déçu de ma rencontre avec les joueurs de l’équipe de France à Clairefontaine avant la Coupe du monde au Qatar. C’était un projet de trois ans afin de montrer l’exemplarité des Bleus et qu’ils disent « non à l’homophobie ! » En l’occurrence, seuls trois joueurs ont accepté. Nous y sommes donc allés pour rien. Hugo Lloris a notamment tenu des propos très surprenants lors de cette interview. Il n’en est rien sorti de bon. D’ailleurs, la FFF n’a jamais diffusé ce petit clip. C’est terrible ! Le but était pourtant d’en faire un objet pédagogique et nécessaire afin d’aider les jeunes en souffrance et montrer l’exemple à ceux dont le comportement est parfois homophobe.

Il y a également un réel besoin d’apporter du soutien aux victimes. Il s’agit tout d’abord d’intervenir pour essayer de décrypter l’homophobie et repérer de potentielles victimes. Je pense qu’il faut absolument démultiplier les actions de terrain. Il faut pour cela que la FFF intervienne davantage auprès des districts, des ligues et des petits clubs amateurs. Il est nécessaire d’avoir du concret, c’est-à-dire des outils pour mieux former et en parler avec les jeunes.

À titre personnel, je pense que ça fonctionne. Depuis trois ans, nous menons une enquête pour la LFP au sein des centres de formation avec le Fondaction du football. On mesure ainsi l’acceptabilité de l’homosexualité chez des jeunes de 12 à 18 ans. On recense à peu près 1 600 participants. On se rend compte qu’il est crucial d’en parler. L’âge charnière où l’homophobie est la plus présente se situe entre 15 et 16 ans. Les jeunes de 13 à 14 ans sont beaucoup plus réceptifs. J’en déduis qu’il faut commencer très tôt, c’est-à-dire dès les centres de pré-formation ou chez les catégories U13 dans le milieu amateur. Ça a forcément un lien avec des formes de bizutage et de harcèlement.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pourriez-vous nous préciser les termes qui posaient problème dans l’intervention d’Hugo Lloris ? Par ailleurs, bien que le football professionnel soit plus visible, le football amateur, qui compte des centaines de milliers de licenciés, a été beaucoup mentionné lors des différentes auditions. Considérez-vous qu’il y a aujourd’hui un manque d’actions préventives, au-delà de sanctions dont on n’entend pas souvent parler ? Est-ce lié à un manque de volonté de la part des dirigeants des fédérations ou des clubs ? Ou alors, s’agit-il plutôt d’une question de moyens et de dispositifs mis en place pour faire de la prévention contre le racisme, les discriminations et l’homophobie ?

M. Yoann Lemaire. S’agissant des sanctions, nous intervenons auprès des groupes de supporters des clubs de Ligue 1 et de Ligue 2. Il est donc intéressant d’avoir une version un peu différente. En ce qui concerne le clip, le site Arrêt sur images a obtenu les vidéos. En fait, j’ai trouvé qu’il n’y avait aucune implication. Le plus important est de qualifier l’homophobie. Pour eux, c’est simplement frapper des gays dans la rue.

En revanche, Hugo Lloris a dit que le fait de tenir des propos homophobes n’était pas de l’homophobie. D’ailleurs, ça l’a fait rire. Ça ne le choque pas. Au contraire, ça le motive pour la confrontation. Il a tenu ces propos face caméra. Je lui ai demandé si, en tant que capitaine, il avait déjà entendu des joueurs parler de leur homosexualité. Il m’a répondu que c’était de l’ordre de l’intime et qu’on n’avait pas à le faire. Pourtant, il a déjà parlé de sa femme et de ses enfants.

On constate qu’il y a une méconnaissance totale du sujet. Ça ne les concerne pas. Ils s’en foutent ! En fait, ils étaient simplement là pour jouer au football et participer à la Coupe du monde au Qatar donc on n’en parle pas. C’était flagrant ! Il y a tout de même des joueurs qui s’investissent, mais il se peut que la FFF ou d’autres leur demande de ne pas trop s’impliquer parce qu’il se pourrait qu’ils aillent jouer demain au PSG ou dans un pays où l’homosexualité est interdite. Ils remballeraient ainsi leur morale…

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Qui inviterait les joueurs à ne pas trop s’investir dans la lutte contre l’homophobie ?

M. Yoann Lemaire. Je ne saurais pas vous répondre précisément. Il pourrait s’agir de leurs avocats, de leurs agents ou de la personne de la communication qui les accompagne. En tout état de cause, la communication de la FFF n’a absolument pas fait son travail à l’occasion de ce clip. En l’occurrence, ils ont fait le minimum syndical en demandant à trois joueurs de s’exprimer. L’un d’eux a dit n’importe quoi et les deux autres ont fait les choses vite fait, bien fait. Le fait est que le clip n’a jamais été diffusé. Je pense que le service de communication a bloqué les choses. On va m’engueuler de vous le dire. J’assume mes propos parce que ce n’est pas normal. Ça signifie qu’il y a tout de même un problème.

Il y a un point important sur lequel un travail reste à faire. Dans le football professionnel ou amateur, il y a par ailleurs de plus en plus d’interprétations des religions. Aujourd’hui, je travaille avec des imams. J’ai notamment interviewé l’imam de Bordeaux, Tareq Oubrou. Il faut arrêter de se protéger derrière des religions, quelles qu’elles soient. Beaucoup de choses disent n’importe quoi. On entend dire que l’homosexualité est interdite. Le pédé il ne prend pas sa douche avec nous, il dégage. On constate qu’ils interprètent les choses à leur façon les traditions, les cultures et l’éducation. Il faut absolument mettre le doigt dessus parce que c’est un problème qui monte très rapidement. Heureusement, dans les clubs professionnels, des référents socio-éducatifs sont là pour gérer les jeunes. Ils essaient notamment de les faire grandir sur tous ces sujets de société.

En ce qui concerne la prévention, je pense effectivement qu’il y a un manque de moyens. Il y a également un manque d’unité. Nous sommes partenaires de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah). Nous avons des relations avec le ministère des sports, mais très peu de contact avec le ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes. Je trouve qu’il manque une unité.

Lorsque Laura Flessel était ministre, le ministère des sports rencontrait souvent les associations pour articuler les actions et les moyens des uns et des autres. Elle m’avait notamment aidé financièrement pour réaliser un film avant de trouver un diffuseur. Il faut se réunir pour trouver des outils pédagogiques et définir des plans d’action. Or, c’est quelque chose qui manque aujourd’hui. Chacun fait ce qu’il peut de son côté et il n’y a personne au-dessus pour coordonner les plans d’actions.

Il est évident qu’il manque des moyens de prévention. Vous devriez demander à la FFF quel budget elle a consacré à la lutte contre les discriminations ces dix dernières années. Je pense que la réponse nous surprendrait. Il est donc grand temps de s’y mettre. En ce qui concerne la sanction, il faut savoir si le ministère de l’intérieur et celui de la justice font leur travail convenablement. Après, je sais bien qu’il manque des moyens et que tout est difficile. On sait tous que c’est très compliqué lorsqu’il y a des propos racistes ou homophobes dans un stade.

Les clubs professionnels font souvent un travail remarquable. Il serait intéressant que vous auditionniez les directeurs de la sécurité des stades, que je rencontre souvent. Ils font un travail énorme pour retrouver les images et identifier les auteurs de propos racistes et homophobes. Par contre, lorsqu’elles sont soumises à la préfecture ou aux services de police, les sanctions liées au racisme ou à l’homophobie restent rares.

C’est la même chose dans le milieu amateur. Il faut que les clubs sachent qu’il y a des interdictions administratives de stade. Certaines personnes se rendent dans les stades de niveau amateur pour y tenir des propos racistes et homophobes. Il existe des solutions, mais très peu de gens en sont informés. C’est donc un problème auquel il convient de remédier.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous dites qu’il y avait auparavant une coordination avec les associations et une feuille de route sur le rôle de chacun dans les différents domaines. Avez-vous des relations de travail avec l’ANS et le CNOSF ? En sachant que la création de l’agence a complexifié la gouvernance du mouvement sportif. Par ailleurs, connaissez-vous la cellule Signal-Sports du ministère des sports ? Aucun de vous ne l’a mentionnée, ce qui est intéressant en soi.

M. Yoann Lemaire. Vous avez raison. Il faut savoir que le Centre national pour le développement du sport (CNDS) nous avait soutenus dans la réalisation de ce documentaire ; et ce, sous l’impulsion de la ministre des sports. Sachez que je vais avoir mon premier rendez-vous avec l’ANS par visioconférence la semaine prochaine. Je n’avais pas de relations avec eux auparavant. Nous avons été soutenus financièrement une fois pour des kits pédagogiques, mais nos propositions ne les ont pas intéressés les deux années suivantes. Sous l’impulsion du ministère des sports, nous avons la semaine prochaine notre premier rendez-vous avec l’ANS. J’ajoute qu’il ne faut pas confondre cet organisme avec l’autre ANS, qui est l’Association nationale des supporters, avec laquelle nous travaillons.

En ce qui concerne le CNOSF, je n’ai ni partenariat ni projet avec eux. Nous nous sommes rencontrés une fois lors d’un colloque intéressant où tout le monde a parlé d’homophobie. C’était il y a un an et demi. Depuis lors, je n’ai pas vu de plans d’action ou peut-être avec d’autres associations. Étant donné que nous intervenons beaucoup auprès de la FFF et de la LFP, je suis un peu surpris que le CNOSF ne nous contacte pas. Ils ont peut-être des projets énormes avec d’autres associations. Je le regrette. Je suis un peu surpris qu’à quelques mois des Jeux olympiques, on n’ait pas un plan d’action très clair sur la lutte contre les discriminations. Le CNOSF pourrait donner une impulsion et secouer les fédérations. En sachant que c’est tout aussi complexe dans les autres sports. En ce qui concerne la cellule du ministère des sports, j’en ai entendu parler, mais je ne la connais pas. Je ne sais pas si les milieux professionnel et amateur ont cette information-là. Pour ma part, je ne peux pas parler d’une chose sans en avoir connaissance.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je précise que cette cellule ne traite pas des questions de discriminations, de racisme et d’homophobie. Pensez-vous qu’un élargissement de cette cellule à ces sujets irait dans le bon sens ?

M. Yoann Lemaire. Oui, bien évidemment. Ceci dit, au lieu de démultiplier les initiatives, il me paraît préférable de s’assurer que les informations sont correctement remontées. Autrement, on n’arrivera à rien ! Le gouvernement a effectivement un rôle à jouer pour avoir un retour sur les discriminations dans le sport. La FFF nous parle d’un observatoire du comportement. À titre personnel, je n’y crois pas trop. On nous dira qu’il y a toujours très peu d’homophobie.

L’ancien président de la FFF avait déclaré qu’il n’y avait pas de problèmes d’homophobie ni de racisme dans le football. L’actuel président a tenu des propos semblables il y a quelques mois dans Le Parisien. À un moment donné, il s’agit d’être sérieux ! Ces problèmes existent et ce, beaucoup plus qu’on ne le pense. Que ce soit l’homophobie ou le racisme, tout est dans l’intention. On a encore entendu des cris de singe dans un stade. Les supporters s’en sont pris à un joueur de couleur noire. Il n’y a donc aucun doute sur l’intention raciste.

Tandis que pour l’homophobie, il y a souvent une banalisation des injures. Certains joueurs ou supporters utilisent des termes homophobes tels que « tapette » sans en comprendre le véritable sens. Pour eux, ce n’est pas de l’homophobie puisque dans leur esprit une « tapette » est une personne peureuse et ce n’est pas destiné aux homosexuels. Il convient donc de leur expliquer que c’est de l’homophobie. C’est en cela qu’il y a une différence entre ces problèmes, même si toute forme de discrimination est grave.

Quand un arbitre met un carton rouge à un joueur pour des propos homophobes sur le terrain, la logique est de suspendre le joueur pour 11 matchs pour comportement à caractère discriminatoire. Il y a également un travail de formation et de réparation à effectuer au niveau des commissions de discipline qui jamais ne relèvent le caractère discriminatoire de ce type de propos qui sont qualifiés d’injures. Au lieu de prononcer une suspension pour plusieurs matchs, tout comme pour Kévin N’Doram, le joueur du FC Metz, on pourrait demander aux joueurs de faire une réparation afin de comprendre que leurs propos étaient homophobes. Il y a un travail intéressant à faire sur ce sujet avec les commissions de discipline. Il ne faut pas oublier qu’un juge pourrait considérer que ce n’est pas de l’homophobie.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Quelles sont vos relations avec le ministère des sports ? Votre association Foot Ensemble est-elle subventionnée ?

M. Yoann Lemaire. Oui, nous percevons des subventions de la part du ministère des sports depuis plusieurs années et de la Dilcrah. On verra ce qu’il en est de l’ANS la semaine prochaine. Je précise qu’il n’y a pas de salariés au sein de notre association. C’est simplement pour la création d’outils pédagogiques et les déplacements afin de se rendre dans une multitude de clubs sportifs.

Nous intervenons également dans les collèges et les lycées. Il s’agit de sensibiliser les jeunes par le biais du football, grâce à des vidéos d’Antoine Griezmann, etc. Même si je ne suis pas tout à fait d’accord avec certaines de leurs propositions, les relations que nous entretenons avec le ministère des sports sont cordiales. À la suite des polémiques, le cabinet nous a répondu et la ministre nous a reçus.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. À quelles polémiques faites-vous allusion ?

M. Yoann Lemaire. Je fais référence aux chants homophobes entendus lors du match PSG-OM. Ça a été médiatisé et nous sommes intervenus auprès des supporters. Nous avons rencontré les supporters du Stade de Reims la semaine dernière. C’est un sujet qui est compliqué en ce moment.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Sur quels points n’êtes-vous pas d’accord ?

M. Yoann Lemaire. Ce n’est pas une critique. Je pense que la ministre est dans son rôle en dénonçant l’homophobie et le racisme. Il faut effectivement agir. À titre personnel, je suis défavorable aux arrêts de matchs et autres sanctions collectives. Il faudrait plutôt individualiser les sanctions. Un travail doit être effectué pour responsabiliser les groupes de supporters. Il vaut mieux identifier les supporters qui posent problème plutôt que de fermer toute une tribune, voire tout un stade.

Quant à l’interruption des matchs, j’y étais vraiment favorable lorsque la LFP y a eu recours en 2019. Le problème, c’est qu’il y a eu une escalade avec une série de matchs interrompus en raison des provocations des supporters. C’était finalement devenu contre-productif. Pour ma part, je préfère la pédagogie et les interventions auprès des acteurs du terrain. J’ajoute que j’ai trouvé la prise de position de la ministre au Qatar à la fois intéressante et courageuse.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je m’adresse maintenant aux autres intervenants. Connaissez-vous la cellule Signal-Sports ?

Mme Marielle Vicet. Pour ma part, j’en ai eu connaissance lors de la préparation de cette audition. En revanche, ce n’était pas le cas auparavant. À mon sens, il serait pertinent de mener des réflexions au-delà du sport. Il pourrait par exemple y avoir des observatoires régionaux pour toutes les institutions, pas seulement dans le sport. Ça permettrait de répertorier tous les établissements qui ont été confrontés à ce type de problématiques, y compris les structures sportives et les autres établissements et structures accueillant des mineurs. C’est en tout cas un point qui me semble important pour la protection de l’enfance.

Mme Marie Laurendeau-Petit. En ce qui me concerne, j’ai également appris l’existence de cette cellule Signal-Sports lors de la préparation de cette audition.

M. Boris Sanson. Je ne la connaissais pas non plus. Nous avons des circuits courts de prise en charge. On oriente vite vers les thérapeutes qui entrent rapidement en contact avec les associations etc.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous pour ce qui vous concerne des liens de travail avec l’ANS et le CNOSF ?

M. Boris Sanson. Nous allons justement essayer de mener un travail de confiance avec eux. Nous essayons de redynamiser l’association en repartant sur des bases où on recrée du lien avec toutes les structures. Nous verrons alors comment les choses évoluent.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il serait intéressant que vous puissiez nous envoyer des propositions à mettre en œuvre afin d’améliorer le volet préventif et celui des sanctions. Et ce, qu’il s’agisse du sujet des VSS ou du racisme, des discriminations ou de l’homophobie. Nous commençons à percevoir l’étendue des failles et des dysfonctionnements. Nous souhaitons y remédier en apportant des solutions très précises afin que ça ne se reproduise plus ou en tout cas le moins possible. Il s’agit d’y travailler sur le court terme, le moyen terme et le long terme. Au-delà de la justice, il y a les fédérations, les clubs amateurs et professionnels ainsi que les associations.

Mme Marielle Vicet. Nous allons vous remettre un document sur les mesures pour agir efficacement dans le secteur du sport. Il date de 2020, mais il reste bien évidemment d’actualité. Nous y avons travaillé au sein de SVS. Nous vous remettons également un document chiffré sur les violences sexuelles en France. Il a été conçu et réalisé par Muguette Dini, ancienne sénatrice et actuelle présidente de SVS Rhône.

M. Boris Sanson. Au terme des échanges, j’ai l’impression que beaucoup de choses existent, mais sans être connues. Ça part un peu dans tous les sens. Il serait intéressant de recentraliser tout ce qui existe pour agir. Il serait plus simple de porter un projet avec une véritable colonne vertébrale. J’ai pu constater que certaines associations n’avaient pas les mêmes approches et défendaient leur pré carré alors qu’il s’agit de problématiques globales. Le rôle de l’État serait donc peut-être de mettre en place une charte de bienséance et de bien-pensance afin que toutes les associations puissent s’exprimer dans un cadre sain. Or, ce n’est pas le cas actuellement.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. L’un d’entre vous souhaite-t-il ajouter autre chose ?

M. Yoann Lemaire. Monsieur Sanson a tout à fait raison. Il faut centraliser les actions. Il y a effectivement quelque chose à faire du côté des associations, qui sont nombreuses et dont certaines souhaitent garder une forme de monopole, qui veulent faire des médias, voir des ministres. Leur action sur le terrain s’en trouve moins pertinente. Je souhaite vraiment que la Fédération française de football se mette sérieusement au travail sur ce sujet. Pour cela, il faut des moyens et de l’humain.

Même si je ne suis pas spécialiste de la question des violences sexuelles, il me paraît évident que les agresseurs vont plus facilement vers le sport pour être auprès de jeunes. Il y a donc une grande vigilance à avoir en la matière. Même si on y trouve des gens formidables, le sport est tout de même un milieu très compliqué, qui peut être un facteur d’exclusion et de violences physiques, sexuelles et mentales.

Mme Marielle Vicet. Sur le plan du droit, il y a effectivement un énorme travail à faire au vu du nombre d’absences de suites données à des signalements. Je pense qu’il y a sans doute un sujet de formation et d’information au niveau des parquetiers et des magistrats. Seul 1 % des signalements aboutissent à une condamnation.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. N’hésitez pas à revenir vers cette commission d’enquête si vous souhaitez ajouter des informations qui nous concernent. Merci à vous quatre.

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30.   Table ronde, ouverte à la presse, sur la lutte contre la haine anti-LGBT : M. Éric Arassus, président de la fédération sportive LGBT+ M. Alban Vandekerkove, président du club de rugby Les Coqs festifs, M. Vincent Etienne, M. Rayhanne Abderrahim Amghar et Mme Inês Lafaurie, joueurs et M. Ouissem Belgacem, ancien footballeur et écrivain (12 octobre 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous accueillons à présent M. Éric Arassus, président de la fédération sportive LGBT+ ; M. Alban Vandekerkove, président du club de rugby Les Coqs festifs, qui est accompagné de M. Vincent Étienne, M. Rayhanne Abderrahim Amghar et Mme Inès Lafaurie, joueurs. Nous accueillons également M. Ouissem Belgacem, ancien footballeur et écrivain.

Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions. Le 20 juillet dernier, nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux se déclinent autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

Créée en 1986, la fédération sportive LGBT+ est à la fois mixte et omnisport. Elle regroupe 50 associations sportives en France. Son objectif est de lutter contre les discriminations subies par des personnes LGBT+ dans le milieu sportif. Elle organise plusieurs manifestations sportives explicitement ouvertes aux personnes LGBT+. Elle est membre de la fédération des Gay Games, événement sportif organisé tous les quatre ans sur le modèle des Jeux olympiques, à destination des personnes LGBT.

Le club de rugby parisien Les Coqs sportifs est inclusif. Il a été créé en 2006. Oussem Belgacem a notamment publié en 2021 une autobiographie intitulée Adieu ma honte !, dans laquelle vous dénoncez l’homophobie que vous avez rencontrée dans le football et qui vous a poussé à renoncer à votre carrière de joueur professionnel. Depuis lors, vous sensibilisez contre l’homophobie dans le football.

Nous souhaiterions tout d’abord recueillir votre analyse de l’ampleur des violences et des discriminations subies par les personnes LGBT dans le milieu sportif en France ainsi que leur évolution. Disposez-vous d’éléments statistiques et de comparaisons internationales ? Pourriez-vous revenir sur les actions que vous déployez dans le champ qui nous intéresse ? Pouvez-vous nous donner des exemples précis de discriminations que vous avez subies ou rencontrées dans le champ du sport et les réponses qui ont été apportées ?

Quelles relations entretenez-vous avec les différents acteurs qui interviennent dans la lutte contre les discriminations dans le sport ? Je vais citer le ministère des sports, les fédérations sportives, l’Agence nationale du sport (ANS), la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT, le défenseur des droits, la commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), les établissements d’enseignement et la justice.

Quelle appréciation portez-vous sur l’action de ces différents acteurs dans le domaine qui nous intéresse ? De manière générale, quelle appréciation portez-vous sur le cadre existant pour prévenir, détecter et sanctionner les discriminations à l’encontre des personnes LGBT+ dans le milieu sportif ? Ce cadre vous paraît-il adapté ou doit-il être renforcé ?

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Avant de vous laisser la parole et d’entamer nos échanges, je vous rappelle que vous devez prêter serment.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main et à dire : « Je le jure ».

(M. Éric Arassus, M. Alban Vandekerkove, M. Alexandre Morin, M. Vincent Étienne, M. Rayhanne Abderrahim Amghar, Mme Inès Lafaurie et M. Ouissem Belgacem prêtent serment.)

M. Éric Arassus, président de la fédération sportive LGBT+. Je vais tout d’abord vous donner quelques chiffres. Nous avons remporté un appel à projets du ministère des sports et de l’organisme Ipsos. Nous avons mené une enquête qui a été publiée le 17 mai dernier. Il en ressort ce qui suit : 50 % des Français ont déjà été témoins d’une situation homophobe ou transphobe dans le milieu sportif, 50 % des personnes LGBT ont déjà été victimes d’une situation homophobe dans le milieu sportif et plus de 75 % des Français considèrent qu’il faut aller plus loin dans la lutte contre la LGBT-phobie dans le sport.

Notre fédération regroupe tous les sports que vous connaissez aux Jeux olympiques. Monsieur Belgacem reviendra sur ce qu’il se passe dans le football. Olivier Klein et la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah), par le déclenchement de l’article 40, commencent à faire de la répréhension à l’encontre des insultes homophobes dans les stades. C’est une étape mais peut-être pas suffisant.

Comment identifier les auteurs de chants homophobes dans les stades ? Même s’il y a de la vidéosurveillance, il s’agit de travailler en amont. Il faut peut-être se rendre dans les clubs de football, dans les centres de ressources, d’expertise et de performance sportive (Creps) et dans les centres d’entraînement. Il faut travailler à la fois avec les jeunes et les entraîneurs, mais aussi avec les ultras et les clubs de supporters. La Fédération française de football et la ligue de football professionnel doivent vraiment se mettre au travail sur le sujet parce que les actions entreprises ne sont pas suffisantes. Le budget en la matière est nettement insuffisant au regard du travail à accomplir.

Aujourd’hui, le CNOSF a pour mission de faire chaque année un rapport sur l’homophobie dans le sport en général. Vous avez auditionné Brigitte Henriques, sa présidente précédente, qui avait promis de le faire. À ce jour, ce rapport n’a pas été publié. Nous aimerions bien qu’il le soit parce que nous avons besoin d’un état des lieux et constatons des lacunes sur ce sujet. Nous avons essayé de contacter David Lappartient, le nouveau président du CNOSF, mais nous n’avons pas eu de contact avec lui à ce jour. Nous espérons être recontactés un jour. Notre fédération est reconnue et dispose d’un agrément ministériel depuis le 9 septembre dernier. Nous sommes donc désormais éligibles au CNOSF.

Nous pensons que les personnes LGBT+ doivent être reconnues et incluses au sein des fédérations. Aujourd’hui, peu de personnes trans peuvent concourir. Certaines fédérations internationales interdisent même aux personnes trans de concourir : la fédération internationale d’échecs, la World Athletics, la World Rugby et la Fédération internationale de natation (Fina). Je rappelle que les femmes trans sont des femmes et que les hommes trans sont des hommes. Par conséquent, ces personnes ne doivent pas être discriminées dans les compétitions.

Des groupes d’études se créent. La Fédération française de rugby a organisé hier un colloque dans le cadre de la Coupe du monde de rugby en France. Cela va nous donner un héritage. Il ne faut pas discriminer les personnes LGBT et trans dans le monde du sport. Le budget est nettement insuffisant dans certaines fédérations. Des choses sont entreprises en la matière par certaines fédérations – on a évoqué le rugby –, mais des fédérations se trouvent toujours en difficulté. Il y a notamment des budgets à mettre en place dans le football. Il faut vraiment intensifier des actions sur ce sujet. Il s’agit véritablement d’œuvrer au quotidien. Il faut aller dans les clubs de football, à la rencontre des jeunes et des entraîneurs, voire des supporters. Ça représente un travail conséquent. On ne peut pas se contenter de deux ou trois événements annuels, de mettre des maillots floqués le 17 mai et fermer les yeux le reste de l’année.

La ligue de football a rendu hier un arbitrage assez ubuesque avec des suspensions et des amendes financières. Je pense que ce n’est pas suffisant. Les choses ne doivent pas se passer comme ça. Il faudrait donc mettre davantage de moyens sur ce sujet.

Je voudrais revenir sur ce qui s’est passé à la Fédération française d’escrime, dont le président a démissionné. Nous avons effectué quatre signalements sur Signal-Sports pour des cas d’homophobie graves et avérés. Des personnes ont notamment été déclassées et traitées de pédophiles. Ça m’émeut d’en parler. Nos signalements n’ont été remontés qu’hier soir, ce qui est assez étonnant et a peut-être un lien avec la présente audition.

La personne en question a enfin été auditionnée par le médecin fédéral de la Fédération française d’escrime. Nous espérons vraiment que ça va aboutir, alors que cette personne a dépensé plus de 20 000 euros dans le cadre de ces signalements. Il s’agit d’un entraîneur reconnu au niveau régional, en Bourgogne et dans le nord-est. Il convient donc d’œuvrer par rapport aux problèmes qui existent au sein de la Fédération française d’escrime.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pourriez-vous nous en dire davantage sur les faits ? Vous dites que vous avez été contacté hier par la cellule Signal-Sports. Vous ont-ils expliqué pourquoi ça avait pris du temps en sachant qu’il ressort de nos auditions que les discriminations, dont l’homophobie, n’entrent pas dans le périmètre de Signal-Sports qui se limiterait aux violences sexistes et sexuelles (VSS).

M. Éric Arassus. C’est intéressant car on nous a toujours dit que le sujet relevait de Signal-Sports. Je crois savoir que cette cellule n’est aujourd’hui composée que de quatre personnes, ce qui est peu. Nous pensons qu’il faut mettre plus de moyens. Si l’homophobie ne fait pas partie de Signal-Sports, c’est intéressant de l’apprendre aujourd’hui mais il faudrait dans ce cas qu’une plateforme dédiée soit mise en place.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons auditionné la Dilcrah ce matin. C’est un point important. Ils nous ont clairement expliqué que l’homophobie et les discriminations ne faisaient pas partie de Signal-Sports. Des discussions sont en cours avec le ministère afin de les y intégrer. Je suis donc étonnée qu’ils vous aient contacté. Pourriez-vous nous expliquer le contexte de ces signalements ?

M. Éric Arassus. Il s’agit d’un entraîneur fédéral de Bourgogne-Franche-Comté qui a été congédié par l’ancien président de la fédération : Bruno Gares. Cet entraîneur, qui est en couple avec un homme, a été réprimandé pour son homosexualité. Il y a eu toute une enquête et son avocat a établi des faits.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Qu’entendez-vous par « réprimandé » ?

M. Éric Arassus. Il a été déclassé et mis à l’écart. L’homophobie est clairement avérée. Une enquête est en cours avec un avocat et la personne se tient à votre disposition si vous souhaitez la contacter. Il s’agit de faits très graves. J’ai été auditionné par le juriste de la Fédération française d’escrime. Je pense que cette affaire a été mise sous le tapis. Il a été très compliqué de faire reconnaître l’homophobie par les médecins fédéraux. Au départ, on a parlé de harcèlement moral et de beaucoup d’autres choses. Ils ont clairement eu du mal à utiliser le terme « homophobie ».

En tout, il y a quatre cas à la fédération française d’escrime. Je pense notamment à celui d’une jeune personne trans, dont les parents nous ont contactés pour dire que les moyens nécessaires n’étaient pas mis à disposition. Il s’agit d’un adolescent qui est devenu une adolescente. En Lorraine, on n’a pas mis de vestiaires à sa disposition parce qu’on ne souhaitait pas que ce jeune adolescent puisse se déshabiller. Il lui était demandé de se déshabiller chez lui ou dans la voiture avant d’aller à l’entraînement. Nous pensons vraiment que la fédération française d’escrime doit œuvrer sur ce sujet. Notre charte Sport et Trans comporte des recommandations sur l’inclusion des personnes trans. C’est un véritable sujet aujourd’hui.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Que vous répond la fédération ?

M. Éric Arassus. En fait, je me suis fait avoir. Nous avons signé cette charte en commun avec la Fédération française d’escrime, mais rien n’a été mis en place à ce jour. Finalement, la signature d’une charte n’engage à rien.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il y a peut-être eu un signalement auprès de la fédération avant que les choses suivent leur cours. Quelle a été la réponse de la fédération au moment où vous avez effectué ce signalement ?

M. Éric Arassus. J’ai été recontacté par le service juridique de la Fédération française d’escrime. Les deux rencontres que nous avons eues n’ont à mon sens débouché sur rien. Les personnes concernées ont été recontactées, mais il n’y a eu ni amélioration ni piste de réflexion.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Quels propos ont été tenus lors de l’entretien avec la fédération ?

M. Éric Arassus. C’était donc au niveau fédéral et national. Il nous a été dit que c’était aux ligues régionales ou départementales d’œuvrer. En l’absence de changement d’état civil, ils nous ont dit que cet adolescent allait peut-être y renoncer. En sachant que les cas de renoncement pour les personnes trans sont vraiment très rares. Ça représente 0,08 % des cas. Étant donné qu’il s’agissait d’une personne mineure, ils nous ont indiqué ne pas vouloir faire d’efforts, ce qui nous a vraiment posé question. Il est assez inquiétant de constater qu’il n’y a pas de programme de formation à la Fédération française d’escrime.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Autrement dit, ce n’est pas allé plus loin. Il n’y a pas eu de signalement ou de saisine.

M. Éric Arassus. Dans le cas de l’entraîneur, il y a eu une saisine de Signal-Sports et une autre de la Fédération française d’escrime. Les rappels ont été faits hier soir. J’y vois donc un lien avec l’audition de ce jour. Les travaux sont lents et laborieux. Ça dure depuis plus d’un an. Malheureusement, peu de choses se passent alors que c’est compliqué pour cette personne sur le plan moral. Nous avons eu très peur qu’elle en arrive à se suicider. Elle n’est pas protégée et cette situation lui a coûté beaucoup d’argent : des frais d’avocat, une mise en retrait dans son travail, etc. C’est donc très compliqué pour elle.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. À la suite du contact qui est intervenu, vous a-t-on dit s’il y avait eu une enquête administrative ? Est-ce que l’entraîneur en question a été éloigné de la victime ?

M. Éric Arassus. Il n’y a pas de victime à proprement parler puisque c’est l’entraîneur qui a été mis à l’écart. C’est allé très loin parce qu’il a été suspecté de pédophilie. Il lui a été demandé de ne plus travailler auprès de jeunes. En fait, c’était complètement ubuesque. Il a été traité de pédophile alors qu’il s’agit en l’occurrence d’une personne gay.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Où est-il actuellement ?

M. Éric Arassus. Il se trouve en Bourgogne-Franche-Comté.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Travaille-t-il encore aux côtés de mineurs ? Est-il toujours à la Fédération française d’escrime ?

M. Éric Arassus. Oui, il est toujours en activité. Je précise qu’il a changé de région. Il est parti d’Épinal pour s’établir en Bourgogne-Franche-Comté parce que ses relations avec la ligue fédérale étaient très compliquées. Je souhaitais revenir sur le lien avec le CNOSF. Aujourd’hui, nous avons l’agrément ministériel, mais pas l’agrément du CNOSF. Nous avions des rapports assez étroits avec Brigitte Henriques, du temps de sa présidence.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Si je comprends bien, un agrément avec le ministère des sports ne vous donne pas pour autant un agrément avec le CNOSF.

M. Éric Arassus. Non, ce n’est pas obligatoirement immédiat. Il faut enclencher des mesures administratives. L’agrément ministériel date du 9 septembre. Je pense que ça va suivre son cours, mais c’est tout de même assez long sur le plan administratif.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quelle est la différence entre ces deux agréments ?

M. Éric Arassus. Je ne saurais pas répondre à cette question précisément. En tout cas, je sais que c’est assez lent. Il est prévu que nous revoyions le conseiller déontologie et éthique de madame la ministre la semaine prochaine. Je pourrai alors vous faire part de ces différences. En ce qui concerne le CNOSF, nous avons aujourd’hui une alliée en la personne d’Astrid Guyart, la secrétaire générale. Nous pensons que le CNOSF doit aller plus loin en matière de lutte contre l’homophobie et la transphobie. Nous attendons le rapport depuis un an, mais on ne voit rien venir.

Les Jeux olympiques et paralympiques vont se tenir dans quelques mois. Nous souhaitons que ces jeux soient inclusifs. Or, peu de choses sont entreprises à ce jour. Certaines fédérations le font, mais ce n’est pas suffisant. Il convient de mettre en place plus de moyens et des politiques publiques plus incitatives. Bien qu’il y ait plusieurs personnes LGBT au sein des fédérations, il y a peu de coming out ou de role models. Certains sont obligés de se cacher pendant leur carrière et font leur coming out une fois qu’ils sont à la retraite.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous des contacts avec l’ANS ?

M. Éric Arassus. Oui, nous sommes financés depuis peu par l’ANS. Nous organisons une compétition qui s’appelle les EuroGames et qui aura lieu en 2025 à Lyon. Nous avons des contacts avec l’ANS depuis un an.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous eu des échanges avec eux sur les termes qui sont caractérisés en termes d’homophobie ? Certaines associations nous ont notamment relaté qu’il leur avait été dit lors d’une réunion il y a quelques années que le terme « enculé » n’était pas homophobe.

M. Éric Arassus. Nous n’avons pas d’échanges de ce type-là aujourd’hui. Pour nous, l’ANS est un financeur. Concrètement, ils financent un tournoi, mais sans pour autant mettre en place des actions de lutte contre l’homophobie. En fait, on nous répond la même chose, à savoir que les termes « pédé » et « enculé » font partie du folklore. Non ! Je rappelle qu’il s’agit d’un délit en 2023.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Qui vous dit ça ?

M. Éric Arassus. La Fédération française de football ou la ligue de football ainsi que les clubs de supporters. Il n’est plus possible d’entendre ce genre de chose aujourd’hui. Je pense qu’il faut taper du poing sur la table.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. C’est donc la fédération et les clubs de supporters. Pourriez-vous nous en dire davantage ? Qui vous dit ça ?

M. Éric Arassus. C’est ce qu’on entend lors des concertations avec la Fédération française de football (FFF). Ceci dit, on sent qu’il y a une volonté politique de faire bouger les choses depuis l’arrivée d’Amélie Oudéa-Castéra. Néanmoins, il y a encore deux ans, on nous disait que ces termes étaient traditionnels et que ça faisait partie du folklore. Tandis qu’aujourd’hui, il faut savoir qu’Olivier Klein, le nouveau délégué interministériel, a déclenché l’article 40 à trois reprises. Ce n’est donc plus à géométrie variable. Il y a une réelle volonté de faire changer les choses. Pour autant, il est très compliqué d’identifier les auteurs de chants homophobes dans les stades.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Qui vous a dit ça au sein de la fédération ? À quel niveau ?

M. Éric Arassus. C’est tout de même au niveau national.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. On vous a donc répondu au cours d’une réunion avec la Fédération française de football que ça faisait partie du folklore et qu’il ne fallait pas s’arrêter à ce vocabulaire.

M. Éric Arassus. Tout à fait. Ceci étant, les choses commencent à bouger depuis un an.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous aurions besoin de plus de détails pour bien comprendre. Qui est votre interlocuteur à la Fédération française de football ?

M. Éric Arassus. Il n’y a pas de personne identifiée pour la lutte contre l’homophobie, par exemple.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Autour de la table, il y a donc un représentant de la FFF. Qui est cette personne ? Quel est son rôle à la fédération ?

M. Éric Arassus. Je crois qu’il s’agit d’une personne qui travaille sur l’éthique et la déontologie, mais elle n’est pas forcément liée à la lutte contre les discriminations ou pour l’inclusion. Par conséquent, la lutte contre l’homophobie n’est pas forcément son sujet.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’aurais une question sous le même format pour le football et le rugby. Comment les réunions de travail se passent-elles et avec qui travaillez-vous aujourd’hui sur toutes ces questions-là ? Quelles réponses vous sont apportées ? L’objectif de cette commission est d’identifier les failles et les dysfonctionnements afin de formuler des propositions concrètes pour faire avancer les choses. Des signalements sont-ils restés sans réponse ? Si oui, pourquoi ?

M. Ouissem Belgacem, ancien footballeur. Je vais vous parler du football, qui est mon périmètre dans le sport. Je suis un ancien footballeur et j’ai écrit un livre qui a été publié il y a deux ans. Il est intitulé Adieu ma honte et a donné lieu à une série documentaire, qui est sortie en juin dernier sur Canal+. On m’y voit notamment intervenir dans différents clubs de France. Pour vous résumer la situation, le constat est finalement le même qu’à l’époque où je jouais. J’entends les mêmes commentaires hyper homophobes, que ce soit de la part des joueurs, des coachs ou des supporters. Toute l’industrie du football est concernée.

En ce qui concerne mes interactions avec la fédération, j’ai beau avoir sorti un livre dans l’une des plus grandes maisons d’édition et avoir été invité sur les plus grands plateaux de télévision en France, je n’ai pas reçu un seul appel de la FFF. Voilà qui en dit long… J’ai eu quelques échanges avec la Ligue de football professionnel (LFP), mais on m’a expliqué qu’il n’y avait pas de moyens financiers, humains, logistiques et organisationnels pour lutter contre l’homophobie dans le football. Je m’en souviens comme des pires réunions de ma vie.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous demandé à rencontrer la FFF afin d’échanger avec eux ?

M. Ouissem Belgacem. Ma productrice connaissait potentiellement quelqu’un de la FFF. Ceci dit, je pense qu’ils doivent me connaître. Un article a été publié dans L’Équipe et j’ai fait le tour des plus grands plateaux de télévision. Je pense qu’ils ne veulent pas me parler ou entendre ce que j’aurais à leur dire. De toute façon, la LFP travaille avec la FFF. Ces deux organes sont liés. Les réunions que j’ai eues avec eux étaient vraiment lunaires. C’est à moi qu’on demandait des contacts pour aller parler à différents clubs. Je travaille dans le sport, mais aussi dans le monde du travail avec différents groupes et entreprises. Lorsqu’on est sérieux sur un sujet et qu’on souhaite améliorer les choses, il faut se doter de moyens d’y parvenir. Ils pourraient par exemple avoir des formateurs de lutte contre les discriminations qui se verraient confier un budget pour mettre en place des projets. Ça rejoint mon action au sein d’entreprises dans le privé. La conclusion que j’en tire, c’est que le monde du football n’a pas forcément envie de lutter contre l’homophobie.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pourriez-vous préciser pourquoi vous affirmez que les réunions que vous avez eues avec la ligue ont été les pires de votre vie ?

M. Ouissem Belgacem. La lutte contre l’homophobie est forcément un sujet qui me touche. J’ai joué au Toulouse Football Club pendant six ans. Je suis allé jusqu’aux États-Unis pour essayer de vivre de ma passion. Finalement, le constat était un peu le même. En fait, je n’ai pas senti d’empathie sur le sujet pendant les échanges. J’ai pu discuter avec le directeur de la communication RSE de la LFP. Je ne comprends pas qu’une ligue puisse me demander si je connais des personnes à l’AS Monaco, à Toulouse ou ailleurs qui pourraient éventuellement les aider à organiser une réunion. Ils ont forcément des contacts au sein des clubs.

En fait, la LFP et la FFF misent tout sur quelques associations. J’ai vraiment l’impression que c’est pour dire : « Vous ne pourrez pas dire qu’on n’a rien fait sur le sujet. Nous avons fait une action cette année ». C’est louable de la part de ces associations, dont la plupart sont bénévoles. Sont-ils formés et outillés pour accompagner la jeunesse ? Le temps où un footballeur n’était qu’un footballeur est révolu. Les joueurs sont désormais des leaders d’opinion. Ils ont des millions de followers sur les réseaux sociaux. Ils sont écoutés par une partie de la France, parfois même davantage que les politiciens. Si on n’aide pas ces jeunes-là à déployer les valeurs qui doivent prévaloir en France, ça peut rapidement devenir très compliqué.

Je suis peut-être un peu négatif, mais je constate que les choses n’ont pas avancé - ou très peu - malgré mon livre et la série documentaire. C’est donc un peu décourageant. En plus, j’ai entendu des discours de haine dans chaque club où je suis passé. J’aime à penser que les clubs qui m’ont ouvert les portes sont certainement les plus ouverts d’esprit. Les autres ont préféré que je ne vienne pas filmer les séances.

Qu’est-ce que ça dit de l’état du football français ? Je pense que l’homophobie dans le football est l’angle mort des discriminations. Ils n’ont pas envie de s’en préoccuper ; peut-être par crainte que ça déplaise aux supporters, aux coachs ou aux joueurs. En tout cas, il y a un écart entre les valeurs que la France est censée porter et celles que le football français défend aujourd’hui.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous comprenons qu’il n’y a pas de volonté de traiter la question. Quels sont les dispositifs à mettre en place afin de mieux travailler en termes de prévention ? En termes de sanctions, on est à ce jour très loin de ce qu’il faudrait mettre en place afin que les mêmes comportements ne se reproduisent pas. De notre côté, nous souhaiterions plutôt travailler sur la prévention afin d’éviter l’homophobie.

M. Ouissem Belgacem. Je vous rejoins. De toute façon, je ne suis pas forcément favorable aux sanctions. Je vous invite à regarder mon documentaire. En fait, les jeunes réagissent très bien à mes conférences. On voit le chemin qu’ils peuvent parcourir en l’espace d’une intervention. C’est tellement incroyable qu’on se demande pourquoi ce n’est pas fait partout, chaque année et dans chaque club. Qu’attend-on pour le faire ?

Je ne comprends pas qu’une industrie telle que celle du football en France, qui brasse des milliards chaque année, n’ait pas une enveloppe budgétaire allouée à la lutte contre l’homophobie. J’ai joué pour l’équipe de Tunisie. J’ai connu le racisme. J’ai souvent vu des campagnes contre le racisme. De grands spots publicitaires ont été réalisés avec les stars de l’équipe de France. En revanche, il n’y a pas grand-chose en ce qui concerne l’homophobie.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Auriez-vous une estimation du budget qui est alloué à la lutte contre l’homophobie au sein des différentes fédérations, en particulier dans le rugby et le football ?

M. Ouissem Belgacem. On m’a dit qu’il n’y avait pas de budget dans le football. Lors de l’avant-dernière journée de Ligue 1 et de Ligue 2, les joueurs portent des brassards de couleur arc-en-ciel. À titre personnel, je pense que c’est une très mauvaise initiative qui ne fait qu’amplifier la fracture. Je suis toujours invité sur les plateaux à ce moment-là. En fait, les joueurs ne comprennent pas pourquoi ils doivent les porter. On ne peut pas faire de la communication ou du marketing s’il n’y a pas eu de formation en amont. C’est la même chose en termes de prévention. Lorsque les joueurs comprendront pourquoi ils portent ces brassards, il y aura peut-être une avancée. En attendant, ça ne crée que des polémiques.

On m’a dit que ces maillots étaient ensuite mis en vente et que l’argent récolté servait à financer les associations qui organisent quelques ateliers par an. Je ne sais pas s’il existe un budget dédié. Si tel est le cas, il est de toute façon très faible. Je pense qu’il devrait y avoir une stratégie cohérente qui parte de la fédération pour se diffuser dans les clubs. Ces derniers n’ont pas forcément tous les moyens d’avoir un référent LGBT. En tout cas, la personne qui s’occupe de la lutte contre les discriminations pourrait au moins suivre une formation sur ce sujet précis.

La FFF et la LFP affirment que les choses avancent et que l’homophobie recule. Pour autant, les faits ne mentent pas. En France, aucun joueur de football ne fait son coming out, que ce soit dans les centres de formation ou au niveau professionnel. En revanche, c’est le cas dans d’autres pays tels que l’Angleterre ou l’Australie, qui sont des sociétés différentes. Sur le Vieux continent, les cultures méditerranéennes sont certainement plus machistes et virilistes. Je pense que notre pays et le football se voient plus progressiste qu’ils ne le sont réellement.

M. Alban Vandekerkove, président du club de rugby Les Coqs festifs. Les choses sont un peu plus simples du côté du rugby. La ligue et la fédération nous ont vraiment ouvert les bras, notamment dans le cadre de la Coupe du monde. Notre association existe depuis 2006. Notre club est constitué de joueurs qui viennent jouer au rugby le samedi matin. Il a la particularité d’être inclusif, c’est-à-dire LGBT-friendly. Jusqu’à présent, il n’y avait que des hommes qui venaient, mais les choses ont changé il y a quelques années avec l’arrivée de femmes au sein du club. Nous nous ouvrons donc à la mixité. Le problème, c’est que nous ne pouvons pas jouer en équipe mixte.

Il y a huit ans, nous nous sommes demandé comment porter la parole des Coqs festifs à une échelle un peu plus large. Il n’y a par définition pas de discriminations au sein du club. Nous sommes un espace de protection pour les personnes qui nous rejoignent. Nous avons modestement développé une marque : « Rugby is my pride », qui avait pour but de promouvoir nos actions et nos luttes contre les discriminations.

Nous n’avons pas de moyens, mis à part les petites subventions de sponsors ou les cotisations de nos joueurs. Nous nous sommes donc rapprochés de la Ligue nationale de rugby (LNR) il y a quelques années. Elle gère notamment le Top 14, la Pro D2 et le Supersevens, qui est le tournoi de rugby à sept. Ils développaient justement un programme intitulé « Célébrons la diversité ! ». Ce projet reposait sur plusieurs piliers : le racisme, l’égalité femme-homme, le handicap et la lutte contre la LGBT-phobie.

Nous avons donc travaillé ensemble. Ils ont également lancé un programme intitulé « Plaquons l’homophobie ! ». Un sondage anonyme a été effectué auprès de tous les professionnels de la LNR : joueurs, entraîneurs et encadrants. Même s’il date un peu, ce sondage est disponible sur leur site Internet. Il ressort de cette enquête que 75 % des personnes interrogées, quelle que soit leur orientation sexuelle, pensaient qu’il serait effectivement très difficile de faire un coming out dans le rugby français aujourd’hui. Et ce, en raison des peurs, des appréhensions ou de l’homophobie apparente dans les clubs.

La Ligue nationale de rugby a ainsi tracé une ligne arc-en-ciel lors des phases finales du Top 14. Elle a mis le rainbow flag sur les écrans avec la promotion d’un film lors de la finale de 2018. Depuis lors, ils font des ateliers de sensibilisation au sein des clubs professionnels. Ça concerne essentiellement le Top 14 et la Pro D2. Il s’agit simplement d’ouvrir le débat. Il convient de rappeler qu’il n’y a à ce jour qu’un seul joueur qui ait fait son coming out au sein du rugby professionnel. Il s’agit de Jérémy Clamy-Edroux.

Au sein des équipes féminines, ce sujet n’est pas forcément tabou. Ça semble ne pas être un problème. Certaines joueuses qui s’assument complètement ne souhaitent pas forcément être médiatisées pour ce motif. C’est donc un sujet sur lequel nous travaillons en lien avec la LNR. En ce qui concerne la Fédération française de rugby, qui gère notamment les équipes féminines et masculines ainsi que les clubs de loisirs, ils ont créé la CADET, une commission chargée de la lutte contre les discriminations, il y a deux ans.

Cette commission s’est immédiatement attaquée à un autre problème : la transphobie. Il faut savoir que World Rugby, l’instance qui gère les règles de ce sport à l’échelle mondiale, a préconisé de ne pas faire jouer les joueurs et joueuses trans. Autrement dit, un joueur homme devenu femme ne pouvait pas jouer dans une équipe féminine. Certains pays tels que l’Angleterre, l’Écosse et l’Irlande ont décidé d’appliquer cette réglementation.

La FFR, via la CADET, s’est penchée sur le sujet en interrogeant des médecins et des scientifiques. A priori, ça ne constituerait pas un problème puisque ça ne concerne que 0,5 % de personnes. Ils ont donc décidé de faire des tests. Ils conduisent une expérimentation depuis quelques années avec une joueuse ambassadrice : Alexia Cérénys, qui joue en équipe féminine au niveau élite. A priori, ça ne pose absolument aucun problème.

Nous avons ensuite travaillé avec la FFR et la CADET sur un petit tournoi pour la lutte contre les discriminations. C’était à Marcoussis, sur les terrains de l’équipe de France. La résonance ayant été positive, ils ont proposé de s’associer avec la LNR, la FFR, World Rugby et la Coupe du monde autour du programme « Rugby is my pride » et de développer un programme plus important à l’occasion de la Coupe du monde.

Nous avons obtenu des moyens en provenance des sponsors officiels de la Coupe du monde : Société Générale, MasterCard et Education First. Ça nous a permis de produire un film de sensibilisation contre l’homophobie en mai dernier. Un symposium a été organisé hier en présence de madame la ministre des sports ainsi que des présidents de la FFR et de la LNR, le président français de World Rugby et celui de la Coupe du monde.

Des ateliers et des échanges se sont tenus pendant toute la journée sur les sujets de discriminations, de lutte contre l’homophobie et la transphobie, et de l’égalité femme-homme au sein du rugby. Ces échanges ont été extrêmement positifs. World Rugby est toujours un peu hésitant et fermé sur la question des joueurs et joueuses trans, mais a accepté d’entrer dans les négociations.

Par ailleurs, le nouveau président de la FFR, Florian Grill, a annoncé hier que les matchs seraient systématiquement arrêtés en cas de racisme ou de chants homophobes. Il a notamment briefé les arbitres, qui ne peuvent pas forcément avoir conscience de tout ce qui se passe dans les tribunes. Quoi qu’il en soit, les matchs seront systématiquement interrompus le cas échéant. C’est donc un point extrêmement positif. D’ailleurs, sa position est unanimement suivie au sein de la LNR puisque ce genre de chose n’a absolument pas sa place dans les stades de rugby.

Nous allons également organiser ce week-end un tournoi intitulé « Pride Rugby Cup », qui va se tenir une nouvelle fois sur les terrains de l’équipe de France. Dix équipes, dont huit masculines et deux féminines, vont promouvoir la mixité. Comme je l’indiquais, il ne nous est toujours pas possible de jouer en mixte en rugby loisirs. C’est l’occasion de passer ce message en présence de toutes les instances de ce sport.

La question s’est également posée de savoir ce qu’il convenait de faire par la suite. Un programme dit Héritage va débuter au terme de la Coupe du monde. Il s’agit de faire bouger les choses progressivement afin que les mentalités évoluent et qu’on ne voie plus dans le rugby des comportements qui n’y ont pas leur place.

M. Vincent Étienne, vice-président du club de rugby Les Coqs festifs. Alban gère les relations avec les institutions du rugby en France. J’ai commencé le rugby à l’âge de 6 ans et j’ai arrêté au moment où il fallait que je me concentre sur mes études. Lorsque j’ai voulu reprendre, étant donné que j’avais fait mon coming out entre-temps, j’ai très vite ressenti que je n’étais pas le bienvenu dans le club de la ville où j’ai grandi. Je suis arrivé chez les Coqs festifs en cherchant un club un peu plus inclusif.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous dites avoir rapidement ressenti que vous n’étiez pas le bienvenu ou que vous dérangiez ?

M. Vincent Étienne. À partir du moment où vos coéquipiers ne souhaitent pas que vous entriez dans le vestiaire, il est difficile de se sentir à l’aise dans son propre club. Je n’y suis jamais retourné après cet épisode-là. Aujourd’hui, je sais que cette espèce d’ambiance homophobe s’est un peu calmée parce que l’un des entraîneurs est ouvertement gay. C’est peut-être une question générationnelle.

Toujours est-il qu’il m’a fallu me tourner vers les Coqs festifs pour trouver un endroit où je pouvais me sentir à l’aise avec ma sexualité. Sans pour autant mettre ce sujet en avant au quotidien, il a tout de même fallu que je me demande comment pratiquer le sport que j’aime sans être discriminé. Je me suis posé cette question avant même d’avoir une identité sexuelle. Je ne sais pas s’il existait à cette époque-là des organismes vers lesquels j’aurais pu me tourner, mais le coach ne m’a pas vraiment aidé.

Il convient de souligner que la lutte contre la LGBT-phobie ne peut pas aller sans lutter contre la misogynie. Je pense que l’homophobie et la LGBT-phobie descendent surtout d’une misogynie intégrée. Pourquoi le terme « enculé » est-il une insulte ? Parce que la personne enculée est pénétrée. C’est l’idée qu’une femme est un objet pénétré et souillé dans lequel un homme se vide. On ne pourra pas remédier à la LGBT-phobie sans lutter contre la misogynie et cette image selon laquelle être une femme et être pénétré sont dégradants. C’est la raison pour laquelle je pense que ces luttes vont de pair.

M. Rayhanne Abderrahim Amghar, joueur du club de rugby Les Coqs festifs. Pour ma part, j’ai pratiqué des sports individuels pendant très longtemps. Je ne me posais pas encore ce type de questions parce que j’étais très jeune. Lorsque j’ai pris conscience de mon orientation sexuelle, j’ai fait mon coming out assez jeune. Ce n’était pas forcément évident parce qu’un enfant reste tout de même très naïf. Je pensais très sincèrement qu’il n’y aurait pas de problèmes, mais les choses ne se sont malheureusement pas passées comme ça. J’ai eu droit aux moqueries et au rejet dans les vestiaires. Je ne comprenais pas parce que je n’avais pas choisi d’être homosexuel.

J’ai tout de même continué le sport, mais je me douchais en rentrant chez moi. J’ai ensuite arrêté le sport pendant plusieurs années avant de reprendre une activité physique. Je ne cherchais pas forcément un club LGBT, mais je cherchais plutôt un club de rugby qui acceptait tous les niveaux. L’un de mes amis, qui faisait partie des Coqs festifs, m’a proposé de venir faire un essai. J’ai adoré dès le premier entraînement. Je me suis entraîné et j’ai progressé avec les nouveaux. Au rugby, on est aussi une famille. Pour moi, ça a vraiment été une révélation. Ça fait maintenant sept ans que j’ai rejoint les Coqs festifs et j’y suis très heureux.

Malheureusement, de manière générale, je pense qu’il y a encore un énorme travail à accomplir. Il nous est déjà arrivé d’entendre sur un terrain : « On ne va pas perdre contre des pédés ! Ce n’est pas possible ! » Ce qui m’a vexé et choqué, c’est que le capitaine de l’équipe adverse a jugé notre niveau sportif en fonction de notre orientation sexuelle. Ça n’a aucun sens. L’orientation sexuelle n’a clairement aucun rapport avec la performance sur le terrain.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. De quel club s’agissait-il ?

M. Rayhanne Abderrahim Amghar. C’était à Montreuil. C’était il y a longtemps, mais je pourrais retrouver le nom de ce club sans problème. Nous faisons aussi un travail lors de la « troisième mi-temps ». C’est le moment d’échanger avec les adversaires autour d’une bière. Lorsqu’on avait droit à ce type de réflexions, je me fermais à la conversation. Aujourd’hui, je profite de cette troisième mi-temps pour essayer d’échanger et de comprendre pourquoi certains pensent qu’un homosexuel serait plus faible sur un terrain de rugby.

La réponse est généralement : « J’ai dit ça pour motiver mes troupes. Bien sûr que je ne le pense pas ! » Quoi qu’il en soit, ça reste un problème. Aujourd’hui, je sais me protéger. Ça me fait donc beaucoup moins mal. Par contre, j’ai toujours tendance à me mettre à la place de l’opprimé. Pour un jeune qui aurait intégré le club récemment et qui entendrait ça, ce type de propos pourrait lui faire beaucoup de mal. Heureusement que tout le monde ne pense pas comme ça ! La majorité de nos adversaires sont très respectueux, mais ça peut arriver. C’est la raison pour laquelle je pense que, même si les choses avancent, il y a encore un gros travail à faire.

Mme Inès Lafaurie, joueuse du club de rugby Les Coqs festifs. Je suis une femme trans. Je suis né garçon et je deviens femme. Je suis chez les Coqs festifs depuis trois ans et je suis membre du conseil d’administration depuis cet été. Mon entrée chez les Coqs festifs n’était pas une évidence. À l’issue du premier confinement, je cherchais un club de sport afin de pratiquer le rugby et ne plus me sentir isolée. Je souhaitais surtout évoluer dans un environnement accueillant, et non hostile. En sachant que ça coïncidait avec la période lors de laquelle je commençais les démarches pour ma transition.

Les Coqs festifs m’ont proposé une journée d’essai. J’ai adoré le premier entraînement, mais je n’ai pu m’inscrire que l’année suivante en raison du deuxième confinement. J’ai grandi avec un père fan de rugby, qui a été joueur et entraîneur de son équipe. J’ai donc toujours été imprégnée par le rugby pendant mon enfance. Pour autant, j’étais convaincue que ce n’était pas un milieu pour moi. J’ai pris conscience de ma sexualité différente assez tôt.

Pendant la période de l’adolescence, il m’était difficile de faire face à des personnes qui voyaient en moi ce que je n’avais pas encore achevé de comprendre. C’était même très perturbant. La question des vestiaires pendant les cours d’EPS a toujours été très compliquée. J’ai majoritairement pratiqué la natation pendant ma jeunesse. Dans l’eau, on est seul dans sa tête et on n’a pas besoin des autres. En plus, on se change dans une cabine, c’est-à-dire un espace clos pour soi.

Je trouvais le monde du rugby viriliste et très violent. J’étais persuadée de ne jamais pouvoir y trouver ma place. J’ai expliqué ma situation à Alban avant mon entraînement d’essai. J’avais beaucoup d’appréhension parce que c’était la première fois que j’allais faire du sport en public en tant que femme trans. Je lui ai posé un certain nombre de questions. Il m’a répondu que je serais le premier joueur trans de l’équipe, mais qu’il n’y aurait pas de problème.

Lorsque je suis arrivée, on m’a demandé spontanément si je souhaitais avoir un vestiaire séparé afin de me changer plus tranquillement. J’ai trouvé ça merveilleux. J’ai refusé parce que je préfère faire partie de l’équipe. J’ai énormément pris confiance en moi grâce au soutien et à la solidarité que j’ai trouvés au sein de la famille des Coqs sportifs. Il est arrivé qu’il y ait des incidents, voire des insultes à mon égard, en raison de mon identité de genre et de mon apparence physique. Pour autant, j’ai toujours été soutenue par le club.

Je suis notamment extrêmement reconnaissante au club de m’avoir soutenue sur la question de la mixité, qui est interdite par la FFR. Lorsque j’ai rejoint le club, l’affiliation à la FFR était en négociation. Nous évoluions alors dans une fédération qui autorisait les clubs mixtes. L’année suivante, j’étais en pleine démarche de changement de prénom à l’état civil lorsque le club a été affilié à la FFR. Lorsque j’ai appris que la fédération nationale interdisait les clubs mixtes, j’ai décidé de me contenter du changement de prénom et de ne pas changer le marqueur de genre. Et ce, afin de ne pas être interdite de compétition et de matchs. À l’époque, je n’avais même pas la certitude de pouvoir m’entraîner.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Jouez-vous actuellement avec les garçons ou les filles ?

Mme Inès Lafaurie. Je joue avec les garçons. Je précise qu’il n’y avait aucune femme dans l’équipe avant mon arrivée. Depuis cette année, il y a de plus en plus de joueuses. En tant que membre du conseil d’administration, j’en suis ravie et j’aimerais inciter plus de femmes à nous rejoindre. Toujours est-il que je joue avec les garçons. D’ailleurs, ça a posé problème en avril dernier, à l’occasion d’un tournoi européen en Angleterre. Les règles de la fédération anglaise sont très strictes et inflexibles. Les femmes trans n’ont pas le droit de jouer avec les femmes. Je n’avais donc pas le droit de jouer avec les équipes féminines.

C’était encore plus frustrant parce que des joueuses d’une autre équipe parisienne, contre laquelle on joue régulièrement, sont venues nous voir après un match afin de me demander si je souhaitais m’inscrire avec elles pour ce tournoi. J’ai été obligée de leur répondre que ce n’était pas possible. À la fin de ce tournoi, j’ai eu le droit à des insultes de la part d’un joueur d’une équipe adverse.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Où jouent les Coqs festifs ?

M. Alban Vandekerkove. Nous sommes au stade Pershing, à Vincennes.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous devez avoir de nombreux vestiaires.

M. Alban Vandekerkove. Oui, surtout que nous sommes à peu près 70 par entraînement. Nous avons donc plusieurs vestiaires. L’arrivée de femmes au sein du club nous a incités à demander plus de vestiaires. Une femme est venue nous voir pour inscrire son fils trans, qui est mineur. Nous ajoutons donc des vestiaires en fonction des différents profils qui rejoignent le club.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je comprends, mais ça constitue une véritable problématique. La plupart des collectivités manquent de vestiaires. Il ne peut donc pas forcément y avoir de vestiaires dédiés en sus de ceux qui existent pour les hommes et les femmes.

Mme Inès Lafaurie. Nous avons depuis cette année des vestiaires femmes séparés de ceux des hommes. Ça ne pose aucun problème. Je suis accueillie au sein du vestiaire femme comme toutes les autres joueuses de l’équipe.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous des échos de ce qui se passe au sein d’autres clubs qui n’ont pas forcément les structures municipales dont vous disposez ?

M. Éric Arassus. En fait, il y a une attribution de créneaux entre les hommes et les femmes. À Paris, 85 % des créneaux sont pour les hommes et 15 % pour les femmes. À Lyon, c’est 50-50. L’adjointe au sport de Lyon a fait des budgets genrés. Désormais, pour obtenir des subventions et des créneaux, il faut rendre des comptes sur les VSS. Je pense que ce serait vraiment nécessaire à Paris. En sachant que les femmes ont peu de créneaux sportifs. C’est une question d’équité entre les femmes et les hommes. Comme Vincent le disait tout à l’heure, les femmes sont assez invisibilisées dans le sport en général, en particulier dans les médias. On a notamment pu le constater lors de la Coupe du monde de football féminin.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’aimerais savoir comment vos clubs respectifs ont réagi lorsque vous leur avez fait état des discriminations que vous avez subies.

M. Vincent Étienne. Pour ma part, j’ai la chance d’avoir une famille assez impliquée au niveau associatif dans la ville dont je suis originaire. Ils ont donc des relations avec le maire, l’adjoint au maire et les conseillers municipaux. J’avais pu faire remonter l’information. Il était de notoriété publique que le président du club était relativement homophobe et raciste. D’ailleurs, il a dû démissionner quelques années plus tard et pas parce qu’il a été poussé vers la sortie. Ceci dit, étant donné qu’à peine une quinzaine de personnes s’identifiaient comme étant LGBT, c’était finalement un sujet mineur pour la municipalité.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Aucun signalement n’a été effectué plus haut, c’est-à-dire au niveau de la fédération, lorsque vous avez dénoncé la discrimination dont vous avez été victime ? Que s’est-il passé par la suite ? Rien ?

M. Vincent Étienne. En fait, il ne s’est absolument rien passé. J’essaie de prendre du recul au regard du contexte. L’entraîneur était très bon et l’équipe très performante. Je pense qu’il y a eu une volonté de laisser les choses courir afin de ne pas affecter les résultats sportifs du club, les sponsors, qui permettent de limiter les subventions de la municipalité etc. D’autant que la commune a tout misé sur le rugby. C’est peut-être le seul village de 5 000 habitants qui compte quatre terrains de rugby. Il y a eu peut-être une volonté politique de ne pas freiner la progression de l’équipe et donc de mettre les problèmes sous le tapis.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Savez-vous si les choses ont évolué au sein de ce club ?

M. Vincent Étienne. J’ai eu l’occasion d’y retourner il y a environ un mois. Le nouveau président du club était mon surveillant lorsque j’étais au collège. Il était donc informé de mon coming out. La génération actuelle est peut-être un peu plus sensibilisée. D’ailleurs, le coach des poussins est ouvertement gay. Il assiste aux entraînements et aux matchs avec son mari. Je pense que c’était lié à un problème générationnel.

Je viens d’une commune rurale francilienne qui est tout de même située à proximité de la ville. Ce type de problèmes est plus fréquent en ruralité, où le seul homosexuel d’un village est souvent considéré comme un pestiféré. Toujours est-il que les choses ont évolué aujourd’hui. Tant mieux ! Je m’en réjouis pour ceux qui vont pouvoir vivre leur sexualité de manière épanouie.

M. Rayhanne Abderrahim Amghar. Il n’y a pas eu de signalement officiel en ce qui me concerne. On a essayé d’en parler de manière informelle lors de la troisième mi-temps. Pour ma part, je n’en ai pas parlé à mon président ni au conseil d’administration à l’époque. Clairement, c’est quelque chose que je découvrais. Je ne savais même pas que ça pouvait exister. C’est peut-être mon côté naïf. J’ai pu échanger avec quelques joueurs adverses lors de la troisième mi-temps. Ils ont essayé de dédramatiser les choses avec des plaisanteries. Ils m’ont dit que c’était simplement une manière d’encourager les joueurs et qu’il n’y avait aucune homophobie derrière ces propos.

Mme Inès Lafaurie. Le premier incident dont je me souviens au sein du club s’est déroulé lors d’une soirée. J’ai subi du harcèlement et des menaces de violences sexuelles. Des personnes du club ont réagi afin que l’individu me laisse tranquille. J’ai envoyé un message pour rassurer tout le monde dès que je suis rentrée chez moi. J’ai expliqué mon point de vue sur les événements. Ils m’ont tous soutenue et défendue. Ils m’ont dit de les en informer immédiatement si ça se reproduisait. Tout le club prend systématiquement ma défense en cas d’incident. À Birmingham, un rappel a été effectué auprès du club dont le joueur m’avait insultée à la fin du tournoi.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Votre agresseur était-il du club ?

Mme Inès Lafaurie. Non, pas du tout. C’était une soirée événement organisée par le club. Il s’agissait d’un client du bar extérieur au club. Nous étions tous en maillot du club et identifiables comme des joueurs du club. Il y avait également des banderoles et des flyers du club.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Comment est-ce que les choses se passent dans d’autres fédérations sportives ?

M. Éric Arassus. Ça ne se passe pas très bien. Les violences sexistes et sexuelles constituent un point important qui n’est pas encore légiféré. Même dans le milieu LGBT, on a beau dire qu’on propose des endroits sûrs dans lesquels on peut se sentir en sécurité, je pense que tout le monde n’est pas au clair sur la notion de consentement et qu’il y a un travail à faire sur le sujet. En interne, il y a tout de même eu quatre dépôts de plainte l’année dernière. Ça concerne des suspicions de viol et des choses assez lourdes.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pourriez-vous préciser ?

M. Éric Arassus. L’officier de police judiciaire de Paris Centre est une personne identifiée référente de l’association FLAG ! Il nous a indiqué qu’il existait des sujets récurrents au sein de certaines associations de notre fédération avec des comportements comme ceux que vient de décrire Inês. Lors de soirées, il y a un processus d’alcoolisation et certains produits sont utilisés. Ça peut aboutir à des agressions sexistes et sexuelles.

D’ailleurs, nous devons prévoir un budget au traitement de ces sujets pour obtenir l’agrément ministériel. Pour cela, il faudrait que l’on soit un peu mieux subventionné. Ça implique de former des gens et d’avoir une politique publique plus incitative. Nous devons travailler sur la notion de consentement dans le milieu gay. Il y a donc un travail à faire en la matière. Je pense notamment à l’association En avant toutes !, qui peut former sur les violences sexistes et sexuelles dans le milieu LGBT.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. À l’époque où vous étiez encore joueur de football, avez-vous été témoin de dysfonctionnements, monsieur Belgacem, en avez-vous signalé ? Aujourd’hui, vous vous rendez dans un certain nombre de clubs. Vous arrive-t-il de recueillir des témoignages de faits de discrimination, d’homophobie ou de racisme ?

M. Ouissem Belgacem. Non, je n’en ai pas vu. Je pense qu’on est encore au stade précédent. Je suis la preuve vivante qu’il y a des gays dans le football professionnel en France. Ceci dit, étant donné qu’il n’y a aucune perspective de pouvoir vivre les choses sereinement, personne ne se risquerait à effectuer un signalement, en sachant que les enjeux financiers sont tellement grands et les carrières tellement brèves. En plus, l’adolescent cherche à se focaliser sur le football.

Lorsque je fais des conférences, je me pose des questions sur le langage corporel de certains. Certains me suivent sur les réseaux sociaux. Pour autant, le but n’est pas de les identifier puisque je sais qu’il en existe dans chaque club. L’objectif est de créer un environnement dans lequel ils se sentiront un jour à l’aise, que ce soit pour faire un signalement ou leur coming out. Pour autant, la route me semble longue.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous d’autres recommandations à nous transmettre ?

M. Éric Arassus. Oui. Pour dégager des moyens de lutter contre l’homophobie et la LGBT-phobie, on pourrait par exemple taxer les paris sportifs, qui drainent énormément d’argent. Aujourd’hui, on sent que les choses avancent, mais c’est lent et laborieux. On pourrait utiliser une partie de l’argent du sport business pour des politiques publiques de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT. Il n’y a pas que la Fédération française de football qui soit à des années-lumière de nous. On pourrait parler du basket et du volley-ball. Je précise que nous avons une quarantaine d’associations qui représentent chaque sport. Pourtant, elles ont peu de contacts avec leur propre fédération.

Aujourd’hui, il faut que le CNOSF engage chaque sport à faire un travail de lutte contre la LGBT-phobie. C’est très bien que le rugby le fasse, tout comme la fédération pionnière en la matière : le roller derby. Néanmoins, ce n’est pas suffisant. On pense qu’une incitation est vraiment nécessaire. On évoquait tout à l’heure les Jeux olympiques et paralympiques, que l’on souhaite inclusifs. Pour autant, nous avons besoin d’une démarche globale.

M. Ouissem Belgacem. J’entends ton point, mais je ne suis pas certain que ce soit un problème d’argent. Du moins, pas dans le football. Je pense que ça relève davantage d’une question de volonté. Si on souhaite véritablement avancer, on ne pourra pas faire l’économie de créer ce département de lutte contre les discriminations au sein de la Fédération française de football avec des référents dans chaque club. Ça requiert également des prises de position claires et fortes de la part du président de la FFF. En l’occurrence, ce que j’ai entendu de sa part il y a encore quelques semaines ou quelques mois est assez effrayant.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Qu’a-t-il dit ?

M. Ouissem Belgacem. Selon ses dires, il n’y aurait pas d’homophobie dans le football et ce ne serait pas vraiment un sujet. Il faudrait également engager les acteurs principaux du football en France, c’est-à-dire les joueurs phares de Ligue 1. Ils sont davantage écoutés que le président de la fédération. Si on n’arrive pas à mobiliser les joueurs de l’OM ou du PSG, ça va être compliqué.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous dites que vous avez 40 associations au sein de la fédération. Pourriez-vous nous citer quelques exemples de fédérations qui ne sont pas du tout engagées dans la lutte contre les discriminations, le racisme ou l’homophobie ? Contactez-vous ces fédérations pour leur faire des propositions et ce, sans obtenir de réponse de leur part ?

M. Éric Arassus. En 2018, nous avons organisé les Gay Games. Cet événement a accueilli 10 500 personnes à Paris. Nous avions demandé à chaque association représentative de contacter sa fédération d’appartenance. Ça a parfois amené à des situations ubuesques. Nous avons eu des contacts avec la personne déléguée à la situation de handicap. Je rappelle que le fait d’être LGBT n’est pas un handicap aujourd’hui !

Il arrive qu’il n’y ait pas de contact et que les fédérations ne nous répondent pas. C’est notamment le cas du volley-ball et de l’aïkido. Ces fédérations-là font la politique de l’autruche. Aujourd’hui, les choses se font à deux vitesses dans le sport. Le rugby obtient des résultats en ce qui concerne le sport professionnel mais le sport amateur et de loisirs est complètement déconnecté de tout ça.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons eu l’occasion d’auditionner monsieur Lappartient ainsi que d’autres personnes. Il nous disait que lorsque l’Agence nationale du sport finance certaines fédérations, il n’y a pas véritablement d’obligation de formation ou de sensibilisation sur ces questions-là. Pensez-vous qu’il serait utile de formaliser les choses en les rendant obligatoires par voie réglementaire ou législative ?

M. Éric Arassus. J’en suis convaincu. Il faut avancer sur ces sujets-là. Il doit y avoir un référent LGBT-phobie dans chaque fédération, qui ne doit pas être la personne qui traite le racisme et l’antisémitisme. Il doit y avoir un référent dédié, formé, qui fasse des interventions et qui ait un budget spécifique. En 2023, on ne peut plus dire que ce problème n’existe pas. S’il n’y a pas de coming out au sein d’une fédération, c’est parce que le nécessaire n’a pas été fait pour en créer les conditions.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous connaissez la cellule Signal-Sports puisque vous y avez eu recours. Plusieurs personnes auditionnées ont évoqué l’idée d’avoir des instances à l’extérieur du ministère des sports et des fédérations afin de recueillir la parole des victimes. J’aimerais connaître votre avis sur ce point.

M. Éric Arassus. L’association Colosse aux pieds d’argile le fait. À ma connaissance, il y a peu de personnes dédiées et formées sur ces sujets-là. Si on ne connaît pas cette association, on ne sait pas vers quel intermédiaire se tourner. C’est encore plus difficile en dehors de Paris. Tout le monde n’a pas accès à la bonne information. C’est la raison pour laquelle il serait utile d’avoir une instance intermédiaire. En l’occurrence, pour avoir accès à la cellule Signal-Sports, nous avons dû passer par le cabinet d’Amélie Oudéa-Castéra…Et il n’y a que quatre personnes dédiées à cette cellule ce qui démontre que les moyens ne sont pas mis en œuvre.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous n’avons pas d’autres questions. N’hésitez pas à revenir vers nous si vous avez des informations supplémentaires susceptibles d’intéresser cette commission d’enquête. Merci à vous.

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31.   Audition, ouverte à la presse, de M. Patrick Karam, vice-président du Conseil régional d’Île-de-France, chargé des sports, des Jeux olympiques et paralympiques, des loisirs, de la jeunesse, de la citoyenneté, de la politique de la ville et de la vie associative, et Mme Magali Lacroze, journaliste, co-auteurs de Le Livre noir du sport – Violences sexuelles, homophobie, paris truqués, racisme, radicalisation, … Tout ce qu’on ne dit jamais (2020) (12 octobre 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous accueillons à présent monsieur Patrick Karam, vice-président du Conseil régional d’Île-de-France, chargé des sports, des Jeux olympiques et paralympiques, des loisirs, de la jeunesse, de la citoyenneté, de la politique de la ville et de la vie associative ainsi que madame Magali Lacroze, journaliste. Vous êtes coauteurs d’un ouvrage intitulé Le Livre noir du sport : violences sexuelles, homophobie, paris truqués, racisme, radicalisation… Tout ce qu’on ne dit jamais, publié en 2020.

Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions. Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet dernier. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations de sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux se déclinent autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public. Pourriez-vous, dans un propos liminaire, partager avec nous les principaux constats que vous dressez dans cette étude et les préconisations que vous auriez à formuler en lien avec le champ de cette commission d’enquête ?

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Avant de vous laisser la parole et d’entamer nos échanges, je vous rappelle que vous devez prêter serment.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main et à dire : « Je le jure ».

(M. Patrick Karam et Mme Magali Lacroze prêtent serment.)

Mme Magali Lacroze, journaliste, co-auteure de Le Livre noir du sport : violences sexuelles, homophobie, paris truqués, racisme, radicalisation… Tout ce qu’on ne dit jamais. Je vous remercie de nous donner l’opportunité de vous rapporter les témoignages, les faits, l’enquête et l’analyse. Il a fallu un travail de plus d’un an pour écrire ce livre, qui a été publié en 2020. Ce qui me frappe aujourd’hui est que tout est encore actuel. Ce matin, à la radio, j’entendais des actualités sur des faits de racisme dans le sport, plus précisément, dans le football. Un entraîneur ne voyait pas en quoi il était grave de proférer des propos racistes. Il disait qu’il n’y avait pas de racisme dans le sport et que ce n’était que du chambrage.

Quelques jours plus tôt, des chants homophobes ont été entendus et repris par certains joueurs pendant un match OM-PSG, mais la suspension a été minime. Beaucoup de choses se télescopent avec l’actualité. À la fin du mois d’août, lors de la Coupe du monde de football féminine, la victoire de l’Espagne a été marquée par le baiser forcé du président de la fédération espagnole à une joueuse, qui a exprimé immédiatement son non-consentement.

On a dit qu’elle mentait, qu’elle avait tort et une plainte a été déposée à son encontre. Finalement, le président a démissionné vingt et un jours plus tard. Le problème, c’est que cette histoire prévaut sur la victoire de l’Espagne. La parole se libère dans certains clubs. Même si beaucoup de choses ont été faites, il reste encore beaucoup à faire, y compris au niveau de la justice.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pourriez-vous nous détailler ce que vous entendez par « la parole se libère dans certains clubs » ?

Mme Magali Lacroze. C’est ce qui ressort des témoignages que nous avons obtenus. Il y a à certains endroits des gens qui sont là pour accompagner la parole et essayer de comprendre ce qui s’est passé. Le problème, c’est que la justice ne sanctionne pas les viols qui sont déclarés. Par conséquent, même si la parole peut se libérer, il n’y a pas de suite. D’où le sentiment de victimisation qui prévaut.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous des exemples ?

Mme Magali Lacroze. Je pense notamment à une femme qui est cadre dans le rugby. C’était il y a trois ans. Un jour, elle découvre le premier témoignage d’une jeune femme expliquant avoir été victime de viols. Personne ne sait comment réagir. Elle prend sa voiture afin d’aller voir comment les choses se passent dans le club. Finalement, la jeune fille ne voudra pas porter plainte. Elle rentrera chez ses parents à l’étranger en abandonnant ses études. C’est un échec pour cette femme qui a tenté de l’aider. Par la suite, elle a pris ces déviances à bras-le-corps. À chaque fois qu’une dénonciation ou un témoignage survient, elle rencontre les directeurs de club pour les confronter à la parole des joueuses. Pour autant, c’est quelque chose d’infime puisque cette personne se bat toute seule.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Il faut que nous comprenions votre témoignage. C’était donc il y a trois ans. Qui est cette personne ? De quel club de rugby s’agitil ?

Mme Magali Lacroze. Non, c’était au niveau de la fédération nationale. Cette personne va de club en club pour voir ce qui s’y passe et confronter les éventuels acteurs.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. A-t-elle fait un signalement ?

Mme Magali Lacroze. Oui.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Auprès de qui l’a-t-elle fait ? Quelles ont été les suites de cette affaire ? Où est l’entraîneur ?

Mme Magali Lacroze. Il y a eu une suite. En fait, elle m’a parlé de plusieurs affaires. Je me souviens notamment d’une affaire où l’entraîneur a finalement été suspendu et déplacé. En revanche, si la personne ne portait pas plainte, elle ne pouvait rien faire.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Si je comprends bien, cette personne de la fédération nationale a eu vent d’agressions sexuelles et de viols dans certains clubs. Elle va donc voir ce qui se passe localement. Quelle est la procédure ? Est-ce qu’elle prévient le dirigeant du club en question avant de faire un signalement au niveau de la fédération nationale ? Que se passe-t-il ensuite ? Le fait de déplacer un entraîneur ne règle pas le problème. Y a-t-il des déclenchements de procédures administratives et judiciaires ? Ou alors, est-ce que ça s’arrête tout simplement à la procédure administrative, avec une suspension, avant que la personne rejoigne un autre club ?

Mme Magali Lacroze. Je n’en sais pas plus, mais c’est très compliqué lorsqu’il n’y a pas de plainte.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Normalement, dans une telle situation, un responsable ou président de fédération a la possibilité de déclencher l’article 40, qui entraîne systématiquement une instruction. Même si la victime ne porte pas plainte, une enquête est censée être effectuée. C’est pour cette raison que j’aimerais comprendre ce qu’elle fait.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je précise qu’il y a également la cellule Signal-Sports du ministère des sports. Elle est accessible, aussi bien aux victimes qu’aux différentes personnes qui encadrent le monde sportif. Par conséquent, qu’il s’agisse d’une personne de la fédération ou d’un coach sportif, il est donc possible de faire un signalement sur Signal-Sports.

Mme Magali Lacroze. Je ne fais que vous rapporter son témoignage. D’ailleurs, c’était à l’époque du témoignage de madame Abitbol. Ça effrayait encore plus de gens, notamment les jeunes, que d’en parler. Des personnes sont là pour essayer de comprendre, recevoir des témoignages et accompagner. Mais il y a souvent une incompréhension des cadres dirigeants des clubs, qui protègent parfois les agresseurs potentiels. C’est ce qui ressort des témoignages que j’ai pu recueillir à différents niveaux.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pourriez-vous nous citer le nom du club ?

Mme Magali Lacroze. Non.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous faites-vous la porte-parole d’une personne lorsque vous nous relatez cette histoire ?

Mme Magali Lacroze. Non, je ne suis pas porte-parole. Je suis journaliste. Je relate des faits et des témoignages.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous évoquez le cas de cette personne de la Fédération française de rugby. Vous racontez la chronologie des faits, qui remontent à trois ans.

Mme Magali Lacroze. Elle a notamment créé une commission au sein de la fédération pour lutter contre ces violences.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. De qui s’agit-il ?

Mme Magali Lacroze. Elle s’appelle Laëtitia Pachoud. Son nom figure dans le livre.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous avouerais que je n’ai pas terminé de le lire. C’est un gros pavé. Je l’ai commencé cet été, mais j’ai été accaparée par bon nombre de choses en parallèle.

M. Patrick Karam, vice-président du Conseil régional d’Île-de-France, co-auteur de Le Livre noir du sport : violences sexuelles, homophobie, paris truqués, racisme, radicalisation… Tout ce qu’on ne dit jamais. Pourquoi ai-je choisi de dédier au sport ma carrière administrative, mon métier et mon mandat ? Au-delà de mon amour pour le sport, je considère que le sport est un outil extraordinairement puissant pour rassembler, donner des cadres et sauver des jeunes.

À titre personnel, mon père ne parle que le créole et l’arabe. En Guadeloupe, je me battais tous les jours dans la rue. J’ai été docteur en sciences politiques et délégué interministériel. J’ai eu une carrière administrative et j’ai un mandat en même temps. Si je suis ce que je suis, c’est parce que j’ai rencontré au karaté un sensei qui m’a remis sur le droit chemin. Le sport répare. Il ne faut pas oublier que vous avez des bénévoles qui y consacrent leurs journées, leurs nuits et leur temps. Il me semblait important de préciser le contexte de mon intervention et de mon engagement.

Magali Lacroze a raison : il y a un sujet sur le sport. Nous voyons des témoignages sortir depuis plusieurs années. Ils font la une de l’actualité, puis ils retombent. En revanche, dans le monde anglo-saxon, on constate que ces témoignages-là portent des politiques publiques, ce qui n’est pas le cas en France. Je voudrais lister quelques questions qui me semblent extrêmement importantes.

Dans ce livre, il est notamment question de sexisme et de tout ce qui peut s’y apparenter. Nous avons également parlé de violences sexuelles. Ce sujet demeure central. Le ministère a mis en place des outils, et en particulier le contrôle de l’honorabilité qui descend jusqu’aux bénévoles. Des individus sont écartés des clubs. On peut parfois changer un nom afin de ne pas être reconnu dans le logiciel. Mais globalement, ça fonctionne. À l’intérieur du champ des fédérations, il y a des formations spécifiques.

Je pense notamment à une association extraordinaire qui s’appelle Colosse aux pieds d’argile. Pour le coup, elle a soulevé un certain nombre de tabous. D’ailleurs, ce n’est pas la seule association à l’avoir fait. C’est important parce que ça met les uns et les autres en état de choc. Lorsqu’ils interviennent, la parole se libère, comme j’ai pu le constater dans un CREPS. En sachant que la parole ne peut se libérer que s’il y a de la confiance.

Il est vrai qu’il y a une sorte d’omerta. Elle a été très forte et très puissante. Elle existe toujours sur ces violences sexuelles. Parfois, les parents ne donnent pas crédit à la parole des enfants. Certains parents ont tendance à minimiser les choses face à un grand entraîneur. Nous le relatons dans cet ouvrage. L’entraîneur a une autorité naturelle sur l’enfant. Il a peut-être plus d’autorité que les parents eux-mêmes, que les enseignants, etc. Cette autorité-là assujettit l’enfant.

C’est un point extrêmement important. Parfois, elle assujettit même l’adolescent, voire l’adulte. Il y a un phénomène d’emprise. D’ailleurs, lorsque des viols se sont produits de manière répétée, on constate une forme d’amnésie. Lorsque la personne violée retrouve la mémoire au bout d’un certain nombre d’années, ça peut avoir des conséquences extrêmement graves sur sa santé. C’est la raison pour laquelle des livres sont publiés. C’est lié à cette prise de conscience.

