Logo2003modif

N° 2216

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 février 2024.

 

 

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi visant à toucher sa retraite dès le premier jour,

 

 

Par Mme Mélanie THOMIN,

 

 

Députée.

 

——

 

 

 

 

 

 

 

Voir le numéro : 2058.

 

 

 


– 1 –

SOMMAIRE

___

Pages

AvantPropos

Commentaire des articles

Article 1er Instauration d’une pension temporaire dès le mois suivant l’entrée en jouissance de la pension

Article 2 Gage de recevabilité

travaux de la commission

Annexe  1 : Liste des personnes auditionnées par la rapporteure

Annexe  2 : Liste des contributions Écrites adressées À la rapporteure

Annexe n° 3 : textes susceptibles d’Être abrogÉs ou modifiÉs À l’occasion de l’examen de la Proposition de loi

 

 

 

 

 

 


– 1 –

   Avant‑Propos

 

C’est un fait : les Français font de moins en moins confiance à notre système de retraites par répartition. Selon un sondage récent, les non‑retraités sont à peine 39 % à avoir confiance dans ce système ([1]).

Si le phénomène n’est pas nouveau, 2023 a marqué une année de rupture, tant le débat qui s’est tenu à l’occasion de la réforme des retraites a exacerbé l’inquiétude de nos concitoyens ([2]). Outre le report de deux ans de l’âge de départ à la retraite et l’accélération du calendrier d’augmentation de la durée d’assurance nécessaire à l’obtention d’une pension de retraite au taux plein, de nombreuses mesures dites « d’accompagnement » n’ont pas encore produit leurs effets, soit que les décrets d’application tardent à être pris, soit qu’ils ne correspondent pas aux attentes légitimes de nos concitoyens.

Alors que la réforme promulguée en avril dernier prévoyait une revalorisation des pensions des retraités les plus modestes dès le 1er septembre 2023, un nombre encore important d’entre eux restent dans l’attente du versement de cette revalorisation à la date de publication du présent rapport.

En méconnaissance des conclusions de la mission transpartisane menée par nos collègues Paul Christophe et Arthur Delaporte en décembre 2022 ([3]), le Gouvernement a fait le choix, par voie réglementaire, de ne pas prendre en compte les trimestres validés par les anciens travailleurs d’utilité collective – les « Tuc » – pour déterminer l’éligibilité au départ anticipé pour carrières longues.

De même, les sapeurs‑pompiers volontaires sont toujours dans l’attente du décret permettant la prise en compte de leurs années de service sous la forme de trimestres supplémentaires pour leurs droits à la retraite ([4]).

Enfin, malgré un vote à l’unanimité à l’Assemblée nationale et une adoption conforme par le Sénat dès la première lecture, la loi du 13 février 2023 ([5]) subit déjà les tentatives du Gouvernement d’enterrer la réforme visant à prendre en compte les vingt‑cinq meilleures années pour le calcul des retraites agricoles. Le rapport remis par le Gouvernement en application de la loi « Dive » écarte en effet les scénarios qui seraient les plus bénéfiques aux agriculteurs pour privilégier des scénarios par construction moins favorables.

Dans ce contexte de défiance, il apparaît urgent de réintroduire une forme de sérénité dans ce moment si particulier et si important qu’est le passage à la retraite. C’est l’objectif de la présente proposition de loi qui vise à permettre à nos retraités de toucher leur pension dès le 1er jour.

*

*     *

Le calcul des droits à la retraite est une opération qui, à l’image de notre système de retraites, est particulièrement complexe. Elle suppose de reconstituer la carrière de l’assuré pour définir le montant précis de la pension à laquelle il peut prétendre. Cette opération est d’autant plus délicate à mener qu’un nombre croissant de Français sont aujourd’hui polypensionnés, c’est-à-dire qu’ils ont le plus souvent été affiliés successivement ou simultanément à plusieurs régimes de retraites.

De fait, cette complexité justifie que le traitement des demandes de départ en retraite prenne du temps aux caisses de retraite. Au régime général, le délai de traitement moyen des demandes de départ en retraite est de 70 jours mais certains dossiers complexes prennent plusieurs mois à être traités. Au total, ce sont près de 15 % de l’ensemble des dossiers en cours de traitement au régime général qui présentent un retard de paiement. Selon la Mutualité sociale agricole, plus de 50 % des dossiers de départ à la retraite des agriculteurs font l’objet d’un paiement après la date souhaitée de départ.

Deux raisons principales expliquent ce phénomène : la première raison réside dans la complexité de certains dossiers. Cette complexité est particulièrement aigüe pour les assurés polypensionnés, les assurés en situation d’invalidité qui demandent une reconnaissance médicale, les assurés aux carrières hachées ainsi que ceux ayant exercé une partie de leur carrière à l’étranger.

La seconde raison réside dans le fait qu’un certain nombre de futurs retraités déposent encore leur demande de départ tardivement, dans des délais incompatibles avec le délai de quatre mois qui leur permettrait de bénéficier de la garantie de versement créée par le décret du 19 août 2015 ([6]), avancée sociale acquise sous majorité socialiste.

Certes les caisses de retraite ont mis en œuvre des actions pour faciliter le traitement des dossiers et pour limiter les ruptures de ressources des nouveaux retraités. Outre les actions de communication ciblées et le développement des échanges interrégimes, elles procèdent de plus en plus à des liquidations provisoires, c’est-à-dire une liquidation « en l’état » qui calcule le montant des pensions sur la base des informations dont elles disposent. Cette procédure, qui concernait un peu plus de 13 % des demandes de départ à la retraite au régime général en 2021, a été appliquée à près de 20 % des dossiers en 2023. Elle n’est toutefois encadrée par aucun texte législatif ou réglementaire et exclut, de fait, un certain nombre de nos concitoyens.

Face à ce constat, la présente proposition de loi instaure un « bouclier social pour la retraite » sous la forme d’une pension temporaire versée aux retraités dans l’attente du versement de leur pension définitive. Cette proposition vise avant tout à limiter les situations de rupture de ressources et de renforcer la confiance des assurés envers notre système de retraites.

Le bouclier social pour la retraite couvrirait la grande majorité de nos concitoyens, qu’ils aient été salariés, indépendants, fonctionnaires ou agriculteurs. Ainsi, parmi les 875 000 assurés ayant liquidé un droit direct en 2021, 98 % étaient affiliés à au moins l’un des régimes couverts ([7]).

Grâce au dispositif prévu par cette proposition de loi, certains assurés qui ne sont pas éligibles à la garantie de versement au motif qu’ils n’ont pas suffisamment anticipé le dépôt de leur demande de liquidation pourraient a minima bénéficier d’une pension temporaire le temps de l’instruction de leur dossier. Cette situation permet plus particulièrement de couvrir les personnes qui présentent le plus de difficultés d’accès aux informations sur leurs droits à la retraite et les procédures de liquidation de leur pension. Une fois le montant de la pension définitivement arrêté, la différence avec le montant de la pension temporaire perçue ferait l’objet d’une régularisation avec possibilité d’échelonner le remboursement en cas de trop‑perçu.

La présente proposition de loi vise à répondre à une question simple mais pourtant cruciale : accepte-t-on, en 2024, que plusieurs dizaines de milliers de nos concitoyens soient, chaque mois, dans l’attente du versement de leur retraite, de ce droit acquis après une vie de travail, une vie à cotiser pour assurer le financement de notre sécurité sociale ?

« La sécurité sociale répond à la préoccupation fondamentale de débarrasser les travailleurs de la hantise du lendemain » ([8]), disait Pierre Laroque. Près de quatre-vingts ans après la création de la sécurité sociale, cette proposition participe, modestement mais concrètement, à cette œuvre ambitieuse.

    


– 1 –

   Commentaire des articles

Article 1er
Instauration d’une pension temporaire dès le mois suivant l’entrée en jouissance de la pension

Rejeté par la commission

L’article 1er instaure un « bouclier social pour la retraite » sous la forme d’une pension temporaire, versée aux assurés qui ont déposé leur demande de liquidation au moins un mois civil avant la date souhaitée de leur départ en retraite. Cette pension temporaire doit permettre d’assurer une transition sereine aux nouveaux retraités des régimes alignés, du régime des non‑salariés agricoles et du régime de la fonction publique le temps que les caisses de retraite puissent calculer le montant définitif de leur pension.

Le montant de cette pension temporaire est fixé par référence aux estimations produites dans le cadre du droit à l’information des assurés. L’estimation indicative globale sert ainsi de base de calcul au montant de la pension temporaire.

Une fois le montant de la pension définitivement arrêté, il est procédé à une régularisation en cas de différence avec le montant de la pension temporaire servie à l’assuré.

Cet outil est complémentaire de la garantie de versement prévue par le décret du 19 août 2015, qui est moins adaptée à la gestion des dossiers complexes ou déposés tardivement. Par ailleurs, son application est plus large puisque la garantie de versement ne s’applique pas aux fonctionnaires ni aux exploitants agricoles.

  1.   L’état du droit : Les délais de traitement des dossiers de départ à la retraite peuvent entraîner des ruptures de ressources pour les assurés
    1.   Le traitement des dossiers de demande de liquidation des pensions est soumis à des règles de délais
      1.   La liquidation de la pension de retraite est subordonnée à la demande de l’assuré

● Si l’article L. 351‑1 du code de la sécurité sociale prévoit que la liquidation de la retraite est subordonnée à une demande de l’assuré, les règles relatives à cette demande relèvent pour la plupart du domaine réglementaire, voire infra‑réglementaire ([9]).

L’article R. 351‑34 du code de la sécurité sociale précise ainsi que les demandes de liquidation de pension sont adressées à la caisse de retraite compétente ([10]) par l’assuré, lequel joint à sa demande l’ensemble des pièces justificatives requises en fonction de sa situation personnelle ([11]).

● Lors de sa demande de liquidation, l’assuré indique la date à laquelle il souhaite que sa pension entre en jouissance, date qui ne peut être antérieure au dépôt de la demande ([12]). À défaut de précision, cette date est fixée le premier jour du mois suivant la réception de la demande de liquidation par la caisse de retraite. S’agissant du régime de la fonction publique, la mise en paiement de la pension du fonctionnaire ou du militaire s’effectue à la fin du premier mois suivant celui de la cessation d’activité ([13]).

Lorsque la caisse compétente reçoit la demande, elle procède à l’examen de son éligibilité selon les règles en vigueur, l’enregistre dans le système d’information du régime et adresse un accusé de réception à l’assuré.

Les étapes du processus de traitement
des dossiers de demande de retraite à la Cnav

Source : Igas, Évaluation de la convention d’objectifs et de gestion de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, août 2022, p. 67.

Depuis l’entrée en vigueur de la liquidation unique des régimes alignés (Lura), l’assuré polypensionné n’a qu’une seule demande à déposer pour procéder à la liquidation de l’ensemble des pensions de retraite qui lui sont dues par les régimes concernés : le régime général, auquel les indépendants sont rattachés depuis le 1er janvier 2020, et le régime des salariés agricoles.

Liquidation unique des régimes alignés

L’article 43 de la loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites a modifié les modalités de calcul et de versement de la pension des personnes polypensionnées des régimes « alignés » ([14]) en mettant en place le dispositif de « liquidation unique des régimes alignés » (Lura).

L’article L. 173-1-2 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi du 20 janvier 2014 précitée, prévoit que, lorsqu’un assuré qui relève ou a relevé successivement, alternativement ou simultanément des régimes alignés demande à liquider sa pension auprès de l’un de ces régimes, il est réputé avoir demandé à liquider l’ensemble de ses pensions auprès desdits régimes.

Dans le cadre de la Lura, le calcul total des droits à pension s’effectue en prenant en compte l’ensemble des périodes d’assurance retenues pour les régimes concernés et l’ensemble des salaires et revenus annuels de base de chacun des régimes, dans la limite du plafond annuel de la sécurité sociale.

Le service de la pension est quant à lui assuré par le régime auquel l’assuré a été affilié en dernier lieu ([15]). En toute hypothèse, les régimes de retraite concernés se mettent en relation afin de se coordonner et procéder à la détermination du régime compétent ([16]). Depuis cette date, un assuré ayant été affilié à plusieurs des régimes alignés ne perçoit plus qu’une seule pension de base correspondant à l’ensemble de ses droits.

  1.   Les délais de traitement des dossiers de liquidation de pension sont encadrés par des dispositions réglementaires

● Depuis le 1er septembre 2015, afin d’améliorer les délais de traitement des dossiers de liquidation de retraite et de permettre un versement de la pension le plus rapidement possible, un dispositif réglementaire de garantie de versement de la retraite a été instauré ([17]). Le décret du 19 août 2015 impose ainsi aux caisses de retraite de procéder au versement de la pension de retraite de droit direct des assurés ayant déposé leur demande de liquidation au moins quatre mois civils avant la date d’entrée en jouissance de leur retraite dès le mois suivant ladite entrée en jouissance. Comme le précise la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav), le délai de quatre mois court à compter de la date de réception du dossier par la caisse compétente, accompagné de l’ensemble des pièces justificatives ([18]).

La garantie de versement s’applique non seulement aux salariés assurés au régime général, mais également aux salariés agricoles et aux indépendants ([19]). Elle concerne l’ensemble des retraites personnelles versées par ces régimes, qu’il s’agisse de la retraite de droit commun ou des retraites versées au titre de l’inaptitude, de l’invalidité, de la pénibilité, des retraites anticipées ou de la retraite progressive.

● Le calcul des droits à la retraite étant une opération complexe, un certain nombre de dossiers ne sont pas traités à temps pour que l’assuré puisse percevoir sa pension de retraite à la date de son départ effectif. Ainsi, parmi les 292 274 demandes de liquidation de droits propres déposées à la Cnav en 2023 et éligibles à la garantie de versement, la liquidation définitive a pu être prononcée dans les délais requis pour 86 % des assurés.

