______
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 14 février 2024
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE visant à dénoncer le nettoyage ethnique des populations arméniennes du Haut-Karabakh par l’Azerbaïdjan
et à exiger le respect de l’intégrité territoriale de la République d’Arménie
PAR Mme Anne-Laurence PETEL
Députée
——
Voir les numéros : 2054, 2071.
SOMMAIRE
Pages
I. un conflit ancien culminant dans l’offensive azerbaïdjanaise de septembre 2023
A. Un contentieux né des aléas de l’histoire
B. une reconquÊte progressive lancÉe par l’Azerbaïdjan
1. La guerre « des quatre jours » de 2016
2. La guerre « des quarante-quatre jours » de l’automne 2020
C. L’assaut final sur le Haut-KARABAKH ET le nettoyage ethnique de sa population
II. des enjeux graves et immÉdiats pour l’avenir de l’armÉnie
A. les réfugiÉs du Haut-Karabakh : des droits qui continuent d’être niÉs
B. l’intégritÉ territoriale de l’armÉnie : des menaces qui se prÉcisent
C. l’europe et la France face au jeu des puissances rÉgionales
1. Le soutien de l’Union européenne et de la France à la République d’Arménie
2. Le jeu intéressé des puissances environnantes
III. une proposition de rÉsolution appelant À contrer l’expansionnisme de l’azerbaïdjan
1. Renforcer la coopération avec l’Arménie
2. Maintenir la pression sur l’Azerbaïdjan
3. Ne pas hésiter à recourir à l’outil des sanctions
B. les prÉcisions apportÉes par la commission des affaires europÉennes
C. Les faits nouveaux depuis le vote de la commission des affaires européennes
ANNEXE : Liste des personnes auditionnÉes par la rapporteure
La commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité, le 17 janvier 2024, une proposition de résolution européenne déposée sur le fondement de l’article 88‑4 de la Constitution ([1]) et des articles 151‑4 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale. Cette proposition de résolution vise à dénoncer le nettoyage ethnique des populations arméniennes du Haut-Karabakh par l’Azerbaïdjan et à exiger le respect de l’intégrité territoriale de la République d’Arménie.
En application de l’article 151-6 du Règlement, la commission des affaires étrangères a été saisie au fond pour examiner cette proposition de résolution, sur la base du texte légèrement amendé par la commission des affaires européennes.
Cette proposition de résolution européenne revêt une importance particulière tant la France est reconnue comme l’un des plus fidèles amis de l’Arménie, à qui l’unissent des liens très anciens. Il serait incompréhensible que l’exode forcé, en trois jours et dans des conditions dramatiques, de toute la population arménienne du Haut-Karabakh fuyant devant l’armée azerbaïdjanaise, au mois de septembre 2023, ne rencontre de la part des députés français que silence et indifférence. Rappelons que cette région était peuplée d’Arméniens depuis près de vingt‑cinq siècles. Le but premier de cette proposition de résolution européenne est donc de condamner de la manière la plus ferme l’offensive azerbaïdjanaise et ses conséquences. Si elle vise à encourager la recherche des voies pour construire demain une paix durable avec l’Azerbaïdjan, elle rappelle aussi que cette paix ne pourra être bâtie que sur la sécurité et la justice, et par conséquent sur le respect des droits des habitants du Haut-Karabakh tout comme sur l’intégrité des frontières de la République d’Arménie.
Après avoir rappelé les origines du conflit ayant abouti à l’exode de septembre 2023, la rapporteure exposera les risques graves en matière de sécurité, de souveraineté et de respect des droits de l’homme auxquels l’expansionnisme de son voisin azerbaïdjanais expose l’Arménie. Elle détaillera ensuite les grands axes de la proposition de résolution, enrichie par les travaux de la commission des affaires européennes.
I. un conflit ancien culminant dans l’offensive azerbaïdjanaise de septembre 2023
Le conflit autour du Haut‑Karabakh, si l’on peut lui trouver des origines très anciennes, plonge surtout ses racines dans l’histoire tourmentée du XXème siècle. Les premiers ébranlements de l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS), à la fin des années 1980, ravivèrent les tensions dans cette région. Le sort des armes fut d’abord favorable au Haut-Karabakh et à l’Arménie. À partir de 2016, toutefois, l’Azerbaïdjan entreprit une reconquête par étapes qui trouva son acmé dans l’offensive du 19 septembre 2023.
A. Un contentieux né des aléas de l’histoire
Une première République arménienne indépendante connut une existence éphémère au lendemain de la première guerre mondiale. Lui succéda une République soviétique d’Arménie, qui ne couvrait qu’une faible partie du territoire historique arménien. En 1922, cette République fut intégrée à la République socialiste fédérative soviétique de Transcaucasie avant de devenir, en 1936, une République socialiste soviétique à part entière.
Sur décision de Staline, alors commissaire aux nationalités, les territoires du Nakhitchevan et du Haut-Karabakh furent attribués en 1921 à la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan – avec un statut d’autonomie pour le second – alors qu’ils étaient peuplés, pour le premier, d’une moitié d’Arméniens, et pour le deuxième, d’une majorité d’Arméniens.
Dès 1988, avant même la fin de l’URSS, les habitants du Haut-Karabakh commencèrent à réclamer leur rattachement à l’Arménie. La Parlement de l’enclave vota en ce sens, vote qui fut confirmé par référendum. Cette démarche, initialement pacifique, dégénéra en conflit violent.
Après l’implosion de l’URSS, un certain nombre de Républiques socialistes soviétiques, dont l’Azerbaïdjan et l’Arménie, devinrent des États souverains. Redoutant d’être absorbé par l’Azerbaïdjan, le Haut-Karabakh proclama son indépendance le 2 septembre 1991, soit dix‑neuf jours avant la proclamation d’indépendance de la République d’Arménie. La République du Haut‑Karabakh ([2]) ne fut toutefois reconnue ni par la communauté internationale, ni par la République d’Arménie. Au contraire, par la déclaration d’Alma‑Ata du 21 décembre 1991, l’Arménie et l’Azerbaïdjan reconnurent réciproquement leur intégrité et leur souveraineté territoriales.
La première guerre du Haut-Karabakh, débutée en 1988, prit fin en 1994 avec un net avantage pour l’Arménie. Celle‑ci avait conquis un territoire important, composé de sept districts, autour du Haut-Karabakh, reliant les habitants de cette région à ceux de l’Arménie et constituant une « zone tampon » avec l’Azerbaïdjan.
Situation stratégique à l’issue de la première guerre du Haut-Karabakh
Source : Hoffner, Anne-Bénédicte. « Haut-Karabakh, les cartes pour comprendre le conflit », La Croix, 14 octobre 2020.
B. une reconquÊte progressive lancÉe par l’Azerbaïdjan
1. La guerre « des quatre jours » de 2016
En avril 2016, des combats reprirent brièvement dans le cadre d’affrontements qui restèrent connus sous le nom de « guerre des quatre jours ». Ils débutèrent le 1er avril 2016 avec des échanges de tirs entre les forces du Haut‑Karabakh et celles de l’Azerbaïdjan et durèrent jusqu’au 5 avril, date à laquelle un cessez-le-feu prit effet.
Ces combats causèrent des pertes civiles et militaires des deux côtés. Il n’y eut pas de conséquences stratégiques décisives mais le gouvernement arménien annonça néanmoins avoir perdu plusieurs centaines d’hectares.
2. La guerre « des quarante-quatre jours » de l’automne 2020
La seconde guerre du Haut-Karabakh éclata, après plusieurs mois d’escarmouches, avec des assauts terrestres lancés le 27 septembre 2020 par l’Azerbaïdjan. Celui-ci bénéficiait de l’appui de djihadistes syriens – au nombre d’environ 5 000 – provenant de la zone contrôlée en Syrie par la Turquie. La capitale Stepanakert fut, pour la première fois, bombardée. Le Haut-Karabagh décréta la mobilisation générale et instaura la loi martiale. La guerre prit fin le 9 novembre 2020 avec un accord de cessez‑le-feu négocié sous l’égide de la Russie.
Particulièrement meurtrière, cette guerre permit aux forces azerbaïdjanaises de conquérir non seulement des territoires qui étaient passés sous contrôle arménien lors du premier conflit, mais également environ deux‑tiers du Haut-Karabakh lui-même.
Aux termes de l’accord du 9 novembre 2020, l’Azerbaïdjan conservait les territoires conquis au Haut-Karabakh et prenait le contrôle de la totalité des sept districts azerbaïdjanais entourant ce territoire, d’où les forces arméniennes devaient se retirer. Les habitants du Haut-Karabakh gardaient un droit de passage vers l’Arménie par le corridor de Latchine, placé sous le contrôle d’un contingent russe d’environ 2 000 soldats pour une durée de cinq ans renouvelables.
SITUATION STRATÉGIQUE À L’ISSUE DE LA seconde GUERRE DU HAUT-KARABAKH
Source : « Haut-Karabakh : un cessez-le-feu qui chamboule les rapports de force », Libération, 10 novembre 2020.
Alors même que l’accord du 9 novembre 2020 lui était très favorable, la partie azerbaïdjanaise n’eut de cesse d’en violer les termes. Des incidents sur la ligne de contact reprirent dès 2020. L’Azerbaïdjan chercha à pousser son avantage en instrumentalisant l’accès au Haut‑Karabakh par le corridor de Latchine, unique route reliant le territoire à l’Arménie.
À compter du 12 décembre 2022, de prétendus « militants écologistes » azerbaïdjanais, profitant de l’inertie des forces russes, bloquèrent les convois à destination de Stepanakert, entravant le ravitaillement des populations civiles du Haut-Karabakh au commencement de l’hiver. À ce blocage des communications routières s’ajoutèrent des coupures de l’approvisionnement en électricité et en gaz, contraignant notamment à la fermeture des écoles. Au printemps 2023, tirant prétexte d’une saisie de biens prohibés, les autorités de Bakou mirent en place des postes de contrôle à l’entrée du couloir de Latchine et restreignirent drastiquement les conditions de passage par ce corridor, y compris pour les convois humanitaires, avant de le fermer totalement en juin.
C. L’assaut final sur le Haut-KARABAKH ET le nettoyage ethnique de sa population
Le 19 septembre 2023, les autorités de Bakou, prétendant répondre à une « attaque terroriste » contre des policiers et des civils azerbaïdjanais, lancèrent une vaste offensive, avec des tirs d’artillerie massifs, contre les positions de la République autoproclamée du Haut-Karabakh, qui furent rapidement débordées.
Près de 200 morts furent recensées en vingt‑quatre heures. Plus de 100 000 personnes – femmes, enfants, hommes et vieillards – furent jetées sur les routes de l’exode, par crainte du sort qui leur serait réservé si elles demeuraient sur place. Un cessez-le-feu fut décrété et des négociations ouvertes dès le 20 septembre. La République autoproclamée annonça quelques jours après sa dissolution, avec effet au 1er janvier 2024, décision sur laquelle elle est revenue depuis.
II. des enjeux graves et immÉdiats pour l’avenir de l’armÉnie
La proposition de résolution européenne adoptée par la commission des affaires européennes intervient dans un contexte où les enjeux pour l’avenir de l’Arménie se font chaque jour plus graves. Les droits élémentaires des anciens habitants du Haut-Karabakh tout comme les frontières souveraines de l’État arménien ne sont pas respectés. Si la France et l’Union européenne ont pris leurs responsabilités, en revanche les puissances régionales jouent chacune leur partition sans égard pour les droits et l’intégrité territoriale de l’Arménie.
A. les réfugiÉs du Haut-Karabakh : des droits qui continuent d’être niÉs
Une grande partie des déplacés du Haut-Karabakh vit aujourd’hui dans des hébergements provisoires, à Erevan ou à sa périphérie. La crainte de nouvelles agressions militaires de la part de l’Azerbaïdjan les dissuade de s’installer dans des zones frontalières. Une petite partie de ces réfugiés, estimée à 5 000 personnes, a décidé de quitter l’Arménie, notamment pour la Russie, où leur maîtrise de la langue russe et l’existence d’une diaspora leur laissent espérer pouvoir trouver du travail.
L’état psychologique de ces personnes déplacées est préoccupant, s’agissant d’une population polytraumatisée par la guerre de 2020, puis le blocus et l’offensive de septembre 2023, voire par des événements plus anciens tels que les pogroms de Soumgaït et de Bakou lors de la guerre de 1988 à 1994, sans compter l’ombre toujours présente du génocide arménien de 1915. Leur droit au retour, pourtant admis par la Cour internationale de justice le 17 novembre 2023, ne leur est évidemment pas reconnu concrètement, en l’absence de garanties concernant leur sécurité personnelle et la protection de leurs biens.
Un certain nombre de responsables civils et militaires de la République auto‑proclamée du Haut-Karabakh – au nombre sans doute de plus d’une vingtaine – sont actuellement détenus en Azerbaïdjan en vue d’être jugés. Leur sort, et les conditions procédurales entourant leurs procès, font naître les plus grandes craintes.
Par ailleurs, des témoignages commencent à apparaître, qui relatent de premières atteintes au patrimoine culturel et religieux arménien au Haut-Karabakh, dont la nécessaire protection a pourtant là aussi été reconnue par la Cour internationale de justice le 17 novembre 2023. Des croix auraient ainsi été retirées dans des cimetières. Le précédent des territoires déjà passés sous contrôle azerbaïdjanais après le 9 novembre 2020 n’augure rien de bon, pas plus que celui du Nakhitchevan où toutes traces du patrimoine arménien ont été effacées. L’organisation non gouvernementale (ONG) Caucasus Heritage Watch s’efforce de recenser les différentes atteintes au patrimoine arménien dans le cadre du conflit du Haut‑Karabakh. L’université de Durham en Angleterre documente également les destructions patrimoniales opérées depuis 2020.
Ces atteintes à l’héritage culturel et spirituel arménien sont d’autant plus blessantes que le Haut-Karabakh, où vivaient des Arméniens depuis près de 2 500 ans, revêt une grande importance symbolique pour la population arménienne. Pis encore, les autorités de Bakou tendent désormais à nier, contre toute évidence, toute origine arménienne au patrimoine du Haut-Karabakh, celui‑ci devant être attribué selon elles à un peuple dénommé les « Albanais du Caucase ».
B. l’intégritÉ territoriale de l’armÉnie : des menaces qui se prÉcisent
L’Azerbaïdjan occupe, depuis des opérations militaires menées en 2021 et 2022, une partie du territoire de la République d’Arménie sur une surface difficile à évaluer précisément mais comprise entre 140 et 200 km2. Cette occupation concerne essentiellement les régions du Gegharkunik, du Vayots Dzor et du Syunik.
Non content d’occuper illégalement ces territoires, le régime de Bakou réclame désormais l’ouverture d’un corridor extraterritorial, dit de « Zanguezour », dans le Sud de l’Arménie, pour relier l’Azerbaïdjan à son exclave du Nakhitchevan. Les autorités arméniennes ont proposé la libre disposition par l’Azerbaïdjan des voies de circulation reliant son territoire principal au Nakhitchevan, à la condition du maintien de la souveraineté arménienne sur ces voies. Cette proposition n’a toutefois pas semblé suffisante au pouvoir azerbaïdjanais. L’Iran, de son côté, a proposé qu’une telle voie de circulation reliant l’Azerbaïdjan au Nakhitchevan passe par son propre territoire ; les autorités de Bakou se sont montrées intéressées par la mise en place de cette voie, qui ne saurait toutefois pour elles que s’ajouter à celle du Zanguezour.
Plus inquiétant encore, le président Ilham Aliyev développe à présent un discours plus général sur le caractère azerbaïdjanais du territoire de l’Arménie qu’il appelle Azerbaïdjan occidental, et ne se contente plus de revendiquer le Sud dans la région du Syunik mais aussi la capitale arménienne Erevan. Les autorités arméniennes, par la voix du premier ministre Nikol Pachinian, ont pourtant à plusieurs reprises fait part de leur ouverture à la négociation d’une solution durable aux différends territoriaux et d’un traité de paix mais ces perspectives paraissent malheureusement plus éloignées que jamais. La campagne électorale en vue de l’élection présidentielle du 7 février 2024 en Azerbaïdjan n’a pas été étrangère, sans doute, à l’amplification de cette rhétorique belliciste. Il n’en reste pas moins que, comme le relève la proposition de résolution, « le risque d’une nouvelle opération militaire de l’Azerbaïdjan sur le territoire souverain de la République d’Arménie, notamment dans la région du Syunik, constitue une menace réelle et sérieuse ».
C. l’europe et la France face au jeu des puissances rÉgionales
1. Le soutien de l’Union européenne et de la France à la République d’Arménie
La France en particulier, mais également l’Union européenne, ont apporté, face à la dégradation de la situation au cours des derniers mois, un soutien sans faille à la République d’Arménie.
Une décision du Conseil de l’Union européenne du 23 janvier 2023 a donné naissance à la mission de l’Union européenne en Arménie (EUMA) ([3]). Par son déploiement du côté arménien de la frontière arméno-azerbaïdjanaise, elle vise à contribuer à la stabilité dans les zones frontalières en Arménie, à favoriser l’instauration d’un climat de confiance, à renforcer la sécurité humaine dans les zones touchées par des conflits, et à créer un environnement propice aux efforts de normalisation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Son mandat est de deux ans renouvelables.