Sur la question des violences sexuelles, il y a aujourd’hui des outils et les choses ont avancé. L’omerta est plus compliquée. Des agents de l’État sont formés pour repérer des situations. Au sein des fédérations sportives, il y a des conseillers techniques sportifs (CTS). Les directeurs techniques nationaux (DTN) et tous les CTS derrière eux sont vigilants sur cette question.

La directrice des sports, Fabienne Bourdais, a été nommée déléguée ministérielle sur les violences sexuelles à la suite d’un rapport de l’inspecteur général qu’il serait utile que vous vous procuriez sur les violences sexuelles. C’est ce rapport qui a tout déclenché. Je ne suis pas autorisé à vous dire de quoi il s’agit, mais il me paraît important que vous ayez ce rapport. Il pose des bases et remet un certain nombre de choses en perspective.

Fabienne Bourdais a mis en place ces dispositifs-là et les a suivis pendant longtemps. Il y a donc une vraie sensibilité qui s’est développée. Est-ce que ça signifie qu’il n’y a plus de violences sexuelles ? Non, ça peut continuer. En sachant que ça se tient dans le cadre d’une relation particulière et d’une emprise qui se noue entre un entraîneur et un sportif.

Il y a une question qui n’est pas réglée aujourd’hui. Je veux ici lancer un signal d’alarme. Ce n’est pas faute de l’avoir dit publiquement, notamment à l’occasion de la parution de l’ouvrage. Je n’ai été interrogé que sur la radicalisation, phénomène d’atteinte à la laïcité. Nous avons répondu aux questions tout en évoquant également l’homophobie, qui constitue un autre phénomène.

L’homophobie, ce n’est pas simplement quelques banderoles ou des chants que l’on constate dans les stades. C’est le phénomène visible. Pour régler ce problème, il faut mettre autour de la table des organisations de supporters et avoir avec ces dernières un dialogue donnant-donnant. Or, ce n’est pas fait.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous entrons dans le cœur du sujet. Un certain nombre de choses ont été faites. Des rapports ont été rédigés. L’objectif de notre commission d’enquête est de déterminer les dysfonctionnements et les failles qui expliquent qu’on ne parvient pas à avancer sur ces sujets aujourd’hui. Quels sont selon vous ces dysfonctionnements et ces failles ?

M. Patrick Karam. Là, nous parlons de l’homophobie. Laissez-moi terminer sur ce sujet. Je vais lister un certain nombre de choses, puis nous répondrons à vos questions. Si je réponds à vos questions au fur et à mesure, je vais perdre le fil de mon développement. Le vrai sujet aujourd’hui, c’est l’homophobie au quotidien.

En sachant que des jeunes se suicident. Je précise que l’homophobie est moins violente en ce qui concerne les filles, même si elle leur porte préjudice. Parfois, une jeune fille le ressent de manière très frontale et très violente. Pour autant, il y a une forme de tolérance en la matière. En revanche, en ce qui concerne les garçons, c’est de la violence qui s’exprime. C’est l’exclusion du groupe social.

Je prends l’exemple d’un garçon qui a été dans un club toute sa vie et qui y a des amis. Il fait des sorties avec eux. À l’adolescence, son orientation sexuelle se fait plus marquée. Il est tout de suite mis dans une posture d’accusé. Si jamais son orientation sexuelle est découverte, il n’a plus sa place dans le clan. C’est extrêmement violent dans les sports collectifs. L’épreuve de la douche et du vestiaire est extrêmement traumatisante. Il arrive souvent que certains d’entre eux finissent par quitter le club, voire se suicider.

Le taux de suicide est extrêmement important. Il y a un phénomène de passage à l’acte. Le nombre d’études documentées n’est peut-être pas suffisant en la matière. Ça nécessite un vrai travail d’expert parce qu’il y a mille raisons de passer à l’acte lorsqu’on est adolescent. Cette raison-là me paraît extrêmement importante. Ce passage à l’acte est lié au fait d’avoir quitté son groupe. Parfois, il y a même des coming out forcés avec les parents. Ce sujet est vraiment central.

Je le dis de manière très solennelle : nous pourrions adapter et décliner les outils que l’État a mis en place pour la lutte contre les violences sexuelles dans le champ de l’homophobie. Or, ce n’est pas fait. On n’a pas mesuré le poids, la portée, les implications et les conséquences de l’homophobie dans le sport au quotidien. Les réflexions homophobes qui lui sont faites marquent un jeune.

Que fait-il pour se protéger ? Il a deux solutions : soit il explose, il finit par tout lâcher, s’enferme et sa vie devient difficile ; soit il décide de faire de la surenchère en jouant davantage à l’homophobe. Magali a cité un certain nombre d’exemples dans l’ouvrage.

Concernant l’homophobie, je considère donc que rien n’est réglé. Au-delà de quelques banderoles, il y a tout ce qui se passe au quotidien et qui a des conséquences tragiques sur des jeunes. À un moment donné, il va falloir que cette question-là soit réglée. Il s’agit de mettre en place des outils.

Il y a également la question de la religion et des phénomènes extrêmes dans le sport. Il peut s’agir de phénomènes d’extrême droite ou liés à la religion et son impact dans le sport. Ça peut aller jusqu’à des atteintes aux valeurs de la laïcité et de la République. Je ne veux pas confondre ces atteintes-là avec les phénomènes de radicalisation. Il ne faut pas confondre les deux et ne pas les confondre non plus avec le communautarisme, même s’il existe certaines passerelles.

Lorsque Daesh est arrivé en 2014, ils demandaient à s’inscrire dans des clubs de sport. Ça concernait notamment le football mais surtout des sports de combat. Ils souhaitaient s’inscrire pour se former. À cette époque-là, il y avait effectivement des fichiers de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste. Des radicalisés s’étaient effectivement inscrits. Ça a été très suivi par toutes les cellules qui travaillaient sur cette question du sport et de la radicalisation.

S’il y a un pas à ne jamais franchir, c’est de considérer une fille qui porte le voile comme étant radicalisée. Par contre, refuser de serrer la main des garçons, quitter son groupe, tenir des propos complotistes et commencer à appeler à la haine constituent des faisceaux d’indices qui montrent un basculement vers la radicalisation. Il faut donc être très attentif. Ça requiert une formation très pointue pour ceux qui analysent le sujet au sein des fédérations.

La séance est suspendue.

M. Patrick Karam. Il est absolument nécessaire d’organiser une audition de Julien Pontes de Rouge direct. Il s’agit de l’ancien président de Paris Football Gay, ce club qui avait rencontré un adversaire qui refusait de jouer face à lui au motif qu’ils étaient homosexuels. Il s’agissait en l’espèce d’un club dit « musulman ». Il faudrait également organiser une audition de Stop homophobie avec Terrence Katchadourian. C’est lui qui fait le plus de procès. C’est l’association référente en matière d’homophobie. D’ailleurs, ces deux organisations travaillent ensemble. C’est la raison pour laquelle il me semble extrêmement important de les auditionner.

Pour terminer sur le sujet de l’homophobie, le fait générateur est le culte de la virilité. Plus ce culte existe dans le sport, plus les faits d’homophobie se produisent et se répètent. Nous avons un sujet avec certaines formations, notamment dans le football, où il peut y avoir une parole libérée sur l’homophobie. Il y a donc un vrai sujet de formation, de signalement et de sanction. En sachant que ceux qui se plaignent sont virés.

Vous devez vous souvenir de l’affaire de Monsieur Lemaire, le footballeur. On constate que dans le sport, il n’y a quasiment pas de coming out pendant la carrière d’un sportif. C’est un sujet sur lequel il faut lutter. Ils craignent de perdre le soutien du public, les sponsors, les amis et de ne pas être sélectionnés. Pour le coup, sur ce sujet l’omerta est vraiment très puissante. À une époque, lorsqu’on demandait aux dirigeants du monde sportif s’il y avait des homosexuels dans leur club ou dans leur fédération, la réponse était non. À mon sens, cette omerta constitue un sujet sur lequel il convient d’avancer.

S’agissant des phénomènes d’atteinte à la laïcité et aux valeurs de la République, ce sont des sujets importants sur lesquels on ne doit pas baisser la garde. Le sport peut être un lieu de recrutement. Il existe un phénomène d’éducateurs radicalisés recruteurs qui influencent des jeunes. C’est extrêmement préoccupant. Lorsqu’un parent met son enfant dans un club, ce n’est pas pour qu’il dérive. Il s’agit au contraire de le protéger. Il y a effectivement des dérives. Elles sont marginales mais nous devons tout faire pour les combattre. Il ne peut pas y avoir d’omerta. Nous refusons l’omerta et c’est la raison pour laquelle nous avons publié ce livre.

Ensuite, il y a les phénomènes de violence, de racisme, etc. Il faut savoir que le racisme entre joueurs, c’est-à-dire entre licenciés, est beaucoup plus faible que dans le reste de la société. Par contre, il y a un racisme extrêmement frontal des supporters. Des outils sont mis en place pour le mesurer, à la fois en France et à l’étranger. Une expérimentation a commencé avec un club parisien avec une émanation de SOS Racisme. Ils ont un accord avec des clubs, dans lesquels ils sont invités pendant les compétitions pour filmer de manière anonyme. Ça permet de récolter des preuves.

Il faut absolument éradiquer le racisme qui existe au niveau des supporters. Pour le coup, ça blesse les joueurs ; et pas uniquement dans le football. C’est la raison pour laquelle j’ai dit tout à l’heure qu’il y avait un travail à faire avec les organisations de supporters. On peut les diaboliser, mais on ne peut pas les dissoudre. On ne peut pas empêcher des supporters de trouver leur identité à travers un club et des matchs. On peut faire des interdictions de stade individuelles en cas de phénomènes violents ou déviants. En revanche, on ne peut pas déposer plainte contre tout un stade. Il faut donc régler ce problème avec les organisations. Je ne dis pas que c’est facile et que nous y parviendrons. En revanche, nous pouvons apporter des solutions.

La manipulation de compétitions sportives est un problème qui a également été documenté. Magali a fait un véritable travail de recherche sur cette partie-là. Certains joueurs se font piéger parce qu’il y a des paris en temps réel à l’autre bout du monde qui permettent de gagner de l’argent.

La première question est aujourd’hui celle de l’homophobie. C’est un sujet central. La deuxième question est celle des atteintes à la laïcité et aux valeurs de la République. Le phénomène de radicalisation est extrêmement documenté. L’État a longtemps considéré que c’était une priorité puisqu’il s’agissait d’un outil pour enrôler des jeunes. Mais il y a des phénomènes qui sont devenus masqués. Lorsqu’on impose de se baigner habillé pour des raisons religieuses, le joueur qui ne souhaite pas le faire se fait tabasser.

On constate que certains cherchent à imposer leurs propres normes. Je vais simplement vous donner quelques exemples. Aujourd’hui, la fédération française de volley-ball est confrontée à une fronde directe d’un certain nombre de clubs. Après enquête, les clubs ont tous fait marche arrière en disant : « On nous a instrumentalisés ». Ceux qui ont signé disent l’avoir fait sans avoir lu. Le problème, c’est que ça a des conséquences sur le terrain.

Là, je vais parler des compétitions départementales de basket-ball. La moitié des arbitres sont mineurs. Ils sont menacés et agressés. Le fait pour un arbitre de faire respecter le règlement de la fédération de basket-ball et de ne pas faire jouer un match l’expose tout comme les dirigeants. Beaucoup de fédérations disent vouloir réglementer ce sujet au nom de la délégation de service public dont elles bénéficient pour organiser les compétitions. Le problème, c’est que l’État ne les accompagne pas dans la mise en œuvre. En l’occurrence, l’État pourrait apporter une réponse simple. Monsieur Attal a considéré que ce n’était pas aux proviseurs de décider d’interdire l’entrée des filles en abaya. Il appartient à l’État de le faire. Autrement, on exposerait les proviseurs à des conséquences : des violences, des parents agressifs, etc. Moi, je considère que le sport est co-constructeur d’éducation.

Il convient donc de protéger les dirigeants, les éducateurs et les arbitres contre ceux qui veulent leur faire la peau parce qu’ils ont interdit qu’un match se tienne en raison du port du voile dans une compétition. Là, je ne parle pas de la pratique sportive. La délégation porte sur l’organisation des compétitions.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous venez de rappeler beaucoup de choses. Je vais vous poser une question qui n’a peut-être pas de lien direct avec votre livre. Vous avez évoqué l’homophobie et d’autres phénomènes constituant des délits qui existent aujourd’hui au sein des fédérations et du mouvement sportif.

Vous êtes vous-même vice-président de la région Île-de-France, en charge des sports. Je sais par exemple que la ville de Lyon conditionne aujourd’hui les subventions aux clubs sportifs à l’organisation de formations ou de sensibilisations sur les violences sexistes et sexuelles (VSS). Si elles ne sont pas suivies, il n’y a plus de subventions. J’aimerais savoir ce que la région Île-de-France a mis en place pour lutter contre ces phénomènes.

M. Patrick Karam. Nous souhaitons que d’autres collectivités nous imitent sur ce sujet. Sur les questions tenant à la laïcité et aux valeurs de la République, nous avons mis en place avec Valérie Pécresse une charte laïcité et valeurs de la République, dont elle m’avait confié la rédaction. Cette charte a été signée par tous les bénéficiaires de subventions de la région Île-de-France. Il ne faut pas oublier le contexte de l’époque, où Daesh appelait à la violence, à infiltrer les clubs, à se former au combat, à prendre des armes à l’intérieur des fédérations de tir sportif, etc. Cette charte a été signée par 4 980 structures bénéficiaires depuis juillet 2017.

Nous sommes la première région à avoir mis en place une formation sur le sujet. Les 73 ligues et les comités régionaux avec lesquels nous participons ont participé à des formations spécifiques créées par la région Île-de-France. Il s’agit de formations très précises afin de ne pas confondre les phénomènes. Le premier jour se fait avec la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) est consacré à la laïcité et aux valeurs de la République. Le deuxième jour se fait avec des organisations spécialisées travaillant sur la prévention de la radicalisation. Nous avons donc donné des outils et les moyens de faire des signalements.

Nous avons mis en place un vrai plan. Tout d’abord, j’ai demandé à toutes les ligues et comités régionaux de travailler sur un document extrêmement important. Il s’agit des dix engagements de la charte régionale d’éthique et de déontologie du sport en Île-de-France. Je leur ai demandé de consacrer une partie de leur budget, dont la région est le premier financeur, à la formation et à l’information de leurs clubs. Nous avons surtout passé des accords, notamment sur la question des violences sexuelles avec Colosse aux pieds d’argile, qui intervient dans les clubs, à la demande des ligues régionales, et dans les centres de ressources, d’expertise et de performance sportive (Creps).

Dans un autre secteur, qui était de mon ressort à l’époque, nous avons financé des opérations de testing sur tous les sujets : racisme, homophobie, etc. Ensuite, des associations financées par la région déposaient des plaintes afin de poursuivre les contrevenants. Ça a donné lieu à des sanctions pénales.

Nous avons des conventions sur l’olympiade avec le mouvement sportif. De mémoire, on compte 73 ligues et comité ainsi qu’une vingtaine de fédérations sportives. Nous avons conditionné les subventions et leur montant à l’action déployée sur un certain nombre d’outils. Nous souhaitons par exemple qu’il y ait plus de femmes. Ils doivent nous dire chaque année ce qu’ils ont mis en œuvre pour augmenter la pratique des femmes et pour faire en sorte qu’elles soient mieux formées.

En 2022, nous avons financé 127 000 formations au sein des ligues et des comités. Il peut s’agir de formations d’éducateurs, de dirigeants, etc. Il y a notamment des modules sur ces questions-là. Il faut absolument qu’ils soient engagés sur ce sujet. Nous avons également financé des plans de développement de la pratique sportive et parasportive ainsi que des plans de prévention de toutes formes d’incivilités, de violences et de discriminations. Nous nous appuyons pour cela sur un certain nombre d’associations soutenues par la région.

Nous avons signé une convention pluriannuelle sur l’olympiade. Les acteurs subventionnés ont une obligation de résultat. Ils doivent nous dire ce qu’ils ont mis en place pour lutter contre les violences sexuelles, combien d’actions de formation ont été suivies, ce qu’ils ont fait, quels outils ils ont développés, avec quels référents, etc. C’est la même chose dans tous les secteurs. Ils doivent nous rendre des comptes.

Je vous avouerais que c’est fait pour un certain nombre de fédérations, mais que c’est plus compliqué pour d’autres qui comptent un plus grand nombre de personnes. Nous leur demandons de faire signer cette charte par l’ensemble des clubs afin que ces derniers s’engagent. Avant la formation sur le terrain avec l’éducateur, ils doivent parler de ce sujet, ouvrir le débat et signaler qu’il existe des outils. Nous avons demandé de publier des numéros et de mettre en place des référents dans l’ensemble des ligues et comités régionaux.

Sur ces questions-là, la région Île-de-France ne fait aucune concession. Avec Valérie Pécresse, nous considérons que le sport répare. Les déviances qui peuvent se produire doivent être signalées et combattues avec la plus grande fermeté. Face à ce type de situations, on ne fait pas de cadeaux ! Si on constate au sein d’un club une dérive qui n’a pas fait l’objet d’un signalement, on coupe les crédits.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. C’est assez clair. Les subventions accordées par la région Île-de-France sont fléchées vers la formation. Vous leur demandez de consacrer une partie du budget à la formation, notamment sur les violences sexistes et sexuelles, le racisme et les discriminations. Est-ce qu’un contrôle a lieu chaque année au moment de la demande de subvention ?

M. Patrick Karam. Les ligues et les comités régionaux nous donnent leurs fiches d’action afin de nous montrer ce qu’ils ont fait et mis en place. Au terme des quatre années, nous allons évaluer tout le travail qui a été effectué. En fait, ce sont des subventions que nous reconduisons à l’identique afin que les ligues et les comités régionaux puissent travailler. À la fin, nous allons faire une évaluation, en sachant qu’il y a une obligation de résultat, et non plus seulement de moyens. Les services vont mesurer ce qui a été mis en place dans le cadre de cette olympiade. Ils vont regarder tous les outils qui ont été déployés. En fonction de cela, ils vont me faire des propositions de maintien, de baisse ou de hausse des budgets.

Par ailleurs, il y a un sujet qui représente un axe de travail que l’État devrait prendre en compte. Nous avons un problème d’équipement en Île-de-France. Il y a une carence en la matière puisque le taux d’équipement est de 55 % par habitant. On est même derrière la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique. C’est moi qui vous le dis en tant qu’Antillais, militant des outre-mer, ancien président du Conseil représentatif des outre-mer, ancien délégué interministériel, ancien président du collectif DOM. J’ai fait des centaines de procès en lien avec des discriminations liées au racisme.

En tant que militant engagé, Valérie Pécresse et la région Île-de-France m’ont donné les moyens d’agir. À ce jour, nous avons financé environ 2 100 équipements. À chaque fois que nous finançons un équipement, nous obligeons le maire à avoir une pratique féminine. Pour augmenter la pratique féminine, il faut que l’équipement en question puisse être utilisé par des femmes. On finance en particulier des vestiaires féminins. Sur les femmes, il y a une obligation de résultat. Sur les personnes en situation de handicap, il y a une obligation de moyens.

Si le maire souhaite avoir 10 % de subventions supplémentaires, il doit demander à ses clubs de mettre en place une pratique pour les personnes en situation de handicap. Nous avons financé des milliers de fauteuils pour les sportifs, des minibus accessibles, des formations, etc. Le handicap est par nature protéiforme, qu’il soit mental ou physique. Il faut pour cela que des personnes soient formées. Les ligues sont donc obligées de flécher un certain nombre de formations afin d’avoir des éducateurs et des dirigeants capables de les accepter. Ces choses qui sont simples à faire mériteraient d’être dupliquées ailleurs.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’ai plusieurs questions sur le domaine des VSS. Tout d’abord, quelle appréciation avez-vous aujourd’hui des dispositifs de prévention mis en place au niveau des fédérations ? Vous évoquez ce sujet dans votre livre, notamment en lien avec les dysfonctionnements de traitement des plaintes. Une dualité s’est souvent exprimée au sein de cette commission. Premièrement, il est difficile pour les victimes de témoigner parce qu’elles ne se sentent pas dans un cadre de confiance. Deuxièmement, les dispositifs de signalement actuels sont internes au mouvement sportif. Ça rend les choses plus difficiles pour que les victimes puissent témoigner.

Auriez-vous des propositions à formuler en la matière ? On parle beaucoup du traitement une fois que les violences sont survenues. Quels dispositifs pourrait-on mettre en place au niveau préventif afin d’éviter que des agressions aient lieu ? Je pense notamment à la question des entraîneurs qui sont parfois déplacés d’un club à un autre sans forcément être sanctionnés.

M. Patrick Karam. Ce n’est plus possible ! Aujourd’hui, un fichier permet d’identifier les auteurs d’actes de violence, y compris de violences sexuelles. Il existe pour tous les éducateurs professionnels. Je pense qu’il est opérationnel et régulièrement mis à jour.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Oui, mais ça fonctionne lorsqu’il y a une plainte et une instruction. En revanche, il existe des cas pour lesquels il n’y a pas de plaintes. De notre côté, nous n’avons en tout cas pas les mêmes échos.

M. Patrick Karam. C’est un sujet assez complexe. Aujourd’hui, l’honorabilité des entraîneurs professionnels est systématiquement interrogée chaque année. C’est la même chose en ce qui concerne les bénévoles. Ça constitue une véritable progression. Il a fallu mettre en concordance les fichiers de l’État et ceux des fédérations. Un vrai travail a commencé en la matière. On ne peut pas dire qu’il n’y a rien et qu’on ne peut rien y faire. Ce serait faux. Il y a encore des violences et nous évoquerons tout à l’heure d’autres outils qui pourraient être mis en place. Un progrès considérable a été réalisé, notamment depuis l’époque de l’omerta.

Vous avez dit que la victime n’avait pas confiance. En fait, c’est pire que ça. Elle peut faire l’objet d’une amnésie traumatique, c’est-à-dire oublier ce qui s’est passé. Lorsqu’on a subi des violences à l’âge de 11 ou 12 ans, c’est traumatisant. La victime peut oublier, mais ça revient lorsqu’elle atteint l’âge de 30 ans. Il y a aussi la question de la crédibilité de la parole de la victime. À l’époque, on remettait systématiquement en cause sa parole. Je pense qu’il y a aujourd’hui une meilleure sensibilité des agents de l’État, ce qui n’était pas le cas avant.

Ensuite, il y a les formations. Pour qu’un entraîneur soit identifié, il y a ce fichier, mais il y a également CADINT pour « cadres interdits ». C’est la liste de tous ceux qui ne peuvent pas travailler dans le champ de la jeunesse. Il existe un fichier pour la jeunesse et un autre pour le sport. Je ne sais pas s’ils ont été harmonisés ces dernières années, mais ce n’était pas le cas à l’époque. Les règles n’étaient pas les mêmes, ce qui constitue un problème.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Qui a accès à ces fichiers ?

M. Patrick Karam. L’État, c’est-à-dire les agents qui traitent ces questions-là. Lorsque vous saisissez un nom, tout est vérifié automatiquement. Seul le fichier B2 n’est pas automatique. Je ne sais pas si les choses ont avancé entre-temps. J’évoque une situation datant de 2020. Vous nous demandez ce qui est fait aujourd’hui. Tous les outils sont là, y compris les outils de formation des agents du ministère des sports. Il faut savoir qu’il n’y a plus d’agents territoriaux. Pardonnez-moi de le dire un peu crûment, mais il y a tout de même un sujet aujourd’hui. N’y voyez pas pour autant une critique du gouvernement actuel. Toujours est-il que ces agents qui avaient développé une expertise sur le terrain ont aujourd’hui différentes missions et différentes autorités de tutelle, ce qui rend les choses très compliquées.

Par ailleurs, il y a la question des formations. On a formé et sensibilisé à une époque. Est-ce toujours le cas aujourd’hui ? Je précise que je ne doute pas de la ministre des sports. En tant que vice-président de la région Île-de-France, j’ai pu avoir un certain nombre de désaccords sur quelques sujets, mais nous nous parlons et nous avançons ensemble. Il me semble qu’elle est extrêmement compétente et engagée sur ces questions de dérives.

Je n’avais pas du tout la même approche avec sa prédécesseure. La ministre a une multitude de sujets à gérer, mais je pense qu’il faut faire un effort sur la formation. Il y a des élections fédérales, mais également régionales et départementales. Il y a souvent une permanence au niveau des clubs. À chaque fois qu’une nouvelle équipe arrive, il y a une perte de sensibilisation, de formation et d’expertise.

En termes de prévention, il faut imposer quelques règles simples. À aucun moment un entraîneur ne peut entrer dans la douche des enfants. Il y a également des entraîneurs qui emmènent les enfants en voiture. Peut-être mais peut-être pas. Pour autant, on ne peut pas mettre en place une suspicion généralisée. Il faut en effet rendre hommage à l’immense majorité des entraîneurs, qu’ils soient bénévoles ou professionnels, complètement engagés dans leur mission. Néanmoins, il y a quelques dérives. Pour quelques personnes qui peuvent dériver sans être identifiées, il faut que nous parvenions à mettre en place quelques outils simples.

Il faut remettre la formation dans les fédérations aujourd’hui, au niveau des cadres dirigeants. Avec les DTN, l’État a des conseillers techniques sportifs au sein des fédérations. Ils ont des missions diverses et variées. Pourquoi la mise en place de dispositifs sur ces sujets ne figurerait-elle pas dans leur fiche de poste avec des outils à suivre et des primes en fonction des résultats ? Ce serait extrêmement important. Il doit y en avoir 1 300 ou 1 400 là où ils étaient 1 600 auparavant. En sachant qu’ils sont au cœur des fédérations.

Peu de choses échappent aux CTS qui s’occupent du haut niveau. Il y a également les CTS au niveau local et régional. Ce sont les yeux et les oreilles de l’État. Il faut les former et leur rappeler qu’ils sont obligés de faire des signalements. Ça doit figurer clairement dans la fiche de poste. Quelle est la sanction si on ne fait pas un signalement au titre de l’article 40 ? Rien ! Il n’y a pas de sanction. C’est aussi un problème.

Le dernier point, c’est qu’en cas de dérive, il ne faut pas se contenter d’une sanction judiciaire. Il faut immédiatement engager une action administrative et une action disciplinaire. Les trois procédures peuvent aller de pair. Le mouvement sportif ne peut pas dire : « On attend la décision du tribunal pour prononcer une sanction disciplinaire ».

Je voudrais vous faire part d’une anecdote. Je précise que je ne vous dévoilerai pas les noms puisque je ne suis pas autorisé à le faire. J’ai récemment reçu trois boxeuses. Elles font partie d’un club de boxe. L’une d’entre elles, qui compte quelques titres, vivait avec un boxeur en début de carrière professionnelle qui gagne ses combats par KO. Elle l’a quitté. Alors qu’elle parlait avec un autre homme du club, le boxeur est arrivé et l’a tabassée. Une autre femme a voulu intervenir. Les autres hommes n’ont rien fait, si ce n’est regarder la scène. Il a frappé la deuxième boxeuse qui venait aider la première. Il aurait pu la tuer ! Une troisième femme est arrivée. En tout, trois femmes ont été frappées ce jour-là.

Que s’est-il passé ? Le club refusait de prendre des sanctions disciplinaires en disant qu’il y avait eu un signalement et que la mère de l’une d’entre elles était allée déposer plainte. Il s’agit d’un club connu qui produit beaucoup de champions. Il a été mis en garde à vue. On attend le procès et le verdict. Non ! Je leur ai demandé ce qu’elles souhaitaient que je fasse. Elles m’ont répondu qu’elles ne souhaitaient plus qu’il fasse partie du club. J’ai appelé les dirigeants du club afin qu’ils le fassent sortir.

J’ai ajouté : « Si vous ne le faites pas, étant donné qu’il y a une procédure en cours, je vais faire un signalement sur le fait que vous ne les avez pas défendues ». Elles ne voulaient pas que je le signale, mais il y avait une obligation de résultat. Finalement, il n’est plus dans son club. Il a été mis dehors. La sanction disciplinaire doit être systématique. En fait, ce qui a été mis en place n’est pas une sanction. Il ne peut plus venir le temps que le tribunal prenne une décision. C’est donc une suspension pour les protéger.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’ai plusieurs questions. Je vais commencer par le club de boxe, qui n’a pas fait de signalement. Il n’y a pas eu non plus d’enquête administrative pouvant déboucher sur une sanction à l’encontre de ce sportif qui faisait partie du club. J’entends que vous êtes intervenu directement, mais pourriez-vous nous préciser ce qui a été fait par le club ?

Vous avez ensuite évoqué la question du contrôle d’honorabilité. Nous ne sommes pas du tout dans une logique qui consisterait à mettre tout le monde dans le même sac et dire que rien ne va. On a plutôt pour objectif d’identifier des dysfonctionnements afin d’améliorer les choses. D’ailleurs, nous prenons parfois exemple sur ce qui fonctionne bien dans certains clubs et moins bien dans d’autres.

Le contrôle d’honorabilité a été mis en place et a le mérite d’exister. En revanche, plusieurs fédérations et clubs nous ont fait état de la difficulté à mettre en place ce contrôle d’honorabilité. Il leur est difficile de contrôler les bénévoles qui interviennent au sein de leur club ou de leur fédération. Comment faire en sorte que ce dispositif soit plus simple ? Qui contrôle le bon déroulement de ce contrôle d’honorabilité ?

Dans le cadre d’un autre contrôle, un responsable de Creps nous a dit : « Ça prend tellement de temps de demander les fichiers au département que nous ne l’avons pas fait cette année ». Ils ont donc recruté sans procéder à ce contrôle. Le problème, c’est qu’il n’y a pas d’obligation aujourd’hui. Il n’y a pas de contrôle. Le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) et l’Agence nationale du sport (ANS) nous ont dit qu’il n’y avait pas de hiérarchie ni d’obligation de résultat dans le cadre du versement de subventions.

Enfin, vous évoquez la question de la sensibilité des agents de l’État et de leur formation. Je suis convaincue qu’un grand nombre d’agents de l’État sont très compétents et formés mais comment vérifie-t-on quand il y a des mouvements au sein d’un conseil d’administration que les gens ont bien été formés, y compris les bénévoles ? Il y a également la question de la formation des familles, qui sont souvent laissées en dehors de ce périmètre.

Nous avons eu l’occasion d’auditionner l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep) la semaine dernière. Certains d’entre eux sont des cadres de l’État. Pourtant, la notion de consentement n’était pas si claire. Ils nous ont rapporté un fait d’agression, mais la personne en cause a simplement été déplacée. Il reste donc des choses à améliorer. Quels sont les mécanismes à mettre en place afin qu’il y ait une automaticité ? Vous venez de décrire la situation d’un club dans lequel il y a eu des agressions physiques. Or, personne n’a fait de signalement au sein de ce club. En fait, si la mère de l’une d’entre elles n’avait pas porté plainte, il n’y aurait pas eu de signalement.

M. Patrick Karam. Je pense ne pas avoir été suffisamment précis en ce qui concerne ce club. J’ai été prévenu par le président de la Fédération française de boxe. Je l’ai appelé après avoir vu les trois victimes ainsi que la mère de l’une d’entre elles. Dominique Nato a immédiatement lancé une procédure disciplinaire. Par contre, dans l’attente de cette procédure disciplinaire, il faut que le club prenne ses responsabilités et suspende ce boxeur à titre conservatoire. Par conséquent, la main de la fédération n’a pas tremblé dans cette affaire-là.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ce que vous venez de dire est très important. En sachant que nous avons auditionné plusieurs personnes qui ont systématiquement fait valoir la notion de présomption d’innocence tant que la personne n’a pas été déclarée coupable. Il serait donc compliqué de prendre des mesures à titre conservatoire. Or, vous nous confirmez que c’est tout à fait possible.

M. Patrick Karam. Je vous confirme qu’il est effectivement possible de prendre des mesures à titre conservatoire. J’ai déjà entendu cette fable et elle est absolument inaudible pour moi ! À partir du moment où il y a un fait, il faut protéger les licenciés du club, les victimes ainsi que d’éventuelles futures victimes. L’État a sa propre vitesse d’action, mais les fédérations et les clubs peuvent aller plus vite, notamment en suspendant une personne à titre conservatoire.

Ce n’est pas une sanction, mais une mesure de protection. Le mis en cause peut effectivement contester les faits. En l’occurrence, ce boxeur avait une armée d’avocats. Il a assisté à la conciliation que le club avait voulu organiser avec les victimes. Moi je ne fais pas de conciliation. J’ai dit aux dirigeants du club : « Il ne peut pas y avoir de conciliation. Vous avez commis une faute. Vous auriez dû faire ce signalement vous-mêmes. Vous n’aviez pas à attendre qu’on le signale ».

Certaines personnes, qui ne sont pas formées, pensent en toute bonne foi qu’il faut attendre le jugement avant de réagir. Je pense donc qu’il y a une formation à faire en la matière. C’est ce qu’enseignent les formations que nous avons mises en place dans notre région. D’ailleurs, nous demandons aux ligues de le faire et elles ont aujourd’hui des outils pour le faire.

Il peut effectivement y avoir des trous dans le contrôle d’honorabilité. Je suis désolé de le dire, mais il est très facile de procéder à un contrôle. Il est faux de dire que c’est complexe. Le directeur de CREPS qui vous a dit ça, il mérite…Il y a plusieurs types de personnel à contrôler. Le contrôle doit notamment être fait systématiquement pour ceux qui sont en contact permanent avec les enfants. S’agissant des cuisiniers, des jardiniers, etc., je plaide pour qu’ils soient contrôlés. Vous avez raison, il ne s’agit pas d’une obligation, mais d’une possibilité. On n’a pas le B2, mais le B3.

Que l’on soit dans une fédération ou dans un accueil collectif de mineurs (ACM), c’est le même phénomène. Il y a des ACM sportifs, qui doivent donner lieu à un contrôle d’honorabilité. Il faut le rappeler systématiquement aux clubs qui organisent des ACM sportifs car on l’oublie parfois. Vous consultez le logiciel GAM/TAM, vous saisissez les différents renseignements et vous recevez d’éventuelles alertes dès le lendemain matin. C’est renseigné à la fois sur le logiciel GAM/TAM et le fichier CADINT. En revanche, le problème qu’on rencontre notamment pour les ACM d’une certaine durée, c’est qu’il faut compter quelques jours avant que le fichier envoyé à Nantes (le B2 et le B3 du casier judiciaire) puisse revenir.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Existe-t-il une liste des personnes qui doivent faire l’objet du contrôle d’honorabilité ?

M. Patrick Karam. Oui. Le fichier CADINT concerne les cadres interdits qui ne peuvent se retrouver ni en ACM ni dans le sport. À l’époque, il avait été demandé la fusion de ces deux fichiers CADINT sport et CADINT jeunesse. En 2020, ça n’avait pas été fait. Ces deux fichiers, Cadint sport et Cadint jeunesse, ont-ils été fusionnés à ce jour ? CADINT jeunesse concerne tous les ACM tandis que CADINT sport concerne tous ceux qui se retrouvent dans le sport. Si cela n’a pas été fait il faut le faire, d’autant que les règles n’étaient pas les mêmes. La vraie difficulté, c’est que les règles de suspension ne sont pas les mêmes selon qu’on se trouve dans le champ de la jeunesse ou celui du sport. Un travail a été mené à l’époque, mais j’ignore s’il a abouti. Il consistait à uniformiser toutes les procédures. C’est un point qui me paraît important. Lorsque l’accès à un ACM vous est interdit, cette interdiction devrait également s’appliquer au sport.

Aujourd’hui, ce n’est pas fait pour des gens qui sont là de manière occasionnelle. Ils ne sont pas contrôlés systématiquement. Il s’agit d’une recommandation, et non d’une obligation. Vous avez eu raison de signaler qu’il y a des gens qui passent et qui partent. On pourrait peut-être les contrôler. Encore une fois, c’est une procédure très rapide. Une difficulté existe lorsque des gens ne sont pas reconnus par l’État. Il suffit d’une erreur sur le nom ou la date de naissance.

Un autre cas concerne les étrangers qui viennent entraîner, etc. Comment procéder à un contrôle d’honorabilité pour ces personnes-là ? En sachant qu’il s’agit de vérifier leur passé afin que des délinquants sexuels ne puissent pas se retrouver dans des clubs. Il reste donc un certain nombre de sujets à co-construire. Globalement, c’est un système qui fonctionne.

Ça pourrait constituer un exemple pour l’Éducation nationale. Étant donné que ce phénomène se produit dans tous les secteurs, je suis pour le moins étonné qu’il n’y ait pas de signalements au sein de l’Éducation nationale. Est-ce que ça signifie qu’il n’y a pas d’outils mis en place ni de contrôles sur le sujet ? Pour autant, je ne jette absolument pas l’opprobre sur nos enseignants, qui réalisent un travail colossal. Pour autant, il se pourrait là aussi qu’un certain nombre de personnes méritent de faire l’objet d’une interdiction d’enseigner.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’en reviens à ma question sur ce contrôle d’honorabilité. Vous avez cité ceux qui sont en contact permanent avec les enfants, notamment les entraîneurs. Il y a aussi tout un écosystème qui gravite autour de ces mineurs. A-t-on une liste des personnes dont il convient de procéder au contrôle de l’honorabilité ?

M. Patrick Karam. Oui, il y a des listes recommandées par l’État. L’État publie chaque année une liste avec le personnel prioritaire et les catégories accessoires. Ça existe un peu partout, mais ces listes ne sont pas nominatives. Étant donné que j’ai un retard de trois ans sur cette question-là, j’ignore si le contrôle des catégories accessoires est obligatoire ou simplement recommandé. Ce sont tout de même des sujets qui bougent énormément. Je peux vous dire que le ministère des sports ne reste jamais les bras croisés. La Direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA) du ministère de l’éducation nationale non plus. Les dispositifs de l’État sont en constante évolution.

Ne croyez pas que tout soit figé dans les fédérations. Généralement, les problèmes ne remontent pas auprès du président de fédération. Ça se joue plutôt au niveau local. C’est un vrai sujet aujourd’hui. En l’occurrence, les présidents de fédération ont tellement à perdre sur ces sujets que des signalements seraient effectués s’ils avaient le moindre doute ; surtout les cadres.

Nous avons rencontré des cas de figure où un club ne souhaitait pas virer une personne. L’individu en question n’était donc pas mis dans la catégorie du public prioritaire à contrôler. Or, il peut s’agir d’une personne qui est constamment en contact avec des enfants.

En l’occurrence, la personne était déclassée parce que le club savait très bien qu’elle ne passerait pas le contrôle. Pour autant, n’allez pas croire que c’est un phénomène massif. Dans les faits, c’est plutôt marginal. Je ne voudrais pas que des accusations infondées puissent être portées sur ce sujet. Néanmoins, ça peut arriver. D’où la question des solutions.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. C’est marginal, mais le risque zéro n’existe pas. L’objectif est de formuler des propositions afin d’éviter certaines situations et d’améliorer les choses. La solution ne serait-elle pas finalement de rendre obligatoire le contrôle de l’honorabilité pour toutes les personnes qui gravitent au sein d’un club ?

M. Patrick Karam. Vous avez mis le doigt sur la vraie question. La réponse est oui. Autrefois, il y avait une inspection générale de la jeunesse et du sport qui est devenue par la suite l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche. Il y avait une expertise sur ces questions-là. Certains sont devenus administrateurs de l’État. Dans leurs rapports, ces inspections demandaient ces contrôles systématiques. Et ce, malgré toutes les difficultés que ça pouvait engendrer. Lorsque le président de fédération prend la liste des bénévoles, des licenciés, etc. et qu’il la confronte aux fichiers de l’État, ça soulève la question de la concordance des fichiers et de leur mise à jour régulière.

C’est un sujet extrêmement complexe. Si on ne donne pas au mouvement sportif les moyens de le faire, je crains qu’on n’y parvienne pas. Vous connaissez le nombre de clubs et de licenciés en France. Les outils mis en place ont beaucoup évolué et il serait bien qu’ils soient déclinés ailleurs. Dans le champ de la jeunesse et celui du sport, des outils mis en place sont de plus en plus suivis avec des indicateurs. Il faut simplement que les formations se poursuivent et que des objectifs soient fixés dans la lettre de mission des CTS.

Au niveau territorial, il faut que les agents de l’État fassent eux-mêmes des formations. Il faut également que les CTS fassent des formations à l’intérieur des clubs. Finalement, au regard du nombre de licenciés, on constate que ça fonctionne plutôt bien. Ceci dit, il peut y avoir des dérives, des violences et des drames humains. Des vies sont effectivement brisées, mais il serait bien qu’on puisse avoir la même exigence dans d’autres secteurs.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons eu l’occasion d’auditionner l’Agence nationale du sport. L’État lui a transféré une partie de ses compétences et de ses moyens pour financer et organiser le sport. Vous avez dit que sa pertinence et son efficacité restaient à démontrer. Estimez-vous que les choses aient évolué ? Vous avez peut-être pu suivre leur audition.

M. Patrick Karam. Honnêtement, compte tenu de mes journées extrêmement chargées, je n’ai pas eu le temps de le faire. En ce qui concerne l’ANS, il faut comprendre que le ministère des sports a gardé toute la partie régalienne. Ce sont eux qui pilotent. Dieu merci ! Par contre, ce qui est plus ennuyeux dans cette nouvelle gouvernance même si on a une ministre un peu musclée à la tête du ministère des sports... La région verse des subventions et ce sont ses agents qui instruisent les dossiers. En cas de problème dans la mise en œuvre des objectifs, par exemple en matière de formations, ces derniers le constatent immédiatement et nous pouvons peser et décider de diminuer les dotations car il y a une unité.

À titre personnel, je ne suis pas certain que l’ANS constitue un levier et ce, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, c’est extrêmement complexe pour les fédérations. Le dialogue de gestion est perpétuel entre l’ANS et la Direction des sports. Les fédérations ne savent plus à quel saint se vouer. C’est d’une complexité absolument effroyable ! Lorsqu’un élu local souhaite une subvention, il essuie systématiquement un refus et ce, sans que le moindre motif soit invoqué. Il ignore comment ça fonctionne et considère que ça ne marche pas.

Parmi les critères pris en compte par l’ANS pour financer un équipement, il y a simplement le critère de localisation dans une zone de revitalisation urbaine (ZRU) ou un quartier prioritaire de politique de la ville (QPV). Ça n’a pas de sens puisque l’ensemble de l’Île-de-France est carencé. Que demande l’ANS en contrepartie des subventions ? Rien. Je vous ai cité tout à l’heure la liste de ce que je demande aux maires.

C’est notamment le cas pour le football. Il y a notamment un terrain synthétique qui pose problème compte tenu du taux d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP). Pourquoi ? Lorsqu’il fait chaud et que les enfants tombent et se relèvent, ils sont pleins de granulats. Ça fait des années que l’Union européenne affirme qu’elle va faire évoluer le règlement REACH qui ne fonctionne pas. Valérie Pécresse a interrogé l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), qui lui a répondu que la toxicité n’était pas prouvée. Et ce, sans pour autant garantir qu’il n’y a pas de problème.

Nous avons donc appliqué le principe de précaution en arrêtant le subventionnement. On ne va pas au-delà de 16 milligrammes de HAP par kilo. Des analyses sont faites en termes de taux de toxicité des HAP. Nous sommes la région avec les normes les plus exigeantes au monde. Ça figure dans nos conventions avec les fédérations de football et de rugby. Je me demande pourquoi l’État ne reprend pas ce dispositif. Il s’agit de donner des subventions en échange de règles à respecter.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. C’est au fabricant de gérer cette partie-là.

M. Patrick Karam. Non, justement. Compte tenu des règles actuelles, pour faire un terrain synthétique, le fabricant achète des granulats en Asie du Sud-Est, en Europe centrale ou orientale. Alors, le taux de HAP explose. En France, il existe un label de respect des normes pour la production de cette filière bien identifiée.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Lors d’un appel d’offres, il y a généralement un ou deux fournisseurs qui répondent présent. À partir du moment où un fabricant référencé répond à un appel d’offres, il paraît normal qu’on lui fasse confiance.

M. Patrick Karam. Lorsqu’il n’existe aucune norme, les fabricants font ce qui les arrange. Depuis 2017, nous leur imposons des règles à respecter et ça fonctionne. Tous les terrains synthétiques que j’ai inaugurés en ma qualité de vice-président respectent strictement nos normes. Le fabricant répond à des exigences en affichant le taux de toxicité, de HAP et de métaux lourds.

Il y a également une question liée à l’environnement. Avec les anciennes normes, les granulats se répandent dans l’environnement. Nous avons demandé la mise en place de barrières avec des évacuations. Il s’agit donc d’imposer des règles auxquelles les gens doivent se plier. Or, contrairement à l’Île-de-France, lorsque l’ANS finance un équipement, elle n’impose pas d’obligation en termes de pratique féminine, de critères sur la pratique des personnes en situation de handicap, etc. Je pourrais aussi vous parler du haut niveau.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons également interrogé l’ANS sur le haut niveau. J’aimerais donc avoir votre vision sur le sujet. Nous avons effectivement identifié que les subventions de l’ANS n’étaient pas forcément soumises à des obligations. Par exemple, toutes les fédérations n’ont pas de comité d’éthique à ce jour alors qu’il s’agit pourtant d’une obligation. Pour dire les choses un peu brutalement, l’ANS a-t-elle selon vous une utilité dans cet empilement de structures existantes ?

M. Patrick Karam. Je vais répéter ce que j’ai déjà dit publiquement. La réponse est non. D’ailleurs, c’est un vrai problème. Les fédérations ont peur. Certaines se sont exprimées sous couvert d’anonymat dans Le Monde et ont affirmé que ça ne fonctionnait pas, qu’il y avait des orientations d’un côté et des orientations de l’autre et que c’était un vrai casse-tête !

En ce qui concerne le haut niveau, il y a un homme qui est sanctuarisé en France. Le Président de la République nous a vendu Claude Onesta comme étant l’homme qui allait nous faire gagner des médailles. Il faut compter dix ans pour construire une génération. En l’occurrence, l’État n’a pas fait le nécessaire. Qui a-t-on appelé pour recadrer les choses après la contre-performance en athlétisme ? On a appelé le président de la fédération d’athlétisme et non Claude Onesta.

Le dialogue sur le haut niveau est extrêmement complexe. Ce n’est pas parce qu’un homme a brillé en tant qu’entraîneur de handball qu’il sait pour autant répondre à toutes les questions. Chaque situation a des spécificités. Il est hallucinant de penser qu’un seul homme peut tout résoudre ! Les réponses se trouvent au sein des fédérations. Il faut leur donner les moyens de faire les choses. Or, ce n’est pas ce qui a été fait.

Les CTS sont des agents de l’État. Il y a eu une volonté de les transférer ces dernières années. Ils sont détachés par l’État et ont un statut de fonctionnaire. Aujourd’hui, tout le monde a compris que les CTS ne seront peut-être plus sous la responsabilité hiérarchique de l’État après les Jeux olympiques. Comment contrôlera-t-on alors la mise en œuvre des politiques publiques ? Ils sont les yeux et les oreilles de l’État au sein des fédérations et doivent le rester.

Qui est en première ligne face aux problèmes de violence, si ce n’est les CTS ? Il ne faut pas dire que ça n’a pas marché mais il faut mieux les utiliser. Ce système date des années 1960, après la contre-performance des Jeux olympiques de Rome. Ça a conduit la France à devenir quatrième ou cinquième nation au monde. Le système des CTS fonctionne. Aujourd’hui, on va les fragiliser et les déstabiliser. En plus, l’État va se priver de moyens de surveillance, de contrôle et d’action au sein des fédérations.

Il y a effectivement des choses à améliorer dans ce statut. Pour autant, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain ! Je peux vous garantir que les fédérations qui s’en ouvrent auprès de moi sont extrêmement critiques, tant sur l’ANS que sur le rôle de Claude Onesta. Quelle que soit la qualité de l’homme, je considère que c’est aujourd’hui une faillite dont il convient de tirer les conséquences.

La ministre m’a dit que la situation serait évaluée après les Jeux olympiques. Je ne voudrais pas qu’on se retrouve dans une situation où il n’y aurait plus de ministère des sports, plus de contrôles etc. En Île-de-France, nombre de mes collègues portent le secteur du sport. Si on n’a plus de ministère des sports parce qu’on a transféré tout ça à l’ANS, le bateau sera ivre ! Il suffit de demander aux maires ce qu’ils en pensent et vous aurez la réponse.

Mme Magali Lacroze. Pour ma part, je souhaiterais revenir sur un point. En tant que journaliste, je relate des propos ; je ne formule pas des recommandations. Je vois ce qui se passe et à quel point la parole peut être contenue. À partir du moment où les référents qui sont là pour recueillir la parole font partie d’un club ou d’une fédération, il est tout de même très difficile d’aller les voir pour dénoncer les agissements d’un entraîneur phare, par exemple.

En l’occurrence, une jeune fille est allée voir un référent en disant que son entraîneur l’avait agressée. Une commission de discipline s’est réunie entre soi. La jeune fille était seule face au corps des dirigeants et des entraîneurs. À la sortie de cette commission, l’une de ses amies lui a conseillé de téléphoner à une avocate spécialiste des violences dans le sport. Le dossier a pu avancer grâce à cette personne extérieure. L’avocate m’a dit à quel point ça avait fait du bien à cette jeune fille de parler à quelqu’un d’extérieur. Ça lui a enfin permis de dire les choses. Il est donc problématique que ça reste dans un cercle fermé.

M. Patrick Karam. Je partage complètement cet avis. Cette remarque est tout à fait juste. En fait, un club est une famille dans laquelle on ne dénonce pas les agissements des uns et des autres. Il faut absolument trouver d’autres outils pour recueillir la parole. Ça peut être au niveau de la fédération ou de la ligue, prendre la forme d’un numéro d’appel, etc.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous rappelle qu’il y a la cellule Signal-Sports pour cela.

M. Patrick Karam. Oui, mais les gens n’y ont pas recours.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pourquoi ?

M. Patrick Karam. Certains ont pu le faire, mais c’est trop impersonnel. Ils ne savent pas sur qui ils vont tomber. Ils se demandent ce qui va se passer.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Il s’agit d’une cellule dédiée spécifiquement aux signalements.

M. Patrick Karam. C’est à la suite d’un rapport de l’inspection générale.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. En sachant que des associations telles que Colosse aux pieds d’argile recueillent la parole et accompagnent les victimes.

M. Patrick Karam. Là, par contre, c’est excellent. Colosse aux pieds d’argile intervient avec le témoignage fort d’un « colosse », qui a lui-même été violé et qui le dit sans honte. Ça met tout le monde en état de choc. Ensuite, les gens viennent le voir pour faire des signalements. Je pense également à Véronique Lebar, la présidente du comité éthique et sport, qui arrivait avec une armada de psychologues et de juristes pour accompagner les personnes. Ces deux dimensions de prise en charge juridique et psychologique sont essentielles.

En fait, il y a vraiment une spécialisation du traitement de ces questions-là. Il y a eu des signalements et la parole s’est libérée. C’est une bonne chose. Il n’y a jamais eu autant d’affaires de violences sexuelles que ces dernières années. La parole s’est libérée et que le ministère a mis en place des outils. Néanmoins, pour reprendre une expression créole, à l’intérieur d’un club, « chien pas manger chien » : les chiens ne se mangent pas entre eux.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Si la cellule Signal-Sports est impersonnelle, comme vous le dites, que proposez-vous alors ?

M. Patrick Karam. Il faut garder Signal-Sports, qui est un outil important. En plus, ça dépend des fédérations, des engagements des uns et des autres et de la formation qu’ils ont reçue. Ce sujet dépend des cadres qui suivent les choses. À titre personnel, je pense qu’une visite médicale avec une infirmière ou un médecin aide à libérer la parole. Il me semble qu’on se livre plus spontanément à quelqu’un du corps médical. Ces professionnels sont tenus au secret médical, qui ne doit pas pour autant empêcher le signalement.

Je pense qu’il faut effectuer des regroupements en termes de formation sur le terrain. Il serait trop compliqué de le faire au niveau des clubs. Il faudrait regrouper des clubs avec des associations engagées sur la question. Le plus important, c’est qu’une personne soit capable de déclencher un signalement. La prise de parole lors du premier témoignage est cruciale pour savoir si on va parler ou non. On va dans le mur si on n’a pas prévu un accompagnement avec un psychologue et un juriste.

Je sais que Véronique Lebar souhaitait arrêter parce qu’elle n’avait plus de moyens. Elle faisait pourtant un travail remarquable. Il faut accompagner les associations qui se sont spécialisées. Je pense notamment à Stop homophobie, l’association qui fait des dépôts de plaintes. À un moment donné, Terrence Katchadourian souhaitait arrêter d’aller en procès parce qu’il était découragé. Lorsque la région Île-de-France l’a accompagné, ça lui a donné la force de continuer. Lorsque les militants se découragent, il faut que la puissance publique puisse montrer le soutien qui leur est accordé. Ce n’est pas toujours le cas. Ces outils sont essentiels.

À la base, je suis un militant associatif. Valérie Pécresse est venue me chercher pour mon engagement sur certains sujets. Je sais ce que le monde associatif peut apporter. Même si on y trouve de tout, certains outils sont extrêmement importants et on le sait tout de suite. D’ailleurs, on le sait immédiatement. Lorsque vous assistez à une formation de manière anonyme, vous pouvez évaluer ce que fait la personne.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous n’avons plus de questions. N’hésitez pas à revenir vers la commission d’enquête si vous avez de nouvelles informations ou de nouveaux témoignages. Je vous remercie de votre disponibilité.

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32.   Audition, ouverte à la presse de M. Jean Zoungrana, président de la commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) et président de la Fédération française de canoë kayak et sports de pagaie (13 octobre 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous accueillons M. Jean Zoungrana, président de la commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) et président de la Fédération française de canoë kayak et sports de pagaie. Monsieur, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions.

Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet dernier. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations de sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux se déclinent autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

Pouvez-vous revenir sur les actions conduites depuis janvier 2022 par la commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) ? Quel bilan tirez-vous du plan d’action établi par cette commission ? Nous aimerions également vous entendre sur les mesures que vous avez mises en œuvre, en tant que président de la Fédération française de canoë. Quels sont les faits dans le périmètre de cette commission dont vous avez eu connaissance dans les différentes fonctions que vous avez exercées et les dysfonctionnements que vous avez, le cas échéant, identifiés ?

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main et à dire : « Je le jure ».

(M. Jean Zoungrana prête serment.)

M. Jean Zoungrana, président de la commission de lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport du Comité national olympique et sportif français et président de la Fédération française de canoë kayak et sports de pagaie. Je voudrais tout d’abord vous remercier pour cette invitation et l’occasion qui m’est donnée de m’exprimer ici. Nos fédérations sont des opérateurs majeurs des politiques publiques. Elles sont en cela soutenues financièrement et il est tout à fait normal et sain que les élus de la nation puissent s’enquérir de leur organisation et de leur fonctionnement. L’occasion m’est donnée aujourd’hui de contribuer à cet effort de transparence. Mon témoignage s’appuiera à la fois sur les actions réalisées au sein du CNOSF, mais aussi sur mon expérience en tant que président de la Fédération française de canoë kayak et sports de pagaie, mais aussi plus récemment en tant que président de la Fédération européenne de canoë.

Je souhaite tout d’abord revenir sur des éléments de contexte qu’il me semble important ici de rappeler. L’intérêt du mouvement sportif pour cette problématique des violences sexuelles est relativement récent puisque, comme vous le savez, le silence n’a été rompu que dans les années 1990 par Catherine Moyon de Baecque, suivie par Isabelle Demongeot, en 2005. Il a fallu attendre 2006 pour connaître les premières enquêtes sur la question des violences au sein du mouvement sportif. En 2008, un premier plan du Gouvernement a été établi dans ce domaine. En 2020, le mouvement sportif a été frappé à nouveau par les révélations de Sarah Abitbol, à la suite desquelles le ministère a engagé une action plus volontariste sous l’impulsion de Roxana Maracineanu, qui a notamment mis en place une déléguée, une cellule dédiée à ce sujet et un contrôle de l’honorabilité. Sur le plan international, les préoccupations du Comité international olympique sont relativement récentes, puisque la première cellule d’écoute a été mise en place en 2018, lors des Jeux olympiques d’hiver de Pyeongchang. Il s’agit donc d’une préoccupation tout à fait récente pour le mouvement sportif.

Dans ce contexte, il est bien sûr essentiel que le CNOSF puisse prendre la mesure des enjeux et en faire un élément important de son projet, qui a été porté par Brigitte Henriques à partir de 2021. À ce titre, nous avons souhaité mener une action volontariste en matière de violences sexuelles et des discriminations. Les principales actions que nous avons réalisées ont concerné dans un premier temps, la création d’une commission sur les violences sexuelles et les discriminations, co-présidée par Catherine Moyon de Baecque et moi-même. Elle est composée d’une dizaine de personnes aux profils très différents : des juristes, des athlètes, mais aussi des représentants du mouvement associatif, des directeurs techniques nationaux (DTN) et des cadres techniques. Afin d’asseoir ses travaux, la commission a conduit, dans un premier temps, une étude sur cette question. Débutée en 2022 et poursuivie en 2023, elle avait pour vocation d’identifier la réalité de ces violences au sein de nos fédérations, les freins existants et les bonnes pratiques ; mais aussi de définir les éléments d’une feuille de route.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Disposez-vous cette étude, s’il vous plaît ?

M. Jean Zoungrana. Les éléments vous ont été transmis par le CNOSF dès hier, il me semble. Vous pourrez consulter cette étude.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous nous permettrons de vous relancer si nous ne la retrouvons pas.

M. Jean Zoungrana. Sur le plan méthodologique, nous n’avons pas souhaité conduire une analyse véritablement quantitative, pour éviter les biais. Nous nous sommes davantage centrés sur la dimension qualitative, à travers un questionnaire adressé à 109 fédérations. Soixante-quatre d’entre elles ont répondu à ce questionnaire, soit un taux de réponse relativement satisfaisant de 70 %. Nous avons également mené des entretiens avec vingt-huit structures différentes. En outre, nous avons mis en place un comité d’experts et avons conduit un travail avec les territoires. Trois régions ont ainsi été auditionnées, au même titre que des clubs.

À travers cette étude, nous avons mis en avant un certain nombre de résultats qui ont été communiqués lors des assises que nous avons réalisées cette année, au printemps. Sur le plan quantitatif, nous avons souhaité identifier la part des violences sexuelles et des discriminations. Dans 66 % des cas traités par les fédérations, il s’agit essentiellement de violences sexuelles, contre 26 % de cas de discriminations, ce qui représente une proportion importante des cas traités.

Dans un deuxième temps, notre étude a été centrée sur les violences sexuelles en sachant que notre volonté à terme est de mettre en place une seconde étude qui s’intéressera davantage aux discriminations, lesquelles constituent une problématique d’une autre nature dont nous avons également besoin de prendre la mesure. Nous ne nous sommes pas désintéressés pour autant de ces discriminations, puisque nous avons travaillé en partenariat avec les ministères, notamment le ministère des sports, sur l’édition de guides concernant les LGBT. Nous œuvrons également avec le ministère de l’égalité hommes-femmes au travers du plan national qui a été mis en place contre les discriminations. La commission s’est donc centrée dans un premier temps sur la question des violences sexuelles.

Il apparaît que les fédérations sont globalement impliquées dans cette lutte contre les violences sexuelles : 84 % des fédérations répondantes ont signalé qu’elles étaient engagées dans cette lutte. Le frein que pourrait constituer le manque de volonté politique apparaît très peu. Nous n’identifions le manque de volonté politique comme un frein que dans seulement 3 % des cas. Nous avons donc des fédérations qui sont relativement engagées dans cette lutte avec des organisations et des actions qui sont très différentes.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pouvez-vous expliciter ces 3 % de cas ?

M. Jean Zoungrana. La question des violences n’est pas toujours perçue comme un élément essentiel, dans la mesure où parfois, les fédérations ne se sentent peut-être pas touchées de la même manière.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pouvez-vous nous citer des exemples de fédérations qui ne se sentent pas touchées de la même manière ?

M. Jean Zoungrana. Non, je ne peux pas pointer des fédérations particulières.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Est-ce un choix de votre part ?

M. Jean Zoungrana. Non. Je ne peux pas le faire dans la mesure où je ne dispose pas des éléments factuels, mais seulement d’éléments statistiques.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Dans le cadre de cette étude, vous avez pourtant sollicité les fédérations, qui ont répondu de manière anonyme ?

M. Jean Zoungrana. Peut-être faudrait-il aller plus loin dans l’investigation pour cibler plus précisément ces fédérations. Mais dans un premier temps, notre travail a consisté à identifier un certain nombre de freins, parmi lesquels figure le manque de volonté politique, à tous les niveaux.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Sera-t-il possible de consulter cette étude ?

M. Jean Zoungrana. Bien entendu, nous vous la ferons parvenir.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ce questionnaire a donc été adressé aux fédérations, qui y ont répondu, de manière non anonyme. J’en déduis que vous disposez donc de données exploitables. Si vous ne conduisez pas un dépouillement détaillé des réponses par fédération, comment engagez-vous le travail pour inciter ces fédérations à faire de cette lutte une priorité ? Comment exploitez-vous ce questionnaire ?

M. Jean Zoungrana. Ce questionnaire est bien sûr exploité puisque nous souhaitons disposer d’une approche globale de cette question. Soixante-quatre fédérations ont répondu, quand d’autres ne l’ont pas fait. De ce fait, si nous voulons mener une action ciblée, nous savons que certaines données seront tronquées. C’est la raison pour laquelle nous avons privilégié une approche plus globale, dans un premier temps.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je suis surprise que seulement soixante-quatre fédérations aient répondu à votre questionnaire. Pour quelles raisons les autres fédérations n’ont-elles pas réagi ? N’avez-vous pas insisté pour qu’elles répondent ? Ne se sentent-elles pas impliquées ?

M. Jean Zoungrana. Il est exact que toutes n’ont pas répondu.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Dans ce cas, pouvez-vous nous indiquer celles qui n’ont pas répondu ?

M. Jean Zoungrana. Nous disposons de la liste des fédérations qui ont pu répondre.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous pourrons donc en déduire celles qui ne l’ont pas fait, n’est-ce pas ?

M. Jean Zoungrana. Au sein de l’étude, vous disposerez vraisemblablement des éléments de réponse à cette question.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous relancé les fédérations qui n’ont pas répondu ?

M. Jean Zoungrana. Cet aspect a été traité par le cabinet d’étude qui a produit ce travail. Il sera effectivement possible d’observer ces éléments.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Les réponses à ce questionnaire n’étaient-elles donc pas obligatoires ?

M. Jean Zoungrana. Les fédérations membres du CNOSF ne sont pas obligées de répondre à ces sollicitations. Nous ne disposons pas de pouvoir en ce domaine. Chaque fédération est en droit de répondre à nos sollicitations ou de ne pas le faire.

Ensuite, il convient néanmoins de souligner que les fédérations ont mis en place des organisations pour répondre à cette problématique, qu’il s’agisse de commissions d’éthique, de commissions disciplinaires, juridiques ou médicales. Elles ont également désigné des référents, qui sont un élément clé dans la mise en œuvre d’une stratégie dans ce domaine. Certaines ont établi des plans de prévention et 72 % des fédérations ont inscrit cette problématique dans leur projet sportif. Ces éléments témoignent donc de la sensibilité à cette problématique de la grande majorité des fédérations.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Disposez-vous d’informations sur le nombre de fédérations ayant mis en place des référents ? Ensuite, j’imagine que ce taux de 72 % ne concerne que les fédérations qui vous ont répondu. Par conséquent, vous ignorez si les fédérations qui ne vous ont pas répondu disposent de tels référents.

M. Jean Zoungrana. Soixante-quatre fédérations ont répondu. Le taux de réponse demeure malgré tout intéressant sur le plan statistique et nous fournit les grandes orientations.

Je souhaite également évoquer la mise en œuvre des obligations qui sont imposées par l’État, comme le contrôle de l’honorabilité que les fédérations peuvent réaliser. Parfois des modules de formation ont été intégrés dans la formation des éducateurs sportifs des fédérations.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ce contrôle de l’honorabilité constitue-t-il une possibilité ou une obligation ?

M. Jean Zoungrana. Il s’agit bien sûr d’une obligation légale. À ce titre, nous devons néanmoins souligner les difficultés d’ordre technique dans la réalisation de ces contrôles. De manière concrète, nous devons saisir les licences de nos adhérents, identifier les profils relevant de ce dispositif (éducateurs, arbitres, dirigeants), ce qui nécessite un traitement informatique de nos fichiers. Dans un deuxième temps, il est nécessaire de transmettre ces fichiers sur la plateforme dédiée du ministère. Bien souvent, nous sommes confrontés à des alias, c’est-à-dire des identités non applicables, qui apparaissent en grand nombre. Pour résoudre ce problème, un traitement individuel doit être réalisé, impliquant des centaines d’heures de travail à l’échelle d’une grande fédération. Par conséquent, les fédérations sont confrontées à de grandes difficultés et nous travaillons avec le ministère des sports pour essayer de trouver les solutions permettant de faciliter ce travail, qui nous apparaît bien sûr essentiel.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Malgré toutes les difficultés que vous venez d’indiquer, estimez-vous que l’intégralité des fédérations réalise ce contrôle d’honorabilité ?

M. Jean Zoungrana. Très honnêtement, je ne possède pas d’éléments statistiques sur le nombre de fédérations qui n’ont pas pu mettre en place ce dispositif à ce jour. Le ministère dispose en revanche de cette comptabilité et pourra tout à fait vous fournir ces éléments. De son côté, notre étude met en lumière, dans 30 % des cas, un manque de moyens des fédérations dans ce domaine, lequel constitue indéniablement un frein. Toutes les fédérations cherchent à répondre à leurs obligations, mais malgré tout, seules les grandes fédérations bénéficient des moyens suffisants pour consacrer des référents entièrement dédiés à cette lutte.

Les fédérations de moins de 100 000 licenciés, qui doivent composer essentiellement avec des bénévoles, n’en ont pas forcément la capacité. Le terme de fédération est un terme générique qui recouvre des réalités très différentes. L’enjeu consiste donc à pouvoir accompagner les plus petites fédérations, afin qu’elles puissent mettre en œuvre leurs obligations, qui sont croissantes. Cet effet de ciseau entre ces obligations et les moyens alloués – humains ou financiers – constitue une véritable difficulté, sur le terrain.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La question des moyens a souvent été évoquée devant notre commission d’enquête. Je souhaite malgré tout revenir sur les 3 % de fédérations qui estiment que la lutte contre les violences ne constitue pas une priorité politique.

M. Jean Zoungrana. Les contextes sont très différents selon les fédérations, en fonction de leur histoire et de leur taille. Dans certaines fédérations, ces problématiques ne sont pas toujours suffisamment perçues, dans la mesure où, elles sont moins exposées à ces situations d’un point de vue quantitatif, compte tenu de leur petite taille. Cela ne signifie pas que je partage ce point de vue : à titre personnel, mon approche est différente au sein de ma fédération. Cependant, si nous voulons lutter contre ces violences, il nous faut analyser les ressorts qui empêchent parfois d’ériger ces questions en priorité. Par exemple, les dirigeants de clubs ne mesurent pas toujours les enjeux dans ce domaine jusqu’à la survenue de tels cas au sein de leurs structures.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Votre étude a été présentée en 2023 lors des assises que vous avez mentionnées. Depuis, des mesures ont-elles été mises en œuvre ou proposées par le CNOSF à ces fédérations, afin qu’elles prennent conscience du travail qui demeure à réaliser ?

M. Jean Zoungrana. Tout à fait. Parmi les freins, j’ai déjà mentionné le problème des moyens. Un deuxième frein identifié dans les réponses, à hauteur de 34 % de ces dernières, concerne la difficulté que les fédérations peuvent rencontrer pour mobiliser l’échelon local, qui n’est pas toujours conscient des enjeux. D’autres freins existent également, mais ils sont moins prégnants. Dans le cadre de l’étude, vous pourrez en prendre connaissance.

Pour en revenir à votre question, à l’issue de cette étude, nous avons identifié quarante-quatre mesures différentes qui pourraient être prises et qui portent sur des niveaux distincts. À ce titre, je souhaite mettre l’accent sur certaines d’entre elles, qui me paraissent essentielles pour l’avenir. La première concerne la coopération avec les associations de victimes.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pourrons-nous prendre connaissance de ces quarante-quatre mesures ?

M. Jean Zoungrana. Bien sûr.

La coopération avec les associations de victimes est essentielle. Elles reçoivent parfois des signalements sans que les fédérations en soient informées. Le renforcement de la communication entre les associations et les fédérations permettrait à ces dernières de mener des actions disciplinaires en cas de besoin. En effet, les fédérations ne constituent pas toujours le lieu de recueil des témoignages sur les violences.

Ensuite, nous proposons de réfléchir à la création d’une entité indépendante qui pourrait avoir la charge de la lutte contre les violences sexuelles et les discriminations. Cela permettrait de déporter cette problématique de nos fédérations et de lui assurer un traitement indépendant. En effet, quelle que soit la bonne volonté des fédérations, elles sont toujours perçues comme des structures qui fonctionnent dans l’entre-soi et soupçonnées de cacher un certain nombre d’éléments. Or mon expérience du fonctionnement d’une fédération est bien différente, puisque les instances disciplinaires y fonctionnent de manière totalement indépendante de l’exécutif. La vision des fédérations comme des structures opaques qui ne seraient pas en capacité d’écouter ne correspond pas à la réalité.

Néanmoins l’instauration d’une instance indépendante serait sans doute l’une des solutions à étudier. D’autres pays, à l’instar du Canada, ont mis en place une telle instance indépendante. Dans le cadre de la commission, nous souhaitons pouvoir effectivement inviter les représentants de cette instance, afin d’échanger sur les dispositifs qui ont été mis en place. Plus récemment, j’ai appris que la Nouvelle-Zélande était également en train de mettre en place un dispositif de même nature.

Par ailleurs, une autre mesure qui nous semble importante est la transférabilité entre fédérations des sanctions ou des informations sur les mesures disciplinaires. En effet, lorsque nous prenons une décision disciplinaire, nous communiquons en interne en direction de nos structures. Mais les autres fédérations n’en sont pas informées, à défaut de communication entre fédérations, ce qui peut entraîner des risques de récidive dans une autre fédération. Un individu peut être privé de licence par une fédération mais en prendre une autre dans une autre fédération. Nous avons là une réelle problématique. Nous souhaiterions pouvoir partager ces éléments d’information, mais nous sommes conscients des obstacles juridiques que cela pose.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ce problème a effectivement déjà été évoqué devant cette commission. Quand une fédération a identifié un auteur qui est mis à l’écart, elle est censée informer l’ensemble des clubs affiliés. Pourquoi ne mène-t-elle pas le même travail d’information auprès des autres fédérations ?

M. Jean Zoungrana. Pour le moment, aucun dispositif n’est prévu dans ce domaine.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quand une personne est identifiée, qu’est-ce qui est noté dans son dossier d’honorabilité ? Comment est-elle identifiée ? Il y a un retour à la fédération qui informe les clubs. Je ne comprends pas ce qui s’oppose à ce que cette information soit transmise aux autres fédérations.

M. Jean Zoungrana. Nous faisons le constat de la difficulté que l’on a à partager les informations. Il faut que l’on clarifie dans quelle mesure au plan juridique il est possible de mettre en place des collaborations au regard de la confidentialité des éléments. En outre, l’une de nos difficultés est que nous devons gérer trois procédures qui fonctionnent de manière totalement indépendante : les procédures judiciaires, administratives et disciplinaires, qui ont des temporalités distinctes, et conduisent à des décisions ne vont pas toujours dans le même sens ce qui pose un problème de cohérence d’ensemble de la gestion des cas.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous fait part de cette difficulté au ministère des sports ? En effet, lorsqu’une fédération transmet une information à l’ensemble de ses clubs, la confidentialité est déjà bien écornée. Je ne vois donc pas pourquoi il ne serait pas possible d’agir à plus grande échelle, la priorité étant naturellement la protection des victimes. Il s’agit de mettre à l’écart un auteur quand les faits sont avérés, même s’il existe par ailleurs une procédure administrative et disciplinaire et qu’en outre, des enquêtes judiciaires sont menées.

M. Jean Zoungrana. Le ministère des sports a reçu cette étude. Il est donc informé des mesures que nous proposons.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Certes, mais avez-vous échangé avec le ministère sur ces points précis ?

M. Jean Zoungrana. Nous n’avons pas encore engagé de travail avec le ministère sur ces questions. De notre côté, dans la mesure où nous avons identifié 44 mesures, nous devons mener un travail sur la planification de nos actions sur le long terme. Dans l’immédiat, notre action doit tenir compte d’un contexte particulier lié à l’accueil des Jeux olympiques en 2024. Nous devons voir comment nous appuyer sur cet événement pour promouvoir cette question. C’est autour de ce sujet que nous allons nous centrer sur 2024 et nous continuerons à dérouler la feuille de route par la suite. Si la question est de savoir pourquoi nous n’avons pas engagé les 44 actions, je vous dis très clairement qu’on a besoin de planifier les choses dans le temps et de prioriser nos actions au regard des ressources humaines et financières dont dispose le CNOSF.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. En résumé, le CNOSF a mené cette étude auprès des fédérations, qui n’étaient pas obligées d’y répondre, de même qu’elles ne sont pas obligées d’appliquer vos préconisations. Le seul moyen de faire avancer les choses quand vous avez identifié un problème est de passer par le ministère des sports, ministère de tutelle. Quelle instance est en mesure d’obliger les fédérations à mettre en place des actions de prévention, une communication entre elles ou d’autres dispositifs pour lutter contre des phénomènes de violences sexistes et sexuelles (VSS), de racisme et de discrimination ?

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Si le ministère des sports avait conduit cette étude, les fédérations auraient-elles été obligées de répondre ?

M. Jean Zoungrana. Le ministère a effectivement toute latitude pour imposer un certain nombre d’obligations aux fédérations, ce qui n’est pas le cas du CNOSF. Le CNOSF est une association qui fédère 109 fédérations qui sont des associations indépendantes et autonomes dans leur fonctionnement. Sa mission consiste bien à les accompagner dans leur stratégie en ce domaine, mais nous n’avons pas le pouvoir d’imposer quoi que ce soit, ni pouvoir disciplinaire.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Échangez-vous régulièrement avec la direction des sports du ministère ?

M. Jean Zoungrana. Plus exactement, nos services travaillent effectivement régulièrement avec les services du ministère, notamment dans le cadre de réunions sur des thématiques précises comme le contrôle de l’honorabilité, sur les plans ou sur les guides. Un très bon partenariat s’est mis en place entre le ministère et le CNOSF sur ces sujets.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Plus spécifiquement, votre commission échange-t-elle également régulièrement avec le ministère ?

M. Jean Zoungrana. Nous n’avons pas travaillé directement avec le ministère. Généralement, on le fait au travers de nos services qui se mobilisent sur les thématiques que l’on met en avant, au travers de la commission notamment.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Votre commission a-t-elle déjà travaillé de manière spécifique avec la direction des sports ?

M. Jean Zoungrana. Pas pour le moment. Dans un premier temps, il importe de conduire un travail de planification à long terme à partir de l’étude que l’on a faite. Ensuite, la planification proposée devra être validée en interne. Lorsqu’il sera question de mise en œuvre, nous devrons effectivement rencontrer des responsables du ministère pour voir comment on peut cheminer ensemble sur des thématiques spécifiques, comme celles de l’instance indépendante ou de la communication entre les fédérations. Ce sont des points que nous pourrons évoquer avec eux.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je souhaiterais connaître votre opinion personnelle. Vous co-présidez cette commission depuis janvier 2022, soit depuis près de deux ans. Durant toute cette période, n’avez-vous jamais rencontré la direction des sports, alors même que cette commission a la charge d’un sujet essentiel, celui de la lutte contre les violences sexuelles et des discriminations dans le sport ? N’y a-t-il pas eu de volonté politique de progresser sur ce sujet ? Cette absence de rencontre suscite de grandes interrogations.

M. Jean Zoungrana. Toute réflexion est soumise à certaines temporalités. Comme je vous l’indiquais, il nous fallait d’abord mener à bien cette étude. Dans un second temps, nous serons conduits à établir une discussion plus politique, pour porter ces mesures en partenariat avec le ministère. Ce qui me chagrine est que vous sous-entendez qu’il ne s’est rien passé en deux ans. Au-delà de cette étude, je rappelle que nous avons formé les référents des commissions disciplinaires, au sein de nos fédérations, avec les services juridiques du CNOSF.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous constatons que des avancées ont pu avoir lieu. Néanmoins, le ministère des sports est à ce jour la seule entité en mesure d’imposer des mesures aux fédérations. Mais il semble difficile d’obtenir des résultats concrets si en deux ans, vous ne conduisez pas une seule réunion avec la direction des sports.

M. Jean Zoungrana. Pour être tout à fait précis, la période est inférieure à deux ans. Encore une fois, je souhaite attirer l’attention sur le fait que nos services travaillent en étroite collaboration avec le ministère, mais vous ne semblez pas le mesurer. Ensuite, nous travaillerons sous un angle plus politique, lorsque nous aurons défini notre programmation en matière de lutte, à partir des quarante-quatre mesures qui ont été identifiées. Ce travail est devant nous.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. La semaine dernière, Catherine Moyon de Baecque nous disait qu’elle n’avait pas été contactée par le nouveau président du CNOSF, M. David Lappartient. La situation a-t-elle changé entre-temps ?

M. Jean Zoungrana. Je n’ai pas connaissance des demandes de rendez-vous de la part de Catherine Moyon de Baecque. Le président a pris ses fonctions récemment, dans un contexte particulier, puisqu’il doit porter un nouveau projet. Je vous rappelle en outre que nous sommes candidats à l’organisation des Jeux olympiques d’hiver 2030. Il ne me semble donc pas anormal qu’il n’ait pas pu dans l’immédiat répondre aux sollicitations d’entretien de Catherine Moyon de Baecque. Je ne pense pas pour autant qu’il ne s’intéresse pas à cette problématique. Simplement, compte tenu de la charge de travail, il n’a pas pu répondre à cette demande avec l’urgence souhaitée par Madame Moyon de Baecque.

Par ailleurs, il me semble important de souligner les actions du CNOSF. Nous avons formé les référents de nos commissions disciplinaires, mais nous formons également les référents de nos fédérations en matière de violences sexuelles et de discriminations. Ainsi, une soixantaine de personnes ont pu être formées, à travers les dispositifs que nous avons mis en place en partenariat avec le Centre ressources et d’information pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (CRIAVS). Ces dispositifs de formation fonctionnent bien et nous permettent d’apporter une meilleure expertise au sein de nos fédérations.

Nous menons également des actions de sensibilisation auprès de nos délégations lors des grands événements internationaux. À ce titre, nous avons envisagé la mise en place de dispositifs particuliers au moment des Jeux olympiques. Enfin, nous développons des partenariats en lien avec les associations. Les actions du CNOSF sont donc nombreuses et couvrent notamment les pratiques de formation de nos adhérents. Notre étude nous permettra de les prolonger.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Quel est le nombre de licenciés de la Fédération française de canoë kayak et sports de pagaie ?

M. Jean Zoungrana. Nous avons actuellement 315 000 licenciés, de profils très différents. En effet, notre fédération regroupe à la fois des licenciés qui naviguent tout au long de l’année, mais également des pratiquants plus ponctuels, dans le cadre d’une activité de loisir et de tourisme.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Les freins que vous avez évoqués précédemment en termes de moyens et de mobilisation au niveau local sont-ils également présents au sein de votre fédération ?

M. Jean Zoungrana. Tout d’abord, je dois vous indiquer que lorsqu’ils arrivent aux responsabilités, les présidents de fédération n’imaginent pas nécessairement qu’ils devront être conduits à traiter de ces questions, dans la mesure où les valeurs que nous portons dans la pratique sportive sont bien loin de tout cela. Progressivement, ils se rendent cependant compte qu’il y a un réel sujet qu’il importe de prendre à bras-le-corps. Pour beaucoup de fédérations, les es révélations intervenues en 2019 et 2020 ont indéniablement occasionné une prise de conscience. Pour ma part, j’ai mis en place une cellule Stop Violences. Le site de ma fédération dispose ainsi d’un onglet spécifique qui permet d’accéder à une procédure de signalement.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Le ministère des sports a créé la cellule Signal-sports, qui accompagne les victimes et offre un environnement médical et associatif dédié pour accueillir la parole des victimes. Pourquoi ne pas directement signaler sur votre site internet l’existence de cette cellule ? Pourquoi mettre en place un tel doublon ?

M. Jean Zoungrana. Tous les cas que nous avons à traiter ne relèvent pas forcément de Signal-sports. Nous ne traitons pas uniquement de problématiques de violences sexuelles, mais également de harcèlements ou d’autres problématiques de violences qui ne sont pas d’ordre sexuel.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous envisagé de solliciter le ministère, afin qu’il élargisse le champ de Signal-sports à tout type de discrimination ?

M. Jean Zoungrana. Cette possibilité peut constituer une piste, mais il faudrait que les moyens financiers et humains puissent suivre. Actuellement, le nombre de cas que le ministère doit traiter est relativement important.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. D’après vous, quel est le périmètre d’action de la cellule Signal-sports ? Nous avons recueilli un grand nombre d’avis sur ce sujet, et personne ne semble d’accord. Ensuite, même si cette cellule ne prend pas en charge d’autres formes de discrimination, il nous semble étonnant que votre site ne renvoie jamais vers Signal-sports, y compris pour les VSS. Pourquoi avez-vous opéré ce choix ?

M. Jean Zoungrana. Je ne sais pas s’il s’agit d’un choix particulier. À un moment donné, le bureau exécutif de la fédération a mis en place un dispositif, en pensant qu’il s’agissait du dispositif le mieux adapté.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Sur quels arguments avez-vous fondé ce choix ?

M. Jean Zoungrana. Nous avons besoin de recueillir la parole au sein de notre fédération et nous disposons d’une organisation spécifique. Lorsqu’un signalement est effectué, une équipe de six cadres d’État, organisée en binômes femmes-hommes, le traite. Cette organisation nous permet de déporter certains cas, lorsqu’il y a un risque de conflit et que les cadres techniques connaissent des personnes mentionnées. Le traitement nous conduit à activer la cellule Signal-sports lorsque cela s’avère nécessaire, mais également à engager des procédures disciplinaires.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je comprends que six cadres d’État ont été détachés auprès de votre fédération pour gérer cette cellule Stop Violences. Pourquoi ces cadres ne travaillent-ils pas plutôt auprès de Signal-sports, qui n’est composée que de quatre personnes à ce jour ?

Ensuite, lorsque vous recevez des signalements en matière de VSS, alertez-vous systématiquement Signal-sports ? Les risques de conflit sont plus élevés si vous traitez ces situations en interne.

M. Jean Zoungrana. Les six personnes que j’ai mentionnées ne travaillent pas à temps plein sur ces questions. Elles interviennent ponctuellement lorsqu’un cas remonte, étant précisé que nous devons traiter dix à quinze cas par an.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pouvez-vous nous fournir de plus amples informations sur ces cas ?

M. Jean Zoungrana. Il s’agit de cas de violences ou de harcèlement de toute nature. Ils peuvent relever de procédures disciplinaires ou de procédures plus lourdes.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Êtes-vous confrontés à des cas de VSS ?

M. Jean Zoungrana. Bien sûr. Nos fédérations doivent effectivement traiter des cas de cette nature, qui nous parviennent par des canaux très différents.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Lorsque vous recevez ces signalements, les transmettez-vous à Signal sport ?

M. Jean Zoungrana. Bien sûr. Les transmissions sont systématiques.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous est-il arrivé d’effectuer un signalement auprès du procureur de la République sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale ?

M. Jean Zoungrana. Oui. Nous avons déjà fait des articles 40, par le biais de notre DTN.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pouvez-vous m’éclairer sur ce point ? Au terme de l’étude menée par le CNOSF, vous recommandez la création d’une entité indépendante. Mais au sein de la fédération de canoë, vous traitez du sujet en interne, avant de prendre la décision ou non d’un signalement auprès de Signal-sports. N’est-ce pas un peu contradictoire ? Ensuite, d’après vous, la cellule Signal-sports est-elle accessible aux victimes ou seulement aux clubs et aux fédérations ?

M. Jean Zoungrana. La cellule Signal-sports est accessible à tous.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Dans ce cas, pourquoi n’est-il pas possible d’y accéder directement depuis le site de votre fédération ?

M. Jean Zoungrana. Il serait effectivement possible de prévoir un tel accès. Toutes les possibilités de faire remonter ces problématiques sont après tout intéressantes à développer et je n’y suis pas opposé sur le principe. Cependant, je tiens à attirer votre attention sur le fait que tous les signalements effectués au sein d’une fédération n’ont pas nécessairement vocation à être dirigés vers Signal-sports. Nous menons parfois des procédures disciplinaires en interne.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pouvez-vous préciser la nature de ces signalements et mesures disciplinaires ? Votre cellule s’intitule Stop Violences. On a tendance à comprendre qu’il s’agit de faits qui ne relèvent pas que du disciplinaire. Ensuite, nous avons reçu plusieurs victimes dans le cadre de notre commission d’enquête, qui nous ont indiqué à quel point il était difficile de devoir répéter leurs témoignages face à différents interlocuteurs. Ne pensez-vous pas qu’il serait plus facile pour elles de pouvoir être directement orientées vers Signal-sports ?

M. Jean Zoungrana. La plateforme de notre fédération recueille effectivement des signalements de toute nature, dans la mesure où nous voulons lutter contre l’ensemble des violences, sans exclusive. Ensuite, il est exact que les victimes sont confrontées à un parcours difficile lorsqu’elles témoignent. On sait qu’on a trois procédures différentes qui sont engagées. Dans le cadre des procédures disciplinaires, nous avons effectivement besoin d’écouter les témoignages des différentes parties pour pouvoir prendre les décisions, dans le respect du contradictoire. On ne peut pas se passer de recueillir la parole. Au sein de nos fédérations, nous devons pouvoir être en mesure d’instruire les différents dossiers.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Les fédérations doivent-elles rendre des comptes au ministère des sports sur la gestion de ces signalements ?

M. Jean Zoungrana. Qu’entendez par « rendre des comptes » ?

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Les fédérations informent-elles les ministères ? Sont-elles questionnées ou interrogées ?

M. Jean Zoungrana. Nous sommes en relation avec le ministère, notamment dans le cadre des contrats d’objectifs et de performance. Il nous arrive donc, dans ce cadre, d’avoir des entretiens avec le ministère au cours desquels sont évoquées ces problématiques. À ce propos, un rendez-vous avec le ministère est programmé prochainement et nous aurons donc l’occasion d’évoquer ces éléments.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Des objectifs vous sont-ils assignés ?

