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N° 2145

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 2 février 2024.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION tendant à la création d’une commission d’enquête sur le montage juridique et financier du projet d’autoroute A69 (n° 1814),

PAR Mme Christine ARRIGHI,

Députée

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Voir le numéro : 1814.

 


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Mesdames, Messieurs,

Mme Christine Arrighi et les membres du groupe Écologiste-NUPES ont déposé, le 27 octobre 2023, une proposition de résolution (n° 1814) tendant à la création d’une commission d’enquête sur le montage juridique et financier du projet d’autoroute A69, reliant Toulouse à Castres.

Conformément à l’article 140 du Règlement de l’Assemblée nationale, « les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont renvoyées à la commission permanente compétente ». Il appartient donc à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de se prononcer sur cette proposition.

La présidente du groupe Écologiste-NUPES a exercé le pouvoir confié à certains présidents de groupe par l’article 141, alinéa 2, du Règlement, qui prévoit que « chaque président de groupe d’opposition ou de groupe minoritaire obtient, de droit, une fois par session ordinaire, à l’exception de celle précédant le renouvellement de l’Assemblée, la création d’une commission d’enquête ».

Dans le cadre de ce « droit de tirage », l’article 140, alinéa 2, du Règlement prévoit que la commission compétente doit s’assurer uniquement du respect des conditions requises pour la création de la commission d’enquête, sans se prononcer sur l’opportunité de cette dernière. À cet effet, aucun amendement au texte de la proposition de résolution n’est recevable. Si la commission estime que les conditions requises pour la création de cette commission sont réunies, la Conférence des présidents prendra acte de la création de la commission d’enquête.

Ces conditions sont au nombre de trois.

En premier lieu, l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires dispose que « les commissions d’enquête sont formées pour recueillir des éléments d’information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales ». Cette condition est également prévue à l’article 137 du Règlement, qui prévoit que les commissions d’enquête « doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ».

Dans le cas présent, la proposition de résolution vise à créer une commission d’enquête « sur le montage juridique et financier du projet d’autoroute A69 ». L’intitulé comme l’objet de la proposition de résolution sont précis : il s’agit d’éclaircir les liens existants entre la société concessionnaire ATOSCA et certains responsables politiques, membres du Gouvernement ou élus locaux, et d’avoir connaissance du montage juridique et financier de ce projet d’autoroute.

Les informations portant sur celui-ci sont en effet inaccessibles à la plupart de nos concitoyens. Les annexes au contrat de concession ne sont que partiellement consultables sur rendez-vous, dans les locaux du ministère en charge des transports, car certaines parties de ces annexes sont couvertes par le secret des affaires issu de la loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires. Cette occultation pose un problème de transparence de l’action publique sur un projet qui suscite une forte opposition locale.

Il est d’autant plus important que la représentation nationale fasse la lumière sur ce contrat que ce projet autoroutier s’oppose aux objectifs nationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de lutte contre l’artificialisation des sols. Plus de 400 hectares d’espaces naturels et de terres agricoles vont disparaître, sans compter la menace sur les nappes phréatiques. Votre rapporteure rappelle que les politiques publiques actuelles risquent de nous conduire à une élévation moyenne de quatre degrés des températures à la surface du globe, loin des objectifs de l’Accord de Paris. L’Organisation météorologique mondiale, s’appuyant sur les études de nombreux scientifiques, a confirmé que 2023 avait été l’année la plus chaude jamais enregistrée. Votre rapporteure rappelle également que les sols représentent une ressource naturelle limitée et néanmoins essentielle pour lutter contre le dérèglement climatique, qu’il convient donc de protéger.

La France s’est dotée d’objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols à travers la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « climat et résilience », qui a instauré l’objectif de zéro artificialisation nette des sols (ZAN) en 2050. Les auteurs de la présente proposition de résolution estiment que cet objectif apparaît contradictoire avec le projet de l’autoroute A69, qui détruirait plus de 400 hectares et menacerait également la biodiversité. De nombreux scientifiques ont notamment exprimé leur opposition à ce projet et ont appelé le Président de la République à y renoncer, l’estimant « anachronique au regard des enjeux et ambitions actuels de sobriété, de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de la pollution de l’air, d’arrêt de l’érosion de la biodiversité et de l’artificialisation du territoire et d’évolution des pratiques de la mobilité ».