Le 13 novembre 2023, lors du Conseil des affaires étrangères, les États membres ont évoqué la possibilité d’apporter un soutien non létal à l’Arménie au titre de la facilité européenne pour la paix (FEP). Ils se sont engagés à renforcer l’EUMA, afin que le nombre d’observateurs et de patrouilles puisse augmenter, y compris dans des zones sensibles.
L’EUMA remplit une mission particulièrement précieuse, en effectuant des patrouilles le long de la frontière avec l’Azerbaïdjan, y compris le long de la région du Nakhitchevan, et en répertoriant les incidents constatés. La portée de son travail est toutefois restreinte par le refus de l’Azerbaïdjan de lui donner accès à son territoire, ainsi que par l’absence d’accès aux zones frontalières contrôlées par les forces russes présentes sur le territoire arménien.
De son côté, la France a débloqué une aide humanitaire de 29,5 millions d’euros qui vise à répondre à l’urgence dans l’accompagnement des personnes déplacées. Cette aide est mise en œuvre par l’intermédiaire du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), des agences onusiennes, de la Croix‑Rouge arménienne, ainsi que d’ONG françaises comme Action contre la faim et Médecins du monde. Ces canaux permettent de garantir à la fois une rapidité et une transparence dans l’emploi des fonds. En outre, une aide médicale d’urgence a été débloquée, avec l’envoi de 5 tonnes de matériel médical par avion et le rapatriement à Paris de blessés graves ou de grands brûlés à la suite à l’explosion d’un dépôt de carburant à Stepanakaert le 25 septembre 2023.
2. Le jeu intéressé des puissances environnantes
À la différence de l’Union européenne et de la France, c’est un jeu intéressé et assez peu transparent que semblent jouer les puissances régionales au Caucase du Sud. L’Arménie se trouve en effet dans une position géopolitique plus que délicate. Bordée à l’Ouest et l’Est par deux États, la Turquie et l’Azerbaïdjan, avec lesquels ses frontières sont fermées, elle se trouve fortement dépendante, pour ses échanges, de la Géorgie et de la Russie, au Nord, et de l’Iran, au Sud.
La Turquie, tout d’abord, s’est engagée très fortement aux côtés de l’Azerbaïdjan. Elle lui a fourni du matériel militaire, notamment des drones d’assaut. Elle a aussi supervisé l’envoi d’environ 5 000 combattants djihadistes syriens venus épauler l’armée azerbaïdjanaise en 2020. Dès le 25 septembre 2023, le président Erdogan s’est rendu dans l’exclave du Nakhitchevan, pour célébrer la « victoire » de l’Azerbaïdjan. Alors même que les autorités turques disaient voir dans le dossier du Haut-Karabakh le principal obstacle à une normalisation des relations avec l’Arménie, le fait que ce sujet de discorde soit désormais passé, par la force des choses, n’a pas entraîné le moindre pas en avant de la part de la Turquie. Le pouvoir turc apparaît donc plus fermé que jamais à une détente envers un pays et envers un peuple dont par ailleurs il persiste à nier la réalité du génocide il y a un siècle.
Ajoutons que, dans le contexte d’une crise migratoire connaissant un regain d’actualité, la Turquie se sent manifestement en position de force face à une Union européenne qui lui verse d’importants montants financiers pour l’accueil et le maintien de nombreux réfugiés syriens sur son sol ([4]).
La Russie, pour ce qui la concerne, a déçu beaucoup d’Arméniens qui nourrissent envers elle du ressentiment, pour ne pas dire un sentiment de trahison, notamment en raison de l’inertie du contingent russe au moment de l’offensive‑éclair du 19 septembre 2023 et dans les mois qui ont précédé. Incontestablement, le soutien de la Russie à l’Arménie s’est affaibli au cours des dernières années. Les autorités de Moscou n’ont pas apprécié le rapprochement d’Erevan avec les États occidentaux opéré par le premier ministre Nikol Pachinian, ni le développement de relations de partenariat entre l’Arménie et l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) ([5]). Récemment, la décision de l’Arménie d’adhérer à la Cour pénale internationale (CPI) a été qualifiée d’« inamicale » et d’« inappropriée » par la Russie, cette juridiction étant jugée par Moscou politisée et hostile.
Dans le contexte de la guerre en Ukraine et de l’opposition entre l’OTAN et la Russie, cette dernière cherche manifestement à ménager la Turquie, allié traditionnel de Bakou, en qui elle voit un interlocuteur moins hostile que les autres membres de l’OTAN. Tout se passe comme si la Russie et la Turquie cherchaient à se partager des zones d’influence dans le Caucase du Sud en s’efforçant d’écarter au maximum les États occidentaux de la région. Rappelons aussi que la Russie et la Turquie agissent de concert en Syrie où la seconde se voit reconnaître par la première le contrôle d’une zone au Nord du pays. Vis‑à‑vis de l’Azerbaïdjan lui‑même, la Russie n’est pas en position de s’aliéner un pays à qui elle est soupçonnée de vendre une partie du gaz que celui‑ci revend.
En dépit de l’amoindrissement du soutien russe à l’Arménie, celle‑ci demeure fortement dépendante envers son puissant voisin, que ce soit pour ses approvisionnements, notamment énergétiques, ou pour les investissements dans des secteurs stratégiques tels que les transports et les télécommunications.
L’Iran, de son côté, compte tenu des sanctions internationales qui pèsent sur lui, tend à voir dans l’Arménie un axe de transit vers la Russie et un débouché commercial indispensable. La République islamique, de ce point de vue, observe avec préoccupation les visées territoriales azerbaïdjanaises dans le Sud de l’Arménie, ainsi que le guide suprême l’a d’ailleurs laissé entendre.
III. une proposition de rÉsolution appelant À contrer l’expansionnisme de l’azerbaïdjan
Adoptée par la commission des affaires européennes le 17 janvier 2024, la proposition de résolution européenne se réfère à un corpus complet et cohérent de textes français, européens et internationaux relatifs à la protection des droits de l’homme ou à la situation spécifique de l’Arménie ou du Haut‑Karabakh. Sont citées en particulier plusieurs décisions du Conseil de l’Union européenne ainsi que des résolutions du Parlement européen. Dénonçant l’attitude azerbaïdjanaise au Haut-Karabakh et proposant un certain nombre d’initiatives pour mettre un frein aux ambitions du régime de Bakou, la proposition de résolution a été complétée sur plusieurs points par la commission des affaires européennes.
L’objet premier et fondamental de la proposition de résolution est de condamner de la manière la plus ferme l’offensive azerbaïdjanaise du 19 septembre 2023, l’exode qu’elle a provoqué et les exactions commises par les troupes de l’Azerbaïdjan à cette occasion. La « stratégie délibérée d’éradication de la présence arménienne » au Haut‑Karabakh est expressément qualifiée de « processus de nettoyage ethnique ». Dans le prolongement de cette condamnation, la proposition de résolution avance une série de demandes organisées selon trois axes principaux.
1. Renforcer la coopération avec l’Arménie
La proposition de résolution invite l’Union européenne et le gouvernement français à accroître leur coopération avec la République d’Arménie, tant sur le plan civil que sur le plan militaire. Cette coopération se justifie d’autant plus que l’Arménie est l’un des rares pays du Caucase dont le fonctionnement politique et judiciaire est conforme pour l’essentiel aux critères d’une véritable démocratie. Cette coopération est d’ailleurs ancienne puisqu’un accord de partenariat et de coopération avait été conclu avec la Communauté européenne dès 1996, suivi d’un nouvel accord de partenariat global et renforcé signé le 24 novembre 2017, en marge du cinquième sommet du Partenariat oriental, et entré en vigueur en 2021. La France, de son côté, a déjà posé les premiers jalons du renforcement de cette coopération avec la conclusion, le 23 octobre 2023, d’un accord de coopération militaire.
Du point de vue civil, la proposition recommande plus particulièrement « d’accélérer les projets de coopération économique existants et de favoriser l’émergence de nouvelles coopérations, notamment dans les domaines de l’énergie et des infrastructures ». Du point de vue militaire, elle « invite l’Union européenne à accorder un soutien militaire à la République d’Arménie, notamment par l’envoi d’équipements militaires et d’armes défensives dans le cadre de la Facilité européenne pour la paix ».
2. Maintenir la pression sur l’Azerbaïdjan
La proposition de résolution évoque ensuite deux pistes à explorer pour dissuader l’Azerbaïdjan de pousser plus avant ses empiètements territoriaux en Arménie.
Elle demande, tout d’abord, « à l’Union européenne de dénoncer l’accord avec la République d’Azerbaïdjan visant à faciliter la délivrance de visas ». Certes il n’est pas exclu que certains des partenaires européens de la France, dont les liens avec l’Arménie sont moins étroits, se montrent réservés sur l’opportunité d’une telle dénonciation. Toutefois, le fait même d’engager une discussion en vue d’une remise en cause de cet accord serait de nature à inciter les autorités azerbaïdjanaises à la retenue.
En second lieu, la proposition de résolution « invite l’Union européenne à reconsidérer ses accords gaziers et pétroliers avec l’Azerbaïdjan ». Sur ce point, la position européenne est à l’évidence délicate puisque l’Union, ayant drastiquement réduit ses importations de gaz russe, a été amenée à augmenter sa fourniture auprès de l’Azerbaïdjan. D’autres sources d’approvisionnement existent néanmoins et, là encore, le fait d’engager des discussions en vue d’une révision de ces accords constituerait un levier diplomatique de nature à modérer la partie azerbaïdjanaise.
3. Ne pas hésiter à recourir à l’outil des sanctions
Aux termes de la proposition de résolution, les responsables azerbaïdjanais d’exactions « doivent faire l’objet de poursuites judiciaires et de sanctions afin que de telles pratiques ne soient pas répétées lors de conflits futurs ». Il est demandé en conséquence au Gouvernement français et à l’Union européenne « de fournir l’aide matérielle et humaine requise aux autorités judiciaires internationales afin que les responsables de ces agissements soient identifiés et traduits en justice pour répondre de leurs actes ».
Certes l’Azerbaïdjan n’est pas partie au Statut de Rome régissant la Cour pénale internationale, contrairement à l’Arménie ([6]). Ceci toutefois ne prive pas la communauté internationale de tout moyen d’action sur le plan judiciaire. Rappelons, à titre d’illustration, que le fait que la Fédération de Russie ne reconnaisse pas la compétence de la CPI n’a pas empêché cette juridiction d’émettre un mandat d’arrêt contre le président russe. Par ailleurs, l’article 689-11 du code de procédure pénale (CPP) ([7]) confère aux juridictions françaises une compétence, dite « universelle », pour connaître, sous certaines conditions, des crimes de génocide, crimes contre l’humanité, et crimes et délits de guerre commis à l’étranger, par un ressortissant étranger et à l’encontre de victimes étrangères. Cet article a servi de fondement à la plupart des procédures ouvertes en France concernant des crimes commis en Syrie à compter de 2011. La compétence tirée de l’article 689‑11 du CPP a également été mise en œuvre concernant des crimes commis au Sri Lanka, en Libye ou encore en Irak ([8]).
Pour l’avenir, si malheureusement une nouvelle « violation de l’intégrité territoriale de la République d’Arménie » se concrétisait, la proposition de résolution « appelle le Gouvernement français et l’Union européenne à envisager des sanctions économiques à l’encontre des dirigeants de la République d’Azerbaïdjan, notamment le gel de leurs avoirs dans l’Union européenne ».
B. les prÉcisions apportÉes par la commission des affaires europÉennes
La commission des affaires européennes a adopté un premier amendement ayant pour objet de rappeler expressément, dans le corps de la proposition de résolution, l’accord de coopération militaire signé le 23 octobre 2023 entre le ministre français des armées et le ministre arménien de la défense. La rapporteure souligne que la mise en œuvre de cet accord sera facilitée par la présence à l’ambassade de France à Erevan, depuis juillet 2023, d’un attaché de défense, ce qui constituait une demande de longue date des ambassadeurs en poste.
Un second amendement adopté a inséré, dans le texte de la proposition, l’expression de « déplacement forcé de population ». Cette expression est en effet importante dans la mesure où elle a une portée juridique précise. Elle figure en effet aux articles 7 et 8 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale. L’article 7 du Statut mentionne ainsi, parmi les « crimes contre l’humanité », la « déportation ou transfert forcé de population », c’est‑à‑dire « le fait de déplacer de force des personnes, en les expulsant ou par d’autres moyens coercitifs, de la région où elles se trouvent légalement, sans motifs admis en droit international », dès lors qu’il « est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile ». L’article 8, quant à lui, qualifie de « crime de guerre » le « transfert, direct ou indirect, par une puissance occupante d’une partie de sa population civile, dans le territoire qu’elle occupe, ou la déportation ou le transfert à l’intérieur ou hors du territoire occupé de la totalité ou d’une partie de la population de ce territoire ».
Un troisième amendement adopté a appelé le Conseil à ouvrir un débat relatif au déploiement en Arménie, sur le fondement de l’article 42 paragraphe 1 du traité sur l’Union européenne ([9]), d’une mission de prévention des conflits et de maintien de la paix. Cette mission pourrait prendre le relais de l’actuelle mission de l’Union européenne en Arménie (EUMA), qui n’est dotée que de moyens civils.
C. Les faits nouveaux depuis le vote de la commission des affaires européennes
Postérieurement au dépôt de la proposition de résolution et à la réunion de la commission des affaires européennes, de nouveaux éléments sont venus renforcer la réprobation très large suscitée par l’attitude de l’Azerbaïdjan. Ainsi, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) a décidé, le 25 janvier 2024, de ne pas ratifier les pouvoirs de la délégation azerbaïdjanaise, pouvoirs qui avaient été contestés le jour de l’ouverture de la session. Dans sa résolution, l’APCE « déplore que plus de 20 ans après son adhésion au Conseil de l’Europe, l’Azerbaïdjan n’ait pas rempli les engagements majeurs en découlant ». Elle note que « de très sérieuses inquiétudes subsistent quant à sa capacité à organiser des élections libres et équitables, à la séparation des pouvoirs, à la faiblesse du pouvoir législatif par rapport au pouvoir exécutif, à l’indépendance de la justice et au respect des droits humains, comme l’illustrent de nombreux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme et des avis de la Commission européenne pour la démocratie par le droit ([10]) ». S’agissant en particulier des élections, le scrutin du 7 février 2024, qui a vu la réélection du président Ilham Aliyev pour un cinquième mandat (de sept ans), avec plus de 92 % des voix (contre 2 % environ pour son principal opposant), ne peut que poser question même s’il est incontestable qu’il dispose d’un fort soutien populaire ([11]). L’APCE rappelle également un certain nombre de ses résolutions précédentes concernant notamment la situation humanitaire dans le Haut-Karabakh, le blocage du corridor de Latchine et les cas signalés de prisonniers politiques en Azerbaïdjan. La rapporteure proposera d’ajouter la mention de cette décision parmi les visas de la résolution.
Par ailleurs, le 17 janvier 2024, concomitamment à la réunion de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale, le Sénat a adopté en séance publique, sur le fondement de l’article 34‑1 de la Constitution ([12]), une résolution « visant à condamner l’offensive militaire de l’Azerbaïdjan au Haut-Karabagh et à prévenir toute autre tentative d’agression et de violation de l’intégrité territoriale de la République d’Arménie, appelant à des sanctions envers l’Azerbaïdjan et demandant la garantie du droit au retour des populations arméniennes au Haut-Karabagh ».
Le mercredi 14 février 2024, à 9 heures, la commission examine la proposition de résolution européenne visant à dénoncer le nettoyage ethnique des populations arméniennes du Haut-Karabakh par l’Azerbaïdjan et à exiger le respect de l’intégrité territoriale de la République d’Arménie (n° 2071).
M. le président Jean-Louis Bourlanges. Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle l’examen de la proposition de résolution européenne visant à dénoncer le nettoyage ethnique des populations arméniennes du Haut-Karabakh par l’Azerbaïdjan et à exiger le respect de l’intégrité territoriale de la République d’Arménie – laquelle est menacée, voire à certains égards mise en cause –, proposition de résolution européenne qui a été transmise à notre commission le 17 janvier 2024.
En application de l’article 151-6 de notre règlement, toute commission permanente compétente au fond sur une proposition de résolution européenne dispose d’un délai d’un mois, à compter du dépôt d’un tel texte pour, le cas échéant, l’examiner et déposer son propre rapport.
La question de la sécurité des Arméniens et de l’intégrité territoriale de l’Arménie, où je me suis rendu quelques jours à peine avant les événements à l’origine du texte que nous allons examiner, et qui a donné lieu à un rapport d’information publié le 18 octobre 2023, intéresse au plus haut point notre commission. Il était inenvisageable d’escamoter ce débat ou de faire fi de l’incidence et de la signification particulières du texte, qui a été adopté par la commission des affaires européennes.