Pour satisfaire malgré tout à leur obligation réglementaire, les caisses de retraite peuvent procéder à une liquidation provisoire qui est « une liquidation “en l’état” qui calcule les droits sur la base des informations disponibles » ([20]).

Cette procédure, qui n’est encadrée par aucun texte législatif ou réglementaire, est ouverte aux dossiers concernés par la garantie de versement ainsi qu’en cas d’urgence, à l’initiative du technicien de la caisse de retraite. Les dossiers concernés font ensuite l’objet d’une procédure de révision de droit, qui consiste à recalculer le juste montant de la pension une fois le dossier complet. Les révisions de droit modifient rétroactivement les pensions de retraite versées depuis la date d’entrée en jouissance.

Selon les éléments publiés par l’Inspection générale des affaires sociales dans son rapport d’évaluation de la convention d’objectifs et de gestion (Cog) de la Cnav pour la période 2018‑2022, les liquidations provisoires avaient concerné 94 000 dossiers en 2021, soit 13,5 % du nombre total de dossiers liquidés ([21]). Alors que l’Igas notait une stabilité des stocks de dossiers en liquidation provisoire sur la précédente période conventionnelle, les auditions menées par la rapporteure ont permis de constater que cette part a fortement augmenté pour atteindre 20 % en 2023 ([22]).

Règles de mise en œuvre de la liquidation provisoire au régime général

En complément du dispositif de garantie de versement et afin de limiter au maximum le risque de rupture de ressources pour les dossiers présentant une complexité particulière, l’Assurance retraite a mis en place un dispositif de liquidation provisoire.

En effet, le traitement des dossiers retraite suppose fréquemment d’interroger les assurés, d’autres régimes de retraite ou d’autres organismes de protection sociale au moment de la liquidation, afin de compléter les pièces du dossier.

Il convient de noter que l’EIRR (« Échange inter-régimes de retraite », répertoire des différentes pensions versées par les régimes de retraite) est désormais alimenté des montants de pensions provisoires, afin notamment de ne pas retarder le calcul et le versement des majorations dans l’attente des informations nécessaires au calcul du montant définitif.

Le dispositif de liquidation provisoire, créé en 2015, élargit les possibilités de liquidation sans disposer de tous les éléments du dossier et permet ainsi à un assuré d’obtenir une première décision de la caisse avec les éléments validés à date pour lui éviter de se trouver privé de ressources. Il permet également de limiter le risque d’indu et de se prémunir contre la non-récupération. Afin de sécuriser les droits des assurés, les dossiers sont systématiquement et intégralement révisés et liquidés de façon définitive dans un délai de douze mois (depuis 2022).

La liquidation provisoire constitue une solution pour les cas qui ne peuvent, malgré un respect des règles de pilotage, aboutir dans les délais de liquidation prévus, du fait de partenaires ou de tiers en incapacité de fournir les données nécessaires à un calcul juste des droits de l’assuré (à échéance du délai de réponse de 30 jours, et après relance effectuée auprès du partenaire ou du tiers).

Elle intervient systématiquement, avec l’accord de l’assuré en cas de taux minoré, en cas d’impossibilité de liquidation définitive, et sans attendre le délai de réponse, lorsque le délai de liquidation va être dépassé, ou que l’assuré a déposé tardivement son droit et que le risque d’une rupture de paiement existe.

L’ensemble des dossiers de droits propres sont potentiellement concernés par ce dispositif.

Source : Cnav.

  1.   Malgré les engagements des caisses, un nombre trop important d’assurés connaissent des ruptures de ressources dues au délai de traitement de leur dossier
    1.   Un nombre encore important de demandes de liquidation traitées de manière tardive, entraînant des ruptures de ressources

● Malgré le dispositif décrit ci-dessus, un certain nombre de dossiers ne font ni l’objet d’un paiement à la date prévue, ni d’une liquidation provisoire. Au régime général, le stock de dossiers dont la date d’entrée en jouissance est échue et dont le paiement n’était pas assuré s’élevait à 32 534 au 31 décembre 2017 contre 20 403 au 31 décembre 2020 ([23]). Autrement dit, à cette date, 20 403 personnes ayant demandé la liquidation de leur retraite étaient toujours en attente de la validation de leur dossier et de la mise en paiement de leur pension.

Si l’on peut se réjouir en première analyse de cette baisse en valeur absolue, il apparaît que le stock de dossiers mis en paiement tardivement est relativement stable lorsqu’on le rapporte au stock global de dossiers de demande de liquidation de droits propres, soit autour de 15 %.

Les auditions menées par la rapporteure ont permis d’actualiser ces données. Au 31 décembre 2023, 25 313 personnes étaient en situation de rupture de paiement, soit 14 % du stock total de dossiers en liquidation à cette même date ([24]). Sur ces 25 000 personnes, 15 327 avait déposé leur dossier tardivement, soit 60 %. Selon la Cnav, 10 % des assurés se mettent en situation de ne pas pouvoir prétendre au versement de leur pension de retraite car ils déposent leur demande soit de manière concomitante à leur départ (6 %), soit postérieurement à leur départ souhaité (4 %).

● S’agissant des régimes agricoles salariés et non‑salariés, la Cour des comptes relevait en 2020 des délais de paiement « globalement excessifs » ([25]). Si l’objectif fixé par la Cog d’un taux de 99 % de demandes traitées dans un délai maximal de quatre mois suivant le dépôt d’un dossier complet de demande de prestation a été atteint en 2020 – contrairement aux autres années de la période conventionnelle ([26]) –, cet indicateur n’apparaît pas particulièrement pertinent puisqu’il est fixé indépendamment de la date d’entrée en jouissance des pensions. C’est la raison pour laquelle la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole mesure dorénavant le paiement à l’échéance des demandes de liquidation.

Selon la Cour des comptes, entre 2017 et 2018, seuls 55 % des dossiers de demande de liquidation étaient payés à l’échéance en moyenne ([27]). Ces chiffres sont en légère baisse selon les éléments fournis par la Mutualité sociale agricole (MSA) à la rapporteure dans le cadre des travaux préparatoires à la proposition de loi : après une amélioration jusqu’en 2021 (58,3 % des dossiers payés à échéance), le taux de dossiers traités avant le départ effectif en retraite a diminué à 49,1 % en 2023. Autrement dit, près de la moitié des dossiers traités au cours de cette dernière année n’ont pas fait l’objet d’un paiement à l’échéance prévue. Sur l’ensemble des assurés concernés par ces dossiers, un tiers restait en attente plus de trois mois après la date effective de leur départ à la retraite. Il convient toutefois de noter que l’exercice 2023 est atypique eu égard à l’entrée en vigueur de la réforme des retraites qui a conduit les assurés à retarder le dépôt de leur demande de liquidation dans un contexte d’inquiétude légitime quant aux effets de cette réforme sur leurs droits à pensions.

Si l’on raisonne en termes de stock, aux régimes agricoles salariés et nonsalariés, 15 526 dossiers étaient en cours de traitement dans les caisses de mutualité sociale agricole au 31 janvier 2024, dont la moitié (environ 7 500) présentaient une date d’entrée en jouissance échue. Les éléments soumis à la rapporteure ne permettent pas d’estimer le nombre de ces dossiers déposés après la date effective de départ et qui ne pouvaient, par construction, être traités à cette même date.

● Bien que non éligibles à la garantie de versement en tant que telle, les fonctionnaires bénéficient d’un dispositif similaire prévu par le code des pensions civiles et militaires de retraites. Lorsque la pension ne peut être versée à compter du premier jour du mois suivant la cessation de l’activité, les fonctionnaires et militaires reçoivent une allocation provisoire à titre d’avances sur pension ([28]). Le montant de cette allocation correspond au montant arrondi à l’euro inférieur de la somme à laquelle une liquidation établie à la date de la mise en retraite permet d’évaluer la pension.

En pratique toutefois, le service des retraites de l’État ne recourt pas à ce dispositif mais à une liquidation provisoire proche de celle pratiquée par les caisses d’assurance retraite et de santé au travail (Carsat) et les caisses de MSA. En cas de traitement tardif n’ayant pas permis de compléter le dossier de l’assuré, la pension est alors calculée selon les règles de droit commun, sur la base des informations connues à ce moment. La pension fait ensuite l’objet d’une révision ultérieure en cas de besoin ([29]).

Malgré tout, selon les informations communiquées à la rapporteure par le service des retraites de l’État, l’on dénombrait 3 349 dossiers avec rupture de paiement en 2023 soit 5,5 % du nombre total de liquidations de droits propres au régime de la fonction publique (60 995), dont près des trois‑quarts avaient été déposés après la date d’entrée en jouissance. Cette situation concerne principalement des militaires (66 % des situations de rupture de paiements) qui prennent leur retraite avant d’entamer ou de reprendre une carrière civile.

  1.   Les principales causes de retard ne sont pour la plupart pas imputables aux caisses de retraite

● Les auditions menées par la rapporteure ont permis de mettre en avant deux catégories de dossiers particulièrement sujets à des ruptures de ressources :

– les dossiers complexes qui nécessitent des échanges réguliers et multiples avec les assurés et les partenaires des caisses de retraites, en particulier les partenaires étrangers. Ces dossiers concernent principalement des assurés ayant connu des carrières hachées, des personnes en situation d’inaptitude nécessitant une reconnaissance médicale ainsi que des personnes ayant effectué une partie de leur carrière à l’étranger ;

– les dossiers déposés tardivement, dans des délais incompatibles avec le délai de traitement moyen des demandes de départ en retraite (soixante‑dix jours à la Cnav). Selon la Cnav, sur les 781 317 demandes de dossiers de liquidation déposés en 2023, plus de 50 % (400 000) avaient été déposés moins de soixante jours avant la date d’entrée en jouissance ([30]).

S’agissant des publics concernés par ces deux catégories de dossiers, même si aucune donnée chiffrée à disposition des interlocuteurs interrogés par la rapporteure ne permet d’objectiver cette hypothèse, les caisses auditionnées ont mis en avant une surreprésentation des assurés précaires et aux carrières hachées. Notons toutefois que certains publics spécifiques bénéficient de règles de liquidation dérogatoire. Il en va ainsi des personnes titulaires de l’allocation adulte handicapé qui voient leur prestation automatiquement substituée par leur pension de retraite lorsqu’ils atteignent 62 ans ([31]).

● Les raisons des retards ne sont donc pas toujours imputables aux caisses de retraite. Certains dossiers sont en déshérence car l’assuré omet ou n’est pas en capacité de transmettre un élément utile à la liquidation définitive ou au versement même de la pension. Un exemple régulièrement évoqué lors des auditions concerne le défaut de transmission du relevé d’identité bancaire (RIB) permettant le virement de la pension sur le compte adéquat. À ce titre, le service des retraites de l’État, qui bénéficie des informations de la direction générale des finances publiques, et la MSA, qui dispose souvent du RIB de ses adhérents puisqu’elle assure la couverture des risques maladie et qu’elle verse les prestations familiales, connaissent plus souvent que la Cnav ces informations relatives aux assurés.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 adoptée par le Parlement contenait un article permettant à divers organismes de la sphère sociale et aux administrations de l’État de se communiquer les informations, y compris bancaires, nécessaires au versement de prestations sociales ([32]). Cette disposition, censurée par le Conseil constitutionnel en tant que cavalier social, n’a cependant jamais été appliquée ([33]).

D’autres dossiers nécessitent des échanges entre la caisse de retraite et des partenaires internationaux ou nationaux, tels que France Travail pour les assurés ayant connu des périodes de chômage ou la Caisse nationale d’allocations familiales pour ceux bénéficiant de droits familiaux à la retraite. Or, la transmission de données par les partenaires internationaux des caisses de retraite peut parfois requérir des délais particulièrement longs au regard du temps séparant le dépôt de la demande de liquidation et la date du départ à la retraite.

Dans toutes ces situations, et quelle qu’en soit la cause, des personnes se trouvent dans l’attente du versement de leur pension après une vie de dur labeur alors même qu’elles ont déjà fait valoir leur droit de partir à la retraite. Le présent article vise précisément à apporter une solution à ces nouveaux retraités.

  1.   Le droit proposé : Une pension temporaire qui permet d’éviter les ruptures de ressources jusqu’au versement effectif de la retraite

Afin de compléter les dispositifs existants en matière de lutte contre les ruptures de ressources au moment du départ à la retraite, l’article 1er instaure un véritable « bouclier social pour la retraite » sous la forme d’une pension temporaire versée aux assurés qui ne perçoivent pas encore leur pension de retraite définitive.

  1.   Spécifiquement conçue pour les dossiers complexes ou déposés tardivement, la pension temporaire prévient les situations de rupture de ressources
    1.   Un outil conçu comme un bouclier social pour les retraités et un vecteur de renforcement de la confiance envers le système de retraite

● La pension temporaire instaurée par la présente proposition de loi, qui a le caractère juridique d’un avantage de vieillesse ([34]), revêt deux intérêts principaux :

– d’une part, elle évite les situations de rupture de ressources en permettant à l’assuré de toucher une partie de sa pension dès le mois suivant son départ à la retraite et ce, même si sa demande de liquidation n’a pas été définitivement traitée par les caisses de retraites ;

– d’autre part, en assurant le maintien des ressources des nouveaux retraités, elle renforce la confiance des assurés envers les caisses de retraite qui doivent traiter un nombre toujours plus important de dossiers malgré les constantes suppressions de postes qu’elles subissent.

Si le traitement des dossiers avant la date d’entrée en jouissance de la pension doit naturellement rester un objectif cardinal, la mesure proposée par la présente proposition de loi permet un départ en retraite plus serein pour les assurés.