Les objectifs énoncés par la proposition de résolution revêtent donc un degré de précision suffisamment important, tant en ce qui concerne le champ de ses investigations que des éventuelles propositions que la commission d’enquête pourrait être amenée à formuler. Il reviendra au bureau de ladite commission de préciser ce champ et les axes de travail envisagés.

En deuxième lieu et en application de l’article 138 du Règlement, est irrecevable « toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 1451 ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre ».

La proposition de résolution respecte ce critère de recevabilité. Aucune commission d’enquête ni aucune mission d’information disposant des pouvoirs d’une commission d’enquête en application de l’article 145‑1 du Règlement n’a achevé ses travaux il y a moins de douze mois sur un objet similaire.

En troisième lieu, le I de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 précitée dispose qu’« il ne peut être créé de commission d’enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours ».

L’application de cette disposition est précisée de la manière suivante par l’article 139 du Règlement de l’Assemblée nationale :

« Le dépôt d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête est notifié par le Président de l’Assemblée au garde des sceaux, ministre de la justice.

« Si le garde des sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, celle-ci ne peut être mise en discussion. »

Interrogé par Mme la Présidente de l’Assemblée nationale, M. Éric Dupond‑Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice, lui a fait savoir dans un courrier en date du 6 décembre 2023 qu’il n’avait pas connaissance de procédure en cours susceptible de recouvrir le périmètre de la commission d’enquête parlementaire envisagée.

En conclusion, selon votre rapporteure, la création d’une commission d’enquête sur le montage juridique et financier du projet d’autoroute A69 est, d’un point de vue juridique, recevable.

 


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   Examen en COMMISSION

Lors de sa réunion du mercredi 31 janvier 2024, la commission a examiné, sur le rapport de Mme Christine Arrighi, la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur le montage juridique et financier du projet d’autoroute A69 (n° 1814).

M. le président Jean-Marc Zulesi. La proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur le montage juridique et financier du projet d’autoroute A69 a été déposée par notre collègue Christine Arrighi au titre du droit de tirage du groupe Écologiste-Nupes. Nous devons nous prononcer, non sur son opportunité, mais sur sa recevabilité juridique, conformément à l’alinéa 2 de l’article 140 de notre règlement. Aucun amendement n’est donc recevable.

Mme Christine Arrighi, rapporteure. Chers collègues, 2023 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée dans le monde. Elle nous donne ainsi une idée de la vie quotidienne dans un monde où la température moyenne aurait augmenté de 1,5 degré, selon la limite fixée par l’accord de Paris sur le climat. En France, 2023 a également été, après 2022, la deuxième année la plus chaude jamais enregistrée. Concrètement, dans le Tarn, département voisin de celui où je suis élue, Albi a dépassé un nouveau record en comptabilisant trente-deux jours à plus de 35 degrés. Je ne vais pas multiplier les constats du dérèglement climatique, largement débattu dans cette commission, mais, d’après de nombreuses études scientifiques, il est amené à s’aggraver d’ici à la fin du siècle si nous n’agissons pas davantage. M. Christophe Béchu le répète : habituons-nous à une hausse des températures moyennes de 4 degrés.

Le phénomène de l’artificialisation des sols est tout aussi inquiétant. Dans l’Hexagone, la surface artificialisée est passée de 2,9 millions d’hectares en 1982 à plus de 5 millions en 2018. Les objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols, inscrits dans la loi « climat et résilience », n’ont pas eu le temps de produire leurs effets qu’ils sont déjà contestés.