Le Haut-Karabakh, territoire essentiellement peuplé de personnes d’origine arménienne – jusqu’aux événements, hélas, que j’ai évoqués –, s’était autoproclamé – cet aspect de la question détermine beaucoup de choses, notamment les relations entre la République d’Arménie et la République d’Artsakh – en sécession de l’Azerbaïdjan lors de l’effondrement de l’Union soviétique.
Une première guerre, de 1988 à 1994, a abouti à une situation d’indépendance de fait mais les autorités de l’Azerbaïdjan n’ont jamais accepté cet état des choses. Du 27 septembre au 9 novembre 2020, une offensive très dure a abouti à la reprise par la force de plusieurs districts périphériques, isolant les territoires de l’Artsakh de la République d’Arménie. Cette offensive s’est conclue par un accord dont certaines conditions n’ont pas été respectées par la République d’Azerbaïdjan, notamment la libre circulation entre l’Arménie et le Haut‑Karabakh, qui aurait dû être garantie par un couloir contrôlé par les autorités et destiné à en assurer la fluidité.
À partir de décembre 2022, un blocus inflexible a été imposé par les Azerbaïdjanais, avec la fermeture de cette seule voie de communication reliant l’Arménie au Haut-Karabakh, le désormais célèbre corridor de Latchine, en violation totale des accords conclus, les autorités russes, qui s’étaient portées garantes de la liberté de circulation entre ces deux blocs, ayant abdiqué leurs responsabilités. Le 19 septembre 2023, une dernière offensive éclair a abouti à la reconquête intégrale du Haut-Karabakh par les armées de l’Azerbaïdjan, dans des conditions terribles. En quelques jours, quelque 100 000 habitants d’origine arménienne ont dû tout abandonner, leurs terres et leurs biens, pour rejoindre l’Arménie dans des conditions d’extrême précarité pour échapper, non sans justification, à des violences annoncées et programmées au cas où ces populations auraient souhaité demeurer dans le Haut-Karabakh.
Un véritable nettoyage ethnique du Haut-Karabakh a eu lieu. Il n’a pas empêché l’Azerbaïdjan, comme je l’ai indiqué à la commission en octobre, de donner le signal de ne pas vouloir en rester là, des revendications étant proférées concernant le Sud de l’Arménie pour relier le Nakhitchevan au reste du pays.
Nous avons alors assisté à une triple mise en cause par les autorités azerbaïdjanaises. La revendication du corridor de Zanguezour met en cause la souveraineté de la République d’Arménie et pourrait couper son territoire en deux si les deux parties du territoire de l’Azerbaïdjan étaient reliées. La mise en cause de la souveraineté de l’Arménie sur les enclaves territoriales azerbaïdjanaises procède d’un renversement complet des responsabilités et de la doctrine : les Azerbaïdjanais, qui réclamaient le Haut-Karabakh au nom de leur souveraineté sur l’enclave se trouvant sur leur territoire, réclament désormais la souveraineté sur des enclaves se situant sur le territoire arménien.
La troisième remise en cause, qui affleure dans certains discours du président Aliyev, est bien plus profonde et bien plus grave ; elle consiste à dénier aux Arméniens le droit d’occuper la République d’Arménie et d’y faire vivre une culture autonome, légitimement installée dans cette partie du territoire. Il y a, en surplomb des événements, une remise en cause radicale de la légitimité des Arméniens à occuper un territoire souverain.
Grâce à l’action de la France, qui a notamment accepté de livrer des armements défensifs à l’Arménie, l’asymétrie entre les forces de cette dernière et celles de l’Azerbaïdjan a été réduite, à défaut d’atteindre la parité sur le plan militaire. Par ailleurs, grâce à l’agenda de l’Azerbaïdjan, qui s’est proposé pour organiser la 29ème convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP29) à la fin de l’année, les tensions se sont quelque peu – provisoirement et, je le crains, précairement – apaisées, le président Aliyev ayant même laissé entendre qu’il n’était pas exclu de parvenir à un traité de paix entre les deux pays. Il n’en demeure pas moins que la situation sur place reste fragile et appelle le maintien de notre vigilance.
Dès lors, nous ne pouvons que saluer l’initiative de la présidente du groupe d’amitié France-Arménie, Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure de la proposition de résolution européenne que nous examinons ce matin, et de plusieurs autres collègues, d’avoir posé les termes de ce débat.
Notre état d’esprit est le suivant : veiller à ce que la guerre ne reprenne pas et à ce que la souveraineté de la République d’Arménie ne soit pas mise en cause davantage qu’elle ne l’est déjà. Cet esprit de responsabilité nous anime et fonde nos amendements.
La tension est toujours vive et légitime entre la morale de la conviction, selon laquelle les victimes d’une situation intolérable doivent obtenir réparation, et la morale de responsabilité, selon laquelle il faut tout faire pour assurer la survie, l’indépendance et la souveraineté de la République d’Arménie.
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. Nous sommes tous fortement attachés à l’Arménie. À ce pays ami si éprouvé au cours de l’histoire, des liens forts, historiques, culturels et affectifs, nous unissent. Dans quelques jours – beau hasard du calendrier –, les époux Manouchian, héros de la Résistance française, feront leur entrée au Panthéon. Ils y entreront en tant qu’Arméniens, ce qui constitue un symbole fort de la contribution des étrangers à la Résistance française et de l’attachement des Arméniens à la France, qui les a accueillis, recueillis après le génocide de 1915. Face à l’exode forcé, en trois jours et dans des conditions dramatiques, de plus de 100 000 Arméniens du Haut-Karabakh, il serait incompréhensible que nous restions, nous députés français, silencieux et indifférents.
Plusieurs étapes ont conduit aux événements dramatiques de septembre 2023. L’offensive éclair du 19 septembre, lancée par le président Ilham Aliyev, a constitué la phase ultime d’une opération de reconquête par la force engagée par l’Azerbaïdjan.
Lors de la chute de l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS), la population arménienne du Haut-Karabakh, redoutant d’être absorbée par l’Azerbaïdjan, a proclamé son indépendance. Le conflit subséquent a tourné à l’avantage de l’Arménie, qui a conquis une portion de territoire composée de sept districts la reliant au Haut-Karabakh.
En 2016 et surtout en 2020, lors de la guerre dite de quarante-quatre jours, les Azerbaïdjanais reconquirent non seulement ces districts mais également deux-tiers du Haut‑Karabakh. Cette guerre fit des milliers de morts et de blessés. L’Azerbaïdjan y reçut l’appui de la Turquie, qui a notamment transféré 5 000 djihadistes depuis la Syrie. Un cessez‑le-feu fragile fut conclu le 9 novembre 2020. Alors même que cet accord lui était très favorable, la partie azerbaïdjanaise n’a eu de cesse d’en violer les termes.
À compter du 12 décembre 2022, de prétendus militants écologistes azerbaïdjanais, profitant de l’inertie des forces russes, bloquèrent les convois à destination de Stepanakert, qui ne pouvaient passer que par le corridor de Latchine. Ils entravèrent ainsi le ravitaillement des populations civiles au début de l’hiver. Ce blocage des communications routières a été aggravé par des coupures d’électricité et de gaz.
Au printemps 2023, les autorités de Bakou installèrent un poste de contrôle à l’entrée du couloir de Latchine et restreignirent drastiquement les conditions de passage, qui fut bloqué à partir de juillet 2023, y compris pour les convois humanitaires. En neuf mois, la nasse du régime azerbaïdjanais s’est refermée sur les hommes, les femmes et les enfants de ce territoire considéré comme ancestral par le peuple arménien.
L’opération militaire du 19 septembre paracheva cet étranglement progressif. Elle n’a pas présenté de difficulté majeure pour les forces azerbaïdjanaises, tant les forces du Haut‑Karabakh avaient été affaiblies par la guerre précédente et par le blocus imposé à partir de décembre 2022, qui ont laissé les populations sans vivres, sans médicaments et sans carburant. De surcroît, la Russie, désignée garante de la libre circulation des biens et des personnes par l’accord de cessez-le-feu de novembre 2020 et dont les 2 000 soldats devaient assurer la protection de la population, a refusé d’intervenir, laissant la population arménienne du Haut-Karabakh sans défense face à son agresseur. Sans ressources et exsangue, l’armée de défense de la République autoproclamée d’Artsakh fut contrainte à la reddition dès le lendemain de l’attaque.
La conséquence de cette opération militaire a été immédiate : ce territoire peuplé d’Arméniens a subi un nettoyage ethnique. Plus de 100 000 Arméniens du Haut-Karabakh, soit la quasi-totalité d’entre eux, ont fui en quelques jours vers la République d’Arménie voisine. Il n’en reste qu’une trentaine. Pour la première fois depuis 2 500 ans, il ne reste plus d’Arméniens au Haut-Karabakh, qui est considéré comme le berceau de la culture arménienne. Ce processus relève d’une stratégie délibérée d’éradication de la présence arménienne au Haut-Karabakh et d’un mécanisme d’effacement de la mémoire, qui provoque le départ forcé des populations ainsi que la dégradation du patrimoine culturel et religieux arménien dans les territoires passés sous contrôle de l’Azerbaïdjan, et inclut la réécriture de l’histoire. Ces faits sont documentés par des images satellites produites par l’université de Durham, en Angleterre.
L’objet premier et fondamental de la proposition de résolution est de condamner, de la façon la plus ferme, l’offensive azerbaïdjanaise du 19 septembre 2023, ainsi que l’exode qu’elle a provoqué et les exactions commises par les troupes de l’Azerbaïdjan à cette occasion. Elle traite également des enjeux d’intégration des populations réfugiées, de garantie de leur droit au retour et de préservation de leur patrimoine culturel et religieux.
Face à ce drame, la France n’est pas restée sans réaction. Au contraire, elle est aux avant-postes du soutien à cette fragile démocratie du Caucase. Notre pays a été le premier à dépêcher une aide humanitaire pour la prise en charge des blessés du Haut-Karabakh transférés en Arménie, pour l’accueil des réfugiés et pour le renforcement de cette aide à plus long terme, à titre bilatéral, ainsi que par l’intermédiaire des agences des Nations Unies et de la Croix-Rouge. La France a débloqué une aide humanitaire de 29,5 millions d’euros, auxquels s’ajoutent l’envoi de cinq tonnes de matériel médical par avion et le rapatriement à Paris de blessés graves ou de grands brûlés après l’explosion d’un dépôt de carburant à Stepanakert le 25 septembre.
Malheureusement, la volonté expansionniste d’Ilham Aliyev ne se limite pas au seul territoire du Haut-Karabakh. À la suite d’opérations militaires entamées dès 2021, amplifiées à partir de mai 2022 et qui ont culminé les 12, 13 et 14 septembre 2022, l’Azerbaïdjan occupe des pans entiers du territoire de la République d’Arménie, sur une surface comprise entre 140 et 200 kilomètres carrés.
L’ambition expansionniste du régime azerbaïdjanais prend la forme de la revendication récurrente d’un corridor extraterritorial pour relier l’Azerbaïdjan à son exclave du Nakhitchevan. Cette revendication, à laquelle s’ajoutent les propos bellicistes et anti‑arméniens dont Ilham Aliyev est coutumier, fait craindre une opération militaire visant à imposer l’ouverture du corridor du Zanguezour et s’emparer de tout ou partie du Sud de l’Arménie. Cette dernière fait preuve de bonne volonté, dans la mesure où elle ne s’oppose pas à l’usage des voies de communication avec le Nakhitchevan par les Azerbaïdjanais, dès lors que la souveraineté arménienne y demeure pleine et entière, ce qui est une demande légitime s’agissant d’un pays souverain.
Cette possibilité fait partie de l’accord de cessez-le-feu de 2020 mais la position de l’Arménie ne semble pas satisfaire l’Azerbaïdjan, toujours plus gourmand. Qu’Ilham Aliyev nourrisse une obsession expansionniste et des buts cachés est démontré par le refus de l’Azerbaïdjan de renoncer au corridor de Zanguezour au profit d’un passage proposé par l’Iran sur son territoire. Encore récemment, il a affirmé le caractère azerbaïdjanais de l’Arménie et d’Erevan.
C’est pourquoi le second objet majeur de la proposition de résolution consiste à exiger le respect de l’intégrité territoriale de la République d’Arménie.
La France, de ce point de vue, n’a pas ménagé les efforts de sa diplomatie pour amener ses partenaires à condamner plus fermement le recours à la force et ses conséquences, à défendre le principe de l’intégrité territoriale de l’Arménie et à œuvrer en faveur de la signature d’un traité de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Ses efforts pour sensibiliser ses partenaires européens ont notamment permis une implication de l’Allemagne dans la médiation, Olaf Scholz ayant assisté à certaines rencontres de négociation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
Afin d’aider la République d’Arménie à défendre son intégrité territoriale, la France a renforcé sa coopération militaire avec elle. Un accord de coopération militaire a été signé le 23 octobre dernier entre nos deux pays. Un attaché militaire de défense avait préalablement été nommé à l’ambassade de France. Une représentation consulaire a été ouverte à Goris, dans le Sud du pays, convoité par l’Azerbaïdjan. L’accord prévoit également l’envoi d’un conseiller de défense auprès du ministre arménien de la défense. Ces décisions font de la France le premier pays occidental à s’engager concrètement pour le renforcement des capacités de défense de la République d’Arménie.
Par ailleurs, la mission de l’Union européenne en Arménie (EUMA) joue un rôle très utile. Depuis février 2023, elle patrouille le long de la frontière arméno-azerbaïdjanaise du côté arménien, l’Azerbaïdjan ayant refusé qu’elle soit déployée sur son sol, pour stabiliser la situation et rassurer les populations. Cette présence, même purement civile et non armée, a certainement contribué à freiner les ardeurs de l’Azerbaïdjan. Toutefois, les heurts ont repris il y a quelques jours, provoquant la mort de quatre personnes en Arménie.
Le 13 novembre, les États membres de l’Union européenne (UE) ont décidé de renforcer les moyens humains et matériels de l’EUMA, ce qui portera bientôt à deux cents le nombre de ses membres. Lors du même Conseil européen des affaires étrangères, ils ont décidé de fournir à l’Arménie un soutien non létal au titre de la Facilité européenne pour la paix (FEP).
L’Arménie est dans une situation géopolitique délicate. Elle est bordée, à l’Ouest et à l’Est, par deux États – la Turquie et l’Azerbaïdjan – avec lesquels ses frontières sont fermées. Alliée de l’Azerbaïdjan, la Turquie ne cache guère son projet d’empire panturc. La Russie, de son côté, s’est clairement éloignée de l’Arménie, en signe de désapprobation du rapprochement d’Erevan avec les États occidentaux. Quant à l’Iran, il tend à voir dans l’Arménie un axe de transit vers la Russie et un débouché commercial indispensable. La République islamique observe avec préoccupation les visées territoriales azerbaïdjanaises dans le Sud de l’Arménie.
L’Arménie est au carrefour d’enjeux géostratégiques. Chaque puissance régionale joue sa partition, sans égards pour ses droits et sa souveraineté. Dans ce contexte, la France et l’UE doivent être au rendez-vous.
La proposition de résolution avance une série de demandes organisées selon trois axes principaux : renforcer davantage la coopération avec l’Arménie ; maintenir la pression sur l’Azerbaïdjan, notamment en dénonçant les accords relatifs aux visas et en reconsidérant les accords gaziers et pétroliers ; ne pas hésiter à recourir à l’outil des sanctions, pour punir les auteurs de crimes de guerre et saisir les avoirs des dirigeants en cas de nouvelle violation de l’intégrité territoriale de l’Arménie.
Si la proposition de résolution encourage la recherche des voies conduisant à la signature d’un traité de paix durable avec l’Azerbaïdjan, elle rappelle aussi que cette paix ne pourra être bâtie que sur la sécurité et la justice, donc sur le respect des droits des habitants du Haut-Karabakh et sur l’intégrité des frontières de la République d’Arménie.
L’Arménie est l’un des rares pays du Caucase dont le fonctionnement politique et judiciaire est très largement conforme aux critères d’une véritable démocratie. Les Arméniens ont consenti beaucoup d’efforts et ont fait preuve de courage pour se rapprocher de l’Europe et améliorer les standards de leur vie politique et de leurs institutions : leur récente adhésion, très courageuse, à la Cour pénale internationale (CPI) en offre la preuve. Il nous incombe de ne pas les abandonner à ce moment crucial de leur histoire.
Mes chers collègues, je vous appelle donc à voter cette proposition de résolution.
M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Didier Parakian (RE). Je remercie Anne-Laurence Petel, présidente du groupe d’amitié France-Arménie, de cette importante et nécessaire proposition de résolution.
Son examen nous ramène aux tragédies de l’histoire, notamment le génocide des Arméniens au début du XXe siècle. Je suis de ce peuple. Je suis un petit-fils de rescapé du génocide, comme nos collègues Sarah Tanzilli et Sébastien Delogu. Aujourd’hui, nous sommes tous des Arméniens. Cette proposition de résolution nous rappelle à nos responsabilités et à nos devoirs.