● En application du présent article, la pension temporaire aurait vocation à couvrir les trois principaux régimes de retraite :

– le régime général des salariés et les régimes alignés des salariés agricoles et des indépendants (III du présent article) ;

– le régime de la fonction publique (I du présent article) ;

– le régime des non‑salariés agricoles (II du présent article).

Elle ne s’appliquerait donc pas, en l’état, aux régimes spéciaux et aux régimes des professions libérales. Le dispositif couvre néanmoins la majeure partie des assurés : parmi les 875 000 assurés ayant liquidé un droit direct en 2021, 98 % étaient affiliés à au moins l’un des régimes couverts ([35]).

  1.   Un outil spécifiquement consacré à la gestion des dossiers complexes ou déposés tardivement

La pension temporaire instaurée par le présent article est soumise à plusieurs conditions d’éligibilité.

● La première condition inscrite au premier alinéa du I du nouvel article L. 35118 du code de la sécurité sociale est que l’assuré ne doit pas percevoir sa pension définitive. La pension temporaire est en effet conçue pour accompagner la transition entre la période au cours de laquelle l’assuré reçoit son revenu d’activité et celle où il perçoit sa pension de retraite.

Elle ne concerne que la pension de retraite de droit direct. Ne sont donc pas concernés les assurés qui procèdent à une demande de liquidation de droits dérivés tels qu’une pension de réversion ou la pension d’orphelin créée par la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 ([36]).

En outre, son application au régime général, aux régimes alignés et au régime des non‑salariés agricoles est cantonnée à la part de la pension correspondant à la retraite de base, à l’exclusion de la part complémentaire. Ce choix répond à la volonté de ne pas imposer aux partenaires sociaux assurant la gestion des régimes de retraite complémentaire un dispositif qui n’aurait pas été négocié directement avec eux. L’approche retenue par les députés du groupe Socialistes et apparentés tranche radicalement, en cela, avec celle initialement adoptée par le Gouvernement qui prévoyait d’imposer unilatéralement le prélèvement d’une contribution des régimes de retraite complémentaire géré par l’Agirc‑Arrco pour le financement des éléments de solidarité au sein du système de retraite au moyen d’une disposition du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 ([37]).

Le régime de la fonction publique étant un régime intégré – sans distinction entre part de base et part complémentaire – la pension temporaire y comprend l’ensemble de la pension due. Elle ne s’applique toutefois pas à la part correspondant à la retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP).

● La seconde condition est relative au délai compris entre la date à laquelle l’assuré dépose sa demande de liquidation et la date d’entrée en jouissance de sa pension. Le premier alinéa du I de l’article L. 35118 précité prévoit ainsi que la pension temporaire n’est ouverte qu’aux assurés dont la demande de liquidation a été déposée au moins un mois civil avant la date de son entrée en jouissance.

En retenant ce délai d’un mois civil, le dispositif est donc conçu pour être complémentaire à la garantie de versement qui ne concerne que les assurés dont la demande de liquidation a été déposée au moins quatre mois civils avant la date du départ à la retraite.

La pension temporaire ne se substitue donc pas à la garantie de versement, mais apporte une protection supplémentaire aux assurés. Ainsi, grâce au dispositif prévu au présent article, certains assurés qui ne sont pas éligibles à la garantie de versement au motif qu’ils n’ont pas suffisamment anticipé le dépôt de leur demande de liquidation pourront au moins bénéficier d’une pension temporaire le temps de l’instruction de leur dossier. Cette situation permet plus particulièrement de couvrir les personnes qui présentent le plus de difficultés d’accès aux informations sur leurs droits à la retraite et les procédures de liquidation de leur pension.

Lors des auditions, les caisses et la direction de la sécurité sociale ont évoqué le risque que la proposition de loi faisait peser quant au comportement des futurs retraités. Les caisses sont engagées dans des campagnes de communication incitant au dépôt des dossiers quatre à six mois avant le départ effectif à la retraite. La précédente convention d’objectifs et de gestion de la Cnav comportait même un indicateur ciblant l’objectif de faire passer le taux de dossiers de droits propres déposés au moins quatre mois avant la date d’entrée en jouissance de 45 % à 80 % entre 2018 et 2022 ([38]). Selon l’Igas, ce taux avait atteint un peu moins de 60 % en fin de période conventionnelle ([39]).

En ouvrant cette garantie de pension temporaire pour les dossiers déposés au moins un mois civil avant la date effective du départ, la proposition de loi créerait un effet comportemental par lequel les assurés n’anticiperaient plus le dépôt de leur demande. La rapporteure ne souscrit pas à l’argument selon lequel la pension temporaire aurait un tel effet. Elle note qu’aucun de ses interlocuteurs n’a étayé ses craintes sur des éléments chiffrés et objectifs relatifs aux conséquences de ce dispositif sur les comportements en la matière. Le départ à la retraite étant un élément important de la vie de nos concitoyens, il apparaît peu probable que le filet de sécurité que constitue cette proposition de loi ait un effet tel qu’elle inviterait nos concitoyens à ne plus accomplir leurs démarches au plus tôt.

● Les travaux préparatoires ont mis en avant le fait que les règles d’éligibilité résultant de la rédaction actuelle du dispositif étaient susceptibles de créer un risque d’indu particulièrement prégnant pour une catégorie spécifique de personnes qui se voient opposer un refus de liquidation par les caisses de retraite.

En effet, un certain nombre de demandes de liquidation sont déposées par des assurés qui pensent, à tort, avoir atteint l’âge de partir à la retraite. Cette situation concerne notamment les assurés qui prétendent à une retraite anticipée pour carrière longue, pour inaptitude ou en raison d’un handicap. En 2023, 9 % des instructions de demandes de liquidation de droits propres au régime général ont abouti à un rejet ([40]). Si le refus intervient après la date du départ souhaité à la retraite par l’assuré, ce dernier aurait ainsi bénéficié de la pension temporaire et se trouverait dans l’obligation de rembourser l’intégralité des sommes perçues. Outre le risque évident sur la situation financière de l’intéressé, il pourrait en résulter une rupture de confiance envers le système de retraite, contraire à l’esprit de la présente proposition de loi.

Il apparaît donc nécessaire à la rapporteure de préciser les conditions d’éligibilité à la pension temporaire afin de prévoir que seules peuvent bénéficier de la pension temporaire les personnes dont la demande de départ à la retraite est recevable. Concrètement, le bénéfice de la pension temporaire serait soumis à la vérification préalable de cette condition. Ladite pension garderait toute son utilité car, dès la validation par les caisses de retraite de la recevabilité de la demande de départ, la pension temporaire serait versée en attente du calcul du montant de la pension définitive.

Afin de laisser aux caisses de retraite le temps nécessaire pour assurer ce contrôle, il paraîtrait dès lors indispensable d’allonger le délai minimal entre la date de dépôt de la demande de liquidation et la date d’entrée en jouissance de la pension, sans que ce délai soit nécessairement harmonisé avec le délai de quatre mois ouvrant droit à la garantie de versement.

  1.   La pension temporaire s’adosse aux mesures destinées à améliorer l’information des assurés et ne se substitue pas à la pension définitive
    1.   Le calcul de la pension temporaire repose sur les estimations indicatives globales transmises à chaque assuré par les caisses de retraite

● Par construction, le montant de la pension de retraite due à un assuré éligible à la pension temporaire n’est pas exactement connu. Afin de déterminer le montant de la pension temporaire, il est donc proposé de s’appuyer sur les dispositifs développés depuis 2003 en matière de droit à l’information des assurés.

Depuis l’adoption de la loi n° 2003‑775 du 21 août 2023 portant réforme des retraites, l’article L. 161‑17 du code de la sécurité sociale prévoit que chaque assuré reçoit, à partir d’un certain âge, une estimation indicative globale du montant des pensions de retraite auxquelles il a droit. Cette estimation est produite dès l’âge de 55 ans et fait l’objet d’une actualisation tous les cinq ans. Les caisses de retraite produisent ce document sur la base des informations dont elles disposent sur la carrière et les revenus d’activité de l’assuré. Comme le précise le VI de l’article L. 161‑17 précité, elles mettent ces informations à disposition du groupement d’intérêt public (GIP) Union retraite.

Le contenu de l’estimation indicative globale est précisé par les dispositions réglementaires du code de la sécurité sociale, lesquelles prévoient que le montant des pensions est estimé à plusieurs âges différents ([41]) :

– l’âge d’ouverture des droits ;

– l’âge atteint à la date prévisible à laquelle la pension pourrait être liquidée au taux plein ([42]), sans coefficient d’abattement ([43]) ou au pourcentage maximum ([44]) ;

– l’âge d’annulation de la décote, c’est-à-dire 67 ans.

L’estimation indicative globale présente, pour chacun de ces âges, le montant total des pensions auquel l’assuré a droit ainsi que la déclinaison des montants de retraite dus par chacun des régimes de base et complémentaire. Les dispositions réglementaires précisent bien que cette estimation a un caractère estimatif et non contractuel, et qu’elle n’engage donc pas les organismes de retraite.

Droit à l’information des assurés en matière de retraite

La loi n° 2003‑775 du 21 août 2003 a créé un droit à l’information des assurés en matière de retraite, régi par l’article L. 161‑17 du code de la sécurité sociale.

Un groupement d’intérêt public (GIP) a été constitué en 2004 afin de mettre en œuvre ce droit. Devenu l’Union retraite depuis la loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014, il fédère les organismes gestionnaires d’un régime de retraite obligatoire, de base et complémentaire.

Le droit à l’information en matière de retraite, dont le cadre juridique a été complété par la loi n° 2010‑1330 du 9 novembre 2010, poursuit deux objectifs : communiquer aux assurés des informations complètes et coordonnées entre les différents régimes de retraite dont ils relèvent et envoyer des estimations des futurs montants de pensions.

Afin de concrétiser ce droit à l’information, la loi établit trois outils principaux :

– un relevé de situation individuelle faisant apparaître les droits acquis dans l’ensemble des régimes de base et complémentaires, délivré aux assurés sur demande et de manière dématérialisée. Ce relevé est également établi de façon périodique par les caisses et organismes chargés de la gestion des régimes de retraite et adressé aux assurés atteignant les âges de 35, 40, 45 ou 50 ans ;

– une estimation individuelle globale du montant des pensions transmises à l’assuré à partir de 55 ans, puis tous les cinq ans jusqu’au départ en retraite. Elle comprend tous les éléments permettant d’estimer le montant des pensions de retraite de base et complémentaire en fonction de l’âge de départ ;

– un entretien « information retraite » que chaque assuré peut demander, à partir de l’âge de 45 ans, auprès d’un ou plusieurs régimes de retraite dont il relève. Cet entretien lui permet notamment de faire le point de manière personnalisée sur sa carrière passée et de lui présenter les possibilités qui sont les siennes pour la retraite (montant de la pension, cumul emploi-retraite, etc.).

● Le présent article prend appui sur ce document pour déterminer le montant de la pension temporaire versée à l’assuré. Le deuxième alinéa des articles L. 23 bis du code des pensions civiles et militaires de retraite, L. 732401 du code rural et de la pêche maritime et L. 35118 du code de la sécurité sociale prévoit ainsi que le montant de la pension temporaire versé par chacun des régimes concernés est égal au montant inscrit dans l’estimation indicative globale qui correspond à l’âge auquel l’assuré est supposé pouvoir bénéficier d’une pension au pourcentage maximum, sans coefficient d’abattement ou au taux plein, en fonction de sa carrière et de sa situation personnelle.

Dans la mesure où l’objectif est d’approcher au plus près le montant réel de la pension définitive, la rédaction de l’article 1er traduit l’hypothèse selon laquelle les assurés auraient une préférence pour un départ à la retraite au taux plein, sans décote ni surcote. Cette hypothèse est cohérente avec les motivations du départ à la retraite mesurées par la Drees dans son étude annuelle sur les retraités et la retraite : parmi les personnes parties à la retraite en 2021, 69 % indiquent que le fait de bénéficier une retraite à taux plein a joué dans leur décision ([45]).

Pour autant, les travaux préparatoires ont permis d’esquisser des pistes permettant d’affiner les modalités de calcul du montant de la pension temporaire afin de le rendre plus proche du montant de la pension définitive. En effet, le choix de retenir le montant de l’estimation indicative globale correspondant à une pension de retraite liquidée au taux plein fragilise la situation des personnes qui partiraient avec une décote. Pour ces personnes, le montant de la pension temporaire serait supérieur au montant de la pension définitive, entraînant le remboursement du trop‑perçu. Plusieurs options seraient à même de réduire ce risque :

– prévoir que le montant de la pension temporaire correspond au montant estimé à l’âge auquel l’assuré dépose sa demande de liquidation. L’estimation individuelle globale présente en effet des montants estimés chaque année à compter de l’âge d’ouverture des droits. Ce faisant, le dispositif reposerait sur une estimation moins forte que dans sa rédaction actuelle et s’adapterait à chaque assuré en fonction de l’âge auquel il souhaite partir à la retraite ;

– appliquer un coefficient de minoration au montant inscrit dans l’estimation indicative globale. L’objectif premier de cette proposition de loi est d’éviter une rupture brutale de ressources pour les nouveaux retraités. Cet objectif doit néanmoins être concilié avec la nécessité de limiter les risques d’indu liés à une surestimation du montant de la pension temporaire. Ce coefficient de minoration devrait donc être fixé à un niveau garantissant à la fois un niveau de pension temporaire décent et la prise en compte de l’effet éventuel d’une décote sur le montant de la pension définitive.

● Afin d’assurer la cohérence du dispositif, le 1° du III inscrit au IV de l’article L. 161‑17 du code de la sécurité sociale l’obligation pour l’estimation indicative globale de présenter le montant estimé des pensions de retraite dues par chaque régime à l’âge atteint à la date à laquelle l’assuré peut bénéficier d’une pension au taux plein.