M. Jean Zoungrana. Bien sûr. Dans le cadre des contrats d’objectif figure notamment la lutte contre les violences. C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place l’ensemble de ces dispositifs.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Un suivi annuel est-il organisé, à l’aide d’indicateurs précis ?

M. Jean Zoungrana. Sur ce point, le suivi n’est pas aussi régulier : cela fait quelque temps que je n’ai pas eu de relation directe avec le ministère sur cette question.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Qu’entendez-vous par « quelque temps » ?

M. Jean Zoungrana. Je n’ai pas la date précise en tête et je ne voudrais pas en avancer une qui ne correspondrait pas à la réalité. Par ailleurs, au-delà des relations entre le président et le ministère, nos directeurs techniques nationaux ont une relation plus régulière avec le ministère. Les relations du ministère avec les fédérations ne se limitent pas à leurs présidents.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. De notre côté, nous essayons de mieux comprendre le fonctionnement du mouvement sportif, qui est caractérisé par un empilement de différentes structures, lequel peut rendre plus complexe l’identification des responsabilités de chacun. Disposez-vous de comptes rendus de ces temps d’échange avec le ministère au sujet de l’atteinte de vos objectifs et du suivi des indicateurs ? Si tel est le cas, nous vous demanderons peut-être de nous transmettre le dernier compte rendu, ce qui nous permettrait d’ailleurs de connaître la date de votre dernière rencontre.

Ensuite, nous avons évoqué la question des signalements et notamment la saisine du procureur de la République sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale. L’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche a relevé que certains faits susceptibles d’être qualifiés de crime ou de délit n’avaient pas fait l’objet de signalement dès la prise de connaissance de leur survenue au sein de votre fédération. Elle vous a donc recommandé de rappeler les obligations légales auxquelles sont tenus les agents de l’État et les élus fédéraux en matière de signalement de crimes et délits. Pouvez-vous revenir sur les cas dont il était question et nous éclairer sur l’absence de signalements au procureur de la République ?

M. Jean Zoungrana. J’avoue ne pas savoir de quels cas vous parlez. Il m’est par conséquent difficile de revenir sur des cas sur lesquels je ne dispose d’aucun élément.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Si je comprends bien, vous n’avez donc pas connaissance de cette recommandation de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche.

M. Jean Zoungrana. Je n’ai effectivement pas connaissance, ni mémoire de cette recommandation. Nous avons reçu un rapport de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche en 2022, mais je ne sais pas si cet élément faisait partie des mesures qui étaient proposées. Celles-ci sont parfois très nombreuses.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je conçois que le rapport de septembre 2022 ait pu formuler de nombreuses recommandations. Mais ne pensez-vous pas qu’il s’agit d’une des recommandations les plus importantes dudit rapport, puisqu’elle vous rappelle vos obligations en matière de signalement et de déclenchement de l’article 40 dès que vous avez connaissance d’un fait ? En l’occurrence, des défaillances dans le fonctionnement de votre fédération ont visiblement été établies.

M. Jean Zoungrana. Je pense qu’il faut aller plus avant. Vous mentionnez un énoncé de fait sans disposer des éléments. J’ignore de quelle affaire il s’agit. Peut-être l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche fait-elle référence à une situation où la fédération a préféré prendre le temps d’instruire le dossier dans le cadre de la cellule avant de procéder au signalement ? Est-ce lié à la volonté d’une personne de ne pas communiquer sur une question, entraînant le report de la décision ? Il importe d’aller dans le détail d’un dossier tel que celui-ci pour bien mesurer ses implications.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je partage cette volonté d’entrer dans les détails de cette recommandation. Cependant, nous avons demandé ce rapport et de votre côté, vous l’avez également obtenu. En revanche, l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche formule une recommandation claire et il revient à la fédération de regarder dans le détail ce qui a conduit un agent à ne pas effectuer un signalement. N’ayant pas connaissance de ces éléments, nous vous demandons donc de nous fournir plus de précisions. Quoi qu’il en soit, de mon point de vue, il revenait à votre fédération de se pencher sur cette recommandation et d’y travailler. Nous pourrons vous adresser le passage précis du rapport de l’Inspection, afin que vous puissiez nous répondre par écrit.

M. Jean Zoungrana. Il semble effectivement nécessaire d’analyser cet élément. Nous sommes peut-être invités par le rapport à effectuer le signalement avant l’instruction du dossier par notre cellule. L’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche a peut-être voulu insister sur cet élément de temporalité.

Cependant, sur le fond, il est important de relever qu’à chaque fois que nous avons eu à traiter des situations de cette nature, des signalements ont été réalisés. Cet aspect doit être mentionné, afin de ne pas mettre en doute le fonctionnement d’une fédération.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous ne cherchons pas à jeter le doute sur votre fédération. Nous nous fondons uniquement sur le rapport de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche pour vous interroger. Vous avez évoqué la question de la temporalité. Cela signifie-t-il que vous ignorez à quel moment la procédure de l’article 40 doit être déclenchée ? Les personnes qui sont chargées de réaliser des signalements au titre de cet article bénéficient-elles de formations spécifiques ?

M. Jean Zoungrana. Des formations sont réalisées, notamment avec le CRIAVS, qui intervient auprès des référents. J’ai moi-même eu l’occasion d’y prendre part. Le CNOSF a aussi pour rôle de mettre en place ce type de formation. De leur côté, les fédérations doivent établir des dispositifs pour répondre au mieux à ces problématiques.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Dans son rapport de septembre 2022, l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche vous a recommandé d’engager la féminisation des fonctions de dirigeants des clubs et comités, afin de répondre au plus vite à l’exigence de parité fixée par la loi. Elle a jugé que « les actions de votre fédération, bien que louables, ne s’inscrivaient pas dans une politique globale et cohérente de féminisation » et a relevé « plusieurs éléments en dissonance avec le discours volontariste affiché par le président et le DTN de la fédération ». L’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche a ainsi recommandé à votre fédération de formaliser ses actions en faveur de la féminisation, dans un nouveau plan de féminisation. Cette recommandation a-t-elle été mise en œuvre ?

M. Jean Zoungrana. Tout d’abord, il faut souligner que je me suis présenté au bureau exécutif avec une équipe entièrement paritaire, c’est-à-dire cinq femmes et cinq hommes. Notre conseil fédéral fonctionne également de manière paritaire.

Ensuite, l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche a voulu pointer le fait que notre plan de féminisation datait de 2014 et que nous avons besoin de travailler à sa réactualisation, laquelle est effectivement en cours. Autour de ma vice-présidente en charge de cette question, nous avons mis en place un groupe de travail, afin de produire ce plan. Il y a une dizaine de jours, nous avons participé à un symposium organisé par notre fédération internationale sur cette question avec la volonté d’actualiser ce plan. Nous avons effectivement commencé à y travailler et avons constitué autour de ma vice-présidente en charge de cette question au sein de mon équipe un groupe de travail pour produire ce plan. Voilà où nous en sommes. Nous y travaillons donc de la même façon que nous modifions nos statuts et n’avons pas attendu les injonctions de l’État en matière de parité pour agir dans ce domaine.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Quels postes les femmes occupent-elles au conseil d’administration de votre fédération ?

M. Jean Zoungrana. Au sein de mon équipe, les femmes occupent des fonctions différentes. Certaines vice-présidentes sont en charge des plans de féminisation mais aussi de disciplines sportives. Leur périmètre au sein de notre exécutif est donc semblable à celui des hommes. Il n’existe pas de différence de traitement, au regard des compétences des uns et des autres. Nous avons aussi un vice-président, Didier Chavrier, en charge de la question des violences au sein de notre fédération.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous remercie.

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33.   Audition, à huis clos, de Mme Isabelle Jégouzo, directrice de l’Agence française anticorruption (AFA), et Mme Stéphanie Bigas-Reboul, sous-directrice du contrôle (13 octobre 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous accueillons à présent Mme Isabelle Jégouzo, directrice de l’Agence française anticorruption (AFA), et Mme Stéphanie BigasReboul, sous-directrice du contrôle, pour une audition à huis clos.

Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet dernier. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations de sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux se déclinent autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

L’Agence française anticorruption est un service à compétence nationale créé par la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Elle a remplacé le service central de prévention de la corruption, tout en bénéficiant d’un renforcement de ses pouvoirs. Placée auprès du ministre de la justice et du ministre en charge du budget, elle aide les autorités compétentes et les personnes qui y sont confrontées à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêts, de détournement de fonds publics et de favoritisme. Son expertise peut être sollicitée par les juridictions, les grandes entreprises, les administrations ou encore les collectivités.

L’AFA est conduite à contrôler les acteurs concernés par le champ de cette commission d’enquête. Pouvez-vous nous présenter rapidement vos missions, modalités et périmètres d’intervention, ainsi que l’ensemble des travaux conduits par l’Agence en lien avec les acteurs du monde sportif ? Nous souhaiterons ensuite vous entendre sur les principales constatations et recommandations de l’Agence dans le domaine qui nous intéresse.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main et à dire : « Je le jure. »

(Mmes Isabelle Jégouzo et Stéphanie Bigas-Reboul prêtent serment.)

Mme Isabelle Jégouzo, directrice de l’Agence française anticorruption. Je vous remercie pour votre invitation à participer à vos travaux. Ayant pris la direction de l’Agence il y a environ un mois, je serai secondée lors de cette audition par Mme Stéphanie Bigas-Reboul, sous-directrice du contrôle à l’AFA. Comme vous l’avez indiqué, l’Agence est un service à compétence nationale qui a pour mission d’aider les personnes morales de droit public et de droit privé à prévenir et à détecter les atteintes à la probité.

Je souhaite également vous préciser le cadre de notre intervention. Nous ne sommes pas un service d’enquête, mais nous travaillons dans le cadre de la prévention. Notre tâche, notamment dans le cadre de nos contrôles, consiste à nous assurer que les entités que nous contrôlons ont mis en place des mécanismes efficaces de prévention et de détection des atteintes à la probité. À l’occasion de ces contrôles, si nous découvrons des faits qui peuvent constituer des infractions pénales, nous les transmettons au procureur de la République, dans le cadre de l’article 40 du code de procédure pénale. Cependant, l’objet principal de nos contrôles porte sur l’analyse des dispositifs anticorruption mis en place par les structures que nous contrôlons.

Les points de contrôles de l’AFA ont fait l’objet de recommandations rendues publiques et publiées au Journal officiel. Ils constituent une grille méthodologique nous permettant de vérifier les mécanismes de prévention et de détection des atteintes à la probité mis en œuvre par les entités contrôlées. Cette grille est composée d’une série d’items, dont le premier concerne l’engagement de l’instance dirigeante. Le deuxième porte sur l’existence et la qualité de la cartographie des risques d’atteintes à la probité auxquels l’entité peut être confrontée. Nous vérifions ensuite l’existence et la qualité d’un code de conduite, des mécanismes de formation des personnes les plus exposées aux risques d’atteintes à la probité, mais également que l’entité évalue bien l’intégrité des tiers avec lesquels elle travaille. Nous nous assurons en outre de l’existence et de la qualité de mécanismes de contrôle interne et de contrôles comptables ; nous regardons si l’entité a mis en place des systèmes d’alerte interne et s’il existe un régime disciplinaire pour sanctionner les éventuelles violations du code de conduite. Cette méthode systématique s’appliquant à la probité nous permet d’analyser de manière pointue les éléments mis en place dans les différentes entités que nous contrôlons.

S’agissant plus précisément du mouvement sportif, le sport a été identifié par l’AFA comme un secteur exposé aux risques de probité. Nous l’avons d’ailleurs érigé en priorité lors du plan pluriannuel de lutte contre la corruption 2020-2022, qui prévoyait l’établissement d’une action plus spécifique dans le domaine du sport. Par ailleurs, la loi olympique de mars 2018 a confié une mission spécifique à l’AFA dans le cadre de la préparation et de l’organisation des Jeux olympiques.

Parallèlement à nos missions de contrôle, nous conduisons des missions de conseil. Nous avons ainsi participé à la rédaction du référentiel de l’Association française de normalisation (Afnor) relatif à l’éthique et l’intégrité du sport et avons publié un guide à destination des fédérations sportives pour les aider à mettre en place un dispositif de maîtrise des risques d’atteintes à la probité. Ce guide très concret présente des fiches de risque soulignant les risques identifiés in abstracto, ce qui ne remplace pas pour autant le travail in concreto que chacune des fédérations doit réaliser pour sa propre analyse de risque. Parmi les risques identifiés figurent notamment la commande publique ou la billetterie. Ces fiches ont été publiées avant de lancer nos contrôles, pour aider les différentes fédérations à s’y préparer.

Nous travaillons également dans un contexte international et contribuons à ce titre aux activités du partenariat international contre la corruption dans le sport, dont nous sommes un membre assez actif. Le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) a de plus saisi l’AFA de plusieurs demandes, afin de conduire des événements de sensibilisation, que nous menons actuellement, à l’instar d’un webinaire sur les cadeaux.

En 2019, nous avons conduit le contrôle du Centre national pour le développement du sport (CNDS), juste avant sa transformation en Agence nationale du sport, ce qui nous a empêchés d’organiser un échange contradictoire avec l’entité contrôlée. Ce rapport n’est donc pas définitif, mais l’Agence nationale du sport en a eu communication. En outre, nous avons mené neuf contrôles sur les fédérations sportives, en nous concentrant sur celles qui ont le plus grand nombre de licenciés. Cette mission a représenté pour nous une importante charge de travail pendant un an, compte tenu de nos effectifs réduits. Elle a ainsi mobilisé l’intégralité de nos personnels compétents pour le secteur étatique.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Combien de personnes travaillent dans ce service spécifique ?

Mme Isabelle Jégouzo. Cinq personnes ont été mobilisées. Globalement, l’AFA dispose de cinquante-trois agents, répartis entre le contrôle et le conseil. Trente-deux personnes travaillent au sein de la sous-direction du contrôle, dont vingt-trois inspecteurs chargés du contrôle des acteurs publics et privés. Dans le cadre de la loi Sapin 2, nous contrôlons les très grosses entreprises soumises à l’article 17 de ladite loi. Nous intervenons également à la demande des autorités judiciaires dans le cadre des conventions judiciaires d’intérêt public (CJIP), pour superviser les programmes de conformité des entreprises. Une partie des effectifs du contrôle travaille donc sur le secteur public, un groupe étant attaché au secteur public national quand l’autre est dédié aux collectivités locales.

Ce contrôle sur les fédérations a permis de tirer un certain nombre d’enseignements. Tout d’abord, ces entités sont exposées aux risques de corruption et de trafic d’influence. En tant que personnes chargées de missions de service public, elles sont exposées à la prise illégale d’intérêts et au risque de concussion. De plus, les fédérations qui reçoivent des fonds publics peuvent être sujettes au risque de détournement desdits fonds et, en tant qu’associations, d’abus de confiance. Celles qui attribuent des marchés publics sont quant à elles soumises au risque de favoritisme. En résumé, l’ensemble des secteurs des fédérations sportives est à risque.

Nous avons travaillé en partenariat avec le ministère des sports, qui s’est particulièrement engagé sur le sujet de la probité. La loi du 1er mars 2017 a ainsi conduit le Conseil national du sport à se doter d’une charte éthique. La loi du 2 mars 2022 a de son côté étendu la liste des personnes soumises à déclaration d’intérêts. Plus récemment, nous avons été auditionnés par le comité national d’éthique, auquel nous avons fait part de nos différentes remarques.

Nos contrôles mettent en évidence une faible maturité en matière de maîtrise des risques d’atteinte à la probité de la plupart des fédérations sportives. Une des difficultés de ce secteur tient au fait que ces fédérations sont de tailles extrêmement différentes, certaines d’entre elles maniant beaucoup d’argent quand d’autres présentent un caractère plus associatif. Dès lors, les moyens dédiés à la prise en charge du risque de probité sont également hétérogènes.

Mme Stéphanie Bigas-Reboul, sous-directrice du contrôle de l’Agence française anticorruption. Nous avons effectivement constaté une maturité inégale entre les différentes fédérations contrôlées, certaines étant plus en avance sur l’aspect déontologique quand d’autres le sont sur le contrôle interne. Malgré tout, nous avons constaté une insuffisante prise de conscience des risques encourus, notamment le risque pénal, par les dirigeants et les salariés. Or ce risque pénal est multiforme. Si le risque de corruption se comprend aisément, celui qui est attaché à la prise illégale d’intérêts, lié à leur mission de service public, est moins bien perçu.

Des entités ont progressé sur certaines mesures, mais globalement, l’existence d’un dispositif complet et intégré de maîtrise d’atteinte à la probité fait défaut. Je rappelle que celui-ci se fonde sur une identification précise des risques, ainsi que sur des mesures de détection et de prévention cohérentes. Nous avons notamment observé des dispositifs de prévention et de gestion des conflits d’intérêts notoirement insuffisants, mais également des risques liés aux cadeaux et invitations, qu’il s’agisse de ceux offerts par les fédérations ou de ceux reçus par les salariés et les dirigeants.

Le dispositif de recueil des signalements constitue une obligation légale notamment pour toutes les personnes morales de droit privé de plus de cinquante salariés depuis 2016. Or un certain nombre de fédérations ne disposaient toujours pas de ce dispositif lors de nos contrôles. Plus généralement, nous avons été confrontés à des entités qui disposent pour la plupart d’un contrôle interne insuffisant sur leurs processus support – achats, ressources humaines, etc. – mais également sur les processus directement liés aux missions qui leur sont confiées.

À titre d’exemple, s’agissant des contrats signés avec les partenaires pour générer des ressources, des différences peuvent être observées entre les fédérations. Cependant, en règle générale, le processus de partenariat est peu formalisé ce qui ne permet pas de comprendre la manière dont l’entrée en relation avec le partenaire s’est réalisée, les modalités de négociation et le processus de validation, alors même que ce processus est souvent exposé à des risques, notamment de corruption.

Le processus de billetterie est également fortement exposé à des risques d’atteinte à la probité. Globalement, la maîtrise des risques est meilleure que pour les partenariats, puisque des dysfonctionnements avaient déjà été révélés. Le scénario de risque classique concerne la cession gratuite ou à prix avantageux à des proches de la gouvernance, engendrant des risques de prise illégale d’intérêts ou d’abus de confiance. L’AFA a certes constaté une maturité grandissante des fédérations sur ces processus et a été associée récemment par le Gouvernement à des réflexions sur la billetterie populaire, auxquelles les fédérations seront associées. Cependant, l’ensemble des fédérations ne dispose pas d’une sécurisation complète dans ce domaine.

Enfin, le processus achat est insuffisamment sécurisé à l’heure actuelle, les démarches internes n’étant pas assez formalisées : les guides internes font défaut. La mise en concurrence n’est pas systématique et demeure trop souvent allégée, notamment en matière de modalités de publicité, qui ne sont pas toujours proportionnées aux enjeux. Ces publicités se limitent parfois à une mise en ligne sur le site de la fédération et n’informent pas suffisamment les candidats potentiels de l’ouverture d’un marché. Les pratiques et positionnements des fédérations sont en outre hétérogènes dans le domaine des règles de la commande publique. Certaines fédérations ne se considèrent pas comme pouvoir adjudicateur, alors que l’AFA en a une appréciation différente. D’autres fédérations appliquent en revanche les règles de la commande publique.

Certaines fédérations ont néanmoins commencé à progresser sur un certain nombre d’items, avant même l’ouverture de nos contrôles. Cette volonté se manifeste notamment par l’engagement de l’ensemble de fédérations dans des plans d’action, dans le cadre des réponses au rapport provisoire de l’AFA.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pouvez-vous nous indiquer s’il existe des bons et moins bons élèves en la matière ?

Mme Stéphanie Bigas-Reboul. Les rapports sur les quatre premières fédérations contrôlées vous ont été communiqués. Ils ont été construits dans le cadre d’une vague de contrôles qui s’est opérée en deux phases. Certains contrôles s’arrêtent à la première phase, quand d’autres donnent lieu à des approfondissements. Je ne parlerai donc pas de bons et de mauvais élèves : à la fin de la première phase, nous pouvons considérer que le dispositif de maîtrise des risques d’atteintes à la probité de l’entité est trop immature pour justifier un approfondissement dans le cadre d’une deuxième phase. A contrario, certains organismes semblent matures en première phase, mais nous estimons nécessaire d’approfondir certains points, compte tenu du profil de risque.

Je précise que les rapports qui vous ont été transmis ont porté sur des fédérations n’ayant pas fait l’objet d’une deuxième phase de contrôle, à l’exception de la Fédération française de rugby. Pour le moment, il nous est difficile de vous répondre, dans la mesure où quatre de nos contrôles sont actuellement en phase contradictoire. Comme je l’ai indiqué, certaines fédérations s’étaient déjà mobilisées sur ces sujets avant nos contrôles. Parmi celles-ci, je pense notamment à la Fédération française de natation, qui avait engagé cette réflexion et avait participé au groupe de travail qui s’était réuni sous l’égide conjointe du ministère des sports et du CNOSF pour préparer le guide dont Mme Jégouzo vous a parlé précédemment.

Mme Isabelle Jégouzo. Puisque le travail n’est pas encore terminé, il est trop tôt pour tirer des conclusions générales. Nous rendrons celles-ci en fin d’année au ministère des sports. En l’état, et sous réserve de compléments ultérieurs, nous estimons qu’un certain nombre d’éléments pourraient être améliorés. D’abord, il est nécessaire que les comités d’éthique et de déontologie des fédérations soient à la fois plus puissants et plus indépendants. En effet, ils sont parfois très liés aux fédérations elles-mêmes. En outre, ils doivent mieux intégrer les sujets relatifs à la probité, au-delà de l’éthique du sport stricto sensu. Il importe également de réfléchir à la composition et au positionnement de ces comités, afin que cette fonction probité soit pleinement prise en compte.

La désignation d’un référent déontologue, notamment pour les salariés des grandes fédérations, doit être favorisée. Par ailleurs, il nous apparaît nécessaire que les fédérations se conforment aux règles de la commande publique pour les marchés qu’elles passent, puisque les critères juridiques nous semblent remplis. Il nous est aujourd’hui objecté qu’il est compliqué d’appliquer la même approche pour les plus petites d’entre elles. Cependant, je fais remarquer que les petites collectivités locales sont assujetties aux mêmes règles que les grandes.

Je souhaite également mettre l’accent sur l’amélioration du dispositif d’alerte, qui demeure insuffisant à ce jour, ainsi que sur la nécessité d’un meilleur encadrement des partenariats. À ce titre, nous préparons actuellement un guide du partenariat, sur le même modèle que celui sur les cadeaux, qui est disponible en ligne sur notre site. Les fédérations ont d’ailleurs été consultées publiquement sur ce guide du partenariat et nous ont fait part de leurs remarques.

En outre, l’État doit mieux expliciter ses attentes vis-à-vis des risques aux atteintes à la probité dans les contrats de délégation. En effet, le déploiement des mesures de prévention et de détection des atteintes à la probité doit concerner non seulement les fédérations, mais également les éventuelles ligues professionnelles dont elles assurent le contrôle. Or certaines fédérations ne s’estiment pas responsables des actions menées dans les ligues professionnelles, qui sont pourtant celles les plus à risque, potentiellement. Les fédérations, dans le cadre de leur propre dispositif d’évaluation des risques d’atteinte à la probité, devraient intégrer les ligues professionnelles.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Quels obstacles pouvez-vous rencontrer lors de vos contrôles des fédérations ?

Mme Stéphanie Bigas-Reboul. Un des enjeux consiste à leur faire comprendre d’une part que les contrôles ont pour objet de les aider à progresser ; et d’autre part, que les mesures que nous préconisons ont déjà été testées sur d’autres entités et rendues publiques dans le cadre de recommandations. Notre objectif consiste donc à convaincre de l’utilité de ces recommandations, en les adaptant le cas échéant. Cette action est plus ou moins aisée, selon les fédérations. Nous avons le sentiment de les avoir convaincues, mais il faudra vérifier dans la durée. En revanche, nous n’avons pas rencontré de difficulté d’accès aux informations lors de nos contrôles, qui se sont toujours bien déroulés.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pouvez-vous nous détailler la phase contradictoire ? Se déroule-t-elle lors d’entretiens ou sur la base de documents ?

Mme Isabelle Jégouzo. Nous leur adressons un pré-rapport qui comporte nos observations. Les fédérations nous répondent ensuite et nous font part du plan d’action qu’elles envisagent de mettre en place. Plus le contrôle est réussi, plus ce plan est solide.

Mme Stéphanie Bigas-Reboul. En réalité, nos contrôles sont de nature administrative, sur pièces et sur place. Nous rendons public sur notre site le questionnaire adressé aux acteurs publics et aux fédérations, afin d’être transparents et de permettre aux entités de se préparer à notre contrôle. Les questionnaires complémentaires dépendent ensuite des réponses apportées au premier questionnaire.

L’équipe de contrôle mène également des entretiens avec les dirigeants et des salariés occupant certaines fonctions exposées. Elle rédige ensuite son rapport de contrôle, qui fait l’objet d’une phase contradictoire, dans un délai de deux mois. Durant cette période, l’entité peut apporter tout élément de contestation ou de précision, en nous proposant un plan d’action. À partir de cette base, nous faisons évoluer le rapport de contrôle. Si nous nous sommes trompés, nous corrigeons le rapport et si des évolutions positives ont vu le jour, nous les mentionnons. Ce rapport définitif est ensuite adressé à l’entité contrôlée. Nous avons d’ailleurs publié une charte des contrôles, disponible sur le site de l’AFA, qui détaille les modalités de contrôle que nous mettons en œuvre.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Dans le cadre des travaux de notre commission d’enquête, nous avons pu approfondir notre compréhension d’un certain nombre d’affaires. Je pense notamment à celles relatives à la billetterie à la Fédération française de tennis ou au sponsoring à la Fédération française de rugby. Le Comité d’organisation des Jeux olympiques a quant à lui fait l’objet de perquisitions récemment. Nous avons donc le sentiment que la prise de conscience n’est pas toujours clairement établie en matière d’éthique. Je pense notamment à l’audition de l’ancien président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), M. Masseglia, qui avait voulu se faire rembourser 30 000 euros de frais de déplacement lors d’un voyage effectué à Tokyo en tant que président honoraire. Il avait voulu diviser la facture en deux : une partie aurait été prise en charge par le CNOSF et l’autre partie par une entreprise à son nom en lien avec des prestations de conférence. Partagez-vous la même impression d’une prise de conscience imparfaite ?

Mme Stéphanie Bigas-Reboul. Oui. Nous observons effectivement une prise de conscience insuffisante de la multiplicité des risques auxquelles ces personnes ou entités sont confrontées. Elles ne se rendent pas toujours compte que la corruption ne se limite pas aux classiques « valises de billets ». Le guide que nous avons évoqué met précisément en lumière de manière très concrète le risque pénal qui peut se présenter. Lorsque nous demandons à une entité de réaliser une cartographie, nous voulons qu’elle puisse relever de manière très concrète les risques de prise illégale d’intérêts sur la fonction achat, sur la billetterie ou sur les partenariats. Plus la conscience du risque pénal est aiguë, plus l’entité s’améliore. Le travail d’explicitation et d’appropriation du risque pénal est essentiel et va de pair avec une réflexion sur le fonctionnement interne. C’est la raison pour laquelle parmi les pistes envisagées, l’État doit pouvoir formuler des exigences de manière plus explicite dans les contrats de délégation.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Les contrats de délégation de service public de l’État ne mentionnent-ils actuellement pas de telles exigences ?

Mme Stéphanie Bigas-Reboul. Sauf erreur de ma part, les contrats signés en 2022 ont été rédigés de manière hétérogène selon les fédérations. Peut-être faudrait-il que vous évoquiez cet aspect avec le ministère des sports. Ces sujets peuvent être mentionnés, mais de manière ponctuelle, par exemple sur la déontologie ou le contrôle des risques. Je sais que le ministère des sports se posera la question au moment de la renégociation des contrats, afin d’introduire des exigences plus globales et moins parcellaires.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Selon vous, les contrats entre le ministère et les fédérations passés avant 2022 étaient-ils muets sur ces sujets ? Les fédérations ne sont-elles pas informées des risques financiers et de corruption ?

Mme Stéphanie Bigas-Reboul. Je ne peux pas vous répondre s’agissant des contrats antérieurs à 2022. Les contrats de délégation constituent une avancée positive, puisqu’ils témoignent des attentes de l’État. La première version fera l’objet d’un bilan, qui permettra de poursuivre cet effort de structuration des exigences. Honnêtement, les fédérations ne sont pas les seuls acteurs que nous contrôlons à ne pas être totalement conscients des risques d’atteinte à la probité auxquels ils sont exposés. L’un des rôles de l’AFA consiste donc à mettre en lumière ces risques. Nous avons d’ailleurs mis en ligne des quiz pédagogiques en ce sens – qui, naturellement, ne concernent pas uniquement les fédérations. Toutes les entités doivent être en mesure de pouvoir progresser, y compris les plus petites.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous avez mentionné le guide du sport et les fiches pratiques associées. Les fédérations doivent-elles en faire la demande ou leur envoyez‑vous systématiquement ces documents ?

Mme Isabelle Jégouzo. Ces documents sont en ligne et aisément consultables. Les fiches, très concrètes, ont été réalisées de manière partenariale, puisque nous avons travaillé avec les fédérations pour les mettre en forme. Lorsque nous aurons achevé nos contrôles, le guide pourra être modifié à la marge. Les fédérations en ont connaissance.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Afin de clarifier le sujet, les fédérations sont-elles contrôlées par d’autres entités que l’AFA ?

Mme Isabelle Jégouzo. Nous les contrôlons uniquement sur le risque de probité, de manière administrative. Si des infractions apparaissent à l’occasion de ces contrôles, nous alertons le procureur de la République, qui conduit ensuite des enquêtes.

Mme Stéphanie Bigas-Reboul. Les fédérations peuvent par ailleurs être contrôlées par l’inspection du ministère, que vous avez auditionnée, mais également par la Cour des comptes.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Les paris en ligne ont connu un très fort développement. Avez-vous soulevé des points d’inquiétude relatifs à ces pratiques, mais également à celle des paris illégaux ? L’AFA est-elle saisie de cette problématique ? Est-ce un enjeu important de corruption selon vous ?

Mme Stéphanie Bigas-Reboul. Nous n’avons pas contrôlé les paris en ligne de manière spécifique. Ce sujet est plus éloigné des problématiques que nous cherchions à identifier. En revanche, dans le cadre des rapports, nous avons pu appréhender la manière dont ce sujet a pu être traité dans des documents déontologiques internes des fédérations.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous n’avez donc pas établi une ligne d’évaluation des risques dans ce domaine précis, si j’ai bien compris.

Mme Stéphanie Bigas-Reboul. Les paris en ligne devraient apparaître dans la cartographie des risques que nous demandons aux fédérations. En revanche, dans les axes que nous avons choisi d’approfondir, nous avons plutôt mis l’accent sur la billetterie, les partenariats, les marchés, les recrutements et la gestion des frais de déplacement. Cependant, les fédérations devraient les identifier au titre des risques d’atteinte à la probité qui peuvent les concerner. Certaines l’ont d’ailleurs fait, dans le cadre des chartes d’éthique et de déontologie qu’elles ont déployées.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pouvez-vous être sollicité dans ce domaine, ne serait-ce que pour fournir une aide ?

Mme Isabelle Jégouzo. Les guides que nous réalisons poursuivent cet objet. Nous ne menons plus d’accompagnement individuel des entités, dans la mesure où nous préférons concentrer nos moyens sur un accompagnement plus global, à travers les guides. L’accompagnement au cas par cas est particulièrement lourd. Les résultats des contrôles alimentent également la réflexion des acteurs.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez conduit un contrôle sur le comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojop) d’été de 2024 et la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo). Il nous a été rapporté que vous aviez effectué à cette occasion un signalement auprès du parquet national financier (PNF). Confirmez-vous cette information ?

Mme Isabelle Jégouzo. Non. En revanche, nous avons effectivement rendu deux rapports sur ces organismes, puisque la loi nous confie une compétence spécifique. Ces rapports ont été transmis au PNF, à sa propre demande, dans le cadre de son enquête.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons eu l’occasion d’auditionner M. Alexandre Calvez, de l’association Anticor. Il estime que les acteurs qui interviennent au sein du Cojop et de la Solideo étaient sujets à de très grands conflits d’intérêts. Que pensez‑vous de cette affirmation ? Avez-vous pu observer de tels éléments dans le cadre de ce contrôle ?

Mme Isabelle Jégouzo. Comme je l’ai indiqué, ces contrôles ont porté sur la structure générale. Nous avons formulé plusieurs remarques et avons pu constater qu’un certain nombre de progrès avaient été réalisés. Nous avons transmis ces rapports au PNF et il ne nous semble pas que nous puissions aller au-delà.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’imagine que ces rapports sont administratifs. Nous vous les demanderons dans le cadre de notre commission d’enquête.

Mme Isabelle Jégouzo. Nous devons étudier cet aspect avec la Chancellerie. Le PNF dispose de ces rapports et la possibilité de leur transmission relève de sa décision.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’entends vos propos. Le travail de la commission ne doit pas entraver une enquête en cours, mais nous avons la liberté de demander l’accès à des documents. Il sera important pour nous de pouvoir disposer de ces rapports.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous vous remercions de votre disponibilité et des éclaircissements que vous avez pu nous fournir.

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34.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Mathilde Mandelli, M. Pierre Barthélemy, M. Tom Dufieu, M. Ronan Evain et M. Kilian Valentin, membres du Bureau de l’Association nationale des supporters (ANS) (13 octobre 2023)

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons le plaisir d’accueillir Mme Mathilde Mandelli et MM. Ronan Evain, Pierre Barthélemy et Kilian Valentin, élus au Bureau de l’Association nationale des Supporters (ANS).

Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions. Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif, le 20 juillet 2023.

L’Assemblée nationale a décidé de sa création, à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs, et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux se déclinent donc autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales, et les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

L’Association nationale des Supporters se présente comme ayant vocation à rassembler l’ensemble des associations de supporters autour notamment des questions relatives à l’animation des tribunes, à la gestion des accès au stade et au développement d’un dialogue intelligent et constructif avec toutes les parties prenantes. Elle est ouverte à l’ensemble des associations de supporters déclarées en préfecture et adhérentes à sa charte, qui mentionne la lutte contre les comportements violents et discriminatoires. L’ANS est, de fait, une association mono-disciplinaire, ne fédérant que les supporters de football.

Avant d’approfondir nos échanges, pourriez-vous brièvement nous présenter l’objet et le fonctionnement de l’ANS, ainsi que les relations qu’elle entretient avec les différents acteurs de la gouvernance sportive ?

De plus, pourriez-vous partager votre vision de l’évolution des actes de violence et des discriminations dans le football ?

Estimez-vous que le cadre existant pour prévenir, identifier et sanctionner ces actes est adapté, ou avez-vous des recommandations à formuler dans ce domaine ?

Pour adhérer à l’ANS, les associations de supporters doivent s’engager à respecter sa charte, laquelle proscrit notamment les comportements violents, à caractère raciste ou discriminatoire, sous peine d’exclusion. Pourriez-vous préciser les actions mises en œuvre par l’ANS pour faire respecter cette règle ?

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire chacun à votre tour : « Je le jure ».

(Mme Mathilde Mandelli, M. Pierre Barthélemy, M. Ronan Evain, et M. Kilian Valentin prêtent successivement serment.)

Mme Mathilde Mandelli, membre du Bureau de l’Association nationale des supporters. Mon intervention portera sur les sujets soulevés par votre commission, à savoir les violences, le harcèlement et les discriminations dans les stades.

Notre principale observation concerne les discriminations d’ordre « infrastructurel », en particulier à l’égard des femmes dans les stades de football en France. Les conditions d’accueil des femmes dans certains stades sont souvent déplorables, notamment pour les clubs à partir de la ligue 2 mais surtout dans les clubs dépendant de la Fédération française de football (FFF), à partir du niveau national et des divisions inférieures.

Il peut arriver que les femmes n’aient pas accès à des toilettes dans les stades ou que les portes de ces lieux ne ferment pas à clé, ce qui peut créer des situations inconfortables et exposer à des violences. De plus, les toilettes peuvent manquer d’éclairage ou de produits d’hygiène élémentaires.

Le football, à ce niveau, est discriminant, car les femmes ne sont pas accueillies dans des conditions acceptables.

Un autre point de préoccupation concerne le manque de stadiers féminins dans les enceintes sportives, qui peut rendre l’accueil des femmes plus compliqué. Par exemple, le temps d’attente pour les palpations de sécurité peut apparaître nettement plus long pour les femmes. Cette situation est également problématique lorsque des hommes accompagnent des enfants, et que les petites filles doivent attendre un long moment avant de pouvoir se faire palper par les personnels de la sécurité.

Concernant la collecte d’information sur la discrimination dans les tribunes, nous constatons une absence de base de données. Des travaux visant à combler cette lacune devraient être entrepris. En revanche, il y a un vrai problème d’infrastructures et de conditions d’accueil.

En outre, nous pourrions également évoquer les horaires des matchs dans les stades, qui ne sont pas toujours adaptés aux contraintes des vies de famille, notamment pour les femmes.

En conclusion, une série de facteurs entravent la présence des femmes dans les enceintes sportives. Ces facteurs constituent des formes de discrimination.

M. Ronan Evain, membre du Bureau de l’Association nationale des supporters. Ma contribution à cette commission d’enquête se focalisera davantage sur la comparaison avec les pratiques observées en Europe, étant donné que je suis également directeur général de l’association Football Supporter Europe (FSE), dont l’ANS est membre. Notre association représente les supporters dans les 55 nations de la zone de l’Union européenne des associations de football (UEFA).

Concernant la gouvernance du football en France, il est frappant de constater l’incapacité de la Fédération française de football (FFF) à aligner ses pratiques sur un certain nombre de standards européens, que ce soit en matière de responsabilité sociale, de dialogue avec les parties prenantes, y compris les supporters, de prévention du racisme et des discriminations, ou de lutte contre les violences de genre.

Cette tendance à l’isolement et à l’isolationnisme ne fait que croître. Or, la FFF joue un rôle essentiel, en tant que fédération la plus riche d’Europe et deuxième fédération la plus importante en nombre de participants.

Le prétexte couramment avancé pour justifier le manque de travail sur ces questions est celui du budget. Or, l’engagement de fédérations telles que celles de San Marino, des îles Féroé ou du Kosovo dépasse largement celui de la FFF en matière de responsabilité sociale. En outre, en matière de relations avec les supporters, ces fédérations disposent de personnel dédié et d’une politique à court, moyen et long termes. De plus, ces fédérations entretiennent un dialogue permanent avec les représentants des supporters. Toutes ces composantes font cruellement défaut dans le paysage actuel du football français.

Si nous devions, à l’avenir, discuter d’une problématique spécifique avec la FFF, ou signaler un incident ou une source d’inquiétude, nous serions confrontés à une absence de point de contact. L’argument du manque de ressources semble difficilement justifiable, compte tenu des revenus conséquents, notamment commerciaux, de la FFF.

En conclusion, la Fédération française de football accuse un retard colossal par rapport aux normes européennes et aux pratiques de ses voisins, au sein de la zone UEFA. Elle ne remplit pas à nos yeux ses responsabilités sociales.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Disposez-vous d’études ou de documents de comparaison avec les autres clubs européens sur les éléments mis en place dans ce domaine et les moyens alloués dans les différents clubs ou les fédérations ?

M. Ronan Evain. La situation des clubs est relativement favorable, grâce à la loi du 10 mai 2016 qui exige la nomination d’un référent supporter au sein des clubs de football. La FFF n’avait pas souhaité travailler sur cette question. Il a donc fallu attendre l’adoption de cette loi pour que la Fédération prenne en compte cette exigence.

À l’heure actuelle, la situation au sein des clubs est donc très satisfaisante et plutôt positive au sein de la Ligue de football professionnel (LFP) qui dispose de son côté de deux personnes dédiées à la gestion de l’expérience en stade et des relations avec les supporters.

Nous pourrions vous présenter une étude comparative établissant la liste des fédérations européennes disposant de personnels spécifiquement affectés aux relations avec les supporters, et de celles qui n’en ont pas. Actuellement, environ trois quarts des 55 fédérations nationales européennes ayant du personnel ont au moins un point de contact dédié dans leur équipe pour traiter ces questions, ce qui n’est pas le cas de la FFF.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pouvez-vous apporter des précisions sur les relations que vous entretenez avec la FFF ?

M. Ronan Evain. Nos relations avec la FFF sont inexistantes. Nous n’avons pas de point de contact. La dernière personne clairement identifiée comme point de contact au sein de la FFF a quitté l’organisation il y a environ 18 mois. Cette personne travaillait dans le domaine des relations internationales.

M. Pierre Barthélemy, membre du bureau de l’Association nationale des supporters. Il s’agissait de monsieur Idrissi, qui était particulièrement impliqué sur les sujets liés aux supporters. Cette personne, qui a probablement réorienté sa carrière dans le cadre de la restructuration de la Fédération, n’a malheureusement pas été remplacée.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Par conséquent, en cas d’incidents ou d’événements survenant lors des matchs de football, aucun travail n’est réalisé avec la Fédération pour prévenir d’éventuels futurs débordements lors des prochains matchs ?

M. Kilian Valentin, membre du bureau de l’Association nationale des supporters. Nos contacts avec la Fédération française de football sont inexistants depuis de nombreux mois. Vous évoquez la prévention des incidents. Les derniers contacts avaient eu lieu avec monsieur Idrissy.

À titre de comparaison, nous avons pu avoir des échanges constructifs avec la Ligue de football professionnel qui a notamment mis en place des mesures concernant l’organisation des matchs, la programmation des rencontres, et même le tarif des places pour les supporters visiteurs, plafonné à 5 euros en Ligue 2 et à 10 euros en Ligue 1.

En revanche, la FFF n’a jamais répondu à nos sollicitations au cours des deux dernières années. Nous avons envoyé des courriels pour entamer des discussions au sujet du championnat national, mais nous attendons toujours des réponses de la part du directeur des compétitions de la Fédération.

Nos contacts sont inexistants au sujet des compétitions, y compris la coupe de France et les championnats amateurs.

Au sujet de la programmation des matchs, différents clubs nous indiquent depuis environ 18 mois que la Fédération ne répond pas à leurs demandes, notamment liées à des reports de matchs. Il semble que de nombreuses décisions soient prises de manière officieuse. Les clubs ne reçoivent pas non plus de réponse de la Fédération française de football.

Sur la question de la professionnalisation du championnat s’agissant de l’accueil des supporters, la Fédération n’a entrepris aucun travail dans ce domaine, malgré les sollicitations que nous avons faites en 2021 et 2022. Nos interactions se sont interrompues par la suite, notamment après le départ de monsieur Idrissy.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pourriez-vous nous transmettre les sollicitations que vous avez faites à la FFF, qui sont restées sans réponse (courriels, prises de contact, etc.) ? Par ailleurs, entretenez-vous des relations avec d’autres acteurs du mouvement sportif ? Je fais notamment référence au ministère des Sports, à l’Agence nationale du sport (ANS) ou encore au Comité national olympique et sportif français (CNOSF).

M. Ronan Evain. En effet, le ministère des Sports, le ministère de l’Intérieur, le ministère de la Justice, la LFP et le CNOSF siègent à l’instance nationale du supportérisme (INS). Nous sommes satisfaits du niveau de coopération avec le ministère des Sports. Des opportunités d’amélioration existeront toujours, mais nous sommes effectivement engagés dans une coopération particulièrement structurée, avec des canaux de communication clairement définis.

Je crois que la FFF ne siège plus aux réunions plénières de l’INS depuis au moins un an.

M. Kilian Valentin. La FFF est uniquement présente aux réunions plénières.

M. Ronan Evain. Non, ce n’est plus le cas désormais.

M. Pierre Barthélemy. La loi de 2016 a créé l’INS, rassemblant toutes les parties prenantes sous l’égide du ministère des Sports. Cette instance organise des réunions plénières, permettant de réaliser des bilans et de prendre des décisions, ainsi que des groupes de travail très réguliers sur des sujets cruciaux, dont la lutte contre les discriminations qui constitue l’un des fils rouges de cette instance.

La LFP est très présente pour le football professionnel. D’autres ligues de sports collectifs sont également impliquées, ainsi que les ministères concernés. En revanche, la Fédération n’a jamais été présente de manière significative. Elle assiste parfois aux réunions plénières, mais ne prend jamais la parole. La FFF est intervenue une seule fois depuis la création de cette instance en 2016 pour dire que tout allait bien… C’est assez problématique.

Un autre événement est survenu lors de la finale de la Coupe de France qui s’est déroulée en mai dernier. Des rumeurs sans fondement avaient évoqué l’intention des supporters de Nantes d’envahir la pelouse. La Fédération avait alors pris unilatéralement la décision d’installer des grilles en bas des tribunes, une pratique abandonnée depuis les années quatre-vingt en raison des risques qu’elle présente. En cas d’attentat, d’incendie ou de mouvements de foule, des personnes peuvent se retrouver écrasées contre les grilles. Ce type de situation a déjà provoqué la mort de dizaines de personnes dans les années 1980. Nous avions donc contacté la Fédération pour lui demander de reconsidérer cette décision, mais nous n’avions reçu aucune réponse. Nous avions dû saisir la justice, et la Fédération ne s’est même pas défendue.

Nous nous sommes donc retrouvés dans une situation alarmante, à la suite d’une décision non fondée, sans avoir eu d’interlocuteur pour discuter et réfléchir à la situation. De plus, des journalistes nous ont informés que la Fédération était préoccupée par sa décision, car normalement, un mécanisme permettant l’ouverture d’une grille sur trois existe, afin d’éviter les accidents en cas de forte pression ou de mouvement de foule. Or, la Fédération ne savait pas si ce mécanisme fonctionnait. Ces exemples illustrent clairement l’absence de dialogue et de visibilité qui nous préoccupe grandement.

En outre, la FFF a systématiquement quitté toutes les initiatives dans lesquelles nous avons tenté de l’impliquer, avec notamment l’INS, mais également la Fondation Nivel. Cette fondation, créée par la Fédération allemande de football et la Fédération française de football, vise à améliorer les relations entre les clubs, les supporters, les instances sportives et les forces de l’ordre, afin d’avancer collectivement. Ce dispositif a permis de renforcer de manière significative le dialogue structurel entre l’ANS, le ministère de l’Intérieur et la Ligue. Cependant, la Fédération française de football a quitté du jour au lendemain ce véhicule de travail essentiel.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous signalé au ministère des Sports ces difficultés de travail avec la FFF ? D’autres personnes ont-elles été alertées de cette situation ?

M. Ronan Evain. À ma connaissance, le ministère des Sports est informé des difficultés auxquelles nous faisons face. Par ailleurs, ces difficultés ne concernent pas seulement les supporters de clubs que l’ANS représente, mais également les supporters de l’équipe nationale.

En fin de compte, la FFF aborde les relations avec les supporters principalement sous deux angles : un prisme marketing, avec l’objectif de maximiser les revenus liés au merchandising et aux billets des matchs, et un point de vue sécuritaire. Elle semble rejeter toute forme de responsabilité sociale dans sa relation avec les supporters.

De plus, la Fédération ne semble pas disposée à se conformer aux normes et aux standards internationaux qui imposent aux organisateurs de compétitions de maintenir une coopération efficace avec leurs « clients », à savoir les supporters.

M. Pierre Barthélemy. La situation est même pire que cela. Les supporters sont perçus comme une charge, voire des ennemis par la Fédération.

La loi de 2016 a créé le référent supporter pour les clubs de football professionnel. Il s’agit d’un salarié du club dédié au dialogue avec les supporters. Cette mesure a considérablement transformé les dynamiques au sein du football professionnel. Les relations conflictuelles ont été remplacées par des relations productives de travail. Or, la Fédération refuse non seulement d’entendre les appels des clubs de national 1, 2 et 3 pour mettre en place ce dispositif, mais elle refuse également de le faire avec l’Association des supporters de l’équipe de France.

L’association « Irrésistibles Français », de taille désormais importante, est relativement unique en Europe et anime les matchs de l’équipe de France. Or, les membres de cette association ne parviennent pas à avoir un interlocuteur au sein de la Fédération. Ainsi, ces supporters, lorsqu’ils se déplacent, doivent souvent effectuer eux-mêmes le travail que la Fédération devrait prendre en charge. Cela inclut la prise de contact avec les autorités locales et la Fédération du pays hôte, et la gestion de la billetterie. Personne à la Fédération n’est présent pour les assister.

Cette vision du supporter comme une charge, voire un ennemi, se reflète également dans la politique disciplinaire de la FFF. La commission de discipline, qu’il s’agisse de la Ligue ou de la FFF – la Ligue en première instance et la FFF en appel pour les clubs professionnels et la FFF en première instance et en appel pour les clubs amateurs – a pour mission de sanctionner les manquements réglementaires des clubs, et seulement des clubs. Or, ces commissions de discipline détournent complètement cet objectif, en infligeant des sanctions aux supporters au travers des clubs. Il s’agit des fameuses « sanctions collectives ».

En cas d’incident dans un stade, il incombe normalement à la justice de sanctionner le supporter fautif, tandis que la Fédération et sa commission de discipline doivent sanctionner le club, à hauteur de ses manquements en matière de sécurité.

Les commissions de discipline prennent désormais la décision d’épargner les clubs et de sanctionner les supporters en fermant toute la tribune. Cela signifie qu’en cas de mauvais comportement de quelques personnes, par exemple en cas de chant raciste, tous les supporters sont sanctionnés. Ces sanctions collectives constituent un détournement grave de la mission disciplinaire des commissions, et reposent sur des présomptions paternalistes selon lesquelles les supporters sont inaptes à vivre en collectivité, et qu’ils sont stupides et dépourvus d’intelligence collective et de culture.

Cette vision du supporter comme adversaire de la Fédération va encore plus loin. Les préfectures ont la possibilité, lorsqu’une personne présente un risque de troubles à l’ordre public lors d’une rencontre, d’imposer une interdiction administrative de stade en attendant le procès. Cette mesure n’est pas une sanction, mais une mesure préventive et de sécurité. La Fédération reçoit logiquement la liste de ces interdictions administratives.

Or, la FFF, de manière illégale, croise ce fichier avec le fichier des licenciés. La Fédération peut ainsi identifier une personne interdite de stade qui est également licenciée, comme joueur amateur ou éducateur au sein d’un club, et décider de suspendre sa licence sur ce motif.

Or, l’interdiction administrative de stade ne constitue pas une condamnation judiciaire. La culpabilité de la personne n’est donc pas encore établie. Lorsque nous tentons de discuter de ces questions avec la Fédération, nous n’obtenons aucune réponse. Seules des informations provenant de tiers ou de journalistes sont disponibles. La Fédération, en agissant de la sorte, sait qu’elle est infraction pénale, mais n’en aurait rien à faire.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous des exemples précis à nous communiquer dans ce domaine, ainsi que des échanges que vous auriez pu avoir avec la Fédération sur ces croisements de fichiers et ces suspensions de licences ? Nous devons pouvoir nous référer à des cas précis, si nous souhaitons éventuellement interroger la FFF sur ces sujets.

M. Pierre Barthélemy. Nous avons en notre possession les décisions disciplinaires officielles, qu’il s’agisse des suspensions de licences ou des sanctions collectives. Ces documents comportent des messages clairs, indiquant que l’objectif n’est pas de sanctionner le club, mais bien les supporters de manière générale et indifférenciée.

La Fédération est consciente de se trouver dans une situation d’illégalité, mais ne semble pas vouloir remédier à cette situation. Ces informations proviennent d’échanges verbaux que nous avons eus avec des représentants de la Fédération. Je rappelle que nous avons prêté serment en début d’audition. Nous assumons donc nos propos.

M. Kilian Valentin. Nous avons été contactés par plusieurs clubs, notamment au niveau du championnat national, qui étaient perplexes face à la manière dont certains supporters ont été sanctionnés. Ces clubs de football au niveau national pourraient vous fournir des informations plus précises à ce sujet.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. N’hésitez pas à nous transmettre le nom de ces clubs et toutes les informations que vous jugerez utiles pour notre commission.

Au sein de l’écosystème du mouvement sportif, avez-vous eu l’occasion de travailler avec des associations telles que SOS Racisme ou avec la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH).

M. Ronan Evain. Sur la question de la lutte contre l’homophobie, nous travaillons avec des associations qui collaborent avec la LFP, car elles interviennent au sein des clubs. Nous avons établi une relation de travail constructive avec certaines d’entre elles.

Cependant, l’écosystème est complexe, avec de nombreux acteurs, parfois concurrents. Nous sommes amenés à choisir les organisations avec lesquelles nous collaborons, en fonction de leur implication dans le monde du sport, que ce soit en raison de leur mission ou de leur partenariat avec la LFP.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pouvez-vous nous préciser le nom des associations avec lesquelles vous travaillez ?

M. Pierre Barthélemy. Les associations partenaires de la Ligue sont Foot Ensemble, PanamBoyz & Girlz United et SOS Homophobie.

M. Ronan Evain. Nous ne disposons pas en France d’une organisation spécifiquement dédiée aux supporters LGBT+. Cependant, nous nous appuyons sur l’expertise des organisations similaires présentes en Europe, avec lesquelles nous collaborons. Nous bénéficions ainsi de leur expérience dans ce domaine.

M. Pierre Barthélemy. Un groupe de travail dédié à la lutte contre les discriminations existe au sein de l’INS. En 2021, nous avons rédigé un rapport (trois documents de plusieurs dizaines de pages) couvrant tous les types de discriminations qui se produisent dans les stades, que ce soit l’homophobie, l’antisémitisme, le sexisme ou encore le racisme.

En outre, nous entretenons des contacts réguliers avec la Ligue et le cabinet du ministère des Sports. À chaque fois qu’il y a une actualité sur ce sujet, nous nous réunissons avec les responsables de la Ligue et du ministère des Sports, afin de chercher des solutions et des avancées concrètes.

Nous disposons donc de nombreux interlocuteurs et d’une réelle capacité à faire progresser les sujets liés à la lutte contre les discriminations dans les stades. Toutefois, nous n’avons aucun contact avec la FFF sur ces questions. Cette dernière a souvent affirmé publiquement que ces problématiques n’existent pas dans le football.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. De qui est composé ce groupe de travail ?

M. Pierre Barthélemy. Ce groupe de travail est composé de tous les membres de l’INS, qui sont nommés par arrêté ministériel. Ce groupe comporte également dix associations de supporters agréées, dont l’ANS. Il intègre des représentants des ministères de la Justice, des Sports, de l’Intérieur, des Transports, ainsi que les ligues professionnelles, et des personnalités qualifiées (sociologues, universitaires, historiens, experts en sécurité des manifestations sportives), des représentants des élus, dont une sénatrice et un député ainsi que des représentants de l’Association des maires de France (AMF) et de l’Association nationale des élus en charge du sport (ANDES).

Environ 35 personnes et entités sont donc présentes et peuvent ainsi intervenir librement au sein des groupes de travail qui se mettent en place au cours de l’année.

Mme Mathilde Mandelli. Je souhaite ajouter quelques éléments à propos du rapport élaboré dans le cadre de l’INS. Un cabinet externe a été mandaté pour conduire des auditions auprès de nombreuses personnes. Il s’agit d’un travail en profondeur auquel l’INS a activement contribué. Nous avons également consacré un temps important à l’examen de ces documents, ce qui nous a permis de proposer une étude complète sur les discriminations.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quand est-ce que ce rapport a été rédigé ?

M. Kilian Valentin. Ce rapport date de 2021. Il a été rédigé par le cabinet Mouvens. Par ailleurs, pour compléter, la Ligue de football organise des ateliers avec les référents supporters des différents clubs. Elle les invite à rencontrer régulièrement les associations partenaires, afin de recueillir leurs retours et avancer dans le domaine de la lutte contre les discriminations. La Ligue de football professionnel le fait. La Fédération française de football ne fait pas ce travail sur la lutte contre les discriminations.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous déjà eu l’occasion de travailler avec la DILCRAH et SOS Racisme ?

M. Ronan Evain. La DILCRAH a participé à plusieurs réunions au ministère des Sports, principalement sur la lutte contre l’homophobie. En revanche, à ma connaissance, nous n’avons pas établi de contact avec SOS Racisme. Par le passé, la LICRA disposait d’une commission sport avec laquelle nous étions en relation, mais je ne peux confirmer si cette collaboration perdure. Les personnes qui étaient membres de cette commission ne sont plus actives.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quel est l’objectif des réunions organisées au ministère des Sports, avec la participation d’autres associations ou structures ? À quelle fréquence vous réunissez-vous dans ce cadre ?

M. Kilian Valentin. En ce qui concerne la fréquence, cela dépend des groupes de travail. Il n’y a pas eu de réunion depuis un certain temps, mais elles devraient reprendre la semaine prochaine. Par ailleurs, les thèmes abordés dépendent à la fois de l’actualité et des sujets que certains membres de l’INS souhaitent aborder. En règle générale, ces réunions ont lieu une fois par mois.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. À quand remonte la dernière réunion de travail ?

M. Ronan Evain. Il existe des réunions plénières, ainsi que des réunions de groupe de travail. Les plénières ont lieu au moins deux fois par an. La dernière réunion s’est déroulée fin juin ou début juillet, et la prochaine est prévue au mois de décembre. Ces réunions plénières rassemblent la ministre et le haut encadrement des organisations représentées. Par exemple, le directeur général de la Ligue participe généralement à ces réunions. Quant aux réunions de groupe de travail, leur fréquence dépend davantage de notre disponibilité (étant donné que nous sommes des bénévoles dans ce contexte), ainsi que de l’actualité. Une réunion par an est généralement organisée en moyenne.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lors de l’audition de SOS Racisme, les membres de cette association ont fait part de leur participation à une réunion au ministère des Sports, dédiée au sujet de la lutte contre la discrimination, et notamment sur la question de l’homophobie. Au cours de cette réunion, des échanges et des discussions ont eu lieu concernant les termes qui étaient parfois utilisés dans les stades. Ils nous ont informés qu’à cette occasion, il leur avait été affirmé que le mot « enculé » n’était pas considéré comme homophobe.

Étiez-vous présents lors de ces discussions et partagez-vous la même opinion, à savoir que ce terme n’est pas homophobe ?

M. Ronan Evain. Il n’y a aucun débat sur la nature homophobe du terme en question. La question est de savoir comment et dans quel cadre il est utilisé au sein des stades. Je m’étonne que l’on nous oppose cette position qui n’a jamais été la nôtre.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Les membres de SOS Racisme n’ont pas affirmé que vous étiez les auteurs de ces propos. Dans le cadre de la discussion, un débat a eu lieu autour de ce mot et certaines parties semblent avoir estimé que cette insulte n’était pas homophone. Pouvez-vous préciser votre pensée lorsque vous évoquez la question du « contexte » pour l’utilisation de ce mot ?

M. Pierre Barthélemy. En 2019, lors d’une période marquée par la récurrence de certains propos de cette nature à l’échelle nationale, une réunion au ministère des Sports avait été organisée.

Lors de cette réunion, un débat s’était engagé, portant notamment sur la réaction adéquate à adopter et les sanctions pouvant être appliquées. Un débat juridique avait eu lieu, notamment avec le ministère de la Justice. Ce dernier avait rappelé la nécessité, en droit, de réunir un élément intentionnel et un élément matériel pour qu’une infraction pénale soit constituée. Or, l’utilisation du terme « enculé » à des fins injurieuses, sans connotation homophobe, à destination d’une personne qui n’est pas homosexuelle, ne constitue pas, d’un point de vue juridique, un acte homophobe. Cette insulte avait d’ailleurs été adressée à la Ligue.

Néanmoins, il avait été rappelé que même si juridiquement ces termes ne constituaient pas une infraction, l’utilisation de ce mot pouvait potentiellement blesser et exclure certaines personnes. Le débat avait donc porté sur cette dichotomie. L’utilisation de ce mot, dans ce cadre, ne peut pas engendrer de peine pénale au titre de propos homophobes. Pour autant, d’un point de vue moral, philosophique et humain, ce terme présente réellement une connotation homophobe.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Des éléments sont-ils mis en place, en matière d’information et de prévention, auprès des clubs de supporters, par exemple, sur ce volet ?

M. Kilian Valentin. La Ligue propose des ateliers avec diverses associations dont elle est partenaire. Ces associations sollicitent les clubs pour organiser des rencontres et faire de la prévention dans les centres de formation, avec les éducateurs, les jeunes, les clubs de supporters, les présidents et dirigeants de différents clubs. Les clubs de supporters sont associés à chaque fois et la LFP nous en informe. Ces travaux de sensibilisation et de prévention sont menés au niveau professionnel, en Ligue 1 et 2. Cette démarche de sensibilisation et de formation n’est pas mise en œuvre par la FFF dans les divisions inférieures et amateures.

M. Ronan Evain. Les clubs amateurs, y compris ceux des championnats semi-professionnels, ne bénéficient pas du même niveau de sensibilisation.

Si un incident de nature homophobe survient au sein d’un club amateur, le président de ce club ne saura pas vers qui se tourner pour mettre en place une action de prévention.

M. Pierre Barthélemy. Ce débat complexe soulève de nombreuses questions. L’objectif à définir est essentiel : s’agit-il de pallier temporairement les problèmes ou de créer un environnement où toute personne LGBT+ se sente à l’aise au stade ?

Il semble que les interlocuteurs choisissent le plus souvent la première option, visant à calmer les réactions médiatiques et politiques, en cachant les chants. Des avancées ont certes eu lieu dans ce domaine, avec des groupes de supporters qui ont modifié ou mis fin à leurs chants, avec des communications publiques à ce sujet.

En revanche, une étape plus globale, sociétale et humaine, que la Ligue essaie de mettre en place, manque. La mise en œuvre de cette approche rencontre des réticences. Néanmoins, les ateliers menés par la Ligue apparaissent nettement plus efficaces que des sanctions collectives qui ne font que renforcer les réactions hostiles, ce qui est contre-productif. Ils suscitent de véritables prises de conscience. Ils sont autrement plus efficaces que des sanctions collectives qui entraînent des réactions grégaires d’opposition et sont complètement contre-productives.

Il faut s’appuyer sur le diptyque qui consiste à mettre en place une sensibilisation, avec un dialogue sincère, suivi de sanctions individuelles si nécessaire. Une personne, informée et sensibilisée, qui persiste volontairement dans des comportements homophobes ou racistes dans un stade, doit en répondre devant la justice.

Néanmoins, il n’existe pas de solution miracle. On ne peut tout résoudre dans l’instant médiatique. Les améliorations ne peuvent être progressives et il faut l’accepter.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Qui a la charge du signalement à la justice, lorsqu’une difficulté apparaît avec un ou plusieurs supporters qui réitèrent à plusieurs reprises des propos homophobes ou racistes ? Quelles sont les procédures mises en œuvre dans ce type de situation ? Par ailleurs, connaissez-vous la cellule Signal-sports ?

M. Ronan Evain. Sur l’identification des comportements à caractère discriminatoire dans les stades, nous disposons désormais de systèmes de vidéosurveillance avancés dans les stades, ce qui permet une identification plus précise et rapide des individus impliqués. Les outils sont disponibles pour permettre une réponse individualisée, ce qui constitue une avancée significative par rapport à une époque où la sanction collective était la seule option. Il fallait avancer au bulldozer et punir 5 000 personnes pour les actions de quelques-uns.

Nous disposons désormais de moyens d’identification avancés. Cela a été récemment illustré lors d’un incident à Montpellier, où un pétard a été lancé sur un joueur. La personne a été identifiée rapidement et interpellée. Idem à Nancy, pour des faits de racisme. Les personnes responsables ont été identifiées, sorties de tribune et remises aux forces de l’ordre en quelques minutes. Il ne semble pas possible de faire mieux et plus rapide en matière d’identification.

Pourtant, au lieu de réviser la réglementation disciplinaire pour s’adapter à cette nouvelle réalité de la vidéosurveillance, nous avons empilé les réponses disciplinaires. Une sanction individuelle est prononcée à l’encontre d’une personne coupable de comportements discriminatoires. Mais on va venir ajouter une sanction collective. Cette démarche peut complexifier la réponse, car elle est susceptible de décourager les spectateurs dans leur démarche de signalement de tels comportements, de peur de subir également des sanctions. Cela rend la mobilisation du public plus difficile.

Par ailleurs, je ne connaissais pas la cellule de signalement que vous venez de mentionner.

M. Pierre Barthélemy. J’ai pris connaissance de l’existence de cette cellule dans un article récent du journal L’Équipe, qui évoquait le travail de cette commission et la polémique suscitée par une autre plateforme...

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous êtes nombreux à découvrir cette cellule grâce aux travaux de cette commission d’enquête. Cet outil est proposé par le ministère des Sports. Cette cellule de signalement est méconnue. De plus, son périmètre ne semble pas clairement défini. Les questions de racisme, de discrimination et d’homophobie ne semblent pas forcément relever de son champ de compétences. Un travail pourrait être entrepris par la suite pour clarifier cette question.

La charte, que les associations de supporters doivent signer, proscrit les comportements violents, à caractère raciste ou discriminatoire. Comment veillez-vous à l’application de cette charte ?

Nous n’avons pas réussi à déterminer si l’association des supporters du club de Nîmes Olympique « Gladiators Nîmes 1991 » est toujours affiliée à l’ANS. L’an dernier, le club avait signalé plusieurs incidents, notamment des provocations et des injures à caractère raciste et homophobe, ce qui avait poussé son président, Rani Assaf (par ailleurs contesté par d’autres clubs de supporters) à déposer une plainte. Cette association est-elle toujours adhérente de votre structure ?

M. Ronan Evain. Oui, les « Gladiators Nîmes 1991 » sont toujours membres de l’ANS. Les différentes procédures engagées contre le président Rani Assaf font suite à une importante problématique liée à un conflit local complexe et opaque. Les « Gladiators Nîmes 1991 » décrivent des méthodes de Rani Assaf parfois arbitraires et illégales, s’agissant de l’accès au stade. Les « Gladiators Nîmes » sont entrés sur le stade alors que M. Assaf leur avait interdit l’accès au stade dans des conditions arbitraires et illégales.

M. Pierre Barthélemy. Une association peut être exclue uniquement en cas de condamnation judiciaire. Dans le cas contraire, la présomption d’innocence doit être respectée. À notre connaissance, aucune enquête n’a été entreprise à Nîmes, en raison d’un contexte particulier, marqué par l’action de Rani Assaf. Ce président, en toute illégalité, a exclu l’accès au stade à cette association de supporters, en raison de contestations à l’encontre de sa politique sportive, relativement critiquable par ailleurs. Une plainte pénale est en cours de la part de cette association de supporters pour discrimination.

De plus, la CNIL a été saisie il y a deux ans, en raison de l’édition de trombinoscopes recensant les supporters interdits. Il demandait ainsi au personnel du stade d’interdire l’entrée à certains supporters, en utilisant ce trombinoscope. Le passe sanitaire avait également été utilisé comme outil d’exclusion de supporters durant la crise Covid.

Il semble difficile d’accorder une crédibilité totale aux déclarations de monsieur Assaf, étant donné que ces événements s’inscrivent dans un différend ancien qui se trouvait déjà devant les tribunaux. Néanmoins, nous appliquerions la charte sans réserve si une condamnation pénale venait à être prononcée. Un groupe a déjà dû quitter l’association en raison de plusieurs incidents violents, il y a de cela quatre ou cinq ans. Nous n’éprouvons aucune difficulté à faire respecter cette charte.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. De quel groupe s’agissait-il ?

M. Ronan Evain. Ce point relève de la liberté d’association. Nous ne sommes pas en mesure de vous fournir cette information.

M. Pierre Barthélemy. Nous vous communiquerons cette information après accord de l’association en question.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quels étaient les faits reprochés ?

M. Pierre Barthélemy. Des violences graves en groupe.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Comment appréhendez-vous l’évolution des cas de discrimination, de racisme et d’homophobie dans le monde du football ?

Nous avons eu l’opportunité d’entendre le témoignage de plusieurs sportifs, athlètes, et même de personnes impliquées dans la réalisation de documentaires. Nous avons eu l’occasion de visionner le documentaire intitulé Je ne suis pas un singe, qui apporte un éclairage significatif sur les difficultés rencontrées par certains sportifs, notamment dans les stades de France.

Quelle est votre perception de cette problématique ? Je vous interroge à ce sujet, car au moment où nous avons voté un texte relatif aux Jeux olympiques et paralympiques, des rapports ont fait état d’une réduction substantielle des condamnations au titre des atteintes à la sécurité des manifestations sportives, entre 2019 et 2021. Or, les sportifs reçus dans le cadre de cette commission ont le sentiment que les phénomènes de discrimination sont en augmentation. Quel est votre point de vue à ce sujet ?

M. Ronan Evain. Cette question est particulièrement complexe. Il faut se garder de tout jugement basé uniquement sur des perceptions. Il est indéniable que la société dans son ensemble est nettement plus sensibilisée à ces questions de nos jours. Les joueurs et les organisations de supporters sont également bien plus conscients de ces enjeux.

Par ailleurs, les stades français étaient nettement plus politisés il y a 20 ou 25 ans. Les expressions racistes (cris de singe, chants racistes, etc.) étaient malheureusement monnaie courante dans de nombreux clubs français à l’époque, mais elles ont depuis complètement disparu.

En mettant de côté les chants homophobes, nous pouvons affirmer que les chants et actes racistes en tribunes sont aujourd’hui devenus rares. Un incident comme celui de Nancy, par exemple, est assez isolé. Les tribunes ne sont plus remplies de milliers de supporters qui entonnent des chants racistes. Nous avons indéniablement progressé de ce point de vue.

Toutefois, nos attentes, ainsi que celles de l’ensemble des parties prenantes, sont devenues bien plus élevées. Les saisons 2019-2021 ont également connu une réduction des incidents, en raison notamment de la situation sanitaire liée à la Covid.

Néanmoins, nous entendons de nombreuses voix dans le monde du sport évoquant une augmentation du nombre d’incidents, notamment d’intrusions sur les terrains, au cours des deux dernières saisons. Malheureusement, je n’ai pas de chiffres précis à ce sujet.

Certains pays européens, dont le Royaume-Uni, qui tiennent des statistiques exhaustives à ce sujet, indiquent une tendance à la baisse du nombre d’incidents.

En l’absence de données statistiques précises, je suis dans l’incapacité de fournir une réponse autre que mon ressenti personnel.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons discuté abondamment du football, mais des situations similaires se produisent également dans d’autres disciplines sportives. Avez-vous des informations ou des impressions sur ce qui se passe ailleurs, dans d’autres sports ?

Nous savons que le racisme, la discrimination et l’homophobie peuvent également surgir dans d’autres domaines, y compris lors de compétitions. Existe-t-il d’autres structures similaires à la vôtre qui s’occupent de ces problématiques ? Si oui, êtes-vous en contact avec elles ?

M. Kilian Valentin. En dehors du domaine professionnel et semi-professionnel, le rugby amateur se heurte aux mêmes problématiques. Nous comptons au sein de l’INS un membre de la Fédération française des supporters de rugby (FFSR). Cette personne est particulièrement active sur les questions de discrimination et de racisme dans le rugby semi-professionnel et amateur.

Du point de vue de la prévention et de la pédagogie, des mesures similaires à celles mises en œuvre dans les divisions professionnelles font également défaut au sein de ces catégories amateurs.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pensez-vous que les préoccupations de la Fédération française de Rugby (FFR) sont semblables à celles de la FFF dans ce domaine, ou estimez-vous que la FFF constitue un cas particulier dans le monde des fédérations sportives ?

M. Pierre Barthélemy. Nous pouvons observer la réaction du président de la FFR à la suite de l’incident à caractère raciste survenu dans le rugby amateur il y a quelques jours. Sa réponse a été immédiate, marquée par une conférence de presse résolue et sans équivoque.

En comparaison, Noël Le Graët semblait trouver insultante la simple évocation de la possible existence de comportements racistes dans le football français. Il est donc manifeste qu’il existe au moins une différence notable dans les réactions face à des faits avérés.

Il a une vingtaine d’années, le joueur de rugby du stade toulousain, Yves Donguy avait été la cible de cris et de comportements racistes. À cette époque, la FFR avait réagi de manière particulièrement ferme à cet incident.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous des propositions à formuler, afin d’améliorer le travail de prévention dans ce domaine ? Les clubs amateurs, le volet des sanctions et la vidéosurveillance sont des sujets qui ont été évoqués au cours de nos échanges. Avez-vous d’autres idées à proposer à cette commission d’enquête pour réduire, voire éliminer les incidents qui perturbent les moments festifs et sportifs ?

M. Kilian Valentin. Le travail mené par la Ligue de football professionnel, notamment avec les référents supporters qu’elle a mis en place il y a quelques années et formés, est notable. Des ajustements ont été nécessaires au moment de la mise en place du dispositif. À présent, nous pouvons clairement observer les efforts déployés par la Ligue en matière de dialogue avec les supporters, de prévention et de collaboration sur certains sujets. La Fédération française de football devrait prendre exemple sur ce modèle.

Nous n’avons plus eu de contact avec la FFF depuis 18 mois. Auparavant, les interactions étaient complexes et laborieuses, mais nous avions un interlocuteur qui pouvait transmettre les informations. Des temps d’échanges et des réunions existaient périodiquement. Depuis 18 mois, le dialogue est rompu.

Il semblerait judicieux que la Fédération mette en place un système similaire à celui de la Ligue, en instaurant des référents supporters au sein des clubs semi-professionnels, voire dans certains clubs amateurs qui en ont la capacité. Il s’agirait d’organiser la prévention et le dialogue avec les dirigeants, les équipes de jeunes, et les clubs de supporters, à l’instar de ce que fait la Ligue.

Tous ces efforts réalisés dans les centres de formation et auprès des équipes de jeunes en matière de lutte contre les discriminations n’étaient pas présents en 2019. Nous avions le sentiment que la responsabilité de résoudre les problèmes de discrimination reposait principalement sur les supporters. En revanche, l’efficacité globale de la démarche a été améliorée lorsque la Ligue a inclus les centres de formation, les dirigeants et les clubs.

Mme Mathilde Mandelli. Deux points méritent une attention particulière, avec tout d’abord, la question de l’exemplarité des instances sportives françaises.

Dans le cadre de votre commission, vous prenez probablement connaissance de choses qui peuvent être problématiques au sein des instances du football français, liées non pas au racisme ou à l’homophobie, mais aux discriminations envers les femmes. Il existe manifestement un problème d’exemplarité des fédérations sportives. Quelle image renvoientelles ?

Le deuxième point important renvoie à l’équilibre entre les sanctions et la prévention. Les sanctions collectives doivent prendre fin. Une femme qui dénonce un comportement discriminatoire dans un stade subira également les sanctions collectives, si par exemple la tribune est fermée en raison de cet incident. Les personnes doivent donc être sanctionnées individuellement, conformément à la loi. L’équilibre doit être parfaitement respecté, afin que les sanctions et les mesures de prévention soient clairement comprises et acceptées.

M. Pierre Barthélemy. On voit toute l’importance de la sensibilisation. En 2019, la réaction se limitait principalement à des sanctions, ce qui avait, par provocation, décuplé ces phénomènes.

Depuis qu’on a introduit la sensibilisation, nous observons l’émergence de bonnes pratiques. Par exemple, lors du match entre Rennes et Nantes, une spectatrice a signalé avoir subi des attouchements dans la tribune. Immédiatement, le groupe de supporters et le club ont réagi, et tous les moyens ont été mis à disposition de la justice pour identifier la personne responsable de ces actes.

À Nancy hier, l’entraîneur du Raid Star a rapporté avoir entendu des cris de singe provenant d’un ou deux supporters contre ses joueurs. Cela a entraîné une réaction immédiate, avec une réunion de crise des présidents des deux clubs et une implication de la police et du procureur. L’importance de ces sujets est désormais comprise grâce au travail de sensibilisation.

Des exemples liés à l’homophobie peuvent également être cités. À la mi-temps d’un match, un joueur de l’équipe de Metz a utilisé un terme inapproprié, à connotation homophobe. Or, ce joueur n’avait aucune intention homophobe. Néanmoins, le club, qui a fait des ateliers avec la Ligue, a rapidement compris la problématique et a demandé au joueur de s’adresser à la télévision pour s’excuser à la fin du match. Ces réactions rapides et automatiques sont devenues possibles grâce à la sensibilisation sur ces questions. Le travail de pédagogie a permis des changements significatifs par rapport au passé, notamment en matière d’agressions sexuelles, de racisme et d’homophobie.

Nous constatons que tout le travail de sensibilisation réoriente les comportements. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il désamorce complètement la situation, car ces mesures sont souvent prises après un incident, mais elles permettent de trouver la réponse la plus efficace a posteriori. L’objectif est désormais de prévenir ces comportements a priori, grâce à la sensibilisation.

M. Ronan Evain. L’homophobie et les violences de genre constituent les principaux problèmes dans nos stades. Le racisme de groupe est de son côté résiduel. La question centrale réside dans la nécessité d’une approche globale pour traiter ces problèmes. Se contenter d’éliminer les chants ne résoudra pas les problèmes et ne rendra pas nos stades plus accueillants pour tous. Nous devons admettre que nos stades peuvent être hostiles envers les personnes LGBT et toute personne s’écartant de la norme « hétérogenrée ». Pour cela, un travail en profondeur est nécessaire.

La formation des stadiers et l’accessibilité à des installations sanitaires appropriées sont également des éléments essentiels pour rendre nos stades plus accessibles. Les organisations de supporters sont disposées à contribuer dans ce domaine, mais la responsabilité ne peut pas reposer uniquement sur nos épaules. Tous les acteurs du sport français doivent se mobiliser sur ces sujets.

La question des infrastructures est d’une importance fondamentale. Il est inadmissible que des stades ne disposent pas de toilettes convenables, éclairées et dotées de portes fermant à clé. Ces problèmes de premier plan ne sont malheureusement pas traités.

La deuxième problématique concerne la question du signalement et du soutien que peuvent obtenir les individus isolés, les responsables de groupes de supporters et les dirigeants de clubs de football amateurs s’ils ont besoin d’engager des actions de prévention ou d’effectuer un signalement. Aujourd’hui il n’existe aucun point d’entrée clairement identifié au sein de la FFF. Si de tels points de contact existent, nous ne disposons pas de cette information.

Le sujet des sanctions a déjà été abordé. Il est impératif de lever ce tabou. Le rapport Houlié-Buffet, qui traite de cette question, n’a malheureusement pas été suivi d’effet de la part du gouvernement ou des instances sportives. Nous ne comprenons pas pourquoi la question des sanctions constitue un obstacle et un tabou. Nous devons pouvoir discuter des sanctions et analyser leur impact, afin de leur donner du sens. Il s’agit clairement d’un mur qui entrave notre progression.

Enfin, il convient de souligner la responsabilité majeure des instances sportives en ce qui concerne le développement d’une politique des droits humains. D’un côté, nous constatons l’implication d’acteurs, y compris des entités étatiques, issus de pays où la question des droits de l’homme pose des problèmes majeurs, investissant dans le sport français. En parallèle, les instances sportives françaises organisent des matchs dans des pays qui, de manière manifeste, sont hostiles envers les personnes LGBT. Je fais référence à la décision annoncée par la LFP et la FFF de délocaliser la finale de la Supercoupe du Trophée des Champions en Arabie Saoudite.

Or, les instances sportives françaises n’ont pas encore adopté de politiques claires en matière de droits de l’homme, et ne sont pas capables d’évaluer les risques associés à de telles compétitions et de mener une politique préventive.

Le football français doit impérativement combler son retard sur ces questions et établir des politiques solides en matière de droits humains.

La même exigence s’applique à la question de la diversité. Dans les grandes fédérations sportives européennes, il est devenu la norme d’avoir un référent diversité clairement identifié. Cette personne peut même être une figure publique, capable d’interagir avec les clubs et de s’exprimer dans les médias. Je ne suis pas sûr que ce rôle existe actuellement à la FFF. À ma connaissance, ce n’est pas le cas. Ce sujet fait partie des pistes à explorer. La FFF doit pouvoir se doter d’un référent diversité clairement identifié.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous notons l’ensemble de vos propositions. N’hésitez pas à nous faire parvenir tous les documents que vous jurez utiles à notre commission.

Votre structure fonctionne-t-elle grâce à des subventions ?

M. Kilian Valentin. Notre structure bénéficie des cotisations annuelles des clubs de supporters.

M. Pierre Barthélemy. L’ANS avait également participé, il y a quelques années, à un programme Erasmus+ de l’Union européenne, sur la mise en place du référent supporter. Nous avions obtenu un budget qui servait à payer les frais et les salaires des personnes affectées. Or, étant tous bénévoles, nous avons eu le droit de garder le budget affecté aux salaires pour financer les travaux de l’association. Nous avons donc suffisamment de ressources financières pour ne pas avoir à en demander à autrui, ce qui nous permet de garder notre indépendance.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. En règle générale, qui a la charge du signalement lorsqu’un incident raciste ou homophobe survient ?

M. Kilian Valentin. Avec la vidéosurveillance, le club repère l’incident et dépose plainte contre X. Dans le cas de l’incident récent de Nancy, le club a prononcé une interdiction commerciale de stade. Cette interdiction directe intervient avant la prise en charge du dossier par la justice.

M. Pierre Barthélemy. Un représentant du parquet se trouve généralement au PC sécurité du stade, aux côtés d’un représentant de la police et du directeur de la sécurité du club. Ces trois personnes sont déjà en mesure d’identifier les fauteurs de trouble grâce à la vidéosurveillance. Le procureur et la police peuvent ainsi lancer une enquête et une procédure. Le club peut de son côté déposer plainte et la Ligue l’encourage dans cette démarche.

Par ailleurs, la DILCRAH a annoncé sa volonté d’effectuer des articles 40 à chaque incident identifié. Une multiplicité d’acteurs peut donc intervenir dans ces situations. En outre, des associations de lutte contre les discriminations peuvent également effectuer des signalements.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le club n’est visiblement pas obligé de porter plainte si une organisation est mise en place.

M. Pierre Barthélemy. Le club porte plainte davantage par conscience morale, car il n’est juridiquement pas victime.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il semble que les joueurs noirs, victimes de comportements racistes, ne bénéficient pas réellement d’un accompagnement pour le dépôt de plainte. De plus, les faits ont tendance à être minimisés. Des propositions pourraient être formulées dans ce domaine, afin que les personnes victimes de racisme puissent bénéficier d’un accompagnement systématique pour les démarches juridiques.

M. Ronan Evain. Les joueurs sur le terrain doivent pouvoir exercer leur métier dans un environnement sûr. Je ne connais pas réellement la responsabilité du club, en tant qu’employeur, dans ce cadre.

Je pense que la responsabilité repose également sur les syndicats de joueurs, qui doivent offrir un accompagnement adapté, de la même façon que les organisations de supporters accompagnent leurs membres lorsqu’ils ont besoin d’un soutien juridique.

Néanmoins, je ne me sens pas réellement légitime à m’exprimer sur la responsabilité des clubs ou des organisateurs de compétition.

M. Pierre Barthélemy. En Italie, un joueur avait été victime de comportements racistes. Or, ces coéquipiers lui avaient demandé de reprendre le match, afin de ne pas pénaliser leur équipe. Heureusement, ce type de situation n’existe pas en France. Nous ne pouvons pas nous permettre de vivre de telles situations.

La réaction des clubs sur les deux derniers incidents (Nancy et Dijon il y a quelques années) a été particulièrement rapide et forte.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Merci pour votre participation à cette commission.

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35.   Audition, ouverte à la presse, de M. Patrick Appéré, président de l’Association nationale des élus en charge du sport (ANDES) (13 octobre 2023)

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons le plaisir d’accueillir monsieur Patrick Appéré, président de l’Association nationale des élus en charge du sport (ANDES).

Monsieur, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions.

Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif, le 20 juillet dernier.

L’Assemblée nationale a décidé de sa création, à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs, et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux se déclinent donc autour de trois axes, les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.

L’association nationale des élus en charge du sport regroupe des maires et des élus municipaux en charge du sport. L’ANDES est un interlocuteur régulier des pouvoirs publics sur les politiques publiques, sportives et un lieu d’échange de bonnes pratiques destinées aux communes et intercommunalités.

Nous souhaitons connaître les constats et préconisations de votre association sur les sujets qui intéressent notre commission.

Le cadre existant pour prévenir, détecter et sanctionner les violences sexistes et sexuelles, les actes de racisme, les discriminations et les atteintes à la probité vous semble-t-il adapté ou doit-il être renforcé ?

Plus généralement, quelle appréciation portez-vous sur la gouvernance du secteur ?

La loi du deux mars 2022, visant à démocratiser le sport en France, a prévu que l’État, les collectivités territoriales et leurs groupements, les associations, les fédérations sportives et les entreprises veillent à prévenir et à lutter contre toute forme de violence et de discrimination, dans le cadre des activités physiques et sportives.

Pouvez-vous nous présenter les différents leviers d’action des communes et des intercommunalités et nous présenter les actions conduites en ce sens ?

Avant de vous laisser la parole et d’entamer nos échanges, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire « je le jure ».

(M. Patrick Appéré prête serment.)

M. Patrick Appéré, président de l’Association nationale des élus en charge du sport. Je suis adjoint au maire de la ville de Brest et, depuis 2020, président de l’ANDES. L’ANDES est une belle histoire autour du rugby. Des adjoints aux sports se sont retrouvés et ont décidé de joindre leurs forces pour peser auprès de la fédération, afin que le rugby français ne devienne pas comme le football français.

De cette petite association est née l’ANDES au niveau national. Aujourd’hui, près de 8 000 communes rayonnent autour de l’ANDES. Nous faisons partie, avec les bénévoles, des acteurs qui agissent au plus près des terrains de sport, des clubs et des associations sportives. Nous disposons d’abord d’une expertise de terrain. Nous avons pris connaissance de l’arrivée de ces problématiques dans les communes. Ces délits provoquent avant tout de la sidération et de l’écœurement. Il est nécessaire, dans un premier temps, de repérer dans quel contexte ces problématiques apparaissent.

Les communes que nous représentons représentent 82 % des financements du sport. Seulement 0,2 % du budget de l’État est consacré au sport. Des débats sur le budget ont actuellement lieu à l’Assemblée nationale et nous avons formulé une série de propositions, afin de faire évoluer cette situation.