En septembre dernier, l’Azerbaïdjan a mené une offensive militaire en violation du cessez-le-feu. Dès le 21 septembre, la France a obtenu la tenue d’une réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU). Elle a demandé la cessation immédiate des exactions et la garantie de l’accès à l’aide humanitaire. La France a été le premier État à condamner avec force cette agression militaire inacceptable. Depuis l’attaque de cette région historiquement arménienne, le Haut-Karabakh a été vidé de ses 120 000 âmes, dont 30 000 enfants.
« Nous assistons impuissants à un véritable nettoyage ethnique ». Ces mots sont ceux de Hasmik Tolmajian, ambassadrice d’Arménie en France. Il s’agit d’une stratégie délibérée d’effacer la présence des Arméniens, comme en témoigne la destruction systématique du patrimoine. Plus un Arménien ne vit dans le Haut-Karabakh. Aliyev, réélu sans surprise la semaine passée, laisse entendre qu’il ne s’agit que d’un début. Hier matin, plusieurs soldats arméniens ont été tués et plusieurs autres blessés dans le Syunik, après une attaque des Azéris.
Cette proposition de résolution nous oblige. Elle nous oblige à être au rendez-vous de l’histoire. Nous devons l’adopter pour que l’Arménie, petite sœur de la France, vive en paix, dans le respect de son intégrité territoriale.
Avant d’être fusillé, Missak Manouchian écrivait à sa femme : « Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la liberté sauront honorer notre mémoire dignement ». Aujourd’hui, le peuple arménien nous demande de rester fidèles au combat de la France pour la liberté et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Je sais que la France répondra présent.
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. Nous ne pouvons qu’être d’accord avec ces propos. Je vous sais très concerné, cher collègue, en raison de votre arménité et de votre intérêt particulier pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Au Haut-Karabakh, le génocide de 1915 est une toile de fond. Ilham Aliyev et Erdogan veulent faire comprendre aux Arméniens qu’ils ne seront chez eux nulle part. Le nettoyage ethnique du Haut-Karabakh est délibéré. L’université de Durham a documenté la destruction du patrimoine, partielle ou intégrale selon les cas, au cours de la guerre des quarante-quatre jours. Le risque existe à nouveau après la guerre du 19 septembre 2023. Nous ferons en sorte, dans le cadre du groupe d’amitié que je préside, que l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) se saisisse du sujet et protège ce patrimoine.
Par ailleurs, deux ordonnances de la Cour internationale de justice (CIJ) en date des 22 février et 6 juillet ont enjoint à l’Azerbaïdjan de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la circulation sans entrave le long du corridor de Latchine dans les deux sens, conformément aux dispositions du cessez-le-feu de 2020, qui n’ont pas été respectées. Ce territoire était peuplé d’Arméniens depuis 2 500 ans ; aujourd’hui, il n’y en a presque plus un seul.
M. le président Jean-Louis Bourlanges. Enver Pacha illustre de façon significative le lien entre le génocide et le panturquisme. La menace bien réelle qui pèse sur l’Arménie procède de la volonté d’établir un territoire turc continu jusqu’à la mer Caspienne, qui était l’horizon géopolitique fondamental d’Enver Pacha lorsqu’il a déclenché ce génocide terrifiant.
M. Jérôme Buisson (RN). Il est essentiel que les mouvements politiques de notre pays unissent leurs forces dans des combats qui rassemblent les Français. À ce titre, nous saluons le fruit de l’initiative parlementaire et les efforts déployés par le Gouvernement pour venir en aide à l’Arménie.
Le soutien de la France à l’Arménie et au peuple arménien n’est pas simplement un froid combat d’intérêts. Il puise sa source dans les nombreux liens humains et culturels qui nous lient, ainsi que dans la tradition humaniste de la France et dans sa vocation millénaire de protectrice des chrétiens d’Orient.
Les populations arméniennes, qu’elles vivent à l’intérieur ou hors des frontières internationalement reconnues de l’Arménie, ont traversé d’immenses épreuves : le génocide de 1915 à 1923 ; la submersion démographique et les tensions ethniques dans les régions du Nakhitchevan et du Haut-Karabakh à l’époque soviétique ; les pogroms anti-Arméniens lors de la première guerre du Haut-Karabakh ; les trois guerres du Haut-Karabakh ; l’épuration ethnique au Haut-Karabakh et la négation de leur existence par le président de l’Azerbaïdjan, d’après lequel les Arméniens de cette région sont d’origine albanaise.
Nous nous associons à la dénonciation d’une stratégie délibérée d’éradication de la présence arménienne incluant population et patrimoine. Cela est inacceptable. Nous sommes favorables aux objectifs de la proposition de résolution et au soutien de la France à l’Arménie.
Nous avons deux regrets. L’ambition du texte a été revue à la baisse, notre président et certains membres de la majorité envisageant dans leurs amendements d’en adoucir les termes. Quant à l’appel, frénétique parmi la majorité, à un soutien militaire de l’UE, il fait fi du fait qu’il n’existe pas encore d’armée européenne et que toute politique étrangère émane d’une nation, formée d’une histoire, d’une identité et d’une culture.
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. Nos liens avec l’Arménie puisent aussi leur source dans l’histoire chrétienne, comme le rappelle Sylvain Tesson en affirmant que l’Arménie est « un éclat de nous-mêmes fiché dans l’Orient ». De nos jours, les chrétiens d’Orient et les communautés chrétiennes en général sont persécutés.
Lors des pogroms de Soumgaït et de Bakou, en 1988, des Arméniens de la République soviétique d’Azerbaïdjan ont été tués.
L’appel d’Ilham Aliyev au nettoyage ethnique du Haut-Karabakh se base sur la communauté des Albanais du Caucase, qui a réellement existé mais qui était très minoritaire.
S’agissant de l’action militaire et internationale de l’Europe, elle s’appuie sur la FEP et sur la possibilité d’envoyer des missions : l’EUMA en l’espèce, qui est très utile pour éviter les heurts à la frontière.
M. le président Jean-Louis Bourlanges. Monsieur Buisson, sachez que nous sommes ardents et que notre souci est de ne pas être seuls !
M. Sébastien Delogu (LFI-NUPES). Le 19 septembre dernier, après avoir affamé les populations du Haut-Karabakh en bloquant l’unique route vers l’Arménie, Bakou a déclenché une nouvelle attaque. Inscrite dans le cadre d’un processus de nettoyage ethnique, elle a provoqué le déplacement forcé de 110 000 Arméniens et Arméniennes, dont j’ai été témoin à Goris à la fin du mois de septembre. Depuis lors, les menaces sur l’intégrité territoriale de l’Arménie se sont intensifiées. L’Azerbaïdjan revendique toujours un corridor dans le Sud du pays. Face à cette agression et face aux menaces militaires qui pèsent sur l’Arménie, je réaffirme mon soutien plein et entier, ainsi que celui de mon groupe parlementaire, au peuple arménien et à la population du Haut-Karabakh.
Cette proposition de résolution procède d’idées que nous partageons pour la plupart. Elle condamne clairement l’attaque du 19 septembre. Elle dénonce le nettoyage ethnique odieusement mené par Bakou. Elle considère la menace qui pèse sur l’Arménie comme réelle et sérieuse. Elle appelle à en sanctionner les responsables. Nous accueillons favorablement ces mesures. L’UE peut et doit faire plus pour protéger les populations arméniennes et leur territoire historique de la menace azerbaïdjanaise.
Toutefois, si ces propositions vont dans le bon sens, d’autres soulèvent des questions. S’agissant du soutien au développement économique, l’UE est un marché vorace. Nous pouvons craindre que le « soutien au développement économique » soit avant tout un développement du marché européen qui, sans cesse, cherche à étendre son empire dans un pays qui a tant besoin de notre soutien.
S’agissant de la prise en considération des accords conclus avec l’Azerbaïdjan en matière énergétique, nous proposerons par amendement de les dénoncer pour que l’Europe ne finance pas la guerre de Bakou.
Par ailleurs, le soutien français à l’Arménie souffre de nombreuses contradictions. Madame la rapporteure, je vous ai interrogée, en commission des affaires européennes, sur l’entrée au Gouvernement de Rachida Dati, véritable relais d’influence de Bakou. Votre réponse ce jour-là, comme les siennes jusqu’à présent, n’a donné aucun gage aux Arméniens et aux Arméniennes, ni levé aucune crainte. De surcroît, comment expliquer aux Arméniens le soutien de la France au gouvernement israélien, qui est pourtant l’un des principaux partenaires militaires de l’Azerbaïdjan, alors même que la communauté arménienne à Jérusalem est confrontée à des attaques ignobles ? Il faut lever ces contradictions.
Si cette proposition de résolution est symbolique, les menaces pesant sur l’intégrité territoriale de l’Arménie sont bien réelles.
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. Les accords gaziers avec l’Azerbaïdjan ont été dénoncés verbalement et par écrit auprès d’Ursula von der Leyen, qui a qualifié Ilham Aliyev de « partenaire de confiance », ce qui a choqué les Arméniens, ainsi que nous-mêmes. Ils peuvent toutefois être considérés comme un moyen de pression sur l’Azerbaïdjan, qui est très soucieux d’avoir des rapports normalisés avec les pays européens.
Rachida Dati est membre du Gouvernement. Je la rencontrerai bientôt, à sa demande. J’ai bien l’intention d’en faire une amie de l’Arménie. J’espère y parvenir avec votre aide. Je la crois soucieuse de faire tout ce qui est en son pouvoir.
La communauté arménienne de Jérusalem est victime d’agressions répétées, dans le cadre d’une affaire immobilière dont tout n’est pas clair. Les Arméniens qui vivent là-bas sont très protégés. Le consulat général de France s’y attache et a fait part de ses préoccupations au gouvernement israélien.
M. Pierre-Henri Dumont (LR). « Je suis venu ici pour dire aussi à tous ces habitants du Haut-Karabakh, qui sont à quelques kilomètres de nous, derrière moi, que nous ne pouvons pas voir, que j’espère que, bientôt, une action européenne enfin claire nous permettra de les rejoindre. Ils ne peuvent pas nous voir, mais j’espère qu’ils nous entendront leur dire : "Vous n’êtes pas seuls. Nous sommes avec vous. Vous faites notre estime et notre admiration". Je suis aussi venu ici pour dire que l’Europe doit enfin agir, parce que le projet de M. Aliyev, que nous voyons très bien ici, est de répondre à ce qu’il appelle "la question du Karabakh" non par une réponse territoriale mais par une solution ethnique, une épuration ethnique. Ce terrorisme d’État n’a qu’un seul but : condamner les habitants de l’Artsakh au désespoir pour les contraindre à partir quand M. Aliyev l’aura voulu. L’Europe ne peut pas laisser faire. Il est temps de passer des mots aux actes et des condamnations aux sanctions, et de sanctionner ceux qui se rendent coupables de ces actes graves qui enfreignent le droit international et les principes humanitaires les plus élémentaires. Vous avez le droit de vivre sur votre terre car c’est bien de votre terre qu’il s’agit. Vous ne voulez rien d’autre que la paix et vous avez le droit à la paix. Vous voulez la justice et vous aurez la justice. »
Ces mots sont ceux prononcés il y a un an, le 13 février 2023, dans la région du Syunik, aux portes du corridor de Latchine, par François-Xavier Bellamy, dont chacun connaît l’engagement sans faille auprès des Arméniens, partagé par les élus et les membres des Républicains, lors de son deuxième déplacement sur place depuis la guerre des quarante‑quatre jours. Les événements de septembre dernier ont, hélas, donné raison à son analyse clairvoyante. Depuis lors, le Haut-Karabakh s’est vidé de ses habitants, chassés par le dernier coup de force des soldats azerbaïdjanais.
Dans ce cadre dramatique, cette proposition de résolution européenne, que nous avons adoptée en commission des affaires européennes le 17 janvier, est la bienvenue.
Madame la rapporteure, je regrette que vous n’ayez pas proposé aux membres des autres groupes que le vôtre de la cosigner, ce qui lui aurait donné plus de poids et aurait exprimé clairement le soutien dont bénéficient les populations du Haut-Karabakh dans notre Assemblée. Je salue néanmoins le travail et l’abnégation qui sont les vôtres. Ils s’inscrivent dans les pas du soutien continu et historique de notre pays et de notre diplomatie à nos frères arméniens.
Trois points de la résolution sont particulièrement importants pour les membres du groupe Les Républicains : l’appel à envisager des sanctions économiques à l’encontre des dirigeants de l’Azerbaïdjan ; l’appel à l’UE à reconsidérer ses accords gaziers et pétroliers avec l’Azerbaïdjan ; l’appel au soutien militaire à la République d’Arménie.
Par-delà les constats et les condamnations nécessaires et souhaitables, ces demandes concrètes constituent une réelle avancée concernant la défense de l’intégrité territoriale de l’Arménie au sein de l’Assemblée nationale. La situation sur place reste particulièrement instable, comme en témoigne l’incident survenu à la frontière hier matin, qui a coûté la vie à quatre soldats arméniens. Notre message à l’Azerbaïdjan doit être clair : nous n’accepterons pas que ce pays s’en prenne à la souveraineté territoriale de son voisin arménien. En aucun cas la région du Syunik ne doit constituer la prochaine proie du président azerbaïdjanais.
Les membres du groupe Les Républicains voteront la proposition de résolution.
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. J’aborderai les points que vous soulevez lors de l’examen des amendements.
Je précise juste que je n’ai pas demandé aux autres groupes de cosigner la proposition de résolution car je n’ai été que tardivement informée de la possibilité de la déposer en commission des affaires européennes.
Mme Laurence Vichnievsky (Dem). Le 19 septembre 2023, trois ans après la guerre des quarante-quatre jours, le président Aliyev a lancé une opération militaire d’ampleur contre les Arméniens du Haut-Karabakh. Cette situation menace l’intégrité territoriale de l’Arménie et met en péril sa population. Ensemble, nous devons envoyer un message clair selon lequel la France et l’Europe ne toléreront ni ces actes de violence, ni le nettoyage ethnique en cours.
À cet égard, cette proposition de résolution européenne appelle l’Europe à prendre les mesures nécessaires pour garantir l’intégrité territoriale de la République d’Arménie, en envisageant des sanctions contre les dirigeants de l’Azerbaïdjan en cas de violation de ces mesures et en développant les échanges de coopération et de défense avec la République d’Arménie. Lors de son examen en commission des affaires européennes, elle a été adoptée à l’unanimité, ce dont nous nous félicitons.
Le groupe Démocrate estime qu’il est essentiel de conserver une approche équilibrée entre les menaces de sanction et les incitations à la négociation en vue d’un règlement définitif des contentieux bilatéraux. Nous défendrons plusieurs amendements en ce sens. Il importe de faire prévaloir une forme de menace incitative vis-à-vis des autorités de l’Azerbaïdjan, pour les inciter à négocier un traité de paix avec la République d’Arménie. Il est de la responsabilité de notre commission d’encourager cette perspective, si incertaine soit‑elle.
Le groupe Démocrate votera la proposition de résolution européenne.
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. S’agissant de la signature d’un traité de paix, la France a été aux avant-postes des jalons diplomatiques visant, en 2022 et en 2023, à réunir l’Azerbaïdjan, l’Arménie, la Russie et les États-Unis, ainsi que d’autres pays européens, autour de la table. À Chisinau notamment, Olaf Scholtz était aux côtés d’Emmanuel Macron, ce qui était un bon signal, dans la mesure où les autres pays de l’UE ne montraient guère d’empressement concernant la diplomatie dans le Caucase et le soutien à l’Arménie. Celle-ci est pourtant, depuis 2018, sur le chemin de la démocratie. En tant qu’Européens, en tant que Français, nous devons soutenir les valeurs de la démocratie, que nous avons en commun avec l’Arménie.
Depuis septembre 2023, la position de l’UE sur l’Arménie a radicalement changé. Il faut faire encore mieux.
Nous encouragerons la signature d’un traité de paix mais l’Azerbaïdjan, depuis le mois de septembre, se replie sur lui-même et refuse toute médiation internationale. Il veut bien conclure un traité de paix mais dans un rapport de force favorable, donc dans un cadre bilatéral, avec l’Arménie ou avec la Russie, qui a laissé tomber l’Arménie pendant la guerre du Haut-Karabakh, excluant toute présence des Américains ou des Européens, notamment des Français.
M. le président Jean-Louis Bourlanges. Lors des opérations dans le Haut‑Karabakh, nous étions isolés dans l’UE pour voler au secours de l’Arménie et n’en avions pas les moyens. Nous n’avions avec nous que la Grèce et Chypre. Nous avons consenti, les uns et les autres, des efforts considérables pour élargir le cercle. L’Allemagne, les pays baltes et certains pays scandinaves sont désormais plus sensibles qu’ils ne l’étaient à la cause arménienne.
M. Alain David (SOC). La France en particulier et l’UE dans son ensemble ont apporté un soutien sans faille à la République d’Arménie. C’était la moindre des choses, comme dans le cas de l’agression russe en Ukraine. La question du droit international et du respect de l’intégrité territoriale des États dépasse celle des frontières et du maintien de la paix. Elle constitue un enjeu d’ordre international. Soit ces conflits trouvent une issue négociée et respectueuse de l’ordre juridique, soit les États belliqueux et impérialistes l’emportent, entraînant avec eux de nombreux pays dans l’illusion d’une nouvelle donne internationale faite de force, de violence et d’instabilité. Cela serait la fin du multilatéralisme et du respect des droits.