Si j’ai évoqué ces deux sujets, c’est que le projet de l’autoroute A69 entre Toulouse et Castres représente le type même de chantier qu’il ne faut plus lancer. Engagé dans les années 1990, il concentre les contradictions de notre politique de transition écologique et d’aménagement du territoire. Il a été déclaré d’utilité publique par le Gouvernement par un décret du 19 juillet 2018, en dépit d’un avis négatif de l’Autorité environnementale, qui a dénoncé un projet « anachronique au regard des enjeux et ambitions actuels de sobriété, de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et de la pollution de l’air, d’arrêt de l’érosion de la biodiversité et de l’artificialisation du territoire et d’évolution des pratiques de mobilité ». Cet avis n’est pas une opinion : il se fonde sur les normes que nous adoptons.

Un tel projet n’est pas seulement une aberration écologique, il est également une injustice sociale. Si elle voyait le jour, l’A69 deviendrait la deuxième autoroute la plus chère de France : 20 euros pour un aller-retour entre Toulouse et Castres pour les particuliers ; 26,50 euros pour les véhicules utilitaires légers des artisans – des chiffres qui risquent d’augmenter encore avec l’inflation puisque le contrat de concession, signé en 2022, est indexé sur elle depuis 2020.

Pour ces raisons écologiques et sociales, une forte mobilisation citoyenne s’est élevée contre l’A69 : 61 % des habitants du Tarn et de la Haute-Garonne s’y déclarent défavorables. Une pétition déposée sur le site de l’Assemblée nationale a recueilli plus de 50 000 signatures. Plus de 1 500 scientifiques, dont dix membres du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), des représentants de l’IPBES, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, et du Conseil national de la protection de la nature ont appelé le Président de la République à renoncer à ce projet que l’on peut qualifier d’écocide.

Or l’État le maintient. Cette obstination interroge d’autant plus au vu du montage juridique et financier du projet et de son opacité. L’État a choisi de confier la concession de l’A69 à la société Atosca, filiale de NGE Concessions, détenue à 60 % par deux sociétés de capital risque de droit luxembourgeois et une société suisse, pour une durée de cinquante‑cinq ans. Mais l’accès aux informations est entravé, puisque les annexes au contrat de concession sont consultables uniquement sur rendez-vous, à Paris, quand elles ne sont pas couvertes par le secret des affaires.

En tant que rapporteure spéciale de la commission des finances, je suis investie des pouvoirs que confère l’article 57 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf). J’ai sollicité à trois reprises l’administration pour obtenir communication de l’intégralité des annexes du contrat de concession, sans occultation et sans que l’on ne m’oppose le secret des affaires, qui ne m’est pas opposable. On m’a d’abord répondu qu’il fallait que j’aille les consulter à La Défense. Quand j’ai objecté que je souhaitais qu’elles soient mises à ma disposition à mon bureau, elles m’ont été envoyées caviardées. La troisième fois, en invoquant l’article 57, je les ai enfin obtenues non caviardées.

Afin de faire toute la lumière sur les nombreuses zones d’ombre autour de ce projet, qui suscite une forte opposition locale, nous avons déposé, avec mes collègues écologistes, une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur le montage juridique et financier du projet d’autoroute A69. En application des dispositions de l’article 141, alinéa 2 du règlement de l’Assemblée nationale, la présidente du groupe Écologiste-Nupes, Cyrielle Chatelain, a choisi d’exercer son droit de tirage. Notre commission n’a donc pas à se prononcer sur l’opportunité de la commission d’enquête : elle doit vérifier que les trois conditions requises pour sa création sont réunies, conformément à l’article 140 de notre règlement.

Premièrement, la commission d’enquête doit déterminer avec précision les faits qui donnent lieu à enquête et les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion. Dans le cas présent, la commission vise à faire toute la lumière sur les contours du contrat de concession, en interrogeant la société concessionnaire Atosca et certains responsables politiques, membres du Gouvernement, élus locaux, scientifiques et membres de la société civile. Il sera ensuite question de prendre précisément connaissance du montage juridique et financier du projet et de la répartition des capitaux constituant Atosca.

Deuxièmement, aucune commission d’enquête ni mission ayant le même objet n’a achevé ses travaux il y a moins de douze mois.

Enfin, le garde des Sceaux, ministre de la justice, a fait savoir à la Présidente de l’Assemblée nationale, dans un courrier du 6 décembre 2023, qu’il n’avait pas connaissance d’une procédure en cours susceptible de recouvrir le périmètre de la commission d’enquête envisagée.