Les budgets ont augmenté avec les Jeux olympiques, qui représentent un moment extrêmement important pour le sport français. Néanmoins, ces budgets sont toujours loin d’être à la hauteur des enjeux pour la suite, y compris pour l’héritage. Nous avons ainsi saisi un certain nombre de députés à ce sujet.

Par ailleurs, un autre élément concerne le bénévolat. 3,5 millions de personnes sont bénévoles dans le monde du sport en France. Nous craignons que la situation devienne compliquée après 2024. L’âge moyen des bénévoles s’accroît et un grand nombre d’entre eux décidera probablement d’arrêter son activité après les Jeux olympiques. Le renouvellement au sein des fédérations sera certainement compliqué, notamment au regard du statut précaire du bénévolat en France. En outre, la réforme des retraites complique un peu plus la situation.

Trouver des bénévoles dans les clubs et l’événementiel s’avère relativement simple, avec les parents et les sportifs amateurs. En revanche, la situation du bénévolat se complexifie dans les deuxièmes niveaux, les comités départementaux, les ligues ou les fédérations. De nouvelles contraintes apparaissent, avec des déplacements ou le traitement de sujets qui peuvent paraître plus ennuyeux. Faute de trouver des bénévoles pour réaliser ces missions, un certain « entre-soi » finit par s’installer, même si les personnes présentes réalisent un travail de grande qualité. Or, la démocratie a tendance à moins bien se porter lorsque « l’entre-soi » apparaît. L’omerta s’installe : « c’est entre nous et on n’a pas à le dire aux autres ».

Ces sujets apparaissent, car de notre point de vue la réflexion n’a pas été menée à son terme concernant le financement du sport ou le statut des bénévoles. Ces questions devront réellement être traitées si nous voulons que la situation puisse évoluer, avec un renouvellement et l’apparition de la parité au sein des équipes.

L’ANDES a très rapidement décidé de mettre en place une commission qui s’attaque à des problématiques variées, dont la citoyenneté, le bénévolat et les questions liées aux violences dans les stades ou dans d’autres contextes.

À Brest, la lutte contre les violences ne se limite pas uniquement au domaine sportif, mais est abordée de manière plus globale. Une « maison des victimes » a par exemple été créée. Il s’agit d’un lieu de ressources, de discussion, de signalement et de facilitation du dialogue entre les personnes. Ce lieu permet aux victimes de s’exprimer avec précision et confiance, en particulier sur les violences conjugales, mais aussi les violences dans le sport.

Il faut que les choses soient dites et il est essentiel de favoriser les signalements. Cependant, un travail de sensibilisation solide doit être mené pour atteindre cet objectif.

L’association qui revient souvent est bien entendu Colosse aux pieds d’argile. Pour y avoir recours il faut être très structuré et avoir un peu d’argent aussi. Ce n’est pas une association gratuite. L’ANDES travaille avec eux et on monte des programmes et des projets de sensibilisation autour de l’ensemble des questions relatives aux violences dans le sport.

La sensibilisation comprend également l’organisation de conférences entre les acteurs impliqués. L’Office des sports et les ligues organisent régulièrement des conférences pour rappeler les droits et devoirs de chacun.

Le secteur sportif souffre actuellement d’une situation financière difficile. 82 % du budget provient des communes, ainsi que 80 % des équipements. En outre, entre 25 % et 29 % des équipements ont plus de 50 ans, et nous devons composer avec ces contraintes.

Nous devons profiter de ces Jeux olympiques pour améliorer considérablement le secteur sportif, en mettant en place un plan Marshall. Actuellement, la ministre réalise un travail de qualité et les choses évoluent. Néanmoins, d’énormes progrès doivent encore être effectués, alors que le sport représente seulement 0,2 % du budget de l’État. Cette situation ne peut pas perdurer. Des installations sportives de mauvaise qualité sont un problème. Nous avons besoin d’infrastructures en excellent état, répondant aux normes écologiques et permettant d’accueillir des activités dans des conditions optimales.

Nous constatons également que des clubs refusent l’inscription d’enfants, car ils ne disposent pas de l’encadrement nécessaire.

La deuxième question qui se pose est la manière dont nous finançons l’emploi dans le domaine du sport. Les intermittents du spectacle jouent un rôle majeur dans le développement de la culture. Ce statut a le mérite d’exister. Dans le domaine sportif, nous ne disposons de rien de similaire. Il peut y avoir çà et là des emplois aidés, mais ces contrats prennent fin un ou deux ans plus tard, faute de moyens nécessaires pour les préserver. La situation des clubs est donc compliquée.

L’objectif de l’ANDES est donc de trouver les meilleures solutions pour améliorer la situation de nos clubs et permettre un fonctionnement à peu près normal.

Nous œuvrons sur trois axes : la sensibilisation, la prévention (avec l’organisation de conférences) et le signalement (le procureur doit être prévenu lorsque les faits sont avérés, avec notamment l’emploi de l’article 40).

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Connaissez-vous la cellule Signal-sports du ministère des Sports ?

M. Patrick Appéré. Oui, bien sûr. Nous utilisons beaucoup ce dispositif. Cependant, nous sommes agacés par la manière dont les réseaux sociaux traitent ces affaires. Signal-sports manque de publicité. La promotion de ce bel outil devrait être renforcée. Nos communes communiquent à ce sujet, mais cet outil mériterait une meilleure visibilité. Ce dispositif reste malheureusement trop méconnu.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Connaissez-vous le périmètre des sujets traités par cette cellule ?

M. Patrick Appéré. Cette cellule s’intéresse au sujet des violences dans le sport et dans les stades.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pouvez-vous apporter des précisions sur le type de violences pris en compte par cette cellule ?

M. Patrick Appéré. Les violences sexuelles et physiques.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Tout cela semble manquer de clarté pour un grand nombre d’acteurs. Vous êtes l’une des rares personnes au sein de ces auditions qui connaissent cette cellule. Ce constat confirme probablement le manque de publicité de l’outil que vous venez d’évoquer.

M. Patrick Appéré. La commission mise en place, lors de l’avant-dernier congrès, nous a permis de prendre conscience de ce sujet.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Savez-vous si les questions de racisme, de discrimination et d’homophobie intègrent le périmètre de cette cellule ?

M. Patrick Appéré. Oui, bien sûr. Ces sujets font très certainement partie de ce travail.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vous pose cette question, car ce n’est pas clair. Pour la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH), ces questions ne font pas partie du périmètre de la cellule. Les informations du site internet à ce sujet manquent également de clarté. Néanmoins, certaines associations ont utilisé cette cellule pour signaler des incidents homophobes qui ont visiblement été traités.

M. Patrick Appéré. Il faut que ces questions fassent partie du périmètre de cet outil sans quoi il y a un problème. L’ensemble des sujets doit pouvoir être traité par cette cellule, au risque de rencontrer des difficultés de fonctionnement.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pouvez-vous apporter des précisions sur les personnes qui peuvent saisir la cellule Signal-sports ?

M. Patrick Appéré. Probablement les victimes ou les personnes concernées par ces problématiques, ainsi que les élus et les clubs.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Les collectivités territoriales apparaissent comme les premiers acteurs du sport français, avec des engagements en faveur des installations sportives. Le bloc communal possède et entretient 70 % des équipements. Ces collectivités supportent également des charges d’investissement et de fonctionnement particulièrement importantes, estimées à 12 milliards d’euros chaque année. Ce rôle a été reconnu à sa juste valeur dans la gouvernance de l’Agence nationale du sport (ANS), puisque le collège des collectivités comprend autant de membres que ceux de l’État et du mouvement sportif. Il en est de même au sein du conseil d’administration, où les collectivités territoriales détiennent 30 % des droits de vote.

Quatre ans après la mise en place de ce nouvel opérateur de l’État. Quel bilan tirez-vous de l’action de l’ANS ?

M. Patrick Appéré. La situation sous l’ancien système, avec le Centre national pour le développement du sport (CNDS), était scandaleuse. Il existait un face-à-face entre le mouvement sportif et l’État. Or, les collectivités territoriales, qui supportent une charge financière significative dans ce domaine, n’étaient pas présentes. Cette situation ne pouvait pas perdurer.

Nous avons demandé, dans un premier temps, à participer au CNDS, ou à disposer au minimum d’une voix consultative. De nombreuses négociations ont été nécessaires pour que la voix des collectivités soit prise en compte dans ce cadre.

La mise en place de l’ANS et de la nouvelle gouvernance n’est pas totalement satisfaisante. L’organisation reste « descendante ». L’État a gardé la main, même au niveau des régions. Les Délégations régionales académiques à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (DRAJES) et les préfets gardent la gestion des dossiers.

Nous ne sommes pas réellement satisfaits de cette évolution. L’ANS fonctionne correctement au niveau national, avec la gestion du sport de haut niveau qui relève des prérogatives de l’État.

Nous assumons nos responsabilités à l’ANDES, avec la prise de présidences de conférences régionales et des présidences de commissions des financeurs. Néanmoins, le poids de l’ANDES dans les discussions n’est toujours pas pris en compte à sa juste valeur.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) est présent au sein du conseil d’administration de l’ANS. L’objectif initial de l’ANS, avec cette participation, était de pouvoir bénéficier de financements supplémentaires. Avez-vous relevé des différences en ce sens depuis la mise en place de cette agence ?

M. Patrick Appéré. Non, je n’ai pas relevé de différences notables. Le MEDEF occupe pour le moment la place qui est la sienne, au regard de ce que ce mouvement représente, avec des entreprises qui travaillent dans le domaine sportif. Des financements de partenariat dans les grands clubs se mettent en place pour des raisons d’image. L’euro « public » sert totalement le bien commun. En revanche, l’euro « d’entreprise » sert principalement l’entreprise elle-même. Les questions de défiscalisation doivent également être prises en considération.

De son côté, la place de l’ANDES au sein de l’ANS résulte de notre désignation par l’Association des maires de France (AMF) au sein de son quota. L’ANDES aurait préféré être présente pour ce qu’elle est réellement, ce qui n’est pas le cas.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Les conférences régionales du sport sont désormais installées en métropole. La plupart des projets sportifs territoriaux (PST) ont été adoptés. Cependant, à notre connaissance, aucun contrat pluriannuel d’orientation et de financement n’a été signé à ce jour. Pouvez-vous nous le confirmer ?

Par ailleurs, au vu des projets sportifs territoriaux adoptés, des engagements ambitieux sur le plan local, suivis de financements réels, peuvent-ils être espérés ?

M. Patrick Appéré. Pour l’instant, des PST ont été réalisés dans l’ensemble des régions. Les projets ont souvent été montés par des cabinets qui ont pris en compte la spécificité des territoires, en repérant des éléments intéressants, mais en enfonçant aussi des portes ouvertes et en relevant également des évidences. On sait qu’à Brest il y a la mer et donc probablement un peu de voile…On n’a pas besoin d’un rapport de 15 pages pour nous l’expliquer.

Les maires, les présidents de région et les présidents de Conseil départemental sont élus sur des programmes qui englobent généralement des sujets sportifs. La question qui se pose, à mon sens, est plus pragmatique. Il s’agit de passer en revue chaque plan pluriannuel d’investissement (PPI), afin de déterminer les projets d’investissement prévus pour les six prochaines années et de regarder comment les financer.

Le PST de Bretagne résulte d’un travail de qualité de la part du cabinet. Néanmoins, ce type de document ne répond pas réellement aux attentes et aux questions posées par les principaux intéressés. C’est un beau document de 300 pages, bien agrafé qui prend déjà la poussière. Nous avons davantage besoin de savoir ce que nous pouvons réaliser collectivement et de quels moyens nous disposons, tout en détectant les endroits où des carences apparaissent. S’il y a dans la région un endroit où 30 000 habitants n’ont pas de piscine, cela vaut peut-être la peine qu’on regarde tous ensemble ce qu’on peut y faire.

Ce travail nous permettrait de mettre en place des stratégies et d’être à la hauteur des enjeux. Actuellement, l’organisation est en place et les réunions se tiennent, mais des problèmes de quorum risquent rapidement d’apparaître si la situation n’évolue pas.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France a modifié l’article L. 100-2 du Code du sport, qui dispose désormais que l’État, les collectivités territoriales et leurs groupements, les associations, fédérations et entreprises, veillent à prévenir et à lutter contre toute forme de violence et de discrimination dans le cadre des activités physiques et sportives.

Quels leviers sont mis en place dans la ville de Brest, en lien avec les clubs et les fédérations, pour travailler sur le volet des violences sexistes et sexuelles, de la discrimination et du racisme ?

M. Patrick Appéré. En début d’année, avec le district de football, nous avons souhaité réunir les huit adjoints au maire de la métropole de Brest (qui représentent environ 230 000 habitants) et l’ensemble des clubs de foot des environs. L’objectif était de créer un début de saison permettant une sensibilisation sur les comportements déplacés et violents.

Un travail de qualité a été mené et un plan a été élaboré. Des panneaux de sensibilisation ont été installés dans certains lieux, notamment les vestiaires. Nous avons également alerté les clubs, afin qu’ils fassent preuve de pédagogie sur le respect des règles et des valeurs du sport.

Malheureusement, un incident s’est produit il y a seulement quelques jours dans l’un des stades du département. Il est donc nécessaire de s’occuper quotidiennement de ces questions et de remettre sans arrêt l’ouvrage sur le métier.

Nous sommes néanmoins fiers du travail que nous avons accompli, permettant une prise de conscience des élus, des présidents de clubs et des entraîneurs présents.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Des personnes auditionnées dans le cadre de cette commission ont mentionné la ville de Lyon qui vient de conditionner les subventions aux clubs de son territoire au suivi de formations de lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

Ce type de dispositif pourrait-il être décliné à l’échelle du pays, au niveau du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) ou d’autres structures ?

M. Patrick Appéré. Nous le faisons dans nos communes. À Brest, nous le faisons avec les clubs conventionnés. Avec une convention, un article de cette dernière fixera forcément les éléments importants à mettre en œuvre. Un rapport doit être élaboré par le bénéficiaire dans ce cadre. Un risque de non-paiement ou de remboursement de la subvention existe en cas d’absence de démarches dans ce domaine.

Néanmoins, la question de la mise en œuvre de ces dispositifs reste compliquée, avec la présence de bénévoles. Un bénévole est une personne qui accepte d’offrir du temps pour apporter son aide. Or, un bénévole finira par renoncer si des contraintes trop lourdes apparaissent. Nous ne sommes pas à la hauteur des enjeux sur la question de l’emploi dans le sport. Cette question devra un jour être traitée.

À Brest, 70 % des clubs sont uniquement composés de bénévoles. Ce constat est dramatique pour le sport français. Les bénévoles réalisent un travail exceptionnel, mais la résilience a ses limites. Le nombre de bénévoles risque de chuter après les Jeux olympiques et paralympiques de 2024, et ces personnes ne seront probablement pas remplacées. La question du statut doit être posée, en prenant notamment le monde de la culture comme exemple.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La mise en place des contrôles d’honorabilité a été évoquée au cours de certaines auditions dans le cadre de cette commission. Avez-vous des retours de la part des clubs à ce sujet ? Des difficultés semblent apparaître dans ce domaine.

M. Patrick Appéré. La principale remontée est l’assurance pour les parents. Le contrôle d’honorabilité permet de rassurer les parents qui confient leurs enfants à des clubs. Néanmoins, certaines personnes bénévoles, qui réalisent un travail depuis des dizaines d’années, peuvent se sentir blessées face à une telle demande. Un dialogue et de la pédagogie peuvent s’avérer nécessaires dans certains cas, mais ces difficultés sont relativement simples à résoudre. Ces contrats permettent de sécuriser les pratiques.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pensez-vous que les clubs et les fédérations rencontrent des difficultés à mettre en place ce contrôle d’honorabilité ?

M. Patrick Appéré. Des discussions à ce sujet sont probablement nécessaires, afin de faire comprendre le dispositif. Ces contrôles ne doivent pas être considérés comme des reproches, mais simplement comme un outil pour améliorer collectivement la situation et l’image des clubs.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Tous les clubs mettent-ils en place ce contrôle d’honorabilité ?

M. Patrick Appéré. Nous n’avons pas vérifié. Je ne peux pas répondre à cette question. Je ne dispose pas d’élément de contrôle à ce sujet. Nous ne nous sommes pas posé cette question avec les autres élus.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. À votre connaissance, les questions de prévention et de formation dans la lutte contre les violences et discriminations, dans le cadre des activités sportives, sont-elles bien prises en compte dans les projets sportifs territoriaux ?

M. Patrick Appéré. Oui, certainement. Ces questions apparaissent comme des problématiques majeures. Par exemple, un club de gymnastique a décidé de proposer des tenues particulières pour leurs gymnastes, afin de les protéger.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je note comme point d’alerte, évoqué au cours de cet entretien, la question du financement par l’État.

M. Patrick Appéré. Avec la crise énergétique, les collectivités s’attaquent à leurs équipements les plus énergivores, avec les écoles, mais également les gymnases ou les piscines. Or, le budget du sport, utilisé en partie pour isoler les équipements, ne sera pas suffisant pour améliorer par ailleurs les conditions des sportifs et faire en sorte que le sport se développe.

La construction d’un gymnase nécessite, pour un conseil municipal, de trouver 15 millions d’euros. Sans effet de levier, le projet ne peut pas fonctionner.

Un véritable plan Marshall doit être mis en place sur les équipements.

Par ailleurs, la question de l’emploi à l’intérieur du sport est essentielle. Des centaines d’enfants n’ont pas accès au sport, car les clubs n’ont pas les ressources humaines nécessaires pour les encadrer.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je prends également note de la question du statut des bénévoles et de l’emploi. Avez-vous d’autres préconisations à formuler dans le cadre de cette commission d’enquête ?

M. Patrick Appéré. Il est nécessaire d’agir sans relâche sur ces questions pour espérer être efficace. La mise en place de cette commission est une bonne idée. Ce genre d’initiative est importante, ainsi qu’une prise de conscience pour répondre aux trois axes : sensibilisation, prévention et signalement. Des efforts constants sont nécessaires pour améliorer la situation de manière durable.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Merci.

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36.   Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre-Alain Raphan et M. Cédric Roussel anciens députés, rapporteurs de la proposition de loi visant à démocratiser le sport en France (17 octobre 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous avons le plaisir d’accueillir messieurs Pierre-Alain Raphan et Cédric Roussel, anciens députés et rapporteurs – avec Mme Céline Calvez, qui est absente cet après-midi – de la proposition de loi visant à démocratiser le sport en France. Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions.

Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet dernier. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux se déclinent autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

Avant d’en venir aux questions, pourriez-vous revenir sur les avancées apportées par la loi visant à démocratiser le sport en France ? Dans le rapport déposé en première lecture sur ce texte, vous notiez que « le mouvement sportif a engagé sa mue au regard des exigences éthiques partagées par le corps social ». Où en est-on aujourd’hui selon vous ? Cette loi a-t-elle permis de renforcer durablement l’éthique du sport français ? Quelles sont les éventuelles limites ou lacunes que vous identifiez dans le cadre applicable à ce domaine ?

Quelles appréciations portez-vous sur l’organisation et la gouvernance du milieu sportif ainsi que sur les divers contrôles qui s’exercent sur lui ? Le cadre existant pour prévenir, détecter et sanctionner les violences sexuelles et sexistes, les actes de racisme et la discrimination vous paraît-il devoir être renforcé ?

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(M. Pierre-Alain Raphan et M. Cédric Roussel prêtent serment.)

M. Cédric Roussel, ancien député, rapporteur de la proposition de loi visant à démocratiser le sport en France. Je vous remercie de nous permettre de nous exprimer. Nous allons ainsi pouvoir faire le point sur l’application de cette loi, qui a fait consensus à l’époque. Il s’agit d’une loi d’ensemble qui traite plusieurs problèmes en lien avec la régulation. Pour ma part, j’étais rapporteur du titre III, qui a davantage vocation à réguler le modèle économique sportif.

Céline Calvez était en charge du titre Ier, que je vais présenter brièvement avant de laisser la parole à Pierre-Alain Raphan, qui s’est occupé plus particulièrement du titre II. Ce titre-là nous intéressait de manière collective puisqu’il s’agissait de la gouvernance des fédérations sportives. Il pourra notamment énumérer le principe de certaines mesures et la manière dont les débats ont été menés.

En ce qui concerne le titre Ier, nous avons surtout souhaité insister sur le développement de la pratique sportive au-delà de la seule performance sportive, avec des intentions et des enjeux de santé publique et de lutte contre la sédentarité. Je pense en particulier à un article sur la mutualisation d’infrastructures sportives nouvellement construites dans le cadre d’établissements scolaires : ces derniers ont désormais l’obligation de proposer un accès mutualisé aux associations sportives extérieures.

Dans le même sens, un volet est consacré au développement du sport santé, dans le but de faire davantage progresser cette expérimentation qui constituait un véritable objectif du premier quinquennat. Des ouvertures étaient permises dans le cadre d’activités physiques adaptées à des prescriptions qui concernent un public plus large, atteint notamment de maladies chroniques ou confronté à des problèmes d’obésité. L’idée était là aussi d’élargir le champ du sport au-delà de la seule performance sportive au titre de la prévention de certaines maladies, voire de l’accompagnement dans un programme de guérison plus global.

Il a également été instauré l’obligation de la nomination d’un référent sport dans tous les établissements et services médico-sociaux. Outre l’intention, il s’agissait de mettre en place une animation de ce sujet-là dans ces établissements. La règle du certificat médical a été simplifiée. Ces éléments font partie des principales avancées pour inciter à une plus grande pratique sportive.

Les différents sports, par exemple la boxe ou les échecs, n’exigent pas le même niveau d’aptitude physique. La simplification de la règle permet de responsabiliser les fédérations et de définir les obligations et les fréquences de présentation du certificat médical de non-contre-indication à la pratique sportive qu’elles imposent à leurs licenciés et pratiquants.

Il y a également deux points forts en matière d’éducation. Le programme « savoir rouler à vélo » a été complété par l’inscription du principe de « l’aisance aquatique ». Outre le « savoir rouler », qui concerne aussi bien les vélos que les trottinettes, il s’agit de permettre à nos jeunes enfants d’avoir une aisance dans l’eau dès le plus jeune âge. Nous avons également inscrit le principe d’une activité physique quotidienne des élèves dans le code de l’éducation, qui a notamment donné lieu à la mesure prévoyant trente minutes d’exercice physique quotidiennes, portée par le Gouvernement.

Il s’agit également de renforcer la vitalité associative et l’engagement des jeunes en permettant aux établissements volontaires de créer, en complément des associations sportives, des associations dans le cadre d’alliances éducatives territoriales afin de faire vivre les projets sportifs territoriaux liés à la pratique sportive.

M. Pierre-Alain Raphan, ancien député, rapporteur de la proposition de loi visant à démocratiser le sport en France. Le titre II répond aux attentes de millions de bénévoles qui rêvaient de voir leur fédération épouser un modèle de gouvernance renouvelé, connecté aux enjeux du siècle et répondant à leurs attentes.

Nos mandats sont pour nous l’occasion de constater que les pratiques démocratiques s’estompent, que la confiance dans les élus s’édulcore et que les derniers remparts démocratiques se trouvent parfois dans les pratiques associatives, les clubs et les fédérations. De nombreux rapports nous invitaient à nous saisir de leurs préconisations quant aux réformes nécessaires en matière de gouvernance des fédérations. C’était une promesse de campagne et nous l’avons tenue en 2022.

Nous devions tout d’abord agir sur la parité. Au moment où cette loi a été pensée, il n’y avait qu’une seule femme parmi les présidents des fédérations de disciplines olympiques. L’accès des femmes aux responsabilités était presque prohibé par le système tel qu’il était conçu. Par l’article 5 de la loi, nous avons exigé une parité dans toutes les instances nationales dès 2024 et dans toutes les instances régionales à partir de 2028.

S’il y avait plus de femmes dans ces instances, on aurait peut-être connu moins de problèmes. À défaut d’avoir des données empiriques en la matière, c’est en tout cas une intention que nous avions. Il est tout de même surprenant qu’au XXIe siècle, dans le pays des lumières, il faille en passer par la loi pour rendre aux femmes la place qu’elles méritent naturellement. Nous avons donc dû forcer ce sujet, qui ne se réglait pas tout seul.

Nous avons également abordé un sujet démocratique. La démocratie est le fait de donner la capacité aux gouvernés de choisir leurs gouvernants. Or, ce n’était pas le cas dans toutes les fédérations, où les modèles de vote et d’accès aux responsabilités différaient en fonction des statuts. Dans certains cas, la gouvernance des fédérations était plus proche de la vision exposée par Clemenceau : « Pour bien décider, il faut être un nombre impair. Et trois, c’est déjà trop ! »

La vision démocratique était personnalisée et amenait, dans certains systèmes fédéraux, à la réélection des dirigeants avec plus de 95 % des suffrages. Ces résultats auraient même pu être enviés par certains dictateurs ! On n’était pas loin de ce type de gouvernance dans certaines fédérations. Dans l’article 6, nous avons proposé que les clubs membres de fédérations puissent voter directement afin de choisir leurs gouvernants. Cela permet une respiration du système.

La démocratie est un mouvement constant qui demande une respiration constante. On se doit donc d’apporter de nouvelles énergies, de nouveaux visages et de nouvelles idées, notamment par l’intermédiaire des bénévoles. Au bout de trois mandats, les gouvernants en place ont tendance à utiliser leur intellect davantage pour préserver leur position que pour porter de nouveaux projets de développement.

Bien évidemment, je ne vise pas toutes les fédérations. Certaines d’entre elles sont exemplaires sur le plan démocratique, par exemple la fédération de badminton, qui souhaitait même aller plus loin que cette loi en faisant voter directement les licenciés. Même si cela peut poser des difficultés d’organisation, on voit en tout cas cette volonté de faire participer le plus grand nombre aux choix stratégiques des fédérations.

Le parcours de cette loi a été inspiré par une pratique personnelle. J’ai eu la chance de m’investir dans la fédération de taekwondo. À l’époque, je faisais partie de ces millions de bénévoles. J’ai vu certaines choses et je me suis dit qu’il fallait modifier le système plutôt que de s’attaquer aux hommes qui l’avaient détourné. En l’occurrence, cette fédération est un cas d’école à suivre dans la mise en œuvre de cette loi. Les élections ont encore été annulées par la justice, mais certaines parties de la loi seront applicables à partir du 1er janvier 2024. Je pourrais vous transmettre des documents à ce sujet.

Un événement m’a profondément marqué lors de l’élaboration de cette loi. En 2018, Aude Amadou et moi-même avions soutenu un texte relatif à l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (JOP). Il proposait notamment d’instaurer une parité dans les instances d’organisation des JOP. Le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) nous a alors transféré une réponse étonnante du Comité international olympique (CIO), qui expliquait que le fait d’imposer la parité relevait d’une ingérence législative mettant en danger le maintien de l’organisation des JOP en France !

Je vous laisse méditer la signification de cette réponse. Cela signifiait qu’il y avait une inversion de la hiérarchie des normes au sein du milieu sportif et que ce dernier se sentait au‑dessus des lois !

Nous avons ensuite proposé d’autres sujets, qui ont donné lieu à d’autres rapports. L’un de ces rapports proposait une loi beaucoup plus large intégrant ce type de disposition. Nous avons proposé un premier modèle de loi qui était très complet, mais nous avons dû faire des choix puisque le calendrier parlementaire était à l’époque fortement contraint et bousculé par le covid. D’où les titres I, II et III que nous avons évoqués.

Lorsque je suis entré en politique, un vieux sage m’avait dit : « Tu peux venir avec les meilleures convictions et les meilleures solutions aux pires des problèmes, tant que ton sujet n’est pas médiatique, il ne sera pas politique. » En fait, c’est le courage et la résilience de Mme Abitbol qui a permis d’accélérer les choses – vous l’avez d’ailleurs auditionnée. Elle a publié un livre dans lequel elle fait des révélations.

Au-delà de la révélation de ces crimes, nous avons pu voir l’attitude de certains présidents de fédération qui, lorsqu’ils étaient invités à démissionner, ont dit de manière décomplexée : « Je suis élu. Ce n’est pas une ministre qui va m’imposer quoi que ce soit. » Cela a également contribué à l’inscription de cette loi à l’ordre du jour, tout comme la libération de la parole. On le doit notamment au courage de ces femmes. À l’époque, nous avons eu des discussions assez musclées, voire des menaces, parce que les lois n’étaient pas votées comme le mouvement sportif aurait souhaité qu’elles le soient.

Le premier rôle de l’État est de protéger. Ceci étant, il y a parfois un État qui se protège. Robert Badinter disait il y a encore quelques mois : « La France est bien le pays de la Déclaration des droits de l’homme, mais il y a encore des efforts à faire quant à son application. » En l’occurrence, comment un État qui est informé de délits et de crimes par une inspection générale ne peut-il pas agir plus vite et plus fort sur ces sujets-là, alors même que des délégations de service public accordées aux fédérations ? Cette interrogation a peut-être été soulevée dans d’autres auditions. Que peut-on déduire de ces silences ? Nous n’avons pas toutes les réponses. Cette loi n’est pas parfaite et il reste encore beaucoup à faire. Elle constitue un premier pas. Nous sommes à votre disposition pour réfléchir à tous ces sujets.

M. Cédric Roussel. Notre proposition de loi a consacré, dans le titre III dont je fus le co-rapporteur, la possibilité de créer une société commerciale pour la gestion et l’exploitation des droits TV et marketing par des fédérations et des ligues professionnelles sportives. Cette mesure a fait débat. Pour autant, un consensus a été trouvé dès la première lecture. Je pense que les intentions étaient partagées. Il faut préciser que cette mesure intéressait plus particulièrement les ligues professionnelles, comme celle du football.

Je rappelle que les discussions au Parlement ont eu lieu dans un contexte particulier pour le monde du football, celui de l’affaire dite « Mediapro », du nom de cet attributaire des droits de diffusion de matchs de Ligue 1, aux capitaux sino-hispanique, qui s’est révélé défaillant dès 2020. En cette période planait le risque d’un écran noir dans la diffusion des matchs de football de notre championnat de France, que je n’avais pas connu de mon vivant en tant qu’amateur et supporter de football. Le football français se trouvait déstabilisé en quelque sorte par une influence étrangère. En l’occurrence, Mediapro s’est retiré très rapidement sans qu’il y ait une réelle mise en cause de sa responsabilité et des conséquences pour l’économie des clubs de football français. L’échec de Mediapro a constitué un risque financier pour l’ensemble des clubs professionnels, qui sont à la fois des employeurs de notre économie et des pourvoyeurs de culture sportive et de vie sociale sur nos territoires.

En juin 2021 avait été lancée la mission d’information sur les droits audiovisuels des manifestations sportives, dont je fus le rapporteur et mon collègue Régis Juanico le président. Nous fîmes le constat que le football français professionnel était au bord de la banqueroute. L’économie du football était déjà déstabilisée en 2020 par la crise du covid, en raison notamment de la décision de l’arrêt anticipé de notre championnat prise par le Premier ministre Édouard Philippe. Néanmoins, il y avait peut-être un problème plus structurel et une réflexion plus profonde à mener, d’où la volonté partagée avec les membres de la commission Éducation, culture et sport de l’Assemblée nationale de lancer cette mission d’information.

Son but : mieux comprendre cette affaire et ses possibles conséquences sur l’économie du sport. À l’époque, je n’étais pas le seul à m’être étonné de l’absence d’audit de la part de la Ligue de football professionnel (LFP). Nasser al-Khelaïfi en avait fait pourtant la demande au sein des instances, mais une majorité des membres l’avait alors rejeté. Par conséquent, il n’y avait pas eu ce temps de diagnostic.

Cette mission d’information se voulait une mission de contrôle dans l’objectif d’apprendre des erreurs commises. Nous étions dans une démarche constructive visant à tirer les leçons d’un fait exceptionnel dans l’histoire du football français. Elle a révélé qu’il y avait des réflexions à mener quant au modèle économique sportif français, notamment en termes de régulation, de financement, de transparence et de contrôle des acquisitions de clubs professionnels par des investisseurs étrangers.

Cela n’empêche pas que nous soyons ouverts à ce que des investisseurs internationaux viennent investir dans notre championnat, qui est attractif. Pour autant, on se doit d’imposer une forme d’identité, de « made in France ». Nous avons en France un principe de solidarité financière entre le sport professionnel et le sport amateur qui est tout à fait exceptionnel. Il n’est pas forcément partagé par tous les pays européens, c’est la raison pour laquelle nous devons le défendre au sein des instances.

Il faut imposer un modèle économique et sportif européen afin d’éviter une déstabilisation économique, voire une forme d’influence. La diplomatie par le sport, qu’on qualifie de « soft power », devrait davantage être prise en compte dans les politiques que mènent notre pays et l’Europe.

La possibilité pour une ligue professionnelle de créer une société commerciale pour la gestion de ses droits audiovisuels sportifs, actée dans le titre III de notre loi, a permis en l’occurrence à la LFP de lever des capitaux supplémentaires auprès d’acteurs privés pour une meilleure assise financière. Ce fut un moyen de sortir de la crise provoquée par l’affaire Mediapro sans entamer les finances publiques.

À titre personnel, j’ai toujours pensé que l’hybridation des financements et des acteurs est la clé de la pérennisation et du développement du financement du sport dans notre pays. Beaucoup d’acteurs peuvent et voudraient davantage participer au financement de nos politiques sportives. C’est la raison pour laquelle il faut encourager l’hybridation des financements, l’investissement et le sponsoring dans les clubs professionnels sportifs. Cela participe de la pérennité des clubs et, plus largement, du financement du sport.

Nous avons inscrit dans la loi des garde-fous pour la création de ces sociétés commerciales. L’ouverture du capital aux acteurs extérieurs est limitée à 20 %, les 80 % restants étant détenus par la ligue ou la fédération sportive concernée. Le principe de la solidarité financière entre le sport professionnel et le sport amateur doit figurer également dans les statuts de la société commerciale et le paiement de la taxe Buffet est maintenu. De même, la relation tripartite est respectée puisque les statuts doivent être validés et approuvés par la fédération sportive et la ligue professionnelle concernées ainsi que par le ministère des sports. Ces encadrements constituent en soi une innovation juridique puisque la rédaction des statuts d’une société commerciale est réputée libre par définition. Cela a pu se faire car la majorité des parlementaires s’est entendue sur le fait que le sport n’est pas un bien commercial comme les autres et qu’il exige donc un cadre particulier.

Une autre mesure vise à préserver une forme d’éthique et de protection de l’œuvre audiovisuelle sportive en luttant contre le piratage sportif. Un dispositif de lutte contre le streaming sportif illégal a en effet été adopté, après l’examen en première lecture de notre texte, dans la loi relative à a régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique portée par la ministre de la culture Roselyne Bachelot. On a ici l’illustration d’une convergence des luttes entre le sport et la culture, avec l’instauration d’un dispositif dynamique permettant à un ayant droit lésé de demander le blocage de la retransmission illégale d’un match de football diffusé en direct par un site pirate en streaming. Le dispositif de blocage est également innovant d’un point de vue juridique. Tout cela s’articulant autour d’un tiers de confiance : l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom).

Le titre III a consacré également la transposition dans notre droit de la convention dite « de Macolin ». De manière schématique, il s’agit d’un dispositif visant à lutter contre les sites de paris sportifs illégaux en ligne en facilitant l’échange d’informations entre les instances nationales de régulation.

Enfin, a été inscrite dans cette loi la possibilité pour les sociétés sportives, dont les clubs professionnels, d’opter pour le statut juridique de société coopérative d’intérêt collectif (SCIC).

Nous aurions pu aller plus loin en étendant cette mesure aux fédérations sportives, mais le climat de nos discussions avec le CNOSF, très tendu par ailleurs sur d’autres mesures du titre II notamment, ne l’a pas permis. Quoi qu’il en soit, l’option de la SCIC pour les fédérations sportives permettrait à mon sens une hybridation des compétences et de la gouvernance qui serait de nature à accompagner celles qui le souhaitent dans une transition de leur modèle économique.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’aimerais savoir avec quelles instances vous avez eu des débats irritants qui ne vous ont pas permis d’aller jusqu’au bout. Était-ce avec les fédérations ou ici, à l’Assemblée nationale ?

M. Cédric Roussel. Les deux. Le contexte était celui d’une proposition de loi parlementaire (PPL), avec un temps de discussion très limité en comparaison d’un projet de loi. Cela a contribué à frustrer aussi bien les acteurs du sport que les parlementaires. En deuxième lecture, il y a eu un certain nombre de postures, avec notamment des débats sur le port du voile, qui n’avait pourtant pas vocation à être évoqué compte tenu du périmètre du texte. C’était sans doute lié au contexte politique de fin de législature, à quelques mois des élections présidentielles de mai 2022. Toujours est-il que la fin de la discussion a été électrique sur des points qui ne relevaient pas directement du texte. Par ailleurs, certains articles du titre II, en particulier la limitation des mandats, ont fait l’objet de discussions qui n’ont pas été vraiment fluides.

M. Pierre-Alain Raphan. Le titre II apportait tout de même des changements significatifs dans la gouvernance du sport en France. Nous avons très rapidement constaté que des lignes de fracture étaient apparues au sein des représentants des fédérations. Des auditions se sont tenues pour inviter tous les acteurs à s’exprimer. Certaines fédérations ne souhaitaient absolument pas bouger. Elles affirmaient notamment que nous allions mettre à mort les grands événements sportifs français.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lesquelles, par exemple ?

M. Pierre-Alain Raphan. Des fédérations historiques, souvent celles qui organisent de grands événements : le football, le rugby et le tennis, voire le judo. L’histoire dira si cela tient aux disciplines ou aux générations. Je n’ai pas la réponse à cette question. Bousculer certains privilèges provoque des réactions. En tant que parlementaires, notre rôle est de trouver des compromis sur tous ces sujets, quelle que soit leur complexité.

Les représentants des ligues et des clubs, qui avaient parfois d’autres intérêts, ont également réagi sur des sujets presque discrétionnaires : « On ne pense pas assez à nous. Pourquoi n’y a-t-il pas un partage des moyens plus affirmé ? Pourquoi chaque euro ne va pas au club ? » Certaines ligues ou certains clubs avaient de grandes rétrocessions tandis que d’autres n’en avaient aucune, sans explication ni règle bien établie. Nous avons également constaté des lignes de fracture entre partis politiques au sein de l’Assemblée nationale. Je pense en particulier à l’approche des Républicains sur le sujet du port du voile dans le football, qui a été relayée par le Sénat. Nous nous sommes donc heurtés à bon nombre de difficultés.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. À l’entame de cette commission d’enquête, nous nous sommes beaucoup interrogés sur la question de la simplification du mouvement sportif. Elle nous est apparue extrêmement complexe à appréhender vu de l’extérieur. Nous avons parfois eu le sentiment d’une dissolution des responsabilités entre différentes instances dont la hiérarchisation est peu claire : le ministère des sports, le CNOSF, l’ANS, les fédérations, les ligues, les clubs, etc.

Le CNOSF fixe des objectifs, mais sans contraindre. L’ANS donne des financements, mais sans contraintes. Et, 17 % des fédérations n’ont toujours pas de comité d’éthique alors que cela figure dans la loi. Le CNOSF propose des formations sur les violences sexistes et sexuelles (VSS), mais ces dernières ne sont pas mises en place.

Nous avons auditionné plusieurs acteurs. Au mieux, leurs relations avec l’ANS ne se passent pas très bien. Dans le pire des cas, ils nous ont dit que cette agence ne servait à rien. Nous avons également évoqué la question du financement du mouvement sportif. Le Medef a intégré l’ANS. À ce jour, jusqu’à preuve du contraire, il n’a pas mis un euro dans cet organisme. Pourtant, il détient 10 % des voix au sein de cette instance.

Entre-temps, des dispositifs ont été mis en place sur les questions de VSS, de discriminations, de racisme, etc. Je pense notamment au contrôle d’honorabilité, mais il n’y a là non plus aucune contrainte. En tout cas, personne ne peut vérifier que le contrôle d’honorabilité est effectué au sein des clubs ou des fédérations.

En ce qui concerne la cellule Signal-sports, les quatre cinquièmes des personnes que nous avons auditionnées ignoraient son existence. Comment aller plus loin par rapport au texte que vous avez élaboré, proposé et voté pour une meilleure reconnaissance des personnes responsables de ce qui se passe au sein du mouvement sportif ? C’est une question que nous avons posée à plusieurs reprises. Qui est responsable de quoi ? Qui fait quoi ?

M. Pierre-Alain Raphan. Si vous trouvez la réponse, n’hésitez pas à nous en informer ! C’est du Bourdieu ! On se demande si le système n’a pas été complexifié pour arranger certains. Toujours est-il qu’il y a matière à simplifier les choses. Il serait même assez sain de le faire. Il faut également apporter des clés de lecture aux dirigeants des clubs, qui se sentent parfois démunis. La finalité de ce système est de faire en sorte que des enfants fassent du sport et s’épanouissent !

Pour cela, les bénévoles ont besoin de moyens. Le problème, c’est que ces moyens sont très souvent captés par de hautes instances, qui font des choix. Certaines se concentrent sur le haut niveau et tant pis pour le reste ! Il y a peut-être des sujets à travailler en ce qui concerne l’harmonisation de la répartition des moyens par échelon. Et il y a sans aucun doute un sujet de simplification en termes de responsabilité afin de réaffirmer le rôle dévolu à chacun. Il faut avant tout que l’État réaffirme son rôle et son pouvoir. En cela, les délégations de service public ont leur importance. Lorsque les systèmes ne respectent pas ces délégations, il convient de les leur enlever et de les proposer à d’autres.

Quant aux « surcouches », le CNOSF intègre des fédérations qu’il ne représente pas puisqu’il ne s’agit pas de disciplines olympiques. Ne devrait-on pas réunir tout le monde d’une manière un peu différente ? L’État ne devrait-il pas simplement reprendre son rôle régalien de contrôle ? L’inspection générale devrait prendre des décisions immédiates, notamment en ce qui concerne les crimes de violences sexuelles au sein des fédérations.

Si le système ne parvient pas à s’en sortir tout seul, une autorité indépendante de régulation peut intervenir avec un pouvoir de contrôle. Malheureusement, ce système ne peut pas se simplifier du jour au lendemain. Autrement, on aurait déjà trouvé la solution. Le ministère de l’économie et des finances n’aime pas que l’on crée des autorités supplémentaires. Néanmoins, il me semble que ce serait assez utile dans certains cas.

M. Cédric Roussel. À titre personnel, je ne peux qu’aller dans votre sens puisque c’est une des préconisations que je formule dans mon rapport d’information sur les droits audiovisuels sportifs. J’y préconise en effet la création d’un Conseil supérieur du sport, une autorité administrative indépendante inspirée par le modèle qui existe pour l’audiovisuel. Les fédérations et, de fait, les ligues disposant de prérogatives de puissance publique, la régulation du monde sportif professionnel pourrait en effet être confiée à une autorité indépendante.

En complément des différentes directions nationales du contrôle de gestion (DNCG), cette autorité aurait en charge la rationalisation du fonctionnement, du financement et de l’exposition du sport professionnel notamment. En termes d’éthique, elle pourrait se voir confier aussi un rôle sur l’honorabilité, les conflits d’intérêts, etc., non pas pour semer le doute mais bien au contraire pour l’ôter.

Pour avoir beaucoup travaillé durant mon mandat de député sur l’écosystème du sport, j’ai rencontré un grand nombre d’acteurs sains et de bonne volonté. Pour autant, cela n’exclut pas le contrôle. Ce conseil supérieur du sport permettrait non seulement de fixer un cadre, mais également de mettre du lien entre toutes les disciplines sportives, les plus exposés médiatiquement et les moins exposées.

Permettez-moi ici d’apporter des commentaires un peu différents de ceux de mon collègue Pierre-Alain Raphan concernant l’Agence nationale du sport (ANS). Je pense que sa création a été justement dans le sens d’une plus grande démocratisation de la gouvernance du sport. La loi a en effet imposé une gouvernance hybride composée de l’État, du mouvement sportif, des collectivités locales et des acteurs économiques.

Outre le niveau de participation capitalistique, il faut surtout retenir l’hybridation des compétences et des différents échelons d’intervention de chacun. Les collectivités territoriales comme les clubs sportifs sont par nature sur le terrain, alors que le ministère a une dimension beaucoup plus macroéconomique. En ce qui concerne la diversité des acteurs, au-delà du Medef, un ensemble de filières d’acteurs privés de l’écosystème du sport sont également représentées, ce qui n’était pas le cas auparavant. Elles représentent toutes les entités et toutes les entreprises du sport. Tout cela contribue à plus de participation dans la prise de décisions.

Par ailleurs, il me semble qu’il y a eu plus de financements de projets en trois ans d’existence de l’ANS que lors des dix années de vie du Centre national pour le développement du sport (CNDS), l’ancienne structure qui s’occupait de financer les appels à projets sportifs de nos territoires. Il y a donc tout de même une dynamique positive au moment de sa création.

Pour autant, des points d’améliorations existent. L’ANS et ses instances déconcentrées, les conférences régionales du sport (CRS), ne sont pas suffisamment connues sur le terrain. Lors de mon mandat de député, j’ai pu le constater en interrogeant les clubs sportifs de ma circonscription. Mais, c’est le cas de beaucoup de choses dans le sport et dans d’autres politiques. C’est la raison pour laquelle la ministre des sports Amélie Oudéa‑Castéra a organisé peu après sa prise de fonction un séminaire avec toutes les composantes du sport pour déterminer qui fait quoi et clarifier le rôle de chacun.

Il faut une clarification et une simplification des mesures. Dans le cadre de la mission d’évaluation de la loi Braillard, dont j’étais co-rapporteur en 2020, nous avions préconisé le croisement des fichiers entre fédérations sportives afin de contrôler l’honorabilité des bénévoles et des encadrants sportifs. Nous souhaitions même aller au-delà. Certaines choses relèvent du bon sens, mais il s’agit à un moment donné de les mettre en œuvre sur le plan technique. On éviterait ainsi des risques. Il revient ensuite à chacun des acteurs de faire sa part.

Notre loi visant à démocratiser le sport en France a consacré la mise en avant des projets sportifs territoriaux dans les financements de l’ANS. En précisant cet échelon local, elle donne davantage de visibilité de l’ANS sur nos territoires et permet plus d’interactions entre les projets.

L’ANS a des missions affectées dont les financements sont pour partie fléchés : plan de transition numérique, fonds de soutien à la contribution audiovisuelle notamment pour ce qui concerne la médiatisation du sport féminin. En définissant précisément des objectifs qualitatifs, nous pouvons ainsi orienter davantage l’employabilité des fonds et le financement des projets.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Continuez-vous tous deux à évoluer au sein du mouvement sportif ?

M. Pierre-Alain Raphan. Je reste investi auprès d’un club de taekwondo, mais plus de la fédération.

M. Cédric Roussel. Je n’ai jamais eu de responsabilités au sein du mouvement sportif. En revanche, je suis membre du XV Parlementaire, c’est-à-dire de l’équipe de France parlementaire de rugby. Pour ce qui concerne ma fonction professionnelle actuelle, j’ai été nommé en novembre 2022 délégué ministériel à l’économie du sport auprès de Bruno Le Maire au ministère de l’économie et des finances. C’est en soi une forme de continuité de mon implication dans l’animation des sujets relatifs à l’économie du sport, en interaction avec tous les acteurs.

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37.   Audition, ouverte à la presse, de M. Ludovic Royé, président de l’Association des Directeurs et Directrices Techniques Nationaux (AsDTN) (17 octobre 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous accueillons à présent M. Ludovic Royé, président de l’Association des directeurs et directrices techniques nationaux (AsDTN). Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions, monsieur Royé.

Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête relative à l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet dernier. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux se déclinent autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gestion financière des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

Avant d’en venir aux questions, pourriez-vous nous présenter brièvement l’association que vous présidez, sa vision et les positions qu’elle défend sur les sujets qui intéressent notre commission d’enquête ? Pourriez-vous revenir sur le rôle et les missions des directeurs techniques nationaux (DTN) dans la prévention, le signalement et la mise en œuvre d’une réponse aux dysfonctionnements, en particulier dans le champ des violences sexistes et sexuelles (VSS), des discriminations, du racisme et des atteintes à la probité ? Le cadre existant vous paraît-il adapté ou doit-il être révisé ?

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(M. Ludovic Royé prête serment.)

M. Ludovic Royé, président de l’Association des directeurs et directrices techniques nationaux (AsDTN). Je vous remercie tout d’abord de bien vouloir auditionner l’Association des directeurs et directrices techniques nationaux. Nous n’avons pas forcément l’habitude de pouvoir nous exprimer devant la représentation nationale. L’AsDTN est une petite association professionnelle qui existe depuis une quarantaine d’années. Elle regroupait initialement l’ensemble des directeurs et directrices techniques nationaux en activité.

Nous avons fait le choix depuis peu de nous ouvrir à deux autres collèges, notamment aux anciens collègues qui ont pu exercer cette mission. Un troisième collège est l’encadrement supérieur du sport. Il s’agit d’autres personnes qui n’ont pas nécessairement exercé la fonction de DTN, mais qui peuvent contribuer à nos réflexions.

L’AsDTN s’est attribué trois missions principales. La première est une mission de soutien et d’entraide entre personnes qui exercent le difficile métier de DTN. La deuxième est une mission de partage et de collaboration sur les différents sujets de notre métier. La troisième est une mission de participation aux débats publics et à la bonne administration dans le champ du sport. Nous avons cette ambition et cette envie. C’est notre vocation que d’essayer de faire en sorte que les choses évoluent dans le bon sens, tout en restant nous-mêmes à notre place.

Les directeurs et directrices techniques nationaux sont aujourd’hui au nombre de soixante-cinq. La plupart d’entre eux sont des agents publics rattachés à l’administration centrale, qui exercent auprès des fédérations un certain nombre de missions prévues par le code du sport. Il leur est confié un rôle de représentant de l’État auprès des fédérations délégataires de prérogatives de puissance publique.

Par rapport aux trois items qui concernent votre commission d’enquête, je vous propose de commencer par les problématiques de gouvernance. Le sujet nous intéresse énormément puisqu’il permet de replacer le rôle de chaque acteur dans l’écosystème. Il est important de rappeler d’où l’on vient pour comprendre où l’on va. C’est sous l’impulsion de l’État, puis des collectivités publiques dans leur ensemble, que le sport s’est structuré à partir d’une profonde mutation depuis les années 1950.

C’est vraiment ce leadership assumé de l’État, qui a été visionnaire et militant à l’époque, qui a permis à notre écosystème sportif national de se développer, de se transformer et de devenir aujourd’hui, si j’en crois mes homologues étrangers, une référence sur la scène internationale. Néanmoins, transposées à notre écosystème actuel, les recettes appliquées dans les années 1950 pourraient très rapidement paraître complètement dépassées. Les acteurs sont plus nombreux, notre paysage institutionnel est plus complexe, les collectivités locales ont pris une place nouvelle dans notre pays et le sport est devenu un secteur économique non négligeable.

Dans une société qu’on pourrait considérer comme fragmentée, le sport est également un puissant facteur de cohésion sociale. Il a pris une place majeure au sein de notre nation. Ces dernières années, on a vu émerger la notion fondatrice de gouvernance partagée. Dans le champ sportif, on est bien évidemment favorable à l’idée que la décision doit être collective pour être meilleure. Cela dit, au niveau local, là où les gens pratiquent, les présidents de club n’ont pas attendu cette notion pour réussir à évoluer dans leur écosystème avec l’ensemble des acteurs.

Dans le cadre de cette gouvernance partagée, l’État avait vocation à se mettre en retrait afin d’être moins présent. Il devait en tout cas partager un certain nombre de ses prérogatives avec d’autres acteurs. L’olympiade de Tokyo 2020 aura marqué une profonde rupture d’équilibre pour le sport français, et la crise sanitaire a amplifié les choses. Loin de la vision de ceux qui pouvaient avoir envie que l’État soit moins présent, j’ai l’impression que ce dernier a repris sa place et son leadership dans cet écosystème.

Pour moi, le sport n’appartient pas à un acteur public ou privé, ni aux fédérations ni aux acteurs économiques du sport. Le sport est selon moi un fait social total. Étant donné qu’il appartient aussi à la nation, nous militons pour que le leadership sur le sport ne puisse pas être délégué et que l’État continue à avoir un rôle central dans cette gouvernance partagée.

Le rôle des DTN dépend de la relation que l’État souhaite avoir avec les fédérations. Le champ d’intervention d’un DTN ne dépend que de la mission qui lui est confiée par le ministère. Nous agissons dans ce cadre-là. C’est la raison pour laquelle j’insiste sur l’importance du leadership de l’État au sein de cet écosystème.

Vous vous demandez s’il faut rester sur un statu quo ou si des évolutions sont possibles. Si j’avais une mesure à proposer, ce serait de décorréler le temps politique du temps technique, car les DTN voient leurs missions d’agent technique totalement synchronisées avec le mandat politique d’un président ou d’une association.

Lorsqu’un ministre est nommé, le directeur de cabinet change immédiatement. C’est vraiment l’échelon politique. Par contre, le directeur de l’administration centrale reste généralement plusieurs mois pour gérer la transition. Il assume la continuité de l’action de l’État dans le périmètre ministériel concerné. On pourrait imaginer avoir exactement la même chose afin d’éviter un lien politique trop fort entre des agents de l’État et des présidents de fédération démocratiquement élus.

Si j’avais un vœu, ce serait de continuer à travailler sur l’autonomie forte des fédérations. Attention ! Je parle bien d’autonomie, et non d’indépendance. Chaque fédération doit être autonome mais l’État a un rôle à jouer. À partir du moment où vous êtes détenteur de prérogatives de puissance publique, vous agissez au nom de l’État, ce qui suppose que vous sachiez exactement ce qui est attendu de vous. Les contrats de délégation constituent donc une première évolution.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quelle est selon vous la différence entre autonomie et indépendance ?

M. Ludovic Royé. Lorsqu’on est indépendant, on n’a pas de comptes à rendre. On agit dans le cadre qui est fixé. Lorsqu’on est autonome, on a une liberté d’action dans un cadre qui est défini, mais on rend des comptes. C’est la raison pour laquelle les contrats de délégation sont selon moi une bonne évolution. Dans le cas d’opérateurs publics classiques, on parlerait de dialogue de gestion.

Il ressort des premières revues de contrats de délégation que ce dialogue de gestion est apprécié par tout le monde. Pour autant, ce n’est pas systématiquement consensuel. Il peut y avoir des désaccords et des débats, voire des reproches. Toujours est-il que l’on dispose d’un espace de discussion et de justification de l’utilisation des prérogatives de puissance publique que l’État a confiées à un opérateur privé.

Vous avez évoqué les défaillances dans les fédérations. Il y a un certain nombre d’épiphénomènes. Il est important de rappeler que les choses fonctionnent plutôt bien dans la grande majorité des fédérations. La grande majorité des présidents sont de vrais bénévoles militants. Néanmoins, il arrive parfois qu’on puisse constater des défaillances. Sont-elles systémiques ? Chacun peut avoir son avis sur ce point. Quel peut être le rôle de l’État face à ce constat ? Je pense qu’un interventionnisme précoce est préférable au traitement a posteriori d’une crise déclarée. Le leadership affirmé de l’État est selon moi l’un des gages de bon fonctionnement de notre vie associative nationale.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous constaté vous-même des défaillances au sein de fédérations ?

M. Ludovic Royé. Je vais citer un exemple qui est presque caricatural. Une élection a été annulée au sein d’une fédération parce que les grands électeurs n’avaient pas été élus de manière régulière. Le juge a annulé l’élection. C’est une défaillance puisque cela vient complètement déstabiliser le système. Cela traduit aussi un manque de maturité qui aurait peut-être pu être anticipé. C’est le genre de point que nous avons évoqué avec notre administration.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. De quelle fédération parlez-vous ?

M. Ludovic Royé. Je parle de la fédération de taekwondo. C’est un exemple parmi d’autres. En général, les difficultés que les fédérations peuvent rencontrer sortent dans la presse. D’ailleurs, je ne suis pas sûr qu’on les découvre. Il y a des signaux avant-coureurs. Nous devons nous interroger sur notre capacité à interagir avec la fédération en question pour éviter qu’elle aille trop loin dans ses difficultés.

Le deuxième item est celui des violences sexistes et sexuelles. Il y a eu un avant et un après 2020. Même si l’on peut s’en réjouir, ça ne signifie pas pour autant qu’il n’y avait rien avant. En tout cas, à mon avis, ce n’est pas assez et ce n’est pas partout. Cette prise de conscience collective a fait l’objet d’un portage ministériel très fort. La ministre Roxana Maracineanu a selon moi fait le bon choix, dans le sens où il n’était clairement plus question de laisser ce sujet sous le tapis.

En nommant Fabienne Bourdais, je pense qu’elle a également choisi la bonne personne pour prendre ce sujet à bras-le-corps. En outre, le choix du modèle qui est intervenu à ce moment-là était le bon. L’État a réagi à cette crise en faisant preuve d’un leadership très fort et en s’appuyant sur les fédérations pour la mise en œuvre opérationnelle. Sans ce leadership de l’État, nous n’aurions pas pu passer ce cap aussi rapidement.

Cela ne signifie pas pour autant que tous les problèmes ont été réglés. On apprend en marchant, ce qui nous amène parfois à faire des erreurs. Même s’il y a des choses que nous faisons bien, ce sont plutôt les erreurs qui sont pointées. J’ai pu entendre un certain nombre de victimes, qui sont marquées. C’est tout à fait compréhensible. Néanmoins, je pense que les choses ont évolué dans le bon sens sous différents aspects.

Il y a en premier lieu la question de la libération de la parole. Aujourd’hui, on en parle beaucoup. Plus on en parle, plus cela aide à libérer la parole. Sur ce type de violence, le plus difficile est que le sujet sorte. Il peut ensuite être traité.

Le deuxième sujet est la question du recueil de la parole. Nous avons appris à le faire, même s’il y avait auparavant des associations spécialisées. Il faut préciser que les fédérations sportives ne sont pas spécialisées dans le recueil de la parole. Elles ont donc parfois pu être mises en difficulté.

Le troisième sujet, qui n’est pas anodin, est de faire vivre trois procédures en parallèle : la procédure fédérale, la procédure administrative et la procédure judiciaire. Je fais notamment allusion à l’article 40 du code de procédure pénale. Le modèle actuel est selon moi transitoire. Je pense qu’il faut évoluer. On pourrait suivre l’exemple du chemin parcouru dans la lutte contre le dopage. Il y a eu une situation de crise, puis une prise de conscience collective. Cette crise-là a été marquée par un leadership fort de l’État ainsi que de la ministre de l’époque. L’ensemble du dispositif a été mis en marche en s’appuyant beaucoup sur les fédérations. Il a ensuite été créé une autorité indépendante, dont c’est devenu le métier, l’ADN et la compétence.

En ce qui concerne le recueil de la parole, certains préconisent de continuer à travailler avec les associations spécialisées. Pourquoi ne pas envisager d’avoir demain une autorité indépendante pour traiter le recueil de la parole, qualifier les situations remontées, gérer les problématiques d’information auprès des fédérations et permettre une meilleure coordination entre procédures administratives et procédures judiciaires ?

Aujourd’hui, pour répondre à une situation d’urgence, la procédure la plus rapide en termes de délais est souvent la procédure fédérale. Un exécutif fédéral a la capacité de prendre des mesures conservatoires et de convoquer quelqu’un en commission de discipline sous deux mois. Il n’en reste pas moins que les mesures coercitives qui peuvent être prises restent dans le périmètre exclusif d’une fédération. Le problème, c’est qu’un prédateur identifié à un endroit va nécessairement se déplacer vers un autre endroit.

La deuxième procédure la plus rapide est la procédure administrative. Les services de l’État, notamment par l’intermédiaire des préfets, peuvent prendre des mesures coercitives assez rapidement.

La procédure la plus longue, sur laquelle on a le moins de collaboration – peut-être pour de bonnes raisons –, est la procédure judiciaire. Elle peut amener à des décalages de compréhension dans la manière de traiter le sujet. La procédure judiciaire mobilise des pouvoirs d’enquête et de police, tandis que la procédure fédérale se limite au recueil de la parole des uns et des autres.

En ce qui concerne les lacunes actuelles, recueillir la parole est selon moi un vrai métier. Dans l’urgence, les fédérations se sont parfois appuyées sur des bénévoles, des salariés de droit privé ou des cadres techniques. Même si ces derniers sont des agents de l’État qui ont été recrutés avec certaines compétences, ils ne sont pas spécialisés sur le recueil de la parole des victimes, qui ont souvent vécu des choses qui sont particulièrement traumatisantes.

La libération de la parole est quelque chose de positif. Néanmoins, elle entraîne aujourd’hui certaines dérives que je pourrais qualifier de « dénis de service ». On se rend compte que les cellules « stop violence » internes aux fédérations sont parfois utilisées pour gérer des conflits interpersonnels, ce qui n’a rien à voir avec les violences identifiées initialement, ou des problèmes de vie associative internes à une structure. Cet afflux de cas qui ne correspondent pas à l’objet initial de tout ce processus peut entraîner des délais de réponse plus longs et une attention moindre, voire insuffisante, à de vrais cas qui mériteraient pourtant toute leur attention.

Sur le troisième item, à savoir la lutte contre toutes les formes de discrimination, le premier des combats est engagé depuis bien longtemps. Il s’agit de la discrimination de genre. La dernière loi de gouvernance aura un impact sur le renouvellement des exécutifs fédéraux en 2024. Il reste néanmoins encore beaucoup de chemin à parcourir, notamment aux échelons régionaux et départementaux. Je pense que nous avons tout intérêt à aller plus loin. Cela requiert sans doute un certain nombre d’étapes nécessaires à la conduite de cette transformation de fond.

Pour toutes les autres formes de discrimination, il y a deux niveaux. La prévention est selon moi de la prérogative des fédérations. La dimension répressive nous renvoie à nouveau aux trois items : répression fédérale, administrative et judiciaire. Toujours est-il qu’un certain nombre de comportements ne sont plus acceptables dans le champ du sport.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il est bien que vous évoquiez la question du recueil de la parole des victimes. Une des difficultés dont nous ont fait part de nombreuses victimes, c’est l’absence de suivi, y compris après un signalement auprès de la fédération. Est‑ce par méconnaissance ou par manque de formation au recueil de la parole ? On ne prend peut-être pas l’ampleur du témoignage, qui mériterait pourtant que des procédures soient déclenchées. Dans certains cas, l’article 40 n’a pas été activé immédiatement.

Les fédérations ne sont pas forcément formées en la matière. Pourtant, il est demandé aux présidents et aux DTN de déclencher des procédures. Comment les DTN sont-ils formés ? Étant donné qu’il y a actuellement un empilement de dispositifs comme les cellules « stop violence » et Signal-Sports, nous aimerions comprendre le processus au sein d’une fédération. Comment les choses se passent-elles lorsqu’il y a un témoignage lié à un cas de VSS ou de racisme au sein d’une fédération sportive ou d’un club ?

M. Ludovic Royé. En janvier 2020, avant les grandes révélations, j’avais fait intervenir l’association Colosse aux pieds d’argile à l’occasion d’un colloque de cadres techniques. J’ai pour ma part une formation juridique, mais je constatais une méconnaissance et une absence de formation sur tous ces aspects, et en particulier sur l’article 40. Je leur disais : « Tout fonctionnaire qui a connaissance d’un délit ou d’un crime à l’obligation de le signaler, quel que soit son avis sur la véracité ou non des faits. Notre devoir est de le signaler au procureur de la République, qui se charge ensuite de l’investigation. »

Cette intervention a suscité beaucoup d’intérêt et de débats. Lorsque vous êtes cadre technique et fonctionnaire militant au sein d’une fédération, vous avez un engagement humaniste. Par conséquent, le sujet de personnes maltraitées éveille bien évidemment votre attention. À la sortie de cette présentation de deux heures, plusieurs de mes collaborateurs sont venus me voir en me disant : « Il faut que je te parle d’un sujet. » Cette problématique a résonné avec le passé, le parcours et le quotidien de nos agents.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. La formation est-elle obligatoire dans votre cursus ?

M. Ludovic Royé. Non, pas du tout. Il n’y a pas de formation obligatoire sur l’article 40. Du moins, pas à ma connaissance. Cela ne fait pas partie des épreuves lors du concours. Je pense que c’est quelque chose qu’il faut vivre et incarner pour comprendre ce dont il s’agit. En revanche, depuis 2020, il y a eu un véritable saut qualitatif en termes de connaissance de l’article 40. Si vous trouvez un seul cadre technique qui ne connaît pas l’article 40, c’est qu’il est resté enfermé dans sa grotte.

Sur la question de savoir comment les choses se passent dans les fédérations, on a appris en marchant. Il y a donc eu des erreurs. Pour ma part, j’ai reçu des signalements directement. À l’époque, nous ne nous étions pas encore organisés en interne. Nous ne sommes pas forcément préparés à la lecture des témoignages des victimes. Dans certains cas, cela a effectivement pu être déstabilisant et on ne savait pas comment fonctionner. Néanmoins, je pense que les choses se sont à ce jour structurées dans la grande majorité des fédérations.

Au début, dans notre fédération, il y a eu un grand mélange des genres entre les procédures disciplinaires en interne, qui respectent le principe du contradictoire, et la procédure « stop violence », qui pouvait entraîner une décision politique temporaire avec des mesures conservatoires. Le premier niveau de maturité que nous avons pu avoir en interne a été : « Je reçois un signalement et je veux le traiter moi-même. » Un président de fédération ou un DTN ne traite pas forcément un tel cas lui-même. Le deuxième niveau de maturité a été : « Je suis président de fédération ou DTN et je reçois un signalement de ce type. J’oriente la personne vers les procédures en interne, notamment les procédures disciplinaires et la cellule d’écoute. » Pour autant, il y avait un grand mélange des genres. Aujourd’hui, nous sommes arrivés à un troisième niveau de maturité. Il y a une séparation entre la partie liée à l’écoute et le signalement, effectué auprès de Signal-sports ou du procureur de la République, et la procédure disciplinaire.

Nous avons clairement amélioré nos procédures internes. Nous avons véritablement appris et gagné en compétence. Cela permet d’éviter les vices de forme qu’on peut parfois rencontrer dans des procédures disciplinaires. Les avocats invoquaient souvent le fait que les droits de la défense n’avaient pas été respectés pour demander une annulation de la décision.

Entre l’hiver 2020 et l’automne 2023, nous avons progressivement bordé nos procédures internes. En revanche, il reste une faiblesse en termes de collaboration entre les procédures internes aux fédérations et les procédures administratives qui sont portées par les services préfectoraux, sur lesquelles nous n’avons pas toujours les informations, peut-être pour de bonnes raisons. Dans les enquêtes judiciaires, nous sommes auditionnés tout comme d’autres pour permettre au procureur de la République ou au juge de constituer le dossier.

Cela constitue vraiment la principale limite aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle je parlais tout à l’heure d’une autorité indépendante. On pourrait imaginer que la collaboration entre une autorité indépendante et les services de la justice se trouverait facilitée par des habitudes de travail en commun. Nous le voyons en matière de lutte contre le dopage : la grande collaboration que nous constatons aujourd’hui n’existait pas auparavant. Il pourrait être envisagé d’avoir demain le même niveau de maturité et de collaboration entre l’autorité administrative et l’autorité judiciaire dans la lutte contre les violences.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je voudrais évoquer la relation des DTN avec l’Agence nationale du sport (ANS). Nous avons cru comprendre qu’il y avait une difficulté de fonctionnement au sein de l’ANS. Pourriez-vous nous en dire davantage ? Quel est votre rôle et comment travaillez-vous avec cette agence ?

M. Ludovic Royé. La création de l’ANS n’a pas fait consensus. Notre association professionnelle considérait que ce n’était pas la bonne solution. Cela étant, le législateur a fait le choix de créer ce groupement d’intérêt public (GIP). En tant qu’agents de l’État, nous avons appris à travailler avec cette agence, qui revêt deux dimensions : la partie développement et la partie haute performance. Les modes opératoires ne sont pas exactement les mêmes.

Nous avons appris à fonctionner en marchant. Je ne veux pas dire que c’est un long fleuve tranquille : il y a parfois des tiraillements. Aujourd’hui, à neuf mois des Jeux olympiques et onze mois des Jeux paralympiques, nous nous devons de travailler ensemble et de nous focaliser sur l’objectif. Nous envisagerons ensuite le temps du bilan. Je pense que l’ensemble des acteurs, y compris les membres fondateurs de l’ANS, a intérêt à faire un vrai bilan de cette période. Plutôt que de revenir en arrière pour supprimer des choses, il s’agit davantage de poursuivre dans la continuité. Quoi qu’il en soit, nous serons volontaires pour dresser ce bilan à l’issue des Jeux olympiques et paralympiques.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous comprenons que tout le monde est obligé de collaborer dans la perspective des Jeux olympiques. Nous avions quelques interrogations sur la haute performance. Lors de l’audition de l’ANS, nous avions demandé quels étaient les critères de sélection pour les sportifs intégrés au cercle de haute performance. Lors des Jeux olympiques de Tokyo, une dizaine d’athlètes avaient été médaillés en dehors de ce cercle.

C’est justement votre regard de DTN sur ces critères de sélection et ce fonctionnement qui nous intéresse. Il ne doit pas y avoir de trous dans la raquette. Tous les sportifs qui méritent d’évoluer au sein du cercle de la haute performance doivent y être dès le départ.

M. Ludovic Royé. La première des choses, c’est qu’il n’avait jamais été mis autant d’argent sur la haute performance que dans le cadre de la préparation de ces Jeux olympiques et paralympiques. Les parlementaires nous ont attribué des budgets que nous n’avions jamais obtenus jusqu’alors. Ce n’est certes pas stratosphérique par rapport à d’autres politiques publiques, mais nos moyens sont clairement en croissance. Cela ne signifie pas pour autant que des moyens supplémentaires ne seraient pas nécessaires. Si vous avez la possibilité d’accompagner encore davantage le projet de performance des fédérations dans la perspective de Paris 2024, je ne peux que vous y encourager.

En revanche, l’utilisation et le ciblage de ces moyens restent perfectibles. À titre personnel, cette volonté d’un meilleur ciblage, d’une meilleure efficacité et d’une meilleure efficience de la dépense publique par rapport à la performance pour 2024 me paraît une très bonne chose. Il faut préparer demain. La richesse de l’écosystème sportif français est d’avoir un ensemble. Nous ne sommes pas UK Sport, qui ne cible que quelques sports et quelques personnes. Nous voulons faire de la France une nation sportive. Par conséquent, on ne peut pas manquer un seul pratiquant.

C’est la même chose en ce qui concerne la partie performance. On peut tout à fait avoir en même temps une approche généraliste et une approche ciblée et exigeante en termes de résultats. Je perçois le cercle de la haute performance comme une manière de mettre en avant cette volonté de reconnaître ceux qui gagnent. On parle souvent de potentiel de médaille, mais le seul qui vaille est celui qui est confirmé par un résultat.

Concernant la haute performance (HP), on est clairement sur une obligation de résultat et non une obligation de moyens. C’est vraiment un marqueur différenciant de cette politique publique. Est-ce que 100 % des athlètes du cercle HP vont gagner des médailles ? Non. Est-ce que 100 % des athlètes médaillés seront dans le cercle HP ? Non. La performance n’est pas une science exacte – sinon, il ne serait pas nécessaire que des compétitions se tiennent : on connaîtrait alors les résultats à l’avance, ce qui rendrait le sport beaucoup moins intéressant.

Le décalage entre les athlètes médaillés et ceux qui font partie du cercle HP n’est pas selon moi un élément déterminant. Il s’agit de reconnaître ceux qui réussissent et de mieux cibler les moyens là où on a la possibilité de gagner des médailles pour la France.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Mme Caroline Pascal, cheffe de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche, nous a dit que l’inspection avait régulièrement pointé le problème qui peut exister lorsque le directeur technique national, qui est un agent de l’État, est le directeur général des services (DGS) ou le directeur général d’une fédération. Ces deux fonctions sont parfois occupées par la même personne. Cela ne lui paraît pas souhaitable. Il est important que le DTN conserve un regard qui est celui de l’État avec une fonction interne, presque de contrôle, alors que le DGS est plus impliqué dans la politique menée par la fédération.

Par ailleurs, dans votre entretien au journal Jurisportiva, vous mentionnez le fait que le DTN de la Fédération française de canoë a toujours été un kayakiste. Vous ajoutez que vous aimeriez que le poste soit prochainement occupé par une personne venant de l’extérieur. Pour quelles raisons ?

M. Ludovic Royé. Je connais la position de l’inspection générale sur ce sujet. J’en comprends aussi les motivations, même si je ne les partage pas complètement. Étant donné que je changerai de mission après 2024, je ne le dis vraiment pas par volonté de garder ma situation. Est-ce que le DTN doit être également DG ? Doit-il être en charge de la formation ? Doit-il être directeur de la performance ? En fait, cela dépend de deux choses.

Premièrement, de la réalité de chaque fédération. D’ailleurs, l’une des difficultés pour définir le métier de DTN est qu’il y a autant de types de DTN que de fédérations. Non pas qu’il y ait une hiérarchie entre les fédérations, mais elles n’ont ni la même histoire ni la même vocation. Cela explique qu’elles n’aient pas la même organisation et que les DTN puissent avoir des rôles différents.

Deuxièmement, de la relation que l’État souhaite avoir avec telle ou telle fédération. C’est ce qui détermine le périmètre de mission de l’agent de l’État qu’est le DTN. On pourrait très bien imaginer un dialogue entre le président, qui a une vision organisationnelle en interne, et la direction des sports. D’ailleurs, c’est ce qui se fait. Cette dernière pourrait dire : « Pour votre fédération, on voit plutôt tel profil. » De la même manière, le président pourrait dire : « Pour ma fédération, je vois plutôt tel profil. » C’est de cette discussion-là que peut émerger le fait de savoir si le DTN doit être un spécialiste de la formation, de la performance, ou un administrateur du sport.

Le cumul des fonctions de DTN et de DG relève toujours d’une demande des présidents. Les présidents qui le demandent sont ceux qui souhaitent établir un lien très fort entre la fédération délégataire et l’État. Ce ne sont jamais des présidents qui considèrent que « plus l’État est loin, mieux c’est ». À titre personnel, je trouve que c’est plutôt une force que de travailler en très grande proximité avec l’État.

Par contre, l’inspection générale a raison sur le fait qu’il ne faut pas confondre les rôles. Il y a effectivement un enjeu de déontologie et d’indépendance vis-à-vis de la fédération. Il s’agit de créer les conditions pour que cette indépendance vis-à-vis du pouvoir politique fédéral soit effective. Le ministère peut poser un certain nombre de garde-fous en la matière.

Pour vous citer un exemple, on pourrait imaginer une autorisation de cumul d’activité. Dans ce cas, le DTN-DG relève d’une chaîne hiérarchique directe avec le président. Si je prends ma situation, je suis DTN-DG et je n’ai pas d’autorisation de cumul. Je n’ai pas non plus de rémunération de directeur général. En revanche, j’ai une délégation de pouvoir, comme la plupart des DTN qui sont uniquement DTN. Il s’agit de définir les pouvoirs conférés par le président. Il n’en reste pas moins que j’ai une seule autorité hiérarchique : la directrice des sports et la ministre. Je pense pouvoir dire que cette répartition des rôles est plutôt bien vécue. C’est là où je rejoins l’inspection générale. Il faut bien mettre des garde-fous pour éviter des conflits d’intérêts et des confusions de rôles.

En ce qui concerne l’interview à laquelle vous faites allusion, il est vrai que le DTN du canoë-kayak a toujours été DG. Il a toujours été issu de ce sport. Nous avons mené une transformation très forte de cette fédération lors des deux dernières olympiades. Le moment est peut-être venu de prendre quelqu’un de l’extérieur pour amener du sang neuf et une vision nouvelle. Il n’est jamais très bon d’être trop consanguin.

D’ailleurs, on pourrait très bien imaginer que l’État dise demain à une fédération : « Voilà plusieurs olympiades que vous n’avez que des gens qui sont issus de votre sport. Nous considérons aujourd’hui qu’il pourrait être bien d’avoir une personne en provenance d’un autre horizon, y compris ministériel. »

Compte tenu des fonctions de DTN, on pourrait envisager qu’un attaché d’administration puisse venir de tel ou tel ministère. Il pourrait apporter une nouvelle vision. Cela pourrait également être un attaché territorial. En fonction de la structure, du projet et de la physionomie de la fédération, un tel profil pourrait être intéressant. Ses connaissances pourraient contribuer à mener la fédération vers certaines politiques publiques. C’est dans ce cadre-là que j’ai tenu ces propos.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. En ce qui concerne les rôles de chacun, j’avais cru comprendre qu’un DTN auprès d’une fédération devait attendre trois ans avant de se présenter à la présidence de cette même fédération. Est-ce le cas ?

M. Ludovic Royé. Non, cette limite n’existe pas. En revanche, un conseiller technique sportif ne peut pas faire partie d’un exécutif fédéral. À ma connaissance, les collègues qui sont passés d’une mission de DTN à la fonction élective de président de fédération se sont toujours mis en retrait de leur fonction de DTN avant de s’engager politiquement, et c’est une bonne chose.

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*     *

38.   Audition, ouverte à la presse, de M. Édouard Durand, président de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (la Ciivise) (18 octobre 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Mes chers collègues, nous accueillons M. Édouard Durand, président de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise). Monsieur, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie pour votre disponibilité.

Nous avons entamé le 20 juillet dernier les travaux de cette commission d’enquête sur les défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux se déclinent autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

La Ciivise a été installée en mars 2021, à la suite notamment de l’émergence du mouvement #MeTooInceste, qui a mis en avant le caractère massif de ces violences. Elle poursuit deux objectifs : d’une part connaître et faire connaître l’ampleur des violences sexuelles faites aux enfants, identifier leurs mécanismes et sensibiliser la société et les professionnels en contact avec des enfants, et d’autre part formuler des recommandations afin de renforcer la culture de la prévention et de la protection dans les politiques publiques.

Vous avez recueilli plus de 27 000 témoignages et estimez que pas moins de 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année en France.

Pouvez-vous nous présenter les éléments que vous avez recueillis concernant les violences sexuelles sur les enfants dans le milieu du sport ? Pouvez-vous nous expliquer quelles sont les spécificités de ce milieu, et quels cadres et structures existants permettent de prévenir, détecter, sanctionner et accompagner les victimes dans le milieu du sport ? Vous semblent-ils adaptés ?

Partagez-vous le constat fait par certains d’un milieu sportif marqué par l’entre-soi, favorisant ce que beaucoup qualifient d’omerta ?

Plusieurs personnes auditionnées ont appelé à la création d’une autorité indépendante dédiée, qu’en pensez-vous ?

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Édouard Durand prête serment.)

M. Édouard Durand, président de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants. Je vous remercie de faire place à la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants dans vos travaux. Je copréside la Ciivise avec Mme Nathalie Mathieu, qui n’a pas pu être présente aujourd’hui et vous prie de bien vouloir excuser son absence. Je suis accompagné de ma cheffe de cabinet, Mme Alice Gayraud.

Je suis particulièrement heureux que vous nous entendiez aujourd’hui puisque la Ciivise publiera le 20 novembre un rapport qui aura pris trois années de travail.

Je suis juge des enfants depuis vingt ans, devenu en quelque sorte spécialiste des violences faites aux enfants, notamment les violences sexuelles commises dans le cadre familial, l’inceste. Le travail que mène la Ciivise nous permet de vous fournir des éléments sur les violences sexuelles commises dans le monde sportif. Cela dit, ni moi ni la Ciivise ne sommes spécialistes des institutions sportives et des règles qui s’appliquent au monde du sport. C’est donc en tant que connaisseur des dispositifs judiciaires, sociaux et sanitaires de protection de l’enfance que je vous parlerai aujourd’hui.

Vous me demandez, madame la présidente, si le monde du sport est un milieu fermé où règnent l’entre-soi et l’omerta sur les violences sexuelles commises en son sein. Je crois pouvoir vous répondre par l’affirmative sans hésitation, sans manquer au serment que j’ai fait prêter en tant que juge mais que je prête aujourd’hui pour la première fois. Ce milieu, comme tout milieu, fonctionne dans l’entre-soi et se protège du scandale du viol des enfants par l’omerta.

Je me trompe peut-être puisque je connais mal le monde sportif, mais la raison commande de dire que si les humains qui le dirigent sont les mêmes qui organisent la vie dans une famille, dans une école, dans un centre de loisirs ou dans une salle de catéchisme, quelle que soit la religion, alors il doit en aller de même là qu’ailleurs.

Le travail de la Ciivise met en évidence le fait que les violences sexuelles faites aux enfants ne font pas l’objet d’un interdit, mais d’un déni. L’interdit n’est pas de violer les enfants, mais de le dire.

J’ai souvenir d’une audience pénale que j’ai présidée il y a longtemps. Le tribunal pour enfants devait juger un enfant qui en avait violé un autre dans les douches des vestiaires après des activités sportives. Nous nous étonnions tous qu’aucun adulte ne fût présent dans les vestiaires pour surveiller les enfants. Le père de l’enfant victime avait lui-même répondu que s’il y avait eu un adulte, il aurait peut-être agressé les enfants : c’est une mesure de prévention contre les adultes qui avait fait qu’un autre enfant avait violé le sien.

Ce que je veux faire comprendre, c’est que les mesures de prévention que vous serez amenés à préconiser doivent tenir compte de la stratégie de l’agresseur. C’est l’un des éléments principaux de la doctrine de la Ciivise telle qu’elle a été conceptualisée par le collectif féministe contre le viol (CFCV). Car il y a des étapes du mode opératoire des agresseurs que l’on retrouve dans tous les témoignages des victimes. Si chaque témoignage est unique, le mode opératoire est toujours le même : l’agresseur recherche sa proie, il l’isole, il crée un climat de peur et de terreur, il passe à l’acte, il inverse la culpabilité, il impose le silence, il recherche des alliés – c’est-à-dire nous – et il assure son impunité. Vous devrez appliquer cette stratégie au milieu spécifique du sport pour discerner ce qui permettra de prévenir la perpétration de ces violences et de protéger les enfants qui en sont victimes.

L’une des missions de la Ciivise, en complément de celles que vous avez évoquées madame la présidente, est le recueil des témoignages des hommes et des femmes adultes qui ont été victimes de violences sexuelles dans leur enfance. Il s’agit même de sa mission principale : être l’espace de solidarité et de reconnaissance que ces personnes n’ont pour la plupart jamais trouvé dans leur existence. Chaque jour, mes collèges et moi-même recevons des témoignages, par téléphone, par écrit, à la commission, par le biais de notre questionnaire en ligne ou dans les réunions publiques que nous organisons chaque mois dans une ville de France, comme la semaine dernière à Clermont-Ferrand, où 150 personnes s’étaient réunies – j’espère que ce ne sera pas la dernière.

En cela, la Ciivise répond à un besoin vital pour les personnes qui ont été victimes de violences sexuelles, celui de faire l’expérience de la légitimité de leur parole, anéantie à la fois par le passage à l’acte de l’agresseur et par le déni auquel elles se heurtent au moment où elles révèlent les violences.

Après trois années de travail et l’audition des 27 000 victimes et de très nombreux experts de tous les champs professionnels, je crois pouvoir dire que les dispositifs élaborés par le ministère des sports depuis plusieurs années, notamment sous la conduite de la déléguée ministérielle à la lutte contre les violences dans le sport, Mme Fabienne Bourdais, sont parmi les plus aboutis, protecteurs et préventifs qu’il nous ait été donné de voir.

Vous allez recevoir M. Jean-Marc Sauvé, qui a présidé la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase). Vous savez que l’enquête qu’il a confiée à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) a mis en évidence que 0,28 % des 5,5 millions de femmes et d’hommes adultes qui ont été victimes de violences sexuelles dans leur enfance l’ont été dans le milieu sportif, soit environ 150 000 personnes.

L’analyse des 27 000 témoignages confiés à la Ciivise, un nombre extrêmement important qui fonde sa légitimité, nous a permis de remarquer l’existence de constantes, mais également de spécificités propres au milieu du sport, notamment concernant le type de violences. En effet, les viols sont présents dans la moitié des témoignages, soit une proportion plus importante que dans d’autres milieux. 75 % des victimes font état aussi ou exclusivement d’agressions sexuelles, délits d’une extrême gravité.

Les violences sexuelles dans le monde du sport sont commises sur une durée longue, entre un et trois ans. Si, dans un tiers de l’ensemble de nos témoignages, le passage à l’acte sexuel criminel ou délictuel n’a été commis qu’une fois, ce n’est le cas que pour moins de 20 % des victimes dans le monde du sport : la répétition des faits est plus importante.

Quelque 60 % des victimes évoquent des violences et agressions sexuelles subies plusieurs fois par mois, contre 40 % dans les autres institutions. L’âge moyen des premières violences sexuelles dans les activités sportives se situe autour de onze ans, contre treize ans dans les autres institutions.

Une autre particularité réside dans le fait que les actes sont connus d’autres personnes. Cela se sait. De la même manière, il est connu que l’entraîneur, pour l’appeler ainsi, a fait d’autres victimes. Ainsi, la révélation des faits a pour motif principal la protection des autres enfants – je sais qu’il fait d’autres victimes, je parle pour protéger les autres enfants – en plus de la punition de l’agresseur. Ce motif se vérifie dans un tiers des témoignages des victimes du milieu sportif qui ont accordé leur confiance à la Ciivise, contre 20 % pour l’ensemble.

Il existe des traits assez constants, repris dans l’avis que nous avons publié le 21 septembre dernier et que nous vous remettrons. Nous appelons « soutien social » la réponse personnelle et institutionnelle qui suit la révélation du viol ou de l’agression sexuelle, qui permet d’analyser le fonctionnement de la chaîne de protection. Le soutien social peut être positif – je te crois et donc je te protège – ou négatif – je te crois, mais rien ne se passe. Il peut également être absent : je ne te crois pas, tu mens.

Dans le milieu sportif, dans 60 % des cas, le confident de l’enfant victime de violences ne fait rien. S’ils disent « après le match, Guillaume a fait quelque chose que je n’ai pas aimé », la plupart des enfants se heurteront au néant. Dans la moyenne globale, l’absence totale de soutien social est de l’ordre de 40 %.

Aussi, 43 % des enfants ne sont pas crus. Et lorsque le soutien social est positif, celui du « je te crois, je te protège », la réponse principale est l’arrêt de l’activité sportive. C’est en effet une garantie de protection. Dans seulement 14 % des cas, une plainte est déposée. Dans moins d’un cas sur cinq, les autorités judiciaires de police et de justice sont amenées à confronter le violent sexuel à sa responsabilité pénale. C’est pourquoi, dans nos témoignages, non soumis à la prescription, l’âge moyen au moment du dépôt de plainte est de trente ans.