Cette précision apparaît nécessaire à la rapporteure puisque, en son absence, une simple modification du contenu de l’estimation indicative globale par voie réglementaire risquerait de rendre caduc le dispositif proposé par le présent article. Sous cette précision, la rapporteure note que la rédaction retenue n’obère pas la capacité reconnue au Gouvernement de modifier le contenu de l’estimation indicative globale dès lors que celle‑ci comprend bien le montant prévu par la loi.

● Par ailleurs, les travaux préparatoires à la présente proposition de loi ont mis en lumière des pistes d’amélioration de la fiabilité de l’estimation indicative globale et de sécurisation de son emploi dans le cadre de la pension temporaire :

– aujourd’hui, aucune obligation ne s’applique aux caisses en matière de conservation des estimations indicatives globales qu’elles transmettent aux assurés. Pour leur permettre de calculer la pension temporaire sur la base des informations contenues dans lesdites estimations, il apparaît donc nécessaire à la rapporteure de créer une obligation légale de conservation de ces documents par les caisses ;

– en outre, la fiabilité du montant de la pension temporaire dépendant de la qualité des informations contenues dans l’estimation indicative globale, il apparaît souhaitable de réduire le délai actuel de cinq ans entre chaque transmission de cette estimation. À titre d’exemple, si le délai était réduit à deux ans, une personne qui déciderait de partir à la retraite à l’âge de 64 ans pourrait voir le montant de sa pension temporaire calculée sur la base d’une estimation calculée seulement un an plus tôt contre près de quatre ans aujourd’hui. Outre le renforcement du droit à l’information de l’assuré, une telle évolution réduirait le risque d’indu lié à une surestimation du montant de la pension temporaire.

Ces deux éléments sont autant de pistes que la rapporteure se propose de prendre en compte par voie d’amendement.

Répertoire de gestion des carrières unique (RGCU)

Adopté à l’initiative du rapporteur, M. Denis Jacquat, l’article 9 de la loi n° 2010-1130 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites a prévu la création du Répertoire de gestion des carrières unique (RGCU) afin de résoudre un point faible inhérent à la liquidation des pensions de retraite : la transmission interrégimes des informations relatives à la carrière des assurés polypensionnés. D’abord conçu pour ne s’appliquer qu’aux régimes de base, le RGCU a été étendu aux régimes complémentaires par l’article 41 de la loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites. Aujourd’hui codifié à l’article L. 161‑17‑1‑2 du code de la sécurité sociale, la gestion du RGCU est confié à la Cnav.

La structure des données du référentiel doit permettre de disposer des éléments qui retracent la continuité de la carrière de l’assuré, quels qu’aient été ses professions et les régimes de retraite auquels il a été affilié. Elle doit aussi être adaptée aux périodes de chômage, de maladie, ou aux périodes ne procurant pas de droits à la retraite mais qui complètent la carrière depuis le début de sa vie professionnelle.

L’objectif du RGCU est donc de permettre d’optimiser les processus de gestion, en centralisant les données et en améliorant leur complétude et leur qualité. En application du décret n° 2018‑154 du 1er mars 2018, ce projet informatique a été déployé à partir de juillet 2019. Il contient aujourd’hui les carrières de 80 millions d’assurés, actifs ou déjà retraités. Alimenté automatiquement, le RGCU simplifie les échanges : chaque gestionnaire de retraite de n’importe quel régime a accès à l’ensemble de la carrière de l’assuré pour fiabiliser son relevé de situation ou traiter sa demande de liquidation de pension.

L’unification des bases de données des différents régimes se poursuit encore. Ainsi en 2022 une nouvelle étape a été franchie avec l’intégration des données de l’Ircantec, permettant de couvrir 30 millions d’assurés. Le régime de la retraite des mines a été intégré au RGCU en novembre 2022, tandis que la Caisse interprofessionnel de prévoyance et d’assurance vieillesse des professions libérales (Cipav) s’y est raccordée le 1er mars 2023.

La consolidation du RGCU est susceptible de fiabiliser considérablement les informations disponibles sur la carrière de l’assuré et de permettre une mise en œuvre satisfaisante du bouclier social prévu par le présent article.

 

  1.   Le montant de la retraite temporaire fait l’objet d’une régularisation lorsque les droits sont définitivement connus

● Le II des articles L. 23 bis du code des pensions civiles et militaires de retraite, L. 732401 du code rural et de la pêche maritime et L. 35118 du code de la sécurité sociale définit les règles applicables en matière d’extinction du bénéfice de la pension temporaire.

Conformément à son objet principal, la pension temporaire cesse d’être versée au moment où l’assuré perçoit sa pension de retraite définitive. La pension temporaire n’ayant pas vocation à s’y substituer, le II renvoie donc à un décret les conditions dans lesquelles les caisses de retraite sont amenées à régulariser les sommes déjà versées au titre de la pension temporaire eu égard au montant de la pension définitive.

● La proposition de loi encadre toutefois cette régularisation dans un sens favorable aux assurés :

– lorsque la pension définitive est supérieure à l’estimation ayant servi de base au calcul du montant de la pension temporaire, les caisses de retraite seront tenues de rembourser la différence à l’assuré dès le premier versement de sa pension définitive ;

– dans le cas inverse, la loi prévoit que le remboursement du trop‑perçu par l’assuré peut faire l’objet d’un échelonnement afin de prévenir les difficultés financières.

*

*     *


Rejeté par la commission

Cet article prévoit de gager la charge pour les organismes de sécurité sociale liée à l’application de la proposition de loi par une majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

L’article 2 est l’article de gage destiné à assurer la recevabilité financière de la proposition de loi au regard de l’article 40 de la Constitution.

 

*

*     *

 

 


– 1 –

travaux de la commission

Lors de sa seconde réunion du mercredi 14 février 2024 ([46]), la commission la commission examine la proposition de loi visant à toucher sa retraite dès le premier jour (n° 2058) (Mme Mélanie Thomin, rapporteure).

 

Mme Mélanie Thomin, rapporteure. Au 31 décembre 2023, 25 313 de nos concitoyens attendaient encore le versement de leur pension par le régime général d’assurance vieillesse alors même que la date de leur départ en retraite était passée, parfois depuis plusieurs mois.

À ces 25 313 salariés s’ajoutent près de 7 500 agriculteurs et 3 300 fonctionnaires qui, malgré une vie de labeur, ne bénéficient pas de leur pension de retraite à la date souhaitée alors qu’ils ont cessé leur activité professionnelle.

Intolérables, ces ruptures de ressources alimentent une défiance envers notre système de retraites par répartition – défiance qui croît depuis plusieurs années. Selon un sondage Odoxa d’octobre 2023, les non‑retraités sont à peine 39 % à avoir confiance dans le système de retraite.

Le débat qui s’est tenu à l’occasion de la réforme des retraites a largement contribué à accroître l’inquiétude de nos concitoyens. Outre le report de deux ans de l’âge de départ et l’accélération du calendrier d’allongement de la durée d’assurance nécessaire pour bénéficier du taux plein, auxquels s’oppose une grande majorité de Français, de nombreuses mesures dites d’accompagnement n’ont pas encore produit leurs effets – soit que les décrets d’application tardent à être pris, soit qu’ils ne correspondent pas aux attentes légitimes de nos concitoyens.

Ainsi, alors que la réforme promulguée en avril dernier prévoyait une revalorisation des pensions des retraités les plus modestes dès le 1er septembre 2023, un nombre encore important d’entre eux attendent encore les versements correspondants, six mois plus tard.

Méconnaissant les conclusions de la mission « flash » menée par Paul Christophe et Arthur Delaporte en décembre 2022, le Gouvernement a décidé, par voie réglementaire, de ne pas prendre en compte les trimestres validés par les personnes qui ont été employées dans le cadre de travaux d’utilité collective (TUC) pour déterminer l’éligibilité au dispositif de départ anticipé pour carrières longues.

De même, les sapeurs-pompiers volontaires attendent la parution du décret permettant la prise en compte de leurs années de service sous la forme de trimestres supplémentaires pour leurs droits à la retraite.

Enfin, malgré un vote à l’unanimité à l’Assemblée nationale et le vote conforme du Sénat dès la première lecture, la loi du 13 février 2023 subit déjà les tentatives du Gouvernement d’enterrer la réforme visant à prendre en compte les vingt-cinq meilleures années pour le calcul des retraites agricoles. Le rapport remis en application de la « loi Dive » écarte en effet les scénarios qui seraient les plus bénéfiques aux agriculteurs pour en privilégier d’autres par construction moins favorables.

En tant qu’élue d’un territoire rural, je me dois de rappeler que les agriculteurs continuent de percevoir des pensions près de deux fois plus faibles que celles du reste de la population, en dépit des difficultés qu’ils connaissent et que personne dans cette commission ne peut contester.

Dans ce contexte de défiance, il me semble urgent de réintroduire une forme de sérénité dans le moment si particulier et si important qu’est le passage à la retraite. Tel est l’objectif de la proposition de loi que j’ai l’honneur de présenter, qui vise à permettre aux retraités de toucher leur pension dès le premier jour.

À l’image de notre système de retraite, le calcul des droits à la retraite est une opération complexe. Elle suppose de reconstituer la carrière de l’assuré pour définir le montant précis de la pension à laquelle il peut prétendre. Cette opération est d’autant plus délicate qu’un nombre croissant de Français sont désormais polypensionnés, c’est-à-dire qu’ils ont été affiliés successivement ou simultanément à plusieurs régimes de retraite.

Cette complexité justifie que le traitement des demandes de départ prenne du temps aux caisses de retraite. Au régime général, le délai de traitement moyen des demandes est de soixante-dix jours, mais certains dossiers complexes prennent plusieurs mois. En tout, ce sont près de 15 % de l’ensemble des dossiers en cours de traitement au régime général qui présentent un retard de paiement. Si la Mutualité sociale agricole n’a pas été en mesure de nous indiquer le délai de traitement des dossiers déposés par ses adhérents, les auditions ont toutefois permis de révéler que plus de 50 % des dossiers de départ à la retraite des agriculteurs font l’objet d’un paiement après la date souhaitée de départ !

Deux causes principales expliquent ce phénomène.

La première raison réside dans la complexité de certains dossiers, particulièrement aiguë pour les assurés polypensionnés, les invalides qui demandent une reconnaissance médicale, les assurés aux carrières hachées ou ayant exercé une partie de leur carrière à l’étranger.

La seconde raison réside dans le fait qu’un certain nombre de futurs retraités déposent encore leur demande de départ tardivement, dans des délais qui ne leur permettent pas de bénéficier de la garantie de versement créée par le décret du 19 août 2015. Ce dispositif impose aux caisses de retraite de procéder au versement de la pension des assurés ayant déposé leur demande au moins quatre mois civils avant la date de liquidation dès le mois suivant leur départ à la retraite. Il ne s’applique toutefois ni aux fonctionnaires, ni aux exploitants agricoles.

Certes, les caisses de retraite ont pris des mesures pour faciliter le traitement des dossiers et pour les ruptures de ressources des nouveaux retraités. Nous nous en réjouissons. Outre les démarches de communication ciblées et le développement des échanges inter-régimes, elles procèdent de plus en plus à des liquidations provisoires, avec un calcul « en l’état » fondé sur les informations dont elles disposent. Cette procédure, qui concernait un peu plus de 13 % des demandes du régime général en 2021, a été appliquée à près de 20 % des dossiers en 2023. Elle n’est toutefois encadrée par aucun texte législatif ou réglementaire et exclut de fait un certain nombre de nos concitoyens.

Face à ce constat, le texte que nous nous apprêtons à examiner propose d’instaurer un bouclier social pour la retraite, sous la forme d’une pension temporaire versée aux retraités dont la demande de liquidation, déposée au moins un mois civil avant la date effective de départ à la retraite, n’aurait pas été traitée dans les délais souhaités.

Cette proposition revêt deux intérêts principaux.

D’une part, elle limite les situations de rupture de ressources en permettant à l’assuré de toucher une partie de sa pension dès le mois suivant son départ à la retraite, et ce même si sa demande de liquidation n’a pas été définitivement traitée par les caisses de retraite.

D’autre part, elle renforce la confiance des assurés envers ces caisses, qui doivent traiter un nombre toujours plus important de dossiers malgré les constantes suppressions de postes qu’elles subissent.

Le bouclier social pour la retraite protégerait la grande majorité de nos concitoyens, qu’ils aient été salariés, indépendants, fonctionnaires ou agriculteurs. Ainsi, parmi les 875 000 assurés ayant liquidé un droit direct en 2021, 98 % étaient affiliés à au moins l’un des régimes concernés.

Grâce au dispositif prévu par l’article 1er, certains assurés, qui ne sont pas éligibles à la garantie de versement au motif qu’ils n’ont pas suffisamment anticipé le dépôt de leur demande de liquidation, pourront au moins bénéficier d’une pension temporaire le temps de l’instruction de leur dossier. Cela permet de couvrir les personnes qui ont le plus de difficultés à accéder aux informations sur leurs droits à la retraite et les procédures de liquidation.

En pratique, le montant de la pension temporaire serait calculé par référence aux documents transmis aux assurés par les caisses de retraite, dans le cadre de leur droit à l’information. Je veux lever une ambigüité qui a fait l’objet de débats lors des auditions : l’estimation indicative globale sur laquelle se fonde ce calcul n’est pas une simple simulation faite par un assuré curieux de connaître ses droits en fonction d’hypothèses qu’il pourrait modifier à sa guise. Il s’agit d’un document dont la transmission est une obligation légale et que les caisses de retraite produisent sur la base des informations figurant dans le relevé de situation de l’assuré. Remettre en cause la fiabilité de l’estimation indicative globale revient à remettre en cause la qualité des renseignements dont disposent les caisses de retraite et, plus largement, la pertinence des outils d’information à destination des assurés.