Toutes les conditions sont donc réunies pour créer cette commission, nécessaire à l’exercice de notre mission constitutionnelle de contrôle de l’action du Gouvernement. Je vous remercie pour votre attention et suis à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. le président Jean-Marc Zulesi. Nous en venons aux orateurs des groupes.

M. Jean Terlier (RE). S’il n’est pas question de m’opposer à la création de la commission d’enquête, je tiens néanmoins à souligner deux points particuliers.

Premier point : une commission d’enquête a pour but d’informer l’Assemblée sur des faits déterminés, sous réserve qu’ils ne fassent pas l’objet d’une procédure judiciaire. Vous avez raison d’indiquer que le périmètre de votre commission sera circonscrit au montage juridique et financier. Il faudra, malgré tout, veiller au fait que des procédures sont pendantes devant les juridictions administratives, notamment sur la contestation de l’autorisation environnementale. À vous entendre, madame la rapporteure, nous avons un peu l’impression que vous souhaitez digresser.

Deuxième point : le montage juridique et financier s’est fait dans le cadre d’une procédure très classique d’appel d’offres et de déclaration d’utilité publique. Le secret des affaires n’a rien d’étonnant dans un tel contexte. Il faudra veiller tout particulièrement à rester dans le périmètre du droit, pour éviter de tomber dans une forme de complotisme ou de laisser à penser que l’on se sert de cette commission d’enquête pour remettre en cause le chantier bien avancé de l’A69.

M. Frédéric Cabrolier (RN). Vous avez tout à fait le droit, en effet, d’exercer votre droit de tirage. Vous auriez pu parler – et peut-être cette question sera-t-elle abordée au cours de la commission d’enquête – de la concession par l’État aux différents concessionnaires qui a été dénoncée par l’Inspection générale des finances, selon laquelle les autoroutes auraient été rachetées plus cher par les sociétés concessionnaires si le prix d’acquisition avait été fondé sur l’historique et les prévisions de versements de dividendes.

Vous dites que 61 % des habitants du Tarn et de la Haute-Garonne seraient contre cette autoroute. Nous avons auditionné l’association des maires du Tarn, qui nous a dit que tous les élus locaux n’avaient pas signé la pétition, et j’en suis d’ailleurs la preuve – seulement 1 000 sur 4 000 l’ont fait. L’adhésion, à mon avis, est de 50 %. Les élus de Haute-Garonne sont peut-être un peu plus contre mais, dans le Tarn, c’est vraiment très partagé.

Concernant l’artificialisation des sols, à vous écouter, on ne fera plus de grands ouvrages. Qui plus est, je vous rappelle qu’il est prévu d’investir 87 millions d’euros pour réduire les impacts environnementaux, en créant de nouvelles zones humides et en plantant plus d’arbres qu’il n’y en aura de détruits.

Par le biais de Mme Rousseau, vous avez validé la violence lors d’une manifestation où deux entreprises de BTP ont été fortement dégradées, au prétexte que le béton polluait. Aujourd’hui, vous allez jeter la suspicion sur les élus locaux eux-mêmes, ce qui me semble assez gênant.

Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Mardi dernier, Christophe Béchu, le ministre de la transition écologique, déclarait en parlant du changement climatique que l’année 2024 serait celle de l’adaptation. En ce cas, passons à une réelle bifurcation écologique, réinventons nos modes de transport et sortons du modèle du tout-voiture, arrêtons de construire l’A69 sur laquelle un simple aller-retour coûtera 20 euros, sans compter la hausse prochaine des péages autoroutiers. Pourquoi s’entêter à construire à tout prix cette autoroute injuste socialement et destructrice de l’environnement ?