Le groupe Socialistes et apparentés soutient la proposition de résolution européenne. Elle ne suffira certainement pas, malheureusement, à prévenir le risque d’une nouvelle opération militaire de l’Azerbaïdjan sur le territoire souverain de la République d’Arménie. Qui plus est, la Russie, jusqu’alors alliée de son ancienne République socialiste, n’apprécie pas – c’est un doux euphémisme – le rapprochement opéré par le premier ministre Pachinian avec les États occidentaux en général et européens en particulier. Elle pourrait brouiller encore davantage la situation, déjà complexe en raison des arrière-pensées turques et iraniennes.
Quelles autres initiatives diplomatiques pourraient être prises par la France ?
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. Je laisse à Stéphane Séjourné, que nous auditionnerons tout à l’heure, le soin de répondre à cette question. Il connaît bien la situation et a rencontré son homologue il y a quelques jours. Le soutien de la France est évident et indéfectible.
Pour être fort, il faut être plusieurs. Nous ne pouvons pas agir seuls. Il importe d’avoir d’autres pays européens autour de nous pour soutenir l’Arménie. Dans le cadre du groupe d’amitié, nous allons créer un intergroupe des groupes d’amitiés européens, pour que tous les parlementaires engagés auprès de l’Arménie puissent acculturer leurs collègues à la situation et les amener à soutenir la démocratie arménienne.
M. Jean-François Portarrieu (HOR). À la chute de l’URSS, les Arméniens du Haut-Karabakh ont demandé leur rattachement à l’Arménie et proclamé leur indépendance. Des milliers de leurs compatriotes les avaient rejoints sur le plateau du Haut-Karabakh pour fuir les violences ethniques de Bakou. Depuis lors, la situation n’a cessé de se dégrader. Le 30 novembre 2022, l’Assemblée nationale a enfin adopté une résolution dénonçant l’agression de l’Azerbaïdjan envers l’Arménie et visant à établir une paix durable dans le Sud du Caucase. Malheureusement, dix-huit mois plus tard, la situation demeure préoccupante.
L’Azerbaïdjan a ignoré les injonctions de la Cour internationale de justice, d’abord en pérennisant un blocus du Haut-Karabakh aggravant la situation humanitaire de ses habitants, puis en procédant à un véritable nettoyage ethnique. Il est responsable de nombreuses violations des droits de l’Homme dans l’Artsakh et ses dirigeants menacent, par leur discours belliqueux, l’intégrité territoriale de l’Arménie.
La réponse de la France et de l’Europe doit être unifiée et ferme. Elle doit consister d’abord en l’instauration de sanctions ciblées contre les responsables azerbaïdjanais directement impliqués dans les violations du cessez-le-feu, ensuite en une réévaluation profonde des relations entre l’Europe et l’Azerbaïdjan visant à réduire notre dépendance énergétique et à adopter une approche concertée en amont des grands événements internationaux qui auront lieu à Bakou, notamment la COP29.
À brève échéance, la France et l’Europe doivent redoubler d’efforts pour garantir une aide humanitaire aux Arméniens, venir en aide aux populations déplacées et renforcer nos partenariats économiques et militaires avec l’Arménie. L’UE doit également agir à l’échelon international pour que des enquêtes sur les atteintes aux droits de l’Homme aboutissent et pour protéger, avec l’UNESCO, le patrimoine culturel arménien du Haut-Karabakh.
Le groupe Horizons et apparentés votera avec détermination la proposition de résolution européenne.
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. En 1991, lors de la dislocation de l’URSS, le Haut-Karabakh a fait le choix d’une République autoproclamée trois semaines avant la déclaration d’indépendance de la République d’Arménie. La situation actuelle est un héritage non seulement de 1920 mais aussi de cette période.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). L’Arménie, la Palestine, le Sahara occidental, la République démocratique du Congo, le Soudan, parmi d’autres territoires, méritent le soutien de la France et de notre commission.
Cette proposition de résolution s’inscrit à contre-courant de l’évolution récente des relations entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Tous les nettoyages ethniques sont à dénoncer, et nous faisons bien de le faire pour l’Arménie. Mais le 7 décembre dernier, l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont adopté une déclaration conjointe pour « réaffirmer leur intention de normaliser leurs relations et de parvenir à un traité de paix sur la base du respect des principes de souveraineté et d’intégrité territoriale ». Dans ce cadre, les deux pays ont échangé des prisonniers et l’Arménie a retiré, au profit de l’Azerbaïdjan, sa candidature à la présidence de la COP29.
Le 14 décembre, l’Arménie a approuvé le règlement intérieur de l’organisation qui mettra en œuvre les réunions visant à délimiter les frontières entre les deux États. Ainsi, les choses bougent. Les deux États appellent même « la communauté internationale à soutenir leurs efforts pour améliorer la confiance mutuelle entre les deux pays ».
Si la proposition de résolution permet de dénoncer de potentiels crimes de guerre sur lesquels il faudra impérativement revenir, dans le cadre d’une démarche que nous soutenons, nous nous interrogeons sur son opportunité, dans la mesure où elle a été déposée en janvier, après le rapprochement des deux pays. Ne porterait-elle pas atteinte aux efforts qu’ils ont déployés ?
Hormis le fait qu’elle ouvre un débat à contretemps, la proposition de résolution comporte trois points, numérotés 18, 14 et 13, qui nous intriguent. S’agissant du point 18, qui appelle à dénoncer l’accord entre l’UE et l’Azerbaïdjan visant à faciliter la délivrance de visas, nous sommes opposés à la volonté de criminaliser tout un peuple en lui appliquant des sanctions collectives. Si des sanctions doivent être appliquées, elles ne doivent pas viser les peuples. Les points 13 et 14 appellent à l’intensification de la coopération économique entre l’UE et l’Arménie, comme si l’on préparait le terrain à de futurs accords de libre-échange avec l’Arménie – chacun sait ce que nous pensons de ce type d’accords – et à un accord de vente d’armes.
Par ailleurs, plusieurs de nos collègues ont évoqué Missak Manouchian, membre des FTP-MOI (Francs-tireurs et partisan – Main-d’œuvre immigrée). Ce travailleur immigré était, dans sa vie militante, épris de paix. Il a toujours œuvré pour que la paix et la liberté gagnent dans notre pays, devenu le sien. Il ne faut pas lui faire dire ce qu’il n’a pas dit.
Le groupe GDR-NUPES s’abstiendra.
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. La proposition de résolution n’est pas à contre-courant.
Des échanges de tirs ont eu lieu avant-hier dans une région occupée par l’Azerbaïdjan. Je rappelle qu’un État en occupe un autre, dont les frontières souveraines ont été reconnues internationalement, sur une superficie comprise entre 140 et 200 kilomètres carrés. Nous avons vu les positions de l’Azerbaïdjan en Arménie en avril dernier, à la jumelle, avec la ministre Catherine Colonna et avec l’EUMA, qui les connaît bien. L’Azerbaïdjan refuse de les évacuer car elles surplombent des villes et des villages, ce qui offre la possibilité de les menacer en permanence. C’est bien tout le problème : un État en menace un autre en permanence ; avant-hier, cela a coûté la vie à quatre Arméniens.
S’agissant de la COP29, un accord a été obtenu pour que l’Arménie récupère ses prisonniers. Trente-deux prisonniers sont rentrés en Arménie en échange du retrait de sa candidature, au profit de celle de l’Azerbaïdjan, à la présidence de la COP29. Le rapport de force étant depuis longtemps inégal en matière économique, démographique et militaire, les négociations ne se déroulent pas dans un équilibre parfait. Des tierces puissances, telles que la France, l’UE et les États-Unis, sont nécessaires aux négociations de paix, auxquelles Ilham Aliyev souhaite donner un cadre dépourvu de toute médiation internationale.
La coopération économique concerne les infrastructures. L’Arménie a besoin d’infrastructures, notamment d’une deuxième centrale nucléaire pour remplacer la première, qui est en fin de vie. Elle a besoin d’une route Nord-Sud. Elle a besoin d’installations photovoltaïques. Veolia y est installée et coopère avec l’Arménie en matière d’infrastructures. Tel est l’objet de l’appel à une coopération accrue de l’UE et des États membres avec l’Arménie. Les carences de l’Arménie en infrastructures la placent sous la dépendance d’États comme la Russie, s’agissant notamment de l’énergie et des infrastructures ferroviaires.
M. Bertrand Pancher (LIOT). Notre groupe, comme les autres, soutient les 100 000 réfugiés qui fuient le Haut-Karabakh pour l’Arménie depuis septembre. Coprésidente du groupe de Minsk, la France doit être suffisamment impartiale pour jouer son rôle de médiateur. Les opérations azerbaïdjanaises dans le Haut-Karabakh nous placent devant nos responsabilités, d’autant que la Russie, jadis intermédiaire entre les parties, est devenue l’alliée de l’une d’elles. Comment ne pas être préoccupés par le sort de l’Arménie ?
Nous agissons par le biais de notre aide humanitaire, de nos rencontres fréquentes avec les membres du gouvernement d’Erevan et de notre soutien indéfectible au rapprochement du pays avec l’UE. Certes, on peut s’agiter en proclamant que la diplomatie relève de la souveraineté, il n’en demeure pas moins que notre économie, notre géographie et, par conséquent, notre politique sont européennes. Les importations de gaz azerbaïdjanais vers l’UE n’ont fait qu’augmenter depuis l’agression de l’Ukraine. Notre dépendance vis-à-vis de Moscou s’est certes réduite mais tout cela nous lie les mains au sujet du Haut-Karabakh. Au demeurant, le Conseil européen est toujours incapable de s’accorder sur un régime de sanctions.
Je salue la clairvoyance de cette proposition de résolution, qui rappelle que le gaz de Bakou n’est pas magique. Toutefois, il est nécessaire de reconsidérer les accords d’approvisionnement avec l’Azerbaïdjan. Comme toujours, l’absence de souveraineté énergétique européenne pèse sur la crédibilité de notre action géopolitique. Nous soutenons sans réserve l’appel de cette proposition de résolution à renforcer l’aide humanitaire et l’EUMA, de même que la demande de retour des réfugiés du Haut-Karabakh.
Le soutien militaire à l’Arménie est en bonne voie. Sébastien Lecornu a signé en novembre, avec son homologue arménien, un contrat d’aide militaire. À ce sujet, où en est la demande de la France d’ouvrir la FEP à Erevan ? Les grandes puissances parviendront-elles à créer les conditions d’une paix durable dans le Caucase, que notre groupe appelle de ses vœux ? Nous constatons que la question territoriale du Haut-Karabakh sert de variable d’ajustement dans la région depuis cent ans, et nous craignons qu’il en soit de même pour la région azérie isolée du Nakhitchevan à l’avenir.
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. La France est impartiale. En soutenant l’Arménie, elle soutient un pays agressé, exprime le souhait que le droit international soit respecté et rappelle à l’Azerbaïdjan qu’il doit l’être.
La Russie est un allié objectif de l’Azerbaïdjan, qui nous fournit le gaz que nous n’achetons plus aux Russes. La Russie a ouvert un conflit avec l’Ukraine et en ouvre d’autres un peu partout. Elle a clairement lâché l’Arménie. Les 2 000 soldats russes stationnés au Haut-Karabakh n’ont pas levé le petit doigt quand la guerre de 2020 a été déclenchée. Ils ont décidé de l’arrêter après quarante-quatre jours de conflit.
Les contrats gaziers, certes, me dérangent, car on ne peut pas considérer qu’ils ne sont pas défavorables à l’Arménie. Peut-être devons-nous les considérer autrement et en faire un levier ? La Hongrie, l’Italie et la Roumanie en dépendent ; pas la France. Le gaz azerbaïdjanais est absent des importations françaises, mais représente 60 % de l’approvisionnement de l’Italie. Il est donc difficile, pour l’UE, d’adopter une position commune à leur sujet.
S’agissant de l’accès de l’Arménie à la FEP, il faut poser la question à Stéphane Séjourné, qui vient d’être nommé ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Catherine Colonna, qu’il remplace, a obtenu que le Conseil européen des affaires étrangères d’octobre 2023 décide d’ouvrir la FEP à l’Arménie et de porter les effectifs de l’EUMA à 200 membres, ce qui doublera les capacités de patrouille le long de la frontière.
Mme Véronique Besse (NI). Je me réjouis que notre commission consacre ses travaux de ce jour à la situation du Haut-Karabakh, consécutive à l’offensive militaire de l’Azerbaïdjan en septembre dernier. La situation tendue à la frontière arménienne exige une implication forte de la France et de l’UE. Il faut impérativement renforcer notre coopération civile et militaire avec l’Arménie.
Nicolas Dupont-Aignan et moi-même soutiendrons la proposition de résolution si elle permet des actes concrets, efficaces et utiles pour assurer l’intégrité du territoire arménien et la condamnation des actes commis par l’Azerbaïdjan au Haut-Karabakh, notamment le transfert forcé de populations en septembre dernier, les crimes perpétrés sur place et la destruction du patrimoine culturel arménien.
Dans cette perspective, le point 4 de la proposition de résolution est essentiel. La France doit être aux côtés de l’Arménie pour affirmer que l’Azerbaïdjan met en œuvre un processus intentionnel de nettoyage ethnique au Haut‑Karabakh. Il est urgent de le dire aujourd’hui et de ne pas attendre cent ans qu’une loi mémorielle reconnaisse cette stratégie délibérée d’éradication des Arméniens.
S’agissant des arrestations illégales, je soutiens pleinement l’appel à la mobilisation de la France et de l’UE pour libérer les personnes concernées.
Concernant le point 17, qui appelle à des sanctions en cas de violation du territoire arménien, je m’étonne que l’on attende que l’Azerbaïdjan commette de nouvelles infractions pour le sanctionner. Réélu avec 92 % des voix, le président de l’Azerbaïdjan est doté d’un blanc-seing à son expansionnisme agressif. Je soutiens tout particulièrement le point 21, qui appelle à la publication des rapports sur l’occupation illégale du territoire arménien par l’Azerbaïdjan. Qu’attendons-nous pour publier les preuves de ses violations répétées du droit international ?
Je soutiens de tout cœur l’intensification du soutien humanitaire en Arménie. Les besoins actuels par réfugié s’élèvent à environ 8 000 euros d’après le Fonds arménien de France. Une aide humanitaire d’ampleur s’impose.
Concernant l’appel au déploiement d’une mission de prévention des conflits et de maintien de la paix, il faut renforcer notre soutien militaire et assurer une présence sur le terrain d’une mission de maintien de la paix française et européenne de type onusien. Il faut permettre à très court terme l’envoi d’armes défensives à l’Arménie car une paix ne verra le jour que si l’Arménie peut la faire respecter en défendant ses frontières. À défaut, elle sera acculée à une capitulation totale. L’Europe doit accorder un soutien militaire tangible à notre allié arménien. Cette proposition de résolution permettra-t-elle d’appeler au lancement d’une mission militaire similaire à celle de la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL) ?
S’agissant du point 17, pourquoi ne pas appeler dès à présent à des sanctions économiques contre l’Azerbaïdjan, notamment en raison des attaques de septembre ? Tel qu’il est rédigé, le point 17 suggère qu’il faut attendre une prochaine agression.
S’agissant des accords énergétiques, je m’étonne du caractère modéré de leur dénonciation. Pourquoi « reconsidérer les accords gaziers et pétroliers » plutôt que les dénoncer ? Comment aider l’Arménie face aux agressions continues si nous nourrissons financièrement son oppresseur ?
Nicolas Dupont-Aignan et moi-même soutiendrons la proposition de résolution si elle s’applique à démontrer une position ferme de la France aux côtés de l’Arménie. Nous devons être sans équivoque face à l’Azerbaïdjan et accompagner par des actes concrets de soutien notre allié arménien.
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. J’ai déposé un amendement visant à compléter la résolution en y intégrant un appel à l’évacuation des territoires occupés par l’Azerbaïdjan. Si les sanctions sont prévues en cas de nouvelle agression, c’est pour en assurer la gradation. Il ne faut pas abattre toutes ses cartes d’un coup.
S’agissant des accords gaziers, nous discuterons d’une action commune dans le cadre du groupe d’amitié.
Concernant l’aide humanitaire, le besoin de logements est énorme. Je félicite le gouvernement arménien d’avoir pris à bras-le-corps les problèmes soulevés par l’afflux de 100 000 réfugiés, ce qui est considérable pour un pays de 3 millions d’habitants. Pourtant, il l’a fait. Au lendemain du 19 septembre, chaque réfugié du Haut-Karabakh avait un toit au‑dessus de la tête. Tous ont été logés, non sous tente mais dans des écoles et des hôtels réquisitionnés. À présent, il leur faut un logement pérenne. S’agissant d’un petit pays, l’aide de l’UE est nécessaire, d’autant qu’il y va de la stabilité politique de l’Arménie.
La France et l’Inde ont fourni des armes défensives. En la matière, la France a joué un rôle pionnier. Il appartient aux autres pays de suivre son exemple.