Concernant le traitement judiciaire, je rappellerai quelques chiffres généraux : 73 % des plaintes sont classées sans suite, seules 3 % des plaintes pour viol sur mineur donnent lieu à la condamnation du mis en cause, et seules 7 % des plaintes pour les violences sexuelles sur mineur, quelle que soit leur qualification. Il s’agit donc d’un système d’impunité.

J’en viens aux mesures de protection et de soins. Comme le répète depuis trois ans la Ciivise, les violences sexuelles subies dans l’enfance ont un impact tout au long de la vie de la victime, jusqu’à sa mort – et chaque jour de son existence. Les conséquences psychotraumatiques des violences sexuelles, que nous appelons « présent perpétuel de la souffrance », se traduisent par l’impossibilité de sortir de chez soi, d’avoir une activité professionnelle et donc une retraite, d’avoir une vie affective, sentimentale, sexuelle, une famille, des enfants… Toutes les sphères de l’existence sont attaquées durablement par cette rupture existentielle radicale qu’est la soumission au pouvoir de l’agresseur.

Comme cette expérience quotidienne des victimes est parfois mal comprise, nous avons souhaité la formuler pour tous les types d’activité et en chiffrer le coût. Le coût économique annuel des violences sexuelles faites aux enfants est de 9,7 milliards d’euros, et 60 % de ce coût résulte des conséquences à long terme sur la santé physique et psychique des enfants violés. Ce coût auquel nous consentons est justement celui du déni et de l’omerta. Chaque groupe humain se protège en excluant les victimes. Cela est vrai pour la famille, pour l’Église, pour les fédérations, pour l’école, pour tout groupe humain – il en a toujours été ainsi.

Pourquoi y a-t-il des particularités dans le monde sportif ? De manière générale, l’agresseur est un homme et la victime, une fille ou une femme. La part des victimes de sexe masculin est plus importante chez les mineurs qu’à l’âge adulte. Il s’agit toujours d’une personne qui a une autorité et un ascendant sur l’enfant. Ainsi, la Ciase avait pu établir un rapprochement entre la figure du prêtre et la figure paternelle – le prêtre est d’ailleurs appelé « mon père ». Il est possible de penser que la figure de l’entraîneur est de cet ordre. Il détient en effet un pouvoir considérable sur l’avenir de l’enfant, et sur son corps. Il est aussi investi par les parents d’une autorité très élevée. Comme cela arrive aussi dans d’autres milieux, les parents eux-mêmes, eu égard à la gloire à venir de leur enfant, protègent les agresseurs.

Il y a une question préalable et fondamentale : qui a le pouvoir sur le corps de l’enfant, qui y a accès ? Ce n’est qu’après avoir trouvé la réponse que vous pourrez envisager des mesures de protection et de prévention. Un juge des enfants en audience est un professionnel qui n’a pas accès au corps de l’enfant – sauf s’il donne l’ordre aux forces de sécurité de s’en saisir, dans le cadre pénal. À l’inverse, les professionnels du milieu sportif y ont accès très facilement. Le risque est plus élevé, la prévention et la protection doivent l’être tout autant.

Comment prévenir ? Si l’on reprend le cas de l’enfant qui en a violé un autre dans les douches, la solution aurait été d’imposer la présence de deux adultes. C’est la mesure qui préviendra la commission et la répétition des violences.

Une autre mesure de prévention consister à contrôler les antécédents au moment du recrutement, s’agissant des bénévoles comme des professionnels.

La prévention et la protection, indissociablement, passent par le repérage par le questionnement systématique. Il ne s’agit pas de dire qu’il y a des enfants violés dans les clubs de sport, il faut savoir comment ils s’appellent. Le seul moyen est de poser la question à tous les enfants. C’est le questionnement systématique.

Lorsque j’étais juge, je questionnais les enfants : « Est-ce que quelqu’un t’a déjà fait du mal ? » « Cela t’est-il arrivé d’avoir peur ? » « Parfois, certains enfants me disent qu’on leur fait des choses qu’ils n’aiment pas. T’a-t-on déjà fait des choses que tu n’aimais pas ? » Chacun trouvera la question adéquate, l’essentiel est que les enfants se disent qu’ils peuvent parler, que cette personne va les croire et les protéger, qu’il ne fait pas partie des 92 % des enfants violés qu’on ne protège pas.

Pour finir, je souhaite rappeler, même si j’ai bien conscience que cela dépasse le cadre de votre commission, que le futur de la Ciivise est incertain. Au 31 décembre, elle devra peut-être arrêter ses travaux. Il me semble nécessaire qu’elle soit maintenue, pour tenir la promesse qu’il lui a été demandé d’adresser à de nombreuses personnes : celle de les croire et de leur assurer qu’elles ne seront plus jamais seules. Elle a différentes missions à poursuivre et propose d’en assumer de nouvelles, éventuellement en tant qu’autorité administrative indépendante. À la différence de la Ciase, la Ciivise n’a pas été créée en tant que commission d’enquête. Il faudra bien un jour pourtant que cela ait lieu.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous retrouvons dans vos propos des points qui ont déjà été abordés au cours de nos auditions et ne pouvons que les confirmer pour le domaine qui nous occupe. Sur la base des témoignages que vous avez reçus, et puisqu’on dit que les schémas doivent se répéter, quels seraient les points de vigilance que nous devrions avoir particulièrement à l’esprit au cours de nos travaux ?

M. Édouard Durand. J’insiste sur la compréhension de la stratégie de l’agresseur, qui est un outil à la fois de protection et de prévention.

J’ai dit que l’agresseur recherche sa proie, en raison de sa vulnérabilité, puis l’isole. Il faut donc organiser l’impossibilité de l’isolement. Il crée aussi un climat de peur et de terreur. Mais cela se voit, la peur d’un enfant, je peux vous le dire sous serment.

Nous avons donc créé un outil de formation, en lien avec le ministère des sports, mais aussi l’éducation nationale, la santé, les affaires sociales, l’intérieur et la justice, pour donner aux professionnels, à chacune de ces étapes, le moyen de procéder au repérage par le questionnement systématique, avec des points de vigilance et une manière de conduire l’entretien de l’enfant.

Il faut aussi se préoccuper de l’organisation des espaces. La Ciivise s’honore, grâce au travail d’une de ses membres, Mme Marie Rabatel, d’avoir, à partir de la situation particulière des enfants handicapés, dégagé des pistes de protection supplémentaires pour tous les enfants. Parmi elles, cette question de l’organisation des espaces et du respect de l’intimité. Ce n’est pas parce que les enfants sont petits que les cabinets de toilette ou les espaces sanitaires doivent être collectifs. Organiser les espaces permet de limiter les capacités d’agir des agresseurs.

Dans le registre de la prévention, je pense que ces deux éléments sont les points de vigilance les plus aboutis, aux côtés du principe central de la présence de deux adultes, toujours.

Ensuite, et cela vaut pour n’importe quelle institution, il est nécessaire de parvenir à organiser une mise en sécurité immédiate des enfants sans faire reposer cette lourde responsabilité sur les seuls parents. Autrement dit, il faut arrêter l’activité. Non seulement c’est une protection garantie, mais cela évite à l’enfant de retourner dans les espaces du traumatisme.

Toutes les mesures, notamment le dispositif Signal-sports, qui permettent que les enfants ne soient plus confrontés à la personne mise en cause doivent être renforcées et légitimées. C’est ce que nous avons défendu pour les cas d’inceste : la mise en sécurité immédiate de l’enfant, par la suspension des contacts avec le parent mis en cause. Cela va de pair avec l’obligation de signalement.

En synthèse, nous devons résolument cesser d’adresser aux enfants et aux adultes protecteurs des injonctions paradoxales – leur demander de parler et de protéger, mais sans donner de crédit aux témoignages, voire en les sanctionnant. Le repérage par le questionnement systématique, l’encouragement à témoigner et à révéler les faits signifient implicitement que si l’on accepte, on va être cru et protégé. Sinon, c’est un marché de dupes. Il s’agit du seul moyen raisonnable pour sortir de l’invisibilité les 160 000 enfants victimes de violences sexuelles chaque année. Il n’y en a pas d’autre.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous retrouvons dans vos propos énormément de points concordants avec les témoignages que nous avons entendus. Les éléments généraux que vous nous avez donnés mettent en relief les particularités du mouvement sportif.

Comment expliquez-vous que 43 % des enfants ne soient pas crus alors que « cela se sait », pour reprendre vos mots ? Témoignent-ils auprès de la seule personne qui ne soit pas au courant, ou s’agit-il d’une volonté délibérée de ne pas donner suite, d’étouffer le signalement déclenché par la victime ?

La question de la présence de deux adultes a déjà été abordée devant nous, par exemple avec la mise en place d’un binôme d’entraîneurs qui éviterait le phénomène d’ascendant total sur le jeune sportif. D’accord, mais pour tous les cas justement où « tout le monde savait », dans quelle mesure la présence d’un second adulte, ou même d’un troisième, aurait-elle permis d’empêcher ces actes ? Si les témoins ne dénoncent pas et ne sont jamais sanctionnés, que faire ?

Il me semble que la responsabilité du signalement et de la procédure repose sur la victime. Il n’est jamais question d’analyser ce qu’ont fait les personnes qui ont reçu le signalement, ni de sanctionner celles qui savaient mais n’ont rien dit. Ne faudrait-il pas des mesures plus adaptées ? Non seulement il y a des témoins qui ne font rien, mais il y a des personnes qui essayent d’agir et qui sont sanctionnées par leur fédération, mises à l’écart, voire poursuivies pour dénonciation calomnieuse. Quel est votre regard sur ce point ?

Enfin, je me suis rendu compte avec surprise que l’article 40 du code de procédure pénale était assez mal compris des dirigeants de fédération entendus ici. Il me semblait que dès lors qu’un responsable a connaissance d’un fait, il a l’obligation d’en aviser le procureur de la République. Dans les faits, cela ne semble pas si systématique, et cela peut prendre plusieurs mois après le signalement. La loi est-elle suffisamment claire sur la temporalité de la procédure de l’article 40 ?

M. Édouard Durand. Votre commission d’enquête se heurte au déni constant et massif de cette réalité par la société. Je ne suis donc pas étonné des obstacles auxquels vous êtes confrontés. Que les violences soient commises par un membre de la famille, par un « grand » à qui l’on a envie de ressembler, comme un entraîneur, par un autre mineur ou par toute autre personne, la réalité est toujours la même.

Quelles en sont les raisons ? Je ne peux que faire des hypothèses. La première est que la société ne sait pas vraiment si le viol des enfants doit être interdit ou autorisé.

La seconde, c’est que cela fait peur. Quand vous recevez la parole d’un enfant, qu’il vous dit ce qu’il a subi, vous avez la représentation de la violence sexuelle dans votre esprit et c’est effroyable. Il est beaucoup plus facile de dire que cela n’est pas vrai.

La troisième hypothèse, c’est que vous risquez des ennuis. Or les humains sont ainsi faits qu’ils ne veulent pas d’ennuis.

C’est pour cela que ce sujet relève essentiellement d’une politique publique, pas de la responsabilité d’une ou de quelques personnes – et d’une politique publique massive, résolue, avec une doctrine très claire. Toutefois, nous raisonnons souvent en termes de dispositifs plutôt que de doctrine : nous estimons que tout est dit lorsque nous annonçons un dispositif. Mais si l’on ignore la doctrine des personnes qui y travaillent, le dispositif est incomplet, son fonctionnement n’est pas certifié.

Concernant la réaction des tiers, il faut se rendre compte que les faits sont connus au sein du groupe, dans l’équipe, entre les enfants – ce qui les pousse à parler pour protéger les autres. Mais 90 % des adultes qui reçoivent la révélation sont les parents, qui sont pris dans des paramètres contradictoires. « C’est moi qui t’ai envoyé là-bas, c’est moi qui ai fait confiance pour que tu deviennes une championne ou un champion. Si je révèle ton témoignage, je sais que je prends le risque de me heurter à une institution très puissante à laquelle on accordera plus de crédit qu’à ta parole. »

Si la politique publique ne garantit pas la sécurité des adultes protecteurs, rien ne changera. Tant qu’une personne risquera des ennuis personnels, des sanctions disciplinaires, il n’y aura pas d’action. Il faut une protection intégrale et a priori.

Le juge des enfants que je suis rappelle que le message envoyé aux professionnels, y compris pour les institutions sportives, est de ne pas empiéter sur l’enquête pénale. Ils ne sont pas enquêteurs. Cette injonction repose sur un implicite : dans le doute, il faut poser la question au maillon suivant de la chaîne, sans quoi on s’érige en position d’enquêteur. La résolution de ce dilemme moral est tout simplement : « Après tout, qu’est-ce que j’en sais ? »

Après avoir protégé, après avoir insisté sur le signalement, un troisième élément de réponse consiste à avoir des outils qui permettent de légitimer par avance la parole de l’enfant. D’où l’idée, qui pourrait convenir au milieu sportif, d’espaces de confiance où les enfants pourraient rencontrer régulièrement des professionnels à qui ils pourraient se confier. Ils pourraient tout dire, « j’ai peur parce que je n’ai pas réussi la dernière compétition », « j’ai toujours mal à la tête et je ne dors pas », mais aussi « il me fait des choses que je n’aime pas ». Ces espaces pourraient être organisés assez facilement en réalité, dans ce milieu comme dans d’autres.

M. Stéphane Mazars (RE). Merci pour le travail remarquable que vous effectuez.

Les chiffres sont assez révélateurs du système d’impunité que vous avez décrit. Pourriez-vous revenir plus précisément sur le nombre de condamnations prononcées, dès lors que les faits sont parvenus entre les mains des services de police ou judiciaires ?

Par ailleurs, même si vous attachez beaucoup d’importance à l’établissement préalable de la doctrine, considérez-vous qu’à ce jour, nos dispositifs juridiques et nos procédures judiciaires sont adaptés ? Parvient-on à faire cohabiter le principe de la présomption d’innocence avec l’écoute de la parole de l’enfant et ses conséquences en termes de protection et de mise en sécurité ? Préserver la présomption d’innocence tout au long d’une procédure de ce type, qui est longue, tout en accordant beaucoup de crédit à l’enfant et à ses accompagnants est une réelle difficulté. Préconisez-vous un changement de la procédure pénale concernant la présomption d’innocence ? Est-il envisageable de renverser les choses, comme certains le demandent, en établissant une présomption de véracité de la parole de l’enfant lorsqu’elle est recueillie dans des conditions convenables ?

Quelle est votre compréhension des victimes de ce milieu particulier qu’est le sport ? Car ces enfants, s’ils connaissent comme les autres la terreur, l’inversion de la culpabilité, les menaces, se rêvent aussi tous en champion. Révéler les faits, c’est faire une croix sur leurs rêves et sur leur avenir sportif, sans compter le poids des parents, qui ont beaucoup investi dans ce champ-là. Ils seront perdants sur toute la ligne : ils devront renoncer à leur ambition, ils vont se retrouver dans une procédure contre un adulte et ils vont décevoir leurs parents. N’est-ce pas une situation vraiment particulière ?

Mme Claudia Rouaux (SOC). J’avais le sentiment que la situation s’était améliorée parce que beaucoup des témoignages que nous avons entendus étaient anciens. Or il n’en est rien.

Le chiffre de 7 % de personnes condamnées semble très faible. À l’occasion d’échanges que j’ai pu avoir avec des présidents de clubs, j’ai cru comprendre qu’une des difficultés était qu’ils travaillent avec un grand nombre de bénévoles, ce qui rend difficile de vérifier leur parcours. Pour recruter quelqu’un dans la fonction publique, l’employeur a accès au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS) : pensez-vous qu’il faudrait étendre les possibilités de consultation, pour savoir plus aisément si une personne a commis des actes de délinquance sexuelle ?

Ce faible nombre de condamnations, lorsque les faits sont avérés, ne doit-il pas nous amener à nous interroger sur le fonctionnement judiciaire lui-même ? Des associations nous ont dit que les magistrats assortissaient très rarement les condamnations d’une interdiction de travailler à nouveau avec des enfants. Au risque de faire du sexisme à l’envers, ne faut-il pas considérer que les fédérations comme la magistrature sont des milieux largement masculins, qui ne prennent peut-être pas la mesure du problème ? Quelles seraient les pistes pour une prise de conscience ? Certains dirigeants que j’ai pu rencontrer découvrent complètement ce dont il est question dans nos auditions.

Enfin, les 160 000 enfants dont vous parlez ne sont pas tous de futurs champions – ou alors, s’ils font déjà partie de l’élite, cela suppose qu’il y a beaucoup plus de victimes au total. Confirmez-vous que les violences se produisent à tous les niveaux, du petit club au très haut niveau ?

Mme Pascale Martin (LFI-NUPES). Je suis les travaux de la Ciivise depuis sa création et suis très heureuse de vous entendre aujourd’hui. Pourriez-vous revenir sur la question de la temporalité de l’article 40 du code de procédure pénale ?

Par ailleurs, que faire face à ce chiffre de 73 % de plaintes classées sans suite pour les mineurs, sachant que le chiffre s’agissant des violences contre des femmes est tout à fait semblable ? Il est clair qu’il n’y a souvent qu’une parole, sans preuves. Mais comment sortir de cette impasse, sachant que ces violences auront, comme vous l’avez décrit, des répercussions tout au long de la vie ? Avez-vous des préconisations ?

Je termine en disant que l’hypothèse de la prolongation des travaux de la Ciivise aura tout mon soutien. Elle est un outil vraiment indispensable.

M. Édouard Durand. Vos questions sont essentiellement centrées sur le traitement judiciaire de ces affaires.

Les 160 000 enfants chaque année dont je parle sont les victimes de l’ensemble des violences sexuelles, du sport à l’école en passant par le cadre familial. Deux chiffres effarants permettent de rendre compte de la réalité : 5,5 millions d’adultes ont été victimes de violences sexuelles dans leur enfance, dont environ 150 000 dans le milieu sportif, et 160 000 enfants en sont victimes chaque année. Ces derniers ne rêvent effectivement pas tous de devenir des champions sportifs, mais ils souhaitent tous devenir le champion de leur vie. Une question hante tous ceux qui témoignent auprès de la Ciivise : « Qui aurais-je été s’il ne m’avait pas violé ? » J’ai conscience du caractère sombre de mes propos, mais c’est la réalité.

Il y a toutefois des progrès et le ministère des sports peut s’honorer de compter parmi les institutions qui élèvent le combat contre l’invisibilisation des enfants victimes de violences sexuelles. Ce processus de signalement administratif et judiciaire défendu par la déléguée ministérielle à la lutte contre les violences dans le sport, Mme Bourdais, est un dispositif armé d’une doctrine, qui certes peut être consolidé, mais permet déjà une action résolue. Il permettra même peut-être, ou sans doute, la levée des scandales.

Les 3 % des plaintes pour viol sur enfant mineur donnant lieu à la condamnation de l’agresseur s’expliquent aussi par une sous-révélation massive : parmi les 160 000 victimes annuelles, toutes ne portent pas plainte. Le premier moyen de protéger et prévenir consiste à susciter la révélation des faits et la judiciarisation instantanée de ces crimes et délits graves.

Entre les 160 000 victimes annuelles et les 3 % de condamnations pour viol, 7 % si l’on prend en compte toutes les violences sexuelles, il y a le chiffre des classements sans suite. En tant que professeur à l’École nationale de la magistrature, je disais à mes élèves que la société n’attend d’eux qu’une chose : qu’ils tiennent sur leur siège. Pour cela, il faut s’accrocher aux principes fondamentaux du droit – tous les principes fondamentaux : la présomption d’innocence, la charge de la preuve, le contradictoire, l’impartialité, la protection. Protéger, c’est anticiper le risque et non pas attendre qu’il survienne. Mais tous les autres principes doivent aussi être scrupuleusement respectés. Le problème de la présomption d’innocence ne réside pas dans son principe, mais dans l’interprétation que nous en faisons.

Toute personne est présumée innocente jusqu’à ce qu’elle ait été reconnue coupable par un jugement définitif, même si elle reconnaît les faits. C’est un principe procédural prévu par la procédure pénale. Ce n’est pas un joker qui permet de suspendre temporairement le réel. Ce principe n’est en rien contraire à la protection des enfants. En tant que juge, chaque fois que je signe un jugement, je me pose la question : « À qui fais-je courir le risque ? » Lorsque la réponse est « à l’enfant », c’est que la réponse est mauvaise. Décider, c’est prendre un risque, mais ce risque ne doit pas peser sur les épaules d’un enfant. Ce n’est pas contraire à la présomption d’innocence, je crois, et cela est vrai de tous les autres principes. Nous parlons d’une parole contre une autre parole.

Le rapport que la Ciivise publiera le 20 novembre comprend de nombreuses préconisations sur le traitement judiciaire, l’audition de l’enfant, l’expertise, le visionnage par les magistrats, l’enregistrement de l’audition des enfants, les témoignages des professionnels et thérapeutes qui connaissent l’enfant, les mesures de protection avant la déclaration de culpabilité. Toutes ces mesures répondent à l’objectif d’une législation plus impérative, qui limite l’aléa dans son interprétation. Il ne me semble contraire à aucun principe de décider qu’une personne qui a été déclarée coupable de violences sexuelles sur des enfants soit automatiquement interdite d’exercer une activité qui la mette en lien avec des enfants. Cela n’est pas contraire à la présomption d’innocence, c’est conforme à la raison. Aucun principe n’est contraire à la raison. L’accès au FIJAIS pour contrôles les antécédents d’une personne doit être possible pour toute personne qui porte une responsabilité à l’égard des enfants des autres.

Votre interrogation n’était pas sexiste, madame Rouaux : dans la quasi-totalité des cas, les agresseurs sont des hommes. Et, quel que soit leur sexe, les agresseurs vont là où il y a des enfants. Ce n’est faire injure à personne que d’effectuer un contrôle de ses antécédents, avant et après. Et cela doit être fait au bon moment, pas trois mois après que le bénévole a quitté sa mission. Il faut organiser une accessibilité réelle et effective, quel que soit le statut, bénévole ou professionnel.

Concernant la charge de la preuve et le principe « parole contre parole », les humains estiment depuis toujours que si un enfant a ces mots-là, c’est qu’il a vécu ce qu’il dit. Les théories sur l’enfant menteur, séducteur, corrupteur, n’apparaissent qu’assez récemment dans notre histoire. Avant leur existence, le déni était le même, mais les fausses dénonciations sont tellement marginales que le risque que nous courrons n’est pas de surinterpréter des révélations, mais d’envoyer des enfants chez leur agresseur.

Faut-il leur dire « Tu comprends, nous voudrions bien te protéger, mais nous avons des principes » ? Parfois, je me demande ce que ces enfants pensent du monde des adultes. Ils savent déjà qu’il est très loin de leurs rêves, quels qu’ils soient.

Enfin, effectivement, l’article 40 impose à tout agent public de transmettre au procureur de la République les infractions dont il a connaissance. Il est fondamental que tout professionnel soit instruit d’une règle claire : dans le doute, on signale, sans délai.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Considérez-vous justement que l’expression « sans délai » inscrite à l’article 40 est suffisamment claire ? Nous avons connaissance de cas où la procédure a été déclenchée six ou sept mois après la connaissance des faits : était-ce conforme à la loi ?

M. Édouard Durand. Il ne s’agit à mon sens pas d’un délai acceptable. Six ou sept mois, dans la vie d’un enfant, c’est long et dans la vie d’un agresseur, c’est beaucoup d’opportunités. Nous parlons de viols et d’agressions sexuelles !

Vous pourriez bien sûr faire inscrire dans la loi un nombre de jours et d’heures à respecter, mais là encore, il faut raisonner en termes de doctrine et non de dispositifs. Il faut que les professionnels sachent quoi faire, et qu’ils soient sécurisés : il ne s’agit pas de dénoncer, mais de protéger, c’est-à-dire d’anticiper le risque.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Si vous souhaitez compléter ces informations, n’hésitez pas à revenir vers nous, par mail ou par téléphone. Nous vous remercions pour vos propos clairs, pédagogiques et sages.

M. Édouard Durand. C’est un honneur pour moi d’avoir été auditionné par votre commission. Je tiens à remercier ma collègue, Mme Gayraud, qui m’a aidé à la préparer, notamment au moyen de l’analyse statistique des témoignages.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Merci à vous, Madame Gayraud.

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39.   Audition, ouverte à la presse, de M. Fodil Dehiba, ancien entraîneur de haut niveau en athlétisme (18 octobre 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous accueillons à présent M. Fodil Dehiba, ancien athlète et entraîneur de haut niveau en athlétisme. Monsieur, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité.

Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête le 20 juillet dernier. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux se déclinent donc autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ; les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

Votre audition sera l’occasion d’aborder notamment la question du dopage. Vous êtes un ancien athlète français, champion de France dans la catégorie « espoirs » du 10 000 mètres. Vous avez également entraîné l’ancienne athlète de haut niveau Hind Dehiba, qui est également votre épouse. Championne de France à de multiples reprises, elle a obtenu la médaille de bronze lors des championnats du monde de 2015.

En 2007, vous êtes interpellé avec Mme Dehiba à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle par les douaniers qui découvrent des ampoules d’hormones de croissance dans vos bagages. Mme Hind Dehiba est contrôlée positive à l’EPO et suspendue deux ans pour dopage par la Fédération française d’athlétisme.

Vous êtes condamné à cinq mois de prison avec sursis pour importation non déclarée de marchandises prohibées et infraction au règlement relatif au commerce ou à l’emploi de substances vénéneuses.

En 2007, à la suite de votre condamnation, vous proposez à la Fédération internationale d’athlétisme de collaborer pour lutter contre le dopage. Toutefois, vous expliquez que les ennuis ont réellement commencé lorsque vous avez souhaité donner des informations à ce sujet.

Mme Dehiba s’est ensuite portée partie civile dans le cadre du procès de M. Lamine Diack, ancien président de la Fédération internationale d’athlétisme, condamné en 2020 à quatre ans de prison, dont deux ans ferme, pour son implication dans un réseau de corruption destiné à cacher des cas de dopage en Russie.

Pourriez-vous revenir sur votre parcours et nous communiquer les éléments en lien avec le champ de cette commission que vous avez pu rencontrer ? Pourrez-vous également nous expliquer en quoi précisément ont consisté les ennuis que vous dites avoir rencontrés après avoir proposé à la Fédération internationale d’athlétisme de collaborer dans la lutte contre le dopage ?

Avant de vous laisser la parole et d’entamer nos échanges, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. ».

(M. Fodil Dehiba prête serment.)

M. Fodil Dehiba, ancien entraîneur de haut niveau en athlétisme. Je vous remercie de me permettre de m’exprimer devant cette commission et d’informer la représentation nationale de différents dysfonctionnements issus du comportement d’acteurs qui régissent le milieu du sport et d’institutions ayant délégation de service public. Je répondrai avec sincérité et honneur tout en prenant de la hauteur, sans aucune animosité ni rancœur. Je suis ici pour mon sport et pour contribuer à son intégrité.

J’ai une pensée émue pour feu M. Jean-Maurice Dradem qui fut un grand serviteur de l’État et avec qui j’ai travaillé en secret, dans l’intérêt du service public, au niveau de la délégation régionale académique à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (Drajes) d’Île‑de‑France.

J’ai quarante-sept ans et j’enseigne à des étudiants de lycée en BTS en tant que professeur d’économie-gestion dans la filière « prévention sécurité ». Référent SNU et laïcité, fonctionnaire d’État de catégorie A, je suis marié et père de quatre enfants. Mes différentes expériences dans le sport, bonnes ou mauvaises, m’ont amené à découvrir des dysfonctionnements dans le milieu du sport, notamment dans l’athlétisme.

Les frontières sont souvent poreuses entre les sphères politiques et sportives et il existe des problèmes de gouvernance en l’absence d’un système honnête d’élection représentative. Cette porosité amène une multitude de dysfonctionnements, difficiles à énumérer tant ils sont nombreux.

Aussi, je suis devant vous pour évoquer différentes problématiques concernant le dopage et d’autres formes de dysfonctionnements telles que les représailles sur les lanceurs d’alerte. J’interviens secrètement depuis seize ans en tant que lanceur d’alerte dans le milieu du sport, au départ auprès de journalistes, puis auprès d’institutions qui sont venues progressivement solliciter mon aide et cela sans contrepartie financière.

J’ai accepté que mon image soit associée à celle d’un voyou afin de mieux me fondre dans les coulisses du sport. Je me suis ainsi camouflé pour ne pas être vu et être utile à la lutte antidopage.

Mon premier interlocuteur a été en 2007 Damien Ressiot, alors journaliste au quotidien L’Équipe, qui a rejoint ensuite en 2014 l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé du public (OCLAESP). Je continuais de travailler à ses côtés lorsqu’il a pris la direction des contrôles à l’Agence française de lutte antidopage.

En 2017, j’ai travaillé également avec l’Agence d’intégrité de l’athlétisme créée par la Fédération internationale, notamment aux côtés de M. Kyle Barber avec qui nous avons mené des enquêtes. J’ai mis à leur disposition mon réseau et mes contacts. J’ai également proposé des stratégies pour améliorer la lutte antidopage aux niveaux national et international.

Enfin, en 2018, M. Savarino, conseiller sport au ministère de l’intérieur et auprès de l’Oclaesp, m’a sollicité pour une enquête particulière qui a fait beaucoup de bruit dans le milieu du sport. Elle a provoqué des représailles à mon égard sur lesquelles je reviendrai.

Je contribue également au rapprochement entre l’Agence des contrôles de la Fédération internationale (AIU) et l’Oclaesp, dans le but de sceller un accord. Une convention les lie aujourd’hui. Comme je l’ai indiqué dans mes propos liminaires, M. Jean-Maurice Dradem a représenté ma porte d’entrée au ministère des sports par le biais de la Drajes. J’ai pu ainsi transmettre des alertes dès 2018. À l’époque, je n’avais pas confiance en beaucoup de monde au sein du ministère. M. Jean-Maurice Dradem est une personnalité atypique. Il m’a permis d’organiser un système d’aiguillage pour transmettre des informations préoccupantes qu’il relayait ensuite à la « commission Trafic » dont il assurait la présidence.

Du côté de la presse, bien que tous les journalistes sportifs me connaissent, certains n’ont eu connaissance de mon implication secrète dans la lutte antidopage qu’au bout de dix ans, à l’exemple de Mme Baudrier qui avait écrit des articles négatifs à mon égard sans savoir que je travaillais pour la lutte antidopage. Elle fut extrêmement surprise de cette révélation.

J’ai démarré une collaboration avec M. Vildary, journaliste à France Télévisions, en 2015, l’année même de l’affaire que vous avez citée avec la Fédération sportive internationale d’athlétisme (IAAF, devenue World Athletics). Nous avons travaillé sur de nombreux dossiers et j’ai été dans ce cadre consulté par des magistrats ou des gendarmes, des journalistes français et étrangers, des services d’enquête, etc.

Mon expertise est appréciée car je suis d’abord un technicien de haut niveau et je possède une connaissance approfondie de l’écosystème de mon sport. Mon engagement est fort, efficace et honnête. Au fil du temps, j’ai compris les mécanismes politico-sportifs qui génèrent une grande partie de ces dysfonctionnements. J’ai compris les liens extérieurs qui amènent des élus sportifs à prendre des décisions contraires aux intérêts des fédérations qu’ils dirigent. Ces décisions ont un impact sur la santé publique des sportifs, sur la vie démocratique, sur la protection des femmes et provoquent le fourvoiement des cadres techniques ayant une emprise sur mon sport. Le système est consanguin et sclérosé. Je tiens cependant à préciser qu’une partie des conseillers techniques sportifs (CTS) font très bien leur travail. Je ne les stigmatise donc pas tous. Je pourrai y revenir si vous le souhaitez.

Je me suis éloigné de cet environnement en me présentant le 21 juin 2019 au concours d’inspecteur de la jeunesse et des sports par la voie des bénéficiaires de l’obligation d’emploi (BOE), concours présidé par M. Lavaure, inspecteur général, que vous avez auditionné. Mon objectif était de contribuer à rendre mon sport plus propre en devenant inspecteur de la jeunesse et des sports.

Après avoir obtenu la première place de ce recrutement, j’ai finalement reçu une fin de non-recevoir quelques semaines après par le directeur des ressources humaines. À cet égard, M. Lavaure avait eu le courage de me signifier devant le jury qu’il présidait qu’il avait connaissance de mon statut de lanceur d’alerte et qu’il encouragerait la poursuite de mes actions si mon recrutement se réalisait. C’est au terme de la procédure que j’ai déclenchée auprès de la Défenseure des droits pour la reconnaissance officielle de ce statut que j’ai appris avoir été victime d’un détournement de pouvoir excluant ma nomination. Là aussi, je pourrai y revenir si vous le souhaitez.

Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions et pour développer les sujets que vous souhaitez aborder. J’ai aussi des pistes de réflexion à vous soumettre.

Enfin, je vous remercie de me donner l’opportunité de parler en public pour la première fois sous mon statut, non encore officiel, de lanceur d’alerte dans le milieu du sport.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Est-il facile aujourd’hui de se procurer des substances dopantes en France ?

M. Fodil Dehiba. En France, il s’agit essentiellement d’un détournement de l’usage thérapeutique. Dans les enquêtes que j’ai suivies, les substances dopantes viennent surtout de l’étranger.

Je peux également revenir sur mon cas personnel. Je tiens à préciser que j’ai été relaxé pour les faits de dopage, même si j’ai commis une faute. En 2004, j’étais le plus jeune entraîneur à qualifier un athlète aux Jeux olympiques. J’avais vingt-huit ans et je manquais de hauteur. J’ai été peut-être un peu manipulé et j’ai manqué assurément de discernement. J’ai donc souhaité me « racheter ». Cela était important pour moi et pour ma famille.

Effectivement, il est facile d’avoir accès à ces produits. Dans ces dossiers dont je vous ai remis une analyse, j’explique de quelle manière un président de club d’athlétisme tente d’acheter des produits dopants extrêmement lourds, le GW1516 et l’Aicar. Il ne s’agit même pas de médicaments, mais de substances. J’ai récupéré auprès d’une de mes sources un e-mail et, après m’être engagé sur ce dossier, j’ai connu de nombreuses complications. Cela concernait dans un premier temps l’anonymat, difficile à obtenir en tant que lanceur d’alerte, que j’avais demandé auprès des institutions à l’égard de ma source.

Beaucoup de médicaments viennent de l’extérieur par le biais d’internet. À l’inverse, très peu d’officines vendent des produits dopants. Sans vouloir stigmatiser un pays en particulier, je constate que les difficultés se concentrent autour de certains États. En France, nous pouvons trouver plus facilement de grandes quantités de produits dopants de l’autre côté des Pyrénées.

Souvent, les athlètes achètent les produits ou les font acheter par l’entourage en se rendant dans le pays où il est plus facile de se doper et de s’entraîner, car le dopage ne fonctionne que si l’on s’entraîne et que l’on suit le protocole. Il faut donc pouvoir se cacher. Cela explique les cas de no show qui concernent certains sportifs.

Une actualité de ce type concerne le champion de France du 100 mètres qui a été récemment contrôlé par les autorités. J’avais alerté l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) sur le cas de cet athlète qui effectuait des voyages fréquents à Abou Dhabi, plateforme du dopage des culturistes. Sa prise de masse avait été effectivement assez importante. L’AFLD avait certainement déjà des informations, mais j’avais transmis un avis sur ce cas.

Certains pays facilitent donc le dopage, tels que, par ordre croissant de facilité, le Mexique, l’Espagne, ou les pays de l’Est. Une solution de la lutte antidopage consiste donc à surveiller les allées et venues des sportifs.

En tant qu’entraîneur et possédant un large réseau à l’international, je reçois des alertes qui m’indiquent la présence d’un athlète dans un pays où il fait des approvisionnements en pharmacie.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pourriez-vous nous dire quel regard vous portez sur l’Agence française de lutte contre le dopage ?

M. Fodil Dehiba. Il m’est difficile d’y répondre car j’ai travaillé avec elle en secret. Très peu de gens à l’Agence ont connaissance de mon travail auprès de l’institution. Je leur ai récemment adressé un dossier qu’ils n’ont pas encore traité. Je les sais également très occupés par les Jeux olympiques. Ils viennent de connaître par ailleurs un changement de gouvernance avec une nouvelle présidente. L’administration est réputée agir avec lenteur. Cependant, je l’ai vue s’accroître.

L’une des choses que je leur ai longtemps reprochées est d’avoir fait confiance aux fédérations, qu’ils ont crues fiables et capables de les aider. Or les fédérations les aiguillaient sur les éléments qui leur convenaient. Il y a une forme de protection et d’omerta dans le sport. Je pense que vous avez pu le constater au fil des différentes auditions que vous avez tenues.

Je souhaite évoquer également avec vous les autorisations d’usage thérapeutique (AUT), que j’ai découvertes assez récemment. Celles-ci sont extrêmement difficiles à obtenir en France, à l’inverse de beaucoup d’autres pays à l’étranger régis par le règlement de l’Agence mondiale antidopage. Dans notre système français très restrictif, j’ai pu observer les connivences de certains médecins fédéraux du système médical français, justifiant par exemple assez facilement l’absence d’un athlète à un contrôle, que l’on nomme no show.

En pratique, un athlète communique sa localisation pour le trimestre. Il doit donner chaque jour une heure et un endroit où il se doit d’être présent. Nous sommes les champions du monde du changement de localisation à la dernière minute de manière à déstabiliser les contrôleurs qui y attendent à un endroit pour effectuer le contrôle.

Les champions français ne sont pas épargnés. Sans avoir de données chiffrées, nous avons des athlètes qui, à chaque médaille, ont bénéficié d’autorisations d’usage thérapeutique leur permettant de prendre des médicaments, des corticoïdes essentiellement, en cas de blessure. Il s’agit donc d’une forme de dopage légalisé. Et cela pose un problème de santé publique, surtout lorsque l’équipe de France part à l’étranger où elle n’est plus soumise à la législation française.

Il n’est pas impossible que l’on approche les 100 % de cas où des champions médaillés étaient placés sous AUT au moment de leur exploit.

Un autre problème concerne le service médical réglementé (SMR), qui manque d’efficacité, ou le passeport biologique. Ce dernier permet de conserver des données en hématologie et de fournir un off-score, selon une formule mathématique qui permet de savoir si l’athlète a suivi une méthode interdite.

J’ai transmis cet après-midi même un document concernant les championnats du monde de 2006, qui permet de prendre la mesure de l’état de l’athlétisme à cette période et de comprendre comment on peut arriver à commettre des erreurs. Cette analyse porte sur les quatre premières athlètes des championnats du monde. N’importe quel médecin pourrait vous confirmer que les trois premières sont dopées. Il se trouve que la quatrième était justement mon épouse. Elle bat alors le record de France. À ce moment-là, je comprends qu’elle ne montera sur aucun podium aux Jeux olympiques, car l’ensemble du système est truqué. Pour comprendre l’existence d’un dopage sans disposer de données précises à cette période, il suffisait d’observer la prise de masse musculaire de certaines athlètes, leur manière de courir et de récupérer qui n’était pas compréhensible. Ce sont des traits que je retrouve par ailleurs chez les athlètes de l’équipe de France actuellement.

Je découvre plus tard, en 2015, à l’occasion de l’affaire Diack que vous avez citée, un document présentant 12 000 analyses sanguines. J’y relève alors les données des quatre premières athlètes de ces championnats du monde et je prends conscience de la supercherie au détriment de la France. La première y a par exemple un off-score de 139, la deuxième a un hématocrite à 54,7 % et la troisième un hématocrite à 51,5 %.

Lorsque l’on ramène en France la quatrième place alors que tout est truqué, ce résultat m’est reproché par le directeur technique national (DTN) car l’équipe de France n’avait rapporté aucune médaille. Je leur signale qu’il est très difficile de battre les athlètes russes. C’est à ce moment que l’on joue sur la sensibilité des entraîneurs, les poussant à franchir la ligne. Cela a été pour un moment très désagréable, marqué par une forme de dépression. J’étais jeune et je ne savais plus quoi faire. Je crois d’ailleurs avoir été à vingt-huit ans le plus jeune à remporter une médaille en championnat d’Europe en tant que coach.

Le système mis en place n’a pas pour objet de lutter contre le dopage. Il existe pour gagner des médailles sans se faire démasquer. Aussi, après avoir manqué de discernement, j’ai décidé de travailler pour réparer mon erreur et l’image que j’avais créée autour de mon épouse, plutôt que de m’arrêter. Cela fait désormais longtemps que j’y travaille et il m’importe toujours autant de le faire, car aujourd’hui le milieu manque de gens honnêtes.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je souhaiterais revenir sur le périmètre des dysfonctionnements du mouvement sportif. Bien que la question du dopage sorte de l’objet de cette commission, il est intéressant d’observer des similitudes dans ces dysfonctionnements. Vous avez évoqué un environnement qui encourage les erreurs au sein même de la fédération, à travers la chasse aux médailles. La fédération vous aurait poussé à commettre cette erreur. Est-ce bien ainsi que l’on doit l’interpréter ?

Je trouve également intéressante votre explication des mécanismes mis en place par la fédération. Pourriez-vous nous décrire les mécanismes qui vous semblent aujourd’hui poser problème dans une fédération comme celle de l’athlétisme et qui provoquent ces dysfonctionnements ? Je pense notamment au fait que des institutions telles que l’Agence nationale de lutte contre le dopage se reposent sur les fédérations pour réceptionner les informations nécessaires. C’est également le cas du ministère des sports, qui compte sur les fédérations pour transmettre les signalements concernant les violences sexuelles ou sexistes, les actes de racisme ou de discrimination. Quels sont ces mécanismes qui empêchent les signalements d’être faits correctement ? Se peut-il qu’ils ne soient pas pris au bon niveau et traités de la bonne manière, ou est-il question de cette omerta qui continuerait de régner dans le mouvement sportif ?

M. Fodil Dehiba. Je vais répondre à travers l’exemple concret d’un dossier sur lequel j’ai travaillé. En 2014, une personne a commis une faute que j’ai signalée et qui n’a pas été suivie. Ce n’est que lorsque j’ai passé le concours d’inspecteur en 2019 que j’ai reçu une écoute, qui je crois a été défavorable à mon recrutement.

Lorsque vous êtes médaillé, vous êtes pour ainsi dire protégé. En 2014, l’athlète Teddy Tamgho reçoit une suspension d’un an pour trois no show. En effet, lorsqu’un athlète n’est pas présent à trois contrôles, une sanction est prononcée entre un an et deux ans. C’est le mécanisme derrière qui est intéressant. Dans le code du sport, un sportif suspendu pour une infraction au code mondial antidopage ne peut participer à aucun rassemblement ni aucun entraînement avec l’équipe de France. Il n’a plus accès aux installations ni à l’Insep. Pourtant, en juillet 2014, trois ou quatre mois après le début de la suspension par ailleurs très peu médiatisée de ce champion du monde, star française de l’athlétisme, la fédération l’envoie entraîner l’équipe de France junior aux championnats du monde aux États-Unis. Elle a donc écarté un cadre de l’État pour qu’un athlète suspendu entraîne l’équipe de France, ce qui constitue une infraction au code du sport, un véritable délit. Vous recevez demain M. Yalouz, qui l’a autorisé. Je considère qu’il a commis une infraction pénale.

Une seconde infraction a été commise avec ce même athlète qui participe quelques mois après au stage national organisé à Saint-Malo avec de l’argent public. Là où un athlète moins gradé aurait été écarté, la star française de l’athlétisme est maintenue.

Une troisième infraction a lieu en décembre 2014 ou janvier 2015 lorsque M. Yalouz organise un stage national pour lui. J’en ai connaissance par des informations que je transmets à l’Agence antidopage de la Fédération internationale. M. Yalouz organise précisément un stage dans l’un des deux centres olympiques américains basés à Colorado Springs et Chula Vista, commettant ainsi, avec l’argent de l’État, l’infraction dans un centre olympique étranger. Il est pourtant autorisé par la suite à remettre des médailles à l’occasion des championnats de France des jeunes et des championnats de France de cross.

J’ai transmis à l’unité d’intégrité de l’athlétisme (AIU) une vidéo où l’on peut observer Teddy Tamgho entraîner les athlètes dans la zone réservée alors qu’il est soumis à une suspension. Il figure à deux mètres du vice-président de la Fédération française lors des championnats d’Europe. Des stages nationaux sont organisés pour lui. Ainsi, le DTN est totalement hors la loi. J’ai donc transmis un dossier concernant ces situations, que j’ai également porté à la connaissance de la Défenseure des droits. J’estime en effet que le refus de ma nomination a été lié à la révélation du dysfonctionnement de ma fédération.

Une enquête a par la suite été réalisée concernant cet athlète. Elle s’est soldée par l’ajout d’une suspension rétroactive. Il n’y a donc pas eu à mon sens de véritable sanction. En effet, l’annulation rétroactive de seulement deux ou trois compétitions ne rendait pas effective la sanction sur la totalité de la durée qui avait été décidée. Vous avez donc ici la preuve du dysfonctionnement complet du système qui protège les athlètes qui rapportent des médailles.

L’AIU n’a pas pu suspendre les cadres techniques pour des raisons de territorialité, le siège étant basé à Monaco. Ils ont pourtant connaissance du dossier et pourront facilement vous transmettre les preuves de leurs deux années d’investigation, quelque peu retardées par la crise du covid-19.

Je suis convaincu que j’ai été écarté du poste d’inspecteur de la jeunesse et des sports à cause de cette révélation. Je pourrais être en mesure de le prouver. À l’occasion du dépôt de mon dossier auprès de la Défenseure des droits, seule institution habilitée à donner le statut juridique de lanceur d’alerte, deux témoignages me sont parvenus. Le premier d’entre eux venait d’une personne qui travaillait avec le cabinet de la ministre des sports d’alors Mme Roxana Maracineanu. Selon son témoignage, elle a su que le cabinet avait subi des pressions pour que je ne sois pas nommé inspecteur. Ils ont en cela cherché à nuire à un candidat qui avait pourtant droit à un accès équitable concernant un concours de l’État.

Par ailleurs, une cadre technique avait écrit à la Défenseure des droits en lui affirmant que des jurys d’examen avaient été truqués. Elle avait témoigné avoir subi des pressions en tant que coordinatrice des formations pour ne pas valider mon DESJEPS, le diplôme le plus élevé pour un entraîneur, permettant de passer le concours de cadre technique d’État.

Ainsi, la direction technique nationale a aussi la possibilité de vous faire taire en rendant impossible votre accès à un diplôme. Elle l’a fait par deux fois et j’ai dû attendre le départ du DTN pour obtenir ce diplôme lors de mon troisième essai. Cette cadre technique a également témoigné avoir reçu des pressions pour ne pas valider le diplôme d’autres personnes et favoriser celui d’autres candidats qui ne le méritaient pas.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous n’avons plus de questions. N’hésitez pas à revenir vers nous pour nous transmettre des informations complémentaires.

M. Fodil Dehiba. Je souhaite ajouter que le dépôt de mon dossier auprès de la Défenseure des droits était motivé par le fait que ma famille avait fini par être atteinte. Mon épouse avait réussi un recrutement en tant que coordinatrice administrative et financière au pôle jeunesse de la Drajes. La cheffe de pôle lui avait notifié la date de démarrage de son activité en lui précisant les détails logistiques, la veille de sa prise de poste. Quelques heures plus tard, la responsable des ressources humaines a annulé son recrutement. J’estime que cette décision s’assimile à des représailles.

La cadre technique en charge de la coordination des formations avait également effectué un signalement à son inspectrice. L’article 40 n’a, là encore, pas été appliqué dans la mesure où il n’y a pas eu de suite. Une cadre d’État signale des faits de pression et une incitation à commettre des délits, elle dénonce des actes hors cadre du DTN et la seule réponse qu’elle obtient consiste en sa mutation au sein d’un autre service. Le système perdure en maintenant cette situation d’omerta.

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40.   Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Astruc, procureur de la République de Rennes (18 octobre 2023)

M. Stéphane Buchou, président. Nous accueillons à présent M. Philippe Astruc, procureur de la République à Rennes. Monsieur le procureur, je vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions.

Comme vous le savez, nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête le 20 juillet dernier. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite des très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux se déclinent donc autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

Lors de la quatrième convention nationale de prévention des violences dans le sport, le garde des sceaux a rappelé que « si de prime abord, on peut penser que la justice et le sport sont deux thèmes qui n’ont pas grand-chose en commun, il n’en est rien. La lutte contre toutes les violences dans le domaine du sport est une préoccupation majeure du ministère de la justice ».

Pourriez-vous nous présenter les orientations du ministère de la justice en matière de lutte contre les violences dans le sport ? Combien de plaintes, signalements ou dénonciations avez-vous reçus dans le champ du sport. De qui émanent-ils et quelles suites y sont données ? Quelle appréciation portez-vous sur le cadre existant pour prévenir, détecter, signaler et sanctionner les violences sexuelles et sexistes, les actes de discrimination et de racisme ou les infractions financières dans le milieu sportif ?

Avant de vous laisser la parole et d’entamer nos échanges, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Philippe Astruc prête serment.)

M. Philippe Astruc, procureur de la République de Rennes. Je vous remercie de votre invitation. Je ne pourrais peut-être pas répondre pleinement à votre interrogation dans la mesure où je ne représente pas le ministère de la justice. J’apporte le témoignage d’un procureur de terrain, confronté comme les cent soixante-trois autres à ce type de problématique.

Je souhaiterais expliquer en préambule le lien avec l’environnement sportif, dans l’exercice de notre métier. Cette thématique figure aux côtés de nombreuses autres tout aussi prioritaires : la radicalisation, le harcèlement scolaire, les violences conjugales, les atteintes aux biens, les trafics de stupéfiants, etc.

Les problématiques rencontrées dans le cadre du sport relèvent de la sécurité des stades, du hooliganisme, des questions de dopage, mais également du transfert de joueurs, notamment dans les clubs professionnels de football. Il y a enfin, bien entendu, la question des violences sexistes et sexuelles.

Je ne pense pas que nous possédions de statistiques judiciaires sur ce sujet, ce que devrait pouvoir confirmer la direction des affaires criminelles et des grâces. La raison est liée à l’absence de circonstances aggravantes. En l’occurrence, il n’existe pas de violence sexuelle aggravée du fait de l’environnement sportif. Les circonstances aggravantes ont un intérêt statistique, car elles permettent d’identifier une problématique.

Les dossiers d’agression ou de viol commis en marge d’une activité sportive, qu’elle soit associative ou professionnelle, peuvent présenter des circonstances aggravantes lorsque les faits sont commis sur un mineur de moins de quinze ans ou par une personne ayant abusé de l’autorité que lui confèrent ses fonctions. Il n’est cependant pas possible de discriminer, à l’intérieur de ces circonstances aggravantes, celles qui sont liées au lieu de la commission des faits.

Le parquet de Rennes représente 40 000 à 50 000 procédures par an. Contrôle plus de 300 000 affaires par an liées aux amendes forfaitaires délictuelles.

Mme la députée a bien voulu appeler mon attention sur le cas d’une procédure concernant une ancienne sportive, liée à une affaire médiatisée. Il y a dans chaque parquet un référent sport, mais celui-ci prend en charge généralement les thématiques évoquées précédemment. La plainte déposée par cette femme concernant des faits commis en 2001 est intéressante en ce qu’elle pose la question de la libération de la parole, de sa réception et de son traitement. Ce dossier est assez édifiant si l’on analyse le suivi qui lui a été accordé. Ce cas particulier n’est peut-être pas isolé, d’autres situations ayant pu exister il y a vingt ans. J’ose espérer que cela se déroulerait aujourd’hui différemment, mais je n’y pose aucune garantie.

Je suis magistrat du parquet depuis trente ans et j’ai effectué quelques détachements, notamment en tant que directeur adjoint de l’École nationale de la magistrature, où j’ai eu la responsabilité du recrutement et de la formation des futurs magistrats. J’ai été conseiller pénal auprès d’un garde des sceaux. Je pense avoir une vision transversale des choses.

J’ai toujours été assez surpris de la faible quantité de signalements qui m’a été adressée depuis le milieu sportif, qui compte un très grand nombre de licenciés, mineurs et majeurs. Cela me semble dysharmonique.

Je considère le milieu sportif comme un environnement à risque. Il y a par exemple de nombreux déplacements avec hébergement à l’occasion de stages ou de compétitions. Il y a également un gisement lié à l’attirance pédophilique, à l’instar du milieu de l’enseignement.

Le statut particulier de l’entraîneur impose également un rapport de maître à élève doublé d’un rôle de sélection, ce que n’a pas l’enseignant. Il peut également bénéficier dans ce microcosme d’une notoriété importante. Cela fonde selon moi une situation atypique.

Ces facteurs de risques sont aggravés dans le cas de la compétition de haut niveau, car la sélection devient un aspect déterminant. Un rapport de domination fort peut facilement s’établir.

Malgré le peu de connaissance particulière que j’ai de ce milieu, je considère que celui-ci, qui met en avant la valeur de l’esprit d’équipe, fonctionne en réalité fortement sur l’entre‑soi.

La valorisation et l’expression du corps me semblent également constituer des facteurs très déterminants. Il s’agit d’un milieu où règne une importante promiscuité corporelle. Les enjeux d’un club d’échecs et ceux d’un club sportif n’ont rien à voir. C’est donc ce que je nomme les facteurs de risque.

Enfin, je considère que le milieu sportif est peu intégré dans les circuits institutionnels. En tant que procureur de la République, j’ai des contacts parfois très étroits avec de nombreux milieux. Cela n’est pas le cas avec le cadre sportif. Je n’ai par exemple jamais rencontré le milieu sportif depuis quatre ans que je suis procureur de Rennes. Ce milieu me paraît très émietté et n’offre d’ailleurs pas d’interlocuteur privilégié au niveau départemental. Il y a énormément d’associations sportives en régions qui ne bénéficient d’aucune structuration départementale. Or il m’est difficile de travailler sur ces sujets avec d’aussi nombreux interlocuteurs.

Pour prendre un autre exemple, deux cent soixante-cinq communes relèvent de mon ressort. Il a été nécessaire de signer des conventions avec deux associations représentatives d’élus locaux. J’y trouve des niveaux d’interlocuteurs qui n’existent pas dans les associations sportives. L’absence de structuration au niveau opérationnel constitue une réelle difficulté. Les fédérations ne mettent pas non plus à disposition ces contacts locaux et, par manque de temps, je ne peux en faire moi-même la recherche.

L’indépendance du monde sportif à l’égard de l’exécutif me questionne également. L’actualité a fait état à plusieurs reprises de difficultés entre les présidents de fédération et l’exécutif et il semble que ce dernier ne parvienne pas facilement et rapidement à faire évoluer la situation. D’une certaine manière, cela a un impact également sur l’échelon local, à l’égard des représentants de l’autorité publique que nous sommes, avec les préfets et d’autres acteurs. Il semble que le milieu sportif se considère comme à l’écart, en dehors de l’environnement institutionnel.

J’ai pourtant participé en trente années à de nombreuses réunions et je n’ai, en dehors de simples manifestations cérémoniales, jamais été en relation avec cet environnement. Cela est significatif.

Je pense pourtant qu’il existe des leviers d’action, généraux et spécifiques. Nous avons en Ille-et-Vilaine élaboré collectivement un schéma directeur départemental de lutte contre les violences faites aux femmes. De ce travail, engagé avant le Grenelle des violences conjugales, ont émergé environ trente mesures réparties en quatre sous-thèmes : la prévention, la prise en compte des victimes, celle des auteurs et celles des enfants en tant que victimes collatérales. Le point 1-6 de notre schéma prévoit de « diligenter des actions spécifiques d’éducation à l’égalité femme-homme et de prévention des violences faites aux femmes dans les milieux sportifs ». Ce travail a, je crois, précédé la révélation publique des violences subies par une célèbre patineuse.

Nous avons mis en place, aux côtés de l’association Colosse aux pieds d’argile, différents outils que je pourrai vous exposer.

Par ailleurs, nous nous attachons à développer une culture du consentement. Si nous avons beaucoup progressé en matière de traitement des violences conjugales, il reste un travail considérable à réaliser sur cette notion culturelle du consentement.

Je milite pour la réintroduction de la notion de consentement dans le code pénal, car elle n’y figure plus. Lorsque l’on souhaite former, éduquer, agir sur le monde culturel, il est nécessaire de formuler des notions simples, à l’instar des notions de vol ou d’homicide, que tout le monde connaît. Il est difficile de faire de la pédagogie alors que le mot même de consentement n’apparaît pas.

Je propose d’ailleurs l’amendement suivant : « Tout acte de nature sexuelle suppose un consentement donné librement. Il est spécifique et révocable à tout moment. » À l’exemple des droits fondamentaux issus de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ces principes simples résonnent et marquent les esprits. Si cette phrase peut résonner notamment chez les jeunes garçons, la pédagogie serait par la suite plus facile.

Cela nécessite des actions à grande échelle. Nous nous investissons de notre côté auprès du milieu universitaire de Rennes.

Les enjeux sont liés au repérage, au signalement, à la libéralisation de la parole et à la façon dont les institutions traitent par la suite le sujet.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Merci pour ces propos concrets qui amènent en même temps quelques interrogations. La situation que vous décrivez autour de l’absence d’interlocuteur précis au niveau local nous étonne assez peu tant nous éprouvons nous-mêmes des difficultés à comprendre l’empilement des strates de la gouvernance sportive, les rôles des uns et des autres et la hiérarchie de l’ensemble. Nous nous trouvons par exemple face à des agences qui financent les fédérations, mais qui n’ont pas de pouvoir sur elles. De la même manière, le Comité national olympique sportif français (CNOSF) présente des recommandations et propositions de formation sans que cela ait de force obligatoire.

Nous avons également parlé de la dialectique entre autonomie et indépendance des fédérations à l’égard du ministère des sports. Nous sommes face à une réelle complexité qui est un des enjeux importants de notre travail.

Votre propos sur la question du consentement nous semble d’autant plus pertinent que certaines personnes à des postes de responsabilité auditionnées ici semblaient mal en connaître la portée. Elles se sentaient responsables de l’évaluation de la pertinence du déclenchement de l’article 40 du code de procédure pénale après un signalement.

Un magistrat que nous avons auditionné dernièrement s’exprimait sur la portée de la mention « sans délai » concernant le déclenchement de la procédure prévue à l’article 40, à travers la fixation d’un nombre de jours ou de mois. Peut-être pourriez-vous nous partager votre point de vue à ce sujet ?

Par ailleurs, nous nous sommes trouvés régulièrement confrontés aux bornes de la présomption d’innocence. Lorsqu’un signalement est lancé, nous avons compris que trois procédures peuvent se mettre en place : l’enquête disciplinaire auprès de la fédération, la procédure administrative au niveau du ministère et l’enquête judiciaire. Une proposition a été esquissée : la mise à l’écart provisoire de l’auteur présumé suite au dépôt d’une plainte par le biais d’une procédure administrative ou disciplinaire. Nous avons pris conscience que le principe de présomption d’innocence ne le permettait pas forcément.

Dans quelle mesure selon vous est-il possible de faire cohabiter ces deux objectifs ?

M. Philippe Astruc. L’article 40 est effectivement d’un maniement complexe. Je suis à la disposition à mon niveau des personnes qui se questionneraient sur le déclenchement de cette procédure. J’ai instauré au sein de mon équipe une sorte de conseil technique. Par ailleurs, des conventions nous lient à d’autres institutions, telles que l’archevêché. Je mentionne toujours ma disponibilité à venir éclairer les doutes quant à la procédure.

Une grande évolution a été remarquée concernant les violences sexistes et sexuelles dans le monde de l’enseignement supérieur. Il est très fréquent aujourd’hui que le directeur d’une grande école ou d’une université m’appelle pour discuter d’une situation problématique. Lorsque j’estime que le signalement n’est pas nécessaire, nous formalisons à travers un échange de mails d’autres possibilités d’action, afin de couvrir la personne qui me dévoilait les informations.

Il y a des pratiques possibles, mais tous les procureurs n’y sont pas toujours favorables, notamment s’agissant les contacts préalables au déclenchement de l’article 40

À l’inverse, lorsque des faits portés à ma connaissance doivent prendre la forme d’un signalement, j’accompagne la transmission des informations qui en conditionnent l’action. J’assure les personnes qu’elles n’ont à apporter que des données brutes, des témoignages, sans faire de tri. Je ressens chez elle le besoin d’être rassurées quant à l’effet de cette procédure.

Il serait opportun de créer une sorte de vade-mecum de l’article 40 qui présenterait les étapes à suivre et préciserait que ceux qui sont soumis à cette obligation de transmission peuvent solliciter l’avis du procureur de la République.

Je sens les personnes fortement désemparées par l’enclenchement de l’article 40, y compris à de hautes responsabilités.

Il convient donc d’en faire un outil opérationnel et de le dédramatiser en faisant savoir qu’il ne constitue aucunement une condamnation pénale. L’article ne se suffit pas à lui-même, il convient d’accompagner son application.

Concernant l’articulation avec les enquêtes disciplinaires, ces enquêtes juridiquement indépendantes reposent sur un socle également solide, à savoir la violation d’un code de déontologie ou d’un règlement intérieur. Par ailleurs, le déclenchement de l’article 40 n’entre pas en contradiction avec le principe de la présomption d’innocence. Aussi, je conseille souvent aux auteurs d’un signalement la formule selon laquelle ils transmettent une information en application de l’article 40 « sans porter d’appréciation de son caractère bien-fondé ». Le dialogue avec la personne est profondément nécessaire pour assurer un positionnement juste et sécurisant.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Nous recevions juste avant vous le président de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) qui nous rapportait des chiffres inquiétants : 160 000 enfants sont victimes d’agressions chaque année ; 60 % des victimes ont subi plusieurs viols, notamment dans le milieu sportif ; une procédure judiciaire est engagée une fois sur cinq ; le classement sans suite des affaires s’élève à 73 % et seulement 3 % donnent lieu à des condamnations. Comment est-il possible d’avoir un aussi faible taux de condamnation ?

Par ailleurs, nous avons souvent entendu des victimes d’actes commis il y a vingt ans comme il y a deux ans témoigner avoir subi des tentatives de minimisation des faits au sein des fédérations. Ces personnes étaient alors doublement victimes en étant écartées de leur milieu d’entraînement. Certaines fédérations se portaient parfois parties civiles – mais pas toujours –pour aider la victime, nous semble-t-il. Cela concernait notamment le cas de deux athlètes au sein de la fédération d’athlétisme.

M. Philippe Astruc. Ces chiffres me semblent assez vraisemblables. Une faible partie est judiciarisée, car il y a encore de nombreux freins. Deux facteurs expliquent le classement sans suite. La prescription en est le premier. Dans l’exemple que vous suggérez, les faits datent de 2001 et ne sont révélés qu’en 2021 ou 2022. Cela pose la question de la difficulté pour la victime de porter sa parole.

Le second facteur est lié au fait qu’il s’agit souvent de huis clos. Comme pour les violences conjugales, il peut y avoir des témoins, mais cela reste assez peu fréquent. La personne mise en cause conteste le plus souvent les faits qui lui sont reprochés et le procureur a peu de raisons de douter a priori de la parole de la victime. Il est statistiquement très rare que la mise en cause repose sur une invention. En revanche, selon le régime de la preuve, je dois être en mesure en tant que procureur d’apporter des éléments de preuve significatifs lors de la traduction devant un juge. De nombreuses procédures sont classées sans suite parce que l’infraction est insuffisamment caractérisée.

Nous avons mis en place des classements notifiés par des associations d’aide aux victimes afin de faire une « pédagogie de la décision », car cela est difficile à vivre pour la victime. Mais il est question de réunir suffisamment d’éléments pour demander une sanction contre une personne devant le tribunal. Par ailleurs, porter une affaire soldée par une relaxe ou un acquittement ne rend pas vraiment service à la victime.

La disproportion entre le nombre de faits connus dans la société et les condamnations finalement prononcées témoigne effectivement d’une sous-prise en compte de ce fait.

Concernant la constitution en tant que parties civiles de fédérations que l’on sent peu sincères, nous appelons « fausses parties civiles » celles qui cherchent uniquement à avoir accès au dossier. Cette situation est bien identifiée sur le plan judiciaire dans des dossiers sensibles où parfois, la partie civile semble venir au soutien non pas de la victime, mais de la personne mise en cause.

M. Stéphane Mazars (RE). Je souhaite revenir sur la difficile articulation entre la procédure disciplinaire administrative et la procédure judiciaire. Si la première est à mettre en place rapidement afin de protéger les victimes, la seconde suit un rythme long et complexe. Certains acteurs souhaitant actionner cette procédure administrative se trouvent confrontés au sentiment que l’investigation leur demande des moyens qu’ils n’ont pas. Aussi, ils peuvent être poussés à ne pas prendre de mesures aux conséquences potentiellement lourdes – éloigner un entraîneur n’est pas anodin et peut, le retentissement médiatique aidant, le mettre définitivement sur le côté – dans l’attente de l’ouverture de la voie judiciaire. Comment mettre en place cette articulation ?

M. Philippe Astruc. Ce questionnement n’est pas propre à cette matière. Dans la pratique de mon métier, j’entame un dialogue avec les personnes déclenchant l’article 40 afin d’envisager toutes les possibilités d’articulation. Deux éléments encadrent ce travail : la présomption d’innocence et la protection des victimes. Ces approches peuvent s’articuler dès lors que ces entités communiquent.

Des circulaires nous invitent de plus en plus à sensibiliser les personnes concernées pour former des éléments objectifs tels que le placement sous contrôle judiciaire, une interdiction de contact avec des mineurs, une interdiction d’exercer, etc.

La procédure judiciaire et la procédure disciplinaire cheminent côte à côte et peu de passerelles institutionnelles existent, surtout en amont, lorsque la procédure en est à son étape embryonnaire. Établir dès le départ un contact avec la personne qui a le pouvoir de décider d’une sanction disciplinaire, telle qu’une mise à pied conservatoire, est extrêmement important. Il faut le prévoir institutionnellement afin d’offrir les meilleures conditions au dialogue.

Vous évoquez, monsieur le député, la situation dans laquelle l’enquête disciplinaire se retrouve dans l’attente des résultats de l’enquête judiciaire. À l’inverse, il existe des cas d’enquêtes disciplinaires extrêmement rapides où toutes les personnes concernées ont été auditionnées et qui doublent en quelque sorte la procédure judiciaire.

Lorsque des inspections sont diligentées par les ministères, je cherche à me coordonner avec eux pour réussir à travailler ensemble. C’est le cas à l’occasion d’accidents collectifs où chacun des acteurs participe à un travail commun. Ici, je pense qu’il manque, en amont et en aval de l’article 40, un dispositif permettant d’organiser la communication et la coordination entre les acteurs des procédures.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Un président de club qui effectue un signalement et estime qu’il existe un risque pour les enfants en cas de maintien du contact avec la personne mise en cause peut-il décider légalement d’une suspension ?

M. Philippe Astruc. La personne peut être suspendue en tant que salarié, mais cela nous met sur le chemin du droit commun avec la possibilité d’une mise à pied conservatoire. J’estime que l’essentiel réside dans le dialogue entre le signalant et le procureur de la République. Si le procureur considère une suspicion d’abus sexuel, nous nous situons dans le haut du spectre qui justifie alors une mesure conservatoire. Il peut y ajouter une directive de célérité auprès des enquêteurs. Un dialogue avec le responsable qui a déclenché le signalement devrait alors être engagé. C’est le cas dans ma pratique. Toutefois, il convient de noter que le président d’un club n’aura aucun lien naturel avec le procureur de la République. C’est donc tout l’intérêt de l’organiser à travers une structuration institutionnelle départementale.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pourriez-vous revenir sur le cas de la sportive que vous avez évoqué plus en amont ? Vous avez parlé du caractère « édifiant » de la procédure.

M. Philippe Astruc. Sans évoquer la procédure dans ses détails, il s’agit d’une jeune sportive majeure victime d’attouchements de la part de l’entraîneur d’une autre structure venue à l’occasion d’un rassemblement sportif. Elle explique avoir partagé en interne le récit de son agression qui n’a pas été bien réceptionné. Par la suite, elle a été exclue du milieu local sportif auquel elle appartenait et estime avoir été victime du fait d’avoir dénoncé un entraîneur qui avait une certaine notoriété. Ce n’est qu’après la révélation d’une patineuse célèbre que cette jeune femme a trouvé le courage de porter plainte, bien que les faits fussent prescrits.

J’ai fait diligenter une enquête qui a permis d’accueillir son récit et d’entendre un témoin corroborant le récit de la victime. À titre personnel, je crois à la véracité de son histoire. Je fais par ailleurs entendre le mis en cause. Une telle procédure est devenue classique chez les procureurs même lorsque les faits sont prescrits, car elle permet parfois de révéler la situation d’autres victimes.

La presse s’en était fait l’écho et j’ai reçu un courrier de l’avocate du mis en cause marquant sa stupéfaction face aux accusations portées contre lui. La procédure sera in fine classée sans suite du fait de la prescription.

L’élément qui me semble édifiant est l’absence de signalement judiciaire à l’époque des faits, et l’éviction de la victime. Ce cas s’est déroulé il y a plus de vingt ans et j’ose espérer que la situation s’est améliorée depuis. C’est aussi pourquoi je parle d’entre-soi et de formes de protection des agresseurs que l’on retrouve dans d’autres milieux.

Il convient aujourd’hui de comprendre dans quelle mesure il est possible de parvenir à un stade de maturation institutionnelle qui permettrait de traiter ces situations convenablement. Lorsque cela sera le cas, la parole du président de fédération sera très importante et devra incarner cette volonté.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Nous aussi nous pensions que c’était le propre d’une époque ancienne et espérions qu’il en soit autrement. Cette commission d’enquête nous montre que ce n’est malheureusement pas le cas.

M. Philippe Astruc. Cela montre l’importance de vos travaux. Je suis de ceux qui estiment qu’il n’y a aucune fatalité. Il convient de mettre en place les structures et les outils nécessaires et d’affirmer une volonté politique. Ce sont ensuite des évolutions sociétales qu’il faut porter. Ces combats se mènent à l’aune d’une génération. Il ne s’agit pas d’adopter une circulaire ou une loi unique. Si l’on souhaite aboutir à des changements de comportement, le travail se réalise sur la durée.

Si la volonté se poursuit sur plusieurs quinquennats, il n’y a aucune raison que cela ne s’améliore pas. Il faut cependant agir sur le volet culturel et éducatif et inscrire dans l’esprit des jeunes garçons la notion du consentement.

Je fais partie de ceux qui ont connu l’émergence du sida. Ce sujet touche à la sexualité et des comportements ont pourtant été changés. La notion de protection, qui était absente, est devenue une évidence, même s’il faut continuer de la rappeler. Même en matière de sexualité, les comportements peuvent évoluer. Il faut parvenir collectivement à inscrire dans l’esprit des jeunes garçons trois questionnements basiques : « Est-ce que mon partenaire est consentant ; si oui, en quels termes ? », « Sommes-nous protégés ? », « Mon ou ma partenaire peut-il ou elle avoir du plaisir à cette relation ? ».

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Puisque vous avez évoqué le sujet des interlocuteurs, connaissez-vous la cellule Signal-sports ?

M. Philippe Astruc. La question est peut-être plutôt : « Est-ce qu’elle me connaît ? » L’important est que la situation me parvienne. J’ai connaissance des actions du ministère et c’est en cela que j’évoquais une volonté politique. Peut-être ce dispositif dont j’ignorais le nom est-il intervenu après le témoignage courageux de la patineuse.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Beaucoup d’acteurs nous ont parlé de l’accès au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS). Pensez-vous qu’il serait souhaitable de le faire évoluer ? La question se pose dans le milieu particulier du sport, où des sanctions peuvent concerner des bénévoles qui échappent aux procédures disciplinaires.

M. Philippe Astruc. Nous nous situons ici dans l’aval puisque nous souhaitons nous assurer que les bénévoles recrutés ne sont pas des délinquants sexuels. Il est nécessaire de garder à l’esprit le facteur de risques lié à la mobilité, y compris à l’étranger, permettant à des auteurs de violences de se mettre à l’abri dans d’autres pays.

Il existe un cadre juridique méconnu permettant aux associations de saisir la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations qui peut en faire la vérification. Le dispositif existe et le ministère doit pouvoir préciser de quelle manière il est utilisé. La question ne relève donc pas de l’existence de l’outil, mais de son appropriation par les acteurs.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons reçu le témoignage de Centres de ressources d’expertise et de performances sportives (Creps) indiquant avoir fait une demande dont la réponse aurait mis plusieurs mois à leur parvenir. C’est la raison pour laquelle ils demandaient d’avoir un accès en amont de leur recrutement, mais j’entends parfaitement les éléments que vous avez fournis.

M. Philippe Astruc. L’ouverture de l’accessibilité à un fichier extrêmement sensible me paraît déraisonnable. Il convient de rendre l’outil plus opérationnel et rapide d’accès en identifiant la problématique avec l’administration concernée. Nous éprouvons la même difficulté concernant les concours d’accès à la fonction publique, où la vérification intervient après l’échéance.

M. Stéphane Buchou, président. Je partage avec vous la conviction qu’il n’y a pas de fatalité. Pour autant, nous souhaiterions que les choses évoluent plus rapidement que pour le sida qui sévit depuis plus de quarante ans. Depuis le début de cette commission, nous avons beaucoup entendu les mots d’omerta, d’entre-soi, de cloisonnement et de décloisonnement. Je salue votre enthousiasme et vos propositions concrètes et opérationnelles. Néanmoins, les situations de huis clos que vous avez décrites et qui justifient le faible taux de condamnations doivent être dépassées. Les personnes qui ont une forte notoriété et qui libèrent aujourd’hui la parole apportent beaucoup dans ce changement. Peut-être sommes-nous dans une forme d’injonction contradictoire à cet égard.

Par ailleurs, vous avez relevé une particularité de ces violences dans le milieu du sport que l’on a beaucoup entendue : celle liée à la quête de la médaille. Avez-vous personnellement été témoin de cela ? Nous avons par exemple entendu le cas de parents qui avaient fermé les yeux sur la situation, car la priorité était moins de protéger l’enfant que d’obtenir le titre convoité.

M. Philippe Astruc. À cela s’ajoute la recherche de notoriété, voire de richesse.

M. Stéphane Mazars (RE). Il existe aussi parfois des rivalités qui viennent ajouter de la difficulté à ces situations. L’estime de soi et la valorisation de soi se font alors au détriment des autres.

M. Philippe Astruc. Je pense que la plupart des plaignants sont pourtant d’authentiques victimes. La vengeance et la rivalité sournoise sont de ce monde, mais j’estime que l’on sait faire le tri du point de vue judiciaire.

Face à ces enjeux et au contexte familial poussant à la recherche de réussite, la réponse doit se trouver à travers l’institution, la volonté politique, mais surtout l’éducation et la formation. Il s’agit de traiter à la fois des passages à l’acte et de prévoir des actions de prévention dont la place du consentement sera centrale.

Parfois, les enjeux peuvent aller au-delà de l’intérêt de l’enfant. Pour autant, il existe encore de nombreuses possibilités. Il est nécessaire qu’un groupe humain puisse avoir la conscience de fixer l’intérêt de l’enfant au-dessus de celui de la notoriété du club. Beaucoup de groupes humains ont été confrontés à cette question et ont tenté de répondre par la protection et le huis clos. Il arrive un moment où la même entité rompt dans ses pratiques, à l’exemple de l’Église qui déclenche désormais les signalements. La commission Sauvé, mise en place par l’Église, a été certainement douloureuse pour l’institution mais elle représentait l’étape nécessaire d’un changement de la pratique, des comportements et des regards posés sur ces sujets.

Est-on parvenu dans le milieu sportif à ce degré de maturation où existe le désir de changer les pratiques ? Il n’y a pas de préjudice sur la réputation à prendre en compte. Ou celui-ci existe seulement dans le fait de ne pas signaler.

Le travail réalisé depuis quelques années est important pour aboutir à cette maturation lente. Je resterai optimiste, monsieur le président : continuons le travail, améliorons les outils et conservons pendant des années cette détermination dans ce domaine.

M. Stéphane Buchou, président. Je vous remercie très chaleureusement, car nous sommes parfois ressortis d’auditions éprouvés par des témoignages qui nous faisaient considérer que les solutions étaient difficiles à mettre en œuvre. Lorsque l’on échange avec vous, on reprend espoir. Je vous propose de conclure sur cet optimisme et sur cette note d’espoir.

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41.   Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Rousselot, président de section à la 3e chambre, M. Dominique Lefebvre, M. Laurent Le Mercier et Mme Lise Fechner, magistrats à la Cour des comptes (19 octobre 2023)

Mme Sabrina Sebaihi. Nous accueillons M. Philippe Rousselot, président de section à la 3e chambre, M. Dominique Lefebvre, M. Laurent Le Mercier et Mme Lise Fechner, magistrats à la Cour des comptes.

Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions. Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif, le 20 juillet 2023.

L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux se déclinent donc autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif.

La 3e chambre a rédigé plusieurs rapports, dont certains n’ont pas été rendus publics. Le rapport public annuel 2018 comportait une partie intitulée « L’État et le mouvement sportif : mieux garantir l’intérêt général », dans laquelle la Cour estimait que les modalités d’intervention de l’État n’avaient été que très peu rénovées depuis un rapport thématique de janvier 2013.

Un nouveau rapport sur l’Agence nationale du sport (ANS) et la nouvelle gouvernance a été publié en juillet 2022. Il dresse un bilan de la création de l’ANS, s’intéresse à l’articulation de ses missions avec celles de la direction des sports, traite de la politique du haut niveau, du développement des pratiques sportives et réalise un état des lieux de la mise en œuvre de la nouvelle gouvernance territoriale du sport. Pourriez-vous nous présenter les principaux constats formulés par la Cour susceptibles d’intéresser notre commission d’enquête dans le cadre des différents contrôles qu’elle a réalisés dans le domaine du sport ?

Nos auditions font apparaître une gouvernance d’une grande complexité, caractérisée par ce qui pourrait être qualifié de « mille-feuille » : il n’est pas toujours évident d’identifier les responsabilités de chacun. Quelle est l’appréciation portée par la Cour sur cette gouvernance et les préconisations qu’elle formule dans ce domaine ?

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Philippe Rousselot, M. Dominique Lefebvre, M. Laurent Le Mercier et Mme Lise Fechner prêtent successivement serment.)

M. Philippe Rousselot, président de section à la 3e chambre. Nous vous remercions d’avoir sollicité la Cour dans le cadre de vos travaux. Nous appartenons tous les quatre à la 3e chambre. Son portefeuille est très large puisqu’il comprend l’enseignement supérieur, la recherche, la culture, l’éducation nationale, la jeunesse et les sports. Je préside la 2e section qui est en charge de l’éducation nationale, de la jeunesse, de la vie associative et du sport.

Je suis accompagné de M. Lefebvre, conseiller maître, rapporteur général de la formation interjuridiction sur les Jeux olympiques et paralympiques, mais également rapporteur de longue date sur les questions sportives. M. Le Mercier est responsable du secteur sport, jeunesse et vie associative au sein de la section. Mme Fechner est conseillère référendaire en service extraordinaire.

Notre activité dans le domaine sportif est constante. Nous avons produit une trentaine de rapports ces dix dernières années, sans compter ceux que nous avons produits récemment sur les Jeux olympiques et paralympiques. Ces derniers sont d’une problématique différente de celle qui nous occupe aujourd’hui. Ils sont néanmoins appelés à contribuer largement au renforcement du monde sportif.

Les pouvoirs publics doivent garantir, notamment par le contrôle du mouvement sportif, un environnement propice à l’épanouissement des pratiquantes et pratiquants. Comme le prescrit le code des juridictions financières, la Cour est compétente pour contrôler le mouvement sportif, et notamment les fédérations sportives, du fait de l’octroi d’une subvention et surtout de la délégation de service public.

L’ensemble de rapports que vous avez cités, portant notamment sur les fédérations sportives, n’ont pas été publiés jusqu’à présent. Cette pratique, autrefois courante n’existe plus aujourd’hui. Depuis le 1er janvier 2023, tous nos rapports sont en effet publiés.

Nous avons contrôlé treize fédérations ces dix dernières années, soit un peu plus d’une par an (tennis, volley-ball, golf, football, rugby, sports de glace, handisport…).

Je vous rappelle aussi l’existence des travaux des chambres régionales des comptes. Celles-ci sont habilitées à contrôler, à leur niveau et selon leurs compétences, les clubs de sport, les centres de ressources d’expertise et de performance sportive (Creps) et diverses régies sportives. Leurs travaux sont publiés depuis toujours et accessibles sur le site internet de la Cour.

Avant de répondre à votre question, j’attire votre attention sur le fait que tous nos travaux sont datés. Certains contiennent vraisemblablement des observations d’ordre structurel qui sont toujours valables. D’autres ont donné lieu à des corrections et améliorations. Il convient d’en tenir compte dans le profil général que je vous présenterai. De nombreuses recommandations que nous avions émises ont été mises en œuvre ou sont en cours de mise en œuvre.

Mon exposé sera organisé autour de trois points. Le premier concernera les fédérations (gestion, transparence financière, gouvernance). Le deuxième concernera le rôle que doit jouer l’État. Enfin, un dernier développement, plus bref, aura trait à la question spécifique des conseillers techniques sportifs.

Dans notre rapport public de 2018, nous avons assez largement examiné la situation des fédérations. Les fédérations sont au cœur du mouvement sportif français. Parce qu’elles sont sous le régime associatif, elles sont autonomes et indépendantes. Cette indépendance doit respecter certains grands principes : le fonctionnement démocratique, la transparence de la gestion et un égal accès des hommes et des femmes aux responsabilités.

Nos observations sur la gouvernance nous conduisent au constat de synthèse suivant. La gouvernance interne des fédérations est trop lourde, coûteuse et peu contrôlée.

Le premier point que nous avons observé est que la démocratie interne est souvent diluée et éparse dans les fédérations. Les clubs sont très rarement appelés à l’élection des instances dirigeantes. Ils élisent des représentants départementaux, lesquels choisissent les représentants régionaux, lesquels élisent les représentants nationaux.

Au sommet de la pyramide, les bénévoles sont moins nombreux. La relation démocratique entre la base et le sommet est très lâche. La comitologie foisonnante rend les organigrammes complexes et favorise la multiplication de responsabilités. Sans doute prestigieuses, celles-ci confèrent à chaque intéressé un rôle de dirigeant fédéral.

Cette multiplication des postes à responsabilité est forcément coûteuse. Elle permet à chacun de ces grands électeurs de bénéficier d’invitations à des manifestations ou à de grands événements qui, sur le fond ne prêtent pas à commentaires, mais entraînent nécessairement un coût.

De fait, une fois élu, l’exécutif fédéral évolue dans un système qui ne connaît pas de contre-pouvoir manifeste.

Tout d’abord, les minorités ne sont pas systématiquement représentées dans les instances de gouvernance des fédérations. Les assemblées fédérales n’exercent pas le contrôle qu’elles seraient susceptibles d’exercer sur la fédération.

Nos rapporteurs qui contrôlent les fédérations sportives saisissent rapidement les conséquences de cette absence de pression ou de contrôle. Nous relevons très souvent des facilités de gestion, telles que des usages généreux de carte bancaire, de frais de déplacement et de logement. Ces phénomènes que nous qualifions de facilités de gestion mériteraient peut-être d’être mieux interrogés. De fait, ils ne le sont jamais, du fait du défaut de contrôle interne et de vigilance démocratique.

Au titre des contrôles que nous exerçons, nous rappelons que les responsables fédéraux sont responsables de la gestion des fédérations, à titre personnel, devant les juridictions financières.

La loi de 2022 visant à démocratiser le sport a conduit à certaines améliorations. De réels progrès ont été réalisés, notamment sur la parité imposée dans les instances dirigeantes et le renforcement des obligations de transparence. Toutefois, la vigilance reste de mise en la matière.

Deuxièmement, par un effet miroir, nous constatons une très forte autonomie territoriale dans les fédérations. Nous relevons de façon récurrente que les réseaux territoriaux des fédérations demeurent très indépendants dans leur fonctionnement.

Le principe d’autonomie du mouvement sportif s’impose à tous les échelons territoriaux. Cette autonomie de droit ne doit toutefois pas faire obstacle à la vigilance et la capacité d’évaluation et de suivi de gestion de la part de l’instance fédérale.

Or, de manière générale, force est de constater que les fédérations connaissent très peu la situation financière et la trésorerie des organisations locales. Les fédérations peinent à maîtriser les organisations et à imposer, à l’échelon territorial, certaines de leurs mesures, notamment d’ordre organisationnel ou comportemental.

Comme les situations financières de l’échelon territorial sont mal connues, elles sont peu ou très rarement consolidées. Face à cette connaissance floue des situations financières, budgétaires et organisationnelles de l’échelon territorial, notre enquête de 2022, publiée au rapport public annuel sur les conséquences de l’épidémie du covid dans le monde sportif, a montré que nous ne savions pas déterminer les échelons territoriaux qui avaient le plus besoin des aides distribuées par les fédérations et l’État.

La répartition des aides s’est donc opérée sur un mode généreux, mais plutôt égalitaire, et restait peu ciblée sur les échelons dont les besoins étaient les plus manifestes.

Si ce constat peut paraître sévère, j’ajoute qu’au fil de nos contrôles et des réponses que nous recevons, le mouvement sportif en général prend en compte très régulièrement nos observations et nos recommandations. Certains sujets appellent, de notre part et de manière assez récurrente, des demandes d’améliorations.

Concernant la gouvernance, il importe d’alléger le coût de fonctionnement des instances fédérales. Les instances et les comités sont trop nombreux. Il convient de simplifier ces modes de fonctionnement et de raffermir le pouvoir des fédérations sur les réseaux territoriaux par le biais d’un contrôle et d’une capacité d’évaluation de l’échelon territorial.

Concernant le fonctionnement financier et administratif des fédérations, ces dernières doivent se doter de véritables directions financières disposant d’outils informatisés, compatibles entre eux et fiables. Étant donné l’étendue de certaines fédérations, cette recommandation s’impose. Elle est de bon sens. Elle n’est malheureusement pas toujours appliquée. Les fédérations doivent par ailleurs se doter d’un contrôle interne et d’un audit interne. Cette demande s’appuie sur de très nombreux constats. Les fédérations doivent également se doter d’une stratégie pluriannuelle budgétaire et financière comprenant des plans de trésorerie, mais aussi et surtout des inventaires physiques. Elles doivent aussi doter de règlements financiers. Cette recommandation peut paraître une évidence. Pour certaines fédérations, elle reste à appliquer.