Deux des actionnaires du projet auraient directement ou indirectement contribué à financer la carrière politique d’Emmanuel Macron et son accession à l’Élysée. Comme le souligne le documentaire réalisé par Clarisse Feletin du média Off Investigation, le financement de cette autoroute est particulièrement opaque. Les prévisions de trafic sont trois fois inférieures à celles de la moyenne des autoroutes pour être rentable. Pourquoi accorder la concession de cette autoroute à Atosca pour plus d’un demi-siècle ? L’année dernière, cherchant des réponses, je suis allée consulter au ministère des transports le fameux contrat de concession, signé entre l’État et Atosca, en avril 2022. J’ai découvert des parties entièrement grisées. À ma demande de transparence, on a opposé le secret des affaires.

Détruire 400 hectares de terres agricoles, abattre des centaines d’arbres centenaires, exproprier nos paysans, outrepasser les lois concernant les monuments historiques, bitumer encore et encore, voilà la réalité qui se cache derrière le projet de l’A69. Qu’en est-il des intérêts financiers en jeu ? Une commission d’enquête doit faire la lumière sur tous ces éléments. Les documents classés secret défense sont accessibles aux députés sous certaines conditions, mais ceux protégés par le secret des affaires sont inaccessibles. Comment mener notre mission de contrôle du Gouvernement sans avoir accès à l’intégralité des documents ? La France insoumise soutient l’initiative de la rapporteure, qui est recevable et pleinement justifiée.

M. Pierre Vatin (LR). Après des années de concertation, de débats publics et d’enquêtes administratives, le projet d’autoroute A69 entre Castres et Toulouse a été déclaré d’utilité publique en 2018 et s’est vu accorder une autorisation environnementale en mars dernier. Le chantier est déjà bien avancé et la plupart des recours ont été jugés et rejetés. Toutefois, le pouvoir législatif reste fondé à vérifier les conditions dans lesquelles l’État a procédé à l’attribution des marchés, notamment en ce qui concerne la désignation du concessionnaire. Nous sommes d’autant plus ouverts à la création de cette commission d’enquête qu’elle relève du droit de tirage annuel normal et légitime de votre groupe. Nous croyons par ailleurs utile d’enquêter sur les éventuels liens avec les décideurs, que vous dénoncez, comme notre groupe avait pu le faire en son temps sur la vente du pôle énergie d’Alstom à General Electric. Nous serons en revanche attentifs à ce que cette commission d’enquête se limite à son objet, à savoir le montage juridique et financier du projet d’autoroute, et n’utilise pas tel ou tel conflit d’intérêts pour déconsidérer un projet attendu depuis des années par les habitants du Tarn.

Mme Aude Luquet (Dem). Je ne m’étendrai pas sur le fond car, que l’on soit pour ou contre ce projet, celui-ci a été décidé démocratiquement, en respectant toutes les étapes de la procédure et, malgré la multiplication des recours judiciaires, systématiquement confirmé par le juge. Il n’en reste pas moins qu’à titre personnel, j’ai toujours soutenu l’idée que, pour les grands projets, quels qu’ils soient, il serait bon de prévoir davantage de clauses de revoyure, afin de réactualiser ce qui aurait pu être pensé il y a plusieurs décennies parfois et qui pourrait être amélioré à l’aune des nouveaux enjeux.

Nous respectons votre droit à créer cette commission d’enquête. Nous espérons simplement qu’elle se déroulera de manière non partisane et objective, en reposant exclusivement sur la réalité des faits et du droit. Quoi qu’il en soit, nous n’avons aucune inquiétude vis-à-vis de tout ce qui peut éclairer nos débats et nos concitoyens.

M. Gérard Leseul (SOC). Le ministre chargé des transports a réaffirmé à plusieurs reprises que ce projet d’autoroute irait jusqu’à son terme. Ce chantier, commencé au printemps dernier, doit permettre à terme de relier Toulouse à Castres, et se poursuit malgré une forte controverse depuis de nombreuses années : élus, militants écologistes et scientifiques en dénoncent notamment les conséquences environnementales. Pour comprendre les origines de l’A69, il faut remonter à 1994. L’objectif, au départ, est seulement d’agrandir la route nationale 126, qui relie Toulouse à Castres en traversant quinze communes. Cependant, l’État ne semble alors pas vouloir aider à la réalisation de ce tronçon par un doublement du type deux fois deux voies. En 2010, un retournement de situation se produit sous le président Sarkozy. Le gouvernement Fillon et les pouvoirs publics abandonnent tout projet routier ou de renforcement ferroviaire et optent pour une autoroute concédée, privée, à péage : l’A69. Rapidement, le projet fait débat dans l’opinion publique et les premières manifestations sont organisées. Mais il faut attendre 2018 pour que le projet prenne un nouveau tournant. Édouard Philippe, alors Premier ministre, signe un décret et déclare la création de cette autoroute d’utilité publique.