M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous en venons à présent aux interventions des autres orateurs.
Mme Sarah Tanzilli (RE). Cosignataire de la proposition de résolution, j’aimerais éclairer nos débats en évoquant un Azerbaïdjanais de 28 ans, Mahammad Mirzali. Il vit en France, sous haute protection policière car c’est un miraculé. Pour avoir dénoncé courageusement le régime de Bakou, il a fait l’objet de plusieurs tentatives d’assassinat sur le territoire national, dont une, en pleine rue, de seize coups de couteau. Tout porte à croire que ces tentatives d’assassinat ont été commanditées de Bakou.
Quant aux prisonniers politiques arméniens capturés en septembre – Arayik Haroutiounian, Bako Sahakian, Davit Ichkhanian ou Ruben Vardanian, pour ne citer qu’eux – leur crime est d’avoir été président, député ou ministre de la République autoproclamée d’Artsakh. Si le régime d’Ilham Aliyev est prêt à porter seize coups de couteau à un jeune homme de 28 ans en plein jour dans les rues de la République, nous ne pouvons que nous inquiéter de ce qui peut arriver à ces hommes dans le silence des geôles de Bakou.
Les réactions vont du meilleur au pire, de la décision de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) d’exclure pour un an l’Azerbaïdjan du Conseil de l’Europe au financement d’éoliennes dans la mer Caspienne ou au tweet de Charles Michel félicitant Ilham Aliyev après sa victoire dans un simulacre d’élection. Par cette proposition de résolution, l’Assemblée nationale établit un référentiel de mesures à adopter pour dénoncer cette politique. Je m’en réjouis. J’espère surtout que nous saurons collectivement passer aux actes.
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. J’espère que nous aurons l’occasion d’auditionner M. Mirzali. Il le mérite, compte tenu des menaces qui pèsent sur lui. Par ailleurs, l’APCE a en effet refusé, le mois dernier, de ratifier les pouvoirs de la délégation azerbaïdjanaise.
Quant au tweet de Charles Michel, faut-il en parler ? Je le passerai sous silence, tant j’en ai eu honte.
Mme Nadège Abomangoli (LFI-NUPES). Notre groupe soutient le peuple arménien face à l’Azerbaïdjan.
Si nous souscrivons aux objectifs de la proposition de résolution, nous nous interrogeons sur sa portée. En effet, plusieurs contradictions traversent les diplomaties française et européenne.
En juillet 2022, l’UE a signé un accord gazier d’envergure avec l’Azerbaïdjan. Le 5 octobre 2023, le Parlement européen a demandé une suspension de cet accord, sans effet. Emmanuel Macron considère que le temps n’est pas aux sanctions et qu’il faut continuer à discuter avec l’Azerbaïdjan. Certes, il faut saluer la désescalade des tensions diplomatiques mais il faut garder des moyens de pression. Le maintien des accords gaziers donne l’impression opposée. Par ailleurs, nous siégeons, au sein du commandement intégré de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), avec la Turquie, qui a fourni des mercenaires syriens au régime de Bakou lors des précédentes offensives au Haut-Karabakh.
Comment dépasser ces contradictions et rester cohérents dans le soutien au peuple arménien ?
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. Certes, soutenir l’Arménie sans dénoncer les accords gaziers conclus avec l’Azerbaïdjan peut sembler contradictoire. Je note toutefois avec satisfaction que l’attitude de l’UE a changé depuis septembre 2023, grâce à la diplomatie française.
Ces accords me gênent et gênent beaucoup de monde mais ne m’empêchent pas de demander à l’UE, dans cette proposition de résolution, des mesures positives pour l’Arménie. Avec les nombreux membres du groupe d’amitié France-Arménie, nous agirons collectivement à propos des accords gaziers.
M. Alexis Jolly (RN). La Turquie du président Erdogan est entrée dans une phase impérialiste d’inspiration néo-ottomane, visant à recréer un pôle d’influence turcophone et islamiste en Asie centrale. L’agression azerbaïdjanaise contre l’Arménie n’aurait pas eu lieu si Bakou ne disposait pas de l’accord, ainsi que de l’appui logistique et stratégique de son parrain turc.
Ce débat est centré sur le Haut-Karabakh et sur les exactions dont sont victimes les populations locales. Celles-ci s’inscrivent dans la volonté de la Turquie de rétablir l’influence ottomane sur le Moyen-Orient et le leadership turc sur le monde musulman, contesté par l’Égypte et par l’Arabie saoudite et gravement mis en péril par les accords d’Abraham.
Pourquoi cette question, centrale dans le débat sur l’Arménie, est-elle peu évoquée ? Pourquoi les reproches légitimes exprimés par cette résolution ne sont-ils pas adressés aussi à la puissance turque, dont le vassal azerbaïdjanais sert les intérêts géostratégiques panturcs ?
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. La proposition de résolution aborde brièvement le rôle de la Turquie. En 2020, le commandement des troupes azerbaïdjanaises était assuré par des militaires turcs et la Turquie a permis à 5 000 djihadistes de soutenir et d’appuyer la puissance azerbaïdjanaise.
Une tentative de normalisation des relations entre l’Arménie et la Turquie est en cours. La Turquie a fait du règlement de la question du Haut-Karabakh une condition de ce processus. Ce règlement, si l’on peut l’appeler ainsi, a eu lieu le 19 septembre 2023, sans que les relations entre l’Arménie et la Turquie ne soient normalisées, même si les négociations se poursuivent.
M. Nicolas Dupont-Aignan (NI). L’Azerbaïdjan se croit au-dessus de tout, comme en témoignent les menaces et les attaques, y compris sur notre territoire, visant un opposant. Il bénéficie d’un double soutien, celui de la Turquie et la forte ambiguïté – en langage diplomatique – de M. Charles Michel et de Mme von der Leyen, qui a eu des propos ahurissants lors de la signature des accords gaziers.
On ne peut pas faire croire que l’on va agir contre un pays dont on est complice, comme en témoignent les excellentes relations entre son président, Mme von der Leyen et M. Michel. Je ne vois pas comment on peut, d’un côté, affirmer défendre l’Arménie et, de l’autre, être en parfait accord avec ceux qui soutiennent, de fait, l’Azerbaïdjan.
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. L’expression « partenaire fiable » employée par Mme von der Leyen à l’endroit d’Ilham Aliyev a beaucoup choqué. Nous l’avons rencontrée, à notre demande, le 7 octobre 2023 à Bordeaux. Elle a pris note de nos préoccupations à propos des prisonniers et nous a rassurés sur certains points.
Charles Michel prend part aux négociations. Je regrette qu’il ait félicité Ilham Aliyev d’avoir remporté à près de 93 % une élection qui n’a rien de démocratique. L’UE doit être aux côtés de pays démocratiques et défendre les valeurs de la démocratie. La résolution adoptée par le Parlement européen à la quasi-unanimité le 5 octobre 2023 demande notamment que la diplomatie européenne dans le Caucase du Sud soit intégralement changée.
M. le président Jean-Louis Bourlanges. Pour paraphraser Jacques Chirac, que celui qui n’a jamais dit une bêtise se lève !
Mme Liliana Tanguy (RE). Je fais partie des parlementaires qui ont voté l’exclusion de l’Azerbaïdjan de l’APCE. Je soutiens cette proposition de résolution, qui constitue un premier pas vers la condamnation du nettoyage ethnique auquel il se livre. Il est impératif que les responsables rendent des comptes et que l’Europe continue à agir. De nouvelles tensions ont surgi entre les deux pays. Hier, l’Arménie a annoncé la mort de quatre de ses soldats, tués par des tirs azerbaïdjanais à la frontière entre les deux pays. Cet incident mortel, le premier depuis la reprise des pourparlers à l’automne, pourrait compromettre les discussions en cours.
Comment envisager un accompagnement international et indépendant pour caractériser les violations des droits de l’Homme dans le Haut-Karabakh et traduire en justice les responsables ? Quel rôle la France peut-elle jouer pour accompagner l’Arménie vers une solution pacifique en apaisant les tensions régionales ?
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. Il y avait un Défenseur des droits au Haut-Karabakh et il existe une Défenseure des droits en Arménie, qui produit des rapports sur la base de preuves. Elle est opposée à leur publication. Je les ai obtenus à titre confidentiel et les tiens à votre disposition. Nous devons faire mieux pour les aider à constituer les preuves des exactions. Cette proposition de résolution s’y attache.
M. Hubert Julien-Laferrière (Écolo-NUPES). La situation des prisonniers politiques arméniens détenus par l’Azerbaïdjan est un sujet de préoccupation. J’appelle l’attention de la commission et de la rapporteure sur le cas de Ruben Vardanian, grand philanthrope arménien, des anciens présidents de l’Artsakh et des citoyens arméniens détenus arbitrairement par l’Azerbaïdjan au mépris du droit international, de la Charte des Nations Unies et de la convention européenne des droits de l’Homme (CEDH), dans des conditions préoccupantes. L’Azerbaïdjan leur refuse l’accès à des avocats, locaux et étrangers. La France et l’Europe ne doivent pas les oublier dans leurs discussions avec l’Azerbaïdjan.
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. J’ai demandé, avec Sarah Tanzilli, la liste exacte de ces prisonniers, pour envisager une action de parrainage. Dès que nous l’aurons, nous proposerons une action visible, comme nous l’avons fait pour les otages israéliens à Gaza.
S’agissant des heurts dans le Syunik, un soldat arménien a d’abord tiré sur les positions azerbaïdjanaises en territoire arménien, après une rupture de la chaîne de commandement, donc sans ordre de tir. L’armée et le gouvernement arméniens ont eu à cœur d’assurer la transparence sur ce tir et de lancer immédiatement une enquête pour en comprendre l’origine, dans un esprit de désescalade. La nuit suivante, à trois heures du matin, l’Azerbaïdjan a bombardé les positions arméniennes, faisant quatre morts et un blessé. À présent, il prend prétexte de ce tir isolé et non commandé pour accuser l’Arménie d’adopter une position belliqueuse et l’EUMA d’être partie prenante de sa volonté d’escalade guerrière et de ne pas être impartiale, alors même que le tir initial a eu lieu dans une zone où se trouve une base militaire russe, ce qui en interdit l’accès à l’EUMA.
M. le président Jean-Louis Bourlanges. La discussion générale est close.
Je vais céder la présidence de cette réunion à Mme Mireille Clapot pour me rendre à l’hommage à Robert Badinter, dont je m’honore d’avoir été l’ami.
Auparavant, je tiens à remercier Mme la rapporteure d’avoir rédigé et présenté son rapport dans les termes qu’elle a choisis. La volonté de défendre les Arméniens et de préserver la République d’Arménie fait l’unanimité entre nous. Les amendements peuvent faire émerger des divergences mais nous devons être conscients, les uns et les autres, que ce qui nous sépare est, pour l’essentiel, purement tactique.
Certains s’inquiètent que la légitimité des droits à la réparation du peuple arménien soit bafouée. D’autres, qui ne sont pas en opposition aux premiers, estiment que tout, dans la situation actuelle, doit être mis en œuvre pour assurer la paix et le respect de la souveraineté, dont il est juste de dire qu’elle est partiellement mise en cause par l’Azerbaïdjan, de la République d’Arménie. Telle est la ligne suivie par le Premier ministre Pachinian.
Pour ma part, je souscris pleinement au sous-amendement AE28 de Mme la rapporteure à mon amendement AE13.
La discussion des amendements fera sans doute émerger des différences d’appréciation mais nous devons être conscients qu’elles sont purement tactiques et que nous sommes fondamentalement unis pour contribuer à la sauvegarde des droits souverains de l’Arménie que sont son indépendance, sa liberté et son intégrité territoriale.
Présidence de Mme Mireille Clapot, vice-présidente de la commission.
Mme Mireille Clapot, présidente. Robert Badinter était une conscience morale et politique pour beaucoup d’entre nous. Je suis ravie que notre président nous représente à l’hommage qui lui est rendu.
Nous en venons à l’examen des amendements.
Le texte adopté par notre commission sera débattu en séance publique ou réputé définitivement adopté s’il n’est pas inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale fixé par la Conférence des présidents. L’article 151-7 de notre règlement prévoit que la demande de son inscription à l’ordre du jour doit être formulée dans un délai de quinze jours francs à compter de la publication du texte adopté en commission.
*
Article unique
Amendement AE20 de Mme Laurence Robert-Dehault
Mme Laurence Robert-Dehault (RN). Cet amendement vise à supprimer la référence au paragraphe 3 de l’article 3 du traité de l’Union européenne (TUE), qui traite du marché intérieur de l’UE, de la promotion de la cohésion économique, sociale et territoriale, ainsi que de la solidarité entre les États membres.
Nous considérons que ce paragraphe n’est pas directement en lien avec la proposition de résolution. Ni l’Arménie, ni l’Azerbaïdjan ne font partie intégrante du marché intérieur de l’UE. La pertinence de la référence à ce paragraphe nous échappe. Si la promotion de la cohésion économique, sociale et territoriale, ainsi que de la solidarité entre les États membres est un objectif cohérent avec la construction européenne, telle qu’elle a été consolidée par Maastricht, elle ne doit pas être confondue avec les actions nécessaires pour dénoncer les violations des droits de l’Homme hors des frontières de l’UE.
Seule la mention du paragraphe 5 de l’article 3 du TUE est pertinente, dès lors qu’il traite des relations de l’UE avec le reste du monde, notamment en matière de paix, de sécurité et de protection des droits de l’Homme.
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. Avis défavorable. La pertinence de la référence au paragraphe 3 de l’article 3 du TUE réside dans son dernier alinéa, d’après lequel l’UE « respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique, et veille à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel européen ».
L’Arménie partage avec nous un héritage culturel. Elle est, selon les mots de Sylvain Tesson, « une échauguette » et « un avant-poste en Orient ».
La commission rejette l’amendement.
Amendement AE6 de Mme Anne-Laurence Petel
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. Cet amendement vise à introduire un alinéa rappelant la résolution du 24 janvier 2024 de l’APCE portant refus de ratifier les pouvoirs de la délégation de l’Azerbaïdjan.
La commission adopte l’amendement.
Amendement AE8 de Mme Maud Gatel
Mme Maud Gatel (Dem). Amendement rédactionnel : les États ne se soumettent pas aux décisions de justice, ils s’y conforment.
Suivant l’avis de la rapporteure, la commission adopte l’amendement.
Amendement AE9 de Mme Maud Gatel
Mme Maud Gatel (Dem). Cet amendement de clarification vise à substituer aux mots « civils et militaires arméniens » le mot « populations ». Les militaires ne relèvent pas du droit humanitaire mais du droit de la guerre. Par ailleurs, les populations locales du Haut‑Karabakh n’étaient pas à proprement parler des civils ou des militaires de nationalité arménienne mais des populations d’origine arménienne.
Suivant l’avis de la rapporteure, la commission adopte l’amendement.
Amendement AE21 de Mme Laurence Robert-Dehault
Mme Laurence Robert-Dehault (RN). Des milliers d’édifices religieux arméniens ont été en grande partie pillés, brûlés ou détruits sous l’Empire ottoman. Un siècle plus tard, à la fin de la guerre froide, 90 églises médiévales, plus de 5 000 pierres à croix et 22 000 tombes ont été détruites au Haut-Karabakh par les autorités azerbaïdjanaises. La rhétorique adoptée par ces dernières lors de la résurgence du conflit ne fait que confirmer la mise en œuvre, à grande échelle, d’une véritable cancel culture du patrimoine arménien. Le président Aliyev lui-même a appelé à effacer toutes les traces et les inscriptions arméniennes des façades, en commençant par la « désarménisation » d’une église du XIIe siècle de la région d’Argout.
Nous assistons à une réécriture historique. Les autorités de Bakou tentent de nier toute origine arménienne au patrimoine du Haut-Karabakh, pour l’attribuer à un peuple dénommé « Albanais du Caucase ». Ces atteintes à l’héritage culturel et religieux arménien sont d’autant plus blessantes que le Haut-Karabakh, où vivaient des Arméniens depuis près de 2 500 ans, revêt une importance symbolique pour la population arménienne.
L’objet de cet amendement est d’envoyer un modeste message de soutien et de compréhension aux populations arméniennes, en indiquant que la France reconnaît le caractère ancestral du patrimoine culturel et religieux arménien détruit ou risquant de l’être.
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. Avis défavorable. Le patrimoine détruit est aussi récent. J’en veux pour preuve la destruction d’un complexe dédié à la mémoire des morts de la première guerre d’Artsakh dans le village de Hakaku, du mémorial aux victimes de la Grande guerre patriotique de 1941-1945 dans la ville de Berdzor et d’une église construite en 2017 et détruite en 2024 dans le Haut-Karabakh. Le patrimoine détruit l’est parce qu’il a été construit par des Arméniens, non parce qu’il est ancestral.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AE29 de Mme Anne-Laurence Petel
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. Il m’a semblé important de réparer une omission en indiquant que la République d’Azerbaïdjan occupe des pans entiers de l’Arménie, notamment dans le Syunik, le Vayots Dzor et le Gegharkunik. Des fortifications ont été construites. L’objectif de l’Azerbaïdjan est d’avancer, à la faveur de heurts, ici de quatre ou cinq kilomètres, là de dix kilomètres, de construire des fortifications au bulldozer et de s’assurer des positions militaires.