Une fois le montant de la pension définitivement arrêté, la différence avec celui de la pension temporaire perçue ferait l’objet d’une régularisation, avec la possibilité d’échelonner le remboursement en cas de trop-perçu.

Les travaux préparatoires m’ont permis d’identifier plusieurs possibilités d’amélioration. Il s’agit notamment des risques d’indus ou de la situation particulière des personnes qui, pensant à tort avoir atteint l’âge de partir à la retraite, voient leur demande de départ refusée. J’aurai l’occasion de revenir sur ces sujets lors de l’examen des amendements que j’ai déposés.

Le texte que je vous propose vise à répondre à une question simple mais cruciale : accepte-t-on, en 2024, que plusieurs dizaines de milliers de nos concitoyens attendent chaque mois le début de versement de leur retraite, ce droit acquis après une vie de travail, une vie à cotiser pour assurer le financement de la sécurité sociale ?

Pierre Laroque disait : « La sécurité sociale répond [...] à la préoccupation fondamentale de débarrasser les travailleurs de la hantise du lendemain. » Près de quatre-vingts ans après la création de la sécurité sociale, je crois que cette proposition de loi participe, modestement mais concrètement, à cette œuvre ambitieuse.

Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Didier Le Gac (RE). Cette proposition de loi nous rappelle la situation très délicate dans laquelle se trouvent en effet des dizaines de milliers de salariés chaque année, qui partent à la retraite sans toucher leur pension dès le premier jour. Pour le régime général, ils sont 25 000, soit environ 3 %. Mais, comme l’a rappelé le directeur de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) lors de son audition, c’est 25 000 de trop.

Pour répondre à cette situation, la proposition de loi prévoit rien de moins que de verser une pension temporaire à toutes les personnes qui en feraient la demande jusqu’à un mois seulement avant leur départ à la retraite.

Les auditions ont souligné que cette mesure entraînerait des indus considérables, mettant en difficulté les bénéficiaires eux-mêmes. Elle risque en outre d’inciter nos concitoyens à ne plus anticiper suffisamment leur passage à la retraite, alors que quatre à six mois au moins sont nécessaires. Enfin, ce texte engendrera une surcharge de travail pour les caisses de retraite, avec le risque certain de dégrader le service apporté au 800 000 autres Français partant chaque année à la retraite.

S’étant rendu compte de toutes ces difficultés, la rapporteure propose pas moins de vingt-huit amendements pour réécrire son texte. Soit. Mais même avec cette nouvelle rédaction, le texte comporterait selon nous encore trop d’imprécisions et de risques.

En fait, le véritable intérêt de cette proposition est d’avoir permis de rappeler l’existence du décret du 19 août 2015, qui prévoit déjà une garantie de versement de pension pour tous les retraités du régime général et dont 300 000 retraités bénéficient chaque année. Cette proposition est donc en partie satisfaite par ce décret – qui pourrait sans doute être amélioré et dont la portée mériterait d’être étendue à d’autres régimes de retraite.

Enfin, lors des auditions, les caisses de retraite se sont engagées à réduire encore le nombre de retraités qui ne touchent pas immédiatement leur pension – lequel diminue d’ailleurs chaque année. Il nous revient d’inviter le Gouvernement à fixer des objectifs encore plus ambitieux.

En dépit de ses bonnes intentions, cette proposition insuffisamment préparée serait très difficile à appliquer, et créerait davantage de complexité pour les futurs retraités que nous rencontrons dans nos permanences. Par conséquent, nous voterons contre.

Mme Christine Loir (RN). Si nous en restions simplement au titre de cette proposition de loi, un consensus serait acquis immédiatement. Tout le monde souhaite que chaque citoyen ayant cotisé toute sa vie jusqu’à 64 ans puisse toucher sa retraite immédiatement. Mais nous avons été élus pour légiférer, et lorsqu’on lit le dispositif de cette proposition, on se rend compte qu’il n’est pas adapté.

La pension temporaire telle qu’elle est conçue présente plusieurs défauts.

Premièrement, elle est calculée sur les derniers mois de salaire et sera donc évidemment surévaluée, ce qui implique que les retraités devront ensuite assumer un remboursement potentiellement lourd.

Deuxièmement, les auditions ont fait apparaître que si le salarié démissionne alors qu’il n’a pas encore acquis tous ses droits à la retraite, il devra tout rembourser. En cas de difficultés de remboursement, les conséquences se feront sentir aussi bien en termes de dégradation des finances publiques que d’endettement des personnes.

Il est intéressant de relever que les membres du groupe Socialistes et apparentés tentent avec ce texte de revenir sur une disposition adoptée sous la présidence de M. Hollande. Car c’est bien le gouvernement de M. Valls qui a instauré le dispositif qui prévoit que les Français bénéficient de la garantie de paiement des pensions seulement le mois suivant la date d’entrée en jouissance, à condition qu’ils aient déposé leur demande de départ quatre mois auparavant.

En l’état, mon groupe s’abstiendra car la rédaction actuelle du texte met financièrement en danger les futurs retraités.

M. Hendrik Davi (LFI - NUPES). Dans son discours de politique générale, le Premier ministre n’a pas daigné évoquer la situation déplorable des 17,3 millions de retraités – et on le comprend : c’est le chaos absolu, avec des retards inacceptables de versement des pensions de retraite. Une partie des gens n’auront d’ailleurs jamais de retraite digne à cause de l’actuel gouvernement. La moitié des retraités vivent avec un revenu en dessous du Smic et, depuis 2017, ils ont en moyenne perdu l’équivalent de trois mois de pension en raison de l’inflation.

Même faire valoir ses droits à la retraite est difficile. La liquidation d’une retraite se fait dans de mauvaises conditions. Les futurs retraités doivent déposer leur dossier dans un délai de quatre mois et l’assurance retraite doit les traiter en soixante-quinze jours. Sauf que, pour cette année, les décrets de la dernière réforme des retraites sont parus le 22 août pour une application au 1er septembre. Rien n’était prêt, évidemment.

Des dizaines de milliers de personnes sont concernées par des retards qui dépassent parfois six mois. En effet, les Carsat sont insuffisamment dotées. Comme d’autres services publics, elles subissent les attaques néolibérales des gouvernements français depuis des décennies. D’après les représentants du personnel que j’ai rencontrés, notamment dans ma circonscription, cela se concrétise par une baisse des effectifs et le non-remplacement des départs à la retraite, mais aussi par la fermeture de guichets d’accueil. La dernière convention d’objectifs et de gestion prévoyait une baisse de 1 000 salariés à l’échelon national et de 100 pour la seule Carsat Sud-Est.

Pour pallier ces baisses d’effectifs, la productivité a été augmentée, notamment avec un accroissement des démarches faites à distance. Or un rapport de la Défenseure des droits publié en octobre 2021 a révélé qu’un quart des personnes de plus de 65 ans rencontrait des difficultés pour effectuer des démarches administratives. On comprend mieux pourquoi il y a un problème pour faire valoir ses droits. Actuellement, 75 % des demandes de pension déposées de manière dématérialisée ne peuvent pas être liquidées car il manque des documents.

Cette proposition va dans le bon sens grâce à la pension temporaire. Elle limite ainsi les situations de rupture – comment vivre sans revenus lorsque l’on vient de prendre sa retraite ? Nous la voterons donc, et nous la défendrons.

Mme Isabelle Valentin (LR). En 2022, sur 820 000 dossiers de demandes de pension, 25 000 ont été traités en retard, selon les chiffres officiels de l’administration. Ce sont autant de nouveaux retraités qui attendent pour toucher leurs premières pensions. Ces difficultés concernent surtout les plus modestes, car ce sont le plus souvent eux qui ont alterné périodes d’activité et de chômage et qui n’ont pas d’épargne.

La Cnav regrette ces retards mais fait valoir que la situation n’est pas nouvelle. Les syndicats, eux, vont plus loin : les retards seraient sous-évalués. Selon eux, un dossier de retraite sur cinq serait concerné – et cela ne va pas s’améliorer.

Plusieurs raisons expliquent ces retards de paiement des pensions, à commencer par le manque de personnel pour traiter les dossiers. Depuis dix ans, les effectifs des agents en CDI de la sécurité sociale subissent une baisse continue, qui n’est pas compensée par la hausse marginale des effectifs en CDD. En effet, pour gérer 16 millions de dossiers de retraités, les caisses de retraite de sécurité sociale et celles des indépendants employaient 14 800 salariés en 2017 ; ils n’étaient plus que 13 700 en 2021. Or le nombre d’assurés qui liquident leur droit à la retraite est passé, tous régimes confondus, de 741 000 en 2012 à 875 000 en 2021. À cela s’ajoute la complexité grandissante des dossiers. En effet, les carrières sont de moins en moins linéaires.

Si l’intention de cette proposition de loi va dans bon sens, son dispositif n’est pas adapté. Ne serait-il pas temps de renforcer les moyens alloués par l’État aux caisses de retraite pour leur permettre de traiter les dossiers dans des délais raisonnables ?

M. Nicolas Turquois (Dem). À première vue, comment ne pas être d’accord avec l’intitulé de cette proposition de loi : qui ne souhaite pas toucher sa retraite dès le premier jour ? Mais en regardant le texte dans les détails, on déchante.

Ainsi, l’ensemble des assurés seraient éligibles à ce que vous appelez un bouclier social pour la retraite, estimé par les caisses de retraite sur la base d’une pension à taux plein. Il faudrait en formuler la demande au moins un mois avant le départ en retraite.

Cette forme de retraite provisoire mettrait sous grande tension les personnels chargés de liquider les pensions. Le délai d’un mois est trop court et présenterait des risques élevés de fraude, d’erreurs ou d’indus – particulièrement douloureux à rembourser.

Mais pour notre groupe, le principal écueil réside dans le fait qu’on veuille résoudre un problème administratif de gestion de dossiers par une loi – encore une ! Au lieu d’améliorer les choses, vous rendriez les procédures plus complexes et plus pénibles, au détriment des personnes que vous souhaitez aider, celles qui s’occupent trop tard de leur départ en retraite.

Ce texte a le mérite de mettre en lumière les retards de paiement de pensions, qui peuvent être particulièrement douloureux pour les plus précaires de nos concitoyens au moment de leur départ en retraite. Mais, plutôt que de complexifier le corpus législatif, notre majorité souhaite en améliorer la lisibilité pour assurer un meilleur passage à la retraite. C’était tout le sens de l’instauration d’un système de retraite par points, à laquelle le groupe Socialistes et apparentés s’est opposé lors du quinquennat précédent. Ce système aurait permis d’anticiper facilement la fin d’activité et de disposer à tout moment des informations nécessaires, notamment financières. Elle aurait aussi permis d’harmoniser les droits familiaux entre régimes, qui sont une des sources majeures de complexité.

Pour résoudre les difficultés, mieux vaut s’interroger sur la complexité du système plutôt que s’en tenir à des incantations. C’est pourquoi nous voterons contre cette proposition de loi.

M. Arthur Delaporte (SOC). « Je suis né en octobre 1988 et je travaille depuis l’âge de 16 ans. J’ai grandi dans une famille où il fallait travailler et dès que je suis sorti du système scolaire, j’ai passé mon CAP Métallier. J’ai enchaîné les emplois : TUC, stages d’initiation à la vie professionnelle, vendanges... Avant la réforme des retraites, je pouvais partir à 60 ans et cinq mois, mais on nous demande maintenant de travailler plus longtemps. J’ai le dos et les cervicales usés. J’ai également une reconnaissance MDPH [maison départementale des personnes handicapées] pour des problèmes respiratoires, mais cela ne permet pas de partir plus tôt. Je pense avoir une carrière professionnelle remplie et j’espère pouvoir bénéficier d’un départ à la retraite à 60 ans, ce qui me semble bien mérité. »

Des messages semblables à celui de Frédéric, nous en recevons tous les jours. Réforme de l’assurance chômage, réforme des retraites, réforme du RSA, matraquage social, pointage des pauvres, Libération s’est penché sur votre bilan : vous n’avez fait que détricoter notre modèle social. Alors oui, madame la rapporteure, ce texte est évidemment plus que bienvenu. Il représente un filet de sécurité indispensable pour les pensionnés.

Comment expliquer que 20 403 personnes ayant demandé la liquidation de leur pension de retraite restent aujourd’hui en attente de la validation de son paiement ? La rupture de ressources qui en résulte peut avoir des conséquences dramatiques. Elles viennent nous dire, dans nos permanences, à quel point cela les bloque, les pénalise, voire met leur vie en danger. Les agriculteurs sont particulièrement touchés. C’est un peu la double peine pour ces travailleurs dont on connaît la situation difficile.

Ce texte de justice sociale profitera en particulier aux anciens bénéficiaires des TUC, souvent pénalisés par les errements du Gouvernement. Ainsi Sylvie, qui a fait sa déclaration en passant par le site dédié de l’assurance retraite et à qui on a expliqué qu’elle devait continuer à attendre...

M. Paul Christophe (HOR). Le titre accrocheur de cette proposition de loi pourrait induire en erreur les personnes qui nous suivent. Aussi, je tiens à préciser que depuis l’entrée en vigueur, le 1er septembre 2015, du droit opposable au versement de la retraite, les caisses de retraite disposent d’un délai de quatre mois pour traiter un dossier complet – je dis bien complet. À défaut, le versement de la première pension est débloqué de façon automatique à l’expiration de ce délai. Selon la Cnav, ces retards concernent environ 21 000 dossiers sur plus de 820 000 en 2021. Ce système a été instauré dans le but de protéger les nouveaux retraités contre la précarité dans laquelle ils pourraient se trouver après avoir perdu toute autre source de revenus.