Nous pourrions souligner les erreurs du passé. Il aurait sans doute fallu améliorer la liaison ferroviaire, avec le doublement des voies ; on aurait sans doute dû transformer la route existante en voie rapide. De notre point de vue, ces erreurs et manquements semblent être principalement ceux de l’État, qui n’a pas voulu ou pu mettre les moyens assez tôt en faveur du désenclavement et du développement de Castres et du sud du Tarn. Par ailleurs, l’histoire nous rappelant que l’équilibre des relations entre les partenaires des contrats de concession autoroutière demeure toujours défavorable à l’État, personne, me semble-t-il, ne peut s’opposer à la volonté d’éclairer la représentation parlementaire et les citoyens sur le montage juridique et financier retenu. Notre démocratie réclame de la transparence.

M. Vincent Thiébaut (HOR). Le projet, qui vise à construire une autoroute d’une longueur de 53 kilomètres entre Castres et Toulouse, a pour objectif principal de permettre un gain de temps et de désenclaver une zone rurale et montagneuse. Nous sommes engagés depuis 2017 dans la lutte contre l’artificialisation des sols et pour le développement des mobilités durables et alternatives. Mais nous sommes aussi à l’écoute des populations. Après plus de 500 réunions publiques, l’ensemble des avis et des décisions ont plutôt tendance à aller dans le sens de la réalisation de cette autoroute. Aucune procédure judiciaire n’a conduit à suspendre le projet.

Sans donner d’avis personnel sur la question, je me souviens que le contournement ouest de Strasbourg avait été largement débattu et avait fait l’objet de nombreux recours. On constate aujourd’hui qu’il a permis à Strasbourg d’améliorer la qualité de l’air, ce qui ne rend plus obligatoire la mise en œuvre d’une zone à faibles émissions mobilité (ZFE-m). Un peu de recul est toujours nécessaire dans ce genre de projets.

Toutefois, la demande de création d’une commission d’enquête dans le cadre du droit de tirage du groupe Écologiste est tout à fait acceptable et nous la soutiendrons. L’objectif est aussi d’enquêter sur les liens entre les concessionnaires et les décideurs publics français et sur les soutiens éventuels du Gouvernement aux entreprises impliquées. Si c’est fait en toute objectivité, cela permettra d’apporter de la transparence et de répondre aux attentes des citoyens. La commission d’enquête respecte selon nous les conditions de recevabilité.

M. Édouard Bénard (GDR). Toutes les conditions de la recevabilité juridique sont a priori réunies. Je ne puis que souscrire aux ambitions de cette commission d’enquête, tant le parallèle avec une réalité que je connais davantage, dans mon bassin de vie, le pseudo-contournement est de Rouen, est flagrant.

Déclaré d’utilité publique par le décret du 19 juillet 2018, le projet d’autoroute A69 vise à construire une autoroute à péage de 53 kilomètres entre Castres et Toulouse. La société Atosca a été mandatée en avril 2022 pour construire et exploiter cette autoroute. Son coût est estimé à la louche à 450 millions d’euros, dont 23 millions d’argent public. Les principaux acteurs des vives contestations de ces derniers mois ont mis en avant l’enjeu de protection de l’environnement, l’Autorité environnementale ayant émis, à l’instar du Conseil national pour la protection de la nature, un avis négatif sur ce projet. Mme Arrighi propose une mise en lumière intéressante, d’une part, sur les liens entre les décideurs publics et la société Atosca et, d’autre part, sur le montage juridique et financier du projet. Comme le déclarait dans la presse l’ancienne députée du Tarn, Linda Gourjade, l’intégralité du montage financier de cette autoroute n’a pas été obtenue par les élus au prétexte du secret des affaires. Le contrat de concession signé entre le ministère de l’écologie et le groupe Atosca est consultable en ligne, mais ses annexes financières sont protégées. Mme Gourjade ajoutait que toutes les études connues faisaient apparaître un déficit structurel de la concession qui se répercuterait sans nul doute sur les impôts des Tarnais sans favoriser le développement économique du sud du Tarn, le projet profitant d’abord à l’agglomération toulousaine.