La commission adopte l’amendement.
Amendement AE5 de Mme Nadège Abomangoli
Mme Nadège Abomangoli (LFI-NUPES). L’alinéa 37 fait référence au « soutien inconditionnel, entier et constant de la France envers l’Arménie ». L’adjectif « inconditionnel » nous semble inapproprié s’agissant du soutien apporté à un État.
Si entier et constant que soit notre soutien à l’Arménie, il doit être soumis au respect des principes du droit international et des conventions qui en découlent. Nous avons tous dénoncé les attaques armées, le nettoyage ethnique, les déplacements de population et la volonté d’effacer la culture arménienne. Tous sans exception, nous nous sommes fondés sur le respect du droit international, avec des mots très forts, pour affirmer notre soutien au peuple arménien. Notre position est identique s’agissant du peuple palestinien car le respect du droit international n’est pas à géométrie variable.
Pour assurer le respect du droit international de façon générale et pérenne, il faut s’abstenir d’employer le mot « inconditionnel », qui est un piège. Nous pourrions avoir les mains liées en cas de manquement grave aux principes du droit international.
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. Lors d’une interview sur France 2 le 24 septembre, à la question « Confirmez-vous le soutien de la France au peuple arménien ? », le président de la République a répondu : « Mon soutien est inconditionnel, il est entier et constant depuis le début ». Avis défavorable.
M. Pierre-Henri Dumont (LR). Nous soutenons l’amendement. Aucun soutien n’est inconditionnel, ce qui signifierait qu’il serait indépendant de l’évolution de la situation ou des positions des uns et des autres.
Madame la rapporteure, nous sommes au Parlement. Nous ne sommes pas ici pour retranscrire la parole du président de la République. Nous sommes ici pour arrêter la position du Parlement. L’intérêt d’une proposition de résolution, européenne ou non, est précisément de nous permettre de promouvoir, par rapport à ce que l’on appelle le domaine réservé du président de la République, une position légèrement différente de la sienne. Nous n’avons pas à retranscrire ses propos mais à exprimer la volonté de notre commission.
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. Cet argument s’applique au corps du texte. Or l’expression visée figure dans ses considérants, où elle est explicitement présentée comme une citation, de la façon suivante : « Considérant le soutien inconditionnel, entier et constant de la France envers l’Arménie, ainsi que l’a exprimé le président de la République, M. Emmanuel Macron, le 24 septembre 2023 ». Elle n’est pas présentée comme la position du Parlement.
La commission adopte l’amendement.
Amendement AE14 de M. Thibaut François
M. Jérôme Buisson (RN). Nous souhaitons rappeler le rôle du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) dans l’assistance aux victimes des conflits qu’ont subis les populations du Haut-Karabakh. Depuis 1992, la Croix-Rouge a contribué à atténuer les conséquences humanitaires désastreuses des trois conflits, en maintenant une présence sur place et en assurant, autant que faire se peut, le ravitaillement des populations.
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. Je salue le rôle du CICR auprès de ces populations comme des autres qui subissent des conflits mais il ne me semble pas pertinent de le faire figurer parmi les considérants du texte, dont l’objet est de fonder les dispositions de la proposition de résolution et non de rendre un hommage, si justifié soit-il. Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendements AE1 de M. Sébastien Delogu et AE17 de Mme Joëlle Mélin (discussion commune)
M. Sébastien Delogu (LFI-NUPES). Nous devons démontrer au peuple arménien notre solidarité pleine et entière, ce qui suppose parfois de reconnaître des torts.
L’amendement vise à demander à l’UE d’en finir avec les accords gaziers et pétroliers conclus avec l’Azerbaïdjan, qui, d’après Eurostat, ont rapporté à l’Azerbaïdjan 15,6 milliards d’euros depuis que l’UE a renforcé l’économie azerbaïdjanaise en augmentant ses achats de gaz à la suite des opérations militaires russes.
Nous voulons montrer à l’Arménie que nous avons bien compris que l’UE enrichit l’Azerbaïdjan et demander que les accords gaziers soient non seulement dénoncés mais aussi annulés.
M. Michel Guiniot (RN). L’amendement AE17 vise à mettre en lumière le double jeu de l’UE et à insister sur sa nécessaire repentance vis-à-vis de l’Arménie.
La conclusion par l’UE d’un contrat gazier avec l’Azerbaïdjan lui a rapporté 15,6 milliards d’euros. Par comparaison, l’aide humanitaire versée par l’UE à l’Arménie depuis le début du conflit au Haut-Karabakh s’élève à 25,8 millions. Ainsi, l’UE, par les actes de la Commission européenne, tend à soutenir l’agresseur bien plus que l’agressé.
L’amendement vise à inclure dans les considérants la politique énergétique menée depuis 2022 par l’UE, afin d’en tirer les enseignements, et à insister sur le fait que les actions de la France ne sont pas celles de l’UE. Nous avons le droit de nous désolidariser d’une pareille politique.
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. Certes, ces accords posent un problème de cohérence diplomatique. J’en ai discuté, à ma demande, avec Mme von der Leyen. Toutefois, ils peuvent être un levier de la négociation avec l’Azerbaïdjan.
Par ailleurs, la proposition de résolution n’a pas pour objectif de condamner l’UE mais de lui demander de contribuer économiquement, militairement et diplomatiquement à l’intégrité territoriale de l’Arménie. Les deux amendements entravent toute action positive en la matière. J’émets donc un avis défavorable.
Les capacités militaires de l’Azerbaïdjan sont indépendantes des accords gaziers. Elles sont montées en puissance depuis 2005. Je tiens à votre disposition des cartes démontrant clairement que l’écart entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie en matière militaire est bien antérieur aux accords gaziers.
M. Pierre-Henri Dumont (LR). Le groupe Les Républicains votera l’amendement AE1. Une proposition de résolution sert aussi à dévoiler une hypocrisie générale. On ne peut pas condamner les agressions de l’Azerbaïdjan contre l’Arménie et l’épuration ethnique au Haut-Karabakh sans mentionner l’augmentation des importations par l’UE de gaz et de pétrole en provenance de l’Azerbaïdjan, d’autant qu’il s’agit aussi de gaz et de pétrole russes écoulés par l’Azerbaïdjan au mépris des sanctions de l’UE à l’encontre de l’agresseur russe en Ukraine. Il est nécessaire de l’indiquer.
M. Sébastien Delogu (LFI-NUPES). L’Azerbaïdjan s’est enrichi par ses accords avec d’autres pays. D’après Eurostat, l’augmentation par l’UE de ses achats énergétiques auprès de l’Azerbaïdjan pour compenser les conséquences du conflit avec la Russie lui a rapporté 15,6 milliards d’euros, qui sont directement mis à disposition de l’armée azerbaïdjanaise pour attaquer l’Arménie. Il faut réagir avant qu’il soit trop tard et non jouer un double jeu en considérant ces accords comme un levier. Il faut les dénoncer immédiatement. L’Arménie et les Arméniens de France ne pensent pas autre chose.
M. Jérôme Buisson (RN). Si les sanctions contre les accords gaziers n’étaient pas efficaces, nous ne les aurions pas prises à l’encontre de la Russie. Il importe de rappeler la responsabilité de l’UE, qui a indirectement contribué à financer – et continuera à le faire tant que ces accords subsisteront – l’appareil militaire azerbaïdjanais qui a fondu sur le Haut‑Karabakh.
Comble du ridicule de cette politique menée par les institutions européennes : alors même que l’accord gazier conclu avec l’Azerbaïdjan visait à diversifier les approvisionnements des États membres de l’UE à la suite des sanctions prononcées à l’égard de la Russie, il a peut-être permis à la Russie d’exporter du gaz vers l’UE par l’intermédiaire de l’Azerbaïdjan, moyennant des revenus supplémentaires pour Bakou.
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. Comme l’a rappelé le président Bourlanges, nous voulons que l’UE – et la France en particulier – continue à jouer un rôle de médiateur dans le conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. L’Azerbaïdjan, lui, souhaite nous exclure du jeu.
Certes, les accords gaziers posent un problème de cohérence mais il est aussi cohérent de maintenir un lien avec l’Azerbaïdjan qui, même s’il n’est pas une démocratie, souhaite conserver une image positive, à tout le moins donner le change, auprès des pays européens et du reste de la communauté internationale en se présentant comme un pays fréquentable. Les accords économiques y contribuent. Le maintien des accords est aussi celui de la diplomatie. Avec la Russie, les liens économiques sont rompus, et avec eux l’essentiel des liens diplomatiques. Nous ne nous parlons plus. Les relations sont très froides.
L’objectif de la proposition de résolution, qui est aussi celui de l’UE, est d’affirmer la nécessité de conserver une médiation européenne, française et internationale. Je ne suis pas certaine qu’adopter un ton offensif au sujet des accords gaziers donne le signal que la médiation européenne peut et doit encore jouer un rôle entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Ce rôle, nous devons le jouer pour l’Arménie.
La commission adopte l’amendement AE1.
En conséquence, l’amendement AE17 tombe.
Amendement AE22 de Mme Laurence Robert-Dehault
Mme Laurence Robert-Dehault (RN). Cet amendement vise à reconnaître explicitement le caractère ancestral du patrimoine culturel ou religieux arménien détruit ou qui risque de l’être.
Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement.
Amendement AE10 de Mme Maud Gatel
Mme Maud Gatel (Dem). Cet amendement rédactionnel vise à substituer, à l’alinéa 44, au mot « illégales » les mots « arbitraires et injustifiées ». Formellement, les arrestations ont eu lieu sur le territoire de l’Azerbaïdjan, sur le fondement d’une législation nationale. Elles n’en sont pas moins arbitraires et injustifiées.
Suivant l’avis de la rapporteure, la commission adopte l’amendement.
Amendements AE11 de Mme Maud Gatel et AE27 de Mme Anne-Laurence Petel (discussion commune)
Mme Maud Gatel (Dem). L’amendement AE11 est un amendement de précision qui vise à insérer, à l’alinéa 44, après le mot « militaires », les mots « se réclamant ». La République d’Artsakh a été autoproclamée mais jamais officiellement reconnue par la France.
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. L’amendement AE27, qui procède du même esprit que l’amendement AE11, vise à insérer, après le mot « République », le mot « autoproclamée ».
La République du Haut-Karabakh est devenue celle d’Artsakh en 2017. Elle n’a été reconnue ni par la communauté internationale, ni par la France, ni par l’Arménie. Par la déclaration d’Alma-Ata du 21 décembre 1991, l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont réciproquement reconnu leur intégrité et leur souveraineté territoriales.
Je suggère le retrait de l’amendement AE11 au profit de l’amendement AE27.
L’amendement AE11 est retiré.
La commission adopte l’amendement AE22.
Amendement AE16 de Mme Joëlle Mélin
M. Michel Guiniot (RN). Cet amendement vise à faire figurer dans la proposition de résolution les contradictions de l’UE et à inciter celle-ci à clarifier sa politique commerciale et énergétique. Le soutien et la solidarité exprimés par l’UE et par ses États membres ne peuvent être ambigus. L’accord gazier conclu entre l’UE et l’Azerbaïdjan va à l’encontre du principe même du soutien, dès lors que nous finançons l’Azerbaïdjan, qui de surcroît achète du gaz à la Russie pour compenser ses ventes.
Nous avons cessé d’acheter du gaz russe précisément parce que nous refusions de financer l’ennemi de l’Ukraine. Or l’alinéa 51 demande « au Gouvernement français et à l’Union européenne d’accélérer les projets de coopération économique existants et de favoriser l’émergence de nouvelles coopérations, notamment dans les domaines de l’énergie et des infrastructures ».
Cet amendement s’inscrit dans cet état d’esprit. Il vise à garantir à l’Arménie la sincérité de nos échanges diplomatiques.
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. Avis défavorable. L’amendement est satisfait par l’alinéa 59, qui invite l’UE à reconsidérer ses accords gaziers et pétroliers avec l’Azerbaïdjan. De surcroît, le principe de solidarité entre l’Arménie et l’UE s’inscrit dans un cadre bilatéral. Il n’exclut pas les accords commerciaux avec un pays tiers, fût-il l’un des belligérants.
M. Pierre-Henri Dumont (LR). Nous soutenons l’amendement, qui ne porte pas sur l’un des considérants du texte mais sur la position de l’Assemblée nationale elle-même. Il s’agit d’inciter les uns et les autres à prendre leurs responsabilités.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AE26 de M. Thibaut François
M. Jérôme Buisson (RN). Nous souhaitons montrer, par cet amendement, que l’accès au corridor de Latchine reliant l’Arménie au Haut-Karabakh, garanti au lendemain de la guerre des quarante-quatre jours, ne l’est pas en fait, en raison des provocations du gouvernement azerbaïdjanais. Nous souhaitons aussi rappeler le rôle joué par la Croix-Rouge pour venir en aide aux populations arméniennes du Haut-Karabakh, qui sans lui auraient été encore plus coupées de vivres qu’elles ne l’étaient avant la conquête totale de la région par l’armée azerbaïdjanaise.
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. Je souscris à l’hommage au CICR mais il n’a pas sa place dans la proposition de résolution. Avis défavorable.
M. Jérôme Buisson (RN). L’amendement ne se limite pas à un hommage au CICR, comme l’amendement AE14. Il rappelle que l’accès au corridor de Latchine n’est pas libre.
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. Il n’est plus d’actualité car il n’y a plus de corridor. Le 19 septembre 2023, le corridor a été complètement fermé par l’Azerbaïdjan, après neuf mois de blocus.
L’amendement AE26 est retiré.
Amendement AE19 de M. Jean-Louis Bourlanges
Mme Maud Gatel (Dem). Cet amendement illustre les propos qu’a tenus le président Bourlanges avant de s’absenter. Ce matin, nous avons constaté à quel point nous sommes unis pour dénoncer les exactions passées et tout faire pour préserver la souveraineté de l’Arménie. Cet amendement vise à introduire une approche plus équilibrée entre les menaces de sanctions et les incitations à la négociation en vue d’un règlement définitif des contentieux bilatéraux et d’un maintien du dialogue en faveur de la paix.
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. Avis défavorable. L’amendement fusionne plusieurs alinéas en un seul. Ce faisant, il supprime plusieurs points importants, tels que le gel des avoirs. Il a certes la vertu de simplifier le texte mais, loin de le clarifier, il en amoindrit la portée.
Le gel des avoirs, demandé à l’alinéa 54, est une forme de sanction à brandir pour faire pression sur le régime azerbaïdjanais. Par ailleurs, remplacer « l’aide matérielle et humaine requise aux autorités judiciaires internationales » par un soutien à l’action de la justice internationale ne me paraît pas opportun.
Enfin, la rédaction proposée évoque « des faits au Haut-Karabakh » dont la justice internationale pourrait être saisie, sans en préciser les auteurs. Or le déséquilibre des forces et la capitulation en vingt-quatre heures des forces arméniennes ne laissent subsister aucun doute sur les exactions commises, ni sur leurs auteurs. De surcroît, l’amendement déplace la dénonciation de l’accord sur les visas pour la faire figurer après l’alinéa relatif aux accords gaziers.
Je souhaite pour ma part conserver la rédaction initiale.
M. Benjamin Haddad (RE). Nous sommes opposés à cet amendement de réécriture des alinéas 53 à 57. Le texte vise à envoyer un message de dissuasion aux dirigeants de l’Azerbaïdjan. Il exprime clairement le fait que nous envisageons des sanctions en cas de menace contre l’intégrité territoriale de l’Arménie. S’il existait, demain, une menace directe pesant sur cette dernière, il serait aberrant de ne pas envisager de sanction. Le texte doit être explicite sur ce point.
Cela n’exclut en rien la volonté de parvenir à un accord de paix, au contraire. Il s’agit de s’inscrire dans une logique de négociation et de rapport de force. Il faut conserver les alinéas 53 à 57 dans le texte, pour ne pas en atténuer la portée.
Mme Maud Gatel (Dem). Le gel des avoirs est inclus dans les sanctions économiques.
Il faut certes s’inscrire dans une démarche de prévention et de réparation mais aussi laisser la porte ouverte à l’amorce de négociation que nous appelons tous de nos vœux, dans une perspective de paix dans la région.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AE23 de Mme Laurence Robert-Dehault
Mme Laurence Robert-Dehault (RN). L’objet de la proposition de résolution est de dénoncer les exactions commises par l’Azerbaïdjan envers les populations arméniennes du Haut-Karabakh. Il s’agit des manquements au droit international humanitaire, dont il nous incombe de tirer les leçons.
Madame la rapporteure, pensez-vous réellement qu’envisager de dénoncer l’accord sur la délivrance de visas conclus entre l’UE et l’Azerbaïdjan est de nature à inciter les autorités azerbaïdjanaises à la retenue ? Nous pensons que les manquements précités doivent être suivis d’actes concrets et interprétés comme la volonté de ne pas poursuivre l’établissement de ces liens. Tel est l’objet de cet amendement, qui vise à enjoindre à l’UE de dénoncer cet accord dans les plus brefs délais.