Des textes internes doivent formaliser l’emploi des cartes bancaires, des frais de déplacement et des invitations. Ces aspects doivent être encadrés et transparents. Il en va de même pour les marchés publics et la commande publique. Dans leurs réponses, les fédérations contrôlées ont toutes pris acte, sans exception, de ces pistes d’amélioration.

Mon deuxième point concernera le rôle de l’État. Depuis la création de l’ANS en 2019, la place de la direction des sports s’est trouvée relativisée et redéfinie. Il n’en demeure pas moins que l’État et la direction de Creps restent garants de l’intérêt général.

Depuis 2013, la Cour appelle à une adaptation de la stratégie de l’État par une concentration de ses moyens autour de priorités et par un cadre d’action coordonné entre l’État et les acteurs du mouvement sportif. Cette question est ancienne et récurrente.

La création de l’ANS a modifié la situation. Elle traduisait l’engagement pris par le Président de la République de donner davantage d’autonomie et de responsabilités au mouvement sportif.

Lors de son contrôle sur la gouvernance du sport mené en 2021 et publié en 2022, la Cour a contrôlé la direction des sports et l’ANS. Ce contrôle, mené en 2021/2022, a donc été effectué au moment où le système nouveau se mettait en place. Les acteurs et nous-mêmes manquions naturellement de recul pour émettre des observations définitives. Il n’en reste pas moins que nous avons ouvert des perspectives dont je vais vous dresser un rapide bilan.

Concernant le statut juridique du groupe d’intérêt public (GIP), la Cour constate qu’il n’a aucun contenu financier et opérationnel, alors même que cette agence fonctionne exclusivement sur les moyens affectés par l’État.

Au stade de notre enquête, nous n’avons pu observer aucune mutualisation des moyens ou coordination des politiques publiques en faveur du sport. « La gouvernance partagée à responsabilités réparties » ne semblait pas encore avoir conduit à une clarification des compétences des uns et des autres.

En ce qui concerne la relation entre l’Agence et la direction des sports, la Cour avait relevé des carences qui pénalisaient l’action de l’État en direction des fédérations. En effet, le recentrage voulu de la direction des sports sur ses missions régaliennes et sur des fonctions de pilotage stratégique paraissait au départ cohérent avec la création d’un opérateur chargé de la mise en œuvre d’une politique publique. Cependant, de nombreuses difficultés subsistent sur la capacité de la direction des sports à exercer ses nouvelles missions d’une part et sur l’équilibre et la clarté des missions respectives de l’un et de l’autre d’autre part. L’exercice indispensable de la tutelle stratégique de l’État sur le mouvement sportif reste donc à clarifier.

Une première observation consécutive à cette observation générale concerne la contractualisation. La Cour étudie et analyse les contrats d’objectifs et de performance (COP) des fédérations. Ces COP sont bien souvent des documents-cadres très généraux déconnectés des situations particulières et spécifiques à chaque fédération. Ils ne tiennent pas compte des difficultés, des forces et des performances des fédérations.

Depuis la création de l’ANS, la situation nous paraît susceptible de créer une complication puisqu’il n’existe plus un seul COP, mais quatre nouveaux contrats : le contrat de délégation et le contrat des emplois à la charge de la direction des sports, les contrats de performance et les contrats de développement et des projets sportifs fédéraux à la charge de l’ANS.

L’intention de départ était une meilleure organisation. La Cour constate qu’il est toutefois plus difficile de préciser et d’observer la relation qui existe entre l’évaluation et le montant des subventions. Ce que donne l’État ne paraît pas encore bien connecté à une analyse serrée et évaluative des uns et des autres.

La Cour s’interroge donc, dans une de ses recommandations, sur la nécessité de pouvoir disposer, au-delà de ces quatre nouveaux contrats, d’un document de cadrage unique par fédération. Il faudrait néanmoins que la direction des sports dispose de moyens adéquats pour exercer, notamment, ses fonctions de contrôle et d’audit.

La délégation paraît être le vrai cœur de la relation entre l’État et le mouvement sportif. Cette délégation est un acte juridique majeur, par lequel l’État, indépendamment des subventions, délègue un service public à des bénéficiaires qui vont, dès lors, disposer d’un monopole pour la délivrance des titres nationaux, l’organisation des compétitions internationales et la gestion et la mise en œuvre des équipes nationales.

La capacité de l’État à consentir cette délégation en échange d’une capacité évaluative et de contrôle semble faire défaut. L’État doit s’assurer que les fédérations et l’opérateur appliquent les lignes générales de la politique sportive dans tous les domaines, à savoir la gestion, le respect de l’éthique et des valeurs sportives, la parité, ainsi que les sujets qui occupent votre commission.

Depuis que la Cour a émis ce constat, la situation a évolué. La ministre a réuni l’ensemble des acteurs après la publication de notre travail. Des décisions ont été prises. La Cour n’est pas encore en état de voir si ses premières recommandations méritent d’être réitérées. La loi prévoit un bilan en 2025. Cette date ne mérite pas de devoir être avancée, du simple fait de la présence des Jeux olympiques et paralympiques entre-temps.

Parmi nos recommandations figurent la nécessité de clarifier le rôle et les responsabilités des collectivités territoriales dans le mouvement sportif ainsi que la nécessité de s’interroger sur les moyens dont disposent aujourd’hui les services déconcentrés de la jeunesse et des sports.

Je termine par un bref développement sur les conseillers techniques et sportifs (CTS). La Cour s’intéresse à ces agents de l’État depuis longtemps, non seulement pour le rôle qu’ils jouent, mais pour aussi l’important poids financier qu’ils représentent – en moyenne 120 millions d’euros. Cette somme importante s’entend hors subvention.

Sans détailler toutes nos interrogations relatives à ces conseillers, j’en retiendrai deux. La Cour s’interroge encore aujourd’hui sur la répartition des CTS. Nos derniers travaux montrent que qu’ils restent concentrés sur certaines disciplines. Si 77 fédérations disposent de CTS, dix d’entre elles concentrent la moitié des CTS. Ce type de répartition ne permettra pas de développer une politique en faveur de toutes les disciplines.

À cette remarque sur la répartition entre disciplines s’ajoute une remarque sur la géographie. 80 % des CTS sont concentrés dans cinq régions et 50 % des CTS exercent en Île‑de‑France. Ces pourcentages posent question.

Nous poursuivrons nos travaux sur les Jeux olympiques et paralympiques. L’année prochaine, nous proposerons à la Cour une note de synthèse sur le mouvement sportif en France. Nous poursuivrons nos contrôles des fédérations et nous lancerons une réflexion de plusieurs années sur le modèle économique des fédérations et du mouvement sportif en général.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vous remercie de ce propos liminaire très clair qui confirme plusieurs de nos auditions, dont celles de l’ANS et du Comité national olympique et sportif français (CNOSF). Nous retrouvons cette difficulté d’empilement des structures. Les responsabilités des uns et des autres sont difficiles à identifier.

L’État doit normalement garder le contrôle. Nous avons identifié que l’ANS attribuait des subventions aux fédérations sans qu’il existe de contrôle. Cela rend plus complexes le travail et l’exercice ces responsabilités par les uns et les autres. Cela complexifie aussi le travail et la formation sur la lutte contre les violences sexuelles et sexistes (VSS).

Vous avez évoqué plusieurs aspects : une dispersion des responsabilités, des assemblées fédérales qui n’exercent pas de contrôle, des facilités de gestion (sur les paiements par carte bancaire, le logement, etc.). Pouvez-vous nous citer les fédérations dans lesquelles vous avez pu observer ces dysfonctionnements ?

Nous avons identifié une absence de critères d’attribution des financements par exemple. Vous évoquez une autonomie territoriale et une distribution d’aides aux fédérations qui en avaient le plus besoin, sans connaître les critères ou la forme d’attribution de ces financements. Quels fédérations, clubs ou associations ont-ils le plus bénéficié de ces fonds ?

Votre point de vue sur l’ANS a-t-il par ailleurs évolué ? Nous avons auditionné quelques personnes. Certaines expliquent que les relations avec elle ne sont pas simples. D’autres questionnent son utilité.

Vous avez évoqué le mode de fonctionnement du GIP. Le Medef possède 10 % des voix au sein du conseil d’administration. L’idée était de trouver un autre financement du mouvement sportif. Même si l’État y contribue, le financement repose encore aujourd’hui sur les collectivités territoriales, notamment par la construction et l’entretien des équipements sportifs. Quel regard portez-vous sur l’évolution du conseil d’administration et des pouvoirs et moyens des uns et des autres ?

Vous avez évoqué la limite de l’action de l’État au niveau du contrôle et de l’audit. Cette limite dans l’action de l’État est-elle due à un manque de moyens humains et financiers ou de volonté politique ?

S’agissant des contrats d’objectifs, quels contrôles sont aujourd’hui mis en œuvre ? Ces contrats sont-ils évalués ? Dans l’affirmative, qui les évalue et en référence à quelle grille et selon quels critères ?

À quoi consent l’État en échange d’une délégation ? La question est intéressante. Nous percevons aujourd’hui cette difficulté. Quand la ministre est intervenue, les fédérations ont rappelé leur indépendance vis-à-vis du ministère. Nous sommes très interrogatifs parce que nous finançons des fédérations qui sont censées mettre en place des formations ou un cadre devant permettre à chacun de pouvoir pratiquer une activité sportive dans des conditions satisfaisantes.

L’ANS nous a indiqué que 17 % des fédérations ne possédaient toujours pas de comité d’éthique. Or ces comités sont prévus par la loi. Comment pouvons-nous contraindre les fédérations à mettre en place ce que prévoit la loi, comme les formations et les comités d’éthique ?

S’agissant de la répartition des CTS, pouvez-vous nous indiquer les dix fédérations qui concentrent 50 % des CTS ? Vous avez indiqué que 50 % des CTS étaient en Île-de-France. S’agit-il des fédérations qui comptent le plus de licenciés et/ou le plus de moyens ? La concentration est-elle uniquement géographique ?

M. Philippe Rousselot. Je ne souhaite pas citer de manière précise les fédérations qui ont mis en place des facilités de gestion car il existe une probabilité pour que cela soit réglé. Par ailleurs, nous vous avons transmis hier soir tous nos rapports dans lesquels figurent ces points.

Je laisserai M. Lefebvre et M. Le Mercier répondre sur les critères d’octroi des aides. Je me suis peut-être mal exprimé car je n’ai pas retrouvé dans votre question ce que je souhaitais expliquer sur les aides attribuées à la suite du covid-19.

M. Dominique Lefebvre, magistrat à la Cour des comptes. Je laisserai M. Le Mercier répondre sur ce point.

Je me rappelle avoir conduit l’enquête sur l’Agence nationale du sport et les Jeux olympiques et paralympiques à la demande de la commission des finances de l’Assemblée nationale.

La plupart des contrôles dont nous présentons la synthèse sont antérieurs ou concomitants à la loi sur la démocratisation du sport d’une part et à la création de l’Agence d’autre part.

Les arbitrages rendus à l’occasion de la création de l’Agence nationale du sport et des dispositions de la loi sur la démocratisation du sport sont au cœur d’enjeux politiques complexes.

Le principe fondamental d’autonomie du mouvement sportif est protégé au niveau international. De facto, il limite l’action des États vis-à-vis des fédérations sportives et pose un certain nombre de questions. Les normes souvent imposées par le mouvement sportif mondial s’appliquent aux fédérations sportives françaises Nous avons pu l’observer à diverses reprises, notamment lors de notre contrôle sur l’Euro 2016 dont les enjeux financiers avec l’UEFA étaient particuliers. Nous le constatons aujourd’hui sur les Jeux olympiques et paralympiques.

Le mouvement sportif, par définition, est un mouvement de bénévoles. Ce bénévolat est une force. Il est exigeant. Les cadres locaux, voire départementaux et régionaux, offrent une très forte disponibilité, similaire à celles des maires ou des parlementaires, sur le terrain, le soir et le week-end.

La question des contreparties se pose forcément. Souvent elle se pose en termes de performance. La performance valorise le bénévole. Ensuite, elle se pose à toutes les échelles de la fédération. La comitologie et les gratifications sont la résultante d’un système proche du système politique dans lequel il existe des éléments de valorisation. En fonction de la façon dont les instances sont élues au sein des fédérations, le système peut être qualifié de diverses manières. Il produit ses effets.

Quand nous avons contrôlé la concession du Stade de France et le consortium qui en assure l’exécution, nous avons constaté que les deux fédérations délégataires de service public que sont la Fédération française de football et la Fédération française de rugby (et pour lesquelles ce stade a été en partie créé) sont les éléments essentiels de l’équilibre économique du stade : elles sont les seules titulaires des droits commerciaux issus de la délégation de service public qui leur a été accordée par l’État. Cela n’a cependant pas empêché la Fédération française de football d’engager contre l’État un contentieux devant les juridictions administratives. Si cette fédération n’avait pas retiré son action, elle aurait d’ailleurs probablement gagné.

Quand nous avons interrogé le ministre alors en fonction sur la question de savoir pourquoi il avait laissé une fédération qui dispose d’une délégation de service public ester en justice contre l’État sur un tel sujet, il nous a expliqué qu’il était face au président d’une fédération de deux millions de licenciés. Même s’il existe de nouvelles règles sur la durée des mandats des présidents de fédération, ces derniers restent longs. Les ministres des sports changent en revanche souvent. Ceci crée un déséquilibre.

Le rapport sur l’ANS que nous avons présenté à la commission des finances, en septembre 2022, montre bien que les arbitrages rendus reflètent ces enjeux, ces difficultés et ces ambiguïtés politiques. La mission préparatoire l’avait d’ailleurs déjà montré.

La Cour a constaté que, avec la création de l’ANS, le système n’avait pas été simplifié.

S’agissant de l’Agence, nous décelons plusieurs problèmes structurels. Faute de clarification des compétences des uns et des autres, notamment parmi les collectivités territoriales et leurs différents niveaux et parce que son financement est pour l’essentiel supporté par l’État alors que la gouvernance du GIP est « partagée », celui-ci n’en est pas vraiment un. L’ambition d’une gouvernance partagée à responsabilités réparties n’a pas été atteinte. La Cour a également constaté une forme de découplage entre l’Agence nationale du sport et la direction des sports.

En juillet 2022, la ministre a acté dans le séminaire qu’elle a organisé avec l’ensemble des acteurs plusieurs recommandations que la Cour avait émises : clarifier et resserrer les rapports entre l’Agence et la direction des sports, assurer une tutelle plus effective du ministère sur l’Agence qui reste uniquement financée par l’État. Au moment où nous avons remis notre rapport, nous savions pertinemment que la mise en œuvre d’un certain nombre de nos recommandations serait reportée après les Jeux olympiques et paralympiques. Le bilan qui sera mené en 2025 conformément aux dispositions de la loi ayant créé l’ANS sera donc essentiel.

La réforme de l’ANS comporte des éléments intéressants, mais qui complexifient le système. Le principe de fixer des objectifs et des indicateurs d’évaluation dans les contrats fédéraux de performance et de développement n’est pas mauvais. Mais il existe quatre contrats. Les uns sont pilotés par l’Agence. La direction des sports pilote pour sa part la délégation de service public avec les sujets régaliens extrêmement importants. L’Agence pilote les moyens et la direction des sports pilote in fine les emplois.

Le système existant doit-il perdurer ainsi en associant tous les acteurs ? Cette question est politique. Le rôle des collectivités locales, notamment pour le financement des échelons locaux, est extrêmement important. Le mouvement sportif doit être responsabilisé.

Une des clés pour concilier l’autonomie du mouvement sportif et la délégation de service public est le renforcement des mécanismes de responsabilité des fédérations. Le mouvement sportif doit être en capacité d’opérer sa propre régulation. Nos propositions sur la gestion financière ont avancé. Les dirigeants des fédérations sportives doivent maintenant renseigner une déclaration d’intérêt à la haute autorité.

Les problèmes sont connus. La principale limite aux évolutions est la difficulté à rendre des arbitrages politiques sur ces questions de l’articulation du mouvement sportif et de l’État et de l’articulation de l’État et des collectivités locales. Tant que nous sommes dans cette confusion, nous prenons des mesures qui permettent d’avancer, mais qui ne règlent généralement pas complètement le problème.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Qui peut opérer cette responsabilisation du mouvement sportif ? Lors de notre audition de l’ANS, M. Frédéric Sanaur nous a indiqué qu’il était théoriquement possible de sanctionner financièrement les fédérations lorsqu’elles ne suivaient pas de formations sur les violences sexistes et sexuelles. Dans les faits, ces sanctions ne sont jamais prononcées. Si l’ANS, le CNOSF et le ministère ne prononcent pas ces sanctions, qui les prononcera ?

M. Dominique Lefebvre. Le retrait de la délégation est l’arme nucléaire de l’État. Cette arme dissuasive a été vaguement évoquée dans l’affaire récente de la Fédération française des sports de glace.

La Cour a émis ses recommandations en son temps sur le Stade de France et sa concession. Nous verrons in fine le résultat de l’appel d’offres. Les contribuables devront-ils continuer à payer ? Les fédérations délégataires et titulaires à ce titre de droits commerciaux contribueront-elles à la bonne activité et à la rentabilité du Stade de France ? Nous ne devons pas méconnaître ces enjeux.

Lorsque la Cour a contrôlé l’Agence nationale du sport, nous avons constaté des situations acquises, avec des phénomènes de reconduction. Ce n’est pas très différent du financement de la dotation globale de fonctionnement (DGF) versée aux collectivités locales et des questions de péréquation et de redéploiement.

Les projets fédéraux qui débouchent sur des contrats de développement d’une part et les contrats de haute performance d’autre part créent les bases.

S’agissant de la haute performance, nous avons pointé que les problèmes relationnels entre la direction des sports et l’Agence devaient être réglés. Les outils disponibles doivent permettre de réaliser des redéploiements et de réduire la subvention versée à une fédération si les objectifs ne sont pas atteints. Les outils existent. La question est de savoir s’ils sont appliqués.

Des contrôles sont en cours sur des fédérations. Nous en ouvrons et nous en ouvrirons prochainement. Nous observerons les conditions dans lesquelles les dispositions de la loi de démocratisation sont mises en place. Nous étudierons le fonctionnement financier. La Cour a l’avantage de pouvoir observer le point de vue de la direction des sports et de l’ANS mais aussi de pouvoir interroger la fédération sur la qualité de son dialogue avec l’Agence, la prise en compte de ses objectifs et la qualité du dialogue entre les fédérations et l’État. Les outils existent, ils ne demandent qu’à être utilisés.

Les modèles économiques des fédérations sont néanmoins très différents. Nous venons de terminer le contrôle de la Fédération française de gymnastique. Nous engageons celui du cyclisme. Nous contrôlerons bien évidemment le GIP Paris 2023 et la Fédération française de rugby. Nous avions contrôlé la Fédération française de football il y a trois ou quatre ans. Ces mondes sont assez différents.

Un point sur lequel nous avons émis des observations ne demeure pas clair. Nous l’avons aussi vu sur l’ANS. Nous sommes incapables de disposer de tableaux consolidés des financements parce que l’autonomie conférée aux ligues régionales ou aux comités départementaux gêne fortement cette consolidation. La question peut être de savoir comment la fédération exerce son pouvoir de contrôle financier et disciplinaire sur ses instances locales, fédérales ou régionales.

La Fédération de football dispose d’un modèle économique particulier avec une faible subvention de l’État et un petit nombre de CTS. La situation d’un certain nombre de ligues, telles que la Ligue Île-de-France, nous a fait remarquer que l’argent était un peu partout sans que chacun comprenne ce qui se passe. Les ligues régionales et les ligues départementales disposent de leurs propres sources de financement via des subventions des collectivités. Le mécanisme de contrôle financier de la Fédération passe par la licence.

Les modèles économiques peuvent être très différents selon les fédérations. Il convient de disposer d’un cadre général suffisamment ferme, mais également suffisamment souple pour s’adapter à ces différences.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je reviens sur la carence dans la relation entre l’ANS et le ministère des sports. Le ministère peut-il imposer à l’ANS de sanctionner certaines fédérations lorsqu’elles ne remplissent pas les objectifs en matière de formation ou d’autres dispositifs ? Cela fait-il partie des carences que vous avez pu identifier ?

M. Dominique Lefebvre. Le rapport sur l’Agence décrit parfaitement le fonctionnement du groupement d’intérêt public : l’État n’est pas majoritaire alors que l’essentiel des financements de l’Agence relèvent de l’État et l’État dispose d’un droit de veto sur plusieurs sujets, dont le sujet budgétaire.

Le directeur général de l’Agence est nommé par la ministre sur proposition du conseil d’administration du GIP. L’État dispose donc des leviers de contrôle.

La Cour avait, dans ses précédents rapports, pointé le fait que la direction des sports exerçait une gestion extrêmement administrée. Les COP étaient reconduits avec des capacités de contrôle limitées, la direction des sports n’étant pas l’administration centrale la plus puissante de l’État.

À la création de l’Agence, la volonté était de distinguer l’ANS, qui s’occupait des moyens, de la direction des sports qui s’occupait du régalien et de la stratégie. L’ANS a prétendu s’occuper aussi de la stratégie. Cela a créé une confusion. La gestion « administrée » a évolué dans un sens plus qualitatif et certaines fédérations le reconnaissent. Sur la haute performance, par exemple, plusieurs fédérations reconnaissent avoir désormais de véritables experts face à elles.

Lorsque nous avons mené des enquêtes décentralisées, nous avons relevé le sujet systémique des directions régionales de la jeunesse et des sports (Drajes) qui ont été placées sous l’autorité des recteurs des régions académiques, comme les directions départementales de la jeunesse et des sports (DDJS) ont été placés sous l’autorité des directeurs des services départementaux de l’éducation nationale. Ces services ont beaucoup perdu en effectifs.

La question des violences sexistes et sexuelles était auparavant contrôlée par les DDJS et les inspecteurs des sports.

Quand nous interrogeons les directeurs régionaux de la jeunesse et des sports sur leurs capacités réelles de contrôler, sur le terrain, la sécurité des équipements sportifs, les conditions d’accueil des jeunes, etc., ceux-ci relèvent que leurs capacités d’exercer cette mission régalienne ont été drastiquement limitées.

De facto, les moyens de ces services ont été réduits. Nous l’avons souligné dans le rapport sur l’Agence nationale du sport et dans l’enquête sur la direction des sports.

Le basculement des services de la jeunesse et des sports des préfectures vers les rectorats s’est fait avec une certaine difficulté.

Des protocoles ont été passés entre les préfets et les recteurs, dont les compétences se chevauchent. Même si les Drajes ont été placées sous l’autorité des recteurs, le préfet, dans sa mission de garant de l’ordre républicain, peut contrôler une activité sportive pendant l’été.

À la question de savoir si l’État dispose des moyens suffisants pour contrôler un mouvement sportif à sa base, la réponse est que les effectifs ont diminué et que la nouvelle articulation entre les recteurs et les préfets n’a pas aidé. Un bilan devra être tiré pour savoir comment l’État peut assurer ces contrôles.

M. Philippe Rousselot. Quel est le rapport de force ? L’expression d’arme nucléaire utilisée par M. Lefebvre s’agissant de la délégation est excellente. Cette arme reste encore théorique, mais serait à fort effet.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. À la question du rapport de force s’ajoute celle de l’articulation entre les différentes strates. Sur la question des VSS, l’ANS a dépensé près de 13 millions d’euros l’an dernier, comme l’État. Comment s’articulent ces deux entités pour travailler sur un même sujet alors que l’ANS ne dispose pas de pouvoir coercitif sur les fédérations ?

M. Philippe Rousselot. Je pense que vous trouverez la réponse à cette question dans les travaux que nous avons menés sur l’ANS.

La Cour en elle-même ne peut pas répondre à la question de savoir si notre avis a évolué sur l’ANS. Il évoluera de manière certaine le jour où nous réaliserons une instruction sur ce point. Dès l’année prochaine, nous nous lancerons dans la rédaction d’une note de synthèse sur le mouvement sportif.

M. Le Mercier répondra sur les critères de financement dans le cadre du covid.

M. Laurent Le Mercier, magistrat à la Cour des comptes. Nous avons mené, en 2021 et 2022, une enquête auprès de la direction des sports, de l’ANS, du CNOSF et d’un échantillon de fédérations sportives. Nous avons constaté que le mouvement sportif s’était plutôt bien organisé pour répondre à la crise. Subsistait le problème de la connaissance de la situation financière des clubs et des réseaux territoriaux.

L’ANS et la direction des sports ont mis en place des crédits pour aider les différentes structures. Le CNOSF, les collectivités et les fédérations ont également mis à disposition des crédits pour leurs clubs, de façon souvent indifférenciée, via des petites subventions, sans forcément tenir compte de la situation plus ou moins fragile des clubs ou des entités puisque cette connaissance sur la fragilité éventuelle n’existe pas.

Nous sommes allés dans les Drajes car elles ont instruit les dossiers d’attribution des subventions. Parmi les dossiers, nous avons pu constater que des subventions avaient été attribuées alors que les pièces justificatives manquaient ou que les pièces fournies ne correspondaient pas suffisamment aux critères, lesquels n’étaient pas toujours très caractérisés ou objectivés.

La raison en est que les services déconcentrés manquent de personnel. Ce manque est connu, tant pour les contrôles de terrain que pour les contrôles administratifs. Le temps d’instruction était par ailleurs très court, lié à la crise.

Nous ne sommes pas en mesure, rétrospectivement, de vous faire la liste des fédérations qui ont le plus bénéficié d’aides. Quelques dizaines de millions d’euros de subvention ont été accordées au tissu local.

Le dispositif appelé « fonds de compensation des pertes de billetterie » s’est par ailleurs élevé à plus de 200 millions d’euros. Cette mesure sectorielle est la plus importante de l’État dans le domaine du sport. Ce fonds était destiné aux ligues ou clubs professionnels qui avaient perdu de l’argent du fait de l’absence des manifestations sportives. Les plus importants clubs et ligues professionnels ont touché des dizaines de millions d’euros. Ils ont effectivement perdu de l’argent durant cette situation de covid. L’État devait-il compenser les pertes d’argent des clubs et des lignes dont la situation financière leur permettait de survivre ou devait-il utiliser cet argent différemment ?

Lors de la dernière note d’exécution budgétaire que nous rédigeons annuellement, nous avons constaté que ce dispositif, assez coûteux pour l’État, comprenait un système de rattrapage. S’il s’avérait, rétrospectivement, que ces entités n’avaient pas perdu tant d’argent que cela, elles devaient rembourser une partie de l’aide. Il y a un an, nous avons constaté que la direction des sports n’avait toujours pas récupéré l’argent indûment perçu.

Ce n’est pas tant une mauvaise volonté de la direction qu’un manque de moyens. La création de l’ANS a eu pour conséquence une baisse d’effectifs à la direction des sports. Celle-ci était censée devenir une direction d’état-major (une direction stratégique) tandis que l’ANS gérerait l’opérationnel.

Lors de notre dernier contrôle, il y a deux ou trois ans, nous avions constaté que la direction des sports ne possédait pas de moyens de contrôle et d’audit. Cette mission était déléguée à des prestataires chargés de mener des audits flash sur certaines fédérations : ces prestataires étudient notamment si, comptablement, les fédérations flèchent bien les crédits donnés via les conventions. Ce n’est peut-être pas le cœur du sujet. Le cœur du sujet devrait être la situation financière des fédérations : ainsi, l’aide de l’État serait adaptée à la situation des fédérations. Cette expertise doit être internalisée au sein de cette direction stratégique. Je ne suis pas sûr que ce point soit réglé aujourd’hui, mais nous le contrôlerons.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vous remercie de ces réponses précises. Nous vous transmettrons peut-être d’autres questions par écrit. Je vous souhaite bon courage pour les prochains contrôles et audits.

M. Philippe Rousselot. Vous devrez prendre connaissance des quarante documents que nous vous avons adressés hier. Tous ou presque n’ont pas été publiés. Laurent Le Mercier a très justement fait référence à la note d’exécution budgétaire. Ce document annuel contient des observations susceptibles de vous intéresser. Il est en ligne sur le site de la Cour. Nous sommes évidemment à votre disposition pour toute question complémentaire.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vous remercie d’attirer notre attention sur ce document que nous ne manquerons pas d’étudier. Nous lirons avec attention vos recommandations. Merci.

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42.   Audition, ouverte à la presse, de M. Ghani Yalouz, ancien directeur général de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), Mme Audrey Peyrusin, ancienne directrice générale adjointe en charge de la politique sportive, et M. Denis Avdibegovic, ancien directeur général adjoint en charge de l’administration (19 octobre 2023)

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous recevons M. Ghani Yalouz, ancien directeur général de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep) accompagné de M. Denis Avdibegovic, ancien directeur général adjoint en charge de l’administration.

Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions. Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif, le 20 juillet 2023.

L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux se déclinent donc autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif.

Après une carrière de lutteur professionnel, vous avez été, monsieur Yalouz, directeur des équipes de France de lutte, puis directeur technique national (DTN) de la Fédération française de lutte, puis de la Fédération française d’athlétisme (FFA). En 2017, vous avez été nommé directeur de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), poste que vous avez occupé jusqu’en août 2021.

Pouvez-vous revenir sur les faits de violences sexuelles et sexistes, de racisme et discrimination dont vous avez eu connaissance dans les différentes fonctions que vous avez exercées, et en particulier à la tête de l’Insep ?

Pouvez-vous nous présenter la politique que vous y avez mise en œuvre pour prévenir, détecter, signaler et sanctionner ces violences ?

Nous avons entendu l’actuel directeur général de l’Insep. Il a reconnu que des marges de progression existaient en matière d’information et de prévention. Qu’en pensez-vous ?

Je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Ghani Yalouz et M. Denis Avdibegovic prêtent successivement serment.)

M. Ghani Yalouz, ancien directeur général de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep). Avant de répondre à vos questions, je souhaite revenir brièvement sur mon parcours car il peut apporter un éclairage dans le cadre de cette commission d’enquête.

Je suis arrivé en France à l’âge de cinq ans. J’ai eu la chance d’être élevé dans un environnement familial et social qui m’a permis de grandir, d’apprendre et, surtout, de réaliser mes rêves. Mes parents m’ont transmis des valeurs solides. J’ai commencé le sport par le football. Puis j’ai découvert la lutte avec mon grand frère. J’ai très vite progressé dans cette discipline grâce à mon club de Besançon, aux bénévoles et aux entraîneurs. J’ai obtenu de très bons résultats nationaux. Après plusieurs titres internationaux, je suis devenu vice-champion olympique aux Jeux d’Atlanta de 1996. J’ai commencé ensuite une carrière à la Fédération française de lutte en devenant entraîneur. J’ai franchi toutes les étapes jusqu’à devenir DTN. J’étais alors le plus jeune DTN du sport français.

En 2009, juste après avoir obtenu, en tant que DTN, deux belles médailles olympiques pour la lutte, faisant de la France la deuxième nation mondiale aux Jeux olympiques dans cette discipline, j’ai été appelé comme DTN à la Fédération française d’athlétisme. C’était là encore une exception. Personne n’envisageait en effet que le DTN d’une petite fédération devienne celui d’une des plus grandes fédérations françaises. Avec le soutien du président de l’époque, M. Bernard Amsalem, et grâce à des athlètes extraordinaires, nous avons atteint des résultats historiques aux olympiades de Londres 2012, puis de Rio 2016, où nous avons terminé avec six médailles.

Jusque-là, je n’avais jamais été réellement confronté au racisme – en tout cas, je n’en étais pas conscient. En 2017, j’ai été nommé directeur général de l’Insep. À 49 ans, je serai un des plus jeunes directeurs de l’histoire de cet établissement. Ce fut une grande fierté pour moi et ma famille.

C’est alors que ma vie va réellement basculer : je vais être victime, à la fois de dénonciation calomnieuse et raciste, de harcèlement et d’isolement institutionnel. Quelques semaines après ma nomination, l’Inspection générale de la jeunesse et des sports a considéré que celle-ci n’était pas valable. En effet, la procédure de nomination du directeur par le ministère n’avait pas été mise en conformité réglementaire depuis 2012. Mais mon prédécesseur, dans la même situation, n’avait pas été mis en cause. J’ai donc dû reprendre le processus de candidature pour être nommé une deuxième fois.

Dans la même période, un premier courrier raciste circule à la Fédération française d’athlétisme, signé « Yalouz le flouze », me faisant passer pour un homme vénal, bling-bling et communautariste. En ayant déjà reçu beaucoup du même ordre, je n’ai pas prêté attention à ce courrier. Mais, en octobre 2018, un nouveau courrier anonyme est envoyé, cette fois, à la direction des sports, au cabinet de la ministre, au Canard Enchaîné et à Mediapart. Ce courrier malveillant dénonce une gestion désastreuse de l’Insep, mon mode de vie et des abus financiers – autant de mensonges et d’affirmations détestables. Je suis alors tout à ma tâche pour engager des changements profonds à l’Insep, assainir la politique des marchés publics, restaurer des relations sociales apaisées avec des agents et ouvrir un programme de financement privé jusqu’alors inédit.

C’est lorsque la directrice de cabinet de la ministre m’a sommé d’apporter des explications sur son contenu que j’ai été particulièrement affecté. Avec l’aide de mes équipes et de mon avocat, j’ai rassemblé toutes les informations requises mais je n’ai reçu aucune réponse du cabinet. Les premières fuites médiatiques sont alors apparues.

Quelques mois plus tard, une enquête de routine de l’Inspection générale s’est déroulée à la Fédération française d’athlétisme. Des rumeurs circulent. L’enquête sera centrée sur ma personne. De nouvelles fuites surviennent très vite dans les médias : l’Inspection générale aurait relevé de graves dysfonctionnements dans ma gestion à la DTN de l’athlétisme, des comportements inappropriés, des problèmes concernant mes notes de frais et mon train de vie.

En juin 2019, un véritable emballement médiatique s’opère. Une dépêche de l’AFP et des dizaines d’articles viennent salir mon nom et ma réputation. Une procédure sur le fondement de l’article 40 du code de la procédure pénale est déclenchée à mon encontre par un inspecteur général et, semble-t-il, par la ministre des sports elle-même. La brigade de répression de la délinquance économique, la BRDE, est saisie. Je comprends alors que je dois me protéger, que je dois protéger le nom de mes parents et de ma famille. Je choisis comme conseil un grand cabinet d’avocats parisiens.

La ministre des sports déclenche par ailleurs une enquête administrative à mon encontre pour, selon elle, me protéger. Cette enquête est menée à nouveau par l’Inspection générale.

Il faut savoir que le rapport de l’Inspection générale sur la Fédération d’athlétisme que nous nous sommes procuré, alors que la tutelle avait refusé de nous le transmettre, ne comprenait finalement que quelques lignes à mon sujet. Je ne comprenais pas ce qui m’était reproché et ce qui pouvait conduire au déclenchement d’un article 40 contre moi.

Je reçois en outre une convocation étonnamment concomitante de l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) sur des violations récentes de règles antidopage dans l’athlétisme, alors que j’ai quitté la Fédération d’athlétisme depuis plus de deux ans. Vous pourrez lire, dans le procès-verbal de l’audition, comment l’AFLD opère un lien direct entre mes origines marocaines et la réputation d’un système de dopage au Maroc.

J’apprendrai plus tard, par mes avocats, qu’une demande d’enquête sur la radicalisation de mon entourage avait été formulée dès 2017. Cette enquête n’a pas abouti.

Durant toute l’enquête administrative diligentée par la ministre, des fuites régulières se sont produites dans les journaux. Malgré la pression de mon entourage, je ne me suis pas exprimé dans les médias. Je pensais que je finirai par être lavé de tout soupçon par ma hiérarchie.

En décembre 2019 tombe enfin le rapport contradictoire de l’enquête administrative. Il concerne principalement le remboursement de mes frais à la Fédération française d’athlétisme et mes déclarations de cumul d’activités. Je réponds point par point et apporte toutes les explications possibles sur une période de neuf ans, entre 2008 et 2017. Là encore, je n’obtiendrai jamais le rapport final ni aucun retour officiel. Je n’obtiendrai jamais d’éléments pour me défendre.

La menace de l’enquête judiciaire plane cependant – et m’est rappelée à chaque instant. Je me sens poussé à la démission. Ces moments sont très difficiles à vivre. Heureusement, j’ai pu compter sur mes adjoints, grâce auxquels nous avons atteint les objectifs que j’avais fixés pour l’Insep.

Compte tenu du décalage des Jeux olympiques de Tokyo en raison du covid, je suis resté en poste grâce au soutien du ministre de l’éducation nationale, qui chapeaute alors les sports.

En septembre 2021, mon contrat n’a pas été pas renouvelé, alors que je suis candidat pour être prolongé. Je n’ai aucun point d’atterrissage. Je crois être le seul directeur général de l’Insep à avoir subi ce traitement. Il me semble que tous les directeurs généraux de l’Insep ont été nommés à l’Inspection générale. Je suis une exception.

Fin 2021, je suis enfin entendu par la police, suite aux articles 40 qui ont été déposés à mon encontre. Durant deux heures, je donne toutes les explications aux questions posées. Le même jour, trois heures plus tard, mon avocat m’annonce que le procureur a classé mon dossier sans suite. Trois ans d’acharnement et deux heures d’audition se sont soldés par un classement sans suite ! Mais le mal est fait. Les articles de presse sont toujours en ligne et ma réputation est entachée pour de longues années. J’ai dépensé près d’une vingtaine de milliers d’euros en frais d’avocat pour me défendre.

Je suis aujourd’hui rattaché à la direction des sports, qui m’a confié la rédaction d’un rapport sur la détection des jeunes talents dans la perspective 2024-2028. J’ai rendu ce rapport en décembre 2022, non sans difficulté. J’y formule des propositions concrètes. Mais je n’ai reçu aucun retour. Aucune proposition ne semble avoir été étudiée, à quelques mois des Jeux olympiques à Paris. Je crois pourtant avoir une expérience à partager. Je suis confiné à des missions administratives alors que, chacun le sait, je suis un homme de terrain.

Aujourd’hui, je pense être victime d’un système qui n’accepte pas que des personnes comme moi, issues d’un petit sport, immigrées, grimpent trop vite les échelons du sport français. Tant que j’étais champion ou que nous réussissions avec les équipes de France dont j’avais la charge, j’étais accepté. Le jour où j’ai occupé la direction générale de ce grand établissement public qu’est l’Insep, je suis devenu trop visible, certainement trop envié et sûrement trop différent. Ce système cohabite pourtant avec le système républicain, qui m’a permis d’atteindre les plus hautes marches des podiums internationaux et de l’État.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le périmètre de cette commission comprend aussi les discriminations et le racisme au sein du mouvement sportif. Nous l’avions envisagé sur le champ des sportifs. Vous apportez ici un éclairage un peu différent sur lequel nous pourrons revenir mais je souhaite surtout insister sur l’Insep et la FFA.

Pouvez-vous donner le nom de la ministre qui a déclenché cet article 40 ? Qui était l’inspecteur qui menait l’enquête de routine ? Vous indiquez avoir été victime de discrimination. Pourquoi pensez-vous que cet article 40 a été déclenché par la ministre sans aucun fondement ?

M. Ghani Yalouz. Je n’avais pas accès aux dossiers. J’étais dans l’inconnu, alors que j’étais en poste ; je gérais l’Insep avec l’échéance des Jeux et je procédais à une refonte de nombreux aspects de l’établissement. L’inspecteur général était M. Hervé Madoré. Je ne me souviens plus du nom de l’autre personne. La ministre des sports était Mme Roxana Maracineanu.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous eu connaissance de ce rapport finalement ?

M. Ghani Yalouz. Au début, je ne disposais de rien. Nous avons envoyé des demandes avec mes avocats. Cela a traîné.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quand vous avez obtenu le rapport, que s’y trouvait-il ?

M. Ghani Yalouz. Le rapport relatait toutes les difficultés de la Fédération française d’athlétisme et ne comprenait que deux lignes sur ma personne. Je ne m’en souviens même plus. Je peux vous le transmettre.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous ne savez donc pas sur quoi vous avez été mis en cause dans ce rapport.

M. Ghani Yalouz. Après le rapport, une autre inspection générale a été diligentée à la demande de la ministre avec deux autres inspectrices. Elles ont été bienveillantes. J’ai donné tous les éléments. Un deuxième rapport est donc sorti par la suite, exigé par Mme Maracineanu.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Sur ce deuxième rapport, disposez-vous des éléments sur lesquels vous avez été mis en cause ?

M. Ghani Yalouz. Nous avons obtenu un rapport contradictoire. Cela a pris du temps. Je gérais l’Insep en parallèle et je me devais d’être présent pour mes équipes. Nous avons attendu ce deuxième rapport pour le présenter à mon avocat.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Que vous était-il reproché exactement ?

M. Ghani Yalouz. Il m’était reproché d’être malhonnête ; mes frais et cumuls d’activités étaient pointés.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous estimez que ces deux rapports demandés par la ministre sont dénués de fondements.

M. Ghani Yalouz. J’ai été auditionné deux fois. J’ai vu une différence entre l’audition de M. Madoré et celle de Mmes Fabienne Bourdais et Julien. Dans la première, j’ai été poussé dans mes retranchements. Mes décorations étaient questionnées, de même que mon ascension rapide, mon salaire et mes déplacements. J’étais directeur et sélectionneur. Être DTN implique d’être sur le terrain et de gérer l’humain. L’athlète est un radar affectif. Un athlète a besoin d’être écouté et accompagné. La performance, l’excellence sportive et le Graal olympique passent surtout par de la bienveillance, et non par de l’assistanat.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Que vous était-il reproché s’agissant du cumul d’activités ?

M. Ghani Yalouz. Rien ne m’était reproché au final. En huit ans, j’ai dû justifier 7 000 euros durant la deuxième audition. Un DTN voyage en permanence. Mes frais de fonctionnement et de déplacement oscillaient en moyenne entre 900 et 1 000 euros par mois. Nous avons identifié, lors de la deuxième inspection, un montant de 7 000 euros dont ils ne retrouvaient pas les justificatifs. Je les ai recherchés avec mes avocats et je les ai fournis. Je ne suis pas parvenu à retrouver les justificatifs pour 400 euros de frais en huit ans. Je les ai bien évidemment remboursés. Mme Bourdais l’a bien compris lors de la deuxième audition.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pourrez-vous nous transmettre le rapport que vous avez obtenu de votre côté ? Nous étudierons de notre côté les autres rapports.

Quand vous étiez directeur général de l’Insep, vous avez créé un poste et une cellule dédiée à la prévention des différentes formes de violence. Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de le faire?

M. Ghani Yalouz. Il était important de créer cette cellule. Je suis arrivé à l’Insep à 14 ans. J’y ai connu la vie en internat. Mme Laurie Champin m’avait énormément sensibilisé sur le sujet ; elle était une fervente défenseure de la lutte contre les violences sexuelles. Un an après mon arrivée, nous lui avons donc proposé de prendre le poste pour instaurer des échanges, du dialogue, pour fournir de l’information à tous les mineurs et tous les athlètes qui étaient sur place.

M. Denis Avdibegovic, ancien directeur général adjoint en charge de l’administration. De nombreuses séquences de prévention avaient déjà été organisées depuis plusieurs années par les prédécesseurs de M. Yalouz. Le recrutement a permis de commencer à écrire les procédures, à les préciser et à les mettre à jour. Cela a abouti, en septembre 2019, à deux séances d’information et de formation assurées avec le concours de l’association Stop aux violences sexuelles. L’ensemble des agents de l’Insep, des coachs et des responsables des pôles sportifs ont dû y assister, M. Yalouz ayant rendu ces séances obligatoires.

M. Ghani Yalouz. Nous avons engagé cette action avant que le ministère nous en transmette la demande. Nous avons anticipé.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La cellule a assuré des formations. Comprenait-elle un dispositif d’écoute et de recueil pour les victimes ? De quels moyens bénéficiait-elle ? À votre connaissance, cette cellule existe-t-elle toujours à l’Insep ?

M. Ghani Yalouz. Denis et Audrey Perusin étaient totalement investis, mais nous ne disposions pas de moyens spécifiques. L’essentiel était de recevoir la parole et de transmettre les informations.

Quand je dirigeais cet établissement, j’ai insisté pour trouver des solutions, et faire en sorte de ne plus rendre ce sujet tabou. Nous regroupions, une fois par mois, les responsables de toutes les fédérations et de tous les pôles hébergés à l’Insep, pour traiter de tous les sujets et surtout anticiper. Qui est mieux placée qu’une personne de la Fédération qui suit au quotidien les athlètes sur la performance, mais aussi sur l’internat et la formation pour me donner des informations ? Pendant plus de quatre ans, mes équipes et moi-même avons écouté ces acteurs. Instaurer un échange mensuel était essentiel. C’est à partir de là, et ensemble, que nous pouvions anticiper.

M. Denis Avdibegovic. La cellule n’existe plus puisque la personne qui était à sa tête est partie. En revanche, nous avons profité du temps de sa présence pour organiser ce qui s’est passé par la suite : nous avons en effet recruté une personne responsable de la santé et de la sécurité au travail, dont une des activités porte sur ce sujet. Elle est aujourd’hui une des deux référentes qui reçoit la parole : l’une recueille celle des agents ; l’autre, une infirmière, Mme Isabelle Dounias, s’occupe du médical et des sportifs.

Je ne sais pas ce qu’il en est aujourd’hui. En tout cas, lorsque M. Yalouz était en poste, ces deux personnes étaient bien chargées de recevoir la parole et avaient été recrutées à cette fin.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Savez-vous si le temps d’échanges mensuel que vous aviez instauré existe toujours à l’Insep ? Par ailleurs, avez-vous effectué des signalements au procureur de la République au titre de l’article 40 et dans l’affirmative, sur quel type d’affaires ?

M. Ghani Yalouz. J’ai découvert cet article et ce qu’il impliquait. J’ai effectué deux signalements au titre de l’article 40 s’agissant de violences sexuelles : l’un concernait le harcèlement sexuel d’un entraîneur de gymnastique, l’autre un escrimeur sur une question de consentement.

Nous avons ensuite précisé notre organisation pour multiplier les personnes extérieures capables de recueillir la parole. Il était important de pouvoir échanger avant le déclenchement de l’article 40 et de s’appuyer sur davantage d’associations pour la prise de décision.

M. Denis Avdibegovic. M. Yalouz, en tant que directeur général de l’établissement, avait en outre la responsabilité de conduire une procédure disciplinaire si l’affaire impliquait un élève ou un agent. Celle-ci a été conduite concomitamment, avec le concours des fédérations. M. Yalouz a en effet immédiatement – dans les quinze minutes ! – convoqué l’ensemble des personnes concernées pour ensuite prendre une décision éclairée. J’ai beaucoup appris au contact du directeur général. Tous les éléments ont été transmis et partagés avec les fédérations.

M. Ghani Yalouz. Il existait une procédure-type. Dans un premier temps, la parole était recueillie par une personne qualifiée. Il fallait ensuite identifier des personnes mises en cause, contacter la Fédération, prendre une mesure conservatoire pour éviter que les personnes concernées se rencontrent et aussi protéger la victime et les autres potentielles victimes. Puis une exclusion de l’agresseur présumé était opérée à titre conservatoire et enfin, nous réalisions une enquête administrative en interne et un signalement au parquet.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le laps de temps était très court. Tous les signalements ont-ils donné lieu au déclenchement de l’article 40 ?

Nous avons auditionné le nouveau directeur de l’Insep, M. Canu. Il lui a fallu plusieurs mois pour déclencher l’article 40. Comment expliquez-vous cette différence de temporalité ? Confirmez-vous qu’un directeur général est en mesure d’écarter la personne mise en cause ?

M. Ghani Yalouz. Nous l’avons fait. Mais c’est plus compliqué pour les majeurs.

Les réunions mensuelles étaient importantes car elles créaient de la proximité et de l’échange. Elles facilitaient le dialogue et la réactivité. Les présidents, les DTN, les entraîneurs étaient immédiatement disponibles. Pour ma part, je n’ai rencontré aucun souci sur ce point. Les responsables de pôles à l’Insep nous transmettaient aussi des informations.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ces réunions mensuelles existent-elles toujours à l’Insep ?

M. Ghani Yalouz. Oui.

M. Denis Avdibegovic. La procédure peut être enclenchée à partir du moment où la personne mise en cause est identifiée. La libération de la parole est au cœur de la procédure. La victime doit se sentir libre et doit pouvoir s’ouvrir auprès de plusieurs interlocuteurs, le but étant de l’amener à identifier son agresseur. C’est crucial puisque, sans identification, nous ne pouvons rien enclencher.

Les quinze minutes évoquées démarraient à partir du moment où une identification avait été effectuée. Un témoignage écrit nous permettait d’enclencher la procédure disciplinaire au sein de l’Institut et la procédure judiciaire au pénal, le cas échéant. Il fallait aller au bout de la procédure disciplinaire puisqu’il s’agissait de protéger la victime présumée, mais éventuellement d’autres personnes sur le site.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez indiqué découvrir l’article 40. Avez-vous été formés sur le processus de déclenchement ?

On nous a expliqué qu’un risque existait d’être attaqué en retour pour diffamation. La hiérarchie vous soutient-elle en cas de déclenchement ?

M. Ghani Yalouz. Je n’ai pas été formé sur l’article 40, mais je l’ai découvert et j’ai pu compter sur mon équipe.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Et la hiérarchie ? Des signalements ont-ils par ailleurs été effectués sans recours à l’article 40 ?

M. Ghani Yalouz. Oui, des signalements ont été opérés sans article 40. Et lorsqu’il était déclenché, j’en prenais la décision avec mes équipes et j’en informais le directeur des sports, M. Gilles Quénéhervé.

M. Denis Avdibegovic. Le directeur général est censé tout connaître et tout savoir. Tel n’est pas le cas. Il est entouré d’une équipe. Ma responsabilité était de conseiller M. Yalouz. Pour ma part, je connaissais parfaitement l’article 40 et les procédures qui en découlaient. Mon homologue du côté sportif jouait quant à lui son rôle en matière disciplinaire. Nous pouvions donc travailler ensemble sur le sujet ; chacun apportait son expertise.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pourquoi certains signalements n’ont-ils pas entraîné de déclenchement de l’article 40 ? S’agissait-il d’affaires précises sur lesquelles il n’était pas justifié ?

Est-il par ailleurs habituel que le ministère des sports vous donne son avis sur l’opportunité de déclencher l’article 40 ?

M. Ghani Yalouz. Je n’ai pas le souvenir que le ministère m’ait donné un avis. Il était en revanche essentiel pour moi d’informer mon supérieur hiérarchique.

M. Denis Avdibegovic. Nous prévenons la hiérarchie et nous mettons aussi en œuvre toute la procédure sur Signal-sports. Pour aboutir, la procédure doit être précise : elle doit mentionner la personne mise en cause et préciser les situations et les éventuels témoignages. L’article 40 n’est pas déclenché quand nous ne parvenons pas à identifier les personnes mises en cause. Le signalement est en revanche effectué sur Signal-sports et auprès de la hiérarchie.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Vous commencez donc à prendre connaissance de l’article 40 quand vous arrivez à la direction de l’Insep. Cela signifie que les DTN, puisque vous avez occupé ce poste pendant huit ans, n’ont pas de formation à cet égard.

Par ailleurs, nous avons reçu un témoignage, hier, à propos d’un athlète médaillé qui a été contrôlé positif au dopage et qui a continué ses activités. Aviez-vous connaissance de cette situation ? Comment l’expliquez-vous ?

Enfin, vous expliquez avoir été l’objet de racisme. Comment le caractérisez-vous ? À quel moment est-ce advenu ? Comment l’avez-vous vécu et ressenti ?

M. Ghani Yalouz. S’agissant de la première question, nous n’avons pas eu de notification à propos de Teddy Tamgho. Je n’ai pas eu de retours. Il ne s’est pas présenté à trois contrôles. Je l’ai découvert hier en suivant vos auditions. C’est un grand champion. Aujourd’hui, il est un grand entraîneur. Le risque de non-présentation est lié à la géolocalisation. Il est toujours un peu compliqué pour les athlètes de se géolocaliser. Cela peut arriver. Tout le monde ne triche pas. Tout le monde n’est pas malhonnête.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous n’avez pas reçu la notification de sa suspension.

M. Ghani Yalouz. Non, je n’étais même pas au courant de ce qui se passait. Il est parti. Nous étions avec le président et avec des jeunes. À ce moment-là, il n’y avait rien.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Quelle est la formation des DTN s’agissant notamment de l’article 40 ?

M. Ghani Yalouz. Je n’en ai pas reçu. Mais j’ai été DTN au début des années 2000, les choses ont sans doute évolué depuis. Je connaissais bien sûr l’article 40, mais je n’y avais jamais été exposé.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Comment le racisme que vous évoquez s’est-il caractérisé pour vous ?

M. Ghani Yalouz. Je vous ai donné l’un des titres des lettres anonymes que j’ai reçues : « Yalouz, le flouze. » Ce n’est pas bienveillant, non ? C’était quotidien. Cela s’est produit lorsque j’ai pris des responsabilités. C’est sans doute que je ne devais pas être là…On ne m’a pas facilité la tâche. J’ai toujours dû faire plus, prouver. Dans des lettres anonymes, il m’a même été reproché de loger ma fille chez moi à l’Insep. Or, c’était ma maison de fonction. Recevoir des lettres anonymes n’est pas grave. J’en ai reçu beaucoup. Le problème est qu’elles ont été transmises à la directrice de cabinet et que celle-ci m’a convoqué sur cette base. Pourquoi ? J’ai toujours eu l’impression d’être sous une épée de Damoclès. J’ai été nommé deux fois à la tête de l’Insep. Je suis le seul dans ce cas. On avait invoqué un vice de procédure. C’est simplement qu’en 2009, l’Insep avait pris le statut de grand établissement. Pourquoi la nomination de mon prédécesseur n’a-t-elle pas été remise en cause pour ce même motif ? Pourquoi dois-je faire toujours exception ?

Le racisme, qui plus est à l’écrit, cela fait mal. Quand vos enfants lisent ces mots, cela fait mal. Quand j’ai rapporté ma médaille des Jeux olympiques, j’ai entendu en retour : « On ne veut pas de ta médaille, sale bougnoule. » Cela vous donne un aperçu.

M. Stéphane Buchou (RE). Je reviens à votre situation actuelle. Vous considérez être dans une sorte de placard. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

M. Ghani Yalouz. Vous employez le terme de placard. Je ne l’ai pas utilisé. J’ai été prolongé quand M. Kanner était ministre des sports. Mais une menace planait. Au final, les trois ans de procédure ont débouché sur deux heures d’audition. Ces événements m’ont beaucoup affecté.

Je ne suis pas dans un placard : je suis fonctionnaire au ministère des sports, comme je l’ai toujours souhaité. Pour moi, transmettre des valeurs était important. L’humain est ma priorité. On dit souvent que donner du temps est la plus belle des générosités. Eh bien, je donnais du temps aux personnes qui étaient autour de moi, à mes athlètes, à tous ceux qui en avaient besoin, allant jusqu’à mettre en difficulté ma vie personnelle.

L’athlétisme exige de travailler le week-end, à l’instar de nombreux autres sports. Le métier de DTN est difficile et implique de nombreuses responsabilités : la gestion des conflits, des ego, des agents et des élus – des bénévoles qu’il faut accompagner. J’étais dans le consensus « politique » entre les bénévoles, le président de la Fédération et la direction technique que je chapeautais avec des équipes. Ce travail prend beaucoup de temps. Pour de nombreux DTN, il s’agit vraiment d’une priorité.

Non, je ne suis pas dans un placard mais je ne suis pas là où je devrais être. Je suis actuellement directeur de projets. Mme Fabienne Bourdais est très bienveillante à mon égard. Mme la ministre Oudéa-Castéra, qui ne me connaissait pas, m’a interrogé à son arrivée. Je lui ai expliqué. J’ai été nommé directeur de projet. Je n’ai pas eu de nombreux retours sur le rapport que j’ai rédigé. Mais ce n’est pas grave. Il était important, je le sais. Des actions sont mises en place par l’Agence nationale du sport sur la détection des talents. J’en suis très heureux.

Aujourd’hui, je suis dans une administration dont les codes ne sont pas les miens. J’étais sur le terrain, dans la proximité et l’échange. La performance est mon métier. C’est toute ma vie en tant qu’athlète, puis en tant qu’entraîneur et dirigeant. Je sais qu’ils s’efforcent au maximum de me trouver un poste. La situation est néanmoins compliquée car je ne peux pas aller à l’Agence du sport, ni au Cojop. J’ignore pourquoi.

M. Stéphane Buchou (RE). Pourquoi ne pourriez-vous pas aller dans ces instances ? Quelle est la suite pour vous ?

M. Ghani Yalouz. Quand mon contrat à l’Insep a pris fin, après qu’il eut été prolongé en raison du décalage des Jeux olympiques de 2020 à 2021, j’ai été reçu à Matignon par M. Cadot. Il m’a écouté et a été bienveillant. Je suis allé voir tous les acteurs importants du sport, dont le Comité olympique. Je leur ai exposé ce que je souhaitais faire. Je suis un pur produit du système français. J’ai obtenu des résultats à la Fédération française de lutte de 2001 à 2009, à la Fédération d’athlétisme de 2009 à 2016 et à l’Insep de 2017 à 2021. J’ai pu travailler sereinement car mon travail s’est inscrit dans la durée. Les résultats étaient là, sur le plan tant sportif qu’humain. L’image de l’union sacrée de la Fédération française d’athlétisme était restaurée.

Les athlètes ne sont pas des enfants. Vous ne pouvez pas les bercer d’illusions. Il faut juste leur dire la vérité. J’aurais voulu qu’il en soit ainsi quand j’étais athlète. C’est donc ce que j’ai essayé de faire dans mes différents postes jusqu’à l’Insep.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Teddy Tamgho est un grand champion et un grand entraîneur. Dès juin 2014, un article du journal Le Monde annonçait qu’il était suspendu. Or, il a participé, en tant qu’entraîneur, aux championnats du monde junior en juillet et à des stages homologués en décembre. Comment n’avez-vous pas pu être informé de sa suspension ?

Par ailleurs, vous avez souligné que vos postes de DTN et de directeur de l’Insep nécessitaient un consensus politique. Ce point traverse toutes nos auditions. Diriez-vous qu’être directeur de l’Insep ou DTN est une question politique ? Certaines personnes sont-elles parfois promues ou reléguées en fonction de considérations politiques ? Quel est votre avis sur ce point ?

M. Ghani Yalouz. Concernant Teddy Tamgho, je ne pouvais pas tout gérer au sein de la grande Fédération française d’athlétisme. Aussi, je responsabilisais mes collègues. Je disposais d’un manager général et de neuf managers des spécialités (lancer, sprint, demi-fond, sauts, etc.). Le manager général chapeautait le tout et s’y prenait de manière très satisfaisante.

Vous insistez sur Teddy Tamgho. Supposez-vous une infraction ? Il a purgé sa peine d’un an. Nous n’avons pas été notifiés. J’essaie de me remémorer les échanges avec Bernard Amsalen : je ne me souviens pas de débat. Je pense que Lamine Diack, qui n’est plus de ce monde, a voulu que Teddy Tamgho purge sa peine.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Vous avez parlé de consensus politique. Les postes de dirigeant de l’Insep et de DTN sont-ils politiques ? Les promotions et les relégations s’opèrent-elles en fonction des circonstances politiques ?

M. Ghani Yalouz. Un consensus politique dans le sport ne renvoie pas à la vraie politique. La politique est un métier, et ce n’est pas le mien. Je parlais de consensus parce qu’il s’agit de pouvoir travailler en étroite collaboration et en confiance. Dans le sport, les « politiques » sont souvent des bénévoles. Il fallait que tout se passe de manière satisfaisante et que nous puissions échanger. Les réunions et les échanges étaient réguliers pour répondre et satisfaire aux besoins de la Fédération. C’était parfois éprouvant.

Évoquez-vous l’idée d’une méritocratie pour accéder à ces postes « politiques » ?

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Non. Pensez-vous que ce qui vous est arrivé s’explique par des changements de ligne politique ? Pouvez-vous citer d’autres exemples que le vôtre ?

M. Ghani Yalouz. Non. Aujourd’hui, vous êtes dans le sport grâce à ce que vous avez accompli et aux diplômes. Je me suis formé : à 26 ans, j’ai repris des études. L’Insep m’a formé. Ce système de formation est très performant et il me tient à cœur. Un sportif, c’est aussi un cerveau. Il était important de me former. Ma maman, qui était institutrice, m’a inculqué des valeurs. Dans le système français, l’absence de diplôme empêche d’accéder à des postes à responsabilités.

J’ai été nommé sous tous les mandats politiques, de 2000 sous Jean-François Lamour jusqu’à aujourd’hui. Je n’ai pas de problème politique, bien au contraire.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je reviens sur la sécurisation du site de l’Insep. Lorsque nous avons auditionné M. Canu, il nous a indiqué y existait désormais un dispositif de contrôle par caméras. Était-ce déjà le cas lorsque vous étiez directeur général ? Le cas échéant, étiez-vous inquiet de l’absence de caméras ? En aviez-vous alerté le ministère des sports ? Aviez-vous obtenu des moyens pour sécuriser le site ? Nous savons qu’à la question de la prévention auprès des majeurs s’ajoute celle de la sécurisation du site, notamment pour les mineurs qui y sont présents le soir, les week-ends.

M. Ghani Yalouz. J’ai mené un audit dans le cadre d’un mécénat, en 2018, qui a abouti à l’installation de caméras après mon départ. Nous nous sommes également restructurés en interne car nous ne disposions pas d’effectifs supplémentaires. Nous avons requalifié des postes pour en créer deux supplémentaires : un premier en santé et sécurité au travail et un second de responsable de la sécurité du site. Nous avons retiré la prestation du partenariat public privé (PPP) pour qu’elle soit directement liée à la direction générale, sans intermédiaires.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pouvez-vous préciser quel est ce PPP ?

M. Denis Avdibegovic. Un partenariat public-privé avait fait l’objet d’une contractualisation mise en route par le ministère en 2006.

M. Ghani Yalouz. Il était important que le lien soit direct avec ce partenaire privé. Nous avons pu ajouter une personne sur la sécurité incendie et l’aide aux personnes et deux sur la sûreté intérieure.

M. Denis Avdibegovic. Le PPP a été engagé en 2006 pour trente ans. La sécurité du site relève du chef d’établissement, comme partout ailleurs – nous n’avons pas changé la règle sur ce sujet. Le PPP portait sur certaines prestations.

Quand M. Yalouz est devenu directeur général de l’Insep, nous n’avons pas reçu d’effectifs supplémentaires pour renforcer la sécurité – mais nous n’avons pas non plus subi de baisse. Pour requalifier des postes et les orienter vers la sécurité, il a donc fallu attendre le départ de certains agents ou la fin de contrat de contractuels. Cela a pris du temps. En 2018, nous avons pu engager un audit, via un mécénat, car aucun investissement n’était prévu sur le sujet. L’audit a été long. Nous avons ensuite enchaîné avec le covid. L’installation des caméras a donc été tardive.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. M. Canu nous a expliqué que le bâtiment I ne disposait pas de dispositif de contrôle de badge et que des rondes étaient nécessaires le soir. Ces dispositifs avaient-ils été envisagés et mis en place à l’époque ?

M. Ghani Yalouz. Du fait de son parcours, Denis m’avait sensibilisé sur ce point. Nous avons souhaité reprendre la main. Nous avons mis davantage de sécurité en place, a fortiori dans la perspective des échéances et de la présence de délégations étrangères.

M. Denis Avdibegovic. J’ai effectivement travaillé dix ans à la direction de l’administration de la police nationale, où, au contact des policiers, j’ai été sensibilisé de manière accrue à la sécurité et la sécurisation. Cela m’a permis de conseiller au mieux M. Yalouz.

Les badges ont été mis en place. En outre, dès lors que nous avons pu renforcer les équipes de sûreté la nuit, grâce à l’affectation d’une personne supplémentaire, les rondes ont été plus fréquentes. C’était le cœur de nos préoccupations, s’agissant particulièrement des mineurs. M. Yalouz avait eu l’occasion de le faire savoir dans les journaux. Je précise que tout cela a été piloté avec Audrey Perusin.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Comment sont contrôlées les personnes qui sont sur le site de l’Insep ? Est-il possible de vérifier le volet deux du casier judiciaire et le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV) ? Ces contrôles étaient-ils systématiques et obligatoires ?

M. Ghani Yalouz. Le principe de base consistait à disposer du casier judiciaire de tous les agents recrutés. Pour les prestataires, nous étions soumis également à une obligation, dans le cadre des marchés. S’agissant des coachs qui représentent les fédérations, leur contrôle relevait principalement de la fédération.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Comment être certain que les fédérations ont contrôlé les personnes qu’elles mettent à disposition ?

M. Denis Avdibegovic. Le lien est assuré par le ministère. Toutes les personnes qui sont contrôlées doivent le faire valoir auprès du ministère. L’information était ensuite transmise par l’intermédiaire de la responsable de la politique sportive. Celle-ci disposait de ces informations pour tous les employés de la fédération. Ces vérifications et ces contrôles ont donc été réalisés de manière systématique. Pour le recrutement, la vérification du volet deux du casier judiciaire était aussi systématique.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Monsieur Yalouz, votre expérience dans le mouvement sportif est grande. Dans le cadre de nos travaux, nous avons pu entendre des victimes nous faire part de leur désarroi ; elles ont souligné l’omerta qui régnait dans le mouvement sportif et les difficultés à pouvoir libérer la parole.

Nous cherchons, au sein de cette commission, à formuler des propositions concrètes pour améliorer l’existant, pallier certains dysfonctionnements et avancer sur la question du racisme, des discriminations, de l’homophobie, mais aussi des violences sexuelles et sexistes.

Quelles seraient vos recommandations ? En avez-vous mis certaines en œuvre, notamment à l’Insep ?

M. Ghani Yalouz. Il faut toujours en revenir à l’humain. C’est une question non pas seulement de moyens, mais de volonté. Il faut les bonnes personnes et du temps pour recueillir l’information. Il faut rassembler tous les acteurs. L’essentiel, c’est d’avoir des interlocuteurs qui connaissent leur fédération et leurs athlètes même si, bien sûr, nous sommes toujours particulièrement attentifs aux mineurs et à ce qui peut se passer dans les vestiaires.

L’Insep, et c’est une chance, regroupe sur place, la formation, les hébergements, les soins et la recherche. Il fait partie des quatre meilleurs établissements au monde. C’est un joyau. J’étais très fier d’être à sa tête.

Aujourd’hui, je suis prêt à échanger sur mes propositions. Il convient de renforcer l’humain, mais aussi de rendre obligatoire la formation et la prévention. Mettons encore plus d’humain pour éviter ces dérives qui empoisonnent notre vie et celle de nos enfants.

M. Denis Avdibegovic. Faut-il rendre ces formations obligatoires ? Souvent les acteurs nous expliquent qu’ils n’ont pas pu obliger les personnes qui fréquentent l’établissement à les suivre. Mais dès lors que nous sommes d’accord avec les fédérations et que ces formations sont déclarées obligatoires, qui pourra s’y opposer ?

Nous n’invitons pas les gens à aller voir un film ou à assister à une conférence. Il s’agit véritablement d’apprendre à se défendre dans ce type de situation. La parole des victimes présumées, dès lors qu’elle se manifeste, dénote déjà une grande souffrance. Or, dans neuf, voire dix cas, sur dix, c’est l’expression de la vérité. Nous devons franchir ce pas aujourd’hui.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Merci de nous avoir consacré ce temps d’échange. Si vous souhaitez partager d’autres recommandations ou propositions avec la commission, n’hésitez pas à nous les faire parvenir par mail.

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43.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Roxana Maracineanu, secrétaire générale de la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof), ancienne ministre déléguée chargée des sports et ancienne sportive de haut niveau, et de Mme Cécile Mantel, ancienne conseillère de la ministre en charge de l’éthique, de l’intégrité et des relations internationales (19 octobre 2023)

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous accueillons Mme Roxana Maracineanu, secrétaire générale de la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof), ancienne ministre déléguée chargée des sports et ancienne sportive de haut niveau.

Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions. Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif, le 20 juillet 2023.

L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux se déclinent donc autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif.

Vous avez été nommée ministre des sports le 4 septembre 2018. Vous avez occupé cette fonction jusqu’au 20 mai 2022. Votre passage au ministère des sports aura été marqué par un mouvement sans précédent de la libération de la parole au sein du milieu sportif. Le témoignage, notamment, de Sarah Abitbol, a constitué une véritable déflagration et de nombreux autres témoignages ont suivi. Tous les témoignages que nous entendons le confirment : il existe un avant et un après.

Pouvez-vous revenir sur la situation que vous avez trouvée en arrivant à la tête de ce ministère sur les sujets qui intéressent notre commission ? Pouvez-vous revenir sur la manière dont vous avez vécu ce moment historique et dont votre ministère a répondu ?

Votre passage au ministère des sports aura été marqué par de nombreuses évolutions : création de l’Agence nationale du sport (ANS), transformation et repositionnement sur des missions régaliennes de la direction des sports, lancement des conventions nationales de prévention des violences dans le sport, création de la cellule Signal-sports, renforcement du contrôle d’honorabilité des éducateurs sportifs. Quel bilan en tirez-vous ? Quels sont les éventuels blocages ou résistances auxquels votre action s’est heurtée ?

Vous aviez déclaré : « Nous avons levé l’omerta sur les violences sexuelles et amélioré les outils de contrôle. » Pensez-vous que l’omerta soit complètement levée aujourd’hui ? Existe-t-il des réformes ou des évolutions que vous regrettez de ne pas avoir pu mettre en œuvre ?

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Roxana Maracineanu prête serment.)

Mme Roxana Maracineanu, secrétaire générale de la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof), ancienne ministre des sports puis ministre déléguée chargée des sports et ancienne sportive de haut niveau. Je vous remercie de m’auditionner dans le cadre de cette commission d’enquête et de me laisser ainsi revenir sur ce qui est advenu depuis mon arrivée au ministère le 4 septembre 2018.

J’ai pris mes fonctions en septembre 2018 suite à un remaniement. Trois semaines plus tard, le journal 20 minutes m’a appelée pour une interview sur l’existence d’une omerta dans le sport au sujet des violences sexistes et sexuelles. Le journal évoquait l’affaire Larry Nassar, le médecin de l’équipe américaine de gymnastique, condamné à perpétuité pour avoir agressé sexuellement au moins 265 gymnastes.

D’emblée, dans cette interview, j’ai répondu que le sport ne pouvait être préservé de ce fléau qui touche l’ensemble de la société, parce que le corps est au cœur de l’activité et parce qu’il accueille des enfants.

Quelques semaines plus tard, j’ai rencontré Colosse aux pieds d’argile, une association que vous avez auditionnée. Celle-ci m’a alertée sur le nombre de signalements qu’elle recevait et sur la nécessité de mettre en place un contrôle d’honorabilité des éducateurs bénévoles. Ce contrôle n’était pas mis en œuvre, alors qu’il était pourtant déjà inscrit dans le code du sport à l’époque.

J’ai immédiatement lancé, avec Colosse aux pieds d’argile, un tour de France des Creps et des établissements du ministère, dont l’Insep, pour sensibiliser les éducateurs et les sportifs à ces violences. Ce tour de France s’est déroulé tout au long de l’année 2019, y compris dans les territoires ultramarins.

À la fin de l’année 2019, vous évoquez, madame la rapporteure, une déflagration. Le média Disclose publie en effet une enquête qui révèle des dizaines de cas de violences graves subies par les sportives et les sportifs dans le cadre de leur pratique. J’ai alors mis en route un dispositif d’urgence ; j’ai jugé indispensable d’agir tout de suite. J’ai mobilisé la direction des sports pour constituer la cellule Signal-sports. Cette cellule devait traiter ces cas, les instruire, enclencher des enquêtes administratives et, le cas échéant, les signaler au procureur.

Au début de l’année 2020, j’ai été contactée par Sarah Abitbol quelques jours avant la publication de son ouvrage écrit avec Emmanuel Anizon. Elle m’a raconté son histoire. J’ai pu, de fait, prendre connaissance de graves manquements à son égard de la part de la Fédération des sports de glace. Les enquêtes, publiées par L’Obs, L’Équipe, Le Parisien et d’autres journaux, ont montré que le cas de Sarah n’était pas isolé et que de nombreuses autres victimes existaient dans les sports de glace. J’ai rencontré de nombreux athlètes qui ont décrit un fonctionnement clanique, des méthodes d’entraînement très violentes et des soupçons de malversations. Un bras de fer a débuté avec le président de cette fédération et j’ai demandé sa démission. J’avais conscience d’être sur une ligne de crête car une fédération, certes sous tutelle du ministère, reste une association de droit privé. Il m’a toutefois paru indispensable de ne pas laisser passer ce cas.

Cet épisode m’a profondément marquée et m’a motivée à sonner la mobilisation générale pour lutter contre ce fléau, mais aussi à engager des transformations profondes de la gouvernance des fédérations et de la relation entre le ministère et les fédérations. Un véritable contrat de délégation entre le ministère des sports et les fédérations a été mis en place qui érige en priorité la protection de l’intégrité des athlètes.

Dès février 2020, nous avons organisé une première convention nationale sur les violences dans le sport. D’autres ministres étaient présents, comme Adrien Taquet, secrétaire d’État à la protection de l’enfance, Nicole Belloubet, ministre de la justice, et Marlène Schiappa, ministre de l’égalité femme-homme. Durant cette période, une nouvelle affaire de violence remontait chaque semaine au ministère ou dans les médias.

Cette convention de février 2020 a été pérennisée. Chaque année, le ministère y rend compte de l’activité de la cellule, des suites données aux signalements et du nombre d’interdictions d’exercer prononcées.

À chaque fois, j’ai mobilisé plusieurs ministres du gouvernement. Il me paraissait essentiel de mettre en lumière le travail mené avec les autres ministères pour répondre à ce fléau. Un très important travail a été conduit par l’ensemble des agents du ministère des sports, aussi bien en administration centrale qu’en services déconcentrés. Nous avons lancé des enquêtes administratives sur tous les clubs de sports de glace, mais aussi sur tous les clubs concernés par les signalements. À chaque fois qu’un signalement était étayé, les préfets ont pris leurs responsabilités en prononçant des mesures d’interdiction d’exercer.

Ensuite est arrivée la période du covid, qui a ralenti les activités des différents ministères. Notre ministère est toutefois resté mobilisé sur cette question. Cela n’était pas simple. Je suis aujourd’hui très fière de savoir que nos agents ont continué à travailler sur ce sujet, prioritaire selon moi. Nous avons quand même dû ajourner des enquêtes de terrain en raison du confinement.

Durant mon ministère, j’ai diligenté quatre enquêtes de l’Inspection générale sur la thématique des violences sexuelles : sur les sports de glace, la moto, le judo et l’équitation.

S’agissant de la Fédération des sports de glace, j’avais demandé un complément d’enquête sur les aspects financiers. Ce complément a été rendu sous l’actuelle ministre Amélie Oudéa-Castéra.

La thématique des violences sexuelles dans le sport a, selon moi, fortement influencé les élections qui ont eu lieu après les Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo en 2021. Un renouvellement important des présidents de fédérations s’est opéré. Le sujet de la protection de l’intégrité des pratiquants a irrigué toute la campagne.

Avant la fin de mes fonctions ministérielles, j’ai tenu à mettre en œuvre deux évolutions très importantes qui découlent de cette mobilisation, mais aussi des engagements pris par le Président de la République dans sa campagne électorale dès 2017.

La première a été d’instaurer un contrat de délégation qui lie le ministère aux fédérations. Auparavant, en échange du monopole accordé à une fédération pour être la seule fédération dans sa discipline et de l’octroi de prérogatives de puissance publique, le ministère n’émettait aucune exigence extrasportive. Les seules exigences portaient sur la réglementation sportive, les règles dans le sport, les sélections en équipe de France et l’attribution d’un titre de champion de France. J’ai voulu créer, pendant mes fonctions ministérielles, un contrat entre le ministère des sports et ses fédérations pour y inclure, notamment, des obligations de lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Nous avons inscrit, dans la loi visant à démocratiser le sport de mars 2022, des évolutions importantes en matière de prévention des violences et de renouvellement de la gouvernance du sport français.

Les deux lois les plus importantes sur le sujet des violences sexuelles dans le sport sont donc celles du 24 août 2021 et du 2 mars 2022.

Je peux vous citer quelques évolutions amenées par ces lois. S’agissant des violences sexuelles dans le sport, le contrôle d’honorabilité a été inscrit dans la loi pour toutes les personnes intervenant au contact des mineurs, au-delà des seuls éducateurs sportifs et des exploitants d’établissements sportifs. Auparavant, ces personnes n’étaient pas soumises à ce contrôle.

Il est par ailleurs désormais possible de suspendre, jusqu’au procès, un éducateur mis en cause par un mineur. Ce point est important. Auparavant, le préfet pouvait prononcer une procédure de mise à l’écart. Aujourd’hui, lorsqu’une procédure judiciaire est ouverte, le préfet doit prononcer cette mesure qui s’étend jusqu’au procès.

Les fédérations sont aussi tenues aujourd’hui de proposer à leurs adhérents une assurance en cas de violences sexuelles et sexistes, avec prise en charge psychologique et juridique.

Parmi les évolutions sur la gouvernance, la dernière loi prévoit une limitation du nombre de mandats pour les présidents, tant pour les fédérations que pour les ligues régionales et professionnelles. La limite est fixée à trois mandats, soit douze ans au maximum. Une plus grande place est par ailleurs accordée aux clubs dans le scrutin au moment des assemblées générales électives. Enfin, une parité femme-homme est portée aujourd’hui à 50 % pour le niveau national et le niveau régional. Le combat a été difficile sur ce point, notamment avec le CNOSF.

J’ai également souhaité inscrire le sport dans la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. La protection de l’intégrité des sportives et des sportifs a été élevée au rang de principe de la République.

Nous avons souhaité placer le contrat d’engagement républicain pour que les fédérations en soient signataires également. Dans ce texte, nous avons complètement refondé la relation de l’État au mouvement sportif. Ce texte acte en effet l’autonomie de ce dernier, mais il renforce aussi ses prérogatives. Dans ce cadre, nous avons bâti le nouveau contrat de délégation. J’ai tenu à signer ces deux nouveaux contrats avec les 80 fédérations sportives des sports d’été avant la fin de l’exercice de mes fonctions ministérielles.

Je suis à votre disposition pour d’autres questions.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. L’affaire Sarah Abitbol a constitué un véritable tournant pour de nombreuses victimes entendues au sein de cette commission. Vous avez évoqué la Fédération des sports de glace. Mme Abitbol nous a indiqué avoir alerté le ministère, dont le ministre, M. Jean-François Lamour. Ce dernier lui aurait demandé d’oublier l’affaire. Monsieur Lamour a indiqué qu’il n’avait pas souvenir de cette conversation téléphonique. De quelles informations disposez-vous sur la gestion de ce dossier par le ministère ?

M. Gilles Beyer était cadre technique d’État. Existait-il un dossier sur lui au ministère ? Mme Abitbol nous a indiqué qu’un dossier existait. Elle n’a toutefois jamais pu en prendre connaissance. Savez-vous ce que contenait ce dossier ?

Mme Roxana Maracineanu. J’élargirai vos questions aux autres cas. Quand j’ai décidé de prendre en charge le sujet au niveau du ministère, je me suis en effet très vite rendue compte que ce sujet était inexistant, aussi bien au sein de la direction des sports que dans nos services déconcentrés et dans les missions des 1 600 cadres techniques sportifs placés auprès des fédérations.

Un guide avait été rédigé par la direction des sports, mais il n’était pas très connu des fédérations et pas du tout diffusé aux cadres techniques qui étaient censés s’occuper de ces missions régaliennes au sein des fédérations. Le ministère des sports n’était pas identifié par les autres ministères, dont celui de l’éducation nationale, pour la remontée des cas. Aucune action précise et prioritaire n’était menée sur le sujet.

Face à la situation d’urgence de Sarah Abitbol et des nombreuses autres victimes, je n’ai pas cherché à regarder dans les dossiers des précédents ministres ni des autres ministères. J’ai souhaité agir. De mon point de vue, nous partions de rien.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous ne savez donc pas si le ministère des sports était informé de la situation, malgré les propos de Mme Abitbol, et s’il existait un dossier sur ce cadre technique.

Mme Roxana Maracineanu. Vous indiquez qu’elle en aurait parlé à un ministre, ce qui ne signifie pas que le ministère en ait été informé. Je ne peux pas me prononcer à la place de M. Lamour. J’ai souhaité impliquer toutes les fédérations sur le sujet, particulièrement celle des sports de glace, pour mettre fin à la situation. Selon les témoignages reçus, M. Gilles Beyer était encore, à ce moment-là, au sein de cette fédération et de différents clubs. J’ai voulu agir pour que cette situation prenne fin.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. N’existait-il aucun dossier sur Gilles Beyer ni aucune enquête administrative ?

Mme Roxana Maracineanu. Dans l’inspection que j’ai mandatée sur les sports de glace, les inspecteurs généraux ont transmis ce qui était connu sur Gilles Beyer. Ces éléments ont été versés à l’enquête en cours et pris en considération.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Des personnes étaient donc bien informées de cette situation au ministère.

Mme Roxana Maracineanu. Cette personne était à l’éducation nationale initialement. Elle y a été replacée, sans contact avec les mineurs.

Quand je suis arrivée, nous avons souhaité agir pour qu’une plainte soit déposée. Sarah Abitbol n’a pas déposé plainte en raison de la prescription. D’autres plaintes ont été déposées et cette personne est passée devant la justice. Cette affaire n’avait pas été traitée avant que je m’en occupe.

Vous pourrez avoir connaissance du rapport de l’Inspection générale qui mentionne les éléments dont vous avez eu connaissance par Sarah et qui ont été versés au dossier. Aucune action n’avait été menée auparavant.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Comment expliquez-vous que cette affaire n’ait pas été traitée avant votre arrivée, dans la mesure où ce dossier de l’inspection existait ?

Mme Roxana Maracineanu. Je ne sais pas. J’ai souhaité traiter le sujet.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. S’agissant de la Fédération d’équitation, vous avez émis à plusieurs reprises des doutes quant à sa gouvernance. En avril 2022, vous avez convoqué Serge Lecomte, président de cette fédération, suite à la publication d’un article dans Mediapart faisant état de faits de pédocriminalité dans sa fédération. En effet, le 16 septembre 2013, Loïc Caudal, un éducateur dans un club d’équitation, a écopé de quinze jours de prison avec sursis pour atteinte sexuelle sur une mineure. Le 20 novembre 2017, il a été condamné pour agression sexuelle sur trois mineurs à un an de prison avec sursis et une mise à l’épreuve. Loïc Caudal a travaillé dans le centre équestre de Serge Lecomte. Il en était le président. Il apparaît que M. Lecomte était au courant des faits et les aurait couverts. Aucun signalement n’a été déposé par la Fédération. Loïc Caudal a pu continuer à travailler pour le club concerné et à faire des victimes. Vous avez rencontré M. Lecomte qui a indiqué que la réunion de travail s’était très bien passée.

Suite à cette réunion, avez-vous saisi l’Inspection générale ? Avez-vous réalisé un signalement ? Qu’avez-vous concrètement entrepris en découvrant cette affaire et considérez-vous que cela a été suffisant ?

En décembre 2020, vous avez annoncé vouloir un renouveau démocratique dans les fédérations. Or, en avril 2021, Serge Lecomte est réélu à la tête de la Fédération française d’équitation. Vous étiez ministre à l’époque. Quel regard portez-vous sur sa réélection et considérez-vous que l’État aurait dû intervenir, compte tenu des scandales le visant ?

Mme Roxana Maracineanu. La personne avait déjà été condamnée, ce qui n’était pas le cas dans l’affaire de la Fédération des sports de glace. L’inspection menée auprès de la Fédération d’équitation portait spécifiquement sur ce cas. Nous sommes ensuite entrés dans une période d’élection. Le sujet avait été médiatisé. En tant que ministère, nous ne pouvions qu’accorder notre confiance au choix des électeurs. Ces questions de gouvernance sont aussi liées à ce sujet.

Ce président a été réélu dans des conditions qui ne contreviennent pas à la démocratie inscrite aujourd’hui dans le code du sport. Ce code a été modifié pour que les élections soient plus démocratiques et que les électeurs des fédérations soient informés des faits connus. Des articles étaient sortis avant les élections. Les adhérents ont souhaité réélire cette personne à la tête de la fédération. Le ministre ne peut pas démettre de ses fonctions un président élu démocratiquement.

Quand j’ai demandé au président de la Fédération des sports de glace de démissionner, nous étions dans une situation inconfortable.

J’ai reçu ce président à de nombreuses reprises ; il s’est exprimé sur le sujet. Nous avons mandaté l’Inspection générale, mais l’affaire avait été jugée.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’entends parfaitement le fait qu’il ait été réélu après que les adhérents aient été informés. En revanche, de nombreuses victimes auditionnées par cette commission ont expliqué que d’autres personnes, informées de ce qui se passait, n’avaient jamais été inquiétées.

Un président de fédération qui couvre des faits aussi graves que des agressions sexuelles n’est pas inquiété et peut continuer à présider une fédération sportive.

Mme Roxana Maracineanu. J’ai voulu faire appel à la responsabilité des fédérations, au niveau d’un vote tout d’abord. Il est important que le sujet des violences sexuelles soit inclus dans les campagnes électorales, que tous les nouveaux présidents soient élus sur pièce et que tous les adhérents soient informés des agissements des uns et des autres.

Nous avons mis en place un contrat dans lequel les fédérations doivent s’engager et produire des plans d’action de prévention et de résolution des problèmes et de signalement de ces faits. Elles doivent bien identifier toutes les personnes impliquées pour traduire ces faits en justice, mais aussi en enquêtes administrative et disciplinaire.

Ce cas précis avait déjà été jugé par la justice. Je suppose que la justice a demandé des pièces. Si ces personnes n’ont pas été inquiétées par la justice, cela signifie qu’il n’existait pas d’autres éléments à rechercher. La justice avait déjà été rendue.