Ce sont les inquiétudes à cet égard qui ont motivé, me semble-t-il, le dépôt de cette proposition de loi et son inscription à l’ordre du jour de la journée d’initiative parlementaire du groupe socialiste. Mais, si nous convenons que ces retards doivent cesser, nous pensons que ce texte complexifierait les choses, alors que des solutions adaptées existent déjà. Pour le groupe Horizons et apparentés, il convient avant tout de renforcer les moyens des administrations de sécurité sociale pour leur permettre d’absorber toutes les demandes de dossiers, d’autant plus nombreuses que la population vieillit. La pension temporaire que vous proposez ne saurait être attribuée si l’on ne veille à donner suffisamment de temps pour traiter les dossiers et à responsabiliser les assurés, afin d’éviter des retards pour cause de documents manquants. Et que se passerait-il si l’assuré ne régularisait jamais sa situation ?

Je salue, en revanche, l’initiative de la Carsat des Hauts-de-France, qui a lancé des centres itinérants qui vont à la rencontre des habitants. Les assurés peuvent ainsi recevoir au plus près de chez eux l’aide des conseillers de la Carsat ainsi que de l’Agirc-Arrco pour compléter leur dossier.

À ce stade, la proposition de loi pose beaucoup de questions, comme en attestent les nombreux amendements que vous avez déposés. Elle ne sert pas bien votre ambition et sur un tel sujet, nous devons rester précautionneux.

Mme Marie-Charlotte Garin (Ecolo - NUPES). Après une carrière professionnelle, le grand jour arrive : enfin la retraite. Mais, là encore, il faut se battre pour faire appliquer ce qui est pourtant un droit. En effet, l’État ne dégage pas les moyens suffisants pour garantir à chacun le versement de sa retraite dès qu’il peut y prétendre. On touche son salaire, puis, du jour au lendemain, plus rien, et il peut être impossible d’avoir quelqu’un au téléphone ou de se rendre à la caisse de retraite pour essayer de débloquer la situation. Les services croulent sous un nombre croissant de dossiers de départ à la retraite – 3 % de plus tous les ans, du fait du papy-boom. Par ailleurs, les dossiers sont de plus en plus complexes, en raison de carrières moins linéaires qu’auparavant, ce qui implique un nombre croissant d’employeurs et de régimes, et d’une complexification des règles d’octroi de la retraite. La logique voudrait, pour que cela ne soit pas préjudiciable aux assurés, que les effectifs des caisses augmentent en parallèle. Ils ont connu au contraire une baisse continue depuis dix ans à la sécurité sociale  6 % de moins entre 2012 et 2022 pour les agents en CDI.

Des collectifs de défense des services publics nous alertent sur l’augmentation du nombre d’assurés dont les dossiers ne sont pas traités et qui sont privés de ressources. Le rapport d’activité de la Défenseure des droits pour l’année 2022 signale, par ailleurs, un taux de réclamations de 23 % pour ce qui est de l’octroi des pensions de vieillesse. Les ruptures de ressources affectent en premier lieu les ménages les plus modestes, dont l’épargne n’est pas suffisante pour faire face. C’est pour ces personnes que nous devons garantir un paiement provisoire, sans rupture, des pensions de retraite. Nous voterons donc pour l’instauration du bouclier social proposé par nos collègues socialistes.

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). Je pensais vraiment que ce texte ferait l’objet d’un consensus et je suis très surpris par les arguments invoqués depuis le début de cette réunion, notamment par la droite. Tout le monde fait le constat d’un dysfonctionnement, et personne ne s’intéresse à ses conséquences. La baisse du nombre de salariés en poste à la sécurité sociale, nous la connaissons depuis longtemps ; les retards de paiement des retraites, nous en parlons à chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale ; mais personne ne bouge le petit doigt.

Je pensais donc que tout le monde soutiendrait cette proposition de loi de bon sens, que nous serions tous d’accord pour régler la question des retards de paiement des retraites, qui sont insupportables. Imaginez que les indemnités de parlementaires soient versées avec deux ou trois mois de retard : ce serait compliqué, nous ne l’accepterions pas, à juste titre ! C’est exactement pareil pour les retraites.

Je ne comprends donc pas les arguments de nos collègues, et je n’ai pas confiance dans les engagements qu’ils pourraient prendre pour remédier à la situation. Il n’y a qu’à voir la question de la retraite des pompiers, que Mme la rapporteure a évoquée : des engagements ont été pris par le Président de la République, dont j’ai cru comprendre que vous considériez les propos comme sacrés ; ils ont été repris par le Premier ministre – il était alors question d’une bonification pour l’ensemble des pompiers volontaires ; mais il n’y a toujours pas de décret, et l’on commence à nous dire que seules les carrières incomplètes étaient concernées !

Je pense que vous avez un vrai problème avec la question des retraites. Nous ne croyons pas à vos engagements en la matière et nous voterons pour cette proposition de loi qui permettra de résoudre le problème des retards de paiement.

M. Laurent Panifous (LIOT). Alors que le pouvoir d’achat est la priorité de nos concitoyens, on observe un angle mort : celui des jeunes retraités, particulièrement les plus modestes, à qui l’on fait l’injustice de ne pas pouvoir disposer immédiatement de leur pension. Non seulement ils se retrouvent brutalement avec de faibles ressources, mais ils doivent faire face à une administration parfois injoignable, débordée, dématérialisée.

Le problème est loin d’être nouveau, mais il a été renforcé par des réformes successives d’ampleur. Celle de 2023, en particulier, a été adoptée dans la précipitation : au‑delà de notre position quant au fond, nous avions sévèrement contesté la forme et signalé que les caisses de retraite n’étaient pas prêtes à mettre en œuvre les évolutions prévues. Leur entrée en vigueur n’en a pas moins été fixée au 1er septembre 2023 au lieu du début de l’année civile suivante, alors même que le système de liquidation n’était pas calibré en conséquence.

Le problème des retards de pensions est un exemple parmi de nombreux autres des difficultés d’accès au droit de nos concitoyens. Les carrières étant de moins en moins linéaires, les dossiers sont de plus en plus complexes. Toutefois, les retards ne sont pas seulement du fait des caisses : du côté des assurés, la question des pièces manquantes se pose aussi, d’où le besoin d’un renforcement de l’information et de la proximité.

Notre groupe soutient ce texte, qui constituera un réel progrès pour tous les nouveaux retraités, surtout les plus modestes, même si nous avons une interrogation quant à la surcharge de travail que cela occasionnera. Nous proposons que les assurés soient systématiquement informés, d’une manière anticipée, du montant de la retraite provisoire qui leur serait versée si le calcul de leur retraite définitive devait prendre un certain temps.

Mme la rapporteure. S’agissant de la forme, plusieurs d’entre vous s’étonnent, ou s’offusquent, du nombre d’amendements – vingt-huit – que j’ai déposés en ma qualité de rapporteure. Je compte sur votre expérience de parlementaires pour comprendre qu’avec vingt‑deux amendements rédactionnels, il n’en reste que six de fond, qui visent à renforcer la qualité et la viabilité du texte. Il n’y a là rien d’excessif : c’est un travail tout à fait légitime de consolidation du texte, en toute tranquillité.

Sur le fond, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, les auditions que nous avons menées, notamment celles des directions des caisses de retraite et de la direction de la sécurité sociale (DSS), ainsi que les contributions de certains représentants syndicaux des agents des caisses, ont montré que certains éléments méritaient des précisions ou une consolidation. Je l’assume sans difficulté et il est possible d’introduire des garanties dans le texte, qui a pour mérite de simplifier l’accès de nos concitoyens au droit.

Pourquoi avons-nous été élus députés ? Est-ce pour suivre, accompagner l’administration, ou pour fixer des priorités et des garde-fous qui permettent de garantir les droits de nos administrés ? Travaillons-nous au profit des directions des caisses ou de nos concitoyens ? Il y a un équilibre à trouver dans nos différents arguments.

Monsieur Le Gac, vous avez évoqué le risque que ceux qui prétendent bénéficier de leur droit à la retraite se voient refuser leur dossier. Le problème a été soulevé lors des auditions, auxquelles vous avez participé, par les directeurs des caisses. Nous en avons pris conscience et avons déposé un amendement pour sécuriser la proposition de loi. Il tend tout simplement à préciser que la pension temporaire ne pourra être versée qu’après un examen de la recevabilité de la demande de liquidation – qui est une phase essentielle.

Vous avez exprimé, en outre, la crainte d’une surcharge de travail pour les caisses. Quand on réforme les retraites, il en résulte effectivement une surcharge de travail – tout le monde se souvient de la promulgation de la dernière réforme, en avril dernier. Le texte que je propose demandera, selon les caisses elles-mêmes, des ajustements opérationnels. Si l’on souhaite réellement alléger la charge des caisses de retraite, une idée à suivre serait de cesser de réduire constamment leur personnel. De nouveaux schémas d’emplois permettraient de recruter de nouveaux agents pour aider les caisses à gérer toutes les démarches nécessaires – en tout cas si l’on accepte de prendre en compte la démographie vieillissante de notre pays et l’afflux dans les parcours de retraite.

Enfin, vous avez évoqué le risque de déresponsabilisation ou de changement de comportement des assurés si on leur donne un droit supplémentaire. Rien n’établit qu’il en sera ainsi. En l’occurrence, ce droit supplémentaire, c’est un bouclier social contre des situations dangereuses. Il sert à protéger les plus fragiles – des polypensionnés, des carrières hachées, des gens en rupture avec l’administration. Il s’agit d’éviter les ruptures de ressources pour des personnes qui se trouvent souvent dans des situations précaires et dont les dossiers sont, de fait, complexes. La mesure que nous proposons est tout à fait adaptée pour accompagner ces assurés et non, comme vous le sous-entendez, pour déréguler à outrance notre système de retraite.

Madame Loir, vous avez exprimé la crainte que cette proposition de loi mette en danger les retraités. Il s’agit, au contraire, d’accompagner les plus fragiles, en travaillant à hauteur d’assuré, en remettant de l’humain, de la proximité et du pragmatisme dans notre système de retraite. Ce texte permettra d’offrir une pension provisoire à ceux qui ont cotisé toute leur vie, qui ont travaillé dur mais qui, au moment fatidique et symbolique où ils devraient jouir pleinement d’une retraite bien méritée, se retrouvent sans ressources. Ce texte, loin de pénaliser qui que ce soit, est un outil d’accompagnement, qui consolide les dispositions du décret de 2015, dans une logique de simplification des démarches des assurés, lesquels se trouvent parfois dans une situation difficile face à l’administration.

Monsieur Turquois, vous avez exprimé des craintes au sujet du mode de calcul de la pension temporaire. Nous examinerons un amendement qui permettra d’éclaircir cette question. J’y ai travaillé à la suite des auditions, d’où sont ressorties quelques préconisations. Ce que nous avions proposé à l’origine n’était pas tout à fait adapté, je l’assume parfaitement. Nous avons donc décidé d’affiner le dispositif par voie d’amendement, dans une logique constructive, au service des assurés, car tel est le sens de notre travail de législateur. Nous proposons de ne pas se fonder sur des simulations réalisées à taux plein, mais sur une estimation indicative globale en fonction de l’âge effectif du départ à la retraite, afin que le montant versé soit plus adapté aux droits de l’assuré.

Article 1er : Instauration d’une pension temporaire dès le mois suivant l’entrée en jouissance de la pension

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels AS20 et AS21 de Mme Mélanie Thomin.

Amendement AS15 de Mme Mélanie Thomin.

 

Mme la rapporteure. Je vous propose de fixer le délai minimal entre le dépôt de la demande de liquidation et la date de départ à la retraite non plus à un mois, mais à deux mois civils. Cet amendement, issu des travaux préparatoires, est complémentaire de l’amendement AS14, qui tend à donner aux caisses la possibilité de vérifier si les conditions d’éligibilité au départ à la retraite sont respectées. Il s’agit d’éviter les risques d’indu pour une catégorie très spécifique de personnes qui peuvent penser à tort qu’elles sont en droit de bénéficier d’un départ anticipé à la retraite, pour carrière longue ou inaptitude par exemple, et qui se voient opposer un refus de liquidation de leur pension. Allonger le délai prévu n’est absolument pas un renoncement, mais une condition pour que le bouclier social que nous vous proposons d’instaurer s’applique de façon satisfaisante.

Pourquoi choisir un délai de deux mois, plutôt que trois ou quatre ? Notre ambition est inchangée : il s’agit de limiter le plus possible les situations de rupture de ressources que subissent, je le rappelle, plusieurs dizaines de milliers de retraités. Il faut pour cela prévoir un délai aussi court que possible. Selon la Cnav, le délai moyen de traitement des dossiers s’élève à soixante-dix jours. Un délai de deux mois signifie donc que la plupart des dossiers, en tout cas les plus simples, auront pu être traités avant le début du versement de la pension et que les personnes concernées toucheront donc leur pension définitive.

Nous recentrerons ainsi la pension temporaire sur son cœur de cible, c’est-à-dire les dossiers complexes et ceux ne pouvant pas bénéficier de la garantie de versement. Une autre raison est d’ordre technique : selon la DSS, le délai moyen dans lequel les agents des caisses de retraite vérifient la recevabilité des demandes est compris entre un et deux mois. Cet amendement donnera donc aux caisses de retraite tout le temps nécessaire pour réaliser leur contrôle de recevabilité dans des conditions satisfaisantes.