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. Avis défavorable. Le Parlement d’un État membre peut appeler l’UE à faire quelque chose mais pas lui adresser une injonction.
La commission rejette l’amendement AE23.
Amendement AE12 de M. Jean-Louis Bourlanges
Mme Maud Gatel (Dem). Cet amendement vise à modifier l’alinéa 56, relatif à la politique des visas, pour supprimer le caractère automatique de l’appel à la dénonciation de l’accord relatif aux visas. Faire peser une forme de menace permet d’inciter les autorités azerbaïdjanaises à négocier un traité de paix avec la République d’Arménie.
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. Inciter est une bonne démarche. Nous l’appliquons au gel des avoirs et aux contrats gaziers. S’agissant de la politique de visas, je préfère conserver une rédaction plus forte demandant à l’UE de dénoncer l’accord et non d’envisager sérieusement de le faire. Avis défavorable.
M. Jérôme Buisson (RN). Une fois encore, le texte est décevant. Même sur la délivrance des visas, vous reculez, madame la rapporteure. Je rappelle qu’une proposition de résolution n’a pas de valeur contraignante. Même si l’amendement est rejeté, elle se contentera de demander à l’UE de dénoncer l’accord visant à faciliter la délivrance de visas. Nous sommes loin de sanctions immédiates. Cette approche étant encore trop violente pour les auteurs de l’amendement, ils demandent d’envisager sérieusement de dénoncer l’accord. Nous voterons contre l’amendement.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AE30 de Mme Anne-Laurence Petel
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. Cet amendement vise, comme l’amendement AE29 portant sur l’un des considérants du texte, à appeler la République d’Azerbaïdjan à retirer immédiatement et sans conditions ses forces des parties du territoire souverain de la République d’Arménie qu’elles occupent en violation du droit international. Depuis 2021, en raison des heurts successifs occasionnés par les forces azerbaïdjanaises et des opérations militaires successives, des pans entiers du territoire arménien sont occupés par des troupes azerbaïdjanaises. Il importe non seulement de le rappeler dans les considérants mais aussi d’appeler la République d’Azerbaïdjan à se retirer de ces territoires, conformément au droit international.
La commission adopte l’amendement AE30.
Amendement AE3 de M. Sébastien Delogu
M. Sébastien Delogu (LFI-NUPES). Nous proposons de supprimer l’alinéa 59, inséré dans la proposition de résolution en commission des affaires européennes. L’exposé des motifs de l’amendement dont il est issu illustrait clairement la volonté de transformer une mission d’observation civile européenne en mission militaire européenne. Si l’amendement initial peut sembler intéressant pour les Arméniens, sa rédaction floue lui retire son sens. Il ne vise qu’à conforter le mythe tenace de l’Europe de la défense qui, après des années de bavardages, n’est toujours pas une réalité.
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. Avis défavorable. Cet alinéa a été inséré dans le texte en raison de l’adoption, par la commission des affaires européennes, d’un amendement du groupe Socialistes et apparentés. Il précise des prérogatives existantes, en l’espèce celles de déployer des moyens distincts de ceux de l’EUMA.
Lorsqu’elle s’est rendue en Arménie en octobre dernier, la ministre Colonna a rappelé qu’une modification du mandat de l’EUMA pourrait être utile pour lui donner plus de moyens.
Indépendamment de nos divergences sur l’Europe, des moyens existent et il faut les déployer.
La commission rejette l’amendement AE3.
Amendement AE7 de Mme Anne-Laurence Petel
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. Cet amendement de précision indique que l’occupation illégale du territoire arménien par l’Azerbaïdjan résulte de diverses opérations menées pendant deux ans, en 2021 et 2022.
La commission adopte l’amendement AE7.
Amendement AE2 de M. Sébastien Delogu
M. Carlos Martens Bilongo (LFI-NUPES). Le gaz et le pétrole achetés par l’UE à l’Azerbaïdjan renforcent son économie et ses capacités militaires, ce qui augmente fortement la menace sur l’intégrité territoriale de l’Arménie et le nettoyage ethnique en cours au Haut‑Karabakh. Nous proposons de demander à l’UE de dénoncer l’accord gazier conclu avec l’Azerbaïdjan, et pas seulement de le reconsidérer comme elle l’a fait à raison vis-à-vis de la Russie lorsqu’elle a envahi l’Ukraine, pour mettre en échec son économie.
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. Avis défavorable. Nous souhaitons conserver la rédaction de l’alinéa 59.
M. Jérôme Buisson (RN). Nous soutenons l’amendement. Sans appeler à un embargo, il nous semble particulièrement hypocrite de pleurer sur le sort du peuple arménien un jour, pour conclure un accord d’achat de pétrole et de gaz avec l’Azerbaïdjan le jour suivant. J’ai rappelé les possibilités de contournement d’autres sanctions que permet cet accord. La politique de double standard affaiblit notre voix dans le monde. La France se grandirait à être cohérente.
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. Monsieur Buisson, vous reprenez les arguments avancés pour défendre l’amendement AE1, tombé en raison de l’adoption de l’amendement AE17. En l’espèce, la question est de savoir s’il faut conserver une rédaction incitative. Il me semble pertinent de conserver la rédaction initiale. L’objectif de la proposition de résolution est de demander à l’Europe des efforts supplémentaires.
M. Sébastien Delogu (LFI-NUPES). L’amendement AE1 visait à rappeler l’existence des accords gaziers. Cet amendement-ci vise à les dénoncer.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AE13 de M. Jean-Louis Bourlanges et sous-amendement AE31 de Mme Anne-Laurence Petel
Mme Maud Gatel (Dem). L’amendement AE13 vise à compléter la proposition de résolution en rappelant les attentes de la République d’Arménie, auxquelles nous souhaitons que l’Azerbaïdjan réponde. Nous souscrivons au sous-amendement AE31. La proposition de résolution doit mentionner explicitement la perspective de négociations en vue de la signature d’un traité de paix.
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. J’émets un avis favorable à l’amendement sous-amendé. Il s’agit d’appeler les autorités de la République d’Azerbaïdjan, plutôt que les y inviter, à répondre positivement aux initiatives arméniennes.
Par ailleurs, si celles-ci visent à négocier et à conclure un traité de paix qui ouvrirait la voie à une nouvelle ère de prospérité des relations bilatérales, elles doivent apporter des garanties de sécurité à l’Arménie et assurer le respect des frontières des deux pays. En outre, il importe de préciser que les négociations doivent se dérouler dans le cadre d’une médiation internationale. Récemment, Ilham Aliyev a considéré que l’Arménie est une ancienne terre azerbaïdjanaise, affirmant : « Ce n’est un secret pour personne : au XXe siècle, les terres de l’Azerbaïdjan ont été partiellement cédées à l’Arménie ». Il revendique régulièrement Erevan. Dans ce déséquilibre des forces et dans cette menace permanente, il importe que les négociations d’un traité de paix se déroulent dans le cadre d’une médiation internationale.
M. Jérôme Buisson (RN). L’amendement AE13 nous laisse perplexes. Nous sommes favorables au dialogue entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, ainsi qu’à la conclusion d’un traité de paix pour trouver une issue à ce conflit qui a trop duré. Toutefois, compte tenu de la situation militaire et du rapport de force, il est évident qu’un traité de paix se solderait par de lourdes concessions de l’Arménie, qui serait obligée d’entériner des pertes territoriales. Tenant compte de la donne sur le terrain, nous voterons contre cet amendement. Oseriez-vous demander à l’Ukraine les mêmes « efforts d’ouverture et de dialogue » à l’égard de son agresseur russe, moyennant la perte de territoires au Sud et à l’Est ?
M. Pierre-Henri Dumont (LR). L’amendement ne nous convient pas. La paix est certes une nécessité mais, à l’heure actuelle, elle entérinerait le déplacement forcé d’une population civile, prohibé par le droit international, par le gouvernement au pouvoir en Azerbaïdjan avec lequel la proposition de résolution appelle à la paix. Il s’agit de ce même gouvernement qui a berné le groupe de Minsk, dont la France fait partie, pendant deux décennies, avec des promesses de paix et de processus pacifiques, en profitant pour s’armer et, par la violence, imposer sa volonté.
Inciter l’Arménie à faire la paix avec son bourreau sans même le sanctionner, c’est laisser le gouvernement arménien seul. Dans une telle vulnérabilité, il n’aura d’autre choix que de signer non une paix mais une capitulation. L’amendement AE13 pousse l’Arménie vers une capitulation et non vers une véritable paix. C’est au nom de la paix que le Haut‑Karabakh a renoncé à tout engrenage militaire, croyant au message de paix avancé par l’Azerbaïdjan à chaque stade des négociations, jusqu’à disparaître.
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. Il faut distinguer la question du Haut‑Karabakh de celle des frontières souveraines de l’Arménie.
La capitulation du Haut-Karabakh est acquise depuis le 19 septembre 2023. La République d’Arménie n’en veut pas moins conclure un traité de paix, contrairement à l’Azerbaïdjan, auquel les incursions en territoire arménien ont permis, depuis 2021, de consolider ses positions, dans l’espoir de les rendre définitives.
La signature d’un traité de paix entraînerait la définition des frontières. Les cartes sur lesquelles se base la communauté internationale pour sa médiation datent de 1975. En l’absence de traité de paix délimitant clairement des frontières, les incursions de l’Azerbaïdjan en Arménie et la revendication de territoires demeurent possibles. Là réside l’importance de l’amendement.
Mon sous-amendement vise à en modifier la fin comme suit : « appelle les autorités de la République d’Azerbaïdjan à répondre positivement à ces initiatives en vue de négocier et de conclure, sous médiation internationale, un traité de paix qui ouvrirait la voie à des garanties de sécurité, à une nouvelle ère de prospérité et à des relations bilatérales bénéfiques à l’ensemble de la région du Caucase du Sud ».
Je vous invite à adopter l’amendement ainsi sous-amendé, au bénéfice des relations qu’entretiennent ces deux pays et de ce que le Parlement français peut leur demander.
Mme Maud Gatel (Dem). Monsieur Buisson, ne travestissez pas le texte du président Bourlanges, qui invite la République d’Arménie à persévérer dans ses efforts d’ouverture et de dialogue. Nous ne l’invitons pas à faire quelque chose qu’elle ne souhaite pas faire.
Sur le fond comme du point de vue stratégique, l’amendement sous-amendé correspond, me semble-t-il, à ce que nous souhaitons tous.
Mme Sarah Tanzilli (RE). Si nous sommes tous favorables à la paix dans cette région, nous devons être conscients de ce qu’est l’Azerbaïdjan et des doutes que nous pouvons nourrir sur la sincérité de sa volonté d’y construire la paix. Nous sommes tous conscients de sa volonté impérialiste et expansionniste au détriment du territoire de l’Arménie.
Il serait judicieux de compléter l’amendement par une référence au respect de l’intégrité territoriale de la République d’Arménie. La paix ne peut être conclue à n’importe quel prix. La question des garanties de sécurité est certes essentielle mais celle du respect de l’intégrité territoriale de l’Arménie ne l’est pas moins. Le régime azerbaïdjanais a l’intention de ne pas la respecter, à la faveur d’un accord conclu dans le cadre d’un rapport de force inégal.
Mme Anne-Laurence Petel, rapporteure. Tel est bien l’objet de l’amendement AE30, que nous avons adopté précédemment.
Quant à la teneur d’un éventuel traité de paix, il incombe aux deux pays d’en décider. Les frontières de 1975 semblent être les plus abouties. Les territoires occupés par l’Azerbaïdjan devront être rendus, dans le respect de ces frontières. C’est pourquoi les efforts arméniens sont plus tangibles et visibles que ceux de la partie azerbaïdjanaise.
Mme Mireille Clapot, présidente. Dans la mesure où le texte sera très certainement débattu dans l’hémicycle, il pourra être amendé à cette occasion. Nous pourrons notamment citer, parmi les considérants, les initiatives de la République d’Arménie en faveur de la paix, pour indiquer clairement leur réalité.
La commission adopte le sous-amendement AE31.
Puis, elle adopte l’amendement AE13 sous-amendé.
La commission adopte ensuite l’ensemble de la proposition de résolution européenne modifiée.
*
Mme Mireille Clapot, présidente. Je remercie, en votre nom à tous, notre rapporteure de son travail et de la précision de son argumentation. Nous sommes parvenus à tenir la fragile ligne de crête entre « enjoindre » et « demander », même si parfois nous aimerions exiger. Ainsi, l’APCE n’a pas exclu l’Azerbaïdjan, elle a refusé de ratifier les pouvoirs de sa délégation.
M. Jérôme Buisson (RN). À défaut d’avoir eu le temps de formuler une explication de vote, j’indique que nous nous opposons catégoriquement à l’alinéa 60.
ANNEXE : Liste des personnes auditionnÉes par la rapporteure
En qualité de rapporteure de la commission des affaires européennes :
Mme Hasmik Tolmajian, ambassadrice d’Arménie en France ;
M. Brice Roquefeuil, directeur de l’Europe continentale au ministère de l’Europe et des affaires étrangères ;
En qualité de rapporteure de la commission des affaires étrangères :
M. Olivier Decottignies, ambassadeur de France en Arménie ;
Mme Anne Boillon, ambassadrice de France en Azerbaïdjan ;
M. Hovhannès Guévorkian, représentant de l’ancienne République autoproclamée d’Artsakh en France, et M. Vruyr Hlghatyan ;
M. Marek Kuberski, chef adjoint de la mission de l’Union européenne en Arménie (EUMA).
([1]) Article 88‑4 de la Constitution, alinéa 2 : « Selon des modalités fixées par le règlement de chaque assemblée, des résolutions européennes peuvent être adoptées, le cas échéant en dehors des sessions, (…) sur tout document émanant d’une institution de l’Union européenne. »
([2]) Devenue la République d’Artsakh en 2017.
([3]) Cf. décision (PESC) 2023/162 du Conseil du 23 janvier 2023 relative à une mission de l’Union européenne en Arménie (EUMA).
([4]) Cf. Accord Union européenne‑Turquie du 18 mars 2016. La première tranche a financé des projets qui se sont déroulés jusqu'à la mi-2021. La seconde tranche finance des projets qui se poursuivront jusqu'à la mi‑2025. À la suite des conclusions du Conseil européen de juin 2021 et en dehors du cadre de la facilité, la Commission a mobilisé 3 milliards d'euros en faveur des réfugiés et des communautés d'accueil en Turquie pour la période 2021-2023.
([5]) Cf. Ministère des affaires étrangères de la république d’Arménie :https://www.mfa.am/fr/international-organisations/3#:~:text=L'Arm%C3%A9nie%20est%20un%20membre,pour%20la%20paix%20en%201994. Le ministère indique notamment : « L’Arménie a mis en œuvre son cinquième Plan d’action de partenariat individuel pour 2017-2019. À partir de 2022, le cinquième IPAP [Individual Partnership Action Plan] prolongé reste en vigueur. Depuis 2004, les unités arméniennes de maintien de la paix participent aux opérations de paix en fournissant ses troupes à la mission de la KFOR au Kosovo, ainsi qu’à la mission Soutien déterminé en Afghanistan (jusqu’en 2021) (…) En 2004, l’Arménie a établi une mission diplomatique auprès de l’OTAN, basée à Bruxelles. »
([6]) La République d’Arménie a officiellement déposé son instrument de ratification du Statut de Rome de la CPI le 14 novembre 2023. Cette adhésion a pris effet le 1er février 2024.
([7]) Issu de la loi n° 2010-930 du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale.
([8]) La compétence des juridictions françaises peut également se fonder sur l’existence d’une convention particulière, telle la Convention de New York contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée le 10 décembre 1984, lorsque l’auteur se trouve en France.
([9]) Cf. Article 42 paragraphe 1 du Traité sur l’Union européenne : « La politique de sécurité et de défense commune fait partie intégrante de la politique étrangère et de sécurité commune. Elle assure à l’Union une capacité opérationnelle s’appuyant sur des moyens civils et militaires. L’Union peut y avoir recours dans des missions en dehors de l’Union afin d’assurer le maintien de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale conformément aux principes de la charte des Nations unies. L’exécution de ces tâches repose sur les capacités fournies par les États membres. »
([10]) Cf. APCE, Contestation, pour des raisons substantielles, des pouvoirs non encore ratifiés de la délégation parlementaire de l’Azerbaïdjan.
([11]) Dans un rapport intermédiaire publié sur son site, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui a envoyé onze observateurs pour la campagne présidentielle, relève « l’absence de véritable concurrence, des pressions gouvernementales sur les médias et des obstacles à la surveillance des élections par les organismes publics » . Elle note également que, « sur les six candidats à la présidence autres que le président sortant, tous ont soutenu publiquement le président dans un passé récent ».
([12]) Article 34‑1 de la Constitution : « Les assemblées peuvent voter des résolutions dans les conditions fixées par la loi organique. Sont irrecevables et ne peuvent être inscrites à l’ordre du jour les propositions de résolution dont le Gouvernement estime que leur adoption ou leur rejet serait de nature à mettre en cause sa responsabilité ou qu’elles contiennent des injonctions à son égard. »