En tant que ministre, je me suis occupée de l’avenir. J’ai posé une nouvelle relation d’exigence et de contrôle du ministère des sports sur ces sujets. L’essentiel désormais est d’appliquer la loi. Si vous trouvez qu’il manque encore des éléments dans la loi, il est important d’en discuter. Je pourrai vous donner mon avis sur la question. Les lois où ce sujet a été inscrit de manière directe ou indirecte sont aujourd’hui très fournies. Il est désormais important de faire appliquer la loi et de veiller à ce que ce contrôle et cette exigence vis-à-vis des fédérations soient effectivement appliqués.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez évoqué la convention nationale qui s’est tenue en février de 2020. Dans le cadre de cette convention, un rapport d’évaluation des violences sexuelles dans le sport a été présenté. Pouvez-vous revenir sur ce rapport ? Nous avons été étonnés pour deux raisons. Premièrement, ce rapport ne figurait pas dans ceux qui nous ont été transmis par l’Inspection générale. Nous avons découvert son existence lors de l’audition de M. Karam puisqu’il nous a indiqué avoir travaillé sur ce rapport. Lorsque nous l’avons redemandé à l’Inspection générale, celle-ci nous a répondu qu’il s’agissait d’un brouillon. À la troisième demande, nous avons obtenu le document. Il ne semble pas être un brouillon puisqu’il compte quatre-vingts pages et trente-huit préconisations.

Mme Roxana Maracineanu. J’espère que M. Karam vous a indiqué qu’il est inspecteur général. Il lui incombait de rédiger ce rapport. Il nous en a fait part au moment de la première convention. Il s’agissait alors d’un rapport d’étape. Il ne me l’a jamais remis en mains propres. Il n’est jamais venu me l’exposer. J’imagine qu’à votre insistance, l’Inspection générale a pressé M. Karam de le terminer ou a terminé de le rédiger elle-même.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Au moment de sa présentation lors de la convention, qu’en ressortait-il ?

Mme Roxana Maracineanu. Il en ressortait un état des lieux déjà connu partiellement. M. Karam nous a exposé l’état des violences dans le sport et a alerté le monde sportif présent. L’Inspection générale, dont il faisait partie, et nous-mêmes, agents du ministère, souhaitions mettre à l’épreuve le mouvement sportif présent. Très peu de présidents ont assisté à cette première convention. Ils ont été plus nombreux aux conventions suivantes et ont expliqué ce qu’ils commençaient à mettre en place dans leurs fédérations.

Fabienne Bourdais avait elle-même rédigé un rapport sur les violences dans le sport et dans le champ de la jeunesse des années auparavant. La contribution de M. Karam a aussi été importante. Nous disposions d’un état des lieux pour agir dans les situations d’urgence.

L’association Colosse aux pieds d’argile est venue à notre rencontre après l’interview que je mentionnais antérieurement. Son dirigeant nous a expliqué que l’association existait depuis cinq ou six ans et que lui-même avait été victime. L’association était ravie de pouvoir compter sur notre écoute. Elle voulait être utile pour libérer la parole et repérer les violences et demandait ensuite que le ministère agisse par le biais de ses services déconcentrés et centraux, ouvre enfin des enquêtes administratives et saisisse la justice.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pourquoi ce rapport ne vous a-t-il jamais été remis ?

Mme Roxana Maracineanu. J’imagine que M. Karam ne l’a jamais terminé ; il ne m’a jamais sollicitée pour me le remettre.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Un travail est confié à un inspecteur et ce dernier peut ne pas le terminer et ne pas le remettre à la ministre sans que cela pose problème.

Mme Roxana Maracineanu. Demandez-lui. Il est l’inspecteur général en charge de ce sujet. Il possède d’autres mandats.

J’ai mandaté d’autres inspections qui me paraissaient beaucoup plus utiles puisque nous disposions déjà d’un état des lieux, notamment celui rédigé par l’actuelle directrice des sports. Je l’avais nommée déléguée ministérielle aux violences. Les préconisations qu’elle avait émises ont été inscrites dans la loi. La mesure conservatoire de mise à l’écart n’était que de six mois dans le sport. Pour la jeunesse, la loi prévoyait déjà qu’elle pouvait courir jusqu’au procès du potentiel agresseur. Dans la loi sur la démocratisation du sport, nous avons donc repris cette possibilité.

Nous avons commandé des rapports à l’Inspection générale pour vérifier des cas bien précis, suite à des alertes de sportifs ou autres. Ils nous ont été rendus à temps. J’en ai pris connaissance et je m’en suis servi.

Ce n’est pas moi qui ai demandé le rapport à M. Karam. Quand un état des lieux est rendu plus de trois ans après avoir été demandé, il ne sert plus à rien. L’état des lieux était connu : il nous a été donné par les associations que nous avons mandatées pour se rendre dans nos établissements sportifs et par les autres inspections des fédérations les plus touchées.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je suis très surprise car le rapport va au-delà d’un état des lieux. Il émet des préconisations très précises pour faire évoluer le sujet des violences sexuelles et sexistes. Nous avons retrouvé ces préconisations dans le cadre de nos auditions : le contrôle d’honorabilité et sa généralisation à tous les bénévoles via le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV). Je suis étonnée que ce rapport ait été considéré comme un brouillon et qu’il n’ait jamais été exploité.

Mme Roxana Maracineanu. Ce que vous mentionnez est déjà inscrit dans la loi. Le contrôle des bénévoles via le FIJAISV est déjà effectif.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Est-il étendu à tous les bénévoles ?

Mme Roxana Maracineanu. Il est généralisé aux deux millions de bénévoles. Voulez-vous que je vous l’explique ?

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Toutes les personnes que nous avons reçues ont éprouvé des difficultés à nous expliquer ce qu’était le contrôle d’honorabilité. Il est difficile pour les clubs de le mettre en place.

Mme Roxana Maracineanu. Il n’est pas simple en effet de contrôler l’honorabilité de deux millions de personnes en France. Nous avons mis en place ce dispositif avec Mme Nicole Belloubet avant qu’elle n’achève ses fonctions. Nous avions détecté, grâce à Colosse aux pieds d’argile, la nécessité de contrôler les éducateurs bénévoles de la même manière que les éducateurs professionnels. Ce point était déjà inscrit dans la loi, mais n’était pas appliqué par les fédérations.

Au début, sans élargir le périmètre de la loi, nous avons demandé aux fédérations d’être très actives sur les diplômes fédéraux qu’elles délivraient. À l’époque, le contrôle d’honorabilité s’opérait uniquement lors de la délivrance de la carte professionnelle des éducateurs sportifs par l’État.

Toute association peut aujourd’hui réaliser ce contrôle en ligne puisqu’il est automatisé. Il est possible de contrôler aussi bien le bulletin n° 2 (B2) du casier judiciaire que le FIJAISV pour les éducateurs dont le diplôme sportif est délivré par l’État.

Les diplômes délivrés par les fédérations tombent aujourd’hui sous le coup de la loi, tout comme le contrôle d’honorabilité des bénévoles impliqués auprès des enfants dans le cadre des fédérations.

La loi a élargi aussi ce périmètre aux éducateurs de e-sport, aux surveillants de baignade qui se trouvent dans les piscines ou sur les plages et qui peuvent être facilement au contact d’enfants. Ces derniers ne tombent pas sous le coup du code du sport puisqu’ils dépendent aussi du ministère de l’intérieur.

Ce contrôle automatisé a été mis en place avec le ministère de la justice. Il permet de croiser de manière automatique, par blocs, les noms envoyés par les clubs aux fédérations. Un certain nombre d’heures sont consacrées chaque jour à ce croisement de fichiers. Une personne y est dédiée. Le contrôle est donc effectif. Il est inscrit dans la loi comme une obligation. Il est effectif entre le ministère des sports et le ministère de la justice.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons auditionné de nombreuses personnes depuis le début de cette commission. Il nous a été indiqué que certaines personnes n’étaient pas contrôlées. Les contrôles d’honorabilité sont réalisés par cercle. Moins les bénévoles sont en contact avec les enfants, moins ils sont contrôlés. Il n’existe donc pas d’obligation, pour les photographes notamment.

Par ailleurs, il nous a été précisé que l’accès au FIJAISV n’était pas aisé. La demande doit être envoyée au département.

Nous demanderons une note précise au ministère sur ce qu’est le contrôle d’honorabilité, parce que nous en avons entendu autant de définitions que de personnes auditionnées.

S’il est obligatoire pour tous les bénévoles, qu’apporte la proposition de loi qui vient d’être votée au Sénat et qui généralise le contrôle d’honorabilité ? Je ne comprends pas comment ce contrôle est compris par les clubs et les fédérations qui doivent le mettre en œuvre.

Mme Roxana Maracineanu. Puis-je donner la parole à ma collaboratrice pour qu’elle réponde sur le sujet ?

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il faut que vous la présentiez et qu’elle prête serment.

Mme Cécile Mantel. J’étais conseillère au cabinet de la ministre Roxana Maracineanu de mars 2020 à juin 2022, en charge notamment de l’éthique et de l’intégrité sportive.

(Mme Cécile Mantel prête serment.)

Le dispositif est un peu technique. Il est normal que les fédérations n’accèdent pas au FIJAISV, qui est un bulletin du casier judiciaire. En revanche, les fédérations accèdent à la plateforme informatique qui permet de croiser les données d’identité avec les données du FIJAISV. Cet outil informatique a été créé avec le ministère de la justice. Les résultats de la consultation du FIJAISV reviennent à la direction des sports en cas de résultat positif.

Ainsi, lorsque l’inscription d’une identité est vérifiée au FIJAISV, le ministère des sports procède à une double vérification : il consulte à nouveau individuellement le FIJAISV sur l’identité concernée et consulte par ailleurs le B2. Après cette seconde vérification nominative, si le résultat s’avère toujours positif, l’information est transmise aux services déconcentrés du ministère des sports qui notifient l’incapacité ou l’interdiction d’exercer à l’intéressé, à son club et, le cas échéant, à son employeur.

S’agissant du périmètre des personnes dont les antécédents judiciaires sont vérifiés, nous sommes strictement limités par le code du sport aux éducateurs et aux exploitants d’établissements d’activités physiques et sportives (EAPS). Ce périmètre a été étendu par différentes lois précitées aux personnes qui accompagnent les mineurs, aux surveillants de baignade, aux éducateurs sportifs dans le jeu vidéo et l’e-sport. Nous ne pouvions pas l’étendre à tous les licenciés d’une fédération. La récente loi sur les Jeux olympiques a sécurisé une interdiction d’exercer suite à la consultation du FIJAISV. Cette consultation peut être automatisée, alors que la consultation du B2 ne l’est pas compte tenu de l’antériorité du logiciel.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La situation est-elle différente pour les Creps ? Nous avons auditionné un responsable de Creps qui nous expliquait devoir émettre une demande de consultation du FIJAISV aux services départementaux. Il déplorait que cela prenne autant de temps. Cette année, il a choisi de ne pas demander cette consultation au vu du délai de réponse.

Mme Roxana Maracineanu. Si ce sont des éducateurs sportifs diplômés d’État, cette consultation s’opère en ligne ; elle est immédiate. Elle doit être systématique.

Il se peut que l’éducateur fédéral ne soit pas diplômé d’État et dans ce cas, la situation est plus compliquée. J’ai dû rappeler aux fédérations que seuls les éducateurs diplômés d’État pouvaient exercer moyennant rémunération et qu’elles devaient vérifier l’honorabilité de ces personnes.

Hier, certaines fédérations mettaient à des postes à responsabilité, y compris en équipe de France, des éducateurs dont l’honorabilité n’avait pas été contrôlée. Le dispositif existe ; il faut qu’il soit appliqué par les présidents de fédération et les cadres techniques du ministère des sports mis à leur disposition. Il est également de la responsabilité des fédérations de placer des personnes diplômées aux postes à responsabilités.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Les contrats de délégation comprennent énormément d’obligations. Les fédérations doivent-elles rendre des comptes au ministère des sports et au CNOSF sur les contrôles d’honorabilité ? Doivent-elles rendre des comptes à l’ANS sur les formations relatives aux VSS ?

Vous mettez en place des obligations dans le cadre de ces contrats. Nous ne comprenons pas très bien si ce contrôle ressort toujours du ministère de sports. Où s’opère ce contrôle ? Par qui est-il réalisé ?

Mme Roxana Maracineanu. Quand j’ai expliqué tout à l’heure que ma volonté était de recentrer l’administration centrale sur ses missions régaliennes, vous venez d’en citer une très importante, celle d’être exigeant dans la délégation de service public que nous donnons à une fédération et de se donner les moyens de contrôler ces contrats de délégation. Cela nous ramène à l’organisation du sport en France que vous avez évoquée tout à l’heure, avec la création de l’Agence nationale du sport qui a été effective en 2019. Elle a repris une part des missions de l’administration centrale et du CNDS (Centre national pour le développement du sport), l’organe qui distribuait l’argent aux fédérations et aux associations sportives.

Cette création a aussi permis de libérer des agents. Nous avons pu mobiliser des agents de la direction des sports sur la lutte contre les violences sexuelles, tant dans l’aspect préventif que dans les relations aux fédérations. L’idée était de responsabiliser les fédérations.

Nous avons travaillé sur ce contrat de délégation. Il n’existait pas avant. Nous l’avons instauré grâce à la loi du 24 août 2021. Nous avons travaillé avec l’Afnor, des présidents de fédération, des personnes du CNOSF, du Comité paralympique et sportif français (CPSF) et de la direction des sports, afin de mettre du contenu et de permettre à ces fédérations de comprendre comment établir leur contrat de délégation à partir d’une norme édictée par l’Afnor. Ce cahier des charges va pouvoir aider les fédérations dans l’écriture de ce contrat.

Le rôle de la direction des sports est de vérifier en amont ce contrat, avant le contrôle, dans une discussion en gré à gré avec les présidents de fédérations. Cette vérification s’opère au moment de l’octroi de la délégation et au moment de l’octroi de l’agrément. La délégation vaut pour quatre ans et l’agrément vaut pour huit ans. Il existe beaucoup de fédérations aujourd’hui, mais nos agents doivent consacrer ce temps à lire ce que les fédérations ont produit, notamment en matière de prévention et de traitement des violences dans le sport. Il n’existe pas que ce sujet, mais il s’agit d’une priorité.

Ensuite, vient le temps du contrôle. Ce contrôle ne doit pas se faire une fois tous les quatre ans ou une fois tous les huit ans. La relation instaurée entre la fédération et le ministère des sports doit être régulière. Pour cela, un certain nombre de personnes sont désignées au sein des fédérations, salariées ou bénévoles, pour s’occuper de ces sujets. Il existe par exemple des référents citoyenneté et lutte contre la radicalisation. Des référents sont habilités sur un certain nombre de missions sur les violences sexuelles et la protection de l’intégrité des sportifs.

Ce contrôle s’opère avec l’aide de ces référents, au sein d’instances qui sont animées par la direction des sports, dans une discussion permanente et dans une prédisposition responsable et volontaire des fédérations.

Si une fédération est complètement réfractaire et écrit trois lignes dans son contrat de délégation, le ministère des sports peut désormais choisir d’octroyer ou pas la délégation. Avant, il ne pouvait que retirer la délégation. Maintenant, il peut conditionner cette délégation à la signature de ce contrat entre la fédération et le ministère.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons auditionné la Cour des comptes ce matin. Elle a évoqué la question des moyens dont dispose le ministère des sports. Pouvons-nous considérer que le ministère est assez doté aujourd’hui pour exercer sa mission de contrôle sur l’ensemble de ses fédérations ?

Vous avez parlé de la bonne volonté des fédérations. Que se passe-t-il si une fédération ne met pas en place de dispositifs de prévention et de lutte contre les violences sexuelles ou sexistes par exemple ou ne réalise pas de signalements ? Jusqu’à présent, jamais aucun retrait de délégation n’a eu lieu au niveau des fédérations.

Mme Roxana Maracineanu. Effectivement, comme je l’expliquais tout à l’heure. Avant, dans toutes ces lois dont je vous ai parlé, seule la possibilité de retirer des délégations existait. Il n’était pas possible de ne pas donner de délégation. Maintenant, si ce contrat n’est pas signé ou s’il n’est pas suffisamment exigeant, le ministère peut ne pas donner la délégation, l’agrément ou les prérogatives de politique publique à une fédération qui en aurait ensuite le monopole. Avant, ce n’était pas possible. D’ailleurs, la Cour des comptes a préconisé de nombreuses fois que cette tutelle de l’État sur les fédérations, qui était très floue, se transforme en une contractualisation telle que nous l’avons engagée.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Concrètement, le ministère des sports peut-il sanctionner une fédération ?

Mme Roxana Maracineanu. Il peut ne pas la laisser continuer à être une fédération. L’année prochaine, en 2024, des délégations seront données. Si les contrats que produisent les fédérations ne sont pas suffisants au vu de ce que le ministère exige, le ministère peut très bien ne pas donner la délégation ou retarder l’octroi de délégation jusqu’à ce que la fédération se conforme à ce que le ministère lui demande. Il s’agit d’une avancée majeure puisqu’avant, il était seulement possible de retirer la délégation. C’était très compliqué de retirer une délégation en cours de mandat, une fois qu’elle avait déjà été accordée.

Il faut attendre les quatre années, mais, à partir de maintenant, si le ministère a suffisamment de monde et de conviction pour mettre toutes ses fédérations en situation de responsabilité, il peut le faire par le biais d’un moyen légal et des contrats qui ont été rédigés avec du contenu. Il faut être exigeant. Il faut faire appliquer la loi.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’avais compris que le contrôle était annuel, en lien avec les fédérations. Si nous attendons les quatre ans, cela veut dire qu’en cours de mandature, le ministère ne peut pas retirer une délégation à une fédération.

Mme Roxana Maracineanu. Il peut désormais la retirer. Il y a un contrôle annuel. Ce retrait sera beaucoup plus motivé qu’avant. Quand j’ai menacé la Fédération des sports de glace de lui retirer sa délégation, nous étions en situation d’urgence ; nous avons regardé le code du sport et nous n’avions à notre disposition que la possibilité de retrait de la délégation. L’intégrité des pratiquants était mise en cause. Encore fallait-il démontrer que tout le monde dans la fédération était concerné par cette problématique. J’ai souhaité mettre en avant ce retrait de délégation, mais ce n’était vraiment pas simple.

Dorénavant, étant donné qu’il existe ce contrat qui lie les deux parties, il sera plus facile de retirer la délégation. Cela se rapproche beaucoup plus de ce que peut faire un autre ministère qui donnerait délégation à une autre entité pour appliquer un cahier des charges. Nous avons créé ce cahier des charges ; il porte notamment sur l’éthique et l’intégrité dans les fédérations, la gouvernance, la protection des publics et des événements sportifs. Il existe d’autres thématiques qui concernent le sport, comme l’engagement sur le développement durable.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lorsque des fédérations ne respectent pas la loi en ne mettant pas en place de comités d’éthique, comme c’est le cas dans 17 % des fédérations, sont-elles sanctionnées ? Comment cela se passe-t-il pour elles ?

Mme Roxana Maracineanu. S’agissant de votre question précédente, je précise que l’article R. 131-30 du code du sport a été modifié par un décret du 24 février 2022 qui met à jour tous les motifs de retrait de délégation. Ces motifs sont beaucoup plus fournis qu’avant. Il est donc possible de retirer la délégation.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. 17 % des fédérations ne disposent pas de comité d’éthique. Le retrait de délégation a été qualifié tout à l’heure d’arme atomique. Existe-t-il d’autres types de sanctions pour ces fédérations qui ne respectent pas la mise en place du comité d’éthique ?

Mme Roxana Maracineanu. Dans l’article de loi qui touche les comités d’éthique, nous avons insisté aussi pour qu’ils soient indépendants. Ce n’était pas le cas. Il existait des comités d’éthique un peu factices, à la main de la fédération. Nous avons mis en place une animation beaucoup plus forte de ces comités d’éthique et un lien plus fort avec le CNOSF et le CPSF. De notre point de vue, ces derniers devaient être l’animateur de ces comités d’éthique. À plusieurs reprises a été évoquée, lors de vos auditions, la question de la pertinence de créer une instance extérieure indépendante qui traiterait de ces cas.

Ma préconisation en la matière – j’ai eu l’occasion de la partager à plusieurs reprises avec la présidente du CPSF et le président du CNOSF – était plutôt de dire que nous avons besoin d’une entité supra-fédérale avec des personnes des fédérations. Cette entité pourrait, à l’image du tribunal arbitral du sport qui est indépendant du CNOSF, mais placé auprès de lui, prendre des décisions qui pourraient être homogénéisées à l’échelle de toutes les fédérations. En matière disciplinaire, il existe en effet beaucoup de disparités entre les décisions qui sont prises par les fédérations. Cette instance pourrait aussi discuter des bonnes pratiques au sein de chaque fédération. Elle pourrait animer les comités d’éthique.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. N’est-ce pas déjà le rôle du CNOSF que de veiller à l’éthique dans ces fédérations ? Nous éprouvons des difficultés à comprendre ce monde sportif. Les structures s’empilent parfois les unes aux autres. Si le CNOSF ne joue pas ce rôle, à quoi sert-il ?

Mme Roxana Maracineanu. Je tiens à vous remercier d’avoir créé cette commission d’enquête, parce que cela a permis à la population entière, y compris à vous, membres de l’Assemblée nationale, de voir ce que j’ai vécu dans l’enceinte de mon bureau pendant quatre ans. Il s’agit effectivement du rôle du CNOSF. Il est important aujourd’hui que chacun reste à sa place et joue son rôle.

Il serait intéressant que le CNOSF n’ait pas l’intention de jouer le rôle d’un ministère des sports et que le ministère des sports impulse et donne la direction. Le CNOSF est lié au ministère des sports par une convention financière annuelle de 10 millions d’euros. Les moyens du CNOSF sont par ailleurs augmentés du fait des Jeux olympiques et paralympiques en France. Ils auront des moyens financiers supplémentaires cette année.

Je ne crois pas que le CNOSF puisse affirmer aujourd’hui qu’il va faire table rase de tout ce qui a été fait par le ministère des sports et réinventer la roue en réalisant un état général des lieux des violences dans le sport. Nous l’avons déjà réalisé et nous connaissons la situation. Nous avons déjà énormément modifié la loi, notamment dans cette relation entre l’État et les fédérations.

Il faut maintenant que le CNOSF trouve sa place et que cette place lui soit accordée, par le biais de la convention financière qui le lie au ministère des sports et grâce aux moyens supplémentaires qu’il aura obtenus une fois les Jeux en France terminés.

Si le CNOSF souhaite s’impliquer véritablement sur le sujet, il dispose des moyens nécessaires pour le faire, y compris financiers et humains. Il dispose surtout de la prérogative nécessaire puisque le CNOSF est aujourd’hui le représentant des fédérations. Ce n’est pas une entité à part qu’il faudrait convaincre. Les présidents des fédérations sont impliqués et élus au sein du CNOSF. Il faut élire les bonnes personnes pour que le sujet puisse infuser au sein des fédérations. Il faut que ces personnes s’impliquent sur le sujet, connaissent tout ce que je viens de dire et aient envie d’avancer.

Les auditions que vous avez menées avec un certain nombre de présidents de fédérations impliquées dans le CNOSF laissent à penser que ce n’est pas vraiment le cas aujourd’hui.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pouvez-vous nous préciser pourquoi vous considérez que le CNOSF souhaite aujourd’hui jouer le rôle d’un ministère des sports ? Nous savons que les membres du CNOSF ont un avis sur cette commission d’enquête et sur le travail des parlementaires ; ils nous l’ont fait savoir. Nous n’avions pas en tête qu’ils voulaient peut-être remplacer le ministère des sports.

J’aimerais aussi connaître votre regard sur la commission de lutte contre les VSS qui existe au sein du CNOSF. Comment travaille-t-elle avec le ministère des sports ? Je vais préciser ma question. Nous avons reçu le coprésident de cette commission ; il nous a indiqué qu’il n’avait pas été reçu au ministère des sports depuis janvier 2021. Cela fait deux ans. Sur un sujet aussi éminemment important au sein du mouvement sportif, quel est votre regard sur cette commission qui existe au sein du CNOSF ?

Mme Roxana Maracineanu. Je pense que l’action du CNOSF doit être complémentaire de celle du ministère des sports. Ils ne doivent pas recommencer éternellement les mêmes débats, mais plutôt avoir des liens resserrés avec la ministre des sports actuelle. Avant, c’était évidemment le cas. Je pense que c’est le cas encore aujourd’hui. Je déjeunais ou petit-déjeunais tous les quinze jours, voire toutes les semaines, avec les deux présidents du CNOSF et du CPSF pour être au courant de tout ce qu’ils faisaient et les informer de tout ce que nous faisions.

Ce n’est pas pour autant que l’attitude du CNOSF était complémentaire. Tous les chantiers que nous engagions, il souhaitait aussi les engager, en repartant de zéro et en souhaitant bénéficier de moyens supplémentaires pour le faire. L’enjeu n’est pas là. L’enjeu est de savoir ce que réalise le CNOSF pour compléter l’action du ministère ou pour impulser de nouvelles actions en propre, en demandant des financements éventuellement au ministère des sports. Le CNOSF dispose déjà chaque année de financements conséquents pour pouvoir exercer sa mission.

Je ne doute pas aujourd’hui que la nouvelle gouvernance du CNOSF que vous avez aussi auditionnée soit sensible au sujet des violences. La preuve en est qu’ils ont créé une commission. Catherine Moyon de Baecque a été proposée à la tête de cette commission de lutte contre les violences. Elle sait de quoi elle parle. Elle a pu sensibiliser la gouvernance à ce sujet. Encore faut-il que les propositions émises soient complémentaires de celles du ministère des sports.

Vous disposez aujourd’hui des documents pertinents. Regardez où en sont les préconisations du CNOSF par rapport aux articles de loi déjà promulgués et à toutes les actions du ministère. Vous pourrez juger par vous-même si elles sont complémentaires ou si elles recommencent un travail déjà fait en reprenant les mêmes items. Je déplore que le CNOSF rédige des documents qui permettent juste de montrer qu’il coche la case.

Quant à la personne que vous citez et qui préside une commission, il me semble qu’il s’agit du président de la Fédération française de canoë kayak. Vous l’avez auditionné. M. Zoungrana est venu au ministère des sports avant la fin de mon mandat, en mai 2022, pour signer son propre contrat de délégation.

Je l’ai reçu pour cela et nous avons évoqué d’autres thématiques qui concernaient sa fédération. S’il avait souhaité me parler de ce qu’il réalise au CNOSF sur le sujet, vous pensez bien que je l’aurais accueilli les bras ouverts. Il ne m’en a pas parlé. Vous m’apprenez qu’il est président d’ailleurs de cette commission. J’ai eu l’occasion, en revanche, d’échanger avec Catherine Moyon de Baecque à plusieurs reprises au moment de la convention pour qu’elle m’explique comment elle traitait le sujet.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous les avons auditionnés. Ils nous ont indiqué ne pas avoir de pouvoir sur les fédérations. C’est l’une des difficultés que nous avons pu rencontrer.

Mme Roxana Maracineanu. Ils sont les fédérations. L’organe CNOSF représente les fédérations dans le paysage global du sport. Il n’y a donc pas à avoir de pouvoir.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ils indiquent qu’ils ne peuvent rien imposer aux fédérations, notamment sur la question des comités d’éthique. L’ANS nous a également indiqué qu’elle ne pouvait pas imposer de dispositifs ou de formations aux fédérations sur les VSS, malgré le fait qu’elle leur donne des subventions.

Mme Roxana Maracineanu. J’aimerais revenir sur ce point, parce qu’il fait partie des préconisations que je n’ai pas eu le temps de mettre en place. Avec cette nouvelle gouvernance, vous avez effectivement compris que le levier financier qui lie l’État aux fédérations est aujourd’hui au sein de cet opérateur de l’État. Je le répète : il est aujourd’hui au sein de cet opérateur de l’État qu’est l’Agence nationale du sport, même si son format est un GIP. Quand je suis arrivée, l’arbitrage sur la création de cette agence était déjà acté ; je n’ai fait que mettre en œuvre cette commande. Je l’ai fait avec beaucoup d’intérêt.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Comme l’arbitrage était déjà acté, qu’en avez‑vous pensé ?

Mme Roxana Maracineanu. Je suis une travailleuse acharnée. Quand une commande m’est passée, j’en comprends les tenants et les aboutissants. J’ai trouvé intéressant que l’argent qui était dans le CNDS sur les territoires soit distribué aux associations en cohérence avec les projets des fédérations. L’idée était que cette somme financière soit rapatriée des territoires vers le national et que les fédérations proposent une manière de la distribuer au sein de leurs propres associations sportives affiliées. Je trouve que ceci est plus cohérent et plus responsable. C’était un moyen aussi d’entamer une discussion sur la responsabilité des fédérations avec ces entités : « Nous vous donnons plus de prérogatives. Dites-nous sur quels appels à projets fédéraux vous souhaitez distribuer cet argent. »

L’ANS contrôlera bien sûr la distribution de cet argent, puisqu’il reste aux mains de l’ANS. Plus de moyens nécessitent plus de responsabilités. Nous, ministère des sports en tant qu’administration centrale, allons vous demander d’être plus responsables. Nous avons engagé les contrats de délégation qui portent notamment sur ce sujet des violences.

Si j’avais été ministre des sports encore quelques années, j’aurais souhaité – et je ne doute pas que la ministre actuelle le souhaite également – une meilleure articulation entre l’argent qui est donné spécifiquement par l’Agence nationale du sport aux fédérations et le volet éthique et intégrité qui est décliné dans le cadre des subventions générales aux fédérations. Ce volet peut se décliner en appel à projets auprès des associations qui bénéficient de l’argent de l’ANS au sein des fédérations. J’aurais souhaité que cet argent puisse être mis en relation avec les contrats de délégation. Une fédération qui fait très bien son travail devrait pouvoir obtenir un bonus de l’Agence nationale du sport.

J’ignore s’il existera des moyens supplémentaires, mais dans l’enveloppe actuelle, il est déjà possible de bien distinguer ce qui est distribué pour l’éthique et l’intégrité de ce qui est distribué pour la performance sportive ou pour le sport pour tous. C’est déjà le cas. Ce sont des enveloppes différentes. Il suffit juste que les personnes se parlent, celles qui sont dans la cellule intégrité et éthique dans l’administration centrale et celles qui distribuent l’argent à l’Agence nationale du sport. Cela ne doit pas être un problème aujourd’hui. La ministre des sports a renforcé et finalisé ce travail de la gouvernance au sein du ministère des sports avec une autorité plus forte sur l’ANS.

Lors de la création de l’ANS, les tiraillements extérieurs ont été nombreux de la part des collectivités et des fédérations. Les entreprises privées étaient contentes d’être dans la gouvernance de l’ANS. Les territoires ont voulu jouer un rôle important. Le CNOSF est arrivé dans une gouvernance partagée au sein de l’ANS. Il s’est dit qu’il pourrait jouer la place du ministère des sports beaucoup plus facilement parce qu’il disposait de l’argent. Il était important que la nouvelle ministre rétablisse cette autorité sur l’Agence.

Il est important aussi que nous saisissions toute l’envergure de l’organisation des grands événements sportifs en France. Les Jeux et tous les autres dépendent, en interministériel, de la Dijop (délégation interministérielle aux Jeux olympiques et paralympiques) et de la Diges (délégation interministérielle aux grands événements sportifs). Aujourd’hui, les Jeux olympiques et paralympiques sont dans le portefeuille de la ministre. Il me paraît important que cela continue, y compris après les Jeux en France et que le ou la ministre des sports puisse avoir l’ensemble de ce champ à sa main. Les violences sexuelles concernent les fédérations, mais aussi tous les événements sportifs organisés sur le territoire français.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Par rapport à la création de cette agence, pourquoi n’a-t-il pas été choisi que la direction des sports, en lien avec les collectivités, gère finalement cet argent ? Pourquoi cet acteur a-t-il été créé en plus, même si l’arbitrage avait été fait au moment de votre arrivée ?

Deuxièmement, pourquoi le bonus-malus n’est-il pas encore mis en place aujourd’hui ? Lorsque nous avons auditionné l’ANS, nous n’avons pas très bien compris ses critères d’évaluation pour les subventions qu’elle accorde aux fédérations. C’était très complexe. Nous n’avons pas compris comment cet argent est ventilé entre les différentes fédérations.

Mme Roxana Maracineanu. Je peux vous confirmer que les ressources humaines qui existent aujourd’hui se consacrent à ces évaluations. Cela prend peut-être beaucoup de temps de vous l’expliquer dans une audition, mais, à coup sûr, l’Agence nationale du sport est en capacité de vous expliquer comment elle distribue l’argent. Son rôle est d’expliquer aux fédérations, à nous-mêmes et aux territoires comment elle distribue cet argent.

La partie éthique et intégrité est nouvelle. Le directeur de l’Agence nationale du sport et son président, M. Michel Cadot, ont souhaité accompagner l’action du ministère des sports sur ces sujets. Ils ont ainsi proposé de créer cette enveloppe « éthique et intégrité ». Mais ce travail d’articulation entre le service qui doit évaluer les fédérations sur la partie éthique et intégrité et l’Agence nationale du sport n’était pas encore fait quand j’étais ministre. La création de l’Agence était récente. La mise en valeur de ce sujet au sein de la direction centrale était aussi récente.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pourquoi le choix a-t-il été pris d’externaliser ? Nous avons l’impression qu’un opérateur donne des moyens aux fédérations tandis que le ministère contrôle. Nous avons le sentiment d’avoir deux acteurs qui jouent des rôles très différents.

Mme Roxana Maracineanu. Je me permets de revenir sur le mot « externalisé ». Pourquoi avons-nous créé cette agence en gouvernance partagée ? Nous nous sommes dit qu’à trois ans des Jeux en France, il était important de valoriser l’engagement financier des territoires sur le sport. Il était intéressant, pour montrer de la considération au mouvement sportif, de l’associer à la gouvernance. Aujourd’hui, au sein de l’ANS, le mouvement sportif, les territoires, mais aussi le secteur privé du sport, ont la possibilité de donner leur avis, de participer et de voter à voix égales avec l’État le budget accordé au sport.

Il existe une volonté commune de pérenniser les moyens du ministère des sports à l’approche des Jeux en France. Plus nous sommes nombreux à plaider en ce sens auprès du ministère du budget, du Premier ministre et du Président de la République, plus nous serons forts. Notre devise était « mieux faire ensemble ». La grande famille du sport – les territoires, le mouvement sportif, l’État et les entreprises qui œuvrent dans le champ du sport – s’est rassemblée. Nous avons voulu lancer ce signal. Il est effectif dans la gouvernance.

Le pot commun au sein de l’ANS n’est en revanche pas effectif. Seul le ministère des sports finance concrètement l’Agence. Il n’en demeure pas moins que les collectivités mettent énormément d’argent ; elles ont souhaité garder les cordons de la bourse. La gouvernance partagée de l’Agence facilite le travail de recherche de sponsors et de participants à sa politique.

Je peux vous évoquer un sujet particulier que j’ai également porté : la lutte contre les noyades. Pendant le covid, un acteur du monde privé, un constructeur de piscines, a vu son activité augmenter. Cette entité est venue au ministère pour nous dire : « Écoutez. Nous avons une somme d’argent que nous aimerions consacrer au déploiement de cette politique de prévention des noyades, parce qu’aujourd’hui il y a plus de piscines qu’avant dans les résidences privées. Nous aimerions participer à cette politique. Nous mettons une certaine enveloppe à votre disposition. Vous nous dites ce que nous devons faire avec cet argent. »

Comme il est aujourd’hui difficile d’avoir de l’argent du monde privé, nous leur avons expliqué la politique qu’il fallait mettre en place pour lutter activement contre les noyades dans le secteur privé. Cela porte ses fruits, mais cela doit évoluer.

Cela n’a pas privé la direction des sports de moyens, au contraire, puisque l’argent au global a été augmenté par l’effet des Jeux olympiques et paralympiques. L’enveloppe des politiques mises en place par les fédérations qui ne touchent pas directement aux Jeux, que ce soit sur le haut niveau ou sur la pratique pour tous, a aussi nettement augmenté ces dernières années. Nous souhaitons évidemment que ces montants puissent être pérennisés une fois les Jeux olympiques et paralympiques en France passés.

J’y ai aussi vu une opportunité de repositionner de manière plus forte nos agents de l’administration centrale et des services déconcentrés sur les sujets régaliens, dont la préservation de l’éthique et de l’intégrité dans le sport. Une attention plus particulière est portée sur le réseau des établissements que la direction des sports continue de financer.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lors de nos auditions, nous avons beaucoup parlé de la cellule Signal-sports. Il nous a été expliqué que quatre agents étaient dédiés à cette cellule au sein du ministère. Au vu du nombre de signalements, ces effectifs vous semblent-ils suffisants ?

Nous avons aussi des interrogations sur le périmètre de cette cellule. Nous pensions qu’il portait uniquement sur les VSS et des violences physiques. Nous n’avons pas compris si la question de l’homophobie, des discriminations et du racisme en faisait partie. Si ce n’est pas le cas, la question s’est-elle posée d’intégrer les discriminations, le racisme et l’homophobie à son périmètre ?

Nous pensions que cela ne faisait pas partie de son périmètre. Mais lorsque nous avons auditionné des associations qui luttent justement contre l’homophobie dans le sport, elles nous ont indiqué avoir réalisé un signalement auprès de cette cellule. Elles ont été contactées la veille de leur audition sur le traitement de leur signalement, alors même que la lutte contre l’homophobie ne fait pas partie du périmètre de la cellule Signal-sports. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Tout au long des auditions, très peu de personnes connaissaient l’existence de cette cellule. Selon vous, qu’est-ce qui permettrait d’augmenter sa visibilité ?

La Fédération de canoë kayak a, sur son site, un onglet qui s’appelle « Stop violences » qui ne renvoie pas à la cellule Signal-sports du ministère : elle traite en interne les affaires qui lui arrivent et décide ensuite de les transmettre ou non à la cellule Signal-sports. N’est-ce pas censé être uniforme pour toutes les fédérations ?

Mme Roxana Maracineanu. J’ose imaginer que son site renvoie à Signal-sports.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quand les signalements arrivent sur « Stop, violences » à la fédération, les six cadres d’État se déplacent ou pas en fonction des affaires. Ils examinent la question une première fois et décident ou non de transmettre à Signal-sports.

Mme Roxana Maracineanu. Le périmètre de la cellule est effectivement uniquement axé sur les violences sexistes et sexuelles, ce qui inclut aussi le bizutage puisqu’il y a des violences sexistes et sexuelles dans le bizutage entre jeunes.

Pour le racisme et l’homophobie, ce champ revient aux fédérations et nous avons beaucoup insisté sur ce point. Je pourrai vous préciser la manière dont cela fonctionne sur ces thèmes si cela vous intéresse. Nous avons voulu nous consacrer, avec les agents de la cellule, aux violences sexistes et sexuelles. Il y en a beaucoup. Après cinq ans d’existence, nous sommes à plus de mille signalements auprès de cette cellule.

Nous pouvons effectivement déplorer qu’elle ne soit pas plus connue encore. J’ai participé à une formation auprès des étudiants Staps qui seront les futurs éducateurs et professeurs de sport. Sur une assemblée de cinq cents étudiants, cinq connaissaient Signal-sports. Il y a donc très peu de connaissance. Nous devons activer, dans le cadre de différentes formations, la publicité autour de cette plateforme.

Il n’empêche que nous sommes passés, en cinq ans, de zéro à mille. Tout le monde trouve ceci extraordinaire. Cela veut malheureusement dire qu’il y a beaucoup d’affaires. Ce sont d’anciennes affaires qui, aujourd’hui, ont trouvé un moyen de s’exprimer et d’être traitées. Ce n’est pas une simple plateforme de signalement. Nous ne pouvons pas empêcher des gens de signaler. Par exemple, cette association de lutte contre l’homophobie a fait des signalements. Comme ce n’était pas l’objet de la cellule, les personnes qui s’occupent de relever les signalements les ont contactées par acquit de conscience la veille de l’audition.

Toutes les fédérations sont libres de retranscrire Signal-sports sous un autre nom ou de s’adjuger les services d’autres associations qui œuvrent dans le champ plus large des violences et d’en faire leurs opérateurs. Il est important, quand elles s’adressent à une association qui sous-traiterait une ligne d’écoute, d’informer ce sous-traitant de l’existence de Signal-sports.

Il faut combattre aujourd’hui l’arrivée de signalements à différentes entités qui n’auraient pas connaissance du traitement que nous avons mis en place au ministère des sports et du report à la justice. Plus il existe d’endroits et de plateformes pour parler de ce sujet et le signaler, mieux c’est. J’encourage le développement de plateformes de signalement. Il faut en revanche que tout soit centralisé sur le même circuit, non pas parce que nous sommes heureux d’avoir beaucoup de cas sur Signal-sports, mais parce que ces cas-là sont traités.

Des agents et des inspecteurs sont mandatés pour faire des enquêtes administratives au sein des clubs sujets à signalement. Il y a ensuite un report systématique à la justice quand cela est nécessaire. Les fédérations reçoivent un retour du ministère des sports pour agir à leur niveau et exercer leur pouvoir disciplinaire. Malheureusement, il n’est pas exercé de manière idéale par toutes les fédérations. Vous avez pu vous en rendre compte vous-mêmes dans les auditions que vous avez menées.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quid des moyens humains de la cellule Signal-sports ?

Mme Roxana Maracineanu. Elle comprend quatre personnes pour mille signalements sur cinq ans, soit deux cents signalements par an. Ces quatre personnes sont dédiées aujourd’hui à 100 % à cette tâche. Elles ne sont pas les seules à agir, puisque, lorsque le signalement concerne un club ou un territoire, le service déconcentré en question prend le relais.

Je crois que Fabienne Bourdais vous l’a précisé lors de son audition : un renforcement des effectifs a eu lieu sur ce sujet dans chaque service départemental. Une personne par service y est affectée. Ces cent personnes en France s’ajoutent aux quatre qui ont la prérogative de récolter les signalements et de le redistribuer aux agents du ministère des sports afin qu’ils fassent leur travail en services déconcentrés.

Auparavant, la procédure passait de l’association au service déconcentré. La direction des sports et, de fait, le ou la ministre, pouvaient donc ne pas avoir connaissance des cas signalés si le cas était caché, soit parce que la personne du service déconcentré avait auparavant été dans le club en question, soit parce que l’entraîneur du club était quelqu’un de renom avec énormément de médailles et qu’il était peut-être bien de ne pas l’embêter.

Maintenant, tout remonte en central de manière à ce que la direction des sports et le ou la ministre connaissent tous ces sujets, que nous transférons à la fédération. Le président ne peut plus venir dire qu’il ne savait pas ce qui se passait dans tel club très loin de chez lui.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La ministre est informée de chaque signalement sur la cellule Signal-sports où les affaires dont elle est informée sont triées puis redescendues au niveau des fédérations.

L’onglet « Stop violences » mis en place par une fédération crée un filtre avant la cellule Signal-sports et nous semble complexifier le système pour les victimes. Nous sommes très interrogatifs sur cet onglet.

Nous avons auditionné la direction de l’Insep dans le cadre de cette commission d’enquête. Elle a évoqué la question de la sécurisation du site et la manière dont elle réalisait les signalements. Nous avons évoqué la cellule Signal-sports. Nous avons compris, en voyant les plaquettes de communication de l’Insep, mais aussi le site du ministère des sports, qu’il n’était pas clair que les victimes puissent directement saisir la cellule Signal-sports.

Sur la plaquette de communication de l’Insep, il est indiqué que les victimes ont un entretien avec une personne référente et que le compte rendu de cet entretien est envoyé ou non à la cellule. Or, nous avions compris que la victime pouvait elle-même déposer un témoignage sur Signal-sports. Ce n’est pas indiqué sur les plaquettes d’information.

Mme Roxana Maracineanu. Je profite de cette audition pour le dire publiquement : toute personne qui s’estime victime de violences sexuelles ou sexistes dans le sport peut le signaler directement à cette cellule.

Nous partons de l’hypothèse que toutes les personnes qui se sont engagées avec nous dans ce combat sont des personnes honnêtes, responsables, qui ne filtrent pas les cas. Nous présupposons que ni l’Insep ni la fédération en question ne viendront à nouveau remettre des cas sous le tapis ou cacher des choses. Ils vont peut-être d’eux-mêmes prioriser ou faire un filtre, s’ils pensent que cela peut relever uniquement d’une sanction disciplinaire et non d’une enquête administrative ou de justice.

Tout ce qui est envoyé à la cellule Signal-sports l’est sous le sceau de la confidentialité. Pour réussir à mettre en place ce système de signalement, nous avons mobilisé la justice sur ces trois systèmes procéduraux. Il était important que la procédure disciplinaire des fédérations et la procédure administrative de l’État puissent se coordonner avec la procédure judiciaire, qui doit être considérée pour ce qu’elle est. Le recueil de preuves dans le cadre d’un témoignage fait à la fédération ou sur la cellule Signal-sports doit avoir un niveau d’exigence et de crédibilité suffisant par rapport à la justice.

Il ne sera évidemment pas le même quand la victime ou les personnes incriminées sont auditionnées par la justice, mais il faut que nous puissions réaliser ce recueil de preuves de manière à pouvoir le produire devant la justice. Même si ces instances font des auditions avant, elles doivent obligatoirement le reporter à la cellule Signal-sports.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le dernier rapport de l’Inspection que nous avons reçu concernant le contrôle de l’Insep date de 2016. Pouvez-vous nous confirmer qu’aucun contrôle n’a été demandé sur l’Insep depuis 2016 ?

Mme Roxana Maracineanu. Je n’ai pas mandaté de rapport sur l’Insep quand j’étais ministre.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pour revenir à cette cellule Signal-sports, je vais vous lire ce qui est écrit sur le site du ministère. Nous avons mis du temps à comprendre. Il est écrit : « Si vous êtes agent de l’État dans les services déconcentrés, établissements et fédérations sportives et que des faits de violence, notamment à caractère sexiste et sexuel, sont portés à votre connaissance par la victime ou par une personne à qui la victime s’est confiée, vous devez saisir le procureur ; engager une procédure ; informer la direction du ministère par le biais de la cellule Signal-sports. »

Je répète qu’il n’est indiqué nulle part qu’une victime peut elle-même saisir la cellule Signal-sports. Je le porte à votre attention, parce que nous avons été plusieurs à nous poser la question et il nous a fallu trois mois de commission d’enquête pour comprendre que les victimes pouvaient saisir la cellule.

Mme Roxana Maracineanu. Auparavant, des agents de l’État, pourtant soumis à l’article 40 du code de procédure pénale, n’en faisaient pas usage. Nous avons donc voulu mettre en avant le fait que les cadres d’État placés auprès des fédérations avaient cette obligation. Ils sont soumis à l’article 40, même s’ils sont sous l’autorité partielle d’un président de ligue ou de fédération. Ce sont des agents de l’État. Ils doivent le mentionner.

Il serait bon de souligner en gras que tout le monde peut faire des signalements à cette cellule. Mais il faut déjà connaître la connaître pour y aller. Je pense donc que l’information sur le nom de la cellule peut être faite de manière beaucoup plus large. Cette commission d’enquête que vous menez aujourd’hui – et je vous en remercie personnellement – a eu cette vertu de populariser ce nom.

Dans la mission interministérielle dont je m’occupe aujourd’hui, nous avons la prérogative de travailler sur la formation à la prévention des violences faites aux femmes, et aux enfants plus largement. Je ne m’interdis pas d’aller sur le champ des enfants pour créer des outils de formation. La formation des éducateurs sportifs, des futurs professeurs d’EPS (éducation physique et sportive), y compris des bénévoles et des parents qui inscrivent leurs enfants dans ces associations, est aujourd’hui un véritable chantier. J’ai souhaité m’y atteler dans mes nouvelles fonctions. Signal-sports, parce que nous l’avons créé, sera un des flambeaux de ma mission.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le déclenchement de l’article 40 se fait normalement sans délai. Ce délai peut être quelques heures, quelques jours ou quelques mois parfois. Nous avons eu le cas ici lors d’une audition. Comment traduisez-vous cette notion de « sans délai » pour le déclenchement de l’article 40 ? Est-il courant que les responsables et le ministère des sports échangent pour savoir s’il faut ou non déclencher l’article 40 ?

Mme Roxana Maracineanu. Je ne peux m’en référer qu’à la loi. Nous devons le faire dans les plus courts délais. Tout fonctionnaire détenant une autorité de service public doit utiliser cet article 40. Cela vaut pour tous les fonctionnaires d’État, l’Inspection générale, les personnes qui sont au sein des fédérations et qui sont fonctionnaires d’État, mais aussi les personnes qui font partie de la fonction publique territoriale et qui sont informées de faits. Elles ne pensent pas être soumises à l’article 40 parce qu’elles ne sont pas fonctionnaires d’État et que la loi les concerne un petit peu moins. Or, tout le monde doit le faire.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. À votre arrivée, des agents ne déclenchaient pas forcément cet article 40. Quels en étaient la proportion et le motif ?

Le directeur général de l’Insep a mis plusieurs mois à déclencher l’article 40. Encore aujourd’hui, la procédure de l’article 40 n’est pas claire.

Mme Roxana Maracineanu. Au sein de l’Insep ou d’une fédération, un cadre technique qui doit déposer un article 40 doit solidifier le dossier. Ce temps de latence est peut-être dû à cela. Je ne remets pas en question la bonne volonté des fédérations qui sont engagées. Le meilleur moyen de les engager plus avant est de les mettre devant leurs propres responsabilités, comme vous avez très bien su le faire dans cette commission. Vous avez aussi fait prendre connaissance au grand public de propos irresponsables ou imprécis et vous avez montré que des personnes à des postes à responsabilités sont insuffisamment informées.

Nous sommes repassés par un exercice de pédagogie sur l’article 40 auprès des fonctionnaires d’État, qu’ils soient dirigeants d’établissements sportifs ou cadres techniques au sein des fédérations. La lettre de mission qui relie le ministère aux cadres techniques sportifs mentionne explicitement les missions. Jusqu’à maintenant, il n’y avait que des missions sportives. Rien ne touchait à la protection de l’intégrité des pratiquants. Nous pensons que les agents de l’État doivent être repositionnés sur ces missions.

Je me permets d’attirer votre attention sur la situation dans laquelle je suis arrivée au ministère des sports. Il était question que les fédérations récupèrent les agents du ministère des sports – les 1 600 cadres techniques – pour qu’ils deviennent des agents salariés de ces fédérations. Malgré un accord qui semblait trouvé entre le mouvement sportif et l’État, j’ai fortement souhaité me saisir de ce sujet pour garder ces cadres techniques au sein de l’État et les positionner sur le sujet. Il est bien de disposer d’un ministère et de services déconcentrés, mais il n’y a rien de mieux que cette relation privilégiée entre les fédérations et les cadres techniques d’État à l’intérieur des fédérations. S’ils prennent toute la mesure de leurs missions, de leurs devoirs et de leurs prérogatives, ils pourront être les vigiles et les vigies de cette thématique au sein des fédérations. Cela n’exclut pas la responsabilité des fédérations, des bénévoles et des éducateurs sportifs qui travaillent dans ces fédérations.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Les cadres ont-ils un module de formation obligatoire sur l’utilisation de l’article 40 et sur la lutte contre les VSS ? Dans le cadre de nos auditions, il nous a été expliqué que deux heures de modules concernaient les VSS. Où en sommes-nous aujourd’hui des dispositifs de formation ?

Mme Roxana Maracineanu. Je pourrai vous transmettre la lettre de mission type d’un cadre d’État aujourd’hui. Elle inclut deux éléments qui n’existaient pas avant. Ils ont désormais le devoir, en qualité d’agent de l’État, de mettre en œuvre les politiques publiques prioritaires du ministère chargé des sports, c’est-à-dire la protection de l’éthique, l’intégrité physique et morale des pratiquants, notamment la lutte et la prévention de toutes les formes de violences, y compris sexuelles ; la promotion des principes de la République française – liberté, égalité, fraternité – impliquant notamment la prévention et la lutte contre toutes les formes de discriminations fondées sur le genre, l’origine, l’orientation sexuelle et le handicap. « Ces obligations relèvent de votre responsabilité professionnelle individuelle et vous engagent indépendamment du cadre d’autorité hiérarchique. » Dans cette dernière phrase, nous faisons référence à l’article 40 du code de procédure pénale.

Vous me questionnez sur la formation. Il existe un chantier énorme sur l’éducation et la formation à la prévention de tous ces publics. La ministre des sports n’aura pas la capacité de le faire seule.

Je suis maintenant dans cette mission interministérielle. Il est dans mon périmètre de continuer à œuvrer sur le sujet de la formation spécifiquement. Je commence à m’y atteler en lien avec le ministère des sports et d’autres ministères. Il est aussi de la responsabilité des autres ministères, de leurs agents ou des fédérations, de continuer ce combat que nous avons initié dans le cadre de la grande famille sportive et que vous contribuez aujourd’hui à externaliser en dehors de la famille sportive.

Il faut, aujourd’hui, à l’occasion des Jeux en France, que toutes les instances en prennent la mesure, y compris les collectivités. J’insiste sur ce point parce que cela me paraît aussi important que vous portiez, en tant que parlementaires, ce sujet-là sur le territoire et que chaque collectivité ou instance régionale, départementale ou municipale s’en saisisse.

Les clubs ne pratiquent pas dans l’espace. Ils sont dans des gymnases, des piscines et des installations sportives qui sont gérés par les collectivités. Tous les instruments, que je n’ai pas pu vous présenter, de prévention, d’information et de publicité sur Signal-sports prennent la forme d’affiches, de flyers, etc. Il suffit de mettre des moyens complémentaires pour les imprimer au niveau d’une mairie ou d’une région. Il serait possible de les placarder dans tous les équipements sportifs. Je peux vous assurer que toute victime potentielle aura, à hauteur d’enfant – puisque nous avons réfléchi à des outils à hauteur d’adulte et à hauteur d’enfant –, les informations sur Signal-sports, le 3919 et la possibilité d’alerter en tant que victime.

Nous avons déjà travaillé. Des affiches sont spécifiquement consacrées à cela. Le Réglo’Sport est un outil formidable qui permet d’expliquer aux enfants, y compris ceux en situation de handicap, les violences dont ils sont victimes, pour qu’eux-mêmes soient acteurs de leur propre sécurité. Ces outils existent, mais il faut que ceux qui peuvent les diffuser le fassent.

Quand nous avons demandé à nos interlocuteurs, au sortir du covid, de nous aider à les diffuser via les fédérations, il nous a été dit que ce n’était pas la priorité et qu’ils allaient plutôt parler de la reprise de l’activité sportive en France que des violences sexuelles dans le sport. Nous avons fait quelques flyers qui ont été cachés sous la table des associations.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lors de son audition, M. Canu a reconnu des lacunes sur l’information relative à la cellule Signal-sports et sur la sécurisation du site (à laquelle il a travaillé avec ses équipes). Aviez-vous été informée, au moment où vous étiez encore ministre, de ces difficultés de sécurisation, de formation et d’information au sein de l’Insep ?

Mme Roxana Maracineanu. J’ai pris connaissance de cette audition avec beaucoup de tristesse et un peu de surprise.

J’avais toutes les informations qui me laissaient penser que l’Insep était mobilisé sur ce sujet. Je pense qu’il l’est. Je pense que cette audition n’avait pas été extrêmement bien préparée par le directeur, M. Canu. J’espère qu’en vous plongeant dans ce sujet, vous découvrirez que l’Insep fait le nécessaire pour que ces violences puissent être signalées et traitées.

Tous les établissements de l’État ne sont pas des hôtels et des restaurants pour les fédérations sportives. Ce sont des endroits où nos jeunes sportifs s’entraînent, découvrent une autre vie et accèdent à des moyens mis en place par l’État, principalement, et les régions. Ils visent à leur permettre d’embrasser une carrière sportive de qualité et, surtout, de s’épanouir dans leur vie. Les violences sexuelles ne sont pas acceptables dans ces établissements.

J’attendais, en tant que ministre, que tous ces directeurs et directrices d’établissement se positionnent sur le sujet. J’ai pu, à de nombreuses reprises, aller dans les territoires, le constater, y compris à l’Insep. Je pense que vous n’avez pas eu, au moment de cette audition, la vraie photographie de ce qui se passe aujourd’hui dans ces établissements. Je l’espère et je le souhaite.

J’espère que les sportifs et les sportives voient qu’il y a un changement d’attitude de tout le monde et une vigilance accrue sur ce sujet-là.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je suis revenue sur la question de la formation des cadres parce que, lors de cette audition, nous avons été assez surpris. Ce qui nous a le plus surpris est cet agent de sécurité qui, à l’entrée du site, a agressé une jeune sportive. Il n’y a pas eu de signalement. Il a été demandé à l’entreprise de le déplacer sur un autre site, mais il n’y a pas eu plus que cela. Ceci est quand même très surprenant.

Est apparue, pendant cette audition, non pas une méconnaissance, mais une imprécision sur la notion de consentement. Est-ce que cela doit faire partie de la formation de ces cadres ?

Mme Roxana Maracineanu. Bien sûr. Plusieurs aspects m’ont sauté aux yeux. Je pense qu’il faut travailler beaucoup plus sur cette notion d’emprise, que les éducateurs et les personnels qui tournent autour des sportifs peuvent avoir sur les sportifs et bien définir ces notions de limites qu’un professionnel, en responsabilité, doit avoir avec les sportifs. Il faut réexpliquer ces limites.

Il faut aussi replacer le débat sur des violences sexuelles dans le sport dans un cadre plus large. Le sport n’est pas le seul domaine concerné par ce mal. D’autres secteurs d’activité sont beaucoup moins mobilisés que nous. La réaction de certaines personnes en responsabilité peut être défensive : « Mais pourquoi venez-vous nous chercher dans le sport alors que dans la culture et la santé ces dangers existent aussi et sont beaucoup moins pris en considération, médiatisés et traités ? »

Un autre aspect sur lequel j’ai dû me battre avec les présidents des fédérations, mais aussi d’autres personnes du champ sportif, est qu’au nom de la performance et de la recherche de médailles et de résultats, nous cherchons, encore maintenant, à minimiser des cas, voire à justifier la lutte contre les violences au nom de la performance.

Je pense qu’il n’y a pas de lien à établir entre la lutte contre les violences et la performance. « C’est très bien que nous traitions les violences sexuelles, parce que sinon il va être moins performant. » En fait, cela n’a rien à voir. Inversement, pour qu’un sportif soit performant, il vaut mieux minimiser les violences, parce que, sinon l’entraîneur va perdre son poste ou être déstabilisé. « Il vaut mieux le laisser sur cette belle lancée de résultats et peut-être ne pas revenir sur des choses qui pourront être nuisibles, et pour lui et pour les fameuses valeurs du sport. »

Les fameuses valeurs du sport ont été mon cheval de combat face à ces présidents de fédérations qui me disaient : « Mais madame la ministre, aujourd’hui, à deux ans des Jeux en France, vous ne pouvez pas mettre ce sujet-là dans le débat public. Ce n’est pas de cela que nous avons envie d’entendre parler à deux ans des Jeux. Cela doit être la grande fête. »

Comme la ministre Oudéa-Castéra l’a déjà dit, l’atteinte de la performance ne doit pas se faire à n’importe quel prix, et surtout pas au prix de la santé, de l’intégrité des sportives et des sportifs, même s’ils sont en lice pour aller chercher des médailles. Selon moi, la performance ne peut arriver que si un individu est pleinement épanoui. Elle ne peut pas arriver s’il est contraint ou sous emprise. Ce combat participe à l’épanouissement de l’individu qui, lui-même, participe à l’atteinte de la performance. Il y a un lien, effectivement, mais il doit être vu uniquement dans ce sens-là. Les personnes en responsabilité, à la tête des fédérations ou des établissements sportifs, n’ont pas encore intégré totalement cet item. S’il y a quelque chose à mettre dans une formation, c’est simplement cela. C’est redonner un peu de sens au sport.

Le sport peut être aussi un vecteur de réhabilitation pour des victimes, qu’elles aient été victimes dans le champ sportif ou ailleurs. Reprendre contact avec son corps, avoir un accompagnement bienveillant – celui qui est dispensé dans le sport au quotidien – participent aussi de la réhabilitation et de la réparation pour un bon nombre de victimes, de femmes ayant vécu des violences, d’enfants ayant vécu des violences dans leur passé personnel.

Cela permettra de faire sortir ce débat du champ sportif où les gens se sentent agressés et de faire en sorte que les valeurs qui les habitent soient ces valeurs-là. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas parler des valeurs du sport, mais des valeurs des gens qui organisent et qui font le sport en France. Le point cardinal de ces valeurs doit être la préservation de l’éthique et l’intégrité, et surtout l’intégrité physique et morale des pratiquants. Il n’y a rien d’autre. Quand j’inscris mon enfant dans un club sportif, c’est ce que j’attends du club.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Considérez-vous que l’omerta n’existe plus au sein du mouvement sportif ?

Mme Roxana Maracineanu. Je considère qu’avec les mesures d’urgence que nous avons prises et les mesures pérennes que nous avons inscrites dans la loi, l’omerta ne peut plus exister dans le monde du sport.

Ces dispositifs et ces décrets d’application de la loi prennent du temps. Je fais confiance à l’actuelle ministre, aux présidents et présidentes des fédérations, au nouveau président du CNOSF et à la présidente du CPSF pour être engagés dans cette lutte, malgré les maladresses que vous avez pu constater au moment des auditions. Je pense qu’il ne faut pas remettre en question leur engagement. Il faut les aider et les accompagner dans la mise en œuvre de la loi. La ministre doit veiller à l’application stricte de la loi et au contrôle des décrets. Nous aurons déjà fait un grand pas vers un monde meilleur dans le sport.

Face à l’omerta qui existait dans le sport, j’incite vraiment tous les secteurs d’activité à aller dans ce sens. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Il faut que les ministres se saisissent de ces questions et que nous ne laissions plus rien passer, nulle part.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous semblez dire que tout est dans les textes aujourd’hui. Sur le papier, tout semble prêt pour que cette omerta n’existe plus, même si cela dépend aussi de la bonne volonté et de l’engagement des uns et des autres dans ce mouvement sportif. C’est ce qui permettra ou pas de lever définitivement l’omerta dans ce mouvement sportif.

Pour conclure cette audition, vous auriez aimé aller plus loin si vous étiez restée ministre des sports un peu plus longtemps. Quelles sont vos autres recommandations ou préconisations pour cette commission d’enquête aujourd’hui ?

Mme Roxana Maracineanu. J’ai pu en évoquer quelques-unes tout à l’heure parmi lesquelles cette commission supra-fédérale qui permettrait d’harmoniser les décisions des fédérations. Il pourrait aussi s’agir d’une plus grande vigilance interne des fédérations pour que les personnes condamnées ne puissent plus être au contact d’enfants et de jeunes et que leur parcours puisse être suivi d’une manière ou d’une autre.

La formation doit par ailleurs infuser à tous les niveaux, que ce soit dans la formation des diplômes fédéraux, des diplômes d’État, de ceux de la fonction publique, ou encore dans le parcours des sportifs.

Les établissements qui accueillent les jeunes sportifs en formation ont un certain nombre d’obligations que je n’ai pas détaillées et qui sont plus ou moins mises en place. Il faut avoir ce contrôle pour que tout ce qui est écrit dans les textes soit appliqué. Tel est le rôle de la direction des sports aujourd’hui.

J’aimerais aussi que, vis-à-vis de la justice, les personnes se positionnent pour montrer qu’elles sont engagées.

Je crois dans le travail que nous avons fait. C’est pour cela que je me suis permis d’émettre cette hypothèse d’engagement de la part de tous les acteurs. Mais évidemment, nous avons besoin de preuves. Comme dans toute relation, nous avons besoin de preuves.

Quand une fédération ne se constitue pas partie civile et n’est pas aux côtés des victimes dans un procès, je trouve cela problématique. J’ai récemment entendu une victime qui a été lâchée par sa fédération – la Fédération d’équitation – alors que la personne a été condamnée.

Je souhaite que, sur toutes ces affaires de violences sexuelles, mais aussi de racisme, d’antisémitisme, d’homophobie, les fédérations se constituent partie civile. Elles ont la possibilité de le faire. Les associations peuvent aussi depuis 2022, dans le cadre de la lutte contre l’homophobie, se constituer partie civile. Ces associations sous-traitent le positionnement de la fédération sur ces sujets-là. Il faut regarder les textes. J’incite aussi tous les parlementaires à le faire aujourd’hui.

Il faut accompagner, suite à cette commission d’enquête, les personnes qui ne seraient pas encore conscientes de tout ce que la loi propose et impose. Si nous appliquons tout ce que nous avons mis en place, ce sera un grand pas en avant.

Il y aura sans doute encore des dysfonctionnements. Il faudra encore agir ; le combat n’est pas terminé. Mais le message que nous portons et que vos travaux contribuent à porter est de dire que nous sommes tous concernés et tous responsables sur cette question. Nous devons être dans une vigilance de tous les instants. Cette vigilance doit être bienveillante à l’égard des personnes et des enfants qui parlent. Il faut entendre les enfants qui parlent, en respectant le droit de la présomption d’innocence et suivre l’ensemble de la procédure.

Il faut que les présidents de fédérations puissent se positionner clairement et dire de quel côté ils sont, dans le respect de la loi. Quand je les ai reçus il y a quatre ou cinq ans, ils n’étaient pas tellement concernés par le sujet.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Très bien. Je vous remercie beaucoup de votre disponibilité. Cette audition a largement dépassé l’heure initialement prévue, mais il était très intéressant de vous entendre.

M. Stéphane Buchou (RE). Je vous remercie du temps que vous nous avez consacré et de la précision avec laquelle vous avez répondu aux questions.

Je n’ai pas de question particulière, mais je ferai une première observation. Vous avez évoqué à plusieurs reprises la grande famille du sport. J’entends aussi dans vos propos une forme de nuance. J’ai cru comprendre que les relations entre le ministère, le CNOSF et les fédérations étaient un petit peu compliquées. Je souhaite qu’avec l’ensemble des outils qui ont été mis en place et qui ont été votés dans le cadre de la loi sous la précédente mandature, nous puissions avancer rapidement sur ces sujets compliqués.

J’ai deux remarques. Premièrement, je n’ai pas bien compris les éléments sur le rapport qui aurait dû être remis et qui ne l’a jamais été. Le ministère a laissé faire. Je trouve cette situation un peu particulière vis-à-vis de l’inspecteur qui devait vous remettre ce rapport.

Deuxièmement, je voulais revenir sur une des premières phrases que vous avez prononcées dans votre propos liminaire et qui m’a interpellé. Je ne sais pas si c’est une erreur. Vous avez dit : « En ce qui concerne les violences sexuelles et sexistes, le corps ne peut pas être préservé de ce fléau. » Ce n’est pas du tout une mise en cause, surtout après tout ce que vous nous avez dit après, mais cela m’a un peu choqué.

Mme Roxana Maracineanu. Je n’ai pas dit cela. Je peux le répéter. Le corps est au cœur de l’activité sportive. De fait, ce fléau, qui touche toute la société, touche le sport inévitablement. À l’époque, le journaliste me questionnait sur : « Pensez-vous qu’il y a une omerta dans le sport ? » et j’ai dit : « Oui. Je pense qu’il y a une omerta dans le sport, puisqu’à ce jour, il n’y a que trois ou quatre cas qui ont été connus de la justice et traités par la justice. » Ce n’est pas possible que ce fléau n’existe pas dans le sport, alors que le corps est au cœur de l’activité et qu’il y a un isolement entre les entraîneurs et les sportifs – plus nous montons vers le haut niveau, plus cette cellule est resserrée. Ceci s’est avéré être le cas deux ans plus tard avec ce que nous a raconté Sarah Abitbol. Ce fléau touche toute la société : il n’y a pas de raison qu’il ne touche pas l’ensemble du monde du sport. Nous avons vu par la suite qu’il était touché.

Pour revenir au rapport de l’Inspection générale, je ne sais pas si vous avez déjà auditionné la cheffe de l’Inspection générale. Celle-ci nous présente un calendrier de rapports qu’ils souhaitent faire. Nous avons la possibilité de demander un certain nombre de rapports. S’agissant des rapports que j’ai demandés moi-même, j’ai été très prompte à en demander un retour. Je les ai eus en temps et en heure à chaque fois.

Je pense que ce rapport faisait partie du calendrier habituel, puisque cela faisait déjà un petit moment que M. Karam avait démarré ce rapport. Il ne nous a jamais été présenté finalement.

Comme l’objet de ce rapport était un état des lieux des faits, nous avons demandé un point d’étape en faisant intervenir M. Karam à la première convention du sport et il nous a donné ses premiers éléments. Comme il ne nous a pas été remis par la suite, je n’avais plus de raison de demander trois ans après un état des lieux des violences dans le sport, puisque je le connaissais, à mon avis, suffisamment bien et que j’avais d’autres priorités d’action à ce moment-là.

Quant à votre propos introductif sur la grande famille du sport, ne le prenez pas de manière ironique. Je crois en cette famille du sport. Les pouvoirs publics ont choisi – ce qui n’était pas le cas avant – de mettre le nez dans ce qui se passe au sein des familles, que ce soit au niveau de l’inceste ou des violences intrafamiliales. Comme dans toute grande famille, je pense que l’État devait et doit regarder ce qui s’y passe de près.

Cette grande famille doit être en ordre de marche, rassemblée, réunie et en accord avec ses valeurs, pour aborder la période olympique qui s’ouvre à nous. L’année prochaine, nous accueillons les Jeux. Il me paraît essentiel que la France montre une image du sport et de la société en accord avec ses valeurs et ses priorités.

Il faut aussi que la grande famille du sport arrive à être performante et produise de magnifiques résultats l’année prochaine, en respectant ses valeurs qu’elle a vocation à étendre partout, dans le monde entier, via cette belle vitrine que nous offrent les Jeux. Je crois en cette belle famille du sport.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Merci.

Mme Roxana Maracineanu. Je voulais vous remercier à mon tour de cette audition.

La séance s’achève à quinze heures quarante.

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44.   Audition, ouverte à la presse, de M. Jean Luc Rougé, directeur du développement international de la Fédération internationale de judo et ancien président de la Fédération française de judo, jujitsu et disciplines associées (FFJDA) (19 octobre 2023)

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous accueillons M. Jean-Luc Rougé, directeur du développement international de la Fédération internationale de judo et ancien président de la Fédération française de judo, jujitsu, kendo et disciplines associées (FFJDA).

Monsieur, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions.

Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête le 20 juillet 2023. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux se déclinent autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

Ancien judoka professionnel, vous avez exercé des fonctions à la direction technique nationale de la Fédération française de judo, tout d’abord en tant que directeur technique adjoint de 1980 à 1986, puis en tant que directeur technique national jusqu’en 1997. Vous avez été élu président de la Fédération française de judo en 2005 et réélu à ce poste à plusieurs reprises avant d’être battu aux élections fédérales de 2020.

Votre gestion de la Fédération française de judo a fait l’objet de critiques à la suite de votre départ. Depuis une vingtaine d’années, le judo français est secoué par des accusations émanant de victimes ou d’enquêtes journalistiques. Ces dénonciations ont souvent trait à des violences, qu’elles soient physiques, psychologiques et sexuelles.

Nous souhaiterions revenir sur les faits dont vous avez eu connaissance au cours de votre parcours, en lien avec le périmètre de notre commission d’enquête, et les réponses que vous y avez apportées, ou pas.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jean-Luc Rougé prête serment.)

M. Jean-Luc Rougé, directeur du développement international de la Fédération internationale de judo. Je ne connaissais pas du tout le sujet et je crois qu’il est excessivement large.

J’exerce en effet des fonctions au sein de la Fédération depuis 1972. Nous avons bien entendu rencontré des problèmes de violence. Nous sommes un demi-million de licenciés et, parmi nos licenciés et nos dirigeants, certaines personnes ne sont pas telles que nous le souhaiterions.

Nous avons traité toutes les affaires dont nous avons eu connaissance. Dans le cadre de la dernière campagne électorale, que j’ai perdue, il y a eu un déchaînement dans les médias, qui s’est éteint ensuite, puisque je n’en ai plus entendu parler. Je n’ai pas été un très bon candidat puisque je n’ai pas vraiment fait campagne.

Sur les finances, je ne vois pas à quoi vous faites allusion. Merci de bien vouloir me le préciser. En ce qui concerne la gouvernance, je ne vois pas non plus très bien ce à quoi vous faites allusion.

Plusieurs cas de violence ont été traités au sein de la fédération internationale. J’ai créé des systèmes d’alerte et des personnes ont été formées par le Comité international olympique (CIO) pour lutter contre ces violences. J’en suis tout à fait conscient et j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir, mais des erreurs ont pu être commises. Je vous demande de les citer, car votre propos est tellement large que je ne sais pas quoi répondre.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous indiquez que vous ne connaissiez pas du tout le sujet. Parlez-vous du périmètre de la commission d’enquête ou des sujets que nous souhaitons aborder avec vous ?

M. Jean-Luc Rougé. Je ne sais pas exactement. J’ai lu qu’il s’agissait des organismes de gouvernance du monde sportif, d’une manière globale. Je viens avec plaisir, bien sûr.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous réalisons des travaux en lien avec cette commission d’enquête depuis plusieurs mois.

M. Jean-Luc Rougé. Je ne travaille plus du tout au niveau national, mais à l’international depuis maintenant trois ou quatre ans et je ne suis pas du tout les affaires. Au niveau de la Fédération française, je n’ai accès à aucun dossier.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Certes, mais lorsque vous étiez dirigeant de la Fédération, vous avez eu à traiter certains cas.

M. Jean-Luc Rougé. Bien sûr.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous pourriez peut-être revenir sur ces cas précisément. Ces affaires avaient fait la une des médias et vous avez même employé le terme de « déchaînement » avant l’élection. Entendez-vous par là que ces affaires n’étaient pas justifiées et qu’elles auraient été simplement médiatisées au moment de l’élection ?

M. Jean-Luc Rougé. C’est effectivement le cas puisqu’ensuite, je n’en ai plus entendu parler. Si des affaires avaient été portées devant la justice, j’en aurais eu connaissance. Il est vrai que j’ai traité des affaires. J’ai même eu des victimes au téléphone. J’ai essayé de régler des problèmes, en particulier dans le Nord.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Comment avez-vous réglé ces problèmes ?

M. Jean-Luc Rougé. En mettant en place une commission de discipline, si nécessaire. Pendant la semaine des élections, une dénonciation avait été portée sur mon site web de campagne. Je m’étais donc rendu à la police au mois de novembre pour dénoncer les quatre personnes qui m’avaient été signalées. L’affaire a donc été suivie, mais je n’ai aucune information depuis. J’ai été confronté à des affaires de violences sportives, en particulier avec un des entraîneurs. Le directeur technique national (DTN) de l’époque, M. Fabien Canu, actuel directeur général de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), était chargé de l’affaire. L’entraîneur a changé de mission.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous allons vous demander d’être plus précis sur les affaires dont il est question. Pourriez-vous nous préciser le nombre d’affaires et le nombre de signalements ? Ces signalements ont-ils fait l’objet d’un déclenchement de l’article 40 du code de procédure pénale lorsque cela était nécessaire ? L’entraîneur dont il est question a certes changé de poste, mais a-t-il été sanctionné ?

M. Jean-Luc Rougé. Si l’entraîneur est un cadre technique, il est fonctionnaire d’État et dépend du directeur technique national. L’entraîneur auquel je fais allusion, Yves Delvingt, a été sanctionné par le DTN qui s’est occupé du dossier et l’a changé de poste. Des signalements ont été faits dans le Nord. Ces histoires datent de presque vingt ans et je n’arriverai pas à me souvenir des noms. J’ai informé le DTN qui a lancé une commission d’enquête.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ces signalements concernaient-ils des violences sexuelles ou des violences physiques ?

M. Jean-Luc Rougé. Concernant Yves Delvingt, il s’agissait de violences physiques. Je ne me souviens plus du nom des autres cadres techniques. Si vous avez des noms à me communiquer, cela m’arrangerait, car je ne savais pas du tout que j’étais auditionné sur ce point. J’étais président de la Fédération et je gérais de nombreux dossiers. Je vous conseille de rencontrer mon secrétaire général qui a suivi toutes les affaires.

S’agissant des affaires concernant des cadres techniques, M. Patrick Lacombe est monté dans le Nord suite à une dénonciation. La personne vivait dans le même foyer qu’une jeune fille mineure avec le consentement des parents. Le directeur régional en a été informé, mais il n’y a eu aucune suite.

Aujourd’hui, je n’ai plus les dossiers. Ces affaires sont très anciennes et je ne suis pas en mesure de vous répondre très précisément.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ces affaires sont peut-être très anciennes, mais l’objectif de notre commission d’enquête est justement d’identifier les failles et les dysfonctionnements au sein de fédérations sportives notamment, qui conduisent à des affaires qui n’ont pas été traitées à la hauteur de ce qu’elles auraient dû être.

En l’occurrence, la Fédération a souvent été l’objet de l’attention des médias pour des affaires difficiles. Nous avons eu l’occasion ici même d’auditionner d’anciens ou actuels athlètes du judo. Plus de trente personnes ont témoigné sur ce qu’elles ont vécu au sein de la Fédération à l’époque où vous étiez président. C’est pour cette raison que nous avons souhaité vous entendre.

Je m’interroge, car cette commission d’enquête est en cours depuis maintenant plusieurs semaines.

M. Jean-Luc Rougé. Je l’ignorais. Si vous me donnez des noms, j’arriverai peut-être à les retrouver.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Par ailleurs, avec la convocation, nous vous avons envoyé l’intitulé exact de la commission d’enquête ainsi qu’un lien qui vous renvoyait sur le site de l’Assemblée nationale où vous pouviez visionner toutes les auditions réalisées.

M. Jean-Luc Rougé. Je pense avoir traité correctement les affaires.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Puisque vous nous demandez des noms, je vais vous donner des exemples précis car nous avons reçu plusieurs victimes dans le cadre de cette commission d’enquête.

Mme Marie David nous a indiqué avoir été victime de violences psychologiques et sexuelles à l’âge de dix-huit ans, alors qu’elle était judokate au sein d’un pôle espoirs. Lorsqu’elle a réussi à en parler, à l’âge de vingt ans, elle affirme en avoir été exclue. La gouvernance de la Fédération de l’époque – la vôtre, donc – lui aurait expliqué qu’il ne lui appartenait pas de traiter du cas des trois entraîneurs mis en cause, ceux-ci étant cadres d’État. Confirmez-vous ces propos ?

M. Jean-Luc Rougé. Était-ce en Bretagne ?

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous eu plusieurs affaires où une judokate aurait mis en cause trois entraîneurs ?

M. Jean-Luc Rougé. Dans mes souvenirs, il ne s’agissait pas de trois entraîneurs, mais de trois cadres techniques.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. En effet, ces trois entraîneurs étaient cadres techniques.

M. Jean-Luc Rougé. Selon moi, il ne s’agissait non pas de trois, mais de deux cadres techniques. Le premier vient de décéder, Laurent Commanay. Je ne me souviens plus du nom du second.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Sans vouloir trouver leur nom, nous confirmez-vous que vous lui avez répondu que ce n’était pas à la Fédération de traiter le cas de ces entraîneurs mis en cause puisqu’ils étaient cadres d’État ?

M. Jean-Luc Rougé. Je ne m’en souviens pas du tout. Je ne me défausse pas, mais je ne traitais pas directement ce genre de dossiers. Je crois que cette affaire a été traitée par le directeur régional, responsable des cadres techniques.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous ne vous souvenez peut-être pas de ce qui a été répondu à Marie David, mais vous étiez visiblement informé en tant que président de la Fédération. Qu’avez-vous mis en place au moment où vous avez été informé des violences psychologiques et sexuelles à l’égard de Marie David ?

M. Jean-Luc Rougé. L’affaire de Marie David n’est pas sortie tout de suite, mais longtemps après. Ensuite, il a fallu lancer une enquête. Le directeur technique national s’est rapproché du directeur régional, car le directeur technique national est le patron technique, alors que le directeur régional est le patron administratif. Il a été informé et a dit qu’il n’y avait rien à faire. C’est l’information qui m’a été donnée à l’époque. Bien sûr, je ne peux pas vous présenter de documents, car je ne les ai pas. Pour Marie David, s’agissait-il de Laurent Commanay ? Sinon, je raconte des histoires totalement fausses.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ce n’est qu’à l’issue d’un témoignage de Marie David, en novembre 2020, dans Le Parisien – qui publiait un article sur les dérives dans le judo –, que la Fédération de judo a ouvert une enquête portant sur un seul des trois entraîneurs. Cela signifie qu’aucune enquête n’avait été ouverte avant que l’affaire ne soit médiatisée.

M. Jean-Luc Rougé. Je ne peux pas vous dire. Cela m’étonne vraiment. Mme David fait partie du groupe qui était contre moi. Il était donc normal qu’elle agisse ainsi dans le cadre de cette campagne électorale. Le Parisien a été à l’origine du déchaînement. C’est le secrétaire général qui traitait ce genre d’affaires. Lorsque j’étais secrétaire général de la Fédération internationale, je traitais les affaires de violence au niveau international. Je pense que ce dossier a été suivi correctement.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous dites qu’elle fait partie d’un groupe qui était contre vous au moment des élections. Considérez-vous que ces accusations sont en lien avec l’élection de 2020 ?

M. Jean-Luc Rougé. Peut-être. Le président de la Fédération ne peut pas ouvrir d’enquête.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous étiez au moins informé.

M. Jean-Luc Rougé. Oui, j’ai été informé et j’ai désigné le directeur technique national pour qu’il suive l’affaire. C’est ce que j’ai toujours fait.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. M. Yacine Ghediri nous a raconté avoir combattu avec un entraîneur pendant quinze minutes. L’entraîneur le faisait chuter aléatoirement sur le tapis ou en dehors. À l’époque des faits, sa mère avait souhaité rencontrer le président de la Ligue, mais elle n’a jamais reçu de nouvelles. Cela signifie-t-il que la Fédération faisait peu de cas des violences physiques ? En outre, M. Ghediri a déploré que les structures n’informaient pas suffisamment les sportifs. Je le cite : « Je ne savais pas que l’on pouvait porter plainte pour des violences ou saisir un organisme fédéral afin que l’entraîneur en cause soit interpellé, écarté ou sanctionné. »

Au cours de votre mandat, avez-vous fait en sorte que les sportifs soient plus informés ?

M. Jean-Luc Rougé. Oui, tout à fait. Nous avons créé un site de désignation anonyme des violences. Une personne était chargée du dossier. Moi-même, je n’avais pas accès au dossier et n’en étais pas informé. Je me souviens tout à fait de ces violences, puisque j’ai demandé à être reçu par Mme la ministre qui était un peu partie prenante dans la campagne électorale de mon concurrent. Quand il y a eu ce déchaînement dans Le Parisien, quatre affaires ont été menées. La ministre a affirmé ensuite qu’elle m’avait convoqué, mais c’est faux. J’avais demandé à un membre de son cabinet, Éric Journaux, de pouvoir rencontrer la ministre sur ce dossier. La ministre avait pris l’article et m’interrogeait sur les dossiers, les uns à la suite des autres. Je me souviens bien du premier, car il s’agissait d’Yves Delvingt, un athlète de ma génération, qui avait effectivement été excessif. Le DTN l’avait écarté et il avait changé de mission. Il est vrai qu’à cette époque, il n’existait pas de système d’alerte. Ils ont été mis en place deux ou trois ans avant mon départ.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. En tant que président de la Fédération, vous deviez avoir connaissance des affaires puisqu’il vous revenait également de faire des signalements ou de déclencher la procédure prévue par l’article 40 du code de procédure pénale lorsque cela était nécessaire. Les différents témoignages que nous avons pu recevoir révèlent que les violences étaient très visibles à cette époque au sein de la Fédération de judo et que de très nombreuses personnes étaient informées.

Je cite un autre témoignage puisque vous nous avez demandé des noms. Mme Alexandra Soriano, qui a été victime, témoin et lanceuse d’alerte, nous a dit : « À l’occasion d’un stage en 2006, j’ai eu un entretien avec le président de la Fédération », vous-même, « qui m’a reçu dans sa chambre. Lorsque j’ai voulu parler des humiliations publiques, des violences physiques, du harcèlement, du bizutage, il a rapidement coupé court. Selon lui, j’étais trop jeune pour comprendre que certains actes étaient accomplis pour forger un mental. »

Confirmez-vous ces propos ?

M. Jean-Luc Rougé. Pourquoi l’aurais-je reçue dans ma chambre ?

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous l’ignorons. Je vous pose donc la question. Cette personne est venue témoigner sous serment dans le cadre de cette commission d’enquête.

M. Jean-Luc Rougé. J’ignore d’où vient cette fille.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Elle a été victime et témoin. Elle a relaté des violences physiques, harcèlements et bizutages.

M. Jean-Luc Rougé. Ce n’est vraiment pas mon genre. Je ne sais pas si vous avez suivi mon parcours. J’ai lutté contre les politiques qui voulaient légaliser la pratique des Mixed Martial Arts (MMA), car je suis contre toutes les violences. C’est vraiment surprenant. Je ne me sens pas capable du tout de tenir de tels propos.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je rappelle que vous êtes sous serment, comme elle l’a été.

M. Jean-Luc Rougé. J’entends bien.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Par conséquent, je vous demande de répondre à la question.

M. Jean-Luc Rougé. Premièrement, je n’ai pas souvenir d’avoir reçu une athlète dans ma chambre.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vais vous demander de préciser, car ne pas avoir souvenir et affirmer ne jamais avoir reçu une athlète dans sa chambre sont deux choses différentes.

M. Jean-Luc Rougé. Si c’est dans un Centre de ressources, d’expertise et de performance sportive (Creps), nous sommes sur le pas de la porte. C’est possible, effectivement.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Elle nous a indiqué que l’entretien avait duré deux heures. Ce n’était donc pas sur le pas de la porte.

M. Jean-Luc Rougé. Je suis vraiment désolé, mais je n’en ai aucun souvenir. Je sais que je suis sous serment.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. M. Alexandre Vel a également apporté un témoignage accablant. Je le cite : « Violences physiques, sexuelles, psychologiques, la ligue, qui représente la Fédération, ne vous écoute pas ». Comment expliquez-vous que la Fédération soit restée si imperméable aux accusations de violence ? Toutes ces personnes étaient athlètes ou occupaient d’autres postes. L’audition a duré près de quatre heures. Plus de trente personnes ont témoigné des violences physiques, psychologiques et sexuelles qu’elles ont vécues au sein de la Fédération. Elles nous ont indiqué par ailleurs que de nombreuses personnes étaient informées de ces violences. Vous-même en avez été informé à plusieurs reprises. Or aucune sanction n’a été prononcée et aucune enquête n’a été ouverte.

Nous vous demandons de répondre précisément sur ce point.

M. Jean-Luc Rougé. Je n’ai pas eu recours à l’article 40, à ma connaissance, sauf pour des dossiers financiers Je suis tout de même resté à la Fédération cinquante ans et je ne vois pas de quelles générations il s’agit.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Les personnes auditionnées vivent encore très difficilement la situation et sont encore marquées dans leur vie actuelle par ce qu’elles ont vécu lorsqu’elles étaient athlètes à la fédération. Il est important que vous expliquiez la manière dont vous avez traité ces affaires.