M. Didier Le Gac (RE). Notre groupe est défavorable à cet amendement. Nous n’avons pas dû entendre la même chose, lors de l’audition des organismes de retraite. Tous nous ont dit qu’un délai raisonnable serait de quatre à six mois et qu’une telle proposition de loi enverrait aux Français un très mauvais signal, alors que les caisses de retraite communiquent depuis longtemps sur la nécessité d’anticiper au maximum.

Hier encore, vous nous disiez que tout Français qui en ferait la demande pourrait obtenir une retraite provisoire un mois seulement après fait sa demande. Aujourd’hui, vous proposez deux mois. C’est toujours insuffisant. Je rappelle que le décret de 2015, qui a été pris par un gouvernement socialiste et qui est un bon texte, prévoit que la demande de liquidation doit avoir été déposée au moins quatre mois civils avant la date d’entrée en jouissance. Un délai de deux mois ne serait pas raisonnable.

M. Paul Christophe (HOR). Je m’interroge également sur ce délai. Il faut que les dossiers soient complets : des demandes sont refusées parce que les personnes ne remplissent pas les conditions. Ne pensez-vous pas qu’on risque de créer une confusion ? D’après ce que m’a dit la Carsat des Hauts-de-France, un délai de quatre mois semble préférable pour apporter une réponse appropriée aux administrés. Rien ne serait pire que s’imaginer pouvoir jouir de sa retraite, quitter son travail et, après examen du dossier, s’entendre signifier un refus et se retrouver dans la situation inextricable de ne plus avoir de salaire et pas encore de retraite.

Mme Christine Loir (RN). Je rejoins M. Christophe : c’est exactement ce que les représentants de la Cnav nous ont dit. La personne qui pose sa démission mais n’a en réalité pas encore le droit de prendre sa retraite se retrouvera sans aucune indemnité.

M. Nicolas Turquois (Dem). J’entends l’idée que la liquidation de la retraite devrait se faire le plus rapidement possible, mais c’est une décision qu’on ne prend normalement qu’une fois dans sa vie. Tous ceux qui, dans mon entourage, ont pris leur retraite ont fait leurs démarches plusieurs mois à l’avance, pour réfléchir à la date et éventuellement au montant qu’ils percevraient – dans ce domaine, on est plus souvent déçu qu’agréablement surpris. Inviter les gens à anticiper, faciliter leur information pour qu’ils fassent leur choix en toute connaissance de cause, me paraîtrait plutôt une bonne idée. Raccourcir le délai risque, au contraire, de les envoyer dans un corner dont ils ne pourront peut-être pas sortir. Au lieu de faciliter les choses, ce que vous proposez peut conduire à un danger dans certaines situations. Enfin, pourquoi demander à l’administration de rattraper le retard pris par la personne dans sa déclaration ? Pourquoi ne pas demander plutôt aux gens d’anticiper ? On pourrait ainsi concilier les démarches personnelles avec les impératifs de traitement des dossiers et de vérification de l’administration. Je voterai contre cet amendement.

Mme Valérie Rabault (SOC). Avec cet amendement, quelqu’un qui déposerait son dossier deux mois avant la date de départ souhaitée aurait le droit de toucher une pension temporaire. Selon la DSS, la durée moyenne de traitement des dossiers est de deux mois. Ça colle !

Mme la rapporteure. C’était effectivement notre réflexion.

Il faut bien distinguer deux choses. S’agissant de la recevabilité des dossiers d’abord, le délai moyen de traitement est actuellement de soixante-dix jours. Les caisses ont l’objectif de passer à soixante-cinq, et la DSS indique que cet examen prend, en moyenne, entre un et deux mois. La question du calcul du montant de la pension, c’est autre chose. Il peut prendre davantage de temps dans certains cas. C’est là que la pension provisoire que nous proposons prend tout son sens : dès lors que l’on a garanti à la caisse de retraite que le dossier était recevable, c’est-à-dire que la personne peut bien partir à la retraite, on peut légitimement enclencher le processus de versement d’une pension provisoire. Cela laisse à la caisse de retraite le temps de procéder au calcul du montant de la pension.

Par ailleurs, nous partons du principe que les assurés sont, dans une très large majorité, responsables : ils préparent leur départ à la retraite, ils anticipent un minimum. C’est le principe de la confiance républicaine, et cela n’a rien de contraire à ce que nous proposons.

Se pose, malgré tout, la question de la complexité de certains dossiers, contre laquelle on ne peut pas lutter même si on a anticipé son départ à la retraite. Des personnes qui ont fait une partie de leur carrière à l’étranger seront victimes de cette injustice qui consiste à ne pas pouvoir toucher sa pension dès le premier jour, parce qu’il faut du temps pour tout compiler et mettre en ordre le dossier avant de pouvoir évaluer le montant de la pension.

À cela s’ajoute la question des dépôts tardifs, au sujet de laquelle je dois dire que nous avons eu quelques difficultés à collecter des chiffres précis. Les dossiers concernés correspondent, dans une grande majorité, à des publics fragiles : ce sont des gens qui vivent dans la précarité, qui ont eu des carrières hachées, qui ont très certainement des revenus modestes ou qui sont en situation de rupture avec l’administration. Je considère qu’il est de notre responsabilité, en tant que parlementaires, de proposer des solutions pour donner plus de garanties à cette partie de la population qui, sinon, ne demandera pas à bénéficier de ses droits et restera, sans aide concrète, dans le trou noir de la précarité. Le dispositif que nous proposons a une utilité dans ce contexte précis.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AS22 de Mme Mélanie Thomin.

Amendement AS14 de Mme Mélanie Thomin

Mme la rapporteure. Cet amendement sera également très utile. Il vise à répondre à une interrogation légitime qui a été formulée par les caisses de retraite lors des auditions. Selon les données fournies par la Cnav, 9 % des dossiers déposés en 2023 ont abouti à un refus de liquidation, principalement car les personnes concernées avaient tort de penser qu’elles pouvaient partir à la retraite. L’application du dispositif de pension temporaire à ces assurés conduirait à un risque d’indu élevé, qui se traduirait par une obligation de remboursement de sommes parfois importantes. Pour neutraliser ce risque, dont nous sommes bien conscients, l’amendement précise que le bénéfice de la pension temporaire n’est ouvert qu’aux assurés qui remplissent effectivement les conditions permettant le départ à la retraite.

Les caisses procéderont en priorité à l’examen de la recevabilité des demandes. Une fois la recevabilité établie, la personne concernée pourra bénéficier de la pension temporaire, dans l’attente du calcul du montant de la pension définitive. Selon la DSS, je l’ai dit, il faut en moyenne un ou deux mois pour procéder à l’examen de la recevabilité, et c’est la raison pour laquelle nous avons proposé un délai adéquat.

M. Paul Christophe (HOR). Le principal problème, je l’ai déjà dit, ce sont les dossiers incomplets. Si un dossier est complet et recevable, pourquoi prévoir de verser une pension temporaire, et non pas la pension effectivement due ?

Vous avez parlé d’un délai de soixante-dix jours, mais il s’agit de jours ouvrés : ce sont donc plutôt trois mois et demi que deux mois. Puisque l’administration vous dit qu’il lui faut ce délai pour traiter un dossier, comment voulez-vous qu’elle le fasse en un ou deux mois ? Votre intention est louable, mais le dispositif que vous proposez me semble inopérant. Encore une fois, un dossier incomplet ne donnera pas droit à la pension temporaire que vous proposez, et un dossier complet entraîne le versement de la pension définitive.

M. Nicolas Turquois (Dem). Effectivement, les caisses de retraite continueront d’avoir besoin d’un dossier complet pour juger de la recevabilité des demandes. Si le dossier est complet, elles pourront liquider la pension ; quant aux dossiers incomplets, ceux qui posent problème actuellement, ils ne seront toujours pas traités. On aura donné l’impression d’avoir créé un droit mais, dans les faits, on aura juste rendu le système encore plus complexe.

M. Didier Le Gac (RE). C’est exactement cela : on donne l’impression de créer un droit, mais on complexifie le système. Vous écrivez dans votre exposé sommaire, madame la rapporteure, que 9 % des dossiers sont rejetés parce que les personnes concernées n’ont pas atteint l’âge de la retraite, mais ce n’est pas ce qu’a dit la Cnav ! Elle nous a dit que ces 9 % de gens qui pensent pouvoir partir à la retraite n’y ont en fait pas droit, pas forcément à cause de leur âge : ils peuvent n’avoir pas travaillé assez longtemps, ou sans avoir été déclarés. Vous détournez les propos de la Cnav. Ce que vous proposez n’est rien d’autre que ce qui existe déjà : il faudra toujours reconstituer leur carrière, et deux mois n’y suffiront pas. Nous ne sommes pas favorables à cet amendement.

Mme la rapporteure. Il faut distinguer l’examen de la recevabilité de la demande et le calcul de la pension : ce sont deux choses différentes, qui ne prennent pas le même temps. Par ailleurs, les chiffres de la Cnav que j’ai évoqués m’ont été transmis par écrit et ne sont pas contestables.

L’examen de recevabilité permet de vérifier si la personne est éligible à un départ en retraite. Pour prendre l’exemple du régime général, toute personne est fondée à demander sa retraite dès lors qu’elle respecte la condition d’âge, qu’elle a validé ne serait-ce qu’un trimestre et qu’elle cesse son activité professionnelle. Toute personne qui a travaillé dans sa vie a le droit de demander sa retraite, peu importe le nombre d’années travaillées et le montant de la pension. Le directeur de la Cnav nous a bien dit que, même si une personne ne doit toucher que 7,60 euros, cette somme lui est due.

Le calcul de la pension définitive, quant à lui, est beaucoup plus complexe, car il faut s’assurer que l’on a tous les éléments permettant de reconstituer la carrière des assurés. C’est une autre opération, plus longue et plus complexe que l’examen de recevabilité.

Mon amendement permet d’écarter les risques d’indus tout en conservant l’intérêt du bouclier social introduit par cette proposition de loi.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS13 de Mme Christine Loir

Mme Christine Loir (RN). Nous proposons de limiter le versement de cette pension temporaire à 70 % de l’estimation de son montant, afin d’éviter à tout prix que les retraités s’endettent. Il est évident qu’en ne prenant en compte que les derniers mois de salaire, le montant de la pension sera surestimé.

Mme la rapporteure. Votre proposition veut répondre à un problème soulevé lors des auditions, à savoir le risque d’indus qui existe si le montant de la pension temporaire est surestimé, voire si elle est versée à des personnes qui ne sont pas éligibles au départ en retraite. Toutefois, votre amendement ne règle pas ce problème à la source mais cherche simplement à en diminuer les effets. Ce n’est pas l’option que nous avons choisie.

Avec l’amendement AS14, qui permet de vérifier la recevabilité de la demande de liquidation avant de verser la pension temporaire, celle-ci ne pourra plus être versée aux personnes qui pensaient à tort pouvoir partir à la retraite et dont la demande de liquidation est refusée. Pour prendre en compte la situation des personnes qui partent avec une décote, je présenterai un amendement dans quelques instants qui modifie la base de calcul du montant de la pension temporaire et qui supprime la référence au taux plein.

Pour ces raisons, je suis défavorable à votre amendement.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS16 de Mme Mélanie Thomin

Mme la rapporteure. Les caisses de retraite ont appelé notre attention sur le risque d’indus liés à la surestimation du montant de la pension temporaire par rapport à celui de la pension définitive. Dans la rédaction actuelle du texte, le montant de la pension temporaire est calqué sur la pension définitive que l’assuré pourrait toucher à condition d’avoir le taux plein. Les personnes qui partent avec une décote pourraient donc avoir à rembourser des indus, ce qui aurait un effet déceptif.

Mon amendement vise à affiner les modalités de calcul de la pension temporaire pour la rapprocher le plus possible de la pension définitive. Concrètement, la pension temporaire serait basée sur les estimations correspondant à l’âge auquel l’intéressé procède à sa demande de liquidation. De ce fait, la pension temporaire ne serait plus basée sur l’hypothèse d’un départ au taux plein : si la personne part à la retraite à 64 ans, on prendra pour référence le montant estimé de sa retraite à cet âge, pareil si elle part à 65 ans, et ainsi de suite. En supprimant la référence au taux plein, on limite drastiquement les risques d’indus.

M. Nicolas Turquois (Dem). Lors de l’examen du projet de loi instituant un système universel de retraite, nous nous sommes aperçus qu’il n’y a pas 1 % des Français qui sont capables de calculer le montant de la pension de retraite qu’ils vont toucher. C’est un scandale. On devrait au moins avoir un ordre de grandeur. Notre système comporte des régimes différents, des modes de calcul par points et par trimestres, des décotes...

Or votre amendement va ajouter une couche de complexité. On va aboutir à des montants que personne ne comprendra et qui susciteront certainement des tensions. Et je pense qu’il n’évitera pas les indus. Il faut simplifier notre système de retraite, faire en sorte qu’un travail et un salaire donnés ouvrent des droits homogènes et clairement identifiés. Ce qui crée de la défiance chez nos concitoyens, c’est qu’ils ne comprennent pas les règles de calcul, parce qu’elles sont totalement absconses, y compris pour nous qui avons travaillé des semaines et des semaines sur le sujet !

Mme la rapporteure. C’est vrai, monsieur Turquois, notre système de retraite est particulièrement complexe, mais il n’est pas tout à fait exact que les assurés n’ont aucune idée du montant de la pension qu’ils toucheront, puisqu’une estimation indicative globale leur est adressée – c’est une obligation légale.

La fixation du montant de la pension temporaire nécessitera certes un ajustement opérationnel pour les caisses, mais l’essentiel, pour nous, c’est d’éviter que certains de nos concitoyens se retrouvent sans ressources, au moment où ils pourraient jouir de leur retraite.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS6 de M. Laurent Panifous

M. Laurent Panifous (LIOT). Le passage de la vie active à la retraite est souvent synonyme de fragilité et de précarité, surtout pour nos concitoyens les plus modestes. Cette proposition de loi va donc dans le bon sens. Afin d’adoucir encore cette période de transition, je propose que les futurs retraités soient informés à l’avance du montant de la pension temporaire qui leur sera versée.