Contrairement à mes collègues d’en face, je pense que, tout comme le combat que nous menons contre le pseudo-contournement est de Rouen, cette commission d’enquête relative aux contours du contrat de concession – et à la réalité des faits et du droit – nous permettra d’affiner nos objections à ce projet d’un autre temps.

M. le président Jean-Marc Zulesi. La parole à M. Gabriel Amard, pour une intervention à titre individuel.

M. Gabriel Amard (LFI-NUPES). Vous nous expliquez que l’on va consacrer des millions pour réaliser des zones humides de compensation. Mais la nature fait les zones humides toute seule ! La seule chose que nous pouvons faire, ce sont des zones artificielles. Des bâches en plastique avec des roseaux ne font pas une zone humide.

La représentation nationale ne doit pas s’habituer à ce qu’on lui oppose le secret des affaires pour accéder aux dispositions contractuelles. Il y a un principe supérieur au droit des affaires et à leur secret : tout élu du peuple doit pouvoir délibérer en toute connaissance de cause. C’est notre droit le plus élémentaire, y compris pour voter le budget de la nation.

Mme Christine Arrighi, rapporteure. Notre réunion n’a pas pour objet de décider de la pertinence ou non de la commission d’enquête, puisque sa création relève du droit de tirage.

Vous l’avez compris, notre commission d’enquête a également des visées quant à la question environnementale. Nous devons notamment nous assurer que les promesses de compensation seront bien tenues, qu’il s’agisse des zones humides ou des arbres. La commission s’interrogera sur le respect des plans locaux d’urbanisme, ainsi que sur tout sujet risquant de porter atteinte à la biodiversité.

L’enquête comporte aussi, avec la question du tarif, un volet social. Comment imaginer, dans un contexte de désenclavement d’un territoire pauvre, que ses habitants puissent consacrer, pour se déplacer, 20 euros par jour – et 26,50 euros pour les artisans ? Cela me semble pour le moins paradoxal. La commission d’enquête permettra de creuser et de comprendre les formules de calcul du contrat de concession, qui est bien accessible sur internet. En revanche, personne n’a pu en consulter les vingt-sept annexes, à l’exception de ceux qui les ont rédigées. Depuis le début, l’opacité du secret des affaires pèse sur ce contrat et sur ses annexes. Tout n’était pas grisé quand je les ai reçues la première fois, mais une très grande partie l’était.

Monsieur Terlier, si vous avez connaissance de toutes les informations, ce n’est certainement pas en tant que parlementaire que vous les avez découvertes. Vous dites que le secret des affaires nous a été légalement opposé. Ce n’est pas juste, puisque l’article 57 de la Lolf dispose : « Tous les renseignements et documents d’ordre financier et administratif qu’ils demandent, y compris tout rapport établi par les organismes et services chargés du contrôle de l’administration, réserve faite des sujets à caractère secret concernant la défense nationale et la sécurité intérieure ou extérieure de l’État et du respect du secret de l’instruction et du secret médical, doivent leur être fournis. » Le secret des affaires n’est pas visé par l’exception. Les parlementaires doivent avoir connaissance de ces informations, dans le cadre du contrôle des politiques publiques qu’ils exercent et dans l’exercice de leur devoir de transparence. Qui peut affirmer aujourd’hui qu’il n’y a pas de problème dans ce contrat de concession, alors que ses annexes n’ont jamais été accessibles ? Je n’en sais rien. Vous n’en savez rien. La commission d’enquête aura pour vertu de faire toute la transparence et de lever toute opacité sur ce dossier rempli de zones d’ombre.

 

La commission déclare recevable la proposition de résolution.