M. Jean-Luc Rougé. Le judo est un sport de combat, et le sport de haut niveau est dur. Il faut se dépasser.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il faut se dépasser, mais jusqu’à quel point ?

M. Jean-Luc Rougé. L’entraîneur doit décider jusqu’où il peut aller. Un athlète ne découvre pas la souffrance en compétition, mais à l’entraînement. Les entraînements sont difficiles.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Selon vous, les athlètes doivent-ils souffrir pendant l’entraînement ?

M. Jean-Luc Rougé. L’entraînement doit être dur pour que l’athlète se dépasse. Certains n’en sont pas capables. Lors des rentrées à l’Insep, je disais : « Ceux qui ne sont pas capables de se dépasser, ce n’est pas la peine qu’ils fassent du haut niveau. Ils perdent leur temps. » Je suis certain de l’avoir dit. Le sport de haut niveau, c’est difficile. Les marathoniens par exemple, à l’arrivée d’une course, ils s’écroulent. Ils se dépassent vraiment.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. N’existait-il pas d’autre possibilité pour ces athlètes que d’accepter de souffrir en entraînement ou de renoncer à leur carrière d’athlète de haut niveau ?

M. Jean-Luc Rougé. Non, certains exagèrent et n’arrivent pas à respecter la limite. Moi, je fais particulièrement attention.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quand on parle d’exagération, je pense que c’est un euphémisme. Le sportif en question a eu la clavicule déboîtée.

M. Jean-Luc Rougé. C’était un accident. Les accidents peuvent arriver. Si c’est un accident volontaire, c’est excessivement grave et ce n’est pas tolérable. Je suis tout à fait d’accord. Je n’ai pas souvenir d’avoir vu un accident volontaire.

Ces trente personnes sont-elles de la même génération ou les affaires s’étalent-elles sur cinquante ans ? Je ne comprends pas.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vous propose, à la fin de cette audition, d’aller sur le site de l’Assemblée nationale pour visionner cette audition.

M. Jean-Luc Rougé. J’ai essayé, mais je n’y suis pas parvenu.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’aimerais évoquer avec vous un article paru dans La Croix au sujet des violences sexuelles dans le judo en 2020, suite à la suspension d’un ancien président de la ligue du Nord-Pas-de-Calais, ex-membre du comité directeur de la Fédération entre 2012 et 2016 et âgé d’une soixantaine d’années. D’après des sources internes à la Fédération, citées par à l’Agence France-Presse, une semaine avant sa suspension, vous avez prévenu, lors d’une réunion avec d’autres dirigeants du judo français, que son nom allait sortir dans les prochains jours. C’est donc que vous saviez, mais que vous n’avez pas agi.

M. Jean-Luc Rougé. Je l’ai su deux jours avant. C’était en 2020 et la victime s’appelait Armelle. Je l’ai eue téléphone le mercredi et elle m’a indiqué qu’elle irait le dénoncer à la police le vendredi. Armelle est l’ancienne kinésithérapeute de l’équipe de France. Je ne me souviens plus de son nom de famille. J’ai effectivement effectué la dénonciation, puis j’ai fait une autre dénonciation en désignant quatre personnes à la police du 14e arrondissement.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez indiqué une semaine avant que le nom allait sortir. De votre côté, lorsque vous avez eu connaissance de cette affaire, avez-vous procédé à un signalement ?

M. Jean-Luc Rougé. Non. C’est le président du département qui m’a informé. Je lui ai demandé le numéro de téléphone d’Armelle afin que je puisse l’appeler, puis j’ai attendu. La déposition ayant été faite, l’affaire était enclenchée.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pourquoi avoir attendu si, en tant que dirigeant de la fédération, vous saviez ?

M. Jean-Luc Rougé. Elle m’a confirmé au téléphone qu’elle allait porter plainte. Je l’ai laissée faire et elle a effectivement porté plainte. Après, j’ai reçu une autre plainte concernant quatre personnes que j’ai dénoncées à la police du 14e arrondissement.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vais revenir sur le risque de violences sexuelles qui n’a pas été considéré comme majeur ou prioritaire. Quel dispositif avez-vous mis en place contre les violences sexuelles ou sexistes lorsque vous étiez président de la Fédération ?

M. Jean-Luc Rougé. C’était il y a vingt ans et nous étions moins sensibles à ces sujets. Les cas étaient tus. Nous nous sommes aperçus il y a six ou dix ans que c’était un vrai problème depuis longtemps. Petit à petit, nous avons mis en place des dispositifs, comme le site d’appels ou une personne référente au sein de la Fédération. Chaque affaire était suivie par des personnes, en particulier le secrétariat général. Ils apprenaient les affaires par la presse, car ils avaient un mal fou à obtenir les informations de la part des directeurs régionaux.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Au niveau de la Fédération, existait-il des modules de formation ou de sensibilisation sur les violences sexuelles ou sexistes, les discriminations, le racisme, l’homophobie ou encore les violences physiques.

M. Jean-Luc Rougé. Nous avons mis en place quelques formations sur le racisme et l’idéologie du djihad, car nous étions également touchés. Nous nous sommes séparés de quelques personnes. J’aimerais bien que vous convoquiez mon secrétaire général, car c’est lui qui était à la manœuvre.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’entends que le secrétaire général avait un rôle pivot, mais vous étiez le président de la Fédération. Vous aviez donc des responsabilités et deviez être informé des signalements et des plaintes.

À chaque signalement, avez-vous systématiquement soit déclenché l’article 40, soit lancé une procédure au sein de la Fédération pour sanctionner les personnes ?

M. Jean-Luc Rougé. Nous avons d’abord mené une enquête.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Arrêtons-nous à l’enquête. Comment procédiez-vous ?

M. Jean-Luc Rougé. Le secrétaire général menait l’enquête. On ne peut pas entamer des procédures sur les dires d’une personne.

J’avais compris que vous alliez plutôt m’auditionner sur la manière de régler le problème de manière à ce que ces faits ne se reproduisent pas à l’avenir. Les fédérations sont incapables de gérer le problème. Vous avez l’air d’avoir des informations que je n’ai pas.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Non. Nous essayons de relier les témoignages aux informations que vous nous donnez. Estimez-vous normal que le traitement des affaires repose sur le secrétaire général ?

M. Jean-Luc Rougé. C’est sa mission, comme c’était ma mission au niveau international. J’en ai traité un très grand nombre.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Au moment où les enquêtes ont été ouvertes par le secrétaire général, l’avez-vous questionné sur leur état d’avancement et sur le nombre de déclenchements de l’article 40 suite à des faits de violence sexuelle ? Avez-vous réalisé un suivi de ces affaires même si vous n’étiez pas en première ligne ?

M. Jean-Luc Rougé. Oui.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Combien d’affaires avez-vous eu l’occasion de suivre ? Combien d’articles 40 avez-vous déclenchés ? Combien de plaintes ont été déposées ?

M. Jean-Luc Rougé. De mémoire, nous n’avons pas déclenché d’article 40. Certaines affaires ont été traitées par la justice. La première que j’ai traitée date de trente ou quarante ans. Il s’agissait de l’entraîneur du club de Clamart. L’affaire a été portée devant la justice et l’entraîneur a fait de la prison.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vous demande si vous avez réalisé le suivi. Une des difficultés est que les personnes mises en cause dans des affaires se retrouvent parfois à des postes alors qu’elles ne devraient plus occuper. Par exemple, M. Pesqué, qui avait fait de la prison, a été recruté comme entraîneur d’un pôle espoirs. Vous le saviez. Cela ne vous posait-il pas de problème ? Je précise qu’il a ensuite été écarté en 2023 par la Fédération.

M. Jean-Luc Rougé. Je l’avais également écarté. Il a été repêché par la DTN.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous étiez présent au sein de la Fédération et vous avez tout de même signé son recrutement.

M. Jean-Luc Rougé. Non. Nous ne signons pas les recrutements des cadres techniques.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il a donc été recruté contre votre gré.

M. Jean-Luc Rougé. Non. La DTN l’a recruté en toute connaissance de cause. Il n’a pas fait de la prison pour des faits de violences sexuelles.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Peu importe. En l’occurrence, il a fait de la prison pour des faits de violences, qu’elles soient sexuelles ou autres. C’est un problème en soi qu’il a été recruté pour être au contact du public et parfois de mineurs.

La DTN a fait le choix de le recruter, visiblement en connaissance de cause. Vous êtes-vous opposé fermement à ce recrutement alors que vous connaissiez son passif ?

M. Jean-Luc Rougé. Il a fait de la prison pour des injures.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La question n’est pas là. Il a fait de la prison.

M. Jean-Luc Rougé. Vous me l’apprenez.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’ignore si c’était dans le cadre du judo ou ailleurs, mais il a été mis en prison. Il a été recruté alors que la DTN, comme vous, avait connaissance de son passé. Vous êtes-vous opposé fermement à ce recrutement ?

M. Jean-Luc Rougé. La première fois, nous nous en sommes séparés. Il est parti un long moment. Tout le monde m’en avait dit le plus grand bien, notamment la DTN.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Connaissiez-vous M. Pesqué ?

M. Jean-Luc Rougé. Oui, je le connaissais très bien. Il était de Montpellier. Je sais qu’il a eu des soucis et nous nous en étions séparés.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous saviez que lorsqu’il était à Montpellier, il a eu des soucis. Pourtant, la Fédération l’a recruté.

M. Jean-Luc Rougé. À l’époque, nous nous en étions séparés. Il a purgé sa peine. Puis, la DTN a dit : « Je le gérerai. »

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous êtes-vous opposé à son recrutement ?

M. Jean-Luc Rougé. Non.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pourquoi ?

M. Jean-Luc Rougé. Parce que les gens changent. Il avait été puni. Il avait bien travaillé lorsqu’il était professeur dans un club en Corse.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Suite à son recrutement, la Fédération a-t-elle rencontré des problèmes avec M. Pesqué ? Il a été écarté en 2023, non sans raison.

M. Jean-Luc Rougé. Je n’étais plus à la Fédération depuis trois ans.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le fait est qu’il a été écarté.

M. Jean-Luc Rougé. A-t-il été écarté pour des faits de violence ?

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il a en effet été écarté en 2023 pour des faits de violence. Il a donc reproduit le même schéma qu’auparavant.

M. Jean-Luc Rougé. Je vous accorde que c’était un entraîneur dur, mais je ne pense pas qu’il y ait eu des débordements.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Qu’entendez-vous par « entraîneur dur » ? Nous parlons tout de même d’une personne qui a purgé une peine de prison.

M. Jean-Luc Rougé. Il n’a pas frappé les athlètes. Il les a poussés, sans plus. Par exemple, il leur faisait monter des marches.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. On n’est pas écarté ou mis en prison pour avoir fait monter des marches à des athlètes.

M. Jean-Luc Rougé. J’ignorais qu’il avait été mis en prison. Nous nous en sommes séparés en raison des problèmes qu’il a rencontrés lorsqu’il était au pôle espoirs de Montpellier.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous m’avez indiqué que vous l’aviez recruté parce que, pour vous, il avait purgé sa peine. Vous étiez donc au courant.

M. Jean-Luc Rougé. Je parlais de la peine qu’il avait purgée après avoir été viré.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lorsqu’il a été recruté, la DTN et vous-même étiez informés qu’il avait fait de la prison pour faits de violence ?

M. Jean-Luc Rougé. Non.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je crois savoir que lors d’un entraînement, il aurait brisé les vertèbres d’un jeune athlète. Pouvez-vous confirmer ? En étiez-vous informé ? Que signifie être un « entraîneur dur » ?

M. Jean-Luc Rougé. Cela ne signifie surtout pas blesser. Un entraîneur dur pousse les athlètes, c’est tout. Le principe même du judo – que je défends – est de contrôler son adversaire pour ne pas le blesser. Même au Japon, on me demande d’intervenir sur des problèmes avec certains enseignants. Dans ce domaine, je suis intraitable. On n’a pas le droit de blesser les athlètes. Je suis reconnu internationalement pour cela.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. M. Patrick Roux a publié un livre en 2023, dans lequel il dénonce de nombreux abus dans le judo. L’avez-vous lu ?

M. Jean-Luc Rougé. Non.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pourtant, il relate plusieurs témoignages d’athlètes appartenant à la Fédération qui ont dénoncé des faits extrêmement graves. Parmi ces abus, ils témoignent de pseudo-entraînements ressemblant davantage à des passages à tabac qu’à des exercices où les participants, bien souvent des adolescents, subissaient des violences censées affermir leur corps et leur esprit. La Fédération a plusieurs fois déclaré que ces méthodes, considérées comme choquantes, avaient été éliminées.

Quel regard portez-vous sur ce type de méthodes ? En avez-vous fait l’expérience en tant qu’athlète ? Ces méthodes ont-elles réellement disparu ? Si oui, comment avez-vous réussi à y mettre fin ?

M. Jean-Luc Rougé. J’espère qu’elles ont disparu. Au départ, le judo vient des Japonais, des samouraïs. L’entraînement s’apparentait à une préparation guerrière. Ce sont des pratiques que nous avons éliminées. Je suis allé au Japon lorsque j’étais adolescent, et j’ai vécu la violence japonaise. Je ne supporte pas cette violence et ne l’ai jamais promue.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous nous confirmez qu’à une certaine époque, les entraînements étaient durs. En tant que président de la Fédération de judo entre 2005 et 2020, considériez-vous finalement que ces entraînements durs étaient tolérables ?

M. Jean-Luc Rougé. Non.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Qu’avez-vous mis en place, en tant que président de la Fédération ? Je ne parle pas du secrétaire général, mais du président de la Fédération.

M. Jean-Luc Rougé. Les entraîneurs n’ont pas le droit de se comporter ainsi. C’est tout. Cela ne se fait pas. Il n’y a rien à mettre en place.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous été informé de toutes ces violences qui régnaient au moment des entraînements ?

M. Jean-Luc Rougé. Patrick Roux a dit qu’il fallait que je dégage au moment des élections. Il a raison. D’ailleurs, je suis très bien à la retraite. Il a dit que je l’avais viré. Il était professeur d’éducation physique alors que les autres étaient des entraîneurs de terrain. Je voulais des personnes formées en éducation physique et sportive (EPS) pour qu’elles interviennent dans la préparation et la programmation, et c’est pour cette raison que j’ai recruté Patrick Roux. Il était totalement anachronique. Il s’est également fait débarquer en Angleterre et en Russie car il posait problème dans la préparation physique. Je ne l’ai pas viré. Ce sont les entraîneurs nationaux qui ne voulaient plus travailler avec lui.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous ne répondez pas tout à fait à la question. Étiez-vous informé des faits de violences sur les athlètes de la part des entraîneurs ? Nous avons reçu plusieurs témoignages ici même selon lesquels vous étiez informé.

M. Jean-Luc Rougé. Certainement, mais je suis intervenu à chaque fois.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Comment êtes-vous intervenu ?

M. Jean-Luc Rougé. Il se passe de nombreux événements dans une fédération. J’allais souvent aux entraînements et je suis intervenu à chaque fois que l’on m’informait de dysfonctionnements. Cela fait partie du suivi. Il y a deux entraînements par jour.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’aimerais comprendre la procédure – éventuelle – que vous avez mise en place lorsque plusieurs personnes sont venues dénoncer des faits de violence de la part d’un entraîneur. Les entraîneurs ont-ils été écartés ou sanctionnés ?

M. Jean-Luc Rougé. J’ai souvenir de Paul-Thierry Pesqué et Yves Delvingt. Il existe un autre cas d’entraîneur dont j’ai été informé et que je n’ai pas dénoncé, parce que c’était la semaine des élections et qu’il appartenait à l’équipe adverse. J’ai décidé d’attendre le résultat des élections et de le traiter ensuite. Je crois qu’il est toujours dans le board de la fédération aujourd’hui.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pour les deux autres entraîneurs, qu’avez-vous mis en place lorsque vous avez été informé qu’ils étaient violents avec les jeunes athlètes ?

M. Jean-Luc Rougé. Le DTN de l’époque s’est séparé rapidement d’Yves Delvingt et l’a mis sur un autre poste. Vous pouvez interroger Fabien Canu, actuel directeur de l’Insep.

Quant à Paul-Thierry Pesqué, nous nous en sommes séparés également. Il est vrai qu’il a été à nouveau recruté par Brigitte Deydier.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Les rapports de l’inspection générale jugent que le risque de violences sexuelles n’était pas considéré comme majeur ou prioritaire. Considérez-vous que cette appréciation est injustifiée ? De 2005 à 2020, lorsque vous étiez président, quels sont les dispositifs mis en place et quelle priorité avez-vous donné à la question de la lutte contre les violences sexuelles et sexistes ou les violences physiques ?

M. Jean-Luc Rougé. Des dossiers ont été découverts petit à petit. Nous avons donc mis en place avec le secrétaire général une structure d’alerte, de contrôle et surtout d’investigation.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous n’avez pas découvert les cas dans le rapport de l’inspection puisque vous nous avez indiqué que vous en aviez informé le DTN.

M. Jean-Luc Rougé. Non, je n’ai jamais dit que j’avais découvert les cas dans le rapport de l’inspection générale, qui est un rapport très global.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Dans quel cadre avez-vous découvert ces cas ?

M. Jean-Luc Rougé. Nous les avons découverts au fil de l’eau.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous eu connaissance de ce rapport ?

M. Jean-Luc Rougé. Oui, bien sûr, mais j’en ai eu connaissance une fois que je n’étais plus président. Il ne me servait plus à rien du tout. Je ne pouvais plus agir. La Cour des comptes a également publié un rapport, suite à un audit de trois ans, lorsque je partais. C’est mon successeur qui doit travailler.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Dès le début de l’audition, vous avez évoqué l’élection de 2020 qui a été visiblement complexe. Vous semblez indiquer que les témoignages de Patrick Roux et des autres athlètes sont en lien avec cette élection de 2020.

M. Jean-Luc Rougé. Il est certain qu’ils ont été exploités pour l’élection.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ces cas étaient pourtant bien réels.

M. Jean-Luc Rougé. Certes.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il est important de le dire pour les victimes car pendant des années, il y a eu un déni de leur parole au sein de la Fédération. Dans le cadre de cette commission, nous avons entendu plusieurs victimes qui ont fait état de ce qu’elles ont vécu en termes de violence lorsqu’elles étaient à la Fédération. Cela a duré plusieurs semaines, voire plusieurs mois pour certaines d’entre elles. Elles nous ont indiqué avoir fait des signalements, mais n’avoir été ni écoutées ni entendues.

Mettons-nous d’accord pour ne pas remettre en cause la parole de ces victimes dans le cadre de cette élection de 2020.

M. Jean-Luc Rougé. Je ne la remets pas du tout en cause. J’ai essayé de les traiter du mieux possible, afin que ces faits ne se reproduisent plus. J’ai toujours travaillé en ce sens. Nous avons essayé de savoir si c’était vrai. C’est pour cela que nous avons tenté de mettre en place une procédure.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous auditionné les victimes ? Avez-vous entendu ces personnes ?

M. Jean-Luc Rougé. Non. Pour certaines, je leur ai parlé au téléphone. L’une d’entre elles habitait l’île de La Réunion. Elle a eu un problème avec un professeur de judo qui était aussi policier. Je lui ai demandé de porter plainte, mais elle était très embêtée car le policier mis en cause savait où elle habitait. Elle m’a rappelé par la suite pour me dire qu’elle ne voulait plus en parler.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vous ai justement questionné sur la manière dont vous avez procédé, même si vous en avez informé votre secrétaire général. L’entraîneur violent a-t-il été mis de côté ? Des actions disciplinaires ont-elles été engagées ?

M. Jean-Luc Rougé. Une décision a été prise à chaque fois : soit nous arrêtions la procédure en l’absence de preuves, soit nous essayions d’obtenir plus de preuves, soit nous prenions une décision ou une sanction. Nous n’avons rien laissé tomber.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Systématiquement ? D’après les rapports et les témoignages, l’action disciplinaire était souvent très tardive et pouvait faire prévaloir la présomption d’innocence sur la protection des victimes. Les affaires passaient-elles en commission disciplinaire fédérale lorsqu’elles étaient traitées par la justice ? Les autres entraîneurs étaient-ils laissés avec les victimes ?

M. Jean-Luc Rougé. Non. Si la personne était en danger, nous prenions des mesures conservatoires. À plusieurs reprises, nous avons pris de telles mesures pour écarter les personnes concernées. Dans un cas, nous avons été à l’encontre de la décision de Mme Alliot-Marie, qui était alors garde des sceaux. Un jeune judoka avait commis deux viols sur enfants de quatre et six ans dans le cadre familial. Il a été placé en maison de redressement. Le juge des peines lui a conseillé de devenir professeur de judo. Nous avons refusé de le licencier et de le recruter, contre l’avis du juge.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Dans les différents rapports, il est indiqué que vous faites le choix de ne pas systématiquement sanctionner les auteurs.

M. Jean-Luc Rougé. Pourquoi ?

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. C’est à vous de nous le dire.

M. Jean-Luc Rougé. Certains ont été sanctionnés.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. À partir de quel moment les sanctions sont-elles prononcées ? Une mesure disciplinaire est-elle mise en place en attendant que l’affaire soit jugée par la justice ? Les rapports indiquent que treize commissions de discipline ont eu lieu entre 2000 et 2020, ce qui est très peu pour une fédération de la taille de la FFJDA.

M. Jean-Luc Rougé. Si une affaire était portée devant la justice, nous laissions celle-ci faire son travail.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Et avant que les affaires n’aillent en justice ?

M. Jean-Luc Rougé. À partir du moment où le dossier était traité par la justice, nous ne sanctionnions pas. Nous préférions attendre la décision de justice, mais s’il y avait mise en danger, nous prenions des mesures conservatoires pour écarter la personne concernée.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ce n’est pas ce qu’indiquent les différents rapports de l’inspection. Les affaires de justice peuvent prendre plusieurs mois, voire plusieurs années, et une mesure disciplinaire ou une sanction disciplinaire à titre conservatoire permet d’éloigner l’auteur des victimes. Faute de quoi, l’auteur reste auprès des victimes.

M. Jean-Luc Rougé. Les mesures conservatoires ont été prises. J’en suis certain.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez donc systématiquement pris des mesures conservatoires.

M. Jean-Luc Rougé. Lorsque nous l’avons estimé nécessaire.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Qui estime que c’est nécessaire ?

M. Jean-Luc Rougé. C’est sur proposition du secrétaire général devant l’exécutif.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’aimerais entendre votre avis sur le témoignage de Cédric Hilarion : « Lors d’un déplacement pour une compétition alors que j’étais très fatigué, étant au régime, car devant perdre du poids pour le lendemain, je me suis battu pendant plus d’une heure avec cet entraîneur pour l’empêcher de m’introduire une fève de cacao dans l’anus. Au cours de cette bagarre, il m’a mordu le sexe à trois reprises. Le lendemain, il est retourné à son entraînement. Tout le monde était au courant. Il nous l’a dit dans les vestiaires. » L’entraîneur lui a indiqué que c’était pour forger son esprit, pour l’entraîner.

M. Jean-Luc Rougé. Ce sont des fous. C’est inadmissible ! Où était-ce ? Je suis désolé, mais tout le monde est au courant sauf moi. Était-ce au niveau national, régional, départemental ? Était-ce au niveau d’un club ?

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vous laisserai visionner l’audition. Vous en apprendrez sans doute énormément sur la fédération que vous avez dirigée pendant quinze ans. Nous avons reçu de nombreux éléments et témoignages et nous continuons à en recevoir. Je trouve très étonnant que vous ayez délégué à votre secrétaire général le traitement de ces affaires et vous n’étiez pas informé alors que, visiblement, tout le monde l’était.

M. Jean-Luc Rougé. J’imagine que ce sont de nouveaux témoignages.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Non. Les faits se sont produits sous votre présidence.

M. Jean-Luc Rougé. Je ne parle pas de la date des faits, mais de la connaissance des faits. C’est la date de connaissance des faits qui est importante. Certains faits datent de dix ou quinze ans, en particulier ceux concernant Jimmy Mouzay.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. S’agissant de Cédric Hilarion, les faits étaient sujets de plaisanteries dans les vestiaires dès le lendemain.

M. Jean-Luc Rougé. Je suis désolé, mais je ne suis pas dans les vestiaires.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il y avait de nombreux adultes dans ces vestiaires, dont l’entraîneur. Je vous engage vivement à visionner cette audition.

La difficulté de lutter contre les violences dans le sport tient notamment à l’omerta qui y règne et qui peut être le fait des adultes qui sont informés de ce qui se passe, des autres athlètes, des présidents ou des dirigeants de fédération. Cette omerta s’expliquerait par le souci des fédérations de préserver leur image, notamment par rapport aux autres fédérations.

Patrick Roux déplorait en juin 2023 dans L’Équipe que « l’autre souci, quand on fait remonter des signalements, c’est la comparaison avec les autres fédérations. On me répond que les autres ne vont pas le faire. On ne va pas s’autoflageller, dégrader l’image de notre sport et perdre des licences. » Est-ce vrai ?

M. Jean-Luc Rougé. Non. C’est aberrant. Il y a des faits, un point c’est tout !

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. S’agissant du témoignage précédent dont vous ne vous souvenez pas, les faits se sont produits au dojo nantais.

M. Jean-Luc Rougé. Il est très difficile pour nous de savoir ce qu’il se passe dans un club. La Fédération française de judo est l’une des cinq plus grandes fédérations sportives, avec plus d’un demi-million de licenciés et 5 600 clubs.

C’est justement le sujet que je voulais aborder avec vous concernant l’avenir. Les fédérations nationales sont incapables de gérer les violences autres que les violences sportives, qui concernent la cour d’assises. Elles ne sont pas capables de monter des dossiers correctement.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ce même entraîneur a été radié en 2021, après l’élection. Nous voudrions comprendre pour quelle raison des sanctions n’ont pas été prises avant. Le second a été remercié en 2023.

M. Jean-Luc Rougé. Parlez-vous de l’entraîneur de Nantes ?

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Oui.

M. Jean-Luc Rougé. Il faut être informé !

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. S’il a été remercié en 2021, c’est que les personnes étaient informées. Comment expliquez-vous que vous ne l’ayez pas été ?

M. Jean-Luc Rougé. S’il a été remercié par la Fédération, comment l’a-t-elle su ?

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ce n’est pas à nous, mais à vous, de répondre à cette question.

Cette personne était entraîneur au moment où vous étiez encore président de la Fédération. Elle n’a pas été sanctionnée pour les faits que je viens de vous rapporter. Elle a été remerciée quelques mois après votre départ. Comment expliquez-vous que le nouveau président ou la nouvelle direction ait eu connaissance des faits aussi rapidement ?

M. Jean-Luc Rougé. Je ne l’explique pas du tout.

M. Stéphane Buchou (RE). Je suis député de Vendée. Malgré mon retard, j’ai pu regarder le début de l’audition sur le site internet de l’Assemblée nationale qui fonctionne très bien. Je vous invite à visionner l’audition à laquelle Mme la rapporteure fait référence.

Je ne vous cache pas que je trouve cette audition quelque peu lunaire. Tout d’abord, j’ai l’impression qu’elle n’a pas du tout été préparée. Vous avez pourtant reçu une convocation indiquant les contours de la commission d’enquête.

Je voudrais souligner la gravité des faits et des témoignages qui nous ont été communiqués durant cette audition de près de quatre heures. Vous avez été président de la Fédération française de judo pendant quinze ans et à vous entendre, vous n’êtes au courant de quasiment aucun des cas auxquels nous faisons référence. Comprenez donc notre désarroi. Lorsque nous vous posons des questions précises, vous nous répondez avec d’autres questions. Or nous ne sommes pas là pour répondre à vos questions. C’est à vous de répondre aux nôtres.

M. Jean-Luc Rougé. Je ne l’avais pas du tout compris ainsi. Je suis désolé d’avoir failli sur ce sujet. Si je l’avais su, je ne serais pas venu seul, mais accompagné de mon secrétaire général. Je regrette fortement mon incompréhension. Je suis totalement fautif. J’ai l’impression d’avoir bien fait mon travail. Je suis très surpris de la tournure de cette audition, car je crois avoir traité tous les dossiers. Il est vrai que je ne les ai pas tous en tête.

M. Stéphane Buchou (RE). Permettez-moi de réagir. De toutes les auditions que nous avons menées jusqu’ici, nous constatons – et cela nous a été rappelé à de nombreuses reprises – l’existence d’une forme d’entre soi. Le judo ne fait pas exception. Il est très compliqué d’obtenir des informations, sauf lorsque certaines personnes libèrent leur parole.

Monsieur Rougé, lorsque nous vous posons des questions, vous nous renvoyez systématiquement à votre secrétaire général. Aussi, j’ai une question simple et quelque peu provocatrice : à quoi sert un président de fédération si, à chaque fois qu’on pose une question, il vous renvoie à son secrétaire général ? Quel a été concrètement votre rôle pendant ces quinze années ? Je ne peux pas penser que durant les quinze années au cours desquelles vous avez été président de la Fédération, vous n’ayez été le témoin d’aucune des affaires qui nous ont été communiquées.

Je m’étonne que vous soyez assez précis sur les noms et prénoms de certains athlètes ou certains entraîneurs, mais beaucoup moins sur d’autres. Votre mémoire est-elle sélective ? Je vous rappelle que vous témoignez sous serment. Si vous pouviez être plus précis ou plus loquace, nous aurions tous à y gagner.

M. Jean-Luc Rougé. Certains dossiers ont pu avoir été traités par moi-même et d’autres par le secrétaire général. Je connais un peu mieux que les autres ceux dont j’ai été informé directement. Je ne connais pas les personnes du dojo nantais, mais je connais les cadres techniques de Bretagne, car ils sont de niveau national. Le nom de l’un d’eux, M. Decoster, vient de me revenir.

M. Stéphane Buchou (RE). Vous dites que vous avez bien fait votre travail. Je vous rassure, je ne suis que député : je ne suis ni juge ni procureur. Nous vous avons informé que plus de trente personnes ont témoigné de cas de violence devant cette commission. Dans ces conditions, maintenez-vous toujours que vous avez bien fait votre travail pendant quinze ans ?

M. Jean-Luc Rougé. Le principe du sport est que l’on peut toujours s’améliorer.

Il y a eu prise de conscience progressive des problèmes, notamment s’agissant des violences sexuelles. S’agissant des violences sur le tapis, nous avons toujours essayé de les traiter. Les entraînements étaient vraiment très difficiles et à présent, ils sont tout à fait corrects. La situation a évolué.

Nous sommes tombés des nues lorsque nous avons eu connaissance de ces problèmes de violences sexuelles. Nous avons essayé de faire en sorte que la parole se libère. Nous ne pensions pas que les affaires déjà traitées par la police devaient faire l’objet d’un suivi de notre part. Nous préférions attendre pour prononcer d’éventuelles sanctions, mais nous avons pris, lorsque c’était nécessaire, des mesures conservatoires.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Qu’avez-vous mis en place pour que la parole se libère ?

M. Jean-Luc Rougé. Nous avons mis en place le site automatique et nous en avons fait la publicité. Nous en avons parlé à tous les cadres techniques, notamment au cours des stages.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je rejoins les propos de mon collègue. Manifestement, l’audition n’a pas été préparée, mais vos propos sont intéressants car ils mettent en lumière le fonctionnement du binôme constitué par le président et le secrétaire général dans certaines fédérations, lorsque le choix est fait de déléguer. Les rapports de l’inspection générale contiennent des éléments très précis alors que vous restez vague sur les mesures conservatoires et sur les personnes mises en cause.

Je suis très ennuyée que vous ne puissiez pas répondre formellement sur le fait d’avoir reçu une personne dans votre chambre ou pas. Vous dites ne pas vous en souvenir. Sans parler de mémoire sélective, nous avons besoin de réponses précises : avez-vous déjà reçu une personne dans votre chambre pour recueillir des témoignages ?

M. Jean-Luc Rougé. Il faut que je visionne l’audition de la fille dont il est question. Dans un Creps, on vit plus ou moins ensemble.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Est-ce à dire que vous avez reçu d’autres personnes dans votre chambre ?

M. Jean-Luc Rougé. Je n’en ai pas le souvenir. Si nous ne pouvons pas faire autrement, s’il n’y a pas de bureau, nous prenons n’importe quelle chambre.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous rendez-vous compte de la difficulté pour une femme de témoigner sur des violences sexuelles lorsqu’elle est reçue dans une chambre ?

M. Jean-Luc Rougé. S’agissait-il de violences sexuelles la concernant ?

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Oui. Je suis sidérée. Vous me dites que si vous n’aviez pas de bureau, vous utilisiez une chambre. Cela signifie que cela a pu avoir lieu à d’autres moments. Il est toujours possible de trouver un bureau ou un lieu neutre pour recevoir ou auditionner une personne. Je suis choquée : comment peut-on imaginer recevoir une personne qui souhaite s’exprimer sur des faits de violence dans une chambre ?

M. Stéphane Buchou (RE). Que pourrait-il se passer si cette pratique du président de la Fédération se diffusait chez les autres membres de la Fédération ? Les présidents de fédération ont une énorme responsabilité. Nous avons l’impression, dans cette audition, que les faits sont minimisés. Or nous avons besoin de réponses précises.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Les faits se sont produits en 2006, alors que vous étiez président de la Fédération.

M. Jean-Luc Rougé. J’étais président depuis six mois en 2006. Je visionnerai l’audition. Serait-il possible que je revienne avec le secrétaire général et la juriste qui a suivi les affaires ?

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La personne qui a témoigné se nomme Alexandra Soriano. Ce qui nous intéresse aujourd’hui, même si vous ne vous souvenez pas forcément d’elle, est de savoir si recevoir une femme dans une chambre pour discuter était une pratique courante. Dans le cas qui nous intéresse, je rappelle que la discussion a duré deux heures.

M. Jean-Luc Rougé. Ce n’est pas du tout la pratique. Si nous avons fait une réunion dans une chambre, effectivement, le lieu n’était pas adapté. C’est certain.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Cette personne avait été témoin et non victime. Elle était venue témoigner pour quelqu’un d’autre. Je vous invite à visionner cette audition, qui a duré quatre heures. Elle vous permettra de vous rendre compte de ce que les athlètes ont pu vivre lorsque vous étiez président.

Je ne sais pas si nous aurons le temps d’organiser une seconde audition, mais je vous invite à compléter vos propos par des écrits, notamment du secrétaire général de l’époque, puisqu’il semble avoir toutes les informations concernant les affaires qui ont été portées à votre connaissance. Nous aurons ainsi une vision complète de votre présidence.

Pour ma part, je n’ai plus de question.

M. Jean-Luc Rougé. On demande beaucoup aux fédérations, qui sont responsables de nombreux dossiers. Elles ont des missions de service public ainsi que des missions d’intérêt général, en particulier dans les quartiers difficiles. Les fédérations ne sont pas capables d’absorber des dossiers aussi complexes et aussi pointus que celui, par exemple, du dopage. Ce n’est pas du tout une volonté de cacher des informations.

La Fédération internationale a délégué le traitement administratif et juridique des affaires de dopage à une société tierce. Il faudrait créer en France un système de délocalisation. C’est pour moi très important, car je pense qu’il y aura toujours des loupés. Nous avons certainement commis des fautes, j’en suis conscient. Je ne sais pas si nous sommes taillés pour gérer ce genre de situations, qui nous mettent mal à l’aise, car nous nous connaissons tous. Nous avons du mal à croire que certaines personnes puissent commettre de tels faits. Nous devons changer le système et délocaliser complètement. J’étais venu surtout pour évoquer ce sujet.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Votre propos rejoint de nombreux témoignages sur ce monde en vase clos, où tout le monde se connaît. Nous avons entendu à plusieurs reprises la proposition de créer une entité indépendante extérieure qui puisse traiter ces faits.

Connaissez-vous la cellule Signal-sports ? Elle a été mise en place en 2019 par le ministère des sports pour recueillir les témoignages des victimes, notamment de violences sexuelles et sexistes.

M. Jean-Luc Rougé. Elle a été mise en place au moment de mon départ. La ministre de l’époque, Roxana Maracineanu, disposait de certains éléments qu’elle nous avait cachés. Il existait une forme de concurrence sur qui devait dénoncer. Je ne veux pas l’attaquer, mais nous sommes dans une situation très difficile. Les directeurs régionaux n’ont pas confiance en nous et ne nous communiquent pas les informations.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons auditionné la ministre Roxana Maracineanu juste avant vous. Elle nous a indiqué que la cellule informait systématiquement les fédérations de chaque signalement.

M. Jean-Luc Rougé. Lorsque l’article est paru dans Le Parisien, j’ai demandé à être reçu par la ministre. La ministre affirme que c’est elle qui m’avait convoqué, mais j’ai gardé le SMS. Au cours de notre réunion, nous avons comparé nos fichiers et ils ne contenaient pas les mêmes noms. Nous disposions d’un fichier énumérant toutes les affaires avec la date de dénonciation, le suivi et d’autres informations. Malheureusement, je n’ai plus ce fichier. J’espère que le secrétaire général l’a conservé. Vous pourrez ainsi voir que toutes les affaires ont été suivies.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. En février 2020, une convention nationale sur les violences sexuelles et sexistes a été organisée. Étiez-vous présent ?

M. Jean-Luc Rougé. C’est une bonne question. Je n’en suis pas certain.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je peux vous confirmer que vous étiez présent.

Je propose d’en rester là. Merci de nous faire parvenir vos recommandations et préconisations par écrit à l’adresse mail indiquée sur la convocation. Je vous invite à visionner cette audition pour prendre la mesure des témoignages.

M. Jean-Luc Rougé. A-t-elle été filmée ?

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Oui, comme la vôtre aujourd’hui. Toutes les auditions sont filmées puis mise en ligne.

M. Jean-Luc Rougé. Je pourrai ainsi voir les visages des personnes auditionnées.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ces personnes ont fait le choix de témoigner ouvertement. Prenez le temps de regarder leurs témoignages. Certaines victimes sont toujours en attente de réponses de la part de la Fédération.

M. Jean-Luc Rougé. Soyez certains que nous essaierons de faire le maximum pour les victimes.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vous remercie.

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45.   Audition, ouverte à la presse, de M. Claude Onesta, manager général de la haute performance à l’Agence nationale du sport, ancien joueur et ancien sélectionneur et entraîneur de l’équipe de France de handball (24 octobre 2023)

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Monsieur Onesta, je vous souhaite la bienvenue. Vous êtes un ancien joueur international de handball et l’ancien sélectionneur de l’équipe de France masculine de handball.

L’Assemblée nationale a décidé de la création de cette commission d’enquête à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs, et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux portent sur trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ; les discriminations sexuelles et raciales ; les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif.

Fort de votre longue et riche expérience dans ce secteur, pouvez-vous partager avec nous votre vision des violences sexuelles et sexistes, du racisme et des discriminations dans le sport ? Comment évoluent ces phénomènes de votre point de vue ?

En 2014, vous avez été vous-même au cœur d’une polémique en raison d’une dédicace que vous avez écrite sur un exemplaire de votre livre Le règne des affranchis, à l’intention de M. Didier Dinart, alors que vous étiez sélectionneur de l’équipe de France et que lui-même était votre adjoint : « Didier, l’esclave qui a le plus profité de sa libération… En espérant qu’il ne remette pas les chaînes à ses joueurs. »

Vous vous êtes défendu de toute connotation raciste de ce message. Pouvez-vous revenir sur cette affaire ?

Vous êtes manager de la performance au sein de l’Agence nationale du sport (ANS). Pouvez-vous nous présenter votre action à ce poste et les leviers dont vous disposez pour renforcer l’éthique dans le sport ? Quel bilan tirez-vous de la création de cette agence et quel regard portez-vous plus généralement sur l’évolution de la gouvernance du sport ?

Avant de vous donner la parole, je vous invite, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires imposant aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Claude Onesta prête serment.)

M. Claude Onesta, manager général de la haute performance à l’Agence nationale du sport. En premier lieu, je reviendrai sur votre question relative à cette dédicace. Dans le contexte d’aujourd’hui, elle apparaît beaucoup plus sensible et ne reflète pas le sens qu’elle avait à l’époque, dans le cadre d’une relation de grande proximité avec mes joueurs.

Six ans plus tard, j’ai cru comprendre que cette dédicace avait heurté l’un de ces joueurs. J’ai été étonné puis marqué d’avoir pu, peut-être par maladresse ou en présumant du lien qui pouvait exister entre nous, causer cette souffrance. Je suis, bien évidemment, désolé car ce n’était pas l’idée de cet échange. Je le suis tout autant d’avoir pu être identifié comme potentiellement raciste et capable de propos déplacés, alors que je suis très attaché au respect de l’autre et à la bienveillance, bien nécessaires dans l’environnement sportif, fait de confrontation et de détermination.

J’ai toujours été très attentif à rendre mes joueurs autonomes, et c’était un peu l’objet de ce livre, Le règne des affranchis : montrer qu’en donnant plus d’autonomie et de liberté d’action aux joueurs, on pouvait devenir la meilleure équipe du monde. À l’époque, l’organisation du sport était beaucoup plus militaire, autoritaire, descendante – dirigiste, dirais-je. Je me suis toujours battu pour que les athlètes puissent co-construire le projet et qu’ils puissent en être pleinement responsables. Cette autonomie, basée sur le respect et la bienveillance, était donc au cœur de mon action.

Cette souffrance que j’ai pu occasionner, une fois encore j’en suis désolé, mais tout au long de ma carrière, je suis plutôt apparu comme une personne très en relation avec ses athlètes, plus encline à se mettre à leur service qu’à les mener par la seule autorité.

Franchement, cette période fut douloureuse pour moi. La plupart des joueurs m’ont appelé pour me soutenir, notamment les joueurs de couleur qui se sont étonnés de cette accusation : « S’il y en a un à qui on ne peut pas reprocher un manque d’exemplarité sur ce plan, c’est bien toi », m’ont-ils dit. Cet épisode m’a donc marqué et heurté au plus profond de moi.

À l’époque, je savais que j’arrivais à la fin de mon parcours. Comme nous avions beaucoup avancé et libéré la parole, comme l’accès à la responsabilité de chacun, je voulais veiller à ce que la transition se fasse dans cette même démarche – et Didier Dinart était un acteur de cette transition. L’inquiétude qui sous-tendait ce message était que, par la suite, on revienne à un système plus autoritaire et peut-être plus vertical.

Voilà pour cette séquence. Encore une fois, elle m’a heurté, mais je dois d’abord penser à Didier. Tout cela n’est sorti qu’au bout de six ans, mais si c’est ainsi qu’il l’a vécu, j’en suis désolé et je m’en excuse auprès de lui.

J’en arrive à mon – long – parcours dans le champ sportif. J’ai d’abord été joueur de handball. Du point de vue professionnel, j’ai été enseignant en éducation physique et sportive. À l’époque, l’éducation nationale était le ministère de tutelle des sports et j’ai pu m’engager dans un parcours de cadre technique sportif en fédération. Après un certain nombre d’années comme cadre technique en région Midi-Pyrénées, j’ai été amené à prendre la responsabilité de sélectionneur et à encadrer l’équipe de France – je l’ai fait pendant seize ans.

J’ai beaucoup plus vécu dans l’encadrement technique du terrain que dans le champ des élus et de l’organisation ou de la gouvernance du sport et des fédérations. À entendre les témoignages, malheureusement fréquents, et à voir les dégâts qui ont pu être occasionnés dans le monde du sport, on a parfois le sentiment de ne pas toujours avoir ouvert les yeux et d’être passé à côté d’un certain nombre de choses.

Je n’ai toujours entraîné que des garçons et n’ai jamais été en charge d’équipes féminines. Je ne sais pas s’il y a une spécificité de l’entraînement des femmes, jeunes ou adultes. Du sexisme, il y en a sûrement eu, mais j’avoue que, dans mon environnement proche, ce n’est pas comme cela qu’on vivait.

Quant aux discriminations, j’ai souvent dit et écrit que la chance du monde sportif français était de bénéficier de cette diversité de cultures et d’origines, fût-elle due au colonialisme, qui n’est peut-être pas la gloire de la France mais qui fait partie de son histoire. J’ai toujours vécu comme une chance cette diversité des acteurs, de gens qui avaient appris le handball à Strasbourg, en Lorraine, à Marseille, sur l’île de La Réunion ou aux Antilles. La force du sport français tient justement à cette diversité de pratiques et de cultures, qui permet de créer une puissance par la variété des solutions apportées. Je l’ai toujours vécu de cette manière.

Je pratiquais un sport où le mélange racial, que ce soit en club ou en équipe de France, était de mise. J’ai toujours vécu le sport comme l’endroit où l’on faisait justement abstraction des différences, notamment dans le sport collectif. Chacun rentre au vestiaire avec ce qu’il est, ce qui l’a construit, avec ses idées politiques ou religieuses. Et là, pendant un temps, on va faire abstraction de toutes ces différences pour se réunir et se fédérer sur un projet commun.

J’ai toujours aimé le sport collectif pour cette réunion des individus qu’il emporte. Pendant quelques heures, chacun partage avec les autres quelle que soit sa différence. La seule façon de faire équipe est précisément d’arriver à cette fusion des individus dans l’intérêt d’un projet collectif.

Dire qu’il n’y a pas eu de débordements par moments serait mentir, mais ce sont des aspects auxquels nous avons toujours été très attentifs. Pour des gens comme moi, qui sont avant tout des éducateurs, le sport est une école de la vie qui doit permettre l’apprentissage des règles, du vivre-ensemble, qui a la capacité de réunir les acteurs, quelles que soient leurs origines. Pour nous, cela a toujours été essentiel.

Le handball est un sport jeune par rapport à d’autres sports collectifs de ballon. Il a été développé par des instituteurs, des enseignants, ce qui lui confère de fortes bases éducatives. La pratique, avant même de considérer les résultats, a toujours été construite sur le respect et l’accompagnement des acteurs avec toutes leurs différences.

Bien sûr, chaque fois que nous avons été confrontés à de tels problèmes, nous les avons toujours régulés et bien évidemment dénoncés. Qu’ils se produisent à l’échelle d’un club ou d’un groupement, il a toujours été fait ce que l’on pensait approprié à l’époque – trente ans plus tôt, ces sujets ne se posaient pas de la même façon.

Nous avons toujours été citoyens avant d’être entraîneurs. Nous avons toujours cru en l’exemplarité comme moyen d’éduquer des jeunes adolescents et des jeunes adultes ; elle constituait même l’engagement premier des éducateurs et des entraîneurs que nous étions. Les écarts, les problèmes étaient régulés, ce qui ne veut pas dire qu’ils n’existaient que chez les autres. Il est vrai que ces problèmes étaient souvent liés à l’accompagnement d’athlètes de jeune âge – effectivement, la proximité entre des athlètes jeunes enfants ou jeunes adolescents dans un environnement d’adultes peut en générer. Je pense que la fédération a toujours été très attentive à ces sujets et s’est efforcée de les traiter, non pas en mettant la poussière sous le tapis, mais, au contraire, en essayant de les prendre à bras-le-corps.

Très franchement, dans mon sport, j’ai peu entendu parler de ce genre de sujets. Maintenant qu’ils émergent, en tant qu’ancien acteur et dirigeant sportif, on a forcément tendance à penser qu’on ne les a peut-être pas toujours regardés comme il aurait fallu ou qu’on n’a pas eu la vigilance qui aurait convenu. En ce qui me concerne, je n’ai jamais eu le sentiment de masquer quoi que ce soit ou d’essayer de ne pas alerter, comme on le fait aujourd’hui de manière systématique.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je reviens sur ces années en tant que sélectionneur auprès de l’équipe de France et particulièrement sur cette affaire de dédicace. Vous disiez avoir fait preuve de respect et de bienveillance pendant toute cette période et que vous aviez reçu très clairement le soutien des joueurs et particulièrement des « joueurs de couleur ». Pouvez-vous nous citer ces « joueurs de couleur » ?

M. Claude Onesta. Les premiers à m’avoir appelé sont Luc Abalo et Joël Abati, deux joueurs historiques de l’équipe de France. Tous les deux m’ont tout de suite dit qu’il n’était « pas bien » de laisser planer un doute sur cette affaire et sur ma personne et qu’ils n’avaient jamais ressenti ces choses-là dans leur relation avec moi. On le sait bien, pour un qui parle, beaucoup se taisent, et les autres m’ont témoigné leur soutien d’une manière ou d’une autre. En tout cas, les deux joueurs qui m’ont appelé de manière immédiate et directe m’ont signifié clairement que cela leur paraissait très déplacé.

Je peux concevoir qu’après-coup et hors contexte, la dédicace puisse être considérée comme déplacée, mais elle n’en avait pas moins une signification très éloignée de la façon dont elle a été reçue.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Le mot ou l’expression « black », en parlant de sportifs de peau noire, est-il pour vous synonyme de respect et de bienveillance ?

M. Claude Onesta. J’ai appris que non. Je vous le dis très clairement, d’autant que j’ai aujourd’hui des collègues noirs dans mon équipe.

Le terme « black » n’est pas de ma génération. Il était plutôt utilisé par des générations plus jeunes et, de fait, tout le monde avait l’impression que c’était un terme jeune. Un jour, sans doute après que je l’ai utilisé, une de mes collègues m’a dit : « Quand je parle de toi, je ne parle pas de ‟ white ˮ. Pourquoi tu parles de moi en évoquant les ‟ blacks ˮ ? ». Ce jour-là, j’ai été amené à réfléchir. Ma génération disait plutôt « noir » mais, à la limite, dans un vestiaire, on ne parlait ni de noirs ni de blancs ; on parlait à des joueurs sans avoir l’impression de parler à des races différentes. En tout cas, j’ai compris qu’il ne fallait pas dire « black ».

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous est-il déjà arrivé de dire à un joueur noir : « Toi, on va te remettre les chaînes » ?

M. Claude Onesta. Non. Je ne sais pas si vous avez lu des choses écrites par d’autres sur moi. Il est difficile de parler de soi, mais j’ai été reconnu comme le manager qui avait donné le pouvoir à ses joueurs, qui avait donné la responsabilité de la construction du projet à ses joueurs.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous rappelle que vous êtes sous serment pendant cette audition. « Ces joueurs », dont vous parlez, j’aimerais que vous puissiez citer leurs noms, de sorte que nous puissions comprendre et prendre pleinement connaissance de l’histoire et du contexte.

M. Claude Onesta. Je ne sais pas de quelle histoire il s’agit. Quelqu’un m’a accusé de l’avoir dit ?

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Non. Je vous pose une question.

M. Claude Onesta. Je ne peux pas citer un joueur lorsque je ne le connais pas. Je ne me vois pas dire ces choses-là à un joueur. Que je sois sous serment n’y fait rien : je ne pense pas l’avoir dit et j’affirmerai ne pas l’avoir dit.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je reviens sur la signification de votre dédicace. Quel sens y avait-il à comparer un joueur noir à un esclave dans le contexte dont, selon vous, elle a été sortie ? Même si c’est le cas, pour ma part, j’y vois un problème, et c’est un avis que beaucoup partagent, je pense.

Vous avez employé les termes « races différentes ». Qu’entendez-vous par-là ?

Vous avez évoqué les joueurs en disant : « ces joueurs ». Pouvez-vous nous préciser votre pensée ? De quels joueurs parlez-vous ? Désignez-vous leur couleur de peau, leurs origines ou leur statut ?

Vous dites n’avoir pas le souvenir d’avoir prononcé la phrase citée par Mme la présidente. Ce n’est pas vraiment une réponse ; soit vous l’avez effectivement dite, soit vous êtes certain que non.

Enfin, vous est-il déjà arrivé d’utiliser le mot « nègre » en parlant à des joueurs ?

M. Claude Onesta. Je ne sais pas combien de temps cela va durer. Je veux bien me prêter à vos questions avec le plus d’attention possible mais je ne vais peut-être pas me répéter pendant une heure. Je veux bien essayer de vous dire tout ce que je sais, mais très honnêtement, je trouve assez inconfortable d’être accusé ainsi, sans véritablement savoir d’où ça vient et pourquoi.

Je vais donc décrire à nouveau, pour la dernière fois, je l’espère, la situation dans laquelle a eu lieu la signature.

Quand je parle d’« esclaves », je ne parle pas à un athlète noir. Quand j’intitule mon livre Le règne des affranchis, je veux dire que les joueurs au sens large, sans considération de race ni de couleur, sont habituellement considérés comme des acteurs obéissants dans le champ du sport de haut niveau. Les entraîneurs ont tendance à mettre en œuvre leur projet et les athlètes le subissent.

L’affranchi est en effet un esclave libéré. Le règne des affranchis entendait montrer que l’ensemble de mes joueurs, quelle que soit leur couleur, avaient été, dans l’aventure que nous leur avons proposée, affranchis du lien d’autorité et de subordination existant traditionnellement dans le sport de haut niveau. La preuve était ainsi apportée qu’en libérant les joueurs du joug que leur imposait ordinairement leur encadrement, on pouvait obtenir des résultats au niveau mondial et même devenir la meilleure équipe du monde. De fait, lorsque j’ai commencé à m’engager dans cette démarche par la suite dite de management collaboratif ou participatif, j’ai été traité de fou voué à l’échec. La preuve a été faite que, non seulement on pouvait réussir, mais qu’on pouvait le faire de manière exceptionnelle.

Je le répète, Le règne des affranchis raconte que tous mes joueurs ont été affranchis de l’autorité et qu’ils sont devenus des acteurs associés et clairement déterminants de la réussite du projet. Au moment où je signe cette dédicace à l’un de mes joueurs – et c’est peut-être là que je me montre un peu naïf ou déplacé –, je ne le fais pas pour un joueur noir, je le fais pour un joueur parmi tous les autres.

Il faut bien comprendre qui était Didier Dinart dans notre organisation. Au départ joueur de qualité moyenne, il est devenu, par l’intelligence et la liberté qu’on lui a proposée, le meilleur défenseur du monde. C’est donc vraiment quelqu’un qui a tiré un profit total de cette libération. Ma signature signifiait : « Toi, qui as le plus utilisé cette liberté pour devenir un des meilleurs joueurs du monde, j’espère – car à ce moment-là, il était entré dans le staff et n’était plus joueur –… »

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’entends ce que vous dites, mais la dédicace, elle, dit : « Didier, l’esclave qui est le plus profité de sa libération ». C’est donc très spécifique. Il y a clairement une référence à la question de l’esclavage. Avez-vous fait ce type de dédicace d’autres joueurs qui n’étaient pas noirs ?

Vous dites de Didier Dinart qu’« on lui a donné la possibilité ». Je trouve cela condescendant au possible. C’est aussi par sa capacité de joueur qu’il a réussi, pas uniquement parce qu’on l’y a autorisé ou qu’on le lui a permis. C’est vraiment ce qui ressort de votre propos.

Je souhaiterais vraiment que vous reveniez sur les termes de « races différentes » et de « ces joueurs » que vous avez utilisés.

M. Claude Onesta. Ce serait effectivement condescendant si c’était quelque chose de fréquent. Je vous le répète, la situation dont nous parlons date d’il y a une vingtaine d’années, à une époque où les entraîneurs ne donnaient aucune autonomie aux athlètes et décidaient pour ceux-ci de tout ce qu’ils devaient faire.

Cette démarche d’ouverture que j’ai introduite, peut-être la trouvez-vous condescendante, mais, pour ma part, je la trouve extrêmement généreuse, car ce n’était absolument pas l’esprit de l’époque. Ce faisant, je prenais d’ailleurs beaucoup de risques.

Vous n’êtes pas sans savoir que, dans le sport de haut niveau, si vous n’avez pas de résultats très rapides, vous êtes mis à l’écart. J’ai voulu dire à un athlète qui, pour moi, s’appelait Didier – non pas « Didier le noir » mais Didier –, qui avait pu être esclave parmi les autres, que sa libération lui avait permis d’atteindre un niveau qu’il n’aurait peut-être pas atteint dans un système plus fermé, et que j’espérais qu’il conserverait cette démarche et en ferait bénéficier les athlètes dont il aurait ensuite la charge.

J’ai effectivement parlé de « races différentes », parce que vous me posez une question sur des races, sur des gens de couleur… Je ne sais pas quelle est la terminologie à employer. Pour ma part, et encore une fois, je n’ai pas l’impression d’avoir agi en fonction des joueurs qui étaient en face de moi et encore moins en fonction de leur race. En disant « ces joueurs », je parlais des joueurs au sens large et Dieu sait qu’ils sont différents les uns des autres – plus par leur sensibilité et leur habilité que par toute autre différence. J’ai toujours considéré les joueurs de manière commune et sans faire de différence aucune. Il se trouve que j’avais l’opportunité de les choisir, de les sélectionner ; à aucun moment de tels critères ne sont entrés de quelque manière que ce soit dans mon travail.

D’ailleurs, si j’ai sollicité Didier Dinart à la fin de sa carrière sportive pour qu’il intègre le staff de l’équipe de France, c’est bien parce que je voulais lui confier un travail avec nous et des responsabilités. Dès lors, je ne vois pas où interviendrait une quelconque connotation d’exclusion, alors que c’était au contraire une action d’inclusion. Si j’avais été animé par d’autres pensées, j’aurais très bien pu choisir quelqu’un d’autre.

À aucun moment, pour moi, cela n’a été un élément de différenciation entre les uns et les autres.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Je suis une handballeuse de toujours. J’ai commencé le handball il y a très longtemps. J’ai été présidente d’un club. J’ai toujours été très admirative du parcours de l’équipe de France, depuis sa médaille de bronze à Barcelone. Je suis sidérée par ce que j’entends.

Je n’ai jamais ressenti ni lu dans aucun journal ou magazine de handball cette forme de racisme de la part de quelque entraîneur que ce soit. D’ailleurs, Didier Dinart est devenu l’entraîneur de l’équipe de France, mais pour peu de temps – deux ou trois ans, de mémoire.

Je suis choquée et je me dis que quelle que soit notre mission d’enquête, il nous faut être très prudents. À une époque, Coluche avait pu faire de l’humour en disant : « Quand on viole, c’est quand on ne veut pas, et nous, on voulait. » De nos jours, il faut faire attention ; on ne sait plus quoi dire quand on parle de personnes de couleur – on ne doit plus dire « blacks » alors que tout le monde le disait avant. Et quand il s’agit de personnes d’origine maghrébine, on ne sait plus quoi dire de peur d’être taxé de racisme.

Devant cette commission d’enquête, je tiens à dire que je suis choquée de ce que j’entends. L’équipe de France de handball, c’est vraiment l’excellence. On a autant de personnes de couleur, pour beaucoup d’origine martiniquaise et guadeloupéenne ou d’ailleurs, comme Luc Abalo – je ne sais plus comment dire. Si le monde du handball était présent aujourd’hui, il vous dirait qu’il n’a jamais pensé que Claude Onesta puisse être raciste.

M. Claude Onesta. Merci, madame.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Cela fait bien longtemps que l’on n’emploie plus le mot « race ». L’utiliser malgré tout est révélateur d’une certaine pensée.

Après que cette dédicace a été rendue publique, il vous a été proposé un rendez-vous avec la ministre Maracineanu. À l’époque, vous aviez déclaré ne pas être obligé de vous y rendre. Cet entretien a-t-il finalement eu lieu ?

M. Claude Onesta. Je ne me rappelle pas qu’elle me l’ait proposé. En règle générale, lorsqu’un ministre me convoque pour une réunion, je m’y rends sans faire état de mon envie ou autre. Je pense qu’elle a sûrement évoqué lors d’une interview et qu’il n’y a pas eu de suite, parce qu’il n’y a pas eu de proposition de réunion – j’en étais peut-être à la énième explication sur le sujet. Mais je me rends compte que l’explication n’a peut-être pas suffi, puisque nous y sommes encore aujourd’hui.

Si convocation il y avait eu, je me serais conformé à la demande de la ministre. Je n’aurais ni l’autorité ni l’outrecuidance de ne pas répondre à la sollicitation d’une ministre.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il se trouve pourtant qu’au moment où on vous a proposé l’entretien, vous avez déclaré : « La ministre souhaite ce qu’elle veut. Moi, je n’ai pas à donner suite à cette situation, ni avec Didier Dinart ni avec personne. » Vous en rappelezvous ?

M. Claude Onesta. Pas trop. En tant qu’élus politiques, sujets à la critique, vous savez quel peut être l’acharnement médiatique. Peut-être qu’après la énième réponse à la même question qui m’était posée tous les jours, j’ai fini par dire que j’avais donné suffisamment d’explications pour ne pas avoir à recommencer tous les quatre matins. Je devais estimer avoir suffisamment répondu à toutes les questions posées. À l’époque, j’avais d’autres sujets à gérer quotidiennement dans le cadre de la mission qui m’était assignée. Il était temps de passer à autre chose.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le ministère des sports a tout de même un rôle de contrôle. Lorsqu’une ministre des sports demande à vous recevoir sur un sujet grave, considérez-vous que nous n’avez aucun compte à lui rendre, qu’il n’y a pas de lien hiérarchique ni d’obligation ?

M. Claude Onesta. Cela commence à devenir quelque peu pénible. À nouveau, si la ministre m’avait convoqué de manière officielle, j’y serais allé. Si elle l’a dit à un journaliste auquel j’avais déjà moi-même répondu, c’est autre chose. En plus de me faire passer pour un malotru, vous semblez maintenant vouloir me faire passer pour quelqu’un qui ne respecte rien ni personne, ni même les ministres. Cela suffit. Je travaille au quotidien avec des ministres, des cabinets et des élus et, jusqu’à preuve du contraire, je suis à peu près capable de répondre aux sollicitations qui me sont faites.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Notre rôle est de poser des questions et le vôtre est d’y répondre. Il n’y a aucune volonté de vous faire passer pour qui que ce soit.

Je vous repose donc la question : n’avez-vous jamais été officiellement convoqué par la ministre des sports ?

M. Claude Onesta. Si tel était le cas, j’aurais répondu à sa sollicitation et m’y serais rendu.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pouvez-vous nous présenter les grandes orientations et les réalisations du programme Ambition bleue, mis en place sous votre responsabilité à l’Agence nationale du sport (ANS) ?

M. Claude Onesta. Avec plaisir. Le programme Ambition bleue est né d’une mission qui m’a été confiée par la volonté du Président de la République lorsqu’en septembre 2017, les Jeux olympiques et paralympiques ont été attribués à la France. Il m’a été demandé de faire un état des lieux du sport de haut niveau en France. Quelques mois plus tard, j’ai rendu mon mémoire à la ministre Laura Flessel. De là, elle m’a demandé de travailler à la préfiguration et la construction d’un nouveau modèle qui mènera à la création de l’Agence nationale du sport.

En 2019, date de création de l’agence, il m’a été demandé d’essayer d’améliorer les résultats du sport français et particulièrement à l’échéance des Jeux de Paris. J’ai donc pris la charge de cette construction d’un nouveau modèle pour que les résultats des Jeux olympiques de Paris soient à la hauteur des espoirs de la nation, dont le socle est appelé « Ambition bleue ».

Il s’agissait de voir, à partir des constats et analyses issus de mon rapport remis à la ministre, de quelle manière agir pour mettre en œuvre ce qui pourrait nous permettre d’améliorer ces résultats. Clairement, l’amélioration des résultats dans un délai de cinq ans paraissait être une mission impossible. Dans le milieu sportif, pour transformer des résultats à l’échelle d’une nation et des plus grandes compétitions mondiales, il faut généralement beaucoup plus de temps.

Avec Ambition bleue, nous avons identifié plusieurs axes.

Le premier était la répartition des moyens, que le sport français de haut niveau avait tendance à éparpiller. Souvent, pour ne pas faire trop de choix ou heurter un certain nombre d’acteurs, les fédérations donnaient un peu à tout le monde de sorte que tous soient à peu près contents. Nous avons décidé d’assumer la réalité du sport de haut niveau : il n’est pas ouvert à tous. Le sport est ouvert au départ puis, progressivement, la sélection s’établit.

Le rayonnement d’un pays, en matière de sport de haut niveau, nécessite une politique spécifique appuyée sur un ciblage des investissements. Laisser les fédérations continuer à répartir les moyens de manière assez peu ciblée et peu évaluée, c’était dépenser sans toujours produire les résultats escomptés. Notre idée était donc que le périmètre du haut niveau devait être traité de manière très spécifique, en identifiant les publics et les acteurs sur lesquels l’investissement devrait être porté.

Très vite, on nous a fait un procès en élitisme, par crainte que nous n’accordions de moyens qu’aux meilleurs. Or, depuis la création de l’Agence, nous avons augmenté le soutien aux fédérations de 25 %. Les moyens consacrés à l’accompagnement socioprofessionnel des athlètes ont été augmentés de 75 %. L’accompagnement de l’encadrement technique, certainement celui pour lequel les efforts n’avaient pas été fournis de manière conséquente, a été augmenté de 130 %. Dans le même temps, nous avons augmenté le projet paralympique de 300 %. En somme, nous avons alloué des moyens à des endroits où ils seraient mieux ciblés, mieux utilisés et mieux évalués, pour voir quelle était la « rentabilité » des investissements.

Notre fierté a été, comme nous l’avions dit dès le départ, de ne pas ponctionner les moyens destinés aux sportifs de niveau inférieur – de niveau national – pour les donner à l’élite. Pour pouvoir le faire, nous avons sollicité du Président de la République et du Premier ministre une augmentation des moyens, de manière à maintenir la part des acteurs qui ne seraient jamais médaillés au niveau mondial et à consacrer spécifiquement une part à l’organisation d’un accompagnement beaucoup plus individualisé et ciblé sur les acteurs, pour multiplier le nombre de médailles.

Sur les 75 % d’augmentation globale des moyens destinés aux sportifs de haut niveau, 83 % vont à des sportifs qui ne sont pas considérés comme des cibles prioritaires, comme des athlètes susceptibles d’être médaillés aux Jeux. Autrement dit, la grande majorité des moyens associés à cette politique reste aux personnes qui ne font pas partie de l’élite internationale des athlètes français.

Nous avons fait en sorte que les moyens consacrés à l’accompagnement des athlètes ne bénéficient pas aux athlètes riches. Nous garantissons aux athlètes français un seuil minimal de ressources, fixé à 40 000 euros bruts annuels. Un athlète dont les ressources, issues de salaires, de sponsors ou d’autres sources, excèdent 40 000 euros ne touchera plus le moindre euro de l’agence. Les moyens sont donc destinés aux personnes ayant les ressources les plus faibles.

À l’issue des Jeux olympiques de Rio, en 2016, une étude avait défini que 40 % des athlètes de la délégation française vivaient sous le seuil de pauvreté, ce qui avait provoqué un petit séisme dans le milieu du sport. Dès la création de l’agence en 2019, et même avant, nous avons travaillé sur ce sujet pour qu’aucun des athlètes de la délégation à Paris ne soit sous le seuil de pauvreté, sachant que beaucoup d’athlètes profiteront du fait que nous sommes pays hôte pour participer et que le volume de notre délégation pourrait doubler.

En somme, nous agissons de manière très déterminée pour soutenir les athlètes et l’encadrement technique, tout en veillant à ce que l’argent public soit utilisé de la manière la plus rationnelle possible et fasse l’objet d’une évaluation. Il s’agit d’améliorer nos résultats sans pour autant abandonner d’autres acteurs au bord de la route.

Là est l’idée d’Ambition bleue : des investissements ciblés, des populations identifiées par strates de pratique, sans oublier la relève à laquelle doivent travailler les fédérations, car sans accompagnement des plus jeunes vers les filières de perfectionnement, il n’y a pas de médaille possible. Ainsi, je pense que nous allons réussir, en peu de temps et de manière considérable, à améliorer nos résultats aux Jeux olympiques et paralympiques à Paris.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous dirigez le pôle haute performance au niveau de l’ANS. Sur quels critères avez-vous été choisi pour occuper ce poste ?

M. Claude Onesta. Il aurait fallu le demander aux gens qui m’ont choisi. Je pense que je le dois aux résultats que j’ai obtenus pendant seize ans avec l’équipe de France de handball. Le Président de la République, en premier lieu, a pensé que, pour améliorer les résultats du sport français de manière générale, il fallait peut-être confier la mission à quelqu’un qui avait déjà réussi un parcours dans sa discipline sportive. J’ai été sollicité pour ce faire et j’ai accepté la mission.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous dites que c’est le Président de la République qui vous a choisi pour ce poste ?

M. Claude Onesta. C’est plutôt la ministre des sports de l’époque, Laura Flessel. C’est elle qui m’avait directement sollicité pour préfigurer la création de l’Agence qui, tout compte fait, a constitué le premier échelon de ce qu’on a appelé la « gouvernance partagée du sport ». Le sport est aujourd’hui organisé entre les acteurs associés que sont l’État, les collectivités territoriales et le monde économique du sport. Une multitude d’acteurs travaillent à cette mobilisation, et les fédérations sportives en sont partie intégrante. L’Agence résulte finalement de l’émergence de cette action associée.

C’est donc la ministre qui m’a nommé à ce poste et qui pourra, je suppose, me renvoyer à la maison quand elle l’estimera nécessaire. Mais j’ai souvent été en lien avec le Président de la République et, au moins pendant un temps, avec le Premier ministre qui, avant son entrée à Matignon, était président de l’Agence. Nous avons donc travaillé ensemble de manière quotidienne et avons noué une proximité dépassant parfois le cadre du lien de subordination traditionnel.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le programme Ambition bleue renverse en partie le modèle sportif en axant principalement le choix sur les résultats dans les compétitions internationales et en misant prioritairement sur les meilleurs à l’instant t. N’est-ce pas une remise en cause du double projet tel que prévu au départ ?

Le choix est-il toujours fait en concertation avec les directeurs techniques nationaux (DTN) qui managent au quotidien les staffs en équipe de France ? N’introduit-il pas une forte relation entre le financement et les résultats du sportif, ce qui pourrait a contrario le pénaliser en cas de blessure ou de contre-performance ?

M. Claude Onesta. Le sujet est très intéressant.

L’Agence ne fait rien en direct ; elle ne travaille qu’en lien avec les fédérations auxquelles elle verse des sommes visant à financer les projets de performance proposés par les fédérations. L’Agence est un régulateur et, potentiellement, un apporteur de solutions. Donc, la réalisation de tout ce que l’on engage, ce sont les fédérations qui l’ont en charge. Elles ont l’expertise dans leur domaine d’activité. Les DTN sont les acteurs principaux et le lien principal avec nous sur cette mise en œuvre de politique.

Le sport de très haut niveau international se joue au niveau mondial – celui dont il est question lorsqu’on nous demande de faire des médailles aux Jeux olympiques et paralympiques. Si vous vous entraînez moins que les autres, si vous avez moins de moyens et moins d’outils, vous finirez malheureusement derrière. Il faut donc prendre la mesure du contexte international.

On nous a souvent reproché de copier le modèle anglais, dit UK Sport, adopté en préparation des Jeux de Londres. Je crois que les deux modèles sont très différents. Dans le modèle anglais, l’agence dirige et décide pour la totalité des sports de haut niveau ; elle a la charge de la décision. En France, nous avons la charge du financement, de l’évaluation, du contrôle et de l’accompagnement, mais les décisions sont toujours prises par les fédérations. La délégation de l’État aux fédérations sportives leur permet de mettre en œuvre la politique que les élus sont autorisés à mettre en œuvre. Nous n’interférons absolument pas dans le travail de gouvernance de la fédération, qui appartient, jusqu’à l’élection, à l’équipe en place. Nous accordons les moyens et les challengeons.

Pour revenir sur le double projet, je dirais que celui-ci est un élément constitutif de notre fonctionnement, notamment parce que la plupart des sportifs ne sont pas des professionnels. Même si on les aide à percevoir des revenus leur permettant de se consacrer de manière plus formelle et plus totale à leur pratique, on sait bien qu’ils ne vivront pas très longtemps des revenus qu’ils ont capitalisés. Donc, le double projet est indispensable.

Nous avons multiplié les contrats d’insertion professionnelle de manière conséquente. Plus une personne pratique un sport dont elle ne vivra pas, plus elle doit consacrer du temps et du sens à sa formation professionnelle. Les contrats d’insertion que nous obtenons ouvrent une possibilité de financement par les entreprises, en cofinancement avec l’agence, mais ils permettent d’accompagner le sportif en lui dégageant du temps pour qu’il puisse continuer de s’entraîner, tout en mettant un pied dans l’entreprise et en préparant progressivement sa reconversion. On se tourne de plus en plus vers ces solutions et le double projet est donc une réalité.

En revanche, il serait illusoire de penser qu’une personne vivant pleinement un double projet serait capable de poursuivre un travail à mi-temps et de s’entraîner à côté jusqu’à l’année précédant les Jeux olympiques ou paralympiques. Cela ne correspond plus à la réalité du concert international. Notre action auprès des entreprises est de leur faire comprendre que plus l’échéance sportive est éloignée, plus l’athlète aura d’activité dans l’entreprise et qu’à mesure qu’elle se rapprochera, il devra être déchargé de ses missions professionnelles pour se dédier complètement à sa pratique sportive.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. UK Sport a été créée en 1997, après Atlanta. Son cycle de fonctionnement s’est étendu de 1997 à 2012, dans le cadre de la préparation des Jeux olympiques de Londres. En comparaison, l’ANS a-t-elle disposé de suffisamment de temps ?

M. Claude Onesta. En effet, il nous a souvent été dit que nous n’aurions pas le temps. Ne pas avoir le temps, cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas s’engager ; sinon, on ne s’engage jamais.

En début de projet, nous avions vraiment le sentiment d’être dans une situation insoluble, au regard de ce que l’on découvrait dans certaines fédérations et de la distance qui nous séparait de la médaille. Cependant, les Anglais partaient de beaucoup plus loin que nous ; leur niveau de l’époque était vraiment très faible. La situation du sport français s’était beaucoup améliorée dans les années 1960, après une grosse colère du général de Gaulle devant nos résultats médiocres, voire ridicules, aux Jeux olympiques de Rome. Le général de Gaulle avait alors voulu que la France se dote d’un projet lui permettant de mieux rayonner sur les terrains de sports mondiaux, ce qui s’était traduit par la création des cadres techniques d’État, des DTN, des sections sport-études. Tout ce qui a été construit à cette époque a fait progresser le sport français de manière considérable.

Je dirais que la deuxième étape de ce projet de transformation est précisément la création de l’Agence. Le système avait très peu bougé depuis les années 1960. Il avait produit beaucoup d’effets positifs et permis aux sportifs français de se classer parmi les meilleurs du monde. Depuis vingt ans toutefois, les résultats stagnaient ; on voyait bien qu’on ne parvenait pas à aller plus loin en termes de rayonnement. Non pas que les Français travaillaient moins, mais beaucoup plus de pays investissaient désormais dans le secteur du sport et devenaient ainsi des concurrents à la médaille. Donc, la médaille était de plus en plus difficile à obtenir.

Je crois donc qu’il était nécessaire que le sport français passe par cette étape de transformation, pour se relancer et se redonner une dynamique pour des résultats améliorés.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Cette commission d’enquête visait à traiter essentiellement des violences sexuelles et sexistes. Il ressort de précédentes auditions que de nombreuses affaires datent des années 2000, mais qu’il y en a malheureusement de bien plus récentes. Pourtant, nous avons le sentiment que les fédérations les traitent à peu près de la même manière : usuellement, si des médaillés sont impliqués, on a sur eux un regard quelque peu protecteur, au détriment des victimes.

Vos fonctions vous amènent sans doute à être en contact avec des athlètes de haut niveau. Si une athlète que vous avez soutenue arrête parce qu’elle aurait été victime de quelque chose, avez-vous un pouvoir d’intervention ?

Pensez-vous que les fédérations vont assez loin pour lutter contre ces violences ?

M. Claude Onesta. Allons-nous toujours suffisamment loin ? Peut-être pas.

Ce qui est certain, c’est que la prise de conscience est là, peut-être parce qu’il a fallu qu’apparaisse au grand jour l’horreur de ces affaires qui ont heurté tout le monde. Effectivement, c’est insupportable, mais c’est désormais poursuivi. Je puis vous assurer que plus aucun dirigeant sportif, qu’il soit dirigeant de club, de structure régionale ou de fédération nationale, ne mettra un mouchoir sur une situation inappropriée.

Tout le monde veut être exemplaire dans la capacité à dénoncer, mais cela entraîne aussi des situations complexes. Je ne suis plus en contact direct avec les athlètes, à la différence du directeur de l’Insep qui les côtoie quotidiennement. L’Agence travaille à distance, en lien avec les fédérations. Mon équipe compte néanmoins trente personnes dont une vingtaine sont en lien quasi permanent avec les fédérations. Ces collaborateurs se rendent au plus près des stages nationaux et des compétitions pour voir comment les choses fonctionnent et se pratiquent. Je puis vous assurer que s’ils sont témoins d’une situation inappropriée ou ambiguë, ils ont obligation d’en alerter immédiatement l’Agence. Nous n’avons pas la capacité ni l’autorité de traiter la situation de manière directe, mais un signalement sera systématiquement effectué, comme le prescrit l’article 40, et il reviendra au ministère des sports d’engager la démarche.

Il n’existe plus un acteur ayant des responsabilités dans le fonctionnement des fédérations sportives qui n’ait pas augmenté son niveau de vigilance et qui ne soit pas davantage à l’écoute qu’on ne pouvait l’être par le passé. La parole s’est désormais libérée, et des choses vont peut-être émerger plus facilement. Dès lors, le moindre acteur, quel que soit son niveau d’intervention, qui serait identifié comme n’ayant pas donné suite ou alerté serait en grande difficulté. Je peux vous l’assurer.

Vous dites être dirigeante sportive. Le sport, ce n’est quand même pas cela au quotidien ; c’est malheureusement aussi ça et il ne faut pas laisser passer, mais c’est aussi des gens qui ont de belles pratiques et qui font des choses magnifiques. Il faut être très vigilant et sûrement pas complice, et mieux vaut alerter pour rien plutôt que de se taire. Tout le monde s’efforce à cette démarche, qui ne repose sur aucune base traditionnelle, car la lecture des situations n’était pas celle d’aujourd’hui.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Selon les informations qui nous ont été communiquées, l’ANS ne tiendrait pas compte, dans l’attribution de ses subventions, de la bonne volonté des fédérations à prévenir et à lutter contre les violences. Pourquoi ?

M. Claude Onesta. Parce que ce n’est pas la mission qui nous est confiée. Cette mission existe au niveau de notre tutelle, qui est le ministère des sports. Cela ne veut pas dire que nous n’avons pas autorité pour refuser un financement. L’État nous demande de veiller à ce que les fédérations agissent en conformité aux lois républicaines, et de façon déterminée. Nous ne sommes pas à l’initiative de ces choses. Si le ministère des sports nous demande expressément d’être vigilants, de geler pendant un temps les versements, nous nous exécutons de manière immédiate.

L’Agence ne dispose pas des instances juridiques pour analyser les situations. En cas de doute sur une fédération ou un athlète, nous sollicitons le ministère pour connaître sa position. Nous ne sommes pas détenteurs d’une quelconque autorité décisionnelle ; celle-ci relève de l’autorité de tutelle.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Est-ce déjà arrivé ?

M. Claude Onesta. Oui. On nous a déjà demandé de bloquer nos versements pendant une période d’instruction. Je n’ai pas de souvenir très précis, car l’affaire n’avait pas trait au sport de haut niveau et ne relevait pas vraiment de mon champ d’intervention. Mais il y a eu, effectivement, des moments où le ministère nous a demandé de geler tout engagement vis-à-vis d’une fédération. En tout cas, cela n’intervient qu’à son initiative.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Peut-on savoir de quelle fédération il s’agit ?

M. Claude Onesta. Je ne m’en souviens pas de manière précise, ni même d’ailleurs quel était le sujet ; je me rappelle seulement de cette demande de gel. Quoi qu’il en soit, nous le ferons chaque fois que le ministère nous demandera de le faire.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lorsqu’elle a commencé à s’intéresser au mouvement sportif, la commission s’est rendu compte que beaucoup d’acteurs et d’entités se côtoyaient sans qu’existent forcément de liens hiérarchiques entre les uns les autres ou que ces liens soient très bien explicités. Dans un rapport de juillet 2022, la Cour des comptes a pointé un enchevêtrement de compétences entre l’Agence et la direction des sports, ce qui pouvait engendrer des risques d’incohérence au regard de la logique politique de la réforme, alors même que l’essentiel des compétences humaines avait été transféré de la direction des sports à l’Agence.

Comment l’exercice des compétences respectives de la direction des sports et de l’ANS pourrait-il être rationalisé ? Faut-il faire évoluer les textes, législatifs ou réglementaires ?

M. Claude Onesta. Je ne suis pas un grand spécialiste des textes législatifs.

En tout cas, les conclusions du rapport de la Cour des comptes sont assez claires. Autant, la Cour s’interroge sur la valeur ajoutée dans le champ du développement des pratiques, autant, dans le champ de la haute performance et du haut niveau, son jugement est très positif. Le rapport note un niveau d’expertise de l’Agence qui n’existait pas précédemment, au niveau du ministère et de la direction des sports. La branche du sport de haut niveau s’est développée en beaucoup moins de temps au niveau de l’Agence qu’il n’en aurait fallu au ministère.

Les choses sont néanmoins encore compliquées. L’Agence doit faire sa place pour exister. Alors que les Jeux olympiques et paralympiques approchent, elle n’existe toujours pas dans le champ officiel, traditionnel et historique. Des missions vont être confiées au Comité national olympique mais la place de l’Agence n’est jamais identifiée. C’est à nous de nous débrouiller pour la trouver. Le temps fera sans doute son œuvre et déterminera petit à petit le périmètre d’action de l’Agence. Ensuite, il faudra coordonner l’ensemble, car l’ajout d’une nouvelle structure dans une construction existante est compliqué.

Dans le champ du haut niveau, la direction des sports nous a clairement délégué la plupart des missions qui relevaient de sa compétence, considérant qu’elle n’a pas l’expertise pour les mener à bien. C’est donc plutôt nous qui sommes à l’initiative du travail et de la politique en la matière, bien évidemment sous l’autorité de la ministre des sports, et qui la mettons en œuvre, en en rendant compte à la direction des sports qui nous le demande régulièrement.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. En 2022, l’ANS a accompagné financièrement soixante-huit fédérations à hauteur de 72 millions d’euros et près de 12 millions pour les athlètes. Quels sont les critères d’attribution des subventions et comment est évalué leur impact ? De quelle manière l’ANS procède-t-elle au contrôle de l’utilisation des financements par les fédérations ?

M. Claude Onesta. Très schématiquement, il existe des classements entre les soixante-huit fédérations.

Pour ce qui concerne la haute performance, parce que le délai était court et qu’il fallait agir vite, nous avons choisi dès le départ de nous consacrer prioritairement aux trente-sept fédérations olympiques et paralympiques. Parallèlement, nous nous sommes engagés auprès des fédérations reconnues de haut niveau mais qui n’ont pas d’épreuve au niveau olympique et paralympique à ce qu’elles ne fassent pas les frais de l’engagement en vue des Jeux. Nous avons maintenu les moyens précédemment attribués à ces fédérations, tout en nous engageant à ne pas puiser dans cette enveloppe pour mieux servir les champs olympiques et paralympiques.

Hormis les aides personnalisées qui vont directement aux athlètes, la plupart des moyens sont distribués via les fédérations. On ne passe jamais en direct auprès d’un entraîneur ou d’une structure d’entraînement. Lorsque nous voulons soutenir un entraîneur, c’est toujours par le biais de sa fédération. Charge à elle, ensuite, d’engager les moyens que nous lui avons distribués.

La distribution des moyens est un gros sujet. Quand elle était assurée par la direction des sports, il n’y avait jamais de gros changements pour personne – tout au plus des variations de plus ou moins 1 % d’une année sur l’autre. À l’Agence, nous nous sommes efforcés d’embarquer toutes les fédérations dans la transformation et de les inciter à développer une évaluation à peu près soutenue et partagée, afin d’élaborer des projets de performance réalistes.

Grâce, notamment, à l’action des parlementaires, nous avons eu la chance de bénéficier chaque année d’une légère augmentation des moyens, ce qui nous a permis de ne pas transformer par la punition. Nous avons dû, en effet, modifier un certain nombre de règles, de principes d’attribution et d’obligations d’engagement. Avec ces budgets supplémentaires, nous avons pu éviter de mettre davantage en difficulté ceux qui l’étaient déjà et qui, sans cela, auraient pu en pâtir. Nous avons donc augmenté les moyens au profit de ceux que nous considérions comme des acteurs prioritaires, en tant que gros contributeurs au tableau potentiel de médailles olympiques et paralympiques, sans « mettre plus en difficulté » ceux qui étaient plus à la traîne et peut-être moins performants.

Aujourd’hui, nous essayons de flécher les moyens. Or, quand on passe un contrat avec une fédération, on n’a pas le droit de lui imposer quoi que ce soit. On peut partager son projet de performance, regarder comment on peut l’accompagner et le financer, en indiquant ce sur quoi on souhaiterait la voir investir davantage. On essaie de trouver le bon équilibre entre la volonté politique de la fédération et l’engagement des moyens publics sur la performance.

Nous avons ramené 33 médailles des derniers JO – moins que les 42 des Jeux de Rio. Pour ceux de Paris, nous comptons bien obtenir le meilleur résultat que la France ait jamais connu, l’attente étant un peu différente pour les Jeux paralympiques. Le Président de la République a donné comme objectif la cinquième place au rang des nations, sachant que nous sommes aujourd’hui huitièmes sur le plan olympique et treizièmes ou quatorzièmes en paralympique. Ce serait donc un grand saut en avant.

À l’heure actuelle, les contrats de performance – autrement dit, l’engagement des moyens à destination des fédérations – sont liés aux potentialités de médailles, lesquelles sont évaluées en coordination avec les fédérations. Les moyens sont effectivement attribués en fonction des résultats espérés, mais uniquement pour le très haut niveau. Le champ du haut niveau conserve un contrat de performance « durable », de façon à financer la relève, c’est-à-dire les plus jeunes qui ne sont pas encore en situation d’obtenir des résultats au niveau international. Pour cette relève, nous sécurisons des moyens dans toutes les fédérations de sorte qu’elles puissent mener une politique de pérennisation des résultats et faire monter en compétence les nouveaux athlètes.

En résumé, toute une action est menée au bénéfice du plus grand nombre, à côté d’actions plus spécifiques en direction de l’élite en vue d’obtenir le meilleur classement pour la nation dans un concert international où l’adversité est très relevée.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Merci d’avoir participé à cette commission d’enquête. Si vous souhaitez nous apporter des informations complémentaires, vous pourrez le faire par écrit.

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