Mme la rapporteure. Il paraît effectivement très important que les assurés soient informés du montant de leur future pension temporaire. Un peu plus de la moitié des nouveaux retraités n’évaluent pas, ou mal, le montant de leur pension. Cela s’explique par la complexité de notre système de retraite, mais aussi par l’insuffisance des dispositifs de droit à l’information des assurés. Votre amendement me semble très pertinent et complémentaire de celui que je défendrai un peu plus tard, qui vise à renforcer le droit à l’information des assurés grâce à l’estimation indicative globale.

Avis favorable.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle rejette successivement les amendements rédactionnels AS23, AS24, AS25 et AS26 de Mme Mélanie Thomin.

Amendement AS5 de M. Hadrien Clouet

M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Plusieurs de nos collègues nous ont dit vouloir davantage de simplicité : voilà un amendement qui va les satisfaire.

On l’a dit, parce que les caisses de retraite manquent de moyens et de personnel, elles ont bien du mal à traiter toutes les demandes qui leur sont adressées dans les temps. Actuellement, en cas de retard, il faut saisir la commission de recours amiable de la Cnav, qui met elle aussi beaucoup de temps à traiter les dossiers. Nous proposons qu’un assuré n’ayant pas reçu sa pension temporaire dans un délai de deux mois après la date d’entrée en jouissance puisse saisir le juge judiciaire en référé. Passer par le juge judiciaire permettrait de trancher ces décisions beaucoup plus vite. Je pense qu’une telle disposition est de nature à rassurer tous nos collègues quant à cette proposition de loi dont nous soutenons et l’esprit et la lettre.

Mme la rapporteure. Votre amendement me semble apporter une garantie supplémentaire intéressante. La procédure de référé que vous proposez me semble répondre à des conditions d’éligibilité satisfaisantes. Elle ne serait ouverte que deux mois après la date prévue d’entrée en jouissance, ce qui laisse aux caisses le temps de procéder au versement de la pension temporaire.

Avis favorable.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle rejette successivement les amendements rédactionnels AS27, AS28, AS29, AS30, AS31, AS32 et AS41 de Mme Mélanie Thomin.

Amendement AS17 de Mme Mélanie Thomin

Mme la rapporteure. Cet amendement, comme celui qui suit, a pour objet d’améliorer la fiabilité de l’estimation indicative globale sur deux points essentiels.

Premièrement, il prévoit une obligation de conservation de l’estimation indicative globale par les caisses de retraite. Il s’agit de ne plus faire porter à l’assuré la responsabilité de fournir ce document qui lui a été transmis par la caisse de retraite. C’est une mesure de simplification, qui doit également empêcher toute falsification de ce document.

Deuxièmement, l’amendement propose de réduire le délai de mise à jour des estimations indicatives globales de cinq à deux ans. Avec un tel délai, une personne qui déciderait de partir à la retraite à 64 ans pourrait voir le montant de sa pension temporaire calculé sur la base d’une estimation datant d’un an seulement, contre près de quatre ans aujourd’hui. Tout en renforçant le droit à l’information de l’assuré, une telle évolution réduirait le risque d’indu lié à une surestimation du montant de la pension temporaire. En effet, plus l’estimation est proche du départ, plus elle est fiable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS19 de Mme Mélanie Thomin

Mme la rapporteure. Il s’agit de préciser le contenu de l’estimation indicative globale, qui doit présenter à l’assuré les montants de retraite estimés pour un départ chaque année, jusqu’à l’âge d’annulation de la décote. Par exemple, si l’estimation indicative globale est établie pour un assuré qui a 64 ans, alors elle devra présenter le montant de retraite estimé pour chacune des hypothèses d’un départ à 64 ans, 65 ans, 66 ans ou 67 ans, âge d’annulation de la décote. Cet amendement vise simplement à consolider ce qui se fait actuellement, mais qui est uniquement prévu par voie réglementaire.

M. Nicolas Turquois (Dem). L’estimation indicative globale, que l’on peut par exemple obtenir sur le site info‑retraite.fr, est calculée sur la base des éléments qui sont connus des caisses de retraite. Si ces éléments ne sont pas transmis au préalable, l’estimation n’est plus valable. On ne peut pas s’appuyer sur ce document, sous peine de mettre tout le système en difficulté. C’est un non-sens et je suis absolument défavorable à cet amendement.

Mme la rapporteure. Je rappelle que les caisses de retraite ont l’obligation légale de transmettre cette évaluation indicative globale aux assurés. Il est donc tout à fait naturel que cette information parvienne à l’assuré en bonne et due forme.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle rejette successivement les amendements rédactionnels AS33, AS34, AS35, AS36, AS37, AS38, AS39 et AS40 de Mme Mélanie Thomin.

Elle rejette ensuite l’article 1er.

 

Après l’article 1er

Amendement AS18 de Mme Mélanie Thomin

Mme la rapporteure. Cet amendement répond à une demande formulée par les caisses de retraite. L’article 99 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 prévoyait un dispositif permettant aux organismes chargés de la gestion d’un régime obligatoire de sécurité sociale, du recouvrement des cotisations de sécurité sociale ou du service des allocations et prestations sociales, aux caisses assurant le service des congés payés, à Pôle Emploi – devenu France Travail – et aux administrations de l’État de se communiquer les renseignements, données ou documents nécessaires pour assurer aux personnes le bénéfice de leurs droits ou pour permettre le versement de prestations sociales.

Il s’agissait plus particulièrement de permettre la transmission de coordonnées bancaires, telles que le relevé d’identité bancaire, élément indispensable au versement des pensions de retraite. Cet article, porté par le rapporteur général de la commission des affaires sociales de l’époque, a été censuré par le Conseil constitutionnel en tant que cavalier social. Il est proposé de l’intégrer à cette proposition de loi, dont il permet de renforcer l’opérationnalité.

La commission rejette l’amendement.

 

Article 2 : Gage de recevabilité

La commission rejette l’article 2.

La commission ayant rejeté tous les articles de la proposition de loi, l’ensemble de celle-ci est rejeté.

 

*

*     *

 

L’ensemble des articles de la proposition de loi ayant été rejetés, le texte est considéré comme rejeté par la commission.

En conséquence, aux termes de l’article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique aura lieu sur le texte initial de cette proposition de loi.

 


– 1 –

   Annexe n° 1 :
Liste des personnes auditionnées par la rapporteure

(par ordre chronologique)

 

 

  Table ronde avec les gestionnaires des retraites des salariés, des indépendants, des non-salariés agricoles et des fonctionnaires

 Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) – M. Renaud Villard, directeur

 Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA) * Mme Magali Rascle, directrice déléguée aux politiques sociales, et M. Christophe Simon, chargé des relations parlementaires

 Service des retraites de l’État (SRE)  M. Guillaume Talon, chef du service des retraites de l’État (SRE)

  Table ronde avec les caisses de retraite de Bretagne

– Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) de Bretagne  M. Laurent Jaladeau, directeur M. Christophe Boissel, expert en législation, et M. Emmanuel Régnier, manager

 Caisse de la MSA Portes de Bretagne  Mmes Anne Toulhoat, directrice adjointe, et Marie Jouan, responsable retraite

  Direction de la sécurité sociale (DSS)  M. Morgan Delaye, chef de service adjoint au directeur, Mme Madame Claire Vincenti, sous-directrice de la direction du pilotage du service public de la sécurité sociale, et M. Hédi Brahimi, adjoint à la sous-directrice de la direction des retraites et des institutions de la protection sociale complémentaire


– 1 –

   Annexe n° 2 :
Liste des contributions Écrites adressées À la rapporteure

  Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) *

  Union des entreprises de proximité (U2P) *

  Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC)

  Mouvement des entreprises de France (MEDEF) *

  Confédération française de l’encadrement  Confédération générale des cadres (CFE-CGC)

  Confédération générale du travail (CGT)

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

 

 


– 1 –

   Annexe n° 3 :
textes susceptibles d’Être abrogÉs ou modifiÉs À l’occasion de l’examen de la Proposition de loi

    

Proposition de loi

Dispositions en vigueur modifiées

Article

Codes et lois

Numéro d’article

1er

Code des pensions et militaires de retraite

L. 23 bis [nouveau]

1er

Code rural et de la pêche maritime

L. 732‑40‑1 [nouveau]

1er

Code de la sécurité sociale

L. 161‑17 et L. 351‑18 [nouveau]

 


([1]) Baromètre « Les Français et la retraite », vague 3, réalisé par l’institut Odoxa (juin-juillet 2023).

([2]) Loi n° 2023‑270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.

([3]) Mission « flash » sur les droits à la retraite des bénéficiaires de Tuc et dispositifs comparables, dont les conclusions ont fait l’objet d’une communication devant la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale le mercredi 14 décembre 2022.

([4]) Article 24 de la loi n° 2023‑270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.

([5]) Loi n° 2023‑87 du 13 février 2023 visant à calculer la retraite de base des non‑salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d’assurance les plus avantageuses.

([6]) Décret n° 2015‑1015 du 19 août 2015 relatif au délai de versement d’une pension de retraite.

([7]) Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, Les retraités et la retraite, édition 2023, Les panoramas de la Drees, 16 juin 2023, p. 32.

([8]) Discours prononcé par Pierre Laroque le 23 mars 1945 à l’École nationale d’organisation économique et sociale.

([9]) En l’absence de précision, les références citées dans le présent commentaire concernent les personnes affiliées au régime général. On notera qu’en application de l’article L. 6342 du code de la sécurité sociale, la plupart des dispositions applicables aux salariés du régime général s’appliquent également aux travailleurs indépendants. Il en va notamment des règles relatives à la liquidation et au versement de la pension de retraite. Les articles du code rural et de la pêche maritime relatifs aux nonsalariés agricoles ainsi que ceux du code des pensions civiles et militaires de retraite relatifs aux fonctionnaires et militaires sont cités autant que de besoin.

([10]) C’est-à-dire la caisse chargée de la liquidation des droits à prestations de vieillesse dans le ressort de laquelle se trouve la résidence de l’assuré ou de son dernier lieu de travail s’il réside à l’étranger.

([11]) Articles R. 351‑34 du code de la sécurité sociale et R. 732‑58‑1 du code rural et de la pêche maritime.

([12]) Articles R. 351‑37 du code de la sécurité sociale et R. 732‑58 du code rural et de la pêche maritime.

([13]) Article L. 90 du code des pensions civiles et militaires de retraite.

([14]) Les régimes alignés sont le régime général de sécurité sociale, le régime des salariés agricoles, et le régime social des indépendants (lequel a disparu en tant que tel au 1er janvier 2018 pour être progressivement intégré au régime général à partir de 2020).

([15]) Des exceptions existent néanmoins.

([16]) Article R. 173-4-5 du code de la sécurité sociale.

([17]) Décret n° 2015‑1015 du 19 août 2015 relatif au délai de versement d’une pension de retraite.

([18]) Circulaire Cnav n° 2017‑3 du 17 janvier 2017.

([19]) Pour les salariés agricoles et les indépendants, cette garantie de versement s’applique depuis l’entrée en vigueur de la liquidation unique des régimes alignés (Lura), c’est-à-dire depuis le 1er septembre 2017.

([20]) Igas, Évaluation de la convention d’objectifs et de gestion de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, août 2022, p. 74.

([21]) Id.

([22]) Réponse de la Cnav au questionnaire de la rapporteure.

([23]) Igas, Évaluation de la convention d’objectifs et de gestion de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, août 2022, p. 71.

([24]) Réponse de la Cnav au questionnaire de la rapporteure.

([25]) Cour des comptes, La mutualité sociale agricole, mai 2020, p. 78.

([26]) Igas, Évaluation de la convention d’objectifs et de gestion de la mutualité sociale agricole, août 2022, p. 74.

([27]) Cour des comptes, La mutualité sociale agricole, mai 2020, p. 79.

([28]) Article R*. 101 du code des pensions civiles et militaires de retraites.

([29]) Réponses au questionnaire de la rapporteure.

([30]) Ce chiffre comprend à la fois les dossiers qui ont pu être traités dans les temps et ceux qui ont conduit à une rupture de ressources.

([31]) Article L. 351‑7‑1 A du code de la sécurité sociale.

([32]) Article 99 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022.

([33]) Décision n° 2021‑832 DC du 16 décembre 2021.

([34]) Ce qui entraîne l’application du régime socio‑fiscal et des modalités de recouvrement et de lutte contre la fraude applicables en matière de pensions de retraite aux montants versés au titre de cette pension temporaire.

([35]) Drees, « Les retraités et les retraites – édition 2023 », Panoramas de la Drees, 16 juin 2023.

([36]) Article 18 de la loi n° 2023‑270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, étendue au régime des non‑salariés agricoles par la loi n° 2023‑1250 du 26 décembre 2023 de financement de la sécurité sociale pour 2024.

([37]) Article 9 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 devenu l’article 15 de la loi n° 2023‑1250 du 26 décembre 2023 de financement de la sécurité sociale pour 2024.

([38]) Convention d’objectifs et de gestion de la Cnav 2018‑2022, p. 29.

([39]) Igas, op.cit., p. 171.

([40]) Réponse de la Cnav au questionnaire de la rapporteure.

([41]) Article D. 161‑2‑1‑7 du code de la sécurité sociale.

([42]) Pour les salariés du régime général.

([43]) Pour les non‑salariés agricoles et les indépendants.

([44]) Pour les fonctionnaires.

([45]) Drees, op. cit., p. 168.

([46]) https://assnat.fr/zLlvVR